Le Livre des ballades/Escobar fait un chemin de velours


Sur Escobar

C’eſt à bon droit que l’on condamne à Rome
L’évêque d’Ypre, auteur de vains débats ;
Ses ſectateurs nous défendent en ſomme
Tous les plaiſirs que l’on goûte ici-bas,
En paradis allant au petit pas,
Ou y parvient quoi que Aruauld nous en diſe :
La volupté ſans cauſe il a bannie.
Veut-on monter ſur les céleſtes tours,
Chemin pierreux eſt grande rêverie,
Eſcobar fait un chemin de velours.

Il ne dit pas qu’on peut tuer un homme
Qai, ſans raiſon, nous tient en alternas
Pour un fétu ou bien pour une pomme ;
Mais qu’on le peut pour quatre ou cinq ducats.
Même il ſoutient qu’on peut en certains cas
Faire un ſerment plein de ſupercherie,

S’abandonner aux douceurs de la vie,
S’il eſt beſoin, conſerver ſes amours.
Ne faut-il pas après cela qu’on crie
Eſcobar fait un chemin de velours ?

Au nom de Dieu, liſez-moi quelque ſomme
De ces écrits dont chez lui l’on fait cas.
Qu’eſt-il beſoin qu’à préſent je les nomme ?
Il en eſt tant qu’on ne les connoît pas.
De leurs avis ſervez-vous pour compas.
N’admettez qu’eux en votre librairie ;
Brûlez Arnauld avec ſa coterie.
Près d’Eſcobar ce ne ſont qu’eſprits lourds.
Je vous le dis ; ce n’eſt point raillerie,
Eſcobar fait un chemin de velours.


ENVOY.


Toi, que l’orgueil pouſſa dans la voirie.
Qui tiens là-bas noire conciergerie,
Lucifer, chef des infernales cours.
Pour éviter les traits de ta furie,
Eſcobar fait un chemin de velours.


Jean de La Fontaine.