L’Âme bretonne série 2/Texte entier


Honoré Champion (série 2 (1908)p. --Table).

CH. LE GOFFIC


La Bretagne

et les Pays Celtiques


L’Âme
Bretonne
DEUXIÈME SÉRIE
2* ÉDITION


Nos derniers sanctuaires. — Sur les pas de Renan — La Villemarqué et la question du « Barzaz-Breiz ». — Au Pays de la Tour d’Auvergne. — Le barde des matelots : Yann Nibor. — Une idylle sur une grammaire bretonne. — La " Bretagne " de Gustave Geffroy. — Dans la Cornouaille des Monts. — Charniers et Ossuaires. — De Keramborgne à Pluzunet. — Goélettes d’Islande. — Le Bien du Pêcheur. — Chez Taffy : quinze jours dans la Galles du Sud. etc.


L’ÂME BRETONNE

OUVRAGES DU MÊME AUTEUR


POESIE

Amour Breton.
Le Bois Dormant.
Le Pardon de la Reine Anne.

ROMANS

 
Le Crucifié de Keraliès. (Ouvrage couronné par l’Académie Française).
Passé l’Amour.
La Payse.
Morgane.
L’Erreur de Florence.
Les Bonnets-Rouges.
Passions Celtes.
La Cigarière.
Ventôse (sous presse).
 

CRITIQUE ET SOCIOLOGIE

Les Romanciers d’Aujourd’hui.
Nouveau Traité de Versification française.
L’Âme bretonne (Première série).
Sur la Côte (Ouvrage couronné par l’Académie Française).
Les Métiers pittoresques.

LA BRETAGNE ET LES PAYS CELTIQUES




L’ÂME BRETONNE

PAR

CHARLES LE GOFFIC

DEUXIEME SERIE



Nos derniers sanctuaires. — Sur les pas de Renan — La Villemarqué et la question du « Barzaz-Breiz ». — Au Pays de la Tour d’Auvergne. — Le barde des matelots : Yann Nibor. — Une idylle sur une grammaire bretonne. — La « Bretagne » de Gustave Geffroy. — Dans la Cornouaille des Monts. — Charniers et Ossuaires. — De Keramborgne à Pluzunet. — Goélettes d’Islande. — Le Bien du Pêcheur. — Chez Taffy : quinze jours dans la Galles du Sud. etc.



PARIS

HONORÉ CHAMPION, LIBRAIRE-ÉDITEUR

5, QUAI MALAQUAIS

1908


PRÉFACE




Cette seconde série de l’Âme bretonne est, comme la précédente, un simple recueil d’articles au jour le jour, de notes, d’impressions, d’études détachées qui ne se prêtaient guère, je le crains, à la réunion en volume. Il s’ensuivra quelque trouble dans l’esprit du lecteur ; il arrivera que j’aurai l’air de me contredire et l’on admirera, çà et là, l’empressement peu banal que semblent avoir mis les événements à démentir mes plus sûres prévisions.

Sans doute, je pourrais invoquer à ma décharge que ce temps n’est point favorable aux fabricants d’horoscopes, qu’il va trop vite et brûle toutes les étapes. Nous avons vécu, en dix ans, plus que les générations antérieures dans l’espace d’un siècle. Quel Nostradamus se satisferait de ces façons de dératé ? C’est fini de la science conjecturale, s’il faut que nos prévisions soient à si courte échéance…

Mais, d’autre part, dans le tourbillon vertigineux qui emportait le reste de la France, n’y avait-il point naïveté à croire que la Bretagne demeurerait seule immobile et continuerait d’opposer à la bourrasque révolutionnaire le roc inentamable de sa Foi ? La voilà, semble-t-il, enfin réveillée de son rêve millénaire. Aux vieux partis qui lui chevrotaient l’antique et somnifère berceuse : Kousk, Breiz-Izel (Dors, petite Bretagne…), elle a répondu par un de ces bonds prodigieux comme en font seuls les peuples extrêmes, les races impulsives chez qui le sentiment tient lieu de raison. Un peu partout, à Vannes, à Nantes, à Rennes, à Lorient, à Saint-Malo, à Lannion, à Roscoff, une Bretagne jacobine et libre-penseuse remplace sans transition la Bretagne de l’ancienne formule, conservatrice et catholique. Les campagnes emboîtent le pas aux cités. Tel est le déconcertant phénomène auquel nous assistons. Et pourtant, avec d’autres, après d’autres, j’ai écrit : « Rien ne change en Bretagne… » L’écrirais-je encore, cette phrase sentencieuse et péremptoire ? Peut-être. L’essentiel d’un peuple c’est son âme. Et l’âme bretonne est sensiblement la même aujourd’hui qu’hier : le chimérique Merlin n’a pas rompu l’enchantement de Viviane, mais Viviane, pour lui plaire, a pris un autre visage et s’est coiffée d’écarlate. Sa chimère a changé, — non pas lui, le doux, l’incurable dément !

Aussi bien un vieux levain d’anarchisme fermenta toujours au fond des diverses familles de la race celtique ; Hervé n’est pas un accident ; il faut toujours en revenir, quand on parle des Celtes, au dur et méprisant verdict du proconsul romain : ce peuple est tout faction.

L’histoire ne s’est que trop chargée de vérifier le mot de Jules César et l’on citerait peu de races chez qui les brusques et périodiques réveils de l’esprit démagogique aient provoqué plus d’effervescences et valu de plus faciles triomphes au pouvoir central. De fait, c’est la complicité de ce même pouvoir et sa substitution, dans la direction de la conscience bretonne, aux puissances traditionnelles du Passé, caduques ou défaillantes, qui donnent seules de la gravité à la crise actuelle. Tous les Bretons sont comme leur Lamennais, et les plus anarchiques ont « besoin de quelqu’un qui les dirige », d’un exemple ou d’une autorité : ils ne trouvent en eux-mêmes aucun point d’appui, aucune prise solide dans la réalité ; ils flottent perpétuellement entre le regret et le désir. Ce sont des névrosés supérieurs, une race-femme, avec toutes les séductions et toutes les contradictions du tempérament féminin : élans passionnés, grâce rêveuse et mélancolique, spiritualité, finesse, désintéressement, goût de l’aventure sentimentale, horreur de l’action réfléchie et continue, utopisme, inconstance, fragilité. Éternel enfant de promesse, un tel peuple, si miraculeusement doué et si incapable de faire emploi de ses dons, si fuyant et tout ensemble si malléable, entêté et versatile, vain et désenchanté, suranné et ingénu, expansif et ombrageux, appartient évidemment au premier qui sait le prendre et se donnera la peine de le garder.

Ainsi la crise que nous traversons pourrait devenir décisive. Malgré tout, je le répète, il est douteux qu’elle touche à l’essentiel de ce peuple et dérange les grands traits de sa physionomie morale. Elle emportera peut-être les superstructures du dogme, le vénérable et doux berceau où il abritait son candide mysticisme, sa foi légendaire en un Au-Delà compensateur : elle ne balayera pas de l’âme bretonne cette maladie de l’absolu, ce tourment voluptueux, ce besoin de se déchirer à toutes les énigmes que nous pose la Destinée. Jusque dans son rationalisme et son radicalisme de fraîche date, la Bretagne restera fidèle à sa vocation qui est de se tromper elle-même et de tromper tous ceux qui l’ont aimée.

Charles Le Goffic.
Rûn-Rouz, le 24 juillet 1908.



NOS DERNIERS SANCTUAIRES


(Les îles bretonnes)




À M. Félix Hémon.


Je me souviens d’un de mes amis, peintre d’histoire à ses heures, qui avait campé son chevalet, à Bréhat, devant un bloc de roches rouges trempant dans une mer du plus parfait indigo et qui, dans ce décor paradoxal, trouvait tout naturel d’évoquer le radieux fantôme de Cléopâtre. Il y eût pu aussi bien, dans le blafard crépuscule d’un soir d’octobre, loger une rookery de pingouins ou de phoques à crinière. La mer de Bretagne est femme ; elle n’est jamais la même deux jours de suite ; on songe devant elle au mot de Claudien : dulce monstrum…

Il faut l’observer surtout près des îles. Elle n’y a nulle part, en été, un si limpide orient. En automne, au temps de ses mélancolies, sa grâce souffrante, ses langueurs y sont irrésistibles : la sirène n’est jamais plus belle que quand elle semble renoncer à nous séduire. Et, l’hiver ou à l’époque des équinoxes, les crises qui la secouent, son teint couleur de plâtre, sa bave, ses râles, ses colères passent en horreur eschylienne tous les drames du continent. D’autres mers ont des îles. Aucune plus que la mer bretonne. Les compter serait une tâche impossible : elles sont trop. Les Rimains, l’île des Landes, les Tintiaux, Cézembre, Harbour, Ago, les Ebihens, Bréhat, Er, Saint-Gildas, Tomé, les Sept-Îles, l’Île-Grande, Milio, Callot, Batz, Siek, l’Île-Vierge, Ouessant, Molène, Sein, Tudy, les Glénans, l’Île-aux Moines, Arz, Gavrinis, Berder, Conleau, Groix, Belle-Isle, Houat, Hœdic : voilà les principales. Mais, autour d’elles, que d’îlots, que de roches ! Rien qu’autour de Bréhat, je distingue Lavrec, Riom, Biniguet, Maudès, les quatre îles saintes de la légende cénobitique, Raguenez, Séhérez, Morbil, Guillanger, Trouézen, Roc’h-Du, la Blanche, le Tausel, l’Île-à-Bois, les Metz, Roho, les Duono, les Héaux, la Horaine… Simples récifs, ces derniers. Il ne perche là que des gardiens de phare et des cormorans. Mais les autres îlots sont habités : une, deux familles de petits fermiers, à qui se joignent, d’avril à septembre, les pastours des transhumants bretons. Encore sais-je des îles du Lannionnais, comme Tomé, affermées aux bouchers du continent qui y laissent paître leurs moutons « à la garde de Dieu » : il s’en noie bien un bon quart, mais le reste fournit assez de gigots de pré-salé pour la consommation annuelle des touristes de Perros et de Trégastel. Belle-Isle, en retour, compte une population presque trop dense : 10.000 habitants ; Groix n’a pas moins de 5.000 âmes ; Ouessant en a près de 3.000 ; l’Île-aux-Moines 1.400 ; Batz 1.300 ; Arz, Tudy 1.100 ; Bréhat, l’Île-Grande 1.000 ; Sein 900, que double, au printemps, l’immigration paimpolaise ; Molène 600 ; Houat, Hœdic, chacune 350…

Un trait commun à ces îles bretonnes, sauf à celles qui, comme l’Île-Grande, Tudy, Conleau, sont de simples dépendances de la terre ferme, c’est que la population masculine n’y comprend que des marins. Les femmes y cultivent le sol et font en général tous les travaux qui sont réservés aux hommes sur le continent. À Sein, si elles ne construisent pas elles-mêmes les maisons, qui sont bâties par les ouvriers du Cap-Sizun, elles servent volontiers de manœuvres, elles préparent le mortier, charrient dans des brouettes ou portent sur la tête les pierres d’angle et le moellon qu’elles vont chercher quelquefois à un quart de lieue de distance. Ce renversement des rôles est poussé si loin qu’à Ouessant, entre deux marées, quand les pêcheurs ne sont pas au cabaret et que le temps est beau, ils tricotent des bas sur le port en bavardant. Et l’on hésiterait peut-être à voir là une survivance, le legs d’un très lointain passé, si Strabon n’avait remarqué que, chez les Celtes, les travaux des deux sexes étaient répartis à l’inverse de ce qu’ils sont chez les peuples policés.

La mer a imposé partout aux hommes une vêture identique qui ne subit que de très légères retouches d’une île à l’autre. Il est remarquable aussi que la toilette féminine, dans ces îles, même dans les plus rapprochées de la chatoyante Cornouaille, est presque toujours de couleur sombre. À Sein en particulier, c’est le deuil complet ; la coiffe elle-même, dite jubilinen, est noire, et c’est une cape plutôt qu’une coiffe. Mais, à Ouessant, où les veuves se tondent, le kouricher, de forme cubique, qui rappelait à Luzel le panno italien, n’emprisonne pas les cheveux, les laisse pendre de toute la longueur sur l’épaule. À Batz, la chicoloen des jours de fête s’adorne de broderies et de dentelles. Le reste du costume garde sa sévérité monacale. Seules les très jeunes îliennes prennent quelques libertés avec la tradition. Ainsi, à Ouessant, les petits châles d’indienne, qui sont leur coquetterie, combinent ingénieusement toutes les couleurs du prisme.

Jeunes ou vieilles, d’ailleurs, la vie ne diffère pas pour ces îliennes. Quand elles ne sont pas aux champs, elles travaillent devant leur porte à la réparation des filets, sur la grève à la récolte des goémons. Les hommes naviguent ou pêchent. Hardis marins, larges d’épaules, les yeux clairs, le teint cuit par les embruns et les vents, familiers avec tous les écueils de la mer bretonne, aucun temps ne les retient au logis. Ils montent de petits canots gréés en sloops, dont quelques-uns jaugent à peine un demi-tonneau. Dans ces embarcations non pontées, ils s’aventurent jusqu’à 10 milles au large. Ils n’ont cure des avertissements du sémaphore ni — qui pis est parfois — des articles du code qui régissent le droit de propriété. Faut-il rappeler les scènes de pillage qui ont rendu trop fameuses les îles finistériennes ?[1] Dans le Morbihan, toute une population est frappée de discrédit : on l’accuse des plus noirs méfaits, dont le moindre est de draguer les parcs à huîtres pendant la nuit. Qui dit Sinagots là-bas dit forbans. Et Séné n’est qu’une presqu’île. Cependant, à Groix, qui posséda la première école de pêche sérieusement organisée, les pêcheurs hauturiers, traqueurs de thons, courtiers en sardines, se tiennent au courant des moindres perfectionnements maritimes. Leurs grosses chaloupes, montées par cinq ou six hommes d’équipage, quelques-unes pourvues de petits moteurs à pétrole, ne jaugent pas moins de 60 à 80 tonneaux. Un raid sur les côtes d’Espagne ou du Portugal n’est pas pour effrayer ces fils de la « Sorcière ». De la vieille groac’h ancestrale, qui donna son nom à leur île, ils héritèrent le don d’ubiquité, la faculté précieuse entre toutes d’arriver bons premiers sur les marchés de Brest et de Concarneau en même temps que sur ceux de Bayonne et de la Rochelle. Et ce n’est pas une légende qu’ils naviguent tout exprès sans baromètre, pour ne pas être arrêtés dans les ports par ses indications.

Les Grésillons sont les rois de la pêche côtière. Mais, dans la plupart des îles bretonnes, la situation économique des pêcheurs s’est sensiblement améliorée grâce au développement du balisage, à la création de cales et de viviers flottants, à l’ouverture des petites voies ferrées qui sillonnent le littoral et permettent l’expédition rapide de la marée vers les villes de l’intérieur. N’était l’alcoolisme, le bien-être des îliens serait encore plus grand. Ouessant ne possédait au commencement du XIXe siècle qu’un seul cabaret, lequel, au témoignage de Cambry, « ne délivrait jamais plus d’une bouteille de vin au même individu ». Il y a aujourd’hui 17 débits à Ouessant, 15 à Sein, 10 à Molène, je ne sais combien à Groix, à Belle-Isle, à Batz, même à Houat et à Hœdic, où la « charte des îles bretonnes » n’est plus qu’un souvenir, cette charte qui instituait aux îles un collectivisme primitif tempéré par les pouvoirs discrétionnaires du « recteur », lequel concentrait entre ses mains les fonctions de cantinier, de capitaine de port, de juge de paix, de notaire, de directeur des postes, de gardien de batterie et de sage-femme. L’alcool — le misérable alcool de grains, poison du corps et de l’âme, — fait tant de ravages dans les îles bretonnes qu’un ancien médecin de la marine, le Dr Bohéas, a pu écrire que « la tristesse et la joie de l’habitant se mesurent, dans ces îles, à la quantité d’eau-de-vie qu’il absorbe ». Nous étonnerons-nous ensuite si les mœurs des îliens, ces mœurs charmantes, mais d’une authenticité assez suspecte, qui rappelaient au bon Sauvigny l’âge d’or de Saturne et de Rhée, ont quelque peu perdu de leur candeur primitive ? Encore l’isolement en a-t-il sauvé maintes parcelles. Ce n’est pas la moindre singularité de ces îles que rien ne s’y passe comme sur le continent, et c’est proprement le monde renversé. Je me suis laissé dire qu’il est des hameaux perdus d’Ouessant où les filles font, comme autrefois, les demandes en mariage. À Sein, quand une îlienne est fiancée, elle ne doit plus assister à aucune fête ; elle s’abstient des danses, des veillées ; mariée, elle ne tutoie pas son mari ni ses enfants mâles. À Hœdic, le seul bijou autorisé pour les épousées est un cœur d’or qui appartient à l’église paroissiale et qui leur est prêté pour un jour. Et, comme le mariage, la naissance, la mort ont, dans ces îles, leurs rites spéciaux. On y frotte d’eau de mer la lèvre des nouveaux-nés ; on les y berce, au rythme d’une cantilène marine[2], en imitant le roulis des barques. À Lampaul, au cimetière, une plaque de marbre blanc porte cette inscription mystérieuse :

 
ICI
NOUS DÉPOSONS
LES CROIX DE PROELLA
EN MÉMOIRE
DE NOS MARINS
QUI MEURENT
LOIN DE LEUR PAYS
DANS LES GUERRES
LES MALADIES ET LES NAUFRAGES

Que veut dire ce prohella d’une consonnance farouche ? Est-ce une déformation de procella, l’orage maritime des Latins ? Le mot vient-il du breton aella, venter ? Nul ne le sait. Mais, quand un îlien est mort en mer, au cadavre absent ses proches substituent une de ces croix de prohella et lui rendent les mêmes honneurs funèbres qu’aux corps des personnes décédées à terre. Une coutume analogue existe à Sein ; mais là le disparu est représenté par quelque pièce de son habillement, son béret, sa vareuse, — sa boîte à chique. La veille du Jour des Morts, à Ouessant, toutes les veuves, tous les orphelins se rendent processionnellement sur la falaise avec des couronnes de narcisses et d’œillets marins. Ils s’agenouillent, récitent à voix haute un de profundis et lancent les couronnes dans la mer. Sur le cimetière des eaux, comme sur ceux de la Terre, éclot ainsi, une fois l’an, la floraison sacrée du souvenir…

On a souvent dit que les insulaires forment, par le seul fait de leur situation géographique et indépendamment de la race, une catégorie dans l’espèce humaine. Cela est très vrai, ajoutait Renan. La mer est la plus naturelle de toutes les frontières : elle oppose nettement l’insulaire au reste du monde ; elle lui crée une histoire, des mœurs à part. Je n’oublie pas les transformations de ces récentes années, je sais qu’il est trop de ces îles bretonnes que le rush du villégiaturisme n’a pas épargnées. L’illustre auteur des Souvenir d’Enfance aurait grand’peine à reconnaître son « cher Bréhat » derrière le triple rideau de caravansérails et de villas bougivaliennes qui masquent, au Port-Clos, l’entrée du plus délicieux des fiords bretons ; l’ancienne cambuse de baleinier, où quelques artistes, deux ou trois poètes se réunissaient autour de « tonton Job »[3], est aujourd’hui un Chat-Noir bréhatin à l’enseigne des Décapités. Encore ces Décapités (cinq têtes cueillies par le prestigieux pinceau d’Osterlind sur les épaules des premiers familiers de la cambuse : Ary Renan, Edmond Haraucourt, le pharmacien Balcon, Osterlind lui-même et votre serviteur) ont-ils une manière de sens commémoratif. Mais que dire de l’Hôtel de Robinson, à l’île de Balz, avec l’inscription de son cèdre relevée par M. Caradec : « C’est dans les branches de cet arbre que Robinson passa la nuit qui suivit son naufrage, alin de se soustraire à la voracité des bêtes fauves dont cette île était infectée » ? Ô fleur de l’esprit montmartrois épanouie sur la dune de Pol Aurélien ! Est ce Belle-Isle qui a conquis Mme Sarah Bernhardt ou Mme Sarah Bernhardt qui a conquis Belle-Isle ? Et vous, Arz, Île-aux-Moines, Berder, Boëte, Tascon, Hur, reines des eaux morbihannaises, entre vos maisons blanches de retraités et de capitaines au cabotage, n’auriez-vous pas un peu trop laissé se faufiler de cottages modern-style et de manoirs néo-gothiques

Mais les autres îles de la mer bretonne sont intactes. Ni Sein, ni Groix, ni les Glénans, ni Houat, ni Hœdic, ni Er, ni Callot, ni Molène, ni Biniguet, ni Ouessant même, en dépit du détachement de troupes coloniales qui y tient garnison, n’ont été déflorées. Une atmosphère de spiritualité mélancolique continue de les envelopper. Sur certaines, comme Sein, pèse toujours l’appréhension de l’au-delà. Le bag-noz, la Barque des Âmes, fend toujours le Raz au crépuscule. Dans les eaux d’Ouessant vit un peuple étrange de morgans et de morganes, humanité sous-marine dont le sang, dit-on, se mêla plus d’une fois à celui des îliens. C’est le pays des femmes-cygnes et des évêques de la mer. C’est aussi le séjour de prédilection des lutins et des korrigans, qu’à Bréhat on appelle des follikeds. Chaque maison jadis avait son follik et tous n’ont point disparu. Lors des fêtes de 1890, on nous montra un matin, à Luzel et à moi, dans une prairie avoisinant le Rosédo, un « rond de follikeds », un grand rond blanc qui semblait avoir été tracé la veille par le trépignement de mille petits pieds. « Tu peux croire à Jésus tout en habitant chez les Elfes », dit une ballade islandaise. La mythologie druidique, le paganisme latin et le christianisme font de même bon ménage dans ces îles bretonnes. Les dieux n’y meurent jamais tout entiers. Les religions s’y sont superposées sans se détruire et quelquefois, comme dans les strates sédimentaires, en se compénétrant. Mais n’est-ce point là un trait de caractère commun à toute la race bretonne ? L’admirable plasticité de cette race fait qu’elle a conservé plus longtemps qu’aucune autre l’empreinte des civilisations disparues : c’est la raison de la longue résistance qu’elle opposa aux idées modernes et qui semble à la veille de prendre fin. Il n’est pas impossible que la Bretagne devienne quelque jour la citadelle du rationalisme, après avoir été le bastion suprême de la Foi. Ses réserves d’idéal commencent visiblement à s’épuiser. Quand elles seront complètement taries sur le continent, les îles bretonnes, longtemps encore, s’abreuveront aux sources du Passé. Langue, mœurs, croyances ne seront plus ailleurs que des objets de vitrine, de vaines curiosités archéologiques : les îles garderont fidèlement ces parures de la race.

Elles seront nos derniers sanctuaires. Elles continueront à remplir, dans l’ordre spirituel, le rôle de témoins que leur assigne la géologie. Épaves d’une terre morte, engloutie par quelque cataclysme ou lentement érodée, désagrégée par le sourd travail des eaux, elles survivent au continent dont elles faisaient anciennement partie ; les plus avancées au large, Ouessant, Sein, Cézembre, le Grand-Léjon, les Triagoz, etc., repèrent le tracé d’un rivage primitif. Sur cent-vingt lieues de côtes, du Couesnon aux sables de la Loire, elles s’égrènent autour de la Bretagne, perles et rubis, émeraudes et topazes, saphirs et améthystes mêlés. Quoi d’étonnant si elles séduisirent un Claude Monet, un Maxime Maufra, un Allan Osterlind, si Gauguin, génial intuitif, avant d’appareiller vers l’archipel polynésien, y posa son vol ivre de tonalités crues et d’oppositions brutales ? Mais, pour l’œil qui les contemple de la côte ou du large, l’impression est bien différente : jetée comme une gaze sur cette verroterie barbare, la brume occidentale en atténue les violences, alanguit les ors, les indigos, les grenats, les fond en une teinte unique, imperceptiblement jaspée, dont la caresse est délicieuse.

Par leur structure même, ces îles bretonnes sont une surprise pour les yeux. Il en est, comme Groix, qui affectent la forme d’un socle gigantesque et il en est, comme Sein, qu’on prendrait pour des radeaux ; certaines, comme Rouzic, dans l’archipel des Sept-Îles, simulent des volcans éteints et sont peut-être d’anciens cratères de la mer cimmérienne. Bono, l’Île-au-Moine, dans ce même archipel, ont l’air de Léviathans, de cétacés apocalyptiques. Cependant Bréhat, posée comme une corbeille à l’embouchure du Trieux, est un parterre flottant, le jardin des eaux bretonnes. Mais à Belle-Isle, sur la Côte-Sauvage, d’étranges architectures révèlent dans l’Océan un artiste près duquel pâlissent tous les Michel-Ange et les Piranèse ; on vérifie là plus qu’en aucun lieu du monde la justesse de cette observation d’Hugo qu’une folie est mêlée à presque tous les grands paysages marins. Aux abords du Stiff, Ouessant trouble, comme Belle-Isle, par son architecture de cauchemar. Rien ne ressemble moins à Er, tordue comme une aiguillette, que Tudy, digitée comme une algue, ou Arz, dentelée comme une astérie. Et voici les rudes rochers en biseau de la baie malouine, Cézembre, Harbourg, le Haumet, le Grand-Bé, cimetière d’une âme que son siècle n’était pas assez vaste pour contenir ; plus loin, vers l’ouest, Batz et ses sables ; Saint-Gildas et ses pins ; les Glénans et leur « chambre » ; l’Île-Grande, dont les carriers ont fait un caveau ; Avallon, où rôde le fantôme d’Artur ; les îles du Morbihan, aussi nombreuses, aussi diverses que les jours de l’année, solennisées par l’histoire et par la légende, dominées par la colossale nécropole de Gavrinis, — le Morbihan, que Guy de Maupassant appelait une mer symbolique secouée par les superstitions.

Les forces naturelles, qui se sont plu à modeler de façon si curieuse les îles bretonnes, n’ont pas borné là leur office ; en quelques-unes, comme Groix, que le géologue Barrois comparaît à un écrin, elles ont rassemblé toutes leurs merveilles minérales, le mica, le chloritoïde, l’amphibole, l’épidote, la glaucophane, le rutile, la titane ou fer magnétique. Le sable y est une poussière de gemmes. Si sauvages, raclées par les vents de mer jusqu’à l’os, là où ces îles s’humanisent, dans leur rivage exposé au Midi, une flore enchanteresse s’épanouit : cèdres, figuiers, grenadiers, chènes-lièges, myrtes, lauriers, camélias et fuschias arborescents… Les îles bretonnes ont même leur flore spéciale, riche en espèces rares, comme la veronica elliptica de l’île Ricard, qui ne pousse que dans la baie de Morlaix et sur la Terre de Feu, sinon complètement disparues du reste de l’univers, comme ce narcissus reflexus qu’on ne rencontre qu’aux Glénans et à Groix ; une variété de cerise anglaise porte le nom de Belle de Bréhat. Leur faune est moins originale sans doute. Belle-Isle, Groix, Béniguet conservent quelques couples de pigeons bizet (colomba livia) ; mais les fusils des touristes n’y ont pas respecté le « chouet », cette corneille de roche aux pattes et au bec de corail qui hantait, à Belle-Isle, la grotte de Porthos, surtout la fameuse Groh a Nuer ou grotte des oiseaux. À Rouzic et à Melban, ces mêmes fusils, si l’on n’y prend garde, auront bientôt exterminé les derniers macareux, frères marins de Vert-Vert qui ont trouvé leur Gresset dans un spirituel magistrat de ce temps, M. Trévédy.

C’est à d’autres causes sans doute qu’il faut attribuer la disparition des petits chevaux noirs d’Ouessant, si vifs, de robe exquisement lustrée, dont Joséphine, par l’intermédiaire du préfet Cafarelli, voulut avoir une paire pour son « panier ». On a beaucoup discuté sur l’origine de ces poneys d’Ouessant. Étaient-ils autochtones ou importés ? Mais la même question s’est posée pour les îliens. Ils présentent des particularités ethniques si déconcertantes ! Chez les Bréhalins, têtes olivâtres, aux yeux noirs et luisants, au nez légèrement aquilin, M. de Quatrefages reconnaissait tous les caractères du sang basque. Les femmes de Sein ont des airs graves de Junon, le type lourd et classique des contadines de Léopold Robert. Chez les Grésillons, la persistance de noms à tournure espagnole, Jégo, Davigo, Magado, Pérès, fit croire longtemps, avant les travaux de M. Loth, à quelque lignage castillan. Du moins est-il sûr que Belle-Isle, au XVIIe siècle, reçut un fort appoint de sang étranger par l’immigration des soixante-dix-huit familles acadiennes que Louis XIV dirigea vers le port du Palais. Et il est sûr encore que plusieurs de ces îles bretonnes, aujourd’hui rendues à leur solitude primitive, — telles l’Île-Vierge, Maudez, Lavrec, Riom, l’Île-au-Moine, etc., — furent colonisées à diverses reprises, jouèrent même un certain rôle dans l’histoire. Moutiers et casernes y alternèrent. Quelques substructions çà et là, un fruste pénity du Ve siècle, pareil à une guérite de douanier, un canon sans affût enfoui sous les ronces, attestent ce double passé héroïque et religieux. Toute vie, depuis lors, s’est retirée d’elles et l’on peut s’y croire hors du temps, sur quelque planète morte ou désorbitée. Ce sont, elles aussi, comme l’île où dort Chateaubriand, des bés, des tombes de la mer. Leur chapelet mélancolique est bien le collier qui convenait à la Bretagne.

DANS LA CORNOUAILLE DES MONTS[4].


(François Jaffrennou, dit taldir).




François Jaffrennou est né à Carnoët (Côtes-du-Nord) le 15 mars 1879.

En moyen breton Carnoëdd — et par corruption Carnoët — veut dire les Sépulcres, l’Ossuaire. Non plus que Barrès, je ne pousse l’amour de l’archéologie au point de vouloir le monde couvert de pierres tombales. « On peut se passer à la rigueur de ces vestiges magnifiques, dit l’auteur d’Amori et Dolori sacrum : l’important, c’est de ne pas oublier que nous sommes les prolongements, la continuité de nos morts. » Barrès a raison et, s’il lui fallait un exemple pour illustrer sa thèse, je lui proposerais Jaffrennou : Breton et Breton uniquement, fermé de parti-pris à tout ce qui n’intéresse pas son horizon ethnique, Jaffrennou est l’homme de la tradition par excellence ; il plonge par toutes ses racines dans la cendre du passé ; le meilleur de son génie lui vient des vieux montagnards qui dorment sous les cairns de son pays natal, dans ces gorges solitaires où rôde le fantôme de Publius Crassus et qui turenf les Thermopyles de la résistance armoricaine.

Cette Cornouaille de l’Est, patrie de la Tour-d’Auvergne, de l’évêque Audrein et de cet étrange Balbe ou Ar Balb, notaire et capitaine de bandes qui fomenta la terrible jacquerie du Papier-Timbré, mérite vraiment sa qualification de bro ann dud dir de « terroir des hommes d’acier »[5] : la race y est courte, sèche et nerveuse, race de brachycéphales entêtés et volontaires. N’était sa stature un peu haute, Jaffrennou en fournirait un excellent spécimen. La première fois que je le vis, avec ses dents de jeune loup dans une face presque carrée, glabre, sans une ombre de duvet, portée sur un cou rond et puissant comme un fût de colonne romane, son penn-baz à la main, les jambes serrées dans des houseaux de toile bise, la large ceinture de cotonnade retenant les braies bouffantes et débordant sur le gilet aux passementeries de soie orange, le grand chapeau à cuve et à ruban de velours sombre moulant un crâne épais, sphéroïdal, légèrement aplati aux tempes, signe de résolution et d’entêtement, je crus voir un de ces chefs de clan tels que nos paroisses bretonnes en avaient conservés jusqu’aux approches de 89, sortes de Roundheads armoricains, âmes rudes, caractères inflexibles et d’un loyalisme éprouvé, mais impatients du joug monarchique à mesure que la centralisation administrative se faisait plus tyrannique et qu’elle empiétait sur leurs franchises nationales, un de ces gentilshommes-laboureurs surnommés les Épées de fer et qu’on eut pu surnommer aussi bien les Caboches de fer, qui, dédaigneux des modes de la cour, se rendaient en sabots et en chupen aux États de Bretagne, conspiraient avec Pontcallec et Talhouet, se battaient à Saint-Cast avec le duc d’Aiguillon et passaient le reste du temps sur leurs guérets où on ne les eût point distingués des autres paysans de la province, « liés qu’ils étaient à eux, dit un historien, par les mêmes intérêts, les mêmes travaux, la même langue, le même culte et le même idéal patriotique. »

Quelques nobles aujourd’hui encore, étroitement mêlés à la vie rurale, exercent autour d’eux un magistère analogue à celui de ces anciens chefs de clan. Mais leur sphère d’influence ne dépasse pas le petit cercle de la paroisse ou du hameau, et la politique de clocher — si mesquine et si vaine — absorbe le meilleur de leur activité. Presque partout, d’ailleurs, en Bretagne, des puissances nouvelles se sont substituées aux puissances du passé : s’il est une superstition dont le Breton soit affranchi, c’est bien celle de la particule, mais, comme l’a très bien montré M. Pierre Baudin reprenant une opinion du géologue Barrois, la structure de la péninsule armoricaine en a fait une région à civilisation lente. Pour ne s’être pas pénétrés de cette vérité essentielle, pour n’avoir pas compris que le conservatisme breton, comme à l’autre bout du territoire le conservatisme lorrain, sont les freins nécessaires aux impétuosités du sang méridional et qu’ « il importe à l’avenir d’une nation que ses parties n’évoluent pas toutes avec la même rapidité », des politiques à courte vue ont compromis en un jour les résultats de trente années de patience, de sagesse et de modération. À chaque élection nouvelle, la Bretagne se donnait un peu plus à la République, mais elle entendait se donner de plein gré, librement, sans violence. Les gendarmes ont tout gâté. Ces rudes gardiens de l’ordre et de la propriété ne s’indiquaient point nécessairement pour l’emploi de bazvalaned (truchements d’amour) : l’ombrageuse pennerez s’est méfiée d’un régime qui, voulant lui témoigner de son empressement à régulariser leur union, ne trouvait pas de procédé plus galant que de l’assigner en police correctionnelle…

Ainsi tout est à recommencer en Bretagne. Les anciens partis y ont fait leur temps et ceux qui aspiraient à les remplacer n’ont pas su garder leurs positions. C’est ce qui explique que tandis qu’au spirituel le Breton, fortement encadré par ses prêtres, présente une masse homogène et compacte qu’aucune disposition législative n’a pu entamer, la même cohésion ne s’observe pas dans la vie civile où le Breton, livré à lui-même et ballotté d’une opinion à l’autre, en est encore à chercher le vent comme au premier jour.

Je crois bien que le rêve de Jaffrennou, son ambition inavouée ou dont il n’a fait la confidence qu’à quelques intimes, serait justement de l’aider à trouver cette direction. Mieux que personne il connaît sa race, qui n’est point la race féodalisée, à compartiments sociaux rigoureusement étanches et incommunicables, que se plaisent à représenter certains journalistes. En Bretagne pas plus qu’en Écosse il n’y eut jamais de démarcation bien tranchée — au moins dans les campagnes — entre l’aristocratie terrienne et le peuple qui vivait à son ombre. L’organisation communautaire y survécut à la disparition du clan ; une sorte de parenté spirituelle unissait le vassal et le chef, si bien qu’on peut dire de ce régime patriarcal ce qu’on a dit du régime écossais, qu’il n’avait rien de dégradant et qu’il ne touchait point à la dignité de la personne humaine, vu que tout y était réglé par les lois les plus strictes de la réciprocité.

Aujourd’hui encore et grâce à la persistance de l’esprit communautaire, il n’y a pas de pauvres, dans le sens ordinaire du mot, parmi les populations de la péninsule armoricaine : l’aumône n’y est pas, comme ailleurs, un acte de générosité facultatif, mais une manière de taxe ou d’impôt que les indigents prélèvent sur les riches. Cette conception toute primitive de l’assistance, qui implique une égalité parfaite entre celui qui donne et celui qui reçoit, n’est nulle part plus répandue que dans la Haute-Cornouaille où ce n’est point assez que les riches acquittent entre les mains des indigents la dîme obligatoire du premier lundi de chaque mois (V. dans le Barzaz-Taldir la pièce Evid peorien Karnoet), ils leur bâtissent encore des huttes de branchages et de torchis dans les issues de la commune, les habillent et les fournissent de draps d’étoupe tissés exprès pour eux. Mais il est bon d’observer que, longtemps défendue contre l’infiltration étrangère par l’âpreté de son sol, ses gorges angustiées, sa triple barricade de ménez granitiques, la Haute-Cornouaille a mieux conservé qu’aucune autre contrée de la Bretagne sa physionomie traditionnelle et séculaire : les petits chemins de fer économiques qui la pénètrent de part en part depuis cinq ou six ans sont de date trop récente pour avoir dérangé l’essentiel de cette physionomie, et le raccourci que nous en présente Jaffrennou dans ses vers est bien conforme à ce que les historiens et les voyageurs du passé nous avaient dit de ce pays grave, presque austère, nourri de blé noir et de seigle, aux grandes forêts mystérieuses alternant avec des landes infinies et comme écrasées de tristesse, mais où les abeilles de Bretagne pompaient un miel d’une douceur exquise et si réputé qu’on l’exportait jusqu’au fond de la Suède il y a quelques années encore.

Entre ces landes et ces forêts, sur les pentes de l’Arrhée et du Ménez-Du, dans les verdoyantes « coulées » du Blavet, du Trieux et de l’Aune, partout où le dur granit natal s’humanise, vivait une population mi-pastorale, mi-agricole, vêtue de ce souple et résistant berlinge brun spécial aux tisseries de la Cornouaille et qui s’ouvrait sur un gilet de drap bleu aux boutons de cuivre armorié. Une peau de bique sans manches, l’hiver, complétait l’ajustement. Tel est toujours — les bragou-ber et les houseaux compris — le costume des Cornouaillais de Braspartz et de Saint-Herbot : si ce costume s’est quelque peu « modernisé » dans la Cornouaille de l’Est, la nécessité y a eu plus de part que la volonté des habitants. Le Cornouaillais n’est point l’homme des concessions.

« Dans cette contrée si belle de sauvagerie, dit Jaffrennou[6], les échos de la langue française ne résonnent jamais ou presque jamais ; les traditions primitives s’y perpétuent, ainsi que les naïves superstitions d’un autre âge. Attachés à leur sol natal, ces hommes des landes, sous de rudes dehors, sont les plus doux et les plus hospitaliers des Bretons. »

Souvestre avait déjà noté le fait et rappelé ce vieux rite de l’hospitalité cornouaillaise : la boisson de bienvenue versée dans un pichet commun que le chef de maison tend à son hôte après y avoir bu le premier.

Mais c’est à sa conception du divin qu’on peut mesurer le mieux le degré d’élévation morale de ce peuple. Religieux, certes les Cornouaillais le sont autant et plus peut-être que leurs compatriotes des basses terres ; mais leur religion ne s’épanouit point au dehors ; elle est sobre de démonstrations, comme toutes les religions qui ont leur point d’appui dans la conscience. Et peut-être aussi qu’elle se souvient confusément de ses lointaines origines pramanthiennes. « Tant que le feu ne sera pas éteint à mon foyer » est une des locutions favorites de ce peuple : comment ne pas voir là une survivance du passé, du temps où le feu était pris pour symbole de la famille, où l’âtre servait d’autel et se confondait avec le dieu qu’on y honorait ?

Ce culte du foyer, qui s’associe au culte des morts dans toutes les religions primitives et qui fut peut-être fondé sur lui, comme Fustel de Coulanges incline à le croire, dut longtemps suffire aux Cornouaillais des hautes terres qui, même aujourd’hui, me dit-on, considèrent le foyer domestique comme un asile inviolable et sacré. Le père y tient la première place ; après lui, les enfants mâles et les serviteurs du même sexe ; la mère n’arrive qu’ensuite. Non point que son influence soit contestée ni contestable et que la femme, en Cornouaille, ait abdiqué ce sens aiguisé et cette entente des intérêts domestiques qui lui assurent presque partout en Bretagne la direction occulte du ménage ; mais cette influence ne se traduit par aucun signe extérieur : à table les hommes et jusqu’aux valets de charrue sont servis les premiers ; à l’église, tandis que le chœur et le transept sont réservés aux paroissiens du sexe fort, les femmes sont reléguées au bas de la nef ; en visite, la femme s’efface pour laisser passer l’homme ; en voyage, elle se tient à l’écart de l’homme et un peu en arrière ; la mort même ne rétablit pas l’égalité entre les deux sexes et l’on cite certains cantons des Montagnes-Noires où le mari ne porte pas le deuil de sa défunte…

De telles mœurs nous étonneraient chez un peuple qui poussa le culte de la femme au point d’idéaliser ses faiblesses et de proclamer la fatalité de l’amour, dans le pays de Tristan et d’Iseult, à l’orée des bois où Merlin, après treize cents ans, n’a pas encore rompu l’enchantement qui le retenait prisonnier de Viviane, si nous ne savions tout ce que cette apparente dureté de l’homme dans les ménages cornouaillais cache en réalité d’infini respect pour la mère, de tendresse silencieuse et profonde pour l’épouse. Aussi bien la même organisation de la famille se retrouve chez les crofters écossais et dans quelques îles du Solway et de la Clyde ; elle est un legs du passé comme le reste et elle suffit en tout état de cause pour montrer la distance qui sépare le Cornouaillais des hautes terres du Breton de la plaine et des côtes, plus éveillé peut-être, d’esprit plus délié, mais plus aisément perméable à l’influence étrangère. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on remarque que « le génie des populations est partout en harmonie avec le sol qui les nourrit ». Le génie cornouaillais est du même grain que le granit de son sol : même consistance ; même imperméabilité. Le milieu ici a vraiment fait l’habitant ; on peut le vérifier sur la plupart des hommes supérieurs que nous a donnés la Haute-Cornouaille, mais sur aucun, je pense, mieux que sur François Jaffrennou. Séparé de son milieu d’origine, Jaffrennou devient inexplicable. Il fallait cet air large et tonique des sommets, ces longues articulations de rocs, échine géologique de la Bretagne, ces bois secrets, ces landes mornes, ces eaux vives des vallées, tout ce terroir spécial de Carnoët-Poher, âpre seulement à la surface et qui découvre au regard de l’analyste les plus magnifiques réserves de sensibilité, pour produire le représentative man qu’est l’auteur du Barzaz Taldir, parfait exemplaire du tempérament et de l’esprit cornouaillais. Sa forte personnalité est toute faite d’éléments et de traits empruntés aux vieux montagnards de son pays : elle ne doit rien ou presque rien à la culture française. Guingamp, Saint-Brieuc, Morlaix, Rennes, où Jaffrennou s’initie à cette culture, ne peuvent entamer la cuirasse de froide indifférence qu’il s’est préalablement lacée autour du cœur : tel il descendit vers les villes de France, tel, ses diplômes conquis, son temps de service militaire achevé, il remonte vers sa Cornouaille. Perceval de la poésie bretonne, son talent est vierge comme la neige des Menez, purement, exclusivement breton. Il chante et, depuis Taliésin et Gwic’hlan, la Bretagne n’avait pas entendu pareille voix.

Gwic’hlan, Taliésin, personnalités semi-réelles, semi-fabuleuses, debout aux confins de la légende et de l’histoire, dans la brume rougeâtre de nos origines… C’est à eux pourtant que l’on songe quand on parle de Jaffrennou. Il en est de certains vocables comme de ces pièces de monnaie qui ont longtemps circulé de main en main et dont on ne distingue plus l’effigie ; leurs sens primitif s’est aboli peu à peu et quelque effort devient nécessaire pour le retrouver sous les acceptions nouvelles dont ils se sont chargés en chemin. Que le lecteur français m’excuse si je lui demande un effort de ce genre en faveur du mot barde et pour si galvaudé soit-il depuis les romantiques, prodigué à tout propos et hors de propos, parce qu’il est le seul mot en somme qui puisse embrasser dans toute sa complexité, résumer et contenir la riche et multiple personnalité de François Jaffrennou. Jafîrennou est un barde dans l’acception primitive du mot. Il est barde comme étaient bardes, à l’aube de la civilisation kymro-armoricaine, ce Taliésin et ce Gwic’hlan dont j’évoquais tout à l’heure le souvenir ; il se sent marqué comme eux de l’awenniziou, du signe mystérieux des élus ; il a conscience au même degré qu’eux de la mission sociale qu’il est appelé à remplir par le monde ; chanter ne lui est pas une simple récréation de l’esprit, mais l’exercice d’un apostolat.

Cette conception à la foi si naïve et si haute du rôle de la poésie dans la société n’était possible qu’en Bretagne et à une certaine heure de l’histoire de ce pays : Jaffrennou vient à cette heure-là pour prêter son verbe de feu aux confuses aspirations de l’âme populaire, les ordonner et les manifester « à la face du jour », comme il est dit dans les Triades. Homme de tradition, il regarde vers l’avenir. C’est peu qu’il revendique pour son pays la plupart des libertés inscrites au pacte d’union de 1532 et dont la centralisation jacobine s’ingénie à lui arracher les derniers lambeaux : il veut la langue bretonne parlée par tous les Bretons, épurée, restaurée, rétablie dans ses droits de langue majeure en possession d’une littérature, d’une morale et d’une sociologie ; il veut les mœurs uniquement réglées par la tradition, la famille fortement constituée et maîtresse de l’orientation intellectuelle de ses enfants. Nourri dans les villes, affublé de la triste livrée moderne, il n’hésite pas à reprendre l’éclatant et pittoresque costume cornouaillais, non par goût du clinquant, — il n’y a pas d’homme plus simple, — non pour se distinguer des « francisants » de Morlaix ou de Saint-Brieuc, mais pour prêcher d’exemple, pour affirmer d’une manière plus concrète l’intransigeant particularisme de sa race. Il croit aux destinées de cette race comme il croit en Dieu ; feuilletez ses livres : vous n’y trouverez pas une strophe, pas un vers qui trahisse le découragement. À d’autres de sonner le glas de la Bretagne ! Lui répète avec une énergie farouche le vieux cri national des ancêtres : Breiz da virviken ! « Bretagne à jamais ! » Refaire une Bretagne ne lui suffit pas : le mirage du celtisme universel tremble par moments devant ses yeux, donne à certaines de ses paroles je ne sais quel tour augural et sybillin. Et qui sait jusqu’où peut percer le regard de ce voyant ?…

Un fait hors de conteste, c’est que ce voyant, ce rêveur, à qui l’on ne saurait reprocher en tout état de cause que l’élargissement démesuré de son horizon ethnique, s’appuie sur le fonds le plus solide qui soit, sur un ensemble de réalités qui assure à ses spéculations les plus audacieuses une base proprement indestructible. Lui aussi, il a commencé par mettre ses pas dans les pas de ses morts. Il sait qu’un idéal ne s’improvise pas, qu’une race qui n’est plus dans le fil de la tradition est une race dont les jours sont comptés. Le natura non facit saltus de Leibnitz n’est pas seulement une loi du monde physique, et cette loi trouve son application en morale comme en politique. C’est pourquoi Jaffrennou n’entend rien répudier du patrimoine de sa race, pourquoi surtout il se refuse à amputer l’âme bretonne de cette grande paire d’ailes dont Taine parle quelque part comme « indispensable pour élever l’homme au-dessus de lui-même et l’emporter jusqu’au dévouement et au sacrifice ».

… Evidoun nez eus med daou enruad :
Harpa ma Bro e-kreiz tan an argad
Ha lakad m’esper en Nerou !…

« Il n’est que deux bonheurs à mes yeux, dit Jaffrennou : défendre ma patrie dans le feu de la bataille et mettre mon espoir dans le ciel. » Voilà les ailes demandées, le patriotisme et la foi. Permis à tous les Homais de la création d’en tirer argument pour traiter Jaffrennou de « réactionnaire » et de « clérical ». Les épithètes n’ont que la valeur de ceux qui les appliquent. Pour les libres esprits dont nous croyons être, le barde Taldir, dans son œuvre comme dans sa vie, s’est surtout souvenu de la forte parole de Renan : « L’erreur la plus commune est de croire qu’on sert sa patrie en calomniant ceux qui l’ont fondée. Tous les siècles d’une nation sont les feuillets d’un même livre ; les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé. »



DE KERAMBORGNE À PLUZUNET

(Perrine Luzel. — Marguerite Philippe).




À Charles Géniaux.

Peu d’écrivains ont autant mérité de leur pays natal que François-Marie Luzel, dont on vient d’inaugurer le monument à Plouaret. Pendant un demi-siècle ou bien près ce Juif-Errant de la poésie bretonne, comme l’appelait M. Félix Hémon, parcourut et explora la Basse-Bretagne en tous sens pour recueillir ses chansons, ses légendes et ses contes. On peut dire qu’il mourut à la tâche. Mais quelle gerbe de belles œuvres laissait après lui ce bon travailleur ! Il n’avait ni labouré ni ensemencé le champ qu’il moissonnait : ce champ était la propriété indivise de l’âme bretonne. Mais, à la différence de ses prédécesseurs, Luzel se garda de mêler au froment indigène le moindre grain étranger.

Pour ce rare exemple de probité nous lui devions bien un peu de bronze. L’hommage ne risque pas d’engager l’avenir : depuis Tynnichos de Chalcis et l’impudente attribution de son péan aux Muses, la fraude est familière au vain peuple des assembleurs de mots. Mais une race surtout paraît avoir élevé la supercherie littéraire à la hauteur d’un genre national, — et cette race, je rougis de l’écrire, est la race celtique. Il n’en est point chez qui l’on trouverait plus de mystificateurs, qui aient poussé plus loin et soutenu plus longtemps leurs mystifications. Toute l’épopée de la Table-Ronde est une gigantesque — et délicieuse — calembredaine historique : du vaincu des Saxons, de l’éternel fuyard que fut le petit chef cambrien Artur, nos harpeurs de lais font tout simplement le conquérant du monde. Ainsi l’âme bretonne, dans le rêve, sut toujours prendre sa revanche des amertumes de la réalité. Sautons quelques siècles. Négligeons le pseudo-Nennius et son roman de Conan Mériadec, les Triades, fortement retouchées et arrangées par les diascévastes gallois, le Cyrinach beirdd ynys Prydain (Mystère des bardes de l’île de Bretagne) dont la plupart des textes sont apocryphes… Voici Macpherson qui exhume tout-à-coup, en 1765, le manuscrit « authentique » des poésies d’Ossian, barde écossais du IIIe siècle. Enthousiasme universel ! Homère, à côté de cet Ossian, n’est plus qu’un grimaud de lettres. Cinquante années durant, l’ossianisme sévit sur la littérature anglaise, allemande, française, et, longtemps encore après que la supercherie fut découverte, Fingal et Oscar continuèrent d’obséder nos Baour-Lormian.

Je ne serais pas étonné, d’ailleurs, que Macpherson ait été sa première dupe et ait fini par croire à la réalité des mirages qu’il suscitait : l’auto-suggestion est fréquente en littérature et spécialement chez les Celtes. C’est en quoi nous nous distinguons des Méridionaux, de qui M. Francis Chevassu a dit finement que, « même quand ils sont transplantés, la chaleur emmagasinée dans leurs veines par des générations d’ancêtres et qui pour eux colore les choses ne les empêche pas de mesurer avec exactitude le mirage [7] ». Les Celtes, eux, ne « mesurent » jamais le mirage. Simple question de latitude peut-être. Comme l’auteur de Tartarin attribuait à l’influence solaire les déformations de la pensée méridionale, on pourrait dire, sur le mode badin, que la pluie et la brume sont les éléments constitutifs du mirage celtique. Mais la pluie et la brume n’offrent point les mêmes facilités de vérification que le soleil et ne sauraient servir comme lui à contrôler l’illusion qu’elles ont créée. Elles l’entretiendraient plutôt. Et c’est ainsi qu’on n’eût point ôté de la tête d’un Chateaubriand qu’il avait été reçu en Amérique par Washington ; de celle d’un Le Brigant que Louis XVI, conquis à son système de celtisme universel, lui avait offert une pension de huit mille écus et la maison des Célestins ; de celle d’un Le Gonidec qu’il avait été condamné à mort par un tribunal révolutionnaire de Brest, miraculeusement soustrait à l’échafaud par des inconnus, enrôlé dans la chouannerie, grièvement blessé et promu lieutenant-colonel sur le champ de bataille[8] ; de celle d’un Villiers de l’Isle-Adam que Napoléon III l’avait attiré aux Tuileries dans l’intention de le faire étrangler par les sbires du duc de Bassano ; de celle d’un Jules Simon qu’avant d’être professeur de philosophie il avait été officier de marine ; de celle d’un Kerdanet qu’il n’avait pas rêvé les textes dont il faisait libéralement honneur à Suidas et à Avienus et de celle d’un Quellien qu’il n’avait pas fabriqué de toutes pièces la biographie de Perrinaïc. Lilluminisme celtique a ceci de particulier qu’il est incurable. Et ainsi s’explique encore que La Villemarqué, qui fut — le génie en plus — une manière de Macpherson armoricain, ne voulut jamais se rendre et mourut les lèvres scellées. Vainement l’archiviste Le Men, puis M. d’Arbois de Jubainville, professeur au Collège de France, dénoncèrent le pastiche du Barzaz-Breiz. Enfin parut, en 1872, le mémoire où Luzel, qui avait repris en sous-œuvre l’enquête de son illustre devancier, confrontait les textes originaux, à l’état brut, si je puis dire, et comme les lui avait livrés le peuple, avec les textes apocryphes, forgés de toutes pièces ou remaniés par La Villemarqué, l’abbé Guéguen et l’abbé Henry. Cette fois tous les doutes tombèrent[9].

« C’est réellement le cœur de la Bretagne qui bat en ces chants spontanés, écrivait Luzel dans la préface des Gwerziou. J’ai conservé scrupuleusement la langue telle que me la donnaient nos rustiques rapsodes sans l’épurer ni la vieillir. »

De ces « rustiques rapsodes » dont parle Luzel, bien peu demeurent aujourd’hui. Où sont Garandel, surnommé Compagnon l’Aveugle, le tisserand Pierre Kourio, le sabotier Renan et ce Jean Kerglogor, le vieux barde nomade qui avait fait les grandes guerres de la Révolution et de l’Empire et dont l’œil « bouillait encore quand on parlait de ses frères d’armes » ? Où sont surtout les chanteuses et les conteuses habituelles du savant folk-loriste, Barbe Tassel, Marie-Josèphe Kerival-Godic Rio, Anne Prigent, Anna Salie, Jeanne Le Gall, Marie-Job Kado, Marie-Anne Le Noan, etc, etc. ? « Les femmes, observe quelque part Cicéron, gardent mieux que les hommes le dépôt de la tradition, facilius mulieres incorruptam antiquitatem tradunt ». Luzel, dans ses enquêtes, vérifia fréquemment l’exactitude de la remarque. Deux femmes, entre toutes, lui furent des collaboratrices précieuses : Perrine Luzel, sa sœur, et Marguerite Philippe. La mort, qui fauchait autour d’elles, les a respectées. Perrine habite Keramborgne, la maison même où naquit Luzel et qui fut bâtie par son grand-père, en 1798, sur les ruines et avec les pierres d’un manoir de la Renaissance dont il demeure un joli arc de portail encastré dans la façade d’une grange voisine. Perpendiculairement à cette petite maison s’en voit une autre, plus grande, à étage et à grenier mansardé, qui porte le millésime de 1826. C’est dans cette maison que Luzel fut élevé, et c’est d’elle qu’il a daté tant de jolis contes, tant de gwerz héroïques et de sônes émouvantes, publiés dans ses Veillées bretonnes et dans ses Chants populaires de la Basse-Bretagne.

Keramborgne (ou Kerarborn) est sis en Plouaret (Côtes-du-Nord.) On y accède, au chuchotement de sources invisibles, par un flexueux tunnel de verdure : la grande route quittée, le sentier flâne entre deux hauts talus plantés de noisetiers qui font au promeneur un dôme de sombre émeraude et l’accompagnent jusqu’à la lisière d’un petit bois de châtaigniers et de chênes précédant les bâtiments d’habitation. Chemin faisant, soit qu’on prenne la traverse de Stang-Mino, soit qu’on aborde Keramborgne par Saint-Carré, on laisse à main droite les manoirs de Guernaham et de Guernachanai, l’un qui a conservé intacte sa tour à poivrière, l’autre sa galerie et son portique d’entrée, splendide spécimen de l’architecture du XVIe siècle.

Guernaham et Guernachanai reviennent fréquemment dans les récits de Luzel. Guernaham, qui relevait de la seigneurie du Vieux-Marché, passait pour hanté : le diable y menait son sabbat ; Guernachanai possédait une auge merveilleuse, une auge large et profonde comme un prébendaire qu’elle avait peut-être été primitivement. Et Guernachanai, de surcroît, avait vu naître Guillaume de Coëtmoan qui fonda en 1335, à Paris, ce collège de Tréguier ou des Occismiens dont François 1er devait faire le Collège de France. Mais Keramborgne, qui était Crénan, ne le cédait en fantastique ni en ancienneté à ses puissants voisins : pour avoir pris la forme d’une construction bourgeoise, il n’en comptait pas moins plusieurs bons quartiers de noblesse et pouvait se targuer à juste titre de son marquisat, de ses alliances et du grand échanson qu’il avait donné à la couronne. Enfin, si Guernaham avait son diable et Guernachanai son auge, Keramborgne avait son lutin qui portait « un chapeau à larges bords » et exécutait à lui seul la besogne de quatre servantes.

Qu’une telle demeure, bâtie sur le plan moderne avec les matériaux du passé, nous apparaît symbolique de la destinée de Luzel ! Comme elle convenait bien au futur collecteur de nos traditions nationales dont le patient labeur allait fournir une contribution si précieuse à cette science nouvelle du folk-lore faite avec les balbutiements et les premiers songes de l’âme humaine ! Luzel est présent partout à Keramborgne. Pour révoquer, si nos souvenirs défaillaient, il suffirait de ses sœurs Perrine, Séraphine et Marivonne, triade vénérable, obstinément fidèle à sa mémoire et au foyer domestique : telles ces vieilles fées débonnaires préposées, dans les légendes, à la garde d’un « dormant » mystérieux. Le père de Luzel, vétéran du premier Empire[10], avait eu dix enfants. Des quatre qui survivent, trois filles et un garçon, notaire dans un canton voisin, nous ne retiendrons que Mlle Perrine. Si sa modestie l’empêcha de figurer en nom dans l’œuvre de Luzel, il n’est que juste, à cette heure, qu’on lui restitue la place qu’elle y devrait occuper. En même temps que la confidente de la pensée fraternelle, Perrine fut l’intermédiaire de son frère près du peuple, et il n’est pas exagéré de dire que l’auteur des Veillées bretonnes dut à ses recherches personnelles, à son intelligence toujours en éveil, quelques-uns des plus beaux épis de sa gerbe poétique.

— Quand un gwerz ou une sône manquait à sa collection, il m’écrivait, me disait Mlle Perrine, et ne me laissait point en repos que je ne me fusse mise en campagne pour les lui trouver. Que de peine j’ai eue ainsi pour me procurer le gwerz de Jeannette Le Guern ! On m’indiqua enfin une vieille femme, Môn-ar-Bricquir, qui habitait Plouaret et qui savait ce gwerz. Je l’allai trouver : elle me reçut fort aimablement, m’offrit une tasse de café ; mais, quand je la priai de me dicter le gwerz, elle se déroba sous prétexte que c’étaient là des kojo (des « balivernes ») qui ne méritaient point l’honneur d’être imprimées. Prières, offre d’argent, rien n’y fit. « Vous vous moquez de moi », disait-elle. Je dus m’adresser ailleurs…

Voilà les surprises du métier. Ne s’improvise point collecteur de chansons qui veut. L’âme populaire a ses scrupules et ses pudeurs et elle ne s’ouvre qu’à bon escient : il faut en faire lentement le tour, s’insinuer peu à peu en elle. Toute pesée trop violente, tout crochetage indiscret risque de la fermer irrévocablement.

Perrine Luzel était devenue fort experte à ce manège. Fileuses, couturières, « pèlerines par procuration », les antiques dépositaires de la tradition locale ne lui résistaient plus. De Keramborgne, continuellement, elle adressait à son frère quelque nouveau gwerz pathétique, quelque fine et délicate sône d’amour cachés aux replis de leur mémoire d’où ses habiles sollicitations les avaient fait jaillir. Le nom de la fileuse, de la couturière ou de la pèlerine se retrouvait dans le livre, au bas de la sône ou du gwerz, jamais celui de Mlle Perrine[11]. Jusqu’au bout elle garda l’anonymat. Elle ne songe pas encore à tirer la moindre gloire de sa collaboration à l’œuvre de son frère. Si lettrée, si fine, elle est restée, dans son costume, une paysanne. Et, fidèle au vêtement de sa vie passée, elle n’a point voulu que les choses changeassent autour d’elle. L’anaon de Luzel, céans, ne risque point d’être désorientée. Voici l’étroit cabinet du maître, refuge de sa pensée. Et voici surtout la cuisine de Keramborgne, — la cuisine, cette pièce à toutes fins des métairies bretonnes, haute et large à souhait pour remplir ses quadruples attributions d’atelier, de salle de réception, de réfectoire et de dortoir : ici la cheminée monumentale, capable d’abriter une douzaine de valets de ferme sous son chambranle, et où Luzel avait son escabeau en face du conteur ou de la conteuse qui recevait l’hospitalité du manoir ; çà et là les armoires vernies, le vaisselier, la table, l’horloge, le lit-clos armorié, acheté jadis à une vente des Kergariou, avec ses fleurs de lys et ses couronnes comtales découpées en plein bois ; au plafond les côtes de lard, les vessies d’oing, le « listrier », chargé de cuillers de buis naïvement sculptées au couteau par les pâtres… Rappelez-vous les vers — pauvres de forme, riches de sens et d’émotion, — qui servent d’épigraphe à la quatrième des Veillées bretonnes :

Après le repas fait, on a dit les prières,
Sans oublier les morts couchés aux cimetières.
Allons ! qu’on jette encor quelques bûches au feu.
Que l’on forme le cercle. Enfants dont l’œil est bleu,
Grimpez sur les genoux complaisants de vos pères.
Femmes, à vos rouets ! Vos sônes amoureux,
Il faut les apprêter et vos gwerz belliqueux.

Chacun doit son tribut de contes ou de sônes,
De gwerz des anciens temps, de légendes bretonnes.
Apportez largement du cidre au vieux conteur.
Pour allumer sa verve et son esprit moqueur.
C’est bien : le cercle est fait ; on garde le silence ;
Le feu flambe joyeux. — Que Garandel commence !

Et Garandel commençait — ou Marie-Josèphe Keriwal ou Godie Rio ou le mendiant Jean Gourlaoüen ou tel autre baleer-bro (coureur-de-pays), renommé pour sa mémoire et sa langue affilée et dont Luzel, silencieux dans son coin, recueillait pieusement les kojo.

Vénérables « balivernes ! » Qui veut — mais qu’il se hâte ! — peut encore les ouïr sur la bouche de Marguerite Philippe, celle-là même dont Luzel a dit dans une note des Gwerziou :

« Marguerite Philippe est ma chanteuse et conteuse ordinaire. Pèlerine par procuration de son état, elle parcourt constamment la Basse-Bretagne en tous sens, pour se rendre (toujours à pied) aux places dévotes les plus en renom. Partout où elle passe, elle écoute, elle s’enquiert et me rapporte fidèlement toutes les chansons, tous les récits divers, toutes les pratiques superstitieuses et les coutumes qu’elle peut recueillir ou observer dans ses voyages. Sa mémoire est prodigieuse, et je n’exagère rien en portant à 200 environ le nombre des chants de toute sorte et à 130 le nombre des contes merveilleux et autres qu’elle connaît. Elle demeure au village de Pont-ann-C’hlan, en Pluzunet, arrondissement de Lannion. »

Ces lignes sont de 1874. Marguerite Philippe, en 1874, n’était déjà plus une jeune femme. C’est aujourd’hui une septuagénaire. Mais, par un privilège bien rare, cette aïeule a conservé toute la fraîcheur de sa mémoire et de sa voix.

J’en pus faire l’expérience dès le lendemain de mon pèlerinage à Keramborgne. Bien que les deux communes soient limitrophes, de Plouaret à Pluzunet la traite, pour un piéton, semblerait un peu longue : on l’abrégera en empruntant la voie ferrée jusqu’à Kerauzern. Pluzunet est encore à deux bonnes lieues de cette station : la route, après avoir quitté le plateau, sinue à travers un romantique paysage de futaies, de rochers et de landes ; elle franchit à Pont-Locer les eaux vives du Léguer, escalade une colline boisée qui prolongeait jadis jusqu’à cette rivière l’apanage des hauts et puissants seigneurs de Coëtnizan et, par un dernier raidillon, débouche à Pluzunet même sur une grande place rectangulaire ombragée de vieux ormes et dont l’un des côtés est occupé par le cimetière et l’église.

Tout cimetière breton qui se respecte doit avoir son if funéraire, contemporain de l’église et quelquefois plus ancien qu’elle : c’est le cas pour l’if de Pluzunet qui s’est nourri pendant une demi douzaine de siècles du suc des générations couchées à son ombre, alors que l’église, rebâtie en 1857, ne compte qu’un petit total d’années. Mais le style du monument est assez bon et l’architecte a pris soin d’épargner un joli porche de la Renaissance qui en relève la sévérité. Le clocher, un peu massif à sa base, monte d’un jet puissant. Il est bien conforme à l’esthétique du genre et ne déparerait point, malgré sa modernité relative, la collection de ces beaux clochers à jour du Léon et du Trégor qui m’apparaissent comme le dernier et le plus magnifique effort de l’âme indigène pour se dégager des étreintes de la matière. Exaltation vers le divin ! Si les calvaires sont des meâ culpâ plastiques, on pourrait dire des clochers bretons qu’ils sont des hosannahs de granit. Leurs flèches percent vraiment le ciel. Et, sans doute, Pluzunet fut de tout temps une contrée privilégiée. Son isolement sur un des plus hauts socles de la région trégorroise, les tranchées parallèles que creusent entre son territoire et les communes voisines le Léguer et le Guindy, lui furent, contre les entraînements du siècle, autant de défenses naturelles. Quand hommes et choses changeaient autour de lui, que les anciennes compagnies d’acteurs de mystères se disloquaient un peu partout, ce petit bourg abrupt demeurait une manière de citadelle de la littérature dramatique bretonne : il avait connu des heures glorieuses sous l’ancien régime et la Restauration avec François Le Trivédy, Claude Le Bihan, Jean Le Ménager, l’un instituteur, l’autre laboureur et le troisième fournier, qui occupaient leurs veillées d’hiver à sauver du naufrage les épaves de notre répertoire national et, l’été venu, s’improvisaient acteurs et directeurs de troupes. C’est un manuscrit de Jean Le Ménager qui a servi à Luzel pour l’établissement du texte de Sainte-Tréphine et, dans cette pièce, le touchant et ingénieux prologue de la seconde journée ainsi que le « bouquet »[12] sont de la façon personnelle du bon fournier qui s’excusait modestement de n’avoir su mieux faire, étant un homme simple, « léger de science et mince d’esprit » :

Dister enn he sludi hag izel a spered…

Les meilleurs sujets de la troupe bretonne qui figura en 1867 au Congrès celtique international de Saint-Brieuc, Pierre Huon, Jean Guélou ou Le Guélou, etc., étaient originaires de Pkizunet. À diverses reprises, notamment en 1875 et en 1878, des représentations de Pever Mab Aymon furent données au bourg même de Pluzunet, dans la cour close d’une hôtellerie. Et c’est pareillement de Pluzunet et de Plouaret que sortaient les acteurs qui jouèrent à Morlaix, en 1888, le mystère de Sainte-Tréphine. Quelques-uns de ces braves komedianchers sous les neiges de l’âge ont encore bon pied, bon œil, et, au premier signal, m’assure-t-on, leur compagnie se reformerait et aurait tôt fait de combler ses vides. Grandie parmi eux, spectatrice assidue de leurs joutes littéraires, Marguerite Philippe, dans ce milieu tout imprégné de la forte poésie des primitifs, ne pouvait que développer son penchant naturel pour la vie contemplative. Sa mère possédait elle-même un répertoire de gwerz assez étendu : elle chantait en tournant son rouet, et la mémoire de l’enfant, quasi mécaniquement, enregistrait les paroles et les airs. Ainsi se façonna, sans aucune aide extérieure (Marguerite ne sait ni lire ni écrire), ce cerveau d’une si prodigieuse plasticité et qui est comme une encyclopédie vivante des traditions de la vieille terre d’Armor…

Je venais pour la première fois à Pluzunet et, pour dénicher Marguerite, je n’avais que les indications assez vagues fournies par la note de Luzel, note vieille de plus de trente ans. Par bonheur, tout le monde ici connaît Marguerite, — Marc’harit Fulup, comme on l’appelle à la bretonne. Elle est une sorte de gloire locale, et les yeux s’illuminent, les oreilles se tendent dès que je prononce son nom.

— Par exemple, me dit-on à la première halte où je m’informe d’elle, il y a beau temps que Marguerite n’habite plus au Rigorio, près de Pont-ann-C’hlan ; vous serez obligé de pousser jusqu’au hameau de Sant-Ienet (Saint-Idunet). Mais, comme c’est fête aujourd’hui, peut-être la rencontrerez-vous à Pluzunet même, à la sortie de la grand’messe.

Marguerite n’était pas à la grand’messe. Très complaisamment, l’aubergiste chez qui j’étais descendu avait fait surveiller les abords de l’église. Au lieu de celle que j’attendais, je vis venir un petit homme d’allure timide et légèrement claudicant, qui me dit :

— Je suis René Salaün, le mari de Marguerite. Si vous voulez, j’irai la prévenir…

J’ignorais que Marguerite fût mariée ; mais je me souvins qu’en Bretagne la femme, même épouse et mère, continue à garder son nom de jeune fille. Profitant des bonnes dispositions de mon interlocuteur, je l’invitai à me servir de guide et, après un sommaire déjeuner, nous allions partir de compagnie pour Saint-Idunet, quand Marguerite, inquiète de l’absence de son mari, survint à l’improviste. Elle s’excusa du négligé de sa toilette ; mais j’avais mieux à faire qu’à détailler ses loques de mendiante : c’était elle surtout qui m’intéressait, sa physionomie aiguisée et fureteuse de campagnol en maraude, son alacrité légendaire, ses yeux restés si vifs dans une tête qui n’était plus qu’un paquet de rides et de tendons. Un de ses bras, paralysé, pendait ; l’autre, atrophié, lui rendait encore quelques services. Elle était née ainsi, m’expliqua-t-elle en chemin, et cette double infirmité avait décidé de sa vocation : pour vivre, faute d’autre métier à exercer, elle s’était faite pèlerine par procuration, ce qui veut dire qu’elle entreprenait des pèlerinages pour le compte d’autrui. Quand les pèlerinages chômaient, elle décrochait son bissac et « cherchait la charité ». L’hiver elle filait au rouet. Son mari, infirme comme elle, se louait dans les fermes voisines. Mais il gagnait peu : dix ou quinze sols par jour. Et, là-dessus, il fallait payer le loyer du « ménage » : treize écus par an, trente-neuf francs, — une vraie somme, monsieur !

Tout en bavardant, nous avions atteint le Guindy. Près de là, dans la ramée, est blotti le hameau de Saint-Idunet. Le vieux cénobite cambrien y possède une chapelle neuve, moins curieuse assurément que son lit en plein vent et ses trois sources miraculeuses, objet d’un pèlerinage assez florissant. Pluzunet se souvient qu’Idunet est son patron et qu’il lui a donné son nom : Plou-Idunet (peuplade d’Idunet et, par contraction, Pluzunet, Plunet) : chaque année, au jour anniversaire de sa fête, la paroisse se porte vers la chapelle du saint, visite son lit, roche brute en forme de conque à demi-enclose dans un talus au pied d’une croix, s’abreuve de l’eau de ses trois sources mystiquement disposées à la file dans un bassin longitudinal [13]. Non sans fierté — car son patriotisme local est très vif, — Marguerite me fit les honneurs de la piscine sacrée, du lit et de la chapelle ; elle me chanta le cantique du saint, me vanta la puissance de son arouez[14].

— J’en ai éprouvé moi-même les bienfaits, me dit-elle, Idunet, pour le soulagement des rhumatismes, n’a pas son pareil au Paradis… Mais nous voici rendus, Monsieur : entrez donc, je vous prie.

De son bras valide elle m’indiquait, à quelques pas de la chapelle, un pauvre wigwam de pierre sèche et de tourbe planté de biais sur le bord du chemin et qui clignait son œil unique vers les pommiers d’un étroit courtil. Leur neige rose au printemps, leurs fruits d’or et de pourpre en automne, égayent un peu cette misère. La porte n’était pas fermée ; une ficelle qu’on tirait du dehors soulevait le loquet intérieur. J’entrai, suivi de Marguerite et de son mari : sur un rudiment de cloison des images étaient collées, primes de grands quotidiens ou premières pages de ces suppléments illustrés et grossièrement coloriés qui pénètrent aujourd’hui partout. Le logis n’avait qu’une pièce, meublée sommairement d’un lit-clos, de deux armoires, d’une table et d’un banc. Pour plancher, de la terre battue. Aux poutres brunies de fumée, quelques tranches de lard, le fléau d’une balance ; dans le retrait de la croisée, entre deux bouquets de papier peint, un petit autel avec une sainte Anne et la Vierge et, au-dessus, la photographie de Victor Hugo.

— Et Luzel ? demandai-je.

Aotro Luzel ? corrigea Marguerite. Oh ! je n’ai pas besoin de voir son portrait. Il est gravé là, — et elle m’indiqua son cœur.

— Vous l’aimiez donc bien ?

— Il était si bon pour moi ! Chaque année il m’envoyait 10 francs d’étrennes et, quand je me déplaçais pour l’aller trouver à Keramborgne, il m’hébergeait, me nourrissait et me donnait encore un petit écu.

— Est-ce vrai ce qu’il dit, Marguerite, que vous savez de mémoire 100 contes et 200 chansons ?

Aotro Luzel n’a point exagéré ; il serait au-dessous de la vérité plutôt. Tenez : je vais vous montrer mon « cahier ». Je n’ai point été à l’école, mais une voisine, la fille de Charles Guyomard, s’est prêtée complaisamment à transcrire sous ma dictée les gwerz et les sônes que je connais par cœur. Il y en a 259…

J’ouvris le « cahier »[15] et choisis au hasard trois ou quatre numéros, en priant Marguerite de me chanter les pièces auxquelles ils correspondaient. Elle s’exécuta de bonne grâce. Sa voix était un peu aigrelette ; mais ses yeux, tandis qu’elle chantait, regardaient par la croisée, au loin ; sa figure avait pris une noblesse et une gravité singulières. Et, sous ces poutres enfumées, dans ce taudis sordide, c’était bien réellement, comme disait Luzel, le cœur de la Bretagne qui palpitait sur les lèvres grises de la septuagénaire.



LA QUESTION DU BARZAZ-BREIZ




C’est une vieille querelle qui se rallume, qui gagne et qui menace d’embraser à nouveau la Celtie tout entière[16].

La Villemarqué, Renan sont morts ; morts aussi Le Men et Luzel dont les mémoires sur l’authenticité du Barzaz-Breiz mirent le feu aux poudres. Mais, des témoins de cette grande conflagration philologique, plus d’un demeure, et M. Louis Havel. M. d’Arbois de Jubainville, M. Gaidoz, M. Félix Hémon, M. Loth, sont toujours de ce monde.

Peut-être y avait-il quelque imprudence à troubler leur repos : rien nest terrible comme un philologue déchaîné, si ce n’est peut-être un folk-loriste qui s’échauffe. Mais, justement, la question de l’authenticité du Barzaz-Breiz intéresse les folk-loristes autant que les philologues. Il n’est que de prononcer le nom de La Villemarqué : voilà, sur deux rangs, tous ces ongles en bataille. Pour se risquer en si frénétique compagnie il fallait la belle et tranquille audace d’une femme : honneur au courage de Mme la marquise de Boisanger ! Nous ne serions plus des Français si nous ne subissions pas le prestige de l’héroïsme féminin sous toutes ses formes et davantage, s’il se peut, de l’héroïsme qu’aristocratise un soupçon de poudre à la maréchale. C’est le cas de cet héroïsme-ci, qui a encore, pour nous séduire, l’agrément de s’ajuster mieux qu’aucun autre à la belle définition donnée par Michelet du caractère de la race bretonne, « rêveuse, mystique, imaginative, spirituelle et n’en aimant pas moins l’absurde, l’impossible, les causes perdues ».

Les causes perdues — , Michelet a dit le mot que la galanterie suspendait au bout de ma plume. Il n’est point pour embarrasser Mme de Boisanger, qui, si M. de La Villemarqué a perdu son procès devant l’opinion, n’hésite pas à en accuser Renan. L’accusation étonnera : elle tendrait à faire de l’auteur du Barzaz-Breiz la victime d’une obscure machination anticléricale ; elle est grave surtout dans la bouche de Mme de Boisanger, qui est la fille de M. de La Villemarqué.

Avons-nous donc chez Mme de Boisanger l’écho attardé de la pensée paternelle ? Il est permis de le croire. Et l’on peut remarquer aussi que Mme de Boisanger n’a pas hérité de son illustre père cette stoïque impassibilité qui lui fit supporter en silence — un imperturbable silence de vingt-sept ans — la plus formidable tempête dont ait été battu le front d’un membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. De 1868 à 1895, date de sa mort, ce grand poète fut traité comme un vulgaire charlatan ; on l’accusa d’avoir outrageusement mystifié ses contemporains. Il ne protesta pas. Il ne se récria pas davantage quand le savant Joseph Loth lui ferma, de propos délibéré, en 1890, sa Chrestomathie bretonne, où il n’avait voulu faire entrer que des textes rigoureusement authentiques.

Résumant la longue enquête de ses devanciers, M. Loth distinguait trois sortes de chants dans le Barzaz: les chants inventés, les chants démarqués, les chants arrangés.

« Parmi les premiers, disait-il, on peut citer les Séries en grande partie, le Tribut de Nominoé, la Marche d’Arthur, le Vin des Gaulois, la Prophétie de Gwenc’hlan, Merlin, Lez-Breiz en grande partie, Alain le Renard, Héloïse et Abeilard, Jeanne la Flamme, la Bataille des Trente, le Combat de Saint-Cast. Les chants dits historiques rentrent tous à peu près dans la seconde catégorie ; le procédé est des plus simples : au lieu de soldat, vous mettez croisé, et, au lieu d’un chant du XIXe siècle, vous en avez un de l’époque des croisades. Les chants d’amour et les ballades ont, en général, un fonds populaire, mais tous ont subi, dans la langue au moins, quelque modification. »

Ainsi pas une pierre ne restait debout du magnifique monument bâti par La Villemarqué à la gloire de sa province natale. Effondrement lamentable ! Vanité, précarité des réputations littéraires ! On sait la fortune prodigieuse du Barzaz-Breiz ou « Chants populaires de la Bretagne, recueillis, traduits et annotés par le vicomte Hersart de La Villemarqué ». Dans toute l’Europe, quand parut le Barzaz (1839), ce fut un long frémissement d’admiration : le livre fut immédiatement traduit en anglais, en allemand, en italien… George Sand déclara tout de go que, devant « ces chants sublimes », les écrivains français étaient « comme des nains devant des géants » ; Raynouard, Fauriel, de Rémusat firent chorus ; Augustin Thierry, à qui La Villemarqué avait communiqué l’émouvante ballade Ann Distro cuz ar Vro-Zaoz (le Retour d’Angleterre), la cita parmi ses pièces justificatives de la présence d’aventuriers bretons dans l’ost de Guillaume le Conquérant. Et l’Institut, sans se faire prier, ouvrit ses portes à l’homme qui avait fondé chez nous la science du folk-lore et restitué à la race bretonne ses titres de noblesse perdus depuis Jules César.

À la vérité, Souvestre, qui était né à Morlaix et avait vécu dans l’intimité de l’âme populaire, marqua bien quelque surprise de la perfection soutenue des chants du Barzaz-Breiz. Seule note un peu discordante dans le concert d’acclamations et d’éloges qui montait autour de La Villemarqué ! Quel téméraire, quel nouveau Malcolm Laing eût osé mettre en doute l’authenticité du Barzaz ? Renan lui-même y fut pris : l’article fameux de la Revue des Deux-Mondes sur la Poésie des races celtiques (1854) est si peu une déclaration de guerre à La Villemarqué que celui-ci s’en autorise et le cite à plusieurs reprises, avec une gratitude émue, dans les éditions postérieures de son recueil. Je me permets de renvoyer Mme de Boisanger aux pages XVII et LX de l’introduction du Barzaz. Elle y verra combien sa piété filiale l’égare et qu’il n’est plus permis, quand un a lu ces pages, de dire que « c’était Renan qui avait attaché le grelot » et donné le branle aux « détracteurs » de La Villemarqué.

Sans doute la finesse critique de Renan, cette prudence sulpicienne qu’il apportait dans l’analyse des textes ne pouvaient être complètement dupes de l’artificielle et composite beauté du Barzaz. L’abondance, la précision des noms historiques dans ce recueil de chants populaires lui inspiraient des inquiétudes et il se demandait « si l’oreille de M. de La Villemarqué ne s’était pas prêtée complaisamment à entendre certains de ces noms ». Il aurait voulu être assuré aussi que les textes du Barzaz avaient été publiés tels qu’ils avaient été recueillis. « L’essentiel, écrivait-il, est qu’on soit sûr qu’entre le lecteur et le peuple aucune prétention littéraire ne s’est interposée. »

Par cette petite phrase, négligemment jetée dans son article, l’auteur de la Poésie des races celtiques posait les bases de la critique des traditions populaires, traçait au folk-lore ses méthodes et sa voie. Mais, enfin, c’est en 1868 et 1872 seulement que deux obscurs collecteurs de traditions bretonnes, Le Men et Luzel, reprenant en sous-œuvre l’enquête de La Villemarqué, produisirent pour la première fois les textes authentiques dont la comparaison devait permettre aux d’Arbois de Jubainville, aux Gaidoz, aux Havet, aux Rambaud, aux Hémon, aux Loth, de prononcer le verdict impitoyable qui, en établissant l’apocryphité du Barzaz, dépouillait la Bretagne de son plus beau fleuron poétique. L’anticléricalisme ne fut pour rien dans l’affaire ou il faudrait donc — Mme de Boisanger y a-t-elle réfléchi ? — que l’anticléricalisme s’appelât ici la probité historique, le souci, la passion du vrai. Je sais, pour ma part, de très bons catholiques qui ne se résignent point à prendre le Barzaz-Breiz pour un texte révélé. Mais on conçoit très bien l’intérêt que pouvait avoir une certaine école de diascévastes armoricains à faire dévier sur le terrain politique et religieux un débat purement philologique à son origine et qui doit rester, qui restera pour tous les esprits impartiaux, exclusivement philologique.

Le 28 octobre 1835, un journal de Paris, le Courrier Français, annonçait que « M. Delaville-Marqué (sic), attaché à l’École des Chartes, venait de retrouver dans une église des Montagnes-Noires, près de Morlaix, les poésies de l’ancien barde Quin-Clan, le Merlin des Bretons ». La nouvelle fit du bruit. Une note, peu après, informa le public que le manuscrit de Quin-Clan avait « été aussitôt perdu que retrouvé. » Et l’on n’aurait peut-être jamais eu la clef de ce mystère si M. de La Villemarqué, dans l’intervalle, ne s’était décidé à publier le Barzaz-Breiz dont il eut été malaisé, en effet, de mettre toutes les pièces au compte d’un barde « du Ve ou du VIe siècle ».

Hélas ! Le simple rapprochement de ces faits ne parle-t-il pas assez haut et qu’est-il besoin encore de l’aveu indirect retrouvé dans les papiers posthumes de Luzel et publié récemment par M. Le Braz : « L’abbé Henri et l’abbé Guéguen, recteur de Nizon, auraient, d’après M. de La Villemarqué lui-même, établi les textes bretons du Barzaz-Breiz. Je le tiens de la bouche de M. de La Villemarqué le 30 octobre 1890. »

Il faut en faire notre deuil : le Barzaz n’est point une œuvre authentique et, si le peuple de Bretagne y a collaboré[17], la part de collaboration personnelle de La Villemarqué, aidée des abbés Henry et Guégen, y excède singulièrement l’apport populaire. Mais le Barzaz, en tout état de cause, reste un chef-d’œuvre. Aucune des quatre grandes littératures celtiques n’a rien produit de plus beau. Et c’est pourquoi l’on a peine à comprendre cette obstination de Mme de Boisanger et de ses amis à vouloir réhabiliter en La Villemarqué l’érudit aux dépens du poète. L’érudit, chez l’auteur du Barzaz, fut médiocre, et sa réputation usurpée ; le poète est un des plus grands du XIXe siècle. Comment la piété filiale de Mme de Boisanger peut-elle hésiter entre les deux ?



LA « BRETAGNE » DE GUSTAVE GEFFROY




Je tiens de M. Henri Polez que, rencontrant un jour à Oxford le professeur Rhys, il n’entendit pas sans surprise le savant celtologue déplorer que Renan n’eût pas appliqué à l’étude de sa langue maternelle les admirables facultés qu’il tourna si inconsidérément, et pour un résultat si médiocre, vers l’étude des langues sémitiques.

Le « cas » de M. Gustave Geffroy — Breton par ses origines et dont l’œuvre, toute de critique et de sociologie, demeura si longtemps étrangère à la Bretagne, — ne laissait pas d’inspirer à plusieurs un regret analogue : il leur semblait que cette nature fine et nuancée, sobre, mélancolique, presque austère, dût s’harmoniser merveilleusement avec le pays qui l’avait formée. Et peut-être ne se trompaient-ils pas. Les Notes d’un Journaliste, l’Enfermé, Yvette Guilbert, l’Apprentie, les Musées d’Europe, etc., sont loin, comme on dit dans le jargon mis à la mode par les disciples de Le Play, d’être des contributions dédaignables à l’étude des phénomènes sociologiques, littéraires et artistiques de ce temps ; ils n’ont un peu perdu à nos yeux que par le rapprochement avec Pays d’Ouest, émeraude isolée dans ce collier de belles œuvres d’un éclat plus amorti et le premier livre (1897) où M. Gustave Geffroy se soit souvenu de ses origines, ait tourné enfin ses regards vers la Bretagne. Un tiers seulement du livre, il est vrai, était consacré à cette province. Mais le sortilège avait commencé d’opérer : M. Geffroy était désormais prisonnier de la fée et elle est de celles dont ne se relâchent point aisément les liens. Pays d’Ouest était paru à peine qu’on annonçait un nouveau livre de l’auteur sur la Bretagne et, cette fois, pour qu’aucune équivoque ne subsistât, le livre empruntait son titre au pays même qui l’avait inspiré.

Cadre somptueux, illustrations abondantes et variées, — les photographies de M. Paul Gruyer n’ont pas qu’un intérêt documentaire et valent souvent mieux que des compositions originales, — rien ne manque à la Bretagne de M. Geffroy. Nous n’avions jusqu’ici, sur cette province et dans ce format, que les massifs in quarto de Taylor et de Jules Janin. Ce ne sont plus depuis longtemps que des curiosités archéologiques. Et, des livres qui aspirèrent à les remplacer, comme la Bretagne de M. Robida ou les Zigzags en Bretagne de M. Dubouchet, on peut louer la brillante illustration ou la parfaite exécution typographique : il est difficile de leur accorder davantage.

Un livre illustré de grand luxe sur la Bretagne qui fût, en même temps qu’une œuvre d’art, une œuvre de documentation et une œuvre de lettré, voilà ce que nous appelions de tous nos vœux et que nous donne aujourd’hui M. Gustave Geffroy. Et c’est au sortir d’un tel livre, monument de patience et de savoir orné, où collaborèrent le poète, l’érudit, l’amoureux, le sociologue et l’artiste, qu’on peut mesurer tout le chemin parcouru depuis Alain Bouchard, chroniqueur breton de la fin du XVe siècle, à qui l’on doit, si je ne m’abuse, la première description en langue vulgaire du pays « jadis appelé Armorique, situé ès extrémités d’Occident, vers la fin de l’Europe, et de la forme d’un fer à cheval dont la rotondité est circule à soleil, resconsant de la mer Océane et de gros et dangereux rochiers qui sont chascun tout couver et deprouvey de la mer ».

Bouchard, sans doute, ne visait qu’à meubler son lecteur des notions topographiques les plus essentielles : toujours est-il que sa description n’a pas trop vieilli et pourrait s’appliquer encore, dans ses traits généraux, à la Bretagne d’aujourd’hui. Les « landes et montaignes » dont parle le maître des requêtes du duc François II et où « engraisse force bestiail », nous les retrouverons à quatre siècles de distance chez M. Geffroy, et aussi les « forests peuplées de venaison » et les « lieux mynières d’argent, plomb et fer » et d’autres, « devers occident », où « on faict le sel par singulière industrie ; car, à ce faire, n’y a que l’eau de la mer et la vertu du soleil ». Mais Bouchard parlait de ces merveilles en robin ; la couleur locale, le sentiment de la nature sont des acquisitions récentes et dont ne s’embarrassait point encore le cerveau des gens du XVe siècle. M. Geffroy appartient au contraire à une génération « pour qui le monde extérieur existe », suivant la forte expression des Goncourt. Il sait voir et il excelle à rendre ce qu’il a vu. Et il est bien certain aussi qu’il y a des choses qu’il voit comme tout le monde et comme elles sont, et d’autres qu’il voit comme les pouvait voir seul M. Geffroy et comme elles ne sont peut-être pas. Encore n’est-ce point où nous le goûtons le moins. Un livre sur la Bretagne d’où l’auteur serait absent pourrait être un magnifique guide Conti, un Bœdeker supérieur : ce ne serait toujours qu’un guide Conti et qu’un Bœdeker. M. Geffroy n’a eu garde d’appliquer ici cette froide et mortelle doctrine de l’impersonnalité littéraire qu’il professa aux temps lointains du naturalisme : il ne fait qu’un avec son livre ; il l’habite vraiment ; l’atmosphère qu’il respire, les paysages qu’il évoque, les mœurs qu’il ressuscite réagissent à leur tour sur lui. Et il apparaît bien en définitive que, pour l’auteur comme pour la plupart des écrivains bretons, la Bretagne est avant tout un état d’âme.

« Je vois la Bretagne, dit-il, dans la magnifique synthèse qui résume et couronne son livre : elle est couleur de pierre, de verdure sombre étoilée d’or, de mousse et de lichen, de costumes noirs, de coiffes blanches, de tabliers de toutes les nuances, de mer bleue, grise, verte, de soleil, de ciel nuageux, de brume et de pluie… J’entends sa rumeur : elle est faite du murmure et de la voix violente de la mer, de l’arrivée du vent à travers l’espace, de la plainte des arbres assaillis par les ouragans, des chants des matelots, des complaintes, des cantiques, des paroles des marchés et des foires, des bruits des sabots sur les pavés des vieilles villes, des musiques sur les routes… Je respire son odeur ; elle sent le goémon, le varech, le sel des vagues, le poisson, la rogue, les fleurs de prairies, de forêts et de falaises, la lande, le fumier, le pain noir, la soupe au lard, le beurre, les pommes, le cidre, l’eau-de-vie, l’encens, les crêpes, le café au lait… Comment enfermer entre ces pages tous ces aspects d’une contrée ? Comment montrer la terre et faire entendre la mer ? Comment rassembler ici cette foule et la garder vivante ? L’écrivain se sent bien seul et faible devant ce monde immense et complexe. Tant d’êtres qui vivent, et un seul être pour les évoquer ! Tant de voix qui parlent et une seule voix pour les exprimer ! Tant de paysages animés et tant de régions solitaires, tant de villes, tant de maisons, tant de monuments, de châteaux, d’églises, de chapelles, de calvaires, de croix aux carrefours ! Tant de champs, de landes, de forêts, de bois, d’arbres ! Tant de rochers, tant de brume et tant de pluie ! Tant de couleurs dans l’espace, sur la terre et sur les eaux ! Et, pour toute cette vie permanente et changeante, compacte et multipliée, une seule mémoire qui essaye de se souvenir !… »

Louable inquiétude. Mais M. Geffroy peut se rassurer : sa mémoire l’a fidèlement servi et, à quelques détails près, son livre est aussi complet qu’il pouvait l’être. Il y a dans la Bretagne plusieurs Bretagnes, et l’auteur n’a point manqué de s’en apercevoir. Encore n’était-il point très aisé de caractériser et différencier avec précision l’une de l’autre ces diverses Bretagnes. Les pages où M. Geffroy s’y est essayé resteront comme un modèle de fine et pénétrante psychologie : la gaieté un peu narquoise « qui anime les gens de Tréguier, de Lannion, de Morlaix », la « vivacité chaleureuse » des gens des pays de Quimper et de Quimperlé, « la sauvagerie, la gravité, la mélancolie » des populations du Morbihan et de la Cornouaille des monts, « l’intelligence avisée, le souci des affaires gaillardement porté qui se lisent aux yeux vifs, au parler net des Léonards », autant de traits heureux, bien observés et qui se gravent fortement dans l’esprit.

Peut-être seulement aurais-je voulu que M. Geffroy distinguât entre les Léonards. Ce qu’il en dit s’applique exactement et mot pour mot à cette aristocratie paysanne des « Julots » de Pleyber-Christ, de Saint-Pol et de Saint-Thégonnec, dont les riches « convenants » et les gras herbages sont l’orgueil du Finistère ; cela n’est plus aussi vrai des maigres et tristes Léonards de Lesneven, de Plouguerneau, de Lannilis et de Kerlouan. Nous sommes ici en plein « pays noir ». Et ce n’est pas le costume des habitants qui lui a valu ce surnom ; les « Julots » portent aussi le chupen, le gilet et le pantalon de drap sombre. C’est le caractère, c’est l’âme de ces hommes qui sont vêtus d’un deuil éternel.

Pourquoi ? Comment ? La tradition fait remonter à un vieil ermite du VIe siècle, saint Goulven, le changement qui s’est opéré dans le moral des Léonards du Kéménet Ili.

« Jadis cette race aimait la danse avec une sorte de fureur, dit Miorcec de Kerdanet ; jeunes et vieux, sains et malades, tous voulaient bondir. Mais Goulven, avec son éloquence douce, persuasive, trouva bientôt le secret de tout changer ; il convertit les chansons profanes en cantiques pieux de sa composition ou bien de celle de ses vicaires. Le diocèse devint un pays de foi, de dévotion, de bon exemple… » Le fait est qu’aujourd’hui encore, dans cette partie du Léon, la danse est proscrite de toutes les fêtes publiques ou domestiques ; à Lesnevon, il a quelques années, quand la municipalité décida de donner un bal pour l’inauguration de la nouvelle mairie, ce fut presque un scandale. Alors que, dans le reste de la Bretagne, il n’y a pas de bon « pardon » sans gavotte et sans ménétrier, ici les fêtes religieuses sont religieuses jusqu’au bout. Vainement vous prêteriez l’oreille pour surprendre la nasillarde mélopée d’un de ces bardes gyrovagues qui colportent d’assemblée en assemblée, dans la Cornouaille et le Trégor, leur répertoire de gwerz et de sônes deux liards la feuille[18]. Langoureuse, sentimentale, la sône est un poison pour les âmes ; le seul gwerz autorisé, comme au temps de l’ermite Goulven, est le cantique, la biographie rimée du patron de la paroisse ou le récit édifiant des miracles dus à son intervention. Et il y a une autre raison peut-être, toute géographique, à ce puritanisme des Léonards du Kéménet-Ili : l’isolement où ils ont vécu jusqu’à ces dernières années. De grandes friches rases, des tourbières et des landes, que cerne, à l’horizon, la lisière vaporeuse d’une chênaie centenaire, les séparaient du reste du monde. Entre Trémaouézan et Ploudaniel, le train file droit au milieu d’un paysage d’une mélancolie oppressante, plat et nu jusqu’aux confins du cercle visuel, sans une maison, sans un arbre, hanté par les échassiers et les corbeaux. On se croirait dans le Born. Mais brusquement, au détour de la voie, un clocher s’élance entre les chênes, un de ces « clochers à jour » de la chanson qui semblent un défi au bon sens et aux lois de l’équilibre et qui ont quelque chose de lancinant comme un cri de détresse. Tension suprême de l’âme vers l’infini ! Ces clochers du Léon, dont « la pierre pointe et s’envole vraiment dans les nuages avec une sorte de mouvement visible et vertigineux », M. Geffroy n’a pas eu de peine à y découvrir l’expression même de la race. Comme le paysage et plus encore que lui, ils initient à l’intelligence des habitants. Grêles fleurs de spiritualité, les seules qui pouvaient naître de ce sol sans humus, de cette grande table granitique, échancrée çà et là de failles profondes où bleuit deux fois par jour le flot marin ! Sur les champs, sur les grèves, partout des pierres, des pierres « gris sombre », d’autres, goémoneuses, fourrées d’algues rousses, de lichens décolorés.

« On est loin des plages de villégiature et des jardins en terrasses, écrit M. Geffroy, avec ce pays de rocs revêches, de champs en demi deuil violet de bruyères, de passantes de monastères, coiffes blanches, robes noires ou grises ou d’un bleu verdi. De bons instants furent pourtant vécus, sur cette avancée de terres, entre Goulven et Kerlouan, vers Pontusval, parmi les pierres étranges, oiseaux, tortues, griffons, mastodontes, si changeantes d’aspect et d’expression, immobiles, passives ou convulsées. Certains groupes sont des femmes en proie à des sphinx : des morceaux de pierres crevées et usées offrent des faces de désolation. D’autres, gigantesques, au loin, dans les flots, sont brumeux et hérissés comme des châteaux de rêves. Parmi ces pierres de Pontusval, la chapelle Saint-Pol où subsiste le tonneau pour la dîme de l’avoine. Et, partout, la mer. Elle jase en oiselets de ruisselets, mugit en énorme et lointaine bête invisible ; elle est douce et perfide, assaillante et brutale. Ce fut elle qui me tenta, finalement. Je cinglai vers l’Abervrac’h, en une fine barque qui coupait d’un tranchant net les sombres collines d’eau, qui zigzaguait en angles et en courbes autour des hauts rochers de la pleine mer où s’alignaient les tristes pingouins, en vue de l’île Vierge et de son phare de 75 mètres. Le marin, aidé de son mousse, qui me conduisait, Jourdain, blond colosse barbu, ayant couru le monde, de la Norvège à la Chine, parleur lent et expressif, me disait brièvement et simplement les anecdotes de sa rude vie. Attentif, l’œil sur l’horizon, la main à la barre, gouvernant sa barque, la faisant attendre, courir, obliquer, se cabrer, comme un cheval d’hippodrome, il fit, sous le vent et dans les couloirs de hautes lames, une entrée rapide et glissante, d’une triomphale souplesse, dans l’estuaire de l’Abervrac’h. »

Je n’ai pu résister au plaisir de citer jusqu’au bout cette jolie page. Mais combien d’autres il faudrait citer encore, celles sur Morlaix, où « les pas sont lestes et les yeux vifs », où les cigarières ont pris « des allures de chèvres » à grimper et dévaler quatre fois par jour les rampes tortueuses de la rue Bourret et de la venelle du Créhou ; celles sur la population de Saint-Pol-de-Léon, « abritée par ses lourdes portes, ses murs épais, confite en sa muette atmosphère « ; celles sur Gourin, « la ville noire », sur Nantes, « la ville des ponts », sur Quimperlé, la ville des tabliers polychromes, sur Ploumanac’h, la cité d’Apocalypse aux « troupeaux de mastodontes » errant le long des pentes ; celles sur Paimpont, « la Brocéliante des trouvères et des poètes », avec sa fontaine Baranton et « la pierre où Merlin et Viviane chuchotaient au crépuscule » ; celles sur la lande de Lanvaux, « immensité hostile, le plus violent et le plus terrible décor pour la mélancolie humaine » et tel que, par un soir de vent d’ouest, fouetté d’averses, on en rêverait aux imprécations du vieux Lear… S’il est impossible de citer toutes ces belles pages, du moins qu’on me permette de transcrire ici le bref et délicieux couplet sur la pluie bretonne :

« Il ne faut pas aller en Bretagne si l’on n’aime pas la pluie. Elle a son charme monotone. Elle repose de l’éclat du soleil, des couleurs nettes, des paysages trop vite aperçus. Elle embrouille tout sous ses écheveaux, qui sont ici presque invisibles, à ne pas trop savoir si c’est de l’eau qui tombe ou une brume qui erre. Elle crée une étendue mystérieuse où les formes surgissent lentement, laissant à deviner les collines, les arbres, les maisons, les rares passants. Elle est aussi la magicienne qui fait évaporer les parfums des feuillages et du sol, et c’est un délice que de respirer l’odeur des verdures et de la terre, à travers laquelle se joue la rude brise saline qui vient de la mer invisible. »

M. Geffroy excelle à ces impressions personnelles, comme aux larges et fortes généralisations qui condensent en une page, en dix lignes quelquefois, tout l’essentiel d’une ville ou d’une région. Des erreurs ? Des oublis ? Il y en a sans doute dans son livre — comme dans tous les livres du même genre —, mais en très petit nombre et sans grande importance[19]. Les deux seules lacunes, un peu regrettables, que j’y ai constatées sont relatives à la chapelle des Sept-Saints (près Plouaret, Côtes-du-Nord) — l’unique église de ma connaissance qui soit bâtie sur un dolmen encore existant et supportant l’un des bras du transept — et au calvaire de Pontchâteau (Loire-Inférieure), monument assez improprement baptisé, car il ne s’y agit point, comme dans les autres calvaires, d’une synthèse architecturale, mais bien d’une reconstitution topographique des principales scènes de la vie de Jésus[20]. Ce calvaire colossal est à 4 kilomètres de la petite ville qui lui a donné son nom. Imaginez un tertre artificiel de 20 mètres de haut et de 600 mètres de circonférence d’où l’œil embrasse un des plus vastes horizons qui soient. Et quel horizon ! Trente-deux paroisses y dansent à l’aise autour de leurs trente-deux clochers. La mer scintille au loin. À droite la fiévreuse Guérande, enlisée dans ses marécages, lève mélancoliquement sur l’eau morte les pierres grises de ses tours ; Saint-Gildas hérisse sur la gauche son échine de basaltes ; entre les collines ondulées du pays de Retz et le sillon de Bretagne, la Loire se traîne paresseusement ou rebrousse ses flots verts à l’approche du flux qui la couvre deux fois par jour. Berné, Campbon, Missillac, plaines tourbeuses, de culture moyenne, font la transition avec les âpres landes morbihannaises qu’on voit moutonner au dernier plan de l’horizon. Perpétuellement, sur ce sol humide, des brumes flottent à ras de terre, se déchirent, renouent leurs écharpes. Vaine fantasmagorie : pour le pèlerin en marche dans leur direction, les trois croix du calvaire de Pontchâteau, toujours visibles, percent les brouillards les plus épais et ne cessent de planer lumineusement sur le paysage, comme si elles participaient des vertus mystérieuses de ces croix de flamines « environnées de magnifiques étendards » qui descendirent, raconte la tradition, le 11 janvier 1673, sur le sommet de la lande où le bienheureux Jean de Montfort, quelques années plus tard, devait jeter les fondements de sa Jérusalem bretonne, « représentation en trois parties des Mystères douloureux, joyeux et glorieux du Rosaire », immense fresque plastique dont il n’y a encore d’achevé, après deux siècles, que les Mystères de la passion et les Mystères joyeux…

On peut regretter que M. Geffroy, quand il errait, aux portes de Guérande, sur les confins désolés de la Grande-Brière, n’ait pas poussé jusqu’à Pontchâteau. La Jérusalem bretonne valait bien un pèlerinage. Et je sais bien que la Bretagne est un monde et que c’est miracle déjà que l’auteur l’ait pu faire tenir dans un in-quarto de 438 pages. Il en a dit du moins tous les aspects essentiels ; il a fixé en traits inoubliables le visage de la charmeuse et triste province, un visage d’aïeule « qui n’a pas de pareil, dit-il, pour l’amertume résignée, la gaieté fine, la douceur héroïque. »

Ce visage, je l’ai retrouvé chez beaucoup de vieilles Bretonnes, mais rarement plus fidèle et d’une expression plus accomplie que chez une émigrée octogénaire dont les beaux yeux vifs, la grâce et le sourire disaient l’éternelle jeunesse intérieure. Elle avait quitté depuis son mariage, depuis très longtemps, Plougonven, la bourgade où elle était née, près de Morlaix, sur les premiers contreforts de l’Arrhée finistérien ; restée veuve, elle habitait Paris avec son fils et sa fille ; il y avait bien trente ans qu’elle n’avait parlé breton et c’était la première fois qu’elle en échangeait quelques mots avec un compatriote. Et le doux visage ridé et parcheminé de l’aïeule s’éclairait, au chant des syllabes natales, d’une jolie flamme rosée, du rose des bruyères naissantes. Nous causions du pays. Il n’y avait qu’elle et moi de son entourage à savoir le breton. Mais, grave et attentif, penché vers nous, le fils ignorant de cette langue, par une mystérieuse divination, semblait nous entendre, participer à ce lointain colloque dont chaque mot faisait vibrer en lui des fibres secrètes. Oui, je n’en doute plus, il nous comprenait vraiment, et vous serez de mon avis quand je vous aurai dit son nom : il s’appelait Gustave Geffroy, et cette exquise et vénérable Bretonne, c’était sa mère, — et c’était toute la Bretagne.



UNE IDYLLE SUR UNE GRAMMAIRE
BRETONNE




À Émile Claeys.


Les grammaires sont des livres graves, sévères, compassés, qui n’ont point pour accoutumé d’abriter des idylles et il fallait que ce fût une grammaire bretonne qui dérogeât la première à ces habitudes d’austérité. Maurice Le Dault, grand fureteur et de flair étonnamment subtil, dénicha celle-ci je ne sais où. Reliée en veau, jaspée sur tranches, elle portait, avec le millésime de 1738, la firme de Julien Vatar, imprimeur-libraire à Rennes, au coin des rues Royale et d’Estrées.

L’année 1738 est une date considérable dans l’histoire de la langue bretonne : cette année-là parut la première édition de la Grammaire françoise-celtique du P. Grégoire de Rostrenen[21]. Et précisément c’est d’un exemplaire de cette édition rarissime qu’il s’agit. Le dit exemplaire appartenait à Marie-Anne Durivaux (Hic liber pertinebat ad Mariam-Annam Durivaux, nous apprend une petite note manuscrite au recto de la première garde) et fut offert par elle au F. François Dargelos, le 21 mai 1742 (sed illum dedit F. Francisco Dargelos die 21a maji anno 1742).

Pourquoi Marie-Anne Durivaux offrait-elle au F. François Dargelos un exemplaire de la Grammaire françoise-celtique du P. Grégoire de Rostrenen « qui contient tout ce qui est nécessaire pour apprendre par les règles la langue celtique et bretonne » ? Cette grammaire était encore une nouveauté ; son succès avait été fort vif dès l’origine ; enfin le P. Grégoire était de Rostrenen, c’est-à-dire d’un pays voisin de celui qu’habitait François. Donc le cadeau n’était pas dédaignable et avait même une certaine valeur. Il était destiné, dans l’esprit de Marie-Anne, à rappeler éternellement au petit Frère la date du 21 mai 1742 : « Ego Maria-Anna Durivaux — je continue à transcrire les notes manuscrites de la première garde — dedi hunc librum Francisco Dargelos ut in sud semper teneret memoriâ Diem 21am maji anni 1742. » Et nous nous posons avec angoisse, après avoir lu cette note, une nouvelle et décisive question : que s’était-il donc passé de si extraordinaire, en ce jour du 21 mai 1742, pour que Marie-Anne Durivaux ne voulût point que François Dargelos en perdît jamais le souvenir ?

Ce qui s’était passé ? Mais j’oubliais que, manquant à tous mes devoirs d’historien, je ne vous ai présenté encore ni le petit Frère ni son amie. Nous sommes en 1742, à l’abbaye de Langonnet, fondée au commencement du XIIe siècle par la pieuse Ermangarde et son fils Conan III, duc de Bretagne. L’abbaye de Notre-Dame de Langonnet est au Cœur de la Basse-Bretagne, sur les bords de l’Ellé. Les cisterciens qui l’ont bâtie firent preuve, à leur habitude, d’un réel sentiment des beautés naturelles et il ne se peut voir, en pays plus sauvage, d’oasis plus riante et plus à souhait pour les yeux. Par malheur La Fontenelle passa par là et, où le brigand avait passé, l’ortie et la ronce poussaient dru. Après La Fontenelle, ce fut le tour des Bonnets-Rouges. La pauvre abbaye n’était qu’une ruine à la fin du XVIIe siècle ; il fallut la rebâtir, à quoi s’occupèrent Dom Paul de Bonacourcy, les Marbœuf et le prieur de l’abbaye, François Perrin, Dr en Sorbonne. Les nouveaux bâtiments n’étaient point achevés en 1742, et Langonnet, qui avait compté tant de religieux, n’en possédait plus que dix, sept profès et trois novices.

On veut croire que François Dargelos était parmi ces derniers et qu’il n’avait point encore prononcé ses vœux. Peut être rentra-t-il dans le siècle, quand il eut connu par expérience la fragilité de ses sentiments monastiques. Mais ce ne sont là que des hypothèses et l’on ne saura probablement jamais ce qu’il advint du petit Frère et de la belle Marie-Anne Durivaux. La seule chose qui soit certaine est qu’ils s’aimèrent, se l’avouèrent et se le prouvèrent, comme il n’appert que trop des confidences du principal intéressé.

Ces confidences, François se flattait naïvement que personne ne les recueillerait ; pour plus de sûreté, il les avait enfermées sous le triple sceau d’une abstruse cryptographie. Aussi bien, la grammaire de Grégoire étant d’un format moyen, ne se séparait-il jamais, sans doute, du cher petit in-8o qui lui rappelait de si délicieux moments. Le titre du livre, autant que le sérieux des matières qu’il traitait, étaient une garantie contre les soupçons qu’aurait pu faire naître l’espèce de frénésie sensuelle avec laquelle le jeune novice se plongeait dans la méditation de son Grégoire : quand il rouvrait, d’aventure, en se promenant sous le beau cloître à l’italienne fraîchement restauré par Dom Perrin, le prieur et les profès devaient admirer que le chapitre des adjectifs verbaux ou celui des lettres mutes put offrir tant d’intérêt et passionner à ce point un cerveau de vingt ans. Ruse innocente qui permettait à François, cependant qu’on le croyait absorbé par quelque grave problème grammatical, de s’abandonner tout entier à la pensée de son amie, d’évoquer sa ravissante image, de détailler une par une ses beautés les plus secrètes à l’aide du voluptueux portrait qu’il avait tracé d’elle sur la dernière garde de son Grégoire :

« Elle est… »

Mais François réfléchit que, si l’on trouvait son Grégoire, ce féminin le trahirait. Il retourna le livre et, substituant un genre à l’autre, écrivit :

« Il est un peu plus grand que moy ; il a le visage rond, les cheveux châtains, le front élevé, le teint blanc comme la cire, les yeux noirs et très vifs, un coloris charmant, la bouche très vermeille, les dents d’un blanc de neige, un petit menton relevé, la gorge[22] bien faite, la main blanche, et bien faite la jambe, et le pied fort petit, l’humeur enjouée, toujours prête (sic) à danser, beaucoup d’esprit, fort vif, tendre dans ses amours[23], aimable dans la conversation, aimé de tout le monde et de moi particulièrement. »

Voilà bien un portrait de l’époque, et nos aïeux ne peignaient point autrement : ils faisaient bon marché des particularités physiques et ne relevaient de l’exemplaire humain que ce qui s’y voyait de général, réservant les subtilités de leur analyse pour le dedans La mémoire du petit Frère pouvait suppléer d’ailleurs, sans beaucoup de peine, aux défaillances de son pinceau. Trois lignes cryptographiées, au bas de la page, nous donnent à cet égard toute assurance :

« Je l’ai tenu entre mes bras per sexdecim horas, super cubiculum 21 may. »

Et nous comprenons maintenant pourquoi Marie-Anne Durivaux, qui s’était montrée si généreuse à l’égard du petit Frère, voulait qu’il conservât l’éternel souvenir du 21 mai 1742. C’était une date en effet pour tous les deux, puisque ce jour-là, seize heures durant, ils s’étaient donné des preuves de leur commun attachement. Rassurons du reste nos lecteurs : l’aventure n’eut point pour théâtre une cellule de l’abbaye, mais bien une maison particulière de Quimperlé et probablement même la maison d’une certaine Mme Loupsan, où Marie-Anne et François s’étaient retrouvés la veille du départ de celui-ci pour Langonnet. Le Grégoire fut en tout cas remis au petit Frère dans cette maison, comme en témoigne la note suivante :

« Datum in domo Dominæ Loupsan hora 2a post meridiem in civitate quimperliensi. »

Et, le lendemain, François était à Langonnet, puisqu’il écrivait, en cryptographie, au-dessous des lignes que je viens de transcrire :

« Lacrymas fudi in abbatià Nostræ Dominæ de Langonet die 22 maii 1742, hora 2a. »

Cy finit, dans les larmes, dont la grammaire de Grégoire porte encore les amères macules, le roman du petit Frère et de sa belle amie. Je n’y ai rien ajouté ; je me suis montré aussi sobre de commentaires que je l’ai pu et l’on concédera pourtant que l’aventure y prétait. Comment ne pas voir en François Dargelos un de ces malheureux kloer, que l’impertinence du siècle et l’inflexibilité de leurs parents poussaient à embrasser une profession qui exige le sacrifice entier de soi et où c’est peu de toutes les vertus, des qualités les plus éminentes de l’esprit et du cœur, si l’on n’y est point appelé par la Grâce et une vocation naturelle ? Dieu fait ses recrues lui-même : il ne veut pour son service que des âmes libres, des dévouements spontanés. Ceux qu’il élit n’ont pas besoin qu’on les violente. Nous le savons mieux aujourd’hui qu’autrefois, et il y paraît assez à l’excellence de notre clergé indigène, à sa moralité générale, à la magnilique unanimité de ses membres dans les épreuves récentes de l’Église. Mais il n’en était pas ainsi au XVIIIe siècle, ce qui explique, sans plus, les trop nombreuses apostasies dont nous eûmes le spectacle en 1790, quand fut promulguée la Constitution civile du clergé. Si François, à cette époque, était encore de ce monde et n’avait pas jeté le froc aux orties, assurez-vous qu’il ne fut pas des derniers à quitter son cloître et à prêter le serment. Lamentable, mais inévitable conséquence de la violence qu’il avait subie à son entrée dans les ordres. Le petit Frère n’était évidemment pas fait pour la vie monastique : il aimait Marie-Anne Durivaux, qui le payait largement de retour, et ce n’était qu’à contre-cœur qu’il avait fini par céder aux injonctions paternelles. Peut-être était-elle son élève, et l’initiait-il aux délicatesses du rudiment armoricain. Et peut-être était-ce tout l’inverse, et François prenait-il des leçons de Marie-Anne. Tant il y a que le petit Frère et son amie se rencontraient chez une voisine complaisante, Mme Loupsan. À la veille du départ de François pour Langonnet, la Loupsan leur ménagea une dernière entrevue. Marie-Anne voulut que François emportât de cette entrevue un souvenir ineffaçable : les amants épuisèrent en une nuit — une nuit embaumée de printemps, qui se prolongea jusqu’à noue ou bien près — toutes les félicités de l’amour défendu. La Grammaire françoise-celtique du bon Grégoire, « où ils n’avaient pas lu plus avant » cette nuit-là, s’était échappée de leurs doigts : vers deux heures de l’après-midi elle se retrouva tout à point, sous les couvertures, pour consacrer le libre échange de leurs âmes...

« O felix nox, beata nox ! s’écriait au lendemain de la nuit où il avait approché Christine de Stommeln le diacre Pierre de Dacia… O dulcis et delectabilis nox, in qua mihi primum est degustare datum quam suavis est Dominus ! »

François n’aurait changé qu’un mot à cet ineffable couplet, qu’il eût fait sien pour tout le reste : dominus fût devenu sous sa plume domina. Dans les bras de sa « douce », à la veille de lui dire adieu pour jamais, le pauvre kloarec quimperlois mesurait combien la distance est grande, le chemin roide et pénible, de l’amour profane à l’amour divin, — et le nom du Seigneur lui était aussi amer que lui était délectable le nom de Marie-Anne. C’était ce nom qu’il continuait de répéter partout où il traînait ses pas, dans le promenoir du cloître de Langonnet et dans sa cellule de novice, sous les arceaux de l’ancienne salle du chapitre et sur les bords du torrentueux Ellé.

Tel, six siècles en deçà, Abélard pleurant Héloïse devant les rochers de Saint-Gildas. Et tel, ou plus tragique encore, ce clerc de la chanson bretonne qui, le jour de sa première messe, trépassa de douleur sur le sein de sa mie expirante : — dont le « recteur » de la paroisse éprouva un tel bouleversement qu’après avoir commencé par pester tout son soûl en chaire contre « les jolies filles, perdition des jeunes séminaristes », il ne trouva plus pour le couple infortuné, à la fin de son homélie, que des paroles d’indulgence et des souhaits de bonheur éternel :

Maint ho daou indan peb a ve ;
Bennoz Doue war hoc’h ine !

« Tous deux sont chacun dans la tombe ; — la bénédiction de Dieu descende sur leurs âmes ! »

Ainsi soit-il.



SUR LES PAS DE RENAN




À Émile Maulde.


I
Les deux Tréguier


Tréguier, la ville des couvents, n’aura bientôt plus que des laïcs dans ses murs : on vient d’en expulser les Ursulines ; on en expulsera demain quelque autre congrégation. Ainsi va se dissipant un peu plus chaque jour, au souffle haineux du jacobinisme, cette atmosphère de spiritualité et d’onction qu’on respirait dans les rues de la vieille cité bretonne. Renan, s’il était encore de ce monde, ne reconnaîtrait plus sa ville natale. L’influence décisive qu’eut l’ancien Tréguier sur sa formation intellectuelle et morale ne pourrait plus s’exercer avec le nouveau Tréguier. Tréguier jette le froc aux orties ; Tréguier se sécularise ; mais que Tréguier prenne garde, en se sécularisant, de ne pas trop se banaliser !…

— Bon ! me dit quelqu’un. On s’aperçoit bien que, pour parler de Tréguier, vous avez chaussé les lunettes de l’auteur des Souvenirs d’Enfance. Vous voyez Tréguier à travers Renan. Ce magicien du verbe a tout recouvert du tissu prestigieux de ses phrases, et Tréguier, à le lire, fut une ville qui tenait à la terre par des liens si légers qu’on pouvait s’attendre à les lui voir rompre d’un moment à l’autre… Ah ! ah ! laissez-moi rire !… Tréguier, le Lentriguet de Molière, dont le nom était synonyme, au XVIIe siècle, de bourgade arriérée, ridicule et badaude, Tréguier, qu’un de ses fils, contemporain de Renan, appelait Toullous, de deux mots bretons dont le premier veut dire trou et le second veut dire sale, Tréguier faisant concurrence à la Jérusalem céleste ! Il fallait être Renan pour tenter et « réussir » des paradoxes de ce calibre… Avez-vous lu, monsieur, les Mélanges de M. de Boisville ?

Quelque peu décontenancé par cette virulente apostrophe, je confessai à mon interlocuteur que je n’avais pas lu le livre dont il me parlait et que c’était même la première fois que j’en entendais parler…

— Les Mélanges de M. de Boisville ont paru en 1870, me dit-il d’un ton de supériorité dédaigneuse qui ne put qu’aggraver ma confusion. Les éditeurs en étaient MM.  Lacroix et Verboeckhoven. Quant à M. de Boisville, je me suis laissé dire qu’il n’était qu’un nom de guerre dont se couvrait défunt M. le vicomte de Kerguézec.

— C’est bien possible, concédai-je.

Mais mon interlocuteur ne trouva point la concession suffisante.

— Ce M. de Boisville ou de Kerguézec, continua-t-il d’une voix qui s’échauffait, avait le style preste, le mot vif, quelque judiciaire et, quoique vicomte, très peu de préjugés. Ruiné, pour vivre, il avait dû se faire « pion ». Cela se passait aux environs de 1848. La mort d’un oncle l’avait remis à flot. Il en profita pour rédiger ses souvenirs universitaires et brosser de sa ville natale le petit portrait que je recommandais tout à l’heure à votre attention…

Quel portrait. Seigneur ! Un bibliophile complaisant — l’espèce en est rare, mais elle existe, — me l’a mis récemment sous les yeux. Il est bien vrai que Tréguier y est appelé Toullous et, pour qu’aucune contusion ne subsiste, l’auteur a pris soin d’expliquer le mot dans une note.

« Toullous, ajoute-il, est une petite ville de 4000 âmes possédant une belle église gothique et un joli pont moderne. L’église fût bâtie, il y a cinq siècles environ, par les ancêtres des habitants actuels, aidés des aumônes recueillies dans les pays environnants et des offrandes apportés par les nombreux pèlerins. Aussi les habitants sont-ils, à juste titre, très fiers de leur église. Quant au pont, construit ces dernières années, les Toullousains en furent si émerveillés que le Conseil municipal voulut consacrer cet événement en faisant graver sur la première pierre l’inscription suivante : « Ce pont a été construit ici. » Ce ne fut qu’à grand peine que le maire parvint à empêcher cette manifestation de l’enthousiame populaire. »

Voilà qui n’est pas mal déjà et les Trégorrois sont bien arrangés dès ces premières lignes. Mais que dire des suivantes ? L’auteur, tout en s’excusant de cette classification, « qui a l’air de reporter le lecteur au moyen-âge », y divise les habitants de Toullous en trois catégories : la noblesse ; la bourgeoisie ; le peuple.

La noblesse est représentée par le comte de Kernétra — comme qui dirait M. de Beaunéant — et la baronne de Toulm… Je laisse, avec l’auteur, le reste du nom en blanc ; mais vous savez déjà que toul signifie « trou » et vous devinerez de quel trou il peut s’agir, quand je vous aurai dit que la devise de ces Toulm… était jusqu’à François Ier: « Toulm…, en avant ! » et qu’à cette époque, un ancêtre de la baronne ayant eu l’audace de dépasser le roi à la bataille de Marignan, François Ier lui cria : « Arrière, Toulm… ! Je passe le premier. » Ce qui eut l’avantage de remettre les choses en leur place naturelle et de modifier la devise de la famille, devenue à partir de cette mémorable injonction : « Arrière, Toulm… ! »

Il y a encore d’autres nobles à Toullous, les Kakatouec, les Pencallet, les Kerlichou, etc.

« Quelques-uns d’entre eux, dit l’auteur, qui ont attrapé quelques bribes du milliard des émigrés, se sont bâti des demeures dans le style moderne. Ceux-là ont chevaux et voitures, donnent un dîner tous les ans et un bal lorsqu’ils marient leurs enfants… Depuis 1830, la noblesse de Toullous se retranche dans sa fidélité, refusant les emplois et les fonctions de toute espèce. Elle professe un souverain mépris pour quiconque vit de son travail ou de son industrie. La chasse est à peu près sa seule occupation, »

Broyeur de lin chanté par Renan, vieux hobereau de Kermelle, pauvre comme Job, grand comme un pentyern des temps antiques, qui te reconnaîtrait à ce crayon dérisoire ? Et, si la noblesse de Toullous est étrillée de la sorte par un de ses représentants les mieux qualifiés, ce n’est pas que la bourgeoisie et le peuple aient trouvé grâce devant lui. La bourgeoisie ? Un ramassis de jaloux. Le peuple ? Des paresseux, des mendiants, des voleurs, côté des hommes ; des « prostituées », côté des femmes.

« Ajoutez à cela l’ivrognerie pour les hommes comme pour les femmes, continue notre auteur, et vous aurez une idée du peuple de Toullous. La confession est l’éponge que l’on passe sur ces ordures. L’opération faite, ils se croient parfaitement nettoyés et leur conscience est en repos jusqu’à nouvel ordre. »

Car les Toullousains sont très dévots. Ce qui nous paraîtrait une atténuation est une aggravation aux yeux de M de Boisville, lequel n’est pas plus tendre pour les clercs que pour les laïcs. Mon Dieu ! qu’il se moque agréablement des nonnes, des confesseurs, des sermonnaires de Toullous ! L’un de ceux ci, qui avait conquis par son éloquence les bonnes grâces d’une grande dame de la ville, en devait recevoir un calice magnifique auquel était joint ce billet : « En vous en servant, pensez à moi. » Par malheur, le mari de la dame ouvrit la boîte qui contenait le calice avant qu’elle ne fût parvenue à destination.

« Frappé d’une inspiration qui ne venait certes pas d’en haut, dit M. de Boisville, il substitua au calice l’instrument que redoutait si fort M. de Pourceaugnac, remit le billet à sa place et ferma la boîte de façon qu’on ne pût s’apercevoir de rien. »

L’anecdote a son prix. Elle eût ravi Armand Silvestre. Mais qui se fût avisé d’en placer la scène dans la patrie adoptive de saint Tugdual ! Hélas ! M. de Boisville ne respecte rien, ni les institutions, ni les hommes, ni les bancs d’huîtres de son municipe natal. Tréguier est pour lui la dernière ville du monde, la plus sale, la plus bête, la plus encroûtée de superstition qui soit…

Ô le Tréguier de Renan, avec sa cathédrale, chef-d’œuvre de légèreté, fol essai pour réaliser en granit un idéal impossible, avec les hauts murs de ses communautés religieuses, son atmosphère de spiritualité, ses sonneries aériennes, les chevaliers et les dames de ses enfeux, dormant leur levrette à leurs pieds et un grand flambeau de pierre à la main…

Ô le Tréguier de nos illusions !


II
BRIZEUX ET RENAN


Le même jour, à la même heure, sur deux points de la Bretagne, on honora cette semaine deux écrivains célèbres : Auguste Brizeux et Ernest Renan.

Les fêtes de Brizeux furent toutes littéraires : leur organisateur, M. René Saïb, s’était arrangé pour que la fâcheuse politique n’y montrât pas le plus petit bout de l’oreille. Il faut l’en féliciter. Les Bleus de Bretagne, qui prirent, l’an passé, l’initiative d’élever un monument à l’auteur de la Vie de Jésus, ne se sont point imposé la même réserve : ils ont convoqué autour de l’effigie de ce parfait réactionnaire tout le ban et l’arrière ban du radicalisme ; ils ont ravalé ce grand dilettante aux proportions misérables d’un anticlérical de chef-lieu de canton ; ils ont biffé de son œuvre les pages les plus parfaites et de préférence celles où il rendait hommage aux « maîtres exquis » de sa jeunesse, aux « excellents prêtres » qui lui « apprirent l’amour de la vérité, le sérieux de la vie », et n’en ont retenu que les plus douteuses, celles qui flattaient leur grossier sectarisme, leur haine de la pensée catholique, traditionnelle et française. Ansi l’introduction de l’esprit de parti dans une manifestation qui pouvait si aisément s’en priver aura eu pour premier effet d’écarter de Tréguier bien des admirateurs de l’illustre écrivain, soucieux de ne pas compromettre le respect qu’ils gardent à sa mémoire dans la gogaille d’une kermesse athéiste et jacobine…

Il y a, dans le Livre d’Or de Renan, une phrase que j’ai notée au passage et qui termine la lettre d’adhésion de mon vieil ami Félix Le Dantec, l’éminent professeur en Sorbonne :

« On ne pouvait approcher Renan sans l’aimer. »

Comme Le Dantec a raison ! Oui, tous ceux qui eurent l’honneur d’approcher Renan, même ceux qui, comme moi, ne se satisfaisaient plus de son pyrrhonisme et aspiraient déjà vers un renouveau intérieur, tous subirent sa séduction. Il n’y avait pas chez lui l’ombre de pose. Tandis que Victor Hugo, grisé par l’encens un peu grossier que ses disciples faisaient fumer devant lui, se figeait dans une attitude hiératique et n’était pas loin de se considérer comme le nombril du monde, Renan, au plein de sa célébrité, gardait sa bonhomie souriante, son inaltérable sérénité de cœur et d’esprit.

Il faut l’avoir vu dans ses appartements du Collège de France, mais surtout à Rosmaphamon, dans la gracieuse villa où il passait les mois d’été avec son admirable compagne, la fille du peintre Henri Scheffer, entouré de ses enfants et de ses petits-enfants ! Quelle cordialité était la sienne ! Comme il vous mettait tout de suite à l’aise ! Comme il s’en faisait peu accroire et aux autres ! Comme on sentait chez lui ce détachement supérieur, cette absence de vanité, qui conviennent à un vrai philosophe ! Jamais homme ne fut moins atteint de cette hypertrophie du « moi », qui fut la maladie de tant de nos contemporains illustres, et de Hugo tout le premier. Non seulement il supportait qu’on ne l’accablât point de compliments, mais il permettait qu’on ne fût pas de son avis ; il se donnait la peine de discuter avec les plus obscurs, les plus humbles de ses contradicteurs.

Que de fois, par exemple, mon bon Maître, vous ai-je fait endêver, comme on disait dans l’ancienne langue, par mon admiration pour Michelet ! Vous ne l’aimiez guère, ce Michelet d’une sensibilité si profonde et si anarchique tout ensemble, mais dont à cette époque, avec mes yeux de vingt ans, je ne voyais que la magnifique puissance d’expression.

— Oh ! L’Oiseau ! La Mer ! vous disais-je. La Mer surtout !

Et, avec ce sourire indulgent et comme teinté d’ironie que nous connaissions bien, vous me répondiez :

— Euh ! Euh ! La Mer, oui, sans doute… Mais êtes-vous sûr que La Mer soit de Michelet ?

— Dame ! Monsieur Renan…

— C’est que… il me semble bien… Je ne serais pas surpris que La Mer fût plutôt de Mme Michelet…

Ce plutôt n’était-il pas exquis ? La conversation de Renan était pleine de ces trouvailles. Elles nous ravissaient. Je suis trop jeune pour avoir connu Brizeux, qui était lui aussi, dit-on, un causeur délicieux. Mais j’ai assistée à l’inauguration de sa statue et justement en compagnie, à côté de Renan.

Le joli voyage que ce fut ! Je me souviens encore de cette échappée en Morbihan, de l’Ellé, de l’Izole et des vallées d’églogue, toutes roucoulantes d’appels de ramiers, et des petites paysannes de Baud et de Plouvignier qui s’en retournaient de la messe dans leur justin noir et bleu et s’arrêtaient pour regarder passer le train et nous crier à travers les barrages : dehueh mad, le bonjour de là-bas. Brizeux fut fêté en prose et en vers, mais par personne mieux que par Renan. Son discours, d’une sobriété tout attique, était la grâce et le charme mêmes.

Y dit-il nonobstant toute sa pensée sur l’auteur de Marie ? J’ai de bonnes raisons pour penser le contraire. La veille du départ de Renan pour les fêtes, je déjeunais à Rosmaphamon. On vint à parler de Brizeux, et quelqu’un demanda au maître s’il avait trouvé beaucoup à louer dans l’œuvre de son compatriote. Il sourit d’abord, puis répondit, comme c’était sa manière, par une parabole :

— Au paradis, dit-il, où il existe pourtant une hiérarchie des bienheureux et où Paul n’est point l’égal de Pierre, qui, lui-même, n’est point l’égal de Joseph, il y a un jour dans l’année où chacun des saints, si humble que soit son rang, est honoré et glorifié pardessus tous les autres, et c’est le jour de sa fête. Que l’exemple nous serve ! Puisque c’est Brizeux que nous fêtons dimanche, il n’y aura, ce jour-là, de palmes et d’hosannahs que pour Brizeux…

La conversation suivit son cours. Comme un autre convive venait de dire de Brizeux :

— C’est un poète d’anthologie.

— Vous avez raison, répliqua Renan. Son œuvre est loin d’être parfaite ; mais elle contient de beaux fragments. Brizeux, comme M. Thiers, (avec qui, du reste, c’est sa seule parenté,) fut un écrivain de transition. Sa langue en a gardé quelque trouble : elle n’est ni classique ni romantique franchement. Thiers savait bien qu’il péchait par là, lui aussi. Mais, comme on lui signalait, dans son Histoire, les corrections à faire, il s’y refusait et peut-être avait-il raison. Les corrections littéraires, quelle vanité !…

Renan n’est plus et, par une rencontre singulière, voici qu’on inaugure sa statue à Tréguier le jour même où l’on célèbre à Lorient le centenaire de la naissance de Brizeux. Deux saints à chômer à la fois, c’est peut-être beaucoup et l’illustre auteur de l’Avenir de la Science n’avait pas prévu le cas dans ses entretiens de Rosmaphamon. Il est vrai qu’il y a bien d’autres choses qu’il n’avait pas prévues, et quand ce ne serait que les accents de l’Internationale et la présence de M. Combes à l’inauguration de son monument…


III
Le « Bonhomme Système »


Toute une rumeur de souvenirs s’est éveillée autour de la statue de Renan (Cf., entre beaucoup d’autres, les articles de M. Philippe Berger, dans la Revue des Revues, et de M. Michel Bréal, dans la Revue de Paris.) Excellentes contributions à l’histoire de son esprit. Mais une enquête diligente, impersonnelle, bref un bon reportage sur ses origines, son milieu de formation, son enfance, etc., voilà ce qui manquait et que nous a donné M. René d’Ys — pseudonyme du journaliste breton Théophile Janvrais. L’auteur de Renan en Bretagne a volontairement restreint le cercle de ses recherches et ce cercle est encore trop vaste, puisqu’il n’a pu le remplir qu’à moitié. En fait, du Renan que nous présente M. d’Ys, il n’y a de vraiment inédit que le Renan écolier. Ajoutez-y le curieux chapitre sur les ancêtres paternels de Renan ; avec beaucoup de flair, de sagacité, M. d’Ys est parvenu à reconstituer l’arbre généalogique du grand écrivain. Il a pu remonter jusqu’à Jean Renan, ménager à Plourivo, qui vivait dans la seconde moitié du dix-septième siècle. Du côté maternel ses recherches n’ont pas été aussi heureuses ; tout ce qu’il nous dit de la mère de Renan, on le savait déjà, qu’elle s’appelait Madeleine Féger, qu’elle était fille d’un capitaine au long cours de Bordeaux, établi à Lannion et marié à une Cardillan.

Le berceau de la famille Renan — autre découverte de M. d’Ys — n’est point ce manoir de Kerambellec ou Meskambellec dont il est parlé dans les Souvenirs d’enfance. Aussi bien le grand écrivain nous avait mis en garde contre lui-même : « J’ai changé plusieurs noms propres, dit-il. D’autres fois, au moyen d’interversions légères de temps et de lieu, j’ai dépisté toutes les identifications possibles que l’on pourrait établir. » Le manoir patrimonial des Renan s’appelait Keruzec ou Kerauzec, en Traou-Dû[24], sur la rive droite du Trieux. Sur ce point, après les recherches de M. d’Ys, les hésitations ne sont plus permises. Encore eût-il été bon d’ajouter qu’il y a un manoir de Kerambellec en Plourivo et que Kerambellec, Kerno et Kerhuel étaient les trois maisons nobles de la paroisse.

Petite chicane. Là du moins M. d’Ys donne des preuves, établit ses références. On le voudrait toujours aussi scrupuleux. Quand il emprunte à un auteur, que ne cite-t-il l’auteur ou que ne recourt-il à la précaution des guillemets[25] ? Page 94, une hagiographie moins sommaire lui aurait appris à distinguer entre Saint-Yves-de-Vérité et Saint-Yves-du-Minihy ; la chapelle « mystérieuse » dont parle Renan était située en Trédarzec, sur la rive droite du Trieux, en face de Tréguier. On y vouait et, sur son placitre rasé jusqu’aux fondements, on continue de vouer au redoutable saint les personnages qu’on souhaite voir mourir dans l’année[26].

Les notes publiées par l’auteur sur les maîtres et les condisciples de Renan seront consultées avec profit. De même la page curieuse[27] où il a rassemblé toutes les célébrités du pavé trégorrois aux environs de 1830, depuis le fou Briand et la vieille mendiante Tognez-ar-C’horn jusqu’au pasteur de porcs Henry Doguen, que les élèves saluaient invariablement au passage du cliché : margaritas ante porcos.

Mais voici une grosse lacune : quand les comparses sont si bien traités, sur les grands protagonistes des Souvenirs d’enfance : le bonhomme Système, Noémi[28], le Broyeur de lin, etc., M. d’Ys ne trouve pas un mot. Oui était-ce, Noémi ? J’ai entendu citer plusieurs noms. Et le Broyeur de lin ? Et le bonhomme Système ? Le bonhomme Système surtout !

Sur ce dernier, du moins, nous avons deux témoignages on ne peut plus concordants : l’un de Michelet, l’autre que j’ai recueilli, il y a une trentaine d’années, de la bouche d’un pharmacien trégorrois établi à Lannion, M. Soisbault. Le bonhomme Système s’appelait Le Duigou. Ce qui n’empêche pas Renan d’écrire : « Je n’ai jamais su son nom, et même je crois que personne ne le savait. » Si fait. Mais laissons la parole à Michelet. Le passage qui suit est tiré de son Histoire de France :

« Moi-même j’ai vu à Tréguier le vieux M. D… (qu’ils ne connaissent que sous le nom de M. Système). Au milieu de cinq ou six mille volumes dépareillés, le pauvre vieillard, seul, couché sur une chaise séculaire, sans soin filial, sans famille, se mourait de la fièvre entre une grammaire irlandaise et une grammaire hébraïque. Il se ranima pour me déclamer quelques vers bretons sur un rythme emphatique et monotone, qui pourtant n’était pas sans charme. Je ne pus voir sans compassion ce représentant de la nationalité celtique, ce défenseur expirant d’une langue et d’une poésie expirantes. »

On aura remarqué que, dans ce premier texte qui date de 1833, Le Duigou n’est désigné que par son initiale. Mais, en 1886, Mme Michelet, sollicitée de publier à part le Tableau de la France, au lieu de se borner à la réimpression pure et simple du texte de 1833, s’avisa de « l’étendre » et de « le compléter » à l’aide des « matériaux laissés par M. Michelet dans ses cartons ». Le passage relatif au bonhomme Système subit de ce fait quelques retouches importantes dont on va pouvoir juger :

« Moi-même j’ai vu à Tréguier le savant ami de Le Brigant, le vieux M. Duigon (sic), qu’ils ne connaissent que sous le nom de M. Système, au milieu de cinq ou six volumes dépareillés, — tout ce qui restait sans doute de sa librairie, — gisant à terre pêle-mêle avec des oignons, dans un désordre aussi pittoresque qu’eût pu le souhaiter Walter Scott. L’homme était lui-même la plus curieuse antiquité que j’aie rencontrée en Bretagne. Le pauvre vieillard, seul, couché sur une chaise séculaire, sans soin filial, sans famille, se mourait de la fièvre entre une grammaire irlandaise et une grammaire hébraïque. Il se ranima pour me déclamer quelques vers bretons sur un rythme emphatique et monotone qui pourtant n’était pas sans charme. Je ne pus voir, sans compassion profonde, ce représentant de la nationalité celtique, ce défenseur expirant d’une langue et d’une poésie expirantes. »

Le texte no 2 diffère sensiblement, comme on voit, du texte no 1. Les cinq ou six mille volumes sont réduits à cinq ou six, et il peut n’y avoir là chez Mme Michelet, qu’une erreur, un oubli de copiste. Mais d’autres traits sont visiblement de Michelet lui-même : la « librairie », les « oignons », le « savant ami de Le Brigant ». Enfin les trois points qui suivaient l’initiale ont disparu et nous avons cette fois le nom en entier, mais légèrement estropié : Duigon.

C’est Le Duigou qu’il faut lire. On sait comme en manuscrit l’n et l’u présentent de ressemblance[29]. On sait aussi qu’en Bretagne la suppression de l’article prénominal est très fréquente dans le langage courant ; de plus Duigou ou Le Duigou est un nom de famille très répandu dans la région trégorroise. Il « figure, dit M. Kerviler (Bio-Biographie bretonne), aux réf. de l’évêché de Tréguier au quinzième siècle avec blason d’or à trois trèfles de gueules. » De Duigon, au contraire, nulle mention chez M. Kerviler, ni dans les actes de l’état-civil. La présomption est donc en faveur de l’orthographe en u. Et, d’ailleurs, j’ai une autre raison pour adopter cette orthographe. La réimpression de Mme Michelet est, je l’ai dit, de 1886 ; or c’est en 1878 ou 1879 que M. Soisbault m’a parlé pour la première fois de Duigou. Il me dit que ce Duigou, qui tenait un petit cabinet de lecture à Tréguier, passait communément dans le peuple pour sorcier et que cette réputation avait bien pu lui venir du « commerce des masques qu’il avait inauguré dans le pays ». M. Soisbault avait connu personnellement Duigou, mais il ne connaissait point la date de sa mort. Renan place cette mort « après 1830 ». Et cela aussi est assez vague. Mais, en nous reportant à Michelet, nous voyons que le bonhomme était un ami de Le Brigant, célèbre lui-même par l’amitié qui l’unissait à La Tour d’Auvergne. Duigou, Le Brigant, La Tour d’Auvergne, passionnés tous trois de celtisme, avaient du moins ceci de commun avec le personnage des Souvenirs d’enfance que c’étaient comme lui des purs, des « patriotes » et, sinon des territoristes, certainement des jacobins. On conçoit dès lors l’espèce de réprobation qui devait peser sur le bonhomme Système. Renan, sur ce point, n’a pas eu besoin de lui donner « le coup de pouce ».

Mais pourquoi Michelet appelle-t-il Duigou le « savant ami de Le Brigant » ? Ami de le Brigant, il le fut de toute évidence. Voici qui le prouve. Parlant des dernières années de Le Brigant, Guillaume Le Jean, dans la Biographie bretonne (1857), dit en propres termes :

« Retiré à Tréguier, il s’occupait d’études minéralogiques dans le riche bassin du Jaudy et travaillait à des traductions bretonnes. Il venait de terminer celle de l’Enfant prodigue, qui parut plus tard dans les Mémoires de l’Académie celtique, quand la mort le surprit (3 févier 1804) dans les bras de son ami D…, dont Michelet nous parle en des termes singulièrement touchants. »

D…, sans aucun doute, est ici pour Duigou. Reste à expliquer le mot « savant ». Or, non seulement Duigou ne publia aucun livre, mais aucun des articles publiés dans la collection des Mémoires de l’Académie celtique, où collaboraient Johanneau, Le Gonidec et Le Brigant lui-même, ne porte le nom de Duigou. Qu’est-ce à dire et Michelet s’est-il trompé ? La clef du mystère, c’est encore Guillaume Le Jean qui nous la donnera, page 292 de son livre : La Bretagne, son histoire, et ses historiens (Nantes et Paris 1850).

« Le Brigant, dit Guillaume Le Jean, eut ses sectateurs, ses amis, ses séïdes. Nous pourrions citer M. D… (de Tréguier), ce vieillard vénérable dont Michelet nous a peint si heureusement la verte et touchante décadence. Il était disciple du Pontrivien ; il était en outre son ami intime ; il étudiait prodigieusement et n’écrivait pas. On le nommait M. Système[30]. »

Une dernière pièce — décisive — manquait à mon dossier : elle m’est apportée par M. François Gélard, esprit sagace et poète du talent le plus délicat, qui voulut bien dépouiller pour moi les registres de l’état-civil de Tréguier et y releva, à la date du 22 novembre 1838, l’acte mortuaire dont je donne copie ci dessous[31] :

« Mairie de Tréguier. — Du vingt-deuxième jour du mois de novembre an mil huit cent trente-huit, à onze heures du matin, acte de décès de Louis Marie Le Duigou, né à Guingamp, âgé de cinquante-six ans, profession de marchand, domicilié à Tréguier, décédé le vingt-et-un novembre mil huit cent trente-huit, à Tréguier, à onze heures du soir, fils de défunts Joseph et Jacquemine Baudry du Coudrai. — La déclaration du décès a été faite par Julien Bodiou, infirmier à l’Hôtel-Dieu, âgé de quarante deux ans, qui a déclaré être aux soins du défunt, et par François Le Crenn, marin, âgé de quarante-six ans, qui a déclaré être voisin du défunt. — Lecture donnée de ce que dessus, les comparans et les témoins ont déclaré ne savoir signer. — Constaté, suivant la loi, par moi, Bidamant, adjoint délégué. — Signé : Bidamant adjoint délégué. »

À la copie de cet acte de décès étaient jointes quelques observations critiques de M. Gélard qui ne laissent plus subsister le moindre doute sur l’identité de Le Duigou et du bonhomme Système ; il n’y a pas en effet d’autre Duigon, Duigou ou Le Duigou inscrit sur les registres de l’état-civil de Tréguier de 1800 à 1850. Renan fait mourir le bonhomme Système « après 1830 » : Louis-Marie Le Duigou mourut en 1838. Renan dit que le bonhomme Système « n’était pas du pays et n’avait aucune famille » : Louis-Marie Le Duigou était né à Guingamp et vécut célibataire. La profession prêtée au bonhomme par Renan et Michelet concorde aussi avec celle que lui donne l’état-civil. Cependant Le Duigou ne fut pas trouvé mort au matin, comme le dit Renan, « dans sa pauvre chambre, au milieu de ses livres empilés » : il trépassa une nuit de novembre, dans un lit d’hôpital, ainsi qu’il convient à un poète et à un philosophe[32].

Nous en savons assez maintenant, je pense, pour pouvoir reconstituer les grands traits de cette existence mystérieuse et solitaire qui eut l’heur inespéré de réconcilier autour de sa mémoire deux des plus beaux génies du XIXe siècle et les moins assortis qui fussent, aussi éloignés par leurs méthodes intellectuelles que par leurs caractères et leurs goûts.

Louis-Marie Le Duigou, né à Guingamp le 11 avril 1782, d’une famille de petite noblesse de l’évéché de Tréguier qui portait d’or à trois trèfles de gueules, était fils légitime de Joseph Le Duigou, originaire de la paroisse de Pestivien, et de Jacqueline Baudry du Coudrai, originaire de la paroisse de Saint-Jean de Lamballe. Il avait sept ans à l’époque de la Révolution, onze ans en 1793, et ne put donc être le « vieux terroriste » que « se figurait » voir la mère de Renan. On ne sait à la suite de quels évènements il s’était fixé à Tréguier, où il se lia d’amitié avec Le Brigant, qui mourut « dans ses bras » le 3 pluviôse an XIII (3 février 1804). Il avait à cette époque vingt-deux ans ; Le Brigant en avait quatre-vingt-quatre. Après une carrière prodigieusement agitée, le célèbre Pontrivien, qui « avait donné tous ses enfants à la patrie » et qui était à peu près sans ressources, s’était lui-même retiré à Tréguier où il faisait alterner les études de minéralogie avec les études celtiques et les traductions bretonnes. La vieillesse ne lui avait rien ôté de son enthousiasme, et sa foi zélatrice s’était communiquée à son entourage. Au nombre et au premier rang de ses « sectateurs », pour parler comme Guillaume Le Jean, se trouvait Louis-Marie Le Duigou. Le Brigant n’eut pas de plus fervent ni de plus fidèle disciple. À la mort du Pontrivien, ses manuscrits et sa bibliothèque, qui devait être assez « considérable », furent dispersés à tous vents : M. de Kergariou et M. Le Bizec, « sacristain de Tréguier et éditeur de musique », en acquirent une partie ; une autre partie fut acquise aux collections publiques de la ville de Saint-Brieuc[33]. Il n’est pas défendu de croire que Le Duigou bénéficia du reste qui lui servit plus tard à monter son « cabinet de lecture ». Dans l’héritage du Pontrivien se trouvait peut-être aussi le bouquet dont a parlé Renan, souvenir de la fête de prairial an II, qu’on découvrit, après le décès du bonhomme, dans un coin de sa commode, « soigneusement enveloppé ». Mais le plus précieux héritage du maître fut sa pensée. Le Duigou, à la mort de Le Brigant, fit sien son «  système ». Il l’adopta de toutes pièces, témoignant ainsi de plus de patriotisme que de sens critique. Le « système Le Brigant », dont Voltaire et les encyclopédistes firent de si belles gorges chaudes, n’allait à rien moins, on le sait, qu’à dériver toutes les langues de la langue bretonne, cette « Palmyre des idiomes déchus ». Comme Le Duigou avait toujours à la bouche ce mot de système, on le lui donna pour sobriquet. Il était fort érudit, mais d’une érudition probablement assez trouble, comme celle de son maître qui mêlait toutes les notions et toutes les grammaires, l’hébreu et l’irlandais, le polynésien et le patagon. Il n’écrivait pas ou, du moins, on ne connaît de lui aucun ouvrage, aucun manuscrit. Ses ressources devaient être modestes, puisqu’il ouvrit pour vivre, à Tréguier, un petit cabinet de lecture. Ce cabinet manquait évidemment d’orthodoxie. Le Duigou n’avait pas pris à La Tour d’Auvergne et à Le Brigant que leurs théories linguistiques, mais encore leur nuageux philosophisme. Il acheva de se rendre suspect au clergé local en annexant à sa librairie « un commerce de masques ». À Tréguier et sous la Restauration, un tel commerce, en effet, devait sentir le fagot. Avec les livres et les masques, Le Duigou tenait sans doute plusieurs autres articles à bon marché, comme il s’en débite dans ces petits bazars hétéroclites de province, et peut-être de l’épicerie, des fruits, des légumes, ce qui explique les fameux « oignons » remarqués par Michelet. La révolution de Juillet, si elle éveilla un moment ses espérances, ne put que l’enfoncer un peu plus par la suite dans son hypocondrie. Encore a-t-on peine à comprendre qu’il ait paru si vieux à Mme Renan mère et à Michelet lui-même. Peut-être lui arriva-t-il comme à ce héros de Balzac qui « avait eu quarante ans de bonne heure » et n’avait pas eu la prudence de s’y tenir. Sa figure, son air étaient plus antiques que son état-civil. Les épreuves morales et la pauvreté avaient déteint sur lui. Célibataire, sans famille et sans amis, il se mourait lentement de la fièvre dans sa boutique solitaire. Ce fut là que Michelet le vit. Il se ranima pour déclamer au grand historien « quelques vers bretons sur un rythme emphatique et monotone ». Nous ne connaissons point la date de la visite de Michelet. Elle fut antérieure, de toute façon, à la publication de son Histoire qui est de 1833. Le Duigou devait se traîner encore pendant cinq ans. Vraisemblablement une sénilité précoce, ajoutée à la fièvre qui le minait, l’empêcha de continuer jusqu’au bout son commerce, puisque c’est à l’hospice public qu’il trépassa dans la nuit du 21 novembre 1838. Il n’avait que cinquante-six ans.

Renan, comme on voit, tout en respectant l’essentiel du bonhomme, n’a pas laissé que de négliger ou de corriger certains traits de sa physionomie, curieux assurément, mais qui avaient l’inconvénient de déranger l’image qu’il s’en était formée. On retrouve là cette manière délicate et choisie, cet art des nuances et des demi-teintes où excellait l’illustre auteur des Souvenirs d’enfance et qui donne à ses évocations du passé un charme si vaporeux. Et l’on y peut saisir aussi sur le vif, dans leur application à un personnage contemporain, les procédés ordinaires de cet idéalisme enveloppant et subtil, dont les douces « sollicitations », les déformations insensibles, ont plus fait pour l’évolution des personnages sacrés de notre histoire religieuse que toute la critique négative du XVIIIe siècle : Renan n’a pas agi autrement avec Jésus, le roi David et saint Paul qu’avec le bonhomme Système.




LA RÉSIGNATION BRETONNE




À Augustin Hamon.

Au cours des débats parlementaires sur le régime appliqué aux marins bretons dans les pêches de Terre-Neuve et d’Islande[34], l’amiral Bienaimé a dit une forte parole :

« Ces gens-là sont des silencieux. Ils ne savent pas se plaindre. »

La remarque n’est point nouvelle ; mais elle empruntait une valeur particulière des circonstances et de l’endroit où elle était faite et qui n’est point consacré à Harpocrate. On arme pour l’Islande et Terre-Neuve ailleurs qu’en Bretagne : il n’est qu’en Bretagne qu’on traite les marins moruyers avec ce sans-gène, ce mépris de l’hygiène et de la sécurité dont M. Guernier et l’amiral Bienaimé, malgré la richesse de leur documentation, n’ont pu donner à leur auditoire qu’un faible aperçu. À Dunkerque, à Fécamp, les chambres de commerce et l’armement lui-même n’ont pas cessé de se préoccuper des améliorations à apporter au régime des pêches et à la condition des pêcheurs. Les réclamations des intéressés, aussi souvent qu’elles étaient justifiées, furent toujours entendues. Flamands et Normands ont le verbe haut à la vérité ; ils « savent se plaindre » et même, à l’occasion, menacer.

Le Breton, lui, se tait, et son silence est interprété pour une acceptation.

Acceptation ? Non, mais résignation, soumission — provisoire — à un ordre de choses que sa naïveté lui fait prendre pour une fatalité économique. La nuance est appréciable. Le Breton ne lutte jamais contre la fatalité. Que cet esprit de résignation soit inné en lui ou qu’il lui vienne d’un long commerce avec la mer et du sentiment de son impuissance devant les obscures et irrésistibles forces naturelles, le fait est qu’il ne récrimine pas, ne se révolte pas, s’incline, se tait, dès qu’il croit être en présence de l’inévitable.

Ouz ar red…
N’euz nemet kouci a greiz redek.

« Contre la nécessité (rien à tenter) ; il faut tomber au milieu de la course ».

Cette résignation-là ressemble fort, je le concède, au fatalisme musulman. Elle a trouvé dans un catholicisme primitif, mal dégagé du vieux naturalisme celtique, le terrain le plus propre à son épanouissement. Peut-être que le nom qui conviendrait le mieux à ce catholicisme serait celui de paganisme chrétien. Telle est bien encore la religion du paysan et du marin bretons[35]. Dans un délicieux recueil de nouvelles qui vient de paraître : Sous le ciel gris, de M. Simon Davaugour, le héros d’une des nouvelles, surpris par une rafale du sud-ouest en traversant le bourg de Penvénan, est entré chez un vieux Breton qui lui a montré un escabeau près du foyer et lui a dit simplement : « Tu es trempé comme un goémon. Approche et sèche tes hardes à ce feu de planches ». Le vieux sort : son hôte reste seul devant le feu, « un grand feu, un immense feu, triomphal, absurde dans une bicoque pareille », un feu qui l’hallucine et où, à la longue, il finit par discerner un tas de choses merveilleuses et terrifiantes, des têtes sans dents, des orbites sans yeux, des bras qui se tordent, des chairs qui grésillent… Le vieux rentre dans l’intervalle avec une nouvelle brassée de planches pourries et, devant la pâleur de son hôte, il s’explique :

— Je n’avais point pensé à le dire… C’est moi le fossoyeur. Je n’aurais guère de feu, si mon métier ne me donnait du bois à volonté : les planches me viennent des morts que je déterre quand le temps est venu.

Sur quoi le voyageur, encore plus pâle, se hâte de prendre la porte et de déguerpir. Et l’on pourrait ne voir là qu’une fantaisie de lettré, un conte noir dans la manière d’Edgar Poe, si la plupart des récits populaires qui nous sont parvenus et jusqu’aux Vies des saints bretons n’étaient pleins d’aventures analogues. L’homme y apparaît le prisonnier des éléments ou, pour mieux dire, de la création entière ; il est, comme chez M. Simon Davaugour, le jouet du feu, des eaux, des bois, des pierres et des animaux eux-mêmes ; il éprouve comme il serait vain de résister à ces puissances occultes et démesurées. Un immense sortilège l’enveloppe. Pour qui connaît la race celtique et l’extraordinaire persistance de son être moral à travers les siècles, l’idée chrétienne du renoncement — si belle qu’elle soit — ne pouvait que fortifier les décourageantes conclusions de ce panthéisme extravagant, où tout est libre et agissant dans l’univers à l’exception de l’homme, seul déterminé.

Cette résignation à base de fatalisme s’exprime chez les Bretons par un monosyllabe dont je désespère de rendre les multiples et changeantes acceptions : ma !

Tantôt seul, tantôt accompagné d’ ou de aussi donc, tantôt sec comme un coup de trique et le plus souvent veule et traînant comme un soupir, ma est l’exclamation du dépit, de l’étonnement, de l’aigreur, du regret, de l’ennui et de bien d’autres sentiments encore, mais d’un ennui, d’un regret, d’une aigreur, d’un étonnement, d’un dépit qui connaîtraient leur impuissance et auraient commencé déjà à faire contre fortune bon cœur. Ma, chez les gens du Trégor surtout, revient à presque toutes les phrases ; il les ouvre et il les ferme. C’est le nitchevo breton. Il veut dire aussi bien : « Tant pis ! » que « Pas possible ! » ou « C’est bon ! » ou « Voyez-vous ça ! » ou « Ça m’est égal ! » Mais, sous toutes ces acceptions, il implique le même renoncement, la même abdication de l’individu devant la fatalité. J’ai connu dans mon enfance, au moulin de Capékerne, un valet de meunier qui ne faisait point d’autre réponse à ses maîtres. Il n’était point très dégourdi sans doute. On lui disait par plaisanterie :

— Jean-Marie, veux-tu aller voir, cette nuit, à Ploubezre, s’il n’a point poussé de nouvelles plumes au coq du clocher ?

Il répondait : « Ma ! » Et il allait. Celui-là, du premier coup, avait trouvé la formule du j’m’enfichisme universel…

Évidemment on peut oser beaucoup avec de pareilles gens et on ne s’en est pas fait faute. Trop d’intérêts et de tous les ordres se liguaient jusqu’à ces dernières années pour maintenir le Breton dans une sorte de demi-enfance, de minorité intellectuelle particulièrement favorable à son asservissement économique et social ; au lieu de faciliter ses communications avec le monde des vivants, on semblait prendre à tâche de le rejeter dans le passé le plus nébuleux. J’ai sous les yeux un Colloque français armoricain imprimé en 1893 et destiné « aux habitants de la campagne qui désirent apprendre le français »[36]. Et voici les étranges conversations qu’on y lit :

« Quand partîtes-vous de Paris ? — Il y a quinze jours. — Où était le roi ? — Il était à Versailles. — Peut-on voir dîner le roi ?… — Où étiez-vous l’été passé ? — J’étais de l’armée du duc de Vendôme… — De quelle étoffe voulez vous votre habit ? — De Berg-op-Zoom. C’est à présent la mode. — Combien le vendez-vous l’aune ? En voulez-vous un écu ? — Il vous coûtera trois livres dix sous. — Combien vaut ce cator ? — Il vaut une pistole. — Peignez ma perruque. — Dites au cocher qu’il mette les chevaux au carrosse. — La poste d’Angleterre n’est elle pas venue ? — Servante, faites mon lit et me donnez des draps blancs. — Que cherchez vous ? — Je cherche mon masque. — Que dites-vous de la Bretagne ? — C’est le plus beau pays du monde. — N’avons-nous pas ici de belles dames ? — Elles sont belles comme des anges. — Prenez garde, monsieur ! — De quoi, monsieur ? — De tomber dans leurs chaînes. — Je ne demanderais pas mieux. — Vous ne les romprez pas quand vous voudrez. — Monsieur, si j’y tombe, j’y veux mourir… »

Que cela est du dernier galant ! On ne parlait point autrement sous le grand roi et nous ne perdrions point à restaurer dans la conversation ce langage policé. Mais enfin c’est une entreprise un peu aventurée de donner ce langage pour celui des Français de la troisième République, les carrosses et la poste pour nos seuls moyens de locomotion, la livre, les pistoles et les écus pour des divisions de notre système monétaire, le drap de Berg-op-Zoom pour l’étoffe à la mode, les perruques et les masques pour des accessoires de la toilette moderne, la France pour une monarchie et le duc de Vendôme pour le généralissisme de nos armées. Il y a plusieurs manières de travailler à l’engourdissement cérébral d’un peuple, dont la moins originale ni la moins efficace n’est pas celle qui, sous couleur d’instruire, ne vise à imprégner l’esprit que de notions fausses et surannées…

L’extraordinaire est qu’ayant été si souvent la dupe de ses pseudo éducateurs, le Breton ait gardé la même loi candide dans les vertus de la lettre imprimée. « Le moyen de contester ce qui est moulé ? » dirait il volontiers avec le Clitidas des Amants magnifiques. Il ne paraît point soupçonner que le livre, l’article de journal, l’affiche électorale, même la complainte en méchants vers boiteux qu’il achète dans les foires, peuvent être empoisonnés ; sa noblesse native répugne à supposer le mensonge, surtout le mensonge intéressé, chez les personnes d’une condition sociale — et donc d’une instruction — supérieure à la sienne. L’éternel berné qu’il est, quand il comprend sa méprise, préfère, par pudeur, garder le silence, se résigner.

Tavomp, ha loskomp peb-unan
Da heuill he chanz war ar bed-man

« Taisons-nous et laissons chacun — suivre son destin en ce monde. » Qui parle ainsi ? Le chœur, interprète du sentiment public, dans un vieux drame sacré du XVIIe siècle (Sainte Tréphine et le roi Artur) qui met en scène des ouvriers maçons rossés par le très noble Kervoura. Les strophes précédentes avaient des grondements d’Internationale :

Que l’ouvrier repose, il est battu :
Qu’il travaille, il ne l’est pas moins.
Ces seigneurs, ils sont les fils du diable
Et nous les damnés de la terre[37]

On attendait, au refrain, un cri de révolte, de colère : « Taisons-nous », dit le chœur. Dernier mot de la philosophie bretonne ! Elle n’a pas changé depuis le XVIIe siècle et c’est bien là-dessus qu’on spécule en certains milieux. Nulle part, l’alcool aidant, l’exploitation de la pauvre bête humaine n’a été poussée aussi loin qu’à bord de certains navires islandais ou dans ces sècheries saint-pierraises, dont le personnel, âgé de 13 à 16 ans et recruté parmi les petits meurt-de-faim des Côtes-du-Nord, mangeait au même baquet, couchait sur la même litière et, pour six mois de labeur exténuant, sous le fouet des maîtres de grave, s’estimait heureux de rentrer au logis à la tête d’un pécule de quarante sous[38].

Si la mort est parmi les inévitables échéances qu’une telle race, de tout temps, envisagea sans frayeur et presque avec une secrète allégresse ou tout au moins une sorte de curiosité, d’attente passionnée de son inconnu, de ses revanches escomptées et certaines, il n’y a pas lieu, ce semble, de s’en étonner outre mesure. C’est la pensée de la mort qui fait le sel de la vie pour le Breton et je crois que, sans elle, il n’estimerait point que la vie valût d’être vécue. Le jour qu’il aura la certitude qu’on l’a encore leurré et que la mort ne lui réserve aucune revanche sera un jour fâcheux pour la société : par les explosions démagogiques de Brest, de Lorient et d’Hennebont on peut prendre un léger avant-goût des félicités qui nous sont promises ce jour-là. Les résignés d’hier se révéleront des insurgés à tous crins et découvriront enfin le fond de leur vraie nature, comprimé, étouffé par le sentiment de leur impuissance au cours des siècles…

Car les « silencieux », amiral, ne sont pas nécessairement des consentants. Et l’état normal du Celte, sa fonction véritable est la révolte. Rappelez-vous Pélasge, Abélard, Renan, Broussais, Lamennais et cet anarchiste de Chateaubriand.




CHARNIERS ET OSSUAIRES




À Félix Ollivier.


Il y a décidément, dans l’insistance de certains journaux à ressasser l’histoire du chef de Yan’Dargent, autre chose que du mauvais goût et, si un ecclésiastique n’avait été mêlé à cette histoire, tout donne à penser que le tapage aurait depuis longtemps pris fin[39].

L’embarras du procureur de Morlaix, qui voudrait bien poursuivre et qui n’ose, est fort significatif à cet égard : ce magistrat s’est épanché dans le sein des reporters et leur a confié qu’il était bien regrettable qu’aucun texte de loi ne permît d’atteindre le curé de Saint-Servais, mais que la justice était désarmée et ne pouvait raisonnablement assimiler à une violation de sépulture l’ouverture du cercueil de Yan’Dargent.

Qui sait lire entre les lignes sera tout de suite édifié par la déclaration du magistrat morlaisien : elle a l’ingénuité d’un aveu ; elle ramène à ses véritables proportions un fait-divers démesurément grossi par la passion anticléricale : elle n’en laisse subsister que le côté un peu macabre. Mais connaissez-vous des ouvertures de cercueil qui ne soient pas macabres ? Et, enfin, Saint-Servais est en France, mais il est surtout en Bretagne où la mort a ses traditions et ses rites qui ne sont point les traditions et les rites en usage à Pantin ou à Ménilmuche.

De fait rien ne ressemble moins à ce qu’on appelle sur les boulevards extérieurs « le champ des navets » qu’un cimetière de la campagne bretonne. Sous couleur d’hygiène, presque partout, au moins dans les villes, on a éloigné les morts des vivants : on les a relégués en de lointaines banlieues, leur voisinage infligeait de trop fortes secousses à nos nerfs de citadins et peut-être aussi qu’en consommant la séparation des deux ordres d’existence on espérait enlever au spiritualisme son meilleur argument sentimental.

Le programme ne s’est point exécuté aussi facilement en Bretagne où une séparation trop brusque n’eût pas manqué de rencontrer de grandes résistances : sans doute un certain nombre de vieux cimetières ont été désaffectés (Plestin, Plouha, Lesneven, Paimpol, Plouaret, etc), mais la plupart de nos petits bourgs bretons ont continué de vivre dans l’intimité des morts. Le cimetière qui fait couronne à l’église, cœur du village, y est comme une cité au milieu de la cité. Et c’est la cité définitive au milieu de la cité transitoire. Fief indivis de la race et son patrimoine le plus certain, vers elle convergent toutes les pensées et l’effort artistique des générations, rivalisant pour lui donner la splendeur qui convient aux manifestations de l’âme collective.

À Sizun, à Berven, à Lampaul, à Telgruc, à Plogonnec, à La Martyre, à Sainte-Marie-du-Ménéhom, etc., on pénètre dans le cimetière par de véritables arcs de triomphe ; à Saint-Thégonec, d’énormes piliers avec niches, pilastres, boules godronnées, surmontés de doubles lanternons et de croix, font un portique incomparable, digne des plus fastueux campi-santi, au champ de repos d’un village de 400 âmes. Et, dans ce champ même et dans ceux de Guimiliau, Quilinen, Saint-Jean-du Doigt, Runan, Gurunhuel, Pleubian, Loguivy, etc., que de merveilles accumulées ! Quelle entente de la décoration funèbre et des motifs les plus propres à composer une belle synthèse architecturale ! Peu ou point de ces mausolées prétentieux qui consacrent une mémoire individuelle et passagère ; mais d’humbles dalles, de petits tumulus anonymes cerclés de coquillages et de galets. Effacement volontaire, et qu’on voudrait voir imposé partout, pour ne pas contrarier l’élan, nuire à l’effet de la merveilleuse flore de granit épanouie sur le prosternement des tombes : fontaines miraculeuses aux vasques superposées, chaires à prêcher en plein vent, oratoires pour « le chemin de croix », calvaires qui déroulent sur leurs frises le drame entier de la Passion, porches ouvragés de la Renaissance, comme détachés de l’église et dont les stalles de pierre servaient jusqu’à la Révolution aux réunions des fabriques et des « assemblées syndicales à l’état de commun » !

Sous le porche de Trégastel, l’œil des notables, par une meurtrière, pouvait plonger dans l’intérieur d’un édicule en forme de rotonde où étaient, où sont encore entassés, pêle-mêle, des tibias, des fémurs, des vertèbres, des crânes. Karnel da lakat esquern an Pohl (charnier pour enfermer les ossements du populaire, lit-on, à Peneran, sur un édicule analogue.

Il s’agit bien en effet d’un charnier, d’un ossuaire, de proportions moins vastes que celui qui, à Paris même, jusqu’en 1780, alignait ses galeries à jour sur l’emplacement du square des Innocents. Et ces ossuaires, plus encore que les calvaires à personnages, les chaires en plein vent, les porches, les châteaux-d’eau, les oratoires, donnent aux cimetières bretons une physionomie d’un autre âge. Ciselés comme des châsses, dont ils reproduisent fréquemment la disposition extérieure, tantôt, comme à Lampaul, Pleyben, Braspartz, Guimiliau, Sizun, etc., ils sont indépendants de l’église et tantôt ils font corps avec elle Trégastel, Saint-Yvi, Plonéis, Guengat, Combrit) ou s’emboîtent dans le portique d’entrée Saint-Thégonnec, Penmarc’h). Et partout, sur les murs, les frises, les piliers, les frontons, courent des variantes latines, bretonnes, françaises, du fatidique hodie mihi, cras tibi :

Memento mori.
(Guimiliau)
Memento mori opt (ime).
(Sizun)
Respice finem.
(Guengat)

               Bonnes gens qui icy passez,
               Priez Dieu pour les trépassez[40]

(Trémaouezan, Ploudiry)

                              Hirio dime,
                              Varhoaz dide[41]

(Sibiril)

L’inscription mêle quelquefois les trois langues. À Saint-Thégonnec le plus vaste et le plus parfait ossuaire de la Bretagne, dit Léon Palustre, elle se déroule en grandes capitales romaines sur une frise de cinquante centimètres de haut :

CEST UNE BONNE ET SAINCTE PANSÉE DE PRIER POUR LES FIDELES TREPASSES. — REQVIESCANT IN PACE : AMEN. — HODIE MIHI CRAS TIBI. — O PECHEVRS REPANTEZ VOVS ESTANTS VIVANTS CAR A NOVS MORTS IL N’EST PLVS TEMPS — PRIEZ POVR NOVS TREPASSES CAR VN DE CES IOVRS AVSSl VOVS EN SEREZ — SOIEZ EN PAIX.

Émouvante prolixité ! À la Martyre, au-dessus de la porte, deux anges proposent à nos méditations ce quatrain en vers bretons aux rimes batelées (le dernier mot du vers rimant avec un mot placé à l’intérieur du vers suivant) :

An Maro, an Barn, an ifern ien
Pa ho soing den e tle crena.
Fol eo na preder esperet,
Gwelet ez eo ret decedi.

« La Mort, le Jugement, l’Enfer glacé, — tout homme qui y songe doit trembler. — C’est folie et imprévoyance d’espérer. — du moment qu’il faut mourir. »

À trois siècles de distance, ne croirait-on pas entendre un écho attardé de la terrible parole dantesque : Lascate ogni speranza ? Pour être plus laconique, l’inscription de l’ossuaire de la Roche-Maurice n’est pas plus rassurante : sous un squelette armé d’une flèche on lit : Je vous tue tous. Le même archer symbolique, à Landivisiau, s’écrie farouchement : Or ça, je suis le parrain de celuy qui fera fin. Et, à cet accent, comme aux attributs du squelette, nous reconnaissons la personnification bretonne de la Mort, le redoutable seigneur Ankou.

Tous les ossuaires bretons n’ont pas l’importance de celui de Saint-Thégonnec (1676), si majestueux avec ses pignons fleuronnés, ses colonnes de l’ordre corinthien, ses niches à coquille, les élégantes cariatides de son fronton, — et c’est que beaucoup de ces édifices, ni plus ni moins que les sacristies et les porches, sont de simples appendices de l’église. Mais il en est un certain nombre, nous l’avons vu, qui forment des monuments détachés, autonomes, de dimensions assez vastes pour répondre à leur double fin de reliquaires et de chapelles funéraires. On y dit effectivement la messe le jour des Morts. Le style de ces chapelles funéraires, placées en général sous le vocable de sainte Anne, n’est pas très varié sans doute et se ramène à trois ou quatre types essentiels ; cependant, à Guimiliau, voici, accolée au monument, une chaire extérieure dont nous n’avons point vu l’analogue ailleurs. À Roscoff, l’ossuaire, de style Louis XIII, aux deux étages d’arcatures reposant sur de robustes pilastres rectangulaires, présente cette originalité de n’avoir pas de porte : il fallait donc qu’on y glissât les ossements par les baies des arcatures. À la Roche-Maurice, à Landivisiau et à Ploudiry, il semble que la décoration extérieure ait emprunté certains éléments aux danses macabres du moyen âge : on ne s’expliquerait point autrement qu’un pape y voisinât avec un manant, une coquette avec un avocat. Egalité de tous les sexes, de tous les âges et de toutes les conditions devant la mort ! Mais à quelle pensée singulière obéit l’artiste qui, sur l’une des corniches de l’ossuaire Saint-Eutrope, à Pencran, figura le triomphe de Neptune et d’Amphitrite ? Prévoyait-il la laïcisation future de cet édifice, dont les hasards des liquidations judiciaires ont fait un bureau de tabac ? Et il est vrai que l’ossuaire Saint-Thomas, à Landerneau, n’a pas reçu une affectation moins réaliste : il est occupé par la famille d’un savetier. Celui de Daoulas est devenu une sacristie : de l’ossuaire de Penmarc’h, le plus ancien (1508) et l’un des plus gracieux du genre, il demeure seulement le pignon et les soubassements. Et il ne reste que le souvenir de l’ossuaire du Faou, qui gênait la voirie municipale, de l’ossuaire de Quimper (1514), qui avait pour auteur Guillaume Guenmoran[42], de l’ossuaire de Trébeurden, tombé, dès 1778, sous les anathèmes du recteur, l’abbé Nayrod, lequel ne trouva que cet expédient pour libérer ses ouailles de la sainte terreur où les plongeait le funèbre édifice. On y entendait chaque nuit des rumeurs étranges ; on y apercevait des lumières : rumeurs et lumières étaient le fait de fraudeurs éhontés qui avaient pris le charnier pour corps de garde…

À ces exceptions près, on peut dire que la plupart des ossuaires ont gardé en Bretagne leur destination primitive, et l’usage est encore qu’on y dépose les ossements des défunts. J’ai expliqué ailleurs[43] d’où venait la persistance de cet usage. Resserrés entre l’église et les bâtiments qui l’entourent, les petits cimetières bretons ne peuvent contenir qu’un nombre infime de caveaux. Il ne s’y fait point, ou rarement, de concessions perpétuelles, et ainsi, tous les cinq ans, il faut exhumer les anciens trépassés et donner leur place aux nouveaux. La dalle funéraire, en schiste ardoisé, qui recouvrait leur sépulture, est rendue à la famille et pieusement conservée par elle dans un endroit apparent du logis : on la pose quelquefois devant l’âtre, qui est resté chez les Bretons une manière d’autel domestique, ou à l’entrée de la maison, tout de suite après le seuil, pour que la première et la dernière pensée des hôtes soit orientée vers leur fin[44]. Les ossements mêmes des exhumés, les « reliques » (relegou), comme on les appelle par une pieuse assimilation aux ossements des martyrs, ne sont point enfouis immédiatement dans la fosse commune et reçoivent avant d’y être versés les honneurs de l’ossuaire[45]. La paroisse les y visite chaque dimanche ; une procession solennelle, le soir de la Toussaint, faille tour de l’édicule en chantant le gwerz pahétique :

Deomp dar garnel, Kristenien, guelomp ar relegou
Euz hon breudeur, c’hoarezet, hon tadou, hon mammou…

« Allons au charnier, chrétiens. Contemplons les reliques — de nos frères, sœurs, pères, mères… — Ici plus de noblesse, de richesse ni de beauté. — La mort et la terre ont tout confondu. — Eh bien, en ce lamentable état où vous voyez réduits les défunts, — leur silence parle plus haut que l’éloquence des vivants… »

Poignante mélopée, mais dont on n’éprouvera toute la puissance qu’en lui restituant son rude accent originel et, sous la blême clarté d’un après-midi de novembre, le farouche décor de ces charniers bretons pleins à déborder de débris humains !

Dans ces débris, en certaines localités, un choix est fait par les membres de la famille qui ont assisté aux exhumations : on ne verse à l’ossuaire que les ossement considérés comme « inférieurs » ; les crânes ou « chefs » sont mis à part et enfermés dans de petites châsses en bois blanc, moucheté de larmes noires, qu’on suspend aux murs ou qu’on aligne sur l’appui des fenêtres de l’ossuaire. Une ouverture en forme de cœur, découpée dans le ballant de la boîte, permet d’apercevoir le crâne du défunt, reconnaissable d’ailleurs à l’inscription du fronton : « Ci gît le chef de… (date de la naissance et de la mort). Requiescat in pace. Amen. »

Ploubazlanec, le pays de Pêcheurs d’Islande, possède un de ces ossuaires, tout moderne et pareil, avec ses rangées symétriques de petites châsses peintes, aux columbaria de la primitive église. Au centre de l’ossuaire s’ouvre un caveau pour recevoir les ossements tombés en poussière ou que personne n’a réclamés à leur exhumation. Mais la disposition funéraire la plus curieuse se voit incontestablement au cimetière de Saint-Pol-de-Léon, dont le mur d’enceinte est jalonné intérieurement de niches gothiques destinées à abriter sous leurs arcades les boîtes contenant les crânes des exhumés : ces niches sont comme autant d’ossuaires en miniature qui gravitent autour du magistral ossuaire à trois nefs, trois autels, six enfeux et six piscines, placé sous le vocable de saint Pierre et récemment désaffecté[46].

Tels sont les us d’outre-tombe en Bretagne. Et que ces us nous reportent en plein moyen-âge, qu’ils étonnent un peu les Parisiens du XXe siècle, je n’en disconviendrai point. L’essentiel est qu’on en puisse constater la survivance chez les Bretons et qu’ainsi M. Ernest Dargent, en faisant procéder à l’exhumation de son père et à la décollation de son « chef », se soit conformé aux pratiques encore existantes.

Il est possible par ailleurs et vu l’état du cadavre que l’opération ait présenté certaines difficultés. Mais est-ce la première fois que le cas se produit ? Et n’avez-vous point lu, chez M. Le Braz[47], l’histoire du fossoyeur Poaz-Coz, à qui le curé de Penvénan, pour faire place à un nouveau défunt, commanda d’exhumer le cadavre d’un certain Ropers, enterré depuis cinq ans et qui semblait avoir droit lui aussi aux honneurs de l’ossuaire ? Vainement Poaz-Coz représenta-t-il au curé que Ropers, gros et gras comme il l’était de son vivant, n’avait pas encore eu le temps de se décomposer. Il lui fallut obéir, et sa pioche, en heurtant le cadavre, l’éventra plus qu’à moitié. La nuit venue, notre homme, qui ne se sentait point la conscience tranquille, reçut la visite du mort :

— Vois, lui dit-il, en quel état tu m’as mis !

Poaz-Coz fut bien effrayé. Mais le défunt le rassura en lui promettant son pardon, s’il faisait célébrer une messe à son intention par le curé de Penvénan : Poaz promit et tint parole. Et il arriva ceci que, la messe célébrée, le curé qui avait mis trop de précipitation à faire exhumer le cadavre de Ropers fut frappé d’une attaque d’apoplexie et mourut quelques jours plus tard…

Nous sommes en Bretagne, vous dis-je.



DEUX DISCOURS[48]




I


UN ASSIMILÉ : GABRIEL VICAIRE


Mesdames et Messieurs.


Gabriel Vicaire n’est peut-être pas le premier qui ait senti de quelle efficacité serait pour notre poésie le retour à la tradition populaire, « source presque intarissable de rajeunissement ». Gérard de Nerval, avant lui, avait découvert cette Jouvence, mais il avait négligé d’en éprouver les vertus sur lui-même. On en concluait, un peu hâtivement, que l’épreuve était faite et qu’il y avait incompatibilité d’humeur entre l’âme populaire et notre littérature de mandarins.

Les Émaux bressans témoignèrent à quel point on se trompait[49]. Du premier coup, presque sans effort, Vicaire avait résolu ce problème, plus compliqué que celui de la quadrature du cercle, d’accorder dans ses vers la naïveté du sentiment avec l’observation étroite, scrupuleuse, des procédés de la technique moderne. On pouvait goûter chez lui, suivant l’expression de Jules Tellier, cette rare union de qualités qui ont coutume de s’exclure : le « faire » le plus subtil et la jeunesse de cœur la plus spontanée.

Grande fut la surprise du public. Plus grande encore celle des critiques, visiblement désorientés et qui commençaient à se demander si nous n’étions pas à la veille d’un renouveau poétique comme celui que marqua pour l’Allemagne, au déclin du XVIIIe siècle, la publication des chansons populaires de Percy et de Herder. Mais l’attitude de chef d’école, l’espèce d’hiérophantisme qu’elle implique nécessairement, répugnaient à notre ami. C’était le plus modeste en même temps que le plus malicieux des hommes : il avait horreur de la réclame, des formules et des manifestes. En compagnie de quelques bons camarades de lettres qui lui donnaient la réplique, d’un Blémont, d’un Bouchor, d’un Truffier, d’un Beauclair, d’un Frémine, d’un Gineste, d’un Quellien, il continua de mener, par les garennes et les sentes, le branle fleuri de ses chansons. Où elles passaient, l’air s’épurait : le joli ciel de France, masqué par les brumes pesantes du symbolisme, se dégageait comme par enchantement.

Il arriva que le caprice de sa muse le mena jusqu’en Bretagne. Je ne saurais l’oublier ici. Pour être franc, Vicaire n’était point sans inquiétude le jour qu’il pénétra, un peu par effraction, sur cette terre réservée de la Légende et de la Foi. Quel accueil l’Ancêtre aux cheveux gris, penchée sur ses sources miraculeuses, repliée dans son deuil millénaire, ménagerait-elle à ce poète de toute grâce et de toute légèreté ? N’allait-elle point crier au sacrilège ? À l’audacieux qui venait troubler le songe de son dernier soir ne répondrait-elle point, comme Renan jadis à un poète de combat : « Jeune homme, la Bretagne se meurt. Ne troublez point son agonie » ?

Messieurs, il y avait une vertu magique dans les vers de notre ami. Il parut, il chanta, et tout de suite la triste aïeule s’apprivoisa. Elle lui délégua son vieux saint national, Yves de-Vérité, que les Bretons nomment Ervoan Héloury, et messire saint Yves, en sa qualité d’avocat juré, s’acquitta fort bien de l’ambassade. Vous n’avez point oublié les paroles pleines d’onction qu’il fit entendre à Gabriel Vicaire :


Que tu viennes de France ou d’un monde inconnu,
Que tes pieds aient foulé la plaine ou la montagne,
Mon fils, je le salue au nom de la Bretagne :
Entre sur mon domaine et sois le bienvenu !

Nos genêts d’or, nos clairs ajoncs, nos blanches roses,
Si tu comprends leur âme, enchanteront tes yeux ;
Notre mer te dira le secret des aïeux ;
Ecoute-la parler ! Elle sait bien des choses…

Vois ! La sainte Bretagne a pour toi revêtu
Sa parure d’ajoncs, son manteau de bruyères.
Un esprit bienfaisant respire dans ces pierres :
De ces mille fleurs d’or s’exhale une vertu.


C’est un rêve d’argent qui bat le pied des roches ;
D’angéliques parfums s’élèvent du ravin ;
El, comme un frais écho du royaume divin.
Dans l’azur infini passe le chant des cloches.

Ô mon fils, c’est ici la terre de beauté,
C’est le pays d’amour où le soleil se couche.
Si quelque chant léger s’envole de ta bouche,
Qu’il soit fait d’innocence et de simplicité !


« Ainsi soit-il ! » répondit dévotement notre ami. Et ce ne fut point sur ses lèvres une vaine formule de politesse. Vicaire avait reçu le baptême breton ; saint Yves lui avait imposé les mains : il eut désormais deux petites patries, en plus de la grande, sa Bresse et la Bretagne. Il avait chanté la première dans les Émaux bressans ; il chanta, la seconde dans Au Pays des Ajoncs.

Vous savez que notre ami avait planté sa tente à La Clarté, sur ce promontoire de la Manche bretonne d’où l’œil embrasse le plus merveilleux panorama qui soit peut-être au monde : le chaos marin du Skevel, les fiords des Traoïero, Ploumanac’h, Meur-Ruz, Trégastel, les Sept-Îles, pays de silence et d’effroi, mais fleuri d’une prodigieuse végétation lithique dont Vicaire a su faire passer dans ses poèmes les tonalités tour à tour grises jusqu’à l’effacement et somptueuses jusqu’à la violence. C’est de la contemplation assidue de ce paysage tourmenté que sont sorties tant de belles pièces, comme Keris, le chef-d’œuvre peut-être de Gabriel Vicaire et qui témoigne combien, chez ce poète d’une verve si gauloise, il y avait à l’occasion de mélancolie pénétrante, de grandeur simple et naturelle.

Ainsi la Bretagne l’avait à ce point adopté, pétri et refondu, si l’on peut dire, que les Bretons se reconnaissaient en lui et le saluaient comme un de leurs bardes nationaux. Ils m’ont prié d’être leur interprète, de joindre leur hommage à celui des poètes de la tradition française et de le déposer au pied de ce monument. S’il est vrai que nos jours soient comptés et que l’heure soit venue où la vieille Âme Bretonne doive s’en aller de ce monde[50], celui est une consolation, au milieu de l’ingratitude universelle, d’avoir trouvé un refuge momentané dans l’œuvre de Gabriel Vicaire : accueillie comme une seconde mère au foyer du poète, elle n’oubliera point cette halte suprême sur le chemin de l’exil ; elle paiera d’une reconnaissance éternelle cette hospitalité passagère ; elle associera son nom à ceux des plus illustres et des meilleurs de ses enfants.


II


LE RÉGIONALISME BRETON


Mesdames, Messieurs,


Je veux reporter à mon pays natal l’honneur que vous me faites aujourd hui. Votre premier banquet, sous la présidence d’un académicien illustre, M. André Theuriet, fut une sorte de préface, de magnifique introduction à la série que vous ouvrez ce soir par la Bretagne. Elle avait quelque droit, notre vieille province, et quand ce ne serait qu’un droit géologique, un droit d’aînesse, à cette prééminence. Mais elle ne s’est pas contentée d’émerger la première de l’abîme silurien : les Bretons ont été les professeurs d’idéalisme de l’Occident. Leurs légendes ont enchanté le moyen-âge ; elles lui ont enseigné ces touchantes faiblesses du cœur et ce trouble de l’esprit devant le mystère de la destinée que n’avait point connu la sagesse antique elles ont élargi prodigieusement les frontières de la vie morale en lui annexant les domaines infinis du rêve. Jardin de féerie, « le plus beau qui soit en terre ! » s’exclamait un de nos Maîtres. L’âme moderne y vient encore, parfois, cueillir des illusions…

Et voici ces Bretons, ces fils de la Chimère, qui se rangent ce soir, autour de M. Roger-Ballu et de M. Le Fur, sous la bannière de la Renaissance provinciale. Ils n’abdiquent point pour cela leurs credo respectifs. Le régionalisme est une maison commode, un large foyer où toutes les opinions tiennent à l’aise. On peut être régionaliste et on peut être en même temps conservateur, nationaliste, progressiste, radical ou socialiste à tous crins. Que dis-je ? Je sais des libertaires comme l’auteur de la Psychologie du Militaire professionnel, Augustin hamon, qui sont aussi des régionalistes. Et, de la bouche de ministres en activité, tel M. Rouvier hier, nous avons entendu des professions de foi que ne désavouerait pas Charles Brun.

Déduisons-en que le régionalisme est un état d’esprit général et qu’aucun parti n’a le droit de s’en prévaloir à l’exclusion des autres. Et c’est peut-être pour cette raison que la cause du régionalisme fait si peu de progrès en France. Nous souffrons du mal de l’unanimité et d’être tous d’accord sur le but à atteindre. Et nous ne serions pas des Français enfin si, quand, à la tribune du Parlement, dans nos congrès ou nos banquets régionaux, nous avons affirmé, d’un verbe éloquent, l’urgente nécessité de « décongestionner » la France, nous ne nous tenions point pour satisfaits de cette dépense d’énergie et convaincus que l’Idée est en marche, cependant que nous retournons nous asseoir.

Messieurs, je ne veux pas dire que nous nous asseyons dessus. Mais enfin regardez, examinez ! Nous sommes en Bretagne ce soir : y a-t-il quelque chose, décentralisateurs, régionalistes, fédéralistes, que nous considérions comme plus sacré, plus intangible, que la langue parlée dans nos provinces respectives ? Cette langue, quand elle ne serait plus qu’un patois informe, elle est le palladium de nos nationalités agonisantes. Qu’on ne dise point qu’elle est aussi l’arme empoisonnée des séparatistes. Michelet note quelque part, comme un fait extrêmement antique et propre à la France, la perfection avec laquelle la fusion des races s’est accomplie chez nous, « tantôt marquée, dit-il, par la langue commune, la diminution des dialectes provinciaux, tantôt (sans qu’il y ait communauté absolue de langue) par une profonde communion d’esprit, au point qu’on peut dire que, par certains côtés, il n’y a rien de plus français que des populations qui ne parlent point le français, comme nos Basques nos Bretons et nos Alsaciens ». Voilà, Messieurs, le jugement d’un historien peu suspect. Il suffirait à la défense de nos patois les plus inorganiques : mais combien il prend de force appliqué au breton, ce « verbe royal », ainsi que l’appelait un jour Maurice Barrès ! Hier, pourtant, sur un mot d’ordre venu de je ne sais où, se déchaînait contre ce « verbe royal » une effroyable tourmente républicaine. Qu’il eût été beau alors, quand il soutenait ces attaques, de voir se lever à la Chambre, non point un conservateur comme M. le duc de Rohan, non point un progressiste comme M. Louis Hémon, mais un de ces représentants des partis avancés qui sont aussi nos amis, nos frères d’armes, nos compagnons de lutte, et dont la foi régionaliste ne s’était jamais trouvée, semble-t-il, à une plus rude épreuve. J’ai la tristesse de constater que nos amis ne se levèrent point, qu’ils restèrent assis à leur banc — et, ce jour-là, Messieurs, ils étaient bien assis sur leurs convictions.

Défendons, répandons de plus en plus la langue française, la langue nationale : élargissons au dedans et au dehors sa sphère d’influence : ne détruisons pas les dialectes ni même les patois régionaux. « Un homme qui parle deux langues vaut deux hommes », disait Charles Quint. Et le mot est vrai, si vrai que la Convention avait décrété que le breton ne serait pas proscrit des écoles[51] et qu’on l’utiliserait comme langue auxiliaire pour l’enseignement du français…

Je vous laisse à juger si, depuis la Convention, nous avons fait du chemin en avant ou à rebours. Et, pourtant, directoire, consulat, monarchie, empire, république, nous avons épuisé en un siècle toutes les formes de gouvernement. Mais les constitutions passent, la centralisation demeure, et c’est qu’on ne se prive point volontiers, quand on est au pouvoir, d’un si commode instrument de domination. Je crois pourtant, Messieurs, au succès final de nos idées. Je crois que la décentralisation se fera un jour. Mais je crois aussi que les partis n’y seront pour rien et qu’elle sera tout simplement l’œuvre de cette « force des choses », dont mon ami Charles Maurras se moque un peu légèrement dans son admirable livre l’Avenir de l’intelligence et qui n’est cependant pas un facteur si négligeable.

L’auteur de la loi de 1881 sur les syndicats professionnels poursuivait, par exemple, j’imagine, toute espèce de fins, excepté de faire de cette loi « un formidable instrument de décentralisation ». Or c’est ce qu’elle est devenue, si l’on en croit M. Paul Boncour. « Elle a rendu, dit-il, à nos régions opprimées la condition nécessaire et préalable de toute autonomie : l’expression et la défense des intérêts économiques communs. » Et comme la loi sur les syndicats, sans le vouloir, a aidé au progrès de nos idées, les découvertes scientifiques vont y aider à leur tour : la vapeur, l’électricité, l’automobilisme renverront vers les extrémités du pays les afflux d’énergie qu’ils attirèrent si longtemps vers le centre. Phénomènes de « régionalisation spontanée », observe avec beaucoup de finesse Charles-Brun. C’est un fait particulièrement digne d’attention à cet égard que la transformation du journalisme provincial, la poussée récente, sur tant de points du territoire, de grands organes régionaux tendant de plus en plus à se substituer dans la faveur du public aux journaux parisiens qui monopolisaient jusqu’ici l’industrie des informations rapides. Soyez persuadés qu’il faudra très peu de temps à ces organes régionaux, puissamment outillés, pouvant distribuer les « dernières nouvelles » sept ou huit heures avant la presse de Paris, pour éliminer complètement cette presse du marché provincial ; faute de clientèle, il ne subsistera plus dans la capitale que trois ou quatre journaux doctrinaires et quelques gazettes mondaines. Encore inféodés à la politique centraliste, ces organes régionaux — toujours par la " force des choses » — deviendront à la longue de merveilleux, d’irrésistibles agents de décentralisation. Et ainsi prendra fin peut-être, sans qu’aucun parti y ait poussé et puisse revendiquer l’honneur de la victoire, l’atrophie séculaire dont souffraient nos vieilles provinces françaises…

Donnons-nous l’illusion ce soir, autour de cette table où s’épanouit la fleur de nos costumes nationaux, que cette atrophie est conjurée pour la Bretagne. Me voici moi-même, comme seront peut-être mes petits-fils en « julot » du Léon : costume sévère qui s’harmonise avec mon front dégarni et la gravité de mes passagères fonctions présidentielles… Mais vous, Mesdames, que vous avez eu raison d’incliner vos préférences vers la vive et pittoresque Cornouaille du sud ! C’est le pays de la couleur. Les femmes y sont grandes et brunes et, dans leur fraise à godron et leur jupe évasée, semblent descendues tout exprès, pour confondre la chronologie et l’histoire, d’une toile du Pacheco ou de Velasquez. Il faut les voir au « pardon », le cierge en main, raides comme des nonnes, et il faut les voir à la danse, celles du moins qui, bravant les foudres de « M. le Recteur »,

D’une hanche agaçante ont appris le secret
Et font, d’un tour de tête aussi vif qu’un coup d’aile,
Sur leur col gracieux voltiger la dentelle…

Ainsi fredonne Jos Parker, le « chantre de Fouesnant ». Et il faudrait écouter encore, sur les filles de Paimpol et de Tréguier, le magicien du verbe Anatole Le Braz, les alertes « monférines » qu’en l’honneur des Bigoudens et des Châtellinoises sonna Frédéric Le Guyader, les élégies alréennes de Pierre Laurent et les confidences qu’aux lèvres d’Auguste Dupouy, sur les quais d’un port breton baigné de lune, chuchotait, l’autre soir, une sardinière de Douarnenez. Il faudrait vous entendre, maîtres chansonniers de Bretagne, Théodore Botrel, Yann Nibor, Heurtel, Jean Franc, Cherouvrier, et toi, grandiloque pentyern de la bonne duchesse, Léon Durocher, prince de l’humour bretonne, Rabelais armoricain… Ô poètes, ô chansonniers, ô pentyern, vous êtes les meilleurs ouvriers de la décentralisation ! Cette province française si diverse, si prenante, cette jolie âme bigarrée qui fleurissait dans les mœurs et les parlers dialectaux, que fût-il resté d’elle, si vous n’aviez enclos aux pages de vos livres un peu de son parfum ? Payons-la de réciprocité ; penchons-nous sur elle, tandis qu’il en est temps encore. Et ne méprisons point trop ce rôle d’embaumeurs qui est l’éternelle condition des poètes. Quand Virgile s’en allait demandant aux bouviers et aux chevrières les reliques dispersées de la vieille âme latine, pour la coucher, suivant l’involontaire alexandrin de Renan.

Dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts,


il ne faisait qu’obéir à la même loi mystérieuse qui nous incline aujourd’hui sur le passé de notre chère Bretagne.

Et enfin ce passé… il est peut-être l’avenir, s’il n’est plus le présent. La puissance de redressement des races celtiques est infinie. Qui le sait mieux que M. Roger-Ballu, M. Le Fur, M. Hugues Lapairo, qui ont inscrit sur leur drapeau ces mots magiques : Renaissance provinciale ? Votre œuvre est belle et courageuse, Messieurs. Je m’y associe de tout cœur. J’ai confiance, pour la faire triompher, dans votre grande intelligence, votre inlassable activité, aidées de cette « justice immanente » qui n’est que le synonyme républicain de la Providence et dont Victor Hugo avait déjà dit :

La justice est boiteuse ; elle vient à pas lents,
Mais elle vient…

De fait, elle est déjà venue, au moins pour une des pièces essentielles de notre costume national. Je vous prie de croire que je parle sérieusement. Aussi bien ceux d’entre vous qui n’auraient pas lu le dernier livre de M. d’Arbois de Jubainville sur les Celtes n’ont-ils qu’à feuilleter le chapitre consacré par l’illustre professeur au pantalon.

Pendant tout indiqué au fameux chapitre des chapeaux ! Aristote et M. d’Arbois de Jubainville, à quelque deux mille ans d’intervalle, se donnent la réplique. Hommes vains et légers de ce temps, suis-je tenté de m’écrier après avoir lu ce chapitre d’un savant que tous ici respectent et qui est la plus haute autorité du monde celtique, vous ne savez pas ce que vous faites en portant des pantalons : tout bonnement, vous affirmez la victoire définitive du celtisme sur l’esprit latin !

C’est ainsi. Le pantalon, dit M. d’Arbois de Jubainville, apparaît chez les Gaulois dès l’époque même où les Gaulois commencent d’occuper les auteurs anciens. Son nom était braca. Cicéron désignait sous le nom de bracati (porteurs de pantalons) les habitants de la Gaule transalpine ; Martial, mort au commencement du second siècle de notre ère, vers 102-104, parle du vieux pantalon, veteres bracæ, d’un pauvre Breton, pauperis Brittonis. Mais, de grâce, Messieurs, là où je dis pantalon, n’entendez point culotte, encore que l’origine du mot braca ne soit pas beaucoup plus noble que celle du mot culotte, sensible, oserai-je dire, aux oreilles les moins averties. La culotte ne descendait pas plus bas que les genoux : la braca ou pantalon descendait, comme aujourd’hui, jusqu’aux chevilles.

Les Romains, peuple foncièrement assimilateur, acceptèrent bien de porter la culotte le jour qu’ils eurent reconnu l’avantage de cette sorte de vêtement : ils ne voulurent jamais porter le pantalon ou braca. Cette braca leur semblait de si mauvais ton qu’à la fin du IVe siècle après Jésus-Christ, l’empereur Honorius en défendit l’usage dans la ville de Rome, sous peine de l’exil et de la confiscation des biens. Or, ce même Honorius tolérait le port de la culotte. Il y a des soldats romains en culotte sur les bas-reliefs de la colonne Trajane. Qu’était-ce pourtant que cette culotte, sinon le pantalon gaulois raccourci ? Sans doute ; mais enfin, cette légère différence suffisait à l’amour-propre des Romains. La culotte l’emporta si bien que, sauf dans les classes inférieures, elle s’imposa au monde occidental pendant tout le moyen-âge et jusqu’aux temps modernes. Ce n’est que depuis une cinquantaine d’années que le pantalon gaulois s’est victorieusement substitué à elle.

Concluons ou plutôt rendons pour conclure la parole à M. d’Arbois de Jubainville :

« L’envahissement du monde occidental par le pantalon, dit l’éminent professeur au Collège de France, marque la revanche de l’aristocratie gauloise qui, vaincue, dut, pour subsister, subir la honte de revêtir la toge romaine. Cette toge n’est plus portée par personne ; c’est elle qui, aujourd’hui, est la vaincue et le pantalon gaulois qui a triomphé ; c’est vêtus du pantalon gaulois qu’aujourd’hui les Romains montent au Capitole. »

Je m’en voudrais, Mesdames et Messieurs, d’ajouter un commentaire quelconque à ces fortes paroles. M. d’Arbois de Jubainville y révèle la savoureuse ingénuité d’un émule de Sylvestre Bonnard. Mais nous autres, régionalistes, qui plaçons au premier rang de nos préoccupations la sauvegarde des costumes nationaux, nous avons bien le droit de ne pas sourire. Encore ne puis-je m’empêcher de remarquer que le pantalon celtique a mis dix-huit cent ans pour triompher de la toge romaine. Voilà qui doit nous apprendre à ne jamais désespérer des revanches de l’histoire. Buffon, à qui l’on demandait un jour la définition du génie, répondit qu’il n’était qu’une longue patience. C’est peut-être aussi, après tout, la définition qui convient le mieux au régionalisme[52].


AU PAYS DE LA TOUR D’AUVERGNE




À Fernand Guéguen.


I


LES RELIQUES D’UN HÉROS


Du 26 au 28 juin, Carhaix, chaque année, est en fête pour la commémoration de l’anniversaire du premier grenadier de France. Feux de joie, salves d’artillerie, retraites aux flambeaux, illuminations, sonneries de cloches, courses en sac, etc., rien ne manque au programme. Les honneurs sont rendus à La Tour d’Auvergne par une compagnie du 118e d’infanterie, casernée à Morlaix. Ce 118e représente en la circonstance la 46e demi-brigade. Devant la statue du héros, on procède à l’appel des hommes de la compagnie. Au nom de La Tour d’Auvergne, le plus vieux sous-officier se détache des rangs, fait le salut militaire et répond :

— Mort au champ d’honneur !

Pendant longtemps, le sous-officier chargé de faire cette réponse désignait du doigt l’urne funéraire où reposait le cœur de La Tour d’Auvergne et dont la garde était confiée à un fourrier de la 1re compagnie du 46e de ligne, qui la portait suspendue à un baudrier de velours. J’ignore par suite de quelles circonstances le 46e fut amené à s’en dessaisir. Toujours est-il que l’urne d’argent qui contient le cœur de La Tour d’Auvergne appartenait jusqu’à ces derniers temps au descendant du héros, le colonel du Pontavice du Heussey.

M. du Pontavice a bien voulu l’offrir au musée des Invalides. L’urne avait déjà figuré, en 1900, à l’exposition du palais des armées de terre et de mer, avec la lance qui, dans la charge d’Oberhausen, occit le premier grenadier de France, un fragment de son chapeau, son épée[53], son plumet, sa tabatière et deux exemplaires des Origines gauloises. Carhaix, de son côté, possède diverses reliques du héros, qui, chaque année, le 27 juin, sont exposées sur le socle du beau monument dû au sculpteur Marochetti. Ces reliques consistent en une dent, une mèche de cheveux bruns, deux boutons de guêtre et l’épingle qui fixait le ruban à la cadenette des grenadiers. Dent, mèche, boutons, épingle, pieusement rangés sur le velours d’un petit écrin, dans un coffret de cristal, furent offerts à la ville de Carhaix par le roi de Bavière, lors de l’exhumation du héros, en 1837.

Voilà tout ce qui reste, à Paris et à Carhaix, du premier grenadier de France[54]. On lit bien un peu partout et jusque chez M. Ardouin-Dumazet, d’ordinaire mieux informé, que la ville natale de La Tour d’Auvergne posséda longtemps une relique plus importante, à savoir le portrait du héros en lieutenant du régiment d’Angoumois, dans son uniforme blanc à revers bleus. Le fait en lui-même est exact : mais, à la manière dont en parle M. Ardouin-Dumazet, on pourrait croire que ce portrait était une œuvre originale, alors qu’il s’agissait d’une simple copie. Les regrets que nous cause sa perte en sont sensiblement atténués.

L’auteur du Voyage en France raconte qu’il y a plusieurs années, comme on procédait à des réparations à l’hôtel de ville de Carhaix, ce portrait et celui d’un autre enfant de la cité, l’amiral Emériau, furent déposés dans un « couvent de sœurs », en attendant de reprendre leur place dans la maison municipale.

« Les sœurs, dit-il, mirent les deux tableaux dans la cour ! Les élèves prirent plaisir à lapider les portraits ; à l’aide de ciseaux, de morceaux de bois et d’épingles, on enleva la couleur, on troua la toile. Lorsqu’on voulut replacer les tableaux, on n’en trouva plus que d’informes débris. »

Informes, c’est le mot. Mais les élèves des sœurs furent-elles si coupables ? L’enfance est, de sa nature, iconoclaste. La responsabilité des sœurs elles-mêmes, en l’occurrence, me paraît moins engagée que celle de l’administrateur qui fit déposer au premier endroit venu les tableaux dont il avait la garde[55]. Du portrait de l’amiral Emeriau, il ne reste que le cadre ; de celui de la Tour d’Auvergne, qui m’intéresse surtout et qu’on a fini par dénicher dans le grenier où il est relégué, tout le corps subsiste. Par exemple, le héros est complètement décapité. Et des coups de ciseaux, çà et là, ont lardé l’uniforme, les revers bleus, le ceinturon et sa boucle fleurdelysée. M. Ardouin-Dumazet a grand’raison de s’indigner. Le mal n’a pas l’importance qu’il croit cependant, puisque, je le répète, il ne s’agit là que d’une copie. Elle fut faite par Mme Blanche Yunker[56], femme de l’ingénieur des mines de Poullaouën, sur l’original du portrait qui appartient au colonel du Pontavice et que celui-ci aurait promis de léguer à la ville de Carhaix.

Une terre cuite de l’héros, dans la grande salle du conseil, préside, en attendant, aux délibérations des édiles carhaisiens. Elle voisine avec une assez bonne reproduction du monument d’Oberhausen, don du général Lambert, autre Carhaisien célèbre, qui la rapporta de sa captivité en Allemagne. Quant aux souvenirs dont j’ai parlé plus haut et qui sont exposés, pendant les fêtes, sur le piédestal de la statue de La Tour d’Auvergne, on me les présenta dans un reliquaire en cuivre doré que recouvrait la dalmatique du dernier héraut d’armes du Carhaix (1551), écussonné d’or au bœuf passant de sable armé et clarine d’argent.

Je ne fus certes pas insensible à la beauté de cette « vesture » en fin drap cousu de fil d’argent et frappé d’hermines noires. Le secrétaire de la mairie, l’aimable M. Delpeuch, m’apprit qu’elle avait coûté, d’après les vieux comptes, 593 livres et 9 sols. Grosse somme pour l’époque : mais Carhaix, ville parlementaire, dotée d’une cour royale, tenait rang de cité magistrale parmi les cités bretonnes. C’est un rang dont elle est fort déchue. Elle-même ne s’en souvient plus guère ; elle ne veut dater que de 89 et de la Déclaration des droits de l’homme. Et c’est une prétention qu’on excuserait, si Carhaix veillait avec plus de soin sur la mémoire de ses héros de l’ère nouvelle.

Des personnages moins considérables que La Tour d’Auvergne ont des musées ou des salles particulières de musée dans leur ville natale. Or, n’était le cadeau du roi de Bavière, on chercherait vainement ici même l’embryon d’un pareil musée. De cet homme qui a tant écrit — presque autant écrit qu’agi — et dont on ne consulte pas encore sans profit les Origines gauloises et les Recherches sur les antiquités des Bretons, sa ville natale ne possède qu’un roman catalan et un recueil de redondillas où se lisent quelques notes marginales de sa main. Carnavalet est mieux partagé : il a l’épée et des lettres du premier grenadier de France. Et la Bibliothèque Nationale, l’Arsenal détiennent la collection complète de ses ouvrages.

Mais y a-t-il seulement, à l’hôtel de ville de Carhaix, un exemplaire des Origines ou des Recherches ? À diverses reprises on annonça la publication des Mémoires de La Tour d’Auvergne. Ces Mémoires existent-ils ? Sont-ils la propriété de la famille du Pontavice ? Si Carhaix avait un musée La Tour d’Auvergne, comme Domrémy un musée Jeanne d’Arc, Dieppe un musée Saint-Saëns, Arles un musée Mistral, Paris un musée Victor Hugo, ces Mémoires lui eussent fait retour, tandis qu’ils iront vraisemblablement à la Bibliothèque Nationale ou dans les collections particulières de quelque riche amateur[57]

On n’aime bien, comme on ne comprend bien certains hommes que dans leur milieu de formation, dans l’atmosphère qui les imprégna enfants.

La Tour d’Auvergne est inséparable de la Cornouaille où il est né. Elle s’exprime en lui, comme il s’explique par elle. Du haut de ce puissant socle de schiste qu’est le plateau carhaisien, on domine de vastes étendues marécageuses, un long moutonnement de cimes sombres, hêtraies et sapinières, que cerne sur Thorizon la ligne bleue des Mènez. Rude paysage, balayé des grands souffles iodés accourus de l’Atlantique et de la Manche et qui s’y livrent bataille ! La terre, par places, apparaît comme écorchée, son ossature à vif. Carhaix, la ville aux maisons noires, est à cheval sur l’échine de la Bretagne, keign-Breiz, une échine maigre, dépouillée, sans grâce. Que nous voilà loin du plantureux Trégorrois, de la légère Cornouaille du sud ! La Bretagne, ici, a je ne sais quoi de puritain, en tout cas de plus grave et de plus sévèrement mélancolique qu’ailleurs, qui semble s’être communiqué à La Tour d’Auvergne. L’homme qui avait pris pour devise : « Du pain, du lait et la liberté » pouvait avoir quelques gouttes de sang étranger dans les veines : il reste bien et avant tout le fils de ces sommets âpres et pauvres.

Et c’est pourquoi l’on aimerait tant l’y retrouver autrement que dans le bronze de Marochetti et dans les quelques reliques éparses à l’hôtel de ville. Nul cadre plus à souhait pour lire les Origines et, peut-être un jour, les Mémoires… Le souhait n’a-t-il donc aucune chance de se réaliser ? Les édiles carhaisiens se croiraient-ils indéfiniment tenus par les fâcheux errements des municipalités précédentes ? Il appartient, ce me semble, à M. Lancien, l’actif et intelligent maire que Carhaix vient de se donner, de rompre avec ces errements en demandant l’inscription au budget local d’une somme annuelle pour la création et l’entretien à l’hôtel de ville d’une salle ou d’un musée La Tour d’Auvergne. Les dons afflueraient d’eux-mêmes à ce musée et les crédits municipaux feraient le reste[58].


II


LE PROBLÈME DES ORIGINES


Rien n’est indifférent d’un grand homme. La Tour d’Auvergne a pris place depuis longtemps au Panthéon de nos gloires nationales. On l’a honoré dans le bronze et le marbre, en prose et en vers, sous la tente et dans l’enceinte des Académies, à Oberhausen où il est mort, à Passy où il a vécu, à Carhaix où l’on veut qu’il soit né, à Quimper, qui en sa qualité de capitale de la Cornouaille, ne pouvait manquer de se l’annexer et va lui élever dans quelques jours une nouvelle statue. Il est de ces héros exceptionnels qui font l’unanimité autour de leur mémoire et, par une ironie de la destinée, il est en même temps de tous nos héros celui dont l’histoire est la plus embarrassée de légendes, la plus semée d’énigmes et de chausse-trappes.

M. Émile Chasles l’a appelé quelque part l’homme-mystère. Et cette appellation rocambolesque est largement justifiée par les brumes qui entourent son berceau et qui continuèrent d’envelopper sa vie, comme ces nuages de la mythologie homérique qui cachaient la présence d’un dieu. J’entends bien que, pour les Carhaisiens, il ne fait aucun doute que la Tour d’Auvergne leur appartienne. N’ont-ils point conservé le registre de baptême sur lequel fut inscrit, à la date du 23 décembre 1743, celui qui devait être le premier grenadier de France et qui ne portait encore que les prénoms de Théophile-Malo, fils légitime de noble maître Olivier-Louis Corret, avocat à la cour, sénéchal de Trébrivan, et de dame Jeanne-Lucresse (sic) Salaün, son épouse[59] ? L’authenticité de l’inscription n’a jamais été contestée. Mais, de ce que La Tour d’Auvergne figure au registre des baptêmes de Carhaix, s’ensuit-il absolument qu’il soit né dans cette ville le 25 décembre 1743 ?

La vérité est qu’entre la date de l’inscription et celle de la naissance du héros en herbe (23 décembre), il y a un écart de deux jours. C’est fort troublant — sauf pour les Carhaisiens, race de granit, cerveaux imperturbables : ils auraient la propre déclaration des ascendants de La Tour d’Auvergne qu’ils refuseraient encore de se rendre ! Ainsi les Havrais ne purent jamais consentir que Mme de la Fayette fût née hors de leurs murs. Le débat, en ce qui concerne La Tour d’Auvergne, est, du reste, fort ancien. Sept villes se disputaient l’honneur d’avoir engendré Homère. Un accident semblable est arrivé au premier grenadier de France. Interrogez les habitants de Trémargat (Côtes-du-Nord) : il n’en est point un qui ne vous jurera tous les saints du calendrier que La Tour d’Auvergne a bien pu être baptisé à Carhaix, mais qu’il a sûrement vu le jour sur le territoire de Trémargat, au manoir de Lampoul-Huellaf, propriété de la famille Corret. À l’appui de ces dires, les Trémargatiens invoquent la tradition locale, qui n’est point à dédaigner sans doute, mais qui, en l’espèce, manque un peu de consistance ; car c’est aussi la tradition sur quoi s’appuient les gens de Trébrivan, autre commune des Côtes-du-Nord, pour revendiquer La Tour d’Auvergne.

— La preuve qu’il est bien nôtre, disent-ils, est que, vers la moitié du XIXe siècle encore, des vieillards qui avaient connu le premier grenadier de France affirmaient tenir de sa propre bouche qu’il était né dans leur paroisse, non à Trémargat ni à Carhaix où il aurait seulement été baptisé, puis élevé par son père, lequel, d’ailleurs, portait le titre de sénéchal de Trébrivan.

Carhaix, Trémargat, Trébrivan, sommes-nous au bout de notre rouleau ? Point. Car voici qu’une quatrième commune bretonne entre en lice, Laniscat. Un annaliste guingampais, Benjamin Jollivet, remarqua que le territoire de cette commune possédait une maison noble appelée le Correc et qui appartenait en 1787, suivant le géographe Ogée, à la famille du même nom. Or, de cette famille, on ne trouve trace nulle part. De là à conclure qu’Ogée s’est trompé et qu’il a écrit par erreur Correc pour Corret, il n’y avait qu’un pas. Ce pas, Jollivet l’eût vite franchi.

« En effet, dit-il, la distance entre Laniscat et Carhaix est assez peu considérable pour qu’on puisse admettre que la terre de Corret —, si nous lui donnons ce nom, — a bien pu appartenir au père de Théophile-Malo de Corret qui, vraisemblablement, avait des propriétés dans le pays où est né son fils et qu’il habitait lui-même. Or, nul n’indique la maison où est né le premier grenadier de France ; nul n’indique la demeure du père, que les contemporains ont dû connaître, puisqu’il a donné son nom à son fils ; nul n’indique où demeurait la mère ! Sur ces différents points règne l’obscurité la plus complète, ce qui permet à toutes les suppositions de se produire ».

Jollivet, une fois lancé, n’y va pas par quatre chemins : pour lui il n’est point douteux que La Tour d’Auvergne ne soit point originaire de Carhaix ; il y a été baptisé, puis élevé, et c’est tout. Observant, d’autre part, que Trébrivan, où La Tour d’Auvergne aurait dit lui-même être né, se trouve situé entre Carhaix et Laniscat, c’est-à-dire à quelques kilomètres de la terre de Correc ou Corret, Jollivet voit dans ce rapprochement une nouvelle présomption en faveur de sa thèse.

Que vaut exactement cette thèse ? Le livre de Jollivet [60] est de 1856. Or en 1841, à Paris, imprimerie et librairie de Gaultier Taguionie, avait paru une brochure sur La Tour d’Auvergne Corret, premier grenadier de France, par F. C… de Carhaix (Finistère), chasseur à la première Légion de la Garde nationale. Pages 4 et 5 de cette brochure il est fait allusion à une note écrite, « de la main même de La Tour d’Auvergne au dos de son portrait, qui se trouve au château de la Haye, près Carhaix, propriété de sa petite nièce, Mme du Pontavice du Heussey, née Guillard de Kersausie ». Et cette note porterait expressément : « Théophile Malo de Corret de Kerbeauffret de La Tour d’Auvergne, premier grenadier de France, chevalier de l’ordre militaire de Saint-Louis et de l’ordre militaire de Charles III (Espagne), membre de l’Académie Celtique et de l’Académie espagnole d’Histoire, né le 23 décembre 1743 à Carhaix, ville de Cornouailles, en Basse-Bretagne, aujourd’hui chef-lieu du canton de Châteaulin (Finistère). » Si la note est reconnue de la main de La Tour d’Auvergne, voilà sans contredit un grand argument pour les Carhaisiens. Le portrait dont il s’agit a quitté La Haye, aux trois quarts ruinée et convertie en débarras ; mais il existe toujours ; il est en la possession du colonel du Pontavice : qu’on l’examine et qu’on vérifie !

De fait, c’est par quoi l’on aurait dû commencer. Authentique, la note trancherait le problème des origines. Et il est vrai que certaines obscurités subsisteraient encore, car, s’il était prouvé par la note que le premier grenadier de France est bien né à Carhaix, il resterait toujours à connaître si la maison qu’on lui assigne pour maison natale correspond bien à celle qui reçut en 1832 une plaque commémorative mentionnée par Guillaume Le Jean, Pierre Zaccone et l’auteur de la brochure de 1841 : « Théophile-Malo Corret de La Tour d’Auvergne, premier grenadier de France, est né dans cette maison le 23 décembre 1743. » Qu’est devenue la plaque ? Mystère ! S’était-on trompé dans son apposition ou ne serait-ce point que la maison dont elle repérait la façade a été démolie ? On sait seulement que cette maison était située rue Saint-Joseph. Le renseignement devrait suffire, semble-t-il, pour orienter les recherches. Encore faudrait-il que MM. les notaires de Carhaix y donnassent la main. On les en a sollicités à diverses reprises : ils n’ont point fait mine d’entendre et on peut le regretter. L’énigme serait vite éclaircie, si l’on savait : 1o  qu’Olivier-Louis de Corret de Kerbeauffret, père du premier grenadier de France, fut propriétaire par lui ou sa femme, Jeanne Lucrèce Salaün, dame du Rest, d’une maison familiale sise rue Saint-Joseph, à Carhaix ; 2o  quelle était cette maison ou quel emplacement elle occupait. Celle qu’on a tenté d’authentifier officiellement pour la maison natale du héros et qui est portée comme telle dans tous les guides ne me paraît avoir d’autre droit à ce titre que la tradition et une tradition qui ne saurait remonter très haut, puisque, nonobstant la plaque posée en 1832 et si mystérieusement disparue, Jollivet pouvait écrire au milieu du siècle dernier : « Nul n’indique la maison où est né le premier grenadier de France. »

On l’« indique » aujourd’hui, et une plaque — qui n’est pas celle de 1832 — signale l’immeuble au respect du passant. La recommandation n’est peut-être pas superflue : rares seraient les pèlerins qui s’arrêteraient devant cette maison, si, d’ordre administratif, à raison ou à tort, on ne la leur avait donnée pour historique. M. Ardouin-Dumazet, qui la visita en 1896, lui fut particulièrement sévère : il lui découvrait « un caractère froid, banal, pauvre, jurant avec le pittoresque des hauts pignons, des murs ventrus, des façades sculptées qui l’avoisinent. » Comme eux pourtant, elle est bâtie « de robuste granit à gros grain » ; des « pierres énormes forment le linteau et les montants des portes et des fenêtres ; le reste (?) est un crépi qui depuis longtemps n’a été renouvelé ». En résumé « rien n’y sent la race et le terroir », ce qui trouve son explication, au regard de M. Dumazet, dans le fait que Théophile-Malo n’était Breton que par sa mère et ce qui s’expliquerait encore bien mieux, — si tant est que les demeures dussent s’ajuster à nos caractères — dans le fait que celle-ci est apocryphe et n’a rien à démêler avec Malo-Théophile[61].


III


L’ENVERS D’UN HÉROS


… On connaissait le La Tour d’Auvergne celtisant, le La Tour d’Auvergne amoureux, le La Tour d’Auvergne républicain ; personne n’avait soufflé mot encore du La Tour d’Auvergne homme d’affaires.

Ce La Tour d’Auvergne inconnu ou quasi m’a été révélé par M. l’abbé Gairriec, recteur de Locmaria, petite paroisse de la Cornouaille qui n’aurait rien de remarquable, si l’on n’y voyait le manoir de La Haye et si ce manoir n’avait été habité de son vivant par La Tour d’Auvergne et, après sa mort, par le cœur du héros.

La Haye a fait l’objet d’une intéressante notice de M. Antoine Favé. On y lit qu’acquis en 1289 de Guillaume, fils de Henry de la Haye, le château passa aux mains de Hervé de Léon, que les Jacques de la révolte du Papier-Timbré le saccagèrent et l’incendièrent en 1675 et que, sur ses ruines, on éleva le manoir actuel. Celui-ci appartint successivement aux Kernéguez, aux Touronce, aux Le Postec des Îles et aux Poulmic. En février 1779, les Poulmic le vendirent à Guillard de Kersauzie, lequel épousa Jeanne-Marie-Cinthe Limon du Tymeur, fille mineure de feue Marie-Anne-Michelle de La Tour d’Auvergne-Corret, elle-même sœur aînée du premier grenadier de France.

Or, La Tour d’Auvergne avait une affection particulière pour cette fille de sa sœur aînée et, toutes les fois que les loisirs de sa vie de garnison le lui permettaient, il accourait chez elle, c’est-à-dire à La Haye, où il avait sa chambre réservée, où il retrouvait ses chers bouquins, ses notes et ses cahiers.

J’ai visité La Haye, l’an passé, en compagnie de l’abbé Guirriec et de mon vieil ami Georges Dugoy, les meilleurs ciceroni qu’on put désirer en la circonstance. Tous les détails de cette visite sont restés présents à ma mémoire Je revois la large avenue de hêtres et d’ormes alternés qui menait au manoir, la ferme à droite, le manoir lui-même à gauche, jolie construction de la fin du XVIIe siècle, d’un étage sur rez-de-chaussée, raboutée d’une aile au siècle suivant. Une petite cour, ornée d’un puits à poulie et ombragée de grands lauriers arborescents contemporains du château, régnait devant la façade qu’elle séparait primitivement des jardins par une grille semblable à celle de l’entrée principale et scellée comme elle dans de grands pilastres Renaissance. La partie la plus intéressante de la construction était incontestablement l’annexe, avec son œil-de-bœuf, sa porte cintrée, ses cheminées magistrales et la ligne brisée de son grand comble à la Mansard. C’est dans cette annexe qu’était l’appartement de La Tour d’Auvergne. Mais tout y était ruiné, les murs seuls tenaient debout. Il y a beau temps que La Haye n’est plus habitée. Le fermier y loge ses fourrages ; les pièces du rez-de-chaussée servent d’écurie et d’étable.

On peut le regretter, quand on sait que La Tour d’Auvergne y vécut. L’abbé Le Guirriec a trouvé tout un paquet de lettres datées de La Haye et qui nous révèlent, dans le premier grenadier de France, un homme d’affaires fort avisé, très jaloux de ses droits, signant avec complaisance, à la veille même de la Révolution, des noms et titres de « seigneur de Keryolet, de Kerstrat, de Guernavillin et d’autres lieux ». Tantôt il s’y plaint des dégradations d’arbres commises par le fermier Jean Bozec ; tantôt il négocie avec le chargé d’affaires du marquis de la Jaille pour l’affranchissement d’une petite rente de cinq francs que lui doit ce dernier et dont il demande la somme de douze louis. Somme excessive, lui répond son correspondant.

« Il me semble que vous en demandez beaucoup trop cher ; je crois que, si je la payais le denier 25, elle serait bien payée ».

Ailleurs, La Tour d’Auvergne s’enquiert près de Mme de Cornouailles si la rente qu’elle possède sur le Guern Veil est une rente domaniale et foncière : comme il possède une rente de même nature sur ce domaine, il ne serait pas fâché de faire valoir ses droits. Et tout le reste de la liasse de lettres est sur ce ton. La Tour d’Auvergne ne met sans doute aucune âpreté dans ses réclamations, mais il entend que ses vassaux acquittent à jour fixe leurs redevances, que ses bois et ses tailles ne soient pas appauvris par des coupes à blanc étoc, que les acheteurs lui donnent des fagots et des pieds d’arbres le prix qu’ils valent — et même un peu plus. Son mandataire n’y perdra rien. C’est en l’espèce l’abbé Le Bozec, curé de Courlizon, paroisse de Ploaré, près Douarnenez. S’il mène l’affaire comme il faut, il lui reviendra un Louis de commission, qu’il pourra « convertir en un castor » pour son usage.

M. du Couédic, cojuseigneur avec La Tour d’Auvergne de la portion du domaine de Kerstrat occupée par Marie Cosmao, veuve Le Gac, ayant obtenu de cette veuve 120 livres pour ne pas céder la baillée à un autre, La Tour d’Auvergne ne croit pas qu’il doive être traité moins favorablement, d’autant que la rente de M. du Couédic, montant à 39 livres, est bien moins considérable que la sienne, qui est de 50 livres.

« J’exige, écrit-il à son mandataire, qu’elle (la veuve Le Gac) compte sans le moindre délai 150 livres à M. Gaillard, procureur à Quimper, chargé de mes affaires, ou je passerai outre et donnerai certainement ma baillée à un autre, lui déclarant, si elle m’oblige à aller à Douarnenez pour régler cette affaire, qu’elle n’en sera pas quitte à si bon marché et qu’elle n’aura plus à attendre de moi la moindre préférence, d’autant qu’ayant bâti sur mon terrain et sans permission de ma part, j’ai lieu de n’être pas content de ces vassaux. »

Afin de stimuler le zèle de son mandataire, La Tour d’Auvergne, au cas où la veuve Le Gac accepterait ses propositions, le priera « de réserver 12 livres sur cette somme de 150 livres pour sa provision de tabac ».

En vérité, on est confus de trouver au bas de ces lettres la signature de celui qui devait être le premier grenadier de France. Que voilà donc un homme attentif à ses intérêts, soigneux de son patrimoine et, sinon retors, du moins singulièrement avisé, ponctuel et méticuleux en affaires ! Où est cette générosité, où ce désintéressement, cette abnégation, que nous lui verrons plus tard ?

Veut-on mon sentiment ? Je croirais assez que ces lettres lui ont été dictées, inspirées tout au moins par ses neveux Kersauzie et que c’étaient eux qui le poussaient à se montrer si intransigeant avec ses fermiers. La Tour d’Auvergne, vieux garçon, était, dès cette époque, un « oncle à héritage ». Toute sa fortune devait revenir à ses neveux et ils profitaient de son séjour à la Haye pour l’inciter à mettre de l’ordre dans ses affaires. Voilà, peut-être, le secret de cette correspondance étrange, découverte par l’abbé Guirriec, et qui nous montre sous un jour inattendu, avec les griffes d’un procureur et le faciès d’un chicanoux, l’homme de ce temps qui fait le plus songer aux héros de Plutarque.



YANN NIBOR

(La Chanson des Cols Bleus)




Je ne sais trop à quel endroit du Parnasse l’on pourrait loger Yann Nibor, à moins que sur ce mont sacré ne soit conservée, comme une relique, la nef jadis affrétée, en prévision d’un imminent déluge, par Deucalion et Pyrrha et qui portait dans ses flancs l’avenir du genre humain : l’auteur de Nos matelots, de Gens de mer, de La Chanson des Cols-Bleus serait évidemment tout désigné pour monter le quart à bord de cette coque préhistorique.

Cinquième fils d’un ancien pêcheur « terreneuvas », qui s’était établi menuisier à Saint-Malo[62] et dont les affaires prospérèrent assez pour qu’il pût se rendre acquéreur de la vieille bâtisse pointue, à pignon de verre losange de bois sombre, où il avait son atelier dans une ruelle de la basse ville, Yann Nibor, de son vrai nom Albert-Auguste Robin, s’en allait sur ses treize ans, comme on dit dans la patrie de Duguay-Trouin et de Monsieur Surcouf, quand éclata la guerre de 1870.

« J’étais déjà solide, — me contait-il de cette stridente voix d’acier, forgée par les embruns, qui fait trembler les vitres dans leurs châssis, — et il me prenait des démangeaisons dans les poings et dans les jambes dont j’espérais bien me guérir en « tapant » sur les Prussiens. J’obtins de mon père qu’il me laissât partir pour Brest. Je ne doutais pas qu’on ne me reçût tout de suite dans les cols-bleus et qu’on ne m’expédiât dare dare au fort du Mont-Valérien où la nécessité de ma présence devait se faire impérieusement sentir. Mais le règlement est inflexible : on me reçut bien dans la flotte ; seulement c’est à l’école des mousses, sur l’Inflexible précisément, qu’on m’envoya. J’y restai trois années pleines, puis je passai novice à bord du cuirassé Océan. Engagé comme fusilier marin, je fis campagne dans les mers du Sud et en revins second maître fourrier. J’étais alors sur la Magicienne. Chaque soir, notre quart fini, quand le temps était beau, nous nous réunissions sur le gaillard d’avant, mes camarades de bordée et moi.

— « Chante donc, Robin, me disaient-ils, toi qui as une si belle voix…

« Et je chantais sans plus de façon. Mon auditoire n’était pas difficile. Tout lui était bon : romances, chansonnettes comiques, monologues, bribes d’air attrapées un peu partout, à l’Alcazar de Brest, aux Variétés de Toulon, au Casino de Cherbourg. Je tenais aussi les premiers emplois dans des pièces de Labiche que nous montions vaille que vaille. L’amiral Serre m’avait pris en amitié. La campagne terminée, il m’emmena rue Royale, au ministère de la Marine, où il me casa comme fourrier de service pour finir mon congé. C’était dans le temps que M. Ricquier venait d’ouvrir pour les adultes, au lycée Charlemagne, un cours public de lecture et de déclamation. Quelqu’un m’y conduisit. Je ne connaissais de nom à cette époque ni Victor Hugo, ni François Coppée, ni Jean Richepin. Quelle révélation ce me fut quand j’entendis leurs vers, surtout ceux où ils font parler des marins ! Je les appris par cœur, je me les récitai à moi-même en les transposant, en leur donnant ce tour particulier, ce cachet de réalisme que la déclamation ordinaire ne pouvait leur prêter. La première fois que je me hasardai à les dire ainsi en public, j’eus bien un peu peur : c’était si neuf, si osé, ce que je tentais là ! On me sifflerait peut-être… On m’acclama. Les étudiants, mes auditeurs du Soleil d’or furent conquis d’emblée. J’avais le vent en poupe et il n’y avait plus qu’à « laisser arriver ».

Et voici comme « ç’arriva ».

La pêche à Terre-Neuve on le sait, s’exerce à la fois sur des goélettes métropolitaines, armées et désarmées à Saint-Malo, Cancale, Granville, Fécamp, etc., et sur des goélettes coloniales, dont les équipages sont expédiés de France au printemps et rapatriés à l’automne [63]. Des steamers de fort tonnage transportent à Saint-Pierre la plus grande partie de ce personnel et de celui des sècheries. Le prix du voyage varie entre 70 et 80 francs. Et l’on peut trouver que c’est un prix assez bas. Pas assez bas encore, au gré de certains armateurs coloniaux, qui, pour réaliser une économie de 30 o/o, font venir leur personnel par voiliers. Cinq ou six cents pêcheurs et la presque totalité des graviers (jeunes Bretons des Côtes-du-Nord employés dans la colonie au séchage de la morue sur la grave ou grève) sont ainsi embarqués, sous forme de fret, sur les goélettes métropolitaines où on les empile vaille que vaille à fond de cale.

Le retour s’opère dans des conditions plus lamentables encore. Car, cette fois, tout le monde est logé à la même enseigne et, faute de steamer, les 2.500 pêcheurs et les 5 ou 600 graviers de l’armement colonial regagnent par voiliers leur port d’embarquement. Des bateaux de 75 et 100 tonnes, aménagés pour 10 hommes d’équipage, reçoivent ainsi jusqu’à 50 passagers et davantage. Les Cousins-Réunis en avaient 102 ; le Jules-Jean-Baptiste 100 ; l’Angler le dernier bâtiment perdu, 66 ; la Morue 60. Bondés de la sorte, les navires n’offrent aucune résistance aux éléments : il suffit quelquefois d’une simple lame pour les culbuter et le moindre accident s’y transforme en catastrophe. Là où dix hommes énergiques, disciplinés et de sang-froid, se tireraient peut-être d’affaire, cinquante ou cent, troupeau inorganique, succomberont inévitablement. Ah ! les scènes qu’on ne saura jamais et qu’on devine, le tragique intense de ces agonies collectives, le drame de ces dernières minutes à fond de cale ou sur le pont, en proie à l’horreur anarchique d’une cohue de déments !…

Si encore les navires qui servent au rapatriement des pêcheurs étaient tous solides et de bonne cote ! Mais la Morue, le Jules-Jean-Baptiste, perdus corps et biens avec leurs équipages et leurs passagers, comptaient déjà une vingtaine de campagnes ! La coque du dernier, avant de quitter le Barachois, avait même dû être réparée. Notre excellent confrère du Salut, M. F. Bazin, fait justement remarquer avec quelle insouciance à Saint-Pierre — et l’on peut ajouter, hélas ! presque partout — sont délivrés les permis de navigabilité. « Les capitaines visiteurs se bornent à poser, du haut du quai, aux équipages et aux passagers, cette question : « Êtes vous bien, les gars ? » Et comme les gars n’ont rien de plus pressé que de rentrer en France, ils répondent généralement oui à tue-tête, et le bateau part sans avoir été l’objet du moindre examen ». Voilà comment l’Angler, vieux lougre américain de 60 tonnes acheté en 1895 au Canada, qui, par parenthèses, ne se défait de ses navires que quand ils sont hors de service, put appareiller de Saint-Pierre avec 10 hommes d’équipage et 56 passagers des quartiers de Saint-Malo, Dinan, Cancale, Paimpol et Binic. En l’espace de quelques années, dix navires rapatrieurs à ma connaissance ont péri dans les mêmes conditions. Et je dois en oublier. Telle est en effet la fréquence des catastrophes qu’elles ont fini par n’être plus enregistrées par les interprètes de l’âme populaire que comme des événements de la plus désolante banalité :

Néman a néwé’n Plouec-Mór,
Met kant den yaouank èt fous an dour…

« Il n’y a rien de neuf à Plouec-de-la-Mer, — si ce n’est que cent jeunes gens sont allés au fond de l’eau. »

Tout simplement, il y eut, sans doute, de tout temps, des sinistres partiels en Islande et à Terre-Neuve : encore semble-t-il que les hécatombes collectives du genre de celles des Cousins-Réunis de la Morue, de l’Angler et du Jules Jean-Baptiste fussent beaucoup plus rares autrefois qu’aujourd’hui. La catastrophe du Rocabey restait une exception, et il est vrai que l’industrie moruyère n’avait pas pris tout son développement. Aussi l’émotion fut-elle vive sur la côte bretonne quand on apprit que deux navires malouins qui rapatriaient des équipages saint-pierrais, les Quatre-Frères et l’Ella, avaient sombré corps et biens en cours de route. Fils de terreneuvas, Yann Nibor ne pouvait demeurer insensible au deuil qui frappait ses compatriotes : la nouvelle de la catastrophe déclancha en lui le poète, si j’ose dire. Aux premières lignes du journal qui la relatait, son sang s’échauffe : ce ne sont plus les vers des autres qui bourdonnent dans sa tête, c’est une complainte inentendue jusqu’alors, une sorte de thrène populaire, de lamentation assonancée où, dans leur balbutiant idiome de primitifs, les « perdus » de la mer crient la grande pitié que c’est de mourir loin des siens. Il jette sur le papier les vers comme ils lui viennent, comme ils lui chantent plutôt, car la musique chez lui est inséparable de la poésie. Il appelle cela du nom des navires qui ont sombré : Les Quatre-Frères et l’Ella. Il interprète sa complainte le soir même au Soleil d’or. Succès fou, inouï. Un vrai délire…

Sur les Quat’Frères et sur l’Ella,
Y avait cent soixante-dix-neuf gàs,
Qui sont coulés au fond en tas…

— Et voilà, terminait le bon Yann, comment je fus sacré « barde des matelots » un soir de 1889, en la trente-deuxième année de mon âge, sur les pentes de la montagne Sainte-Geneviève, dans une tabagie du Quartier Latin…

*
* *

Il y a des biographies qui en disent plus long sur une œuvre que toutes les analyses du monde et quand elles auraient cinquante-six pages de texte comme la préface du capitaine Jousselin. Celle qu’on vient de lire n’est-elle pas le meilleur commentaire des frustes et touchantes mélopées du « barde des matelots » ?

La Chanson des Cols-Bleus, non plus que les autres recueils de Yann Nibor, ne peut être séparée de son auteur : elle fait corps avec lui et on la jugerait mal si on ne la jugeait que dans sa lettre. Il faut évoquer par surcroît la forte carrure du barde, ses yeux d’un bleu de faïence neuve, son verbe, son geste, ses coups de hanche, toute cette mimique pittoresque, qui en est l’accompagnement naturel. Ceux qui n’ont pas entendu Yann Nibor interpréter ses chansons ne connaîtront que la partie inférieure du poète. Le meilleur de sa poésie, c’est lui-même et qui mourra malheureusement avec lui. À quelques pièces seulement, comme les Albatros, les Sabots de Noël, la Boîte de Chine et, dans la Chanson des Cols-Bleus, cette Magicienne, d’un sentiment si profond, d’un timbre si pénétrant, on soupçonnera quel merveilleux organisme il fut, riche, puissant, complet, par l’accord, la fusion intime en une seule personne de tous les éléments d’expression qui se sont dissociés à la longue chez les contemporains et qui coexistaient chez lui comme chez les rapsodes des temps primitifs. Ce poète n’est pas seulement son interprète et un interprète proprement unique et inimitable : il est encore son musicien. Ou plutôt poète, musicien, exécutant, tout cela se présente chez lui comme l’oxygène et l’azote dans l’air atmosphérique, à l’état de synthèse naturelle et préétablie : le chant naît en même temps que le vers, et le geste accompagne le chant, et toute la machine vibre à l’unisson. C’est la plus surprenante combinaison qui soit et qui ne pouvait se rencontrer que chez un être intellectuellement très jeune et sorti lui-même d’une race demeurée au premier stade de son développement. Mais l’on conçoit assez qu’un tel art, qui déroute toutes les classifications, qui nous prend par tous les sens à la fois, exerce une séduction extraordinaire sur les auditoires les plus divers et pour si simple et si enfantin même souvent que s’en révèle à l’analyse chacun des éléments d’expression.


GOÉLETTES D’ISLANDE




À Hené-Marc Ferry.


C’est demain qu’elles appareillent de Paimpol. Elles sont une cinquantaine qui se serraient les unes contre les autres dans les bassins et qui palpitaient d’un obscur frémissement aux approches de leur migration. Et si jolies toutes, radoubées, astiquées, peintes de couleurs tendres, fleuries comme pour une noce ! On leur avait fait toilette avant le départ. Et il fallait de bons yeux, certes, pour reconnaître en ces pimpantes voyageuses les livides « rescapées » du pôle qui s’abattaient sur nos rades, l’automne dernier, membrures craquantes, vergues en pantenne, dans un relent de saumure, de charnier et d’huile rance.

Elles s’appelaient, elles s’appellent encore l’Anémone, l’Alcyon, la Mouette, le Cyclamen, l’Étoile d’Arvor, la Pâquerette, le Gardénia, la Perce-Neige, la Marjolaine… Noms idylliques ! Là-bas, où vont les goélettes, il y a aussi des fleurs, des oiseaux, même, jusqu’au 30 avril, des étoiles.

Ce ne sont plus les étoiles du ciel breton. Les oiseaux appartiennent à des espèces inconnues, eiders, pingouins, lagopèdes, cagnats mantelés, si peu farouches qu’on les prend à la main et que chaque bateau en rapporte un couple ou deux « pour les jardins de M. l’armateur ». Quant aux fleurs, aux « fleurs d’Islande », Dieu vous en garde ! Elles éclosent sur les poignets bleuis des pêcheurs ; en couronnes, en chapelets de furoncles, elles s’étendent, brûlent, rongent. On en viendrait à bout avec des soins et quelque antisepsie. Mais la propreté, l’hygiène, c’est bon pour les terriens ; ces hommes-ci, qui couchent tout habillés et bottés sept mois de rang sur une paillasse pourrie, le blason populaire a trouvé leur vrai nom : paotred-an-taouen, comme qui dirait les « Jean-Vermine »…

Jean-Vermine, bien entendu, ils ne le sont qu’à bord, le temps que dure la campagne de pèche.

Remplumés par cinq mois de farniente sous le toit familial, savonnés et « capelés » de frais comme leurs goélettes, non plus qu’elles vous ne les reconnaîtriez aujourd’hui. Pour la première fois, leur flottille appareille un 11 février. C’est un peu tôt sans doute. Et je songe à une belle toile de Dabadie, acquise par l’État au Salon de 1902 : égrenées sur l’eau grise, les goélettes, lentement, comme à regret, gagnent leur mouillage de la haute rade ; quand elles passent devant la chapelle de Notre-Dame de Perros, elles saluent du drapeau, quelques unes d’un cantique, presque toutes d’une génuflexion ou d’un signe de croix de l’équipage. Pourtant, les Islandais sont de fortes têtes. Ce n’est plus eux qu’on verrait, le béret en main, suivre par les rues de Paimpol la procession qui se rendait aux bassins, pour la bénédiction de la flottille ; ils ne chantent plus, dans ces rues, l’humble et naïf cantique :

Gardez bien notre nacelle
Contre la fureur des flots
Contre la fureur des flots,
Gardez bien nos matelots.

Un conflit entre la municipalité et le clergé local fit supprimer, en 1904, la procession et la bénédiction des Islandais. Le « pardon religieux » fut remplacé par un « pardon laïque » avec l’habituel programme de ces sortes de réjouissances : bal populaire, bataille de confettis, distribution de secours aux indigents, banquet et jeux divers, sans préjudice — pour que l’utile s’unit à l’agréable — d’une conférence de M. Feugard sur La Chalotais et les Jésuites.

On eût rêvé d’un autre viatique pour les pauvres gens. Si les radicaux paimpolais voulaient à toute force instruire nos pêcheurs en les distrayant, que ne leur payaient-ils tout simplement les « chevaux de bois » ?

Il n’est pas nécessaire qu’un Islandais soit anticlérical ; mais il n’est pas inutile qu’il soit bon écuyer ; si sa goélette fait côte à 3 ou 400 kilomètres de Reikiavik ou d’Akoreyri, il n’a de chances de rapatriement qu’à dos d’un de ces petits bidets d’Islande dont l’élevage est la grande richesse des indigènes et qui, pour l’endurance et l’alacrité, ne connaissent point de rivaux. Et quelle intelligence ! Sans guides ils vont où on leur dit d’aller, s’en retournent de même et, dans un pays qui n’a pas de routes, n’égarent jamais les équipages qu’on leur confie.

Encore ces équipages sont-ils — relativement — des privilégiés. Que de navires perdus corps et biens pendant la traversée de Paimpol « à » Islande ! Elle est longue, cette traversée, — longue et périlleuse. Au-delà des Shetland, plus de phare. Reste la boussole : mais l’aiguille, comme affolée par le voisinage des volcans, dévie souvent de 25 degrés en quatre heures à la même place… Et la pêche commence. Loti l’a décrite ; il n’y faut plus toucher. Tout de même, depuis Loti, la vie du Pêcheur d’Islande s’est un peu améliorée. L’armement paimpolais ne ressemble plus guère à l’armement d’il y a vingt ans ; elles ne seraient plus exactes pour toutes les goélettes, ces lignes navrantes du Dr Forterre, médecin-major de la marine :

« Les logements sont mal distribués, mal aérés, encombrés. L’hygiène le plus élémentaire y est méconnue. L’éclairage le plus souvent est obtenu au moyen d’une lampe alimentée avec l’huile de foie de morue. Odeur nauséabonde… Malpropreté… Jamais de pain, jamais de viande fraîche, sauf pendant les courtes relâches dans les fiords… »

J’ai visité, à Paimpol, des postes d’équipage qui ne ressemblaient pas aux porcheries flottantes décrites par le Dr Forterre : propres, clairs, ils faisaient plaisir à voir : mais ils étaient encore l’exception et il faudrait qu’ils devinssent la règle. On y arrivera.

Autre progrès : l’Islande, depuis l’année dernière, est rattachée au confinent par un câble qui traverse les Féroë et aboutit aux Shetland ; les familles des pêcheurs auront donc de leurs nouvelles régulièrement si l’administration de la marine, comme je pense, veut bien prendre la peine de les tenir au courant des mouvements de la flottille. Et je vois encore, dans mes notes, que trois observatoires météorologiques ont été installés au sud, à l’est et à l’ouest de l’Islande. Ces observatoires rendront les plus grands services à nos goélettes qui n’avaient jusqu’ici que le baromètre pour se renseigner sur l’état probable du temps. Enfin les journaux, au mois d’août dernier, nous apprirent que M. Philippe Crozier, ministre de France à Copenhague, s’était rendu en Islande et aux Féroë, pour y étudier « les améliorations qu’il convenait d’apporter à nos établissements hospitaliers ». On parlait même de la création d’un nouvel hôpital maritime aux Féroë… J’ai peur que la nomination de M. Crozier à Vienne n’ait renvoyé aux calendes l’exécution de tous ces beaux projets.

Son successeur aurait quelque mérite à les reprendre. 4.000 pêcheurs français s’expatrient chaque année dans les mers d’Islande. C’est un chiffre. Et, en moyenne, quand elles ne se perdent pas corps et biens, une dizaine de goélettes font côte chaque année sur quelque point de l’île.

Mais cette île est grande comme quinze de nos départements réunis. Or, jusqu’en 1896, il ne s’y voyait qu’un seul hôpital, à Reikiavik, « tenu, dit l’abbé Gicquello, par une bonne femme qui ne savait pas deux mots de français. » S’il y a aujourd’hui, à Handkot et à Faskrud-Fiord, deux établissements hospitaliers à peu près dignes de ce nom, on les doit aux efforts combinés de la Mission catholique danoise et de M. l’abbé Pitte, curé de Grand-Port-Philippe, près de Dunkerque. Je crois que les îles Wetsmann possèdent aussi un embryon d’hôpital depuis 1903. Mais aucun médecin n’y est attaché. Bref, n’était le navire que les Œuvres de mer expédient chaque année en Islande et qui reçoit et traite gratuitement à son bord les éclopés de la flottille moruyère, on pourrait dire que nos pêcheurs sont à la merci des événements. Guérisse qui peut ; meure qui ne peut guérir : le gouvernement français n’en a cure… Je me trompe : en 1804, par décision de M. Pelletan, le ministère de la marine supprima la modique subvention qu’il accordait jusque-là aux navires-hôpitaux des Œuvres de mer.

L’initiative privée s’est substituée aux pouvoirs publics défaillants : nullement découragée par l’hostilité ministérielle, on l’a vue qui redoublait d’efforts, apportait chaque année quelque perfectionnement nouveau à sa grande et complexe entreprise de sauvetage, — sauvetage des corps, sauvetage des âmes. Et la reconnaissance des pêcheurs l’en a récompensée en somme. Parlons sans feinte : tout n’est pas que deuil et misère dans la vie des Islandais. Les plus tristes ciels ont leurs éclaircies. Et ces hommes sont jeunes pour la plupart. Quel émoi chez eux, par exemple, quel brouhaha d’allégresse, quand est signalé le stationnaire qui apporte le courrier de France ! Fête encore, l’arrivée du navire-hôpital des Œuvres de mer. Fête surtout, les relâches dans les fiords, où on livrera la première pèche aux « chasseurs ». Le séjour dans ces fiords, désignés à l’avance par l’armateur, dure quelquefois plus d’une semaine. On en profite pour renouveler la provision d’eau douce, réparer les avaries, écrire au pays, enfin binicasser.

Binicasser ? Ne cherchez pas. Binicasser est un verbe qui n’a pas encore ses droits d’entrée à l’Académie et dont l’étymologie est assez mal connue d’ailleurs. L’abbé Gicquello le fait dériver de Binic, petit port breton qui arme pour la morue. Du moins, le sens du mot est il parfaitement clair. Dix, quinze goélettes sont souvent réunies dans le même fiord ; les amis, les originaires d’une même commune se visitent d’un bord à l’autre et, pour égayer la partie de bavette, emportent avec eux l’eau-de-vie qu’ils ont économisée à cette intention, deux mois durant, sur leur ration quotidienne. Merveilleuses saoûleries ! D’un pochard qu’on ramène à son bord, couché au fond du canot, les Islandais disent avec admiration :

— Celui-là, aussi donc, il a fameusement binicassé !…

Quelquefois même on descend à terre.

Elle n’est pas très gaie, cette terre d’Islande, dont les petits bœrs trapus, sur leur toiture de planches et de tourbe, font flotter au printemps de véritables prairies. Cinq fois sur douze, la neige y endort toute vie. Quand elle se décide à fondre, c’est pour découvrir de grands steppes nus, au pied de collines de lave violette qu’opprime la formidable stature de l’Hécla. Nulle végétation que de l’herbe, des lichens et des mousses. À Akoreyri pourtant, la seconde ville de l’Islande, on montre un phénomène : c’est un arbre, un arbuste plutôt, le seul de toute l’île, pauvre sorbier rachitique, poussé là on ne sait comment et qui n’en fait pas moins l’orgueil des indigènes.

Qu’à plus juste titre ils se prévaudraient de la beauté de leurs filles ! Peut-être le renom des « vierges islandaises » n’est-il point aussi universel que le pensait lord Dufferin, qui, dans un toast en latin, chez le gouverneur de Reikiavik, affirma sérieusement que la beauté de ces vierges « était appréciée du monde entier ». Il est vrai, du moins, que, dans leurs corsages aux riches agrafes étroitement collés sur le buste, avec leurs mîtres de fête comme sous la petite calote plate de drap noir qu’elles portent en semaine et dont la pointe, qui bat sur l’épaule, passe dans un coulant de métal, les filles d’Islande ne laissent pas d’être de dangereuses rivales pour les filles de Bretagne.

Elles ont, comme les laitières de l’Oberland, de longues nattes de cheveux blonds qui leur pendent jusqu’à la ceinture, des yeux couleur de fiord, de grands fronts lisses, la peau blanche, la taille souple et le cœur sur la main.

Si l’on en croit les méchantes langues, nos pêcheurs n’auraient pas toujours été insensibles à tant de perfections. Vingt récits en courent aux veillées, qui témoignent de la redoutable puissance des « vierges islandaises ». Jeté par un naufrage sur les rochers de Patrix-Fiord et recueilli dans un des petits bœrs du voisinage, il y eut, entre autres, un frère de Yann qui oublia, toute une année, près d’une de ces sirènes, la Gaud qui l’attendait à Paimpol. Le remords, quelque lassitude aussi peut-être et cette nostalgie dont ne guérissent jamais les Bretons, l’arrachèrent enfin à son péché. Il s’évada sur une goélette en partance, retrouva au pays sa fiancée et l’épousa. Mais, de ses amours passagères, une fille naquit, merveille de grâce et de fraîcheur, qui tenait, il y a quelques années, le petit débit de Patrix-Fiord, où nos pêcheurs aimaient venir fumer leur pipe autour du poêle. Cette jeune Celto-Islandaise flattait obscurément leur fatuité : elle symbolisait l’accord des deux races ; fidèle aux rites de l’hospitalité islandaise, elle leur présentait, à leur entrée dans le bœr une jatte de lait où elle avait trempé ses lèvres, puis ces lèvres mêmes à goûter…

À Pâques, à la Saint-Jean d’été, les goélettes encore sont en fête.

Dans la nuit du 24 juin principalement, tandis que la Bretagne lointaine, là-bas, derrière l’horizon, s’étoile de points d’or et danse autour de ses tantads, la mer d’Islande, à son exemple, se fleurit de soudaines constellations.

Un baril, depuis le matin, sur la goélette, oscille lourdement à l’extrémité de la grande vergue. On y a empilé d’antiques défroques, mouffles, « cirages », vareuses, préalablement trempées dans le goudron et l’huile de foie de morue. Comme en Bretagne de son fagot, chaque homme y est allé de sa contribution personnelle de vieux chiffons. L’équipage, vers huit heures, a formé le cercle au pied du mât. Il ne fait pas nuit « à » Islande, du premier mai au premier octobre. Est-ce le jour, pourtant, ce crépuscule perpétuel, ces limbes blafards, où grelotte un soleil chlorotique ?… Le novice grimpe dans les enfléchures, boute le feu au baril. Et voici que, dans un tourbillon d’opaque fumée noire, la flamme éclate, bondit, se propage, dirait-on, de bord en bord.

Phénomène explicable, toutes les goélettes, ce soir là, ayant leur fouée traditionnelle, leur tantad aérien suspendu à l’extrémité de la grande vergue et qui déchaîne, dans l’instant qu’il s’allume, les acclamations frénétiques de l’équipage. Le tumulte s’apaise pour la récitation de la prière. Puis, le capitaine descend dans le poste payer « la double » à ses hommes. Au réveil encore, s’il est content d’eux, il leur offrira le café et les « accessoires »…

Mais combien, parmi ceux qui s’en vont demain, verront la Saint-Jean d’été ? God made the world, but the devil made Iceland[64], dit un proverbe anglais. Au Minotaure polaire, il faut son tribut annuel de jeunes hommes, et il n’y a point d’exemple qu’une campagne d’Islande ait été heureuse jusqu’au bout… Trois goélettes, l’an passé, se perdirent au début de la pêche. Elles s’appelaient la Walkyrie, l’Aristide, l’Henriette. Et le nom de gloire qui flamboyait à sa poupe n’empêcha pas, un an plus tôt, une autre goélette de connaître le même destin près de Torlak.

Celle-là s’appelait le Pierre-Loti.



LE BIEN DU PÊCHEUR




À Auguste Dupouy.


Oui, ce matin, sur le viaduc d’Auteuil, j’ai bien cru l’entendre, le respirer, ce vent du large, âpre et grisant, chargé de sel, de sable, d’effluves iodés, qui n’est pareil à aucun autre vent.

Il avait dû se tromper de route, embouquer par mégarde le couloir de la Seine, glisser sous les arches des ponts, et c’était lui, le pirate, qui donnait l’assaut à la grande ville. Les passants raffermissaient leurs chapeaux ; les femmes serraient leurs jupes. Tous pestaient contre le malappris. Le vent est anonyme dans Paris et, qu’il souffle du midi ou du septentrion, ce n’est jamais que le vent, un maraud, un gêneur, un trouble-fête. On ne lui demande pas son état-civil ; on ne fraye pas avec lui ; on se hâte dès qu’il commence à prendre sa grosse voix…

Moi, je m’étais arrêté ; à son odeur plus encore qu’à sa fanfare, j’avais reconnu le terrible « roi de la mer ». S’il fait le diable à quatre ici, pensais-je, que doit-ce être là-bas, sur cette pointe de Bretagne, étrave aux trois quarts submergée du vieux continent ? Combien de barques seront à la côte ce soir ? Filets perdus, casiers démolis, palangres en dérive, heureux le pêcheur qui en sera quitte pour ces menues avaries ! Aux drisses du sémaphore, le cône noir, avertisseur des basses pressions atmosphériques, n’est pas toujours hissé assez tôt. Et, même hissé en temps opportun, il n’arrête pas toujours le marin qui n’a pour vivre et faire vivre les siens que le produit de sa pêche quotidienne.

Si encore la pêche était bonne ! Mais de plus en plus la mer se montre avare, le poisson capricieux ou rétif. La sardine n’a peut-être pas quitté sans esprit de retour les côtes bretonnes ; il n’est même point sûr qu’elle émigre et il est plus vraisemblable qu’elle se cache d’octobre à mai dans les profondeurs ; mais il faudrait pour la prendre des engins moins rudimentaires que ceux dont on s’obstine à se servir. Restent les autres pêches : la pêche des raies, praticable seulement aux mortes-eaux d’hiver, une semaine sur deux ; celles des maquereaux, lieux, grondins, turbots, congres, etc.. Toutes, même la pêche des langoustes, languissent peu ou prou, depuis que les chalutiers à vapeur sont entrés en scène ; ces « ravageurs de la mer », comme on les appelle à Douarnenez, sont les bêtes noires de nos pêcheurs. Enfin l’alcool — l’abominable alcool de grains et de pommes de terre, six fois plus nocif que l’alcool ordinaire, d’après Dujardin-Beaumetz — ne laisse pas d’avoir sa large part de responsabilité dans la crise.

De 1858 à 1900, la consommation de l’eau-de-vie a plus que doublé en Bretagne : elle est de 19 litres par tête à Audierne, de 11 à Douarnenez, de 10 à Concarneau.

Des remèdes, des palliatifs au mal ? On en a proposé plus d’un ; le transplantement, le changement de profession[65]… Il y a trop de pêcheurs en Bretagne, a-t-on dit, et cela est vrai. Mais il est vrai aussi que les quatre cinquièmes des équipages de la Flotte sont bretons et que les mesures qu’on préconise risqueraient de tarir les admirables réserves où s’alimente notre marine de guerre. En outre l’émigration vers la Tunisie et d’Algérie « désengorgerait » momentanément nos ports de l’ouest, mais non au profit de nos colonies africaines, où des expériences répétées et plus malheureuses les unes que les autres montrent qu’il est impossible d’acclimater les pêcheurs bretons.

Alors ? demanderez-vous.

Alors il faut chercher autre chose, tâcher, par exemple, de régulariser le rendement de la pêche sans réduire le nombre des pêcheurs, — ce qui serait possible, si les inscrits consentaient à recourir aux engins perfectionnés dont ils ont obtenu l’interdiction et si les fabricants de conserves élargissaient la « capacité de production » de leurs usines.

Les inscrits, malheureusement, sont hostiles au régime de la liberté des engins, et le ministre de la marine, qui leur donne tort à la tribune, hésite à passer outre dans la pratique, pour ne point s’aliéner une clientèle électorale de cette importance.

Nous voilà au rouet, semble-t-il. Patience ! On ne veut pas de la solution précédente : la suivante sera peut-être mieux accueillie.

« Pour conjurer les effets désastreux de certains chômages, m’écrivait dernièrement M. de Thézac, il faudrait que le pêcheur breton eût deux cordes à son arc : la pêche et la culture. Il faut créer le « Bien du Pêcheur ». Il faut doter le brave homme du petit bout de terre qui lui procurera des ressources supplémentaires et lui « profitera » en le distrayant. Grosse méprise de croire que le pêcheur est rebelle à l’idée de culture ! Seulement, pour qu’il s’intéresse à la terre, il faut qu’il y ait une maison dessus. En un mot, le « Jardin du pêcheur » est une utopie : le « Bien du pêcheur » — à savoir un lopin de terre et une maison — est au contraire la réalisation du plus cher de ses vœux… »

À l’appui de sa thèse, mon correspondant aurait pu citer le cas, éminemment significatif, des brugards du Cap Sizun, dont beaucoup sont fermiers ou propriétaires-exploitants en même temps que pêcheurs.

« Hors les rares exemples d’ivrognerie invétérée, dit M. Théodore Le Gall, ces pêcheurs-agriculteurs sont très à l’aise et demeurent toujours à couvert — grâce à leurs habitudes d’économie, — des caprices et des éventualités de toutes les pêches qu’ils pratiquent[66]. »

Le système, on le voit, a fait ses preuves. Il y aurait donc intérêt à le généraliser et, si la chose paraît assez malaisée, pour ne pas dire impossible, dans certains grands ports de pêche comme Douarnenez et Concarneau, où le prix du terrain est très élevé, elle ne présente point les mêmes difficultés dans les petits ports, de beaucoup les plus nombreux et où la valeur du terrain n’a presque pas bougé. M. de Thézac, avec sa fougue d’exécution habituelle, s’est chargé de le démontrer : par ses soins, depuis le mois d’août dernier, Sainte-Marine, en Combrit, possède quatre maisons-types, entourées chacune d’un petit champ de 350 mètres carrés, lesquelles reviennent, clef en main, à 2.000 francs et ont été immédiatement cédées à des ménages de pêcheurs. Le prix de la location-vente, 75 francs, dont les 3/4 sont considérés comme capital remboursé, témoigne assez que l’Œuvre n’entend pas faire une spéculation de la charité, envisage dès l’origine le sacrifice pur et simple des intérêts de ses avances.

Et il faut bien qu’il en soit ainsi. Comme dans ces Abris du Marin, fondés en 1899 par le même M. de Thézac et qui ont pris, en quelques années, un développement si prodigieux, le désintéressement absolu est ici la condition du succès.

M. de Thézac avait été frappé de bonne heure par ce qu’il appelle « l’instinct de sociabilité des pêcheurs à terre ». Voilà une forte observation. Elle contredit quelque peu les idées reçues sur l’esprit étroit, le jaloux individualisme de nos pêcheurs, et spécialement des pêcheurs bretons. Et j’accorde que les apparences ne sont pas toujours en faveur de ces pauvres gens. Que de peine, par exemple, n’a-t-on pas eue pour les habituer à payer régulièrement leurs invalides ! Je sais encore des districts maritimes où le recouvrement de cette modique somme ne s’opère point sans tiraillements. Et pourtant, si le pêcheur breton demeure réfractaire à l’esprit de nouveauté, s’il redoute certaines ingérences dont il ne soupçonne qu’avec trop de raison le caractère intéressé, il y a chez lui, tout au fond, un très vif sentiment de la solidarité qui doit unir les membres d’un même groupe social.

La tribu, le clan, ne sont supprimés que de nom en Bretagne. En fait, ils subsistent ; ils mettent, entre les hommes, un lien moral extrêmement fort et qui ne s’est point encore relâché. Quand un deuil frappe une famille, c’est toujours le clan, la tribu, qui pourvoit aux besoins les plus pressants des orphelins et des veuves. À la suite du dernier sinistre qui ravagea l’île de Sein, une dame de Bordeaux écrivit à l’adjoint faisant fonction de maire pour offrir d’adopter un enfant pauvre de l’île : on n’en trouva ou plutôt on n’en voulut découvrir aucun. C’est que le clan mettait une sorte d’amour-propre à ne pas laisser à la charité étrangère les victimes qu’avait faites l’inondation. Dans cette même île de Sein, la préférence pour les emplois de mousse est toujours donnée aux orphelins et aux fils de veuves. Par une superstition touchante, les patrons qui les prennent sur leur rôle passent pour avoir plus de chance que les autres[67]. Un peuple qui pousse à ce degré le sentiment de la responsabilité sociale est certainement mûr pour des formes plus savantes de la mutualité : ainsi raisonna M. de Thézac et son raisonnement était juste, comme l’atteste la rapide et incessante prospérité des Abris.

« L’objet spécial des Abris, dit un prospectus déjà ancien, est d’attirer les pêcheurs les jours de relâche (si fréquents l’hiver sur nos côtes de l’Océan et la Manche) et de les retenir en leur offrant gratuitement des salles de réunion : grande salle commune où ils trouveront leurs jeux favoris : salle de lecture avec bibliothèque qui leur fournira des éléments d’instruction professionnelle (livres nautiques, cartes marines) et de récréation intellectuelle (journaux illustrés, livres de vulgarisation scientifique et récits de voyages). Les fondateurs se proposent aussi de leur offrir certains avantages matériels, tels que coquerie pour les marins de passage, citerne à eau douce, etc. Un local pour le gardien et un préau couvert pour les jeux complètent l’établissement qui, d’ailleurs, devant être adapté aux besoins de chaque port, variera plus ou moins dans ses détails. »

Ambitieux programme ! Pour le remplir — et il a été rempli, même au-delà, — il fallait l’homme qu’est M. de Thézac[68].

Que n’avez vous pu, comme moi, le voir à l’ouvrage, là-bas, sur son petit yacht et dans son ermitage de Sainte-Marine, entre sa femme et ses chers enfants ? Quand on m’introduisit dans son cabinet de travail, je crus pénétrer dans un roufle de navire. La mer entrait de tous les côtés par les vitres ; des mouettes piaillaient dans le vent, se cognaient aux carreaux. Peu après nous mîmes à la voile pour le Guilvinec. Je retrouvai M. de Thézac en vareuse, coiffé d’un béret, chaussé de sabots comme un simple pêcheur. Le yacht filait grand largue, salué par les barquettes des sardiniers. Un matelot et mon hôte faisaient tout l’équipage. Et j’admirais comme cet homme si frêle, un peu voûté, aux tendres yeux de myope, était là dans son élément. Nous causions des Abris ; je lui demandai quelques renseignements personnels. Mais il esquivait la question, revenait toujours à ses chers amis les pêcheurs, à leurs besoins, à leur vie d’héroïsme et de misère, aux affreuses tentations qui les guettent dans les ports. C’est une obsession chez lui. Il pousse la modestie, l’oubli de soi, jusqu’à l’effacement total : il est la bienfaisance anonyme et d’autant plus efficace qu’elle se laisse ignorer, qu’elle s’ignore peut-être elle-même. Barrès[69] raconte qu’un étranger, visitant, avec M. de Thézac, les Abris du Finistère, se scandalisait qu’aucun pêcheur ne soulevât son béret sur le passage de l’excellent homme. « Émoi naïf, dit-il, que nous eussions tout d’abord partagé et bien à tort ! Comment ne pas voir qu’ici l’effacement volontaire de l’apôtre était nécessaire au succès de l’apostolat ? »

Il n’est pas Breton, pourtant ; il n’est même pas né sur la côte. Cette biographie qu’il s’obstinait à ne pas me fournir, j’ai pu, morceau par morceau, la reconstruire ; j’ai su ainsi qu’il était né à Orléans en 1862, qu’une myopie progressive interrompit de bonne heure ses études, qu’anémié, de constitution faible, il dut aller chercher la guérison sur les dunes de la Charente-Inférieure où, adolescent, il se prit d’une subite passion pour la mer. À quinze ans, sur son canot à voiles, comme le héros de Jules Verne, il se lançait à travers les terribles coureaux de Saintonge. Les Saintongeois, qui n’en croyaient pas leurs yeux, ne voulaient point admettre que ce fût un petit Français qui poussât si loin l’audace et ils l’avaient surnommé le « capitaine américain ». En 1888, il avait fait deux fois la traversée d’Arcachon au Havre. Il vivait de la vie des pêcheurs, se pénétrait de leurs besoins. Et déjà il ne se satisfaisait plus de naviguer « pour le plaisir ». La maxime paternelle que c’était « détourner la vie de son sens que de ne travailler que pour soi » le hantait et il cherchait obscurément, à tâtons, « un moyen de se rendre utile à ses semblables ».

Il devait le trouver, ce moyen, en 1896, quand, fixé par son mariage avec une Bretonne sur la côte finistérienne, il connut de près la misère de nos pêcheurs. Il se jura aussitôt d’être l’homme qui combattrait cette misère, qui s’attaquerait au monstre de l’alcoolisme et le terrasserait. L’apôtre était né. Et apôtre n’est pas trop dire. M. de Thézac a la foi qui soulève les montagnes. Il exécute presque aussitôt qu’il conçoit et l’action, chez lui, est vraiment la sœur du rêve. À peine la pensée des Abris avait-elle germé dans son cerveau qu’il la faisait entrer dans la réalité. Seul — au début du moins, — avec ses ressources particulières, en prenant sur un budget qui n’est pas celui d’un Carnegie ou d’un Vanderbilt, il mettait sur pied les Abris de l’île de Sein, du Guilvinec et du Passage-Lanriec ; il les organisait, les dotait ; il leur assurait un personnel et une clientèle ; il tenait tête à la triple coalition des égoïsmes, des intérêts et des jalousies (vous pensez, en effet, si les débitants voyaient d’un bon œil la tentative de M. de Thézac). Et, son œuvre sur pied, il s’effaçait, ne lui demandait pour tout loyer que de vivre, de durer. Tel est le désintéressement de cet homme admirable, dont peu de gens connaissaient jusqu’ici le nom, qu’il a fallu presque lui faire violence pour l’obliger à sortir de l’anonymat et — quand les concours lui sont enfin venus — pour le décider à accepter la présidence de l’œuvre qu’il avait fondée de ses deniers.

Aujourd’hui ce n’est pas seulement l’île de Sein, le Guilvinec, le Passage-Lanriec qui possèdent des Abris : Audierne, Concarneau, le Palais, Camaret, Sainte-Marine ont été dotés d’établissements analogues. L’œuvre gagne de proche en proche et le Bien du Pêcheur arrive à point pour consolider et fixer en quelque sorte les résultats de cette conquête morale.

La nouvelle création de M. de Thézac n’a pas en effet, nous le savons, un caractère moins hautement désintéressé que ses Abris ou son Almanach du Marin. Aussi bien est-ce ce caractère qui permet au comité d’imposer à ses locataires-acheteurs certaines conditions qu’ils supporteraient malaisément d’un vendeur ordinaire : la maison, par exemple, ne servira jamais de « débit d’alcool » ; elle ne saurait être rétrocédée qu’avec l’agrément du comité ; aucune parcelle cultivable du terrain attenant ne pourra être distraite pour recevoir des bâtiments de location. Cette dernière clause peut sembler singulière : elle n’est inspirée que par des considérations d’hygiène. M. de Thézac n’a pas été sans remarquer « la funeste tendance des familles bretonnes à l’entassement » et il ne croit pas pouvoir mieux combattre cette tendance qu’en enlevant « au marin devenu propriétaire l’idée et la possibilité de sacrifier une portion de son jardin pour y bâtir des logements à louer ». Le Bien du pêcheur ne s’en tient pas là : il choisit les terrains, toujours exposés au sud et à proximité du port ; il veille à la bonne exécution comme au bon agencement des immeubles (larges ouvertures, aération automatique, etc.) ; il s’adresse surtout aux jeunes ménages, dans le double espoir de leur inculquer des habitudes d’épargne qui les arrachent aux sollicitations de l’alcool et de prévenir les démoralisants effets des longs chômages périodiques dont souffre la pêche sardinière.

Souhaitons qu’une telle entreprise, qui ne sollicite aucun concours financier, qui veut agir et se répandre par la seule puissance de l’exemple, rayonne bientôt sur toute la côte. Elle n’est téméraire, aventurée, que pour ceux qui ne connaissent pas M. de Thézac et les miracles dont il est coutumier. Ceux qui, comme moi, ont vu à l’œuvre le fondateur des Abris ne gardent aucune inquiétude : entre ses mains le Bien du pêcheur ne périclitera pas ; l’arbre portera tous ses fruits ; il a commencé déjà à les porter…

Et, tandis que le vent du large soufflait en foudre autour du viaduc d’Auteuil, je me disais :

— Souffle, naufrageur ! Ton règne est passé : tu as trouvé ton maître… Il est là-bas, dans une crique perdue de la mer bretonne, à l’embouchure de l’Odet. Il semble que d’une chiquenaude tu le renverserais… Si la Bretagne maritime peut être sauvée des griffes de tes deux pourvoyeurs habituels, les plus sûrs complices, l’ivrognerie et la routine, ce sera pourtant par ce fragile petit homme… Souffle, vent du large, roi découronné !

CHEZ TAFFY

QUINZE JOURS DANS LA GALLES DU SUD

(Juillet-Aoùt 1899).




À Oscard Havard.

I


Pourquoi le pays de Galles est peu connu. — En route pour Southampton. — Où l’on retrouve la Loïe Fuller. — Cowes et l’île de Wight. — Le sanatorium militaire de Nettley. — Les light-vessels. — Dimanche anglais. — Le panier de Satan. — Un Carnac britannique. — Les alignements de Stone-Henge. — Salisbury. — Le cheval historique. — Un clergyman en goguette. — Sous la Manche de Bristol. — La fraternité celtique.


Il y a peu de pays qui soient moins connus chez nous que le pays de Galles. Cela tient à bien des raisons, dont la meilleure est qu’on ne le distingue point de l’Angleterre proprement dite. L’Irlande et l’Écosse, à la bonne heure ! Voilà des contrées originales, curieuses, passionnantes. Mais le pays de Galles ?…

J’étonnerai probablement mes lecteurs en leur affirmant que, des trois grandes communautés celtiques soumises à l’Angleterre (je laisse de côté le Cornwall, où, à l’exception de M. John Hobson Mathews, personne ne parle héréditairement l’ancien cornique), la communauté galloise est cependant la plus intéressante à étudier, peut-être parce qu’elle présente ce phénomène unique d’une race qui, sans rien abandonner en apparence de son patrimoine de croyances, de langue et de mœurs, s’est pliée avec une admirable souplesse à toutes les conditions de la vie moderne.

Comment s’est fait l’accord ? Fut-il spontané ou s’il y fallut l’exemple, le contact et peut-être la pression lente, méthodique, du génie anglais ? Et, enfin, au prix de quelles concessions a-t-il pu s’établir ? Toutes ces questions avaient leur intérêt. Je ne prétendais point les résoudre au cours d’un voyage de quinze jours dans la Galles du Sud, dont une bonne moitié serait prise par les cérémonies de l’Eisteddfodd ; mais je me liais au hasard pour me permettre de contrôler sur place quelques-unes au moins des observations que j’avais déjà faites à distance.

Nous avions choisi, pour gagner Cardiff, la voie de Southampton-Salisbury-Bristol. L’itinéraire est à retenir. Il n’y a pas de région plus anglaise ou plus normande (c’est tout un) que cette région du sud-ouest comprise entre la Manche de Bristol et les Southampton-Waters. Et, par l’effet du contraste, l’impression n’en est que plus saisissante quand on passe le seuil et qu’on entre de plain-pied en pays celte.

Nous l’éprouvâmes sans tarder. Partis du Havre sur le minuit, nous étions, vers six heures du matin, en vue des côtes anglaises ; mais elles étaient si confuses encore qu’on avait peine à les distinguer du bourrelet de fumée qui cernait l’horizon. Il n’y avait de net au regard qu’un grand carré lumineux que le soleil découpait comme à l’emporte-pièce dans les falaises crayeuses du Sussex. Mais, quand ce point de repère nous eût manqué, les approches de la terre se fussent révélées à la multitude de navires qu’on apercevait de toutes parts. Le paysage se précisa au bout d’un mille ou deux. L’hélice de la Columbia battait une eau légère et comme nacrée. Le ciel était lui-même de ce joli gris d’argent qui prête à certaines matinées d’août une délicatesse incomparable. Nous entrions dans la grande rade foraine de Spithead et, sous cette aube adolescente, par ce calme du ciel et de la mer, les rades côtes du Sussex et du Hauts s’habillaient d’un gaze multiforme et multicolore, d’une ondoyante gaze rose, orange et lilas, qui jouait autour d’elles, se déchirait et se renouait instantanément.

— Mais c’est copié de la Loïe Fuller, cet effet-là, fit remarquer quelqu’un.

Copié ou non, l’effet était ravissant. Nous étions vraiment sous le charme : il fallut pour le rompre l’apparition brusque, sur la mer, de trois massives bastilles, quadrillées de noir et de blanc et toutes hérissées des pieds à la tête de longues caronades d’acier poli qui les faisaient ressembler à de grandes pelotes d’aiguilles ou encore à de monstrueux oursins. Je doute pourtant que ces façons d’épouvantails, coulés en béton sur les basses de Portsmouth, soient aujourd’hui de quelque utilité pour nos voisins : Portsmouth a d’autres défenses dans sa flotte, ses forts intérieurs et son lacis de torpilles sous-marines. Les Anglais n’en font pas moins état de ces trois tours blindées qu’on eût vivement liquidées chez nous au lendemain de leur déclassement. Et qui sait, après tout, si, quelque beau matin, les transformations du matériel, une évolution de la tactique navale ne rendront point de leur importance à ces bastions d’un autre âge ? Ce sont là des considérations qui touchent nos voisins et qui ne trouvent point d’écho chez nous : témoin tant de forts déclassés, comme le fort la Latte, le fort Cézon, le fort de Belle-Isle, le fort Sainte-Marguerite, etc., etc., brocantés par l’État républicain pour quelques centaines de francs et qu’il faudra racheter plus tard leur poids d’or. Les Français ont la vue courte et la judiciaire itou…

En ligne sur la mer, les light-vessels à coque rouge jalonnent le chenal.

De forme trapue et ramassée, presque ronde par le haut, très fine par le bas, avec une quille principale plus saillante que dans les navires ordinaires et des quilles latérales de petit fond qui réduisent l’amplitude du roulis, ils sont affourchés au droit du plateau sous-marin par deux ancres mouillées à une centaine de brasses l’une de l’autre et empennelées avec un corps-mort de bouée, mouillé lui-même dans le sens et en dehors de l’affourche. À la différence de nos bateaux-feux, ces light-vessels n’ont généralement qu’un seul mât, solidement étayé et haubanné pour porter la lourde lanterne octogonale où l’on hisse la nuit, dans leur cage treillisée, les lampes à réflecteur.

Tels quels, ils m’ont paru inférieurs en puissance et peut-être en stabilité à nos bateaux-feux. Il est vrai que les light-vessels, non plus que les phares de terre, ne relèvent chez nos voisins d’une administration d’État. Ils appartiennent à une société particulière d’origine très ancienne, puisqu’on la voit mentionnée dans une charte de Henri VIII, datée du 20 mars 1512, la Trinity-House of Dorford Strand, qui monopolise l’éclairage des côtes pour toute l’Angleterre et le pays de Galles[70]. La société se charge de l’entretien des feux ; en échange, les navires qui passent en vue de ces feux sont frappés d’un droit de péage qu’il leur faut acquitter à leur entrée dans les ports du Royaume-Uni…

Chaque tour d’hélice fait saillir un nouveau détail du paysage. L’île de Wight, qui se confondait tout à l’heure avec la côte, s’en détache peu à peu, prend une personnalité, des lignes, une structure et une couleur distinctes. Quand nous aurons doublé la pointe sableuse de Carisbruch-Castle, mince et plate comme une lame d’épée, nous quitterons l’eau salée pour l’eau douce, le British Channel pour les Southampton-Waters, celles-ci formées par la réunion des différentes rivières qui passent à Southampton et qui s’élargissent prodigieusement à leur embouchure. Les rives basses de Wight laissent à découvert, au reflux, de grands marais dormants, des vases grises et vertes, où les pattes des échassiers s’inscrivent lisiblement en triangles contrariés. Sur la hauteur, dans la verdure, on nous montre les deux grandes tours carrées d’Osborn, résidence préférée de la reine. En pente douce, la campagne descend jusqu’à la mer, une campagne grasse, unie, sans accidents, comme les campagnes normandes qui leur font vis-à-vis…

Des cottages, des mâts, des pavillons : c’est Gowes, siège du Royal Yacht Squadron, où se courra dans quelques jours la Coupe de la reine. Il y a là tous les types de la navigation de plaisance, yachts à vapeur et à voile, ferries, cotres, racers, périssoires et jusqu’à deux ou trois de ces grands paquebots de plusieurs milliers de tonneaux de jauge nommés Océan Greyhounds, lévriers d’océan…

À mesure que nous remontons les Southampton-Waters, les berges se resserrent, l’écartement diminue. Entre Portsmouth et Southampton, parallèlement au fleuve, court une grande bâtisse, briques et tuf, dans le style vaguement oriental du Trocadéro : elle a deux milles et demi de long sur tous ses côtés ; un immense parc l’entoure. Quid ? Un palais ? Un musée ? Tout simplement un hôpital militaire, le sanatorium de Nettley, le plus vaste du monde, le plus confortable aussi, fondé par la reine Victoria, sur sa cassette particulière, pour les troupes revenant de l’Inde et du Cap… Quelques minutes après nous débarquons.

L’avantage de Southampton est qu’on y trouve de l’eau à mer basse comme à mer haute et que les appareillages et les accostages s’y peuvent faire à heure fixe. Un interprète nous attend sur le quai. Il nous débarrasse de la douane, fait charger nos bagages et nous mène à deux pas, dans un garni de piteuse apparence qui n’en porte pas moins le titre flambant d’Hôtel Continental et qui est tenu, nous dit-on, par un Mâconnais authentique. Ce brave homme, gras à lard, avec de petits yeux vairons, des bajoues luisantes et un tablier malpropre, ne parut point autrement sensible à l’honneur d’héberger des compatriotes. S’il ne nous écorcha point jusqu’à l’os, peu s’en fallut.

Nous ne pensions rester à Southampton que quelques heures, le temps de visiter la ville : nous avions compté sans le dimanche anglais. Les locomotives anglaises vont au prêche le dimanche. Il n’y avait qu’un train pour toute la journée, un train anglican, compassé, qui faisait tout juste ses quatre kilomètres à l’heure et stoppait vertueusement à Salisbury.

Force nous était de finir la journée à Southampton. Mortelle attente ! Quelques-uns d’entre nous se risquent jusqu’à Nettley. D’autres battent les rues. Pas un chat dehors. Toutes les boutiques fermées. J’essaye vainement de forcer la porte de deux ou trois marchands de tabac dans High-Street, qui est l’artère principale de Southampton. Faute de mieux, nous réintégrons notre gargote. M. Bourgault-Ducoudray, l’éminent musicographe, croque au passage le carillon d’une église ritualiste, un carillon sautillant et leste qui dégourdirait des paralytiques et serait tout à fait à sa place au Moulin-Rouge. Ici, dame…

Mais voyez les maisons de High-Street : elles vont de pair avec le carillon. C’est pourtant la rue du commerce et ces maisons extravagantes sont des magasins, des tea-rooms, des hôtels ou des banques. Mais il semble que leurs habitants aient fait la gageure de marier tous les styles connus et inconnus. Carnaval architectonique : le temple grec et le chalet suisse bras dessus, bras dessous, la pagode indienne qui s’accole au pignon néo-gothique, le trèfle arabe logé sous la fenêtre à guillotine et l’œil-de-bœuf sur le moucharabieh ! Tout cela colorié crûment, avec des airs de foire, une rue d’exposition et, pour achever notre déroute, barrant l’extrémité de High-Street, le grand mur à mâchicoulis du Bargate, ses trois porches ogivaux, ses écussons, ses meurtrières et sa fine dentelle de créneaux…

Heureusement que, vers cinq heures, les rues commencent à s’animer. Des tramways circulent. Nous prenons d’assaut le premier qui passe et, quand celui là nous a conduits au point terminus de la ligne, nous en prenons un second, puis un troisième, qui coupent la ville en tout sens.

Elle est plus grande que nous ne pensions, cette ville, à larges voies, avec de beaux jardins, comme Queen’s Park, les statues de Palmerston et de Watts et le monument très simple, très émouvant (une croix sur un chapiteau carré porté par un faisceau de colonnettes), dressé à la mémoire du général Gordon.

Comme dans toutes les villes anglaises, c’est dans les faubourgs, presque en rase campagne, qu’est le quartier riche. Par exemple, nulle lourdeur cette fois, aucune recherche, aucun faste de mauvais goût dans les constructions ; mais de gracieux cottages en brique et faïence émaillée, d’une polychromie tout à fait réjouissante sous cette grisaille du ciel saxon…

Brusquement, au détour d’une avenue, une bouffée de musique sauvage s’engouffre dans nos oreilles.

Pistons hystériques, trombones démesurés, cors de chasse qui font tout le tour des exécutants, tambours et grosses caisses, ils sont là dix ou douze orphéonistes de l’Armée du Salut, en veston feu et casquette galonnée, qui mènent un tapage d’enfer aux pieds d’une grande femme extatique, debout sur une borne, les bras en croix et qui attend que le hourvari ait pris fin pour commencer son prêche.

Le soir, il y a foule sur le Pier, la jetée en eau profonde qui fait face à l’île de Wight et à l’angle de laquelle s’amorce le bel hémicycle sablonneux du Western Shore.

Quelques bars, sur les quais, ont entre-bâillé leurs portes, mais le silence retombe vite. Le mieux est de s’aller coucher pour prendre au saut du lit le train de Cardiff, qui part à sept heures…

Toute notre caravane est à son poste, le lendemain matin. Les plus débrouillards s’occupent des bagages. On sait que les compagnies anglaises ne délivrent point de récépissés. Pas d’enregistrement. Pas de supplément. Liberté complète. Voyagez avec votre mobilier, s’il vous convient. Mais c’est à vous de le faire charger et décharger ; la compagnie vous prête ses fourgons : elle ne répond ni des erreurs ni de la casse.

Nous sommes tellement pliés en France à nous reposer sur l’État ou les administrations du soin de veiller sur nos personnes et nos biens que cette liberté nous inquiète quelque peu. Retrouverons-nous nos bagages à l’arrivée ? Du moins il n’y a qu’une voix pour louer le confortable de ces wagons anglais, hauts de plafond, ventilés à la couronne, mollement suspendus, avec de larges coussins et des tapis jusqu’en troisième. Et l’on conçoit que la bourgeoisie anglaise, éminemment pratique, ait renoncé à voyager dans les autres classes. Le train file cependant à travers des faubourgs ouvriers, bordés de maisons du même modèle, de petites maisons en briques rouges qui ont l’air de vous faire le salut militaire au passage et qui s’alignent symétriquement le long des voies, comme des soldats à la parade. Et toutes ont le bow window, la rotonde vitrée qui étend la pièce principale et ouvre de plain-pied sur le jardinet, grand comme la main, mais peigné, soigné, ratissé amoureusement.

Northam, Saint-Denys, Swaything ne sont que des haltes dans ces faubourgs. Sur l’autre côté de la voie, nous longeons l’Itchin, délicieuse à marée haute, dans la retombée des bouleaux et des saules. La vraie campagne ne commence qu’après Swaything, la moins anémique des campagnes, une terre noire avec des verdures épaisses et d’une tonalité presque dure.

Cela rappelle encore la Normandie : les champs — immenses — sont d’un seul tenant ; le blé y pousse dru ; les arbres forment le carré autour des fermes. Quelques-unes de ces fermes (et c’est pour ajouter encore à la ressemblance) sont coiffées de chaume et losangées de bois clair sur leur façade en torchis : vraiment oui, c’est tout à fait la métairie cauchoise, la métairie classique d’il y a cinquante ans, et il n’y manque, sur les bancs rustiques disposés près de la porte, que les vieilles fileuses en bonnets à fleurs. La campagne est parfaitement lisse. Vers l’ouest seulement, les plans lointains d’une ligne de coteaux s’étagent dans la brume. Un coude de la voie nous en rapproche. Ces coteaux sont des mornes crayeux, percés de longues galeries souterraines pour l’extraction de la marne, fourrés d’un gazon sale et loqueteux qui se déchire par endroits et que tachettent des genévriers noirs. Et cela aussi est bien normand. Eastleigh, Chaudlers-Ford, Romsey, Dumbridge, Dean : des bruyères rampent sur le sol, coupées de taillis, de boqueteaux. Le gibier abonde par là. Tout le long de la voie, ce ne sont que faisans qui picorent ; des lièvres détalent ; près d’un talus, des lapins en cercle tiennent un meeting.

À Salisbury, changement de voie.

Nous avons une heure et demie pour visiter la ville. Bonne affaire. Non que Salisbury ait grand caractère. Mais deux choses la signalent : sa cathédrale, en marbre de Purbeck, et les admirables alignements de Stone-Henge, propriété de la famille Antrobus, dans lesquels sir Norman Lockyer veut voir un ancien observatoire astronomique.

C’est le Carnac anglais : cent quarante-quatre pierres levées ! Le diable, dit-on, les portait sur son dos dans une hotte. Il les avait chargées en Irlande, quand la hotte creva : les énormes blocs roulèrent sur le sol : l’un d’eux glissa dans l’Avon, près d’Amesbury…

La légende n’est point neuve, mais elle a le mérite de cristalliser sous une forme populaire et concrète les renseignements de l’histoire : l’Irlande a été le grand séminaire des races celtiques, le laboratoire spirituel de leur âme… Sous ces pierres sacrées de Stone-Henge dort le vieux roi Aurélius, cause indirecte de la guerre fameuse qui mit aux prises Uther Pendragon, père d’Artur, avec le fils de Wortigern, Pascentius. Pour se débarrasser d’Aurélius, malade à Winchester, Pascentius lui avait dépêché un Saxon qui se donnait comme médecin et qui se faisait fort de le guérir par le moyen d’un philtre de sa composition. Aurélius, candidement, prit le philtre et trépassa. Sur quoi Uther Pendragon partit en guerre contre Pascentius et le défit. Les évêques se ressemblèrent alors à Winchester pour les funérailles d’Aurélius ; d’aucuns voulaient qu’on l’enterrât dans l’église Mais le vieux tyern n’avait renoncé que des lèvres au culte de ses ancêtres et il avait manifesté par testament sa volonté formelle de dormir son dernier sommeil sous les monuments de leur foi…

Il y dort toujours, et c’est depuis cette époque que Stone-Henge rend des oracles. De temps à autre, une pierre se détache du groupe et s’affaisse sur le gazon. Funèbre avertissement ! Le peuple se chuchote l’antique adage :

— Quand une pierre tombe à Stone-Henge, c’est qu’un grand de la terre est près de mourir[71].

Décidément nous sommes au seuil du pays celte. La cathédrale nous replonge en plein saxonisme.

Avec cet art spécial qu’ont les Anglais pour présenter leurs monuments, l’église est encadrée d’arbres immenses qui découpent sur les pelouses du Close de grands disques veloutés. Comme de ce nid de verdure l’église s’enlève harmonieusement ! Et quelle piété dans l’entretien du monument ! Malgré tout, le gothique m’en a paru un peu froid. Il y manque l’épanouissement, la vie fourmillante du nôtre. L’intérieur surtout est glacial. Mais il y a une explication ici : l’église a passé au culte anglican…

Il est dix heures, nous n’aurons pas le temps de déjeuner à la gare. On lunche dans la rue, de pâtisseries et de sandwiches, préalablement arrosées de tasses de lait, et le train repart à destination de Cardiff…

Le ciel s’attriste ; le paysage durcit, se hache. Et voici que sur l’accore d’une falaise crayeuse, près de Westbury, un énorme cheval blanc, taillé à même et comme frappé dans le gazon, galope à notre rencontre. Du train, à plus d’un mille, ce cheval paraît déjà plus grand que nature. De près, ses dimensions sont telles qu’on ne peut l’envelopper d’un coup d’œil.

Mais que veut dire cette équestre apparition ?

Nous l’apprenons plus tard : ledit cheval est un cheval historique ; il a été découpé dans le gazon de la falaise en commémoration de la première victoire que le roi saxon Alfred remporta sur les Gallois, l’an 900. On le rafraîchit chaque année ; l’an prochain on célébrera son millénaire.

À Bath, ville d’eaux fort agréable, décorée de jolis beffrois, notre wagon s’ouvre en coup de vent.

Stupeur ! Un colosse, tout de noir vêtu, fait gémir le marche-pied, pénètre de biais dans le compartiment et s’effondre au beau milieu de la banquette, non sans refouler du même coup aux extrémités deux de nos compagnons de voyage, le marquis de l’Estourbeillon et Léon Durocher, pris au laminoir entre cette masse de chair et la cloison.

L’ahurissement passé, j’examine le nouvel arrivant : il n’est pas rouge ; il flamboie comme l’épée de l’archange. Des bajoues monstrueuses, une triple cascade de mentons, un torse, des mains, des cuisses, des pieds… Serait-ce, d’aventure, le cavalier du cheval historique ? Mais cette lévite noire, ce tapabor aux larges ailes ? Impossible de s’y méprendre. C’est quelque prédicant, frère ou fils de ce ministre Chennery, de Wilkie Collins, qui mesurait six pieds deux pouces, pesait deux quintaux et crossait la balle mieux qu’aucun des joueurs du Cricket Club de Long-Beckley. Il aspire profondément l’air, prend son sac de voyage, l’ouvre, en tire une courte pipe de bruyère, la bourre, l’allume, pose ses larges mains à plat sur ses cuisses, me regarde et, entre deux bouffées :

Frenchman ?

Yes, Frenchman.

Sa figure s’illumine encore, si possible. Un éclair polisson brille dans ses yeux.

Paris ? (Prononcez Péré).

Yes, Paris.

Nouvelle bouffée, suivie d’une petite tape familière sur mes genoux. J’attends. Le colosse détache un de ses doigts. Il bat la mesure, il va chanter, il chante :

Le sèbre, le sèbre, le sèbre de mon père !…

On est gai dans le clergé, en Angleterre. Que dis-je ? On y est même…

Y é pès plan, y é pès plan, mé chère,
Y é pès plan, y é pès plan, cé soir…

— Assez ! dis-je. Nous avons des dames…

L’effet est produit ; c’est tout ce que demande mon homme. Mais quel diable de culte peut-il bien desservir ? Ici wesleyens, baptistes, calvinistes, papistes, anglicans portent la même livrée ténébreuse. Je fais appel à toute ma science de la langue anglaise.

You are a clergyman ?

Yes.

Wesleyan ?

Oh !

Calvinist ?

Stuff !

Baptist ?

Ffff !

Episcopalian !

All right !

J’aurais dû m’en douter et qu’il n’y a que l’église officielle pour nourrir ainsi ses ministres ; quelle performance ! C’est de l’élevage en grand. Mon clergyman se remet à tirer sur sa pipe. Et je l’admire silencieusement et il ne fait rien pour se dérober à mon admiration. Je crois même distinguer qu’il se carre, se tourne, s’expose sur toutes ses faces au risque de comprimer définitivement ses deux voisins de banquette. Et enfin, quand il juge que mon admiration est au comble, il recommence son indécent petit manège, me tape sur le genou, se touche la figure, l’abdomen, les cuisses :

Just feel that ! Oune, deux :

C’est pès d’lè chair, c’était diou mé… erbre…

— J’aurais plutôt parié pour de la brique, dis-je imperturbablement.

Yes, yes, brique… Merbre, blanc ; brique, rouge, très rouge, comme roastbeef… I am the very representative man of the national roastbeef.

Et il n’y avait pas à dire cette fois : le roastbeef national, il le représentait magnifiquement !…

Cet étrange clergyman, type plus répandu qu’on ne croit et qui, de Paris, de notre langue, de dix siècles d’une des plus glorieuses littératures du monde, n’avait retenu que quelques gravelures de café-concert, nous accompagna jusqu’à Stappleton, ville manufacturière, laide et sale, noyée de fumée jaune, à travers laquelle l’œil plongeait sur un damier de toits et de pignons tristement massés le long de grandes rues rectilignes. Bradford et Bristol ne nous parurent pas d’une beauté supérieure. Presque aussitôt d’ailleurs, le train, par une forte rampe descendante, s’engagea dans un interminable tunnel sons-marin qui ne nous laissa plus rien voir.

C’est une sensation curieuse qu’on éprouve léans d’avoir sur le chef la mer et ses poissons et ses flottes et ses orages ; mais c’est une sensation toute subjective et qu’on ne peut se donner que par l’imagination, le tunnel ressemblant à tous les autres tunnels.

Quand on en sort, on a pris pied sur l’autre rive de la Manche de Bristol. Le train stoppe une dernière fois pour la traversée de Newport. Quelqu’un trotte le long des portières, en quête des délégués bretons. C’est un Gallois, un membre du Gorsedd. Il veut être le premier à entendre le son d’une voix bretonne. Il s’informe de notre santé, de la façon dont nous avons supporté le voyage. Il n’y a qu’un quart d’heure de trajet entre Newport et Cardiff. Des fanfares, une bannière blanche mouchetée d’hermines noires claquant sur une houle de têtes nues, un grand cri de « Vive la Bretagne ! » et nous tombons dans les bras de nos hôtes gallois qui nous attendent sur le quai de la gare…

Fraternité des peuples celtiques, tu n’es donc pas un vain mot !

II


La capitale de la Galles du Sud. — Mésaventures d’un biniou. — Ce qu’on entend par une Eisteddfodd. — Les origines du bardisuie. — Wales for the Welsh ! — Le home-rule gallois. — À Carthays-Park. — La pierre du Destin. — L’archidruide Hwfa-Môn. — Comment on devient barde. — Une pochade de l’Evening Express. — Le poireau national.


Cardiff, qui est la capitale effective du Glamorganshire, est aussi la capitale virtuelle de la Galles du sud. Elle tient à cette suprématie. Elle l’a maintes fois revendiquée et récemment encore, quand il fut question de créer une université galloise, en l’emportant par la magnificence de ses offres sur Swansea et sur Caernarvon. Le Gorsedd n’a fait que consacrer une fois de plus cette prééminence de la vieille cité kymrique, quand il a décidé que la grande Eisteddfodd nationale de 1899 se tiendrait dans ses murs.

Quoique l’objet principal de notre voyage fût d’assister à cette Eisteddfodd, je n’en dirai que ce qui est strictement nécessaire pour permettre de prendre une idée des mœurs galloises.

C’est le 17 juillet 1899 que nous débarquâmes à Cardiff. Notre fourrier, M. Jean Le Fustec, était déjà sur place, assisté d’un autre Français fixé de longue date à Cardiff, où il jouit d’une considération aussi rare que flatteuse, M. Édouard Barbier, professeur à l’Université. Tous deux s’étaient dépensés avec un désintéressement admirable pour préparer notre réception et notre séjour dans le pays de Galles ; car c’était une véritable expédition que la nôtre et qui mettait en l’air toutes les têtes de Cardiff. On allait donc les voir, ces Bretons de Bretagne, qui sont les cousins des Gallois, qui parlent la même langue, qui chantent les mêmes airs…

Ce fut justement aux accents d’un de ces airs : le Seziz Gwengamp, sonné à pleins poumons par notre unique joueur de biniou (son compère, mal remis encore des suites du 14 juillet, était resté en panne à la gare Saint-Lazare), que nous fîmes notre entrée dans la métropole de l’antique Dynevaur. Un excellent déjeuner nous remit des fatigues du voyage. L’Eisteddfodd commença dans l’après-midi même.

Le mot « Eisteddfodd » signifie proprement : séance, tenue. « Un océan de sons roule sur l’étendue de la Cambrie, » — dit un proverbe gallois. Le fait est que, dans les Eisteddfoddau actuelles, la musique, et spécialement la musique vocale, occupe une place prépondérante. Les anciennes Eisteddfoddau étaient surtout philosophiques. Ce qui n’a pas changé, c’est leur mode d’organisation et de recrutement. Les Eisteddfoddau ont à leur tête un comité qui s’appelle le Gorsedd beird ynys Prydain, — ou Trône des bardes insulaires, — dont l’origine est fort ancienne. C’était, d’après la légende, la voix du Gorsedd qui, dans les temps primitifs, avant la conquête romaine, transmettait la doctrine bardique de génération en génération. Tant que les Romains demeurèrent en Grande-Bretagne, il fut interdit au Gorsedd de se réunir. La doctrine risquait ainsi de se perdre, si l’on n’eût suppléé au Gorsedd par le Cyvail, groupe inoffensif de trois personnes qui se rencontraient où et quand elles le pouvaient et dont chacune, par la suite, se mettait en quête de deux autres personnes qui formaient elles-mêmes trois autres groupes, tant et tant que toute la confrérie finissait par être tenue au courant des décisions adoptées par le Conseil suprême de l’ordre.

Le bardisme se serait conservé ainsi, d’une façon occulte, jusqu’au règne de Lucius (173-189), où il aurait été restauré officiellement. Mais cette restauration fut de nouveau menacée en 1282, à la mort de Llywelyn, fils de Gruffydd, tué dans une bataille contre les Anglais. Avec lui disparut l’antique indépendance du Cymru (Galles) qui fut, dès lors, nominalement assujetti aux rois d’Angleterre.

Traqués par Édouard, à cause de l’opposition qu’ils lui avaient faite lors de son avènement au trône, les bardes eurent grand’peine à maintenir dans l’ombre leur vieille organisation. Des temps meilleurs luirent enfin pour eux ; les Eisteddfoddau furent autorisées par le gouvernement et, à partir de 1819, elles ne cessèrent plus de se tenir, une fois l’an, sur un point quelconque de la principauté.

C’était, cette fois, au tour de Cardiff.

Le choix de la ville n’était peut-être pas très heureux. Cardiff fait bien partie géographiquement de la région galloise. Mais, comme toutes les grandes villes qui se sont développées tardivement, elle n’a qu’une personnalité mal définie et flottante.

Les fêtes devaient quelque peu s’en ressentir. Nos Bretons de France, qui y assistaient au nombre d’une vingtaine[72], si on ne les eût point avertis, se seraient crus toujours en pays anglais. Bien différente eût été l’impression, si l’Eisteddfodd se fût tenue dans la Galles du Nord, à Caernarvon, à Llanduno, par exemple, qui ont gardé leur forte empreinte originelle. Le sentiment nationaliste est extrêmement développé dans la Galles du Nord ; il est beaucoup plus faible dans le Sud. Le vieux cri de guerre : Wales for the Welsh ! — les Galles pour les Gallois ! — n’y retentit plus que bien rarement. Dans son ensemble, cependant, la principauté envoie au Parlement une représentation fortement nationaliste ; sur trente députés que compte le pays de Galles, vingt-deux sont home-rulers, et huit seulement unionistes[73]. Le home-rule que réclame le pays de Galles est surtout d’ordre économique et législatif ; il consiste dans l’établissement d’un conseil national élu par le suffrage universel, avec un secrétaire d’État investi des attributions actuelles du Local government Board. Cela n’a l’air de rien, et cependant M. Decrais a raison de dire que l’octroi de ces privilèges équivaudrait à une véritable séparation administrative[74].

Sans doute il n’y a aucun désir chez les Gallois de dénoncer le pacte qui les lie à la couronne. Ils sont fermement loyalistes ; mais ils commencent à soupçonner, — comme le disait l’un d’eux, M. Hugues Edwards, — qu’il y a une politique plus haute que celle de la force et des accroissements territoriaux et qu’il serait temps peut-être, pour les Celtes du Royaume-Uni, de substituer à cette politique féroce et proprement anglaise une politique de paix et de fraternité.

Le 18 août 1899, quand les représentants des cinq pays celtiques : Bretagne française, Irlande, Galles, Écosse, Man, furent réunis à Carthays Park, l’archidruide Hwfa-Môn, debout sur la pierre du Destin, sortit à demi du fourreau l’épée du Gorsedd, que les bardes, l’un après l’autre, vinrent toucher de leur main droite. Et il cria : « Est-ce la paix ? — Aves hoddeoch ? » Et les bardes répondirent par trois fois : « Oui c’est la paix ! — Heddeoch ! »

L’une des cérémonies les plus curieuses de l’Eisteddfodd de Cardiff fut précisément l’intronisation des bardes. Le Gorsedd comprend trois ordres de sociétaires : les bardes, les ovates et les druides. Les bardes portent une robe verte, les ovates une robe bleue, les druides une robe blanche. Il semble qu’il y aurait là certains éléments de pittoresque ; mais la vérité est que ce costume, sauf pour les druides, témoigne d’un mauvais goût parfait. Bardes et ovates ont l’air d’avoir été surpris par quelque catastrophe nocturne et de s’être enveloppés précipitamment dans leurs rideaux de lit.

Mais Hwfa-Môn, couronné de chêne, sanglé du pectoral d’or, était d’une magnifique couleur locale. Quelle plastique ! Quel gosier d’airain et, pour dire le mot, quels coups de gueule ! J’ai encore dans les oreilles cette voix rauque, caverneuse et qui couvrait cependant d’énormes espaces. Debout sur la pierre du Destin, il haranguait en « welsh » les délégations étrangères réunies sur les pelouses ombreuses de Carthays Park. Nous ne comprenions pas une syllabe de ce qu’il éructait, et ses rugissements nous émouvaient exactement comme eussent pu faire ceux d’un lamantin ou d’un auroch préhistorique. Sur sa tête flottait la bannière bleue du Gorsedd, frappée d’un soleil d’or. Un héraut tenait à deux mains l’épée symbolique, formidablement haute, avec une poignée de cristal taillée dans un bloc du Snowdon. La coupe bardique, — le hirlaz, — merveille d’orfèverie, attendait sur un piédouche. On était là dans une sorte de cercle enchanté, que douze mégalithes en pudding ferrugineux, cravatés aux couleurs celtiques, — bleu, blanc, vert, — flanquaient de distance en distance. Le Gorsedd avait choisi, dans la délégation d’Écosse, d’Irlande, de Man et de Bretagne, un certain nombre de représentants qui devaient recevoir l’investiture bardique. Cette investiture comporte un assez long cérémonial. Le héraut du Gorsedd appelle les néophytes, l’un après l’autre, dans le cercle enchanté. Puis il leur remet une carte sur laquelle se trouvent écrits leurs noms et leurs qualités et qu’ils doivent compléter par l’inscription d’un autre nom qui deviendra leur nom bardique. Ils montent ensuite sur la pierre du Destin, où l’archidruide proclame ce nouveau nom aux quatre aires du vent ; après quoi ledit archidruide entoure le bras du néophyte d’un ruban de soie bleue. Les harpes vibrent à l’unisson. Deux jours après a lieu la cérémonie du baptême ; les nouveaux bardes reçoivent la robe et prononcent une allocution ou une poésie en langue celtique.

Nous nous conformâmes scrupuleusement au rituel. Et, quand nous ne l’eussions pas fait par courtoisie, nous l’eussions certainement fait sous le coup de l’espèce de terreur sacrée dont nous emplissait la présence d’Hwfla-Mòn[75]. Cet homme est une force de la Nature : on ne lui résiste pas. Il a bardifié un Jésuite, le R. P. Hayde ; il bardifierait Armand Dayot, si ce farouche anti barde, quelque jour, se risquait à Carlhays Park…

Telle fut, dans ses grandes lignes, l’Eisteddfodd de Cardiff. Une pochade, parue dans l’Evening Express, dégageait avec beaucoup d’esprit le sens de la manifestation. Cela s’intitulait : Retour au vrai foyer. On y voyait une Galloise en costume national, avec le tablier à carreaux et le grand feutre tronconique, qui se jetait les bras ouverts à la rencontre d’un Irlandais, d’un Écossais et d’un Breton. Pour s’expliquer le costume sommaire ainsi que les chapelets d’oignons que portait ce dernier, il faut se rappeler qu’à Cardiff comme à Londres, à Anvers comme à Rotterdam, la colonie bretonne est principalement représentée par des maraîchers de Roscoff. Après tout, les Gallois, qui remportèrent une victoire fameuse sur les

Saxons dans un champ de poireaux, ont bien pris pour insigne national ce légume trop décrié : l’oignon de Bretagne n’est peut-être pas moins symbolique en son genre.

En somme, ces fêtes de Cardiff, quelque peu déconcertantes par certains côtés, furent belles et nobles dans leur ensemble. Elles affirmèrent l’étroite union des diverses familles de la race celtique, et il y eut des moments où l’hommage rendu à la délégation bretonne s’adressa par-dessus elle à la France tout entière.


III


À travers Cardiff. — Une ville-champignon. — Castrum-Didii. — Un peu de statistique. — Le commerce français à Cardiff. — Saint-John’s Church. — Le château et l’Old Keep. — La captivité de Robert de Normandie. — Le bardit du chêne. — Un grand seigneur milliardaire. — La légende du marquis de Bute. — Les cultes dissidents en Galles. — Visite au consulat de France. — L’esprit national chez les Gallois. — À voleur, voleur et demi.


Entre temps, nous courûmes la ville et ses environs.

Cardiff est au confluent de trois rivières, le Rumney, le Taff et l’Ely. En 1801, elle ne couvrait que 2.791 acres et comptait en tout 1.018 habitants. Elle couvre aujourd’hui 9.000 acres et compte près de 200.000 habitants. C’est une de ces villes-champignons, comme il en pousse de temps à autre sur le terreau anglo-saxon.

Celle-ci, du moins, a d’antiques origines. Je ne saurais affirmer que son nom, qui s’écrivait primitivement Caerdydd, vienne du général romain Aulus Didius, d’où Castrum-Didii, Caerdydd et Cardiff. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle resta pendant des siècles à l’état d’embryon et qu’en 1841 encore elle ne comptait que 56,811 habitants. Cardiff est aujourd’hui le premier des ports charbonniers de l’Angleterre après Newcastle et qui, dans la seule année 1898 (année de grève pourtant), n’a pas expédié au dehors moins de 8,818,433 tonneaux de charbon, dont 2,022,730 à destination de la France et de ses colonies. Dans l’ensemble, Cardiff avait importé pour 2,611,788 liv. st. Le mouvement du port se chiffrait, tant à l’entrée qu’à la sortie, par près de 16,000 navires.

J’ai voulu savoir quelle proportion le pavillon français occupait dans ce chiffre : Cardiff est en effet, de tous les ports du monde, celui où le pavillon français est le plus fortement représenté.

En 1898, nous y avions envoyé 201 vapeurs jaugeant net 165,731 tonneaux et 104 voiliers jaugeant net 21,219 tonneaux. Le mouvement s’est encore accru l’année suivante : Cardiff a reçu, en 1899, 463 bâtiments sous pavillon français, dont 304 vapeurs jaugeant 250,193 tonneaux et 159 voiliers jaugeant 43,488 tonneaux, soit un excédent de 157 bâtiments et de 106,731 tonnes sur 1898[76]. Le fret français sur Cardiff se composait surtout de poteaux de mine (180,344 tonneaux), de minerai de fer (40,677 tonneaux), de pommes de terre et de légumes (11,250 tonneaux). Quant au fret de retour, le charbon sous toutes ses formes, houille, coke, briquettes, poussier, etc., en faisait l’unique élément.

L’admirable situation de Cardiff, au débouché du plus riche bassin houiller du globe, explique ce développement prodigieux de son trafic.

Jusqu’en 1798, le charbon n’y arrivait qu’à dos de mules. Un premier progrès fut réalisé par la création du canal de Glamorganshire qui desservait toute la vallée du Taff, de Mirthyr-Tydfil à Cardiff, et communiquait par un ingénieux système d’écluses avec la Manche de Bristol. Toutefois, c’est à partir de 1839, date de l’ouverture des docks, que la fortune commerciale de Cardiff prit son élan véritable.

Si remarquable qu’ils aient été pour le temps, ces docks, construits par le second marquis de Bute et agrandis d’année en année au point de former une ville dans la ville, ne sont déjà plus suffisants : Cardiff est en marche vers son avant-port de Penarth et l’aura bientôt absorbé. De tous côtés, par de larges avenues, par des faubourgs manufacturiers, la ville gagne et s’étend. Les rues, tirées au cordeau, manquent peut-être d’imprévu. Du moins le « génie du progrès » n’a-t-il point été ici, comme chez nous, un génie destructeur, Cardiff a religieusement respecté tout ce qu’il a pu du passé, depuis sa vénérable église de Saint-John[77], avec le calme cimetière qui l’entoure et qui rayonne pacifiquement au cœur de la populeuse cité, jusqu’à cet admirable château du marquis de Bute, le Pierrefonds de la Grande-Bretagne, restauré avec une magnificence toute royale, comme pour mieux souligner dans un coin du parc la détresse romantique de l’Old Keep, l’antique donjon bâti par Filzhamon en 1110, démantelé par Cromwell en 1632 et laissé tel, sur son tertre solitaire, que l’ont fait les années, les pluies d’automne et la griffe du Protecteur.

J’ai admiré, comme il convenait, la somptueuse demeure de lord Bute, le staircase, l’escalier monumental gardé par des cavaliers de bronze, les frises savantes du Winter Smoking Room, la tour de l’horloge, la bibliothèque… Et, malgré moi, je suis revenu à l’Old-Keep, au vieux donjon qui, dans un coin du parc, penche sur les eaux grises sa face délabrée.

C’est dans ce donjon que fut enfermé pendant vingt-six ans le duc Robert de Normandie, frère de Guillaume Le Roux et de Henri Ier. Par l’étroite fenêtre de sa geôle, cramponné aux barreaux, il apercevait la cime d’un grand chêne séculaire qui se dressait sur la falaise de Penarth et qui servait d’amer aux navires arrivant du large. On veut qu’ayant longtemps vécu dans le commerce des bardes, Robert se soit initié à leurs traditions et qu’il ait composé en l’honneur de ce chêne des tribannau qui nous ont été conservés :

« Ô chêne, debout sur le mur de la guerre que baignent des douves pleines de sang, malheur aux folles querelles nées de l’écume du vin !

« Ô chêne, debout sur le coteau jadis vert, rouge aujourd’hui du sang répandu, l’infortuné qui est dans les liens de la haine jette vers toi le cri de sa misère !

« Ô chêne, debout dans la plénitude de ta force, le sang crie vengeance, le sang crie malheur sur celui qui l’a répandu dans les combats !

« Ô chêne, debout près du ruisseau de la pelouse, l’ouragan a brisé tes branches orgueilleuses ; la haine et l’envie ont paralysé l’infortuné qui te parle.

« Ô chêne, debout sur la falaise chevelue, là où les vagues de la Severn répondent à la clameur du vent, je plains celui auquel l’expérience n’enseigne pas que la mort est douce.

« Ô chêne, debout sur les années de malheur, parmi les rudes émotions de la bataille, que n’est il entendu, celui qui supplie la mort d’abréger ses jours ! »

Après huit cents ans, le tragique bardit trouve encore un écho dans les cœurs.

Il paraît que la restauration du château actuel n’a pas coûté au marquis de Bute moins de 35 millions. Un beau chiffre pour vous et moi ; une bagatelle pour ce grand seigneur richissime, propriétaire emphytéotique de tout Cardiff, ou plutôt du terrain sur lequel est bâtie la ville et qui lui fera retour, avec les immeubles, au bout de quatre-vingt-dix neuf ans. Les biens du marquis couvrant un peu plus de trois lieues autour de Cardiff, il n’y a point à craindre que l’extension de la ville la soustraie quelque jour à son influence.

Présentement (car elle fait la boule d’année en année) la fortune du marquis de Bute est tout près d’atteindre 4 millions de livres sterling ou 100 millions de francs de revenu par an, ce qui lui laisse à dépenser, au calcul des bonnes gens, 2 shillings 6 pence ou 3 fr. 10 par seconde, 186 francs par minute, 11, 160 fr. par heure et 267, 840 francs par jour. Il faut reconnaître, d’ailleurs, que le marquis fait le plus noble emploi de cette colossale fortune. Déjà son père, dont une statue, trop emphatique peut-être, commémore les traits majestueux en face de l’ancien Town-House, avait doté la ville des immenses docks qui contribuèrent si puissamment à sa prospérité. Le beau parc de Sophia-Garden, que le Taff sépare de Cardiff-Castle, est également un cadeau de cette famille.

— Le nom des Bute est inséparable de notre histoire municipale, me disait un alderman. Il n’en est pas de plus vénéré ni qui mérite davantage cette vénération.

Il le faut bien pour qu’on oublie ce que les fanatiques appellent l’apostasie butienne, Butian apostasy. Né dans la religion protestante, le marquis de Bute, comme nombre d’autres grands seigneurs gallois, s’est fait catholique sur le tard. Il eût été curieux qu’on le lui osât reprocher publiquement, et plus curieux encore qu’on le lui pardonnât. L’indignation, qui était peut-être au fond des cœurs, a dû prendre sur les lèvres la forme atténuée du regret. Le fait est qu’on entend dire un peu partout dans la bourgeoisie « bien pensante » de Cardiff « que c’est vraiment bien dommage, — it’s a pity, — et qu’un si digne gentleman méritait certainement de mieux finir ; mais qu’en fin les voies du Lord Jésus sont impénétrables, qu’il faut laisser faire la justice divine et que c’est elle, sans doute, qui, pour punir le marquis de son apostasie et de son manquement à la parole donnée (il aurait juré au lit de mort de son père de ne pas se faire catholique), l’a frappé dans ses enfants, dont l’un est né sourd-muet et le second boiteux ». Et les bonnes âmes de soupirer ! Comme on ne se satisfait point dans certains milieux que le bienfaiteur de la ville, qui fut aussi son premier magistrat, persiste à donner un si fâcheux exemple d’impiété, on ajoute sous le manteau que le marquis est bourrelé de remords ; qu’il ne s’est fait catholique que pour épouser sa femme, papiste indécrottable ; qu’il n’aspirerait à rien tant qu’à retourner dans le giron de l’église réformée et qu’en attendant, comme on lui a prédit qu’il mourrait à Cardiff-Castle, il ne veut pour rien au monde habiter ce château.

C’est tout un folk-lore, comme on voit, qui est en train de se cristalliser autour du marquis de Bute. Et ce folk-lore porte bien l’empreinte de l’imagination celtique.

J’ai su plus tard, par lady Herbert, qui est une amie de lord Bute et qui s’est convertie comme lui au catholicisme, ce qu’il y avait de fondé dans la légende du marquis. La vérité est que cet excellent homme ne se fait point voir facilement en public ni même dans le privé, par suite de l’extraordinaire timidité dont il est affligé. Cette timidité va jusqu’à la phobie. Le marquis n’est vraiment à l’aise qu’au milieu de ses in-folio. Il s’est pris de passion pour l’Ancien Testament, et il a fait partager son goût à la marquise qui, pour lui plaire, s’est mise à l’étude du grec et de l’hébreu. Un fellow d’Oxford est attaché à sa personne, et il travaille avec lui sept et huit heures par jour. Même en voyage, aux eaux, à Carlsbad, le marquis n’entend point se reposer ; il lui faut son fellow et ses in-folio. Quant à l’histoire de ses enfants, il est bien exact qu’il a une fille boiteuse et qu’un de ses fils a hérité de la timidité paternelle, mais il n’est point sourd-muet. Loin qu’il songe à quitter le catholicisme, le marquis trouve de nouvelles raisons pour s’y ancrer, et il a fait récemment encore un grand pèlerinage à Lourdes. Bien entendu, le serment prêté au lit de mort de son père est purement apocryphe ; un tel manquement ne saurait s’accorder avec la vénération profonde, l’espèce de culte qu’il a voué au défunt marquis ; un jour qu’il faisait visiter ses appartements à lady Herbert, il la mena devant le buste de son père, le lui montra, les larmes aux yeux, puis le baisa dévotement. Et il y a une bonne raison aussi pour que lord Bute ne se soit point fait catholique par intérêt et afin d’épouser sa femme : c’est qu’il était catholique plusieurs années avant son mariage[78].

Il n’en est pas moins curieux de voir ce que la légende a fait de son vivant du marquis de Bute. Méthodistes-calvinistes, wesleyens, indépendants, baptistes, se disputent en Galles la prééminence religieuse. Ils constituent les quatre grands groupes du non-conformisme gallois. En lutte perpétuelle les uns contre les autres, c’est un délice de voir avec quel ensemble ils fraternisent contre l’ennemi commun, le Bélial à deux têtes qui s’appelle tour à tour conformisme et papisme. Le conformisme anglican ne compte pourtant que 250,000 adeptes ; le papisme est plus réduit encore et n’a dans son lot que 50,000 fidèles…


On m’avait dit que Cardiff, par suite de ses relations journalières avec nos ports de l’Atlantique et de la Manche, possédait une colonie française assez florissante. À en croire M. Simonin, il y aurait même eu un « café français » à Cardiff. Les Romains qui prenaient pied en terre étrangère y bâtissaient d’abord une salle de bains ; les Anglais élèvent des temples ; les Français ouvrent des cafés.

À Cardiff cependant, j’ai vainement cherché le café français. Je n’ai pas trouvé davantage sur les magasins la phrase sacramentelle qu’y avait lue M. Simonin : Ici on parle français, correspondant à l’English spoken here de nos boutiquiers autochtones. Cela m’étonnait assez pour que j’en voulusse chercher les raisons.

— Le consul vous les donnera, me dit M. Riou, un des trois membres du Parlement qui, avec le marquis de l’Estourbeillon et le comte de Traissan, s’étaient joints à la délégation bretonne.

— Soit, répliquai-je, allons voir le consul.

Aussi bien convenait-il que notre première visite en terre étrangère fût pour le représentant de la France. Mais, quand il s’agit de dénicher le consulat, ce fut toute une histoire : le consulat est au diable-vauvert, près des bassins. Il fallut héler un cab ; le cocher se trompa d’adresse et nous déposa devant le consulat hollandais, puis devant le consulat espagnol.

Nous trouvâmes enfin ce que nous cherchions au troisième étage d’une grande bâtisse marchande et que ne signalait aucun pavillon. Un employé parlant difficilement notre langue nous reçut au lieu et place du consul qui n’était point là et dont il nous donna l’adresse particulière. Je ne veux point croire, quoi qu’on ait dit, que M. X…, dont nous pûmes apprécier plus tard l’amabilité et la distinction, eût reçu des ordres précis du quai d’Orsay afin de s’abstenir de toute participation officielle à l’Eisteddfodd. Il se peut aussi que le ministre des affaires étrangères fût mal renseigné sur le caractère de la manifestation. La présence parmi nous d’un député de la majorité gouvernementale eût pleinement suffi, je pense, pour dissiper toute équivoque. Nous déposâmes nos cartes au consulat, puis nous donnâmes au cocher l’adresse particulière du consul. Il était absent encore ou ne voulut point nous recevoir. Mais il fut éclairé bien vite sur nos sentiments véritables et nous fûmes avisés dans la soirée même qu’il nous rendrait notre visite le lendemain chez M. Barbier, dont l’hospitalière demeure servait de quartier général aux délégués bretons.

Nous vîmes un homme plein de simplicité, fort au courant de toutes les questions de son métier et qui s’excusa très aimablement du petit malentendu de la veille. Je profitai de sa présence pour lui demander quelques renseignements sur la colonie française de Cardiff.

— Elle est assez nombreuse, me dit-il, mais extrêmement mêlée. À peine si l’on y compte une douzaine de négociants faisant figure. J’avais l’intention de fonder un cercle français à Cardiff ; il m’a fallu y renoncer. C’est d’autant plus regrettable qu’il y aurait fort à faire ici pour des hommes intelligents et ayant le sens du commerce. Il y paraît assez à l’affluence des éléments étrangers qui se sont portés vers Cardiff depuis une vingtaine d’années. Toute ville neuve est par définition une ville accueillante. Celle-ci n’a point fini de s’étendre. Poussez un de ces jours jusqu’à Penarth. Il y a encore, entre Penarth et Cardiff, de vastes espaces, des terres nues et vagues, des prairies où l’on fait les foins. Revenez dans dix ans ; tout cela grouillera de maisons. Mais le plus curieux, c’est que, quoique l’élément anglo-saxon forme le gros de la conquête et que l’élément indigène n’y figure que comme appoint, l’émigrant de race anglaise, dès qu’il a pris pied sur la terre galloise, dépouille le vieil homme pour revêtir les sentiments et, jusqu’à un certain point, l’esprit national du pays. Loin d’être noyé dans cet afflux étranger, l’élément indigène déborde sur lui et se l’assimile en quelque manière.

— Pensez-vous, demandai-je, que ce soit là un fait si rare et qu’il faille en attribuer le mérite aux seuls Gallois ?

— Rare ? Oui et non. On a souvent remarqué, et la remarque est juste, que l’Anglo-Saxon qui émigré aux colonies épouse avec la plus grande aisance les mœurs de sa nouvelle patrie d’adoption et s’y fait le champion enthousiaste des franchises qu’elle possède, ou prétend posséder. C’est tout le contraire du Français, qui veut tout de suite imposer ses manières de voir et traite de préjugés tout ce qui ne concorde pas avec elles. Seulement on avait affaire ici, non plus à une colonie proprement dite, mais à une partie intégrante de la couronne. Il faut vraiment que le Gallois, honni, persécuté comme il fut pendant plusieurs siècles, ait en lui une force d’assimilation toute spéciale pour avoir fini par conquérir ses propres adversaires. Les Eisteddfoddau ne sont qu’une manifestation de l’éveil national ; mais c’en est la manifestation oratoire, pompeuse et superficielle. Les Gallois ont obtenu des résultats autrement sérieux pour leurs écoles et leurs collèges. Ils veulent plus : d’abord le « désétablissement » de l’église anglicane, puis l’autonomie administrative, et je ne doute pas qu’ils ne les obtiennent à la longue. Pour subit qu’il ait été, le prodigieux développement économique de ce pays ne l’a nullement grisé et sa prospérité industrielle, loin de lui faire perdre le sentiment de ses origines, loin de le livrer au culte exclusif du veau d’or, lui a donné au contraire une plénitude d’assurance, une possession de soi vraiment extraordinaires. Ajoutez que le Gallois est bon loyaliste, mais qu’il est Gallois avant tout. Le mépris que lui a longtemps témoigné l’Anglais, qui le tenait pour un être inférieur, il le lui rend au centuple. Jadis — avant les chemins de fer et le grand rush houiller de 1839 — il n’y avait guère que les maquignons du Monmousthshire et du Sussex qui se risquassent dans la principauté. L’élevage était l’unique industrie du pays. Ces maquignons anglais jouaient près des paysans gallois le même rôle équivoque que les maquignons normands près de vos paysans bretons. À force de se faire « rouler » par eux, les naïfs Gallois ont fini par profiter de la leçon ; c’est au point que les Anglais disent communément que les Gallois sont tous des voleurs. Eh ! pourquoi se sont-ils montrés si bons maîtres et que viennent-ils jeter feu et flamme aujourd’hui si leurs élèves leur dament le pion et sont plus madrés qu’eux en affaires ?

IV


South Wales for making money ; North Wales for spending it. — L’hospitalité celtique. — Sur la route de Penarth. — Un sentier de keepsake. — Weston. — Ce qu’on voit sur un Pier. — Les docks de Cardiff. — Allumettes et faux-cols. — La philosophie des enseignes. — Les noms gallois. — Taffy, Sandy et Paddy. — De Cathedral-Road à Llandaff. — L’histoire d’une restauration. — Les morts et les cimetières en Galles. — Le budget des églises anglicanes — La question des dîmes et l’agitation non-conformiste. — En cour d’assises. — Une paire de gants bien gagnée.


South Wales for making mony ; North Wales for spending it : « la Galles du Sud pour faire de l’argent, la Galles du Nord pour le dépenser », dit un proverbe local.

Je n’eus point le loisir de vérifier la seconde partie de l’adage ; mais, pour la première, tout ce que nous vîmes à Cardiff même et aux environs nous en confirma la scrupuleuse exactitude. Est-ce à dire qu’à l’occasion et quand le point d’honneur est en jeu les Gallois du Sud ne sachent point rivaliser avec leurs frères du Septentrion ? Les merveilles de l’Eisteddfodd de 1899 témoigneraient du contraire.

J’aurais bien envie, à ce propos, de faire l’éloge de l’hospitalité celtique. Nous fûmes vraiment reçus avec une magnificence dont rien n’approche. On n’avait point voulu qu’aucun de nous logeât à l’auberge, et nous avions été répartis, par petits groupes de deux ou trois, dans les principales familles de la localité. Excellente idée, dont je m’applaudissais d’avance, à cause des facilités qu’elle me donnerait de pénétrer dans l’intimité de la vie galloise. Encore eût-il fallu pour cela que nous fussions logés chez des Gallois d’origine. Or je ne sais comment il se fit : toujours est-il que nos hôtes respectifs se trouvèrent être deux Français, M. Barbier et Mme Boulanger ; un Italien, M. Albany ; un jésuite irlandais, le R. P. Hayde ; un grand seigneur anglais, lord Windsor, et deux banquiers Israélites, les frères Samuel.

Cela manquait un peu de Gallois. J’étais logé, pour mon compte, chez un des frères Samuel, père de deux charmantes jeunes filles, dont l’une allait se marier prochainement, et je ne saurais trop remercier mes hôtes de leur exquise courtoisie et, le dirai-je même, de leur parfaite discrétion. Une seule fois, miss Hetty, en me passant le journal du soir, où je cherchais avec quelque nervosité les nouvelles de France, me demanda si c’était l’Affaire — l’Affaire par un grand A — qui me donnait cet air chafouin. Un « nò » énergique et quelque peu bourru fut toute ma réponse et la conversation stoppa net sur cette pente dangereuse. Pardon, chère petite miss !…

Pour vous parler de l’hospitalité celtique, il me faut attendre que je vous aie menés chez lady Herbert. Le programme de notre voyage en Galles comportait un séjour dans la magnifique résidence de cette grande dame galloise ; mais il fut précédé de quelques excursions aux alentours de Cardiff, à Penarth, à Llandaff, à Pontypridd et dans le bassin houiller de l’Albion.

L’une de nos joies, dans ce pays de Galles où tant de choses nous parlaient à l’esprit et au cœur, c’étaient ces vieux noms aux âpres consonnances, dont quelques-uns déjà familiers à nos oreilles bretonnes. Il y a aussi un Pennars près de Quimper, et c’est un lieu sauvage, battu des vents, tout à fait en harmonie avec l’incurable tristesse du ciel breton. Bien différent est le Penarth[79] gallois, tel que l’industrie et les habitudes mondaines l’ont transformé. On peut s’y rendre en railway, mais le mieux est de grimper dans la diligence publique qui fait le service pour trois pence. Les faubourgs franchis, on entre dans une campagne grise, crevassée d’étangs salins. La route file droit entre deux haies d’arbres maigres. La mer ne se devine qu’aux fumées des steamers et à l’enchevêtrement des cordages et des vergues. Des paquets de loques courent après la voiture, font mille sauts en l’air et découvrent parfois, dans ces galipettes savantes, des morceaux de nu singulièrement placés ; ce sont de petits mendiants gallois, dont toute la connaissance de la langue anglaise paraît tenir dans un seul cri :

Half-penny, sir, half-penny !

Après un kilomètre ou deux, le paysage se relève ; de fraîches collines, boisées des essences les plus variées, moutonnent sur l’horizon ; mille cottages s’y blottissent et, pudiquement, de leurs agrestes beautés ne découvrent qu’un bout de toit bleu ou la girouette dorée d’un faîtage.

Ce serait charmant, si tout le bas du vallon n’était gâté par des cheminées d’usines, ces tristes obélisques de notre civilisation industrielle, comme les appelle quelque part Victor Hugo. La diligence escalade une rampe à pic, s’engouffre dans Windsor-Road : Please come down, ladies and gentlemen ! Autrement dit : tout le monde descend. Nous mettons pied à terre et, par le plus joli petit sentier artificiel du monde, — un sentier de keepsake, tout ombragé de beaux arbres, macadamisé comme un trottoir, avec des bancs en retrait dans des hémicycles de verdure : un petit sentier suffisamment irrégulier pour donner l’illusion de la vraie campagne, mais retouché avec cette discrétion élégante, ce sens du confort que l’Anglais introduit partout et qu’il a fini par communiquer aux Gallois ; un petit sentier qui, comme tous les sentiers qui se respectent, passe sur un pont rustique de branches entrelacées, où (toujours comme dans les keepsakes) un digne mendiant patenté, sourd aveugle et chenu, sollicite votre générosité par l’intermédiaire d’un grand écriteau noir, pendu à son cou et portant en grosses lettres blanches : Kind Friends, I am total blind and deaf, caused hy an explosion, — nous débouchons devant une immense plage de galets, flanquée de grands hôtels, de restaurants, de tea-rooms, et toute grouillante de marmots et de nourrices.

Le populaire a visiblement envahi Penarth depuis la création des nouveaux docks et des bassins en eau profonde. Le high-life cardiffois se porte plus loin, de l’autre côté de la Manche de Bristol, à Weston, qui s’étire paresseusement dans une jolie crique de sable fin et qu’un service à vapeur relie au Pier de Penarth et, par Penarth, à Cardiff même.

C’est tout ce qui reste aux gens du monde, ce Pier, la jetée payante qu’on trouve sur toutes les plages britanniques et que défend le tourniquet de l’entrée. L’institution des péages est très répandue en Angleterre : elle a disparu de nos mœurs farouchement égalitaires. Reconnaissons qu’elle avait du bon. Et, par exemple, il est bien évident que la municipalité de Penarth n’eût point gaspillé ses guinées à échafauder cette belle jetée en eau profonde qui lui aurait coûté les yeux de la tête et ne lui aurait rien rapporté : un syndicat s’est substitué à elle, qui a pris tous les frais à sa charge. La jetée n’a pas coûté un penny à la ville, ce qui n’empêche qu’elle lui fera retour après quatre-vingt-dix-neuf ans, c’est-à-dire quand le bail du syndicat aura pris fin. En attendant, ledit syndicat n’a rien négligé pour attirer la clientèle riche, la seule qui compte. C’est toute une petite ville qu’un Pier. Fort large, avec des trottoirs à claire-voie, des rotondes vitrées où l’on peut toujours s’asseoir à contre-vent et les plus propres du monde à la rêverie solitaire et au flirt, il n’est sorte de commodités qu’on n’y trouve : boîtes aux lettres, débits de tabac, petites boutiques d’articles de plages, kiosques de journaux, etc. Mais peut-être s’y exagère-t-on la bonne volonté du public : il faut payer au tourniquet pour avoir l’accès du Pier ; il faut payer encore à un second tourniquet pour avoir l’accès du bateau de Weston. Et cela serait tolérable, sans doute, s’il ne fallait payer une troisième fois sur le bateau lui-même.

Conformons-nous à l’usage et, par manière de passe-temps, regardons autour de nous. Il fait une molle journée d’été ; le ciel cependant est léger et craquant comme une soie ; mais cette Manche de Bristol, sous les plus fraîches clartés, garde un ton sale et ocreux, qu’elle ne perd que très loin au large. Weston, en face de nous, fait la boule au soleil, comme une chatte qui se chauffe. Vers l’est, deux grands îlots, les Flat-Homs[80] ; l’un presque noir sous la verdure qui l’endeuille ; l’autre d’où pointe, comme une dague, la tour effilée d’un light-house… Des vapeurs passent, se croisent et hululent ; des voiliers cherchent le vent. On nous signale enfin un petit flocon d’ouate grise qui volette sur la mer et se dirige vers nous de Weston : c’est le vapeur de service qui passe toutes les deux heures. Il approche et, dans le tumulte blanchâtre de ses grandes roues à aubes, stoppe à l’extrémité du Pier. La passerelle franchie, nous nous calons à l’avant dans des pliants à dossier, parfaitement confortables. Nous avons beaucoup de voisins qui fument, lisent, croquent des pâtisseries ou somnolent, l’air comme chez eux. Effectivement plusieurs de ces passagers n’ont pas quitté le bateau depuis le matin : il est de bon ton dans la gentry cardiffoise de prendre des abonnements sur le vapeur de Weston. On y coule la journée sur le pont, quand il fait beau, un livre ou une revue à portée de la main. Il y a un orchestre à bord et un buffet. Tous deux sont passables, et voilà bien des raisons pour qu’on ne descende point chercher à terre ce qu’on trouve sans se déranger céans : du rêve, des rôties et du thé.

Un coup de sifflet suivi du sacramentel : Study ! « Attention ! » et nous remontons vers Cardiff, en longeant la côte.

Mais, sauf la grande falaise à échelons qui porte Penarth et dont la coupe verticale permet de saisir le curieux travail de stratification, il n’y a rien à voir d’intéressant et nous sommes bloqués presque tout de suite entre une triple haie de navires et l’interminable jetée en pierres brutes au bout de laquelle, dominant le port et les docks, s’érige le haut beffroi de la Cardiff Railway Company.

Ces docks de Cardiff sont cependant une merveille et on les tient à juste titre pour des modèles du genre. À certaines heures de l’après-midi, leur animation est prodigieuse. Il faut aller là pour apprécier toute la valeur du proverbe anglais : Time is money. L’automatisme y est poussé à ses dernières limites ; les wagons débouchent sur le port par longues files ; leur contenu est immédiatement saisi par des grues hydrauliques qui le versent dans les soutes des navires. Tout cela est réglé à une seconde près et l’on sait exactement le nombre de minutes qu’il faut pour charger un millier de tonnes de houille.

Des omnibus stationnent à la sortie des docks ; nous grimpons dans le premier qui s’offre et la rentrée s’opère par les faubourgs ouvriers, noirs de monde, mais d’un monde sordide, loqueteux, et qui fait le plus triste contraste avec la population des autres quartiers. Il n’y a point que dans les villes de la Grande-Bretagne où l’on observe cette juxtaposition des trois sortes de quartiers — l’aristocratique, le marchand et l’ouvrier ; — mais ce qui est proprement anglais, c’est que la population des uns ne se mêle pas ou très peu à la population des autres : tous trois sont comme des villes différentes qui ne communiquent pas entre elles et qui vivent chacune de sa vie propre. Les petits vendeurs d’allumettes-bougies qui nous assaillaient tout à l’heure, dans le quartier des docks, souples comme des singes et, sur leurs pieds nus, profitant d’une distraction des conducteurs pour escalader l’impériale des omnibus et nous glisser leur marchandise entre deux bourrades, font retraite d’eux-mêmes, dès que nous entrons dans le quartier du haut commerce. Ils sont remplacés par de coquets petits gentlemen en complet gris, grand col et manchettes d’une blancheur éclatante, qui vendent des journaux, distribuent des prospectus, cirent les chaussures et pratiquent le vol à l’esbroufe avec une égale supériorité.

Un linge si soigné ne laissait pas de nous surprendre ; mais on nous dit qu’il ne fallait point trop se fier aux apparences ; que, sous ces cols et ces jaquettes boutonnées, il n’y avait souvent pas de chemise ; qu’au surplus les cols étaient en papier et sortaient des fabriques de New York et de Boston, qui en débitent jusqu’à 50 millions par an, livrés à des prix dérisoires de bon marché !

Ces rues du haut commerce, Queen-Street, Adam-Street, Saint-Mary-Street, High Street, etc., droites, claires, ourlées de larges trottoirs, possèdent les plus beaux magasins du monde, et la circulation y est aussi intense que dans nos grandes rues parisiennes. « Là où il n’y a pas d’églises, aimait à dire Victor Hugo, je regarde les enseignes. » À l’exemple du grand poète de la Légende des Siècles, j’ai regardé les enseignes galloises. Mais je n’en aurais regardé qu’une que j’aurais été aussi avancé. Sur toutes ou presque toutes, en effet, éclatait le nom de Jones. J’ai su depuis que c’est le nom gallois par excellence, quelque chose comme notre Dupont ou notre Durand. Il s’accompagne le plus souvent de John, et cela ne laisse pas de faire des confusions assez plaisantes.

— Croisez un groupe de Gallois, me disait un de nos hôtes, criez au hasard John Jones, cinq des assistants sur six vont dresser la tête et vous répondre : Please (Plaît-il) ?

Le nom le plus répandu après Jones est celui de Thomas. Par surcroît, on les trouve souvent mariés et vous pensez bien que cela non plus n’a point été sans prêter à certaines plaisanteries. C’est ainsi que, dans un théâtre, le bruit se répandit que le feu venait de se déclarer chez Thomas Jones ou John Thomas, on ne savait pas au juste. Mais, dans l’indécision, toute la salle se leva et quitta précipitamment la représentation.

J’ignore pourquoi les Gallois, à l’exception de quelques Rees, Ellis, Gryffid, Owen, s’appellent ainsi presques tous Jones ou Thomas. Il est certain que jusqu’au quinzième siècle et par delà le prénom était seul en usage parmi eux et qu’on y ajoutait seulement, comme dans les généalogies grecques ou sémitiques, fils de (ap ou ab), suivi de la mention d’origine : John ap Thomas, from Pont y-Pridd (Jean, fils de Thomas, du Pont-de l’Argile).

Il y a quelque cinquante ans encore, dans je ne sais quelle petite ville de la principauté, un voyageur français (c’était, je crois, le fondateur de la Revue britanique, M. Amédée Pichot) s’informait près d’un garçon d’hôtel d’un de ses correspondants nommé Thomas.

— Quel Thomas ? lui dit le garçon. Voulez-vous parler de M. John ap Thomas, ou de M. Thomas ap Jones, ou de M. Thomas ap William, ou de M. ap Thomas le docteur, ou de M. ap Thomas l’épicier, ou de M. Thomas ap Thomas le menuisier, ou de M. Jones ap Richard ap Thomas l’avocat ?

Ce n’était aucun de ces Thomas, et notre voyageur, de dépit, planta là son correspondant.

Les choses ont un peu changé depuis lors. C’est dans les actes de l’état-civil surtout que cet usage des généalogies prêtait à d’interminables citations, et le gouvernement finit par prohiber leur emploi jusqu’à la deuxième génération ascendante inclusivement.

« Les ap disparaissant, dit M. Le Breton, les Gallois n’en restaient pas moins avec leurs prénoms servant de noms ; mais, à partir de ce moment, ils prirent l’habitude de désigner l’individu par ses deux noms — son nom et le prénom servant de nom, — ce qu’ils ne faisaient pas auparavant, puisqu’ils employaient alors ap. »

Reste à expliquer pourquoi les prénoms eux-mêmes sont si peu variés. Une hypothèse du même auteur est que le protestantisme, précisément au seizième siècle, entama la guerre contre le culte officiel rendu aux saints et que ce sont ces saints dont on porte généralement les noms comme prénoms. Mais on ne voit point que l’effet ait été le même pour le reste de la Grande-Bretagne, où les prénoms masculins ont infiniment plus de variété qu’en Galles, et peut-être faut-il chercher ailleurs la clef du mystère[81].

Je me rallierais volontiers, en ce qui me concerne, à une hypothèse un peu différente fondée sur le respect quasi religieux du Gallois pour tout ce qui lui vient de ses pères. Ces noms qu’ils portaient, il entend les porter à son tour. Taffy[82], comme on appelle familièrement le Gallois, de même qu’on appelle l’Écossais Sandy et l’Irlandais Paddy, est intraitable sur les questions de race et de foyer. Encore qu’il passe pour très serré (les Anglais disent carrément « avare »), surtout dans le Sud, on ne lui fait jamais appel inutilement dès que l’honneur national est engagé. Pour l’Eisteddfodd de Cardiff, les souscriptions particulières avaient atteint la somme respectable de 6,000 livres sterling, 130,000 francs. Il s’agissait pour Taffy de faire bonne figure devant ses frères des autres communautés celtiques, et Taffy ne rechignait pas[83]

Nous eûmes un autre exemple significatif de ce dont est capable la générosité galloise, quand la sollicite un intérêt vraiment national : ce fut, quelques jours plus tard, en visitant l’abbaye de Llandaff.

Llandaff est la première en date des églises du pays de Galles. Son nom primitif fut Llan-ar-Daff (église du Taff). Elle était placée à l’origine sous l’invocation de saint Pierre et de saint Paul et aurait été fondée, d’après une triade assez suspecte d’ailleurs, par Lleufer Mawr, au premier siècle de l’ère chrétienne. Il y a quelque brume peut-être sur l’histoire de cette fondation. La période limbaire de l’église cesse définitivement au sixième siècle, avec saint Dubric, qui fut le premier évêque connu de Llandaff et que nous retrouverons plus loin. Saint Teileiaw ou Teilo lui succéda, lequel marqua d’une empreinte si forte dans les annales de la confession britannique que l’église et les bâtiments groupés à son ombre troquèrent un moment leur nom contre le sien (Eglweys Teilo ; Plyf Teilo). Rappelons enfin que c’est à Llandaff, en 1188, que Baldwin, le célèbre archevêque de Canterbury, prêcha la troisième croisade.

Tant et de si glorieux souvenirs font comme une auréole à cette vénérable abbaye, l’un des grands séminaires du catholicisme celtique[84] et où plus de

deux mille moines, répartis en sept chœurs de trois cents voix, chantaient nuit et jour les louanges du Seigneur, « flambeau du juste, du vrai et du bien ».

Joignez que Llandaff est d’un accès ravissant. L’église n’est qu’à un mille et demi de Cathedral-Road, l’artère aristocratique de Cardiff, qui l’aurait bientôt rattrapée, n’étaient les admirables parcs qui bordent le Taff et dont le plus vaste, justement, fait ceinture au manoir du bishop diocésain. Une percée entre les ombrages de ce beau parc permet d’embrasser de fort loin l’ensemble du monument. Mais le parc est privé ; la route fait un coude, et il faut pousser jusqu’au village, lequel est perché sur un monticule à pic qui plonge sur le ravin où l’église est bâtie.

Cela gêne un peu la perspective. Nous nous consolâmes à la pensée de visiter enfin un vrai village gallois (car on ne pouvait donner ce nom à Penarth), et celui-ci nous eût vraiment satisfaits de tout point, — avec ses grands ormes, ses maisons basses en granit brut cerné de chaux blanche, ses portes cintrées, ses pignons pointus, surtout le vieux calvaire planté au milieu de la place dans une roche non dégrossie, — sans les éternels cottages néo-gothiques qui s’étaient glissés çà et là entre les anciennes habitations. Du moins l’un des côtés de la place sur quatre, occupé par les débris d’une tour et les ruines majestueuses d’un grand porche ogival, avait-il gardé tout son caractère. Un muretin bordait l’autre côté du quadrilatère qui restait vide et qui donnait sur l’église. Penchés sur le parapet, nous respirâmes longuement la noble fleur de pierre qui s’épanouissait à nos pieds, dans son ravin de silence. Des tombes l’entouraient, mais en petit nombre et bien ordonnées ; quelques-unes remontaient à une haute antiquité et la plupart, dressées verticalement, affectaient cette forme de cippes ou « pierres levées » qui donne aux champs de repos du pays de Galles l’aspect de cairns désaffectés.

J’ai lu, sur ces cimetières gallois, les réflexions les plus contradictoires. Touchant exemple de la façon dont les voyageurs s’accordent ! Pour M. Le Breton, rien n’est plus triste que de mourir dans le pays de Galles et d’y dormir son dernier sommeil. Lorsqu’une personne vient d’expirer, on la retire tout de suite de son lit ; on pose son corps à terre sur un matelas.

— Pourquoi, demandait un jour M. Le Breton à une Galloise, ne laissez vous pas le mort dans son lit ?

— Oh ! lui répondit-elle d’une air offusqué, ce ne serait pas convenable.

M. Le Breton voit toutes sortes de choses dans cette réponse et, pour commencer, l’indice du peu de place que tiennent les morts dans le souvenir des Gallois. S’il avait rapproché la coutume galloise de la coutume analogue qui existe en Bretagne, il se fût rendu compte que ce qu’il prenait pour un manquement aux convenances n’était qu’un legs du passé, une permanence de la tradition. Chez tous les Celtes, il est d’usage d’ôter le mort de son lit et de le coucher soit sur la table, soit sur des tréteaux, dans une chapelle ardente décorée de fleurs et d’images de piété. Le rigorisme protestant a fait disparaître en Galles les flambeaux, les images et les fleurs ; mais il n’a pas touché à la coutume principale et foncière.

C’est vraisemblablement aussi ce rigorisme qui, étendu aux cimetières eux-mêmes, leur donne le caractère un peu sombre dont se plaint M. Le Breton.

« Là, dit-il, point d’emblèmes religieux, pas de jardinets soigneusement entretenus par la famille ou les amis de celui qui dort dans une terre bénite. Rarement des croix. De l’herbe et des pierres noirâtres. Pas de prières sur les tombeaux ; pas de visites quotidiennes aux cimetières, comme dans cette bonne Bretagne. Un oubli complet et dans cet oubli un complet silence ! »

Accordez maintenant cette description avec ce passage de M. Alfred Erny sur les cimetières gallois :

« Dans la cour de l’église, on retrouve le touchant usage français de parer les tombeaux de fleurs. Dans la semaine qui précède Pâques ou la Pentecôte, on renouvelle sur la terre des tombeaux les plantes et les fleurs qui les poétisent. La rose blanche orne la tombe d’une jeune fille ; la rose rouge est destinée aux trépassés qui se sont distingués par leurs vertus. Toucher à ces plantes serait un sacrilège ; un parent ou un ami peut seul en détacher un feuille ou un rameau qu’il lui est permis de porter en souvenir du défunt. Les pierres tumulaires qu’on élève aux deux bouts de chaque tombe sont blanchies à la chaux à chaque fête annuelle. Ces usages sont communs à toutes les conditions sociales. Même sur les tombeaux placés dans l’intérieur des églises, les amis survivants viennent un jour de chaque semaine déposer des fleurs, au moins pendant tout le cours de l’année qui suit la mort de la personne aimée. »

J’ai visité pendant mon voyage, outre le cimetière de Llandaff, un certain nombre de cimetières gallois ; ils ne m’ont point paru si désolés que le dit M. Le Breton, mais je n’y ai point découvert non plus la flore luxuriante dont parle M. Erny. L’usage de parer les tombeaux est d’ailleurs inconnu des Anglais. Les Gallois ont-ils cédé à la contagion de l’exemple ? N’est-ce point plutôt de leur part simple condescendance aux dures prescriptions du méthodisme calviniste et baptiste ? À Llandaff du moins, si les fleurs manquaient, la verdure prenait sa revanche. Le cimetière, de dimension restreinte et où l’on n’enterre plus personne, je crois, à l’exception des évêques diocésains, se perd tout de suite sous les arceaux d’un beau parc. Nous admirâmes, une fois de plus, combien la nature peut ajouter à l’art. Sur ce fond d’émeraude, la vieille abbaye découpait gracieusement ses fines dentelles de granit, et nulle part les tons dorés du monument ne laissaient surprendre le rajustage des parties, encore qu’une bonne moitié de l’église ait été reconstruite de nos jours.

L’antique édifice n’était déjà qu’une ruine en 1719. époque où la foudre consomma son délabrement[85]. Les voûtes avaient cédé ; une partie de l’étage supérieur de l’abside s’était écroulée ; des lèpres végétales, rongeaient le reste. Les dessins du temps que j’ai eus sous les yeux permettent de suivre, année par année, cette agonie du vénérable édifice. En cette combe de tristesse, avec ses contreforts saillants comme des vertèbres, la vieille abbaye, telle qu’elle nous était parvenue au commencement du siècle, ressemblait au squelette de quelque monstrueux animal préhistorique.

On peut juger par là des difficultés de toutes sortes qui hérissaient sa restauration. Appel fut fait au public ; la restauration du monument lui fut présentée comme une entreprise nationale, intéressant l’amour-propre national et, dès lors, Taffy n’hésita plus. Il ne fallait pas moins de 36, 000 livres sterling, soit près d’un million, pour reconstituer le gros œuvre : les 36, 000 livres sterling furent tout de suite trouvées. Et ce n’est peut-être point encore ce qu’il faut admirer le plus, mais que la restauration du monument ait été exécutée avec un goût si parfait et si sûr. Il faut l’œil d’un archéologue, maintenant qu’une patine uniforme a revêtu tout l’édifice, pour distinguer les parties neuves des parties anciennes.

Il n’y a qu’une trentaine d’années cependant que la restauration est achevée. L’abbaye actuelle est un heureux mélange de roman et de gothique. Dans le premier de ces styles, j’ai particulièrement admiré le grand porche cintré du côté sud, l’emboîtement de ses cinq arcatures dentelées et les massifs faisceaux de colonnes qui les portent. Le chœur, qui est du même style, date de 1118. Il n’est pas jusqu’à la décoration intérieure de l’église qu’il ne faille louer pour sa juste appropriation au milieu ; plus d’une cathédrale gothique jalouserait ces verrières aux tons délicieusement fanés, ces orgues monumentales, les délicates nervures des enfeux et du jubé, surtout ces stalles du chœur, ouvrées et fouillées comme des joyaux.

Llandaff appartient, il est vrai, au rite anglican, le plus rapproché du culte catholique[86] et qui n’a point l’austérité des autres confessions. Nous sommes ici dans l’un des quatre sièges diocésains du pays de Galles. On sait que l’église officielle ou anglicane possède les quatre sièges de Bangor, de Saint-Asaph, de Saint-David et de Llandaff. Ce sont les seuls reconnus. Le diocèse de Llandaff s’étend sur tout le Glamorganshire et le Monmouthshire, plus quelques territoires du Brechnock et du Hereford, et, pour ne point être le plus riche des quatre, il n’en a pas moins des droits sur deux cent vingt-sept paroisses à prébende. Le traitement annuel de son bishop monte à 4,200 livres sterling, c’est-à-dire à 105.000 francs de notre monnaie. Qu’on ajoute au bishop un doyen appointé à 700 livres (17,500 fr.), quatre chanoines à 350 livres (8,750 francs), des archidiacres, secrétaires, organistes, etc : au total c’est près de 10,000 livres qu’engloutit par année le personnel de l’église. Nous voilà loin des 15,000 francs de nos évêques français ! Encore l’évêque de Llandaff n’est-il qu’un petit personnage comparé à certains dignitaires anglais comme l’évêque de Cantorbery qui touche 375,000 francs par an, l’archevêque d’York ou l’évêque de Londres qui touchent chacun 250,000 francs.

En bloc et par an, dans le pays de Galles, le personnel de l’église officielle perçoit 6,404,450 francs qui lui sont fournis : un quart ou un cinquième par les douaires de l’église, le reste par la dîme ou rente paroissiale [87]. Et c’est là justement ce qui révolte les Gallois. Ils se sont élevés à plusieurs reprises et dans le Parlement même contre cette monstruosité « juridique et économique », qui consiste non point tant à leur imposer un clergé officiel qu’à leur faire subventionner ce clergé, alors que, sur 1,600,000 habitants que compte le pays de Galles, 225,000 à peine, soit un septième de la population, pratiquent le culte anglican. Il en résulte qu’après s’être vue dans l’obligation de subventionner le clergé officiel, la presque totalité des Gallois se trouve encore tenue moralement de débourser 300,000 livres sterling ou 7,000,000 de francs par an pour subvenir aux besoins du clergé non officiel, calvinistes, baptistes, wesleyens, etc., fonds et tréfonds du vrai clergé national.

« Pareille atteinte à la liberté d’une population tout entière ne se conçoit ni ne se justifie, s’écriait récemment le député de la division de Rhondda. Il n’y a aucune raison pour que la principauté plie encore sous le poids d’un impôt détesté, alors qu’on en a affranchi l’Irlande qui se trouvait, nature de religion mise à part, dans des conditions toutes semblables. Qu’on ne parle pas de l’utilité qu’il peut y avoir à conserver la secte officielle à côté de l’autre, pour amender ou moraliser nos montagnards ; ce sont, nul ne l’ignore, les plus vertueux citoyens du Royaume-Uni. »

Vertueux, je ne dis pas. Patients, c’est autre chose.

L’agitation contre les dîmes (anti-tithe war), qui n’avait revêtu jusqu’en 1886 qu’un caractère de protestation platonique, prit brusquement une forme aiguë à la suite des incidents qui eurent pour théâtre un petit village montagneux de 950 âmes, Llanarmon-yn-Jal, dans le Denbrighshire.

Appauvris par des pluies persistantes et de mauvaises récoltes, les contribuables de ce village devaient payer au recteur anglican une dîme de 447 livres sterling. Une délégation fut envoyée au recteur pour le prier de réduire la dîme en raison du mauvais état des récoltes. Le recteur refusa. Il ne consentit pas davantage aux délais qu’on sollicitait de lui. Intraitable, il menaçait de la justice s’il n’était pas payé immédiatement. Cette attitude souleva l’indignation générale. L’anti-tithe war gagna de proche en proche. Des rixes éclatèrent. Les constables ne suffisant pas, on recourut aux garnisons voisines. À Llannefydd, où la troupe avait chargé une première fois en 1888, il fallut, deux ans plus tard, recommencer le siège de chaque maison, enlever par force le bétail des fermiers qui refusaient de payer les collecteurs.

Les scènes de cette sorte sont monnaie courante en Galles. La question des dîmes, toutes proportions gardées, est aux Gallois ce que la question agraire est aux Irlandais. Bien avant qu’elle n’eût pris le caractère agressif qui la distingue depuis 1886, elle avait été pour ce peuple l’un des grands motifs de son repliement systématique. Alors que le clergé officiel se désintéressait des affaires de la principauté et affectait un mépris imbécile pour ses traditions et sa langue, les confessions dissidentes se servaient de cette langue et de ces traditions pour réchauffer le sentiment national par tous les moyens en leur pouvoir : sociétés publiques et privées, eisteddfoddau, revues, journaux, écoles, etc.

On peut dire à ce point de vue que le pays de Galles est l’œuvre du clergé dissident, qui s’est opposé pacifiquement et victorieusement à la conquête anglaise et a, pour jamais, barré la route à l’assimilation. Né du peuple, vivant avec lui et de sa vie, ce clergé n’a pas eu sur la moralité des Gallois — tout bien pesé — une action moins réconfortante que sur leur mentalité politique. L’alcoolisme même, ce chancre des pays celtiques, est en décroissance depuis quelques années dans toute la Galles du Nord. Si les tribunaux civils continuent à ne point chômer, grâce au tempérament processif des Gallois, qui fait de la principauté la vraie terre de promission des solicitors, les tribunaux correctionnels et d’assises sont littéralement réduits à la portion congrue. Il n’y a pas longtemps que, devant le jury de Cardiff, le juge de circuit Shee pouvait s’écrier en pleine sincérité :

« Honneur à la principauté de Galles ! Depuis deux ans que j’y exerce les devoirs de ma charge, je n’ai eu dans trois comtés l’occasion de punir que six coupables. Je le déclare hautement, les habitants de ce fortuné pays peuvent être proposés comme un admirable modèle au reste des sujets de Sa Majesté. »

Et qu’on ne croie point qu’il s’agisse là de quelque cas heureux d’immunité criminelle. D’après M. Julien Decrais, il ne se passe guère d’année où pareille absence de délits n’amène en Galles des manifestations identiques. Tout dernièrement encore, aux assises de Beaumaris et de Flint, le président constatait que le banc des accusés restait vide… Il signifiait aux jurés qu’ils étaient libres et, à la clôture de la session de juillet, qui avait duré cinq minutes, il méritait de recevoir des mains du haut sheriff, représentant de la reine, la paire de gants blancs réservée en semblable circonstance aux magistrats assez heureux pour n’avoir pas eu à exercer leur mandat.


V


Les confidences d’un alderman. — Ce qu’il en coûte d’être maire. — Le chien quêteur du Widows and Orphans Fund. — Jack et Léo. — La chèvre du régiment. — Castell-Coch. — Un vignoble de rapport. — Volcans éteints. — Arrivée à l’Albion. — Les bâtiments. — Le plan général du bassin houiller. — Quelques chiffres. — Descente dans la mine. — Les esprits frappeurs. — Un pont historique. — Le Logan de Pontypridd. — Encore les druides. — L’agriculture au pays de Galles. — Visite à la Ty-Gwyn. — Une ferme galloise. — Les beautés du parlour.


On ne comprendrait pas Cardiff ni la plupart des villes de la Galles du Sud sans le riche bassin houiller qui les alimente. Mes amis et moi avions grande envie de visiter ce bassin. La municipalité prévint nos désirs et nous fûmes avertis qu’il y aurait à la gare de Queen-Street un train spécial qui nous mènerait à la mine d’Albion, dont le maire de Cardiff, M. Thomas Morel, est justement le principal actionnaire.

À l’heure dite, nous étions une douzaine de Bretons sur le quai de la gare, auxquels vinrent se joindre trois ou quatre délégués irlandais, l’ingénieur de la traction et M. Trounce, ancien maire, présentement simple alderman de la cité.

Il semblerait singulier chez nous qu’un ancien maire consentît à descendre au rang d’adjoint. C’est que nous entendons les fonctions édilitaires d’une autre façon que nos voisins. La charge de maire est tout honorifique chez eux et on n’y prétend que pour la consécration qu’elle procure. Mais cette consécration est fort coûteuse : le maire en fonctions se doit à lui-même de représenter magnifiquement la ville dont il est le premier magistrat et, pour Cardiff seulement, cela se solde au bout de l’année par une centaine de mille francs. Aussi les très grandes familles pourraient seules prétendre à la mairie en Angleterre, si l’on n’avait rendu ces fonctions annuelles et si le renouvellement des mandats n’y était interdit.

M. Trounce, qui me donnait ces détails dans un français excellent, avait accepté de nous piloter à travers le bassin houiller. Nous causions sur le quai de la gare en attendant le départ du train quand je sentis qu’on me tirait doucement par la manche.

— Eh bien, Jack, qu’est-ce que c’est que ces familiarités ?

Je cherchai la personne qui répondait au nom de Jack et j’aperçus un grand terre-neuve à longs poils, qui, une tire-lire en cuivre pendue au cou, fixait sur moi ses beaux yeux veloutés.

— Je vous présente master Jack, me dit M. Trounce, lequel s’amusait de mon étonnement. Master Jack est un doux obstiné ; il ne vous lâchera pas que vous n’ayez glissé un penny au moins dans sa tire-lire.

— Et que fera-t-il de mon penny ? demandai-je.

— Ce qu’il fait de tout l’argent qu’on lui donne, répondit M. Trounce. Fidèlement, scrupuleusement, il le portera ce soir au trésorier du Widows and Orphans Fund. Vous n’êtes jamais allé à Londres ? Alors vous n’avez pas connu Léo, le terre-neuve de l’hôpital des femmes. Léo vient de mourir. C’est dommage : il n’y avait pas dans la Cité de figure plus populaire. Il allait par les rues, dignement, à petits pas, secouant comme une cloche son tonnelet de cuivre, par l’ouverture duquel les passants glissaient des pièces de billon et d’argent. S. A. R. la princesse de Galles ne manquait jamais de faire arrêter sa voiture lorsque la présence de Léo lui était signalée. Elle le caressait et lui remettait son aumône, que Léo recevait avec les marques de la plus vive reconnaissance. En un mois, il recueillit 1,000 livres sterling qu’il versa au personnel de l’hôpital contre un reçu en due forme. Notre pauvre Jack n’a point de ces prouesses à son actif. Mais Cardiff n’est point Londres. Jack, tous les soirs, n’en rapporte pas moins à l’hospice une cagnotte assez rondelette. Seul la plupart du temps, il accomplit par les rues un itinéraire déterminé, s’arrêtant avec un flair admirable devant les ladies et les gentlemen qui lui paraissent susceptibles de quelque générosité, les sollicitant du regard, et, au besoin, comme vous venez de le voir, les tirant par la manche[88]

Je versai mon obole dans le tonnelet du brave animal qui m’en remercia par un jappement sonore et nous quitta peu après, comme le train entrait en gare.

Un wagon-salon nous y avait été réservé. Sur la portière extérieure, comme sur celle des autres wagons, s’étalaient complaisamment les armes de Galles : le dragon rouge, la chèvre blanche et la devise en lettres bleues : Cymru a fu. — À Cymru a feidd. La devise veut dire : « Galles et foi » ; le dragon rappelle Artur et Merlin : quant à la chèvre, j’imagine qu’elle dut symboliser à l’origine le pied vif et l’allure dégagée des montagnards de la principauté. De fait, les régiments gallois, aujourd’hui encore, ne vont jamais en campagne sans une chèvre blanche qui ouvre la marche.

À peine en gare, le train s’ébranle. Aucun avertissement préalable ; rien qui rappelle notre prévenant : « Messieurs les voyageurs, en voiture ! » En Angleterre, c’est aux voyageurs à prendre leurs précautions et à sauter dans le train dès qu’il range le quai.

Il fait un temps gris, brumeux, le vrai temps des îles. À quelques foulées d’un tunnel où le train s’engouffre pour un bon quart d’heure, nous passons devant Castell-Coch, qu’on appelle aussi le Château-Rouge et qui appartient à lord Bute. Cela ne vaut pas le château de Cardiff ; mais c’est encore, avec ses tourelles en poivrière, son pont-levis et ses douves, une fort belle résidence romantique, très artistiquement restaurée et dans la plus belle situation du monde. On domine de là Cardiff, Llandaff, Penarth et la Manche de Bristol. Toutefois Castell-Coch est moins fameux par lui-même que par son vignoble. Vous lisez bien : son vignoble, et, par surcroît, un vignoble qui donne du vin, le seul de son espèce que possède l’Angleterre, vraie gageure tentée et tenue par lord Bute, — pour embêter notre Pierre Dupont, très certainement :


Bon Français, quand je vois mon verre
Plein de ce vin couleur de feu,
Je dis en remerciant Dieu :
« Ils n’en ont pas (bis) en Angleterre. »


Eh bien si, ils en ont en Angleterre ; mais l’amour-propre national est seul capable de trouver quelque saveur à cette piquette hyperborée, dont la pièce se vend d’ailleurs des prix fous et qui est une curiosité plus qu’un régal de gourmets…

La voie s’étrangle entre de hautes collines, dominées elles-mêmes par la cime chauve du Garth-Hill. Nous traversons le village de Nantgarow, où l’on fabriqua jadis une porcelaine célèbre et qui a remplacé cette industrie par celle de l’encaustique et des briques émaillées ; nous longeons le Taff, dont les eaux noires clapotent sur un lit de cailloux blancs. Puis le paysage se brouille ; les ponts, les viaducs, les aqueducs, les voies ferrées et les canaux font une trame si compliquée qu’on ne s’y reconnaît plus. Je me souviens d’un endroit, entre Nantgarow et Pontypridd, il me semble, où trois lignes de chemin de fer et trois canaux aboutissaient de six points différents, se croisaient et se chevauchaient.

A Pontypridd, que nous visiterons au retour, nous quittons la grande ligne pour l’embranchement de l’Albion, où les trains de voyageurs ne pénètrent pas en temps normal. On attache notre car à une locomotive et nous voilà repartis, longeant de plus belle l’eau stygienne du Taff.

Des cheminées pointent de toutes parts ; une suie impalpable flotte sur le ciel. D’interminables files de wagons, chargés de briquettes, de blocs de houille et d’anthracite, se succèdent à la queue leu leu dans la direction de Cardiff. Otez ces cheminées et ces wagons, il n’y a plus rien. On sent que la vie ici n’est pas sur terre, mais sous terre.

Qu’elle dut être belle pourtant, avant que l’industrie ne l’eût déflorée, cette vallée du Taff courant dans un cercle de hautes collines granitiques, dont plusieurs sont des volcans éteints ! Nous sommes dans le pays par excellence des éruptions cambriennes et qui leur a donné son nom. Toute la région de Saint-David et le Caernarvonshire témoignent encore de ces grandes convulsions primitives : elles sont inscrites à l’œil nu dans les coulées de felsite et de porphyre noir qui zèbrent le gris des roches. Même durant le silurien, l’apaisement est loin de se faire. Rien que dans le Caernarvonshire, près de 2.500 mètres cubes de tuf, aux calculs de M. Geikie, sont rejetés pendant cette période. Tels de ces énormes massifs, comme le « noble Snowdon «, qui mesure 1.100 mètres d’élévation au-dessus du niveau de la mer, sont ainsi formés presque exclusivement par des tufs et des laves andésitives.

La mine d’Albion, où notre wagon nous débarque, est en contre-bas du village de Cilpymidd, dont les maisons proprettes et confortables, spécialement construites pour les ouvriers, se mirent à la file dans l’eau morte de l’ancien canal de Gilamorgan. Nos corons du Pas-de-Calais ne m’ont pas paru si bien tenus, si plaisants à l’œil surtout[89]. Le canal est quasiment abandonné depuis la découverte des chemins de fer. Du moins n’y ai-je aperçu aucun chaland. Des puits au canal, le transport du charbon se faisait péniblement à dos d’âne et de mulet. Ce charbon lui-même, il fallait le hisser des profondeurs à dos d’homme. Pas de bennes : des échelons et des hottes.

Tout le gros du travail se fait aujourd’hui mécaniquement, sauf dans les galeries à grisou pour lesquelles on emploie encore des chevaux. Les bâtiments de la mine que nous visitons avant de descendre dans les puits n’ont rien de luxueux. C’est l’enveloppe de briques et de planches, laide et triste comme le cocon de la chrysalide, où ronflent à l’attache les monstres d’acier de la machinerie. À l’Albion, comme dans nos mines françaises, l’enlèvement du charbon s’opère au moyen d’une énorme roue à crans de 25 pieds de diamètre dévidant un câble de transmission qui communique au dehors avec un haut échafaudage muni lui-même de deux roues et bâti sur une ouverture de puits, par laquelle montent et descendent les bennes, dont le contenu, vidé automatiquement sur des wagonnets, est aussitôt dirigé sur la station voisine. À quelques pas de cet échafaudage sont les chambres de ventilation, qui débitent 250,000 mètres cubes d’air frais par minute, la chaufferie et la lampisterie. Il n’est pas jusqu’au nettoyage des lampes qui ne se fasse automatiquement, encore qu’elles soient d’un système assez compliqué : ce sont de ces lampes Protector (la lampe Davv perfectionnée) qui brillent dix heures durant et, par un mécanisme ingénieux, s’éteignent dès qu’on les ouvre ou qu’elles tombent.

Dans les bureaux du secrétariat général, M. Trounce fait étaler devant nous le plan général du bassin, roulé dans un cylindre de zinc noir qui ressemble à une coulevrine de l’ancien temps. Tâchons de suivre ses explications.

Le terrain carbonifère, ici, comprend trois grands étages : l’étage du calcaire métallifère (metalliferous limestone), ainsi nommé parce que certaines veines de métaux et particulièrement le plomb argentifère y courent dans le calcaire ; l’étage du mill stone grit ou grès à meules, séparé du précédent par une sorte de pudding quartzeux extrêmement dur ; enfin l’étage du coal-fields ou charbon pur, qui mesure en moyenne 1,200 mètres de profondeur et dont l’étendue est évaluée à 350,000 hectares.

Du doigt, sur le plan, M. Trounce nous fait suivre les sinueuses frontières de cet énorme champ houiller qui se prolonge assez loin sous la mer. Chacune des exploitations est teintée d’une couleur spéciale : l’Albion, qui couvre pour sa part 1.400 acres, est en rouge ; elle est comprise entre la Cardiff-Rhondda et la Davies. Au sud de la Rhondda, une fuite : on ne trouve plus le filon. Et voici d’autres districts miniers : la Mountain-Ash, la Fendal, le Great-Western, la Glamorgan, la Lewis Merthyr. Le plus grand de tous est l’Océan, qui occupe 6,000 ouvriers.

Mais le charbon est loin d’être de même qualité dans toutes ces exploitations. Le meilleur se rencontre vers le centre — le vrai « Cardiff », le premier charbon du monde, bien supérieur au Newcastle lui-même en ce qu’il donne moins de fumée, plus de calorique et dure plus longtemps. Il coûte d’ailleurs un peu plus cher que le Newcastle ; actuellement, rendu à bord, il revient à 15 francs la tonne[90], tandis que le Newcastle ne revient qu’à 14 francs. Mais ce n’est là, encore une fois, que le prix des qualités supérieures. À l’est du bassin, par exemple, le charbon est dur, brûle mal : c’est de l’anthracite. En d’autres exploitations comme la Rhondda, où il s’émiette au moindre choc, on ne peut l’employer que pour les industries stationnaires et il descend à 10 francs la tonne. Ici, dans l’Albion, il y a, paraît-il jusqu’à six couches différentes de charbon. Celui du fond est très recherché pour le service des bateaux à vapeur ; au contraire, le charbon des couches supérieures n’est propre qu’aux usages domestiques.

L’Albion est cependant une des plus petites exploitations du réseau : elle ne compte que 1,500 mineurs, dont 1,000 travaillent le jour et 500 la nuit, et son rendement moyen n’est que de 1,500 tonnes de charbon par jour, soit 547,500 tonnes par an[91]. Or la production totale des houillères galloises, qui était de 8 millions de tonnes en 1862, passe aujourd’hui 35 millions.

Pourra-t-elle s’accroître indéfiniment, comme essayait de l’établir Stanley Jevons dans ses calculs audacieux ? Ce n’est pas tout à fait l’avis d’un spécialiste français, M. Lozé, qui, dans une magistrale étude sur les Charbons britanniques et leur épuisement, estime qu’à la grande rigueur la production totale du Royaume-Uni, qui est actuellement de 200 millions de tonnes, pourrait bien atteindre 350 millions vers 1950 (soit une augmentation de 150 millions de tonnes pour un demi-siècle), mais qu’elle ne saurait aller au delà dans un pays où la population est déjà aussi dense, la main-d’œuvre si exigeante et qui se voit de plus en plus « concurrencer » sur le marché des deux mondes par les pays jeunes, nés d’hier ou qui vont naître à la civilisation. Joignez que les difficultés économiques dont nous souffrons en France plus qu’en aucun autre pays ne sont point tout à fait inconnues de nos voisins : eux aussi ont leurs syndicats ouvriers, leurs agitateurs et leurs grèves. Et ces grèves n’ont pas toujours le caractère pacifique que nous leur supposons à distance : « Jacob » et « Sarah » interviennent dans la discussion autrement qu’à titre de conciliateurs, et plus d’un patron éprouva qu’il ne fait point bon lier connaissance de trop près avec ces graves personnages bibliques[92]. Les prétentions des syndicats augmentent d’année en année. L’an passé (1898), la grève générale des mineurs, qui réclamaient les fameux trois huit du programme international, ne fut pas sans causer quelque perturbation dans la marche des affaires. La grève échoua sans doute et les ouvriers mirent les pouces. Mais elle peut reprendre et le dernier mot n’est pas dit. Actuellement le salaire moyen des mineurs dans l’Albion varie entre 30 shellings et 2 livres par semaine. L’écart est sensible, mais il provient de ce que les mineurs sont payés à la tonne et non à la journée…

Une visite à l’Albion comportait de toute nécessité une descente dans la mine. J’étais curieux pour mon compte de comparer au sous-sol de nos mines françaises le sous-sol d’une mine britannique. Mais il ne me parut point qu’il y eût entre eux des différences bien marquées : c’est toujours le même réseau de galeries noires et humides, le même terrier de misère où instinctivement l’échine se courbe, la poitrine s’oppresse, la marche prend des allures de rampement.

De fait, il faut une certaine habitude pour secouer l’indéfinissable sensation d’étouffement qui saisit les plus courageux à la seule pensée de cette voûte de plusieurs millions de mètres cubes suspendue sur leur tête et misérablement étayée à sa couronne par quelques poteaux en sapin tronçonné. Mais cette barrière de bois fruste ne peut arrêter la transpiration du roc et l’on perçoit distinctement le bruit cristallin et doux des filets d’eau qui tombent du plafond ou qui s’égouttent le long des murs.

Tout au fond d’une galerie d’abattage, très loin, très haut, semble-t-il, une lampe brille : on ne voit point l’homme qui la porte, on n’entend point son pic, et la lumière de sa lampe, oscillant dans ces profondeurs, est pareille à une petite larme de diamant, au pleur mystérieux de l’Abîme. Brusquement une corne mugit dans les ténèbres : nous traversons une galerie de roulage.

— Rangez-vous ! crie l’un de nos guides.

Nous nous collons contre les murs et, dans un tonnerre de ferraille, trépidant, vertigineux, sinistre, un train passe, un long serpent de wagons bas à traction électrique et dont le conducteur est benoîtement assis, les pieds ballants, sur les blocs de houille de la berline d’arrière.

Le premier émoi surmonté, nous reprenons notre marche à la queu leu leu. On nous fait visiter successivement les chambres d’accrochage, les postes de secours, les remises et les écuries, avec leurs cent trente chevaux aveugles qui ne remonteront d’ici que blessés ou morts. Peu à peu, cependant, notre respiration s’égalise : les puissantes machines de la chambre de ventilation nous envoient un air frais qui, je ne sais comment, ne se confond pas avec l’air chaud de l’intérieur, mais semble plutôt se superposer à lui. Les deux ingénieurs qui nous servent de guides et que rien ne distinguerait a priori des ouvriers qui nous croisent en chemin, vêtus qu’ils sont des mêmes habits de toile brune, coiffés de la même casquette, les yeux agrandis et luisants dans leur halo de charbon, nous donnent au fur et à mesure les explications nécessaires[93].

Je m’enquiers auprès d’eux du chapitre des superstitions. Le folk-lore minier était particulièrement riche, jadis, dans le pays de Galles. On y croyait aux Coblynau ou Frappeurs, petits êtres invisibles qui, par le moyen de trois coups successifs frappés contre la paroi, avertissaient les mineurs de la présence d’un filon. Il y avait des jours, paraît-il, où on les entendait jouer de leurs maillettes par centaines ; mais, si le mineur qui travaillait aux environs s’arrêtait pour les écouter, les trappeurs s’arrêtaient aussi, afin de le punir de sa paresse plus encore que de sa curiosité.

Hélas ! les mineurs Gallois ne croient plus aux Frappeurs. Un vent de mort a soufflé sur les petits lutins de la mine : ils se sont évanouis, dissous comme fumée au contact du rigorisme protestant. C’était bien la peine qu’au dix-huitième siècle un homme grandement estimé pour son savoir, sa judiciaire et sa probité, l’ingénieur Merris, eût pris sous son bonnet d’affirmer leur existence dans un numéro du Gentleman’s Magazine :

« Des personnes qui ne connaissent pas les arts et les sciences ou le pouvoir secret de la nature, écrivait Merris, se moqueront de nous autres, mineurs du Cardigan, qui soutenons l’existence des Frappeurs. C’est une espèce de génies bons, mais insaisissables, qu’on ne voit pas, mais qu’on entend et qui nous semblent travailler dans les mines ; c’est-à-dire que le Frappeur est le type ou le précurseur du travail dans les mines, comme les rêves le sont de certains accidents qui nous arrivent : quand fut découverte la mine de Esgair y myn, les Frappeurs y travaillaient vigoureusement nuit et jour, et un grand nombre de personnes les ont entendus. Mais, après la découverte de la grande mine, on ne les entendit plus. Lorsque je commençai à fouiller les mines d’Elwyn-Elwyd, les Frappeurs travaillèrent si fort pendant un temps qu’ils effrayèrent de jeunes ouvriers. C’était lorsque nous poussions des niveaux et avant d’arriver au minerai que les bruits avaient le plus de consistance : ils cessèrent quand nous atteignîmes le minerai. Et, sans doute, on discutera nos assertions. J’affirme cependant que les faits sont réels, quoique je ne puisse ni ne prétende les expliquer. Les sceptiques peuvent sourire. Pour nous, mineurs, nous n’en continuerons pas moins de nous réjouir et de remercier les Frappeurs ou plutôt Dieu qui nous envoie leurs avertissements. »

Les Frappeurs ont-ils été mortifiés par l’incrédulité croissante des ouvriers ? N’avaient-ils plus de filon à leur révéler ? À quelque parti qu’on se range, un fait demeure : c’est que la même croyance était répandue dans tous les pays d’origine celtique et que les Frappeurs étaient connus dans la Cornouaille anglaise comme en Bretagne, du temps qu’on y exploitait les mines argentifères de Pompéan, d’Huelgoat et de Poullaoüen.

J’aurais voulu, en sortant de l’Albion, visiter deux ou trois de ces maisons de mineurs dont les gracieux dehors nous avaient si favorablement prévenus le long du canal de Glamorgan. Mais l’heure pressait. Un déjeuner offert par la municipalité nous attendait à Pontypridd. Il n’y avait qu’à plier bagage. Notre wagon était heureusement muni d’un lavabo, mais c’est un tub complet qu’il eût fallu pour nous purger de toutes les horreurs noirâtres qui s’étaient collées, je ne sais comment, sur la face entière de notre épiderme.

Le déjeuner expédié, les inévitables speeches expectorés, nous priâmes l’aimable M. Trounce de donner campos à ceux d’entre nous qui désiraient visiter Pontypridd.

Aboutissant ferré du bassin houiller de la Rhondda et du Taff, Pontypridd, qui voit passer moyennement 600,000 tonnes de charbon par semaine, a pris en ces dernières années un développement considérable. Elle est devenue un centre important d’aciéries et de fabriques de briquettes. Mais c’était à d’autres titres qu’elle nous intéressait. Pontypridd est surtout célèbre par son pont d’une seule arche et comme sanctuaire de la religion druidique[94]. Le pont mérite d’être vu. D’une jambée, hardiment, il franchit le Taff. C’est, paraît-il, le premier pont de cette sorte qui ait été construit par le monde. Une plaque commémorative fixée dans le parapet nous apprend qu’il eut pour auteur William Edwards, quelque chose comme le Perronet du pays de Galles.

Simple maçon pour commencer, cet Edwards gagna ses galons un par un jusqu’à devenir l’un des ingénieurs les plus renommés de la Grande Bretagne. Mais sa réputation date vraiment de l’exécution du pont sur le Taff. L’œuvre était de valeur, puisqu’elle a résisté au temps : encore le brave Edwards s’y reprit-il à trois fois pour la mener à bien. Un premier essai malheureux (1746) ne le découragea point. Le pont était à peine achevé qu’une crue du Taff l’emporta ; les culées n’offraient point de résistance suffisante. Le second essai réussit mieux (1751) ; mais le couronnement était trop mince et il fallut procéder à une réfection presque totale de l’œuvre.

Cette fois (1756), Edwards prit ses mesures en conséquence. Averti par ses échecs précédents, il pratiqua trois ouvertures dans les culées, réduisit le poids du tablier et soulagea du même coup les clefs de voûte. La portée du pont est de 140 pieds anglais avec une section de cercle de 173 pieds de diamètre. Sa hauteur au-dessus de l’eau est de 34 pieds ; la largeur du tablier de 14. Quant à sa forme, c’est celle dite à dos d’âne. Les rampes en eussent paru un peu fortes : Ewards les adoucit au moyen de gradins très larges et très bas qui pouvaient être escaladés facilement par des mulets, du temps que ces animaux servaient au transport du charbon, mais qui ne seraient point très pratiques pour nos modernes automobiles.

Nous pûmes admirer là cependant l’esprit tout à la fois progressiste et conservateur des Gallois. Ils tenaient à leur vieux pont et ils en étaient justement fiers ; mais ce pont ne s’accommodait plus à leurs besoins. Nous n’eussions point demandé tant chez nous pour le flanquer bas et construire à sa place quelque ignoble passerelle de fonte. Mieux inspirés, les Gallois ont conservé leur vieux pont historique ; mais ils ont construit tout à côté un pont moderne, répondant à toutes les nécessités de la vie moderne. Et voilà de ces petits faits qui ne sont point très importants en eux-mêmes et dont la répétition finit par faire éclater le caractère fondamental d’une race.

Nous n’avions qu’à suivre jusqu’à mi-côte, le pont franchi, un petit sentier en lacet qui grimpait au flanc de la montagne voisine, pour aboutir à ce fameux Logan, sorte de roche branlante consacrée par une longue tradition et autour de laquelle le restaurateur officiel du druidisme britannique, feu Myfyr Morganwg, s’avisa, voici plusieurs années, de fonder un sanctuaire en plein vent.

Ce Morganwg (de son vrai nom Ewans Davies) prenait le druidisme au sérieux. Ce n’était pas, comme Hwfa-Môn et ses collègues du Gorsedd, un druide pour rire et de parade. Il avait instauré toute une religion dont il était le grand prêtre et qui comptait, quand il mourut, un assez grand nombre de fidèles. Parmi eux se trouvait le Dr Price, un zélateur, s’il en fut, et qui prêcha d’exemple en commandant que son corps fût brûlé sur le Logan, où il avait déjà fait incinérer son propre fils. On ne dit point que Morganwg, qui rendit sa belle âme à l’Éternel le 23 février 1888, ait poussé jusque-là le respect des traditions ancestrales. Chaque année cependant, au solstice et à l’équinoxe, il reprenait processionnellement avec ses fidèles la route du Logan sacré et y officiait, selon l’us, « à la face du soleil et sous l’œil de la lumière ».

Le décor avait tout l’archaïsme souhaitable. Imaginez un large entablement granitique, le Cyffredinoc, faisant saillie au flanc de la montagne et dominant l’immense cirque jumelé de la Rhondda et du Taff avec ses hauts fourneaux, ses brumes perpétuelles et l’espèce de rumeur infernale qui monte de ses ateliers souterrains. Feutrez cette étrave granitique d’un gazon maigre et roussâtre que le roc crève de toutes parts. Et enfin sur ce gazon de misère, sur ce tapis de lèpre végétale, dressez en esprit un énorme bloc de schiste, une de ces grandes pierres erratiques qui, en tout pays, sont restées l’objet d’une vénération mystérieuse.

Le respect qu’inspirait celle-ci s’accroissait de la propriété singulière qu’elle avait et qu’elle conserve toujours de remuer au moindre choc. Le fait est qu’un enfant pourrait la mettre en branle d’un coup d’épaule. Des inscriptions en caractères gallois, noms de druides, de bardes ou de simples curieux, parmi lesquels dominent nécessairement les Jones et les Thomas, sont gravées par centaines sur toutes les faces du Logan. La tradition veut que Llevelyn, le dernier roi de Galles, ait tenu sa cour sur cette garenne, au pied même du Logan. Les briqueteries et les aciéries ont pris la place du château féodal : elles ont gâté tout cet admirable pays ; attestant le viol effronté de la Nature, leurs cheminées s’érigent de toutes parts dans la vallée comme de monstrueux emblèmes phalliques. Quelque solennité que le brave Morganwg dût donner à ses cérémonies trimestrielles, j’imagine qu’à certains moments la vue de ces cheminées devait refroidir l’enthousiasme des fidèles et paralyser leur émotion rétrospective.

Quant au temple à ciel ouvert dont on nous avait tant parlé, il consiste bonnement dans une double haie de « pierres levées » qui font le tour du Logan et processionnent ensuite à travers la garenne par une avenue en forme d’S. L’avenue conduit à une esplanade circulaire ménagée sur l’éperon même de la falaise et fermée par huit pierres plus hautes. Au centre de cette esplanade, trois pierres plates posées sur champ dessinent une sorte de fourche à trois branches, de trinôme symbolique, représentatif de la Trinité. Deux autres pierres cylindriques, légèrement inclinées vers le Levant et frappées de caractères mystérieux, signalent l’entrée du cercle. C’est dans ce cercle qu’évoluait, tous les trois mois, la théorie des néo-druidisants. Elle partait du Logan. Debout sur la pierre sacrée, Morganwg saluait d’abord la lumière et récitait les solennels tribannau :


           Donne, ô Dieu, ta protection,
           Et dans la protection la force,
           Et dans la force l’intelligence,
           Et dans l’intelligence la science,
           Et dans la science l’amour du bien,
Et dans l’amour du bien l’amour de tous les êtres,
Et dans l’amour de tous les êtres l’amour de Dieu.


Un telynor succédait à Morganwg, puis la procession se déroulait par le sentier bordé de « pierres levées » jusqu’au trinôme symbolique inscrit dans le deuxième cercle. Les druides s’adossaient contre les huit menhirs, et Morganwg, debout au milieu du cercle, dans sa tunique de lin vierge, saluait une nouvelle fois le soleil levant…

Il y avait au-dessus de nous, chevauchant l’arête de la colline, une manière de cottage ou villa rustique qui me tirait l’œil depuis quelques instants. Toute blanche, dans un fouillis de verdure, je demandai à un passant comme elle s’appelait et s’il pourrait me servir d’introducteur près de ses hôtes. Avec une courtoisie parfaite, l’homme, un forgeron de Pontypridd, nommé George Guinbleth, se mit tout de suite à ma disposition.

— J’ai moi-même une commission à faire près du propriétaire de la maison, me dit-il. Ce n’est point un cottage, mais une métairie. Elle s’appelle Ty-Gwyn, c’est-à-dire la maison blanche (ti-wen, dirions-nous en breton), et c’est, comme vous voyez, une des très rares exploitations agricoles qui subsistent encore autour de Pontypridd.

Nous reprîmes de compagnie le sentier de chèvre qui m’avait mené au Logan et qui serpentait à travers une culture maigre et fragmentée comme la culture bretonne, chaque champ formant blockhaus et flanqué, comme en Bretagne, de hauts talus en pierres sèches.

Où l’analogie cessa de m’apparaître, c’est quand je vis l’étrange personnel qui travaillait dans ces champs : au lieu des frustes paysannes du Léon ou de la Cornouaille, les pieds nus, la poitrine lâche dans leur justin dégrafé, j’avais sous les yeux des façons de demoiselles chapeautées à la dernière mode, en jupes à volants et en mitaines, et qui, pour faner le foin, avaient tout juste daigné nouer sur leurs robes un coquet tablier de couleur. Mon guide m’expliqua qu’il en était ainsi presque partout ; que les vieux costumes avaient disparu et que les paysans de la principauté, fort soucieux de leur quant-à-soi, ne pouvaient se résigner, même aux champs, à s’habiller autrement qu’à la ville. Les hommes, sur ce point, valent les femmes : ils portent des complets à carreaux et on ne connaît point chez eux les sabots ni la blouse, cette livrée presque universelle du prolétariat agricole.

J’ignore si l’abandon de l’ancien costume gallois a retenti en quelque façon sur la culture elle-même. En général, dans les districts que j’ai visités, elle paraissait assez relâchée. L’industrie a très certainement appauvri la terre, quand ce ne serait qu’en réduisant au strict minimum les bras qu’elle employait jadis. Peu de blé ; quelques carrés de patates ou de ces navets jaunâtres nommés turnips et qui servent à la nourriture du bétail. En revanche, beaucoup de prairies, l’élevage restant la principale ressource des derniers paysans.

Après une ascension qui ne fut pas toujours des plus aisées, nous arrivâmes devant le clos qui entourait la Ty-Gwyn et dont les murs eux-mêmes étaient enduits de chaux fraîche. Des dindons, des canards et des poules vaguaient aux abords. À l’angle du clos, sous une tonnelle de houblon, un vieillard à barbe blanche, silencieux et fier, laissait errer ses yeux sur la vallée. Il l’avait connue tout autre, peut-être, et il se lamentait intérieurement sur le présent. Mon guide le héla de la barrière et lui fit part du désir que j’avais de visiter sa maison. Il se leva poliment ; mais il garda sa réserve mélancolique et, sans aucune parole, nous ouvrit la barrière.

Des arbres fruitiers, des haricots à fleurs rouges, des castilliers et des groseillers, poussés en désordre, formaient toute la végétation du courtil. La maison était vieille et ne devait sa coquette apparence qu’à la couche de chaux vive dont elle était nouvellement badigeonnée. Nous pénétrâmes, mon guide et moi, sur les pas du vieillard, dans une pièce assez vaste qui voulait être un salon et qui est le parlour gallois.

Pas de maison en Galles, pas de chaumière, si misérable soit-elle, qui n’ait son parlour. Le parlour est comme le complet à carreaux des hommes, comme la jupe à volants et les mitaines des femmes : c’est la poudre aux yeux, la respectability mal comprise, le besoin de paraître, vice foncier des Gallois de ce temps. On a peine à s’expliquer cette déformation du caractère national : si le laisser-aller de nos Bretons de France est bien souvent critiquable, j’avoue l’aimer mieux que cette ostentation des Gallois. Ceux-ci se défendent cependant et l’on trouve de nos auteurs pour leur prêter l’épaule. Témoin François Vallée, l’érudit et modeste rédacteur de la Kroaz ar Vretoned, qui rompit plus d’une lance en faveur des parlours gallois. Fraternellement accueilli sous le chaume domestique et à la mense hospitalière d’un charpentier du nom d’Owen Lewis, plus connu sous son nom bardique de Madoc Mòn qu’il a rendu célèbre dans les Eisteddfoddau[95], Vallée, après une conversation de quelques minutes avec ce brave homme, sentit fondre l’un après l’autre tous les préjugés qu’il gardait contre les parlours.

« Le Saxon, dit il, plongé dans la matière, n’a nul besoin que l’art décore son foyer. Le Celte sans art, c’est comme la fleur sans eau ; il lui faut de la poésie, de la musique et un endroit bien calme pour chanter. Le parlour est comme le sanctuaire où le Gallois rend un culte familier à l’art national ; c’est là que se renouvelle et se retrempe son âme celtique, après le labeur de la journée. »

Madoc fit voir à notre ami le recueil manuscrit de ses œuvres, puis il lui chanta « quelque chose d’admirablement simple et beau sur Dieu et la patrie, Duw a Cymru, tandis que sa jeune fille, vêtue de blanc comme une prêtresse, jouait sur l’yberdonec une de ces mélodies celtiques qui semblent plutôt faites pour le ciel que pour la terre ».

il y a des grâces d’état pour certains hommes. Vallée, ce moine laïc qui marche dans le siècle les yeux baissés et qu’on dirait détaché par miracle d’une fresque des primitifs, Vallée a vu ce que je n’ai point vu. Dans le parlour de la Ty-Gvyn où j’entrai, un grand banc de forme cintrée, à dossier plein, faisait cloison entre la porte et la cheminée ; le mobilier de la pièce n’avait ni la solidité ni l’intimité de nos mobiliers bretons, et, depuis la chaise longue tendue d’un cuir trop éclatant jusqu’aux porcelaines de faux chine plaquées contre les murs, aux chaises en acajou et aux rideaux liberty, tout sentait le bric-à-brac, la pacotille, le luxe à bon marché. Entre ce mobilier de rencontre et les respectables solives du plafond, il y avait en vérité une trop choquante disparate. Et notre hôte aussi était père d’une jeune fille, comme le Madoc Môn de Vallée ; mais elle portait un canotier noir à galons blancs, des boucles d’oreilles, un corsage rose, une robe bleue, et elle était chaussée de bottines jaunes ! Quant à l’yberdonec, je le cherchai vainement au mur : dans les fermes riches, on lui a substitué le piano ; la fille de notre hôte l’avait plus modestement remplacé par un accordéon.

Tel quel, l’ameublement de la pièce pouvait faire illusion. Mais que cachait ce décor ? Qu’y avait-il derrière ce parlour aux rideaux liberty glissant sur des tringles de cuivre rouge, selon les plus récentes prescriptions de l’esthétique anglo-saxonne ? Quitte à passer pour un indiscret, je voulus en avoir le cœur net. Je poussai une porte : je vis une grande pièce enfumée, un fourneau rouillé dans un coin, des loques qui traînaient, un chariot à coulisse où un baby prisonnier geignait lamentablement…

Je ne suis pas encore réconcilié avec les parlours gallois.

VI


Sur la route de Llanover. — Une grande famille patriote. — La légende de lady Herbert. — L’hôtel de tempérance de Rhyd-y-Meirch. — La Porth-Mawr. — Un épisode de la bataille de Saint-Gast. — La fille de Gruffyd. — Le costume national des Galloises. — Post-scriptum au chapitre des chapeaux. — L’ancêtre du gibus. — Les trophées bardiques de Suzanna. — La telyn galloise. — Variations sur le chiffre 3. — Un rhododendron gigantesque. — Les sept fontaines de Saint-Gower. — Collections anciennes et modernes. — Le coffret d’Iolo-Morganwg. — Une lettre inédite de Brizeux. — Le pwcka de Mynydd-y-Twyn.


Nos excursions à Pontypridd, à Llandaff, à Penarth, etc., ne nous avaient que faiblement éloignés de Cardiff. À Llanover, nous entrions dans une région toute nouvelle et nous allions faire connaissance avec l’hospitalité galloise, dans tout ce qu’elle a de rare et de vraiment seigneurial.

Lady Herbert, l’illustre patriote galloise, descendante de Caradoc, un des rois de la principauté au temps de son indépendance, avait marqué le désir de recevoir chez elle la délégation bretonne. Son invitation nous avait été transmise par notre compatriote, M. Barbier, professeur à l’Université de Gardiff, et nous l’avions accueillie avec une joie d’autant plus vive qu’elle avait deux précédents célèbres : il y a soixante ans, lors de l’Eisteddfodd d’Abergavenny, c’était la mère de Me Herbert qui avait reçu la délégation bretonne composée de MM. de la Villemarqué, de Blois, de Roisrouvray et Rio. Quelques années plus tard, Henri Marlin s’asseyait à son tour au foyer de l’hospitalière châtelaine ; nous nous rappelions enfin, non sans quelque émotion, que, lors du congrès de 1867 tenu à Saint-Brieuc par l’Association bretonne, cette même châtelaine de Llanover, relevant d’une longue maladie qui l’obligeait à de grands ménagements, s’était fait représenter par le barde Gruffyd, le roi des telynors gallois, aveugle et chenu comme Homère et que conduisait par la main la charmante Suzanna, digne élève d’un tel maître.

Nous savions que la mère de lady Herbert revivait dans sa fille, qu’elle lui avait transmis son patriotisme chevaleresque, sa flamme et sa décision.

À l’avant-garde du pays de Galles, en plein comté anglais de Monmouth, les beaux domaines de Llanover étaient plus menacés que n’importe quelle autre partie de la principauté. Sans une surveillance de tous les instants, l’infiltration anglo-saxonne les eût pénétrés, submergés peut-être à la longue. La légende, — car ici la légende se mêle à toutes choses petites et grandes, — la légende donc ajoutait que lady Herbert, qui s’est faite catholique comme lord Bute, avait juré à sa mère, fervente wesleyenne, de n’agréer sur ses terres que des tenanciers wesleyens. Un tel engagement lui coûtait à tenir. Elle l’avait tenu cependant. Du moins avait-elle exigé de tous ses fermiers qu’ils parlassent gallois, qu’ils élevassent leurs enfants dans les écoles galloises, qu’ils gardassent les coutumes et les mœurs galloises. Sauf elle-même et ses fils, il n’y avait que des protestants sur ses terres : il n’y avait pas un seul Anglais.

En bloc, voilà ce que nous savions de notre châtelaine et de cette grande famille conjuguée des Halls et des Herbert, l’une des plus riches du pays de Galles, l’une aussi de celles qui ont exercé la plus décisive influence sur l’orientation intellectuelle et morale de la principauté.

Le domaine de Llanover est assis dans une pittoresque vallée que dessert la ligne de Newport à Abergavenny. Trois grands breaks nous attendaient à la station de Nantiderry, la plus proche de Llanover. Nous filâmes au trot de notre attelage sur une route légèrement déclive, encadrée de grands massifs montagneux, — les Black Mountains, — dont les lignes harmonieuses n’étaient point déshonorées par les usines qui nous avaient gâté jusqu’alors le pays de Galles. Le creux de la vallée était occupé par l’Usk, une des rivières les plus poissonneuses de la principauté et dont le mille se loue couramment 250 livres sterling, quand les eaux du domaine public ne rapportent à l’État français que 40 francs le kilomètre.

L’Usk serait délicieux, si l’Usk était plus limpide ; mais toutes les rivières galloises ont cette teinte plombée qu’elles doivent sans doute à la nature métallifère de leurs lits.

Après avoir traversé le coquet village de Rhyd-Y-Meirch (le Gué des Chevaux), où l’on nous montra en passant une gwesty dirwestol, un hôtel gallois de tempérance, — la seule auberge que la châtelaine de Llanover tolère sur ses domaines, — nous arrivâmes par une grande allée d’ormes à l’entrée principale de Llanover, la Porth-Mawr, reconstitution de l’ancienne porte gothique des Tudor qui s’élevait à Abergavenny.

Une inscription en caractères gallois courait sur le fronton. On nous la traduisit :

« Qui es-tu, voyageur ? — Si tu es ami, du fond du cœur sois le bienvenu. — Si tu es étranger, l’hospitalité t’attend. — Si tu es ennemi, la bonté te retiendra. »

Il n’y eut qu’une voix parmi nous pour louer le caractère antique et charmant de cette inscription.

Nos breaks nous entraînaient dans un immense parc à l’anglaise, tout zébré du vol d’or et de pourpre des faisans et dont les éclaircies nous découvraient par endroits des hardes de chevreuils au pacage qui tournaient vers nous leurs beaux yeux familiers.

Le château nous apparut enfin. C’est une grande construction rectangulaire du style Renaissance, à toit plat, flanquée de quatre tours carrées, avec une tour plus petite qui occupe le milieu de la façade. Cela est vaste, confortable et sans grande beauté. Le vieux château, la Court of Llanover, comme on l’appelle officiellement, s’élève à quelque distance. Il est fort bien conservé encore, mais le petit nombre des pièces l’a fait abandonner et il ne sert plus que de débarras.

Lady Herbert nous attendait sur le perron du château. Je fus frappé par le contraste que faisaient ses yeux, les plus doux du monde, avec la rouge flambée de ses cheveux, ses sourcils épais, son masque aux traits énergiques et presque durs. De taille moyenne, mais relevée par un grand air de dignité naturelle, elle nous conquit tout de suite par la bonne grâce de son accueil. C’est d’ailleurs une des parures de la race galloise que cette cordialité empressée, ces manières chaudes et avenantes, qui tranchent si vivement sur la raideur anglo-saxonne. Mais ce qui nous ravit plus qu’aucune chose, ce fut quand nous aperçûmes, dans le grand vestibule du château, une harpiste en costume national qui, pour mieux symboliser la fraternité celtique, avait choisi dans son répertoire l’air de marche des hommes de Harlech, lequel se retrouve en Bretagne sous le nom de Seziz Gwengamp (le Siège de Guingamp).

Notre unique sonneur de biniou le soufflait à joues pleines, pour l’entrée dans Cardiff, ce vieil air qui rappelle un des plus dramatiques épisodes de l’histoire des deux peuples. C’était à Saint-Cast, en Bretagne, il y a quelque cent ans. Une compagnie de fusiliers gallois appartenant à l’armée anglaise marchait contre un des détachements du duc d’Aiguillon. Tout-à-coup les Gallois s’arrêtent : sur les lèvres des hommes qu’ils s’apprêtaient à combattre, un bourdonnement confus s’est éveillé. Les Gallois tendent l’oreille : dans la rumeur qui grossit, enfle, s’approche, ils ont reconnu la Marche des Hommes de Harlech. L’officier qui commande les recrues galloises est un Anglais. Il interpelle rudement ses soldats, leur demande s’ils ont peur ou s’ils ne veulent plus obéir.

— Non, disent ils, mais, à l’air que chantent ces gens, nous avons reconnu des hommes de notre race. Nous aussi nous sommes Bretons.

Lady Herbert ignorait moins que quiconque ce légendaire épisode des dernières guerres de la monarchie française et il y avait dans le tour délicat qu’elle avait pris pour l’évoquer, comme aussi dans le choix du milieu et de l’heure, une attention qui nous toucha jusqu’aux larmes.

Que fut-ce donc quand nous apprîmes que la musicienne qui jouait céans n’était autre que Suzanna, la fille du vieux Gruffyd qui avait passé la mer en 1867 pour donner à nos Bretons de France un échantillon de la musique galloise ! Jadis tous les châtelains du pays de Galles avaient leur telynor attitré. Gruffyd seul, par exception, portait le double titre de telynor of Llanover et de Welsh Harper to H. R. H. the Prince of Wales. Mais le temps a fait du chemin : Gruffyd est mort et Suzanna n’est plus la mince et coquette jeune fille qui ravit là-bas Henri Martin, Luzel et La Villemarqué, et dont la harpe paternelle éveillait les arpèges de cristal. Du moins Suzanna, qui est devenue Mrs Richards, porte-elle toujours à son doigt le rubis serti d’or qui fut offert au vieux Gruffyd par les congressistes et, à son cou, la broche en mosaïque qu’elle reçut en personne lors de ces mémorables journées.

Suzanna, pour nous accueillir, avait revêtu ses habits nationaux, et nous pûmes tout à loisir admirer sur elle cet antique et pittoresque costume des femmes galloises, qui a presque entièrement disparu de la principauté et dont les petites vendeuses de l’Eisteddfodd ne nous avaient donné qu’un timide aperçu.

La pièce principale de ce costume, c’est le chapeau tromblon en feutre noir à bords plats. Un vrai monument, ce chapeau taillé en tronc de cône, haut de 50 centimètres et dans lequel il faut saluer évidemment l’ancêtre du gibus moderne. Mais combien l’ancêtre est supérieur à ses fils et quelle dépression chez ceux-ci ! Tout de même on a quelque peine à s’expliquer l’origine d’un pareil objet de toilette. Dire que c’est la coiffure la plus appropriée au climat pluvieux du pays n’explique rien. Et le donner aussi comme une coquetterie, un caprice de la mode, paraît excessif. Les femmes, là-dessous, ont l’air de tuyaux de poêle en marche.

Ce qui sauve un peu la disgrâce de cet horrible chapeau, c’est le bonnet en tulle blanc ruché qui frange le front et la nuque et dans lequel court un mince ruban bleu.

Mrs Kichards, à son chapeau, portait l’insigne de Galles, le poireau en nacre, dont les racines sont figurées par une tresse d’argent et les feuilles par un flot de rubans verts. C’est qu’elle-même occupe un rang élevé dans la congrégation des bardes où elle est inscrite sous le nom de Pencerddes y Dé, ce qui veut dire Chef des chanteuses du Sud. Un petit châle rouge était croisé sur sa guimpe et, sous ce châle, on distinguait un corsage de même couleur, mais rayé de blanc. Une jupe et un devantier à raies blanches et noires, des souliers à boucles, de longues mitaines de fil, qui parlaient du coude et venaient expirer comme une frêle écume à la naissance des doigts, complétaient son ajustement, qui était bien tel qu’on l’attendait d’une paysanne. Ce qui en rehaussait le côté un peu rustique et lui donnait vraiment une fière allure, c’était le grand manteau rouge liseré de martre, avec un capuchon doublé de soie noire, qui disposait autour de la musicienne ses plis harmonieux.

Suzanna s’accompagnait elle-même en chantant. Sa voix n’avait plus la fraîcheur de jadis et se brisait aux notes élevées. Mais, comme harpiste, elle était incomparable. Hélas ! cette harpe aussi, qui fut l’instrument préféré des Gallois[96], cette harpe à trois rangs de cordes, spéciale à la principauté, nous n’avons plus longtemps à l’entendre, et déjà, sous les doigts fuselés de Mrs Richards, il nous semblait lui trouver la grâce inquiétante des choses surannées et qu’on sent près de mourir…

Tout marche par trois chez les Celtes. Trois est le nombre divin par excellence[97]. C’est le nombre des degrés de parenté en ligne directe : père, grand-père, bisaïeul ; c’est le nombre des plus anciennes divinités : la terre, le ciel et l’eau. Le roi suprême d’Irlande, Lugaid, a trois pères qui sont trois frères, époux de leur sœur. À la bataille de Moytura, les trois ouvriers chargés de réparer les armes de Tuatha font chacun leur travail en trois mouvements ; le héros Conall a les cheveux de trois couleurs ; la sagesse galloise ne s’exprime que par triades ou groupes de trois vers. Pour devenir barde, il fallait posséder trois disciples, passer par trois degrés, subir trois concours publics. Nul doute que les trois cordes de la harpe n’aient symbolisé à l’origine cette triple initiation, d’autant que, si les légendes disent vrai, la telyn galloise fut inventée par le fameux Idris Gawr, un des trois bardes primitifs de l’Ynis Britain…[98].

Les présentations terminées, les bagages portés dans nos chambres respectives, nous fîmes un tour de parc pour nous dégourdir les jarrets.

Des massifs d’hortensias arrondissaient sur les pelouses leurs jolis dômes de faïence ; un rhododendron gigantesque formait à lui seul un bosquet naturel de 25 mètres carrés de superficie. Je passe sur les mille et une variétés de la flore exotique qui s’épanouissait dans les serres monumentales ; il me suffira de dire que vingt-sept jardiniers sont occupés d’un bout de l’année à l’autre à l’entretien de cette partie du domaine.

Mais la merveille du parc et qui nous retint plus que tout le reste, ce sont les sept fontaines de saint Gower, le vieil ermite gallois qui a donné son nom au château (Llan-Gower et par corruption Llanover). Le culte des sources est très répandu dans le pays de Galles. Celles-ci sortent de terre l’une à côté de l’autre, mais sans se confondre. Cela fait sept petites vasques juxtaposées du plus curieux effet. Le trop-plein des vasques se déverse dans un ruisselet qui court se jeter dans l’Usk. Les sept fontaines sacrées de LIanover ont, paraît-il, la propriété d’être aussi fraîches l’été que l’hiver et de ne tarir jamais, fût-ce dans les plus chaudes saisons.

La cloche du déjeuner nous surprit dans notre contemplation. D’autres voitures, dans l’intervalle, avaient déposé à Llanover des parents et des amis personnels de la châtelaine, parmi lesquels sa belle-sœur, lady William, son fils aîné, colonel de horse-guards, une jeune fille du monde, excellente musicienne, miss Abaddam, et la moins Anglaise de toutes les Anglaises à qui j’ai eu l’honneur d’être présenté, Mrs Bridson Smith, fanatique de la France, où elle passe les trois quarts de l’année et dont elle parle la langue avec une pureté, une grâce et, si je puis dire, un parisianisme incomparables. Tous nos hôtes, d’ailleurs, savaient le français. Les domestiques parlaient le gallois, si bien que, dans cette terre anglaise de fait, il n’y avait que l’anglais que l’on ne parlât point.

On déjeuna. Le programme de notre après-midi avait été tracé par lady Herbert ; il comportait une ascension du Skyridd et une visite à un château du voisinage nommé Cold-Brook et qui passe pour hanté. Les breaks devaient nous prendre après le café, qu’on nous servit dans le hall, immense pièce haut voûtée comme une église, lambrissée de pilastres, de colonnes, de chapiteaux et d’entablements, avec une galerie intérieure qui faisait jubé et dont nous ne nous expliquions pas d’abord la destination. Ce hall lui-même ouvrait de plain-pied sur un grand salon meublé des pièces les plus rares, décoré de tableaux, de statuettes et de faïences émaillées, dont la merveille est une faïence à l’effigie de Nell Gwyn (Nell la Blanche), la célèbre favorite galloise de Charles II. Une deuxième porte donnait sur la bibliothèque qui n’a point sa pareille dans toute la principauté et qui contient, entre autres spécimens de l’art indigène, le coffret en bois de chêne où dorment, gardés par leurs massifs fermoirs en fer forgé, les antiques manuscrits kymriques provenant de la succession d’Iolo Morganwg. C’est ce Morganwg qui fut, comme on sait, l’un des trois restaurateurs des Eisteddfoddau. De grands portraits de famille, d’autres de Guillaume III et de Cromwell, un autre signé Michel-Ange, attirèrent notre attention. Mais la bibliothèque est surtout riche en vieux recueils de musique galloise. Nous n’avions qu’un regret : c’est que le temps nous manquât pour étudier de près toutes ces merveilles.

La châtelaine s’empressait autour de nous avec sa bonne grâce habituelle. Elle ouvrit une vitrine, y prit une grande liasse de papiers nouée d’une faveur verte, — la couleur bardique.

— Tenez, nous dit-elle, lisez ce paquet de lettres : c’est toute la correspondance échangée entre ma mère et ceux de vos illustres compatriotes qui vinrent la voir en 1838, lors de l’Eisteffodd d’Abergavenny, où les avait priés la Société des Cymreigyddion. Voici des lettres de M. de la Villemarqué, de M. de Marhallac’h, de M. de Blois, de M. de Francheville. En voici d’autres d’Henri Martin, qui fut l’hôte de ma mère quelques années plus tard. Un grand commerce épistolaire était né entre eux. Il y eut même un de nos hôtes, M. Rio, celui que Brizeux appelle :


… l’éloquent Rio, l’enfant de l’île d’Arz,


qui s’attacha aux Herbert par des liens plus étroits, en épousant miss Jones of Llanarth, une cadette de la branche de Pembrok à laquelle appartenait mon mari. Vous voyez que nous sommes ici, non seulement entre amis, mais presque entre cousins.

— Cousins à la mode de Bretagne, répliqua Grivart en s’inclinant.

Lady Herbert daigna sourire. La correspondance était là, sur la table, et je la feuilletai avec une fièvre véritable. Que n’a pu, pour la défense et la propagation de l’esprit national, une femme comme cette lady Hall of Llanover, plus fière de son nom bardique, Gwenynen Gwent (l’abeille du pays de Gwent), que de tous ses titres nobiliaires !

Une des lettres de la correspondance était de Brizeux. Ce grand nom me fit désirer vivement d’en prendre copie. Lady Herbert me le permit gracieusement et voici cette lettre demeurée inédite jusqu’ici :


My lady,

L’honorable invitation que vous m’avez fait transmettre par mon compatriote, M. Rio, augmente mes regrets de ne pouvoir (cette année du moins) assister au Cymreigyddion. Les rêves les plus chers de mon esprit et de mon cœur sont ainsi détruits. Ne pas connaître le beau pays de Cymrie, c’est ignorer, il me semble, la moitié du mien. Mais, je le répète, la patronnesse du Cymreigyddion et aussi lady Charlotte Gwest, près de laquelle j’aurais besoin d’un interprète de ma reconnaissance, ajoutent par leurs faveurs à mes présents regrets.

Vous donnez, my lady, un bel exemple aux femmes de notre Bretagne et que j’aimerais à leur présenter. Dans le grand cercle de la fraternité humaine, il en est de plus resserrés, où chacun se sent mieux vivre et qu’il ne faut pas briser. Heureux le pays défendu, comme le vôtre, par un gracieux génie !

Daignez agréer, my lady, mes respectueuses salutations.

A. Brizeux.
Paris, 7 octobre 1838.


Heureux en effet ce pays, dirai-je après l’auteur des Bretons. Le présent l’a comblé de ses dons ; la civilisation moderne l’a fait riche, puissant, plein de sève et d’avenir. Mais il n’a conçu de ces dons aucun orgueil ; il n’a point rougi de ses humbles origines et aujourd’hui encore, parvenu à l’apogée de ses destins, il les revendique hautement, il entoure d’une piété filiale les reliques de son passé.

Le fait est que, pendant ce séjour à Llanover, il nous fallut souvent faire effort sur nous-mêmes pour ne pas nous croire transportés à cinq cents ans en arrière, en plein moyen-âge celtique, dans un décor à la Walter Scott.

Songez que nous allions visiter un château hanté et, qui plus est, que chacun de nos hôtes croyait aux revenants. J’avais lu toutes sortes de choses piquantes sur le folk-lore du pays de Galles. Mais je n’imaginais point, connaissant la haine farouche des puritains contre tout ce qui dégage un parfum d’idolatry, — idolatry et abomination sont synonymes en anglais, — que, cessant d’être papistes, les Gallois pussent être demeurés si superstitieux.

— Détrompez-vous, me dit un de nos hôtes. Ce n’est pas seulement Mme Herbert, catholique depuis son mariage, mais la plupart des gens de ce pays, excellents wesleyiens, baptistes convaincus, qui croient encore aux lutins et aux fées. À Llanover même, il y a un lutin spécial, un pwcka, comme nous disons.

— Et ce pwcka, vous l’avez rencontré ? demandai-je quelque temps plus tard à Mme Herbert.

— Moi, non, me répondit-elle sérieusement. Je n’ai pas la double vue. Mais je sais de mes gens qui ont été plus favorisés que moi. Chaque maison, en Galles, a son pwcka familier. Ce sont nos lutins domestiques. Ils ne sont pas méchants. Dieu sait, mais plutôt malicieux. Ils rendent même service à leurs hôtes et s’occupent volontiers des travaux du ménage. Tout leur plaisir est de danser la gigue sous la lune ; quand ils sont las, les champignons leur servent d’escabelles Ils n’ont de haine que contre les ministres calvinistes, qui les payent amplement de retour, je vous jure. Aussi n’est-il d’espiègleries qu’ils ne leur jouent. Quand un de ces ministres prêche dans une maison, le pwcka se faufile par derrière et tire brusquement à lui le tabouret du prédicant. Voilà le cher homme les quatre fers en l’air… Non, continue lady Herbert, je n’ai pas eu la chance de voir de pwckas, mais j’ai vu souvent, au matin, dans les prairies, le gazon tout foulé et comme piétiné en rond par des milliers de petits sabots.

— J’ai vu aussi de ces ronds, répliquai-je. Certains savants les attribuent à une poussée de champignons minuscules qui dessèchent subitement le gazon. Pendant un de mes séjours à Bréhat, avec le regretté Luzel, on vint nous chercher un matin pour nous montrer un de ces ronds de korrigans ou follikeds qui sont les pwckas de la Bretagne ; l’herbe était toute blanche à la périphérie, comme si un objet pesant de forme circulaire, une grande roue de charrette, par exemple, y avait été posée à plat pendant plusieurs jours. Mais le propriétaire de la prairie nous affirma qu’il n’en était rien, que la veille au soir l’herbe était nette et lisse et qu’il fallait chercher une autre explication. Je me penchai sur le rond pour essayer d’y découvrir les champignons minuscules dont on m’avait parlé ; mais sans doute qu’ils n’étaient visibles qu’au microscope, car je n’aperçus rien.

— Le microscope ne vous eût rien fait découvrir de plus, me répondit mon interlocutrice, et vous raisonnez comme un mécréant. J’aime mieux croire aux lutins qu’à vos cryptogames. Les lutins, au moins, on les a vus. Pas moi ni vous. Mais avons-nous vu César, Cromwell et Napoléon, et cela nous empêche-t-il de croire à leur existence, certifiée par tant de témoins ? Tous les lutins portent des fog-caps, des chapeaux de brouillard qui les rendent invisibles. Un des tenanciers de ma mère, dont le pwcka domestique avait laissé tomber par mégarde son fog-cap et lui était apparu à l’improviste, fut prié sur-le-champ d’en donner une représentation graphique aussi exacte que possible. Il traça sur le mur, au charbon, la figure que voici. Le pwcka n’était pas très joli, comme vous voyez ; sa tête tient de l’oiseau et du poisson. Mais il ne faut pas oublier que notre artiste improvisé n’avait rien d’un Raphaël et quelque gaucherie est manifeste dans son dessin. En général, cependant, on peint les pwckas comme assez difformes et terriblement poilus. Leur voix tinte comme une clochette fêlée ; ils n’ont ni os ni sang et, quoique sans ailes, ils sont aussi légers que le souffle. Tel est le gobelin de Minydd-y-Tvvyn, la montagne que vous apercevez de cette fenêtre et qui domine Llanover. Il n’y eut jamais de pwcka plus espiègle, non pas même Tom-Thumb en personne. Brouiller les fils des fuseaux, écrémer le lait, chiffonner le bavolet des fermières, vider dans le poivrier le contenu des tabatières et dans les tabatières le contenu des poivriers, étaient les moindres de ses malices. Mais où sa joie passait les bornes, c’est quand il pouvait arrêter les mulets chargés de houille qui traversaient la montagne ; les mulets, comme pétrifiés, refusaient tout service. Il était partout à la fois. Dans une ferme, à la veillée, une coquette disait un soir : « Voyez les jolis pieds que j’ai. » — « Ils ne valent pas les miens », dit une voix flûtée derrière elle. Et brusquement, dans l’ombre, il avançait un pied de bouc et fondait comme bulle dans un éclat de rire. Ses hôtes le soignaient malgré tout. Chaque soir on déposait pour lui, sur la pierre du foyer, une cruche de lait doux. Une servante fallacieuse s’avisa de remplacer le lait par de l’eau salée. Mal lui en prit : la nuit suivante, des griffes invisibles l’arrachèrent de son lit et la traînèrent par les escaliers. On la releva au matin toute meurtrie.

— Et qu’est devenu le pwcka de Minydd-y-Twyn ? demandai-je à lady Herbert.

— Voilà des années qu’il ne nous a donné de ses nouvelles. On dit qu’il est parti, mais qu’il reviendra quelque jour. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il hantait encore la montagne quand j’étais enfant. Les domestiques de ma mère m’en menaçaient : « Il viendra vous prendre, si vous n’êtes pas sage », me disaient-ils. Cela me causait une frayeur mortelle. J’avais bien tort, car le pwcka de Minydd-y-Tvyn n’était point méchant, je le répète, malgré ses pieds de bouc et son bec d’espadon. La preuve en est que sur la montagne, quand les mules s’arrêtaient brusquement et se mettaient à flageoler sur leurs jambes, les muletiers n’avaient qu’à dire à voix haute : « Pour l’amour de Dieu, pwcka, laissez-les passer ! » Tout de suite il suspendait son sortilège…

VII


Les trois géants des Black-Mountains. — Cold-Brook. — Le château hanté. — Tragique histoire de deux Têtes-Rondes et d’une dame blanche. — La flaque de sang. — Un exorcisme peu commode. — Le fantôme de la reine. — L’intersigne du tambour. — Ce qu’on voit sur un tronc de hêtre. — La chapelle maudite. — Un hammam dans une église. — Sur la crête du Skyridd-Fawr. — Abergavenny. — Encore les parlours. — Le mariage chez les Gallois. — La coutume des biddings. — Une circulaire matrimoniale. — Le soir des Rois en Galles. — Un chœur de villageois. — La musique à l’école primaire. — Affinités de la musique galloise avec certains thèmes allemands. — L’opinion de M. Bourgault-Ducoudray. — Adieux à Llanover. — La pierre noire du Snowdon.


Nos breaks, maintenant, filent à grande allure dans la vallée de l’Usk, déroulant sa coulée de sombre émeraude aux deux côtés de la route.

Les plans lointains du Bloreng, du Sugarloaf (pain de sucre) et du Skyridd-Fawr, les trois géants des Black Mountains, le premier haut de 580 mètres, le second de 558 et le troisième de 487, commencent à s’étager dans la brume. La route oblique sur la gauche ; une grille s’ouvre, et nous entrons dans la mystérieuse nuit verte des hêtraies de Cold-Brook. Quelque chose miroite au bout de l’avenue, une petite tache blanche imperceptible qui grandit à mesure, prend forme et se développe, la hêtraie franchie, en un spacieux château de la Renaissance.

Château, ai-je dit ? Plutôt maison de campagne, — comme les trois quarts de ces châteaux gallois, — mais décorée à l’ancienne mode, avec des lambris de hauteur et de grandes cheminées à chambranles. Sauf la salle à manger du rez-de-chaussée, où l’on avait disposé quelques tables et des chaises pour le lundi de cinq heures, toutes les pièces étaient vides. Cold-Brook était encore aux mains des tapissiers et des peintres qui achevaient de le mettre en état pour recevoir ses nouveaux hôtes : un fils de Mme Herbert, diplomate à Copenhague, et sa jeune famille.

Tel quel et dans sa fraîcheur récente, je n’ai point vu de château qui donnât moins l’impression d’un château hanté. Et comment hanté, et par qui ? Nous nous le demandions en visitant ces grandes salles insipides, où la lumière entrait à gros bouillons et dansait jusque dans les coins.

— Attendez d’être dans la murder’s room (la chambre du meurtre), nous dit Mme Smith.

— Et où est-elle, cette murder’s room ?

— Au second étage, dans les combles du château.

— Eh bien, montons au second étage.

Effectivement, la clef du mystère était là. Un dédale de corridors obscurs, enchevêtrés les uns dans les autres et coupés par des portes basses et cintrées, conduisait dans une petite chambre tout à fait lugubre, cette fois, baignée d’une odeur fade et cireuse qu’aucun courant d’air ne parvenait à chasser et prenant le jour ou ce qu’elle pouvait de jour par une unique fenêtre en retrait percée dans l’épaisseur de la muraille. La chambre était vide, comme toutes les autres chambres du château ; mais on ne s’en apercevait point dès l’abord, parce qu’il y avait quelque chose qui l’emplissait toute, qui lui donnait un relief et une animation extraordinaires : c’était une grande flaque de sang noir qui s’éclaboussait violemment sur le plancher, à quelques pas de la fenêtre, et qui ruisselait de là jusqu’au milieu de la chambre. Lavages, grattages, rien n’a pu effacer la sinistre maculature. Nous l’essayâmes nous-mêmes avec nos canifs ; mais les planches sont si profondément imbibées que le bois s’écaille et que le sang reparaît par-dessous.

La tradition veut que Cold Brook, lors des guerres de religion, ait été emporté d’assaut par une bande de Têtes-Rondes. Une discussion s’éleva, dit-on, à propos d’une femme, entre deux de ces reîtres ; les épées sortirent d’elles-mêmes du fourreau ; l’un des Roundheads, acculé à la fenêtre, poussa brusquement un cri : l’épée de son adversaire lui avait décousu le ventre, et il demeura sur place jusqu’à ce que ses entrailles fussent vidées. Le duel n’avait pas eu de témoins, et ce ne fut que de longues années après qu’on découvrit le cadavre. On l’enterra ; on voulut purger la pièce du sang qui s’était coagulé sur le plancher ; mais tous les efforts furent inutiles et, comme la tache de lady Macbeth, la tache de Cold-Brook ne s’effaça plus. Ce n’est point tout, comme on pense ; des bruits de chaînes et des gémissements remplissent, à certaines heures de la nuit, les combles du château, et maintes gens ont aperçu le fantôme d’une dame blanche, qui se promenait au clair de lune dans les corridors ou qui collait son front pâle aux vitres de la murder’s room.

Jusqu’à Lady Herbert on n’avait rien tenté pour couper court à ces manifestations surnaturelles. Lady Herbert, bonne catholique, fit dire des messes ; mais les apparitions et les bruits continuèrent. Un exorcisme en forme s’imposait : lady Herbert s’y résolut et pour commencer, elle amena son chapelain à Cold-Brook, où il devait passer la nuit seul et en prières.

— Figurez vous, me racontait Mme Smith, que j’étais de la partie : Mme Herbert, que préoccupaient en même temps les réparations à faire au château, frappait à petits coups de canne sur les cloisons pour éprouver la solidité du crépi. Pendant ce temps, notre brave homme d’ecclésiastique faisait ce que vous faisiez tout à l’heure et, à genoux sur le plancher, grattait la tache avec son canif. Nous venions de le quitter, le laissant à son grattage, quand nous entendîmes un tapage épouvantable et nous vîmes reparaître le pauvre chapelain pâle, défiguré et tout prêt à s’évanouir. « Quoi ? Qu’y a t-il ? » lui demandâmes-nous. Mais il ne savait rien, sinon qu’au moment où il était le plus absorbé dans son grattage un grand corps dur lui était tombé sur l’occiput avec un bruit infernal et en l’enveloppant d’un nuage de poudre suffocante. Nous voilà tout interdites et sa peur qui nous gagne. Les domestiques étaient accourus au bruit. Fort heureusement il y en eut un plus audacieux que les autres qui consentit à glisser un œil dans la murder’s room et qui ne tarda point à nous rassurer : l’aria venait d’un morceau du crépi qui s’était détaché de la cloison, où les petits coups de lady Herbert l’avaient ébranlé sans doute ; la poudre suffocante était du plâtre ! Mais le chapelain n’entendait pas de cette oreille : la peur avait glacé tout son courage et, pour rien au monde, il ne consentit à passer la nuit dans une maison qui n’était même point sûre en plein jour…

J’ai quelque idée que Mme Smith n’a qu’une confiance modérée dans les histoires de fantômes : cette charmante femme a trop lu nos auteurs, et l’air de Paris, où elle passe la moitié de l’année, est fatal aux revenants. Ils sont chez eux ici, dans ces brumes mélancoliques, sous ce ciel bas et voilé, en deuil de la lumière absente.

Et puis l’exemple vient de haut. Ne dit-on point, en Angleterre, que la reine elle-même a son spectre qui rôde dans les appartements de Windsor ? Et ce spectre, drapé de noir, n’est ni plus ni moins que le fantôme de la grande Elisabeth.

Il y a quelques mois à peine on l’a vu à Windsor. C’est le lieutenant Glynn, de faction dans la bibliothèque, qui l’aperçut, comme le fantôme pénétrait dans la pièce attenante. Or cette pièce n’a plus de sortie ; mais elle en avait une autrefois, du vivant d’Elisabeth, et qui a été condamnée depuis. Le lieutenant, sa première frayeur passée, courut après le fantôme et arriva juste à temps pour le voir s’enfoncer dans la boiserie. Le fait, d’ailleurs, se reproduisit à diverses reprises. Des gémissements et des plaintes furent perçus par plusieurs témoins et la frayeur fut si grande à Windsor qu’on dut doubler la garde de nuit.

Windsor a sa dame noire, Cold-Brook sa dame blanche, et lady Herbert, comme la plupart des Gallois, croit à l’une et à l’autre.

— Vous souriez, nous dit lady Herbert, quand nous la rejoignons dans le hall du rez-de-chaussée. Je vous répondrai par le mot d’Hamlet : « Il y a dans le ciel et sur la terre, ô Horatio, plus de choses que n’en peut rêver notre philosophie. »

— Mais à quoi riment ces apparitions ? demandai-je.

— Je ne sais, me répond lady Herbert. Tantôt, comme l’Église nous l’explique, ce sont des âmes en peine qui sollicitent la pitié des vivants oublieux. Tels autres de ces spectres font le rôle d’avertisseurs. C’est le cas, je crois, pour la dame noire de Windsor. Sa présence dans le château annonce toujours quelque grave événement, une guerre, une catastrophe prochaine. Mais il n’est pas besoin de fantômes. Les avertissements ou, comme vous dites en Bretagne, les intersignes, revêtent toutes les formes. Quelquefois ces formes sont spéciales à certaines familles. Les Grey de Ruthwen sont avertis de la mort de leurs membres par l’apparition d’une voiture à quatre chevaux noirs, La famille Airl, quand un des siens est sur le point de mourir, entend un roulement de tambour. Dans un diner auquel assistait un de ces Airl, on demandait par passe-temps : « Quel est donc l’intersigne de votre famille ? — Le tambour. » Et, comme pour attester le fait, un roulement sourd et voilé gronda dans le lointain. Lord Airl pâlit : quelques instants après, un messager venait lui annoncer qu’un des membres de sa famille était mort. Les Mac-Gwenlyne — descendants du célèbre clan de ce nom — possèdent depuis des siècles, dans le nord de l’Écosse, le vieux manoir de Fairdhu : une grande voûte cintrée y donne accès et l’on prétend que la pierre qui sert de clef à cette voûte se met à trembler quand un Mac-Gwenlyne va mourir…

— Et personnellement, à Llanover, n’avez-vous point votre intersigne ?

— Si fait : ce sont les coqs. Je les ai entendus chanter toute la nuit qui précéda la mort de ma mère.

La conversation, qui menaçait de prendre une tournure funèbre, fut heureusement interrompue par l’arrivée du fils de lady Herbert, qui nous proposa de faire l’ascension du Skyrridd. On nous laissait le choix de monter à pied par le parc ou en voiture par la garenne.

Quoique l’ascension fût assez longue, quelques-uns d’entre nous, dont j’étais, préférèrent le premier itinéraire.

Je n’eus point à m’en repentir. Ce parc de Cold-Brook est unique en son genre : il y a là des arbres à rendre jaloux les wellingtonia gigantea de la Californie, entre autres un énorme hêtre millénaire de neuf mètres de diamètre, dont le tronc n’est qu’un enchevêtrement de formes apolyptiques, de mystérieuses et titanesques musculatures. L’écorce est tombée par endroits et l’aubier a pris par-dessous le poli de l’ivoire : tantôt vous diriez les cent bras d’une hydre ; tantôt deux géants qui s’étreignent, groupe encore confus, à peine dégagé du bloc par le ciseau du hasard. On aurait livré le tronc tout entier au cauchemar d’un Rodin qu’il ne présenterait pas de modelés plus extraordinaires, de tentacules plus monstrueuses, de grouillements reptiliens plus inextricables : c’est le pilier mal dégrossi de cette Porte de l’Enfer qui hante depuis tant d’années l’imagination du génial artisan.

L’arbre couvre à lui seul plus d’un are. Telle de ses branches, trop lourde, s’est affaissée sur le sol, à vingt mètres du tronc, d’où elle rejaillit en surgeons vigoureux. Et, dans la chevelure du monstre, on entend des tourterelles qui roucoulent…

Visiblement, ici, la nature n’a point été retouchée. C’est presque la forêt vierge que ce parc, — la forêt vierge avec des routes bien sablées. Il n’y manque même point la ruine réglementaire. Mais, au lieu d’un burg féodal, la ruine est une chapelle gothique du treizième siècle, veuve de sa toiture et qui bâille au vent par tous ses arceaux.

On nous avait promis une surprise, quand nous en aurions franchi le seuil. La surprise, qui n’était point ordinaire en effet, fut de voir que le bas du chœur avait été creusé en forme de piscine et les murs incrustés de rocailles.

Il n’est point rare chez nous, depuis la Révolution, de voir des églises muées en magasins à fourrages. Mais c’était la première fois que je voyais une chapelle transformée en hammam.

Par qui ?

Mais par les mêmes compagnons qui, au temps de Cromwell, s’étaient emparés de Cold-Brook et y menaient la vie que vous savez.

Pourquoi ?

Tout bonnement en haine du papisme.

Ces bons gentilshommes prisèrent éminemment ingénieux et plaisant de détourner le ruisseau qui coulait près de la chapelle[99] et de le diriger sur la chapelle même, après avoir creusé le bas du chœur en forme de piscine. À la place de l’autel, ils installèrent des divans et des sièges, d’où ils assistaient le plus commodément du monde aux ébats aquatiques des belles filles razziées dans les fermes et les châteaux du voisinage. Quelques-unes faisaient bien les revêches, mais il y avait tant de moyens excellents pour les décider à sauter le pas qu’elles finissaient par y venir toutes. La petite chapelle de Cold-Brook connut là des moments bien pénibles. Mais quoi ! Le civisme républicain des Roundheads était à couvert ; de l’ancien repaire du papisme n’avaient-ils point fait le vrai temple de l’égalité ? Comme on y quittait ses vêtements à la porte, il n’y avait plus que leur seule beauté naturelle qui distinguât les grandes dames des paysannes et la messe qu’on leur servait à toutes, fermières ou châtelaines, au sortir de ce galant baptême par immersion, pouvait différer par les officiants, mais non par la manière de la servir.

Il n’y a point de fumée sans feu ni de légende sans quelque fond de vérité, et celle-ci jette un jour singulier sur les mœurs privées de ces Têtes-Rondes, de ces farouches puritains qu’on nous peignait pour des miroirs de sainteté, pour des séminaires de vertu et d’honneur. Une malédiction pèse depuis lors sur la vieille chapelle ; le stupre et le viol sont ses hôtes ; ils empoisonnent l’air autour d’elle, et cette impression est si vive, même en plein jour, que les tenanciers de Cold-Brook coupent à travers bois pour éviter ses approches. Lady Herbert, qui a toutes les charités, voudrait purifier la chapelle maudite et la relever de ses ruines. Le sentiment est louable, mais l’histoire et la poésie y perdront.

En pente douce, le parc menait vers le Skyrridd-Fawr, but et terme de notre excursion. Il cessait à mi-côte, et des fougeraies roussies, des mousses et des lichens roulaient jusqu’au sommet de la montagne leurs vagues courtes et frisées. Une brise aigre les rasait par moments et en tirait des sons métalliques d’une tristesse infinie.

Nous atteignîmes enfin la crête du Skyrridd et nous embrassâmes de là toute la vallée de l’Usk, ses grasses prairies verdoyantes, ses bouquets d’arbres, son lacis de routes et de ponts et les vingt petits villages éparpillés dans la plaine. Vers l’ouest, un rectangle de pierre plus massif, chevauchant l’Usk, signalait Abergavenny. Mais, de ce côté, l’horizon ne se dégageait point ; les détails apparaissaient mal, et, quoique notre guide nous désignât successivement les points intéressants de la ville, ici les vestiges du prieuré de Bénédictins fondé sous Henri Ier, là l’antique abbaye de Sainte-Mary’s Church, plus loin les tours démantelées du château municipal, — un des plus anciens de l’Angleterre, bâti tôt après la conquête — il nous fallut suppléer par l’imagination à l’insuffisance de nos yeux.

Des nuages rampaient au flanc du Bloreng et du Sugarloaf, se déchiraient et se reformaient en bancs pressés qui noyaient les sommets. Nous en sentions de pareils qui pesaient sur nous, et leur ouate humide nous glaçait.

Entre temps notre guide nous expliquait que, quoique le Skyrridd-Fawr soit sensiblement moins élevé que le Bloreng et le Sugarloaf, il est la vraie clef stratégique de la région. C’est un belvédère naturel qui commande toute la vallée de l’Usk, d’Abergavenny à Llanover. L’épreuve de la position a été faite d’ailleurs, voici deux ou trois ans, lors des manœuvres de corps d’armée dirigées par le duc de Clarence, qui fut l’hôte de lady Herbert à Llanover : un train d’artillerie, conduit par le duc en personne, fut hissé sur le Skyrridd, et l’on y procéda sous ses ordres à des exercices de tir. Un grand mât, à l’extrémité duquel flotte le pavillon particulier du prince, commémore cet événement.

L’humidité qui nous transissait abrégea notre visite au Skyrridd-Fawr, et comme, par précaution, on avait envoyé à notre rencontre un break chargé de plaids et de châles, nous le prîmes pour rentrer à Cold-Brook. Le cocher lança ses chevaux dans une grande garenne solitaire, feutrée d’un gazon élastique et velouté, où leurs pieds rebondissaient comme sur du caoutchouc. De ce train là nous ne pouvions tarder d’être au château. Mais, comme nous quittions la garenne pour la grande route, j’avisai le toit d’ardoises et les murs grisâtres d’une petite ferme bordière et je fis arrêter notre attelage.

La ferme, me dit-on, était au nom d’un certain Jones (naturellement !), qui la louait à un châtelain du voisinage.

Nous y entrâmes sans plus de façon que dans les chaumières bretonnes. À droite, l’éternel parlour, mais réduit à sa plus simple expression : meubles boiteux, chaises dépaillées, tapis effilochés. Voilà bien mes Gallois. Une des vitres de la fenêtre est brisée, et on a bouché le trou avec un tampon de paille ; mais il y a des rideaux liberty sur les autres. Toujours la misère qui veut faire figure et qui se drape dans ses oripeaux !

Dans la pièce de gauche, près du poêle, les poings au menton, un homme rumine, en complet brun à carreaux, ce complet qui est le vêtement des campagnards comme des bourgeois et qui « uniformise » ici toutes les conditions sociales.

Dijdd da (bonjour), dis-je en entrant.

Dydd da répond machinalement Thomme sans se déranger.

Il dort peut-être, et toute la maison dort aussi, je crois, à l’exception d’une petite fille troussée en demoiselle, coiffée d’un lamentable toquet à plumes, que ma présence semble plonger dans une agitation extraordinaire et qui, flanquée de quelques autres recrues de son âge, trottera tout à l’heure après notre break pour demander des pence.

Enhardi par l’immobilité de mon hôte, je pousse jusqu’au premier étage.

Deux pièces comme en bas.

Dans l’une, rien qu’un lit de sangle et un vase de nuit ; il est cinq heures du soir : le vase n’est pas vidé et le lit est défait.

Dans l’autre, même désordre, même saleté, aggravés par la présence d’un grand fainéant vautré sur le lit et à qui à mon entrée dans la chambre n’arrache qu’un grognement inarticulé…

Singulière demeure et qui en dit long sur la misère secrète des Gallois ! Mais les apparences sont sauves : la maison, vue de l’extérieur, a quelque coquetterie ; le courtil qui l’entoure est égayé par les fleurs rouges des haricots. Et nous avons un parlour, dearest ! Vraiment oui, un parlour. Mais, ô chère petite chose, si vous tenez à vos illusions, de grâce ne leur faites point franchir le seuil.

Il ne faut pas non plus trop généraliser. J’ai visité d’autres fermes en Galles et particulièrement aux environs de cette aimable résidence de Llanover, et, si quelques-unes trahissaient la gêne, beaucoup passaient en décence, en confort véritable, nos rustiques intérieurs bretons.

Et les habitants ? me demanderez-vous.

Le temps m’a manqué pour pénétrer dans leur intimité aussi scrupuleusement que je l’aurais voulu. Je le regrette d’autant plus que ce sont ces gens des campagnes qui, à bien meilleur titre que l’ouvrier des villes, constituent le vrai fonds, le substratum de la race. Il m’a paru cependant que, si les traits généraux du caractère celtique ne s’étaient pas sensiblement modifiés chez eux, s’ils étaient restés expansifs et d’âme hospitalière, s’ils s’ouvraient volontiers aux séductions du surnaturel, la race, dans son ensemble, avait subi certaines diminutions importantes du fait de son accession au méthodisme calviniste. Une doctrine si sévère, à la longue, devait déteindre sur ce peuple. Elle l’a certainement assombri : les noces, les baptêmes, les fêtes chômées, tous ces incidents aimables de la vie privée ou publique, qui étaient autrefois l’occasion de cérémonies pittoresques et touchantes, n’ont plus aucun retentissement dans la conscience populaire. Le méthodisme a tout glacé, tout réduit à quelques prêches ennuyeux entre quatre murs froids et décolorés.

Seul, le mariage chez les Gallois prête encore à quelques particularités curieuses. La plus originale est le bidding.

« Faire bidding », c’est solliciter la générosité du voisin, le piquer d’émulation en publiant son nom et la liste des présents en nature qu’il doit offrir aux fiancés. Mais, par suite des habitudes communautaires de ce peuple, ces dons en nature constituaient bel et bien une manière de placement ; il est aisé de s’en rendre compte à la lecture de la circulaire imprimée que voici, portant la date du 30 juillet 1859 et adressée par deux fiancés gallois à leurs amis et connaissances :

« Comme nous avons l’intention d’entrer dans l’état conjugal, nous sommes encouragés par nos amis à « faire bidding », les jeudi et vendredi 15 et 16 août prochain, en notre maison de Belle-Vue, sise en Lower-Street, dans la ville de Landoverry, date et lieu où la faveur de votre bonne et agréable compagnie est très humblement sollicitée par nous. Sachez que, quelques dons qu’il vous plaise nous accorder, ces dons seront reçus avec gratitude, publiés avec empressement et rendus avec joie à tout appel fait en semblable circonstance. »

Hélas ! les biddings eux-mêmes deviennent rares. Sans doute qu’on ne les prisait plus assez « convenables », qu’ils froissaient ce sentiment de la respectability, à quoi tiennent tant les Gallois d’aujourd’hui. Mais il est toujours d’usage parmi eux que les invités attendent les nouveaux mariés près de leur maison pour les cribler au passage d’une grêle de riz sec.

Et c’est à peu près tout ce qui subsiste des anciennes mœurs galloises. Abolies les luttes si fort en honneur jadis chez ce peuple, comme chez nos Bretons de France. Abolis les arddangos ou jeux scéniques qui, sur les garennes de la principauté et les parvis des églises, déployaient une pompe inconnue du théâtre armoricain. Abolie la coutume du Mary-Lewyd, la promenade nocturne du fantôme à tête de cheval, le soir des Rois[100].

En somme, toute la poésie du peuple gallois s’est réfugiée dans ses chants. C’est la musique qui fut vraiment en Galles l’ange gardien de l’âme traditionnelle et populaire. Nous en eûmes un nouveau témoignage le soir même. Nos breaks nous avaient ramenés à Llanover, et, après le dîner, nous causions par petits groupes dans le hall, quand un chœur de voix fraîches s’éleva du jubé. C’étaient des villageois et des villageoises en costume national qui s’étaient glissés silencieusement dans la galerie et qui venaient d’entonner une de ces mélodies galloises d’un accent si mélancolique et si pur tout ensemble. Quand les chœurs eurent cessé, lady Llanover fit descendre les exécutants et nous les présenta : leur chef ou penkerdd était un simple artisan nommé Peder qui, pour la circonstance, avait revêtu l’habit à basques, la culotte gros bleu, les bas à carreaux et les souliers à boucles. Ce joli costume d’opéra comique lui seyait à merveille, mais il ne détonnait point ici et s’accordait parfaitement avec le milieu.

Peder fut prié de chanter quelques soli : Suzanna l’accompagnait sur la harpe, et nous fûmes pleinement ravis de sa voix souple et nuancée et plus encore du secret instinct musical qui dirigeait tous ses mouvements. Mais cette sûreté d’exécution ne lui était point particulière, et on la retrouvait chez les moindres choristes, chez des petites filles d’une dizaine d’années qui, dans le jour, paissaient leurs bestiaux autour de Llanover.

Comment ne pas s’en étonner ? On nous expliqua qu’en Galles, comme en Allemagne, tout le monde naît musicien ou le devient peu ou prou. L’enseignement de la musique fait partie du programme de l’école primaire et ne le cède en importance à aucun autre ordre d’enseignement. Chez ce peuple de paysans et de mineurs, une voix juste et bien timbrée ne paraît pas moins nécessaire au bonheur individuel que la possession des quatre règles et la connaissance de l’orthographe.

— Nos outils ne nous donnent que le pain du corps, me disait Peder ; la musique nous donne le pain de l’âme.

À vrai dire, celle que nous entendîmes chanter en Galles, tant à Llanover que dans le pavillon de l’Eisteddfodd, nous surprit quelque peu par ses affinités singulières avec certains thèmes allemands contemporains. La musique galloise a pourtant derrière elle une longue tradition qui en fait l’une des plus riches et des plus anciennes de l’Europe. Mais, transmise oralement de génération en génération, elle n’a été fixée qu’en ce siècle par les soins pieux de miss Williams d’Aberpergwyn. S’est elle modifiée au cours du temps, sous l’influence des mélodies allemandes, ou faut-il voir au contraire des réminiscenses de cette musique dans certaines pages de Mozart, d’Haydn et d’Hændel ? Hændel, cela est prouvé, habita longtemps l’Angleterre, et tout fait penser qu’il connut les mélodies populaires de la principauté. La chose est moins sûre pour Mozart. M. Erny croit cependant que l’auteur de Don Juan, lors de son voyage en Angleterre, put avoir connaissance des mélodies du pays de Galles. Dans l’air appelé New Year’s Eve (la Veille du Jour de l’An), l’ensemble et surtout une certaine ritournelle ressemblent d’une façon frappante à une composition de Mozart[101]. Or cet air remonte à deux ou trois cents ans et son authenticité n’est point douteuse, quoiqu’il n’ait été fixé que de nos jours.

— Je crois pour ma part, me disait M. Bourgault-Ducoudray, que l’usage très répandu de la harpe, instrument essentiellement national, n’a pas peu contribué à « civiliser » la musique galloise et à lui enlever dans une certaine mesure l’âpreté savoureuse qu’elle dut posséder à l’origine et qui éclate encore dans nos mélodies bretonnes. Cela n’empêche pas les mélodies galloises d’être charmantes, bien frappées, expressives, pleines d’humour ou de rêverie. Ce que dit par ailleurs M. Erny de la ressemblance qui existe entre certaines de ces mélodies et les thèmes correspondants de Mozart et d’Haydn me semble parfaitement juste. Il est non moins exact que le grand Hœndel n’a pas hésité à faire entrer dans ses immortelles compositions des airs populaires écossais et gallois. Il y a cependant un point qui m’inquiète dans cette musique galloise, une énigme que je n’ai pu élucider. La musique galloise se présente-t-elle encore « à l’état spontané » ? Les paysans, les mineurs, que nous avons entendus chanter, ont tous passé par l’école. Ils répétaient docilement ce qu’ils avaient appris. Ce ne sont point là de vrais chanteurs populaires, et, pour être franc, je me demande s’il existe encore de ces chanteurs dans le pays de Galles, comme en Bretagne.

Populaires ou non, les choristes de Llanover remportèrent ce soir-là un franc succès d’enthousiasme. Nous ne voulûmes point être en reste avec nos hôtes, et, quand les chœurs eurent cessé et que, sous la douce clarté lunaire, notre petit groupe se fut répandu dans le parc, nous sollicitâmes M. Bourgault-Ducoudray de se faire notre interprète à tous en harmonisant au pied levé un délicat compliment breton du barde Jaffrennou, que Mlle Abadam, qui avait bien voulu se faire notre complice pour la circonstance, s’engageait à apprendre et à chanter le lendemain.

Ce lendemain était justement un dimanche. La cloche du château nous éveilla pour la messe de huit heures qui fut dite selon le rite romain, dans la chapelle privée de lady Herbert, par un dominicain de passage. Deux ou trois mécréants s’étaient attardés au lit : nous les retrouvâmes devant leur chocolat. Le parc nous ouvrait ses enchantements ; des fumées bleuâtres traînaient sur le gazon. Comme écoliers en maraude, les invités se débandèrent. Tandis que certains poussaient jusqu’au village de Pen-y Parc, où ils voulaient saluer le barde-menuisier Owen Lewis, dit Madoc Môn, les autres s’en allaient pèleriner autour des sept fontaines miraculeuses de Saint-Gower. Quelques uns enfin, plus sensibles aux beautés intérieures du château, ralliaient Llanover pour s’y caresser une dernière fois les yeux aux émaux du salon et aux palimpsestes kymriques de la bibliothèque.

J’étais tombé personnellement, sur un livre déjà ancien de M. Wirt Siks relatif aux contes et légendes du pays de Galles et dont les illustrations étaient signées T. H. Thomas, le barde héraut du Gorsedd, qui nous avait suivis à Llanover. Vraie source de Jouvence, la Tradition découvre à qui remonte jusqu’à elle et pénètre sous le limpide cristal de sa face des trésors d’innocence et de fraîcheur ; par elle nous est un peu rendu de la jeunesse du monde. Faut-il voir dans ces contes et légendes, avec Max Muller et Gubernatis, des mythes astronomiques dégénérés ? Ne vaut-il pas mieux penser, avec M. Anatole France, que les combinaisons de l’esprit humain à son enfance sont partout les mêmes et que contes et légendes n’étaient pas moins à l’origine qu’une représentation de la vie et des choses propre à satisfaire des êtres très naïfs ? Sont-ce au contraire, comme tendait à l’admettre Sainte-Beuve, les résidus combinés des religions, des superstitions diverses, celtiques, païennes, germaniques, qui, rejetés et refoulés au sein de nos campagnes, y auraient fermenté et auraient produit, à une certaine heure de printemps sacré, cette flore populaire universelle, « comme au fond des mers, où tout s’accumule et se précipite, fermente déjà peut-être ce qui éclora un jour ? » La question demeure indécise, et, si l’on avait pu nourrir un moment l’illusion que, « grâce à la somme considérable de documents rassemblés, aux recueils remarquables de toute provenance connus jusqu’à ce jour et enfin aux savantes études et dissertations parues sur la matière », une solution était sur le point d’intervenir, il en a fallu rabattre singulièrement et reconnaître, avec Luzel, que « jamais on n’a été plus loin de s’entendre ».

Quelle que soit, au reste, l’origine de ces récits populaires et qu’on les élève à la dignité de mythes astronomiques ou qu’on les rabaisse à des imaginations de nourrices, l’important, au point où nous nous plaçons, n’est pas là, mais bien seulement qu’ils existent encore, qu’il y ait des âmes pieuses pour les recueillir et des artistes pour s’en inspirer. Après quoi les artistes y enfermeront le sens qui leur conviendra, et même, si bon leur semble, n’y en enfermeront aucun. Il suffira qu’ils les revêtent de beauté.

Ainsi a fait M. Thomas. Un de ses gracieux dessins m’avait particulièrement frappé. Cela représentait une bergère galloise, une bergère d’autrefois en bavolet et cotillon rayé et, autour d’elle, toute une sarabande de petits êtres ailés et coiffés de pétales de roses.

— Je sais depuis hier qu’il y a encore des lutins en Galles, dis-je à M. Thomas, mais j’ignorais que vous eussiez aussi des fées. À quelle espèce appartiennent celles-ci ?

— À l’espèce des Tylwyth-Teg ou fées bienfaisantes, me répondit aimablement M. Thomas. Tylwyth Teg, en gallois, veut dire proprement « la belle famille ». Je leur ai donné le costume et l’apparence qu’on leur prête d’ordinaire ; elles sont de petite taille, mais, à la différence des pwekas, elles sont fort mignonnes. Elles portent un chapeau tressé de fleurs rouges ; le reste de leur costume est entièrement vert, afin qu’elles puissent se cacher dans l’herbe et s’y mieux confondre avec elle. Ce sont des fées bocagères et sentimentales ; elles veillent sur les amours des jeunes laitières et des garçons de ferme courageux. Shakespeare, qui était un Celte égaré sur les rives de l’Avon, leur a emprunté sa fée Mab. Il n’est pas difficile de reconnaître une Tylwyth-Teg dans cette gracieuse création de l’auteur du Songe d’une nuit d’été, comme on retrouve dans son Puck notre pweka indigène. — « N’es-tu pas, lui dit-on, celui qui effraye les filles du village, — écrème le lait ; — tantôt dérange le moulin ; — tantôt empêche la ménagère essoufflée de riboter son beurre — et la boisson de fermenter ; — tantôt égare les voyageurs nocturnes en riant de leur déconvenue ? » — Et Puck répond : — « Tu dis vrai : je suis le joyeux rôdeur de nuit. — J’amuse Obéron et je le fais sourire, — quand je trompe un cheval gras et nourri de fèves — en hennissant comme une jument amoureuse. — Parfois je me tapis dans le fourneau d’une commère — sous la forme d’une pomme cuite, — et, lorsqu’elle lève son verre pour boire, je me heurte contre ses lèvres — et je répands l’ale sur son fanon flétri. — La matrone la plus sage, contant le plus lugubre conte, — me prend quelquefois pour une escabelle à trois pieds. — Je glisse sous son derrière ; elle tombe, — assise comme un tailleur et prise d’un brusque catarrhe. — Et tous alors de se tenir les côtes et de rire — et d’éternuer et de pétarader — et de jurer que jamais on n’a passé de plus gais moments ! » En vérité, n’est-ce point tout à fait notre pweka ?… Pour en revenir aux Tylwyth-Teg, si vous désirez lier connaissance avec elles, je vous confierai que c’est à minuit, quand la lune est dans son plein, qu’on a le plus de chance de les rencontrer autour des tertres et dans les clairières. Un de mes amis, grand magicien, a pu les approcher et noter, sans qu’elles s’en doutassent, leur air favori. Le croiriez-vous ? C’est tout bonnement l’air si connu de Toriad-y-Dydd ou le Point du Jour. Quant à la langue qu’elles parlent, il y a plus d’hésitation. Mais il est sûr que ce n’est pas le gallois. Le bon Girald le Cambrien, qui en surprit quelques mots, prétend qu’ils offraient beaucoup de ressemblance avec le grec.

— Me voilà renseigné sur les Tylwyth-Teg, dis-je à M. Thomas. Et l’autre espèce de fées, comment l’appelez-vous ?

— Ce sont les Ellylon. Autant les Tylwyth-Teg sont gracieuses et bienfaisantes, autant les Ellylon sont d’un commerce désagréable. Malheur à l’imprudent voyageur qui passe à leur portée ! Happé par mille griffes invisibles, il a le choix entre trois sortes de voyages : au-dessus de l’air, sur l’air et sous l’air. S’il adopte le premier mode de transport, ce n’est que pour tomber de plus haut et se casser les reins dans sa chute ; s’il choisit le dernier, ce sont les ronces, les pierres pointues et la vase infecte des marais qui se chargeront de l’arranger. Il n’a qu’une manière d’échapper au double péril qui le guette : c’est de choisir la route intermédiaire. « Ni trop haut ni trop bas », ou, comme disaient les Latins, in medio stat virtus, telle paraît être la devise secrète des Ellylon. Mais ne trouvez vous point un grand sens dans ce joli conte de nourrice ?

— Assurément, dis-je. Mais les fées galloises ont dû faire comme les pwekas et les coblynau : elles aussi doivent être en train de plier bagages ?

— Hélas ! oui, me confessa M. Thomas. Les dernières fées s’en vont. Elles n’étaient déjà plus ce qu’elles étaient autrefois, et leur puissance avait bien diminué. La tradition ici est d’accord avec l’histoire, quand elle fait de ces petits êtres rabougris, pwekas, ellylon, tyl wyth-teg et autres, les descendants des druides et des druidesses qui ne voulurent point recevoir le baptême. Chaque siècle qui s’écoule leur ôte un pouce de leur taille : ils vont ainsi se rapetissant à mesure, se rapprochant un peu plus du sol jusqu’à ce qu’ils y aient disparu tout entiers. La vieille terre galloise, dont ils étaient le sourire, les reprendra tôt ou tard dans son sein maternel : mais c’est qu’alors la fin du monde sera venue…

Ceux de nos amis qui étaient partis à la recherche de Madoc Môn rentrèrent peu d’instants après, et la cloche du second déjeuner nous chassa de la bibliothèque. L’après midi fut pris par des courses aux environs, et le soir, groupés dans le hall autour de notre chère hôtesse, nous lui fîmes la surprise du compliment breton de Jaffrennou, magistralement harmonisé par M. Bourgault-Ducoudray et que miss Abadam interpréta de la plus délicieuse voix du monde.

Ce fut notre chant du cygne. La délégation bretonne, déjà bien réduite, allait s’éparpiller aux quatre vents. Les moins heureux devaient rallier Southampton dans la matinée du lendemain ; Grivart filait sur Liverpool ; Jaffrennou, son pen-baz au poing, partait à la conquête de la Galles du Nord ; Bourgault-Ducoudray s’informait du Snowdon et des moyens les plus pratiques pour tenter l’escalade du géant.

Que ne pouvais-je l’accompagner, dormir sur la montagne sacrée ma dernière nuit galloise, conformément au programme tracé par les anciens bardes ! Quiconque voulait entrer dans cette confrérie célèbre devait passer la nuit sur la pierre noire du Snowdon. Aux premières lueurs qui rosissaient l’orient, les druides qui s’étaient tenus en prières sur les gradins de la montagne se rendaient processionnellement au chevet du dormeur. Celui-ci se dressait alors, et un chant divin s’exhalait de ses lèvres : l’Awen, le vent sacré, avait passé sur lui. Mais il arrivait parfois que son cerveau n’avait pu résister à l’épreuve de cette nuit terrible, pleine de gémissements et de râles et durant laquelle un brouillard de sang s’étendait sur ses yeux : la pierre était vide au matin, et le dormeur, frappé de folie, s’était évadé dans le mystère nocturne. Les druides purifiaient la pierre, faisaient trois libations et allumaient le bûcher de cèdre parfumé. Le « noble » mont fumait comme un grand encensoir ; les bardes accordaient leur telyn ; l’hymne à la lumière montait vers les prémices du jour et, quand Heol, le dieu soleil des anciens Celtes, issant de son tabernacle de nuées, posait enfin ses pieds d’or sur la crête du Snowdon, il n’y avait plus trace du lâche cœur qui s’était couché un moment sur la pierre de l’Épreuve et dont l’Awen s’était tout de suite détourné[102].

VIII


Au pays du roi Artur. — La Mecque du panceltisme. — Le vrai et le faux Caerléon. — Un clergyman patriote — Les écoles galloises. — Ce qu’on voit dans un musée. — L’église de Caerléon. — Les protomartyrs de la Grande-Bretagne. — Saint-Dubric et le mariage d’Artur. — Les puits sacrés en Galles. — La Table-Ronde. — Au bord de l’Usk. — La maison de Tennyson. — Un pèlerinage à la High-Tower. — La mort d’Artur. — L’espérance celtique est immortelle !


Le temps ne me permit point d’accompagner Bourgault-Ducoudray et de consulter avec lui l’oracle du Snowdon. Au moins ne voulus-je point quitter la Galles du sud sans avoir accompli mon pèlerinage à la ville des Légions, à l’ancienne métropole du christianisme en Grande-Bretagne, au sanctuaire par excellence des traditions arturiennes, ce Caerléon-sur-Usk, qu’on a justement appelé la Mecque du panceltisme. Il y eut bien un autre Caerléon dont la légende fait mention et qui dut sa célébrité passagère à une victoire d’Artur. Mais son nom exact paraît avoir été Carlion ou Cairlion. C’est aujourd’hui Exeter.

Le vrai Caerléon est situé plus à l’ouest, dans le Monmouthshire, à quelques lieues de Newport, qui commande l’entrée de l’Usk et qui a peu à peu dérivé vers ses docks tout le commerce de la région. Les navires que le flux poussait jusqu’à Caerléon s’arrêtent maintenant à Newport. Ils ne connaissent plus ce petit bourg de douze à quinze cents âmes, desservi par le Great Western Railway et qui s’est réfugié dans les placides occupations de l’élevage ; une exposition heureuse, des terres chaudes et humides, le vallonnement du sol l’y invitèrent de tout temps. C’est à peine si quelques cheminées d’usines, pointant à travers le feuillage, troublent encore de leurs lourdes fumées la quiétude des alentours.

Et cette impression de calme, d’agreste sérénité, on la retrouve jusque dans les rues de Caerléon. Ce sont moins des rues que des routes, tant la campagne s’y insinue et y ouvre d’échappées. La gare elle-même, qui pourrait donner quelque animation à la ville, est dissimulée dans un repli de la colline. On ne saurait point qu’elle existe sans les traînées de vapeur qui montent de la tranchée, pareilles à ces écharpes de mousseline que les Tylwyth-teg, les petites fées bocagères de la mythologie galloise, déroulent pudiquement autour des tertres où l’aube les a surprises.

L’avenue en dos d’âne qui attend le voyageur au sortir de cette gare traverse d’abord une grande place nue et poudreuse, comme nos foirails bretons. On accède de là, par des embranchements successifs, jusqu’au gros de la ville, pressé autour de l’église et du musée et qui forme le quartier marchand. Encore les maisons, galonnées de glycine et de vigne vierge, perdent-elles de leurs façons bourgeoises sous cette livrée champêtre. Presque toutes cependant sont dans ce style néo-gothique qui sévit en Angleterre depuis quelques années et qui tend à devenir le style national du pays. La préoccupation de s’y conformer est visible jusque sur des masures de l’autre siècle qu’on a remises à neuf : le premier soin des restaurateurs a été d’y percer des fenêtres ogivales.

Mais ce gothique de circonstance ne doit point faire illusion : c’est du pastiche, du faux vieux. Il n’y a de vraiment antique à Caerléon que la butte d’Artur, l’amphithéâtre, quelques fragments du portail de l’église, l’orifice d’un puits miraculeux, un pan de muraille et les assises des deux bastions qui flanquaient à ses extrémités le pont en bois jeté sur l’Usk.

La tradition populaire rattache indifféremment toutes ces ruines au cycle de la Table-Ronde : il en faut rabattre. Ancienne métropole des Silures, Caerléon devint sous Auguste la capitale de la province de Britannia Secunda, Urbs Legionum, la ville des Légions [103]. De fait les Gallois rappellent avec orgueil qu’Auguste était obligé d’y entretenir deux légions pour surveiller les montagnards de leur pays, quand une lui suffisait pour tout le reste de la Grande-Bretagne.

L’histoire corrobore ici la tradition : la domination romaine eut grand’peine à s’implanter en Galles. On sait assez, par Tacite, l’héroïque résistance de ce Caractacus, roi des Silures, le Vercingétorix breton, comme on l’a surnommé, qui fit entendre à l’empereur un langage digne des beaux jours de la République : « Parce que vous voulez nous asservir, qui vous dit que le monde entier aspire après votre servitude ? » Mais Caractacus tomba, et sa capitale devint le centre de l’occupation romaine en Grande-Bretagne.

C’est de cette occupation, vraisemblablement, que datent la plupart des antiquités de Caerléon. Il faut tout au moins rapporter aux Romains la muraille qui entourait la ville et dont il subsiste tout le pan sud. Le pan nord a été retrouvé quand on ouvrait les tranchées du Great Western, à un kilomètre environ de l’Usk, ce qui confirme les dires des légendaires sur l’étendue et l’importance de la ville. Un peu en dehors de la corne sud de l’enceinte se voit la grande cuve gazonnée à laquelle les paysans du district ont donné le nom de Table-Ronde et qui fut évidemment un amphithéâtre romain. Les fouilles qu’on y a pratiquées ne laissent aucun doute sur ce point : elles ont mis à nu des gradins circulaires en assez bon état et dont les arêtes percent encore le gazon de place en place. On trouve trace enfin d’une voie romaine qui allait de Caerléon au bord du canal de Bristol, de l’autre côté duquel elle reparaissait pour rejoindre le « Fosway » à Bath et filer de là jusqu’à Ilchester.

Aussi bien, et alors qu’un simple coup d’œil au musée de Caerléon fait éclater la désolante indigence du fonds celtique, on ne peut manquer d’être frappé par la prodigieuse quantité d’objets romains provenant de la ville ou de ses environs et spécialement de Caerwent.

L’occupation romaine en Galles dura plusieurs siècles et se prolongea même jusqu’au temps d’Artur, s’il est vrai qu’au moment où ce prince fut couronné à Caerléon les Romains lui envoyèrent une ambassade pour exiger le renouvellement du tribut que ses prédécesseurs payaient à l’Empire. À cette époque pourtant (sixième siècle), les Gallois s’étaient à peu près affranchis de la domination impériale. Le christianisme avait pénétré parmi eux, probablement vers le deuxième siècle de l’ère chrétienne, selon l’estimation de Tertullien, mais sans qu’on sache exactement par quel intermédiaire.

Restent donc, comme remontant à la période arturienne, le monticule appelé par les Anglais High Tower et les substructions des deux fortins qui flanquaient l’ancien pont de bois. Quand il n’y aurait que ces débris commémoratifs de la présence du grand héros breton, Caerléon vaudrait encore le voyage pour l’antiquaire. À plus forte raison pour le poète qui se satisfait à meilleur compte et pour qui un paysage vaut beaucoup moins par lui-même que par sa puissance de suggestion.

Sous ce rapport, Caerléon ne laisse rien à désirer. J’éprouvais, pour ma part, comme un attendrissement mêlé de respect en pénétrant, par ce matin d’août, dans les petites rues de l’antique cité. La rencontre d’un clergyman vêtu de noir, funèbre et solennel, ne réussit point à dissiper cette impression. Sans doute portais-je sur moi quelque indice révélateur de ma nationalité, car il s’approcha jusqu’à la distance de trois pas, ouvrit une mâchoire formidable et me cria de toute la force de ses poumons :

Hail ! All hail, dear sir ! You are perhaps one of the Breton delegates ?[104]

Dixisti, répondis-je dans la langue de Jules César. Sur quoi l’excellent homme fit deux nouveaux pas en avant, me saisit la main, lui imprima une terrible secousse verticale et tourna sur ses talons comme un automate.

Je n’essayai point de le retenir. Il faisait un clair soleil d’été ; mais les brumes légères qui montaient de l’Usk tamisaient les lointains et leur donnaient une imprécision, un vague délicieux. C’est Amiel qui a dit qu’un paysage n’est qu’un état d’âme. Je n’ai jamais mieux compris la profondeur de ce mot : le paysage était vraiment ici de la nuance exacte de mon émotion et, avec quelque complaisance ou un peu plus de naïveté, j’aurais pu voir comme une complicité des choses dans cette soumission de la nature au trouble de mes sentiments…

Je m’étais tracé un itinéraire qu’il m’était d’autant plus aisé de suivre qu’avec une bonne grâce parfaite l’instituteur principal de Caerléon avait bien voulu se mettre à ma disposition. Je l’avais trouvé à table, pendant que son petit peuple d’écoliers s’ébattait dans les préaux et les salles. Ce me fut une assez forte surprise que celle de ces enfants ainsi livrés à eux-mêmes, à qui les plus grands servaient de moniteurs et qui ne profitaient point de l’absence du maître pour « chambarder » l’établissement. Je cherchais partout ce maître : les deux écoles de garçons et de filles occupent des bâtiments voisins (de style néo-gothique, bien entendu), et je pus les visiter l’une après l’autre sans que personne me fît d’observation.

Les salles surtout me frappèrent par leur nombre, leur confort et leur propreté ; elles étaient meublées d’élégants pupitres et de bancs vernissés ; des tableaux de choses pendaient aux murs, en bonne lumière ; des vitrines régnaient à hauteur d’appui, chargées de collections de toutes sortes, et cette décoration scolaire était complétée par un grand portrait de la reine, accroché à la place d’honneur, au-dessus de la chaire du maître.

Filles et garçons, répandus dans les salles et dans la cour, jabotaient, ballaient, couraient, mais avec un tact parfait et je ne sais quel sentiment de leur dignité personnelle ; d’autres faisaient leur toilette dans les lavabos qui sont annexés aux communs. Une petite girl en tablier d’indienne, qui sautait à la corde avec ses amies et dont les tresses blondes secouaient en mesure le grand papillon de rubans piqué à leurs pointes, se détacha du groupe le plus voisin et me conduisit au logement de l’instituteur. Je sus par ce brave homme que les écoles étaient mixtes, c’est-à-dire que l’enseignement de l’anglais s’y donnait par l’intermédiaire du gallois.

— Double profit pour les enfants, mon cher monsieur, me dit l’instituteur, puisqu’ils apprennent ainsi à parler convenablement les deux langues et à n’en mépriser aucune.

La méthode employée dans ces écoles mixtes de la principauté ne semble point très différente de celle récemment instaurée par le frère Constantius dans les écoles congréganistes de Bretagne. Et, par parenthèse, combien les établissements de l’État gagneraient à l’adoption de cette méthode ! L’opinion bretonne est unanime sur ce point. Mais écoutera-t-on jamais ses vœux ? Et faudra-t-il répéter indéfiniment à la commission parlementaire de l’instruction publique que l’enseignement exclusif du français, tel qu’on le donne en Bretagne dans les écoles de l’État, ne sert qu’à faire désapprendre leur langue natale aux écoliers sans les mettre en mesure d’apprendre la langue officielle [105] ?…

Le repas de mon aimable interlocuteur s’achevait, et, comme l’école est en face du musée et de l’église, c’est par ces deux monuments que nous commençâmes notre pèlerinage.

Le musée, par exception, n’a rien de gothique : c’est un édicule en forme de temple romain, assez petit, mais congrûment aménagé et qui remplit toute sa destination. Malheureusement, comme je l’expliquais tout à l’heure, la plupart des objets qu’on y a recueillis n’ont de gallois que le nom : médailles, pièces de monnaie, fibules, bracelets, lecythi, fragments de poterie, etc., etc., proviennent des Romains. C’est à peine si, dans le nombre, on remarque quelques anneaux oxydés, extrêmement épais, désignés sous le nom de druid’s beads, ou grains druidiques, et qui ont pu, à la grande rigueur, s’échapper du morain d’un pentyern gallois. Aux murs sont pendus ou adossés des fragments d’inscriptions latines, des dalles tumulaires, des colonnes brisées, voire de simples photographies, dont la plus curieuse représente la statue en bois de saint Amphibalus qui est conservée à Winchester. J’ai noté, dans un autre ordre de reconstitutions, le modèle en plâtre du camp romain découvert à Caerwent en 1855. Dans le sous-sol du musée, en forme de crypte, on a disposé une mosaïque en parfait état, provenant d’une villa romaine de Caerwent, différents cénotaphes en pierre, des vasques de fontaines sculptées, etc., etc.

Rien de tout cela n’est indifférent. Si le musée est petit, la lumière y est bien distribuée ; le classement des objets fort consciencieux. Encore n’est-ce point le plus admirable, mais que le musée existe et surtout qu’une bourgade de quinze cents âmes ait pu le créer de toutes pièces avec ses seules ressources, alors que nos grandes villes de France laissent disperser aux quatre vents les richesses dont elles devraient se montrer le plus jalouses.

C’est que la centralisation n’a pas ruiné en Angleterre comme chez nous tout esprit provincial ; le culte de la grande patrie y est fortement assis sur le culte de la petite. Chaque cité est comme une cellule du grand organisme national ; mais cette cellule vit de sa vie propre et se constitue à elle-même un organisme presque complet…

Du musée à l’église, le pas était d’autant plus vite franchi que les deux monuments ne sont séparés que par le cimetière qui règne, à la mode d’autrefois, autour du clocher paroissial.

Ici encore, le néo-gothique fait rage, calqué sur ce gothique de la conquête normande qui traitait les églises comme des forteresses et les flanquait de grandes tours carrées et crénelées où s’accusait l’âpreté des premiers âges. Rien d’ailé, d’immatériel, comme dans le gothique français du treizième siècle ; aucun élan vers le divin. L’église actuelle, consacrée au culte anglican, a été rebâtie sur l’emplacement de l’ancienne ; de celle-ci, il ne subsiste que les fondations, une arcature romane et deux mascarons encastrés au-dessus du portail. L’un de ces mascarons représente, paraît-il, saint Cadoc, le grand cénobite gallois sous l’invocation duquel était placée l’ancienne église et dont le culte est également très répandu dans les îles du Morbihan, où Cadoc vint se fixer avec ses disciples, quand l’invasion saxonne l’eut chassé de son ermitage d’Echmi.

Pour le dire tout de suite, ce patronage de Cadoc sur l’église de Caerléon m’étonnait un peu. À quelle époque la faveur populaire substitua-t-elle Cadoc à saint Alban ? On n’a pu me l’indiquer. Mais cette pauvre cité de Caerléon traversa des fortunes si diverses qu’il n’est pas surprenant qu’elle ait perdu jusqu’à la mémoire de son premier protecteur.

Nulle ville pourtant, dans les annales de la confession britannique, n’a joué un rôle si décisif. C’est à Caerléon que prit naissance, grandit et se déploya, dans toute sa violence la dixième et dernière persécution de Dioclétien. L’évêque de Caerléon avait nom Amphibalus[106]. Traqué par les officiers de Dioclétien, il se réfugia dans la maison d’un certain Alban, alors païen, mais dont le cœur était mûr pour la foi chrétienne. Effectivement Amphibalus, pendant sa retraite chez Alban, le convertit au christianisme. Mais Alban avait été dénoncé : il n’eut que le temps de faire évader Amphibalus. Quand les officiers se présentèrent pour réclamer le fugitif, Alban était seul.

— Tu as un chrétien chez toi, lui dirent les officiers.

— Cela est vrai.

— Livre-le-nous donc de ton plein gré, ou crains la colère de l’empereur.

— Je ne crains que Dieu, dit Alban. Le chrétien que vous cherchez est devant vous.

Exécuté sur place, Alban mérita d’être appelé le protomartyr de la Grande-Bretagne. Son sang mit en goût les bourreaux, et la lugubre battue commença dans tout l’empire : trois jours après l’exécution d’Alban, Amphibalus fut pris et décapité à Redburn, le 25 juin 303. Dix mille autres Gallois perdirent la vie pour leur foi, tant à l’intérieur de Caerléon que sur les bords de l’Usk.

Presque toutes les victimes étaient amenées et exécutées à Caerléon. Parmi elles se trouvaient Julian et Aaron, les plus fameux martyrs gallois après saint Alban et saint Amphibalus et que Girald le Cambrien regarde avec eux comme les protomartyrs de la Grande-Bretagne. La tourmente passée, les compatriotes de ces glorieux confesseurs réunirent leurs ossements et les transportèrent en grande pompe dans les cathédrales de Redburn, de Winchester et de Caerléon : les deux premières furent placées sous l’invocation de saint Amphibalus ; la cathédrale de Caerléon fut consacré à saint Alban. Julian et Aaron eurent également leurs églises dans la ville, celle de saint Aaron desservie par un collège de chanoines, celle de saint Julian par un chapitre de nonnes, dans le couvent desquelles la coupable épouse d’Artur vint s’ensevelir après sa faute[107].

Il n’y a plus trace aujourd’hui d’aucun de ces monuments, et l’on tient d’ailleurs pour probable qu’ils disparurent de bonne heure. Jusqu’au temps d’Artur, Caerléon était demeuré le siège officiel et incontesté de la primatie britannique, et c’est à ce titre que le vénérable Dubric, archevêque-primat de Galles, y avait consacré le mariage du roi avec la blonde Genièvre, fille de Léodogran. Cent cinquante chevaliers, vêtus de blanc et tous affiliés à l’ordre de la Table-Ronde, assistaient au mariage. La scène, telle que la décrit Tennyson, est d’une majesté incomparable :

« Au loin brillaient les champs de mai… L’encens flottait ; les hymnes roulaient sous les voûtes avec un bruit de grandes eaux, cependant que, devant l’autel du Christ, les deux époux se juraient un éternel amour.

— « Voici ta destinée et la mienne, disait Artur. Advienne que pourra ! Je t’aime jusqu’à la mort. »

« Et, baissant les yeux, la reine disait :

— « Mon seigneur et roi, je t’aime jusqu’à la mort. »

« Et saint Dubric étendit les mains :

— « Régnez et prospérez et aimez, dit-il, et rendez le monde meilleur. Et que ta reine, ô Artur, soit une avec toi et que cet ordre de ta Table-Ronde remplisse l’espoir illimité que tu as placé en lui ! »

Le vénérable confesseur, qui répandait sur le couple royal prosterné devant lui le miel de ces douces paroles, devait être le dernier primat de Caerléon : son successeur, saint David, qu’importunait le bruit des cités, transporta dans la solitude, à Ménévia [108], le siège de la primatie des Galles.

Ce fut un coup terrible pour Caerléon. Les troubles qui marquèrent les dernières années d’Artur, puis les invasions saxonnes, précipitèrent sa décadence. Au douzième siècle cependant, époque où vivait Girald le Cambrien, Caerléon gardait encore un reflet de sa splendeur passée :

« On y voit, écrivait dans son Itinerarium Cambriæ le Pausanias gallois, les ruines de plusieurs palais splendides, dont les toits dorés rivalisaient avec ceux de Rome, une tour gigantesque, des bains, des débris de temples et un théâtre, dont les murs subsistent en partie. On y voit à l’intérieur et au dehors de l’enceinte des constructions souterraines, des aqueducs, des passages voûtés, et, ce qui me parut le plus remarquable, des tuyaux si habilement disposés qu’ils distribuaient leur chaleur à travers de petits trous cachés et imperceptibles. »

C’est ce que nous appelons aujourd’hui des calorifères. L’invention plongeait le bon Girald dans une stupeur véritable. Elle a moins d’intérêt pour nous, et j’eusse préféré, quant à moi, que Girald nous donnât quelques détails sur le vieux puits miraculeux de saint Cadoc, dont l’orifice est resté visible dans le mur de soutènement où l’on a scellé la grille du cimetière.

Ces puits sacrés jouaient un grand rôle dans les anciennes traditions religieuses des Gallois. Quatre encore sont en vénération particulière dans le peuple : ceux de sainte Tégla, de saint Elian, de saint Dwynwen, surtout celui de sainte Winefrède, la gracieuse vierge à qui Caradoc trancha la tête sur le seuil de l’église où elle courait chercher un refuge contre sa brutalité. La tête, dit la légende, roula le long des bas côtés jusqu’à l’autel où les parents de Winefrède étaient assemblés pour faire leurs dévotions. Saint Beino, qui se trouvait dans l’église, saisit la tête et la replaça si dextrement sur le corps de la vierge que, sans la minuscule raie rouge qui cernait le cou de Winefrède, on n’eût pas su dire l’endroit où il avait été séparé du tronc. Bien entendu, l’infâme Caradoc fut englouti sur place et, pour commémorer son crime et la résistance de Winefrède, une source miraculeuse jaillit au point même où la tête était tombée, qui montre encore, à travers la limpidité de ses eaux, le sang pur de la vierge se détachant en plaques roses sur un lit de conferves et de sable.

Beaucoup de Gallois, même parmi les méthodistes, ont gardé pour ce puits une dévotion singulière. Ils s’y rendent en pèlerinage des extrémités du pays[109]. Moins favorisé, le puits de saint Cadoc n’attire plus aucun pèlerin, et il est vrai que l’église officielle s’est avisée d’une mesure radicale pour tarir à jamais ses vertus : elle a comblé le trou, bouché l’orifice et encastré dans un mur de soutènement l’arcature qui le surmontait.

À défaut d’un pieux zélateur, quelque antiquaire le remettra peut-être au jour en même temps que l’amphithéâtre où mon guide me conduisit après notre visite à l’église.

Je doute qu’à première vue et si l’on ne m’avait point averti de la destination initiale de cette grande cuve elliptique, à qui un statisticien scrupuleux confère 222 pieds de long sur 190 de large, j’y eusse découvert plus et mieux qu’un abreuvoir desséché. L’herbe la bourrait ; des vaches paissaient à côté. L’une d’elles était même descendue dans le proscenium où, gagnée de somnolence, les jambes molles, elle s’émouchait à petits coups.

— La Table-Ronde ! me dit mon guide.

Et qu’Artur se fût avisé de tenir là les assises de son ordre, il n’y aurait rien d’impossible en effet, si l’ordre de la Table-Ronde avait jamais eu quelque authenticité. Vraisemblablement ce petit chef de bande cambrien dont l’existence n’est plus contestée par personne, mais que l’imagination celtique a démesurément amplifié, ne manqua pas d’approprier à son usage personnel les monuments et les travaux de toutes sortes exécutés par les Romains à Caerléon : il utilisa l’enceinte de la ville, les tours, les ponts, l’amphithéâtre et cette magnifique chaussée qui lui permettait, par le Fosway, de pousser jusqu’à Cadburg-Mount, près d’Ilchester, où quelques traditions situent son autre résidence célèbre de Camelot.

Y ajouta-t-il de son propre ? C’est plus douteux. M. Baret a très bien montré que l’idée fondamentale du cycle arturien, l’ordre de la Table-Ronde, est une de ces créations ultérieures dues au hasard d’une collaboration anonyme. Les poèmes gallois, les triades, les contes populaires et le Brut y Brenhined sont également muets au sujet de la Table-Ronde. Un barde du dixième siècle nous décrit bien Artur mangeant et devisant à table avec ses guerriers, mais il ne décrit pas cette table. Plus tard, Robert Wace ajoute brièvement qu’Artur fit faire une table pour ses barons, qu’elle servait aux jours de fête et que les convives formaient un ordre dont l’égalité était la première loi. M. de la Villemarqué pense, non sans raison, que le trouvère emprunta ces détails à une tradition celtique rapportée par un philosophe grec qui visita la Gaule environ cinquante ans avant l’ère chrétienne.

« Chez les Gaulois, dit Posidonius, cité par Athénée, dans les festins d’apparat, les convives principaux se rangeaient autour d’une table ronde. Après des repas copieux, les guerriers aimaient à prendre les armes et à se provoquer mutuellement à des combats simulés. »

Voilà le prototype de l’institution. On l’en montre pas moins au château de Winchester une prétendue Table-Ronde qui fut exécutée après coup sur les indications des chroniqueurs.

Les Anglais sont assez coutumiers de ces supercheries. Ils y sont passés maîtres : à la table de Winchester, je préfère une simple gravure tirée d’un vieux livre imprimé en 1483 par le premier imprimeur du Royaume-Uni, Caxton, gravure qui permet de prendre une idée assez exacte de la manière dont étaient disposés les convives. La Table-Ronde, d’après cette gravure, au lieu d’être pleine, avait la forme d’un anneau. Le roi occupait le centre de l’anneau ; ses chevaliers, le pourtour extérieur. Il faut croire, du reste, que la table était mobile et portative, car on la voit figurer tantôt à Camelot, tantôt à Windsor, tantôt à Caerléon et tantôt à Winchester. Et il faut croire aussi, à en juger par la gravure, que les cent cinquante chevaliers de l’ordre ne s’y asseyaient point tous ensemble, mais par fournées successives. La table conservée au château de Winchester, malgré ses dimensions colossales, ne pourrait recevoir elle-même plus de cinquante convives ; c’est une de ces reliques apocryphes comme le Saint-Graal de Gênes, autre accessoire de la légende arturienne, que Joseph d’Arimathie aurait apporté et caché à Glastonbury, que Galahad, le pur chevalier, aurait retrouvé sur le sommet d’une montagne, qu’il aurait précieusement enfermé à Carbonek dans une tour sans ouverture, qui s’en serait échappé un beau matin jusqu’à Césarée en Asie Mineure, aurait été repris par les croisés en 1101, déposé à Gênes en 1115, volé par les troupes françaises en 1794 et restitué enfin à l’Italie sur la demande de Victor-Emmanuel par l’empereur Napoléon III[110].

Combien cependant l’existence, même apocryphe, d’une Table-Ronde et d’un Saint-Graal, fait éclater l’énergie créatrice du symbolisme arturien ! Ce sera l’éternel honneur des races celtiques d’avoir ainsi peuplé l’imagination occidentale des plus nobles légendes, des fantômes les plus héroïques et les plus charmants qui aient enchanté le monde. Délicieuses créations où collaborèrent intimement l’âme des Bretons d’Armorique et celle des Bretons de Galles ! Elles s’oblitéraient cependant, elles s’effaçaient peu à peu de la mémoire des hommes, quand le patriotisme d’un grand poète vint leur communiquer une seconde vie spirituelle. C’est dans ce calme et simple village de Caerléon que Tennyson composa ses Idylles du Roi, et, certes, celui-là serait ingrat envers Artur plus encore qu’envers le poète, qui passerait avec indifférence près de la vieille hôtellerie désaffectée : Aux Armes d’Hambury, où la magie de cet autre Merlin ressuscita l’émouvante merveille du cycle breton…

Nous avions quitté, mon guide et moi, le champ de la Table-Ronde et, par un sentier côtoyant l’ancien mur de circonvallation, nous gagnions les bords de l’Usk, le joli fleuve poissonneux qui dessine une courbe élégante au pied de la ville. Mais c’était l’heure de la basse mer, et l’Usk, fortement encaissé entre des berges déclives, se traînait au soleil sans un bateau, sans une voile. Je retrouvai là ces eaux de velours sombre qui m’avaient tant frappé près d’Abergavenny. D’énormes bancs de sable, d’une couleur cuivrée et malsaine, pareils à des sauriens endormis, bombaient leurs carapaces au milieu du fleuve. Un pont en pierre, tout battant neuf, l’enjambait sur trois arches ; mais je cherchai vainement l’ancien pont de bois dont parlent tous les guides et qui subsistait encore il y a dix ou douze ans. On prétendait dans le pays qu’il datait des Romains, et la raison qu’en donnaient les archéologues est qu’il était fait de poutrelles mobiles, comme le pont jeté par César sur le Rhin et décrit dans les Commentaires. Il se peut bien ; mais les poutrelles avaient dû changer plusieurs fois au cours des âges ; le pont de César n’était éternel, comme la nef Argo, que parce que, comme elle, on le rapiéçait chaque année. Un temps vint où on négligea cette formalité ; une crue de l’Usk emporta le pont et, avec lui, les débris des deux tours fortifiées qui en défendaient l’entrée.

Mon guide s’en applaudissait : il tenait visiblement pour l’esprit de nouveauté contre la routine. Le port de Caerléon n’ayant ni quais ni docks, seulement un chemin de halage et un wharf en planches pour le déchargement des rares caboteurs qui le visitent tous les trimestres, je ne voyais point, quant à moi, ce qu’il avait pu gagner à la disparition de ces ruines qui ajoutaient un élément de noblesse au paysage.

Le peu qui reste de leurs substructions fait justement face à l’hôtellerie désaffectée où logeait Tennyson. Quoique aucune plaque commémorative ne s’y voie, on ne manque pas de la signaler aux touristes : c’est une lourde bâtisse blanche de l’autre siècle, qui tourne le dos à l’Usk et dans le pignon de laquelle on n’a dû percer qu’après coup les légères ouvertures gothiques du second étage et cette large baie du premier qu’un bow-window prolonge sur le fleuve. Tennyson y portait sa table de travail : il embrassait de là tout le grand paysage historique qu’il allait reconstituer dans ses vers. La plupart des Idylles du Roi se passent en effet à Caerléon, soit qu’une secrète préférence inclinât l’auteur vers les rives évocatrices de l’Usk, soit qu’il fût guidé, comme je pense, par les vivants souvenirs qu’a laissés à Caerléon même le héros cambrien, premier type de cet idéal chevaleresque du moyen âge où selon l’expression de Montalembert, les vertus militaires se confondaient avec le service de Dieu et de Notre-Dame.

J’aurais aimé visiter la chambre où vécut Tennyson pendant ce mémorable été de 1853. Le temps ne me le permit point, et on m’assura, du reste, que, l’hôtellerie ayant passé en d’autres mains, il ne s’y voyait plus rien d’intéressant.

Mieux valait continuer mon pèlerinage, l’achever plutôt par une visite à la High-Tower. Mais, pour pénétrer jusqu’au château d’Artur, il fallait traverser une grande cour privée, puis un champ banal qui avait servi la veille pour l’établissement d’un flower show. Des ouvriers enlevaient les drapeaux et les tentes. Le propriétaire de la High-Tower se trouvait là. Fort aimablement il nous donna l’autorisation de visiter la tour ou ce qu’on appelle ainsi ; car j’avais beau écarquiller les yeux, je n’apercevais aucune trace de murs, mais seulement un énorme mamelon artificiel, tout hérissé de sapins, de hêtres et de chênes de haute venue, et que son isolement dans la plaine faisait paraître plus énorme encore.

Un petit sentier en lacis, fort abrupt et glissant, courait autour du tumulus. Nous y grimpâmes vaille que vaille. Çà et là, en écartant les ronces et le lierre, mon guide me faisait remarquer des fragments de colonnes, l’arc d’une poterne. Mais nulle part le dessin de la construction n’apparaissait avec netteté. L’esplanade supérieure, où nous atteignîmes après d’assez longs détours, montrait seule quelques pans de murs à hauteur d’appui. On y avait planté un grand mât de navire avec ses cordages et ses vergues : mais le plus curieux et dont je n’ai pu trouver l’explication est qu’à un endroit de cette esplanade l’herbe était toute piquée de roseaux et de joncs décelant la présence d’une nappe d’eau souterraine. De l’eau à cette hauteur ! Visiblement nous nous trouvions au pied de l’ancien château à qui l’esplanade servait d’assise et dont le tumulus lui même n’était que le gigantesque piédestal. Il en subsistait encore, du siècle dernier, des murs qui atteignaient quarante pieds de haut. Mais, contrairement à la tradition, ces murs n’appartenaient pas à l’ancienne tour d’Artur : celle-ci avait été remplacée par un château normand ; elle devait être bien plus élevée d’ailleurs, si tant est que de sa plate-forme on apercevait le canal de Bristol et les voiles blanches qui cinglaient vers la mer.

La légende a tout mêlé. Les Romains, Artur, la conquête normande, elle n’a point distingué ou plutôt elle a tout rapporté au héros de son choix. Après douze cents ans, son ombre domine toujours le paysage. Fictives ou réelles, ses aventures sont les seules qui nous émeuvent.

Ici, le soir de son couronnement, Artur mena la blanche Genièvre et reçut les envoyés de Rome qui venaient lui demander tribut. Il était assis « sur un siège de joncs verts, un tapis de paile jaune-rouge sous son coude ». Ses cent cinquante chevaliers l’entouraient, et il avait encore auprès de lui son fou Dagonet, son chien Kawal et cet énigmatique Merlin, personnification de la race celtique, né d’un incube et d’une nonne, qui lui avait apporté la veille l’épée Escalimbor. La poignée du glaive était d’onyx ; la lame d’acier clair pareil à tous les aciers ; mais, dans la bataille, elle s’irisait magiquement des sept couleurs de l’arc-en-ciel. Comme Merlin rôdait au bord de la mer, Escalimbor était sortie des eaux, brandie par une main qui disparut après l’avoir lancée vers le barde. Il la reçut à genoux, la baisa et la porta au roi. Les belles « emprises » qu’elle réservait au noble prince ! Epée du fort, tu serais aussi l’épée du juste, et ta lame n’étincellerait que pour le service du droit. Dix ans elle besogna au poing d’Artur, la fulgurante, la loyale épée. Mais un jour vint où l’acier de la lame se ternit. Artur livrait bataille à Modred. Il était las et triste ; des remords le troublaient : lui, le paladin du droit, le soldat de Dieu et de Notre-Dame, il avait laissé, par sa faiblesse, le dol et la débauche s’installer dans sa cour. Ses meilleurs chevaliers étaient morts ; Lancelot l’avait trahi ; la blanche Genièvre se fanait dans un cloître ; Merlin, l’éternel révolté, dans les futaies de Brocéliande, dormait prisonnier de Viviane. Et voici qu’Escalimbor lui semblait lourde et que des frissons étranges, des « frissons noirs », couraient sur sa lame. Il la leva une fois encore ; mais elle retomba sans avoir frappé, et il connut que c’était la fin. Alors il appela son écuyer Bédivère et, comme ses blessures l’épuisaient, il lui commanda de prendre Escalimbor et de la jeter, la pointe haute, dans la mer. Bédivère hésitait. « Pitié ! » disait-il au roi, et le roi dut le menacer pour qu’il exécutât son ordre. Bédivère obéit enfin ; il se signa au front, aux paupières et à la bouche avec la garde de l’épée, puis, fermant les yeux, il la lança devant lui. Et, comme elle décrivait sa parabole, une main sortit de la mer, saisit l’épée par la poignée, la brandit trois fois et s’enfonça sous les eaux.

L’épée disparut et, penchée sur l’abîme, l’Âme celte attend depuis lors, depuis douze cents ans, qu’elle resurgisse des fonds mystérieux du Passé.



APPENDICE



I. — On sait qu’aucune des pièces du Barzaz-Breiz ne porte de références. C’est seulement le 2 septembre 1907, par un article fort intéressant du Nouvelliste de Bretagne, signé P. V. (Pierre de la Villemarqué ?) et publié à l’occasion des fêtes données à Pont-Aven par M. Théodore Botrel, qu’ont été révélés pour la première fois au public les noms de quelques-uns des chanteurs habituels de l’auteur du Barzaz. Le passage, croyons-nous, vaut d’être cité :

« Que dire de cette petite ville qui n’ait déjà été dit ?… C’est sur ces coteaux, au nord de Pont-Aven, que s’étagent les bois et les taillis du Plessix, surnommés Bois d’Amour par les touristes et qui dépendent de la propriété du Plessix, en breton Quinquis, où demeurait la mère de l’auteur du Barzaz-Breiz. C’est là qu’elle moissonna pour elle et, plus tard, pour son fils une riche collection de chants populaires à la fin du XVIIe siècle et au commencement du XIXe… C’est là que chantaient autrefois pour la dame du Plessix-Nizon les bardes ignorés qui s’appelaient Annaïc Le Breton, Annaïc Olivier, Pierre Michelet, Marie-Jeanne Penquerh et tant d’autres dont La Villemarqué n’a pas livré les noms dans ses éditions du Barzaz-Breiz, mais que sa mère avait consignés dans des notes manuscrites…»

Connus à temps et du vivant de ceux qui les portaient, ces noms eussent singulièrement facilité l’enquête réclamée par Le Men, Luzel et M. d’Arbois de Jubainville. Après un siècle, ils ne sont plus que des curiosités ; mais nous avons tenu à les transcrire ici.

II. — M. François Gélard ne s’est pas borné à enquêter sur le bonhomme Système. Son attention respectueuse et discrète s’est portée aussi sur « la petite Noémi » dont il croit avoir eu la bonne fortune de retrouver l’acte de naissance. Je donne ici ce document, encore inédit, avec les intéressants commentaires dont l’a fait suivre mon correspondant.

« Mairie de Tréguier. — No 24. Du onzième jour du mois d’avril mil huit cent dix-huit. Acte de naissance de Noémie (sic) Marie Tallibart, née le jour d’hui à huit heures du soir, fille légitime de François-Jean Tallibart, âgé de quarante-sept ans, profession de horloger, et de Marie-Jeanne Le Louédec, âgée de trente-six ans, profession de marchande, demeurant à Tréguier. — L’enfant, présenté à l’officier de l’état-civil a été reconnu être du sexe féminin. La déclaration de la naissance a été faite par ledit sieur François-Jean Tallibart, âgé de quarante-sept ans, profession de horloger, père de l’enfant, demeurant à Tréguier. — Premier témoin : Charles Le Louédec, âgé de vingt trois ans, profession de marin, demeurant à Paimpol. Second témoin : François Le Brigant, âgé de quarante-trois ans, profession de greffier du juge de paix, demeurant à Tréguier. — Lecture donnée de ce que dessus, les comparans et les témoins ont déclaré signer : F. Tallibart, Le Brigant, Henriette Rouxel, Louédec. — Constaté, suivant la loi, par moi, Duportal du Goasmeur, maire, officier de l’état-civil soussignant : Duportal du Goasmeur. »

M. Gélard n’a pu recueillir encore de souvenirs très précis relativement à Noémie Tallibart. Il possède du moins quelques renseignements sur sa famille : « Son père, petit horloger besogneux, chargé d’enfants, — la légende lui en prête dix-sept ou vingt-et-un et j’ai relevé sur les registres de l’état-civil les noms de onze d’entre eux — habitait à Tréguier une vieille maison du XVIe ou du commencement du XVIIe siècle située au bas de la Grande Place, presque à l’intersection de la rue Ernest-Renan. Cette maison est occupée aujourd’hui par un café-restaurant. J’y ai moi-même connu, pendant mes années de collège, deux sœurs de Noémie : Mlles Marie-Caroline, née le 5 septembre 1809, et Léocadie-Marie-Françoise, née le 17 février 1816. La première mourut, à un âge respectable, le 16 juillet 1893 ; la seconde décéda peu avant. Elles tenaient dans la maison paternelle un petit commerce de papeterie et recevaient les collégiens sans aménité. Une femme qui les servit pendant de longues années vit encore à Ploudaniel. Elle s’appelle Marie-Yvonne le Gruiec et pourrait éclaircir quelque peu le mystère qui règne à Tréguier autour de Noémie. À la vérité, j’ai une autre source de renseignements, mais je crains d’y puiser : l’un des frères de Noémie, je ne sais lequel et je ne sais à quelle date, partit pour la Turquie et s’établit comme horloger à Constantinople. Il revint au pays natal, cousu de l’or des infidèles, et vécut ses derniers jours dans une charmante villa édifiée sur les coteaux de Plouguiel, au-dessus de l’estuaire, parmi de jolis bois de sapins, et que l’on nomme encore de ce chef « Constantinople ». Son fils, M. Aristide Tallibart, gendre de M. Le Goaster, jadis bien connu dans la région trégorroise, habite aujourd’hui cette maison. Je pourrai m’adresser en lui en dernier recours : on me dit que c’est un homme charmant et un lettré. — Des Tallibart furent aussi boulangers à Tréguier. Marie-Jeanne Le Louédec, mère de Noémie, mourut le 13 juin 1834 ; Jean-François Tallibart le 4 janvier 1840. C’est probablement à cette date que Noémie, âgée alors de vingt-deux ans, quitta Tréguier, — pour quelle destination ? Je ne sais encore, mais M. Psichari assure qu’elle est enterrée dans le cimetière de Louannec. Cela est plus que vraisemblable, puisque Renan s’exprime ainsi dans son supplément aux Souvenirs d’Enfance : « Je ne répondis rien à mon interlocuteur, mais je m’assis sous un vieux hêtre, à l’angle du cimetière, en face de la mer. » Il est avéré que Renan demeura, toute sa vie, dans les termes de la plus grande amitié avec la famille Tallibart et je ne sais si eux-mêmes ne se réclament point de sa parenté ».

Souhaitons que M. Gélard poursuive et mène à bien son enquête sur « la petite Noémi », l’une des plus pures et des plus délicates figures des Souvenirs d’Enfance et celles de toutes peut-être où s’est arrêté avec le plus de complaisance le pinceau d’Ernest Renan. Rien de ce qui touche à ce maître écrivain ne saurait nous laisser indifférents. Toutefois de telles enquêtes, par suite des « interversions légères de temps et de lieu » que Renan a glissées dans ses Souvenirs, pour « dépister les identifications qu’on pourrait être tenté d’établir », demeureront toujours incertaines et sujettes à caution. Noémie, comme pense M. Gélard, dort elle son dernier sommeil dans le cimetière marin de Louannec ? Il est certain, tout au moins, qu’elle mourut à Tréguier, — j’entends la Noémie dont mon correspondant a relevé l’acte de naissance sur les registres de cette ville et dont il a retrouvé un peu plus tard, sur les mêmes registres, l’acte de décès :

« Mairie de Tréguier. — No 83. Du quinzième jour du mois de septembre mil huit cent cinquante-sept à huit heures du matin, acte de décès de Noémie-Marie Tallibart, née à Tréguier, département des Côtes-du Nord, âgée de trente-neuf ans, profession de …, domiciliée à Tréguier, décédée aujourd’hui à quatre heures du matin, fille de François-Jean Tallibart et de Marie-Jeanne Le Louédec, célibataire. — La déclaration du décès sus-mentionné a été faite par Charles Quellien, demeurant à Tréguier, âgé de vingt-neuf ans, profession de sacristain, qui a dit être voisin de la défunte, et par Pierre-Marie Dorliac, âgé de vingt-neuf ans, profession de propriétaire, qui a dit être aussi voisin de la défunte. — Lecture donnée de ce que dessus, les comparans et les témoins ont déclaré signer : Quellien, Dorliac P. M. — Constaté suivant la loi par moi, Aimé Le Glen, adjoint délégué, officier de l’état-civil soussignant : — Le Guen, adjoint. »

Et, maintenant, reste à prouver que cette Noémie Tallibart était bien « la petite Noémi » d’Ernest Renan. Je le crois pour ma part et M. Gélard le croit aussi. Il est très remarquable en effet qu’aucune autre personne du prénom de Noémie ne figure sur les registres de l’état civil de Tréguier entre le commencement et le milieu du siècle dernier. M. Gélard en a acquis la certitude. Mais il nous doit d’autres preuves, d’autres témoignages, plus décisifs encore que ceux qu’il nous a communiqués. Attendons sa prochaine moisson.

III — On connaît le douloureux épilogue de l’affaire Yan Dargent. Rouverte par ordre supérieur, l’instruction de cette affaire aboutit au renvoi devant le tribunal correctionnel de Morlaix de M. Ernest Pargent et de M. l’abbé Guivarc’h (juin 1908) : tous deux furent acquittés et il n’en pouvait être autrement. Mais la secousse morale avait été trop forte pour M. Ernest Dargent qui succomba quelques jours après.

« N’oublions jamais l’héroïque exemple que nous a donné l’admirable honnête homme qui va dormir ici son dernier sommeil, prononçait devant la tombe prématurée de M. Ernest Dargent M. le commandant Duvivier. Pour s’éviter à lui-même, pour éviter surtout à sa digne compagne toutes les affres, toutes les angoisses de son calvaire, il lui eût suffi de dire un mot, un seul. « Lâchez donc votre Recteur, lui criait-on. Cessez de le couvrir et l’accusation tombera, car ce n’est point à vous qu’on en veut. » Ce geste qu’on lui demandait, Ernest Dargent refusa noblement de le faire : « Je vous soutiendrai jusqu’à la mort », dit-il à son vieux curé. Et, ainsi qu’il en avait fait la promesse, c’est en effet jusqu’à la mort qu’il l’a défendu. »

Ajoutons que M. Ernest Dargent, illustrateur et graveur de talent, continuait dignement la tradition paternelle et s’était fait une place distinguée dans l’art contemporain.

IV. — L’appel que j’adressais à la municipalité carhaisienne a été entendu,

« Personnellement, m’écrivait, le 4 juillet 1907, M. Lancien, maire de Carhaix, je suis tout à fait de votre avis, et mon intention est bien de créer une Salle La Tour d’Auvergne, car, pour un musée, il n’y faut guère songer. Actuellement le local nous manque et j’attends, pour pouvoir faire cette création, le départ de la caisse d’épargne qui occupe une salle au rez-de-chaussée de la mairie. À l’une des réunions du comité des directeurs de la caisse d’épargne, j’ai obtenu de ces messieurs un vote décidant la construction d’une maison spéciale pour la caisse. Ce sera fait dans deux ans environ, époque à laquelle je pourrai réaliser l’idée que vous émettez dans votre si intéressant article… »

Nous prenons note avec satisfaction de la promesse de M. le maire de Carhaix.

V. — Sur l’origine des noms gallois, voici une troisième opinion qui n’est peut-être pas la moins raisonnable :

« Lorsque Llewelyn Fawr, m’écrit le barde Jaffrennou, eut été défait et tué et que le Pays de Cambrie fut annexé au royaume d’Angleterre, il fut décrété que tous les noms gallois devraient être anglicisés sur tous les actes publics. La plupart des noms anciens de la période glorieuse des Galles (jusqu’à 1200) sombrèrent, sauf quelques Gwynn, quelques Llewelyn, quelques Owen et quelques Emrys (ou Rhys, ou Priée pour Ap Rliys). Un grand nombre de Gallois s’appelaient alors Ab un tel, Ab Yorwerth, Ab Joan, Ab Gwilym, Ab Thomas ; ces noms furent saxonisés à l’aide du génitif saxon s ou es et fils de Joan ou John devint Jones ; fils de Yorwerth : Edwards ; fils de Gwilym : Williams, etc. Ces trois noms sont les plus fréquents. Il y a, à la Bibliothèque-Libre (Free Library) de Cardiff, me disait M. Ballinger le bibliothécaire, lors de ma visite à cette Bibliothèque, 150 livres en gallois, publiés par 150 Jones différents, de 1800 à 1899. »

VI — Étymologiquement, selon certains savants, Graal se rattache à gradus, mot latin désignant une sorte de coupe où l’on pouvait étager les mets gradatim ; selon d’autres à gratus, qui signifie agréable, « pour la raison, disent-ils, que les mets servis dans un plat sont agréables à manger ! » On n’est pas plus ingénieux. Je croirais volontiers, pour ma part, que le mot Graal ne vient ni de gradus ni de gratus et que c’est tout simplement un mot celtique dont le sens s’est perdu en route. Aussi bien le catino sacro de Gênes ressemble beaucoup plus à un bassin qu’à une coupe. M. Robert de Montesquiou, dans un de ses poèmes, en a donné une description fort exacte :

Le Graal véritable est dans un temple à Gênes.
Une vigne en émail l’encercle de ses chaînes ;
D’une seule émeraude énorme il fut taillé…

Voilà en effet sa particularité. On connaît peu d’émeraudes aussi belles, aussi grandes surtout, et c’est ce qui explique, sans plus, que l’Italie ait tant tenu à sa conservation.



INDEX ALPHABÉTIOUE

des principaux noms cités dans les deux Séries



A

Abaddam (miss), t. II. 294, 325.
Abakanowicz, t. II. 75.
Abalen (lan), t. I. 6.
Abélard, t. I. 142. — II. 80, 119.
Abgrall (chanoine), t. I. 63, 207. 208, 209.
About (Edmond), t. I. 153, 203.
Aiguillon (duc d’), t. II. 26.
Ajalbert (Jean), t. I. 22.
Albalat (Antoine), t. I. 110.
Albany, t. II. 239.
Alkinson (A.), t. I. 381.
Alliou, t. I. 195, 329.
Amade (général d’), t. I. 40.
Amiel, t. II. 332.
Ampère, t. I. 106, 119.
Aneurin, t. I. 5.
Anner et fils, t. I. 63.
Antrobus (famille) t. II. 210.
Apulée, t. I. 144.
Ar Balb, t. II. 25.
Arbois de Jubainville (d’), t I. 85, 179, 275, 277, 278, 391. — II. 57, 62, 145, 146, 147, 292, 351.
Arbrissel (le B. Robert), t. I. 57.
Ardouin-Dumazet, t. II. 151, 152, 162, 163.
Arwain Alaus, t. II. 283.
Ascoli, t. I. 391.
Athénée, t. II. 342.
Atbol (duc d’), t. I. 356.
Aubert (Jean), t. I. 119.
Audiat (Gabriel), t. I. 32.
Audrein (évêque), t. II. 25.
Auffray, t. I. 210.
Aurélien (Pol), t. II. 17.
Autret (Gui), t. I. 62.
Avienus, t. II. 40.
Azémar (Gabriel d’), t. I. 299.

B

Baillet, t. I. 289.
Balcou, t. II. 17.
Balfour, t. I. 362.
Balfour (Gérald), t. I. 380
Ballanche, t. II. 106, 119.
Ballinger, t. II. 357.
Balzac, t. II. 109.
Barbier (Edouard), t. II. 217, 235, 239, 285.
Baret, t. II. 342.
Baroche, t. I. 346.
Barracand (Léon), t. I. 22.
Barré (abbé), t. I, 237.
Barrès (Maurice), t. I. 90, 91, 179. — II. 24, 140, 196.
Barrois, t. II. 21.
Barrot (Odilon), t. I. 329, 339, 340, 343.
Bassano (duc de), t. II. 40.
Basset (sir Charles), t. I. 370.
Baruch, t. I. 146.
Baud, t. 1. 289.
Baudin (Pierre), t. II. 26.
Baudrillart (André), t. I. 206.
Baudry du Coudrai, t. II. 104, 105, 106.
Bazin (F.), t. II. 173.
Bazin (René), t. I. 317, 318, 319.
Beau (Alfred), t. I. 89.
Beauclair (Henri), t. II. 134.
Beauclair (P.), t. II. 341.
Beaufils (Edouard), t. I. 181.
Beaumont (Gustave de), t. I. 344.
Beaumont (Mme de), t. I. 112, 113.
Béranger, t. I. 114, 119.
Berger (Philippe), t. II. 97.
Berkeley, t. II. 163.
Bernhardt (Sarah), t II. 17.
Bersot, t. I. 346.
Berthou (Yves), t. I. 16, 96.
Bertrand (Alexandre), t. I. 275.
Bertrin (abbé G.), t. I. 119.
Bethmont, t. I. 335, 336.
Bidamant, t. II. 105.
Bienaimé (amiral), t. II. 110.
Bion, t. I. 205.
Biré (Edmond), t. I. 101.
Bivic (Pierre), t. II. 128.
Blémont (Émile), t. II. 134.
Blois (Cte de), t. I. 249. — II. 286, 296.
Bodiou (Julien), t. II. 105.
Boga, t. I. 289.
Bohéas (Dr), t. II. 14.
Boisrouvray, t. II. 285.
Boissonnet (Émilie), t. I. 328.
Boisville (de), t. II. 88, 91.
Bombonni, t. I. 195.
Bonacourcy (dom Paul de), t. II. 81.
Boncour (Paul), t. II. 142.
Bonnefin, t. II. 151.
Bonnelier (Hippolyte), t. I. 173.
Bopp, t. I. 245.
Borlas (Dr), t. I. 354.

Botrel (Théodore), t. II. 144, 350.
Bouchard (Alain), t. II. 66, 67.
Bouchor (Maurice), t. I. 179 — II. 134.
Bouet(Alexandre) t. I. 67, 79, 81, 92.
Boulain, t. I. 180.
Boulanger (Mme), t. II. 239.
Bourgault-Ducoudray, t. I. 349. — II. 206, 219, 325, 327.
Bourget (Paul), t. I. 178, 179.
Bossuet, t. I. 53.
Bozec (Jean), t. II. 166.
Bréal (Michel), t. II. 97.
Brénugat (Jeanne), t. I. 140.
Bridson-Smith (Mme), t. II. 294.
Brignon (abbé), t. I. 17.
Briquir (Môn ar), t. II. 44.
Brizeux, t. I. 8, 51, 57, 74, 92, 94, 141, 176, 178, 191, 327, 390. — II. 92, 95, 96, 285, 296, 297.
Brochard (abbé), t. I. 140.
Broussais, t. II. 119.
Brun (Charles), t. II. 139, 142.
Brunetière (Ferdinand), t. I. VIII, 178.
Buléon (abbé), t. I. 17, 392.
Bull (évêque), t. II. 253.
Bureau (Léon), t. I. 293.
Bute (Isaac), t. I. 378.
Bute (marquis de), t. II. 225, 227, 229, 230, 231, 232, 233, 263, 286.

C

Cadic (abbé), t. I. 17, 134.
Cadic (professeur), t. II. 219.
Cafarelli, t. II. 22.
Caine (Hall), t. I. 358.
Calan (Ch. de), t. I. 360. — II. 336.
Callot, t. I. 232.
Cambry, t. I. 98, 226, 249, 256. — II. 13.
Capendu, t. I. 172.
Caradec, t. II. 17.
Carcaradec (Cte de), t. I. 338, 340.
Cardillan, t. II. 97.
Carné (Louis de), t. I. 65, 66.
Carnegie, t. II. 197.
Carrew (Bichard), t. I. 354.
Cartault (A.), t. I. I.
Castletown (lord), t. I. 351, 352, 385, 404.
Caton, t. I. 329.
Cavaignac, t. I. 302.
Cavalier (Auguste), t. I. 309.
Caxton, t. II. 343.
Chalard (C. du), t. I. 46, 68.
Champion (Édouard), t. I. 108, 110.
Champion (Honoré), t. II. 131.
Charles (Lucien), t. I. 170.
Charles (Émile), t. II. 157.
Charlet, t. II. 163.
Chateaubriand (Cte Louis de), t. I. 119.

Chateaubriand (Lucile de), t. I. 114.
Chateaubriand (Ctesse Marie de), t. I. 101, 104, 105, 112, 114, 118.
Chateaubriand (V te de, t. I. 101-121, 154, 176. — II. 23, 39, 98, 119.
Châvannes (Puvis de), t I. 200, 204.
Chénier (André), t. I. 155.
Cherouvrier, t. II. 144.
Chevalier, t II. 219.
Chevassu (Francis), t. II. 38.
Cicéron, t. II. 42, 145.
Claeys (Emile), t. II. 79.
Claretie (Léo), t. I. 139.
Claudien, t. II. 9.
Cleuziou (H. du), t. I. 196. — II. 45.
Cloarec (Emile), t. I. 201, 349, 406. — II. 219.
Clowdkarv, t. II. 224.
Coat (Joseph), t. I. 289, 290, 408.
Coat (Vincent), t. I. 35, 289.
Coatmbr (Per), t. I. 6.
Coatredrez (Pierre de), t. I. 193, 322, 324.
Cochvarv (Thomas), t. II. 223.
Coëtmoan (Guillaume de), t. II. 43.
Combes, t. I. 248, 389. — II. 96.
Comte (Auguste), t. I. 116.
Conan (Jean), t. I. 408.
Conan-Mériadec, t. II. 38.
Constantius (frère), t. I. 393. — II 333.
Coppée (François), t. I. 20, 179 — II 171.
Corbière (Tristan), t. I. 34.
Corfec (Guillaume), t. I. 349, 392. — II. 219.
Cormenin, t. I 326, 338, 340, 343, 344, 346.
Corneille, t. I. 319.
Cornouailles (Mme de), t. II. 166.
Corre (A.), t. I. 233.
Correl (Olivier-Louis), t. II. 157, 159, 162.
Corson (abbé Guillotin de), t. I. 79, 207.
Corvézy, t. I. 289.
Cosmao (Marie), t. II. 167.
Couédic (du), t. II. 167.
Courcelles (Maurice de), t. I. 319.
Courcy (Pol de), t. I. 48, 92.
Courrejolles (amiral), t. I. 322.
Cousin (Victor), t. I. 326, 334, 336, 344, 346.
Crénan (marquis de), t. I. 218.
Crozier (Philippe), t. II. 181.
Cucheval-Clarigny, t. I. 346.
Cyrano de Bergerac, t. I. 153.

D

 
Dabadie, t. II. 178.
Dacia (Pierre de), t. II. 85.
Dafydd ab Gwylin, t. I. 96.
Dalbarade, t. I. 52.
Damiron, t. I. 332.
Dante, t. I. 23.
Dargelos (F. François), t. II. 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86.
Dargent (Ernest), t. II. 120, 131, 355, 356.
hargent (Yan), t. II. 120, 121, 355.
Daudet (Alphonse), t. I. 52. — II. 39.
Davaugour (Simon), t. II. 113, 114.
David (Félicien), t. I. 158.
Davies (Evan), t. I. 372.
Davies (Howell), t. I. 366.
Dayot (Armand), t. I. 190. — II. 223.
Decrais (Julien), t. I. 368, 373. — II. 220, 256, 259.
Deguerry (abbé), t. I. 119.
Delaroche (Paul), t. I. 198, 199.
Delboulle (A.), t. I. 274.
Delisle (Léopold), t. I. 23.
Deloche, t. I. 85, 86.
Delpeuch, t. II. 153.
Delrio, t. I. 227.
Depasse (Emile), t. I. 195, 333, 334.
Derrien (Pierre), t. I. 7.
Deschanel (Emile), t. I. 316.
Dospois (Eugène), t. I. 346.
Dessoye (Arthur), t. I. 247.
Detroyat, t. I. 159.
Dezaunay (Emile), t. I. 297.
Dion (A. de), t. II. 124.
Donet (abbé), t. I. 214.
Doriou (Pierre) t. I. 61.
Dorliac (Pierre-Marie), t. II. 354, 355.
Dorré - Vallon (Marie-Françoise), t. II. 104.
Douglas, t I. 358.
Drillet (dit Licoq), t. I. 285.
Dubois (Louis-Paul), t. I. 384.
Dubourg (Mgr), t. I. 17, 388.
Dubouchet t. II. 66.
Dufrerin (lord), t. II. 184.
Dufilhol, t. I, 92, 295, 327, 328.
Dugoy (Georges), t. II. 165.
Duguay-Trouinh, t. II. 169.
Duhamel de Balzac, t. II. 219.
Dumoulin, t. I. 289.
Duncombe (famille), t. I. 356.
Duncombe-Jewell, t. I. 355.
Dupont (Pierre), t. II. 263.
Dupouy (Auguste), t. I. 39. — II. 143, 188.
Durand (Ludovic), t. I. 297.
Duras (duchesse de), t. I. 113.
Durivaux (Marie-Anne), t. II. 80, 81, 83, 85, 86.
Durocher (Léon), t. I. 143, 217, 349. — II. 144, 213, 219.

Duvergier de Hauranne, t. I, 343.
Duval (Alexandre), t. I. 160.
Duvivier(commandt), t. II. 355.
Dyved, t. II. 224.

E

Edwards (Hugh), t. I. 364. — II. 220.
Edwards (William), t. II. 275, 276.
Emeriau (amiral), t. II. 151, 152.
Erard, t. I. 110.
Ergat (saint), t. I. 5.
Ernault (Emile), t. I. 21, 275, 293, 391, 392.
Erny (Alfred), t. II. 252, 253, 293.
Eschyle, t. I. 249.
Estourbeillon (marquis de l’), t. I. 182, 270, 349, 392. — II. 137, 213, 219, 234.
Eutrapel, t. I. 53.
Evrard (Jacques), t. I. 119, 203.
Ewans (Tobit), t. I. 253.

F

Fagan (David), t. I. 384, 385.
Faguel (Emile), t. I. 147.
Fail (Noël du), t. I. 144, 257, 259.
Falquerho (abbé), t. I. 17.
Famel (Pierre), t. I. 297.
Farcy (Mme de), t. I. 114.
Fauriel, t. II. 57, 61.
Favé (Antoine), t. II. 164.
Favier (Mgr), t. I. 316, 317.
Fayette (Mme de la), t. II. 158.
Féger (Madeleine), t. II. 97.
Félibien (André), t. I. 139.
Ferry (René-Marc), t. II. 177.
Feugard, t. II. 179.
Filon (Augustin), t. I. 377.
Fleuriot de Langle, t. I. 57.
Foll (Dr Aug.), t. I. 70.
Foncin (Pierre), t. I. 387.
Fonssagrives (abbé J.), t. I. 143.
Forterre, t. II. 180.
Fouéré-Macé (abbé), t. I. 207.
Fournier d’Albe, t. I. 350, 357, 358, 361, 374, 383, 385, 386.
Fouyé, t. I. 239.
Franc (Jean), t. II. 144.
France (Anatole), t. I. 150. — II. 321.
France (Marie de), t. I. 16, 23.
Francès, t. I. 15, 88.
Francheville (de), t. II. 296.
Frémine (Charles), t. I. 22. — II. 134.

Fréminville (chevalier de), t. I. 74, 233, 285, 297.
Freppel (Mgr), t. I. 319.
Furic (Mathurin), t. I. 51, 52.
Fustel de Coulanges, t. II. 30.

G

Gaidoz, t. I. 72, 179, 275, 293, 391, 393, 397. — II. 57, 62.
Gaillard, t. II. 167.
Gallet (Mlles ), t. I. 202.
Galtier (Joseph), t. I. 38, 68.
Garaby (ahbé de), t I. 57.
Garandel, t. II. 41, 47.
Garibaldi, t. II. 150.
Garrec (Ninoc’h euz ar), t. I. 17.
Gaud, t. II. 185.
Gauguin, t. II. 19.
Gausseron (B.-H.), t. I. 22.
Gavarni, t. I. 161.
Gayraud (abbé), t. I. 239, 249. — II. 137.
Geffroy (Gustave), t. II. 65-77.
Geikie, t. II. 265.
Gélard (François), t. II. 351, 352, 353, 354, 355. — II. 104, 105.
Géniaux (Charles), t. II. 37.
Gérard (Louis), t. II. 104.
Gicquello (abbé), t. II. 181, 183.
Gineste (Raoul), t. II. 134.
Ginof, t. I. 289.
Girald le Cambrien, t. II. 323, 337, 339, 340.
Giraudet, t. I. 101.
Gladstone, t. I. 368, 378, 379, 402.
Glais-Bizoin, t. I. 328, 334, 335.
Goasmeur (Duportal du), t. II. 106, 352.
Godebski (Cyprien), t. I. 300, 301.
Gonne (Maud), t. I. 380.
Gordon, t. II. 207.
Goséquel (G. et P.), t. I. 231.
Goupillière (Mlle  de la), t. II. 163.
Gourlaouën (Guillaume), t. I. 309-325.
Graveran (Mgr ), t. I. 63.
Grégor (Rev. Walter), t. I. 361.
Gresset, t. II. 22.
Grivart (René), t. I. 349 — II. 219, 296, 325.
Gruffydd, t. II. 285, 286, 290.
Gruffydd (Suzanna), t. II. 285, 286, 290, 291, 292.
Gruyer (Paul), t. II. 66.
Guébriand (comte de), t. II. 130.
Guégou, t. I. 284.
Guéguen, t. I. 289.
Guéguen (abbé), t. II. 40, 63, 64.
Guéguen Fernand), t. II. 149.
Guélou (Jean), t. I. 288. — II. 50.

Guenmoran (Guillaume), t. II. 127.
Guérin (Eugénie de), t. I. 122.
Guernier, t. II. 111.
Gueznou (saint), t. I. 5.
Guieysse (Paul), t. I. 401.
Guihéneuf (M. Y.), t. I. 67.
Guillôme (abbé), t. I. 20, 186, 390.
Guillouic, t. I. 215, 231.
Guimer, t. I. 293.
Guinbleth (George), t. II. 280.
Guinot (Aufroi), t. I. 296.
Guirriec (abbé), t. II. 164, 165, 168.
Guivarc’h (abbé), t. II. 120, 325.
Guivarc’h (Alain), t. I. 288.
Guizot, t. I. 326, 328.
Guyomard (Mlle), t. II. 54.
Gwennou (Charles), t. I. 17, 18, 19, 20, 21.
Gwest (lady Charlotte), t II. 297.
Gwic’hlan, t. I. 5. — II. 33.

H

 
Habasque, t. I. 247, 256, 257.
Halls (famille), t. II. 287.
Hamon (Augustin), t. II. 111, 139.
Hamon (Jean-Louis), t. I. 189-205.
Hamon (Jean-Marie), t. I. 190, 193.
Hamon (Marie-Céleste), t. I. 190, 202.
Hamon (Yves-Gilles), t. I. 189, 192.
Hamonic, t. I. 207, 349. — II. 219.
Haraucourt (Edmond), t. II. 17.
Harcourt (William), t. I. 368.
Hardoin (Jean), t. I. 293.
Hardy (Alexandre), t. I. 290.
Hardy (géographe), t. I. 86.
Harris (Howell), t. I. 366.
Havard (Oscar), t. II. 120, 219.
Havet (Louis), t. II. 57, 62.
Hayde (R. P.), t. II. 223, 239.
Hémon (Félix), t. I. 16. — II. 9, 37, 57, 62.
Hémon (Louis), t. I. 309, 325. — II. 137, 140.
Henderson (James), t. I. 351.
Henry (abbé), t. I. 390. — II. 40, 63, 64, 118
Henry (famille), t. I. 318.
Henry (Paul), t. I. 309-325.
Herbert (famille), t. II. 287, 296.
Herbert (lady), t. II. 231, 239, 285, 286, 287, 288, 289, 294, 296.
Herbert (William, comte de Pembroke), t. I. 370.
Herder, t. II. 134
Hernot, fils, t. I. 226, 318.
Hernot, père, t. I. 212.
Herrieu, t. I. 17.
Hervé (Gustave), t. II. V.

 
Hervé (saint), t. I. 6, 15, 16.
Heurtel, t. II. 144.
Hexamer, t. I. 190.
Hobson Matthews (John), t. I. 352, 355. — II. 200.
Hoffman (Eugène), t. I. 190, 192.
Homère, t. II. 38.
Hugo (Victor), t. I. 114, 118, 119, 139, 154, 158, 307. — II. 20, 54, 93, 94, 145, 154, 171, 241, 246.
Hulst (Mgr d’), t. I. 239.
Humboldt, t. I. 346.
Huon (Pierre), t. II. 50.
Hyvarnion, t. I. 5, 16.
Hwfa-Môn, t. II. 216, 221, 223, 277.

I

Ingres, t. I. 198.
Isla (P.), t. I. 138.

J

Jacques (Amédée), t. I. 346.
Jacquot (abbé), t. I. 214.
Jaffrennou (François), t. I. 16, 21, 353, 392. — II. 24-36, 219, 325, 357.
Jaffrennou (Mlle, t. I, 95, 96, 292.
Jaille (marquise de la), t. II. 166.
Jannin (Jules), t. II. 66.
Janvrais (Théophile), t. II. 97.
Jarno, t. I. 85.
Jenkins, t. II. 227.
Joanne, t. I. 255.
Job (tonton), t. II. 17.
Jobbé-Duval, t. II. 163.
Johanneau, t. II. 103.
Joinville (prince de), t. I. 242.
Jollivet (Benjamin), t. I. 32, 72, 208, 219, 228, 242, 269. — II. 159, 160, 162.
Jones (Owen), t. I. 369.
Jossot, t. I. 216.
Jourdain, t. II. 73.
Jousselin (capitaine), t. II. 175.
Jouy (de), t. I. 173.
Judoc, t. I. 144.
Julleville (Petit de), t. I. 410.

K

Kadiou, t. I. 6.
Kado (Marie-Job), t. II. 41.
Kaerymell, t. I. 6.
Kerambrun, t. I. 287, 288.
Kerardven (L.), t. I. 327.
Keratry (de), t. I. 173.
Kerdanet (Miorcec de), t. I. 6, 62, 63. — II. 40.
Kerdrel (Audren de), t. I. 292. — II. 57.

 
Kerénor (Jean-Baptiste), t. I. 256.
Kergariou (de), t. II. 46, 107.
Kerglogor (Jean), t. II. 41.
Kerguern (J.), t. I. 233.
Kerguézec (vte de), t. II. 88, 89.
Keringant (Jean-Marie), t. I. 278.
Kerival (Marie-Josèphe), t. II. 41, 47.
Kerjégu (James de), t. I. 292.
Kelly, t. I. 358.
Kerneguez, t. II. 164.
Kersauzie (capit. de), t. II. 150.
Kersauzie (Gaillard de), t. II. 164.
Kerviler (René), t. I. 57, 207, 230, 328. — II. 102.
Koun (Auguste), t. I 412.
Koun (Joseph), t. I. 309-325, 411.
Koun (Louis), t. I. 314, 412.
Koun (Mme), t. I. 411.
Koun (Marguerite), t. I. 412.
Kourio (Pierre), t. II. 41.
Krûger (Président), t. II. 275.

L

Labiche, t. II. 171.
LaBoessière (général de), t. I. 195.
La Borderie, t. I. 23, 62, 64, 87, 181.
Lachapelle (Jean), t. I. 51, 52.
Lacroix, t. II. 88.
Ladvocat, t. I. 102.
Lafitte, t. I. 189.
La Fontaine, t. I. 146.
La Fontenelle, t. II. 81.
La Haye (Guillaume de), t. II. 164.
La Haye (Henry de), t. II. 164.
Laigue (cte René de), t. I. 392.
Laing (Malcolm), t. II. 61.
Lajat (Alfred), t. I. 95, 96.
Lamartine, t. I. 154.
Lambert (général), t. II. 153.
Lamennais, t. I. 114. — II. VII, 119.
Lamennais (abbé de), t. I. 193, 194, 326.
Lamoricière, t. I. 335.
Lamy, t. II. 137.
Lancien, t. II. 156, 356.
Lang, t. I. 65.
Lapaire (Hugues), t. II. 144.
L’Archantec (Jean), t. I. 216.
Latouche, t. I. 155.
Laumaillé (abbé), t. I. 214
Laurent (Pierre), t. I. 16, 91, — II. 143.
Laurié (Alfred), t. I. 319.
La Tour d’Auvergne, t. I. 28, 390. — II. 25, 102, 108, 148-168, 336.
La Tour d’Auvergne (Henri duc de Bouillon), t. II. 157.
La Tour d’Auvergne (Marie-Anne-Michelle), t. II. 164.
La Vallée (J.), t. I. 191.

Lavigne (Mlle de), t. I. 102.
La Villemarqué (vte de), t. I. 15, 69, 92, 96, 186, 222, 264, 293, 294, 296, 390, 409, 406. — II. 40, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 63.
La Villemarqué - Boisanger (Mlle Hersart de la), t. II. 56, 58, 59. 61, 63, 64.
La Villemarqué (Pierre de), t. II. 350.
La Villerabel (chanoine de), t. I. 392.
Laz (comtesse du), t. I. 57, 211.
Le Barbier (chanoine), t. 1. 25.
Le Bayon, t. I. 17.
Le Berre, t. I. 17.
Le Bihan (Claude), t. II. 49.
Lebizec, t. II. 107.
Le Bozec (abbé), t. II. 166.
Le Braz (Anatole), t. I. 22, 25, 26, 50, 68, 92, 288, 291, 349, 384, 405, 406, 407, 408, 409, 410, 411. — II. 63, 131, 143, 219.
Le Breton, t. II. 247, 251, 252, 253.
Le Breton (Annaïc), t. II. 350.
Le Brigant (François), t. II. 352.
Le Brigant (Jacques), t. I. 390. — II. 39, 101, 102, 103, 107, 108.
Le Camus (cardinal), t. I. 53.
Le Clec’h, t. I. 390.
Le Corre, t. I. 289, 290.
Le Corre (Catherine ), t. I. 74.
Le Crenn (François), t. II. 105.
Lédan, t. I. 293.
Le Dantec (Félix), t. I, V, VI, VIII, 28, 49, 93, 133. — II. 93.
Le Dault (Maurice), t. II. 79.
Le Dorner, t. I. 17.
Ledrain (Emile), t. I. 179.
Le Duigou (Joseph), t. II. 104, 105, 106.
Le Duigou (Louis-Marie), t. I. 390. — II. 97-110.
Le Febvre (abbé Gabriel), t. I. 218, 219.
Le Flô (général), t. I. 299-308.
Le Fur, t. II. 138, 144.
Le Fustec (Jean), t. I. 16, 349. — II. 217, 219.
Le Gall (Jeanne), t. II. 41.
Le Gall (Théodore), t. II. 191, 192.
Le Garrec (Toussaint), t. I. 96, 292.
Le Goaster, t. II. 353.
Le Goff, t. I. 289.
Le Goffic (Alphonse), t. I. 168.
Le Goffic (Charles), t. II. 219.
Le Goffic (Jean-François), t. I. 293.
Le Goffic (Mme ), t. II. 219.
Le Gonidec (Jean-Francois), t. I. 293, 390. — II. 39, 103.
Le Gonidec de Traissan, t. I. 349. — II. 219, 234.
Le Gorrec, t. I. 338, 339, 340, 346.

Le Grand (Albert), t. I. 56, 57, 58, 59, 61, 62, 63, 64, 65, 66.
Le Gruiec (Marie-Yvonne), t. II. 352.
Le Guen (Aimé) t. II. 355.
Le Guen (Jean), t. I. 7, 8, 9, 10, 11, 15.
Le Guyader (Frédéric), t. I. 51. — II. 143.
Lehoux, t. I. 323.
Leibnitz, t. II. 35.
Lhélicoq (Jeanne), t. I. 192, 285.
Lhéveder (Marie), t. I. 83.
Le Jean (Guillaume), t. I. 58, 396. — II. 103, 107, 118, 161.
Le Jean (Jean-Marie), t. I. 19, 293, 390.
Le Joubioux (Mgr ), t. I. 390.
Le Lay, t. I. 15.
Le Lohec, t. I. 312.
Le Louédec (Charles), t. II. 351, 352.
Le Louédec (Marie-Jeanne), t. II. 351, 353, 354.
Le Luyer(abbé), t. I. 192, 198.
Lemaître (Jules), t. I. 162.
Lemay (abbé), t. I. 219.
Le May (abbé), t. I. 17.
Le Men, t. I. 15, 207, 212, 223, 390. — II. 40, 56, 62, 351.
Le Ménager (Jean), t. I. 284. — II. 49.
Le Minous(Jean), t. I. 11, 12, 13, 14, 16, 19, 34.
Le Moël (abbé), t. I. 219.
Lemoine (J.), t. I. 130.
LeMoullec (Pierre), t. I. 285, 287, 288.
Lenepvou de Carfor, t. I. 193.
Le Noan (Marie-Anne), t. II. 41.
Le Nobletz (Michel), t. I. 6, 249.
Lenormand (Charles), t. I. 112.
Lenôtre, t. I. 110.
Léon (Hervé de), t. II. 164.
Le Pelletier (dom), t. I. 390.
Le Pennec (chanoine), t. I. 392.
Le Pennec (R. P.), t. I. 63.
Le Pezron (Yves), t. I. 285, 286.
Le Play, t. II. 65.
Le Pon (chanoine), t. I. 17.
Le Postec des Îles, t. II. 164.
Le Riguer (abbé), t. I. 210, 211.
Le Roux(abbé), t. I. 228, 229, 242, 243, 250.
Lesage, t. I. 138-152.
Lesage (Claude), t. I. 140.
Lesage (Institution), t. I. 169, 170.
Lesauz, t. II. 154.
Lesbazeilles (Eugène), t. I. 161.
Lesouef, t. I. 108.
Le Strat, t. I. 17.
Le Toux (abbé), t. I. 134.
Le Trévédy (François), t. II. 49.
Le Tulle (Paul), t. I. 252.

 
Le Veux, t. I. 412.
Levot, t. II. 39, 107.
Leygues (Georges), t. I. 182.
Lewis (Owen, dit Madoc-Môn), t. II. 282, 283, 284, 325.
Liégard (Dr Henri), t I. 70.
Lintilhac (Eugène) t. I. 138, 139.
Littré, t. I, 23, 296.
Llanarth (Jones of), t. II. 296.
Llewelyn Fawr, t. II. 357.
Lobineau, t. I. 64.
Lockyer (sir Norman), t. II. 210.
Loïe Fuller, t. II. 200, 202.
Lorgeré, t. II. 104.
Loth (A.), t. I. 88, 179, 275, 391. — II. 22, 57, 59, 62.
Loti, t II. 180, 187.
Louarn, t. I. 317.
Loubet, t. I. 321.
Loupsan (Mme), t. II. 83, 85.
Lozé, t. II. 269.
Lucas (Hippolyte), t. I. 153-158.
Lucas (Léo), t. I. 154, 156.
Lucius, t. I 143.
Luzel, t. I. 4, 15, 20, 35, 48, 56, 65, 92, 179, 186, 194, 222, 223, 258, 259, 272, 275, 283, 286, 289, 291, 293, 295, 390, 393, 405, 407, 409. — II. 11, 18, 37, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 49, 51, 54, 56, 57, 62, 63, 118, 290, 321, 351.
Luzel (Marivonne), t. II. 44.
Luzel (Perrine), t. II. 37-55.
Luzel (Sérapbine), t. II. 44.
Lyonne (abbé de), t. I. 139.
Lywarc’h-Henn, t. I. 5.

M

Mac-Bride, t. I. 399.
Mac-Leod (Fiona), t. II. 32, 41.
Macpherson, t. I. 390. — II. 38, 40.
Madoc-Môn (V. Lewis).
Maindron, t. I. 115.
Mainguy (Pierre), t. I. 291.
Maistre (Joseph de), t I. 132.
Malleray (commandant de), t. I. 40.
Malmanche, t. I. 17.
Mando (Mgr), t. I. 388.
Mansard, t. II. 165.
Manuel (Eugène), t. I. 114, 115.
Marbœuf, t. II. 81.
Marchaney, t. I. 74.
Marec (Eudes), t. I. 6.
Marhallac’h (de), t. II. 296.
Marochetti, t. II. 150, 155.
Marteville, t. I. 309, 310.
Martial, t. II. 145.
Mary (abbé), t. I. 17.
Marzin (P.), t. I. 6.
Maufra (Maxime), t. I. 297. — II. 19.
Maulde (Emile), t. II. 87.
Maunoir (Julien), t. I. 6, 227, 249.

Maupassant (Guy de), t. II. 21.
Maurras (Charles), t. I. 22. — II. 141.
Maury, t. I. 85.
Martin (Henri), t. I. 147, 152, 179, 288. — II. 286, 290, 296.
Martin (abbé Louis), t. I. 179.
Martin (Optat), t. I. 190.
Match (John), t. II. 275.
Mélanchton, t. I. 165.
Méléagre, t. I. 156.
Ménard (Émile), t. I. 173.
Mérimée, t. II. 40.
Merris, t. II. 273.
Michelet, t. I. 22, 88. 177, 390, 396. — II 58, 59, 94, 100, 102, 103, 105, 108, 109, 140.
Michelet (Mme), t. II. 95, 100, 102.
Michelet (Pierre), t. II. 350.
Mill (Stuart), t. I. 376.
Millin, t. I. 15, 88, 293.
Mistral (Frédéric), t. I. 232. — II. 147, 154.
Monet (Claude), t. II. 19.
Monnier (Louis), t. I. 207, 212.
Montaigne, t. I. 161.
Montalembert, t. II. 346.
Montépin (Xavier de), t. I. 172.
Montesquiou (Robert de), t. II. 338.
Montfort (B. Louis de), t. I. 236.
Montfort (G. M. de), t. II. 104.
Montlausier (de), t. I. 116.
Montmorency (de), t. I. 103.
Montrichard (Armand de), t. I. 319.
Montyon, t. II. 196.
Mordellet (Gilles), t. I. 7.
Moreau (chanoine), t. I. 223.
Morel (Thomas), t. II. 260.
Morganwg (lolo), t. I. 369. — II. 285, 295.
Morganwg (Myfyr), t. II. 277, 278, 279, 280.
Morice (dom), t. I. 64, 296.
Morley (John), t. I. 368.
Morvan (Olivier), t. I. 6.
Moschus, t. I. 205.
Mosher (Mme), t. I. 292.
Mosson (le R.), t. I. 396.
Mun (cte) Albert de), t. II. 137.
Murphy, t. I. 383.

N

 
Nayrod (abbé), t. II. 127.
Nerval (Gérard de), t. II. 133.
Neufchateau (François de), t. I. 139.
Neufville (Rolland de), t. I. 224.
Newton, t. I. 200.
Nibor (Yann) t. II. 144, 169, 176.
Nicolas, t. I. 329.
Nigra, t. I. 391.
Ningler (Louis), t. I. 170.
Norman, t. I. 5, 6.
Norris, t. I. 354.

O

O’Brien-Dillon, t. I. 379.
O’Connell, t. I. 378.
O’Curry, t. I. 381.
Ogée, t. II. 159.
Olivier (Annaïc), t. II. 350.
Olivieri, t. I. 316.
Ollivier (Félix), t. II. 121.
Omnès (Philippe), t. 1. 74, 75.
Osborne (Morgan), t. I. 364.
Ossian, t. II. 38.
Osterlind, t. II. 17, 19.
Ouizille (A.), t. I. 232.
Ozane (Yves), t. I. 231, 235.
Owen (Williams), t. I. 369.

P

Pacheco, t. I. 143.
Palmerston, t. II. 207.
Palustre (Léon), t. I. 208, 215, 226, 233, 235. — II. 124.
Pape Jean-Marie), t. I. 278.
Pape (Pierre), t. I. 278.
Pâques (Adolphe), t. I. 110, 111, 112, 119, 120, 121.
Parc (Thomas), t. I. 275, 291.
Paris (Gaston), t. I. 275.
Parker (Jos), t. II. 143.
Parnell, t. I. 377, 379.
Pascal, t. I. 187.
Pausanias, t. H 339.
Péan (M. F.), t. I. 162.
Peel (Robert), t. I. 375, 376.
Pélage, t. I. 133. — II. 119.
Pelletan, t. II. 182.
Penguern (de), t. I. 15, 195.
Penn (William), t. I. 397. 270.
Pennec (F. Cyrille), t. I. 305.
Penquerh (Marie-Jeanne), t. II. 351.
Penry (John), t. I. 366.
Pentraeth (Dolly), t. I. 353.
Penvraz (Madoc), t. I. 96.
Perceval, t. II. 33.
Percy, t. II. 134.
Perrin (dom), t. II. 82.
Perrin (François), t. II. 81.
Perrinaïc, t. I. 6. — II. 40.
Perriou (F.), t. I. 233.
Pesron (Isidore), t. I. 63.
Petetin, t. I. 330.
Peuziat, t. I. 317.
Peyron (abbé), t. I. 63.
Philippe (Marguerite), t. I. 35. — II. 37-55.
Philipps, t. II. 270.
Philipps (D. T.), t. I. 364.
Pichon (Stephen), t. I. 315, 316, 321, 322.
Pichot (Amédée), t. II. 247, 270.
Picot (Émile), t. I. 293.
Picquenard, t. I. 17, 356.
Piéderrière (abbé), t. I. 57.
Pierre (amiral), t. I. 311.

Pilorge (Hyacinthe), t. I. 110, 111.
Pilven, t. I. 16.
Pitet (Charles), l. I. 292.
Pitte (abbé), t. II. 182.
Pittennec, t. I. 143.
Pître-Chevalier, t. I. 173.
Plessis (Mlle du), t. I. 95.
Plessix-Nizon (Dame du), t. II. 350.
Plougoulm, t. I. 330.
Plumkett, t. I. 382.
Plutarque, t. II. 168.
Poaz-Coz, t. II. 131, 132.
Poë (Edgar), t. II. 113.
Pollard, t. I. 329.
Pollard (professeur), t. I. VI.
Pomenard, t. I. 144.
Ponson du Terrail, t. I. 172.
Pontavice du Heussey (colonel), t. II. 150, 154, 161.
Pontavice du Heussey (Mme), t. II. 160.
Pontcallec, t. II. 26.
Pontellus, t. I. 6.
Portalis, t. I. 250.
Posidonius, t. II. 342.
Potez (Henri), t. II. 65.
Pot-Lannion, t. I. 291.
Pot-Loë. t. I. 289, 291.
Pot-Téo, t. I. 291.
Pottier (amiral), t. I. 320, 321.
Poulmic, t. II. 164.
Poussin, t. I. 198.
Pouvillon (Emile), t. I. 22
Price (Dr), t. II. 277.
Prigent (Anne), t. II. 41.
Prima (Jean), t. I. 219.
Pritchard (Rees), t. I. 366.
Proux (Prosper), t. I. 186, 390.
Prudhomme (René), t. II. 115.
Prunier (Gaston), t. I. 189.
Psichari (Jean), t. II. 353.

Q

Quatrefages, t. I. 87. — II. 22.
Quellien (Charles), t. II. 354, 355.
Quellien (Narcisse), t. II. 6, 15, 19, 51, 88, 175-188, 263, 287, 289. — II. 40, 99, 134.
Quéré (abbé), t. I. 117.
Quéré (Henry), t. I. 208.
Quériolet (Mgr de), t. I. 57.
Quillevéré (Yves), t. I. 293.
Quimper (Angélique), t. I. 190, 192.
Quin-Clan, t. II. 63.
Quinel (Edgar), t. I. 147.
Quintiu (le B. Pierre), t. I. 57.
Quirin, t. I. 299, 300, 301, 308.

R

Rabelais, t. I. 14, 53.
Radiguet, t. I. 349 — II. 219.
Rambaud, t. II. 62.
Ratian (Saint), t. I. 5.
Ravenstein, t. I. 357, 361, 373, 384, 385.
Raynouard, t. II. 61.
Récamier (Mme), t. I. 105, 106, 110, 113, 117, 118, 119, 120.
Redmond (John), t. I. 379.
Rees (Evan), t. II. 224.
Régnier (Mathurin), t. I. 187.
Rémusat (de), t. I. 330, 334, 335, 343. — II. 61.
Renan (Ary), t. II. 17.
Renan (Ernest), t. I. 19, 74, 81, 91, 123, 124, 125, 126, 130, 136, 175, 177, 178, 179, 180, 183, 184, 185, 186, 191, 325, 346, 390, 406, 407 — II. 16, 56, 61, 62, 65, 87, 88, 90, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 100, 102, 104, 105, 106, 107, 109, 110, 119, 135, 144, 352, 353, 354, 355.
Renan (Henriette), t. I. 122-127.
Renan (Jean), t. II. 97.
Renan mère (Mme), t. II. 109.
Renan (sabotier), t. II. 41.
Renault (Malo), t. I. 220.
Reynaud (Jean), t. I. 147.
Réveillère (amiral), t. I. 85, 146-152.
Richard, t. I. 289.
Richard (cardinal), t. I. 60, 292.
Richards (Mrs. Voir Gruffydd Suzanna).
Richepin (Jean), t I. 179. — II. 171.
Ricquier, t. II. 171.
Rio, t. II. 285, 295.
Rio (Godic), t. II. 41, 47.
Riou (Yves), t. I. 88, 349. — II. 219, 234.
Rivallon, t. I. 6.
Rivanone, t. I. 16.
Robert, t. I. 326, 329, 333, 335, 336, 339, 345, 346.
Robert (Léopold), t. II. 22.
Robert (René), t. I. 326.
Robida, t II. 66.
Ruchelan, t. I. 291.
Roger-Rallu, t. II. 138, 144.
Rohan (duc de), t. II. 137, 140.
Rolland (Charles), t. I. 96, 292.
Rollando, t. I. 144.
Ropartz (Sigismond), t. I. 57.
Ropers (abbé), t. I. 177.
Rostrenen (Grégoire de), t. I. 267, 390. — II. 79, 80.
Rostrenen (Toussaint de), t. I. 211.
Roujon, t. I. 212.
Rouquette, t. II. 160.
Rouvier, t. II. 139.

Roux (abbé), t. I. 233.
Rouxel (Henriette), t. II. 352.
Rowlands (Daniel), t. I. 366.
Roy-Duc (Mme Marie), t. II. 152.
Rumengol (Yann t. I. 392.

S

 
Sainte-Beuve, t. I. 116, 119, 154, 196. — II. 321.
Saint-Chamans (marquise de), t I. 107.
Saint-Gall (moine de), t. I. 6.
Saint-Maurice (Remy), t. II. 219.
Saint-Meleuc (de), t. I. 349. — II. 219.
Saint-Pierre (R. P. Candide de), t. I. 63.
Saint-Saëns, t. II. 154.
Saïb (Renan), t. I. 392. — II. 92.
Salaün (Charles), t. II. 157.
Salaün (famille), t. II. 157.
Salaün (J.), t. I. 63.
Salaün (Jeanne-Lucrèce), t. II. 157, 162.
Salaün (Pierre), t II. 157.
Salaün (René), t. II. 51, 55.
Salaün (Théophile), t. II. 157.
Salie (Anna), t. II. 41.
Samuel (frères), t. II. 239.
Samuel (miss Hetty), t. II. 239.
Sand (George), t. I. 114. — II. 60.
Sauvé, t. I. 200. — II. 15.
Sauvigny, t. II. 14.
Savidan, t. I. 329, 334, 342.
Savinieu (F.), t I. 393.
Schliemann (Agamennon), t. I. 176.
Schwetchine (Mme), t. I 122.
Scott (Walter), t. I. 173. — II. 101, 297.
Sébastien II (marquis de Rosmadec), t. I. 64.
Séber, t. I. 329.
Sébillot (Paul), t. I. 293, 389.
Séché (Léon), t. I 343, 344.
Séguin (abbé), 117.
Senancourt, t. I. 173.
Sévigné (Mme de), t. I. 95.
Shakespeare, t. II. 322.
Sharp (William), t. II. 40, 41.
Sheffer(Henri), t. II. 94.
Sienkiewicz, t. II. 75.
Silvestre (Armand), t. II. 91.
Simon (Jacques), t. I. 7.
Simon (Jules), t. I. 303, 326-347. — II. 40.
Simonin, t. II. 233.
Sionnet(abbé), t. I. 293.
Soisbault, t. II. 100, 102.
Sourimant, t. I. 7.
Souvestre (Émile), t. I. 6, 51, 74, 92, 159-161, 173, 197, 295, 327, 390. — II. 30, 61, 118.
Souvestre (Olivier), t I. 9, 18.
Spencer (lord), t. I. 368.
Stanley, t. II. 269.

 
Stevens (Andrew), t. I. 353.
Stevens (Dr), t. I. 353.
Steward (William), t. I. 366.
Stommeln (Christine de), t. I. 122. — II. 85.
Suidas, t. II. 40.
Sulyo (saint), t. I. 5.
Surcouf, t. II. 169.
Système (v. Le Duigou).

T

Tacaud, t. I. 5.
Taguionie (Gaultier), t. II. 160.
Taine, t. II. 35.
Talhouet, t. II. 26.
Taliésin, t. I. 5. — II. 33.
Tallibart (Aristide) t. II. 353.
Tallibart (famille), t. II. 353.
Tallibart (François-Jean), t. II. 351, 352, 353, 354.
Tallibart (Marie-Caroline), t. II. 352.
Tallibart (Marie-Françoise), t. II. 352.
Tallibart (Noémie), t. II. 99, 351, 352, 353, 354, 355.
Tanguy-Guéguen, t. I. 6.
Tanguy le jeune, t. I. 390.
Tassel (Barbe), t. II. 41.
Tassel (Yves), t. I. 338, 339, 340, 345, 346.
Tausserat-Radel, t. I. 208.
Taylor, t. II. 66.
Tellier (Jules), t. I. 179 — II. 134.
Tennyson, t. II. 338, 345, 346.
Theuriet (André), t. I. 22, 179. — II. 138.
Thézac (de), t. II. 191, 192, 193, 194, 195, 196, 197, 198, 199.
Thiard (général), t. I. 329, 330, 333, 334, 335.
Thierry (Augustin), t. II. 61.
Thierry (frères), t. I. 147.
Thiers, t. I. 329, 330, 339, 344. — II. 96.
Thomas (Alfred), t. I. 373.
Thomas (chanoine), t. I. 63.
Thomas (L.), t. I. 233.
Thomas (Voir Cochvarv).
Thoz (chanoine), t. I. 17.
Thureau-Dangin, t. II. 233, 235.
Tiercelin (Louis), t. I. 26, 92, 355, 391.
Tissot (James), t. I. 169.
Toro (Bernard), t. I. 107.
Toséoc (saint), t. I. 5.
Touronce, t. II. 164.
Trélawney (famille), t. I. 353.
Trévédy, t. I. 181. — II. 22, 157.
Trévelyan (famille), t. I. 353.
Tristan le Voyageur, t. I. 6, 98.
Troadec (Yvon), t. I. 6.
Trolann, t. I. 177, 178.
Trounce, t. II. 260, 261, 267, 275.

Truffier, t. II. 134.
Tual(Gustave), t. I. 311, 312, 313, 314, 411.
Tymeur (Jeanne-Marie Limon du), t. II. 164.
Tynnichos, t. II. 37.

V

 
Valdory, t. I. 139.
Vallée, t. I. 15, 35, 349, 392. — II. 219, 282, 283, 284.
Vanderbilt, t. II. 197.
Vanneau (Mgr), t. I. 292.
Varron, t. I. 132.
Vatar (Jean), t. I. 62, 63.
Vatar (Julien), t. II. 79.
Velasquez, t. II. 143.
Verboeckhoven, t. II. 88.
Verne (Jules), t. II. 196.
Vicaire (Gabriel) t. I. 22, 179. — II. 133, 137.
Vigny (Alfred de), t. I. 154.
Vigou (0.), t. I. 233.
Villaret-Joyeuse, t. I. 52.
Villemain, t. I. 327.
Villerabel (chanoine de la), t. I. 21.
Violeau (Hippolyte), t. I. 26, 92.
Virgile, t. II. 144.
Vogué (Melchior de), t. I. 302.
Voltaire, t. I. 138, 143. — II. 108.
Vouet, t. I. 198.

W

 
Wace (Robert), t. II. 342.
Washington, t. II. 39.
Wats, t. II. 207.
Webb (Mme), t. I. 292.
Whitefield, t. I. 366.
William (lady), t. II. 394.
Williams (Edouard), t. I. 369.
Windsor (lord), t. II. 239.
Wyndham, t. II. 380.

X

 
Xénophon, t. I. 305.

Y

 
Yunker (Blanche), t. II. 132.
Ys (René d’), t. II. 97, 98.

Z

 
Zaccone (Mme), t. I. 170, 171.
Zaccone (Pierre), t. I. 168-174. — II. 161.
Zeuss, t. I. 353, 391.
Zimmer, t. I. 348, 332, 363, 404.



TABLE DES MATIÈRES


Pages
Sur les Pas de Renan : I. — Les deux Tréguier ; II. — Brizeux et Renan ; III. — Le Bonhomme Système
 87
Deux Discours : I. — Un assimilé (Gabriel Vicaire) ; II. — Le régionalisme breton 
 133
Au pays de La Tour d’Auvergne : I. — Les Reliques d’un Héros ; II. — Le Problème des Origines ; III. — L’envers d’un Héros 
 149
 350

  1. Voir mon livre Sur la Côte. Chap. : les Pilleurs d’épaves.
  2. Rouanvta, rouanv’ta !
    Domp ac’haun da pesketa,
    Ma’r bo pesket bremija
    Da zribi gant ar bara ;
    Ha warc’hoaz, da zijuni,
    Ni hor bo pesket, bridilli.
    Eat ar bagou d’ar Vajin,
    Nemet tonto Iann ar Spin ;
    Deut ar bagou tout en od :
    N’euz bet nemet or c’hellok.

    « Rame donc, rame donc ! — Allons nous en pêcher — pour avoir du poisson tout à l’heure — à manger avec le pain ; — et demain à déjeuner — nous aurons des poissons, des maquereaux. — Les bateaux sont allés à la Basse-Froide, — hormis (celui de) tonton Jean l’Epine — les bateaux sont tous revenus au rivage : — un n’a rien pris qu’un courlis. » (Berceuse de Sein recueillie par L.-F. Sauvé).

  3. Sur « tonton Job » — de son vrai nom Joseph Henri, — consulter Sur la Côte, chap. : les Derniers baleiniers.
  4. Cette étude a paru en préface au Barzaz Taldir (Paris, Honoré Champion, édit.)
  5. D’où le pseudonyme bardique de Jaffrennou : Taldir (Front d’Acier).
  6. Cf. La vie de famille dans les Montagnes-Noires, par François Jaffrennou (Aubert, Le livre de la Bretagne).
  7. Le spirituel auteur de Visages ajoute : « L’illusion est une force qu’ils emploient avec adresse comme les ingénieurs utilisent en énergie motrice les beautés inutiles de la nature. Ils n’en sont jamais dupes. »
  8. « Depuis 1842, lit-on dans la Biographie bretonne de Levol, des personnes en position d’être bien informées nous avaient assuré que tous les faits ci-dessus n’avaient jamais eu d’existence que dans l’imagination de Le Gonidec lequel, à force de les répéter dans les dernières années de sa vie, se serait habitué, de la meilleure foi du monde, à les regarder comme vrais ».
  9. V. plus loin La question du Barzaz-Breiz. — L’extraordinaire, c’est qu’après la double leçon que leur avaient infligée Macpherson et La Villemarqué, il y ait encore eu des critiques, des savants, pour se laisser prendre à la supercherie de William Sharp, l’écrivain écossais décédé il y a quelque trois ans en Sicile. Ce William Sharp, en qui s’était réincarné notre Mérimée, imagina un beau jour de publier les vers d’une Calédonienne parfaitement ignorée, Fiona Mac Leod, et de les adorner d’une galante préface de son crû qui donnait sur la vie, les goûts, les projets de la jeune poétesse, les détails les plus précis. Fiona fut tout de suite célèbre par le monde et j’ai parfaitement souvenir qu’à Cardiff, lors de la grande Eisteddfod panceltique de 1899, on nous annonça comme un événement son arrivée imminente dans la capitale des Galles du Sud. Au dernier moment Fiona se ravisa. Ce fut une grosse déception pour ses admirateurs. Ils en connurent une plus grande le jour qu’ils apprirent, par une déclaration posthume de William Sharp, que la fameuse poétesse calédonienne était morte avec lui. Et, comme le public déteste les mystificateurs, on estima généralement, à partir de 1905, que le talent de Fiona Mac Leod avait été considérablement surfait.
  10. Racheté trois fois, il avait été compris en 1813 dans la levée générale.
  11. C’est seulement dans une lettre à Hippolyte du Cleuziou, reproduite dans le tome I des Chants populaires de la Basse-Bretagne, que Luzel fait une allusion discrète à sa collaboration : « Presque tout [dans ma collection], dit-il, a été recueilli ou par moi-même ou par ma sœur, qui m’a beaucoup aidé dans ce travail souvent ingrat. »
  12. Nom donné en breton aux épilogues.
  13. À la vérité la première seule est sous l’invocation d’Idunet ; les suivantes sous l’invocation de sainte Tuval et de sainte Mine.
  14. Vertu particulière à chaque saint. V. sur ce mot l’Âme bretonne, première série, chap. : Au cœur de la Race.
  15. Le « cahier » de Marguerite n’est point terminé et il serait bien à désirer qu’il le fût et acquis par une de nos bibliothèques publiques. On peut y lire ces deux notes dictées par Marguerite et dont je respecte le style : « Je sais 259 chansons, tous les tons ; quand on me les citera en breton, je vous les chanterai toutes. Il y a des complaintes, des jolies chansons amusantes, des chansons de noblesse et de cours neuves ; je les sais par mémoire, appris par ma mère ; elle serait été en vie, elle atteindrait l’âge de 102 ans, née à Prielle (sic). Mon père avait le même âge : né à Coatreven l’an 1801. » — « J’ai plus de mémoire maintenant que j’avais la dernière fois, car j’ai mis mon esprit de plus en plus à y songer. J’ai fait une marque rouge quand j’ai copié avant les commencements. » Ajoutons que le père de Marguerite était tailleur. Elle-même était la cadette d’une lignée de deux fils et trois filles. De son mariage avec René Salaün, plus jeune qu’elle de quinze ans, elle a eu deux enfants morts en bas âge.
  16. Mme Hersart de La Villemarqué-Boisanger venait d’adresser au rédacteur en chef du Petit Journal la lettre qu’on va lire, en réponse à un article qui n’avait que le tort de faire état des travaux de la critique contemporaine sur le Barzaz-Breiz. Nous ne croyons pas inutile de restituer le début et la fin de cette lettre qui n’avaient pas paru dans le Petit Journal — où le ton de la polémique n’a pas su s’affranchir encore de certains préjugés de courtoisie :
    Kerdaoulas, 9 septembre [1906].
    Monsieur,

    On vient de me mettre sous les yeux un article du Petit Journal sur Luzel et les Chants Bretons. Cet article — non signé — ne vaut guère l’honneur d’une réponse, mais il ne sera pas dit qu’une fille de M. de La Villemarqué a laissé prononcer à son sujet le mot de supercherie. On a le droit de critique, mais pas celui de calomnie. Si on a préféré ce dernier procédé, c’est que les instigateurs de cette basse campagne savent parfaitement qu’une critique loyale aurait eu ici à tenir compte de plusieurs facteurs. Ils savent très bien qu’à l’époque où M. de La Villemarqué a publié le Barzaz-Breiz, l’hyper-critique était inconnue ; s’il s’est permis quelques licences, ce sont celles dont l’illustre Fauriel lui n’ait donné l’exemple en recueillant les chants grecs. Ainsi que l’a remarqué M. de Kerdrel, M. de La Villemarqué a eu le tort d’être de son temps ; on ne se croyait pas forcé alors de ramasser le minerai avec le diamant.

    Peut-être ses appréciations historiques peuvent-elles se discuter, et son imagination a-t-elle quelquefois égaré son érudition. Mais tous ceux qui ont recueilli des chants populaires savent la difficulté de les préciser. Les noms propres y sont souvent tronqués ou diffèrent dans les variantes d’un même chant. En quoi, d’ailleurs, la beauté, le souffle du Tribut de Nominoë seraient-ils diminués, parce que le nom du chef serait moins illustre ? Il est aussi au moins bizarre de s’étonner de rencontrer dans les chants bretons les noms de l’histoire de Bretagne.

    Leur correction est, paraît-il, un autre objet de scandale. Mais si, lorsqu’un enfant récite une fable, on lui souffle le mot qu’il falsifie, peut-on s’étonner que l’auditeur du chant populaire y remplace l’expression oubliée et qui paraît indiquée par le bon sens et l’enchaînement du texte ?

    J’ai entendu M. de La Villemarqué discuter amicalement avec M. Luzel assis à sa table. — « Vous marchez où nous tatonnions, disait mon père ; vos méthodes sont fixées. » Et, devant la candeur et la bienveillance de son hôte, le chef ou plutôt le sous-chef de ses détracteurs (car c’était Renan qui avait attaché le grelot) ne savait que balbutier.
    M. de La Villemarqué a eu plusieurs torts. Il est né en 1815 ; — il a eu un succès beaucoup plus grand que celui de ses successeurs ; — il a fait connaître au monde entier la Bretagne, si grande dans sa foi et sa poésie, et, enfin, aucune des attaques de la plus mesquine jalousie n’a pu l’arracher au silence.
    Ce silence, il ne me plaît pas de le garder devant sa tombe et je vous prie, Monsieur, de vouloir bien publier intégralement cette lettre. Elle passe bien au-dessus des insultes anonymes, mais les colonnes qui les ont reçues doivent cette réparation. Je vous prie d’en trouver ici mes remerciements anticipés.

    Hersart de la Villemarqué-Boisanger.
  17. Voir à l’Appendice.
  18. Cf. l’Âme bretonne, 1re série. Chap. : Au cœur de la race.
  19. P. XIII, le pèlerinage à Perros-Guirec (indication donnée par le photographe) se passe en réalité à Perros-Hamon, près Ploubazlanec. — Lannion (p. 96) n’a pas été bâtie sur l’emplacement du Yaudet, et pour l’excellente raison que le Yaudet existe encore à l’embouchure du Léguer. Mais des traditions, d’ailleurs erronées, veulent que le Yaudet se soit appelé autrefois Lexobie, que Lexobie ait été détruite par les Normands, que les habitants aient remonté le fleuve et, à 6 ou 7 kilomètres de là, fondé une nouvelle ville. — P. 97. Les scènes « bibliques » sculptées sur le portail de l’église de Perros-Guirec sont des scènes tirées de la vie de saint Efflam et du roi Artur. — L’Américain (p. 99) qui a bloqué Ploumanac’h entre des murs de circonvallation de 12 pieds de haut était en réalité un Polonais, M. Abakanowicz, dit Abdank, ami de l’illustre écrivain Sienkiewicz, qui aurait écrit, dans le castel gothique de Costérès, à l’entrée du petit fiord breton, les dernières pages de Quo Vadis. — Geneviève (p. 164), nom de l’épouse du roi Artur, est une forme peu acceptable de Gwenhwyvar, francisé par les trouvères en Genièvre. — L’église de Saint-Herbot (p. 254) est de la Renaissance, et le « gothique » y a peu de part. — L’évêque constitutionnel Audrein (p. 257) ne fut pas assassiné par les chouans au moment où il venait « prendre possession de son siège épiscopal » ; élu évêque du Finistère à Quimper le 22 avril 1798 (3 floréal an VI) et sacré dans la même ville le 22 juillet suivant (4 thermidor), il se rendait à Morlaix par diligence quand il fut assassiné à la côte Saint-Hervé dans la nuit du 28 au 29 brumaire an IX (19-20 nov. 1800). — Certains noms propres bretons sont mal orthographiés : Kergenteuil lire : Kerguntuill, Cozlan (Coztan), Milian (Miliau), Plouezohr (Plouezoc’h,) Maralla (Marc’hallec’h), etc.
  20. Cf. L’Âme bretonne, 1re série. Chap. : Les Grands calvaires de Bretagne.
  21. Mais déjà Grégoire avait publié son œuvre capitale : Dictionnaire françois-celtique ou françois-breton, nécessaire à tous ceux qui veulent traduire le françois en celtique ou en langage breton pour prêcher, catéchiser et confesser, selon les différents dialectes de chaque diocèse ; utile et curieux pour s’instruire à fond de la langue bretonne et pour trouver l’étymologie de plusieurs mots françois et breton, de noms propres de villes et de maisons (Rennes, Julien Valar, 1732, in-4o.)
  22. Le mot est cryptographié.
  23. Même remarque que ci-dessus.
  24. Mais pourquoi M. d’Ys veut-il que Traou soit une altération de Toul (trou) ? Traou veut-dire vallée et s’entend fort bien joint à du, vallée noire. Et où a-t-il pris enfin que Keruzec voulût dire « Maison réparée » ?
  25. Exemple : j’ai écrit quelque part que le mol et humide Trovern dût un peu agir sur Renan comme l’âpre Combourg sur Chateaubriand enfant. M. d’Ys m’a fait l’honneur de trouver la phrase à son goût et de l’enchâsser dans son texte. C’est de la bonne mosaïque. Mais cela porte encore un autre nom.
  26. Cf. L’Âme bretonne, 1re série. Chap. : Au Cœur de la Race.
  27. Seulement cette page est-elle de M. d’Ys ? Il me semble bien l’avoir déjà lue sous une autre signature et peut-être sous celle de Quellien.
  28. V. pour Noémi à l’Appendice.
  29. Une erreur de copie me fit à moi-même imprimer Guigou dans l’Éclair et le Monde illustré.
  30. On sait l’origine de ce sobriquet d’après Renan : « Un temps fut où il avait eu des rapports avec les gens du pays, leur avait dit quelques-unes de ses idées ; personne n’y comprit rien. Le mot système qu’il prononça deux ou trois fois parut drôle. On l’appela Système et aussitôt il n’eut plus d’autre nom. »
  31. Sur les indications fournies par cet acte, M. Lorgeré, maire de Guingamp, que je remercie vivement de son obligeance, a pu retrouver sans trop de peine l’acte de baptême de Le Duigou. J’en donne également copie :

    « Extrait des registres de l’État-Civil de la commune de Guingamp pour l’année 1782 ou est écrit ce qui suit. — Louis Marie Le Duigou, fils légitime de Joseph, originaire de la paroisse de Pestivien, évèché de Quimper, et de Jacquemine Baudry du Coudrai, originaire de la paroisse de Saint-Jean de Lamballe, né le onze avril mil sept cent quatre-vingt-deux, a été solennellement baptisé le même jour par le soussigné Recteur ; parrain et marraine ont été le sieur Louis Gérard et demoiselle Marie Françoise Dorré-Vallon. Soussignés : Dorré-Vallon, Louis Gérard, Joseph Le Duigou, G. M. de Montfort, Rr de Guingamp. »

  32. Renan, du reste, a reconnu lui-même qu’il s’était trompé sur divers points de la biographie de son héros. « En ce qui concerne le bonhomme Système, écrit-il dans la préface aux Souvenirs d’Enfance et de Jeunesse, j’ai reçu de M. Duportal du Goasmeur des détails nouveaux, qui ne confirment pas certaines suppositions que faisait ma mère sur ce qu’il y a de mystérieux dans les allures du vieux solitaire. Je n’ai rien changé cependant à ma rédaction première, pensant qu’il valait mieux laisser à M. Duportal le soin de publier la vérité, qu’il est seul à savoir, sur ce personnage singulier. »
  33. Cf. P. Levot, Biographie bretonne, tome II, art. Le Brigant.
  34. Voir l’Officiel du 22 février 1908.
  35. Voir, pour plus de détails, L’Âme bretonne, 1re série, Chap. : Au cœur de la Race.
  36. Saint-Brieuc, imprimerie-librairie René Prud’homme
  37. Les mots soulignés sont en italique chez Guillaume Le Jean, dont j’emprunte la traduction (La Bretagne, son histoire et ses historiens. Nantes-Paris, 1830). Ils ne se trouvent ni chez Souvestre, dans les extraits qu’il a donnés de Sainte Tréphine, ni dans la version de Luzel, revue par l’abbé Henry.
  38. Voir, dans nos Métiers pittoresques, le chap. Une Traite d’enfants au XXe siècle.
  39. On sait que, Yan’Dargent ayant demandé que son « chef » ou crâne fût placé après sa mort à côté de ceux de ses parents dans l’ossuaire de Saint-Servais, qu’il avait à cette intention décoré de grandes fresques symboliques, son fils, M. Ernest Dargent, fit procéder, en 1907, à l’exhumation du cadavre paternel. À l’ouverture du cercueil le corps s’offrit dans un état de conservation inattendu. Il semblait momifié ; la tête tenait au tronc. M. l’abbé Guivarc’h, recteur de Saint-Servais, dût la détacher et s’aider, pour cette « décollation », d’un couteau. Il n’en fallut pas davantage pour que la justice fût sommée d’informer. — On nous annonce, au dernier moment, que l’information est reprise.
  40. Cette inscription était la plus répandue sur les ossuaires tant de Bretagne que du reste de la France. Elle se lisait notamment sur la porte d’entrée du cimetière de Montfort l’Amaury, qui possédait deux très curieux charniers convertis en galeries (plusieurs crânes, formant métopes, sont encore encastrés entre les arceaux des piliers). À l’aide des quelques lettres qui en subsistent, M. A. de Dion l’a ainsi restituée :
    Vous tous qui icy passez
    Priez Dieu pour les trépassez.
    Ce que êtes ils ont étez ;
    Ce que sont un jour serez.
  41. Aujourd’hui mon tour, demain le tien.
  42. Quelques fragments de cet ossuaire, démoli en 1840, ont cependant été recueillis et déposés dans la cour du Musée.
  43. Voir notamment, dans Sur la Côte, le chapitre : Trois vigiles des morts.
  44. Ainsi au convenant Pierre Bivic à Kroaz-ar-Varen (Perros-Guirec).
  45. C’est ce qui explique qu’en certaines localités populeuses, comme Roscoff et Saint-Jean-du-Doigt, l’ossuaire ait été dédoublé.
  46. 1878. « À cette date, dit un article de la Dépêche de Brest que je résume, des réparations importantes furent faites à l’ossuaire. Les jours de grand vent, quand avait lieu une cérémonie funéraire, il n’était pas rare que les boîtes placées un peu partout sur les chapiteaux et dans les enfeux tombassent sur la tête des assistants. De plus la rumeur publique accusait certains pillawers (marchands de chiffons et d’os), pour grossir leurs lots, de faire volontiers main basse sur les débris humains de l’ossuaire. Le curé de Saint-Pol, avisé de ces manœuvres sacrilèges, prescrivit l’enlèvement de tous les crânes, tibias, péronés, etc., qui furent solennellement inhumés dans une grande fosse creusée au pied du beau calvaire offert par M. le comte de Guébriant. » Ajoutons qu’on peut voir encore, dans la cathédrale même de Saint-Pol, sur le couronnement du chancel, 38 petits reliquaires contenant des « chefs » ou crânes dont le plus ancien porte la date de 1552 et le plus récent celle de 1863.
  47. Cf. Anatole Le Braz, la Légende de la Mort chez les Bretons Armoricains (Champion, édit.).
  48. Le premier de ces discours fut prononcé le 23 octobre 1904 devant le monument élevé, dans le jardin du Luxembourg, à Gabriel Vicaire ; le second fut prononcé en 1907 au Banquet du Terroir.
  49. Sur les Émaux bressans, comme sur toute la partie de l’œuvre de Gabriel Vicaire antérieure à son séjour en Bretagne, je me permets de renvoyer le lecteur à l’étude que j’ai publiée dans la Revue Bleue du 18 août 1894.
  50. On était au plein de l’effervescence causée par l’interdiction de l’emploi du breton au catéchisme et dans les prônes. Seuls, les députés conservateurs et progressistes — notamment MM. Louis Hémon, Lamy, le duc de Rohan, le marquis de l’Estourbeillon, l’abbé Gayraud à la tribune, M. le comte de Mun, grande voix momentanément condamnée au silence, dans la presse — s’étaient élevés contre cette inqualifiable atteinte à l’un de nos droits les plus certains. Voir, plus loin, p. 140 et s.
  51. Voir L’Âme bretonne, 1re série, chap. : Le Mouvement panceltique.
  52. On ne me pardonnerait pas de renvoyer à l’Appendice la belle et curieuse lettre qu’à la suite de la lecture de ce discours voulut bien m’adresser le grand poète Frédéric Mistral. Je crois, en effet, qu’on y trouvera matière à quelques réflexions intéressantes :
    Maillane (Provence) 24 mars 1907.

    Mon cher ami, j’ai eu trop de plaisir à lire votre discours au Dîner du Terroir en l’honneur de la sainte Bretagne, pour ne pas vous exprimer mon admiration et ma gratitude, particulièrement pour la très juste et courageuse remontrance que vous y adressez aux représentants officiels de votre province. Les députés et sénateurs de la Provence, si bons félibres que soient quelques-uns en petit comité, peuvent en prendre leur part. Merci donc, mon cher maître, pour la vive espérance que vous nous donnez à tous !

    F. Mistral,
    (de la Gallia Braccata, Gaule Narbonnaise,
    où nos pêcheurs ont toujours porté li grand braio).
  53. On sait que cette épée, offerte à Garibaldi par le capitaine de Kersauzie, fut restituée en 1883 à la ville de Paris par les fils du célèbre condottiere italien.
  54. Aux deux villes précédentes il faudrait joindre Dinan qui a hérité de la giberne du héros, en cuir grenat réhaussé de broderies d’argent, mesurant 0m 16 de hauteur, 0m 20 de largeur, 0m 4 d’épaisseur et portant à l’intérieur une inscription qui indique qu’elle a appartenu à La Tour d’Auvergne. Cette précieuse relique est déposée au musée municipal sous un globe de verre ; elle fut léguée à la ville de Dinan par un ancien officier, M. Bonnelin.
  55. D’après une communication de Mme Marie Roy-Duc au journal Ar Bobl, les portraits avaient été déposés, d’ailleurs, non dans la cour du couvent, mais « dans une salle inhabitée de l’Hôpital ».
  56. Le nom de cette aimable artiste est également attaché à l’église de Poullaouën qui possède d’elle « un tableau réprésentant le Martyre de Sainte-Barbe. La figure de la sainte était, assurait-on, le portrait de sa fille ». (Mme Marie Roy-Duc)
  57. Je lis dans le Fureteur breton de janvier 1907 : « M. Le Sauz, charron à Carhaix, possède un manuscrit de La Tour d’Auvergne écrit en espagnol. » Qu’est-ce exactement que ce manuscrit ? Il vaudrait la peine qu’on le vérifiât.
  58. Voir à l’Appendice.
  59. Voir, sur la famille Salaün du Rest et ses branches collatérales, la communication faite par M. Trévédy à la Société archéologique du Finistère (1906). L’érudit et consciencieux magistrat y a établi que le premier du nom, Pierre Salaün, vivait (seconde moitié du XVIIe siècle) dans une terre dite du Rest, dont il prit le titre. Son fils, Théophile, suivit la carrière des armes et eut un fils, Charles, qui fut avocat au Parlement et conseiller du Roy. C’est la fille de ce dernier, Lucrèce, qui épousa Olivier Corret, avocat, dont l’aïeul, Henri, était fils naturel non reconnu d’Henri de la Tour d’Auvergne, duc de Bouillon.
  60. Les Côtes-du-Nord, tome III, Guingamp, imp. Rouquette.
  61. On n’y montre pas moins, au premier étage, la chambre où « naquit » le héros ; mais on ne la montre qu’à bon escient et sur présentation en due forme. J’en fis l’expérience personnelle au cours d’un récent voyage à Carhaix : mon nom n’éveillant aucun souvenir héraldique chez Mme de la Goupillière, cette haute et puissante dame me consigna la porte de ses appartements. Je me consolai de la mésaventure en visitant le rez-de-chaussée de la maison occupé par une famille d’artisans, laquelle n’avait point les scrupules aristocratiques de ses voisins et me laissa tout à loisir admirer les fortes solives du plafond et la cheminée monumentale surmontée d’un trumeau enfumé où je crus distinguer au premier abord un vieux soldat en demi-solde, quelque Bélisaire de la Grande-Armée battant l’estrade en compagnie de son chien. Mais mon hôtesse m’expliqua que ce que je prenais pour une scène à la Charlet était un sujet religieux, œuvre de jeunesse de l’excellent peintre carhaisien Félix Jobbé-Duval, et représentait « saint Antoine et son cochon » Tant il est vrai que Berkeley parlait d’or et que la réalité du monde sensible est une simple illusion !
  62. Rue du Boyer, près de la porte des Reys. C’est là que notre héros vint au monde le 4 octobre 1857. Entre temps son père avait fait du cabotage à Madagascar et à Bourbon et y avait amassé un petit pécule.
  63. Pour plus de détails sur cette pèche, voir mes livres : Sur la Côte, chap. : les Terreneuvas ; et les Métiers pittoresques, chap. : Deux tableaux de la vie terreneuvienne.
  64. « Dieu a créé le monde, mais c’est le diable qui a créé l’Islande. »
  65. L’échec de Courrières et de Nœux est encore présent à tous les esprits (1908) : sur les cinq cents pêcheurs de Concarneau, Trégunc, Fouesnant, etc., embauchés pour le travail des mines, il n’en restait pas cinquante en service au bout de trois mois. Beaucoup avaient regagné à pied, par petites étapes, le pays natal. Aux mines du Hat, près de Figeac, Tessai n’a pas mieux réussi.
  66. Cf. L’Industrie de la pêche dans les ports sardiniers bretons. Crise et Palliatifs, par Théodore Le Gall (Rennes).
  67. Consulter Sur la Côte (Une visite à l’île de Sein).
  68. Sur les services qu’ont rendus les Abris et particulièrement à la cause de l’anti-alcoolisme, consulter encore Sur la Côte, chap. La Crise sardinière.
  69. Rapport sur les Prix de Vertu (1907). On sait que l’Académie française a décerné l’an passé un prix Montyon de 6000 francs à M. de Thézac qui en a consacré aussitôt le montant à l’acquisition d’un nouvel Abri.
  70. Le monopole est concédé pour l’Écosse à la Corporation of the Commissionners of Northern Light-Houses et, pour l’Irlande, à la Corporation for preserving and improving the Port of Dublin.
  71. Or, le dimanche 30 décembre 1900, l’un des énormes blocs qui supportaient le trilithon principal de Stone-Henge perdit l’équilibre et s’affaissa : quelques jours plus tard, lus gazettes annonçaient la maladie de S. M. Victoria, reine de Grande-Bretagne et d’Irlande, impératrice des Indes, et le mardi 22 janvier, à 6 h. 30 du soir, Sa Majesté rendait l’âme.
  72. Burinons ici les noms de ces héros : MM. de l’Estourbeillon, Le Gonidec de Traissan et Riou, députés ; M. Bourgault-Ducoudray, professeur au Conservatoire de musique de Paris ; M. Cadic, professeur à l’Université de Dublin ; MM. Cloarec, Corfec, Léon Durocher, René Grivart, Hamonic, Jaffrennou, Le Braz, Le Fustec, M. et Me Le Goffic, MM. Lionel Radiguet, de Saint-Meleuc, Vallée, plus nos sonneurs et quelques journalistes : MM. Oscar Havard, Cavalier, Rémy Saint-Maurice. Duhamel de Balzac, etc.
  73. Les nouvelles élections ont encore accru la majorité home-ruliste qui est portée, maintenant, à vingt-huit membres.
  74. Voir, pour plus de détails sur la question du home-rule gallois, l’Âme bretonne, première série, chap. : le Mouvement panceltique.
  75. Hwfa-Mòn — de son vrai nom Williams Rolland — est mort en 1905, à Rhyl, dans sa quatre-vingt-sixième année, Pasteur wesleyen, il avait été dans sa jeunesse ouvrier. On voit encore à Tredraeth, dans l’île de Man, où il naquit en 1820, un mobilier qu’il assembla et sculpta de ses mains pour sa fiancée. J’ignore par quelle voie, après quelques années de séminaire à Balo, il passa d’ouvrier menuisier pasteur méthodiste à Bagillt, à Caernarvon, à la paroisse galloise de Londres et enfin à Langolln, dont il était recteur au monument où nous le connûmes. Je lis dans les notes biographiques publiées par le barde-héraut Cochvarv qui est lui-même, sous le nom moins ambitieux de Thomas, juge de paix à Cardiff, qu’Hwfa-Môn se fit remarquer très jeune par son talent poétique.

    « En 1862, dit le barde Cochvarv, Hwfa-Môn gagna la chaise de chêne à l’Eisteddfodd de Caernarvon avec son poème « l’Année ». Devenu dans la suite l’un des chefs du mouvement national, ce fut lui qui eut l’honneur de recevoir les panceltes à l’Eisteddfodd de Cardiff, en 1899 ; il se rendit aussi à l’Exposition Internationale de Chicago, où il fut acclamé par les Gallois du Nouveau-Monde ; il assista en Irlande au Congrès panceltique de Dublin et ne cessa cependant de présider chaque année les réunions solennelles du Gorsedd… Sa dépouille repose aujourd’hui dans l’un des sites les plus romantiques des Galles, dans la Vallée-Abritée ( « Dyffryn-Clwyd » ), non loin du château de Ruzlan, proche du bord de la mer, dont le murmure bercera son dernier sommeil. »

    De mémoire de Gallois, on ne se rappelait pas archidruide plus imposant, plus vigoureux, plus jovial et plus solennel tout à la fois, car il aimait mêler les deux genres et, après quelque grande période qui avait soulevé l’émotion de son auditoire, ne détestait pas de terminer par une pétarade de calembours et de coq-à-l’âne. Son emprise sur les masses était si profonde qu’elle en avait fait une manière de personnage officiel : le gouvernement britannique comptait avec lui beaucoup plus qu’avec son prédécesseur, le pâle Clowdkarv, aujourd’hui bien oublié. En 1905 encore, l’année même de sa mort et, si j’ai bon souvenir à l’occasion de l’Eisteddfodd d’Aberpennar, S. M. Edouard VII lui avait fait un don de 2.000 guinées (environ 50.000 francs). — L’archidruide qui lui a succédé, Dyved, dans le privé Evan Rees, est également pasteur wesleyien. Né à Fishguard en 1854, il mania dans sa jeunesse le pic du mineur et fut plusieurs fois couronné pour ses vers dans les Eisteddfoddau de la principauté. En 1906, avec une délégation galloise, il vint à Saint-Brieuc et officia publiquement dans les jardins de la préfecture où le Gorsedd breton avait fait élever un dolmen artificiel.

  76. Mais il convient toujours de se rappeler que 1898 fut une année de grève et qu’elle était en déficit, sur l’année précédente, de soixante-trois bâtiments et de 55,116 tonneaux.
  77. Encore faut-il distinguer : la tour, que l’on regarde comme la plus belle de la Galles du Sud et qui fut bâtie en 1443 par Harth, est à peu près intacte, mais, dans l’intérieur de l’église et du chœur, le blanc de chaux a fait des siennes. L’ineffable pasteur Jenkins s’en applaudissait fort vers la moitié du siècle : « En ces dernières années, écrivait-il, on a déployé un grand goût dans la restauration du monument ; les peintures et dorures de l’intérieur ont été soigneusement grattées, les murs convenablement blanchis, ce qui ajoute à la beauté de l’édifice. » La sottise vaniteuse, le fanatisme bête et qui s’étale, n’ont pas de patrie, comme on voit.
  78. Lord Bute est mort dans la religion qu’il avait embrassée volontairement (octobre 1900). Une des clauses de son testament demandait que son cœur, après avoir été traité par l’injection de mercure, fût déposé dans un bocal et enterré sur le mont des Oliviers. » — Sur les conversions anglaises et le sourd travail de désagrégation de l’anglicanisme, je me permets de renvoyer aux trois volumes parus du bel ouvrage de M. Thureau-Dangin : la Renaissance catholique en Angleterre au XIXe siècle.
  79. Pen-Arth, tête d’ours : nom qui lui serait venu, disent les guides, du rugissement de la mer sur la falaise.
  80. Anciennement Echni. C’est là que se retira saint Cadoc, quand l’invasion saxonne l’eût forcé de quitter son monastère de Lancarvan et en attendant de passer dans la Petite-Bretagne.
  81. Voir à l’Appendice.
  82. Taffy vient de Taff, la principale des rivières galloises.
  83. Il n’a pas rechigné davantage, et quoique la dépense passât 50.000 francs, pour envoyer à l’Exposition Universelle en juillet 1900, ses deux plus importantes chorales indigènes, la Royal Welsh Ladies Choir et la Royal Welsh Uited Choir.
  84. On sait le nom des autres : Clonfert et Bangor pour l’Irlande, Iona pour les Hébrides, Landévennec pour la Bretagne.
  85. En 1697, l’évêque Bull l’appelait « notre triste et misérable cathédrale ».
  86. Cf. la savante conférence de M. Thureau-Dangin publiée par la Revue hebdomadaire du 20 juin 1908 sur le Progrès des Idées catholiques au sein de l’Anglicanisme.
  87. La dîme se payait d’abord en nature. Mais, depuis le Tithe Commutation Act (13 août 1863), elle a été transformée en une taxe unique sur les biens-fonds (rent charge). Il faut lire sur cette question des dîmes, qui a pris en Galles l’importance d’une question nationale, l’article publié par M. Julien Decrais dans la Revue des Deux-Mondes du 1er octobre 1891 et auquel nous avons fait de nombreux emprunts.
  88. Les chiens quêteurs sont décidément une institution répandue dans tous les pays anglo-saxons. On me signale à New-York le pendant de Léo et de Jack. Il s’appelle Jip et on le peut voir chaque jour, soit dans Fifth Avenue, soit aux abords de Madison-Square, car Jip connaît très bien les endroits élégants où passent de préférence « ceux qui donnent ». En effet, Jip est un chien mendiant. Sur son dos, une petite caisse de bois, bien assujettie par des courroies, porte l’inscription suivante : « Donnez pour les pauvres petits malades de Children’s Hôpital. » Et, quand il passe près d’un monsieur affairé, d’une dame à toilette tapageuse, Jip fait sonner l’argent de sa caisse et aboie doucement pour attirer l’attention des heureux de ce monde. En sept ans, il a ainsi récolté pour l’hôpital plus de vingt-cinq mille dollars. Tous les samedis, à midi, il se vend dans une des principales banques de Broadway et gratte à la porte du caissier. Celui-ci prend le contenu de sa caisse, inscrit la somme sur ses livres et en établit un reçu en règle qu’il remet dans la boîte. Puis le dévoué Jip d’un bond court à l’hôpital des enfants rapporter le témoignage hebdomadaire de son intelligence et de son zèle.
  89. Il est vrai que la compagnie ne les loue aux ouvriers qu’à raison de six francs par mois.
  90. Ces prix ont singulièrement monté en 1900-02 par suite de la guerre du Transvaal. Ajoutons que, d’après l’Engineering, le prix du charbon sur le carreau de la mine serait moyennement pour la Grande-Bretagne de 8 fr. 10 la tonne. Il serait pour l’Espagne de 7 fr. 50 ; pour la Russie de 8 fr. 10 ; pour l’Allemagne de 9 f. 25 ; pour la Belgique de 10 fr. 25 et pour la France de 10 fr. 80. Mais c’est hors d’Europe qu’on trouve les prix minima et maxima : 4 fr. 50 par tonne dans l’Inde anglaise ; 17 fr. 50 dans la colonie du Cap. Il est remarquable cependant que les États-Unis viennent immédiatement après l’Inde pour les bas prix : 5 fr. 75. L’explication en est dans le taux élevé de la production par ouvrier, qui atteint dans ce pays 450 tonnes par an, alors qu’elle n’est moyennement que de 297 tonnes dans la Grande-Bretagne et de 216 en France.
  91. Cela fait sensiblement plus de 297 tonnes par ouvrier, qui est (V. la note précédente) la moyenne du rendement pour toute la Grande-Bretagne.
  92. Voir, par exemple, ce qui se passa en 1873, lors de la formidable grève qui mit brusquement sur pied tous les ouvriers mineurs de la Galles du Sud au nombre de plus de soixante-dix mille. Les patrons avaient réduit les salaires de dix pour cent. L’un d’eux, M. Philipps, ayant parlé de faire venir des Chinois de Californie pour remplacer les grévistes « Jacob », par lettre comminatoire, le menaça immédiatement « de la mort et de la damnation ». M. Philipps se le tint pour dit et ne fit pas venir de Chinois. On peut saisir là cependant le curieux mélange que font dans ces cerveaux de Celtes l’éducation confessionnelle et la passion naturelle du mystère. « Comme Rébecca, l’énigmatique correspondant ou dante qui, lors de la coalition contre le péage des barrières, adressait des menaces de mort aux pasteurs anglicans et dont un ne parvint pas à percer l’incognito, Jacob, dit M. Amédée Pichot, était la personnification de la grève et avait pour acolyte Sarah. »
  93. Est-ce volontairement ? Est-ce simple hasard ? On ne nous montra cependant de la mine que le décor intérieur, si je puis dire. Beaucoup d’entre nous eussent aimé pousser jusqu’aux galeries d’abattage, voir jouer les baveuses à air comprimé ou telle de ces batteries de perforateurs électriques qui frappent jusqu’à cinq cents coups par minute et peuvent creuser en quelques heures un tunnel de dix à quinze mètres dans les roches les plus dures. Nos hôtes s’excusèrent sur le manque de temps.
  94. Elle a une troisième célébrité depuis la guerre du Transvaal : nous voulons parler de John Match, un honnête bourgeois qui n’avait point défrayé la chronique jusqu’ici et qui est le sosie vivant du président Krüger. « John Match, dit Paris-Nouvelles, ne se contente pas de s’exhiber : il s’est fait photographier dans les attitudes classiques et avec des vêtements semblables à ceux de l’oncle Paul, et ces portraits jouissent dans le pays d’une vogue invraisemblable. »
  95. Un autre barde-ouvrier gallois, non moins célèbre que Madoc, Arwaiu Alaus, travaille aux ardoisières de Blaenau-Festiniog.
  96. Les autres instruments étaient l’yberdonec, la cornemuse, la conque marine et le crwth.
  97. V. sur le chiffre 3 d’Arbois de Jubainville, Revue des traditions populaires de juin 1898.
  98. Les deux autres étaient Eidiob, le magicien, et le roi Beli. Complétons nos renseignements sur la telyn galloise en disant que, dans cette sorte de harpe, la rangée de cordes du milieu correspond aux touches noires du piano. Une autre particularité de la telyn, c’est qu’elle se joue sur l’épaule gauche et avec la main gauche. Cela ne laisse pas de compliquer singulièrement l’exécution des morceaux. De fait, nous dit M. Erny, la telyn passe pour un instrument si difficile que les musiciens du continent et de l’Angleterre ne veulent pas l’apprendre. Elle possède néanmoins une très grande supériorité sur la harpe ordinaire ou à une rangée de cordes : dans la telyn, les grosses cordes suffisent à donner le volume de son le plus ample, tandis qu’avec la harpe ordinaire on ne peut obtenir le même effet qu’au moyen d’une pédale.
  99. Par parenthèse, c’est ce ruisseau qui a donné son nom au domaine : Cold-Brook veut dire Froid-Ruisseau.
  100. « Le jour des Rois, dit M. Erny, les jeunes gens se procuraient le squelette d’une tête de cheval et l’ornaient de rosettes de soie et de rubans de toutes couleurs. Dans le creux des yeux on mettait deux bouteilles cassées, et dans chacune une petite lanterne. Le soir des Rois, appelé en Galles la nuit de Mary-Lewyd, un garçon mettait sa tête dans ce squelette, se couvrait d’un drap blanc et promenait cette espèce de fantôme de maison en maison en faisant la quête. Trois jeunes gens accoutrés d’une manière fantastique exécutaient derrière le spectre une danse particulière et chantaient en partant un air qu’on appelait le chant de Mary-Lewyd. »
  101. Rapprochez Henri Martin reconnaissant avec surprise un des plus beaux passages de l’oratorio de Samson dans un air gallois appelé le Vieux Carphilly.
  102. La même légende existe pour le Cader-Idris. Le Snowdon, en gallois, s’appelle Y Wyddru, c’est-à-dire le tumulus funéraire.
  103. D’où son nom. Caerléon est composé du mot celtique caer (ville) et du mot latin legionum contracté en léon. C’est la même étymologie qu’on donne, dans la Bretagne armoricaine, à l’ancien diocèse de Léon.
  104. « Salut, salut, cher monsieur ! Vous êtes peut-être un des membres de la délégation bretonne ? »
  105. La Convention le savait qui, plus avisée que nos modernes Jacobins, avait autorisé l’emploi du breton comme langue auxiliaire dans l’étude du français.
  106. V. sur ce nom l’étude publiée par M. le Vte C. de Calan dans la Revue de Bretagne et de Vendée de Nov. 1905 : Les Romans de la Table-Ronde. M. de Calan, non sans quelque vraisemblance, croit que Gaufroy de Monmouth, chez qui on le rencontre d’abord (1138), a pris le nom latin de l’étole pour un nom d’homme. Le fait serait fréquent chez Gaufroy.
  107. Tennyson place la scène à Almesbury.
  108. C’est aujourd’hui Saint-David, Ty-David (la maison de David) en gallois.
  109. Le mouvement des pèlerins s’était quelque peu ralenti dans la seconde moitié du XIXe siècle. Mais il a repris depuis quelques années, sur l’initiative du P. Beauclair, abbé de Sainte-Winefrède.
  110. Ce dernier point, affirmé par l’auteur anonyme du Memoir of King Arthur, est encore plus contestable que les autres. C’est la Restauration qui, en 1815, restitua le Saint-Graal à la cathédrale de Gènes. — V. à l’Appendice.