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les mêmes fondements et on en avait réglé les projets à peu près sur le pied des fonds que vous y aviez destinés et que nous espérions pouvoir augmenter en faisant venir les trois mille livres de cette année et ceux de la prochaine, en marchandises qui auraient apporté du profit ; mais comme nous étions à moitié de ce que nous avions entrepris de faire cette année, nous apprîmes le retranchement qui avait été fait, ce qui me fit prendre la résolution de faire cesser entièrement tout l’ouvrage. Mais M. l’Intendant souhaita qu’on le continuât, parce que, disait-il, ce qui était commencé aurait entièrement dépéri, et proposa de prendre six congés sur les vingt-cinq qu’on devait donner cette année, et de remettre l’argent de la vente entre les mains des marchands, qu’il nommerait et qui continueraient sur ses ordres à payer les ouvriers qui travailleraient à rendre logeable ce qui était commencé, et qui sera, étant achevé, les deux tiers de tout le bâtiment.

« J’eus de la peine à accepter cette proposition, et me résolvais à faire mon séjour dans le corps de garde de la garnison[1] où je suis présentement réduit, et où je passerai tout l’hiver, jusqu’à ce qu’il vous plût nous donner les moyens de pouvoir faire continuer ce que nous avions entrepris. Mais enfin je songeai que si vous trouviez quelque chose à redire à cet expédient, la faute en retomberait également sur nous deux, et que peut-être l’année prochaine serait un temps plus favorable pour vous donner lieu de rétablir ces fonds, comme je vous en supplie instamment. »

L’année suivante, le 2 novembre 1695, le vieux gouverneur écrit à M. Delagny ces lignes plus familières, où il exprime l’espérance d’obtenir un changement de position : « Je n’ai pas manqué de faire de grands remerciements à Monsieur de Pontchartrain des fonds qu’il a encore faits pour le Château de Québec et de la continuation de ma gratification. Quoique éloigné et presque devenu sauvage, je ne le suis pas encore assez pour ne pas voir que dans un temps comme celui-ci, c’est d’avoir fait le Pont neuf. Je lui demande, comme vous me le conseillez, une continuation pour l’achèvement du Château de Québec, et il n’y aurait point de regret s’il pouvait voir de quelle manière l’argent y a été employé ; car assurément les gouverneurs qui viendront après moi devront m’avoir quelque obligation de leur laisser un logement aussi commode que celui qu’ils trouveront. Il ne faut pas laisser néanmoins d’en jouir le plus longtemps qu’il se pourra et jusques à ce qu’il lui plaise me procurer quelque autre établissement plus honorable et plus solide, comme il me fait entrevoir que je puis l’espérer. »

Frontenac avait alors près de soixante et quinze ans. Il devait mourir trois ans plus tard, loin de sa famille et de la France, mais chéri des Canadiens et laissant un grand nom dans l’histoire du pays qu’il avait sauvé et longtemps gouverné, sans en avoir fait cependant sa pairie d’adoption.

On lit dans une chronique de 1698 : « Cette même année, le 28 novembre, M. le comte de Frontenac décéda sur les trois heures après-midi, muni de tous les sacrements et dans des sentiments très chrétiens, ayant eu l’esprit présent et le jugement sain jusqu’à la mort[2] ».

Le premier gouvernement de M. de Frontenac (de 1672 à 1682) fut déplorable à certains points de vue. Le comte, « homme fort du monde et parfaitement ruiné, » comme disait le duc de Saint-Simon, était despote et cassant à l’extrême, et il employa plus d’une fois son autorité à entraver l’action bienfaisante des meilleurs amis des colons et des sauvages. Son deuxième gouvernement (de 1689 à 1698) en fit l’idole du peuple et le porta lui-même à l’apogée de sa gloire.

Les Récollets de Notre-Dame-des-Anges avaient reçu de Louis XIV, en 1681, le don d’un emplacement occupé antérieurement par la Sénéchaussée, en face du fort Saint-Louis, et y avaient établi une succursale de leur monastère que l’on appelait : « le couvent du Château. » En 1693, Monseigneur de Saint-Vallier ayant obtenu de l’Hôtel-Dieu un essaim de religieuses pour fonder un « hôpital général » à Notre-Dame-des-Anges, les Récollets cédèrent leur établissement des bords de la rivière Saint-Charles, et le « couvent du château » devint leur unique établissement à Québec. C’est à cette époque que fut construite la belle église des Récollets que Charlevoix disait être « digne de Versailles » et qui couvrait un espace dont les bornes est et ouest seraient aujourd’hui le centre du haut de la place d’Armes et l’extrémité Est du terrain occupé par le palais de justice. Elle était ornée de vitraux coloriés et de beaux tableaux dus au pinceau du célèbre frère Luc. La flèche de son clocher, que respectèrent les obus en 1759, était d’une pureté de lignes admirable. Le premier couvent était tout auprès ; le deuxième, — construit après 1700, — était contigu à l’église.

Frontenac, qui avait le titre de « syndic général » ou « coadjuteur » des Récollets, et qui, chaque année, faisait une retraite au monastère des bons religieux, fut enterré dans cette église dont il avait de plus d’une manière favorisé l’érection. Il en fut de même de ses successeurs le chevalier Louis-Hector de Callières, le marquis Philippe Rigaud de Vaudreuil et le marquis Jacques-Pierre de Taffanel de la Jonquière, morts, eux aussi, au château Saint-Louis[3].

Ainsi qu’on a pu le voir dans les pages qui précèdent, les deux premiers forts Saint-Louis, à Québec, furent construits successivement par Champlain ; le troisième fut construit, en pierre, par Montmagny ; le quatrième, également en pierre, mais plus spacieux, par Frontenac.

Le premier château Saint-Louis (un étage) fut bâti à l’intérieur du troisième fort ; le deuxième château (deux étages) fut bâti à l’intérieur du quatrième fort.

Une assez forte batterie donnait sur le fleuve au sud du château. Elle était située à un niveau de douze à quinze pieds moins élevé que le niveau de la cour intérieure du fort en face de la résidence du gouverneur. Une partie des canons qui la composaient étaient placés à l’intérieur du mur d’enceinte construit en 1693 ; le reste était placé à l’extérieur, dans la direction du cap Diamant.

Dans une lettre datée du 20 octobre 1699, MM. de Callières et Champigny font remarquer que le château n’est pas encore terminé. « Nous ne pouvons, disent-ils, nous dispenser de représenter respectueusement à Sa Majesté, que le Château de Québec n’étant pas entièrement rebâti, il est également nécessaire et utile d’achever cet ouvrage, nécessaire en ce que le parachèvement en fera la conservation et le mettra à couvert des mauvais temps qui l’endommagent, et utile parce que ce qui est fait ne suffit pas pour loger le gouverneur et sa maison ; ainsi nous croyons que Sa Majesté, entrant dans ces raisons, voudra bien avoir la bonté d’accorder 6,000 livres l’année prochaine pour parvenir au parachèvement de cet ouvrage. »

En 1700, deux ans après la mort de Frontenac, tout l’ouvrage commencé sous son gouvernement était terminé, et il ne manquait qu’une citerne au fort pour que la place pût être fermée et servir de refuge aux chefs de l’armée et du peuple en cas de siège. Cette citerne fut construite plus tard, et non sans peine.

Une aile qui était indiquée sur les plans primitifs du château ne fut construite qu’en 1723.


Le château Saint-Louis, reconstruit par M. de Frontenac (1694-1698) ;
terminé en 1700, sous le gouvernement de M. de Callières.
Vue prise du fleuve Saint-Laurent.


Mais les fortifications du cap Diamant et de toute la ville, si imparfaites qu’elles fussent, commençaient à jeter dans l’ombre l’historique fort Saint-Louis, et l’importance de celui-ci se concentra bientôt presque exclusivement sur le château, résidence officielle du gouverneur-général, centre d’où partaient pour tous les points d’un pays presque aussi vaste que l’Europe entière, les ordres émanés de Versailles et de la cour du roi très chrétien.

Voici la description du fort Saint-Louis que donne Bacqueville de la Potherie dans son ouvrage intitulé : Histoire de l’Amérique septentrionale depuis 1534 jusqu’à 1701 :

« Le Château[4] est sur le bord d’une grande côte, escarpée de trente toises. Il est irrégulier dans sa fortification, ayant deux bastions du côté de la ville, sans aucun fossé. La maison du gouverneur-général est de cent vingt pieds de long, au-devant de laquelle est une terrasse de quatre-vingts pieds qui a la vue sur la basse-ville et sur le canal. Ce bâtiment est fort agréable, tant pour ses dedans que pour ses dehors, à cause des pavillons qui forment des avant et arrière-corps. Il est à deux étages ; il y manque encore un pavillon de trente-trois pieds de long.

« Il y a une batterie de vingt-deux embrasures à côté de cette maison, partie dans l’enceinte et partie au dehors, qui commande la basse-ville et le fleuve. À quatre cents pas au-dessus est le Cap au Diamant, de quatre-vingts toises de haut, sur lequel est une Redoute qui commande le Fort, la haute-ville et toute la campagne. »

« Ce Cap, continue La Potherie, est rempli de diamans dans ses rochers. Il y en a d’assez beaux, et s’ils avaient la fermeté du vrai diamant, on s’y tromperait aisément. Au-dessous du Cap, en tirant au nord-ouest à l’extrémité de la haute-ville, est un cavalier revêtu de pierre, sur lequel on peut mettre plusieurs pièces de canon, qui commandent la campagne, dans le milieu duquel est un moulin. On a fait un nouveau bastion qui met la ville à l’abri de l’insulte des ennemis.

« Le gouverneur-général a douze mille francs d’appointements, trois mille en qualité de gouverneur particulier, et autant pour le fret de ses provisions qu’il fait venir de France.

« Il a huit mille sept cent quarante-huit livres pour sa compagnie des gardes, composée d’un Capitaine, d’un Lieutenant, d’un Cornette et de dix-sept Carabins.

« La garnison du Château, que les Fermiers du Canada entretiennent, est composée de deux Sergents et de vingt-cinq soldats. Ils ont trois mille sept cent soixante et dix livres et quatre cent quatre-vingts livres pour leur bois et leurs souliers. »

Le chiffre de la garnison du fort était à peu près le même trente-cinq ans auparavant, comme on peut le voir par le curieux document suivant, extrait des délibérations du Conseil Souverain de Québec du 2 juin 1665 :

« Sur la Requête présentée à ce Conseil par Antoine le Boesme dit la Lime, tendante à remontrer qu’il y a vingt-cinq ans qu’il sert le Roy en la charge de Canonnier dans le fort Sainct-Louis de Québeck, que le jour de la feste de Notre-Dame dernière, ayant esté pour tirer le canon suivant le commandement qui lui en fust faict, et après avoir tiré s’estant mis en devoir de recharger le dit Canon après l’avoir tiré, il n’eust pas sytost mis la cuiller et la poudre à l’embouchure que le dit Canon, qui estoit chambré, prist feu, et quoiqu’il eust passé l’escouvillon dedans, tira et jeta le suppliant à la renverse, luy brusla sa chemise, une partye du ventre, et luy emporta le poulce et le doigt mitancier, luy brisa et disloca les autres et lui estonna tellement la main, le bras, les nerfs et les artères, qu’enfin il est demeuré estropié le reste de ses jours, en sorte qu’il ne peut plus travailler de son métier d’armurier ni gaigner sa vye, requérant qu’il plaise au Conseil luy ordonner pension, que ses gaiges luy soient payéz toute sa vye, qu’on lui donne paye de Soldat dans la dicte garnison et que le Chirurgien soit payé aux dépens du Roy. Le Conseil veu les conclusions du Procureur-général du Roy, a ordonné que les gaiges de canonnier qu’il avoit luy seront continuez, et qu’en oultre qu’il luy sera payé la somme de trois centz livres tous les ans, à la charge d’entretenir les armes de la garnison du Château Sainct-Louis à raison de trente hommes, et de mettre en estat et entretenir toutes celles qui sont dans les Magazins du dit Fort. Et pour le récompenser de ses pansementz et médicamentz, le dit Conseil, veu les conclusions du Procureur-général du Roy, luy donne un habit des effets du Roy que le sieur Damours, Conseiller, luy donnera faict quant à l’habit, dequoy sera tenu compte rapportant La présente et quittance »[5].

Avant cette nomination d’Antoine Le Boesme comme armurier du Fort, le sieur Gondoüin avait été nommé gardien des munitions de la place. On lit dans le compte rendu des délibérations du Conseil Souverain du 2 avril 1664 : « Le Conseil, voyant la nécessité qu’il y a de choisir une personne pour avoir le soin des munitions de guerre du Chasteau Saint-Louis, Et ayant appris que le sieur Gondoüin en a eu jusques à présent le soin, a fait choix et nomination du dict Sieur Gondoüin pour faire les fonctions de garde des magazins du dict Chasteau Saint-Louis, et lui a accordé la somme de Cent livres de gages par an. »

Mais ne retournons pas en arrière. Nous voici arrivés au dix-huitième siècle, à ce siècle néfaste dont la première moitié fut cependant si heureuse pour le Canada. Le château Saint-Louis, souvent déserté par ses occupants ordinaires, qui allaient passer de longs mois à Montréal, reste néanmoins le point dominant de la puissance française en Amérique, en attendant les jours du bombardement de 1759 et la transformation de la petite citadelle de Champlain, de Montmagny et de Frontenac en un fort anglais.


VII


Louis-Hector de Callières, gouverneur-général. — Sa mort au château, — Philippe de Vaudreuil, gouverneur-général. — Développements de la colonie. — L’expédition de l’amiral Walker. — Physionomie de Québec en 1720. — Population du Canada. — Documents relatifs au fort Saint-Louis. — Mort de Louis XIV. — L’organisation paroissiale. — Mort de Vaudreuil au château.



Àla mort du comte de Frontenac, deux personnages ayant de grands états de service furent indiqués pour lui succéder : le chevalier Louis-Hector de Callières et le chevalier Philippe Rigaud de Vaudreuil. Ce furent les amis du premier qui l’emportèrent. Le principal grief formulé contre M. de Vaudreuil était son mariage avec une Canadienne. Plus tard cette Canadienne recevait de la cour les plus grandes marques de confiance, et son fils, Canadien lui-même, devenait, pour son malheur, gouverneur-général du Canada.

M. de Callières ne gouverna la colonie que pendant cinq ans. Aidé du célèbre chef huron Kondiaronk (le Rat), il réussit à conclure avec les Iroquois un traité de paix qui


1700.

Extrait d’un plan de Québec envoyé avec une lettre de MM. de Callières et Champigny datée du 6 octobre 1700.


16. Fort. — 17. Magasin à poudre. — 18. Logis de Mr le Gouverneur-général. — 19. Glacière. — 21. Petits corps de garde. — 23. Petite Batterie. — 40. Église et maison des Récollets. — P. Maison du Roi, qui servait autrefois de prison, dont le fond appartient aux héritiers de M. de Bécancour. — Q. Emplacement autrefois basti dont le propriétaire demande le remboursement ou l’agrément de réédifier de nouveau.
fut assez fidèlement observé. Il était estimé de tous et savait tenir ses administrés dans le devoir. Sa longue et active carrière militaire avait ruiné sa santé ; un vomissement de sang le prit dans la cathédrale, pendant la grand’messe, le jour de l’Ascension de l’année 1703, et il expira, neuf jours après, au château Saint-Louis.

Il fut enterré dans l’église des Récollets, à côté de Frontenac. Le Père Gelase, procureur des Récollets, prononça son oraison funèbre et lui donna « de très justes louanges. »

Philippe Rigaud de Vaudreuil, qui portait le titre de marquis depuis la mort de son père, tué à la bataille de Luzzara, en 1702, succéda au chevalier de Callières et gouverna la colonie pendant près de vingt-deux ans. Il eut à déployer beaucoup de tact et d’habileté pour maintenir la paix avec les Iroquois et régler les difficultés que suscitaient sans cesse, soit en Canada, soit en Acadie, les habitants de la Nouvelle-Angleterre. Il dut même, vers 1710, envoyer aux frontières des détachements de Canadiens et de Sauvages faire la guerre d’escarmouche afin de forcer les Bastonnais à rester dans leurs foyers.

La dernière expédition de Frontenac au pays des Iroquois (1696) et plus encore l’action bienfaisante des missionnaires, avaient rendu moins agressifs les farouches enfants de la forêt ; mais ce ne fut qu’après 1713 que la colonie put enfin respirer et se livrer avec sécurité aux arts de la paix.

Pendant toute la période comprise entre le traité d’Utrecht (signé le 11 avril 1713) et les années qui précédèrent immédiatement la guerre de Sept Ans (déclarée le 9 juin 1756), le Canada fit des progrès merveilleux.

La construction des navires avait déjà pris en 1720 des proportions considérables. Les habitants, protégés et encouragés par le marquis Philippe de Vaudreuil, par son successeur le marquis Charles de Beauharnois, et les intendants Bégon et Hocquart, s’employaient avec une ardeur nouvelle à défricher et cultiver le sol[6], à construire des voies de communication, à développer le commerce et l’industrie, pendant que le collège de Québec, le séminaire des Missions Étrangères et l’Hôpital-Général, à Québec, les Ursulines, à Québec et aux Trois-Rivières, le séminaire de Saint-Sulpice et le collège préparatoire des Jésuites à Montréal, les Pères et les Frères Récollets et les religieuses de la Congrégation Notre-Dame dans leurs multiples établissements[7], et plusieurs instituteurs laïques subventionnés par les Jésuites, les Sulpiciens ou les curés, répandaient les bienfaits d’une éducation en tous points égale à celle que l’on donnait en France dans les établissements similaires.

Pendant quelque temps, un homme de loi distingué, M. Le Verrier, donna même quelques leçons de droit à Québec ; mais cet essai de création d’une faculté de droit n’eut pas de suite. Les lois du pays étaient la Coutume de Paris, les ordonnances royales enregistrées au Conseil Supérieur de Québec, et les édits et ordonnances de ce conseil.

Le siège de Québec de 1690 avait été une surprise ; il n’en fut pas de même des formidables préparatifs d’invasion de l’amiral sir Hovenden Walker, en 1711. Ils étaient connus depuis plusieurs mois à Québec, où il régnait à la fois une telle anxiété et une telle ardeur qu’on en était arrivé à désirer de voir paraître la flotte anglo-américaine. Des moyens de résistance, rendus inutiles par le désastre de l’Île-aux-Œufs[8] et l’anéantissement d’une partie de la flotte de Walker, avaient été organisés par le gouverneur-général, et, grâce à la générosité de ses habitants, la ville de Champlain put être considérée, en 1712, comme la place la plus forte, ou, plus exactement, la moins faible de l’Amérique du Nord[9].


A. Le Fort. — B. Les Récollets. — C. Plateforme. — D. Les Jésuites. — E. La Cathédrale. — F. Le Séminaire. — G. L’Hôtel-Dieu. — H. L’évêché. — I. La Redoute. — K. Le magasin à poudre

C’était, à d’autres points de vue, une ville peu ordinaire que la jeune capitale au commencement du dix-huitième siècle. Le judicieux Père Charlevoix écrivait en 1720 : « On ne compte guère à Québec que sept mille âmes ; mais on y trouve un petit monde choisi où il ne manque rien de ce qui peut former une société agréable. Un gouverneur-général avec un état-major, de la noblesse, des officiers et des troupes : un intendant avec un Conseil supérieur et les juridictions subalternes ; un commissaire de marine, un grand prévôt, un grand voyer, et un grand maître des eaux et forêts dont la juridiction est assurément la plus étendue de l’univers ; des marchands aisés ou qui vivent comme s’ils l’étaient ; un évêque et un séminaire nombreux ; des Récollets et des Jésuites, trois communautés de filles bien composées, des cercles aussi brillants qu’il y en ait ailleurs : voilà, ce me semble, pour toutes sortes de personnes de quoi passer le temps fort agréablement.

« Ainsi fait-on, et chacun y contribue de son mieux. On joue, on fait des parties de promenades, l’été en calèche ou en canot, l’hiver on traîne sur la neige ou en patins sur la glace. On chasse beaucoup ; quantité de gentilshommes n’ont guère que cette ressource pour vivre à leur aise. Les nouvelles courantes se réduisent à bien peu de choses, parce que le pays n’en fournit presque point et que celles de l’Europe arrivent toutes à la fois, mais elles occupent une bonne partie de l’année ; en politique sur le passé, on conjecture sur l’avenir ; les sciences et les beaux-arts ont leur tour, et la conversation ne tombe point. Les Canadiens, c’est-à-dire les créoles du Canada, respirent en naissant un air de liberté qui les rend fort agréables dans le commerce de la vie, et nulle part ailleurs on ne parle plus purement notre langue. On ne remarque ici aucun accent.

« On ne voit point en ce pays de personnes riches, et c’est bien dommage, car on y aime à se faire honneur de son bien, et personne ne s’amuse à thésauriser. On fait bonne chère si avec cela on peut avoir de quoi se bien mettre : sinon on se retranche sur la table pour être bien vêtu. Aussi faut-il avouer que les ajustements font bien à nos créoles. Tout est ici de belle taille, et le plus beau sang du monde dans les deux sexes ; l’esprit enjoué, les manières douces et polies sont communes à tous ; et la rusticité, soit dans le langage, soit dans les façons, n’est pas même connue dans les campagnes les plus écartées. »

En 1721, toute la population de la Nouvelle-France s’élevait à 25,000 âmes. Elle était de 50,000 âmes en 1744, et onze ans plus tard, immédiatement avant la guerre qui fut pour nous la lutte suprême, elle avait atteint le chiffre de 80,000 âmes, l’armée comprise. La population de la Nouvelle-Angleterre s’élevait alors à 1,200,000. Nous étions un contre quinze.




Reprenons le récit sommaire de quelques-uns des événements qui suivirent la signature du traité d’Utrecht.

M. de Vaudreuil passa en France en 1714, et en revint en 1716[10]. À son arrivée à Québec, il était tellement malade qu’il dut se faire transporter à l’Hôtel-Dieu, où il reçut les soins les plus empressés. Quelques semaines plus tard, il se rendait au Château Saint-Louis et il y annonçait officiellement la mort de Louis XIV et l’avènement au trône de son arrière-petit-fils Louis XV, de néfaste mémoire, alors âgé de moins de six ans.

Louis XIV avait vu disparaître de la scène du monde la plupart des hommes illustres et des brillants génies qui avaient jeté tant d’éclat sur son règne. Les années de malheur qui sanctifièrent sa vieillesse le firent grandir encore dans l’estime de ses contemporains et de la postérité ; il vit son royaume affaibli, mais ne perdit rien de sa sereine et incomparable majesté : « c’était une colonne restée debout au milieu des ruines. »

On lira sans doute avec intérêt les lignes suivantes, écrites ou dictées par une Canadienne, — la Mère Juchereau de Saint-Ignace, — en 1716, à l’occasion de la mort du grand roi :

« Les premiers vaisseaux qui arrivèrent en 1716 nous apprirent le décès du roi Louis XIV, mort à Versailles le 1er septembre 1715, âgé de 77 ans, après le plus beau, le plus glorieux et le plus long règne que l’on ait vu. Il était tombé malade le dix d’août ; sa maladie augmenta de telle sorte que, le 23, il demanda les Sacrements, qui lui furent administrés par M. le Cardinal de Rohan, grand aumônier de France ; il les reçut très dévotement, formant de fervents actes de foi, d’humilité, de contrition et de confiance. Ce Monarque ne parut jamais plus grand que lorsqu’on lui annonça le danger où il était ; bien loin de s’effrayer de ce qui alarmait tous ses sujets, il répondit qu’il y avait plus de dix ans qu’il pensait à mourir en Roi chrétien, et témoigna une fermeté et une conformité à la volonté de Dieu admirables pendant quelques jours. Il donna plusieurs ordres avec une parfaite tranquillité : ce grand Roi approchant de sa fin, fit appeler tous les Princes et toutes les Princesses du sang, leur parla d’une manière fort touchante, loua ce qu’il y avait remarqué de bon, et les exhorta à la vertu avec des termes si pressants, si tendres que chacun d’eux fondait en larmes ; on fit entrer la Duchesse de Ventadour, avec le Dauphin dont elle était gouvernante ; elle le plaça à genoux au pied du lit du Roi, qui lui donna sa bénédiction, et qui ensuite le fit asseoir sur son lit, et lui recommanda ses peuples avec beaucoup d’affection, et lui donna plusieurs avis pour les bien gouverner, et accompagna son discours de tout ce qui pouvait les graver dans le cœur et dans la mémoire de ce jeune Prince, qui aussi l’écouta avec une grande attention, et d’un air si touché que, quoiqu’il n’eût que cinq ans et demi, il montra que sa raison devançait son âge. Il regarda toujours fixement le Roi, et sans jeter aucun cri, les larmes tombaient de ses yeux. Après qu’il eut reçu les instructions nécessaires, on craignit que sa présence n’attendrît trop cet illustre mourant, qui paraissait seul paisible dans un temps où la consternation saisissait tous les assistants ; on remporta le Dauphin, et le Roi ne pensa plus qu’à mourir. Il s’entretint dans ces bons sentiments, et conserva une parfaite connaissance jusqu’à la nuit qui précéda son décès. Son corps fut exposé plusieurs jours avant d’être porté à Saint-Denis où il fut enterré : ses entrailles furent portées à Notre-Dame de Paris, et son cœur donné aux Jésuites de la Maison professe à qui Louis XIII avait aussi donné le sien. Dieu avait préparé à la mort ce grand Prince par des afflictions bien cuisantes, les dernières années de sa vie, d’autant plus sensibles qu’il n’avait eu que des succès et des prospérités jusqu’alors ; il vit mourir les plus fermes appuis de sa Couronne, l’espérance de la France et l’ornement de la Cour, Monseigneur le Dauphin son fils, un second Dauphin très vertueux, son petit-fils, avec la Dauphine son épouse, dont l’esprit agréable et brillant faisait ses délices, deux autres Princes, ses arrière-petit-fils, et M. le Duc de Berry. Ses armes qui, de tout temps, avaient été victorieuses, eurent le dessous en plusieurs occasions. Il perdit des batailles considérables, et après avoir été regardé comme le plus grand Roi du monde, qui avait toujours accordé la paix à ses ennemis aux conditions qu’il voulait, il se vit obligé, pour terminer une guerre qui accablait son peuple, de signer un traité désavantageux. Il est vrai que, dans ses malheurs, son courage ne fut point abattu. Il reçut ces adversités comme les châtiments de ses péchés, et avant qu’elles lui arrivassent, il avait paru les désirer, disant qu’il avait remarqué que tous les pécheurs à qui Dieu voulait faire miséricorde, passaient par des tribulations qu’il n’éprouvait point, et que cela lui donnait de la crainte. Mais dans la suite, il eut l’avantage d’être affligé et de profiter de ses peines. Ainsi il couronna ses glorieuses actions par la pratique de l’humilité, de la patience et de résignation ; et par là, il se rendit plus grand devant Dieu qu’il ne l’avait été devant les hommes. Jamais Prince ne fut plus digne de régner. Il avait reçu de Dieu des qualités toutes royales. Il méritait et s’attirait l’amour et le respect, non seulement de ses sujets, mais de tous les étrangers… Je ne crois pas qu’on me sache mauvais gré d’avoir rapporté un peu en détail les circonstances de la mort de Louis-le-Grand… L’estime que l’on conserve pour sa mémoire dans cette communauté, qu’il a honorée de ses bienfaits, me fait juger que l’on aura autant de plaisir d’en entendre parler que j’en ai de l’écrire. »

L’année 1721, dit M. Garneau, vit naître en Canada une institution importante, les postes et messageries pour le transport des lettres et des voyageurs. « L’intendant Bégon accorda à M. Lanouiller le privilège de tenir les postes pendant vingt années entre Québec et Montréal ; il lui imposa en même temps un tarif gradué sur les distances. Le pays n’avait pas encore eu d’institutions postales : il n’a pas cessé d’en jouir depuis »[11].

De concert avec Monseigneur de Saint-Vallier, deuxième évêque de Québec, et avec le concours de l’intendant Bégon, M. de Vaudreuil s’occupa à fixer les bornes des circonscriptions ecclésiastiques de la colonie et à créer définitivement cette forte organisation paroissiale — religieuse et civile — qui a été le rempart par excellence de la nationalité franco-canadienne aux jours d’épreuve qui suivirent la capitulation de Montréal (8 septembre 1760) et la signature du traité de Paris (10 février 1763). Le pays, déjà partagé en trois gouvernements (Québec, Trois-Rivières et Montréal), fut subdivisé en quatre-vingt-deux paroisses, dont trente-quatre sur la rive droite du fleuve Saint-Laurent, et quarante-huit sur la rive gauche. Les dernières paroisses à l’est étaient Kamouraska et la Baie Saint-Paul : les dernières paroisses à l’ouest étaient l’Île du Pads et Châteauguay. Cette première érection civile des paroisses fut définitivement arrêtée par un décret du Conseil d’État enregistré à Québec en 1722.

En 1723, M. de Vaudreuil fit commencer à Montréal, sur un terrain maintenant occupé par la place Jacques-Cartier, un vaste château qui servit souvent de résidence aux gouverneurs généraux ses successeurs, sous le régime français, et fut occupé subséquemment par le premier collège de Montréal, du 1er octobre 1773 au 6 juin 1803, date de sa destruction par un incendie.

Le marquis Philippe Rigaud de Vaudreuil, « le bien-aimé du peuple, » expira au château Saint-Louis, le 10 octobre 1725, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Sa femme — Louise-Élisabeth de Joybert — fut le soutien et le conseil de sa vieillesse. Séparée de lui pendant de longues années, qu’elle passa en France, elle n’oublia jamais ni sa famille, ni sa patrie, et porta toujours dignement le nom de cet homme illustre.

Les cendres du marquis de Vaudreuil — nous l’avons déjà dit — furent déposées dans l’église des Récollets, voisine du château, et reposent maintenant dans la basilique Notre-Dame de Québec.




VIII


Les femmes au château sous le régime français. — Madame d’Ailleboust. — La marquise de Denonville et ses filles. — Élisabeth de Hallot d’Honville. — La marquise Philippe de Vaudreuil et ses filles. — Esther Wheelwright. — La marquise Pierre de Vaudreuil-Cavagnal.



La liste des femmes qui séjournèrent au fort Saint-Louis, sous le régime français, n’est pas très longue. Nous avons déjà nommé Madame d’Ailleboust, Madame la marquise de Brisay de Denonville et ses trois filles : Bénigne[12], Catherine et Marie-Anne[13], ainsi que Mademoiselle de Hallot d’Honville[14]. À ces noms il faut ajouter ceux de Madame la marquise Philippe de Vaudreuil et ses deux filles, Marie-Louise et Louise-Élisabeth, celui de Mademoiselle Esther Wheelwright et celui de la marquise Pierre de Vaudreuil-Cavagnal.

Les deux premières châtelaines du Fort Saint-Louis (Madame d’Ailleboust et la marquise de Denonville) étaient françaises ; les deux dernières (la marquise Philippe de Vaudreuil et sa belle-fille la marquise Pierre de Vaudreuil) étaient, l’une acadienne et l’autre canadienne.

Les deux premières habitèrent le premier château, au dix-septième siècle ; les deux dernières habitèrent le deuxième château, au dix-huitième siècle.


Louise-Élisabeth de Joybert, marquise de Vaudreuil, dont nous avons mentionné le nom au chapitre précédent, était fille de Pierre de Joybert de Marson, seigneur de Soulanges, et de Marie-Françoise Chartier de Lotbinière. Elle naquit à Gemseek, sur la rivière Saint-Jean, où commandait son père, le 18 août 1673, et fut ondoyée aussitôt par un chirurgien du nom de Lavergne. Elle fut baptisée soubs condition à Québec le 15 juin 1675, et eut pour parrain le comte de Frontenac et pour marraine Marie-Françoise d’Amours (femme de Louis-Théandre Chartier de Lotbinière), son aïeule.

Vers l’âge de treize ans, elle entra au pensionnat des Ursulines de Québec avec une des filles de la marquise de Denonville, Catherine de Brisay, qui n’était qu’une enfant. La marquise s’était prise d’affection pour la jeune Acadienne, dont toute la personne était extrêmement sympathique.

Mademoiselle de Joybert épousa le chevalier Philippe Rigaud de Vaudreuil le 21 novembre 1690. M. de Vaudreuil avait alors quarante-sept ans ; sa jeune femme en avait dix-sept.

Nous avons dit que Madame de Vaudreuil passa de longues années en Europe. Avant d’aller remplir à la cour de Versailles les importantes fonctions d’éducatrice des enfants de France, la marquise connut amplement les saintes joies et les nobles soucis de la maternité. Elle n’eut pas moins de douze enfants, dont trois — Philippe-Arnaud, né en 1705, Joseph-Hyacinthe, né en 1706, et Louise-Élisabeth, née en 1709, — virent le jour au château Saint-Louis.

Recommandée à la cour (probablement par sa vieille amie la marquise de Denonville), Madame de Vaudreuil dut quitter Québec pour se rendre à Versailles peu de temps après la naissance de sa dernière enfant, Louise-Élisabeth, baptisée à Québec le 12 septembre 1709. Elle avait été nommée sous-gouvernante des enfants de France l’année précédente (1708). Le navire qui devait la conduire en France partit de Québec dans l’automne de 1709 et fut pris par les Anglais ; toutefois, il n’arriva rien de fâcheux à Madame de Vaudreuil et aux personnes qui l’accompagnaient. Le commandant du vaisseau ennemi se montra plein de déférence, et les fit débarquer au Hâvre, où se trouvait M. de Champigny qui les reçut avec empressement.

Madame de Vaudreuil avait alors un peu plus de trente-six ans. Elle se rendit immédiatement à Versailles, et fut accueillie avec bonté par Madame de Maintenon, qui la présenta au roi. On lui confia aussitôt l’éducation du jeune duc d’Alençon, et le duc de Saint-Simon, qui n’était guère porté à flatter les gens, dit, dans ses Mémoires, qu’elle était bien au-dessus de son emploi. Refoulant au fond du cœur le chagrin qu’elle devait éprouver de ne pouvoir se consacrer à l’éducation de ses propres enfants au foyer domestique, et comprenant tout ce qu’il y avait d’important et d’auguste dans la mission qui lui était confiée, elle s’acquitta de sa lâche avec tant d’intelligence et de tact que, le jeune prince son élève étant mort, on la retint à la cour plusieurs années encore pour y élever les autres enfants du duc de Berry.

Elle acquit auprès des puissants du jour une influence, dont elle se servit, pendant son séjour en France et plus tard, au bénéfice des membres de sa famille et de quelques autres personnes. Son esprit supérieur, ses solides principes, son instruction et les charmes de sa personne la firent apprécier hautement par l’entourage de Louis XIV, — entourage beaucoup plus sérieux que dans les premières années du règne de ce monarque[15].

On peut voir par un mémoire daté de Versailles et adressé au ministre en 1710, qu’au milieu des enchantements et des exigences de la cour, la vaillante marquise ne perdait pas de vue les affaires politiques de la Nouvelle-France[16].

En 1721, la marquise se trouvait à Montréal[17]. Elle posait, en 1723, la première pierre du Château Vaudreuil dont nous avons parlé au chapitre précédent. Une note de l’Album des souvenirs canadiens, du Commandeur Viger, se lit comme suit :

« Inscription trouvée le 15 mai 1806, sur la première pierre de l’angle sud-est de l’ancien Château Vaudreuil, à Montréal, employé comme premier Collège de cette ville, du 1er octobre 1773 an 6 juin 1803, (alors) qu’il fut détruit par le feu.


« Cette pierre * a esté posée * par * Dame * Lovise-Elisabeth * Jovabere * Femme * de * Havt * et puissant * Seignevr * Philippe de Rigavd * Chevalier * Marqvis * de Vavdrevil * Grand * Croix * de * St-Lovis * Govvernevr * Lievtenant * General * povr * le Roi * de tovtte * la * Novvelle * France * Septentrionale * En 1723 * le 15 May * — Sept Maison * appartien * a Monsievr * Le * Marqvis * de Vavdrevil * »


Madame Philippe de Vaudreuil atteignit l’âge de soixante-six ans et demi. « Elle fit son testament le 19 janvier 1740, et mourut à Paris peu de jours après, dans le même mois »[18].


Vers les premiers jours de l’automne de 1708, la sentinelle du fort Saint-Louis présentait les armes à un religieux de la Compagnie de Jésus, qui se dirigeait vers le château. Le Père Bigot, un des plus zélés missionnaires de l’Acadie, venait rendre compte au marquis de Vaudreuil de l’heureux résultat de démarches commencées depuis déjà plusieurs années pour tirer des mains des Abénaquis une jeune Anglaise, une enfant de onze ans, Esther Wheelwright, enlevée à ses parents dans une journée de carnage, et qui, depuis lors, avait partagé les misères d’une famille sauvage qui l’avait adoptée. Le missionnaire avait aperçu un jour sa blanche figure au milieu d’un groupe de petits Abénaquis, et avait fait connaître sa captivité à sa famille, qui habitait le voisinage de Boston.

M. de Vaudreuil s’était occupé activement du rachat de cette enfant. Il lui donna asile au château Saint-Louis et voulut la traiter comme un membre de sa famille. Madame de Vaudreuil la prit aussi en affection, et, comme elle comptait partir dans quelques mois pour la France, elle résolut de la placer chez les Ursulines avec sa fille, Marie-Louise de Rigaud, âgée de près de huit ans. Le journal ou registre des Ursulines du 18 janvier 1709, contient la note suivante : « Madame la Marquise nous a donné une petite Anglaise pour pensionnaire. Elle paiera 40 écus. »

Esther Wheelwright appartenait à une excellente famille et était admirablement douée, au physique et au moral. Elle se fit religieuse chez les Ursulines de Québec le 12 avril 1714, et prit le nom de Mère de l’Enfant-Jésus. Sa mère ne la revit jamais ; elle se déclara satisfaite de la savoir heureuse et se contenta de lui écrire des lettres pleines de tendresse et de lui envoyer de riches cadeaux.

M. de Vaudreuil, par égard pour la famille de la jeune fille, ne voulut pas d’abord prendre la responsabilité d’autoriser l’entrée en religion de Mademoiselle Wheelwright. Ne pouvant la confier à personne pour la conduire à Boston, il la garda auprès de lui, avec ses propres enfants, de 1710 à 1712, année de son entrée au noviciat.

La jeune étrangère dont l’enfance avait été si tourmentée désirait ardemment vivre de la vie calme du cloître ; aussi fit-elle une religieuse modèle. Ses parents de la Nouvelle-Angleterre eurent à plusieurs reprises des rapports pleins de cordialité avec les Ursulines. Un de ses neveux vint même à Québec pour y voir sa légendaire parente. On lui donna la permission d’entrer dans le cloître, et la pauvre petite prisonnière des Abénaquis, devenue religieuse professe et captive volontaire, put s’enquérir à loisir de tout ce qui concernait sa famille.

On lit dans l’Histoire du Monastère des Ursulines de Québec, vol. iii, p. 46.

« Une autre fête, que les circonstances rendirent publique, fut celle du 12 avril 1764, jour où notre révérende Mère Supérieure, la Mère Esther Wheelwright de l’Enfant-Jésus, renouvelait ses vœux de cinquante ans de profession entre les mains de M. Briant, vicaire-général du diocèse vacant, et notre très-digne supérieur. Rien ne manqua à la solennité ; M. Resche, notre très digne confesseur, joua de l’orgue, et l’on chanta plusieurs motets pendant la sainte messe. M. Récher, de son côté, nous favorisa d’un très-beau sermon sur le bonheur de la vie religieuse. Le Te Deum se chanta à l’issue de la messe, et nous eûmes le soir la bénédiction du Saint-Sacrement… » (Vieux Récit.)

« Cette bien-aimée jubilaire était la première supérieure anglaise de notre maison, et, par une singulière coïncidence, elle entrait en charge au mois de décembre 1760, précisément à l’époque où la domination anglaise s’établissait en Canada. Cette vénérée et chère Mère, qui devait tant à l’hospitalité française, semblait dire que le mélange des deux races n’altèrerait jamais en rien la charité, et que si, d’un côté, le monastère restait toujours profondément français, il saurait, de l’autre, apprécier le mérite des filles d’Albion. »

La révérende Mère Esther Wheelwright de l’Enfant-Jésus vivait encore en 1775. Elle mourut au vieux monastère des Ursulines de Québec, le 28 novembre 1780, à 8 heures du soir. Elle avait alors 82 ans.

La quatrième châtelaine du fort Saint-Louis fut Madame la marquise Pierre de Vaudreuil-Cavagnal, née Fleury de la Gorgendière, femme du dernier gouverneur du Canada sous le régime français.

Elle était fille de Jacques-Alexis Fleury de la Gorgendière et de Dame Marguerite de Chavigny. Née le 10 janvier 1683, ondoyée par le Père Exupère, récollet, le 12 mars suivant, elle fut présentée à l’église paroissiale de Québec, pour les cérémonies du baptême, le 20 avril de la même année. À l’age de vingt-et-un ans (le 15 juin 1704), elle épousa, en premières noces, à Montréal, François Le Verrier, seigneur de Rousson, capitaine d’une compagnie du détachement de marine de la colonie, et en eut deux enfants : Louis, né le 7 avril 1705, qui embrassa la carrière militaire et suivit sa mère et le marquis de Vaudreuil en France après la conquête ; et Jacqueline-Marguerite, née le 1er juillet 1706, qui épousa Jean-Paschal Soumande le 3 septembre 1726[19].

François LeVerrier étant mort, à Québec, le 6 novembre 1732, sa veuve épousa le marquis Pierre de Vaudreuil-Cavagnal, (fils du marquis Philippe de Vaudreuil et d’Élisabeth de Joybert), qui devint gouverneur-général de la Nouvelle-France en 1755[20].

On connaît peu de chose de la vie intime de la marquise Pierre de Vaudreuil. Dans ses lettres confidentielles à Bourlamaque, le marquis de Montcalm mentionne quelquefois son nom. Le 3 mars 1758, il écrit :

« Les beaux jours occasionnent beaucoup de parties de campagne. M. et Mme de Vaudreuil y vont souvent. Le chevalier de Lévis en est quelquefois, et il a aussi les siennes ? »

Le 7 du même mois :

« Les beaux jours continuent ; la fonte des glaces me fait craindre l’interruption des parties de M. et Mme de Vaudreuil, qui vont visiter les notables de la côte comme Henri iv chez les notables bourgeois de Paris. »

Le 8 octobre 1758 :

Madame de Vaudreuil disait ce matin : M. le général, les Anglais disent bien que vous êtes un grand général. Le P. Floquet : Tout est dû à votre prudence et à votre bonheur. Rigaud pleurait de joie et de chagrin de la perte de ses Sauvages. Saint-Sauveur disait sa phrase favorite : Rogers est tué, c’est complet, habit, veste et culotte. »

Le 9 décembre de la même année :

« Comme on écrit beaucoup de Montréal à Québec, j’aime mieux vous dire que, hier matin, à l’occasion de l’officier de milice qui disait que l’on était consterné, lorsque je faisais le siège du fort Guillaume-Henry, et que Webb avait grand’peur ; qu’il n’y avait, personne à Orange et New-York, et que l’on aurait pris avec facilité Lydins, M. le Marquis de Vaudreuil rabâcha, beaucoup sur cela, moi présent. À la fin, avec beaucoup de modération (car les assistants et le chevalier de Montreuil l’assurent), je lui dis mes raisons pour n’y avoir pas marché, qu’il ne fallait pas se repaître de chimères. »

« J’interpellai M. Le Mercier, qui fut de mon avis et défila, et n’osa plus rester davantage ; et je conclus par lui dire modestement que je faisais de mon mieux à la guerre, suivant mes faibles lumières ; que, quand on n’était pas content de ses seconds, il fallait faire campagne en personne pour exécuter ses propres idées. Les larmes lui en vinrent aux yeux, et il mâcha entre ses dents que cela pourrait être. La conversation finit de ma part : — J’en serai comblé, et je servirai volontiers. »

« Madame de Vaudreuil voulut s’y mêler : — Madame, permettez que, sans sortir du respect qui vous est dû, j’aie l’honneur de vous dire que les dames ne doivent pas parler guerre. Elle voulut continuer : — Madame, sans sortir du respect qui vous est dû, permettez que j’aie l’honneur de vous dire que si Madame de Montcalm était ici et qu’elle nous entendît parler guerre avec M. le Marquis de Vaudreuil, elle garderait silence. »

« Cette scène, devant huit officiers, dont trois de la colonie, sera brodée, rebrodée ; la voilà telle. Je lui parlai des vivres et je lui dis : M. l’intendant, qui est l’homme du Roi, comme vous, Monsieur[21] et qui, sur cette partie, doit être instruit, m’a écrit, dans le temps, qu’il n’avait pas de quoi nourrir l’armée passé le dernier août. Nous étions au 9. Quoique sûrement Le Mercier le lui écrira, car il a dû entendre cette phrase avant d’avoir défilé, vous pouvez lui dire comme de vous-même, avec confidence, si vous le jugez à propos, sinon mot. »

« Le chevalier de Levis, qui entra, ne se serait pas douté de la conversation, vu mon air tranquille, et j’y fus le soir à mon ordinaire ; et ce matin, je porte un bel œillet, qu’on m’envoie dans le moment, à Madame de Vaudreuil ; mais c’est odieux. »

Le 8 mars 1759 :

« L’histoire de mon empoisonnement s’est renouvelée dans le gouvernement de Montréal, il y a quinze jours, et a été à M. et Mme de Vaudreuil. Elle en a bien rabâché, et le peuple disait : On veut donc vendre le pays ! Au reste, je n’aime pas ces bruits. Ne parlez jamais de crime aux hommes. »

Le 25 juin 1759 (à l’arrivée de la flotte de Wolfe) :

« Madame de Vaudreuil doit partir cette semaine pour Montréal ; mais M. le Marquis nous reste. »

Dans toute cette correspondance intime, Montcalm répète souvent : Brûlez cette lettre, — brûlez toutes mes lettres. Cela fait rêver. Comme l’a dit avec autant d’esprit que de justesse M. Joseph-Edmond Roy, « la postérité est une grande décacheteuse de lettres » : toutes celles dont nous venons de donner des extraits, ainsi que beaucoup d’autres adressées par Montcalm à Bourlamaque, sont devenues la propriété de sir Thomas Philipps : M. Francis Parkman possédait une copie manuscrite de toute la collection, et celle-ci a été imprimée et publiée, en 1891, par le gouvernement de Québec. La lettre du 9 décembre 1758, où il est question d’un dialogue assez vif entre Montcalm et Madame de Vaudreuil, suivi de l’envoi d’un œillet par le général à la marquise, a aussi été rééditée par M. l’abbé H.-R. Casgrain dans son ouvrage intitulé : Montcalm et Lévis[22]. Après tant de publicité, personne n’aura de scrupules à la reproduire, malgré la recommandation de celui qui l’écrivait : Brûlez cette lettre. — brûlez toutes mes lettres.

Les Hospitalières de Québec ont conservé une lettre de la marquise de Vaudreuil-Cavagnal. Elle est signée : Fleury Vaudreuil.

Ainsi qu’on l’a vu plus haut, ce fut vers la fin du mois de juin 1759 que la dernière châtelaine du fort Saint-Louis sous le régime français quitta le château pour n’y plus revenir. Nous la retrouvons au mois d’octobre de l’année suivante, sur le pont du navire l’Aventure, avec son noble époux, le marquis de Vaudreuil, M. de Rigaud et plusieurs des principaux acteurs du grand drame dont les péripéties venaient de se dérouler sur les rives du Saint-Laurent. Lorsque le vaisseau qui devait la conduire en France quitta la rade de Québec, le 18 octobre 1760, elle sentit sans doute son cœur se gonfler en disant un suprême adieu au pays qui l’avait vue naître, à la ville qu’elle avait habitée en quasi souveraine, à l’historique château Saint-Louis, toujours debout sur son rocher, drapé dans la majesté de ses souvenirs, le flanc blessé par les obus et — spectacle étrange — le front paré des couleurs victorieuses de l’Angleterre.




IX


Le fort Saint-Louis, résidence de tous les gouverneurs de la Nouvelle-France — Un visiteur étranger. — Kalm et le Canada en 1749. — Les intendants de la Nouvelle-France. — Le château Saint-Louis, demeure suzeraine.



On a vu que le fort Saint-Louis avait été habité par Champlain et Montmagny avant la construction du premier corps de logis désigné sous le nom de « Château. » Celui-ci fut habité successivement par Louis d’Ailleboust, Jean de Lauzon, d’Argenson, d’Avaugour, Mésy, Courcelles, Frontenac, La Barre, Denonville, et une deuxième fois par Frontenac, qui le fit démolir. Quant au deuxième château Saint-Louis, il fut habité, sous le régime français, d’abord par Frontenac, puis par Hector de Callières, Philippe de Vaudreuil, Charles de Beauharnois, La Galissonnière, La Jonquière, Duquesne de Menneville et Pierre de Vaudreuil-Cavagnal (1755-59). Ce dernier conserva le titre de gouverneur-général jusqu’au 8 septembre 1760, date de la capitulation de Montréal.

Parmi les personnages qui reçurent l’hospitalité au château, nous devons mentionner un savant botaniste, naturaliste et géologue, le docteur Pierre Kahn, suédois de nation, qui visita le Canada sous l’administration du comte de la Galissonnière, un autre savant doublé d’un marin et d’un homme d’état, et se trouva à Québec lors de l’arrivée du marquis de la Jonquière.

Kalm a publié, en langue suédoise, un journal de son voyage dans l’Amérique du Nord, qui a été traduit en anglais, en allemand et en hollandais. La partie qui concerne le Canada a aussi été traduite en français par Monsieur L. W. Marchand, avocat, de Montréal, qui a de plus donné une analyse du reste de l’ouvrage. Ce journal est extrêmement intéressant. Nous en détachons quelques pages où l’auteur fait connaître la physionomie canadienne de l’époque et donne quelques renseignements sur la résidence du gouverneur-général.

« 1er août 1749. — Le gouverneur-général du Canada réside habituellement à Québec, mais il vient souvent à Montréal, et y passe généralement l’hiver. Le séjour de Québec est plus commode en été, à cause des arrivages fréquents de vaisseaux du roi, qui apportent au gouverneur des lettres auxquelles il doit répondre, et pour l’expédition d’autres affaires propres à cette saison. Pendant sa résidence à Montréal, il habite le château, qui est une grande maison en pierre, bâtie par le gouverneur-général Vaudreuil, encore aujourd’hui la propriété de sa famille, qui la loue au roi. Le marquis de la Galissonnière, paraît-il, préfère Montréal à Québec, et, de fait, la situation de la première ville est beaucoup plus agréable que celle de la seconde…

Montréal est la seconde ville du Canada… Elle est passablement bien fortifiée, et entourée d’un mur élevé et épais[23]. À l’est, elle est protégée par la rivière St-Laurent, et sur tous les autres points par un fossé profond, rempli d’eau, qui défend les habitants contre tout danger d’une incursion soudaine des troupes de l’ennemi. Quelques maisons dans la ville sont bâties en pierre ; la plupart le sont en bois de charpente, mais très élégamment construites. Les maisons de première classe ont une porte donnant sur la rue, avec un siège de chaque côté de la porte, où l’on vient s’asseoir pour causer et se récréer matin et soir. Les rues principales sont droites, larges et coupées à angles droits par les petites rues. Il y en a qui sont pavées, mais c’est l’exception. La ville a de nombreuses portes : à l’est, du côté de la rivière, on en compte cinq, deux grandes et trois petites ; et sur l’autre côté il y en a pareillement plusieurs…

« 2 août 1749. — Ce matin, de bonne heure, nous nous embarquâmes pour Québec, en compagnie du second major de Montréal, M. de Sermonville. Nous descendîmes la rivière St-Laurent, qui est ici passablement large, ayant à notre gauche, au nord-ouest, l’île de Montréal, et à notre droite plusieurs îles et le rivage. Une population dense habite les bords de l’île de Montréal… Les maisons sont bâties en bois, ou en pierre, et blanchies à l’extérieur. Les dépendances, telles que granges, étables, etc., sont toutes en bois. Le terrain dans le voisinage de la rivière est converti en champs de blé ou en prairies. Çà et là nous apercevons des églises qui se font face sur chaque côté du fleuve… À six lieues de Montréal, nous passons en vue de plusieurs îles de différentes grandeurs, la plupart habitées ; celles qui ne le sont pas sont converties en champs de blé, plus souvent en prairies.

« Les fermes du Canada sont séparées les unes des autres de manière que chaque propriétaire a son bien entièrement distinct de celui de son voisin. Chaque église, il est vrai, est entourée d’un petit village ; mais il est formé principalement du presbytère, d’une école pour les garçons et filles, et des demeures des commerçants et artisans, rarement d’habitations de fermiers… Les maisons des paysans sont généralement bâties sur les bords de la rivière, à une distance plus ou moins grande de l’eau, et à trois ou quatre arpents les unes des autres. Quelques cultivateurs ont des vergers, c’est le petit nombre ; mais chacun a son jardin potager…

« Les maisons des fermiers sont généralement bâties en pierre, ou en bois de charpente, et contiennent trois ou quatre chambres… Un poêle en fonte chauffe toute la maison. Les toits sont couverts en bardeaux… Les dépendances sont couvertes en chaume.

« De distance en distance, on voit des croix plantées le long du chemin, qui court parallèlement au rivage. Cet emblème est multiplié en Canada, sans doute afin d’exciter la foi du voyageur… Les calvaires érigés près des églises sont couverts de sculptures représentant tous les instruments qu’ont dû employer les Juifs pour crucifier Notre-Seigneur…

« Le paysage de chaque côté de la rivière est charmant, et l’état avancé de la culture des terres ajoute grandement à la beauté de la scène. On dirait un village continu, commençant à Montréal et finissant à Québec, sur une ligne de plus de cent quatre-vingts milles. Les maisons des fermiers, à peu d’exceptions près, ne sont séparées les unes des autres que par une distance de trois à cinq arpents. La vue est très belle, surtout lorsque la rivière court en droite ligne l’espace de quelques milles ; alors les habitations paraissent plus rapprochées les unes des autres, et offrent davantage l’aspect d’un village bâti sur une seule rue se prolongeant indéfiniment.

« Toutes les femmes du pays, sans exception, portent le bonnet. Leur toilette consiste en un court mantelet sur un jupon qui leur va à peine au milieu de la jambe ; une croix d’argent est suspendue à leur cou. En général, elles sont fort laborieuses ; cependant j’en ai vu quelques-unes qui, comme les Anglaises des colonies, ne faisaient rien que caqueter toute la journée. Lorsqu’elles travaillent en dedans de leurs maisons, elles fredonnent toujours, les filles surtout, quelques chansons dans lesquelles les mots amour et cœur reviennent souvent…

« 6 août 1749. — Québec, la ville la plus importante du Canada, est située sur la côte occidentale de la rivière Saint-Laurent, tout au bord de l’eau… La montagne sur laquelle la haute-ville est située s’étend bien au-dessus des maisons de la basse-ville, bien qu’elles aient trois ou quatre étages de haut ; rien qu’à jeter un coup d’œil du palais[24] sur la basse-ville, dont partie se trouve immédiatement au-dessous, est assez pour donner le vertige…

« Le palais… (château Saint-Louis) est situé sur le côté ouest (du fleuve Saint-Laurent) et le côté le plus escarpé de la montagne, juste au-dessus de la basse-ville. Ce n’est pas précisément un palais, mais un grand bâtiment en pierre, à deux étages, s’étendant du nord au sud. L’entrée est à l’Ouest, sur une cour entourée partie par un mur, partie par des maisons. Une galerie, large d’environ deux brasses (12 pieds), pavée en dalles et fermée par une balustrade en fer, règne tout le long de la façade de l’Est, qui donne sur lat rivière ; on y a une vue splendide de la cité et du fleuve. C’est le promenoir par excellence de l’après-dîner, et aussi de ceux qui ont affaire au gouverneur-général, en attendant qu’il puisse les recevoir. Le palais est la résidence du gouverneur-général du Canada ; un piquet de soldats y monte la garde, tant devant la grande porte que dans la cour, et à l’entrée ou sortie du gouverneur ou de l’évêque, ces militaires doivent présenter les armes au son du tambour. Le gouverneur-général a une chapelle privée, ce qui ne l’empêche pas d’aller souvent entendre la messe à l’église des Récollets, qui est proche du palais. »

Après avoir donné une description de tous les édifices publics de la ville et des beaux jardins dont quelques-uns sont entourés, le narrateur continue :

« La plupart des maisons de Québec sont bâties en pierre, et dans la haute-ville elles n’ont généralement qu’un étage, les édifices publics exceptés. J’ai vu quelques maisons en bois dans la ville, mais il ne sera pas permis de les rebâtir lorsqu’elles viendront à tomber en ruine. La brique n’est pas employée dans la construction des maisons ou des églises dans la cité ; on se sert d’un schiste calcaire noir extrait de la montagne même sur laquelle Québec est assis… Les toits des édifices publics sont couverts en ardoises communes que l’on fait venir de France.

« L’ardoise des toits posés depuis plusieurs années ne paraît pas avoir souffert par suite des variations de l’air et du temps. Les demeures des particuliers sont couvertes en planches ajustées parallèlement aux chevrons ou aux bords des toits, et quelquefois obliquement.

« Les coins des maisons et les ceintres des croisées sont faits d’une pierre calcaire grise, à petits grains, qui jette une odeur forte pareille à celle de la pierre puante, plus utile dans ce pays que l’ardoise, qui est sujette à se fendre sous l’action de l’air. L’intérieur des maisons est généralement blanchi. Les fenêtres sont placées en dedans des murs, les double-châssis étant en usage à Québec. Le milieu du toit repose sur deux ou tout au plus sur trois chevrons, couverts en planches seulement.

« On chauffe les chambres en hiver avec de petits poêles en fer, qu’on enlève l’été…

« La poudrière — au sud du palais — occupe le sommet de la montagne sur laquelle la cité est bâtie…

« Les marchands (de Québec) s’habillent fort élégamment et poussent la somptuosité dans les repas jusqu’à la folie.

« Les femmes sont tous les jours en grande toilette et parées autant que pour une réception à la cour…

« 15 août 1749. — Le nouveau gouverneur-général de tout le Canada, le marquis de la Jonquière, est arrivé la nuit dernière dans le port de Québec ; mais, comme il était tard, il a remis son entrée officielle à aujourd’hui. Parti de France le 2 juin, il n’a pu parvenir plus tôt au lieu de sa destination…

« Ce jour est un jour de grande fête : celle de L’Assomption de la Vierge Marie, qui est célébrée avec la plus grande pompe dans les pays catholiques-romains. Le 15 août de cette année sera donc une date doublement remarquable, tant à cause de la fête qu’à cause de l’arrivée du nouveau gouverneur-général, qui est toujours reçu avec beaucoup d’éclat, ce fonctionnaire ayant ici le rang d’un vice-roi.

« Vers huit heures, les principaux habitants de la ville se sont assemblés dans la maison, de M. de Vaudreuil, qui vient d’être nommé gouverneur des Trois-Rivières et dont le père a été gouverneur-général du Canada. Sa maison est dans la basse-ville. M. le marquis de la Galissonnière, gouverneur-général jusqu’à ce jour, et qui partira pour la France à la première occasion, y vint pareillement, accompagné de tous les officiers publics. Je fus invité à assister à la cérémonie. À huit heures et demie, le nouveau gouverneur-général est descendu de son vaisseau dans une chaloupe couverte d’un tapis rouge, et au même moment les canons, du haut des remparts, donnèrent le signal de mettre en branle toutes les cloches de la ville. Les personnes de distinction descendirent au rivage pour rendre hommage au gouverneur, qui, à son débarquement de la chaloupe, fut reçu par le marquis de la Galissonnière. Après qu’ils se furent salués l’un l’autre, le commandant de la ville présenta au nouveau gouverneur-général, dans le langage le plus éloquent, une adresse à laquelle il répondit fort laconiquement et qui fut suivie d’une salve générale des canons des remparts. Toute la rue jusqu’à la cathédrale était bordée d’hommes sous les armes appartenant pour la plupart à la classe bourgeoise. Le gouverneur-général se dirigea vers la cathédrale, passant entre cette double haie. Il portait un habillement rouge tout galonné d’or. Ses gens, en livrée verte, le précédaient le fusil sur l’épaule. À son arrivée à la cathédrale, il fut reçu par l’évêque du Canada[25] revêtu de ses habits pontificaux, la tête couverte d’une large mître dorée, une haute crosse d’argent massif à la main et entouré de son clergé. Après une courte adresse de l’évêque au gouverneur-général, un prêtre, accompagné de deux autres ecclésiastiques, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche, qui tenaient en mains des cierges allumés, survint, apportant un crucifix d’argent fixé au bout d’un long bâton et le lui donna à baiser.

« Ensuite le cortège se dirigea vers le chœur, en passant par la grande allée, dans l’ordre suivant : l’évêque suivi de son clergé, les gens du gouverneur marchant tête couverte et le fusil sur l’épaule, puis le gouverneur lui-même avec sa suite et la foule. À l’entrée du chœur, le gouverneur-général et le général de la Galissonnière s’arrêtèrent devant une stalle couverte d’un tapis rouge et y restèrent pendant tout le temps de la messe, qui fut célébrée par l’évêque lui-même. De l’église il se rendit au palais (le château St-Louis), où les personnages de marque vinrent lui rendre leurs hommages. Les religieux des différents ordres, avec leurs supérieurs respectifs, vinrent lui témoigner leur joie de son arrivée.

« De toute cette foule qui s’était portée au devant du gouverneur, aucun ne resta pour le dîner, à l’exception de ceux qui avaient été invités d’avance, et j’eus l’honneur d’être de ce nombre. Le repas dura fort longtemps et fut aussi somptueux que l’occasion le demandait.

« Le gouverneur-général, marquis de la Jonquière, était un homme de haute taille et paraissait alors âgé d’un peu plus de soixante ans. Il s’était battu avec les Anglais sur mer dans la dernière guerre ; le combat fut acharné, mais les Anglais étant de beaucoup supérieurs en nombre, tant en vaisseaux qu’en hommes, il perdit la bataille et fut obligé de se rendre. Il fut blessé en cette occasion par une balle qui lui traversa l’épaule de part en part.

« Quoique d’un caractère affable il savait conserver sa dignité avec ceux qui recherchaient sa faveur…

« 25 août 1749. Toute la contrée est en état de culture et divisée en champs, en prairies ou pâturages. La plupart des terres sont couvertes de riches moissons de blé, d’avoine blanche et de pois. La campagne est parsemée de fermes et d’habitations dont quelques-unes sont fort belles…

« 29 août 1749. — Vus de la rivière, les environs de Québec sont des plus pittoresque. La ville est très élevée, et ses églises et ses monuments s’aperçoivent de fort loin. Les vaisseaux dans la rivière, au-dessous de la cité, ornent le paysage de ce côté. La poudrière, qui ronronne le sommet de la montagne sur laquelle s’élève la ville, domine tous les autres édifices. La campagne qui se déroule sous nos regards le long de notre course ne nous offre pas un aspect moins enchanteur…

« 11 septembre 1749. — Le marquis de la Galissonnière[26] …, âgé d’environ cinquante ans, est un homme de petite stature, à la taille un peu déformée, et d’un extérieur agréable ; son savoir est vraiment étonnant et s’étend à toutes les branches de la science, surtout à l’histoire naturelle, dans laquelle il est si bien versé que, lorsqu’il commença à discourir sur cette matière, je crus entendre un autre Linné. M’entretenant avec lui de l’utilité de l’histoire naturelle, de la meilleure méthode à suivre pour l’apprendre et l’employer ensuite à améliorer l’état d’un pays, je fus étonné de le voir tirer ses raisons de la politique, aussi bien que de la philosophie, des mathématiques et d’autres sciences. Je confesse que mes conversations avec ce gentilhomme m’ont été très instructives et que j’en ai toujours tiré beaucoup de notions utiles. Il m’a indiqué plusieurs moyens d’employer l’histoire naturelle à des fins politiques en vue de rendre un pays assez puissant pour humilier ses voisins envieux. Un plus grand protecteur de la science n’a jamais existé et n’existera peut-être jamais en Canada. Il ne fut pas plus tôt installé dans sa charge de gouverneur-général qu’il combina cette série de mesures pour obtenir des informations sur l’histoire naturelle, que j’ai mentionnées plus haut. Lui arrive-t-il de voir des gens qui ont séjourné dans quelqu’un des établissements les plus éloignés du pays, ou les ont parcourus, il ne manque jamais de les questionner sur les arbres, les plantes, le sol, les pierres, les minéraux de ces localités. Il s’informe également de l’usage que les habitants font de ces choses, de leur méthode de culture, des lacs, rivières ou passages de ces pays, et de nombre d’autres détails. Il ne laisse partir ceux qui paraissent avoir des notions plus claires que les autres qu’après en avoir obtenu une description circonstanciée de ce qu’ils ont vu. Il prend note de toutes ces informations, en rédige lui-même des rapports, et grâce à cette grande application si peu commune chez les personnes de son rang, il s’est bientôt acquis une connaissance parfaite des parties les plus éloignées de l’Amérique. Les prêtres et les commandants des forts qui se rencontrent chez lui, en visite, à leur retour de contrées quelquefois très distantes les unes des autres, sont surpris des questions qu’il leur pose et émerveillés de le voir si bien renseigné ; il n’est pas rare qu’il leur dise que, près de telle montagne ou tel rivage, où ils sont allés souvent faire la chasse, il y a telle plante particulière, des arbres de telle espèce, que le sol est de telle ou telle qualité, qu’on y trouve un certain minéral ; or, toutes ces informations, dont l’exactitude étonne les voyageurs, il les a obtenues d’avance. Mais quelques-uns de ses administrés, qui ne sont pas dans le secret, l’entendant faire une description de toutes les curiosités de lieux situés quelquefois à deux cents milles suédois de Québec, et où il n’a jamais mis le pied, croient qu’il a une connaissance surnaturelle des choses. Il n’y a jamais eu un meilleur homme d’État que lui, et personne ne peut prendre des mesures plus judicieuses et choisir des moyens plus efficaces pour l’amélioration d’un pays et l’accroissement de sa prospérité. »

Kalm parle ensuite de la flore et de la faune canadienne, de la fabrication du sucre d’érable, etc. ; puis il donne des détails sur le prix des animaux des fermes et des produits du sol. À la date du 27 septembre 1749, il écrit :

« Un cheval de moyenne encolure coûte maintenant quarante francs et plus. Un beau cheval vaut cent francs[27] Une vache se vend cinquante francs, mais il y a des gens qui se rappellent le temps où l’on pouvait s’en procurer une pour dix écus (trente francs). Un mouton coûte cinq francs… Un cochon d’un an, pesant cent cinquante à deux cents livres, se vend quinze francs. M. Couâgne, le marchand, m’a dit avoir vu un cochon du poids de quatre cents livres chez les Indiens. Un poulet vaut de dix à douze sous, un coq d’Inde vingt sous. Un minot de bled… coûte quarante sous. Le maïs vaut toujours le même prix que le bled, parce qu’il n’y en a que très peu ici, et ce peu est accaparé par ceux qui font le commerce avec les Indiens. Un minot d’avoine vaut quelquefois quinze à vingt sous… Les pois ont toujours la même valeur que le bled. Le beurre coûte ordinairement huit à dix sous la livre… Une douzaine d’œufs ne coûte généralement que trois sous… Il ne se fabrique pas de fromage à Montréal. »

Le savant botaniste se laisse gagner par l’enthousiasme en parlant des environs de Québec et des plateaux de Lorette, de Charlesbourg et de Beauport, couverts d’une admirable, végétation. « Les hautes prairies, en Canada, sont excellentes, dit-il, et de beaucoup préférables à celles des environs de Philadelphie et des autres colonies anglaises. Plus j’avance au nord, plus elles sont belles, et plus le gazon en est riche et fourni. »

Il y a loin de ces affirmations à ce que Voltaire écrivait à M. de Moncrif, le 27 mars 1757 : « … On plaint ce pauvre genre humain qui s’égorge dans notre continent à propos de quelques arpents de glace en Canada. »[28]

Les habitants des campagnes canadiennes avaient toujours sur les lèvres quelques chansons des vieilles provinces de France. Ils vivaient de peu, étaient ingénieux, hardis, honnêtes, d’humeur joyeuse. Ils avaient le culte de la mère-patrie et servaient le roi avec un désintéressement, une bravoure, une loyauté qui ne se démentirent jamais. Kalm dit que les habitants du voisinage de Québec apportaient à la ville presque tous les produits de leurs terres, ne se réservant pour eux que ce qui était strictement nécessaire à leur subsistance. Pourtant, remarque-t-il, ils sont gais. Dans les communautés religieuses de Québec et de Montréal, dont le voyageur suédois parle avec sympathie, quoique protestant, vivait aussi une population pauvre mais gaie. En somme, la colonie de la Nouvelle-France, pauvre encore dans un sens absolu, était à l’aise dans un sens relatif. Les penseurs qui comptent le « renoncement. » comme un facteur important dans la condition économique d’un peuple ont raison.

Une grande partie des habitants de la ville de Québec étaient nés en France ou appartenaient à des familles récemment établies dans la colonie.

Encore quelques citations empruntées au Voyage dans l’Amérique du Nord :

« … La différence entre les manières et les coutumes des Français de Montréal et du Canada et celles des Anglais des colonies américaines est la même qui existe entre ces deux nations en Europe. Ici, les femmes, en général, sont belles ; elles sont bien élevées et vertueuses, et ont un laisser-aller qui charme par son innocence même, et prévient en leur faveur. Elles s’habillent beaucoup le dimanche, mais les autres jours, elles s’occupent assez peu de leur toilette, sauf leur coiffure, qu’elles soignent extrêmement… » Elles sont « dures au travail, surtout parmi le peuple : on les voit toujours aux champs, dans les prairies, aux étables, ne répugnant à aucune espèce d’ouvrage… Les hommes sont extrêmement polis, et saluent en ôtant leurs chapeaux, chaque personne, indistinctement, qu’ils rencontrent dans les rues…

«  Chose curieuse ! tandis que beaucoup de nations imitent les coutumes françaises, je remarque qu’ici, ce sont les Français, qui, à maints égards, suivent les coutumes des Indiens, avec lesquels ils ont des rapports journaliers. Ils fument, dans des pipes indiennes, un tabac préparé à l’indienne, se chaussent à l’indienne et portent jarretières et ceintures comme les Indiens. Sur le sentier de la guerre, ils imitent la circonspection des Indiens ; de plus, ils leur empruntent leurs canots d’écorce et les conduisent à l’indienne ; ils s’enveloppent les pieds avec des morceaux d’étoffe carrés au lieu de bas, et ont adopté beaucoup d’autres façons indiennes. Un étranger entre-t-il dans la maison d’un paysan ou cultivateur canadien, aussitôt il se lève, salue le visiteur d’un coup de chapeau, l’invite à s’asseoir, puis il remet son chapeau et s’assied lui-même. Ici tout le monde est Monsieur ou Madame, le paysan aussi bien que le gentilhomme, la paysanne comme la plus grande dame…

«  Il y a une distinction à faire entre les dames canadiennes, et il ne faut pas confondre celles qui viennent de France avec les natives. Chez les premières on trouve la politesse qui est particulière à la nation française. Quant aux secondes, il faut bien faire une distinction entre les dames de Québec et celles de Montréal. La Québecquoise est une vraie dame française par l’éducation et les manières ; elle a l’avantage de pouvoir causer souvent avec les personnes appartenant à la noblesse, qui viennent chaque année de France, à bord des vaisseaux du roi, passer plusieurs semaines à Québec. À Montréal, au contraire, on ne reçoit que rarement la visite d’hôtes aussi distingués. Les Français eux-mêmes reprochant aux dames de cette dernière ville d’avoir beaucoup trop de l’orgueil des Indiens et de manquer d’éducation. Cependant, ce que j’ai dit plus haut de l’attention excessive qu’elles donnent à leur coiffure s’applique à toutes les femmes du Canada. Les jours de réception, elles s’habillent avec tant de magnificence qu’on serait porté à croire que leurs parents sont revêtus des plus grandes dignités de l’État… Les dames canadiennes, celles de Montréal surtout, sont très portées à rire des fautes de langage des étrangers ; mais elles sont excusables jusqu’à un certain point… ; au Canada on n’entend presque jamais parler le français que par des Français, les étrangers n’y venant que rarement. Quant aux Sauvages ils sont trop fiers pour s’exprimer dans une autre langue que la leur, et les Français sont bien obligés de l’apprendre… Pour continuer la comparaison entre les dames de Québec et celles de Montréal, j’ajouterai que celles-ci sont généralement plus belles que les premières.

« Les manières m’ont semblé quelque peu libres dans la société de Québec… À Montréal, les filles sont moins frivoles et plus adonnées au travail. On les voit toujours occupées à coudre quand elles n’ont pas d’autres devoirs à remplir. Cela ne les empêche pas d’être gaies et contentes ; personne ne peut les accuser non plus de manquer d’esprit ni d’attraits. Leur seul défaut, c’est d’avoir trop bonne opinion d’elles-mêmes. Notons à leur louange que les filles de tout rang, sans exception, vont au marché et rapportent avec elles les provisions qu’elles y ont achetées. Elles se lèvent de bonne heure et se couchent aussi tard. que qui que ce soit dans la maison. D’après ce qui m’a été dit, je suis porté à croire que leur dot, en général, est peu considérable, à cause du grand nombre d’enfants dans chaque famille et de la modicité des revenus… Les jeunes gentilshommes qui viennent de France, chaque année, sont captivés par les dames de Québec et s’y marient ; mais comme ces messieurs vont rarement à Montréal, les jeunes filles de cette dernière ville n’ont pas souvent semblable fortune. »

Comme la plupart des voyageurs, le naturaliste Suédois était porté à conclure du particulier au général, ce qui lui a fait commettre quelques inexactitudes. Néanmoins son journal respire une bonne foi évidente, et jette une vive lumière sur les développements qu’avait pris la Nouvelle-France sous les longs et sages gouvernements du marquis Philippe de Vaudreuil et de son successeur le marquis Charles de Beauharnois.

Kalm ne paraît pas avoir accordé d’attention particulière à un personnage qui venait d’arriver dans la colonie, où il devait se rendre tristement célèbre : François Bigot, nommé « intendant de justice, police, finances et marine en Canada, Louisiane et toutes les terres et îles dépendantes de la Nouvelle-France, » par commission datée du 1er janvier 1748. Il succédait dans cette charge d’intendant à Talon, Bouteroue, Duchesneau, Demeulles, Champigny, François de Beauharnois, Raudot, père et fils, Bégon, Dupuy, d’Aigremont[29] et Hocquart.

Une des fonctions de l’intendant était de recevoir la foy et hommage des seigneurs canadiens. Cette cérémonie devait s’accomplir au château Saint-Louis, résidence suzeraine pour tous les fiefs et seigneuries de la Nouvelle-France.


X


La féodalité en Canada. — Les seigneurs au château Saint-Louis. — Foy et hommage. — Abolition de la tenure seigneuriale. — Le juge Würtele, dernier seigneur canadien admis à la foy et hommage. — Les archives féodales de Québec. — lexicologie.



L’institution du régime féodal en Canada, dans la mesure restreinte voulue par Louis XIV (après l’abolition de la compagnie des Cent-Associés et de la compagnie des Indes Occidentales), fut un bienfait pour la colonie et un des dons précieux que nos ancêtres durent au génie et à la sollicitude du grand roi.

Il est à l’honneur de notre race de dire que les seigneurs franco-canadiens ont été fidèles à remplir envers leurs censitaires les obligations imposées par la volonté royale, et que, sous l’ancien régime, ils n’ont jamais abusé des prérogatives dont ils étaient revêtus. Ceux qui, à cette époque, négligèrent de favoriser la colonisation et n’eurent pas de censitaires, virent leurs titres annulés et leurs seigneuries passer en d’autres mains[30].

Voici, en résume, ce que fut la tenure seigneuriale en Canada pendant près de deux siècles :

« Le roi tenait en dépôt, pour le besoin de ses peuples, des terres appelées le domaine du roi. La distribution de ces terres demandait un système administratif quelconque : le roi pensant, avec raison qu’il était expédient de disséminer sur la surface du nouveau pays un nombre d’hommes intelligents et actifs chargés de le faire établir moyennant un intérêt à eux accordé dans les progrès de ces établissements, choisissait des agents auxquels il octroyait une étendue de terre suffisante pour y fonder une petite colonie ; il les obligeait à s’y fixer, et à cette fin il était permis à ces agents de se choisir, chacun, dans les limites de son agence, une terre pour son usage exclusif. (Origine du domaine privé.)

« Le roi désirant s’assurer l’obéissance de ses agents à ses ordres leur ordonnait de venir de temps à autre lui en faire le serment. (Origine de la foi et hommage.)

« Le roi voulant veiller à l’établissement du pays et pouvoir facilement se procurer les renseignements nécessaires sur le progrès de la colonie, obligeait ses agents à lui fournir ces renseignements. (Origine de l’aveu et dénombrement.)

« Pour empêcher que l’intérêt créé en faveur des agents dans la chose commise à leurs soins ne fut changé par eux en moyen de spéculation, le roi exigeait qu’au cas de vente de l’investiture, il lui serait payé un cinquième du prix d’achat. (Origine du quint.)

« Pour empêcher que les agents ne malversassent en refusant de faire établir, en vendant, en exigeant des redevances trop onéreuses ou prohibitives, le roi leur ordonnait de concéder à tout venant à un taux connu de tout le monde. (Origine de l’obligation de concéder aux redevances accoutumées sans exiger aucune somme d’argent ni autres charges.)

« Comme des moulins à moudre les grains étaient nécessaires au maintien de la colonie et que les colons se trouvaient trop pauvres pour en ériger, le roi ordonnait aux agents d’en construire, et pour leur rendre cette obligation moins onéreuse, il forçait le colon à fréquenter exclusivement le moulin de l’agence à laquelle il appartenait à un taux fixe de monture. (Origine de la banalité.)

« Le roi voulant rémunérer ses agents des troubles et impenses de leur gestion leur permettait de prélever sur chaque colon en faveur duquel avait lieu telle gestion une redevance annuelle affectée sur chaque arpent superficiel de terre concédée. En affectant ainsi la redevance annuelle sur chaque arpent octroyé, le roi avait en outre en vue d’induire les colons à n’acquérir que la quantité de terre qu’ils pouvaient mettre en valeur. (Origine des rentes.)

« Le roi voulant faciliter la gestion de ses agents et faire contracter aux colons les habitudes sédentaires du cultivateur, en décourageant les mutations fréquentes, obligeait les tenanciers à payer aux agents un douzième du prix de chaque vente de terre. (Origine du cens comportant droit de lods et ventes.)

« Enfin, pour inspirer le respect dû aux intermédiaires obligés entre le roi et son peuple, les Actes Royaux appelaient ces agents Seigneurs, les faisant, suivant leurs capacités et les circonstances, dispensateurs de la justice[31], qualité qui en vertu des coutumes investissait de certains droits honorifiques (lucratifs quelquefois) celui qui en était revêtu[32]. »

Les arrêts, édits, ordonnances et coutumes qui régissaient la tenure seigneuriale en Canada sous le régime français continuèrent d’être la loi du pays sous la domination anglaise. Les seigneurs anglo-canadiens étaient tenus de rendre foi et hommage lige au Château Saint-Louis, à Québec, comme sous l’ancien régime, et avec le cérémonial antique adopté ici au dix-septième siècle : se mettant à l’instant en devoir de vassal, genouil en terres teste nue et sans espée ny espérons. Quelques-uns d’entre eux — cette formalité accomplie — se crurent quittes de toute autre obligation. Ils oublièrent qu’ils n’étaient en réalité que des fidéi-commissaires, refusèrent de concéder leurs terres à tout venant pour une rente annuelle n’excédant pas deux sols par arpent superficiel, comme ils y étaient tenus, et affectèrent de se considérer comme propriétaires absolus des terres comprises dans leurs fiefs ou seigneuries. C’est ainsi que les loyalistes anglais qui traversèrent la frontière lors de la proclamation de l’indépendance des États-Unis, afin de rester sujets britanniques, se trouvèrent en présence de seigneurs anglo-canadiens, acquéreurs d’anciennes seigneuries, qui les exploitèrent et leur vendirent des terres à des prix excessifs.

Ces abus commençant à se généraliser, et l’interprétation donnée aux lois féodales par les tribunaux anglo-canadiens tendant à opprimer les censitaires, nos législateurs décidèrent d’abolir, mais à des conditions équitables pour tous, cette institution de la tenure seigneuriale qui, dans la pensée de ses auteurs, ne devait être qu’une organisation colonisatrice[33]. Cet événement historique s’est accompli en 1854, sans soulèvement populaire, sans perturbation sociale, par les seuls moyens constitutionnels mis à la portée des citoyens ; et c’est encore là un fait qui est à l’honneur de nos populations[34].

Sous le régime français, la foi et hommage devait être rendue, à moins de dispense, au château Saint-Louis.

Pendant l’existence de la Compagnie de la Nouvelle-France (de 1627 à 1663) et de la Compagnie des Indes Occidentales (de 1664 à 1674), les seigneuries canadiennes ne relevaient du roi de France que par l’intermédiaire de ces compagnies. Après que Louis XIV eût décrété que l’administration de la Nouvelle-France se ferait désormais par la Couronne, les seigneuries continuèrent d’être mouvantes du « Château Saint-Louis de Québec, » mais les seigneurs durent rendre foi et hommage devant l’intendant de justice, police et finances de la colonie, comme représentant direct du roi de France. Avant cette époque, l’intendant avait pu recevoir des seigneurs la foi et hommage, mais seulement au nom de la Compagnie des Indes Occidentales.

Les seigneurs se rendaient au palais de l’intendant pour cette cérémonie officielle, et chacun des actes de foi et hommage de cette époque porte l’exemption « pour cette fois seulement » de se rendre au château Saint-Louis.

Sous le régime anglais, la foi et hommage fut rendue, d’abord au château Saint-Louis, puis après l’incendie du château en 1834, à l’Hôtel du Gouvernement, soit à Québec, soit à Montréal, le vassal étant, dans chaque cas après le 23 janvier 1834, dispensé, « pour cette fois seulement, » de se présenter au château Saint-Louis, à Québec.

Le gouverneur-général recevait la foi et hommage pour le roi, et procès-verbal de cette formalité — avec indications et déclarations relatives à la seigneurie du vassal — était inscrit dans un registre spécial, comme sous l’ancien régime.

Le dernier acte de foi et hommage fut rendu à Québec, à l’Hôtel du Gouvernement[35], le 3 février 1854, devant sir William Rowan, administrateur, et en présence de l’honorable Lewis-T. Drummond, procureur-général, et de quelques autres, par monsieur Jonathan-Sexton-Campbell Würtele, — plus tard le juge Würtele de Montréal, comme héritier des fiefs et seigneuries de Deguire ou la Rivière David et du Bourg Marie de l’Est, dans le district de Richelieu.

Les archives du département des Terres de la Couronne, à Québec, contiennent tous les actes authentiques de foy et hommage et d’aveu et dénombrement de la tenure seigneuriale en Canada. Monsieur T. P. Bédard, qui a fait un catalogue raisonné de ces documents, s’exprime ainsi, au sujet des actes d’aveu et dénombrement :

« Le seigneur était tenu de fournir au roi ou seigneur dominant, l’aveu et dénombrement de sa seigneurie, quarante jours après avoir été reçu à foi et hommage. (Art. 8, Coutume de Paris.)

« L’aveu et dénombrement consistait en un acte notarié indiquant la situation du fief et ses dimensions, donnant la description du manoir et de ses dépendances, et faisant connaître les noms des tenanciers, les dimensions de leurs terres, avec les tenans et aboutissans, et tous les droits de cens et rentes qui sont dus.

« Les registres qui contiennent ces actes offrent de l’intérêt aux écrivains et aux chercheurs, en ce qu’on y trouve la description des maisons seigneuriales, généralement assez modestes, sauf celles des seigneuries de Longueuil et de Beaupré, et celle des Sulpiciens, dans l’île de Montréal, sous la domination française. Pendant la domination anglaise, tous les seigneurs portèrent foi et hommage, mais seuls les Sulpiciens fournirent un aveu et dénombrement de leur seigneurie. On y trouve les noms de tous les propriétaires de la ville de Montréal et des paroisses de l’île. »

En consultant les actes de foi et hommage de la période française de notre histoire, on retrouve beaucoup de noms de seigneurs qui sont restés en Canada après la conquête[36], la plupart ruinés par la guerre, quelques-uns retirés dans leurs moulins, vivant de la vie du peuple, et, comme lui, restant attachés au clergé devenu l’unique guide de la nation.

Il y a plaisir à parcourir les pages de ces précieux volumes, à lire les noms de ces personnages vaillants et modestes qui se rendaient jadis au château d’où étaient mouvans leurs fiefs, pour y reconnaître leurs obligations envers le roi et envers le peuple. Une copie de ces annales uniques dans le Nouveau Monde se trouve au ministère de la statistique et des archives, à Ottawa.

Dans les titres de seigneuries antérieurs à la construction du corps de logis affecté à la résidence du gouverneur, — construction commencée en 1647, — il est dit que la foy et hommage devra être rendue au Fort ou au Château, et Fort Saint-Louis. Dans les titres subséquents, le mot Château est seul employé. Ceci nous amène à faire une courte excursion dans le domaine de la lexicologie.

Le mot « château » vient du latin castellum, bourg, village, agglomération de maisons.

Au moyen âge, les résidences des seigneurs étaient environnées de bâtiments de diverses dimensions, pour y loger des soldats, des artisans, des familles entières, et pour y garder des provisions en vue d’un siège de longue durée. Le tout était entouré de fossés, larges et profonds, avec pont-levis. Le seigneur habitait le donjon ; les hommes d’armes, les ouvriers et la domesticité occupaient les autres constructions (corps de logis, corps de garde, forge, buanderie, boulangerie, etc.,) le plus souvent contiguës au bâtiment principal. C’était tout un bourg qui se trouvait ainsi enserré à l’intérieur des fossés : de là l’appellation castellum.

Plus tard, les fossés furent comblés, les bâtiments de minime importance furent abattus, mais le nom de castel resta attaché à la résidence du seigneur. Plus tard encore, le nom de château fut donné à une simple résidence en rase campagne, mais sortant de l’ordinaire par l’ampleur de ses dimensions et la somptuosité de son apparence.

Dans les citations que nous avons tirées des annales canadiennes au sujet du château Saint-Louis, le mot « château » est employé dans son sens le plus moderne, excepté dans la citation empruntée à La Potherie (chapitre VI), où il est employé dans le sens de « fortification » ou « château-fort », et désigne à la fois le château et le fort Saint-Louis.



XI


Diplomates et gens d’épée, — M. de la Galissonnière. — Mauvaise politique. — M. de la Jonquière. — Sa mort au Château. — M. Duquesne de Menneville. — Hostilités. — Piraterie. — M. Pierre de Vaudreuil de Cavagnal. — Ce qu’étaient le gouverneur-général et l’intendant. — M. de Vaudreuil après la Cession. — Le Château de Collier. — Mort de M. de Vaudreuil en 1778. — Mort de M. de Rigaud en 1779.



Une étude qui s’impose à tous les économistes politiques est celle des traités qui, d’ordinaire, suivent les luttes à main armée entre les nations. Plus d’une fois la diplomatie est venue gâter l’œuvre des gens d’épée ; c’est ainsi que le traité d’Aix-la-Chapelle, qui suivit les journées de Fontenoy, de Lawfeld, de Berg-op-Zoom, de Tournay, de Gand, etc., eut pour la France victorieuse les plus fâcheux résultats, notamment en ce qui concernait ses colonies de l’Amérique du Nord.

Ce traité fut signé le 18 octobre 1748. « Le marquis de Saint-Sévérin, l’un des plénipotentiaires français, déclara, à l’ouverture des négociations, qu’il venait accomplir les paroles de son maître, qui voulait faire la paix, non en marchand, mais en roi, paroles qui, dans la bouche de Louis XV, montraient moins de grandeur que d’imprévoyance et de légèreté. Il ne fit rien pour la France et fit tout pour ses alliés. Il laissa avec une aveugle indifférence la question des frontières indécise en Amérique, se contentant de stipuler qu’elle serait réglée par des commissaires. On avait fait une première faute, en 1713, en ne fixant pas les limites de l’Acadie ; on en fit une seconde, plus grande encore, en 1748, en abandonnant cette question aux chances d’un litige dangereux ; car les Anglais avaient tout à gagner à cette temporisation. La supériorité toujours croissante de la population de leurs colonies, augmentait leurs espérances et leur désir d’être bientôt les seuls maîtres de toute l’Amérique du Nord. « Aussi le traité d’Aix-la-Chapelle, l’un des plus déplorables, dit un auteur, que la diplomatie française ait jamais acceptés, n’inspira aucune confiance et ne procura qu’une paix armée[37]. »

M. de la Galissonnière, arrivé à Québec le 10 septembre 1747, dut s’occuper immédiatement des frontières de l’Est, puis de celles de l’Ouest et du Sud-Ouest de la colonie. Il nourrissait de vastes projets, dont l’un était de faire venir dix mille paysans français pour les établir au pays des Illinois, afin d’y affermir la frontière des Apalaches ou Alléghanys, plus spécialement menacée par la colonie virginienne. Le gouverneur intérimaire[38] voulait par ce moyen permettre à la France d’étendre sa puissance sur les vallées de l’Ohio et du Mississipi et garder libre la communication avec la Louisiane. Ses idées touchant l’opportunité d’assurer la domination française sur les régions du Sud-Ouest furent accueillies avec faveur par la cour de Versailles ; mais le projet de colonisation qui devait en être le corollaire fut mis de côté. Le plan de M. de la Galissonnière tel que poursuivi par M. de la douanière et M. Duquesne de Menneville, ne fut plus qu’une politique militaire et commerciale fort risquée. On éparpilla les forces de la colonie lorsqu’il eût fallu les concentrer, et l’on s’obstina dans cette voie imprudente alors que la marine française était ruinée et que la France elle-même était aux prises avec les Allemands du Nord. Mieux eût valu s’en tenir à la politique de colonisation graduelle, « de proche en proche, » qui était celle de Louis XIV et de Colbert[39].

Rappelé en France en 1749, pour prendre part aux travaux de la commission des frontières, M. de la Galissonnière quitta Québec le 24 septembre de la même année. Nous le retrouvons en 1756, non loin de l’île Minorque, dans un combat où il défait l’amiral anglais Byng, et se couvre de gloire.

Dans tous ses voyages aux colonies françaises, M. de la Galissonnière distribuait des graines de plantes utiles et en rapportait d’autres pour les faire semer dans le vieux sol de France. Il avait, dit M. Léon Guérin, « l’âme aussi belle que son extérieur était contrefait. Petit de taille et bossu de corps, il était droit de cœur et grand d’esprit. »

M. de la Galissonnière mourut à Nemours le 26 octobre 1756, peu de temps après le combat naval de l’île Minorque. Le marquis de la Jonquière, qui le remplaça dans le gouvernement de la Nouvelle-France, s’occupa, lui aussi, de la question des frontières, tant du côte de l’Acadie que du côté de l’Ouest.

C’était un habile marin. Il était grand de taille, plein de courage, constant dans ses entreprises, mais peu instruit. Il passait pour riche, mais parcimonieux. On a raconté que, peu de temps avant sa mort, il avait ordonné de ne pas se servir de bougies dans sa chambre, mais de les remplacer par de simples chandelles de suif, « disant qu’elles coûtaient moins cher et qu’elles éclairaient aussi bien. »

Le marquis de la Jonquière mourut au château Saint-Louis le 17 mai 1752, à six heures et demie du soir, et fut inhumé dans l’église des récollets[40].

La guerre de Sept Ans, qui, pour l’Europe, marque la période comprise entre les années 1756 et 1763, fut précédée de deux années d’hostilités en Amérique. Conformément à des instructions venues de France, le marquis Duquesne de Menneville, successeur du marquis de la Jonquière et gouverneur de la colonie de 1752 à 1755, fit construire, dans les régions situées au Sud-Ouest du Canada, plusieurs forts, dont l’un — nommé Fort Duquesne par M. de Contrecœur — s’éleva dans la fertile vallée tant convoitée par les colons anglo-américains, et sur des fondements commencés par eux, à l’endroit occupé aujourd’hui par la ville de Pittsburg, près du confluent où les eaux de l’Alléghany et de la Monongahéla donnent naissance à la rivière Ohio ou Belle-Rivière. Cet événement, bientôt suivi de l’assassinat de Jumonville, fut le signal de rencontres et de combats que nous n’avons pas à raconter ici, et qui devinrent de jour en jour plus sanglants et plus acharnés.

« En Europe, la paix durait toujours ; situation étrange, peut-être unique dans l’histoire. Depuis deux années, le sang anglais et français rougissait l’herbe des forêts d’Amérique, et les ambassadeurs des deux nations étaient de toutes les fêtes à Versailles et à Saint-James. Hélas ! le gouvernement français, qui sentait son incurable faiblesse, se rattachait désespérément même à une ombre de paix. Mais un jour, » « au mépris du droit des gens, de la foi des traités et des coutumes des nations civilisées, » à un signal parti de l’amirauté de Londres, de tous les coins de l’horizon, les vaisseaux anglais fondent sur nos navires de commerce et de guerre, sur nos bateaux pêcheurs, sur nos baleiniers, sur nos caboteurs. En un mois, 300 bâtiments avec 8 000 hommes d’équipage tombaient au pouvoir de l’ennemi et étaient remorqués en triomphe dans les ports de la Grande-Bretagne. Le glorieux écusson de l’Angleterre en est resté marqué d’une tache que ne saurait laver toute l’eau de l’Océan, théâtre de ces pirateries. Louis XV, Louis XV lui-même, ressentit l’affront et redevint un instant le roi de Fontenoy. Il écrivit à George II une lettre indignée pour lui demander réparation, et cette paix mensongère, qui n’abritait que des guet-apens, fut officiellement rompue le 18 mai 1756[41]. »

Une escadre entière, sous le commandement de l’amiral Dubois de la Mothe, et portant quatre mille hommes de troupes destinées au Canada, fut poursuivie, et quelques vaisseaux capturés dans cette agression soudaine. Un des épisodes caractéristiques de cet événement fut la prise de l’Alcide, commandé par M. Hocquart. Ce vaisseau se trouvant à une faible distance du Dunkerque, navire anglais de soixante canons, le commandant fit crier par un de ses officiers : « — Sommes-nous en paix ou en guerre ? » … On répondit que l’on était trop éloigné pour entendre, et M. Hocquart lui-même ayant répété la question, le capitaine du Dunkerque répondit à deux reprises : — « La paix, la paix » … Le dialogue se poursuivait encore et l’Alcide ne se trouvait plus qu’à une demi-portée de pistolet du vaisseau anglais lorsque celui-ci lui lâcha une bordée formidable, chaque canon ayant été chargé de deux boulets et de mitraille.

L’équipage de l’Alcide se défendit avec ardeur et ne cessa de combattre qu’après l’arrivée de cinq autres vaisseaux anglais[42].

« La guerre, sans être formellement déclarée — dit le publiciste néo-écossais Haliburton — commença par cet événement ; mais pour n’avoir point observé les formalités ordinaires, l’Angleterre fut accusée de trahison et de piraterie par les puissances neutres. »

Ce fut dans ces fâcheuses circonstances que le marquis Pierre de Vaudreuil de Cavagnal, fils de l’ancien gouverneur Philippe de Vaudreuil, succéda au marquis Duquesne. Il débarqua à Québec, sa ville natale, au commencement de l’été de 1755, et son arrivée causa une allégresse générale parmi les Canadiens, ses compatriotes ; — car il y avait pour ainsi dire deux sociétés distinctes dans la colonie à cette époque : les Français de la vieille France et les Français du Canada.

C’est sans doute à cause du nouveau gouverneur, qu’ils chérissaient, que les Canadiens endurèrent sans se soulever la rudesse des militaires, les tyranniques ordonnances de l’intendant et les odieux accaparements des associés de la Friponne[43].

Pour porter un jugement éclairé sur les événements qui ont marqué les dernières années du régime français en Canada et laisser à chacun la part de responsabilités qui lui incombe, il est deux documents qu’il importe de bien connaître ; la commission du gouverneur-général et la commission de l’intendant.

Le gouverneur-général occupait le premier rang dans la colonie, dont il était avant tout le chef militaire. L’extrait suivant de la lettre de nomination du dernier gouverneur de la Nouvelle-France fait voir quelles étaient ses attributions :

« … À ces causes et autres à ce nous mouvans, nous avons le dit sieur de Vaudreuil de Cavagnal fait, constitué, ordonné et établi, et par ces présentes signées de notre main, faisons, constituons, ordonnons et établissons gouverneur et notre lieutenant-général en Canada, la Louisiane, Isle Loyale, Isle Saint-Jean et autres isles, terres et pays de l’Amérique Septentrionale, pour avoir commandement sur tous nos gouverneurs et lieutenans établis dans nos dits pays, comme aussi sur les officiers des conseils supérieurs et sur les vaisseaux français qui y navigueront, soit de guerre à nous appartenans, soit de marchands ; assembler quand besoin sera les communautés, leur faire prendre les armes ; composer et accommoder tous différends nés et à naître dans les dits pays, soit entre les seigneurs et principaux d’iceux, soit entre les particuliers habitans ; assiéger et prendre les places et châteaux selon la nécessité qu’il y aura de le faire ; faire conduire et exploiter des pièces d’artillerie, établir des garnisons où l’importance des lieux le demandera, commander tant aux peuples des dits pays qu’à tous nos autres sujets, ecclésiastiques, nobles et gens de guerre et autres, de quelque qualité et condition qu’ils soient, y demeurant ; appeler les peuples non convertis, par toutes les voies les plus douces qu’il se pourra, à la connaissance de Dieu et aux lumières de la religion catholique, apostolique et romaine, et en établir l’exercice à l’exclusion de toute autre ; défendre les dits lieux de tout son pouvoir, maintenir et conserver les dits peuples en paix, repos et tranquillité et commander tant par mer que par terre ; ordonner et faire exécuter tout ce que lui ou ceux qu’il commettra jugeront devoir et pouvoir faire pour l’étendue et conservation des dits lieux sous notre autorité et notre obéissance, et généralement, faire et ordonner par lui tout ce qui appartient à la dite charge de gouverneur et notre lieutenant-général aux dits pays… »

Cette commission fut donnée à Versailles et signée par Louis XV le 1er janvier 1755.

L’intendant prenait rang immédiatement après le gouverneur-général. Ses pouvoirs étaient extrêmement étendus. Voici la partie principale de la commission de l’intendant François Bigot, signée par le roi le 1er janvier 1748, — document qui est trop peu connu de la plupart des lecteurs :

« … À ces causes et autres à ce nous mouvans, nous vous avons commis, ordonné et député, et par ces présentes, signées de notre main, commettons, ordonnons et députons intendant de justice, de police, finances et marine en nos pays de Canada, la Louisiane et dans toutes les terres et isles dépendantes de la Nouvelle-France, pour vous trouver, en cette fonction, aux conseils de guerre qui y seront tenus ; ouïr les plaintes qui vous seront faites par nos peuples des dits pays, par les gens de guerre et tous autres, sur tous excès, torts et violences, leur rendre bonne et briève justice ; informer de toutes entreprises, pratiques et menées faites contre notre service ; procéder contre les coupables de tous crimes, de quelque qualité ou condition qu’ils soient, leur faire et parfaire le procès jusqu’à jugement définitif et exécution d’icelui inclusivement ; appeler avec vous le nombre de juges et gradués porté dans nos ordonnances, et généralement connaître de tous crimes et délits, abus et malversations qui pourraient être commis dans nos dits pays par quelque personne que ce puisse être ; présider au conseil supérieur, demander des avis, recueillir les voix, prononcer et signer les arrêts ; tenir la main à ce que tous les juges inférieurs de nos dits pays, et tous nos officiers soient maintenus en leurs fonctions, sans y être troublés par le conseil supérieur, auquel vous présiderez, ainsi que dit est ; juger toutes matières, tant civiles que criminelles, conformément à nos édits et ordonnances et à la coutume de notre bonne ville, prévôté et vicomté de Paris ; faire avec le conseil supérieur tous règlemens que vous estimerez nécessaires pour la police générale des dits pays, ensemble pour les foires et marchés, ventes, achats et débits de toutes denrées et marchandises, lesquels règlemens généraux vous ferez exécuter par les juges subalternes qui connoîtront de la police particulière dans l’étendue de leurs juridictions ; et en cas que vous estimiez plus à propos nécessaire pour le bien de notre service, soit pour les difficultés ou le retardement, de faire les dits règlemens sans le dit conseil supérieur, nous vous donnons pouvoir et faculté par ces présentes de les faire seul en civiles, et, de tout ordonner ainsi que vous verrez être juste et à propos, validant, dès à présent comme pour lors, les jugemens, règlemens et ordonnances qui seront ainsi par vous rendus, tout ainsi que s’ils étaient émanés de nos cours supérieures, nonobstant toutes récusations, prises-à-partie, édits, ordonnances et autres choses à ce contraires ; voulons aussi que vous ayez la direction du maniement et distribution de nos deniers destinés, et qui le seront ci-après, pour l’entretien des gens de guerre, comme aussi des vivres et munitions, réparations, fortifications, parties inopinées, emprunts et contributions qui pourroient avoir été et être faites pour les dépenses d’icelles et autres frais qui y seront à faire pour notre service ; vous faire représenter les extraits des montres et revues, les contrôles et registres, et en tout ce que dessus, circonstances et dépendances.

« Comme aussi nous voulons que vous ayez seul la connaissance et juridiction souveraine de tout ce qui concerne la levée et perception des droits de notre domaine d’Occident en Canada, et de tous autres droits qui se lèvent à notre profit dans tous les dits pays, circonstances et dépendances, tant en matière civile, de quelque nature qu’elle puisse être, qu’en matière criminelle, sur laquelle toutefois, en cas de peine afflictive, vous prendrez le nombre de gradués porté par nos ordonnances ; voulons que nos jugemens soient exécutés comme arrêts de nos cours souveraines, nonobstant toutes oppositions, appellations, prises-à-partie, récusations, et autres empêchemens quelconques : voulons de plus que vous connoissiez de la distribution des deniers provenant de la levée des dits droits, suivant et conformément aux états que nous vous enverrons par chacun an ; et au surplus que vous puissiez faire et ordonner ce que vous verrez être nécessaire et à propos pour le bien et avantage de notre service, et qui dépendra de la fonction et exercice de la dite charge d’intendant de justice, police, finances et marine en nos dits pays, de laquelle nous entendons que vous jouissiez aux honneurs, pouvoirs, autorités, prérogatives, prééminences qui y appartiennent et aux appointemens qui vous seront par nous ordonnés ; de ce faire vous donnons pouvoir, autorité, commission et mandement spécial… »

Le dualisme d’autorité qui ressort des documents qui précèdent datait de loin. Des tiraillements et même des conflits sérieux avaient déjà eu lieu à plusieurs reprises, notamment sous MM. de Beauharnois et Dupuy ; mais l’intégrité des parties contentieuses et la sagesse du gouvernement de la métropole avaient, dans le passé, pallié jusqu’à un certain point le vice du système.

En réalité l’intendant était le gouverneur civil de la colonie, et en temps de paix son autorité s’exerçait plus souvent que celle du gouverneur-général. On a vu plus haut qu’il pouvait remplir plusieurs fonctions importantes sans le concours du Conseil Supérieur si tel était son bon plaisir ; ajoutons que l’intendant comme le gouverneur était « homme du roi. » Si l’un de ces hauts fonctionnaires abusait de son pouvoir et ne voulait pas entendre de conseils, l’autre était impuissant à le contrecarrer, à moins d’avoir en France des influences qui, elles-mêmes, pouvaient être tenues en échec par des influences contraires.

M. de Vaudreuil évita d’entrer en conflit avec M. Bigot, qui était né en France et y avait de puissantes protections. Le gouverneur avait d’ailleurs d’autres luttes à soutenir dans le monde officiel. Il n’aimait pas Montcalm et n’en était pas aimé. Leurs relations devinrent tellement tendues qu’il demanda, en 1758, le rappel du général et son remplacement par le chevalier de Lévis. Bien loin de se rendre à son désir, le gouvernement donna plus de latitude à l’initiative du général et restreignit, celle du gouverneur.

Il ne nous appartient pas de signaler dans cette monographie toutes les phases du grand drame où furent jouées les destinées de la Nouvelle-France, ni de raconter cette série de combats qui commence avec la victoire de la Belle-Rivière pour se terminer avec celle de Sainte-Foy. Nous ne dirons pas l’arrivée à Québec de Montcalm, de Levis, de Bougainville, de Bourlamaque[44] et de tous ces brillants officiers qui, avec les régiments de la Reine, de Royal-Roussillon, de Languedoc, de Béarn, de La Sarre, de Guienne, de Berri, les troupes de mer et les milices canadiennes, se couvrirent de gloire, les uns à Chouaguen ou au Fort-George, d’autres à Montmorency, tous à Carillon, dans la victoire du 8 juillet 1758[45].

Le lecteur connaît déjà les faits principaux de cette lutte inégale dans laquelle l’héroïsme français sut tenir si longtemps contre le nombre, l’or, la valeur et les gros vaisseaux. Ce serait aussi trop nous éloigner de notre sujet que de parler des éléments de discorde qui régnaient dans les hautes sphères du gouvernement civil et de l’armée, de rappeler les fêtes auxquelles on se livrait à Québec et à Montréal pendant les hivers de 1756-57, 1757-58 et même 1758-59, alors que les classes populaires de la colonie souffraient de toutes sortes de privations.

Hâtons-nous de dire que les habitants du château Saint-Louis, à Québec, et du château Vaudreuil, à Montréal, ne prenaient aucune part à ces fêtes insensées. Le gouverneur-général était un homme rangé, dévoué à son pays et digne de toute estime. Il possédait des qualités qui, en d’autres circonstances, eussent suffi pour le rendre illustre et faire le bonheur du peuple canadien. Sa correspondance révèle un jugement droit, un grand désintéressement et une inaltérable dignité ; mais il eut tout contre lui, tout : — quatre années de famine, les fautes passées de la politique franco-canadienne, l’indiscrétion et l’esprit d’insubordination de plusieurs de ceux qui l’entouraient, et par dessus tout, l’incroyable aveuglement du gouvernement de l’ancienne France et la ferme détermination de Pitt, le ministre anglais, de s’emparer du Canada, à quelque prix que ce fût. Voici la notice biographique que lui consacre d’Hozier dans l’Armorial de France. Elle est consignée au volume VI de cet ouvrage, — volume publié en 1768, du vivant même de M. de Vaudreuil :

Pierre de Rigaud de Vaudreuil, connu d’abord sous le nom de Cabanial, et appelé depuis le marquis de Vaudreuil, né à Québec le 22 novembre 1698, commença à servir dans la compagnie des Gentilshommes-Gardes de la Marine, et fut nommé successivement Enseigne des Troupes détachées de la Marine en 1706[46], Lieutenant en 1709, Capitaine en 1715, Major Général des Troupes en 1726, Lieutenant des Vaisseaux du Roi, et Chevalier de l’Ordre Royal et Militaire de St-Louis en 1729, Gouverneur des Trois-Rivières en Canada en 1732, Gouverneur de la Louisiane en 1742, Capitaine des Vaisseaux du Roi en 1746, Gouverneur et Lieutenant Général de la Nouvelle-France en 1755, Commandeur de l’Ordre Militaire de St-Louis en 1757, et Grand’Croix du dit Ordre en 1758. Le Marquis de Vaudreuil, élevé sous les yeux de son père, et destiné à occuper un jour la même place, avait acquis dès sa jeunesse une connaissance parfaite des nations sauvages voisines du Canada ; mais pour qu’il connût toutes les parties de ce Gouvernement Général, M. le Comte de Maurepas, alors Ministre et Secrétaire d’État de la Marine, le fit nommer Gouverneur Particulier de la Province de la Louisiane où il passa en 1743. Il en revint dix ans après, regretté généralement de toute la colonie. De retour en France, il fut nommé au Gouvernement général du Canada, et ne put y passer qu’en 1755. À son arrivée, il trouva le pays attaqué par quatre armées anglaises : il fit face à tout, et le succès couronna la sagesse de ses mesures. Les campagnes suivantes de 1756, 57 et 58 furent glorieuses aux armes du Roi dans ce pays-là. La prise de Chouaguen, l’une des plus importantes expéditions que l’on ait pu faire dans l’Amérique Septentrionale, et celle du Fort Georges ou Guillaume-Henri, situé sur le Lac St-Sacrement, sont dues en partie à la sagesse et à l’habileté avec lesquelles le marquis de Vaudreuil en concerta toutes les dispositions, et aussi à l’activité et l’intelligence du marquis de Montcalm qui fut chargé de l’exécution de ces deux expéditions. En 1759 le mauvais état de notre marine ne permit pas de faire passer en Canada les secours nécessaires ; les Anglais profitant de cette circonstance, envoyèrent devant Québec une nombreuse flotte chargée de troupes, tandis que d’autres corps d’armée tâchaient de pénétrer dans le pays par différents endroits. Ils trouvèrent partout la résistance la plus opiniâtre : malheureusement sur la fin de la campagne les ennemis ayant réussi à faire une descente au-dessus de Québec, le marquis de Montcalm, qui s’y était transporté sur le champ avec une partie des troupes, crut devoir les attaquer sans attendre d’autre renfort ; la bataille fut perdue, et ce général blessé à mort se retira à Québec. Cette ville peu susceptible de défense se rendit bientôt après : ce revers n’abattit pas le courage des nôtres ; on fit de nouveaux efforts et on épuisa toutes les ressources de la colonie pour pouvoir reprendre Québec au printemps de 1760. Le Gouverneur de la place, instruit de notre projet assez à temps pour n’être pas surpris, fit sortir les troupes de la ville aussitôt qu’il eut nouvelle de l’approche de notre armée, et l’attendit dans un poste très avantageux. Les nôtres, quoique fatigués de leur marche, les attaquèrent en arrivant et réussirent, après un combat très meurtrier, à les repousser dans la ville dont nous formâmes le siège ; mais le manque de grosse artillerie et de munitions de guerre ne nous permettait pas de le pousser avec vigueur. On n’avait formé cette entreprise que dans l’espérance de recevoir quelques secours de France ; mais n’en ayant eu aucun, et les vaisseaux anglais étant arrivés devant Québec, il fallut se retirer vers Montréal où, au commencement d’octobre[47] n’ayant plus ni vivres, ni munitions de guerre, ni aucun moyen de défense, le marquis de Vaudreuil fut obligé de céder à la supériorité la plus accablante.

« Le marquis de Vaudreuil de retour du Canada où il n’avait été chargé que d’une administration purement militaire et dont il s’était acquitté avec honneur et de la manière la plus distinguée, ne devait guère s’attendre, après avoir donné les preuves les plus éclatantes de son désintéressement dans les différentes places qu’il avait occupées, à être compris dans une procédure dont l’objet était de discuter l’administration des finances et l’emploi des deniers du Roi ; il y fut cependant appelé, moins à la vérité comme un accusé réduit à se justifier que comme un témoin grave et dont l’autorité devait être d’un grand poids dans les faits sur lesquels il pouvait être instruit ; aussi fut-il justifié complètement par le tribunal que le Roi avait chargé de la discussion de cette affaire[48]. Nous joindrons ici la copie d’une lettre que M. le duc de Choiseul écrivit au marquis de Vaudreuil peu de temps après ce jugement.

« À Versailles, le 8 mai 1764.

« Le Roi s’étant fait, Monsieur, rendre un compte particulier de l’affaire du Canada, pour l’instruction de laquelle vous avez été détenu à la Bastille, Sa Majesté a reconnu avec plaisir que la conduite que vous avez tenue dans l’administration qui vous a été confiée, a été exempte de tous reproches ; et sur ce que j’ai fait connaître à Sa Majesté que votre désintéressement et votre probité vous avaient mis dans le cas d’avoir besoin de secours, elle a bien voulu vous accorder comme une marque qu’elle a de la satisfaction de vos services, une pension de six mille livres sur les fonds des Colonies, indépendamment de celle qui vous a été accordée de même somme, et qui est attachée à la Grand’Croix de l’Ordre de St-Louis dont Sa Majesté a bien voulu vous décorer. Je joins ici le brevet qui vous a été expédié pour la pension dont vous jouirez sur les fonds des Colonies, et qui vous sera payée d’année en année, à compter du premier janvier dernier. C’est avec plaisir que j’ai contribué à vous procurer cette marque de récompense de la part de Sa Majesté. »

« J’ai l’honneur d’être, etc.

(signé)xxxxxxLe duc de Choiseul. »


Nous avons vu que le marquis et la marquise de Vaudreuil quittèrent Québec le 18 octobre 1760, à bord de l’Aventure. Nous les retrouvons le 12 avril 1763 dans la capitale de la France, en leur hôtel de la rue des Deux-Boules, paroisse de Saint-Germain l’Auxerrois[49].

L’ancien gouverneur se trouvait encore à Paris en 1765, comme on peut le voir par la pièce suivante :


Copie du certificat donné à Madame la baronne de Longueuil par M. le Marquis de Vaudreuil, etc., etc.


« Pierre Rigaud, marquis de Vaudreuil, Grand’Croix de l’Ordre Royal et militaire de Saint-Louis, ancien gouverneur, lieutenant-général pour le Roy et toute la Nouvelle-France, terres et pays de la Louisiane.

« Ayant jugé, de concert avec M. le marquis de Levis, dans l’hiver de 1759 et 1760, que l’Isle Ste-Hélène, située en face de la ville de Montréal, pourrait, par sa position, servir utilement à deffendre les approches de cette ville par eau, et la garantir du feu des vaisseaux ennemis en y plaçant des troupes et de l’artillerie, certifions avoir mis opposition à la coupe de bois de chauffage que Madame la baronne de Longueuil, propriétaire de la dite isle, se proposoit d’y faire et de vendre au Roy, conformément à des prix avantageux.

« Certifions en outre qu’à la fin de la campagne de 1760, Madame de Longueuil nous ayant remis, conjointement avec M. Bigot, un mémoire appuyé du certificat de M. Daillebout, lieutenant du Roy à Montréal, commandant les troupes campées dans l’Isle Ste-Hélène, sur les dommages que le séjour de ses troupes avait occasionnés dans la dite isle, nous lui promîmes alors de nous joindre à M. l’intendant pour lui obtenir de la cour une indemnité proportionnée aux torts qu’elle avait soufferts.

« En foy de quoy nous avons signé le présent et à y celuy fait apposer le sceau de nos armes à Paris, le 12 juin 1765. »


(cachet) (signé)xxxxxxxxxxxxxVaudreuil.

« Je certifie avoir les mêmes connaissances au sujet des représentations qu’a faites Mme la baronne de Longueuil à M. le marquis de Vaudreuil.

« En foy de quoy j’ai signé le présent de ma main, à Paris, le 13 juin 1765. »

(signé)xxxxxLévis.


Madame la marquise Pierre de Vaudreuil (Jeanne-Charlotte Fleury de la Gorgendière) mourut dans l’automne de 1763. Elle avait un peu plus de quatre-vingts ans, et était de près de seize ans plus âgée que son mari.

Sa nièce et belle-sœur, madame Pierre-François de Rigaud de Vaudreuil (Louise-Thérèse Fleury de la Gorgendière) mourut à Saint-Domingue au mois de février 1775[50].

Le marquis Pierre de Vaudreuil paraît avoir séjourné à Paris jusqu’à sa mort, arrivée, à Paris même, le 4 août 1778. (Il avait alors quatre-vingts ans.) Monsieur A.-C. de Léry Macdonald a publié dans la Revue Canadienne de 1884, un article intitulé Le Château Vaudreuil, dans lequel il cite des extraits de lettres écrites par le dernier gouverneur de la Nouvelle-France, le 30 octobre 1772, le 19 mars 1773, le 31 mars 1776 et le 2 mars 1778 : toutes sont datées de Paris.

Après la mort de sa femme, le chevalier de Rigaud vint demeurer avec son frère.

Le marquis de Vaudreuil était peu fortuné. Ayant disposé de ses propriétés situées en Canada, il put cependant acheter, en 1776, le joli domaine de Collier, commune de Muides, Loir-et-Cher, occupé aujourd’hui par M. Amable de Gélis, ancien maire de Muides.

L’extrait suivant des archives de Collier nous a été obligeamment communiqué par M. de Gélis :


Contrat passé devant MM. Maupal et Legras, l’un et l’autre notaires à Paris (1776).


« Appert Monsieur Jeanne Philippe, chevalier de Béla, Seigneur de Saint-Engrâce en Navarre, la Ran et autres lieux, brigadier des armées du Roi, chambellan du Roi de Pologne.

« Avoir vendu, codé et délaissé au très-haut et très-puissant Seigneur Pierre de Rigaud, marquis de Vaudreuil, grand’croix de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, ancien gouverneur et lieutenant général pour le Roi en la Louisiane, le lieu et château de Collier, assis au-dessus de Saint-Dyé, en la paroisse de Muides, et le lieu et métairie de la Chaumette, situés en la même paroisse.

« Desquels objets plusieurs parties sont en fiefs relevants partie du comté de Cheverny, et partie de la seigneurie de Muides.

« Pour, par mon dit Seigneur marquis de Vaudreuil, jouir, faire et disposer des dits biens comme de chose lui appartenant en toute propriété ; a commencé la jouissance à compter du dit jour 13 avril 1776. »


Dans cette pièce, l’acquéreur n’est pas désigné par son titre d’ancien gouverneur du Canada, titre qui rappelait tant de malheurs personnels et publics. On se souvient que Pierre de Rigaud, marquis de Vaudreuil de Cavagnal, avait été gouverneur de la Louisiane et qu’il était grand’croix de l’ordre de Saint-Louis. Son frère Pierre-François de Rigaud, avait été gouverneur de Montréal et n’était que simple chevalier de Saint-Louis.

À la mort de l’ancien gouverneur-général (4 août 1778), Pierre-François de Rigaud prit le titre de marquis. Il mourut au château de Collier le 24 août 1779, comme on peut le voir par le document suivant :


Extrait du Registre des Actes de Décès de la Commune de Muides pour l’année 1779.


(Sceau de la République Française.)

Département de Loir-et-Cher, Arrondissement de Blois. Canton de Bracieux.

Sépulture de Pierre F. de Rigault.


« L’an mil sept cent soixante-et-dix-neuf, le vingt-cinq août, le corps de Messire Pierre-François de Rigault, marquis de Vaudreuil, chevalier de Saint-Louis, ancien gouverneur de Montréal, en Canada, âgé d’environ soixante-et-dix-sept ans, veuf de défunte Louise Fleury de la Gorgendière, muni du sacrement de l’Extrême-Onction, n’ayant pu recevoir les autres faute de cannaissance, décédé hier au château de Collier, de cette paroisse, a été par nous, curé soussigné, inhumé au cimetière, en présence de Françoise-Charlotte Alavoine, veuve Dailleboust, cousine du côté de Monsieur Dailleboust, son mary, de Mademoiselle Madeleine Fieffet, de Monsieur Cécile-Eléonor Guyon de Desiers, seigneur de Montlivault, de Monsieur Gabriel Dumont, chevalier de Saint-Louis, de François Beaudin de Boisrenard, seigneur de Boisrenard, Louis-Joseph Thibault, notaire royal, Pierre Guérin, tous amis qui ont signé :

« Ve Dailleboust Guyon de Desiers, Fieffé, Dumont, Boisrenard, Thibault, Thibault, curé. »


Pour copie certifiée conforme.


Mairie de Muides, le 13 décembre 1893.


(Sceau de la mairie de Muides). Le Maire.


(signé)xxxxClément.

M. de Rigaud avait été un intrépide coureur de bois, un militaire plein de courage et d’audace. À la tête de partis composés de Français, de Canadiens et de Sauvages, il avait, à maintes reprises, rendu d’importants services à la colonie, traversant les rivières à la nage, pénétrant dans les fourrés les plus épais, faisant, l’hiver, sur la glace des lacs et dans les sentiers des forêts, des courses de vingt, trente et même soixante lieues, les raquettes aux pieds. Il s’était surtout signalé à Fort-Henry et à Chouaguen.

Madame d’Ailleboust (Françoise-Charlotte Alavoine), dont on vient de lire le nom, était la légataire universelle du marquis Pierre de Vaudreuil de Cavagnal. Elle était canadienne, née aux Trois-Rivières.

Lorsque mourut le dernier gouverneur de la Nouvelle-France, le général Haldimand habitait le château Saint-Louis depuis quelques jours. Il était soucieux, inquiet, préoccupé, et prêtait constamment l’oreille aux bruits de la lutte qui se poursuivait du côté des anciennes colonies anglo-américaines.

M. de Vaudreuil avait été tenu au courant des événements canadiens par les membres de la famille de Lotbinière, et il avait dû connaître les bons procédés de Guy Carleton à notre égard. Nul doute qu’il vit sans surprise les colons de la Nouvelle-Angleterre s’insurger contre leur métropole : c’était la conséquence de la chute de la domination française en Canada, — conséquence prévue par Choiseul, par le général Murray et par Montcalm lui-même.





XII


Québec assiégé. — Bataille de Montmorency. — Bataille des Plaines d’Abraham. — Mort de Wolfe et de Montcalm. — Conseil de guerre. — Capitulation de Québec. — Knox et le fort Saint-Louis. — Bataille de Sainte-Foy. — Capitulation de Montréal. — Causes de la chute de la domination française. — Émigration. — Le clergé et le peuple.



On était au commencement de septembre de l’année 1759. Wolfe, arrivé devant Québec vers la fin du mois de juin, avec une flotte de pas moins de trois cents voiles et dix mille hommes de débarquement, faisait le siège de la ville depuis deux mois. Le bombardement se poursuivait sans relâche. Le château Saint-Louis se dressait toujours sur ses bases solides, mais la façade qui donnait sur la rade était criblée de boulets. Cent quatre-vingts maisons et quelques édifices publics avaient été détruits par le feu de l’ennemi.

Québec résistait vaillamment. Et pourtant on ne l’avait guère mis en état de soutenir un siège ; le gouvernement français, qui avait fait construire les forts de la Présentation, de Frontenac, de Toronto, de Niagara, de Presqu’île, de Détroit, des Miamis, de la Rivière-aux-Bœufs, de Machault, de Duquesne, de Saint-Joseph, de Chicago, de Crèvecœur, de Chartres, sur le Mississipi, avait négligé de fortifier les hauteurs de Lévis, qui font face au cap Diamant, et la citadelle de la capitale de la Nouvelle-France était dans un état déplorable. Mais l’activité et le bon vouloir des troupes franco-canadiennes avaient suppléé à tout du côté qui semblait le plus menacé. Des retranchements considérables, flanqués de dix redoutes garnies de canons, avaient été construits sur la côte qui s’étend de l’embouchure de la rivière Lairet à la cataracte de la Montmorency, et les efforts de l’ennemi pour opérer un débarquement sur la plage de Beau port avaient été repoussés avec perte.

Les Anglais avaient même essuyé une déroute complète au gué de la Montmorency, le 31 juillet, et perdu près de six cents hommes dans cet engagement, ainsi que deux vaisseaux, échoués sur le rivage et qu’ils avaient brûlés en se retirant.

La perte des Français et des Canadiens dans cette affaire n’avait été que de trente hommes, dont dix tués et vingt blessés.

Un nouveau corps de deux mille Anglais tenta de reprendre l’offensive et voulut traverser le gué ; mais, s’apercevant qu’il s’engageait sur un terrain dangereux, il se retira aussitôt, fort heureusement pour les Français, qui n’avaient plus de poudre. Après le combat, les Franco-Canadiens donnèrent la sépulture à quatre-vingt-trois soldats anglais.

Les assiégeants commençaient à songer à la retraite. Cependant ils occupaient la côte de Lévis, et vingt-deux de leurs bâtiments, en longeant la rive droite du fleuve, avaient réussi à le remonter jusqu’à Sillery et au delà, malgré le feu des batteries du fort Saint-Louis et de la citadelle du cap Diamant.

Une descente avait été vainement tentée à Deschambault. Les Anglais y avaient perdu une vingtaine d’hommes. Du côté des Français, un seul homme avait été légèrement blessé. D’autres tentatives de débarquement sur la rive nord du fleuve avaient également échoué.

Le 12 septembre, Wolfe dit à ses officiers découragés : — Nous allons risquer cette nuit une descente à Sillery, et si nous ne réussissons pas à nous établir sur les Hauteurs d’Abraham, je vous promets que la flotte lèvera l’ancre dès demain.

Le général n’avait guère foi dans cette nouvelle opération, et il se sentait envahi par un grand sentiment de tristesse. Le lendemain, il expirait sur le champ de bataille des Plaines d’Abraham, au moment où les lauriers de la victoire allaient ceindre son front, et Montcalm, son adversaire, rentrait dans Québec, mortellement blessé.

Le combat du 13 septembre 1759 est un événement considérable dans l’histoire, non pas par lui-même et pris isolément, mais à cause de l’inexplicable capitulation qui le suivit à cinq jours d’intervalle. Les deux événements sont, bien distincts l’un de l’autre : à distance, cependant, ils semblent n’en former qu’un seul et le premier grandit de toute l’importance du second.

Les conséquences en furent très graves.

« La bataille des Plaines d’Abraham, considérée au point de vue du nombre, dit l’abbé Casgrain, ne tut qu’une sanglante escarmouche puisque les deux armées réunies ne formaient pas dix mille hommes. Mais, observée au point de vue des résultats, elle est un événement dans le XVIIIe siècle. Elle a sonné l’heure de l’indépendance américaine, d’où est née la grande République qui tend aujourd’hui à déplacer le centre de la civilisation.

« Les Anglais n’avaient eu que six cent soixante-quatre hommes tués, blessés et manquants. Les régiments qui avaient le plus souffert étaient ceux des Highlanders, du Royal American et d’Anstruther, les trois qui s’étaient battus contre les Canadiens. La perte des Français n’avait guère été plus considérable que celle des Anglais. Elle était de sept à huit cents hommes, tués, pris ou blessés, d’après le Journal tenu à l’armée ; seulement de six cents soldats et quarante officiers, au rapport de Vaudreuil. »

Montcalm, mortellement atteint, rentra dans la ville, soutenu sur son cheval par trois grenadiers. Des femmes qui le rencontrèrent sur la rue Saint-Louis, voyant son sang couler de ses blessures, se mirent à pleurer en s’écriant : — « Oh mon Dieu ! mon Dieu ! le marquis est tué ! » Toujours affable, et s’efforçant de sourire, le général leur dit : — « Ce n’est rien ! ce n’est rien ! Ne vous affligez pas pour moi, mes bonnes amies. »

On le déposa chez le chirurgien Arnoux, rue Saint-Louis, où un personnage ecclésiastique s’empressa de se rendre pour lui administrer les derniers sacrements.

Le vainqueur de Carillon mourut en soldat chrétien et édifia tous ceux qui l’entouraient par les sentiments religieux. Sa dernière préoccupation terrestre fut pour ses soldats malades et blessés. Il fit adresser à Townshend, successeur de Wolfe dans le commandement de l’armée ennemie, une lettre dans laquelle il les recommandait tout spécialement à ses « bontés, » et rappelait aussi le « traité d’échange convenu entre Sa Majesté très chrétienne et Sa Majesté Britannique. »

Le général mourut à cinq heures du matin, le 14 septembre, chez le chirurgien Arnoux, à peu de distance de la chapelle des Ursulines, que l’artillerie anglaise n’avait pas détruite, et où il fut inhumé.

Il avait quarante-sept ans.

« Ce fut le soir même du 14, vers les neuf heures, à la lueur des flambeaux, dit l’auteur de l’Histoire des Ursulines de Québec, que se fit la cérémonie funèbre ; les ténèbres et le silence planaient tristement sur les ruines de la cité, pendant que défilait, du château Saint-Louis aux Ursulines, le lugubre cortège, composé du clergé, des officiers civils et militaires, auxquels se joignirent, chemin faisant, les hommes, les femmes et les enfants qui erraient çà et là au milieu des décombres. Les cloches restèrent muettes, le canon ne résonna point, et les clairons furent sans adieu pour le plus vaillant des soldats[51]. »

Ramezay, le commandant de la place, réunit un conseil de guerre le 15 septembre, pour y discuter l’opportunité de livrer à l’ennemi la ville, en partie détruite, dont la population exténuée souffrait de la faim. Ce conseil se composait de MM. de Ramezay, président, de Bernetz, Doms, d’Ailleboust-Cerry, de Pellegrin, de Lusignan (fils), de Marcel, de Parfouru, de Saint-Vincent, D’Aubrepy, Daurillaut, de l’Estang de Celles, de Johannès, de Fiedmont, de Brigart, — presque tous des officiers de second rang. On y fit connaître la recommandation de Vaudreuil de ne pas attendre au dernier moment pour capituler si la chose devenait nécessaire, mais de tacher d’obtenir les meilleures conditions possibles. Tous optèrent pour la capitulation immédiate, à l’exception de Fiedmont. Toutefois, après que Vaudreuil eut contremandé ses instructions antérieures et fait savoir qu’il envoyait des secours à la ville, Johannès insista auprès de Ramezay pour arrêter les pourparlers engagés avec le général anglais ou les traîner en longueur. La Roche-Beaucour, arrivé avec des provisions de bouche, insista à son tour pour faire revenir le commandant sur sa détermination évidente ; mais des vaisseaux anglais s’étant rapprochés de la ville, Ramezay, croyant que le bombardement allait recommencer, et s’appuyant sur les premières instructions de Vaudreuil, ouvrit les portes de Québec, après la signature d’un acte de capitulation qui sauvegardait les droits religieux et civils du peuple et stipulait que la garnison de la place sortirait avec les honneurs de la guerre et serait transportée en France.

Lévis, Vaudreuil et le gros de l’armée franco-canadienne, partis de Jacques-Cartier pour venir attaquer les assiégeants, étaient alors à la Pointe-aux-Trembles ou à Saint-Augustin, et devaient arriver le lendemain à Sainte-Foy. Bougainville était déjà rendu à Charlesbourg, prêt à secourir la ville. Townshend, qui allait se trouver pris entre deux feux, accueillit les ouvertures de Ramezay avec empressement et se montra facile sur les articles de la capitulation.

« Le 18, avant le coucher du soleil, les portes de la cité furent ouvertes. Le général Townshend, avec son état-major, suivi de trois compagnies de grenadiers et d’un détachement d’artillerie traînant une pièce de campagne sur laquelle flottait le drapeau britannique, traversa la haute-ville et s’arrêta en face du château Saint-Louis. Le commandant de la place qui l’y attendait, lui en remit les clefs. Les blancs uniformes de France s’alignèrent une dernière fois devant les portes et défilèrent en silence pour faire place aux sentinelles anglaises[52]. »

Le capitaine Knox, dans son journal de la campagne de 1759, donne le nom de « citadelle » au fort Saint-Louis, qu’il trouva « curieusement » situé. Quant à la citadelle proprement dite, il en parle avec autant de mépris que Montcalm, qui était loin d’admirer les travaux de défense érigés sur le cap Diamant. Voici comment s’exprime le capitaine anglais :

« The Castle, or citadel, and residence of the Governor-General, fronting the Recollets’ College and Church, and situated on the grand parade, which is a spacious place surrounded with fair buildings, is curiously erected on the top of a precipice, south of the episcopal house, and overlooks the low town and bason, whence you have a most extensive and delightful prospect of the river downwards and the country on both sides for a very considerable distance. This palace called Fort Saint-Louis, was the rendez-vous of the grand council of the colony. There is, besides, another citadel on the summit of the eminence of Cape Diamond, with a few guns mounted in it ; but, excepting its commanding view of the circumjacent country for a great extent, and of the upper as well as lower river for many leagues, it is otherwise mean and contemptible. Most of the other public buildings carry a striking appearance, particularly the Jesuits’ college, Ursulines and Hôtel-de-Dieu convents with their churches ; the Bishop’s palace and chapel of case adjoining, and above all, the superb palace of the late French Intendant, with its out-offices and spacious area, would be ornaments to any city in Europe ; but the residence of the Bishop, by its situation on the top of the precipice between the high and low town suffered very considerably from our batteries, as did that of the Governor-General before mentioned, which are both built of brick[53], they being conspicuously exposed to our view from the south side of the river. »

La deuxième bataille des Plaines d’Abraham, ou bataille de Sainte-Foy, livrée le 28 avril 1760, fut plus meurtrière que le combat du 13 septembre 1759. Les Anglais y perdirent quinze cents hommes, et se retirèrent précipitamment dans Québec. La perte des Français fut de sept cents hommes. Ce fut le dernier combat livré entre les deux nations sur la terre canadienne, et ce fut une victoire française.

Le chevalier de Lévis s’y montra, comme toujours, le sage des sages et le brave des braves.

L’arrivée de vaisseaux anglais décida du sort de la colonie. Retirés dans la ville de Montréal, les quelques Français et Canadiens que commandaient Vaudreuil et Lévis surent, par leur attitude, se faire respecter des trois armées qui dirigeaient contre eux leurs efforts réunis : et ce fut cette poignée de braves qui dicta les principaux articles de la capitulation du 8 septembre.

Les causes de la chute de la puissance française dans l’Amérique du Nord sont très multiples. Il en est de prochaines et il en est d’éloignées. Pour bien apprécier cet événement historique, il faut étudier tout le règne de Louis XV et la politique européenne du dernier de nos rois de l’ancien régime.

Les premières causes éloignées de la chute de Québec sont l’ambition de Marie-Thérèse d’Autriche et la confiance de Louis XV dans le génie politique de Madame d’Étioles[54]. Le roi se laissa entraîner dans des luttes qui affaiblirent la France et la mirent inutilement en conflit avec l’Angleterre. Celle-ci, vaincue d’abord, se releva et porta la guerre en Amérique alors que toutes les ressources de la France étaient requises pour faire face aux exigences de la guerre continentale européenne dans laquelle elle était engagée.

Les causes immédiates furent aussi nombreuses que frappantes. On reste surpris, en étudiant nos annales historiques, des conséquences graves qu’eurent souvent des circonstances tout accidentelles, peu importantes en apparence, et faciles à écarter. À un certain moment, tout le monde semble frappé d’aveuglement, d’impuissance ou d’incurie. L’illustre héros de Carillon lui-même livre hâtivement, malgré les représentations de Vaudreuil, la bataille des Plaines d’Abraham avec une partie seulement des troupes dont il peut disposer[55]. Bougainville, chargé de surveiller la rive du Saint-Laurent, passe la nuit au Cap-Rouge tandis que les Anglais débarquent au-dessus de Sillery ; il ignore le drame qui se joue à deux lieues de distance, et reste longtemps inactif avec l’élite des troupes françaises pendant que les soldats de Montcalm, déjà fatigués par une marche de deux heures, sont écrasés sur les Plaines. Enfin Ramezay perd la tête et livre à des assiégeants privés de leur chef ordinaire, une ville qui n’était pas investie.

Au printemps de 1760, un soldat français, surpris par un accident, est entraîné sur un glaçon dans le fleuve Saint-Laurent ; il est recueilli à demi mort de faim et de froid, vis-à-vis de Québec, dans la nuit du 27 avril, et apprend au général Murray que Levis est au Cap-Rouge, presque sous les murs de la ville, avec son armée. Cette révélation épargne aux Anglais une surprise qui eût pu rendre plus désastreuse encore la journée du lendemain.

Qui sait si cet accident si simple, si léger en apparence, n’a pas eu son influence sur les destinées de notre continent ?

Qui sait si toutes les causes que nous venons d’indiquer n’ont pas influé sur les destinées de l’Europe elle-même ?

Sans la conquête du Canada par l’Angleterre, les États-Unis d’Amérique n’eussent pas déclaré leur indépendance en 1775 ; sans l’expédition de Rochambeau et de LaFayette en Amérique, les idées républicaines n’eussent pas été soudainement mises en honneur en France sous le règne de Louis XVI ; sans la perte de sa vaste colonie de l’Amérique du Nord, notre ancienne mère-patrie eût pu nous envoyer le trop plein de sa population — la plus remuante et la moins respectable — et éviter peut-être les pires excès de 1793…

Il y a sans doute beaucoup d’incertain et de risqué dans ces hypothèses ; mais ce qui est incontestable, c’est qu’aucun homme au monde n’eût été assez puissant pour parer aux causes multiples des profondes modifications que le Canada devait subir ; c’est que la divine Providence, en nous séparant du pays toujours aimé de nos ancêtres, — ce que nous croyions être le suprême malheur — nous a traités avec bonté et nous a épargné des maux incalculables.

Pendant les dernières années du régime français en Canada, tous ceux qui, dans ce pays, avaient de la fortune en abusaient. L’intendant et ses créatures spéculaient, festoyaient, entassaient de l’or ; les officiers se battaient bravement en été, mais jouaient tout l’hiver d’une manière effrénée. Toute la population frivole — heureusement peu nombreuse — de Québec et de Montréal, qui vivait dans des fêtes continuelles pendant que les habitants des campagnes multipliaient les sacrifices pour faire face aux événements, quitta la colonie après la conquête, de même que les personnages officiels et un certain nombre de familles qui avaient en France de proches parents relativement à l’aise. Une partie périt dans le naufrage de l’Auguste, sur les côtes du Cap Breton, en 1761. Les militaires s’embarquèrent pour la France en 1759 et en 1760. Une dernière émigration, comprenant plusieurs familles de négociants, eut lieu après la signature du traité de Paris, en 1763 et en 1764 ; elle se dirigea partie vers la France, partie vers Saint-Domingue. Parmi les personnes qui durent ainsi quitter la colonie, un grand nombre étaient dignes d’estime et même d’admiration, et si cet exode fut une expurgation pour la société canadienne, par rapport à certains sujets, il causa en même temps un affaiblissement regrettable dans la partie saine de la population. Les arts et les sciences, qui étaient très avancés à Québec et à Montréal, disparurent presque tout à fait, et ce n’est que vers le milieu du dix-neuvième siècle que nous avons pu reconquérir tout le terrain perdu de ce côté. La langue française reçut aussi dès l’inauguration du nouveau régime les premiers assauts qu’elle eut à subir en ce pays, par le fait de l’importation de marchandises portant des noms anglais et par le contact fréquent de la population de nos villes avec des artisans et des marchands ne parlant que la langue anglaise.

De 1760 à 1766, il n’y eut pas d’évêque en Canada, et, partant, pas d’ordinations. Humainement, Murray tenait le sort de l’Église canadienne dans ses mains, et il lui rendit un service inappréciable en favorisant la consécration de l’illustre Monseigneur Briand. Le nombre de prêtres catholiques dans tout le Canada descendit au chiffre de 138[56]. Les dernières années n’avaient pas été désastreuses seulement par la famine et par la guerre : les écoles primaires, florissantes au temps de Philippe de Vaudreuil et de Beauharnois, avaient été fermées ; les collèges classiques étaient déserts ; le nombre des religieuses de tout ordre était considérablement diminué. Pendant neuf ans, il n’entra aucune novice chez les Ursulines, à Québec. Écrasés sous le nombre, ruinés par l’incendie, les massacres et le pillage sous toutes ses formes, les Canadiens avaient oublié de s’occuper des écoles.

Immédiatement après la conquête, notre clergé dut suffire à toutes les tâches. Il le fit par ses conseils, par son initiative sage et prudente, par son esprit de sacrifice, par l’exemple du plus pur patriotisme et des plus austères vertus.

La loi martiale, établie tout d’abord dans la colonie, eut pour effet d’engager les habitants à s’adresser aux curés pour régler leurs différends. Plus que jamais le prêtre fut considéré comme l’ami, le protecteur et le guide du peuple. La forte organisation paroissiale créée par Monseigneur de Saint-Vallier sut résister au choc qui ébranlait tout l’édifice de notre nationalité. Grâce à cette organisation, les familles franco-canadiennes vécurent de leur vie propre et se gardèrent de toute espèce d’envahissement.

L’historien américain Francis Parkman s’exprime ainsi dans son ouvrage intitulé The Old Regime in Canada :

« Une grande force se dresse en pleine lumière dans l’histoire du Canada : l’Église de Rome. Plus encore que le pouvoir royal, elle forma le caractère et prépara les destinées de la colonie. Elle fut sa nourrice et presque sa mère, et tout obstinée et absolue qu’elle était,[57] elle ne rompit jamais les liens de la foi qui l’attachaient à elle. Ce furent ces liens qui, en l’absence de franchises politiques, constituèrent, sous l’ancien régime, la seule cohérence vitale dans la population. Le gouvernement royal était passager, l’Église était permanente. La conquête anglaise brisa d’un seul coup tout l’organisme de l’administration civile, mais elle ne toucha pas à l’Église. Gouverneurs, intendants, conseils et commandants, tous étaient partis ; les principaux seigneurs s’étaient éloignés de la colonie, et un peuple non accoutumé à vivre sans contrôle et sans assistance fut subitement abandonné à sa propre initiative. La confusion, sinon l’anarchie, s’en serait suivie, n’eussent été les curés, (parish priests) qui, dans un caractère de double paternité mi-spirituelle, mi-temporelle, devinrent plus que jamais les gardiens de l’ordre par tout le Canada. »

La dîme n’était payée qu’au vingt-sixième, et en grains seulement. Les curés, peu fortunés pour la plupart, trouvaient cependant le moyen de fonder des écoles. Ils s’ingéniaient à découvrir parmi les enfants des cultivateurs ceux qui manifestaient le plus de talent, et ils les envoyaient, souvent à leurs frais, dans les collèges ou petits séminaires après leur avoir donné eux-mêmes les premiers rudiments d’une instruction classique. Avec patience et persévérance, ils préparaient de nouveaux lévites pour les autels, de nouveaux défenseurs pour la patrie ; et lorsque, bien des années plus tard, le parlementarisme fut introduit dans le pays, la supériorité manifeste de plusieurs Canadiens-Français fut pour ces prêtres vénérables la plus belle récompense terrestre qu’ils eussent pu ambitionner.

Le temps des guerres contre les Iroquois et les Anglais était passé. L’habitant canadien ne quittait plus son foyer, et ses terres mieux cultivées donnaient d’abondantes moissons. Les granges étaient pleines de gerbes, les maisons pleines d’enfants. Cependant on restait groupé près du clocher paroissial, et la colonisation ne franchissait pas les bornes des anciennes seigneuries. Ce ne fut que lorsque l’on se sentit assez fort dans les anciens établissements que l’on songea à entreprendre l’œuvre des défrichements lointains et à s’enfoncer en grand nombre dans la forêt, pour en faire surgir de nouvelles paroisses formées à l’image des anciennes. En même temps nos nationaux reprenaient peu à peu leur prépondérance dans les villes, l’émigration anglaise se dirigeant surtout vers la province d’Ontario.

Chose digne de remarque : les familles des premiers habitants de la Nouvelle-Angleterre sont à peu près complètement éteintes ou disparues des États-Unis, tandis que les familles franco-canadiennes du dix-septième et du dix-huitième siècle sont encore toutes vivaces, maîtresses du sol qu’elles ont elles-mêmes défriché, et se sont multipliées d’une façon étonnante.

En changeant d’allégeance, la jeune nation franco-canadienne n’a rien perdu non plus de son caractère propre ; elle a conservé sa foi, sa langue, sa douce et honnête gaîté et ce je ne sais quoi de vibrant et de spontané qui distingue les peuples de race latine. Un de ses artistes — M. Eugène Taché — lui a donné cette touchante devise : « Je me souviens, » et on lira bientôt peut-être sur un de ses monuments cette autre devise si poétique et si vraie : « Née dans les lis, je grandis dans les roses. »




XIII


Québec se relève de ses ruines. — Noble conduite du général Murray. — Son opinion sur les premiers immigrants anglais arrivés à Québec. — Le château Saint-Louis réparé en 1764. — Murray proclamé gouverneur de toute la province. — La maison de la veuve Arnoux. — Premier document officiel daté du Château sous le régime anglais (18 mai 1765). — Guy Carleton et sa famille. — Les élèves du petit-séminaire de Québec au château Saint-Louis. — L’acte de Québec de 1774. — L’invasion de 1775. — Haldimand. — Nouveau château. — Le duc de Clarence. — Un bal au fort Saint-Louis. — Le duc de Kent. — Constitution de 1791.



Un des premiers soins du général Murray, après la prise de Québec et le départ de Townshend pour l’Angleterre, fut de pourvoir au logement de ses troupes pour l’hiver, dont l’approche se faisait déjà sentir. On porte à cinq cents le nombre de maisons qu’il fit réparer ou reconstruire pour cet objet. Quelques pièces du couvent des Récollets et du collège des Jésuites, que les boulets de canon n’avaient pas trop endommagées, furent aussi occupées par les militaires. Murray lui-même passa l’hiver de 1759-60 dans une maison de la rue Saint-Louis, et établit ses bureaux au monastère des Ursulines, où se tinrent les réunions du conseil — juge des causes militaires et civiles — qui fut créé après la capitulation de Montréal.

Le château Saint-Louis eut à subir trois restaurations sous le régime anglais : l’une en 1764 ; une autre en 1786, et une troisième de 1808 à 1811. Ce fut au cours de l’une de ces restaurations, — probablement la première, par suite des dommages causés par le bombardement de 1759, — que disparurent les « arrière-corps » dont parle La Potherie, et qui faisaient légèrement saillie aux angles de l’édifice, du côté du fleuve Saint-Laurent. Les dessins que l’on a fait du château Saint-Louis après les réparations de 1808-11 (au cours desquelles le château fut haussé d’un étage), représentent la façade qui donnait sur le fleuve comme étant entièrement unie.

Chacun sait le rôle généreux que jouèrent ici les deux premiers gouverneurs qui nous furent donnés par l’Angleterre : le général Murray d’abord, puis le général Guy Carleton[58]. L’histoire a laissé leurs noms au souvenir reconnaissant de nos populations françaises et catholiques.

Les premières instructions envoyées d’Angleterre au général Murray étaient absolument odieuses. Le gouverneur n’en tint compte que dans une mesure fort restreinte. Il s’en expliqua plus tard à Londres, où on ne lui fit aucun reproche. Cet homme droit admirait la dignité et l’honorabilité des Canadiens, dont il avait déjà eu l’occasion d’apprécier la valeur au point de vue militaire ; par contre, il n’avait guère d’estime pour les petits trafiquants, les chercheurs d’emploi et les aventuriers qui furent les prémices de l’immigration anglaise en ce pays.

Voici ce que le général Murray écrivait, vers le commencement de l’année 1766, aux lords du commerce et des plantations, en Angleterre :


« My Lords,

« Par la lettre de M. le secrétaire Conway, du 24 octobre 1764, il m’est ordonné de me préparer pour mon retour en Angleterre, afin de donner un récit fidèle et exact de l’état présent de la Province de Québec, de la nature des désordres qui y ont lieu, et de ma conduite et mes procédés dans l’administration du Gouvernement.

« En obéissance à cet ordre, j’ai l’honneur de vous faire le rapport suivant :

«  Et premièrement sur l’état de la province :

« Elle consiste en cent dix paroisses, sans y comprendre les villes de Québec et de Montréal. Ces paroisses contiennent 9,782 maisons, et 54,575 âmes chrétiennes ; elles occupent 955,754 arpents de terre labourable. Les habitants ont semé 180,300 minots de grain l’année 1765… comme il paraît par la récapitulation du recensement ci-annexé, fait par mon ordre en l’année 1765. Les villes de Québec et de Montréal contiennent environ 14,700 habitants. Les Sauvages qui sont appelés catholiques romains sont au nombre de 7,400 âmes dans les limites de la province : de sorte que le tout sans y comprendre les troupes, monte à 76,275 âmes, sur lesquelles il y a dans les paroisses dix-neuf familles protestantes ; le reste de ceux de cette persuasion (si on en excepte un petit nombre d’officiers à demi-paye), sont des marchands, artisans et aubergistes qui résident dans les basses villes de Québec et de Montréal, dont la plupart étaient des gens d’une éducation basse qui avaient suivi l’armée, ou des soldats congédiés à la réduction des troupes. Tous ont leur fortune à faire et je crains bien que peu soient scrupuleux sur les moyens, lorsqu’ils peuvent obtenir leur but.

« Le rapport que j’en fais est qu’en général c’est le choix d’hommes le plus immoral que j’aie jamais connu, peu propre par conséquent à donner du goût aux nouveaux sujets (les Canadiens) pour nos lois, notre religion et nos coutumes, et encore moins à mettre ces lois à exécution pour gouverner. De l’autre côté, les Canadiens, accoutumés à un gouvernement arbitraire et en quelque sorte militaire, sont une race d’hommes frugaux, industrieux et de mœurs qui, par le traitement doux et juste qu’ils ont reçu des officiers militaires de Sa Majesté qui ont gouverné le pays pendant les quatre années depuis la conquête jusqu’à l’établissement du gouvernement civil, avaient en grande partie surmonté l’antipathie naturelle qu’ils avaient contre leurs conquérants. Ils consistent en une noblesse qui est nombreuse et se pique de son ancienneté, de sa gloire militaire et de celle de ses ancêtres. Elle est composée des Seigneurs de tout le pays, qui, sans être riches, sont en état, dans cette partie fertile du monde où l’argent est rare et le luxe encore inconnu, de soutenir leur dignité. Les habitants qui sont leurs tenanciers et qui ne payent qu’une rente fixe d’environ une piastre pour cent arpents de terre, sont à leur aise et vivent commodément. Ils ont été accoutumés à respecter leur noblesse et à lui obéir ; leurs tenures étant militaires, suivant le système féodal, ils ont partagé avec elle les dangers de la guerre, et leur affection pour elle s’est augmentée à proportion des calamités de la conquête qu’ils ont eu à éprouver en commun. Comme ils ont appris à respecter leurs supérieurs, et qu’ils ne sont pas encore entichés de l’abus de la liberté, ils sont choqués des insultes que leur noblesse et les officiers du Roi ont reçues des marchands et des avocats anglais depuis que le gouvernement civil est établi. »

Plus loin, Murray dit encore, dans le même document : « Les magistrats et les jurés devaient être pris sur un nombre de quatre cent cinquante méprisables traficants et autres gens qui étaient venus établir le pays… Ils haïssaient les nobles canadiens parce que leur naissance et leur conduite leur attiraient le respect : et ils avaient les habitants en exécration parce qu’ils avaient été soustraits à l’oppression dont ils avaient été menacés… Le juge choisi pour concilier les esprits de 75,600 personnes étrangères aux lois et au gouvernement de la Grande-Bretagne, fut tiré d’une prison, et était entièrement ignorant du droit civil et de la langue du pays… Je me glorifie d’avoir été accusé de chaleur et de fermeté en protégeant les sujets canadiens du Roi, et de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour gagner à mon maître royal l’affection de ce peuple brave et courageux, dont l’émigration, si jamais elle arrivait, serait une perte irréparable à cet empire. »

Jusqu’à la date de la signature du traité de Paris, on ne savait guère, à Québec, si l’occupation de la ville par des régiments anglais était temporaire ou définitive[59]. Lorsque la paix fut conclue, une nouvelle émigration des notables du Canada se produisit, et plus de mille personnes s’embarquèrent à Québec pour se rendre, les uns en France, d’autres à Saint-Domingue[60]. De son côté le gouvernement britannique résolut de faire exécuter certains travaux qui avaient été différés jusqu’alors et d’encourir d’assez fortes dépenses dans la colonie.

L’avis suivant fut publié dans la Gazette de Québec du 12 juillet 1764 :

« Ceux qui sont capables d’entreprendre le rétablissement en entier du Château Saint-Louis, sont avertis, de la part de Son Excellence le Gouverneur de Québec, de donner un plan exact de ce qu’il convient faire pour le rétablissement général, et de ce qu’il pourra en coûter pour remettre le dit Château Saint-Louis en bon état, dans le cours du mois d’Aoust de l’année prochaine. Chacun portera incessamment ses propositions à Monsieur Cramahé, secrétaire. »


Une cérémonie officielle eut lieu, au mois d’août de la même année, dans le fort Saint-Louis, en face du château, comme on peut le voir par les pièces suivantes :

(De la Gazette de Québec du jeudi, 9 août 1764.)

« Québec.

« Au Secrétariat de Québec, le 9 aoust 1764.

« Demain, vendredi, le 10 du mois courant, sur les onze heures du matin, les Patentes du Roy nommant et établissant l’Honorable Jacques Murray, Écuyer, Capitaine-Général et Gouverneur en Chef pour Sa Majesté de La Province de Québec…, comme aussi une autre Commission au dit Honorable Jacques Murray, Écuyer, pour être Vice-Amiral d’icelle, seront publiées dans le Château de Sa Majesté, de Saint-Louis, dont tous prendront connaissance, à fin d’y obéir ainsi que de raison.

« Par ordre de Son Excellence :
« H.-T. Cramahé. »


(De la Gazette de Québec du 16 août 1764.)

« Vendredi, le 10 du courant, les Lettres Patentes du Roy, nommant et établissant l’Honorable Jacques Murray, Écuyer, Capitaine-Général et Gouverneur en Chef pour Sa Majesté de la Province de Québec et Vice-Amiral d’icelle, ont été lues devant une assemblée bien nombreuse, dans la place, devant le Château de Saint-Louis de Sa Majesté, où les troupes se trouvèrent sous les armes ; après quoy on y fit tirer le canon des remparts, et les vaisseaux de guerre qui sont dans la rade y répondirent, ainsy que les régiments qui sont en garnison, par des voilées de mousqueterie, et le jour finit avec les réjouissances ordinaires et toutes les marques d’un contentement général. »


Peu de temps après, Murray entrait au Château pour y résider. Si la gloire peut compter pour quelque chose dans le bonheur d’un homme, il dut se sentir aussi heureux que fier de pénétrer en maître dans cet édifice habité jadis par tant d’hommes illustres auxquels il avait été appelé à succéder.

On s’est demandé où le gouverneur avait demeuré immédiatement après la conquête et avant la restauration du Château. L’annonce que voici, publiée dans la Gazette de Québec du 1er novembre 1764, donne la réponse à cette question :

Joseph Arnoux,

« Au nom et comme fondé de procuration de la veuve Arnoux, sa belle-sœur, annonce au public : »

« Que la maison du Gouverneur[61] scise rue St-Louis, à l’Haute-Ville, est à vendre, consistant en un corps de logis à rez-de-chaussée, composé d’une grande salle, quatre chambres, deux cabinets, une cuisine, un grenier avec différens appartemens logeables, un second grenier sans appartement, avec voûte d’un bout à l’autre, glaces, trumeaux, et les tableaux placés au dessus des portes, cour, hangar, écuries, remises, pigeonnier, glacière, citerne et jardin ; Le terrain sur le front de 102 pieds, et 135 pieds sur le derrière, sur 421 pieds de profondeur, entouré d’une muraille de pierre, le tout ainsy qu’il est et qu’il se comporte. Ceux qui voudront en faire l’acquisition se donneront la peine de s’adresser au dit Sieur Arnoux, chez Monsieur Saint-Germain, dans la rue Saint-Louis, où il demeure. »



Le premier document officiel daté du Château Saint-Louis, après la cession du Canada, fut public dans la Gazette de Québec du jeudi, 23 mai 1765. C’est une proclamation concernant la marine. Elle se termine comme suit :

« Donné sous mon seing et sous le Grand Sceau de la dite Province (de Québec), au Château de St-Louis, dans la ville de Québec, ce 18e jour de Mai dans l’année de Grâce mil sept cent soixante-cinq, et dans la cinquième du Règne de Sa Majesté (George III).

« Ja : Murray.
« Par Son Excellence,
« J. Goldfrap,
« D. Sec.
« Vive le Roi ! »

Le général Guy Carleton (plus tard Lord Dorchester), qui succéda au général Murray dans le gouvernement de la province, en 1766, avait pris part à la bataille des Plaines d’Abraham, et était déjà avantageusement connu dans l’ancienne capitale de la Nouvelle-France. Il gouverna la colonie de 1766 à 1770 ; — de 1774 à 1778 ; — puis (sous le nom de Lord Dorchester) de 1786 à 1791, et de 1793 à 1795. Il fut un de nos gouverneurs les plus populaires, et se montra constamment l’ami dévoué des Canadiens.

Lady Maria Carleton — Madame la Gouvernante, comme on disait sous l’ancien régime, — était fille du comte d’Effingham. Elle parlait très bien le français, et savait donner un grand charme aux réceptions du Château. Ses trois jeunes fils et ses deux filles avaient les manières aimables de leurs parents. Pendant le premier séjour de lady Carleton à Québec, Madame Johnston, parente du gouverneur, était une des habituées de la résidence vice-royale, où les anciennes familles des seigneurs canadiens et les officiers de la garnison tenaient à honneur de se rendre fréquemment.

Guy Carleton se rendit à Londres en 1770[62] et s’employa avec persistance à obtenir du Parlement anglais le fameux Acte de Québec de 1774, qui reconnaissait aux Canadiens le droit au libre exercice de leur religion, et cet autre droit, fort contesté, d’être régis par les anciennes lois et coutumes françaises en matière civile.

Henry Cavendish, dans son Rapport des débats sur le bill du Canada au Parlement de la Grande-Bretagne, en 1774, cite des discours dont voici quelques extraits fort importants :

Le procureur-général Edward Thurlow dit : « Il est expressément stipulé (dans les capitulations) que tout Canadien aurait la pleine jouissance de toutes ses propriétés, particulièrement les ordres religieux des Canadiens, et que le libre exercice de la religion catholique romaine serait continue. Et le traité définitif de paix, si vous l’examinez bien, en ce qui regarde le Canada, par la cession du feu Roi de France à la Couronne de la Grande-Bretagne, a été fait en faveur de la propriété, en faveur de la religion, en faveur des différents ordres religieux. »

M. Edmund Burke s’exprime ainsi : « Au Canada, vous avez un peuple professant la religion catholique romaine et en possession de biens légalement appropriés pour le soutien de son clergé. Le dépouillerez-vous de cela ?… Dans toutes les colonies conquises, la religion établie a été maintenue. »

Enfin Lord North, premier lord de la Trésorerie et Chancelier de l’Échiquier, fait la déclaration suivante : « Quant au libre exercice de leur religion, le bill qui est devant cette Chambre ne donne aux Canadiens rien autre chose que ce qui leur est garanti par le traité de paix en autant que les lois de la Grande-Bretagne peuvent le confirmer. Or, il n’y a pas de doute que les lois de la Grande-Bretagne permettent le très complet et très libre exercice d’une religion quelconque différente de celle de l’Église d’Angleterre, dans chacune des colonies[63]. »

La pièce de vers que voici, où, sous des formes conventionnelles fort heureusement disparues de la littérature, brille une incontestable « loyauté, » fait voir les favorables dispositions que les bons procédés du gouverneur Carleton avaient su faire naître au sein de la population franco-canadienne :


« Ode.

« Chantée au Château Saint-Louis par les Étudiants du Petit Séminaire de Québec, à l’Honorable Guy Carleton, Gouverneur Général du Canada, à la Feste que Son Excellence a donnée le 18 de ce mois (janvier 1770), à l’occasion de la naissance de la Reine (Charlotte de Mecklembourg-Strelitz, femme de George III) :

« La Discorde éteint son flambeau,
Pallas, au jour de sa naissance,
Nous offre à tous sa bienveillance
Et son pacifique rameau.

« Que chacun, assis à son ombre,
Goûtant les douceurs de la paix,
Chasse de son cœur à jamais
Regrets et chagrins à l’air sombre.

« Affreux compagnons de Vulcain,
Cessez, Cyclopes détestables,
Par vos foudres trop redoutables,
De consterner le genre humain.

« Ce Roi favori de Neptune
Qui règne et sur terre et sur mer,
D’un pays dompté par le fer
Désire assurer la fortune.

« C’est ce qu’annoncent ces éclairs,
Ces feux, ces éclats de tonnerre,
Ces astres, partis de la terre,
Qui vont se perdre dans les airs.

« Apprends donc en ce jour de fête
À ne plus déplorer ton sort,
Peuple aux justes lois plus fort
Soumis par le droit de conquête.

« Déjà les arts en liberté,
Paraissant avec allégresse,
Dans le palais de la Sagesse
Y sont reçus avec bonté.

« À ces traits, reconnais l’ouvrage
De ce gouverneur généreux
Qui consacre à te rendre heureux,
Ses soins, ses biens, ses avantages.

« Son nom ainsi que ses bienfaits
Seront à jamais pour sa gloire
Dédiés au temple de mémoire.
Ciel, comble pour lui nos souhaits ! »


L’adoption de l’Acte de Québec de 1774 par le Parlement britannique, causa un grand mécontentement chez une certaine classe d’Anglais, et un plus grand encore peut-être parmi les habitants des colonies anglo-américaines. Dans une réunion du Congrès de Philadelphie, tenue le 21 octobre 1774, par les délégués du New-Hampshire, de Massachusetts Bay, de Rhode Istand and Providence Plantation, du Connecticut, de New-York, de New-Jersey, de la Pennsylvanie, des comtés de New-Castle, Kent and Sussex on Delaware, de Maryland, de la Virginie, de la Caroline du Nord et de la Caroline du Sud, il fut résolu d’envoyer en Angleterre un document désigné sous le nom de « Adresse au peuple de la Grande-Bretagne, » où se lisait ce qui suit au sujet de l’Acte de Québec :

« … Nous ne pouvons nous empêcher de nous en plaindre comme d’une loi ennemie de l’Amérique Britannique, et nous ne pouvons cacher notre étonnement de ce qu’un Parlement britannique puisse jamais consentir à établir dans ce pays une religion qui a fait verser des déluges de sang sur notre isle, et répandu l’impiété, la bigoterie, la persécution, le meurtre et la rébellion dans toutes les parties du monde. »

Dans une autre séance de ce même Congrès de Philadelphie, tenue cinq jours plus tard (le 26 octobre 1774), ces mêmes délégués, désireux d’entraîner les Canadiens dans leur révolte contre l’Angleterre, adressaient aux habitants de la province de Québec ces paroles hypocrites :

« … Nous sommes trop bien informés de la libéralité des sentiments qui distinguent votre nation pour imaginer que la différence de religion vous donnera des préjugés contre une amitié cordiale avec nous. Vous savez que la notion transcendante de la liberté élève ceux qui s’unissent pour sa cause au-dessus de toutes ces petites infirmités des esprits faibles. Les cantons suisses fournissent une preuve éclatante de cette vérité. Leur union comprend des états, catholiques et protestants, vivant en paix les uns avec les autres, dans la plus parfaite concorde… Que vous offre-t-on par le dernier acte du Parlement… ? la liberté de conscience dans votre religion ? Non. Dieu vous l’a donnée ; et les pouvoirs temporels avec lesquels vous avez été et vous êtes liés vous en ont solidement stipulé la jouissance dans le présent Congrès, qui est commencé le 5 septembre et a été continué jusqu’à aujourd’hui. Il a été résolu avec une joie universelle et d’une voix unanime que nous regarderions la violation faite à vos droits par l’Acte qui change le gouvernement de votre province, comme une violation de nos propres droits. »

Le reproche fait au gouvernement anglais par le Congrès de Philadelphie (dans son Adresse au peuple de la Grande-Bretagne) d’avoir trop bien traité les Canadiens mit ceux-ci sur leur garde, et lorsque les Anglo-Américains, révoltés contre leur métropole, voulurent s’emparer du Canada, en 1775, ils se heurtèrent à l’indifférence des habitants de la région de Montréal et à l’hostilité active de ceux de la région de Québec. Grâce au clergé et à la classe instruite de la population ; grâce surtout aux recommandations de Monseigneur Briand, évêque de Québec, les « Bastonnais, » ces ennemis séculaires des Canadiens et des Acadiens, échouèrent dans leur tentative, et les « nouveaux sujets, » comme on appelait les Canadiens, surent récompenser le gouvernement britannique de la justice qu’il venait de leur rendre en conservant à la Couronne d’Angleterre son vaste empire actuel de l’Amérique du Nord.

Car il n’a tenu qu’au bon ou au mauvais vouloir des Canadiens-Français de Québec que les événements prissent telle direction ou telle direction contraire[64].

Guy Carlelon demanda son rappel, et fut remplace, en 1778, par le général Frédéric Haldimand, vieux militaire d’origine suisse, sévère, ombrageux à l’extrême, qui voyait partout des émissaires de la France et des colonies révoltées de l’Amérique. Ses craintes, pour n’être pas sans quelque fondement, étaient absolument excessives. Il emplit les prisons de gens qu’il soupçonnait de conspiration, obligea le peuple à de fréquentes corvées, et agit en toutes choses comme si chaque citoyen eût été un soldat obligé de lui obéir. Il quitta Québec, au mois de novembre 1784, laissant provisoirement le gouvernement entre les mains du lieutenant-gouverneur Hamilton. L’année même de son départ, le 5 mai 1784, Haldimand fit commencer au fort Saint-Louis l’érection d’un nouveau corps de logis destiné aux bals, levers et réceptions officielles du Château. Une des courtines du fort construites en 1693 par Frontenac, servit de mur extérieur au rez-de-chaussée de cet édifice.

Le vieux général helvétien gourmandait les maçons employés aux travaux des fondements de la bâtisse, s’emparait lui-même de leurs instruments et les intimidait au point de les rendre réellement malhabiles.

Le bâtiment fut inauguré plus de deux ans après son départ, le 18 janvier 1787, jour de la fête de la reine Charlotte, — lord Dorchester (Guy Carleton), revenu au pays en 1786, faisant les honneurs du nouvel édifice.

Les Anglais désignèrent d’abord ce bâtiment sous le nom de New building ou New Chateau Building. Lorsqu’il servit de résidence aux gouverneurs, on l’appela Château Saint-Louis.

Le véritable château Saint-Louis fut réparé et haussé d’un étage de 1808 à 1811, et sa toiture reçut une couverture en fer blanc. Le peuple commença alors à donner le nom de Château Neuf à l’antique édifice ainsi agrandi et rajeuni, et il appela Vieux Château le bâtiment de date beaucoup plus récente commencé par le général Haldimand.

Après l’incendie du château Saint-Louis, en 1834, le nom de l’édifice historique fut souvent donné à l’autre château[65].

Pour éviter la confusion, nous avons, dans un rapport officiel écrit en 1875, donné le nom de Château Haldimand à l’édifice commencé le 5 mai 1784, et M. James Le Moine, à qui nous avions communiqué ce document, a, lui-même, adopté cette appellation dans un ouvrage publié subséquemment.

M. James Thompson, qui fut pendant longtemps le directeur des travaux du gouvernement en ce pays, a noté, jour par jour, dans un cahier confié depuis à la Société Littéraire et Historique de Québec, tout ce qui concernait l’érection du château Haldimand. Nous en extrayons les « entrées » suivantes, choisies parmi les dernières du manuscrit :

« 2 octobre 1786. Le peu qui reste à faire au nouvel édifice est remis à l’arrivée de Mylord Dorchester, autrefois le général Guy Carleton, qui est attendu de jour en jour.

« 30 octobre 1786. Lord Dorchester visite d’abord le Château Saint-Louis, puis le nouveau bâtiment, avec le directeur des travaux. Il admire l’intérieur du nouveau château, mais dit que l’extérieur a peu d’apparence.

« 31 octobre 1786. On commence de grandes réparations au château proprement dit (Saint-Louis), puis on travaille au nouveau bâtiment, à la bibliothèque.

« 3 janvier 1787. Le capitaine Mann intime aux ouvriers d’avoir à tenir la chambre dont on pose le parquet prête pour le lever de la fête de la naissance de la Reine, vu les inconvénients qu’il y aurait de recevoir une grande foule au Château le matin de ce jour.

« 18 janvier 1787. Jour de la fête de la Reine. On reçoit pour la première fois dans le nouveau château. Deux aides de camp et deux sergents ont été placés à la porte, afin d’empêcher les messieurs d’entrer avec des crampons aux pieds. Malgré cette précaution, un des visiteurs a laissé des marques de crampons sur le plus beau parquet peut-être de tout le Canada. La salle de réception n’était pas complètement terminée.

« 8 juillet 1787. Lord et Lady Dorchester visitent les chambres d’en haut.

« 15 août 1787. Le prince William Henry[66], reçu d’abord au Château (Saint-Louis), se rend ensuite au nouvel édifice (New Building), où les officiers, le clergé et les notables lui souhaitent la bienvenue dans l’unique chambre complètement terminée.

« 21 août 1787. Demain, jour de la naissance du prince (William-Henry), il y aura bal au nouvel édifice. Tous les ouvriers sont à l’œuvre. J’ai reçu ordre de Lord Dorchester de faire construire une plate-forme sur le toit d’une bâtisse à voûte (vaulted house), originairement un magasin à poudre[67], contigu à l’extrémité supérieure du nouvel édifice, afin que le prince et son entourage puissent de là voir le feu d’artifice.

« 21 septembre 1787. Le prince William-Henry visite le nouveau château…

« 4 octobre 1787. Brillante compagnie au nouveau château (New Building). Feu d’artifice repris. (Il n’avait pas eu lieu à cause de la pluie). Réveillon dans les mansardes du nouvel édifice. (Idée de Lady Carleton)[68].

« 3 décembre 1787. Lord Dorchester et sa famille déménagent dans les mansardes du nouveau château. »

À partir du mois de décembre 1787, l’antique château Saint-Louis fut occupé par des bureaux, et le gouverneur


Le « vieux Château » ou « château Haldimand » à Québec (1784-1892),
d’après un dessin de M. George Saint-Michel.

résida dans le château Haldimand. Décidément, « ceci » commençait à éclipser « cela » ; mais « cela » devait bientôt prendre sa revanche, et se revêtir d’une nouvelle splendeur.

M. Philippe Aubert de Gaspé raconte, dans ses Mémoires, un incident du bal donné au nouveau château, le 22 août 1787, en l’honneur du duc de Clarence. « Le prince William-Henry, dit-il, fut reçu à Québec avec la pompe et l’étiquette dues au fils de notre souveraine… Il y eut, comme de droit, un grand bal au château Saint-Louis. On dînait alors à quatre heures ; le bal commença entre six et sept heures. Le jeune prince, après avoir dansé avec quelques-unes des dames les plus considérables, belles, laides ou indifférentes, s’émancipa un peu, et, s’affranchissant de l’étiquette qu’on voulait lui imposer, il choisit lui-même ses danseuses parmi les demoiselles les plus jolies de la réunion, au grand déplaisir de Lady Dorchester, qui s’écriait de temps à autre : « Ce jeune homme n’a aucun égard pour les convenances. »

« Le jeune marin, tout à son plaisir, n’avait fait aucune attention à un incident qui ne le frappa qu’entre onze heures et minuit. S’adressant alors à mon oncle Charles de Lanaudière, aide-de-camp de Lord Dorchester, il lui demanda si, dans la ville de Québec, les dames et les messieurs ne s’asseyaient que pour prendre leurs repas.

« — C’est, répliqua l’aide-de-camp, par respect pour Votre Altesse Royale que tout le monde reste debout en sa présence.

« — Alors, fit le Prince, dites-leur que mon Altesse Royale les dispense de cette étiquette.

« L’aide-de-camp, après avoir consulté Lord et Lady Dorchester, proclama que Son Altesse Royale le duc de Clarence permettait aux dames de s’asseoir ; ce dont plusieurs, surtout les vieilles, avaient grand besoin. »

Le prince n’avait alors que vingt-deux ans.

Un autre membre de la famille royale d’Angleterre, le prince Édouard, duc de Kent, (qui devint plus tard le père de Sa Majesté la reine Victoria) arriva à Québec, avec son régiment (le septième des fusiliers royaux), au commencement du mois d’août de l’année 1791. Il se trouvait dans la capitale lorsque M. Hubert, curé de Québec, se noya dans le fleuve Saint-Laurent, en face de La Pointe-Lévis, le 21 mai 1792, et il se donna beaucoup de mal pour retrouver le corps de ce pasteur « chéri et aimant » — dilectus et amans, comme dit l’inscription qui lui est consacrée dans la basilique Notre-Dame de Québec[69].

L’année 1792 marque une ère nouvelle dans la vie civile du peuple canadien, — l’inauguration de la constitution qui nous avait été accordée l’année précédente par le gouvernement de la Grande-Bretagne, et qui introduisait pour la première fois le régime parlementaire dans la colonie.

Le pays fut divisé en deux provinces : le Bas-Canada (160,000 habitants), capitale Québec, et le Haut-Canada (40,000 habitants), capitale York, aujourd’hui Toronto. Chaque province fut divisée en comtés ou circonscriptions électorales.

Le Conseil Législatif et l’Assemblée des représentants du peuple se réunirent à l’évêché de Québec (loué par le gouvernement depuis 1778), et la première session du premier parlement de la province du Bas-Canada fut ouverte par sir Alured Clarke, lieutenant-gouverneur, le 17 décembre 1792.

Le Conseil Exécutif siégea au Château.

Le nouveau régime ne dotait pas encore le Canada d’un gouvernement responsable ; mais la création de Chambres issues du suffrage populaire, dans les deux provinces, était un pas dans cette direction, et devait y conduire infailliblement.




XIII


Le régicide de 1793. — Immigration de prêtres français. — Incendie de l’église et du couvent des Récollets. — Encore Frontenac. — Les châtelaines du fort Saint-Louis sous le régime anglais. — Un mariage. — Un dîner au château. — Complainte. — La politique des réceptions.


Les lignes émouvantes que l’on va lire sont extraites des Mémoires de M. Philippe Aubert de Gaspé :


C’était en l’année 1793 ; je n’avais que sept ans, mais une circonstance que je vais rapporter me rappelle que nous étions en hiver, et la scène qui eut lieu m’est aussi présente à l’esprit que si elle s’était passée ce matin. Ma mère et ma tante, sa sœur Marie-Louise de Lanaudière, causaient assises près d’une table. Mon père venait de recevoir son journal, et elles l’interrogeaient des yeux avec anxiété, car il n’arrivait depuis longtemps que de bien tristes nouvelles de la France. Mon père bondit tout à coup sur sa chaise ; ses grands yeux noirs lancèrent des flammes ; une affreuse pâleur se répandit sur son visage, d’ordinaire si coloré ; il se prit la tête à deux mains, en s’écriant : « Ah ! les infâmes ! ils ont guillotiné leur Roi »

« Ma mère et sa sœur éclatèrent en sanglots ; et je voyais leurs larmes fondre l’épais frimas des vitres des deux fenêtres où elles restèrent longtemps la tête appuyée. Dès ce jour je compris les horreurs de la révolution française. »

La population du Canada français fut consternée à cette nouvelle, continue M. de Gaspé, et « un sentiment de profonde tristesse s’empara de toutes les âmes sensibles…[70]

Dans une étude lue en séance publique à l’Université Laval, M. Joseph-Edmond Roy a fait connaître l’effet produit par la révolution française sur la population des petites îles de Saint-Pierre et Miquelon. On proclama l’égalité jusque dans les embarcations de pêcheurs, et la populace fut prise de vertige comme en France. Par les détails donnés par M. Roy, on peut juger des sanglantes journées qui eussent été réservées à notre Canada si la Providence ne nous avait séparés de la mère-patrie en temps opportun.

Après le traité de paix conclu en 1783 entre l’Angleterre et la nouvelle république des États-Unis d’Amérique, l’isolement dans lequel on avait tenu nos nationaux cessa temporairement ; de jeunes Canadiens se rendirent à Paris pour y compléter leurs études, et revinrent dans nos villes avec des idées dites « nouvelles » qui se firent jour en quelques circonstances, notamment dans un banquet organisé à Montréal à l’occasion de l’inauguration de la constitution de 1791. Ces jeunes gens retrouvèrent dans la société anglaise et protestante de Québec et de Montréal quelque chose du luxe et des idées qui les avaient séduits en France, et plusieurs d’entre eux s’éloignèrent du peuple pour nouer des relations de ce côté.

Les lugubres événements de la révolution française déterminèrent une nouvelle rupture de toute communication avec la France officielle dans un temps où nous n’en pouvions attendre rien que de fâcheux ;[71] puis ils causèrent une immigration bénie de prêtres français animés du plus pur zèle apostolique et dont les noms sont conservés avec vénération dans la mémoire du peuple canadien. L’Angleterre, l’intolérante Angleterre d’autrefois, accueillit avec bonté ces ecclésiastiques catholiques poursuivis par la rage révolutionnaire, et favorisa leur transmigration dans sa colonie du Canada, en même temps qu’elle gardait et entourait de tous les respects au sein du royaume un nombre beaucoup plus considérable de prêtres réfugiés.

Voici la liste de ces vertueux et zélés auxiliaires que reçut le clergé canadien et que Mgr Hubert, évêque de Québec, avait appelés de ses vœux :

Arrivé en 1791. — M. Alain.

Arrivés en 1793. — MM. Philippe-Jean-Louis Desjardins, vicaire-général,[72] Jean-André Raimbault, Pierre Gazelle et Candide Le Saulniers.

Arrivés en 1794. — MM. F. Ciquart, Louis-Joseph Desjardins, Jean Castanet, Jean-Denis Daulé, François-Gabriel Le-Courtois, Pierre-Joseph Périnault, Philibert Nautetz, P.S.S., Jean-Henri-Auguste Roux, P.S.S., Anthelme Malard, P. S. S., Antoine-Alexis Molin, P.S.S., Jean-Baptiste Thavenet, P.S.S., François Humbert, P.S.S., Antoine Sattin, P.S.S., Melchior Sauvage, P.S.S., Guillaume Desgarets, P.S.S., Claude Rivière, P.S.S., et François-Marie Robin, P.S.S.

Arrivé en 1795. — MM. Joseph-Pierre Malavergue, Jacques Delevaivre, Claude-Gabriel Courtin, Jean Raimbault, F. Lejamtel de la Blouterie.

Arrivés en 1796. — MM. Jean-Baptiste Chicoineau, P.S.S., Charles-Vincent Fournier, C. Bonaventure Jahouin, Jacques-Guillaume Roque, P.S.S., Antoine Houdet, P.S.S., Jean-Baptiste Saint-Marc, Urbain Orfroy, Antoine Villade et Pierre-René Joyer.

Arrivés en 1798. — MM. Pierre-B. de Borniol, Pierre Gibert, Antoine Champion et Antoine Gaille, P.S.S.

Arrivés en 1799, — MM. de Calonne, J.-M. Sigogne et Antoine-Amable Pichard.

Arrivé en 1801. — M. Nicolas-Aubin Thorel.

Arrivé en 1802. — Simon Poussin, P.S.S. — 45 en tout[73].

La Gazette de Québec du 7 mars 1793 annonça en ces termes l’arrivée de MM. Desjardins, aîné, Gazelle et Raimbault :

« La semaine dernière sont arrivés en cette ville trois français, réfugiés de France, venus d’Angleterre à la Nouvelle-York dans le paquebot du roi. Les recommandations de sir Henry Dundas leur méritèrent un accueil distingué de la part de Son Excellence le major-général Alured Clarke, lieutenant-gouverneur de Sa Majesté en Canada. C’est le lendemain de leur arrivée, le 3 mars, qu’ils eurent l’honneur d’être présentés à ce haut dignitaire, au château Saint-Louis. »

Quelques années plus tard, l’abbé Jacques-Ladislas de Calonne (frère du ministre de Louis XVI) fut aussi reçu au château Saint-Louis avec tous les égards dus à son caractère et à son rang[74].

Nous avons dit que les Récollets étaient les aumôniers du château Saint-Louis sous le régime français, et que leur église et leur couvent étaient situés en face du Fort. Le 6 septembre 1796, un incendie éclata dans une construction de la rue Saint-Louis, et acquit en très peu de temps une grande intensité. Des étincelles portées par un fort vent du sud-ouest vinrent embraser le clocher de l’église et la toiture du couvent. Quelques heures après, ces spacieux édifices étaient réduits en cendre.

M. James Thompson, témoin oculaire de cet événement, en a fait le récit suivant, soixante-dix ans plus tard, à la demande de M. Ph. Aubert de Gaspé, un des membres de la Société des Antiquaires de Québec.

« Les Récollets. — L’incendie qui fut la cause de la destruction de l’église et du couvent des Récollets ainsi que de nombre de domiciles, éclata dans l’année 1796, vers la fin du mois de septembre dans l’écurie du juge Dunn (rue Saint-Louis), dans le cours de l’après-midi, par l’imprudence d’un petit nègre nommé Michel, un des serviteurs du juge. Par amusement, il tirait un petit canon dans l’écurie même : ce qui mit le feu aux fourrages y contenus. En peu de temps l’écurie fut en flammes. Étant moi-même auprès, je puis témoigner de la cause de l’incendie. Pour punition, le juge Dunn fit mettre le petit nègre à bord d’une frégate qui était alors dans le port. Au moment où le feu éclatait, il régnait un calme parfait. Mais lorsque le feu eut fait des progrès, il s’éleva une tempête furieuse qui poussa les bardeaux de la couverture de l’écurie à une hauteur considérable, et les entraîna vers le fleuve et jusqu’à la Pointe-Levis. Je vis l’un des bardeaux se loger dans le clocher de l’église des Récollets et y mettre le feu. Un des Frères y monta dans l’intention d’éteindre le feu ; mais il fut obligé de retraiter ; en peu de temps, le corps de l’église fut enveloppé de flammes ainsi que le couvent adjoignant. Pourtant on eut le temps de sauver les ornements de l’autel, ainsi qu’une jolie petite frégate construite par l’un des Frères, et suspendue à la voûte de l’église, et de la transporter dans la cour du château Saint-Louis, et que je crois avoir été présentée ensuite aux Dames de l’Hôpital-Général. L’ardeur des flammes mit le feu à une petite maison habitée alors par une famille Laurencelle, et toutes celles adjoignantes jusqu’à l’encoignure des rues Saint-Louis et des Carrières, et celles vis-à-vis le jardin du gouvernement furent consumées ou autrement détruites.

« Au moment où le feu éclatait, il passait un petit tambourin retournant de pratiquer en dehors de la porte Saint-Louis. Un officier du 60e l’ayant aperçu, lui donna ordre de battre l’alarme, auquel le petit garçon répondit : « Sir, I don’t know how to beat the Fire-Drum. » Bientôt après le bruit du tambour se fit entendre par toute la ville. Étant bien inquiet de voir la petite frégate, je partis à la course pour mieux échapper aux effets de l’église brûlante. Le coq du clocher de l’église tomba tout auprès de moi : il était de la grosseur d’un mouton ordinaire. La secousse me terrassa pour le moment, mais je repris courage et je pus continuer ma route jusqu’à la cour du Château, où il s’était assemblé une foule dans le même objet. Plus tard, dans l’après-midi, je pus me faufiler à travers la foule, et j’atteignis le jardin des Récollets, où je rencontrai le Frère Louis, qui me fit manger des pommes cueillies sur les arbres. Le lendemain de l’incendie, je rencontrai (près de l’endroit où est maintenant la résidence du juge Black) un habitant de la Pointe-Lévis, qui portait sous le bras un gros livre (un in-quarto) bien endommagé par le feu. Il me dit l’avoir ramassé le jour précédent à sa porte… Le Père Berré se réfugia dans une maison retirée, dans la rue Saint-Louis, avant appartenu à monsieur François Duval, alors clerc du marché de la haute-ville. Il y est mort. Je ne puis me rappeler où ses restes furent inhumés. Le Frère Louis a tenu école nombre d’années à Saint-Roch (un des faubourgs de Québec), où il avait un superbe jardin de fleurs qui lui donna un bon revenu. Le Frère Marc (né Content et oncle de Messire Parent, instituteur au Petit Séminaire) s’établit au village de Saint-Thomas, où il pratiqua le métier d’horloger. Un troisième devint navigateur entre Québec et Montréal. Il y eut un Frère Bernardin et un Frère Bernard, et peut-être quelques autres, dont j’ignore les noms et le sort.

« En terminant, je prie MM. les membres de la Société Antique de vouloir bien me faire grâce des fautes de style et de grammaire qui se seraient glissées dans le mémoire ci-haut, vu que le français n’est pas ma langue maternelle.

« Donné sous mon seing et sceau, à Québec, ce 27 mars 1866, quatre-vingt-troisième de ma naissance, qui eut lieu sous le toit de l’ancien Évêché, près de la porte de ville Prescott.”

« James Thompson,
« député commissaire général. »

Les châtelaines du fort Saint-Louis sous le régime anglais furent lady Dorchester, lady Prescott, lady Milnes, lady Craig, lady Prevost (dont le portrait est conservé chez les Ursulines de Québec), les filles du duc de Richmond, la comtesse de Dalhousie et lady Aylmer.

Le château Saint-Louis avait un air de fête inaccoutumé au matin du 30 août 1797 : la sympathique fille du gouverneur-général du haut et du bas Canada, Mademoiselle Rebecca Prescott, épousait ce jour-là le capitaine John Baldwin, aide-de-camp de son père, et accueillait, le sourire aux lèvres, les souhaits de bonheur de ses parents et de l’élite de la société de Québec. Hélas ! la joie qui brillait au front des jeunes fiancés devait bientôt s’évanouir : « par un de ces malheurs que la sagesse de Dieu prépare aux plus élevés comme aux derniers des hommes, » la jeune femme si distinguée » par son esprit supérieur, ses talents de premier ordre et les charmes de son caractère, » mourut à Québec, le 27 juin 1798, « et d’abondantes larmes coulèrent de bien des yeux à cette triste nouvelle. Le gouverneur surtout demeura inconsolable… »

Parmi les événements dont le château Saint-Louis fut le témoin, nous avons enregistré une naissance, — celle de Marie-Anne de Brisay de Denonville, arrivée le 14 septembre 1685, — et un mariage, — celui de Monsieur et Madame Baldwin, célébré le 30 août 1797[75] : combien plus souvent n’avons-nous pas eu à réveiller de funèbres souvenirs !

Qu’est-ce que l’étude de l’histoire sinon un dialogue avec les morts ?

M. Aubert de Gaspé parle assez fréquemment du château Saint-Louis dans ses Mémoires. Nous empruntons encore les lignes suivantes à cet aimable auteur octogénaire :

« Monsieur Louis-René Chaussegros de Léry appartenait aux gardes de Louis XVI ; étant en semestre, il eut le bonheur d’échapper au massacre du 10 d’août. De retour au Canada, il chantait une complainte empreinte de sensibilité qui faisait verser des larmes à ceux qui l’entendaient. Étant bien jeune alors, je ne me la rappelle que bien imparfaitement, mais je crois devoir la donner d’après mes souvenirs, laissant aux poètes le soin d’en rétablir le texte s’ils ne sont pas satisfaits du mien. La femme du gouverneur, lady Milnes, le pria de la chanter à un dîner, au château Saint-Louis ; mais, éclatant en sanglots après le premier couplet, elle quitta la table ; puis, revenant à l’expiration d’une dizaine de minutes, elle pria monsieur de Léry de continuer.

« Voici cette complainte, que les circonstances faisaient peut-être apprécier plus qu’elle ne mérite. Mais il faut dire aussi que l’air, empreint de tristesse, contribuait beaucoup à émouvoir les cœurs sensibles.


« Un troubadour béarnais,[76]
Les yeux inondés de larmes,
À ses montagnards chantait
Ce refrain, source d’alarmes :
Le petit-fils de Henri
Est prisonnier dans Paris !


« Il a vu couler le sang
De cette garde fidèle
Qui vient d’offrir en mourant
Aux Français un vrai modèle,
En combattant pour Louis,
Le petit-fils de Henri.

« Ce dauphin, ce fils chéri,
Qui faisait notre espérance,
De pleurs sera donc nourri ?
Le berceau qu’on donne en France,
Au petit-fils de Henri,
Sont les prisons de Paris !

« Au pied de ce monument
Où le bon Henri respire,
Pourquoi l’airain foudroyant ?
On veut donc qu’Henri conspire
Lui-même contre ses fils
Les prisonniers de Paris ?

« Français, trop ingrats Français,
Rendez Louis et sa compagne :
C’est le bien des Béarnais,
C’est le fils de la montagne :
Le prisonnier de Paris.
Est toujours le fils d’Henri. »


La mémoire du narrateur l’a sans doute assez mal servi en cette circonstance ; mais il ne faut pas oublier que la musique sait tout poétiser, tout ennoblir. Pour qu’un chant puisse faire naître une émotion profonde, il n’est pas nécessaire que les paroles en soient marquées au sceau du génie ; il suffit que la donnée générale fournie par le poète soit de nature à réveiller un sentiment quelconque se rapportant à la tristesse ou à la joie. La musique fait le reste. Elle vient donner une intensité merveilleuse à ce sentiment, et sait en exprimer des nuances exquises que la parole seule ne saurait jamais rendre.

Dans un article intitulé : « Québec au temps passé, » publié dans la Kermesse du 25 novembre 1892, M. Thomas Chapais s’exprime en ces termes au sujet des réceptions du château Saint-Louis :

« La société de Québec, au commencement du siècle, était très distinguée et très brillante.

« Un grand nombre de vieilles familles, alliées à la noblesse française et conservant les traditions du régime tombé en 1763, lui donnaient beaucoup d’éclat. La présence du gouverneur et des troupes anglaises y ajoutait un élément très important. C’était une grande affaire que les réceptions au château, et les divertissements officiels constituaient une partie de la politique anglaise envers les colonies. Nous trouvons dans la correspondance de sir Robert Shore Milnes avec le ministre un indice de cette préoccupation. Le gouverneur se plaignait que son traitement n’était pas assez élevé. Il disait :

« Quelques mois de séjour m’ont convaincu que mon traitement actuel n’y peut suffire, si je continue à résider au château et que j’y tienne l’état que l’on attend d’un gouverneur, et qui, selon mon expérience, sert grandement à unir et à réconcilier les gens, résultat essentiellement favorable aux intérêts de Sa Majesté. Je sais bien que je pourrais, en vivant sur le pied d’un simple particulier, restreindre ma dépense à mon traitement actuel, et je n’ennuierais pas Votre Grâce (le duc de Portland) d’un pareil détail ; mais alors je ne croirais pas agir comme je conçois que mon devoir m’y oblige. Peut-être n’y a-t-il pas, dans les pays soumis à la domination de Sa Majesté, un endroit où les agréments de la société, et, par conséquent, la popularité du gouverneur, dépendent autant de la manière dont il vit, que dans la ville de Québec. La longue durée et les rigueurs de l’hiver, la séparation forcée pendant des mois d’avec les autres parties du monde, les fortunes généralement bornées des Canadiens, tout cela, joint au manque de lieu public d’assemblée, fait que les relations sociales à Québec, tournent sur un point. Voilà pourquoi il faut que le lieutenant-gouverneur, comme le gouverneur en chef, continue l’état de représentation coutumier au château. »


« Le Ministre jugea que Sir Robert Shore Milnes avait raison, et lui accorda une augmentation de traitement.

« L’arrivée à Québec du gouverneur Craig, en 1807, marqua, dans les réceptions officielles, une ère de faste et de splendeur. Craig aimait la pompe ; il avait des gardes, une suite brillante, et faisait les honneurs de sa position princièrement. On l’appelait the little king. »

Le « petit roi » donnait souvent des fêtes à la campagne ; mais c’était surtout au château Haldimand, dépendance du château Saint-Louis, qu’avaient lieu les dîners et les bals donnés par ce fastueux personnage. Le château, centre de réceptions politiques, restait toujours le centre de la politique des réceptions.


Séparateur


XV


Un odieux personnage. — Dialogue historique. — La guerre de 1812. — Le fort Saint-Louis en 1815. — Les restes du duc de Richmond. — L’incendie du château Saint-Louis (23 janvier 1834). — La terrasse Durham. — Événements politiques. — Destruction.



Parmi les personnages qui fréquentèrent le château Haldimand pendant le séjour qu’y firent les gouverneurs, il faut citer le notoire Herman-Witrius Ryland, secrétaire intime de Lord Dorchester et de ses quatre successeurs, puis membre du Conseil Législatif et secrétaire du Conseil Exécutif. Il écrivait, le 23 décembre 1804, les lignes suivantes qui font voir tout ce qu’il y avait de fanatisme et de fiel au fond de son cœur : We have been mad enough to allow a company of French rascals to deprive us for the moment of the means of accomplishing all this (la domination de l’anglicanisme dans le Bas-Canada) ; but one prudent decisive step might rectify this absurdity. Il fit l’impossible pour empêcher M. Dunn, administrateur de la colonie, de reconnaître Mgr Plessis comme évêque de Québec et d’accepter son serment de fidélité au roi d’Angleterre. Il écrivit à ce sujet : « Je méprise et je hais la religion catholique, parce qu’elle ravale l’esprit humain et qu’elle est fatale à tous les pays où elle existe. »

Le gouverneur intérimaire passa outre.

En 1807 arriva à Québec le gouverneur Sir James-Henry Craig, — dont nous avons déjà parlé, — qui devait s’entendre parfaitement avec cet odieux personnage[77].

Craig, dit M. Garneau, était un officier de quelque réputation, mais un « administrateur fantasque et borné, qui déploya un grand étalage militaire et parla au peuple comme il eût parlé à des recrues soumises au fouet. »

Ainsi que nous l’avons déjà dit, ce gouverneur aux étranges allures quitta, quelques mois avant son départ de Québec, le château Haldimand, dépendance du château Saint-Louis, pour aller habiter ce dernier édifice. Ce fut dans une des salles du château Saint-Louis qu’eut lieu, au mois de juin 1811, le célèbre dialogue entre sir James Craig et Mgr Plessis, dans lequel le gouverneur voulut jouer au Napoléon.[78] L’illustre évêque qui devait plus tard obtenir de l’Angleterre, pour l’Église du Canada, une indépendance que celle-ci n’avait connue ni sous le nouveau régime, ni même sous le régime français, déploya en cette circonstance autant de fermeté que de tact et de modération. Il était d’ailleurs fort instruit, et avait une connaissance étendue des lois anglaises touchant le domaine religieux. Craig, qui voulait que le roi de la Grande-Bretagne nommât les évêques et les curés canadiens, et ignorait la doctrine catholique relativement à la juridiction spirituelle, tenta de faire briller aux yeux du prélat les avantages matériels qui lui reviendraient en acceptant la suprématie ecclésiastique du roi. Le prélat ne prononça pas le mot comediante, qui échappa, a-t-on dit, à Pie VII dans l’entretien de Fontainebleau, quelques mois plus tard, mais il exposa d’une façon lucide[79] la doctrine de l’Église à son interlocuteur, moins susceptible de la comprendre qu’était Napoléon.

Les événements de la « guerre de 1812 » vinrent servir nos intérêts. Mis en suspicion, maltraités dans leurs chefs par une caricature de potentat, les Canadiens n’avaient rien perdu de leur loyauté, et ils oublièrent généreusement leurs griefs lorsque sir George Prevost, successeur de Craig, leur témoigna une confiance qui était à leur honneur réciproque. La guerre ayant été déclarée, en 1812, entre l’Angleterre et les États-Unis (à propos du droit de visite), le gouverneur donna la garde de sa capitale aux Canadiens-Français. Il n’en fallait pas davantage pour faire éclater la générosité et les sentiments chevaleresques de nos pères. Le plus brillant fait d’armes de cette campagne de 1812, 1813 et 1814, fut la bataille de Châteauguay (26 octobre 1813), où le colonel de Salaberry et ses trois cents voltigeurs franco-canadiens défirent sept mille Américains commandés par le général Hampton.[80] Après la guerre, l’Angleterre victorieuse et reconnaissante confirma les promesses faites par sir George Prevost à l’évêque de Québec, et tous les droits des Canadiens-Français, relativement au domaine religieux, furent enfin et définitivement reconnus.

Monsieur Joseph Bouchette, dans sa Description topographique de la province du Bas-Canada, publiée à Londres en 1815, s’exprime ainsi :

« En 1759, la population de Québec se montait à environ huit à neuf mille âmes ; à présent, y compris les faubourgs, elle est d’à peu près 18,000. Les édifices publics sont le château Saint-Louis, l’Hôtel-Dieu, le couvent des Ursulines, le monastère des Jésuites, actuellement converti en casernes, les cathédrales protestante et catholique, l’église écossaise, l’église de la basse-ville, la maison de Justice, le séminaire, la nouvelle prison, et les casernes de l’artillerie ; il y a deux marchés, une place d’armes, une parade et une esplanade. De ces bâtiments, le château Saint-Louis étant l’objet le plus saillant sur le sommet du rocher, mérite le premier d’être remarqué ; c’est un beau


LE CHÂTEAU ST-LOUIS, QUÉBEC.
Détruit par le feu le 23 janvier 1834. — D’après un dessin de W.-S.
Sewell, copié par Geo. St-Michel.

bâtiment de pierre, situé près du bord d’un précipice d’un peu plus de deux cents pieds de hauteur, et soutenu de ce côté par un ouvrage solide en maçonnerie, qui s’élève jusqu’à la moitié de l’édifice, et surmonté d’une galerie spacieuse d’où l’on a une vue très imposante du bassin, de l’Île d’Orléans, de la Pointe-Lévi, et du pays d’alentour. Le bâtiment a en totalité 162 pieds de long sur 45 de large ; il a trois étages, mais du côté du Cap il paraît beaucoup plus haut : chaque extrémité est terminée par une petite aile qui donne au tout ensemble un air libre et régulier ; la distribution intérieure est commode, les décorations sont pleines de goût et magnifiques, et convenables à tous égards à la résidence du Gouverneur Général. Il fut bâti peu après que la ville eût été fortifiée par des ouvrages réguliers, par conséquent il offre assez peu de beautés qui puissent attirer l’attention : pendant une longue suite d’années il fut négligé au point qu’on le laissa dépérir, et cessant d’être la résidence du commandant en chef, il ne servit plus qu’aux bureaux du gouvernement, jusqu’en 1808, alors que le parlement provincial adopta une résolution pour le réparer et l’embellir ; on vota en même temps pour cela la somme de 7000 livres sterling, et on commença aussitôt les travaux. L’argent qui était destiné à cet objet ne se trouva pas suffisant pour défrayer les dépenses d’après la grande échelle sur laquelle les améliorations avaient été commencées ; mais on vota une somme additionnelle pour couvrir tous les frais, et à présent, comme résidence du représentant de Sa Majesté, il fait beaucoup d’honneur à la libéralité et à l’esprit public de la province. Sir James Craig fut le premier qui en prit possession. La partie appelée proprement le Château, occupe un côté de la place ou de la cour ; du côté opposé est un vaste bâtiment[81] divisé en différents bureaux du gouvernement tant civil que militaire, qui sont sous les ordres immédiats du gouverneur ; il contient aussi une belle enfilade d’appartements, où se donnent toujours les bals et les autres amusements de la cour. Durant l’état de dépérissement du Château, ce bâtiment était occupé par la famille du Gouverneur. L’extérieur aussi bien que l’intérieur est dans un style très simple ; il forme une partie de la courtine qui s’étendait entre les deux bastions extérieurs de l’ancienne forteresse de Saint-Louis ; tout auprès sont d’autres bâtiments plus petits servant à de semblables usages, un corps de garde, des écuries, et un vaste manège.[82] La forteresse de Saint-Louis couvrait environ quatre acres de terrain, et formait presque un parallélogramme ; du côté de l’ouest, deux forts bastions à chaque angle étaient unis par une courtine, au centre de laquelle était une porte pour les sorties ; les autres faces présentaient des ouvrages d’une description à peu près semblable, mais d’une moindre dimension. Il ne reste plus que quelques vestiges de ces ouvrages, excepté le mur de l’ouest qu’on tient en bonne réparation. Le nouveau corps de garde et les écuries, qui font face à la parade, ont un très joli extérieur ; le premier forme l’arc d’un cercle, et a une colonnade sur le devant ; les écuries tiennent au manège, qui est spacieux et en tout point très propre à son usage ; il sert aussi pour exercer la milice de la ville. Au sud-ouest du Château, il y a un excellent jardin bien cultivé, de 90 toises de longueur sur 35 de largeur, et de l’autre côté de la rue des Carrières, il y en a un autre de 53½ toises de longueur sur 42 de largeur, l’un et l’autre pour l’usage du Gouverneur ; le dernier avait d’abord été destiné à former une promenade publique, et plante de beaux arbres dont il reste encore

plusieurs. »


Le chateau Saint-Louis après sa dernière restauration (1808-1811)
Vue prise de l’intérieur du Fort.
D’après un dessin conservé au séminaire de Nicolet.
(Collection de l’abbé Bois.)

Les lignes suivantes, extraites de la Vie de Madame C.-E. Casgrain (née Baby), m’ont été communiquées par un des collaborateurs de cet ouvrage intime, intéressant à plus d’un titre :

« Les premières visites de Mme Casgrain au château Saint-Louis, dont elle a gardé un souvenir distinct, datent de 1819. Charles Lennox, duc de Richmond, était alors gouverneur. Quoique arrivé depuis peu dans le pays, il était universellement reconnu pour un ennemi des Canadiens et souverainement détesté. La plupart de ceux qui n’étaient pas obligés de faire acte de présence au château, par suite des devoirs de leur charge ou de leur position, s’abstenaient d’y paraître. Aussi les réceptions et les bals du gouverneur avaient plus que jamais une physionomie anglaise. Les réceptions avaient lieu aux salons du château Saint-Louis ; mais les bals se donnaient en face, dans les salles plus vastes du nouveau château bâti par Haldimand, qui a subi, depuis, bien des vicissitudes, et qui a enfin été converti de nos jours en école normale. »

« L’espace libre que l’on voit entre cet édifice et celui de la poste était fermé d’une enceinte de murs auxquels se rattachaient les écuries du gouverneur et le corps de garde situé près de l’entrée qui donnait accès à la cour du château Saint-Louis, et qui s’ouvrait près du pignon de l’école normale actuelle.[83] Un chemin sablé, soigneusement entretenu, faisait le tour de la cour intérieure du Château, dont la façade, peu élevée de ce côté, était d’une architecture très simple. En entrant dans le vestibule, on remarquait la largeur des escaliers qui conduisaient aux salons de réception, et qui avaient vraiment de la majesté. Les salons eux-mêmes étaient d’un goût sévère ; ils respiraient cependant de la solennité, surtout quand on se rappelait tous les personnages célèbres de notre histoire qui y avaient passé, depuis Frontenac, Montcalm, Dorchester, jusqu’aux princes d’Angleterre. Dans le cours de l’été de 1819, le château Saint-Louis présentait une animation inaccoutumée. Les gardes anglaises étaient doublées à toutes les issues, et une foule nombreuse entrait et sortait sans interruption du château. Le silence de cette foule indiquait une cérémonie funèbre. En effet, elle venait visiter la chambre mortuaire du duc de Richmond, enlevé par une mort tragique dans laquelle la croyance populaire voyait un châtiment de Dieu. On pouvait, raconte notre mère, lire sur toutes les figures qu’on rencontrait une expression de soulagement et de satisfaction secrète.

« Le principal ornement de la chambre funèbre, qui attirait l’attention du monde, consistait en quatre magnifiques candélabres placés autour du catafalque, et qui appartenaient à la famille du noble Lord.

« Chacun racontait à sa manière les incidents de la mort du duc. Mordu par un renard captif, avec lequel il avait voulu jouer en passant à Sorel, au moment où il se rendait à la chasse, il ressentit, au milieu de la forêt, les premières atteintes de la rage que ce renard, pris d’hydrophobie sans que personne ne le sût, lui avait communiquée.[84] Dès que les gens de sa suite s’en furent aperçus, ils l’engagèrent à descendre à Québec. Il partit en effet ; mais du moment qu’il entrevit l’eau de la rivière Ottawa, où il fallait s’embarquer, l’horreur hydrophobique s’empara de lui, et il s’enfonça de nouveau dans la forêt. On l’entendait s’écrier, en se parlant à lui-même : « Lennox, be a man. » Mais sa volonté était vaincue : impossible d’avancer. Il fallut l’entraîner malgré lui et le lier dans le canot, où les convulsions de la rage, en entendant le clapotement de l’eau autour de lui, le mirent dans un état indescriptible.

« Il mourut peu de temps après, avant même d’arriver à Québec. Cette fin tragique fit une grande sensation dans tout le pays. »

Le duc de Richmond remplissait les fonctions de gouverneur depuis l’année précédente. Son corps fut inhumé dans l’église anglicane de Québec, où on lui érigea un monument.

La mort ne devait plus pénétrer dans cette forteresse Saint-Louis qui avait vu s’éteindre Champlain, Mésy, Frontenac, Callières, Vaudreuil, La Jonquière, et avait abrité la dépouille mortelle du duc de Richmond. Le Château lui-même eut bientôt à subir la loi commune de la destruction des œuvres humaines : l’incendie, qui avait déjà détruit tant d’édifices et d’espérances dans la ville de Québec, devait encore faire disparaître ce monument par excellence des luttes et des gloires du passé. Sous le titre : « Incendie du Château Saint-Louis, » la Gazette de Québec du 25 janvier 1834 publia les lignes suivantes qui créèrent une profonde impression dans tout le Canada :

« Cet édifice, qui servait de domicile depuis 150 ans, au moins, aux gouverneurs en chef de tout le territoire présentement connu comme l’Amérique Britannique du Nord, et l’un des objets les plus saillants de Québec vu du côté du port, et qui dominait le précipice qui se trouve entre la citadelle et la basse-ville, est devenue la proie des flammes. Avant-hier, vers midi, le feu éclata dans une chambre, au troisième étage, vers la partie sud de la bâtisse, occupée par M. le capitaine McKinnon, aide-de-camp et bien qu’on s’en fût aperçu de bonne heure, et qu’on employât tous les moyens pour en arrêter les progrès, néanmoins il s’étendit avec une rapidité étonnante dans l’étage supérieur, et continua à brûler en descendant, en dépit de tous les efforts des troupes et d’une douzaine de pompes. Maintenant il se présente aux regards avec ses cent ouvertures, ses cheminées à nu, et ses murs dévastés et noircis par les flammes. Hier l’après-midi une couple de pompes essayaient encore d’éteindre le feu dans l’aile du sud.

« Il fut originairement bâti par les Français dans un temps qu’on ne peut fixer d’une manière certaine ; et quoiqu’il ait été changé et embelli, particulièrement sous l’administration de sir James Craig (ce qui coûta 10,000 £ à la province), ce sont encore les murs originairement bâtis, lesquels ont échappé, sauf quelques légers dommages, au siège de 1759 par les Anglais, à celui de 1775 par les Américains et au bombardement par sir William Phipps en 1690[85].

« Depuis une cinquantaine d’années[86] après la découverte du pays, cette place a été successivement le quartier-général de toutes les possessions françaises, à l’époque où elles comprenaient toute l’Amérique Britannique du Nord actuelle, ainsi que la Louisiane et les territoires le long du Mississipi ; et depuis 1759 jusqu’en 1778, que s’effectua l’indépendance américaine, devint le siège du principal commandant de tout le continent de l’Amérique du Nord.

« Ce château était occupé, lors de l’incendie, par le lieutenant-général Aylmer, gouverneur-en-chef, et Lady Aylmer, le capitaine McKinnon, des grenadiers de la garde, et le capitaine Doyle, du 24e de ligne, aide-de-camp, et le lieutenant Paynter, extra aide-de-camp. Le secrétaire militaire (M. le capitaine Airey), occupait des appartements dans l’édifice communément appelé le vieux château, lequel cependant a été construit par les Anglais après la conquête, et dont on se sert en partie pour les repas et les danses. Les documents publics qui appartiennent à l’administration furent sauvés à temps, ainsi que l’argenterie et la plus grande partie de l’ameublement, qui néanmoins a été endommagé.

« Son Excellence avait fait assurer pour 3,000 £, au bureau de Québec, le ménage qui est vendu par le dernier gouverneur au suivant, à chaque changement d’administration.

« Le matin de l’incendie, le thermomètre avait marqué 22° au-dessous de zéro, et tant qu’il a duré, le froid a été depuis 2° jusqu’à 8° au-dessous de zéro, accompagné d’un vent perçant, qui soufflait de l’ouest au sud-ouest. La plupart des pompes ne pouvaient pas jouer, à cause du froid, et on n’aurait pu en retirer beaucoup d’avantage sans l’eau chaude qui fut généreusement fournie par les brasseries de MM. Racey, McCallum et Quirouet, et par les communautés religieuses.

« Les citoyens et les troupes se sont signalés par leurs efforts ; mais vu l’impossibilité où l’on était d’atteindre la partie de l’édifice qui donnait sur le précipice, on vit bientôt qu’on ne pourrait réussir à arrêter le progrès des flammes.

« Il en coûtera probablement £25,000 à £30,000 pour construire un nouveau château ; mais la beauté et l’étendue du terrain permettront d’y ériger un très bel édifice, qui pourra faire l’ornement de Québec. La propriété appartient au gouvernement militaire.

« Pendant l’incendie, Lord et Lady Aylmer sont restés chez le Col. Craig ; et ils y sont restés depuis. Ils cherchent à louer une maison en ville. Le feu régna avec une grande violence pendant toute la nuit de jeudi, et on donna de fréquentes alarmes, dans la crainte où l’on était que les maisons des rues La Montagne et Champlain, qui se trouvent au pied du cap, ne prissent en feu par les flammèches que poussait le vent, et les pièces de bois embrasées qui tombaient sur les maisons ou dans les cours ; heureusement la neige qui se trouvait sur les toits, a préservé les maisons, et il n’en a été que cela. Si l’incendie fût survenu en été, bien des propriétés auraient été détruites dans la basse-ville. »

Après l’incendie du 23 janvier 1834, le nom de château Saint-Louis fut donné au château Haldimand dans les documents officiels.

Lord Gosford, successeur de Lord Aylmer, avait sa résidence sur le cap, mais les journaux de l’époque parlent fréquemment des dîners qu’il donnait au château.

Lord Durham fit raser, en 1838, les ruines du château incendié en 1834, et fit construire sur une partie des fondements de l’ancien édifice, à environ 180 pieds au-dessus du niveau de la basse-ville, une terrasse ou plate-forme mesurant 160 pieds de longueur (du nord au sud), avec balustrade en bois du côté du fleuve. Cette terrasse fut agrandie et construite dans sa forme actuelle, sur une longueur de 276 pieds, par l’honorable M. Chabot, alors ministre des Travaux Publics, en 1854, puis continuée en 1879, jusqu’au pied de la redoute du cap Diamant, par le gouvernement du Canada et la ville de Québec, d’après les conseils de Lord Dufferin. Elle a maintenant 1 400 pieds de longueur, du nord au sud, c’est-à-dire depuis l’emplacement de l’ancien château Saint-Louis jusqu’au pied de l’ouvrage le plus avancé de la citadelle.

La « plate-forme » chère aux Québecquois est connue de toute l’Amérique à cause du panorama éblouissant que l’œil y découvre de tous côtés. Depuis 1838, on lui a donné les noms de Plate-forme Saint-Louis, Terrasse Durham, Terrasse Frontenac, Terrasse Dufferin[87] : pour tous les étrangers, elle est l’unique, l’incomparable Terrasse de Québec, la promenade aux vastes horizons, souvent animée par la présence d’une foule joyeuse, toujours peuplée de rêveurs, d’artistes, de poètes et de souvenirs.

Nous touchons à une époque trop rapprochée de nous pour qu’il soit nécessaire de rappeler les événements importants qui s’y sont succédé. Après l’incendie du 23 janvier 1834, le gouvernement loua l’hôtel Union, en face de la Place d’Armes, pour y installer la plupart des bureaux publics. De 1838 à 1840, sous le régime du Conseil Spécial, le siège du gouvernement fut la ville de Montréal. Après l’Union et jusqu’à l’établissement de la Confédération, la capitale, et, partant, la résidence des gouverneurs, fut fixée tour à tour dans le Haut ou le Bas Canada. Ainsi, le Parlement siégea à Kingston, de 1841 à 1843 ; à Montréal, de 1844 à 1849 ; à Toronto, de 1850 à 1851 ; à Québec, de 1852 à 1855 ; à Toronto, de 1856 à 1859 ; à Québec, de 1860 à 1865 ; à Ottawa, en 1866.

De 1852 à 1855 et de 1860 à 1865 le château Haldimand fut occupé par des bureaux publics.

Un lugubre événement, le feu du théâtre, se produisit au fort Saint-Louis en 1846, et vint continuer l’œuvre de destruction commencée en 1834, et qui devait se poursuivre par l’action du temps d’abord, puis par la démolition d’une partie des murailles et de quelques petits bâtiments en 1854, puis enfin par la démolition du château Haldimand et du « magasin des poudres » en 1892.




XVI


L’incendie du théâtre Saint-Louis. — Lugubres souvenirs, — L’inauguration de l’école normale Laval. — Un discours de M. Chauveau. — Démolitions et discussions. — La « vétustomanie. » — L’hôtel Château Frontenac. — L’emplacement du premier fort Saint-Louis. — M. Bruce Price. — Le passé et l’avenir.



Àpart quelques bâtiments de minime importance et l’ancienne muraille construite par Frontenac, il ne restait plus sur l’emplacement du fort Saint-Louis, après l’incendie du 23 janvier 1834, que le Vieux Château, avec l’ancien magasin des poudres qui lui était contigu, un joli corps de garde construit vers 1814 et un « vaste manège » appuyé sur la partie du mur d’enceinte qui faisait face à la ruelle voisine du bureau de poste.

Les officiers du régiment des Cold Stream Guards ayant obtenu, vers 1839, la permission de transformer et embellir ce manège, l’étage supérieur du bâtiment fut converti en salle de spectacle[88].

C’est dans cette salle qu’une foule compacte s’était réunie, le vendredi, 12 juin 1846, pour voir défiler sur la toile les vues réputées merveilleuses du diorama Harrison.

Au dehors, il faisait une soirée délicieuse. Le canon de la citadelle venait de jeter sa clameur aux échos des rivages voisins, et il ne restait plus que quelques rares promeneurs sur la petite terrasse à laquelle Lord Durham avait donné son nom.

Tout à coup, mille cris d’angoisse se font entendre. Le feu était au théâtre, et les spectateurs, massés dans l’escalier et le couloir qui conduisaient au dehors, se pressaient, affolés, vers la porte de sortie, ouvrant, hélas ! à l’intérieur[89]. Les malheureux qui purent les premiers atteindre cette porte furent impuissants à refouler le flot qui les pressait et les empêchait de l’ouvrir : ils périrent suffoqués ou écrasés.

La fumée sortait déjà des couvertures du bâtiment ; bientôt des jets de flamme s’élancèrent au dehors, et les lamentations des victimes s’élevèrent plus navrantes et plus désolées.

Nous cédons maintenant la parole à un jeune écrivain de l’époque, M. Joseph Cauchon, qui devint plus tard un homme considérable et fut le troisième gouverneur de la province de Manitoba. Le lendemain de l’incendie du théâtre, il publiait l’article suivant dans le Journal de Québec :

CANADA
Québec, 13 juin 1846.

HORRIBLE CALAMITÉ !!!

Incendie du Théâtre Saint-Louis. — Perte d’un grand nombre de vies !!


« La force nous manque pour rendre compte d’une calamité telle que celle qui vient de frapper Québec, la ville des grandes infortunes. Près de cinquante personnes ont péri hier soir dans les flammes du théâtre ou y ont auparavant été suffoquées par la fumée. Sur les dix heures, au moment où l’exhibition des dioramas de M. Harrison se terminait et que les spectateurs commençaient à défiler pour sortir, le feu prit dans les scènes par une lampe à huile camphrée qui s’était détachée du plafond, et bientôt la salle du spectacle s’obscurcit par la fumée. Alors, hommes, femmes, enfants se précipitèrent au bas de l’escalier qui gagne aux loges pour sortir par la seule issue connue, issue excessivement étroite. Les premiers, poussés violemment dans l’obscurité, furent écrasés sous la pression de ceux qui les suivaient : et tous se trouvèrent accumulés en masse compacte, les uns sur les autres, sans qu’il fût possible à aucun d’eux de sortir ou de reculer, ou même de les arracher à la mort, malgré les efforts qui furent faits par M. O’Reilly, vicaire de la paroisse, et plusieurs citoyens zélés. On assure même que l’on a arraché le bras de l’un des messieurs ainsi encaissés, sans pouvoir le sauver lui-même.

« On entendait des cris lamentables ; plusieurs infortunés, dans ce moment suprême, voyant que tout secours humain était impossible et n’espérant plus que dans la miséricorde divine, crièrent à M. O’Reilly, dont ils entendaient la voix : « Donnez-nous l’absolution. » Le ministre des consolations, épuisé de fatigues et d’efforts, leva la main pour les bénir et les absoudre. Un instant auparavant, aidé de M. Tanswell, qui était encore sur les lieux, et d’une autre personne, il parvint à arracher à la mort Mme Tanswell, sans connaissance, mutilée par la flamme et meurtrie par la pression. Elle est hors de danger cependant. M. McDonald, le rédacteur du Canadien, eut aussi le bonheur d’échapper à cette calamité. Dès qu’on l’aperçut et qu’on l’entendit, plusieurs bras s’attachèrent à lui et on le retira ; mais il pleure la perte de son épouse et de sa fille aînée, madame Rigobert Angers, qui sont péries dans les flammes. Nous sympathisons avec ses malheurs de toutes les puissances de notre âme. Il reste avec une nombreuse famille qui n’a plus de mère pour en prendre soin.

« À l’heure où nous mettons sous presse, quarante-six cadavres ont été retrouvés, dont trente-neuf reconnus. Parmi les personnes dont les corps sont encore sous les ruines sont Mlle Rae et M. Wheatly. Le corbillard allait et revenait avec l’activité de la mort et de la destruction pour transporter ces cadavres mutilés et carbonisés à leurs demeures respectives. M. Scott, greffier de la Cour d’Appel, a été retrouvé ainsi que ses deux enfants. Voici d’ailleurs la liste de ceux dont les corps ont été reconnus :

« Émilie Worth, âgée de 9 ans, fille de Edward Worth, de Montréal, et sœur de madame Lenfesty.

« Flavien Sauvageau, âgé de 14 ans, fils du maître de l’orchestre canadien.

« Élisabeth Lindsay, âgée de 44 ans, épouse de Thomas Atkins, avec son fils Richard Atkins, épicier, âgé de 27 ans.

« Stuart Scott, écr., greffier de la Cour d’Appel, avec Jane, sa fille.

« Thomas Hamilton, écr., lieutenant du 14e régiment.

« Madame John Gibb, et Jane, sa fille.

« M. Arthur Lane, fils d’Elisha Lane, de la compagnie de Gibb, Lane & Co.

« Elle Maria-Ann Brown, maîtresse d’école du Foulon de Wood et Gray, âgée de 25 ans.

« M. Horatio Carwell, marchand, Horatio, son fils, âgé de 6 ans, et Ann, sa fille, âgée de 4 ans.

« Joseph Tardif, agent de journaux, et sa femme.

« Sarah Darah, épouse de John Colvin, charretier.

« James O’Leary, âgé de 22 ans, apprenti plâtrier ; Marie O’Leary, sa sœur, âgée de 18 ans.

« M. J.-J. Sims, apothicaire, Rébecca, sa fille, âgée de 23 ans, et Kenneth, son fils, âgé de 13 ans.

« Mme Marie O’Brien, épouse de M. John Lilly, tailleur, rue Buade.

« M. J.-B. Vézina, marchand, âgé de 30 ans, rue Sous-le-Fort.

« Dame Henriette Glackmeyer, épouse de M. Molt, organiste de la cathédrale, et Frédéric, âgé de 19 ans, Adolphe, âgé de 12 ans, ses fils.

« Dame Marie-Louise Lavallée, épouse de R. McDonald, écuyer, rédacteur du Canadien, et Dame Eugénie McDonald, sa fille, épouse de M. Rigobert Angers.

« M. Edward Hoogs, employé à la Banque de Montréal, Edmund, âgé de 8 ans, et Edward, âgé de 6 ans, ses fils.

« M. Thomas Harrisson, âgé de 21 ans, d’Hamilton, H.-C., frère du propriétaire des dioramas.

« John Berry, d’Aberdeen, employé de M. Price, écr., à Ottawa.

« Colin Ross, plâtrier, de Montréal, et son épouse.

« Joseph Marcoux, huissier.

« Isaac Develin, orfèvre, rue Notre-Dame, basse-ville.

« La servante de M. Andrew Patterson.

« Trois autres corps inconnus.

« Les recherches se continuent ; on n’a pas encore trouvé les corps des personnes qui suivent, manquant à leurs familles :

« John Wheatly, libraire, rue La Montagne.

« Dlle Rae, fille de M. Rae, du Commissariat.

« Dlle Émilie Poney, hôtelière, marché de la basse-ville, avec M. McHugh, instituteur, de la Malbaie, qui l’accompagnait.

« On nous informe que la procession de la Fête-Dieu n’aura pas lieu demain, comme elle avait été annoncée au prône dimanche dernier, en conséquence du deuil dans lequel est plongée la ville par suite de l’incendie d’hier au soir. »

Un récit élaboré de la catastrophe, daté de Québec et signé : « Marc-Aurèle, » fut publié dans la Minerve du 18 juin 1846. On peut lire ce même article dans le troisième volume du Répertoire National, où il est signé : « Marc-Aurèle Plamondon. »

M. Plamondon (plus tard le juge Plamondon) était lui-même parmi les spectateurs du diorama Harrisson, et avait failli périr dans le désastre du 12 juin. Son récit est très détaillé.

Dix ans après l’incendie du théâtre Saint-Louis, on en parlait encore souvent à Québec, dans les conversations. Le temps, qui efface tout de la mémoire des hommes, sem

blait respecter ce lugubre souvenir. Mais, peu à peu, la loi inexorable reprit son empire, et l’horrible catastrophe du 12 juin 1846 n’est plus aujourd’hui, pour la population de Québec, qu’un événement lointain que beaucoup ignorent et auquel les plus anciens eux-mêmes ne songent plus.

Après les scènes de désordre qui eurent lieu à Montréal en 1849, le gouvernement songea à faire construire un palais pour le gouverneur-général à Québec, au centre de l’enceinte du fort Saint-Louis. Des plans furent dressés à cet effet, mais le projet n’eut pas de suite[90].

Le 12 mai 1857 eut lieu, au Vieux Château, la cérémonie de l’inauguration solennelle de l’école normale Laval, présidée par M. Chauveau, le fondateur des écoles normales du Bas-Canada. L’élite de la société religieuse, civile et militaire de Québec assistait à cette cérémonie, où figuraient Mgr Baillargeon, alors évêque de Tloa, et presque tout le clergé de la ville, le juge R.-E. Caron, le docteur Morrin, maire de Québec, et tous les membres du Conseil municipal, l’historien F.-X. Garneau, le recteur et plusieurs professeurs de l’université Laval, le grand-vicaire Cazeau, l’abbé Auclair, l’abbé Racine, le P. Beaudry, S. J., les Pères Oblats de Saint-Sauveur, l’abbé Pilote, supérieur du collège de Sainte-Anne, l’abbé Aubry, des Trois-Rivières, des militaires en costume, un grand nombre de dames, l’abbé Horan, le premier principal de l’école normale Laval, MM. les professeurs Toussaint, de Fenouillet, et tous les professeurs et élèves de la nouvelle institution.

Mgr Baillargeon prononça un discours plein de tact et d’à propos qui fut beaucoup remarqué. L’abbé Horan se surpassa, et le bon M. de Fenouillet, dont la mort, loin de sa belle Provence, inspira plus tard de si beaux vers à Octave Crémazie, mort, lui aussi, sur la terre d’exil, — M. de Fenouillet, disons-nous, lut des pages remarquables où se révélait sa double qualité de penseur et d’écrivain.

M. Chauveau était alors à l’apogée de son talent d’orateur. Les lauriers qu’il avait cueillis à Sainte-Foy deux ans auparavant ceignaient encore son front. Le discours qu’il prononça en cette circonstance fut vraiment superbe. Il contenait surtout une période sur l’enseignement de l’histoire du Canada qui fut particulièrement applaudie. Faisant allusion à cet enseignement et au site historique occupé par l’école normale, l’orateur s’écria :

« Et l’histoire ! l’histoire est partout : autour de vous, au-dessus de vous ; du fond de cette vallée, du haut de ces montagnes, elle surgit, elle s’élance et vous crie : me voici !

« Là-bas, dans les méandres capricieux de la rivière Saint-Charles, le Cabir-coubat de Jacques Cartier, est l’endroit même où il vint planter la croix et conférer avec le seigneur Donnacona. Ici, tout près d’ici, sous un orme séculaire que nous avons eu la douleur de voir abattre, la tradition veut que Champlain soit venu planter sa tente. C’est de l’endroit même où nous sommes que M. de Frontenac donna à l’amiral Phipps, par la bouche de ses canons, cette fière réponse que l’histoire n’oubliera jamais. Sous nos remparts s’étendent les plaines où tombèrent Wolfe et Montcalm, où le chevalier de Lévis remporta, l’année suivante, l’immortelle victoire que les citoyens ont voulu rappeler par un monument. Devant nous, sur la côte de Beauport, les souvenirs de batailles non moins héroïques nous rappellent les noms de Longueuil, de Sainte-Hélène, de Juchereau Duchesnay. Là-bas, au pied de cette tour sur laquelle flotte le drapeau britannique, Montgomery et ses soldats tombèrent balayés par la mitraille d’un seul canon qu’avait pointé un artilleur canadien. De l’autre côté, sous ce rocher qui surplombe et sur lequel sont perchés, comme des oiseaux de proie, les canons de la vieille Angleterre, l’intrépide Dambourgès, du haut d’une échelle, le sabre à la main, chassa des maisons où ils s’étaient établis, Arnold et ses troupes. L’histoire est donc partout autour de nous : elle se lève de ces remparts historiques, de ces plaines illustres, elle nous dit : me voici ! »

Après la cérémonie, M. l’abbé Antoine Racine, qui, lui aussi, était alors dans toute la force de son talent oratoire, nous signala particulièrement ce passage du discours de M. Chauveau, qui, du reste, avait enlevé tous les suffrages.

La partie musicale de la cérémonie avait été confiée à un jeune artiste[91] qui s’était entouré d’auxiliaires choisis parmi la fleur de la société de Québec. La fête se termina par le chant de Partant pour la Syrie et de God save the Queen. Au temps de Napoléon III, la romance dite de la reine Hortense n’était jamais oubliée dans les fêtes franco-canadiennes.

Il y eut, le lendemain, à la Salle de Musique, un grand banquet où des discours furent prononcés par MM. Chauveau, Marquette, Lafrance, Ulric-J. Tessier, A.-E. Aubry, le grand-vicaire Cazeau, Marc-Aurèle Plamondon, Sterry Hunt et le docteur Bardy. Tout le monde était en verve. L’abbé Alexandre Taschereau, plus tard Son Éminence le cardinal archevêque de Québec, figurait parmi les invités.

Le Courrier du Canada du 14 mai contenait un article élaboré sur le « banquet des instituteurs et l’organisation des écoles normales » signé « Hector L. Langevin »[92].

Au mois de juillet 1867, M. Chauveau eut avec M. Dunkin une conférence dont le résultat fut la formation du premier cabinet provincial de Québec, sous le régime de la confédération canadienne (15 juillet 1867). Cette conférence eut lieu dans l’aile du Vieux Château qui donnait sur la rue des Carrières.

Revenons un peu sur nos pas.

Une partie de l’ancienne muraille du fort (côté nord, en face de la cour du bureau de poste) fut détruite par l’incendie du 12 juin 1846 ; ce qui restait des vieux murs, au sud, fut démoli en 1854 et remplacé par un mur en ligne droite courant de l’extrémité sud-est de la nouvelle plate-forme[93] à la rue des Carrières. Le corps de garde, de date comparativement récente, fut aussi démoli en 1854.

De 1837 à 1851, le Vieux Château et l’ancien magasin des poudres furent occupés par des bureaux de la corporation de Québec, par le studio d’un artiste-peintre (M. Antoine Plamondon) et par une salle d’archives.

De 1852 à 1855, ils furent laissés à l’usage des ministères ou départements publics. La capitale du Canada-Uni venait d’être transportée de Toronto à Québec : le département des Terres de la Couronne fut installé au rez-de-chaussée, et le département des Travaux publics à l’étage supérieur du Vieux Château ; le département du Régistraire provincial fut placé dans l’ancien magasin des poudres, dont on avait percé le plafond pour y pratiquer un puits de lumière.

La capitale fut transférée de nouveau à Toronto en 1856.

Lors de l’établissement de l’école normale Laval, en 1857, les classes de la nouvelle institution furent installées au château Haldimand, et l’ancien magasin des poudres, — dont on ignorait absolument l’histoire et la destination première, — fut converti en cuisine !

De 1860 à 1865, l’école normale fut tenue rue Dauphine, à la résidence actuelle des RR. PP. Jésuites. Elle avait dû céder la place aux départements publics, revenus de Toronto ; mais elle occupa de nouveau le Vieux Château et ses dépendances en 1866 et jusqu’au printemps de 1892, alors que tout ce qui restait des bâtiments de l’ancien fort Saint-Louis fut cédé à la compagnie de l’hôtel Château Frontenac, pour être rasé.

Les murs du château Haldimand croulèrent sous les yeux des Québecquois sans provoquer d’émotion trop vive. Il n’en fut pas de même de l’antique magasin de l’ingénieur Villeneuve. Bien que personne ne connût l’histoire de cet étrange bâtiment, on soupçonnait qu’il y avait là quelque chose.

Construit vers la fin du dix-septième siècle ; englobé, juste un siècle plus tard, dans des bâtiments qui le tinrent caché pendant cent sept ans, le vieux « magasin » était à peu près ignoré de la ville de Québec quand la démolition du château Haldimand vint révéler son existence au public et livrer aux regards sa massive et solide construction.

On n’y fit guère attention tout d’abord, et la pioche du démolisseur y avait pratiqué de larges trouées lorsque des citoyens influents s’interposèrent et demandèrent au syndicat du Pacifique, tout puissant dans la nouvelle compagnie, de préserver ce curieux bâtiment de la destruction.

La presse se mit de la partie. M. James LeMoine et M. Joly de Lotbinière, entre autres, publièrent dans le Morning Chronicle des lettres intéressantes.

M. LeMoine prétendait, avec raison, que l’ancienne dépendance de l’école normale était bien la Vaulted House, originally a Powder Magazine, dont parlait M. James Thompson, dans son journal du 21 août 1787. De plus, il s’appuyait sur des indications d’un ancien plan du fort Saint-Louis pour conjecturer que ce magasin pouvait bien avoir existé en 1690, lors de l’attaque de Québec par l’amiral Phipps.

De son côté, M. Joly de Lotbinière demandait que le vieux « magasin » fût préservé de la destruction, surtout s’il était prouvé qu’on avait tiré de ses flancs la poudre avec laquelle Frontenac avait fait parler ses canons, et donné au représentant du prince d’Orange la foudroyante réponse répercutée par les échos du grand fleuve et de l’histoire.

Mais il eût fallu dire tout cela plus tôt. Le bâtiment était déjà partiellement démoli ; et l’idée de le réparer et de faire du vieux-neuf ne plaisait pas à tout le monde. Puis, à côté de l’érudit M. LeMoine et du chevaleresque M. de Lotbinière, il y avait d’autres hommes qui ne se laissaient pas émouvoir par tous ces souvenirs étayés d’hypothèses, et poussaient à la démolition. De ce nombre était M. George Stewart, rédacteur en chef du Morning Chronicle, auteur d’une étude sur Frontenac, membre de la Société Royale du Canada, un lettré par conséquent.

Les travaux, cependant, étaient suspendus, et la bataille se continuait dans les journaux, — certain correspondant d’une publication anglaise prétendant que M. Le Moine faisait erreur dans ses conjectures, — lorsque le « syndicat » donna ordre aux démolisseurs de continuer leur œuvre. Ceux-ci ne se firent pas prier, et — la raison du plus fort étant toujours la meilleure, — on trouva que le syndicat avait raison.

Deux ou trois jours avant cette décision, le Courrier du Canada avait publié, sous la signature : « E. Rimbault, » l’article que voici :


« la vétustomanie.


« Je n’ai pas été peu surpris d’apprendre, ces jours derniers, que la démolition de la vieille cuisine de l’école normale Laval était arrêtée, parce qu’il avait plu à quelques personnes, dont je respecte les motifs sans partager leur manière de voir, de représenter à la compagnie du chemin de fer du Pacifique que l’on profanait une relique du passé.

« Tout le monde se fait antiquaire depuis quelque temps. On s’imagine qu’en parlant vieilleries on devient immortel ; et comme on sacrifie à l’amour de la gloriole tout autant qu’à l’amour de la gloire, on a vu des adolescents, désolés de leur jeunesse, rêver sur les vieux murs et professer un respect de convention pour tout ce qui est craqué et lézardé.

« Ne confondez pas, messieurs.

« Les reliques historiques doivent nécessairement se rattacher à quelque fait important ; les reliques artistiques doivent avoir quelque mérite au point de vue de la forme. Or, nous sommes ici en présence d’un vieux bâtiment très laid, qui a peut-être été construit du temps des Français pour y mettre des barils de poudre. Plus tard, on y a mis de la farine, de la viande, des vieux tuyaux et des chaises cassées. Aucun personnage historique n’y a versé son sang ; seulement c’est vieux.

« Eh le rocher voisin est vieux, lui aussi, cela doit suffire.

« Les murs de Lutèce, au temps de Clovis, enserraient la « cité » dans un espace restreint. On les a démolis, et on a bien fait.

« Plus tard, les bull works (boulevards) ou fortifications de Paris nuisirent à la circulation. On les abattit également, sans en rien conserver ; mais on se gardera bien de démolir la porte Saint-Denis, la porte Saint-Martin et la tour Saint-Jacques, qui sont très belles : ce sont des reliques artistiques.

« À Québec, ou semble ignorer que les murs de la ville sont relativement modernes, et que, depuis l’incendie du château Saint-Louis, en 1834, les seuls antiques souvenirs militaires de notre ville sont les vestiges des redoutes françaises du Cap Diamant et le « bastion du bourreau, » situé entre la porte Saint-Jean et la côte du Palais[94].

« Lorsqu’on a démoli les portes Prescott et Hope, on a fait œuvre d’intelligence. Ces portes étaient laides et nullement antiques. Mais on a commis une faute en démolissant la belle porte du Palais, qui était un véritable ornement pour la ville.

« Donc, conservons les reliques historiques et les reliques artistiques : mais à bas les vieux hangars et les vieilles cuisines.

« Quelle idée étrange de vouloir conserver ces horreurs sans nom, sans histoire, simplement parce qu’elles sont vermoulues !

« Pauvre esprit humain, comme il lui est difficile de rester dans le droit sentier ! À côté de l’enthousiasme, il y a l’exaltation ; à côté de la science, il y a le charlatanisme ; à côté du courage, il y a la témérité ; à côté de l’archéologie, il y a la vétustomanie.

« Le mélodieux Lamartine a dit excellemment :

Et l’histoire, écho de la tombe,
N’est que le bruit de ce qui tombe
Sur la route du genre humain.


« La vieille cuisine de l’école normale n’a jamais entendu d’autres bruits que des bruits de casseroles : ce ne sont pas ceux-là qui doivent être répercutés dans nos annales historiques. »

Depuis que ces discussions ont eu lieu, l’auteur de cette étude a non seulement trouvé, dans les archives officielles, les documents émanés de Denonville et de Frontenac que l’on a lus plus haut, mais il a vu un grand nombre de plans, de diverses époques, où le « magasin des poudres, » dans sa position oblique par rapport à la rue des Carrières et avec sa division en deux compartiments, est clairement indiqué, en dedans de la dernière enceinte du fort.

Le « magasin des poudres » construit par le marquis de Denonville en 1685, et le Château Haldimand qui le tenait caché depuis 1785, ont maintenant disparu, et une partie du nouvel hôtel Château Frontenac s’élève sur l’emplacement qu’ils occupaient.

Les démolisseurs ont donné raison à M. Rimbault ; les documents ont donné raison à M. LeMoine, et nos annales historiques ont livré le plus modeste et le plus inoffensif de leurs secrets.

L’emplacement de l’ancien fort Saint-Louis, comprenant la terrasse Durham, le Vieux Château, etc., et formant une superficie totale de 70,000 pieds, a été cédé au gouvernement de la province de Québec par ordre de Son Excellence le gouverneur-général en conseil du 14 février 1871.

Aux termes de l’arrêté du Conseil Privé du 2 février 1892 (Ottawa), de l’arrêté du conseil Exécutif du 5 février 1892 (Québec) et du contrat passé devant M. Jean-Alfred Charlebois, notaire, à Québec, le 10 du même mois, le « Syndicat de l’hôtel Château Frontenac » a fait l’acquisition de la partie sud-ouest du terrain de l’ancien fort, alors occupée par le Vieux Château et ses dépendances (34,683 pieds, — propriété provinciale) ainsi que d’une portion du terrain contigu, au sud, désigné autrefois sous le nom de Jardin du Gouverneur (22 317 pieds, — propriété fédérale), le tout pour la rente de 25 000,00 $.[95]

La propriété de l’hôtel Château Frontenac a donc une superficie totale de 57 000 pieds.

L’emplacement de l’ancien fort où mourut Samuel de Champlain reste vacant, inoccupé, sauf par le beau monument, élevé à la gloire du fondateur de Québec, et appartient en grande partie à la province de Québec.

M. Bruce Price, l’architecte de l’hôtel « Château Frontenac, » a voulu, dans les principales parties de cet édifice, rappeler un château du moyen âge : de là le donjon garni de mâchicoulis, la tour hexagone flanquée d’échauguettes, les toits pointus, les bâtiments aux faîtes inégaux simulant des constructions de dates et de destinations différentes.

D’autre part, les décorations de l’entrée principale, le porche, avec sa gracieuse colonnade et sa voûte cintrée, les motifs d’ornementation du pavillon du campanile, etc., sont de pur style renaissance.

Les parties de l’édifice qui sont de style moyen âge ont elles-mêmes une certaine empreinte renaissance due à la largeur des croisées, — largeur que nécessitait d’ailleurs la destination du bâtiment.

On peut dire que, dans son ensemble, l’architecture du « Château Frontenac » rappelle les constructions de la première période de la renaissance, — période où l’art classique commençait seulement à s’introduire dans le nord de l’Europe et à mêler la grâce de ses formes aux lignes sévères des constructions du moyen âge.


L’hôtel « Château Frontenac »

C’est à cette période artistique que correspond la période historique qui vit Jacques Cartier remonter le fleuve Saint-Laurent, arborer la croix et les lis en face de Stadaconé et révéler l’existence du Canada à la France et au monde civilisé.

M. Bruce Price est un éclectique : il y a dans son « Château » et du moyen âge, et de la renaissance française et de la renaissance allemande.

Si la tour principale du « Château Frontenac » était plus élancée et émergeait de quinze à vingt pieds au-dessus de la corniche de la toiture qui l’avoisine au nord-ouest, le comble de forme conique qui surmonte cette tour paraîtrait mieux proportionné, et l’aspect de tout l’édifice y gagnerait en harmonie et en caractère.

Tel qu’il est, le « Château Frontenac » est une construction des plus remarquables, à cause de l’ampleur et de l’originalité de son style. M. Bruce Price a su déployer dans cette œuvre si rapidement conçue, une hardiesse et un goût auxquels nous ne sommes guère accoutumés sur ce continent.

Dans les décorations de l’intérieur de l’édifice, on voit souvent répétés le blason du chevalier de Montmagny et celui du comte de Frontenac.




Arrêtons-nous ici ; ne pénétrons pas dans ce palais du confort moderne. Ce serait trop nous éloigner du but de cette étude qui est de parler de ce qui n’est plus.

Au point de vue intellectuel et moral, ce qui n’est plus peut être encore quelque chose, et c’est souvent en étudiant le passé que l’on trouve la règle de l’avenir.

Le passé, c’est l’explication de nos mœurs familiales et publiques, c’est le fondement de nos espérances nationales, c’est ce qui nous retiendrait dans le sentier du patriotisme et du devoir si nous étions tentés de mêler nos destinées à celles des peuples venus de tous les coins du monde et dénués d’homogénéité qui habitent la république voisine.

La nation franco-canadienne est de trop noble lignée pour consentir à oublier son histoire, à jeter au feu ses livres de raison, à renoncer au rôle distinct qui lui a été assigné par la Providence sur cette terre d’Amérique. Quelles que soient les éventualités qui nous attendent, gardons le plus longtemps possible les traits caractéristiques des familles canadiennes du dix-septième et du dix-huitième siècles ; restons fidèles à notre génie particulier, n’acceptons que le progrès de bon aloi et montrons-nous jaloux de donner à tous l’exemple de la loyauté, du respect, de la franchise et de l’honneur.




APPENDICE




petite étude historique sur les
chevaux canadiens




Le premier cheval qui ait galopé sur la terre canadienne fut débarqué à Québec le 25 juin 1647. La Compagnie des Habitants l’avait fait venir pour en faire cadeau au gouverneur, le chevalier de Montmagny, et ce fut un spectacle absolument nouveau pour le petit poste de Québec (dont les rues venaient d’être tracées, mais qui ne portait pas encore le nom de ville) que de voir le gouverneur chevauchant le long des sentiers, comme les « gendarmes » de Gustave Nadaud.

Les « habitants » de ce temps-là avaient de l’esprit comme ceux d’aujourd’hui : ils jugeaient qu’un chevalier sans cheval, cela n’avait pas le sens commun.

M. de Montmagny partit de Québec l’année suivante. Que devint son cheval ? Il n’est guère probable qu’on ait songé à lui faire traverser de nouveau l’Océan. Cependant il est à peu près certain qu’il n’était pas à Québec en 1650, puisque les Hurons qui y descendirent cette même année, pour se fixer dans le voisinage, semblaient n’avoir jamais vu d’animal de cette espèce lorsqu’arrivèrent les premiers chevaux envoyés par le roi de France, quinze ans plus tard.

Peut-être le pauvre animal est-il mort de nostalgie peu de temps après son arrivée. Il était seul ici de son espèce, et devait s’ennuyer à mourir. Mettons-nous un peu à sa place…

De quelle race était-il ? Si on avait une photographie de sa tête ou d’une de ses pattes, nos savants zootechniciens de Québec ou de Montréal auraient bien vite fait de reconstituer tout l’individu ; mais l’intéressante bête vécut trop tôt dans un monde trop jeune : lorsqu’elle allait brouter l’herbe des prés, à l’ombre des grands ormes des Ursulines ou près du jardin de Guillaume Couillard ; lorsqu’elle allait s’abreuver au ruisseau qui coulait en face du terrain donné aux Jésuites par la compagnie des Cent Associés, Daguerre n’était pas né encore, et les Notman et les Livernois n’étaient pas même soupçonnés.

L’année 1647 — qui vit le premier blanc pénétrer jusqu’au lac Saint-Jean — fut pour Québec une année remarquable. La résidence des Jésuites, le château Saint-Louis et l’église paroissiale — plus tard la cathédrale de Québec — furent commencés cette année-là. Mais ce fut en 1648 que se firent les principaux travaux de maçonnerie de ces édifices, et il y a lieu de croire que le cheval de M. de Montmagny eut à peiner plus d’une fois dans le voisinage de la rue des Carrières à cette occasion. M’est avis qu’il ne s’est fait aucun travail important dans Québec en ces temps-là sans que le noble animal y ait mit la main, je veux dire la patte.

Le 16 juillet 1665, on débarqua à Québec douze chevaux envoyés par le roi de France. Il y avait à bord du navire qui les transportait un pauvre petit diable qui devait fournir une carrière aventureuse dans la flibusterie. Il se nommait Jean Doublet, et il a laissé des mémoires qui ont été imprimés il y a quelques années (en 1883). D’après son journal, le roi de France avait envoyé vingt chevaux en Canada. Huit seraient donc morts pendant la traversée, puisqu’il n’en arriva que douze à Québec. Ces premiers chevaux — tirés des écuries royales — firent le voyage de la vieille à la nouvelle France en brillante compagnie. Voici comment s’exprime Doublet :

« Nous trouvâmes ce navire extrêmement embarrassé par 18 cavales et 2 étalons, des Harnois du Roi, et dont les foins pour les nourrir occupaient toutes les places. Dans l’entrepont étaient quatre-vingts filles d’honneur pour être mariées à notre arrivée à Québec, et puis nos 70 travaillants avec équipage, formant une arche de Noé. La traversée fut assez heureuse, quoiqu’elle durât trois mois et dix jours pour arriver au dit Québec. »

Cette même année 1665 vit arriver dans la Nouvelle-France M. de Tracy, M. de Courcelles, l’intendant Talon et huit compagnies du régiment de Carignan-Salières, dont plusieurs officiers devaient être d’excellents cavaliers. Les Hurons campés près du fort Saint-Louis furent émerveillés du faste déployé par les nouveaux venus, et surtout de voir les orignaux de France, comme ils appelaient les chevaux, si admirablement dressés et se pliant si volontiers aux fantaisies de ceux qui les montaient. Des vaches et des moutons furent aussi débarqués à Québec (où il y en avait déjà) dans l’été de 1665, et il se trouva dès lors dans la colonie autant de bêtes et de gens qu’il en fallait pour que le pays fut considéré comme tout à fait civilisé.

Tous ces animaux se propagèrent avec une rapidité incroyable.

La Mère Marie de l’Incarnation écrivait, en 1667 : « Sa Majesté a encore envoyé des chevaux, et on nous a donné, pour notre part, deux belles juments et un cheval, tant pour la charrue que pour le charroi. »

Ces chevaux étaient vifs, rustiques, pas trop lourds et pouvant passer facilement de la charrue à la voiture légère, traverser les bancs de neige sans enfoncer très profondément, braver la poudrerie, se tirer d’une rencontre en hiver avec agilité et sans trop d’efforts.

En 1670, Louis XIV fit encore envoyer des chevaux dans la colonie, et il les fit distribuer chez les gentils-hommes du pays qui avaient le plus favorisé le défrichement et la culture des terres. Deux juments et un étalon furent donnés à M. de Chambly ; deux juments à M. de Lachesnaye ; une à M. de Sorel ; une à M. de Contrecœur ; une à M. de Saint-Ours ; une à M. de Varennes ; une à M. LeBer ; une à M. de Latouche, une à M. de Repentigny ; une à l’intendant Talon : — treize bêtes en tout.

Le roi tenait en estime particulière ceux qui cultivaient la terre. Dans les lettres de noblesse que le monarque accorda à un certain nombre de colons qui avaient travaillé avec zèle à l’établissement du pays, « il donna pour motif de cette faveur l’empressement qu’ils avaient fait paraître pour la culture de la terre. »

Colbert s’occupait spécialement de la colonisation du Canada, mais non en éparpillant les forces du pays, comme cela s’était fait auparavant, et surtout comme cela se fit plus tard, sous Louis XV. Il écrivait, le 18 mars 1664, à Monseigneur de Laval :

« Sa Majesté a pris résolution de faire lever des hommes qui seront conduits en Canada ; mais elle estime tout à fait indispensable que le Conseil Souverain distribue des terres à ces nouveaux venus, et qu’on les oblige à défricher de proche en proche, afin que, n’étant plus épars comme autrefois, ils soient mieux en état de se défendre contre les surprises des Iroquois. »

Relativement à la distribution des chevaux envoyés ici en 1670, l’abbé Faillon s’exprime en ces termes : « Voici les conditions auxquelles le Roi faisait ces sortes de dons aux particuliers : ils devaient les nourrir (les chevaux) pendant trois ans ; et si, par leur faute, quelqu’un de ces animaux venait à mourir, celui à qui il avait été donné était obligé de payer au receveur du Roi la somme de deux cents livres. Dans l’autre cas, il pouvait le vendre après les trois ans expirés, ainsi que les poulains qu’il aurait pu avoir ; mais avec charge, au bout des trois ans, de donner au receveur de Sa Majesté un poulain d’un an pour chaque cheval, ou la somme de cent livres. Il était pareillement ordonné que, lorsque ces poulains que le Roi faisait élever et nourrir seraient parvenus à leur troisième année, on les distribuerait à d’autres particuliers, et toujours aux mêmes conditions. Comme on le voit, ces conditions ne pouvaient être plus avantageuses aux particuliers ni au pays en général. Aussi Colbert, qui avait tant à cœur de voir fleurir la colonie, écrivait à M. Talon, le 11 février 1671 : « Je tiendrai la main à ce qu’il soit envoyé au Canada des cavales et ânesses, afin de multiplier ces espèces si nécessaires à la commodité des habitants. » De tous les animaux domestiques envoyés par le Roi dans la Nouvelle-France, les chevaux furent, en effet, ceux qui s’y multiplièrent le plus, quoique le nombre des autres y augmentât d’une manière étonnante. »

Excepté les ânes. Ces animaux si utiles n’ont guère fait souche en Canada.

C’est bien dommage.[96]

M. de Gaspé parle, dans ses Mémoires, d’un certain âne — « une bête curieuse » — qu’il était allé voir au Cap Blanc, étant enfant, avec quelques camarades. En petit espiègle qu’il était, il dit gravement à l’animal : — Comment vous trouvez-vous de votre séjour à Québec ? L’âne leva une oreille et baissa l’autre. — Je vous comprends, reprit le spirituel enfant : votre oreille levée veut dire : « le Canada est un beau pays » ; votre oreille baissée veut dire : « mais je m’y ennuie terriblement, y étant tout seul de mon espèce. » — Consolez-vous, ajouta le futur auteur des Anciens Canadiens, avant longtemps vous pourrez constater qu’il y a plus d’ânes qu’on ne pense sur nos rives.

Je ne cite pas ; je raconte de mémoire.

Lecteurs qui avez l’âme sensible et qui aimez les chevaux, il est un nom que je livre à toute la rigueur de vos jugements : celui de l’intendant Antoine-Denis Raudot (Raudot fils) — un brave homme pourtant sous certains rapports ; demandez plutôt au docteur Dionne.

Donc, en l’année 1709 — le 13 juin — l’intendant Antoine-Denis Raudot émit une ordonnance aux termes de laquelle il était défendu aux habitants de la région de Montréal de garder plus de deux chevaux et un poulain, — ceux qui en avaient davantage devant les tuer ou les vendre. Voici le texte même de cette ordonnance :

« antoine-denis baudot, etc.

« Étant informé que les habitants de Montréal nourrissent une trop grande quantité de chevaux, ce qui les empêche d’élever des bêtes à cornes et à laine, ne connaissant point en cela leur véritable intérêt, puisqu’ils ne retirent aucun profit des dits chevaux qu’ils élèvent, et qu’au contraire ils en retireraient beaucoup des bêtes à cornes et à laine qu’ils élèveraient avec les fourrages que consomment les dits chevaux ;

« Et attendu que cette trop grande quantité de chevaux produirait par la suite le manque des autres bestiaux, ce qui irait au détriment de cette colonie ; et comme notre principale attention doit être à son augmentation et à y procurer autant qu’il est en notre pouvoir l’abondance ;

« Nous ordonnons que chaque habitant des côtes de ce gouvernement (de Montréal) ne pourra avoir plus de deux chevaux ou cavales et un poulain, et ce, à commencer après les semences de l’année mil sept cent dix, leur donnant le dit temps pour pouvoir se défaire des chevaux qu’ils ont au-delà de ce nombre, et après lequel ils seront tenus de tuer ceux qu’ils auraient au-delà.

« Mandons au sieur Deschambault, lieutenant-général de la prévôté de cette ville, et au sieur Raimbault, procureur du roi d’icelle, de tenir la main, chacun en droit soi, à l’exécution de la présente ordonnance, laquelle sera lue, publiée et affichée dans cette ville, et envoyée par le dit sieur procureur du roi dans les côtes de ce gouvernement, aux capitaines des dites côtes, auxquels nous mandons de tenir la main à son exécution et de faire publier par trois dimanches consécutifs, à issue de messe paroissiale, à la porte de l’église, à ce que personne n’en ignore ; de laquelle publication ils seront tenus d’informer le dit sieur procureur du roi.

« Entendons cependant ne point comprendre dans la dite ordonnance ceux qui font profession de charrier pour le public, auxquels nous permettons d’avoir la quantité de chevaux qui leur est nécessaire.

« Fait et donné à Montréal, en notre hôtel, le treize juin mil sept cent neuf. »

Signé : « Raudot. »


Évidemment M. Raudot, Antoine-Denis, était digne de devenir membre de la Société d’industrie laitière si cette noble institution eût alors existé. Les habitants ne retirent aucun profit des dits chevaux, dit-il. Dans une brochure intitulée La Crise, l’honorable M. Royal dit que le Canada a exporté des chevaux, en 1894, pour la somme d’un million de piastres. Les temps ont bien changé !

Le savant suédois Peter Kalm, qui fit un voyage en Canada dans l’été et l’automne de 1749, écrivait ce qui suit, à la date du 25 août de cette même année :

« Tous les chevaux canadiens sont forts, vifs, bien faits, aussi grands que nos chevaux de cavalerie, et d’une race importée de France. Les habitants ont la coutume de couper la queue à leurs chevaux, ce qui est une vraie cruauté, puisqu’on les prive ainsi de leur unique moyen de défense contre les moucherons, les taons et les hippobosques. Cette coutume vient peut-être de ce que les Canadiens attellent leurs chevaux l’un devant l’autre : et, pour empêcher celui de devant de blesser les yeux de celui qui est dans les timons en agitant sa queue, ils auront pris le parti d’écourter tous leurs chevaux.

« Le gouverneur-général et quelques-uns des principaux (de la ville de Québec) ont des carosses, mais le reste du peuple se sert de cabriolets. On se plaint généralement que le peuple de la campagne commence à élever un si grand nombre de chevaux que les bestiaux manquent de fourrage en hiver.[97] »

Le 27 septembre 1749, Kalm écrit, de Montréal : « Un cheval de moyenne encolure coûte maintenant quarante francs et plus. Un beau cheval vaut cent francs. Une vache vaut cinquante francs… Un mouton coûte cinq francs à présent ; mais l’année dernière, alors que tout était cher, il coûtait de huit à dix francs. Un cochon d’un an, pesant 150 à 200 livres, se vend quinze francs… Un poulet vaut de dix à douze sous, un coq-d’inde vingt sous. Un minot de blé se vendait trois francs l’an passé, mais à présent il coûte quarante sous… Un minot d’avoine vaut quelquefois quinze à vingt sous… Les pois ont toujours la même valeur que le blé. Le beurre coûte ordinairement huit à dix sous la livre… Une douzaine d’œufs ne coûte généralement que trois sous, cependant on en donne maintenant cinq sous (fin de septembre). Il ne se fabrique pas de fromage à Montréal, et pour en avoir il faut le faire venir d’ailleurs… »

L’auteur continue, sans transition : « Personne ne se marie sans le consentement de ses parents. » Il aurait pu ajouter : « Les jeunes gens, en Canada, n’attendent pas toujours pour se marier qu’ils aient fini de grandir. »

J’étais bien jeune lorsque j’entendis faire l’éloge des chevaux canadiens pour la première fois. Dans ce temps-là, il n’y avait pas de chemin de fer, pas de télégraphe, mais il y avait des officiers anglais à Sorel et aux Trois-Rivières, et des mauvais chemins partout. Un officier de la garnison de Sorel, — un capitaine pour le moins, — racontait que, parti de Berthier, un matin du mois de janvier, pour se rendre aux Trois-Rivières, il avait été arrêté par une affreuse tempête, obligé de laisser ses chevaux pur sang à Maskinongé et de les remplacer par des « marche donc ! » (sic), des chevaux canadiens, les seuls, disait-il, qui pussent tenir sur la route par un temps et des chemins pareils.

Le cultivateur canadien était autrefois si fier de son cheval que, pour le faire valoir, il courait le risque de tuer les gens. Une ordonnance de l’intendant Michel Bégon, datée du 29 février 1716, se lit comme suit :

« Sur ce qui nous a été représenté, que dans les grands chemins et particulièrement à la sortie de l’église, quelques habitants poussent les chevaux attelés à leurs carrioles, ou ceux sur lesquels ils sont montés, avec tant de vitesse qu’il arrive souvent que, n’en étant plus les maîtres, ils renversent les carrioles qui se trouvent dans leur chemin, et même des gens auxquels ils ne donnent pas le temps de se ranger, d’où il est arrivé déjà plusieurs accidents fâcheux ; à quoi étant nécessaire de pourvoir, nous faisons défense à toutes personnes, tant ceux qui conduiront des carrioles que ceux qui monteront leurs chevaux, de les faire trotter ou galoper quand ils sortiront de l’église, avant d’en être éloignés de dix arpents : ensuite pourront donner à leurs chevaux le train qu’ils voudront, lorsqu’il n’y aura personne devant eux, ni charrois ni traîne ; leur ordonnons lorsqu’ils trouveront des gens de pied dans leur chemin, de s’arrêter et même de se détourner afin de leur donner le temps de se retirer, le tout à peine de vingt livres d’amende contre chacun des contrevenants, applicable à la fabrique des paroisses où sera faite la contravention… etc., etc. »

Une ordonnance analogue, pour la ville de Québec, fut émise par l’intendant François Bigot, le 28 décembre 1748.

La vanité, qui est un vice de tous les pays, fut sans doute la cause de la préférence excessive que les habitants d’autrefois accordaient à leurs chevaux, au détriment de leurs vaches, pourtant si utiles et si excellentes. Aujourd’hui, le cultivateur canadien entend mieux ses intérêts et soigne également bien tous ses animaux, — ce qui ne veut pas dire que la vanité soit disparue de la terre.

Quelques chiffres pour finir.

Le Canada possédait 12 chevaux en 1665. Il en possédait 145 en 1679 ; 218 en 1688 ; 400 en 1692 ; 580 en 1695 ; 684 en 1698 ; 1872 en 1706 ; 4024 en 1719 ; 5270 en 1720 ; 5603 en 1721 ; 5056 en 1734.

Dans cette statistique il n’est pas question de l’Acadie, où des chevaux furent envoyés de France dès l’année 1612.

Un rapport du général Murray, daté de 1765, dit qu’il y avait alors 12,757 chevaux en Canada.

En 1784, il y avait 9,166 chevaux dans le district de Québec, 3,155 dans le district des Trois-Rivières, et 17,825 dans le district de Montréal. — 30,146 en tout.

La province de Québec possédait 225,006 chevaux en 1881.

Lors du recensement de 1891, il y avait 344,290 chevaux de tout âge dans la province de Québec et 1,470,575 dans toutes les provinces de la confédération canadienne.

L’unité de race de la famille chevaline canadienne, qui existait au temps de Kalm, c’est-à-dire vers le milieu du dix-huitième siècle, n’existe plus aujourd’hui. Les importations de chevaux étrangers, d’abord ; puis de nombreux croisements ; puis une exportation considérable de chevaux canadiens aux États-Unis, ont altéré et décimé la race primitive ; de sorte que les marche donc ! sans alliage constituent une minorité parmi leurs congénères de cette partie du pays. Heureusement que les minorités vivent heureuses et sont entourées de tous les égards dans la province de Québec.

Serait-il désirable d’augmenter le nombre de ces chevaux canadiens dont les qualités répondent si bien aux besoins de nos classes rurales ? Serait-il possible d’améliorer cette race sans avoir recours aux croisements, et de donner à la plupart de ses sujets de l’avenir la taille ordinaire des chevaux canadiens d’autrefois ? Le moyen d’atteindre rapidement ce double but serait de créer une ou plusieurs jumenteries à direction unique et où la sélection, — cette clef de voûte de toute régénération de ce genre, — serait pratiquée avec zèle, intelligence et persévérance.

E. G.



ii



TABLE DES NOMS DE PERSONNES




A


Aigremont (d’), intendant, p. 116.

Aiguillon (duchesse d’), p. 18.

Ailleboust de Coulonge (Louis d’), pp. 17, 22, 23, 24, 100.

Ailleboust de Coulonge (Madame Louis d’), pp. 17, 22, 23, 88, 89.

Ailleboust (d’), p. 146.

Ailleboust (veuve d’), pp. 146, 147.

Ailleboust-Cerry (d’), p. 152.

Airey, p. 210.

Alain (l’abbé), p. 188.

Alençon (duc d’), p. 90.

Alexandre VII, pape, p. 35.

Amherst (le général), gouverneur, p. 164.

Angers (Auguste-Réal), p. 29.

Angers (Simon Lefebvre, sieur), pp. 29, 30.

Angers (Madame Rigobert), pp. 217, 218.

Anjou (le duc d’), p. 45.

Anne d’Autriche, reine de France, p. 27.

Archibald (A.), p. 223.

Argenson (Pierre de Voyer, vicomte d’) gouverneur, pp. 17, 24, 100.

Arnold (le général), p. 222,

Arnoux, chirurgien, pp 151, 152.

Arnoux (veuve), pp. 163, 170.

Arnoux (Joseph), p. 170.

Atkins, (Madame), p. 218.

Atkins, (R.), p. 301.


Aubrepy (d’), p. 152.

Aubry (l’abbé), p. 220.

Aubry (A.-E.), p. 222.

Auclair (l’abbé J.), p. 220.

Avaugour (Pierre Dubois, baron d’), gouverneur, p. 100.

Aylmer (Lord), gouverneur, pp. 210, 211.

Aylmer (Lady), pp. 194, 210, 211.


B


Bachoie de Barante, p. 95.

Baillargeon (Mgr), p. 220.

Baldwin, p. 194.

Bardy (le docteur), p. 222.

Beaucourt (de), p. 79.

Beaudin de Boisrenard, p. 146.

Beaudry (le Père), p. 220.

Beauharnois (Charles de), gouverneur, pp. 78, 100, 116, 136, 159.

Beauharnois (François de), intendant, p. 116.

Beaumanoir, p. 57.

Beauvilliers (le duc de), p. 45.

Bécancour (de), p. 76.

Bédard (T.-P.), p. 123.

Bégon (Michel), intendant, pp. 78, 86, 116, 242.

Béla (le chevalier de), p. 145.

Belêtre (M. de), p. 186.

Belleau (Hélène de), p. 30.

Berey (le P. de), p. 193.

Bernard (le Frère), p. 193,

Bernardin (le Frère), p. 193.

Bernetz (le chevalier de), p. 152.

Bernières (l’abbé Henri de), p. 43.

Berry (le duc de), pp. 45, 85, 91.

Berry (J.), p. 219.

Bibaud, p. 187.

Bigot (François), intendant, pp. 97, 116, 128, 136, 141, 143, 243.

Bigot (le Père), p. 92.

Bissot, François, 30.

Black, p. 193.

Bois (l’abbé), p. 190.

Bonnechose (Charles de), p. 130.

Bonnedeau dit Chatellereau, p. 43.

Borniol (l’abbé P.-B. de), p. 190.

Boucherville (Pierre Boucher de), p. 17.

Bouchette (J.), p. 202.

Bougainville (Louis-Antoine de), pp. 137, 153, 156.

Boullé, p. 12.

Boullé (Hélène). Madame de Champlain, p. 14.

Boullongne (Barbe de), Madame Louis d’Ailleboust.
                Voyez Ailleboust de Coulonge.

Boullongne (Florentin de), p. 23.

Boullongne (Gertrude-Philippe), p. 22

Bourdon (Jean), pp. 18, 30, 31.

Bourdon (Madame), p. 30.

Bourgogne (le duc de), p. 45.

Bourlamarque (de), pp. 96, 98, 137.

Boussin (l’abbé L.), p. 190.

Bouteroue (Claude de), intendant, p. 116.

Briand (Mgr Jean-Olivier), pp. 94, 159, 177.

Brigart (de), p. 152.

Brown (George), p. 223.

Brown (Mary-Ann), p. 218.

Brucy (Antoine de la Fresnaye, sieur de), pp. 39, 42.

Burke (Edmund), pp. 172, 188.

Burton (Ralph), p. 164.

Byng (l’amiral), p. 128.


C


Cabanac, p. 57.

Cadet, p. 141.

Caën (Emery de), p. 14.

Callières (le chevalier Louis-Hector de), gouverneur, pp. 57, 69, 70, 71,
                75, 76, 77, 100, 208, 238.

Calonne (l’abbé J.-L. de), pp. 190, 191.

Campbell (A.), p. 223.

Carleton (Lady Ann), p. 180.

Carleton (Guy), gouverneur, pp. 147, 163, 164, 171, 172, 173, 177. Voyez
                Dorchester.

Carleton (Lady Maria), pp. 171, 172. Voyez Dorchester.

Caron (R.-E.), p. 220.

Carré (Pierre), p. 57.

Carter (B.-T.), p. 223.

Cartier (Georges-Étienne), p. 223.

Cartier (Jacques), pp. 9, 221, 231.

Carwell, p. 218.

Carwell (Ann), p. 218.

Carwell (H.), p. 218.

Castanet (l’abbé J.), p. 188.

Casgrain (l’abbé H.-R.), pp. 99, 150, 154.

Casgrain (Madame C.-E.), p. 206.

Castlereagh (Lord), p. 173.

Cauchon (J.), p. 215.

Cauvet (le Frère Ambroise), p. 22.

Cavendish (Henry), p. 172.

Cazeau (l’abbé Charles-Félix), pp. 220, 222.

Cécile de Sainte-Croix (Mère Marie), p. 18.

Chabot (Jean), pp. 211, 223.

Chambly (de), p. 236.

Champigny (Jean Bochart-Noray, chevalier de), intendant, pp. 49, 53, 63,
                70, 76, 90, 116.

Champion (l’abbé A.), p. 190.

Champlain (Samuel de), pp. 5. 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 17, 19, 74, 100,
                208, 230.

Chandler (E.-B.), p. 223.

Chapais (J.-C.), p. 223.

Chapais (Thomas), p. 197.

Charlebois (J.-A.), p. 229.

Charlevoix (le Père), pp. 17, 52, 53, 81.

Chartier de Lotbinière (Louis-Théandre), p. 89.

Chartier de Lotbinière (Marie-Françoise), Madame de Joybert de Marson,
                p. 89.

Chaumonot (le Père), p. 19.

Chaumont (Chevalier), p. 128.

Chaussegros de Léry, p. 81.

Chaussegros de Léry (Louis-René), p. 195.

Chauveau (P.-J.-O.), pp. 121, 202, 214, 220, 221, 222.

Chavigny (Marguerite de), p. 95.

Chenillart dit Argencourt, p. 18.

Chicoineau (l’abbé J.-B.), p. 189.

Choiseul (le duc de), pp. 141, 142, 147.

Ciquart (l’abbé F.), p. 188.

Clarence (le duc de), pp. 163, 180, 182, 183.

Clarke (Alured), lieutenant-gouverneur, pp. 184, 190.

Clément, maire de Muides, p. 146.

Clermont, p. 57.

Cockburn (James), p. 223.

Colbert, ministre de Louis XIV, pp. 27, 128, 237.

Coles (George), p. 223.

Colvin (Madame), p. 218.

Contrecœur (de), p. 129.

Contrecœur (de), p. 236.

Conway, p. 165.

Couâgne, p. 112.

Couillard dit Des Islets (Charles), p. 30.

Couillard de L’Espinay (Louis), p. 30.

Couillard (Guillaume), p. 234.

Couillard (Marguerite), veuve Macard, p. 30.

Courcelles (Daniel de Rémy de), gouverneur, pp. 23, 26, 28, 30, 31, 35,
                37, 38, 100, 235.

Courtin de Tanqueux (Catherine), marquise de Denonville. Voyez
                Denonville.

Courtin, seigneur de Tanqueux, de Beauval, etc. (Germain), p. 44.

Courtin (Dame), p. 44.

Courtin (Germain), prêtre, p. 44.

Courtin, seigneur de Saulsay (Isaac), p. 44.

Coutin (l’abbé C.-G.), p. 789.

Coutard, p. 103.

Couturier (Marie), p. 30.

Craig (sir James), gouverneur, pp. 5, 6, 200, 201, 204, 209.

Craig (Lady), p. 194.

Craig, p. 211.

Cramabé (H.-T.), pp. 169-172.

Crémazie (Octave), p. 221.


D


Daguerre, p. 234.

Dailleboust. Voir Ailleboust

Dambourgès, p. 222.

Daine, p. 168.

Daine (Françoise), p. 168.

Daine (Gillette), p. 168.

Dalhousie (la comtesse de), p. 194.

Damours, p. 74.

Damours (Marie-Françoise, Mme de Lotbinière), p. 89.

Daulé (l’abbé J.-D.) p. 188.

Daurillant, p. 152.

Delagny, p. 66.

Delavaivre (l’abbé J.-J.), p. 189.

Demeulles, intendant, pp. 48, 116.

Denaut (Mgr), p. 188.

Denonville (Bénigne de Brisay de), pp. 42, 86.

Denonville (Catherine-Louise-Marie de Brisay de), pp. 42, 45, 86, 89.

Denonville (Jacques-René de Brisay, marquis de), gouverneur, pp. 22, 42,
                43, 44, 45, 46, 47, 48, 50, 51, 100, 180, 229.

Denonville (la marquise de), pp. 42, 43, 44, 45, 46, 47, 51, 86, 89, 90.

Denonville (Marie-Anne de Brisay de), pp. 43, 45, 86, 194.

Deschambault, p. 239.

Desparets (l’abbé G.), p. 188.

Desjardins, vicaire-général, pp. 188, 189, 190.

Desjardins (l’abbé L.-J.), p. 188.

Des Portes (Hélène), p. 30.

Develin, p. 219.

D’Hozier, pp. 92, 139.

Dickey (R.-B.), p. 223.

Dionne (N.-E.), pp. 190, 238.

Doms, p. 152.

Donnacona, p. 221.

Dorchester (Guy Carleton), pp. 171, 178, 179, 180, 182, 199, 207.

Dorchester (Lady), pp. 179, 182, 194.

Doublet (Jean), pp. 34, 235.

Doughty (A.-G.), p. 207.

Doyle, p. 210.

Drummond (L.-T.), p. 122.

DuBois, aumônier, p. 31.

Dubois de la Mothe, p. 130.

Duchesnay (Juchereau), p. 221.

Duchesneau (Jacques), intendant, p. 116.

Duclos, p. 57.

Dufferin (Lord), gouverneur, p. 212.

DuMai, pp. 11, 12.

Dumont (Gabriel), p. 146.

Duncan, p. 223.

Dundas (Henry), p. 190.

Dunn, pp. 191, 199.

Dupuy (Claude-Thomas), intendant, pp. 116, 136.

Duquesne de Menneville (le marquis), gouverneur, pp. 100, 126, 128, 129.

Durham (Lord), gouverneur, pp. 211, 215.

Duval (François), p. 193.


E


Édouard (le prince), duc de Kent. Voyez Kent.

Effingham (le comte d’), p. 171.

Estang de Celles (de l’), p. 152.

Etioles (Madame d’), marquise de Pompadour. Voyez Pompadour.

Exupère (le Père), p. 95.


F


Faillon (l’abbé), p. 237.

Faucher de Saint-Maurice (N.), p. 177.

Fénelon, p. 45.

Fénelon (l’abbé François de Salignac), p. 40.

Fenouillet (Emile de), pp. 220, 221.

Ferland (l’abbé J.-B.-A.), pp. 13, 17, 31, 188, 189.

Fiedmond (de), p. 152.

Fieffé (Madeleine), p. 146.

Fisher (Charles), p. 223.

Floquet (le Père), p. 96.

Florestier de St-Bonaventure (Mère Marie), p. 18.

Fournier (l’abbé C.-V.), p. 189.

Francheville (Pierre de), p. 27.

François 1er, roi des Français, p. 9.

Franquelin (Jean-Baptiste), p. 41.

Frédéric ii de Prusse, p. 138.

Fresnaye, sieur de Brucy. Voyez Brucy.

Frontenac (Louis de Buade, comte de Palluau et de), gouverneur, pp. 5,
                22, 39, 40, 42, 49, 50, 52, 55, 56, 59, 61, 63, 65, 67, 68, 69, 70,
                71, 74, 75, 77, 89, 100, 177, 178, 185, 207, 208, 221, 226, 229, 231,
                238.

Frontenac (Madame de), pp. 67, 68.


G


Gage, p. 164.

Gaïffe (l’abbé A.), p. 190.

Gaigner (Anne), Madame Bourdon, p. 30.

Gailly de Taurines (Ch.), p. 132.

Galissonnière (le marquis de la), gouverneur intérimaire, pp. 100, 101,
                107, 108, 109, 126, 127, 128.

Galt (A.-T.), p. 223.

Garakonthié, pp. 26, 38.

Garneau (F.-X.), pp. 81, 86, 127, 137, 200, 220.

Gaspé (Ph. Aubert de), pp. 156, 182, 185, 186, 191, 195, 228.

Gazelle (l’abbé P.), pp. 188, 190.

Gelase (le Père), p. 77

Gélis (Amable de), pp. 144, 145.

George ii, roi d’Angleterre, p. 130.

George iii, p. 174.

Gibb (Madame J.), p. 218.

Gibb (Jane), p. 301.

Gibert (l’abbé P.), p. 190.

Goldfrap (J.), p. 171.

Gondoüin, p. 74.

Gosford (Lord), gouverneur, p. 211.

Gray. (J.-H.), p. 223.

Grey (le colonel), p. 223.

Guenet de Saint-Ignace (Mère Marie), p. 18.

Guérin (Léon), p. 128.

Guérin (Pierre), p. 146.

Guillaume d’Orange, pp. 55, 56.

Guillaume iv, roi d’Angleterre, p. 180.

Guillemard, p. 187.

Guyart de l’incarnation (Mère Marie), pp. 18, 20, 24, 35, 37. 236.

Guyon de Désiers, p. 146.

Guyon (Jean), sieur du Buisson, p. 30.


H


Haldimand (le général) lieutenant-gouverneur, pp. 147, 177, 206.

Haliburton, p. 131.

Hallot d’Honville (Élisabeth de), pp. 42, 88.

Hallot d’Honville (Louis), p. 88.

Hamilton, p. 177.

Hamilton (Thomas), p. 218.

Hampton (le général), p. 202.

Harrisson, p. 216.

Harrisson (T.), p. 218.

Havilland (T.-H.), p. 223.

Hébert (Guillemette-Marie), veuve Couillard, p. 30.

Hébert (Joseph), p. 30.

Henri iv, roi de France, pp. 9, 96, 195.

Henry (W.-A.), p. 223.

Hermeline (l’abbé), p. 43.

Hertel, p. 57.

Hocquart, pp, 130, 131.

Hocquart (Gilles), intendant, pp. 78, 116, 130, 131.

Hoogs, p. 218.

Hoogs (Edmund), p. 218.

Hongs (Edward), p. 218.

Horan (l’abbé), p. 220.

Hortense (la reine), p. 222.

Houdet (l’abbé A.), p. 189.

Hubert (curé), p. 183.

Hubert (Mgr), pp. 187, 188.

Huguet-Latour, p. 79.

Humbert (l’abbé F.), p. 188.

Hunt (Sterry), p. 222.


J


Jacques, roi d’Angleterre, p. 56.

Jahouin (l’abbé C. B.), p. 189.

Japellias (Octave), sieur de Resain, p. 30.

Johannès (de), pp. 152, 153.

Johnston (Madame), p. 172.

Johnston (J.-M.), p. 223.

Jolliet (Claire), p. 96.

Jolliet (Louis), p. 27.

Jonquière (Jacques-Pierre de Taffanel, marquis de la), gouverneur, pp.
                69, 100, 101, 106, 107, 109, 126, 127, 128, 129, 208.

Joybert (Louise-Elisabeth de), marquise Philippe de Vaudreuil. Voyez
                Vaudreuil.

Joybert de Marson (Pierre de), p. 89.

Joyer (l’abbé P.-R.), p. 189.

Juchereau de Saint-Denis, p. 57.

Juchereau de Saint-Ignace (La Mère), pp. 26, 29, 32, 83.

Jumonville (Coulon de), pp. 95, 129.


K


Kalm (Pierre), pp. 100, 101, 104, 111, 113, 116, 129, 240, 241, 244.

Kent (le duc de), pp. 163, 183, 189.

Kertk (les frères), p. 14.

Knox, pp. 148, 154, 155.

Kondiaronk, p. 75.


L


LaBarre (Antoine-Joseph Lefebvre de), gouverneur, pp. 41, 100.

Lachenaye (Charles Aubert de), pp. 30, 236.

La Corne, p. 188.

LaFayette, p. 157.

Laffemas (Catherine), p. 44.

Lafrance, p. 222.

Lafresnaye (Henri de), seigneur de Cloys, p. 30.

La Gorgendière (Jacques-Alexis Fleury de), p. 95.

La Gorgendière (Jeanne-Charlotte Fleury de), marquise Pierre de
                Vaudreuil-Cavagnal. Voyez Vaudreuil.

La Gorgendière (Joseph-Fleury de), p. 96.

La Gorgendière (Louise-Thérèse Fleury de), Madame François-Pierre de
                Rigaud de Vaudreuil. Voyez Rigaud.

Lagrange-Trianon, p. 68.

Lallement (le Père), pp. 15, 16.

Lamartine, p. 228.

Lanaudière (Charles de), p. 182.

Lanaudière (Marie-Louise de), p. 185.

Lane, p. 218.

Langevin (H.-L.), p. 223.

Lanouiller p. 86.

LaPotherie (Bacqueville de), pp. 65, 71, 72, 125, 164.

LaRoche-Beaucour, p. 153.

Larochefoucauld-Liancourt, p. 187.

Latouche (de), p. 236.

La Touche, p. 57.

Laurencelle, p. 192.

Lauzon (Jean de), gouverneur, pp. 23, 100.

Laval (Claude de), p. 43.

Laval (Mgr de Montmorency), pp. 28, 29, 35, 38, 236.

Lavergne, chirurgien, p. 89.

Lavigne, p. 29.

LeBarrois, p. 35.

Le Ber (M.), p. 236.

Le Bœsme (Antoine), pp. 73, 74.

Le Clercq (le Père), p. 17.

Le Cointre de St-Bernard (Mère Anne), p. 18.

Leconte (Marthe), p. 88.

Le Courtois (l’abbé F.-G.), p. 188.

Le Fauconnier (le Frère Nicolas), p. 22.

Le Febvre de LaBarre, gouverneur. Voyez LaBarre.

Lefebvre (Simon), p. 30.

Le Gardeur, sieur de Repentigny (J.-B.), p. 30.

Legras, p. 145.

Lejamtel de la Blouterie (l’abbé), p. 189.

Le Jeune (le Père Paul), pp. 15, 19.

Le Mercier (le Père), p. 38.

Le Mercier, pp. 97, 98.

Le Moine (James), pp. 178, 225, 226.

LeMoyne de Longueuil, p. 128.

Lenfesty (Madame), p. 217.

Léry (de). Voyez Chaussegros.

Lesage (Siméon), p. 118.

Le Saulniers (l’abbé), p. 188.

Le Vasseur de Neré, pp. 50, 79.

Le Verrier (François), p. 95.

Le Verrier (Jacqueline-Marguerite), p. 95.

Le Verrier (Louis), p. 95.

Le Verrier (Louis-Guillaume), p. 78.

Lévis-Léran (le général François de), pp. 98, 136. 137, 143, 153, 155,
                156, 157, 221.

Liégeois (le Frère), p. 22.

Lilly (Madame J.), p. 218.

Linné, p. 110.

Livernois, p. 234.

Longueuil, pp. 57, 221.

Longueuil (la baronne de), pp. 143, 144.

Lotbinière, p. 56.

Lotbinière (Joly de), pp. 225, 226.

Louis XII, roi de France, p. 195.

Louis XIII, pp. 9, 26, 27, 84.

Louis XIV, pp. 27, 28, 42, 57, 61, 68, 75, 83, 91, 117, 121, 128, 236.

Louis XV, pp. 83, 109, 127, 130, 133, 137, 156, 236.

Louis XVI, pp. 157, 186, 190, 195, 196.

Louis (le Frère), p. 193.

Luc (le Frère), p. 69.

Lude (le duc de), p. 67.

Lusignan (de), p. 152.


M


Macard, p. 30.

Macdonald (A.-C. de Léry), p. 144.

Macdonald (John-A.), p. 223.

Machault, p. 137.

Maintenon (Madame de), p. 90.

Maisonneuve (Paul de Chaumedy de), p. 27.

Malard (l’abbé A.), p. 188.

Malavergne (l’abbé J.-P.), p. 189.

Mann, p. 179.

Marc (le Frère), p. 193.

Marcel (de), p. 152.

Marchand (L.-W.), p. 101.

Marcoux (J.), p. 219.

Maricourt, p. 56.

Marie d’Angleterre, p. 55.

Marie de l’incarnation. Voyez Guyart.

Marie-Thérèse d’Autriche, pp. 137, 156.

Martin (Amador), p. 27.

Marquette, p. 222.

Massée (François), sieur du Valley, p. 30.

Maupal, p. 145.

Maurepas (le comte de), p. 139.

McCallum, p. 210.

McCully (J.), p. 223.

McDonald (A.-A.), p. 223.

McDonald, p. 217.

McDonald (Madame), p. 218.

McDougal (W.), p. 223.

McGee (Th. d’Arcy), p. 223.

McHugh, p. 219.

McKinnon, p. 208, 210.

Mecklembourg-Strelitz (Charlotte de), p. 174, 178.

Mérienne dit La Solaye, p. 43.

Mésy (le chevalier Charles-Augustin de), gouverneur, pp. 26, 28, 100,
                208.

Michel, p. 191.

Milnes (Robert-Shore), lieutenant-gouverneur, pp. 197, 198.

Milnes (Lady), pp. 194, 195.

Mitchell (Peter), p. 223.

Mitchel, p. 223.

Molin (l’abbé A.-A.), p. 188.

Molt (Madame), p. 218.

Molt (Adolphe), p. 218.

Molt (Frédéric), p. 218.

Moncrif, p. 112.

Montcalm (le général marquis de), pp. 96, 98, 136, 137, 140, 147, 148,
                150, 152, 154, 156, 157, 207, 221.

Montcalm (Mme de), 97.

Montgomery (le général), pp. 177, 222.

Montmagny (Charles Huault de), gouverneur, pp. 5, 17, 19, 22, 23, 24,
                34, 59, 74, 100, 231, 233, 234.

Montmorency (le duc de), p. 11.

Montreuil (de), p. 97.

Morgan, p. 122.

Morin (Germain), prêtre, p. 30.

Morin, p. 30.

Morrin (le docteur), p. 220.

Mountain (S.-J.), p. 194.

Mowat (Olivier), p. 223.

Murray (le général), gouverneur, pp. 147, 157, 159, 163, 164, 165, 167,
                169, 170, 171, 243.


N


Nadaud (Gustave), p. 233.

Napoléon 1er, pp. 189, 200, 201.

Napoléon iii, p. 222.

Nautetz (l’abbé P.), p. 188.

North (Lord), p. 172.

Notman, p. 234.


O


O’Leary, p. 218.

O’Leary (Mary), p. 218.

Orange (le prince d’), pp. 56, 226.

O’Reilly (l’abbé), pp. 216, 217.

Orfroy (l’abbé U.), p. 189.

Orvilliers (d’), p. 57.

Outrelaise (Mademoiselle d’), p. 68.


P


Palmer (Ed.), p. 223.

Parfouru (de), p. 152.

Parkman (Francis), pp. 98, 160.

Patterson (A.), p. 219.

Paynter p. 210.

Pellegrin (de), p. 152.

Peltrie (Madame de Chauvigny de la), pp. 18, 50.

Périgord (le cardinal de), p. 189.

Périnault (l’abbé), p. 188.

Perrot (François-Marie), pp. 39, 40.

Philips, p. 98.

Phipps (sir William), pp. 52, 54, 55, 57, 221.

Pichard (l’abbé A.-A.), p. 190.

Pie vii, pape, p. 201.

Pilote (l’abbé), p. 220.

Pitt, p. 139.

Plamondon (A.), p. 224.

Plamondon (Marc-Aurèle), pp. 219, 222.

Plessis (Mgr Joseph-Octave), pp. 6, 173, 188, 189, 199, 200, 201.

Poictiers (Marie-Charlotte), p. 30.

Poictiers (Pierre-Charles), sieur du Buisson, p. 30.

Poisson (Antoinette), Madame d’Etioles, marquise de Pompadour. Voyez
                Pompadour.

Pompadour (la marquise de), pp. 112, 137, 138, 156.

Poncet (le Père), p. 19.

Poney (Emilie), p. 219.

Pontbriand (Mgr de), p. 107.

Pontchartrain, p. 67.

Ponthiac, p. 167.

Pope (W.-H.), p. 223.

Portland (le duc de), p. 197.

Prescott (Lady), p. 194.

Prescott (Rebecca), p. 194.

Prévost, p. 57.

Prévost (sir Georges), gouverneur, pp. 201, 202.

Prévost (Lady), p. 194.

Price (Bruce), pp. 214, 230, 231.

Puibusque (de), p. 57.


Q


Quélen (Mgr de), p. 189.

Queylus (l’abbé Gabriel de), p. 23.

Quirouet, p. 210.

Qurau (Eustache), Madame Florentin de Boullongne, p. 23.


R


Racey, p. 210.

Racine (l’abbé Antoine), pp. 220, 222.

Rae (Mademoiselle), pp. 217, 219.

Rageot, notaire, p. 30.

Raimbault (l’abbé J.-A), pp. 188, 189, 190.

Raimbault, p. 259.

Rameau de Saint-Père (E.), p. 190.

Ramezay (Claude de), pp. 57, 82.

Ramezay, pp. 152, 153, 157.

Raudot (Antoine), intendant, pp. 238, 239, 240.

Raudot (Jacques), intendant, p. 116.

Récher (l’abbé), p. 94.

Repentigny (de), p. 236.

Resche (l’abbé), p. 94.

Richelieu (le cardinal de), pp. 18, 27.

Richmond (Charles-Lennox, duc de), gouverneur, pp. 206, 207, 208.

Richmond (les filles du duc de), p. 194.

Rigaud de Vaudreuil (le chevalier Pierre-François), pp. 96, 99, 126, 144,
                145, 146, 147.

Rigaud de Vaudreuil (Madame Pierre-François), née Louise Thérèse
                Fleury de la Gorgendière, pp. 96, 144, 146.

Rimbault (E.), pp. 226, 229.

Rivière (l’abbé Claude), p. 188.

Robin (l’abbé F.-M.), p. 188.

Robineau dit Breton, p. 18.

Rochambeau (de), p. 157.

Rogers, p. 96.

Roque (l’abbé J.-G.), p. 189.

Rohan (le cardinal de), p. 83.

Ross (Colin), p. 219.

Ross (Madame), p. 219.

Roux (l’abbé J.-H.-A.), p. 188.

Rowan (Sir William), p. 122.

Roy (J.-E.), pp. 98, 186.

Royal (Joseph), p. 240.

Ruelle (A de la), p. 30.

Ryland (H.-W.), pp. 199, 200.


S


Saint-Germain, p. 170.

Sainte-Hélène, pp. 56, 221.

Saint-Marc (l’abbé J.-B.), p. 189.

Saint-Michel (George), p. 181, 203.

Saint-Ours (M. de), p. 236.

Saint-Sauveur, p. 96.

Saint-Séverin, p. 126.

Saint-Simon (le duc de), pp. 45, 46, 67, 68, 90.

Saint-Vallier (Mgr de), pp. 42, 43, 68, 86, 160.

Saint-Vincent (de), p. 152.

Salaberry (de), p. 202.

Salières (le colonel Henri de Chapelas de), p. 31.

Sattin (l’abbé A.), p. 188.

Saucier (Jean), p. 30.

Sauvage (l’abbé Melchior), p. 188.

Sauvageau (F.), p. 217.

Savonnières de St-Joseph (Mère Marie), p. 18.

Scott (Stewart), pp. 217, 218.

Scott (Jane), p. 218.

Seignelay (le marquis de), p. 40.

Sermonville (de), p. 102.

Sewell (le juge), p. 200.

Sewell (W.-S.), p. 203.

Shaughnessy (T.-G.), p. 230.

Shea (Ambrose), p. 223.

Sigogne (l’abbé J.-M.), p. 190.

Sims (J.-J.), p. 218.

Sims (K.), p. 218.

Sims (Rebecca), p. 218.

Sorel (M. de), p. 236.

Soullard (Joannes), p. 60.

Soumande, p. 95.

Soumande (Anne-Marguerite), p. 95.

Steve (W.-A.), p. 223.

Stewart (George), p. 226.

Subercase, p. 57.

Sulte (Benjamin), p. 238.


T


Taché (Étienne-Paschal), p. 223.

Taché (Eugène), p. 162.

Taché (Joseph-Charles) p. 120.

Talon (Jean), intendant, pp. 23, 26, 27, 28, 30, 31, 32, 34, 35, 37, 38,
                116, 235, 236, 237.

Tanguay (l’abbé C.), p. 190.

Tanswell, p. 217.

Tanswell (Madame), p. 217.

Tardif, p. 218.

Tardif (Madame), p. 218.

Taschereau (le Cardinal Elzéar-Alexandre), p. 222.

Tassé (Joseph), p. 112.

Tessier (Ulric), p. 222.

Têtu (Mgr Henri), p. 177.

Thavenet (l’abbé J.-B.), p. 188.

Thibault, curé, p. 146.

Thibault, notaire, p. 146.

Thompson (James), pp. 21, 178, 191, 193, 225.

Thorel (l’abbé N.-A.), p. 190.

Turlow (Edward), p. 172.

Tilley (S.-Léonard), p. 223.

Tireau dit Lagrange, p. 18.

Toussaint (F.-X.), p. 220.

Townshend (le général), pp. 151, 153, 163.

Tracy (Alexandre de Prouville, chevalier de), lieutenant-général du Roi
                dans les deux Amériques, pp. 26, 27, 28, 29, 30, 34, 35, 37, 235.

Tronquet, p. 18.

Tupper (Charles), p. 223.


V


Varennes (M. de), p. 236.

Varin, p. 141.

Vauban (de), p. 58.

Vaudreuil (Joseph-Hyacinthe de), p. 90.

Vaudreuil (Louise-Elisabeth de), pp. 88, 90.

Vaudreuil (Marie-Louise de), p. 88.

Vaudreuil (Philippe-Arnaud de), p. 90.

Vaudreuil (le marquis Philippe Rigaud de), gouverneur, pp. 69, 75, 77,
                78, 82, 86, 87, 89, 92, 93, 95, 100, 116, 131, 159, 208.

Vaudreuil (la marquise Philippe Rigaud de), née Joybert, pp. 87, 88, 89,
                90, 92, 93, 95, 96.

Vaudreuil-Cavagnal (le marquis Pierre de), gouverneur, pp. 88, 89, 95,
                96, 97, 99, 100, 126, 131, 136, 139, 141, 142, 143, 144, 145, 147,
                151, 153, 156.

Vaudreuil-Cavagnal (la marquise Pierre de), née Jeanne-Charlotte Fleury
                de La Gorgendière, pp. 95, 96, 97, 99, 142, 144.

Vaudreuil (le chevalier Pierre-François Rigaud de). Voyez Rigaud.

Vaudreuil (Madame Pierre-François Rigaud de), née Louise-Thérèse
                Fleury de La Gorgendière. Voyez Rigaud.

Ventadour (la duchesse de), p. 84.

Verreau (l’abbé H.-A.), p. 177.

Vézina (J.-B.), p. 218.

Victoria, reine d’Angleterre, p. 183.

Viger, p. 91.

Villade (l’abbé A.), p. 189.

Villebon, p. 58.

Villeneuve, ingénieur, pp. 48, 63, 180, 225.

Villeray (Madame de), p. 30.

Villieu, p. 57.

Vimont (le Père), p. 19.

Voltaire, pp. 112, 138.

Voutier (le Père), p. 44.


W


Walker (l’amiral Hovenden), pp. 75, 79.

Webb, p. 97.

Wheatley, pp. 217, 229.

Wheelwright (Esther), pp. 88, 92, 93, 94.

Whalen (Ed.), p. 223.

William-Henry (le prince), duc de Clarence. Voyez Clarence.

Wolfe (le général), pp. 148, 150, 151, 221.

Worth (Ed.), p. 217.

Worth (Mademoiselle), p. 217.

Würtele (le juge J.-S.-C.), pp. 117, 123.



TABLE  ANALYTIQUE


 
Pages.
domination française.
Le premier fort (1620). — L’emplacement de la ville de Québec. — Prévoyance et sagesse de Champlain. — La Côte de la Montagne. — Coup de vent. — Le deuxième fort (1626). — Mort de Champlain au fort Saint-Louis 
 9
Charles Huault de Montmagny (Ononthio). — Les commencements de la nation canadienne. — Le troisième fort Saint-Louis (1636). — Ursulines et Hospitalières. — Le premier château Saint-Louis (1647). — Louis d’Ailleboust. — Barbe de Boullongne. — Les Iroquois au fort. — Accident. — Arrivée du vicomte d’Argenson. — Prisonniers en fuite 
 17
La royauté française et le Canada. — Mort de M. de Mésy. — Arrivée de M. de Tracy, de M. de Courcelles et de l’intendant Talon. — Jeunes filles envoyées de France. — Fin des temps héroïques. — Le régiment de Carignan. — Douze chevaux des écuries du roi. — Défilé des troupes sous les murs du fort Saint-Louis. — Reliques à la chapelle du château. — Garakonthié au fort 
 26
La première arrivée de Frontenac à Québec. — Éloges et critiques. — MM. Perrot et de Brucy prisonniers au fort. — Le marquis de Denonville et sa famille. — Notes inédites. — Mauvais état du château. — Le magasin des poudres. — Les Ursulines au château Saint-Louis 
 39
Armements de 1690. — Phipps devant Québec. — Colin-Maillard au château. — Sommation et réponse. — Le fort en ruines. — Érection de nouvelles murailles, en 1693. — Une inscription. — Démolition du premier château Saint-Louis, en 1694 
 52
Démolition du premier château (1694). — Les espérances d’un vieillard. — Mort de Frontenac. — Le « couvent du château ». — Le deuxième château terminé (1700). — Une aile à construire. — Description du fort Saint-Louis par La Potherie. — Garde et Garnison 
 65
Louis-Hector de Callières, gouverneur-général. — Sa mort au château. — Philippe de Vaudreuil, gouverneur-général. — Développements de la colonie. — L’expédition de l’amiral Walker. — Physionomie de Québec en 1720. — Population du Canada. — L’organisation paroissiale. — Mort de Vaudreuil au château 
 75
Les femmes au château sous le régime français. — Madame d’Ailleboust. — La marquise de Denonville et ses filles. — Élisabeth de Hallot d’Honville. — La marquise Philippe de Vaudreuil et ses filles. — Esther Wheelwright. — La marquise Pierre de Vaudreuil-Cavagnal 
 88
Le fort Saint-Louis, résidence de tous les gouverneurs de la Nouvelle-France. — Un visiteur étranger. — Kalm et le Canada en 1749. — Les intendants de la Nouvelle-France. — Le château Saint-Louis, demeure suzeraine 
 100
La féodalité en Canada. — Les seigneurs au château Saint-Louis. — Foy et hommage. — Abolition de la tenure seigneuriale. — Le juge Würtele, dernier seigneur canadien admis à la foy et hommage. — Les archives féodales de Québec. — Lexicologie 
 117
la guerre de sept ans.
Diplomates et gens d’épée. — M. de la Galissonnière. — Mauvaise politique. — M. de la Jonquière. — Sa mort au château. — M. Duquesne de Menneville. — Hostilités. — Piraterie. — M. Pierre de Vaudreuil de Cavagnal. — Ce qu’étaient le gouverneur-général et l’intendant. — M. de Vaudreuil après la Cession. — Le Château de Collier. — Mort de M. de Vaudreuil en 1778. — Mort de M. de Rigaud en 1779 
 126
Québec assiégé. — Bataille de Montmorency. — Bataille des Plaines d’Abraham. — Mort de Wolfe et de Montcalm. — Conseil de guerre. — Capitulation de Québec. — Knox et le fort Saint-Louis. — Bataille de Sainte-Foy. — Capitulation de Montréal. — Causes de la chute de la domination française. — Émigration. — Le clergé et le peuple 
 148
domination anglaise.
Québec se relève de ses ruines. — Noble conduite du général Murray. — Son opinion sur les premiers immigrants anglais arrivés à Québec. — Le château Saint-Louis réparé en 1764. — Murray proclamé gouverneur de toute la province. — La maison de la veuve Arnoux. — Premier document officiel daté du Château sous le régime anglais (18 mai 1765). — Guy Carleton et sa famille. — Les élèves du petit séminaire de Québec au château Saint-Louis. — L’acte de Québec de 1774. — L’invasion de 1775. — Haldimand. — Nouveau château. — Le duc de Clarence. — Un bal au fort Saint-Louis. — Le duc de Kent. — Constitution de 1791 
 163
Le régicide de 1793. — Immigration de prêtres français. — Incendie de l’église et du couvent des Récollets. — Encore Frontenac. — Les châtelaines du fort Saint-Louis sous le régime anglais. — Un mariage. — Un dîner au château. — Complainte. — La politique des réceptions 
 185
Un odieux personnage. — Dialogue historique. — La guerre de 1812. — Le fort Saint-Louis en 1815. — Les restes du duc de Richmond. — L’incendie du château Saint-Louis (23 janvier 1834). — La terrasse Durham. — Événements politiques. — Destruction 
 199
L’incendie du théâtre Saint-Louis. — Lugubres souvenirs. — L’inauguration de l’école normale Laval. — Un discours de M. Chauveau. — Démolition et discussions. — La « Vétustomanie. » — L’hôtel Château Frontenac. — L’emplacement du premier fort Saint-Louis. — M. Bruce Price. — Le passé et l’avenir 
 214
appendice.


statue de frontenac
    (D’après Philippe Hébert)
  1. Petit bâtiment situé à droite de la porte d’entrée du fort.
  2. À la date de 1707, le duc de Saint-Simon dit dans ses Mémoires : « Mourut aussi Madame de Frontenac dans un bel appartement que le duc de Lude lui avait donné à l’Arsenal, étant grand-maître de l’Artillerie. Elle avait été belle et ne l’avait pas ignoré. Elle et Mademoiselle d’Outrelaise, qu’elle logeait avec elle, donnaient le ton à la meilleure compagnie, de la ville et de la cour. On les appelait les Divines. En effet, elles exigeaient l’encens comme des déesses, et ce fut toute leur vie à qui leur en prodiguerait. Mademoiselle d’Outrelaise était morte il y avait longtemps. C’était une demoiselle du Poitou, de parents pauvres et peu connus, qui avait été assez aimable et qui perça par son esprit beaucoup plus doux que celui de son amie, qui était impérieuse. Celle-ci (Madame de Frontenac) était une fille d’un maître-des-comptes qui s’appelait Lagrange-Trianon. Madame de Frontenac était excessivement vieille et voyait encore chez elle force bonne compagnie. »

    On comprend le peu d’attraits que le pauvre château Saint-Louis devait offrir à une femme ainsi accoutumée aux raffinements de la civilisation : aussi ne vint-elle jamais en Canada.

    Il existe au palais de Versailles un tableau représentant une Minerve que l’on dit être un portrait de Madame de Frontenac.

  3. Après l’incendie de l’église des Récollets (6 septembre 1796), les restes de Frontenac, de Callières, de Vaudreuil et de la Jonquière furent recueillis et transportés dans les caveaux de la cathédrale, aujourd’hui la basilique Notre-Dame de Québec, où ils reposent encore. Une tablette placée, en 1890. sur un des piliers de la basilique, près la chapelle Notre-Dame-de-Pitié, porte l’inscription suivante :

    « À la mémoire de quatre gouverneurs de la Nouvelle-France dont les restes, d’abord inhumés dans l’église des Récollets, furent transportés en sept. 1796. dans cette église :

    « Louis de Ruade, Comte de Frontenac, mort à Québec le 28 nov. 1698.

    « Hector de Callières, Chevalier de Saint-Louis, décédé le 26 mai 1703.

    « Philippe Rigaud. Marquis de Vaudreuil. Grand-Croix de l’Ordre militaire de Saint-Louis, décédé le 10 oct. 1725.

    « Jacques-Pierre de Taffanel, Marquis de la Jonquière, etc., Commandeur de l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis. Chef d’escadre des armées navales, décédé à Québec le 17 mai 1752. »

  4. Le mot Château est pris ici dans l’acception du mot Fort.
  5. Antoine Le Boesme dit La Lime mourut l’année suivante. Il fut inhumé à Québec le 23 avril 1666.
  6. On a reproché aux Canadiens d’avoir défriché trop complètement leurs terres. On oublie qu’autrefois chaque buisson pouvait recéler un Iroquois, chaque arbre cacher un ennemi. Aujourd’hui c’est bien différent, et l’on commence à comprendre qu’un certain reboisement est devenu nécessaire.
  7. Les premiers pensionnats des religieuses de la Congrégation Notre-Dame furent ceux de Montréal (fondé en 1657), de Oka (fondé en 1676), de la Sainte-Famille, Île d’Orléans (fondé en 1685), de la Pointe-aux-Trembles, district de Québec (fondé en 1685), de la Pointe-aux-Trembles, district de Montréal (fondé en 1690), de Saint-François, rivière du Sud (fondé en 1703), de Boucherville (fondé en 1703) et de Laprairie (fondé en 1705).
  8. — 22 août 1711. Ce désastre fut connu dans la Nouvelle-Angleterre, et même en France, avant que la nouvelle n’en parvînt à Québec. À cette occasion, l’église de la basse ville de Québec, construite en 1688, et dédiée en 1690 à Notre-Dame de la Victoire, reçut le nom de Notre-Dame des Victoires et l’on érigea à Montréal une petite chapelle qui fut appelée Notre-Dame de la Victoire, sur le côté ouest du passage qui conduit actuellement de la rue Notre-Dame à la chapelle de Notre-Dame de Pitié.

    On lit dans l’Annuaire de Ville-Marie de M. Huguet-Latour : « Chapelle de Notre-Dame de la Victoire. — Les Sieurs de la Congrégation en firent poser la première pierre en l’année 1718 (sur un emplacement qu’elles avaient donné dans leur enclos proche de l’église), et ce, en exécution d’un vœu qu’avaient fait, en l’année 1711. les Demoiselles de la Congrégation externe et d’autres personnes, de bâtir, en l’honneur de la Mère de Dieu, une chapelle sous le nom de Notre-Dame de la Victoire.

    « Réduite en cendres le 11 avril 1768, elle fut rebâtie la même année, et la première messe y fut dite le 7 décembre 1768.

    « Cette chapelle servit de lieu de réunion aux Congréganistes de Notre-Dame de la Victoire, jusqu’au 14 octobre 1860, auquel jour ils fixèrent leur lieu de réunion à la chapelle de Notre-Dame de Pitié. »

  9. « On avait commencé, vers 1702, à fortifier cette ville sur les plans de M. Levasseur. Plus tard, en 1711 ou 1712, on avait jeté les fondements de deux tours, près des bastions Saint-Jean et du Palais, et élevé un mur derrière l’Hôtel-Dieu, sur la côte du Palais, d’après les plans de M. de Beaucourt. Mais tous ces plans étaient défectueux, et les travaux avaient été suspendus. M. de Vaudreuil recommanda au régent, en 1716. de fortifier Québec, car, cette ville prise, le Canada était perdu. Après quelques délais, les travaux furent continués, en 1720. sur des plans donnés par M. Chaussegros de Léry, ingénieur, et approuvés par le ministère de la guerre. — F.-X. Garneau, Histoire du Canada.
  10. Ce fut M. Claude de Ramezay, gouverneur de Montréal, qui remplit les fonctions de gouverneur-général pendant l’absence de M. de Vaudreuil.
  11. On peut aujourd’hui envoyer une lettre d’une once de Halifax à Victoria — distance de douze cents lieues — pour la très minime somme de deux sous.
  12. Mère Bénigne-Thérèse de Jésus, religieuse carmélite, morte à Chartres, en France, le 6 août 1744, à l’âge de 73 ans, après 51 ans et six mois de vie religieuse.
  13. Née au château Saint-Louis, à Québec, et morte religieuse en France. Elle était abbesse des Bernardines de Notre-Dame de l’Eau, près Chartres. L’abbaye des Bernardines de l’Eau fut fondée en 1226.
  14. Fille de Messire Louis de Hallot d’Honville et de Marthe Leconte, — née le 27 mai 1658, à Boisville, Beauce, en France, morte religieuse à l’Hôtel-Dieu de Québec, le 15 avril 1713.
  15. Après bien des alternatives de chutes et de relèvements, Louis XIV s’était définitivement « converti » à l’âge de quarante ans.
  16. Collection de manuscrits relatifs à la Nouvelle-France (Québec, 1884), vol. II, page 512.
  17. Voir le volume de documents historiques publié par le gouvernement de Québec en 1893, page 184.
  18. D’Hozier, Armorial de France, volume vi, page 363.
  19. De ce dernier mariage naquit Anne-Marguerite Soumande, qui épousa en premières noces Joseph Coulon de Jumonville (11 octobre 1745) et en deuxièmes noces Pierre Bachoie de Barante (15 décembre 1755), deux militaires.

    Le marquis et la marquise Pierre de Vaudreuil furent présents au mariage de Pierre Bachoie de Barante avec la jeune veuve de Jumonville, née Soumande, petite-fille de la marquise, et ils signèrent à l’acte qui en fut dressé aux registres de la paroisse Notre-Dame de Montréal. On lit dans cet acte, portant la date du 15 décembre 1755, que le mariage fut célébré à Montréal, « en présence de haut et puissant seigneur Pierre de Rigaut, écuyer, seigneur de Vaudreuil et autres lieux, gouverneur-général de toute la Nouvelle-France, chevalier de l’ordre militaire de Saint-Louis, de Dame Charlotte de Fleury de la Gorgendière, épouse du dit Seigneur de Vaudreuil, ayeule de l’épouse »… La signature de la marquise, au bas de cet acte, se lit : Fleury Vaudreuil.

  20. François-Pierre Rigaud de Vaudreuil, connu sous le nom de « monsieur de Rigaud, » frère du dernier gouverneur de la Nouvelle-France, épousa, le 2 mai 1733, demoiselle Louise Fleury de la Gorgendière, fille de Joseph Fleury de la Gorgendière, sieur d’Eschambault, et de Claire Jolliet, et nièce de la marquise de Vaudreuil-Cavagnal. Les deux frères épousèrent donc la tante et la nièce. Pierre et François-Pierre de Vaudreuil furent tous deux gouverneurs des Trois-Rivières, mais le premier seulement devint gouverneur-général du Canada.
  21. Dans l’exercice de ses fonctions d’intendant de justice, police et finances. M. Bigot relevait en effet directement de l’autorité royale. — E. G.
  22. — 2 vol. in-8. L.-J. Demers et Frère, éditeurs, Québec. 1891.
  23. Le séminaire de Saint-Sulpice paya le tiers du coût de ces fortifications. — E. G.
  24. Kalm appelle palais le château Saint-Louis, et il appelle maison de l’intendant le palais de l’intendant. Le nom de « palais », donné à la résidence de l’intendant, est dû au fait que le Conseil Supérieur y tenait ses réunions. Lorsque, exceptionnellement, le Conseil Souverain (appelé plus tard Conseil Supérieur) se réunit au fort Saint-Louis, il tint ses séances « dans la première ou dans la deuxième salle du château. » — E. G.
  25. Mgr de Pontbriand. Il devait, trois années plus tard, assister M. de la Jonquière à son lit de mort. — E. G.
  26. Rolland-Michel Barrin, comte de la Galissonnière, fut nommé commandant général de la Nouvelle-France par lettres-patentes du mois de juin 1747. Voici le préambule de ce document :

    « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre ; à tous ceux qui ces présentes verront, salut.

    « Le sieur marquis de la Jonquière, chef d’escadre de nos armées navales, que nous avions pourvu du gouvernement général de la Nouvelle-France, ayant été fait prisonnier dans un combat qu’il a soutenu contre une escadre anglaise, en faisant route pour s’y rendre, et estimant nécessaire de commettre au commandement général de la dite colonie un officier capable d’en remplir tous les objets avec le zèle, la capacité, l’expérience, la valeur et la prudence qu’ils exigent, nous avons choisi le sieur comte de la Galissonnière, l’un de nos plus anciens capitaines de vaisseau, et commissaire général d’artillerie, en qui nous avons eu occasion de reconnaître toutes ces qualités par les preuves qu’il en a données, et par les services importants qu’il nous a rendus en diverses occasions.

    « À ces causes et autres bonnes considérations à ce nous mouvans, nous avons commis, constitué, ordonné et établi, etc… »

    Cette commission fut signée par Louis XV à Bruxelles, le 10 juin 1747, deux ans après la bataille de Fontenoy. — E. G.

  27. Tous les chevaux canadiens, dit encore Kalm, sont forts, vifs, bien faits… On se plaint généralement que le peuple de la campagne commence à élever un si grand nombre de chevaux que les bestiaux manquent de fourrage en hiver. »

    Voir la petite étude sur les chevaux canadiens insérée à l’appendice de ce volume.

    .
  28. Lire, à ce sujet, le mémoire de M. Joseph Tassé, publié par la Société Royale du Canada et intitulé : Voltaire, Madame de Pompadour et Quelques Arpents de Neige. (1892). — E. G.
  29. Celui-ci était commissaire ordonnateur.
  30. « Dès l’origine, les terres propres à la culture qui bordent le Saint-Laurent avaient été divisées en seigneuries de plusieurs lieues de superficie, et concédées aux colons qui, par leurs états de service militaire ou par leur naissance, en étaient jugés dignes, à la charge par eux d’y établir, sous un certain délai, un nombre déterminé de colons tenant feu et lieu, et d’y bâtir un moulin pour moudre les grains de leurs censitaires.

    « À défaut par le seigneur de remplir ces conditions, il était déchu de son droit, et la seigneurie était réunie au domaine royal.

    « Ces obligations imposées aux concessionnaires de seigneuries, contribuèrent grandement à accélérer les défrichements de la colonie. Les seigneurs, dans le but de conserver leurs privilèges, se transformaient en autant d’agents de colonisation ; car, si les colons faisaient défaut dans leurs domaines, il leur fallait de toute nécessité en faire venir eux-mêmes de France. C’est ainsi que la plupart de nos seigneuries ont été établies. Les régiments licenciés dans la colonie à divers intervalles ont aussi fourni un contingent considérable tant de seigneurs que de censitaires. » — S. Lesage. — La Province de Québec et l’Émigration Européenne.

  31. En 1714, le roi défendit d’accorder à l’avenir des seigneuries en justice. — E. G.
  32. De la Tenure Seigneuriale en Canada, et Projet de Commutation, par J.-C. Taché. — Québec, 1854.
  33. Lors de l’abolition de la tenure seigneuriale, en 1854, il y avait, en Canada, 220 fiefs, 160 seigneurs, et près de 72 000 censitaires. Le sol seigneurial avait une superficie de 12,822,503 arpents, dont environ la moitié était occupée.
  34. « La législation ancienne du Canada, disait M. Chauveau en 1853, n’est autre chose qu’un projet de colonisation. »
  35. Ancien hôtel Payne, longtemps occupé par M. Morgan, Place d’Armes.
  36. Faut-il dire : Conquête du Canada ou Cession du Canada ? Nous croyons que ces deux expressions sont également justes : seulement la « conquête » date de la capitulation de Montréal (1760), tandis que la « cession » date du traité de Paris (1763).
  37. Garneau.
  38. M. de la Galissonnière remplaçait M. de la Jonquière, fait prisonnier par les Anglais. M. de la Jonquière vint prendre son poste, à Québec, en 1749, en vertu de sa commission datée de 1746.
  39. L’intendant Bigot favorisa cette politique aventureuse de l’Ohio, où il y avait pour lui ou ses amis des bénéfices à réaliser : le baron Le Moyne de Longueuil, qui remplit la charge d’administrateur de la colonie avant l’arrivée du marquis Duquesne, y était, au contraire, fortement opposé
  40. Les récollets étaient les aumôniers ordinaires du fort Saint-Louis. Kahn dit qu’ils l’étaient également de tous les forts occupés par au moins quarante hommes.
  41. Charles de Bonnechose. — Montcalm et le Canada Français.
  42. Juin 1755. Ce fut cette même année qu’eurent lieu le guet-apens de Grand-Pré et l’odieuse dispersion des Acadiens du Bassin des Mines.
  43. Voyez, au sujet des rapports entre Français et Canadiens français dans les dernières années de l’ancien régime, le chapitre xvi de l’ouvrage de M. Ch. Gailly de Taurines intitulé : La Nation Canadienne. — E. Plon, Nourrit et Cie, éditeurs, Paris. 1894.
  44. 13 mai 1756. — L’année même de l’arrivée de Montcalm à Québec, la France, par le fatal traité de Versailles, s’allia à l’Autriche, qu’elle avait toujours combattue, « et se laissa entraîner dans une guerre continentale par Marie-Thérèse, qui, voulant reprendre la Silésie au roi de Prusse, flattait adroitement la marquise de Pompadour, avec qui elle entretenait un commerce de lettres, et qu’elle appelait sa chère amie. La France eut à combattre à la fois sur terre et sur mer, quoique l’expérience lui eût enseigné depuis longtemps qu’elle devait éviter soigneusement cette double lutte et que Machault s’efforçât de le faire comprendre à Louis XV ; mais la favorite tenait à l’alliance de l’impératrice-reine ; le ministre de la guerre et les courtisans, étrangers au service de mer, tenaient à la gloire qui s’offrait à eux dans les armées de terre ; le gouvernement oublia la guerre contre l’Angleterre, la seule importante, la seule où la France eût été provoquée, et il dirigea ses principales forces vers le nord de l’Europe, abandonnant à peu près à elles-mêmes ses vastes possessions de l’Amérique septentrionale. » — F.-X. Garneau. — Hist. du Canada.
  45. Montcalm, en digne fils de la noble France, fit arborer sur le point culminant du champ de bataille de Carillon une grande croix de bois devant laquelle chacun vint se prosterner, pendant que toute l’armée chantait le Te Deum. Cette croix portait l’inscription suivante, composée par le général après la victoire :

    Quid dux ? Quid miles ? Quid strata ingentia ligna ?
    En Signum ! En victor ! Deus hic, Deus ipse triumphat !

    « Qu’a fait le général ? Qu’ont fait les soldats ? À quoi ont servi ces arbres énormes renversés ? Voici le vrai étendard ! Voici le vainqueur ! Ici, c’est Dieu, c’est Dieu même qui triomphe ! »

    Pendant ce temps-là, le cynique Voltaire ciselait ses odieuses rimes en l’honneur de Frédéric II, vainqueur des Français, et Antoinette Poisson recevait les hommages des courtisans de Versailles. Où était alors la France chrétienne, la France de Clovis et de saint Louis ? Sans doute on la retrouvait encore au sein de bien des foyers dans notre ancienne mère-patrie ; mais c’est d’un incomparable éclat qu’elle brillait dans cette scène grandiose des bords du lac Champlain, au milieu de ces vastes contrées du Nouveau-Monde que ses enfants avaient colonisées, évangélisées et fécondées de leur sang.

  46. Il avait alors huit ans. — E. G.
  47. Septembre. — E. G.
  48. Bigot et Varin furent bannis de France à perpétuité et leurs biens confisqués. Il y eut d’autres bannissements, mais non perpétuels, et d’autres confiscations. Cadet dut restituer 6 million. — E. G.
  49. Archives du département des Terres de la Couronne à Québec.
  50. A.-C. de Léry Macdonald.
  51. On a bien voulu nous communiquer les annales manuscrites des Ursulines de l’époque. Nulle part il y est dit que Montcalm mourut ou fut transporté au château Saint-Louis. Il est probable que la narratrice de 1866 n’a indiqué le château comme le lieu de la mort du héros (page 7, vol. iii) que d’après un auteur moderne, — auteur d’ordinaire bien informé, mais qui nous paraît s’être trompé sur ce point.
  52. L’abbé Casgrain. — Montcalm et Levis.
  53. Knox fait erreur sur ce point. Le château et le palais épiscopal, de même que le collège des Jésuites, le séminaire et les autres édifices publics, étaient construits en pierre.
  54. M. de Gaspé dit, dans ses Mémoires : « C’est une chose assez remarquable que je n’aie jamais entendu un homme du peuple accuser Louis XV des désastres des Canadiens, par suite de l’abandon de la colonie à ses propres ressources. Si quelqu’un jetait le blâme sur le monarque : Bah ! bah ! ripostait Jean-Baptiste, c’est la Pompadour qui a vendu le pays à l’Anglais ! Et ils se répandaient en reproches contre elle. »
  55. Levis, le seul homme qui eût de l’ascendant sur l’esprit de Montcalm, était absent.
  56. Juillet 1766. Au mois de septembre 1758, il y avait, dit Mgr H. Têtu, 181 prêtres dans le diocèse de Québec.
  57. M. Parkman était protestant.
  58. Le premier gouverneur en titre du Canada, sous le régime anglais, fut le général Amherst ; mais il séjourna à peine dans le pays. Il fut remplacé par trois gouverneurs régionaux : Murray à Québec, Gage à Montréal et Burton aux Trois-Rivières. Le général Murray ne fut nommé gouverneur de tout le Canada, ou province de Québec, qu’en 1764.
  59. Ponthiac, le célèbre chef indien, maintint de nombreuses tribus de l’Ouest dans l’attente du retour des Français, et son éloquence persuasive les entretint longtemps dans leur hostilité contre les Anglo-Américains. À Québec, on conserva une lueur d’espérance de voir revenir les Français jusqu’après la guerre de l’indépendance américaine. « Depuis 1775, où les Bastonnais vinrent assiéger Québec, dit le « vieux récit » des anciennes annales des Ursulines, la guerre a toujours continué, et nous voilà à l’année 1782 sans savoir quand et comment elle finira. Si la continuité de ce fléau nous procurait le bonheur de revenir à la France, nous aurions bientôt oublié toutes nos misères passées. Mais qu’il est à craindre que notre Roi Louis ne s’intéresse plus au Canada !…. »

    Il y a quelque chose de vraiment touchant dans ces regrets affectueux, cette fidélité persévérante et naïve, ce reproche à peine exprimé.

  60. Parmi les notables qui s’embarquèrent à Québec le 27 septembre 1764, pour se rendre en Angleterre, et de là en France, la Gazette de Québec signalait Monsieur Daine, sa femme « et ses aimables filles Mesdemoiselles Gillette et Françoise. » M. Daine avait été lieutenant-général de police et maire de Québec. Il avait fortement conseillé la capitulation du 18 septembre 1759.
  61. La version anglaise dit : That the House in which His Excellency the Governor lived.
  62. De 1770 à 1774, les fonctions de gouverneur furent remplies par M. Cramahé, président du Conseil.
  63. En 1808, l’évêque anglican de Québec s’étant plaint que l’évêque catholique, Mgr Plessis, prenait le titre d’évêque de Québec, « Lord Castlereagh, ministre des colonies, répondit que l’évêque catholique n’était pas un étranger et qu’il jouissait de tous les avantages et de tous les droits attachés au titre de chef d’une religion qui était pratiquée librement en Canada sur la foi du Parlement impérial. »
  64. Consulter à ce sujet la précieuse collection de documents recueillis et annotés par M. l’abbé H.-A. Verreau, et publiée sous le titre : Invasion du Canada, ainsi que la notice biographique de Mgr Briand, dans l’ouvrage intitulé : Les Évêques de Québec, par Mgr Henri Têtu. Lire aussi les notes de M. Faucher de Saint-Maurice sur le général Richard Montgomery (1893).
  65. Frontenac avait fait construire deux corps de garde, l’un à droite et l’autre à gauche de la porte d’entrée du fort, — à l’intérieur. (Champigny pensait qu’un seul corps de garde était suffisant, mais il avait fini par céder devant le désir persistant de Frontenac). Haldimand dut faire démolir celui de droite (en entrant), pour établir la partie nord du nouveau château ; l’autre fut démoli vers 1814, et remplacé par un corps de garde construit à l’extérieur du fort, tout près de la Place d’Armes. Ce petit bâtiment, dont la façade était de forme elliptique et ornée de colonnes, fut démoli en 1854.
  66. Duc de Clarence, plus tard Guillaume IV. Il débarqua à Québec le 14 août 1787. — E. G.
  67. Construit par M. de Denonville, d’après un plan de l’ingénieur Villeneuve, en 1685. — E. G.
  68. Lady Ann Carleton, sœur de Lady Dorchester et veuve d’un neveu du gouverneur. Elle n’aimait pas le monde, et obtint le privilège de demeurer quelque temps chez les Ursulines. — E. G.
  69. Une « loyale adresse » fut présentée au prince Édouard d’Angleterre par les « Représentants de la Province du Bas-Canada, » à Québec, au mois de décembre 1793.
  70. « Monsieur de Belêtre, gentilhomme canadien, était à Paris le jour même de l’exécution de Louis XVI. Connaissant les sentiments de l’hôte chez qui il logeait, il fut surpris de le voir prêt à sortir le matin avec la cocarde tricolore, et lui dit : — Où allez-vous, mon ami ?

    — « Je me rends, répondit-il, à la place de la guillotine, pour conserver ma tête, celle de ma femme, de mes enfants, et la vôtre, monsieur.

    « M. de Belêtre, de retour en Canada, racontait que lorsque cet homme rentra chez lui, il se jeta dans les bras de sa femme, et s’écria au milieu de ses sanglots : J’ai eu la douleur de voir tomber à mes pieds la tête du Roi ! » (Ph. A. de Gaspé). »

  71. « À nulle époque, peut-être, dit M. Bibaud, les dangers que s’exagérait le gouvernement ne mirent les Canadiens dans un isolement aussi complet. M. de Larochefoucault-Liancourt put faire une excursion dans le Haut-Canada, en 1795 ; mais l’entrée du Bas-Canada fut interdite à l’illustre et savant voyageur français ; et nous ne saurions dire par quelle faveur particulière il fut permis à son ami M. Guillemard de descendre, mais rapidement, le Saint-Laurent, depuis Kingston (ci-devant Frontenac ou Cataracoui) jusqu’à Québec. Faire venir des journaux ou même des livres directement de France, était une chose à laquelle il ne fallait pas penser. » (Hist. du Canada, tome II. page 124).
  72. Ce digne ecclésiastique ne finit pas ses jours en Canada comme la plupart de ses compagnons d’exil. Il retourna en France, où il eut à passer par bien des vicissitudes, comme on peut le voir par les lignes suivantes, de M. Ferland :

    Ancien chanoine de Bayeux, puis doyen de la collégiale de Meung et vicaire général de l’évêque d’Orléans, monsieur Desjardins avait été forcé, par la révolution, de chercher un asile en Angleterre, où il arriva en 1792. Il y connut le célèbre Edmond Burke, qui s’intéressait beaucoup au sort des prêtres français, et qui s’était lié avec l’évêque de Saint-Pol-de-Léon, dispensateur des dons de la générosité anglaise. Ces deux hommes avaient proposé au gouvernement d’envoyer au Canada quelques personnes, pour examiner s’il serait possible d’y trouver des asiles pour les ecclésiastiques et les laïques français qui affluaient alors en Angleterre. Le projet fut accueilli avec faveur par le ministère, et messieurs Desjardins, Gazelle et Raimbault se chargèrent d’aller reconnaître, sur les lieux, les chances de succès ; ils étaient accompagnés par un Canadien, M. de la Corne, chevalier de Saint-Louis. De New-York, où ils débarquaient le huit février 1793, ils se rendirent par terre au Canada. Les évêques et le clergé les reçurent de la manière la plus obligeante. M. Desjardins s’occupa de recueillir les renseignements nécessaires pour l’objet de sa mission, et visita le Haut-Canada, où un certain nombre d’émigrés désiraient s’établir. L’année suivante, plusieurs prêtres le rejoignirent et parmi eux se trouvait son jeune frère…

    « Successivement grand-vicaire des évêques Hubert et Denaut, M. Desjardins se lia d’une étroite amitié avec M. Plessis, alors curé de Québec. Sa santé chancelante l’obligea, en 1802, de retourner en France, où il emporta avec lui les regrets des nombreux amis qu’il s’était attachés par ses belles qualités et par le charme de sa conversation. Au Canada, il avait eu à souffrir des mauvais procédés d’un lieutenant-gouverneur qui le traita assez mal ; après son retour en France, il eut à subir de plus rudes épreuves, car il devint l’objet des soupçons de l’empereur. Nommé en 1806 curé des Missions Étrangères, à Paris, il prit son domicile au séminaire du même nom. À Québec, il avait eu des rapports avec le duc de Kent, qui lui adressa à Paris quelques lettres dictées par la bienveillance ; c’en fut assez pour le faire soupçonner de déloyauté par Napoléon. Au mois d’octobre 1810, il fut saisi par la police et transféré à Vincennes ; on le relégua ensuite à Fenestrelle, puis à Campiano et enfin à Verceil. Durant quatre ans, il subit un exil non mérité, au préjudice de ses affaires, de sa santé, de son ministère, et ne rentra en France qu’après la chute de l’empire.

    « Pendant cette longue persécution, l’abbé Desjardins dut rompre toute communication à l’extérieur ; mais après son élargissement, il reprit sa correspondance avec ses amis du Canada, et surtout avec Mgr Plessis, et la continua toujours ensuite fort régulièrement.

    « M. Desjardins refusa, en 1817, l’évêché de Blois, et en 1823 celui de Châlons-sur-Marne. En 1819, le cardinal de Périgord, archevêque de Paris, le nomma grand-vicaire et archidiacre de Sainte-Geneviève, et lui donna un logement à l’archevêché. Lors du pillage de l’archevêché, en 1831, il perdit sa bibliothèque, ses tableaux, ses meubles et tout ce qu’il possédait d’argent. Il était alors à Conflans, d’où il s’échappa avec Mgr de Quélen, archevêque de Paris. L’abbé Desjardins mourut le 18 octobre 1833. C’est à lui que le Canada doit un grand nombre de beaux tableaux, qu’il fit vendre dans le pays, à un prix si modique que plusieurs fabriques de la campagne en achetèrent pour remplacer des toiles de peu de valeur. Ces tableaux, enlevés pendant la révolution aux monastères, aux couvents, aux églises, avaient été entassés dans un grenier, d’où on les tira au commencement de l’empire pour les vendre à l’encan. Désireux d’enrichir le Canada de quelques bonnes toiles, M. Desjardins les acheta et les envoya à son frère, alors chapelain de l’Hôtel-Dieu de Québec. Jusqu’à sa mort il fut le protecteur et l’ami des jeunes Canadiens qui allaient étudier à Paris. » (Vie de Mgr Plessis, par l’abbé J.-B.-A. Ferland. — Le Foyer Canadien, année 1863).

  73. Voir le travail de l’abbé Bois, intitulé : L’Angleterre et le Clergé français réfugié pendant la Révolution, inséré au volume iii, année 1885, des « Mémoires et Comptes rendus de la Société Royale du Canada. » Voir aussi l’Étude biographique sur Jean Raimbault, par le même auteur (Aug. Côté, éditeur, Québec, 1869.) ; l’Hist. du Monastère des Ursulines de Québec ; l’Hist. de l’Hôpital-Général de Québec ; le 2o volume de l’Histoire des Ursulines des Trois-Rivières, qui contient une biographie complète de l’abbé de Calonne ; Une colonie féodale en Amérique, par M. E. Rameau de Saint-Père ; le Répertoire du Clergé canadien, par l’abbé C. Tanguay ; la Vie de C.-F. Painchaud, par le docteur N.-E. Dionne (Léger Brousseau, éditeur, Québec, 1894). Voir aussi Les Ecclésiastiques et les Royalistes français à l’époque de la Révolution, par N.-E. Dionne, (Québec, 1905.)
  74. L’abbé de Calonne avait passé six ans à l’île du Prince-Édouard avant de venir se fixer au Canada. Il mourut en odeur de sainteté, aux Trois-Rivières, le 16 octobre 1822.
  75. Ce mariage, contracté devant le docteur Salter-Jehosaphet Mountain, dut avoir lieu dans la chapelle du Château. L’église des Récollets, qui avait servi au culte protestant pendant les années précédentes, venait d’être réduite en cendres, et ce ne fut qu’en 1804 que l’on commença l’érection de l’église anglicane actuelle.
  76. « Chacun sait que Henri IV était natif du Béarn, domaine de la maison d’Albret, réuni à la France par Louis XII. »
  77. Ryland se rendit à Londres pour appuyer de sa parole un mémoire de Craig qu’il avait indubitablement inspiré et dont l’objet était de détruire tout ce qui était catholique et français dans le Bas-Canada. On répondit à l’envoyé de Craig qu’il avait raison en principe, mais qu’il ne fallait pas oublier que les Canadiens étaient en majorité dans leur pays. Le « mémoire » fut mis de côté. Plus tard, vers 1820, un autre fanatique, le juge Sewell, fit des instances auprès du gouvernement de la métropole pour que l’union de toutes les provinces britannique de l’Amérique du Nord fût décrétée, dans un but d’anglicisation et d’écrasement pour les Canadiens-Français. L’Angleterre ne voulut rien faire alors contre ses fidèles sujets du Bas-Canada, et ce ne furent que les imprudences de ceux qui préparèrent la regrettable insurrection de 1837, et cette insurrection elle-même, qui nous valurent le régime du Conseil Spécial, puis l’union des deux Canada dans des conditions difficiles, « dangereuses » sous certains rapports, ruineuses et injustes au point de vue financier.
  78. Mgr Plessis dit que l’entretien dura sept quarts d’heure ; sir James Craig dit qu’il dura deux heures et demie. Il est évident que l’un des deux personnages avait trouvé le temps plus long que son interlocuteur.
  79. Rentré chez lui, Mgr Plessis s’empressa d’écrire ce qu’il venait de dire au gouverneur.
  80. La « guerre de 1812 » se termina par le traité de Gand, du 24 décembre 1814. « La bataille de Châteauguay surtout fut décisive. On l’a comparée, non sans raison, aux Thermopyles, et le nom de Salaberry a été exalté, en prose et en vers, à l’égal de celui de Léonidas. Si cet enthousiasme a pu paraître excessif à raison de la courte durée de l’engagement et du petit nombre de tués et de blessés de notre côté, la résistance à des forces si supérieures et les résultats qu’elle a eus suffisent pour le justifier. Ce n’est, si l’on veut, qu’une vive fusillade, un éclair au coin d’un bois ; mais cet éclair a illuminé tout notre avenir. Il a fait voir encore une fois à l’Angleterre qu’elle devait compter avec nous ; il a donné raison à la politique du général Prevost. » — P.-J.-O. Chauveau.
  81. Le château Haldimand.
  82. Transformé en théâtre vers 1839. Détruit par un incendie le 12 juin 1846.
  83. Ces lignes fuient écrites vers 1870. — E. G.
  84. D’après M. A.-G. Doughty, ce fut la morsure d’un chien favori, et non celle d’un renard, qui causa la mort du gouverneur. — E. G.
  85. Le Château qui existait en 1690 fut rasé en 1694 ; mais il est exact de dire que les murs du deuxième château, dont la construction fut commencée en 1694, avaient résisté aux sièges de 1759 et de 1775. — E. G.
  86. Près de cent ans. — E. G.
  87. Il y a, à Québec, une très belle avenue appelée Avenue Dufferin. Elle court parallèlement à la façade du Palais Législatif, et traverse le terrain des Glacis, non loin du mur d’enceinte qui sépare la porte Saint-Louis de la porte Kent. On sait que la construction de la porte Kent et la reconstruction de la porte Saint-Louis sont dues à l’initiative du marquis d’Ava, comte de Dufferin. Ces deux ouvrages sont fort remarquables.
  88. Les portes d’entrée et de sortie donnaient sur l’intérieur du fort. On avait accès au « théâtre » en passant entre le corps de garde et le Vieux Château.
  89. Il y avait une autre porte de sortie, mais d’un accès difficile ; quelques personnes périrent en cherchant une issue de ce côté.
  90. Voir plan 1036 du département des Travaux publics, à Québec.
  91. M. Ernest Gagnon.
  92. L’auteur de cet article (Sir Hector Langevin) fut l’un des hommes politiques qui prirent part à la célèbre « conférence de Québec », inaugurée le 10 octobre 1864, dans laquelle fut élaboré le projet d’union de toutes les provinces anglaises de l’Amérique du Nord. Voici les noms de ces personnages, que l’on a appelés « les pères de la confédération canadienne : »

    Sir Étienne-Paschal Taché, John-A. Macdonald, George-Étienne Cartier, George Brown, A.-T. Galt, J.-C. Chapais, Hector-L. Langevin, T. d’Arcey McGee, A. Campbell, O. Mowat, Wm McDougal, Peter Mitchell et James Cockburn, représentants du Haut et du Bas-Canada (aujourd’hui Ontario et Québec) ;

    Charles Tupper, W.-A. Henry, J. McCully, A. Archibald et R.-B. Dickey, représentants de la Nouvelle-Écosse ;

    S.-Leonard Tilley, P. Mitchell, Charles Fisher, W.-H. Steve, J.-H. Gray, E.-B. Chandler et J.-M. Johnston, représentants du Nouveau-Brunswick ;

    George Coles, T.-H. Havilland, Ed. Palmer, le colonel Grey, A.-A. McDonald, Ed. Whalen et W.-H. Pope, représentants de l’Île-du-Prince-Edouard ;

    Ambrose Shea et B.-T. Carter, représentants de l’île de Terreneuve.

  93. Construite cette même année 1854 par les ordres de l’honorable M. Jean Chabot, ministre des Travaux publics, ainsi qu’il a été dit plus haut.
  94. Les ouvrages en terre qui séparent la ville des faubourgs existaient sous le régime français. Leur revêtement en pierre a été refait vers 1815. La citadelle actuelle a été construite de 1823 à 1832, au prix de vingt-cinq millions de piastres.
  95. Voir le Rapport général du Commissaire des Travaux publics (Québec) pour l’année 1892, pages 97 et 98. L’hôtel appartient maintenant à la société dite The Château Frontenac Company, dont M. Thomas-G. Shaughnessy est le président.
  96. « En 1696. — dit M. Benjamin Sulte, — lors de l’expédition contre les Onnontagués, M. de Frontenac montait une bourrique et M. de Callières un cheval qu’ils avaient amenés sur des bateaux. »
  97. L’auteur continue : « Les vaches, de la taille de notre vache de Suède, viennent de France aussi. Il est admis que le bétail né ici d’animaux importés d’Europe, n’en atteint jamais les proportions. Cette dégénération est attribuée à la rigueur excessive des hivers canadiens, qui oblige le cultivateur de tenir ses bestiaux renfermés dans l’étable et pauvrement nourris… En Canada les bœufs tirent avec leurs cornes, mais dans les colonies anglaises ils tirent par le garrot comme les chevaux. Les vaches varient de couleur, mais la plupart sont rouges ou noires. »