Le fort et le château Saint-Louis (Québec)/01

Texte établi par Librairie Beauchemin, Limitée (p. 9-16).
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I. — Le premier fort (1620)…


le fort
et
le château saint-louis



i


Le premier fort (1620). — L’emplacement de la ville de Québec. — Prévoyance et sagesse de Champlain. — La Côte de la Montagne. — Coup de vent. — Le deuxième fort (1626). — Mort de Champlain au fort Saint-Louis.



Ce fut sous le règne de Louis XIII, dit le Juste, roi de France, que Samuel de Champlain commença, à Québec, l’érection de la petite forteresse qu’il appela plus tard le Fort Saint-Louis.[1]

Le père de la nation canadienne attachait une telle importance à cette construction, qu’il y fit travailler avec persistance pendant plus de six ans, en dépit de la désapprobation et du mauvais vouloir de plusieurs de ceux qui l’entouraient.

On peut affirmer que la construction de la ville de Québec à l’endroit où s’élève aujourd’hui la haute-ville est due à l’érection de ce fort, d’abord assez peu important, mais admirablement et avantageusement situé. D’après un projet qui ne s’est complètement réalisé que de nos jours, la ville devait être bâtie sur les bords de la rivière Saint-Charles, où s’élève aujourd’hui le populeux faubourg Saint-Roch. Elle devait s’appeler Urbs Ludovica. Le besoin de protection et de sécurité obligea les premiers colons à se grouper à proximité du fort Saint-Louis, à l’abri des canons dont la voix tonnante effrayait les hordes sauvages, comme, plus tard, elle faisait fuir les nombreux vaisseaux de toute une flotte ennemie.

Dans le récit de ce qui se passa à Québec en 1620, Champlain, après avoir parlé de certains travaux de réparations exécutés à l’Abitation de Kébec (construite sur l’emplacement de la basse-ville actuelle), s’exprime ainsi :

« … Toutes choses furent si bien ménagées que tout fut en peu de temps en état de nous loger, pour le peu d’ouvriers qu’il avait, partie desquels commencèrent un fort pour éviter aux dangers qui peuvent advenir, vu que sans cela il n’y a nulle sûreté en un pays éloigné presque de tout secours. J’établis cette demeure en une situation très bonne, sur une montagne qui commandait le travers du fleuve Saint-Laurent et qui est un des lieux les plus étroits de la rivière, et tous nos associés n’avaient pu goûter la nécessité d’une place forte pour la conservation du pays et de leur bien. Cette maison ainsi bâtie ne leur plaisait point, et pour cela il ne faut pas que je laisse d’effectuer le commandement de Monseigneur le Viceroy (le duc de Montmorency), et ceci est le vrai moyen de ne point recevoir d’affront par un ennemi qui, reconnaissant qu’il n’a que des coups à gagner, et du temps, et de la dépense perdue, se gardera bien de se mettre au risque de perdre ses vaisseaux et ses hommes. C’est pourquoi il n’est pas toujours à propos de suivre les passions des personnes qui ne veulent régner que pour un temps ; il faut porter sa considération plus avant. »

Toute la largeur de vues, tout le caractère ferme et persévérant de Champlain se retrouvent dans ces dernières lignes, qui auraient pu être gravées sur le monument élevé à la mémoire du fondateur de Québec.

Ainsi, c’est en 1620 que Champlain fait commencer, à Québec, un fort auquel il ne donne pas encore de nom, mais qu’il appellera bientôt le fort Saint-Louis. Ce fort, qu’il désigne aussi sous le nom de « demeure, » fut établi « sur la montagne, » c’est-à-dire à environ cent soixante-dix pieds au-dessus du niveau du fleuve Saint-Laurent.[2] La nouvelle « maison, » comme dit encore Champlain, ne plaisait pas à tous, mais le père de la Nouvelle-France voulait, avant tout, assurer l’avenir de la colonie, et il faisait ériger cette construction en vue d’hostilités qui ne devaient pas manquer de surgir.

À cause de difficultés survenues entre les membres de l’ancienne compagnie (de Rouen) et de la nouvelle compagnie (de Montmorency), Champlain jugea prudent, en 1621, de placer un officier, M. Du Mai, et quelques hommes dans le fort. « Je me délibérai, dit-il, de mettre le dit Du Mai en un petit fort jà commencé, avec mon beau-frère Boullé et huit hommes, et quatre de ceux des Pères Récollets, qu’ils me donnèrent, et quatre autres hommes de l’ancienne société, faisant porter quelques vivres, armes, poudre, plomb et autres choses nécessaires, au mieux qu’il me fut possible pour la défense de la place ; en cette façon, nous pouvions parler à cheval, faisant toujours continuer le travail du fort, pour le mieux mettre en défense. »

En 1622, Champlain fait poursuivre les travaux et insiste sur l’importance « d’achever le fort commencé et y avoir de bonnes armes, et munitions et garnison suffisante. »

En 1623, il écrit ce qui suit : « L’incommodité que l’on recevait à monter la montagne pour aller au Fort Saint-Louis me fit entreprendre d’y faire faire un petit chemin pour y monter avec facilité, ce qui fut fait le 29 de novembre et sur la fin du dit mois. » C’est la première mention du nom de « Fort Saint-Louis » qui soit faite dans l’histoire.

Le 10 décembre 1623, Champlain fit « traîner le bois pour le fort sur les neiges, » avec l’aide des Sauvages. Le 18 avril 1624, il fit « employer tout le bois qui avait été fait pour le fort, afin de le pouvoir mettre en défense » autant que possible.

Le 20 avril 1624, un grand coup de vent « enleva la couverture du bastiment du Fort Saint-Louis plus de trente pas par dessus le rempart, parce qu’elle (la couverture) était trop haulte élevée. »

Le 6 mai 1624, on commença les fondations de vastes bâtiments pour remplacer la première Habitation de Québec, qui était fort détériorée. Cette nouvelle construction, que quelques auteurs ont confondue, avec le fort Saint-Louis, occupait, avec ses dépendances, toute la pointe de la basse-ville traversée aujourd’hui par la rue Sous-le-Fort[3].

Au moment de partir pour la France, au mois d’août 1624, Champlain recommanda aux employés qui restaient à Québec de continuer les travaux du fort. « Je les priai, dit-il, d’amasser des fascines et autres choses pour achever le fort, jugeant bien en moi-même que l’on n’en ferait rien, d’autant qu’ils n’avaient rien de plus désagréable, bien que c’était la conservation et la sûreté du pays, ce qu’ils ne pouvaient ou voulaient comprendre. Cette œuvre ne s’avançait que par intervalles, selon la commodité qui se présentait, lorsque les ouvriers n’étaient pas employés à autres œuvres. »

Au retour de Champlain, en 1626, il trouva le Fort Saint-Louis dans le même état qu’il l’avait laissé, « sans qu’on y eût fait aucune chose… ni au bastiment de dedans, qui n’était que commencé, n’y ayant qu’une chambre où étaient quelques ménages, attendant qu’on l’eût parachevé… »

« Je considérai d’autre part, écrit-il, que le fort que j’avais fait faire était bien petit pour retirer, à une nécessité, les habitants du pays, avec les soldats qui un jour y pourraient être pour la défense d’icelui, quand il plairait au Roy les envoyer, et il fallait qu’il eût de l’étendue pour y bâtir, celui qui y était avait été assez bon pour peu de personnes, selon l’oiseau il fallait la cage, et que l’agrandissant il se rendrait plus commode, qui me fit résoudre de l’abattre et de l’agrandir, ce que je fis jusqu’au pied, pour suivre mieux le dessein que j’avais, auquel j’employai quelques hommes qui y mirent toute sorte de soin pour y travailler, afin qu’au printemps il pût être en défense. Cela s’exécuta. Sa figure est selon l’assiette du lieu que je ménageai avec deux petits demi-bastions bien flanqués, et le reste est la montagne, n’y ayant que cette avenue du côté de la terre qui est difficile à approcher, avec le canon qu’il faut monter 18 à 20 toises, et hors de mine, à cause de la dureté du rocher, ne pouvant y faire de fosse qu’avec une extrême peine. La ruine du petit fort servit en partie à refaire le plus grand qui était édifié de fascines, terres, gazons et bois, ainsi qu’autrefois j’avais vu pratiquer, qui étaient de très bonnes forteresses, attendant un jour qu’on la fît revêtir de pierres à chaux et à sable qui n’y manquent point, commandant sur l’Habitation et sur le travers de la rivière. »

Le petit fort commencé en 1620 fut donc rasé jusqu’au pied et ce ne fut qu’en 1626 que Champlain commença l’érection du fort plus spacieux qu’il devait habiter à son retour de France, en 1633, après l’interrègne des Kertk[4], et jusqu’à sa mort.

C’est de sa résidence du fort Saint-Louis que le fondateur de Québec contemplait, dans les derniers jours de son existence, l’admirable campagne que sa pensée couvrait de villages et moissons et d’où son génie voulait faire surgir une France nouvelle. Il fit les plus grands sacrifices pour conquérir le Canada à son Dieu et à sa patrie, et fut le véritable fondateur de la nation qui, dans nos vastes contrées de l’Amérique du Nord, continue l’œuvre accomplie jadis par les Francs sur la terre de l’ancien monde.

Le P. Paul Lejeune s’exprime ainsi dans la « relation » de 1636 :

« Le vingt-cinquième décembre (1635), jour de la naissance de notre Sauveur en terre, Monsieur de Champlain, notre Gouverneur, prit une nouvelle naissance au ciel ; du moins nous pouvons dire que sa mort a été remplie de bénédictions. Je crois que Dieu lui a fait cette faveur en considération des biens qu’il a procurés à la Nouvelle-France, où nous espérons qu’un jour Dieu sera aimé et servi de nos Français, et connu et adoré de nos Sauvages. Il est vrai qu’il avait vécu dans une grande justice et équité, dans une fidélité parfaite envers son Roi et envers Messieurs de la Compagnie ; mais à la mort il perfectionna ses vertus avec des sentiments de piété si grands qu’il nous étonna tous. Que ses yeux jetèrent de larmes ! Que ses affections pour le service de Dieu s’échauffèrent ! Quel amour n’avait-il pour les familles d’ici ! disant qu’il les fallait secourir puissamment pour le bien du pays, et les soulager en tout ce qu’on pourrait en ces nouveaux commencements, et qu’il le ferait si Dieu lui donnait la santé. Il ne fut pas surpris dans les comptes qu’il devait rendre à Dieu : il avait préparé de longue main une confession générale de toute sa vie, qu’il fit avec une grande douleur au Père Lallemant, qu’il honorait de son amitié ; le Père le secourut en toute sa maladie, qui fut de deux mois et demi, ne l’abandonnant point jusqu’à la mort. On lui fit un convoi fort honorable, tant de la part du peuple que des soldats, des capitaines et des gens d’église ; le Père Lallemant y officia et on me chargea de l’oraison funèbre, où je ne manquai point de sujet. Ceux qu’il a laissés après lui ont occasion de se louer ; que s’il est mort hors de France, son nom n’en sera pas moins glorieux à la Postérité. »

La mort venait de pénétrer dans la petite citadelle. Elle devait y apparaître plus d’une fois encore, et, dans la suite des années, on vit les restes de maints personnages illustres exposés dans la grande salle du Château dont nous aurons bientôt à parler. Comme la garde qui veillait jadis aux barrières du Louvre, la sentinelle du fort Saint-Louis était impuissante contre les assauts de l’implacable moissonneuse.



  1. Nos lecteurs canadiens savent que le Canada fut découvert par Jacques Cartier, en 1534, sous le règne de François 1er , et que Québec fut fondé par Samuel de Champlain, en 1608, sous le règne de Henri IV.
  2. Sur l’emplacement occupé aujourd’hui par l’extrémité nord-est de la terrasse Dufferin, au-dessus de la rue Sous-le-Fort.
  3. Voyez Ferland, Cours d’Histoire du Canada, vol. I, page 213.
  4. Il est probable que Champlain habita le fort Saint-Louis quelque temps — peu de temps — avant l’arrivée des Kertk, en 1629. Louis Kertk habita le fort de 1629 à 1632. Émery de Caën le reprit en 1632, et Champlain vint de nouveau l’occuper en 1633.

    Pendant son séjour en Canada (1620-1624). la jeune femme de Champlain, Marie-Hélène Boullé, se retira dans l’Habitation de Québec, dont l’emplacement est en partie occupé aujourd’hui par l’église Notre-Dame-des-Victoires, à la basse-ville. On sait qu’après la mort de son mari, la femme du fondateur de Québec embrassa la vie religieuse et devint la fondatrice des Ursulines de Meaux. Elle était née dans le calvinisme.