Le fort et le château Saint-Louis (Québec)/04

Texte établi par Librairie Beauchemin, Limitée (p. 39-51).
IV. — La première arrivée de Frontenac…


IV


La première arrivée de Frontenac à Québec. — Éloges et critiques. — MM. Perrot et de Brucy prisonniers au fort. — Le marquis de Denonville et sa famille. — Notes inédites. — Mauvais état du château. — Le magasin des poudres. — Les Ursulines au château Saint-Louis.



Louis de buade, comte de Palluau et de Frontenac, neuvième gouverneur de la Nouvelle-France, arriva à Québec dans les premiers jours de septembre 1672. Le 2 novembre de la même année, il écrivait au ministre : « Rien ne m’a paru si beau et si magnifique que la situation de la ville de Québec, qui ne pourrait être mieux postée quand elle devrait devenir un jour la capitale d’un grand empire ; mais je trouve qu’on a fait jusques ici, ce me semble, une très grande faute en laissant bâtir les maisons à la fantaisie des particuliers, et sans aucun ordre, parce que, dans les établissements comme ceux-ci, qui peuvent un jour devenir très considérables, on doit, je crois, songer non seulement à l’état présent dans lequel l’on se trouve, mais à celui où les choses peuvent parvenir. »

Si la situation pittoresque de la ville avait séduit l’illustre gouverneur dès le commencement de son premier séjour dans la Nouvelle-France, il en fut tout autrement de la résidence officielle qu’il devait habiter, — le château Saint-Louis, — qu’il trouva en fort mauvais état, et dont il se plaignit en toute occasion.

Les murs de l’enceinte du fort tombaient aussi en ruines. Le 2 novembre 1681, Frontenac écrit au marquis de Seignelay :

« Le mauvais état où j’ai mandé plusieurs fois qu’était l’enceinte des murailles du château de Québec, m’oblige, Monsieur, à vous supplier de considérer si vous ne jugerez pas à propos de faire quelque dépense pour les rétablir. Elles sont toutes à bas ; il n’y a plus de portes, ni de corps de garde, et c’est un lieu tout ouvert où l’on peut entrer de tous côtés. »

« Si vous aviez agréable de destiner quelques petits fonds pour cela toutes les années, la dépense en serait imperceptible, et ne laisserait pas dans la suite d’être fort utile, parce qu’on le mettrait en état de servir de retraite et d’asile en cas de besoin. »

« Vous savez beaucoup mieux que moi que, quand on ne songe pas à ces choses pendant qu’elles se peuvent faire en repos, on y trouve plus de difficultés dans un temps de troubles, de guerre. »

Deux ans après l’arrivée de Frontenac à Québec (1674), François-Marie Perrot, gouverneur de Montréal, et l’abbé François de Salignac Fénelon, frère de l’auteur de Télémaque, furent internés, le premier au fort Saint-Louis et le second à la résidence de la « brasserie, » par les ordres de l’impérieux gouverneur et du Conseil souverain. L’affaire se termina en France : M. Perrot reçut quelques jours de Bastille ;


plan du fort saint-louis de québec en 1683, par jean-baptiste
franquelin
A. Premier château. — B. Murs d’enceinte du 3ème fort, commencés en 1636, rasés en 1693.


l’abbé de Fénelon reçut instruction de ne pas retourner au Canada, et M. de Frontenac reçut un monitum signé de la main même de Louis XIV. (Lettre du roi à Frontenac, du 22 avril 1675.)

Antoine de la Fresnaye, sieur de Brucy, fut aussi interné au fort Saint-Louis cette même année, sous accusation d’avoir enfreint les règlements concernant le commerce des pelleteries.

On sait que Frontenac gouverna le Canada de 1672 à 1682, puis de 1689 à 1698. Dans l’intervalle compris entre ces deux périodes, le gouvernement de la Nouvelle-France fut confié à M. Le Febvre de la Barre, puis à Jacques-René de Brisay, marquis de Denonville, homme aussi bon que brave, mais qui fut peu habile, ou du moins peu heureux dans sa politique à l’égard des farouches et sanguinaires Iroquois.

M. de Denonville arriva à Québec le 1er  août 1685. Il était accompagné de sa femme, Catherine Courtin de Tanqueux, de ses deux enfants : Bénigne, âgée de quatorze ans, et Catherine-Louise-Marie, âgée de deux ans, et d’une amie de sa fille aînée, Élisabeth de Hallot d’Honville. Deux autres enfants de M. de Denonville (deux jeunes garçons) étaient restés en France[1].

Peu de temps après son arrivée à Québec, le 14 septembre 1685, madame de Denonville donna naissance à une fille, Marie-Anne, qui fut ondoyée le même jour par M. Henry de Bernières, curé de Québec. Les cérémonies du baptême lui furent suppléées, un mois plus tard, le 14 octobre, par Monseigneur Jean-Baptiste de la Croix de Saint-Vallier, nommé à l’évêché de Québec et qui devint le deuxième évêque de la Nouvelle-France. Les parrain et marraine furent Jean Merienne dit La Solaye et Claude de Laval, veuve de Louis Bonnedeau dit Chatellereau, « lesquels ont déclaré ne sçavoir escrire ny signer, de ce enquis suivant l’Ordonnance. » (Archives de la basilique Notre-Dame de Québec.)

On nous saura gré de transcrire ici quelques notes qui nous ont été obligeamment communiquées par M. l’abbé Hermeline, curé de Denonville, département de l’Eure-et-Loir, en France. Elles contiennent des renseignements absolument inédits sur la famille de Jacques-René de Brisay, dont pas moins de cinq membres ont habité le château Saint-Louis.

« Catherine Courtin, née vers 1646, était fille de Germain Courtin, seigneur de Tanqueux (près La Ferté-sur-Jouarre), de Beauval, Moncel et autres lieux, et de Catherine Laffemas. En novembre 1668, elle épousa Jacques-René de Brisay, seigneur de Denonville, qui devint gouverneur du Canada. »

« Le contrat fut passé le 29 novembre, en la maison de Dame Courtin, par-devant les notaires du Châtelet de Paris. »

« Elle avait alors deux frères : Germain Courtin, prêtre, conseiller du Roi en la Cour et Parlement de Normandie, et Isaac Courtin, écuyer, seigneur du Saulsay. »

« Sa dot fut de 60 000 livres Elle mit 12 000 livres en communauté. »

« Quand elle partit pour le Canada avec M. de Denonville, elle avait déjà eu huit enfants, dont quatre étaient morts en bas âge ; il lui restait encore deux garçons et deux filles. Elle emmena avec elle ses deux filles : Bénigne, âgée de 14 ans, et Catherine-Louise-Marie, qui avait à peine deux ans. »

« Tous quatre embarqués à La Rochelle le 7 juin, arrivèrent à Québec le premier d’août sans avoir été incommodés par le mal de mer ni d’autres maux. » C’est ainsi, du moins, que s’exprime une généalogie manuscrite faisant partie des archives du château de Denonville, mais M. le marquis, dans une lettre au Roi, dit que l’état où était la marquise avait rendu à celle-ci la traversée très pénible.

« Madame de Denonville n’était au Canada que depuis six semaines seulement quand elle mit au monde une fille qui fut baptisée aussitôt et nommée Anne-Marie. Le parrain et la marraine furent de pauvres gens. » (Archives du château.)

« Quand le duc de Saint-Simon, dans ses Mémoires, nous dit que M. de Denonville « ne fut heureux ni en femme ni en enfants, »[2] on comprend assez ce qu’il veut dire par rapport à ceux-ci, puisque, sur neuf enfants, quatre étaient morts jeunes, et que l’aîné put être accusé d’avoir, en 1704, par un sentiment exagéré d’humanité, forfait jusqu’à un certain point à l’honneur national en conseillant à une année française de se rendre à l’ennemi ; mais il est plus difficile de découvrir la cause des insinuations peu bienveillantes de Saint-Simon à l’égard de la marquise. Laissons à l’auteur des Mémoires la responsabilité de ce qu’il avance et que l’impartialité nous fait un devoir de signaler. La seule accusation que nous ayons trouvée contre elle porte sur un fait qui ne pouvait en rien contribuer au malheur du marquis ; bien au contraire. La voici, telle qu’elle est formulée par l’auteur d’un mémoire anonyme sur les événements du Canada, adressé, de ce pays, au Roi, le 30 octobre 1688, — mémoire qui, du reste, n’est tout entier qu’un réquisitoire violent contre le marquis de Denonville :

« Je ne veux pas tout dire ; mais j’ajouterai seulement un article sur lequel vous trouveriez peut-être étrange que je ne vous dise rien, savoir si Monsieur le Gouverneur fait quelque commerce. Je vous dirai que non ; mais que Madame la Gouvernante, qui est d’humeur à ne pas négliger l’occasion du profit, a fait, jusqu’à la fin de l’hiver dernier, tenir dans le Château de Québec une chambre, pour ne pas dire une boutique, pleine de marchandises, et trouvé moyen, après cela, de faire une loterie pour se défaire du rebut qui lui était resté, et qui lui a plus produit que sa bonne marchandise. » (Archives des colonies.)

« Quoi qu’il en soit de ces accusations, il est certain que si madame de Denonville paya son tribut à l’imperfection humaine, elle sut racheter ses défauts par des qualités estimables, et même les réparer par des actes méritoires de religion[3] ».

« Elle décéda en son château de Denonville, le 18 mai 1710, à l’âge de soixante-quatre ans, après avoir reçu les sacrements de Pénitence et d’Extrême-Onction, et, le lendemain, elle fut inhumée dans le caveau de la chapelle seigneuriale jointe à l’église. »

« Le marquis de Denonville, Jacques-René de Brisay, la suivit de près dans la tombe, à l’âge de soixante-douze ans, et fut inhumé près d’elle, le 24 septembre 1710. » (Registres paroissiaux.)

Revenons au fort Saint-Louis. L’année même de son arrivée à Québec, en 1685, M. de Denonville fit construire, en dehors de l’enceinte du fort, à peu de distance de la rue des Carrières, le « magasin des poudres » que l’on a démoli au printemps de 1892, c’est-à-dire deux cent sept ans plus tard. Dans une lettre datée du 20 août 1685, M. de Denonville déclare lui-même qu’il fait construire ce magasin sans autorisation, à cause de l’urgence et du grand danger qu’il y avait de garder de la poudre dans le mal nommé Château Saint-Louis, disait-il, construit en bois[4], tombant en ruines et exposé à être détruit par le feu d’un instant à l’autre.

Le magasin des poudres fut divisé en deux parties : l’une pour y mettre la poudre de la garnison du fort, l’autre pour y mettre la poudre appartenant aux habitants. Cette division existait encore au moment de la démolition du vieux bâtiment, en 1892.

Voici le texte même de la lettre écrite par M. de Denonville, le 20 août 1685, au sujet de cette construction :

« Toutes nos poudres sont dans une maison toute seule au delà de celle de M. de Meulle, dans le milieu d’un champ, à la mercy du premier garnement qui y voudra mettre le feu. Il y en a une petite partie dans ce Château mal nommé, où le feu peut y prendre très aisément. Je ne comprans pas comme on a pu aincy demeurer tranquil en cet estat. »

« J’ay ordonné une garde à cette maison où il faut que nous y metions encor les poudres que vous avés donné cette année, avec celles que nous avons et celles des Bourgeois qui ne pourroient demeurer dans leurs maisons sans un péril manifeste. »

« Je vous demande pardon. Monseigneur, de ce que je fais faire un magasin suivant le modèle que je vous envoye avant que de vous en avoir écrit et d’avoir reçu vostre consentement ; ce qui ne m’arrivera jamais à moins d’un péril aussy manifeste que celuy là. Il ne coustera au Roy pas beaucoup au delà de douze cents écus. M. l’Intendant en a fait faire le marché au rabais, suivant le devis que Villeneufve, l’ingénieur que vous m’avez donné, en a fait ; on tiendra la main à ce que la massonnerie soit bonne. Je croy que vous approuverez sa situation, que couvre en cet endroit le fort qui ne vaut rien du tout. Je l’aurais fait metre volontiers dans le fort pour épargner l’argent du Roy, si il y avait eu de la place suffisamment ».

« Vous voirés, Monseigneur, que je fais une séparation afin que les bourgeois puicent y mettre leurs poudres sans avoir aucune communication avec celles du Roy.

« En l’état où sont nos poudres, comme on (en) a peu, elles demeures dans le château en l’état où il est. Il y a cinq ans et plus qu’il n’a fermé ; il y a des portes qui ne se ferment pas, et plus pesantes que les gens et murailles ne les peuvent porter. Il n’y a pas une guéritte ny un lieu d’où on puisse tirer. Nostre magasin pas achevé, il y a encore un endroit où avec un bouchon de paille on peut mettre le feu au corps de logis. Il y faudra une muraille et condamner la petite porte. Je feray faire un petit devis de ce qui sera nécessaire et vous l’envoyerai par le dernier vaisseau. »

« On a fait beaucoup de dépense au logement qui fait peur par les alarmes que l’on doit avoir du feu qui s’y peut metre aisément, ce bastiment étant tout de bois qui est comme des allumettes. Je vairay ce qu’il y faudroit d’ardoise et vous rendray compte de la dépense qu’il faudroit pour en couvrir la maison. »

Lorsque, en 1693, le comte de Frontenac fit réédifier et agrandir le fort Saint-Louis, les nouveaux murs d’enceinte furent construits au delà du « magasin des poudres, » qui se trouva ainsi renfermé à l’intérieur du fort. Cela ressort de l’extrait suivant d’une lettre adressée par Frontenac et Champigny (le gouverneur et l’intendant) au ministre, le 4 novembre 1693 : « Pour l’enceinte du fort, elle avait été commencée… dès l’automne dernier, ayant jugé que c’était l’endroit où l’on devait plutôt employer les fonds ordinaires destinés pour les fortifications, non seulement pour mettre en sûreté le magasin des poudres, qui était en dehors de la dite enceinte et fort exposé, mais encore parce que toutes les murailles tombaient en ruine… »

Quelques semaines seulement avant de mourir, le 10 octobre 1698, Frontenac écrivit au ministre :

« Le sieur LeVasseur de Néré, ingénieur, me mande qu’il vous a présenté un plan des ouvrages qu’il juge très nécessaire de faire à Québec, et dont il y en a qui sont d’une indispensable nécessité, comme celui de la construction d’un magasin aux poudres dans un autre endroit que celui où il est, et de l’achèvement d’un puits dans la grande place de la haute-ville, à cause des inconvénients qui peuvent arriver par le feu, et la difficulté d’y trouver de l’eau pour l’éteindre. Mais nous attendrons sur cela le dit Sieur LeVasseur et les ordres que vous jugerez à propos de lui donner sur tous les ouvrages qu’il vous aura proposés. »

Une poudrière fut construite sur le sommet du cap Diamant, mais pas avant l’année 1727. Elle remplaça le « magasin des poudres » construit par M. de Denonville en 1685, et démoli en 1892 en même temps que le château Haldimand, moins vieux d’un siècle, qui lui était contigu.

Terminons ce chapitre en transcrivant le récit naïf et charmant d’une visite faite au château Saint-Louis par des religieuses ordinairement cloîtrées, des Ursulines, après l’incendie qui détruisit une deuxième fois leur monastère, au mois d’octobre 1686. Nous laissons la parole à l’annaliste ursuline de l’époque :

« Pendant notre séjour chez les charitables Mères Hospitalières, nous assistions à toutes leurs observances, disant l’office avec elles, les accompagnant à l’oraison, à la messe, au réfectoire et à la récréation ; nous allions aussi servir les pauvres ; le reste du jour nous nous tenions en notre département. Notre Mère sortait tous les jours pour aller, avec une compagne, visiter nos chères sœurs dans la petite maison de madame de la Peltrie, et pour hâter le rétablissement du Monastère. »

« Nos supérieurs ayant jugé qu’il était de convenance que notre Mère, accompagnée de plusieurs d’entre nous, fût rendre visite à M. et Mme de Denonville, cela fut exécuté le dimanche dans l’octave de la Toussaint. Mme Bourdon et Mme de Villeray vinrent à midi nous prendre en leurs voitures, pour nous mener au Château Saint-Louis, où M. et Mme la Marquise nous firent tout l’accueil possible, nous donnant tous les témoignages imaginables de bonté. Nous ne sortîmes du Château que sur les quatre à cinq heures du soir. Après avoir pris congé du Marquis et de sa famille, nous nous rendîmes à l’hôtel de M. l’Intendant, et comme Madame était au lit, on nous conduisit à sa chambre où nous fûmes comblées d’amitié. Mais il fallut bientôt partir, car il se faisait tard, et nous voulions aller donner le bonsoir à nos pauvres sœurs, qui étaient dans la petite maison de Madame notre Fondatrice. Enfin nous rentrâmes vers sept heures à l’Hôtel-Dieu, bien lasses d’avoir tant couru et voyagé. »



  1. Mademoiselle Bénigne de Brisay se fit religieuse carmélite, à Chartres quelques années après le retour de sa famille en France. Mademoiselle de Hallot d’Honville se fit religieuse hospitalière à Québec, sous le nom de sœur Saint-Joseph. On lit dans l’Histoire de l’Hôtel-Dieu, déjà citée :

    « Vers la fin de juillet de la même année, 1685, le vaisseau du Roy amena M. l’abbé de St-Valier, nommé à l’évêché de Québec, M. le marquis de Denonville en qualité de Gouverneur Général, nombre de soldats de recrue et plusieurs officiers d’un mérite distingué. La maladie s’était mise parmi eux, de sorte que, dès que le navire eut mouillé, on remplit de malades non seulement nos salles, mais notre église, nos greniers, nos engrais, poulaillers et tous les endroits de l’Hôpital où nous pûmes leur trouver place ; on dressa même des tentes dans la cour. Nous redoublâmes notre ferveur à les servir ; aussi avaient-ils grand besoin de nos soins ; des fièvres ardentes et pourprées, des délires terribles et beaucoup de scorbut ; il passa dans notre Hôtel-Dieu plus de trois cents malades ; la salle des femmes était pleine d’officiers de qualité.

    « Au commencement, il en mourut vingt ; on nous les apportait même à demi-morts : nous éprouvâmes pour les soulager plusieurs remèdes, dont le meilleur fut de les saigner à la tempe ; nous en sauvâmes par là un grand nombre, qui ne donnaient plus aucune espérance de guérison, et qui, dès le lendemain de la saignée, étaient gais à merveille ; nous les renvoyâmes guéris et fort reconnaissants de nos peines ».

    « Les fatigues extrêmes que nous eûmes firent tomber malades beaucoup de religieuses. Les prêtres et religieux qui avaient le plus assisté à l’Hôpital furent aussi frappés de cette maladie, et en guérirent par la saignée à la tempe. Ceux de tous ces malades à qui on n’osa pas faire ce remède, parce qu’on désirait beaucoup les conserver, et que l’on ne voulait rien risquer, moururent fort promptement. Nous nous cachions pour saigner aussi les autres ; nous les faisions porter dans la sacristie, afin de les sauver comme à la dérobée ; et nous eûmes la consolation d’en échapper tous ceux à qui nous fîmes ce remède ».

    « Monsieur le marquis de Denonville avait amené toute sa famille, et comme Madame la marquise avait pris en France le dessein de se mettre dans une communauté, pendant que Monsieur son époux ferait le voyage de Montréal, le Père Voutier, notre Procureur, qui l’était aussi des Ursulines, alla lui offrir à Paris nos deux maisons, pour qu’elle choisît celle qui lui plairait ; il nous écrivit ce qu’il avait fait : nous ne manquâmes pas de lui préparer chez nous un appartement le plus commode et le plus propre que nous eûmes, ce que firent aussi les Ursulines ; mais comme M. de Denonville ne monta pas cette année à Montréal, nos préparatifs furent inutiles ; Madame la Gouvernante nous en remercia ; elle nous donna de grandes marques d’affection, ne passant aucun jour sans venir dans l’Hôpital servir elle-même les malades et leur distribuer les douceurs qu’elle leur apportait. Sa charité nous édifia beaucoup, car elle s’exposait sans crainte au danger de gagner le mal contagieux. Malgré tout ce qu’on pouvait lui dire pour la retenir, elle continua cet exercice jusqu’à la fin sans être incommodée. »

  2. Ce mot est relevé assez vivement par l’annaliste des Ursulines de Québec, dans les lignes suivantes :

    « Le Marquis de Denonville, si peu heureux dans ses entreprises contre les Iroquois, fut rappelé à la cour de France, où le Roi, qui l’honorait de son estime, le fit sous-précepteur des enfants de France, fils du grand Dauphin : le duc de Bourgogne, le duc d’Anjou et le duc de Berry. (Ces jeunes princes eurent aussi pour précepteur le duc de Beauvilliers et Fénelon, plus tard archevêque de Cambrai.) »

    « Il paraît bien qu’il (le marquis de Denonville) sut conserver, dans cette haute position, la rare piété qui faisait pour ainsi dire le fond de son caractère, puisque le duc de Saint-Simon, le censeur le plus rigide de la cour, accorde au Marquis de Denonville le tribut suivant : « Denonville mourut aussi (en 1710), brave et vertueux gentilhomme qui avait été gouverneur-général du Canada où il avait très bien servi. » Mais il est plaisant de voir comme ce janséniste poudré et parfumé termine l’éloge de notre ancien bienfaiteur. « À la cour, dit Saint-Simon, rien de si plat. Il ne fut heureux ni en femme ni en enfants. » Aux yeux malins du duc, le bon marquis était « plat » sans doute parce qu’il tenait à la foi orthodoxe ; et la marquise ainsi que sa fille, pour la même raison, ne méritaient pas de compliments plus flatteurs : cela explique tout. »

  3. Après l’incendie du monastère des Ursulines de Québec, le 20 octobre 1686, madame de Denonville voulut bien prendre la peine de faire une quête par la ville pour les dévouées religieuses si cruellement éprouvées, « allant elle-même de porte en porte, dit l’annaliste des Ursulines, et se faisant un plaisir de nous apporter journellement les offrandes qu’elle avait ainsi recueillies. » Le gouverneur et sa femme avaient d’abord fait eux-mêmes une première offrande de mille livres.

    E. G.

  4. La charpente, les planchers, les portes et les châssis du premier château étaient en bois ; le reste était en maçonnerie. Les murs extérieurs étaient peut-être lambrissés en bois.