L’esclavage en Afrique/Texte entier

Texte établi par Letouzey et Ané, Letouzey et Ané (p. v-518).

AVANT-PROPOS

« Evêque chargé, par le Saint-Siège, d’évangéliser des contrées immenses où l’esclavage règne en maître, je le dénonce en face des saints autels, avec la liberté de mon ministère, et au nom de la justice, au nom de ma foi, au nom démon Dieu, je lui voue une guerre sans merci et je le déclare anathème ! »
— Paroles de Son Eminence le Cardinal Lavigerie, Arch. d’Alger et de Carthage, Primat d’Afrique.


Nous aurions voulu offrir la dédicace de cet ouvrage à Sa Sainteté le Pape Léon XIII, à Sa Majesté Léopold II, roi des Belges et Souverain de l’Etat Indépendant du Congo, à Son Eminence le Cardinal Lavigerie, Archevêque d’Alger et de Carthage, Primat d’Afrique, qui s’efforcent, avec une constante et si louable opiniâtreté, de réprimer la traite de l’homme : « Mercatura quæ nec inhonesta magis nec scelerata[1].

L’inscription des noms des trois illustres et immortels promoteurs de la campagne anti-esclavagiste s’imposait, en toutes autres circonstances, sur le fronton d’un monument y si modeste qu’il soit, élevé en haine de l’Esclavage ; mais, sur la partie du livre purement destinée à révéler au monde civilisé, dans leur nudité parfois trop réaliste et leur vérité souvent brutale, les horreurs qui déshonorent et ensanglantent encore l’Afrique, se sont greffées, subsidiairement, des questions de politique internationale, engendrées par l’examen attentif des récents traités consentis entre certaines puissances européennes ou imposés par les plus forts aux plus faibles, car « la force prime aussi le droit » sur notre continent !

Enfin, nous avons formulé les critiques, émis les opinions que nous suggéraient nos principes catholiques et nos sentiments français.

Il nous a fallu, dès lors, pour ménager toute susceptibilité et conserver notre entière indépendance d’auteur militant, renoncer, avec un amer regretta la dédicace projetée,

Nous prenons, toutefois, la bien respectueuse liberté de prier ces augustes personnes d’agréer l’expression de profonde admiration avec laquelle nous sommes,

De Leurs Sainteté, Majesté et Éminence.

 le très humble et très obéissant serviteur.


PROLÉGOMÈNES

« Aussi longtemps que la traite des Nègres donnera un développement fructueux à cet abominable esclavage, qui existe probablement depuis l’origine même des populations en Afrique, il n’y aura rien à espérer pour cette région si belle où l’homme seul fait son propre malheur. L’esclavage dessèche tous les germes de la civilisation : la pitié, l’amour, l’esprit de famille, l’esprit d’enrichissement par le travail et par le légitime commerce. »
Sir Samuel Withe Baker. (Voyage à l’Albert N’yanza ou lac Albert.)


L’esclavage subsiste encore, excepté en Algérie, dans toute l’immense étendue de l’Afrique Septentrionale, Centrale et Équatoriale ! Il règne toujours au Marok, et la triste expérience du passé ne permet guère, hélas ! d’avoir une grande confiance dans l’efficacité pratique des mesures adoptées récemment par la Sublime-Porte et Ali-Bey, possesseur du royaume de Tunis. Les intentions de ces princes sont des plus louables, mais seront-elles bien respectées ?

Le 22 Rabi el Akker 1307 (16 décembre 1889), le sultan Abd-Ul-Hamid II a, en effet, signé un iradé supprimant, sur le territoire ottoman, le trafic des esclaves, interdisant la mutilation des enfants, opérée au mépris du Koran, comme on le verra plus loin, pour transformer ces infortunés en eunuques, etc. ; permettant simultanément aux croiseurs Anglais et Turcs de visiter les navires de leurs nations, suspects de se livrer au transport des esclaves.

Cet iradé aurait pour principale conséquence de fermer deux grands marchés de chair humaine, celui de la Tripolitaine et celui des côtés d’Arabie[2].

L’auteur de la correspondance d’Orient à la Revue Britannique donne des détails curieux sur le recrutement actuel des harems turcs, Puisque nous avons parlé de l’iradé il nous parait juste de reproduire une partie de l’article,

« Le gouvernement ottoman, dit-il d’abord, vient de prohiber la vente des noirs et la fabrication des eunuques au-dessus de l’âge de neuf ans. C’est un progrès sensible dans un pays où l’esclavage est réellement l’unique base de la famille.

« Quant à la population des grands harems elle se recrute parmi les esclaves achetées toutes jeunes, de sept à dix ans au plus. Ces grands harems sont la propriété de femmes, vraies maisons d’éducation d’où sortent les sujets qui sont répartis dans les harems privés.

« Leur éducation est soignée en raison de leurs aptitudes ; les laides sont élevées pour être servantes ; on apprend aux jolies tous les talents d’agrément et d’utilité, sans oublier le français ni le piano.

« Les filles du Sultan sont de très bonnes musiciennes.

« Ces esclaves sont bien traitées ; c’est l’intérêt de la Hanoum qui dirige ces sortes d’établissements, dont elle est propriétaire. Elle ne vend pas les jeunes sujets, elle les place au mieux de ses intérêts et des leurs dans tous les harems, depuis celui du Sultan jusqu’à ceux des fils de famille, auxquels leur mère donne une esclave le jour de leur fête.

« On sait d’où viennent les noires, mais d’où viennent les blanches depuis que la Russie s’est emparée successivement des pays qui pouvaient les fournir ?

« Aujourd’hui, parmi les États avec lesquels confine l’Empire Ottoman, il n’en est qu’un où l’esclavage ne soit pas aboli, c’est la Perse. Il peut venir, par cette voie, quelques fillettes du Turkestan et de l’Afghanistan, je n’ai jamais entendu dire qu’elles fussent très recherchées, ni très communes.

« On prétend que les Circassiens réfugiés dans l’Empire Ottoman continuent à vendre leurs enfants ; mais ce qu’ils avaient de mieux jadis étaient les enfants qu’ils volaient aux Russes. Leurs nobles n’ont jamais vendu les leurs, et ce que j’ai vu de leurs enfants de basse classe ne peut pas fournir des sujets de première qualité. Il y a donc tout lieu de croire que les marchés d’esclaves de Top-Hané se recrutent avec des enfants achetés ou volés en Europe, particulièrement dans les provinces roumaines de Hongrie, si bien qu’il y a quelques années, le parlement Hongrois en avait pris l’alarme. Il paraît que ce sont surtout les Zingari, connus pour être des voleurs d’enfants, qui se livrent à ce commerce, soit en vendant les leurs, soit, plus souvent, ceux des autres.

« Depuis longtemps, il n’y a plus de marché public. Ce sont de vieilles femmes qui amènent les enfants de très loin et les livrent aux chalands, dans certaines maisons particulières, dont les portes ne s’ouvrent qu’à bon escient.

« Un dernier détail : les esclaves du palais impérial sont réformées à l’âge de vingt-cinq ans, « quand elles n’ont pas été remarquées du maître. Il les marie alors à quelqu’un de ses employés, qui les accepte les yeux fermés et, paraît-il, ne s’en trouve pas plus mal. »

Ce que l’auteur de cette correspondance semble ne pas savoir, c’est que ces femmes venues de partout et choisies principalement pour leurs dehors, n’ont d’instinct que pour la volupté, ne sont dressées que pour satisfaire tous les goûts de l’homme dont elles sont destinées à être tout ensemble l’esclave et la maîtresse.

Elles sont recrutées dans tous les pays et à prix d’argent par des émissaires qui s’attachent spécialement à la forme plastique et à la beauté matérielle. On en cueille en Allemagne, en Belgique, en Suisse, peut-être même en France ? Les feuilles anglaises retentissaient naguère d’une tentative de rapt faite par deux émissaires ottomans, qui étaient parvenus à force de promesses alléchantes, de mirages mensongers, à entraîner une jeune et séduisante Londonnienne sur le quai d’embarquement. Ils allaient la faire monter sur un navire en partance pour Constantinople et la pauvre fille se croyait déjà pour le moins sultane Valideh, lorsque son frère, dont l’imagination était plus calme, vint tout à coup se ruer sur eux et, le revolver au point, leur arracha cette proie avant qu’ils eussent pu se reconnaître.

Nous n’avons pas à nous occuper aujourd’hui de la traite des blanches et nous continuons de suite notre étude sur l’Esclavage en Afrique, après avoir cependant cité cet aphorisme turc :

« Prends une blanche pour les yeux, mais pour le plaisir une Égyptienne. »

Voici enfin l’idéal de la beauté féminine chez les Turcs : « Son visage est comme la pleine lune, ses hanches sont comme des coussins (Blanche elle est belle ; grasse elle est admirable). »

Il y a quelques mois, le journal Paris publiait un avis de Djeddah (ville d’Arabie, sur les bords de la mer Rouge, servant de port à la Mekke), disant que les marchands d’hommes affluaient dans ces parages pour vendre leur marchandise humaine aux nombreux pèlerins venant visiter, à cette époque, les Saints-Lieux de l’Islam. (La Mekke, lieu de naissance de Mohammed et dont le temple renferme la célèbre Kaaba, sanctuaire bâti sur l’emplacement de celui que construisirent Abraham et Ismaël, ainsi que le puits miraculeux de Zemzem, révélé par l’archange Gabriel à Hagiar, afin d’étancher la soif de son fils ; Médine, ou la ville du Prophète, où se trouve le tombeau de l’apôtre des musulmans).

En présence des affirmations du marquis de Salisbury, au Parlement britannique, que Souakim n’avait pas été abandonné par l’Egypte, comme le reste du Soudan, afin d’empêcher la traite des esclaves qui autrefois étaient embarqués sur cette partie de la côte dans des Sambouks et vendus en Arabie, en présence de cette déclaration du noble lord, le correspondant de Djeddah s’étonnait de ce qu’il voyait se passer sous ses yeux et se demandait d’où venaient ces esclaves ? Où avait-on pu les embarquer ? D’où arrivaient ces Sambouks arabes chargés, de bois d’ébène, abordant tous les jours dans de nombreuses criques du sud, après avoir trompé la surveillance des croiseurs anglais ?

Il allait même, jusqu’à indiquer les endroits les plus fréquentés par ces Sambouks, c’est-à-dire Zaran, Oundana, Ghita, etc.

La réponse est bien simple, écrivait M. H. d’Estrées, dans le même journal.

« Ce n’est pas la conservation de Souakim au pouvoir de l’Egypte, si pompeusement annoncée par lord Salisbury au Parlement britannique, qui peut suffire à empêcher la traite de l’Afrique. Il aurait fallu ne pas sacrifier un pouce du territoire du Soudan égyptien. »

Ajoutons, il n’aurait pas fallu abandonner à Kartoum, et livrer ainsi au Madhi, Gordon Pacha, le digne successeur et continuateur de sir Samuel White Baker pour la répression de l’esclavage et de la traite, dans les régions du Haut-Nil.

Un Livre bleu qui a paru en Angleterre, il y quoique temps, contenait la correspondance échangée entre l’Amirauté et les commandants de stations navales concernant cette grave question de la traite des noirs. Les notes les plus intéressantes y étaient transmises par M. Hunter, secrétaire politique adjoint à Aden.

Il mandait que des esclaves étaient envoyés on grand nombre aux ports de Lomali et de Denakie ; c’étaient des Gallas musulmans, des chrétiens nommés Guraquis et des Gallas de diverses tribus.

Les esclaves mâles, ajoutait M. Hunter, étaient divisés en quatre classes, dont le prix variait depuis 50 francs jusqu’à 6,250 ! Les femmes, partagées en trois classes, se vendaient depuis 1,250 francs jusqu’à 4,500. Les deux sexes sont plus beaux et d’une couleur moins foncée que les Africains des côtes.

Trois mille esclaves environ étaient embarqués en dehors du détroit de Bab-El-Mandeb[3], c’est-à-dire en dehors de la mer Rouge, et à peu près deux mille cinq cents entre Périm et Amphilla. Sur ce nombre quarante pour cent étaient de jeunes garçons, quarante pour cent de jeunes filles, dix pour cent des femmes, huit pour cent des hommes et deux pour cent des eunuques.

La chasse à l’homme continue toujours, surtout depuis la perte du Soudan Égyptien, et les esclaves débarqués, aujourd’hui encore, dans les petites baies de la côte, aux environs de Djeddah, viennent probablement des ports de Mascate et de Quiloa, dont les expéditions bravent les efforts des croisières anglaises, depuis que les traités interdisent l’exportation des esclaves par Zanzibar[4].

C’est un petit déplacement qui gène peu ces ignobles trafiquants, et il est bien difficile, sinon impossible, de surveiller toutes les rives d’un continent aussi considérable que l’Afrique.

En Tunisie, malgré le Protectorat de la France, l’esclavage, pour être clandestin, n’en existe toujours pas moins.

« L’homme, la femme, l’enfant, achetés et revendus comme vil bétail, sous le couvert du drapeau français, n’est-ce pas révoltant ?

« Nous fermons aussi les yeux sur l’importation des eunuques, et il ne m’est pas démontré qu’on n’en confectionne pas sur place, au fond des sérails tunisiens. C’est le luxe de toute polygamie bien comprise.

« Du moins en Algérie, nous n’avons que les inconvénients inhérents aux mœurs matrimoniales ; mais à Tunis, l’esclavage et la polygamie vont de front et le drapeau qui flotte au grand mât de la Résidence française sert de pavillon, pour couvrir cette marchandise de chair humaine, que d’infâmes forbans amènent du fond des déserts africains[5]. »

Déjà, en 1881, M. Duveyrier disait dans son ouvrage sur la Tunisie :

« Bien que la vente des esclaves ait été interdite depuis longtemps, et que les marchés aux esclaves soient fermés, l’esclavage continue à exister et la traite des hommes, mais surtout la traite des femmes, se fait en Tunisie, nous en avons des preuves irrécusables. »

De l’année 1883 au mois de mai 1890, les journaux tunisiens, algériens et français, signalèrent plusieurs actes de cruauté atroce, aussi Ali-Bey a-t-il enfin du être averti et vient-il de confirmer les interdictions portées par ses prédécesseurs.

Nous souhaitons sincèrement, mais, ainsi que nous le disions en commençant, nous n’osons espérer que ce dernier amra-bey, dont nous publions le texte plus loin, ne reste point lettre-morte comme la plupart des dispositions antérieurs ou décrets d’Ahmed (1846-1849) et l’article 37 du traité intervenu, en 1875, entre le Bey Mohammed-Saddock, prédécesseur immédiat d’Ali, et le gouvernement de la Reine Victoria.

« L’Afrique, écrivait Verney-Hovett Cameron, perd son sang par tous les pores. Un pays fertile qui ne demande que du travail pour devenir l’un des plus grands producteurs du monde, voit ses habitants, déjà trop rares, décimés journellement par la traite de l’homme et les guerres intestines[6]. »

« Tant que l’Islam ira encourager la polygarnie et l’esclavage, disait Mage, l’Afrique sera une terre déshonorée[7]. »

« La France, qui règne en Algérie, en Tunisie, au Sénégal, route du Niger ; à l’Ogôoué, route du Congo, la France a parmi ses plus pressants devoirs de contribuer, plus que toute autre nation, à la suppression de l’esclavage, disait Largeau, après son voyage dans le Sahara Algérien et les déserts de l’Erg. Qu’elle n’hésite pas à s’y consacrer en pénétrant dans le Soudan, de la Méditerranée par le Transsaharien ; de Saint-Louis par le Sénégal, et du Gabon par le fleuve Ogôoué ; mais avant tout de la Méditerranée ; c’est de là seulement que nous pouvons dominer le pays des Noirs. »

La France, dans l’auguste personne du cardinal Lavigerie, archevêque d’Alger et de Carthage, primat d’Afrique, a commencé, sur l’ordre de Sa Sainteté le Pape Léon XIII, et continuera sans relâche l’œuvre qu’elle est digne de voir s’ajouter plus tard aux immortels Gesta Dei per Francos.

Sous de pareils auspices, le succès de la croisade du XIXe siècle, de la croisade anti-esclavagiste, ne peut être révoqué en doute, et nous avons l’intime et patriotique conviction que la prophétie de l’Italien Vezetelli ne se réalisera pas.

« Je crois, osait dire à un reporter du Gaulois, au mois de janvier 1890, cet explorateur chargé précédemment de ravitailler Stanley parti à la recherche d’Emin-Pacha ; je crois que les Anglais, les Allemands et après eux, bien après eux, les Portugais civiliseront l’Afrique. Je mets les Portugais au troisième rang ; car, si les Anglais et les Allemands sont les ennemis de l’esclavage, on est obligé de convenir que les Portugais sont de simples marchands d’esclaves. »

Déjà notre gouverneur d’Obock, M. Lagarde, a obtenu du sultan de Tadjourah la signature d’un traité portant suppression de l’esclavage dans tout le territoire où s’étend son action[8].

Ce traité, conclu au moment où la Conférence de Bruxelles commençait ses travaux et recherchait les moyens efficaces de réprimer la traite en Afrique, était une réponse topique aux malveillantes insinuations de certaines puissances qui représentaient alors la France comme un obstacle à l’œuvre humanitaire et surtout chrétienne de la Conférence internationale.

« Nulle part au monde le meurtre, le rapt, la vente de l’homme, dit Schweinfurth, n’ont plus fréquemment lieu qu’en Afrique[9]. » Nous tenons à rétablir ici, à l’aide de documents puisés aux meilleures sources et que nous avons soigneusement compulsés pour les mieux condenser, afin de produire, par un travail modeste mais impartial et consciencieux, la preuve évidente du mal, comme aussi de démontrer, dans la mesure de nos moyens, la nécessité rigoureuse de la juste répression à exercer.

Le nombre des victimes de la traite peut être évalué annuellement par centaines de mille !

« Dans l’intérieur de l’Afrique, dit Serpa Pinto, l’esclavage est une matière de troc[10]. »

Ajoutons, avec le vice-amiral Fleuriot de Langle : « La femme est une monnaie fiduciaire : le commerce, en Afrique, serait impossible sans femmes. Si l’on fait des avances, les femmes servent de garantie ; tout risque commercial a pour caution une femme. S’il arrive un moment où la liquidation est difficile, la femme reste prisonnière[11]. »

De son côté, de Brazza corrobore cette assertion :

« Il est assez délicat de parler des mœurs des Bakalais, ou plutôt de leur absence de mœurs. Le mari s’empresse, dès qu’il le peut, de battre monnaie avec sa femme, et les agents des factoreries rendent malheureusement fructueux un tel trafic. La condition des femmes est beaucoup plus dure chez les Bakalais que chez les Inengas et les Galois ; dans les expéditions, où l’homme ne porte point de charge, tous les fardeaux sont distribués aux femmes et aux esclaves. Les femmes doivent marcher souvent en portant une charge de trente à quarante kilogrammes.

« On comprend qu’elles aiment mieux qu’on les laisse en gage, ce qui arrive quand leurs maris sont courts de marchandises d’échange. Ces derniers repartent et restent absents jusqu’au moment où ils ont renouvelé leurs provisions européennes près des traitants ; les femmes-gages sont alors recherchées et reprises par leurs seigneurs et maîtres. Elles ne se plaignent généralement point de ce séjour étranger ; elles sont relativement bien traitées par leurs dépositaires, d’autant plus qu’elles acceptent les galanteries fréquentes et autorisées des hommes du nouveau village. Elles fournissent ainsi en nature l’intérêt des valeurs prêtées à leurs maris[12]. »

Comme on le voit, la luxure et la polygamie ne sont pas seules les causes de l’esclavage. Dans certaines régions de l’Afrique, l’homme le plus considéré est celui qui possède le plus grand nombre de femmes. Et puis, ailleurs, on a besoin d’esclaves, de femmes, de jeunes filles surtout, pour les funérailles sanglantes, pour les sacrifices expiatoires, pour les hécatombes traditionnelles ! comme on a besoin d’esclaves pour le transport des marchandises et le paiement de l’ivoire.

« Sans doute, dit Samuel White Baker, l’Afrique Centrale est une admirable contrée ; mais elle ne connaît que deux articles d’exportation : l’esclave et l’ivoire[13] ! »

« C’est l’ivoire, conclut aussi Schweinfurth, qui maintient la traite et le pillage[14]. »

L’ivoire ! Ah si nos Européennes, qui aiment tant en avoir, en faire orner mille objets futiles, pouvaient savoir combien de larmes, de sang il a fait et fera encore couler ! Proscrire l’usage et la mode de l’ivoire dans les pays civilisés ce serait porter un coup vraiment fatal à l’esclavage.

Veut-on connaître l’opinion de Stanley sur les marchands d’ivoire ? Que l’on ouvre son dernier ouvrage : « Dans les ténèbres de l’Afrique[15] » et lise le passage consacré à ces gens-là :

« Nous savons quels ont été les agissements d’Ougarrououé et ce qu’il met toute sa vigueur d’esprit à accomplir encore. Nous connaissons les hauts faits des Arabes autour des chutes de Stanley et sur la Loumanii ; quelle œuvre diabolique poursuivent Moumi Mouhala et Bouana Mohammed, dans la région du lac Ozo, la source du Louloua. En traçant au compas, autour de ces divers centres, de vastes circonférences renfermant des surfaces de 100 à 150,000 kilomètres carrés, on pourrait se faire une idée des domaines que se sont attribués une demi-douzaine d’hommes résolus, aidés de quelques centaines de bandits ; ils se partagent ainsi près des trois quarts de l’immense foret du Congo supérieur, n’ayant d’autre but que de s’approprier, par le fer et le feu, quelques centaines de défenses d’éléphants. Lors de notre arrivée à Ippto, les chefs manyouema Ismaïl, Khamissi et Sangarameni, trois beaux et vigoureux gaillards, garantissaient, vis-à-vis de leur maître Kilonga Longa, la bravoure de leurs hommes et les opérations à eux confiées. Alternativement, chacun quittait Ipoto pour se rendre dans son sous-district. Ismaïlia était préposé à la surveillance de toutes les routes qui conduisent d’Ipoto à Ibouiri et se dirigent de l’est vers l’Itouri ; Khamissi inspectait les rives de l’Ibouiroi et les régions orientales jusqu’à l’Ibouiri et Sangarameni, toute la partie orientale et occidentale comprise entre l’Ibina et l’Ihourou, affluents de l’Itouri. Ils avaient en tout 150 combattants, dont 90 seulement armés de fusils. Kilonga Longa était encore à Kinnena et on ne ratiendait pas de trois mois.

« Les combattants, sous les ordres des trois chefs, étaient des jeunes gens enlevés aux tribus Bakoussou et Balegga, puis formés au brigandage par les Manyouema tout comme ceux-ci l’avaient été, en 1876, par les Arabes et les Ouassouhili de la côte orientale. L’accroissement prodigieux du nombre des bandits dans le bassin du Congo supérieur résulte de la tactique des traitants musulmans : ils tuent les aborigènes adultes et ne conservent que les enfants. On envoie les filles aux harems arabes, souahili et manyouema ; les garçons apprennent à porter les armes et à s’en servir. Devenus grands et forts, ils épousent quelque servante du harem, et s’associent à leur tour aux sanglantes aventures du maître. Un certain nombre des quotités du butin reviennent de droit au grand commerçant Tippou Tib, par exemple, ou à Saïd-Ben-Abed ; les autres appartiennent aux chefs d’abord, et ensuite à leurs guerriers. En général, les plus gros morceaux d’ivoire, pesant plus de 16 kilogrammes, vont de droit au traitant : ceux de 9 à 16 kilogrammes sont attribués aux chefs ; les simples bandits peuvent garder les parcelles, les débris, les défenses des petits éléphants, s’ils ont la chance d’en trouver. Aussi chacun des membres de l’association apporte-t-il tous ses efforts à la réussite de l’entreprise. Le grand chef leur fournit les armes, les forme à la discipline, mais reste chez lui, sur le Congo ou Loualaba, à se gorger de riz et de pilau, à s’abandonner aux excès du harem. Stimulés par la cupidité, ses lieutenants deviennent féroces et excitent leurs bandits à se ruer sur les enfants, le bétail, les vivres, les poules et l’ivoire.

« Rien de tout cela ne serait possible si on ne les fournissait pas de poudre. Ils n’oseraient s’aventurer à un kilomètre de leurs stations. Si l’on pouvait en interdire l’entrée en Afrique, la retraite de tous les Arabes vers la mer serait immédiate et générale. Les chefs indigènes auraient bien vite fait de les repousser à la côte si les traitants n’avaient comme eux d’autres armes que les lances et les flèches. Que pourraient Tippou-Tib, Abed-Ben-Sélim, Ougarrououé et Kilonga Longa contre les Bassongora et les Bakoussou, s’ils n’avaient la poudre pour alliée ? Comment les Arabes d’Oudjidji résisteraient-ils aux Ouadjidji et aux Ouaroundi, et comment ceux de l’Ounyanyembé se maintiendraient-ils dans le voisinage des archers et des lanciers de l’Ounyamouezi ?

« Un seul moyen existe d’empêcher l’extermination complète des aborigènes Africains. L’Angleterre, l’Allemagne, la France et le Portugal, et les États de l’Afrique Méridionale, ceux de l’Afrique Orientale et l’État du Congo, devraient s’entendre et prohiber formellement l’entrée de la poudre dans toutes les parties de ce continent, sauf pour l’usage de leurs agents, soldats et employés. En outre, ils devraient se saisir de tout l’ivoire qu’on apporte aux factoreries, car il ne s’en trouve pas aujourd’hui un seul morceau qui soit légitimement acquis. Chaque défense, chaque débris, la moindre parcelle d’ivoire, en possession d’un trafiquant arabe est teinte de sang humain, un demi-kilogramme d’ivoire a coûté la vie à un homme, à une femme ou à un enfant ; pour moins de 3 kilogrammes on a brûlé une case ; pour 2 défenses, un hameau tout entier a été détruit ; pour 20 tout un district, avec ses habitants, ses villages et ses plantations. Et parce que l’on utilise l’ivoire pour fabriquer des objets de luxe et des boules de billard, faut-il transformer le cœur de l’Afrique en un immense désert et exterminer des populations, des tribus, des nations entières, et cela à la fin d’un siècle signalé par tant de progrès ? Et ce trafic de l’ivoire, qui enrichit-il, s’il vous plaît ? Quelques douzaines de métis arabes et nègres qui, si justice leur était rendue, iraient passer au bagne le reste de leur vie de pirates ! »

Nous sommes absolument d’accord sur ce point avec Stanley.

L’un des moyens de répression, préconisé par Mgr Lavigerie et pratiqué déjà par ses soins, dans la mesure de ce qui lui est actuellement possible, consiste en une sorte de cordon sanitaire dont les soldats empêchent les négriers de pénétrer à l’intérieur de l’Afrique, au sein des régions fréquentées, jusqu’à ce jour par les traitants, ou de gagner l’extérieur avec leur proie.

Le grand Cardinal est ainsi en communauté d’idées avec Cameron, lequel a déclaré le premier avoir acquis la conviction qu’à moins de l’attaquer à sa source même, tous les efforts tentés pour détruire l’horrible mal n’aboutiraient qu’à le pallier faiblement. Largeau a dit également : « Il faut atteindre l’esclavage au cœur même de l’Afrique. Le roi des Belges[16] l’a compris quand il a fondé l’Association Européenne pour l’abolition de la traite, dont les agents, après avoir remonté le Congo, se fixeraient sur la rive occidentale du lac Tanganyika. On s’y est mal pris, jusqu’à ce jour, pour empocher la traite des nègres. Ce n’est pas par les branches qu’on attaque un arbre qu’on veut détruire, mais par les racines. Or, commencer par les côtes pour empêcher la traite, c’est attaquer les branches. Il faut la poursuivre dans le Soudan même, dans ce grand pays que les indigènes appellent Takrour, et les Arabes Sahariens Berr-El-Abiad, Terre des Esclaves ou Blad-Es-Soudan, pays des Noirs[17]. »

C’est aussi l’avis de M. Zachrissen, président de la Société anti-esclavagiste Suédoise, qui est sur le point d’entreprendre une expédition dans l’Afrique Centrale.

Cette expédition se dirigera de Mozambique vers le nord-est du lac Tanganyika, dans la direction de l’Oudjidji et de là vers le lac Victoria Nyansa. Son but est d’établir entre ces deux lacs plusieurs stations pour empêcher la traite des esclaves dans ces régions.

M. Zachrissen sera accompagné d’une centaine d’ouvriers suédois, et il compte engager à Mozambique une troupe de quinze cents indigènes armés, pour mener à bonne fin son expédition.

Le gouvernement Suédois ne donne à M. Zachrissen aucune subvention ; les frais de l’expédition, estimés à 500,000 marks, sont couverts à moitié par des souscriptions faites en Suède, en Belgique et aux Etats-Unis d’Amérique.

Comme dans la suite de notre ouvrage il sera souvent parlé de l’Islamisme et du Koran, nous avons cherché dans ce fameux recueil tout ce qui, de prés ou de loin, se rapportait à l’esclavage, et voici le résultat de nos investigations.

Soura II (Begra, la Vache), Aïa 173 : « O Croyants ! la peine du talion vous est prescrite pour le meurtre… un esclave pour un esclave. » — Aïa 220 : « N’épousez point les femmes des idolâtres tant qu’elles n’auront pas cru. Une esclave croyante vaut mieux qu’une femme libre idolâtre, quand même celle-ci vous plairait davantage… Un esclave croyant vaut mieux qu’un incrédule libre, quand même il vous conviendrait davantage. »

Soura IV (Nsa, les Femmes), Aïa 3 : « Si vous craignez de n’être pas équitable envers les orphelins, n’épousez parmi les femmes qui vous plaisent, que deux, trois ou quatre. Si vous craignez encore d’être injuste, bornez-vous à une seule ou à une esclave. » — Aïa 28 : « 11 vous est défendu d’épouser des femmes mariées, excepté celles qui seraient tombées entre vos mains comme esclaves : c’est la loi d’Allah à votre égard. » — Aïa 29 : « Celui qui ne sera pas assez riche pour épouser des femmes croyantes de condition libre[18], prendra des esclaves croyantes… Vous venez tous les uns des autres[19]. N’épousez les esclaves qu’avec la permission de leurs maîtres. Dotez-les équitablement. Qu’elles soient chastes, qu’elles évitent la débauche et qu’elles n’aient point d’amants. » — Aïa 30 : « Si après le mariage elles commettent l’adultère, qu’on leur inflige la moitié de la peine prononcée contre les femmes libres. » — Aïa 94 : « Pourquoi un croyant tuerait-il un autre croyant ? Si ce n’est involontairement ! Celui qui en tuera un involontairement sera tenu d’affranchir un esclave croyant et de payer à la famille du mort le prix du sang fixé par la loi[20]… Pour la mort d’un croyant d’une nation ennemie, on donnera la liberté à un esclave croyant. Pour la mort d’un individu d’une nation alliée, on affranchira un esclave croyant… Celui qui ne trouvera pas d’esclave à racheter jeûnera deux mois de suite[21]. » — Aïa : 117 « …Ils invoquent Cheitan le Lapidé[22]. » — Aïa 118 : « Que la malédiction d’Allah soit sur lui. Cheitan a dit : « Je m’emparerai d’une certaine partie de tes serviteurs ; je les égarerai, leur inspirerai de mauvais désirs ; leur ordonnerai de couper les oreilles de quelques animaux[23], d’altérer la « création d’Allah[24]. »

Soura XXIII (El Mouminin, les Croyants), Aïa 1 : « Heureux sont les croyants… » — Aïa 6 : « Qui bornent leurs jouissances à leurs femmes légitimes et aux esclaves que leur a procurées leur main droite[25]. »

Soura XXIV (Ed D’aou ou En Noûr, la Lumière), Aïa 31 : « Commande aux femmes croyantes de baisser leurs yeux et d’observer la continence, de ne laisser voir de leurs ornements que ce qui est à l’extérieur[26], de couvrir leurs seins d’un voile, de ne faire voir leurs visages[27] ou leurs ornements qu’à leurs maris ou à leurs pères ou à leurs beaux-pères, à leurs fils ou à leurs beaux-fils, à leurs frères ou aux fils de leurs frères, aux fils de leurs sœurs ou aux femmes de ceux-ci, ou à leurs esclaves ou aux domestiques mâles qui n’ont pas besoin de femmes ou aux enfants qui ne distinguent pas encore une femme d’un homme. Que les femmes n’agitent point les pieds de manière à faire voir leurs ornements et des charmes qui doivent rester cachés… » — Aïa 33 : « Si quelqu’un de vos esclaves vous demande son affranchissement par écrit, donnez-le lui si vous l’en jugez digne[28]. Donnez-leur quelque peu de ces biens que Dieu vous a accordés. Ne forcez point vos esclaves ou vos servantes à se prostituer pour vous procurer des biens passagers de ce monde, si elles désirent garder leur pudicité[29]. Si quelqu’un les y forçait, Allah leur pardonnerait à cause de la contrainte ; il est indulgent et compatissant. » — Aïa 57 : « croyants ! que vos esclaves… avant de pénétrer auprès de vous, vous en demandent l’autorisation et cela trois fois par jour : avant la prière de l’aurore ; lorsque vous quittez vos vêtements à midi et après la prière du soir. Ces trois moments doivent être respectés par décence… »

Soura XXXIII (El Hazab, les Confédérés), Aïa 49 : « O Prophète ! il t’est permis d’épouser les femmes que tu auras dotées, les captives qu’Allah a fait tomber entre tes mains[30]. » — Aïa 51 : « Tu peux donner de l’espoir à celle que tu voudras… » — Aïa 52 : « Il ne t’est pas permis de prendre dorénavant d’autres femmes légitimes[30], ni de les échanger contre d’autres, quand même leur beauté te charmerait, à l’exception des esclaves que tu peux acquérir. »

On trouve Soura LXX (Ed Deroudj, les Degrés), Aïa 30, le même enseignement que Soura IV, Aïa 28.

L’an X de l’Hégire, Mohammed fît à la Mekke un pèlerinage triomphal, et parmi les recommandations qu’il adressa aux musulmans, nous citerons celle qui avait trait à l’intercalation des jours pour corriger les mois lunaires. Il défendit cette intercalation ou embolisme, immola soixante-trois chameaux et rendit la liberté à soixante-trois esclaves. Ce nombre de soixante-trois était égal aux années de son âge comptées en mois lunaires, dont il venait d’ordonner la conservation, ne voulant pas compter les jours au moyen du soleil comme les chrétiens et les juifs. Ce pèlerinage s’appelle le Pèlerinage d’adieu ; Mohammed mourut l’année suivante.

Son esclave affranchi, puis ami et confident Belal fut le premier muezzin[31].

L’Imam Aboul Abbas Ben Ahmed est l’auteur du Fadhl El Khedem ou Khodam, ouvrage très réputé, à l’éloge et à la louange de l’esclavage.

Certains Musulmans, fidèles observateurs de la lettre du Koran, considèrent comme une œuvre pie l’affranchissement de leurs esclaves après un nombre d’années de service ou leur vente à un maître moins exigeant. Des motifs puissants les portent souvent à cela : le décès d’une personne chère, un danger couru, etc. A Tunis, à la mort de l’une des femmes du Bey, les personnages considérés et les personnes qui voulaient le devenir, achetaient des nègres auxquels la liberté était accordée sur-le-champ, et souvent ces nègres formaient plusieurs centaines ! Ils suivaient le convoi funèbre ayant chacun à la main un long bâton, à l’extrémité supérieure duquel était attachée une pancarte où était inscrit leur certificat de libération[32].

Parmi les mariages illicites et nuls (mouharremat) selon le Code musulman, nous trouvons indiqués, par Mouradjea d’Ohsson[33] :

« 6° Celui d’un homme avec l’esclave sur laquelle il a autorité, à moins qu’il ne lui ait accordé au préalable la liberté.

« 7° Celui d’une esclave étrangère avec un homme époux d’une femme libre, si celle-ci n’a pas été répudiée[34]. »

Il est permis à un esclave d’épouser deux femmes. L’union n’est validée que par la permission expresse du patron.

Le maître peut forcer les esclaves à se marier comme il l’entend.

Enfin, il est défendu aux hommes de toucher la main et encore moins le visage d’une femme, à moins que ce ne soit une esclave ou une femme qu’ils désirent épouser, en vertu de cette parole du Prophète, adressée à Moughaïr Ibn Schenbé, à l’occasion de son mariage avec une jeune fille :

« Voyez-la pour vous assurer d’avance de la satisfaction que vous aurez à vivre ensemble. »

Mohammed eut pour troisième adepte de l’Islam, son esclave affranchi et fils adoptif Zeïd, le seul sectateur du Prophète, dont il soit fait mention dans le Koran[35]. Nous avons vu que Bellal, affranchi de Mohammed, fut le premier chargé des fonctions de muezzin, c’est-à-dire d’appeler à la prière du haut de la Mosquée. Parmi les esclaves femelles, nous citerons Marie la Copte ou l’Égyptienne, d’abord sa concubine, ensuite sa femme, dont il eut un fils Ibrahim, qui mourut avant lui.

« Sans doute le Koran, dit Largeau, prescrit aux musulmans de bien traiter leurs esclaves, et, en général, la prescription du livre sacré est bien observée : à ce point de vue, les Arabes, avouons-le, agissent plus humainement que les peuples les plus policés au temps où l’esclavage florissait chez eux, mais pour un esclave vendu que de malheureux massacrés[36] ».

L’amiral Fleuriot de Langle est du même avis :

« L’esclavage est à l’institution domestique chez les populations Yoloffes[37]. Les mœurs y sont douces, la condition de l’esclave ne diffère que peu de celle de l’homme libre. Depuis l’introduction de l’Islam, il y a un grand nombre d’affranchis, qui continuent à vivre sous le patronage d’un maître auquel ils appartenaient ; ils ne peuvent jamais se mêler avec les familles libres, qui restent toujours supérieures en rang. Les enfants qui naissent des unions des hommes libres avec les esclaves forment une sous-caste qui ne peut arriver au gouvernement de l’État. L’esclave a un pécule ; il est compris dans la distribution des terres, mais il doit remiser sa moisson dans l’enclos de son maître, qui peut s’en approprier les produits en cas de disette[38]. »

Burdo dit aussi :

« Les Yoloffs connaissent le mariage, mais ils se font un honneur d’être polygames. Il leur est permis d’avoir quatre femmes légitimes[39]. Quoique aboli par la loi française, dans le fait l’esclavage existe encore parmi les indigènes, mais leurs esclaves ne sont en réalité que de domestiques ; il est rare qu’ils soient maltraités…[40]. »

Parlant du Sahara, l’amiral Fleuriot de Langle ajoute :

« Les tribus sahariennes ont une constitution oligarchique. Les cheikhs sont souvent chérifs, c’est-à-dire qu’ils prétendent descendre de Mohammed[41]… Chaque groupe se compose de princes, de nobles, de marabouts[42] ou lettrés[43], de tributaires, d’affranchis et d’esclaves[44]. »

Est-il besoin de faire remarquer que Burdo, l’amiral Fleuriot de Langle et Largeau ne s’occupent que du présent, de ce qu’ils ont pu constater de visu ? Il en est des Yoloffs, des tribus sahariennes, comme des Égyptiens, des Tunisiens, sur lesquels le contact de la civilisation européenne a agi et a eu pour résultat d’adoucir les mœurs ; mais nous ne devons pas, en présence de ces exceptions, oublier. les souffrances horribles endurées par les esclaves au Marok et dans le reste de l’Afrique, comme nous ne devons pas oublier, non plus, les tortures épouvantables infligées encore il n’y a pas un demi-siècle, aux captifs ou aux esclaves dans les États Barbaresques. Ces tortures étaient analogues aux raffinements de cruauté employés par les forbans musulmans au temps où les côtes de l’Afrique Septentrionale étaient des repaires de corsaires et de pirates.

Les vingt sortes de supplices réservés aux chrétiens sont consignées dans l’Histoire géné- rale de la Tunisie, depuis l’an 1590 avant Jésus-Christ jusqu’en 1883, p. 311 et suivantes, par A. Clarin de la Rive.

L’expédition de Livingstone est la première qui ait vu la traite au lieu même de son origine et l’ait suivie dans toutes ses phases, aussi son chef a-t-il décrit avec tant de détails les opérations diverses de cet ignoble négoce.

« On a dit, conclut-il, que la vente de l’homme était soumise, comme toutes les autres, à la loi commerciale de l’offre et de la demande et devait par conséquent rester libre. Cette assertion a été risquée parce que nul ne pouvait la démentir. Mais, nous l’affirmons à notre tour, cette vente est la cause de tant de meurtres, qu’elle ne doit pas plus être classée parmi les branches de commerce que le vol de grand chemin, l’assassinat ou la piraterie. Ce ne sont pas seulement les criminels et les accusés de sorcellerie qui sont vendus. L’enfant du pauvre est saisi en paiement d’une dette ou d’une amonde, au nom du chef et à titre légal.

« Viennent ensuite les voleurs qui, soit isolément, soit par groupe, enlèvent les enfants aux hameaux voisins, quand les pauvres petits vont puiser de l’eau ou chercher du bois[45]. Nous avons vu des districts où chaque demeure était entourée d’une estacade et les habitants n’y étaient pas en sûreté.

« Ces rapts, d’abord partiels, amènent des représailles ; les bandes se forment ; la lutte grandit ; ce qui avait lieu de village à village se passe de tribu à tribu. Le parti le plus faible devient errant, se procure des armes, en vendant ses captifs, attaque les tribus paisibles et n’a plus d’autre emploi que d’approvisionner les marchés d’esclaves.

« Des bandes armées, conduites par des agents commerciaux appartenant à des Arabes ou à des Portugais, sont expédiées dans l’intérieur, avec de grandes quantités de mousquets, de munitions, de grains de verre et de cotonnade. Ces derniers articles servent, au début du voyage, à payer les frais de route et à faire des achats d’ivoire : mais il n’est pas une de ces caravanes qui n’ait accompagné les indigènes dans leurs razzias et qui n’ait attaqué une peuplade quelconque, avec l’intention d’y faire des captifs. Nous n’avons pas vu un seul exemple du contraire. Le fait est si commun qu’il en résulte une dépopulation effrayante !

« L’arc et les flèches ne tiennent pas contre le mousquet ; la fuite des habitants, la famine et la mort s’ensuivent. Et nous répétons ce que nous avons déjà dit avec une ferme conviction, qu’il n’est pas un cinquième des victimes de ces chasses, souvent même un dixième, qui arrive au lieu définitif de l’esclavage.

« En résumé, d’après les faits observés, nous affirmons hautement que la traite, quelque nom qu’elle revête, ne se recrute qu’au moyen d’une véritable chasse et oppose une barrière insurmontable à toute espèce de progrès[46]. »

Librecy, septembre 1890.

CHAPITRE PREMIER

Les Bourreaux


Avant de parler des victimes, nous devons tout d’abord nous entretenir de leurs bourreaux que tous les explorateurs ou voyageurs africains s’accordent à nous présenter sous les plus hideux aspects, marchands Arabes, Égyptiens, aventuriers de tous pays, ramassis et écume des nations, sans compter les chefs ou roitelets indigènes.

L’un des plus célèbres négriers fut longtemps Achmed Agad, principal trafiquant du Nil Blanc. Tandis qu’avec une énergie et un courage qui eussent dû produire de meilleurs et plus durables effets, Samuel White Baker essayait, manu militari, au nom du Khédive ou vice-roi d’Egypte, de réprimer la traite, le gouvernement égyptien concluait un marché honteux avec cet Achmed Agad qui obtenait le droit exclusif du commerce sur une superficie de deux cent trente mille kilomètres carrés[47].

Schweinfurth rencontra, à Dokouttou[48], une petite bande d’esclaves composée de cent cinquante têtes, enfants et jeunes filles, achetés à cet Achmed Agad ou à un autre négrier, Ghattas, sur le compte duquel nous reviendrons.

Plusieurs vieilles femmes, également esclaves, étaient chargées de surveiller les enfants et de présider à leurs repas.

Le soir, il fut témoin de l’hospitalité que reçut la petite caravane. Conduits par leurs chefs, les habitants de la bourgade voisine apportèrent cinquante écuelles de gruau de pénicillaire, plus cent autres remplies de bouillie d’hyptis, de courges, de viande, de poisson sec, de farine de mélochie sauvage et d’une sauce faite avec l’huile de sésame. Schweinfurth avoue que la distribution eut lieu avec beaucoup plus d’ordre qu’il ne s’y serait attendu. Le repas fut avalé rapidement ; puis toute la bande fut entassée pêle-mêle dans deux huttes[49].

Les Adoumas[50] vendent aux Okandas les esclaves qu’ils achètent chez les Aouandjis et chez les Obambas. « Ceux qui ne peuvent trouver à en acheter vendent leur famille, père, mère, frères, enfants ; car celui qui, dans une circonstance comme l’arrivée d’une caravane d’esclaves, n’aurait pas à vendre au moins un enfant, ne serait qu’un pauvre hère. Il faut faire commerce pour être du grand monde[51]. »

« Un esclave, dit M. de Brazza, coûte, dans l’Adouma, deux kilogrammes de sel, un bassin en cuivre, deux pagnes, des colliers, en tout dix francs valeur d’Europe.

« Les femmes de l’Adouma attirent les commerçants des tribus de l’intérieur et leur accordent leurs faveurs, puis, suivant leur caprice, font découvrir ces relations. Ils sont alors saisis et vendus comme esclaves à moins que leur famille, pour les délivrer, ne donne un certain nombre de moutons et un esclave[52]. »

Les Aiahous sont aussi des pourvoyeurs très actifs des traitants. Livingstone raconte que ceux-ci arrivent dans leurs villages, où ils étalent les objets qu’ils apportent. Ces objets sont à vendre ; pour les avoir il faut des esclaves ; une razzia s’organise ; et, munis d’armes à feu par les Arabes, les Aiahous tombent alors chez les Mânyânyas, qui n’ont pas de fusils. C’est ainsi que les marchés s’approvisionnent. Les razzias se succèdent et de proche en proche les rapts se multiplient[53]. »

Giraud rencontre au boma[54] du chef Ketimkuru, le négrier Aley qui avait tellement acheté d’ivoire et d’esclaves qu’il n’avait plus une pièce d’étoffe pour retourner à la côte. Aley était un ancien esclave de l’Uemba[55], qui, emmené à la chaîne dix ans auparavant, avait fini par inspirer de la confiance à l’un des plus riches Arabes de Zanzibar et revenait chaque année dans son pays pour y trafiquer d’ivoire et surtout d’esclaves.

Deux cents créatures humaines, appartenant à ce misérable ou à son patron, étaient enfermées dans ce boma.

Aley achetait l’ivoire au prix moyen de 40 dolés (160 mètres de cotonnade blanche) la frazilah ou 15 kilogrammes, soit 100 francs ce qui en vaut 500 à la côte. N’ayant pour le servir que des malheureux qu’il payait peu et même auxquels il ne donnait souvent que leur nourriture pour toute solde, il se faisait parfois, à Zanzibar, un bénéfice de soixante pour cent. Au début il n’avait demandé que de l’ivoire, mais au moment de repartir il s’était procuré des esclaves qui transportèrent cette substance et devinrent eux-mêmes marchandise[56].

Giraud cite aussi la tribu Zouloue des Angonis, qui, après avoir détruit et enlevé les habitants de la rive ouest du lac Nyassa attaquaient le Haut-Chiré et le Condé[57].

Les Marabouts ne se font aucun scrupule de trafiquer de chair humaine. Largeau rencontra quelques-uns de ces pieux personnages, en 1877, à Ouargla[58] ; ils venaient y vendre un troupeau d’esclaves et arrivaient des environs d’Insalah[59].

Au puits du Chameau[60], le 24 juillet de la même année, Largeau trouva des cadavres de nègres morts de soif, tandis qu’on les conduisait au marché d’Ouargla.

Le récit de Largeau nous paraît inexact. Ouargla a été proclamée ville française en 1832, après la prise de Laghouat ; en 1873, nos troupes s’avancèrent plus au sud, jusqu’à El. Goléa, sous les ordres du général de Galliffet. Des protestations d’amitié lui furent envoyées d’Insalah. située bien au delà, à plus de moitié chemin de la Méditerranée à Tombuctou.

Livingstone, en route pour le Manyéma, au mois d’octobre 1868, était reçu chez Moïnémepannda, frère de Gazembé, demeurant entre le lac Moéro et le lac Bengouéolo : « Pendant ce temps-là, dit-il, un agent de Mohammed, appelé Ben Djouma, saisit deux femmes et deux jeunes filles pour remplacer quatre esclaves qui avaient pris la fuite. Le chef du village envoya une flèche aux ravisseurs ; Ben Djouma tua une femme d’un coup de fusil ; tout le pays fut soulevé contre les Arabes qui furent assaillis de trois côtés à la fois, sans les Vouanyamouezi, ajoute Livingstone, nous aurions été battu[61]. »

Les plus puissants des Arabes nomades du Sennaar, sont les Baggâras « reconnaissables, dit Bolognesi, à leurs chevelures tressées, montant presque indifféremment des chevaux de race ou des bœufs porteurs. Quand ils ne font pas la récolte ou le commerce de la gomme, ils se livrent à la chasse des nègres comme à leur principal gagne-pain. Ils font généralement leurs razzias la nuit et ont envers les nègres une certaine humanité intéressée. Ils appellent les nègres : el mal, le capital ; c’est, en effet, un capital qu’il faut éviter de détériorer ; aussi quelle que soit l’opiniâtreté de la défense chez les Dinkas surpris par les traqueurs Baggâras, ceux-ci ne les blessent qu’à leur corps défendant. »

Le gouvernement égyptien, ajoute Bolognesi, mis en éveil par les profits qu’ils faisaient de la sorte, s’est mis à les chasser en lançant contre eux ses redoutables Chagié et les a forcés… à… partager ! Si les brigands étaient punis, le nègre ne s’en trouva pas mieux[62]. »

La domination égyptienne ne dépassait guère, à cette époque, Tchélayé, sur le fleuve Blanc ; Sir Samuel White Baker l’étendit plus tard jusqu’au delà de Gondokoro qui devint Ismaïlia.

Les derniers événements survenus dans le haut Nil ont fait retomber le pays entre les mains des Madhistes ; nous étudierons leurs conséquences lorsque nous nous occuperons du Soudan.

Giraud, avant d’être reçu, à la station d’Iendué, en 1884, par deux missionnaires de la London Miss. Society (qu’il avait l’année précédente accompagnés à leur départ de la côte), avait traversé « un village ruiné, au milieu de huttes effondrées, de débris de fourches à esclaves attestant qu’un négrier était passé par là. Ce négrier était Kabunda, un Arabe qui avait dévasté le pays[63]. »

« La traite des noirs s’exerçait sous les yeux des missionnaires, avec une impudence que la famine ne faisait qu’aviver. Cette traite était faite par les Fipas[64]. »

Une petite fille valait de deux à trois litres de grains ; une mère et son enfant quatre et cinq litres[65] !

On peut juger des bénéfices de Kabunda !

Sur le Biyerré, Stanley eut le spectacle de tout ce que la chasse à l’homme peut avoir de plus horrible. Les Arabes de Zanzibar envoient jusque là leurs émissaires. Une petite armée de chasseurs se met en campagne ; l’expédition dure un an, quelquefois deux. On traverse toute l’Afrique, traînant après soi sa proie et sur vingt-quatre mille captifs on en amène, si l’on est heureux, deux ou trois mille à la côte.

« Décrire ce que Stanley vit là, dit M. L. Quesnel, serait trop long et trop épouvantable. Les hommes enchaînés par le cou, vingt par vingt, jetés sous un hangar, en commun avec des femmes attachées par des anneaux ainsi que leurs enfants et tous ces corps couverts de plaies putrides formées par les fers, un tel entassement de créatures humaines qu’il faisait songer à ces nids de chenilles qui se pressent sur une branchr d’arbre, une infection, une misère, une souffrance, des gémissements sans nom et tout cela pour satisfaire l’avarice d’un marchand d’esclaves[66]. »

Le 24 janvier 1884, Giraud arrive à un petit village entouré d’une palissade (boma), propriété d’un Arabe de la côte qui faisait le commerce des esclaves :

Les huttes, au nombre de vingt-cinq ou trente étaient plus entassées et les rues plus étroites que dans les villages environnants. Une ou deux chaînes d’esclaves circulaient à l’intérieur et vinrent s’asseoir devant l’explorateur, « le dévorant, écrit-il, du regard hébété, idiot, habituel à tous ces malheureux. »

L’Arabe avait quitté la place depuis quelques jours pour aller vendre une partie de ses noirs articles à la côte. Giraud croit fortement que ce prétendu Arabe n’était qu’un homme de la Mrima, attendu qu’aucun des chefs à qui la garde de son camp avait été confiée n’était Zanzibarite.

« Mes hommes, dit-il, m’expliquèrent, à son sujet, que les négriers qui font la traite possèdent en général deux bomas de cette sorte : l’un comme celui-ci, à une certaine distance de la côte, autour duquel ils rayonnent pour faire leurs provisions de « bois d’ébène[67] » ; le second, retiré à la côte même, est placé de façon qu’on puisse entrer facilement en relation avec les boutres du canal[68] et surveiller les bâtiments de guerre ; il ne sert que d’entrepôt temporaire et étant généralement inhabité, échappe aux soupçons de l’autorité anglaise. Aussitôt que, par ses renseignements, l’Arabe est sûr de l’éloignement momentané du bateau de guerre, il fait venir ses chaînes humaines à marches forcées et les embarque sans plus tarder sur les boutres, tout prêts à les recevoir[69]. »

Livingstone raconta à Stanley un fait horrible, qui s’était passe au bord de la rivière de Webb[70] :

« Ainsi que la plupart des Africains les Vouamanyémas ont pour le commerce un goût très vif ; le marchandage, qui chez nous révolte, est pour eux chose attrayante ; faire rabattre le prix d’un objet ou le maintenir, gagner une perle à cette lutte de parole est une joie qui les enivre. Les femmes surtout aiment ce jeu avec passion ; elles y excellent ; et comme elles sont d’autant plus jolies que le débat les anime, le marché attire beaucoup d’hommes.

« Ce fut au milieu d’une pareille scène, toute paisible, toute joyeuse, qu’un métis Arabe, du nom de Tagamoyo, fondit avec sa bande et fit tirer sur la foule. Au premier coup de feu, les pauvres gens se sauvèrent. Ils étaient là deux mille, courant à leurs canots et s’empêchant les uns les autres : la mousqueterie ne cessait pas. Beaucoup de malheureux sautèrent dans l’eau profonde, où les attendaient les crocodiles. Mais la plupart de ceux qui y périrent furent tués par les mousquets. Le docteur estime à quatre cents le nombre des morts : hommes, femmes et enfants. Celui des captifs ne fut pas moins considérable.

« Cet affreux attentat n’est qu’un spécimen de tant d’autres que Livingstone a vu commettre. Comprend-on, après cela, de quelle haine les Arabes sont poursuivis dans ces contrées, naguère si tranquilles, et dont le morcellement accroît l’audace et les chances des ravisseurs.

« Partout, ajoute Stanley, les traitants ont fait de même ; si maintenant, de Bagamoyo[71] à Oudjidji, leur conduite est différente, c’est qu’ils ont été contraints d’en changer. Les tribus se rassurent ; à leur tour elles ont des mousquets et les représailles commencent. Beaucoup d’entre elles ont d’abord servi d’auxiliaires. Elles y gagnaient d’être à l’abri du rapt et d’étendre leurs conquêtes. Puis, une fois la domination établie, une fois le sol balayé des peuplades, dont le territoire, les biens, les personnes étaient l’objet des convoitises, les pourvoyeurs ont tourné leurs fusils contre les imprudents qui les leur avaient donnés. En dépit de leur escorte toujours plus nombreuse, les Arabes ne marchent plus sans crainte. A chaque pas qu’ils font est un péril : les Vouagogos les exploitent, les Vouaségouhhas les arrêtent ; le chemin du Karagoueh est plein de difficultés ; Mirambo les tient en échec, il les attaque et il les bat ; derrière lui, Souarourou leur demande la taxe, le fusil à la main.

« Ils ont semé le danger et l’ont semé pour tout le monde, pour ceux d’une autre race comme pour les bons d’entre eux. Malgré l’estime dont Livingstone était entouré dans le Manyèma, comme partout dès qu’il y fut connu, il manqua plusieurs fois d’être assassiné par suite de l’erreur qui le faisait assimiler aux Arabes[72]. »

En cherchant à secourir Emin Pacha, Stanley parvint, le 23 juin 1887, à Aïr-Jali au confluent du Nopoko, tributaire de l’Arahouimi ; à partir de cette date commença pour l’expédition une série de souffrances et de déceptions. Le pays avait été dévasté par les Arabes, marchands d’esclaves.

Barth pénétra le premier dans le Baghirmi[73], dont le sol n’avait encore été foulé par aucun Européen. Les païens y payaient le tribut en esclaves. Le voyageur insiste sur l’entrée triomphale du Sultan vainqueur dans Massenya, sa capitale.

« Enfin, dit-il, sept chefs des vaincus, ajoutent à l’effet du défilé. Celui de Gogoui, d’une taille majestueuse, et qui gouvernait une peuplade importante, éveille entre tous la sympathie des spectateurs par son air calme et souriant. Tout le monde sait que la coutume est de tuer les chefs prisonniers, ou, pis encore, de les mutiler d’une manière infâme après les avoir livrés aux caprices et aux railleries du sérail[74]. »

Le sultan du Baghirmi a pour tributaires les Somraïs : nous en reparlerons plus tard.

Une caravane de captifs, conduite par un chef Diula, ayant rejoint la troupe du lieutenant Vallière, en marche sur Narena (Haut-Niger), l’officier français profita de l’occasion pour causer longuement avec le chef de cette bande, composée surtout de jeunes gens et d’enfants. Ces petits malheureux, inconscients de leur triste situation, sautaient, gambadaient, se baignaient dans la rivière, poursuivant les poissons ou les insectes, en poussant mille cris joyeux.

Le lieutenant se demandait d’où sortaient ces files d’esclaves qui, après avoir sillonné toutes les routes du Soudan, allaient alimenter les marchés du Bas-Niger ou étaient vendus aux Maures sahariens et dans les escales des fleuves de la côte.

Le Diula lui apprit que les pays à esclaves embrassent l’immense région, encore peu connue, comprise entre les premiers affluents du Niger. Ces contrées extrêmement barbares sont, proportionnellement, plus peuplées que celles du reste du Soudan occidental. Le Ouassoulou passe notamment pour avoir une population des plus denses. Afin d’exprimer combien les villages sont rapprochés, les indigènes disent que « le roi peut, sans sortir de sa capitale, transmettre ses ordres, de voix en voix jusqu’aux extrémités de son immense empire. » Les habitants sont un mélange de Bambaras et de Peuhls métis, qui se font, sans distinction de nationalité, une guerre perpétuelle. Le seul objet de ces combats incessants est de s’enlever réciproquement des femmes, des jeunes hommes et des enfants pour aller les revendre ensuite sur les marchés célèbres de Dialakoro, Kankan, Kenièra, Tangrela, etc. Ces moyens de s’enrichir sont si bien entrés dans leurs mœurs que toutes les classes de la société les emploient : les chefs, afin de renouveler leurs provisions de fusils et de poudre, pour s’acheter de beaux ornements, vendent leurs propres sujets. Dans les temps de disette, les faits acquièrent toute leur monstrueuse horreur : ce sont alors les pères de famille qui, pour améliorer leur situation, conduisent sur les marchés leurs infortunés enfants.

Pour compléter ce tableau épouvantable, le Diula avoua avoir acheté l’une des petites filles de la caravane à son frère ; celui-ci l’avait traitreusement éloignée de la case paternelle pour la céder ensuite à vil prix.

« Les peuplades, dit le lieutenant Vallière, qui se font ainsi des pourvoyeuses de chair humaine, sont loin de vivre sur un sol ingrat. Indépendamment de la fertilité réelle des terrains, elles ont des mines d’or plus abondantes encore que celles du Bouré et du Bambouk. On ne peut donc accuser que leur état sauvage et le principe même de l’esclavage admis malheureusement par tous les peuples africains ; si les acheteurs ne foisonnaient pas dans les marchés du Haut-Niger, ce trafic honteux cesserait de lui-même[75]. »

« Le roi de Ségou, dit le colonel Gallieni, possède dans son armée des régiments entiers d’esclaves qui jouissent de certains privilèges, ce sont tous des Bambaras[76]. »

Les profits retirés du commerce des esclaves sont, comme nous rétablirons ailleurs, considérables.

Le roi des Bambas achète des esclaves afin d’en avoir toujours à sa disposition pour les sacrifices humains. Lorsqu’il a une forte fièvre, il en fait brûler vifs cinquante pour apaiser l’esprit du mal.

Barth[77] cite un marchand d’esclaves, Bokhari, ancien gouverneur à Khadidja, qui, déposé par son suzerain, dont il avait excité les soupçons, remplacé par son frère, accueilli par le gouverneur de Massèna, se mit à l’œuvre pour ressaisir le pouvoir. Bokhari s’empara de Benza-Ri, tua son frère, lutta contre des forces réunies du Haouassa[78], sema la désolation jusqu’aux portes de Kano, remporta la victoire et devint l’un des plus puissants négriers du Soudan.

« Si le Bornou, dit Barth, tire un bénéfice réel de sa position au centre du Soudan, il lui doit, en échange d’avoir à lutter sans cesse avec l’un ou l’autre des pays qui l’entourent… A l’ouest et au midi, les Foullanes[79] convoitent cette région fertile en esclaves. »

Barth est témoin d’une guerre entre les gens de Kouka et ceux de Mosgou[80] ; il consigne ainsi ses émotions :

« Quel dommage d’être avec ces odieux chasseurs d’hommes, qui sans égard pour la beauté du pays et le bonheur de ceux qui l’habitent, répandent la désolation uniquement pour s’enrichir…

« Dans la plaine où nous arrivons, des cavaliers battent les haies des villages ; ici, un indigène fuit à toutes jambes ceux qui le poursuivent ; là-bas, c’est un malheureux qu’on arrache de sa case ; plus loin, un troisième, qui s’est blotti dans un massif de figuiers, sert de point de mire aux flèches et aux balles.

On avait fait mille esclaves, coupé froidement la jambe à cent soixante-dix hommes, laissant à l’hémorrhagie le soin de les achever… Bien que l’expédition n’eût pas été fructueuse, elle ramena 10,000 têtes de bétail et environ 3,000 esclaves, y compris de vieilles femmes ne pouvant plus marcher, de véritables squelettes, horribles à voir dans leur entière nudité…

« Celui qui ne connaît pas le chemin de Bornon n’a qu’à suivre les ossements dispersés à gauche et à droite de la voie et provenant des squelettes des nègres morts en route pour Kouka, par suite des privations et des tortures de toute sorte. »

Barth explore les bords du lac Tchad et continue ainsi son journal :

« Parti de bonne heure, je me réjouissais de la perspective qui allait s’offrir à mes yeux. Je rencontrai beaucoup d’esclaves, allant couper de l’herbe pour les chevaux…… Franchissant une eau plus profonde remplie de grandes herbes, nous gagnâmes une autre crique, où j’aperçus de petits bateaux plats, d’environ quatre mètres le longueur, faits de bois léger de fogo et manœuvrés par deux hommes qui s’éloignèrent dès qu’ils nous aperçurent. »

« C’étaient des Bouddoumas ou Yedimas en quête de proie humaine…

Au Cama, comme à très peu d’exceptions près dans tous les pays de l’Afrique Équatoriale, on considère les femmes comme une propriété lucrative que l’on paye assez cher et dont il faut tirer le plus de revenu possible. La femme est un être intermédiaire entre l’homme libre et l’esclave ; mais ses charmes doivent rapporter autant et même plus de bénéfice que le travail de l’esclave. Aussi les maris sont-ils toujours prêts à céder et même à offrir leurs femmes au premier venu ; s’il est riche, il paiera : s’il est pauvre et incapable de financer, il deviendra l’esclave du mari. La somme que ce dernier est autorisée, par la loi, à réclamer est de 50 francs, s’il n’y a pas eu de conventions antérieures.

« Les esclaves, ajoute de Compiègne, y sont encore plus malheureux que les femmes. Leur maître peut les tuer sans que personne l’en blâme. Si on tue l’esclave du voisin, on en est quitte pour rembourser sa valeur, soit en argent, soit en marchandises. »

« Ce n’est pas tout, le Cama est malheureusement l’un des repaires de la traite maritime des nègres de la côte d’Afrique. Les faibles ressources dont disposent les Français au Gabon, ressources encore diminuées par le départ de l’escadre stationnaire, ne leur permettent aucune répression sérieuse. Les négriers le savent bien ; ils le savent si bien qu’ils remontent fréquemment l’estuaire, ou stationnent à son embouchure en arborant le pavillon portugais, pavillon qui est à bon droit plus que suspect dans ces parages. De longues files d’esclaves enchaînés traversent fréquemment les plaines du cap Lopez pour être vendues à la côte et bien que l’ « ébène sur pied » provenant du Gabon ou du Fernand Yaz soit coté sur les marchés de Loanda à des prix très inférieurs à la même marchandise venant du Congo, il est malheureusement trop vrai que l’exportation en a beaucoup augmenté dans l’Afrique Équatoriale. On doit désirer que l’attention des puissances maritimes se porte sur cette partie de la côte[81]. »

Si les esclaves sont condamnés à être mangés par les fourmis à la côte d’Afrique, ainsi que le dit l’amiral Fleuriot de Langle[82], les Chebelis ne les traitent guère mieux[83]. G. Revoil nous a fourni, à ce sujet, des renseignements qui font frémir :

« Aussitôt qu’ils acquièrent un esclave, son maître lui demande ironiquement combien il désire avoir de femmes, et, comme le malheureux en sollicite plutôt deux qu’une, on lui rive immédiatement aux jambes deux entraves dans le but de l’apprivoiser et de lui enlever toute envie de retourner vers la famille qu’il vient de quitter.

« Puis, quand on lui rend la liberté de ses mouvements, s’il en profite pour fuir, toute la population prend les armes, se met à sa poursuite et se livre dans les environs à une véritable chasse à l’homme.

« Ensuite, dès que le fugitif est repris, on le promène dans les rues du village en exécutant un lab d’allégresse. La foule ne manque pas de le couvrir d’ordures et ne lui ménage pas ses billevesées ; les femmes, les enfants l’injurient à qui mieux mieux ; bref, c’est une fête générale. Puis on le coud dans un sac de peau qui ne laisse passer que la tête et on l’expose aux rayons du soleil ardent.

« Sous l’action de la chaleur excessive, une sorte de cuisson à l’étuvée se produit dans le sac et les chairs du patient se ramollissent peu à peu.

« Alors le sac est enlevé et l’esclave est fustigé d’importance avec des verges qui lui arrachent des lambeaux de peau à chaque coup. Mais ce n’est pas tout, quand le corps de ce malheureux n’est plus qu’une plaie vive, on le porte, dans une civière, à travers les rues du village, pendant que la foule qui l’accompagne en hurlant, s’amuse à saupoudrer de sel sa chair pantelante, pour empêcher ses cris de souffrance de se ralentir… Il est ensuite remis aux fers pour le reste de ses jours.

« Il n’est pas rare de voir les esclaves se suicider parce qu’ils n’ont même plus la force de porter leurs entraves. »

Revoil parle aussi des Çomalis ou Somalis[84].

« Comme à Moguedoucho[85], surtout depuis l’abolition de la traite, les Abeuches[86] représentent la majeure partie de la population et ce sont précisément ceux-là, dont les pères ont été si durement traités jadis, qui se montrent les plus cruels pour leurs esclaves. Presque tous sont chargés de lourdes entraves, formées de deux anneaux de fer serrant le dessus de la cheville et reliés par une barre de fer. Les mouvements sont donc difficiles. Au moyen d’une corde nouée à la ceinture, ils allègent le poids de leurs entraves. C’est ainsi qu’ils se traînent péniblement aux champs, dès l’aube, pour cultiver les maïs ou le dourah[87], et qu’ils en reviennent au coucher du soleil chargés comme des bêtes de somme.

« À eux aussi incombe le soin de laver le linge de leurs maîtres, en le frappant à coups redoublés sur une planche, après l’avoir trempé dans un mélange d’eau et de fiente de chameau ; à eux enfin tous les rudes travaux de l’intérieur des mins. Comme nourriture, ces malheureux affamés n’ont que du maïs cru ; heureux encore quand ils peuvent racler le fond des marmites pour dévorer avidement quelques bribes de bouillie de dourah, principale nourriture du Çomali.

« Ce bétail humain, jadis fourni par les marchés du littoral, est devenu plus rare aujourd’hui. Il vient bien parfois, dans le Guélidi[88] des esclaves Gallas, amenés par les caravanes de Gananeh, mais ils sont en petit nombre. Aussi profite-t-on des moindres occasions pour se livrer à la chasse de l’esclave dans les régions de l’intérieur et tout différend entre particuliers ou entre clans se règle-t-il au moyen de têtes d’esclaves (Andon), ce qui devient une sorte d’unité monétaire dont la valeur varie du reste entre cent vingt et cent cinquante thalarys[89]. »

Dans toutes les réceptions d’Omar Yousouf, l’un des chefs des Gobrons de Magadoxo, Revoil entendit parler du rapt d’un ou plusieurs esclaves.

Les Çomalis restent barbares ; cette année encore ils ont massacré plusieurs missionnaires français.

Au Dahomey, le roi est maître absolu de la vie et des biens de ses sujets qui lui achètent les femmes qu’ils désirent épouser. Les mœurs et coutumes sanguinaires de ce peuple sont d’autant plus intéressantes à connaître pour nous qu’il est actuellement aux prises avec nos héroïques soldats qui, dans l’affaire d’Atchoupa (20 avril 1890), luttèrent avec succès un contre vingt[90].

Autrefois, les rois de Dahomey vendaient, chaque année, plusieurs milliers d’esclaves, à 25 francs environ par tête, ou les troquaient contre du tabac, de la poudre. Ce trafic, prohibé aujourd’hui, se faisait par le port de Whydah ; il se continue encore, du reste, par l’intérieur. Repin décrit ainsi la demeure du roi de Dahomey, à Abomey[91] :

« …L’ensemble du palais est entouré d’un mur en terre sèche de quinze à vingt pieds de hauteur, percé de plusieurs portes et hérissé, de distance en distance, de crochets de fer supportant des têtes humaines, les unes déjà blanchies par le temps, d’autres couvertes encore de quelques lambeaux de chair, quelques-unes enfin fraîchement découpées… »

Le docteur est d’accord avec les Européens qui, depuis lui, ont visité Abomey.

Le tombeau des Rois, vaste souterrain creusé par la main de l’homme, est dans cette ville.

« Quand un roi meurt, on lui érige, dit-il, au centre de ce caveau, une espèce de cénotaphe entouré de barres de fer, surmonté d’un cercueil en terre cimenté du sang d’une centaine de captifs provenant des dernières guerres et sacrifiés pour servir de gardes au souverain, dans l’autre monde. Le corps du monarque est déposé dans le cercueil, la tête reposant sur les crânes des rois vaincus ; enfin, comme autant de reliques de la royauté défunte, on dépose au pied du cénotaphe tout ce que l’on peut y placer de crânes et d’ossements. « Tous les préparatifs terminés, on ouvre les portes du caveau et l’on y fait entrer huit abaïas[92], en compagnie de cinquante soldats. Danseuses et guerriers, munis d’une certaine quantité de provisions, sont chargés d’accompagner leur souverain dans le royaume des ombres, en d’autres termes, ils sont offerts en sacrifice vivant aux mânes du roi mort.

« Chose étrange ! il se trouve toujours un nombre suffisant de victimes volontaires des deux sexes, qui considèrent comme un honneur de s’immoler dans le charnier royal.

« Le caveau reste ouvert trois jours pour recevoir les pauvres fanatiques, puis le premier ministre recouvre le cercueil d’un drap de velours noir et partage avec les grands de la Cour et les abaïas survivantes les joyaux et les vêtements dont le nouveau roi a fait hommage à l’ombre de son prédécesseur. »

Lors des fêtes sanguinaires nommées les « Grandes Coutumes », on égorge à la fois des milliers de prisonniers qui doivent aller porter au roi défunt la nouvelle du couronnement de son successeur.

« Avec de l’argile pétri dans le sang des victimes, on forme un grand vase, de forme bizarre, dans lequel le crâne et les os du feu roi sont définitivement enfermés et scellés[93]. »

Plus de trois mille victimes ont arrosé de leur sang le tombeau du roi Ghézo.

Le 11 juin 1860, un missionnaire protestant, invité à se rendre de Whydah à Abomey, rencontra sur son chemin un homme qui se dirigeait sur la première de ces villes. Il était porté dans un palanquin et préservé du soleil par un vaste parasol. Il était bien vêtu, en marin dahoméen ; arrivé à Whydah, il devait être précipité dans la mer, en même temps que les deux gardiens des portes du port, afin d’être prêts à ouvrir ces portes à l’esprit de Ghézo, quand il lui plairait de prendre un bain dans l’Océan.

Le 16 juin, le missionnaire, exact au rendez-vous obligé[94], était assis avec d’autres personnages européens[95] auprès du roi, qui, leur montrant un homme aux mains liées et à la bouche bâillonnée, dit que c’était un messager qui allait porter de ses nouvelles à Ghézo. L’infortuné fut, en effet, immolé sur la tombe du feu roi. Une heure après, Bahadou fit trancher la tête à quatre captifs ayant mission d’annoncer à son père les préparatifs des fêtes commandées pour honorer sa mémoire.

Le 17, Bahadou prévint le peuple, au son du gong, du commencement prochain des « Grandes Coutumes ». Cette lugubre fête débuta, le 22, par le massacre, dans le propre palais du roi, de cent hommes et d’autant de femmes. Le roi sortit au bruit de la mousqueterie, quatre-vingt-dix officiers et cent vingt princes ou princesses le saluèrent et lui offrirent chacun de deux à quatre esclaves destinés à être sacrifiés en l’honneur de Ghézo.

« Deux ou trois résidents portugais les imitèrent. Ils présentèrent, si je suis bien informé, ajoute le missionnaire protestant, une vingtaine d’hommes… »

Le 1er août, Bahadou procéda aux funérailles de son père. On ensevelit encore soixante hommes dans le sépulcre royal… Au moment où Bahadou revint devant la porte, on tira de nombreux coups de fusils et cinquante esclaves furent immolés.

La suite des sanglantes cérémonies eut lieu le 12 octobre.

« … A peine de retour à Abomey, continue le missionnaire, nous fûmes appelés au palais. Près de la porte nous vîmes quatre-vingt-dix têtes humaines, tranchées le matin même ; leur sang coulait encore sur le sol comme un torrent. Ces affreux débris étaient étalés de chaque côté de la porte, de manière que le public pût bien les voir…

« Trois jours après, nouvelle visite obligée au palais et même spectacle, soixante têtes, fraîchement coupées, rangées comme les premières, de chaque côté de la porte, et trois jours plus tard encore, trente-six. Le roi avait fait construire, sur la place du marché principal, quatre grandes plates-formes d’où il jeta des cauris[96] au peuple et sur lesquelles il fit immoler environ soixante victimes humaines. J’estime que, pendant la célébration de ces horribles fêtes, plus de deux mille êtres humains ont été égorgés, les hommes en public, les femmes dans l’intérieur du palais. »

M. Euschart, négociant hollandais, forcé de se rendre au mois de juillet 1862, à la cour de Bahadou, a laissé une relation dont nous extrayons ce qui suit :

« Le 5 juillet, je fus conduit en grande pompe sur la place du marché où l’on m’apprit qu’un grand nombre de malheureux avaient été égorgés la nuit précédente. Le premier objet qui frappa mes yeux, sur ce théâtre d’horreur, fut le corps de M. Doherty, ancien esclave libéré et dernièrement ministre de l’Église anglicane à Ischagga. Il était crucifié contre le tronc d’un arbre gigantesque ; une fiche de fer traversait sa tête, une autre sa poitrine et de grands clous fixaient solidement à l’arbre ses pieds et ses mains. Par une amère ironie, son bras gauche était replié de manière à soutenir une large ombrelle de coton…

« De là, on me mena vers une haute plate-forme où trônait le roi… Vis-à-vis et dans toute la largeur de la place étaient alignées des rangées de têtes humaines, fraîches et saignantes, et tout le sol était saturé de sang. Ces têtes étaient celles d’un certain nombre de captifs provenant de la prise d’Ischagga et que l’on avait massacrés la nuit précédente, après avoir épuisé sur eux l’art diabolique des tortures… »

Un tremblement de terre ayant eu lieu, le roi l’interpréta comme un signe de mécontentement de son père et la tuerie continua. M. Euschart retrouva Bahadou sur la plate-forme :

« Le roi, dit-il, fit approcher trois chefs Ischaggans, spécialement chargés par lui d’apprendre à Ghézo que les Coutumes seraient dorénavant observées mieux que jamais. Chacun de ces malheureux reçut de la main du roi une bouteille de rhum, une filière de cauris,… puis fut immédiatement décapité.

« On apporta ensuite vingt-quatre mannes ou corbeilles, contenant chacune un homme vivant dont la tête seule passait au dehors. On les aligna un instant sous les yeux du roi, puis on les précipita, l’un après l’autre, du haut de la plateforme sur la place où la multitude, dansant, chantant, hurlant, se disputait cette aubaine comme en d’autres contrées les enfants se disputent les dragées de baptême. Tout Dahoméen assez favorisé pour saisir une victime et lui scier la tête pouvait aller l’échanger à l’instant même contre une filière de cauris (2 francs 50 environ) ; ce n’est que lorsque la dernière tête eut été décollée, et que deux piles sanglantes, l’une de tête, l’autre de troncs mutilés eurent été élevées aux deux bouts de la place, qu’il me fut permis de me retirer chez moi…

« … Pendant tout le jour suivant, on me fit parcourir les autres quartiers de la ville, qui tous avaient été les théâtres de semblables horreurs. Le 12 juillet, je commençai à respirer ; les plates-formes furent démolies et le programme des fêtes parut se restreindre à des chants, des danses, des décharges d’armes à feu. Dix jours se passèrent sans être souillés de sacrifices humains ; mais en fut-il de même des nuits intermédiaires ? J’ai malheureusement tout lieu de ne pas le croire.

« Le 22 juillet, il me fallut encore être témoin de la Grande Coutume, au palais du feu roi, dont deux hautes plates-formes flanquaient la porte d’entrée. Chacune d’elles supportait seize captifs et quatre chevaux, tandis qu’un même nombre de chevaux, un alligator et seize femmes étaient placés sur une troisième plate-forme, dans la cour intérieure de l’habitation.

« Lorsque ces malheureux, assis ou plutôt enchaînés sur des sièges grossiers eurent été disposés autour de trois tables (une pour chaque groupe), on plaça devant chacun d’eux un verre de rhum, et le roi, montant sur la plate-forme la plus élevée, adora solennellement ses fétiches nationaux et s’inclina devant les captifs dont les bras droits furent alors déliés pour leur permettre de prendre les verres de rhum et de boire à la santé du monarque qui les vouait à la mort…

« Une revue des troupes eut lieu, puis les captifs eurent la tête tranchée ou plutôt sciée avec des couteaux ébréchés. Les chevaux et l’alligator furent égorgés en même temps et les sacrificateurs apportèrent un soin minutieux à mêler leur sang à celui des victimes humaines. »

Peut-être nos lecteurs nous accuseront-ils de rééditer des documents trop anciens et supposeront-ils que depuis 1862 il y a eu un changement notable dans les mœurs des Dahoméens ?

M. Bayol, lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud, arrivé à Marseille, le 20 mai dernier, après avoir été prisonnier des Dahoméens, a raconté l’horreur des sacrifices humains qui eurent lieu pendant son séjour chez le roi Gléglé.

Dans un seul sacrifice, on immola deux séries l’une de 84 malheureux, l’autre de 43.

Les tueries ont lieu en plein jour ; ce n’est que la nuit venue que les femmes et les enfants se livrent aux scènes effrayantes de l’égorgement avec une férocité inouïe. Les enfants s’emparent des têtes qu’ils font rouler comme des boules et les enterrent ensuite sous de petits tas de sable où on les laisse.

Les cadavres sont, le lendemain, jetés pêle-mêle dans des charniers et deviennent la proie des oiseaux sacrés.

M. Bayol fut invité à assister à cette boucherie, mais il fit comprendre combien ce spectacle lui serait insupportable, et il obtint de se faire représenter officiellement par deux fonctionnaires de sa suite[97]. Quel rôle pour un Européen ! pour un Français ! Il ne put cependant se soustraire à la visite des cadavres faite en grande cérémonie.

« Le sang, dit M. Bayol, était répandu en si grande abondance, que j’en avais jusqu’à la cheville ! »

Le roi Belianzin, successeur et fils de Gléglé, a de bons guerriers et une garde de cinq mille amazones.

Au combat d’Atchoupa elles donnèrent avec la même furie qu’au combat du 4 mars, à Kotonou, où elles se firent tuer sur les palanques du fortin Comperat. Ces femmes, ivres de gin, montrent un acharnement incroyable et sont vraiment de redoutables adversaires, dont les capitaines Arnoux, Ferez, Pansier, les lieutenants Lagaspie, Ganaye et Szymansky eurent cependant raison.

La France à qui fut réservée, il y a soixante ans, la noble mission de débarrasser l’Afrique Septentrionale des forbans Algériens, aura-t-elle, en 1890, la tâche non moins glorieuse et honorable de purger l’Afrique Occidentale de pareils monstres, dont le pouvoir comme celui des Corsaires Barbaresques n’a que trop duré pour la honte de l’humanité ? Nous l’espérons de tout cœur : ce sera une superbe page de plus pour notre histoire nationale.

Depuis longtemps la France revendiquait Kotonou qui lui devenait de plus en plus nécessaire pour sa colonie de Porto-Novo. Le souverain Dahoméen avait toujours refusé de tenir parole et niait les traités des 19 mai 1868 et 19 avril 1878.

En 1889, on avait essayé, mais vainement, de s’établir à Kotonou. M. de Beckmann avait vu fermer, aussitôt son projet connu, toutes les factoreries du Dahomey. Méprisant le protectorat de la France, le Dahomey envahit le royaume de Porto-Novo, détruit les récoltes, tue, pille, dévaste, ruine.

Le roi Toffa, de Porto-Novo, passa sur la lagune avec sa cour ; les soldats français se fortifièrent, sans prendre l’offensive.

Au mois d’octobre, arrivait le docteur Bayol, avec pleins pouvoirs ; il se rendit près du roi de Dahomey, porteur de riches présents. Il espérait traiter ; ce lui fut impossible. Toutes les fois qu’il abordait la question de Kotonou, le prince s’excusait, disant qu’il était retenu ou rappelé près de son père malade.

Le vieux tyran mourut, le prince Kondo devenu le roi Béhanzin prit les rênes du gouvernement et… le chemin de la côte pour attaquer les postes français : on sait comment il a été reçu. Le 20 février 1890, les Français prirent Kotonou.

Nous ne saurions trop recommander la lecture du journal de M. Gaudoin, l’un des prisonniers de Béhanzin.

Nous en extrayons ce qui suit :

« Le canon tonne, chants, cris, vociférations, tamtams, remplissent la ville de rumeurs et de bruits, et au matin on nous annonce que Sa Majesté Béhanzin Aïdjéré est dans les murs d’Allada. Cela va devenir sérieux, et nous allons enfin voir face à face ce souverain nègre dont toute l’Europe doit parler et que personne n’a vu de près.

« Nous sommes en plein dans le camp Dahoméen !

« Quinze mille hommes au moins sont devant nous, rangés en ordre de bataille devant leurs tentes en feuilles de palmier, immobiles, dans un silence si profond, qu’à cent mètres, dans notre prison, dans la cour même, séparés par un simple mur, nous n’en avions pas soupçonné l’existence.

« C’est vraiment un tableau d’une sublime horreur, et qui nous serre douloureusement le cœur. Quinze mille hommes, armés de fusils et de couteaux manchettes ! Il n’y a pas à dire, ce sont de beaux guerriers, robustes et musclés, sous les pagnes blancs qui font ressortir encore davantage l’ébène de leur sculpture. Pas un cri, pas un geste, pas un bruit.

« Silencieux nous-mêmes et profondément émus, nous traversons la haie qu’ils forment, alignés au cordeau comme les longues enfilades d’épis de champ de blé.

« Les principaux officiers de l’armée sont venus nous entourer. Notre groupe se met en marche, il nous faut plus d’un grand quart d’heure pour traverser les premiers rangs, tant leur ordre de bataille est profond. Puis, nous traversons un espace vide, de l’autre côté duquel l’armée noire continue. Ici, ce ne sont plus des guerriers. La seconde ligne, en effet, se compose d’amazones sur trois rangs serrés, entourant comme d’un cercle immense le trône même du roi que nous n’apercevons pas encore.

« Elles sont là quatre mille guerrières, les quatre mille vierges noires du Dahomey, gardes du corps du monarque, immobiles aussi sous leurs chemises de guerre, le fusil et le couteau au poing, prêtes à bondir sur un signal du maître.

« Vieilles ou jeunes, laides ou jolies, elles sont merveilleuses à contempler. Aussi solidement musclées que les guerriers noirs, leur attitude est aussi disciplinée et aussi correcte, alignées comme eux au cordeau. Les chefs sont en serre-files, en tête de colonnes, reconnaissables à la richesse de leur chemisette, à leur air fier et résolu. Telles sont les amazones au repos sous les armes. Il y a loin, de cette discipline, de cet ordre, aux hordes sauvages et barbares que l’on s’imagine. Sa Majesté Béhanzin peut être tranquille, ces viragos ne le laisseront pas facilement enlever. Le triple cercle qu’elles forment est immense, sans un vide, sans un écart, sans un trou.

« Au delà est la foule, là-bas, dans l’éloignement, silencieuse et recueillie. »

À un signal, tout le monde se prosterne. Seuls les prisonniers sont debout, dominant 50.000 créatures humaines.

« Là-bas, à l’intérieur du triple cercle, sous un toit de chaume qui surmonte le trône, le roi est assis, entouré de ses femmes et de ses familiers.

« À notre tour, on nous fait incliner la tête et le cabécère Adavokou nous désigne au roi.

« L’éloignement est tel et l’obscurité commence à devenir si grande que nous ne pouvons l’apercevoir. Sa Majesté, paraît-il, nous adresse la parole. À sa voix, qui n’arrive pas jusqu’à nous, un murmure de terreur se répand dans l’immense plaine. Tout tremble et se tait. Notre interprète seul, sur un signe, nous traduit à voix basse les paroles sacrées. Le roi est très en colère et nous ordonne de rentrer dans notre prison et d’y attendre ses ordres. Immédiatement, nous sommes enlevés et reportés dans la case d’où nous sortons. En proie à une émotion indescriptible, nous nous demandons si ce que nous avons vu est bien vrai, et si nous ne sommes pas hallucinés.

« Mais voilà qu’on nous enlève tous nos liens ; le cabécère Zizi-Doqué, préposé à notre garde, nous annonce qu’on ne nous enchaînera plus, que nous sommes libres et que sans aucun doute demain le roi nous fera appeler pour l’annoncer publiquement. Décidément, nous n’y comprenons plus rien. Mais nous commençons à comprendre lorsque Zizi-Doqué ajoute :

« Une grosse nouvelle vient d’arriver à l’instant, tous les Français ont été tués, à Kotonou et à Porto-Novo, où ont eu lieu des batailles, quelques-uns seulement ont pu se sauver, mais en emmenant prisonnières les autorités noires de Kotonou, et maintenant ils tirent des coups de canon sur la plage toutes les fois qu’ils aperçoivent quelqu’un. Il faut que vous écriviez immédiatement une lettre au roi de France, le roi veut qu’on lui rende ses autorités et les hostilités cesseront immédiatement. Sa Majesté vous ordonne d’assurer à votre roi qu’il est l’ami de la France et que cette guerre injuste n’a été entreprise que par Jean Bayol qui a trompé son pays et dont la tête lui aurait été depuis longtemps apportée s’il était à la place du roi de France. »

« Nous promettons d’écrire et de ramener la paix entre les deux pays.

« Maintenant, en route pour Abomey, où aura lieu la seconde présentation au roi. » Le 20 mars, les prisonniers arrivent à la capitale.

« Cette fois-ci, c’est la bonne, car, à notre grand désappointement, on nous lie les bras au corps en nous disant d’ailleurs que c’est là une simple cérémonie obligatoire et que nous ne tarderons pas à être mis en liberté.

« Ainsi ficelés, nous nous mettons en route, nous traversons de nombreux postes de guerriers armés. Enfin, un dernier campement d’amazones ; derrière, nous allons voir le roi.

« C’est une audience privée, elle aura lieu la nuit, car elle est secrète, des affaires graves vont s’y traiter. Nous devenons des plénipotentiaires. On dispose tout pour la cérémonie. »

Depuis, le roi de Dahomey a adressé au Président de la République une lettre dont voici la teneur :

Cana-Gouméé, 12 mai 1890.
Béhanzin Anhi Jeré à M. Carnot.

« Le roi Béhanzin Anhi Jeré le salue ! Les blancs sont pour le commerce, s’ils font la guerre, ce n’est pas bon ; qu’ils fassent la paix, qu’ils gardent bien la France et ne se laissent pas tromper.

« Quand on veut parler avec roi Dahomey envoyer un officier propre de sa maison. Ils sont amis depuis longtemps et le roi Dahomey a toujours très bien traité les blancs et Jean Bayol, comme il a fait, a fait mal.

« Kotonou lui appartient ; c’est Dieu qui le lui a donné et il ne peut pas laisser le territoire pour un autre, car cela lui ferait du mal : le donner l’écrasera et voilà pourquoi il ne veut pas donner son terrain.

« Ce sont les Français qui font le commerce sur toute la côte (Whydah, Godomé, Abomé-Kalavi, Kotonou), et ce sont eux qui font la guerre. Ce n’est pas juste.

« Arrangez la paix et laissez la question de terrain. À Kotonou, ils ont (les Français) la liberté de faire tout ce qu’ils veulent ; il l’a dit à M. Jean Bayol, mais c’est Toffa[98] qui est en cause et non M. Bayol.

« Jean Bayol ici a été très malade et le Roi l’a guéri.

« Il (le Roi) a donné beaucoup de cadeaux pour M. Carnot et les offre par M. Bayol ; Carnot a-t-il reçu ?

« M. Bayol ici, le roi père malade ; le roi mort, celui-ci a fait prévenir à Kotonou, et M. Jean Bayol a profité pour bombarder Kotonou et massacrer les femmes, les enfants, les petits enfants ; a fait jeter à la mer les femmes enceintes. C’est pourquoi le Dahomey a tiré le fusil, mais il s’est défendu et n’a pas attaqué.

« C’est lui qui a mis Toffa sur le trône. Quefin a été soumis par le Dat qui a rendu à Toffa ses gens prisonniers à Gouffée ; mais Toffa, furieux, a fait massacrer les Dahoméens, résidant à Porto-Novo.

« Comme Toffa a fait tuer les Dahoméens, c’est pour cela que le père du roi a envoyé pour prendre Jibé ; Toffa, voyant que son père est mort, est très content et voilà pourquoi il a envoyé des gens pour couper tous les palmiers, et les soldats blancs ont tiré contre les Dahoméens, et les Dahoméens ne les attaquent pas.

« Maintenant encore, des beaucoup soldats dans les chemins de Porto-Novo pour couper les palmiers. Si l’on rend les otages, il fera retirer ses troupes ; sinon, il continuera à couper les palmiers.

« Rendez les otages à Kotonou qui appartiennent au roi du Dahomey et celui-ci ne dira plus rien ; j’attends, pour prendre l’amitié du roi avec la France et la maison Fabre et Régis, que M. Carnot fasse tous ses efforts pour finir cette question et amener la paix.

« Le terrain qui appartient aux Européens, le roi de Dahomey ne veut pas le prendre ; de même il ne cède pas le sien. »

Nous n’avons pas à relever ici les erreurs et les mensonges dont fourmille cette royale missive.

Le 11 août, vers minuit, des groupes Dahoméens s’approchèrent des retranchements de Kotonou. La Naïade et le Roland firent des projections électriques sur la plaine et les éclaireurs de la garnison tirèrent des coups de fusil. L’affaire fut insignifiante.

Le gouvernement, usant d’une modération que nous ne saurions trop louer, envoya l’ordre à l’amiral de Cuvervile de charger le R. P. Dorgère d’une nouvelle mission auprès de Béhanzin. Le digne missionnaire devait réclamer la cession définitive de Kotonou à la France et la reconstitution du salam français de Whydah ; il apportait donc la paix ou la guerre dans les plis de sa soutane.

Béhanzin a reçu le P. Dorgère avec les plus grands honneurs, mais évidemment mal renseigné sur la force véritable d’une troupe européenne préférera peut-être la guerre.

La reprise des hostilités serait, dans ce cas, imminente. Les opérations ne recommenceraient cependant d’une manière vigoureuse qu’au mois de novembre.

L’intervention du R. P. Dorgère prouve que si l’on persécute les religieux dans la Mère-Patrie, on est bien aise de recourir à leurs services aux colonies, lorsqu’il s’agit surtout d’une démarche délicate et périlleuse auprès de quelque tyran sanguinaire. Voilà, ce nous semble, des titres exceptionnels qui méritent une récompense.

Schweinfurth s’exprime ainsi, au sujet des aventuriers Darfouriens ou du Kordofan qu’il rencontra entre le Héré ou Nyémane-Bahr-El-Vaou et le Ghedi Bahr-El-Djiour, affluents du Bahr El Ghazal (rivière des Gazelles), qui se jette dans le Nil Blanc (Bahr El Abiad) :

« De ceux-ci, en fait de mal on n’en dira jamais trop. Is prennent tous les masques, tous les prétextes pour faire leur révoltant métier : ils arriveront en qualité de fakis[99], c’est-à-dire de prêtres, et se livreront sans frein à leur infâme trafic de chair et de sang, y ajoutant tous les vices, toutes les grossièretés, tous les manques de foi, toutes les vilenies, toutes les scélératesses.

« Il est doux de quitter ces incarnations de la perversité humaine pour le calme des solitudes voisines » [100].

Le lieutenant Vallière indique comment opèrent les Diulas :

« Les uns partent de nos escales du Haut-Sénégal ou de la Gambie avec de la guinée[101] pour se rendre dans le Kingui, vers Nioro[102] ; là, ils achètent, aux Maures, le sel du Sahara. Dans les moments d’abondance, ils obtiennent trois bafals de sel pour deux pièces de guinée[103]. Ils montent ensuite par Kita[104] et Niagassola[105] vers les marchés du Haut-Niger ; en général, ils s’arrêtent à Kéniéra[106], le point le mieux alimenté de captifs ; il paraît que l’on y rencontre, dans les périodes de guerre, plusieurs milliers de ces malheureux. À Kéniéra, chaque barre de sel vaut un captif. On voit par cet exposé que deux pièces de guinée, d’une valeur moyenne de vingt-cinq francs, procurent aux commerçants trois créatures humaines dont la vente produira au retour, sept à huit cents francs. Si le Diula poursuit sa route jusqu’à Dialakoro, il pourra avoir des esclaves à meilleur compte ; toutefois ce dernier marché, situé au centre de l’Ouassoulou, est surtout renommé par son commerce d’or, on y vend la barre de sel jusqu’à sept gros.

« Ainsi, les deux pièces de guinée représentent, à Dialakoro, vingt et un gros d’or, qui seront vendus dans les escales européennes deux cents francs. »

L’interlocuteur du lieutenant Vallière lui faisait ressortir que, sans la mortalité et les risques courus par les caravanes pendant leur passage au milieu de pays habités par des pillards, le commerce des esclaves serait plus lucratif que celui de l’or.

« D’autres Diulas passent par le Nicolo et le Fouta-Djallon[107], vont dans les rivières du sud, françaises et anglaises, acheter à très bon marché des fusils et de la poudre, et débouchent ensuite sur le Haut-Niger, derrière Tirobo.

« Les premiers marchés du Sankaran, actuellement bondés des victimes du farouche Samory, terrible chef de bande, qui vient de dévaster le Baleya et le Diouno, donnent les mêmes bénéfices que ceux que nous avons indiqués pour Kéniéra[108]. »

Le capitaine Binger, rentré en France à la fin de l’année 1889, après son voyage d’exploration du Niger au golfe de Guinée, obtint, de Samory, l’autorisation de traverser ses États. À ce moment, Samory assiégeait Sikaso, capitale du Tiéba. Après un siège de plus d’un an, Samory dut se retirer sans autre résultat que la perte d’une quantité considérable de ses sujets, morts de fatigue, de faim, de leurs blessures, ou vendus par leur souverain pour lui permettre de se procurer des chevaux.

« Dans le Haut-Nil, dit Schweinfurth, les instigateurs, les complices et les bénéficiaires de cet odieux commerce, sont les Djellabas, marchands d’esclaves parvenus à s’établir dans chaque canton, où, sans danger, ils ont tout le profit de la peine des autres. Ils tiennent des cotonnades, du savon, des coiffures, brocantent des armes à feu, vendent des miroirs et des oignons, de la verroterie et des anneaux de fer et de cuivre ; peuvent céder quelques nègres, vieux ou jeunes, mâles ou femelles[109]. »

Souvent, il y a dans cette région plus de deux mille Djellabas. Tout aventurier de cette espèce monte à âne et y passe la moitié de son existence[110]. Si nous en croyons Schweinfurth, on ne voit pas plus l’un de ces petits marchands sans son âne qu’un Samoyède sans son renne. Outre le cavalier, la bête porte au moins dix pièces de cotonnade ; si elle survit au voyage, elle est troquée contre un ou deux esclaves. La charge vaut trois fois autant, d’où il résulte que l’homme au baudet, arrivé sans autre chose que sa monture et vingt-cinq dollars de calicot, se trouve en possession d’au moins quatre esclaves qu’il peut vendre à Khartoum deux cent cinquante dollars. Il revient à pied, faisant porter ses bagages et ses vivres par sa nouvelle marchandise.

« Mais en dehors de ces détaillants, à qui le trafic de chair humaine est aussi naturel que l’usure à un juif polonais, il y a les gens de haut négoce, gens riches, qui, à la tête d’une force armée nombreuse et d’ânes pesamment chargés, font des affaires importantes et jettent sur la place les esclaves par centaines.

« La plupart des gros marchands ont des associés ou des agents à poste fixe dans les grandes zéribas[111]. »

La corvée, appliquée à l’agriculture, n’existe pas pour les indigènes ; elle serait cependant moins nuisible au pays que l’arbitraire, avec lequel, sous prétexte de punir le vol, la désertion ou la mauvaise foi, on saisit les enfants, dans les villages, pour les vendre aux Djellabas. Placés en dehors de tout contrôle par suite de l’éloignement des chefs de maisons de commerce, les gouverneurs des zéribas jouissent d’une entière indépendance. Beaucoup d’entre eux sont des esclaves élevés sous l’œil du maître et qu’on envoie diriger les établissements, de tels postes ne pouvant être confiés qu’à des gens dont on est sûr. Rien ne les empêche de vendre tous les nègres du territoire, de convertir en cuivre le prix de la cession et d’aller vivre tranquillement au Darfour, qui est un lieu d’asile pour beaucoup de malfaiteurs. On peut toutefois compter sur eux jusqu’à un certain point : mais il n’en est pas de même pour les agents des succursales. Nommés généralegénérale-ment pour un court laps de temps, ceux-ci ont bien moins d’intérêt à la propriété commerciale du maître que les esclaves en chef, et la distance qui sépare souvent les petites zéribas du grand comptoir ne permet pas de les surveiller.

Les traitants le savent bien et recherchent de préférence ces petits endroits où ils trouvent d’amples provisions de garçonnets et de fillettes que l’agent leur vend sans scrupule, oubliant qu’en leur qualité de vassaux, ces enfants font partie du domaine dont eux, vékils, sont les gérants.

Empruntons les lignes suivantes à Tremeaux[112]  :

« … A la suite du convoi venaient quelques Djellabas : ceux-ci conduisaient principalement des femmes et des enfants. Les pauvres créatures, étant plus faibles, les liens étaient moins rigoureux ; quelques-unes étaient placées sur des charges de chameaux, d’autres cheminaient et même portaient quelques effets. Mais ce qui était surtout pénible à voir, c’était l’expression des sentiments dont étaient empreints les visages de ces pauvres créatures. Elles jetaient de temps en temps des regards désolés sur les montagnes natales qui allaient bientôt dis-paraître pour jamais. Ah ! quelle tristesse ! quels regrets ! Les enfants seuls pouvaient les manifester par des larmes que venaient refouler la menace et, au besoin, la kourbache[113] du Djellab. Quant aux autres, nous n’essaierons pas de peindre leur douleur, les paroles sont trop froides pour de telles situations. »

Notre compatriote vit, sous ses yeux, un Djellab arracher violemment à sa mère une cédaci (jeune fille) que l’amour filial avait portée à s’enfuir. La malheureuse, se tordant par des mouvements convulsifs, garrottée et bâillonnée, fut hissée derrière un chameau et attachée par son ravisseur comme un simple colis !

« Au moment où je me disposai à m’éloigner, écrit-il, je vis la pauvre mère se redresser tout à coup sur ses bras mutilés, le regard anxieusement tourné vers un point fixe ; elle venait de revoir sa fille sur le chameau du Djellab, remontant l’autre rive après avoir traversé le gué du fleuve[114]. Ses yeux blancs vitreux s’ouvrirent comme s’ils eussent voulu sortir de leur orbite noire : elle tendit la main de ce côté et un cri aigu, prolongé et déchirant, s’échappa de sa poitrine. A cet instant, sa fille disparaissait pour toujours !…

« Cette scène, où tout était amour et malheur d’un côté, arbitraire et iniquité de l’autre, démontre chez le nègre un esprit de famille plus développé que ne veulent le croire ses exploiteurs. Michelet a-t-il eu tort en disant de cette pauvre race tant calomniée, qu’elle était la race du sentiment ? »

Encore quelques lignes du même auteur et voyageur :

« … Dans cette plaine[115], nous vîmes poindre à l’horizon devant nous quelque chose qui paraissait animé : l’objet sembla grandir et changer de forme. Après plusieurs heures de marche nous reconnûmes un convoi d’esclaves… J’arrêtai mon chameau pour mieux observer cette triste procession ; nos chameliers échangèrent sans s’arrêter quelques paroles avec les Djellabas, qui conduisaient ces nouvelles recrues de l’esclavage. Ces malheureux cheminaient péniblement sur le sable, sous la surveillance de leurs conducteurs, qui, à coups de kourbache, ranimaient ceux dont l’épuisement ralentissait la marche. Il y en avait de tout âge, de tout sexe ; les jeunes filles seules ne marchaient pas ; elles étaient groupées quatre par quatre sur des chameaux, ainsi que quelques-uns des plus jeunes garçons.

« Je remarquai, particulièrement, un homme d’un certain âge, dont la barbe courte et déjà grisonnante se dessinait en blanc sur sa figure noire. Ce pauvre diable ruisselait de sueur et marchait en avant de la kourbache du Djellab qui avait déjà laissé de nombreuses traces de poussière blanche sur ses épaules noires et nues. Ses genoux fléchissaient sous lui et, de moment à autre, il prenait un petit trot chancelant pour suivre le pas simple de ses compagnons. Je fis signe au Djellab d’échanger la position du vieillard avec celle d’une jeune fille vigoureuse qui était sur un chameau : un balancement négatif de la tête fut sa seule réponse. Pourtant ailleurs, un enfant épuisé criait en se laissant traîner par la main d’un nègre plus vigoureux que lui ; un Djellab le prit et le jeta sur un chameau. Pourquoi le vieillard était-il sacrifié plutôt que la jeune fille ? Hélas ! il s’agissait de conserver plus fraîche cette partie de la marchandise, tandis que le malheureux vieillard, lui, ne valait guère plus la peine qu’on se donnait pour lui faire traverser le désert… »

Pendant des années les officiers et soldats Égyptiens furent les plus acharnés des négriers. Les lettres adressées du Soudan à Lejean, en 1864, sont formelles à cet égard. Elles dénoncent Mouça-Pacha, gouverneur de cette province, et Ahou-Sin, chef des Choukrié. Elles parlent d’eunuques opérés à Khartoura puis expédiés, en Égypte, par Mouça ; elles mentionnent les razzias d’esclaves opérées sur les frontières de l’Abyssinie ; elles relatent la chasse à l’homme, chez les Chelouks[116], conduite par le préfet égyptien Mohammed-Kher. Leur auteur ajoute, avec raison : « Si tout cela se fait avec la protection du gouvernement, que ne feront pas les particuliers au Bahr-El-Ghazal, au Saubat, au Niambara[117] ? » Les chefs du Sennaar furent taxés à un certain chiffre de têtes d’esclaves, etc. Pendant ce temps, le gouvernement Égyptien trompait l’Europe et annonçait la répression exemplaire du commerce qui déshonorait le Soudan.

Lejean raconte que les sujets égyptiens venaient enlever les petits enfants jusqu’aux environs de Massaouah. Ils s’en prenaient surtout aux Bogos dont la race est remarquablement belle de formes, souple et intelligente.

Triste retour des choses d’ici-bas : les rebelles s’emparèrent de Kassala, capitale du Taka (Haute-Nubie), au mois d’octobre 1865, et y commirent des atrocités : ils forcèrent les femmes du harem du commandant à manger le foie, cru et préparé en marara, de cet officier ; puis, ils jetèrent toutes vives, dans des puits, ces malheureuses, sans épargner leurs enfants. Les mêmes cruautés furent exercées sur dix-sept ofBciers, que l’on écharpa, hacha en menus morceaux et entassa dans des jardins[118].

Les négriers du Fezzan amènent de Kouka et introduisent à Mouzouk, leur capitale, une grande quantité de bétail humain. « Et, dit M. d’Estrées dans le journal Paris, les agents turcs touchent une prime de dix francs par tête. » Les malheureux esclaves entrent en ville pendant la nuit.

Les Filanis (Musulmans), à qui appartient toute la rive droite du Binoué ou Bénué[119], font le commerce des esclaves et considèrent cette institution comme sacrée.

Il y a longtemps déjà que Burton dénonçait les Flibustiers de Zoungomero[120] « qui, le sabre ou la lance au poing, l’arc tendu ou le Fusil sur l’épaule, s’établissent dans les maisons, prennent les femmes et les enfants, s’emparent de tout, mettent le feu aux villages et vendent les habitants à la première caravane qui passe. On est sur le sentier de la traite et, quel que soit le degré de misère des indigènes, le voyageur ne peut pas leur témoigner sa pitié ; il ne trouve d’aliments à aucun prix ; s’il n’entre de vive force dans une case, il restera sans abri malgré l’orage ; s’il ne brûle et ne pille, il mourra de faim au milieu de l’abondance ; s’il n’impose pas de corvée, on ne lui prêtera nul secours. »

Nous ne saurions trop nous élever ici contre la manière d’agir de Burton. Stanley aussi a cherché à pénétrer dans le Continent mystérieux par le fer et par le feu ; les traces de son passage y sont éternellement marquées avec du sang, tandis que la devise de la France, le mot de passe des Giraud, Duveyrier, Soleillet, de Brazza, Douls, Trivier, Binger, etc., est et ne sera jamais que Paix et Liberté, ainsi que le constate fort justement le Journal des Voyages (19 janvier 1890).

Une race nouvelle a fait tout récemment son apparition dans le Soudan, une race d’hommes ignorant d’où ils venaient, qui ils étaient. Ils arrivaient de l’ouest, c’est tout ce qu’ils savaient sur leur origine. On les nomma Foulanes. Musulmans accommodant le Koran à leur manière, ils furent très mal accueillis par les Fétichistes Haouassas, Mandingues et Peuhls. Exposés d’abord aux persécutions des nègres, ils finirent par l’emporter sur eux grâce à leur nombre. Conduits par Bellou, qui devint sultan, les Foulanes se révoltèrent et s’emparèrent du Haouassa ainsi que des contrées adjacentes, réduisirent à l’esclavage leurs tyrans et vendirent tous ceux d’entre eux qui refusèrent d’embrasser l’Islam.

« La conquête du pays par cette race supérieure, dit Largeau, n’est pas encore achevée : le fils de Bellou poursuit les nègres partout où ils sont encore indépendants. Tous ceux qu’il prend, il les partage en deux catégories : les vieux qu’on massacre sur-le-champ, et les jeunes destinés à être vendus ; mais si, pour une cause ou pour une autre, les vainqueurs ne peuvent trouver l’écoulement de cette marchandise humaine, tous les prisonniers sont égorgés sans distinction.

« On a fait de même dans les contrées avoisinant le golfe de Guinée, où les peuplades nouvelles tendent parfois à se substituer à d’autres[121]. »

Si les Caravanes de Ghadamès ou Rhadamès[122] conduisent au Soudan les produits européens ou des Pays Barbaresques[123] tirés de Tripoli, commerce qui a lieu par Rhat[124], elles reviennent à leur point de départ avec des cuirs, des peaux, des tissus de coton, des plumes d’autruches, de l’ivoire, des nattes, du musc, du miel, de la cire, de la corne et des esclaves.

Largeau estime qu’il entre annuellement à Ghadamès au moins cinq cents esclaves des deux sexes.

Schweinfurth visita, dans le Haut-Nil, les établissements du négrier Ghattas, copte habitant Khartoum. Ces zéribas étaient situées sur les tributaires du Bahr Tondj, affluent du Nil Blanc, à l’est-sud de ceux de Kourchout-Ali.

A la côte des Dents, non loin du cap des Palmes (Afrique occidentale), la polygamie est générale chez les Grébos. Au retour de chaque expédition, ces indigènes achètent une femme. Les Grébos naissent libres. L’esclavage, chez eux, est doux ; l’esclave, acheté vers l’âge de dix ans, provient de l’intérieur et a parcouru a petites journées la distance qui sépare la côte. de l’intérieur. Le commerce des jeunes esclaves est florissant dans cette région. Occupé à cultiver la terre, l’esclave est traité avec assez de soin par ses maîtres qui lui achètent une jeune fille lorsqu’il est devenu homme. Il est soumis à la servitude durant toute sa vie, mais ses enfants sont libres.

Kourchout-Ali, dont nous écrivions le nom il n’y a qu’un instant, avait, à l’époque du voyage de Schweinfurth, plusieurs zéribas chez les Djiours.

Comme Ghattas, il habitait Khartoum. Sir Samuel White Baker, lors de sa campagne pour la répression de la traite, gêna beaucoup les opérations de ces deux négriers et de leurs agents.

Bolognesi nous fournit un épisode de la traite faite par les Khartoumiens :

Divers négociants de Khartoum, revenant du pays des Rools, où ils avaient brûlé plusieurs villages, et descendant le fleuve avec des esclaves, arrivèrent un matin au comptoir des Djiours, où se trouvait le voyageur. Les Djiours s’apprêtèrent à leur tenir tête et, commandés par Akondit, se placèrent en dehors du village pour examiner les nouveaux venus.

Bolognesi fit hisser le drapeau anglais et déclara qu’il était disposé à lutter avec les indigènes contre les traitants si ceux-ci tentaient un mouvement offensif.

L’un des négociants s’approcha et pria Bolognesi de panser un blessé qui avait reçu une balle dans l’avant-bras ; il se plaignit aussi de ce que les noirs se refusaient à porter au convoi les vivres nécessaires. Bolognesi lui déclara que s’il avait eu des forces suffisantes, il aurait tenté d’enlever sa cargaison humaine et lui intima Tordre de se tenir à distance et de ne pas quitter son camp.

Dans l’après-midi, le convoi se remît en route. Les noirs étaient attachés à la suite l’un de l’autre avec des courroies de peau de bœuf desséchée qui leur entouraient le cou, en sorte que ces malheureux étaient dans un état de malaise et de malpropreté facile à comprendre. La kourbache jouait aussi son rôle.

Livingstone traverse le pays des Makoas, dans le Haut-Rouvôuma[125] et il écrit dans son journal :

« … Passé aujourd’hui près d’une femme attachée à un arbre et par le cou : elle était morte. Les gens du pays racontent qu’elle ne pouvait suivre la bande (d’esclaves dont elle faisait partie) et que le marchand n’a pas voulu qu’elle devînt la propriété de celui qui la trouverait si le repos venait à la remettre. Une autre avait été poignardée, ou tuée d’une balle..

« … Un des nôtres s’est écarté du chemin et a trouvé une quantité d’esclaves, la fourche au cou et abandonnés par l’acheteur faute de nourriture. Ils n’avaient plus la force de parler. Quelques-uns étaient très jeunes…

« … Vu une autre femme liée à un arbre, où elle était morte… Il y a sur le chemin tant de fourches à esclaves que je soupçonne les habitants de les libérer et de les recueillir pour les revendre. »

Dans un récent entretien qu’il a eu avec un journaliste français, le major Serpa Pinto donna de curieux renseignements sur les Makololos et leur roi :

« La mission que m’avait confiée le gouvernement en 1889, dit-il, avait un but purement scientifique. J’étais chargé d’abord d’accompagner une commission qui devait se livrer à l’étude d’un chemin de fer sur le Chiré, dans la partie où, à cause des rapides, il n’est pas navigable. Cette partie occupe, immédiatement au-dessus de Catonga, une longueur de 75 kilomètres environ. J’avais une escorte de 500 hommes. Je devais en laisser 200 avec la commission du chemin de fer et me rendre, avec les 300 autres, dans le district de Tété, pour explorer certains cours d’eau. Le chemin de fer projeté était destiné à relier, avec l’Océan, une mission portugaise établie, il y a quelques années, après, entente avec moi, par le cardinal Lavigerie à M’ponda, au sud du lac Nyassa. Cette mission comprend non seulement des religieux, mais encore des soldats portugais à la solde de notre gouvernement. Je dois vous dire que les territoires indiqués sur nos cartes sont si bien portugais qu’ils sont administrés par des gouvernements subalternes dépendant du gouvernement central de Mozambique et distribués, dans les districts de Quelimane, Têté, Lourenço-Marquès, Cap Delgado, Angoche et Inhambane. Comme à M’passo, par exemple, où j’ai livré bataille aux noirs révoltés, on y trouve des gouverneurs, des juges, en un mot des autorités légalement constituées par le gouvernement de la métropole.

« A mon arrivée à M’passo, je fus prévenu que les Makololos, qui occupent sur le Chiré, entre la rivière de Ruo et Catonga, un territoire d’une centaine de kilomètres de diamètre, devaient s’opposer à mon passage. Les Makololos sont féroces, querelleurs, et se livrent fréquemment à des incursions sur les autres territoires pour pratiquer la traite des esclaves. Ils avaient terrorisé à un tel degré les paisibles populations des environs qu’elles refusaient de me livrer, à un prix double de celui qu’on leur paye habituellement, la farine et les vivres nécessaires à la subsistance de mon escorte. A ce moment, les Makololos avaient pour roi un homme d’une férocité inouïe, ivrogne accompli ; chaque après-midi, il venait cuver son alcool sur les bords du Chiré. Là, il conversait avec les nombreux crocodiles qui, dès son apparition, ouvraient avec avidité leur gueule au-dessus de l’eau.

« — Puisque vous venez me rendre visite, leur disait l’ivrogne, je vais vous récompenser de votre politesse. »

« Et il se faisait apporter un enfant qu’il jetait en pâture aux crocodiles, prenant grand plaisir à les voir déchirer et se disputer cette chair d’innocent. Si la mère de l’enfant se lamentait ou se plaignait, il la jetait, à son tour, dans la rivière.

« Je connaissais l’abominable cruauté de ce roi ; néanmoins, je ne lui aurais pas fait la guerre s’il ne s’était pas opposé à l’accomplissement de ma mission. Me voyant dans l’impossibilité de continuer ma route, et mon escorte étant trop faible pour engager la lutte avec les 14,000 sujets de ce tyran, je retournai à Mozambique, afin d’informer mon gouvernement des obstacles que je rencontrais. Je reçus l’ordre de faire le nécessaire pour aller de l’avant. En octobre 1889, je quittai Mozambique pour revenir sur les bords du Chiré, après avoir levé dans le Bas-Zambèze 6 à 7,000 Cafres et emporté des armes et des canons. Je passe sur les préparatifs de la rencontre qui eut lieu le 8 novembre. Les Makololos m’attaquèrent en masse à M’passo, sur les deux rives du Chiré où je m’étais fortifié. Ils étaient armés de fusils à tir rapide ; et si leurs pertes ont été considérables, en revanche, ils ont réussi à faire beaucoup de mal à mes troupes. Je les croyais en fuite, quand je les vis revenir précédés de deux d’entre eux qui portaient chacun un drapeau anglais. Je ne m’arrêtai pas à ce subterfuge dont je devinai l’origine. Le combat s’engagea de nouveau. Mes Cafres tuèrent les deux porteurs de drapeaux et s’emparèrent des deux étendards ; ce que voyant, les Makololos s’enfuirent pour aller se reformer au delà du Ruo, à son confluent avec le Chiré, dans une très forte position d’où je les ai délogés quelques jours plus tard. Après cette dernière défaite, ils m’ont fait leur soumission, et j’ai envoyé dans tout leur pays des officiers de marine^ avec de petits corps de troupes, qui ont achevé de le pacifier. Le roi avait trouvé la mort dans le combat. Partout cette mort fut célébrée comme une délivrance. »

Afin de se défaire de son ivoire, Giraud est obligé d’aller au boma d’un négrier arabe, Makutubu, qui avait comme escorte une vingtaine de bandits Rougas-Rougas et se trouvait en guerre avec l’un de ses voisins.

Vers minuit, une douzaine de coups de fusils furent tirés précipitamment contre le borna ; l’un des assaillants tomba, percé d’une balle, à Tune des portes de la palissade.

Le matin, Giraud fut réveillé par de longs cris poussés par la multitude : « La petite cour placée devant le tombé était pleine de monde, dit-il. Au centre d’un cercle, la tète du malheureux, sciée à coups de couteau, était plantée sur un piquet à un pied de terre et la foule en délire se livrait autour de ce trophée à une ronde échevelée sous une pluie battante. De temps à autre une femme, un enfant, sortait du groupe, s’approchait de cette tète livide, lâchant une ignoble plaisanterie, puis rentrait dans la ronde au milieu d’un hourra frénétique. Comme j’arrivais, une vieille négresse, au torse nu, venait de la saisir par les cheveux, un instant elle la balança à bout de bras, puis la lança à quelques pas, où elle bondit avec de sanglantes éclaboussures. Et la foule de se ruer en rugissant. « Les enfants s’amusent ! » me dit Makutubu, qui regardait la scène d’un œil paterne, sous un vieux parapluie en grosse toile huilée » [126].

Les Mandingues, qui habitent sur les bords du Haut-Niger, achètent de deux à quatre femmes, qui valent environ soixante-cinq francs en marchandises.

Dans le Manyèma régnent la polygamie et l’esclçivage dans toute leur horreur[127].

On ne peut fixer même d’une manière approximative, le nombre des esclaves au Marok. Dépasse-t-il celui des Juifs, qui est de soixante mille ? Chaque année des caravanes organisées par des Arabes et des Maures des environs de Marakech[128], ramènent du sud et mettent en vente les esclaves nécessaires pour combler les vides. *

La nation des Matabélés (Haut-Zambèze) se recrute en grande partie par la guerre et la maraude chez les nations voisines. Chaque année, les Impis, corps de volontaires, amènent des contrées limitrophes, avec les troupeaux de gros bétail, de nombreux enfants des deux sexes, depuis un an jusqu’à deux ans, dont les pères ont été massacrés et les mères réduites à l’esclavage ; plus tard les garçons sont incorporés dans la nation et les jeunes filles données en mariage aux Indunas (chefs).

Les femmes sont traitées comme des esclaves et condamnées aux plus rudes travaux.

Mchiri, chef du Katannga[129] avait réuni autour de lui plusieurs de ses compatriotes[130] et des traitants de la côte Orientale ; il s’était procuré des armes à feu et se livrait à la chasse des nègres. Verney Hovett Cameron prétend que des Portugais lui servaient d’auxiliaires[131]. Au retour, le butin humain était partagé en proportion du nombre des fusils fournis parles associés. Les esclaves étaient ensuite conduits à la côte près de Benguéla et embarqués pour l’Amérique du Rud.

Non loin des grandes chutes de Karuma, au Mkidi, le roi Kamrasi, après une expédition, fit décapiter et jeter dans la Kafu, affluent du Nil Blanc une centaine de prisonniers[132].

Schweinfurth fait ainsi le portrait des négriers qu’il trouva chez Zîber, sur le Ngokkou, affluent du Mong[133] : « Ces brocanteurs de chair humaine, sales et déguenillés, accroupis dans tous les endroits libres et veillant sur leur butin comme les vautours sur un chameau tombé au désert ; le son aigu de leurs voix rudes, criant leurs prières blasphématoires ; ces Turcs paresseux et cuvant leur ivresse, plus encore une foule oisive et agitée couverte de crasse et de plaies immondes : maladie de la peau, tourbillons d’où s’échappaient des odeurs cadavériques, constituaient l’ensemble le plus révoltant. »

Les négriers du Haut-Nil se dirigent généralement dans les états de Moflô, le plus puissant des chefs Niams-Niams[134], auquel les Djellabas ont fourni des armes à feu assez nombreuses pour qu’il ait pu former un corps redoutable de fusiliers. Ce chef possède une quantité inépuisable d’esclaves. Tous les ans il vend des milliers de captifs.

Les Mzaramas[135] font la chasse à l’esclave afin de pouvoir satisfaire leurs goûts pour la parure !

L’Eliüa ji N’Komis est une immense nappe d’eau s’étendant du nord au sud, à quelque distance de l’Océan Atlantique, entre les caps Lopez et Sainte-Catherine, au sud de l’Ogôoué, au Congo. Parsemée d’îles nombreuses, entourée de plaines, de forêts, de sites ravissants, cette nappe d’eau attira les N’Komis, peuplade jalouse à l’excès de son territoire et de sa nationalité.

Les N’Komis ont un roi qui commande à tous les autres chefs et un tribunal régulier siège dans la plus grande île du lac.

Le 8 juillet 1887, le roi Oïari Re Ngondo a publié une seconde édition de son code pénal. Citons-en quelques articles :

« Celui qui tuera sera tué ou livrera un de ses neveux, ou à défaut de neveu, vingt, trente et quelquefois cinquante esclaves, selon la dignité du défunt.

« Celui qui blessera avec le sabre, sauf le cas de légitime défense, aura les oreilles et le nez coupés.

« Celui qui volera aura une oreille ou les deux oreilles coupées, selon la gravité de la matière, sans compter la restitution. »

Ces lois inculquées aux enfants dès leur plus bas âge sont appliquées dans toute leur rigueur.

Les femmes sont les grandes féticheuses ; les hommes sont assez doux de caractère, rieurs, causeurs, au fond peu méchants.

Les chefs Okandas[136] ne prennent guère plus de deux à trois femmes. De Brazza constate la diminution de cette race par suite des habitudes relâchées des femmes et de la pratique de l’avortement ; comme il leur est défendu d’avoir plus d’un enfant en trois ans, la décroissance de la population est rapide et augmentée encore par les massacres auxquels se livrent les M’fans Osseybas ou Pahouins anthropophages.

De Brazza rejoint, dans l’Ogôoué, par une flotte d’Adoumas et d’Okandas, vers Boundji, non loin de Nghemé, capitale de l’Adouma, dit :

« Il me faut une naïveté constante de bon vouloir pour ne pas remarquer la troupe d’esclaves que ramènent nos Okandas. Ces malheureux, au nombre de quatre-vingts, ont tous les mains prises dans un carcan de bois ; ni vieillards, ni enfants en bas âge ne sont exempts de cette sorte de cangue. Mon intervention les affranchit de ce supplice, mais le temps n’est point encore venu de tenter une libération[137]. »

A Lopé cependant, de Brazza, au moment de la clôture du marché, acheta ceux des esclaves qui le désirèrent : ils se présentèrent au nombre de dix-huit seulement ; les autres, dans leur crainte superstitieuse des Blancs, préférèrent rester aux mains de leurs maîtres et s’en aller, avec eux, dans des pays d’où ils ne reviendront jamais.

Peut-être croyaient-ils, comme les naturels du Donhon (Fouta-Djallon : Afrique Occidentale), que les blancs mangent les noirs. Quelques Foulahs ont bien osé, devant Lambert, préciser les détails les plus circonstanciés de nos prétendus festins de cannibales. Ils y faisaient figurer une cloche et une grande marmite.

Lambert conclut ainsi, d’une manière qui nous semble fort rationnelle : « J’ai entendu attribuer ces bruits à la malveillance des Marabouts noirs, qui voudraient éloigner de nous leurs néophytes ; ne sont-ils pas plutôt la conséquence naturelle de la traite des esclaves et de l’effrayante consommation d’Africains que cette infâme institution a faite depuis trois siècles ? Sur les deux cents millions de nègres achetés par l’Amérique pendant cette période de temps, combien sont rentrés sur le sol natal pour y témoigner de l’emploi auquel les avaient destinés les marchands de chair humaine[138] ? »

Marche, qui parcourut l’Okanda, de même que de Brazza, a pu voir comment l’esclavage y était pratiqué, et dit :

« Tous les esclaves mâles ont au pied une bûche dans laquelle on a fait un trou assez grand pour que la cheville puisse y entrer, puis on rétrécit l’ouverture en enfonçant un morceau de fer au milieu, afin que le pied ne puisse plus repasser. Pour marcher, ce qui leur serait impossible de faire sans se blesser, ils supportent cette bûche par une corde attachée à chaque bout, ce qui les fait ressembler à des forçats traînant leur chaîne et leur boulet. Quelques-uns des plus robustes, ceux qu’on craint de voir s’enfuir quand même, ont les mains passées dans une planchette qui forme comme un diminutif de la cangue ; ce sont les plus malheureux : obligés de se tenir toujours dans la même position, leurs souffrances doivent être intolérables. Les femmes et principalement les enfants sont libres. Tout ce monde n’avait pas l’air de se plaindre de son sort. Un seul vint me demander protection ; mais, comme je n’avais pas assez de marchandises pour le payer, je me contentai de prévenir son propriétaire que la première fois qu’il le frapperait, je le lui rendrais au centuple. Ce n’est pourtant pas que les noirs frappent généralement leurs esclaves ; ils craignent trop que la marchandise ne soit détériorée, et de plus que ceux-ci ne les empoisonnent, chose qui serait, en somme, assez facile et dont ils ont horriblement peur. Tout cela rit et joue ; ils sont enchantés du peu de tabac que je leur donne et qu’ils fument parfaitement sans vouloir que leurs maîtres en usent.

« La petite vérole sévit dans le pays depuis deux mois ; elle a été apportée par les Okandas qui ont remonté avec M. de Brazza ; déjà dix de ces malheureux ont succombé ; d’autres sont gravement atteints. Du reste presque tous ceux qui en sont atteints en meurent. J’ai toutes les peines du monde et je ne réussis pas toujours à empêcher les parents et les amis de conduire, au point du jour, leurs malades prendre un bain froid dans la rivière, remède qui achève invariablement le patient. Pendant mon séjour à Lopé, une esclave s’en alla ainsi prendre un bain, et fut retrouvée, une heure après, morte sur la rive. Les Okandas n’ont pas peur de la petite vérole, « car, disent-ils, nous l’avons eue et maintenant il n’y a que nos enfants qui aient à la craindre. » Je cherchai à savoir qui avait pu leur enseigner cela ; ils l’avaient appris par expérience. Ici, depuis son arrivée, la maladie a causé énormément de ravages. Dans le camp est un vieil esclave prêt à mourir : tous ses compagnons d’esclavage lui font endurer mille tourments : ils lui retirent sa natte quand il veut dormir, se moquent de lui quand il se traîne pour aller boire ; ils ne comprennent pas, tout en m’obéissant, pourquoi je leur fais des reproches et leur défends de tourmenter ce malheureux, captif comme eux, et qui souffre ce qui pourra leur arriver demain. D’autres esclaves presque aussi malades sont emmenés, parmi lesquels une femme dont je parlerai plus loin. »

« Les femmes esclaves sont presque toutes vieilles et se disputent comme de vraies mégères ; deux, entre autres, s’administrent une volée homérique, s’arrachent les lambeaux d’étoffe que leur maître a bien voulu leur laisser, se mordant, se prenant aux cheveux ; les autres les entourent et rient à gorge déployée ; je dois prendre un bâton pour les faire cesser, car le sang commence à couler.

« 19 juin 1877. — Cette nuit, les Okandas n’ont pas dormi. Ils ont changé les entraves des esclaves, réuni les moutons. Ce matin ; dès avant le jour, on débarrasse les hommes de la bûche qu’ils ont au pied ; on leur attache autour des reins une corde qui doit les amarrer à la pirogue, aussi bien pour les empêcher de se sauver que pour qu’ils soient, en cas d’accident, retenus à la pirogue et ne puissent être entraînés par le courant.

« On abandonne le vieil esclave dont j’ai parlé, et les Adoumas d’en face viennent le reprendre. Nous ne nous arrêtons qu’à quatre heures, après avoir passé les rapides de Bouangi. Nous voici donc chez les Osseybas. Tout le long de la route, nous avons rallié d’autres pirogues chargées d’esclaves… Pendant que je veille à la cuisson de mon repas, on vient me prévenir qu’on va jeter à l’eau une femme esclave atteinte de la petite vérole et encore vivante. Je hèle la pirogue, les hommes qui la montent font la sourde oreille ; je prends mon fusil, à cette vue ils s’empressent d’accoster ; je leur demande ce qu’ils vont faire de cette femme. « Tu vois bien, me disent-ils, qu’elle va mourir avant deux ou trois jours, elle est horriblement couverte de mal et peut le communiquer à ses compagnons. Nous ne voulons pas la donner à d’autres et nous allons la noyer, — pas devant toi, ajoutent-ils ; — derrière l’île, pour que tu ne la voies pas. » Je saute dans la pirogue, et je les oblige à aller accoster à la rive opposée et à débarquer la femme qui est dans l’impossibilité de se mouvoir ; les hommes qui la sortent de l’embarcation se couvrent de feuilles afin de ne pas la toucher directement. Du reste, elle est horrible à voir ; je lui fais donner des provisions et elle reste là. Quand je reviens au camp, tout le monde se moque de moi. surtout les esclaves. « Comment, me disent-ils, toi qui es un grand chef, un blanc, tu t’occupes d’une femme, et d’une esclave ? Ce n’est pas ton affaire, on ne s’occupe pas de cela. » J’essaie vainement de leur faire comprendre que les blancs regardent tous les hommes comme leurs frères et qu’ils ont toujours pitié de ceux qui souffrent, je termine mon discours en déclarant que quiconque fera du mal à cette femme aura affaire à moi.

« 20 juin. — Nous partons au point du jour. Un moment après, je m’aperçois qu’un Osseyba a pris la femme variolée dans une petite pirogue où elle est étendue ne donnant presque plus signe de vie ; je demande pourquoi il l’emmène, on me répond que, puisqu’elle n’est pas morte cette nuit, elle peut vivre encore deux ou trois jours, assez pour être vendue…

« Nous arrivons aux rapides dangereux. On débarque les esclaves. Une partie des Okandas descend à terre. Les esclaves sont tenus par leurs propriétaires au moyen de la corde qui sert à les amarrer dans la pirogue ; pourtant ces malheureux ne songent guère à se sauver. D’un côté, il est vrai, leurs maîtres les conduisent en esclavage ; mais, de l’autre, s’ils fuyaient, ils tomberaient entre les mains des Osseybas qu’ils savent anthropophages et sur le compte desquels leurs possesseurs ont bien soin de leur raconter force histoires plus effrayantes les unes que les autres. A cinq heures, nous arrivons à la chute de Bôoué…[139] »

« 22 Juin. — Parti à sept heures. Nous entrons dans la région Okanda. Aussi tous les hommes sont en grande toilette et tirent force coups de fusils pour célébrer le retour. A mesure qu’une pirogue arrive devant son village et se détache de la flotille, les femmes accourent, sautent au cou de leurs maris, et leur administrent force tapes amicales sur les épaules : Chaamba ! Chaamba ![140] puis leur demandent immédiatement ce qu’ils apportent. Ceux qui ont des esclaves les montrent. Elles se précipitent sur eux, les palpent, les emmènent par leur corde quand ce sont des hommes ou des femmes, quand ce sont des enfants, les prennent dans leurs bras et les conduisent au village…

« Pendant mon séjour à Lopé, je vis arriver dans une cabane en ruine et abandonnée, une malheureuse dont le corps, envahi par une horrible nécrose, semblait en partie momifié ; les bras et les jambes étaient réduits à l'état d’un squelette, les doigts des pieds desséchés, raccornis et tombés en partie, avaient l’aspect du cuir brûlé, et le corps présentait sur plusieurs points des taches de décomposition. J’eus toutes les peines du monde à forcer mes interprètes à lui parler, tant ils craignaient de gagner sa maladie. J’appris que cette malheureuse était la femme d’un chef de village, qu’elle était chassée de partout, et que personne ne voulait rien lui donner. J’envoyai chercher les gens de sa famille. Je leur dis que je n’entendais pas que cette femme restât ainsi à l’abandon et qu’il fallait l’emmener. « C’est bien, dirent-ils, nous allons le faire. » Comme ils s’éloignaient, je pensai à leur demander où ils allaient la conduire. « Mais, me dirent-ils, nous allons la jeter à la rivière ; que veux-tu que nous en fassions ? elle va bientôt mourir, personne ne veut la soigner. » Celui qui me donnait si froidement cette explication n’avait pas réfléchi qu’il se trouvait à la portée de mon pied, il s’en aperçut trop tard. Je lui déclarai que si quelqu’un touchait à cette malheureuse, je lui ferais suivre le même chemin, que je la prenais sous ma protection, et que je me chargeais de lui donner du feu et à boire.

« Cette femme vécut encore quatre jours. Quand elle fut morte, les misérables qui n’avaient pas voulu lui donner un peu d’eau eurent le courage d’aller arracher au cadavre le lambeau d’étoffe qui lui restait autour des reins et d’enlever les provisions qu’elle n’avait pu manger ; mais aucun de ceux qui voulaient la jeter vivante à la rivière ne voulait y porter son corps, je dus employer la menace[141]. »

Tandis que de Brazza explorait le cours de l’Ogôoué, en 1876, les Oubambas ravageaient la rive du fleuve opposée à la leur. Tout ce qui tombait en leur pouvoir, hommes, femmes, enfants, était pris et vendu, soit aux Adoumas de l’ouest, soit aux Bakékés de l’est. Les Oubambas allaient jusqu’à céder les femmes qui ne leur plaisaient plus.

Speke fait le récit de son séjour à la cour du roi Mtésa, l’un des chefs de l’Ouganda[136] :

« … Dans ce milieu d’esclavage sans limite et de despotisme sans frein, dit-il, le sort de ces femmes (femmes de Mtésa) tourne souvent au tragique… Me croira-t-on cependant si j’affirme que, depuis mon changement de résidence, il ne s’est pas passé de jour que je n’aie vu conduire à la mort quelquefois une, quelquefois deux, et jusqu’à trois ou quatre de ces malheureuses qui composent le harem de Mtésa ? Une corde roulée autour du poignet, traînées ou tirées par le garde du corps qui les conduit à l’abattoir, ces pauvres créatures, les yeux pleins de larmes, poussent des gémissements à fendre le cœur : « Hai, minangé ! (mon seigneur !), « Mkama ! (mon roi !) Hai ri gawia (ma mère !), » et malgré ces appels déchirants à la pitié publique, pas une main ne se lève pour les arracher au bourreau, bien qu’on entende çà et là quelque spectateur préconiser à voix basse la beauté de ces jeunes victimes sacrifiées à je ne sais quelle superstition ou quelle vengeance…

« Quand un Mkungu[142], dont la fille est jolie, a commis quelque faute, il peut céder cette fille au roi pour éviter d’être puni ; que quelque souverain du voisinage ait une fille assez bien douée pour que le roi de l’Ouganda la désire, il devra la livrer à titre de tribut. Les Ouakungu reçoivent leurs femmes de la main du monarque, selon leurs mérites ; et ces femmes sont ou des captives faites à la guerre, ou des épouses d’officiers récalcitrants. Cependant la femme ne constitue pas ici, en général, une propriété, bien que des pères échangent souvent leurs filles et que des maris vendent comme esclaves ou livrent à la flagellation et aux travaux les plus serviles, les épouses dont la conduite laisse à désirer… »

Speke demandait à l’un des officiers de Mtésa pourquoi le nombre des femmes était aussi considérable :

« Le roi, répondit-il, nous les donne pour soutenir notre rang… Il lui arrive de nous en donner cent à la fois et tout refus est impossible ! Nous sommes libres seulement de faire d’elles à notre gré, soit des épouses, soit des domestiques »

Speke retrouve Mtésa sur le côté occidental de la crique Murchison, et dit en parlant de lui :

« Au surplus, il menait de front les affaires et le plaisir, car un instant plus tôt, rencontrant une femme qui, les mains garrottées, marchait au supplice pour un délit quelconque — sur lequel je n’ai pu obtenir de renseignements, — il a fait l’office de bourreau, et du premier coup de carabine l’a étendue morte sur la route

« Une fois à terre, on débuta par un pique-nique où le pombé ne fut point épargné : puis le cortège se mit à circuler dans une espèce de verger qu’il moissonnait gaiement, chacun paraissant animé des meilleures dispositions, lorsqu’une des femmes du roi — charmante créature par parenthèse — eut la malheureuse idée, croyant lui être agréable, de lui présenter un fruit qu’elle venait de cueillir. Aussitôt, comme pris d’un accès de folie, il entra dans la plus violente colère : « C’était la première fois, disait-il, qu’une femme s’était permis de lui offrir quelque chose ; » et là-dessus, sans alléguer d’autre motif, il enjoignit à ses pages de saisir la coupable, de lui lier les mains et de la faire exécuter sur-le-champ.

« A peine ces mots prononcés, tous les jeunes drôles à qui le roi s’adressait déroulèrent en un clin d’œil les turbans de corde qui ceignaient leurs têtes, et, comme une meute de bassets avides, ils se précipitèrent sur la belle créature qui leur était livrée. Celle-ci, indignée que de pareils marmots se crussent autorisés à mettre la main sur sa personne royale, essaya de les repousser comme autant de moucherons importuns, tout en adressant au roi des remontrances passionnées ; mais en peu d’instants ils l’eurent saisie, renversée, et, tandis qu’ils l’enchaînaient, l’infortunée nous adjurait, le kamravioua et moi, de lui prêter aide et protection. Lubrega cependant, la sultane préférée, s’était jetée aux genoux du roi, et toutes ses compagnes, prosternées autour de lui, sollicitaient le pardon de leur pauvre sœur. Plus elles imploraient sa merci, plus semblait s’exalter sa brutalité naturelle, jusqu’à ce qu’enfin, s’armant d’une espèce de massue, il en voulut frapper à la tête sa malheureuse victime…

« J’avais le plus grand soin, jusqu’alors, de n’intervenir dans aucun des actes arbitraires par lesquels se signalait la cruauté de Mtésa, comprenant du reste qu’une démarche de cet ordre, si elle était prématurée, produirait plus de mal que de bien. Il y avait toutefois dans ce dernier excès de barbarie quelque chose d’insupportable à mes instincts britanniques, et lorsque j’entendis mon nom (Mzungu !) prononcé d’une voix suppliante, je m’élançai vers le roi, dont j’arrêtai le bras déjà levé, en lui demandant la vie de cette femme. Il va sans dire que je courais grand risque de sacrifier la mienne en m’opposant ainsi aux caprices d’un tyran ; mais dans ces caprices mêmes je trouvai mon salut et celui de la pauvre victime. Mon intervention, par sa nouveauté hardie, arracha un sourire au despote africain, et la prisonnière fut immédiatement relâchée[143]. »

Plusieurs années après le voyage de Speke, Stanley arrive dans l’Ouganda et trouve Mtésa occupé à réduire les Vouavoumas révoltés. Malgré ses avis, le roi envoie des parlementaires pour s’assurer des dispositions des rebelles d’Innghira.

« Toute l’armée, écrit Stanley, suivit le canot des yeux ; jamais je n’ai eu d’angoisse plus poignante. La députation aborda ; des cris perçants nous arrivèrent ; puis un cri de triomphe ; et les têtes sanglantes du page et de ses quinze compagnons nous furent lancées, au milieu des rires et des sarcasmes des Vouavoumas. »

Par représailles, Mtésa voulut faire brûler vif un vieux chef Vouavouma, auquel Stanley parvint à sauver la vie. Une machine de guerre, inventée par l’explorateur, terrifia les Vouavoumas, qui se soumirent : « Un canot, monté par quinze hommes, dont plusieurs notables, amena un certain nombre de dents d’éléphants, plus deux beautés, filles des deux principaux chefs de l’île, c’était le tribu de l’Ouvouma. L’ivoire fut remis à l’intendant ; les jeunes filles conduites au harem et le vieux chef remis à ses compatriotes. Des acclamations, poussées des deux camps, annoncèrent que tout le monde était satisfait[144]. »

Mtésa mourut, en 1885 et fut remplacé par l’un de ses fils, Mouanga, âgé d’une vingtaine d’années.

Les Pères Blancs du cardinal Lavigerie ont des missions aux bords du lac Victoria, comme à ceux du Tanganyika et les Missions Catholiques publiaient, au mois de juin 1890, la lettre suivante que le roi Mouanga envoyait au Cardinal, au moment où le sort des armes lui était favorable et qui montre combien ses dispositions sont excellentes :

« Menga (Ouganda), 4 novembre 1889.
« Eminence et mon Père le Grand,

« Moi, Mouanga, roi de Ouganda, j’envoie vers vous (pour : j’ai l’honneur de vous offrir mes hommages). Je vous écris pour vous informer de mon retour dans mon royaume.

« Vous avez appris que lorsque les Arabes m’eurent chassé, je me sauvai dans le Bokumki. Monseigneur Livinhac et ses missionnaires me traitèrent avec bonté. Après quatre mois, les chrétiens m’envoyèrent chercher. Nous nous sommes battus pendant cinq mois. Dieu nous a bénis et nous avons triomphé des Arabes.

« Maintenant, je vous en supplie, daignez nous envoyer des prêtres pour enseigner la religion de Jésus-Christ dans tout le pays de l'Ouganda. Je vous demande aussi des enfants ayant appris les remèdes (connaissant la médecine), comme ceux qui sont allés à Oudjidji. Quand ils arriveront chez nous, je leur donnerai une belle place[145].

« J’ai appris que Notre Père le Pape, le grand chef de la religion, vous a envoyé traiter avec les grands de l’Europe, pour faire disparaître le commerce des hommes dans les pays de l’Afrique. Et moi, si les blancs veulent bien me donner la force, je puis les aider un peu dans cette œuvre et empêcher le commerce des hommes (des esclaves) dans tous les pays qui avoisinent le Nyanza.

« Daignez demander pour moi (au Ciel) la force de bien faire ; de mon côté, je prie Dieu de vous donner ses bénédictions et de vous aider dans toutes les œuvres que vous entreprenez pour sa gloire.

« Moi, votre enfant,

« MOUANGA,
« roi de l’Ouganda. »

En lisant cette lettre, on ne reconnaîtrait guère ce Mouanga, qui, excité par les négriers Arabes, fît, en 1886, brûler, massacrer, couper en morceaux des chrétiens indigènes, ses sujets, et une mission anglaise protestante, ayant à sa tête l’évêque anglican Hannington.

Les Arabes esclavagistes avaient profité de rétablissement des Allemands dans l’Ousagara et de leur attitude à Zanzibar, pour persuader à Mouanga que les Européens allaient envahir ses États et le réduire en esclavage avec ses peuples.

Mouanga était cependant un catéchumène des Pères de la Mission d’Alger. L’arrivée des missionnaires anglais, par l’est, sembla confirmer les dires des Arabes, Mouanga fut poussé à une sorte de délire : « C’est moi, s’écriait-il, qui suis le dernier roi de l’Ouganda : les blancs s’empareront de mon pays après ma mort. De mon vivant, je saurai bien les en empêcher. Mais, après moi, se terminera la liste des rois nègres de l’Ouganda ! »

Le traité anglo-allemand, de 1890, qui donne l’Ouganda à la Grande-Bretagne[146], pourrait bien rendre les Arabes bons prophètes.

Dans l’Ounyamouézi, les esclaves sont enchaînés par le col, au nombre de quatre à cinq par groupes et se livrent ainsi à la moisson et aux divers travaux domestiques (l’Onnyamouézi est au nord du Victoria Nyanza et à l’est du Tanganyika).

L’Ounyanyembé (Terre de la Lune), est habité par les Omanis dont l'existence est raffinée, sensuelle, au milieu d’une foule de concubines et d’esclaves de toutes sortes. La plupart des femmes proviennent du Manyéma ; elles sont généralement très jolies. Excepté leur chevelure, elles n’ont rien du type nègre ; leur couleur est très claire, dit Stanley ; dans le nord de la province leur peau n’est pas plus brune que celle des Portugaises ou des quarterones de la Louisiane. Elles ont le nez bien fait, des yeux superbes, les lèvres d’une belle coupe, bien marquées, sans être grosses ; et il est rare qu’elles aient les dents saillantes. Très alertes, elles sont habiles plongeuses et vont cueillir les huîtres au fond du Webb, où ces mollusques abondent. Fort intelligentes, ces femmes sont avidement recherchées. Les rapaces qui les veulent pour les vendre aux Omanis, ne reculent devant rien et sont invincibles puisqu’ils sont armés de fusils !

Sir Samuel White Baker, parvenu jusque dans l’Ounyoro, assista à l’expédition du roi Kamrasi contre Fowouka. Kamrasi ruina son adversaire, enleva les filles de Rionga et un millier d’esclaves[147].

(Avant de pénétrer dans cette région, Baker avait passé sur le territoire des Latoukas[148] ; un village prudemment respecté par Ibrahim, avait été attaqué par la troupe de Mohammed-Her. Cette troupe avait sans grande difficulté et résistance, pris les femmes et les enfants pour les réduire à l’esclavage ; mais, lorsque les Latoukas la virent s’emparer de leurs vaches (ces indigènes tiennent plus à leurs bestiaux qu’à leur famille), ils devinrent furieux, cernèrent les gens de Mohammed dans un défilé et les poussèrent dans un gouffre de cinq cents pieds de haut. Bellal et Mohammed, échappés au massacre de leurs hommes, rentrèrent au camp de Baker).

Les Pahouins[149], gagnés par la contagion de la débauche et dont les femmes sont d’autant plus fécondes que la loi interdit de marier les jeunes filles avant qu’elles soient nubiles, vendent leurs enfants, dès l’âge le plus tendre, aux traitants cosmopolites.

Chez les Pahouins, un homme n’est considéré qu’autant qu’il a plusieurs femmes ; on se moque de celui qui n’en a qu’une. Les femmes sont l’occasion de tous les combats qu’ils se livrent sans cesse les uns aux autres.

La femme est une chose qui passe du frère au frère, en cas de décès du maître, ou aux autres membres de la famille.

Chaque tribu pahouine est jalouse de sa voisine. Tous les malheurs sont attribués aux maléfices des ennemis. Ces sorts sont désignés sous le nom de : Evoushé ! Les Ngans ou sorciers peuvent seuls les conjurer.

Les Pahouins n’ont pas d’esclaves, mais chez eux les femmes sont traitées comme telles et pis encore. Les jeunes filles sont dès le bas-âge promises et vendues par leurs pères ; elles passent dans la demeure de leur fiancé et y sont élevées suivant les goûts de la famille. Cet usage donne lieu à de grands désordres, car ne se sentant souvent aucune affection pour l’individu dont elles devront partager le sort, elles s’enfuient et provoquent de longues guerres. Souvent une jeune femme se suicide en s’étranglant dans la forêt.

A la mort d’un polygame, on enferme ses femmes dans sa case et comme elles doivent pleurer bon gré mal gré, chaque Pahouin du village vient, à son tour, leur infliger au besoin une bonne bastonnade, leur enfoncer dans le corps des bambous pointus, leur injecter dans les yeux du jus de citron, leur faire endurer toutes sortes de supplices.

La force musculaire constitue uniquement la valeur d’une femme pour ces sauvages. Plus elle est capable de soulever et de porter de lourdes charges, plus elle est belle et recherchée ! C’est assez logique, puisque tous les travaux pénibles doivent lui incomber : culture des jardins, cueillette des bananes, soins du ménage, etc.

La marche continue de l’Islamisme, entre le golfe de Guinée et le Bas-Niger, est un phénomène curieux à constater. Il y est introduit par les Peuhls que la France a rencontrés au Sénégal, où leurs métis sont appelés Toucouleurs. Les tribus musulmanes des Peuhls se sont infiltrées depuis le commencement du siècle le long du Niger et y ont fondé de grands Etats propagandistes par le fer et le feu, ainsi qu'au VII siècle les soldats d’Omar et d’Othnian. Les Peuhls sont redoutables. A Saint-Louis du Sénégal, il est un dicton fort répandu : « Si l’on introduit une poul (ou fellata) dans une famille, fut-ce comme servante, comme captive, elle devient la maîtresse de la maison. »

Une autre forme de prosélytisme de ces rudes tribus des Peuhls par leurs aloufas ou marabouts, mérite d’être mentionnée ici.

L’aloufa est prêtre et maître d’école tout ensemble. Coiffé d’un turban, chaussé de sandales, drapé orgueilleusement dans son ewon, il porte habituellement des armes : le sabre ou le fusil. Il monte à cheval, escorté d’une suite nombreuse. Un semblable appareil en impose au nègre fétichiste, autant que le maintien grave de l’aloufa ; aussi le nègre se sent-il fortement attiré vers la religion de Mohammed. Cette religion flatte sa vanité et ne la contraint, somme toute, à aucune pratique pénible, puisqu’il peut continuer à vivre dans la polygamie.

Maître d’école, l’aloufa enseigne à lire et à écrire les lettres de l’alphabet arabe et quelques versets du Koran… Comme prêtre, il s’attache à faire haïr tout ce qui n’est pas l’Islam. Le païen ne ferme pas les yeux à la lumière de parti-pris. Le musulman, au contraire, a la résolution absolument arrêtée de repousser toute doctrine étrangère à celle qu’il professe ; il n’examine et n’écoute même pas…

Il est aisé de comprendre quel obstacle énorme l’Islamisme oppose à la propagation du Christianisme, partout où il a une influence prépondérante. Chaque jour, il fait des progrès nouveaux : les chefs païens, alors même qu’ils ne sont pas mahométans, laissent les aloufas prendre sur leur esprit un énorme ascendant.

En voici la preuve :

Quand Clapperton débarqua, en 1825, dans la lagune de Lagos[150], il ne trouva en fait de musulmans que les étrangers de passage, quelques négociants « qui se contentaient de la mosquée par excellence, la voûte du firmament. » En 1861 et 1862, Burton ne rencontrait, à Lagos, qu’une dizaine de musulmans ; en 1863, il y en avait douze cents ; en 1880, leur nombre atteignait dix mille avec vingt-sept mosquées.

Le colosse musulman englobera tout l’ouest africain plus encore par la force que par la persuasion.

Jadis fustigés d’importance, les nouveaux convertis, vaincus et humiliés, aspirent déjà à fustiger eux aussi et à faire de nouvelles conquêtes au milieu de leurs anciens coreligionnaires. Ce genre de prosélytisme, les armes à la main, a le mérite d’être expéditif.

Avant que l’Europe y ait songé, le centre de l’Afrique sera mahométan.

Nous avons reproduit, au commencement de cet ouvrage, l’accusation formulée contre les Portugais par M. Vezetelli ; nous voudrions, nous aurions voulu, pour la dignité du monde civilisé, de l’Europe en particulier, pouvoir infliger un démenti formel au voyageur italien ! Hélas ! C’est impossible ! Hâtons-nous d’ajouter qu’il s’agit de l’écume de la nation et des colonies.

Nous nous bornerons strictement au récit des explorateurs.

Livingstone ouvre le feu :

« Au Tète, dit-il, les Portugais ont un grand nombre d’esclaves…[151].

« En arrivant à Mazaro, embouchure d’une crique étroite qui, pendant les inondations, communique avec la rivière Quélimané[152], nous trouvâmes les Portugais en guerre avec un certain Mariano, métis qui les avait toujours bravés et qui possédait tout le pays à partir de Mazaro jusqu’à l’embouchure du Chiré, où il avait construit une estacade[153]. »

« Plus connu sous le nom de Mata-Kenya, que lui donnaient les indigènes et qui signifie « tremblant ou frémissant » comme font les arbres pendant l’orage, Mariano était un chasseur d’esclaves et entretenait un corps de mousquetaires. Comme tous les Portugais de cette région, il envoyait ses bandes armées faire des razzias d’esclaves chez les tribus inoffensives du sud-est, et il conduisait ses malheureuses victimes à Quélimané, où elles étaient vendues par Cruz Coimbra, son beau-frère…

« Tant que ses rapines et ses meurtres ne frappèrent que les indigènes des provinces lointaines, les autorités portugaises ne s’en mêlèrent pas. Mais, accoutumés au pillage, à l'odeur du sang, ces chasseurs d’esclaves commencèrent à exercer leurs violences sur tous les gens qu’ils avaient sous la main, bien que ces gens-là fussent aux Portugais, et finirent par attaquer les habitants de Sena[154], jusque sous les canons du fort.

« Les atrocités de ce scélérat, qualifié à juste titre de bandit et d’assassin par le gouverneur de Quélimané, étaient devenues intolérables, et chacun parlait de Mariano comme d’un monstre d’inhumanité. »

Mariano fut pris et conduit à Mozambique pour y être jugé ; l’un de ses parents, Bonga, continua les hostilités[155].

Après avoir traversé Chibisa et Chipindon, les voyageurs arrivèrent au village du chef Mbamé, qui leur apprit qu’une chaîne d’esclaves allait traverser le pays pour se rendre à Têté[156].

« En effet, il y avait à peine quelques minutes que nous étions avertis, dit le docteur Livingstone, lorsqu’une longue chaîne, composée d’hommes, de femmes et d’enfants, liés à la file les uns des autres, et les mains attachées, serpenta sur la colline et prit le sentier du village. Armés de fusils et parés de divers objets de toilette, les noirs agents des Portugais, placés à l’avant-garde, sur les flancs et à l’arrière de la bande, marchaient d’un pas délibéré ; quelques-uns tiraient des notes joyeuses de longs cornets de fer blanc ; tous prenaient des airs de gloire, comme des gens persuadés qu’ils ont fait une noble action ; mais dès qu’ils nous aperçurent, ces triomphateurs se précipitèrent dans la forêt, et tellement vite que nous ne fîmes qu’entrevoir leurs calottes rouges et la plante de leurs pieds.

« Le chef demeura au poste, il était à l’avant, l’un de nos hommes le reconnut et lui serra vivement la main. C’était un esclave de l’ancien commandant de Têté, nous l’avions eu à notre service et nous le reconnûmes à notre tour.

« Aux questions qui lui furent adressées à l’égard des captifs, il nous dit qu’ils les avaient achetés, mais les captifs interrogés ensuite, répondirent tous à l’exception de quatre, qu’ils avaient été pris en combattant. Pendant que nous faisions cette enquête, le chef disparut.

« Restés seuls avec nous, les prisonniers s’agenouillèrent et battirent des mains avec énergie pour exprimer leur gratitude. Nous eûmes bientôt coupé les liens des femmes et des enfants, il était plus difficile de délivrer les hommes. Chacun de ces malheureux avait le cou pris dans l'enfourchure d’une forte branche de six à sept pieds de long, que maintenait à la gorge une tige de fer solidement rivée aux deux bouts. Cependant, au moyen d’une scie qui par bonheur se trouvait dans nos bagages, la liberté leur fut rendue à tous. Nous dîmes alors aux femmes de prendre la farine dont elles étaient chargées et d’en faire de la bouillie pour elles et pour leurs enfants ; tout d’abord elles n’en voulurent rien croire, c’était trop beau pour être vrai. Mais quand l’invitation eut été renouvelée, elles se mirent promptement à l’œuvre, firent un grand feu et y jetèrent les cordes et les fourches, leurs maudites compagnes de tant de journées pénibles et de nuits douloureuses. Beaucoup d’enfants avaient à peine cinq ans, il il y en avait même de plus jeunes. Un petit garçon disait à nos hommes avec la simplicité de son âge : « Les autres nous attachaient et nous laissaient mourir de faim, vous nous avez détachés vous, puis vous nous donnez à manger, qui donc êtes-vous ? et d’où venez-vous ? »

« Deux femmes avaient été tuées la veille pour avoir essayé de détacher leurs courroies. Le chef avait dit à tous les captifs qu’il leur en arriverait autant s’ils cherchaient à s’évader. Une malheureuse mère, ayant refusé de prendre un fardeau qui l’empêchait de porter son enfant, vit aussitôt brûler la cervelle du pauvre petit. Un homme, accablé de fatigue et ne pouvant plus suivre les autres, avait été expédié d’un coup de hache. L’intérêt, à défaut d’humanité, aurait dû prévenir ces meurtres, mais nous avons toujours vu que dans cet affreux commerce, le mépris de la vie humaine et la soif du sang parlaient plus haut que l’intérêt personnel.

« Quatre-vingt-quatre esclaves, femmes et enfants pour la plupart, furent ainsi délivrés. On leur dit qu’ils étaient libres et qu’ils pouvaient aller où ils voudraient, ils aimèrent mieux rester avec nous.

« Nous partîmes le lendemain matin pour le village de Soché avec nos libérés, les hommes portaient gaiement les bagages. Ayant si bien commencé, nous ne pouvions faire la chose à demi, huit autres captifs rencontrés sur notre chemin furent donc mis en liberté. A la nouvelle de notre approche, des marchands qui se trouvaient dans le village de Soché décampèrent aussitôt avec une centaine d’esclaves. Le docteur Kirk, appuyé de quatre Makololos, courut à leur poursuite, mais en dépit de leurs efforts et de l’énergie qu’ils déployèrent, le docteur et ses hommes ne purent rejoindre les traitants qui arrivèrent sans encombre à Tété.

« Six esclaves furent encore délivrés à notre passage chez Mongazi ; deux marchands furent mis en fourrière pour les empêcher d’aller avertir les chefs d’une bande nombreuse qui était sur le point d’arriver. Nos prisonniers nous dirent d’eux-mêmes que cette bande était dirigée par les hommes du gouverneur.

« Le jour suivant, cinquante nouveaux esclaves furent relâchés ; tous sans exception, étant nus comme la main, reçurent assez d’étoffe pour se vêtir, mieux sans doute qu’ils ne l’avaient été de leur vie. Le chef de cette bande, homme connu pour être l’agent des principaux marchands de Tété, nous assura qu’il n’avait agi, ainsi que tous les autres, qu’avec l’autorisation du gouvernement. Il n’avait pas besoin de nous le dire : il est matériellement impossible qu’une entreprise quelconque ait lieu à Tété sans que le gouverneur le sache et y prête les mains…

« Pendant notre séjour sur les rives du Nyassa, nous avons pu constater que la traite s’y faisait avec une effroyable activité.

« Nous tenons du colonel Rigby, consul anglais et chargé d’affaires de Sa Majesté britannique à Zanzibar, qu’il passe à la douane de cette île, venant de la seule région du Nyassa, dix-neuf mille esclaves par an. Ce chiffre, bien entendu, ne comprend pas les esclaves qui sont expédiés dans les rades portugaises. Et qu’on ne se figure pas que ce chiffre de dix-neuf mille représente toutes les infortunes que cause cet envoi annuel au marché de Zanzibar. Les captifs qu’on arrache du pays ne forment qu’une légère fraction des victimes de la traite. Nous n’avons pu nous faire une idée réelle de ce commerce atroce qu’en le voyant à sa source. Pour quelques centaines d’individus que procure une de ces chasses à l’homme, des milliers d’hommes sont tués ou meurent de leurs blessures, tandis que les autres, mis en fuite, expirent de faim et de misère. D’autres milliers périssent dans les guerres civiles ou de voisinage, tués, qu’on ne l’oublie pas, par les demandes des acheteurs d’esclaves de Cuba et d’ailleurs. Les nombreux squelettes que nous avons trouvés dans ces bois, ou parmi les rochers, près des étangs, le long des chemins qui conduisent aux villages déserts, attestent l’effroyable quantité d’existences sacrifiées par ce trafic maudit[157]. »

Verney Hovett Cameron, n’est pas moins formel :

« Les deux marches suivantes, dit-il, nous firent traverser un pays fertile où avaient existé de nombreux villages, que des bandes, appartenant à Kassongo[158] et, disait-on, à des Portugais, avaient détruits récemment. Les habitants avaient été pris comme esclaves, les bananiers et les élaïs abattus, les champs dévastés.

« Nous vîmes ensuite, au milieu d’une grande plaine, quelques huttes, dont les occupants étaient employés à fabriquer du sel. La plaine était une propriété privée de Kassongo, les occupants des cabanes étaient les esclaves de celui-ci[159] : »

Caméron se rend de Kilemba[160] à Totela, en compagnie de traitants Portugais : « J’arrivais, dit-il, exaspéré du traitement que, pendant toute la course, j’avais vu infliger aux malheureux esclaves. Les pires des Arabes sont, je n’hésite pas à l’affirmer, à cet égard des anges de douceur en comparaison des Portugais et de leurs agents. Si je ne l’avais pas vu, je ne pourrais jamais croire qu’il pût exister des hommes aussi brutalement cruels et de gaieté de cœur[161].

« La caravane dont les esclaves d’Alvez et les porteurs amenés par celui-ci constituaient le noyau, se composait surtout de groupes indépendants formés des gens du Bihé[162], du Lovalé[163], du Kibokoué[164], venus dans l’Ouroua pour voler des esclaves… A notre départ, la caravane entière pouvait compter sept cents membres ; avant d’être sortis de l’Ouroua, nos compagnons y avaient ajouté plus de quinze cents esclaves, dus principalement à la violence et au vol… »

Sans nouvelles des bandes qui devaient le rejoindre, Cameron, avant de se remettre en route, envoie dans leur direction et apprend qu’elles avaient dévasté le pays, incendié des cases, tué les hommes, capturé les femmes et les enfants. Kassongo lui-même pillait, massacrait, faisait mutiler ou mettre à mort ses captifs, selon ses accès de délire provoqués par l’abus de la bière et du chanvre, qu’il fumait avec excès.

Cameron est enfin rejoint par le traitant Portugais Coimbra, qui arrive avec cinquante-deux femmes enchaînées par groupes de dix-sept à dix-huit. « Toutes ces femmes étaient chargées d’énormes fardeaux, fruit des rapines du maître. En surplus de ces lourdes charges, quelques-unes portaient des enfants : d’autres étaient enceintes. Les pauvres créatures, accablées de fatigue, les pieds déchirés, se traînaient avec peine. Leurs membres, couverts de meurtrissures et de cicatrices, montraient ce qu’elles avaient souffert de la part de leur maître !

« La somme de misère et le nombre de morts qu’avait produits la capture de ces femmes est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Il faut l’avoir vu pour le comprendre. »

Et Cameron ajoute sentencieusement, mais judicieusement.

« Les crimes perpétrés au centre de l’Afrique par des hommes qui se targuent du nom de chrétiens et se qualifient de Portugais, sembleraient incroyables aux habitants des pays civilisés. Il est impossible que le gouvernement de Lisbonne connaisse les atrocités commises par des gens qui portent son drapeau et se vantent d’être ses sujets !

« Pour obtenir les cinquante femmes dont Coimbra se disait propriétaire, dix villages avaient été détruits, dix villages ayant chacun cent à deux cents âmes ! un total de quinze cents habitants ! Quelques-uns avaient pu s’échapper : mais la plupart, presque tous, avaient péri dans les flammes, été tués en défendant leurs familles ou étaient morts de faim dans la jungle, à moins que les bêtes de proie n’eussent terminé plus promptement leurs souffrances. »

Cameron assiste pendant deux heures, au défilé de la caravane des Portugais Alvez et Coimbra :

« Femmes et enfants avançaient, pliant sous leurs charges et les pieds déchirés, poussés par leurs maîtres, qui les frappaient dès que la marche venait à se ralentir.

« On arriva au camp, loin de se reposer, les malheureuses furent obligées d’aller chercher de l’eau et du bois, de faire la cuisine et de construire des huttes pour leurs propriétaires. Celles qui parvinrent à se composer une sorte d’abri avant la nuit close furent bien favorisées.

« La perte de travail qui résulte de l’enchaînement des esclaves est monstrueuse. Veut-on avoir une cruche d’eau, vingt femmes sont contraintes de se rendre à la rivière ; pour un fagot d’herbe, il faut employer toute la chaîne. En route, si l’un des marcheurs a besoin de s’arrêter, tous les autres doivent faire halte ; et, quand l’un de ces malheureux tombe, cinq ou six de ses compagnons sont entraînés dans sa chute…

« Maintes fois, sur la route, j’avais été navré de l’horrible condition des femmes esclaves qui, accablées de fatigue, à demi mortes de faim, étaient couvertes de plaies résultant de leurs fardeaux et des coups, des blessures qui leur étaient infligées pour activer leur marche. Les liens qui les retenaient pénétraient dans leurs chairs, qu’ils avaient rongées. Il en était ainsi pour tous les captifs. J’ai vu une femme continuer à porter le cadavre de son enfant, mort de faim dans ses bras. »

Cameron signale les cruautés des traitants Portugais, cette cruauté doit-elle surprendre outre mesure ? Non ! le récit suivant du voyageur donne l’idée exacte de ces gens-là.

« Alvez, dit-il, en très bons termes avec Cha Kalemmbé, s’arrangea de façon à prolonger notre halte et le paya très cher. Malgré son amitié pour lui, Cha Kalemmbé l’obligea à donner un fusil et deux esclaves au Mata Yafa, chef supérieur de la partie occidentale du Lovelé. L’un des esclaves qui furent livrés était une femme ; j’ai tout lieu de croire que c’était la favorite d’Alvez. Une autre femme du harem de celui-ci fut échangée contre un bœuf, tant cet homme avait peu de cœur. »

Dans le Bihé, près de la ville de Kagnommbé, Cameron traversa un gros village appartenant corps et biens à un traitant Portugais. « Celui-ci possédait une demi-douzaine de ces bourgs, dont la population était composée d’esclaves. »

A Kagnommbé, Cameron visite la grande féticherie du pays et y trouve les crânes de tous les chefs vaincus. Il rencontre ensuite un autre chasseur d’hommes, le portugais Ferreira, qui allait partir chez Kassongo pour s’y approvisionner de marchandise humaine, parce qu’il avait troqué ses derniers esclaves contre de l’ivoire à Djenndjé. Il portait cent mousquets à Kassongo, qui, lors de son récent séjour dans l’Ouroua, avait fait couper en son honneur des mains et des oreilles.

Schweinfurth parle des associés ou agents à poste fixe, dans les zéribas, des gros marchands d’esclaves : Presque toujours, dit-il, ces gens-là sont des Fakis, c’est-à-dire des prêtres musulmans qui regardent la traite des nègres comme un accessoire ordinaire de leurs attributions ; il est de fait qu’au Soudan ils sont tous plus ou moins souillés par cet odieux commerce. Ce que d’ailleurs on leur voit faire dans les grandes villes, à Khartoum, par exemple, où l’on a mille occasions d’observer leur conduite, est réellement incroyable… Les riches ont des collèges et des tavernes, qu’ils font tenir par des salariés. Dans les uns on apprend la lettre des commandements du Prophète, dans les autres on pratique largement le culte de Vénus…

« Un dernier mot pour les montrer dans tout leur jour : le Koran d’une main, le couteau à eunuque de l’autre[165], ils vont de zériba en zériba, menant, dans toute la force du terme, ce que nos dévots appellent une vie de prière, ne disant pas une parole sans invoquer Allah et son Prophète et associant à leurs pratiques religieuses les infamies les plus révoltantes, les cruautés les plus atroces. Je n’ai jamais vu d’esclaves plus à plaindre que les leurs ; ce qui n’empêche pas les saints personnages de choisir pour ces malheureux achetés à vil prix comme des objets volés, les noms les plus édifiants : Allagâbo, par exemple, (présent d’Allah ou Dieudonné !) blasphème horrible, dont ils accompagnent Ses traitements que le dernier de nos balayeurs n’infligerait pas à un chien. Dans un de leurs convois se trouvait un pauvre Mittou ayant à peine la force de se soutenir et de traîner la fourche qui le tenait à la gorge. Un matin que j’allais à mon potager, ce qui m’obligeait à passer devant les maisons des susdits personnages, je fus arrêté par des clameurs qui me détournèrent, et vis une scène que ma plume ne retrace qu’en frémissant. Le pauvre Mittou, près d’expirer, était traîné hors d’une case et on le fouillait pour voir si oui ou non il était mort ; les clameurs étaient les imprécations de ses pieux bourreaux : « Le « chien maudit vit encore ! Ce païen ne mourra « pas ! » et les enfants de leur suite — cet âge est sans pitié — jouaient à la boule avec ce corps tordu par la suprême agonie. Toute créature humaine, à défaut de cœur, eût été remplie d’épouvante par ces yeux horriblement convulsés : loin d’être émus, les fakis me répondaient que c’était une feinte et que ce misérable n’attendait, pour fuir, que le moment où on ne l’observerait pas. Telle est l’histoire du crâne qui, dans ma collection, porte le numéro 36 ; tels sont les actes perpétrés en face de la mort par ces hommes qui se posent. comme les piliers de la foi, les modèles des Croyants ! Et dans leur candeur, nos missionnaires, les plus honnêtes gens du monde, sont dupes de la piété de ces gredins ; ils les mettent à leur niveau et discutent avec eux sur le dogme, alors que la question est de pure moralité ; l’histoire du Mahométisme n’est partout que celle du mal[166]. »

Mage assiste au combat de Toghou, livré aux Bambaras et gagné par Ahmadou, sultan de Ségou[167] :

« On avait fait, dit-il, des prisonniers qui semblaient hébétés et fous de terreur… En rejoignant Ahmadou, je vis devant lui deux corps sans tête, étendus sur le ventre, avec les articulations coupées et un coup de sabre en travers sur les reins, qui avait entamé l’épine dorsale. Ces mutilations avaient été faites après coup. Mais je ne passai pas la journée sans avoir l’atroce spectacle d’une exécution, et ce souvenir restera gravé dans ma mémoire. J’en vois encore les moindres détails. C’était un jeune Sofa de Mari qu’on avait retiré vivant de dessous un tas de cadavres. Au lieu d’être rasé comme tous les Musulmans, il portail les cheveux tressés en casque, comme ceux des femmes, et à la mode bambara ; on lui avait attaché les coudes derrière le dos, de manière à lui disloquer en partie les épaules. Il était debout dépouillé de tout vêtement ; un Sofa accroupi, se tenait par derrière. Il regardait de tous côtés d’un air inquiet, quand Ali Salibé, en grand honneur à Ségou et qui alors était bourreau en titre, homme athlétique, à la figure bestiale et à l’œil féroce, s’avança derrière lui et d’un seul coup de sabre fit voler sa tête ; le corps tomba en avant, deux longs jets de sang s’élancèrent du col ; quelques convulsions agitèrent encore ce qui avait été un homme, et pendant qu’Ali essuyait son sabre dans l’herbe avec un calme atroce, tout mouvement cessait.

« Le lendemain, le jour paraissait à peine que toute l’armée se transportait dans les broussailles pour en finir. On y trouva les Bambaras sans défense et on en fit une horrible boucherie. Une bande de quatre-vingt-dix-sept, espérant peut-être dans la clémence des vainqueurs, posa les armes et sortit d’une broussaille en criant (toubira) pardon !

« Ils furent aussitôt conduits à Ahmadou, entre des rangs pressés de Sofas.

« On les interrogea longuement, puis tous furent livrés au bourreau et Ahmadou. supposant que ce spectacle pouvait m’intéresser, envoya un Talibé me prévenir afin que je puisse y assister. Mais je ne me sentais pas le cœur d’être témoin d’une pareille exécution. Les scènes sanglantes de la veille, déjà trop nombreuses, m’avaient agité ; le soir seulement, voulant me rendre compte du nombre des morts, je passai près de ce champ de suppliciés. On les y avait conduits tous bien serrés par la foule et tenus simplement par les bras. Au milieu du cercle se tenait le bourreau qui avait commencé à abattre les têtes au hasard, sans ordre, comme elles passaient à portée de son bras ; quelques-unes n’étaient pas détachées du tronc, et, chose curieuse, elles avaient presque toutes le sourire aux lèvres. Les yeux qui n’étaient pas fermés, avaient dans leur immobilité une expression indéfinissable et grosse de méditations. Faut-il donc croire qu’au seuil d’une autre vie ces victimes de la barbarie musulmane, ces martyrs inconscients d’un patriotisme d’instinct ont eu, au moment de leur cruel supplice, une apparition, qu’une lueur immense s’est produite dans leur intelligence et qu’un horizon nouveau s’est étendu devant leurs yeux. Cette pensée m’obséda longtemps, et je ne me détachai pas facilement de ce lieu d’horreur. »

Mage dépeint ainsi le retour de l’expédition :

« Environ trois mille cinq cents femmes et enfants étaient là, attachés par le col, lourdement chargés, marchant sous les coups des Sofas. Quelques-unes, trop vieilles, tombaient sous leur fardeau, et refusant de marcher étaient assassinées. Un coup de fusil dans les reins et tout était dit. Je fus témoin d’un crime de ce genre, et il me fallait rester calme et ne pas faire sauter la tète de celui qui venait de le commettre…

« Tels sont, en Afrique les résultats de la domination de l’Islam ! »

Mage assiste encore à la prise et au sac de Dina, par les troupes d’Ahmadou et dit :

« Toujours le pillage suivant le massacre, toujours, de sang-froid, les femmes et les enfants livrés à la soldatesque, et les hommes faits au bourreau. Réduite à ces proportions bestiales et dépouillée du prestige de l’art et des combinaisons de la stratégie, la guerre est doublement horrible[168] ».

Si Ahmadou permettait et favorisait, à cette époque, l’importation des femmes dans ses Etats, il en défendait rigoureusement l’exportation.

Lorsque Galliéni arriva à Sougoulani, un tableau hideux frappa ses yeux sur la place du village : Il se trouva devant un véritable charnier humain ! Les Talibès avaient capturé une caravane composée de gens de tous âges et de tous sexes, qui se rendaient à Sansandig, ville révoltée depuis longtemps contre Ahmadou.

Sur l’ordre du Sultan, tous ces malheureux, conduits à Sougoulani, y avaient eu la tète tranchée deux jours auparavant. « Le spectacle de tous ces cadavres, entièrement nus et jetés pêle-mêle sur le sol dans les attitudes les plus diverses, que contemplaient d’un œil stupide quelques enfants du village, dit Galliéni, nous remua profondément et nous ne pûmes nous empêcher de penser que nous n’avions guère été en sûreté, à Nango, entre les mains du sombre tyran qui faisait si bon marché de ces inoffensifs marchands.

« Nous savions déjà qu’Ahmadou, cruel comme tous les Musulmans, donnait quelquefois l’ordre de mettre à mort ses prisonniers de guerre, afin de terroriser les pays environnants ; mes tirailleurs et laptots, que j’envoyais comme courriers à Ségou, revenaient souvent dégoûtés et indignés par l’horrible aspect qu’offrait la place du marché, où les cadavres des suppliciés étaient abandonnés aux hyènes et aux oiseaux de proie, mais nous n’avions jamais encore été témoins de ces odieuses exécutions[169] ».

A Nafadié, Galliéni fait signer aux notables un traité destiné à placer le pays sous le protectorat de la France et à le délivrer des incursions des soldats d’Ahmadou, qui venaient sans cesse enlever les femmes et les enfants.

Profitant de l’affaiblissement momentané de nos forces en Sénégambie, affaiblissement causé par l’envoi regrettable de troupes coloniales au Dahomey, Ahmadou, d’après les dépêches officielles, a attaqué à Kalé[170] l’arrière-garde de la colonne Archinard, avec 4,000 hommes, détruit une portion du chemin de fer qui doit relier le Sénégal au Niger et coupé le télégraphe. Ces événements ont eu lieu dans les premiers jours du mois de juin. Depuis, le colonel Archinard a installé, à Koniakary, un de nos alliés, le roi Khassa, puis s’est emparé de Ségou, qu’Ahmadou venait de quitter pour aller passer la saison des pluies à Nioro ; la colonne a ensuite battu en retraite. Le roi des Yoloffs s’est aussi ligué contre nous. La plupart ont acheté, aux Anglais, des armes à tir rapide. Tout n’est pas encore fini, car les populations de ces pays sont comme les roseaux qui y poussent, elles se courbent, mais cherchent toujours à se redresser.

Le colonel Archinard, qui vient d’arriver à Paris, a déclaré qu’Ahmadou cherchait depuis longtemps à soulever contre la domination française les autres populations soudaniennes et voisines de notre colonie sénégalienne[171].

Or, par sa situation de chef incontesté, au point de vue religieux, de tout le Haut-Sénégal, autant que par l’importance de son territoire, son influence était assez considérable pour que notre action fût entièrement paralysée dans la région, où il était le vrai maître :

« Pour assurer définitivement notre situation, il était nécessaire de réduire Ahmadou ; l’intérêt politique et l’intérêt militaire nous le commandaient. C’est Ahmadou qui était la cause de toutes les expéditions militaires. C’est lui qui empêchait de travailler paisiblement au développement de notre grande colonie.

« Une expédition fut décidée ; je ne vous rappellerai pas ses étapes ; elle réussit pleinement et fit tomber en notre pouvoir Ségou-Sikoro, la ville sainte du Soudan, la clef de la route du lac Tchad ; la citadelle de Ouosebougou fut ensuite rasée, et nous entrâmes à Eoniakari. »

Aujourd’hui, Ahmadou se trouve réduit à ses états de Kaarta, et les échecs qu’il a subis ont ruiné son prestige moral.

Il nous sera facile, quand nous le voudrons, d’aller jusqu’à Nioro.

Alors sera entièrement réalisé le plan du colonel Gallieni, qui écrivait, en 1887 :

« A la mort du sultan Ahmadou, il ne faudra pas hésiter à prendre pied à Ségou et à Nioro ; nous assurerons ainsi au Soudan français la limite qu’il doit avoir vers le Nord ; nous engloberons les riches plateaux de la Kaarta, nous entrerons en contact avec les tribus Maures qui détiennent le commerce du Sahara et sont en relations suivies avec le nord de l’Afrique ; enfin, nous mettrons un terme aux guerres incessantes que les musulmans soulèvent dans ces régions, fermées ainsi aux entreprises de nos traitants. »

Un journal, dont les opinions anti-cléricales sont bien connues, fait le triste exposé que l’on va lire et que lui adresse son correspondant de Saint-Louis (Sénégal) :

« Le développement du fanatisme musulman et de l’hostilité de bien des noirs proviennent de plusieurs causes, de la réglementation défectueuse des écoles arabes, du manque de surveillance et du semblant d’organisation de la législature musulmane.

« Les écoles arabes ! En voilà un foyer de fanatisme. Croiriez-vous qu’aucune garantie de savoir, de moralité n’est exigée des marabouts maîtres d’école, que chacun est libre d’exercer cette profession et de l’exercer à sa guise ; que la plupart de ces marabouts sont des étrangers, des Foulanes venant de l’intérieur, ne comprenant pas un mot de français : tous des prédicateurs, plutôt chargés d’élever les enfants dans la religion musulmane, c’est-à-dire de les rattacher à leur secte, qui nous est ouvertement hostile, que de leur apprendre l’arabe…

« Aussi, qu’est-il arrivé ? C’est que nous ne nous sommes point assimilé les indigènes ; que le nombre des noirs qui comprennent le français est presque infime, sinon nul ; que chaque administration est tenue d’avoir une nuée d’interprètes. C’est nous qui sommes obligés d’apprendre le ouoloff, le toucouleur, le bambaro et autres idiomes. Voilà les hommes dont on fait des citoyens français !

« Ces écoles arabes sont, sans contredit, le principal obstacle à l’assimilation. Qui ne voit, dans ces conditions, avec quelle rapidité l’Islamisme a pu se développer ?

« S’il ne s’agissait que de laisser aux noirs toute liberté pour pratiquer leur religion, de leur donner dans le même but toutes facilités, nous n’aurions absolument rien à dire. Malheureusement, cette religion est pour les musulmans la loi civile. C’est elle qui règle toutes les questions relatives à l’état civil, au mariage, aux successions, donations et testaments.

« Le décret du 20 mai 1857, qui a institué, à Saint-Louis, un cadi-tamsir, chef de la religion musulmane, et un tribunal musulman (avec le cadi-tamsir comme seul juge), est venu consacrer cette religion, et créer au profit d’une catégorie de Français un statut personnel différent de celui des autres Français, alors cependant que le Code civil était promulgué au Sénégal depuis 1830. Aussi, depuis cette époque, à partir du moment où une exception a été généreusement introduite dans la loi en faveur des indigènes, l’Islamisme a pris, à Saint-Louis, une extension considérable. A tel point que, si le décret de 1857 ne l’a pas créé, il en a tout au moins assuré et favorisé le développement. »

Lorsqu’au dernier Congrès colonial, nos amis protestaient contre l’ingratitude envers les missionnaires catholiques, le Temps et ses partisans répondaient qu’il était plus avantageux pour nos colonies de leur prêcher le Bouddhisme et l’Islamisme !

L’expérience est faite : les marabouts soufflent la haine et la révolte contre nous, et avec elles le maintien du trafic humain.

A l’action civilisatrice de l’Évangile, on a substitué le fanatisme musulman, et les peuples fétichistes, au lieu de devenir meilleurs par le christianisme, sont devenus pires encore sous l’influence du Koran !

Telle est la conséquence logique à tirer des aveux du Temps !

Va-t-on enfin renoncer à cette tactique qui fait servir l’or et l’influence de la France à créer, dans nos colonies, des races d’ennemis fanatiques ; laissera-t-on pleine liberté à nos religieux missionnaires qui mettent au cœur des sauvages, avec la lumière de l’Évangile, l’amour de la France ?

Nous voudrions le croire, mais nous n’osons l’espérer. Les sectaires français sont de la race de ceux qui ont dit : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe. » Leur principe suprême, c’est la haine du Christianisme, et, même dans nos colonies, en dépit des faits palpables qu’ils ne peuvent nier, ils continuent à répéter leur cri de guerre anti-français : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! »

Un vieux consul racontait que, après les événements de 1860, Fuad-Pacha lui disait :

« Je ne crains pas les quarante mille baïonnettes que vous avez à Damas ; je crains les soixante robes que voilà ! »

Il lui montrait des Jésuites, des Lazaristes, des Franciscains.

— Pourquoi ? lui demanda le consul.

— Parce que ces soixante robes font germer la France dans ce pays.

Le sous-secrétaire d’Etat aux colonies recevait, le 3 septembre dernier, la dépêche suivante du gouverneur du Sénégal.

« Ai douleur vous annoncer mort administrateur Jeandet, assassiné hier au cours d’une mission dans le Toro. Cause crime semble jusque maintenant être vengeance personnelle d’un indigène, auquel Jeandet venait de confirmer amende infligée pour rébellion. Jeandet dormait dans une case quand reçut coup de fusil, à bout portant, dans aisselle gauche. Il mourut sur le coup. Meurtrier a pris fuite. Cavaliers été lancés à sa poursuite. Un administrateur et un capitaine sont partis sur un vapeur pour faire une enquête. Service religieux sera célébré à Saint-Louis à mémoire Jeandet, et monument sera élevé à Podor aux frais colonies. Mort Jeandet cause émotion profonde dans tout Sénégal, où il avait conquis sympathie et estime générales des Européens et des indigènes. »

M. Jeandet administrait le poste de Podor, depuis 1888. Podor, poste principal et siège de l’administration du protectorat du Toro, est bâti dans une île, sur le grand bras du Sénégal, à 240 kilomètres de Saint-Louis, et touche au Sahara. C’est l’endroit le plus chaud du Sénégal ; on y constate quelquefois une température de 45 à 48 degrés centigrades, à l’ombre. Aéré, où l’assassinat a été commis, par un Toucouleur, est un petit poste annexe.

Si triste qu’elle soit, cette nouvelle ne pouvait surprendre aucun de ceux qui se rendent compte de la situation des esprits au Sénégal. Les journaux conservateurs l’ont dénoncée, il y a quelque temps, et ont reçu un démenti, naturellement !

Une compagnie d’infanterie de marine s’est embarquée, le 20 septembre, à Bordeaux, pour grossir la colonne qui, tous les ans, se rend de Saint-Louis au Niger.

« Le sultan de Sokoto[172] est, dit Burdo, l’homme le plus puissant de l’Afrique centrale ; il tient à l’esclavage comme à la prunelle de ses yeux[173]. »

« Le roi des Somraïs dispose du pays et de ses habitants à un degré inconnu n’importe où, écrit le docteur Nachtigal. Sous le moindre prétexte, il peut dépouiller un de ses sujets de tout ce qu’il possède, réduire sa femme et ses enfants en esclavage et lui ôter la vie à lui-même. Vassal du Baghirmi et obligé, à l’approche d’une expédition de guerre venant de ce côté, de faire une livraison de cent esclaves, il choisit pour cela tout un village, dont il est mécontent, ou bien il laisse les chefs de l’armée baghirmienne piller à leur guise telle localité d’un allié plus faible ou tributaire. Presque tous les délits entraînent la peine de mort qui est appliquée en charcutant littéralement le condamné au moyen du javelot-épieu, qu’en kanouri on nomme golio, et en baghirmien, ndjigga[174]. »

Plusieurs fois déjà, nous avons parlé de chefs, de peuples, de pays appartenant au Soudan (ancienne Nigritie), c’est-à-dire à cette immense région comprise entre le Sahara, la Nubie, le Nil, l’Abyssinie, l’Afrique australe et l’océan Atlantique, région livrée, ainsi que ses habitants, à une foule de despotes arabes, musulmans ou nègres[175] ; dès 1864. Lejean recevait du Soudan oriental des lettres, dont nous extrayons le passage suivant :

« Le Soudan est réduit à l'extrémité. Mouça-Pacha, le bourreau des Baggâras, en est actuellement gouverneur : Les exactions de tout genre ont ruiné la contrée et répandu la désolation (ridotto a squalore) dans cette région jadis si heureuse. Sous prétexte de réprimer la traite des noirs, il est allé au fleuve Blanc pour en monopoliser le commerce, au moyen d’une taxe exorbitante imposée à toute barque qui partait (cent piastres par chaque domestique ou matelot) ; il va sans dire que les indigènes ont été par faveur exemptés de cette taxe et qu’ils ont reçu toute facilité pour faire la traite des esclaves ; il est parti plus de cent barques dans cette intention. »

Vers la même époque, sir Samuel White Baker écrivait :

« Le Soudan n’exporte que de la gomme, du séné, des cuirs et environ pour cent mille francs d’ivoire par an. Si cette possession est intéressante pour l’Égypte, ce n’est que parce qu’elle fournit des esclaves aux pays musulmans. »

Depuis que le Soudan Oriental est tombé, en partie, entre les mains des Mahdistes, la chasse à l’homme a repris de plus belle dans la vallée du Haut-Nil et le Plateau Central. Au Soudan, les pourvoyeurs des marchands d’esclaves sont les princes indigènes eux-mêmes. C’est la principale source de leurs revenus. Disciples du Koran, ils considèrent les populations païennes, c’est-à-dire fétichistes, sujettes ou non de leurs États, comme dépourvues de toute espèce de droits vis-à-vis des Croyants, les razzias qu’ils organisent et auxquelles ils intéressent, les chefs et les soldats de leurs petites armées, s’étendent sur de vastes territoires. On entoure et on incendie les villages, on tue tout ce qui résiste ou paraît impropre à la marche, au travail, à la luxure, on emmène le reste. Les dévastations et le carnage qui marquent ces sinistres expéditions sont indescriptibles, des provinces entières qu’on avait vues naguères populeuses et prospères se retrouvent, au bout de quelques années, désertes et arides.

Le Plateau Central, jadis appelé le jardin de l’Afrique, est aujourd’hui, grâce à cet exécrable trafic, devenu inculte et inhabité ; les malheureux habitants, dispersés dans les bois, guettent désormais d’un œil inquiet et avec des sentiments hostiles le passage du voyageur et des caravanes.

La traite et l’esclavage subsistent toujours sur les bords du Tanganyika. Mistress Hore (femme du capitaine Hore, ingénieur en chef et commandant de la marine des Missions anglicanes, sur les lacs du Centre Africain), raconte que près de Mpwapwa[176], à une soixantaine de lieues de la côte, elle aperçut çà et là des choses noires le long de la route. C’étaient des corps morts et desséchés ; des corps de nègres qui étaient tombés là de faim et de fatigue et que les coups de fouet n’avaient pu relever. Les Arabes qui amènent les chaînes d’esclaves de l’intérieur ne prennent aucun soin pour conserver la vie de ces malheureux. Leur calcul est fait ; il y a paraît-il, plus de profit à les conduire à marches forcées et presque sans nourriture qu’à leur donner à manger et à les ménager. Il en meurt beaucoup, mais qu’importe si le bénéfice à faire sur ceux qui survivent dépasse la perte à subir sur ceux qui succombent. C’est le même calcul que l’on applique aux chevaux et qui fait qu’on les surmène. « C’était, écrit mistress Hore, un spectacle horrible que toutes ces figures grimaçantes et parcheminées. Elles évoquaient l’image des souffrances sans nom liées au système diabolique de la traite. Je ne veux pas revenir sur un sujet si rebattu ; mais ma conscience me commande de crier à tous ceux qui peuvent m’entendre : il se passe aujourd’hui, au centre de l’Afrique, les mêmes horreurs qui se passaient à la côte il y a cinquante ans ; les Arabes et les aventuriers de toutes les nations, qui se livrent à la traite des nègres, ont reculé le théâtre de leurs opérations. »

Nos lecteurs supposent peut-être que ces lignes ont été publiées il y a déjà longtemps ! Erreur ! L’ouvrage de mistress Hore : Au lac Tanganyika dans une chaise roulante, a été publié à Londres, en 1887, c’est-à-dire depuis trois ans seulement !

Les Touareg[177], peuples voilés et nomades, répandus dans les oasis Sahariennes du Ghat et de l’Ahir, pirates et écumeurs du désert, s’occupent toujours de l’élève de l’esclavage, comme au temps du voyage de Barth. Voici les derniers renseignements que nous avons pu recueillir sur leur compte ; c’est un récit d’autant plus authentique qu’il émane du secrétaire de la Société Anti-Esclavagiste. Il s’agit d’un jeune nègre âgé de dix-neuf ans, Ferraghit, ancien esclave racheté par un Père Blanc.

« Un jour, dit Ferraghit, ma mère se rendait avec ma sœur, moi et quelques habitants de notre tribu, à un village voisin de Kaffouan, quand nous nous vîmes tout à coup entourés par des marchands Touareg, qui nous faisaient peur en nous montrant leurs poignards et leurs bâtons. Un nègre, qui était avec nous, s’avisa de crier : « Au secours ! » Il fut immédiatement renversé par terre et tué d’un violent coup de bâton. Un vieillard nègre pris avec nous voulut se défendre, il jeta sur les Touareg une flèche qu’il portait sur lui, mais l’arme s’abattit sans force, et cela ne fit qu’exciter la rage des marchands, qui frappèrent le vieux nègre à coups de poignard et le laissèrent mourir ainsi. Enfin, après avoir tué ceux qui criaient ou qui voulaient se défendre, ces terribles forbans nous emmenèrent tous dans la tribu des Bambas.

« Des Arabes achetèrent ceux d’entre nous qui paraissaient les plus forts. Ma mère, jugée bonne et solide pour travailler, fut envoyée tout de suite en service. Un Arabe cruel nous arracha notre pauvre mère sans que nous puissions même lui dire adieu.

« Je restai seul avec ma petite sœur ; mais bien souvent, je la revois en dormant, et, bien souvent à mon réveil, j’ai versé des larmes ; depuis lors, je n’ai jamais plus entendu parler de ma mère. J’avais alors six ans environ et ma sœur en avait quatre.

« Le marché fini, la caravane se remit en marche à travers le désert : nos maîtres étaient à dos de chameau, et nous, les pauvres esclaves, nous cheminions péniblement à pied.

« Les Touareg faisaient très rarement des haltes ; dans ces haltes, ils mangeaient un mouton ou une chèvre de leur troupeau, et ils nous jetaient les os comme à des chiens : heureux encore ceux qui pouvaient les attraper !

« Au bout de deux jours de marche, ma petite sœur, fatiguée de cette route brûlante et si pénible à travers les sables, tomba épuisée au milieu du désert ; je restai à ses côtés tandis que la caravane continuait sa course. Mais un des Touareg nous aperçut ; il revint vers nous et se mit à crier, puis à nous frapper à coups de fouet pour nous faire avancer. Ma petite sœur pleurait beaucoup, car elle souffrait et ne pouvait marcher ; alors le marchand voyant qu’il ne tirerait aucun profit de cette esclave de quatre ans. l’assomma sous mes yeux à coups de bâton ; je vis mourir ma petite sœur, ma seule consolation ici-bas ! Puis le Targui[178] me menaça de la mort aussi, si je ne regagnais la caravane ; il me donna du fouet jusqu’à ce que je fusse rentré dans les rangs de mes compagnons d’esclavage.

« Après quelques jours encore, la caravane arriva au terme du voyage ; les Touareg nous conduisirent au roi des Bambas. Ce roi leur acheta une centaine de nègres. Cinquante étaient destinés à être brûlés vifs pour apaiser « l’esprit du mal » qui avait donné une forte fièvre à ce prince.

« Je fus acheté avec d’autres pour un cheval et devins esclave du roi des Bambas. »

Ferraghit fut vendu, six mois plus tard, à des Arabes, dont il suit la caravane :

« Tout le long de la route on ne rencontrait que des cadavres séchés ou en putréfaction : c’étaient des esclaves massacrés par leurs maîtres.

« Dans notre caravane, les esclaves étaient divisés par bandes ; nous étions dans chacune d’elles quarante à cinquante nègres, de tout âge, de tout sexe, de toute tribu du centre de l’Afrique ; nous marchions les uns à la suite des autres.

« Plusieurs esclaves ayant voulu s’enfuir, on serra au col d’un esclave un fort anneau de fer ; à cet anneau était rivé un plus petit dans lequel on avait passé une longue chaîne qui reliait tous les nègres ensemble, régularisait leurs mouvements et les empêchait de fuir.

« Comme le temps pressait, les maîtres nous frappaient à coups de fouets et de nerfs de bœuf. Qu’il était triste de voir les vieillards et les malades ! Ils s’accrochaient en désespérés à leurs compagnons de misère, et, quand la bande s’arrêtait une minute pour respirer, il y en avait qui restaient suspendus à leur collier comme une masse inerte.

« Des drames épouvantables marquaient ces instants de repos. Un pauvre nègre était-il à bout de forces, on le frappait et on le frappait encore ; il fallait quelques minutes aux maîtres Arabes pour dénouer la chaîne, mais les minutes paraissaient des heures à ces marchands. Que se passait-il alors ? On lui coupait la tête et la bande reprenait sa marche. »

Les Arabes forçaient les nègres esclaves à dire les prières des musulmans avec eux. Ferraghit, pris un jour à rire pendant cet exercice de piété, fut aussitôt bâtonné et son sang coula.

Les Toucouleurs exercent annuellement leurs razzias dans l’Ouassoulou (Etat de Samory ; Haut-Niger).

Les Tunisiens s’avancent jusqu’au Darfourt !

Les Vouahéhé partent, chaque année au moment des moissons, pour l’Ourouro ; l’Oussanga ; l’Oussagara[179], afin d’y prendre des femmes et des enfants. Dans l’Ouahéhé, la polygamie est à l’ordre du jour. Souvent la direction du village est confiée à celui qui possède le plus de femmes : c’est le plus riche !

Les Vouamrimas de Bagamoyo ont des établissements fixes jusque sur les bords du Loualaba. L’un d’eux possédait à Nyangoué (HautCongo) un harem de trois cents femmes ! Tous ces Zanguebarites sont négriers et il leur faut un bénéfice considérable pour les amener à s’enfoncer autant dans l’intérieur et à quitter leur

pays natal de la Mrima.

CHAPITRE II

sacrifices humains


Les sacrifices humains, conséquence rationnelle de l’avilissement et de la traite de l’homme, sont encore en permanence chez la plupart des peuplades fétichistes en Afrique !

Avant l’intervention de la Grande-Bretagne (1874), ils avaient lieu au royaume d’Achanti[180] ; ils existent encore chez les Akpotos et les Mitshis, dans le Bénué.

La ville d’Araba, sur la rive droite du Niger, a vingt mille habitants, point de roi, mais trois cents à quatre cents roitelets. La royauté est accessible à tout le monde. L’unique moyen est d’immoler un ou deux êtres humains. C’est le signe de la puissance et de la richesse. Et le nombre des roitelets va toujours en augmentant.

A l’occasion d’enterrements, anniversaires, fêtes de famille, fêtes religieuses, on immole des victimes achetées, pour la plupart, au marché d’esclaves qui se tient à vingt minutes d’Araba.

Bien que l’Assinie[181] soit liée à la France par d’anciennes traditions, remontant au siècle de Louis XIV, le culte public se concentre dans une fête annuelle semblable aux « Grandes Coutumes » des Achantis et des Dahoméens. Il est aussi d’étiquette que le souverain défunt de Bénin soit accompagné dans la tombe par un certain nombre de personnes des deux sexes, attirées par l’appât d’un bon repas. Pendant qu’elles savourent les mets les plus délicats, les jeunes filles, que l’on destine au sacrifice, sont étranglées ; les garçons, réunis comme pour un festin, ont la tête séparée du tronc car leur sang doit être versé sur la sépulture royale. Le corps du chef repose sur les corps de ces adolescents et son successeur est tenu, à son investiture, de faire un sacrifice humain.

Au Grand-Bassam[182] le sang humain est répandu dans les mêmes solennités. Chaque chef, afin de montrer sa force, son audace, sa résolution, décapite un prisonnier ou un esclave et tous les jeunes gens capables de porter les armes prennent la tête de Thomme et se la passent de main en main. On peut avoir ce baptême de sang en se faisant passer la tête d’un des esclaves sacrifiés aux mânes du chef défunt. Enfin, les musiciens se servent de trompes en dents d’éléphant auxquelles sont fixées les mâchoires humaines enlevées aux ennemis !

L’esclavage est perpétuel au Grand-Bassam. « Le tœdium vitæ dit l’amiral Fleuriot de Langle, s’empare quelquefois de ces malheureux, ils déclarent qu’ils sont las de la vie. Les Jacks accèdent à leurs vœux, leur donnent une bouteille de rhum qui les grise, et l’exécuteur des hautes-œuvres leur fait sauter la cervelle d’un coup de bâton appliqué derrière la nuque. Leur corps est abandonné, sans sépulture, aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la forêt ! A la Grand’Bouba, les choses ne se passent pas aussi simplement, le maître de l’esclave le conduit au chef du village dont il dépend. Ce chef, après avoir fait toutes les remontrances possibles à l’esclave, prend jour pour procéder à son jugement. Les anciens forment l’aréopage, le patient est au milieu du cercle ; il est rare qu’il change d’idée, il met une sorte de point d’honneur à braver une société au dernier échelon de laquelle le sort l’a placé, et répond affirmativement à toutes les questions qui lui sont posées. Tous les arguments épuisés, le chef le fait lier à un arbre et l’assemblée tout entière se rue sur lui, avec la férocité des bêtes fauves ; il est déchiqueté en un instant ! Chacun des acteurs de cette horrible tragédie paye une petite redevance au maître de l’esclave qui est ainsi totalement indemnisé, et peut acheter un serviteur moins mélancolique[183]. »

Les sacrifices humains sont offerts à l’époque de la fête des Ignames, qui tombe ordinairement le jour de la lune d’octobre. Il y a aussi d’autres sacrifices accidentels. « A Badou, baie des Bourbourys, continue l’amiral, un de mes officiers fut témoin d’une de ces saturnales : les guerriers s’étaient barbouillé la figure et le corps de raies rouges et noires ; les coups de fusils pétillaient de toutes parts ; on en tirait entre les jambes de l’homme qui devait être sacrifié, autour de sa tête et au-dessous ; c’était une orgie effrénée de poudre. La victime était attachée à un arbre. L’interrogatoire et le jugement sont solennels. La mort doit être volontaire et donnée d’un seul coup par le chef. La chair déchirée en lambeaux est mangée séance tenante. C’est l’holocauste offert pour racheter les péchés de la nation et rendre les dieux propices. »

Les maris ont droit de vie et de mort sur leurs femmes. Lorsqu’elles ont cessé de plaire et ne peuvent plus avoir d’enfants, au lieu de les vendre comme esclaves ainsi que certains peuples le font, ils les tuent cyniquement et vont jusqu’à se raser la tête en signe de deuil, puis en épousent une autre !

Les grands chefs portent souvent un couteau à la jarretière, c’est le couteau du sang. Il ne rentre jamais dans sa gaine avant que le condamné ait cessé de vivre.

« C’est, conclut l’amiral, le superlatif du droit de vie et de mort. »

Il était encore, dernièrement, d’usage chez les Ngillems, d’enterrer tout vivants, à côté du chef mort et pour l’émoucher, un jeune garçon de douze à quatorze ans et une jeune fille à peine nubile[184].

Les peuples du Niger, comme les Ibos et les tribus d’Ogbekin, célèbrent aussi annuellement une fête d’expiation, qui donne lieu à deux sacrifices humains. L’un est accompli secrètement et doit laver les fautes du chef ; l’autre se fait publiquement et a pour but d’expier tous les crimes du peuple.

« D’ordinaire, dit Burdo, les victimes sont de jeunes vierges enlevées à des tribus voisines ou achetées à une peuplade voisine, des étrangères par conséquent. Quand s’offre le sacrifice public, les prêtres-féticheurs couvrent de fleurs, de feuilles, d’oripeaux de tous genres la tête de la pauvre enfant qui va être immolée, et la mènent, toute nue, hors de l’enceinte de la ville. Le peuple est là qui l’attend. Dès qu’elle apparaît, hommes, femmes, enfants la menacent du poing, en la chargeant d’imprécations, poussent des hurlements atroces, se livrent à de violentes contorsions et crient à tue-tête : Arroyé ! Arroyé ! s’imaginant de la sorte rejeter toutes leurs fautes sur l’infortunée et l’en rendre responsable[185]. La victime est alors mise à mort par les prêtres ! Chez les peuplades dont le Niger arrose le territoire, ils la conduisent en pirogue jusqu’au milieu du fleuve, et là, après lui avoir attaché une pierre ou un poids autour du col, ils la précipitent au fond des eaux tandis que sur la rive la foule continue à hurler : Arroyé ! Arroyé ! »

Cameron a étudié les coutumes des indigènes de l’Ouroua et leurs cérémonies funèbres qui sont d’une sauvagerie sans pareille[186].

« Une rivière est d’abord détournée de son cours, dans le lit desséché on creuse une immense fosse que l'on tapisse de femmes vivantes. A l'une des extrémités de la tombe une femme est posée sur ses mains et sur ses genoux ; elle sert de siège au royal défunt, qu’on a paré de tous ses ornements ; une des veuves soutient le cadavre ; une autre, la seconde épouse, est assise aux pieds du mort ; puis le trou est comblé. Toutes ces femmes sont enterrées vivantes, excepté la seconde épouse, que l'on tue avant de remplir la fosse ; c’est un privilège que la coutume lui accorde.

« Des esclaves mâles, plus ou moins, nombreux, quarante ou cinquante, sont ensuite égorgés sur la tombe qu’on arrose de leur sang ; et la rivière reprend son cours. J’ai entendu dire que plus de deux cents femmes ont été enterrées vives avec le père de Kassongo… L’enterrement d’un chef subalterne fait moins de victimes ; mais dans ces funérailles de seconde classe, il y a encore deux ou trois femmes ensevelies vivantes et plus d’un homme égorgé[187]. »

On se refuserait à croire que les atrocités dont nous allons parler étaient encore en usage à Porto-Novo, il y a quelques années. Nous en empruntons le lugubre récit à deux personnes dont le témoignage est hors de conteste.

« Porto-Novo, 19 décembre 1874.

« Le Roi Messi, plongé dans une ivresse presque continuelle, ne pouvait vivre longtemps. Son état d’abrutissement était tel que, devenu incapable de lever la tête, il rampait comme une brute dans son appartement.

« Un jour, il fut trouvé ivre-mort. D’après un usage du pays, on arrose l’homme ivre avec de l’eau froide pour « rafraîchir son cœur », disent les noirs. Le roi reçut, devant sa porte, cette humiliation. Mais ce traitement ne réussit point, et Messi, étendu sur sa natte, enfla d’une manière horrible.

« Aussitôt, le huégan (chef du palais), fait appeler un ouisegan, sorte de médecin qui mêle les féticheries aux remèdes naturels. Un prêtre d’Ifa (baba laouo) accourt en toute hâte. Il se recueille et interroge le fétiche sur le sort réservé au roi. L’oracle répond que le roi guérira si Ton immole un bœuf.

« Immédiatement, le sacrifice est offert. Le féticheur prend pour lui une cuisse et une partie des entrailles dont il offre l’autre à l’Elegba (esprit infernal) et que les vautours viennent dévorer. Ce qui reste du bœuf, après avoir été exposé devant Ifa et en avoir touché les lèvres, est cuit et mangé par les gens du palais. Un bouc est offert au fétiche particulier de Messi.

« L’immolation des victimes ne rendit point la santé au malade. L’ouisegan et le baba laouo connaissaient les véritables causes du mal ; mais ils se gardèrent bien de dire à Sa Majesté de s’abstenir de boissons enivrantes.

« Enfin, on appelle un marabout. Enveloppé dans un large burnous blanc, ayant, au côté, un long chapelet, et, à la main, un rouleau de papier où sont tracés quelques caractères arabes, il arrive gravement et se place en face du malade. Après avoir prononcé quelques mots inintelligibles, il dit que, en s’abstenant de boire de l’eau-de-vie. Sa Majesté guérirait, sinon elle était infailliblement perdue.

« Les fumées de l’ivresse passées, Messi, loin de suivre le sage conseil du marabout, s’empressa de s’administrer une forte dose de tafia. Le mal empira et la mort devint imminente.

« Le huégan fit alors renfermer, dans un lieu séparé, les femmes et les esclaves du roi, afin qu’ils ne fussent pas témoins de sa mort et n’éveillassent point, par leurs cris, les soupçons au dehors. Le baba laouo, appelé une seconde fois, déclara que son fétiche était muet. Le marabout, son papier à la main, et roulant entre ses doigts les grains de son chapelet, adressait au Ciel de ferventes prières :

« Qu’Allah te protège, qu’il éloigne le mauvais, esprit de ton chemin, qu’il te pardonne tes fautes, qu’il te conduise dans le lieu bon et détourne ton pied du chemin du feu ! »

« Ainsi mourut Messi, après deux années de règne. Prince sans énergie et énervé par la volupté, il ne gouvernait pas. Tout allait au caprice des cabacères et à la volonté des féticheurs. Le vol était à l’ordre du jour, le crime restait impuni, et, sous prétexte qu’il fallait aux dieux une victime humaine, les féticheurs pouvaient satisfaire sans aucun frein toutes leurs vengeances particulières.

« Les funérailles eurent lieu dans le plus grand secret, le jour même de la mort. A la nuit, les préparatifs commencèrent. Quelques vieux esclaves, versés dans les rites Jeji, sont initiés au secret, creusent, dans une case voisine de celle du monarque défunt, sous la conduite de Hunfuo, messager du roi, une fosse large mais peu profonde. Les cabacères arrivent en silence et pénètrent dans la chambre mortuaire éclairée par des torches de résine et par des lampes alimentées à l’huile de palme. Quelques nattes, des calebasses et d’autres vieux objets, destinés à servir plus tard aux funérailles publiques, sont jetés dans un coin. Le corps du roi est enveloppé d’un pagne blanc ; une calotte également blanche, et qu’il avait reçue le jour de son élection, orne sa. tète ; au bras, des bracelets d’argent ; aux doigts, des anneaux de même métal ; aux pieds, les souliers, insignes de la majesté royale. On dépose ensuite le cadavre dans un grossier cercueil de bois, où on a eu soin de placer quelques bouteilles d’eau-de-vie et de gin.

« Le moment solennel est arrivé. Au milieu de la nuit, alors que les gens du palais paraissent endormis, Apollogan, premier cabacère et chef des féticheurs, et le migan (bourreau), ayant tous les deux le pagne enroulé à la ceinture, une calotte blanche sur la tète, et, au col, une sorte d’étole blanche, insigne du cabacérat, descendent dans la fosse, tandis que le gogan (chef des bouteilles), reste sur le bord pour leur passer tout ce qui est nécessaire au sacrifice.

« Bâillonnées et à moitié ivres, les victimes, au nombre de six, sont amenées par les aides du migan. Ce sont le porte-clefs, la cuisinière ou première femme du roi et son petit esclave, la femme qui rafraîchit le roi au moyen d’un large éventail, celle qui étend la natte appelée ateni, et celle qui tient le parasol.

« Le gogan les présente au sacrificateur qui les reçoit dans la fosse, et ApoUogan les offre aux dieux en répandant sur la tète de chacune d’elles un peu d’huile de palme mêlée à de la farine de maïs. Puis on accorde aux victimes, comme consolation dernière, quelques gouttes de tafia ; les trois premières, garrottées et agenouillées, reçoivent le coup fatal, et leurs têtes tombent sous le sabre fétiche d’Ogun. Les trois autres, étendues dans la fosse et la tète fixée au sol par une fourche fétiche, sont frappées à l’occiput avec un bâton rond et poli appelé olugbongho. De ce sang chaud et fumant, sortant à flots par la bouche et par le nez des victimes, les deux bourreaux crépissent le fond et les parois de la fosse, et reçoivent, des mains du gogan, des nattes et des étoffes qu’ils étendent sur cette couche de sang.

« Aux premiers rayons du soleil, la bière royale est descendue dans la fosse. A côté d’elle, on place, enveloppés dans une natte, les cadavres de la cuisinière et du petit esclave et la fosse est recouverte de terre. Les autres cadavres sont jetés dans une fosse séparée, puis, cabacères et féticheurs se retirent en silence.

« Au dedans comme au dehors du palais, rien n’est encore connu. Quelques rumeurs circulent, mais la mort ne sera officielle qu’à l’avènement du nouveau roi.

« Trois mois après la scène que je viens de décrire, aura lieu une autre cérémonie, dont voici les détails :

« On creuse la fosse et on en retire la tête du roi. Nettoyée avec soin, elle est déposée dans un pot de terre neuf et portée à la case fétiche de Mézé, située à l’intérieur du palais et commune aux trois familles qui se partagent successivement le pouvoir. Placé sur une caisse garnie d’étoffes précieuses, le pot est recouvert d’un chapeau. Autour, sont suspendus le couteau, le collier et autres objets du défunt. De temps en temps on vient offrir à la tête du roi un peu de sauce à l’huile de palme, et, après en avoir fait toucher la partie inférieure du pot, on mange le reste en l’honneur du défunt.

« Dans cette case, il y a trois têtes de rois qui n’ont pas reçu encore les honneurs publics de la sépulture. Jusqu’ici les grandes dépenses que cette fête (!) entraîne n’ont pas permis de la célébrer. Elle s’accomplit dans un bosquet fétiche, illustré déjà par beaucoup de crimes. Les nattes et autres objets ayant appartenu aux défunts sont brûlés, et sur les cendres, trois enfants, pour chacun, doivent être immolés.

« Quelques jours après la mort de Messi, on a élu Dassi, qui a pris le nom de Toffa. Prince hautain et énergique jusqu’à la cruauté, il veut gouverner par lui-même. Il n’est pas encore entré au palais. Bientôt doit avoir lieu la cérémonie de son sacre. »

« Porto-Novo, 16 avril 1875.

« Porto-Novo vient d’être le théâtre d’horribles sacrifices humains qui se sont succédé pendant neuf jours avec une barbarie incroyable.

« Les habitants de Porto-Novo, comme ceux du Dahomey, croient à une vie future ; mais elle n’est, pour eux, que la reproduction, ou la continuation de la vie présente. L’homme y est assujetti aux mêmes besoins, y éprouve les mêmes tristesses et les mêmes joies ; et pour que les défunts ne soient pas, au delà du tombeau, réduits à l’indigence, leurs amis de la terre vont brûler, hors de la ville, dans un bosquet mystérieux, tous les objets leur ayant appartenu ici-bas. C’est ainsi qu’on leur expédie leurs nippes et leurs ustensiles de ménage. S’il s’agit d’un homme riche et puissant, on immole sur sa tombe ses femmes et ses esclaves.

« Les funérailles des rois se célèbrent deux fois. Dès que le souverain vient d’expirer, plusieurs de ses esclaves arrosent de leur sang le tombeau royal ; et ce premier sacrifice est toujours accompli, lorsque le peuple apprend que le roi n’est plus. Par ce silence plus ou moins prolongé, on prévient souvent les intrigues et les troubles.

« Les secondes funérailles sont publiques et solennelles : c’est l’apothéose du roi. On lui envoie un plus grand nombre de femmes et d’esclaves, qu’on immole en grande cérémonie. Pour rehausser l’éclat de sa cour dans son nouveau royaume, on lui choisit des cabacères ou ministres, mais ceux-ci, préférant aux honneurs d’outre-tombe ceux de la vie présente, obtiennent, à prix d’argent, d’être remplacés par des esclaves. Ces derniers sont à l’instant revêtus de la dignité des cabacères et misérablement sacrifiés.

« Ainsi l’esclave de l’acbasagan porte le nom et les insignes du cabacère qu’il remplace ; il est conduit au sacrifice tenant dans ses mains une peau de léopard et un plat. La victime du sogan arrive au bûcher funèbre, tirant un cheval par la bride. Enfin le ouatagan immole aussi un esclave. Tels sont les noms des trois cabacères qui, à ma connaissance, s’immolent sur les cendres du roi défunt, mais par procuration. Primitivement ces cabacères, comme leurs noms l’indiquent, n’étaient que des esclaves ou des hommes libres chargés des soins domestiques. Le roi devenant de jour en jour plus puissant, ils finirent par prendre part au gouvernement et devinrent eux-mêmes ministres principaux du souverain.

« Quatre rois décédés, Mei, Sungi, Mecpon et Messi, n’avaient pas encore reçu l’honneur des funérailles solennelles. Toffa, leur successeur, qui n’avait pas été sacré roi, voulut acquérir de l’influence en affectant un grand attachement aux anciens usages.

« Le gongon (clochette en fer) se fait entendre : défense aux noirs de cultiver la terre, quoique en pleine saison de semailles ; ordre à tous les négociants de payer les droits échus et ceux de six mois à l’avance. Les cabacères reçoivent aussi leurs instructions et font avertir le peuple que quiconque sortirait la nuit serait exposé à périr. Enfin, les agaunigans sont convoqués.

« Ces agaunigans (en langue jeji : idêpés) sont des hommes remarquables par leur force, leur courage et surtout par leur méchanceté. Le roi les choisit, et ils sont préconisés dans une assemblée générale. En temps de guerre, ils marchent les premiers ; en temps de paix, ils forment la garde secrète du roi, sont les exécuteurs de ses vengeances et les voleurs officiels de Sa Majesté et des cabacères. Revenons aux funérailles.

« Les dispositions sont prises, les ordres du roi connus de tout le peuple. Dès que le soir approche, nul n’ose sortir, pas même pour secourir un voisin. On tremble d’avoir à voyager le jour, personne ne s’étonne si un tel ou un tel a disparu. Les idêpés ont beau jeu ; la ville entière est livrée aux assassins.

« Les malheureux qu’on surprend sont aussitôt enchaînés, vendus ou réservés aux sacrifices. Si ce sont des personnages importants, qu’on ne puisse ni vendre, ni immoler le jour, ils deviennent les victimes des sacrifices nocturnes.

« Durant ces jours lamentables, il n’y a plus de loi ; chacun peut tuer ou voler. Ainsi le veut l’ancien usage. Cependant, la peur ayant dépeuplé les rues et les places publiques, les marchés n’étant plus alimentés, le roi fait publier que les campagnes peuvent envoyer leurs productions durant le jour. On ne répond pas à cet appel.

« Mais Toffa est pourvu de victimes et d’argent. Les funérailles solennelles des quatre rois défunts vont commencer. Elles doivent durer neuf jours. Le palais regorge d’eau-de-vie et de poudre ; les cabacères y déposent leurs présents, les princes des mattes (campagnes) y conduisent leurs esclaves voués aux sacrifices ; les princesses elles-mêmes offrent aux rois défunts une jeune et belle négresse pour chanter et danser devant eux, en s’accompagnant du chêchêchê (calebasse au long col entourée de cauris). L’acbasagan, le sogan et le ouatagan ont envoyé leurs mandataires. Le roi invite aux fêtes les principaux étrangers fixés à Porto-Novo, tels que Malais et Nagos. Tant que dureront les réjouissances, tous, même les Jejis, prendront à discrétion, dans le palais royal, eau-de-vie et poudre.

« Dès la veille de la neuvaine, sur le soir, une cabane de bambous recouverte de paille est disposée pour recevoir l’ago oba, c’est-à-dire la collecte d’objets que l’on veut envoyer aux défunts. Cette cabane est construite dans une cour située au milieu de l’enceinte fétiche, consacrée aux sépultures royales. On y compte neuf petites cases ; chacune d’elles contient un pot de terre cuite, et dans chaque pot sont renfermés deux crânes des majestés décédées. Près de ces pots, on voit des parasols et autres objets ayant appartenu aux défunts.

« Parmi les Jéjis, c’est l’usage d’enterrer les morts ; mais, quelque temps après, on retire les têtes qu’on nettoie bien et qu’on place dans un pot, et c’est devant ce pot soigneusement conservé qu’on offre les sacrifices.

« A minuit, commencent les tueries. L’exécuteur est le chef de Davi, ville du royaume de Porto-Novo ; il est assisté dans ses fonctions par ses fils et ses esclaves. Le premier sacrifice est un « sacrifice de vengeance » et la victime est un homme de la petite ville d’Adja (Dahomey).

« Téacbarin, disent les anciens, fut attaqué par les habitants d’Adja qui maltraitèrent son escorte. Or, pour perpétuer la vengeance que demandait cette injure, le peuple de Porto-Novo immole souvent des citoyens d’Adja. Dans cette dernière ville, on use des mêmes représailles.

« Le chef de Davi, qu’on appelle Obba-Idoniki, prend la victime et la conduit dans la cour fétiche, près de la cabane de bambous. Le malheureux, retenu entre les mains brutales de ses exécuteurs, comprend qu’on va l’immoler, et pousse des cris de détresse : « Au secours ! on veut me tuer ! Qu’ai-je donc fait ? Blancs, secourez-moi !… » Il exhale en vain son désespoir, car nul ne peut intervenir sous peine de mort, et les idêpés en armes occupent toutes les issues. On ne bâillonne pas cependant le moribond parce qu’on veut, avant qu’il expire, lui donner des commissions pour l’autre monde. La victime se renferme bientôt dans un morne silence, et, toutes les cruelles diableries finies, on lui fait sauter la tête.

« Le sang de la victime est recueilli dans une calebasse ; on coupe au cadavre une main que l’on suspend à la porte fétiche ; on détache habilement la peau des reins, que l’on prépare et fait dessécher : elle servira à confectionner un tambour que l’on entendra aux prochaines féticheries. Les caillots de sang, épars çà et là, sont mêlés à de la bouse de vache, et l’on en frotte le sol de la cabane. Quant aux derniers lambeaux de chairs, ils sont traînés et honteusement exposés, devant le palais, à la vue de tout le peuple.

Une nouvelle victime est amenée, c’est celle qui est fournie par le ouatagan. Afin que la vengeance soit plus complète, on a acheté autrefois un homme et une femme de la ville d’Adja, et c’est parmi leurs descendants qu’on choisit toujours la victime qui doit remplacer le ouatagan. C’est un jeune homme qui ignore complètement ce qui l’attend. On le conduit dans la cabane, et, pendant qu’on l’invite à jouer d’une trompette, les exécuteurs le saisissent, lui donnent les commissions d’usage et le renversent sous une grêle de coups de bâton. Son sang est recueilli pour achever de crépir la case, et son corps est exposé devant la porte fétiche, en regard de la place du marché.

« Dans la lagune, d’autres victimes sont sacrifiées. Les eaux ont porté les corps de quatre femmes devant Badagry ; un homme a été trouvé dans les herbes près de Porto-Novo. Le lendemain, les cadavres sont restés exposés sur la place du marché où je les ai vus ; cette place était remplie d’hommes armés de fusils, qui exécutaient des fantasias devant les cadavres en chantant et en tirant force coups de feu. Pendant la journée, les exécuteurs ont achevé de crépir la case avec le sang des victimes ; puis ils y ont placé les objets ayant appartenu aux quatre rois défunts : chaises, chapeaux, souliers, parasols, couteaux, pagnes, nattes, plats, en y ajoutant, pour l’usage des souverains, des caisses d’eau-de-vie et des sacs de cauris ; ils ont arrosé le tout du sang des victimes. On y mit encore les tètes que Ton avait décollées. Sur le haut de la case flottaient trois drapeaux, rouge, noir et blanc.

« Le roi, les princes, les cabacères qui avaient fait tuer la même nuit des bœufs et d’autres animaux, passent la journée à manger et à boire. Les débris de leur festin sont portés près de Tago (case). Dans différentes parties du palais sont disposés des bassins remplis d’eau-de-vie, où chaque Jeji va boire à volonté.

« La journée se passa en libations et en dé- charges de mousqueterie. La nuit mit fin aux bacchanales. On se reposa cette nuit-là et le jour suivant. Tous ces sacrifices avaient été faits en l’honneur de Mei.

« La nuit suivante, les sacrifices recommencent. Les cadavres des deux premières victimes, qui étaient restés exposés sur la place du marché, sont foulés aux pieds par les exécuteurs. Leur férocité et leur rage assouvies, ils traînent et jettent ces cadavres dans la lagune, puis immolent d’autres victimes en l’honneur de Sungi, père de Toffa. Deux nouveaux cadavres vont prendre la place occupés par les deux précédents. On les recouvre de paille afin, sans doute, qu’ils ne soient pas reconnus. Le sang arrose les objets de l’ago. Dans l’intérieur du palais et dans la lagune, d’autres victimes sont immolées. Toffa a voulu faire le magnifique.

« Cette nuit et le lendemain, orgies comme précédemment ; la nuit et le jour suivant repos, et ainsi de suite pour les deux autres rois, Mecpon et Messi.

« Le neuvième jour approche. La veille, le roi fait prévenir tous les blancs de ne sortir ni la nuit ni le jour suivant, car, a-t-il dit, s’il vous arrive malheur, je n’en réponds pas. Dès le matin, Jejis, Malais, Nagos, s’arment de leurs fusils et reçoivent de la poudre. Bientôt toute la ville retentit de cris, de chants, de hurlements, de bruits de mousqueterie ; les vieux canons de Toffa y mêlent leurs voix. La matinée se passe ainsi en fête ; on régale les victimes qui, la plupart, ne sachant pas les usages de Porto-Novo (ce sont des gens achetés ou des étrangers), ignorent le triste sort qui les attend.

« Vers deux heures de l’après-midi, on se pré pare à brûler l’ago et à expédier dés présents aux rois défunts. Tous les braves de Porto-Novo se rangent en bataillon devant la place, près de leurs chefs de guerre ou baloguns, armés de leurs parasols. Les drapeaux rouge, blanc et noir, sont enlevés de dessus l’ago et tous se niettent en marche. Chaque balogun suit un tambour, et le tambour, fabriqué avec la peau de la victime immolée le premier jour, fait entendre ses roulements funèbres et lugubres. Le roi et les cabacères restent au palais, excepté Agboton, le mauvais génie de Toffa. Ce vieux cabacère, armé du bâton du roi, ouvre la marche. Le cortège sort des remparts et s’avance très lentement à cause de la foule.

« … Nous pouvons voir tout ce qui va se pas ser. En face de nous, à cinquante pas, hors du rempart, près d’une porte de la ville, s’élève au milieu de la plaine, un petit bosquet fétiche de forme ronde, c’est un massif impénétrable. La veille, les noirs y ont ouvert, à coups de sabres, un large et tortueux chemin conduisant au pied d’un grand arbre, où l’on doit brûler l’ago et immoler les dernières victimes. La longue file d’hommes armés arrive enfin, bannières déployées ; ils viennent se ranger par bataillon, le balogun en tête, de chaque côté du bosquet. Nous découvrons la première victime : vêtue de blanc, elle conduit un cheval par la bride ; c’est le représentant du sogan, palefrenier des écuries du feu roi. Il marche d’un pas décidé et parait heureux : c’est un jeune homme d’une vingtaine d’années.

« La veille, le cabacère lui a dit : « Je désire faire présent d’un cheval pour les rois. Veux tu le conduire là-bas dans le buisson où l’on va s’amuser, offrir aux rois de l’eau-de-vie et brûler ce qui leur a appartenu ? »

« Le jeune homme accepte.

« — C’est bien, reprend le cabacère, va te laver et reviens ; mange bien et bois bien ; demain tu conduiras le cheval et tu feras près de l’ago les commissions qu’on te donnera pour les rois. »

« Je le vois s’avancer. Arrivé en face du chemin du bosquet, il s’arrête avec son cheval : il trouve à l’entrée le chef de Davi qui, de chaque côté, a planté deux banderolles. Dans l’intérieur sont les fils et les esclaves du grand exécuteur, armés de sabres et de bâtons.

« La seconde victime arrive vêtue comme un cabacère (elle représente l’acbasagan) ; on tient un parasol au-dessus de sa tête, tandis qu’elle porte un plat, et, sous son bras, une peau de léopard ; c’est ainsi que faisait l’acbasagan : il étendait la peau et servait sur elle le manger au roi. En dehors du bosquet, on place une chaise ; la victime s’y assied, entourée des baloguns et de leurs gens. Des noirs viennent tout à tour se coucher devant le faux acbasagan, le saluer et le complimenter. A le voir, lui, parler, gesticuler, se lever, s’asseoir, on pourrait penser qu’il se croit sérieusement un cabacère.

« Cependant les remparts se couvrent de curieux, les enfants sont enfermés pour qu’on ne les vole pas.

« Vers trois heures, passent des hommes et des femmes. Les hommes portent les bambous et la paille ; les femmes, les objets de l’ago. D’autres sont chargés de bois, de caisses d’eau-de-vie, de cauris, d’ossements d’animaux placés au palais, près de l’ago. Un individu apporte, enroulées dans des feuilles de palmier, les têtes des victimes tuées au palais. Pour les conserver, on les avait fait cuire. Tous ces objets sont déposés à l’entrée du bois fétiche. Deux hommes et quatre femmes doivent les porter dans l’intérieur. Les infortunés, ils ignorent qu’ils vont, préparer l’autel qui doit les dévorer !

« L’acbasagan et son compagnon d’infortune, le sogan, arrivent au lieu du sacrifice. Le feu est mis au bûcher ; les exécuteurs découvrent leurs armes et se précipitent sur les victimes. L’acbasagan jette son plat et sa peau de léopard, s’élance dans les broussailles et cherche à s’échapper. Une haie d’hommes lui interdit tout passage ; il reçoit un coup de feu et on le traîne au supplice. Dans la confusion produite par cet incident, la jeune négresse que les princesses envoyaient aux rois défunts avait pu s’échapper aussi dans les broussailles. La malheureuse, bientôt reprise, pousse des cris que le tumulte ne nous permet pas de saisir. Ceux qui étaient près d’elle l’ont entendue crier : « Au secours ! au secours ! » Beaucoup de curieux effrayés ont fui ; d’autres victimes ont poussé ce cri que j’ai entendu : « Ou pa mi ô ! — on me tue ! »

« Enfin, voyant toute résistance inutile, les malheureux se laissent conduire.

« Après avoir répondu aux questions et reçu les commissions pour les rois défunts, trois hommes et deux femmes s’agenouillent ; d’un coup de massue, appelée olugbongbo, les exécuteurs les abattent et on les jette encore palpitants sur le bûcher.

« Une immense décharge de coups de feu répond de toutes parts.

« Les exécuteurs alimentent le bûcher en y entassant des bambous, de la paille et des objets pour les défunts.

« Vient le tour du cheval ; il tomba près du feu.

« La jeune fille qui doit réjouir leurs majestés noires dans l’autre monde est exécutée malgré ses larmes et ses supplications, ainsi que le sogan, conducteur du cheval.

« On les pousse dans le brasier avec le pauvre acbasagan.

« L’horrible sacrifice est consommé. Les coups de feu continuent encore deux heures, et chacun reprend le chemin de sa case.

« Je ne sais si les Anglais laisseront ces cruautés impunies[188] ou demanderont réparation de la violation du traité qu’ils ont fait avec Sungi, père de Toffa, et que celui-ci n’a pas respecté. »

Le royaume de Porto-Novo est placé maintenant sous le protectorat de la France ; il faut espérer que les mœurs sont changées, autrement on serait en droit de se demander à quoi servirait de protéger de pareils monstres.

Il y a quelques années seulement, en 1882, la peste sévissait dans une tribu sauvage de ce royaume. Le roi demanda au féticheur s’il n’avait pas quelque moyen de dissiper le fléau :

« Les dieux ont soif de sang, lui répondit le féticheur ; choisis donc, dans cette tribu, la jeune fille la plus belle et la plus pure, puis fais-la écorcher toute vive. »

Et le conseil fut suivi !

Rien d’important n’a lieu sans qu’une divinité intervienne. Funérailles, déclaration de guerre, ne se font qu’après avoir consulté les féticheurs qui ordonnent d’abord de sacrifier cinquante, cent, deux cents victimes humaines.

Les fêtes publiques dans le Sultanat de Ségou se terminent toujours par le supplice de nombreux captifs ou esclaves ; Ahmadou venant de se soumettre au Protectorat Français, il y a lieu de supposer qu’elles ne seront plus

souillées de sang humain.

CHAPITRE III

Anthropophagie


A l’esclavage, à la traite de l’homme, aux sacrifices humains, il faut encore ajouter l’anthropophagie parmi les crimes dont l’Afrique est coupable !

Le cannibalisme fleurit chez les Akpotos et les Mitshis, dans leBénué.

Les sujets du petit royaume d’Atamy (Niger), sont rangés parmi les cannibales les plus redoutables. Ils commettent un grand nombre de meurtres pour faire les sacrifices ou à l’occasion de quelque enterrement. Ce nombre dépasse annuellement la centaine.

Dans son journal, et à la date du 17 août 1870, Livingstone consigne ce qui suit :

« On dit que le frère de Moïnékouss, un nommé Kamdara, a tué trois femmes et un enfant, plus un homme d’un autre pays, dans le but unique de les manger. Moïnékouss a également servi de pâture. Son crâne, dit-on, est conservé dans un pot resté dans la demeure du défunt, on ajoute que les affaires publiques sont gravement communiquées à cette tête comme si la pensée y résidait encore. Dans le Métammba, contrée riveraine du Loualaba, les querelles de ménage ont souvent pour conclusion le meurtre de la femme par le mari, qui mange le cœur de la défunte, mêlé a une fricassée de viande de chèvre, mais ceci a un caractère magique. Ailleurs, les doigts sont pris comme talisman ; dans le Bammbarré. un goût dépravé est la cause du cannibalisme[189]. »

Les peuplades qui avoisinent le Grand Bassam[182] ont contracté l’habitude de manger leurs prisonniers de guerre. Les Quaquas agissent de même.

Les Batékés de la rive droite de la Djoué (Gordon Bennet), plus doux, plus hospitaliers que ceux de la rive gauche, sont cependant anthropophages.

Laissons parler un voyageur digne de foi, qui planta sa tente dans cette horde, en 1884 :

« Un homme étant malade dans le village qui est éloigné de 400 mètres à peine de notre établissement, le Myanga ou sorcier fit toutes sortes de sortilèges et de fétiches pour chasser les mauvais esprits : ne pouvant y réussir et voyant que le malade allait mourir, il voulut lui trouver un tombeau d’un genre particulier ; il coupa tout simplement la tête du patient qui fut enterrée au milieu de la plus grande solennité, avec force tam-tam, coups de fusils, pleurs, gémissements et surtout vin de palme, sans doute pour noyer la douleur. A l’issue de la cérémonie, tout le village se réunit et l’on partagea le reste du cadavre qui fut cuit avec des bananes et mangé au milieu des cris de joie les plus atroces,

« Le lendemain, le chef du village ayant occasion de venir chez moi, j’en profitai pour le semoncer vertement sur son horrible festin de la veille. Il me répondit simplement et avec la plus grande conviction :

« — Tu ne manges pas de chair humaine ?

« — Non, mille fois non !

« — Tu as tort : c’est excellent.

« — Mais c’est toi qui as tort, car il n’est pas permis de manger son semblable.

« — Vous autres blancs, vous ne connaissez pas ce qui est bon ; attends un peu : lorsque tu seras resté six mois chez nous, nous t’apprendrons à manger ce mets et tu le trou veras excellent !!!

« — Mangez-vous aussi les blancs ?

« — Non… toi tu es trop maigre ! »

« Le chef ayant appris que nous avions perdu dix hommes pendant le voyage et que nous les avions enterrés, s’écriait d’un ton de regret.

« — Ah ! que de bonne viande perdue ! nous t’aurions donné au moins dix porcs et dix chèvres pour, l’acheter !… Ah ! vous autres blancs, vous ne savez pas ce qui est bon ! »

« Les Batékés mangent également leurs prisonniers de guerre ; ils les tuent sur place et ils font bouillir cette chair avec des bananes dans de grandes marmites de terre pendant qu’ils dansent à l’entour une ronde infernale, et bientôt ils se disputent les pièces encore sanglantes de cet horrible festin.

« Ils ne font pas la guerre pour avoir des esclaves à immoler et à manger ; mais, ils profitent des circonstances favorables pour s’offrir un plat délicat et ne pas en perdre l’habitude.

« Ils mangent également les rats, les chauves-souris, les serpents, les vers de palmier ; mais pour tout l’or du monde ils ne toucheraient pas à une grenouille, disant que les blancs sont des sauvages de manger de pareils animaux. »

« Les Bourbourys ne se privent pas de chair humaine, ajoute l’amiral Fleuriot de Langle ; ils ont dévoré huit chasseurs Sénégalais qu’ils prirent pendant les hostilités dans un guet-apens et il a fallu venger ces affronts en brûlant Badou, Mapoyenne, etc. »

Les Ibôs mangent ceux de leurs adversaires que la guerre leur livre et gardent toujours des prisonniers en réserve pour les sacrifices humains qui ensanglantent leurs fêtes[190].

Les Mangalais du Gabon font comme les Métammbas, mangent leurs femmes récalcitrantes et leurs esclaves voleurs.

Dans le district de l’Ouvinnza, sur la rive du Loualaba, le village de Kammpouagou est formé par une grande rue de cinq cents mètres de longueur sur trente mètres de largeur, flanquée de chaque côté d’une ligne droite de maisons basses, symétriques et contiguës. Deux rangs de crânes, placés à dix pieds les uns des autres, couraient tout le long du village. Ces crânes blanchis, enfoncés de façon à montrer l’hémisphère cérébral, étaient au nombre de cent quatre-vingt-six. La moitié au moins portait les traces des coups de hache reçus par la victime. Stanley demanda ce que c’était. « De la viande ! répondit le chef. » C’étaient des crânes humains ! Telle était, en partie, la nourriture de ces Africains !

« Au nord du bassin de Itouri[191] sont cantonnés, dit Stanley[192], les Ababoua, Mabodé, Mon von et Balessé. Au sud, les Bakoumou et Babourou, branches principales.

« Tous mangent la chair de l’ennemi ! »

Les nègres du Rio-Pongo (Sierra-Leone), appartenant à la secte des Simos, sont anthropophages à l’occasion.

En descendant le fleuve Livingstone, Stanley et ses compagnons furent inquiétés par des peuplades anthropophages, près de l’île de Kaïmniba. « Sennéneh ! Sennéneh ! (Paix ! Paix !) crièrent les interprètes ; nous sommes des amis ! » — « Nous ne voulons pas de votre amitié ; partez, ou nous vous mangerons ! »

« Par curiosité, rapporte Stanley, ils nous écoutèrent ; nous continuâmes notre discours et pendant ce temps-là nous arrivâmes si près d’un district voisin qu’ayant à songer à eux-mêmes, nos ennemis prirent la fuite.

« Un bruit effrayant de trompes et de tambours retentissait également sur la rive droite et des canots à la proue effilée semblaient raser l’onde comme des poissons volants. Ceux qui les montaient n’attendirent pas nos paroles. Arrivés à vingt-cinq ou trente brasses, ils nous jetèrent des lances en nous criant : « De la viande ! de la viande ! Bo-bo-bo-bo bobo « bo-oo… »

« Je me levai pour leur répondre, et je le fis sans colère. Par instants, il me semblait que c’était un rêve, l’épisode d’un cauchemar. Comment se figurer qu’il y avait des gens qui ne voyaient en moi et mes compagnons que de la viande ? Nous, de la viande ! Quelle idée ! Un de ces misérables, d’un affreux embonpoint, s’approcha de ma barque, et exerça sur moi une sorte de fascination. J’ai encore devant les yeux le tournoiement de son arme, le rire fixe de sa large bouche, ses grandes dents, sa tête hideuse inclinée vers l’épaule gauche, son front bas, sa chevelure courte et épaisse. L’oublierai-je jamais ? Je le vis reculer enfin le bras droit, se jeter le corps en arrière, toujours avec le même rire sur la face. Je me sentis compter mentalement : un, deux, trois, quatre, — Houitz ! La lance m’effleura les épaules et entra dans l’eau en sifflant. Le charme était rompu. Les fusils partirent. Cinq minutes après le fleuve était libre. Je fis ramasser les boucliers et donnait l’ordre de conserver désormais tous ceux qu’on pourrait recueillir ; ils nous serviraient à blinder nos canots.

« Le camp fut établi dans une jungle épaisse et entouré d’une forte palissade. En face de nous, sur un promontoire, était le village de Vina-Kya. Bientôt les tambours reprirent et des canots passèrent le fleuve. En nous reposant dans ce lieu inhabité, quel mal faisions-nous ? Les gens de Vina-Kya en trouvèrent. Nos interprètes furent chargés d’être éloquents et n’y manquèrent pas. J’éprouvais une étrange admiration pour ces deux jeunes gens, et comme un sentiment d’envie. C’étaient cependant des cannibales, mais doués d’un talent de mime extraordinaire. Les sauvages de Vina-Kya en furent touchés au point de nous accorder du répit. Ils promirent que nous ne serions décapités que le lendemain, pour être servis dans un grand repas, auquel assisterait tout le village. Nous résolûmes de ne pas attendre la fête. »

Le 1er janvier 1877, nouvelle alerte sur les bords du fleuve que descendaient Stanley et ses gens. « Au nom de Vouassammbyi, qu’on nous avait donné jusqu’alors, succédait celui de Vouadjikoua. Katammbo fut éloquent, eut la voix douce, le geste pacifique. « Nous mangerons aujourd’hui de la viande de Vouadji« koua », lui fut-il répondu ; et cent pagaies lancèrent vers nous des canots armés, que nos fusils repoussèrent. La lutte ne dura qu’un instant et nous pûmes continuer notre route.

« Le 2 janvier, la journée fut chaude. D’abord, devant Kiremmbouka, une affaire émouvante. Ensuite un défi des gens de Mouana Vibonndo ; puis une attaque des habitants de LommboaKirito ; trois heures de combat, suivies d’une heure de nage qui nous conduisit à des îles nommées Kiboumbo, où nous trouvâmes les Amou-Nyams se disposant à nous battre. Ils arrivèrent ; nous leur tendîmes des anneaux de cuivre et de longs chapelets de cauris, en leur criant : Sennéneh ! — « Croyez-vous, répondit l’un d’eux, que nous puissions renoncer à une telle quantité de viande pour un peu de cuivre et des coquilles ? » Deux coups de feu répliquèrent aux premières lances jetées. L’ennemi s’éloigna, revint peu de temps après et nous envoya des flèches empoisonnées ; mais une décharge, cette fois plus sérieuse, nous délivra de nouveau de ces amateurs de viande[193]. »

Les Mouanas Ntabas anthropophages retrouvèrent Stanley près des cataractes aux quelles il donna son nom, la lutte dura plusieurs jours[194].

De toutes les nations de l’Afrique accusées de cet horrible usage, les M’fans ou Pahouins[195], qui habitent le côté équatorial de l’ouest, ont la réputation d’être les rivaux des Nyams-Nyams. Des témoins oculaires, d’après Schweinfurth, affirment que, chez les M’fans, les morts constituent des objets d’échange et que l’on va jusqu’à déterrer des cadavres pour les dévorer. Marche, qui passa au milieu d’eux, en 1874, signale cependant une ile dans laquelle ils enterreraient leurs défunts depuis qu’ils ne les mangeraient plus. De Brazza partage l’opinion de Schweinfurth et dit : « Les M’fans ou Pahouins, dévastèrent l’Okanda, dont les habitants massacrés servirent de régal à leurs féroces envahisseurs. » De Compiègne s’exprime ainsi sur leur compte :

« La race des Fans est une tribu franchement cannibale ; je dis franchement cannibale, car ils mangent non seulement leurs ennemis pris ou tués dans le combat, mais encore leurs morts à eux, qu’ils aient succombé à la guerre ou aux atteintes de la maladie, peu importe. On a dit que l’on ne mangeait pas dans un village cadavres de ceux qui appartenaient à ce même village et qu’on va les revendre chez des voisins, à charge de revanche. C’est généralement vrai. Néanmoins, un négociant, M. P…, et des noirs assez dignes de foi m’ont cité plusieurs exemples que ces amateurs de chair humaine n’ont même pas toujours cette délicatesse. Ainsi M. P… est arrivé, dans un hameau, au moment où l’on faisait cuire une femme libre morte la veille dans ce hameau qui était le sien. Mais il est juste de dire qu’à mesure que les Pahouins se rapprochent de nous, sont en contact avec nous et arrivent à jouir d’un certain bien-être, les cas de cannibalisme sont beaucoup moins fréquents et surtout beaucoup plus dissimulés.

« Loango est la résidence du vicaire apostolique — en ce moment Mgr Carrie — qui évangélise le Congo français, un territoire quatre fois grand comme la France.

« L’Oubanghi est un affluent de droite du Congo où il se jette, après un parcours de mille ou quinze cents kilomètres, un peu au-dessous de l’Equateur.

« C’est aux Pères du Saint-Esprit, dont le Séminaire s’élève rue Lhomond, à Paris, que la Propagande a confié le soin d’apporter le christianisme dans ces régions du centre africain, encore peuplées d’anthropophages où l’esclave est tout simplement une viande de boucherie, écrit aux Missions catholiques de Lyon le Père Augouard.

« Les petits noirs du Loango ont de grandes aptitudes pour les langues étrangères, dit le Père Augouard, et ils excellent dans la musique. Le récit de l’excellent missionnaire est agrémenté, comme un journal qui se respecte, en ce mois d’août, d’une distribution de prix.

« Les lauréats choisissent eux-mêmes des objets utiles : du fil, des aiguilles, des étoffes, des ciseaux, des couteaux, des instruments de menuiserie et d’agriculture, car chaque groupe de missionnaires possède des frères jardiniers. A cette heure, le Congo français compte sept établissements fréquentés par un grand nombre de négrillons que les parents confient aux religieux ou que ceux-ci ont arrachés à l’esclavage.

« Le plus récemment fondé, Saint-Louis de l’Oubanghi, est à onze cents kilomètres du littoral ; l’an prochain les missionnaires veulent pousser jusqu’à dix-huit cents kilomètres, à Saint-Paul des Rapides, sur le Haut Oubanghi. Ils civilisent l’Afrique comme les moines d’Occident, l’Europe, il y a onze et douze siècles.

« C’est à Saint-Paul qu’au commencement de la présente année, le chef de poste français,

M. Musy, et ses dix soldats noirs furent tués et dévorés par les indigènes.

« Scènes horribles qui ont pour théâtre les paysages grandioses qu’anime le plus grand fleuve du continent noir avec le Nil.

« Un fleuve immense, coupé par de nombreuses cataractes et recevant le tribut d’innombrables cours d’eau ; un fleuve dont les eaux agitées comme celles de la mer, baignent à certains endroits des rives éloignées l’une de l’autre de quarante kilomètres ; d’immenses vallées sans cours d’eau ; de hautes montagnes aux sommets marécageux ; des fleuves courant dans une plaine sans limites et formant dans leur ensemble un magnifique réseau de vingt mille kilomètres de navigation ! Il ne faudrait pas croire que les voyages se puissent faire sans difficultés sur ces grandes voies fluviales ; elles sont, en effet, semées de bancs de sable, de roches et d’écueils, et quand le vent souffle en tempête, il arrive fréquemment que des embarcations disparaissent dans les flots ; aussi, dans l’espoir de rendre service aux navigateurs, et pour mieux fixer certains écueils jusqu’alors assez indéterminés, nous avons dressé une carte fluviale du Congo, embrassant une longueur de mille kilomètres. Outre les obstacles naturels, il faut compter aussi avec les hippopotames et les crocodiles qui pullulent dans ces régions. »

Ouvriers, maîtres d’école, géographes, cultivateurs, les missionnaires apportent à ces populations primitives tous les bienfaits de notre civilisation. Les Africains de l’Equateur voient flotter sur leur fleuve une chaloupe que les Pères ont baptisée du nom du Pape régnant le Léon XIII. Elle est en tôle d’acier et démontable.

« Ce bateau, avec sa machine à vapeur acquise plus récemment, a dû être transporté pièce par pièce sur la tête des hommes, à travers les montagnes, à une distance de 550 kilomètres. C’est nous qui, à la mission, l’avons complètement monté, installé, et qui, l’année dernière encore, avons placé la machine à vapeur qui le fait mouvoir. »

Parlant des écoles et de l’éducation des petits nègres, le R. P. Prosper Augouard écrit :

« C’est une œuvre fondamentale grâce à laquelle toute une génération d’indigènes a reçu l’enseignement chrétien, a appris notre langue et se dispose à seconder nos efforts dans les vastes contrées de l’intérieur où nous venons planter, auprès de l’étendard du Christ, le drapeau de la France. »

On ne saurait mieux dire.

Schweinfurth signale aussi les Mombouttous et s’exprime de la sorte :

« Toujours est-il — le fait est certain — que l’anthropophagie existe à un degré beaucoup plus haut chez les Mombouttous que chez les Nyaras-Nyams[196]. Je laisse de côté les récits des Nubiens, les rapports que ces témoins oculaires m’ont faits personnellement de leurs razzias, où l’homme est découpé en longues aiguillettes, séché et fumé pour servir de provision. Les crânes si nombreux que possède aujourd’hui le musée anatomique de Berlin et que j’ai choisis dans les amas d’ossements, débris de cuisine, qui m’étaient apportés chaque jour, garantissent l’exactitude de mon assertion : que le cannibalisme des Mombouttous est sans pareil dans le monde entier.

« Et cependant les Mombouttous sont une race noble ; des hommes bien autrement cultivés que leurs voisins, à qui leur régime fait honneur. Ils ont un esprit public, un orgueil national ; ils sont doués d’une intelligence et d’un jugement que possèdent peu d’Africains et savent répondre avec bon sens à toutes les questions qu’on leur adresse. Leur industrie est avancée, leur amitié fidèle. Les Nubiens qui résident chez eux n’ont pas assez d’éloges pour vanter la constance dé leur affection, l’ordre et la sécurité de leur vie sociale, leur supériorité militaire, leur adresse : « Tu ne les crains pas, disent-ils à l’arrivant ; moi je les crains : ils sont redoutables pour tout le monde. » Ce n’est pas le premier exemple d’un peuple arrivé à un certain degré de civilisation, et qui n’en est pas moins anthropophage : les Caraïbes et les Fidjiens en sont la preuve.

« De toutes les parties de l’Afrique, où l’on a vu pratiquer l’anthropophagie, c’est ici qu’elle est le plus prononcée. Entourés, au sud, de noires tribus d’un état social inférieur, et qu’ils tiennent en profond mépris, les Mombouttous ont chez ces peuplés un vaste champ de combat, ou, pour mieux dire, un terrain de chasse et de pillage, où ils se fournissent de bétail et de chair humaine. Les corps de ceux qui tombent dans la lutte sont immédiatement répartis, découpés en longues tranches, boucanés sur le lieu même et emportés comme provision de bouche.

« Conduits par bandes, ainsi que des troupeaux de moutons, les prisonniers sont réservés pour plus tard et égorgés les uns après les autres, pour satisfaire l’appétit des vainqueurs. Les enfants, d’après tous les rapports qui m’ont été faits, sont considérés comme friandise et réservés pour la cuisine du roi. Pendant notre séjour chez les Mombouttous, le bruit courait que presque tous les matins on tuait un enfant pour la table de Mounza.

« Nous n’avons pas eu l’occasion d’assister à ces horribles mangeries, mais une fois, arrivant inaperçu devant une case où, près de la porte, se trouvait un groupe de femmes, je vis celles-ci en train d’échauder la partie inférieure d’un corps humain, absolument comme chez nous on échaude et l’on racle un porc, après l’avoir fait griller. L’opération avait changé le noir de la peau en un gris livide. Quelques jours après, je remarquai, dans une maison, un bras d’homme qu’on avait suspendu au-dessus du feu, évidemment pour le boucaner.

« Non seulement nous trouvions à chaque pas des signes d’anthropophagie, mais nous reçûmes de la bouche du roi la confirmation du fait et l’explication du peu d’exemples que nous en avons eus. Nous étions chez Mounza, le Kénusien et moi ; Abd-es-Samate fit tomber l’entretien sur ce chapitre, et demanda comment il se faisait que, depuis notre arrivée, on n’eût pas mangé de chair humaine dans le pays. Le roi lui répondit que, sachant toute l’horreur que cette nourriture nous inspirait, il avait donné des ordres pour qu’elle fût préparée et mangée secrètement.

« Des Nubiens, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, m’ont affirmé que des Bongos, morts de fatigue à la suite de leurs caravanes, avaient été déterrés pour servir d’aliments, et, s’il faut en croire les Nyams-Nyams, qui avouent fort bien leur cannibalisme, jamais chez eux un corps humain n’est rejeté comme impropre à l’alimentation, à moins que l’individu ne soit mort de quelque hideuse maladie de peau. En revanche, il y a dans le pays des gens qui éprouvent une telle horreur pour la chair humaine qu’ils refusent de manger d’un mets quelconque au même plat qu’un anthropophage… »

« Depuis quelque temps, nous avons fait, à bien des points de vue, plus ample connaissance avec l’Afrique, et le cannibalisme de quelques-unes de ses peuplades nous a été confirmé par des témoignages authentiques ; mais, soit que l’on considère l’anthropophagie comme le vestige d’un culte païen, soit qu’on le regarde comme le résultat de l’insuffisance de nourriture animale, toutes les explications qu’on a pu donner de ce problème psychologique ne diminuent pas l’horreur qui nous saisit chaque fois que nous entendons parler de cette hideuse et révoltante coutume. »

Schweinfurth passe des Mombouttous à leurs voisins les Nyams-Nyams :

« Les Nyams-Nyams ont été accusés de cannibalisme par tous les gens auxquels le fait de leur existence était connu. Le bien fondé de cette accusation serait hors de doute pour quiconque aurait pu s’assurer de la provenance de la majeure partie de ma collection de crânes. Mais une règle générale a toujours des exceptions, et des voyageurs aux pays des Nyams-Nyams, qui ont visité les territoires de Tembos et de Banzimbeh, situés à l’ouest de ma route, m’ont dit n’avoir point relevé la moindre preuve de cette coutume. Piaggia est resté fort longtemps dans ces mêmes districts, et ne vit jamais rien de semblable, sauf en une seule occasion, alors que les Nyams-Nyams étaient en guerre : un ennemi fut tué et son cadavre fut dévoré, mais par haine et par esprit de vengeance. Pour ma part, je peux citer des chefs, Ouando, par exemple, qui éprouvaient une répugnance indicible à l’idée de manger de la chair humaine. Et pourtant, passant leur vie à combattre, les occasions ne leur auraient pas manqué pour satisfaire cet odieux appétit. »

Néanmoins j’ose affirmer que les Nyams-Nyams de certaines provinces sont anthropophages, et que ceux-là le sont complètement et sans réserve, à tout prix et en toute circonstance. Ils ne font pas un secret de leur horrible penchant ; ils se parent avec ostentation de colliers faits des dents de leurs victimes, et ils mêlent à leurs trophées de chasse les crânes des malheureux dont ils se sont nourris. Chez eux la graisse d’homme est d’un usage général. On prétend qu’elle enivre ceux qui en mangent trop, mais bien que le fait m’ait été souvent affirmé par des Nyams-Nyams eux-mêmes, je n’ai jamais pu découvrir ce qui donnait lieu, à cette étrange assertion.

« En temps de guerre, ils dévorent des victimes de tous les âges, mais surtout les vieillards, qui, en raison de leur faiblesse, sont une, proie plus facile ; et, dans tous les temps, lorsqu’un individu meurt dans l’abandon sans laisser de parents qui s’y opposent, il est mangé dans le district même où il a vécu. Bref, tous les cadavres qui, chez nous, seraient livrés au scalpel de l’anatomiste, ont là-bas cette triste fin. »

Brun-Rollet prétend aussi que les Nyams-Nyams sont anthropophages ; Bolognesi en doute.

Cameron dénonce sans réserve les habitants du Manyéma :

« Ils ne mangent pas seulement, dit-il, les hommes tués dans les combats, mais ceux qui meurent de maladie. Ils font macérer leurs cadavres dans l’eau courante jusqu’à ce que les chairs soient presque putréfiées et les dévorent sans plus de préparation. Même procédé à l’égard des animaux, toute charogne leur fait pâture. »

Les Wadouas, riverains du lac Victoria Nyanza, ou Oukéréoué, sont aussi anthropophages.

Ce sont de fort beaux hommes, robustes, tous agriculteurs. Dans leurs campagnes, qui sont bien travaillées, ils cultivent en abondance le maïs, le mtama ou sorgho, la patate et le manioc ; ils n’ont pas d’arbres fruitiers et c’est à peine, si l’on peut, chez eux, se procurer quelques bananes. Ils n’ont pas d’esclaves. Le pays est partagé en districts, gouvernés par un mpuené ou grand chef.

Quand l’un d’eux meurt, on lui creuse une tombe et on enterre avec lui quelques femmes qui doivent le servir dans l’autre monde, puis on organise des danses, on fait de grands festins, on boit du sang humain dans des crânes et on se régale de chair humaine. Pareilles orgies ont lieu à l’élecyion d’un nouveau mouené. Comme les Wadouas ne se mangent pas entre eux et qu’il leur faut des victimes humaines, des chasses à l’homme sont organisées.

Chose étrange, ces cannibales sont très sévères pour les mœurs. Ils châtient rigoureusement l’adultère, punissent de mort le vol et l’homicide. Ils sont païens et fétichistes. Leurs sorciers jouissent d’une influence considérable : il y en a qui sont même chefs de village !

En 1889, ils entrèrent des premiers dans les rangs de l’insurrection contre les Allemands. Les Arabes leur avait persuadé qu’avec les gris-gris, dont ils les avaient affublés, les balles allemandes tomberaient respectueusement à leurs pieds ! Ils furent écharpés. Leurs débris se dédommagèrent sur les Ouanyamouézi, qu’ils purent prendre et dévorer !

Terminons ce sinistre chapitre en disant que Cameron fut régalé d’un chant, qui célébrait les délices de l’anthropophagie et prétendait que si la chair de l’homme est succulente, celle de la femme est mauvaise, mais qu’elle n’est

pas à mépriser quand la première manque !

CHAPITRE IV

Sorcellerie Et Superstitions


Nombreuses, trop nombreuses sont encore les victimes de la sorcellerie et des superstitions.

Dans les pays fétichistes, les éclipses de soleil ou de lune et autres phénomènes astronomiques, engendrent souvent de véritables boucheries d’esclaves ou de prisonniers. Le passage de la comète de 1884 entraîna, de la part des Wazîgoua, le sacrifice de tous les enfants nés à cette époque.

Le roi d’Ake (Côte des Esclaves) mourut en 1881. Il se promettait encore deux cents ans de vie, grâce à la puissance de son fétiche, et pas un noir du pays n’osait douter de la sincérité de ses paroles. Ce vieillard décrépit intriguait toujours de concert avec son secrétaire Johnson, qui avait relevé la tête dans ces derniers temps. Poussés par quelques désœuvrés influents, ils avaient pris sur eux d’imposer une constitution aux Egbas et de faire peser une série de tarifs sur toutes les denrées entrant et sortant. On avait placardé quantité d’imprimés que personne ne lisait. Johnson croyait triompher, lorsqu’on annonça que le roi d’Ake, son maître et son seul appui, était mort depuis cinq jours. Johnson et sa constitution rentraient forcément dans le néant.

Quand on apprit ce décès, le chef des sorciers se rendit au palais, lava le corps du défunt, lui coupa la langue qu’on fît frire à l’huile de palme et la tête qu’on plaça dans un vase dont on avait retiré le chef blanchi du dernier roi mort. Pour marquer la succession non interrompue des rois d’Ake, on mit sur le corps décapité la tête du prédécesseur. La langue soigneusement gardée dans une écuelle, attend le couronnement du futur roi. Ce jour-là, en effet, le prétendant la mangera en l’assaisonnant de tafia. Alors il régnera ; de là. l’expression usitée dans le pays pour dire que le roi règne : « Il a mangé le roi. Je Oba. »

Le vieux roi d’Ake ne mourut pas seul. Son frère, mandé à la case des ogboni pour rendre compte des suprêmes volontés du défunt, déclara que le monarque avait surtout désiré que l’on fût fidèle à observer les tarifs établis par Johnson. « — Bien entendu, lui fut-il répondu ; mais il faut que quelqu’un se dévoue pour lui porter notre réponse. » Le lendemain, après son souper, ce vieillard mourait subitement, en proie à d’atroces douleurs d’entrailles.

La sorcellerie joue un rôle important chez les Egbas razziés récemment par le roi de Dahomey, et qui ont pris sur lui une revanche éclatante. Le culte d’Oro, une divinité imaginaire, est en honneur à Abéokouta. On représente Oro comme un esprit de l’autre monde, en proie à des tourments incalculables, errant la nuit, souvent même le jour. Une femme qu’il rencontrerait sur son passage serait immédiatement mise en pièces.

Oro s’attaque aux arbres et les brise ou en dévore les feuilles et rameaux. Une nuit lui suffît pour commettre ces méfaits. On ne trouve plus sur l’arbre que le pot en terre, servant de marmite, dans lequel il a fait cuire branches et feuillage ; une natte, tenant lieu de nappe, et des chiffons, lambeaux de son pagne !

Afin de mieux terroriser les femmes et les enfants, les Egbas, dont les habitations n’ont jamais de fenêtres sur la rue, les enferment dans les maisons et vont rapidement dévaster un arbre que les crédules créatures croiront ensuite avoir été ravagé par Oro.

Toute femme qui parle d’Oro est mise à mort. Nous tenons de source certaine qu’un bambin de quatre ans, jouant dans la rue au moment où l’on faisait Oro, voulut devant sa mère imiter le sifflement du fétiche ; le père accourut furieux et se faisant le bourreau de l’innocent, l’étrangla sur-le-champ.

L’origine d’Oro remonterait aux Gambaris, provenant des bords du Niger, esclaves d’Abéokouta.

Lorsque les Egbas ont choisi un arbre pour théâtre nocturne des exploits d’Oro, l’opération doit être terminée avant le jour. Dans le cas contraire, ils reçoivent de la part des Ogboni (féticheurs) des coups de flèches jusqu’à ce qu’ils tombent au pied de l’arbre. S’ils respirent encore, on les achève, on fait disparaître toute trace de sang et on emporte leurs cadavres pour les pendre à quelque arbre, afin de faire croire qu’ils se sont eux-mêmes donné la mort.

Comme on le voit par la carte, les deux estuaires de Mondâh et du Gabon courent parallèlement du sud-est au nord-ouest, à faible distance l’un de l’autre ; l’espace intermédiaire est couvert de forêts impénétrables, coupé de bas-fonds marécageux, traversé par de nombreux torrents ; et les sentiers fréquentés par les noirs sont à peu près impraticables pour les blancs. Trois races ou tribus, différant entre elles de mœurs et de langage, se partagent le pays : les Mpongoués, ou Gabonais, qui habitent les deux rivières de l’estuaire du Gabon : les Bengas qui s’étendent de l’embouchure du Gabon à celle de Mondah ; et la race bouloue qui peuple les deux rives de l’estuaire de Mondah.

Autrefois ces trois peuples étaient les seuls habitants de ces pays ; mais aujourd’hui les Pahouins affluent de l’intérieur vers la côte, les entourent de tous les côtés, et refoulent devant eux les derniers villages mpongoués ou boulons pour s’établir à leur place. Cette affluence des Pahouins se fait sentir partout. « C’est, disait un voyageur, une marée qui monte et qui ne recule jamais. » Du nord au sud, sur un espace de plus de cent lieues de littoral, on signale leur approche, et dans toutes les rivières, on peut voir les grands villages qui s’allongent en deux immenses rangées de cases, séparées, de distance en distance, par ce qu’on peut appeler des corps de garde, et précédées d’un avant-poste où des guerriers veillent sans cesse, pour donner l’alarme à la moindre alerte.

Une autre remarque à faire, c’est que, dans les affluents de l’estuaire de Mondah, la population bouloue diminue considérablement, là même où les Pahouins ne sont pas encore arrivés. Il y a plusieurs causes de cette mortalité ou de cette décroissance continuelle de la population.

La principale est, comme chez les Gabonais, la superstition qui engendre les jalousies, et, par suite, les meurtres. Ainsi un Boulou ne meurt jamais seul, parce que les maladies et la mort n’étant pas attribuées à des causes naturelles, mais à l’empoisonnement, les parents du défunt réclament le sang de ceux qu’ils accusent d’être coupables, ou que le féticheur leur désigne comme tels. Le verdict fatal, qui autrefois n’atteignait que les esclaves, tombe aujourd’hui sur ceux dont on ambitionne les biens ou dont on est jaloux ; on s’en défait par le poison ou par les armes, secrètement et par trahison. Ces nouveaux meurtres seront, à leur tour, tôt ou tard vengés dans le sang de leurs auteurs.

A l’embouchure du Congo, comme sur toute la côte occidentale de l’Afrique, les gangas (féticheurs et sorciers) tiennent toujours dans leurs mains les populations.

Quelqu’un est-il mort ? C’est qu’un de ses ennemis aura mangé son âme. On va trouver le ganga pour qu’il nomme le coupable. L’intérêt, la vengeance et souvent le caprice dictent la réponse de l’oracle. Il est rare que la victime désignée échappe à l’épreuve violente à laquelle on la soumet. Parfois il lui faut, pour établir son innocence, porter un fer rougi au feu. Le plus souvent elle doit boire la nhassa. Il y a des nhassa variées ; le ganga fait choisir les herbes vénéneuses et en mélange le jus avec un art infernal.

Lorsque l’expérience ne réussit pas au gré des sorciers, on recommence l’épreuve.

Souvent le patient vomit une bave noirâtre qui lui couvre les mains et la poitrine. C’est un spectacle épouvantable. Les parents du moribond sont là, rangés contre la cloison, immobiles et muets. Leurs yeux brillent dans le demi-jour de la hutte et semblent fascinés par une apparition mystérieuse. Aucun sentiment de pitié ne se fait jour dans ces cœurs endurcis par la superstition.

En cas de maladie, on fait venir le ganga.

Le patient est disposé sur une natte devant la case, et les cérémonies magiques commencent. Une multitude de femmes forment la haie autour du malade et du sorcier.

Ce dernier prend un paquet d’amulettes, les applique sur la tète et la poitrine du sujet et chante avec la foule :

Le ganga. — Les yeux ont leur don :

La foule. — Celui de voir les choses.

Le ganga. — Les oreilles ont leur don :

La foule. — Celui d’entendre, oui d’entendre.

Le ganga. — Le palais a son don :

La foule. — Celui de goûter.

Le ganga. — Et la langue a son don :

La foule. — Celui de parler.

Le ganga. — Nous avons tous ces dons ;

La foule. — Oui, nous les avons.

Le ganga. — Mais le don de guérir,

La foule. — Don que nous n’avons pas.

Le ganga. — C’est le don, c'est le don

La foule. — Le don des gris-gris !

(Le tam-tam se met furieusement de la partie.)

Le ganga. — Toi que nous invoquons,

La foule. — Ne nous trompe pas !

Le ganga. — Tout-puissant Simbi[197],

La foule. — Ne nous trompe pas !

Le ganga. — Nous te prions, nous te prions,

La foule. — Ne nous trompe pas !

Peut-on inventer une comédie plus grotesque ?

Les Pongoués[198] qui habitent près du cap Lopez (Gabon) achètent les esclaves chez les peuples voisins de l’intérieur ; puis il les revendent entre eux, ou même les vendent à des Portugais, qui les transportent à l’île du Prince ou à l’île Saint-Thomas, pour les employer à la culture du café et du cacao. Chez les Pangoués, les Boulons et les Bakalais, pas un différend ne se termine, pas un mariage ne se conclut, sans qu’on ne fasse entrer un ou deux esclaves dans la somme à payer. Afin de tromper la vigilance du commandant français au Gabon, on va jusqu’à enfermer des esclaves dans des caisses pour les passer, ainsi cachés au fond des pirogues, sur la rive gauche de l’estuaire. De là, ils sont dirigés du côté du cap Lopez, puis vendus aux Portugais. Ceux-ci tiennent à Mayomba deux factoreries, où l’on garde toujours un certain nombre d’esclaves, en attendant les navires qui doivent les transporter.

Les Pahouins ont une idée vague d’un Être suprême qu’ils appellent Agnama. Comme les Pongoués, ils se figurent que c’est un Être terrible, toujours prêt à faire tomber sur leurs têtes toutes sortes de malheurs, et ils s’efforcent de l’apaiser ou de se le rendre favorable par l’intervention des morts, dont ils gardent précieusement les ossements, surtout les crânes, dans leurs propres maisons. Avant d’entreprendre un voyage, ils font brûler une torche devant la caisse qui renferme ces ossements, ou bien ils boivent de l’eau dans le crâne du père ou de l’aïeul défunt. Ces cérémonies semblent indiquer qu’ils croient à l’immortalité de l’âme ; mais chez eux cette croyance n’est pas raisonnée. En tout cas, ils n’ont aucune idée d’une récompense ou d’un châtiment après la mort.

Interrogés sur ce qu’ils deviennent quand ils sont décédés, ils répondent qu’ils vont vers Agnama, ou dans le lieu où se trouvent leurs ancêtres.

Tous les malheurs qui leur arrivent, maladie, mort, etc., sont attribués aux maléfices et aux sortilèges de leurs ennemis. Ces maléfices ou sortilèges sont désignés sous le nom d’Evoushé. Us recourent alors aux sorciers ou Ngan. Quelqu’un tombe-t-il malade ? On mande de suite le sorcier qui s’empresse de déclarer la présence d’un sort jeté par un ennemi et prescrit le sang d’un bélier ou d’une poule qui doit être bu tout chaud par le patient. Si la maladie n’est pas grave, le Ngan se tire facilement d’affaire et le breuvage administré, s’éloigne aux applaudissements de la foule et de ses clients. Si le mal est sérieux, il affirme que le poison provient des parents du malade. Il n’y a point de remède à faire prendre. Lorsque le malade est polygame, le sorcier accuse l’une de Ses femmes qui est mise aux fers et châtiée cruellement.

Rien de plus curieux que les différentes formes sous lesquelles le Ngan ou féticheur désigne le poison qui doit donner la mort au malade. Tantôt c’est un crabe qui mange le cœur ; tantôt c’est une petite grenouille qui circule de l’estomac au larynx ; tantôt c’est un petit monstre qui n’a que le ventre, une bouche et deux yeux rouges, lequel étant placé sur une table, après avoir été extrait du malade ou du défunt, se met à gober les mouches qui voltigent autour de lui. Telles sont les sottises que ces Ngans s’en vont débiter partout, et qu’il est très difficile de déloger des têtes des sauvages. Ils sont très intéressés dans leur fourberie, car ils savent se faire bien payer. C’est un proverbe dans ce pays que nul médecin ne va à sa besogne sans un sac.

Comme chez les Pongoués, les Ngans ou féticheurs pahouins distribuent aussi des fétiches. C’est ordinairement un peu de poussière noire, tirée des restes des morts, et renfermée dans de petits cornets qu’on garde avec soin dans la case ou qu’on porte sur soi. D’autres fois, on se fait introduire cette poudre sous l’épiderme, au moyen d’une incision faite par le féticheur au milieu du front ou bien sur la poitrine ou sur la nuque. Tous ces fétiches n’ont pas la même vertu : l’un est pour protéger la case, l’autre pour préserver des malheurs ou des accidents ; un autre doit procurer des richesses, des femmes, des enfants ; un autre, enfin, aurait la propriété de rendre invulnérable dans les combats, etc.

D’après la loi du fétichisme, une personne libre ne peut mourir que par l’empoisonnement ou les sortilèges ; et les esclaves sont toujours les coupables. Aussi, à tout instant, ces infortunés sont-ils saisis, mis à la torture, tués ou enterrés vivants pour expier ces crimes imaginaires. Une personne libre tombe-t-elle malade, on appelle le féticheur ou sorcier, qui est ordinairement aussi le roi ou le chef du village. S’il voit que la maladie n’est pas sérieuse, il entreprend de la guérir au moyen de son mpemba ou de ses autres fétiches, afin d’en imposer aux noirs crédules et de se donner la réputation d’un habile médecin. S’il remarque que la maladie s’aggrave, il fait le poga abambo ou évocation des ombres des morts, au milieu des cris sauvages des assistants mêlés aux sons des tamtams. Selon les traditions de la sorcellerie, les mânes apparaissent dans le miroir qu’il tient à la main et dans le seau d’eau placé au centre de sa case. Nul autre que lui n’a le privilège de regarder dans le miroir ou dans le seau ; l’apparition n’aurait pas lieu. Il révèle donc ce qu’il veut et dénonce selon son bon plaisir. Les esclaves, désignés par lui comme coupables d’empoisonnement, sont aussitôt saisis et subissent de cruelles épreuves.

La plus ordinaire est connue au cap Lopez sous le nom d’épreuve d’icaja et de mboundou.

Voici en quoi elle consiste, L’icaja est un petit arbuste ; l’écorce de sa racine est un poison très violent. Le féticheur râpe cette écorce vénéneuse dans un verre d’eau qu’il présente à l’esclave. Celui-ci doit l’avaler d’un seul trait, après quoi on le fait étendre, la face exposée aux ardeurs d’un soleil de quarante degrés. Bientôt le poison opère son effet, la figure de l’esclave se contracte, ses yeux semblent vouloir sortir de leur orbite, et une torpeur invincible s’empare de tous ses membres. Au signal donné par le féticheur, le patient doit se lever, parcourir un certain espace, au milieu des cris et du bruit du tam-tam, et franchir une raie tracée sur le sable par le féticheur. S’il tombe avant d’avoir pu la franchir, c’est qu’il est coupable, et il est, par ce fait seul, jugé digne de mort. S’il parvient à la franchir sans tomber, il est déclaré innocent. Inutile de dire que le féticheur, chargé lui-même de préparer l’icaja, le fait à une dose telle que sa victime tombe presque toujours.

Souvent les esclaves accusés d’empoisonnement sont livrés à d’horribles tortures. Un enfant de quinze à seize ans, fut, après des raffinements de cruauté, enterré vif sous le cercueil de son maître. Un témoin digne de foi dit :

« J’ai vu également le bûcher où les Boulous venaient de brûler, après l’avoir coupée en morceaux, une esclave accusée d’avoir empoisonné sa maîtresse. Celle-ci était morte d’une maladie de poitrine, dont elle était atteinte depuis plusieurs années. Je connais un chef de village, qui, pour guérir son fils frappé d’aliénation mentale, a tué, en un seul jour, jusqu’à vingt-deux esclaves. Il y a même des pères qui ont la barbarie d’immoler leurs enfants pour acquérir un fétiche auquel ils attribuent le privilège de procurer des richesses.

« Il est une catégorie d’esclaves plus à plaindre encore, s’il est possible. Ce sont ceux qui sont atteints de la lèpre ou de toute autre maladie, réputée incurable, l’hydropisie, la phtisie, etc. Ces infortunés sont considérés comme des maudits, qui se sont attiré la colère des génies malfaisants. On les laisse mourir de faim dans des cases abandonnées ; ou bien, afin de se défaire d’eux plus vite, on les porte dans les bois, pour qu’ils y deviennent la proie des tigres, ou au bord de la mer, pour qu’ils soient noyés à la marée montante et dévorés par les requins[199].

« Je pourrais vous faire d’émouvants récits sur de pauvres esclaves, lépreux ou infirmes, que nous avons ramassés dans les champs de manioc, dans les forêts et sur le bord de la mer. »

Une autre fois, c’était une lépreuse qui avait été jetée dans une bananerie. Assaillie par les fourmis voyageuses, elle se voyait dévorée toute vivante.

Dans la fameuse tribu des Kahambas (Haut-Congo), habitent les plus grands sorciers du pays. C’est à eux, à l’exclusion de tout autre, qu’est réservé l’honneur d’assister le sultan du pays à son lit de mort. Voici comme le souverain, aidé des sorciers, passe de vie à trépas :

Lorsque le sultan malade touche à sa fin, les sorciers Kahambas réunis lui entourent le col. d’une corde qu’ils serrent d’abord tout doucement pour l’aider à mourir ! puis, à mesure que la mort approche, ou pour mieux dire, qu’ils la font approcher, ils augmentent progressivement la tension, pour la serrer fortement lorsqu’il sera sur le point de rendre le dernier soupir.

Us procèdent ensuite à la mise en bière, représentée par une peau de bœuf, où le corps est lié et cousu de manière à laisser paraître les pieds et les mains.

Pour le sultan il n’y a pas d’inhumation. On le suspend ainsi lié dans la peau de bœuf à un arbre. Le cadavre se décompose rapidement. Au-dessous, on dispose des pots en terre destinés à recevoir les vers qui tomberont et qui serviront à faire diverses sorcellerie ou à confectionner des amulettes.

Dans tous les villages du Kibanga (Haut-Congo), on rencontre de petits monuments formés de quelques bûchettes fixées en terre et recouvertes de paille de manière à composer une petite hutte aux dimensions variables selon la volonté de l’architecte. Ce sont les maisons des Mzimou ou esprits. Ces divinités, souvent mal définies, même pour les nègres, au-dessus desquelles domine celui qui les surpasse toutes et qui est appelé pour cela Kabezia (le Puissant), sont représentées sous diverses formes et leur culte varie selon qu’un plus ou moins grand pouvoir de faire du bien ou du mal aux hommes leur est attribué.

Kabezia (le Puissant) est, selon la croyance des nègres wayovas, celui qui forme les enfants dans le sein de leurs mères et leur donne la vie. Son culte n’est pas, comme celui des autres esprits, limité par un pays, ni attaché à un lieu : il est en tout lieu, et partout on peut l’invoquer, lui offrir des sacrifices.

Quand on demande aux indigènes où est maintenant tel ou tel de leurs compatriotes qui autrefois habitait leur village, ils répondent invariablement. « Il est allé chez Kabezia », pour vous dire : « Il est mort. »

Quant aux autres esprits, ils sont innombrables ; ils habitent les montagnes, les rivières, les lacs et les îlots dont le Tanganyika est parsemé.

Chaque montagne, rivière, lac et îlot, est habité par un esprit spécial dont les nègres vous donnent le nom avec celui de la localité.

Enfin, chaque village et chaque famille honorent un esprit particulier, qui guérit les maladies, rend fructueuses la chasse et la pèche, garde les biens contre les voleurs, les animaux malfaisants. On lui élève au milieu des champs une case, où sa figurine en bois, chef-d’œuvre de laideur, est vénérée et exposée.

La naissance, le mariage, la mort, la guerre sont autant de prétextes à des cérémonies religieuses et à des sacrifices offerts aux Mzimou. Les esprits sont aussi invoqués lorsque les pluies sont trop abondantes ou trop rares. Avant de s’embarquer sur le lac on fait une prière au Mzimou qui l’habite. Si un orage survient on jette dans les flots, pour l’apaiser, ce que la barque peut contenir de précieux. (Les corsaires Tunisiens agissaient de même, au temps où leur scélérate industrie florissait et désolait les mers.)

Quelques-uns de ces esprits sont réputés méchants et cherchent sans cesse l’occasion de nuire aux hommes qui passent sur leur domaine, pour leur arracher des offrandes, sans lesquelles, toujours selon la croyance des indigènes, ils n’échapperaient point à la mort. Les esprits de certaines rivières surtout se font remarquer par ce désir de faire du mal.

Nous avons entendu bien souvent des indigènes raconter comment, saisis au passage de telle ou telle rivière, ils ont été entraînés par l’esprit et n’ont échappé à la mort qu’en promettant des offrandes dont ils s’acquittent toujours scrupuleusement.

Dans ces parages, près de Kibanga, se trouve un cours d’eau qui se jette dans le golfe de Burton, et dont l’esprit malfaisant, errant dans la plaine saisit les femmes enceintes pour les empêcher d’accoucher heureusement. Aussi toute femme qui se trouve dans cet état, si elle vient à ressentir quelque malaise, se prétend aussitôt saisie de l’esprit mauvais et ordonne des sacrifices accompagnés de cérémonies grotesques, mais très curieuses. Tous les habitants du village se réunissent, battent du tambour près d’une case où la patiente est enfermée, crient, dansent pour chasser l’esprit mauvais. Pendant ce temps, une vieille sorcière offre des sacrifices de farine à l’esprit favorable et forme devant la hutte, avec de la boue pétrie, une grossière figure munie, de quatre membres et que l’on prendrait pour la représentation rudimentaire d’un crocodile, si l’on ignorait que les nègres représentent ainsi la Mtamhala (esprit mauvais) qui habite le cours d’eau.

Quelquefois, disent les nègres, ces esprits mauvais entrent dans le corps des crocodiles et envoient ces grands reptiles amphibies saisir les pêcheurs sur le bord du lac ou des rivières.

Si un homme est emporté, il faut une seconde victime, parce que l’esprit est alors irrité, se plaint d'être oublié, de ne pas recevoir assez d’offrandes, puisqu’il doit se les procurer lui-même. Les sorciers délibèrent, consultent la volonté de l’esprit et choisissent dans le village une personne que l’on jette, pieds et poings liés, en pâture aux crocodiles, comme offrande propitiatoire.

Outre le culte des esprits, les nègres ont encore souvent celui des dieux lares. Une case leur est destinée, mieux entretenue que les autres, et dont le sol est recouvert d’un tapis d’herbe fraîche, renouvelée fréquemment. Les hommes seuls y peuvent pénétrer, les femmes en sont scrupuleusement exclues.

C’est là, sous les yeux des ancêtres personnifiés par des pieux fixés en terre, dont l’extrémité est grossièrement taillée, de manière à représenter la figure d’un homme à tête plate, que se tiennent les assemblées, que se font les délibérations importantes, qu’on se livre aux libations et aux sorcelleries commandées dans les grandes circonstances, comme le commencement de la pêche, une guerre, une épidémie qui menace de faire invasion dans le pays. Si, par une fortune adverse, le foyer est menacé d’être violé ou détruit, le vaincu n’a rien de plus pressé que de sauver les images de ses ancêtres et de les transporter dans un lieu plus sûr, où elles pourront être respectées.

De ce que nous venons de dire brièvement, vu l’étendue avec laquelle le sujet pourrait être traité, une conclusion s’impose : la croyance des noirs de l’Afrique équatoriale à l’existence d’êtres supérieurs aux hommes, d’un Dieu dont ils ne peuvent pas, comme nous, avoir une définition adéquate, mais seulement une idée confuse. Dans Kabezia, cet esprit qu’ils croient surpasse tous les autres en puissance, il nous est facile de reconnaître l’idée d’un Dieu créateur et rémunérateur, puisque c’est lui qui donne la vie et que c’est chez lui que retournent les hommes, ou plus exactement les âmes des hommes (mutrina), comme disent les nègres.

Ici, pas d’incrédules : tout le monde est convaincu de la puissance des esprits supérieurs, et personne ne néglige leur culte. La négation en religion, a dit quelqu’un, est un fruit des passions civilisées, c’est une de ces folies que la simplicité ne connaît pas, et qui viennent toujours d’un cœur corrompu ou d’une vie abominable : « L’insensé a dit dans son cœur : il n’y a point de Dieu », chantait David, il y a longtemps.

En écrivant ces lignes, nous n’avons point l’intention de réhabiliter les nègres, ni de vanter leurs vertus, car le degré de dégradation morale, l’abîme d’abrutissement où ils sont généralement tombés, avec la perte presque complète de toute dignité humaine, sont bien propres à exciter la pitié des âmes compatissantes et le zèle des missionnaires. Il n’y a, pour ainsi dire, que cet instinct religieux qui soit vivant au milieu des ruines de toutes leurs facultés morales aussi bien que physiques.

Il existe à Whydah un temple des serpents, très fréquenté et très honoré par les indigènes. Ceux-ci ne tuent jamais les reptiles ; ils les respectent au contraire, les prennent doucement et les portent dans le temple, qui en contient des milliers à l’état libre. S’il arrive à quelqu’un d’être piqué, il s’estime heureux de mourir ainsi.

Une mère, dont l’enfant venait d’être saisi par un énorme serpent, se prosterna pour l’adorer, et, lorsque l’enfant eut été dévoré, elle eut soin de porter le reptile dans le temple consacré à cet effet.

La croyance à la sorcellerie est profonde chez les Matabélés. Les prêtres, appelés faiseurs de pluie (Tchabatchaba), sont tout-puissants et c’est par eux que le roi règne et gouverne.

Le pouvoir du roi est absolu. Quelquefois, il fait juger les coupables par le conseil des chefs ; quelquefois, il prononce tout seul.

Il y a trois sortes de peines capitales : 1° la peine du marteau. On brise la tête du coupable comme on assommerait un animal de boucherie. — 2° La corde, ou pendaison au premier arbre venu, à peu près comme dans la loi de lynch aux Etats-Unis. — 3° Le pilori. Le patient est lié, garrotté et abandonné au milieu d’un désert, où il meurt d’inanition ou devient la proie des bêtes féroces. — Les crimes contre les mœurs sont punis de la peine du feu, de la mutilation, etc., etc.

Le roi des Matabélés « fait la pluie et le beau temps », selon les idées de ses sujets. Chaque année, il s’adresse solennellement aux Esprits, en se tournant successivement aux quatre points cardinaux. Voici quel est le sens de celte invocation lorsque le roi est satisfait :

« Grands Esprits de mon père et de mon aïeul, je vous rends grâce de ce que l’an dernier vous avez accordé à mon peuple plus de blé (amabele ou caffircorn) qu’aux Machonas mes ennemis. Cette année aussi, en reconnaissance des douze bœufs noirs que je vais vous consacrer, faites que nous soyons les mieux nourris et les plus forts de tous les peuples du monde !… Je vous remercie de n’être pas comme Khama, le roi des Bamangwatos, qui est un homme lâche et faible. Faites en sorte que je reste toujours le plus brave et le plus puissant des rois ! Grâces vous soient rendues de ce que vous m’avez donné le succès et la victoire dans la dernière guerre ! Recevez mes remerciements pour les têtes de gros bétail et les femmes et enfants, dépouilles glorieuses que vous nous avez données ! Rendez-moi plus puissant encore à l’avenir, et que je puisse cette année ramener chez les Matabélés vainqueurs, plus de butin que pendant les années qui se sont écoulées depuis que je suis roi. »

Le roi et les magiciens procèdent ensuite à une sorte de bénédiction du gros bétail et des menus troupeaux. Douze bœufs sont immolés l’un après l’autre. On dépèce les chairs, on enlève les entrailles des bêtes, qui restent déposées sur les douze peaux dans le kraal pendant l’espace d’un jour et d’une nuit. Ce sont les Esprits des ancêtres qui doivent choisir les premiers ce qui leur convient de ces généreuses oblations. Ce n’est que le lendemain que le peuple participera aux chairs des victimes immolées, et il sera très heureux de l’abstinence des Esprits qui n’y auront pas touché du tout.

Les Matabélés sont très mystérieux et très circonspects. Ils ne parlent guère de leurs coutumes aux étrangers ; et même, quand vous les interrogez à ce sujet, ils prennent la peine de vous dérouter, en se contredisant eux-mêmes.

Les sorciers de la région voisine d’Onitsa (rive gauche du Niger) entretiennent la coutume superstitieuse et odieuse de vouer à la mort tout enfant qui commence à marcher avant d’avoir des dents.

Les petits enfants et les femmes âgées sont les plus malheureuses des créatures au Niger.

Les nègres font servir leur superstition à l’assouvissement de leurs infâmes et cruelles passions.

Si, dans une famille riche, la mort ou la maladie fait une visite ; si la prospérité diminue, si un malheur arrive à un chef ; si des parents riches vivent trop longtemps pour leurs enfants dénaturés, l’intéressé s’entend secrètement avec le sorcier et, par des cadeaux, des promesses, un ignoble marché, achète la mort de ceux dont il veut se défaire.

Le sorcier, appelé en public, consulte ses fétiches et leur réponse, qui ne peut être intelligible que pour lui, décrète la mort ou l’expulsion de la victime.

Celle-ci est toujours la plus vieille femme de la famille. On la noie ordinairement dans le Niger ou on l’empoisonne, le plus souvent, avec de la ciguë.

Dans l’Ouzaramo, l’enfant qui naît certains jours réputés néfastes, ou avec des cheveux, ou fait trop souffrir la mère, etc., est, sur le conseil du sorcier ou de la sorcière, abandonné au bord du rivage, où les vagues océaniques l’enlèvent, ou à la lisière de la forêt et les hyènes se chargent de lui !

Le Dieu de la justice, Onsé, a son temple à Porto-Novo ou Adjaché.

C’est une petite rotonde en bambou dont le toit se termine en pain de sucre. Une natte en paille en protège l’entrée et dérobe l’intérieur aux regards profanes. Le féticheur seul peut pénétrer dans ce sanctuaire. A côté, est une autre construction dont le toit, également en paille, repose sur quatre colonnes dans lesquelles sont incrustés avec symétrie des crânes humains.

Çà et là, des ossements humains de différentes grandeurs, des lambeaux de chair, restes des derniers sacrifices, jonchent le sol encore rougi du sang répandu.

Au centre, un bloc informe représente Onsé. C’est un cylindre creux, long de deux mètres environ sur cinquante à soixante centimètres de diamètre : il est composé d’une couche de terre l’apportée d’Ifa, ville de l’intérieur, où selon la tradition nègre, a été créé le premier homme ; des coquillages, enfoncés sur sa tête forment quelques figures où sont ménagées de petites ouvertures. L’autre extrémité, ouverte est dissimulée par de vieux morceaux d’étoffe.

Ecoutons un Européen qui put, il y a quelques années, assister à une séance publique où eut lieu l’épreuve du fétiche Onsé :

« Six personnes étaient citées : les délits reprochés étaient, comme d’habitude, plus ou moins absurdes. Un enfant vient-il à tomber malade, le père accuse son ennemi de s’être changé en hibou ou en chauve-souris pour sucer le sang de son fils. Des poules, des chèvres disparaissent-elles, le propriétaire reproche à son voisin de s’être métamorphosé et de les avoir volées. Le prévenu a beau se défendre, il doit subir l’épreuve ; et s’il n’a pas l’heureuse idée ou les moyens de gagner le féticheur par de riches présents, le jugement lui sera fatal.

« C’était à quatre heures de l’après-midi, que le dieu de la justice devait se prononcer sur l’innocence où la culpabilité des six accusés. A peine étions-nous arrivés, qu’une longue file de nègres et de négresses débouchent sur la place, tout près du temple d’Onsé. A leur tête, marchait le grand féticheur, accompagné de quatre de ses confrères ; puis venaient les accusés suivis de la foule. Parvenu devant la porte de l’enclos consacré au dieu, le sorcier, tourné vers le temple, se prosterne dans la poussière ; toute la troupe suit son exemple, et quelques instants après, s’assied sur. la terre nue. Alors a lieu l’interrogatoire.

« Les sorciers emploient vainement les questions les plus insidieuses et les plus incohérentes ; les inculpés se refusent à avouer leurs prétendus crimes.

« Allons consulter le grand Onsé : à lui vos forfaits ne sont pas cachés, s’écrie le grand féticheur d’un ton menaçant et en se levant brusquement ; et si vous êtes coupables, malheur ! votre châtiment sera exemplaire ! »

« La foule se précipite à sa suite.

« Le fétiche reposait en face du temple, sur la tête d’une statue en bois sculpté. Les prévenus étaient dispersés au milieu de la foule ; de chaque côté, les spectateurs s’agitaient, criaient, hurlaient, parce que des blancs se trouvaient parmi eux. Sur un signe du grand sorcier, tout rentra dans le plus profond silence.

« Le grand sorcier, le pagne blanc enroulé à la ceinture, les cheveux en désordre, faisant mille contorsions, trace un petit carré dans le sable tout près du dieu. Le premier accusé, dépouillé de ses bracelets et de ses amulettes pour ne pas être protégé par ses fétiches particuliers, vient se mettre à genoux dans ce carré ; le sorcier s’avance gravement avec un long brin d’herbe sèche, en frappe trois fois la tète du patient et celle du fétiche pour les mettre en communication. Enfin a lieu un dernier interrogatoire. A chaque question, le féticheur touche de nouveau l’accusé avec son brin d’herbe, en détache une petite partie qu’il lance à la tête du fétiche ; puis, après avoir fait asseoir le malheureux, il lui présente dans une calebasse un peu d’huile de palme mêlée à un liquide pour se laver le visage. Ces céré— monies terminées, le dieu est déposé sur la tête de l’accusé qui le retient avec peine de ses deux mains. Quatre sorciers s’accroupissent autour de lui pour recevoir la divinité ; si elle tombe en avant, le prévenu est acquitté ; si elle tombe en arrière, il est déclaré coupable.

« Voici le moment critique et solennel. Tous les regards sont fixés sur le malheureux qui, baigné de sueur, tremble et ose à peine reprendre haleine ; il fait pitié à voir : cette masse énorme l’écrase. Tout à coup Onsé s’agite, sous une impulsion mystérieuse, oscille tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt en avant, tantôt en arrière ; puis, s’arrête… on espère, on craint ; mais le mouvement s’accentue de nouveau et le fétiche tombe en arrière. L’accusé est déclaré coupable, et, les mains fortement liées derrière le dos, est mis sous bonne garde. C’était un homme d’environ cinquante-cinq ans, aux cheveux grisonnants, à la physionomie franche et ouverte ; il se laissa enchaîner sans résistance, mais son visage parut profondément bouleversé.

« La seconde épreuve, qui se faisait sur une femme, fut plus heureuse : le fétiche tomba en avant, et elle fut proclamée innocente. Vint le tour d’une autre femme d’une trentaine d’années ; d’une constitution faible, elle est écrasée par le poids du dieu. Quatre fois, les féticheurs reviennent à la charge ; quatre fois, elle s’affaisse sur elle-même sans pouvoir soutenir le pesant fardeau : il semble que sa faiblesse animait dû inspirer de la compassion ; mais quelle pitié attendre de ces monstres !

« La quatrième épreuve se fit encore sur une femme. Convaincue de son innocence, elle s’assied avec fermeté. D’ailleurs, comment aurait-elle pu se changer en hibou ou en chauvesouris, grande et forte comme elle est ? Elle saisit Onsé vigoureusement et le tient très longtemps. Enfin il tombe en avant. La voilà donc innocente ? Non. Les féticheurs prétendent qu’elle a usé de ruse. Elle a beau se défendre, crier et appeler ses parents qui se trouvaient dans la foule ; résistance inutile, elle est garrottée, malgré tous ses efforts, et rangée parmi les coupables. Indignés à la vue de pareilles injustices, nous ne pûmes pas attendre la fin de cette douloureuse séance.

« Nous restâmes convaincus qu’il y avait une odieuse fourberie dans tout cela. Autrement comment expliquer les balancements si singuliers d’Onsé ! Ils devaient être dus à la ruse des sorciers. Le moteur serait, dit-on, un enfant introduit dans l’appareil et qui par les ouvertures pratiquées dans la tète, reçoit les ordres du grand sorcier.

« Onsé ne tue pas lui-même ; il déclare seulement la culpabilité !

« Le lendemain, le roi Toffa fit défendre aux blancs de sortir, de six heures du soir à six heures du matin.

« A la tombée de la nuit, nous entendîmes le son lugubre des tams-tams et des coups de fusil. Une troupe de féticheurs chanta ses refrains monotones devant le temple de Chango (dieu de la foudre). Une heure plus tard, le cortège se remit en marche, et sans s’arrêter devant la multitude de divinités secondaires qui hantent les places et les cases, il alla offrir ses hommages à Onsé et à l’Elegba qui a son temple en dehors de là ville. Cette dernière divinité est composée de morceaux de bois de diverses grandeurs, elle est recouverte d’un monceau de terre qui affecte la forme d’une pyramide.

Des lambeaux de tissus, tout noirs du sang des victimes, de la ferraille, des fragments de pots cassés, des ossements, des plumes de poule, des restes de peaux de chiens, de gros lézards qui s’efforcent d’attraper les nombreuses mouches, voilà tout ce qui se rencontre dans cette rotonde à l’air empesté par les sacrifices anciens et récents. Les noirs ne demandent jamais rien à ce dieu : l’apaiser, tel est l’unique but de leurs nombreuses offrandes. C’est une divinité funeste et méchante : nul ne la place dans sa case. Ses temples et ses images sont toujours en dehors de la ville ou du moins en dehors des maisons, et dans les habitations l’on place même très souvent d’autres divinités uniquement chargées de lui en défendre l’entrée. Il est cependant fort en honneur : c’est à lui qu’on offre le plus de sacrifices.

« Ce soir, les noirs s’arrêtent longtemps devant le temple pour répéter leurs chants, leurs danses et leurs fusillades interminables.

« Puis, ils se rapprochent de nous et se rendent un peu au nord-est de notre maison, dans le grand bosquet où se trouvent les tombeaux des rois de Porto-Novo et des membres de la famille royale, et où par conséquent s’immolent de nombreuses victimes en leur honneur.

« Ce fut vers minuit que le cortège arriva dans ce bosquet : les chants et les sons de tam-tam redoublèrent aussitôt ; de temps en temps des voix aiguës et plaintives parvenaient à percer le bruit général ; puis à un instant de silence succédaient ordinairement de longs et épouvantables hourras. C’étaient les derniers moments de ces malheureux, leurs cris de désespoir et la joie diabolique des bourreaux. Tous succombèrent à une mort sanglante et cruelle. »

On appelle Simos les membres d’une société établie parmi les nègres du Rio-Pongo (Côte de Bénin). L’organisation, les statuts, les rites et les chefs de cette secte sont inconnus à quiconque n’est pas initié à ses secrets. Sous le rapport du mal qu’elle engendre, cette Franc-Maçonnerie ne le cède guère aux sociétés analogues. Sous d’autres dénominations, les Simos ont aussi leurs compagnons, leurs maîtres, leurs kadosch, etc.

On distingue les Simos à leurs dents limées en pointes et à leur air insolent et sensuel.

Les longues et profondes cicatrices qu’ils portent sur les épaules et le dos sont d’autres marques distinctives ; ces plaies sont les suites des épreuves qu’ils ont été obligés d’endurer pour prouver aux initiateurs qu’ils seront capables de souffrir même la mort plutôt que de trahir leurs obligations et surtout celle du secret. L’initiation dure une année et a lieu à l’âge de dix-huit à vingt ans. Pendant tout ce temps, le jeune homme est retiré dans les forêts de l’intérieur, en dehors de tout commerce avec le monde, sous la seule direction des initiateurs Simos, qui le soumettent, pour éprouver son courage, aux traitements les plus cruels.

Ces retraites sont inconnues, sauf aux initiés, et tout homme qui, volontairement ou simplement en s’égarant, en foulerait le sol, serait impitoyablement mis à mort. Ces meurtres ne sont pas rares, car il disparaît quelquefois des personnes sans qu’on puisse savoir ce qu’elles sont devenues. Je tiens ces détails de plusieurs Européens et même de quelques Simos.

En un mot, cette association est la franc-maçonnerie africaine. Un travail vraiment édifiant à exécuter serait de comparer les diverses sociétés secrètes du monde civilisé et du monde non civilisé, afin de constater et d’établir les analogies déjà si frappantes qui existent entre toutes ces sectes cosmopolites.

S’il y a une différence, elle n’existe que dans la forme extérieure.

En Europe, et dans le monde civilisé, l’esprit du mal prend des façons de gentilhomme et se masque sous une pseudo-philanthropie ; en Afrique, il a toute liberté d’allure, il se montre, tel qu’il est, brutal et sauvage.

« Chez les Somraïs, dès qu’un chef est mort, dit Nachtigal, deux personnes prennent son corps, par le bout des pieds et l’extrémité de la tête ; les parents invitent, à haute voix, le défunt à conduire les porteurs au logis du coupable (le chef n’est mort qu’à la suite de sortilèges). La foule suit le cortège ; tout à coup, le corps semble s’arrêter de lui-même devant une demeure déterminée qui est aussitôt pillée et dévastée ; on y met le feu et celui qui l’habite est tué, ses femmes et enfants réduits à l’esclavage pour être vendus. »

Giraud passa son premier jour de l’an 1884, à Zambué, sur la frontière de l’Ouzaramo et du Kutu, non loin du fleuve Rufu ou Kingani et de Moto, au sud de Bagamoyo (Afrique Orientale).

« Pour mes étrennes, dit-il, le chef de Zambué me réservait une surprise, une vraie surprise de sauvage et de sauvage d’Afrique. Au moment où j’installais mon camp à deux cent dix mètres du village, des cris de guerre, semblables à des hurlements de bêtes fauves, vinrent frapper mes oreilles, et presque au même instant, une ban4e de sauvages affolés arrivaient, traînant après eux une malheureuse vieille femme nue, à moitié morte des mauvais traitements dont tous l’accablaient. Un forcené la tenait en laisse avec une liane, lui serrant le col par un nœud coulant. Quand la victime, à bout de forces, venait à butter, ils s’attelaient trois ou quatre à la corde pour la traîner au milieu des ronces et des pierres.

« D’après les renseignements que je recueillis à grand’peine, cette femme était une prétendue sorcière qui, la veille, avait fait mourir deux hommes, par ses sortilèges ; on allait la brûler sur un bûcher. (Dans l’Ouzaramo, la mort est toujours attribuée à un poison quelconque et suivie en conséquence du meurtre de la personne soupçonnée de l’avoir donnée ; cette personne peut se remplacer par une autre, mais il faut qu’une victime humaine soit immolée.)

« Le cœur soulevé par un tel spectacle, je m’avançais avec mes hommes à la rencontre de ce groupe, pour réprimer sa férocité ; mais au moment où nous étions prêts d’arriver, je vis les bourreaux lever leurs haches sur la victime d’un air si menaçant que je renonçai à aller plus loin ; s’il fallait que la malheureuse fût sacrifiée que ce ne fût pas du moins sous mes yeux ! »

Giraud fit appeler le chef de Zambué, espérant gagner du temps. Celui-ci arriva, ivre de pombé, et aux premières ouvertures de notre compatriote, répondit :

« Ton sultan fait ce qu’il veut chez lui ; moi, je fais ce que je veux chez moi ! »

Les bourreaux disparurent dans le fourré, toujours hurlant et battant leur tam-tam infernal. Le chef avait seulement accordé à Giraud, comme faveur insigne, que l’on couperait la gorge à la malheureuse avant de la faire monter sur le bûcher ; mais les hommes de l’expédition qui assistèrent à l’exécution lui dirent qu’on n’en avait rien fait.

« A la tombée de la nuit, continue le voyageur, cet abominable crétin[200] vint me trouver, chargé de deux poules qu’il m’offrit pour recouvrer mes bonnes grâces. Malgré ses instances, je ne voulus rien accepter, ce qui, en Afrique, est toujours une insulte grave ; furieux, il me quitta, grommelant entre ses dents :

« Qu’a donc ce Msunga à tant se fâcher pour une affaire pareille ? L’an dernier, il y avait ici un Inglesa[201], qui a assisté à deux exécutions

sans faire tant de bruit ! »

CHAPITRE V

Les Victimes


E come i gru van cantando lor lai,
Facendo in ser di se limga riga ;
Cosi vid’io venir traendo gaai
Ombre portate d’alla detta briga (Dante).

(Et comme les grues qui font dans l’air de longues files vont chantant leur plainte, ainsi je vis venir, traînant des gémissements, les ombres emportées par cette tempête.)[202]


Nous avons vu que le Koran (Soura II, aia 173), consacrant la peine du talion pour le meurtre, s’exprime ainsi : « Un esclave pour un esclave. » Conformément à la Sounna, un esclave musulman n’est pas puni de mort s’il a tué un homme libre infidèle. Les lois des pays fétichistes sont plus cruelles, en voici la preuve :

Un esclave du village d’Adanlimanlango[203] ayant assassiné un homme libre du village de Daïeno, dut expier son forfait par la mort ; mais, comme ce supplice était insuffisant pour venger la mort d’un indigène libre, le maître de l’esclave devait subir en même temps que lui la peine capitale. Celui-ci qui tenait à la vie, offrit à sa place sa sœur et le prix de trois esclaves : la transaction fut acceptée. Quant à la sœur, elle se réfugia dans un autre village, chez des amis, dès qu’elle fut avertie du danger.

M. Walker et Marche, mis au courant de l’affaire, sermonnèrent le Roi-Soleil, N’Combé, et lui déclarèrent qu’ils voulaient racheter cette pauvre femme. N’Combé, après quelques difficultés, parut y consentir, fit rechercher la femme et l’amena devant les voyageurs en leur disant : « Vous êtes mes Blancs, tout ce que vous voudrez aura lieu ! »

L’affaire semblait terminée, lorsque, quelques jours plus tard, les explorateurs apprirent l’exécution clandestine de l’infortunée. Elle avait enduré un supplice inventé par N’Combé lui-même. On l’avait couchée étendue sur le dos, puis on lui avait posé un tronc d’arbre en travers de la gorge et tout le monde avait passé dessus, jusqu’à ce que la malheureuse victime eût le col rompu. Trouvant que la mort était trop lente, les monstres l’avaient éventrée et lui avaient arraché les entrailles !…

Rejoignons Mage entre les deux rivières Bakhoy, affluents du Sénégal, dans le Fouladougou. Il avait fait connaissance d’une bande de Diulas qui lui servaient de guides ; c’étaient des Sarracolets ou Sonninkès de la Kaarta, région située au nord du Sénégal, au sud du Sahara, au nord-ouest des États d’Ahmadou, sultan de Ségou. L’un de ces individus avait quitté son pays natal, Guémoukoura, depuis cinq années. Il était parti pauvre, il y rentrait pour y jouir d’une petite aisance et cependant ses vêtements étaient sordides. Il traînait avec lui cinq esclaves, une femme et un petit enfant. Après s’être muni de sel, il était tout d’abord allé l’échanger au Bouré[204] contre de l’or, puis avait gagné Sierra-Leone par Timbo[205]. Ayant amassé là, en cultivant les arachides, une petite fortune, il avait acheté une esclave dont il avait fait sa femme et qui lui avait donné un enfant, porté maintenant par un solide captif. Il ramenait, parmi ses esclaves, trois jeunes filles, atteintes par le ver de Guinée[206] et qui avaient les jambes enflées par les fatigues de la route, enfin un enfant de trois à quatre ans, qui était forcé de faire, journellement, des marches de cinq à six lieues. Le docteur Quentin, compagnon de Mage, le prenait souvent sur son cheval devant lui, pour reposer ses petites jambes maigres et fatiguées. Au fur et à mesure de la consommation des vivres, les bagages des jeunes filles, puis enfin ces dernières elles-mêmes prirent place sur les ânes des Français. « Quelque endurci que je fusse, dit Mage, je ne pouvais voir ces malheureuses au moment du départ, les membres engourdis, trop faibles pour se lever ; souvent leur maître arrivait, les frappait, et quelquefois une larme silencieusement coulait le long de leurs joues. Sans doute, elles pensaient au lieu de leur naissance, à la case de leur mère, et lentement, péniblement, elles se mettaient en marche. »

Ajoutez à tout cela un régime déplorable, une abstinence rigoureuse, un manque presque complet d’eau entre Kita et le Bakhoy, et on comprendra les tortures endurées par ce bétail humain, conduit de marché en marché conformément aux coutumes des Barbares ou des Musulmans.

Mage et Quentin avaient encore le spectacle d’esclaves enchaînés deux par deux ! Ils portaient les cadeaux d’Abibou, chef de Dinginrouj (Fouta Djallon), à son frère Ahmadou, sultan de Ségou. C’étaient des Diallonkés.

« Un bâton de trois centimètres de diamètre, percé d’un trou à chaque extrémité, les joignait l’un à l’autre ; chacun des trous aboutissait à un collier, tressé en cuir de bœuf, autour du col des esclaves, à la façon des erseaux de la marine[207]. Comme ils n’avaient aucun couteau, il leur était impossible de se débarrasser de cette entrave qui les réduisait à la condition la plus misérable. Ainsi, quand il fallait passer un endroit dangereux, franchir un ruisseau sur un arbre, un gué sur des roches, qu’on se figure leur position ! et je ne parle pas, écrit Mage, des mille nécessités de la vie dans lesquelles, à coup sûr, il est pénible de se voir enchaîné à quelqu’un. L’autre bande avait le même genre d’attache, mais avec un petit adoucissement. Au lieu d’un bâton c’était une grosse corde flexible en cuir qui les réunissait. Au moins ils n’étaient pas contraints de ne garder entre eux que la plus petite distance, sous peine de s’étrangler. »

Outre leurs fardeaux, ils avaient encore à porter jusqu’à deux ou trois fusils quand il plaisait au Toucouleur, leur maître et seigneur, de les en charger. Mage leur prêta un seau en toile, qu’ils remplissaient d’eau et portaient à tour de rôle.

Leurs vêtements, sommaires, étaient en lambeaux et contrastaient davantage encore avec le costume du Toucouleur, agrémenté d’un immense turban et d’un grand sabre de cavalerie à fourreau de cuivre.

Chaque année, des caravanes partent du pays des Bambaras pour le Marok et y amènent de nombreux esclaves. Nos lecteurs trouveront de plus amples détails dans le passage que nous consacrons exclusivement à l’esclavage dans cet empire (Pages 310 suivantes).

Les nègres, vendus autrefois, à Tunis, provenaient déjà du Bornou. Ils aiguisaient les dents incisives de leur mâchoire supérieure, dans la persuasion que c’était un ornement.

Les Batongas forment une peuplade paisible, sur toute la rive septentrionale du Zambèze, depuis les cataractes jusqu’à l’île de Cabiemba ou Nyampunga, située vers le confluent de la Safukoué ou Kafoué et du Zambèze. Ils ont pour ennemis les Marutsés, les Shakundas et les métis Portugais.

Ces derniers exercent de terribles ravages ! Ils demandent au commandant de la station portugaise de Têté un permis de guerre, sous prétexte que la tribu où ils vont faire la traite nuit au commerce des Blancs, et lancent les Shakuhdas sur les innocents Batongas, Les femmes et les enfants sont pris, attachés à l’aide de chaînes ou de perches.

Ces métis sont d’une politesse outrée, obséquieuse à l’égard des Européens ; envers les noirs ce sont des tyrans.

Un célèbre chasseur anglais, M. F. C. Selous, racontait, en 1870, ce qu’il avait vu de ses propres yeux : presque tous les villages Batongas pillés et incendiés. Quelques vieillards et femmes âgées étaient tout ce qui restait de la population décimée et dispersée par les métis.

La caravane dont Nachtigal faisait partie, étant parvenue chez les Ndams, les forces manquèrent à un assez grand nombre d’esclaves. Ni coups de fouet, ni coups de bâton ne purent les décider à continuer la route ; ils furent abandonnés sur place après avoir été tués sans pitié. Le même procédé est employé par les conducteurs d’esclaves du Bornou, ils égorgent, achèvent leurs semblables, comme s’il ne s’agissait que d’un animal ! Quand malgré les coups, un esclave mâle ou femelle, quel que soit son âge, se laisse tomber sur le sol d’un air résigné, son maître reste en arrière avec lui, tire tranquillement son couteau, dégaine son sabre, ou arme son pistolet, lui coupe la gorge, la tête, ou lui brûle la cervelle, essuie l’arme homicide et rejoint la caravane, en constatant « qu’avec ces païens, gens sans foi ni loi, il n’y a absolument rien à gagner et qu’ils vous glissent, sans cesse, dans la main. »

Nachtigal sauva la vie à une jeune esclave que son bourreau, après avoir cruellement fouettée, parce qu’elle était tombée en défaillance, avait ensuite abandonnée sur la route déserte, dans l’espoir que les hyènes n’en feraient qu’une bouchée. Ayant un cheval assez vigoureux, il prit en croupe cette pauvre victime et l’amena avec lui à Kouka.

Cet infâme bandit portugais qui répondait au nom de Mariano, redevenu pourvoyeur des traitants de sa nation, balaya, sur des vingtaines de milles, la population de la vallée du Chiré[208].

Les rives devinrent désertes, les villages furent incendiés et détruits ; un silence de mort plana sur toute la région désolée. Les fugitifs défaillants tombèrent au bord des sentiers où l’on retrouvait leurs squelettes, « Des spectres effrayants, dont la taille laissait cependant entrevoir la jeunesse, filles et garçons, les yeux éteints, rampaient à l’ombre des cases désertes, dit Livingstone : quelques jours encore et tués par cette faim terrible, ils succomberaient comme les autres. »

Ailleurs, les brigands de Mariano avaient dépouillé les victimes de leurs vêtements ; les pauvres gens furent réduits à se tresser des tabliers de feuillage et à manger des noix de palmier.

Le Chiré roulait des cadavres !

Plus loin, les indigènes chassaient des insectes pour se nourrir, arrachaient des racines ou cueillaient des fruits sauvages.

Il nous semble juste de compter parmi les victimes le bataillon féminin des gardes du corps du roi de Dahomey — recruté parmi les plus jolies filles du pays, qui sont mises à mort si elles perdent leur virginité, — et les Amazones, qui marchent au combat avant les hommes ! Armées de mousquetons, les jambes et les pieds nus, vêtues seulement d’une sorte de blouse et d’une trousse, elles portent sur la tête un bonnet, qui, le plus souvent, les abandonne au cours du combat. On les grise pour les rendre plus hardies et plus féroces. Lorsqu’elles reculent, les hommes n’hésitent pas à leur fracasser la tête d’un coup de fusil ! Devant elles s’avancent les féticheurs, qui sont les grands chefs après le roi. Ces féticheurs n’ont pour armes qu’une queue de cheval, qu’ils tiennent à la main et agitent constamment ; d’après leur croyance, ce manège écarte les balles. De l’autre main, ils agitent une sonnette, en signe de ralliement. Ils ont autour du torse une ceinture composée de petits sacs remplis d’une certaine terre déifiée, objet principal de leur culte. Ils se font tuer bravement.

MM. Bontemps, Gaudoin, Legrand et le R. P. Dorgère, pendant leur captivité, du 24 février 1890 au mois d’avril, eurent à se plaindre des Amazones qui les piétinèrent et leur arrachèrent les cheveux ; le R. P. Dorgère fut battu jusqu’au sang ; puis, nos compatriotes furent mis au carcan.

Après avoir été défait, par nos valeureux soldats, le roi Béhanzin attaqua les Eggbas et leur fît mille prisonniers qu’il voulait ramener triomphalement et exécuter à Abomey ; les Eggbas reprirent l’offensive à Ketou et infligèrent un nouvel échec à l’armée dahoméenne.

Aux récits de MM. Repin, Euschart, Lartigue et du missionnaire protestant, nous pouvons ajouter celui-ci :

« En 1879, un lieutenant de vaisseau français voulut voir par lui-même si tout ce que l’on racontait était vrai. Il sollicita et obtint, du roi de Dahomey, la permission de se rendre à Abomey. Personne ne peut, en effet, sous peine de mort, entrer dans cette ville ou la quitter sans l’autorisation expresse du tyran.

« Pendant le séjour dans la capitale, on est prisonnier du roi et l’on ne peut changer de place que selon le bon plaisir du monarque.

« L’époque des Coutumes approchait, et chaque jour on immolait quelques victimes humaines. L’officier en manifesta son mécontentement ; on lui répondit que s’il se plaignait encore, le roi lui ferait sur-le-champ trancher la tête. Les exécutions partielles continuant toujours, notre compatriote se croyant suffisamment renseigné demanda à partir. On lui déclara qu’il en aurait la permission dans quelques jours. Une semaine plus tard, on lui signifia que séjournant en ville il ne pourrait en sortir qu’après la célébration des Coutumes. Enfin, après deux mois d’attente, le moment solennel arriva. Sur une immense plaine, couverte de milliers de spectateurs, le roi entouré de ses officiers était accompagné du lieutenant que l’on avait contraint d’assister à la cérémonie. 3,000 esclaves et 3,000 bœufs ou moutons étaient rangés sur deux lignes, alternativement un homme et un animal. Le roi se promena quelques instants au milieu de cette allée vivante ; puis, faisant un léger signe avec son bâton royal, les 6,000 têtes tombèrent. Les guerriers se précipitèrent sur les victimes et mangèrent la chair pantelante des animaux. »

Lorsque le roi n’a pas de captifs pour les Coutumes, il opère une razzia chez ses voisins, comme en 1889, alors que les 27 et 28 mars. il brûla quatorze villages du royaume de Porto-Novo, placé sous le protectorat français, et emmena 1,745 créatures humaines. Si la razzia ne réussit pas, il prend simplement quelques centaines de ses sujets, arrivés à un tel degré de stupidité, qu’ils s’estiment heureux d’être choisis pour victimes.

Toute personne qui apprend au roi mauvaise nouvelle a la tête tranchée sur-le-champ.

L’un des principaux chefs de l’armée ayant demandé au roi des cordes en plus grand nombre, pour attacher les captifs de 1879, ajouta : « Nous sommes les plus courageux de tes guerriers ! » La commandante des Amazones, en entendant ces paroles, devint furieuse. Sur un geste de Glélé, la tête du chef tomba, aux applaudissements des terribles guerrières.

Pendant longtemps le Dar-Benda, territoire situé entre le Haut-Bahr el Abiad (affluent du Chari, tributaire du lac Tchad), l’Ouellé et les Nyams-Nyams, dut à sa proximité du Darfour d’être le but des razzias d’esclaves opérées par les négriers de ce dernier pays.

Le pays, maintenant désert, qui s’étend au nord du Dar-Benda, à l’ouest du Bahr el Ghazel, au sud du Bahr el Arab et à l’est des sources du Bahr el Abiad, désigné sous le nom de Dar-Fertite, est l’un des plus anciens cantons de l’Afrique Orientale qu’aient exploités les marchands de chair humaine. Il en venait du Darfour et du Kordofan. Certains d’entre eux. s’y fixèrent même afin d’être au centre de leurs opérations et fondèrent de grands établissements ou dems. Il y a vingt ans, Zîber, le traitant dont nous avons déjà eu occasion de parler, envoya, du Dar-Fertite au Kordofan, par la voie des steppes, dix-huit cents esclaves ! Les Krédis fournissaient, autrefois, annuellement aux Djellabas douze à quinze mille esclaves, provenant du Dar-Fertite !

Les nègres du Dar-Four ou Darfour sont généralement d’un beau noir et possèdent, au plus haut degré, les traits caractéristiques de la race nègre : le nez large, écrasé : les lèpres grosses, renversées ; une physionomie qui déplaît aux Européens. Leurs qualités morales seraient en rapport avec cette physionomie.

Les nègres du Fezzan sont moins noirs et se distinguent surtout par leur docilité et leur intelligence ; ils sont souvent marqués à la figure de nombreuses cicatrices régulières, considérées comme des ornements. Les négresses, malgré leur condition abjecte, n’ont pas renoncé à la coquetterie et cherchent à plaire.

A Ghadamès, les esclaves sont ordinairement bien traités, ont le droit d’acquérir, de posséder ; après dix ans de service, un esclave est en mesure de se racheter.

Au nord-ouest de Ghadamès, Largeau vit, épars sur le sable, des crânes, des ossements, des squelettes ; la route était jalonnée de tombes d’hommes assassinés, tués dans les combats, ou d’esclaves morts d’épuisement entre le Souf et Ghadamès.

Les Gnoumas du Kordofan, peuple féroce, sont de haute taille. Ils ne portent point de vêtement et massacrent les Arabes et les Djellabas qui viennent dans leur région pour les enlever et les vendre comme esclaves. Ils habitent le Delen, compris entre le 11e et le 12e degré de latitude nord et entre les 26e et 28e degrés de longitude est (méridien de Paris, bien entendu).

Dans le Haoussa, les femmes sont jolies, bien faites, élégantes. Les Foulanes, qui ont envahi la province, ont épousé les plus belles filles, mais ne donnent pas les leurs en mariage aux aborigènes. Les esclaves sont conduits sur deux files, attachés l’un à l’autre avec une corde passée autour du col.

Les esclaves du Houffeh étaient jadis fort prisés à Tunis, ainsi qu’une autre race de nègres ayant les lèvres supérieure et inférieure entourées de cicatrices en forme de boutons ronds.

Le nombre des femmes que chacun des habitants de l’Ibô possède est variable, illimité, puisqu’il dépend de la fortune personnelle. Toute femme achetée par un Ibô devient aussitôt son esclave, doit se plier à tous ses caprices, à toutes ses volontés, vaquer avec ses compagnes aux soins du ménage, etc. L’arrivée d’une nouvelle épouse cause une véritable joie aux autres femmes qui auront d’autant moins à travailler qu’elles seront plus nombreuses. « C’est là, dit Burdo. une conséquence originale de la polygamie entendue comme l’entendent les noirs. »

Revenons encore un moment chez Kassongo, chef suprême de l’Ouroua. Ce tyran, comme ses prédécesseurs et probablement comme ses successeurs aussi, s’arroge un pouvoir et des honneurs divins. Outre sa première épouse et son harem, il prétend avoir des droits sur toutes les femmes qui peuvent lui plaire. Parmi ses épouses, il n’a pas seulement ses belles-mères, ses tantes, ses nièces, ses cousines, ses sœurs, il a, chose horrible, plus horrible encore, ses filles ! Voilà à quel degré d’abomination, de dégradation, de bestialité, conduit la luxure ainsi que le manque absolu de religion !

Comme meubles de chambre à coucher, Kassongo, selon la tradition, n’a que les femmes de son harem. Quelques-unes de ces malheureuses, posées sur les mains et sur les genoux, forment la couchette et le sommier ; d’autres, étendues à plat sur le sol, servent de tapis !…

« Aucun village, dit Cameron, n’est assuré contre la destruction, l’exemple suivant en est une preuve. Un chef était venu lui-même apporter le tribut annuel. Kassongo se montra satisfait ; en témoignage de son contentement, il dit au chef qu’il voulait le reconduire et voir ses administrés.

« Ils partirent ; le roi demeure bienveillant pendant toute la route ; mais, à peine a-t-on aperçu les premières cases que des soldats entourent la place ; le chef est saisi et, à la nuit close, se voit contraint par les gens de Kassongo de mettre le feu au village ; après quoi il est massacré.

« Les malheureux habitants, qui, fuyant l’incendie, se précipitaient dans la jungle, y trouvèrent une embuscade. Les hommes furent tués, les femmes allèrent grossir les rangs des esclaves du harem. »

Les négresses du Kordofan sont faites comme la Vénus de Milo ; elles ont les traits purs et réguliers ; de grands yeux pleins de flamme voilée ; le teint noir mat ; l’attitude gracieuse et modeste ; rien de la bouffissure du visage, du noir luisant et de la pétulance animale des négresses ordinaires. C’est l’idéal de la beauté africaine : Nigra sum, sed formosa !

Nachtigal assiste à des razzias, des incendies de villages Kolikois et autres crimes perpétrés par les Somraïs, dans le but d’enlever des esclaves. « Lorsqu’on eut dégagé l’entrée du fourré à coups de hache, dit-il, nos hommes commencèrent leurs coups de mains lucratifs. On les vit s’enfoncer de côté et d’autre dans l’épaisse futaie, pour reparaître au bout de quelque temps, qui avec un enfant, qui avec une bique… Des hommes blessés, à demi-morts, étaient violemment tirés du fourré ; des femmes, des jeunes filles défaillantes étaient brutalement traînées hors des buissons où elles se cachaient, et les vainqueurs se battaient à qui les aurait. De tout petits enfants étaient arrachés des bras de leurs mères, butin inutile, pour lequel on en venait encore aux mains. Ces compétitions féroces autour de pauvres êtres qui perdaient, en un jour, parents, patrie, espérances de bonheur et d’avenir, tout, hélas ! était quelque chose de plus horrible et de plus écœurant encore que les atrocités de la lutte. »

Lorsque les malheureux assaillis consentirent à se rendre, le chef vainqueur ne fut plus maître de retenir ses hommes :

« Il n’y eut plus alors pour les indigènes d’autre alternative que la mort ou l’esclavage et il faut le dire, à leur honneur, ce fut la mort qu’ils choisirent. Se concentrant de plus en plus vers l’entrée du bois, ils tentèrent de reprendre l’offensive, mais sans la moindre chance de succès : dès que l’un d’eux paraissait, il mordait immédiatement la poussière.

« En même temps, on achevait d’arracher du fourré les femmes et les enfants qui y étaient restés, et comme auparavant, les vainqueurs se disputaient ces captifs, tirant brutalement les bras et les jambes des tout petits enfants, au point que je craignis sérieusement que ces pauvres êtres ne se disloquassent. Un poulain, conquis de la sorte, fut tellement maltraité qu’il expira avant d’avoir pu échoir à un maître.

« Pas un de ces infortunés Kolikois, homme, femme, enfant, ne poussa une plainte, ni même un soupir ; il y eut seulement des jeunes filles qui, les sens glacés d’épouvante, furent emportées sans connaissance hors du champ de carnage, et de jeunes garçons que je crus voir distinctement blêmir de terreur, malgré la teinte noir foncé de leur visage… A trois heures, le reste de la population mâle, une trentaine de Kolikois, purent venir faire leur soumission. Résultat de la journée : quelques centaines d’esclaves de plus acquis à Sa Majesté Baghirmienne, et une heureuse et prospère bourgade de moins en ce monde ! »

Nachtigal rend ainsi hommage à l’héroïsme barbare des femmes de Kolik : « Sur le théâtre de l’incendie, je trouvai les corps à demi calcinés de vingt-sept enfants à la mamelle, écrit-il. C’étaient sans doute leurs mères elles-mêmes qui avaient livré ces nourrissons à une mort violente, pour leur épargner le lent trépas qui est réservé aux enfants dans le camp ennemi. »

Près du cap Koungoué, dans la partie la plus étroite du lac Tanganyika, Howett Cameron aperçut, au milieu du fourré, des champs épars indiquant la retraite de malheureux qui avaient fui devant les chasseurs d’hommes, pauvres gens condamnés à une existence misérable par les habitants de quelques villages fortifiés qui saisissent leurs voisins les plus faibles et les livrent aux marchands de l’Oudjidji, en échange de denrées qu’ils sont trop paresseux pour produire.

Westmark, l’explorateur qui a parcouru le plus récemment le Congo et le Haut-Congo, raconte que la polygamie est acceptée chez les Mangalas : chaque habitant est possesseur d’autant de femmes qu’il peut en nourrir. Dans ces pays ensoleillés, au lieu de recevoir une dot, l’époux, comme dans tout l’Islam, achète sa femme et remet le montant de l’achat à ses beaux-parents. C’est un marché qui se discute avec toute la finesse et l’astuce dominante chez la race nègre.

Le prix d’une femme jeune et possédant les charmes ou qualités nécessaires pour plaire, est de deux ou trois esclaves, quelques bouteilles vides, des sonnettes, des grelots et une dizaine de colliers en verroterie de couleur.

Une fois mariées, ces dames noires seraient fort heureuses si leur bonheur n’était pas troublé par la crainte perpétuelle de voir leur seigneur et maître… les manger. Westmark dit à ce propos que la chair humaine a un goût excellent. Nous nous en rapportons à lui.

Les Mangalas sont fétichistes ! Leur dieu est une image informe. Leurs croyances sont rudimentaires. Ils parlent cependant d’une existence future, mais n’y attachent qu’une médiocre importance, attendu qu’au delà de la mort leur vie continuera d’être pour un temps bien long, bien long, ce qu’elle fut sur la terre.

Physiquement ces nègres sont bien faits, noirs comme l’ébène ; moralement ils sont au-dessus de leurs congénères.

Leur costume est primitif. Pour les hommes un pagne à la ceinture, pour les femmes une frange, et c’est tout !

Les femmes mettent une certaine coquetterie dans l’arrangement de leur chevelure. Leurs cheveux sont tressés et nattés, puis ramenés ensuite en chignon derrière la tête.

Les mœurs ! elles sont déplorables, détestables !

La femme est une bête de somme.

La balance de la justice incline toujours en faveur de celui qui sait le mieux se gagner les juges, — et quels juges ! — par de riches présents.

Le vol y est puni ; le volé se fait justice lui-même et coupe la main du coupable ou le transperce de sa lance. Après quoi, il le tue, le déguste, et invite parents et amis à partager ce festin qui serait, paraît-il, un vrai régal.

Pour les dames on est plus galant. On se contente de leur couper une oreille, — quelquefois les deux oreilles, que l’on mange. Ce qui reste de la dame est vendu ; les acheteurs n’ont plus qu’à feuilleter : l’Art d’accommoder les restes !

Le roi des Marutsés (Haut-Zambèze) dispose complètement de la vie de ses sujets. Ils peuvent être réduits par lui à l’esclavage, leurs femmes sont exposées à être enlevées pour le service particulier du roi si elles lui plaisent et leurs enfants réclamés pour certaines pratiques sanguinaires de magie. Les reines régnantes ont le droit d’épouser les hommes qu’elles ont remarqués, même s’ils sont déjà mariés.

« La superstition locale a fait de quatre tambours, dont on n’use qu’en temps de guerre, des engins particulièrement sinistres, dit le docteur Holub : leur coloris rouge, les taches rouges qui en maculent la peau, tout décèle leur rôle barbare. Ces caisses renferment des morceaux de chair et d’ossements, des doigts et des orteils coupés sur les corps tout vivants de pauvres enfants des notables, pour servir d’amulettes destinées à garantir le nouveau Chéchéké du fléau de la guerre, du feu et mettre le royaume à l’abri de toute incursion[209]. »

Cameron arrive à l’établissement de Tippou-Tib, au sud de Roussouna et de Nyamgoué, 8ur les bords de la Loualaba (Haut-Congo) :

« Le seul mauvais côté de l’établissement de mon hôte, mais côté bien sombre, écrit-il, était la quantité d’hommes enchaînés et la fourche au col, que nos yeux rencontraient à chaque détour… »

Tippou-Tib paraissait dégoûté de la traite et se plaignait de ne pas avoir d’autre genre de transport que le portage à dos d’esclaves. Il escorta Stanley, avant la descente du Congo, en 1877. En 1883, Tippou-Tib vint à Bagamoyo vendre 70,000 livres d’ivoire qui, à raison de 20 francs le kilogramme, représentaient sept cent mille francs.

Dans son dernier voyage en Afrique, après un échange de dépêches avec Bruxelles, Stanley signa, à Zanzibar, une convention nommant Tippou-Tib, gouverneur de Stanley-Falls, avec appointements mensuels, payables à Zanzibar au Consulat britannique ; Tippou-Tib s’est engagé à combattre et capturer les négriers, à s’abstenir de tout trafic d’esclaves au-dessous des chutes et à empêcher ses subordonnés de faire la traite de chair humaine. Un officier européen sera délégué aux chutes en qualité de résident. Le salaire cessera du jour où Tippou-Tib aura enfreint n’importe lequel des articles de ce contrat[210].

« Très peu de Manyèmas, continue Cameron, sont exportés comme objets de vente ; on les garde pour remplir les harems, pour cultiver les fermes qui entourent les établissements (fixes des traitants Zanzibarites établis dans le Haut-Congo), ou pour servir de porteurs. Quand elle arrive au Tangahyika, la bande composée de captifs du Manyèma est diminuée de moitié ; cinquante sur cent ont pris la fuite. La plupart de ceux qui restent sont vendus dans l'Oudjidji et dans l’Ounyanyemmbé, de telle sorte que bien peu atteignent la côte (ouest).

« Néanmoins les captures se multiplient, par suite du grand nombre des habitants qui s’établissent dans l’intérieur et qui croient ajouter à leur dignité en possédant beaucoup d’esclaves[211]. »

Le Manyèma est toujours terrorisé et dépeuplé par les Wangouanas (nègres musulmanisés). Si quelque infortuné se réfugie sur un arbre, on l’en fait descendre en le menaçant de lui loger une balle dans la tête. Si les prisonniers sont en trop grand nombre, on massacre les plus faibles, on pend les petits enfants sous les yeux des mères captives.

Après avoir passé Kapampa, Giraud campe au Marangu, sur la côte ouest du Tanganyika, près de Vouafipas occupés à acheter des esclaves. Il fut témoin de plusieurs marchés dont un eut lieu vers sa tente.

Il s’agissait d’une petite fille de dix ans, gracieuse et bien prise, amenée par des Marangus, ses parents. Le patron de la pirogue avait offert d’emblée un vieux fusil à pierre ; les débats se prolongèrent toute une après-midi et le Mfipa dut ajouter une pierre à fusil, deux charges de poudre et deux balles en cuivre !

Une fois en possession de sa proie, le propriétaire la caressa un instant, lui regarda attentivement les yeux, les oreilles. Elle avait les dents saines, blanches, et sa figure s’éclaira d’un sourire. Le négrier fit approcher deux enfants déjà liés par le cou avec une corde en cuir, attacha solidement le bout de cette corde au col de la fillette. A ce moment, elle comprit et deux larmes perlèrent à ses yeux.

« Te voilà baptisée Mfipa, petite, lui cria Kouma. »

Cette petite avait intéressé Giraud ; ces deux larmes l’avaient ému : il allait essayer de la racheter, quand il la vit sourire, se lever avec ses compagnons d’esclavage et se mettre à jouer avec eux dans les eaux du lac. Les parents, ajoute Giraud, n’étaient pas à cinq cents mètres et repartaient tranquillement, sans retourner la tête !

Giraud est-il certain que c’étaient bien les auteurs de l’enfant et non de premiers acquéreurs ou des voleurs ? Nous voudrions pouvoir conclure ainsi, mais des témoignages indéniables établissent que des mères, ayant perdu la dernière notion de l’amour maternel, vendent quelquefois leurs enfants pour une bagatelle, sans qu’une larme mouille leurs paupières ; seulement, par un reste de pudeur, elles les font passer pour leurs esclaves !

Un père, fatigué de voir son enfant chétif ou malade, l’assomme, l’étrangle et le jette dans les broussailles où les hyènes viennent le dévorer pendant la nuit !

Sur le Haut-Nil, les esclaves, hommes, femmes et enfants, sont généralement entassés dans les barques, ou dahabieh, comme des harengs dans une caque. Faut-il ajouter que, même ainsi pressés, ils sont encore chargés de chaînes.

Schweinfurth regagna Khartoum par le Haut-Nil ; son journal renferme encore ce qui suit :

« Un fait horrible a gravé pour jamais dans ma mémoire le souvenir de cette nuit, d’ailleurs sereine. Il y avait, dans la cale, une vieille esclave malade depuis longtemps de la dysenterie, affection qui, chez les nègres, suit presque toujours le changement d’existence. La pauvre femme était mourante ; tout à coup, elle se mit à crier, comme si elle avait été prise d’épilepsie. Je n’ai jamais entendu de pareils cris provenir d’un être humain : quelque chose d’effroyable. On ne peut comparer cette voix d’agonisante qu’à celle des hyènes affamées, faisant, la nuit, curée de charognes sur les places des grands marchés du Soudan. Cela commençait par un long soupir : plainte profonde qui grandissait jusqu’au ton le plus aigu.

« Enfermé dans ma cabine, simplement faite avec des nattes, ne pouvant rien pour la malheureuse, je m’encapuchonnais de mes couvertures, afin de moins entendre. Bientôt un flot d’invectives frappa mes oreilles : puis un plongeon accompagné de cette apostrophe : Marafil ! (hyène !), et ce fut tout. Les gens de l’équipage avaient jeté à l’eau l’agonisante. Pour eux c’était une sorcière, une femme-hyène, dont la présence à bord devait nous porter malheur. »

Outre les captifs destinés à entretenir l’épouvantable dilapidation de force humaine qui se fait dans les établissements du Haut-Nil, il y a les esclaves du commerce, simple marchandise enlevée chaque année de ces régions, dans le but unique d’en tirer profit.

Schweinfurth qui, ne l’oublions pas, a parcouru cette partie de l’Afrique, tandis qu’elle était encore sous la domination égyptienne, dit : « Pour bien comprendre la part importante que le territoire du Bahr El Ghazal prend à la traite de l’homme, jetons un coup d’œil sur les lieux où l’horrible négoce se pourvoit de chair humaine. Ces approvisionnements, sans cesse renouvelés, s’écoulent vers le nord par trois routes principales, pour satisfaire au luxe insatiable de l’Egypte, de l’Arabie, de la Perse et de la Turquie d’Asie. »

« On a estimé, continue-t-il, à 25,000 tètes le chiffre annuel de la traite de l’homme dans cette région ; il est facile de démontrer que ce chiffre est bien au-dessous de la réalité… »

Sept territoires, dans le Haut-Nil, fournissaient alors les éléments de cet odieux commerce :

l° Le pays des Gallas, au sud de l’Abyssinie, entre le troisième et le huitième degré de latitude nord. Ses produits étaient nombreux et très estimés.

2° Le pays d’entre les deux Nils, où les captures étaient opérées par les Bertas et les Dinkas.

3° Le district des Agahous, au cœur de l’Abyssinie, entre le Tigré et l’Ainhara et la frontière nord-ouest des Hautes-Terres Abyssines.

4° Le Haut-Nil Blanc, comprenant le bord des lacs.

5° Le Haut Bahr El Ghazal, fournissant surtout des Bongos, Bakoukes et Mittous.

6° Le Dar-Fertite.

7° Les Hautes Terres situées au sud du Kordofan. Les Noubas de cette contrée étaient fort prisés en raison de leur beauté, de leur intelligence et de leur adresse.

L’âge, l’apparence du sujet ne suffisent pas pour rétablissement du prix des esclaves, il faut encore tenir compte de la race à laquelle ils appartiennent.

Parmi les malheureux provenant du Haut-Nil, les plus appréciés sont les Bongos, laborieux, fidèles et dociles, à l’extérieur agréable et faciles à dresser.

Les jeunes filles Nyams-Nyams atteignent un prix excessivement élevé, d’autant plus qu’elles sont rares.

Les Mittous n’ont point de valeur ; ils sont laids, faibles, incapables de travailler. Les Baboukres aiment trop leur indépendance pour être recherchés ; il en est de même des Loubas et des Abakas. Les femmes Dinkas, bonnes cuisinières, sont écoulées principalement en Nubie. La demande en est toujours considérable dans les zéribas.

Les Musulmans du Haut-Nil possèdent en moyenne trois esclaves chacun ; à l’ouest, leur nombre dépasse celui des indigènes.

« Les esclaves domestiques, dit Schweinfurth, ne doivent pas être confondus avec ceux que l’on destine à la vente et peuvent se diviser en quatre classes :

« 1° Les enfants mâles, de sept à dix ans, portant les fusils et les munitions et qui passent ensuite dans la seconde catégorie.

« 2° Les indigènes, élevés en majeure partie dans les zéribas, forment une sorte de garde noire qui accompagne les troupes des traitants et sont appelés : Basinghirs, Farouks, Narakiks ; les esclaves militaires, propriétaires de fermes situées dans le cercle des zéribas, ayant femmes, enfants, et de petits esclaves pour porter leurs armes.

« 3° Les femmes de service que l’on rencontre dans toutes les cases. Si l’homme en possède plusieurs, l’une d’elles est élevée à la dignité de favorite : les autres s’occupent des soins du ménage, des travaux extérieurs ; elles passent de main en main. Suivant l’usage des pays musulmans du Soudan, l’enfant né d’une esclave et du maître est considéré comme légitime et sa mère reçoit le titre d’épouse.

« La mouture à bras, toujours en usage chez les musulmans de cette partie de l’Afrique, où elle s’exécute au moyen de deux pierres d’inégales dimensions, — une petite manœuvrée à la main et une meule fixe, appelée mourhaga, — contribue plus que tout d’abord on ne pourrait le croire, dit Schweinfurth, à maintenir l’énorme demande d’esclaves femelles. Cette méthode primitive est d’une telle lenteur, qu’en une journée de pénible travail une femme seule ne peut broyer de grain que pour cinq à six bouches.

« On ne saurait dire la somme de souffrances qui résulte de ce labeur quotidien, si cruellement imposé… Une femme récemment capturée est condamnée au travail du mourhaga. Réduite à l’état de brute (agenouillée devant un moulin), cette femme (dont le costume se compose d’une tresse et de quelques feuilles) porte au col une pièce de bois solidement attachée ; et, afin que ce joug ne gène point ses mouvements, il est soutenu par un jeune garçon placé auprès d’elle avec mission de la surveiller sans cesse. »

Durant l’occupation égyptienne, on avait installé, à Khartoum, un moulin mis en mouvement par des bœufs pour le service de la troupe et à la disposition du public. Aucun indigène ne voulut en profiter et Schweinfurth ajoute :

« Tant que cette dépense de force humaine ne sera pas supprimée par l’introduction de moulins mécaniques et par un impôt frappé sur les mourhagas, il ne faut pas s’attendre à voir diminuer le nombre des esclaves femelles. »

Cet exemple suffit pour montrer avec quelle persévérance et par quels moyens de détails, on devra travailler à l’abolition de l’esclavage dans les provinces du Haut-Nil et du Soudan. Nulle part une ancienne institution ne peut disparaître avant qu’on y ait suppléé par une institution nouvelle qui la remplace avec avantage.

La chute de la domination égyptienne dans ces parages, en 1883, l’envahissement des Madhistes ne sont pas de nature à contribuer à la répression de la traite ; d’autant plus encore que le code sunnite dit : « Toute innovation est un crime et tout crime conduit au feu du Sakar ! »

4° Les esclaves des deux sexes employés exclusivement aux travaux des champs. Sauf les chefs des zéribas, les Djellabas résidents, les Fakis, les interprètes, le personnel, possèdent fermes et troupeaux. Les pauvres gens ont un jardinet, des chèvres et de la volaille. Les vieilles esclaves sont chargées d’arracher les mauvaises herbes et à l’époque de la moisson on envoie les Farouks leur aider.

Les Nubiennes, d’Ipsamboul à Dongolah, sont bien faites, jolies et pudiques ; leurs traits révèlent une grande douceur. Les hommes sont forts, musculeux, au-dessous des Égyptiens pour la taille. Ils ont peu de barbe, point de moustaches, un filet de barbe au menton. Leur physionomie est agréable et supérieure à celle des Égyptiens.

Il existe au Sennaar, une race de femmes mixte aux traits doux et indécis des Nubiens sous le teint presque noir des nègres Fougnis.

Les esclaves du Soudan sont conduits sur deux files et reliés l’un à l’autre par une grosse corde passée ; autour du col.

Nous avons déjà eu souvent occasion de parler des divers systèmes d’attache employés pour retenir les esclaves, en voici encore d’autres :

On passe leur col da^ns une fourche en bois ; les poignets sont fortement attachés à l’embranchement de la fourche que retient le col, tandis que les branches de celle-ci, rapprochées derrière la nuque et tenues écartées par un étrésillon ne laissent que l’intervalle nécessaire à la respiration du captif. Si les négriers sont à cheval, à âne ou à dos de chameau, une corde relie cette espèce de carcan à leur selle. D’autres prisonniers ont le col saisi de la même manière entre les branches d’une grosse fourche, fixée par un long manche à la selle. Dans ce système, le point d’attache est hors de la portée des mains de l’esclave et on se dispense de les attacher ; mais le malheureux endure un supplice cruel. Ainsi tenu par le col, il est obligé de subir toutes les secousses causées par l’inégalité de la marche des animaux, par les coups qui leur sont administrés, par les accidents de terrain. Ceux qui sont attachés aux flancs des animaux ont, en outre, à supporter le tangage produit par l’animal en marche ; la terrible fourche est d’une grosseur et d’une force à résister aux efforts les plus désespérés. Comme les cavaliers se préoccupent fort peu des esclaves qu’ils traînent à leur suite et prennent pour eux l’espace le plus libre, il en résulte que les pauvres victimes doivent, de temps en temps, marcher à travers les broussailles, les buissons épineux, etc. Les écorchures dont leurs corps sont parsemés n’attestent que trop quelles sont leurs souffrances.

Et souvent elles ont ainsi à parcourir des centaines de lieues.

A Yola, ville bâtie par les Foulanes, l’esclavage règne sur une vaste échelle ; certains propriétaires d’esclaves ont sous leurs ordres jusqu’à un millier d’hommes. Le gouverneur recevrait annuellement un tribut de cinq mille êtres humains.

Nos lecteurs savent que Yola est la capitale de l’Adamoua, sur le Haut Bénué, au sud du

Bornou.

CHAPITRE VI

changement de maitres ; — maladies des esclaves ; — marque des esclaves ; — marche d’une caravane.


« Dans l’Afrique Orientale, un esclave, dit Verney-Hovett Cameron, peut changer de maître en faisant un nœud à une partie quelconque du vêtement de l’homme auquel il se livre, ou bien en brisant un arc ou une lance appartenant à ce même individu. Son ancien propriétaire ne peut le ravoir qu’en le payant toute sa valeur et en promettant d’une manière formelle de ne plus lui infliger de mauvais traitements. »

Quoique les nègres soient généralement forts et robustes, ils sont néanmoins sujets, après leur arrivée dans les régions septentrionales de l’Afrique et de l’Orient, à diverses maladies, qui sont pour la plupart une suite naturelle des fatigues et des privations subies pendant leur pénible et douloureux voyage à travers le désert. Une autre cause se joint à la première, c’est la différence de climat qui existe entre le lieu de leur nouvelle résidence et leur pays natal, ou d’origine, toujours plus ou moins voisin de la zone torride.

Les maladies dont ils peuvent être attaqués sont :

1° Les rhumes opiniâtres ou affections catharrales[212]. Cette indisposition naît de la nudité presque absolue des esclaves pendant les nuits, souvent très fraîches, qu’amènent les vents froids ; elle n’a jamais de suite fâcheuses et cède ordinairement aux remèdes ordinaires.

2° Les ophtalmies[213] accidentelles, produites, comme la maladie précédente, par l’exposition nocturne des esclaves nus à toutes les vicissitudes de l’atmosphère ; elles se guérissent presque toujours spontanément et n’ont besoin d’autres remèdes que l’usage fréquent du simple lavage avec de l’eau naturelle et pure.

3° La petite vérole[214], maladie souvent bien funeste, tant à la vie des esclaves qu’aux intérêts des négriers. Elle semble moins fréquente parmi eux au Soudan ou dans l’Afrique Centrale que plus au nord : elle est toujours meurtrière. Les Djellabas prétendent même qu’elle ne règne jamais dans les régions méridionales, excepté lorsqu’une circonstance quelconque y apporte le germe delà contagion variolique ; et, ce qui paraît fortifier cette assertion, c’est que parmi les esclaves amenés par les caravanes, on en voit fort peu qui aient été attaqués par cette maladie dans leur propre pays.

Au reste, les négriers perdraient bien moins d’esclaves par cette maladie s’ils leur donnaient plus de soins. Leur manque d’intelligence, leur inhumanité, leur avarice sordide les empêchent de comprendre cette vérité et de faire aucune dépense dans ce but.

4° Une affection cutanée qui atteint les esclaves en Egypte, et surtout au Caire, où elle est désignée sous le nom de Eêch-El-Medynéh (mot à mot : genre ou manière de vie de la ville), sans doute parce qu’on l’y regarde comme une conséquence de l’acclimatation et du changement que subissent les esclaves dans leur manière de vivre et leur nourriture. Cette maladie est presque générale parmi les nouveaux arrivés. On l’a souvent confondue avec la gale, soit par le prurit intolérable qu’elle cause, soit par la forme des pustules. Elle n’est pas contagieuse comme la gale ; abandonnée à elle-même, elle dure plusieurs mois et devient hideuse ; si, au contraire, après l’éruption, on emploie les remèdes convenables, la maladie disparait entièrement et promptement.

5° La diarrhée et la dyssenterie sont généralement redoutables pour les nouveaux arrivés.

6° La peste[215] attaque plus particulièrement les nègres, même ceux qui sont acclimatés, lorsqu’elle exerce ses ravages.

7° Le Dragonneau ou Veine de Médine, ou Ver de Guinée[216]. Il se trouve dans les eaux du Soudan, ou dans celles des pays parcourus par les nègres, s’introduit sous la peau et principalement aux extrémités inférieures du corps. Sa longueur varie de un à deux mètres. Pour l’extraire, on l’enroule successivement et avec le plus grand soin sur une petite bobine, en prenant bien garde de le briser avant que l’opération soit complètement achevée, sans quoi la portion qui reste dans les chairs reprend de la vitalité et se transforme en un nouvel individu.

8° Le Filaire de l’œil (Filaria ocularia), long de vingt-cinq à cinquante millimètres, qu’on trouve assez fréquemment chez les nègres, en Afrique, entre la conjonctive et la sclérotique. Il offre l’aspect d’une veine variqueuse et cause souvent de vives douleurs.

9° Le Pian, qui exerce tant de ravages sur les nègres, en Amérique ; il est inconnu dans les régions septentrionales de l’Afrique et de l’Orient.

10° La phtisie[217], qui décime les nègres, en Europe, ou du moins abrège leur existence.

Dans le Haut-Nil on marque les esclaves au moyen de cicatrices faites sur les joues. Cet usage appartient surtout aux pays fétichistes ; nous avons vu, au commencement de cet ouvrage que Mohammed ou le Koran, Soura IV, aia 117, le prohibe. Il ne faut pas confondre ces marques avec le tatouage. Dans quelques tribus arabes de l’Afrique Septentrionale, les femmes se font peindre deux étoiles sur le front au-dessus et entre les sourcils, une étoile sur chacune des pommettes et quatre étoiles sur le menton.

La caravane se met constamment en marche au point du jour et ne s’arrête qu’après le coucher du soleil. Alors les esclaves allument du feu, écrasent, sur une pierre concave qui fait partie de leurs ustensiles portatifs de cuisine, une portion de froment qui cuit ensuite en forme de bouillie, avec un petit morceau de viande de vache salée et desséchée. Le repas du matin consiste aussi en une bouchée de froment, mais sans viande.

On économise l’eau pendant le voyage. Souvent les esclaves ne peuvent boire qu’une fois par jour, d’où il résulte qu’il en meurt plus de soif que de fatigue.

Quelque cruelle que cette économie de boisson soit et paraisse, elle s’explique par deux considérations puissantes ; la première est que l’on ne rencontre de l’eau que rarement, pendant trente-six à quarante jours de marche ; la seconde c’est que les chameaux employés à porter l’eau dans des outres en peau de chèvre, périssent en grand nombre.

Dès les premiers jours, les fatigues, les privations, la douleur ont affaibli un certain nombre d’esclaves. Les femmes s’arrêtent les premières. Alors, afin de frapper d’épouvante ce malheureux troupeau humain, les conducteurs s’approchent de celles qui paraissent plus épuisées, armés d’une barre de bois pour épargner la poudré. Ils en assènent un coup terrible sur la nuque des victimes infortunées, qui poussent un cri et tombent, en se tordant dans les convulsions de la mort.

Le troupeau terrifié se remet aussitôt en marche. L’épouvante a donné des forces aux plus faibles. Chaque fois que quelqu’un s’arrête épuisé, le même affreux spectacle recommence.

Le soir, en arrivant au lieu de la halte, lorsque les premiers jours d’une telle vie ont exercé leur influence délétère, un spectacle non moins horrible attend les esclaves. Ces marchands d’hommes ont acquis l’expérience de ce que peuvent supporter leurs victimes. Un coup d’œil leur apprend quels sont ceux qui bientôt succomberont à la fatigue. Alors, pour épargner d’autant la maigre nourriture qu’ils distribuent, ils passent avec leur barre derrière ces malheureux et d’un coup les abattent. Leurs cadavres restent où ils tombent, lorsqu’on ne les suspend pas aux branches des arbres voisins, et c’est près d’eux que leurs compagnons sont obligés de manger et de dormir.

C’est ainsi que l’on marche pendant des mois entiers, quand l’expédition a été lointaine. La caravane diminue chaque jour. Si, poussés par les maux extrêmes qu’ils endurent des esclaves tentent de fuir ou de se révolter, leurs féroces maîtres leur tranchent les muscles des bras et des jambes, à coups de sabre ou de couteau, et les abandonnent ainsi le long de la route, attachés l’un à l’autre par leurs cordes, leurs courroies ou leurs fourches, et ils meurent lentement de faim. Aussi peut-on dire avec vérité que si on perdait la route qui conduit de l’Afrique Equatoriale aux villes où se vendent les esclaves, on pourrait la retrouver aisément par

les ossements de nègres dont elle est bordée.

CHAPITRE VII

Marchés d’esclaves ; Voies reliant les marchés d’esclaves

« Lorsqu’un Européen voit pour la première fois un marché de créatures humaines entassées : ces Nègres, nus pour la plupart, ces jeunes garçons, ces filles de tout âge, ces mères portant leurs nourrissons collés sur leurs seins, il ne peut se défendre d’éprouver un sentiment pénible, qu’un tel spectacle lui inspire. (Histoire de la Tunisie, par le docteur Franck). »


Dans ce chapitre, comme aux précédents, nous mettrons avec le plus grand soin un frein à notre imagination et nous ne produirons que des récits puisés aux sources les plus authentiques et les plus dignes de foi. Nous allons passer en revue les principaux marchés d’esclaves connus et fréquentés du continent Africain :

De Brazza constate que le commerce des esclaves a amené à Angola, sur l’Ogôoué, ses conséquences habituelles, fatales. Les mœurs sont plus que libres, le village offre ses femmes comme ses pagayeurs ; l’ivrognerie est à la mode.

Chekka, entre le Bahr El Arab et le Darfour, est une grande place de commerce, servant de point de réunion aux Djellabas et aux Baggaras, qui y possèdent même des demeures permanentes. C’est l’entrepôt où les grands trafiquants d’esclaves du Darfour et du Kordofan s’approvisionnent de bétail humain. C’est un marché libre, d’où les négociants envoient, sans crainte, leurs cargaisons vivantes sur tous les points qui leur conviennent.

Delgaouna, sur la montagne de ce nom et vers la rivière Biri, affluents du Bahr El Arab, à six journées de marche au sud-ouest de Chekka, est un dépôt très fréquenté par les marchands d’esclaves.

A Figuig, oasis située entre le Marok et l’Algérie, au nord du Sahara, les nègres valent de 150 à 200 francs ; une belle négresse de 200 à 400. Les négresses sont très estimées au Marok et préférées aux femmes blanches, surtout aux épouses légitimes.

L’un des plus anciens comptoirs du Dar-Fertite est le Dem Goudyou, dont le nombre des cases dépasse deux mille. Le nom de Fertite, employé par les Darfouriens et les Baggaras pour distinguer l’ensemble des tribus Kredies de la nation des Nyams-Nyams, est appliquée tous les païens qui vivent au sud du Darfour.

« Le marché d’esclaves qui se tient à Igbe[218], dit Burdo, est la chose la plus désolante.

« A l’instar des bêtes de somme, hommes, femmes et enfants y sont exposés publiquement et tout nus sous les yeux des amateurs, au gré des plus offrants. Le marchand fait de son mieux valoir leurs qualités et l’acheteur les soumet, à tour de rôle, à l’examen le plus minutieux et le plus cynique à la fois. Entre autre chose, il leur ouvre la bouche, comme nos maquignons font des chevaux, afin de s’assurer de l’état de leurs dents, et c’est là, paraît-il, un point capital. Il est vrai que les tristes créatures, objets de cette inspection, s’y prêtent sans rechigner le moindrement, comme s’il n’était rien de plus simple, ni de plus naturel. »

Burdo oublie les menaces proférées avant la mise en vente par le marchand négrier, aussi continue-t-il : « A toute évidence, leur avilissement est si profond qu’à leurs yeux, il n’y a rien de blessant. Pauvre nature humaine, au fond de quel abîme tu peux descendre !

« Bien entendu, les prix varient selon l’âge, le sexe, la force, la beauté de la marchandise : les jeunes gens robustes, bien constitués, se vendent de 700 à 1,000 francs, à condition toutefois de ne point provenir d’une contrée dont les habitants passent pour remuants, haineux, vindicatifs. En ce cas, la crainte qu’on a d’eux éloigne les acquéreurs. Les jeunes filles, de belle complexion, sont recherchées à 500, 600, voire même 800 francs, valeur en marchandises, cela se comprend. Les enfants en valent 200, 100 et moins encore ; on en achète de très jeunes, que l’on soumet aux ciseaux des eunuques et que l’on réserve pour les sérails de l’Orient. Comme bien on pense, il existe parmi eux une grande mortalité et, sans exagération, il est permis de l’estimer à 80 pour cent. Aussi ceux qui survivent à la mutilation qu’on leur inflige atteignent-ils habituellement un haut prix. »

« Nous nous arrêtâmes près de Kanyori (sur la rive est du Tanganyika), où des Vouadjidjis, qui suivaient la côte avec nous, vendirent leur grain, leur huile, leurs chèvres pour des esclaves, seul objet de troc de la place, dit Cameron.

« Le prix de l’homme y était de quatre à six dotis ou de deux chèvres ; et, comme dans rOudjidji, l’esclave valait jusqu’à vingt dotis. quarante fois le prix d’une chèvre, les bénéfices de nos compagnons ont dû être énormes. »

Kenièra est un marché réputé du Siguiri (Haut-Niger).

A Khartoum, les femmes esclaves sont divisées en trois classes :

1° Les Comâci, au-dessous de onze ans ; — 2° les Cédâci, de onze à quinze ans, et 3° les Balek, au-dessus de ce dernier âge.

Les Cédâci sont les plus estimées.

La vente se traite soit dans des magasins avec cour, nommés okel, soit à domicile, soit à l’encan, au bazar.

Jeune ou non, l’esclave n’a pas le droit d’avoir de la pudeur ; au bazar même, elle est promenée d’un bout à l’autre presque nue, afin de mieux tenter les amateurs. L’esclave qui a eu la petite vérole a plus de prix, car cette maladie est souvent mortelle.

L’homme esclave atteint son maximum de valeur un peu plus tard que la femme ; son prix est, en général, moindre ; mais, il se maintient plus longtemps. Quant aux gens âgés, hommes ou femmes, ils ont bien peu de valeur, car le produit de leur travail équivaut à peine à leur entretien. On conçoit, dès lors, combien est triste leur position !

A trente ans, les femmes ont atteint l’âge fatal où l’on répugne à s’en charger, à moins qu’elles ne puissent se rendre utiles par quelques aptitudes spéciales, leur talent culinaire, par exemple.

Là encore est un des côtés affreux de l’esclavage !

On a tout pris à l’esclave : jeunesse et beauté aux femmes ; activité et force aux hommes ; puis, quand vient l’âge de la décrépitude, ces malheureux n’ont aucun droit au bien-être ; il ne leur reste qu’à subir de mauvais traitements ou à expirer sous la peine.

L’esclave que l’on expose à l’encan se croise avec le chameau, l’âne ou tout autre animal que l’on promène pareillement.

Khartoum a aussi la spécialité des eunuques.

C’est dans Khartoum, la blanche ville,
Que la cruauté lâche et vile
Prépare le troupeau servile
Des mutilés, des incomplets ;
Et si beaucoup d’enfants en meurent,
En dépit des mères qui pleurent,
Les riches ont ceux qui demeurent
Pour eunuques dans leurs palais !
(Bulbul.)

Cameron rencontra, à Kharyané, au sud de Kanyori, un Msahouahili, qu’il avait connu dans l’Ounyanyembé et qui venait pour faire du commerce. Il acheta une jeune esclave douze dotis et un enfant cinq ou six dotis.

Les indigènes arrivaient au camp, offrir non seulement des vivres, mais de l’ivoire et des esclaves. Ceux-ci étaient ordinairement bâillonnés ; ils avaient, en outre, la fourche au col et les mains liées derrière le dos ; de plus, ils étaient attachés, par une corde, à la ceinture du vendeur. C’étaient, pour la plupart, des indigènes des environs, qui avaient été pris dans les bois, à une faible distance de leurs cases ; il fallait nécessairement les garder à la chaîne pour les empêcher de fuir.

La plupart des esclaves exposés sur le marché de Kouka[219] proviennent des contrées païennes du sud du Soudan. L’article qui se débite le mieux, ce sont les sedâsis, mesurant six empans de haut, de la cheville du pied à la pointe de l’oreille, et ayant de douze à quinze ans. Leur prix détermine tout le cours de la marchandise. Les deux catégories les plus prisées ensuite sont les chômasis, individus mâles ou femelles, ayant cinq empans de hauteur et dix à treize ans, et les sebasi qui ont sept empans et de quinze a vingt ans, faciles encore à acclimater, mais moralement moins maniables et plus portés à s’enfuir. Quant aux gourzems ou hommes faits, aux vieillards et aux vieilles femmes (chomahs), ils sont beaucoup moins demandés, et pour cause. Enfin, dans le sexe féminin, les sujets les plus appréciés et qui coûtent le plus cher sont les filles nubiles.

A Lopé, chez les Okandas, sur l’Ogôoué supérieur, les transactions de chair humaine sont toujours nombreuses.

Dans son journal de voyage, Maurice Paléologue écrit :

« Marok, le 11 mars 1883.

« A l’extrémité du Sokkho, sur une petite place inondée de soleil et de poussière, grouille une foule compacte. C’est le marché aux esclaves. Une vingtaine de négresses sont exposées là demi-nues, horriblement laides, mais fortement taillées pour les travaux durs auxquels elles sont destinées.

« Une d’elles cependant, toute jeune, a les formes les plus délicates qu’on puisse voir ; les reins cambrés, la taille souple et un peu longue, de fines attaches, un joli port de tête, des traits moins grossiers que ses compagnes et dans tout son être une grâce un peu farouche qui lui donne un caractère original. L’impassibilité de ces créatures ne se laisse troubler ni par les cris du crieur public qui fait les enchères, ni par les attouchements brutaux des acquéreurs, ni par l’idée qu’à cette heure leur sort se joue et qu’elles vont passer aux mains d’un maître nouveau. Leur physionomie ne reflète qu’une sorte de mélancolie animale. Elles ne sont ni révoltées, ni résignées, elles subissent leur condition sans réfléchir à leur misère. Indifférentes, ne possédant plus qu’une conscience confuse d’elles-mêmes, elles se plaignent moins de leur sort que nous, dans notre naïveté nous ne nous apitoyons sur elles[220]. »

D’après le docteur Marcel[221], l’esclavage existe encore dans toute son horreur au Marok. Et M. Léo Quesnel ajoute : « On a fait cent fois le tableau d’un marché d’esclaves ; celui de M. Marcel nous frappe comme si nous n’en avions jamais vu ni lu d’autres. Nous croyons assistera la scène. Les crieurs publics sont à la besogne et procèdent aux enchères ; chacun d’eux traîne plusieurs esclaves, l’une en avant, qu’il guide par la main, les autres suivent seules par derrière. Ils tournent sans cesse autour du marché, montrant leur marchandise, sollicitant des acheteurs. Un Arabe accroupi fait un signe ; on lui amène l’esclave qu’il a désignée. Elle se place devant lui, debout ou à genoux, comme il veut. Il l’examine ; la tête des pieds à la tête, regarde sa bouche, ses dents, ses yeux, ses narines ; après quoi, il renchérit ou laisse passer. S’il laisse passer l’esclave rajuste son corsage écarté ; le crieur recommence sa marche et ses cris pour s’arrêter sur un autre signe et soumettre la pauvre esclave au contrôle d’un nouvel acheteur[222]. »

Après ces lignes émouvantes, M. Léo Quesnel publie le récit suivant, emprunté à l’ouvrage du docteur Marcel.

« Voici une petite fille d’une douzaine d’années. Elle est cotée 150 francs. Ses seins sont déjà formés ; on le constate à l’envi. Ici, une belle fille de vingt ans, une plantureuse mulâtresse, en costume de percale blanche rayée de bandes rouges, qui s’harmonise agréablement avec la teinte brune de sa peau. Le vendeur l’a parée tout exprès pour la faire valoir : c’est la belle pièce du marché. Peut-être si l’article est de bonne vente aujourd’hui, montera-t-elle à 300 francs ? Là, c’est une enfant de six à sept ans. Ses pieds sont-ils bien formés, ses muscles assez forts ? Elle ne vaut pas cher la pauvrette. Voilà une femme qui porte un enfant dans ses bras et en tire un autre après elle : l’expression de son visage est triste ; elle obéit docilement au crieur qui l’exhibe ; mais c’est tout. La vendra-t-on avec sa fillette, ou bien les adjugera-t-on séparément ? Allons 100 francs le tas ! adjugé ! C’est un embarras, les petits ! En voici une autre, plus âgée ou du moins plus flétrie et sans beauté : elle est offerte à 75 francs. A peine en veut-on à ce prix-là. Il y a aussi une trentaine de malheureuses qu’on promène, qu’on marchande, qu’on livre, sans merci, aux plus minutieuses investigations de quiconque le désire. Toutes suivent le vendeur pieds nus, baissant, la tête, indifférentes, en, apparence, à ce qui se passe. La pensée vit pourtant au fond de ces cervelles humaines. Quelques-unes ne voudraient-elles pas choisir leur maître futur ? Parmi les négresses di verser ment teintées, il y avait une femme à peau blanche. Elle cachait son visage et ne le découvrait que lorsqu’elle était soumise à l’examen. Comment et pourquoi était-elle esclave ? Qui l’y avait poussée ? Le crime ou la misère ? Une fois là on n’en sort plus, »

Le Gaulois dans son numéro du 17 décembre 1889, dirait :

« On a vendu, ces jours-ci, sur le marché de Marok, un transport d’esclaves venant de Tombouctou, composé de cinq cents individus : trois cent cinquante garçons et jeunes filles, âgés de dix à seize ans. On a payé pour les hommes 150 à 300 francs ; pour les femmes 300 et pour les jeunes filles, même 400 francs et davantage. »

Le capitaine Valette, du 3e tirailleurs algériens, écrivait, plus récemment encore :

« Les révoltes du Marok ont pour prétexte l’interdiction de toute concession aux Européens ; mais leur caractère toujours religieux fait que la guerre civile prend de terribles proportions.

« C’est aussi que les révoltés fuient dans les montagnes, où ils deviennent de véritables brigands, pillant les caravanes et attaquant même les tribus arabes marokaines.

« Dernièrement, on a dû faire un exemple ; les pillards arrêtés ont été empalés et placés de distance en distance sur la route d’El Arib à Si Beira.

« D’un autre côté l’esclavage fleurit toujours au Marok et un marché des plus importants se tient à Tafilet, où nombre d’esclaves venus, pour la plupart, du Macina[223], sont vendus fort cher. Il faut reconnaître d’ailleurs que les esclaves sont généralement bien traités par leurs maîtres et que quelques-uns d’entre eux parviennent à des emplois très lucratifs. »

Lentz parle aussi du marché de Rbat qui a toujours lieu malgré la présence de tous les consuls.

En face d’Onitsa (rive gauche du Niger) sur l’autre bord du fleuve, se trouve un grand banc de sable appelé : la « Banque des esclaves ! »

C’est là que se fait le trafic de chair humaine. On y voit arriver des marchands de toutes les tribus voisines, même de tribus très éloignées ; là, au milieu des boutiques d’étoffe indigène, à côté du marché des fruits du pays et des bestiaux ou autres animaux, se tient le marché des esclaves. C’est de tous le plus achalandé. Des maîtres barbares y traînent les malheureux dont ils veulent se défaire, où ceux que l’âge ou l’infirmité rendent impropres au service. Ils y sont vendus comme vil bétail.

Les habitants d’Araba (sur la rive droite du Niger) aiment surtout à se rendre à ce marché. Araba est situé derrière le marché, à vingt minutes de marche environ.

Le prix des esclaves varie de vingt-cinq à deux cent cinquante francs.

La personne à qui nous devons ce récit y trouva deux petites filles dans un état pitoyable. Laissées trop longtemps sans soins et sans nourriture, elles avaient pris l’habitude de manger de la terre et avaient le corps tout enflé. L’aînée avait, en outre, le corps fendu de toutes parts et ne formant qu’une plaie.

Oudjidji était encore, en 1887, le centre arabe le plus populeux du Tanganyika. C’est là qu’aboutissaient toutes les caravanes d’esclaves pris dans l’intérieur et dirigés vers Zanzibar. C’était là que se réunissaient tous les bandits wangouanas[224] musulmans pour concerter entre eux de quel côté et dans quel pays ils porteraient leurs ravages. C’est de là que partaient toutes ces bandes de pillards qui désolaient et dépeuplaient le Manyéma. Véritable Sodome, Oudjidji est le théâtre de tous les crimes, de toutes les débauches, de toutes les horreurs et de tous les vices. C’est avec les Musulmans qu’ont pénétré en Afrique la religion immorale, les vices et les maladies contagieuses inconnues jusque là chez les nègres.

En 1887, Oudjidji était envahi par des caravanes d’esclaves amenées du Manyéma, du Maroungou, de l’Ouvira, de l’Oubouari. Les esclaves, en raison de leur nombre, étaient à bon marché et on venait en proposer à vil prix. Presque tous étaient exténués de fatigues, de misères et de faim.

La place était couverte d’esclaves en vente, attachés en longues files, hommes, femmes, enfants dans un désordre affreux, les uns avec des cordes, d’autres avec des chaînes. A quelques-uns, provenant du Manyéma, on avait percé les oreilles pour y passer la cordelette qui les retenait unis.

Dans les rues, on rencontrait à chaque pas des squelettes vivants se traînant péniblement à l’aide d’un bâton ; ils n’étaient plus enchaînés parce qu’ils ne pouvaient plus se sauver. La souffrance et les privations de toute sorte étaient peintes sur leurs visages décharnés et tout indiquait qu’ils se mouraient plus de faim que de maladie. Aux larges cicatrices qu’ils portaient sur le dos, en voyait de suite qu’ils avaient horriblement souffert des mauvais traitements de la part de leurs maîtres, qui, pour les faire marcher, ne leur avaient point épargné les coups de bâton ou de kourbache. D’autres, couchés dans les rues ou à côté du domicile de leur maître, privés de nourriture parce qu’on prévoyait leur mort prochaine^ attendaient la fin de leur misérable existence. Ce n’étaient peut-être pas les plus à plaindre !

C’est surtout du côté du Tanganyika, dans l’espace inculte couvert de hautes herbes qui sépare le marché des bords du lac, que l’on pouvait voir toutes les hideuses conséquences de ce trafic diabolique. Cet espace est le cimetière d’Oudjidji, ou pour mieux dire la voirie où sont jetés tous les cadavres des esclaves morts ou agonisants. Les hyènes, très abondantes dans le pays, sont chargées de la sépulture.

Un étranger, qui ne connaissait pas encore la ville, voulut s’avancer jusqu’aux bords du lac ; mais, à la vue des nombreux cadavres semés le long du sentier, à moitié dévorés par les hyènes ou les oiseaux de proie, il recula d’épouvante.

Ayant demandé à un Arabe pourquoi les cadavres étaient si nombreux aux environs d’Oudjidji et pourquoi on les laissait aussi près de la ville, au risque d’une infection générale, il lui répondit serein ton tout naturel et comme s’il se fût agi de la chose la plus simple du monde :

— Autrefois, nous étions habitués à jeter en cet endroit les cadavres de nos esclaves morts et chaque nuit les hyènes venaient les emporter ; mais, cette année, le nombre des morts a été si considérable que ces animaux ne suffisent plus à les dévorer. Ils se sont dégoûtés de la chair humaine !!!

Dans le Somraï, Nachtigal, après une razzia, assiste à la vente du butin humain et s’exprime ainsi :

« Les sujets d’un âge avancé ne représentaient pas plus de trois thalers Marie-Thérèse (15 francs) au marché de Kouka ; les vieilles femmes, plus aptes au travail et généralement plus gouvernables que les hommes atteignaient le coût de cinq thalers ; les jeunes filles étaient plus chères : on les avait pour une somme qui était la moitié du tarif normal sur la place de Kouka ; elles n’étaient pas toutefois, on le pense bien, une denrée accessible au premier venu et leurs prix ne se maintenaient que parce que le roi et ses hauts dignitaires étaient encore en état de les payer. Quant aux petits enfants, dont beaucoup semblaient à peine capables de marcher, on les donnait presque pour rien, vu le manque de véhicules pour les transporter ; un garçon de six à huit ans, par exemple, s’acquérait moyennant une chemise baghirmienne ou bornouane de qualité ordinaire, tarifée un thaler à Kouka.

« Des maladies décimèrent bientôt ces enfants.

« Aussitôt qu’un de ces pauvrets était mort, on se contentait de le tirer, par les pieds, hors du périmètre du camp, et de le laisser là, à la merci des intempéries et des animaux de la forêt. Aussi. l’air tout autour de nous était-il empesté… »

Près de Stanley-Pool (Lac de Stanley), dans le Haut-Congo, on vend encore des enfants au prix de 60 à 70 francs chacun,

Stanley-Pool est un immense lac formé par le Congo qui a inondé une vaste plaine avant de s’engouffrer dans les gorges étroites des montagnes d’où il descend vers son embouchure comme par une échelle. C’est à cet endroit qu’il redevient navigable et les petits vapeurs peuvent de là s’élancer dans l’intérieur jusqu’à plus de 450 lieues.

Tabora, dans l’Ounyamouézi, dépend du sultanat de Zanzibar. Beaucoup d’Arabes s’y sont établis et ont contribué à son développement. Autour dé leurs maisons, bâties en briques séchées au soleil, avec portes et fenêtres, crépies avec du sable calcaire que l’on trouve dans le pays, sont groupées les huttes des esclaves, ainsi que celles des Wangouanas (nègres musulmanisés) et des Wanyaniouezis, au service du maître.

Le marché se tient en dehors de la ville. Le grand commerce d’ivoire et d’étoffes se fait à domicile. Il en est de même pour les esclaves. On les promène de, maison en maison.

Tabora est le point unique de jonction entre la côte orientale de l’Afrique et les Grands Lacs[225].

Tengrela et Timé sont deux marchés en vogue des Etats de Samory (Haut-Niger).

Tombouctou (que tentèrent de visiter, en 1886, MM. Caron, lieutenant de vaisseau, Lefort, sous-lieutenant d’infanterie de marine et le docteur Jouenne, médecin de la flotte, après avoir, malgré l’attitude hostile des Peuhls et Toucouleurs, descendu en canonnière le Niger, depuis Manambougou, en aval de Bamakou jusqu’à Kabara, port de Tombouctou), est encore un centre très important pour la traite des esclaves fort recherchés par les habitants de Tendouf, dit Lentz. Les esclaves amenés et vendus à Tombouctou se répartissent au Marok et dans les Etats musulmans du nord de l’Afrique. Le lieutenant-colonel Hennebert, qui, malgré l’assassinat de son collègue Flatters, par les Touareg, malgré les difficultés de toutes sortes, n’a pas renoncé à l’idée d’un chemin de fer transsaharien, reliant l’Algérie au Sénégal, en passant par El Goléa et Tombouctou, dit : « Chaque année, à l’ouverture de la foire de novembre, il arrive à Tombouctou des Turcs de Tripoli ; des Arabes Algériens ; des gens de R’damès et d’Insalah ; des Touareg du nord ; des Soudanais de Kouka, de Kano, de Sockoto ; des Maures du Sénégal, notamment de Bamakou, de Segou, de San-Sanding et de Djenné. » Nous ajoutons que tous ces gens-là sont gens à esclaves l’énumération du lieutenant-colonel Hennebert donne une idée du trafic de chair humaine qui doit avoir lieu à ce seul moment de l’année !

Passons dans la Régence de Tunis :

Le marché destiné au commerce des esclaves, à Tunis, était autrefois garni toute l’année de bétail humain, parce que les maîtres mécontents d’un nègre ou d’une négresse les revendaient facilement. Les esclaves eux-mêmes avaient le droit de demander à être remis en vente ; cette requête n’était le plus souvent accueillie qu’à coups de matraque.

Aujourd’hui, pour être clandestin, l’achat d’un esclave n’en est pas moins une affaire de grande importance :

On fait marcher, courir, sauter, se courber, se plier, se tordre en divers sens, l’esclave, mâle ou femelle, qu’on examine. On palpe ses chairs, on fait jouer ses articulations, craquer ses jointures, on explore les parties les plus secrètes de son corps. Les dames, même de la plus haute classe, dégustaient, naguère encore, sur leur langue, la sueur de la jeune esclave qu’elles voulaient acheter, persuadées qu’elles reconnaissaient dans l’appréciation de cette saveur les bonnes ou mauvaises qualités de leur future propriété. Les négriers britanniques procédaient de la sorte, au siècle dernier, pour connaître la valeur morale de la « pièce d’Inde ! »

Après cet examen si scrupuleux, accompagné de recherches aussi étranges parfois, l’acheteur fait une offre préliminaire approximative, suivant le taux du prix ordinaire ; si plusieurs acquéreurs sont en présence la vente a lieu aux enchères.

Si, aucun enchérisseur n’ayant dépassé le prix offert par l’acheteur, celui-ci et le vendeur n’ont pu se mettre d’accord, le courtier ou déllal, se place entre eux et prend chacun d’eux par la main, prie le vendeur de diminuer son prix et l’acheteur d’augmenter le sien. Le vendeur ne répond jamais que : « Yftah Allah, Dieu m’en préserve ! » L’acheteur joint ses instances à celles du courtier. Ce trio de propositions et de refus se fait avec des cris tels et de telles contorsions dans les gestes que le spectateur croit assister à une rixe violente et non à la discussion d’une convention de vente et d’achat. Le débat se termine par la lassitude des parties contractantes et le marché se conclut par la formule : « Bism-illah. Au nom de Dieu ! » que le courtier semble arracher de force aux vendeurs.

L’achat est généralement conditionnel, c’est-à-dire qu’on paie la somme convenue seulement après un délai de trois jours ; le marché devient virtuellement nul dans le cas où l’on découvre un défaut essentiel.

La vente une fois consommée et ratifiée par les deux parties, des scribes délivrent aussitôt un contrat d’achat pour éviter tout litige ultérieur.

Les prix des nègres et négresses sont variables, suivant leur âge, leur valeur intrinsèque et la difficulté de les introduire furtivement.

Une belle négresse, dans tout l’éclat de la jeunesse, coûtait, autrefois, 600 piastres ; les jeunes filles valaient d’autant plus qu’elles approchaient de l’âge de puberté ; les jeunes gens et les hommes faits ont toujours été moins recherchés ; les eunuques atteignaient des prix exorbitants.

Les Tunisiens, comme la plupart des Musulmans, jugent de la bonté du caractère d’un nègre ou d’une négresse, d’après divers indices : le jugement est favorable lorsque l’esclave a un bel œil, bien ouvert, bien clair, avec l’albumine bien nette et bien blanche, les gencives et la langue vermeilles, sans aucune tache brune ou noirâtre, la paume des mains et la plante des pieds couleur de chair, les ongles beaux et réguliers : ils prétendent que les nègres qui ont le blanc de l’œil teinté d’une couleur brunâtre ou rougeâtre et sillonné de ramifications de petites veines apparentes, les gencives et la langue tachetées de brun, sont infailliblement d’un caractère mauvais et d’un naturel incorrigible.

Dès leur arrivée au lieu du marché, les négresses se frottent le corps tout entier d’huile ou de graisse, pour mieux faire ressortir le coloris de leur peau noire ; quoique ces malheureuses n’aient, au lieu de cheveux, qu’une espèce de laine, cependant elles conservent pour cette partie de leur toilette la coutume du pays natal et se couvrent la tête d’une centaine de petites tresses trempées, pour ainsi dire, dans le beurre ou dans la graisse de mouton, qui leur servent de pommade. Toutes ont les oreilles et souvent les ailes des narines percées, pour y suspendre des ornements. Quelques-unes poussent la coquetterie jusqu’à avoir le ventre sillonné de cicatrices régulièrement tracées, dans le seul but d’éviter, par la ciselure de ce tatouage en relief, d’avoir le ventre trop uni, ce qui n’est pas de mode chez elles.

L’Avenir Algérien posait à qui de droit, ces jours derniers, la question suivante :

« Est-il vrai qu’une Française, une Parisienne, soit, arbitrairement et contre sa volonté, séquestrée dans le harem d’un très grand seigneur musulman, à Tunis ? »

La réponse ne nous est point parvenue. Seraient-ce les Françaises qui alimenteraient maintenant les harems Tunisiens, comme les Allemandes, les Anglaises, les Belges et les Suissesses contribuent à remplir les harems Ottomans ?

Le même Avenir Algérien accusait auparavant un haut fonctionnaire, résidant à Tunis, d’avoir acheté une esclave du nom de Selma, d’en avoir usé et de l’avoir passée à sa sœur qui l’aurait cédée à une amie, laquelle l’aurait repassée à une quatrième personne. La pauvre Selma serait, d’étape en étape, venue échouer à la Salpêtrière, dans le service du docteur Charcot. Une proie pour Sainte-Anne, l’asile des aliénés.

Le National recevait, à peu près à la même époque, une longue lettre de Tunisie, lettre que M. Demailly résumait ainsi dans le Gaulois :

« Un indigène de la Manouba, détenteur de douze esclaves, pour punir une de ces malheureuses d’une tentative d’évasion, lui aurait crevé un œil et coupé les petits doigts des pieds.

« Saisi de ces faits, par un avocat de Tunis, le parquet aurait refusé de poursuivre, les esclaves et leur maître étant Tunisiens, et, comme tels, relevant exclusivement des tribunaux beylicaux ; enfin, les plaintes des esclaves ayant été soumises aux autorités tunisiennes, les choses en seraient restées là, le gouvernement du Bey ne daignant même plus répondre aux appels faits à sa justice par un avocat français. »

Depuis la publication de cet entrefilet, a paru le décret du Bey contre l’esclavage.

Ce décret n’est que le corollaire de l’article 37 du traité passé le 19 juillet 1875 entre l’Angleterre et le Bey, traité toujours en vigueur :

« Son Altesse s’engage à abolir à jamais l’esclavage dans la Régence et à faire les plus grands efforts pour découvrir et châtier quiconque dans la Régence y contreviendrait et agirait contrairement à ses prescriptions. »

Le Consul général d’Angleterre dut intervenir déjà, en 1887, pour mettre un terme au scandale de l’esclavage.

« Il demanda, dit M. Pontois, à la police française de faire délivrer des femmes esclaves détenues dans certaines maisons indigènes, notamment chez un nommé Ahmed Moula. Ces malheureuses furent remises au consul d’Angleterre, qui les plaça en service chez des protégés de sa nation[226].

« Celles qui furent enlevées de chez Ahmed Moula avaient, paraît-il, été achetées à Constantinople pour environ 6,000 francs. »

L’Avenir Algérien, qui suivait à Paris cette campagne contre l’esclavage, écrivait à la date du 29 janvier 1888 :

« Nous avons eu aussi la suite de l’histoire des négresses esclaves. Le Bey a joué une jolie comédie. Quand il a su que les trois esclaves de sa nièce avaient été mises en liberté par le consul anglais, il est entré en fureur, il a fait réunir toutes ses esclaves dans la cour de son palais ; puis, il a fait ouvrir les portes et leur a dit solennellement qu’elles étaient libres. Bien entendu qu’aucune n’est sortie, malgré la grande envie que toutes en avaient. A l’heure qu’il est, les trois négresses délivrées, en grande partie par suite du bruit que vous avez fait sur leur réclamation, sont encore prisonnières au consulat d’Angleterre, qui ne les relâchera que quand le Bey aura ratifié leur affranchissement ; or cet affranchissement, demandé le 18 novembre, est déjà effectif depuis le 27 décembre. Vous pensez bien que toutes les négresses, qui peuvent entendre raconter par quels risques et quelles lenteurs il faut passer pour arriver à la liberté, préfèrent rester où elles sont. Deux sont restées chez Mohammed Raouff, et si elles ont regretté un moment de n’avoir pas accepté la protection du consul, qu’elles prenaient pour un piège, elles se moquent maintenant de leurs compagnes, prisonnières du consul, qui semble bien vouloir les garder à son tour dans un nouvel esclavage. En réalité, le retard n’est causé que par la mauvaise volonté des fonctionnaires tunisiens du gouvernement, contrôlés seulement par un ou deux jeunes gens fort naïfs, et quelques étrangers. Mais l’Anglais saura bien prendre, sa revanche, et si c’est au profit des esclaves, il est probable que nous autres, Français, nous n’y gagnerons rien. »

L’Officiel Tunisien imprima, en réponse, la note suivante :

« Il a été publié récemment dans quelques journaux que des nègres ou négresses seraient maintenus en état d’esclavage dans la Régence, et que le gouvernement tunisien tolère ou ne réprime pas suffisamment ces attentats à la liberté humaine.

« On a dit encore que les esclaves en Tunisie ne pouvaient obtenir leur affranchissement qu’en implorant la protection de consulats étrangers.

« Il paraît utile de dissiper ces erreurs.

« Un décret solennel de Sidi Abmed Bey, rendu en moharrem 1262 (janvier 1846), a proclamé en termes formels l’abolition de l’esclavage dans la Régence.

« Des ordres précis ont été adressés à diverses reprises aux autorités tunisiennes pour que ce décret eût son entière exécution, et que les esclaves dont l’existence viendrait à être constatée, fussent immédiatement affranchis.

« Les individus qui se livrent à ce trafic, et ceux qui détiennent des esclaves doivent être déférés aux tribunaux compétents. »

Le décret cité à l’Officiel Tunisien a, en effet, été pris ; le commerce des esclaves, dans un marché public, tenu à Tunis, a cessé depuis 1846 ; mais, dit M. Pontois, l’esclavage n’a pas cessé pour cela en Tunisie : le trafic a continué à se faire sous le manteau de la cheminée des sérails. L’Avenir Algérien, répondant à la note de l’Officiel, fit alors la déclaration suivante, signée A. Husson :

« Nous maintenons tout ce que nous avons précédemment avancé à propos de l’esclavage, et nous engageons vivement nos lecteurs à lire et à relire les Lettres Tunisiennes publiées dans l’Avenir Algérien, depuis le 1er janvier[227]. Nous donnons aujourd’hui le nom des trois femmes esclaves réfugiées au Consulat d’Angleterre, et nous irons plus loin en ajoutant que ceux qui doivent réprimer l’esclavage sont eux-mêmes possesseurs d’esclaves. Nous signalerons au besoin leurs noms et qualités.

« C’est par trop se moquer du public que jouer de solennelles comédies qui ne trompent personne… »

Et, afin de ne laisser aucun doute dans l’esprit de ses lecteurs, le correspondant de l’Avenir Algérien, à la date du 12 février 1888, entra dans les détails suivants :

« Tunis, le 23 janvier 1888.

« Monsieur le Rédacteur en chef,

« Ce n’est pas sans de sérieuses difficultés que je suis parvenu à découvrir le refuge des trois négresses que l’Avenir Algérien a plus contribué que qui que ce soit à faire mettre en liberté. Hier seulement mon courtier (tout se fait par courtier ici) m’a conduit dans un affreux quartier composé d’une longue rue sur laquelle une série infinie de longues impasses s’abouchent perfidement et vous offrent à chaque pas la tentation de vous engager dans une voie au bout de laquelle, après quelques centaines de mètres de marche tortueuse, vous vous heurterez à un mur et devrez reparcourir le labyrinthe en sens contraire.

« Mon guide, après de longues hésitations, de longs pourparlers avec les passants, finit par s’arrêter devant une maison qui paraissait construite avec de la boue, tout au fond d’une boueuse impasse. Il frappa à la porte au moyen de l’anneau qui sert de heurtoir et nous attendîmes. Des voix chevrotantes, accompagnées du son du tambourin et des cymbales, se faisaient entendre à notre arrivée et me rappelaient mes campagnes au Sénégal, déjà lointaines. Mais tout bruit cessa dès que mon compagnon eut heurté. Il redoubla, en prononçant quelques mots qu’il destinait, sans doute, à tranquilliser les gens de céans. En effet, les mêmes voix, mais sur un mode plus craintif que joyeux, lui répondirent. L'accent juif de mon courtier parut avoir tranquillisé la négraille, et l’on nous ouvrit.

« Au même instant une belle fille de vingt-deux ans, qui s’avançait, sans voile, au-devant de l’enfant d’Israël, poussa un cri en voyant une tête d’Européen et disparut. Nous entrâmes en protestant de nos intentions pacifiques, mais tout le monde avait fui : « On vous prend pour le commissaire, » me dit le courtier. Puis, il appela à plusieurs reprises : « Baba Marzouguef » et bientôt un vieux nègre à cheveux blancs, tout ridé, mais le corps bien musclé et la démarche agile, ouvrit une autre porte et entra. Cette porte donnait sur une cour intérrieure, assez proprement pavée, ombragée d’un figuier, où deux négresses se tenaient accroupies. Une troisième femme, mais voilée, s’y tenait aussi ; c’était la blanche qui nous avait ouvert la porte de la rue.

« Après d’assez longs pourparlers avec Baba Marzougue, on finit par nous laisser pénétrer dans la cour, et nous fûmes invités à nous asseoir sur une natte, non loin des dames, avec lesquelles le vieux nègre nous permit, moyennant promesse d’une bonne récompense, de nous entretenir un moment. C’est donc directement, par le seul intermédiaire de mon interprète, que j’ai recueilli les renseignements suivants :

« Les esclaves de la mère de Raouff étaient au nombre de cinq. Deux d’entre elles n’ont pas osé profiter de l’occasion absolument invraisemblable qu’elles ont eue de recouvrer leur liberté. Il a fallu, en effet, pour cela, l’acharnement extraordinaire d’une affranchie, leur ancienne compagne, qui a tout bravé, s’est adressée à toutes les autorités de Tunis et jusqu’au Président de la République, pour que ces malheureuses pussent être arrachées à l’esclavage. Les deux qui ne sont pas sorties ont cru, jusqu’au dernier moment, qu’on leur tendait un piège, car il est inouï qu’on ait jamais fait ici à un homme du rang de Raouff, petit-fils de l’avant-dernier Bey, pareil affront. Sa mère en est tombée dangereusement malade. Quant à l’affranchie dénonciatrice, elle se cache encore plus mystérieusement, sûre que son ancien maître emploiera tous les moyens possibles pour la faire périr, et je n’espère pas arriver à découvrir sa cachette. On m’a assuré, d’autre part, qu’il ne serait pas prudent de montrer trop d’insistance à contrarier ses goûts de retraite, et que c’est une virago, comme le Soudan en produit assez, parfaitement capable de tenir tête à un homme, même les armes à la main. On m’a aussi parlé d’une autre affranchie de la même maison, dont l’histoire serait assez intéressante et que je me propose d’interviewer.

« Le plus âgée des esclaves que j’ai eues en ma présence, se nomme Salamatou. Elle m’a donné connaissance de son acte d’affranchissement qui est en langue arabe, surmonté du sceau beylical et portant au bas, avec le cachet du Consulat britannique de Tunis, la mention en anglais : « Selimet bent Abdallah. Jennnary 16, 1888. Thomas B. Sandwich. H. B. M. Consul. » Cette femme dit avoir été amenée du Soudan (Haoussa) à Tripoli, il y a quelques années, peu de temps sans doute, car elle ne parle pas arabe et mon interprète ne la comprenait que par l’intermédiaire de l’autre négresse. Il y a trois ans, son maître, avec lequel elle avait eu un enfant, mourut, et un soldat l’ayant volée l’amena à Tunis, où il la vendit à Aïcha-Baya, mère de Raouff. Elle prétend avoir une fille esclave chez le Bey de Tunis.

« La seconde négresse est dans la force de l’adolescence ; c’est elle qui était cuisinière chez Raouff. Elle se plaint à chaque instant des épaules qu’elle voûte par moment avec un tic nerveux, et donne de cela l’explication suivante : Il y a quelque temps, sa camarade l’affranchie lui fit dire qu’elle pouvait compter être mise prochainement en liberté. Notez qu’elle est depuis neuf ans chez Mohammed Raouff, à la mère duquel elle fut donnée par le premier mari de celle-ci, un Grec renégat, qui exerçait les hautes fonctions de garde des sceaux, et l’avait achetée au Djerid[228] trois mille piastres (moins de mille francs). Quand elle apprit cette bonne nouvelle, elle faillit devenir folle de joie, si bien que, le soir, elle oublia de jeter les balayures à la rue. Le lendemain matin, quand le tombereau des immondices fut passé et que les autres serviteurs lui rappelèrent son oubli et les conséquences qu’il pouvait avoir, car Raouff passe pour avoir commis plusieurs meurtres sur la personne de ses esclaves, elle répliqua tout exaltée : « Sous la protection de l’autorité française, nous n’avons plus rien à craindre. » Ce propos fut rapporté à Raouff, qui la bâtonna avec la dernière brutalité ; puis, quand il fut fatigué de la battre, il la fit encore rouer de coups, par trois hommes à son service.

« La troisième femme que j’avais vue le visage à découvert, mais qui ensuite est restée voilée, d’après ce qu’elle dit, et au témoignage même de mon interprète, est une Arabe pure, qui ne sait même pas la langue de ses compagnes, comme il arriverait si elle était la fille d’une esclave du Soudan ; d’ailleurs, je l’ai vue assez pour pouvoir affirmer que c’est une blanche. Sa lettre d’affranchissement, à ce qu’elle dit (car je n’ai pu le faire vérifier par une personne de confiance lisant l’arabe), porte une indication erronée, contre laquelle elle proteste avec énergie. Elle y serait nommée Khayra, fille d’Abdallah. Or, cette qualification est celle qu’on donne, soit par mépris, soit par euphémisme, aux personnes dont le père est inconnu (Abdallah signifie serviteur de Dieu) ou infidèle. « Mais, dit-elle, je suis née libre, de parents libres et musulmans, et c’est en violation de la loi musulmane elle-même que j’ai été réduite à l’esclavage. J’ai été enfermée dans la maison d’Aïcha-Baya du temps de son premier mari, le Grec renégat. Mon père s’appelait Amor et était d’origine marokaine ; il était venu s’établir à Zaghouan, où il exerçait, comme ses compatriotes, le métier de garde de récoltes. Ma mère se nommait Fatma et son père Boubaker, originaire du Fezzan. » Elle m’a montré son acte d’affranchissement, sur lequel le Consul de sa nation d’adoption, c’est-à-dire M. Sandwich, a écrit son nom ainsi : « Khéra bent Hadj Amor. »

« Tels sont les renseignements que j’ai pu recueillir. »

« Et cette lettre :

« Monsieur le Rédacteur en chef,

« J’ai été amenée toute jeune de mon pays natal à Tripoli de Barbarie et vendue à un notable de la ville, nommé Mohammed Etourki, écrivain, employé du gouvernement, qui demeurait dans la rue dite Zencal-El-Khokha (disait Zina Hawsawia dans une lettre au consul anglais). J’eus de lui un fils nommé Mohammed. Il avait un autre fils nommé Ali, écrivain comme lui. Mon maître mourut et son fils aîné, devenu chef de la famille, me maria, non plus en qualité d’esclave mais comme légalement affranchie par la mort de mon maître, dont j’avais eu un enfant, avec un soldat nommé Ali. Celui-ci m’amena à Tunis à l’époque où l’armée française était campée devant la ville. Il me logea pendant quelque temps chez un boucher, puis un beau jour, sous prétexte de me conduire chez ses parents qu’il m’avait dit habiter Tunis, il me fit entrer dans la maison Raouff, dont la porte se referma derrière moi pour sept ans.

« Votre protection ne suffirait pas pour me mettre à l’abri d’un nouvel enlèvement. Des négresses libérées sur votre requête, ont été enfermées de nouveau et réduites encore à l’esclavage. L’une des deux femmes qui étaient esclaves avec moi et que vous avez délivrées n’était pas Soudanienne, mais blanche, fille d’homme et de femme libres. Quelle sécurité y a-t-il pour moi ici ? Alors même que j’étais chez votre janissaire, sous votre protection directe, Mohammed Raouff a fait tout ce qu’il a pu pour me reprendre chez lui.

« Pour ces raisons, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien faire demander à M. le Consul de la Grande-Bretagne à Tripoli, s’il est possible, d’après les indications qui précèdent de retrouver mon fils Mohammed, mulâtre, fils de Mohammed Etourki, qui demeurait dans la Zencal-el-Khokha ; je l’ai laissé en âge de jeûner et il doit avoir maintenant au moins vingt-deux ans. Si on le retrouvait, je ferais alors tout mon possible pour aller le rejoindre, soit qu’il paie mon voyage, soit que, par mon travail ou par la charité publique, je parvienne à me procurer l’argent nécessaire.

« Votre très dévouée servante, Zina Hawsawia, demeurant chez Fatma Bernawia, maison Sad Ben Abid, quartier Bab-Sadoun, Tunis. »

« La lecture de cette lettre me suggère deux réflexions, ajoute un correspondant de l’Avenir algérien :

« La première, c’est que cette société tunisienne est une bien étrange société musulmane ; car, à en juger par cet indice qui nous en est si heureusement révélé, on ne s’y fait guère scrupule de violer le plus sacré des droits de l’homme, du musulman, la liberté.

« L’esclavage, chez les Musulmans, est soumis à un code extrêmement détaillé, dont il suffira de citer deux dispositions :

« L’une, c’est que le Musulman est naturellement libre, et il est bien étrange que Khayra, la compagne de l’auteur de cette supplique, ait pu rester quinze ou vingt ans dans une maison comme esclave, quoique musulmane, née de parents libres et musulmans établis en Tunisie, sans que l’autorité ait été saisie de ce fait abominable.

« L’autre, c’est que l’esclave, c’est-à-dire le captif infidèle, n’est pas entièrement et sans restriction la chose de son maître, et qu’il suffit notamment que la femme esclave ait un enfant de lui pour qu’elle soit affranchie ipso facto, le jour où il meurt. Ainsi Zina était libre aussi. Sur trois esclaves que le plus grand des hasards permet de découvrir chez ce richard Tunisien, où le plus profond mystère régnait jusqu’alors, comme on va voir, deux étaient détenues en contravention à la loi religieuse elle-même.

« Et mon autre réflexion, c’est qu’il est bien étrange que l’administration française de Tunisie croie pouvoir impunément pousser le sans-gêne aussi loin. Voilà un fait monstrueux, que la presse révèle aux quatre coins du monde ; les journaux de tous les pays possibles s’étonnent dans toutes les langues, au point même de mettre en doute un fait aussi invraisemblable, que l’esclavage puisse encore exister à trente-six heures de Marseille, et le gouvernement franco-tunisien pense qu’il est suffisant, pour sauver sa responsabilité, de publier dans un journal officiel des menaces à l’encontre des propriétaires d’esclaves, dont il ne fait ainsi que reconnaître assez naïvement l’existence. Mais la meilleure façon, semble-t-il, d’effrayer ces marchands de chair humaine, c’eût été de faire un exemple au moyen du coupable que l’on tenait. Tout au contraire, il est parfaitement certain que la Résidence française de Tunis, ni après le 18 novembre, époque à laquelle elle a reçu la plainte d’une nommée Dadi au sujet des trois esclaves, ni depuis que le consul d’Angleterre en a exigé la mise en liberté, le 27 décembre, ni depuis qu’elles ont reçu leur patente de liberté, il y a deux semaines, n’a pris la peine de les faire interroger par le moindre de ses agents, pour savoir quels étaient leurs griefs, les craintes qu’elles peuvent avoir en face d’ennemis puissants, la réparation à laquelle elles prétendent. »

Nous n’avons certes nullement la mission de prendre la défense de M. Massicault, Résident général de France à Tunis, nous le connaissons trop pour douter un seul instant de son habileté ; mais il nous paraît utile de faire remarquer : 1° que le traité de Kassar-Saïd (passé au moment où l’on signait certains engagements avec l’Angleterre, notamment celui de ne jamais transformer le port de Bizerte en un second Gibraltar, au profit de la France) ne renferme aucun article ayant trait à l’esclavage.

2° Que l’article 4 dit expressément cependant : « Le gouvernement de la République garantit l’exécution des traités existant entre le gouvernement de la Régence et les diverses puissances européennes. »

Voilà qui est formel, net et précis ! M. le Résident général aurait dû, par conséquent, appuyer les démarches du consul anglais, qui se basait sur l’article 37 du traité anglo-tunisien. Mais l’Avenir Algérien a des yeux d’Argus, ses accusations deviennent excessivement graves. Nous ne le suivrons pas sur un terrain aussi dangereux.

Terminons par un dernier emprunt à l’Avenir Algérien et au livre vibrant de M. Pontois ; Zina avait eu de Mohammed Raouff un enfant qui heureusement ne vécut pas longtemps. Plus tard elle devint encore enceinte ; mais, non, paraît-il, par le fait des remarques du maître ; ainsi dirait-on, dans l’Etrangère !

« A partir de ce moment, elle (la maîtresse de Zina, Aïcha-Baya) ne passa pas un jour sans imaginer quelque nouveau supplice. Et chose étrange, la grossesse suivait son cours régulier. On liait la malheureuse, on la couchait sur le dos, une matrone la fouettait vigoureusement sur le ventre ; ou bien on la forçait à courir et à sauter de haut en bas. Le jour où les douleurs de l’enfantement lui arrachèrent des plaintes plus vives que les coups, la maîtresse exigea que son fils la fit frapper à coups de bâton, et il obéit. Elle voulait que le châtiment dura jusqu’à ce que la mort s’ensuivît ; mais, les bourreaux se lassèrent. Elle entendit encore sa victime, laissée pour morte, qui geignait dans un coin obscur, et elle demanda que le jardinier l’emportât pour l’enterrer dans le jardin. Raouff moins cruel, refusa… Une pauvre petite fille vit le jour… Aïcha envoya chercher, en ville, une boîte d’épingles, et, pendant plusieurs heures, elle s’amusa à planter des épingles blanches dans la petite tête noire du nouveau né. Lorsque l’enfant eut dépensé en sanglots toute la chétive vie qu’elle avait reçue de sa mère, la princesse la jeta sur le sol. la saisit par la jambe, lui mit un pied sur le col et lui arracha la tête ; puis on jeta les morceaux dans l’égout. »

Que nos lecteurs ne nous accusent point d’avoir voulu faire du sentiment, d’avoir cherché à les émouvoir par le récit plus ou moins exact d’un forfait abominable, d’un acte de sauvagerie ignoble, le plus ignoble parce que c’est une femme qui s’en est rendue coupable ! Nous n’inventons rien, nous n’amplifions rien, nous reproduisons simplement (en supprimant même, par respect pour notre public, certains détails trop réalistes), un passage de l’Avenir Algérien, que M. Pontois, maintenant député, et ancien Président du Tribunal de Tunis, a cru aussi devoir insérer dans son ouvrage les Odeurs de Tunis. Et M. Pontois n’est pas homme à s’embarquer à la légère. De plus c’est un ancien magistrat et un Président honoraire de Cour d’Appel.

Si le fameux marché des esclaves, à Zanzibar, a été fermé par le Grand Pacte de l’abolition de la traite, en 1848, comment se fait-il que Livingstone ait encore pu écrire sous la date du 2 mars 1866 :

« … Visité aujourd’hui le marché aux esclaves. Trois cents individus à peu près étaient en vente : le plus grand nombre venant du Chiré et du Nyassa.

« Excepté les enfants, tous semblaient honteux de leur position : les dents sont regardées, la draperie relevée pour examiner les jambes ; puis, on jette un bâton, pour qu’en le rapportant l’esclave montre ses allures. Il en est qu’on traîne au milieu de la foule, en criant sans cesse le prix qu’on en désire. La plupart des acheteurs étaient des Arabes et des Persans. »

On nous répondra : depuis 1866 les choses ont changé ! Nous prions Stanley (1871-1872) de riposter :

« Zanzibar est le Badgad, l’Ispahan, le Stamboul de l’Afrique Orientale ; c’est le grand marché qui attire l’ivoire, le copal, l’orseille, les peaux, les bois précieux, les esclaves de cette région ; c’est là qu’on y amène, pour y être vendues au dehors, les noires beautés de l’Ouhiyou, de l’Ougindo, de l’Ougogo, de la Terre de la Lune et du pays des Gallas… Les classes laborieuses sont composées d’Africains, esclaves ou hommes libres. »

Si le commerce public des esclaves est prohibé, le commerce clandestin fleurit toujours, malgré tous les efforts du Sultan de Zanzibar et des autorités anglaises pour le supprimer. Il y a cependant loin de 1848 à 1890 ! Les extraits de Livingstone et de Stanley démontrent combien il a fallu de temps pour obtenir ce résultat !

Dans les Zéribas du Haut-Nil, avant l’envahissement de l’Egypte par les Madhistes et la reprise de Khartoum, les articles d’échange consistaient en cuivre et cotonnade, dont la valeur très variable était toujours réduite à celle du cuivre. Schweinfurth vit vendre un jeune esclave de la catégorie des Sittahsis (littéralement haut de six palmes), fille ou garçon, de huit à dix ans, trente rottolis[229] de cuivre chez Ziber et vingt-cinq chez les Bongos et les Djours, ce qui, d’après la valeur qu’avait alors le métal, à Khartoum, portait le prix moyen de l’enfant à 7 thalaris et demi (39 fr. 35).

Les jolies nadifs[230] ou jeunes filles se payaient le double, parfois même le triple. La demande en était considérable, elles restaient dans le pays.

Les femmes adultes, laides, mais pleines de force, étaient moins chères que les nadifs. Les femmes âgées étaient sans valeur aucune.

Les marchands des zéribas tenaient fort peu d’hommes faits. Leur transport était difficile ; de plus ces esclaves-là obéissaient mal et ne se laissaient pas facilement diriger.

Les armes à feu valaient autant que le calicot. On pouvait échanger trois sittahsis contre un fusil commun à deux coups, de Belgique ou de France ; quand le fusil avait quelques dorures, il était troqué contre cinq de ces pauvres négrillons.

Rendu à Khartoum, l’esclave valait dix fois son prix d’achat.

Nous avons vu, il y a quelques années, dans une manufacture d’armes belge, à Liège, des fusils destinés aux nègres Africains : ils étaient à silex, à bassinet, avec fût en bois blanc et un canon dont l’épaisseur devait avoir atteint moins que le minimum. Coûtaient-ils, en fabrique, 5 francs pièce ?

C’étaient les Anglais qui se chargeaient d’écouler cette excellente marchandise !

Abechir, capitale de l’Ouaday, est reliée au Caire.

Kano, l’est à Tripoli et à Tunis, par Aghadès, Rhat et Ghadamès.

Le Kordofan Test à Khartoum, par El Obêid ; — à Moussalemié, par le Sennaar ; — à Dongola, par El Safi, à travers les steppes des Béyoudes ; — à Berber, par le Nil et le Grand Désert de Nubie.

Kouka, capitale de Bornou, l’est à Tripoli, par Mourzouk.

Enfin, de Tombouctou les caravanes se rendent par Insalah :

l° A Figuig, Marok et Tanger ;

2° A Tougourt, Tripoli et Tunis ;

3° A Ghadamès, le Caire, la Mekke, par Kosseïr, Souakim, Massaouah et Djeddah (ports d’embarquement et de débarquement des pèlerins Africains se rendant à la Mekke).


CHAPITRE VIII

Une République Nègre ; — L’Abrutissement Des Africains


La république nègre de Libéria, située dans. la Guinée Supérieure, fut fondée en 1822 par une société d’abolitionistes de l’esclavage des États-Unis, dans le but d’y établir les noirs affranchis. On choisit comme lieu de colonisation la côte de Guinée, parce que c’est de là que venaient la plupart des malheureux esclaves qui avaient enrichi les planteurs américains.

Les y renvoyer était donc les remettre dans leur climat d’origine. De 1820 à 1877, cette société de colonisation a consacré plus de vingt-quatre millions à cette œuvre.

« En 1847, elle fit abandon de tous ses droits ; l’autonomie politique de la nouvelle colonie fut proclamée, et le pays doté d’une constitution à l’américaine.

« Depuis, le pouvoir exécutif est confié à un Président qui est élu pour deux ans et peut être réélu. Le pouvoir législatif appartient au Sénat et à la Chambre des représentants. Le premier se compose de six membres élus par les comtés. Il est renouvelé tous les quatre ans. La Chambre comprend un député par dix mille âmes, et les élections ont lieu tous les trois ans.

« Sont électeurs tous les citoyens âgés de vingt-un ans et propriétaires de terres dans la colonie.

« La force armée, placée sous le commandement en chef du président, se compose de quatre régiments de milice. Le service est obligatoire pour tous les citoyens de seize à cinquante ans. L’effectif de la milice est de 1,200 à 1,500 hommes.

« Le chef-lieu est Monrovia. De petites villes et des villages nombreux, reliés par des routes, sont parsemés dans toute l’étendue de la République, dont le sol est très fertile, bien cultivé et donne en abondance toutes les productions des tropiques.

« Ne croyez pas, disaient les premiers émigrés en faisant un appel à leurs frères d’Amérique, ne croyez pas les bruits que les gens mal intentionnés font courir sur la pauvreté du sol de ce pays. Nous affirmons qu’il n’en est pas de plus fertile au monde. Les indigènes, même sans instruments d’agriculture, et avec peu de travail, font produire plus de graines et de légumes qu’ils n’en consomment. Les porcs, les brebis, les chèvres, les canards, les poules se multiplient sans autre soin que celui de les empêcher de s’égarer. Le cotonnier, le caféier, l’indigotier et la canne à sucre y poussent spontanément. Le riz, le maïs, le millet y réussissent bien, ainsi qu’un grand nombre de légumes et d’arbres fruitiers. »

« Beaucoup de Noirs répondirent à cet appel. En 1828, la colonie comptait déjà 1,200 émigrés, auxquels s’adjoignirent bientôt un grand nombre d’indigènes. La population est de plus d’un million en ce moment.

Depuis l’origine, ce pays était entièrement livré aux sectes protestantes. L’expérience faisait sentir le besoin des bienfaisantes institutions que le catholicisme porte partout avec lui. Aussi est-ce de Monrovia même que sont parties les premières demandes de missionnaires.

En 1880, le Président de la République fit faire des démarches auprès du Saint-Siège. Elles furent renouvelées, en 1882, par le Ministre de l’intérieur, M. Blindem, et appuyées par le ministre résident de la République, près le roi d’Espagne, M. Senmarti.

Des missionnaires y furent envoyés. Ils luttent maintenant contre le Protestantisme, l’Islamisme et le Paganisme, sans oublier la Franc-Maçonnerie.

Une autre plaie misérable est celle du divorce. La doctrine protestante l’autorise en certains cas. Aussi, à Libéria, quand un homme est fatigué de sa femme, il la renvoie avec ses filles, garde les garçons et se remarie. De là, deux familles, c’est-à-dire désunion, haine acharnée, misère affreuse. Et c’est le cas d’un grand nombre !

« Le 26 juillet, jour anniversaire de la proclamation de l’indépendance de la République, il y a fête nationale. La réunion officielle se fait à l’église méthodiste, où l’on prononce un grand discours de circonstance, puis on mange, on s’amuse, on danse. Il y a même revue et exercice militaires. Pauvres soldats ! ils n’ont guère l’idée de la discipline. Les sergents sont obligés de les faire marcher et aligner à coups de plat de sabre.

Tout récemment encore, nous entendions tenir le propos suivant : « Les nègres ne sont pas des humains comme les autres, ce sont des brutes ! »

Certes s’ils sont quelque peu brutes, à qui la faute ? Si ce n’est aux Européens avec lesquels ils ont été en contact jusqu’à ces dernières années ! A ces Européens qui, au lieu de leur apporter la civilisation et l’Évangile, ont déchaîné sur ces malheureux tous les vices, tous les crimes ! Aujourd’hui, la réparation s’impose et d’autres Européens, de vrais Européens cherchent à la donner avec autant d’énergie, d’abnégation, de dévouement et de foi que leurs devanciers ont eu de scélératesse.

Livingstone, ce grand pionnier de la civilisation, qui fit de l’Afrique centrale sa seconde patrie, Livingstone, mort d’épuisement sur les bords du lac Banguélo après de longues années d’apostolat, Livingstone s’élève avec force contre l’abrutissement prétendu des Africains et dit que : « Tout individu qui, sans parti pris, les verra non avilis par l’esclavage, aura de leur intelligence, de leur travail et de leur caractère une bien autre estime que ceux qui les ont vus dégradés par la servitude. » Il cite à l’appui de sa thèse le témoignage de l’évêque anglican Mackensie, tué, dans un combat, sur les bords du Nyassa.

Veut-on savoir à quel degré d’avilissement moral l’esclavage, qui les décime depuis des siècles, les a réduits ces pauvres africains ?

« Au moment où approchait la clôture du marché de Lopé, écrit de Brazza, fidèle à mon programme, je fis dire aux esclaves prêts à être descendus dans lé bas Ogôoué que j’étais disposé à acheter tous ceux qui le désiraient. Mais ces malheureux, dans leur crainte superstitieuse des blancs, préférèrent rester aux mains de leurs maîtres et repartir pour des régions dont ils ne devaient jamais revenir. Dix-huit seulement répondirent à mes propositions.

« Ils furent payés par un bon de 300 francs sur les factoreries de Lambaréné[231] et conduits dans la cour de notre poste.

« En cette circonstance, je crus utile d’affirmer, avec une certaine pompe, les prérogatives de notre pavillon. Cet acte, accompli en présence de tant de tribus diverses réunies, devait produire un effet considérable au loin, dans toutes ces régions.

« Vous voyez, leur dis-je, en leur montrant le mât où nous hissions nos couleurs, tous ceux qui touchent notre pavillon sont libres, car nous ne reconnaissons à personne le droit de retenir un homme comme esclave.

« A mesure que chacun allait le toucher, les fourches du col tombaient, les entraves des pieds étaient brisées, pendant que mes laptots présentaient les armes au drapeau, qui s’élevant majestueusement dans l’air, semblait envelopper et protéger de ses replis tous les déshérités de l’humanité.

« Malgré mon assurance, malgré la grandeur de cette cérémonie, ces malheureux ne se rendaient pas compte qu’ils étaient désormais réellement libres et maîtres d’eux-mêmes. Ils ne pouvaient comprendre l’idée si grande, résumée par ces trois mots : liberté, égalité, fraternité ! qui résonnaient pour la première fois sur cette terre d’esclavage. Mais la semence était jetée ; il appartenait à l’avenir de la faire germer.

« J’eus beau leur dire qu’ils pouvaient partir ou rester, que s’ils me servaient comme pagayeurs ou comme domestiques, ils auraient droit à un salaire, ils se refusaient de croire à leur liberté !

« Je les employai à divers travaux, sans autrement m’occuper d’eux.

« Un jour, sans doute après s’être concertés bien longtemps, ils vinrent me demander la permission d’aller au loin, dans la forêt, pour y faire provision du fruit n’chego, dont ils étaient très friands. Ils s’attendaient à un refus et grande fut leur surprise lorsque, non seulement je leur accordai la permission sollicitée, mais leur donnai, en outre, des fusils et de la poudre, afin qu’ils puissent se défendre au besoin.

« Ils durent se rendre à l’évidence et disparurent dans les bois. Deux jours après ils étaient de retour. Pas un ne manquait. Ils avaient compris enfin qu’ils étaient libres ; s’ils s’étaient crus encore esclaves, aucun d’eux ne serait revenu.

« Bien vêtus, touchant une solde relativement élevée, abondamment nourris du produit des chasses fructueuses des laptots. ils faisaient envie même aux Okandas. »

Un autre exemple encore, emprunté au major Serpa Pinto : Au moment où l’explorateur Portugais donnait ses ordres pour décamper et quitter le territoire des Quimbandès, pour gagner celui des Louchazes, à Test du Bihé, arriva une bande de femmes esclaves que conduisaient trois négriers.

« Je fis saisir et mettre en liberté les pauvres négresses, écrit le major. Une fois qu’elles furent, rassemblées dans mon camp, je leurs fis savoir qu’elles étaient libres et que, s’il leur convenait de se joindre à ma troupe, je les ferais, d’une ou d’autre façon, mener à Benguéla.

« N’ayant plus rien à craindre de ceux qui les avaient gardées, elles étaient absolument libres d’en agir à leur guise. Mon étonnement fut grand lorsque je leur entendis déclarer d’une voix unanime, qu’elles n’avaient que faire de ma protection et qu’elles ne demandaient qu’à continuer leur voyage interrompu par moi.

« D’où venaient-elles ? Personne ne sut me le dire avec clarté ! Que faire en cette circonstance ? Je répugnais naturellement à les emmener malgré elles. Tout bien considéré, je me décidai à laisser ces pauvres femmes accomplir leur triste destinée.

« Maintenant que les vaisseaux de guerre du Portugal et de l’Angleterre croisent dans l’Atlantique et dans l’Océan Indien, pour empêcher la traite, l’exportation des cargaisons humaines n’a presque plus lieu ; mais l’esclavage est encore une matière de troc dans l’intérieur de l’Afrique[232]. »

La supériorité des nègres de l’Ouganda sur les autres races Africaines a encore été démontrée d’une manière irréfutable, lors du récent séjour, en France, des 14 Bougandas amenés par Mgr Livinhac et qui, durant le Congrès Antiesclavagiste de Paris, ont eu

maintes occasions de faire preuve de leur intelligence.

CHAPITRE IX

Décret Beylical du 9 Chaoual 1307 (28 mai 1890)


Louanges à Dieu.

Nous, Ali Pacha Bey, possesseur du royaume de Tunis,

Vu le Décret de Notre Glorieux Prédécesseur, Sidi Ahmed Bey, du 25 Moharrem 1262 (23 janvier 1846) portant que, par les plus hautes considérations de religion, d’humanité et de politique, l’esclavage ne sera plus reconnu dans la Régence ;

Considérant que, depuis lors, d’expresses recommandations de nos prédécesseurs ont supprimé les marchés d’esclaves, ordonné que tous ceux qui étaient venus dans la Régence en cette qualité, y seraient affranchis et décidé que les Caïds devraient, sous les peines les plus sévères, signaler au Gouvernement les actes d’esclavage qui arriveraient à leur connaissance ;

Vu, notamment, la circulaire de Notre Premier Ministre, du 5 Redjeh 1304 (29 juin 1887), adressée aux Cdids par Notre ordre et renouvelant ces prescriptions ;

Considérant que Nous tenons à honneur de Nous associer aux nobles pensées qui ont inspiré le Décret du 25 Moharrem 1262 (23 janvier 1846) et qu’il ne peut être que profitable de réunir en une seule, les diverses réglementations existantes qui interdisent et punissent l’esclavage dans Nos Etats,

Avons décrété ce qui suit :

Art. 1er. — L’esclavage n’existe pas et est interdit dans la Régence ; toutes créatures humaines, sans distinction de nationalités ou de couleurs, y sont libres et peuvent également recourir, si elles se croient lésées, aux lois et aux magistrats.

Art. 2. — Dans un délai de trois mois à partir de la promulgation du présent décret, tous ceux qui emploieront en domesticité dans Nos Etats des nègres ou des négresses, devront, s’ils ne l’ont déjà fait, remettre à chacun d’eux un acte notarié visé par le Cadi ou, à son défaut, par le Caïd ou son représentant, établi aux frais du maître et attestant que le serviteur ou la servante est en état de liberté.

Art. 3. — Les contraventions à l’article précédent seront punies par les tribunaux français ou indigènes, selon la nationalité du délinquant, d une amende de 200 piastres à 2,000 piastres.

Art. 4. — Ceux qui seront convaincus d’avoir acheté, vendu ou retenu comme esclave une créature humaine seront punis d’un emprisonnement de trois mois à trois ans.

Art. 5. — L’article 463 du Code pénal français sera applicable aux délits et contraventions prévus par le présent décret. L’art. 58 du même code sera applicable en cas de récidive.

Vu pour promulgation et mise à exécution,
Tunis, le 29 mai 1890.
Le ministre plénipotentiaire, résident général de la République Française.
J. Massicault.

Pour toute personne un peu au fait des choses africaines, en général, et musulmanes en particulier, les peines portées aux articles 3 et 4 sont absolument dérisoires et prouvent que le législateur tunisien, si rigide pour d’autres crimes ou délits, de bien moindre importance, se montre vraiment d’une indulgence singulière lorsqu’il s’agit d’esclaves.

Que les marchands et détenteurs de marchandises humaines se rassurent bien vite, il y aura encore de beaux, de bien beaux jours pour eux et leur commerce clandestin en Tunisie !

Renvoyer les coupables devant les Tribunaux indigènes, dont le curieux fonctionnement et la corruption sans égale ne sont un mystère pour personne de l’autre côté de la Méditerranée, équivaut à classer purement et simplement les rares affaires qui se produiront.

Nous disons rares parce que nous avons la conviction inébranlable que jamais Cadi ou Caïd ne trahira un seul de ses coreligionnaires. *

Et l’amende de 200 à 2,000 piastres ! Certes voilà des chiffres bien ronflants pour tous ceux qui ne savent pas que la piastre tunisienne est une monnaie de compte valant : 0 franc, 62 centimes, 6 millièmes !

Trois mois à trois ans de prison ! Voilà tout ce que le législateur tunisien a pu découvrir pour châtier les vendeurs et les acheteurs d’esclaves. Trois mois à trois ans de prison alors que le bagne eût à peine suffi, puisqu’après tout les coupables méconnaissent depuis quarante-trois an le décret de 1846 !

L’article 5 du décret de 1890 porte :

L’article 463 du code pénal français sera applicable aux délits et contraventions prévus parle présent décret. L’article 58 du même code sera applicable en cas de récidive.

Voici le texte du code français :

Art. 463 § 4 et 5. — Dans le cas où le code prononce le maximum d’une peine afflictive, s’il existe des circonstances atténuantes, la cour appliquera le minimum de la peine ou même la peine inférieure. — Dans tous les cas où la peine de l’emprisonnement et celle de l’amende sont prononcées par le Code pénal, si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux correctionnels sont autorisés, même en cas de récidive, à réduire l’emprisonnement même au-dessous de six jours et l’amende même au-dessous de seize francs ; ils pourront aussi prononcer séparément l’une ou l’autre de ces peines, et même substituer l’amende à l’emprisonnement sans qu’en aucun cas elle puisse être au-dessous des peines de simple police. Dans le cas où l’amende est substituée à l’emprisonnement, si la peine de l’emprisonnement est seule prononcée par l’article dont il est fait application, le maximum de cette amende sera de trois mille francs.

Art. 58. — Les coupables condamnés correctionnellement à un emprisonnement de plus d’une année seront aussi, en cas de nouveau délit ou de crime qui devra n’être puni que de peines correctionnelles, condamnés au maximum de la peine portée par la loi, et cette peine pourra être élevée jusqu’au double : ils seront de plus mis sous la surveillance spéciale du gouvernement pendant au moins cinq années et dix ans au plus.

Ainsi d’un côté le décret beylical de 1890 admet les circonstances atténuantes et de l’autre a souci des récidivistes !

Le texte de l’article 3 nous paraît trop amphibologique :

« Les contraventions à l’article précédent seront punies par les Tribunaux Français ou indigènes, selon la nationalité du délinquant, etc.

Ne tendra-t-il peut-être pas à faire supposer plus tard, qu’en 1890, des Français ou des individus se réclamant de la qualité de Français, furent assez vils pour rivaliser avec les indigènes Tunisiens, vendre ou posséder comme eux des esclaves !

(Il nous a été donné une seule fois de rencontrer un ancien négrier français, devenu, après la chute du Gouvernement du Maréchal de Mac-Mahon, adjoint, puis maire d’une commune de Bretagne, par le fait de ses idées écarlates. Il répondait au nom d’un poisson d’eau douce, carnassier comme lui et aussi nuisible que lui pour les êtres de son espèce.)

Si le législateur Tunisien avait, en toute sincérité, tenu à combler la lacune qui existe naturellement dans le « Qanoun el jemaïat ou el jeraïm ». il eût assimilé de semblables crimes à ceux qui sont visés et punis, comme ils le méritent, par les articles 300, 302, 303, 304, 309, 310, 311, 316, 317, 330 à 335, 341 à 344 numéro 2, 345, 354 à 358 du code pénal français auquel il faisait déjà deux emprunts.

L’application rigoureuse de ces articles eût été la meilleure des répressions et eût fait, une fois de plus, briller la supériorité de nos lois, aux yeux des populations musulmanes placées sous notre Protectorat.

Passons rapidement en revue ces articles :

Art. 300. — Est qualifié infanticide le meurtre d’un enfant nouveau-né.

Art. 302. — Tout coupable d’assassinat, de parricide, d’infanticide et d’empoisonnement, sera puni de mort, etc.

Art. 303. — Seront punis comme coupables d’assassinat, tous malfaiteurs, quelle que soit leur dénomination, qui, pour l’exécution de leurs crimes, emploient des tortures ou commettent des actes de barbarie.

Art. 304. — Le meurtre emportera la peine de mort, lorsqu’il aura précédé, accompagné ou suivi un autre crime.

Art. 309. : — Tout individu qui, volontairement, aura fait des blessures, ou porté des coups, ou commis toute autre violence ou voie de fait, s’il est résulté de ces sortes de violences une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours, sera puni d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans et d’une amende de seize francs à deux mille francs, etc. — Quand les violences ci-dessus exprimées auront été suivies de mutilation, amputation ou privation de l’usage d’un membre, cécité, perte d’un œil, ou autres infirmités permanentes, le coupable sera puni de la réclusion. — Si les coups portés ou les blessures faites volontairement, mais sans intention de donner la mort, l’ont pourtant occasionnée, le coupable sera puni de la peine des travaux forcés à temps.

Art. 310. — Lorsqu’il y aura eu préméditation ou guet-apens, la peine sera, si la mort s’en est suivie, celle des travaux forcés à perpétuité ; si les violences ont été suivies de mutilation, amputation ou privation de l’usage d’un membre, cécité, perte d’un œil ou autres infirmités permanentes, la peine sera celle des travaux forcés à temps ; dans le cas prévu par le premier paragraphe de l’article 309, la peine sera celle de la réclusion.

Art. 311. — Lorsque les blessures ou les coups ou autres violences ou voies de faits n’auront occasionné aucune maladie ou incapacité de travail personnel de l’espèce mentionnée en l’article 309, le coupable sera puni d’un emprisonnement de six jours à deux ans et d’une amende de seize francs à 200 francs, ou de l’une de ces deux peines seulement. S’il y a eu préméditation ou guet-apens, l’emprisonnement sera de deux ans à cinq ans, et l’amende de cinquante francs à cinq cents francs.

Art. 316. — Toute personne coupable du crime de castration subira la peine des travaux forcés à perpétuité. — Si la mort en est résultée avant l’expiration des quarante jours qui auront suivi le crime, le coupable subira la peine de mort.

Art. 317. — Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, violences, ou par tout autre moyen, aura procuré l’avortement d’une femme enceinte, soit qu’elle y ait consenti ou non, sera puni de la réclusion, etc.

Art. 331. — Tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violence sur la personne d’un enfant de l’un ou de l’autre sexe, âgé de moins de treize ans, sera puni de la réclusion. — Sera puni de la même peine l’attentat à la pudeur commis par tout ascendant sur la personne d’un mineur, même âgé de plus de treize ans, mais non émancipé par mariage.

Art, 332. — Quiconque aura commis le crime de viol sera puni des travaux forcés à temps. — Si le crime a été commis sur la personne d’un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accomplis, le coupable subira le maximum de la peine des travaux forcés à temps. — Quiconque aura commis un attentat à la pudeur consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou de l’autre sexe, sera puni de la réclusion. — Si le crime a été commis sur la personne d’un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accomplis, le coupable subira la peine des travaux forcés à temps.

Art. 333. — Si les coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l’attentat, s’ils sont de la classe de ceux qui ont autorité sur elle, s’ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages ou serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignées, etc. ; ou si le coupable, quel qu’il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes, la peine sera celle des travaux forcés à temps, dans le cas prévu par le paragraphe 1er de l’article 331, et des travaux forcés à perpétuité, dans les cas prévus par l’article précédent.

Art. 334. — Quiconque aura attenté aux mœurs, en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou l’autre sexe au-dessous de l’âge de vingt-et-un ans, sera puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans, et d’une amende de cinquante francs à cinq cents francs. — Si la prostitution ou la corruption a été excitée, favorisée ou facilitée par leurs pères, mères, tuteurs ou autres personnes chargées de leur surveillance, la peine sera de deux ans à cinq ans d’emprisonnement et de trois cents francs à mille francs d’amende.

Art. 344. — Seront punis de la peine des travaux forcés à temps ceux qui, sans ordre des autorités constituées et hors les cas où la loi ordonne de saisir les prévenus, auront arrêté, détenu ou séquestré des personnes quelconques. — Quiconque aura prêté un lieu pour exécuter la détention ou séquestration, subira la môme peine.

Art. 342. — Si la détention ou séquestration a duré plus d’un mois, la peine sera celle des travaux forcés à perpétuité.

Art. 343. — La peine sera réduite à l’emprisonnement de deux ans à cinq ans, si les coupables des délits mentionnés en l’article 341, non encore poursuivis de fait, ont rendu la liberté à la personne arrêtée, séquestrée ou détenue, avant le dixième jour accompli depuis celui de l’arrestation, détention ou séquestration. Ils pourront néanmoins être renvoyés sous la surveillance de la haute police, depuis cinq ans jusqu’à dix ans.

Art. 344. —… 2° Si l’individu arrêté, détenu ou séquestré a été menacé de la mort, les coupables seront punis des travaux forcés à perpétuité. — Mais la peine sera celle de la mort, si les personnes arrêtées, détenues ou séquestrées, ont été soumises à des tortures corporelles.

Art. 345. — Les coupables d’enlèvement, de recel ou de suppression d’un enfant, de substitution d’un enfant à un autre, etc., seront punis de la réclusion, etc.

Art. 349. — Ceux qui auront exposé et délaissé en un lieu solitaire un enfant au-dessous de l’âge de sept ans accomplis, ceux qui auront donné l’ordre de l’exposer ainsi, si cet ordre a été exécuté, seront, pour ce seul fait, condamnés à un emprisonnement de six mois à deux ans et à une amende de seize francs à deux cents francs.

Art. 350. — La peine portée au précédent article sera de deux ans à cinq ans et l’amende de cinquante francs à quatre cents francs contre les tuteurs ou tutrices, etc.

Art. 351. — Si par suite de l’exposition et du délaissement prévus par les articles 349 et 350, l’enfant est demeuré mutilé ou estropié, l’action sera considérée comme blessures volontaires à lui faites par la personne qui l’a exposé et délaissé ; et, si la mort s’en est suivie, l’action sera considérée comme meurtre : au premier cas, les coupables subiront la peine applicable aux blessures volontaires, et au second cas, celle du meurtre.

Art. 352. — Ceux qui auront exposé et délaissé en un lieu non solitaire un enfant au-dessous de l’âge de sept ans accomplis, seront punis d’un emprisonnement de trois mois à un an et d’une amende de seize francs à cent francs.

Art. 353. — Le délit prévu par le précédent article sera puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de vingt-cinq francs à deux cents francs s’il a été commis par les tuteurs ou tutrices, etc.

Art. 354. — Quiconque aura par fraude ou violence, enlevé ou fait enlever des mineurs ou les aura entraînés, détournés ou déplacés, etc., subira la peine de la réclusion.

Art. 355. — Si la personne ainsi enlevée ou détournée est une fille au-dessous de seize ans accomplis, la peine sera celle des travaux forcés à temps.

Art. 356. — Quand la fille au dessous de seize ans aurait consenti à son enlèvement ou suivi volontairement le ravisseur, si celui-ci était majeur de vingt-un ans ou au-dessus, il sera condamné aux travaux forcés à temps. Si le ravisseur n’avait pas encore vingt-un ans, il sera puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans.

Art. 357. — Dans le cas où le ravisseur aurait épousé la fille qu’il a enlevée, il ne pourra être poursuivi que sur la plainte des personnes qui, d’après le Code civil, ont le droit de demander la nullité du mariage, ni, condamné qu’après que la nullité du mariage aura été prononcée.

Art. 359. — Quiconque aura recelé ou caché le cadavre d’une personne homicidée ou morte des suites de coups ou blessures, sera puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 50 francs à 400 francs sans préjudice de peines plus graves, s’il a participé au crime.

On voit par cet exposé quelles armes l’arsenal de nos lois fournissait au législateur Tunisien ; il était facile, très facile d’adapter, avec les variantes nécessitées par les mœurs musulmanes, ces articles et d’en faire un tout difficile à digérer pour les Aïcha-Baya, Mohammed Raouff, et tutti quanti !

Comment se fait-il que le décret de 1890, si élogieux pour celui de 1846, soit muet en ce qui concerne les dommages-intérêts, les réparations, que seraient en droit de réclamer les malheureux esclaves le jour de leur mise en liberté ? Les mettra-t-on à la porte, si jamais ils franchissent le domicile de leurs maîtres, avec leur pagne d’autrefois, ou quelques sordides vêtements ? Comment leur lendemain sera-t-il assuré ? Le décret de 1890 garde un silence prudent mais coupable selon nous, qui apprécions en homme civilisé.

Et si dans un délai de trois mois, conformément à l’article 2 dudit décret, ceux qui emploient en domesticité des nègres ou des négresses, leur remettent l’acte notarié et dûment visé, établi aux frais du maître, constatant, attestant que ces esclaves sont désormais en état de liberté, comment la question de salaire sera-t-elle réglée ?

Des sujets Tunisiens, au mépris du décret de 1846, auront bénéficié pendant près d’un demi-siècle, du travail gratuit de gens qu’ils détenaient en esclavage et ils n’auraient qu’à jeter ces gens au milieu de la rue ? Ce serait par trop commode ! Que le Bey donne le premier l’exemple. Qu’il se rappelle le texte du chapitre Ier du Pacte fondamental promulgué, le 20 Moharrem 1274 (1857), par le Bey Mohammed-Es-Saddock, son prédécesseur immédiat.

« Il est du devoir de tout législateur qui prescrit le bien et défend le mal de se soumettre lui-même à ce qu'il a ordonné et d’éviter ce qu’il a défendu, afin que ses prescriptions soient observées et qu’il ne soit jamais permis de lui désobéir y et cela conformément à l’axiome de morale admis par la religion et la philosophie : Désirer aux autres ce qu’on désire à soi-même, et ne pas faire aux autres ce qu’on

ne veut pas qu’il soit fait à soi-même. »

CHAPITRE X

Le Traité Anglo-Allemand ; Émin-Pacha ; Le Comte Téléki ; Une Tribu Chrétienne Au 5° Degré De Latitude Nord.


« Malheureuse Afrique ! malheureuse race ! s’écrie M. d’Avril[233]. Dans la région des Grands Lacs, les Arabes et leurs métis transforment en ossuaires de vastes contrées, naguère encore peuplées et florissantes. Dans l’Afrique Occidentale, sous la pression des Féticheurs, ce sont des souverains indigènes qui s’abattent, comme des vampires, sur une population naturellement douce. Ces contrées fertiles apparaissent sur la carte de l’Afrique, comme un sinistre point noir ou plutôt comme une tache rouge de sang. »

« Quelques milliers d’Européens, ajoute M. A. Marcade, suffiraient de ce côté de l’Afrique, du moins, à arrêter ces horreurs. Mais les rivalités des grandes puissances feront qu’il y coulera encore bien des fleuves de sang. »

Puisse M. Marcade être mauvais prophète : Trois grandes puissances : la France, l’Allemagne et l’Angleterre, par suite d’un récent traité conclu par les deux dernières à la grande surprise de la première, qui a cependant des ambassadeurs à Londres et à Berlin, vont se trouver en présence sur le sol Africain.

Ce traité anglo-allemand aura, au point de vue de la répression de l’esclavage, une trop considérable importance pour que nous le passions ici sous silence.

Le Moniteur de l’Empire Allemand en a publié le texte, le 18 juin dernier. C’est le résultat des pourparlers directement engagés à Londres entre le marquis de Salisbury et le comte de Hatzfeld, au sujet de la délimitation de leurs sphères respectives d’influence en Afrique :

A l’Allemagne, le cabinet britannique reconnaît tout le territoire qu’elle convoitait en travers du continent, de Zanzibar aux frontières orientales de l’État Indépendant du Congo. En échange, l’Allemagne laissera ouvert au milieu de son territoire une sorte de couloir étroit par lequel les Anglais pourront communiquer avec leurs possessions de l’Afrique Orientale et du Sud (tant que le bon plaisir des Allemands en laissera le libre usage).

L’Angleterre obtient le royaume d’Ouganda, dont nous, avons parlé plusieurs fois ici. Les Allemands émettaient des prétentions sur l’Ouganda, depuis la nouvelle du concours prétendument prêté parle docteur Peters, au chef dépossédé de ce royaume pour le reconquérir[234].

En revanche, l’Allemagne, voit reconnaître ses droits dans l’intérieur du continent sur un immense territoire qui, par une partie de sa frontière ouest, mettra les possessions allemandes en contact avec l’État Indépendant du Congo, ce qui est de la plus grande importance pour les sujets de Guillaume II, qui se flattent d’obtenir un jour ou l’autre la cession de l’État Indépendant du Congo à leur empire et d’établir ainsi en pleine Afrique équatoriale un gouvernement allant de l’Océan Atlantique à l’Océan Indien.

L’Allemagne ne cachait pas son désir de s’annexer Zanzibar, que l’Angleterre convoitait aussi. D’autres puissances, la France par exemple, avaient des traités avec le Sultan de cette île ; elles auraient dû être consultées dans cette absorption d’un État indigène indépendant. Les questions de limites soulevées au sujet du sud du Zambèze, du golfe de Guinée et de la Côte d’Or anglaise sont réglées par deux articles.

M. Marbeau, dans la Revue française[235] dit que l’Ouganda, que l’Angleterre s’est fait adjuger, est l’une des plus belles positions stratégiques du continent noir[236].

Par là, l’Angleterre devient maîtresse de l’immense lac Victoria et du lac Albert ; le territoire naguère occupé par Emin-Pacha[237] lui appartiendra le jour où elle sera disposée à faire l’effort voulu pour s’y installer. Le Nil, dans tout son cours, devient un fleuve britannique. En ce moment même, des ingénieurs anglais projettent sa canalisation, c’est-à-dire la jonction des lacs Victoria et Albert avec la mer Méditerranée !

A propos de Zanzibar, la Revue française, dont la compétence rare en ces matières ne saurait être discutée, dit :

« Zanzibar est la Rome de l’Afrique Orientale. Aux yeux des indigènes, l’occupation de Zanzibar donne à l’Angleterre une autorité et un prestige incomparables. On se rappelle l’opinion émise par Mgr Smythies, évêque de la mission des Universités dans l’Afrique Centrale :

« Je considère, écrit-il, qu’une lettre de recommandation du Sultan de Zanzibar est la plus grande garantie de sécurité dans une ville arabe, même à l’intérieur, jusqu’aux Grands Lacs… Les Arabes et la plupart des indigènes subissent d’une façon très appréciable l’influence du Sultan, dont ils se considèrent les sujets et évitent d’être en opposition avec lui ; ils savent que le Sultan, s’il était mécontent, pourrait leur causer de grands désagréments. »

C’est que Zanzibar a été jusqu’ici le centre du commerce pour toute la région à l’est des Grands Lacs.

Les deux derniers paragraphes de l’article 1er du traité anglo-allemand sont ainsi conçus :

« Il est convenu qu’aucun traité ni convention conclus par ou au nom de l’une des deux puissances au nord de la rivière Bénué, ne pourront entraver le libre passage des marchandises de l’autre puissance, ni stipuler le payement d’un droit de transit, soit pour aller aux régions voisines du lac Tchad, soit pour en revenir.

« Tous les traités passés par une puissance relativement aux territoires situés entre le Bénué et le lac Tchad, seront notifiés par cette puissance à l’autre puissance. »

Ces deux paragraphes s’appliquent à une région toute différente de celles dont il est question dans le reste de la convention.

Le lac Tchad, qui mesure, au moment de la saison des pluies, jusqu’à cinquante mille kilomètres carrés (plus de quatre-vingts fois la superficie du lac de Genève), est situé au centre du Soudan, dans le Bornou, à 250 mètres d’altitude, au sud du Sahara tripolitain, au nord des affluents de la rive droite du Congo, au nord-est de l’embouchure du Niger. Parsemé d’îles, en partie habitées, il touche d’une part au Soudan ; d’autre part, à la région parcourue par les Touareg et baigne les rives de plusieurs États indigènes, dont la population est fort dense.

Au nord, ce sont les Touareg Keloui et Tebou ; à l’est, le Kariem, et au sud-est, le Ouaday ; au sud, le Baghirmi, dont la frontière méridionale touche le nord des pays dépendant du poste français de Bangui, assis sur la rive droite de l’Oubangui, l’un des principaux tributaires du Congo. Le Baghirmi est traversé dans la direction du sud-sud-est au nord-nord-ouest par un fleuve magnifique : le Chari, dont la source est située dans des contrées placées aussi sous la protection et l’influence du poste de Bangui. Sur la rive gauche du Chari, et près de son embouchure, sur la rive méridionale du lac Tchad, est un petit État, le Logon, qui se trouve ainsi voisin du puissant empire du Bornou occupant toute la partie est du lac.

Toutes ces contrées sont superbes et d’une richesse inouïe. Les produits naturels, plantes, arbres, végétaux de toute nature, y poussent en abondance à l’état sauvage. La population y est nombreuse : trente-cinq à trente-six habitants par kilomètre carré, au Bornou ; trente-deux au Logon ; trente au Baghirmi. Pour apprécier l’importance de ces chiffres, il faut se souvenir que le Sénégal n’a que deux habitants et demi par kilomètre carré, et le Soudan français (Béledougou) environ dix ou douze. En France, la population est de soixante-et-onze habitants par kilomètre carré.

Les indigènes du Ouaday et du Baghirmi sont turbulents et assez peu civilisés, nous l’avons vu ; ce sont de beaux nègres, d’une taille élevée. Ceux du Bornou et du Kanem, les Kanouri sont aussi fort intelligents, industrieux et travailleurs ; leur pays est couvert de cultures.

Pour parvenir au lac Tchad, les puissances qui ont des possessions dans la région du Bas Niger ont suivi des routes différentes :

Les Anglais ont remonté le Niger jusqu’à Boressa et là, étant arrêtés par les chutes de ce nom, ils ont tenté de s’avancer dans l’intérieur en suivant un affluent de gauche, le Bénué, où la navigation est excessivement difficile.

Les Allemands sont partis du Cameroun, situé au fond du golfe de Biafra, et sont parvenus au Bénué, où ils se sont trouvés en concurrence avec les Anglais.

Les Français avaient comme base d’opérations le poste de Bangui, qui n’est qu’à neuf cents kilomètres à vol d’oiseau du lac Tchad (même distance que d’Alger à El Goléa).

Aucune de ces puissances n’était parvenue ni au Bornou, ni au Baghirmi : la situation était donc la même pour tous.

La France avait un intérêt considérable à gagner les bords du lac Tchad avant les deux autres nations, et à atteindre par là, le Sahara, d’où elle aurait pu relier ses possessions du Congo, du Sénégal, au Soudan Occidental et à l’Algérie.

Les deux paragraphes du traité anglo-allemand reproduits plus haut, la visaient donc particulièrement et elle devait s’opposer de toutes ses forces à une tentative capable de lui barrer la route vers le nord.

Déjà l’article 5 parle du lac Tchad, comme d’un lac dont les bords sud et ouest appartenaient depuis longtemps à l’Angleterre et à l’Allemagne.

La nécessité de délimiter dans ces régions la sphère d’influence de la France s’imposait donc avec encore plus d’urgence qu’auparavant, si nous ne voulions pas que l’arrangement anglo-allemand, déjà si funeste à l’influence française dans l’Est-Africain, portât un coup direct, non seulement au développement, mais on peut même dire, à l’existence de notre empire dans l'Ouest-Africain.

Comme la politique n’a rien de commun avec le sentiment et que, de plus, les Anglais et les Allemands sont, hélas ! les rivaux séculaires de la France, nous n’accueillerons qu’avec une extrême réserve les paroles de Stanley à un reporter du Gaulois, l’interrogeant sur le traité de juin 1890 et ses conséquences futures :

« Ce traité est un peu mon œuvre. Un peu plus nous livrions l’Afrique aux Allemands qui, peu à peu, gagnaient du terrain et voulaient annihiler la légitime influence anglaise.

« Lord Salisbury et le ministère anglais ne savaient pas ce qui se passait en Afrique. Ma vive protestation contre les arrangements qui allaient être conclus et qui étaient désastreux pour l’Angleterre a produit son effet.

« Félicitez-vous de ce que nous soyons à Zanzibar. Si nous n’y avions pas été, ce seraient les Allemands qui auraient pris la place et je vous réponds qu’alors vos intérêts pas plus que les nôtres n’auraient été respectés. Les Allemands sont très personnels et très envahissants, j’ai pu m’en convaincre pendant mes voyages. Je les voyais s’avancer toujours de plus en plus en Afrique, accaparer pour ainsi dire tout le pays. A la fin, devant le danger, j’ai crié : « Halte-là ! » Avec les Anglais à Zanzibar, je le répète, vous pouvez toujours vous arranger. Avec les Allemands, c’eût été impossible !

« Nous avons Zanzibar c’est vrai ; mais les possessions allemandes de la côte ont bien leur valeur. La vérité, c’est que chacun a sa part, sa bonne part dans le traité. Il est très avantageux, à mon sens, que les Allemands et les Anglais soient dans le pays ; mais il était nécessaire que la démarcation fût bien établie entre leurs possessions pour éviter des conflits.

« C’est chose faite aujourd’hui.

« J’aperçois l’avenir prospère pour ce pays. La concurrence entre Allemands et Anglais transformera ce pays d’ici à dix ans et la civilisation y fera d’énormes progrès. »

Nous avons reproduit en substance, page 321, une dépêche adressée de Zanzibar au Times et annonçant l’arrivée d’Emin-Pacha à Tabora.

Emin-pacha, après avoir été sauvé, malgré lui, par Stanley, en 1889, agit maintenant pour le compte de l’Allemagne, au grand déplaisir d’Albion.

Déjà on avait eu des nouvelles de son expédition à la rive orientale du lac Victoria, elles provenaient d’une lettre écrite par le R. P. Horne, supérieur de la mission de Lalange, confiée aux Pères Algériens du cardinal Lavigerie. Emin était parvenu à Farany et n’avait rencontré aucune résistance sérieuse. Cette partie de la région a été, au reste, pacifiée par le major Wissmann. Au-delà de Mpouapoua, Emin s’engagera au milieu de territoires peu connus. « Il a soin, constate le R. P. Horne, partout où il passe, de hisser le drapeau allemand à la place de ceux des chefs locaux ou même du sultan de Zanzibar, qui paraît encore de ci, de là ; et il trouve dans les villages principaux des agents indigènes qui doivent représenter l’autorité allemande auprès des Arabes. » D’après le P. Horne, il se montrerait très satisfait de l’activité des Pères Algériens et leur aurait fait les plus vives protestations de sympathie.

Aux renseignements donnés par le R. Père Horne, nous pouvons ajouter qu’Emin a poursuivi sa marche. Il venait d’être attaqué et de brûler, par représailles, un village, lorsque Mgr Livinhac (ayant quitté l’Ouganda regagnait la côte afin de s’embarquer pour la France) l’a rencontré. Emin fit au vicaire apostolique une brillante réception. D’après Mgr Livinhac, son expédition a eu lieu dans de bonnes conditions. Partout il proclame la souveraineté de l’Allemagne.

Le pays est maintenant pacifié de l’Ouganda à Bagamoyo, où l’on peut se rendre sans obstacles.

La traite des nègres s’éteindra petit à petit, faute de demandes d’esclaves. Il en partait annuellement trente mille de l’Ouganda ; il en part à peine quelques centaines aujourd’hui.

Emin-Pacha se dirigera-t-il ensuite du côté exploré, en 1887, par le comte hongrois Téléki ? Lui seul le sait ?

Parti de Zanzibar le 23 janvier, le comte Téléki, après être passé par Pangam, puis Taveta, rencontra les Masaï et séjourna un mois dans leur pays.

« Le pays des Masaï, dit-il, est couvert d’immenses plantations, parmi lesquelles figure principalement la canne à sucre. Les indigènes en fabriquent une sorte de vin, ce qui leur permet de se trouver dans un état d’ivresse perpétuelle. »

Le comte Téléki fit l’ascension du Kenia et atteignit la limite des neiges perpétuelles à une hauteur de 4.575 mètres environ. Le Kenia serait plus élevé que le Kilima-Njaro ; ce serait un ancien volcan couronné de neiges, avec un cratère de sept kilomètres et demi de diamètre, et sur le bord duquel se dressent deux pics gigantesques.

Quelques jours plus tard, nous trouvons l’expédition sur les bords du lac Baringo. Le comte Téléki pensait pouvoir y trouver des vivres, et envoya dans ce but une partie de ses hommes battre le voisinage. Ils revinrent exténués de fatigues et portant à peine le strict nécessaire. Le résultat le plus clair pour le voyageur fut un arrêt forcé de trois mois.

On ne se remit en marche que le 10 février 1888, pour arriver seize jours après à la montagne Njiro. Six jours plus tard, on dressait les tentes sur les bords du Basso-Norok (lac noir), qu’on nomma lac Rodolphe. L’expédition en suivit les bords et en atteignit le 7 mars, l’extrémité septentrionale.

De là, le voyageur se rendit au Basso-na-Ebor (lac blanc), qu’il nomma lac Stéphanie, en souvenir de la princesse Stéphanie, fllle de Leurs Majestés le roi et la reine des Belges, mariée à l’archiduc Rodolphe d’Autriche.

La reconnaissance de cette nappe d’eau terminée, le but de l’expédition était atteint. Elle revint donc sur ses pas, et le 25 octobre elle faisait son entrée à Mombas, ville située un peu en amont de Zanzibar.

Quels ont été les résultats de cette exploration ? La découverte de deux nouveaux lacs. C’est peu important, dira-t-on peut-être ? Erreur ! Vu leur situation, il est probable que nous sommes en présence d’un troisième réservoir du Nil et que c’est du Basso-Norok que sort un des grands tributaires du fleuve, le Sobat, dont on ne connaît pas encore la source.

Le Basso-Norok s’étend entre le 33e et le 34e degré de latitude orientale de Paris, du sud au nord, sur une longueur d’environ 275 kilomètres. Il est alimenté par trois rivières principales, dont une descend du nord et débouche à son extrémité septentrionale sous le nom de Nianam.

Cette mer intérieure est-elle un bassin fermé, un nouveau Tchad, ou fait-elle partie du bassin du Nil ? Telle est la question qu’ouvre la découverte du comte Téléki. Des explorations ultérieures ne manqueront pas de nous fixer sur ce point. En attendant, les géographes font des hypothèses et concluent, non sans probabilité, que le Basso-Norok est un troisième réservoir du Nil et que le Sobat est son affluent. Cette hypothèse admise, l’énorme quantité d’eau que ce dernier débite s’explique d’elle-même, tandis qu’en lui donnant une aire plus restreinte, on se trouve en face d’un effet sans cause.

Terminons cet aperçu en disant que le comte Téléki a trouvé au 5e degré de latitude nord une tribu chrétienne, qu’il suppose avoir été en rapport avec les Abyssins.

A ce sujet, M. Romanet du Caillaud a inséré, dans le Bulletin de la Société de Géographie de Paris, la note suivante :

« Dans les Annales apostoliques de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie (numéro d’avril 1889), on lit que le comte Téléki, ayant atteint dans l’Afrique Orientale le 5e de latitude nord, a trouvé, à cette latitude, une tribu chrétienne. Il croit que cette tribu a eu des relations avec l’Abyssinie.

« En effet, à deux degrés plus au nord, au Kaffa, le christianisme a été florissant (voir Annales de la Propagation de la Foi, 1865, p. 17. Lettre de Mgr Massaja).

« La présence de cette tribu chrétienne à 2° au sud du Kaffa et à 4° au nord de l’Ouganda, semble indiquer une étape intermédiaire entre l’Abyssinie méridionale et l’Ouganda, pays qui — je l’ai déjà montré (Comptes rendus de la Soc. de Géog. de Paris, 1888, p. 289) — a probablement reçu les lumières du christianisme au temps de son premier roi Kintu.

« Le règne de ce roi, ai-je dit, remonte au Xe ou au XIe siècle. Or, c’est au Xe siècle que la dynastie Salomonide de la Haute-Ethiopie fut renversée par l’usurpation de la princesse de religion juive Judith ou Esther, surnommée A-Sat (le feu). Pendant environ un siècle, la dynastie de cette princesse juive régna dans le nord de l’Abyssinie et y persécuta le christianisme. Comme, durant cette usurpation, la dynastie légitime s’était retirée dans le Choa. il est probable que nombre de seigneurs chrétiens de l’Abyssinie septentrionale, pour échapper à la tyrannie de Judith et de ses successeurs, abandonnèrent leurs possessions du nord, et, émigrant vers le sud, y fondèrent

des colonies chrétiennes. »

CHAPITRE XI

Résultats De La Traite Des Esclaves. — La guerre À L’Esclavage.


« Plaise à Dieu que tous ceux qui ont la puissance et qui tiennent l’empire ou qui veulent que les droits des nations et de l’humanité soient sacrés, ou qui sont au fond du cœur dévoués au progrès de la religion, que tous, en tout lieu, écoutent Nos exhortations et Nos prières, unissent leurs efforts pour réprimer, pour empêcher, pour abolir le plus honteux et le plus criminel de tons les trafics ! — Lettre Encyclique de Sa Sainteté le Pape Léon XIII, aux Evêques du Brésil.  »

Les calculs les plus exacts ne portent pas à moins de quatre cent mille, par année, les victimes de la traite ; c’est aussi le chiffre indiqué par le Souverain Pontife.

En vingt-cinq années, période qui paraît être la moyenne de la vie africaine, cela fait dix millions !

Dix millions d’humains, actuellement vivants et voués à l’existence et à la mort que nous avons décrites, en nous inspirant de cette réflexion de Livingstone :

« Quand j’ai essayé de rendre compte de la traite de l’homme dans l’est de l’Afrique, j’ai dû rester très loin de la vérité, de peur d’être taxé d’exagération ; mais à parler franchement le sujet ne permet pas qu’on exagère. En surfaire les calamités est une pure impossibilité ! »

Au dire de Son Eminence le cardinal Lavigerie, la traite ferait deux millions de victimes par an depuis que le drapeau des négriers flotte à Khartoum !

Nous en appelons aux explorateurs que nous avons cités et à tous les Européens qui ont vu de près ces infamies.

La suppression de la traite sera, nous n’en doutons pas, un coup terrible pour le Musulmanisme !

La société mahométane, telle qu’elle est organisée, depuis treize cent huit années, ne peut vivre sans esclaves. Voilà pourquoi les Arabes et les disciples du Koran sont à la tête de ce commerce.

Après sept mois de travail incessant, la Conférence anti-esclavagiste qui s’est assemblée à Bruxelles, le 18 novembre 1889, avec le concours de Sa Majesté Léopold II, d’accord avec Son Eminence le cardinal Lavigerie, a pu aboutir.

Elle a mené à bonne fin la tâche délicate et si honorable, dont elle avait été chargée, avec une louable ténacité qui l’a fait triompher de tous les obstacles suscités par les puissances. Nos lecteurs n’ont pas oublié les différends survenus entre l’Angleterre et le Portugal a propos de l’envahissement par le major Serpa Pinto, du territoire des Makololos et la prise par cet officier portugais de deux drapeaux anglais (vallée du Chiré, où le major faisait des études de chemins de fer, devant aller du Zambèze au lac Nyassa) ; les différends entre l’Angleterre et l’Allemagne, réglés, quant à présent, par le traité du mois de juin 1890 : l’opposition des Néerlandais, soucieux de leur commerce en Afrique et s’opposant aux mesures devant préserver les nègres de l’abrutissement alcoolique qui en fait une proie facile pour le chasseur d’hommes, l’établissement, en Afrique, de droits généraux d’entrée, sans lesquels tout traité anti-esclavagiste n’aurait été que platonique, puisque l’Etat Indépendant du Congo, situé en première ligne, eût été incapable d’agir avec efficacité, faute des ressources financières qui sont le nerf de la guerre et engendrées par le fisc[238]. C’étaient les villes anglaises célèbres par leurs manufactures d’armes qui s’insurgeaient parce que la Conférence voulait prohiber l’envoi, en Afrique, de leurs engins, auxiliaires puissants et indispensables de la traite ; c’étaient des divergences de vues, qui éclataient lorsqu’il s’agissait de visiter les bâtiments en route pour l’Arabie ou la Turquie, afin d’arracher de leur cale la cargaison de bétail humain qu’ils pouvaient renfermer ; c’était un Etat qui se révoltait parce qu’on l’engageait à bien fermer ses portes pour cesser d’être le débouché des marchands de nègres. Cet État n’a-t-il pas essayé jusqu’à la dernière heure de faire renvoyer à une époque ultérieure, aux calendes… turques, la signature de l’Acte général.

Aujourd’hui tout cela doit être oublié et ceux qui ont apporté leur pierre à l’édifice ont droit aux plus sincères félicitations : Français, Russes, Anglais, Belges, Portugais, Américains[239], Turcs, ceux-ci plus encore peut être que les autres, comme le dit fort logiquement un journal étranger, puisqu’ils ont eu à surmonter tant de préjugés, à faire taire de si grandes répugnances, pour accepter, dans ses plus infimes détails, le projet qui leur était proposé.

Les puissances civilisées ont affirmé aux congrès de Vienne et de Vérone, par le traité de 1841, et récemment à la conférence de Berlin, l’horreur que leur inspirait le commerce des pauvres indigènes Africains ; le traité qui est le fruit des délibérations de la conférence de Bruxelles clôt l’ère des atermoiements et ouvre la période d’exécution.

C’est une déclaration de guerre aux négriers et autres trafiquants de chair humaine que la conférence de Bruxelles a signé, le 30 juin 1890, date à jamais mémorable dans l’histoire de l’humanité et dans l’histoire de l’Église, puisque cette déclaration est la conséquence de l’intervention du Primat d’Afrique, se conformant aux instructions de S. S. Léon XIII !

Nous parlions de la période qui s’ouvre, de la période d’exécution : la première formalité à remplir va être le sanctionnement définitif de ce magnifique programme d’action par les Parlements des États Constitutionnels qui y ont adhéré. Il n’est pas à supposer qu’une seule Chambre européenne ou américaine refusera la consécration finale qu’on lui demandera.

A l’ouverture de la Conférence de Bruxelles il fut dit :

« L’Europe ne sera définitivement maîtresse de l’Afrique et ne commencera à en tirer les bénéfices rêvés que du jour où elle aura fait cesser la chasse à l’homme. Ce sont les razzias des Arabes, accompagnées de massacres, d’incendies, d’actes de dévastation terrible, qui dépeuplent l’intérieur du continent, stérilisent son sol, éloignent de plus en plus l’heure des belles moissons.

« En faisant œuvre noble et haute, la Conférence a fait en même temps, pour l’Europe, une excellente affaire, qui serait ratifiée comme marché lucratif si elle ne devait l’être comme acte de libéralisme et d’humanité. »

La nation française peut songer avec fierté que cet acte est la conséquence et la récompense des démarches et de la persévérance d’un vrai grand Français : le cardinal Lavigerie. Députés, qui lui avez marchandé et finalement refusé les cent mille francs qui lui servaient à soutenir, en Afrique, tant d’œuvres touchant de très près à l’influence de la France et à la suprématie de cette influence vis-à-vis des puissances rivales, telle est sa réponse !


Les mesquineries opportunistes et radicales, la catholicophobie ne sauraient s’opposer aux Gesta Det per Francos ! En voilà une nouvelle et indéniable preuve.


CHAPITRE XII

Acte Général De La Conférence De Bruxelles.


Au nom de Dieu Tout-Puissant,

Sa Majesté l’Empereur d’Allemagne, roi de Prusse ; Sa Majesté l’Empereur d’Autriche, roi de Bohème, etc. et roi apostolique de Hongrie ; Sa Majesté le roi des Belges ; Sa Majesté le roi de Danemark ; Sa Majesté le roi d’Espagne, et en son nom la reine régente du royaume ; Sa Majesté le roi souverain de l’Etat Indépendant du Congo ; le Président des Etats-Unis d’Amérique ; le Président de la République Française : Sa Majesté la reine du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, impératrice des Indes ; Sa Majesté le roi d’Italie ; Sa Majesté le roi des PaysBas, grand-duc de Luxembourg, etc. ; Sa Majesté le Schah de Perse ; Sa Majesté le roi de Portugal et des Algarves, etc. ; etc. ; Sa Majesté l’Empereur de toutes les Russies ; Sa Majesté le roi de Suède et de Norwège, etc. ; Sa Majesté l’Empereur des Ottomans et Sa Hautesse le Sultan de Zanzibar ;

Egalement animés de la ferme volonté de mettre un terme aux crimes et aux dévastations qu’engendre la traite des esclaves Africains, de protéger efficacement les populations aborigènes de l’Afrique, et d’assurer à ce vaste continent les bienfaits de la paix et de la civilisation ;

Voulant donner une sanction nouvelle aux décisions déjà prises dans le même sens et à diverses époques par les puissances, compléter les résultats qu’elles ont obtenus et arrêter un ensemble de mesures qui garantissent l’accomplissement de l’œuvre qui fait l’objet de leur commune sollicitude ;

Ont résolu, sur l’invitation qui leur a été adressée par le gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges, d’accord avec le gouvernement de Sa Majesté la reine du Royaume-Uni de la Grande Bretagne et d’Irlande, impératrice des Indes, de réunir à cet effet une conférence à Bruxelles, et ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir :

Sa Majesté l’empereur d’Allemagne, roi de Prusse :

Les sieurs, etc., etc.

Lesquels, munis de pleins pouvoirs qui ont été trouvés en bonne et due forme, ont adopté les dispositions suivantes :


CHAPITRE Ier

Pays de traite. — Mesures à prendre aux lieux d’origine.

Article 1er. — Les puissances déclarent que les moyens les plus efficaces pour combattre la traite à l’intérieur de l’Afrique sont les suivants :

1° Organisation progressive des services administratifs, judiciaires, religieux et militaires dans les territoires d’Afrique placés sous la souveraineté ou le protectorat des nations civilisées ;

2° Etablissement graduel, à l’intérieur, par les puissances de qui relèvent les territoires, de stations fortement occupées, de manière que leur action protectrice ou répressive puisse se faire sentir avec efficacité dans les territoires dévastes par les chasses à l’homme ;

3° Construction de routes et notamment de voies ferrées reliant les stations avancées à la côte et permettant d’accéder aisément aux eaux intérieures et sur le cours supérieur des fleuves et rivières qui seraient coupés par des rapides et des cataractes, en vue de substituer des moyens économiques et accélérés de transport au portage actuel par l’homme :

4° Installation de bateaux à vapeur sur les eaux intérieures navigables et sur les lacs, avec l’appui de postes fortifiés établis sur les rives ;

5° Etablissement de lignes télégraphiques assurant la communication des postes et des stations avec la côte et les centres d’administrations ;

6° Organisation d’expéditions et de colonnes mobiles, qui maintiennent les communications des stations entre elles et avec la côte, en appuient l’action répressive et assurent la sécurité des routes de parcours ;

7° Restriction de l’importation des armes à feu, au moins des armes perfectionnées, et des munitions dans toute l’étendue des territoires atteints par le traité ;

Art. 2. — Les stations, les croisières intérieures organisées par chaque puissance dans ses eaux et les postes qui leur servent de port d’attache, indépendamment de leur mission principale, qui sera d’empêcher la capture d’esclaves et d’intercepter les routes de la traite, auront pour tâche subsidiaire :

1° De servir de point d’appui et au besoin de refuge aux populations indigènes placées sous la souveraineté ou le protectorat de l’Etat de qui relève la station, aux populations indépendantes, et temporairement à toutes autres en cas de danger imminent ; de mettre les populations de la première de ces catégories à même de concourir à leur propre défense, de diminuer les guerres intestines entre les tribus par la voie de l’arbitrage ; de les initier aux travaux agricoles et aux arts professionnels, de façon à accroître leur bien-être, à les élever à la civilisation par l’extinction des coutumes barbares, telles que le cannibalisme et les sacrifices humains ;

2° De prêter aide et protection aux entreprises du commerce, d’en surveiller la légalité en contrôlant notamment les contrats de service avec les indigènes et de préparer la fondation de centres de culture permanents et d’établissements commerciaux ;

3° De protéger, sans distinction de culte, les missions établies ou à établir ;

4° De pourvoir au service sanitaire et d’accorder l’hospitalité et des secours aux explorateurs et à tous ceux qui participent en Afrique à l’œuvre de répression de la traite.

Art. 3. — Les puissances qui exercent une souveraineté ou un protectorat en Afrique, confirmant et précisant leurs déclarations antérieures, s’engagent à poursuivre graduellement, suivant que les circonstances le permettront, soit par les moyens indiqués ci-dessus, soit par tous autres qui leur paraîtront convenables, la répression de la traite, chacune dans ses possessions respectives et sous sa direction propre. Toutes les fois qu’elles le jugeront possible, elles prêteront leurs bons offices aux puissances qui, dans un but purement humanitaire, accompliraient en Afrique une mission analogue.

Art. 4. — Les puissances exerçant des pouvoirs souverains ou des protectorats en Afrique, pourront toutefois déléguer à des compagnies munies de chartes, tout ou partie des engagements qu’elles assument en vertu de l’article 3. Elles demeureront néanmoins directement responsables des engagements qu’elles contractent par le présent Acte général et en garantissent l’exécution.

Les puissances promettent accueil, aide et protection aux associations nationales et aux initiatives individuelles qui voudraient coopérer, dans leurs possessions, à la répression de la traite, sous la réserve de leur autorisation préalable et révocable en tout temps, de leur direction et contrôle et à l’exclusion de tout exercice de la souveraineté.

Art. 5. — Les puissances contractantes s’obligent, à moins qu’il n’y soit pourvu déjà par des lois conformes à l’esprit du présent article, à édicter ou à proposer à leurs législatures respectives, dans le délai d’un an, au plus tard, à partir de la date de la signature du présent Acte général, une loi rendant applicables, d’une part, les dispositions de leur législation pénale qui concernent les attentats envers les personnes, aux organisateurs et aux coopérateurs des chasses à l’homme, aux auteurs de la mutilation des adultes et des enfants mâles et à tous individus participant à la capture des esclaves par violence ; et d’autre part, les dispositions qui concernent les attentats à la liberté individuelle, aux convoyeurs, transporteurs et marchands d’esclaves.

Les co-auteurs et complices des diverses catégories spécifiées ci-dessus, les capteurs et trafiquants d’esclaves, seront punis de peines proportionnées à celles encourues par les auteurs.

Les coupables, qui se seraient soustraits à la juridictions des autorités où les crimes ou délits auraient été commis, seront mis en arrestation soit sur communication des pièces de l’instruction de la part des autorités qui ont constaté les infractions, soit sur toute autre preuve de culpabilité, par les soins de la puissance sur le territoire de laquelle ils auront été découverts, et tenus sans autre formalité, à la disposition des tribunaux compétents pour les juger.

Les puissances se communiqueront, dans le plus bref délai possible, les lois et décrets existants ou promulgués en exécution du présent article.

Art. 6. — Les esclaves libérés, à la suite de l’arrestation ou de la dispersion d’un convoi, à l’intérieur du continent, seront renvoyés, si les circonstances le permettent, dans leur pays d’origine ; sinon l’autorité locale leur facilitera, autant que possible, les moyens de vivre, et, s’ils le désirent, de se fixer dans la contrée.

Art. 7. — Tout esclave fugitif qui, sur le continent, réclamera la protection des puissances signataires, devra l’obtenir et sera reçu dans les camps et stations officiellement établis par elles ou à bord des bâtiments de l’Etat naviguant sur les lacs et rivières. Les stations et les bateaux privés ne sont admis à exercer le droit d’asile que sous la réserve du consentement préalable de l’Etat.

Art. 8. — L’expérience de toutes les nations qui ont des rapports avec l’Afrique ayant démontré le rôle pernicieux et prépondérant des armes à feu dans les opérations de la traite et dans les guerres intestines entre les tribus indigènes, et cette même expérience ayant prouvé manifestement que la conservation des populations africaines, dont les puissances ont la volonté expresse de sauvegarder l’existence, est une impossibilité radicale si des mesures restrictives du commerce des armes à feu et des munitions ne sont établies, les puissances décident, pour autant que le permet l’état actuel de leurs frontières, que l’importation des armes à feu et spécialement des armes rayées et perfectionnées, ainsi que de la poudre, des balles et des cartouches, est, sauf dans les cas et sous les conditions prévus dans l’article suivant, interdite dans les territoires compris entre le 20e parallèle nord et le 22e parallèle sud et aboutissant vers l’ouest à l’Océan Atlantique, vers l’est à l’Océan Indien et ses dépendances, y compris les îles adjacentes au littoral jusqu’à 400 milles marins de la côte.

Art. 9. — L’introduction des armes à feu et de leurs munitions, lorsqu’il y aura lieu de l’autoriser dans les possessions des puissances signataires qui exercent des droits de souveraineté ou de protectorat en Afrique, sera réglée, à moins qu’un régime identique ou plus rigoureux n’y soit déjà appliqué, de la manière suivante, dans la zone déterminée par l’article 8.

Toutes armes à feu importées devront être déposées, aux frais, risques et périls des importateurs, dans un entrepôt public placé sous le contrôle de l’administration de l'Etat. Aucune sortie d’armes à feu ni de munitions importées ne pourra avoir lieu des entrepôts sans l’autorisation préalable de l’administration. Cette autorisation, sauf les cas spécifiés ci-après, sera refusée pour la sortie de toutes armes de précision telles que fusils rayés, à magasin, ou se chargeant par la culasse, entières ou en pièces détachées, de leurs cartouches, des capsules ou d’autres munitions destinées à les approvisionner.

Dans les ports de mer et sous les conditions offrant les garanties nécessaires, les gouvernements respectifs pourront admettre aussi les entrepôts particuliers, mais seulement pour la poudre ordinaire et les fusils à silex et à l’exclusion des armes perfectionnées et de leurs munitions.

Indépendamment des mesures prises directement par les gouvernements pour l’armement de la force publique et l’organisation de leur défense, des exceptions pourront être admises, à titre individuel, pour des personnes offrant une garantie suffisante que l’arme et les munitions qui leur seraient délivrées ne seront pas données, cédées ou vendues à des tiers, et pour les voyageurs munis d’une déclaration de leur gouvernement constatant que l’arme et ses munitions sont exclusivement destinées à leur défense personnelle.

Toute arme, dans les cas prévus par le paragraphe précédent, sera enregistrée et marquée par l’autorité préposée au contrôle, qui délivrera aux personnes dont il s’agit des permis de port d’armes, indiquant le nom du porteur et l’estampille de laquelle l’arme est marquée. Ces permis, révocables en cas d’abus constaté, ne seront délivrés que pour cinq ans, mais pourront être renouvelés.


La règle ci-dessus établie de l’entrée en dépôt s’appliquera également à la poudre.

Ne pourront être retirés des entrepôts pour être mis en vente que les fusils à silex non rayés, ainsi que les poudres communes dites de traite. A chaque sortie d’armes et de munitions de cette nature destinées à la vente, les autorités locales détermineront les régions où ces armes et munitions pourront être vendues. Les régions atteintes par la traite seront toujours exclues. Les personnes autorisées à faire sortir des armes ou de la poudre s’obligeront à présenter, tous les six mois, à l’administration, des listes détaillées indiquant les destinations qu’ont reçues lesdites armes à feu et les poudres déjà vendues, ainsi que les quantités qui restent en magasin.

Art. 10. — Les gouvernements prendront toutes les mesures qu’ils jugeront nécessaires pour assurer l’exécution aussi complète que possible des dispositions relatives à l’importation, à la vente et au transport des armes à feu et des munitions, ainsi que pour en empêcher soit l’entrée et la sortie par leurs frontières intérieures, soit le passage sur les régions où la traite sévit.

L’autorisation de transit ne pourra être refusée, dans les limites de la zone spécifiée, lorsque les armes et munitions doivent passer à travers le territoire d’une puissance signataire ou adhérente, à moins que cette dernière puissance n’ait un accès direct à la mer par son propre territoire. Si cet accès était complètement interrompu, l’autorisation de transit ne pourra non plus être refusée. Toute demande de transit doit être accompagnée d’une déclaration émanée du gouvernement de la puissance ayant des possessions à l’intérieur et certifiant que les dites armes et munitions ne sont pas destinées à la vente mais à l’usage des autorités de la puissance ou de la force militaire nécessaire pour la protection des stations de missionnaires ou de commerce ou bien des personnes désignées nominativement dans la déclaration. Toutefois, la puissance territoriale de la côte se réserve le droit d’arrêter, exceptionnellement et provisoirement, le transit des armes et des munitions à travers son territoire, si, par suite de troubles à l’intérieur ou d’autres graves dangers, il y avait lieu de craindre que l’envoi des armes et munitions, ne pût compromettre sa propre sécurité[240].

Art. 11. — Les puissances se communiqueront les renseignements relatifs au trafic des armes à feu et des munitions, aux permis accordés ainsi qu’aux mesures de répression appliquées dans leurs territoires respectifs.

Art. 12. — Les puissances s’engagent à adopter ou à proposer à leurs législatures respectives, les mesures nécessaires afin que les contrevenants aux défenses établies par les articles 8 et 9 soient partout punis ainsi que leurs complices, outre la saisie et la confiscation des armes et des munitions prohibées, soit de l’amende, soit de l’emprisonnement, soit de ces deux peines réunies, proportionnellement à l’importance de l’infraction et suivant la gravité de chaque cas.

Art. 13. — Les puissances signataires qui ont en Afrique des possessions en contact avec la zone spécifiée à l’article 8, s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’introduction des armes à feu et des munitions, par leurs frontières intérieures, dans les régions de ladite zone, tout au moins celle des armes perfectionnées et des cartouches.

Art. 14. — Le régime stipulé aux articles 8 à 13 inclusivement restera en vigueur pendant douze ans. Dans le cas où aucune des parties contractantes n’aurait, douze mois avant l’expiration de cette période, notifié son intention d’en faire cesser les effets, ni demandé la révision, il continuera de rester obligatoire pendant deux ans, et ainsi de suite de deux en deux ans.

CHAPITRE II

Routes des caravanes et transports d’esclaves par terre[241].

Art. 15. — Indépendamment de leur action répressive et protectrice aux foyers de la traite, les stations, croisières et postes dont l’établissement est prévu à l’article 2 et toutes autres stations établies ou reconnues aux termes de l’article 4 par chaque gouvernement dans ses possessions, auront en outre pour mission de surveiller, autant que les circonstances le permettront, et au fur et à mesure du progrès de leur organisation administrative, les routes suivies sur leur territoire par les trafiquants d’esclaves, d’y arrêter les convois en marche ou de les poursuivre partout où leur action pourra s’exercer légalement.

Art. 16. — Dans les régions du littoral connues comme servant de lieux habituels de passage ou de points d’aboutissement aux transports d’esclaves venant de l’intérieur, ainsi qu’aux points de croisement des principales routes de caravanes traversant la zone voisine de la côte déjà soumise à l’action des puissances souveraines ou protectrices, des postes seront établis dans les conditions et sous les réserves mentionnées à l’article 3, par les autorités dont relèvent les territoires, à l’effet d’intercepter les convois et de libérer les esclaves.

Art. 17. — Une surveillance rigoureuse sera organisée par les autorités locales dans les ports et les contrées avoisinant la côte, à l’effet d’empêcher la mise en vente et l’embarquement des esclaves amenés de l’intérieur, ainsi que la formation de bandes de chasseurs à l’homme et de marchands d’esclaves.

Les caravanes débouchant à la côte ou dans son voisinage, ainsi que celles aboutissant à l’intérieur dans une localité occupée par les autorités de la puissance territoriale, seront, dès leur arrivée, soumises à un contrôle minutieux quant à la composition de leur personnel. Tout individu qui serait reconnu avoir été capturé et enlevé de force ou mutilé, soit dans son pays natal, soit en route, sera mis en liberté.

Art. 18. — Dans les possessions de chacune des puissances contractantes, l’administration aura le devoir de protéger les esclaves libérés, de les rapatrier, si c’est possible, de leur procurer des moyens d’existence et de pourvoir, en particulier, à l’éducation et à l’établissement des enfants délaissés.

Art. 19. — Les dispositions pénales prévues à l’article 5 seront rendues applicables à tous les actes criminels et délictueux accomplis au cours des opérations qui ont pour objet le transport et le trafic des esclaves par terre, à quelque moment que ces actes soient constatés.

Tout individu qui aurait encouru une pénalité à raison d’une infraction prévue par le présent Acte général, sera soumis à l’obligation de fournir un cautionnement avant de pouvoir entreprendre une opération commerciale dans les pays où se pratique la traite.

CHAPITRE III

Répression de la traite sur mer.

§ I. — dispositions générales

Art. 20. — Les puissances signataires reconnaissent l’opportunité de prendre d’un commun accord des dispositions ayant pour objet d’assurer plus efficacement la répression de la traite dans la zone maritime où elle existe encore.

Art. 21. — Cette zone s’étend entre, d’une part, les côtes de l’Océan Indien (y compris le golfe Persique et la mer Rouge) depuis le Bélouchistan jusqu’à la pointe de Tangalane (Quilimane) et, d’autre part, une ligne conventionnelle qui suit d’abord le méridien de Tangalane jusqu’au point de rencontre avec le 26° de latitude sud, se confond ensuite avec ce parallèle, puis contourne l’île de Madagascar par l’est en se tenant à 20 milles de la côte orientale et septentrionale, jusqu’à son intersection avec le méridien du cap d’Ambre. De ce point, la limite de la zone est déterminée par une ligne oblique qui va rejoindre la côte du Bélouchistan, en passant à 20 milles au large du cap Raz-el-Had.

Art. 22. — Les puissances signataires du présent Acte général, entre lesquelles il existe des conventions particulières pour la suppression de la traite, se sont mises d’accord pour restreindre les clauses de ces conventions concernant le droit réciproque de visite, de recherche et de saisie des navires de mer, à la zone susdite.

Art. 23. — Les mêmes puissances sont également d’accord pour limiter le droit susmentionné aux navires d’un tonnage inférieur à 500 tonneaux.

Cette stipulation sera révisée dès que l’expérience en aura démontré la nécessité.

Art. 24. — Toutes les autres dispositions des conventions conclues entre lesdites puissances pour la suppression de la traite restent en vigueur pour autant qu’elles ne seront pas modifiées par le présent Acte général.

Art. 25. — Les puissances signataires s’engagent à prendre des mesures efficaces pour prévenir l’usurpation de leur pavillon et pour empêcher le transport des esclaves sur les bâtiments autorisés à arborer leurs couleurs.

Art. 26. — Les puissances signataires s’engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter le prompt échange de renseignements propres à amener la découverte des personnes qui se livrent aux opérations de la traite.

Art. 27. — Un bureau international au moins sera crée ; il sera établi à Zanzibar. Les hautes parties contractantes s’engagent à lui faire parvenir tous les documents spécifiés à l’article 41, ainsi que les renseignements de toute nature susceptibles d’aider à la répression de la traite.

Art. 28. — Tout esclave qui se sera réfugié à bord d’un navire de guerre sous pavillon d’une des puissances signataires sera immédiatement et définitivement affranchi, sans que cet affranchissement puisse le soustraire à la juridiction compétente s’il a commis un crime ou délit de droit commun.

Art. 29. — Tout esclave retenu contre son gré à bord d’un bâtiment indigène aura le droit de réclamer sa liberté.

Son affranchissement pourra être prononcé par tout agent des puissances signataires, à qui le présent Acte général donne le droit de contrôler l’état des personnes à bord des dits bâtiments, sans que cet affranchissement puisse le soustraire à la juridiction compétente, si un crime ou délit de droit commun a été commis par lui.

§ II. — règlement concernant l’usage du pavillon et la surveillance des croiseurs
1. — Règles pour la concession du pavillon aux bâtiments indigènes, le rôle de l’équipage et le manifeste des passagers noirs.

Art. 30. — Les puissances signataires s’engagent à exercer une surveillance rigoureuse sur les bâtiments indigènes autorisés à porter leur pavillon dans la zone indiquée à l’article 21, et sur les opérations commerciales effectuées par ces bâtiments.

Art. 31. — La qualification de bâtiment indigène s’applique aux navires qui remplissent une des deux conditions suivantes :

1o Présenter les signes extérieurs d’une construction ou d’un gréement indigène ;

2o Etre monté par un équipage dont le capitaine et la majorité des matelots soient originaires d’un des pays baignés par les eaux de l’Océan Indien, de la mer Rouge ou du golfe Persique.

Art. 32. — L’autorisation d’arborer le pavillon d’une des susdites puissances ne sera accordée à l’avenir qu’aux bâtiments indigènes qui satisferont à la fois aux trois conditions suivantes :

1o Les armateurs ou propriétaires devront être sujets ou protégés de la puissance dont ils demandent à porter les couleurs ;

2o Ils seront tenus d’établir qu’ils possèdent des biens-fonds dans la circonscription de l’autorité à qui est adressée leur demande ou de fournir une caution solvable pour la garantie des amendes qui pourraient être éventuellement encourues ;

3o Lesdits armateurs ou propriétaires, ainsi que le capitaine du bâtiment, devront fournir la preuve qu’ils jouissent d’une bonne réputation et notamment n’avoir jamais été l’objet d’une condamnation pour faits de traite.

Art. 33. — L’autorisation accordée doit être renouvelée chaque année. Elle pourra toujours être suspendue ou retirée par les autorités de la puissance dont le bâtiment porte les couleurs.

Art 34. — L’acte d’autorisation portera les indications nécessaires pour établir l’identité du navire. Le capitaine en sera détenteur. Le nom du bâtiment indigène et l’indication de son tonnage devront être incrustés et peints en caractères latins à la proue ; et la ou les lettres initiales de son port d’attache, ainsi que le numéro d’enregistrement dans la série des numéros de ce port, seront imprimés en noir sur les voiles.

Art 35. — Un rôle d’équipage sera délivré au capitaine du bâtiment au port de départ par l’autorité de la puissance dont il porte le pavillon. Il sera renouvelé à chaque armement du bâtiment ou, plus tard, au bout d’une année, et conformément aux dispositions suivantes :

1° Le rôle sera, au moment du départ, visé par l’autorité qui l’a délivré ;

2* Aucun noir ne pourra être engagé comme matelot sur un bâtiment sans qu’il ait été préalablement interrogé par l’autorité de la puissance dont ce bâtiment porte le pavillon ou, à défaut de celle-ci, par l’autorité territoriale, à l’effet d’établir qu’il contracte un engagement libre ;

3° Cette autorité tiendra la main à ce que la proportion des matelots ou mousses ne soit pas anormale par rapport au tonnage ou au gréement des bâtiments ;

4° L’autorité qui aura interrogé les hommes préalablement à leur départ, les inscrira sur le rôle d’équipage, où ils figureront avec le signalement sommaire de chacun d’eux en regard de son nom ;

5° Afin d’empêcher plus sûrement les substitutions, les matelots pourront, en outre, être pourvus d’une marque distinctive.

Art. 36. — Lorsque le capitaine d’un bâtiment désirera embarquer des passagers noirs, il devra en faire la déclaration à l’autorité de la puissance dont il porte le pavillon ou à défaut de celle-ci à l’autorité territoriale. Les passagers seront interrogés et, quand il aura été constaté qu’ils s’embarquent librement, ils seront inscrits sur un manifeste spécial donnant le signalement de chacun d’eux en regard de son nom, et indiquant notamment le sexe et la taille. Les enfants noirs ne pourront être admis comme passagers qu’autant qu’ils seront accompagnés de leurs parents ou de personnes dont l’honorabilité serait notoire. Au départ, le manifeste des passagers sera visé par l’autorité indiquée ci-dessus, après qu’il aura été procédé à un appel. S’il n’y a pas de passagers à bord, mention expresse en sera faite sur le rôle d’équipage.

Art. 37. — A l’arrivée dans tout port de relâche ou de destination, le capitaine du bâtiment produira devant l’autorité de la puissance dont il porte le pavillon ou, à défaut de celle-ci, devant l’autorité territoriale, le rôle d’équipage et, s’il y a lieu, les manifestes de passagers antérieurement délivrés. L’autorité contrôlera les passagers arrivés à destination ou s’arrêtant dans un port de relâche, et fera mention de leur débarquement sur le manifeste. Au départ, la même autorité apposera de nouveau son visa au rôle et au manifeste, et fera l’appel des passagers.

Art. 38. — Sur le littoral africain et dans les îles adjacentes, aucun passager noir ne sera embarqué à bord d’un bâtiment indigène en dehors des localités où réside une autorité relevant d’une des puissances signataires.

Dans toute l’étendue de la zone prévue à l’article 21, aucun passager noir ne pourra être débarqué d’un bâtiment indigène hors d’une localité où réside une autorité relevant d’une des hautes parties contractantes et sans que cette autorité assiste au débarquement.

Les cas de force majeure qui auraient déterminé l’infraction à ces dispositions, devront être examinés par l’autorité de la puissance dont le bâtiment porte les couleurs, ou, à défaut de celle-ci, par l’autorité territoriale du port dans lequel le bâtiment inculpé fera relâche.

Art. 39. — Les prescriptions des articles 35, 36, 37 et 38 ne sont pas applicables aux bateaux non pontés entièrement, ayant un maximum de dix hommes d’équipage et qui satisferont à l’une des deux conditions suivantes :

1° S’adonner exclusivement à la pêche dans les eaux territoriales ;

2° Se livrer au petit cabotage entre les différents ports de la même puissance territoriale, sans s’éloigner de la côte à plus de cinq milles.

Ces différents bateaux recevront, suivant les cas, de l’autorité territoriale ou de l’autorité consulaire, une licence spéciale renouvelable chaque année et révocable dans les conditions prévues à l’article 40, et dont le modèle uniforme, annexé au présent Acte général, sera communiqué au Bureau international de renseignements.

Art. 40. — Tout acte ou tentative de traite, légalement constaté à la charge du capitaine, armateur ou propriétaire d’un bâtiment autorisé à porter le pavillon d’une des puissances signataires ou ayant obtenu la licence prévue à l’article 39, entraînera le retrait immédiat de cette autorisation ou de cette licence. Toutes les infractions aux prescriptions du paragraphe 2 du chapitre 3 seront punies, en outre, des pénalités édictées par les lois et ordonnances spéciales à chacune des puissances contractantes.

Art. 41. — Les puissances signataires s’engagent à déposer au Bureau international de renseignements les modèles-types des documents ci-après :

1° Titre autorisant le port du pavillon ;

2° Rôle d’équipage ;

3° Manifeste des passagers noirs.

Ces documents, dont la teneur peut varier suivant les règlements propres à chaque pays, devront renfermer obligatoirement les renseignements suivants, libellés dans une langue européenne :

I. En ce qui concerne l’autorisation de porter le pavillon :

a. Le nom, le tonnage, le gréement et les dimensions principales du bâtiment ;

b. Le numéro d’inscription et la lettre signalétique du port d’attache ;

c. La date de l’obtention du permis et la qualité du fonctionnaire qui l’a délivré.

II. En ce qui concerne le rôle d’équipage :

a. Le nom du bâtiment, du capitaine et de l’armateur ou des propriétaires ;

b. Le tonnage du bâtiment ;

c. Le numéro d’inscription et le port d’attache du navire, sa destination, ainsi que les renseignements spécifiés à l’article 25.

III. En ce qui concerne le manifeste des passagers noirs :

Le nom du bâtiment qui les transporte et les renseignements indiqués à l’article 36 et destinés à bien identifier les passagers.

Les puissances signataires prendront les mesures nécessaires pour que les autorités territoriales ou leurs consuls envoient au même Bureau des copies certifiées de toute autorisation d’arborer leur pavillon, dès qu’elle aura été accordée, ainsi que l’avis du retrait dont ces autorisations auraient été l’objet.

Les dispositions du présent article ne concernent que les papiers destinés aux bâtiments indigènes.

2. — De l’arrêt des bâtiments suspects.

Art. 42. — Lorsque les officiers commandant les bâtiments de guerre de l’une des puissances signataires auront lieu de croire qu’un bâtiment d’un tonnage inférieur à 500 tonneaux et rencontré dans la zone ci-dessus indiquée, se livre à la traite ou est coupable d’une usurpation de pavillon, ils pourront recourir à la vérification des papiers abord.

Le présent article n’implique aucun changement à l’état de choses actuel en ce qui concerne la juridiction dans les eaux territoriales.

Art. 43. — Dans ce but, un canot, commandé par un officier de vaisseau en uniforme, pourra être envoyé à bord du navire suspect, après qu’on l’aura bêlé pour lui donner avis de cette intention.

L’officier envoyé à bord du navire arrêté devra procéder avec tous les égards et tous les ménagements possibles.

Art. 44. — La vérification des papiers consistera dans l’examen des pièces suivantes :

1° En ce qui concerne les bâtiments indigènes, les papiers mentionnés à l’article 41.

2° En ce qui concerne les autres bâtiments, les pièces stipulées dans les différents traités ou conventions maintenus en vigueur.

La vérification des papiers de bord n’autorise rappel de l’équipage et des passagers que dans les cas et suivant les conditions prévus à l’article suivant.

Art. 45. — L’enquête sur le chargement du bâtiment ou la visite ne peut avoir lieu qu’à l’égard des bâtiments naviguant sous le pavillon d’une des puissances qui ont conclu ou viendraient à conclure les conventions particulières visées à l’article 22 et conformément aux prescriptions de ces conventions.

Art. 46. — Avant de quitter le bâtiment arrêté, l’officier dressera un procès-verbal suivant les formes et dans la langue en usage dans le pays auquel il appartient.

Ce procès-verbal doit être daté et signé par l’officier et constater les faits.

Le capitaine du navire arrêté, ainsi que les témoins, auront le droit de faire ajouter au procès-verbal toutes explications qu’ils croiront utiles.

Art. 47. — Le commandant d’un bâtiment de guerre qui aurait arrêté un navire sous pavillon étranger doit, dans tous les cas, faire un rapport à son gouvernement en indiquant les motifs qui l’ont fait agir.

Art. 48. — Un résumé de ce rapport, ainsi qu’une copie du procès-verbal dressé par l’officier à bord du navire arrêté, seront, le plus tôt possible, expédiés au Bureau international de renseignements, qui en donnera communication à l’autorité consulaire ou territoriale la plus proche de la puissance dont le navire arrête en route a arboré le pavillon. Des doubles de ces documents seront conservés aux archives du Bureau.

Art. 49. — Si, par suite de l’accomplissement des actes de contrôle mentionnés dans les articles précédents, le croiseur est convaincu qu’un fait de traite a été commis à bord durant la traversée ou qu’il existe des preuves irrécusables contre le capitaine ou l’armateur pour l’accuser d’usurpation de pavillon, de fraude ou de participation à la traite, il conduira le bâtiment arrêté dans le port de la zone le plus rapproché où se trouve une autorité compétente de la puissance dont le pavillon a été arboré.

Chaque puissance signataire s’engage à désigner dans la zone et à faire connaître au Bureau international de renseignements les autorités territoriales ou consulaires ou les délégués spéciaux qui seraient compétents dans les cas visés ci-dessus.

Le bâtiment soupçonné peut également être remis à un croiseur de sa nation, si ce dernier consent à en prendre charge.

3. — De l’enquête et du jugement des bâtiments saisis.

Art. 50. — L’autorité visée à l’article précédent, à laquelle le navire arrêté a été remis, procédera à une enquête complète, selon les lois et règlements de sa nation, en présence d’un officier du croiseur étranger.

Art. 51. — S’il résulte de l’enquête qu’il y a eu usurpation du pavillon, le navire arrêté restera à la disposition du capteur.

Art. 52. — Si l’enquête établit un fait de traite défini par la présence à bord d’esclaves destinés à être vendus ou d’autres faits prévus par les conventions particulières, le navire et sa cargaison demeureront sous séquestre, à la garde de l’autorité qui a dirigé l’enquête.

Le capitaine et l’équipage seront déférés aux tribunaux désignés aux articles 54 et 56. Les esclaves seront mis en liberté après qu’un jugement aura été rendu.

Dans les cas prévus par cet article, il sera disposé des esclaves libérés conformément aux conventions particulières conclues ou à conclure entre les puissances signataires. A défaut de ces conventions, lesdits esclaves pourront être remis à l’autorité locale, pour être renvoyés, si c’est possible, à leur pays d’origine ; sinon cette autorité leur facilitera, autant qu’il dépendra d’elle, les moyens de vivre, et, s’ils le désirent, de se fixer dans la contrée.

Art. 53. — Si l’enquête prouve que le bâtiment est arrêté illégalement, il y aura lieu de plein droit à une indemnité proportionnelle au préjudice éprouvé par le bâtiment détourné de sa route.

La quotité de cette indemnité sera fixée par l’autorité qui a dirigé l’enquête.

Art. 54. — Dans le cas où. l’officier du navire capteur n’accepterait pas les conclusions de l’enquête effectuée en sa présence, la cause serait, de plein droit, déférée au tribunal dont le bâtiment capture aurait arboré les couleurs.

Il ne sera fait d’exception à cette règle que dans le cas où le différend porterait sur le chiffre de l’indemnité stipulée à l’article 53, lequel sera fixé par voie d’arbitrage, ainsi qu’il est spécifié à l’article suivant.

Art. 55. — L’officier capteur et l’autorité qui aura dirigé l’enquête désigneront chacun dans les quarante-huit heures un arbitre et les deux arbitres choisis auront eux-mêmes vingt-quatre heures pour désigner un sur-arbitre. Les arbitres devront être choisis, autant que possible, parmi les fonctionnaires diplomatiques, consulaires ou judiciaires des puissances signataires. Les indigènes se trouvant à la solde des gouvernements contractants sont formellement exclus. La décision est prise à la majorité des voix. Elle doit être reconnue comme définitive.

Si la juridiction arbitrale n’est pas constituée dans les délais indiqués, il sera procédé, pour l’indemnité comme pour les dommages-intérêts, conformément aux dispositions de l’article 58, paragraphe 2.

Art. 56. — Les causes sont déférées, dans le plus bref délai possible, au tribunal de la nation dont les prévenus ont arboré les couleurs. Cependant les consuls ou toute autre autorité de la même nation que les prévenus, spécialement commissionnés à cet effet, peuvent être autorisés par leur gouvernement à rendre les jugements aux lieu et place des tribunaux.

Art. 57. — La procédure et le jugement des infractions aux dispositions du chapitre III auront toujours lieu aussi sommairement que le permettent les lois et règlements en vigueur dans les territoires soumis à l’autorité des puissances signataires.

Art. 58. — Tout jugement du tribunal national ou des autorités visées à l’article 51 déclarant que le navire arrêté ne s’est point livré à la traite sera exécuté sur-le-champ, et pleine liberté sera rendue au navire de continuer sa route.

Dans ce cas, le capitaine ou l’armateur du navire arrêté sans motif légitime de suspicion ou ayant été soumis à des vexations, aura le droit de réclamer des dommages-intérêts dont le montant serait fixé de commun accord entre les gouvernements directement intéressés ou pair voie d’arbitrage, et payé dans le délai de six mois à partir de la date du jugement qui a acquitté la prise.

Art. 59. — En cas de condamnation, le navire séquestré sera déclaré de bonne prise au profit du capteur.

Le capitaine, l’équipage et toutes autres personnes reconnus coupables seront punis, selon la gravité des crimes ou délits commis par eux, et conformément à l’article 5.

Art. 60. — Les dispositions des articles 50 à 59 ne portent aucune atteinte ni à la compétence ni à la procédure des tribunaux spéciaux existants ou de ceux à créer pour connaître des faits de traite.

Art. 61. — Les hautes parties contractantes s’engagent à se communiquer réciproquement les instructions qu’elles donneront, en exécution des dispositions du chapitre III, aux commandants de leurs bâtiments de guerre naviguant dans les mers de, la

zone indiquée.

CHAPITRE IV

Pays de destination dont les institutions comportent l’existence de l’esclavage domestique.

Art. 62. — Les puissances contractantes dont les institutions comportent l’existence de. l’esclavage domestique, et dont, par suite de ce fait, les possessions situées dans ou hors l’Afrique, servent, malgré la vigilance des autorités, de lieux de destination aux esclaves Africains, s’engagent à en prohiber l’importation, le transit, la sortie ainsi que le commerce. La surveillance la plus active et la plus sévère possible sera organisée par elles sur tous les points où s’opèrent l’entrée, le passage et la sortie des esclaves Africains.

Art. 63. — Les esclaves libérés en exécution de l’article précédent seront, si les circonstances le permettent, renvoyés dans leur pays d’origine. Dans tous les cas, ils recevront des lettres d’affranchissement des autorités compétentes et auront droit à leur protection et à leur assistance afin de trouver des moyens d’existence.

Art. 64. — Tout esclave fugitif arrivant à la frontière d’une des puissances mentionnées à l’article 62 sera réputé libre et sera en droit de réclamer des autorités compétentes des lettres d’affranchissement.

Art. 65. — Toute vente ou transaction dont les esclaves visés aux articles 63 et 64 auraient été l’objet par suite de circonstances quelconques, sera considérée comme nulle et non avenue.

Art. 66. — Les navires indigènes portant le pavillon d’un des pays mentionnés à l’article 62, s’il existe des indices qu’ils se livrent à des opérations de traite, seront soumis par les autorités locales, dans les ports qu’ils fréquentent, à une vérification rigoureuse de leur équipage et des passagers, tant à l’entrée qu’à la sortie. En cas de présence à bord d’esclaves Africains, il sera procédé judiciairement contre le bâtiment et contre toute personne qu’il y aura lieu d’inculper. Les esclaves trouvés à bord recevront des lettres d’affranchissement par les soins des autorités qui auront opéré la saisie des navires.

Art. 67. — Des dispositions pénales en rapport avec celles prévues par l’article 5 seront édictées contre les importateurs, transporteurs et marchands d’esclaves Africains, contre les auteurs de mutilation d’enfants ou d’adultes mâles et ceux qui en trafiquent, ainsi que contre leurs co-auteurs et complices.

Art. 68. — Les puissances signataires reconnaissent la haute valeur de la loi sur la prohibition de la traite des noirs, sanctionnée par Sa Majesté l’empereur des Ottomans le 4/16 décembre 1889 (22 Rebi ul-Akhir 1307), et elles sont assurées qu’une surveillance active sera organisée par les autorités ottomanes, particulièrement sur la côte occidentale de l’Arabie et sur les routes qui mettent cette côte en communication avec les autres possessions de Sa Majesté Impériale en Asie.

Art. 69. — Sa Majesté le Shah de Perse consent à organiser une surveillance active dans les eaux territoriales et sur celles des côtes du golfe Persique et du golfe d’Oman, qui sont placées sous sa souveraineté, ainsi que sur les routes intérieures qui servent au transport des esclaves. Les magistrats et les autres autorités recevront à cet effet les pouvoirs nécessaires.

Art. 70. — Sa Hautesse le sultan de Zanzibar consent à prêter son concours le plus efficace pour la répression des crimes et délits commis par les trafiquants d’esclaves Africains sur terre comme sur mer. Les tribunaux institués à cette fin dans le sultanat de Zanzibar appliqueront strictement les dispositions pénales prévues à l’article 5. Afin de mieux as8arer la liberté des esclaves libérés, tant en vertu des dispositions du présent Acte général que des décrets rendus en cette matière par Sa Hautesse et ses prédécesseurs, un bureau d’affranchissement sera établi à Zanzibar.

Art. 71. — Les agents diplomatiques et consulaires et les officiers de marine des puissances contractantes prêteront, dans les limites des conventions existantes, aux autorités locales leur concours afin d’aider à réprimer la traite là où elle existe encore ; ils auront le droit d’assister aux procès de traite qu’ils auront provoqués, sans pouvoir prendre part à la délibération.

Art. 72. — Des bureaux d’affranchissement ou des institutions qui en tiennent lieu, seront organisés par les administrations des pays de destination des esclaves Africains aux fins déterminées à l’article 18.

Art. 73. — Les puissances signataires s’étant engagées à se communiquer tous les renseignements utiles pour combattre la traite, les gouvernements que concernent les dispositions du présent chapitre, échangeront périodiquement avec les autres gouvernements les données statistiques relatives aux esclaves arrêtés et libérés, ainsi que les mesures législatives ou administratives prises afin de réprimer la traite.

CHAPITRE V

Institutions destinées à assurer l’exécution de l’Acte général.

§ I. — Du bureau international maritime

Art. 74. — Conformément aux dispositions de l’article 27, il est institué à Zanzibar un Bureau international où chacune des puissances signataires pourra se faire représenter par un délégué.

Art. 75. — Le bureau sera constitué dès que trois puissances auront désigné leur représentant.

Il élaborera un règlement fixant le mode d’exercice de ses attributions. Ce règlement sera immédiatement soumis à la sanction des puissances signataires qui auront notifié leur intention de s’y faire représenter et qui statueront à cet égard dans le plus bref délai possible.

Art. 76. — Les frais de cette institution seront répartis, à parts égales, entre les puissances signataires mentionnées à l’article précédent.

Art. 77. — Le Bureau de Zanzibar aura pour mission de centraliser tous les documents et renseignements qui seraient de nature à faciliter la répression de la traite de la zone maritime.

A cet effet, les puissances signataires s’engagent à lui faire parvenir dans le plus bref délai possible :

1° Les documents spécifiés à l’article 61 ;

2° Le résumé des rapports et la copie des procès-verbaux visés à l’article 48 ;

3° La liste des autorités territoriales ou consulaires et des délégués spéciaux compétents pour procéder à l’égard des bâtiments arrêtés, aux termes de l’article 49 ;

4° La copie des jugements et arrêts de condamnation rendus conformément à l’article 58 ;

5° Tous les renseignements propres à amener la découverte des personnes qui se livrent aux opérations de la traite dans la zone susdite.

Art. 78. — Les archives du bureau seront toujours ouvertes aux officiers de la marine des puissances signataires autorisées à agir dans les limites de la zone définie à l’article 21, de même qu’aux autorités territoriales ou judiciaires et aux consuls spécialement désignés par leurs gouvernements.

Le bureau devra fournir aux officiers et agents étrangers autorisés à consulter ses archives, les traductions en une langue européenne des documents qui seraient rédigés dans une langue orientale.

Il fera les communications prévues à l’article 48.

Art. 79. — Des bureaux auxiliaires en rapport avec le Bureau de Zanzibar pourront être établis dans. certaines parties de la zone, en vertu d’un accord préalable entre les puissances intéressées.

Ils seront composés des délégués de ces puissances et établis conformément aux articles 75, 76, et 78.

Les documents et renseignements spécifiés à l’article 77, en tant qu’ils concernent la partie afférente de la zone, leur seront envoyés directement par les autorités territoriales et consulaires de cette région, sans préjudice de la communication au Bureau de Zanzibar prévue par le même article.

Art. 80. — Le Bureau de Zanzibar dressera, dans les deux premiers mois de chaque année, un rapport sur ses opérations et celles des bureaux auxiliaires pendant l’année écoulée,

§ II. — De l’échange entre les gouvernements des documents et renseignements relatifs à la traite

Art. 81. — Les puissances se communiqueront dans la plus large mesure et le plus bref délai qu’elles jugeront possibles ;

1o Le texte des lois et règlements d’administration existants ou édictés par application des clauses du présent Acte général ;

2o Les renseignements statistiques concernant la traite, les esclaves arrêtes et libérés, le trafic des armes, des munitions et des alcools.

Art. 82. — L’échange de ces documents et renseignements sera centralisé dans un Bureau spécial rattaché au département des affaires étrangères à Bruxelles.

Art. 83. — Le Bureau de Zanzibar lui fera parvenir chaque année le rapport mentionne à l’article 80 sur ses opérations pendant l’année écoulée et sur celles des bureaux auxiliaires qui viendraient à être établis conformément à l’article 79.

Art. 84. — Les documents et renseignements seront réunis et publiés périodiquement et adressés à toutes les puissances signataires. Cette publication sera accompagnée chaque année d’une table analytique des documents législatifs administratifs, et statistiques mentionnés aux articles 81 et 83.

Art. 85. — Les frais de bureau, de correspondance, de traduction et d’impression qui en résulteront, seront supportés à parts égales, par toutes les puissances signataires et recouvres par les soins du département des affaires étrangères à Bruxelles.

§ III. — De la protection des esclaves libérés

Art. 86. — Les puissances signataires ayant reconnu le devoir de protéger les esclaves libérés dans leurs possessions respectives s’engagent à établir, s’il n’en existe déjà, dans les ports de la zone déterminée à l’article 21, et dans les endroits de leurs dites possessions, qui seraient des lieux de capture, de passage et d’arrivée d’esclaves Africains, des bureaux ou des institutions en nombre jugé suffisant par elles et qui seront chargés spécialement de les affranchir et de les protéger, conformément aux dispositions des articles 6, 18, 52, 63 et 66.

Art. 87. — Les bureaux d’affranchissement ou les autorités chargées de ce service délivreront les lettres d’affranchissement et en tiendront registre.

En cas de dénonciation d’un fait de traite ou de détention illégale, ou sur le recours des esclaves eux-mêmes, les dits bureaux ou autorités feront toutes les diligences nécessaires pour assurer la libération des esclaves et la punition des coupables.

La remise des lettres d’affranchissement ne saurait, en aucun cas, être retardée, si l’esclave est accusé d’un crime ou délit de droit commun. Mais après la délivrance des dites lettres, il sera procédé à l’instruction en la forme établie par la procédure ordinaire.

Art. 88. — Les puissances signataires favoriseront, dans leurs possessions, la fondation d’établissements de refuge pour les femmes et d’éducation pour les enfants libérés.

Art. 89. — Les esclaves affranchis pourront toujours recourir aux bureaux pour être protégés dans la jouissance de leur liberté.

Quiconque aura usé de fraude ou de violence pour enlever à un esclave libéré ses lettres d’affranchissement, ou pour le priver de sa liberté, sera considéré comme marchand d’esclaves.

CHAPITRE VI

Mesures restrictives du trafic des spiritueux.

Art. 90. — Justement préoccupées des conséquences morales et matérielles qu’entraîne pour les populations indigènes l’abus des spiritueux, les puissances signataires sont convenues d appliquer les dispositions des articles 91, 92 et 93, dans une zone délimitée par le 20° latitude nord et par le 22° latitude sud et aboutissant vers l’ouest à l’océan Atlantique et vers l’est à l’océan Indien et à ses dépendances, y compris les îles adjacentes au littoral jusqu’à 100 milles marins de la côte.

Art. 91. — Dans les régions de cette zone où il sera constaté que, soit à raison des croyances religieuses, soit pour d’autres motifs, l’usage des boissons distillées n’existe pas ou ne s’est pas développé, les puissances en prohiberont l’entrée. La fabrication des boissons distillées y sera également interdite.

Chaque puissance déterminera les limites de la zone de prohibition des boissons alcooliques dans ses possessions ou protectorats et sera tenue d’eu notifier le tracé aux autres puissances dans un délai de six mois.

Il ne pourra être dérogé à la susdite prohibition que pour des quantités limitées, destinées à la consommation des populations non indigènes et introduites sous le régime et dans les conditions déterminées par chaque gouvernement.

Art. 92. — Les puissances ayant des possessions ou exerçant des protectorats dans les régions de la zone qui ne sont pas placées sous le régime de la prohibition et où les spiritueux sont actuellement importés librement ou soumis à un droit d’importation inférieur à 15 francs par hectolitre à 50° centigrades, s’engagent à établir sur ces spiritueux un droit d’entrée qui sera de 15 francs par hectolitre à 50° centigrades, pendant les trois années qui suivront la mise en vigueur du présent Acte général. A l’expiration de cette période, le droit pourra être porté à 25 francs pendant une nouvelle période de trois années. Il sera, à la fin de la sixième année, soumis à révision, en prenant pour base une étude comparative des résultats produits par ces tarifications, à l’effet d’arrêter alors, si faire se peut, une taxe minima dans toute l’étendue de la zone où n’existerait pas le régime de la prohibition visé à l’article 91.

Les puissances conservent le droit de maintenir et d’élever lestages au delà du minimum fixé par le présent article dans les régions où elles le possèdent actuellement.

Art. 93. — Les boissons distillées qui seraient fabriquées dans les régions visées à l’article 92 et destinées à être livrées à la consommation intérieure, seront grevées d’un droit d’accise.

Ce droit d’accise, dont les puissances s’engagent à assurer la perception, dans la limite du possible, ne sera pas inférieur au minimum des droits d’entrée fixés par l’article 92.

Art. 94. — Les puissances signataires qui ont en Afrique des possessions en contact avec la zone spécifiée à l’article 90 s’engagent à prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’introduction des alcools, par leurs frontières intérieures, dans les territoires de la dite zone.

Art. 95. — Les puissances se communiqueront, par l’entremise du bureau de Bruxelles, dans les conditions indiquées au chapitre V, les renseignements relatifs au trafic des alcools dans leurs territoires respectifs.

CHAPITRE VII

Dispositions finales.

Art. 96. — Le présent Acte général abroge toutes stipulations contraires des conventions antérieurement conclues entre les puissances signataires.

Art. 97. — Les puissances signataires, sans préjudice de ce qui est stipulé aux articles 14, 23 et 92, se réservent d’introduire au présent Acte général, ultérieurement et d’un commun accord, les modifications ou améliorations dont l’utilité serait démontrée par l’expérience.

Art. 98. — Les puissances qui n’ont pas signé le présent Acte général, pourront être admises à y adhérer.

Les puissances signataires se réservent de mettre à cette adhésion telles conditions qu’elles jugeraient nécessaires.

Si aucune condition n’est stipulée, l’adhésion emporte dé plein droit l’acceptation de toutes les obligations et l’admission à tous les avantages stipulés parle présent Acte général.

Les puissances se concerteront sur les démarches à faire pour amener l’adhésion des Etats dont le concours serait nécessaire ou utile pour assurer l’exécution complète de l’Acte général.

L’adhésion se fera par un acte séparé. Elle sera notifiée par la voie diplomatique au gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges, et par celui-ci, à tous les Etats signataires et adhérents.

Art. 99. — Le présent Acte général sera ratifié dans un délai qui sera le plus court possible et qui, en aucun cas, ne pourra excéder un an.

Chaque puissance adressera sa ratification au gouvernement de Sa Majesté le roi des Belges, qui en donnera avis à toutes les autres puissances signataires du présent Acte général.

Les ratifications de toutes les puissances resteront déposées dans les archives du royaume de Belgique.

Aussitôt que toutes les ratifications auront été produites, ou au plus tard un an après la signature du présent Acte général, il sera dressé acte du dépôt dans un protocole qui sera signé par les représentants de toutes les puissances qui auront ratifié.

Une copie certifiée de ce protocole sera adressée à toutes les puissances intéressées.

Article 100. — Le présent Acte général entrera en vigueur dans toutes les possessions des puissances contractantes le soixantième jour à partir de celui où aura été dressé le protocole de dépôt prévu à l’article précédent.

En foi de quoi, les plénipotentiaires respectifs ont signé le présent Acte général et y ont apposé leur cachet.

DÉCLARATION

Les puissances réunies en conférence à Bruxelles, qui ont ratifié l’Acte général de Berlin du 26 février 1885, ou qui y ont adhéré.

Après avoir arrêté et signé de concert, dans l’Acte général de ce jour, un ensemble de mesures destinées à mettre un terme à la traite des nègres sur terre comme sur mer, et à améliorer les conditions morales et matérielles d’existence des populations indigènes,

Considérant que l’exécution des dispositions qu’elles ont prises dans ce but impose à certaines d’entre elles, qui ont des possessions ou exercent des protectorats dans le bassin conventionnel du Congo, des obligations qui exigent impérieusement pour y faire face, des ressources nouvelles,

Sont convenues de faire la déclaration suivante :

Les puissances signataires ou adhérentes qui ont des possessions ou exercent des protectorats dans ledit bassin conventionnel du Congo, pourront, pour autant qu’une autorisation leur soit nécessaire à cette fin, y établir sur les marchandises importées des droits dont le tarif ne pourra dépasser un taux équivalent à 10 pour cent de la valeur au port d’importation, à l’exception, toutefois, des spiritueux, qui sont régis par les dispositions du chapitre VI de l’Acte général de ce jour.

Après la signature dudit Acte général, une négociation sera ouverte entre les puissances qui ont ratifié l’Acte général de Berlin ou qui y ont adhéré, à l’effet d’arrêter, dans la limite maxima de 10 pour cent de la valeur, les conditions du régime douanier à instituer dans le bassin conventionnel du Congo.

Il reste néanmoins entendu :

1° Qu’aucun traitement différentiel ni droit de transit ne pourront être établis ;

2° Que, dans l’application du régime douanier qui sera convenu, chaque puissance s’attachera à simplifier, autant que possible, les formalités et à faciliter les opérations du commerce ;

3° Que l’arrangement à résulter de la négociation prévue, restera en vigueur pendant quinze ans, à partir de la signature de la présente déclaration.

A l’expiration de ce terme, et à défaut d’un nouvel accord, les puissances contractantes se retrouveront dans les conditions prévues par l’article IV de l’Acte général de Berlin, la faculté d’imposer à un maximum de 10 pour cent les marchandises importées dans le bassin conventionnel du Congo leur restant acquise.

Les ratifications de la présente déclaration seront échangées en même temps que celles de l’Acte général du même jour.

En foi de quoi, les soussignés, etc.

Nous devons tout d’abord reconnaître que les sentiments les plus chrétiens ont présidé à la rédaction de cet acte. Il est facile de le constater en voyant quelle légitime et large part, les représentants des puissances ont consacré à la religion, à ses ministres, aux missions, à leur protection, comme aux établissements de culture ou professionnels destinés aux esclaves libérés, aux maisons de refuge pour les négresses, d’éducation et d’enseignement pour les petits nègres.

Le paganisme avait prétendu résoudre la question sociale en dépouillant le faible de ses droits et en le plongeant dans l’esclavage.

Le christianisme annonça au monde l’égalité des hommes devant le Créateur, devant Dieu ! Il enseigne que le travail est la condition naturelle de l’homme. Accepter un travail est un honneur ; s’y soustraire, une lâcheté et une trahison.

Le Christ en a donné l’exemple lui-même ; il a supporté toutes les fatigues de l’humanité. Sa doctrine est que le riche est le trésorier de Dieu et qu’il ne doit jamais fermer son cœur à l’infortune. Il fallait rapprocher les deux classes de la société : les riches et les pauvres, les forts et les faibles. Le lien de rapprochement est la religion, escortée de toutes les vertus qui en rehaussent la majesté.

Voilà ce que les plénipotentiaires de Bruxelles ont parfaitement compris ; aussi, ont-ils inscrit la religion à la place qu’elle doit toujours occuper comme base nécessaire et inébranlable de toute société civilisée.

Si, au point de vue national, nous exprimons le regret que la Conférence n’ait pas été réunie à Paris, nous devons nous féliciter que Bruxelles ait été choisi. Comme le dit S. Ém. le cardinal Lavigerie, dans une lettre que le manque de place nous empêche de reproduire ici, c’était rendre un solennel et légitime hommage à S. M. Léopold II, qui a tant fait pour l’Afrique.

En lisant les articles spéciaux de l’Acte général, on comprend mieux encore la consécration que vient de lui donner le Pape Léon XIII, dans une lettre écrite ces jours derniers au cardinal Lavigerie. Le successeur de saint Pierre se réjouit des progrès de la civilisation des peuples Africains et loue, une fois de plus, les missionnaires catholiques qui parcourent les parties non encore explorées de l’Afrique. Il promet d’aider les gouvernements dans leur œuvre anti-esclavagiste et charge de ce soin l’archevêque d’Alger et de Carthage.

« Multipliez les missionnaires, dit-il au cardinal Lavigerie. »

Multipliez les missionnaires ! Ces missionnaires catholiques auxquels le major Wissmann, bien qu’Allemand, rendait hier un solennel hommage ! C’est le journal protestant le Temps qui l’a enregistré le premier en ces termes :

« Le major Wissmann, de retour d’Afrique, a parlé en termes très défavorables de tous les missionnaires protestants, Anglais ou Allemands. Il leur reproche de vouloir jouer un rôle politique, aussi nuisible qu’il est peu justifié. Il a rapproché leur conduite de l’œuvre bienfaisante des missionnaires catholiques, qui sont, a-t-il dit, infatigables et pleins d’abnégation, et dont les travaux contribuent à propager l’influence chrétienne, la civilisation et la moralité.

« Les missionnaires catholiques, a-t-il ajouté, sont les vrais piliers de la civilisation, tandis que les missionnaires protestants ne font que lui susciter des obstacles ; les sommes considérables qu’on leur consacre sont en réalité perdues. Au lieu d’aider, ils ne servent qu’à nuire par leurs agitations politiques. »

Voilà des attestations qui, à coup sûr, ne nous surprennent nullement, mais dont il est d’autant plus utile de prendre acte, qu’elles émanent d’une bouche aussi compétente que peu suspecte, et sont constatées par un journal dans les colonnes duquel leur insertion acquiert une valeur toute particulière. Emin-Pacha professe, nous l’avons déjà consigné, les mêmes sentiments que le major Wissmann.

Les Monat’s Hefte de Brunswick, signalaient, au mois de janvier dernier, une singulière contradiction.

Il s’agissait de l’histoire de la Society for propagating Christianity ; M. Gerhard Rohlfs, l’éminent explorateur, racontait que cette association respectable entre toutes et composée des plus hauts dignitaires du clergé anglican, tirait autrefois sa principale source de revenus du travail des nègres qu’elle possédait dans les colonies.

M. Gerhard Rohlfs a tort de s’étonner. Ce trait de mœurs est essentiellement britannique. De tout temps, nos voisins d’outre-mer se sont occupés d’abord des affaires temporelles, sauf à faire ensuite place aux questions religieuses. Quand il s’agissait de gagner de l’argent les lanières de cuir tombaient dru comme grêle sur les épaules des esclaves des Indes Occidentales, mais le bénéfice une fois encaissé, c’était le moment d’en faire un usage philanthropique.

Le produit des coups de fouet administrés aux noirs de la Jamaïque servait à évangéliser leurs frères restés sur la côte de Guinée. Des missionnaires, entretenus à grands frais, employaient les revenus des plantations des Antilles à conquérir des âmes à la foi anglicane . et à ouvrir en même temps des débouchés aux cotonnades de Manchester. Ils étaient aussi habiles au négoce que le sont encore aujourd’hui les marabouts musulmans !

Il a fallu le succès de la croisade entreprise par Wilberforce pour mettre un frein à cette ingénieuse combinaison qui donnait une satisfaction complète au triple penchant des Anglais pour l’exploitation des races inférieures, le commerce et la philanthropie.

Nos lecteurs nous pardonneront cette digression ; nous reprenons l’examen de l’Acte général.

L’indifférence coupable qui rognait parmi les Européens à l’égard de la traite africaine était l’un des phénomènes les plus étranges de cette fin de siècle ! C’était cependant un sujet qui s’imposait au plus haut degré à la pitié comme à la justice de l’Europe.

Sur un continent en rapport direct et perpétuel avec le nôtre, sous les yeux des peuples civilisés, s’était organisé ce système de brigandage, de dévastation et de massacres, dont nous avons essayé de retracer quelques scènes.

Le trafic des esclaves existait toujours, avait des marchés réguliers d’approvisionnement et de vente, ses routes déterminées et le nombre de ses victimes allait toujours croissant.

Il était temps que les nations civilisées, justement émues et tirées de leur torpeur par les accents vibrants du cardinal Lavigerie, fissent enfin un généreux effort pour essayer de mettre un terme à de pareilles horreurs.

Atteindra-t-on maintenant le but proposé par la mise en pratique des articles constitutifs de l’Acte général ? Nous l’espérons, nous le souhaitons, mais sans grande conviction. Toute œuvre elle-même est entachée d’imperfection et les auteurs de l’Acte ont eu l’insigne modestie de le déclarer perfectible !

Certes, la construction de routes, de voies ferrées, l’installation de bateaux à vapeur, l’établissement de postes, stations militaires, reliés télégraphiquement, etc., sont bien de nature à donner satisfaction à ceux qui, comme Tippou-Tib, par exemple, se plaignaient de ne pas avoir, en Afrique, d’autre moyen de transport que le portage à dos d’homme[242] ; mais, ces routes, ces chemins de fer, ces bateaux à vapeur, ces postes, ces stations ne resteront-ils pas encore bien longtemps à l’état de projet, comme l’un de ces ravissants mirages, si fréquents dans la région des Chtoutt.

La restriction de l’importation des armes à feu diminuera certainement d’une façon notable la traite et le nombre des victimes des guerres intestines entre les tribus ; il en sera de même de la prohibition d’entrée des alcools et de l’interdiction de la fabrication des boissons distillées dans les régions appartenant à la zone contaminée.

Ces mesures préventives contribueront à relever peu à peu le niveau moral des nègres, à amener l’extinction de l’anthropophagie et des sacrifices humains, auxquels nous avons, hélas ! dû consacrer trop de lignes.

Nous regrettons que l’exportation de l’ivoire n’ait pas été supprimée.

Tous les Africains, c’est-à-dire tous ceux qui s’occupent des choses du Continent africain, sont cependant unanimement d’accord sur ce point et pour réclamer la prohibition absolue de cette matière. L’Acte général n’en parité même pas. A notre humble avis c’est une lacune et une grande lacune. Il est facile de la combler, aussi la dénonçons-nous, avec confiance, à l’opinion publique, aux membres de la Conférence de Bruxelles, aux puissances signataires de l’Acte.

L’article 4 confère aux puissances le droit Aki déléguer à des Compagnies munies de chartes tout ou partie des engagements visés à l’article 3, etc., à l’exclusion de tout exercice de la souveraineté. Cet article concerne principalement les associations allemandes, anglaises et belges.

L’Angleterre a résolu d’acquérir tout ce qui reste de territoires disponibles dans l’intérieur de l’Afrique. La reine Victoria aurait signé une charte autorisant une nouvelle société, The British-South-African-Company, ayant à sa tète des personnages tels que le duc de Fife, petit-gendre de Sa Majesté ; le duc d’Abercorn, Sir Albert Grey, Sir Rhodes, à établir son protectorat sur le territoire d’environ quatre cent mille milles carrés, qui s’étend au sud du Zambèze, entre les possessions Portugaises à l’est, les possessions Allemandes du Sud-Ouest Africain à l’ouest, le Bechuanaland et le Transvaal au sud.

L’octroi d’une charte royale à la British-South-African-Company, comme aux Compagnies similaires, n’est que le prélude à l’annexion éventuelle de tous les territoires ainsi concédés.

Toutes ces Sociétés ne sont que de nouvelles Compagnies des Indes, destinées à préparer successivement à la Grande-Bretagne de vastes dépendances qui seront régulièrement rattachées au domaine de la Couronne, lorsque l’heure aura sonné. Le droit de rachat par l’Etat est, du reste, inscrit dans chacune des chartes, et les Compagnies elles-mêmes savent bien qu’il sera exercé, dès que les établissements coloniaux qu’elles auront créés seront suffisamment développés pour justifier leur réunion à l’Angleterre.

Les nouvelles acquisitions territoriales en vue desquelles a été constituée la British-South-African-Company ont déjà donné lieu à des protestations de la part du Portugal ; ces protestations n’ont pas abouti.

Les puissances contractantes devront édicter ou proposer à leurs législatures respectives, dans le délai d’un an, une loi rendant applicable les dispositions de leur législation pénale aux auteurs des crimes et délits de toute nature, résultant de la traite des nègres ; pour les pays régis par la loi française ou placés sous le protectorat de la France, il faudra donc recourir aux articles du Code pénal que nous avons invoqués et reproduits en discutant le Décret Beylical du 9 Chaoual 1307-28 mai 1890.

Les esclaves libérés, dont les moyens d’existence seront assurés provisoirement par les autorités locales, seront rapatriés, lorsque les circonstances le permettront, ou encouragés à se fixer dans la contrée. Sous peine d’être accusé de répétition, nous soulevons encore la question de dommages-intérêts, qui s’impose, il nous semble, en toute équité.

Le chapitre III, concernant la répression de la traite sur mer, est un chef-d’œuvre de tact, de délicatesse et d’habileté.

La Conférence n’aurait-elle pas dû s’intéresser aussi aux côtes de l’Océan Atlantique et attirer l’attention des puissances sur ces régions où la traite et l’embarquement des esclaves sont encore fréquemment signalés ?

La création d’un Bureau international à Zanzibar et des bureaux secondaires constitue la plus heureuse des innovations.

Le chapitre IV regarde les pays de destination dont les institutions comportent l’existence de l’esclavage domestique.

L’Indépendance Belge estime que la Turquie aurait dû s’engager à prendre des mesures nettement déterminées pour empêcher l’écoulement de ce qu’on appelle si horriblement « bois d’ébène » Nous sommes moins exigeant que le journal bruxellois parce que nous connaissons mieux que lui, certainement, les mœurs ottomanes. Nous nous déclarons donc satisfait et comptons sur les promesses du Sultan Abd-Ul-Hamid.

La répression, l’interdiction d’un système, si criminel qu’il soit, et qui existe depuis des siècles dans les pays Turcs, ne peuvent être l’affaire d’un instant, d’un trait de plume et d’une signature.

Sa Majesté le Shah de Perse et le Sultan de Zanzibar ont consenti formellement à participer à la guerre contre l’esclavage. Le Sultan de Zanzibar a déjà ouvert le feu et les difficultés qu’il rencontre doivent prouver à l’Indépendance Belge que, malgré la meilleure volonté, le Sulltan Abd’Ul-Hamtd a besoin d’agir avec circonspection et mesure[243].

Il n’en est pas de même du Sultan du Marok, qui fait encore cause commune avec les négriers et les tyrans fétichistes ou mahométans du Soudan et de l’Afrique Occidentale. Conformément à l’article 98, paragraphe 4, les puissances auront à se concerter sur les démarches à faire pour assurer l’exécution complète de l’Acte général et les amener à y adhérer ; ces négociations ne seront l’affaire ni d’un jour, ni d’une heure !

Ajoutons aussi que les États-Unis d’Amérique, d’après les protocoles de la Conférence, n’ont pas été seuls à estimer que les droits sur les spiritueux étaient réellement insuffisants, inutiles, au point de vue de la tempérance.

Lord Wivian a exprimé le profond regret du gouvernement britannique de ce que la Conférence s’était arrêtée à un droit d’entrée absolument inefficace à l’égard des boissons enivrantes[244].

Puisque vous êtes si partisans de toutes les mesures tendant à réprimer la débauche, l’ivrognerie et les vices qui en sont les tristes conséquences, songez donc un peu. Messieurs les Anglais, à l’opium avec lequel vous empoisonnez les Asiatiques ; vous pourrez ensuite faire plus facilement montre de pudeur.

C’est toujours l’éternelle histoire de la paille et de la poutre !

« L’œuvre que vous allez entreprendre, disait un orateur des premiers jours, est désintéressée, car elle ne comporte pas même la gratitude de ces races opprimées et décimées avec la plus révoltante barbarie, dont vous avez mission d’organiser le salut et qui, inconscientes du bien que veulent et peuvent leur faire des frères qu’elles ne connaissent pas, recevront la délivrance sans savoir d’où elle leur vient, sans pouvoir payer de reconnaissance leurs bienfaiteurs[245]. »

A défaut de la reconnaissance des nègres, la Conférence s’est attirée, par ses travaux, celle de toutes les nations civilisées ; certes c’est bien là quelque chose, une récompense appréciable, croyons-nous ; mais peut-être ses membres ne seront-ils réellement dédommagés de leurs labeurs que par le fonctionnement du précieux règlement qu’ils ont été chargés d’élaborer et dont la rédaction sera elle-même un monument éternel élevé en leur honneur.

Dans le discours qu’il a prononcé à l’audience de rentrée de la Cour de Cassation, M. l’avocat général Desjardins, parlant du Droit de visite et de la Conférence de Bruxelles (audience à laquelle assistait le si sympathique ambassadeur de Russie, M. de Morenheim), a rendu hommage à l’œuvre accomplie et fait ressortir en pleine lumière le rôle important et amiable des diplomates russes et loué justement S. M. Léopold II.

Nous croyons devoir terminer ce chapitre en reproduisant la partie suivante de ce discours :

« Tant d’efforts faits de part et d’autre pour arriver à l’entente commune ne permettaient pas de conserver un doute sur le désintéressement et la bonne foi des États représentés. Aucun d’eux ne déguisait d’ambitieux desseins sous l’apparence d’un généreux mobile ; aucun n’était dupe de manœuvres habiles ou de promesses sonores.

« La France pouvait désormais, sans répudier ses nobles traditions, admettre qu’un esclave réfugié à bord d’un vaisseau de guerre sous pavillon d’une des puissances signataires fût immédiatement et définitivement affranchi donner à tout esclave africain retenu contre son gré à bord d’un bâtiment indigène le droit de réclamer sa liberté, consentir à la création d’un bureau international sur la côte orientale d’Afrique afin d’organiser l’échange des renseignements nécessaires pour combattre la traite, prendre elle-même l’initiative d’une série de mesures rigoureuses, mais nécessaires, contre l’usurpation du pavillon.

« De leur côté, les plénipotentiaires russes, en coordonnant les propositions des uns, les contre-propositions des autres, avaient aplani des difficultés qu’on eût pu croire insurmontables ; ils justifiaient la confiance de l’Europe ; ils emportaient à juste titre le témoignage, hautement exprimé, de sa reconnaissance. En définitive, la conférence avait atteint le but élevé que lui assignait le roi des Belges, en la convoquant dans sa capitale, et bien mérité de l’humanité. »


CHAPITRE XIII

SA MAJESTÉ LÉOPOLD II ; — l’ÉTAT INDEPENDANT DU CONGO ; — LES TRAITÉS FRANCO-ANGLAIS ET ANGLO-PORTUGAIS.

Notre manuscrit en était arrivé là et nous considérions notre œuvre comme terminée lorsque des traités ou conventions intervenus entre plusieurs puissances européennes parachevèrent, en quelque sorte, l’Acte général de la Conférence de Bruxelles.

Les conséquences de l’Acte général seront encore d’autant plus considérables qu’une grande partie de l’Afrique est désormais partagée entre l’Angleterre et l’Allemagne, tandis que la France, l’Italie, le Portugal, etc., voient délimiter leurs zones d’influence et d’action.

En 1876, après la publication des voyages de Livingstone et de Stanley, Sa Majesté le roi des Belges, Léopold II, conçut la généreuse pensée d’une Association internationale destinée à relier et à diriger tous les efforts tentés dans l’intérieur de l’Afrique et traçait lui-même à cette Société le programme qu’elle devait se proposer :

« Ouvrir à la civilisation la seule partie de notre globe où elle n’ait pas encore pénétré, disait-il, dans le discours d’ouverture de la première conférence, percer les ténèbres qui enveloppent des populations entières, c’est, j’ose le dire, une croisade digne de ce siècle de progrès… Il faut donc convenir, ajoutait-il, de ce qu’il y aurait à faire pour intéresser le public à cette noble entreprise et pour l’amener à y apporter son obole. Dans les œuvres de ce genre, c’est le concours du grand nombre qui fait le succès, c’est la sympathie des masses qu’il faut solliciter et savoir obtenir. »

Ce premier résultat fut immédiatement poursuivi par Sa Majesté avec l’indomptable persévérance qu’elle emploie quand elle désire la réalisation d’une idée juste, utile et humanitaire.

L’Association de Bruxelles voulait créer, en Afrique, des centres d’exploration et d’influence, des stations scientifiques et hospitalières sur certains points importants.

« De ces stations (ce sont les propres paroles de la déclaration officielle de l’Association) les unes devront être établies en nombre très restreint et sur les côtes orientale et occidentale de l’Afrique, au point où la civilisation européenne est déjà représentée, à Bagamoyo et à Loanda, par exemple. Elles auraient le caractère d’entrepôts destinés à fournir aux voyageurs des moyens d’existence et d’exploration. Elles pourraient être fondées à peu de frais, car elles seraient confiées à la charge des Européens résidant sur ces points.

« Les autres stations seraient établies dans les centres de l’intérieur les mieux appropriés pour servir de bases aux explorations. On commencerait par les points qui se recommandent, des aujourd’hui, comme les plus favorables au but proposé. On pourrait signaler, par exemple, Oujiji, Nyangwé, Kabébé, résidence du roi, ou un endroit quelconque situé dans les domaines de Muatayamvo. Les explorateurs pourraient indiquer plus tard d’autres localités où il conviendrait de constituer des stations de ce genre.

« Laissant à l’avenir le soin d’organiser des communications sûres entre ces stations, la conférence exprime surtout le vœu qu’une ligne de communication, autant que possible continue, s’établisse de l’un à l’autre Océan, en suivant approximativement l’itinéraire du commandant Caméron. La conférence exprime également le vœu que dans la suite s’établissent des lignes d’opération dans la direction nord-sud. »

L’Association entreprit avec une rare ardeur l’exécution de son programme. Des officiers belges sollicitèrent leur mise en disponibilité, des savants de la même nation, électrisés par l’appel de leur roi, partirent pour l’Afrique au mépris des périls qu’ils devaient affronter. Les noms de plusieurs d’entre eux sont désormais inscrits sur le martyrologe des explorateurs et civilisateurs de l’Afrique. Des expéditions véritables succédèrent aux entreprises personnelles. Une ligne de stations s’établit depuis Zanzibar jusqu’au Tanganyika ; l’établissement central de Karema y fut fonde ; Stanley remontait le Congo. Enfin les représentants de l’Association venant, les uns de l’Océan Atlantique, les autres de l’Océan Indien, se rencontrèrent sur les hauts plateaux équatoriaux. L’Etat Indépendant du Congo fut fondé, le roi Léopold II en fut nommé souverain et pendant dix ans, Sa Majesté, sur sa seule cassette particulière, a payé les frais résultant de cette fondation. Cependant le roi ne pouvait continuer à s’imposer d’aussi lourdes charges. Il devenait nécessaire de régler la situation de cet État. En 1887, les Chambres belges autorisèrent un emprunt auquel l’opinion publique et la finance ne firent pas un excellent accueil. Un se méprenait certainement sur les intentions royales. Au mois de juillet dernier, un projet financier concernant le prêt de vingt-cinq millions à l’Etat Indépendant du Congo, fut déposé à la Chambre des Représentants.

Cette convention n’avait d’autre caractère que celle d’un prêt hypothécaire et ne reconnaissait à la Belgique, d’ici à l’an 1900, ni droit, ni souveraineté, ni contrôle. L’Etat Indépendant du Congo s’engageait à ne faire aucun nouvel emprunt sans l’assentiment de la Belgique ; là se bornait l’autorité des représentants de la nation créancière.

A l’exposé des motifs, le ministère avait joint la communication d’une lettre du roi, léguant à la Belgique l’Etat Indépendant du Congo ; en voici le texte :

 Cher ministre,

Je n’ai jamais cessé d’appeler l’attention de mes compatriotes sur la nécessité de porter leurs vues sur les contrées d’outre-mer.

L’histoire enseigne que les pays à territoire restreint ont un intérêt moral et matériel à rayonner au delà de leurs frontières.

Là Grèce fonda, sur les rivages de la Méditerranée, d’opulentes cités, foyers des arts et de la civilisation. Venise, plus tard, établit sa grandeur sur le développement de ses relations maritimes et coloniales, non moins que sur ses succès politiques.

Les Pays-Bas possèdent aux Indes trente millions de sujets, qui échangent contre les denrées tropicales les produits de la mère-patrie.

C’est en servant la cause de l’humanité et du progrès que ces peuples de second rang apparaissent comme des membres utiles de la grande famille des nations. Plus que nulle autre, une nation manufacturière et commerciale, comme la nôtre, doit s’efforcer d’assurer des débouchés à tous ses travailleurs, à ceux de la pensée, du capital et de la main. Les préoccupations patriotiques ont dominé la vie de mon père et ont déterminé la création de l’œuvre africaine.

Ces peines n’ont pas été stériles. Un jeune et vaste État, dirigé de Bruxelles, a pris pacifiquement place au soleil, grâce à l’appui bienveillant des puissances qui ont applaudi à ses débuts. Des Belges l’administrent, tandis que d’autres compatriotes, chaque jour plus nombreux, y font fructifier leurs capitaux.

L’immense réseau fluvial du Congo supérieur ouvre à nos efforts des voies de communications rapides, et économiques qui permettent de pénétrer directement jusqu’au centre du continent africain.

La construction du chemin de fer de la région des cataractes est désormais assurée, grâce aux efforts récents de la législature, ce qui accroîtra notablement la facilité d’accès. Dans ces conditions, un grand avenir est réservé au Congo, dont l’immense valeur va prochainement éclater à tous les yeux.

Au lendemain de ces actes considérables, j’ai cru de mon devoir de mettre la Belgique à même, lorsque la mort viendra me frapper, de profiter de mon œuvre, ainsi que du travail de ceux qui m’ont aidé à la fonder, à la diriger, et que je remercie ici une fois de plus. J’ai donc fait, comme souverain de l’État du Congo, le testament que je vous adresse et que je vous demanderai de communiquer aux deux Chambres au moment qui vous paraîtra le plus opportun.

Les débuts des entreprises comme celles qui m’ont tant préoccupé sont difficiles et onéreux ; j’ai tenu à en supporter les charges. Un roi, pour rendre service à son pays, ne doit pas craindre de concevoir et de poursuivre la réalisation d’une œuvre, même téméraire en apparence.

Les richesses d’un souverain consistent dans la prospérité publique. Elle seule peut constituer à ses yeux un trésor enviable qu’il doit tendre constamment à accroître. Jusqu’au jour de ma mort, je continuerai dans la même pensée qui m’a guidé jusqu’ici à diriger et à soutenir notre œuvre africaine. Mais si, sans attendre ce terme, il convenait au pays de contracter des liens plus étroits avec les possessions du Congo, je n’hésiterais pas à les mettre à sa disposition. Je serais heureux, de mon vivant, de l’en voir en pleine jouissance. Laissez-moi, en attendant, vous dire combien je suis reconnaissant envers les Chambres comme envers le gouvernement pour l’aide qu’ils m’ont prêtée à diverses reprises dans cette création. Je ne crois pas me tromper en affirmant que la Belgique en retirera de sérieux avantages et verra s’ouvrir devant elle un continent nouveau et d’heureuses et larges perspectives.

Croyez-moi, mon cher ministre, votre très dévoué et très affectionné,

LÉOPOLD. 

Un pareil testament se passe de commentaires. Nos rois de France, ancêtres de Sa Majesté Léopold II n’ont pas mieux fait pour la patrie ! La Chambre belge a adopté, le 25 juillet, la convention entre la Belgique et l’Etat Indépendant du Congo.

L’un des représentants, M. Ousau, ayant demandé au gouvernement des explications sur l’attitude que prendrait la France à l’égard de cette convention, le ministre des finances, M. Beernaert, expliqua qu’en 1884, l’Association internationale du Congo avait assuré à la France un droit de préférence sur le Congo pour le cas où elle aliénerait ses possessions.

En 1887, l’Etat du Congo a déclaré à la France qu’en lui accordant ce droit de préférence, il n’entendait pas stipuler que ce droit fût opposé à la Belgique. Le gouvernement français a donné acte à l’Etat du Congo de cette déclaration.

Comme la Belgique, l’Etat Indépendant du Congo est neutre, en vertu de l’article 10 de l’Acte général de la Conférence de Berlin, dont le Roi a réclamé les avantages par une note diplomatique adressée, il y a cinq ans, aux gouvernements intéressés.

L’Angleterre ayant déchiré le traité qui proclamait la neutralité de Zanzibar, dont elle s’empare comme de tout ce qu’elle a pu s’approprier de l’Afrique Orientale, la France avait droit à une large compensation. D’un commun accord, on a décidé de mettre la Tunisie et l’Egypte en dehors de toute discussion. Il était, en effet, dangereux de lier cette question de Zanzibar à celle de l’évacuation de l’Egypte ou à celle du traité de commerce anglo-tunisien de 1875.

Voici le texte des déclarations échangées entre M. Waddington, pour la France, et le marquis de Salisbury agissant au nom de la Grande-Bretagne :

Déclaration du gouvernement français.

Le soussigné, dûment autorisé par le gouvernement de la République française, fait la déclaration suivante :

Conformément à la demande qui lui a été faite par le gouvernement de Sa Majesté Britannique, le gouvernement de la République française consent à modifier l’arrangement du 10 mars 1862, en ce qui touche le sultan de Zanzibar. En conséquence, il s’engage à reconnaître le protectorat britannique sur les îles de Zanzibar et de Pemba, aussitôt qu’il lui aura été notifié.

Dans les territoires dont il s’agit, les missionnaires des deux pays jouiront d’une complète protection. La tolérance religieuse, la liberté pour tous les cultes et pour l’enseignement religieux sont garanties.

Il est bien entendu que l’établissement de ce protectorat ne peut pas porter atteinte aux droits et immunités dont jouissent les citoyens français dans les territoires dont il s’agit.

Signé : Waddington. 

Londres, le 5 août 1890.

Déclaration du gouvernement anglais.

Le soussigné, dûment autorisé, par le gouvernement de Sa Majesté Britannique, fait la déclaration suivante :

I. Le gouvernement de Sa Majesté Britannique reconnaît le protectorat de la France sur l’île de Madagascar, avec ses conséquences, notamment en ce qui touche les exequaturs des consuls et agents britanniques, qui devront être demandés par l’intermédiaire du résident général français.

Dans l’île de Madagascar, les missionnaires des deux pays jouiront d’une complète protection. La tolérance religieuse, la liberté pour tous les cultes et pour l’enseignement religieux sont garanties.

Il est bien entendu que l’établissement de ce protectorat ne peut porter atteinte aux droits et immunités dont jouissent les nationaux anglais dans cette île.

II. Le gouvernement de Sa Majesté Britannique reconnaît la zone d’influence de la France au sud de ses possessions méditerranéennes, jusqu’à une ligne de Say sur le Niger à Barroua sur le lac Tchad, tracée de façon à comprendre dans la zone d’action de la Compagnie du Niger tout ce qui appartient équitablement au royaume de Sokoto, la ligne restant à déterminer par des commissaires à désigner.

Le gouvernement de Sa Majesté Britannique s’engage à nommer immédiatement deux commissaires, qui se réuniront à Paris avec deux commissaires nommés par le gouvernement de la République française, dans le but de fixer les détails de la ligne ci-dessus indiquée. Mais il est expressément entendu que quand même les travaux des commissaires n’aboutiraient pas à une entente complète sur tous les détails de la ligne, l’accord n’en subsisterait pas moins entre les deux gouvernements sur le tracé général ci-dessus indiqué.

Les commissaires auront également pour mission de déterminer les zones d’influence respectives des deux pays dans la région qui s’étend à l’ouest et au sud du moyen et du haut Niger.

Signé : Salisbury. 

Londres, le 5 août 1890.

Ce traité ne satisfait personne en France, n’en déplaise au Temps qui publiait même, afin de jeter plus de poudre aux yeux de ses lecteurs, une carte faisant croire, à première vue, que de sérieuses compensations territoriales nous avaient été accordées, ce qui n’est pas vrai, loin de là. Il faut pour être bon juge, lire l’ouvrage du colonel Frey.

Ce traité nous cède l’accès au lac Tchad, mais par la partie aride, inabordable, où il n’y a que les sables brûlants du Sahara. L’Angleterre garde le coté fertile, cultivable du lac, jusqu’à Say et Sokoto !

Que nos lecteurs consultent la carte de l’Afrique, ils verront que tout ce qui est au-dessus de la ligne (partant de Say sur le Niger et aboutissant au poste d’étape de caravane appelé Baroua, situé au nord-ouest et près du lac Tchad), constituant la limite française est blanc, parce que c’est le désert ! Il n’y a pas de cours d’eau, et, à l’exception de Sinder, marché important sur la lisière du Sahara, il ne s’y rencontre point de ville, ce n’est que sables et rochers.

Au-dessous de cette limite, les Anglais s’adjugent un pays couvert de villes et de rivières.

L’Angleterre reconnaît la zone de l’influence française sur les territoires qui relient l’Algérie et le Sénégal ! Mais avait-elle donc des droits dans cette région de l’Afrique, l’Angleterre ? Aucun. Elle a quelques intérêts sur le bas Niger, mais non sur le haut Niger qui nous a toujours appartenu.

Elle n’a pas élevé de prétentions au sujet des territoires Touareg, arrosés du sang des Flatters, Joubert, Journaux-Duperré, etc., même de missionnaires français ! Elle n’en a pas élevé davantage sur le Tombouctou, visité et exploré par des Français.

L’Angleterre reconnaît notre situation à Madagascar et le droit de délivrer l’exéquatur à ses consuls. Mais ce droit, nous l’avions déjà. Le traité malgache ne porte-t-il pas que le résident français établi à Tananarive sera l’intermédiaire obligé de la Reine avec les puissances étrangères ? L’Angleterre ne voulait pas tenir le traité pour valable ? Eh bien ! il fallait nous montrer défenseurs énergiques de nos droits et refuser de reconnaître à Madagascar les consuls anglais, tant qu’ils n’auraient pas obtenu de notre résident l’exéquatur. On nous délivre donc fort gracieusement… ce que nous, avions déjà.

En sorte que, même dans ce traité qui a pour but d’accorder des compensations à la France, l’Angleterre trouve le moyen d’agrandir largement son domaine colonial.

Après Zanzibar, elle s’annexe le Bornou et le Sokoto, nous laissant les sables du désert ou les pays déjà acquis à l’influence française par Gallieni, Binger, etc.

C’est un vrai chef-d’œuvre de la diplomatie britannique et qui fait singulièrement honneur à Lord Salisbury. Le noble lord a droit aux félicitations du parlement de Westminster.

(En peu de temps, la France a donc perdu l’Egypte, les Nouvelles-Hébrides, Zanzibar, et nous craignons qu’elle ne soit à la veille de perdre ses droits sur Terre-Neuve.)

La route de Mourzouk au lac Tchad nous sera interdite.

« Cette route, dit Elisée Reclus, est la voie par excellence de Tune à l’autre rive du Sahara. »

Non seulement des oasis la jalonnent, mais encore l’espace à parcourir est moindre que dans toute autre partie du désert, puisque du Fezzan au Kanem il y a à peine mille kilomètres à franchir.

Or, cette route va tomber entre les mains des Anglais.

En effet, les Anglais remontent du Niger vers le lac Tchad, et nous leur avons reconnu le droit de s’étendre dans cette direction. Lord Salisbury a justement fait remarquer à la Chambre des lords que la Royal Niger Company n’avait pas encore de traité avec le Bornou, et que notre convention, lui reconnaissant le droit d’en conclure un, avait cet heureux résultat de livrer à l’Angleterre la presque totalité des rives du lac Tchad. Entre parenthèses, on peut se demander pourquoi l’Agence Havas a omis de traduire cette partie du discours de lord Salisbury.

Voilà donc les Anglais installés au sud, à l’ouest, et sans doute aussi à l’est du grand lac. Il semblait, d’après les premiers renseignements, que le nord du lac Tchad nous était tout au moins acquis ; mais, après le discours de lord Salisbury, cela reste douteux. Le noble lord paraît, en effet, regarder Baroua comme une limite extrême que nous ne pouvons dépasser : notre zone d’influence viendrait simplement affleurer sur un point le lac Tchad.

En même temps, lord Salisbury invite nettement la Turquie à prolonger sa domination au sud de la Tripolitaine. On peut croire que cette invitation ne sera pas perdue, et qu’au besoin des subsides discrets aideront les Turcs à faire reconnaître leur pouvoir.

Déjà la Turquie a imposé à Rhat une garnison ; Gâtroun, Tedjerri, au sud de Mourzouk, ont été rattachées à la domination turque. De là à l’oasis de Yat et à la grande oasis de Kavar, la distance est relativement peu considérable ; les caravanes parcourent incessamment cette route, et un pacha, chargé de présents, ayant mission de faire signer aux maîtres de l’oasis un traité de vassalité purement nominale, peut aisément la franchir.

Quand la Turquie sera la maîtresse de la grande route du Sahara, l’Angleterre s’entendra facilement avec elle. Alors, du golfe de Guinée aux Syrtes, circuleront incessamment les produits anglais ou soudanais, allant et venant entre l’Atlantique et la Méditerranée. L’Angleterre occupera le bassin du lac Tchad, qui, dit Reclus, deviendra un jour la partie la plus prospère des Indes Africaines. Elle rayonnera jusqu’à la Tripolitaine par la voie que nous lui avons abandonnée, et au sud et à l’ouest s’appuiera sur la mer et le Bas-Niger.

Lorsque Duponchet et Flatters conçurent ce grand projet du chemin de fer transsaharien, pour lequel ce dernier a donné sa vie, c’est qu’ils voulaient atteindre ces « Indes Africaines », le Bornou, le Sokoto, le Baghirmi, que l’Angleterre vient de prendre.

Le transsaharien perd, dès lors, beaucoup de son utilité. L’idée n’en est pas abandonnée pour cela ; bien au contraire, puisqu’un projet conforme aux travaux du général Philebert et de l’ingénieur Roland sera présenté aux Chambres après les vacances.

Au moment où la Conférence de Bruxelles inscrivait dans son Acte général les articles (27 à 74 et suivants), relatifs à la création et au fonctionnement du Bureau international de renseignements à Zanzibar, l’indépendance de ce Sultanat était garantie par l’Allemagne, l’Angleterre et la France. Depuis, Zanzibar a passé sous le protectorat exclusif de l’Angleterre, le Bureau international sera abrité par les plis du seul drapeau britannique et les Anglais tireront uniquement parti de l’influence que cette circonstance leur donnera.

Le partage de l’Afrique méridionale serait complété maintenant par un accord conclu entre l’Angleterre et le Portugal. Nos lecteurs n’ont pas oublié qu’à la fin de 1889 et au commencement de cette année, de graves dissentiments s’étaient élevés entre les deux nations, à la suite d’une expédition commandée par le fameux major Serpa-Pinto, et dirigée contre les Makololos. Le traité du mois d’août a failli provoquer ces jours derniers, une révolution en Portugal, tant les esprits y sont surchauffés par les agissements des explorateurs et excités par un faux patriotisme. La tâche du gouvernement est en ce moment des plus délicates et des plus difficiles.

Voici l’analyse de ce traité, par lequel l’Angleterre s’adjuge, comme toujours, les parts du lion :

Le Portugal obtient le droit qu’il désirait depuis longtemps, d’étendre sa province de Mozambique, depuis ses limites actuelles, jusqu’à la rive orientale du lac Nyassa, acquérant ainsi un carré de territoire qui la rend limitrophe des possessions allemandes, sur toute l’étendue de la frontière méridionale de celles-ci, entre le Nyassa et le littoral de l’Océan Indien.

Le Portugal réclamait aussi la faculté de s’étendre de Test à l’ouest, de l’Océan Indien à l’Atlantique, sur toute la largeur du continent africain, pour relier sa colonie orientale de Mozambique à sa colonie occidentale d’Angola par une chaîne de possessions ininterrompues. Mais l’Angleterre n’y a pas consenti.

Toute la, contrée qui se déroule entre la rive septentrionale du Zambèze, le confluent du Ruo et du Chiré, au sud ; les côtes occidentales du lac Nyassa et le lac Bangueolo au nord, est adjugée à la Grande-Bretagne. C’est ce vaste territoire que la Compagnie des lacs africains et les Missionnaires écossais du Nyassaland ont poussé le cabinet Salisbury à contester au Portugal, à l’époque où ce pays en semblait devoir devenir le maître incontesté.

Il forme le chaînon d’attache entre les possessions britanniques de l’Est africain et celles de la British South African Company. Quant à cette dernière, elle se voit confirmée dans la possession de tout le territoire que lui avait octroyé la charte royale, avec une désinvolture qui souleva tant de protestations à Lisbonne ; et elle obtient même davantage.

Non seulement elle conserve le Matabeleland, le Mashonaland et ce que les Portugais considéraient comme leur ancien royaume de Monomotapa. mais elle s’accroît encore, vers l’ouest, de tout le territoire du bassin du Zambèze, compris entre le pays des Barotsés et la frontière sud-est de l’État Indépendant du Congo.

Au surplus, l’Angleterre s’assure le droit de libre navigation jusque sur les parties du Zambèze baignant le territoire portugais, c’est-à-dire que les autorités portugaises ne pourront taxer, en transit, les marchandises anglaises dirigées de la côte sur le nord ou sur l’ouest, et vice versâ.

Lorsque éclata le conflit anglo-portugais, les Anglais ne parlaient de rien moins que de s’annexer les deux rives du Nyassa, de confiner complètement le Portugal dans la bande de territoire côtier formant ses provinces de Mozambique, de Kilimane et de Sofala.

Les chauvins allaient même plus loin et parlaient de s’emparer de la baie de Delagoa, de chasser les Portugais, une fois pour toutes, de l’Afrique. Aucune de ces iniquités n’a encore été commise. L’Angleterre traite ordinairement les plus faibles en vaincus : un avenir prochain dira, si, pour une fois, elle a renoncé à ses traditions séculaires !

Une minime fraction du territoire que revendiquait M. Barros Gomez pour son pays lui est concédée. Ce n’est pas beaucoup, mais il faut se rappeler que le cabinet Serpa Pimentel a dû négocier, le couteau sur la gorge, avec un gouvernement qui ne s’est pas gêné envers la France.

Voilà donc l’Afrique partagée. On chercherait vainement dans l’histoire de la diplomatie l’équivalent des trois traités que l’Angleterre vient de conclure successivement avec l’Allemagne, la France et voudrait imposer au Portugal. Jusqu’ici, quand deux gouvernements se taillaient leurs lots respectifs dans un pays quelconque, ils connaissaient à fond ce pays ; ils l’occupaient l’un ou l’autre. Ici, rien de semblable. On ne se distribue pas seulement des kilomètres de terre et d’eau sur lesquels on est établi, on s’en adjuge encore, à titre de sphère d’influence, où l’on n’a jamais mis le pied, où l’on ne pénétrera peut-être pas avant un demi-siècle. C’est évidemment très original !

Indiquons ici le partage du continent Africain :

La France a 1,800,000 kilomètres carrés auxquels il y a lieu d’ajouter un peu plus de trois millions de kilomètres soumis à sa sphère d’influence, ce qui fait au total 5 millions de kilomètres. L’Allemagne a sous son autorité, plus ou moins effective, 2 millions de kilomètres[246] et l’Angleterre 3 millions.

Une dizaine de millions appartiennent aux autres puissances ou constituent, comme le Marok, des Etats indépendants.

L’Afrique ayant à peu près 28 millions de kilomètres carrés, il reste donc 8 millions de terres inoccupées situées en majeure partie dans le désert du Sahara ou dans celui qui est au sud du Congo.


CHAPITRE XIV

LES MISSIONNAIRES EN AFRIQUE

Sedes Roma Petri, quœ, pastoralis honoris
Facta caput mundo, quidquid non possidet armis
Religione tenet.
(St Prosper d’Aquitaine ; Carmen de Ingratis. V. 40-42).

La rude éloquence des faits a amené les Débats à reconnaître combien Gambetta avait raison de dire que l’anti-cléricalisme n’était pas un « article d’exportation. »

Nos missionnaires catholiques gardent toujours au fond de leur cœur l’amour de la France et savent la faire chérir des peuplades farouches qu’ils essaient de civiliser. On veut bien le reconnaître : on va plus loin, on avoue que la prédication de l’Evangile est le plus sûr moyen de convertir en bons Français ces malheureux nègres qui ont, intuitivement, horreur des blancs. L’aveu est bon à enregistrer.

Voici comment s’expriment les Débats, dans leur dissertation sur le traité anglo-français :

« Personne n’ignore l’œuvre de civilisation que les missionnaires français ont entreprise dans l’Afrique centrale et orientale ; elle est de celles qui honorent le plus leur initiative. Nos missionnaires appartiennent, croyons-nous, à deux ordres unis dans une même pensée de religion, de patriotisme et d’humanité ; les uns sont les Pères blancs, qui se rattachent au cardinal Lavigerie ; les autres sont les Pères du Saint-Esprit, que nous retrouvons de l’autre côté de l’Afrique, vers l’embouchure du Congo, et qui, à l’Est et à l’Ouest, se sont toujours montrés dignes du nom français. Pouvions-nous les abandonner, ou même les passer sous silence dans notre arrangement avec l’Angleterre ? Si nous avions été capables de commettre une pareille omission, l’Angleterre ne nous l’aurait pas permis…

« On peut être sûr, à Londres, de ne jamais trouver de politiciens parmi les missionnaires au nord des grands lacs. Jamais nos missionnaires dans ces régions n’ont excité la moindre susceptibilité, n’ont provoqué la moindre réclamation, ni de la part du gouvernement anglais, ni de la part du gouvernement allemand. Universellement, on leur a rendu justice. Ils se sont toujours enfermés dans leur œuvre modeste et utile à tous. »

D'un article du Matin, journal républicain, nous extrayons les passages suivants :

« Le major Wissmann, explorateur allemand, a rendu aux missionnaires catholiques français un hommage sur lequel il vaut la peine d’insister. Il a salué en eux les seuls facteurs sérieux de la civilisation en Afrique, et d’avance il leur a attribué les transformations progressives et bienfaisantes du continent noir[247].

« Quelle que soit l’école philosophique à laquelle on appartienne, pourvu qu’on porte en soi un cœur de Français, on se rallie à ce jugement et on le répète avec fierté.

« Quels sont les hommes qui servent ainsi au loin le bon renom de la France ? Quels sont leurs groupements, leurs modes d’action, les régions auxquelles, dans cet immense pays des nègres, ils consacrent leur apostolat ? C’est ce que nous avons voulu savoir pour le redire à nos lecteurs.

« Les Missions Africaines de Lyon ont dans le royaume de Bénin : 6 stations, 1 collège, 10 écoles, 8 orphelinats ; sur le territoire de la Côte-d’Or : 4 résidences, 2 stations, 3 écoles, 3 orphelinats ; au Dahomey : 3 résidences, 8 stations, 4 écoles, 8 orphelinats ; sur le Niger : 2 résidences, 2 écoles, 1 orphelinat ; en Egypte (où il y a aussi des collèges de Jésuites, de Lazaristes et de Frères) : 3 résidences principales.

« Les Spiritains, ou les Pères de la Congrégation du Saint-Esprit, ont en Cimbébasie : 4 stations, des écoles et 1 séminaire[248] ; au Gabon : 6 résidences et 3 écoles d’arts et métiers ; en Sénégambie : 8 résidences, 7 stations, 1 séminaire, 1 imprimerie, 16 écoles, 1 orphelinat, 1 école professionnelle, 1 asile ; à Sierra Leone : 2 résidences et 2 écoles ; au Congo français : 2 résidences, 5 stations et 5 écoles ; au Bas-Congo : 3 résidences, 6 stations, 1 séminaire et 5 écoles ; au Zanguebar : 5 résidences, 6 stations, 6 écoles, 2 hôpitaux et 1 école d’arts et métiers ; à Mayotte, Sainte-Marie et Nossi-Bé : 7 résidences, 12 stations, 7 écoles, 6 orphelinats et 2 hôpitaux.

« Les Capucins ont au pays des Gallas : 5 résidences, 8 stations et 2 écoles ; dans les îles Seychelles : 10 résidences, 6 stations, 13 écoles et 3 orphelinats.

« Les Missionnaires d’Alger, dits les Pères blancs, ont au Nianza : 2 résidences, 3 orphelinats et 4 écoles : au Sahara : 7 résidences ; en Kabylie : 1 résidence ; au Mzab ; 12 stations. 8 écoles, 2 séminaires et 8 orphelinats ; dans le Haut-Congo : 2 résidences et 4 écoles ; dans l’Ounyanyembé : 2 résidences, 3 écoles et 1 procure à Zanzibar ; au Tanganyika : 3 résidences, 3 écoles et 3 orphelinats ; en Tunisie : 1 séminaire, 1 collège, des hôpitaux, des écoles et des orphelinats.

« Les Oblats de Marie ont au Natal : 4 résidences, 4 stations, 9 écoles et 1 orphelinat ; dans l’Etat libre d’Orange : 5 résidences, 4 station^ et 9 écoles ; au Transvaal : 3 résidences et 2 écoles.

« Les Oblats de Saint-François de Sales de Troyes ont au cap de Bonne-Espérance : S stations et 3 écoles ; sur le fleuve Orange : 2 résidences, 3 stations et 2 écoles.

« Les R. P. Jésuites ont à Madagascar : 1 séminaire, 20 résidences, 192 stations, 160 écoles, 9 orphelinats, des hôpitaux et des léproseries ; au Zaïnbèze : 5 résidences et 6 écoles.

« Tous ces ordres réunis fournissent à l’Afrique un ensemble de 400 missionnaires auxquels il faut ajouter leurs aides et auxiliaires : prêtres indigènes, frères, catéchistes, religieuses et institutrices qui se consacrent à l’instruction des petits enfants et aux soins des malades, et, à la tête de cette armée, on trouve naturellement les sœurs françaises de la charité. »

Le journal le Siècle publiait naguères un article auquel nous empruntons les détails suivants :

« Le Sénégal possède trois écoles laïques et cinq congréganistes à Saint-Louis, Rufisque, Gorée et Dakar. Le conseil général de la colonie entretient plus de soixante boursiers et environ quarante boursières dans divers lycées et couvents de France. A Saint-Louis même une petite école d’instruction secondaire est tenue par les Frères de Ploërmel

« Les Pères du Saint-Esprit tiennent plusieurs écoles, annexées à leurs missions sur la Petite Côte, à Joal, etc.

« Les mêmes Pères du Saint-Esprit ont pu avec des subventions de l’Alliance française, créer de nouvelles écoles de mission à Poponguine, à Guerréou, à N’Djanda, à Fadioute, à Thiès et jusque sur la Casamance, à Zichinghor et à Sedhiou.

« Les établissements scolaires dirigés par les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny sont assez nombreux au Sénégal et au Congo ; ils reçoivent 480 enfants.

« A Agoné (golfe de Bénin), l’école française dirigée par les Pères des Missions Africaines compte 98 garçons et 83 filles, qui tous savent lire, écrire et compter en français. On prêche en français le dimanche. Le portugais et l’anglais, qui autrefois tenaient la tête, sont maintenant relégués au second plan au profit de notre langue.

« Une autre école française existe à Porto-Novo, capitale du royaume que nous protégeons contre les incursions des Dahoméens. Cette école, dirigée également par les Pères des Missions africaines, reçoit 80 garçons et 40 filles.

« Il y a peu de chose à dire sur notre microscopique colonie d’Obock, située à l’extrémité opposée. Là aussi ce sont des congréganistes qui distribuent l’instruction, des capucins et des franciscains, ils enseignent le français à leurs élèves.

« La Réunion possède un lycée à Saint-Denis, 7 autres établissements d’enseignement secondaire et 157 écoles primaires (110 laïques et 47 congréganistes. Au total, 11,511 élèves).

« A elles seules, 94 religieuses de Saint-Joseph de Cluny donnent l’instruction primaire à 4, 409 enfants.

« Ces mêmes religieuses ont 1,060 élèves à Madagascar, y compris les 233 enfants admises dans leurs écoles des îles Sainte-Marie, Nossi-Bé et Mayotte. »

D’où sortent donc ces Frères des Écoles chrétiennes, ces Frères de Ploërmel, ces Pères du Saint-Esprit, ces Pères des Missions, ces Capucins, ces Franciscaines, ces Sœurs de Saint-Joseph qui, là bas, à la grande satisfaction du Siècle, propagent si bien la langue française, sont les meilleurs instruments de la civilisation et les serviteurs les plus dévoués de la France ? De ces couvents contre lesquels le Siècle et les journaux de sa nuance poursuivent chaque jour la campagne que l’on sait.

Quatre des grandes puissances européennes qui ont participé au récent partage des immenses territoires africains, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie et le Portugal, viennent de se mettre d’accord pour protéger réciproquement ceux de leurs missionnaires qui se rendront en Afrique, dans les différentes possessions que la dernière convention leur a attribuées.

La France, qu’on avait sollicitée de se joindre à cet accord, n’a pas cru devoir prendre des engagements, et a répondu que les territoires qu’elle possède en Afrique étant parcourus par des missionnaires presque exclusivement de nationalité française, elle avait accordé depuis longtemps à ceux-ci privilèges et protection.

Le bon billet qu’a La Châtre !

Nous lisons dans la « Revue de l’année 1889, » publiée par l’Almanach des Missions, pour 1890 :

« L’Afrique, ce théâtre des projets grandioses et des nobles pensées, devait, cette année, voir se dresser contre elle tous les obstacles accumulés par l’erreur. Disons qu’ils n’ont servi qu’à faire éclater l’héroïsme des missionnaires. Dans le Zanguebar, pour répondre au canon de la flotte allemande, Bushiri appelle les Arabes à la guerre de l’indépendance, détruit la mission bavaroise établie seulement depuis un an ; deux Frères et une Sœur tombent vaillamment, et c’est grâce à leur charité pour les assiégés que Mgr de Courmont et ses missionnaires ont pu jusqu’à ce jour triompher de la défiance des Arabes. Près du lac Victoria-Nyanza, les Pères Blancs du cardinal Lavigerie échappent à grand’peine à une révolution de palais excitée par les esclavagistes ; et, à travers mille périls, transportent leurs néophytes et leur Eglise naissante sur un autre point du lac, hors de la portée des faibles et ombrageux successeurs de Mtésa. En Abyssynie, les Pères Lazaristes, les Filles de la Charité, et à leur tète, Mgr Crouzet, excitent l’admiration et des indigènes, et des soldats italiens. Enfin, pendant que les Pères des Missions Africaines continuent à Abeokouta et dans le Niger leur œuvre civilisatrice, pendant que, dans le Congo Belge, les Prêtres de Schentz-les-Bruxelles répondent à l’appel du Saint-Siège et de leur souverain, les missionnaires du Saint-Esprit jettent les bases d’une nouvelle station, à l’embouchure de la grande rivière de l’Oubanghi ; par cette artère immense, ils pourront pénétrer bien avant dans l’intérieur du continent équatorial. Ne quittons pas l’Afrique sans féliciter de ses succès apostoliques la belle et grande mission de Madagascar et sans payer un juste tribut de regrets à la mémoire vénérée, et de Mgr Picarda, moissonné au Sénégal à la fleur de l’âge, et au noble vétéran des missions, le cardinal Massaja, illustre par ses longues fatigues, illustre par sa science, gloire de l’Ordre séraphique et honneur de l’Église catholique au dix-neuvième siècle ! »

Ajoutons la triste nouvelle du décès du R. P. Lourdel, supérieur de la Mission de l’Ouganda[249] confiée aux Pères Blancs ou Algériens.

S. S. Léon XIII vient d’ériger la mission de l’Oubanghi, au Congo, en vicariat apostolique, et Sa Sainteté en a nommé le R. P. Augouard, premier vicaire apostolique, avec caractère épiscopal.

Le R. P. Augouard, qui servit bravement la France en 1870, comme zouave de Charette, est parti, il y a treize ans, au Gabon, où il a fondé d’importantes missions, entre autres Saint-Joseph de Linzola, dont la bienfaisante influence s’étend dans un immense rayon. Nous lui avons emprunté quelques récits au cours de cet ouvrage.



CHAPITRE VI

le congrès anti-esclavagiste de paris sa sainteté le pape léon xiii et l’esclavage.

Dans les sentiers où l’Arabe nous chasse,
Le long du sable où nous mourons de faim,
De notre marche on peut suivre la trace
Aux ossements blanchis sur le chemin…
Malheureux noir que le sabre menace,
Cache tes pleurs à ton maître inhumain.

Nous empruntons cette strophe à la Cantate sur l’Esclavage Africain, interprétée par cent vingt exécutants, le 21 septembre, pendant la cérémonie religieuse qui préluda, dans l’église Saint-Sulpice, à l’ouverture du Congrès antiesclavagiste de Paris.

« L’Église, dit M. Jules Simon, a déployé toutes ses pompes, et l’art, toute sa magnificence. La foule était accourue pour entendre Mgr Lavigerie, un des trois ou quatre hommes de notre génération qui laisseront une trace impérissable dans l’histoire. »

La cérémonie fut présidée par Son Excellence le Nonce Apostolique, Mgr Rotelli, qui prit place au banc d’honneur. À sa droite vinrent s’asseoir Mgr Livinhac, vicaire apostolique du Nyanza, que Sa Sainteté le Pape Léon XIII a nommé tout récemment coadjuteur du cardinal Lavigerie, et Mgr Brincat, directeur de l’Œuvre anti-esclavagiste[250], évèque d’Hadrumète [251], auxiliaire de Carthage, jeune prélat de trente ans à peine ; Mgr l’archevêque de Montréal (Canada) ; Mgr Combes, évêque de Constantine et d’Hippone, et le supérieur du grand séminaire de Saint-Sulpice qui fut l’un des maîtres du cardinal africain.

Son Éminence le cardinal Lavigerie se tenait à l’épître, entouré de quatorze néophytes de l’Ouganda, ramenés par Mgr Livinhac et qui seront dirigés sur Malte où, comme plusieurs de leurs compatriotes l’ont fait, avec succès, ils étudieront la médecine avant de retourner dans l’Afrique centrale. Les missionnaires n’auront pas de meilleurs auxiliaires ; quelques-uns d’entre eux ont déjà souffert pour la foi catholique. « Réunis au pied du maître-autel, immobiles et comme fondus dans un groupe de bronze, ils attirent tous les regards et une curiosité où se mêle la plus vive sympathie. »

La nef avait été réservée aux invités : le clergé de Paris, le personnel directeur de congrégations et d’œuvres charitables, les délégués des sept puissances représentées au Congrès et qui sont : l’Allemagne, l’Angleterre, l’Autriche-Hongrie, la Belgique (Monseigneur Jacobs, doyen de Sainte-Gudule, cathédrale de Bruxelles ; MM. d’Ursel ; Descamps, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Louvain, tous trois délégués par la Société Antiesclavagiste Belge, M. Sadoine ; président du Comité de Liège), l’Espagne, l’Italie, le Portugal. Les délégués de la Ligue Antiesclavagiste française étaient aussi tous présents :

Pour le Comité de haut patronage : MM. Jules Simon, Georges Picot, de l’Institut, et Lefèvre-Pontalis, ancien député :

Pour le Comité directeur : MM. Keller, ancien député ; le marquis de Vogué, ancien ambassadeur, et le baron d’Avril, ancien ministre plénipotentiaire.

Parmi l’assistance se trouvaient M. Massicault, résident général à Tunis, et le capitaine Trivier.

Le cardinal Lavigerie monte dans cette chaire du haut de laquelle il prononçait, le ler juillet 1888, le sermon qui inaugura la campagne contre l’Esclavage dont Sa Sainteté le Pape Léon XIII avait donné le signal en publiant son encyclique fameuse adressée aux Évêques du Brésil.

Son Eminence est suivie des Pères Blancs, qui restent sur les marches de l’escalier et font une garde d’honneur à l’orateur.

« Après avoir, dit le Gaulois, demandé à ses auditeurs un peu d’indulgence pour sa voix qui s’éteint, le cardinal Lavigerie rappelle les commencements de sa croisade pacifique qu’il ouvrait il y a deux ans à cette même chaire de Saint-Sulpice. Pour beaucoup de personnes, sa parole fut alors une révélation.

« Mais, depuis, que de chemin parcouru ! et le prélat raconte l’accueil favorable qu’il reçut dans différents pays : en Angleterre, où l’on a vu le touchant spectacle de « deux cardinaux de la sainte Eglise romaine, parlant au milieu d’une assemblée formée en majorité de protestants qui acclamaient leurs paroles », en Belgique, à Rome. Dans tous les pays chrétiens, et même l’on peut dire dans tous les pays civilisés, l’œuvre de libération rencontre de chaudes sympathies.

Il n’y a qu’une seule ombre à ce tableau, la Hollande a réservé son adhésion à l’Acte général de la conférence de Bruxelles ; mais cette résistance même, tout fait espérer qu’elle ne sera pas invincible[252].

« L’orateur rend hommage à l’inépuisable faveur dont le Saint-Père a entouré les premiers efforts de sa campagne ; c’est le Saint-Père qui lui a donné le conseil de faire appel à l’opinion publique, cette reine du monde, et s’adressant aux représentants de la presse, il leur renouvelle les adjurations qu’il leur a déjà faites :

Permettez-moi de vous adresser une demande. Ce qui importe pour le triomphe d’une telle cause, c’est de la rendre populaire.

Aidez-moi donc à la faire connaître, vous qui m’avez entendu. Répétez les détails que je vous ai donnés.

Si vous avez une voix puissante, si vous disposez de quelqu’un de ces organes qui font et dirigent l’opinion, c’est à vous que j’ose plus spécialement adresser ma prière. Journalistes, quel est celui d’entre vous qui n’a pas, dans un ministère aussi délicat et aussi important que le vôtre, commis quelque faute qu’il ait besoin d’effacer ? A quelque opinion que vous apparteniez, car ici je m’adresse à tous sans distinction, à la seule condition qu’ils aient l’amour de l’humanité, de la liberté, de la justice, la miséricorde dont vous userez en soutenant les pauvres noirs vous obtiendra un jour à vous-mêmes, auprès de la justice infinie, miséricorde et pardon.

Le cardinal Lavigerie relève les nouveaux devoirs qui incombent particulièrement à la France depuis que les puissances ont placé le Sahara et une partie du Soudan dans la sphère incontestée de son influence. Mais il avertit les impatients qui hic et nunc voudraient la suppression de l’esclavage africain. Ce serait là un remède aussi funeste que le mal qu’il s’agit de guérir. L’esclavage en Afrique est un facteur essentiel de l’état social actuel ; sa disparition immédiate provoquerait des ruines incalculables, un chaos immense. où rien ne survivrait.

« Pour le moment, il faut se contenter de combattre la traite ; c’est le grand fléau dont il faut délivrer l’Afrique ; le marchand d’esclaves, voilà le bourreau de millions d’hommes qu’il faut faire disparaître sans retard. Quant au reste, il convient d’attendre que le temps et l’action de l’Europe civilisatrice aient créé des éléments sociaux propres à être substitués à l’esclavage sans bouleversement.

« En terminant, le cardinal Lavigerie, présente en termes émus à l’auditoire son successeur éventuel, Mgr Livinhac[253], et fait ses adieux à cette chaire où il est monté pour la dernière fois. Puis s’adressant au nonce apostolique :

Monseigneur, lui dit-il, le souvenir vivant, la grande figure qui ont animé tout ce discours sont ceux du grand Pape que Votre Excellence représente parmi nous. C’est de lui seul que je tiens ma mission et celle que j’ai confiée à ce jeune et généreux apôtre. C’est lui qui doit nous bénir par vos mains vénérables, et je le demande humblement pour ce peuple fidèle qui se prosterne devant vous.

« Le prédicateur sacré s’agenouille et, avec lui, toute rassemblée des fidèles, qui reçoivent la bénédiction apostolique de la main de Mgr Rotelli. »

Dans cette guerre à l’esclavage, il y a deux œuvres bien distinctes : celle des gouvernements et celle des particuliers.

Depuis des années, le cardinal Lavigerie essayait de tirer de leur torpeur les grandes puissances. Il obtint enfin la réunion de la Conférence de Bruxelles, dont l’Acte général, selon Mgr Brincat, peut être regardé comme « le code idéal de l’anti-esclavagisme. » Telle est le résultat atteint par l’œuvre des gouvernements.

L’œuvre des particuliers, basée sur l’initiative privée, est dévolue aux Comités libres fondés en Europe par le cardinal à la suite de nombreux voyages. Il existe maintenant une dizaine de ces Comités, tous placés sous l’autorité spirituelle de Mgr Lavigerie et de Mgr Brincat, directeur général et son suppléant. Ils sont nationaux et indépendants.

La Société possède à Paris un double comité : celui du haut patronage, sous la présidence de M. Jules Simon, assisté de MM. Wallon, Picot, Lefèvre-Pontalis, Keller, Lamy, Denys Cochin, Duval, Gamard, A. Franck, amiral Jurien de la Gravière, marquis de Vogué, Lefébure, Chesnelong, de Resbecq, Bardoux, Rothan, Buîoz, Mgr Lagrange, évêque de Chartres, le Révérend Père Charmettant, etc.

C’est parmi ces membres du haut patronage que le conseil directeur a été choisi. M. Keller en est le président ; MM. le duc de Broglie, comte de Bizemont, comté de Mun et le général de Charette ont bien voulu prêter leur appui au conseil.

Le Congrès de Paris avait donc pour but de rassembler les délégués de ces Comités libres et de consacrer la période d’action.

Quatre questions figuraient au programme :

1° Décider, s’il y a lieu, pour chaque comité national, de se réserver, en Afrique, une sphère territoriale d’action, et laquelle ?

2° Les comités, d’accord avec leurs gouvernements respectifs, doivent-ils former des corps de volontaires pour combattre la traite soit aux pays d’origine, soit sur les routes des caravanes ?

3° Quels moyens devront être employés pour recueillir les ressources destinées à secourir les victim es de Tesclavage ?

4° Enfin, la nomination d’un jury chargé déjuger le concours pour le meilleur ouvrage populaire en faveur de l’abolition de l’esclavage.

L’auteur de cet ouvrage aura droit au prix de 20, 000 fr., offerts par le Saint-Père et déposés actuellement à la Banque de France.

Le cardinal Lavigerie dans une lettre adressée aux membres du Congrès ajoute en postscriptum :

« Pour bien faire comprendre la nature de ce concours, je me permets de résumer ici ce que j’écrivais à ce sujet dans la lettre publique que j’adressais, il y a quelques mois, à Sa Majesté le Roi Léopold II de Belgique :

Je propose, disais-je alors, l’ouverture d’un concours pour la composition d’un ouvrage populaire destiné à éclairer, à entraîner l’opinion dans la question de l’abolition de l’esclavage. On sait l’importance qu’ont eue, il y a un demi-siècle, en Angleterre, en Amérique et en France, les œuvres composées dans ce but par des hommes considérables.

Dans notre siècle même, on a pu dire avec vérité que c’est un simple roman, l’Oncle Tom, qui a décidé sans retour la suppression de l’esclavage américain.

Je n’attends, ajoutais-je alors en terminant, que la conclusion des travaux de la Conférence de Bruxelles pour déclarer ce concours ouvert.

« Je le déclare ouvert aujourd’hui.

« Les ouvrages présentés au concours seront reçus jusqu’au 31 décembre 1891, au Secrétariat de l’Œuvre anti-esclavagiste, 6 ; rue Chomel, ou à la procure des Missions d’Afrique, 27, rue Cassette, à Paris. »

Le 22 septembre, les délégués des comités anti-esclavagistes, se réunirent en séance privée pour prendre connaissance de leurs pouvoirs et procéder à l’élection de leur bureau. Etaient présents :

Pour la France : MM. Jules Simon, Georges Picot, Lefèvre-Pontalis, Keller, marquis de Vogué, baron d’Avril.

Pour l’Angleterre et l’Irlande : MM. Gc. Alexander, membre de l’Anti-Slavery Society de Londres ; John V. Crawford, Charles Allen.

Pour l’Autriche-Hongrie : M. Ch. de Gatti, président du comité de Vienne.

Pour l’Allemagne : MM. Siéger, président du comité de Cologne, et François Kody.

Pour l’Italie : MM. le prince Rospigliosi, commandeur Tolli, Simonetti, du comité de Rome ; le comte Marino Saluzzo et l’abbé Cornaggia et Ghisalberti, du comité de Milan ; R. P. Nontuoro, du comité de Turin ; Mgr Pizzoli, du comité de Palerme.

Pour l’Espagne : MM. Luis Sorela et le marquis de Lema.

Pour le Portugal : MM. Macedo, du Bocage et Luciano Gordeïro.

Nos lecteurs connaissent déjà les délégués de la Belgique.

A l’unanimité, le bureau du Congrès a été ainsi composé : M. Keller, président ; comte de Resbecq, secrétaire général. Chacune des nations représentées a fourni un vice-président.

Son Eminence le cardinal Lavigerie, Nos Seigneurs Brincat et Livinhac, le frère Alexis, MM. d’Avril, Descamps, Keller, de Vogué, etc. prirent successivement la parole dans les diverses séances privées ou publiques du Congrès, qui adopta les résolutions suivantes :

1° Le Congrès adresse aux puissances signataires de la déclaration de la Conférence de Bruxelles l’expression de sa profonde reconnaissance pour l’œuvre qu’elles ont accomplie et exprime le vœu qu’il soit procédé, dans le délai le plus rapproché possible, à l’accomplissement des autres mesures dont le principe a été déjà adopté d’un commun accord.

2° En ce qui concerne l’organisation intérieure de l’œuvre de la Société antiesclavagiste, le Congrès décide que les comités nationaux, tout en poursuivant un but commun, garderont leur liberté d’action dans les sphères territoriales qui leur sont propres.

3° Le Congrès compte avant tout, pour la réalisation de son œuvre, sur l’action pacifique des idées civilisatrices et, spécialement, sur l’influence bienfaisante des missionnaires.

4° Au sujet du projet qu’on avait conçu de travailler à former des corps de volontaires pour combattre la traite, le Congrès décide qu’il ne sera organisé aucune expédition militaire, mais que les congrès nationaux feront œuvre utile en suscitant des dévouements volontaires qui s’emploieront à l’instruction des communautés chrétiennes et uniquement pour leur légitime défense.

5° Le Congrès exprime le vœu que le Saint-Père, qui a contribué si généreusement au progrès de l’Œuvre antiesclavagiste, continue à lui accorder sa bienveillante protection[254].

6° Le Congrès émet le vœu que des mesures soient prises pour mettre un terme aux abus dont sont victimes les travailleurs libres, et pour sauvegarder la liberté des noirs.

7° Le Congrès appelle l’attention des puissances sur le danger que fait courir à la civilisation la propagande musulmane dans les pays d’Afrique.

8° Les comités ne négligeront rien pour se tenir constamment en communication avec la presse et avec l’opinion publique européenne.

9° Un donateur généreux a mis à la disposition de la société antiesclavagiste une somme de 20.000 fr. pour le meilleur ouvrage populaire en faveur de l’abolition de la traite.

Le Congrès décide que chaque comité national nommera un jury particulier pour cet examen, nt que le résultat des travaux des différents jurys sera soumis à un jury spécial qui statuera définitivement sur l’attribution de la récompense.

Le délégué anglais se fait l’interprète des sentiments de ses collègues étrangers en remerciant le cardinal Lavigerie de l’hospitalité qui vient de leur être offerte dans la capitale de la France, avec une si parfaite cordialité. Son Eminence lui donne l’accolade et l’assistance se sépare sous le coup d’une vive émotion, après avoir décidé qu’un nouveau Congrès antiesclavagiste se réunira dans un délai de deux années.

Un banquet présidé par M. Keller et donné à l’Hôtel Continental, terminale Congrès Antiesclavagiste.

M. le baron d’Avril a préconisé une thèse favorable à la construction de ce chemin de fer transsaharien dont nous avons déjà eu occasion de nous occuper ; il est en communauté d’idées avec le capitaine Binger.

Est-ce la peine cependant, de risquer l’existence de milliers d’hommes, de dépenser plusieurs centaines de millions pour une ligne ferrée que menaceront les ouragans de sable et des torrents de pluie diluvienne ? Tout cela pour ne transporter que le chargement annuel d’un train complet au prix de plusieurs milliers de francs par tonne de marchandise, valant cent cinquante francs en moyenne.

Déjà le chemin de fer du Haut-Sénégal a fait un fiasco complet ! Mieux vaudrait, sans doute, parachever d’abord le réseau Algérien.

Dans sa lettre aux présidents des Comités libres, pour leur annoncer officiellement l’ouverture du Congrès de Paris, le primat d’Afrique a rappelé ses précédentes missives dans lesquelles il démontrait qu’à Sa Sainteté le Pape Léon XIII est due l’œuvre antiesclavagiste. (Nous regrettons bien vivement que le défaut de place nous ait empêché de reproduire ces documents précieux et curieux.)

Avant de quitter la France pour retourner en Afrique, Son Eminence le cardinal Lavigerie a fait une visite à M. Carnot, à Fontainebleau. Le président de la République et Mme Carnot ont fort bien accueilli le prélat, qui a été retenu à déjeuner au château.

Le 10 octobre. Son Eminence était reçue en audience par le Souverain Pontife. Sa Sainteté a longuement entretenu le cardinal, s’est enquise, avec le plus vif intérêt, des progrès de l’Œuvre anti-esclavagiste et notamment des résultats du Congrès de Paris, au sujet duquel le Saint-Père lui a exprimé sa pleine et entière satisfaction.

Le cardinal a présenté au Pape Mgr Livinhac et le R. P. Géraud, provicaire de l’Onnyanyembé. Léon XIII a adressé quelques paroles paternelles aux nègres de l’Ouganda et les a bénis affectueusement.

« C’est l’Afrique qui sera désormais le nouveau monde, » dit M. Jules Simon. Et il ajoute : « Le roi Léopold II, par son initiative en 1876, et le cardinal Lavigerie, par sa croisade contre l’esclavage, en seront les deux illustres pionniers. »

Pour rendre complet hommage à la vérité, nous devons, comme dans notre Avant-propos. associer le nom vénéré du Saint-Père à ceux du roi des Belges, Souverain de l’État Indépendant du Congo, et du grand Cardinal.


dby Google

APPENDICE


Nous sommes heureux de pouvoir enregistrer ici le succès remporté par le R. P. Dorgère au Dahomey. La paix est assurée, entre Béhanzin et la France, aux conditions suivantes :

1° Reconnaissance par le Dahomey du protectorat français sur Porto-Novo ; 2° cession de Kotonou à la France ; 3° maintien de tous les traités antérieurs.

Pendant son séjour à la Cour de Béhanzin, le R. P. Dorgère a obtenu tout d’abord la mise en liberté des émissaires envoyés à Abomey parle commandant Fournier ; l’amiral de Cuverville a porté ce fait à la connaissance des troupes de terre et de mer placées sous son autorité. Nous extrayons le passage suivant de cet ordre du jour :

« Le contre amiral commandant en chef les forces de terre et de mer, faisant fonctions de gouverneur dans le golfe de Bénin, est heureux de porter à la connaissance des troupes et des divers services relevant de son autorité la conduite patriotique et le courageux dévouement avec lesquels le R.P. Dorgère, aumônier de la colonne expéditionnaire, s’est acquitté du message dont il était chargé près le roi du Dahomey.

« Quelle que puisse être l’issue finale d’une mission qui n’avait point pour objet d’implorer une paix que nous pouvons dicter, mais bien celui d’éclairer le roi sur une situation qu’il semblait méconnaître, deux résultats importants ont été obtenus :

« 1° La mise en liberté immédiate des messagers du commandant Fournier et de celle de vingt-sept agents indigènes des factoreries retenus prisonniers depuis le 25 février ;

« 2° L’affirmation de notre vieille loyauté française, qui est la meilleure des diplomaties, car rien n’est habile comme la droiture.

« Le contre-amiral, commandant en chef, rend également hommage à la fidélité avec laquelle M. Bernardin Durand a rempli la mission qui lui a coûté un si long internement.

« A bord de la Naïade. »

Le 10 octobre, le Journal Officiel a publié un décret nommant au grade de chevalier de la Légion d’honneur :

Le Révérend Père Dorgère, de la Congrégation des Missions Africaines, aumônier provisoire du corps expéditionnaire. Services exceptionnels : mission au Dahomey.

Si jamais la formule : « Services exceptionnels » a été motivée, c’est assurément dans le cas présent.

Les résultats obtenus feront oublier au missionnaire et à l’amiral les attaques violentes et ineptes dirigées contre eux par la presse franc-maçonne écumant de rage à la pensée que les affaires de la France étaient confiées à un prêtre catholique et à un marin qui avait osé, en prenant possession de son commandement, faire inscrire, en breton, sur le vaisseau-amiral, cette sublime devise : Dieu et Patrie !

La République courait les plus grands dangers, aussi les oies du Capitole s’empressèrent elles d’ouvrir le bec pour donner l’alarme.

Durant l’impression de cet ouvrage, le colonel Archinard est reparti pour le Soudan français, en même temps que les capitaines Ménard (qui, passant par le Grand-Bassam, va refaire en sens inverse, une partie du voyage du capitaine Binger et confirmer les traités conclus avec certains chefs de l’intérieur) et Monteil (cet officier remontera le Sénégal, gagnera le Niger à Bamakou et de là explorera la bouche formée par ce grand fleuve que le traité anglo-français a placé dans la sphère d’influence française ; il est accompagné par M. Rosnoblet, ancien élève de l’Ecole des langues orientales et d’un ancien sous-officier d’infanterie de marine).

L’administrateur colonial Cholet vient de remonter la Sangha, affluent de droite du Congo, jusqu’au-dessus du 4° latitude nord et jusqu’au 13° de longitude. M. Cholet a accompli celte exploration sur la canonnière le Ballay, et il a pénétré dans les pays situés entre le Cameroun allemand et le Congo français.

La limite entre les deux colonies allemande et française est fixée, on le sait, par le protocole du 24 décembre 1885, approuvé par les Chambres, et qui trace une ligne de démarcation suivant le parallèle passant par la rivière Campo à son embouchure, et se poursuivant jusqu’en un point situé sur le 12e degré 40 de longitude est. Cette ligne laissait ouverte à l’activité des deux pays la région s’étendant à l’est de cette longitude.

Au cours de son exploration, M. Cholet a passé, avec les souverains indigènes, des traités qui ont pour effet de placer sous la domination française toute une région à l’ouest de la Sangha. Les Allemands avaient en vain essayé de s’y frayer un chemin, mais ils n’avaient pu y parvenir, étant données la distance et l’hostilité des indigènes, devant laquelle la maison Wœrmann avait même dû retirer plusieurs de ses comptoirs. C’est la prise de possession de cette région que l’administrateur colonial Cholet a accomplie en utilisant le cours de l’affluent du Congo, la Sangha, que Ton supposait avec raison remonter vers le nord, parallèlement au Congo et à l’Oubanghi. M. Cholet a trouve un cours d’eau navigable malgré la mauvaise saison. Il était accompagné par les représentants d’une maison de commerce qui ont trouvé, paraît-il, les éléments de fructueuses affaires dans ces contrées jusqu’alors inexplorées.

Les traités signés par M. Cholet ouvrent définitivement à la colonie du Congo, sur la Sangha, une route vers le nord, parallèle à celle que nous occupons déjà sur l’Oubanghi. Le Congo français s’étend donc actuellement, à l’ouest, jusqu’à la limite fixée par la convention franco-allemande.

L’explorateur Crampel a quitté, le 22 août, Brazzaville, en route pour l’Oubanghi, qu’il doit remonter en partie avant de se diriger vers le nord. Le personnel de sa mission était en bonne santé.

M. Fourneau, un de nos agents du Congo, connu par ses travaux géographiques au Congo, est parti de son côté avec une chaloupe pour la rivière Sangha afin de continuer les travaux si bien commencés par M. Cholet.

M. de Brettes, l’explorateur du Sud-Américain, a l’intention de se rendre au Grand Bassam (comme le capitaine Ménard) ; de là, il essaiera d’atteindre Baroua, sur le lac Tchad, an étudiant la frontière de la contrée confirmée à la France par le traité anglo-français. M. de Boze, peintre distingué, voyagera avec M. de Brettes.

Enfin, le capitaine Trivier est sur le point d’entreprendre une nouvelle expédition dans l’Afrique Australe. Il doit quitter la France vers le 18 novembre.

Tous ces efforts ne peuvent qu’être utiles à la civilisation, à la campagne anti-esclavagiste, et l’on ne saurait trop féliciter et louer ceux qui les tentent.

Nous avons fait ressortir (pages 374 et 373) l’importance considérable de l’influence du Sultan de Zanzibar sur les peuples de l’Afrique Orientale, l’Allemagne qui l’a parfaitement comprise, cherchée se l’approprier ; voici une dépêche qui ne laisse aucun doute à ce sujet :

Berlin, 17 octobre.

Le Moniteur de l’Empire annonce que le gouvernement allemand et le sultan de Zanzibar ont conclu une entente en vertu de laquelle ce souverain s’engage à céder à l’Allemagne, moyennant une indemnité de 4 millions de marcs, les droits de suzeraineté qu’il possède sur la partie de la côte du continent africain qui est affermée à la Société allemande de l'Afrique orientale.

Si l’expédition Kunzel a été massacrée à Vitu, on télégraphie d’Aura (Côte d’Or) quo les chefs des Crippis ont envoyé une députation au gouvernement anglais de la Côte d’Or pour protester contre la cession de leur pays à l’Allemagne.

Les tribus des Crippis se sont opposées à l’occupation de leur territoire et ont obligé les Allemands à se retirer, après leur avoir blessé plusieurs hommes.

D’autres mesures de résistance se préparent.

On mande de Londres que le gouvernement britannique a télégraphiquement ordonné à un vaisseau de guerre d’aller de Zanzibar à Vitu, afin de faire une enquête sur le massacre des Allemands[255].

Le major Wissmann, Commissaire général dans l’Est-Africain, va rentrer en activité de service et réunir de nouveaux éléments nécessaires pour continuer l’assimilation des territoires africains à l’Empire Allemand.

Divers personnages en vue lui seront adjoints, notamment le docteur Peters. Un certain nombre de volontaires doivent également s’embarquer avec lui.

Le nouveau personnel colonial comprendra des fonctionnaires civils. C’est dire que les pouvoirs jusqu’ici presque illimités de M. Wissmann seront diminués.

L’expédition emportera un navire démontable, qui va être mis sur les chantiers Jansen et Schmilinsky et qui sera destiné à la navigation sur le lac Nyanza.

Les négociations entamées entre l’Angleterre et l’Italie au sujet de l’occupation de Kassala, capitale de la Nubie, sont rompues. Le Temps le constate et dit :

« Or il se trouve que la France et l’Angleterre, cet été, n’ont point eu de peine à trouver la formule d’un accord satisfaisant pour les deux parties au sujet de questions litigieuses et délicates qui touchaient à l’Afrique presque entière. Il se rencontre, au contraire, que l’Angleterre et l’Italie n’ont pu s’entendre sur une question strictement limitée. »

Cette citation montre l’aberration du Temps, Nous avons suffisamment éclairé nos lecteurs sur les conséquences néfastes du traité anglofrançais pour qu’ils sachent comment on doit accueillir le langage de ce journal.

Ne quittons pas l’Égypte sans dire que les Madhistes, reprenant l’offensive, sont arrives à Handoub, d’où ils menacent d’attaquer Souakim,

Qu’on nous permette de reproduire encore les deux dépêches suivantes :

Londres, 18 septembre 1890.

On mande de Zanzibar, au Times, que mercredi vers minuit, les embarcations du stationnaire britannique Conak ont donné la chasse à une dhow qui avait des allures suspectes. La poursuite, assez longue, a été des plus émouvantes : le bâtiment indigène a fini par être atteint.

Le capitaine arabe, faisant mine de se défendre, a été tué raide. Le reste de l’équipage s’est jeté à la mer et a pu s’échapper, grâce à la nuit.

À bord de la dhow, on a trouvé cinquante esclaves,


Londres, 18 septembre 1890.

Un télégramme de Capetown signale l’arrivée dans ce port du vapeur portugais Roi-de-Portugal et ajoute que de nombreux esclaves indigènes, venant de Mozambique, sont détenus à bord pour être transportés sur la côte occidentale, leur recours devant les tribunaux n’ayant pas été admis. Quatorze ont réussi à s’échapper. Le vapeur est reparti hier matin.

Le Daily News s’émeut de la nouvelle et déplore que les tribunaux n’aient pu, pour des causes de pure forme, prononcer la mise en liberté de ces esclaves.

Le Daily News invite lord Salisbury à ne pas se laisser arrêter par de futiles questions de procédure, à passer à travers ces toiles d’araignées et à prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette honte de la traite des noirs.

Nous sommes très heureux de pouvoir encore ajouter, ici, que le Président du Comité Antiesclavagiste français, M. Keller, vient d’être créé Comte Romain héréditaire, par Sa Sainteté le Pape Léon XIII.

Le comte Keller, nos lecteurs le savent parfaitement, possède, dans leur plénitude, les qualités et les vertus qui sont l'apanage du catholique, par

conséquent de l’homme de bien.

TABLE DES MATIÈRES


AVANT-PROPOS, v et vi.

PROLÉGOMÈNES.

L’esclavage dans l’Afrique Septentrionale, Centrale et Équatoriale, 1. — Iradé du Sultan Abd-Ul-Hamid II, 1. — La Revue Britannique, 2. — Harems turcs, 2 ; leur recrutement, 4 à 5. — Le rapt de Londres, 5. — Aphorisme turc, 6. — Idéal de la beauté féminine, 6. — Le Paris et la traite sur les bords de la mer Rouge, 6. — Le marquis de Salisbury et le Parlement Britannique, 7. — Conséquence de l’abandon de Khartoum, 8. — Le Livre bleu anglais, 8. — Notes de M. Hunter, 8. — Catégories d’esclaves, 8. — La Chasse à l’homme, 9. — L’esclavage en Tunisie, 9. — En Algérie, 10. — Duveyrier, 10. — L’amra-bey de mai 1890, 11. — Verney-Hovett Cameron, 11. — Mage, 11. — Largeau, 12. — Son Eminence le Cardinal Lavigerie, 12. — Sa Sainteté le Pape Léon XIII, 12. — Rôle de la France, 12. — Croisade Antiesclavagiste, 12. — Prophétie de l’italien Vezetelli, 13. — Le gouverneur d’Obock et le sultan de Tadjourah, 13. — La France et les puissances étrangères, 13. — Conférence internationale de Bruxelles, 13. — Schweinfurth, 14. — Victimes de la traite, 14. Le Major Serpa-Pinto, 14. — Le Vice-Amiral Fleuriot de Langle, 14. — De Brazza, 15. — Causes de l’esclavage, 15. — L’homme le plus considéré, 16. — Sir Samuel White Baker, 16. — Schweinfurth, 16. — L’ivoire, 16. — Opinion de Stanley, 17. — Moyen de répression préconisé par Mgr Lavigerie, 21. — Verney-Hovett Cameron, 22. — Largeau, 22. — S. M. Léopold II et l’Association Européenne pour l’abolition de la traite, 22. — M. Zachrissen, Président de la Société Antiesclavagiste Suédoise, 22. — L’esclavage et le Koran, 23. — Mariages illicites et nuls, 30. — Pouvoir du maître sur ses esclaves, 31. — Affranchis de Mohammed, 31. — L’esclavage chez les musulmans, 32. — Au Sahara, 33. — Tortures infligées aux captifs et esclaves dans les États Barbaresques, 34. — Différentes sortes de supplices réservés aux chrétiens, 34. — L’Histoire Générale de la Tunisie, depuis l’an 1590 avant Jésus-Christ jusqu’en 1883, 34. — Expédition de Livingstone, 35. — Conclusions de ce dernier, 35.

CHAPITRE PREMIER. — Les Bourreaux.

Achmed Agad, négrier et trafiquant du Nil Blanc, 38. — Schweinfurth à Dokouttou, 39. — Le négrier Ghattas, 39. — Hospitalité offerte à une bande d’esclaves, 39. — Les Adoumas, 39. — De Brazza, 39. — Les Aiahous, 40. — Livingstone, 40. — Giraud, 41. — Le négrier Aley, 41. — Les Angonis, 42. — Les Marabouts, 42. — Largeau, 42. — Ouargla, 42. — El Goléa, 43. — Le général de Galliffet, 43. — Insalah, 43. — Tombouctou, 43. — Livingstone, 43. — Ben Djouma, 43. — Les Baggâras, 43. — Bolognesi, 44. — Domination égyptienne, 44. — Les Madhistes, 44. — Giraud, 44. — Les Missionnaires de la London Miss. Society, 45. — Le négrier Kabunda, 45. — Stanley, 45. — Les Arabes de Zanzibar, 45. — M. L. Quesnel, 46. — Giraud, 46. — Livingstone et Stanley, 48. — Tagamoyo, métis arabe, 48. — Stanley, 49. — Emin-Pacha, 50. — Barth, 50. — Le Baghirmi, 50. — Le lieutenant Vallière dans le Haut-Niger, 51. — Un chef Diula, 51. — Le roi des Bambas, 54. — Le marchand d’esclaves Bokhari, 54. — Au Bornou, 54. — Barth, 54. — Sur les bords du lac Tchad, 56. — Les Bouddoumas, 56. — Au Cama, 56. — De Compiègne, 57. — Les négriers du Gabon, 57. — Esclaves mangés par des fourmis, 58. — Les Chebelis, 58. G. Revoil ; Supplices infligés aux esclaves, 58. — Les Çomalis, 60. — Les Abeuches, 60. — Esclaves Gallas, dans le Guélidi, 61. — Au Dahomey, 62. — Le docteur Repin, 63. — Tombeau et funérailles des rois dahoméens, 63. — Les Grandes Coutumes, 64. — Récit d’un missionnaire protestant, 65. — Récit de M. Euschart, 67. — M. Bayol, lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud, au Dahomey, 71. — Le roi Behanzin et les Amazones, 72. — Combat d’Atchoupa, 72. — La France revendique Kotonou, 73. — M. de Beckmann. 73. — Affaires du Dahomey, 73. — Journal de M. Gaudoin, 74. — Lettre de Behanzin à M. Carnot, 79. — L’amiral Cavelier de Cuverville, 81. — Le R. P. Dorgère, chargé d’une mission auprès de Behanzin, 82. — Schweinfurth et les Darfouriens, 82. — Les Diulas, 83. — Le capitaine Binger, 85. — Les Djellabas, 85. — Tremeaux, 88. — Les Égyptiens, 92. — Lettres adressées à Lejean 92. — Les négriers du Fezzan, 93. — Le Paris, 93. — Burton, 94. — Les Flibustiers de Zoungoméro, 94. — Manière d’agir de Burton et de Stanley ; des explorateurs français, 94 et 95. — Le Journal des Voyages, 95. — Les Foulanes, 95. — Largeau, 95. — Caravanes de Ghadamès, 96. — Les établissements du négrier Ghattas, 97. — Les Grebos, 97. — Le négrier Kourchout-Ali, 97. — Bolognesi et les traitants de Khartoum, 98. — Livingstone au pays des Makoas, 99. — Le major Serpa-Pinto et les Makololos, 100. — Enfants jetés vivants aux crocodiles, 102. — Le négrier Makutubu. 103. — Les Mandingues, 104. — Au Manyéma, 105. — Les Matabélés, 105. — Mchiri, chef du Katannga, 106. — Au Mkidi, 106. — Portraits de négriers, par Schweinfurth, 106. — Mofió, chef Nyam-Nyam, 107. — Les Mzaramas, 107. — L’Elüia ji N’komis, 107. — Les Okandas, 108. — De Brazza, 109. — Les Naturels du Donhon, 110. — Lambert, 110. — Les Marabouts noirs, 110. — Marche, 110. — L’esclavage dans l’Okanda, 111. — Les Oubambas, 118. — Speke, 118. — Le roi Mtésa, l’un des chefs de l’Ouganda, 118. — Stanley, 123. — Le tribut de l’Ouvouma, 123. — Les R. Pères Blancs, 124. — Lettre de Mouanga, fils et successeur de Mtésa, au Cardinal Lavigerie, 124. — Persécution dans l’Ouganda, 126. — L’Ounyamaouézi, 127. — L’Ounyanyembé, 127. — L’Ounyoro, 128. — Les Pahouins, 129. — Les Peuhls et les Toucouleurs, 131. — Les Portugais, 133. — Ahmadou, sultan de Ségou, 149. — Gallieni, 153. — Le colonel Archinard, 155. — Les écoles arabes et le Temps,156. — Assassinat de M. Jeandet, 160. — Le sultan de Sokoto, 161. — Burdo, 161. — Le roi des Somraïs, 162. — Le docteur Nachtigal, 162. — Au Soudan, 162. — Sur les bords du Tanganyika, 165. — Mistress Hore, 165. — Au lac Tanganyika, dans une chaise roulante, 166. — Les Touareg, 166. — Récit du nègre Ferraghit, 167. — Les Toucouleurs, 171. — Les Tunisiens, 171. — Les Vouahéhé, 171. — Les Vouamrimas, 171.

CHAPITRE II. — Sacrifices humains.

Les Achantis, 172. — Les Akpotos et les Mitshis, 172. — Araba (ville), 172. — L’Assinie, 173. — Grand-Bassam, 173. — Grand’Bouba, 174. — Baie des Bourbourys, 175. — Les Ngillems, 176. — Les Ibos et les tribus d’Ogbekin, 176. — L’Ouroua, 177. — À Porto-Novo, 179. — Sultanat de Ségou, 200.

CHAPITRE III. — Anthropophagie.

Les Akpotos et les Mitshis, 201. — Royaume d’Atamy, 201. — Métammba et Bambarré, 202. — Grand-Bassam et Quaquas, 202. — Les Batékés, 202. — Les Bourbourys, 204. — Les Ibôs, 205. — Les Mangalais, 205. — L’Ouvinnza, 205. — Itouri, 206. — Rio Pongo, 206. — Le fleuve Livingstone, 206. — Les Mouanas Ntabas, 209. — Mfans ou Pahouins, 210. — Les Mombouttous, 215. — Les Nyams-Nyams, 219. — Au Manyéma, 221. — Les Wadouas, 221.

CHAPITRE IV. — Sorcellerie et Superstitions.

Les Wazigoua, 223. — Mort du roi d’Ake, 223. — Les Egbas, 225. — Les Gabonnais, 226. — Au Congo, 228. — Le Haut-Congo, 237. — Au Dahomey, 243. — Chez les Matabélés, 244. — Région voisine d’Onitsa, 246. — Dans l’Ouzaramo, 247. — À Porto-Novo, 247. — Les Simos, 255. — Chez les Somraïs, 256. — À Zambué, 257. — L’Inglesa, 259.

CHAPITRE V. — Les victimes.

Le Koran et la peine du talion, 260. — À Adanlimanlango, 260. — Mage, 261. — Entre les deux Bakhoy, 261. — Esclaves attachés deux par deux, 263. — Les Bambaras, 265. — Les Batongas, 265. — Au Bornou, 266. — Population de la vallée du Chiré, 267. — Au Dahomey, 268. — MM. Bontemps, Gaudoin, Legrand et le R. Père Dorgère, captifs au Dahomey ; mauvais traitements qu’ils endurent, 269. — Récit d’un lieutenant de vaisseau français, 269. — Entre guerriers mâles et femelles, 271. — Le Dar Benda, 271. — Le Dar-Fertite, 272. — Le Darfour, 272. — Au Fezzan, 272. — À Ghadamès, 272. Largeau, 273. — Les Gnoumas, 273. — Le Haoussa, 273. — Les esclaves du Houffeh, 273. — L’Ibô, 274. — Les femmes de Kassongo, chef suprême de l’Ouroua, 274. — Négresses du Kordofan, 275. — Les Kolikois, 276. — Nachtigal, 276. — Au cap Koungoué, 278. — Westmark, 278. — Les Mangalas, 278. — Le roi des Marutsés, 280. — Tippou-Tib, 281. — Les Manyémas, 283. — Les Wangouanas, 283. — Au Marangu, 284. — Haut-Nil, 285. — Un fragment du journal de Schweinfurth, 285. — La traite sur le territoire du Bahr El Ghazal, 287. — Territoires à esclaves, 287. — Races d’esclaves, 288. — Musulmans du Haut-Nil, 289. — Classes d’esclaves, 289. — Schweinfurth, 289. — Mouture à bras, 290. — Les Madhistes, 291. — Code sunnite, 291. — Nubiennes, 292. — Femmes du Sennaar, 292. — Esclaves du Soudan, 292. — Système d’attache des esclaves, 292. — L’esclavage à Yola, 293.

CHAPITRE VI. — Changements de maîtres. — Maladies des Esclaves. — Marque des Esclaves. — Marche d’une Caravane.

Verney-Hovett Camerox, 295. — Changements de maîtres dans l’Afrique Orientale, 295. — Causes des maladies des Nègres, 295. — Maladies : rhumes, ophtalmies, petite vérole, affection cutanée, diarrhée, peste, Dragonneau ou Veine de Médine, filaire de l’œil, le pian et la phtisie, 296 à 299. — Marque des esclaves dans le Haut-Nil, pays fétichistes, le Koran, le tatouage, 299. — Marche d’une caravane, 299. — Brutalité monstrueuse des conducteurs, 300 à 302.

CHAPITRE VII. — Marchés d’Esclaves. — Voies reliant les marchés d’Esclaves.

De Brazza, 303. — À Angola, 303. — À Chekka, 303. — À Delgaouna, 304. — À Figuig, 304. — Au Dem Goudyou, 304. — À Igbebé, 304. — Burdo, 305. — À Kanyori, 306. — À Kéniéra, 307. — À Khartoum, classes des femmes, 307. — Les Eunuques, 308. — Bulbul, 308. — V. H. Cameron, 308. — À Kharyané, 308. — À Kouka, 309. — À Lopé, 310. — Au Marok, 310. — Maurice Paléologue, 310. — Le docteur Marcel, 311. — M. Léo Quesnel, 311. — Le Gaulois, 313. — Le capitaine Valette, 314. — À Tafilet, 314. — À Rbat, 315. — Sur la rive gauche du Niger, en face d’Onitsa, 315. — À Oudjidji, 316. — Dans le Somraï, 318. — Le docteur Nachtigal, 318. — Stanley-Pool, 320. — À Tabora, 320. — Tengrela et Timé, 321. — Tombouctou, 321. — MM. Caron, Lefort et Jouenne, 321. — Lentz, 321. — Le lieutenant-colonel Hennebert, 321. — Flatters, 321. — En Tunisie, 322. — Manières de préjuger des nègres, 325. — Coquetterie des négresses, 325. — L’Avenir Algérien. 326. — Alimentation des harems Musulmans, 326. — Le National, 327. — Le Gaulois, 327. — Cruauté d’un Tunisien, 327. — Le décret beylical contre l’esclavage, 327. — Traité entre l’Angleterre et la Tunisie, 327. — Le consul général d’Angleterre, 327. — M. Pontois, 328. — Campagne contre l’esclavage, dirigée par l’Avenir Algérien, 328. — L’Officiel Tunisien, 329. — Riposte de l’Avenir Algérien, 330 à 342. — M. Massicault, 312. — Traité de Kassar-Saïd, 342. — L’Avenir Algérien, 342. — Les Odeurs de Tunis, 342. — À Zanzibar, 344. — Livingstone, 344. — Stanley, 345. — Situation actuelle, 345. — Les Zeribas du Haut-Nil, 340. — Schweinfurth, 346. — Fusil à silex, 347. — Une manufacture d’armes belge, 347. — Voies reliant les marchés d’esclaves, 347.

CHAPITRE VIII. — Une République nègre. — L’abrutissement des Africains.

La République de Libéria, 349 à 353. — Culpabilité des Européens, 352. — Livingstone s’élève contre l’abrutissement prétendu des Africains, 353. — L’Evêque anglican Mackensie, 353. — De Brazza, 353. — Le Major Serpa Pinto, 356. — Les Bougandas de Mgr Livinhac, 357.

CHAPITRE IX. — Décret Beylical du 9 Chaoual 1307.

Considérants et texte du décret, 358. — Commentaire, 360 et suiv. — Articles 463 et 58 du Code Pénal français, 361-362. — Amphibologie regrettable de l’article 3 du Décret beylical ; 362. — Un négrier français, 362. — Lacune dans le Qanoun el jemaïat, 363. — Texte des articles du Code Pénal français applicables dans les pays de Protectorat, 363 à 369. — Dommages-intérêts et réparations envers les esclaves, 369. — Texte du Pacte Fondamental du 20 Moharrem 1274, 370.

CHAPITRE X. — Le traité anglo-allemand. — Emin-Pacha. — Le Comte Téléki. — Une tribu chrétienne au 5e degré de latitude nord.

M. d’Avril, 371. — M. Marcade, 371. — Traité anglo-allemand, 372. — Le Moniteur de l’Empire Allemand, 372. — Sphères respectives d’influence, 372. — L’Ouganda et le docteur Peters, 373. — Zanzibar, 373. — M. Marbeau, 374. — La Revue Française, 374. — Le lac Tchad, 376 et suiv. — Le Gaulois, 379. — Opinion de Stanley, 379. — Emin-Pacha et Stanley, 381. — Emin au service de l’Allemagne, 381. — Une lettre du R. P. Horne, 381. — Emin et Mgr Livimhac, 382. — Pacification de l’Est Africain allemand, 382. — Extinction de la traite des nègres, 382. — Le Comte Hongrois Téléki ; son expédition, 382. — Les Masaï, 383. — Lacs Rodolphe et Stéphanie, 384. — Résultats, 384. — Une tribu chrétienne au 5e degré de latitude nord, 385. M. Romanet du Caillaud, 385. — Bulletin de la Société de Géographie de Paris, 385. — Annales Apostoliques, 385.

CHAPITRE XI. — Résultats de la traite des esclaves. — La guerre à l’esclavage.

Statistique de la traite, 387. — Livingstone, 387. — Son Éminence le Cardinal Lavigerie, 388. — Conférence Antiesclavagiste de Bruxelles, 388. — S. M. Léopold II et le cardinal Lavigerie, 388. — Tâche délicate de la conférence, 388 et suiv. — L’Angleterre et le Portugal ; l’Angleterre et l’Allemagne, 389. — Les Néerlandais, 389. — Le mercantilisme britannique, 389. — Visites des bâtiments, 390. — La Turquie, 390. — Déclaration de guerre aux négriers, etc., 391. — Le 30 juin 1890, 391. — Intervention du Primat d’Afrique et instructions de S. S. Léon XIII, 391. — Période d’exécution, 392. — Un vrai grand Français, 392.

CHAPITRE XII. — Acte général, de la Conférence Antiesclavagiste de Bruxelles.

États qui prennent part à la Conférence, 394. — Résolution, 395. — Pays de traite ; mesures à prendre aux lieux d’origine, 395 à 404. — Routes des caravanes et transport d’esclaves par terre, 404 à 408. — Répression de la traite sur mer, 406 à 419. — Dispositions générales, 406 à 408. — Règlement concernant l’usage du pavillon et la surveillance des croiseurs, 408 à 414. — De l’arrêt des bâtiments suspects, 414 à 416. — De l’enquête et du jugement des bâtiments saisis, 416 à 419. — Pays de destination, dont les institutions comportent l’existence de l’esclavage domestique, 420 à 423. — Institutions destinées à assurer l’exécution de l’Acte général, 423 à 427. — Du Bureau international maritime de Zanzibar, 423 à 425. — De l’échange entre les gouvernements des documents et renseignements relatifs à la traite, 425 à 426. — De la protection des esclaves libérés, 426 à 427. — Mesures restrictives du trafic des spiritueux, 427 à 429. — Dispositions finales, 429 à 431. — Déclaration des puissances signataires de l’Acte général, 431 à 432. — Examen de l’Acte général, 432 à 447. — Paganisme et christianisme, 433. — Hommage rendu par S. E. le cardinal Lavigerie à S. M. Léopold II, 434. — S. S. Le Pape Léon XIII et les missionnaires, 434. — Le major Wissmann, 434. — Le Temps, 434. — Emin-Pacha, 435. — Les Monat’s Hefte, 436. — M. Gerhard Rohlfs, 436. — Mœurs britanniques, 436. — Croisade de Wilberforce, 437. — Indifférence coupable de l’Europe, 437. — S. E. le cardinal Lavigerie, 438. — Un mirage ! 438. — Armes à feu, 438. — L’ivoire, 439. — Compagnies munies de chartes, 439. — Législation pénale, 441. — Esclaves libérés, 441. — Dommages-intéréts, 442. — Côtes de l’Océan Atlantique, 442. — L’Indépendance Belge et la Turquie, 442. — S. M. le Schah de Perse, 443. — Le sultan de Zanzibar, 443. — Le sultan du Marok, 443. — Les États-Unis d’Amérique et les droits sur les spiritueux, 444. — Lord Wivian, 445. — Austérité britannique, 445. — L’Opium, 445. — La paille et la poutre ! 445. — Discours de M. l’avocat-général Desjardins, à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation : Du droit de visite et de la Conférence de Bruxelles, 446. — S. Exc. le baron de Mohrenheim, ambassadeur de Russie à Paris, 446. — Rôle médiateur des diplomates russes à la conférence de Bruxelles, 446. — Louanges adressées à S. M. Léopold II, 446 à 447.

CHAPITRE XIII. — Sa Majesté Léopold II. — L’État Indépendant du Congo. — Les traités franco-anglais et anglo-portugais.

Généreuse pensée de S. M. Léopold II, 448. — L’Association internationale de Bruxelles, 448. — Programme de S. M. Léopold II, 449. — Succès dû à la persévérance de S. M. Léopold II, 449. — Fondation de l’État Indépendant du Congo, dont S. M. Léopold II devient Souverain, 451. — Les frais de cette fondation sont, pendant dix ans, payés par S. M. Léopold II, sur sa cassette particulière, 451. — Un testament Royal, 452 à 454. — Traité anglo-français, 456. — Le Temps, 458. — Le colonel Frey, 458. — Réflexions suggérées par l’examen de ce traité, 458 : — Pertes subies par la France, 460. — Tactique de l’Agence Havas, 461. — La Turquie au sud de la Tripolitaine, 462. — Le chemin de fer transsaharien, 463. — Zanzibar, 463. — L’Angleterre et le Portugal, 464. — Analyse du traité que voudrait imposer le gouvernement Britannique au Cabinet de Lisbonne, 464. — Partage vraiment original du continent Africain, 467.

CHAPITRE XIV. — Les missionnaires en Afrique.

Les Débats, 469. — Un mot de Gambetta, 469. — Le Matin, 470. — Les Missions Africaines de Lyon, 471. — Les Spiritains, 472. — Les R. P. Capucins, 472. — Les Missionnaires d’Alger, 472. — Les Oblats de Marie, 473. — Les Oblats de Saint-François de Sales, de Troyes, 473. — Les R. P. Jésuites, 473. — Le Siècle, 473. — Les Frères de Ploërmel, 474. — Les Pères du Saint-Esprit et l’Alliance Française, 474. — Les Sœurs de Saint-Joseph, de Cluny, 474. — L’Almanach des Missions, 476. — Au Zanguebar, 477. — Mgr de Courmont, 477. — Les Pères Blancs, 477. — Les Pères Lazaristes, 477. — Les Filles de la Charité, 477. — Mgr Crouzet, 477. — Les Missions Africaines, 477. — Les Prêtres de Schentz-les-Bruxelles, 477. — Les Pères du Saint-Esprit, 477. — Décès: Mgr Picarda ; S. E. le Cardinal Massaja ; le R. P. Lourdel, 478. — le R. P. Augouard, ancien zouave pontifical et défenseur de la France, en 1870, nommé Vicaire Apostolique de l’Oubanghi (Congo Français), 478.

CHAPITRE XV. — Le Congrès Antiesclavagiste de Paris. — Sa Sainteté le Pape Léon XIII et l’Esclavage.

Cantate Antiesclavagiste, 480. — À Saint-Sulpice, 480. — M. Jules Simon ; son jugement sur S. E. le Cardinal Lavigerie, 480. — S. Exc. Mgr Rotelli, Nonce Apostolique, 480. — NN. SS. Livinhac ; Brincat ; de Montréal ; Combes, etc., 481. — S. E. le Cardinal Lavigerie et les néophytes de l’Ouganda, 481. — Les futurs auxiliaires des missionnaires, 481. — Délégués des puissances et de la Ligue Antiesclavagiste présents à la cérémonie de Saint-Sulpice, etc., 482. — S, E. le Cardinal Lavigerie monte en chaire, 483. — Le Gaulois, 483. — S. S. le Pape Léon XIII et l’esclavage, 484. — Adjurations à la presse, 485. — La suppression de l’esclavage doit avoir lieu progressivement, 486. — S. E. le Cardinal Lavigerie et Mgr Livinhac, 487. — S. E. le Cardinal Lavigerie et son Exc. le Nonce Apostolique, 487. — Œuvres distinctes dans la guerre à l’esclavage, 487. — Le Code idéal de l’Antiesclavagisme, 488. — Les Comités libres, 488. — Le double comité de Paris ; ses membres, 488. — But du Congrès de Paris, 489. — Questions figurant au programme, 489. — Délégués des Comités Antiesclavagistes présents à Paris, le 23 septembre 1890, 490. — Orateurs du Congrès, 491. — Résolutions adoptées, 491 à 493. — Un télégramme du Souverain Pontife. — Remerciements adressés à S. E. le Cardinal Lavigerie, 493. — Un nouveau Congrès se réunira, à Paris, en 1892, 493. — Clôture du Congrès de 1890. — M. d’Avril et le chemin de fer transsaharien ; le capitaine Binger, 493. — Fiasco du chemin de fer du Haut-Sénégal ; achèvement du réseau algérien, 494. — Lettre de S. E. le Cardinal Lavigerie établissant que l’œuvre antiesclavagiste est due à S. S. le Pape Léon XIII. — Le Primat d’Afrique à Fontainebleau, 494. — Audience Pontificale du 10 octobre 1890, 495. — Une citation empruntée à M. Jules Simon, 495. — Hommage complet rendu à la vérité, 495.

APPENDICE.

Mission du R. P. Dorgère au Dahomey ; signature de la paix ; mise en liberté des messagers du commandant Fournier, 496. — Un ordre du jour de l’amiral Cavelier de Cuverville, 496. — Le R. P. Dorgère est nommé Chevalier de la Légion d’honneur, 498. — Prêtre et marin catholiques ! 499. — Le colonel Archinard ; les capitaines Ménard et Monteil, 499. — M. Cholet, 499. — M. Crampel, 501. — M. Fourneau, 501. — MM. de Brettes et M. de Boze, 501-502. — Le capitaine Trivier, 502. — L’Allemagne et le sultan de Zanzibar, 502. — Massacre de l’expédition Kunzel Vitu, 503. — Les Crippis, 503. — Bombardement de Vitu, prise de cette ville par l’amiral Freemantle,503. — Le major Wissmann et l’Est-Africain Allemand, 503. — L’Angleterre et l’Italie : Kassala, 504. — Le Temps, 504. — Les Madhistes, 304. — Un bâtiment indigène négrier, 305. — Affaire du vapeur portugais Roi de Portugal, ayant à son bord des esclaves, 505. — Le Daily News et lord Salisbury, 506. — M. Keller, Président du Comité Antiesclavagiste français, nommé Comte Romain héréditaire, par S. S. le Pape Leon XIII.


Paris. — Imp. G. Picquoin, 53, rue de Lille.
  1. Encyclique In Plurimis.
  2. Voici les prix courant des esclaves ordinaires dans les marchés clandestins de la mer Rouge : jeunes filles de dix à quinze ans, de 4 à 500 francs ; jeunes femmes de seize à vingt-deux ans, de 250 à 350 francs ; petits garçons de sept à onze ans, de 3 à 400 francs ; jeunes hommes de quinze à vingt ans, de 150 à 250 francs. (Les caravanes se chargent rarement d’hommes faits). Nous verrons bientôt à quel taux sont vendus sur les côtes d’Arabie les esclaves provenant de certaines tribus africaines réputées.
  3. Porte qui conduit à la mort ; Passage des Larmes. Quelle signification pour la cargaison humaine des Sambouks !
  4. Mascate, port de commerce important de l’Arabie indépendante, qui commande l’accès du golfe Persique, — Quiloa, ville du sultanat de Zanzibar, sur la côte d’Afrique.
  5. Les Odeurs de Tunis, par H. Pontois, ancien président du Tribunal de Tunis, président honoraire de Cour d’Appel députe des Deux-Sèvres. 2e édition, Paris 1889, p. 148-149.
  6. À travers l’Afrique : de Zanzibar à Benguela, 1872-1876.
  7. Discours aux Conférences internationales pour l’abolition de la traite et de l’esclavage, Paris, 1867.
  8. Tadjourah est le point terminus de l’une des routes qui, de l’intérieur, aboutissent à la côte et que fréquentaient les caravanes allant s’approvisionner dans les pays Gallas (possession française d’Afrique).
  9. Au cœur de l’Afrique : Tour du Monde, 1874, 1er et 2e semestres.
  10. Comment j’ai traversé l’Afrique, de l’Océan Atlantique à l’Océan Indien. Tour du Monde, 1881, 1er et 2e semestres.
  11. Croisières à la côte d’Afrique.
  12. Tour du Monde, 2e semestre 1888.
  13. Voyage à l’Albert N’yansa ou lac Albert. Tour du Monde, 1867, p. 1-48.
  14. Op. cit.
  15. Edition française de juin 1890, Paris, Hachette et Cie.
  16. S. M. Léopold II.
  17. Le Sahara algérien : les déserts de l’Erg, 2e édition, 1881, p. 245-256.
  18. De bonne maison, de grandes dames : mohsanat, dit le Koran, ce qui signifie des femmes gardées, qu’il faut doter largement.
  19. C’est-à-dire d’Adam et Eve, auteurs du genre humain.
  20. Ce passage prouve bien que la peine infligée à l’adultère, au temps de Mohammed, n’était pas la peine de mort. Dans les commencements de l’Islam, on murait l’épouse infidèle contrairement au Soura IV, Aïa 19 : « Si vos femmes commettent l’action infâme appelez quatre témoins. Si leurs témoignages se réunissent contre elles enfermez-les dans des maisons jusqu’à ce que la mort les enlève ou qu’Allah leur procure quelque moyen de salut ». Le Koran n’exigeait donc que la réclusion. Plus tard on leur appliqua le fouet et le bannissement. La tradition, renchérissant sur le Koran, a prescrit la lapidation ou la mort dans un sac (shouwal) jeté à l’eau.
  21. Dans tous ces versets le Koran ne vise que les esclaves musulmans.
  22. Satan.
  23. Le Koran s’élève ici contre plusieurs coutumes des Arabes idolâtres qui coupaient les oreilles au dixième faon d’une chamelle le regardaient comme sacré.
  24. Les commentateurs du Koran estiment que ce dernier membre de phrase, « d’altérer la création d’Allah », condamne la castration des esclaves pour en faire des eunuques, les marques imprimées sur leurs visages et leurs corps, etc. en attribuant ces odieuses pratiques à des inspirations diaboliques (touassouis).
  25. Cette expression est employée, dans le Koran, pour désigner les esclaves des deux sexes pris à la guerre ou achetés.
  26. Dans les pays musulmans, les femmes ont souvent des bracelets aux bras, aux jambes, des médailles entre les seins, des bagues aux doigts de pied, etc. ; en les faisant voir elles découvriraient ces diverses parties du corps.
  27. Les femmes des contrées soumises à l’Islam, sauf les femmes du bas peuple, les courtisanes et les esclaves non affranchies, se voilent la figure avec le beskir.
  28. Il est probable que pour mériter d’être affranchi l’esclave devait être musulman ou être devenu musulman.
  29. Ce passage était dirigé contre Abd Allah Ebn Obbah, contemporain du Prophète, et qui ayant six concubines esclaves, les engageait à se prostituer et à lui remettre l’argent qu’elles devaient gagner à ce trafic.
  30. a et b Les versets 49 et 52 paraissent se contredire. Il faut remarquer que le verset 52 est postérieur aussi dans l’ordre de la révélation, mais que par respect pour toute parole du Koran, Abou Bekr ordonna de laisser subsister le verset 49. Lorsque Mohammed publia l’Aïa 52, il avait neuf femmes légitimes, sans compter les concubines esclaves ; fatigué par ses épouses qui lui demandaient des vêtements plus riches et un train de maison plus considérable, il les fît venir toutes et leur donna le choix ou de rester avec lui comme par le passé ou de le quitter en divorçant. Elles préférèrent toutes demeurer près de lui, Mohammed les remercia et le verset 52, révélé à cette occasion lui interdit d’épouser légitimement d’autres femmes.
  31. Voyez le Vocabulaire de la langue parlée dans les Pays Barbaresques, coordonné avec le Koran (édité par Charles Lavauzelle, Paris-Limoges, 1890), aux mots Mohammed, Muezzin, etc.
  32. Aux funérailles des femmes la fosse est entourée de voiles afin de ne rien exposer aux regards des assistants.
  33. Tableau général de l’Empire Ottoman, 3 vol. in-folio.
  34. Cette clause a évidement pour but d’empêcher la femme libre de voir une esclave devenir son égale par le mariage avec un mari commun.
  35. Zeïd eut la complaisance de répudier sa femme, la belle et jolie Zeïneb (Zénobie), afin de permettre à Mohammed de l’épouser. Cet événement amena la révélation de l’Aïa 37, Spura XXXIII, déclarant que ce n’est pas un crime pour les croyants de se marier avec les femmes répudiées de leurs fils adoptifs.
  36. Op. cit.
  37. A Dakar.
  38. Op. cit.
  39. Ces femmes sont appelées en arabe dharaï. Ce nombre est autorisé par le Koran, Soura IV, Aïa 3.
  40. Op. cit.
  41. En arabe, cherif, pluriel chorfa (noble).
  42. En arabe, mrabet, pluriel mrabetin (lié à Dieu).
  43. En arabe, t’aleb, pluriel t’olba.
  44. Op. cit.
  45. De son côté, Lejean raconte que les femmes de sa suite refusaient souvent d’aller au bois ou à l’eau dans la crainte d’être enlevées. (Voyage en Abyssinie.)
  46. L’Afrique Australe. Le Zambèze et ses affluents. Tour du Monde, 1866, 1er semestre.
  47. Ismaïlia (Gondokoro). Récit d’une expédition armée dans l’Afrique Centrale pour la suppression de la traite des Noirs. Tour du Monde, 1875, 1er semestre, p.33-96.
  48. Près de Moklao, affluent du Roah, dont les eaux grossissent celles du Bahr Dyiaou, puis du Nil Blanc.
  49. Op. cit.
  50. Ogôoué supérieur.
  51. Alfred Marche. Trois voyages dans l’Afrique Occidentale, 1871-1878, Paris 1882.
  52. Tour du Monde, 1888, 2e semestre, p. 1-64.
  53. Le dernier journal de Livingstone. Tour du Monde, 1875, 2e semestre, p. 1-96.
  54. Petit village entourée d’une palissade.
  55. L’Uemba, au sud du lac Tanganyika, entre le Mamboué et l’Itahoua, au nord du Chambezi et au nord-est du lac Bangouélo ou Bemba.
  56. Voyage aux lacs de l’Afrique Equatoriale. Tour du Monde, 1886, 2e semestre, p. 81-144.
  57. Id.
  58. Le Sahara Algérien, Biskra, Touggourt, Ghadamès, le Souf, l’Ouargla. Tour du Monde, 1881, 2e semestre.
  59. Au sud du plateau de Tidikelt et capitale de l’oasis du Touat.
  60. Rhassi-ed-Djemel.
  61. Le dernier Journal de Livingstone.
  62. Voyage au fleuve des Gazelles, Nil Blanc. Tour du Monde, 1882, 1er semestre, p. 385-409.
  63. Iendué, station près de la rive méridionale du lac Tan ganyika, au nord du Tirengu.
  64. Op. cit.
  65. Le Fipa est sur la rive sud-est du Tanganyika.
  66. Cinq années au Congo. Revue politique et littéraire, Revue Bleue, 1886, p. 118.
  67. Terme générique sous lequel on désigne les esclaves à la côte d’Afrique.
  68. Bateaux du canal de Mozambique.
  69. Op. cit.
  70. Op. cit.
  71. Bagamoyo, port de mer africain, en face de l’île de Zanzibar. Les missionnaires français y ont un établissement pour les esclaves libérés ou fugitifs. C’est de Bagamoyo que partent les caravanes et les explorateurs pour les régions des grands lacs. Oudjidji, ville et contrée sur la rive nord-est du lac Tanganyika.
  72. Le Manyèma (colonie arabe) à l’ouest du lac Albert sur la rive droite de l’Arahouimi, affluent du Congo, (Comment j’ai retrouvé Livingstone. Tour du Monde, 1873. 1er semestre, p. 1-96).
  73. Entre le lac Tchad et le Ouaday (capitale Abêchir), royaume musulman.
  74. Voyage et découvertes au centre de l’Afrique. Tour du Monde, 1860, p. 193-241.
  75. Exploration du Haut-Niger. Tour du Monde, 1883, 1er semestre. p. 113-208.
  76. Exploration du Haut-Niger. Tour du Monde, 1883, 1er semestre, p. 113-208.
  77. Op. cit.
  78. Le Haouassa, centre de la domination des Peuhls ou Fellatas, villes principales : Sockotou (la Halle) et Kano.
  79. V. supra.
  80. Kouka (la ville des Baobabs), capitale du Bornou, près du lac Tchad.
  81. 1872 à 1874. — Des enfants y ont été vendus 60 à 70 francs chacun.
  82. Croisières à la côte d’Afrique, op. cit.
  83. Tribu Comalie, dans le Haut-Ouèbi.
  84. Afrique Orientale, sur l’Océan Indien, côtes d’Abel et d’Ajan.
  85. Magadoxo, ville maritime de l’Océan Indien. Vasco de Gama, à son retour des Indes passa devant cette cité du 2 au 5 février 1499. Elle portait déjà ce nom sous lequel elle figure sur la carte du célèbre voyageur portugais.
  86. Serviteurs libres.
  87. Millet, dara, chez les Touareg, en arabe, bechna.
  88. Province du Çomali entre Magadoxo et Ouarman, au nord-ouest du Ouèbi.
  89. Voyage chez les Benadirs, les Çomalis et les Bayouns. Tour du Monde, 1885, 2e semestre, p. 129-209.
  90. Ordre du commandant de la colonne expéditionnaire, du 21 avril 1890.
  91. Tour du Monde, 1863, 1er  semestre, p. 65-112.
  92. Danseuses de la Cour.
  93. Dix-huit mois après.
  94. Les rois Dahoméens ont toujours tenu expressément à avoir des Européens comme témoins de ces atrocités. Leur invitation équivalait à un ordre formel.
  95. Parmi lesquels M. Lartigue, agent de la maison marseillaise Régis et Cie, qui vit tomber plus de 500 têtes, les 30 et 31 juillet.
  96. Petite coquille servant de monnaie dans certaines régions de l’Afrique.
  97. MM. Angat, son secrétaire, et Béroud, interprète.
  98. Roi de Porto-Novo.
  99. Faki, pluriel fokara, prêtre musulman séculier du Kordofan.
  100. Op. cit.
  101. Pièce d’étoffe.
  102. Au nord de la Kaarta.
  103. Le Bafal, ou barre de sel, pèse environ 15 kilogrammes.
  104. Poste français, au nord de la rivière Bakkoy, affluent du Baoulé, qui se jette dans le Bafing ou Sénégal.
  105. Au sud-est de Kita.
  106. Au sud-est de Niagassola, non loin de la rive droite du Niger.
  107. Au sud-est de la Sénégambie.
  108. Op. cit.
  109. Op. cit.
  110. Le chameau, ne résistant pas longtemps à l’influence du climat, est peu employé comme moyen de transport.
  111. Poste central ou établissement pour le commerce de l’ivoire et des esclaves. (De l’arabe, zeriba, palissade).
  112. Voyage au Soudan Oriental ; — Tour du Monde, 1866, 2e semestre, p. 152-192.
  113. La Kourbache ou fouet des Djellabas, est formée par une lanière étroite de la peau de l’éléphant, ou mieux encore par un nerf spécial de ce pachyderme. Ce nerf, de la grosseur du pouce, est taillé à la longueur d’environ quatre pieds, arrondi et proportionnellement aminci, de manière qu’à son extrémité, qui est un peu aplatie, il soit réduit à une grosseur moindre que celle du petit doigt. Ces fouets ne se brisent jamais et laissent dans les chairs des sillons sanglants, vivement coupés.
    Le mot Kourbacha est d’origine turque, en Arabe qerbaj, pluriel qrabej ; Égyptien, kourbag ; Syrien, karbatch ou krobatch. C’est l’origine de cravache, empruntée au mot karbatsche que les Allemands ont pris aux Turcs.
  114. Le Nil Bleu.
  115. Désert de Korosko, entre cette ville, le Nil et l’île Abou-Hamid ou Mihrat.
  116. Dans le Dar-Nouba, sur la rive gauche du Bahr-El-Ghazal et du Nil Blanc.
  117. Voyage au Taka (Haute Nubie). Tour du Monde, 1865, 1er semestre, p. 97-145.
  118. Voyage en Abyssinie. Tour du Monde, 1867, 1er semestre, p. 364.
  119. Le Bénué, grand affluent du Niger, au nord de la Guinée.
  120. Afrique Orientale, à l’ouest de l’Océan Indien, au sud-ouest de Bagamoyo.
  121. Le Sahara Algérien, les déserts de l’Erg ; op. cit.
  122. Ville et oasis au sud de, la Tunisie et à l’ouest de la Tripolitaine.
  123. Marok, Algérie, Tunisie et Tripolitaine. Pour l’idiome, voir le Vocabulaire de la langue parlée dans les Pays Barbaresques, coordonné avec le Koran, édité par Charles Lavauzelle, Paris-Limoges, 1890.
  124. Rhat ou Ghat, ville et oasis du Sahara, au sud-est de Ghadamès.
  125. Rouvouma ou Louvouma, fleuve de l’Afrique Orientale, qui se jette dans l’Océan Indien près du cap Delgado, ses eaux proviendraient du lac Nyassa.
  126. Op. cit.
  127. Au nord-ouest du lac Tanganyika.
  128. Marok, autrefois capitale de cet empire, mais aujourd’hui encore résidence du sultan.
  129. Au sud-est de l’Ouroua et du lac Kassali ou Kikoudja.
  130. Des Voua Kalagannza, principale tribu de l’Ounyamouèzi, à l’est du lac Tanganyika.
  131. Op. cit.
  132. Speke et Grant, les sources du Nil. Tour du Monde, 1864, 1er semestre, p. 274-384.
  133. Affluent du Nil Blanc.
  134. Au nord de la rivière Quelle, tributaire du Congo. Entre le Dar Fertit et les Dinkas au nord, les monts Baginsé à l’est, le Dar-Banda à l’ouest.
  135. Habitants de l’Ouzaramo, pays compris entre les rivières Kingani et Lufigi, la côte orientale et le point où la Kingani se joint à sa branche supérieure la Mgeta.
  136. a et b Ne pas confondre l’Okanda, pays situé sur les bords de l’Ogôoué et au nord de l’Ouest-Africain, avec l’Ouganda, pays situé également sous l’Equateur, mais entre le Nil, le lac Louta N’sigé, le mont Gambaragara, la rivière Katonga, le lac Victoria Nyanza et les lacs Ibrahim et Kioga.
  137. Tour du Monde, 1887, 2e semestre, p. 289-333.
  138. Voyage dans le Fouta-Djallon. Tour du Monde, 1861. 1ersemestre.
  139. La chute de Bôoué ou de Faré se trouve entre l’île Ogala et l’île Sombé, sur le cours de l’Ogôoué, entre Sengé-Sengé et Lopé.
  140. C’est l’expression de bienvenue que l’on s’adresse en se revoyant après une longue absence.
  141. Op. cit.
  142. Mkungu, pl. Ouakungu : chef ou noble.
  143. Les Sources du Nil. Tour du Monde, 1864, 1er semestre, p. 274-384.
  144. A travers le Continent Mystérieux. Tour du Monde, 1878, 2e semestre, p. 1-160.
  145. Le cardinal Lavigerie fait élever, à Malte, des nègres destinés à devenir médecins ; plusieurs d’entre eux sont partis au mois de juin 1890, avec Mgr Bridoux, pour l’Afrique Centrale.
    Son Eminence a fondé, à Biskra (Algérie, province de Constantine, ancienne capitale du Zab, pluriel Ziban, par 35° 27’ de latitude Nord et 3° 22’ de longitude Est), une maison de « Frères du Sahara ». Les esclaves fugitifs y trouveront un refuge, les malades, un hôpital, où seront soignés gratuitement les nègres du Sahara, qui s’y présenteront.
  146. Nous nous occupons plus loin de ce traité, dont l’importance n’échappera à aucun de nos lecteurs. — Les nouvelles de l’Ouganda confirment la mort de l’ex-roi Kalema, qui a succombé à la petite vérole. Le roi Mouanga est devenu maintenant l’auxiliaire le plus précieux de nos missionnaires et fait une guerre implacable à tous les négriers qui s’aventurent sur ses domaines. Les féroces trafiquants musulmans ont appris à le redouter. Il a été définitivement converti au catholicisme par Mgr Livinhac, vicaire apostolique du Nyanza.
  147. Sur la côte nord-est du lac Albert ou Albert Nyanza.
  148. Entre les 4° et 5° degrés de latitude méridionale et les 30° et 31° degrés de longitude. Voyage à l’Albert Nyanza. Tour du Monde, 1867, p. 1-48.
  149. Les Pahouins habitent : 1° au sud de l’Estuaire du Gabon ; 2° entre le lac Azingo, les Adzounibas et les Akalais ; 3° dans le Haut-Ogôoué, entre les Akalais et les Osseybas, sur la rive droite de ce fleuve.
  150. Port et capitale du petit royaume de ce nom, Côte des Esclaves (Afrique Occidentale). Protectorat Anglais.
  151. Région et lieu d’échange sur le Zambèze (Afrique Orientale. Colonie Portugaise).
  152. Se jette dans l’Océan Indien.
  153. Le Chiré sort du lac Nyassa et se termine dans le canal de Mozambique, avec le Zambèze.
  154. Région et lieu d’échange sur le Zanibèze, aux Portugais.
  155. Mariano fut si peu puni qu’il reprit la série de ses crimes. L’Afrique Australe, le Zanibèze et ses affluents. Tour du Monde, 1866, 1er semestre, p. 33-64, 113-176.
  156. Livingstone avait aussi rencontré chez les Dalondas, deux mulâtres Portugais, possesseurs d’une bande de jeunes filles enchaînées. Un traitant Portugais est accusé d’avoir fait empaler un esclave sur une tige de fer rougie au feu.
  157. Op. cit.
  158. Chef suprême de l’Ouroua, sur la rive gauche de la Louapoula, cours supérieur du Congo, à l’ouest du lac Moéro.
  159. Op. cit.
  160. Dans l’Ouroua proprement dit, au nord-est du lac Kassali et de la Loualaba (Haut Congo).
  161. Op. cit.
  162. District de la colonie Portugaise de Benguéla.
  163. Pays situé au nord-est du Bihé.
  164. Au nord du Lovalé.
  165. Les fakis du Darfour sont probablement les seuls praticiens qui émasculent encore les enfants, les eunuques deviennent de plus en plus rares. Les prêtres Coptes avaient aussi, jadis, cette horrible spécialité.
  166. Op. cit.
  167. Soudan Occidental, à l’est de la Sénégambie, sur le Haut-Niger.
  168. Voyage dans le Soudan Occidental. Tour du Monde, 1868, 1er semestre, p. 1-96.
  169. Exploration du Haut-Niger. Tour du Monde, 1883, 1er semestre, p. 113-208.
  170. Sur la route qui relie les postes français, entre le Sénégal et le Niger, à vingt kilomètres est de Bafoulabé.
  171. Le Colonel a ramené, avec lui, Abdoulaye, un négrillon de quatorze ans, fils d’Ahmadou, pris à Ségou-Sikoro.
  172. L’un des Etats musulmans du Soudan Central.
  173. Op. cit.
  174. Voyage du Bornou au Baghirmi. Tour du Monde, 1880. 2e semestre, p. 337 à 402.
  175. Beled-es-Soudan, signifie, en arabe comme Nigritie, en français, Pays des noirs. Nous le divisons rationnellement en Soudan Oriental, Soudan Central et Soudan Occidental, qui s'étend au nord-ouest jusqu'à Tombouctou.
  176. Mpwapwa ou Mpouapoua, au pied et à l’ouest de la chaîne du Rousokoua, avant d’arriver au Souhoua.
  177. Les Touareg ont assassiné, ou fait périr, successivement MM. Journaux-Duperré et Joubert en 1879 ; puis le colonel Flatters et la plupart de ses compagnons.
    Au mois de mai 1890, un de leurs grands chefs, Abd-Er-Rahman-Ben-Hadj-Mohammed-Ben-Ghayamir-Ben-Hadj-Bekir, des Ifossighass-Haggars, passa à Biskra, se rendant à Batna, où il devait conférer avec le général de la Roque. On suppose qu’il voulait conclure un traité de paix et de commerce.
  178. Targui, pluriel Touareg.
  179. L’Ourouro, l’Oussanga, l’Oussagara sont entre le lac Tanganyika et le territoire formé par le Zanguebar, Afrique Orientale.
  180. Entre l’Assinie et le Volta, capitale Couroassie, au nord de la Côte d’Ivoire et de la Côte d’Or, Afrique Occidentale.
  181. Ville maritime et région de la Côte d’Ivoire. Le chevalier d'Amon y fonda un établissement, sous le règne de Louis XIV.
  182. a et b Ville et pays de la Côte d’Ivoire, Afrique Occidentale.
  183. Op. cit.
  184. Op. cit.
  185. Arroyé signifie maudite !
  186. Voyez les notes des pages 141 et 142.
  187. Op. cit.
  188. Les sacrifices humains n’avaient pas été abolis en 1882 ; il y en eut encore pour les Funérailles de la Mort, etc., et le dieu fétiche de la justice, Onsé, réclame de temps à autre les victimes que désignent les féticheurs pour assouvir leur vengeance ou celle de ceux qui les paient. (Voir au chapitre consacré à la Sorcellerie et aux Superstitions.)
  189. Ka Bammbarré, dans le Manyéma. Le dernier journal de Livingstone. Tour du Monde, 1873, 2e semestre, p. 1-96.
  190. L’Ibô est un pays situé au nord-est de l’embouchure du Niger.
  191. Au nord-est de Stanley Falls, dans la partie nord-est la forêt du Haut-Congo, au sud des Mombouttous et à l’ouest des lacs Albert et Albert Edouard, sous l’Equateur ; l’Itouri est tributaire de l’Arahouimi ou Haut-Congo.
  192. Dans les ténèbres de l’Afrique.
  193. A travers le Continent Mystérieux. Tour du Monde, 1878, 2e semestre, p. 1-160.
  194. Stanley-Falls, légèrement au nord de l'Equateur.
  195. Sur la rive gauche de l'Ogôoué supérieur.
  196. Les Mombouttous habitent au sud de la rive droite de l’Arahouimi, au nord-ouest du lac Louta N’sigé ou Mvontan et du Nil Blanc.
  197. Simbi, le fétiche qui préside aux destinées de l’homme.
  198. Ou Mpongoués.
  199. Sur les côtes de l’Afrique Occidentale, on jette souvent de pauvres petits enfants, en sacrifice expiatoire, à ces squales.
  200. Le chef de Zambué.
  201. Anglais.
  202. Note de Wikisource : La Divine Comédie, L’enfer : Chant V
  203. Sur la rive droite de l’Ogôoué, au nord de l’Adzoumba.
  204. Entre le Haut-Sénégal et le Haut-Niger.
  205. Au sud-est du Fouta-Djallon.
  206. Voir le passage concernant les maladies des nègres.
  207. Cordage dont les deux bouts sont épissés ensemble de manière à former une circonférence d’un diamètre égal au calibre d’une bouche à feu et qu’on plaçait autrefois sur le boulet pour l’empêcher de rouler dans l’âme du canon.
  208. Voyez page 134 et suiv.
  209. Au pays des Marutsés ; Tour du Monde, 1883, 2e semestre, p. 1-180.
  210. Tippou-Tib n’a pas été longtemps fidèle à ses engagements. Nous apprenons de source certaine qu’il vient de quitter son pays pour entreprendre un pèlerinage à la Mekke. Il est sommé de se rendre à Zanzibar pour comparaître en justice à propos de ses rapports avec l'expédition Stanley et de sa part au massacre du major Barttelot. Il est remplacé par son neveu Rachid, jeune homme de vingt-sept ans, dont le dévouement est acquis au gouvernement de l'Etat Indépendant du Congo.
  211. Voyage aux Lacs de l’Afrique Equatoriale ; Tour du Monde, 1888, 1er semestre, p. 225-272.
  212. En arabe, saala.
  213. En arabe, mered el aïnin.
  214. En arabe, jedri ; tunisien, djedrey.
  215. En arabe, h’abouba ; ouba ; t’adoun.
  216. Dracunculus ; dracuntia ægyptiaca ; furia infernalis ; gordius Medinensis, ver Medinensis. Au Soudan, le dragonneau est appelé Fertile, probablement parce qu’il attaque les nègres de préférence aux hommes des autres races.
  217. En arabe, da essel ; mard’eççeder.
  218. Au confluent du Bénué et du Niger.
  219. Capitale du Bornou.
  220. Le Marok. Tour du Monde, 1885.
  221. Le Marok. Voyage d’une mission française à la Cour du Sultan, Paris, 1886, Plon-Nourrit et Cie, éditeurs.
  222. Revue politique et littéraire ; Revue Bleue, 2e semestre, 188, p. 546-547.
  223. Le Macina s’étend sur la rive gauche du Niger supérieur, entre Kabara, port de Tombouctou et le Soudan Occidental.
  224. Wangouanas, nègres musulmanisés de la côte.
  225. Une dépêche adressée de Zanzibar au Times, à la date du 16 septembre, annonçait qu’Emin-Pacha était arrivé le 4 août à Tabora ; il y avait arboré le drapeau allemand et pris possession des canons qu’avait dans cette ville le sultan Sike.
    Ce dernier lui aurait en outre livré vingt défenses d’éléphants et quatre cents têtes de bétail comme compensation des biens perdus par le pacha.
    Satisfait, Emin s’est dirigé sur l’Ousoukouraa, après la soumission complète de l’Ounyamouezi.
  226. Les Odeurs de Tunis, op. cit., pages 152 à 163.
  227. C’est sur la réclamation du Consul anglais, mis en mouvement par le délégué anglais de la Société anti-esclavagiste de Londres, que les trois négresses Zeina, Salamatou et Khayra, furent mises en liberté.
  228. Ce renégat Grec avait donc acheté l’esclave nonobstant le traité de 1875. Note de l’auteur.
  229. Le rottoli pèse 450 grammes ; mais dans cette contrée le poids en est purement nominal et les trente rottolis en question n’en représentaient réellement que dix-huit du poids égyptien.
  230. En arabe ned’if, féminin, ned’ifa au pluriel, ned’af signifie : net, propre, pur, c’est-à-dire vierge !
  231. Lambarené, se trouve sur l'Ogôoué supérieur, entre ce fleuve et au sud du lac Zilé. C’est maintenant, grâce à l'influence française, un centre important au point de vue commercial.
  232. Comment j’ai traversé l'Afrique, de l’Océan Atlantique à l’Océan Indien. Tour du Monde, 1881, 1er et 2e semestres.
  233. Revue française, livraison des 1er et 15 août 1889.
  234. Le docteur Peters, a déclaré tout récemment Mgr Livinhac, débarqué à Marseille, s’est montré très respectueux envers les missionnaires français de l’Ouganda, desquels il n’avait qu’aide et protection à attendre. Il a signé un traité de libre-échange avec Mouanga, alors que l’anglais Jakson voulait imposer un traité protectionniste.
  235. Livraison du 1er juillet 1890.
  236. Mgr Livinhac fut chargé autrefois, par le roi Mtésa, qui avait dans ce prélat la plus grande confiance, d’aller solliciter du gouvernement français son protectorat pour l’Ouganda. Le gouvernement, engagé sur d’autres points de l’Afrique, n’accepta pas. Les conséquences de cette faute sont désormais irréparables.
  237. Province Égyptienne d’Equatoria.
  238. Nous pouvons dire aujourd’hui, d’après le Times, que l’Etat Indépendant du Congo a communiqué aux gouvernements intéressés un tarif très modéré pour les droits d’importation. Ce tarif sera soumis à la commission tech- -nique qui, conformément à l’Acte général de la conférence de Bruxelles, devra se réunir prochainement dans cette ville.
  239. N’oublions pas qu’Abraham Lincoln, le plus grand Américain de ce siècle, devenu président de la République des États-Unis après avoir vendu des rails pour gagner sa vie, fît d’un trait de plume tomber les chaînes de quatre millions d’esclaves qu'il transformait en hommes et en citoyens.
  240. Par rapport à l’application de cet alinéa à certains cas, le représentant du Portugal a maintenu des réserves importantes, réserves qui seront insérées dans les protocoles et qui visent l’Angleterre.
  241. Voyez ici le passage relatif aux voies reliant les marchés d’esclaves, p. 347.
  242. Voyez ici p. 282.
  243. Le sultan de Zanzibar a rendu, le 1er  août 1890, un décret interdisant le trafic des esclaves. Les Arabes l’ont fort mal accueilli et une manifestation imposante a eu lieu devant le palais de Zanzibar. Les dépêches suivantes démontrent que la tâche de ce prince n’est pas des plus faciles : « Zanzibar, 4 août. — Samedi matin, les six maisons qui faisaient le courtage des esclaves domestiques ont été fermées. On pense que le gouvernement de l’Inde permettra l’émigration de coolies indiens. « La proclamation du sultan, relative à l’esclavage, a été fort mal accueillie par les Arabes. Ceux-ci se sont réunis en meeting de protestation. « Les Arabes ont lacéré les proclamations du sultan : on a fait afficher de nouvelles proclamations en arabe et en anglais qui ont été gardées par des soldats indigènes. « Berlin, 2 septembre. — La Gazette Nationale public une lettre de Zanzibar, datée du 12 août. D’après son correspondant, le sultan de Zanzibar, sous la pression d’une imposante manifestation faite le 11 août devant son palais, aurait rapporté l'édit qu’il avait promulgué contre le trafic des esclaves. »
    D’autre part les journaux britanniques affirment que la vente des nègres n’a jamais été plus florissante qu’actuellement dans l’Afrique orientale soumise à l’Allemagne. 20, 000 Ounyamouezi auraient été vendus à Bagamoyo, sous le contrôle personnel d’un agent allemand.
    Les feuilles berlinoises répondent que le gouvernement de Guillaume II n’a jamais eu l’intention de supprimer immédiatement l’esclavage sous toutes ses formes, et qu’au contraire il a déclaré au Reichstag qu’il se proposait de modifier graduellement la situation en ménageant l’état de choses actuel.
    L’attitude du gouvernement impérial est justifiée par Mgr Livinhac qui conseille de ne pas user de moyens trop prompts pour abolir l’esclavage et croit pouvoir blâmer les Anglais dont les violentes mesures répressives ont failli causer une révolution à Zanzibar.
  244. Protocole XVI, séance du 24 mai 1890.
  245. Protocole Ier, séance du 18 novembre 1889.
  246. D’après les Nouvelles africaines, journal publié par l’Institut géographique de Weimar, voici quelle serait approximativement l’étendue des territoires allemands dans les diverses parties de l’Afrique : 939,100 kilomètres carrés dans l’Afrique orientale, 832,600 kilomètres carrés dans l’Afrique du Sud-Ouest, 319,500 kilomètres carrés à Cameroun, 61,000 kilomètres carrés à Togo; soit, en tout, 2,152,000 kilomètres carrés. (Quatre fois comme la France.)
  247. Voir pages 434 et 435.
  248. La Cimbébasie vient d’avoir ses martyrs dont le sang fertilisera et fera germer rapidement la « bonne graines » semée par les missionnaires catholiques.
  249. En douze ans les Pères Blancs ont conquis un royaume de trois à quatre millions d’habitants à l’Eglise catholique et à la civilisation.
    Le cardinal Lavigerie a fait étudier l’année dernière un nouvel itinéraire pour pénétrer jusqu’aux grands lacs. On peut, en allant par mer jusqu’à Quilimane, remonter le Zambèze et son affluent le Chiré jusqu’au lac Nyassa.
  250. Les bureaux de la Ligue anti-esclavagiste française sont installés au faubourg Saint-Germain, dans un modeste rez-de-chaussée de la rue Chomel.
  251. Hadrumetum des Romains, ancienne capitale du Bysacium. Ecclesia Hadrumetina. Aujourd’hui Soussa ou Sousse (Tunisie). Vocabulaire de la langue parlée dans les pays Barbaresques, coordonné avec le Koran, page 510.
  252. Le Times publie une lettre de M. T.-W. Fox, qui se dit en mesure de connaître les véritables intentions du gouvernement hollandais, intentions que l’on a, dit-il, si mal interprétées.
    D’après l’auteur de la lettre reproduite par le Times, le gouvernement hollandais est très désireux de signer l’Acte général de la conférence et de faciliter ensuite les arrangements fiscaux de l’État libre du Congo ; le correspondant croit pouvoir affirmer qu’il signera probablement une déclaration supplémentaire pour se rallier à une élévation du droit à établir sur les spiritueux et autres liqueurs alcooliques importées dans le bassin du Congo, de telle sorte que le surcroît de revenu provenant du droit sur les spiritueux égale ou dépasse l’ensemble des recettes à réaliser du chef du droit d’importation de 10% proposé sur le coton et sur les autres articles d’importation.
    Comme la Compagnie commerciale néerlandaise du Congo est maîtresse à présent des deux tiers ou des trois quarts du commerce total du bassin du Congo, le gouvernement hollandais insiste en outre pour qu’un représentant hollandais fasse partie de la commission d’experts qui aura à examiner les meilleurs systèmes de taxes sur les exportations. A la suite du congres antiesclavagiste de Paris, S. Ém. le cardinal Lavigerie a adressé à LL. MM. le roi et la reine de Hollande des lettres éloquentes dont l’importance n’a pas besoin d’être démontrée.
    Nous extrayons, de celle adressée à la reine, le passage suivant :
    « Ce sont surtout les femmes et les enfants qui sont les victimes des maux de l’esclavage. J’ose demander à Votre Majesté d’être leur avocate auprès de son auguste époux. Je lui demande d’associer à sa démarche sa fille bien-aimée, sur laquelle un tel acte de miséricorde ne peut manquer d’attirer, pour sa vie tout entière, les bénédictions du Ciel. Dieu nous promet de récompenser un simple verre d’eau froide donné en son nom. Que sera-ce d’avoir arrêté tant de torrents de sang et sauvé d’affreuses misères tant de pauvres créatures ! Or, le roi le peut s’il le veut, et il le voudra, je n’en doute pas, si Votre Majesté daigne le lui demander. »
  253. Après la mort de Mtésa, le fils de ce dernier, Mouanga, fît subir au prélat une persécution cruelle ; Mgr Livinhac fut même arrêté et emprisonné.
    Délivré enfin, Mgr Livinhac se retira au sud du lac avec ses missionnaires.
  254. Au cours d’une séance du Congrès, le cardinal Lavigerie donna lecture d’un télégramme du Saint-Père, dans lequel le Pape se déclarait attaché de cœur à l’œuvre antiesclavagiste et envoyait sa bénédiction à tous ceux qui s’occupent de cette œuvre.
  255. Une dépêche de Zanzibar au Times annonce que plusieurs villages du Sultanat de Vitu ont été bombardés et brûlés et que l’amiral Freemantle s’est empare de Vitu avec un millier d’hommes.