L’esclavage en Afrique/Chapitre XI

CHAPITRE XI

Résultats De La Traite Des Esclaves. — La guerre À L’Esclavage.


« Plaise à Dieu que tous ceux qui ont la puissance et qui tiennent l’empire ou qui veulent que les droits des nations et de l’humanité soient sacrés, ou qui sont au fond du cœur dévoués au progrès de la religion, que tous, en tout lieu, écoutent Nos exhortations et Nos prières, unissent leurs efforts pour réprimer, pour empêcher, pour abolir le plus honteux et le plus criminel de tons les trafics ! — Lettre Encyclique de Sa Sainteté le Pape Léon XIII, aux Evêques du Brésil.  »

Les calculs les plus exacts ne portent pas à moins de quatre cent mille, par année, les victimes de la traite ; c’est aussi le chiffre indiqué par le Souverain Pontife.

En vingt-cinq années, période qui paraît être la moyenne de la vie africaine, cela fait dix millions !

Dix millions d’humains, actuellement vivants et voués à l’existence et à la mort que nous avons décrites, en nous inspirant de cette réflexion de Livingstone :

« Quand j’ai essayé de rendre compte de la traite de l’homme dans l’est de l’Afrique, j’ai dû rester très loin de la vérité, de peur d’être taxé d’exagération ; mais à parler franchement le sujet ne permet pas qu’on exagère. En surfaire les calamités est une pure impossibilité ! »

Au dire de Son Eminence le cardinal Lavigerie, la traite ferait deux millions de victimes par an depuis que le drapeau des négriers flotte à Khartoum !

Nous en appelons aux explorateurs que nous avons cités et à tous les Européens qui ont vu de près ces infamies.

La suppression de la traite sera, nous n’en doutons pas, un coup terrible pour le Musulmanisme !

La société mahométane, telle qu’elle est organisée, depuis treize cent huit années, ne peut vivre sans esclaves. Voilà pourquoi les Arabes et les disciples du Koran sont à la tête de ce commerce.

Après sept mois de travail incessant, la Conférence anti-esclavagiste qui s’est assemblée à Bruxelles, le 18 novembre 1889, avec le concours de Sa Majesté Léopold II, d’accord avec Son Eminence le cardinal Lavigerie, a pu aboutir.

Elle a mené à bonne fin la tâche délicate et si honorable, dont elle avait été chargée, avec une louable ténacité qui l’a fait triompher de tous les obstacles suscités par les puissances. Nos lecteurs n’ont pas oublié les différends survenus entre l’Angleterre et le Portugal a propos de l’envahissement par le major Serpa Pinto, du territoire des Makololos et la prise par cet officier portugais de deux drapeaux anglais (vallée du Chiré, où le major faisait des études de chemins de fer, devant aller du Zambèze au lac Nyassa) ; les différends entre l’Angleterre et l’Allemagne, réglés, quant à présent, par le traité du mois de juin 1890 : l’opposition des Néerlandais, soucieux de leur commerce en Afrique et s’opposant aux mesures devant préserver les nègres de l’abrutissement alcoolique qui en fait une proie facile pour le chasseur d’hommes, l’établissement, en Afrique, de droits généraux d’entrée, sans lesquels tout traité anti-esclavagiste n’aurait été que platonique, puisque l’Etat Indépendant du Congo, situé en première ligne, eût été incapable d’agir avec efficacité, faute des ressources financières qui sont le nerf de la guerre et engendrées par le fisc[1]. C’étaient les villes anglaises célèbres par leurs manufactures d’armes qui s’insurgeaient parce que la Conférence voulait prohiber l’envoi, en Afrique, de leurs engins, auxiliaires puissants et indispensables de la traite ; c’étaient des divergences de vues, qui éclataient lorsqu’il s’agissait de visiter les bâtiments en route pour l’Arabie ou la Turquie, afin d’arracher de leur cale la cargaison de bétail humain qu’ils pouvaient renfermer ; c’était un Etat qui se révoltait parce qu’on l’engageait à bien fermer ses portes pour cesser d’être le débouché des marchands de nègres. Cet État n’a-t-il pas essayé jusqu’à la dernière heure de faire renvoyer à une époque ultérieure, aux calendes… turques, la signature de l’Acte général.

Aujourd’hui tout cela doit être oublié et ceux qui ont apporté leur pierre à l’édifice ont droit aux plus sincères félicitations : Français, Russes, Anglais, Belges, Portugais, Américains[2], Turcs, ceux-ci plus encore peut être que les autres, comme le dit fort logiquement un journal étranger, puisqu’ils ont eu à surmonter tant de préjugés, à faire taire de si grandes répugnances, pour accepter, dans ses plus infimes détails, le projet qui leur était proposé.

Les puissances civilisées ont affirmé aux congrès de Vienne et de Vérone, par le traité de 1841, et récemment à la conférence de Berlin, l’horreur que leur inspirait le commerce des pauvres indigènes Africains ; le traité qui est le fruit des délibérations de la conférence de Bruxelles clôt l’ère des atermoiements et ouvre la période d’exécution.

C’est une déclaration de guerre aux négriers et autres trafiquants de chair humaine que la conférence de Bruxelles a signé, le 30 juin 1890, date à jamais mémorable dans l’histoire de l’humanité et dans l’histoire de l’Église, puisque cette déclaration est la conséquence de l’intervention du Primat d’Afrique, se conformant aux instructions de S. S. Léon XIII !

Nous parlions de la période qui s’ouvre, de la période d’exécution : la première formalité à remplir va être le sanctionnement définitif de ce magnifique programme d’action par les Parlements des États Constitutionnels qui y ont adhéré. Il n’est pas à supposer qu’une seule Chambre européenne ou américaine refusera la consécration finale qu’on lui demandera.

A l’ouverture de la Conférence de Bruxelles il fut dit :

« L’Europe ne sera définitivement maîtresse de l’Afrique et ne commencera à en tirer les bénéfices rêvés que du jour où elle aura fait cesser la chasse à l’homme. Ce sont les razzias des Arabes, accompagnées de massacres, d’incendies, d’actes de dévastation terrible, qui dépeuplent l’intérieur du continent, stérilisent son sol, éloignent de plus en plus l’heure des belles moissons.

« En faisant œuvre noble et haute, la Conférence a fait en même temps, pour l’Europe, une excellente affaire, qui serait ratifiée comme marché lucratif si elle ne devait l’être comme acte de libéralisme et d’humanité. »

La nation française peut songer avec fierté que cet acte est la conséquence et la récompense des démarches et de la persévérance d’un vrai grand Français : le cardinal Lavigerie. Députés, qui lui avez marchandé et finalement refusé les cent mille francs qui lui servaient à soutenir, en Afrique, tant d’œuvres touchant de très près à l’influence de la France et à la suprématie de cette influence vis-à-vis des puissances rivales, telle est sa réponse !


Les mesquineries opportunistes et radicales, la catholicophobie ne sauraient s’opposer aux Gesta Det per Francos ! En voilà une nouvelle et indéniable preuve.


  1. Nous pouvons dire aujourd’hui, d’après le Times, que l’Etat Indépendant du Congo a communiqué aux gouvernements intéressés un tarif très modéré pour les droits d’importation. Ce tarif sera soumis à la commission tech- -nique qui, conformément à l’Acte général de la conférence de Bruxelles, devra se réunir prochainement dans cette ville.
  2. N’oublions pas qu’Abraham Lincoln, le plus grand Américain de ce siècle, devenu président de la République des États-Unis après avoir vendu des rails pour gagner sa vie, fît d’un trait de plume tomber les chaînes de quatre millions d’esclaves qu'il transformait en hommes et en citoyens.