L’esclavage en Afrique/Chapitre XIV

CHAPITRE XIV

LES MISSIONNAIRES EN AFRIQUE

Sedes Roma Petri, quœ, pastoralis honoris
Facta caput mundo, quidquid non possidet armis
Religione tenet.
(St Prosper d’Aquitaine ; Carmen de Ingratis. V. 40-42).

La rude éloquence des faits a amené les Débats à reconnaître combien Gambetta avait raison de dire que l’anti-cléricalisme n’était pas un « article d’exportation. »

Nos missionnaires catholiques gardent toujours au fond de leur cœur l’amour de la France et savent la faire chérir des peuplades farouches qu’ils essaient de civiliser. On veut bien le reconnaître : on va plus loin, on avoue que la prédication de l’Evangile est le plus sûr moyen de convertir en bons Français ces malheureux nègres qui ont, intuitivement, horreur des blancs. L’aveu est bon à enregistrer.

Voici comment s’expriment les Débats, dans leur dissertation sur le traité anglo-français :

« Personne n’ignore l’œuvre de civilisation que les missionnaires français ont entreprise dans l’Afrique centrale et orientale ; elle est de celles qui honorent le plus leur initiative. Nos missionnaires appartiennent, croyons-nous, à deux ordres unis dans une même pensée de religion, de patriotisme et d’humanité ; les uns sont les Pères blancs, qui se rattachent au cardinal Lavigerie ; les autres sont les Pères du Saint-Esprit, que nous retrouvons de l’autre côté de l’Afrique, vers l’embouchure du Congo, et qui, à l’Est et à l’Ouest, se sont toujours montrés dignes du nom français. Pouvions-nous les abandonner, ou même les passer sous silence dans notre arrangement avec l’Angleterre ? Si nous avions été capables de commettre une pareille omission, l’Angleterre ne nous l’aurait pas permis…

« On peut être sûr, à Londres, de ne jamais trouver de politiciens parmi les missionnaires au nord des grands lacs. Jamais nos missionnaires dans ces régions n’ont excité la moindre susceptibilité, n’ont provoqué la moindre réclamation, ni de la part du gouvernement anglais, ni de la part du gouvernement allemand. Universellement, on leur a rendu justice. Ils se sont toujours enfermés dans leur œuvre modeste et utile à tous. »

D'un article du Matin, journal républicain, nous extrayons les passages suivants :

« Le major Wissmann, explorateur allemand, a rendu aux missionnaires catholiques français un hommage sur lequel il vaut la peine d’insister. Il a salué en eux les seuls facteurs sérieux de la civilisation en Afrique, et d’avance il leur a attribué les transformations progressives et bienfaisantes du continent noir[1].

« Quelle que soit l’école philosophique à laquelle on appartienne, pourvu qu’on porte en soi un cœur de Français, on se rallie à ce jugement et on le répète avec fierté.

« Quels sont les hommes qui servent ainsi au loin le bon renom de la France ? Quels sont leurs groupements, leurs modes d’action, les régions auxquelles, dans cet immense pays des nègres, ils consacrent leur apostolat ? C’est ce que nous avons voulu savoir pour le redire à nos lecteurs.

« Les Missions Africaines de Lyon ont dans le royaume de Bénin : 6 stations, 1 collège, 10 écoles, 8 orphelinats ; sur le territoire de la Côte-d’Or : 4 résidences, 2 stations, 3 écoles, 3 orphelinats ; au Dahomey : 3 résidences, 8 stations, 4 écoles, 8 orphelinats ; sur le Niger : 2 résidences, 2 écoles, 1 orphelinat ; en Egypte (où il y a aussi des collèges de Jésuites, de Lazaristes et de Frères) : 3 résidences principales.

« Les Spiritains, ou les Pères de la Congrégation du Saint-Esprit, ont en Cimbébasie : 4 stations, des écoles et 1 séminaire[2] ; au Gabon : 6 résidences et 3 écoles d’arts et métiers ; en Sénégambie : 8 résidences, 7 stations, 1 séminaire, 1 imprimerie, 16 écoles, 1 orphelinat, 1 école professionnelle, 1 asile ; à Sierra Leone : 2 résidences et 2 écoles ; au Congo français : 2 résidences, 5 stations et 5 écoles ; au Bas-Congo : 3 résidences, 6 stations, 1 séminaire et 5 écoles ; au Zanguebar : 5 résidences, 6 stations, 6 écoles, 2 hôpitaux et 1 école d’arts et métiers ; à Mayotte, Sainte-Marie et Nossi-Bé : 7 résidences, 12 stations, 7 écoles, 6 orphelinats et 2 hôpitaux.

« Les Capucins ont au pays des Gallas : 5 résidences, 8 stations et 2 écoles ; dans les îles Seychelles : 10 résidences, 6 stations, 13 écoles et 3 orphelinats.

« Les Missionnaires d’Alger, dits les Pères blancs, ont au Nianza : 2 résidences, 3 orphelinats et 4 écoles : au Sahara : 7 résidences ; en Kabylie : 1 résidence ; au Mzab ; 12 stations. 8 écoles, 2 séminaires et 8 orphelinats ; dans le Haut-Congo : 2 résidences et 4 écoles ; dans l’Ounyanyembé : 2 résidences, 3 écoles et 1 procure à Zanzibar ; au Tanganyika : 3 résidences, 3 écoles et 3 orphelinats ; en Tunisie : 1 séminaire, 1 collège, des hôpitaux, des écoles et des orphelinats.

« Les Oblats de Marie ont au Natal : 4 résidences, 4 stations, 9 écoles et 1 orphelinat ; dans l’Etat libre d’Orange : 5 résidences, 4 station^ et 9 écoles ; au Transvaal : 3 résidences et 2 écoles.

« Les Oblats de Saint-François de Sales de Troyes ont au cap de Bonne-Espérance : S stations et 3 écoles ; sur le fleuve Orange : 2 résidences, 3 stations et 2 écoles.

« Les R. P. Jésuites ont à Madagascar : 1 séminaire, 20 résidences, 192 stations, 160 écoles, 9 orphelinats, des hôpitaux et des léproseries ; au Zaïnbèze : 5 résidences et 6 écoles.

« Tous ces ordres réunis fournissent à l’Afrique un ensemble de 400 missionnaires auxquels il faut ajouter leurs aides et auxiliaires : prêtres indigènes, frères, catéchistes, religieuses et institutrices qui se consacrent à l’instruction des petits enfants et aux soins des malades, et, à la tête de cette armée, on trouve naturellement les sœurs françaises de la charité. »

Le journal le Siècle publiait naguères un article auquel nous empruntons les détails suivants :

« Le Sénégal possède trois écoles laïques et cinq congréganistes à Saint-Louis, Rufisque, Gorée et Dakar. Le conseil général de la colonie entretient plus de soixante boursiers et environ quarante boursières dans divers lycées et couvents de France. A Saint-Louis même une petite école d’instruction secondaire est tenue par les Frères de Ploërmel

« Les Pères du Saint-Esprit tiennent plusieurs écoles, annexées à leurs missions sur la Petite Côte, à Joal, etc.

« Les mêmes Pères du Saint-Esprit ont pu avec des subventions de l’Alliance française, créer de nouvelles écoles de mission à Poponguine, à Guerréou, à N’Djanda, à Fadioute, à Thiès et jusque sur la Casamance, à Zichinghor et à Sedhiou.

« Les établissements scolaires dirigés par les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny sont assez nombreux au Sénégal et au Congo ; ils reçoivent 480 enfants.

« A Agoné (golfe de Bénin), l’école française dirigée par les Pères des Missions Africaines compte 98 garçons et 83 filles, qui tous savent lire, écrire et compter en français. On prêche en français le dimanche. Le portugais et l’anglais, qui autrefois tenaient la tête, sont maintenant relégués au second plan au profit de notre langue.

« Une autre école française existe à Porto-Novo, capitale du royaume que nous protégeons contre les incursions des Dahoméens. Cette école, dirigée également par les Pères des Missions africaines, reçoit 80 garçons et 40 filles.

« Il y a peu de chose à dire sur notre microscopique colonie d’Obock, située à l’extrémité opposée. Là aussi ce sont des congréganistes qui distribuent l’instruction, des capucins et des franciscains, ils enseignent le français à leurs élèves.

« La Réunion possède un lycée à Saint-Denis, 7 autres établissements d’enseignement secondaire et 157 écoles primaires (110 laïques et 47 congréganistes. Au total, 11,511 élèves).

« A elles seules, 94 religieuses de Saint-Joseph de Cluny donnent l’instruction primaire à 4, 409 enfants.

« Ces mêmes religieuses ont 1,060 élèves à Madagascar, y compris les 233 enfants admises dans leurs écoles des îles Sainte-Marie, Nossi-Bé et Mayotte. »

D’où sortent donc ces Frères des Écoles chrétiennes, ces Frères de Ploërmel, ces Pères du Saint-Esprit, ces Pères des Missions, ces Capucins, ces Franciscaines, ces Sœurs de Saint-Joseph qui, là bas, à la grande satisfaction du Siècle, propagent si bien la langue française, sont les meilleurs instruments de la civilisation et les serviteurs les plus dévoués de la France ? De ces couvents contre lesquels le Siècle et les journaux de sa nuance poursuivent chaque jour la campagne que l’on sait.

Quatre des grandes puissances européennes qui ont participé au récent partage des immenses territoires africains, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie et le Portugal, viennent de se mettre d’accord pour protéger réciproquement ceux de leurs missionnaires qui se rendront en Afrique, dans les différentes possessions que la dernière convention leur a attribuées.

La France, qu’on avait sollicitée de se joindre à cet accord, n’a pas cru devoir prendre des engagements, et a répondu que les territoires qu’elle possède en Afrique étant parcourus par des missionnaires presque exclusivement de nationalité française, elle avait accordé depuis longtemps à ceux-ci privilèges et protection.

Le bon billet qu’a La Châtre !

Nous lisons dans la « Revue de l’année 1889, » publiée par l’Almanach des Missions, pour 1890 :

« L’Afrique, ce théâtre des projets grandioses et des nobles pensées, devait, cette année, voir se dresser contre elle tous les obstacles accumulés par l’erreur. Disons qu’ils n’ont servi qu’à faire éclater l’héroïsme des missionnaires. Dans le Zanguebar, pour répondre au canon de la flotte allemande, Bushiri appelle les Arabes à la guerre de l’indépendance, détruit la mission bavaroise établie seulement depuis un an ; deux Frères et une Sœur tombent vaillamment, et c’est grâce à leur charité pour les assiégés que Mgr de Courmont et ses missionnaires ont pu jusqu’à ce jour triompher de la défiance des Arabes. Près du lac Victoria-Nyanza, les Pères Blancs du cardinal Lavigerie échappent à grand’peine à une révolution de palais excitée par les esclavagistes ; et, à travers mille périls, transportent leurs néophytes et leur Eglise naissante sur un autre point du lac, hors de la portée des faibles et ombrageux successeurs de Mtésa. En Abyssynie, les Pères Lazaristes, les Filles de la Charité, et à leur tète, Mgr Crouzet, excitent l’admiration et des indigènes, et des soldats italiens. Enfin, pendant que les Pères des Missions Africaines continuent à Abeokouta et dans le Niger leur œuvre civilisatrice, pendant que, dans le Congo Belge, les Prêtres de Schentz-les-Bruxelles répondent à l’appel du Saint-Siège et de leur souverain, les missionnaires du Saint-Esprit jettent les bases d’une nouvelle station, à l’embouchure de la grande rivière de l’Oubanghi ; par cette artère immense, ils pourront pénétrer bien avant dans l’intérieur du continent équatorial. Ne quittons pas l’Afrique sans féliciter de ses succès apostoliques la belle et grande mission de Madagascar et sans payer un juste tribut de regrets à la mémoire vénérée, et de Mgr Picarda, moissonné au Sénégal à la fleur de l’âge, et au noble vétéran des missions, le cardinal Massaja, illustre par ses longues fatigues, illustre par sa science, gloire de l’Ordre séraphique et honneur de l’Église catholique au dix-neuvième siècle ! »

Ajoutons la triste nouvelle du décès du R. P. Lourdel, supérieur de la Mission de l’Ouganda[3] confiée aux Pères Blancs ou Algériens.

S. S. Léon XIII vient d’ériger la mission de l’Oubanghi, au Congo, en vicariat apostolique, et Sa Sainteté en a nommé le R. P. Augouard, premier vicaire apostolique, avec caractère épiscopal.

Le R. P. Augouard, qui servit bravement la France en 1870, comme zouave de Charette, est parti, il y a treize ans, au Gabon, où il a fondé d’importantes missions, entre autres Saint-Joseph de Linzola, dont la bienfaisante influence s’étend dans un immense rayon. Nous lui avons emprunté quelques récits au cours de cet ouvrage.



CHAPITRE VI

le congrès anti-esclavagiste de paris sa sainteté le pape léon xiii et l’esclavage.

Dans les sentiers où l’Arabe nous chasse,
Le long du sable où nous mourons de faim,
De notre marche on peut suivre la trace
Aux ossements blanchis sur le chemin…
Malheureux noir que le sabre menace,
Cache tes pleurs à ton maître inhumain.

Nous empruntons cette strophe à la Cantate sur l’Esclavage Africain, interprétée par cent vingt exécutants, le 21 septembre, pendant la cérémonie religieuse qui préluda, dans l’église Saint-Sulpice, à l’ouverture du Congrès antiesclavagiste de Paris.

« L’Église, dit M. Jules Simon, a déployé toutes ses pompes, et l’art, toute sa magnificence. La foule était accourue pour entendre Mgr Lavigerie, un des trois ou quatre hommes de notre génération qui laisseront une trace impérissable dans l’histoire. »

La cérémonie fut présidée par Son Excellence le Nonce Apostolique, Mgr Rotelli, qui prit place au banc d’honneur. À sa droite vin

  1. Voir pages 434 et 435.
  2. La Cimbébasie vient d’avoir ses martyrs dont le sang fertilisera et fera germer rapidement la « bonne graines » semée par les missionnaires catholiques.
  3. En douze ans les Pères Blancs ont conquis un royaume de trois à quatre millions d’habitants à l’Eglise catholique et à la civilisation.
    Le cardinal Lavigerie a fait étudier l’année dernière un nouvel itinéraire pour pénétrer jusqu’aux grands lacs. On peut, en allant par mer jusqu’à Quilimane, remonter le Zambèze et son affluent le Chiré jusqu’au lac Nyassa.