L’esclavage en Afrique/Chapitre I

Texte établi par Letouzey et Ané, Letouzey et Ané (p. 38-171).

CHAPITRE PREMIER

Les Bourreaux


Avant de parler des victimes, nous devons tout d’abord nous entretenir de leurs bourreaux que tous les explorateurs ou voyageurs africains s’accordent à nous présenter sous les plus hideux aspects, marchands Arabes, Égyptiens, aventuriers de tous pays, ramassis et écume des nations, sans compter les chefs ou roitelets indigènes.

L’un des plus célèbres négriers fut longtemps Achmed Agad, principal trafiquant du Nil Blanc. Tandis qu’avec une énergie et un courage qui eussent dû produire de meilleurs et plus durables effets, Samuel White Baker essayait, manu militari, au nom du Khédive ou vice-roi d’Egypte, de réprimer la traite, le gouvernement égyptien concluait un marché honteux avec cet Achmed Agad qui obtenait le droit exclusif du commerce sur une superficie de deux cent trente mille kilomètres carrés[1].

Schweinfurth rencontra, à Dokouttou[2], une petite bande d’esclaves composée de cent cinquante têtes, enfants et jeunes filles, achetés à cet Achmed Agad ou à un autre négrier, Ghattas, sur le compte duquel nous reviendrons.

Plusieurs vieilles femmes, également esclaves, étaient chargées de surveiller les enfants et de présider à leurs repas.

Le soir, il fut témoin de l’hospitalité que reçut la petite caravane. Conduits par leurs chefs, les habitants de la bourgade voisine apportèrent cinquante écuelles de gruau de pénicillaire, plus cent autres remplies de bouillie d’hyptis, de courges, de viande, de poisson sec, de farine de mélochie sauvage et d’une sauce faite avec l’huile de sésame. Schweinfurth avoue que la distribution eut lieu avec beaucoup plus d’ordre qu’il ne s’y serait attendu. Le repas fut avalé rapidement ; puis toute la bande fut entassée pêle-mêle dans deux huttes[3].

Les Adoumas[4] vendent aux Okandas les esclaves qu’ils achètent chez les Aouandjis et chez les Obambas. « Ceux qui ne peuvent trouver à en acheter vendent leur famille, père, mère, frères, enfants ; car celui qui, dans une circonstance comme l’arrivée d’une caravane d’esclaves, n’aurait pas à vendre au moins un enfant, ne serait qu’un pauvre hère. Il faut faire commerce pour être du grand monde[5]. »

« Un esclave, dit M. de Brazza, coûte, dans l’Adouma, deux kilogrammes de sel, un bassin en cuivre, deux pagnes, des colliers, en tout dix francs valeur d’Europe.

« Les femmes de l’Adouma attirent les commerçants des tribus de l’intérieur et leur accordent leurs faveurs, puis, suivant leur caprice, font découvrir ces relations. Ils sont alors saisis et vendus comme esclaves à moins que leur famille, pour les délivrer, ne donne un certain nombre de moutons et un esclave[6]. »

Les Aiahous sont aussi des pourvoyeurs très actifs des traitants. Livingstone raconte que ceux-ci arrivent dans leurs villages, où ils étalent les objets qu’ils apportent. Ces objets sont à vendre ; pour les avoir il faut des esclaves ; une razzia s’organise ; et, munis d’armes à feu par les Arabes, les Aiahous tombent alors chez les Mânyânyas, qui n’ont pas de fusils. C’est ainsi que les marchés s’approvisionnent. Les razzias se succèdent et de proche en proche les rapts se multiplient[7]. »

Giraud rencontre au boma[8] du chef Ketimkuru, le négrier Aley qui avait tellement acheté d’ivoire et d’esclaves qu’il n’avait plus une pièce d’étoffe pour retourner à la côte. Aley était un ancien esclave de l’Uemba[9], qui, emmené à la chaîne dix ans auparavant, avait fini par inspirer de la confiance à l’un des plus riches Arabes de Zanzibar et revenait chaque année dans son pays pour y trafiquer d’ivoire et surtout d’esclaves.

Deux cents créatures humaines, appartenant à ce misérable ou à son patron, étaient enfermées dans ce boma.

Aley achetait l’ivoire au prix moyen de 40 dolés (160 mètres de cotonnade blanche) la frazilah ou 15 kilogrammes, soit 100 francs ce qui en vaut 500 à la côte. N’ayant pour le servir que des malheureux qu’il payait peu et même auxquels il ne donnait souvent que leur nourriture pour toute solde, il se faisait parfois, à Zanzibar, un bénéfice de soixante pour cent. Au début il n’avait demandé que de l’ivoire, mais au moment de repartir il s’était procuré des esclaves qui transportèrent cette substance et devinrent eux-mêmes marchandise[10].

Giraud cite aussi la tribu Zouloue des Angonis, qui, après avoir détruit et enlevé les habitants de la rive ouest du lac Nyassa attaquaient le Haut-Chiré et le Condé[11].

Les Marabouts ne se font aucun scrupule de trafiquer de chair humaine. Largeau rencontra quelques-uns de ces pieux personnages, en 1877, à Ouargla[12] ; ils venaient y vendre un troupeau d’esclaves et arrivaient des environs d’Insalah[13].

Au puits du Chameau[14], le 24 juillet de la même année, Largeau trouva des cadavres de nègres morts de soif, tandis qu’on les conduisait au marché d’Ouargla.

Le récit de Largeau nous paraît inexact. Ouargla a été proclamée ville française en 1832, après la prise de Laghouat ; en 1873, nos troupes s’avancèrent plus au sud, jusqu’à El. Goléa, sous les ordres du général de Galliffet. Des protestations d’amitié lui furent envoyées d’Insalah. située bien au delà, à plus de moitié chemin de la Méditerranée à Tombuctou.

Livingstone, en route pour le Manyéma, au mois d’octobre 1868, était reçu chez Moïnémepannda, frère de Gazembé, demeurant entre le lac Moéro et le lac Bengouéolo : « Pendant ce temps-là, dit-il, un agent de Mohammed, appelé Ben Djouma, saisit deux femmes et deux jeunes filles pour remplacer quatre esclaves qui avaient pris la fuite. Le chef du village envoya une flèche aux ravisseurs ; Ben Djouma tua une femme d’un coup de fusil ; tout le pays fut soulevé contre les Arabes qui furent assaillis de trois côtés à la fois, sans les Vouanyamouezi, ajoute Livingstone, nous aurions été battu[15]. »

Les plus puissants des Arabes nomades du Sennaar, sont les Baggâras « reconnaissables, dit Bolognesi, à leurs chevelures tressées, montant presque indifféremment des chevaux de race ou des bœufs porteurs. Quand ils ne font pas la récolte ou le commerce de la gomme, ils se livrent à la chasse des nègres comme à leur principal gagne-pain. Ils font généralement leurs razzias la nuit et ont envers les nègres une certaine humanité intéressée. Ils appellent les nègres : el mal, le capital ; c’est, en effet, un capital qu’il faut éviter de détériorer ; aussi quelle que soit l’opiniâtreté de la défense chez les Dinkas surpris par les traqueurs Baggâras, ceux-ci ne les blessent qu’à leur corps défendant. »

Le gouvernement égyptien, ajoute Bolognesi, mis en éveil par les profits qu’ils faisaient de la sorte, s’est mis à les chasser en lançant contre eux ses redoutables Chagié et les a forcés… à… partager ! Si les brigands étaient punis, le nègre ne s’en trouva pas mieux[16]. »

La domination égyptienne ne dépassait guère, à cette époque, Tchélayé, sur le fleuve Blanc ; Sir Samuel White Baker l’étendit plus tard jusqu’au delà de Gondokoro qui devint Ismaïlia.

Les derniers événements survenus dans le haut Nil ont fait retomber le pays entre les mains des Madhistes ; nous étudierons leurs conséquences lorsque nous nous occuperons du Soudan.

Giraud, avant d’être reçu, à la station d’Iendué, en 1884, par deux missionnaires de la London Miss. Society (qu’il avait l’année précédente accompagnés à leur départ de la côte), avait traversé « un village ruiné, au milieu de huttes effondrées, de débris de fourches à esclaves attestant qu’un négrier était passé par là. Ce négrier était Kabunda, un Arabe qui avait dévasté le pays[17]. »

« La traite des noirs s’exerçait sous les yeux des missionnaires, avec une impudence que la famine ne faisait qu’aviver. Cette traite était faite par les Fipas[18]. »

Une petite fille valait de deux à trois litres de grains ; une mère et son enfant quatre et cinq litres[19] !

On peut juger des bénéfices de Kabunda !

Sur le Biyerré, Stanley eut le spectacle de tout ce que la chasse à l’homme peut avoir de plus horrible. Les Arabes de Zanzibar envoient jusque là leurs émissaires. Une petite armée de chasseurs se met en campagne ; l’expédition dure un an, quelquefois deux. On traverse toute l’Afrique, traînant après soi sa proie et sur vingt-quatre mille captifs on en amène, si l’on est heureux, deux ou trois mille à la côte.

« Décrire ce que Stanley vit là, dit M. L. Quesnel, serait trop long et trop épouvantable. Les hommes enchaînés par le cou, vingt par vingt, jetés sous un hangar, en commun avec des femmes attachées par des anneaux ainsi que leurs enfants et tous ces corps couverts de plaies putrides formées par les fers, un tel entassement de créatures humaines qu’il faisait songer à ces nids de chenilles qui se pressent sur une branchr d’arbre, une infection, une misère, une souffrance, des gémissements sans nom et tout cela pour satisfaire l’avarice d’un marchand d’esclaves[20]. »

Le 24 janvier 1884, Giraud arrive à un petit village entouré d’une palissade (boma), propriété d’un Arabe de la côte qui faisait le commerce des esclaves :

Les huttes, au nombre de vingt-cinq ou trente étaient plus entassées et les rues plus étroites que dans les villages environnants. Une ou deux chaînes d’esclaves circulaient à l’intérieur et vinrent s’asseoir devant l’explorateur, « le dévorant, écrit-il, du regard hébété, idiot, habituel à tous ces malheureux. »

L’Arabe avait quitté la place depuis quelques jours pour aller vendre une partie de ses noirs articles à la côte. Giraud croit fortement que ce prétendu Arabe n’était qu’un homme de la Mrima, attendu qu’aucun des chefs à qui la garde de son camp avait été confiée n’était Zanzibarite.

« Mes hommes, dit-il, m’expliquèrent, à son sujet, que les négriers qui font la traite possèdent en général deux bomas de cette sorte : l’un comme celui-ci, à une certaine distance de la côte, autour duquel ils rayonnent pour faire leurs provisions de « bois d’ébène[21] » ; le second, retiré à la côte même, est placé de façon qu’on puisse entrer facilement en relation avec les boutres du canal[22] et surveiller les bâtiments de guerre ; il ne sert que d’entrepôt temporaire et étant généralement inhabité, échappe aux soupçons de l’autorité anglaise. Aussitôt que, par ses renseignements, l’Arabe est sûr de l’éloignement momentané du bateau de guerre, il fait venir ses chaînes humaines à marches forcées et les embarque sans plus tarder sur les boutres, tout prêts à les recevoir[23]. »

Livingstone raconta à Stanley un fait horrible, qui s’était passe au bord de la rivière de Webb[24] :

« Ainsi que la plupart des Africains les Vouamanyémas ont pour le commerce un goût très vif ; le marchandage, qui chez nous révolte, est pour eux chose attrayante ; faire rabattre le prix d’un objet ou le maintenir, gagner une perle à cette lutte de parole est une joie qui les enivre. Les femmes surtout aiment ce jeu avec passion ; elles y excellent ; et comme elles sont d’autant plus jolies que le débat les anime, le marché attire beaucoup d’hommes.

« Ce fut au milieu d’une pareille scène, toute paisible, toute joyeuse, qu’un métis Arabe, du nom de Tagamoyo, fondit avec sa bande et fit tirer sur la foule. Au premier coup de feu, les pauvres gens se sauvèrent. Ils étaient là deux mille, courant à leurs canots et s’empêchant les uns les autres : la mousqueterie ne cessait pas. Beaucoup de malheureux sautèrent dans l’eau profonde, où les attendaient les crocodiles. Mais la plupart de ceux qui y périrent furent tués par les mousquets. Le docteur estime à quatre cents le nombre des morts : hommes, femmes et enfants. Celui des captifs ne fut pas moins considérable.

« Cet affreux attentat n’est qu’un spécimen de tant d’autres que Livingstone a vu commettre. Comprend-on, après cela, de quelle haine les Arabes sont poursuivis dans ces contrées, naguère si tranquilles, et dont le morcellement accroît l’audace et les chances des ravisseurs.

« Partout, ajoute Stanley, les traitants ont fait de même ; si maintenant, de Bagamoyo[25] à Oudjidji, leur conduite est différente, c’est qu’ils ont été contraints d’en changer. Les tribus se rassurent ; à leur tour elles ont des mousquets et les représailles commencent. Beaucoup d’entre elles ont d’abord servi d’auxiliaires. Elles y gagnaient d’être à l’abri du rapt et d’étendre leurs conquêtes. Puis, une fois la domination établie, une fois le sol balayé des peuplades, dont le territoire, les biens, les personnes étaient l’objet des convoitises, les pourvoyeurs ont tourné leurs fusils contre les imprudents qui les leur avaient donnés. En dépit de leur escorte toujours plus nombreuse, les Arabes ne marchent plus sans crainte. A chaque pas qu’ils font est un péril : les Vouagogos les exploitent, les Vouaségouhhas les arrêtent ; le chemin du Karagoueh est plein de difficultés ; Mirambo les tient en échec, il les attaque et il les bat ; derrière lui, Souarourou leur demande la taxe, le fusil à la main.

« Ils ont semé le danger et l’ont semé pour tout le monde, pour ceux d’une autre race comme pour les bons d’entre eux. Malgré l’estime dont Livingstone était entouré dans le Manyèma, comme partout dès qu’il y fut connu, il manqua plusieurs fois d’être assassiné par suite de l’erreur qui le faisait assimiler aux Arabes[26]. »

En cherchant à secourir Emin Pacha, Stanley parvint, le 23 juin 1887, à Aïr-Jali au confluent du Nopoko, tributaire de l’Arahouimi ; à partir de cette date commença pour l’expédition une série de souffrances et de déceptions. Le pays avait été dévasté par les Arabes, marchands d’esclaves.

Barth pénétra le premier dans le Baghirmi[27], dont le sol n’avait encore été foulé par aucun Européen. Les païens y payaient le tribut en esclaves. Le voyageur insiste sur l’entrée triomphale du Sultan vainqueur dans Massenya, sa capitale.

« Enfin, dit-il, sept chefs des vaincus, ajoutent à l’effet du défilé. Celui de Gogoui, d’une taille majestueuse, et qui gouvernait une peuplade importante, éveille entre tous la sympathie des spectateurs par son air calme et souriant. Tout le monde sait que la coutume est de tuer les chefs prisonniers, ou, pis encore, de les mutiler d’une manière infâme après les avoir livrés aux caprices et aux railleries du sérail[28]. »

Le sultan du Baghirmi a pour tributaires les Somraïs : nous en reparlerons plus tard.

Une caravane de captifs, conduite par un chef Diula, ayant rejoint la troupe du lieutenant Vallière, en marche sur Narena (Haut-Niger), l’officier français profita de l’occasion pour causer longuement avec le chef de cette bande, composée surtout de jeunes gens et d’enfants. Ces petits malheureux, inconscients de leur triste situation, sautaient, gambadaient, se baignaient dans la rivière, poursuivant les poissons ou les insectes, en poussant mille cris joyeux.

Le lieutenant se demandait d’où sortaient ces files d’esclaves qui, après avoir sillonné toutes les routes du Soudan, allaient alimenter les marchés du Bas-Niger ou étaient vendus aux Maures sahariens et dans les escales des fleuves de la côte.

Le Diula lui apprit que les pays à esclaves embrassent l’immense région, encore peu connue, comprise entre les premiers affluents du Niger. Ces contrées extrêmement barbares sont, proportionnellement, plus peuplées que celles du reste du Soudan occidental. Le Ouassoulou passe notamment pour avoir une population des plus denses. Afin d’exprimer combien les villages sont rapprochés, les indigènes disent que « le roi peut, sans sortir de sa capitale, transmettre ses ordres, de voix en voix jusqu’aux extrémités de son immense empire. » Les habitants sont un mélange de Bambaras et de Peuhls métis, qui se font, sans distinction de nationalité, une guerre perpétuelle. Le seul objet de ces combats incessants est de s’enlever réciproquement des femmes, des jeunes hommes et des enfants pour aller les revendre ensuite sur les marchés célèbres de Dialakoro, Kankan, Kenièra, Tangrela, etc. Ces moyens de s’enrichir sont si bien entrés dans leurs mœurs que toutes les classes de la société les emploient : les chefs, afin de renouveler leurs provisions de fusils et de poudre, pour s’acheter de beaux ornements, vendent leurs propres sujets. Dans les temps de disette, les faits acquièrent toute leur monstrueuse horreur : ce sont alors les pères de famille qui, pour améliorer leur situation, conduisent sur les marchés leurs infortunés enfants.

Pour compléter ce tableau épouvantable, le Diula avoua avoir acheté l’une des petites filles de la caravane à son frère ; celui-ci l’avait traitreusement éloignée de la case paternelle pour la céder ensuite à vil prix.

« Les peuplades, dit le lieutenant Vallière, qui se font ainsi des pourvoyeuses de chair humaine, sont loin de vivre sur un sol ingrat. Indépendamment de la fertilité réelle des terrains, elles ont des mines d’or plus abondantes encore que celles du Bouré et du Bambouk. On ne peut donc accuser que leur état sauvage et le principe même de l’esclavage admis malheureusement par tous les peuples africains ; si les acheteurs ne foisonnaient pas dans les marchés du Haut-Niger, ce trafic honteux cesserait de lui-même[29]. »

« Le roi de Ségou, dit le colonel Gallieni, possède dans son armée des régiments entiers d’esclaves qui jouissent de certains privilèges, ce sont tous des Bambaras[30]. »

Les profits retirés du commerce des esclaves sont, comme nous rétablirons ailleurs, considérables.

Le roi des Bambas achète des esclaves afin d’en avoir toujours à sa disposition pour les sacrifices humains. Lorsqu’il a une forte fièvre, il en fait brûler vifs cinquante pour apaiser l’esprit du mal.

Barth[31] cite un marchand d’esclaves, Bokhari, ancien gouverneur à Khadidja, qui, déposé par son suzerain, dont il avait excité les soupçons, remplacé par son frère, accueilli par le gouverneur de Massèna, se mit à l’œuvre pour ressaisir le pouvoir. Bokhari s’empara de Benza-Ri, tua son frère, lutta contre des forces réunies du Haouassa[32], sema la désolation jusqu’aux portes de Kano, remporta la victoire et devint l’un des plus puissants négriers du Soudan.

« Si le Bornou, dit Barth, tire un bénéfice réel de sa position au centre du Soudan, il lui doit, en échange d’avoir à lutter sans cesse avec l’un ou l’autre des pays qui l’entourent… A l’ouest et au midi, les Foullanes[33] convoitent cette région fertile en esclaves. »

Barth est témoin d’une guerre entre les gens de Kouka et ceux de Mosgou[34] ; il consigne ainsi ses émotions :

« Quel dommage d’être avec ces odieux chasseurs d’hommes, qui sans égard pour la beauté du pays et le bonheur de ceux qui l’habitent, répandent la désolation uniquement pour s’enrichir…

« Dans la plaine où nous arrivons, des cavaliers battent les haies des villages ; ici, un indigène fuit à toutes jambes ceux qui le poursuivent ; là-bas, c’est un malheureux qu’on arrache de sa case ; plus loin, un troisième, qui s’est blotti dans un massif de figuiers, sert de point de mire aux flèches et aux balles.

On avait fait mille esclaves, coupé froidement la jambe à cent soixante-dix hommes, laissant à l’hémorrhagie le soin de les achever… Bien que l’expédition n’eût pas été fructueuse, elle ramena 10,000 têtes de bétail et environ 3,000 esclaves, y compris de vieilles femmes ne pouvant plus marcher, de véritables squelettes, horribles à voir dans leur entière nudité…

« Celui qui ne connaît pas le chemin de Bornon n’a qu’à suivre les ossements dispersés à gauche et à droite de la voie et provenant des squelettes des nègres morts en route pour Kouka, par suite des privations et des tortures de toute sorte. »

Barth explore les bords du lac Tchad et continue ainsi son journal :

« Parti de bonne heure, je me réjouissais de la perspective qui allait s’offrir à mes yeux. Je rencontrai beaucoup d’esclaves, allant couper de l’herbe pour les chevaux…… Franchissant une eau plus profonde remplie de grandes herbes, nous gagnâmes une autre crique, où j’aperçus de petits bateaux plats, d’environ quatre mètres le longueur, faits de bois léger de fogo et manœuvrés par deux hommes qui s’éloignèrent dès qu’ils nous aperçurent. »

« C’étaient des Bouddoumas ou Yedimas en quête de proie humaine…

Au Cama, comme à très peu d’exceptions près dans tous les pays de l’Afrique Équatoriale, on considère les femmes comme une propriété lucrative que l’on paye assez cher et dont il faut tirer le plus de revenu possible. La femme est un être intermédiaire entre l’homme libre et l’esclave ; mais ses charmes doivent rapporter autant et même plus de bénéfice que le travail de l’esclave. Aussi les maris sont-ils toujours prêts à céder et même à offrir leurs femmes au premier venu ; s’il est riche, il paiera : s’il est pauvre et incapable de financer, il deviendra l’esclave du mari. La somme que ce dernier est autorisée, par la loi, à réclamer est de 50 francs, s’il n’y a pas eu de conventions antérieures.

« Les esclaves, ajoute de Compiègne, y sont encore plus malheureux que les femmes. Leur maître peut les tuer sans que personne l’en blâme. Si on tue l’esclave du voisin, on en est quitte pour rembourser sa valeur, soit en argent, soit en marchandises. »

« Ce n’est pas tout, le Cama est malheureusement l’un des repaires de la traite maritime des nègres de la côte d’Afrique. Les faibles ressources dont disposent les Français au Gabon, ressources encore diminuées par le départ de l’escadre stationnaire, ne leur permettent aucune répression sérieuse. Les négriers le savent bien ; ils le savent si bien qu’ils remontent fréquemment l’estuaire, ou stationnent à son embouchure en arborant le pavillon portugais, pavillon qui est à bon droit plus que suspect dans ces parages. De longues files d’esclaves enchaînés traversent fréquemment les plaines du cap Lopez pour être vendues à la côte et bien que l’ « ébène sur pied » provenant du Gabon ou du Fernand Yaz soit coté sur les marchés de Loanda à des prix très inférieurs à la même marchandise venant du Congo, il est malheureusement trop vrai que l’exportation en a beaucoup augmenté dans l’Afrique Équatoriale. On doit désirer que l’attention des puissances maritimes se porte sur cette partie de la côte[35]. »

Si les esclaves sont condamnés à être mangés par les fourmis à la côte d’Afrique, ainsi que le dit l’amiral Fleuriot de Langle[36], les Chebelis ne les traitent guère mieux[37]. G. Revoil nous a fourni, à ce sujet, des renseignements qui font frémir :

« Aussitôt qu’ils acquièrent un esclave, son maître lui demande ironiquement combien il désire avoir de femmes, et, comme le malheureux en sollicite plutôt deux qu’une, on lui rive immédiatement aux jambes deux entraves dans le but de l’apprivoiser et de lui enlever toute envie de retourner vers la famille qu’il vient de quitter.

« Puis, quand on lui rend la liberté de ses mouvements, s’il en profite pour fuir, toute la population prend les armes, se met à sa poursuite et se livre dans les environs à une véritable chasse à l’homme.

« Ensuite, dès que le fugitif est repris, on le promène dans les rues du village en exécutant un lab d’allégresse. La foule ne manque pas de le couvrir d’ordures et ne lui ménage pas ses billevesées ; les femmes, les enfants l’injurient à qui mieux mieux ; bref, c’est une fête générale. Puis on le coud dans un sac de peau qui ne laisse passer que la tête et on l’expose aux rayons du soleil ardent.

« Sous l’action de la chaleur excessive, une sorte de cuisson à l’étuvée se produit dans le sac et les chairs du patient se ramollissent peu à peu.

« Alors le sac est enlevé et l’esclave est fustigé d’importance avec des verges qui lui arrachent des lambeaux de peau à chaque coup. Mais ce n’est pas tout, quand le corps de ce malheureux n’est plus qu’une plaie vive, on le porte, dans une civière, à travers les rues du village, pendant que la foule qui l’accompagne en hurlant, s’amuse à saupoudrer de sel sa chair pantelante, pour empêcher ses cris de souffrance de se ralentir… Il est ensuite remis aux fers pour le reste de ses jours.

« Il n’est pas rare de voir les esclaves se suicider parce qu’ils n’ont même plus la force de porter leurs entraves. »

Revoil parle aussi des Çomalis ou Somalis[38].

« Comme à Moguedoucho[39], surtout depuis l’abolition de la traite, les Abeuches[40] représentent la majeure partie de la population et ce sont précisément ceux-là, dont les pères ont été si durement traités jadis, qui se montrent les plus cruels pour leurs esclaves. Presque tous sont chargés de lourdes entraves, formées de deux anneaux de fer serrant le dessus de la cheville et reliés par une barre de fer. Les mouvements sont donc difficiles. Au moyen d’une corde nouée à la ceinture, ils allègent le poids de leurs entraves. C’est ainsi qu’ils se traînent péniblement aux champs, dès l’aube, pour cultiver les maïs ou le dourah[41], et qu’ils en reviennent au coucher du soleil chargés comme des bêtes de somme.

« À eux aussi incombe le soin de laver le linge de leurs maîtres, en le frappant à coups redoublés sur une planche, après l’avoir trempé dans un mélange d’eau et de fiente de chameau ; à eux enfin tous les rudes travaux de l’intérieur des mins. Comme nourriture, ces malheureux affamés n’ont que du maïs cru ; heureux encore quand ils peuvent racler le fond des marmites pour dévorer avidement quelques bribes de bouillie de dourah, principale nourriture du Çomali.

« Ce bétail humain, jadis fourni par les marchés du littoral, est devenu plus rare aujourd’hui. Il vient bien parfois, dans le Guélidi[42] des esclaves Gallas, amenés par les caravanes de Gananeh, mais ils sont en petit nombre. Aussi profite-t-on des moindres occasions pour se livrer à la chasse de l’esclave dans les régions de l’intérieur et tout différend entre particuliers ou entre clans se règle-t-il au moyen de têtes d’esclaves (Andon), ce qui devient une sorte d’unité monétaire dont la valeur varie du reste entre cent vingt et cent cinquante thalarys[43]. »

Dans toutes les réceptions d’Omar Yousouf, l’un des chefs des Gobrons de Magadoxo, Revoil entendit parler du rapt d’un ou plusieurs esclaves.

Les Çomalis restent barbares ; cette année encore ils ont massacré plusieurs missionnaires français.

Au Dahomey, le roi est maître absolu de la vie et des biens de ses sujets qui lui achètent les femmes qu’ils désirent épouser. Les mœurs et coutumes sanguinaires de ce peuple sont d’autant plus intéressantes à connaître pour nous qu’il est actuellement aux prises avec nos héroïques soldats qui, dans l’affaire d’Atchoupa (20 avril 1890), luttèrent avec succès un contre vingt[44].

Autrefois, les rois de Dahomey vendaient, chaque année, plusieurs milliers d’esclaves, à 25 francs environ par tête, ou les troquaient contre du tabac, de la poudre. Ce trafic, prohibé aujourd’hui, se faisait par le port de Whydah ; il se continue encore, du reste, par l’intérieur. Repin décrit ainsi la demeure du roi de Dahomey, à Abomey[45] :

« …L’ensemble du palais est entouré d’un mur en terre sèche de quinze à vingt pieds de hauteur, percé de plusieurs portes et hérissé, de distance en distance, de crochets de fer supportant des têtes humaines, les unes déjà blanchies par le temps, d’autres couvertes encore de quelques lambeaux de chair, quelques-unes enfin fraîchement découpées… »

Le docteur est d’accord avec les Européens qui, depuis lui, ont visité Abomey.

Le tombeau des Rois, vaste souterrain creusé par la main de l’homme, est dans cette ville.

« Quand un roi meurt, on lui érige, dit-il, au centre de ce caveau, une espèce de cénotaphe entouré de barres de fer, surmonté d’un cercueil en terre cimenté du sang d’une centaine de captifs provenant des dernières guerres et sacrifiés pour servir de gardes au souverain, dans l’autre monde. Le corps du monarque est déposé dans le cercueil, la tête reposant sur les crânes des rois vaincus ; enfin, comme autant de reliques de la royauté défunte, on dépose au pied du cénotaphe tout ce que l’on peut y placer de crânes et d’ossements. « Tous les préparatifs terminés, on ouvre les portes du caveau et l’on y fait entrer huit abaïas[46], en compagnie de cinquante soldats. Danseuses et guerriers, munis d’une certaine quantité de provisions, sont chargés d’accompagner leur souverain dans le royaume des ombres, en d’autres termes, ils sont offerts en sacrifice vivant aux mânes du roi mort.

« Chose étrange ! il se trouve toujours un nombre suffisant de victimes volontaires des deux sexes, qui considèrent comme un honneur de s’immoler dans le charnier royal.

« Le caveau reste ouvert trois jours pour recevoir les pauvres fanatiques, puis le premier ministre recouvre le cercueil d’un drap de velours noir et partage avec les grands de la Cour et les abaïas survivantes les joyaux et les vêtements dont le nouveau roi a fait hommage à l’ombre de son prédécesseur. »

Lors des fêtes sanguinaires nommées les « Grandes Coutumes », on égorge à la fois des milliers de prisonniers qui doivent aller porter au roi défunt la nouvelle du couronnement de son successeur.

« Avec de l’argile pétri dans le sang des victimes, on forme un grand vase, de forme bizarre, dans lequel le crâne et les os du feu roi sont définitivement enfermés et scellés[47]. »

Plus de trois mille victimes ont arrosé de leur sang le tombeau du roi Ghézo.

Le 11 juin 1860, un missionnaire protestant, invité à se rendre de Whydah à Abomey, rencontra sur son chemin un homme qui se dirigeait sur la première de ces villes. Il était porté dans un palanquin et préservé du soleil par un vaste parasol. Il était bien vêtu, en marin dahoméen ; arrivé à Whydah, il devait être précipité dans la mer, en même temps que les deux gardiens des portes du port, afin d’être prêts à ouvrir ces portes à l’esprit de Ghézo, quand il lui plairait de prendre un bain dans l’Océan.

Le 16 juin, le missionnaire, exact au rendez-vous obligé[48], était assis avec d’autres personnages européens[49] auprès du roi, qui, leur montrant un homme aux mains liées et à la bouche bâillonnée, dit que c’était un messager qui allait porter de ses nouvelles à Ghézo. L’infortuné fut, en effet, immolé sur la tombe du feu roi. Une heure après, Bahadou fit trancher la tête à quatre captifs ayant mission d’annoncer à son père les préparatifs des fêtes commandées pour honorer sa mémoire.

Le 17, Bahadou prévint le peuple, au son du gong, du commencement prochain des « Grandes Coutumes ». Cette lugubre fête débuta, le 22, par le massacre, dans le propre palais du roi, de cent hommes et d’autant de femmes. Le roi sortit au bruit de la mousqueterie, quatre-vingt-dix officiers et cent vingt princes ou princesses le saluèrent et lui offrirent chacun de deux à quatre esclaves destinés à être sacrifiés en l’honneur de Ghézo.

« Deux ou trois résidents portugais les imitèrent. Ils présentèrent, si je suis bien informé, ajoute le missionnaire protestant, une vingtaine d’hommes… »

Le 1er août, Bahadou procéda aux funérailles de son père. On ensevelit encore soixante hommes dans le sépulcre royal… Au moment où Bahadou revint devant la porte, on tira de nombreux coups de fusils et cinquante esclaves furent immolés.

La suite des sanglantes cérémonies eut lieu le 12 octobre.

« … A peine de retour à Abomey, continue le missionnaire, nous fûmes appelés au palais. Près de la porte nous vîmes quatre-vingt-dix têtes humaines, tranchées le matin même ; leur sang coulait encore sur le sol comme un torrent. Ces affreux débris étaient étalés de chaque côté de la porte, de manière que le public pût bien les voir…

« Trois jours après, nouvelle visite obligée au palais et même spectacle, soixante têtes, fraîchement coupées, rangées comme les premières, de chaque côté de la porte, et trois jours plus tard encore, trente-six. Le roi avait fait construire, sur la place du marché principal, quatre grandes plates-formes d’où il jeta des cauris[50] au peuple et sur lesquelles il fit immoler environ soixante victimes humaines. J’estime que, pendant la célébration de ces horribles fêtes, plus de deux mille êtres humains ont été égorgés, les hommes en public, les femmes dans l’intérieur du palais. »

M. Euschart, négociant hollandais, forcé de se rendre au mois de juillet 1862, à la cour de Bahadou, a laissé une relation dont nous extrayons ce qui suit :

« Le 5 juillet, je fus conduit en grande pompe sur la place du marché où l’on m’apprit qu’un grand nombre de malheureux avaient été égorgés la nuit précédente. Le premier objet qui frappa mes yeux, sur ce théâtre d’horreur, fut le corps de M. Doherty, ancien esclave libéré et dernièrement ministre de l’Église anglicane à Ischagga. Il était crucifié contre le tronc d’un arbre gigantesque ; une fiche de fer traversait sa tête, une autre sa poitrine et de grands clous fixaient solidement à l’arbre ses pieds et ses mains. Par une amère ironie, son bras gauche était replié de manière à soutenir une large ombrelle de coton…

« De là, on me mena vers une haute plate-forme où trônait le roi… Vis-à-vis et dans toute la largeur de la place étaient alignées des rangées de têtes humaines, fraîches et saignantes, et tout le sol était saturé de sang. Ces têtes étaient celles d’un certain nombre de captifs provenant de la prise d’Ischagga et que l’on avait massacrés la nuit précédente, après avoir épuisé sur eux l’art diabolique des tortures… »

Un tremblement de terre ayant eu lieu, le roi l’interpréta comme un signe de mécontentement de son père et la tuerie continua. M. Euschart retrouva Bahadou sur la plate-forme :

« Le roi, dit-il, fit approcher trois chefs Ischaggans, spécialement chargés par lui d’apprendre à Ghézo que les Coutumes seraient dorénavant observées mieux que jamais. Chacun de ces malheureux reçut de la main du roi une bouteille de rhum, une filière de cauris,… puis fut immédiatement décapité.

« On apporta ensuite vingt-quatre mannes ou corbeilles, contenant chacune un homme vivant dont la tête seule passait au dehors. On les aligna un instant sous les yeux du roi, puis on les précipita, l’un après l’autre, du haut de la plateforme sur la place où la multitude, dansant, chantant, hurlant, se disputait cette aubaine comme en d’autres contrées les enfants se disputent les dragées de baptême. Tout Dahoméen assez favorisé pour saisir une victime et lui scier la tête pouvait aller l’échanger à l’instant même contre une filière de cauris (2 francs 50 environ) ; ce n’est que lorsque la dernière tête eut été décollée, et que deux piles sanglantes, l’une de tête, l’autre de troncs mutilés eurent été élevées aux deux bouts de la place, qu’il me fut permis de me retirer chez moi…

« … Pendant tout le jour suivant, on me fit parcourir les autres quartiers de la ville, qui tous avaient été les théâtres de semblables horreurs. Le 12 juillet, je commençai à respirer ; les plates-formes furent démolies et le programme des fêtes parut se restreindre à des chants, des danses, des décharges d’armes à feu. Dix jours se passèrent sans être souillés de sacrifices humains ; mais en fut-il de même des nuits intermédiaires ? J’ai malheureusement tout lieu de ne pas le croire.

« Le 22 juillet, il me fallut encore être témoin de la Grande Coutume, au palais du feu roi, dont deux hautes plates-formes flanquaient la porte d’entrée. Chacune d’elles supportait seize captifs et quatre chevaux, tandis qu’un même nombre de chevaux, un alligator et seize femmes étaient placés sur une troisième plate-forme, dans la cour intérieure de l’habitation.

« Lorsque ces malheureux, assis ou plutôt enchaînés sur des sièges grossiers eurent été disposés autour de trois tables (une pour chaque groupe), on plaça devant chacun d’eux un verre de rhum, et le roi, montant sur la plate-forme la plus élevée, adora solennellement ses fétiches nationaux et s’inclina devant les captifs dont les bras droits furent alors déliés pour leur permettre de prendre les verres de rhum et de boire à la santé du monarque qui les vouait à la mort…

« Une revue des troupes eut lieu, puis les captifs eurent la tête tranchée ou plutôt sciée avec des couteaux ébréchés. Les chevaux et l’alligator furent égorgés en même temps et les sacrificateurs apportèrent un soin minutieux à mêler leur sang à celui des victimes humaines. »

Peut-être nos lecteurs nous accuseront-ils de rééditer des documents trop anciens et supposeront-ils que depuis 1862 il y a eu un changement notable dans les mœurs des Dahoméens ?

M. Bayol, lieutenant-gouverneur des Rivières du Sud, arrivé à Marseille, le 20 mai dernier, après avoir été prisonnier des Dahoméens, a raconté l’horreur des sacrifices humains qui eurent lieu pendant son séjour chez le roi Gléglé.

Dans un seul sacrifice, on immola deux séries l’une de 84 malheureux, l’autre de 43.

Les tueries ont lieu en plein jour ; ce n’est que la nuit venue que les femmes et les enfants se livrent aux scènes effrayantes de l’égorgement avec une férocité inouïe. Les enfants s’emparent des têtes qu’ils font rouler comme des boules et les enterrent ensuite sous de petits tas de sable où on les laisse.

Les cadavres sont, le lendemain, jetés pêle-mêle dans des charniers et deviennent la proie des oiseaux sacrés.

M. Bayol fut invité à assister à cette boucherie, mais il fit comprendre combien ce spectacle lui serait insupportable, et il obtint de se faire représenter officiellement par deux fonctionnaires de sa suite[51]. Quel rôle pour un Européen ! pour un Français ! Il ne put cependant se soustraire à la visite des cadavres faite en grande cérémonie.

« Le sang, dit M. Bayol, était répandu en si grande abondance, que j’en avais jusqu’à la cheville ! »

Le roi Belianzin, successeur et fils de Gléglé, a de bons guerriers et une garde de cinq mille amazones.

Au combat d’Atchoupa elles donnèrent avec la même furie qu’au combat du 4 mars, à Kotonou, où elles se firent tuer sur les palanques du fortin Comperat. Ces femmes, ivres de gin, montrent un acharnement incroyable et sont vraiment de redoutables adversaires, dont les capitaines Arnoux, Ferez, Pansier, les lieutenants Lagaspie, Ganaye et Szymansky eurent cependant raison.

La France à qui fut réservée, il y a soixante ans, la noble mission de débarrasser l’Afrique Septentrionale des forbans Algériens, aura-t-elle, en 1890, la tâche non moins glorieuse et honorable de purger l’Afrique Occidentale de pareils monstres, dont le pouvoir comme celui des Corsaires Barbaresques n’a que trop duré pour la honte de l’humanité ? Nous l’espérons de tout cœur : ce sera une superbe page de plus pour notre histoire nationale.

Depuis longtemps la France revendiquait Kotonou qui lui devenait de plus en plus nécessaire pour sa colonie de Porto-Novo. Le souverain Dahoméen avait toujours refusé de tenir parole et niait les traités des 19 mai 1868 et 19 avril 1878.

En 1889, on avait essayé, mais vainement, de s’établir à Kotonou. M. de Beckmann avait vu fermer, aussitôt son projet connu, toutes les factoreries du Dahomey. Méprisant le protectorat de la France, le Dahomey envahit le royaume de Porto-Novo, détruit les récoltes, tue, pille, dévaste, ruine.

Le roi Toffa, de Porto-Novo, passa sur la lagune avec sa cour ; les soldats français se fortifièrent, sans prendre l’offensive.

Au mois d’octobre, arrivait le docteur Bayol, avec pleins pouvoirs ; il se rendit près du roi de Dahomey, porteur de riches présents. Il espérait traiter ; ce lui fut impossible. Toutes les fois qu’il abordait la question de Kotonou, le prince s’excusait, disant qu’il était retenu ou rappelé près de son père malade.

Le vieux tyran mourut, le prince Kondo devenu le roi Béhanzin prit les rênes du gouvernement et… le chemin de la côte pour attaquer les postes français : on sait comment il a été reçu. Le 20 février 1890, les Français prirent Kotonou.

Nous ne saurions trop recommander la lecture du journal de M. Gaudoin, l’un des prisonniers de Béhanzin.

Nous en extrayons ce qui suit :

« Le canon tonne, chants, cris, vociférations, tamtams, remplissent la ville de rumeurs et de bruits, et au matin on nous annonce que Sa Majesté Béhanzin Aïdjéré est dans les murs d’Allada. Cela va devenir sérieux, et nous allons enfin voir face à face ce souverain nègre dont toute l’Europe doit parler et que personne n’a vu de près.

« Nous sommes en plein dans le camp Dahoméen !

« Quinze mille hommes au moins sont devant nous, rangés en ordre de bataille devant leurs tentes en feuilles de palmier, immobiles, dans un silence si profond, qu’à cent mètres, dans notre prison, dans la cour même, séparés par un simple mur, nous n’en avions pas soupçonné l’existence.

« C’est vraiment un tableau d’une sublime horreur, et qui nous serre douloureusement le cœur. Quinze mille hommes, armés de fusils et de couteaux manchettes ! Il n’y a pas à dire, ce sont de beaux guerriers, robustes et musclés, sous les pagnes blancs qui font ressortir encore davantage l’ébène de leur sculpture. Pas un cri, pas un geste, pas un bruit.

« Silencieux nous-mêmes et profondément émus, nous traversons la haie qu’ils forment, alignés au cordeau comme les longues enfilades d’épis de champ de blé.

« Les principaux officiers de l’armée sont venus nous entourer. Notre groupe se met en marche, il nous faut plus d’un grand quart d’heure pour traverser les premiers rangs, tant leur ordre de bataille est profond. Puis, nous traversons un espace vide, de l’autre côté duquel l’armée noire continue. Ici, ce ne sont plus des guerriers. La seconde ligne, en effet, se compose d’amazones sur trois rangs serrés, entourant comme d’un cercle immense le trône même du roi que nous n’apercevons pas encore.

« Elles sont là quatre mille guerrières, les quatre mille vierges noires du Dahomey, gardes du corps du monarque, immobiles aussi sous leurs chemises de guerre, le fusil et le couteau au poing, prêtes à bondir sur un signal du maître.

« Vieilles ou jeunes, laides ou jolies, elles sont merveilleuses à contempler. Aussi solidement musclées que les guerriers noirs, leur attitude est aussi disciplinée et aussi correcte, alignées comme eux au cordeau. Les chefs sont en serre-files, en tête de colonnes, reconnaissables à la richesse de leur chemisette, à leur air fier et résolu. Telles sont les amazones au repos sous les armes. Il y a loin, de cette discipline, de cet ordre, aux hordes sauvages et barbares que l’on s’imagine. Sa Majesté Béhanzin peut être tranquille, ces viragos ne le laisseront pas facilement enlever. Le triple cercle qu’elles forment est immense, sans un vide, sans un écart, sans un trou.

« Au delà est la foule, là-bas, dans l’éloignement, silencieuse et recueillie. »

À un signal, tout le monde se prosterne. Seuls les prisonniers sont debout, dominant 50.000 créatures humaines.

« Là-bas, à l’intérieur du triple cercle, sous un toit de chaume qui surmonte le trône, le roi est assis, entouré de ses femmes et de ses familiers.

« À notre tour, on nous fait incliner la tête et le cabécère Adavokou nous désigne au roi.

« L’éloignement est tel et l’obscurité commence à devenir si grande que nous ne pouvons l’apercevoir. Sa Majesté, paraît-il, nous adresse la parole. À sa voix, qui n’arrive pas jusqu’à nous, un murmure de terreur se répand dans l’immense plaine. Tout tremble et se tait. Notre interprète seul, sur un signe, nous traduit à voix basse les paroles sacrées. Le roi est très en colère et nous ordonne de rentrer dans notre prison et d’y attendre ses ordres. Immédiatement, nous sommes enlevés et reportés dans la case d’où nous sortons. En proie à une émotion indescriptible, nous nous demandons si ce que nous avons vu est bien vrai, et si nous ne sommes pas hallucinés.

« Mais voilà qu’on nous enlève tous nos liens ; le cabécère Zizi-Doqué, préposé à notre garde, nous annonce qu’on ne nous enchaînera plus, que nous sommes libres et que sans aucun doute demain le roi nous fera appeler pour l’annoncer publiquement. Décidément, nous n’y comprenons plus rien. Mais nous commençons à comprendre lorsque Zizi-Doqué ajoute :

« Une grosse nouvelle vient d’arriver à l’instant, tous les Français ont été tués, à Kotonou et à Porto-Novo, où ont eu lieu des batailles, quelques-uns seulement ont pu se sauver, mais en emmenant prisonnières les autorités noires de Kotonou, et maintenant ils tirent des coups de canon sur la plage toutes les fois qu’ils aperçoivent quelqu’un. Il faut que vous écriviez immédiatement une lettre au roi de France, le roi veut qu’on lui rende ses autorités et les hostilités cesseront immédiatement. Sa Majesté vous ordonne d’assurer à votre roi qu’il est l’ami de la France et que cette guerre injuste n’a été entreprise que par Jean Bayol qui a trompé son pays et dont la tête lui aurait été depuis longtemps apportée s’il était à la place du roi de France. »

« Nous promettons d’écrire et de ramener la paix entre les deux pays.

« Maintenant, en route pour Abomey, où aura lieu la seconde présentation au roi. » Le 20 mars, les prisonniers arrivent à la capitale.

« Cette fois-ci, c’est la bonne, car, à notre grand désappointement, on nous lie les bras au corps en nous disant d’ailleurs que c’est là une simple cérémonie obligatoire et que nous ne tarderons pas à être mis en liberté.

« Ainsi ficelés, nous nous mettons en route, nous traversons de nombreux postes de guerriers armés. Enfin, un dernier campement d’amazones ; derrière, nous allons voir le roi.

« C’est une audience privée, elle aura lieu la nuit, car elle est secrète, des affaires graves vont s’y traiter. Nous devenons des plénipotentiaires. On dispose tout pour la cérémonie. »

Depuis, le roi de Dahomey a adressé au Président de la République une lettre dont voici la teneur :

Cana-Gouméé, 12 mai 1890.
Béhanzin Anhi Jeré à M. Carnot.

« Le roi Béhanzin Anhi Jeré le salue ! Les blancs sont pour le commerce, s’ils font la guerre, ce n’est pas bon ; qu’ils fassent la paix, qu’ils gardent bien la France et ne se laissent pas tromper.

« Quand on veut parler avec roi Dahomey envoyer un officier propre de sa maison. Ils sont amis depuis longtemps et le roi Dahomey a toujours très bien traité les blancs et Jean Bayol, comme il a fait, a fait mal.

« Kotonou lui appartient ; c’est Dieu qui le lui a donné et il ne peut pas laisser le territoire pour un autre, car cela lui ferait du mal : le donner l’écrasera et voilà pourquoi il ne veut pas donner son terrain.

« Ce sont les Français qui font le commerce sur toute la côte (Whydah, Godomé, Abomé-Kalavi, Kotonou), et ce sont eux qui font la guerre. Ce n’est pas juste.

« Arrangez la paix et laissez la question de terrain. À Kotonou, ils ont (les Français) la liberté de faire tout ce qu’ils veulent ; il l’a dit à M. Jean Bayol, mais c’est Toffa[52] qui est en cause et non M. Bayol.

« Jean Bayol ici a été très malade et le Roi l’a guéri.

« Il (le Roi) a donné beaucoup de cadeaux pour M. Carnot et les offre par M. Bayol ; Carnot a-t-il reçu ?

« M. Bayol ici, le roi père malade ; le roi mort, celui-ci a fait prévenir à Kotonou, et M. Jean Bayol a profité pour bombarder Kotonou et massacrer les femmes, les enfants, les petits enfants ; a fait jeter à la mer les femmes enceintes. C’est pourquoi le Dahomey a tiré le fusil, mais il s’est défendu et n’a pas attaqué.

« C’est lui qui a mis Toffa sur le trône. Quefin a été soumis par le Dat qui a rendu à Toffa ses gens prisonniers à Gouffée ; mais Toffa, furieux, a fait massacrer les Dahoméens, résidant à Porto-Novo.

« Comme Toffa a fait tuer les Dahoméens, c’est pour cela que le père du roi a envoyé pour prendre Jibé ; Toffa, voyant que son père est mort, est très content et voilà pourquoi il a envoyé des gens pour couper tous les palmiers, et les soldats blancs ont tiré contre les Dahoméens, et les Dahoméens ne les attaquent pas.

« Maintenant encore, des beaucoup soldats dans les chemins de Porto-Novo pour couper les palmiers. Si l’on rend les otages, il fera retirer ses troupes ; sinon, il continuera à couper les palmiers.

« Rendez les otages à Kotonou qui appartiennent au roi du Dahomey et celui-ci ne dira plus rien ; j’attends, pour prendre l’amitié du roi avec la France et la maison Fabre et Régis, que M. Carnot fasse tous ses efforts pour finir cette question et amener la paix.

« Le terrain qui appartient aux Européens, le roi de Dahomey ne veut pas le prendre ; de même il ne cède pas le sien. »

Nous n’avons pas à relever ici les erreurs et les mensonges dont fourmille cette royale missive.

Le 11 août, vers minuit, des groupes Dahoméens s’approchèrent des retranchements de Kotonou. La Naïade et le Roland firent des projections électriques sur la plaine et les éclaireurs de la garnison tirèrent des coups de fusil. L’affaire fut insignifiante.

Le gouvernement, usant d’une modération que nous ne saurions trop louer, envoya l’ordre à l’amiral de Cuvervile de charger le R. P. Dorgère d’une nouvelle mission auprès de Béhanzin. Le digne missionnaire devait réclamer la cession définitive de Kotonou à la France et la reconstitution du salam français de Whydah ; il apportait donc la paix ou la guerre dans les plis de sa soutane.

Béhanzin a reçu le P. Dorgère avec les plus grands honneurs, mais évidemment mal renseigné sur la force véritable d’une troupe européenne préférera peut-être la guerre.

La reprise des hostilités serait, dans ce cas, imminente. Les opérations ne recommenceraient cependant d’une manière vigoureuse qu’au mois de novembre.

L’intervention du R. P. Dorgère prouve que si l’on persécute les religieux dans la Mère-Patrie, on est bien aise de recourir à leurs services aux colonies, lorsqu’il s’agit surtout d’une démarche délicate et périlleuse auprès de quelque tyran sanguinaire. Voilà, ce nous semble, des titres exceptionnels qui méritent une récompense.

Schweinfurth s’exprime ainsi, au sujet des aventuriers Darfouriens ou du Kordofan qu’il rencontra entre le Héré ou Nyémane-Bahr-El-Vaou et le Ghedi Bahr-El-Djiour, affluents du Bahr El Ghazal (rivière des Gazelles), qui se jette dans le Nil Blanc (Bahr El Abiad) :

« De ceux-ci, en fait de mal on n’en dira jamais trop. Is prennent tous les masques, tous les prétextes pour faire leur révoltant métier : ils arriveront en qualité de fakis[53], c’est-à-dire de prêtres, et se livreront sans frein à leur infâme trafic de chair et de sang, y ajoutant tous les vices, toutes les grossièretés, tous les manques de foi, toutes les vilenies, toutes les scélératesses.

« Il est doux de quitter ces incarnations de la perversité humaine pour le calme des solitudes voisines » [54].

Le lieutenant Vallière indique comment opèrent les Diulas :

« Les uns partent de nos escales du Haut-Sénégal ou de la Gambie avec de la guinée[55] pour se rendre dans le Kingui, vers Nioro[56] ; là, ils achètent, aux Maures, le sel du Sahara. Dans les moments d’abondance, ils obtiennent trois bafals de sel pour deux pièces de guinée[57]. Ils montent ensuite par Kita[58] et Niagassola[59] vers les marchés du Haut-Niger ; en général, ils s’arrêtent à Kéniéra[60], le point le mieux alimenté de captifs ; il paraît que l’on y rencontre, dans les périodes de guerre, plusieurs milliers de ces malheureux. À Kéniéra, chaque barre de sel vaut un captif. On voit par cet exposé que deux pièces de guinée, d’une valeur moyenne de vingt-cinq francs, procurent aux commerçants trois créatures humaines dont la vente produira au retour, sept à huit cents francs. Si le Diula poursuit sa route jusqu’à Dialakoro, il pourra avoir des esclaves à meilleur compte ; toutefois ce dernier marché, situé au centre de l’Ouassoulou, est surtout renommé par son commerce d’or, on y vend la barre de sel jusqu’à sept gros.

« Ainsi, les deux pièces de guinée représentent, à Dialakoro, vingt et un gros d’or, qui seront vendus dans les escales européennes deux cents francs. »

L’interlocuteur du lieutenant Vallière lui faisait ressortir que, sans la mortalité et les risques courus par les caravanes pendant leur passage au milieu de pays habités par des pillards, le commerce des esclaves serait plus lucratif que celui de l’or.

« D’autres Diulas passent par le Nicolo et le Fouta-Djallon[61], vont dans les rivières du sud, françaises et anglaises, acheter à très bon marché des fusils et de la poudre, et débouchent ensuite sur le Haut-Niger, derrière Tirobo.

« Les premiers marchés du Sankaran, actuellement bondés des victimes du farouche Samory, terrible chef de bande, qui vient de dévaster le Baleya et le Diouno, donnent les mêmes bénéfices que ceux que nous avons indiqués pour Kéniéra[62]. »

Le capitaine Binger, rentré en France à la fin de l’année 1889, après son voyage d’exploration du Niger au golfe de Guinée, obtint, de Samory, l’autorisation de traverser ses États. À ce moment, Samory assiégeait Sikaso, capitale du Tiéba. Après un siège de plus d’un an, Samory dut se retirer sans autre résultat que la perte d’une quantité considérable de ses sujets, morts de fatigue, de faim, de leurs blessures, ou vendus par leur souverain pour lui permettre de se procurer des chevaux.

« Dans le Haut-Nil, dit Schweinfurth, les instigateurs, les complices et les bénéficiaires de cet odieux commerce, sont les Djellabas, marchands d’esclaves parvenus à s’établir dans chaque canton, où, sans danger, ils ont tout le profit de la peine des autres. Ils tiennent des cotonnades, du savon, des coiffures, brocantent des armes à feu, vendent des miroirs et des oignons, de la verroterie et des anneaux de fer et de cuivre ; peuvent céder quelques nègres, vieux ou jeunes, mâles ou femelles[63]. »

Souvent, il y a dans cette région plus de deux mille Djellabas. Tout aventurier de cette espèce monte à âne et y passe la moitié de son existence[64]. Si nous en croyons Schweinfurth, on ne voit pas plus l’un de ces petits marchands sans son âne qu’un Samoyède sans son renne. Outre le cavalier, la bête porte au moins dix pièces de cotonnade ; si elle survit au voyage, elle est troquée contre un ou deux esclaves. La charge vaut trois fois autant, d’où il résulte que l’homme au baudet, arrivé sans autre chose que sa monture et vingt-cinq dollars de calicot, se trouve en possession d’au moins quatre esclaves qu’il peut vendre à Khartoum deux cent cinquante dollars. Il revient à pied, faisant porter ses bagages et ses vivres par sa nouvelle marchandise.

« Mais en dehors de ces détaillants, à qui le trafic de chair humaine est aussi naturel que l’usure à un juif polonais, il y a les gens de haut négoce, gens riches, qui, à la tête d’une force armée nombreuse et d’ânes pesamment chargés, font des affaires importantes et jettent sur la place les esclaves par centaines.

« La plupart des gros marchands ont des associés ou des agents à poste fixe dans les grandes zéribas[65]. »

La corvée, appliquée à l’agriculture, n’existe pas pour les indigènes ; elle serait cependant moins nuisible au pays que l’arbitraire, avec lequel, sous prétexte de punir le vol, la désertion ou la mauvaise foi, on saisit les enfants, dans les villages, pour les vendre aux Djellabas. Placés en dehors de tout contrôle par suite de l’éloignement des chefs de maisons de commerce, les gouverneurs des zéribas jouissent d’une entière indépendance. Beaucoup d’entre eux sont des esclaves élevés sous l’œil du maître et qu’on envoie diriger les établissements, de tels postes ne pouvant être confiés qu’à des gens dont on est sûr. Rien ne les empêche de vendre tous les nègres du territoire, de convertir en cuivre le prix de la cession et d’aller vivre tranquillement au Darfour, qui est un lieu d’asile pour beaucoup de malfaiteurs. On peut toutefois compter sur eux jusqu’à un certain point : mais il n’en est pas de même pour les agents des succursales. Nommés généralegénérale-ment pour un court laps de temps, ceux-ci ont bien moins d’intérêt à la propriété commerciale du maître que les esclaves en chef, et la distance qui sépare souvent les petites zéribas du grand comptoir ne permet pas de les surveiller.

Les traitants le savent bien et recherchent de préférence ces petits endroits où ils trouvent d’amples provisions de garçonnets et de fillettes que l’agent leur vend sans scrupule, oubliant qu’en leur qualité de vassaux, ces enfants font partie du domaine dont eux, vékils, sont les gérants.

Empruntons les lignes suivantes à Tremeaux[66]  :

« … A la suite du convoi venaient quelques Djellabas : ceux-ci conduisaient principalement des femmes et des enfants. Les pauvres créatures, étant plus faibles, les liens étaient moins rigoureux ; quelques-unes étaient placées sur des charges de chameaux, d’autres cheminaient et même portaient quelques effets. Mais ce qui était surtout pénible à voir, c’était l’expression des sentiments dont étaient empreints les visages de ces pauvres créatures. Elles jetaient de temps en temps des regards désolés sur les montagnes natales qui allaient bientôt dis-paraître pour jamais. Ah ! quelle tristesse ! quels regrets ! Les enfants seuls pouvaient les manifester par des larmes que venaient refouler la menace et, au besoin, la kourbache[67] du Djellab. Quant aux autres, nous n’essaierons pas de peindre leur douleur, les paroles sont trop froides pour de telles situations. »

Notre compatriote vit, sous ses yeux, un Djellab arracher violemment à sa mère une cédaci (jeune fille) que l’amour filial avait portée à s’enfuir. La malheureuse, se tordant par des mouvements convulsifs, garrottée et bâillonnée, fut hissée derrière un chameau et attachée par son ravisseur comme un simple colis !

« Au moment où je me disposai à m’éloigner, écrit-il, je vis la pauvre mère se redresser tout à coup sur ses bras mutilés, le regard anxieusement tourné vers un point fixe ; elle venait de revoir sa fille sur le chameau du Djellab, remontant l’autre rive après avoir traversé le gué du fleuve[68]. Ses yeux blancs vitreux s’ouvrirent comme s’ils eussent voulu sortir de leur orbite noire : elle tendit la main de ce côté et un cri aigu, prolongé et déchirant, s’échappa de sa poitrine. A cet instant, sa fille disparaissait pour toujours !…

« Cette scène, où tout était amour et malheur d’un côté, arbitraire et iniquité de l’autre, démontre chez le nègre un esprit de famille plus développé que ne veulent le croire ses exploiteurs. Michelet a-t-il eu tort en disant de cette pauvre race tant calomniée, qu’elle était la race du sentiment ? »

Encore quelques lignes du même auteur et voyageur :

« … Dans cette plaine[69], nous vîmes poindre à l’horizon devant nous quelque chose qui paraissait animé : l’objet sembla grandir et changer de forme. Après plusieurs heures de marche nous reconnûmes un convoi d’esclaves… J’arrêtai mon chameau pour mieux observer cette triste procession ; nos chameliers échangèrent sans s’arrêter quelques paroles avec les Djellabas, qui conduisaient ces nouvelles recrues de l’esclavage. Ces malheureux cheminaient péniblement sur le sable, sous la surveillance de leurs conducteurs, qui, à coups de kourbache, ranimaient ceux dont l’épuisement ralentissait la marche. Il y en avait de tout âge, de tout sexe ; les jeunes filles seules ne marchaient pas ; elles étaient groupées quatre par quatre sur des chameaux, ainsi que quelques-uns des plus jeunes garçons.

« Je remarquai, particulièrement, un homme d’un certain âge, dont la barbe courte et déjà grisonnante se dessinait en blanc sur sa figure noire. Ce pauvre diable ruisselait de sueur et marchait en avant de la kourbache du Djellab qui avait déjà laissé de nombreuses traces de poussière blanche sur ses épaules noires et nues. Ses genoux fléchissaient sous lui et, de moment à autre, il prenait un petit trot chancelant pour suivre le pas simple de ses compagnons. Je fis signe au Djellab d’échanger la position du vieillard avec celle d’une jeune fille vigoureuse qui était sur un chameau : un balancement négatif de la tête fut sa seule réponse. Pourtant ailleurs, un enfant épuisé criait en se laissant traîner par la main d’un nègre plus vigoureux que lui ; un Djellab le prit et le jeta sur un chameau. Pourquoi le vieillard était-il sacrifié plutôt que la jeune fille ? Hélas ! il s’agissait de conserver plus fraîche cette partie de la marchandise, tandis que le malheureux vieillard, lui, ne valait guère plus la peine qu’on se donnait pour lui faire traverser le désert… »

Pendant des années les officiers et soldats Égyptiens furent les plus acharnés des négriers. Les lettres adressées du Soudan à Lejean, en 1864, sont formelles à cet égard. Elles dénoncent Mouça-Pacha, gouverneur de cette province, et Ahou-Sin, chef des Choukrié. Elles parlent d’eunuques opérés à Khartoura puis expédiés, en Égypte, par Mouça ; elles mentionnent les razzias d’esclaves opérées sur les frontières de l’Abyssinie ; elles relatent la chasse à l’homme, chez les Chelouks[70], conduite par le préfet égyptien Mohammed-Kher. Leur auteur ajoute, avec raison : « Si tout cela se fait avec la protection du gouvernement, que ne feront pas les particuliers au Bahr-El-Ghazal, au Saubat, au Niambara[71] ? » Les chefs du Sennaar furent taxés à un certain chiffre de têtes d’esclaves, etc. Pendant ce temps, le gouvernement Égyptien trompait l’Europe et annonçait la répression exemplaire du commerce qui déshonorait le Soudan.

Lejean raconte que les sujets égyptiens venaient enlever les petits enfants jusqu’aux environs de Massaouah. Ils s’en prenaient surtout aux Bogos dont la race est remarquablement belle de formes, souple et intelligente.

Triste retour des choses d’ici-bas : les rebelles s’emparèrent de Kassala, capitale du Taka (Haute-Nubie), au mois d’octobre 1865, et y commirent des atrocités : ils forcèrent les femmes du harem du commandant à manger le foie, cru et préparé en marara, de cet officier ; puis, ils jetèrent toutes vives, dans des puits, ces malheureuses, sans épargner leurs enfants. Les mêmes cruautés furent exercées sur dix-sept ofBciers, que l’on écharpa, hacha en menus morceaux et entassa dans des jardins[72].

Les négriers du Fezzan amènent de Kouka et introduisent à Mouzouk, leur capitale, une grande quantité de bétail humain. « Et, dit M. d’Estrées dans le journal Paris, les agents turcs touchent une prime de dix francs par tête. » Les malheureux esclaves entrent en ville pendant la nuit.

Les Filanis (Musulmans), à qui appartient toute la rive droite du Binoué ou Bénué[73], font le commerce des esclaves et considèrent cette institution comme sacrée.

Il y a longtemps déjà que Burton dénonçait les Flibustiers de Zoungomero[74] « qui, le sabre ou la lance au poing, l’arc tendu ou le Fusil sur l’épaule, s’établissent dans les maisons, prennent les femmes et les enfants, s’emparent de tout, mettent le feu aux villages et vendent les habitants à la première caravane qui passe. On est sur le sentier de la traite et, quel que soit le degré de misère des indigènes, le voyageur ne peut pas leur témoigner sa pitié ; il ne trouve d’aliments à aucun prix ; s’il n’entre de vive force dans une case, il restera sans abri malgré l’orage ; s’il ne brûle et ne pille, il mourra de faim au milieu de l’abondance ; s’il n’impose pas de corvée, on ne lui prêtera nul secours. »

Nous ne saurions trop nous élever ici contre la manière d’agir de Burton. Stanley aussi a cherché à pénétrer dans le Continent mystérieux par le fer et par le feu ; les traces de son passage y sont éternellement marquées avec du sang, tandis que la devise de la France, le mot de passe des Giraud, Duveyrier, Soleillet, de Brazza, Douls, Trivier, Binger, etc., est et ne sera jamais que Paix et Liberté, ainsi que le constate fort justement le Journal des Voyages (19 janvier 1890).

Une race nouvelle a fait tout récemment son apparition dans le Soudan, une race d’hommes ignorant d’où ils venaient, qui ils étaient. Ils arrivaient de l’ouest, c’est tout ce qu’ils savaient sur leur origine. On les nomma Foulanes. Musulmans accommodant le Koran à leur manière, ils furent très mal accueillis par les Fétichistes Haouassas, Mandingues et Peuhls. Exposés d’abord aux persécutions des nègres, ils finirent par l’emporter sur eux grâce à leur nombre. Conduits par Bellou, qui devint sultan, les Foulanes se révoltèrent et s’emparèrent du Haouassa ainsi que des contrées adjacentes, réduisirent à l’esclavage leurs tyrans et vendirent tous ceux d’entre eux qui refusèrent d’embrasser l’Islam.

« La conquête du pays par cette race supérieure, dit Largeau, n’est pas encore achevée : le fils de Bellou poursuit les nègres partout où ils sont encore indépendants. Tous ceux qu’il prend, il les partage en deux catégories : les vieux qu’on massacre sur-le-champ, et les jeunes destinés à être vendus ; mais si, pour une cause ou pour une autre, les vainqueurs ne peuvent trouver l’écoulement de cette marchandise humaine, tous les prisonniers sont égorgés sans distinction.

« On a fait de même dans les contrées avoisinant le golfe de Guinée, où les peuplades nouvelles tendent parfois à se substituer à d’autres[75]. »

Si les Caravanes de Ghadamès ou Rhadamès[76] conduisent au Soudan les produits européens ou des Pays Barbaresques[77] tirés de Tripoli, commerce qui a lieu par Rhat[78], elles reviennent à leur point de départ avec des cuirs, des peaux, des tissus de coton, des plumes d’autruches, de l’ivoire, des nattes, du musc, du miel, de la cire, de la corne et des esclaves.

Largeau estime qu’il entre annuellement à Ghadamès au moins cinq cents esclaves des deux sexes.

Schweinfurth visita, dans le Haut-Nil, les établissements du négrier Ghattas, copte habitant Khartoum. Ces zéribas étaient situées sur les tributaires du Bahr Tondj, affluent du Nil Blanc, à l’est-sud de ceux de Kourchout-Ali.

A la côte des Dents, non loin du cap des Palmes (Afrique occidentale), la polygamie est générale chez les Grébos. Au retour de chaque expédition, ces indigènes achètent une femme. Les Grébos naissent libres. L’esclavage, chez eux, est doux ; l’esclave, acheté vers l’âge de dix ans, provient de l’intérieur et a parcouru a petites journées la distance qui sépare la côte. de l’intérieur. Le commerce des jeunes esclaves est florissant dans cette région. Occupé à cultiver la terre, l’esclave est traité avec assez de soin par ses maîtres qui lui achètent une jeune fille lorsqu’il est devenu homme. Il est soumis à la servitude durant toute sa vie, mais ses enfants sont libres.

Kourchout-Ali, dont nous écrivions le nom il n’y a qu’un instant, avait, à l’époque du voyage de Schweinfurth, plusieurs zéribas chez les Djiours.

Comme Ghattas, il habitait Khartoum. Sir Samuel White Baker, lors de sa campagne pour la répression de la traite, gêna beaucoup les opérations de ces deux négriers et de leurs agents.

Bolognesi nous fournit un épisode de la traite faite par les Khartoumiens :

Divers négociants de Khartoum, revenant du pays des Rools, où ils avaient brûlé plusieurs villages, et descendant le fleuve avec des esclaves, arrivèrent un matin au comptoir des Djiours, où se trouvait le voyageur. Les Djiours s’apprêtèrent à leur tenir tête et, commandés par Akondit, se placèrent en dehors du village pour examiner les nouveaux venus.

Bolognesi fit hisser le drapeau anglais et déclara qu’il était disposé à lutter avec les indigènes contre les traitants si ceux-ci tentaient un mouvement offensif.

L’un des négociants s’approcha et pria Bolognesi de panser un blessé qui avait reçu une balle dans l’avant-bras ; il se plaignit aussi de ce que les noirs se refusaient à porter au convoi les vivres nécessaires. Bolognesi lui déclara que s’il avait eu des forces suffisantes, il aurait tenté d’enlever sa cargaison humaine et lui intima Tordre de se tenir à distance et de ne pas quitter son camp.

Dans l’après-midi, le convoi se remît en route. Les noirs étaient attachés à la suite l’un de l’autre avec des courroies de peau de bœuf desséchée qui leur entouraient le cou, en sorte que ces malheureux étaient dans un état de malaise et de malpropreté facile à comprendre. La kourbache jouait aussi son rôle.

Livingstone traverse le pays des Makoas, dans le Haut-Rouvôuma[79] et il écrit dans son journal :

« … Passé aujourd’hui près d’une femme attachée à un arbre et par le cou : elle était morte. Les gens du pays racontent qu’elle ne pouvait suivre la bande (d’esclaves dont elle faisait partie) et que le marchand n’a pas voulu qu’elle devînt la propriété de celui qui la trouverait si le repos venait à la remettre. Une autre avait été poignardée, ou tuée d’une balle..

« … Un des nôtres s’est écarté du chemin et a trouvé une quantité d’esclaves, la fourche au cou et abandonnés par l’acheteur faute de nourriture. Ils n’avaient plus la force de parler. Quelques-uns étaient très jeunes…

« … Vu une autre femme liée à un arbre, où elle était morte… Il y a sur le chemin tant de fourches à esclaves que je soupçonne les habitants de les libérer et de les recueillir pour les revendre. »

Dans un récent entretien qu’il a eu avec un journaliste français, le major Serpa Pinto donna de curieux renseignements sur les Makololos et leur roi :

« La mission que m’avait confiée le gouvernement en 1889, dit-il, avait un but purement scientifique. J’étais chargé d’abord d’accompagner une commission qui devait se livrer à l’étude d’un chemin de fer sur le Chiré, dans la partie où, à cause des rapides, il n’est pas navigable. Cette partie occupe, immédiatement au-dessus de Catonga, une longueur de 75 kilomètres environ. J’avais une escorte de 500 hommes. Je devais en laisser 200 avec la commission du chemin de fer et me rendre, avec les 300 autres, dans le district de Tété, pour explorer certains cours d’eau. Le chemin de fer projeté était destiné à relier, avec l’Océan, une mission portugaise établie, il y a quelques années, après, entente avec moi, par le cardinal Lavigerie à M’ponda, au sud du lac Nyassa. Cette mission comprend non seulement des religieux, mais encore des soldats portugais à la solde de notre gouvernement. Je dois vous dire que les territoires indiqués sur nos cartes sont si bien portugais qu’ils sont administrés par des gouvernements subalternes dépendant du gouvernement central de Mozambique et distribués, dans les districts de Quelimane, Têté, Lourenço-Marquès, Cap Delgado, Angoche et Inhambane. Comme à M’passo, par exemple, où j’ai livré bataille aux noirs révoltés, on y trouve des gouverneurs, des juges, en un mot des autorités légalement constituées par le gouvernement de la métropole.

« A mon arrivée à M’passo, je fus prévenu que les Makololos, qui occupent sur le Chiré, entre la rivière de Ruo et Catonga, un territoire d’une centaine de kilomètres de diamètre, devaient s’opposer à mon passage. Les Makololos sont féroces, querelleurs, et se livrent fréquemment à des incursions sur les autres territoires pour pratiquer la traite des esclaves. Ils avaient terrorisé à un tel degré les paisibles populations des environs qu’elles refusaient de me livrer, à un prix double de celui qu’on leur paye habituellement, la farine et les vivres nécessaires à la subsistance de mon escorte. A ce moment, les Makololos avaient pour roi un homme d’une férocité inouïe, ivrogne accompli ; chaque après-midi, il venait cuver son alcool sur les bords du Chiré. Là, il conversait avec les nombreux crocodiles qui, dès son apparition, ouvraient avec avidité leur gueule au-dessus de l’eau.

« — Puisque vous venez me rendre visite, leur disait l’ivrogne, je vais vous récompenser de votre politesse. »

« Et il se faisait apporter un enfant qu’il jetait en pâture aux crocodiles, prenant grand plaisir à les voir déchirer et se disputer cette chair d’innocent. Si la mère de l’enfant se lamentait ou se plaignait, il la jetait, à son tour, dans la rivière.

« Je connaissais l’abominable cruauté de ce roi ; néanmoins, je ne lui aurais pas fait la guerre s’il ne s’était pas opposé à l’accomplissement de ma mission. Me voyant dans l’impossibilité de continuer ma route, et mon escorte étant trop faible pour engager la lutte avec les 14,000 sujets de ce tyran, je retournai à Mozambique, afin d’informer mon gouvernement des obstacles que je rencontrais. Je reçus l’ordre de faire le nécessaire pour aller de l’avant. En octobre 1889, je quittai Mozambique pour revenir sur les bords du Chiré, après avoir levé dans le Bas-Zambèze 6 à 7,000 Cafres et emporté des armes et des canons. Je passe sur les préparatifs de la rencontre qui eut lieu le 8 novembre. Les Makololos m’attaquèrent en masse à M’passo, sur les deux rives du Chiré où je m’étais fortifié. Ils étaient armés de fusils à tir rapide ; et si leurs pertes ont été considérables, en revanche, ils ont réussi à faire beaucoup de mal à mes troupes. Je les croyais en fuite, quand je les vis revenir précédés de deux d’entre eux qui portaient chacun un drapeau anglais. Je ne m’arrêtai pas à ce subterfuge dont je devinai l’origine. Le combat s’engagea de nouveau. Mes Cafres tuèrent les deux porteurs de drapeaux et s’emparèrent des deux étendards ; ce que voyant, les Makololos s’enfuirent pour aller se reformer au delà du Ruo, à son confluent avec le Chiré, dans une très forte position d’où je les ai délogés quelques jours plus tard. Après cette dernière défaite, ils m’ont fait leur soumission, et j’ai envoyé dans tout leur pays des officiers de marine^ avec de petits corps de troupes, qui ont achevé de le pacifier. Le roi avait trouvé la mort dans le combat. Partout cette mort fut célébrée comme une délivrance. »

Afin de se défaire de son ivoire, Giraud est obligé d’aller au boma d’un négrier arabe, Makutubu, qui avait comme escorte une vingtaine de bandits Rougas-Rougas et se trouvait en guerre avec l’un de ses voisins.

Vers minuit, une douzaine de coups de fusils furent tirés précipitamment contre le borna ; l’un des assaillants tomba, percé d’une balle, à Tune des portes de la palissade.

Le matin, Giraud fut réveillé par de longs cris poussés par la multitude : « La petite cour placée devant le tombé était pleine de monde, dit-il. Au centre d’un cercle, la tète du malheureux, sciée à coups de couteau, était plantée sur un piquet à un pied de terre et la foule en délire se livrait autour de ce trophée à une ronde échevelée sous une pluie battante. De temps à autre une femme, un enfant, sortait du groupe, s’approchait de cette tète livide, lâchant une ignoble plaisanterie, puis rentrait dans la ronde au milieu d’un hourra frénétique. Comme j’arrivais, une vieille négresse, au torse nu, venait de la saisir par les cheveux, un instant elle la balança à bout de bras, puis la lança à quelques pas, où elle bondit avec de sanglantes éclaboussures. Et la foule de se ruer en rugissant. « Les enfants s’amusent ! » me dit Makutubu, qui regardait la scène d’un œil paterne, sous un vieux parapluie en grosse toile huilée » [80].

Les Mandingues, qui habitent sur les bords du Haut-Niger, achètent de deux à quatre femmes, qui valent environ soixante-cinq francs en marchandises.

Dans le Manyèma régnent la polygamie et l’esclçivage dans toute leur horreur[81].

On ne peut fixer même d’une manière approximative, le nombre des esclaves au Marok. Dépasse-t-il celui des Juifs, qui est de soixante mille ? Chaque année des caravanes organisées par des Arabes et des Maures des environs de Marakech[82], ramènent du sud et mettent en vente les esclaves nécessaires pour combler les vides. *

La nation des Matabélés (Haut-Zambèze) se recrute en grande partie par la guerre et la maraude chez les nations voisines. Chaque année, les Impis, corps de volontaires, amènent des contrées limitrophes, avec les troupeaux de gros bétail, de nombreux enfants des deux sexes, depuis un an jusqu’à deux ans, dont les pères ont été massacrés et les mères réduites à l’esclavage ; plus tard les garçons sont incorporés dans la nation et les jeunes filles données en mariage aux Indunas (chefs).

Les femmes sont traitées comme des esclaves et condamnées aux plus rudes travaux.

Mchiri, chef du Katannga[83] avait réuni autour de lui plusieurs de ses compatriotes[84] et des traitants de la côte Orientale ; il s’était procuré des armes à feu et se livrait à la chasse des nègres. Verney Hovett Cameron prétend que des Portugais lui servaient d’auxiliaires[85]. Au retour, le butin humain était partagé en proportion du nombre des fusils fournis parles associés. Les esclaves étaient ensuite conduits à la côte près de Benguéla et embarqués pour l’Amérique du Rud.

Non loin des grandes chutes de Karuma, au Mkidi, le roi Kamrasi, après une expédition, fit décapiter et jeter dans la Kafu, affluent du Nil Blanc une centaine de prisonniers[86].

Schweinfurth fait ainsi le portrait des négriers qu’il trouva chez Zîber, sur le Ngokkou, affluent du Mong[87] : « Ces brocanteurs de chair humaine, sales et déguenillés, accroupis dans tous les endroits libres et veillant sur leur butin comme les vautours sur un chameau tombé au désert ; le son aigu de leurs voix rudes, criant leurs prières blasphématoires ; ces Turcs paresseux et cuvant leur ivresse, plus encore une foule oisive et agitée couverte de crasse et de plaies immondes : maladie de la peau, tourbillons d’où s’échappaient des odeurs cadavériques, constituaient l’ensemble le plus révoltant. »

Les négriers du Haut-Nil se dirigent généralement dans les états de Moflô, le plus puissant des chefs Niams-Niams[88], auquel les Djellabas ont fourni des armes à feu assez nombreuses pour qu’il ait pu former un corps redoutable de fusiliers. Ce chef possède une quantité inépuisable d’esclaves. Tous les ans il vend des milliers de captifs.

Les Mzaramas[89] font la chasse à l’esclave afin de pouvoir satisfaire leurs goûts pour la parure !

L’Eliüa ji N’Komis est une immense nappe d’eau s’étendant du nord au sud, à quelque distance de l’Océan Atlantique, entre les caps Lopez et Sainte-Catherine, au sud de l’Ogôoué, au Congo. Parsemée d’îles nombreuses, entourée de plaines, de forêts, de sites ravissants, cette nappe d’eau attira les N’Komis, peuplade jalouse à l’excès de son territoire et de sa nationalité.

Les N’Komis ont un roi qui commande à tous les autres chefs et un tribunal régulier siège dans la plus grande île du lac.

Le 8 juillet 1887, le roi Oïari Re Ngondo a publié une seconde édition de son code pénal. Citons-en quelques articles :

« Celui qui tuera sera tué ou livrera un de ses neveux, ou à défaut de neveu, vingt, trente et quelquefois cinquante esclaves, selon la dignité du défunt.

« Celui qui blessera avec le sabre, sauf le cas de légitime défense, aura les oreilles et le nez coupés.

« Celui qui volera aura une oreille ou les deux oreilles coupées, selon la gravité de la matière, sans compter la restitution. »

Ces lois inculquées aux enfants dès leur plus bas âge sont appliquées dans toute leur rigueur.

Les femmes sont les grandes féticheuses ; les hommes sont assez doux de caractère, rieurs, causeurs, au fond peu méchants.

Les chefs Okandas[90] ne prennent guère plus de deux à trois femmes. De Brazza constate la diminution de cette race par suite des habitudes relâchées des femmes et de la pratique de l’avortement ; comme il leur est défendu d’avoir plus d’un enfant en trois ans, la décroissance de la population est rapide et augmentée encore par les massacres auxquels se livrent les M’fans Osseybas ou Pahouins anthropophages.

De Brazza rejoint, dans l’Ogôoué, par une flotte d’Adoumas et d’Okandas, vers Boundji, non loin de Nghemé, capitale de l’Adouma, dit :

« Il me faut une naïveté constante de bon vouloir pour ne pas remarquer la troupe d’esclaves que ramènent nos Okandas. Ces malheureux, au nombre de quatre-vingts, ont tous les mains prises dans un carcan de bois ; ni vieillards, ni enfants en bas âge ne sont exempts de cette sorte de cangue. Mon intervention les affranchit de ce supplice, mais le temps n’est point encore venu de tenter une libération[91]. »

A Lopé cependant, de Brazza, au moment de la clôture du marché, acheta ceux des esclaves qui le désirèrent : ils se présentèrent au nombre de dix-huit seulement ; les autres, dans leur crainte superstitieuse des Blancs, préférèrent rester aux mains de leurs maîtres et s’en aller, avec eux, dans des pays d’où ils ne reviendront jamais.

Peut-être croyaient-ils, comme les naturels du Donhon (Fouta-Djallon : Afrique Occidentale), que les blancs mangent les noirs. Quelques Foulahs ont bien osé, devant Lambert, préciser les détails les plus circonstanciés de nos prétendus festins de cannibales. Ils y faisaient figurer une cloche et une grande marmite.

Lambert conclut ainsi, d’une manière qui nous semble fort rationnelle : « J’ai entendu attribuer ces bruits à la malveillance des Marabouts noirs, qui voudraient éloigner de nous leurs néophytes ; ne sont-ils pas plutôt la conséquence naturelle de la traite des esclaves et de l’effrayante consommation d’Africains que cette infâme institution a faite depuis trois siècles ? Sur les deux cents millions de nègres achetés par l’Amérique pendant cette période de temps, combien sont rentrés sur le sol natal pour y témoigner de l’emploi auquel les avaient destinés les marchands de chair humaine[92] ? »

Marche, qui parcourut l’Okanda, de même que de Brazza, a pu voir comment l’esclavage y était pratiqué, et dit :

« Tous les esclaves mâles ont au pied une bûche dans laquelle on a fait un trou assez grand pour que la cheville puisse y entrer, puis on rétrécit l’ouverture en enfonçant un morceau de fer au milieu, afin que le pied ne puisse plus repasser. Pour marcher, ce qui leur serait impossible de faire sans se blesser, ils supportent cette bûche par une corde attachée à chaque bout, ce qui les fait ressembler à des forçats traînant leur chaîne et leur boulet. Quelques-uns des plus robustes, ceux qu’on craint de voir s’enfuir quand même, ont les mains passées dans une planchette qui forme comme un diminutif de la cangue ; ce sont les plus malheureux : obligés de se tenir toujours dans la même position, leurs souffrances doivent être intolérables. Les femmes et principalement les enfants sont libres. Tout ce monde n’avait pas l’air de se plaindre de son sort. Un seul vint me demander protection ; mais, comme je n’avais pas assez de marchandises pour le payer, je me contentai de prévenir son propriétaire que la première fois qu’il le frapperait, je le lui rendrais au centuple. Ce n’est pourtant pas que les noirs frappent généralement leurs esclaves ; ils craignent trop que la marchandise ne soit détériorée, et de plus que ceux-ci ne les empoisonnent, chose qui serait, en somme, assez facile et dont ils ont horriblement peur. Tout cela rit et joue ; ils sont enchantés du peu de tabac que je leur donne et qu’ils fument parfaitement sans vouloir que leurs maîtres en usent.

« La petite vérole sévit dans le pays depuis deux mois ; elle a été apportée par les Okandas qui ont remonté avec M. de Brazza ; déjà dix de ces malheureux ont succombé ; d’autres sont gravement atteints. Du reste presque tous ceux qui en sont atteints en meurent. J’ai toutes les peines du monde et je ne réussis pas toujours à empêcher les parents et les amis de conduire, au point du jour, leurs malades prendre un bain froid dans la rivière, remède qui achève invariablement le patient. Pendant mon séjour à Lopé, une esclave s’en alla ainsi prendre un bain, et fut retrouvée, une heure après, morte sur la rive. Les Okandas n’ont pas peur de la petite vérole, « car, disent-ils, nous l’avons eue et maintenant il n’y a que nos enfants qui aient à la craindre. » Je cherchai à savoir qui avait pu leur enseigner cela ; ils l’avaient appris par expérience. Ici, depuis son arrivée, la maladie a causé énormément de ravages. Dans le camp est un vieil esclave prêt à mourir : tous ses compagnons d’esclavage lui font endurer mille tourments : ils lui retirent sa natte quand il veut dormir, se moquent de lui quand il se traîne pour aller boire ; ils ne comprennent pas, tout en m’obéissant, pourquoi je leur fais des reproches et leur défends de tourmenter ce malheureux, captif comme eux, et qui souffre ce qui pourra leur arriver demain. D’autres esclaves presque aussi malades sont emmenés, parmi lesquels une femme dont je parlerai plus loin. »

« Les femmes esclaves sont presque toutes vieilles et se disputent comme de vraies mégères ; deux, entre autres, s’administrent une volée homérique, s’arrachent les lambeaux d’étoffe que leur maître a bien voulu leur laisser, se mordant, se prenant aux cheveux ; les autres les entourent et rient à gorge déployée ; je dois prendre un bâton pour les faire cesser, car le sang commence à couler.

« 19 juin 1877. — Cette nuit, les Okandas n’ont pas dormi. Ils ont changé les entraves des esclaves, réuni les moutons. Ce matin ; dès avant le jour, on débarrasse les hommes de la bûche qu’ils ont au pied ; on leur attache autour des reins une corde qui doit les amarrer à la pirogue, aussi bien pour les empêcher de se sauver que pour qu’ils soient, en cas d’accident, retenus à la pirogue et ne puissent être entraînés par le courant.

« On abandonne le vieil esclave dont j’ai parlé, et les Adoumas d’en face viennent le reprendre. Nous ne nous arrêtons qu’à quatre heures, après avoir passé les rapides de Bouangi. Nous voici donc chez les Osseybas. Tout le long de la route, nous avons rallié d’autres pirogues chargées d’esclaves… Pendant que je veille à la cuisson de mon repas, on vient me prévenir qu’on va jeter à l’eau une femme esclave atteinte de la petite vérole et encore vivante. Je hèle la pirogue, les hommes qui la montent font la sourde oreille ; je prends mon fusil, à cette vue ils s’empressent d’accoster ; je leur demande ce qu’ils vont faire de cette femme. « Tu vois bien, me disent-ils, qu’elle va mourir avant deux ou trois jours, elle est horriblement couverte de mal et peut le communiquer à ses compagnons. Nous ne voulons pas la donner à d’autres et nous allons la noyer, — pas devant toi, ajoutent-ils ; — derrière l’île, pour que tu ne la voies pas. » Je saute dans la pirogue, et je les oblige à aller accoster à la rive opposée et à débarquer la femme qui est dans l’impossibilité de se mouvoir ; les hommes qui la sortent de l’embarcation se couvrent de feuilles afin de ne pas la toucher directement. Du reste, elle est horrible à voir ; je lui fais donner des provisions et elle reste là. Quand je reviens au camp, tout le monde se moque de moi. surtout les esclaves. « Comment, me disent-ils, toi qui es un grand chef, un blanc, tu t’occupes d’une femme, et d’une esclave ? Ce n’est pas ton affaire, on ne s’occupe pas de cela. » J’essaie vainement de leur faire comprendre que les blancs regardent tous les hommes comme leurs frères et qu’ils ont toujours pitié de ceux qui souffrent, je termine mon discours en déclarant que quiconque fera du mal à cette femme aura affaire à moi.

« 20 juin. — Nous partons au point du jour. Un moment après, je m’aperçois qu’un Osseyba a pris la femme variolée dans une petite pirogue où elle est étendue ne donnant presque plus signe de vie ; je demande pourquoi il l’emmène, on me répond que, puisqu’elle n’est pas morte cette nuit, elle peut vivre encore deux ou trois jours, assez pour être vendue…

« Nous arrivons aux rapides dangereux. On débarque les esclaves. Une partie des Okandas descend à terre. Les esclaves sont tenus par leurs propriétaires au moyen de la corde qui sert à les amarrer dans la pirogue ; pourtant ces malheureux ne songent guère à se sauver. D’un côté, il est vrai, leurs maîtres les conduisent en esclavage ; mais, de l’autre, s’ils fuyaient, ils tomberaient entre les mains des Osseybas qu’ils savent anthropophages et sur le compte desquels leurs possesseurs ont bien soin de leur raconter force histoires plus effrayantes les unes que les autres. A cinq heures, nous arrivons à la chute de Bôoué…[93] »

« 22 Juin. — Parti à sept heures. Nous entrons dans la région Okanda. Aussi tous les hommes sont en grande toilette et tirent force coups de fusils pour célébrer le retour. A mesure qu’une pirogue arrive devant son village et se détache de la flotille, les femmes accourent, sautent au cou de leurs maris, et leur administrent force tapes amicales sur les épaules : Chaamba ! Chaamba ![94] puis leur demandent immédiatement ce qu’ils apportent. Ceux qui ont des esclaves les montrent. Elles se précipitent sur eux, les palpent, les emmènent par leur corde quand ce sont des hommes ou des femmes, quand ce sont des enfants, les prennent dans leurs bras et les conduisent au village…

« Pendant mon séjour à Lopé, je vis arriver dans une cabane en ruine et abandonnée, une malheureuse dont le corps, envahi par une horrible nécrose, semblait en partie momifié ; les bras et les jambes étaient réduits à l'état d’un squelette, les doigts des pieds desséchés, raccornis et tombés en partie, avaient l’aspect du cuir brûlé, et le corps présentait sur plusieurs points des taches de décomposition. J’eus toutes les peines du monde à forcer mes interprètes à lui parler, tant ils craignaient de gagner sa maladie. J’appris que cette malheureuse était la femme d’un chef de village, qu’elle était chassée de partout, et que personne ne voulait rien lui donner. J’envoyai chercher les gens de sa famille. Je leur dis que je n’entendais pas que cette femme restât ainsi à l’abandon et qu’il fallait l’emmener. « C’est bien, dirent-ils, nous allons le faire. » Comme ils s’éloignaient, je pensai à leur demander où ils allaient la conduire. « Mais, me dirent-ils, nous allons la jeter à la rivière ; que veux-tu que nous en fassions ? elle va bientôt mourir, personne ne veut la soigner. » Celui qui me donnait si froidement cette explication n’avait pas réfléchi qu’il se trouvait à la portée de mon pied, il s’en aperçut trop tard. Je lui déclarai que si quelqu’un touchait à cette malheureuse, je lui ferais suivre le même chemin, que je la prenais sous ma protection, et que je me chargeais de lui donner du feu et à boire.

« Cette femme vécut encore quatre jours. Quand elle fut morte, les misérables qui n’avaient pas voulu lui donner un peu d’eau eurent le courage d’aller arracher au cadavre le lambeau d’étoffe qui lui restait autour des reins et d’enlever les provisions qu’elle n’avait pu manger ; mais aucun de ceux qui voulaient la jeter vivante à la rivière ne voulait y porter son corps, je dus employer la menace[95]. »

Tandis que de Brazza explorait le cours de l’Ogôoué, en 1876, les Oubambas ravageaient la rive du fleuve opposée à la leur. Tout ce qui tombait en leur pouvoir, hommes, femmes, enfants, était pris et vendu, soit aux Adoumas de l’ouest, soit aux Bakékés de l’est. Les Oubambas allaient jusqu’à céder les femmes qui ne leur plaisaient plus.

Speke fait le récit de son séjour à la cour du roi Mtésa, l’un des chefs de l’Ouganda[90] :

« … Dans ce milieu d’esclavage sans limite et de despotisme sans frein, dit-il, le sort de ces femmes (femmes de Mtésa) tourne souvent au tragique… Me croira-t-on cependant si j’affirme que, depuis mon changement de résidence, il ne s’est pas passé de jour que je n’aie vu conduire à la mort quelquefois une, quelquefois deux, et jusqu’à trois ou quatre de ces malheureuses qui composent le harem de Mtésa ? Une corde roulée autour du poignet, traînées ou tirées par le garde du corps qui les conduit à l’abattoir, ces pauvres créatures, les yeux pleins de larmes, poussent des gémissements à fendre le cœur : « Hai, minangé ! (mon seigneur !), « Mkama ! (mon roi !) Hai ri gawia (ma mère !), » et malgré ces appels déchirants à la pitié publique, pas une main ne se lève pour les arracher au bourreau, bien qu’on entende çà et là quelque spectateur préconiser à voix basse la beauté de ces jeunes victimes sacrifiées à je ne sais quelle superstition ou quelle vengeance…

« Quand un Mkungu[96], dont la fille est jolie, a commis quelque faute, il peut céder cette fille au roi pour éviter d’être puni ; que quelque souverain du voisinage ait une fille assez bien douée pour que le roi de l’Ouganda la désire, il devra la livrer à titre de tribut. Les Ouakungu reçoivent leurs femmes de la main du monarque, selon leurs mérites ; et ces femmes sont ou des captives faites à la guerre, ou des épouses d’officiers récalcitrants. Cependant la femme ne constitue pas ici, en général, une propriété, bien que des pères échangent souvent leurs filles et que des maris vendent comme esclaves ou livrent à la flagellation et aux travaux les plus serviles, les épouses dont la conduite laisse à désirer… »

Speke demandait à l’un des officiers de Mtésa pourquoi le nombre des femmes était aussi considérable :

« Le roi, répondit-il, nous les donne pour soutenir notre rang… Il lui arrive de nous en donner cent à la fois et tout refus est impossible ! Nous sommes libres seulement de faire d’elles à notre gré, soit des épouses, soit des domestiques »

Speke retrouve Mtésa sur le côté occidental de la crique Murchison, et dit en parlant de lui :

« Au surplus, il menait de front les affaires et le plaisir, car un instant plus tôt, rencontrant une femme qui, les mains garrottées, marchait au supplice pour un délit quelconque — sur lequel je n’ai pu obtenir de renseignements, — il a fait l’office de bourreau, et du premier coup de carabine l’a étendue morte sur la route

« Une fois à terre, on débuta par un pique-nique où le pombé ne fut point épargné : puis le cortège se mit à circuler dans une espèce de verger qu’il moissonnait gaiement, chacun paraissant animé des meilleures dispositions, lorsqu’une des femmes du roi — charmante créature par parenthèse — eut la malheureuse idée, croyant lui être agréable, de lui présenter un fruit qu’elle venait de cueillir. Aussitôt, comme pris d’un accès de folie, il entra dans la plus violente colère : « C’était la première fois, disait-il, qu’une femme s’était permis de lui offrir quelque chose ; » et là-dessus, sans alléguer d’autre motif, il enjoignit à ses pages de saisir la coupable, de lui lier les mains et de la faire exécuter sur-le-champ.

« A peine ces mots prononcés, tous les jeunes drôles à qui le roi s’adressait déroulèrent en un clin d’œil les turbans de corde qui ceignaient leurs têtes, et, comme une meute de bassets avides, ils se précipitèrent sur la belle créature qui leur était livrée. Celle-ci, indignée que de pareils marmots se crussent autorisés à mettre la main sur sa personne royale, essaya de les repousser comme autant de moucherons importuns, tout en adressant au roi des remontrances passionnées ; mais en peu d’instants ils l’eurent saisie, renversée, et, tandis qu’ils l’enchaînaient, l’infortunée nous adjurait, le kamravioua et moi, de lui prêter aide et protection. Lubrega cependant, la sultane préférée, s’était jetée aux genoux du roi, et toutes ses compagnes, prosternées autour de lui, sollicitaient le pardon de leur pauvre sœur. Plus elles imploraient sa merci, plus semblait s’exalter sa brutalité naturelle, jusqu’à ce qu’enfin, s’armant d’une espèce de massue, il en voulut frapper à la tête sa malheureuse victime…

« J’avais le plus grand soin, jusqu’alors, de n’intervenir dans aucun des actes arbitraires par lesquels se signalait la cruauté de Mtésa, comprenant du reste qu’une démarche de cet ordre, si elle était prématurée, produirait plus de mal que de bien. Il y avait toutefois dans ce dernier excès de barbarie quelque chose d’insupportable à mes instincts britanniques, et lorsque j’entendis mon nom (Mzungu !) prononcé d’une voix suppliante, je m’élançai vers le roi, dont j’arrêtai le bras déjà levé, en lui demandant la vie de cette femme. Il va sans dire que je courais grand risque de sacrifier la mienne en m’opposant ainsi aux caprices d’un tyran ; mais dans ces caprices mêmes je trouvai mon salut et celui de la pauvre victime. Mon intervention, par sa nouveauté hardie, arracha un sourire au despote africain, et la prisonnière fut immédiatement relâchée[97]. »

Plusieurs années après le voyage de Speke, Stanley arrive dans l’Ouganda et trouve Mtésa occupé à réduire les Vouavoumas révoltés. Malgré ses avis, le roi envoie des parlementaires pour s’assurer des dispositions des rebelles d’Innghira.

« Toute l’armée, écrit Stanley, suivit le canot des yeux ; jamais je n’ai eu d’angoisse plus poignante. La députation aborda ; des cris perçants nous arrivèrent ; puis un cri de triomphe ; et les têtes sanglantes du page et de ses quinze compagnons nous furent lancées, au milieu des rires et des sarcasmes des Vouavoumas. »

Par représailles, Mtésa voulut faire brûler vif un vieux chef Vouavouma, auquel Stanley parvint à sauver la vie. Une machine de guerre, inventée par l’explorateur, terrifia les Vouavoumas, qui se soumirent : « Un canot, monté par quinze hommes, dont plusieurs notables, amena un certain nombre de dents d’éléphants, plus deux beautés, filles des deux principaux chefs de l’île, c’était le tribu de l’Ouvouma. L’ivoire fut remis à l’intendant ; les jeunes filles conduites au harem et le vieux chef remis à ses compatriotes. Des acclamations, poussées des deux camps, annoncèrent que tout le monde était satisfait[98]. »

Mtésa mourut, en 1885 et fut remplacé par l’un de ses fils, Mouanga, âgé d’une vingtaine d’années.

Les Pères Blancs du cardinal Lavigerie ont des missions aux bords du lac Victoria, comme à ceux du Tanganyika et les Missions Catholiques publiaient, au mois de juin 1890, la lettre suivante que le roi Mouanga envoyait au Cardinal, au moment où le sort des armes lui était favorable et qui montre combien ses dispositions sont excellentes :

« Menga (Ouganda), 4 novembre 1889.
« Eminence et mon Père le Grand,

« Moi, Mouanga, roi de Ouganda, j’envoie vers vous (pour : j’ai l’honneur de vous offrir mes hommages). Je vous écris pour vous informer de mon retour dans mon royaume.

« Vous avez appris que lorsque les Arabes m’eurent chassé, je me sauvai dans le Bokumki. Monseigneur Livinhac et ses missionnaires me traitèrent avec bonté. Après quatre mois, les chrétiens m’envoyèrent chercher. Nous nous sommes battus pendant cinq mois. Dieu nous a bénis et nous avons triomphé des Arabes.

« Maintenant, je vous en supplie, daignez nous envoyer des prêtres pour enseigner la religion de Jésus-Christ dans tout le pays de l'Ouganda. Je vous demande aussi des enfants ayant appris les remèdes (connaissant la médecine), comme ceux qui sont allés à Oudjidji. Quand ils arriveront chez nous, je leur donnerai une belle place[99].

« J’ai appris que Notre Père le Pape, le grand chef de la religion, vous a envoyé traiter avec les grands de l’Europe, pour faire disparaître le commerce des hommes dans les pays de l’Afrique. Et moi, si les blancs veulent bien me donner la force, je puis les aider un peu dans cette œuvre et empêcher le commerce des hommes (des esclaves) dans tous les pays qui avoisinent le Nyanza.

« Daignez demander pour moi (au Ciel) la force de bien faire ; de mon côté, je prie Dieu de vous donner ses bénédictions et de vous aider dans toutes les œuvres que vous entreprenez pour sa gloire.

« Moi, votre enfant,

« MOUANGA,
« roi de l’Ouganda. »

En lisant cette lettre, on ne reconnaîtrait guère ce Mouanga, qui, excité par les négriers Arabes, fît, en 1886, brûler, massacrer, couper en morceaux des chrétiens indigènes, ses sujets, et une mission anglaise protestante, ayant à sa tête l’évêque anglican Hannington.

Les Arabes esclavagistes avaient profité de rétablissement des Allemands dans l’Ousagara et de leur attitude à Zanzibar, pour persuader à Mouanga que les Européens allaient envahir ses États et le réduire en esclavage avec ses peuples.

Mouanga était cependant un catéchumène des Pères de la Mission d’Alger. L’arrivée des missionnaires anglais, par l’est, sembla confirmer les dires des Arabes, Mouanga fut poussé à une sorte de délire : « C’est moi, s’écriait-il, qui suis le dernier roi de l’Ouganda : les blancs s’empareront de mon pays après ma mort. De mon vivant, je saurai bien les en empêcher. Mais, après moi, se terminera la liste des rois nègres de l’Ouganda ! »

Le traité anglo-allemand, de 1890, qui donne l’Ouganda à la Grande-Bretagne[100], pourrait bien rendre les Arabes bons prophètes.

Dans l’Ounyamouézi, les esclaves sont enchaînés par le col, au nombre de quatre à cinq par groupes et se livrent ainsi à la moisson et aux divers travaux domestiques (l’Onnyamouézi est au nord du Victoria Nyanza et à l’est du Tanganyika).

L’Ounyanyembé (Terre de la Lune), est habité par les Omanis dont l'existence est raffinée, sensuelle, au milieu d’une foule de concubines et d’esclaves de toutes sortes. La plupart des femmes proviennent du Manyéma ; elles sont généralement très jolies. Excepté leur chevelure, elles n’ont rien du type nègre ; leur couleur est très claire, dit Stanley ; dans le nord de la province leur peau n’est pas plus brune que celle des Portugaises ou des quarterones de la Louisiane. Elles ont le nez bien fait, des yeux superbes, les lèvres d’une belle coupe, bien marquées, sans être grosses ; et il est rare qu’elles aient les dents saillantes. Très alertes, elles sont habiles plongeuses et vont cueillir les huîtres au fond du Webb, où ces mollusques abondent. Fort intelligentes, ces femmes sont avidement recherchées. Les rapaces qui les veulent pour les vendre aux Omanis, ne reculent devant rien et sont invincibles puisqu’ils sont armés de fusils !

Sir Samuel White Baker, parvenu jusque dans l’Ounyoro, assista à l’expédition du roi Kamrasi contre Fowouka. Kamrasi ruina son adversaire, enleva les filles de Rionga et un millier d’esclaves[101].

(Avant de pénétrer dans cette région, Baker avait passé sur le territoire des Latoukas[102] ; un village prudemment respecté par Ibrahim, avait été attaqué par la troupe de Mohammed-Her. Cette troupe avait sans grande difficulté et résistance, pris les femmes et les enfants pour les réduire à l’esclavage ; mais, lorsque les Latoukas la virent s’emparer de leurs vaches (ces indigènes tiennent plus à leurs bestiaux qu’à leur famille), ils devinrent furieux, cernèrent les gens de Mohammed dans un défilé et les poussèrent dans un gouffre de cinq cents pieds de haut. Bellal et Mohammed, échappés au massacre de leurs hommes, rentrèrent au camp de Baker).

Les Pahouins[103], gagnés par la contagion de la débauche et dont les femmes sont d’autant plus fécondes que la loi interdit de marier les jeunes filles avant qu’elles soient nubiles, vendent leurs enfants, dès l’âge le plus tendre, aux traitants cosmopolites.

Chez les Pahouins, un homme n’est considéré qu’autant qu’il a plusieurs femmes ; on se moque de celui qui n’en a qu’une. Les femmes sont l’occasion de tous les combats qu’ils se livrent sans cesse les uns aux autres.

La femme est une chose qui passe du frère au frère, en cas de décès du maître, ou aux autres membres de la famille.

Chaque tribu pahouine est jalouse de sa voisine. Tous les malheurs sont attribués aux maléfices des ennemis. Ces sorts sont désignés sous le nom de : Evoushé ! Les Ngans ou sorciers peuvent seuls les conjurer.

Les Pahouins n’ont pas d’esclaves, mais chez eux les femmes sont traitées comme telles et pis encore. Les jeunes filles sont dès le bas-âge promises et vendues par leurs pères ; elles passent dans la demeure de leur fiancé et y sont élevées suivant les goûts de la famille. Cet usage donne lieu à de grands désordres, car ne se sentant souvent aucune affection pour l’individu dont elles devront partager le sort, elles s’enfuient et provoquent de longues guerres. Souvent une jeune femme se suicide en s’étranglant dans la forêt.

A la mort d’un polygame, on enferme ses femmes dans sa case et comme elles doivent pleurer bon gré mal gré, chaque Pahouin du village vient, à son tour, leur infliger au besoin une bonne bastonnade, leur enfoncer dans le corps des bambous pointus, leur injecter dans les yeux du jus de citron, leur faire endurer toutes sortes de supplices.

La force musculaire constitue uniquement la valeur d’une femme pour ces sauvages. Plus elle est capable de soulever et de porter de lourdes charges, plus elle est belle et recherchée ! C’est assez logique, puisque tous les travaux pénibles doivent lui incomber : culture des jardins, cueillette des bananes, soins du ménage, etc.

La marche continue de l’Islamisme, entre le golfe de Guinée et le Bas-Niger, est un phénomène curieux à constater. Il y est introduit par les Peuhls que la France a rencontrés au Sénégal, où leurs métis sont appelés Toucouleurs. Les tribus musulmanes des Peuhls se sont infiltrées depuis le commencement du siècle le long du Niger et y ont fondé de grands Etats propagandistes par le fer et le feu, ainsi qu'au VII siècle les soldats d’Omar et d’Othnian. Les Peuhls sont redoutables. A Saint-Louis du Sénégal, il est un dicton fort répandu : « Si l’on introduit une poul (ou fellata) dans une famille, fut-ce comme servante, comme captive, elle devient la maîtresse de la maison. »

Une autre forme de prosélytisme de ces rudes tribus des Peuhls par leurs aloufas ou marabouts, mérite d’être mentionnée ici.

L’aloufa est prêtre et maître d’école tout ensemble. Coiffé d’un turban, chaussé de sandales, drapé orgueilleusement dans son ewon, il porte habituellement des armes : le sabre ou le fusil. Il monte à cheval, escorté d’une suite nombreuse. Un semblable appareil en impose au nègre fétichiste, autant que le maintien grave de l’aloufa ; aussi le nègre se sent-il fortement attiré vers la religion de Mohammed. Cette religion flatte sa vanité et ne la contraint, somme toute, à aucune pratique pénible, puisqu’il peut continuer à vivre dans la polygamie.

Maître d’école, l’aloufa enseigne à lire et à écrire les lettres de l’alphabet arabe et quelques versets du Koran… Comme prêtre, il s’attache à faire haïr tout ce qui n’est pas l’Islam. Le païen ne ferme pas les yeux à la lumière de parti-pris. Le musulman, au contraire, a la résolution absolument arrêtée de repousser toute doctrine étrangère à celle qu’il professe ; il n’examine et n’écoute même pas…

Il est aisé de comprendre quel obstacle énorme l’Islamisme oppose à la propagation du Christianisme, partout où il a une influence prépondérante. Chaque jour, il fait des progrès nouveaux : les chefs païens, alors même qu’ils ne sont pas mahométans, laissent les aloufas prendre sur leur esprit un énorme ascendant.

En voici la preuve :

Quand Clapperton débarqua, en 1825, dans la lagune de Lagos[104], il ne trouva en fait de musulmans que les étrangers de passage, quelques négociants « qui se contentaient de la mosquée par excellence, la voûte du firmament. » En 1861 et 1862, Burton ne rencontrait, à Lagos, qu’une dizaine de musulmans ; en 1863, il y en avait douze cents ; en 1880, leur nombre atteignait dix mille avec vingt-sept mosquées.

Le colosse musulman englobera tout l’ouest africain plus encore par la force que par la persuasion.

Jadis fustigés d’importance, les nouveaux convertis, vaincus et humiliés, aspirent déjà à fustiger eux aussi et à faire de nouvelles conquêtes au milieu de leurs anciens coreligionnaires. Ce genre de prosélytisme, les armes à la main, a le mérite d’être expéditif.

Avant que l’Europe y ait songé, le centre de l’Afrique sera mahométan.

Nous avons reproduit, au commencement de cet ouvrage, l’accusation formulée contre les Portugais par M. Vezetelli ; nous voudrions, nous aurions voulu, pour la dignité du monde civilisé, de l’Europe en particulier, pouvoir infliger un démenti formel au voyageur italien ! Hélas ! C’est impossible ! Hâtons-nous d’ajouter qu’il s’agit de l’écume de la nation et des colonies.

Nous nous bornerons strictement au récit des explorateurs.

Livingstone ouvre le feu :

« Au Tète, dit-il, les Portugais ont un grand nombre d’esclaves…[105].

« En arrivant à Mazaro, embouchure d’une crique étroite qui, pendant les inondations, communique avec la rivière Quélimané[106], nous trouvâmes les Portugais en guerre avec un certain Mariano, métis qui les avait toujours bravés et qui possédait tout le pays à partir de Mazaro jusqu’à l’embouchure du Chiré, où il avait construit une estacade[107]. »

« Plus connu sous le nom de Mata-Kenya, que lui donnaient les indigènes et qui signifie « tremblant ou frémissant » comme font les arbres pendant l’orage, Mariano était un chasseur d’esclaves et entretenait un corps de mousquetaires. Comme tous les Portugais de cette région, il envoyait ses bandes armées faire des razzias d’esclaves chez les tribus inoffensives du sud-est, et il conduisait ses malheureuses victimes à Quélimané, où elles étaient vendues par Cruz Coimbra, son beau-frère…

« Tant que ses rapines et ses meurtres ne frappèrent que les indigènes des provinces lointaines, les autorités portugaises ne s’en mêlèrent pas. Mais, accoutumés au pillage, à l'odeur du sang, ces chasseurs d’esclaves commencèrent à exercer leurs violences sur tous les gens qu’ils avaient sous la main, bien que ces gens-là fussent aux Portugais, et finirent par attaquer les habitants de Sena[108], jusque sous les canons du fort.

« Les atrocités de ce scélérat, qualifié à juste titre de bandit et d’assassin par le gouverneur de Quélimané, étaient devenues intolérables, et chacun parlait de Mariano comme d’un monstre d’inhumanité. »

Mariano fut pris et conduit à Mozambique pour y être jugé ; l’un de ses parents, Bonga, continua les hostilités[109].

Après avoir traversé Chibisa et Chipindon, les voyageurs arrivèrent au village du chef Mbamé, qui leur apprit qu’une chaîne d’esclaves allait traverser le pays pour se rendre à Têté[110].

« En effet, il y avait à peine quelques minutes que nous étions avertis, dit le docteur Livingstone, lorsqu’une longue chaîne, composée d’hommes, de femmes et d’enfants, liés à la file les uns des autres, et les mains attachées, serpenta sur la colline et prit le sentier du village. Armés de fusils et parés de divers objets de toilette, les noirs agents des Portugais, placés à l’avant-garde, sur les flancs et à l’arrière de la bande, marchaient d’un pas délibéré ; quelques-uns tiraient des notes joyeuses de longs cornets de fer blanc ; tous prenaient des airs de gloire, comme des gens persuadés qu’ils ont fait une noble action ; mais dès qu’ils nous aperçurent, ces triomphateurs se précipitèrent dans la forêt, et tellement vite que nous ne fîmes qu’entrevoir leurs calottes rouges et la plante de leurs pieds.

« Le chef demeura au poste, il était à l’avant, l’un de nos hommes le reconnut et lui serra vivement la main. C’était un esclave de l’ancien commandant de Têté, nous l’avions eu à notre service et nous le reconnûmes à notre tour.

« Aux questions qui lui furent adressées à l’égard des captifs, il nous dit qu’ils les avaient achetés, mais les captifs interrogés ensuite, répondirent tous à l’exception de quatre, qu’ils avaient été pris en combattant. Pendant que nous faisions cette enquête, le chef disparut.

« Restés seuls avec nous, les prisonniers s’agenouillèrent et battirent des mains avec énergie pour exprimer leur gratitude. Nous eûmes bientôt coupé les liens des femmes et des enfants, il était plus difficile de délivrer les hommes. Chacun de ces malheureux avait le cou pris dans l'enfourchure d’une forte branche de six à sept pieds de long, que maintenait à la gorge une tige de fer solidement rivée aux deux bouts. Cependant, au moyen d’une scie qui par bonheur se trouvait dans nos bagages, la liberté leur fut rendue à tous. Nous dîmes alors aux femmes de prendre la farine dont elles étaient chargées et d’en faire de la bouillie pour elles et pour leurs enfants ; tout d’abord elles n’en voulurent rien croire, c’était trop beau pour être vrai. Mais quand l’invitation eut été renouvelée, elles se mirent promptement à l’œuvre, firent un grand feu et y jetèrent les cordes et les fourches, leurs maudites compagnes de tant de journées pénibles et de nuits douloureuses. Beaucoup d’enfants avaient à peine cinq ans, il il y en avait même de plus jeunes. Un petit garçon disait à nos hommes avec la simplicité de son âge : « Les autres nous attachaient et nous laissaient mourir de faim, vous nous avez détachés vous, puis vous nous donnez à manger, qui donc êtes-vous ? et d’où venez-vous ? »

« Deux femmes avaient été tuées la veille pour avoir essayé de détacher leurs courroies. Le chef avait dit à tous les captifs qu’il leur en arriverait autant s’ils cherchaient à s’évader. Une malheureuse mère, ayant refusé de prendre un fardeau qui l’empêchait de porter son enfant, vit aussitôt brûler la cervelle du pauvre petit. Un homme, accablé de fatigue et ne pouvant plus suivre les autres, avait été expédié d’un coup de hache. L’intérêt, à défaut d’humanité, aurait dû prévenir ces meurtres, mais nous avons toujours vu que dans cet affreux commerce, le mépris de la vie humaine et la soif du sang parlaient plus haut que l’intérêt personnel.

« Quatre-vingt-quatre esclaves, femmes et enfants pour la plupart, furent ainsi délivrés. On leur dit qu’ils étaient libres et qu’ils pouvaient aller où ils voudraient, ils aimèrent mieux rester avec nous.

« Nous partîmes le lendemain matin pour le village de Soché avec nos libérés, les hommes portaient gaiement les bagages. Ayant si bien commencé, nous ne pouvions faire la chose à demi, huit autres captifs rencontrés sur notre chemin furent donc mis en liberté. A la nouvelle de notre approche, des marchands qui se trouvaient dans le village de Soché décampèrent aussitôt avec une centaine d’esclaves. Le docteur Kirk, appuyé de quatre Makololos, courut à leur poursuite, mais en dépit de leurs efforts et de l’énergie qu’ils déployèrent, le docteur et ses hommes ne purent rejoindre les traitants qui arrivèrent sans encombre à Tété.

« Six esclaves furent encore délivrés à notre passage chez Mongazi ; deux marchands furent mis en fourrière pour les empêcher d’aller avertir les chefs d’une bande nombreuse qui était sur le point d’arriver. Nos prisonniers nous dirent d’eux-mêmes que cette bande était dirigée par les hommes du gouverneur.

« Le jour suivant, cinquante nouveaux esclaves furent relâchés ; tous sans exception, étant nus comme la main, reçurent assez d’étoffe pour se vêtir, mieux sans doute qu’ils ne l’avaient été de leur vie. Le chef de cette bande, homme connu pour être l’agent des principaux marchands de Tété, nous assura qu’il n’avait agi, ainsi que tous les autres, qu’avec l’autorisation du gouvernement. Il n’avait pas besoin de nous le dire : il est matériellement impossible qu’une entreprise quelconque ait lieu à Tété sans que le gouverneur le sache et y prête les mains…

« Pendant notre séjour sur les rives du Nyassa, nous avons pu constater que la traite s’y faisait avec une effroyable activité.

« Nous tenons du colonel Rigby, consul anglais et chargé d’affaires de Sa Majesté britannique à Zanzibar, qu’il passe à la douane de cette île, venant de la seule région du Nyassa, dix-neuf mille esclaves par an. Ce chiffre, bien entendu, ne comprend pas les esclaves qui sont expédiés dans les rades portugaises. Et qu’on ne se figure pas que ce chiffre de dix-neuf mille représente toutes les infortunes que cause cet envoi annuel au marché de Zanzibar. Les captifs qu’on arrache du pays ne forment qu’une légère fraction des victimes de la traite. Nous n’avons pu nous faire une idée réelle de ce commerce atroce qu’en le voyant à sa source. Pour quelques centaines d’individus que procure une de ces chasses à l’homme, des milliers d’hommes sont tués ou meurent de leurs blessures, tandis que les autres, mis en fuite, expirent de faim et de misère. D’autres milliers périssent dans les guerres civiles ou de voisinage, tués, qu’on ne l’oublie pas, par les demandes des acheteurs d’esclaves de Cuba et d’ailleurs. Les nombreux squelettes que nous avons trouvés dans ces bois, ou parmi les rochers, près des étangs, le long des chemins qui conduisent aux villages déserts, attestent l’effroyable quantité d’existences sacrifiées par ce trafic maudit[111]. »

Verney Hovett Cameron, n’est pas moins formel :

« Les deux marches suivantes, dit-il, nous firent traverser un pays fertile où avaient existé de nombreux villages, que des bandes, appartenant à Kassongo[112] et, disait-on, à des Portugais, avaient détruits récemment. Les habitants avaient été pris comme esclaves, les bananiers et les élaïs abattus, les champs dévastés.

« Nous vîmes ensuite, au milieu d’une grande plaine, quelques huttes, dont les occupants étaient employés à fabriquer du sel. La plaine était une propriété privée de Kassongo, les occupants des cabanes étaient les esclaves de celui-ci[113] : »

Caméron se rend de Kilemba[114] à Totela, en compagnie de traitants Portugais : « J’arrivais, dit-il, exaspéré du traitement que, pendant toute la course, j’avais vu infliger aux malheureux esclaves. Les pires des Arabes sont, je n’hésite pas à l’affirmer, à cet égard des anges de douceur en comparaison des Portugais et de leurs agents. Si je ne l’avais pas vu, je ne pourrais jamais croire qu’il pût exister des hommes aussi brutalement cruels et de gaieté de cœur[115].

« La caravane dont les esclaves d’Alvez et les porteurs amenés par celui-ci constituaient le noyau, se composait surtout de groupes indépendants formés des gens du Bihé[116], du Lovalé[117], du Kibokoué[118], venus dans l’Ouroua pour voler des esclaves… A notre départ, la caravane entière pouvait compter sept cents membres ; avant d’être sortis de l’Ouroua, nos compagnons y avaient ajouté plus de quinze cents esclaves, dus principalement à la violence et au vol… »

Sans nouvelles des bandes qui devaient le rejoindre, Cameron, avant de se remettre en route, envoie dans leur direction et apprend qu’elles avaient dévasté le pays, incendié des cases, tué les hommes, capturé les femmes et les enfants. Kassongo lui-même pillait, massacrait, faisait mutiler ou mettre à mort ses captifs, selon ses accès de délire provoqués par l’abus de la bière et du chanvre, qu’il fumait avec excès.

Cameron est enfin rejoint par le traitant Portugais Coimbra, qui arrive avec cinquante-deux femmes enchaînées par groupes de dix-sept à dix-huit. « Toutes ces femmes étaient chargées d’énormes fardeaux, fruit des rapines du maître. En surplus de ces lourdes charges, quelques-unes portaient des enfants : d’autres étaient enceintes. Les pauvres créatures, accablées de fatigue, les pieds déchirés, se traînaient avec peine. Leurs membres, couverts de meurtrissures et de cicatrices, montraient ce qu’elles avaient souffert de la part de leur maître !

« La somme de misère et le nombre de morts qu’avait produits la capture de ces femmes est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Il faut l’avoir vu pour le comprendre. »

Et Cameron ajoute sentencieusement, mais judicieusement.

« Les crimes perpétrés au centre de l’Afrique par des hommes qui se targuent du nom de chrétiens et se qualifient de Portugais, sembleraient incroyables aux habitants des pays civilisés. Il est impossible que le gouvernement de Lisbonne connaisse les atrocités commises par des gens qui portent son drapeau et se vantent d’être ses sujets !

« Pour obtenir les cinquante femmes dont Coimbra se disait propriétaire, dix villages avaient été détruits, dix villages ayant chacun cent à deux cents âmes ! un total de quinze cents habitants ! Quelques-uns avaient pu s’échapper : mais la plupart, presque tous, avaient péri dans les flammes, été tués en défendant leurs familles ou étaient morts de faim dans la jungle, à moins que les bêtes de proie n’eussent terminé plus promptement leurs souffrances. »

Cameron assiste pendant deux heures, au défilé de la caravane des Portugais Alvez et Coimbra :

« Femmes et enfants avançaient, pliant sous leurs charges et les pieds déchirés, poussés par leurs maîtres, qui les frappaient dès que la marche venait à se ralentir.

« On arriva au camp, loin de se reposer, les malheureuses furent obligées d’aller chercher de l’eau et du bois, de faire la cuisine et de construire des huttes pour leurs propriétaires. Celles qui parvinrent à se composer une sorte d’abri avant la nuit close furent bien favorisées.

« La perte de travail qui résulte de l’enchaînement des esclaves est monstrueuse. Veut-on avoir une cruche d’eau, vingt femmes sont contraintes de se rendre à la rivière ; pour un fagot d’herbe, il faut employer toute la chaîne. En route, si l’un des marcheurs a besoin de s’arrêter, tous les autres doivent faire halte ; et, quand l’un de ces malheureux tombe, cinq ou six de ses compagnons sont entraînés dans sa chute…

« Maintes fois, sur la route, j’avais été navré de l’horrible condition des femmes esclaves qui, accablées de fatigue, à demi mortes de faim, étaient couvertes de plaies résultant de leurs fardeaux et des coups, des blessures qui leur étaient infligées pour activer leur marche. Les liens qui les retenaient pénétraient dans leurs chairs, qu’ils avaient rongées. Il en était ainsi pour tous les captifs. J’ai vu une femme continuer à porter le cadavre de son enfant, mort de faim dans ses bras. »

Cameron signale les cruautés des traitants Portugais, cette cruauté doit-elle surprendre outre mesure ? Non ! le récit suivant du voyageur donne l’idée exacte de ces gens-là.

« Alvez, dit-il, en très bons termes avec Cha Kalemmbé, s’arrangea de façon à prolonger notre halte et le paya très cher. Malgré son amitié pour lui, Cha Kalemmbé l’obligea à donner un fusil et deux esclaves au Mata Yafa, chef supérieur de la partie occidentale du Lovelé. L’un des esclaves qui furent livrés était une femme ; j’ai tout lieu de croire que c’était la favorite d’Alvez. Une autre femme du harem de celui-ci fut échangée contre un bœuf, tant cet homme avait peu de cœur. »

Dans le Bihé, près de la ville de Kagnommbé, Cameron traversa un gros village appartenant corps et biens à un traitant Portugais. « Celui-ci possédait une demi-douzaine de ces bourgs, dont la population était composée d’esclaves. »

A Kagnommbé, Cameron visite la grande féticherie du pays et y trouve les crânes de tous les chefs vaincus. Il rencontre ensuite un autre chasseur d’hommes, le portugais Ferreira, qui allait partir chez Kassongo pour s’y approvisionner de marchandise humaine, parce qu’il avait troqué ses derniers esclaves contre de l’ivoire à Djenndjé. Il portait cent mousquets à Kassongo, qui, lors de son récent séjour dans l’Ouroua, avait fait couper en son honneur des mains et des oreilles.

Schweinfurth parle des associés ou agents à poste fixe, dans les zéribas, des gros marchands d’esclaves : Presque toujours, dit-il, ces gens-là sont des Fakis, c’est-à-dire des prêtres musulmans qui regardent la traite des nègres comme un accessoire ordinaire de leurs attributions ; il est de fait qu’au Soudan ils sont tous plus ou moins souillés par cet odieux commerce. Ce que d’ailleurs on leur voit faire dans les grandes villes, à Khartoum, par exemple, où l’on a mille occasions d’observer leur conduite, est réellement incroyable… Les riches ont des collèges et des tavernes, qu’ils font tenir par des salariés. Dans les uns on apprend la lettre des commandements du Prophète, dans les autres on pratique largement le culte de Vénus…

« Un dernier mot pour les montrer dans tout leur jour : le Koran d’une main, le couteau à eunuque de l’autre[119], ils vont de zériba en zériba, menant, dans toute la force du terme, ce que nos dévots appellent une vie de prière, ne disant pas une parole sans invoquer Allah et son Prophète et associant à leurs pratiques religieuses les infamies les plus révoltantes, les cruautés les plus atroces. Je n’ai jamais vu d’esclaves plus à plaindre que les leurs ; ce qui n’empêche pas les saints personnages de choisir pour ces malheureux achetés à vil prix comme des objets volés, les noms les plus édifiants : Allagâbo, par exemple, (présent d’Allah ou Dieudonné !) blasphème horrible, dont ils accompagnent Ses traitements que le dernier de nos balayeurs n’infligerait pas à un chien. Dans un de leurs convois se trouvait un pauvre Mittou ayant à peine la force de se soutenir et de traîner la fourche qui le tenait à la gorge. Un matin que j’allais à mon potager, ce qui m’obligeait à passer devant les maisons des susdits personnages, je fus arrêté par des clameurs qui me détournèrent, et vis une scène que ma plume ne retrace qu’en frémissant. Le pauvre Mittou, près d’expirer, était traîné hors d’une case et on le fouillait pour voir si oui ou non il était mort ; les clameurs étaient les imprécations de ses pieux bourreaux : « Le « chien maudit vit encore ! Ce païen ne mourra « pas ! » et les enfants de leur suite — cet âge est sans pitié — jouaient à la boule avec ce corps tordu par la suprême agonie. Toute créature humaine, à défaut de cœur, eût été remplie d’épouvante par ces yeux horriblement convulsés : loin d’être émus, les fakis me répondaient que c’était une feinte et que ce misérable n’attendait, pour fuir, que le moment où on ne l’observerait pas. Telle est l’histoire du crâne qui, dans ma collection, porte le numéro 36 ; tels sont les actes perpétrés en face de la mort par ces hommes qui se posent. comme les piliers de la foi, les modèles des Croyants ! Et dans leur candeur, nos missionnaires, les plus honnêtes gens du monde, sont dupes de la piété de ces gredins ; ils les mettent à leur niveau et discutent avec eux sur le dogme, alors que la question est de pure moralité ; l’histoire du Mahométisme n’est partout que celle du mal[120]. »

Mage assiste au combat de Toghou, livré aux Bambaras et gagné par Ahmadou, sultan de Ségou[121] :

« On avait fait, dit-il, des prisonniers qui semblaient hébétés et fous de terreur… En rejoignant Ahmadou, je vis devant lui deux corps sans tête, étendus sur le ventre, avec les articulations coupées et un coup de sabre en travers sur les reins, qui avait entamé l’épine dorsale. Ces mutilations avaient été faites après coup. Mais je ne passai pas la journée sans avoir l’atroce spectacle d’une exécution, et ce souvenir restera gravé dans ma mémoire. J’en vois encore les moindres détails. C’était un jeune Sofa de Mari qu’on avait retiré vivant de dessous un tas de cadavres. Au lieu d’être rasé comme tous les Musulmans, il portail les cheveux tressés en casque, comme ceux des femmes, et à la mode bambara ; on lui avait attaché les coudes derrière le dos, de manière à lui disloquer en partie les épaules. Il était debout dépouillé de tout vêtement ; un Sofa accroupi, se tenait par derrière. Il regardait de tous côtés d’un air inquiet, quand Ali Salibé, en grand honneur à Ségou et qui alors était bourreau en titre, homme athlétique, à la figure bestiale et à l’œil féroce, s’avança derrière lui et d’un seul coup de sabre fit voler sa tête ; le corps tomba en avant, deux longs jets de sang s’élancèrent du col ; quelques convulsions agitèrent encore ce qui avait été un homme, et pendant qu’Ali essuyait son sabre dans l’herbe avec un calme atroce, tout mouvement cessait.

« Le lendemain, le jour paraissait à peine que toute l’armée se transportait dans les broussailles pour en finir. On y trouva les Bambaras sans défense et on en fit une horrible boucherie. Une bande de quatre-vingt-dix-sept, espérant peut-être dans la clémence des vainqueurs, posa les armes et sortit d’une broussaille en criant (toubira) pardon !

« Ils furent aussitôt conduits à Ahmadou, entre des rangs pressés de Sofas.

« On les interrogea longuement, puis tous furent livrés au bourreau et Ahmadou. supposant que ce spectacle pouvait m’intéresser, envoya un Talibé me prévenir afin que je puisse y assister. Mais je ne me sentais pas le cœur d’être témoin d’une pareille exécution. Les scènes sanglantes de la veille, déjà trop nombreuses, m’avaient agité ; le soir seulement, voulant me rendre compte du nombre des morts, je passai près de ce champ de suppliciés. On les y avait conduits tous bien serrés par la foule et tenus simplement par les bras. Au milieu du cercle se tenait le bourreau qui avait commencé à abattre les têtes au hasard, sans ordre, comme elles passaient à portée de son bras ; quelques-unes n’étaient pas détachées du tronc, et, chose curieuse, elles avaient presque toutes le sourire aux lèvres. Les yeux qui n’étaient pas fermés, avaient dans leur immobilité une expression indéfinissable et grosse de méditations. Faut-il donc croire qu’au seuil d’une autre vie ces victimes de la barbarie musulmane, ces martyrs inconscients d’un patriotisme d’instinct ont eu, au moment de leur cruel supplice, une apparition, qu’une lueur immense s’est produite dans leur intelligence et qu’un horizon nouveau s’est étendu devant leurs yeux. Cette pensée m’obséda longtemps, et je ne me détachai pas facilement de ce lieu d’horreur. »

Mage dépeint ainsi le retour de l’expédition :

« Environ trois mille cinq cents femmes et enfants étaient là, attachés par le col, lourdement chargés, marchant sous les coups des Sofas. Quelques-unes, trop vieilles, tombaient sous leur fardeau, et refusant de marcher étaient assassinées. Un coup de fusil dans les reins et tout était dit. Je fus témoin d’un crime de ce genre, et il me fallait rester calme et ne pas faire sauter la tète de celui qui venait de le commettre…

« Tels sont, en Afrique les résultats de la domination de l’Islam ! »

Mage assiste encore à la prise et au sac de Dina, par les troupes d’Ahmadou et dit :

« Toujours le pillage suivant le massacre, toujours, de sang-froid, les femmes et les enfants livrés à la soldatesque, et les hommes faits au bourreau. Réduite à ces proportions bestiales et dépouillée du prestige de l’art et des combinaisons de la stratégie, la guerre est doublement horrible[122] ».

Si Ahmadou permettait et favorisait, à cette époque, l’importation des femmes dans ses Etats, il en défendait rigoureusement l’exportation.

Lorsque Galliéni arriva à Sougoulani, un tableau hideux frappa ses yeux sur la place du village : Il se trouva devant un véritable charnier humain ! Les Talibès avaient capturé une caravane composée de gens de tous âges et de tous sexes, qui se rendaient à Sansandig, ville révoltée depuis longtemps contre Ahmadou.

Sur l’ordre du Sultan, tous ces malheureux, conduits à Sougoulani, y avaient eu la tète tranchée deux jours auparavant. « Le spectacle de tous ces cadavres, entièrement nus et jetés pêle-mêle sur le sol dans les attitudes les plus diverses, que contemplaient d’un œil stupide quelques enfants du village, dit Galliéni, nous remua profondément et nous ne pûmes nous empêcher de penser que nous n’avions guère été en sûreté, à Nango, entre les mains du sombre tyran qui faisait si bon marché de ces inoffensifs marchands.

« Nous savions déjà qu’Ahmadou, cruel comme tous les Musulmans, donnait quelquefois l’ordre de mettre à mort ses prisonniers de guerre, afin de terroriser les pays environnants ; mes tirailleurs et laptots, que j’envoyais comme courriers à Ségou, revenaient souvent dégoûtés et indignés par l’horrible aspect qu’offrait la place du marché, où les cadavres des suppliciés étaient abandonnés aux hyènes et aux oiseaux de proie, mais nous n’avions jamais encore été témoins de ces odieuses exécutions[123] ».

A Nafadié, Galliéni fait signer aux notables un traité destiné à placer le pays sous le protectorat de la France et à le délivrer des incursions des soldats d’Ahmadou, qui venaient sans cesse enlever les femmes et les enfants.

Profitant de l’affaiblissement momentané de nos forces en Sénégambie, affaiblissement causé par l’envoi regrettable de troupes coloniales au Dahomey, Ahmadou, d’après les dépêches officielles, a attaqué à Kalé[124] l’arrière-garde de la colonne Archinard, avec 4,000 hommes, détruit une portion du chemin de fer qui doit relier le Sénégal au Niger et coupé le télégraphe. Ces événements ont eu lieu dans les premiers jours du mois de juin. Depuis, le colonel Archinard a installé, à Koniakary, un de nos alliés, le roi Khassa, puis s’est emparé de Ségou, qu’Ahmadou venait de quitter pour aller passer la saison des pluies à Nioro ; la colonne a ensuite battu en retraite. Le roi des Yoloffs s’est aussi ligué contre nous. La plupart ont acheté, aux Anglais, des armes à tir rapide. Tout n’est pas encore fini, car les populations de ces pays sont comme les roseaux qui y poussent, elles se courbent, mais cherchent toujours à se redresser.

Le colonel Archinard, qui vient d’arriver à Paris, a déclaré qu’Ahmadou cherchait depuis longtemps à soulever contre la domination française les autres populations soudaniennes et voisines de notre colonie sénégalienne[125].

Or, par sa situation de chef incontesté, au point de vue religieux, de tout le Haut-Sénégal, autant que par l’importance de son territoire, son influence était assez considérable pour que notre action fût entièrement paralysée dans la région, où il était le vrai maître :

« Pour assurer définitivement notre situation, il était nécessaire de réduire Ahmadou ; l’intérêt politique et l’intérêt militaire nous le commandaient. C’est Ahmadou qui était la cause de toutes les expéditions militaires. C’est lui qui empêchait de travailler paisiblement au développement de notre grande colonie.

« Une expédition fut décidée ; je ne vous rappellerai pas ses étapes ; elle réussit pleinement et fit tomber en notre pouvoir Ségou-Sikoro, la ville sainte du Soudan, la clef de la route du lac Tchad ; la citadelle de Ouosebougou fut ensuite rasée, et nous entrâmes à Eoniakari. »

Aujourd’hui, Ahmadou se trouve réduit à ses états de Kaarta, et les échecs qu’il a subis ont ruiné son prestige moral.

Il nous sera facile, quand nous le voudrons, d’aller jusqu’à Nioro.

Alors sera entièrement réalisé le plan du colonel Gallieni, qui écrivait, en 1887 :

« A la mort du sultan Ahmadou, il ne faudra pas hésiter à prendre pied à Ségou et à Nioro ; nous assurerons ainsi au Soudan français la limite qu’il doit avoir vers le Nord ; nous engloberons les riches plateaux de la Kaarta, nous entrerons en contact avec les tribus Maures qui détiennent le commerce du Sahara et sont en relations suivies avec le nord de l’Afrique ; enfin, nous mettrons un terme aux guerres incessantes que les musulmans soulèvent dans ces régions, fermées ainsi aux entreprises de nos traitants. »

Un journal, dont les opinions anti-cléricales sont bien connues, fait le triste exposé que l’on va lire et que lui adresse son correspondant de Saint-Louis (Sénégal) :

« Le développement du fanatisme musulman et de l’hostilité de bien des noirs proviennent de plusieurs causes, de la réglementation défectueuse des écoles arabes, du manque de surveillance et du semblant d’organisation de la législature musulmane.

« Les écoles arabes ! En voilà un foyer de fanatisme. Croiriez-vous qu’aucune garantie de savoir, de moralité n’est exigée des marabouts maîtres d’école, que chacun est libre d’exercer cette profession et de l’exercer à sa guise ; que la plupart de ces marabouts sont des étrangers, des Foulanes venant de l’intérieur, ne comprenant pas un mot de français : tous des prédicateurs, plutôt chargés d’élever les enfants dans la religion musulmane, c’est-à-dire de les rattacher à leur secte, qui nous est ouvertement hostile, que de leur apprendre l’arabe…

« Aussi, qu’est-il arrivé ? C’est que nous ne nous sommes point assimilé les indigènes ; que le nombre des noirs qui comprennent le français est presque infime, sinon nul ; que chaque administration est tenue d’avoir une nuée d’interprètes. C’est nous qui sommes obligés d’apprendre le ouoloff, le toucouleur, le bambaro et autres idiomes. Voilà les hommes dont on fait des citoyens français !

« Ces écoles arabes sont, sans contredit, le principal obstacle à l’assimilation. Qui ne voit, dans ces conditions, avec quelle rapidité l’Islamisme a pu se développer ?

« S’il ne s’agissait que de laisser aux noirs toute liberté pour pratiquer leur religion, de leur donner dans le même but toutes facilités, nous n’aurions absolument rien à dire. Malheureusement, cette religion est pour les musulmans la loi civile. C’est elle qui règle toutes les questions relatives à l’état civil, au mariage, aux successions, donations et testaments.

« Le décret du 20 mai 1857, qui a institué, à Saint-Louis, un cadi-tamsir, chef de la religion musulmane, et un tribunal musulman (avec le cadi-tamsir comme seul juge), est venu consacrer cette religion, et créer au profit d’une catégorie de Français un statut personnel différent de celui des autres Français, alors cependant que le Code civil était promulgué au Sénégal depuis 1830. Aussi, depuis cette époque, à partir du moment où une exception a été généreusement introduite dans la loi en faveur des indigènes, l’Islamisme a pris, à Saint-Louis, une extension considérable. A tel point que, si le décret de 1857 ne l’a pas créé, il en a tout au moins assuré et favorisé le développement. »

Lorsqu’au dernier Congrès colonial, nos amis protestaient contre l’ingratitude envers les missionnaires catholiques, le Temps et ses partisans répondaient qu’il était plus avantageux pour nos colonies de leur prêcher le Bouddhisme et l’Islamisme !

L’expérience est faite : les marabouts soufflent la haine et la révolte contre nous, et avec elles le maintien du trafic humain.

A l’action civilisatrice de l’Évangile, on a substitué le fanatisme musulman, et les peuples fétichistes, au lieu de devenir meilleurs par le christianisme, sont devenus pires encore sous l’influence du Koran !

Telle est la conséquence logique à tirer des aveux du Temps !

Va-t-on enfin renoncer à cette tactique qui fait servir l’or et l’influence de la France à créer, dans nos colonies, des races d’ennemis fanatiques ; laissera-t-on pleine liberté à nos religieux missionnaires qui mettent au cœur des sauvages, avec la lumière de l’Évangile, l’amour de la France ?

Nous voudrions le croire, mais nous n’osons l’espérer. Les sectaires français sont de la race de ceux qui ont dit : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe. » Leur principe suprême, c’est la haine du Christianisme, et, même dans nos colonies, en dépit des faits palpables qu’ils ne peuvent nier, ils continuent à répéter leur cri de guerre anti-français : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! »

Un vieux consul racontait que, après les événements de 1860, Fuad-Pacha lui disait :

« Je ne crains pas les quarante mille baïonnettes que vous avez à Damas ; je crains les soixante robes que voilà ! »

Il lui montrait des Jésuites, des Lazaristes, des Franciscains.

— Pourquoi ? lui demanda le consul.

— Parce que ces soixante robes font germer la France dans ce pays.

Le sous-secrétaire d’Etat aux colonies recevait, le 3 septembre dernier, la dépêche suivante du gouverneur du Sénégal.

« Ai douleur vous annoncer mort administrateur Jeandet, assassiné hier au cours d’une mission dans le Toro. Cause crime semble jusque maintenant être vengeance personnelle d’un indigène, auquel Jeandet venait de confirmer amende infligée pour rébellion. Jeandet dormait dans une case quand reçut coup de fusil, à bout portant, dans aisselle gauche. Il mourut sur le coup. Meurtrier a pris fuite. Cavaliers été lancés à sa poursuite. Un administrateur et un capitaine sont partis sur un vapeur pour faire une enquête. Service religieux sera célébré à Saint-Louis à mémoire Jeandet, et monument sera élevé à Podor aux frais colonies. Mort Jeandet cause émotion profonde dans tout Sénégal, où il avait conquis sympathie et estime générales des Européens et des indigènes. »

M. Jeandet administrait le poste de Podor, depuis 1888. Podor, poste principal et siège de l’administration du protectorat du Toro, est bâti dans une île, sur le grand bras du Sénégal, à 240 kilomètres de Saint-Louis, et touche au Sahara. C’est l’endroit le plus chaud du Sénégal ; on y constate quelquefois une température de 45 à 48 degrés centigrades, à l’ombre. Aéré, où l’assassinat a été commis, par un Toucouleur, est un petit poste annexe.

Si triste qu’elle soit, cette nouvelle ne pouvait surprendre aucun de ceux qui se rendent compte de la situation des esprits au Sénégal. Les journaux conservateurs l’ont dénoncée, il y a quelque temps, et ont reçu un démenti, naturellement !

Une compagnie d’infanterie de marine s’est embarquée, le 20 septembre, à Bordeaux, pour grossir la colonne qui, tous les ans, se rend de Saint-Louis au Niger.

« Le sultan de Sokoto[126] est, dit Burdo, l’homme le plus puissant de l’Afrique centrale ; il tient à l’esclavage comme à la prunelle de ses yeux[127]. »

« Le roi des Somraïs dispose du pays et de ses habitants à un degré inconnu n’importe où, écrit le docteur Nachtigal. Sous le moindre prétexte, il peut dépouiller un de ses sujets de tout ce qu’il possède, réduire sa femme et ses enfants en esclavage et lui ôter la vie à lui-même. Vassal du Baghirmi et obligé, à l’approche d’une expédition de guerre venant de ce côté, de faire une livraison de cent esclaves, il choisit pour cela tout un village, dont il est mécontent, ou bien il laisse les chefs de l’armée baghirmienne piller à leur guise telle localité d’un allié plus faible ou tributaire. Presque tous les délits entraînent la peine de mort qui est appliquée en charcutant littéralement le condamné au moyen du javelot-épieu, qu’en kanouri on nomme golio, et en baghirmien, ndjigga[128]. »

Plusieurs fois déjà, nous avons parlé de chefs, de peuples, de pays appartenant au Soudan (ancienne Nigritie), c’est-à-dire à cette immense région comprise entre le Sahara, la Nubie, le Nil, l’Abyssinie, l’Afrique australe et l’océan Atlantique, région livrée, ainsi que ses habitants, à une foule de despotes arabes, musulmans ou nègres[129] ; dès 1864. Lejean recevait du Soudan oriental des lettres, dont nous extrayons le passage suivant :

« Le Soudan est réduit à l'extrémité. Mouça-Pacha, le bourreau des Baggâras, en est actuellement gouverneur : Les exactions de tout genre ont ruiné la contrée et répandu la désolation (ridotto a squalore) dans cette région jadis si heureuse. Sous prétexte de réprimer la traite des noirs, il est allé au fleuve Blanc pour en monopoliser le commerce, au moyen d’une taxe exorbitante imposée à toute barque qui partait (cent piastres par chaque domestique ou matelot) ; il va sans dire que les indigènes ont été par faveur exemptés de cette taxe et qu’ils ont reçu toute facilité pour faire la traite des esclaves ; il est parti plus de cent barques dans cette intention. »

Vers la même époque, sir Samuel White Baker écrivait :

« Le Soudan n’exporte que de la gomme, du séné, des cuirs et environ pour cent mille francs d’ivoire par an. Si cette possession est intéressante pour l’Égypte, ce n’est que parce qu’elle fournit des esclaves aux pays musulmans. »

Depuis que le Soudan Oriental est tombé, en partie, entre les mains des Mahdistes, la chasse à l’homme a repris de plus belle dans la vallée du Haut-Nil et le Plateau Central. Au Soudan, les pourvoyeurs des marchands d’esclaves sont les princes indigènes eux-mêmes. C’est la principale source de leurs revenus. Disciples du Koran, ils considèrent les populations païennes, c’est-à-dire fétichistes, sujettes ou non de leurs États, comme dépourvues de toute espèce de droits vis-à-vis des Croyants, les razzias qu’ils organisent et auxquelles ils intéressent, les chefs et les soldats de leurs petites armées, s’étendent sur de vastes territoires. On entoure et on incendie les villages, on tue tout ce qui résiste ou paraît impropre à la marche, au travail, à la luxure, on emmène le reste. Les dévastations et le carnage qui marquent ces sinistres expéditions sont indescriptibles, des provinces entières qu’on avait vues naguères populeuses et prospères se retrouvent, au bout de quelques années, désertes et arides.

Le Plateau Central, jadis appelé le jardin de l’Afrique, est aujourd’hui, grâce à cet exécrable trafic, devenu inculte et inhabité ; les malheureux habitants, dispersés dans les bois, guettent désormais d’un œil inquiet et avec des sentiments hostiles le passage du voyageur et des caravanes.

La traite et l’esclavage subsistent toujours sur les bords du Tanganyika. Mistress Hore (femme du capitaine Hore, ingénieur en chef et commandant de la marine des Missions anglicanes, sur les lacs du Centre Africain), raconte que près de Mpwapwa[130], à une soixantaine de lieues de la côte, elle aperçut çà et là des choses noires le long de la route. C’étaient des corps morts et desséchés ; des corps de nègres qui étaient tombés là de faim et de fatigue et que les coups de fouet n’avaient pu relever. Les Arabes qui amènent les chaînes d’esclaves de l’intérieur ne prennent aucun soin pour conserver la vie de ces malheureux. Leur calcul est fait ; il y a paraît-il, plus de profit à les conduire à marches forcées et presque sans nourriture qu’à leur donner à manger et à les ménager. Il en meurt beaucoup, mais qu’importe si le bénéfice à faire sur ceux qui survivent dépasse la perte à subir sur ceux qui succombent. C’est le même calcul que l’on applique aux chevaux et qui fait qu’on les surmène. « C’était, écrit mistress Hore, un spectacle horrible que toutes ces figures grimaçantes et parcheminées. Elles évoquaient l’image des souffrances sans nom liées au système diabolique de la traite. Je ne veux pas revenir sur un sujet si rebattu ; mais ma conscience me commande de crier à tous ceux qui peuvent m’entendre : il se passe aujourd’hui, au centre de l’Afrique, les mêmes horreurs qui se passaient à la côte il y a cinquante ans ; les Arabes et les aventuriers de toutes les nations, qui se livrent à la traite des nègres, ont reculé le théâtre de leurs opérations. »

Nos lecteurs supposent peut-être que ces lignes ont été publiées il y a déjà longtemps ! Erreur ! L’ouvrage de mistress Hore : Au lac Tanganyika dans une chaise roulante, a été publié à Londres, en 1887, c’est-à-dire depuis trois ans seulement !

Les Touareg[131], peuples voilés et nomades, répandus dans les oasis Sahariennes du Ghat et de l’Ahir, pirates et écumeurs du désert, s’occupent toujours de l’élève de l’esclavage, comme au temps du voyage de Barth. Voici les derniers renseignements que nous avons pu recueillir sur leur compte ; c’est un récit d’autant plus authentique qu’il émane du secrétaire de la Société Anti-Esclavagiste. Il s’agit d’un jeune nègre âgé de dix-neuf ans, Ferraghit, ancien esclave racheté par un Père Blanc.

« Un jour, dit Ferraghit, ma mère se rendait avec ma sœur, moi et quelques habitants de notre tribu, à un village voisin de Kaffouan, quand nous nous vîmes tout à coup entourés par des marchands Touareg, qui nous faisaient peur en nous montrant leurs poignards et leurs bâtons. Un nègre, qui était avec nous, s’avisa de crier : « Au secours ! » Il fut immédiatement renversé par terre et tué d’un violent coup de bâton. Un vieillard nègre pris avec nous voulut se défendre, il jeta sur les Touareg une flèche qu’il portait sur lui, mais l’arme s’abattit sans force, et cela ne fit qu’exciter la rage des marchands, qui frappèrent le vieux nègre à coups de poignard et le laissèrent mourir ainsi. Enfin, après avoir tué ceux qui criaient ou qui voulaient se défendre, ces terribles forbans nous emmenèrent tous dans la tribu des Bambas.

« Des Arabes achetèrent ceux d’entre nous qui paraissaient les plus forts. Ma mère, jugée bonne et solide pour travailler, fut envoyée tout de suite en service. Un Arabe cruel nous arracha notre pauvre mère sans que nous puissions même lui dire adieu.

« Je restai seul avec ma petite sœur ; mais bien souvent, je la revois en dormant, et, bien souvent à mon réveil, j’ai versé des larmes ; depuis lors, je n’ai jamais plus entendu parler de ma mère. J’avais alors six ans environ et ma sœur en avait quatre.

« Le marché fini, la caravane se remit en marche à travers le désert : nos maîtres étaient à dos de chameau, et nous, les pauvres esclaves, nous cheminions péniblement à pied.

« Les Touareg faisaient très rarement des haltes ; dans ces haltes, ils mangeaient un mouton ou une chèvre de leur troupeau, et ils nous jetaient les os comme à des chiens : heureux encore ceux qui pouvaient les attraper !

« Au bout de deux jours de marche, ma petite sœur, fatiguée de cette route brûlante et si pénible à travers les sables, tomba épuisée au milieu du désert ; je restai à ses côtés tandis que la caravane continuait sa course. Mais un des Touareg nous aperçut ; il revint vers nous et se mit à crier, puis à nous frapper à coups de fouet pour nous faire avancer. Ma petite sœur pleurait beaucoup, car elle souffrait et ne pouvait marcher ; alors le marchand voyant qu’il ne tirerait aucun profit de cette esclave de quatre ans. l’assomma sous mes yeux à coups de bâton ; je vis mourir ma petite sœur, ma seule consolation ici-bas ! Puis le Targui[132] me menaça de la mort aussi, si je ne regagnais la caravane ; il me donna du fouet jusqu’à ce que je fusse rentré dans les rangs de mes compagnons d’esclavage.

« Après quelques jours encore, la caravane arriva au terme du voyage ; les Touareg nous conduisirent au roi des Bambas. Ce roi leur acheta une centaine de nègres. Cinquante étaient destinés à être brûlés vifs pour apaiser « l’esprit du mal » qui avait donné une forte fièvre à ce prince.

« Je fus acheté avec d’autres pour un cheval et devins esclave du roi des Bambas. »

Ferraghit fut vendu, six mois plus tard, à des Arabes, dont il suit la caravane :

« Tout le long de la route on ne rencontrait que des cadavres séchés ou en putréfaction : c’étaient des esclaves massacrés par leurs maîtres.

« Dans notre caravane, les esclaves étaient divisés par bandes ; nous étions dans chacune d’elles quarante à cinquante nègres, de tout âge, de tout sexe, de toute tribu du centre de l’Afrique ; nous marchions les uns à la suite des autres.

« Plusieurs esclaves ayant voulu s’enfuir, on serra au col d’un esclave un fort anneau de fer ; à cet anneau était rivé un plus petit dans lequel on avait passé une longue chaîne qui reliait tous les nègres ensemble, régularisait leurs mouvements et les empêchait de fuir.

« Comme le temps pressait, les maîtres nous frappaient à coups de fouets et de nerfs de bœuf. Qu’il était triste de voir les vieillards et les malades ! Ils s’accrochaient en désespérés à leurs compagnons de misère, et, quand la bande s’arrêtait une minute pour respirer, il y en avait qui restaient suspendus à leur collier comme une masse inerte.

« Des drames épouvantables marquaient ces instants de repos. Un pauvre nègre était-il à bout de forces, on le frappait et on le frappait encore ; il fallait quelques minutes aux maîtres Arabes pour dénouer la chaîne, mais les minutes paraissaient des heures à ces marchands. Que se passait-il alors ? On lui coupait la tête et la bande reprenait sa marche. »

Les Arabes forçaient les nègres esclaves à dire les prières des musulmans avec eux. Ferraghit, pris un jour à rire pendant cet exercice de piété, fut aussitôt bâtonné et son sang coula.

Les Toucouleurs exercent annuellement leurs razzias dans l’Ouassoulou (Etat de Samory ; Haut-Niger).

Les Tunisiens s’avancent jusqu’au Darfourt !

Les Vouahéhé partent, chaque année au moment des moissons, pour l’Ourouro ; l’Oussanga ; l’Oussagara[133], afin d’y prendre des femmes et des enfants. Dans l’Ouahéhé, la polygamie est à l’ordre du jour. Souvent la direction du village est confiée à celui qui possède le plus de femmes : c’est le plus riche !

Les Vouamrimas de Bagamoyo ont des établissements fixes jusque sur les bords du Loualaba. L’un d’eux possédait à Nyangoué (HautCongo) un harem de trois cents femmes ! Tous ces Zanguebarites sont négriers et il leur faut un bénéfice considérable pour les amener à s’enfoncer autant dans l’intérieur et à quitter leur pays natal de la Mrima.

  1. Ismaïlia (Gondokoro). Récit d’une expédition armée dans l’Afrique Centrale pour la suppression de la traite des Noirs. Tour du Monde, 1875, 1er semestre, p.33-96.
  2. Près de Moklao, affluent du Roah, dont les eaux grossissent celles du Bahr Dyiaou, puis du Nil Blanc.
  3. Op. cit.
  4. Ogôoué supérieur.
  5. Alfred Marche. Trois voyages dans l’Afrique Occidentale, 1871-1878, Paris 1882.
  6. Tour du Monde, 1888, 2e semestre, p. 1-64.
  7. Le dernier journal de Livingstone. Tour du Monde, 1875, 2e semestre, p. 1-96.
  8. Petit village entourée d’une palissade.
  9. L’Uemba, au sud du lac Tanganyika, entre le Mamboué et l’Itahoua, au nord du Chambezi et au nord-est du lac Bangouélo ou Bemba.
  10. Voyage aux lacs de l’Afrique Equatoriale. Tour du Monde, 1886, 2e semestre, p. 81-144.
  11. Id.
  12. Le Sahara Algérien, Biskra, Touggourt, Ghadamès, le Souf, l’Ouargla. Tour du Monde, 1881, 2e semestre.
  13. Au sud du plateau de Tidikelt et capitale de l’oasis du Touat.
  14. Rhassi-ed-Djemel.
  15. Le dernier Journal de Livingstone.
  16. Voyage au fleuve des Gazelles, Nil Blanc. Tour du Monde, 1882, 1er semestre, p. 385-409.
  17. Iendué, station près de la rive méridionale du lac Tan ganyika, au nord du Tirengu.
  18. Op. cit.
  19. Le Fipa est sur la rive sud-est du Tanganyika.
  20. Cinq années au Congo. Revue politique et littéraire, Revue Bleue, 1886, p. 118.
  21. Terme générique sous lequel on désigne les esclaves à la côte d’Afrique.
  22. Bateaux du canal de Mozambique.
  23. Op. cit.
  24. Op. cit.
  25. Bagamoyo, port de mer africain, en face de l’île de Zanzibar. Les missionnaires français y ont un établissement pour les esclaves libérés ou fugitifs. C’est de Bagamoyo que partent les caravanes et les explorateurs pour les régions des grands lacs. Oudjidji, ville et contrée sur la rive nord-est du lac Tanganyika.
  26. Le Manyèma (colonie arabe) à l’ouest du lac Albert sur la rive droite de l’Arahouimi, affluent du Congo, (Comment j’ai retrouvé Livingstone. Tour du Monde, 1873. 1er semestre, p. 1-96).
  27. Entre le lac Tchad et le Ouaday (capitale Abêchir), royaume musulman.
  28. Voyage et découvertes au centre de l’Afrique. Tour du Monde, 1860, p. 193-241.
  29. Exploration du Haut-Niger. Tour du Monde, 1883, 1er semestre. p. 113-208.
  30. Exploration du Haut-Niger. Tour du Monde, 1883, 1er semestre, p. 113-208.
  31. Op. cit.
  32. Le Haouassa, centre de la domination des Peuhls ou Fellatas, villes principales : Sockotou (la Halle) et Kano.
  33. V. supra.
  34. Kouka (la ville des Baobabs), capitale du Bornou, près du lac Tchad.
  35. 1872 à 1874. — Des enfants y ont été vendus 60 à 70 francs chacun.
  36. Croisières à la côte d’Afrique, op. cit.
  37. Tribu Comalie, dans le Haut-Ouèbi.
  38. Afrique Orientale, sur l’Océan Indien, côtes d’Abel et d’Ajan.
  39. Magadoxo, ville maritime de l’Océan Indien. Vasco de Gama, à son retour des Indes passa devant cette cité du 2 au 5 février 1499. Elle portait déjà ce nom sous lequel elle figure sur la carte du célèbre voyageur portugais.
  40. Serviteurs libres.
  41. Millet, dara, chez les Touareg, en arabe, bechna.
  42. Province du Çomali entre Magadoxo et Ouarman, au nord-ouest du Ouèbi.
  43. Voyage chez les Benadirs, les Çomalis et les Bayouns. Tour du Monde, 1885, 2e semestre, p. 129-209.
  44. Ordre du commandant de la colonne expéditionnaire, du 21 avril 1890.
  45. Tour du Monde, 1863, 1er  semestre, p. 65-112.
  46. Danseuses de la Cour.
  47. Dix-huit mois après.
  48. Les rois Dahoméens ont toujours tenu expressément à avoir des Européens comme témoins de ces atrocités. Leur invitation équivalait à un ordre formel.
  49. Parmi lesquels M. Lartigue, agent de la maison marseillaise Régis et Cie, qui vit tomber plus de 500 têtes, les 30 et 31 juillet.
  50. Petite coquille servant de monnaie dans certaines régions de l’Afrique.
  51. MM. Angat, son secrétaire, et Béroud, interprète.
  52. Roi de Porto-Novo.
  53. Faki, pluriel fokara, prêtre musulman séculier du Kordofan.
  54. Op. cit.
  55. Pièce d’étoffe.
  56. Au nord de la Kaarta.
  57. Le Bafal, ou barre de sel, pèse environ 15 kilogrammes.
  58. Poste français, au nord de la rivière Bakkoy, affluent du Baoulé, qui se jette dans le Bafing ou Sénégal.
  59. Au sud-est de Kita.
  60. Au sud-est de Niagassola, non loin de la rive droite du Niger.
  61. Au sud-est de la Sénégambie.
  62. Op. cit.
  63. Op. cit.
  64. Le chameau, ne résistant pas longtemps à l’influence du climat, est peu employé comme moyen de transport.
  65. Poste central ou établissement pour le commerce de l’ivoire et des esclaves. (De l’arabe, zeriba, palissade).
  66. Voyage au Soudan Oriental ; — Tour du Monde, 1866, 2e semestre, p. 152-192.
  67. La Kourbache ou fouet des Djellabas, est formée par une lanière étroite de la peau de l’éléphant, ou mieux encore par un nerf spécial de ce pachyderme. Ce nerf, de la grosseur du pouce, est taillé à la longueur d’environ quatre pieds, arrondi et proportionnellement aminci, de manière qu’à son extrémité, qui est un peu aplatie, il soit réduit à une grosseur moindre que celle du petit doigt. Ces fouets ne se brisent jamais et laissent dans les chairs des sillons sanglants, vivement coupés.
    Le mot Kourbacha est d’origine turque, en Arabe qerbaj, pluriel qrabej ; Égyptien, kourbag ; Syrien, karbatch ou krobatch. C’est l’origine de cravache, empruntée au mot karbatsche que les Allemands ont pris aux Turcs.
  68. Le Nil Bleu.
  69. Désert de Korosko, entre cette ville, le Nil et l’île Abou-Hamid ou Mihrat.
  70. Dans le Dar-Nouba, sur la rive gauche du Bahr-El-Ghazal et du Nil Blanc.
  71. Voyage au Taka (Haute Nubie). Tour du Monde, 1865, 1er semestre, p. 97-145.
  72. Voyage en Abyssinie. Tour du Monde, 1867, 1er semestre, p. 364.
  73. Le Bénué, grand affluent du Niger, au nord de la Guinée.
  74. Afrique Orientale, à l’ouest de l’Océan Indien, au sud-ouest de Bagamoyo.
  75. Le Sahara Algérien, les déserts de l’Erg ; op. cit.
  76. Ville et oasis au sud de, la Tunisie et à l’ouest de la Tripolitaine.
  77. Marok, Algérie, Tunisie et Tripolitaine. Pour l’idiome, voir le Vocabulaire de la langue parlée dans les Pays Barbaresques, coordonné avec le Koran, édité par Charles Lavauzelle, Paris-Limoges, 1890.
  78. Rhat ou Ghat, ville et oasis du Sahara, au sud-est de Ghadamès.
  79. Rouvouma ou Louvouma, fleuve de l’Afrique Orientale, qui se jette dans l’Océan Indien près du cap Delgado, ses eaux proviendraient du lac Nyassa.
  80. Op. cit.
  81. Au nord-ouest du lac Tanganyika.
  82. Marok, autrefois capitale de cet empire, mais aujourd’hui encore résidence du sultan.
  83. Au sud-est de l’Ouroua et du lac Kassali ou Kikoudja.
  84. Des Voua Kalagannza, principale tribu de l’Ounyamouèzi, à l’est du lac Tanganyika.
  85. Op. cit.
  86. Speke et Grant, les sources du Nil. Tour du Monde, 1864, 1er semestre, p. 274-384.
  87. Affluent du Nil Blanc.
  88. Au nord de la rivière Quelle, tributaire du Congo. Entre le Dar Fertit et les Dinkas au nord, les monts Baginsé à l’est, le Dar-Banda à l’ouest.
  89. Habitants de l’Ouzaramo, pays compris entre les rivières Kingani et Lufigi, la côte orientale et le point où la Kingani se joint à sa branche supérieure la Mgeta.
  90. a et b Ne pas confondre l’Okanda, pays situé sur les bords de l’Ogôoué et au nord de l’Ouest-Africain, avec l’Ouganda, pays situé également sous l’Equateur, mais entre le Nil, le lac Louta N’sigé, le mont Gambaragara, la rivière Katonga, le lac Victoria Nyanza et les lacs Ibrahim et Kioga.
  91. Tour du Monde, 1887, 2e semestre, p. 289-333.
  92. Voyage dans le Fouta-Djallon. Tour du Monde, 1861. 1ersemestre.
  93. La chute de Bôoué ou de Faré se trouve entre l’île Ogala et l’île Sombé, sur le cours de l’Ogôoué, entre Sengé-Sengé et Lopé.
  94. C’est l’expression de bienvenue que l’on s’adresse en se revoyant après une longue absence.
  95. Op. cit.
  96. Mkungu, pl. Ouakungu : chef ou noble.
  97. Les Sources du Nil. Tour du Monde, 1864, 1er semestre, p. 274-384.
  98. A travers le Continent Mystérieux. Tour du Monde, 1878, 2e semestre, p. 1-160.
  99. Le cardinal Lavigerie fait élever, à Malte, des nègres destinés à devenir médecins ; plusieurs d’entre eux sont partis au mois de juin 1890, avec Mgr Bridoux, pour l’Afrique Centrale.
    Son Eminence a fondé, à Biskra (Algérie, province de Constantine, ancienne capitale du Zab, pluriel Ziban, par 35° 27’ de latitude Nord et 3° 22’ de longitude Est), une maison de « Frères du Sahara ». Les esclaves fugitifs y trouveront un refuge, les malades, un hôpital, où seront soignés gratuitement les nègres du Sahara, qui s’y présenteront.
  100. Nous nous occupons plus loin de ce traité, dont l’importance n’échappera à aucun de nos lecteurs. — Les nouvelles de l’Ouganda confirment la mort de l’ex-roi Kalema, qui a succombé à la petite vérole. Le roi Mouanga est devenu maintenant l’auxiliaire le plus précieux de nos missionnaires et fait une guerre implacable à tous les négriers qui s’aventurent sur ses domaines. Les féroces trafiquants musulmans ont appris à le redouter. Il a été définitivement converti au catholicisme par Mgr Livinhac, vicaire apostolique du Nyanza.
  101. Sur la côte nord-est du lac Albert ou Albert Nyanza.
  102. Entre les 4° et 5° degrés de latitude méridionale et les 30° et 31° degrés de longitude. Voyage à l’Albert Nyanza. Tour du Monde, 1867, p. 1-48.
  103. Les Pahouins habitent : 1° au sud de l’Estuaire du Gabon ; 2° entre le lac Azingo, les Adzounibas et les Akalais ; 3° dans le Haut-Ogôoué, entre les Akalais et les Osseybas, sur la rive droite de ce fleuve.
  104. Port et capitale du petit royaume de ce nom, Côte des Esclaves (Afrique Occidentale). Protectorat Anglais.
  105. Région et lieu d’échange sur le Zambèze (Afrique Orientale. Colonie Portugaise).
  106. Se jette dans l’Océan Indien.
  107. Le Chiré sort du lac Nyassa et se termine dans le canal de Mozambique, avec le Zambèze.
  108. Région et lieu d’échange sur le Zanibèze, aux Portugais.
  109. Mariano fut si peu puni qu’il reprit la série de ses crimes. L’Afrique Australe, le Zanibèze et ses affluents. Tour du Monde, 1866, 1er semestre, p. 33-64, 113-176.
  110. Livingstone avait aussi rencontré chez les Dalondas, deux mulâtres Portugais, possesseurs d’une bande de jeunes filles enchaînées. Un traitant Portugais est accusé d’avoir fait empaler un esclave sur une tige de fer rougie au feu.
  111. Op. cit.
  112. Chef suprême de l’Ouroua, sur la rive gauche de la Louapoula, cours supérieur du Congo, à l’ouest du lac Moéro.
  113. Op. cit.
  114. Dans l’Ouroua proprement dit, au nord-est du lac Kassali et de la Loualaba (Haut Congo).
  115. Op. cit.
  116. District de la colonie Portugaise de Benguéla.
  117. Pays situé au nord-est du Bihé.
  118. Au nord du Lovalé.
  119. Les fakis du Darfour sont probablement les seuls praticiens qui émasculent encore les enfants, les eunuques deviennent de plus en plus rares. Les prêtres Coptes avaient aussi, jadis, cette horrible spécialité.
  120. Op. cit.
  121. Soudan Occidental, à l’est de la Sénégambie, sur le Haut-Niger.
  122. Voyage dans le Soudan Occidental. Tour du Monde, 1868, 1er semestre, p. 1-96.
  123. Exploration du Haut-Niger. Tour du Monde, 1883, 1er semestre, p. 113-208.
  124. Sur la route qui relie les postes français, entre le Sénégal et le Niger, à vingt kilomètres est de Bafoulabé.
  125. Le Colonel a ramené, avec lui, Abdoulaye, un négrillon de quatorze ans, fils d’Ahmadou, pris à Ségou-Sikoro.
  126. L’un des Etats musulmans du Soudan Central.
  127. Op. cit.
  128. Voyage du Bornou au Baghirmi. Tour du Monde, 1880. 2e semestre, p. 337 à 402.
  129. Beled-es-Soudan, signifie, en arabe comme Nigritie, en français, Pays des noirs. Nous le divisons rationnellement en Soudan Oriental, Soudan Central et Soudan Occidental, qui s'étend au nord-ouest jusqu'à Tombouctou.
  130. Mpwapwa ou Mpouapoua, au pied et à l’ouest de la chaîne du Rousokoua, avant d’arriver au Souhoua.
  131. Les Touareg ont assassiné, ou fait périr, successivement MM. Journaux-Duperré et Joubert en 1879 ; puis le colonel Flatters et la plupart de ses compagnons.
    Au mois de mai 1890, un de leurs grands chefs, Abd-Er-Rahman-Ben-Hadj-Mohammed-Ben-Ghayamir-Ben-Hadj-Bekir, des Ifossighass-Haggars, passa à Biskra, se rendant à Batna, où il devait conférer avec le général de la Roque. On suppose qu’il voulait conclure un traité de paix et de commerce.
  132. Targui, pluriel Touareg.
  133. L’Ourouro, l’Oussanga, l’Oussagara sont entre le lac Tanganyika et le territoire formé par le Zanguebar, Afrique Orientale.