Kalevala/trad. Léouzon le Duc (1867)/42

Traduction par Louis Léouzon le Duc.
A. Lacroix, Verboeckhoven & Cie (p. 406-417).

QUARANTE-DEUXIÈME RUNO

sommaire.
Les trois héros arrivent dans Pohjola. — Wäinämöinen propose à Louhi de partager le Sampo avec lui. — Louhi refuse et soulève tout le peuple contre les ravisseurs. — Wäinämöinen joue du kantele et plonge les habitants de Pohjola dans un sommeil magique, à la faveur duquel il enlève le Sampo et le porte dans son navire. — Lemminkäinen entonne un chant au milieu de la mer. — Sa voix rauque pénètre jusque dans Pohjola, et y réveille le peuple endormi. — Colère de Louhi en voyant que le Sampo a disparu. — Elle évoque contre le navire des trois héros un brouillard épais, un monstre marin et une horrible tempête. — Le kantele est emporté par les vagues et précipité au fond de la mer. — Wäinämöinen et ses compagnons parviennent à échapper au naufrage.


Le vieux Wäinämöinen, Ilmarinen et Lemminkäinen avalent de nouveau pris place dans leur navire ; ils se dirigèrent, à travers les vagues profondes, vers la sombre Pohjola, vers la région glacée, où l’on dévore les hommes, où l’on extermine les héros.

Qui siégeait au banc des rameurs, qui manœuvrait les avirons ? C’était le forgeron Ilmarinen, c’était le joyeux Lemminkäinen.

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen, assis au gouvernail, conduisit le navire d’une main sûre, malgré les assauts des ondes frémissantes, jusqu’au rivage, jusqu’au port bien connu de Pohjola.

Et quand ils y furent arrivés, les héros tirèrent le navire hors de la mer, et le firent glisser, au moyen de rouleaux garnis d’acier, sur la grève aride.

Puis, ils s’approchèrent du village et entrèrent dans l’habitation de la mère de famille de Pohjola. La vieille femme leur dit : « Qu’ont à raconter les hommes, quelle nouvelle apportent les héros ? »

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen répondit : « Les hommes raconteront, les héros diront qu’ils sont venus ici pour partager le Sampo, pour examiner le beau couvercle. »

La mère de famille de Pohjola répliqua : « La gélinotte ne saurait se partager entre deux, l’écureuil ne saurait se partager entre trois ; il plaît au Sampo de tourner, il plaît au beau couvercle de moudre, dans la montagne de pierre, dans la montagne de cuivre de Pohjola ; il me plaît aussi à moi d’être la maîtresse souveraine du grand Sampo. »

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen dit : « Si tu refuses de partager avec nous le Sampo, nous l’emporterons tout entier dans notre navire. »

Louhi, la mère de famille de Pohjola, fut saisie d’une violente colère ; elle appela tout le peuple de Pohjola, les jeunes hommes avec leurs glaives, les héros avec leurs armes, pour le compte de la tête de Wäinämöinen[1].

Alors, le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen prit son kantele, et il s’assit, et il commença à toucher, d’une main habile, les cordes de l’instrument. Tous accoururent pour écouter, pour admirer les mélodies de la joie : les hommes avec le cœur gai, les femmes avec la bouche souriante, les héros avec des larmes dans les yeux, les jeunes garçons avec les genoux fléchis jusqu’à terre.

Mais, bientôt, à l’attendrissement succéda un engourdissement magique ; et tous ceux qui écoutaient, et tous ceux qui regardaient, et les jeunes et les vieux s’endormirent lourdement.

Le sage Wäinämöinen, le tietäjä[2] éternel, fouilla dans sa poche, chercha dans sa petite bourse, et il en tira les aiguilles du sommeil ; puis, il se mit à coudre les paupières, à croiser les cils sur les yeux du peuple engourdi, des héros endormis, de tous les habitants de Pohjola ; et il assura ainsi une longue durée à leur sommeil[3].

Alors, il se dirigea vers la montagne de pierre, vers la montagne de cuivre de Pohjola, pour y enlever le Sampo, pour y arracher le beau couvercle, derrière les neuf serrures, derrière le dixième verrou.

Et le vieux Wäinämöinen entonna un chant magique devant les portes de la montagne de pierre, les portes de la montagne de cuivre ; et soudain elles s’ébranlèrent.

Le forgeron Ilmarinen frotta les serrures avec du beurre, les gonds de fer avec de la graisse, afin de les empêcher de grincer bruyamment ; ensuite, il fit glisser les pènes avec les doigts, il tira doucement les verrous ; et les portes, les puissantes portes s’ouvrirent dans toute leur largeur.

Le vieux Wäinämöinen dit : « Ô joyeux fils de Lempi, toi le plus cher de mes amis, va maintenant enlever le Sampo, arracher le beau couvercle ! »

Le joyeux Lemminkäinen, le beau Kaukomieli, le héros toujours prêt à agir sans y être invité, toujours plein de zèle sans y être excité, pénétra dans l’intérieur de la montagne pour y enlever le Sampo, pour arracher le beau couvercle ; et, chemin faisant, il disait avec jactance :

« Le héros déploiera une force virile digne du fils de son père[4] ! Que le Sampo s’ébranle, que le beau couvercle tourne sur lui-même, au seul choc de mon pied droit, au seul attouchement de mon talon ! »

Et Lemminkäinen, s’approchant du Sampo, s’efforça de le remuer ; il l’étreignit dans ses bras, il le secoua de toutes ses forces, agenouillé par terre ; mais le Sampo ne bougea pas, le beau couvercle demeura immobile ; les racines s’enfonçaient dans les entrailles du rocher à une profondeur de neuf brasses.

Il était dans Pohjola un superbe taureau, un taureau gigantesque : ses flancs étaient vigoureux, ses nerfs durs comme l’acier, ses cornes longues d’une brasse, son mufle long d’une demi-brasse[5].

On l’amena du pré où il paissait, on l’attela à une charrue ; et il laboura profondément la place où étaient enfouies les racines du Sampo, où était emprisonné le beau couvercle. Le Sampo commença à s’ébranler, le beau couvercle à pencher en avant.

Alors, le vieux Wäinämöinen, le premier, le forgeron Ilmarinen, le second, le joyeux Lemminkäinen, le troisième[6], enlevèrent le grand Sampo de la montagne de pierre, des entrailles de la montagne de cuivre de Pohjola, et ils l’emportèrent dans leur navire, et ils s’élancèrent, de nouveau, sur la mer.

Le forgeron Ilmarinen prit la parole et s’exprima ainsi : « Maintenant que nous avons enlevé le Sampo, que nous avons arraché le beau couvercle de cet endroit misérable, de cette triste Pohjola, où les transporterons-nous ? »

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen répondit : « Nous transporterons le Sampo, nous transporterons le beau couvercle à l’extrémité du promontoire nébuleux, de l’île riche d’ombrages, pour qu’il y reste éternellement et qu’il y soit une source de prospérité. On trouvera bien dans cette île une petite place, un petit coin de terre qui jamais n’ait été brouté, jamais foulé aux pieds, jamais visité par les glaives des hommes. »

Et le vieux Wäinämöinen, le cœur plein d’une joie triomphale, s’éloigna de la sombre Pohjola, et reprit la route de son pays ; et, tandis qu’il gouvernait son navire, il éleva la voix et il dit : « Fuis, ô navire, loin de Pohjola, tourne ta poupe du côté des pays étrangers[7] et gagne mes propres rivages !

« Berce, ô vent, berce mon bateau, et toi, ô vague de la mer, pousse-le en avant, prête ton secours aux rames, allége les efforts des rameurs, sur ces vastes ondes, sur ces golfes immenses !

« Si les rames sont trop petites, si les rameurs sont trop faibles, si les conducteurs, si les pilotes du navire sont des enfants, donne tes propres rames, ô Ahto[8], donne ton propre navire, ô souverain des ondes, donne de nouvelles et de meilleures rames, un pilote plus habile et plus ferme ; prends toi-même les rames en main, et fais marcher rapidement le navire à travers les tourbillons redoutables, les vagues écumantes[9]. »

Le vieux Wäinämöinen continua de gouverner habilement le navire ; le forgeron Ilmarinen et le joyeux Lemminkäinen manœuvrèrent les rames avec une nouvelle ardeur ; ils avancent, d’une course rapide, sur la mer profonde.

Le joyeux Lemminkäinen dit : « S’il y avait autrefois de l’eau pour le rameur, il y avait aussi des chants pour le runoia ; mais, maintenant, on n’entend jamais de chant sur les navires, on n’entend jamais la moindre mélodie au milieu des vagues. »

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen dit : « On ne doit point chanter sur la mer, on ne doit point chanter au milieu des vagues ; le chant engendre la paresse et arrête le bras des rameurs. Le jour d’or s’évanouirait, la nuit viendrait brusquement nous surprendre sur cette plaine immense, sur ces vastes golfes. »

Le joyeux Lemminkäinen dit : « Le temps n’en marcherait pas moins, le jour d’or n’en arriverait pas moins à son terme, la nuit n’en déroulerait pas moins son voile ténébreux, lors même que tu ne chanterais jamais, que tu ne modulerais aucun chant, durant tout le cours de ta vie. »

Le vieux Wäinämöinen poursuivit sa course ; il marcha un jour, il marcha deux jours ; mais, le troisième jour, le joyeux Lemminkäinen reprit la parole et dit : « Pourquoi ne chantes-tu pas, ô Wäinämöinen, pourquoi ne chantes-tu pas, ô héros à la noble origine ? N’as-tu pas enlevé le Sampo, n’as-tu pas fait un heureux voyage ? »

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen répondit : « Il est encore trop tôt pour chanter, pour donner l’essor à la joie ; il faut attendre que nous soyons en vue de nos propres demeures, que nous entendions les grincements de nos propres portes. »

Le joyeux Lemminkäinen répliqua : « Si j’étais assis au gouvernail, je chanterais, suivant ma puissance, je chanterais, car je me sens disposé à chanter. Peut-être qu’un autre jour ma puissance se sera évanouie, ma force devenue insuffisante. Ainsi donc, si tu ne me promets pas de chanter, je chanterai moi-même, sans plus tarder. »

Et le joyeux Lemminkäinen, le beau Kaukomieli, après avoir accordé sa bouche, préludé avec sa langue[10], se mit à chanter. Il poussa, l’audacieux, des cris rauques, de sa voix chevrotante, il tira d’affreux ronflements du fond de sa gorge fêlée.

Et sa bouche se contournait, et sa barbe tremblotait. Ce chant étrange retentit au loin sur la mer ; on l’entendit par delà six villages, par delà sept golfes.

Une grue était perchée sur un tronc d’arbre, sur une motte humide ; elle levait ses pieds en l’air et comptait le nombre de ses doigts ; elle entendit le chant de Lemminkäinen et fut frappée d’épouvante[11].

Elle prit aussitôt son vol en poussant des cris horribles, et se dirigea du côté de Pohjola. Là, elle renouvela ses cris ; et leur éclat sinistre eut la funeste puissance de réveiller tout le peuple.

La mère de famille de Pohjola surgit de son long sommeil ; elle courut à l’étable, elle courut à l’étuve où séchait le grain, et elle passa en revue le bétail et les épis ; le bétail était intact, aucun épi n’avait disparu.

Elle gagna la montagne de pierre, la montagne de cuivre ; mais, arrivée près des portes, elle s’écria : « Malheur à mes jours, infortunée que je suis ! Sans nul doute, un étranger s’est introduit ici ; il a brisé toutes les serrures, il a brisé tous les verrous de fer, il a ouvert toutes les portes du château. Est-ce que le Sampo aurait été enlevé, est-ce que le beau couvercle aurait été emporté ? »

Certainement, le Sampo avait été enlevé, le beau couvercle avait été emporté. On les avait arrachés des entrailles de la montagne de pierre, de la montagne de cuivre de Pohjola, malgré les neuf serrures, malgré le dixième verrou.

Louhi, la mère de famille de Pohjola se sentit prise d’un désespoir amer ; elle voyait sa puissance déchue, sa suprématie brisée. Alors, elle implora le secours d’Uutar[12] : « Ô fille d’Utu, vierge des brouillards, tamise un brouillard avec ton tamis, fais descendre du haut du ciel sur la vaste surface de la mer une vapeur épaisse, afin que Wäinämöinen ne puisse avancer, qu’Uvantolainen ne puisse trouver le vrai chemin !

« Et si cela ne suffit pas, ô Iku-Turso[13], fils du vieillard, sors de la mer, dresse ta tête au-dessus des flots ; précipite les hommes de Kaleva[14], les habitants d’Uvantola[15], les exécrables héros, dans les profondeurs de l’abîme, et rapporte intact, dans Pohjola, le Sampo qu’ils ont enlevé.

« Si cela ne suffit point encore, ô Ukko, dieu suprême entre tous les dieux, souverain dominateur des airs[16], éveille les grandes puissances de la tempête, déchaîne les vents, soulève les vagues contre le navire, afin que Wäinämöinen ne puisse aller en avant, qu’Uvantolainen soit arrêté dans sa course ! »

La fille d’Utu, la vierge des brouillards, souffla un brouillard épais sur la mer, une sombre nuée à travers les airs, et elle enchaîna le vieux Wäinämöinen, pendant trois nuits entières, au milieu des flots.

Quand ces trois nuits se furent écoulées, le vieux Wäinämöinen éleva la voix, et il dit : « Jamais, l’homme, même le plus faible, jamais le héros, même le plus endormi, n’a été vaincu, n’a été détruit par un brouillard. »

Et, de son glaive, il frappa les eaux de la mer ; une vapeur douce comme le miel se dégagea de la lame d’acier ; et, soudain, le brouillard s’évanouit dans les airs, se dissipa dans l’immensité du ciel ; et la mer reprit sa clarté, elle se déroula dans toute sa grandeur ; le monde s’ouvrit de nouveau devant les guerriers.

Un instant, un court instant s’écoula. Alors, un bruit sourd retentit à la surface de la mer, et les flots se soulevèrent puissamment contre le navire de Wäinämöinen.

Le forgeron Ilmarinen en fut saisi d’effroi ; le sang disparut de son visage, la couleur rouge se ternit sur ses joues ; et il se voila la tête et les oreilles, il se voila tout le visage, encore plus les veux[17].

Le vieux Wäinämöinen se pencha sur les vagues et jeta les regards autour du navire ; il y aperçut un petit prodige[18]. Iku-Turso, le fils du vieillard, dressait sa tête hideuse au-dessus des flots, tout près de la carène.

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen saisit le monstre par les oreilles, et lui dit : « Ô Iku-Turso, fils du vieillard, pourquoi as-tu surgi du sein de la mer, pourquoi es-tu venu du fond des eaux, te jeter sur la route des hommes, sur la route du fils de Kaleva ? »

Iku-Turso, le fils du vieillard, n’éprouva certainement aucune joie à cette question, mais il ne s’en effraya pas et garda le silence.

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen l’interrogea avec soin, une seconde fois, puis une troisième fois : « Ô Iku-Turso, fils du vieillard, pourquoi as-tu surgi du sein de la mer, pourquoi es-tu sorti du fond des eaux ? »

Iku-Turso répondit à la troisième question : « J’ai surgi du sein de la mer, je suis sorti du fond des eaux, avec le dessein d’exterminer la race de Kaleva, et de reprendre le Sampo pour le peuple de Pohjola. Mais, si tu me laisses retourner dans l’abîme, si tu épargnes ma pauvre vie, je ne me jetterai plus jamais sur la route des hommes. »

Alors, le vieux Wäinämöinen lâcha le misérable, et il lui dit : « Ô Iku-Turso, fils du vieillard, à dater de ce jour, tu ne surgiras plus du sein de la mer, tu ne sortiras plus du fond des eaux, pour te jeter sur la route des hommes ! »

Et, à dater de ce jour, Turso ne sortit plus du sein de la mer pour se jeter sur la route des hommes ; le soleil et la lune se levèrent, un jour splendide brilla, l’air devint doux et plein de charme.

Le vieux Wäinämöinen poursuivit sa course à travers les vastes golfes ; mais, quand un peu de temps, quand un temps très-court se fut écoulé, Ukko, le dieu suprême, le souverain dominateur de la voûte éthérée, ordonna aux vents de souffler, à la tempête de se déchaîner avec violence.

Et les vents soufflèrent, et la tempête se déchaîna avec violence ; les vents soufflèrent, furieux, de l’ouest et du sud-ouest, plus furieux encore du sud ; ils mugirent effroyablement de l’est et du sud-est ; ils poussèrent du nord des hurlements sauvages. Les feuilles tombèrent des arbres, l’écorce en fut arrachée, les bruyères dépouillées de leurs fleurs, les graines des plantes dispersées ; la vase noire remonta du fond de la mer à sa surface[19].

Les vagues soulevées se ruèrent contre le navire, et elles emportèrent avec elles le kantele formé des os du brochet, des nageoires du poisson, pour la jouissance du peuple de Vellamo[20], pour la joie éternelle d’Ahtola. Lorsqu’Ahto, lorsque les enfants d’Ahto aperçurent le mélodieux instrument sur la cime des flots, ils s’en emparèrent et le cachèrent dans leur demeure.

Alors, le vieux Wäinämöinen sentit les larmes lui monter aux yeux, et il prit la parole, et il dit : « Ainsi donc, mon ouvrage, mon instrument bien-aimé a disparu, ma joie éternelle s’est perdue au milieu des flots ; je ne retrouverai plus, durant toute cette vie, le kantele formé des dents du brochet, des os du grand poisson. »

Le forgeron Ilmarinen fut pris, lui aussi, d’un chagrin amer, et il dit : « Malheur à mes jours, infortuné que je suis ! Malheur à moi qui suis venu sur cette vaste mer, sur ces golfes immenses, qui ai mis le pied sur cet arbre qui roule, sur cette branche qui tremble ! Mes cheveux, hélas ! ont appris à connaître les vents, ils ont fait l’expérience des horribles tempêtes ; ma barbe a traversé de mauvais jours, au milieu de ces ondes ; oui, rarement mes cheveux et ma barbe ont subi une tempête aussi violente, des brisements aussi orageux, des vagues hérissées de tant d’écume. Le vent est maintenant mon seul refuge, le flot mon seul protecteur[21]. »

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen médita profondément sur sa cruelle aventure : « Il ne convient point de pleurer dans un bateau, de se lamenter dans un navire ; les pleurs ne sont d’aucun secours dans la détresse, les lamentations ne sauvent point des mauvais jours. »

Puis, il prit la parole et il dit : « Ô vague, retiens ton fils, enchaîne ton enfant ; ô Ahto, calme les flots, Vellamo, modère la furie des ondes, afin qu’elles ne s’élèvent point par dessus les bords de mon navire !

« Fuis vers le ciel, ô vent, gagne les hauteurs des nuages, retourne aux lieux de ton origine, auprès de ta famille, de tes parents, de tous ceux de ta race ; ne renverse point mon navire, ne le précipite point au fond de la mer ; renverse plutôt les arbres dans la forêt destinée à être défrichée, renverse les moulins sur les collines[22]. »

Le joyeux Lemminkäinen, le beau Kaukomieli dit : « Ô aigle, viens de Turja[23] et apporte trois de tes plumes, ô corbeau, apportes-en deux pour servir de soutien au petit navire ! »

Et Lemminkäinen exhaussa lui-même ses bords, il y ajouta des planches étrangères, à la hauteur d’une brasse, en sorte que la vague fut impuissante à les franchir.

Ainsi, les bords du navire se trouvèrent suffisamment élevés pour résister aux terribles violences de la tempête, pour soutenir l’assaut des grandes vagues, à travers les tourbillons orageux, les flots escarpés.

  1. « Pää varalle Wäinämöisen. »

  2. Voir Troisième Runo, note 24.
  3. « Siitä viisas Wäinämöinen,
    « Tietäja iän-ikuinen.
    « Tapasi on taskuhuusa,
    « Kulki kukkaroisehensa,
    « Ottavi uniset neulat,
    « Voiteli unella silmät,
    « Ripset ristihin panevi,
    « Paiuoi luomet lukkosehen
    « Vaeltä väsynehelta,
    « Urohiltä uinuvilta ;
    « Pani pitkähan unehen,
    « Viikommaksi nukkumahan
    « Koko Pohjolan perehen,
    « Ja kaiken kylaisen kausan. »

  4. « Mi lienee minussa miestä,
    « Urosta ukon pojassa. »

  5. « Hyvä on härkä Pohjolassa,
    « Jok’on vahva vartalolta,
    « Ylen sitkeä sivulta,
    « Suonilla kovin sorea ;
    « Sen on syltä sarvet pitkät,
    « Puolentoista turpa paksu. »

  6. Siita vanha Wäinämöinen,
    « Toinen seppo Ilmarinen,
    « Kolmas lieto Lemminkäinen. »

  7. « Perin maille vierahille. »

  8. Dieu des eaux.
  9. Cette partie de la runo forme un chant spécial dit chant ou paroles du rameur, Soutajan sanat.
  10. « Suutansa sovittelevi,
    « Saveltansa säattelevi. »

  11. « Kurki istui kanuon paässa,
    « Märan mättähän nenässä,
    « Sormiluitansa lukevi,
    « Jalkojansa nostelevi ;
    « Sepa saikahti kovasti
    « Lemminkäisen laulanta’a. »

  12. Déesse des brouillards. Voir Dix-neuvième Runo, note 9.
  13. Éternel — Turso ou Tursas, — mauvais génie des eaux. Voir Deuxième Runo, note 6.
  14. Voir page Deuxième Runo, note 15 et Quatrième Runo, note 6. Kaleva s’applique ici à Ilmarinen et à Lemminkäinen aussi bien qu’à Wäinämöinen.
  15. Pays ou séjour d’Uvantolainen, que l’on traduit généralement par « ami ou fiancé de l’onde » surnom de Wäinämöinen. Voir Septième Runo, note 8. On peut faire aussi dériver Uvantolainen de Urwet, illustre, excellent. Voir Seizième Runo, note 10.
  16. La runo dit : Roi d’or, dominateur d’argent, de l’air :

    « Ilman kultainen kuningas,
    « Hopeinen hallitsia ! »

  17. « Siinä seppo Ilmarinen
    « Toki säikähti kovasti,
    « Veret vieri kasvoiltansa,
    « Puna poskilta putosi ;
    « Veti viltin paänsa paalle,
    « Yli korvien kohenti,
    « Peitti kasvot kaunihisti,
    « Silmansa sitai paremmin. »

  18. « Naki kummoa vähäisen. »

  19. « Tuuli puut lehettömäksi,
    « Havupuut havuttomaksi,

    « Kanervat kukattomaksi
    « Heinat helpehettümaksi ;
    « Nosti mustia muria
    « Paulle selvien vesien. »

  20. Femme d’Ahto. Voir Cinquième Runo, note 2 et 3.
  21. C’est-à-dire que le héros n’avait plus d’autre ressource pour se sauver que d’être poussé au rivahe par les vents et par les flots. Voir Vingt-neuvième Runo, note 15.
  22. Les moulins à vent.
  23. Voir Neuvième Runo, note 7.