Cours d’agriculture (Rozier)/ARBRE

Hôtel Serpente (Tome premierp. 606-635).


ARBRE, Botanique.

Plan du Travail sur ce mot.

CHAP. I. De l’Arbre considéré en général, relativement aux parties qui concourent à sa formation, son entretien & sa durée.
CHAP. II. Parallèle entre l’économie végétale & l’économie animale.
CHAP. III. De l’Arbre en général, considéré relativement à l’Agriculture.
CHAP. IV. De l’Arbre en général, considéré relativement au Jardinage.
CHAP. V. De l’Arbre, relativement aux limites.


CHAPITRE PREMIER.

De l’Arbre considéré en général relativement aux parties qui concourent à sa formation, son entretien & sa durée.


L’arbre est de tous les végétaux le plus gros, le plus élevé & le plus parfait. Si le botaniste en a fait une classe distinguée des plantes, c’est qu’il lui a fallu des points de ralliement pour que le systême qu’il vouloit établir ne confondît pas l’herbe avec le chêne, l’hyssope avec le cèdre du Liban. Mais l’arbre en diffère-t-il essentiellement ? Non : à la tête des êtres animés & fixes à la place qui les voit naître, croître, se réproduire & périr, il ne doit le premier rang qu’à sa grandeur, sa force, sa longue vie & son utilité universelle. Tout ce qui constitue la plante, tout ce qui forme le végétal en général se retrouve éminemment dans l’arbre, & lui seul bien étudié peut donner une idée suffisante de toutes les parties qui concourent à la production d’une plante. Développées & rendues sensibles par leur grosseur & leur étendue, elles paroissent d’elles-mêmes aux yeux presque sans préparation, & sans avoir recours aux détails des instrumens microscopiques. Ainsi les grands quadrupèdes offrent sous un volume apparent les parties animales qu’il faut pour ainsi dire deviner dans ceux de la dernière classe. C’est donc dans les arbres que l’on doit étudier la grande merveille de l’économie végétale ; c’est chez eux qu’il faut chercher & suivre les organes nécessaires à leur constitution extérieure, à leur développement & leur entretien, à leur multiplication & leur fécondation, à leur nourriture & à leur vie : c’est à travers les fibres des arbres que l’on peut facilement suivre tous les vaisseaux dans lesquels circulent, & les sucs particuliers & le principe vital. Quel objet d’étude plus intéressant, plus magnifique & plus satisfaisant ! Quel est l’homme qui, placé au milieu d’une forêt, n’est pas frappé d’admiration en voyant ces chênes majestueux, dont la cime se perd dans les nues, & les racines pénètrent si profondément ? Si, après avoir considéré leur direction, leur force, l’étendue de leur diamètre, l’espèce de symétrie de leurs branches, la verdure de leur feuillage, la quantité de fruits dont ils sont couverts ; si, dis-je, après avoir réfléchi sur tous ces objets extérieurs, il pense que cette foule d’êtres muets qui l’environnent, & qui ne paroissent exister que pour lui, ont une vie propre & indépendante, respirent par un mécanisme particulier, vont chercher & s’approprient la nourriture la plus saine & la plus convenable ; qu’ils n’admettent point, ou rejettent tout ce qui pourroit leur être étranger ou nuisible ; qu’ils jouissent d’une espèce de mouvement spontané & de nutation ; que peut-être ils sont doués d’un sentiment machinal fondé sur l’irritabilité de leurs fibres : s’il songe que dans l’intérieur de ce chêne que la hache a peine à couper, de ce bois de fer qui résiste aux instrumens les plus tranchans, des fluides nourriciers circulent sans cesse, & vont porter jour & nuit l’entretien & la vie ; que ces feuilles légères, qui ne semblent être que le jouet des zéphirs, sont les parties essentielles de la plante ; & que tandis que leur surface inférieure pompe la rosée, la surface supérieure est l’organe principal de la transpiration : enfin, s’il assiste à l’hyménée des fleurs mâles & femelles, & qu’il suive le développement du germe & du fruit, après un moment de silence il s’écriera : Ô richesses ! ô merveilles de la nature ! que son auteur est grand ! qu’il est admirable !

Avant de traiter la culture des arbres, apprenons à les connoître ; cette science seule pourra nous guider dans le labyrinthe de la pratique de la végétation.

L’arbre est composé de trois parties principales, le tronc & les deux extrémités, inférieure & supérieure, ou les racines & les branches[1]. Le tronc est cette partie solide de l’arbre qui s’élève hors de la terre, & supporte une touffe de branches plus ou moins épaisses. Varié dans sa hauteur, mais toujours perpendiculaire à l’horizon, à moins que des obstacles invincibles ne le forcent à changer de direction, ses branches elles-mêmes affectent cette situation par un effort continuel à s’écarter le moins possible de la ligne verticale. La chaleur & la lumière paroissent influer sur cette disposition ; l’eau ne la dérange point. Vers le haut du tronc, & dans sa longueur même, toutes les parties qui le constituent, la moelle, les fibres ligneuses, l’écorce, l’épiderme, &c. s’écartent de la masse générale, & se réunissant en un seul corps, forment à leur tour un nouveau petit arbre implanté sur la mère-tige ; cette nouvelle production est la branche. Sa grosseur propre, toujours moindre que celle du tronc, suit une espèce d’ordre. Celle qui naît de la sommité du tronc, & en général celles qui en sont le plus proches, sont d’un volume plus fort & plus vigoureux. La grosseur diminue en proportion de l’éloignement & du nombre. C’est dans les branches & les jeunes pousses qu’il faut chercher la figure primitive de la tige, & non dans le tronc, que le tems ramène tôt ou tard à la forme circulaire. La tige est triangulaire dans l’aune, l’oranger, quelqu’espèce de peuplier ; quarrée dans le buis, le fusain, le phlomis ; pentagone dans le pêcher, le jasmin, & exagone dans le clématitis & dans plusieurs espèces d’érable. Une variété semblable se fait remarquer dans l’insertion des branches comme des feuilles.

Destinées à vivre dans l’obscurité, à pénétrer à travers les différentes couches de la terre, & loin de nos regards, la nature semble avoir refusé aux racines l’élégance de la forme, les agrémens de la parure dont elle a embelli les tiges de ses branches ; mais elle leur a prodigué les organes de l’utilité. Composées comme le tronc, du corps ligneux, de couches corticales, elles en diffèrent en ce que ces couches, ainsi que l’épiderme, sont plus épaisses que dans le tronc. Leur couleur, soit extérieure, soit intérieure, s’en éloigne encore, & le plus souvent elle est plus vive dans les racines. Toujours en proportion avec les branches, l’étendue, la direction, la disposition & la figure que celles-ci affectent, paroissent commander impérieusement à celles-là. Douées, si l’on peut se servir de cette expression, d’un tact sûr, elles vont chercher de tous côtés les principes alimentaires. Quelle force n’ont-elles pas pour aspirer les sucs nourriciers qu’elles vont élaborer ? quelle sagacité dans le choix ? À côté d’une plante dont les différentes parties doivent un jour répandre le baume dans notre sang, & rappeler la santé & l’ordre dans notre économie, croissent quelquefois ces tiges vénéneuses dont les sucs produisent les plus grands ravages avant de donner la mort[2]. Les racines de l’une & de l’autre sont souvent entrelacées ; mais elles savent bien distinguer les principes qu’elles doivent s’approprier. Un nombre infini de suçoirs est répandu sur toute la superficie des racines ; c’est par eux que la séve & les sucs propres pénètrent dans l’intérieur du végétal qu’ils vont animer.

Tels sont les objets que l’arbre offre à la première vue ; mais si l’on entre dans quelques détails, si l’on examine toutes les parties qui le composent les unes après les autres, quelle profusion ! quelle richesse ! quelle variété !

L’épiderme frappe d’abord les regards : cette peau si mince, unique dans quelques sujets, & si multipliée dans d’autres, enveloppe immédiatement l’écorce ; sa transparence lui fait prendre la couleur du tissu cellulaire qu’elle recouvre ; semblable en cela à l’épiderme des animaux, à travers lequel on distingue les chairs, les graisses & les vaisseaux. Flexible & molle dans la jeune plante, elle s’étend d’abord suivant son accroissement : mais cette extension reconnoît un terme ; elle se déchire, & n’offre plus que des lambeaux morts & desséchés. Si l’épiderme tient encore à l’écorce, c’est moins alors par la vie dont elle jouit, que par son adhérence à la nouvelle peau qui se reproduit sous l’ancienne. Tout a son utilité & sa destination dans la nature. L’épiderme s’oppose à une transpiration trop abondante qui affoibliroit la plante ; il conserve les parties qu’il recouvre, & les empêche de se dessécher & de s’exfolier. Composé d’utricules, il renferme une humeur vivifiante.

Si avec la pointe d’un instrument délicat on enlève l’épiderme, on apperçoit immédiatement au-dessous une substance très-sensible dans plusieurs plantes, sur-tout dans le sureau, souvent d’un verd très-foncé, presque toujours succulente & herbacée, que M. Duhamel a nommée enveloppe cellulaire. Elle paroît être les dernières productions du tissu cellulaire.

Le tissu cellulaire lui-même, composé d’utricules abondantes en humeurs propres, est disséminé dans les aires ou interstices d’un réseau formé par des fibres longitudinales qui se joignent & s’anastomosent dans toutes sortes de sens. Ce réseau, ce plexus cortical n’est pas un seul corps ; il est distribué en plusieurs couches de la même composition, qui, allant se terminer au liber, composent l’écorce proprement dite. Enveloppe nécessaire à l’arbre, elle le défend de l’intempérie de l’air, & protège la formation & l’accroissement de la partie ligneuse. Des vaisseaux de différente nature, & destinés à différens emplois, traversent l’écorce suivant son épaisseur & sa hauteur.

Le passage de l’écorce, partie si délicate, au bois ferme & dur, sans substance intermédiaire, auroit été trop brusque ; la nature y a pourvu, en plaçant entre deux l’aubier. Les couches ligneuses, d’abord molles & herbacées, n’acquièrent pas subitement la solidité du bois parfait ; il faut des années pour opérer ce changement, & l’endurcissement des couches depuis l’écorce jusqu’au centre, ne se fait que par degré. Cependant ce passage n’est pas si insensible, que l’on ne distingue dans presque tous les arbres une portion ligneuse d’une couleur plus blanche & d’une substance plus tendre que le reste du bois, & c’est cette portion que l’on nomme aubier.

La dernière partie solide, le bois, proprement dit, bien observé & bien disséqué, n’est qu’un amas de couches ligneuses qui s’enveloppent & se recouvrent les unes les autres. Leur composition merveilleuse développe des fibres ligneuses ou vaisseaux lymphatiques, des vaisseaux propres, des trachées, & le tissu cellulaire que nous avons déjà trouvé dans l’écorce & l’aubier, & qui vient de la moelle.

Au centre de toutes ces parties admirables, on remarque la moelle ou la vraie origine du tissu cellulaire, dont les différentes ramifications pénètrent toute l’épaisseur de la plante, & portent les sucs nourriciers qui y ont été préparés. Variée dans sa couleur, elle est plus abondante dans les arbrisseaux de courte durée, & moins grosse dans les racines que dans la tige.

Cette masse solide que nous venons de parcourir, vit, & dès-lors elle doit renfermer des principes qui produisent & entretiennent le mouvement. Dans l’animal, l’air & différens fluides concourent au soutien de son existence & à son développement ; dans le végétal, la lymphe, le suc propre, l’air, la lumière, sont autant d’agens toujours en action & en réaction, qui l’animent. Les sucs nourriciers pénètrent, les uns de la terre par les racines, & s’évaporent par les feuilles ; & les autres, s’introduisant par les feuilles, descendent jusqu’aux racines. Ce balancement perpétuel exige des vaisseaux, des canaux déférens ; & ce sont les fibres, les vaisseaux propres & les trachées qui en font les fonctions. Les fibres ou vaisseaux lymphatiques, s’étendant suivant la longueur du tronc, renferment une liqueur peu différente de l’eau la plus simple. La vigne paroît être le végétal qui en contient le plus ; cependant l’érable, le bouleau, le noyer, le charme en fournissent une grande quantité. Il est constant que cette lymphe coule également des branches & de la partie supérieure des arbres comme des racines. La surabondance de cette liqueur s’échappe par la transpiration insensible. La prolongation des vaisseaux lymphatiques s’étend jusqu’aux dernières ramifications des fleurs & des fruits : là, souvent ils s’anastomosent entr’eux. Parallèlement à ces vaisseaux, s’en élèvent & descendent d’autres qui contiennent le suc propre, d’où leur vient le nom de vaisseaux propres. Bien différent de la lymphe, le suc propre est toujours une liqueur composée, tantôt laiteuse dans le figuier & les tithymales, tantôt gommeuse dans les cerisiers & les abricotiers ; elle est résineuse dans les pins, les sapins, &c. ; rouge, jaune, d’une saveur douce, caustique quelquefois, quelquefois aussi sans odeur ni saveur ; en un mot, le suc varie infiniment dans toutes les plantes. On peut presque le comparer au sang des animaux ; comme lui, il est nécessaire à la vie, & comme lui son épanchement conduit peu à peu à la mort. La simple contraction des vaisseaux qui le contiennent, suffit pour le forcer de sortir, & il paroît avoir plus de disposition à couler de l’extrémité des branches vers les racines, qu’à se porter vers les extrémités. Dans le bois, les feuilles & les fleurs, on remarque des vaisseaux disposés en spirale, qu’on ne retrouve point dans l’écorce ni dans le liber ; ce sont les trachées. Semblables aux poumons des animaux, ou au moins aux trachées des insectes, elles ne contiennent que de l’air. Grew cependant pense, d’après plusieurs expériences, que l’air seul ne circule pas dans ces vaisseaux ; qu’à certaines époques de la végétation, l’abondance de la séve le fait refluer dans les trachées. Dans les tiges herbacées, elles jouissent, suivant Malpighi, d’un mouvement vermiculaire, & l’air qu’elles renferment est sujet à toutes les vicissitudes de l’atmosphère.

Les fibres, les vaisseaux propres & les trachées ne sont pas les seuls canaux destinés aux fluides végétaux ; il est encore d’autres réservoirs isolés, où les liqueurs s’élaborent, ce sont les utricules. Disséminées dans l’épiderme, l’écorce, les feuilles, les pétales même des fleurs, elles végètent comme toutes les autres parties, & comme elles, elles sont sujettes au dépérissement & au desséchement.

Le squelette végétal & les fluides qui l’animent, ne doivent pas seuls exciter notre admiration ; ce n’est, pour ainsi dire, que l’extérieur des merveilles que renferme l’économie végétale. La vie d’une plante, depuis l’instant de sa naissance jusqu’à sa mort, peut être le sujet de longues méditations : à chaque instant, nouvelle découverte ; à chaque découverte, nouveau prodige.

La graine ou semence est le rudiment de toute la plante : fécondé par la poussière des étamines, vivifié par le pistil, cet œuf végétal est couvé par la chaleur de la terre. Tantôt la semence est garnie d’une enveloppe ou robe, tantôt un épiderme ou une tunique propre la revêt. Deux lobes ou cotyledons conservent le germe ; les liliacées & les graminées n’en ont qu’un, tandis que les mousses & les lichens en sont totalement privés. C’est dans ces cotyledons que se prépare le premier suc nourricier qui doit commencer à faire éclore & végéter la plantule ou l’embryon qui est emboîté dans leur sein. La radicule se développe & pousse ses suçoirs dans le sein de la terre, pour y aller chercher un aliment analogue à la foible constitution de la plume, ou jeune tige. L’afflux des liqueurs & des sucs de la terre remplit les premiers canaux séveux, les dilate, agrandit les vaisseaux, nourrit les fibres & pousse en haut la plume, quelque temps après que la radicule a pris une certaine consistance ; car l’accroissement de la seconde prévient toujours celui de la première. Déjà la jeune tige a pointé hors de la terre ; déjà les feuilles séminales ont annoncé la formation & le déroulement des feuilles proprement dites. Les racines douées d’une force de succion singulière, sont le premier organe de la vie. Elles vont chercher de tous côtés les sucs qui leur sont propres. Cette appropriation résulte sans doute de la configuration des orifices de leurs suçoirs ou pores. Fixée, nourrie & entretenue par les racines, la tige commence à s’élever ; ses branches s’étendent & se garnissent de feuilles. Ces parties nouvelles demandent une nouvelle abondance de nourriture. Les racines seules ne pourroient y suffire, si ces mêmes parties n’y suppléoient elles-mêmes. Les feuilles séminales d’abord, les feuilles propres ensuite achèvent ce que les racines avoient commencé. Les feuilles, le tissu spongieux, les branches même, tout tend à fournir à la plante une nourriture aussi abondante que celle qu’elle tire des racines.

L’air, le suc propre, la séve, tels sont les principes qui concourent à la nourriture & à l’entretien de la plante. L’air pénètre les trachées, circule avec elles, établit par-tout un mouvement vivifiant, agent unique, moteur puissant de toute vie. Le suc nourricier, parvenu dans les racines, s’élabore dans toute la capacité de la plante, monte jusqu’à l’extrémité la plus élevée, où le surplus de ce qui est nécessaire à l’entretien s’évapore par la transpiration insensible.

Peut-être très-peu différente du suc nourricier, la séve est formée de tout ce qui peut servir à l’entretien de la plante. On a cherché long-tems les causes qui déterminent la séve à monter dans les plantes. Borelli l’a attribué à la raréfaction & à la condensation de l’air ; Lahire, à la disposition des valvules dans les fibres longitudinales, & à la transpiration de la plante ; Laboisse, à la contraction & à la dilatation de l’air & des trachées ; Malpighi, à l’aspérité des canaux & à la température de l’air, &c. ; d’autres savans, d’autres systêmes. On dispute encore sur ce sujet, on dispute même sur la circulation de la séve. Les uns la comparant au sang des animaux, veulent qu’elle ait un mouvement de circulation continuelle, analogue à celui de systole & de diastole : d’autres, paroissant se rapprocher de plus près de la nature, distinguent la séve ascendante de la séve descendante. La première, s’élevant des racines, parvient jusqu’aux feuilles ; la seconde, s’introduisant par les feuilles, se précipite vers les racines. Mais ce qui est constant, c’est que, ou la séve unique, ou les deux sèves, ont une progression en rapport avec les saisons. En parcourant la plante, elles la nourrissent & produisent son accroissement par l’aglomération des nouvelles particules qu’elles déposent sur la route.

À chaque renouvellement de la séve, c’est-à-dire chaque année, la tige, le corps ligneux, le tronc, les branches prennent de l’accroissement, tant en longueur qu’en grosseur. Son diamètre s’étend, & l’épiderme, dont le développement n’est pas proportionnel à celui du tronc, ne pouvant plus recouvrir l’écorce qui se dilate à chaque pousse, se déchire en morceaux. Cet accroissement périodique & journalier, (voyez ce mot) dont nous avons déjà vu la théorie, ne frappe que les yeux d’un observateur attentif. Rarement ce qui est insensible, quelque intéressant qu’il soit par lui-même, fixe-t-il les regards du commun des hommes. Il faut, pour piquer leur indifférence, des prodiges, ou du moins un spectacle nouveau, des événemens subits, des phénomènes extraordinaires ; tel, par exemple, que le prompt accroissement d’une plante après la pluie. Qui n’a pas admiré vingt fois cette espèce de merveille ? Les prairies altérées par une longue sécheresse, ne sont couvertes que par des plantes languissantes, dont la tête inclinée vers la terre, semble aller au-devant du peu de vapeurs que la chaleur de l’air fait évaporer : un verd pâle, une maigreur sensible annoncent l’épuisement des racines & des tiges. Tout d’un coup un orage survient, une pluie salutaire arrose les campagnes, tout renaît ; les sucs nourriciers délayés par l’eau, dont la terre vient d’être pénétrée, circulent avec plus de liberté ; la tige se redresse, un verd plus vif la colore, & quelques heures après, la plante s’est élevée de plusieurs pouces de hauteur. Toujours perpendiculaires à l’horizon, les plus petites plantes, comme les plus grands arbres, conservent cette situation, quel que soit le degré d’inclinaison du sol qui les nourrit. Si quelquefois cette loi générale paroît n’être pas observée, des efforts puissans & constans en sont la cause ; mais dès que la plante a repris sa liberté, dès que rien ne s’oppose à son développement naturel, elle se redresse & reprend sa perpendicularité.

Plus nous avançons dans l’examen de l’économie végétale, & plus nous sommes saisis d’admiration par le grand nombre de phénomènes intéressans qu’elle nous offre. Mais si nous nous arrêtons un instant au mouvement de l’air dans les plantes, au mécanisme des trachées, à l’espèce de respiration dont elles jouissent ; si nous suivons les effets de leur transpiration sensible & insensible ; si nous faisons attention que les feuilles sont l’organe principal par lequel se fait une secrétion perpétuelle & abondante ; si, l’œil fixé sur certains individus, nous appercevons des mouvemens de nutation dans différentes parties, des mouvemens analogues à quelques mouvemens spontanés des animaux ; si nous nous représentons les racines de toutes, se portant de côté & d’autre pour aller chercher une nourriture propre, & suivant assez exactement la disposition des branches, pourrons-nous rester froids & insensibles à la vue de tant de merveilles ?

Après avoir parcouru une suite infinie de développemens, la plante est enfin parvenue à son point de perfection ; les organes de sa reproduction se font déjà appercevoir. La fleur, cette partie si agréable, qui charme plusieurs de nos sens, soit par ses vives couleurs, ses nuances délicates, ses mélanges jaspés que le pinceau le plus savant peut à peine imiter, soit par les parfums délicieux dont elle embaume les airs ; la fleur, dis-je, devient le lit nuptial où la plante va se reproduire en donnant la vie à une multitude de germes.

Balancées sur leurs péduncules, la plupart des fleurs y sont adhérentes au point que l’on nomme réceptacle[3]. Le germe tire de ce point sa nourriture, comme le fœtus du placenta. Les autres sessiles reposent immédiatement sur la tige, ou sur ses rameaux ; tantôt seules & isolées, tantôt ramassées plusieurs ensemble, elles embellissent & animent la tige qui les voit naître. Si l’on s’approche d’une fleur, & qu’on l’observe attentivement, on y remarquera au centre une ou plusieurs petites colonnes nommées pistils ; ils naissent quelquefois des feuilles mêmes. Destiné à concourir à la génération végétale, le pistil en est l’organe femelle, composé de trois parties, de l’ovaire ou germe qui porte sur le réceptacle, (c’est la matrice) du stile ou tuyau fistuleux plus ou moins allongé, qui est porté sur l’ovaire, ou qui s’insère quelquefois à son côté ou à sa base ; (c’est le vagin) enfin du stigmate (les lèvres) soutenu par le stile, à moins qu’il ne repose immédiatement sur l’ovaire.

Autour du pistil on apperçoit les étamines qui en sont distinguées par leur forme particulière. Ce sont les parties mâles de la plante. Variée par le nombre, l’étamine est constante dans chaque espèce, soit pour la couleur, soit pour la figure. Elle est composée d’un filet, support délicat qui soutient le sommet de l’étamine ou anthère ; quelquefois ce filet manque, aussi la partie essentielle à la fécondation est l’anthère seule qui renferme la poussière fécondante.

Toutes ces parties en général sont environnées d’une ou deux enveloppes ; la plus intérieure est aussi la plus brillante ; les pétales qui la constituent se font aisément reconnoître aux couleurs variées dont elles sont nuancées. Le calice presque toujours verd, est l’enveloppe extérieure. Dans les plantes qui n’ont pas de calice, on rencontre à la place des balles, un spathe, ou une collerette, & quelquefois le calice tient lieu de pétales.

Entrons dans le sanctuaire de la nature, & assistons à l’hymenée d’une fleur. Lorsque le sommet de l’étamine ou l’anthère est parvenu à son degré de maturité, ses lobes s’ouvrent d’eux-mêmes, & laissent tomber la poussière fécondante sur le pistil ; quelquefois une vive explosion la lance hors de son réservoir, & la sème au loin dans les airs. C’est par ce dernier moyen que sont fécondés les individus de sexe différent, séparés les uns des autres. (Voyez le mot Dioécie, & l’exposition du systême de M. Von Linné sur le sexe des plantes, au mot Botanique.) À peine cette poussière a-t-elle atteint le stigmate du stile, que celui-ci s’en laisse pénétrer ; elle s’insinue à travers ses pores, & par un mécanisme admirable, elle parvient jusqu’à l’ovaire, où elle féconde le germe. Ce nouveau fœtus devient alors immédiatement l’objet des soins de la nature ; les pétales se fanent & tombent, les étamines se détachent, le pistil se flétrit, mais l’embryon leur survit, & assure la réproduction de l’espèce. Il prend un accroissement rapide, & quelquefois si considérable, qu’il surpasse de beaucoup tout le reste de la plante.

Dans ce tableau raccourci, nous ne nous arrêterons pas à nombrer les différentes espèces d’enveloppes qui protègent la graine ou semence. La capsule, la coque, la silique, la gousse ou légume, le noyau, le pepin, la baie, le cône & la noix, sont autant de variétés que nous expliquerons à leurs articles. Mais la semence elle-même est bien digne de notre attention. Si on la décompose, on trouve d’abord la tunique propre, qui est l’espèce de membrane ou d’écorce qui l’enveloppe ; au dessous paroissent les lobes ou cotyledons qui emboîtent la plantule ou le vrai germe. Elle est placée au point où se réunissent les vaisseaux nombreux, dont les ramifications se dispersent dans la substance mucilagineuse & fermentescible des cotyledons. On distingue dans le germe la radicule & la plumule ; ces deux parties sont le rudiment, l’une de la racine, & l’autre de la tige. À peine la plumule se développe-t-elle par la nourriture que lui fournissent les cotyledons, que les feuilles séminales qui la couronnent, commencent à s’épanouir ; les cotyledons dans quelques plantes, les feuilles séminales dans d’autres, protégent & veillent à la conservation de la jeune tige ; aussi, dès que leurs soins deviennent superflus, ils se dessèchent & périssent ; & la tige se soutenant par ses propres forces, s’élève & étend ses branches & ses feuilles de tous côtés.

La fécondation n’est pas la seule manière par laquelle les plantes se multiplient. Toujours riche & abondante dans ses moyens, la nature nous a appris à propager les espèces par les boutures, les rejetons & la greffe. (Voyez ces mots)

À peine la plante est-elle parvenue à son point de maturité, & a-t-elle assuré sa perpétuité par la naissance d’une infinité de germes, qu’elle commence à dépérir. La première cause de la destruction dans le règne végétal, ainsi que dans le règne animal, est l’endurcissement & l’obstruction des vaisseaux, le desséchement des fluides ; en un mot, le mouvement retardé. Chaque instant de notre vie nous conduit au tombeau, chaque instant de l’existence de la plante la mène à la mort. Les maladies viennent en hâter l’instant ; la sécheresse ou l’humidité de l’air affectent sensiblement la jeune plante ; quelquefois le terrain qui la porte lui refuse la nourriture propre, & ne lui fournit que des sucs pernicieux. Rarement résiste-t-elle à de fortes gelées, plus rarement encore échappe-t-elle aux insectes qui dévorent & ses feuilles & ses rameaux. Les soins du cultivateur vigilant peuvent la garantir de ces ennemis extérieurs ; mais il en est d’autres intérieurs qui ne font pas moins de ravage. Quelquefois la séve s’extravase, & forme des dépôts dans certaines parties : elle s’y corrompt bientôt ; une suppuration brûlante s’établit, & la maigreur de toute la plante annonce son état de foiblesse. Tantôt il se forme des loupes monstrueuses, tantôt des tumeurs multipliées rongent & les branches & la tige. La privation de la lumière produit l’étiolement, & jette la plante dans une langueur mortelle ; ainsi, tout ce qui a vie dans la nature doit cesser un jour d’en jouir, soit par des accidens, soit par la dure nécessité. Tout doit passer, tout doit faire place à de nouveaux êtres.

La privation du mouvement & de la vie change absolument la plante : la plupart de ses principes le perdent ou se dénaturent, & l’analyse la plus exacte ne donne au chimiste qu’un peu d’air, de l’huile, du phlegme, de la terre & des sels.


CHAPITRE II.

Parallèle entre l’économie végétale & l’économie animale.


En suivant attentivement le développement de la plante depuis sa naissance jusqu’à sa mort, il est difficile de n’être pas frappé du rapport qui se trouve entr’elle & l’animal. On pourroit même dire absolument qu’ils ne diffèrent entr’eux que dans très-peu de points, essentiels à la vérité, tels que la faculté spirituelle de penser que rien n’annonce dans la plante, & dans celle de se transporter à volonté d’un endroit dans un autre. Cependant dans certaines classes d’animaux ces deux facultés paroissent si bornées, si circonscrites, qu’on peut les supposer nulles. Le genre des holothuries, des huîtres, des zoophytes, presque toujours fixe & adhérant à un rocher, vit & meurt à l’endroit qui l’a vu naître. Nous ne parlerons pas de leur faculté de penser ; l’instinct que la nature leur a donné, réduit aux seuls points de leur conservation & de leur nourriture, paroît bien peu supérieur au pouvoir que la plante a de porter ses branches & ses feuilles du côté où se trouve une nourriture plus analogue, & où l’air & la lumière doivent favoriser davantage leur entretien.

Si la nature a tellement confondu les dernières espèces animales avec la plante, a-t-elle mis une distance si immense entre la plante la plus simple & l’animal le plus parfait ? Non certes ; & plus le philosophe les compare ensemble, & plus il trouve de points de rapprochement, je dirai presque d’identité. Tout ce qui a vie paroît la tenir du même principe. Unique dans son but, simple dans sa marche, plus simple dans ses moyens, la nature ne nous paroît compliquée & composée que quand, échappant à nos regards, nous ne la comprenons pas, ou que nous prenons nos idées par ses opérations.

Naître d’un œuf couvé, se nourrir par l’affluence d’un suc, croître, se développer, propager son espèce, décroître, vieillir, mourir, telles sont les phases communes de la vie des animaux & des végétaux. C’est une loi nécessaire que rien ne peut changer, & dont l’exécution est immuable ; que ni la puissance des hommes, ni le changement de lieu, ni l’influence du climat, ni le tems même ne peuvent suspendre un instant. La destinée de ces êtres est semblable, leur existence est pareille, & leur vie est presque commune. Entrons dans quelques détails ; & pour suivre un même plan, nous allons les considérer & les suivre pas à pas depuis l’instant où l’acte de la conception commence à animer le germe, jusqu’à celui où la mort fatale le prive de tout mouvement, & l’enlève de la classe des êtres vivans.


Conception.

Le phénomène de la conception, soit animale, soit végétale, est enveloppé de voiles épais. En vain plusieurs auteurs ont-ils voulu expliquer cette œuvre admirable de la nature ; le grand nombre de systêmes imaginés nous prouvent seulement que ce secret n’est pas deviné. Nous ne parlerons donc ici que de ce qui est connu & démontré par l’expérience. La poussière fécondante dans les fleurs, s’échappant des anthères de l’étamine, tombe sur le stigmate du pistil, le pénètre, & va féconder un ou plusieurs germes. Pareillement la liqueur séminale passe des réservoirs du mâle, où elle est préparée, dans l’ovaire de la femelle où elle porte le principe de vie à un ou plusieurs œufs.


Incubation.

L’œuf renfermé dans l’ovaire comme dans un calice, prend insensiblement de l’accroissement, brise les membranes qui le retenoient, & se précipite dans l’utérus par les mêmes vaisseaux (trompes) qui avoient servi de canaux à la liqueur séminale. Là il reçoit la nourriture par le placenta. Dans les ovipares, on retrouve à l’ovaire la même forme de calice ; mais à peine l’œuf en est-il sorti, qu’il n’adhère à aucune partie ; il n’est attaché à aucun placenta. Les plantes n’ont pas d’ovaire ; mais elles ont des réceptacles. Dans les vivipares, les ovaires sont hors de l’utérus ; dans les plantes, les réceptacles sont dans le fruit même ; ainsi, elles n’ont pas besoin ni des trompes dont nous avons parlé, ni du transport de l’œuf. Le placenta est propre au fœtus animal, & non pas à la mère ; ne devroit-on pas le comparer à la radicule, production de la graine vivante qui prend de l’accroissement dans la terre ? Le fœtus ne paroît au jour qu’après sa perfection : la graine n’abandonne le réceptacle qu’à sa maturité ; mais leur maturité n’est pas la même. Tous les organes du fœtus sont développés : la plantule existe bien dans la graine ; mais elle a besoin de la germination pour son entier développement, comme l’œuf a besoin de l’incubation. Ainsi, la graine n’est pas parfaitement semblable au fœtus du vivipare, ni à l’œuf de l’ovipare ; mais on peut la comparer avec tous les deux : elle a une infinité de rapports avec eux. Dans les vivipares, l’incubation se fait intérieurement, & non loin des ovaires ; dans les ovipares, extérieurement, & loin des ovaires ; dans les plantes, dans l’ovaire même. Les phénomènes de l’incubation & de la gestation se rapprochent encore davantage. Les organes paroissent, se fortifient, prennent de l’accroissement jusqu’à ce qu’ils soient parvenus au terme de la perfection, ou au tems marqué ils doivent voir le jour. Comme la durée de la grossesse des animaux est limitée à des termes constans, ainsi, depuis l’instant de la floraison jusqu’à la maturité de la graine, la nature a marqué un intervalle fixe. Des loix communes dans l’exercice de leurs fonctions conduisent le germe des uns & des autres jusqu’au moment de sa naissance.


Accouchement ou Naissance.

La nature prépare de loin cet instant. À la fin de la grossesse, les sucs destinés à la nourriture du fœtus, devenant inutiles, refluent à l’orifice de l’utérus, il s’élargit, les cartilages se ramollissent, le fœtus tombe dans le bassin, brise ses enveloppes, & aidé par les efforts de la mère, les siens propres, l’irritabilité de l’utérus, les liens du placenta étant rompus, il vient jouir enfin de l’air & de la lumière. Les ovipares ont à peu près le même sort ; mais on peut dire de plus qu’ils éprouvent deux accouchemens. L’œuf naît d’abord recouvert d’une coquille épaisse & de membranes ; le blanc & le jaune enveloppent le germe ; il faut ensuite que le tems de l’incubation passé, la coquille soit brisée, les membranes déchirées, pour que le poulet paroisse au jour. La graine éprouve pareillement deux espèces de naissance. Comme l’œuf elle quitte le réceptacle, environnée d’un péricarpe plus ou moins épais. Tant qu’elle est dans le réceptacle, elle prend un vrai accroissement ; mais cet accroissement ne va que jusqu’à la perfection du germe, & non à son entier développement. Les sucs alors qui l’ont nourri, cessent de se porter vers lui, & même de s’élaborer. Les fibres qui tenoient le péricarpe clos & fermé, se relâchent d’elles-mêmes ; il s’ouvre, & la graine s’échappe. Voilà sa première naissance ; la seconde est due à la germination, comme celle de l’œuf à l’incubation. Les sucs de la terre ayant ramolli la tunique propre (arillus), elle se fend insensiblement par la dilatation des cotyledons qui se remplissent des sucs nourriciers, la plumule se déplie, grossit, croît & s’élève hors du sein de la terre, tandis que la radicule va pomper les sucs les plus propres qui doivent fournir à toute la plante le principe de son accroissement.

Si nous trouvons tant de rapports entre le fœtus, l’œuf & la graine, depuis l’instant de leur conception jusqu’à celui de leur naissance ; mieux connus, plus étudiés dès qu’ils ont vu le jour, ils en fournissent de plus grands encore durant le cours de leur vie.


Accroissement, Enfance, Nutrition.

La plante hors de terre, & l’animal respirant, commencent tous deux une nouvelle vie, fondée sur les mêmes principes, soit que l’un suce un lait nourricier, soit que l’autre s’incorpore & s’assimile les sucs de la terre. L’enfant, foible encore, & incapable de se procurer une nourriture propre, vient-il à être arraché de la mamelle, il expire bientôt, à moins qu’on ne lui tende un sein secourable. Arrachez de même les cotyledons & les feuilles séminales d’une jeune plante, l’intempérie de l’air l’affecte cruellement, l’ardeur du soleil la desséche ; privée d’un suc nécessaire, elle languit, dépérit, & meurt. Leur foiblesse & la délicatesse de leurs membres & de leurs organes, viennent de la trop grande abondance du tissu cellulaire, & de la quantité de fluides qui l’emportent sur les solides. Mais tout change insensiblement ; les parties molles se durcissent, les solides se multiplient, l’accroissement s’établit ; la respiration dans les uns, la transpiration dans les autres, animent & donnent le mouvement à toute la machine. La circulation du sang dans l’animal, la force de succion dans la plante, portent l’humeur nutritive vers tous les points du corps ; elle pénètre & se fixe dans les interstices des fibres, & se transforme en solide. Cette humeur est, d’un côté, ce gluten que Haller a regardé comme le principe de la fibre ; & de l’autre, le mucus séveux auquel l’écorce & la partie ligneuse doivent leur formation. Elle est le produit de la lymphe animale & du suc végétal qui ont tant de rapports, non-seulement dans leur manière d’agir, mais encore par leur nature & leurs principes constitutifs. L’un & l’autre d’un goût sucré, susceptibles de fermentation, solubles dans l’eau, d’un caractère légèrement salin, se retrouvent dans la partie gélatineuse animale, comme dans les substances farineuses, & dans les gommes des arbres. Cependant, il faut avouer que la digestion animale élabore bien plus précieusement la lymphe. L’analyse démontre évidemment que les fibres animales & végétales sont le produit de la lymphe & du suc séveux, car les os eux-mêmes reprennent leur première forme gélatineuse dans la machine de Papin, & le papier n’est qu’un mucilage extrait par la trituration seule de l’écorce des plantes. Dans l’os ne trouve-t-on pas encore le périoste analogue à l’écorce, des couches concentriques comme dans le tronc, & une moelle dont les productions parviennent jusqu’à l’écorce ? L’os croît comme l’arbre ; M. Duhamel a rougi les os d’une poule en la nourrissant avec de la garance ; M. Bonnet a coloré les fibres des plantes en les faisant tremper dans des liqueurs colorées. L’un & l’autre se nourrissent par l’incorporation des sucs qu’ils s’approprient à leur passage dans la masse des humeurs. L’œuvre essentielle de la nutrition dans l’animal, commence à l’introduction faite par les orifices dont tout le canal des intestins est parsemé. Tout être vivant dont les alimens se trouvent presque tous préparés, qui sont fluides & aqueux, n’a pas besoin de bouche, d’estomac, & d’intestins. C’est précisément ce qui arrive dans les végétaux. Leur nourriture se trouve élaborée en grande partie dans la terre & dans l’air ; il ne restoit donc à la nature qu’à leur donner des canaux, & multiplier les pores sur toutes leurs surfaces ; aussi les feuilles, les branches & les racines en sont-elles couvertes.


Transpiration.

Le suc nourricier portant de tout côté la vie & l’accroissement, est composé de deux fluides, l’un qui nourrit, l’autre qui en est le véhicule ; la partie fibreuse du sang est promenée par la partie aqueuse, & le suc de la plante par la partie lymphatique. Les deux premières, fixées dans les interstices des fibres, déposées dans les glandes, forment les nouveaux solides, tandis que les deux dernières inutiles à la nutrition, & pouvant devenir nuisibles par leur nature putrescible, s’échappent par les pores dans l’acte de la transpiration sensible & insensible. L’expérience prouve combien elle est abondante dans les plantes ; le soleil (corona solis) transpire dix-sept fois plus que l’homme, en raison de sa surface. Si l’on analyse la sueur, on la trouvera composée de sel, d’eau & d’huile qui porte avec elle une odeur qui lui est propre. C’est à cette émanation que les chiens reconnoissent leurs maîtres ; la plante a aussi sa transpiration odorante, agréable ou désagréable. Le lis répand un parfum délicieux qui le fait reconnoître de loin, tandis que la rue infecte les airs par ses émanations fortes & insupportables. Les mêmes causes hâtent ou retardent la transpiration dans la plante, comme dans l’animal. La chaleur qui relâche les vaisseaux, dilate les orifices, & raréfie les fluides, la rend plus abondante. La sueur paroît sous la forme de gouttes très-sensibles sur la peau d’un homme échauffé. Une plante transpire beaucoup plus dans l’été, dans les régions chaudes, dans une étuve ou une serre ; renfermez-la sous une cloche de verre, bientôt ses parois seront couvertes de gouttes d’eau qui conservent, peu de tems à la vérité, quelqu’odeur de la plante qu’on a soumise à l’expérience. La transpiration s’affoiblit par le froid qui cause la diminution du mouvement vital & la disette des sucs ; une température humide, un air épais bouche, pour ainsi dire, les pores & l’arrête. Les corps transpirent moins la nuit que le jour, l’été que l’hiver, dans la vieillesse que dans la jeunesse. Certains animaux passent l’hiver entier sans prendre de nourriture, parce que leur transpiration étant arrêtée, ils ne font aucune perte, & n’ont pas besoin de réparation. Les plantes de même passent les hivers sans végéter ; leurs feuilles sont tombées, leurs pores se sont fermés à l’arrivée des frimats, elles ne perdent plus de sucs. Les animaux très-gras mangent peu ; on arrose rarement les plantes succulentes, parce qu’elles transpirent peu. En un mot, tout ce qui a rapport à la transpiration, se retrouve dans les plantes comme dans les animaux.


Jeunesse & Âge viril.

La nourriture, l’accroissement, ont amené la plante & l’animal à l’état de force & de virilité. L’un & l’autre annoncent dans leur port cette vigueur & ce caractère de perfection que la nature donne à ses ouvrages. Le développement de tous les organes nécessaires à la reproduction animale, constitue l’âge viril ; la naissance de la fleur qui renferme des organes absolument analogues, fixe le même âge dans la plante. Tout est formé, tout est entier des deux côtés. L’œil observateur, l’anatomiste intelligent y reconnoît toutes les parties distinctes & essentielles. L’accroissement est fait, & tout est ce qu’il doit être. C’est dans cet état que nous allons les comparer encore l’un avec l’autre, que nous allons être étonnés de la richesse & de la profusion de la nature dans les détails, tandis que nous admirerons sa simplicité & son unité dans l’ensemble.


Solides & Fluides.

La plante & l’animal sont composés de fluides & de solides. Les faisceaux de leurs fibres doivent leur solidité non seulement à un gluten, mais encore à leurs entrelacemens & le tissu cellulaire de l’animal répond au tissu vésiculaire de Malpighi dans l’arbre. L’humeur nutritive, comme nous l’avons vu, est portée de tous côtés par des vaisseaux propres à cet usage. Les os & la partie ligneuse soutiennent & consolident les deux machines, mais les premiers, flexibles les uns par rapport aux autres, sont susceptibles du mouvement de translation, & la dernière ne l’est pas. Les différens tégumens, comme l’épiderme, la peau, &c. ressemblent à l’épiderme & à l’écorce. La peau donne naissance aux poils & aux ongles ; l’écorce dans la rose, le buisson, &c. produit des épines qui ont leur moelle, leur bois & leur écorce. Combien de plantes sont hérissées de poils, dont la forme & les usages paroissent être les mêmes que chez les animaux ! Si l’organe de la digestion est composé de tant de parties dans l’animal, celui de la plante est plus simple, ou pour parler peut-être plus juste, elle n’en a point. La terre lui sert d’estomac & lui prépare une nourriture composée des sels qu’elle renferme dans son sein, & d’une terre soluble. Cet aliment, dépouillé des parties les plus grossières, est pompé avec une force surprenante par les racines. Comme il ne contient rien de solide, il n’y a point d’excrétion solide dans la plante. Ce nouveau suc, semblable au chyle, mais non laiteux comme lui, & composé de moins de substances hétérogènes, se réunit à celui qui existoit déjà dans la plante, circule de tous côtés, pénètre tous les vaisseaux, distribue la nourriture & la vie, & fait les fonctions du sang. Le sang est rouge & composé de plusieurs principes : le suc séveux, transparent dans l’origine, plus pur & plus homogène, devient cependant rouge dans la sanguinaire & l’androsœmum, blanc dans le tithymale, jaune dans la chélidoine, &c. & l’un & l’autre donnent les mêmes produits à l’analyse chimique. De tous les fluides circulateurs, le suc, comme le sang, est le plus abondant. Les arbres, dans leur jeunesse, sont plus séveux que dans leur vieillesse ; les enfans sont plus sanguins que les vieillards. Le sang, en parcourant les artères, fait la secrétion de l’urine, de la semence, de la salive, de la bile, &c. & rejette par les pores de la peau, l’eau, ou la partie séreuse qui lui servoit de véhicule ; ainsi le suc circulant dans tous les canaux de l’écorce & du bois, dépose dans les utricules & les glandes, ses parties les plus visqueuses, & s’épure des plus fluides, en les exhalant par les pores de l’écorce & des feuilles. Le microscope n’est pas nécessaire pour découvrir les glandules animales qui filtrent les humeurs, la vue seule suffit pour distinguer les glandules des plantes, qui, tantôt dans des réservoirs particuliers, tiennent en dépôt le miel que les abeilles y vont chercher, comme les nectaires des fleurs, & tantôt, placées sur les feuilles même, laissent suinter cette substance, comme dans les feuilles de la Ketmie. On ne remarque point de résorption, elle seroit inutile, n’y ayant point de digestion intérieure. Y a-t-il rien de plus analogue que la sueur animale avec la transpiration végétale, comme nous l’avons déjà remarqué ?


Circulation.

Mais on ne trouve point dans les plantes de circulation. Le sang sortant du cœur avec force, tantôt roule avec impétuosité dans ses canaux ; tantôt, abandonnant les artères, il semble suspendre son cours pour pénétrer par des routes inconnues dans les veines qui doivent le reporter vers le cœur. Le suc séveux est plus tranquille dans sa marche ; il ne revient pas sur lui-même, il ne circule pas : des racines, il s’élève en ligne droite par des conduits longitudinaux jusqu’à l’extrémité de la plante ; & cependant l’humeur atmosphérique, absorbée par les pores des feuilles, descend par des canaux peut-être différens des premiers, jusqu’aux racines. Le suc ascendant se perd-il tout entier par la transpiration, ou une partie reflue-t-elle par un mouvement d’oscillation, & revient-elle vers le tronc par une route qui nous est inconnue ? Cette résorption auroit quelque analogie avec la circulation du sang ; mais on desireroit toujours dans le végétal un cœur & des vaisseaux élastiques qui pussent donner le mouvement d’impulsion & de répulsion au suc. En supposant ce flux & ce reflux, on pourroit encore le comparer avec les esprits animaux, comme les fibres ligneuses aux nerfs, & les feuilles à l’expansion des papilles nerveuses.


Respiration.

Le mécanisme de la respiration dans l’animal & dans la plante est différent. Les plantes n’ont point de poumons ; mais la condensation, la dilatation successive de l’air dans les trachées, son entrée & sa sortie tiennent lieu de respiration ; il rafraîchit le suc, se mêle & circule avec lui.

Si nous avons trouvé des différences dans les deux fonctions principales de tout être vivant, la circulation du sang & la respiration, les rapports dans l’acte de la génération nous satisferont davantage.


Génération.

Dans l’un & dans l’autre règne, on trouve des individus mâles, des individus femelles & des hermaphrodites. Si ces derniers sont infiniment plus abondans dans les plantes, la nature sans doute a voulu suppléer par-là au défaut du mouvement progressif qu’elle a refusé aux plantes. Les mulets, nés de deux animaux d’espèce différente, ne ressemblent-ils pas aux plantes hibrides de M. S. CH. E. de la société des amis scrutateurs de la nature, & de M. Gledatsch ? En examinant toutes les parties qui se développent à la fleuraison, & qui concourent à la multiplication d’une plante, nous trouverons que les anthères font les fonctions des testicules, le filet des anthères de vaisseaux spermatiques ou déférens, le pistil d’utérus, le stigmate de l’orifice de l’utérus, le stile du vagin. Les vésicules séminales des anthères que font-elles autre chose que les vésicules séminales des animaux ? La liqueur séminale du mâle s’échappe avec force, & pour ainsi dire par un mouvement convulsif, & s’élance dans l’orifice de l’utérus ; la poussière séminale des plantes brise son réservoir, & se porte avec vivacité sur le stigmate couvert alors d’une humeur visqueuse qui fixe & retient les globules de cette poussière : la nature de ces deux substances est la même. Les animalcules séminales, comme les globules de la poussière, varient pour la forme dans les différentes familles d’animaux & de plantes. Les uns & les autres, mis dans l’eau, y sont agités d’un mouvement rapide, & le globule, semblable à l’animalcule, d’après les observations de Leuwenhoëck, s’ouvre à la partie latérale, laisse échapper une matière gélatineuse qui s’étend sur l’eau sans s’y mêler. C’est-là précisément l’aura seminalis, seul principe de la fécondation. Dans les deux règnes, elle agit comme stimulant, communique la forme & le mouvement à la matière brute & informe renfermée dans l’utérus. Par un seul acte, tantôt quelques germes sont fécondés, tantôt un nombre prodigieux, & dans quelque classe d’animaux un seul. Chaque semence, comme chaque fœtus, a son enveloppe, son placenta, son cordon ombilical ; quelquefois il réunit deux germes, quelquefois le même en a deux. Le suc gélatineux, apporté par les vaisseaux de l’utérus & du péricarpe, les nourrit jusqu’à leur maturité.


Multiplication.

Nous avons déjà établi le parallèle entre la conception, l’incubation & la naissance des fœtus animaux & végétaux ; considérons les moyens dont ils se multiplient, & cherchons les rapports & les différences. La graine n’est pas le seul moyen par lequel se propage une plante ; le long espace de tems qu’il faut qu’elle parcoure depuis son enfance jusqu’à l’âge de sa force & de son rapport, frustreroit l’homme de ses espérances : la nature nous a appris à jouir plutôt, par la voie des rejetons & des boutures. Une branche d’arbre, une jeune tige séparée du tronc & plantée en terre, pousse bientôt des racines & des feuilles, & devient elle-même un arbre. La même branche peut en fournir des milliers, qui, au terme de leur accroissement, peuvent être multipliées par le même procédé. Cette fécondité, cette abondance de germe ne paroît pas exister dans les nombreuses classes des animaux ; mais certaines la possèdent éminemment : les polypes peuvent être coupés, déchirés presqu’à l’infini ; de leur débris naissent toujours d’autres polypes : vraies boutures, vrais rejetons, s’ils n’avoient pas l’animalité, ils seroient des plantes. La greffe fait croître une branche sur une autre branche ; les sucs de l’arbre nourrissent cette tige étrangère, & ce parasite devient bientôt partie de l’arbre sur lequel il est enté. Nous pourrions mettre en parallèle ce que M. Dubois en 1741 soutint en thèse de médecine, & dont il démontra la possibilité par l’expérience, que l’on pouvoit alonger les nez trop courts, avec des morceaux de chair enlevés au bras : l’ergot de coq implanté dans la crête du même animal, nous fournit un exemple de vraie greffe animale.


Monstres.

Il est difficile que sur un si grand nombre d’êtres vivans dans les deux classes, il ne se trouve pas des monstres, soit par excès, soit par défaut. Si l’on rencontre souvent des fœtus à plusieurs têtes, à plusieurs corps, à plusieurs membres, on peut remarquer aussi des fruits doubles ; & tous les jours nous sommes flattés à la vue de ces fleurs charmantes qui nous frappent par la multiplicité de leurs pétales : eh bien ! nous admirons des monstres par excès. L’œil un peu observateur distingue dans les végétaux des monstres par défaut : ils sont même beaucoup plus nombreux qu’on ne pense. La classe des semences multipliées dans la même capsule, comme celle des pavots, en fournit beaucoup.


Principes communs.

Les mêmes principes qui soutiennent la vie de l’animal, entretiennent celle du végétal. Soumis l’un & l’autre à toutes les influences, l’air, le lieu, la position, le climat, la culture, la nourriture, l’entretien, tout les affectent. La lumière leur est également nécessaire. La maladie de langueur, qui mine insensiblement le coupable que ses crimes ont condamné à une obscurité éternelle, comme l’innocent que l’injustice a précipité dans un noir cachot ; ce dépérissement, cette maigreur, cette pâleur ne sont-ils pas les effets d’un véritable étiolement animal ?


Sommeil.

Le travail a épuisé les forces de l’animal dans la journée ; il se refait dans les douceurs du sommeil. La plante dort-elle ? Sans doute, si par le sommeil on entend la cessation d’un certain degré de mouvement, un état de repos apparent durant l’absence du soleil. Les expériences nous apprennent que les plantes semblent se reposer durant la nuit ; leur végétation est moindre ; nul épanouissement : les fleurs attendent, pour s’ouvrir, le retour du soleil ; plusieurs même se referment à son départ : à peine l’aurore a-t-elle annoncé son arrivée, qu’elles se hâtent de lui faire hommage de leur beauté. Certaines classes paroissent même avoir un vrai sommeil, remplissant toute l’idée que ce mot emporte avec lui : telles sont les plantes diadelphes, & sur-tout, le souci d’Afrique.


Mouvement.

Fixée, ou plutôt attachée à un point déterminé, la plante ne jouit pas du mouvement de translation pour le total ; mais chacune de ses parties peut se mouvoir, & se meut en effet vers l’endroit qui lui est plus favorable, & d’où elle peut retirer un plus grand nombre de sucs. Mais si la faculté loco-motive étoit absolument nécessaire pour distinguer le végétal de l’animal, dans quelle classe placerions-nous les galles-insectes, les huîtres, l’ortie de mer, les polypes à tuyau, &c., qui, fixés constamment à la même place, s’ouvrent & se ferment comme une fleur, s’étendent & se resserrent comme une sensitive ; alongent au dehors des espèces de bras, au moyen desquels ils saisissent les insectes que le hasard conduit près d’eux ? À ces traits, ne reconnoît-on pas les mouvemens des feuilles & des racines qui cherchent dans les airs & dans le sein de la terre la nourriture qui leur est propre ? On a découvert un mouvement de nutation dans différentes parties de plantes ; plusieurs enfin ont des mouvemens analogues à quelques mouvemens spontanés des animaux.


Sentiment.

Mais d’où dépendent ces mouvemens spontanés ? de quel principe partent-ils ? Les plantes jouissent-elles de la faculté de sentir ? Oui, si le sentiment n’est que cette impression agréable ou désagréable que certains objets produisent sur un être organisé & animé, en vertu de laquelle il recherche les uns & suit les autres. L’animal courbé contre son état naturel, fait effort pour se redresser ; la plumule d’une graine en germination se retourne pour s’élever dans l’air, lorsqu’une fausse position la faisoit tendre vers l’intérieur de la terre. L’animal abandonne une nourriture dangereuse pour en choisir une plus saine : les racines s’étendent d’abord également de tous côtés ; mais si elles rencontrent un terrain dont les sucs leur sont pernicieux, elles changent de route, & se dirigent vers la partie du terrain qui leur convient davantage. La lumière, l’air pur & frais récréent l’animal ; la plante s’incline du côté qui lui procure les douces influences d’une atmosphère salutaire. L’animal cherche toujours l’aplomb sur la ligne horizontale ; la plante le reprend quand on a voulu l’en priver, & les différens degrés d’inclinaison du terrain qui la nourrit ne lui fait pas perdre sa perpendicularité. La sécheresse & la trop grande chaleur impriment un air d’aridité sur les plantes comme sur les animaux ; les uns & les autres souffrent, les uns & les autres goûtent une sensation agréable lorsque la pluie ou une rosée abondante rafraîchissent l’air brûlant. Le plaisir semble s’annoncer par des couleurs plus vives, un verd plus gai. L’irritabilité même qui paroissoit jusqu’à présent devoir confirmer l’animal, & le différencier des autres êtres, se retrouve déjà dans quelques plantes. Les fleurs des chardons, des artichaux, celles de la bardane, du carthame, de l’épine-vinette double, &c. en sont douées singuliérement. L’irritabilité réside dans la substance gélatineuse de l’animal. Quand on aura bien étudié celle du végétal, on trouvera sans doute de plus grands rapports dans leur irritabilité.

 

Maladies.

L’économie végétale & animale est souvent troublée par des dérangemens qui occasionnent de vraies maladies. Chez les uns & les autres, le rachitisme est causé par engorgemens, par obstructions, par dépôts, par tumeurs, par épanchement. Des maladies analogues, & dérivant de causes pareilles, attaquent l’écorce, comme la peau, y produisent des taches de différentes couleurs, des rugosités, des pustules, des gales, des boutons, &c. D’autres ont leur siège dans les organes de la génération, dans les fleurs ou dans les fruits ; d’autres n’affectent que le corps ligneux qu’elles font tomber en pourriture, tandis que l’écorce demeure saine, comme nous voyons la carie ronger les os pendant que le périoste se conserve sain. La séve se corrompt & se décompose comme le sang & les humeurs. Fait-on une blessure à un arbre, la plaie se comporte à peu près comme celle faite à un membre animal. Pour les maladies pareilles, les remèdes le sont aussi.


Vieillesse & Mort.

Enfin, la plante & l’animal échappés aux maladies qui menaçoient leurs jours, n’échappent point à la vieillesse & à la mort inévitable qui la suit. Les vaisseaux se durcissent & s’obstruent, les liqueurs ont un cours lent & tardif, elles s’épaississent, ne se filtrent plus qu’imparfaitement ; elles s’altèrent, les pores de la peau & des feuilles se ferment, la circulation cesse, & l’animal & la plante meurent & tombent en poussière. Les mêmes principes, les mêmes causes la nécessitent.


Analyse.

La chimie, qui sans cesse prête un utile secours au philosophe observateur, vient encore ici nous fournir des rapports singuliers entre les principes que l’analyse retire des végétaux & des animaux. Il extrait des uns & des autres une terre particulière, & les mêmes sels ; l’incinération des parties animales, comme celle du bois, lui donne du fer, & par la distillation il obtient du phlegme, une huile, & souvent un acide. Ainsi, jusqu’après leur mort, ces deux êtres, qui paroissent si éloignés, marchent parallèlement.

D’après ce tableau de rapprochement, d’après ces idées générales, ne faudroit-il pas conclure avec un ancien, que la plante est un animal enraciné, & l’animal une plante vagabonde ? Lorsque nous considérerons chaque être isolé & en particulier ; que nous analyserons sa forme extérieure ; que nous détacherons pour ainsi dire ses parties pièce par pièce, les animaux parfaits nous paroîtront à une distance immense de la plante ; mais lorsque nous élevant au dessus de cette terre où tous les êtres sont attachés, nous étudierons l’ouvrage entier de l’univers ; que nous fixerons d’un seul coup d’œil la chaîne des êtres, nous verrons sur deux lignes parallèles la plante & l’animal : des êtres mixtes, comme les polypes, les sensitives remplissent les intervalles ; & les distances de l’homme aux polypes, des polypes aux plantes sentantes, de ces plantes aux agarics & à la trufe, s’évanouissent. Plus on étudiera le règne végétal, plus les rapports se multiplieront, & notre admiration croîtra en considérant l’uniformité de la nature dans l’immense variété de ses détails. Nous sentirons la nécessité d’une raison souveraine, d’une intelligence supérieure, & nous gémirons sur l’imbécillité & la vanité des philosophes, qui attribuent tant de merveilles aux combinaisons incertaines du hasard. M. M.


CHAPITRE III.

De l’Arbre en général, considéré relativement à l’Agriculture.


1o. Des différentes manières de classer les arbres. On distingue l’arbre proprement dit, l’arbrisseau ou arbuste, & le sous-arbrisseau. L’arbuste a une tige ligneuse & durable qui s’élève moins que celle de l’arbre, & celle du sous-arbrisseau est également ligneuse, & ne s’élève qu’à la hauteur des herbes. Cette division générale d’arbre, d’arbrisseau, de sous-arbrisseau & d’herbe, répond en quelque sorte aux grandes divisions que la nature a mises parmi les animaux qui se distinguent en quadrupèdes, oiseaux, poissons & insectes. Il faut cependant convenir que cette règle, prise dans la hauteur différente des arbres, n’est pas bien satisfaisante, puisqu’une espèce de chêne s’élève jusqu’aux nues, & une autre espèce rampe sur la terre. Cette dernière n’est pas moins arbre que la première ; car toutes ses parties sont semblables, à la hauteur près.

Les arbrisseaux, en général, poussent plusieurs tiges de leurs racines, & elles sont presque égales en hauteur & en grosseur : l’arbre, au contraire, n’en pousse qu’une seule : ainsi l’arbrisseau qui s’élance sur une tige unique, peut être considéré comme un des chaînons de la dernière classe des arbres, & comme un des premiers de celle des arbrisseaux.

La première classe des arbres, ou le premier ordre, comprend le chêne, le hêtre, l’ormeau, le noyer, le châtaignier, &c. en un mot, les espèces qui demandent pour ainsi dire des siècles avant de parvenir à leur plus grande perfection. La seconde offre des arbres dont la végétation est plus rapide, quoiqu’encore très-lente : telle est celle du frêne, de l’alizier, &c. La troisième renferme presque tous les arbres fruitiers : enfin, la dernière est pour les arbres dont la grandeur est semblable à celle du lilas, du grenadier, &c.

Des auteurs ont simplement considéré les arbres ou comme forestiers, ou comme fruitiers, ou comme aquatiques ; & cette manière de voir est moins exacte que la première, puisque plusieurs arbres sont fruitiers & forestiers tout ensemble, ou plutôt tous les arbres quelconques ont été originairement forestiers ; la culture seule a différencié leurs formes & leurs produits ; enfin, on les considère encore comme arbres à fruit à noyau, à pepins ou à cônes.

Cette multiplicité d’opinions prouve combien il est difficile de fixer les limites par lesquelles la nature sépare un individu d’un autre individu, lorsqu’on veut la suivre dans ses progressions.

2o. De l’utilité des arbres pour l’agriculture. Ce sont les arbres qui ont insensiblement préparé la terre que nous cultivons. Elle doit à leurs débris entassés pendant une longue suite de siècles, cet humus ou terre végétale, qui assure l’abondance des moissons, des productions en tout genre, & sans laquelle tout languit & dépérit. Abattez une forêt, défrichez son terrain, semez du grain, la végétation sera surprenante, & peut-être si prodigieuse, qu’il ne se trouvera plus de proportions entre l’épi appésanti par la grosseur & le nombre des grains, & la tige qui doit le supporter ; mais labourez & semez continuellement sur ce terrain, peu à peu les récoltes absorberont la terre végétale, les pluies en entraîneront le reste dans les vallons & dans la plaine ; enfin ce sol, auparavant noir & fertile, changera de couleur, il ne restera plus qu’un grain de terre sec, aride & graveleux. C’est ainsi que nos montagnes couvertes de forêts du tems des druides, & même lorsque César conquit les Gaules, ne présentent presque plus aujourd’hui que des rochers nus, décharnés, où les troupeaux vont chercher une chétive nourriture, & achèvent de détruire le principe de la terre végétale, en dépouillant ce roc des plantes qui l’auroient produite. L’archiduc Léopold Joseph, grand-duc de Toscane, aujourd’hui régnant, le protecteur & le restaurateur de l’agriculture dans ses états, a si bien senti toute la conséquence de cette vérité, qu’il a défendu de défricher & de cultiver les sommets des montagnes jusqu’à une certaine distance. Alors ces sommets bien boisés deviennent peu à peu des dépôts de terre végétale qui enrichissent successivement les collines à mesure que la leur est dissipée. En effet, telle montagne ne s’affaisse & ne se décharne, que parce qu’on l’a dépouillée des arbres qui faisoient sa parure & sa richesse, & dont les racines, par leurs entrelacemens multipliés, conservoient & retenoient cette terre précieuse.

On ne fait point assez attention à cette augmentation de terreau que l’arbre produit. Pour en avoir une preuve bien sensible, plantez un terrain marécageux, multipliez-y les osiers, les saules, les peupliers, &c. chaque année il s’y formera de nouvelles couches de terre, & la surface du terrain s’exhaussera. Enfin l’arbre mort, desséché & pourri sur la place, rendra plus de substance à la terre qui l’a vu naître, qu’elle ne lui en avoit fourni. Si on doute de ce fait, on peut consulter les belles expériences de M. Hales, rapportées dans sa Statique des Végétaux, & ce que nous dirons au mot Terre.

Il résulte de ces observations, que le propriétaire intelligent renoncera à ces maigres récoltes de seigle, dont le produit couvre à peine les frais de culture, & que la moindre sécheresse rend nulles ; il trouvera plus son compte à couvrir les hauteurs avec des arbres analogues au terrain qu’il habite. Le bois devient si rare en France, le luxe en multiplie tellement la consommation, que cette spéculation mérite qu’on y réfléchisse. N’abattez jamais un arbre sans en avoir auparavant planté dix ; que les environs de votre habitation soient bien boisés ; ces arbres rendront l’air plus salubre ; (voyez p. 322, le mot Air) ils y entretiendront la fraîcheur pendant l’été, & l’abriteront pendant l’hiver. C’est par le moyen des plantations, par les lisières d’arbres qui circonscrivent les champs des hollandois au Cap de Bonne-Espérance, qu’ils sont parvenus à garantir leurs récoltes de ces coups de vents affreux, qui de tems à autre désolent le pays. M. de Sully, le plus digne des ministres, sous le plus grand de nos rois, fit ordonner de planter des ormeaux à la porte de toutes les églises de campagne. On en voit encore quelques-uns, & on les appelle les Rosni. Il seroit à desirer que cette coutume utile se fût soutenue & même étendue jusqu’à la plantation des cimetières. Cultivez la plaine, mais boisez les montagnes, & dans la plaine détruisez le moins d’arbres que vous pourrez.

J’ai déjà dit qu’il falloit planter des arbres analogues aux pays montueux, & j’ajoute appropriés à leur température. Toutes les montagnes, dès qu’elles sont fort élevées, sont nécessairement dans une température froide, & plus froide encore lorsqu’elles se rapprochent du nord. Les sapins & les pins leur conviennent. Si la montagne est plus rabaissée & dans un climat tempéré, les semis de chêne, de châtaignier, du peuplier nommé tremble, de saule marceau, réussiront. Le tremble protège la végétation du chêne ; & après la première coupe, le chêne détruit le tremble. Il vaut mieux semer que planter ; il en coûte moins, & la réussite est plus certaine. Le semis multiplie les sujets, les racines sont tout-à-coup plus multipliées, & le terrain mieux lié. Mais si le terrain est extrêmement maigre, mêlez dans vos semis beaucoup de graines de bois de Sainte-Lucie ; tout terrain lui est propre ; il fait beaucoup de feuilles & talle très-bien par le pied. Sur les montagnes surbaissées des pays plus chauds, multipliez les semis de mûrier, sur-tout si le rocher est calcaire ; (voyez ce mot) si ses couches offrent des gerçures, des crevasses ; si elles se divisent par lames, par morceaux ; enfin, si le soleil, les pluies & les gelées décomposent facilement ces pierres, & les réduisent à l’état terreux. S’amuser, dans le commencement, à élever de beaux arbres, ce seroit directement aller contre le but du semis ; il faut au contraire, dans les premières années, rabaisser les pousses jusqu’au collet de la racine, afin de la faire grossir & la forcer à fournir beaucoup de chevelus pour commencer à retenir le terrain ; en un mot, ce taillis doit être traité comme ceux des châtaigniers. Il est aisé de se représenter les avantages qui résultent de cette entreprise. Ce que je dis du mûrier paroîtra extraordinaire, parce que bien des gens ne savent pas que cet arbre se prête à tout ce qu’on desire de lui ; j’en ai la preuve. On auroit tort de s’attendre, dans les premières années, à voir ces semis prospérer comme ceux de nos jardins : le sol est bien différent, mais chaque année, ou tous les deux ans, recepez la plante, laissez les branches sécher sur place, & peu à peu elles prendront de la force. Le chêne vert offre encore une ressource lente, à la vérité, mais bien précieuse pour les montagnes des pays chauds, où le chêne ordinaire & les autres bois réussissent difficilement.

Un des plus grands défauts d’une terre, d’une métairie, d’un domaine, c’est de manquer de bois ; je ne dis pas seulement de chauffage, mais pour le service général. Un propriétaire qui entend bien ses intérêts, doit trouver sur son propre fonds tout le bois nécessaire au charronnage, & même celui de construction, lorsque le climat ne s’y oppose pas. Dans ce cas il convient qu’il fasse beaucoup d’expériences pour s’en assurer. On plante peu & on arrache beaucoup, parce qu’on est pressé de jouir, & on ne voit que le moment présent ; mais le père de famille prudent, sage, & qui met sa consolation à penser qu’il revit dans ses enfans, plantera beaucoup, & arrachera peu.

Le bien du royaume & de l’agriculture exigeroit que chaque propriétaire se fît un plan, d’après la quantité du terrain qu’il occupe, de planter chaque année un certain nombre d’arbres ; quand ce ne seroit qu’une douzaine pour une métairie de soixante arpens. Ô combien ces arbres souriroient ensuite à sa vue ! avec quel plaisir il se reposeroit sous leur ombre, & qu’il trouveroit délicieux les fruits que sa main y cueilleroit ! Dans la nature, tout n’a qu’un terme, & chaque pas de l’existence conduit au dépérissement, à la mort ; aussi la raison & nos besoins font sentir la nécessité de prévenir ce dépérissement, & de couper l’arbre avant que la vieillesse oblitère ses canaux, & le conduise pas à pas à la pourriture & à la dissolution. Dès qu’un arbre ne travaille plus à augmenter la hauteur de sa tige, la longueur de ses branches, la grosseur de son tronc, il décline & se dégrade insensiblement. Plus il s’éloigne de ce point de complément de force, plus il perd pour les usages auxquels on le destine, & il finit même par ne pas être propre à donner un bon charbon. Si on le brûle, sa flamme est moins vive, sa chaleur moins active ; si on l’emploie dans la construction, il sera bientôt exposé à servir de repaire aux insectes, aux vers, qui se rongeront, le chironneront de toute part ; enfin sa durée ne sera plus en proportion de sa force apparente. Le destine-t-on aux ouvrages de menuiserie ou de charronnage, il éprouvera bien plus promptement encore le même sort. Il est donc essentiel de saisir le point auquel il cesse de croître & va commencer à décliner.

Observons la nature dans sa marche, & elle nous découvrira son secret. Il est constant que tout arbre provenu de semence, & qui n’a pas été replanté, est garni de son pivot, & le pivot s’enfonce profondément dans la terre, si les circonstances le permettent. Ceux de cet ordre en ont tous, à moins qu’ils ne le perdent par quelques circonstances particulières. Voilà l’arbre parfait, l’arbre de la nature. Si, en le replantant, on a conservé son pivot & toutes ses racines, c’est encore l’arbre de la nature ; mais si ce pivot a été coupé, les racines étronçonnées & châtrées à la manière des jardiniers, c’est l’arbre civilisé, si je puis m’exprimer ainsi, l’arbre rempli de défauts. Cette distinction d’arbre à arbre est nécessaire pour saisir ce que je vais dire.


Planche XVIII, fig. 25
La graine germe ; de ses deux feuilles séminales s’élance une tige droite. (Voyez Planche 18, Figure 25, page 570.) Cette tige A, supposée un arbre, ne poussera point de branches lattérales dans la première année. Celles qui paraîtront l’année suivante, décriront avec la tige un angle de dix degrés ; celles qui succéderont d’année en année, décriront successivement des angles, de vingt, trente, quarante degrés. De quarante à cinquante, voilà la force de l’arbre : de cinquante à soixante, l’arbre se soutient ; il se charge de petits rameaux, dont les pousses sont courtes, & sont presque à fruit en même tems ; mais dès que les angles s’abaissent à soixante & dix, l’arbre décline, languit à quatre-vingts, & rarement il dure jusqu’au parallélisme de ses branches avec le quatre-vingt-dixième degré.

Je ne dis pas que l’âge de l’arbre soit numérique avec celui des degrés, mais l’intensité de la force de sa végétation suit les degrés de ces différens angles. Lorsque la totalité des branches inférieures est à soixante-dix, quatre-vingts, & quatre-vingt-dix degrés, il est rare que les branches du sommet qui ont les premières décrit les angles de dix à vingt degrés, ne soient desséchées & mortes.

Les forestiers disent qu’un arbre est couronné, qu’il est en décours, ou sur le retour, lorsque les branches du sommet se dessèchent. C’est bien plus qu’être sur le retour, c’est toucher à la décrépitude, & être à la veille de l’extinction totale. Ce qui proprement forme la couronne, est l’angle de soixante à soixante-dix degrés pour la totalité des branches.

Quelle est la cause de cette inclinaison successive ? Je crois que plusieurs concourent au même but. Chaque année, la branche qu’on peut comparer à un levier, s’alonge ; le poids augmente en raison de l’alongement. L’air pèse sur la branche : les feuilles ont aussi leur pesanteur spécifique ; elle augmente par l’absorption de la rosée ; quelquefois elles sont surchargées de pluie, de neige, &c. enfin le fruit, par une progression successive, acquiert plus de volume, & agit alors vivement par son poids. C’est ce qu’on observe lorsqu’on dépouille une branche chargée de fruit ; elle plioit sous le fardeau, elle reprend sa direction naturelle ; mais elle ne remonte jamais au même point d’où elle a commencé à descendre, & reste toujours à quelques degrés plus bas.

Une autre cause également mécanique de l’inclinaison des branches, est l’oblitération des canaux dans la partie du dessous de la branche. Comme ils n’ont plus le même diamètre, & cependant comme la séve monte toujours avec impétuosité, elle distend ceux de ses côtés & du dessus, & les uns & les autres prennent plus de consistance & de grosseur au dépens de la partie qui s’affoiblit. Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner la forme extérieure d’une branche dans l’endroit où commence sa courbure & ensuite la couper verticalement dans le même endroit, afin de voir quelle différence il se trouve dans les diamètres des couches concentriques du bois.

Les règles qu’on vient d’établir suffisent pour désigner la véritable époque à laquelle on peut couper un arbre, ou abattre une forêt.

L’arbre replanté, & dont on a coupé le pivot, suit jusqu’à un certain point la loi générale, quoiqu’on l’ait couronné lorsqu’on l’a mis en terre. Cependant ces amputations, les plaies dont il est couvert, les suçoirs dont il est dépouillé, le font souvent s’écarter de la marche ordinaire ; mais il est constant que tout arbre qui aura végété sans le secours destructeur que l’homme prodigue à ceux qu’il réduit en esclavage, présentera le phénomène que j’annonce ; & s’il survient quelques exceptions à la loi, on verra, en recherchant exactement les causes, qu’il ne pouvoit végéter d’une manière différente. Si on connoît quelques indications plus certaines, plus conformes à la nature, j’invite & je supplie de me les communiquer.


CHAPITRE IV.

De l’Arbre en général, considéré relativement au jardinage.


C’est ici que la main de l’homme triomphe, qu’il force la nature à se prêter à ses volontés, à ses caprices, qu’il règne en despote sur des sujets réduits à l’esclavage, & qui n’oseront pas pousser, pour ainsi dire, une branche ou une feuille sans la permission des jardiniers. L’arbre de nos forêts est semblable à l’homme de la nature ; celui des jardins peut être comparé à l’homme de la société ; l’un & l’autre sont sujets, en quelque sorte, aux défauts qui accompagnent toute mauvaise éducation.

Il a fallu adopter des mots pour communiquer ses idées : aussi le jardinage a-t-il sa nomenclature particulière. Il distingue deux sortes d’arbres ; ceux à plein vent, ou à haute tige, & ceux à basse tige ou nains. Ils sont du troisième ordre. Les uns poussent & végètent à leur fantaisie dans les vergers, & on leur enlève tout au plus quelques branches chiffonnes ; mais en les plantant, on a eu soin d’arrêter leurs tiges à une hauteur quelconque ; par exemple, à la hauteur de cinq, de sept, & de huit pieds : aux autres, on n’a point coupé la tige, & ils sont relégués dans des coins, attendu que leur élévation seroit disproportionnée dans une allée avec celle des arbres voisins. L’espalier à haute tige diffère du premier par la disposition de ses branches, aplaties & maintenues contre des murs ; au lieu que celles du premier s’étendent tout autour de sa tige.

Les arbres de demi-vent ou demi-tige, sont ceux dont la tige est bornée à la hauteur de trois ou quatre pieds.

S’il faut garnir une terrasse dont le mur soit fort exhaussé, on plante en espalier des arbres à hautes tiges, des demi-tiges, & des arbres nains. Cette bigarrure de plantation est défectueuse ; des nains & des hautes tiges suffisent, & même des nains suffiront si on sait les conduire. Si la hauteur de la terrasse excède la force des arbres, il vaut mieux les couronner par un cordon de vigne dont on dispose les sarmens au haut du cep, sur une ligne horizontale, & le cep s’élève à la hauteur qu’on desire, en détruisant les bourgeons qui naissent dans le bas. On voyoit, en 1720, contre la maison du sieur Billot, menuisier à Besançon, un cep de vigne qui couvroit non-seulement toute la façade de la maison, mais encore un pavillon pratiqué sur le toit. (Consultez les mots Buisson, Cep, Espalier, Éventail.)

L’arbre à basse tige ou nain, est celui dont la greffe est prise du pied, & dont la tige est rabaissée à six, douze, quinze ou vingt pouces, lorsqu’on le plante. La disposition des branches du nain lui assigne encore deux dénominations. S’il est placé contre un mur, c’est un espalier ; si on lui laisse pousser des branches latérales lorsqu’il n’est pas appliqué contre un mur, mais planté dans une allée, c’est un éventail ; si au contraire les branches s’élancent circulairement autour de la tige, & si on a soin d’en dégarnir le dedans, de le tenir évidé, c’est un buisson. Ce mot cependant devroit être plus particulièrement adapté à l’arbre nain qu’on laisse pousser à sa volonté, sans le soumettre à la taille. On ne connoît point dans les environs de Paris ce genre d’arbres, parce qu’on aime la symétrie. Je l’ai déjà dit, le chinois a des fruits superbes, & il ne taille jamais ses arbres. Cette négligence est impardonnable aux yeux d’un jardinier européen ; & malgré cela, on court aujourd’hui après les jardins anglois, qui ne sont qu’une foible imitation de ceux dont les chinois leur ont donné l’idée. Quelle contradiction !

On dit encore arbre sur franc ; c’est celui qui a été greffe sur un sauvageon venu de pepin ou de bouture. Si, sur un pêcher déjà greffé, par exemple, on greffe un autre pêcher, c’est alors franc sur franc. Arbre greffé sur coignassier, est celui qui a été greffé sur une bouture de coignassier, ou sur un arbre venu d’un pepin du fruit du coignassier. On appelle arbre en mannequin celui qui a été semé ou planté dans un mannequin pour le lever en motte, & le mettre à la place qu’on lui destine. Le mannequin n’est ordinairement employé que pour les sujets délicats, & qui supportent difficilement la transplantation.

Ce n’est pas le cas de parler ici de la manière de planter les arbres, du terrain & de l’exposition qui leur conviennent, de leur taille, de leur gouvernement, de leurs maladies, &c. ce seroit une répétition inutile de ce qui sera dit en parlant de chaque arbre en particulier, ou de chaque opération qu’il exige.

Mais voici quelques principes qui ne sont pas à négliger ; consultez le sol & l’exposition de votre jardin ou de votre verger, avant d’y planter des arbres fruitiers ; &, d’après l’expérience, multipliez les espèces qui y réussissent le mieux. Ce n’est pas la variété des espèces de fruits qui fait la richesse d’un verger, mais leur beauté, leur saveur, leur nombre, & la facilité pour se conserver.

Plantez plus d’arbres à fruit d’automne que d’été, & plus d’hiver que d’automne.

Multipliez plus les pommiers & les poiriers, que les abricotiers & les pêchers ; la jouissance de ces derniers est de peu de durée. Une belle poire, une bonne pomme, font plus de plaisir au mois d’Avril, que l’abricot & la pêche en été. Ne perdez jamais de vue l’arrière saison.

Arrachez sans miséricorde tout arbre mal venu, souffrant, & sur-tout s’il donne du mauvais fruit : il occupe en pure perte la place d’un bon arbre. Si le sujet est sain & vigoureux, greffez-le de bon fruit ; mais ne perdez point de tems.

Tout arbre fourni par le pépiniériste, dont la greffe formera le bourlet, à quelque prix que ce soit, rejetez-le, laissez-le pour son compte ; à l’avenir il ne vous en fournira plus de semblables.

Il faut avoir la même fermeté pour tous les arbres dont les racines seront garnies de loupes ; ce qui arrive souvent à celles de l’amandier.

Si les racines sont châtrées, mutilées ; si le pivot est coupé, laissez les arbres au pépiniériste ; mais ne plaignez pas l’argent, & payez largement les journées des ouvriers chargés du soin de tirer l’arbre de la pépinière ; vous retrouverez bientôt cette petite avance. (Voyez les mots Plantes, Pépinière.)

Préservez-vous de la folle manie de planter trop près, c’est manquer le but dès le principe ; & lorsqu’on est forcé d’y remédier en arrachant les arbres surnuméraires, le mal est déjà fait. Ceux qui restent seront long-tems à reprendre le dessus.


CHAPITRE V.

Des Arbres relativement aux limites.


Les propriétaires des héritages tenans & aboutissans aux grands chemins, sont tenus de les planter d’arbres analogues à la nature du terrain, à la distance de trente pieds l’un de l’autre, & à une toise au moins du bord extérieur des fossés des grands chemins, & de les armer d’épines. À leur défaut, les seigneurs qui ont droit de voirie sur ces chemins, pourront en faire planter à leurs frais, dont ils auront l’usufruit & la propriété. Cette loi n’est pas en vigueur dans toutes les provinces, & son observance contribueroit beaucoup à boiser le pays & à décorer les chemins. Il seroit très-avantageux de trouver des arbres pour suppléer l’ormeau si multiplié sur toutes les routes des provinces voisines de Paris. Les racines de cet arbre rampent sur la surface du terrain, s’étendent, suivant la grosseur de l’arbre, souvent à plus de trente toises de distance, & dévorent la substance des moissons. Le mûrier produit le même inconvénient, mais à un bien moindre degré. On l’éviteroit, si on plantoit ces arbres encore fort jeunes avec leur pivot. Lorsqu’ils en sont dépourvus, les racines sont forcées de s’étendre horizontalement, elles ne peuvent pivoter, & il ne se forme jamais de nouveaux pivots. La reprise de ces jeunes arbres seroit plus sûre, & on ne se plaindroit pas du dégât qu’ils occasionnent. Lorsqu’il s’élève une contestation sur la propriété d’un arbre, on l’adjuge à celui dans l’héritage duquel est le tronc ; mais quand le tronc est dans les limites, l’arbre est commun.

Quand un arbre étend ses branches sur le bâtiment voisin, le propriétaire de la maison peut demander qu’il soit coupé par le pied, mais si elles s’étendent seulement sur un lieu où il n’y ait point de bâtiment, le voisin peut demander que les branches soient coupées à quinze pieds de terre. Il est permis, dans l’usage, au voisin qui souffre que les branches d’un arbre soient pendantes sur son héritage, de cueillir les fruits de ces branches. Les arbres morts appartiennent à l’usufruitier ; ceux abattus par le vent, à celui qui a la propriété. Les arbres en futaies sont réservés au propriétaire ; l’usufruitier peut seulement en demander pour les réparations. Un fermier qui a planté des arbres, peut les emporter à la fin de son bail ; mais le propriétaire du fond est en droit de les retenir, en payant la valeur au fermier.

La jurisprudence varie dans les provinces relativement à la distance qu’on doit observer lorsqu’on plante un arbre près du champ du voisin. Elle est fixée dans les unes à sept pieds, dans les autres à neuf. La loi a considéré trop génériquement le mot Arbre. Le noyer, à cause de ses branches, l’ormeau, le mûrier, par rapport à leurs racines, devroient être plantés au moins à vingt pieds de distance de la ligne de séparation. En général, un pied & demi suffit pour les haies.


Arbre de délit, encroué, en estant, en lisière, retenu, ou de réserve. (Voyez le mot Forêt)


  1. Ce n’est ici que le tableau rapproché de tous les objets dont la connoissance compose la théorie de l’économie végétale. Pour avoir de plus grands détails, il faut chercher chaque mot à sa lettre alphabétique.
  2. Malgré cette opinion générale sur la manière dont les plantes font choix des substances qui leur conviennent, elle sera de nouveau examinée au mot Racine, & l’on fera voir que les sucs terreux sont tous les mêmes, mais que chaque plante contient à l’extrémité de ses racines une espèce de levain qui agit sur ces sucs, comme la salive agit sur les alimens que nous mangeons, & les rend salubres ou délétères par rapport à nous.
  3. Pour bien saisir ce qui va être dit, consultez le mot Fleur & tous les mots cités ici en lettres italiques ; les gravures qui les accompagnent, représentent la forme de toutes les fleurs, & celle de toutes les parties qui concourent à leur formation.