Cours d’agriculture (Rozier)/PÉPINIÈRE

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 546-558).


PÉPINIÈRE. Lieu où l’on sème & où l’on plante de petits arbres. Tout propriétaire d’un domaine un peu considérable doit songer à établir chez lui une pépinière, non seulement pour les arbres fruitiers, mais encore pour les forestiers, & s’il le veut, pour ceux d’agrément. Les trois quarts du temps on ne boise pas sa métairie, parce que l’on ne sait ou prendre les plants ; l’on craint la dépense, & l’on redoute sur-tout le manque de reprise des arbres. On ne s’appercevra pas de la dépense si on a une pépinière à sa portée & à ses ordres, & la reprise sera immanquable lorsqu’on enlèvera de terre les arbres avec toutes leurs racines, & qu’ils seront aussitôt replantés.

L’étendue de la pépinière fruitière doit être proportionnée aux besoins de la métairie ; mais la forestière sera très-ample & très-étendue. Les enfans béniront la mémoire de leurs pères lorsqu’ils verront la multiplicité d’arbres qu’ils auront plantés. On arrache aujourd’hui, on abat par-tout ; la spéculation de beaucoup planter ne peut donc être que très-bonne & très-lucrative ; ce que je démontrerai encore «lieux au mot Taillis.

Dès que les opérations ont pour but l’utilité & le profit, c’est la plus grande de toutes les erreurs de songer à cultiver des arbres étrangers, à moins que l’expérience la plus décidée ne prouve qu’ils y réussissent déjà, & qu’ils y sont acclimatés. Ce conseil n’empêche pas qu’on ne tente d’en naturaliser quelques-uns, mais en petit nombre, afin de ne pas avoir beaucoup sacrifié pour retirer très-peu. (Je parle pour le cultivateur peu aisé)

Il n’en est pas ainsi des arbres fruitiers. Le maître vigilant fera tous ses efforts pour se procurer les espèces les meilleures, les plus belles & les plus productives. Un arbre dont le fruit est de qualité médiocre ou mauvaise, occupe inutilement le même espace qu’un bon arbre, & il n’en coûte pas plus de planter l’un que l’autre. On ne sauroit croire de quelle ressource est le fruit dans une grosse ménagerie, & Combien il économise ce qu’on appelle la pitance. Il en constitue plus de la moitié depuis le commencement de juin jusqu’à la fin de l’automne. Si on est à la proximité d’une grande ville ; & que le propriétaire se propose de vendre son fruit, je lui conseille de tirer plus sur le fruit d’été que sur celui d’hiver, parce que le premier se vend beaucoup mieux. Ainsi, les cerisiers & guigniers des plus belles espèces seront très multipliés, ainsi que les poires muscat-robert, petit-muscat, madeleine, blanquette, rousselet, bon chrétien, &c. ; en un mot, les espèces les plus hâtives. Quant au fruit d’hiver, il exige des soins dans le fruitier ; il en pourrit beaucoup, & quoiqu’une belle poire d’hiver soit vendue plus chère que vingt-cinq à trente poires d’été, le bénéfice est encore en faveur du premier fruit, & on n’a eu aucun embarras. Voilà pour ce qui concerne l’économie ; mais le propriétaire aisé sera charmé d’avoir du fruit de toutes les saisons : il conduira donc sa pépinière en conséquence, & il n’y a plus de règle pour elle lorsque la fantaisie en devient la directrice.

On distingue deux choses dans la pépinière, la pépinière proprement dite & la bâtardière. La première est consacrée aux semis, & la seconde à la transplantation des sujets après la première, la seconde ou la troisième année du semis.


De la pépinière.

Je saisis cette occasion pour donner au lecteur une idée de la manière dont Olivier de Serres, sieur du Pradel, traitoit un sujet, & on verra qu’on devroit appeler ce grand homme, le patriarche des écrivains françois sur l’agriculture : d’ailleurs son vieux style est charmant & on ne peut plus expressif. Que d’écrivains lui doivent toute leur science !

« La pépinière est inventée pour commencer à l’origine les arbres du verger, lorsque le plant enraciné défaut. Sur-tout notterons que tous arbres généralement font semence, n’estant plante tant misérable qui ne contienne quelque grain en lieu apparent ou caché,[1] tendant à la conservation de sa race. Mais d’aucuns rendent la semence tant foible, qu’elle est presques inhabile à l’engeancement. Que particulièrement aucuns arbres doublement féconds s’édifient & par semence & par enracinement de branches : voire y en a-t il de tant facile eslevement, que sans refuser aucun moyen, tous peuvent estre assurément employés, c’est assavoir & la racine, & la branche, & la semence. »

» Par semence, nous esleverons les arbres que par autre voie ne pourrons faire commodément, & par branches, ceux dont la facilité de l’enracinement nous incite n’employer autre moyen, encores qu’ils viennent aussi par semence. Ceux-là sont poiriers, pommiers, cormiers, abricotiers, aubergers, toutes sortes de pêchers, cerisiers, pruniers, jujubiers, mesliers, cornouaillers, amandiers, noyers, pins, châtaigniers, coudriers, figuiers. Les premiers subdiviserons nous en arbres à pépin, à noyau & à fruit, les logeant ensemble en la pépinière, toutes fois par planches séparées, pour éviter confusion : les derniers en bastardière pour, chacun en sa place, s’enlever & accroître jusqu’à convenable grosseur pour pouvoir estre transplantés au verger ; & bien qu’avec raison peussions appeler noyaillère & fruitière la terre de l’assemblage de telles semences, aussi-bien que pépinière, néanmoins pour l’ordre lui laisserons-nous son nom accoustumé, mesme pour ceste cause que plus de pépins y loge-t-on communément que ne de noyaux ne de fruits. Dirons aussi semer, mettre en terre tous pepins, noyaux & fruits desquels désirons avoir des arbres ; par meilleure raison que ceux qui appellent planter la mesme chose, ne pouvant user de tel mot que là où s’agit de plant enraciné. »

» Dans l’enceint des jardinages, ordonnerons nostre pépinière en lieu couvert de la bize, & terre tempérée, facile à cultiver & exempte de l’importunité de la poulaille pour les grands maux qu’elle y fait, surtout au commencement, lorsque de nouveau l’on a mis les semences en terre, & que les arbrisseaux en provenant, repoussent. »

» Les pépins seront prins en leur parfaite maturité, choisis pesans & de belle couleur, toujours préférant les pépins des bons fruits à ceux des mauvais, & des meilleurs aux bons, pour l’avantage qu’on tire de telle curiosité, espargnant quelquefois l’enter, quand par heureux rencontre les arbres en provenans rapportent fruits du tout francs : ce qu’on n’oseroit espérer de pépins sortis de fruits de mauvaise nature. Es provinces, où pour boisson l’on se sert des fruits, le recouvrement de leurs pépins est facile, car il ne faut qu’en prendre le marc à l’issue du pressoir, après le sécher, froisser entre les mains, & en soufflant retirer les pépins de leur poussière : mais ou tel commodité défaut, l’on se pourvoira de pépins le mieux qu’il sera possible, avec exquise recherche comme il a esté dit. »

» Le temps de mettre les pépins en terre est le mesme des semences de froment, ayant cela de commun que de profiter bien, estant semés en beaux jours ; non froids ne pluvieux, ne venteux, la Lune estant en décours.[2] Le lieu de la pépinière sera desparti en planches & quarreaux tant longs que l’on voudra, mais seulement larges de quatre à cinq pieds, afin que par tel estroicissement, des costés l’on puisse atteindre avec la main jusqu’au milieu de la planche pour sarcler, curer, cultiver les nouvelles plantes & arbrisseaux provenans de semence, sans les fouler aux pieds comme l’on seroit contraint de faire, marchant dessus par le trop de largeur de la planche. Les pépins seront semés assez rarement & uniment, puis on les couvrira de deux doigts de terre qu’on y criblera par-dessus, afin que sans presse les abrisseaux en repoussent à volonté. Les espèces seront séparées par quarreaux, à ce que distinctement l’on voye les poiriers, pommiers, cormiers, pour les cultiver selon leur naturel. Si telles semences sont faites en septembre ou en octobre, sortiront de terre dans l’hiver : pour des injures duquel les en garder, sera besoin leur faire par-dessus, quelque légère couverture, avec des peaux, perches & pailles : par ce moyen à l’arrivée du printemps, se trouveront les jeunes arbrisseaux avoir grand avantage par-dessus les autres qui, fermés à l’issue de l’hiver, ne seront lors que naistre, & partant plus tardifs, ne les pourtont atteindre de tout l’été. Donc mieux vaudra s’avancer que reculer en ceste action, si la saison le porte & favorise l’entreprinse[3]. »

» Levez qu’en soient de terre les jetons, aussitost curieusement les sarclera-t-on pour gayement & sans destourbier les faire croistre, sans souffrir qu’herbe aucune parcroîsse quant & eux. Seront aussi, & pour la mesme cause, beschés ; ce qui leur servira en outre, à leur esgayer la terre pour l’alongement des racines, mais ce sera en y allant retenu, à ce que par trop profonder en ce commencement, les racines n’en fussent offensées ; ainsi faisant s’avanceront sans destourbier, profitons toute la substance de la terre. »

» Se faudra abstenir de couper aux arbrisseaux aucun rejeton pendant qu’ils-sont en la pépinière ; ainsi les laissera-t-on croistre à leur gré, attendant de les curer en temps convenable, leurs tronc estans affermis affermis. Ce traitement les avancera de tant que dans la mesme année de l’ensemencement se rendront propres à être remués en la bastardière pour là, s’achever de faire, pourveu qu’on les tienne arrousés pendant les grandes chaleurs de l’été, desquelles ne pourroient sortir dans le secours de l’eau. Voilà quant aux pepins, d’autres espèces ne s’en trouvans que de poires, de pommes, de cormes ou sorbes, si on ne veut mettre en ce rang le meurier, ce que toutes fois ne me semble à propos, veu que de tel arbre est traité avec les sauvages, & que pour la grande abondance requise pour la soie, l’on ne le resserre dans le verger, ains en compose-t-on des forests toutes entières[4]. »

« Les noyaux & fruits, pour en avoir des arbres, seront fermés en mesme temps que les pepins ; mais diversement, car il convient les mettre en terre par rayons, quatre doigts de profond, & autant de distance l’un de l’autre. Les rayons seront faits en ligne droite avec la serfouette, & au fond d’iceux posera-t-on les noyaux & fruits la poincte contre-mont, non jamais au contraire, pour la commodité des germes, lesquels sfortans par cet endroit, là facilement poussent,’mais parce qu’en telle observation, par aventure, se pourrait treuver par trop de difficulté, ne fsra que bon de coucher de plat les noyaux & fruits ; car ainsi sans hasard ne laisseront-ils de commodément produire leurs jetons. Amandes, noix, noisettes ou avelaines & chastaignes, sont les fruits semables, lesquels il convient empoyer tous entiers, sans nullement les offenser ne rompre, demeurans au rang des noyaux, les ossemens des autres fruits, comme des abricotiers & peschers ; de la chair desquels on les dépouillera, pour estans nuds les semer. Tous desquels fruits & noyaux, avant de les mettre en terre, seront ramollis dans l’eau par trois ou quatre jours[5], afin de faciliter leur naissance : & moins demeurer en terre à la merci de la vermine qui, à la longue, les y ronge, & si on désire augmenter le goust & l’odeur des fruits qu’on espère de ce mesnage, au lieu d’eau pure, l’on trempera les noyaux & fruits dans des précieuses liqueurs parfumées à l’usage des poupons.[6] Curiosité si vaine, n’est pourtant nuisible. Semés que soient dans le mois d’octobre ou de novembre, germeront à l’issue de l’hiver, ne poussant leurs tendrons de longtemps pour la dureté des coques qui les contiennent, lesquelles à la longue attendries, s’entrebâillant, les laissent sortir. Ceste tardité revient au profit de l’œuvre, quand sont escoulées les froidures, les nouveaux jetons sans crainte d’estre offensés du mauvais temps, vigoureusement repoussent a la prime-vère : employant de là en hors si bien la douceur des saisons, que dans le prochain esté se rendent suffisamment fortifiés pour l’enter ou le transplanter en la bastardière dans l’automne ou le printemps suivant, si toutes fois désirez faire ou l’une ou l’autre, ou tous les deux… De semer les noyaux incontinent après avoir mangé les fruits, est se mettre en danger de perdre la pluspart de son espérance ; d’autant que difficilement naissent-ils en telle saison, tenans encores beaucoup de la chaleur précédente, & qu’à peine sortent de l’hiver les arbrisseaux nés devant les froidures, pour la délicatesse de ces tendres plantes ; si, qu’il n’est de merveille d’en voir profiter la seule dixiesme partie. Si désirez semer des noyaux & fruits ès lieux destinés pour y fructifier, sans vous donner la peine de les transplanter, le pourrez faire avec espoir de bonne issue, quelquefois cela recontrant ; mais c’est à la charge d’en semer quatre ou cinq ensemble en chaque lieu, où désirez un seul arbre ; à ce que pour le moins un de plusieurs vienne à bien pour satisfaire à vostre intention. Estans sortis de terre, ces arbrisseauxc-ci, à la manière de ceux à pepins, seront gouvernés au serfouer, au sarcler, à l’arrouser, & sur-tout à l’esmunder, pour s’en abstenir entièrement durant le temps défendu, car les arbres à noyaux craignent plus la tranche de la bêche que nuls autres.

» En général, ni les pepins, ni les noyaux ne rapportent immédiatement arbres du tout francs pour produire fruit du tout semblable à leur origine ; ce qu’est besoin de prévoir pour en venir au remède. Les seuls pepins de meûriers & de cormiers, à la longue, fructifient sans changemens. De mesmes, les noyaux de menus abricots, des alberges & des pêches, si on les met en aussi bonne terre pour le moins que celles dont on les aura tirées, & qu’ils soient profitablement cultivés. Ainsi respondent ceux des Cornonailles, en quel terroir qu’on les loge pour leur robuste force. Des noyaux des gros abricots, des prunes, des cerises ni des olives, n’espérez, par le seul semer, que fruit sauvage, de quelque manière que le gouverniez. Touchant les noyers, amandiers & pins, par les fruits seulement semés, ils viennent grands & francs arbres, pourvu qu’ils soient en terroir leur agréant & à propos cultivé. Par la semence des chastaignes en aurez-vous des bons arbres ; mais sans comparaison meilleurs se rendront-ils par enter, que les laissant en leur naturel, comme sera veu. »

Ceste-là est la voie la plus usitée à tirer arbres de noyaux & de fruits, mais non la meilluere ; car un plus affeuré moyen y a-t-il pour y parvenir, dont l’invention est d’autant plus louable que moins se perdent de noyaux & de fruits dans terre, sans hasard, venant à bien, tout ce que l’on emploie en c’est endroit. »

» À l’entrée de l’hiver, la lune estant vieille,[7] mesterez dles noyaux & des fruits dont est question, parmi de la terre déliée que mettrez ensemble par litées dans de larges paniers, & iceux reposerez pour tout l’hiver dans des caves, les humectans avec un peu d’eau tiède que par fois jetterez dessus. Au commemnent du printemps trouverez les noyaux & fruits avoir germé dans la terre quatre doigts ou demi pied de long. Lors ostés de là les ferez loger en la pépinière ; les y arrangeant comme quand l’on plante des pourreaux. C’est assavoir par rayons ouverts, mettant le noyau ou fruit au fond du rayon, & laisant ressortir à l’air un peu de son germe pour là, s’achever d’accroistre comme ils feront moyennant bonne culture, & requis arrousemens. Ainsi, sans avoir senti aucune importunité des temps, s’avanceront gaiement, & si bien, que dans peu d’années le rendront beaux arbres. » v

» Quinze ou seize mois les arbrisseaux séjourneront en la pépinière, non davantage ; au bout duquel temps doucement arrachés de là, seront transplantés en la bastardière, pour s’y achever de tonifier. Ce changement leur est salutaire, ne pouvant en la pépinière, ces jeunes plantes se parfaire ainsi qu’il appartient, tant par trop de presse, s’oppresser les uns & les autres, que par n’estre assez profondément dans terre, & ne pouvoir convenablement s’enraciner. Jointe ceste troisième raison que chasque replantement vaut un demi-enter, aidant beaucoup à l’affranchissement des plantes sauvages. Les arbres à noyau pourront estre exempts de replantement si l’on veut, les laissant à la pépinière jusqu’au transplanter au verger ; mais qui désirera d’exceller ses voisins en la bonté de ces fruits ci, les surpassera aussi en ceste dépense petite, pour l’importance de la chose. De iceux à fruit, n’est besoin se donner telle peine, d’autant qu’ils viennent bons directement de la pépinière, comme a esté dit. Ceste particularité se remarque aux pins, que très-difficilement souffrent-ils le replantement, pour la tendreté de leurs racines, qui se meurent si on les offense tant soit peu. Pourtant le meilleur est de faire son compte, de les laisser pour toujours au lieu auquel premièrement on les aura semés, afin qu’avec l’espargne du transplanter, l’on évite le hasard de les perdre par trop rude maniement : & ce sera en semant cinq ou six pignons ensemble, à ce que de tel nombre un arbre en puisse sortir, ainsi qu’a été vu des noyaux. Si toutes fois la nécessité contraint de transplanter le pin, ci-après sera monstre la manière de s’y conduire, »


De la bastardière.

» Pour le profit des arbres ayant esgard à l’avenir, est requis le fond de la bastardière estre de moyenne bonté ; à ce que les arbres nourris plus profitablement que délicatement après estre fortifiés, tirés de là, se puissent facilement reprendre en tous terroirs ; comme très-bien ils feront si de moyenne ils sont transplantés en grasse terre ; ce qu’on ne pourroit espérer si estant eslevés en lieux féconds on les logeoit en maigre, selon que souventes fois on est contraint de faire.[8] Pour un préalable, la bastardière sera bien close, (si mieux l’on n’aime la faire, joignant la pépinière, les deux estant dans l’enceint du jardinage) à ce qu’aucun bétail ni autre rude approche n’importunent les jeunes arbres, & après très-bien cultivée par réitérés labourages. »

» En mois de février, & en jour choisi, beau & serein, non venteux ne pluvieux, toutes fois tendant plus à l’humidité qu’à la sécheresse, les arbrisseaux seront arrachés de la pépinière, le plus doucement que l’on pourra, afin que leurs racines en sortent entières, si possible est ; & après en avoir retranché tout ce qui y sera treuvé d’offensé & rompu par mesgarde, & soigné la pointe des plus longues racines, bien que saines, les arbrisseaux seront incontinent mis en terre sans nullement séjourner, de peur de l’esvent. Ce sera dans des rayons ou petits fossés, tirés à la ligne droite, larges de deux pieds, profonds seulement d’un, qu’on les plantera ; au fond desquels premièrement jettera-t-on demi-pied de la meilleure terre du lieu, prinse en la superficie, pour sur icelle asseoir les racines des arbres, & les en recouvrir aussi… Ces racines seront escartées, sans s’entre-toucher ni s’entre-croiser l’une l’autre, afin que tant mieux elles prennent terre, que mieux se trouveront à leur aile. Après le reste du rayob sera rempli & réuni au plan de la bastardière, par-dessus lequel ne ressortiront les arbres qu’environ deux doigts. Là, estant justement coupés tout doucement sans les esbranler, de peur de les déstourner ; ce que prevenant, faudra avec la serpe bien tranchante, couper l’arbre, poussant en bas, non en tirant en haut. Le poinct de la lune n’est observable en cest droit, estant bon de planter ces arbres-ci, & en son croissant & en son décours, en l’un & en l’autre terme, se pratiquant heureusement pourveu que la terre & le ciel soient bien disposés. Quant à la saison, celle d’après l’hiver est à préférer à toute autre pour le profit des arbres. Car craignant estrangement les froidures, en leur tendre jeunesse, servira de beaucoup à leur avancement de ne les exposer lors à la mrci du mauvais temps & par ce moyen engarder que les gelées & glaces n’ayent entrée dans la moelle des arbres par la tranche qu’on est contraint de leur faire, les roignant quand on les plante. Il est vrai qu’en pays chaud & sec, on les pourra planter en l’automne, leurs feuilles estant cheutés, mais à telle condition que de les couper quelques doigts plus haut que si on les plantoit au printemps pour empêcher l’entrée aux froidures, en intention de les retailler plus bas, le beau temps estant revenu. Les arbrisseaux seront posés équi-distemment d’un pied & demi, par rengées allignées de trois pieds de distance l’une de l’autre, trop grande n’estant elle, pour là à l’aise se pouvoir manier lorsque l’on ente, & lorsque l’on cultive les arbres ; & pour ceste considération aussi que mieux, & plustost s’accroîtront-ils largement qu’estroitement disposés ; voire & avec autant d’avancement que plus de bois feront les arbres, estant ainsi à leur aise, dans trois ans, qu’ils ne seroient de six, logés à l’estroit. La presse leur déstournant toujours l’accroist, & quelquefois leur causant la mort. »

» À ces arbres seuls ne servira la bastardière, ainsi à y enraciner des branches à ce propos, pour en faire des arbres, comme de celles de figuiers, grenadiers, coïgners, coudriers, qu’en tels arbres on coupera és cimes & bouts des branches les plus droites & polies, de la longueur de deux pieds, plus ou moins ; puis on les plantera dans les fossés creusés à la manière susdite, & ce sera en recourbant les branches au fond du fossé pour en ressortir sur le plan de la terre, quelques deux doigts après avoir rempli le fossé. Sur cela on n’avisera de ne roigner aucunement les branches de figuier, de peur d’attirer dans leur grosse moelle les froidures que ceste espèce d’arbre craint tant ; mais à ce que les branches ne sortent dehors plus que de la mesure susdite, on les enfoncera dans la fosse, les y recourbant tant qu’il suffira. Un mesme temps n’est sans distinction propre pour les quatre espèces d’arbres susdites, à cause de la diversité de leur naturel auquel convient de s’assubjettir. Le figuier, le grenadier, pour estre du pays plus chaud que froid, seront mis enraciner au mois de février ou de mars, pour crainte des froidures. Le coigner & le coudrier, par raison contraire, devant ou dans l’hiver ; ainsi, en nous accommodant à leurs propriétés, leurs causerons heureux accroissement. Autre que contraint, ne pouvant avenir, les maniant au rebours de ce qu’ils requièrent. Quant à la distance de leur assiette, autre ne leur sera donnée que la précédente, comme la plus raissonnable, pour tost les faire reprendre & avancer. »

» Voilà notre bastardière remplie ; maintenant n’est question que de la cultiver soigneusement, afin qu’aidant à la jeunesse des arbres, on les sollicite à s’accroistre ; trois fois l’année pour le moins convient la travailler, pour tenir le fond en guéret, & deschargé de toutes harbes, à l’utilité des bonnes plantes. Au labourer convient aller retenu, sur-tout la première année, c’est-à-dire, ne profonder beaucoup en terre, en la travaillant, de peur d’offenser les racines des arbrisseaux. À la seconde année y aller un peu plus avant, ainsi continuant par discrétion, jusqu’à ce que, fortifiées & ayant prins terre, aucun labourage ne leur soit espargné. L’arrouser est aussi requis à l’avancement de ces arbres, sur-tout en leur commencement,[9] ne pouvant lors que mal-aisément souffrir la sécheresse, plus la craignant que plus chaud en est le pays. Si avez l’eau à commendement, faites la doucement couler près des arbres en temps opportun ; mais gardez d’abuser de telle commodité, soit en la faisant croupir sur le lieu, soit en les arrousant trop souvent, car par l’une & l’autre voie, tost ou tard les arbres périssent. Le moyen de se servir utilement de l’eau, est de l’employer seulement en la nécessité, qui est que lorsque par les grandes chaleurs l’on void la terre altérée ; laquelle en tel poinct abreuvée, causera tel raffraîchissement aux arbres, qu’avec la chaleur de l’esté à souhait accroistront-ils ? Tel arrousement toutes fois ne sera employé indifféremment toutes les années, afin de n’accoustumer les arbres par trop à boire, & par-là, rendre incertaine leur reprinse en lieu sec, auquel souvent l’on est contraint de les replanter & de les loger pour la dernière fois ; ainsi leur donnera-t-on l’eau plus souvent és premiers qu’és derniers ans de leur séjour en la bastardière, pour petit à petit les sevrant de boire, par manière de dire, les désaccoutumer de l’eau, pour aisément s’en passer (icelle défaillant) après estre replantés au verger. Or, comme il est requis d’estre modéré à l’arroser des arbres, aussi est nécessaire de beaucoup de discrétion au curer & nettoyer pour les faire croistre ainsi qu’il appartient en ceste leur tendre jeunesse ; car estant ce poinct mal entendu, c’est procurer la mort aux jeunes plantes, ou du moins les avancer : mal à propos, pour après ne pouvoir faire bonne fin. Il est certain que tout jeune arbre s’efforce à vous obéir quand se sentant deschargé de branchages, il le monte hautement ; mais c’est à sa ruine si trop tost ou ignoramment on l’a esmundé, dont finalement par la foiblesse de sa tige, le pied estant curé, demeurant mince, l’arbre se recourbera par le haut, & sans pouvoir palier outre, languissant, desséchera. Pour laquelle perte prévenir, & tout d’une main rendre l’arbre bien formé, façonné, faudra s’abstenir patiemment d’en couper rien avec le fer, de ses deux ou trois premiers ans ; ains seulement avec l’ongle oster ce que sans surcharge l’on ne lui pourroit laisser, comme le bout des branches des costés, s’écartant par trop, sans s’oublier d’en couper aucune, rez du tronc, laissant croistre à mont celui du milieu, qui se trouvera le plus droit pour servir de maistre pied ou tige ; toutes fois ce sera avec un jusques-ou, qui pourra estre limité à six pieds, pour lit, faire la fourcheure de l’arbre. Aussi quoiqu’il tardast, couperoit-on telles branches, quand ce ne seroit qu’en transplantant l’arbre, & ce après avoir tiré beaucoup de substances au détriment du tronc, lequel par ce moyen s’en grossira bien tant, & sitost qu’on ne pourra le contempler qu’avec ébahissement. Jusqu’à telle mesure donques laissera-t-on s’en monter la tige, non davantage ; là, le roignant dès incontinent qu’on s’appercevra y estre parvenu, pour jeune que soit l’arbre. Et ensuite, estant engrossi, couper bien rez toutes les branches du tronc, l’en déchargeant depuis terre jusqu’à la fourcheure, là, presnant sa forme. Ainsi demeurera l’arbre plus gros par le bas que par le haut, par conséquent, très-ferme pour durer longuement ; auquel poinct il se rendra quand par le tempéremment des branches portières aura esté retenu de verser en hors, résistant aux vents ; & que, comme a esté dit, la vertu des roigneures supérieures rétrogradant, aura esté réservée pour la nourriture du pied, sans l’avoir inutilement communiqué à la teste. »

» Le temps de curer les jeunes arbres, est lorsqu’ils sont en sève, pourtant plus facilement leurs plaies en estre recouvertes, & en moins de temps consolidées, ce qui avient par le prompt secours d’icelle sève ; chose qu’on pourra faire depuis la fin de mars jusqu’à celle de juin. De plusieurs années ne pourriez espérer l’entière guérison de tels ulcères, esmondant les arbres avant tel secours là, comme aucuns mal-expérimentés font, qui au contraire ne mettent jamais la serpe és arbres, que lorsqu’ils sont endormis… Ayant curé le tronc des arbres, convient les entretenir en tel estât, sans souffrir s’y accroître par après aucun bois, ains en oster curieusement tout ce qui pourroit y venir, aucun jeton n’y pouvant renaître qui ne difformât le pied de l’arbre au préjudice de toute la plante. Par tel ordre & bénéfice de la culture du fonds, les arbres se façonneront très-bien, qu’ils soient entés en la bastardière ou non, sans distinction, ainsi estant convenable de les gouverner tous ; & se rendront prests à estre replantés dans cinq ou six ans, (ou plutôt le pays leur agréant) à compter de l’ensemencement qu’auront attaint la grosseur du bras d’un homme robuste, ou celle du manche du hoyau ; tels pour la reprinse & accroissement estant nécessaires ; d’autant que moindre ne pourroit estre que de trop tardif & ennuyeux avancement, & plus grande que de hasardeuse reprinse. »

» Pour gaigner quelques années, aucuns ne passent par la pépinière, ains seulement par la bastardière en laquelle ils replantent des arbrisseaux bien choisis, arrachés és taillis & forests, pour là les nourrir & eslever, comme est dit ci-dessus. Cela est bon où l’on a suffisance de plants qualifiés comme il appartient ; mais comment qu’on manie le plan sauvage de son origine, jamais ne peut-on tirer fruit si exquis que par la voie de la semence pour les raisons dites. »

» Plusieurs arrachent de la bastardière les arbres encore sauvages pour les replanter au verger, & là finalement les enter ; d’autres & mieux entendus en cest art, les entent en la bastardière mesme, avant que de les en retirer, à ce que francs soient logés en leur dernier lieu, sans estre contraints par nécessité de les enter après. Voire passant plus outre, ne se contentent de les enter une seule fois, ains y retournent plusieurs pour faire rapporter aux arbres fruits très précieux ; car il est certain que comme les métaux se raffinent tant mieux que plus souvent on les refond, ainsi les arbres, par réitérés entemens, parviennent à cette perfection de bonté tant souhaitée, pour la production d’excellens fruits ; mesme par telle curiosité les fruits s’en diversifient & bigearrent avec utile & plaisante admiration ; & d’autant que c’est l’un des principaux secrets de la conduite des fruitiers, ignorée des anciens, ne faut laisser en arrière de présenter l’ordre à cela convenable, sans toutes fois toucher aux particulières façons d’enter, réservées pour un autre lieu.»

» Un an après le remuement des arbres en la bastardière, vers le mois de mars ou d’avril, les jeunes arbres, quoique minces, seront entés en fente, un peu sur terre, ou dedans icelle, si mieux vient à propos. Pour la petitesse du tronc, une seul greffe y sera mise, joignant par ses deux escorces des deux costés le tronc de l’arbre, icelui & la greffe estant de mesme grosseur. Là, la greffe justement insérée, se reprendra très-bien, jetant du bois à suffisance pour recevoir une autre greffe l’année suivante. De mesme en ferez pour la troisiesme fois en la troisième année, c’est à savoir enteré comme dessus, mettant la greffe sur l’enté ; ensuite, pour la quatrième fois, faisant toujours une enteure sur l’autre quatre doigts en montant ; par ce moyen la derniere greffe, logée en lieu du tout purifié par son exquise élection, & des précédentes, rapportera, en son temps, fruit parfaitement bon[10]. Ainsi, dans quatre années, on ente quatre fois un arbre en chacune, le greffant sur le franc ; mais qui voudra gaigner la moitié du temps, chaque an, entera deux fois un mesme arbre, une en fente au mois de mars ou d’avril, & l’autre en escusson ou en canon, en mai ou en juin sur le jeton sorti de la précédente enteure. Peu de difficulté se trouvera-t-il à ceci, estant de soi-mesme l’arbre bien vigoureux & bien cultivé pour souffrir les entemens. De l’enter à l’écusson & canon, se pourra-t-on servir presque en toutes sortes d’arbres, mais plus expressément és abricotiers, aubergers & peschers, leur naturel aimant plus ces façons-ci d’enter que les autres. »

» Tant s’en faut que l’enter plusieurs fois recule les arbres décroître, comme aucuns estiment, qu’au contraire les contraint à s’avancer davantage. Cela ne provient toutes fois du naturel de l’enter, ains de celui du couper ; lequel a telle vertu qu’estant les jetons de l’arbre ostés, leur substance en revient aux racines qui, la redonnant au tronc, icelui l’en engrossit d’autant plus, que plus de fois on l’aura recoupé, comme de nécessité à chacun entement y convient de faire. Par ainsi l’arbre, en se montant peu à peu, acquiert cest avantage que d’estre puis gros par le bas que par le haut, selon que raisonnablement on le souhaite pour estre capable de supporter en son temps, comme ferme base, grande quantité de branchages, & de pouvoir résister à la violence des vents. En quoi ne court si long terme que dans cinq ou six ans, voire plutôt, par le bénéfice du terroir, les arbres ne soient parvenus à la grosseur convenable pour estre replantés pour la dernière fois, moyennant gouvernement requis & du hoyau, & de l’arrosement ; sur-tout de la conduite du ramage, prinse de la première jeunesse des arbres, laquelle, comme la plus substile maîtrise de cest art, doit estre bien entendue pour la mesnager en toutes sortes d’arbres sauvages & francs estans dans la bastardière & ailleurs ; & qu’en outre on assujettisse un fort paisseau à chasque arbre, pour fermement l’y attacher ; les commissures des entemens se pouvoir bien reprendre & aisément se ressouder, sans crainte des vents ni autres accidens. Echéant d’enter les arbres un peu forts, conviendra en chacun arbre loger deux greffes, un seul n’en pouvant occuper le tronc, à la charge (estant l’enture faite en bas près de terre) d’en couper un greffe, les deux ayant reprins, à savoir le plus mince, laissant l’autre monter & gorssir pour le pied & tige de l’arbre ; mais ce sera un mois ou six semaines après avoir enté, non devant, pour avoir temps à convenablement se résoudre sur cette élection. »

On voit qu’Olivier de Serres a eu l’art de dire en peu de mots ce que ses successeurs ont délayé dans de volumineux discours ; il est encore bon d’observer qu’il n’avoit aucun modèle devant les yeux, & qu’il est le premier qui ait rassemblé en un corps d’ouvrage toutes les parties de l’agriculture. Nourri de la lecture des ouvrages anciens, il apprécie avec sagacité ce qu’ils ont de bon & rejette leurs erreurs. S’il a adopté quelques unes de leurs idées sur l’influence de la lune, c’est moins sa faute que celle de son siècle, & sont opinion est encore celle de la plupart des cultivateurs qui n’examinent pas si la tradition est ou n’est pas fondée, mais qui croyent, parce que leurs pères ont crus. Les loix physiques de la végétation n’étoient pas mieux établies de son temps : Malpighi, Hales, Grew, Duhamel, Bonnet, &c. n’avoient pas encore suivi sa marche dans la formation des plantes ; cependant, avec quelle attention Olivier de Serres n’enseigno-t-il pas combien on doit ménager les racines, & combien il y a loin de ses préceptes à la conduite journalière de plus des trois quarts des jardiniers du Royaume. Il reconnoît bien de quelle utilité le pivot est pour les arbres, mais il n’en sent pas toute la nécessité & l’importance ; il conseille de le rogner par le bout, (& non de le supprimer ainsi qu’on le fait) de le coucher horizontalement & un peu incliné comme les autres racines ; alors il cesse d’être pivot, il est rangé au nombre des racines latérales tant que la nature n’aura pas repris ses droits ; c’est-à dire, que de lui ne sera pas sortie une nouvelle racine qui s’implantera profondément & perpendiculairement en terre. C’est beaucoup d’avoir entrevu, il y a plus de deux siècles, ce secret de la nature que très peu de personnes connoissent encore aujourd’hui. Si j’écrivois pour le pépiniériste dont tout le travail a pour but une prompte vente des arbres qu’il cultive, je lui dirois : suivez les préceptes d’Olivier de Serres, & ne surchargez pas d’engrais un sol qui n’en a pas besoin ; ne plantez pas si près à près, alors la tige de vos arbres ne filera pas & il y aura une juste proportion entre la base & son sommet ; mais comme j’écris particulièrement pour le cultivateur, pour le père de famille, qui veulent laisser à leurs enfans des arbres qui leur attestent son intelligence & la bonté de son travail, je leur dirois : défoncez le sol de la pépinière à dix-huit pouces, & celui de la bâtardière à quatre pieds, afin que la racine produite par le semis, & que cette même racine de l’arbrisseau mis dans la bâtardière, puisse continuer son pivotement jusqu’au temps où le semis devenu arbre, celui-ci sera tiré de terre. Je lui dirois encore, n’établissez jamais une pépinière dans un lieu où la couche inférieure est argileuse ou roche dure, leur ténacité s’oppose au pivotement. À l’article pivot, sa nécessité & sa conservation seront démontrées. Il est inutile d’entrer ici dans de plus longs détails, puisqu’en parlant de chaque arbre en particulier, il est question de la manière de le conduire dans la pépinière.


  1. Ce que dit ici de Serres, il a fallu ensuite plus d’un siècle pour le confirmer.
  2. Cette opinion sur les effets de la lune, remonte à la plus haute antiquité. Les grecs & les romains y ajoutoient beaucoup de foi. Les modernes trop tranchans, ne doutant de rien, ont nié & nient encore les effets de la lune. On commence cependant à revenir de ces deux opinions si opposées, & le système du célèbre Toaldo, apprend au moins à douter, & il ouvre une vaste carrière aux observations & à l’expérience (Consultez les mots Almanach, Lune)
  3. Ceux auxquels le climat ou les moyens ne permettent pas de semer en automne, & de garantir les pepins des froids rigoureux, pourront les semer dans des caisses, dans des pots, &c. & les enfermer pendant les gelées.
  4. Il est bon d’observer qu’Olivier de Serres écrivoit sous Henri III : or ces foréts de mûriers prouvent que leur culture étoit déja très-avancé & très-répandu, même dans le Haut Languedoc, lorsque Henri IV commença à encourager leur culture.
  5. Il vaut beaucoup mieux placer les noyaux, & toutes semences à enveloppes dures, entre des linges ou des draps de laine fortement, imbibés d’eau, & les placer au soleil. On aura l’attention d’entretenir leur humidité ; un exemple bien simple va prouver combien la pénétration de l’eau est plus forte en suivant ce procédé. Promenez-vous sur de l’herba chargée de rosée, & vous verrez que le cuir de vos souliers sera bien plutôt pénétré de part en part que si vous aviez marché dans l’eau pendant un temps égal. En outre l’action du soleil, la chaleur de sa lumière, jointe à l’humidité, accélèrent beaucoup plus la germination ; l’expérience est facile à répéter.
  6. Je n’ai jamais fait cette expérience ; je doute de son succès, quoique je ne le nie pas. Si on lit dans l’aticle blé la manière dont le grain de froment se développe, on se persuadera combien peu sont utiles toutes les préparations que l’on donne à son grain. Cependant, en admettant la pénétrabilité de l’odeur de ce grain, celui du froment devroit avoir l’odeur & la saveur du jus de fumier, ou de telle autre drogue, dans lesquels on le fait tremper. Je réponds, d’après mon expérience, que la coloration des fleurs ou des feuilles, &c. ne ma jamais réussi, & qu’elle me paroît contraire aux loix physiques de la végétation.
  7. Voyez note 2.
  8. Cette sage pratique enseignée par l’auteur, est bien éloignée de celle suivie par nos pépiniéristes marchands d’arbres ; ils fument la terre avec les engrais les plus actifs, telles que les gadoues, les boues des rues, les excrémens humains, &c. aussi la couleur de la terre de pareilles pépinières, est presque noire. Les arbres y sont vigoureux, leurs pousses extraordinaires ; les pépiniéristes ne manquent pas de vous en prévenir ; mais ils se gardent bien de vous faire observer qu’il n’y a aucune proportion entre la force du tronc & le volume de la totalité des branches. C’est un embonpoint forcé, d’où il résulte que l’arbre transplanté ailleurs, souffre, languit pendant plusieurs années, & souvent périt de misère, parce qu’il n’a pu s’accommoder du nouveau sol qui devoit le nourrir. Toute espèce de fumier doit être interdit dans les pépinières, il suffit que le sol en soit bon, défoncé profondément, & souvent travaillé.
  9. Il faut observer que l’auteur écrivoit en Languedoc, où il pleut rarement ; ce conseil n’est utile que dans les cantons où les pluies sont rares. Il faut cependant excepter les cas de grande sécheresse. Les trop fréquens arrosemens, ainsi que les pluies continues & trop abondantes, rendent la sève trop délavée, & les feuilles de l’arbre annoncent, par leur pâleur, leur état de souffrance.
  10. Je doute que pareille greffe mise en terre ait le succès promis par l’auteur, cependant j’avoue n’avoir pas répété l’expérience, & ce qui me fâche, c’est que la saison ne me permet plus de m’en occuper ; d’ailleurs, pourquoi ne pas greffer à fleur de terre, & placer successivement ses greffes en remontant d’année en année ? Il est constant que par le procédé d’Olivier de Serres, on aura des fruits superbes & excellens ; mais l’arbre s’élèvera-t-il autant que celui qui n’aura eu qu’une simple greffe ? fournira-t-il des rameaux en aussi grand nombre & aussi vigoureux que ceux du second arbre ? je ne le crois pas, & mon opinion est fondée sur ce que l’arbre greffé ne s’élève jamais aussi haut que celui qui ne l’a pas été, si toutes les circonstances sont égales.