Hôtel Serpente (Tome secondp. 284-306).


BLÉ, ou Bled. Nom qu’on a donné en général à toutes les substances farineuses dont on peut faire du pain. Cependant l’exception particulière se rapporte directement au froment dont M. le chevalier von Linné compte onze espèces, sans parler des variétés. On ne peut assurer positivement de quel pays il est indigène, ou bien si on le doit à une plante graminée si perfectionnée par la culture, qu’on ne reconnoît plus son type. Quelques auteurs l’ont dit originaire de Sicile, sans doute par conjecture, puisqu’ils ne l’ont point prouvé. Des voyageurs ont avancé qu’on le trouvoit chez les illinois & chez les calliforniens, mais que son grain n’étoit guère plus gros que celui du millet. Cette différence de grosseur, & plusieurs autres considérations particulières, déterminent à penser que le froment est une espèce due à la culture, & qui s’est perpétuée de race en race, puisque les plus anciens historiens de tous les pays, parlent avec éloge de cette plante si essentielle à la subsistance des humains. L’Amérique a tiré ses blés d’Europe ; ils n’y croissoient pas spontanément, parce qu’avant la découverte de cet autre hémisphère, la terre n’y étoit pas cultivée ; de sorte que si l’espèce des illinois est un vrai froment, elle est encore bien éloignée de la perfection même des plus mauvais blés d’Europe. M. l’abbé Poncelet, à qui l’on est redevable d’une excellente Histoire naturelle du froment, a essayé de reconnoître par la dégénérescence, s’il pourroit ramener notre froment à son état primitif. Après l’avoir semé, il en a coupé les premières tiges très-peu élevées encore ; ces tiges se sont multipliées. Il les a encore coupées de nouveau ; elles n’ont point cessé de croître & de multiplier ; enfin, il a recommencé si souvent cette opération, que les tiges extraordinairement multipliées n’étoient pas plus grosses que celles du gramen ou chiendent ordinaire. Il a conservé pendant deux ans ce grain dégénéré, sans être certain qu’il fût devenu ou bisannuel seulement, ou vivace. Il vouloit, après cette dégénération bien constatée, ramener par la culture ce même froment à son état de perfection ; mais des circonstances particulières ne lui ont plus permis de suivre son expérience. Je la répéte actuellement, & j’en rendrai compte à la fin de cet Ouvrage.

Ce n’est pas le cas de parler ici de la culture du blé en général, de la nature des terres qui conviennent à chaque espèce de blé en particulier, des instrumens pour ouvrir la terre & recouvrir la semence ; des engrais que ces terres exigent, ni de la préparation des grains avant de les semer : ces objets seront traités séparément sous le mot propre de chaque espèce. Il ne s’agit actuellement que des points généraux & communs à toutes les espèces, & qui éviteront des répétitions par la suite. La première chose à examiner, est, comment & par quelles loix s’exécutent le développement du germe & la végétation de la plante ? & ensuite quels sont les principes constituans du blé ? La richesse principale des campagnes dépend de ces deux objets. Le bien-être des propriétaires & des habitans des villes en est le résultat. Il est donc très-important que le cultivateur soit instruit, & que l’instruction lui serve ou à abandonner les pratiques vicieuses de culture, ou à perfectionner celles qu’il a trouvées établies. Chaque pays a sa méthode, & dans chaque pays on dit qu’elle est fondée sur l’expérience ; cela est vrai jusqu’à un certain point. J’ai demandé cent fois aux cultivateurs, s’ils avoient fait des expériences comparatives avec leur méthode, pour juger s’il n’y avoit rien à y changer ? Tous m’ont répondu négativement, disant que leur méthode étoit bonne, & il ne m’a pas été possible d’en tirer d’autres éclaircissemens. Lorsque le cultivateur connoîtra parfaitement les principes du blé, la marche de sa végétation, la nature du sol qu’il laboure, il sera alors en état de faire des expériences, & des expériences raisonnées & fondées sur une bonne théorie ; car toute expérience faite au hasard & sans principes, n’est point concluante, & la plus légère modification la rend nulle pour les années suivantes.

On doit à M. l’abbé Poncelet une suite de recherches intéressantes sur cet objet ; & aucun auteur, jusqu’à ce jour, n’a développé avec autant de soins & d’intelligence, le mécanisme de la végétation du blé ; après lui on ne peut plus que glaner. Quelle reconnoissance ne doit-on pas à un homme qui a étendu la sphère de nos connoissances, & qui doit tout à la seule observation ! « Dans l’impossibilité (c’est ainsi qu’il s’explique) de me procurer les bons ouvrages qui traitent de l’agriculture & des arts qui en émanent, je n’ai eu pour toute ressource, que celle de pouvoir lire sans contrainte, & à toute heure, dans le plus ancien des livres, dans le grand livre de la nature ; & ç’a été pour y lire avec plus de liberté, pour pouvoir méditer plus profondément sur ce que j’y aurois lu, que renonçant pour un tems au commerce des hommes, je me suis retiré dans une paisible solitude ; c’est-là qu’inconnu & ignoré de l’univers entier, jouissant d’une santé parfaite, avide de connoissances ; seul, absolument seul ; sans compagnon, sans domestique, sans témoins, j’ai labouré la terre, semé, moissonné, moulu, fait du pain ; sans engrais, sans charrue, sans moulin, sans four ; en un mot, sans autres ustensiles que ceux qu’une imagination industrieuse, excitée par la nécessité des circonstances, & guidée par la raison, me faisoit inventer. J’en excepte pourtant quelques vaisseaux chimiques, un crayon, des pinceaux, de l’encre de la Chine, & sur-tout un excellent microscope dont je m’étois muni, parce que je prévoyois l’indispensable besoin que j’en aurois souvent. »

Puisse l’exemple de M. l’abbé Poncelet être suivi par tous ceux qui s’attachent à une partie de l’agriculture, & même de chaque science quelconque. C’est la seule manière de bien voir. Je saisis avec joie cette occasion de lui témoigner publiquement ma reconnoissance, & celle des agriculteurs, des vérités qu’il nous a fait connoître. Je me fais gloire de dire que je vais me servir de son travail, & je le dis avec une franchise égale aux soins que prennent les plagiaires pour qu’on ne connoisse pas les sources où ils ont puisé. Je pourrois comme eux, faire l’extrait de l’ouvrage de M. l’abbé Poncelet, rendre son travail presque mien, ou du moins le faire croire aux ignorans ; mais je préfère son estime & l’utilité dont il sera à ceux qui ne le connoissent pas & qui liront ce que j’écris. Ce seroit un crime de le défigurer.


CHAP. I. Vues générales sur le développement du germe, & sur la végétation du Blé.
Sect. I. Du développement du germe.
Sect. II. Théorie de son accroissement.
Sect. III. Des parties organiques du Blé.
Sect. IV. De la fleuraison, & des parties organiques de la fructification.
CHAP II. Examen plus particulier du Blé, suivi dans tous les points de sa végétation.





CHAPITRE PREMIER.

Vues générales sur le développement du germe, et sur la végétation du Blé.


Section première.

Du développement du germe.

Le grain de froment, comme tout le monde sait, présente assez bien la figure d’un petit fuseau dont les deux extrémités sont tronquées ; il est aplati d’un côté, convexe de l’autre. On remarque au bas de celui-ci, (Pl. 9, Fig 1,) une protubérance A, qui indique l’emplacement du germe[1]. Le côté aplati est distingué par une rainure profonde qui partage le grain en deux lobes ; ceux-ci, vers la partie convexe, semblent se réunir en un seul. Plusieurs naturalistes, à cause de cette réunion, n’ont admis dans le froment qu’un seul lobe.

Le grain est recouvert d’un tégument composé de trois tuniques ou membranes : les deux premières sont formées de tuyaux disposés verticalement les uns à côté des autres, communiquant entr’eux par des insertions latérales, & formant au sommet B, par leur terminaison commune & leur réunion, une espèce d’aigrette. La troisième membrane qui recouvre intérieurement l’un & l’autre lobe, est si mince, que jamais M. l’abbé Poncelet n’a pu en observer ni discerner la contexture ; ce n’est même qu’avec bien de la peine qu’on vient à bout d’en découvrir l’existence. Entre celle-ci & la seconde, on trouve une couche de substance visqueuse, qui est peut-être de la résine, & la partie mucilagineuse peut être également logée dans le même endroit. Cette espèce de gomme-résine enveloppe le grain dans sa totalité. Dans la partie inférieure est une ouverture qui communique avec le chalumeau F, (Pl. 10, Fig. 25 & 27), plongé & divisé de même dans toutes les parties de l’épi. Tout le long de la rainure règne un gros vaisseau GG, (Fig. 25) divisé en plusieurs branches AAA, (Fig. 27) sous-divisées elles-mêmes en une infinité de petits rameaux BBB, tous terminés par un globule CCC, réservoir précieux du suc nourricier, vrai sel essentiel sucré & fermentescible, plus connu sous le nom de substance muqueuse, dont on parlera dans le chapitre suivant. Tous ces vaisseaux, d’une exilité surprenante, renferment cependant chacun en particulier, un double canal provenant originairement du chalumeau ou tige F, (Fig. 25 & 27), dont l’un est destiné à porter le suc nourricier dans chaque globule CC de l’un & de l’autre lobe, tandis que réciproquement le second canal partant de chaque globule, est destiné à porter le suc au germe D, par l’entremise du canal F, inséré, comme il a été dit, dans la rainure, & auquel se réunissent tous les petits canaux AAA de chaque sous-division BBB. Le grand canal ou principal vaisseau F de la rainure, en transmettant ainsi au germe la substance alimentaire qu’il reçoit de toute part, fait, à proprement parler, les fonctions de cordon ombilical : après avoir formé en E, (Fig. 27) un sinus, il va s’insérer dans la partie inférieure du germe auquel il fournit pour lors immédiatement la nourriture nécessaire à sa subsistance.

Pour peu qu’on ait saisi le systême organique du grain de froment, il ne sera pas difficile de concevoir ce qui va être crayonné pour rendre la chose plus sensible.

Le premier développement du germe dépend d’un mouvement intestin, qu’on peut appeler fermentation. Tant que cette espèce de fermentation n’est point excitée par une cause extérieure, toutes les parties organiques du grain demeurent dans un repos absolu ; le germe lui-même, sans donner le moindre signe de vie, reste dans l’inaction & comme enseveli dans un profond sommeil ; mais l’humidité n’a pas plutôt pénétré par l’orifice inférieur, communiquant à la tige ou chalumeau, & suivi les ramifications dans leurs nombreuses sinuosités, jusque dans l’intérieur des globules, qu’aussitôt la substance muqueuse qui y est contenue, se dissout, se gonfle, s’agite, s’étend jusqu’au germe, lui communique son mouvement, l’éveille & l’excite à déployer la puissance végétative : il éprouve alors, & pour la première fois, le besoin d’être nourri ; il attire donc à soi & pompe vigoureusement, par le moyen du canal conducteur, faisant les fonctions de cordon ombilical, le suc nourricier nécessaire à sa subsistance : de-là son accroissement insensible, & l’augmentation graduée de ses forces.

Ainsi commence & continue le jeu des parties organiques d’un grain de blé, jusqu’à ce qu’enfin les deux lobes entiérement épuisés, n’offrent plus qu’un sac vide ; le germe n’attend même pas cet instant pour chercher ailleurs une nourriture plus abondante. Huit jours après avoir été déposé en terre, quelquefois plus, quelquefois moins, il fend ses enveloppes, (Fig. 4, Pl. 9), fait paroître les premiers vestiges, tant des feuilles que des racines, les unes & les autres renfermées chacune dans une espèce de bourse particulière. Quelques jours après, ce mince tégument se déchire, & c’est pour lors qu’on voit à découvert les feuilles séminales & les premières racines. C’est à cette époque qu’on peut comparer le germe du blé à un enfant de quelques mois, nourri tantôt du lait de sa nourrice, tantôt d’alimens plus solides, de soupes, de bouillies, &c. ; de même le germe, au tems où nous parlons, se nourrit tout à la fois & de la substance muqueuse que fournissent les deux lobes, & de la terre soluble que lui fournit le sol, sa vraie mère-nourrice.

On vient de comparer le germe développé, à un enfant de quelques mois ; mais l’analogie entre ce qui se passe dans le grain du froment après avoir été semé, & ce qui se passe dans la matrice animale peu après le tems de la conception, est bien plus frappante. On sait que dans celle-ci le cordon ombilical, après s’être divisé en plusieurs branches vers son extrémité supérieure, porte ses ramifications dans le placenta, membrane épaisse quelquefois d’un bon pouce, toute parsemée de glandes & de vaisseaux, d’où suinte une liqueur douceâtre, qui, après s’être insinuée dans les vaisseaux les plus grêles, est chariée par eux jusqu’au cordon ombilical, d’où elle passe ensuite au fœtus. N’est-ce pas presque mot pour mot, ce qu’on vient d’observer dans le grain de blé lorsqu’il commence à se développer ? N’a-t-on pas vu que de la substance globuleuse, vulgairement appelée farine, il sort une liqueur douce, sucrée, qui sert de nourriture au germe ?

Il est vrai que dans cette description, on n’a parlé ni de l’alantoïs, ni du chorion, ni de l’amnios, autres membranes particulières au fœtus animal ; mais ne pourroit-on pas appliquer ces noms aux diverses enveloppes qui recouvrent le germe immédiatement ? Ces tuniques, ces bourses que les racines déchirent en se prolongeant, ont beaucoup de ressemblance aux membranes qui enveloppent le fœtus.


Section II.

Théorie de l’accroissement.

À peine le germe s’est-il développé, qu’on y remarque un accroissement sensible, & cet accroissement s’opère en vertu des trois premières loix de la nature ; de la loi d’affinité, de la loi d’attraction, & de la loi d’assimilation. La loi d’affinité est celle en vertu de laquelle deux corps d’une même nature, ou d’une nature approchante, tendent à s’unir préférablement aux autres corps avec lesquels ils ont un rapport moins intime. La loi d’attraction est celle en vertu de laquelle deux corps qui ont entre eux un rapport d’affinité, se rapprochent nécessairement, à moins que des obstacles invincibles ne s’y opposent. Enfin, la loi d’assimilation est celle en vertu de laquelle deux corps qui se sont rapprochés par un effet de la loi d’attraction, finissent par s’identifier. Voici l’application de ces loix.

Quelques jours après que le grain a été déposé dans une terre bien meuble, l’humidité, ainsi qu’il a été dit, ayant passé par l’orifice inférieur de l’un des deux conduits qui composent le grand vaisseau destiné à faire les fonctions du cordon ombilical, pénètre insensiblement jusque dans l’intérieur des globules, où elle attaque & dissout la substance muqueuse : celle-ci devenue fluide, & ne trouvant plus d’obstacles à vaincre pour se joindre au germe avec lequel elle a la plus grande affinité, quitte le globule, coule de rameaux en rameaux, jusque dans l’espèce de cordon ombilical dont on a si souvent parlé, s’assimile au germe, s’identifie avec lui ; & par une conséquence nécessaire, augmente le volume de toutes les parties organiques. Cet accroissement parvenu à un certain degré, les racines prennent vigueur, déchirent leurs enveloppes ; & toujours, par une même suite de cette loi d’affinité, percent les mottes environnantes, s’étendent de droite & de gauche, attirent la terre soluble, aliment nécessaire de toute plante. Cette attraction est quelquefois si marquée, qu’il n’est pas rare de voir la racine, comme si elle étoit douée de discernement & d’intelligence, se détourner brusquement d’une motte très-molle, mais privée de terre soluble, pour aller chercher une motte voisine plus compacte, mais remplie de cette même terre.

Ce qui se passe dans la racine en vertu des loix d’affinité, d’attraction, d’assimilation, se répète au même instant, & par un effet de la même cause, dans les feuilles séminales. Les trachées dont les feuilles sont en partie composées, renferment un fluide d’une affinité bien décidée avec l’air ambiant, soit à cause des propriétés spécifiques de celui-ci, soit plutôt, ainsi que le conjecture M. Poncelet, à cause d’une substance très-active, très-subtile, contenue dans ce même air. Les trachées doivent donc vigoureusement l’attirer ; & par cette attraction, il doit s’établir un mouvement d’oscillation entre tous les fluides du systême vasculaire de la plante. On conçoit sans doute, par ce qui a été observé, que ce mouvement d’oscillation suppose deux points d’appui, l’un placé dans l’air qui refoule par bas les fluides contenus dans les vaisseaux de la substance corticale, l’autre placé dans la racine qui force les mêmes fluides de monter par les fibres de la substance ligneuse ; d’où il résulte nécessairement l’admirable mécanisme de la circulation d’une séve ascendante & descendante ; & par une autre conséquence, un accroissement successif & continuel de toutes les parties organiques. Une expérience bien simple démontre cette vérité. Mettez une goutte d’huile à l’orifice des racines ; sur le champ vous intercepterez le mouvement d’oscillation, & la plante mourra.

Revenons au sujet. D’après ce mécanisme, la plante devroit insensiblement acquérir un volume immense, & l’acquerroit en effet, si la nature n’avoit pas paré à cet inconvénient, en établissant dans chaque plante, non-seulement une expiration proportionnelle à l’aspiration, mais encore une transpiration continuelle, quoiqu’insensible, des parties les plus fluides & les plus volatiles. Cette expiration & cette transpiration, en évacuant les vaisseaux pour faire place à une nouvelle séve, doivent nécessairement produire deux effets bien remarquables : celui d’empêcher la plante d’acquérir un volume indéfini, & celui de contribuer à l’entretien du mouvement d’oscillation, originairement excité par l’attraction alternative de la racine & des trachées ; mouvement qui persévère sans interruption, jusqu’à ce que les parties solides assimilées en quantité excessive, aient formé des obstructions sans nombre, intercepté la circulation, dérangé le mouvement d’oscillation, & qu’enfin elles l’aient totalement arrêté. À cet instant de repos si fatal à la plante, plus d’aspiration, plus d’expiration, de transpiration, d’attraction, d’assimilation ; en un mot, plus de fonctions vitales ; la plante se fane & périt. Une description des parties organiques du blé jettera un plus grand jour sur cette théorie.

Section III.

Des parties organiques du Blé.

De la racine. La racine du blé est un corps organisé, qui est à la plante ce que la bouche, l’œsophage & l’estomac sont aux animaux. Elle est composée des mêmes substances que le tronc & la tige entière ; savoir, de la substance corticale, de la substance ligneuse, & de la substance médullaire. Quoiqu’au premier coup d’œil ces trois substances paroissent fort différentes l’une de l’autre, on retrouve cependant dans toutes, la même contexture & le même mécanisme. La substance médullaire paroît seule s’en écarter un peu, c’est-à-dire que dans l’écorce, tant intérieure qu’extérieure, on distingue, comme dans le bois, les fibres, les utricules, les trachées, & le vase propre.

I. Des fibres. Elles sont d’une contexture solide, & très-propres à former la charpente de la plante. Elles sont à celles-ci ce que les os, & vraisemblablement les nerfs, les artères & les veines sont aux animaux ; leur lacis réticulaire les fait assez ressembler aux filets d’un pêcheur. L’intervalle des mailles est rempli d’un nombre infini de petites vessies de figures différentes ; l’intérieur des fibres est creux : ce sont des espèces de canaux par où la séve, introduite dans la racine par les orifices placés à ses extrémités, commence son cours.

II. Des utricules On vient d’observer que l’intervalle des mailles fibreuses communément désigné sous le nom de parenchyme, étoit rempli d’un nombre infini de petits vaisseaux ; ce sont les utricules, ainsi nommés parce qu’ils ont la forme d’une outre renflée par le milieu, & fort étroite vers les extrémités : ils sont placés horizontalement, & communiquent les uns aux autres par une double ouverture, propre à donner & à recevoir successivement un suc clair provenant des fibres voisines.

III. Des trachées. Entre les fibres & les utricules, on distingue des lignes spirales & perpendiculaires, recouvertes d’une membrane écailleuse qui paroît leur servir de tunique : ce sont les trachées, vaisseaux vides en apparence, mais réellement remplis d’air, semblables en tout aux vaisseaux qui servent de poumon aux insectes. Ils sont remarquables par une suite d’anneaux placés de distance en distance, & doués d’un mouvement élastique.

IV. Du vase propre. Ce que les botanistes ont nommé le vase propre, est un assemblage de petits vaisseaux tous différens de ceux qu’on vient de décrire sous le nom d’utricules. Le vase propre est destiné à recevoir & à charier dans toute la plante une huile essentielle, à laquelle est presque toujours uni l’esprit recteur, substance singulière, incoërcible, d’une ténuité & d’une activité si grande, qu’on ne l’obtient jamais seul, sans qu’il adhère à une base quelconque. Les petits vaisseaux qui constituent le vase propre, sont placés circulairement entre la substance médullaire & l’écorce.

De l’écorce. L’écorce est aux plantes, ce que la peau est aux animaux, avec cette différence que dans celles-là, non-seulement elle sert à défendre les organes intérieurs, contre les accidens du dehors, mais encore qu’elle réunit les vaisseaux où s’opère la circulation de la séve descendante.

Les vaisseaux de l’écorce sont les mêmes que ceux que l’on observe dans le reste de la plante. Ce que l’on remarque particuliérement dans l’écorce du blé, sont deux tissus ou membranes différentes, l’une nommée écorce extérieure ou cuticule, l’autre écorce intérieure ou substance corticale. De la prolongation de la cuticule, naissent les feuilles ; & de la prolongation des deux tissus conjointement, est formé le son qui sert d’enveloppe aux deux lobes.

Il est incertain si la substance médullaire, dans les gramens, s’étend jusqu’à l’écorce, & par-delà, comme on l’observe dans les arbres & dans les arbrisseaux. Ce qu’il y a de remarquable dans le froment, est que l’écorce se prolonge depuis la racine, jusqu’au-dessus du grain, où chaque fibrille du tissu réticulaire se termine comme un tube de baromètre, (Pl. 10, Fig. 25) bouché hermétiquement dans la partie supérieure, & formant comme une calotte : il est probable que, dans cette partie, les vaisseaux qui ont apporté la séve ascendante, se recourbent pour en faciliter la descente.

De la substance médullaire. C’est un amas de vésicules rondes, communément placé au centre des végétaux : l’on n’y remarque ni fibres, ni utricules, ni trachées, ni vase propre ; elle occupe dans le blé la partie la plus interne du chalumeau, dont elle tapisse les parois, & ne forme un plein que dans les nœuds & les ramifications de l’épi ; de manière cependant, qu’elle prolonge toujours ses branches au travers de la substance ligneuse, & même jusqu’à l’extrémité de l’écorce, qu’elle perce d’outre en outre dans plusieurs végétaux.

M. l’abbé Poncelet soupçonne que la substance médullaire contient la partie la plus élaborée de toute la plante, & qu’elle est à celle-ci, ce que les vaisseaux spermatiques sont aux animaux. Il soupçonne encore que c’est dans son voisinage qu’il faut chercher les vaisseaux où la substance muqueuse est élaborée. On sent bien qu’il ne parle pas ici des globules qui composent la farine ; ils sont faciles à trouver, & ils ne sont pas les instrumens qui servent à l’élaboration de la substance sucrée ; ils n’en sont que le réservoir.

Des feuilles. Puisque la feuille n’est qu’une prolongation de la cuticule extérieure, elle doit être composée des mêmes parties organiques ; savoir, des fibres, des utricules, du vase propre, & particuliérement des trachées. C’est dans le parenchyme des feuilles que sont situés les orifices par où l’air s’insinue dans ces espèces de poumons, pour être ensuite transporté par eux dans toutes les parties de la plante. Outre ces orifices destinés à la respiration & vraisemblablement aussi à l’expiration de l’air, M. Poncelet remarque dans les mêmes feuilles, trois sortes d’ouvertures, qu’il croit destinées, les unes à la transpiration insensible, & dont il n’a reconnu aucune trace ; les autres, aux excrétions solides analogues aux matières stercorales des animaux ; enfin, les troisièmes, destinées aux excrétions fluides qu’il soupçonne avec fondement analogues à l’urine. Ces derniers organes de la secrétion fluide paroissent dispersés dans toute la longueur du chalumeau, à la différence de l’organe des excrémens solides qui ne se trouvent que dans la feuille. Il est facile d’observer, au moyen d’une simple loupe, les excrétions fluides ; on les distingue sous la forme de petits points ronds & brillans. Les excrétions solides, sont beaucoup plus sensibles ; on peut les discerner à la simple vue : il suffit même, pour en amasser en quantité, de mettre sous un, ou sous plusieurs chalumeaux encore sur pied, une feuille de papier blanc. Vingt-quatre heures après, on la trouve couverte de petits grains noirâtres, de figure irrégulière : ce sont les excrémens dont il est question. La feuille n’est donc pas un simple ornement de la plante, c’est un organe très-essentiel, & même d’une nécessité si absolue, qu’une plante qui en seroit entiérement privée, périroit indubitablement, comme périroit un animal à qui l’on arracheroit les poumons. Il est vrai que dans plusieurs espèces d’arbres, les feuilles tombent à l’approche de l’hiver : aussi l’arbre est-il alors comme enseveli dans un sommeil qui ne représente pas mal l’image de la mort. Si la séve circule encore, elle ne circule que foiblement & insensiblement ; mais le printems n’a pas plutôt ramené une température plus douce, qu’aussitôt le sommeil de la plante se dissipe, la séve reprend son cours, les signes de vie reparoissent, & dans peu de nouvelles feuilles remplacent les anciennes.

Des chalumeaux & des nœuds. On vient d’observer que les feuilles n’étoient qu’une prolongation de la substance corticale : le chalumeau n’est de même qu’une prolongation de la racine. C’est exactement dans l’un & dans l’autre la même disposition d’organes, & sans doute le même résultat. Le chalumeau est, comme dans toutes les espèces du même genre, creux dans son intérieur, fissile dans sa longueur, & divisé d’espace en espace, par des nœuds qui méritent une considération particulière, parce qu’ils jouent un très-grand rôle dans le mécanisme du blé. On doit regarder ces nœuds, comme autant d’organes qui remplissent chacun une partie des fonctions du cœur. C’est là que la séve ascendante, analogue au chyle, se mêle avec la séve descendante, analogue au sang. Une multitude incroyable d’utricules & d’autres vaisseaux, les uns connus, les autres inconnus, tous rangés symétriquement, & dans un ordre relatif à leur destination, y font vraisemblablement l’office de veine sous-clavière, d’artères pulmonaires, de valvules sigmoïdes, &c. Le centre du nœud est absolument plein ; il est rempli d’une grande quantité de substance médullaire, réservoir sans doute, d’un fluide très-exalté, & analogue à la semence des animaux.


Section IV.

De la floraison & des parties organiques de la fructification.

Quoiqu’on ne distingue dans le froment aucune fleur proprement dite, on y remarque cependant toutes les parties qui servent à la réproduction d’un nouvel individu. À mesure que le chalumeau s’accroît & s’élève, il perd insensiblement quelque chose de son diamètre, au point même qu’il paroît, à son dernier nœud, diminué de plus d’un tiers ; mais en récompense, l’intérieur n’en est plus vide, la substance médullaire en remplit entiérement toute la capacité : elle s’y trouve en plus grande abondance, & cependant plus exaltée que par-tout ailleurs, si ce n’est dans sa liaison sans doute, ou collet, pour féconder la nature, prête à faire les derniers efforts pour la réproduction des nouveaux germes, & cette merveille doit s’opérer & se répéter au même instant, dans toutes les divisions de l’épi. On peut donc envisager cette partie du chalumeau, comme un axe commun, où sont implantés dans un ordre alterne, (Pl. 9, Fig. 12) & pour l’ordinaire, au nombre de 21, différens pédicules d’où sortent les balles ; domicile commun des agens mâles & femelles de la fructification. C’est donc ici plus que jamais, qu’on va trouver & admirer l’analogie constante qui subsiste entre les individus des règnes végétal & animal.

Chaque balle est composée de deux feuilles KK, (Planche 10, Fig. 18) servant d’enveloppe commune, & de quatre autres feuilles AA, CC, faisant les fonctions de pétales, & formant de chaque côté deux espèces de calices. La balle est terminée par un cinquième calice II, presque toujours avorté.

Les deux premières feuilles KK sont concaves, & n’offrent rien de fort particulier ; elles sont destinées à recouvrir la balle en entier, sans doute pour en défendre l’intérieur contre des accidens fâcheux auxquels elle est sans cesse exposée. Les deux feuilles AA, CC, qui forment le calice, sont d’une structure très-singulière. Quoique simples, elles paroissent cependant doubles au premier coup d’œil, c’est-à-dire, qu’elles sont concaves d’un côté, convexes de l’autre ; de manière pourtant, que, repliées sur elles-mêmes, elles forment une retraite propre à recevoir d’abord le pistil & les étamines, & par la suite le nouveau grain de blé. On trouve au fond du calice dont on vient de parler, un corps rond par bas, BB, DD, (Fig. 18) & AA, (Fig. 19 & 20) applati vers le haut, & surmonté d’une espèce d’aigrette brillante EE, (Fig. 18) & BB, (Fig. 19 & 20) composée de petits tubes sans nombre : M. Poncelet croit que ce sont les extrémités des fibres qui composent le tissu vasculaire des membranes, vulgairement appelées son. Le demi-globe dont on vient de parler, connu par les botanistes sous le nom de pistil, paroît double ; du moins on y distingue deux orifices appelés stigmates : ces deux pièces sont analogues à la matrice des animaux, & au col qui en est la prolongation. Du centre du pistil, & à travers les petits tuyaux qui forment l’aigrette dont on a parlé, s’élèvent trois cordons, HH, (Fig. 18) & CCC, (Fig. 19 & 20) terminés chacun par une paire de cornets DD, (Fig. 19 & 20) adossés l’un à l’autre par leur partie postérieure : ce sont les étamines, c’est-à-dire, les organes spermatiques, analogues aux testicules des animaux mâles. Lors donc que toutes ces parties sont parvenues au point d’accroissement qui répond à l’âge de puberté, les parties mâles, par une suite de la loi universelle, si sensible dans toute la nature, tendent à s’unir avec les parties femelles, c’est-à-dire, que les étamines répandent une infinité de petits globules F, (Fig. 20) qui ne manquent jamais d’être aussitôt attirés par les stigmates, pour être tout de suite précipités au fond du pistil, c’est-à-dire, dans l’ovaire. Il est facile, au moyen d’une forte lentille, de distinguer dans chaque globule provenu des étamines, une cicatricule A, (Fig. 21) qui s’ouvre pour lancer une vapeur subtile B, vraisemblablement une espèce d’aura seminalis, dans laquelle réside le principe actif, source unique de la vie dans les végétaux comme dans les animaux.

La liqueur séminale sortie de l’ovaire situé au fond du pistil, ne s’est pas plutôt mêlée avec le fluide séminal, émané des étamines & attiré au fond de ce même pistil proche de l’ovaire, qu’il s’y fait une pénétration réciproque & intime des deux semences. C’est l’instant prescrit par la nature, où le germe nouveau commence à exister. Il semble qu’à mesure qu’il s’accroît, que le grain qui le renferme grossit, que la substance muqueuse qui doit le nourrir par la suite, s’accumule dans les deux lobes ; il semble, dis-je, que le reste de la plante languisse : la quantité des parties nutritives, fixes & solides, l’emportant insensiblement sur les mêmes parties fluides & volatiles, l’équilibre, entre les unes & les autres, si nécessaire à la conservation de la plante, se détruit ; il se forme des obstructions sans nombre dans les feuilles d’abord, ensuite dans les tiges, & enfin dans les nœuds ; c’est ce que l’on remarque à la couleur jaune, qui, dans ces conjectures, remplace la couleur verte. Le mouvement d’oscillation, gêné par les frottemens qu’occasionnent les passages rétrécis, ralentit nécessairement son action ; conséquemment la séve ne doit plus circuler que foiblement & inégalement. Le grain cependant prospère toujours, parce qu’il n’a besoin pour sa subsistance, que d’une très-petite quantité de parties nutritives, & même des plus spiritueuses & des plus actives que puisse fournir la séve ; mais il n’est pas plutôt parvenu au point de maturité parfaite, qu’il s’endort. À cette époque, le mouvement d’oscillation, nécessaire jusqu’alors pour lui transmettre les sucs nourriciers devenus désormais inutiles, s’arrête tout-à-coup, la racine, les feuilles, la tige se desséchent, & tout périt. En un mot, ce qui a fait mouvoir tant de puissances pour la production du grain, retire tout-à-coup son principe agissant, & livre à une prompte destruction l’être qui a été produit. Son but est de multiplier & de conserver l’espèce ; il est enfin rempli.

Comme, lorsque nous traiterons l’article Froment, il ne sera question que de sa culture, il convient de continuer à suivre M. l’abbé Poncelet dans les recherches particulières qu’il a faites sur ce grain, & qui développent de plus en plus sa théorie sur la végétation du blé.


CHAPITRE II.

Examen plus particulier du Blé, & suivi dans tous les points de sa végétation.

Pour savoir comment le gonflement du germe A, (Fig. 1. Pl. 9) s’opéroit, M. Poncelet retira de terre un grain, six jours après l’avoir planté, & vit le germe plus saillant & plus gonflé qu’à l’ordinaire. Étoit-ce au moyen d’un fluide introduit dans l’intérieur du grain, par les pores répandus en tout sens sur la surface de l’enveloppe extérieure, ou par un conduit spécialement destiné à cet effet ? Pour éclaircir cette première circonstance, il prit deux grains de blé, enduisit de mastic la pointe de l’un, celle où se trouve le germe A, (Fig. 1) & par où passe la séve dans le tems de la végétation, laissant la pointe opposée B dans son état naturel. Il enduisit pareillement de mastic les deux pointes de l’autre grain.

Ces deux grains ainsi préparés, furent déposés dans une terre bien meuble, & placés à côté de deux autres grains, non mastiqués, pour servir de terme de comparaison.

Quinze jours après, il examina l’état des quatre grains ; les deux enduits de mastic n’avoient ni l’un ni l’autre augmenté de volume ; au lieu que les deux grains qui n’avoient point été mastiqués, portoient chacun une tige de la plus belle venue : d’où il conclut que le fluide qui occasionne le développement du germe, s’insinue dans l’intérieur du grain, par le seul endroit A, celui par où monte la séve dans le tems de la végétation.

Sept jours après avoir planté son blé, il retira de terre ce même grain qu’il avoit examiné la veille & qui avoit été tout de suite enfoui. Après en avoir observé le gonflement, il apperçut une fente en A ; alors levant successivement les deux pellicules qui constituent le son, il découvrit le germe tel qu’il est représenté Fig. 3. La partie C ne ressembloit pas mal à un cône, sur lequel on distinguoit, au moyen d’une loupe, des feuilles repliées : la bâse du cône représentoit assez bien un cul de lampe A, terminé par un pédicule E. Il souleva ce germe avec la pointe d’une aiguille très-fine, il l’enleva sans la moindre déchirure, à l’exception d’une partie du pédicule, & vit au moyen d’une forte loupe, qu’il étoit comme couché dans la cavité HH, (Fig. 2). Il étoit attaché par le pédicule E, (Fig 3) au grain F, (Fig. 2). Ce pédicule engagé dans la gaine A, se replioit de l’autre côté du grain, dans la rainure I, qui divise la graine en deux lobes. De part & d’autre de la rainure I, & de l’extrémité du pédicule, fort épanoui de ce côté, partoit une ramification KK, du plus beau rouge, & sous-divisée en une infinité de branches qui alloient se perdre dans l’intérieur de l’un & de l’autre lobe. C’est cette adhérence du pédicule qui fut cause que le germe ne put être détaché sans déchirer l’extrémité du pédicule.

Le même jour M. Poncelet examina avec la lentille un autre grain planté dans le même tems que le précédent, & qu’il n’avoit pu conserver en entier, ayant été obligé de le disséquer, pour découvrir la communication du germe avec les deux lobes, au moyen du pédicule E (Fig. 3) terminé en plusieurs branches. Il découvrit dans ce nouveau grain la fente AC (Fig. 4) bien plus ouverte qu’auparavant ; il apperçut au-dedans de cette fente plusieurs pièces BCD, d’une blancheur éblouissante, toutes parsemées de globules brillans, clairs, transparens comme l’eau de roche. La feuille C étoit concave, & paroissoit envelopper, du moins en partie, la feuille convexe B. Après avoir bien examiné ce grain, sans l’endommager en aucune de ses parties, il le remit dans la terre.

Le neuvième jour il retira de terre ce même grain ; & l’ayant successivement observé avec les lentilles, n°. 2, 3 & 4 du microscope simple, il apperçut que les pièces qui, la veille, avoient la forme des feuilles du sedum, étoient devenues d’une figure toute différente, quoique la couleur fût toujours la même. La pièce A (Fig. 5) avoit la forme d’une corne recourbée, elle portoit une espèce de bourse à peu près ronde B, à côté de laquelle on voyoit une seconde bourse, d’où sortoit une pièce cylindrique C, pareille à la pièce A. Enfin une troisième pièce D, sortoit d’une bourse semblable aux précédentes, moins longue que la pièce A, & plus longue que la pièce B. Les observations finies, le grain fut remis en terre.

Le dixième jour ce grain fut déterré, & M. Poncelet vit toutes les parties déjà décrites fort développées. Il vit en A (Fig. 6) les premières feuilles, nommées par les uns, feuilles séminales, & par les autres, plumes. Elles étoient au nombre de trois, de couleur un peu ambrée. Il apperçut au bas du grain, en BBB, les fragmens des trois bourses déchirées, de chacune desquelles sortoit une radicule CCC. Le grain fut remis en terre.

Le même jour il en déterra un autre, planté dans le même tems que celui dont on vient de parler. Il l’ouvrit pour savoir s’il distingueroit cette ramification rouge, citée plus haut ; mais il n’apperçut ni la couleur, ni la ramification, pas même avec la plus forte des lentilles ; l’une & l’autre avoient été oblitérées par l’excessif gonflement des lobes. Il en mit des fragmens au foyer de la lentille, n°. 7, & il remarqua une infinité de globules de différentes grosseurs, & de particules qui n’avoient point la forme de globules ; elles approchaient plutôt de la figure d’une ramification.

Comme le germe de ce même grain de blé avoit déjà pris un degré d’accroissement considérable, M. Poncelet en prit un fragment, qu’il plaça au foyer de la lentille, n°. 7, pour voir s’il appercevroit ces mêmes globules déjà découverts dans la substance des lobes, plus particuliérement connue sous le nom de farine ; il ne vit rien de semblable, mais beaucoup de particules d’une organisation commencée, c’est-à-dire, de vésicules de différentes couleurs, grises, jaunâtres, quelques-unes même tout-à-fait noires, de cavités, de portions de tubes, de filets, &c. & tout cela, dans une très-grande confusion.

Le onzième jour il retira de terre son grain de blé, & observa qu’en vingt-quatre heures les trois racines & les feuilles séminales avoient pris un accroissement de plus de six lignes, & il n’observa que cela de particulier. M. Poncelet résolut de laisser tranquillement végéter ce grain avant que de l’examiner de nouveau ; & un mois après seulement, il le retira de terre. Sa tige portoit alors quatre pouces de hauteur, l’extrémité des feuilles comprises. Il distingua sans peine le sac ou enveloppe extérieure, communément appelée son. Ce sac étoit absolument vide, flasque, & adhéroit à la tige, entre les racines & le premier nœud. Il examina ensuite avec la lentille, n°. 7, l’un des brins de cette racine, (Fig. 7) & il apperçut une infinité de mamelons irréguliers, les uns ronds, les autres presque angulaires, quelques-uns plats, d’autres convexes, tout cela parsemés de tubes, dirigés en tout sens, mais dont il ne pouvoit appercevoir que des portions séparées, parce que l’ensemble offroit seulement des parties d’une organisation assez compliquée : il observa aussi de distance en distance en AB, (Fig. 7) des filets de racines transparens, & qui parurent être de même nature que les maîtres brins de la racine HHH. (Fig. 8.)

Le génie observateur de M. l’abbé Poncelet, fort mécontent de ce qu’il n’avoit pu découvrir rien de bien satisfaisant au sujet de la ramification qu’il croyoit avoir remarquée dans l’intérieur des deux lobes, & qu’il nommera désormais racine séminale, forma la résolution de revenir sur ses pas, pour voir s’il ne trouveroit rien de nouveau concernant la communication des globules avec le germe, au moyen de quelques vaisseaux jusqu’à présent inconnus ; il enleva de terre un grain de blé, qui n’avoit encore poussé qu’une feuille unique de deux pouces de hauteur, & qui servoit d’enveloppe à la tige entière. À cet âge, la tige se nourrit de deux façons, & par la racine extérieure qui pompe les sucs de la terre, & par la racine séminale qui pompe les sucs contenus dans les globules des deux lobes : semblable en quelque façon à un enfant qui tetteroit sa mère, & que l’on nourriroit en même tems de soupe & de bouillie.

Il observa dans cette jeune plante, d’abord le sac, qui parut presque vide ; & pressé légérement, il en sortit un lait aussi épais que de la crême. Il en mit sur un porte-objet de cristal, (Fig. 9) & avec les lentilles n°. 67, il vit bien distinctement l’existence de la racine séminale, distribuée dans toute la masse de cette petite portion de lobe, placée sur le porte-objet du microscope simple. Il distingua les branches de cette racine avec autant de précision que si elles eussent été les branches & les plus petits rameaux d’un grand arbre. Les globules en nombre infini, & de grosseur différente, paroissoient attachés à l’extrémité de chaque filet de la racine : le tout nageoit dans un fluide de la plus parfaite transparence ; les globules n’étoient pas tous de la même grosseur ; il y en avoit de tout calibre. De cet examen il passa à celui du chalumeau.

Immédiatement au-dessous du premier nœud EE, (Fig. 8) se trouve placée la première feuille A, dont il emporta avec un canif plus des trois quarts, ne réservant que la partie inférieure, adhérente à la tige en forme d’anneau. À côté de ce premier chalumeau, il en trouva un second B ; & après avoir retranché plus des trois quarts de la seconde feuille, il découvrit en C un troisième chalumeau. Ils commençoient tous par une espèce de nœud plus connu sous le nom de collet ou de liaison EE, & cette partie tient immédiatement à la racine HH. Le premier vrai nœud ne commence guère qu’à un pouce & même plus de la racine.

Après avoir successivement coupé toutes les feuilles au nombre de quatre, tout près du lieu où elles commencent à prendre naissance, comme on peut le voir par la Figure 8, FFF, il parvint à la cinquième G, qu’il ouvrit sans la couper, & au milieu de laquelle il découvrit l’épi I d’une petitesse extrême ; il la plaça au foyer du microscope double, armé seulement de la lentille . 4, de trois lignes de foyer. Il distingua pour lors, & même sans peine, toutes les parties dans la position précise qu’elles doivent toujours conserver. Les capsules ou balles étoient rangées en échelons le long de l’axe, dans un ordre alterne & symétrique, toutes diaphanes, brillantes comme du cristal : on eût dit un bouquet de diamans, d’un travail riche, & d’un dessin parfait.

Les feuilles du chalumeau retranchées ainsi qu’il a été dit, il ne ressembla pas mal pour lors au corps d’une lunette d’approche, composée de plusieurs tubes qui s’emboîtent les uns dans les autres, & qui, pour l’ordinaire, sont terminés à chaque division par un nœud ou virole.

Le 9 Juin parurent les premiers épis du blé, & le 18 les premières fleurs. M. Poncelet jugea pour lors qu’il étoit tems de recommencer ses observations microscopiques. Il dessina la figure, & le site de toutes les parties du chalumeau. Les lettres AAA (Fig. 11) représentent les nœuds qui le divisent dans toute sa longueur, depuis la racine jusqu’à l’épi. Après le premier nœud, en partant de la racine, commence la première feuille B qui enveloppe le chalumeau comme un fourreau ou gaine, ouverte cependant d’un côté & tout du long, mais repliée sur elle-même ; elle forme une espèce de collier en C, d’un verd pâle, s’élargit insensiblement, s’alonge bien davantage, & se termine enfin en pointe aiguë : suivent quatre autres feuilles BBBB, toutes semblables à la précédente : le fourreau D de la cinquième, renferme l’épi avant son entier développement. Insensiblement le chalumeau se prolonge depuis la racine jusqu’à sa plus grande hauteur : son développement ressemble assez à une lunette d’approche, ainsi qu’il a déjà été dit, dont on tireroit successivement les tubes emboîtés les uns dans les autres, & distingués par autant de viroles. Quand le chalumeau est parvenu à sa plus grande hauteur, l’épi ne cesse plus d’augmenter de volume : il ouvre & dilate la gaine dans laquelle, jusqu’alors, il étoit demeuré clos & comme emmailloté ; il s’élève de trois pouces, & quelquefois encore plus, au-dessus de l’espèce de collier C de la dernière feuille. M. Poncelet en prit un fragment, (Fig. 17, Pl. 10) qu’il plaça au foyer du microscope de Dellabare, & cette feuille lui présenta alors le spectacle le plus intéressant : des espèces d’angles successivement rentrans & saillans, placés dans un ordre symétrique, & relevés par des points brillans, d’une lumière aussi vive que celle des pierres précieuses, s’offrirent à sa vue ; il dessina la figure de cette feuille, telle qu’elle est représentée (Fig. 17) & il la vit composée de diverses parties organiques.

I. Les fibres, corps infiniment grêles, solides, alongés, & de la nature du bois. Ce sont ces fibres, plus ou moins rassemblées, qui constituent la charpente de la plante ; & par cette raison, répondent assez bien aux os des animaux.

II. Les utricules, toujours pleins d’un suc transparent.

III. Les trachées sont ici d’un diamètre assez considérable comparé au diamètre des autres vaisseaux. On les distingue par une suite d’anneaux placés verticalement d’espace en espace, dans toute la longueur des feuilles & du chalumeau.

IV. Le vase propre, tube droit, placé entre les fibres, & suivant régulièrement leur direction. Il est toujours rempli d’huile, qu’il charie, selon les besoins de la plante, dans toutes les parties convenables. C’est le conducteur de la substance glutineuse, ou plutôt gommo-résineuse qu’on trouve dans le blé.

La feuille toujours placée au foyer du même microscope, parut divisée en A (Fig. 17) par une nervure presque imperceptible : suivoient ensuite des deux côtés de cette nervure, plusieurs espèces de colonnes BCD, disposées par angles alternativement rentrans & saillans. Chaque colonne étoit composée d’une infinité d’utricules, de trachées & d’autres vaisseaux plus grêles, qui paroissoient communiquer entr’eux par des espèces d’anastomoses. Les bords de la feuille FF étoient garnis de denticules comme une scie, & ces denticules paroissoient assez éloignés les uns des autres. À la partie la plus saillante, ainsi qu’à la partie la plus rentrante de chaque angle, on appercevoit distinctement plusieurs points brillans, disposés en quinconce. Ces points, vus d’un certain côté, ressembloient parfaitement aux denticules dont le bord des feuilles étoit garni ; & c’est à ces denticules, dont la feuille est parsemée, qu’on peut attribuer cette espèce d’aspérité que l’on ressent quand on y passe le doigt.

M. Poncelet prit ensuite un fragment du chalumeau, (Pl. 9, Fig. 16) au milieu duquel se trouvoit un nœud recouvert de la feuille EE ; (Fig. 13, Pl. 9) il fendit cette portion du chalumeau en deux parties égales, afin de pouvoir plus facilement en examiner l’intérieur. Il apperçut d’abord la substance corticale, ou l’écorce A, absolument séparée des autres vaisseaux. Elle formoit en B, lieu où commence la feuille, une anastomose. L’épaisseur du nœud étoit partagée en deux parties C & D, sans aucune cloison sensible. C étoit rempli d’une multitude incroyable de vaisseaux de toute espèce, dont il fut impossible de discerner la forme, & on remarquoit très-aisément les orifices de ceux qui avoient été coupés ; D paroissoit plein de vaisseaux pareils, mais d’un diamètre plus petit, & en même tems plus pressés les uns contre les autres.

Comme M. Poncelet est persuadé que c’est dans les nœuds que s’opère le mélange de la séve ascendante & descendante, il pense que cette séve, dans sa circulation, ne descend pas, comme on l’a cru, depuis l’épi jusqu’à la racine, mais seulement depuis l’épi jusqu’au nœud contigu. De-là une partie de cette séve, & celle qui n’a point été élaborée, descend jusqu’au nœud plus bas, où elle se mêle à une portion de la séve la mieux élaborée de ce dernier nœud, pour remonter ensemble au nœud supérieur, tandis que la portion de séve la moins élaborée redescend vers le nœud inférieur, pour y subir une nouvelle coction. Ces différens mélanges se répètent ainsi sans cesse, à peu près comme le chyle se mêle au sang quand il passe dans le cœur, de-là dans les poumons, pour y être perfectionné ; c’est-à-dire qu’on peut supposer une grande analogie entre la circulation de la séve & la circulation du sang, avec cette différence cependant, que dans l’animal il n’y a qu’un cœur pour élaborer le sang, tandis que dans la plante il y a plusieurs nœuds pour élaborer la séve.

Il coupa ensuite horizontalement une tranche du chalumeau, & vit avec le secours du même microscope de Dellabare, un spectacle qu’on jugeroit imaginaire à l’aspect du dessin. (Fig. 15, Pl. 9) L’écorce A paroissoit goudronnée comme certaines pièces d’orfèvrerie ; elle étoit séparée de l’intérieur E du chalumeau, par un vide assez sensible B. Cette multitude innombrable de points que l’on remarque partout, sont autant de vaisseaux d’une petitesse surprenante.

La Figure 14 de la même Planche représente le milieu du nœud coupé horizontalement. On y apperçoit à peu près le même arrangement de vaisseaux que dans la Figure précédente. Les uns ont paru vides, & c’étoit vraisemblablement les trachées ; les autres étoient pleins d’un fluide transparent.

Le blé étant en pleine fleur, M. l’abbé Poncelet profita de la circonstance pour observer la fleuraison dans tous ses progrès.

L’épi est composé de la tige & des balles. La tige fort grêle, est divisée par des échelons placés alternativement les uns auprès des autres, comme on le voit Pl. 10, Fig. 18, GGG, & Pl. 9, Fig. 12, où l’axe de l’épi en échelons est représenté de grandeur naturelle. C’est sur ces espèces d’échelons que sont implantées les balles au nombre de vingt-une, tantôt plus, tantôt moins, parce que les premières placées au bas de l’épi, & les dernières placées au haut, sont sujettes à avorter plus ou moins facilement. Chaque balle est composée de plusieurs feuilles d’une structure singulière. Il y en a de deux sortes ; les unes simples, les autres plus composées. On voit en AA (Fig. 18) deux feuilles simples & concaves ; elles ressemblent assez bien à deux coquilles de moule. Les feuilles CC sont doubles, concaves d’un côté, convexes de l’autre, de manière pourtant, que, repliées sur elles-mêmes, elles forment une capsule propre à loger d’abord l’ovaire, le pistil & les étamines, & par la suite le nouveau grain de blé. On compte six feuilles de chaque côté, formant de part & d’autre deux capsules, non compris le sommet, terminé par des capsules qui ne parviennent jamais au point de maturité II. Ces capsules tiennent ici lieu de calice.

Au milieu de chaque capsule, formée de deux feuilles, AC d’une part, & CA de l’autre, on trouve de chaque côté, au fond des capsules servant de calices, deux petits corps ronds formés en demi-globes ; ce sont les ovaires. Ceux de la capsule inférieure BB, sont exactement ronds. Voyez la Figure 19, où ce corps est dessiné plus en grand & hors de sa capsule : il est un peu moins sphérique dans la capsule supérieure, c’est-à-dire en DD, (Fig. 18) & plus en grand, (Fig. 20) ACC. Ces petits globes, toujours aplatis vers leur sommet, sont surmontés d’un panache qui les ombrage totalement, & qui représente assez bien une aigrette d’argent EE, (Fig. 18) & BB, (Fig. 19 & 20.) Ce corps sphérique paroît double & garni de deux pistils. On remarque au sommet de chaque pistil, un stigmate ou orifice du canal qui conduit dans l’intérieur du demi-globe la substance fournie par l’étamine.

Du milieu de chaque panache ou aigrette EE, sortent trois cordons HH ; (Fig. 18) & CCC, (Fig. 19 & 20) terminés par trois doubles cornets adossés les uns contre les autres par leurs côtés postérieurs. Voyez Fig. 19 & 20, DD. Tous ces cornets sont remplis de globules d’une petitesse extrême F (Fig. 20) & sont destinés à les répandre sur les pistils ou parties femelles, dont ils ne sont jamais éloignés au commencement de la fleuraison. Ces petites globules ont une cicatricule à la partie inférieure ; & dès qu’ils sont parvenus au point de maturité convenable, cette cicatricule s’ouvre avec explosion, M. Poncelet a cru voir quelquefois en sortir comme une légère vapeur ; & c’est cette vapeur qui, pénétrant le stigmate, va féconder la partie femelle ou demi-globe, que l’on peut regarder comme un organe faisant les fonctions de la matrice. C’est-là sans doute que les germes sont conservés pleins de vie jusqu’à un plus ample développement.

Le 26 du même mois, M. Poncelet continua d’observer les progrès de la végétation. Il détacha une balle de l’épi ; le grain de la première capsule avoit acquis la moitié de sa grandeur, (Planche 10, Fig. 22.) Ce grain, ci-devant de la figure d’un demi-globe, avoit perdu sa première forme : il étoit devenu beaucoup plus alongé. Il remarqua dans la partie inférieure AA, (Fig. 22), deux espèces d’ailerons environnés, à leur extrémité, de petites pointes semblables aux crochets d’une aile de chauve-souris. La partie supérieure B étoit terminée en forme de cône tronqué. Elle étoit recouverte d’une infinité de petits filets qui ont paru être l’extrémité des tubes qui composent le tissu vasculaire, vulgairement appelé son. Ces tubes étoient très-sensibles au microscope, garnis de la lentille n°. 6. (Voyez Fig. 23 de la même Planche, où est dessiné un fragment du son.) C représente le grain de froment dans la cavité d’une des feuilles de la balle.

Après avoir ouvert la seconde capsule, il trouva un grain tout-à-fait semblable à celui qui vient d’être décrit, avec cette différence néanmoins, qu’il étoit beaucoup plus petit ; singularité constamment observée dans toutes les capsules, & qui rend raison de l’inégalité des grains dans un même épi, les uns sensiblement plus gros que les autres.

Enfin il ouvrit la troisième capsule, qui se trouve toujours au sommet de la balle II, (Fig. 18) & il trouva encore une étamine M ; mais le grain étoit si petit, qu’à peine pouvoit-on l’appercevoir. Ce dernier grain ne parvient jamais à un état de maturité.

La Figure 24, Pl. 10, représente le grain de la capsule C. (Fig. 18) Ce grain ouvert par le milieu, on apperçoit au dedans comme un commencement de substance spongieuse, d’un verd très-foncé ; mais à l’aide du microscope, il ne paroît ni mamelons, ni globules.

Le premier Juillet, M. l’abbé Poncelet entreprit d’examiner dans le plus grand détail, tout l’intérieur d’une balle. Pour cet effet, il retira de la capsule inférieure un grain ; & ouvert par le milieu, il se trouva être rempli d’une liqueur laiteuse. Cette liqueur mise au microscope simple, garni de la lentille n°. 6, offrit bien distinctement l’existence de la racine séminale, ainsi qu’il a déjà été dit. Cet examen fut continué le 6 Juillet sur une balle tirée d’un épi sur pied. Le premier grain inférieur fut enlevé & dépouillé de ses enveloppes ; on vit que le son étoit composé d’une première pellicule ou membrane blanche comme du coton A. (Fig. 25, Pl. 10.) Cette pellicule, placée au microscope double, garni de la lentille n°. 5, présenta un assemblage d’une infinité de tubes remplis d’une liqueur claire & brillante ; des globules transparens & brillans comme la liqueur, étoient parsemés d’espace en espace. M. Poncelet examina ensuite la membrane ou pellicule B du son. Elle étoit d’une belle couleur verte : l’intérieur en étoit si visqueux, que la membrane entière adhéroit aux doigts ; & lorsqu’on vouloit l’en séparer, il restoit un fil qui s’alongeoit considérablement. Cette membrane placée au microscope double pour en observer l’intérieur, fit voir qu’elle étoit enduite d’une substance luisante, disposée par petites masses d’inégale grosseur. Ne seroit-ce pas là que se forme & que se trouve placée comme dans un réservoir, la substance glutineuse, qu’on devroit appeler gomo-résineuse ? Il n’y parut aucun globule, ni rien qui en approchât. La partie extérieure de cette même membrane paroissoit formée de longs tuyaux lisses, qui ont semblé n’avoir rien de commun avec la substance visqueuse apperçue dans la partie intérieure.

Après avoir enlevé ces deux pellicules ou membranes dont le son est composé, il resta une substance blanche, charnue, d’un blanc jaune & assez semblable à un grain de riz ou d’orge mondé, avec cette différence pourtant, que la substance dont on a parlé étoit moins dure, quoiqu’assez ferme. Placée au microscope double, aucun globule ne fut sensible, & il parut que le tout étoit recouvert d’une membrane extrêmement fine, C. (Fig. 25) Ayant écrasé une portion de cette substance sur un porte-objet de cristal, elle fut placée au microscope simple garni de la lentille n°. 7. Alors une multitude incroyable de globules, brillans comme des pierres précieuses, & adhérens aux filets d’une ramification divisée à l’infini, formoit comme une double grappe de raisin composée de grains sans nombre. (Fig. 25) M. Poncelet vit alors clairement, que ce que l’on prend communément pour une poudre fine, nommée farine, est une organisation surprenante. Chacun de ces grains, d’une petitesse extrême, communique, au moyen d’un vaisseau particulier, avec le dernier nœud F du chalumeau, d’où il tire sa nourriture ; & par un autre vaisseau, il communique au germe D, qui, à son tour, en tire sa subsistance. Tous ces petits vaisseaux EE se réunissent en un vaisseau plus gros GG, placé le long de la rainure du grain, & qui aboutit au germe D auquel il adhère. C’est le commencement de la racine séminale, & par conséquent c’est dans ces gros globules que, suivant toute apparence, il faut placer la substance sucrée & fermentescible, qu’on peut, avec raison, regarder comme la première nourriture du germe.

Médiocrement satisfait de ces observations touchant le lieu où se trouve placée la substance gommo-résineuse, & n’ayant sur cela que des conjectures assez bien fondées, à la vérité, pour établir quelque chose de certain, M. Poncelet résolut, en attendant la parfaite maturité du blé, de faire de nouvelles recherches sur cet important objet.

Il choisit un grain de blé A, (Fig. 26) bien nourri, & qui avoit acquis toute sa grosseur. Il enleva adroitement la première pellicule ou membrane A, & il y apperçut les tuyaux formant un tissu vasculaire. Cette pellicule enlevée, il découvrit la seconde d’une belle couleur verte, & composée comme la précédente, de tuyaux appliqués latéralement les uns contre les autres. Elle fut enlevée de même, & ce fut pour lors qu’il découvrit en B & en très-grande quantité, une substance blanche, épaisse comme de la crême, si visqueuse, que lorsqu’il la touchoit avec le doigt, il en tiroit un fil qui s’étendoit fort loin sans se rompre. Il mit un peu de cette substance au microscope simple, garni de sa plus forte lentille ; il apperçut une infinité de petits corps de toutes sortes de figures, ronds, ovales, angulaires, &c. mais sans aucuns filamens. Ayant enlevé toute cette substance visqueuse, & bien lavé, au moyen d’un pinceau trempé dans l’esprit-de-vin, la superficie découverte du grain de blé, il ne vit aucun globule, mais beaucoup d’inégalité sur la surface ; d’où M. Poncelet conclut l’existence d’une troisième membrane ou pellicule, qui est d’une finesse extrême. Il passa sur cette surface un poinçon dont la pointe étoit fort aiguë, & ce fut pour lors qu’il apperçut les globules en C : le grain n’offroit aucune liqueur ; au contraire, il étoit ferme & charnu comme une amande. Combien de gens se trompent, en pensant que le grain de blé, à une certaine époque de sa croissance, n’est rempli que de lait. Ce lait ne provient pas de l’intérieur du grain ; c’est une vraie gomme-résine dissoute & étendue dans beaucoup d’eau, connue depuis sous le nom de substance glutineuse, placée entre la seconde tunique ou pellicule, & la troisième, que l’on fait sortir sous une forme laiteuse lorsqu’on presse le grain. L’intérieur de ce grain, quand il est formé, ne fournit de liqueur qu’un peu d’une espèce de sérum, qui remplit les interfaces des globules.

Après avoir bien lavé dans l’esprit-de-vin la superficie du grain, M. Poncelet en enleva une portion avec la pointe d’une aiguille, & l’écrasa sur un porte-objet de cristal qui fut placé au foyer du microscope simple, garni de sa plus forte lentille n°. 8 : il vit plus distinctement que jamais, non seulement les globules d’une rondeur parfaite, en quoi ils diffèrent des molécules inégales de la gomme-résine ; mais il apperçut encore leur ramification divisée à l’infini, au moyen desquelles on peut comparer les deux lobes du grain à une double grappe de raisin ; de manière cependant, qu’au moyen de la rainure qui sert de cordon ombilical au germe, les deux lobes exactement séparés par-devant, sont adhérens l’un à l’autre par leur partie postérieure entiérement convexe.

M. Poncelet a toujours observé au microscope une grande différence entre la farine prise immédiatement dans le grain de froment, & la farine provenue de mouture. Les globules de la première sont clairs, distincts, & sans autre mélange que quelques branches de ramification, tandis que la farine provenue de la mouture est remplie de plusieurs substances hétérogènes, de gomme-résine, de sels, de son, &c. indistinctement mêlés les uns dans les autres.

Telle est la manière intéressante, instructive & curieuse dont M. l’abbé Poncelet rend compte de l’anatomie du blé : personne avant lui ne l’avoit examiné aussi attentivement, ni suivi si exactement dans ses différens périodes. On peut regarder cette analyse du blé comme un chef-d’œuvre de patience, d’intelligence & de soin. Ce qu’il dit sur les substances que l’on trouve dans ce même grain parfait, nous sera encore d’une grande utilité lorsque nous traiterons du mot Farine ; & aux mots Froment, Seigle, &c. on trouvera tout ce qui est relatif à leur culture, à leur maladie & à leur conservation.


Blé méteil. (Voyez Méteil)


Blé cornu, ou ergoté. (Voyez Ergot)


Blé noir. (Voyez Sarrasin)


Blé de Turquie, d’Inde ou d’Espagne. (Voyez Maïs)


  1. Les mots propres dont on ne comprendra pas la signification, sont expliqués dans le courant de cet Ouvrage. Ainsi voyez chaque mot.