Cours d’agriculture (Rozier)/RACINE

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 472-484).


RACINE. Partie par laquelle les arbres, les plantes tiennent à la terre, ou à d’autres végétaux, ou aux pierres, &c. ; de ce dernier nombre sont les plantes parasites, telles que le guy, la cuscute, les lichens, &c. (Consultez ces mots)

Cet organe, doué d’une grande force de succion, est destiné à pomper une partie des sucs nécessaires à l’accroissement & à l’entretien des plantes. Avant d’examiner quelles sont les espèces de racines, quelles sont leurs fonctions, attachons-nous à suivre leur premier développement.

Prenons pour exemple un noyau d’abricot & un haricot, parce que dans tous les noyaux & dans les fruits des plantes légumineuses, le développement est très-bien caractérisé. Le bois du noyau d’abricot, de la pêche, de l’amande, &c. résiste pendant long-temps au marteau avant de se briser, cependant quelques jours de germination sépareront sans peine les deux coquilles qui sembloient auparavant ne devoir faire qu’un ensemble & qu’un seul & même corps. L’œil ne pouvoit distinguer, au moins d’un côté, dans le noyau d’abricot amer, dans l’amande amère, &c. les sutures qui unissoient les deux coques ; mais à mesure que le bois s’imprègne de l’humidité de la terre, ou si l’on place le noyau d’abricot & le haricot dans un verre plein d’eau ; enfin, si le point de la chaleur est convenable à la germination, alors les deux lobes de l’amande s’enflent, remplissent tout le vide, la gomme interposée entre les sutures mamelonnées des deux coques, se dissout, & ces deux coques poussées par le gonflement successif du noyau, & par les efforts continuels de l’air qui se dilate, se séparent d’elles mêmes & sans effort ; enfin, le noyau paroît tel qu’il est représenté Figure I, Planche XXXVII. Le voilà donc dépouillé de son enveloppe ligneuse, dans son premier point de liberté & de germination. A, représente le germe qui commence à se développer.

Ce germe A est le rudiment de la première racine qui, dans cet état, reçoit le nom de radicule, & de quelque manière que soit placé le noyau, la graine, &c. cette radicule s’incline & se prolonge perpendiculairement en terre, comme on le voit en K, Fig. 3. L’origine de cette radicule correspond dans le haricot à l’ombilic par lequel le grain tient dans le légume ou cosse, & par où il tire sa nourriture. Elle se prolonge par une courbure H, Fig. 3 jusqu’à son sommet ; là, elle se partage en deux, & chaque partie est implantée dans la chair de chaque lobe II, où elle s’épanouit par deux troncs de vaisseaux qui nourrissent ces lobes ou cotylédons. (Consultez ce mot très-essentiel ici, ainsi que la Figure 2 de la Planche XV, page 511 du second Volume, qui représente la tige d’un pois, quinze jours après ou environ que la graine a été mise en terre.) Ces cotylédons deviennent un dépôt, précieux de sucs propres à alimenter la plantule qui sortira de terre avec eux. La Figure 2, représente la radicule au moment où les deux cotylédons commencent à s’ouvrir. Dans l’abricot, la pêche, la châtaigne, &c. &c. le germe ou radicule est placé au sommet.

Si on considère actuellement la continuation de soins, de peines & de travail de la nature pour produire & perfectionner l’organe par lequel les individus doivent se perpétuer, avec quelle attention elle a conservé cette radicule, ce rudiment de la plante, on ne concevra pas par quelle bizarrerie, par quelle ignorance grossière des loix de la végétation, tous les jardiniers suppriment cette précieuse radicule, quand par sa croissance elle est devenue le pivot ; cette seule dénomination de pivot auroit dû leur indiquer son importance.

La nature suit la même marche dans la germination de toutes les graines ; c’est toujours la radicule qui s’élance la première ; elle sert à fixer la plante dans la terre, & à y pomper les premiers sucs dont elle a besoin. Toutes les racines qui pousseront par la suite sont de simples développemens de la radicule dans laquelle elles étoient renfermées.


Section première.

Des différentes espèces de Racines.

On peut diviser en trois classes toutes les racines ; elles sont ou bulbeuses, ou tubéreuses, ou fibreuses.

i. Des racines bulbeuses. Tout ce que l’on connoît sous la dénomination d’oignon, compose cette division ; mais tous les oignons n’ont pas la même texture, ils se ressemblent par un point seulement, par leur base, formée d’une portion charnue, vulgairement nommée la couronne D D, Fig. 6, d’où partent les racines B B, fig. 4, 5, 6, proprement dites, & où naissent les cayeux qui renouvellent, multiplient & perpétuent l’espèce, après que la plante a fleuri & produit sa graine ; alors la bulbe a rempli sa loi de végétation. Cet oignon de tulipe, de jacinthe, &c. dont la fleur a mérité les hommages des curieux, périt & ne vit plus que dans ses enfans.

Les bulbes ou oignons écailleux formés par des écailles placées en recouvrement les unes sur les autres, & dont la base est implantée dans la couronne, entrent dans la première division. Le Lys en fournit un exemple, Fig. 4. Chaque écaille détachée avec soin, confiée à une terre légère & bien ménagée, est en état de produire une bulbe, enfin un oignon qui donnera sa fleur dans le temps.

La seconde division comprend les bulbes ou oignons solides, c’est à dire, dont la substance charnue ne paroît pas divisée par couches ou par écailles.

La troisième, les bulbes composés de tuniques, Fig. 6 Tel est l’oignon cultivé dans les jardins potagers.

Que les bulbes soient à écailles ou à tuniques ou solides, l’expérience prouve qu’elles contiennent beaucoup d’eau de végétation, & que plusieurs d’entre elles sont susceptibles d’attirer l’humidité de l’air, & de s’en nourrir au point qu’elles poussent leurs feuilles, leurs tiges & leurs fleurs sans le secours de la terre. Tel est, par exemple, l’oignon de Squille ou de Scille qui, suspendu à un plancher, donne une tige souvent de six pieds de longueur. Cette propriété d’absorber l’humidité de l’atmosphère, prouve que les plantes bulbeuses n’aiment pas les terrains aqueux, elles y pourrissent. L’expérience de placer des oignons de fleurs dans des carafes presque pleines d’eau, semble contredire cette assertion. Il suffit de s’entendre, & il n’y aura plus de contradiction ; si l’eau de la carafe couvre continuellement l’oignon jusqu’à l’œil, l’oignon pourrira sans presque avoir poussé aucune racine ; si au contraire l’eau n’environne que la base, il sortira de la couronne beaucoup de racines blanches & toutes d’une venue, & les boutons renfermés à la circonférence de la couronne, se développeront & produiront leurs cayeux. Voici une jolie expérience que l’on peut répéter, avec les oignons de jacinthes. Je pense qu’elle réussiroit également avec ceux de narcisses ou de tulipes, si le vase a une profondeur suffisante ou proportionnée à la longueur dont doit être la tige. Prenez une carafe de verre que vous remplirez d’eau ; sur sa surface fixez une lame mince & en plomb ou en fer blanc ; pratiquez dans le milieu de cette lame une ouverture de largeur proportionnée au diamètre de l’oignon, de manière que la moitié seule de l’oignon puisse tremper dans l’eau. Tout étant ainsi préparé, placez l’oignon, l’œil dans l’eau, & la couronne restera à l’air. Cet oignon ainsi renversé, ne produira point de racines par la couronne, l’œil s’ouvrira peu à peu, les feuilles s’allongeront dans l’eau ainsi que la tige, & les fleurs s’y épanouiront ; les unes & les autres ne perdront qu’un peu de leurs couleurs.

2. Des Racines tubéreuses. Elles sont ainsi nommées du mot tubercule, tuber en latin, & truffe en françois. La racine tubéreuse est un corps charnu, solide, dur, ordinairement plus gros que la tige.

Des tubercules d’une seule pièce. La pomme de terre, le topinambour, la patatte en offrent l’exemple. Chaque œil de ces racines produit une tige, soit qu’on conserve le tubercule en son entier, soit qu’on le partage par œilletons. Cette espèce de racine se rapproche des bulbeuses en ce qu’elle produit des filamens ou des racines simples & fibreuses. La patte d’anemone, ainsi nommée par les jardiniers, peut être regardée comme un tubercule d’une seule pièce, ainsi que le tubercule des cyclamens, &c.

Des tubercules de plusieurs pièces, réunis par un seul point. Ces racines diffèrent des précédentes par leurs tiges qui partent du même endroit où le fait la réunion de tous les tubercules ; ainsi qu’on le voit en A, Figures 11 & 12, La première représente une griffe de renoncule, & la seconde les testicules d’un orchis. Les griffes poussent des racines par leurs extrémités inférieures, & celles des testicules naissent du collet des tiges. On peut placer dans cette division les pattes d’asperges, &c.

Des tubercules séparés, mais réunis par des filets. La Figure 7 en offre un exemple, & représente les racines de la filipendule ou reine des prés ; AA, sont autant de petits grains ronds, charnus, qui paroissent disposés sur un filet comme les grains d’un chapelet.

3. Des Racines fibreuses. Elles sont ou charnues ou elles doivent devenir ligneuses.

Les navets ont des racines charnues Figure 8, que l’on nomme fusiformes à cause de leur ressemblance à un fuseau. Les raves, Fig. 13, sont appelées napi-formes ; mais le corps charnu des unes & des autres pousse des racines connues sous le nom de fibreuses, parce qu’elles ressemblent à des fibres, à des fils, &c.

Les autres racines sont à la vérité fibreuses dans leurs premiers principes, mais elles deviennent ligneuses par progression. Telles sont celles des arbres, des arbrisseaux &. même de quelques plantes vivaces.

La radicule K de la Fig. 3 est l’origine du pivot B Fig. 9 qui s’enfonce perpendiculairement en terre, tant qu’il ne trouve aucun obstacle à sa progression. S’il s’en présente un, alors il suit la direction de cet obstacle, & s’il parvient à son extrémité, il s’enfonce alors de nouveau, & reprend son prolongement perpendiculaire. Voilà la racine ligneuse du premier ordre. Heureux l’arbre auquel on ne l’a pas supprimé.

Ce pivot pousse des racines qui deviennent secondaires C, ces racines en poussent de fibreuses qui deviennent ligneuses par succession, & qui, à leur tour, multiplient les chevelus, c’est-à-dire, des radicales fines comme des cheveux, A A Fig, 9 ; leur ressemblance avec des cheveux a fixé leur dénomination. Si le jardinier raccourcit, étronçonne, suivant sa mauvaise coutume, les racines secondaires de l’arbre qu’il veut planter, alors celles-ci repoussent des racines du troisième ordre qui seront pendant un temps très-considérable, foibles, débiles, mais qui, pour réparer en partie le dommage qu’elles ont reçu, produisent beaucoup de chevelus. Ceux-ci ne pouvant plonger, s’étendent entre deux terres, en affament la partie supérieure, sont sujets au froid, à la sécheresse, &c. ; enfin ce n’est qu’à la longue que ces racines du troisième ordre acquièrent de la force & la communiquent à l’arbre. Il est bon d’observer que les racines du troisième ordre restent constamment moins grosses que celles du second, & celles-ci moins fortes que le pivot. Il est donc démontré que l’on nuit beaucoup à l’arbre en raccourcissant les secondes, & encore plus en supprimant la première.

Parmi les racines herbacées ou ligneuses, on doit encore remarquer celles qu’on appelle traçantes, parce qu’elles sont produites par des tiges latérales qui courent entre deux terres ; telles sont celles de la ronce, des rosiers, &c. Les racines rampantes proprement dites, courent à fleur de terre sans presque s’y enfoncer. Un grand nombre de ces racines pousse des rejets des drageons, dont quelques-uns prennent de nouveau racine ou par leurs protubérances, ou par les articulations des tiges rampantes. Tel est le gramen ou chiendent.

Ces différentes formes de racines sont, pour l’homme qui réfléchit, comme autant de feuillets d’un livre dans lequel il lit le genre de culture qui convient à chaque espèce. Par exemple, le froment, le seigle, &c., n’auroient pas besoin d’un labourage de plus de huit pouces de profondeur, puisque leurs racines fibreuses n’enfoncent qu’à six pouces ; mais comme la multiplicité des plantes & de leurs racines effritent beaucoup la terre, il est donc important de la renouveler en ramenant celle de dessous qui n’est point épuisée, à la superficie, & celle de la superficie en dessous. Le labourage profond n’est donc pas essentiel aux racines proprement dites fibreuses ; mais uniquement pour retourner le sol. Un léger labour suffit pour les raves, parce que leur racine charnue reste en partie hors de terre, & l’autre, ainsi que ses racines fibreuses, s’enfoncent peu ; mais ces mêmes raves produisent une variété qu’on nomme turneps ou gros navet, qui exige un labour plus profond en raison de sa forme & de la propension de la plante. Il en est ainsi de la racine de disette, qui n’est autre chose que la bette-rave blanche, connue & cultivée, de temps immémorial, dans le bas-Languedoc, & sur-tout, dans les environs de Castelnaudari. Une prairie (consultez ce mot) qu’on peut arroser à volonté, & qui est composée de fromental, de grand & de petit trèfle, n’exige à la rigueur, lorsqu’on la forme, qu’un défoncement de six pouces, attendu que toutes les racines de ces plantes sont entièrement fibreuses & ne plongent pas. Il n’en est pas ainsi de l’esparcette ou sainfoin, & encore moins de la luzerne qui darde un pivot dont la longueur est souvent d’une toise si le sol lui convient. On ne peut pas défoncer à la profondeur d’une toise, le travail deviendroit trop coûteux, la profondeur de deux fer de bêche est cependant nécessaire, parce qu’il convient que pendant la première année le pivot soit dans le cas de s’alonger sans obstacle. Le sol d’une pépinière devroit être fouillé à la profondeur de trois pieds, si lorsqu’on lève le plan du séminaire on ne retranchoit pas le pivot. En un mot la longueur de la racine décide la culture qu’elle exige, & le jardinier ne bêchera pas aussi profondément pour planter une laitue, une chicorée, que pour des scorsonères, des panais, &c., si la terre de la superficie n’est pas plus épuisée que celle du fond.


Section II.

De l’organisation des racines.

Elle est en tout semblable à celle du tronc & des branches, c’est-à-dire, que les racines sont composées de l’épiderme, de l’écorce, du tissu cellulaire, des couches ligneuses, &c. Afin d’éviter les répétitions, consultez cet article, page 509 du troisième Volume, dans lequel on est entré dans le plus grand détail sur leur organisation. Elles en diffèrent cependant 1°, par un plus grand nombre de trachées ou vaisseaux disposés en spirale, ou du moins plus visibles que dans le tronc & dans les branches ; 2°. par la couleur de leur écorce, & par celle de la partie ligneuse ; l’une & l’autre jaune dans le mûrier ; l’écorce brune dans le cerisier, & le bois rougeâtre &c ; 3°. par leur dureté & solidité comparées à celles du tronc & des branches ; mais dès qu’une partie de la racine paroît au dehors, & reste pendant long-temps exposée à l’air, elle durcit presqu’autant que le bois des branches.


Section III.

De leurs fonctions.

Les animaux se transportent çà & là, afin de se procurer une nourriture suffisante ; quelques-uns, tels que les huîtres, les polypes, restent immobiles & attachés aux rochers qui les ont vu naître. La nature a multiplié dans leurs environs les insectes qui doivent les nourrir, ainsi l’instinct des racines, s’il est permis de se servir de cette expression, a quelque chose de plus parfait que celui de la famille des huîtres ; la racine est la pourvoyeuse, au moins en très-grande partie, des sucs qui formeront la charpente de l’arbre, qui faciliteront sa croissance & sa fructification. On ne peut pas dire qu’elles soient pourvues de sentiment, mais seulement d’irritabilité & d’attraction. En effets ce n’est pas d’après des idées nées du sentiment, à l’instar de quadrupèdes, des bipèdes, &c., qu’elles se dirigent plutôt d’un côté que d’un autre, mais par une attraction réelle. Par exemple, qu’un arbre soit planté près d’un fossé, près d’un égoût à fumier, &c., les racines se détourneront de leur route première, pour se porter de ces côtés, où elles trouveront une nourriture plus abondante. L’humidité & la chaleur ne seroient-elles pas la première cause de cette attraction, puisque ce sont les deux grands agens de la végétation. Il en est ainsi de l’air considéré comme atmosphère, il agit bien plus efficacement sur les bords d’un fossé ou d’une balme, qu’à dix pas de là dans l’intérieur de la terre ; aussi l’on voit les racines se porter avec activité vers ces bords, & y végéter avec plus de force que dans tout le reste de la circonférence & dans l’intérieur de la terre, parce qu’elles sont plus actionnées par la lumière & la chaleur du soleil, & par l’humidité des pluies, des rosées, &c ; mais si ces racines sont attirées vers l’extérieur, elles ne doivent pas cependant s’écarter des loix qui leur sont assignées par la nature. Il est démontré par les belles expériences de Hales, que toutes les racines d’un arbre peuvent être converties en branches, & les branches en racines, en changeant leurs dispositions. Cette expérience est aisée à répéter dans les pays chauds avec le grenadier. Si on enterre ses jeunes branches, si on couronne ses racines, suivant la règle observée pour la plantation des arbres, enfin si on arrose au besoin, des racines sortiront des petites branches enterrées, & la naissance des anciennes racines placées au haut du tronc donneront des branches. Cette expérience isolée prouve seulement que les racines peuvent devenir des branches, quand elles sont exposées à nu & à l’air. Aussi voit-on sur les parties des grosses racines d’oliviers, de peupliers, & de tous les arbres qui contiennent beaucoup d’yeux dans leur écorce, sortir des branches qui peu à peu affameroient l’arbre, & qui deviendroient elles-mêmes des arbres si on en avoit soin. Mais si par des accidens quelconques, par l’affaissement du terrain, les grosses racines dont il est question paroissent à l’extérieur, on ne doit pas en conclure qu’elles suivent la loi de la nature. On observe au contraire, que si elles y sont contraintes par une cause quelconque, elles se hâtent de plonger en terre, non pas en pivot, à la manière de la maîtresse racine des arbres, mais en s’allongeant entre deux terres afin de profiter autant qu’il est possible & de la fraîcheur de la terre & des effets du soleil & des pluies.

Mais pourquoi les racines s’étendent-elles si loin, & pourquoi sont-elles si multipliées, puisqu’il est bien démontré que l’arbre, en général, se nourrit autant par ses feuilles que par ses racines ?

De l’extension des racines. Nous supposons un arbre venu de graine ; c’est un arbre naturel. Il faudra des circonstances bien singulières pour que cet arbre étende ses racines latéralement & très-au loin, parce qu’il ne poussera 1°. que son pivot qui ira à une très-grande profondeur. 2°. Toutes ses racines secondaires imiteront son exemple & deviendront autant de pivots. Ses racines du troisième ordre seront peu nombreuses, puisque celles des deux premiers ordres qui suffisent avec les simples chevelus qu’elles produiront ; mais si ces racines trouvent, ainsi qu’il a été dit plus haut, un banc de pierre, une couche de terre dure & imperméable, ces racines abandonneront la direction presque perpendiculaire, pour prendre l’horizontale, & reprendre ensuite la perpendiculaire, s’il est possible ; mais lorsque le pivot a été supprimé & les racines du second ordre mutilées, l’arbre ne jette plus que des racines latérales, & c’est la raison pour laquelle les mûriers, les noyers & les ormeaux plantés le long des grandes routes, vont affamer dans les champs la substance des moissons à plus de dix toises de distance. Ainsi ce que la totalité des racines n’a pu prendre en profondeur, il faut de toute nécessité qu’elle l’acquiert en surface & en longueur entre deux terres.

La loi de la nature prescrit aux racines le même développement qu’aux branches. Qui voit un beau noyer étendre majestueusement ses branches, & couvrir un diamètre de 80 à 100 pieds, doit se dire : Les racines de cet arbre sont proportionnées au volume & à l’étendue des branches ; il doit y avoir un équilibre parfait entr’elles ; si un accident fait périr une mère racine, tout l’arbre se ressent de cette perte, jusqu’à ce que le dommage soit réparé par un nouveau travail des racines… Il n’en est pas ainsi, par exemple, lorsqu’on couronne un arbre ou lorsqu’on ravale ses branches, les racines ne souffrent pas de cette soustraction supérieure, parce que les nouveaux jets seront si forts & si vigoureux, qu’ils ramèneront bientôt cet équilibre si nécessaire. Mais si on continue sans cesse à raccourcir les branches, à les tondre comme les ormeaux & les mûriers taillés en tête d’oranger, il arrive que rompant l’équilibre supérieur, & continuant à le rompre, la grande extension des racines devient inutile, & peu à peu il n’en reste plus que ce qu’il faut pour conserver l’équilibre entre la tête de l’arbre & ses racines. C’est un fait dont il est très-facile de s’assurer, en prenant le tronc avec la main, & en cherchant à l’ébranler ; on voit qu’on l’arracheroit de terre sans peine… C’est par la même raison que l’oranger, le laurier-rose, &c., plantés dans des pots ou dans des caisses, n’ont que des chevelus & non des mères racines. Elles deviennent inutiles à la végétation de l’arbre, & les chevelus tapissent l’intérieur des pots comme de la filasse que l’on appliqueroit contre. Ici, & dans tous les arbres taillés en boule, les chevelus tiennent lieu de mères racines, les suppléent en raison des besoins de l’arbre.

D’après cela, que doit-on conclure de la méthode barbare de beaucoup de particuliers qui croient maîtriser un arbre greffé sur franc & en espalier, en lui coupant ou en perçant une de ses grosses racines. L’arbre, il est vrai, souffre & se ressent de cette cruelle opération, quelquefois-même il en meurt ; mais lorsqu’il reprendra ses forces, il ne poussera pas moins des gourmands, pas moins de bois qui paroissent inutiles, parce qu’on ne fait pas les étendre & en profiter. C’est un abus criant de gêner les racines, à moins qu’elles ne gagnent dans un jardin potager ; elles ne lui auroient pas nui, si l’arbre avoit été planté avec son pivot.

Si l’extension des racines n’étoit pas proportionnée au volume des branches, le moindre effort du vent déracineroit l’arbre : c’est ce qu’on voit journellement arriver aux arbres taillés en boule. Les racines servent donc non-seulement à maintenir l’arbre dans sa position droite par la résistance qu’elles opposent sur tous ses côtés, mais encore à correspondre à la multiplicité des branches.

De la multiplicité des racines. Ce n’est pas simplement pour assujettir un arbre, que la nature lui a imposé la loi de produire un grand nombre de racines. On sait que les feuilles sont aux branches & à l’arbre ce que les poumons sont au corps de l’homme ; c’est par elles que l’arbre respire, inspire & transpire. Les racines leur envoient pendant le jour les matériaux de la séve, & tout ce qu’il y a de superflu & de mal élaboré est rejeté par la transpiration de toutes les parties extérieures de l’arbre. Mais pendant la nuit, ces mêmes fluides déjà élaborés redescendent aux racines pour y subir une nouvelle préparation, y recevoir un nouveau ferment, en s’unissant avec les nouveaux matériaux de la séve pompés par elles. C’est ainsi que par une ascension perpétuelle pendant le jour, & une descension pendant la nuit, enfin par la transpiration & les sécrétions, les parties les plus atténuées, les plus huileuses, parviennent & forment l’amande ou graine ; d’autres préparent les matériaux de la pulpe qui constitue le fruit ; enfin il en est qui donnent l’existence aux feuilles, & augmentent la charpente des parties ligneuses des branches, du tronc & des racines. Il est plus que probable, & on doit en juger ainsi par l’inspection de l’écorce des racines, qui est criblée de pores plus visibles que dans l’écorce du tronc &. des branches, & par la mollesse de son bois, qu’il doit s’y faire un grand travail, une grande élaboration de la séve & de très-fortes sécrétions. Leur contexture semble l’annoncer. En effet, si ce grand travail ne s’y exécutoit pas, que deviendroit cet amas de séve qui y reflue, lorsqu’un froid précoce hâte & fait tomber des feuilles qui naturellement dévoient encore rester un mois sur l’arbre ? Que deviendroit cette séve de la vigne, assez abondante pour fournir un torrent de pleurs au premier printemps, lorsque la fraîcheur en interrompt le cours ? Sans la facilité des sécrétions, il y auroit stagnation, corruption de séve, souffrance & altération dans l’arbre. La nature toujours guidée par la main invisible & puissante de son auteur, a tout prévu & a remédié à tout ; elle a multiplié les racines en nombre proportionné aux branches, afin que les sécrétions fussent égales ; mais comme les branches & les feuilles ont l’air atmosphérique pour réservoir, & qu’il ne leur oppose aucun obstacle, il étoit inutile que leur bois & que leur écorce fussent criblés de pores aussi larges que ceux des racines environnées par la terre, qui est un réservoir plus épais & plus dense. C’est encore afin d’y faciliter les sécrétions, que la terre entretient une humidité qui rend leurs pores plus perméables à l’air & aux substances superflues & rejetées du torrent de la circulation.

S’il règne une si belle harmonie, une si grande concordance entre les racines & les branches, si les chevelus répondent aux bourgeons, ne pourroit-on pas dire que si chaque année la nature fait pousser des feuilles, elle doit également faire croître des chevelus infiniment petits, en nombre proportionné à celui des feuilles, & dont l’existence est semblable à la leur. Je propose cette idée comme un doute, comme une simple hypothèse, mais qui mérita d’être examinée.

Les racines ne sont pas restreintes à élaborer la séve que les arbres ont pompée de l’humidité de l’atmosphère ; elles servent encore à y porter la nourriture qu’elles absorbent de la terre, & à la combiner avec l’autre. Quoique quelques plantes n’aient besoin que de l’humidité atmosphérique pour végéter, presque toutes les autres, & les arbres sur-tout, ne peuvent se passer d’humidité ou d’eau, sans quoi ils dessèchent & périssent. Ce fait, connu de tout le monde, prouve de nouveau autant la nécessité de l’équilibre entre le travail de la séve, par les branches & par les racines, que la nécessité du mélange des deux séves, l’aérienne & huileuse, absorbée par les feuilles, & l’aqueuse & terrestre, absorbés par les racines. C’est du mélange & de l’élaboration parfaite de ces deux séves que résultent la santé & la vigueur de l’arbre. On pourra chicaner sur le mot de séve aérienne, mais je n’en trouve pas d’autre pour désigner les matériaux de la séve que les feuilles pompent dans l’atmosphère. J’ai ajouté le mot huileuse, parce qu’il est très-probable que l’huile éthérée des fleurs, qui produit les plus douces odeurs, n’est autre chose que le principe inflammable uni à une huile très-atténuée. Il est encore probable, & même presque démontré, qu’une grande partie des huiles grasses que l’on retire des bois, est fournie par la séve terreuse, lorsqu’attirée par les racines, elle pénètre dans la plante sous la forme d’un fluide savonneux. Il faut consulter les articles amendement, engrais, fumier, afin de se mettre au fait de ces combinaisons, & éviter ici des répétitions.

Les racines sont-elles douées d’un instinct, d’une irritabilité qui les force à choisir de préférence certains sucs, & à rejeter ceux qui leur sont nuisibles ? Y a-t-il dans la terre des sucs particuliers, destinés à telle ou telle plante ? Ces deux questions rentrent dans la même, & sont l’explication l’une de l’autre.

Jusqu’à ce jour, la plupart des écrivains se sont égarés en tenant pour l’affirmative ; ils ont compliqué la marche de la nature, tandis qu’elle montre par-tout la plus grande simplicité. On épuise la terre, vous disent-ils, en fumant plusieurs fois du blé dans le même champ, parce que les premières récoltes absorbent tous les sucs qui sont propres aux blés, tandis que si on alterne les récoltes, elles sont toujours belles. Donc chaque récolte n’absorbe que les sucs qui lui conviennent.

Je n’ai cessé dans tout le cours de cet Ouvrage, de répéter que la forme des racines étoit le meilleur guide du cultivateur, & qu’elle prescrivoit l’ordre de la culture ; parce que les racines fibreuses, telles que celles du froment, du seigle, &c. absorbent les sucs de la surface à cinq ou six pouces de profondeur, tandis que les racines pivotantes, par exemple, celles de la luzerne, ne consomment point les sucs de la surface, mais vont profondément chercher leur nourriture : toute l’opération est purement mécanique.

Non, il n’existe point de séve, de sucs particuliers pour telle ou telle racine. Dans le laboratoire de la terre, dans son intérieur où se prépare en grand la séve, la nature n’a qu’une manière d’opérer & de rassembler les différens matériaux qui la constituent, & de son immense travail il ne résulte qu’une seule & même séve. (Consultez le mot Amandement) Cette séve est plus ou moins riche, plus ou moins abondante en principes, suivant l’abondance & la qualité des matériaux qu’elle combine ; de là la prospérité des récoltes. Si la partie saline domine trop, (consultez le mot Marne) comme dans l’expérience de Milord Manner) rapportée au mot Arrosement, page 10 du second Volume ; si dans ce cas les pluies ne sont pas abondantes, la séve sera corrosive, & contribuera elle-même à la destruction de la plante ; si au contraire on enterre au pied d’un arbre un bœuf mort, les racines trouveront dans sa décomposition trop de substances huileuses, graisseuses, &c. sur-tout une trop grande quantité d’air fixe, (consultez ce mot) & l’arbre en souffrira & même périra, comme cela arrive souvent, parce que la séve est trop surchargée de substances huileuses, non suffisamment combinées avec la partie saline qui auroit, au moyen de la fermentation, réduit la masse totale à l’état savonneux. Dans cet état, l’eau qui est la base de la séve, n’en dissout que la quantité qu’elle peut en dissoudre ; & de cette juste proportion dérive la beauté de la végétation. Voilà pourquoi trop d’engrais animal suffoque un arbre, & trop d’engrais salins racornissent les conduits de la séve, les corrodent, & l’arbre souffre ou meurt. C’est donc dans les justes proportions de la séve qui est unique, & dans l’intime combinaison de ses principes, que les racines trouvent les sucs qu’elles doivent transmettre à l’arbre.

Seroit-il naturel de dire que, dans une caisse, par exemple, oh l’on auroit semé pêle-mêle & fort épais, du froment, des graines de choux, de raves, de pieds d’alouette, des pois, des fèves, de la ciguë, de l’aconit, &c., &c., la terre dont cette caisse est remplie, contînt autant de sucs ou nature de séve particulière y qu’elle a d’espèces de plantes à nourrir ? Bientôt cette caisse sera remplie de racines de toute espèce, & au point que telle racine ne pourra pas se détourner afin d’aller chercher le suc qui lui est propre, & rejeter celui qui lui déplaît. Ce seroit attribuer aux racines des propriétés qu’elles n’ont point, & compliquer inutilement la marche de la nature ; autrement il faudroit que cette terre contînt des sucs empoisonnés pour alimenter l’aconit & la ciguë, des sucs doux & farineux pour le froment, les pois, &c., &c. Or, jamais aucune expérience quelconque n’a démontré ni ne démontrera ces principes si opposés les uns aux autres. La marche de la nature est plus simple, la séve est, comme on l’a déjà dit, une, mais plus ou moins chargée de principes suivant les circonstances. Cette séve, en s’insinuant à l’extrémité des racines capillaires, qui forment autant de bouches & de suçoirs, qu’il y a de chevelus ou de pores absorbans, y rencontre un levain, & ce levain agit sur la totalité de la séve, comme notre salive agit sur la totalité de nos alimens. C’est ce levain qui rend la séve ou vénéneuse ou douce dans son principe, & qui permet à sa totalité de s’assimiler à la nature de la plante entière, après avoir éprouvé une multitude de filtrations par les canaux séveux, & de sécrétions par les feuilles, le tronc & même par les racines. Les racines sont donc aux plantes ce que la bouche est à l’homme & aux animaux ; & le levain qu’elles présentent à la séve, ce que la salive est aux alimens ; les canaux séveux ce qu’est l’estomac ou les différens sucs sont élaborés & séparés ; enfin la sécrétion des plantes remplit la même fonction que les intestins. À peine sur dix livres d’alimens que l’homme prend, une demi-once se convertit en sa propre substance ; il en est ainsi de la séve & de ses principes pour les plantes & pour les arbres.

D’après ce qui a été dit dans cet article, on doit conclure, 1o. que toutes les racines bulbeuses ou oignons aiment les terres légères, douces, friables & sèches ; que le plus grand ennemi des oignons quelconques est l’humidité, parce que leur tissu est spongieux, qu’il attire puissamment l’humidité de l’air, au point que quelques espèces n’ont pas besoin du secours de la terre pour végéter, fleurir & grainer ; & chacun a vu les oignons de potager, ceux de hyacinthe, de tulipe, commencer leur végétation par le secours de l’air. Les sols forts, tenaces, argileux, &c. ne conviennent pas à leur culture, parce qu’en général les racines des b issus sont foibles, &, pour ainsi dire, sans nerf ; cette mollesse s’oppose à leur accroissement dans de semblables terrains. (Consultez l’article Oignon la culture dans les environs de la mer.)

2o. Les racines tubéreuse, semblables aux pommes de terre, craignent la trop grande humidité ; comme elles sont chargées d’un grand nombre de racines fibreuses & assez fortes, elles exigent une terre bien travaillée & bien fumée ; elles effritent beaucoup la terre : c’est par l’abondance des engrais qu’on répare ce défaut, ou bien en enterrant leurs tiges & leurs feuilles, qui rendent plus à la terre qu’elles n’en ont reçu… Les tubéreuses, dans le genre des anemones, craignent également la trop grande humidité ; mais les tubéreuses en manière de griffes, comme les renoncules, demandent beaucoup d’eau, & la plupart sont originaires des marais.

3o. Les fibreuses proprement dites, telles que celles du froment & du seigle, aiment la terre bien remuée à 6 ou 8 pouces de profondeur, & suivant la manière d’être des saisons & la qualité de la terre, la plante devient plus ou moins productive. Plus une plante a de racines proprement dites fibreuses, & plus elle absorbe de sucs. Le tournesol en est un exemple frappant, aussi la terre dans laquelle ses racines s’étendent, même la terre forte, devient friable & n’a plus de consistance. Les racines en forme de navet & de raves sont peu fibreuses, c’est pourquoi elles effritent peu la terre, & l’enrichissent beaucoup si on a le loin de les enfouir avec leurs feuilles par un ou deux forts labours à la charrue : c’est la meilleure manière d’ennoblir un terrain pauvre, & d’augmenter sa masse d’humus ou terre végétale… Les racines pivotantes, telles que celles de la luzerne, &c. sont très-peu fibreuses, parce que leur nature est de plonger profondément en terre, & d’en absorber les sucs par l’extrémité du pivot ordinairement assez fibreux. En général les plantes à racines pivotantes sont vivaces, ou au moins biennes ; pour être annuelles, elles n’auroient pas eu besoin de faire les frais d’un pivot. Les scorsonères, les salsifix en sont la preuve ; & moins le pivot est charnu, & plus assurément la plante est vivace : la forme & la substance de ce pivot indiquent donc à quelle profondeur on doit travailler la terre si on veut que la plante réussisse.

Les racines traçantes appauvrissent singulièrement la superficie du terrain, sur-tout si elles en poussent de nouvelles & de fibreuses à chaque nœud ou à chaque protubérance. Aucune espèce de ces racines en général ne mérite d’être cultivée ; elles abîment les champs.


Racine. Dénomination générale sous laquelle on comprend les plantes charnues cultivées dans les jardins potagers ; comme les betteraves, la racine de disette, les scorsonères, les falsifix, &c.