Cours d’agriculture (Rozier)/RACHITIS

Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 468-472).


RACHITIS. Médecine rurale. Maladie qui attaque les os des enfans, y cause des protubérances, des courbures, & des difformités, & que l’on connoît aussi sous les noms de chartre, ou nouure des enfans.

Le rachitis n’a pas été connu dans les premiers temps de la médecine. Hippocrate n’en fait aucune mention. On ne trouve aucune preuve, aucun témoignage, que cette maladie se soit jamais montrée chez les anciens grecs, ni chez les anciens romains. On ne la voit en effet décrite, ni dans Celse, ni dans Galien, ni dans Cœlius Aurelianus, ni dans Paul d’Égine ni dans Arétée. Elle n’a été d’abord connue qu’en Angleterre où elle a pris naissance vers le milieu du seizième siècle, & Clisson, médecin anglois, est le premier qui en a donné l’histoire, & qui nous a appris qu’elle commença à exercer ses cruautés dans les provinces occidentales d’Angleterre, & qu’elle étendit ensuite ses ravages sur tous les pays septentrionaux de l’Europe. Les enfans furent les seules victimes que cette maladie immola à sa fureur. Le rachitis est aujourd’hui regardé comme une maladie endémique dans les pays du nord ; les provinces méridionales de la France n’en sont point exemptes. On n’a pas encore pu découvrir comment elle y a été transmise : elle y est devenue très-commune, & on peut assurer, sans craindre de se tromper, qu’il y a bien près du quart des enfans, depuis leur sixième mois, jusqu’à trois & même cinq ans, qui en sont infectés.

Le rachitis est une maladie terrible pour les enfans. Le plus grand nombre de ceux qui en sont atteints, succombe : l’art peut y apporter quelque remède, & la combattre souvent avec quelque avantage. Mais pour y parvenir, il est de la plus grande utilité de connoître les différens symptômes qui la caractérisent & l’accompagnent. Pour l’ordinaire, les enfans rachitiques ont les facultés de l’ame développées de bonne heure, un esprit vif & pénétrant, & de l’intelligence ; ils saisissent avidement, & conçoivent parfaitement bien tout ce qu’on peut leur dire de relatif à leur âge ; ils ont enfin les organes des sens bien disposés ; leur teint est fleuri, la face pleine & bien nourrie ; la tête fort grosse, nullement proportionnée aux autres parties du corps qui sont maigres, exténuées, & pour ainsi dire atrophiées. Il y a toujours chez eux une tendance d’humeurs vers la tête ; aussi ont-ils les veines jugulaires & les artères carotides très-saillantes. La fontanelle reste long-temps ouverte, les jointures se nouent & se courbent plus souvent autour des poignets que près des malléoles. Les côtes font une saillie & se courbent aussi-bien que l’épine du dos ; & ce vice très-considérable dans cette dernière partie, rétrécit la poitrine par derrière, & la porte en pointe sur le devant.

À tous ces symptômes se joignent par la suite la pâleur & la bouffissure du visage ; le ventre se porte en dehors ; la peau ne tarde pas à devenir flasque, à perdre sa couleur naturelle, & à retenir l’impression des doigts quand on la touche. Les jointures des os se gonflent, & excèdent de beaucoup le niveau de la peau ; leurs épiphytes augmentent en volume, tandis que le corps de l’os est délié & diversement recourbé.

À mesure que ces enfans grandissent & que le mal s’invétère[1], de nouvelles facultés découvrent en eux de nouveaux maux. Dans le temps, où suivant l’ordre de la nature, & les loix de l’éducation, l’usage des pieds leur est accordé, à peine peuvent-ils en profiter ; quelques pas les fatiguent ; leurs jambes énervées, engourdies au moindre mouvement, ne leur permettent pas de courir, d’aller, de venir, de sauter, & de se livrer aux jeux & occupations de leur âge. On les voit aussi en choisir auxquels ils puissent vaquer étant assis ; leurs bras n’ont pas plus de force. Ils ne sauroient vaincre la plus petite résistance, & leur col délié ne soutient qu’avec peine le poids considérable de leur tête, grossie, qui chancelle de côté & d’autre. À ces symptômes propres au rachitis, se joignent en divers temps, la dentition difficile, des dévoiemens presque continuels, des sueurs fréquentes, difficulté de respirer, digestions laborieuses, & enfin il survient une fièvre lente qui hâte le funeste coup d’une mort prématurée.

Une infinité de causes peut donner naissance au rachitis. Les parens infectés de virus vénérien, engendrent communément des enfans rachitiques.

On a de plus observé qu’il y a moins d’enfans rachitiques & mal conformés dans les petites villes & les campagnes, que dans les grandes villes qui sont toujours les théâtres de la débauche, & de la dépravation des bonnes mœurs. Quoique ce soit peut-être parler trop généralement, dit M. Lorry, dans son Traité des maladies cutanées, que de toujours déduire cette maladie du vice vénérien, cependant il n’y a pas d’homme un peu instruit sur cette matière, qui ne convienne que ceux qui ont eu la vérole, ont, la plupart du temps, des enfans rachitiques : ces enfans sont si imprégnés d’un mucus acide & abondant, que le suc osseux ne peut parvenir chez eux à une consistance solide & comme calcaire : au contraire, il n’acquiert qu’une texture mollasse & séléniteuse. De là vient que les os augmentés en volume, sont privés de force, prominent de toutes parts, & ne forment que des appuis très-foibles qui ne peuvent soutenir le poids du corps ; cause de la figure informe qu’ils prennent.

Un air froid, épais, nébuleux, marécageux, & chargé des vapeurs crasses, comme celles du charbon de pierre, déterminent cette maladie : on peut dire & donner pour preuve de ce fait, que le rachitis est non-seulement très-fréquent à Londres, où l’air est une espèce de cloaque épais, rempli d’exhalaisons, & des vapeurs de charbon de terre, mais encore dans certains endroits des provinces méridionales qui avoisinent les étangs, les marais, les grands fleuves, & les rivières.

Mais les causes les plus ordinaires du rachitis, sont presque toujours le peu de soin qu’on donne aux enfans, & la barbare habitude où l’on est dans certains pays, de tenir les enfans emmaillotés & trop serrés avec des bandes. Qu’arrive-t-il ? qu’une pareille compression, en s’opposant à la libre circulation des fluides, empêche l’égale distribution du suc nourricier dans toutes les parties, & leur accroissement ne se faisant plus dans la même proportion, une partie acquiert trop de volume, tandis qu’une autre demeure petite, & comme atrophiée.

Dans le nombre de ces causes, il faut encore admettre le défaut de propreté, & d’une bonne nourrice. Les enfans se ressentent bientôt des qualités pernicieuses d’un lait fourni par une nourrice colère, ivrogne, intempérante, infectée de vérole, d’écrouelles, ou du vice tabifique ; qui cachera souvent aux parens sa grossesse, dans la crainte de perdre le salaire qu’elle reçoit tous les mois, pour la nourriture de l’enfant qu’on lui a confié, auquel elle donnera un lait gâté, empoisonné, qui sera bientôt pour cet infortuné, la source du rachitis, ou d’une infinité d’autres maux cruels.

Le rachitis dépend quelquefois des différentes chutes qu’on laisse faire sur le dos des enfans, & des fautes que les nourrices commettent journellement, en les portant entre leurs bras, dans une situation gênée qui leur tient l’épine du dos courbée, & les jambes inégalement tendues.

La mauvaise santé des pères & des mères est encore une des causes de cette maladie, surtout lorsqu’ils sont d’une constitution foible, & relâchée, qu’ils mènent une vie oisive, molle & sédentaire, & ne se livrent à aucun genre d’exercice ; lorsqu’ils se nourrirent d’alimens grossiers, visqueux, & de difficile digestion ; toutes ces choses concourent à leur faire procréer des enfans foibles, valétudinaires, qui seront infectés du rachitis, ou de toute autre maladie également pernicieuse.

L’existence des fleurs blanches dans les mères, est une autre cause que Wansvieten regarde comme très-énergique : les enfans, dit ce célèbre médecin, conçus d’une mère sujette à des fleurs blanches opiniâtres & acrimonieuses, sont attaqués d’un rachitis très-malin, & qu’on n’a encore guéri que très-rarement jusqu’ici.

La petite vérole, la rougeole, une dentition difficile & douloureuse, la présence des vers dans les premières voies, la répercussion de la gale, de la teigne, des dartres, & autres maladies cutanées, la coqueluche & la foiblesse naturelle du tempérament, disposent au rachitis.

Il conste par l’ouverture des cadavres des rachitiques, que cette maladie porte des impressions fâcheuses sur tous les viscères, & y laisse les vestiges du plus grand désordre. En effet, on trouve dans le crâne, une extrême dilatation des vaisseaux de la tête, le cerveau d’un volume extraordinaire, des épanchemens entre sa substance corticale & la dure & la pie-mère, des adhérences entre les différentes parties, & les sutures des os de la tête désunies & très-dilatées. Si on ouvre le conduit des vertèbres, on y trouve aussi des engorgemens entre la moëlle épinière & ce même conduit.

Il paroît évidemment que tous les viscères du bas-ventre, & sur-tout le foie, sont beaucoup plus gros qu’à l’ordinaire ; que les glandes du mésentère sont très-engorgées, & quelquefois squirrheuses : le foie aussi squirrheux & adhérent au diaphragme.

Quant à la poitrine, on y trouve des attaches très-fortes des poumons avec la plèvre ; le thymus est très-gorgé ; les poumons sont à la vérité plus petits, mais les parois rétrécies de la poitrine s’opposent à leur accroissement. On les trouve en revanche surchargés d’humeurs, remplis de concrétions, & il y a quelquefois de petits abcès.

1o. Resserrer & fortifier les solides ; 2o. faciliter les digestions & corriger le vice des humeurs, sont les deux principales indications que l’on doit avoir en vue pour traiter avec quelque succès cette maladie.

Le régime est, sans contredit, le meilleur remède : mais il doit être léger & pris des alimens de bonne & facile digestion, assaisonnés comme il faut, & servis fréquemment aux malades, mais en petite quantité à chaque fois.

Un air pur & serein, un exercice & un mouvement modérés, sont aussi très-nécessaires.

Quant aux enfans qui sont encore à la mamelle, on leur fera prendre du lait avec modération ; & s’ils sont confiés aux soins de nourrices qui vivent mal ou qui les négligent du côté de la propreté, on en changera. L’été est la saison la plus avantageuse aux enfans rachitiques, sur-tout si elle est sèche ; c’est alors qu’il faut leur administrer des bains froids, afin de les rafraîchir, tout comme on doit les tenir chaudement en hiver. On leur frottera le dos tous les soirs avec de l’esprit de romarin ou avec de l’esprit de vin camphré. Les anglois emploient avec beaucoup d’utilité un liniment composé de deux onces d’huile de palme, d’un gros de baume du Pérou, & d’un gros d’huile de noix muscade ; d’huile de gérofle & succin, de chacun onze gouttes, & deux drachmes d’esprit de sel ammoniac ; avec lequel ils font oindre tous les jours les parties affectées.

On doit faire user aux rachitiques d’un vin médicamenteux qu’on peut préparer, en faisant infuser à froid des substances amères, toniques, apéritives & stomachiques, telles que le quinquina, l’écorce de caprier, d’absinthe, la gentiane, la germandrée, les feuilles & fleurs de bétoine, la véronique mâle, la racine d’enulla campana, & des cloportes ; mais pour en éprouver de bons effets, il faut long-temps insister sur son usage.

D’un autre côté, on ne doit point négliger des frictions sèches sur tout le corps de l’enfant, & sur-tout sur les parties malades ; & pour leur donner plus d’efficacité, on les fera avec des linges bien lessivés, & imbibés de la vapeur du succin ou de la fumée de certaines plantes aromatiques.

On peut encore leur donner de temps en temps quelques grains d’ipécacuanha, & leur faire faire usage d’une eau de rhubarbe, à laquelle on ajoutera quelques clous rouillés. En Angleterre, on prescrit aux rachitiques, trois fois par semaine, une poudre composée de cinq grains d’æthiops minéral & autant de rhubarbe pulvérisée, & deux grains d’espèces aromatiques. On sait que les martiaux sont aussi très-utiles. Le vin chalybé, donné à la dose de vingt, jusqu’à quarante gouttes, deux fois par jour, dans deux cuillerées d’une décoction de quinquina ; tout comme la teinture de mars par l’esprit de sel, depuis cinq jusqu’à vingt gouttes dans une cuillerée d’une infusion amère, sont deux remèdes qui méritent les plus grands éloges.

On en viendra à l’application des frictions mercurielles, si l’on soupçonne que le rachitis dépende d’un vice vénérien. Mais on doit avertir ici qu’il seroit très-dangereux de pratiquer cette méthode, sans auparavant y avoir disposé le malade par un régime & une préparation convenables.

Buchan nous apprend qu’on a plusieurs fois tiré de grands avantages du séton & du cautère dans cette maladie. Il les regarde sur-tout comme très-nécessaires aux enfans qui abondent en humeurs. Ils peuvent être aussi nuisibles, en procurant l’évacuation des sucs nécessaires dans ceux qui sont déjà trop assombris. Boerhave veut qu’on applique de temps en temps des vésicatoires ; mais il veut aussi que, dès qu’ils ont commencé à mordre, on dessèche la plaie pour en appliquer de nouveaux. On ne peut disconvenir qu’une pareille méthode ne soit cruelle ; mais il faut avouer qu’elle peut être aussi d’une très-grande utilité, en imprimant au principe de vie une nouvelle manière d’être, & en donnant à la nature quelques secousses qui peuvent la porter à faire quelque effort.

À ces remèdes que nous venons d’indiquer, il faut ajouter les écailles d’huîtres à la dose d’un scrupule, trois fois par jour, remède si recommandé par de Haen ; & l’usage de la garance, dont les expériences de M. Duhamel démontrent les effets comme toniques dans le cas d’affection des os. Le vin vieux est encore un excellent remède dans le rachitis. En général, on donnera la préférence au vin de Bordeaux. Mais ceux qui ne pourront point se procurer cette espèce de vin, donneront à la place du vin de Bourgogne, du vin de Languedoc, ou du Roussillon ; & enfin on substituera la bière douce, le cidre ou le poiré au vin, quand on ne pourra se procurer aucune de ces espèces. On a inventé des corsets & des bottines, pour remédier au défaut de conformation. Mais ces machines sont d’autant plus préjudiciables, qu’on veut par là forcer la nature à se plier. M. AMI.


  1. Dictionnaire des Sciences.