Cours d’agriculture (Rozier)/TRANSPIRATION

Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 465-470).


TRANSPIRATION. Médecine Rurale. Évaporation insensible qui se fait à travers les pores de la peau & les poumons.

Le vulgaire confond ordinairement la transpiration avec la sueur, & il est aisé de voir combien ces excrétions diffèrent l’une de l’autre. La sueur est toujours une évacuation assez abondante pour être apperçue, au lieu que la transpiration dans l’état le plus naturel, se fait d’une manière si insensible, qu’elle échappe à nos sens.

Son existence, comme l’observe très-bien Heister, est prouvée par l’action du cœur qui pousse les liqueurs du corps par les pores de la peau & des poumons où ces ligueurs aboutissent, & par les extrémités artérielles & les tuyaux excrétoires qui s’ouvrent en dehors dans cas parties ; pour s’en convaincre on n’a qu’à respirer contre un miroir pour ramasser des gouttelettes d’eau sur la glace ; si l’on passe les doigts sur de l’étain ou sur de l’argent, on y laisse une trace d’humidité ; lorsqu’on réchauffe le bras, & qu’on le met nud dans une bouteille de verre, il se ramasse des gouttes sensibles dans cette bouteille. En hiver, les vapeurs qui sortent du poumon se condensent & forment une espèce de nuage. Le matin, en été, la fraîcheur de l’air produit aussi une semblable condensation. Enfin, si on se met tête nue près d’une muraille exposée à la chaleur du soleil, on voit l’ombre des vapeurs qui s’élèvent des pores de la tête.

Cette évaporation doit diminuer selon les climats, les tempéramens & les occupations ; car, selon le froid qui resserre, selon le chaud qui raréfie, les occupations qui produisent le même effet, le cœur aura plus ou moins de force, & les liqueurs trouveront plus ou moins d’obstacles à la sortie des ouvertures destinées à la transpiration insensible.

Cette évacuation a été connue des anciens médecins. On trouve, dans les ouvrages d’Hippocrate, plusieurs dogmes utiles sur la transpiration même la plus insensible ; mais personne, avant Sanctorius, n’avoit pu apprécier la grande quantité de matière que nous perdons par cette voie. C’est à lui qu’on est redevable de l’invention & de la perfection de la doctrine de l’insensible transpiration.

On sait que les pores par où se fait cette évacuation sont très-nombreux, & qu’ils s’ouvrent obliquement sous l’épiderme. Léevrenhoeck en a remarqué cent vingt-cinq mille dans l’espace qu’un grain de sable pourroit couvrir ; il doit donc se faire une continuelle transsudation dans l’humeur subtile de ces mêmes pores par toute la peau, & de toutes les parties du corps, qui surpasse de beaucoup toutes les évacuations sensibles prises ensemble ; ce fait a été mis dans la dernière évidence par Sanctorius. Ce célèbre médecin, seul inventeur d’une chaise à peser, a démontré que l’on perd en un jour, par l’insensible transpiration, autant qu’en quatorze jours par les selles & en particulier ; que pendant la durée de la nuit, on perd ordinairement seize onces par les urines, quatre par les selles, & plus de quarante par l’insensible transpiration.

Il observe aussi qu’un homme qui prend dans un jour huit livres d’alimens en mangeant & en buvant, en consume cinq par l’insensible transpiration ; quant au temps, il assure que cinq heures après avoir mangé, cet homme a transpiré environ une livre ; depuis la cinquième heure jusqu’à la douzième, environ trois livres, & depuis la douzième jusqu’a la seizième, presque la moitié d’une livre.

Les quatre saisons doivent beaucoup varier la transpiration. En été, la matière qui transpire est en grande quantité. En automne, les pores se resserrent, & la matière qui le trouve arrêtée commence à se faire jour du côté des intestins. En hiver, les pores sont encore plus resserrés ; aussi l’urine, les matières fécales, la salive, doivent couler plus abondamment. Enfin, au printemps, les pores commencent à s’ouvrir, & les évacuations sensibles diminuent. Les femmes transpirent beaucoup moins que les hommes ; les jeunes gens, plus que ceux qui sont à la moitié de leur course, & ceux-ci plus que les vieillards. Dans ces derniers, les parties se sèchent, la transpiration doit donc être moins abondante ; aussi la matière qui ne peut passer par la peau, se jette sur les poumons & sur les intestins. C’est de-là que les vieillards crachent beaucoup, qu’ils sont tourmentés de flux de ventre, & que l’hiver, où il se jette beaucoup de matière en dedans, parce qu’elle ne peut point transpirer en dehors, est fort dangereux pour eux, & qu’il leur occasionne des fluxions de poitrine.

Il est facile de sentir combien il est important que cette excrétion ne soit point supprimée, & que de cette suppression il peut résulter les plus grands accidens.

Il est certain que la plupart des maladies, telles que les fièvres aiguës, les maux de gorge, les fièvres imermittentes, le rhumatisme, la colique, les inflammations de poitrine, la passion iliaque, le colera morbus, en sont tous les jours les suites.

On ne peut se garantir de ces maladies qu’en se précautionnant contre la suppression de cette évacuation, par des moyens propres à l’aider & à la favoriser. Pour cet effet, on doit se munir le corps contre les variations de l’atmosphère, en ne portant pas d’habits trop légers, en évitant de passer subitement d’un endroit chaud en un lieu froid ; enfin, on évitera de porter des habits mouillés, de garder long-temps l’humidité aux pieds, de coucher dans des lits humides, d’habiter des maisons nouvellement construites, de boire quand on a chaud des liqueurs froides & aqueuses ; il vaut mieux alors étancher la soif en mâchant des fruits, ou des plantes acides. L’exercice léger, un usage modéré des plaisirs, en dormant sept à huit heures, se couvrant bien le corps, & néanmoins ne le chargeant point de couvertures : la gaîté, une nourriture légère, un air pur, froid, pesant, contribuent beaucoup à la transpiration. Elle ne doit pas être trop considérable ; car elle occasionneroit des foiblesses, des défaillances, & même des morts subites. Quand elle est modérée, elle n’en est que plus salutaire, puisqu’elle purifie la masse du sang, & la débarrasse des particules inutiles & hétérogènes qui pourroient le corrompre.

Elle est souvent la crise de plusieurs maladies ; on doit aussi l’exciter par des remèdes convenables, tels que par les légères infusions de coquelicot, de fleurs de sureau, de chardon bénit, de feuilles de bourrache, de celles de buglose. Le kermès minéral, combiné avec le sucre, donné plusieurs fois dans la journée à de petites doses, est le remède unique pour rappeler cette évacuation lorsqu’elle a été supprimée ; mais il faut, pour que ces remèdes réussissent, que la nature soit disposée à cette excrétion : personne ne doute que la chaleur excessive du sang, ou la circulation trop rapide qu’ils pourroient exciter, ne fût un obstacle à la transpiration. M. Ami.

Transpiration Suspendue. Médecine vétérinaire. L’humeur dont la sécrétion est la plus abondante, est un fluide d’une odeur & d’une saveur particulière, nommée insensible transpiration, qui sort par les conduits excrétoires des tégumens des animaux. Sanctorius a observé que de huit livres d’alimens, il s’en dissipoit cinq par la transpiration ; mais, quoi qu’il en soit, la plupart des maladies que nous avons à combattre, naissent de l’interception ou de la diminution de cette humeur.

Le bœuf & le cheval, atteints de cette maladie, ont pour l’ordinaire les tégumens froids, quelquefois secs & chaux, les poils plus ou moins hérissés, l’air triste ; ils sont dégoûtés ; les urines claires & abondantes, le pouls fréquent & serré ; l’animal tremble, sur-tout vers les cuisses, les flancs & les épaules.

La négligence dans le pansement de la main, le passage subit d’une écurie chaude dans une atmosphère froide, le long séjour dans une écurie froide & humide, une boisson trop fraîche, sur-tout lorsque l’animal est agité ; des alimens & une boisson de mauvaise qualité : voilà les principes de cette maladie.

Curation. Vous apercevez-vous que la transpiration insensible du bœuf & du cheval est diminuée ou interceptée, placez-le dans une écurie sèche, propre, & d’une chaleur tempérée, bouchonnez-le, & enveloppez d’une couverture de laine, présentez-lui seulement de l’eau blanche tiède pour boire, & administrez-lui un ou deux lavemens faits d’une infusion de quelques plantes aromatiques ; si, cinq ou six heures après l’usage de ces remèdes, les tégumens ne paroissent pas devenir moites, bouchonnez l’animal de nouveau, couvrez-le plus exactement, & donnez-lui un breuvage d’une forte infusion de quelques plantes aromatiques, édulcorée avec du miel.

Mais la bouche de l’animal paroît-elle enflammée ? les vaisseaux sanguins extérieurs de la tête & de la superficie du corps sont-ils gonflés ? les urines sont-elles colorées & d’une odeur forte ? supprimez ce breuvage ; substituez au contraire l’eau blanche tiède, ainsi que des îavemens mucilagineux, & laissez l’animal toujours couvert, jusqu’à ce qu’il soit guéri, ou qu’une autre maladie se déclare. Dans ce dernier cas, ne persistez pas à imiter les maréchaux de la campagne, qui impatiens de voir la sueur, s’empressent de donner les breuvages les plus échauffans & les plus incendiaires, tels que trois onces de thériaque ou autant d’orviétan délayé dans deux chopines de vin, &c. ; ensuite ils font trotter & souvent galoper l’animal pendant une demi-heure, ou ils le mettent dans une fosse pour le couvrir de fumier, ou bien ils l’enveloppent de plusieurs couvertures de laine, en passant entre les couvertures une bassinoire remplie ce braise ; qu’arrive-t-il de cette mauvaise pratique ? l’expérience nous le démontre tous les jours ; la transpiration ne se rétablit pas, la fièvre la plus forte se développe, & l’animal meurt promptement d’un autre genre de maladie.

Les moutons dont la transpiration a été suspendue, doivent être rassemblés dans une étable d’une chaleur tempérée ; on les y fera presser les uns contre les autres pendant l’espace de quatre ou cinq heures ; si la transpiration ne se rétablit pas, on leur donne à chacun deux gros de poudre de vipère, après l’avoir mêlée dans un verre de décoction de baie de génièvre, ou de vin ; le lendemain on leur fera manger un peu de foin saupoudré de sel marin, & on ne leur présentera à boire sur le soir que de l’eau blanche tiède, & aiguisée du même sel. M. T.

Transpiration Des Plantes. C’est la seule sécrétion par laquelle les végétaux rejettent au dehors les matières impures ou grossières, charriés par le torrent de la sève dans leurs différens canaux. (Consultez cet article) Cette transpiration est dix-sept fois plus forte dans les plantes que dans l’homme, que dans l’animal, parce que l’un et l’autre ont d’autres sécrétions qui les débarrassent des substances étrangères à leur nourriture, & qu’ils n’ont pu s’approprier par la digestion. La force & la quantité de matières transpirantes qui est à pousser au dehors, est toujours en raison de la plus ou moins grande surface des branches & de leurs rameaux ; mais sur-tout en raison de celle des feuilles. Il entre & il sort en vingt-quatre heures dix-sept fois plus de nourriture, en proportion des masses, dans les vaisseaux séveux, par exemple d’un tournesol ou soleil, (consultez ce mot) que dans les veines de l’homme. « Ne pourroit-on pas, dit le célèbre Halles dans sa Statique des végétaux, attribuer la nécessité de cette grande quantité de nourriture à sa qualité ? Car, selon toutes les apparences, quand elle est tirée par la racine de la plante, elle n’est pas si chargée de parties nutritives que le chyle, lorsqu’il entre dans les veines lactées des animaux. Il falloit donc, pour nourrir suffisamment la plante, faire passer une plus grande quantité de fluide ; outre que cette abondance de fluide sert à accélérer le mouvement de la sève, sans quoi il eût été très-lent, les plantes n’ayant pas un cœur, comme les animaux, pour en augmenter la vitesse, & la sève n’ayant probablement qu’un mouvement progressif, & ne circulant pas comme le sang dans les animaux.

» Puisque les plantes ou les arbres ont besoin, pour bien se porter, d’une transpiration si abondante, il est probable que plusieurs de leurs maladies viennent de ce que cette transpiration est quelquefois interrompue par l’intempérie de l’air… La transpiration dans l’homme est souvent arrêtée, jusqu’à causer des accidens fâcheux, non-seulement par l’intempérie de l’air, mais aussi par l’intempérance, les grandes chaleurs & les grands froids ; mais pour la transpiration de la plante, il n’y a que l’intempérie de l’air qui puisse l’arrêter, à moins que le sol dans lequel la plante végète, manque de sucs propres & convenables à cette plante, & ne lui fournît pas assez de nourriture ; dès-lors la transpiration diminue.

» Le docteur Keill avoit observé sur lui-même, que l’intervalle entre la plus grande & la moindre transpiration d’un homme en bonne santé, étoit très-grand, puisque sa transpiration alloit depuis une livre & demie jusqu’à trois. J’ai aussi fait la même expérience, continue M. Halles, sur un tournesol, & j’ai trouvé que lorsqu’il se portoit bien, sa transpiration alloit de seize onces jusqu’à vingt-huit en douze heures de jour. Plus il étoit arrosé, plus il transpiroit abondamment, (toutes choses d’ailleurs égales) & plus il manquoit d’eau, & moins il transpiroit. »

C’est à la suppression subite de cette transpiration, qu’est due la dessiccation presque momentannée des végétaux, occasionnée par la chaleur excessive des rayons du soleil, lorsque pendant l’été ils se trouvent, pour me servir de l’expression vulgaire, entre deux nuages ; mais il faut observer que ce phénomène singulier n’a lieu que lorsque la terre est sèche, & ne peut par conséquent fournir à la plante une humidité capable de résister à la force du coup de soleil. Il doit en être à-peu-près ainsi, quoique par une circonstance différente, lorsque les gelées du printemps détruisent en quelques heures les feuilles & les bourgeons encore tendres, les dessèchent & les réduisent en poussière, ces gelées ne produiroient aucun effet funeste, si Le soleil ne paroissoit pas avant la fonte de la glace & la disparation du froid.

Quoique la transpiration générale s’exécute par le même mécanisme & suive la même loi, cependant les racines, le tronc, les branches, les feuilles, les fleurs & les fruits, ont des modes particuliers de transpiration, & qui leur sont propres. En effet, ces odeurs si douces, si suaves des fleurs, qui flattent si agréablement nos sens, sont dues à la transpiration ; mais cette sécrétion, par exemple, de la fleur de l’orange, n’offre pas la même odeur dans celle de sa feuille ou de son fruit ; combien de plantes, dont le parfum de la fleur enchante, tandis que la transpiration de la racine donne une odeur cadavéreuse. L’arbuste de la cassie, si recherché dans nos provinces du midi, prouve ce que j’avance ; il seroit facile de multiplier de semblables exemples. Toutes les plantes dormeuses pendant le jour, (la belle-de-nuit, les jalaps, &c.) transpirent peu pendant le jour, tandis que la forte transpiration des autres s’exécute pendant le jour. L’époque de la plus grande sécrétion des fleurs est, en général, au lever & au coucher du soleil.

Chaque genre de végétal a, comme chacune de ses parties, sa loi particulière ce sécrétion ; elle est très-abondante dans celui dont l’accroissement est prompt & rapide ; dans celui qui est chargé d’un très-grand nombre de feuilles, ou dont leur volume supplée à la multiplicité ; les plantes & arbustes toujours verts, transpirent infiniment moins que les autres. Toutes plantes mises dans la serre ont peu de sécrétions ; les sécrétions sont diminuées ou suspendues par les grandes pluies, par les matinées fraîches, & même pendant quelques jours, s’il est tombé de la grêle dans le voisinage. L’œil attentif du cultivateur distingue sans peine par l’inspection des feuilles, si la marche de la nature est simplement suspendue ou dérangée.

On peut donc avancer avec certitude que la transpiration est pour les végétaux d’une bien plus grande importance que pour les animaux, puisqu’ils n’ont que cette seule & unique voie pour chasser au dehors le superflu de tous les matériaux d’une sève crue ou indigeste.