Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 2/Texte entier


Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 2p. ---584).
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LE
MAHA-BHARATA
POÈME ÉPIQUE
DE KRISHNA-DWAÎPAYANA
PLUS COMMUNÉMENT APPELÉ
VÉDA-VYASA
c’est-à-dire le compilateur et l’ordonnateur des védas
Traduit complètement pour la première fois du sanscrit en français
par
HIPPOLYTE FAUCHE
Traducteur du Râmâyana, des Œuvres complètes de Kâlidâsa, etc.
Abréviateur du Râmâyana.

DEUXIÈME VOLUME.


1864

UN MOT

AVANT D’ENTRER EN MATIÈRE.





Ce nouveau tome du Mahâ-Bhârata, que nous avons l’honneur d’offrir en ce moment au public ami des études sanscrites, fut traduit, écrit, typographié, corrigé en épreuves, imprimé et broché dans l’espace de sept mois.

Les personnes, qui s’aviseraient de consulter les dates de nos avant-propos, diront peut-être que notre supputation n’est point absolument juste, car, de novembre à juillet, il s’est écoulé huit mois.

C’est la vérité !

Mais, d’abord, nous avons dû suspendre un peu nos travaux sur le Mahâ-Bhârata pour nous occuper d’un ouvrage, qui paraît dans le monde lettré en même temps que le présent volume : c’est le Râmâyana réduit, la quintessence des neuf tomes in-18, condensée en deux simples volumes, édition des dames, des gens du monde et des jeunes collégiens ; idée heureuse de M. Michelet, complètement approuvée de M. Barthélémy Saint-Hilaire.

Voici quelle importante solution nous demandait cet intéressant problème.

Soumettre Vâlmîki à la recension, que les diaskévastes ont fait respectueusement subir au divin Homère ; convertir une autre espèce d’Iliade au temps de Pisistrate en une sorte d’Iliade aux jours de l’école d’Alexandrie ; expulser du poème, sans lui enlever rien d’essentiel, une foule d’intrusions parasites ; faire d’une lecture à la marche entravée, fatigante, alanguie, une lecture attachante, dégagée, remplie d’intérêt ; montrer un dessin net, régulier, correct dans un plan, que, de siècle en siècle et de contrée en contrée, avaient défiguré les successives interpolations et les superfétations quelquefois rebutantes des calligraphes et des rapsodes.

Nous l’avons tenté : avons-nous réussi ? C’est à vous de lire comme c’est à vous de prononcer.

Dirons-nous ensuite que nous, homme, de qui les vains désirs ont si peu tourmenté la vie, nous avons pensé à solliciter le fauteuil, que la mort de M. Ampère laissait vacant au sein de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ! Il nous a donc fallu nous résigner encore à jeter au vent de stériles visites quelques fécondes parties de ce temps si précieux. Mais heureusement nous avons appris à la dixième, et nous en remercions l’obligeant académicien, que notre élection, absolument impossible pour le moment, était des plus incertaines pour l’avenir et qu’Orientaliste nous aurions à compter sans doute huit ou même dix années de candidature. On nous citait un exemple. Dix ans ? Il est probable que nous ne les avons pas dans ce qui nous reste à vivre !

Si l’on excepte l’épisode du Djatougriha, on n’avait rien traduit jusqu’à ce jour des chapitres, dont notre volume se compose : cet état inexploré de son domaine en fait donc un livre absolument original, au moins pour les cinq sixièmes de son étendue.

On connaît universellement les masses du Mahâ-Bhârata ; mais les détails sont en général peu connus. On n’a guère fait qu’effleurer les surfaces de ce vaste poème ; j’en donne pour exemple cette opinion de Langlois, qui eut et qui a même encore plus d’un écho : « Suivant les poètes, Draâupadî fut l’épouse des cinq Pândouides ; suivant une opinion plus raisonnable, elle n’était l’épouse que d’Youddhishthira. Sans doute, à cause de l’amitié, qui unissait les cinq frères, elle a été regardée comme attachée à tous par les mêmes liens[1]. »

Eh bien ! S’il est un fait au monde, où le doute soit impossible, c’est la condition de cette Krishnâ dans la maison des Pândouides. Elle y était, dans le sens le plus littéral du mot, l’épouse commune des cinq frères, et si bien la femme de tous qu’elle avait donné à chacun d’eux un fils nommé dans ce volume :

« Elle eut Prativindya d’Youddhishthira… ; elle donna Soutasoma pour fils à Bhîmaséna… Arjouna eut d’elle un fils : c’est le héros, qu’on appelle Çroutakarman. Nakoula dans elle engendra un fils, nommé Çatânika. Enfin, sous un astérisme consacré au Dieu du feu, elle donna le jour au fils, qu’elle avait conçu de Sahadéva et qui fut nommé Çroutaséna[2]. »

Tous, en commençant par Youddhishthira et descendant de l’un à l’autre, suivant les âges, jusqu’à Sahadéva, le plus jeune, épousent individuellement Draâupadî. La célébration des cinq mariages se trouve exactement décrite dans notre volume : les opinions pour et contre y sont débattues. Enfin, la légitimité de cette union, qui répugne si justement à nos idées et que repoussent avec dégoût nos mœurs plus pures, est fondée sur une vieille coutume, que rappelle un saint anachorète, Vyâsa lui-même, l’auteur supposé du Mahâ-Bhârata :

« Le péché est vertu ! s’écrie le père de la jeune fille. Je ne puis admettre cette énormité : « Que Krishnâ soit l’épouse de cinq maris ! » — « Non ! ce n’est pas péché ! répond Youddhishthira. Un Pouréna dit qu’une femme anachorète, nommée Gaâutamî, épousa sept rishis. De même une Dryade, fille d’un solitaire, s’unit avec dix frères, appelés d’un nom commun les Prâtchétasas. » Alors Dwaîpâyana de raconter comment l’état d’une femme, unique épouse de plusieurs maris, était une condition légale[3]. »

Outre son effroyable développement, une traduction du Mahâ-Bhârata offre en elle-même d’immenses difficultés.

D’abord cette édition de Calcutta est quelquefois typographiquement incorrecte et défectueuse.

Ensuite, il s’est glissé dans le poème de nombreuses intrusions, qui gênent, dérangent, interrompent souvent l’ordre et la suite des idées.

Puis, en l’absence d’une particule interrogative, une phrase doit-elle être entendue au sens interrogatif ? Lorsqu’on écoute une personne, qui lit une page, le doute est impossible, l’inflexion de la voix modifie le passage ; mais, dans une chose lue, on voit seulement, on n’entend pas ; et l’Inde ne connaissait pas ce petit signe bien utile qu’on appelle l’apostrophe et qui est l’intonation visible mise elle-même sur la phrase.

Enfin le sens peut aussi dépendre non rarement d’une légende ignorée dans l’état actuel de nos connaissances. Ainsi je n’ai aucun souvenir, je l’avoue, que j’aie rencontré nulle part celle de ce bélier ou de cet Adja, qui avale un trait, envoyé pour lui couper la tête. Est-ce un bélier ? Est-ce un être merveilleux ? Un avatare ou une simple métamorphose ? Ekas, en français, unique est-il une épithète ? Est-il un nom propre ? Namnâ, en latin, nomine, n’est pas, il est vrai, dans le texte, mais on peut aussi le sous-entendre. S’agirait-il même ici de Vishnou, qui est appelé Adja, non natus, parce qu’il n’est pas né, mais émané, parce qu’il est la cause personnifiée de la conservation universelle ou du monde, et, dans la trinité indienne, la seconde puissance révélatrice de l’être irrévélé ?

Je ne puis répondre à ces questions. Peut-être, dans la suite du poème, trouverai-je une allusion plus déterminante ou même cette légende racontée dans toute son étendue ; mais, pour le moment je ne puis que constater ici mon incertitude et la recommander à l’indulgence de mes lecteurs.

Voici deux volumes déjà terminés ; celui-ci doit trancher la question ; il est devenu maintenant, ce nous semble, évident pour tout le monde que nous mettrons à fin, s’il plaît à Dieu, cette longue entreprise dans l’espace de temps, que nous lui avons fixé. Ma santé ne s’est point affaiblie, j’ai même acquis de nouvelles forces, ma résolution est toujours, comme disait Napoléon, carrée sur sa base.

Ce n’est point assurer cependant que dans le cours d’un volume je ne ressente pas trois ou quatre fois un instant de fatigue, une sorte de dégoût et comme un regret de mon entreprise ; mais ce sont là de légers nuages, que le souffle du vent a bientôt chassés de mon ciel toujours serein.

Une fois, par exemple, c’était un dimanche !… Ces jours-là, je ne sors pas de chez moi. Le magnifique parc du collège est rempli de pères et de mères d’élèves, qui viennent y passer avec leurs enfants une partie de ce jour donné au repos. D’un autre côté, le petit bois, à un demi-kilomètre de Juilly, reçoit la visite de quelques promeneurs, soit isolés, soit en famille, et comme mes solitaires promenades sont toujours occupées de travail, je n’aime pas à présenter l’aspect d’un rêveur, qui semble chercher, aux yeux des personnes renfermées dans le fonds commun de la vie, à toucher la lune au bout de sa main.

Je venais de corriger une épreuve : « Eh bien ! me dis-je ; aujourd’hui, c’est congé aussi pour moi ! Je lirai donc pour finir ma journée. » Je monte à ma bibliothèque et je prends un livre : c’était le Voyage sentimental, de Sterne. Je l’ouvre et, de page en page, j’arrive à la dernière. Là, je me demande le nom du traducteur ; je pense l’avoir oublié et je le cherche au frontispice. Il ne s’y trouve pas ! Je le cherche au bas de l’avertissement, je le cherche au-dessus et au-dessous de la notice sur l’auteur du Voyage sentimental : il n’y est pas davantage !

« Quoi ! me dis-je ; voilà donc la récompense des traducteurs ? L’oubli ! En littérature, est-ce que les originaux sont tout ? les copies ne sont-elles rien ! C’est donc cela qu’on réserve à nos études, à nos travaux, à cette persistance, qui n’est pas des plus communes ? Le silence ! On ne se demandera pas quel était le nom de ce ruisseau, qui a réfléchi dans ses ondes l’image de Vyâsa ? On ne se dira point un jour : « Comment s’appelait-il, ce peintre, qui a copié cette grande toile, où se développent toutes les scènes variées du long poème de Krishna-Dwaîpâyana ? »

» Il semblera tout simple et presque naturel que cette épopée aux mille branches ait poussé d’elle-même en français comme une graine de l’Inde, tombée par aventure dans la terre et sous le soleil de France ! »

Il nous prit alors un immense dégoût de nous-même, un cuisant regret de nous être engagé dans ce pénible travail, que nous regardions alors avec dédain et que nous appelions ingrat ! Je me couchai de dépit avant l’heure, où l’on allume sa bougie. Je posai ma tête sur l’oreiller, et je voulus continuer à promener mon esprit dans ces tristes pensées.

Mais aussitôt mon sommeil d’enfant vint clore ma paupière, éteindre mes idées, me verser, comme à l’ordinaire, les douceurs d’une nuit paisible, et le lendemain à mon réveil j’avais retrouvé ma force, ma vaillance, mon sourire au travail, et je couchais sur le papier la traduction de quarante vers avant l’heure de mon déjeuner.

Ainsi, mon obligeant souscripteur, n’ayez aucune crainte ! Ne vous défiez pas de votre guide ! Je sais le chemin, j’ai le pied assez bon, je ne vous abandonnerai pas, soyez-en persuadé, au milieu de ce long voyage. Adieu ! Je retourne immédiatement à mon troisième volume, je vous serre la main et je vous dis :

« À revoir ! à six mois ! »

Hippolyte Fauche.

Juilly, 1er Juillet 1864.



PETIT INDEX


DES NOMS ET SURNOMS DES PERSONNAGES, QUI OCCUPENT LA SCÈNE DU PRÉSENT VOLUME.



A
Adja, non natus, un nom de Vishnou et par conséquent de Krishna, son plus célèbre avatare.
Adjamîtha, l’ami d’Adja, un des surnoms d’Youddhishthira.
Adjâtaçatrou, celui, qui ne se fit jamais d’ennemis, un des noms du même prince.
Atchyouta,, l’impérissable, nom de Krishna comme identique à Vishnou.
Ç
Çaâurî, nom de Krishna et de Vishnou, dont le premier était l’incarnation.
Çoukra, un surnom du feu personnifié.
D
Dâmaudara, venter fune ligatus, nom de Krishna, par allusion à une légende.
G
Gopati, le seigneur ou le maitre de la terre, un des surnoms de Çiva.
Govinda, celui, par qui le ciel est obtenu, une des appellations les plus ordinaires, dit Wilson, de Krishna ou de Vishnou.
H
Haladhara, le guerrier, qui porte un soc de charrue,

 Et

Halâyoudha, celui qui a fait son arme d’un soc de charrue, nom de Balarâma, le frère aîné de Krishna.
I
Iça
Içaara
Racine : îç, dominari imperare. Deux noms de Çiva.
J
Djwalana, flagrans flammans, un nom du Feu personnifié ou d’Agni.
Djanârdana, hominum vexator, nom de Krishna comme identique à Vishnou.
L
Lângali, qui tient une charrue, le même nom que Haladhara, surnom de Balarâma ou Râma-Lângalî.
M
Mahadéva
Mahéçvaraj
noms de Çiva, le Grand-Dieu ou le grand souverain.
N
Nârâyana, l’esprit, qui marche sur tes eaux, comme dit l’Écriture Sainte, un nom de Vishnou et par conséquent de Krishna, mais considéré spécialement comme la divinité, qui préexistait avant tous les mondes.
P
Pâkaçâsana, nom d’Indra, duquel nous avons fait le patronymique
Pâkaçâsanide, donné à Arjouna, fils du Dieu Indra, attribué à Pândou.
Pourouhoûta,cui multùm sacrificatur, un surnom d’Indra.
R
Roudra, nom de Çiva, considéré sous l’aspect terrible de Dieu, qui détruit tout avant de tout reproduire.
S
Saâubhadra, nom patronymique d’Abhimanyou, fils d’Arjouna et de Soubhadrâ, sœur de Krishna.
Sankarshana,, le guerrier, qui laboure les armées ennemies, nom de Balarâma ou Baladéva par allusion à son arme, le soc de charrue.
Sthânou,immolus, immobilis, un nom de Çiva.
T
Tridaças,ut mihi videtur, dit Bopp, à trayodaçan, tredecim, quod pro tridaçan, Dii, exceptis Bhrahmâ, Yischnu et Sivo.
Tryambaka,Irinoculus, le Dieu aux trois yeux, un des noms les plus ordinaires de Çiva.
V
Vâsava,le fils de Vasou, un surnom d’Indra.
Vibhâvasou,la substance de la lumière, un des noms du Soleil.
Vipâçman, surnom de Kalmâshapâda.
Vivasvat,,l’astre, revêtu de lumière, nom du Soleil.
Y
Yajnaséna,celui, qui marche à la tête d’une armée de sacrifices, un nom du roi Droupada.
Yajnasénî,, nom dérivé, que portait sa fille Draâupadî, l’épouse des cinq fils de Pândou.



LE MAHA-BHARATA

POÈME SANSCRIT




LE DJATOUGRIHA.



Vaîçampâyana dit :

« Le fils de Soubala, le roi Douryodhana, Douççâsana et Kama se mirent à concerter un dessein criminel. 5635.

Ayant arraché à Dhrilarâshtra, l’auguste rejeton de Rourou, son consentement à l’exil des Pândouides, ils conçurent la pensée de brûler Kountî avec ses fils. 5636.

Vidoura, qui possédait la vue de la vérité et devinait leurs sentiments à leurs gestes, entrevit à l’air de ces âmes méchantes quel était leur dessein. 5637.

Vidoura, connaissant l’essence elle-même de ce qui peut être connu, l’irréprochable Vidoura, qui trouvait son plaisir dans le bien des Pândouides, appliqua sa pensée à sauver Kountî avec les fils de Pândou. 5638.

Ensuite, quand il eut fait construire une barque solide, pavoisée, munie de ses rames et de son gouvernail, en état de supporter le vent et capable de résister aux vagues, il tint ce langage à Kountî : 5639.

« Ce Dhritarâshtra, l’âme circonvenue, est devenu le destructeur de la race et de la gloire de cette famille ; il abandonne la justice éternelle. 5640.

» Voici un navire convenable pour suivre la route des eaux, capable de résister à la fureur des vagues et du vent : avec lui, noble dame, tu échapperas, toi et tes fils, au lasso de la mort ! » 5641.

Ces paroles entendues, l’illustre Kountî monta désolée dans le navire avec ses fils et s’avança, puissant Bharatide, sur les eaux du Gange. 5642.

Les Pândouides abandonnent le bâtiment à la parole de Vidoura ; et, chargés des richesses, que leur a données la victoire, invulnérable monarque, ils entrent dans une forêt. 5643.

Une femme Nishâdî, accompagnée de cinq fils, vint les trouver dans leur maison de laque pour une certaine affaire ; elle y fut brûlée avec ses fils par l’irréprochable Youddhishthira. 5644.

Le méchant Pourotchana, le plus vil des barbares, y périt consumé. Les Dhristarâshtrides aux âmes scélérates et leurs suivants échouèrent ainsi dans leurs desseins.

Les magnanimes fils de Kountî et leur mère échappèrent donc au danger sans blessures à l’insu du monde, grâce aux conseils de Vidoura. 5645-5646.

Ensuite, les habitants de la ville, affligés en voyant la maison de laque devenue la proie des flammes dans la cité de Vâranâvata, s’abandonnèrent aux regrets. 5647.

Ils envoyèrent annoncer au monarque circonstanciellement la chose : « Il t’est survenu un grand bonheur : tu as brûlé les fils de Pândou. 5648.

» Sois au comble de tes vœux, rejeton de Kourou ; jouis du royaume avec tes fils ! » À cette nouvelle, Dhritarâshtra de se livrer avec ses fils à des regrets simulés. 5649.

Lui, et sa famille, et Kshattri, et Bhishma, le plus vertueux des enfants de Kourou, s’empressent de célébrer les cérémonies funèbres en l’honneur des Pândouides. »

Djanamédjaya dit :

« J’ai le désir d’entendre une seconde fois, mais avec étendue, ô le meilleur des brahmes, l’incendie de la maison de laque et la délivrance des Pândouides. 5650-5651.

« Raconte-moi avec détail, — ma curiosité est extrême ! — l’acte bien destructeur, imaginé pour leur perte d’une âme cruelle. » 5652.

« Écoute donc avec détail de ma bouche, roi, fléau des ennemis, l’incendie de la maison de laque et cette délivrance des Pândouides. 5653.

Douryodhana sentit le feu de l’envie consumer son esprit méchant, lorsqu’il vit Bhîmaséna doué d’une force supérieure et Dhanandjaya possédant une science complète. Alors Karna, surnommé Valkarttana, et Çaikouni, le fils de Soubala, mirent en jeu plus d’un moyen pour tuer les Pândouides. 5654-5655.

Mais ceux-ci, fermes dans les opinions de Vidoura, sans commettre aucune négligence, contre-barraient tout de la manière que les choses arrivaient. 5656.

Voyant les fils de Pândou s’élever de plus en plus vers le sommet des qualités, les citadins se mirent à s’entretenir d’elles, auguste Bharatide, au milieu de leurs assemblées. 5657.

Réunis dans les cours et dans les salles : « Le fils ainé de Pândou est arrivé, disaient-ils, à l’âge de monter sur le trône. 5653.

» Dhritarâshtra, qui est notre souverain aujourd’hui, n’est pas d’abord parvenu à l’empire, tout doué qu’il fût des yeux de la science, parce qu’il était aveugle de naissance ; comment pourrait-il occuper le trône maintenant que nous avons un prince en âge de tenir le sceptre ?

» Bhîshma, le fils de Çântanou, a jadis refusé la couronne : homme aux grands vœux, enchaîné aux lois de la vérité, il ne consentira jamais à la recevoir ! 5659-5660.

» Eh bien ! sacrons aujourd’hui même l’aîné des Pândouides : c’est un jeune homme, bien doué pour la guerre ; il sait compatir aux peines ; il connaît la vérité ! 5661.

» Ce prince vertueux saura vénérer Bhîshma, le rejeton de Çântanou, Dhritarâshtra avec ses fils, et les combler de biens divers. » 5662.

À peine Douryodhana eut-il entendu ces paroles, que l’amour d’Youddhishthira inspirait aux habitants de la ville, son âme dépravée en ressentit aussitôt une brûlante jalousie. 5663.

Rongé de chagrin, son esprit méchant ne put supporter ce langage des citadins, et, consumé d’envie, il courut chez Dhritarâshtra. 5664.

Il vit son père délaissé, lui rendit ses hommages, et, furieux de voir l’inclination du peuple se tourner vers les Pândouides, lui parla en ces termes : 5665.

» J’ai recueilli, mon père, des paroles fâcheuses dans les entretiens des habitants de cette ville : sans aucun égard, ni pour Bhîshma, ni pour toi-même, ils veulent pour maître un fils de Pândou. 5666.

» L’opinion de Bhîshma est connue ; il ne désire pas ceindre la couronne : c’est donc nous-mêmes, que les gens de la ville prétendent abattre sans retour. 5667.

» Pândou autrefois dut le trône à ses avantages personnels : le droit d’aînesse te l’aurait adjugé ; mais tu l’as perdu à cause de la cécité, dont tu portais la triste infirmité. 5668.

» Si le Pândouide obtient ce royaume comme un héritage de Pândou, son fils le recueillera infailliblement après lui ; ensuite, un fils de celui-ci ; puis, un autre de ce dernier, et ainsi de suite. 5669.

» Quant à nous, souverain du monde, exclus avec nos fils de l’hérédité au trône, nous serons en butte au mépris des hommes. 5670.

» Suis une marche telle, sire, que nos mânes, précipités à jamais dans les enfers, n’attendent pas des autres l’offrande du gâteau funèbre. 5671.

» Si l’on peut dire un jour que tu as obtenu et conservé le trône, il est certain que nous l’occuperons également, sire, nous-mêmes, quoi que fasse le peuple. » 5672.

Après qu’il eut ouï son fils parler ainsi, l’âme du monarque aveugle, éclairé par la science, qui avait déjà écouté entièrement les discours de son ministre Kanika, fut partagée en deux sentiments et donnée en proie au chagrin. 5673.

Douryodhana, Kama, Douççâsana et Çakouni, le fils de Soubala, délibérèrent tous les quatre en commun.

À la suite du conseil, le roi Douryodhana de parler en ces termes à Dhritarâshtra : « Pour nous mettre à couvert des Pândouides, que ta majesté les envoie habiter la ville de Vâranâvata. » 5674-6676.

Celui-ci, dès qu’il eut ouï ces mots, lancés par son fils, réfléchit un instant et tint ce langage à Douryodhana : 5676.

« Pândou fut toujours invariable dans le devoir : le devoir était sa principale rêgle envers tous ses parents et moi en particulier. 5677.

» Il ne sentit pas la moindre envie de poursuivre les jouissances des sens et, ferme dans ses vœux, il proclamait toujours que la couronne était mon droit. 5678.

» Son fils est, comme était Pândou, adonné à la vertu ; il est rempli de bonnes qualités, célèbre dans le monde, estimé des citadins. 5679.

» Comment pourrions-nous le chasser d’ici par la force ? Comment lui ôter le royaume de son père et desesayeux, surtout quand il est soutenu par ce peuple ? 5680.

» En effet Pândou a nourri les ministres, il a nourri continuellement l’armée, il a nourri surtout leurs fils et petit-fils. 5681.

» Les habitants de cette ville ont éprouvé jadis les bons traitements de Pândou ; comment pourraient-ils ne pas nous sacrifier, nous et nos familles, à Youddhisthira ? »

« Tous les sujets, reprit Douryodhana, honorés pour l’opulence et la dignité, aussitôt vu qu’il est contraire à leur intérêt de penser comme tu dis, mon père, se hâteront de faire alliance avec nous, à commencer par les chefs. La classe riche avec les ministres a déjà embrassé mon parti, souverain de la terre. 5682-5683-5684.

» Que ta majesté veuille donc bien, à l’aide même d’un moyen doux, envoyer au plus vite les Pândouides en exil dans la ville de Vâranâvata. 5685.

» Une fois que la couronne sera bien assurée, auguste Bharatide, sur ma tête, Kountî reviendra avec ses fils. »

Dhritarâshtra lui répondit :

« Cette pensée roule aussi dans mon esprit, Douryodhana ; mais je la repousse à cause de la cruauté du moyen. 5686-5687.

» Ni Bhîshma, ni Drona, ni Kshattri, ni le Gautamide n’auront jamais le désir que les fils de Kountî vivent dans l’exil. 5688.

» Eux et nous en effet nous sommes égaux parmi les enfants de Kourou : il est impossible que ces hommes sages et liés au devoir désirent qu’il y ait entre ses rejetons une inégalité. 5689.

» Cette conduite coupable ne nous rendrait-elle pas, mon fils, dignes de mort aux yeux des Kourouides, de ces magnanimes et du monde ? » 5690.

» Bhîshma garde toujours la neutralité, reprit Douryodhana ; le fils de Drona est de mon côté, et Drona, on n’en saurait douter, se rangera du parti où il verra son fils.

» Kripa le Çaradvatide soutiendra la cause, pour laquelle combattront ces derniers : il n’abandonnera jamais Drona et le fils de sa sœur. 5692-5691.

» L’intérêt attache à nous Vidoura ; il tient également aux autres ; mais seul il ne peut déranger nos plans au sujet des Pândouides. 5693.

» Envoie donc en toute assurance les fils de Pândou et leur mère habiter loin d’ici : agis de telle sorte qu’ils s’en aillent aujourd’hui même à Vâranâvata. 5694.

» Que cet acte de vigueur éteigne le feu du chagrin, qui s’est allumé en moi : il ressemble à un horrible dard, lancé dans mon cœur pour la destruction de mon sommeil. 5695.

À la suite de cette conférence, Douryodhana et ses frères puinés de séduire tous les sujets en leur distribuant des biens et des honneurs. 5696.

Ensuite cçrtains brahraes, conseillers habiles, souillés par Dhritarâshtra, se mirent à répéter que Vâranâvata était une ville délicieuse. 5697.

« Voici le temps, où se tient, en l’honneur de Paçoupati, une grande bien assemblée, la plus charmante, qu’on voie sur la terre, dans la ville de Vâranâvata ; 5698.

» Cette région pleine de toutes les pierreries et qui enchante les hommes ! » Telles étaient ces paroles, qu’ils redisaient la voix de Dhritarâshtra. 5699.

Comme ils entendaient vanter l&s agréments de cette ville, la pensée de faire un voyage à Vâranâvata naquit alors, sire, aux fils de Pândou. 5700.

Aussitôt que le fils d’Ambikâ put se dire : « La curiosité leur est venue ! » le monarque de parler en ces termes à ces enfants de Pândou : 5701.

« J’entends ces hommes me répéter sans cesse à chaque instant du jour : « La cité de Vâranâvata est ce qu’il y a de plus charmant au monde, » 5702.

» Si vous désirez, mes enfants, voir la fête à Vâranâvata, allez-y avec votre suite, avec vos familles, et divertissez-vous là comme des Dieux ! 5703.

» Distribuez tout à fait selon votre bon plaisir, comme des Immortels, éclatants de splendeur, des pierreries aux brahmes et aux chanteurs. 5704.

» Alors que vous vous serez divertis là un peu de temps et que vous y aurez goûté une joie suprême, vous reviendrez satisfaits dans cette ville d’Hastinapoura. » 5705.

Youddhishthira, qui avait découvert, continua le narrarateur, quel était le désir de Dhritarâshtra et qui se savait lui-même abandonné de ses adhérents, lui répondit : « Qu’il en soit ainsi ! » 5706.

Il dit ensuite d’un visage contristé lentement ces paroles à Bhishma, fils de Çântanou, à Vidoura, le sage à la grande intelligence, à Drona, à Vâlhika lui-même, à Somadatta, rejeton de Kourou, à Kripa, au fils d’Atchârya, à Bhoûriçravasa, aux brahmanes riches de pénitences, aux prêtres de famille, aux habitants de la cité et à l’illustre Gandhârî : 5707-5708-5709.

« Nous irons avec notre suite, comme Dhritarâshtra nous l’ordonne, à la charmante et populeuse ville de Vâranâvata. 5710.

» Versez tous d’une âme sereine vos paroles saintes sur nous : le crime ne pourra nous vaincre, comblés de vos bénédictions. » 5711.

À ces mots du fils de Pândou, tous les Kourouides, ayant purifié leurs bouches, accomplirent ce que demandaient les rejetons de Pândou : 5712.

« Que le bonheur vienne complètement à vous de tous les êtres dans ce voyage ; qu’il ne s’y présente à vous rien de malheureux nulle part, fils de Pândou ! » 5713.

Aussitôt les oraisons faites pour obtenir un bon voyage, les jeunes seigneurs, ayant terminé toutes leurs affaires, prirent le chemin de Vâranâvata. 5714.

Après que le monarque eut parlé de cette manière, fils de Bharata, aux rejetons de Pândou, le cruel Douryodhana ressentit la joie la plus vive. 5715.

Il prit la main droite de Pourotchana, le conduisit à part, noble Bharatide, et lui tint ce langage : 5716.

« Cette terre pleine de richesses est à moi, Pourotchana ; elle est à toi, comme elle est à moi : veuille donc l’assurer dans nos mains. 5717.

» Il n’est personne, en qui j’aie mis plus de confiance qu’en toi ; je n’ai pas un autre compagnon, avec qui je puisse délibérer comme avec toi sur des intérêts communs. 5718.

» Garde cette délibération dans le secret, arrache la racine de mes ennemis, exécute d’une adroite manière ce que je vais te dire. 5719.

» Dhritarâshtra envoie les fils de Pândou à Vâranâvata ; ils vont se divertir à la fête suivant son ordre. 5720.

» Fais en sorte d’arriver aujourd’hui même à Vâranâvata sur un char à la course rapide, attelé d’ânes. 5721.

» Aussitôt venu, fais construire là une maison de grande richesse, bien cachée, à quatre salles, dans le voisinage de la ville. 5722.

» Fais mettre là du chanvre, de la résine et les autres choses, quelles qu’elles soient là, faciles à s’enflammer.

» Détrempe l’argile avec du beurre fondu, de l’huile de sésame, de la graisse mêlée à beaucoup de laque, et fais maçonner les murs avec ce mortier. 5723-5724.

» Jette de tous les côtés dans cette maison toutes les matières dangereuses : le beurre fondu, le chanvre, l’huile de sésame et la laque. 5725.

» Mais de telle sorte que les Pândouides n’en voient rien de leurs yeux les plus attentifs, et que les autres hommes ne puissent dire : « Voilà une chose facile à s’enflammer ! » 5726.

» Comble de tes respects les Pândouides arrivés dans le pays et fais-les habiter avec Kountî et leurs amis dans cette maison ainsi construite. 5727.

» Il faut disposer là pour les fils de Pândou des chars, des lits, des sièges d’une beauté céleste, afin que mon père soit content. 5728.

» Il faut tout préparer, tandis que s’opère la révolution du temps, avec un tel soin qu’on n’en sache rien dans la ville même de Vâranâvata. 5729.

» Puis, une nuit que tu les auras vu s’endormir pleins de confiance, en toute sécurité, mets le feu aux portes de cette maison. 5730.

» Ils ont péri, dira le monde, brûlés dans l’incendie de leur maison ! » et jamais aucun reproche ne tombera sur nous au sujet des fils de Pândou. » 5731.

» Je ferai ainsi ! » promit au rejeton de Kourou le méchant Pourotchana ; et, montant sur un char à la course rapide, attelé d’ânes, il partit. 5732.

Arrivé en toute hâte, sire, Pourotchana, sans dévier des sentiments de Douryodhana, accomplit tout comme l’avait recommandé ce fils du roi. 5733.

Les Pândouides, ayant attelé à leurs chars de bons chevaux, semblables au vent, y montèrent, après qu’ils eurent embrassé avec tristesse les pieds de Bhîshma, Du roi Dhritarâshtra, du magnanime Drona et des autres vieillards, de Kripa et de Vidoura. 5734-5735.

Ces princes aux vœux inébranlables saluent ainsi tous les vieillards nés de Kourou, embrassent leurs égaux et sont eux-mêmes salués par les enfants. 5736.

Ils font leurs adieux à toutes les mères, décrivent un pradakshina en l’honneur de toutes les parties constituantes du gouvernement royal et s’acheminent vers la cité de Vâranâvata. 5737.

Vidoura à la grande science, les autres chefs des Kourouides et les citadins accompagnèrent, accablés de chagrin ces jeunes princes, les plus éminents des hommes. Là, tous les brahmes dans une extrême douleur, disaient alors sans crainte, à la vue des fils de Pândou plongés dans une profonde affliction : 5738-5739.

« Ce monarque issu de Kourou, ce Dhritarâshtra à l’intelligence étroite de toutes les manières, il voit bien les embarras d’une situation ; mais il ne distingue pas le devoir. 5740.

» Ni le Pândouide aîné à l’âme innocente, ni Bhîma le plus fort des hommes forts, ni Dhanandjaya, fils de Kountî, ne trouveront jamais de plaisir à faire le mal.

» Combien moins en trouveraient les deux magnanimes fils de Mâdrî ! Et Dhritarâshtra, lui ! ne souffle pas qu’ils montent sur le trône de leurs pères ! 5741-5742.

» Comment Bhîshma permet-il qu’ils soient exilés dans une ville sauvage et peut-il approuver une si révoltante injustice ? 5743.

» Nous avons eu jadis comme un père dans le roi Vitchitravîrya, fils de Çântanou : il en fut ainsi de Pândou, le saint roi, honneur du sang de Kourou. 5744.

» Depuis que ce tigre de l’espèce humaine s’en est allé au ciel revêtir la nature des Dieux, Dhritarâshtra ne peut supporter ces enfants, les fils de ce roi. 5746.

» Nous, qui n’approuvons pas une telle conduite, abandonnons tous nos maisons ; et, sortant de cette métropole, suivons Youddhishthira aux lieux, où il va. »

Aux citadins, que la douleur faisait parler ainsi, Youddhishthira, le fils de Dharmarâdja, appliquant sa pensée à la réflexion et pénétré de chagrin, tint alors ce langage :

« On doit estimer un père comme le plus grand des gourous, il nous faut donc accomplir sans balancer ce qu’a dit le monarque de la terre : c’est là notre plus saint devoir. 5746-5747-5748.

» Vous, qui êtes nos amis, honorez-nous d’un pradakshina ; et, nous saluant de vos bénédictions, retournez dans vos maisons, comme vous en êtes venus. 5749.

» Quand vos seigneuries nous auront accordé cette chose, vous aurez fait pour nous l’agréable et l’utile. »

Les citadins à ces mots décrivent autour d’eux un pradakshina, et, leur adressant pour adieux des bénédictions, s’en retournent à la ville. 5750-5751.

Une fois les habitants de la cité partis, Vidoura, versé dans tous les devoirs, tint ce langage à l’aîné des Pândouides afin de l’éclairer ; 5752.

Vidoura, l’homme de science, qui savait l’art de cacher un sens dans un non-sens apparent, lui adressa donc ce discours énigmatique ; et tint, savant au savant, lui, qui n’ignorait pas l’art d’embrouiller un sens à l’homme, qui n’ignorait pas l’art de le débrouiller, ces paroles, où le sens était enveloppé d’un voile : 5753.

« L’homme, auquel est connue la science de son ennemi, fondée sur les Traités de politique, agit de telle sorte en ce monde, grâce à cette connaissance, qu’il échappe à l’infortune. 5754.

» Un ennemi ne réussit pas à tuer l’homme, qui sait qu’une flèche sans fer peut trancher de sa pointe aiguë dans tout le circuit du corps, parce qu’il sait mettre en pratique l’art de s’en garantir. 5755.

» Le feu, qui dévore les broussailles, ne peut brûler dans l’incendie d’un grand bois sec, dit un adage, les reptiles, qui habitent dans les trous ! » Qui veille sur soi-même conserve sa vie. 5756.

» L’aveugle ne connaît pas sa route, l’aveugle ne sait pas discerner les points du ciel ; la légèreté n’acquiert pas la sagesse : averti, sache appliquer ton attention. 5757.

» L’homme reçoit un trait sans rouille donné par des gens, qui ne peuvent le manier. Que le porc-épic, retiré dans son repaire, s’y tienne en garde du feu !

» Le voyageur distingue ses routes, il connaît les points du ciel par les constellations. Qui sacrifie de lui-même les cinq de soi-même n’est point ensuite immolé. »

À ces mots de Vidoura, le plus éminent des hommes savants, le fils d’Yama imputé à Pândou, Youddhishthira lui répondit : « Je comprends ! » 5758-5759-5760.

Après qu’il eut averti, accompagné, honoré d’un pradakshina les fils de Pândou, Vidoura leur donna congé et retourna vers la ville. 5761.

Vidoura, et Bhîshma, et les gens de la cité partis, Kountî s’approcha de son fils Adjâtaçatrou, et lui parla en ces termes : 5762.

« Nous ne comprenons pas ces paroles, que Kshattri a dites, comme s’il parlait indirectement au milieu du monde, et qui ont reçu de toi cette réponse : « C’est ainsi ! » 5763.

» S’il est possible pour nous de les connaître, et si la grandeur ne commet pas une faute de les dire, j’ai le désir d’entendre toute cette conversation de lui et de toi. « 5764.

« Vidoura m’a dit, lui répondit Youddhishthira : « Il faut penser à tirer le feu de la maison. Aucune route quelconque, ajouta le sage, ne doit être inconnue. 5765.

» Celui, qui a vaincu ses organes des sens, obtiendra la terre ; » m’a-t-il dit encore, et j’ai répondu à Vidoura : « Je sais tout cela ! » 5766.

Le huitième jour du mois Phâlgouna, reprit Vaîçampâyana, dans l’astérisme de Rohinî, les voyageurs, étant arrivés non loin de Vâranâvata, aperçurent les gens de la ville. 5767.

Ensuite, à la nouvelle de l’arrivée des fils de Pândou, à cette nouvelle, qui les remplit d’une joie suprême, tous les sujets sortirent à la hâte par milliers, sur d’innombrables chars, de la ville de Vâranâvata et marchèrent au-devant d’eux, portant toutes les choses de bon augure indiquées dans les Castras. 5768-5769.

Tous les Vâranâvatains s’approchent, répandent sur les fils de Kountî leurs bénédictions de victoire et se tiennent, faisant un cercle autour d’eux. 5770.

Environné par cette foule, Youddhishthira, le plus distingué des hommes, Dharmarâdja même en personne, brillait tel que le Dieu au bras armé de la foudre, environné des Immortels. 5771.

Salués par les citadins et les saluant eux-mêmes, les Pândouides entrent dans Vâranâvata, remplie de monde et bien décorée. Entrés là, ils s’empressent de visiter, monarque sans péché, les maisons des brahmes, qui se plaisent dans leurs fonctions. 5772-5773.

Ces jeunes princes vont dans les maisons des opulents[4] chefs de la ville ; ils vont dans les maisons des vaîçyas et des çoûdras eux-mêmes. 5774.

À la suite de ces choses, éminent Bharatide, les fils de Pândou, que précédait Pourotchana, se rendirent à la maison, qui leur était destinée, au milieu des hommages des citadins. 5775.

Le traître leur donna des mets, des breuvages, de splendides couches et des sièges royaux. 5776.

Honorés par lui, bien fournis de meubles et de vaisselle du plus haut prix, ils habitèrent là, servis par les habitants de la ville. 5777.

Mais la dixième nuit de leur séjour à Vâranâvata, cet homme leur parla de la maison appelée maison de la Félicité, et qu’on aurait plus justement nommée la maison de la Calamité. 5778.

Sur l’invitation de Pourotchana, les jeunes princes entrèrent dans ce palais avec leur suite comme les Couhyakas dans les grottes du mont Kaîlâça. 5779.

Youddhisthira, la plus forte de toutes les colonnes, qui soutiennent la vertu, dit à Bhîmaséna, quand il eut examiné cette demeure : « C’est fait pour brûler ! » 5780.

» Nous sentons, continua-t-il, une odeur de graisse et de laque mêlées au beurre fondu : évidemment, fléau des ennemis, cette maison est vouée aux flammes. 5781.

« Le moundja, le valvadja, le roseau et pareilles choses, arrosées de beurre fondu furent ici employées habilement par de bons ouvriers, instruits dans l’art de bâtir, qui ont mêlé évidemment à cette construction du chanvre et de la résine. 5782.

» Abusant de ma confiance, le traître Pourotchana veut donc me brûler ! car ce misérable est à la dévotion de Douryodhana. 5783.

» Vidoura à la haute intelligence avait deviné cette coupable trame ; et c’est pour cela, fils de Prithâ, qu’il m’a naguère donné cet avis déguisé. 5784.

» Avertis par cet homme, qu’anime sans cesse le désir de notre bien, comme par un plus jeune père, que son amour inspire, nous avons pénétré que des ouvriers scélérats, dévoués à la volonté du cruel Douryodhana, avaient construit cette maison funeste. » 5785.

« Si ta grandeur pense, lui répondit Bhîmaséna, que cette maison fut disposée pour un incendie, eh bien ! retournons, comme nous sommes venus, dans la maison, où nous habitions auparavant. » 5786.

« Il nous faut continuer d’habiter ici, répondit Youddhishthira, nous tenant sur nos gardes, déployant nos efforts contre le danger, sans jamais en laisser rien paraître, et sans cesse occupés à trouver la voie sûre et désirée, qui peut nous tirer d’ici : tel est mon sentiment. 5787.

» Car, si le moindre signe dévoilait à Pourotchana nos pensées, alors, se hâtant d’accomplir son projet, il nous brûlerait, dût-il employer la violence. 5788.

» Ce lâche n’a peur, ni du blâme, ni du crime, tant il est soumis à la volonté de Souyodhana ! 5789.

» De plus, nous, une fois brûlés, que ferait Bhîsma, notre grand-oncle ? Pourquoi souleverait-il stérilement la colère des Kourouides ? 5790.

» Cependant, si nous étions brûlés dans cette maison, notre grand-oncle Bhîshma pousserait encore le cri JUSTICE ! et les autres chefs des Kourouides en seraient nécessairement irrités. 5791.

» Si nous fuyons par la crainte de l’incendie, Souyodhana, que presse l’avidité du trône, nous fera tous mourir de maladies, causées par le poison. 5792.

Il nous fera périr infailliblement de toutes manières, lui, qui possède un grand trésor, nous, à qui un trésor manque ; lui, qui a l’appui d’un parti, nous, qu’un parti ne défend pas ; lui, qui a le pied sur un terrain solide, nous, de qui le pied vacille sur un sol mouvant. 5793.

» Il nous faut donc, trompant ce perfide et méchant Souyodhana, habiter, n’importe où, une demeure cachée.

» Ici, adonnés à la chasse, parcourons cette terre ; et les chemins propres à la fuite nous seront parfaitement connus. 5794-5795.

» Creusons une caverne souterraine bien dérobée aux yeux, où le feu ne pourra nous atteindre, cachés et respirants. 5790.

» Il nous faut exécuter ce travail sans paresse et de manière que ni Pourotchana ni un habitant quelconque de la ville ne s’aperçoive que nous demeurons là. » 5797.

Vaîçampâyana reprit :

Un mineur, homme habile, ami de Vidoura, vint dire en secret, sire, aux Pândouides ces paroles : 5798.

« Je suis un adroit mineur, que Vidoura vous envoie : « Fais, m’a-t-il dit, ce qui sera agréable aux fils de Pândou ! » Que ferai-je donc pour vous ? 5799.

« Justifie notre confiance et procure leur salut aux Pândouides, » m’a dit en confidence Vidoura. Que ferai-je donc pour vous ? 5800.

» Dans la quinzaine obscure de ce mois, à la quatorzième nuit, Pourotchana doit mettre le feu à la porte de ton palais, Youddhishthira. 5801.

« Il faut que les princes fils de Pândou soient brûlés avec leur mère ! » C’est là une résolution fixe de cet insensé Dhritarâshtride. 5802.

» Vidoura t’en a dit quelque chose en langue barbare ; et tu lui as répondu : « C’est ainsi ! » Je te répète ces mots, fils de Pândou, comme un signe de la conliance, que tu peux mettre en moi. » 5803.

Youddhishthira, le fils de Kountî, ferme comme la vérité, lui répondit : « Je reconnais en toi, mon cher, un ami de Vidoura, 5804.

» Intègre, capable, bienveillant et de qui le dévouement sera toujours inébranlable. Il n’existe aucun projet au monde, que ce poète ne sache pénétrer. 5805.

» Ce que tu es pour lui, tu l’es également pour nous ; nous ne faisons aucune distinction entre lui et toi ; ce que nous espérons de lui, nous l’espérons de toi : sauve-nous comme le sage nous sauverait ! 5800.

» Cette maison fut construite de matières combustibles pour me détruire : telle est mon opinion. Pourotchana, en la disposant ainsi, a suivi les ordres du fils de Dhritarâshtra. 5807.

» Le cruel insensé, qui a des trésors, qui a des alliés, qui est la scélératesse en personne, ne laisse pas s’écouler un seul jour sans nous persécuter. 5808.

» Que ton art nous garantisse de cet incendie par tous ses efforts : en effet, nous brûlés dans cette maison, Douryodhana parvient au comble de ses vœux ! 5809.

» Cette demeure est le riche arsenal de sa méchanceté ; c’est un rempart haut, inexpugnable, qu’il a bâti pour elle. 5810.

» Heureusement Vidoura sut deviner l’action criminelle, qu’il se proposait de faire, et nous en informa d’avance. 5811.

» Le voici arrivé ce malheur, qu’avait pressenti Vidoura : veuille donc nous en garantir à l’insu de Pourotchana ! » 5812.

« Oui ! » promit le mineur, qui, déployant ses efforts, ouvrit d’abord un fossé et creusa ensuite une grande cave. 5813.

Il pratiqua au milieu de cette maison, fils de Bharata, un vaste souterrain, muni d’une porte invisible et de niveau avec la terre ; 5814.

Issue, dont il déroba l’ouverture avec soin par la crainte de Pourotchana. 5815.

Il se tenait sans cesse à la porte secrète de cette caverne, la pensée attentive aux alarmes ; et tous les Pândouides s’y retiraient la nuit, sire, munis de toutes leurs armes. 5816.

Le jour, ils erraient à la chasse de forêt en forêt ; et, tandis qu’ils étaient dans la défiance, ils trompaient Pourotchana par les apparences de la sécurité. 5817.

Tristes avec un air joyeux, mais pleins d’une extrême attention, ils continuèrent d’habiter ce palais ; et nul des habitants de la ville, si ce n’est le vertueux mineur, conseiller de Vidoura, ne pénétra ce qu’ils pensaient. 5818.

Ayant vu qu’ils avaient habité là une année entière avec les apparences de la satisfaction et de la sécurité, Pourotchana en ressentit du plaisir. 5819.

Tandis qu’il se réjouissait ainsi, le fils de Kountî, Youddhishthira, qui savait le devoir, tint ce langage à Bhîmaséna, à Dhanandjaya et aux deux jumeaux : 5820.

« Le méchant Pourotchana s’imagine que nous sommes pleins de confiance ; nous avons su tromper cet homme à l’âme cruelle : je pense que c’est le moment de fuir. 5821.

» Après que nous aurons mis le feu à ce palais, brûlé Pourotchana lui-même et déposé six cadavres ici, qui sembleront les nôtres, sauvons-nous, sans être vus. » 5822.

Ensuite, reprit Vaîçampâyana, Kountî, sous prétexte d’exercer l’aumône, prépara des mets pour les brahmanes ; et leurs épouses, puissant monarque, se rendirent chez elle pendant la nuit. 5823.

Là, après qu’elles se furent diverties, qu’elles eurent mangé, qu’elles eurent bu au gré de leurs désirs, elles dirent adieu à Mâdhavî et s’en retournèrent la nuit à leurs maisons. 5824.

Mais une Nishâdi, mère de cinq fils, excitée par la faim et poussée par la mort, était venue, Bharatide, au festin avec ses enfants, d’un mouvement spontané. 5825.

Ivre avec ses fils des liqueurs spiritueuses, qu’ils avaient bues, et troublée par l’ivresse, elle s’endormit avec eux, sire, dans cette maison, ayant perdu toute connaissance et pareille à une morte. Tandis que le monde dormait dans une nuit, où le vent déchaînait ses mugissements, Bhîmaséna mit d’abord le feu à la chambre, où Pourotchana était couché ; ensuite, le Pândouide incendia les portes de la maison de laque. 5826-5827-5828.

Puis, il répandit de tous côtés les flammes dans cette demeure ; mais les fils de Pândou, avertis que la maison brûlait, 5829.

Se hâtèrent, triomphants de leurs ennemis, d’entrer avec leur mère dans la galerie souterraine. 5830.

L’incendie alors d’éclater en une immense lumière et un vaste bruit, qui réveillèrent à la ronde les multitudes des hommes ; et les citadins, voyant la maison dévorée par le feu, de s’écrier : 5831.

« C’est l’agent scélérat de Douryodhana, qui, dans son intelligence bornée, a fait construire et incendier cette maison pour sa perte elle-même ! 5832.

» Oh ! honni soit Dhritarâshtra ! Sa pensée était peu conforme à la vertu, quand il fit brûler comme des ennemis les vertueux héritiers de Pândou ! 5833.

« Mais, ô bonheur ! le voici consumé lui-même ce grand insensé à l’âme criminelle, qui fit mourir par le feu les plus vertueux des hommes, eux qui vivaient irréprochables dans une pleine confiance ! » 5834.

Ainsi les Vâranâvatains se lamentaient ; ils restèrent là toute cette nuit, environnant de toutes parts la maison. 5835.

Les cinq fils de Pândou, plongés dans une grande affliction, sortirent avec leur mère par la voie souterraine et s’enfuirent en courant, sans qu’on les vît. 5836.

Mais, troublés par le sommeil et la peur, les Pândouides, victorieux de leur ennemi, ne pouvaient marcher bien vite avec leur mère. 5837.

Alors Bhîmaséna d’une force et d’une vitesse épouvantables, se chargea de Kountî, roi des rois, et s’avança, portant tous ses frères avec elle. 5838.

Il fit monter sa mère sur ses épaules et les jumeaux sur ses hanches ; il prit dans ses mains les deux Prithides et, brisant les arbres avec sa poitrine, creusant la terre sous ses pieds, le robuste et vigoureux Vrikaudara à la bien grande force chemina légèrement avec la rapidité du vent. 5839-5840.

Or, dans ce même temps, le sage Vidoura envoya dans la forêt, où ils s’étaient réfugiés, un homme sûr quant à la confiance. 5841.

Celui-ci arrivé, rejeton de Kourou, dans le pays, qu’on lui avait désigné, vit les Pândouides avec leur mère occupés dans ces bois à sonder la profondeur des eaux du fleuve. 5842.

Le magnanime Vidoura à la haute intelligence avait appris d’un espion toute la conduite du traître à l’âme criminelle. 5843.

Il avait donc envoyé cet homme intelligent aux fils de Prithâ. Le messager leur fit voir sur la rive favorable du Gange une barque construite par des ouvriers affidés, munie de ses agrès, ornée de sa banderolle, capable de résister à tous les vents, aussi légère que Maroute ou la pensée. 5844-5845.

Il se fit reconnaître d’eux en répétant les paroles, que leur oncle avait prononcées jadis : « Youddhisthira, écoute pour signe de confiance ces mots, que le sage t’adressa : 5846.

« Le feu, qui dévore les broussailles, ne brûle pas au sein des grandes forêts incendiées les reptiles, qui vivent dans les trous. Qui se tient sur ses gardes, conserve sa vie ! » 5847.

» Sache donc que Vidoura m’a envoyé, moi homme, en qui l’on peut se fier, avec ces paroles de crédit. Vidoura, le fils de la femme esclave, sagace en toutes choses, m’a chargé encore de ces mots : 5848.

« Fils de Kountî, tu sortiras du combat, victorieux de Karna, de Douryodhana, soutenu par ses frères, et de Çakouni : il n’y a là-dessus aucun doute ! » 5849.

» Cette barque, propre à voyager sur les routes de fonde et qui marche facilement sur les eaux, vous sauvera de ce pays ; il n’y a là-dessus aucun doute ! » 5850.

Ayant vu ces princes agités par la crainte avec leur mère, il les fit monter dans la barque et leur dit encore au moment qu’ils s’en allaient sur le Gange : 5851.

« Vidoura vous baise sur le front, vous serre dans ses bras et vous répète mainte et mainte fois : « Allez, sans crainte, et puisse la bonne fortune vous accompagner dans vos routes ! » 5852.

Ces paroles dites aux héros, l’homme envoyé par Vidoura fit traverser le Gange dans sa barque, Indra des rois, à ces taureaux du troupeau des hommes. 5853.

Ce fleuve traversé, les passagers débarqués sur la rive ultérieure, il versa de tous côtés sur eux des bénédictions de victoire et s’en alla comme il était venu. 5854.

Les magnanimes Pândouides, sur la rive ultérieure du Gange, le chargèrent de commissions pour le sage Vidoura et s’en allèrent furtivement, sans avoir été vus. 5855.

Ensuite, quand la nuit se fut écoulée, le peuple entier de la ville accourut à la maison, attiré par l’envie de voir les restes des fils de Pândou. 5856.

Alors, éteignant la flamme, les citadins virent consumés la maison de laque et Pourotchana, le perfide conseiller. 5867.

« Assurément, s’écriait-on, l’auteur du mal ici, c’est Douroydhana aux actions criminelles ! Il a fait cela pour détruire les fils de Pândou. 5858.

» Le fils de Dhritarâshtra sans doute a fait périr les Pândouides par le feu à la connaissance de son père, puisque celui-ci n’a pas su l’empêcher. 5859.

» Bhîshma, pour sûr, n’a point suivi les pas de la justice en cette affaire, ni Drona, ni Vidoura, ni Kripa, ni les autres chefs des Rourouides. 5860.

» Envoyons donc, nous ! porter ces mots au cruel Dhritarâshtra : « Ton désir le plus cher est accompli ! tu as brûlé les fils de Pândou ! » 5861.

Et, parlant ainsi, ils écartent, ils éteignent le feu pour chercher ce qui restait encore des Pândouides ; ils voient la Nishâdî aux cinq fils et s’imaginent qu’ils sont la vertueuse mère et ses nobles enfants. 5862.

Mais aucun de ces hommes ne vit la caverne, dont le mineur avait caché l’ouverture avec un amas de poussière, en balayant cette maison. 5863.

Les citadins ensuite d’informer Dhritarâshtra que le feu avait consumé les cinq Pândouides et son conseiller Pourotchana. 5864.

Dès qu’il eut ouï la perte des fils de Pândou, immense catastrophe, le roi Dhritarâshtra gémit dans une profonde douleur : 5865.

« En ce jour que ces héros ont été brûlés jusqu’au dernier avec leur mère, le roi Pândou, mon frère à la vaste renommée, est mort véritablement ! 5866.

» Que des hommes s’en aillent promptement à la cité de Vâranâvata ! Qu’ils rendent les derniers honneurs à ces héros et à la fille du roi de Kountî ! 5867.

» Qu’on célèbre des funérailles grandes, pompeuses, dignes de leur famille ! Que ceux, qui furent leurs amis, se rendent vers les victimes de ce malheur ! 5868.

« Qu’on prenne sur mes richesses pour accomplir dans ce triste événement tout ce qu’il est en mon pouvoir de célébrer à l’honneur des Pândouides et de Kountî ! »

Ces paroles dites, Dhritarâshtra, le fils d’Ambikâ, de célébrer, environné de ses parents, la cérémonie de l’eau en l’honneur des fils de Pândou. 5869-5870.

Tous, s’abandonnant à la plus vive douleur, ils pleuraient de compagnie. « Hélas ! Youddhishthira, fils de Kourou ! » disaient les uns. « Hélas ! Bhîma ! » s’écriaient ceux-ci. 5871.

« Hélas ! Phâlgouna ! » gémissaient les autres ; « Hélas, vous ! les deux jumeaux ! » soupiraient ceux-là. Pleins de tristesse, ils déploraient le sort de Kountî et célébraient la cérémonie de l’eau. 5872.

Le reste des citadins regrettait ainsi les fils de Pândou ; mais Vidoura ne fit pas éclater une très-vive douleur, car il savait sur le fond de cette chose plus que n’en savaient les autres. 5873.

Sortis de la cité de Vâranâvata, les cinq vigoureux fils de Pândou et leur mère, qui était la sixième, avaient donc atteint le fleuve du Gange. 5874.

Secondés par la force de leurs dix bras, la vitesse du courant et la fougue du vent, ils eurent touché bientôt à la rive ultérieure. 5875.

Là, abandonnant leur barque, ils s’avancèrent vers la plage méridionale, reconnaissant au milieu de la nuit leur chemin indiqué par les groupes des constellations. 5876.

À grande peine ils parvinrent sur l’orée d’un bois épais, où, épuisés de fatigue, tourmentés par la soif, aveuglés par le sommeil, les fils de Pândou 5877.

Adressèrent de nouveau ce langage au vigoureux Bhîmaséna : « Est-il ici-bas rien de plus malheureux ? car nous ne distinguons pas les plages du ciel dans cette forêt touffue, et nous ne pouvons plus marcher ? 5878.

» Nous ne savons pas si Pourotchana le méchant a péri dans l’incendie ! Comment nous délivrer de cette crainte, sans risque d’être vus ? 5879.

» Prends-nous donc une seconde fois et marche, ' vigoureux Bharatide ! En effet, tu es seul aussi fort que nous ; tu l’es même à l’égal du vent ! » 5880.

À ces mots de Dharmarâdja, Bhîmaséna aux vastes forces se chargea, encore de Kountî et de ses frères ; puis le colosse marcha d’un pas agile. 5881.

La forêt, agitée par la vitesse de ses cuisses et l’orgueilleuse grandeur de sa force, vacillait, pour ainsi dire, avec les branches et les arbres. 5882.

Le vent, causé par la rapidité de ses jambes, soufflait comme au temps où s’approchent les mois de Çoutchi et de Çoukra : le vigoureux marcheur ne laissait debout ni lianes, ni arbres dans sa route. 5883.

Il s’avançait, empoignant les grands arbres, couverts de fleurs ou de fruits, et cassant les massifs d’arbres, nés sur son passage. 5884.

Dans son impatience telle que la colère d’un noble et vigoureux éléphant, âgé de six ans, à qui le mada coule de trois sources, il brisait les arbres sourcilleux au milieu de cette forêt. 5885.

Les autres fils de Pândou furent sur le point de perdre connaissance, tant était grande cette vitesse de Garouda et de Maroute, avec laquelle marchait Bhîmaséna ! 5886.

Après qu’ils eurent traversé avec les rames de leurs bras plus d’un fleuve aux lointaines rives ultérieures, Ils arrivèrent enfin, talonnés par la crainte du Dhritarâshtride, dans un lieu bien caché, qui vint s’offrir sur leur chemin. 5887.

Bhîma souvent avait porté sur son dos avec peine sa glorieuse mère, femme très-délicate, à travers des rivages escarpés. 5888.

Sur le soir, éminent Bharatide, la triste caravane arriva dans une région boisée, horrible, indigente de racines, de fruits et d’eau, peuplée d’oiseaux de proie et de féroces quadrupèdes. 5889.

Le crépuscule naissait, plein d’horreur ; les quadrupèdes et les volatiles inspiraient l’épouvante ; toutes les plages du ciel étaient invisibles ; les vents soufflaient avant leurs saisons, 5890.

Et mêlaient ensemble, sire, les arbres divers, nombreux, courbés, rompus, les arbustes et les buissons épais aux feuilles sèches, aux fruits arides. 5891.

Les rejetons de Kourou, épuisés de fatigue et de soif, ne pouvaient plus marcher sous le poids accablant du sommeil. 5892,

Ils entrèrent tous dans ce bois affreux ; et, consumée par la soif, Kountî dit alors à ses fils ; 5893.

Elle dit à plusieurs fois aux cinq fils de Pândou, au milieu de qui elle se tenait comme leur mère. « La soif me dévore ! » 5894.

À ces paroles, l’amour filial alluma la compassion dans l’âme de Bhîmaséna, qui résolut de s’en aller à la recherche de l’eau. 5895.

Bhîma alors entra dans ce bois vaste, désert, épouvantable ; il vit un nyagrodha admirable à l’immense ombrage. 5896.

Le vigoureux Bharatide déposa au pied, seigneur, sa mère et tous ses frères ; « Il faut que j’aille chercher de l’eau, dit-il ; reposez-vous là ! 5897.

» J’entends des grues chanter d’une voix douce ; ce sont des oiseaux aquatiques : il y a sans doute ici un grand bassin d’eau : tel est mon sentiment. » 5898.

« Va ! » dit son frère aîné, lui accordant ce congé, et le héros s’en alla, Bharatide, là où était les grues, hôtes accoutumés des eaux. 5899.

Là, il but, éminent Bharatide, il se baigna et prit de l’eau pour ses frères, en bon frère, qu’il était. 5900.

Il apporta cette eau, rejeton de Bharata, dans son vêtement supérieur ; il revint d’un pied hâté vers sa mère de la distance d’un gavyoûti[5]), l’âme assiégée par l’angoisse et le chagrin, la respiration haletante comme le serpent.

À la vue de sa mère et de ses frères, qui dormaient, couchés sur le sol de la terre, son cœur fut assiégé d’une vive douleur, et Ventre-de-loup exhala cette plainte : 5901-5902.

« Y aura-t-il jamais pour mes yeux un spectacle plus affligeant que celui de voir, infortuné ! mes frères endormis sur la dure à cette heure même ? 5903.

» Eux, qui, alors qu’ils habitaient Vâranâvata, n’ont jamais goûté le sommeil que sur de nobles couches, les voici, qui maintenant dorment sur la surface nue de la terre ! 5904.

» La voilà donc cette Kountî, la sœur de Vasoudéva, qui broie les armées de ses ennemis, la fille du roi de Kounti, la bru de Vitchitravîrya, l’épouse du magnanime Pândou et notre mère ; cette femme d’une extrême délicatesse, resplendissante comme la corolle du lotus blanc, honorée pour tous les caractères de la beauté, accoutumée à des lits de la plus grande richesse, la voilà couchée maintenant ici sur la terre nue, elle, qui n’a point mérité cette infortune ! 5905-5906-5907.

» Elle, qui a conçu d’Yama, d’Indra et du Vent ces trois fils ; elle, accoutumée à dormir en des palais, la voilà, qui dort, accablée de fatigue, sur la terre ! 5908.

» Après un tel spectacle, est-il encore possible que je voie rien de plus affligeant, moi, qui vois là ces tigres des hommes endormis sur le sol de la terre ? 5909.

» Comment ce prince, qui ne s’écarte jamais de la justice et qui mérite la monarchie des trois mondes, peut-il être couché, épuisé de lassitude, tel qu’un homme vil, sur la terre ? 5910.

» Azuré comme un nuage bleu, Arjouna, sans égal parmi les hommes, est couché, tel qu’un être abject, sur la terre : est-il rien de plus affligeant ? 5911.

» Et ces deux jumeaux, que la perfection des formes fait ressembler aux deux Açwins parmi les Dieux, les voilà qui sommeillent, comme d’ignobles sujets, sur la surface nue de la terre ? 5912.

» L’homme, à qui ne tiennent pas des parents criminels, opprobre de leur famille, peut vivre en paix dans le monde, comme l’arbre sacré, unique et révéré du village.

» Un arbre en effet, doué de fruits et de feuilles, s’il est unique au village, devient un tchaîtya vénérable, sans famille, comblé des hommages de tous. 5913-5914.

« Ceux, de qui les parents sont de nombreux héros, adonnés à la vertu, passent une vie heureuse dans le monde ; ils prospèrent, ils ont de la puissance, ils ont des biens en abondance, ils sont la joie de leurs amis et de leurs familles ; ils vivent, s’appuyant les uns sur les autres, comme des arbres nés dans une même forêt. 5915-5916.

» Nous, au contraire, exilés par le cruel Dhritarâshtra et son fils, si nous avons à grande peine échappé à l’incendie, c’est par la seule protection du Destin. 5917.

» Sauvés du feu, nous voici réfugiés au pied de cet arbre : mais vers quelle plage, tombés dans la plus profonde infortune, allons-nous porter nos pas ? 5918.

Dhritarâshtride stupide à la vue bornée, jouis de tes vœux satisfaits ! Les Dieux te sont favorables sans doute. Si tu vis encore, insensé, c’est qu’Youddhishthira ne me permet pas de te donner la mort ! 5919.

» Qu’il me l’accorde, et j’irai, enflammé de colère, te précipiter dans les demeures d’Yama, toi, et tes fils, et les conseillers, et Karna, avec tes frères puinés, et le fils de Soubala ! 5920.

» Est-ce qu’il ne m’est pas impossible, homme aux œuvres scélérates, d’empêcher que le plus vertueux des Pândouides, Youddhishthira à l’âme juste, ne s’irrite enfin contre toi ! » 5921.

À ces mots, l’âme enflammée par la colère et soupirant dans la tristesse de son cœur, le guerrier aux longs bras de frotter l’une de ses mains contre l’autre main, 5922.

Son âme affligée redevint semblable à un feu, dont la flamme s’est éteinte, et Vrikaudara, jetant un regard à ses frères endormis sur le sol de la terre, 5923.

Couchés comme s’ils étaient pleins de confiance, comme s’ils étaient de condition pareille aux gens de la plèbe : « J’aperçois une ville, qui n’est pas très-loin de ce bois, pensa-t-il. 5924.

» Ils dorment, hélas ! quand il faudrait veiller ! Eh bien ! je veillerai moi-même pour eux. Ensuite, au réveil, ils boiront cette eau, et leur fatigue sera dissipée ! » 5925.

Cette résolution une fois arrêtée, Bhîma alors de veiller lui-même. 5926.




LA MORT DE HIDIMBA.



Vaîçampâyana dit :

Tandis qu’ils étaient couchés là, un Rakshasa, nommé Hidimba, descendit d’un shorée, arbre, qui n’était pas éloigné de ce bois, et s’approcha d’eux. 5927.

C’était un monstre féroce aux formes épouvantables, mangeur de chair humaine, plein de valeur, plein de force, noir comme le nuage de la saison pluvieuse, les yeux d’un jaune passant au noir ; 5928.

La bouche large, les dents saillantes, la croupe énorme, le ventre bombé, les cheveux et la barbe rouges, le tronc et le cou tels qu’un grand arbre, les oreilles comme deux conques. Épouvantable, avide de chair, dévoré par la faim, il vit avec joie les héroïques fils de Pândou. 5929-5930.

Difforme, affreux, horrible à voir, avide de chair, pressé de la faim, il regarde avec délice cette proie de ses yeux, où le jaune se déteint sur le noir. 5931.

Il leva son doigt, agita en se grattant ses rudes cheveux ouvrit sa grande bouche, et les regarda mainte et mainte fois. 5932.

Joyeux de trouver ce festin d’hommes, l’anthropophage au grand corps, à la grande force, ayant flairé l’odeur de la chair humaine, dit à sa sœur : 5933.

« Ce repas, qui m’arrive en ce moment après une si longue attente, m’est tout à fait agréable. Ma langue se promène autour de ma bouche et semble y faire couler déjà les gouttes de la graisse. 5934.

» Je vais donc enfin plonger mes huit dents au tranchant bien acéré, au choc irrésistible, en des chairs grasses et des corps appétissants ! 5935.

» Je vais prendre à belles dents ces corps d’hommes, rompre la veine et boire leur sang nouveau, fumant, écumeux, coulant à flots ! Va ! Sache quels hommes sont venus au bois se coucher là ! Ce riche fumet de viande humaine délecte mes narines, 5936.

» Égorge tous ces enfants de Manou, apporte devant moi leurs cadavres ; endormis sur une terre, qui est à nous, ils ne peuvent te causer d’effroi. 5937.

» Nous ferons un repas à deux avec ces chairs dépecées à notre fantaisie : hâte-toi d’exécuter ma parole.

» Et, bien repus à satiété de cette viande humaine, nous danserons nous deux, la paume de l’un battant mainte fois la cadence sur la paume de l’autre ! » 5938-5939.

À ces mots de l’ogre Hidimba, la rakshasi Hidimbâ, connaissant la volonté de son frère, s’en alla d’un pied hâté, généreux Bharatide, au lieu où étaient les Pândouides. Arrivée là, elle vit les héros, qui dormaient avec Prithâ, mais Bhîma l’invincible, qui veillait auprès d’eux.

À la vue de ce Bhîmaséna d’une taille aussi élevée qu’un jeune shorée et d’une beauté incomparable sur la terre, la Rakshasi en devint amoureuse. 5940-5941-5942.

« Plaise à Dieu, se dit-elle, que ce jeune homme à la grande splendeur, au teint d’azur, aux longs bras, aux épaules de lion, aux yeux de lotus bleu, au cou marqué de trois lignes comme la conque, veuille être mon époux !

» Je n’exécuterai jamais cette parole assaisonnée de cruauté, que j’ai reçue de mon frère. L’amour de son époux est plus fort que n’est l’amitié pour son frère !

» Si je tue ces hommes, ma faim et celle de mon frère n’en seront guère apaisées qu’un instant ; mais, si je les épargne, ma joie peut subsister des années éternelles. » 5943-5944-5945.

La Rakshasî, qui pouvait revêtir à son gré toutes les formes, se fit un corps humain d’une beauté supérieure et s’approcha insensiblement du vigoureux Bhîmaséna.

La séduisante femme, ornée d’une céleste parure et rougissante de pudeur, tint à Bhîmaséna ce langage, que précédait un sourire : 5946-5947.

« D’où viens-tu, ô le plus éminent des hommes ? Qui es-tu ? Et qui sont-ils ces hommes couchés là, qui ont la beauté des Dieux ? 5948.

» Qui est cette dame grande, au teint d’azur, aux formes bien délicates, qui, arrivée dans ce bois, y dort sous ta garde avec autant de sécurité, homme sans péché, que si elle était dans sa maison ? » 5949.

» Elle ne sait pas que cette forêt épaisse est fréquentée des Rakshasas. En effet, c’est ici qu’habite un Démon à l’âme cruelle, nommé Hidimba. 5950.

» Je suis envoyée par ce Rakshasa, mon frère, à l’esprit méchant, qui veut manger votre chair, ô vous, qui ressemblez à des Immortels. 5951.

» Mais, à la vue de ta splendeur égale à celle d’un enfant des Dieux, je n’ai plus aucune envie qu’un autre soit mon époux : je te le dis en vérité. 5952.

» Maintenant que je t’ai fait cet aveu, suis une conduite assortie à mon égard : aime-moi comme je t’aime, moi, de qui l’amour a blessé le corps et l’âme. 5953.

« Je te sauverai du Rakshasa anthropophage ; nous habiterons sur les flancs inaccessibles des montagnes : sois mon époux, homme sans péché ! 5954.

» Je vole au milieu des airs ; je me promène où il me plaît : jouis donc en tous lieux d’un bonheur incomparable avec moi. » 5955.

« Comment abandonnerais-je ma mère, lui répondit Bhîmaséna, mon frère aîné et ces trois autres, que voilà endormis ? Est-il un homme puissant, Rakshasî, qui pourrait commettre ici dans un tel moment un tel abandon ?

» Est-il dans ma condition un homme, qui s’en irait, comme hâté par l’aiguillon de l’amour, livrant aux festins du Rakshasa sa mère et ses frères endormis ? » 5956-5957.

» Je ferai ce qui t’est agréable, repartit la Rakshasî. Réveille-les tous ! je veux bien les sauver de ce Rakshasa, qui mange les hommes. » 5958.

« Rakshasî, lui dit Bhîma, la crainte de ton frère à l’âme cruelle ne me fera point réveiller ma mère et mes frères, qui goûtent dans ce bois les douceurs du sommeil.

» En effet, les Rakshasas, femme timide, ne sont pas capables de résister à ma vigueur, ni les enfants de Manou, ni les Candharvas, ni les Yakshas, dame aux yeux charmants. 5959-5960.

» Va-t-en ou reste, noble femme, ou fais ce que tu désires, ou même envoie ici, dame aux formes délicates, ton frère l’anthropophage. » 5961.

Voyant qu’elle tardait à revenir, Hidimba, le monarque des Rakshasas descendit de l’arbre, où il était monté, et s’avança d’un pied hâté vers les Pândouides ; 5962.

Monstre épouvantable, aux longs bras, à la grande bouche, aux yeux couleur de sang, aux cheveux hérissés, au corps semblable à une masse de nuages ! 5963.

À peine eut-elle vu accourir le Démon à l’aspect repoussant, Hidimba effrayée dit ces mots à Bhîmaséna :

« Voici le mangeur d’hommes à l’âme méchante, qui accourt, plein de colère ; fais avec tes frères ce que je vais te dire. 5964-5965.

» Je me transporte en quelque lieu qu’il me plaise d’aller ; je suis douée de toute la puissance des Rakshasas : monte sur ma croupe, et je t’emporterai à travers les airs.

» Réveille ta mère avec tes frères endormis ; je vous prendrai tous, immolateur des ennemis, et je vous ferai voyager par les airs. » 596(5-5967.

» Ne crains pas, lui répondit Bhîma, femme à la belle et large croupe ! Qui que ce soit n’est capable de tenir en face de moi. Je le tuerai sous tes yeux mêmes, dame à la taille gracieuse. 5968.

» Ce vil Rakshasa n’est pas égal à ma vigueur, fille craintive ; tous les Rakshasas mêmes ne pourraient sup porter mes coups dans une bataille. 5969.

» Vois ces deux bras si bien arrondis et semblables à des trompes d’éléphant ! Vois mes cuisses pareilles à des massues 1 Vois ma poitrine vaste et solide ! 5970.

» Tu verras à l’instant, charmante, que ma force est égale à celle d’Indra. Ne veuille pas me dédaigner, femme séduisante, parce que tu penses ici de moi ; a Ce n’est qu’un homme ! » 5971.

« Je ne te méprise pas, ô le plus éminent des hommes, toi, qui portes la beauté des Dieux, lui répond Hidimbâ ; mais j’ai vu la force du Rakshasa exceller sur les hommes. »

Le Rakshasa anthropophage, reprit Vaîçampàyana, entendit avec colère, fils de Bharata, les paroles de Bhîmaséna, causant avec sa sœur. 5972-5973.

Hidimba, voyant cette forme humaine, dont elle s’était revêtue, son visage aussi beau que la lune en son plein, sa touffe de cheveux, remplie de fleurs et de rubans, Les charmes de ses sourcils, de son nez, de ses yeux et de sa chevelure, la robe du tissu le plus délié, qu’elle portait, associée à toutes les parures, 5974-5975.

Et les séductions, qu’elle avait réunies dans ses formes humaines, soupçonna qu’elle désirait fasciner un amant ; et l’anthropophage s’en irrita. 5970.,

Le mauvais Génie, épanouissant ses grands yeux, adressa donc à sa sœur, ô le plus vertueux des enfants de Kourou, ces paroles de colère : 5977.

« Qui est cet insensé, qui met un obstacle à mon envie de manger ? Ne crains-tu pas, évanouie de terreur, l’explosion de mon courroux, Hidimbâ ? 5978.

» Honte à toi, méchante, libertine, qui agis pour me déplaire et jettes le déshonneur à tous nos aïeux, les rois des Rakshasas ! 5979.

» Je vais tuer avec toi sur le champ tous ces hommes, que tu es allée trouver afin de me causer un si grand déplaisir ! » 5980.

À peine dits ces mots, Hidimba, les yeux rouges de sang et frottant ses dents contre ses dents, s’élança pour les tuer. 5981.

À la vue du géant, qui fondait sur lui, Bhîma, le vigoureux et le plus vaillant des guerriers, le menaça : « Arrête ! cria-t-il, arrête ! » 5982.

Voyant le Rakshasa irrité contre sa sœur, Bhîmaséna lui dit, en riant, ces paroles : 5983.

« Hidimba, qu’as-tu besoin de réveiller ces hommes, qui dorment tranquillement ? Hâte-toi de combattre avec moi, stupide mangeur d’hommes ! 5984.

» Lutte ici contre moi et ne veuille pas tuer une femme, surtout quand l’offense t’est venue d’un autre et non d’elle. 5985.

» Cette jeune fille, en effet, n’a pas suivi pour m’aimer un mouvement de sa propre volonté, mais l’impulsion de l’amour, qui s’est glissé dans son cœur. 5986.

» Être abject, la honte des Rakshasas, c’est par ton ordre que ta sœur vit ici ma personne ! 5987.

» Elle m’aime : ce n’est pas t’offenser. S’il y a faute, l’amour en est coupable ; n’en fais donc pas im reproche à cette âme craintive ! 5988.

» Méchant, ne veuille pas tuer une femme, quand je suis face à face de toi. Combats avec moi, seul contre seul, mangeur d’hommes. 5989.

» Je vais à l’instant, moi seul, t’envoyer dans la demeure d’Yama ! Que broyée maintenant sous ma force, ta tête soit brisée, comme si elle était foulée sous le pied d’un vigoureux éléphant ! Aujourd’hui les ardées, les vautours, les chacals vont traîner joyeux sur la terre les membres de ton corps, tué de mon bras dans cette bataille ! Aujourd’hui je vais dépeupler en un seul instant de ses Rakshasas cette forêt, que naguère tes festins d’anthropophage souillaient à tout moment ! 5990-5991-5992.

» Aujourd’hui ta sœur me verra traîner plus d’une fois ton corps semblable à une montagne, comme un lion traîne un grand éléphant ! 5993.

» Quand je t’aurai fait mordre la poussière, vil Rakshasa, les hommes, qui fréquentent les bois, pourront désormais errer dans cette forêt, sans craindre aucune de tes atrocités. » 5994.

Hidimba lui répondit : « Pourquoi ces vaines paroles ? À quoi bon ta jactance, enfant de Manou ? Quand tu auras accompli tout cela, glorifie-toi de cette prouesse ! Fais sans tarder que tu saches par expérience si je suis fort et si j’ai de la vigueur. Quand tu auras combattu avec moi, tu sauras que je te surpasse en force. 5995-5996.

» Je ne tuerai pas maintenant ces hommes ; qu’ils donnent paisiblement ! c’est toi, que je vais tuer à l’instant pour les paroles blessantes, insensé, que tu m’adresses ! 5997.

» Quand j’aurai bu ton sang, ruisselant de tes membres, j’immolerai tes compagnons mêmes ; eux morts, je tuerai cette femme, pour avoir fait une chose, qui me déplaît ! » 5998.

À ces mots, reprit Vaîçampàyana, l’anthropophage leva son bras avec colère et fondit sur Bhîmaséna, le dompteur de ses ennemis. 5999.

Au moment, où le Démon arrivait d’une course rapide, Bhîma à la force épouvantable saisit vite par-dessous en riant ce bras envoyé sur lui. 6000.

Maître de son bras, Bhîma de l’entraîner hors de ce lieu malgré sa résistance à huit portées d’arc, comme un lion entraîne une faible gazelle. 6001.

Mal-mené par la vigueur du Pândouide, le Rakshasa irrité de saisir à bras le corps Bhîmaséna et de pousser un cri épouvantable. 6002.

Mais Bhîma à la grande force l’entraîna de nouveau malgré lui : « Que ce bruit, pensa-t-il, n’aille pas réveiller mes frères plongés dans un tranquille sommeil ! »

Ces deux champions aux prises s’entraînaient par leur force tour à tour : Hidimba et Bhîmaséna déployèrent une vigueur suprême en cette lutte. 6003-6004.

Ils cassaient alors tous les arbres, ils arrachaient alors toutes les branches ; on eût pensé voir deux éléphants, âgés de six années, dans la colère et dans l’ivresse. Le vaste bruit de ces combattants réveilla les princes et leur mère ; ils virent Hidimba debout vis-à-vis d’eux. 6005-6006.

Voyant au réveil cette beauté plus qu’humaine de la Rakshasi, les princes et Prithâ même en furent tous émerveillés. 6007.

Alors, saisi d’admiration à l’aspect d’une beauté si accomplie, Kountî lui adressa lentement ces douces paroles, que précédait un mot caressant : 6008.

« De qui es-tu fille, toi, qui ressembles à un enfant des Dieux ? ou qui es-tu, femme d’une illustre condition ? Quelle affaire t’amène en ces lieux, et de quel pays viens-tu ? 6009.

» Dis-moi si tu es la Déesse de cette forêt, ou si tu es une Apsara. Conte-moi tout cela : pour quel motif demeures-tu ici debout ? » 6010.

Hidimbâ lui répondit : a Ce grand bois, que tu vois semblable à de sombres nuages, est l’habitation du Rakshasa Hidimba et la mienne également. 6011.

» Sache, noble épouse, que je suis la sœur de ce roi des Rakshasas et que je suis envoyée ici par mon frère, qui désire vous donner la mort, à toi et à tes fils. 6012.

» Sur l’ordre du Génie à l’âme cruelle, je suis donc venue en ce lieu, où j’ai vu ton fils à la grande force, au corps tel que l’or nouveau. 6013.

» Ici, poussée par l’Amour, belle dame, qui sait pénétrer dans le cœur de tous les êtres, je suis devenue l’esclave de ton fils. 6014.

» J’ai choisi ensuite et demandé pour mon époux, j’ai essayé d’emmener avec moi ton vigoureux fils ; mais je n’ai pu l’y résoudre. 6015.

» Alors, voyant que je tardais à revenir, l’anthropophage est accouru lui-même pour égorger tes fils jusqu’au dernier. 6016.

» Mais il a été entraîné de force loin d’ici, broyé dans les mains du magnanime, ton sage fils et mon amant.

» S’entretirant avec une grande fougue et s’invectivant l’un l’autre, vois là-bas cet homme et ce Rakshsa aux prises dans un combat ! » 6017-6018.

À ces mots de la Rakshasi, Youddhishthira de se lever, et Arjouna avec lui, et Nakoula, et le vigoureux Sahadéva. Ils virent ces deux lutteurs attachés l’un à l’autre, s’entraînant de leurs mutuels efforts et désirant également la victoire, comme deux lions, enivrés de leur vigueur. 6019-6020.

Comme ils s’étaient pris l’un l’autre à bras le corps, s’entretirant d’ici et de-là, ils rendirent la poussière de la terre semblable au feu dans l’incendie d’un bois mort.

Pareils à deux montagnes et couverts des poudres de la terre. Ils resplendissaient aux yeux comme deux monts, revêtus de gelée blanche. 6021-6022. <nowik/>

Quand Arjouna vit Bhîma harassé de fatigue par le Rakshasa, il jeta ces paroles à son frère, en les accompagnant d’un rire assez lent : 6023.

« Ne crains pas, Bhîma aux longs bras, dans la fatigue, qui t’accable : nous ne savions pas que tu en étais venu aux mains avec un Rakshasa aux formes épouvantables.

» Je me tiens ici pour te seconder, fils de Prilhâ : je ferai mordre la poussière à ce Rakshasa, tandis que Nakoula et Sahadéva resteront à la défense de notre mère ! » 6024-6025.

« Assieds-toi et regarde, lui répondit Bhîma ; n’aies aucune peur, car c’en est fait à jamais de la vie pour ce monstre, qui est venu s’engager dans mes bras ! » 6026.

« À quoi bon, reprit Arjouna, laisser vivre plus longtemps ce criminel Rakshasa ? Il est impossible de s’arrêter en chemin, quand il faut marcher, ô toi, qui domptes les ennemis ! 6027.

» Avant que l’orient ne rougisse, avant que l’aurore ne commence, c’est le moment terrible, où les Rakshasas ont le plus de force. 6028.

» Hâte-toi, Bhîma ! ne badine pas : tue l’épouvantable Rakshasa ! Avant qu’il ne déploie sa magie, mets en œuvre la vigueur de tes bras. » 6029.

À ces mots d’Arjouna, Bhîmaséna, flamboyant, pour ainsi dire, de colère, usa d’une force égale à celle du Vent dans la destruction du monde. 6030.

Il enleva dans sa fureur le corps de ce Démon pareil aux nuages et le fit rouler dans l’air précipitamment une centaine de fois. 6031.

Bhîma dit : « Le crime t’a nourri de chair humaine, le crime t’a engraissé, le crime est ta pensée, le crime t’a mérité la mort : tu vas cesser d’être à l’instant pour le crime !

» Je ferai en sorte de rendre le bonheur à ce bois, délivré de sa cruelle épine. Quand je t’aurai tué, Rakshasa, tu ne mangeras plus les hommes ! » 6032-6033.

Arjouna dit :

« Si tu penses que ce Démon soit d’un poids difficile à porter dans un combat, j’unis mon bras au tien : qu’il soit promptement abattu ! 6034.

» Ou je le tuerai moi seul, Vrikaudara. Tu as accompli ta tâche, tu es fatigué : eh bien ! repose-toi maintenant. »

Ces mots entendus portent au plus haut degré la colère de Bhîmaséna, qui, broyant sous le poids de sa force le Démon sur la terre, lui donna la mort comme à un vil bétail. 6035-6036.

En exhalant son âme arrachée par Bhîmaséna, il poussa une vaste clameur, qui, semblable au bruit d’un tambour mouillé, remplit alors toutes ces forêts. 6037.

Il prit dans la chaîne de ses bras le Rakshasa, qu’il brisa par le milieu du corps ; et la vue du monstre ainsi tué répandit la joie dans ses frères. Satisfaits alors, ces héros de féliciter le tigre des hommes, ce Bhîmaséna, qui avait dompté leur ennemi. 6038.

Ces devoirs accomplis envers le magnanime Bhîma à la force épouvantable, Arjouna tint de nouveau ce langage à Vrikaudara : 6039.

« Il y a, je pense, une ville non loin de cette forêt, seigneur : allons-y promptement : prenons garde que Souyodhana ne vienne à savoir que nous sommes encore vivants. »

« Oui ! » répondirent tous les héroïques princes, qui se mirent en route avec leur mère, la Rakshasi Hidimbâ marchant elle-même avec eux. 6040-6041.

« Les Rakshasas se rappellent, dit Bhîma, chemin faisant, une ancienne inimitié, quand ils peuvent recourir aux armes de leur magie fascinante : va donc aussi, toi, Hidimbâ, dans le sentier, que suit maintenant ton frère ! »

« Bhîma, ne tue pas une femme dans la colère même, reprit Youddhishthira : observe le devoir, fils de Pândou, qui est supérieur à la conservation de ta personne. 6042-6043.

» Tu as tué le robuste Démon, qui nourrissait des pensées de mort ; tu en avais le droit : mais, quant à la sœur du Rakshasa, que peut-elle faire contre nous dans sa colère même ? » 6044.

Alors Hidimbâ, les paumes de ses mains réunies au front, saluant Kountî et le fils de Kounti, Youddhishthira, leur tint ce langage : 6046.

« Noble dame, tu sais que l’amour est dans ce monde le malheur des femmes : je suis tombée dans cette infortune, où m’a poussée Bhîmaséna, illustre dame. 6046.

» Le temps est venu pour moi de souffrir cette affliction suprême ; mais j’espère que le temps fera lever aussi pour moi l’astre du plaisir. 6047.

» J’ai abandonné mes amis, mes parents, les devoirs de ma condition pour choisir le prince, ton fils, comme époux, illustre dame. 6048.

» Si le héros me repousse, ou toi, femme à la haute renommée, il est impossible que je vive : je te le dis en vérité. 6049.

» Pense de moi : u Ou c’est une folle ! » ou : « C’est un cœur, qui aime ! » ou : « C’est ma servante ! » et daigne avoir compassion de moi, femme de caste supérieure.

» Marie-moi avec cet époux, ton fils, dame éminente ; donne-le moi : que je m’unisse à lui au gré de mes désirs. Je te ramènerai ce mortel, qui a toute la beauté d’un Dieu : me confiance en moi, noble dame. 6060-6051.

» Par le seul effort de ma pensée, je vous conduirai sans cesse hors des malheurs ; je vous ferai traverser tous les précipices et les monts infranchissables. 6062.

» Quand vous aurez envie d’abréger la route, je vous porterai sur mon dos. Accordez-moi votre ; bienveillance et que Bhîmaséna réponde à mon amour. 6053.

» L’homme, qui obéit librement au devoir, ne doit-il pas accomplir dans toute son étendue ce devoir, qui soutiendra sa vie dans la traversée des infortunes ? 6054.

» Celui, qui garde sa vertu dans les malheurs, est le plus grand des hommes instruits dans la vertu. En effet, il n’y a que la chute de la vertu, qui soit dite un malheur pour les gens vertueux. 6055.

» La vertu soutient la vie ; la vertu est dite la donatrice de la vie : il n’existe rien à blâmer dans aucun de ceux, qui soutiennent la marche du devoir. » 6056.

Youddhishthira lui répondit : « Il en est ainsi que tu l’as dit, Hidimbâ ; il n’y a ici nullement à douter : il te faut rester dans la vérité, comme tu l’as dit, femme à la taille charmante. 6057.

» Aime depuis l’apparition du soleil à l’orient jusqu’à sa descente au mont Asta, noble dame, Bhîmaséna, sortant du bain, quitte des obligations du jour, ayant prononcé les paroles saintes pour le bonheur du mariage. 6058.

» Mobile comme la pensée, amuse-toi avec lui, pendant le jour, au gré de tes désirs ; mais ne manque jamais à ramener ici la nuit notre Bhîmaséna. » 6059.

Elle promit qu’il en serait ainsi, et Bhîmaséna lui dit ces mots : « Écoute, Bhîma, une convention, que je t’annonce en toute vérité. 6060.

» J’irai avec toi, noble dame, aussi long-temps qu’il sera nécessaire, femme à la jolie taille, pour donner l’être à un fils. » 6061.

« Soit ! » répondit la Rakshasî Hidimbâ ; et, pour donner l’être à ce fils, elle de s’unir ensuite à Bhîmaséna.

S’étant fait une beauté à nulle autre pareille, causant d’une voix pleine de charme, ornée de toutes les parures, elle enivra de plaisir le Pândouide, 6062-6063.

Sur les cimes amœnes des montagnes, dans les demeures enchantées des Dieux, résonnantes de toutes parts des gazouillements de l’oiseau et des braiements de la gazelle ;

Dans les secrets azyles des bois, sur des plateaux ombragés d’arbres fleuris, en des lacs délicieux, tapissés de lotus et de nélumbos, 6064-6065.

Dans les jolies îles des rivières, sur des plages sablées de lazuli, dans les bassins des bocages, en de suaves tîrthas, dans les ruisseaux des montagnes ; 6066.

En des forêts admirables, pleines de lianes et d’arbres en fleurs, dans les grottes variées de l’Himâlaya, où grimpaient des plantes embaumées ; 6067.

En des lacs aux ondes limpides, aux nénuphars épanouis ; sur des rives de mer sablées d’or et de pierreries ;

En de riants viviers, en des bois de grands çâlas, en des forêts pures, célestes, et sur les plateaux des montagnes ; Dans les habitations des Gouhyakas et dans les retraites des saints anachorètes, en des lacs agréables, captivant l’âme par des fleurs de toutes les saisons.

Portant une beauté incomparable, elle rassasia le Pândouide de ces voluptés. Tandis que, se transformant avec la rapidité de la pensée, elle enivrait çà et là Bhîma de plaisirs, 6068-6069-6070-6071.

La Rakshasî conçut de Bhîmaséna, et mit au monde un fils épouvantable, difforme, à la grande vigueur, à la bouche vaste, aux oreilles semblables à des conques,

À la voix effrayante, aux lèvres bien rouges, aux dents acérées, à la grande force, aux grandes flèches, à la grande énergie, à la grande âme, aux longs bras, 6072-6073.

Dompteur des ennemis, à la grande vitesse, au grand corps, à la grande magie, au grand nez, à la vaste poitrine, au cou-de-pied fortement lié ; 6074.

À la célérité épouvantable, lui, immensément robuste, qui, né d’un homme, n’était pas un homme et surpassait de beaucoup le reste des Rakshasas, mangeurs de chair.

Dès son enfance, à peine arrivé aux jours de l’adolescence, monarque des hommes, le vigoureux héros était parvenu à une excellence supérieure dans toutes les armes humaines. 6075-6076.

Car un seul instant suffit aux Rakshasîs pour concevoir et mettre au monde leurs fruits, auxquels se prête l’universalité des formes et qui peuvent revêtir à volonté toutes les formes quelconques. 6077.

Le héros en bouton s’épanouit tout à coup, se prosterna, embrassa les pieds de son père et ceux de sa mère ; ceux-ci alors de lui donner un nom. 6078.

« Ah ! lui dit sa mère, ta bouche ressemble à une cruche[6], entourée de barbe[7] ! » Il fut donc appelé par elle Ghatautkatcha. 6079.

Il suivit le parti des Pândouides ; et, toujours aimé par eux, il resta jusqu’à la fin ce qu’il s’était montré d’abord.

Ensuite Hidimbâ tint ce langage aux Pândouides ; « Le temps de ma cohabitation avec Bhîma est expiré. » Et, la condition se trouvant accomplie, elle obtint de se retirer.

« Au temps des alarmes, j’accourrai, leur dit Ghatautkatcha, à la rescousse de mes pères ! » Et, leur ayant fait ses adieux, le meilleur des Rakshasas dirigea ses pas vers la plage septentrionale. 6080-6081-6082.

Évité par le magnanime Maghavat à cause de sa force, il se présenta comme un digne adversaire à Kama d’une vigueur incomparable. 6083.

Vaîçampâyana reprit ainsi le fil de sa narration :

Les cinq héros s’en allèrent par ce bois dans un autre bois, immolant de nombreuses bandes d’animaux, et, sortis de là, ils s’avancèrent d’un pied hâté 6084.

À travers le pays des Matsyas, des Trigarttains, des Pântchâlains et des Kîtchakas, contemplant sur leur chemin des forêts charmantes et des lacs aux ondes fraîches. 6085.

Les cheveux rattachés en djatâ, revêtus d’un habit d’écorce ou d’une peau d’antilope noire, en hommes, qui ont dompté leur âme, tous ces magnanimes portaient avec Kountî l’extérieur des ascètes. 6086.

Tantôt, accélérant la marche, ces héros de porter leur mère ; tantôt, cheminant en liberté, ils s’avançaient de nouveau avec plus de vigueur. Eux, qui avaient lu entièrement la sainte Écriture, le Véda et les Védângas, étudié le Traité de la politique, ces princes savants en toute chose aperçurent leur pieux aïeul, qui vint s’offrir devant leurs yeux. 6087.

Ils se prosternent aux pieds du magnanime Krishna-Dwaîpâyana, et, portant les paumes réunies aux tempes, les guerriers invincibles se tiennent tous debout avec leur mère en sa présence. 6088.

Nobles enfants de Bharata, leur dit Vyâsa, j’ai appris naguère ce malheur, que vous étiez envoyés dans un injuste exil par les fils du roi Dhritarâshtra. 6089.

» À cette nouvelle, je suis venu, désireux de vous procurer ce qui est le plus grand des biens. Ne vous laissez pas effrayer de cette disgrâce : tout cela doit tourner à votre satisfaction. 6090.

» Vous êtes tous identiques à moi-même, il n’y a nul doute ici : les hommes prennent de l’affection pour le malheur ou l’enfance ! 6091.

» Ces deux causes réunies ont ajouté par conséquent à mon amitié pour vous ; cette amitié est donc le principe, qui m’inspire de chercher à vous procurer le bien : écoutez ceci : 6092.

» Il est non loin de ces lieux une charmante ville, exempte de maladies : habitez là, bien cachés, dans l’attente de mon retour. » 6093.

Après que le fils de Satyavatî, le noble Vyâsa eut ainsi relevé leur courage, il vint à Ékatchakrâ et consola Kountî : 6094.

Mère de fils vivants, lui dit-il, ce magnanime prince Youddhishthira, ton fils, qui n’abandonne jamais le devoir, triomphera de la terre avec justice et donnera ses lois à tous les potentats du globe, comme le roi de la justice.

» Conquis par le bras d’Arjouna et de Bhîmaséna jusqu’à la ceinture de ses mers, il jouira de l’univers entier, il n’y a là aucun doute. 6095-6096.

» Les héros, tes fils, et les fils de Mâdrî, l’âme toujours dans la joie, jouiront tous du plaisir, chacun dans son royaume. 6097.

» Ces tigres dans l’espèce humaine, victorieux de cette terre, célébreront des râdjasoûyas, des açva-médas et les autres sacrifices, riches de présents honorifiques. 6098.

» Quand ils auront comblé de faveurs l’ordre entier de leurs amis par des festins, de la puissance et des plaisirs, tes fils jouiront eux-mêmes de ce royaume de leur père et de leurs aïeux. » 6099.

Ces paroles dites par le sage entré dans la maison du brahmane, le rishi Dwaîpâyana adressa les suivantes à l’aîné des Pândouides : 6100.

« Attendez-moi ici, je reviendrai dans un mois. La connaissance, que vous avez du temps et du lieu, vous remplira d’une joie suprême. » 6101.

« Qu’il en soit ainsi ! » répondirent tous les Pândouides en réunissant aux tempes les paumes de leurs mains ; et le vénérable Vyâsa, l’éminent rishi de s’en aller, puissant monarque, comme il était venu. » 6102.





LA MORT DE VAKA.



Djanamédjaya dit :

« Après que les héroïques fils de Kountî furent venus à Ékatchakrâ, que firent donc ensuite, ô le plus vertueux des brahmes, ces fils de Pândou ? » 6103.

Vaîçampâyana répondit :

« Parvenus à Ékatchâkrâ, les héroïques fils de Kountî vécurent là assez peu de temps dans la maison d’un brahmane. 6104.

Admirant des forêts délicieuses et variées, les sites de la contrée, les rivières et les étangs, 6105.

Ils se mirent alors tous à circuler demandant l’aumône ; et les vertus, dont ils étaient doués, souverain des hommes, rendaient leur vue agréable aux habitants de la ville. 6106.

Ils remettaient le soir à Kountî l’aumône recueillie, et Kountî alors de leur distribuer à tous la part, que chacun avait à manger. 6107.

Les formidables héros mangeaient avec leur mère une moitié de l’aumône ; l’autre moitié du tout était mangée par le vigoureux Bhîma. 6108,

Tandis que ces magnanimes habitaient dans ce royaume, ils virent s’écouler, chef des Bharatides, un bien long espace de temps. 6109.

Les princes, un jour, s’en étaient allés mendier, mais par hasard Bhîma était resté à la maison avec Prithâ, sa mère. 6110.

Tout à coup dans la maison du brahme, elle entendit, Bharatide, un grand son de cris, poussé très-haut, effrayant, causé par la douleur. 6111.

Quand elle eut reconnu que ces hurlements étaient des plaintes, sire, sa bonne nature et sa compatissance ne purent les supporter. 6112.

Alors cette noble Prithâ dit à Bhîma d’un cœur agité parla douleur ces mots remplis de compassion : 6113.

« Nous habitons bien tranquillement, mon fils, dans la maison du brahme, honorés, exempts de chagrin, inconnus au fils de Dhritarâshtra. 6114.

» Mon esprit est continuellement occupé de cette idée : « Puis-je faire au brahme un plaisir, que lui ferait toute personne, reconnaissante d’une agréable hospitalité ? »

» Un homme tel que toi, en qui ne meurt pas la mémoire d’un service, doit surpasser tout ce que ferait un autre homme ! 6115-6116.

» Sans doute un malheur est tombé sur le brahmane. S’il en est ainsi dans cette maison, je dois lui prêter mon assistance : portons-lui secours ! » 6117.

« Sachons d’abord, lui répondit Bhîmaséna, quel est son malheur et quelle en fut la cause. Une fois instruit de ces choses, j’arrêterai une résolution, quelque difficile qu’en puisse être l’exécution. » 6118.

Tandis qu’il parlaient ainsi, reprit Vaîçampâyana, ils entendirent de nouveau les cris causés parla douleur, que jetaient le brahmane et son épouse. 6119.

À peine ouïs, telle que Sourabhî, liée à son veau, Kountî d’un pied hâté entra dans le gynœcée du brabme magnanime, accompagnée de Bhîmaséna. 6120.

Ils virent là ce brabme, tenant son visage baissé, dans la compagnie de son épouse, de son fils et de sa fille. « Honte, disait le brahmane, honte dans le monde à cette vie sans vigueur, inutile, dépendante, racine de chagrin et dont l’infortune est le souverain lot ! 6121.

» La vie est la plus grande des peines ; la plus grande des fièvres, c’est la vie ! Les maux arrivent infailliblement à fhomme, qui reste dans la vie. 6122-6123.

» Il est trois buts, que se propose une âme : le devoir, les richesses et l’amour. En est-elle séparée, sa peine est incomparable et sans fin. 6124.

» Aucun des trois, disent les sages, ne procure une libération suprême : l’acquisition des richesses enfante elle-même tout l’enfer du Naraka. 6125.

» La soif des richesses est un bien grand mal ; il en existe un plus grand dans les richesses obtenues ; et l’attachement, qu’elles ont fait naître, cause une douleur beaucoup plus vive encore dans la séparation. 6126.

» Je ne vois pas devant moi un seul moyen pour me sauver de l’infortune, à moins que je ne m’enfuie dans un pays, on je trouverai, le salut avec ma femme et mes enfants ! 6127.

» J’ai tenté jadis de faire ainsi, tu le sais, Brahmanî, de m’en aller du côté, où je voyais briller la sécurité ! mais tu ne m’as point écouté. 6128.

» À mes sollicitations renouvelées plus d’une fois, tu as répondu, insensée : « Je suis née ici, j’ai vieillie ici, et mon père également. 6129,

» C’est d’ici, après un long séjour, que sont allés au Paradis ton vieux père, et ta mère, et tes parents, et tes aïeux : quel besoin d’habiter ailleurs ? » 6130.

» Femme, que l’amour de ta famille poussait à fermer tes oreilles à mes paroles, tu fais une perte de parent bien douloureuse pour moi. 6131.

» Cette perte, c’est la mienne, car je n’aurai jamais en moi la force d’abandonner ma famille, comme un mortel sans humanité. 6132.

» Je ne pourrai jamais abandonner en toi une épouse de noble maison, douée d’un excellent caractère, toujours fidèle, ne blessant jamais, vertueuse dans toutes les choses de la vie, qui est la mère de mes enfants ; toi, qui suis le sentier du devoir, femme aux sens toujours domptés, qui es pour moi semblable à une mère, que les destins ont mise près de moi comme un ami et qui fus toujours ma voie suprême ; — toi, qui me fus unie par ton père et ta mère ; toi, que j’ai demandée, suivant l’étiquette, pour fiancée du maitre de maison ; toi, que j’ai épousée avec les formules consacrées des prières. 6133-6134-6135.

» D’où me viendra la force d’abandonner mon fils, un enfant, qui n’a pas encore atteint l’adolescence et sur le visage de qui la barbe n’est pas encore née ? 6136.

» Comment pourrai-je abandonner, après que je lui ai donné la vie moi-même, cette toute jeune fille, dépôt, que m’a confié le magnanime Brahma pour le remettre à son époux ; elle, par qui j’espère obtenir avec mes aïeux ces mondes, où conduisent les fils, nés d’une fille ? Tels hommes pensent qu’il existe dans le père un amour plus grand pour son fils. « C’est pour sa fille ! » croient tels autres. On peut dire que ces deux amours sont égaux en moi. 6137-6138.

» Comment puis-je abandonner cette innocente jeune fille, en qui résident à jamais les mondes à venir, ma postérité et mon plaisir ? 6139.

» Il y a plus ; quand je me serai délaissé moi-même dans mes enfants, le chagrin me consumera au sein de l’autre monde ; car ils ne pourront vivre, évidemment ! par ma faute, une fois que je les aurai abandonnés ! 6140.

» Peut-il être d’eux, à votre sentiment, un autre abandon aussi cruel, aussi infâme ? Une fois en effet que je me serai ainsi délaissé moi-même, ils mourront, hélas ! sans moi ! 6141.

» Tombé dans le malheur, je n’ai pas la force de traverser la mer de l’infortune : oh ! honte à moi ! en quel sentier vais-je marcher avec ma famille ? Mourir avec tous me serait un bonheur, car la vie m’est impossible ! »

« Le chagrin ne te sied pas, lui répondit la brahmane. En effet, cette heure du chagrin, elle ne doit jamais arriver pour toi, qui es versé dans les Védas. 6142-6143.

» Les hommes doivent aller tous nécessairement à la mort : il n’y a donc pas lieu de s’affliger ici-bas pour une chose, qui doit nécessairement arriver. 6144.

» On recherche tout en vue de soi-même : une épouse, un fils, une fille. Que ton sage esprit étouffe ce chagrin ; j’irai moi-même là où tu veux aller. 6145.

» Car la suprême, l’éternelle affaire de la femme dans le monde, c’est de procurer le bien de son époux, lui fallut-il sacrifier sa vie ! 6140,

» Ce dessein accompli doit t’apporter ici-même le bonheur : c’est une action impérissable dans l’autre monde et glorieuse dans celui-ci. 6147.

» Un impérieux devoir, que je vais dire, t’oblige envers ces enfants. Si l’on voit Km intérêt ici, on y voit aussi un devoir plus grand que l’intérêt. 6148.

» L’intérêt, qui t’avait poussé à me demander pour épouse, est satisfait : un fils et une fille ont payé ma dette envers toi. 6149.

» Tu es capable de nourrir et de protéger ces deux enfants ; mais la nature m’a refusé les moyens de les défendre et de les nourrir. 6150.

» Comment ces deux enfants si jeunes pourront-ils vivre, souverain maître du trésor de toute ma vie, si je suis privée de toi ? En effet, comment pourrai-je exister moi-même ? 6151.

» Veuve, sans appui, mère de si jeunes enfants, comment ferai-je vivre ce pauvre couple, sans abandonner la route, que suit la vertu ? 6152.

» Comment pourrai-je défendre cette mienne fille, si elle est recherchée par des gens orgueilleux, vains et qui ne sont pas convenables pour une alliance avec toi ? 6153.

» Tous les hommes se disputent une femme privée de son époux comme des vautours se disputent un morceau de viande, jeté sur la terre. 6154.

» Sollicitée, ébranlée par des gens pervers, je ne pourrai pas, ô le plus grand des brahmes, me conserver dans la route aimée des personnes honnêtes. 6155.

» Comment puis-je diriger dans le chemin de ta famille, de ton père et de tes aïeux cette jeune enfant, pure encore de tout péché ? 6156.

» Comment pourrai-je à l’égal de toi, qui as l’œil du devoir, inspirer à ton fils sans protecteur, abattu de toutes parts, les vertus désirées ? 6157.

» Tels que des çoûdras envient l’audition des Védas, tels des hommes sans valeur, vont, au mépris de moi, porter leurs désirs mêmes sur ma jeune fille, restée sans protecteur ! 6158.

» Si je refuse de leur donner cette faible enfant, que tes vertus auront fait croître, ils me la raviront par la violence, comme des corbeaux une offrande à l’autel ! 6159.

» Voyant ton fils sous la sujétion d’hommes vils, comme s’il n’était pas une image de toi-même, je verrai ma fille tombée aussi dans l’infortune ! 6160.

» Méprisée dans les mondes et ne me connaissant pas moi-même, je mourrai victime, brahme, le doute est impossible, des hommes orgueilleux. 6161.

» Abandonnés par toi et par moi, ces deux enfants, auxquels tu as donné la vie, il faut qu’ils périssent comme des poissons dans l’absence des eaux. 6162.

» Le troisième objet de ton amour périra ainsi de toute manière, assurément, s’il est privé de toi : après cela, veuille encore me délaisser ! 6163.

» La plus haute félicité des femmes, ont dit les sages, c’est en premier lieu de suivre la voie supérieure de leur époux ; ensuite, brahme, celle de leurs fils. 6164.

» J’abandonne ce fils et cette fille ; j’abandonne et mes parents et ma vie à cause de toi. 6165.

» La constance de l’épouse dans ce qui est utile ou agréable à son époux l’emporte sur toutes les sortes de sacrifices, de macérations, de jeûnes et d’aumônes. 6166.

» C’est là ce que j’ai envie d’accomplir, ce devoir, qui est regardé comme le premier : satisfaire à ce qui est dans les désirs et pour le bien de ta famille et de toi-même. 6167.

« Des enfants aimés sont des richesses, de chers amis ; mais une épouse, estiment les sages, est pour nous sauver dans les devoirs, que lui impose l’infortune. » 6168.

» Qu’un homme conserve ses richesses à cause de l’infortune, qu’il emploie ses richesses à conserver sa femme ; mais qu’il n’épargne jamais, ni sa femme, ni ses richesses pour la conservation de soi-même. 6169.

» Une épouse, un fils, des richesses, une maison, il faut acquérir tout cela pour la jouissance des choses visibles et invisibles : ainsi l’ont décidé les sages. 6170.

» D’un côté, sa famille entière ; de l’autre, son âme seule, ne sont pas du même poids dans la balance, incrément de ta race, ainsi l’ont décidé les sages. 6171.

» Fais ce que je propose de faire ; sauve-toi toi-même : donne-moi congé pour m’en aller chez l’anthropophage, noble brahme, et protège mes deux enfants. 6172.

» Les jurisconsultes ont déclaré en statuant sur les devoirs : « Il faut respecter la vie des femmes ! » Or, les Rakshasas eux-mêmes, dit-on, savent quels sont les devoirs : celui-ci ne me tuera donc pas ! 6173.

» La mort des hommes est assurée chez lui, mais celle des femmes est incertaine : partant, accorde-moi d’aller en sa demeure, ô toi, qui sais le devoir. 6174.

» J’ai trouvé ici la nourriture, j’y ai goûté des plaisirs, tu m’as rendu mère d’enfants chéris, j’aurai accompli un grand devoir : la mort ne me sera pas une peine. 6176. » J’ai donné l’être à des enfants, je suis vieille, mon unique désir fut toujours de faire ce que tu avais comme agréable : c’est la considération de toutes ces choses, qui m’inspire une telle résolution. 6176.

» En effet, quand tu m’auras laissée, tu prendras, noble brahme, une autre épouse, et le devoir continuera ensuite pour toi dans une seconde évolution. 6177.

» Car ce n’est pas une faute pour les hommes que d’avoir été l’époux de plusieurs femmes ; mais bien grande, éminente personne, est la faute des femmes, qui sautent d’un premier époux aux bras d’un autre. 6178.

» Considérant toutes ces choses et que trancher le fil de ses jours est un crime, hâte-toi de sauver ta vie aujourd’hui même, et ta race, et ces deux enfants. » 6179.

À ces mots, reprit Vaîçampâyana, son époux, l’ayant embrassée, fils de Bharata, saisi de la plus vive douleur, versa lentement des larmes avec elle. 6180.

Aussitôt qu’elle eut ouï ces paroles excessives de ses désolés parents, la jeune fille leur tint ce langage, son corps tout enveloppé de chagrin : 6181.

« Pourquoi vos révérences gémissent-elles, plongées dans la plus grande affliction ? Qu’elles écoutent mes paroles et fassent ce qui est à propos. 6182.

» Suivant la loi, je puis être abandonnée ; abandonne-moi donc, moi dévouée à l’abandon, et sauve tout avec la perte de moi seule. 6183.

» Pourquoi désire-t-on un enfant ? C’est que l’on dit : « Il me sauvera ! » Voici le jour venu, sauvez-vous par moi comme sur un navire. 6184.

(Un fils sauvera du malheur, ou dans ce monde ou dans l’autre ; il sauvera de toute manière ; c’est pour cela, Bharatide, que les savants appellent un fils poutra.) 6185.

» Tes aïeux espèrent à jamais dans mon sein des fils nés de moi, leur fille : mais je les sauverai eux-mêmes, en sauvant la vie de mon père. 6186.

» Après que tu seras passé dans l’autre monde, il ne s’écoulera pas un bien long temps avant qu’il meure, cet enfant, mon père, il n’y a là aucun doute. 6187.

» Une fois mon père entré dans le Swarga et mon frère puiné mort, le gâteau funèbre ne sera plus offert aux mânes de nos aïeux, et ce sera pour eux une douleur.

» Abandonnée par mon père, et ma mère, et mon frère ayant souffert un sort plus malheureux sans doute que le malheur même, il faudra que je meure, moi, qui n’avais pas mérité ce destin. 6188-6189.

» Mais toi, une fois mis hors de peine, affranchi de ta dette, ma mère, et mon frère encore si jeune, et ta race, elle gâteau funèbre des aïeux, tout, c’est indubitable ! persistera dans l’avenir. 6190.

» Un fils est un second toi-même, une épouse est un ami ; mais une fille n’est rien qu’un embarras : dégage-toi de cet embarras et pousse-moi dans le chemin du devoir. 6191.

» Encore dans l’enfance, malheureuse, sans appui, séparée de toi, mon père, en quelque lieu que j’aille, je serai toujours malheureuse. 6192.

» Ou je sauverai cette famille, et, quand j’aurai accompli cette œuvre difficile, j’en recueillerai la récompense ; 6193.

» Ou tu iras, ô le plus saint des brahmes, chez l’anthropophage, et je serai anéantie : veuille donc fixer tes yeux sur moi. 6194.

» Sauve-toi, homme vertueux, et pour nous, et pour le devoir, et pour ta race : abandonne-moi, puisqu’il t’est permis de m’abandonner. 6195.

» Ne laisse pas échapper ce moment pour l’exécution d’une chose qui doit nécessairement se faire. Toi une fois entré dans le Swarga, il nous faudrait, à nous infortunés, courir sans cesse à la ronde, sollicitant notre nourriture de la charité des autres, ce qui est la plus grande des souffrances ; mais, si je puis te mettre hors de peine et te sauver de cette infortune avec tes parents, moi, alors, comme une Immortelle dans le monde, je verrai le bonheur suivre mes pas ! 6196-6197.

« Grâce au sacrifice de ma vie, l’onde offerte par toi satisfera, comme il nous fut enseigné, les Dieux et les Mânes. » 6198.

Après qu’ils l’eurent ouï exhaler ces lamentations et d’autres encore de mainte sorte, continua le narrateur, le père, la mère et la jeune fille elle-même de pleurer tous les trois. 6199.

Alors ce petit garçon, les voyant tous fondre en larmes, dit avec une voix à peine articulée et ses yeux tout grands ouverts : 6200.

« Ne pleure pas, mon père I ni toi, mère ! ni toi, sœur I » En parlant ainsi, il s’en allait souriant vers tous, passant de l’un à l’autre. 6201.

Puis, ayant pris une touffe de gazon, il ajouta hardiment : « Cela me suffit pour tuer le Rakshasa anthropophage ! » 6202.

À ces mots de l’enfant, une grande joie naquit au sein des trois éplorés, tout enveloppés qu’ils fussent par la douleur. 6203.

Kountî, reconnaissant que c’était l’instant propice, s’approcha d’eux et leur tint ce langage, qui les ressuscita, pour ainsi dire, comme l’ambroisie rend la vie à des morts : 6204.

« Quelle est la cause de cette douleur ? je désire la connaître dans la vérité. Instruite, je l’écarterai de vous, s’il est possible de l’écarter. » 6205.

« Ces paroles sont de celles, qui siéent aux gens de bien, femme riche en pénitences, lui répondit le brahme : mais une main humaine n’est pas capable d’écarter cette douleur. 6206.

» Près de cette ville habite le Rakshasa Vaka, le vigoureux monarque de la cité et des campagnes. 6207.

» C’est un anthropophage, engraissé de chair humaine I Ce Rakshasa à l’âme méchante, plein de vigueur, ce puissant monarque des Asouras défend jour et nuit la campagne, la ville et toute la contrée : aussi n’avons-nous à craindre, ni le tchakra d’un ennemi ni aucune des créatures. 6208-6209.

» Une tonne de riz, deux buffles et un homme pour ses repas journaliers, c’est la solde, qu’on doit lui payer ; il vient les prendre et s’en va. 6210.

» Tous les hommes tour à tour contribuent à sa nourriture ; mais les années en s’accumulant ont rendu la cotisation difficile relativement à sa pitance d’hommes. 6211.

» En tous lieux, où certains habitants s’efforcent de se dérober à l’impôt, ce Rakshasa les tue et les mange avec leurs épouses et leurs fils. 6212.

» Ce roi à l’intelligence étroite dans sa maison de bambous ne met pas en pratique la science du gouvernement ; il n’y dirige pas son zèle à trouver quelque moyen d’assurer à jamais dès ce jour le bien-être de son peuple.

Ainsi traités et sans cesse en butte aux alarmes, nous, qui habitons sur la terre de cette âme faible, nous sommes allés vers ce mauvais roi : 6213-6214.

« De qui les brahmes sont-ils les sujets ? De qui, lui dîmes-nous, dépendent ceux, dont rien n’arrête la marche ?

En effet, allant où ils veulent par les dons, qu’ils ont reçus, les brahmes habiteraient dans les airs, comme des oiseaux. » 6215.

« Qu’un homme obtienne un roi d’abord, nous fut-il répondu ; ensuite, une épouse ; après cela, des richesses : c’est par la réunion de ces trois objets qu’il sauvera ses parents et ses fils. » 6216.

» J’ai acquis ces trois choses toutes à mon détriment : aussi, tombés dans cette infortune, en ressentons-nous les plus cruelles atteintes. 6217.

» C’est à moi que vient maintenant d’échoir ce tour, destructeur des familles : c’est à moi de lui payer ce tribut d’un homme pour sa nourriture. 6218.

» Je ne possède aucune richesse pour acheter un homme quelque part ; et je n’aurai jamais la force de lui abandonner une des personnes, que j’aime. 6219.

» Je ne vois pas un moyen d’échapper à ce Démon, et je suis plongé dans une profonde mer de chagrins bien difficile à surnager. 6220.

» Je m’en irai donc aujourd’hui chez le Rakshasa avec toute ma famille, que voici ; et ce vil Démon va nous dévorer tous de compagnie. » 6221.

« Il ne faut nullement te laisser abattre à la pensée de ce danger, lui répondit Kountî. J’entrevois ici un moyen pour toi d’échapper à ce Rakshasa. 6222.

» Tu n’as qu’un seul fils, en bas-âge, une seule fille, vouée à la pénitence : je n’approuve pas que tu ailles le livrer avec tes enfants et ton épouse. 6223.

» J’ai cinq fils, brahme ; un d’eux ira pour toi et s’offrira en tribut au méchant Rakshasa. » 6224.

« C’est, répondit le brahmane, ce que je ne souffrirai pas, quelque désir que j’aie de la vie : je ne sacrifierai jamais à mon intérêt l’existence d’un brahme, mon hôte !

Ne voit-on pas dans les âmes vulgaires, ne voit-on pas dans celles, qui ne sont pas des plus vertueuses, un homme sacrifier sa vie et même celle de son fils pour sauver un brahme ? Ce d’abord à quoi il me faut penser, voilà mon sentiment, c’est au salut de mon âme. 6225-6226.

» Périr sous les coups de l’anthropophage vaut mieux pour moi que mourir de ma main ou causer la mort d’un brahme. Le brahmanicide est le plus grand des crimes : il n’est rien, qui puisse l’expier. 6227.

» Le suicide même est préférable, s’il n’est point accompagné d’une pensée de suicide. Je n’ai aucune envie de trancher moi-même le fil de mes jours, noble dame ; mais je ne suis en rien coupable d’une mort, qui m’est donnée par un ennemi. 6228.

» Au contraire, je ne vois aucune expiation pour cette mort, que j’aurais donnée intentionnellement à un brahme : ce serait une chose basse et cruelle. 6229.

» Rejeter de sa maison un malheureux, qui est venu s’y réfugier, donner la mort, à qui sollicite une assistance, dont il a besoin, est une cruauté blâmée par les sages.

» On ne doit jamais faire une action blâmable, ni rien de cruel, disent nos magnanimes devanciers, qui ont parlé sur les choses permises dans l’infortune. 6230-6231.

» Je ne consentirai jamais à la mort d’un brahmane : mieux vaut périr moi-même aujourd’hui et mon épouse avec moi ! » 6282.

« Voici quel est mon sentiment immuable, répondit Kountî : il faut sauver la vie des brahmes ! Si j’avais cent fils, il n’y en aurait pas un, que je n’aimasse pas.

» Mais ce Démon n’est pas capable de porter la mort à mon fils ; car mon fils est vigoureux, plein de force, possédant les mantras dans la perfection. 6233-6234.

» Il donnera toute sa nourriture au Démon et saura bien se tirer de ses mains : telle est ma ferme opinion. 6236.

» Jadis il a vu des Rakshasas aux grands corps, à la grande force ; ils ont combattu vaillamment avec lui et son bras en a tué plus d’un. 6236.

» Il ne faut répéter ces choses, brahme, à qui que ce soit ; car les gens, qui manquent de science, pourraient bien tourmenter mes fils par curiosité. 6237.

» Veuille bien l’agréer. Que mon fils ne prenne point sur lui cette affaire, comme un homme, qui prendrait une science sans l’agrément du maître : ainsi pensent les sages. » 6238.

À ces mots de Prithâ, le brahme joyeux d’honorer avec son épouse ce langage tel que l’ambroisie. 6239.

Ensuite le brahme et Kountî parlent ainsi de concert au fils du Vent : « Fais ! » et celui-ci répond : « Oui ! »

À peine Bhîma, reprit Vaîçampâyana, avait-il articulé cette promesse : « Je le ferai ! » que tous les Pândouides reviennent, fils de Bharata, apportant les aumônes recueillies. 6240-0241.

Youddhishthira, le fils aîné de Pândou, ayant deviné qu’il s’agissait d’une grande affaire à l’expression des visages, fit cette question à sa mère, après qu’il se fut assis en particulier seul avec elle : 6242.

« Quel est cet exploit, que veut accomplir Bhîma à la force épouvantable ? A-t-il désiré faire cela de lui-même ? Ou ta grandeur lui en a-t-elle inspiré le désir ? » 6243.

« C’est d’après mon conseil, reprit Kountî, que Bhîma, terrible aux ennemis, s’est chargé de cette grande affaire pour le salut du brahme et la délivrance de la ville. »

« Quelle est cette haine violente, amère, que ta grandeur a conçue, repartit Youddhishthira ? Les hommes de bien ne donnent pas des éloges à la mère, qui abandonne son fils. 6244-6245.

» Comment veux-tu sacrifier ton fils pour le fils d’un autre ? Ce renoncement d’une mère à son fils est une violation des lois du monde ! 6246.

» Lui, sous le bras de qui nous reposons tous paisiblement et par qui nous voulons reconquérir ce royaume, que des princes vils ont usurpé ; 6247.

» Ce héros, à la force sans mesure, de qui la vigueur, infectant leur âme de chagrins, empêche de reposer toutes les nuits Douryodhana et Çakouni ; lui, par l’énergie duquel nous avons été sauvés de cette maison de laque, où furent consumés Pourotchana et d’autres scélérats ; 6248-6249.

» Lui, grâce à la valeur de qui nous regardons comme déjà terrassés les fils de Dhritarâshtra et comme déjà conquise elle-même cette terre, si pleine de richesses ?

» Quelle pensée te pousse à sacrifier ton fils ? Est-ce que les chagrins ont altéré ton intelligence au point cpie tu en as perdu l’esprit ? » 6250-6251.

« Youddhishthira, lui répondit Kountî, il ne te faut concevoir aucune inquiétude à l’égard de Vrikaudara : la faiblesse de mon esprit ne m’a point inspiré cette résolution. 6252.

» Mon fils, nous avons habité exempts de soucis, heureux, bien traités, inconnus aux fils de Dhritarâshtra, dans cette maison du brahme. 6253.

» J’ai vu que c’était le moment de lui témoigner ma reconnaissance. Un homme tel que nous, me suis-je dit, eu qui ne meurt pas la mémoire du service rendu, fera plusieurs fois plus que tout ce que ferait un autre en pareille occasion. J’avais déjà vu l’héroïsme de Bhîma dans la maison de laque ; mais la mort de Hidimba éleva au point où elle est ma confiance en Vrikaudara. Il est en effet dans le bras de Bhîma une grande force, égale à celle d’une myriade de Nâgas ; 6254-6255-6256.

» Bhîma, qui vous emporta, vous semblables à des éléphants, loin de Vâranâvata ! Il n’existe pas un autre homme égal en vigueur à Bhîma, qui triompherait dans une bataille de Vishnou même, le plus grand des Dieux.

» Jadis, à peine né, il tomba de mon sein sur une montagne ; et le poids de son corps mit en poudre le sommet sous ses membres solides. 6257-6268.

» Quand l’expérience m’eut fait connaître ainsi, fils de Pândou, la force de Bhîma, je pris la résolution de témoigner par un service ma reconnaissance au brahme.

» Ce ne fut ni l’avarice, ni l’ignorance, ni la folie, qui m’inspira cette détermination ; car, avant d’arrêter ma résolution, j’ai fixé ma pensée sur le devoir. 6259-6260.

« Elle aura comme résultat ces deux choses, Youddhishthira : la reconnaissance de l’hospitalité reçue et l’accomplissement d’un grand devoir. 6261.

» Le kshatrya, auquel il est arrivé un jour de porter secours au brahme dans ses besoins, obtient les mondes purs : tel est mon sentiment. 6262.

» Le kshatrya, qui sauve la vie d’un kshatrya, acquiert une vaste gloire sur la terre et dans l’autre monde. 6263,

» Le kshatrya, qui prête assistance au vaîçya dans la nécessité, se concilie infailliblement l’affection des créatures dans tous les mondes. 6264.

» Sauve-t-il un çoûdra, qui vient demander sa protection, le kshatrya obtient de renaître ici-bas dans une famille convenable, excellente, honorée du roi. 6265.

» C’est ainsi que jadis m’a parlé ce vénérable Vyâsa à la science inaccessible : c’est là ce qui m’a donné l’envie de faire ce que j’ai fait. » 6266.

« La chose, que tu fais par compassion pour ce brahme tombé dans le malheur, elle te sied, mère, lui répondit Youddhishthira, cette chose, que précéda la réflexion.

» Bhîma, j’en suis certain, reviendra, victorieux de l’anthropophage, grâce à la pitié, que tu ressens de toute façon pour ce deux fois né. 6267-6268.

» Mais il faut parler au brahme et t’efforcer de lui fermer la bouche, afin que les habitants de la ville ne sachent rien de cette affaire. » 6269.

Ensuite, quand la nuit se fut écoulée, le fils de Pândou s’étant chargé des vivres, Bhîmaséna de s’acheminer vers la demeure du mangeur d’hommes. 6270.

Parvenu au bois du Rakshasa, le vigoureux Pândouide l’appela de son nom : « Vaka ! Vaka ! » pour lui donner sa réfection. 6271.

Irrité à la voix du héros, le Démon arriva, plein de colère, aux lieux, où l’attendait Bhîma. 6272.

Rakshasa au grand corps, à la grande vitesse, rompant la terre, pour ainsi dire, sous ses pieds, les yeux couleur de sang, les dents saillantes, la barbe et les cheveux rouges, horrible à voir, les oreilles en forme de conque, la bouche fendue jusqu’aux oreilles, contractant ses deux sourcils l’un à l’autre unis comme une courbe à trois pointes, mordant ses lèvres, quand il vit Bhîmaséna lui manger son festin, il ouvrit ses yeux avec colère et dit ces mots : 6273-6274-6275.

« Qui est celui-ci, mangeant là sous mes yeux un repas servi pour moi ? l’insensé il veut donc aller dans les demeures d’Yama ! » 6276.

Bhîmaséna entendit ces paroles en ricanant, fils de Bharata, et, n’ayant aucun souci du Rakshasa, il continua, sans tourner la tête, à manger. 6277.

L’anthropophage de pousser un épouvantable cri, et, levant ses deux mains, de courir sur Bhîmaséna pour le tuer. 6278.

Cependant l’immolateur des héros ennemis regardait avec dédain ce Rakshasa, et le Pândouide au ventre de loup n’en continuait pas moins à lui manger sa nourriture. 6279.

Tout rempli de courroux, le Démon s’avança par derrière et fit tomber ses deux mains sur le fils de Kountî au ventre de loup. 6280.

Frappé violemment par ce coup du vigoureux Démon, Bhîma ne tourna pas même un regard vers lui et ne suspendit pas son déjeûner. 6281.

Encore plus irrité, le puissant Rakshasa empoigne un arbre et s’élance de nouveau sur Bhîma pour l’en frapper. 6282.

Ensuite quand Bhîma, le prince aux vastes forces, eut fini de manger sans hâte et lavé sa bouche, il se tint déterminé au combat. 6283.

Le robuste Bhîma reçut de sa main gauche, en souriant, fils de Bharata, cet arbre lancé avec colère. 6284.

Alors enlevant de nouveau mainte espèce d’arbres, le vigoureux Démon les envoya au fils de Pândou, et Bhîmaséna lui en adressa d’autres. 6285.

Cette bataille à coups d’arbres, que se livraient à la ruine des arbres ce prince des Rakshasas et ce prince des hommes, présentait, auguste monarque, un aspect épouvantable. 6286.

Ayant proclamé son nom, Vaka fondit sur le fils de Pândou ; il étreignit dans ses bras le vigoureux Bhîmaséna. 6287.

Le fort Bhîmaséna aux longs bras, ayant embrassé lui-même ce Démon aux longs bras, l’entraîna de force, malgré sa résistance. 6288.

Traînant le Pândouide et traîné par Bhîmaséna, l’anthropophage s’affaissait dans une accablante lassitude. 6289.

La terre alors de trembler sous leur fougue immense ; eux, alors, de réduire en poudre les arbres aux troncs énormes.

À peine vu que l’anthropophage Rakshasa avait perdu sa force, Vrikaudara le frappe de ses deux genoux et le broie sur la terre. 6290-6291.

Puis, de lui appuyer fortement un genou sur le dos, d’entourer son cou avec la main droite, de charger avec la gauche sur les reins à l’endroit ceint du langouti[8] ; et le Rakshasa de pousser deux fois un hurlement, qui résonna d’une manière épouvantable. 6292-6293.

Ensuite, monarque des hommes, écrasé sous Bhîma, l’horrible Démon vomit le sang par la bouche. 6294.

Après qu’il eut exhalé son dernier souffle dans cet effroyable cri, Vaka, le corps et les flancs brisés, resta immobile comme le mont Himâlaya. 6295.

Épouvanté à ce hurlement du Rakshasa, son peuple, maîtres et suivants, de se précipiter hors de leurs habitations. 6296.

Le vigoureux Bhîma de rassurer ces Démons effrayés, la tête perdue, et de leur imposer cette loi : 6297.

il Gardez-vous de faire jamais du mai aux hommes, car tout malfaiteur serait bientôt frappé de mort, comme celui-ci ! » 6298..

« Qu’il en soit ainsi ! » répondent à ces paroles entendues, les Démons, acceptant cette loi ; 6299.

Et dans cette ville, rejeton de Bharata, les Rakshasas désormais se montrèrent inoffensifs aux hommes, qui habitaient au sein de cette cité. 6300.

Ensuite, ayant pris le corps de l’anthropophage expiré, Bhîma le jeta sur le seuil de sa porte et s’en revint, n’ayant pas été vu par aucun des citadins. 6301.

Quand ils virent ce Vaka, que son effroyable vigueur avait rempli d’orgueil, les parents du monstre s’enfuirent[9] çà et là, égarés par la crainte. 6302.

Le Rakshasa mort, Bhîma revint à l’habitation du brahme et raconta, sans rien omettre, toutes les circonstances de son aventure au monarque Youddhishthira. Ensuite des hommes sortis de la cité virent le Rakshasa expiré sur la terre, baigné dans le sang, incapable de percevoir jamais, ni les sons, ni les couleurs. 6303-6304.

À l’aspect du terrible Démon étendu comme la cime renversée d’une montagne, les citadins restèrent là tous, le poil hérissé d’étonnement. 6305.

Revenus dans Ékatchakrâ, ils répandirent cette nouvelle dans la ville. Tous les habitants alors, sire, femmes, vieillards, enfants, sortent par milliers pour fixer leurs yeux sur le Rakshasa mort. À la vue de cet exploit surhumain, ils adressent tous, monarque des hommes, leurs actions de grâces aux Dieux. 6306-6307.

Puis, ils supputent : « À qui donc échéait le tour de porter au Démon sa nourriture ? » et, trouvant que c’était au brahme, ils se rendent tous chez lui et l’interrogent.

À ces questions réitérées, l’éminent brahme, sans écarter le voile des Pândouides, tint ce langage à tous les citadins : 6308-6309.

« Un certain brahme à la grande âme, consommé dans les mantras, me vit pleurer avec ma famille l’ordre, qui m’était échu de fournir son festin au Rakshasa. 6310.

» II commença par m’interroger sur l’infortune, qui désolait cette ville, et, m’ayant rassuré en souriant, cet homme, le plus vertueux des brahmes, dit ces mots ; « Eh bien ! c’est moi, qui porterai son repas au mauvais Esprit : n’aies sur moi aucune crainte ! » 6311-6312.

» S’étant donc chargé des vivres, il s’en est allé au bois de Vaka, et c’est par lui sans doute que fut accompli cet exploit dans l’intérêt du monde. » 6313.

Ensuite tous les brahmes et les kshatryas au comble de l’admiration, les vaîçyas et les çoûdras dans la joie, offrirent tous un sacrifice à Brahma. 6314.

Et, quand ils eurent assouvi leurs yeux par la vue de cette merveille, tous les citadins s’en revinrent à Ékatchakrà, où les fils de Prithâ continuèrent d’habiter. 6316.





LE TCHAITRARATHA.



Djanamédjaya dit :

« À la suite de ces choses et quand ils eurent tué le Démon Vaka, que firent, brahme, les fils de Pàndou, ces tigres dans l’espèce humaine ? » 6316.

Vaîçampâyana répondit :

« Après qu’ils eurent tué le Démon Vaka, ils habitèrent là, sire, lisant le sublime Véda, dans la maison du brahme. 6317.

Un certain nombre de jours s’étant écoulés, un brahmane aux vœux parfaits, qui cherchait un logis, se présenta dans la maison du brahme. 6318.

Celui-ci, toujours empressé d’exercer l’hospitalité envers tous les étrangers, traita honorablement ce brahme voyageur et lui offrit un logement chez lui. 6319.

Ensuite, tous les princes, fils de Pândou, servirent avec Kountî le nouvel arrivé, qui se mit à raconter de charmantes histoires. 6320.

Il fit passer devant leurs yeux les contrées, les tîrthas, les fleuves, les rois, les pays aux différentes merveilles, et les villes. 6321.

Le pieux conteur mit fin à son récit en leur parlant du swayamvara aux formes admirables, que devait célébrer Yajnasénî chez les Pântchâlains. 6322.

Il dit la naissance de Dhrishtadyoumna, la naissance de Çikhandi, la naissance de Krishna dans le grand sacrifice du roi Droupada, cette princesse, qui n’était pas née du sein d’aucune femme. 6323.

Après qu’ils eurent ouï avec étendue cette histoire, la plus merveilleuse du monde, les jeunes princes lui demandèrent à la fin de son récit : 6324.

Il Comment Dhrishtadyoumna, fils de Droupada, est-il né du feu ? Et comment Draâupadî naquit-elle par un miracle du milieu de l’autel ? 6325.

» Comment Drona, habile à manier les grandes flèches, enseigna-t-il à Droupada tous les astras ? Comment ces deux amis se brouillèrent-ils, et pourquoi ? » 6326.

Invité ainsi par ces nobles princes, le brahme se mit à raconter, sire, toute la naissance de Krishnâ. 6327.

« Vers les portes du Gange vivait, dit le brahmane, un grand saint, aux grandes pénitences, à la grande science, aux vœux toujours inébranlables : il s’appelait Bharadwâdja. 6328.

» Jadis ce pieux rishi vit une éminente Apsara, nommée Ghritâkskî, venue là pour se baigner dans la Gangà, où précédemment elle s’était plongée. 6329.

» Le vent alors de lui enlever son vêtement sur la rive du fleuve : le saint vit donc la nymphe sans voile et s’éprit d’amour. 6330.

» L’esprit du saint voué au célibat dès l’enfance ne put se détacher de ces belles formes : sa semence à la fin s’échappa malgré lui ; il la recueillit dans un de ces vases appelés dronî. 6331.

» De là naquit au sage anachorète son fils Drona, qui lut complètement les Védas et les Védângas. 6332.

» Bharadwâdja avait pour ami un roi, nommé Prishata, auquel fut donné alors un fils appelé Droupada. 6333.

» L’enfant de Prisatha venait continuellement à l’Hermitage ; il jouait avec Drona et lisait les Védas avec lui.

» Prisatha mourut et Droupada fut élevé sur le trône. En ce même temps, Drona entendit parler de Râma, que sa générosité poussait à verser des richesses dans toutes les mains. 6334-6335.

» Au moment où Râma s’en allait dans la forêt, le fils de Bharadwâdja lui dit : « Sache, ô le plus grand des brahmes, que je suis Drona et que le désir de tes largesses m’a conduit vers toi. » 6336.

« Mes flèches et mon corps, lui répondit Râma, c’est là tout ce qui me reste aujourd’hui. Choisis entre ces deux lots, brahmane ; ou mes armes, ou ma personne ! » 6337.

» Que ta sainteté, répartit Drona, veuille bien me donner ses flèches, sans quelle en excepte aucune, avec le secret pour les décocher toutes et celui pour les arrêter. » 6338.

« Soit ! » reprit le rejeton de Bhrigou, en lui donnant ses armes ; et Drona, les ayant reçues, fut au comble de ses vœux. 6339.

Quand Râma lui eut donné la Flèche-de-Brahma, estimée le plus excellent des traits, Drona, l’âme joyeuse, devint sans égal au milieu des hommes. 6340.

Ensuite l’auguste Bharadwâdjide, ce tigre dans l’espèce humaine, se rendit chez Droupada et lui dit : « Sache que je suis, moi, ton ami, sous tes yeux. » 6341.

« L’ignorant n’est pas l’ami du savant, répliqua celui-ci, ni l’homme à pied de l’homme à voiture, ni le sujet du monarque. À quoi bon se targuer d’une ancienne amitié, quand les conditions ne sont plus les mêmes ? » 6342.

À ces mots, l’intelligent brahme, ayant arrêté sa résolution, passa dans le Pântchâli et s’achemina vers la capitale des Kourous septentrionaux, appelée du nom des éléphants. 6343.

Bhîshma de combler avec maintes richesses le sage Drona arrivé dans ses états, et de lui confier ses petits neveux comme disciples. 6344.

Alors, quand il a réuni les princes, ses élèves, pour la ruine de Droupada, le saint anachorète adresse à tous ces paroles : 6345.

« Quelque désir qui soit dans mon cœur, vous devrez me le satisfaire, jeunes princes sans péché, en reconnaissance de mes leçons : promettez-le moi, suivant la vérité.»

Ceux-ci, Arjouna le premier, répondent au révérend : « Qu’il en soit ainsi ! » 6346.

Après que tous les Pândouides eurent achevé l’étude des armes et qu’ils eurent acquis de l’assurance, Drona leur dit une seconde fois, touchant la rémunération de son enseignement : 6347.

« Le fils de Prishata, nommé Droupada, est le souverain de Tchhatravatî : enlevez-lui donc au plus tôt son royaume et donnez-le-moi ! » 6348.

Bientôt les cinq fils de Pândou, ayant vaincu Droupada en bataille, le conduisent prisonnier avec ses ministres sous les yeux de Drona. 6349.

L’anachorète dit :

« Je désire encore que l’amitié m’unisse à toi, monarque des hommes : veuille bien être mon ami. C’est vrai : l’homme qui n’est pas roi ne peut être l’ami d’un roi.

» Aussi, me suis-je efforcé qu’un royaume obtenu vînt me placer de niveau avec toi. Règne sur les bords méridionaux de la Bhagirathî ; je régnerai, moi ! sur la rive septentrionale. » 6350-6351.

À ces mots du sage Bharadwâdjide au monarque Pantchâlain, le plus habile de ceux, qui savent manier les armes, répondit au plus grand des brahmes : 6352.

« Qu’il en soit ainsi ! La félicité descende sur toi, fils de Bharadwâdja à la grande sagesse ! Qu’une éternelle amitié, comme c’est ton sentiment, nous unisse ! » 6353.

Après que ces dompteurs de leurs ennemis, Drona et le Pantchâlain, se furent ainsi parlé, et qu’ils se furent liés d’une solennelle amitié, ils s’en allèrent comme ils étaient venus. 6354.

Mais le ressentiment de cette grande offense ne quitta pas un moment le cœur du monarque ; il devint maigre à force de tristesse. 6355.

Le roi Droupada, en sa colère, visita, cherchant un vengeur, maintes habitations de brahmes aux œuvres accomplies, les plus éminents parmi les deux fois nés.

Il désirait un fils, et cette pensée était continuellement présente à son esprit consumé de chagrins : « Je n’ai pas un fils, qui excelle entre les héros ! » 6356-6357.

Il disait en rougissant de lui-même : « Honte de moi à mes parents, à qui sont nés des fils ! » et l’envie de rendre la pareille à Drona lui arrachait de longs soupirs.

Il avait beau chercher dans sa pensée, il ne trouvait pas qu’il pût atteindre avec sa force de kshatrya à la puissance, à la modestie, à la science, aux exploits de ce Drona ! 6358-6359.

Tandis que ce monarque, le plus vertueux des rois, cherchait à se venger et qu’il errait, noble Bharatide, sur la rive du Gange dans le voisinage de Kalmâshî, il arriva dans une sainte habitation de brahme. Il n’y avait pas là un seul brahmane, qui ne fût initié ; un seul, qui ne fût lié par des vœux. 6360-6361.

L’éminent personnage vit de cette manière deux brahmarshis, pieux instituteurs spirituels, aux âmes domptées, aux vœux parfaits : Yâdja et Oupayâdja étaient leurs noms. 6362.

Brahmes, issus par leur famille de Kaçyapa, les plus saints des rishis, capables de sauver, ils avaient des formes décentes et s’appliquaient de compagnie à la lecture des Védas. 6363.

Il salua les deux hermites en leur offrant toutes les choses, qui peuvent exciter le désir ; car son voisinage avec le plus jeune lui avait enseigné leur puissance.

Il s’approcha d’Oupayâdja aux vœux inébranlables et le combla de présents, attentif au service de ses pieds, ne prononçant que des paroles aimables et lui procurant tout ce qu’il pouvait désirer. 6364-6365.

Après qu’il eut, suivant l’étiquette, rendu ses hommages au pénitent, il dit : « Brahme, fais une chose, qui me donne un fils pour la mort de Drona 1 Je te paierai ce service avec cent millions de vaches. 6360.

» Ou bien tu recevras de moi tout autre don, qui est le cher désir de ton cœur ! Il n’y a point ici à douter de moi. » 6367.

Le saint répondit à son langage : « Je ne veux pas. » Et, de nouveau, Droupada s’empresse autour de lui pour gagner sa faveur. 6368.

Ensuite, quand une année se fut écoulée, sire, Oupayâdja, le plus grand des régénérés, lui dit à propos de sa requête, et d’une voix douce : 6369.

« Mon frère aîné, se promenant au milieu d’un bois épais, a ramassé un fruit tombé sur une terre, dont la pureté n’était pas entièrement connue. 6370.

» Je vis cela, car je suivais alors mon frère sans beaucoup de réflexion. Il n’aura jamais un moment d’hésitation à ramasser même des balayures. 6371.

» Il vit donc le fruit, mais il n’aperçut pas le péché, conséquence de cette faute. De quelle manière en eût-il été autrement, puisqu’il ne mettait aucune différence dans la pureté ? 6372.

» Au temps même, où, lisant le recueil des saintes Écritures, il habitait sous le toit de son gourou, il ne craignait pas de manger une aumône rejetée des autres, 6373.

» Tout en dissertant mainte et mainte fois, sans pitié, sur la vertu des choses mangées. J’entrevois avec les yeux de la conjecture que mon frère sent de nouveau le besoin d’un fruit dans ce moment. 6374.

» Va donc le trouver, monarque des hommes ; il prêtera son ministère à ton sacrifice. » Le prince, qui désirait conserver la mémoire de ces choses, y appliqua sa pensée.

À peine eut-il entendu ces paroles d’Oupayâdja, qu’il se rendit à l’hermitage de son frère ; et, quand il eut honoré cet homme digne de ses hommages, il dit à Yâdja :

» Je te donne huit myriades de vaches, maître ; assiste-moi dans mon sacrifice et veuille bien verser la joie dans mon cœur affligé par l’inimitié de Drona. 6376-6377.

» C’est le plus savant des hommes instruits dans les Védas ; personne ne le surpasse à manier la Flèche-de-Brahma : aussi m’a-t-il vaincu dans une guerre, qu’il m’a faite pour me forcer à le dire mon ami. 6378.

» Il n’existe aucun kshatrya sur la terre, qui l’emporte sur le sage fils de Bharadwâdja, le principal instituteur des jeunes Kourouides. 6379.

» Son grand arc de six coudées se montre sans égal aux yeux, et les multitudes de ses flèches séparent de leurs corps les êtres animés. 6380.

« Sans doute, c’est l’habit de brahme du Bharadwâdjide au grand cœur, aux grandes flèches, qui repousse, émoussée, toute la furie du kshatrya. 6381.

» Tel qu’il se tient, on dirait le fils de Djamadagni résolu à l’extermination des kshatryas : terrible et même inaffrontable aux hommes sur la terre est la force de ses flèches. 6382.

» Environné de la splendeur brahmique, comme le feu, dans lequel on verse l’oblation, le premier dans les exercices du kshatrya, s’il en vient aux mains, il vous brûle sur le champ de bataille. 6383.

» Dans cette double institution du brahme et du kshatrya, la force du brahme est supérieure ; aussi, effrayé de sa vigueur kshatryaine, suis-je venu me réfugier sous la force brahmique. 6384.

» J’ai donc recours à ta sainteté, qui est consommée dans la divine écriture et qui excelle par-dessus Drona. Je veux obtenir un fils invincible dans les batailles et qui puisse terrasser mon ennemi ; procure-moi cet avantage, Yâdja, et je te donne cent millions de vaches ! » 6385.

« Soit ! » lui répondit Yâdja, qui se mit à préparer les choses nécessaires au sacrifice. Il stimula son frère Oupayâdja, qui ne s’y prêtait pas volontiers, mais qui, cependant, ne laissa pas que de s’engager lui-même pour la mort de Drona. 6386.

Oupayâdja aux grandes pénitences d’exposer ensuite à l’Indra des hommes les rites du sacrifice, que les Dieux récompensaient avec un fils. 6387.

« Un fils, lui dit-il, un fils à la grande force, à la grande vigueur, à la grande énergie, tel, enfin, que celui, où aspirent tes vœux, te sera donné, sire. 6388.

» Le monarque de la terre a conquis le fils, qui doit porter la mort au Bharadwâdjide ! Tout ce que l’on demanda pour le succès du sacrifice fut alors donné par Droupada. 6389.

Yâdja, sur la fin du sacrifice, en fit connaître en ces mots le résultat à la reine : « Viens auprès de moi, reine ; les Dieux t’accordent un couple de Prishats[10]. » 6390.

« Brahme, lui répondit la reine, je porte une bouche orgueilleuse et de célestes parfums : tiens-t’en à demander, Yâdja, ce fils, qui est l’objet de mon désir. » 6391.

« Comment, lui répondit Yâdja, une oblation, que je fis bouillir et qui fut bénie par Oupayâdja, ne remplirait-elle pas tes désirs ? Va-t-en, ou reste ! » 6392.

À ces mots d’Yâdja, et tandis qu’il versait dans le feu cette offrande consacrée, s’élança tout à coup du brasier enflammé un Jeune homme semblable à un Dieu, 6393.

Couleur de flammes, épouvantable de formes, coiffé d’une tiare, vêtu d’une admirable armure, tenant un cimeterre, portant des flèches, armé d’un arc et poussant mainte et mainte fois un cri de guerre. 6394.

Il monta sur un char magnifique et s’avança porté sur lui au milieu des Pântchâlains joyeux, qui s’écriaient tous à l’envi : « Bien ! Bien ! » 6395.

La terre ne put supporter les transports de leur joie. Un grand être du haut des airs, où il marchait invisible, proclama ces mots : « Le voici né ce roi, fils du roi, qui fera la gloire des Pântchâlains, et chassera le souci du roi ! » 6396-6397.

Il sortit en même temps du milieu de l’autel une noble vierge, honneur du Pànichâli, aux membres admirables, aux yeux grands, bien noirs, 6308.

Aux yeux comme les pétales du lotus bleu, à la carnation d’azur, aux cheveux bouclés et noire, aux ongles dorés et longs, aux seins potelés, ravissants, aux charmants sourcils ; 6399.

Être de la classe des Immortels, qui s’était fait un corps humain pour se rendre visible, et de qui l’odeur, semblable au parfum du lotus bleu, s’étendait jusqu’à la distance d’un kroça ; 6400.

Elle, qui était revêtue d’une beauté suprême, dont l’image n’existait pas sur la terre, beauté divine, objet de tous les désirs des Yakshas, des Dânavas et des Dieux.

À peine était née cette vierge charmante, qu’une voix non formée dans un corps annonça : « Voici Krishnâ la plus belle de toutes les femmes, qui doit conduire les kshatryas à la mort ! 6401-6402.

» Cette princesse à la jolie taille fera au temps fixé la chose des Dieux : un grand danger doit naître à cause d’elle pour les enfants de Kourou ! » 6403.

À ces paroles, tous les Pântchâlains de crier, tels que des multitudes de lions : la terre ne put supporter l’ivresse de ces hommes remplis de joie. 6404.

La bru de Prishata, qui n’avait pas de fils, s’approcha vers Yâdja et lui dit : «Que ces deux enfants ne connaissent pas d’autre mère que moi ! » 6405.

« Qu’il en soit ainsi ! » répondit Yâdja, désirant faire une chose agréable au monarque. Ensuite ces brahmes, l’âme satisfaite, d’imposer un nom à chaque nouveau-né :

« À cause de sa hardiesse[11], dirent-ils, à cause de son extrême audace, à cause de son éclat[12], à cause de sa naissance au milieu des flammes, que ce noble fils de Droupada soit appelé Dhrishtadyoumna. 6406.

Le nom de Krishnâ fut donné à la jeune fille, parce qu’elle était noire[13] de couleur. C’est ainsi que dans un grand sacrifice naquit à Droupada ce couple d’enfants.

L’auguste Drona lui-même, ayant conduit en son palais à Pântchâli ce Dhrishtadyoumna, eut la générosité de lui enseigner la science des armes : 6407-6408.

« Car il est impossible d’échapper au Destin, qui ne peut manquer d’arriver, » pensait le brahme à la haute sagesse. Il n’agissait ainsi que pour sauver sa gloire. 6409.

Vaîçampâyana dit :

À ce récit, tous les fils de Kountî furent comme percés d’une flèche et l’esprit de ces hommes vigoureux fut, pour ainsi dire, agité de la fièvre. 6410.

Quand elle vit que cette histoire avmt consterné l’âme de ses fils, Kounti aux paroles de vérité s’adressa en ces termes à Youddhishthira : 6411.

« Nous avons habité de longs jours dans la maison du brahme magnanime ; nous avons recueilli des aumônes et nous avons eu du plaisir dans cette ville charmante. 6412.

» Tout ce que le pays a d’enchanteur en bois et en bocages, nous l’avons mainte et mainte fois vu, indomptable héros. 6413.

» Nous n’avons plus autant de plaisir à revoir ici les mêmes lieux ; et les aumônes, guerrier, les délices de Kourou, ont elles-mêmes diminué. 6414.

» Eh bien ! allons chez les Pântchâlains, si tel est ton avis, héros : il nous sera agréable de voir un pays, que nos yeux n’ont pas encore vu. 6415.

» Les Pântchâlains sont très-aumôniers, dit la renommée ; elle rapporte aussi, fléau des ennemis, qu’Yajnaséna est un roi d’une grande piété. 6416.

» Un long séjour dans une seule contrée ne convient pas, c’est mon opinion : eh bien ! dirigeons-là nos pas, si tel est, mon fils, ton sentiment. » 6417.

« Tout ce que pense ta majesté est bon, excellent pour nous, lui répondit Youddhishthira, et c’est à nous de le faire ; mais j’ignore si mes frères puînés sont ou ne sont pas disposés à quitter ce pays. » 6418.

Ensuite, Kountî de proposer le voyage à Bhîmaséna, à Arjouna, aux deux jumeaux ; et tous alors de lui répondre : « Volontiers ! » 6419,

Elle fit donc ses adieux au brahme avec ses fils, et s’achemina vers l’agréable ville du magnanime Droupada.

Tandis qu’ils habitaient là sous leur déguisement, Vyâsa y vint pour voir les Pândouides au grand cœur. À peine eurent-ils vu le fils de Satyavatî arrivant chez eux, ces héros s’avancent à sa rencontre, se prosternent, le saluent et se tiennent debout, les mains réunies aux tempes. 6420-6421-6422.

Ils s’assirent tous avec la permission du solitaire ; et celui-ci, comblé secrètement de leurs hommages, tint aux fils de Prithâ ce langage, que précédait une marque d’affection :

« Bien ! fléaux des ennemis, vous marchez avec le devoir et sur la ligne, que vous ont enseignée les Çâstras. Bien ! vous n’avez pas oublié les honneurs, qui sont dûs aux brahmes. » 6423-6424.

Après ces mots remplis de sens et de vertu, il se mit à narrer telles ou telles histoires différentes, auxquelles le vénérable saint ajouta la suivante : 6425.

« Un Rishi magnanime avait dans le bois de pénitence, raconta l’anachorète, une jeune fille à la taille pudique, aux belles hanches, aux charmants sourcils, douée de toutes les perfections. 6426.

» La vierge était née sous un mauvais destin en châtiment de ses actions faites dans une vie antérieure ; et, toute belle qu’elle fût, elle ne trouvait pas un époux.

» Malheureuse, elle se voua donc à la pénitence pour obtenir un époux ; elle réjouit le Dieu Çiva par ses épouvantables macérations. 6427-6428.

» Satisfait d’elle, l’adorable Çankara dit à cette fille illustre : « Je suis le Dieu, qui donne les grâces ; choisis une grâce, s’il te plaît. » 6420.

Elle répondit, à Içwara ces mots pour le bien d’elle-même : « Je désire un époux doué de toutes les qualités ; » paroles, quelle répéta deux et plusieurs autres fois. 6430.

Içana reprit de sa bouche la plus éloquente de celles qui sont douées de la parole : « Cinq époux te seront donnés à la fois, noble fille. » Ce sont là ses expressions, enfants de Bharata. 6431.

La vierge, à ces mots, dit au céleste donateur des grâces : « Je ne désire qu’un seul époux, seigneur Dieu, par ta grâce. » 6432.

Le Dieu lui répondit avec cette parole suprême : « Tu m’as répété à cinq fois : « Donne-moi un époux. » 6433.

» Mais tu ne verras s’accomplir ces paroles que dans les jours seulement, où tu seras passée dans un autre corps. » Elle est née, revêtue d’une beauté céleste, dans la race de Droupada, et Krishna est la charmante épouse destinée à vos grandeurs. 6434.

» Habitez donc, hommes vigoureux, dans cette ville des Pântchâlains, et vous serez heureux, quand vous aurez obtenu sa noble main : il n’y a là-dessus aucun doute. »

Quand il eut parlé ainsi aux fils de Prithâ, leur illustre aïeul, l’anachorète aux grandes pénitences, dit adieu à Kountî, aux fils de Pândou, et partit. 6435-6436.

Après le départ du vénérable Vyàsa, reprit Vaîçampâyana, les princes Pândouides, l’âme joyeuse, ayant placé Kountî à leur tête, se mirent eux-mêmes en route.

Ces héros arrivent par des routes unies, la face tournée au nord, après un jour et une nuit de marche, au tîrtha Somâçrayayâna. 6437-6438.

Les princes fils de Pândou suivirent les bords du Gange. Le héros Dhanandjaya marchait, tenant levé devant eux un brandon allumé, pour les éclairer et pour intimider les Rakshasas. 6439.

Là, dans les ondes charmantes et solitaires de la Gangâ, s’ébattaient des femmes. Irshou, le roi des Gandharvas, était venu partager ces divertissements du bain. 6440.

Il entendit les pas de ces voyageurs, qui suivaient les bords du fleuve, et ce bruit jeta le puissant monarque dans une violente colère. 6441.

À la vue des héros Pândouides avec leur mère, il fit résonner son arc épouvantable et dit ces mots : 6442.

« Le crépuscule, qui rougit avant la nuit d’une manière épouvantable, ce moment diminué de quatre-vingt lavas[14] est abandonné, reconnaît-on, aux pérégrinations des êtres, qui vont où il leur plaît, des Yakshas, des Gandharvas et des Rakshasas ; la première moitié seulement de ce période est accordée, suivant ce qu’il est dit, aux courses dans les affaires des hommes. 6443-6444.

» Nous et les Rakshasas, nous arrêtons les hommes imprudents, que la cupidité amène sur ces rivages pour l’accomplissement d’un usage ou l’exercice d’un métier.

» Aussi, les personnes, versées dans les Védas, blâment-elles tous les hommes, fussent-ils des rois, appuyés sur des armées, qui vont, la nuit, s’approvisionner d’eau.

» Restez loin de moi ! Ne vous avancez pas vers moi ! Pourquoi ne saviez-vous pas que j’étais venu là, moi, aux bords du Gange ? 6445-6446-6447.

» Apprenez que je suis le Gandharva Angâraparna, qui n’ai besoin de nul autre défenseur que ma force ; car je suis Irshou, le superbe, le cher ami de Kouvéra. 6448.

» Ce bois admirable, nommé Angâraparna, est mon domaine. Je viens m’y divertir le long du Gange, sans obstacle à mes volontés. 6440.

» Ni les Rakshasas, armés de cornes, ni les Dieux, ni les hommes ne mettent le pied dans cette forêt : pourquoi donc y venez-vous ? » 6450.

« Stupide habitant des airs, lui répondit Arjouna, de qui a-t-on besoin de posséder l’agrément, le jour ou la nuit, à l’un ou à l’autre crépuscule, soit dans la mer ou sur les flancs de l’Himâlaya, soit près de cette rivière ? Présent ou futur, on n’a que faire de permission pour le temps, une fois atteint le Gange, le plus saint des fleuves !

» Forts comme nous sommes, nous pourrions te vaincre à cette heure, qui n’est pas celle des combats ; car, farouche monarque, les hommes, qui manquent de force, nous honorent dans les batailles. 6451-6462-6453.

» Jadis est née la Gangâ, qui, sortie de la cime d’or du mont Himalaya, s’en alla par sept canaux mêler son onde aux flots de la mer. 6454.

» Ceux, qui boivent l’eau de ces sept rivières, la Gangâ, l’Yamounâ, née dans le Plaksha, la Sarasvati, la Rathasthâ, la Sarayoû, la Gomatî et la Gantakî, ne gardent pas long-temps les souillures du léché. Ensuite la Gangâ pure, coulant au sein des cieux, devint chez les Dieux, Gandharva, la rivière Alakanandâ. 6455-6456.

» Après, descendue chez les Mânes, la Gangâ y forme le fleuve Vaîtarinî, infranchissable aux damnés : ainsi nous l’a dit Krishna-Dwaîpayâna. 6457.

» Rivière sainte des Dieux, abordable à tous, ouvrant les portes du ciel, comment veux-tu nous l’interdire ? N’est-ce pas le devoir éternel ? 6458.

» Arrêtés par ta voix, nous ne toucherions pas, selon nos désirs, à l’onde pure de la Bhagirathi, qui n’est fermée, qui n’est défendue à personne ! » 6459.

Irrité à ces paroles, Angâraparna de bander son arc et de leur envoyer ses flèches aiguës, semblables à des serpents aux dents venimeuses. 6460.

Aussitôt Danandjaya, le fils de Pândou, fit rapidement tournoyer son brandon, la meilleure des cuirasses, et para tous les traits du Gandharva. 6461.

« Ton moyen est bon pour inspirer la terreur aux hommes, étrangers à la science des astras, lui dit Arjouna ; mais employé contre ceux, qui les ont étudiés, Gandharva, il s’évanouit comme l’écume ! 6462.

» Les hommes excellent, je le vois, sur tous les Gandharvas ; je te combattrai donc avec les armes célestes, Gandharva, et non avec la magie. 6463.

» Vrihaspati, l’honorable instituteur de Çatakratou, donna jadis ce Trait-du-Feu à Bharadwàdja. 6464.

» Agnivéçya le reçut de Bharadwàdja, et mon gourou d’Agnivéçya. Le plus vertueux des brahmes, Drona me le transmit à son tour. » 6465.

Et, ce disant, le Pândouide irrité de lancer au Gandharva ce trait flamboyant du feu, qui incendia son char.

Dhanandjaya saisit par les cheveux, comme une guirlande, le vigoureux Gandharva, sans char, confondu, ébloui par la lumière de la flèche, tombant la tête en bas, et le traîna, l’esprit aliéné par la chùte du trait, vers ses héroïques frères. 6466-6467-6468.

L’épouse du Gandharva, nommée Koumbhînaçi, qui désirait sauver son époux, s’avança vers Youddhishthira, en sollicitant sa protection : 6469.

« Sauve-moi, éminente personne, dit la Gandharvî, et rends à mon époux sa liberté. Celle, qui implore ta miséricorde, seigneur, est une Gandharvî, qui a nom Kounibhlnaçî. 6470.

Youddhishthira dit :

« Qui pourrait tuer un ennemi vaincu dans le combat, dépouillé de sa renommée, sans force, n’ayant plus qu’une femme pour défenseur ? Ami, rends-lui sa liberté, meurtrier des ennemis ! » 6471.

Arjouna de parler ainsi ; « Reçois la vie ; va-t-en : cesse de t’affliger, Gandharva. L’héritier du trône de Kourou, Youddhishthira te fait grâce. » 6472.

« Je suis vaincu, répondit le Gandharva ; je renonce à mon ancien nom et j’abandonne la prétention d’être comme un arbre aux feuilles de charbons ardents[15] Il ne me sied plus de m’enorgueillir dans l’assemblée des hommes, ni de ma force ni de mon nom. 6473.

» Eh bien ! puisque j’ai reçu un tel don, je veux récompenser Arjouna, qui porte les armes divines, en lui communiquant la magie Gandharvique. 6474.

» Mon char, suprême, admirable, fut consumé par le feu de ta flèche : aussi moi, qui naguère étais nommé Tchitraratha[16], je vais m’appeler Dagdharatha[17] désormais. 6475.

» Je donnerai au magnanime, à qui je dois la vie, cette science, que j’ai méritée ici jadis, grâce à la force de ma pénitence. 6476.

» De quel bien n’est pas digne l’homme, qui s’empresse de rassurer le vaincu implorant merci et qui donne la vie à son ennemi ? 6477.

» Cette science appelée Tchaksoushi, que Manou donna à Sonia, celui-ci à Viçvâvasou, et ce dernier à moi, 6478.

» Échue au lâche, à qui son gourou la donne, elle expire ; mais c’est à un héros, que je vais en dire le prix. Écoute-moi ! 6479.

» Toute chose, qu’il désire voir de ses yeux dans les trois mondes, l’initié la verra telle qu’il mérite de la voir. 6480.

» Il acquerrait cette science, l’homme, qui soutiendrait six mois le vœu de rester sur un seul pied ; mais, sans qu’il te faille supporter une pénitence, je vais te communiquer cette science à toi-même. 6481.

» Elle a fait de nous, sire, des êtres supérieurs à l’espèce humaine ; car ceux, qui ont la vue de cette science, surpassent les Dieux mêmes. 6482.

» Je donnerai par centaines, à chacun de tes frères et à toi, des chevaux nés des Gandharvas. 6483.

» Les chevaux d’une nature divine des Gandharvas et des Dieux, fatigués ou non, sont aussi rapides que la pensée ; la vitesse ne leur manque jamais. 6484.

» Jadis on fit pour le grand Indra la foudre, qui devait tuer Vritra : elle se rompit sur la tête du loup par dix et par cent morceaux. 6485.

» Les Dieux honorent cette fortune morcelée de la foudre : le corps de la foudre est dit toute chose, à laquelle est attachée la renommée dans le monde. 6486.

» Ainsi le brahme est appelé celui, qui tient la foudre en sa main ; la caste des kshatryas, celle, de qui la foudre est le char ; les valçyas, ceux qui manient la foudre de l’aumône : la plus jeune des castes, ou les çoûdras, celle, qui exerce la foudre des métiers. 6487.

» Mes coursiers, auxquels ne peut donner la mort un coup de la foudre, sont appelés des kshatryas ; la Cavale enfanta le Rathânga et ceux des chevaux, qui sont réputés des héros. 6488.

» Mes chevaux, enfants des Gandharvas, sont de la couleur, qu’on veut ; ils ont la rapidité, qu’on veut ; ils viennent à la volonté ; ils accomplissent toute volonté, »

« Si la substance de la science, reprit Arjouna, m’est donnée, ou si elle est confiée à mes oreilles par la joie, que tu ressens d’être échappé à l’incertitude, où flottait ta vie, je ne suis pas entièrement satisfait, Gandharva. »

« L’association, c’est évident, répondit celui-ci, est aimable entre les grands. Je te donne la science parce que je suis heureux du présent, que tu m’as fait de la vie. 6489-6490-6491.

» Je recevrai de toi, Bîbhatsou, la flèche incomparable d’Agni : hésite encore, fils de Bharata ! » 6492.

«J’échange mon dard contre tes chevaux, repartit Arjourna. Qu’une éternelle fraternité nous unisse ! Dis-moi, Gandharva : quel danger peut maintenant nous menacer ? 6493,

» Dis, Gandharva ! Peut-il exister rien, qui soit jamais la cause de notre défaite ? Les gens de bien, qui marchent avec la science des Védas, triomphent des ennemis, qui vaguent dans la nuit ! » 6494.

« Vous n’aviez pas de feu perpétuel allumé, répondit le Gandharva, vous n’aviez aucune oblation, un brahme ne marchait pas à votre tête ; c’est pourquoi, fils de Pândou, je n’ai pas craint de vous attaquer. 6495.

» Les Yakshas, les Rakshasas et les Gandharvas, les Piçâtchas, les Ouragas et les Dânavas se plaisent à raconter de longues histoires sur ta judicieuse famille. 6496.

» Héros, j’ai entendu les Dévarshis, depuis Nârada jusqu’au dernier, célébrer les vertus des sages, tes aïeux.

» J’ai vu moi-même, en parcourant ce globe entier, qui a l’Océan pour manteau, quelle était la puissance de ta glorieuse famille. 6497-6498.

» Je sais, Arjouna, que ton maître dans la science de l’arc fut cet illustre fils de Bharadwâdja, de qui le nom est répété dans les trois mondes. 6499.

» Je n’ignore pas, roi des hommes, que vos pères, les propagateurs du sang de Kourou, sont Yama, le Vent, Indra, les deux Açwins et Pândou, c’est-à-dire, lils de Prithâ, les plus vertueux parmi les Dieux et les enfants de Manou. 6500.

» Augustes frères, vous, les plus vaillants de tous ceux, qui portent les armes, vous êtes tous des héros aux grands cœurs, aux âmes célestes, qui remplissez bien vos devoirs. 6501.

» Quoique je n’ignorasse point à quel degré suprême atteint, fils de Prithâ, l’intelligence de vos esprits, j’ai cependant osé faire ici une offense à vos grandeurs, qui ont subjugué leurs âmes. 6502.

» Un être mâle, qui sent de la force en son bras, ne peut supporter, rejeton de Kourou, le mépris, qu’il voit jeter sur lui-même en présence de sa femme. 6503.

» Notre force d’ailleurs s’accroît encore plus dans les nuits : aussi, fils de Kountî, fus-je saisi de colère avec mon épouse ! 6504.

» Je fus vaincu par toi dans ce combat-ci, prince né du soleil par sa fille Tapatî : écoute-moi te raconter quelle en fut ici la cause. 6505.

» La continence est un premier devoir ; tu as su l’attacher en toi, fils de Prithâ ; et c’est pourquoi tu m’as vaincu dans cette lutte. 6506.

» En effet, quel que soit le kshatrya libertin, qui livre un combat dans la nuit ; c’en est fait de sa vie, victorieux héros, de toute manière. 6507.

» Mais tout débauché qu’il soit, fils de Prithâ, le prince, qui donne aux brahmes le premier rang et qui marche avec son pourohita mis à la tête de son empire, foule au pied tous les esprits, qui vaguent dans la nuit. 6508.

» Ainsi, rejeton de Tâpatî, quelque félicité humaine, qu’ils désirent ici-bas, les souverains doivent employer à cette œuvre des pourohitas aux âmes domptées. 6509.

» Que les archibrahmes des princes soient des hommes purs, aux âmes vertueuses, aux âmes parfaitement soumises, aux paroles de vérité, se complaisant à lire les Védas et les six Angas. 6510.

» La victoire et le Paradis après elle sont assurés au roi, qui possède un archibrahme de son palais, instruit des devoirs, pur, éloquent, et d’un aimable caractère. 6511.

» Qu’un souverain choisisse pour son archibrahme un homme doué de vertus afin de conserver les biens acquis et d’acquérir ceux, qui ne le sont pas encore. 6512.

» Désire-t-il voir sa félicité grandir, qu’il ne s’écarte pas des avis de son pourohita : c’est ainsi qu’il réunira complètement sous sa loi ce globe entier, qui a pour manteau l’Océan. 6513.

» Quel que soit le monarque sans brahme, il ne peut triompher nulle part de la terre, s’il n’a pour aide que sa valeur, Tâpatya, et sa noble origine ! 6514.

» Sache donc cette vérité, incrément de la maison des Kourouides : on peut long-temps conserver le royaume, qui possède un brahme à sa tête, 6515.

« Tu viens de prononcer le mot tâpatya, interrompit Arjouna ; j’ai envie de connaître l’étymologie de cette expression tâpatya. 6516.

» Quelle était cette Tâpatî, à cause de laquelle nous sommes appelés Tâpatyas, c’est-à-dire, tes enfants de Tâpatî, nous, les fils de Kountî ? Je désire, bon Génie, que tu me fasses pénétrer dans la vérité de ce terme. »

À ces mots, reprit Vaîçampâyana, le Gandharva de raconter cette histoire à Dhanandjaya, le fils de Kountî, renommé dans les trois mondes : 6517-6518.

« Eh bien ! fils de Prithâ, lui dit-il, ô toi, le plus excellent de tous les êtres, qui sont doués d’intelligence, je vais te narrer exactement toute cette légende, le plaisir de l’âme. 6619.

» Je te dirai l’origine du mot Tâpatya, que je l’ai adressé : écoule, sois attentif. 6520.

» Celle, qui fut nommée Tâpatî, était la fille, égale en splendeur, de cet astre, qui dans le ciel remplit toute l’atmosphère de ses feux. 6521.

» Tâpatî, vouée à la pénitence et renommée dans les trois mondes, était, seigneur, la fille de Savitri et la sœur puînée du Dieu Vivasvat. 6522.

» Ni Déesse, ni Démone, ni Yakshî, ni Rakshasi, ni Apsara, ni Gandharvî, nulle femme quelconque n’était son égale en beauté. 6523.

» Bien douée, resplendissante, bien parée, vertueuse, de bonnes mœurs, parfaite dans tous ses membres, les yeux grands et bien noirs, il n’existait rien, dans les trois mondes, noble Bharatide, qu’on pût lui comparer. Le soleil désirait pour elle un époux, distingué par la science des Védas, les qualités du caractère et les avantages de la beauté. 6524-6525.

» Voyant qu’il fallait donner sa fille, parvenue à l’âge nubile, la pensée de ce mariage ne lui permettait pas un moment de repos. 6526.

» Alors, le puissant roi Sambarana, fils d’Arksba et le plus éminent des Kourouides, s’étudia, fils de Kountî, à mériter la bienveillance du soleil. 6527.

» Docile, pur, dompté, humble dans son langage, la joie des citadins par ses vertus, il honorait dévotement le soleil au commencement de sa carrière, avec des bouquets de fleurs, des corbeilles d’arghya, des parfums et d’autres oblations, avec des macérations et des jeûnes, avec diverses pénitences. 6528-6529.

» Aussi le soleil pensa-t-il que Sambarana, correct dans sa conduite, instruit dans le devoir, sans égal en beauté sur la teiTe, était un époux assorti à sa fille Tapatî.

» Il eut donc envie, noble Kourouide, de donner sa fille à ce Sambarana, né dans une illustre famille et le plus grand des rois ; 6530-6531.

» Car c’était un souverain, qui brillait sur la terre d’une splendeur égale à cette lumière, dont luit au sein des cieux l’astre aux ardents rayons. 0532.

» Les hommes des castes sœurs puînées de la caste des brahmes honoraient Sambarana comme les brahmes, récitateurs des Védas, honorent, fils de Prithâ, le soleil à son lever. 6533.

» Ce roi charmant excellait en splendeur par-dessus tous ses amis et ses rivaux eux-mêmes autant que le soleil surpasse Lunus en beauté. 6534.

» Comme il n’existait pas un époux aussi bien doué de qualités, le soleil pensa de soi-même, rejeton de Kourou, à lui donner Tapatî. 6535.

» Il arriva qu’un jour, fils de Prithâ, ce beau roi à la valeur sans mesure fit une chasse dans les bois situés au pied d’une montagne. 6536.

» Tandis que le monarque s’adonnait à la chasse, fils de Kountî, son cheval incomparable mourut sur la montagne, épuisé de faim et de soif. 6537.

» Sa monture expirée, le roi continua sa route à pied sur la montagne et vit la jeune fille aux grands yeux, sans égale dans le monde. 6538.

» Le fléau des armées ennemies, le plus éminent des rois s’avança seul vers la vierge, qui était seule, et se tint devant elle, la regardant avec des yeux immobiles. 6539.

» Car le monarque s’imaginait, à cause de sa beauté, que c’était Çrî elle-même ; il s’imaginait encore que c’était la splendeur exilée en quelque façon du soleil. 6540.

» Elle semblait à ses yeux la flamme elle-même du soleil par le corps et la lumière ; mais le plus pur croissant de la lune par le charme et la sérénité. 6541.

» Debout, Sur le dos de la montagne, la nymphe aux yeux bien noirs paraissait comme une statue d’or, frappée des rayons du soleil. 6542.

» Illuminée par ses parures et sa beauté, on eût dit que la montagne était faite d’or entièrement avec ses arbres, ses arbrisseaux et ses lianes. 6543.

» À sa vue, le roi méprisa les femmes de tous les mondes et s’imagina que ses yeux avaient obtenu leur paradis.

» Rien de tout ce qu’il avait pu voir de beauté ; à remonter jusqu’au jour de sa naissance, pensait le monarque n’eût supporté aucunement la comparaison avec elle. 6544-6645.

» Son âme et ses yeux étaient liés alors comme avec des chaînes de perfections ; il ne bougeait pas de sa place ; il n’avait pas d’autre pensée que celle-ci : 6546.

« C’est Brahma sans doute, qui fit apparaître cette belle aux grands yeux pour agiter les mondes des hommes, des Asouras et des Dieux. » 6547.

» Ainsi pensait alors ce roi Sambarana, se disant que la jeune vierge n’avait pas son égale au monde pour la richesse de ses trésors de beautés. 6548.

» À la vue de cette illustre jeune fille, ce roi d’une famille illustre, blessé par une flèche de l’amour, abandonna toute son âme à la même pensée. 6549.

» Consumé par le feu dévorant de l’amour, le hardi monarque dit ces mots à la craintive et ravissante demoiselle : 6550.

» Qui es-tu, vierge aux cuisses rondes comme le bananier ? Et pour quelle raison te tiens-tu ici ? Et comment marches-tu seule ainsi dans une forêt déserte, fille au candide sourire ? 6551.

» On ne voit rien, qui soit à blâmer dans aucun de tes membres ; tu es parée de toutes les parures, mais tu es, certes ! le plus bel ornement toi-même de toutes ces parures. 6552.

» Je ne crois pas que nulle des femmes, ravissante dame, que j’ai vues ou dont j’ai ouï parler, soit ton égale, ni fille de Manou, ni Gandharvî, ou Nâgî, ni Rakshasî, ni Vakshî, ni Asourî, ni même Déesse. 6553-6554.

» Depuis que j’ai vu ton visage aux yeux couleur des pétales du lotus bleu, ce visage, plus charmant que la lune, l’amour broie mon cœur, pour ainsi dire, nymphe au joli visage. » 6555.

» C’est ainsi qu’il s’adressait à la jeune fille ; mais elle ne répondit point alors un seul mot dans la forêt solitaire au monarque de la terre, que tourmentait l’amour.

» Ensuite, abandonnant le prince même à ses lamentations, la nymphe aux grands yeux disparut, comme un éclair, au sein des nuages. 6556-6557.

» Il se mit donc à parcourir, sans relâche, de tous côtés la forêt comme un fou, cherchant la fille aux yeux couleur des pétales du lotus bleu. 6558.

» Mais ne la voyant pas, le meilleur des rois, ayant soupiré là mainte et mainte plainte, resta une heure sans mouvement. 6559.

» Comme il ne pouvait la voir, ce prince, de qui le bras faisait tomber des multitudes d’ennemis, tomba donc lui-même évanoui d’amour sur le sol de la terre. 6560.

» Tandis qu’il gisait ainsi, la nymphe au charmant sourire, aux lombes vastes et potelés, revint et vit le monarque étendu sur la terre. 6561.

» La noble demoiselle parla d’une voix douce au monarque destiné à propager la race de Kourou et de qui l’amour avait transpercé le cœur. 6562.

« Lève-toi ! lève-toi, dompteur des ennemis, s’il te plaît ! lui dit en riant Tapatî d’une voix caressante. Il ne te sied pas, sous les yeux du monde, roi des rois, de rester ainsi couché sur la terre, ta raison évanouie ! »

À ces mots articulés d’une voix douce, le prince vit, debout en face de lui, cette nymphe aux vastes lombes. 6563-6564.

» Le prince alors de répondre en ces termes, d’une voix aux syllabes oppressées et l’âme toute enveloppée par le feu de l’amour, à cette jeune fille aux yeux noirs :

« Allons, noble dame aux yeux noirs ! aime-moi, comme je t’aime, moi, que l’amour consume ; car le souffle de la vie m’abandonne. 6565-6566.

» À cause de toi, vierge aux grands yeux, aussi brillante que la corolle du lotus, l’amour ne cesse de me percer avec ses flèches aiguës. 6567.

» Accueille, noble fille au charmant visage, aux lombes vastes et potelés, accueille la prière d’un homme, que mordit en silence le grand serpent de l’amour. 6568.

» Ma vie dépend de toi, femme au parler semblable au chant des Kinnaras, au visage pareil à la lune ou au lotus, aux membres tous beaux et d’un modelé parfait.

» Car la vie, fille craintive, m’est, certes ! une chose impossible, tant ce cruel Amour, vierge aux yeux couleur des pétales du lotus bleu, m’accable de ses traits ! 6569-6570.

» Étends donc sur moi ta compassion, demoiselle aux grands yeux ; ne veuille pas m’abandonner, moi, qui t’aime, demoiselle aux yeux noirs. 6571.

» Daigne me guérir avec le remède de ton affection, noble dame ; car l’amour, que ta vue m’inspire, agite mon âme d’un violent frisson. 6572.

» Depuis que je t’ai vue, éminente vierge, je n’ai plus aucune envie de voir quelque autre femme. Exauce ma prière, je suis ton esclave : réponds à mon amour. 6573.

» À ta vue, jouvencelle au corps suave, à la jolie taille, aux grands yeux, l’amour m’a tué on me perçant de trois flèches. 6574.

» Adoucis avec des ondes, auxquelles se mêle intimement ta sympathie, fille aux yeux de lotus, cet incendie, que les feux de l’amour ont fait naître en moi. 6575.

» Apaise avec le don de ta personne, noble fille, cet inaffrontable Dieu aux armes de fleurs, à l’arc encoché de flèches irritées, enfant né de ta vue, qui me perce de ses dards intolérables. Qu’un mariage Gandharvique, illustre demoiselle, te mette dans mes bras. 6576-6577.

» En effet, l’union Gandharvique, jouvencelle aux cuisses rondes comme le bananier, est la meilleure des unions. » Tapatî lui répondit : « Sire, je ne suis pas la maîtresse de ma personne ; car je suis une jeune fille encore sous la puissance de son père : si tu as mis en moi tes affections, demande-lui ma main. Si je t’ai pris ta vie, roi des hommes, ta vue m’a ravi bien plus encore toute la mienne. 6578.

» Mais je ne puis m’approcher de toi, ô le plus vertueux des souverains, car je ne suis pas la maîtresse de moi-même : les femmes en effet ne sont pas indépendantes. 6579.

» Quelle jeune fille n’ambitionnerait pour défenseur, époux, ami dévoué, un roi, de qui la famille est illustre dans tous les mondes ? 6580.

» Supplie donc, aussitôt l’instant venu, le soleil, mon père, avec tes salutations, tes vœux et ta pénitence. 6581.

» S’il veut bien me donner à toi, dompteur des ennemis, je serai dès ce jour, sire, marchant à jamais sous ta volonté. 6582.

» Car, ô le plus éminent des kshatryas, moi, de qui le nom est Tapatî, je suis la sœur puînée de Sâvitrî et la fille du soleil, flambeau de ce monde. » 6583.

» À ces mots, dit le Gandharva, la ravissante nymphe s’envola rapidement au sein des airs et le roi tomba de nouveau évanoui sur la terre. 6584.

» Le ministre, qui cherchait avec son escorte et son armée ce roi, le plus grand des souverains, le trouva dans la vaste forêt. 6585.

» Il vit ce héros gisant abandonné sur la terre, comme un drapeau arboré d’Indra, qu’on eût jeté à bas, une fois terminée sa fête. 6586.

» Le ministre se sentit à cette vue comme brûlé par le feu ; il courut vite à lui, avec cet empressement, qu’inspire l’amitié. 6587.

» Il releva ce prince évanoui d’amour, tel qu’un fils, héritier d’une couronne, est relevé par le roi son père du sol de la terre, oû il est tombé. 6588.

» Quand le ministre, avancé en âge, en science, en renommée, en politique, l’eut mis sur son séant, toutes ses inquiétudes s’évanouirent. 6589.

» Il dit à l’amant relevé, d’une voix douce et polie :

« Ne crains pas, tigre des hommes ! La félicité descende sur toi, monarque sans péché ! » 6590.

» Le prince, qui faisait tomber les ennemis sur le champ de bataille, est lui-même tombé, pensait-il, sur le sol de la terre. 6591.

» La tiare du roi s’était brisée ; il arrosa donc sa tête avec une onde fraîche, embaumée par la fleur des lotus.

» Aussitôt que le monarque eut repris ses sens, il congédia toute son armée et ne garda avec lui que le ministre seul. 6592-6593.

» La grande armée partit au commandement du roi, et le roi continua de rester sur ce plateau de la montagne. 6594.

» Là, s’étant purifié, il se tint debout sur la terre de ce roi des monts, les mains réunies aux tempes et la tête continuellement levée dans son désir de gagner la faveur du soleil. 6595.

» Le roi Sambarana de tourner alors sa pensée vers le plus saint des rishis, son archibrahme Vaçishtha, la mort des ennemis. 6596.

» Tandis que le puissant monarque se tenait jour et nuit sur la même place, le brahmarshi se rendit vers lui dans le douzième jour ; 6597.

» car le grand saint à l’âme contemplative savait que Tapatî avait enlevé son âme au roi : il en avait reçu les nouvelles d’une manière toute céleste. 6598.

» Comme il avait envie de servir les intérêts du prince à l’âme enchaînée dans ses vœux, le plus vertueux des anachorètes, le devoir même incarné, s’entretint avec lui. 6599.

» Le vénérable saint, aussi brillant que le soleil, s’éleva dans les airs, à la vue même du monarque, et s’en fut voir l’auteur de la lumière. 6600.

» Ses mains réunies en coupe, le brahme s’approcha de l’astre aux mille rayons et, s’annonçant lui-même, prononça affectueusement ces mots : « Je suis Vaçishtha. » 6601.

» Vivasvat à la splendeur éclatante dit au plus vertueux des anachorètes : « Sois le bienvenu, grand saint ! dis-moi ce que tu désires. 6602.

» Quelque chose, que tu souhaites de moi, éminente personne, le plus excellent des êtres, qui sont doués de la parole, je comblerai ton espérance, n’importe sa difficulté. » 6603.

» À ces mots du radieux Vivasvat, le rishi Vaçishtha, l’homme aux grandes pénitences, s’incline et lui répond : 6604.

« Tu as une fille, Vibhâvasou, nommée Tapati, la sœur puînée de Sâvitrî : je te demande sa main pour le roi Sambarana. Il sait le devoir, son intelligence est vaste, sa renommée est immense ; c’est un époux convenable pour ta fille. Dieu, qui marches sans repos dans les airs. » 6605-6606.

» À ces mots, l’auteur du jour se décide : « Il me faut la donner ! » Il salue le brahme et lui adresse ces paroles : 6607.

« Sambarana est le plus grand des souverains ; toi, anachorète, tu es le plus grand des saints ; Tapatî est la première des femmes : quelle autre chose puis-je faire que vous l’accorder ? » 6608.

» Ensuite, le soleil donna lui-même pour Sambarana au magnanime Vaçishtha cette nymphe irréprochable en tous ses membres. 6609.

» Le grand saint Vaçishtha, congédié par le soleil, s’en revint donc, emmenant la jeune Tapatî, 6610.

» Là où le monarque au nom célèbre, le chef des Kourouides, attendait, blessé par l’amour et son âme hors de lui-même. 6611.

» À peine celui-ci eut-il vu la vierge céleste au charmant sourire s’avancer aux côtés de Vaçishtha qu’il fut transporté d’une joie suprême. 6612.

» La nymphe aux jolis sourcils descendait de la voûte du ciel, déployant une splendeur immense, comme l’éclair, tombé du firmament, éclaire toutes les plages de sa lumière. 6613.

» Le prince avait à peine vu s’écouler sa douzième nuit que déjà revenait Vaçishtha, le vénérable rishi à l’âme pure. 6614.

» Parle Dieu, qui départ les grâces, Içwara-Gopati, de qui sa pénitence avait mérité la faveur, et par la vigoureuse intercession de Vaçishtha, Sambarana avait donc obtenu une épouse. 6615.

» Le roi des rois reçut, suivant les rites, la main de Tapatî sur la reine des montagnes, habitée par les Dieux et les Gandharvas. 6616.

» Après que Vaçishtha eut pris congé du roi, il plut à celui-ci de se divertir sur la montagne avec son épouse.

» Ce monarque alors mit son ministre à la tête de sa capitale, de son royaume, des bois et des bocages.

» Une fois ses adieux faits au prince, Vaçishtha s’en alla ; et le roi s’abreuva de plaisirs, comme un Immortel, sur la belle montagne. 6617-6618-6619.

» Il s’écoula douze années, tandis que le roi s’amusait avec sa femme dans les eaux et les bois de cette alpe sourcilleuse. 6620.

» Mais durant ces douze ans le Dieu aux mille regards, ô le plus vertueux des Bharatides, ne fit tomber la pluie, ni dans la ville de ce roi, ni dans tout son royaume. 6621.

» Le cours de cette longue sécheresse entraîna, dompteur des ennemis, toutes les créatures, mobiles et immobiles, à leur perte. 6622.

» Tant que régna une telle intempérie si cruelle, la rosée ne tombait pas sur la terre, et, par suite, les semences ne poussaient pas. 6623.

» Les hommes, que dévorait la faim, abandonnant leurs maisons, erraient, l’âme agitée, à tous les points du ciel et dans toutes les plages intermédiaires. 6624.

» Tous ces gens, que les tourments de la faim contraignaient à quitter femmes et serviteurs, ne reconnaissaient plus aucune loi dans la ville et dans le royaume, les uns à l’égard des autres. 6625.

» La ville capitale remplie d’hommes sans nourriture, torturés par la faim, semblables à des cadavres, était alors comme la ville infernale, couverte de morts, où trône le roi des morts. 6626.

» À la vue d’une telle calamité, l’auguste rishi Vaçishtha à l’âme juste, le plus vertueux des anachorètes, fit tomber lui-même de la pluie. 6627.

» Il ramena le puissant monarque, accompagné de Tapatî, dans cette ville, sire, habitée pour des années éternelles. 6628.

» Quand ce roi des rois fut rentré dans sa ville, comme s’il était Indra, qui revînt là, où il habitait avant, l’Immortel aux mille yeux, qui détruit les ennemis des Dieux, rouvrant les trésors de la pluie, fit renaître les moissons ; et la ville, rendue à la vie par ce grand suzerain à l’âme contemplative, s’abandonna avec tout le royaume aux plus vifs transports de la joie. 6629-6630.

» Ensuite le monarque en compagnie de Tapatî, son épouse, comme le roi des Vents, accompagné de Çatchî, célébra le sacrifice de douze ans. 6631.

» C’est ainsi, ajouta le Gandharva, que l’éminente fille de Vivasvat, nommée Tapati, fut l’une de tes aïeules ; et c’est d’elle, fils de Prithâ, que te vient ce nom de Tâpatya. 6632.

» Le roi Sambarana engendra Kourou au sein de cette Tapatî ; et voilà, ô le plus grand des pénitents, comment tu es, Arjouna, un Tâpatya. » 6633.

À ces mots, Arjouna, reprit Vaîçampâyana, resplendit de la plus haute vénération, fils de Bharata, comme la lune dans sa pléoménie. 6634.

Ce héros, le plus vertueux des Kourouides, à qui Vaçishtha inspirait la plus vive curiosité par la force de sa pénitence, dit au Gandharva : 6635.

» Tu viens de prononcer le nom du rishi Vaçishtha ; j’ai envie d’écouter cette légende, raconte-la-moi exactement. 6636..

» C’est lui, roi des Gandharvas, qui fut l’archibrahme domestique de mes aïeux : dis-moi qui était ce vénérable saint. » 6637.

« Vaçishtha, l’époux d’Aroundhatî, répondit le Gandharva, était le fils intellectuel de Brahma. La colère et l’amour, ces deux passions toujours invincibles aux Immortels eux-mêmes, furent domptées par lui, et vinrent abaisser leur front à ses pieds. En effet, quoique l’offense de Viçvâmitra eût excité en lui un profond ressentiment, ce brahme à la vaste intelligence ne le poussa point jusqu’à l’extermination des rejetons de Kouçika. 6638-6639.

» Consumé de chagrin par la mort de ses fils, tout rempli qu’il fût de puissance, il la retint enchaînée et ne voulut pas faire un acte épouvantable pour donner la mort à Viçvâmitra. 6640.

» Comme la grande mer, qui jamais ne franchit ses rivages, il n’attaqua point Yama pour arracher ses fils morts aux sombres demeures. 6641.

» Appuyés sur le magnanime brahme à l’âme domptée, les princes nés d’Ikshwakou, ces grands monarques des hommes, purent conquérir ce globe entier. 6642.

» Quand ils eurent obtenu, rejeton de Kourou, ce Vaçishtha, le plus smiit des rishis, pour archibrahme de leur palais, ces rois célébrèrent de grands sacrifices.

» Ce fut ce brahmarshi, qui célébra les sacrifices de tous ces pieux monarques, comme Vrihaspati célèbre ceux des Immortels. 6643-6644.

» Qu’on pourvoie donc à l’office d’archi-prêtre domestique avec un brahrtie vertueux, que chacun voudrait posséder, instruit dans les règles du Véda, et placé lui-même à la tête du devoir. 6645.

» Celui, qui est né roi, fils de Prithâ, et qui a l’ambition de conquérir la terre, doit commencer par se donner un archibrahme domestique pour l’accroissement de son royaume. 6646.

» Le choix d’un brahme est la première chose, qu’ait à faire le roi, qui veut subjuguer la terre. 6647.

» Adoptez donc pour votre pourcdiita un brahine quelconque, mais vertueux, savant, qui a vaincu les organes des sens, auquel est bien connue la vraie nature de l’amour, de l’intérêt et du devoir. » 6648.

Arjouna dit :

« Quelle offense alluma l’inimitié entre Vaçishtha et Viçvâmitra, au temps que le premier habitait dans l’hermitage céleste ? Dis-nous encore tout cela. » 6649.

Le Gandharva lui répondit :

« Fils de Prithâ, cette légende de Viçvâmitra est nommée un Pourâna dans tous les mondes : écoute-la de ma bouche exactement. 6650.

» Un grand monarque vécut dans le Kânyakoubdja ; il fut célèbre dans le monde sous le nom deGâdhi ; c’était, noble Bharatide, le fils de Kouçika. 6651.

» Il naquit à ce vertueux roi un fils appelé Viçvâmitra ; celui-ci écrasa les ennemis, qu’il broyait avec ses chars nombreux, avec sa nombreuse armée. 6652.

» Un jour, accompagné de son ministre, il s’en fut à la chasse dans une épaisse forêt, abattant les sangliers et les gazelles en des landes pittoresques. 6653.

» Harassé de fatigue, avide de gibier, consumé par la soif, il parvint, noble prince, à l’hermitage de Vaçishtha. 6654.

» Aussitôt qu’il vit arrivé chez lui cet auguste Viçvâmitra, Vaçishtha, le plus grand des saints, l’accueillit avec honneur, 6655.

» Et le reçut avec la corbeille hospitalière, avec l’eau pour se laver les pieds, avec l’eau pour se purifier la bouche, et lui offrant le beurre, production de sa forêt.

» Le magnanime Vaçishtha dit à sa vache Kâmadhénou : « Donne-lui tout ce « qu’il souhaite ! » Et celle-ci laissa traire de sa mamelle tout ce que le roi pouvait désirer. 6656-6657.

» Il tira du pis les herbes sauvages et civilisées, du lait, des mets dans les six saveurs, un lait de beurre incomparable et tel que l’ambroisie ; 6658.

» Des nourritures, des breuvages, les aliments les plus variés, Arjouna, des choses à lécher et à sucer, pareilles à l’amrita même ; 6669.

» Des joyaux de grand prix et toute sorte de vêtements. Le monarque fut traité avec l’entier accomplissement de ses désirs, et s’abreuva alors de plaisirs avec son ministre et son armée. 6660.

» Le roi de contempler avec admiration cette vache ravissante aux jolies formes, de cou et de tête longs et bien nourris, aux yeux comme la fleur de mandoûka, à la belle queue velue, aux oreilles en fer de lance, aux cornes charmantes, portant les outres de ses mamelles gonflées. 6661-6662.

» Après qu’il eut congratulé Nandini, le roi fils de Gadhi tint alors, tout enchanté, sire, ce langage au rishi : 6663.

« Donne-moi Nandini pour cent millions de vaches, brahme, ou même pour mon royaume entier : jouis de mon royaume, grand anachorète ! » 6664.

« Nandini, cette vache bonne laitière, m’a été donnée, répondit Vaçishtha, pour me fournir les chosesdu sacrifice, traiter mes hôtes, honorer les Dieux et les mânes de mes ancêtres. Je ne puis te la donner, irréprochable monarque, au prix même de ton royaume. 6665.

» Je suis un kshatrya ; et ta sainteté, reprit Viçvâniilra, est un brahme, de qui la perfection est dans la pénitence et la récitation des Védas. Que servirait la force aux brahmes, ces êtres placides aux âmes constantes ? 6666.

Sache, toi, qui ne veux pas me donner Nandini pour cent millions de vaches, que je n’abandonnerai pas le caractère de macaste, et que je vais enlever de force ta vache ! »

« Tu es un roi puissant, répondit Vaçishtha ; le kshatrya a bras et courage : fais donc promptement ce que tu as envie de faire ; ne balance pas ! » 6667-6668.

» Excité par ces mots, fils de Prithâ, Viçvâmitra d’enlever comme de force la vache semblable à un cygne ou à l’astre des nuits. 6669.

» En la chassant avec le fouet ou le bâton, en la poussant d’ici et de là, contrainte à marcher, la noble Nandini vint se mettre en face de Vaçishtha, se tint la tête levée sur le révérend et, malgré les coups, ne sortit pas de l’hermitage. 6670-6671.

» Vaçishtha dit :

« J’entends que tu pousses, ma belle vache, mainte et mainte fois des mugissements. Tu es enlevée de force, noble Nandinî, par Viçvâmitra ; mais que puis-je faire ici ? car je suis un brahme, voué à la patience. » 6672.

» Sous la peur de ces troupes d’hommes, et troublée par la crainte de Viçvâmitra, Nandinî se rapprochait toujours plus de Vaçishtha. 6673.

« Ta révérence, lui dit la vache, ne me voit-elle pas frappée avec des bâtons et le bout des fouets par ces épouvantables cohortes de Viçvâmitra, et n’entend-elle pas que je pousse des cris comme une abandonnée ? » 6674.

» Le grand anachorète ne s’émut point alors des cris, « que poussait, des violences, que souffrait sa Naiidinl ; et, ferme dans ses vœux, il n’abandonna point le devoir. 6675.

» L’emportement est la force des kshatryas, mais la patience est la force des brahmes, répondit Vaçishtha : en moi réside la patience ; elle te permet d’aller avec eux, s’il te plaît. » 6676.

« Révérend, est-ce que tu m’abandonnes, reprit la vache, quand tu parles de cette manière ? Abandonnée par toi-même, il serait encore impossible qu’on réussît à m’emmener de force. » 6677.

« Je ne t’abandonne pas, noble quadrupède, lui répondit Vaçishtha : reste, si tu peux ; mais voici ton veau, qu’on emmène de force, lié d’une corde solide. » 6678.

» À peine eut-elle entendu ce mot de Vaçishtha ; « Reste ! » la vache, courbant sa tête et son cou en l’air, parut d’un aspect épouvantable. 6679.

» Les yeux rouges de colère, poussant un son renflé de beuglement, elle courut de toutes parts sur l’armée de Viçvâmitra. 6680.

» Frappée avec des bâtons et le bout des fouets, poussée de droite et de gauche, les yeux embrâsés de colère, sa colère en fut elle-même redoublée. 6681.

» Son corps, enflammé par la fureur, s’illumina comme le soleil au milieu du jour ; et, versant de sa queue mainte et mainte grande pluie de charbons ardents, 6682.

» Elle créa de cette queue les Poulhavas ; de son urine les Dravidas et les Çakas ; de sa matrice les Yavanas ; et, de sa fiente, les nombreux Çavaras. 6683.

» Elle fit naître encore de son urine les Kântchis et les Çarabhas mêmes ; de ses flancs, les Paâundras, les Kiratains, de nouveaux Yavanas, les Sinhalains et les Varbaras, soumis au joug, 6684.

» Et les Tchivoukas, et les Poulindas, et les Chinois, et les Huns, et les Kérulas. La vache produisit encore de son écume les nombreuses et différentes sortes de Mlétchas.

» Quand elle eut fait sortir d’elle-même ces grandes armées et ces mille phalanges de barbares, vêtus de tous les costumes, tenant toutes les espèces d’armes, 6685-6686.

» L’armée du fils du Gadhi en fut inondée, et chacun de ses guerriers fut investi, sous les yeux mêmes de Viçvâmitra, par cinq ou par sept de ces combattants irrités.

» Blessée par une grande averse de flèches, son armée, saisie de crainte alors, fut rompue de tous les côtés à la vue de Viçvâmitra. 6687-6688.

» Mais aucun de ses hommes ne périt sous les coups, éminent Bharatide, de ces Vaçishthains, qui ménageaient leur vie dans la colère même. 6689.

» La vache se contenta de refouler toute son armée au loin et de la repousser jusqu’à trois yodjanas. 6690.

» À l’aspect de cette grande merveille et voyant se manifester ainsi la supériorité de puissance donnée aux brahmes, les Viçvâmitrains, poussant des cris et troublés par l’épouvante, ne trouvaient nulle part un défenseur.

» Le roi, que sa condition de kshatrya jetait dans le mépris de soi-même, dit alors ces paroles : « Honnie soit ma force ! Honnie soit la force du kshatrya ! La force de l’énergie brahmique est seule une vraie puissance ! » 6691-6692.

» Pesant le fort et le faible des choses, et considérant que la plus haute pénitence est l’origine même de la force, il abandonna son opulent royaume et son éclatante couronne humaine. 6693.

» Il foula aux pieds toutes les voluptés, appliqua entièrement sa pensée aux macérations, atteignit à la perfection par sa pénitence et raffermit les mondes par son énergie. 6694.

» Le rejeton de Kouçika se soumit avec une ardente vigueur à toutes les macérations ; il obtint le brahmanat et but le soma avec Indra. 6695.

» Il fut dans le monde, ajouta le Gandharva, un roi nommé Kalmâshapâda. Il était né, fils de Prithâ, dans la race d’ikshvâkou et n’avait pas sur la terre son égal en splendeur. 6696.

» Un jour, ce monarque exterminateur des ennemis sortit de sa ville et s’en alla chasser dans les bois, où il égara ses pas, abattant les gazelles et les sangliers. 6697.

» Il tua un grand nombre de rhinocéros, et, fatigué d’une bien longue chasse, il s’en revint de cette forêt épouvantable. 6698.

» L’auguste monarque Viçvâmitra désirait pour sacrificateur un magnanime rishi, fils de Vaçishtha et le plus vertueux des anachorètes. 6699.

» Consumé par la soif, consumé par la faim, suivant sa route avec une extrême attention, le roi, non vaincu dans les combats, vit un solitaire, que le même chemin avait conduit en face de lui. 6700.

» Cette éminente personne avait nom Çaktri ; incrément de la race des Vaçisthides, c’était l’aîné de cent fils du magnanime Vaçishtha. 6701.

« Retire-toi ! ce chemin est à nous, » dit le roi brusquement ; et le saint répondit en le caressant d’une voix polie : 6702.

« Mon chemin, grand roi, c’est le devoir éternel : le prince doit céder le pas aux brahmes dans tous les devoirs. » 6703.

» C’est ainsi qu’ils se parlèrent mutuellement au sujet du chemin ; l’un disait : « Va-t-en ! » à l’autre, qui lui répondait avec ce mot : « Va-t-en. » 6704.

» Le brahme, se maintenant ferme sur la route du devoir, ne se retirait pas ; et la colère empêchait le roi de s’en aller pour le respect, qu’il devait à l’anachorète. 6706.

» Alors, dans sa démence, le puissant monarque de frapper, avec son fouet et comme un Rakshasa, le saint hermite, qui ne voulait pas lui céder le chemin. 6706.

» Frappé ainsi par le coup de fouet, le Vaçishthide, le plus vertueux des anachorètes, maudit, égaré par la colère, le plus éminent des rois : » 6707.

« Parce que tu frappes, comme un Rakshasa, vil monarque, un homme voué à la pénitence, tu vas devenir à commencer de ce jour un anthropophage. 6708.

» Tu parcourras cette terre, enchaîné à des festins de chair humaine. Va-t-en, ô le plus abject des rois ! » Ainsi parla Çaktri, qui avait la force, que donne la vigueur de la pénitence. 6709.

» Ensuite un sacrificateur, que Viçvâmitra cherchait et qu’il ne put obtenir, fit naître encore l’inimitié entre Viçvâmitra et Vaçishtha. 6710.

» Tandis qu’ils en débattaient la question, fils de Prithâ, un saint aux effroyables pénitences s’approcha d’eux. L’auguste Viçvâmitra, le plus grand des rois, connut plus tard que ce révérend était Çaktri, le fils de Vaçishtha et comme un second Vaçishtha lui-même en puissance. 6711-6712.

» Ensuite Viçvâmitra, s’étant dérobé aux yeux par l’envie d’atteindre à la perfection, les dépassa, fils de Bharata, l’un et l’autre. 6713.

» Mais, frappé d’une malédiction par Çaktri, l’éminent roi de recourir à sa protection, honorant Çaktri afin de gagner sa bienveillance. 6714.

» Car celui-ci, quand il vit se manifester, ô le plus vertueux des enfants de Kourou, le naturel du souverain des hommes, avait expédié un Rakshasa au roi Viçvâmitra.

» Alors un Rakshasa, nommé Kinkara, d’entrer à l’insu de Viçvâmitra, dans le corps du roi, sur la malédiction du brahme. 6715-6716.

» À peine l’éminent anachorète eut-il vu le Rakshasa maître de Viçvâmitra, le possédé s’enfuit aussitôt de ce lieu, invincible héros. 6717.

» Sous la violente oppression de ce Démon caché dans lui, fils de Prithâ, il avait perdu le souvenir de toute chose. 6718.

» Ayant pénétré dans une forêt, il y fut rencontré par un certain brahme, qui, pressé par la faim, lui demanda quelque viande à manger. 6719.

» Le saint roi dit au deux fois né, qui endurait par pénitence les feux du soleil : « Assieds-toi, brahme, et attendsmoi ici un instant ! 6720.

» Je te donnerai de la nourriture à mon retour, suivant tes désirs. » Le roi partit à ces mots et l’excellent brahme resta là. 6721.

» Quand le magnanime roi se fut promené à son gré, où le portait sa fantaisie, il s’en revint à son palais et, fils de Prithâ, il entra dans son gynœcée. 6722.

» Au milieu de la nuit, le roi se souvint de la promesse, qu’il avait faite au brahme ; il se leva, fit venir à la hâte son cuisinier, et lui dit : 6723.

« Va en telle forêt ; un brahme m’y attend : il a besoin de manger ; donne-lui des aliments et de la viande. »

» À ces mots le cuisinier s’en va et, n’ayant trouvé de viande nulle part, il revient tristement annoncer cette nouvelle à son maître. 6724-6725.

» Le roi, possédé du Rakshasa, dit plusieurs fois, sans nulle émotion, au cuisinier : « Eh bien ! donne-lui à manger de la chair humaine ! » 6726.

« Soit ! » répondit le maître-queux. Il s’en alla vite au lieu, où se tenaient ceux, qui exécutent les condamnés à mort, et prit là hardiment de la chair humaine. 6727.

» Il se hâte d’apprêter suivant l’art cette nourriture supposée, et la donne au brahme pénitent, que tourmente la faim. 6728.

» À la vue de ce mets, qu’il regarde avec son œil l’éminent brahme s’écrie, les yeux troublés par la colère : « On ne doit pas manger cela ! 6720.

» Par cette raison, ajouta le deux fois né, que l’abject monarque m’envoie un aliment défendu, la gloutonne anthropophagie de ce démoniaque va commencer à cette heure même. 6730.

» Attaché à des festins de chair humaine, comme jadis Çaktri même l’a dit, il parcourra ce globe, inspirant l’effroi à tous les êtres animés ! » 6731.

» Fulminée deux fois l’une après l’autre, la malédiction du roi n’en eut que plus de force ; et, possédé tout entier par la puissance du Rakshasa, le monarque avait perdu son discernement. 6732.

» Ensuite l’auguste souverain, à qui le mauvais Génie avait enlevé l’usage des sens, vit Çaktri peu de temps après, fils de Bharata, et lui dit : 6733.

« Je vais commencer à dévorer les hommes pour me conformer à cette malédiction sans égale, que tu as fulminée sur moi. » 6734.

» Cela dit, arrachant la vie sur-le-champ à Çaktri, il en fait son repas, comme un tigre mange une proie désirée. 6735.

» Quand Viçvâmitra vit Çaktri mort, il poussa le Rakshasa à différentes fois sur les fils de Vaçishtha. 6736.

» Il dévora les frères puinés de Çaktri, ces fils du magnanime Vaçishtha, comme un lion dans sa colère mange de faibles gazelles. 6737.

» À la nouvelle que Viçvâmitra avait tué ses fils, Vaçishtha en supporta le chagrin comme une grande montagne supporte la terre. 6738.

» Ce brahme, le plus vertueux des anachorètes et le premier des êtres intelligents, ne tourna point sa pensée à l’extermination du fils de Kouçika : il n’eut pas une autre idée que de renoncer lui-même à la vie. 6739.

» Le vénérable saint se précipita de la cîme du Mérou ; mais il tomba sur le roc de la montagne comme sur un tas de coton. 6740.

» Alors qu’il n’eut pas trouvé la mort dans cette chute, rejeton de Pândou, le révérend monta sur un bûcher allumé dans la grande forêt. 6741.

» Mais le feu le plus ardent ne le brûla pas, destructeur des ennemis, et ces flammes allumées étaient imprégnées de fraîcheur. 6742.

» Ensuite ; le grand anachorète, pénétré de chagrin, vit la mer devant lui ; il attacha une lourde pierre à son cou et se jeta au milieu des ondes. 6743.

» Mais la mer avec des flots empressés déposa le grand ascète, sur le rivage ; et, fatigué de ses vaines tentatives, il s’en revint à son hermitage. 6744.

» À la vue de cette pieuse retraite, veuve de ses fils, le solitaire, saisi de la plus cruelle douleur, sortit encore une fois de son hermitage. 6745.

» Il vit un fleuve, qui, rempli de nouvelles eaux par la saison pluvieuse, emportait, fils de Prithâ, beaucoup d’arbres en toutes les sortes nés sur ses rivages. 6746.

» À cette vue, le chagrin, dont il était pénétré, le ramena à ses pensées de suicide, et il se dit, rejeton de Kourou : « Il faut me jeter dans cette eau ! » 6747.

» Alors, il se lia fortement avec des cordes et, dans son désespoir, le saint anachorète se plongea dans les eaux de ce grand fleuve. 6748.

» Mais le fleuve rompit ses liens, ô toi, qui moissonnes les armées ennemies, et rejeta, étendu sur le rivage, le pénitent libre de ses entraves. 6749.

» Ensuite le grand saint, affranchi de ses liens, traversa la rivière, à laquelle, en mémoire de cet événement, il donna le nom de Vipâçâ, c’est-à-dire, ta Déchaînante.

» Il replongea son esprit dans le chagrin, mais il ne resta point dans un seul et même lieu, il parcourut des montagnes, des fleuves et des lacs. 6750-6751.

» Il revit alors cette rivière des saints, l’Haimavatî, et se laissa tomber dans ses épouvantables ondes, pleines de crocodiles en fureur. 6752.

» Mais, considérant que c’était un brahme, semblable au feu, la noble rivière se divisa pour fuir en cent canaux et fut appelée, en souvenir du fait, la Çatadrou. 6753.

» Quand il se vit couché là dans ce lit mis à sec de la rivière : « Je ne puis donc, s’écria-t-il, me donner la mort ! » et, ces mots dits, il regagna son hermitage. 6754.

» Après qu’il eut parcouru différentes montagnes et mainte espèce de pays, il fut suivi en son hermitage par une femme, appelée Adriçyantî. 6755.

» Il entendit par hasard derrière lui un murmure de récitation des Védas, ornée des six Angas, avec une intelligence parfaite du sens. 6756.

« Qui est-ce qui me suit là ? » demanda-t-il. « C’est moi ! » lui répondit sa bru Adriçyantî. C’était, éminent prince, une femme anachorète, vouée à la pénitence, épouse et veuve de Çaktri. 6757.

« Ma fille, reprit Vaçishtha, de qui donc est cette voix, que j’entends lire les Védas et les Védângas ? tel j’ai ouï Çaktri jadis lire ainsi la sainte Écriture. » 6758.

» Anachorète, lui répondit Adriçyanti, c’est l’enfant non encore né de Çaktri, ton fils, que je porte dans mon sein, où, depuis douze ans, il s’applique aux Védas. »

» À ces mots, Vaçishtha joyeux s’écria : « Il me reste donc un petit-fils ! » Et sur le champ, fils de Prithâ, l’éminent saint abjura ses pensées de suicide. 6759-6760.

» En revenant à son hermitage avec la femme enceinte, il vit assis dans la forêt solitaire le démoniaque Kalmâshapàda. À leur aspect, irréprochable Bharatide, ce roi, que possédait un Rakshasa impitoyable, se leva furieux et s’avança pour dévorer l’anachorète. 6761-6762.

» À peine eut-elle vu ce forcené devant elle, Adriçyanti jeta ces mots à Vaçishtha d’une voix, que troublait sa peur : 6763.

« Voici un Rakshasa épouvantable, qui s’élance, révérend, armé d’une bûche, comme la Mort de son effroyable sceptre ! 6764.

» Nul autre que toi sur la terre n’est capable de l’arrêter en ce moment, vertueux brahme, le meilleur de tous ceux, qui savent les Védas ! 6765.

» Sauve-moi, révérend, de ce scélérat à l’horrible aspect ! ce Démon, pour sûr, il a envie de nous dévorer ! »

Vaçishtha répondit :

« Ne crains pas, ma fille ! Il n’y a rien à craindre ici de ce Rakshasa. Si tu vois ce Démon arrivé devant nous, il n’y a nul danger en cela ! 6766-6767.

» C’est le roi Kalmâshapâda : héros d’une valeur célèbre sur la terre, il fait, semant une profonde épouvante, son habitation dans ce pays. » 6768.

» Quand Vaçishtha, le vénérable saint, vit le démoniaque fondre sur lui, cet ascète resplendissant l’arrêta sans faire autre chose que : « Houm ! » rejeton de Bharata.

» Il arrosa le furieux d’une eau consacrée avec la formule d’une prière, et ce remède affranchit le monarque de sa malédiction. 6769-6770.

» Après qu’elle eut duré douze années, l’énergie de Vaçishtha dévora sa vertu, comme Râhou, au temps d’une éclipse, dévore le soleil. 6771.

« Une fois délivré de son Rakshasa, le monarque colora cette grande forêt de sa splendeur, comme le soleil rougit le ciel, au temps du crépuscule. 6772.

» Aussitôt qu’il eut recouvré sa raison, il salua, les paumes de ses mains réunies au front, le vertueux anachorète, et lui dit : 6773.

« Je suis le Saudâside, de qui, éminente personne, ô le plus saint des anachorètes, tu célèbres les sacrifices. Dis-moi quel est en ce moment l’objet de tes désirs : que ferai-je pour toi ? » 6774.

« Tu l’as déjà fait, répondit Vaçishtha, suivant la mesure des temps. Va ! gouverne ton royaume ; et ne méprise plus, ni les brahmes, ni les enfants de Manou. »

« Je n’aurai plus aucun mépris à l’égard des brahmes, les plus éminents des hommes ; et, soumis à tes avis, répondit le roi, je me tiendrai dans le respect, que méritent les deux fois nés. 6675-6676.

» Mais je désire obtenir de toi, ô le plu% vertueux des brahmes et le plus excellent de tous ceux, qui savent les Védas, un moyen d’acquitter ma dette envers les enfants d’Ikshwâkou. 6777.

» Veuille bien me donner, très-vertueux anachorète, pour l’accroissement de la race d’Ikshwâkou, un fils, doué de la beauté, des vertus et du caractère. » 6778.

« Te le donner m’est un devoir, » dit à l’héroïque monarque Vaçishtha, enchaîné à la vérité et le plus saint des brahmes. 6779,

» Vaçishtha, reprit le Gandharva, partit sur le champ avec lui pour cette ville, qui porte dans les mondes, prince des enfants de Manou, le nom d’Ayodhya. 6780.

» Alors tous ses sujets, transportés de joie, vinrent à la rencontre du magnanime Vipâçman, comme les habitants du ciel se portent au devant d’Içwara. 6781.

» Après une bien longue absence, l’Indra des enfants de Manou entrait, accompagné du maharshi Vaçishtha, dans cette ville distinguée par les signes de la pureté.

» Avec le même plaisir qu’on voit le soleil se lever dans les cieux, tels ces habitants d’Ayodhya voyaient revenir le monarque en société de son pourohita. 6782-6783.

» De même que, dans la saison d’automne, l’astre aux rayons froids emplit de sa lumière le ciel, où il se lève ; de même ce monarque, le plus brillant des rois, inondait Ayodhya de sa splendeur. 6784.

» Cette ville, sa capitale, aux rues balayées, arrosées, parées de drapeaux et d’étendards flottants, comblait son âme de joie. 6785.

» Sa présence illuminait la cité pleine d’habitants bien nourris, satisfaits, prince, la joie de Kourou, comme la présence de Çatakratou illumine Amaravatî. 6786.

» Quand le saint roi fut entré dans cette ville, la première du royaume, la reine suivant l’ordre de son époux alla trouver Vaçishtha. 6787.

» D’après la convention faite, le grand saint Vaçishtha, ce rishi, qui participait à l’excellence, s’unit avec la reine à la manière des Dieux. 6788.

» Une fois qu’il eut engendré un fruit au sein de cette noble dame, le plus vertueux des anachorètes, ayant reçu les salutations du roi, s’en revint à son hermitage. 6789.

» Un long espace de temps s’était écoulé, et la reine n’avait pas encore mis au monde son enfant. Alors cette illustre femme se fit ouvrir le ventre au moyen d’un caillou ;

» Et naquit ainsi dans sa douzième année de gestation, le saint roi, chef du troupeau des hommes, qui fut nommé Açmaka et par qui fut bâtie la ville de Paâudanya. 6790-6791.

» Tandis qu’Adriçyantî habitait l’hermitage, elle mit au monde un fils, continuateur de la race de Çaktri, et qui fut lui-même, sire, comme un second Çaktri. 6792.

» Ce fut le révérend, ce plus saint des anachorètes, qui fit lui-même pour son petit fils, éminent Bharatide, la scission du cordon ombilical et les autres cérémonies.

» Lorsqu’il était encore au sein de sa mère, cet enfant avait rendu, pour ainsi dire, à la vie l’anachorète Vaçishtha, déjà mort[18] en quelque sorte ; et pour cette cause, il fut nommé dans le monde Parâçara. 6793-6794.

» Ce Jeune garçon à l’âme juste croyait que l’hermite Vaçishtha était son père ; et, dès sa naissance, il n’eut pas envers lui une autre manière d’être que celle d’un fils avec son père. 6795.

» Un jour, fils invincible de Kountî, il disait : uPapa ! » au saint brahme Vaçishtha en présence de sa mère. Adri çyantî, à peine ouï ce doux mot papa, auquel ici le cœur donnait un sens parfait, lui tint ce langage avec des yeux noyés de larmes : 6796-6797.

« Il ne faut pas lui dire : « Papa ! papa ! papa ! » car c’est le père de ton père. Un Rakshasa, mon enfant, a dévoré ton père à l’orée du bois. 6798.

« Celui, que tu crois ton papa, vertueux enfant, n’est point ton papa : c’est le noble père de ton illustre père. »

» Consumé de douleur à ces mots, le magnanime enfant aux paroles de vérité et déjà le plus grand des saints tourna sa pensée à la destruction de tous les mondes

» Écoute de quelle manière son âme ainsi résolue fut arrêtée par le rishi Vaçishtha au grand cœur, aux grandes pénitences, le plus savant des hommes instruits dans la sainte Écriture, et comme un autre Agastya de la plus haute sagesse. « Il fut un roi de la terre nommé Rritavîrya, lui dit Vaçishtha. C’était un monarque puissant, de qui les sacrifices étaient célébrés dans le monde par les Bhrigous, versés dans les Védas. 6799-6800-6801-6802.

» Le souverain des hommes[19] les rassasiait à la fin du sacrifice, eux, qui mangeaient les premiers, de grains et d’abondantes richesses. 6803.

» Quand ce roi des rois fut monté dans le Swarga, le trésor de ses richesses était passé en quelque sorte aux membres de cette famille. 6804.

» Ayant eu connaissance de la richesse des Bhargavains, tous les princes alors de venir auprès de ces vertueux brahmes en demander chacun sa part. 6806.

» D’entre eux, les uns ensevelirent dans la terre leurs intarissables trésors ; ceux-ci en gratifièrent les brahmes, sachant de quels dangers ils étaient menacés par ces avides kshatryas. 6806.

» Ceux-là, voyant qu’elles étaient, mon fils, une cause d’injure, donnent à ces princes autant de leurs richesses, qu’ils en désirent. 6807.

» Après cela, mon enfant, un certain kshatrya, creusant de lui-même le sol de la terre dans la mmson d’un Bhargavain, y trouva les richesses cachées. 6808.

» Tous les chefs réunis des kshatryas virent eux-mêmes ces trésors ; et la colère ensuite leur fit repousser avec mépris les Bhargavains qui vinrent demander protection.

» Ces guerriers aux grands arcs leur ôtèrent la vie à tous avec des flèches aiguës et parcoururent le globe entier, les détruisant jusqu’à l’enfant au sein de sa mère. 6809-6810.

» Après qu’ils eurent de cette manière anéanti les fils de Bhrigou, leurs veuves, chassées par la frayeur, s’enfuirent sur les flancs impraticables du mont Himavat.

» Une d’elle, femme aux belles cuisses, renferma, saisie de crainte, dans une de ses cuisses, pour l’accroissement de la race de son époux, l’enfant, qu’elle avait conçu, éclatant de splendeur. 6811-6812.

» Aussitôt qu’elle eut deviné le mystère de cet enfant, une brahmanî, tourmentée par la peur, s’en alla seule trouver les kshatryas et leur dévoila tout le secret. 6813.

» Les kshatryas sur le champ de partir, se hâtant pour tuer l’enfant non encore né, et voient la brahmanî comme enflammée de sa splendeur. 6814.

» Celui-ci tout à coup fend la cuisse de sa mère ; il en sort, et son éclat ravit aux yeux des kshatryas la faculté de voir, comme le soleil au milieu du jour. 6815.

» Alors, privés de la lumière, ces kshatryas d’errer sur les flancs impraticables de la montagne ; enfin, la vue détruite, l’esprit aliéné, ils viennent supplier la vertueuse brahmanî de rendre le jour à leurs yeux. 6816.

» Tourmentés par la douleur, l’âme égarée, la vision perdue, comme un feu, dont la flamme s’est éteinte, ces princes dirent ces mots à la sainte femme : 6817.

» Que la bienveillance de ta sainteté fasse que la classe des kshatryas puisse marcher encore avec ses yeux pour guides. Fais que nous puissions nous en retourner tous de compagnie, ayant renoncé à nos desseins criminels. 6818.

» Daigne, toi et ton fils, noble dame, nous accorder ta faveur ! Veuille bien sauver les rois, en nous faisant la grâce de nous rendre la vue. » 6819. La brahmanî répondit :

« Ce n’est pas moi, qui vous ai ravi la lumière des yeux, mes enfants ; je ne vous garde pas de ressentiment. Mais, sans doute, c’est le Bhargavain, né de ma cuisse, qui vous frappe aujourd’hui de sa colère. 6820.

» C’est évident ! le magnanime vous a dans sa colère ôté la lumière : il s’est rappelé que vous avez tué ses parents ; il n’y a là-dessus aucun doute. 6821.

» Alors, mes chers fils, que vous tuyiez les fruits des Bhrigou dans le sein de leurs mères, celui-ci fut porté dans ma cuisse une centaine d’années. 6822.

» Le Véda entier avec les six Angas a pénétré dans sa substance pendant ma gestation par le désir de faire encore une chose agréable à la race de Bhrigou. 6823.

» Irrité, c’est évident ! par la mort de ses pères, il désire vous tuer, et son énergie céleste a ravi la lumière à vos yeux. 6824.

» Suppliez donc cet enfant de ma cuisse, le plus grand des fils ! Satisfait de vos révérences, il affranchira vos yeux des ténèbres. » 6825.

» À ces mots, reprit Vaçishtha, tous les princes dirent au nouveau-né de la cuisse : « Pardonne-nous ! » et, fléchi, il étendit sur eux sa bienveillance. 6826.

» L’éminent brahmarshi, qui est né par une scission de la cuisse, fut appelé de ce fait dans les mondes Aâurva[20],

» Les rois, qui avaient recouvré la vue, de s’en retourner chez eux, et l’anachorète Bhargavain d’appliquer son esprit à la ruine de l’univers entier. 6827-6828.

» Le magnanime, mon enfant, inclina entièrement la pensée de son âme à la destruction même de tous les mondes.

» Désirant honorer les Bhrigouides par sa vengeance, le rejeton de Bhrigou augmenta sa vigueur d’une grande pénitence pour l’extermination de tous les mondes.

» Sa haute et cruelle pénitence incendia les mondes des hommes, des Asouras et des Dieux mêmes, pour envoyer de la joie à ses aïeux. 6829-6830-6831.

» Quand ses pères eurent distingué en lui un fils de leur sang, ils vinrent tous du monde des Pitris et lui tinrent ce langage : 6832.

« Aâurva, on a vu assez ta puissance, terrible, mon fils, par ta pénitence : fais grâce aux mondes et refrène ta colère.

» En effet, tous les Bhrigou, mon fils, ces âmes contemplatives et libres des passions, ne cherchent pas la mort des kshatryas, alors même qu’ils en éprouvent du mal.

» Quand, après un long espace de temps, la douleur enfin s’est emparée de nous, alors, mon fils, nous nous contentons de désirer pour nous-mêmes cette mort, que nous désirent les kshatryas. 6833-6834-6835.

» La richesse, qu’on a trouvée, en fouillant la terre dans la maison d’un Bhrigou, avait été sans doute mise là dans un but d’inimitié par des gens, qui avaient en vue d’exciter la colère des kshatryas. 6836.

» Qu’avions-nous besoin, nous, qui aspirons au ciel, de cette opulente richesse, que nous a enlevée le trésorier du prince ? 6837.

» La mort est-elle absolument incapable de nous enlever, alors, mon fils, voici le moyen, qu’on nous voit estimer.

» Un homme, qui se donne la mort à soi-même, n’obtient pas les mondes purs, mon enfant. Aussi, considérant les choses à ce point de vue, aucun de nous ne commit jamais un suicide. 6838-6839.

» Ce que tu désires faire ne nous est point agréable : abjure donc, mon fils, cette criminelle pensée de l’anéantissement de tous les mondes. 6840.

» Ne tue pas les kshatryas, ne détruis pas les mondes, bien-aimé fils ! Apaise cette colère soulevée, qui souille l’éclat de tes pénitences. » 6841.

Aâurva répondit :

« La promesse, que la colère a fait sortir de ma bouche pour l’extermination de tous les mondes, ne doit pas être un mot sans vérité, mes pères. 6842.

» Je ne puis supporter d’être dit un homme, de qui les promesses lancées dans la colère n’ont jamais aucune suite : ma colère, à laquelle on ne peut échapper, brûlera comme le feu brûle l’arani, dont le frottement l’a fait sortir !

» Car l’homme, qui peut sacrifier la colère née d’une juste cause, n’est pas capable de protéger efficacement les trois classes, filles aînées de Brahma. 6843-6844.

« Dominateur des indomptés, protecteur des domptés ! » c’est un proverbe. Les rois, qui veulent subjuger l’univers, doivent savoir, quand il le faut, mettre en jeu la colère. 6845.

» Au temps que j’étais couché dans la cuisse, comme dans le berceau naturel de l’embryon, j’ai entendu les cris des Bhrigou, ces hommes de la classe, dont est ma mère, tués par les kshatryas. 6846.

« Quand ils tombaient dans le monde sous les coups des vils kshatryas, cette extermination des Bhrigou, depuis l’homme jusqu’aux fruits cachés encore au sein de la mère, fit naître en mon cœur une vigoureuse indignation.

» Mes pères et mes mères, au comble de la douleur, n’ont pas trouvé alors dans tous les mondes un seul allié, tant régnait la terreur ! 6847-6848.

» Comme nul défenseur ne venait s’offrir aux épouses des Bhrigou, ma noble mère me porta caché dans une de ses cuisses. 6849.

» Quand il existe chez les hommes une âme, qui sait mettre un obstacle au mal, on ne voit pas naître un seul malfaiteur en tous les hommes. 6850.

» Mais, si le mal ne trouve nulle part un bras, qui puisse l’arrêter, alors une foule d’hommes s’adonne à tous les crimes. 6851.

» Le souverain, qui le pouvait et qui n’a pas reprimé le mal, quoiqu’il en eût connaissance, est le complice même du crime, quelque vertueux qu’il soit. 6852.

» Voici quelle fut ma pensée : « Si mes pères n’ont pu sauver leur chère existence, attaquée par des rois et des monarques puissants, hé bien ! moi, dans ma colère, je me proclame le souverain de ces mondes ! » Il m’est impossible de céder aux paroles de vos saintetés.

» Si, tandis qu’on me voit ainsi leur maître, le péché des mondes les entraînait de nouveau dans un affreux danger, 6853-6854-6856.

» Le feu, né de ma colère, qui veut perdre les mondes, me brûlerait moi-même, enveloppé de ses flammes. 6856.

» Je connais le désir de vos saintetés pour le bien de tous les mondes ; faites donc, mes seigneurs, ce qui est le bien des mondes. » 6857.

« Ce feu, né de ta colère, qui veut perdre les mondes, lui répondirent ses pères, jette-le, s’il te plaît, dans les eaux ; car les mondes reposent sur les eaux. 6858.

» Toutes les saveurs sont faites de l’eau ; l’eau servit à faire le monde entier : jette donc, ô le plus vertueux des brahmes, ce feu de ta colère dans les eaux. 6859.

» Brahme, que le feu, né de ta colère, se tienne, si tu veux, brûlant les eaux, dans le bassin des mers ; car on dit que les mondes ont été faits avec les eaux. 6860.

» Ainsi ta promesse, irréprochable enfant, aura sa vérité ; ainsi les mondes ne tomberont pas avec les Immortels dans la ruine. » 6861.

» À ces mots, Aâurva, reprit Vaçishtha, envoya le feu né de sa colère dans le séjour de Varouna, où il dévora les eaux dans le bassin des mers. 6862.

» Là, il devint, ce que n’ignorent pas ceux, qui savent les Védas, une grande tête de cheval, qui avale tour à tour et vomit les eaux de sa bouche dans le réceptacle des ondes. 6863.

» Ne veuille donc pas non plus, s’il te plaît, détruire les mondes, toi, Parâçara, le plus instruit des hommes versés dans la science ; toi, qui n’ignores pas l’existence des mondes supérieurs. » 6864.

Le Gandharva dit :

« À ce langage du magnanime Vaçishtha, le maharshi de réfréner cette colère, qui voulait exterminer tous les mondes. 6866.

» Le rishi à la vive splendeur, le plus savant des hommes versés dans les Védas, Parâçara, fils de Çaktri célébra le sacrifice des Rakshasas. 6866.

» Là ce grand anachorète, qui n’avait pas oublié la mort de Çaktri, consuma, dans ce vaste sacrifice, les Rakshasas, depuis les vieillards jusqu’aux enfants. 6867.

» Vaçishtha ne voulut point le détourner de la mort des Rakshasas : « Qu’il ne manque point à sa deuxième promesse à cause de moi ! « Ce fut ainsi qu’il pensa. 6868.

» Dans ce sacrifice des trois feux, le saint anachorète en fut lui-même un quatrième vis-à-vis des trois feux allumés.

» Tel que le soleil embrase le ciel à la fin de la saison des nuages, tel le fils de Çaktri l’enflamma par la célébration de cet éclatant sacrifice. 6869-6870.

» Là, tous les solitaires, Vaçishtha et les autres, voyant la splendeur, dont il était enflammé, s’imaginèrent que c’était un autre soleil. 6871.

» Atri, le rishi à la haute sagesse, vint au sacrifice, désirant obtenir une chose de premier ordre, et que d’autres eussent difficilement obtenue. 6872.

» Poulastya, Poulaha et Kratou aux grands sacrifices y vinrent aussi, meurtrier des ennemis, conduits par le désir de sauver la vie des Rakshasas. 6873.

» Poulastya dit alors ces mots sur la mort des Rakshasaa, éminent Bhaiatide et fils de Kountî, à Paraçâra, le dompteur de ses ennemis : 6874.

« Est-ce qu’ils te sont un obstacle, mon fils ? La mort de tous les Rakshasas, de ceux-mômes, qui ne t’ont fait aucun mal ou qui ne te connaissent pas, te cause-t-elle du plaisir ? 6875.

» Ne veuille pas faire une telle extermination de ma lignée : tel n’est pas, mon enfant, le devoir enseigné aux brahmes pénitents ! 6876.

» Le premier devoir, c’est la placidité : cultive cette vertu, Parâçara ; et toi, qui es très-bon, ne commets pas une chose très-mauvaise. 6877.

» Ne veuille point dépasser les bornes de Çaktri, qui n’ignorait pas le devoir ; et ne veuille pas détruire ainsi ma postérité. 6878.

» Une malédiction, fulminée contre Çaktri, attira sur lui son malheur : Çaktri s’en est allé d’ici au ciel pour une faute, qui est née de lui-même. 6879.

» Aucun Rakshasa n’aurait eu, certe ! assez de puissance, anachorète, pour le dévorer : il s’est causé lui-même la mort à soi-même par cette faute. 6880.

» Viçvâmitra ne fut ici, Parâçara, qu’un simple instrument ; le roi Kalinâshapâda est monté au ciel, où il nage dans la joie. 6881.

» Tous les fils du magnanime Vaçishtha, ces frères puînés de Çaktri, plongés dans la joie, s’enivrent de bonheur dans la compagnie des Immortels. 6882.

» Toutes ces choses, anachorète, sont bien connues de Vaçishtha ; et tu fais une telle extermination des infortunés Rakshasas ! 6883.

» C’est toi, dans ce sacrifice, qui es la cause de leur désespoir : abandonne-le donc ce sacrifice et qu’il soit fini pour toi ! » 6884.

» À ces mots de Poulastya et du sage Vaçishtha, le grand anachorète fils de Çaktri mit fin à la cérémonie.

» Il renvoya dans la grande forêt, au flanc septentrional de l’Himavat, la composition des trois feux pour le sacrifice de tous les Rakshasas. 6885-6886.

» Là, on voit aujourd’hui même ce feu dévorer sans cesse à chaque instant les Rakshasas, les arbres et les rochers mêmes. » 6887.

Arjouna dit :

« Quelle raison le roi Kalmâshapâda mit-il en avant pour engager son épouse à s’unir avec ce révérend, le plus savant des hommes versés dans la sainte écriture ? 6888.

» Pourquoi le magnanime Vaçishtha, connaissant les plus grands devoirs, a-t-il joui d’une chose, qui était défendue ? Ce maharshi aurait-il fait jadis une action contraire au devoir ? Veuille bien trancher entièrement le doute, qui inspire ma question ! » 6889-6890.

« Inaffrontable Dhanandjaya, reprit le Gandharva, écoute ma réponse à ta demande sur Vaçishtha et sur le monarque invincible aux ennemis. 6891.

» Je vais te narrer tout : tu sauras, éminent Bharatide, comment ce prince fut maudit par Çaktri, le magnanime fils de Vaçishtha. 6892.

« Tombé sous le joug de la malédiction, l’invincible monarque sortit de sa ville, les yeux tout remplis de colère, avec son épouse. 6893.

» Arrivé dans une forêt solitaire, il parcourut ces bois avec elle. Il erra en proie à la malédiction dans ces fourrés épais d’arbres de toutes les sortes, couverts de lianes et d’arbustes de tous les genres, infestés par des êtres animés de toutes les espèces, remplis de bandes variées de quadrupèdes et résonnants de bruits épouvantables. 6894-6895.

» Un jour qu’il cherchait sa nourriture, consumé par la faim, épuisé de fatigue, il vit dans un certain bois solitaire 6896.

» Un brahme et une brahmanî entre-unis dans un embrassement, qui s’enfuirent, pleins d’épouvante à sa vue, n’ayant pas satisfait leur désir. 6897.

» Dans la course de l’un et de l’autre, le monarque arrêta le brahme, malgré sa résistance, et, voyant pris son époux, la brahmanî lui tint ce langage : 6898.

« Écoute, roi fidèle à tes vœux, les paroles, que je vais te dire ! Tu es né dans la race du soleil et tu es célèbre dans les mondes. 6899.

» Attentif et ferme dans le devoir, trouvant du plaisir dans l’obéissance à ton directeur, ne veuille pas encore, inaffrontable roi, te souiller d’un crime, toi, qui es déjà sous le coup d’une malédiction. 6900.

» Tourmentée de voir mon époux affligé du malheur de la stérilité, le jour de mes règles arrivé, je m’unissais avec lui, dans l’espérance d’un fils, quand tu nous empêchas de parvenir au but. 6901.

» Fais-nous grâce, ô le plus éminent des rois, et lâche mon époux ! » Mais tandis qu’elle lui criait encore ces mots, il dévora sans pitié son mari, comme un tigre affamé dévore une gazelle long-temps désirée. 6902.

» Les pleurs, que la colère, dont elle était possédée, fit tomber de ses yeux sur la terre, de se changer tout à coup en un feu allumé, qui incendia cette contrée. 6903.

» Alors, consumée de chagrin, déchirée par le malheur de son époux, la brahmanî, dans sa fureur, de maudire le saint roi Kalmâshapâda : 6904.

» Parce que tu as dévoré impitoyablement, sous mes yeux, à l’instant même, homme abject, mon illustre et cher époux, sans m’avoir laissé le temps de lui donner un fils ; 6905.

» En châtiment, et par la vertu de cette malédiction, que je fais tomber sur toi, insensé, la vie t’abandonnera soudain quand, au jour des règles, tu prendras ton épouse dans tes bras ! 6906.

» Ton épouse elle-même concevra un fils de son union avec le saint anachorète Vaçishtha, dont tu as massacré les fils. 6907.

» Cet enfant deviendra, vil monarque, le continuateur de ta race. » Après que la noble Angiraside eut maudit ainsi le roi, elle monta en sa présence même sur un bûcher allumé. 6908.

» L’éminent Vaçishtha vit toutes ces tristes scènes, fléau des ennemies, grâce à la science et par sa grande pénitence. 6909.

» Après un long espace de temps écoulé, le saint roi, frappé de la malédiction et retenu dans ses liens, vit, au jour des règles, son épouse Madayantî voler dans ses bras. 6910.

» Le monarque, aveuglé par l’amour, avait perdu le souvenir de la malédiction. À peine eut-il entendu la voix de la reine que son âme fut troublée ; mais, se rappelant ensuite la malédiction, le plus excellent des rois en fut alors consumé de la plus vive douleur. 6911.

» Voilà pour quelle raison, ô le plus éminent des princes, le roi, chargé du poids de la malédiction, donna son épouse à Vaçishtha. » 6912.

Arjouna reprit :

« Dis-nous, car tu sais tout, Gandharva, l’homme, qui. assorti à nous et versé dans les devoirs, mérite d’être notre pourohita. » 6913.

« Dhaâumya, le plus jeune frère de Dévala, répondit le Gandharva, se mortifie dans la forêt, au tirtha d’Outkoichaka : élisez-le, si tel est votre désir. » 6914.

Ensuite, dit Vaîçampâyana, Arjouna satisfait donna le Trait-du-Feu au Gandharva, et, suivant la règle établie, lui parla en ces termes : 6915.

« Nous prendrons les chevaux, quand il en sera besoin, ô le plus grand des Gandharvas ; garde-les en toi jusque-là. Adieu ! » — « Soit ! » répondit le Génie. 6916.

Après qu’ils se furent rendus l’un à l’autre de mutuels hommages, le Pândouide et le Gandharva s’en allèrent de cette rive suave de la Bhagirathî, chacun où le conduisit sa volonté. 6917.

Les Pândouides, arrivés au tîrtha d’Outkotchaka, où Dhaâumya avait fondé son hermitage, de confier à cet anachorète l’investiture de leur archibrahmanat domestique. 6918.

Dhaâumya, le plus savant de tous les hommes versés dans les Védas, reçut les fils de Pândou avec des racines, avec des fruits nés dans la forêt, et remplit auprès d’eux ses fonctions de pourohita. 6919.

Une fois qu’ilseurentmisà leur tête ce brahme et Draâupadî conquise au swayamvara, les Pândouides crurent déjà posséder l’empire de leurs aïeux et la Fortune elle-même. 6920.

Une fois réunis sous la direction de cet auguste pourohita, les nobles enfants de Bharata pensèrent que leur âme avait, pour ainsi dire, en lui son protecteur. 6921.

En effet, ce brahme à la haute sagesse, instituteur des Pândouides, connaissait la vérité et le sens des Védas : instruit dans les devoirs, les fils de Prithâ devinrent eux-mêmes, grâce à lui, des sacrifiants instruits dans les devoirs. 6922.

Après qu’ils eurent par leur seule vertu reconquis le trône de leurs pères, le brahme estima comme des Dieux ces héros si bons, qui avaient reçu le don de mettre en jeu tant de force, de bravoure et d’intelligence. 6923.

Consacrés par les bénédictions pour la bonne fortune du voyage, les princes de songer à s’en aller tous de compagnie au swayamvara de la belle Pântchâli. 6924.





LE SWAYAMVARA.



Ces choses faites, continua de raconter Vaîçampâyana, les cinq frères, héroïques fils de Pândou, s’acheminent pour voir Draâupadî et le pays, où l’on préparait une grande fête. 6925.

Ces tigres invincibles dans l’espèce humaine s’avançaient avec leur mère, quand ils virent une nombreuse foule de brahmes, qui suivaient de compagnie la même route. 6926.

Ces brahmes dirent aux Pândouides, qui portaient, sire, l’extérieur de pénitents voués à la continence : « Où vos saintetés comptent-elles se rendre ? ou de quel pays sont-elles venues en celui-ci ? » 6927.

« Que vos saintetés, ô les plus éminents des brahmes, répondit Youddhishthira, sachent que nous sommes frères germains, que nous venons avec notre mère d’Ékatchakrâ, et que nous sommes des religieux mendiants. » 6928.

Les brahmanes dirent :

« Allez dès aujourd’hui chez les Pântchâlains. Il y aura un grand swayamvara dans le palais de Droupada, avec une distribution de très-abondantes richesses. 6929.

» C’est à cet endroit même que nous allons, ne formant qu’une seule caravane ; car il y aura là une fête magnifique, semblable à une merveille. 6930.

» La fille du magnanime Yajnaséna, qu’on appelle aussi Droupada, est née du milieu de l’autel : c’est une princesse admirable, illustre, bien délicate, au corps sans défaut, aux yeux couleur des pétales du lotus bleu, la sœur de Dhrishtadyoumna, le radieux ennemi de Drona ; 6931-6932.

» Lui, ce héros aux longs bras, qui est né avec une cuirasse, portant un cimeterre, tenant un arc et des flèches, semblable au feu, dans un feu très-flamboyant. 6933.

» Draâupadî est sa sœur à la taille svelte, au corps sans défaut, de qui le parfum égal à celui du lotus bleu se fait sentir à la distance d’un kroça. 6934.

» Nous allons voir cette fille d’Yajnaséna, qui a fixé le moment, où elle choisira un époux, et cette grande, divine fête du swayamvara. 6935.

» On y verra accourir des rois et des fils de rois, des sacrificateurs aux riches honoraires, des étudiants en Védas, purs, magnanimes, fermes dans leurs vœux, des jeunes gens admirables, venus de maintes contrées, et des monarques aux grands chars, consommés dans la pratique des armes. 6936-6937.

» Là, ces potentats distribueront maints différents dons : de l’or, des vaches, des aliments et toutes sortes de jouissances. 6938.

» Quand nous aurons, nous ! reçu de tout cela, vu le swayamvara et joui de la fête, nous irons où bon nous semblera. 6939.

» On y verra affluer des acteurs, des poètes, des chanteurs, des conducteurs de chars, des bardes et des athlètes à la grande vigueur. 6940.

» Après que vous aurez satisfait ainsi votre curiosité, vu et reçu, magnanimes, vous vous en retournerez avec nous. 6941.

» La belle Krishnâ, vous ayant vu assister à sa fête, vous, qui tous êtes admirables à voir et qui portez la beauté des Dieux, choisira peut-être un de vous pour son époux. 6942.

» Tu as là un de tes frères homme vigoureux, et d’une admirable beauté. Si on le mettait aux prises avec des lutteurs, on ne peut douter qu’il n’y gagnât de grandes richesses. » 6943.

« Soit ! répondit Youddhishthira. Eh bien ! nous irons tous en votre compagnie voir cette grande fête et le swayamvara de la jeune princesse. » 6944.

À ces mots, continua le narrateur, les fils de Pândou s’acheminent, Djanamédjaya, vers le pays des Pântchâlains méridionaux, que le roi Droupada tenait sous sa protection. 6945.

Ensuite, les héroïques Pândouides virent alors paraître au milieu d’eux l’anachorète Dvvaîpâyana, exempt de péché, à l’âme pure, à la grande âme. 6946.

Après les révérences faites et rendues par eux et par lui, ayant obtenu congé à la fin de l’entretien, le héros de continuer leur voyage, à petites journées, vers le palais de Droupada, arrêtant çà et là leur passagère habitation, contemplant de suaves forêts et des lacs charmants. Bienveillants, purs, s’entretenant d’une manière aimable, lisant même, chemin faisant, les Védas, les cinq fils de Pândou arrivèrent de pas en pas chez les Pântchâlains.

Alors qu’ils eurent sous leurs yeux la ville et la résidence du roi, les Pândouides mirent leur habitation dans la maison d’un potier. 6947-6948-6949-6950.

Là, observant une manière de vivre convenable à des brahmes, ils recueillirent des aumônes, et qui que ce soit ne sut nulle part quels étaient ces héros, arrivés là sous un tel déguisement. 6951.

Droupada n’avait pas un autre désir : « Il faut que je donne Krishnâ, se disait-il, à Kiriti, le fils de Pândou ; » mais il ne découvrait jamais sa pensée. 6952.

Recherchant donc le fils de Kountî pour gendre, le roi des Pântchâlains fit exécuter, Djanamédjaya, un arc solide et, pour ainsi dire, impossible à bander, rejeton de Bharata. 6953.

Le monarque fit construire une machine, travaillée avec art, suspendue en l’air, et fit attacher un but joint à cette machine. 6954.

« Si quelqu’un, dit-il, peut mettre cette corde à cet arc, et s’il peut, faisant traverser l’appareil à des flèches aiguës, percer le but de ses traits, ma fille lui sera donnée en prix ! » 6955.

Voilà en quels termes le noble Droupada fit proclamer le swayamvara. À cette nouvelle, tous les rois d’accourir en ces lieux. 6956.

Amenés par l’envie de voir le swayamvara, les magnanimes rishis, les princes de Kourou, sire, accompagnés de Karna, Douryodhana à leur tête, 6957.

Les plus éminents des brahmes affluèrent de toutes les contrées, et l’auguste Droupada accueillit avec honneur ces foules de rois. 6958.

Curieux de voir le swayamvara, ils prirent siège sur les divans ; et, derrière eux, les habitants de la ville entrèrent avec le fracas d’une mer agitée. 6959.

Les princes s’assirent sous la tête du Dauphin céleste, au nord-est de la ville, dans une portion de terre splendide et nivelée. L’enceinte de l’assemblée resplendissait, environnée partout de beaux palais, 6960.

Ceinte d’un retranchement et d’un fossé, ornée de portique et d’arcades, embellie par tous les côtés de tendelets aux divers couleurs ; 6901,

Pleine de musiciens par centaines de troupes, parfumée du plus riche aloës, arrosée avec de eaux de sandal, ornée de chaînes de fleurs ; 6962.

Partout entourée de radieux palais d’une très-élégante élévation et dont les lignes se découpaient sur la voûte de cieux, comme les sommets de Kaîlasa, 6963.

Tout percés de fenêtres d’or, couverts d’un pavé de pierreries, tout remplis de trônes et pourvus d’escaliers aux marches commodes, 6964.

Jonchés de tapis élégants aux multiples couleurs des rayons du soleil, embaumés d’un précieux aloës et de parfums, dont l’odeur était sentie jusqu’à la distance d’un yodjana, 6965.

Enrichis de lits et de sièges, aux cent portes ouvertes, aux membres vêtus de métaux divers, tels enfin qu’on aurait pensé voir dans chacun de ces palais un Himâlaya, qui s’est fendu. 6966.

Là, sur des sièges de formes différentes, s’assirent, magnifiquement parés, tous ces princes rivaux, les uns des autres. 6967.

Là, on vit assis ces lions des rois, fortunés, vaillants, vertueux, parfumés d’aloës noir ; 6968.

Aimant à donner, respectueux pour les brahmes, défenseurs de leurs peuples, chers à l’univers entier pour de bonnes actions et des œuvres pures. 6969.

Les habitants de la ville et des campagnes s’asseoient eux-mêmes sur de précieux divans et cherchent à bien voir la jolie Krishnâ. 6970,

Les Pândouides, admirant l’incomparable opulence du roi des Pântchâlains, prirent aussi leurs places, accompagnés des brahmes. 6971.

Divertie par les comédiens et les danseurs, enrichie par les nombreuses largesses de pierreries, l’assemblée, sire, s’accrut durant plusieurs jours. 6972.

On célébrait le seizième jour de cette ravissante fête, éminent Bharatide, quand Draâupadî, bien lavée, bien parée, magnifiquement vêtue, la taille serrée par une ceinture d’or, embellie de tous ses atours, descendit au milieu de l’amphithéâtre. 6973-6974.

Le pourohita des Soraakides, brahme pur, vemé dans les formules mystiques des prières, sacrifia au feu, suivant les rites, et versa dans son brâsier le beurre clarifié. 6975.

Après qu’il eut rassasié la flamme, après qu’il eut appelé sur les brahmes les bénédictions du ciel, il imposa de tous côtés silence à tous les instruments de musique.

Quand le silence eut régné dans l’assemblée, Dhrishtadyoumna à la voix telle que le tambour ou le bruit des nuages, tenant Draâupadî, suivant l’étiquette, s’avança au milieu de l’amphithéâtre, puissant monarque, et d’une voix profonde comme le tonnerre, articula hautement ces paroles grandes, sensées, affectueuses : 6976-6977.

« Voici l’arc, le but et les flèches ! Écoutez-moi tous, souverains de la terre ! Faites passer à travers cet anneau dans l’appareil cinq flèches aiguës au vol aérien. 6978.

» De qui exécutera cette chose merveilleuse, s’il est convenable pour la vigueur, la beauté, la naissance, ma sœur que voici, Krishnâ ou Draâupadî est prête à devenir l’épouse. Je dis la vérité ! » 6979.

Après que le fils de Droupada eut ainsi parlé, il tint ensuite ce langage à sa sœur, lui faisant connaître ces rois assemblés par leurs noms, leurs familles et leurs exploits :

« Voici Douryodhana, Dourvishaha, Dourmoukha, Douspradharshana, Vivinçati, Vikarna, Saha et Douççâsana, 6980-6981.

» Youyoutsou, Vàyouvéga, Bhlmavéga, Ougrâyoudha, Balâki, Karakâyou et Virotchana, 6982.

» Koundaka, Tchitraséna, Souvartchas, Kanakadhwadja, Nandaka, Bâhouçâli, Touhounda et Vikata.

» Ces héros à la grande force et ces autres en grand nombre, fils, comme eux, du roi Dhritarâshthra, sont venus ici pour toi, accompagnés de Karna. 6983-6984.

Il Voici des princes sans nombre, magnanimes, les chefs des kshatryas : Çakouni, le fils de Soubala, Vrishaka et Vrihadbala. 6985.

» Ce sont les fils du roi de Gândhâra : tous sont venus de concert. Açvatthâman et Bhodja, qui excellent sur tous ceux, qui portent les armes. 6986.

» Magnanimes frères d’armes, ils se sont revêtus pour toi de leur plus belles parures. Vrihanta, Manimat et le prince Dandadhâra, 6987. » Sahadéva et Djayatséna, le noble Méshasandi, Virâta et ses deux lils, Çankha et Outtara, 6988.

» Vardhakshémi, Souçarnian et le roi Sénâvindou, Soukétou et son fils, appelé d’un beau nom, Souvartchas[21], 6989.

» Soutchitra, Soukoumâra, Vrika, Satyadhriti, Soûryadhwadja, Rotchamâna, Nîli et Tchitrâyoudha, 6990.

» Ançoumat, Ikitâna et Çrénimat à la grande force, Saraoudra et son fils, l’auguste Tchandraséna, 6991.

» Djalasandha, Pitri et Poutra, Vidanda et Danda lui-même, Paâundraka le Vasoudévide et le vaillant Bhagadatta,

» Kalinga, Tâmralipta et le roi de Pattana, l’héroïque Çalya, roi de Madra, avec son fils, 6992-6993.

» Le vaillant Roukmângada et Roukmaratha, le héros Somadatta, issu de Kourou, et son fils, 6994.

» Les trois héros unis par la fraternité d’armes, Bhoûri, Bhoûriçravas et Çala, Soudakshina, roi de Kâmbodje et Drithadhanvan, rejeton de Pourou, 6995.

» Vrihadbala et Soushéna, Çivi né d’Ouçînara, Patatcharanihantri et le roi des Karoushas, 6996.

» Sankarshana le Vasoudévide et le courageux Raâukminéya, Çâmba, Tcharoudéshna, Prâdyoumni et Sagada,

» Akroura, Sâtyaki, Ouddhava à la grande sagesse, Kritavarman, Hârdikya, Prithou et Viprithou, 6997-6998.

» Vidoûra, Kanka, Çankou et Gavishana, Açâvaha, Nirouddha, Saniîka et Sârimédjaya, 6999.

» Vira, Vâtapali, Djhillîpindaraka et le vaillant Oucînara : ces noms appartiennent à la race de Vrishni et sont justement célèbres. 7000.

» Bhagîratha, Vrihatkshatra, Saîndhéva, Djayatratha etVrihatratha du Balkhan, et le héros Çroutâyoush, 7001.

» Ouloûka, le roi Kaitava, Tchitrângada et Çoubhângada, le sage Vatsarâdja, et le monarque du Roçala, 7002.

» Et le valeureux Çiçoupâla, et Djarâsandha : ceux-là et d’autres nombreux souverains de contrées diverses.

» C’est pour toi, noble demoiselle, que sont venus ces kshatryas, qui sont des princes sur la terre ; c’est pour toi que ces héros vont disputer à qui percera un but très-difficile. Choisis aujourd’hui pour ton époux, radieuse, celui d’entre eux, qui aura touché le but ! » 7003-7004.

Ces rois jeunes, ornés de belles girandoles et richement parés, se portant une mutuelle envie, s’imaginant posséder chacun toute la puissance de l’Astra-Véda, se levèrent d’un mouvement spontané, tenant haut leurs armes,

Brûlant d’un orgueil allumé par la jeunesse, le naturel, la richesse, la naissance, l’héroïsme et la beauté, surexcités par la fougue de la joie, ivres comme, au temps du rut, les plus grands éléphants de l’Himâlaya, 7005-7006.

Se regardant l’un l’autre avec jalousie, le corps tout enveloppé d’amour, ils s’élancèrent tout à coup hors de leurs sièges royaux, en disant : « À moi Krishnâ ! » 7007.

Ces kshatryas, montés sur l’estrade et rassemblés par l’envie de conquérir la fille de Droupada, resplendissaient tels que les troupes des Dieux réunis sur l’Himâlaya pour la conquête d’Oumâ, fille du roi des monts. 7008.

À peine Draâupadî était-elle descendue dans l’amphithéâtre, le cœur de ces Indras des hommes s’envola vers elle et, le corps tout percé des flèches de l’amour, ceux mêmes, qu’unissait l’amitié, prirent de la haine les uns contre les autres. 7009.

Alors, montés sur leurs chars, Yama et le souverain des richesses à leur tête, vinrent à cette assemblée, tous les chœurs des Immortels, les Roudras, les Adityas, les Vasous, les deux Açwins, les Sâdhyas et tous les Maroutes, 7010.

Les Daîtyas, les Souparnas, les grands Ouragas, les Dévarshis, les Gouhyakas et les Tchâranas, Viçvavasou, Nârada et Parvata, les principaux des Gandharvas, hâtant leurs pas, avec les Apsaras. 7011.

Halâyoudha, Djanârdana, les Vrishnis et les Andakas, suivant leur degré de prééminence, les principaux des Yadouides et les grands, soumis à la pensée de Krishna, contemplaient ce spectacle. 7012.

Ils virent les cinq frères aux formes de grands pachydermes enivrés et tels que des rois d’éléphants cachés au milieu des lotus ; à la vue de ces faux-brakmes, semblables à des feux aux charbons couverts de cendres, Krishna, le chef des Yadouides, se mit à songer ; 7013.

Puis, il indiqua Youddhisthira, Bhîma, Djishnou et les deux héros, frères jumeaux, à Balarâma, qui promena ses yeux lentement sur eux et, d’une âme charmée, regarda son frère. 7014.

Mais les autres héros, fils et petit-fils de rois, dont l’âme, la pensée, les yeux erraient autour de la belle Krishnâ, le dépit rougissant leurs yeux, la lèvre mordue par les dents, et tout occupés de leur querelle d’zrwowr, ne remarquèrent pas les cinq fils de Pândou. 7015.

À l’aspect de la noble Draâupadî, les trois guerriers aux longs bras, fils de Prithâ, et les deux jumeaux à la grande majesté furent tous blessés par les flèches de l’amour.

Le ciel entier était rempli de Dévarshis et de Gandharvas, peuplé de Souparnas, de Nâgas, d’Asouras et de Siddhas, parfumé de senteurs divines et couvert de fleurs célestes ; U résonnait du bruit éclatant des tambours ; il était encombré des chars de tous les Dieux et répercutait les accords des flûtes, des luths et des panavas. 7016-7017-7018.

Ensuite, les troupes des rois se mirent à déployer tour à tour la vigueur de leurs bras pour obtenir Krishnâ : c’étaient Douryodhana, Çâlva, Çalya, Draâunâyani, Krâtha, Sounîtha et Vakra, accompagnés de Karna ; 7019.

Les monarques de Kalinga, de Banga, de Pàndya, de Paâundra, le roi du Vidéha, le souverain des Yavanas, et d’autres fils ou petit-fils de nombreux potentats, maîtres eux-mêmes de royaumes, princes aux yeux couleur des pétales du lotus bleu. 7020.

Héros aux longs bras, aux membres ornés de tiares, de guirlandes, de bracelets, de colliers, doués de force et d’énergie, ils s’avancent tour à tour en poussant un cri d’héroïsme et de vigueur. 7021.

Mais, en dépit de tous leurs efforts, ces rois, appliquant leurs corps à cet arc, ne purent même de pensée en attacher la corde ; et l’arme solide, élastique, les envoyait tomber de côté et d’autre. 7022.

S’efforçant de nouveau, appuyés ferme sur la terre, ils faisaient succéder à la force les qualités dues à l’art : en vain ! contrîdnts au repos, ils soupiraient, hors d’haleine, les tiares et les guirlandes tombées à terre. 7023.

L’arc vigoureux, dispersant les guirlandes, les colliers et les bracelets, réduisit aux abois le cercle attristé des rois et força leur amour de renoncer à Krishnâ. 7024.

À la vue de tous les rois convaincus d’impuissance Karna, le plus éminent des archers, s’avança, leva l’arc, y attacha ainsi levé sa corde et encocha lestement des flèches.

Quand ils virent se présenter le fils adoptif du cocher, les fils de Pândou, ces habiles archers, pensèrent que le fils du Soleil, plus brillant que le feu, la lune ou le soleil même, allait percer le but difficile à atteindre, l’abattre sur la terre et gagner la main, que le monarque avait promise. 7025-7026.

Mais Draâupadî à sa vue jeta ces mots à haute voix :

« Je ne choisirai pas le cocher pour mon époux ! » Alors, tournant ses yeux vers le soleil avec un rire de colère, Karna laissa retomber l’arc, qui vibrait encore. 7027.

Les rois s’étant ainsi partout retirés du concours, le monarque de Tchédi, héros vigoureux et semblable au Dieu de la mort, 7028.

Le terrible Çiçoupâla à la vaste intelligence, le fils de Damaghosa, prit l’arc, mais il tomba sous le poids à deux genoux sur la terre. 7029.

Ensuite le roi Djarasaudha à la grande force, à la grande vaillance, porta ses pas vers l’arc et se tint là d’abord immobile comme une montagne. 7030.

Mais, accablé par le poids de l’arc, il vint toucher la terre de ses genoux. Le roi honteux se relève et se hâte de retourner en ses royaumes. 7031.

Après lui, Çalya à la grande force, à la haute bravoure, réussit à lever cet arc, mais il s’affaisse des genoux sur la terre. 7032.

Dans cette assemblée aux spectateurs vivement émus, aux rois plongés dans le silence, le héros fils de Kountî, Arjouna eut envie d’encocher une flèche à l’arc gigantesque. Quand les rois, dit Vaîçampâyana, eurent tous renoncé à l’entreprise de bander et d’encocher une flèche à l’arc, Djishnou à la haute sagesse se leva du milieu des brahmes. 7083-7034.

À peine eurent-ils vu le Prithide, aussi brillant que le drapeau d’Indra, descendre sur l’arène, les chefs des brahmes poussèrent des cris, en agitant leurs peaux d’antilope.

Les uns étaient frappés de stupeur, ceux-là rayonnaient de joie, ceux-ci, plus habiles et qui se nourrissaient de raisonnements, se disaient l’un à l’autre : 7035-7036.

« Cet arc, que n’ont pu bander ces kshatryas vigoureux, voués à la science de l’arc et renommés dans le monde, à commencer par Çalya, 7037.

» Comment ce novice, qui est encore un enfant, plus faible qu’un souffle de la bouche, sans nulle étude des armes, pourra-t-il, deux fois nés, en attacher la corde ?

» Les brahmes seront devenus un objet de risée au milieu de tous les rois de la terre, une fois échouée cette folie, que son inconstance ne s’est pas donné le temps d’examiner. 7038-7039.

» Si l’orgueil, ou la témérité, ou, quoique brahme, sa légèreté d’esprit le pousse à tenter de courber cet arc, qu’on l’arrête ! Voyons ! Qu’il n’aille pas s’y risquer ! »

« Nous ne deviendrons pas un objet de risée, nous ne montrerons pas, répondaient les autres, une légèreté d’esprit, nous ne tomberons pas, dans le monde, en la haine des maîtres de la terre ! » 7040-7041.

» C’est un beau jeune homme ! disaient quelques-uns. Ses épaules, ses cuisses, ses bras sont potelés et tels que des trompes d’éléphants ! Il semble avoir la fermeté de l’Himâlaya. 7042.

» Il est charmant ! Il a cette démarche dandine du lion, ce pas d’un roi des éléphants dans son ivresse ! Cette apparence de vigueur fait déjà présager ce qui doit nécessairement arriver dans cette affaire ! 7043.

» Sa force est capable d’un grand exploit : s’il était faible, irait-il là de lui-même ! D’ailleurs, il n’existe rien dans les mondes, entre les choses immobiles ou mobiles, que les brahmes ne puissent exécuter parmi les hommes ! 7044.

» Les brahmes jeûnent, ils vivent de l’air, ils ne mangent que des fruits ; mais ils sont fermes dans leurs vœux, et, tout faibles qu’ils soient, ils sont plus forts que tout, grâce à l’énergie de leur pénitence ! 7045.

» On ne doit pas mépriser un brahme en quelque chose qu’il fasse, bonne ou mauvaise, agréable ou pénible, grande ou petite. 7046.

» Râma le Djamadagnide a vaincu les kshatryas dans la guerre ; Agastya par sa vigueur brahmique a pu boire toute la mer profonde ! 7047.

» Que personne donc ne craigne de s’écrier ; « Enfant, lève-moi cet arc lestement ! » Ainsi s’entredisaient les principaux des brahmes. 7048.

Tandis que les deux fois nés échangeaient ainsi ces paroles diverses, Arjouna s’était approché de l’arc et se tenait devant lui, immobile comme une montagne. 7049.

Il tourna tout à l’entour de l’arc, qu’il salua d’un pradakshina ; il s’inclina en l’honneur d’Indra, d’içana et de Vishnou, l’auguste donateur des grâces ; 7050.

Il rendit le même hommage dans sa pensée à Krishna ; puis, Arjouna saisit l’arc, que n’avaient pu bander ces princes, lions des hommes, consommés dans la science de l’arc et tels que Roukma, Sounîtha, Vakra, Çalya, Çâlva, Râdhéya et Douryodhana, en dépit même de grands efforts. 7051.

Arjouna le tint avec la fierté des hommes forts, Aîndri le tint avec la vigueur d’un jeune Indra, y fixa la corde dans l’espace d’un clin d’œil et prit des flèches au nombre de cinq. 7062.

Il toucha le but, qui, transpercé, tomba soudain sur la terre avec l’anneau. Aussitôt des applaudissements éclatent dans le ciel ; de grands applaudissements éclatent sur la terre au milieu de l’assemblée. 7053.

Indra en même temps de verser une pluie de fleurs célestes sur la tête du Prithide, meurtrier des ennemis.

Les brahmes par milliers d’agiter leurs vêtements, les éclipsés de pousser partout de tristes hélas ! hélas ! et, de tous côtés, les pluies de fleurs tombèrent là du ciel. 7054-7055.

En ce moment, les musiciens font chanter leurs instruments aux cent formes ; les troupes des bardes et des poètes célèbrent à l’envi cette victoire. 7056.

À l’aspect du vainqueur, la joie remplit Droupada, le meurtrier des ennemis ; lui et ses guerriers témoignent le désir qu’une alliance les unisse avec le fils de Prithâ.

Tandis que ce haut bruit s’élevait dans l’assemblée, Youddhishthira, le plus vertueux entre les plus vertueux, retourna vite à son habitation avec les deux jumeaux, les plus grands des hommes. 7057-7058.

Quand elle vit le but percé, quand elle eut jeté son regard sur le fils de Prithâ, semblable au roi des Dieux, Draâupadî la noire se hâta de prendre une guirlande avec une robe blanche et s’avança vers le fils de Kountî en souriant. 7059.

Il accepta son choix ; et, victorieux dans cette lice, comblé des révérences de tous les brahmes, illustré d’un fait au-dessus de toute imagination, il sortit de l’amphithéâtre, suivi par cette noble épouse. 7060.

Mais, quand ils virent le roi disposé à donner la belle jeune fille au brahme vainqueur, la colère saisit les monarques, ses rivaux, et, se regardant en face les uns les autres : 7061.

Il Ce roi nous méprise, disaient-ils, nous, qu’il a rassemblés ; et, sans nous estimer plus qu’une poignée d’herbe, il veut donner à ce brahme Draâupadî, la plus belle des femmes. 7062.

» Quoi I il a fait croître ici l’arbre, et il l’abat à la saison des fruits ! Arrachons la vie à ce méchant, qui nous méprise ! 7063.

» Il n’est pas digne qu’on l’honore ; ses qualités ne méritent pas même le pas, qu’on accorde à l’âge. Tuons avec son fils cet homme, qui se comporte si mal et qui est l’ennemi des rois ! 7064.

» Car il a convoqué ici tous les souverains, les a reçus avec honneur, les a nourris de mets délicieux, et maintenant il nous traite avec un tel mépris ! 7066.

» Dans cette réunion de rois, qui est comme l’assemblée des Dieux, est-ce qu’il n’a pu trouver même un seul roi, qui fût son égal ! 7066.

» Les brahmes n’ont aucune suprématie à réclamer quant au mariage. « Le swayamvara est fait pour les kshatryas ; » telle est la tradition reçue dans l’univers.

» Cependant, si la jeune fille ne veut honorer de son choix aucun de nous, jetons-la au feu, princes, et retournons dans nos royaumes ! 7067-7068.

» Que le brahme nous ait infligé cette insulte par ambition ou légèreté d’esprit, il n’importe ! Sa vie est une chose absolument sacrée pour tous les rois ! 7069.

» En effet, nos royaumes, nos vies, nos richesses, nos fils et petits-fils, tout enfin ce qui existe chez nous de précieux appartient aux brahmes. 7070.

» Mais, par la crainte du mépris et pour la conservation de nos droits, ne souffrons jamais dans les autres swayamvaras une telle manière de procéder. » 7071.

À ces mots, transportés d’indignation, ces rois aux bras comme des massues fondent, les armes à la main, sur Droupada, impatients de lui ôter la vie. 7072.

À peine celui-ci les eut-il vus s’élancer en grand nombre, furieux, ayant saisi leurs flèches avec une intention hostile, que, dans son effroi, il courut se réfugier auprès des brahmes. 7073.

Mais les deux héros, fils de Pândou, ces vaillants dompteurs des ennemis, s’avancent alors contre ces rois, qui se précipitaient d’un pied rapide comme des éléphants, dont le rut excite la fureur. 7074.

De leur côté, ces rois en fureur de courir, les armes hautes et la main défendue par le gantelet, pour tuer les deux enfants de Kourou, Arjouna et Bhîmaséna. 7075.

Ensuite Bhîma à la grande force, aux actions épouvantables et merveilleuses, ce héros unique et d’une vigueur égale à celle de la foudre, saisit un arbre entre ses bras, l’arrache et le dépouille de ses feuilles, comme eût fait un roi des éléphants. 7076.

Tenant cet arbre à sa main, tel que Dandi, le roi des morts, tient son terrible sceptre, il se plaça, lui, Prithide aux grands et larges bras, accoutumés à broyer ses ennemis, auprès du Prithide, son frère, le plus éminent des hommes. 7077.

Djishnou à l’intelligence plus qu’humaine, aux actions supérieures à l’idée, que l’homme peut concevoir, ne vit pas sans étonnement cette prouesse de son frère et, déposant la crainte, il se tint, l’arc en main, prêt à faire des choses dignes du puissant Indra. 7078.

Voyant ce qu’avaient pu faire Djishnou et son frère, Dâmaudara à la pensée au-dessus de l’humanité, aux exploits, qui dépassaient l’imagination, dit ces mots à Halâyoudha, son frère, d’une vigueur épouvantable : 7079.

« Cet homme, qui a tiré l’arc, tenu seulement d’une main, cet homme, qui a la démarche dandine d’un roi des lions, c’est Arjouna, on ne peut en douter, Sankarshana, ou je ne suis point Vâsoudéva ! 7080.

» Cet autre, qui rompit l’arbre d’un seul coup et se porta soudain à l’encontre des rois, n’est pas un autre que Bhîma au ventre de loup. Personne aujourd’hui sur la terre n’était capable, si ce n’est lui, de faire ici un tel acte en prélude de combat ! 7081.

» L’homme à la taille svelte, au teint doré, aux grands yeux de lotus, au nez beau, charmant, aquilin, à la démarche de grand lion, à la contenance modeste, qui s’est retiré avant les derniers incidents, c’est Atchyouta, le fils d’Yama. 7082.

» Les deux guerriers, qui semblaient de jeunes Karitikéyas, sont, je pense, les fils des Açwins ; car j’ai ouï dire que Prithâ et les fils de Pândou ont échappé à l’incendie de la maison de laque. » 7083.

L’illustre Halâyoudha, semblable au nuage, qui a versé toutes ses eaux, répondit à son frère puîné : « Je suis content de voir que Prithâ, la sœur de mon père, et les princes nés de Kourou ont pu sauver leur vie. » 7084.

Les premiers des brahmes, continua le narrateur, agitant leurs peaux d’antilope et leurs aiguières, de crier aux deux guerriers : « Ne craignez pas ! Nous allons combattre les ennemis avec vous ! « 7085.

Aux brahmes, qui parlaient ainsi, Arjouna répondit en souriant : « Tenez-vous de côté et restez, vous ! simplement spectateurs ! 7086.

» Moi, inondant ces rois en fureur de mes flèches droites et lancées par centaines, je les arrêterai comme on arrête les serpents avec des chants magiques ! » 7087.

Il dit ; et le héros à la grande force, secondé par Bhîma, son frère, ayant levé cet arc, incrusté d’argent, se tint immobile comme une montagne. 7088.

Quand ils virent ces rois, Karna à leur tête, pleins de l’ivresse insensée des batailles, les deux terribles guerriers de se précipiter sur eux comme deux proboscidiens contre une bande d’éléphants. 7089.

Impatients d’en venir aux mains, ces kshatryas leur jettent des paroles insultantes : « Il est permis de tuer dans un combat le brahme, qui a cherché la bataille ! »

Ces mots à peine dits, les rois fondent à l’instant sur les brahmes. Karna à la grande vigueur s’avance pour combattre Djishnou ; 7090-7091.

Tel court sur l’éléphant, son rival, un éléphant, qui veut lui disputer sa femelle dans un combat. Le puissant monarque de Madra, Çalya vient affronter Bhîmaséna.

Opposant de grands efforts à leurs attaques, après qu’ils eurent d’abord essayé la douceur, Douryodhana et tous les autres en vinrent aux mains avec les brahmes. 7092-7093.

Ensuite Arjouna, chéri de la Fortune, ayant tiré l’arc vigoureux, blessa de flèches acérées Karna, le fils du Soleil, au moment où il fondait sur lui. 7094.

L’esprit égaré par la fougue de ces flèches aiguës à la brûlante splendeur, Râdhéya s’efforçait en vain de se précipiter sur lui. 7095.

Ces deux héros en courroux, desquels on n’aurait su définir la vitesse, les plus vaillants des hommes accoutumés à vaincre, combattaient avec une mutuelle envie de remporter l’un sur l’autre la victoire. 7096.

« Vois comme la riposte suit le coup ! Vois la force de mon bras ! » Ils s’adressaient tour à tour ces héroïques paroles. 7097.

Quand il eut éprouvé qu’Arjouna avait une force de bras incomparable sur la terre, Karna, le fils du Soleil, n’en combattit qu’avec plus de colère. 7098.

Alors qu’il eut enfin repoussé les flèches impétueuses d’Arjouna, il se mit à pousser un vaste cri, et les armées d’applaudir. 7099.

« Je suis content, brahme éminent, lui dit Karna, de cette force de ton bras dans le combat et de cette intrépide victoire de tes flèches et de tes dards ! 7100.

» Es-tu le Dhanour-Véda incarné, ou bien Râma, ô la plus excellent des brahmes ? Es-tu le Dieu aux coursiers verts, ou une manifestation de l’éternel Vishnou,

» Qui emprunte la force de ton bras pour se cacher et qui me combat, je pense, revêtu de tes formes ? 7101-7102.

» Certes ! aucun mortel n’est capable d’affronter ma colère dans une bataille, si ce n’est l’époux de Çatchî fait homme ou Kirîti, le fils de Pândou ! » 7103.

Au guerrier, qui parlait ainsi, Phâlgouna répondit alors en ces termes : « Je ne suis pas le Dhanour-Véda » vaillant Karna, et je ne suis pas l’auguste Râma. 7104.

» Je suis un brahme, qui excelle dans les choses des batailles, le plus habile de tous ceux, qui portent les armes. Je dois aux enseignements d’un gourou ma science dans l’astra de Brahma et dans celui de Pourandara.

» Me voici ferme dans cette lice pour te vaincre : héros, tiens-toi ferme ! » À ces mots, persuadé qu’il est impossible de vaincre une force brahmique, Karna, le valeureux fils de Rhâdhâ, se retira du combat. 7106-7106.

Dans une autre partie de l’arène, deux puissants héros, Çalya et Vrikaudara, doués de force et de science pour les combats, 7107.

Se provoquaient mutuellement, comme deux grands éléphants ivres de rut, se frappaient l’un l’autre et des poings et des genoux, 7108.

Se tiraient en avant, se poussaient en arrière, à droite, à gauche, se meurtrissaient l’un l’autre avec les poings. Et faisaient pleuvoir les coups comme une averse de pierres. Toute leur charpente ébranlée craquait d’un son bien épouvantable. 7109-7110.

Une heure entière nos deux lutteurs s’entre-tirèrent sur l’arène. Enfin Bhima, le plus fort des Kourouides, enleva dans ses bras Çalya et le jeta à terre. Un rire d’applaudissement éclata au milieu des brahmes. 7111.

Alors Bhîmaséna, le plus grand des hommes, fit un acte admirable ; car, plus fort que le fort Çalya, il ne tua pas son ennemi renversé sur la terre. 7112.

Çalya abattu par Bhîma et Karna éloigné du combat par la défiance, tous les rois effrayés d’environner le Ventre-de-loup. 7113.

Ils s’entredisaient en ce moment : « Allons ! il faut connaître enfin ces deux éminents brahmes ; de quelle famille sont-ils nés ? en quel pays ont-ils même leur habitation ?

» En effet, qui peut tenir tête dans un combat à Karna, le fils adoptif de Ràdhâ, s’il est autre que Râma, ou Drona, ou Kirîti, le füs Pândou, 7114-7115.

» Ou Krishna, celui de Dévakî, ou Kripa même, né de Çaradvat ? Qui peut résister dans une bataille à Douryodhana ? 7416.

» Ou, qui peut affronter dans un combat ce roi de Madra, le plus fort des hommes, s’il n’est le valeureux Baladéva, ou Vrikaudara, le fils de Pândou, ou l’héroïque Douryodhana ? Qu’on mette fin à ce combat, où sont engagés des brahmes ! 7117-7118.

» Car on doit toujours respecter la vie des brahmes, fissent-ils continuellement des offenses ! Quand nous ne les verrons plus sur le champ de bataille, nous recommencerons vaillamment ce combat. » 7119.

Krishna, voyant et tous les maîtres du globe, qui parlaient ainsi, et ce que les autres hommes firent dans cette lice, et le dernier exploit de Bhîma, soupçonna que les deux brahmes étaient les fils de Kountî. Il arrêta donc tous les rois, que ces mots persuadèrent : « La princesse fut conquise légalement ! » 7120-7121.

Ces rois puissants, habiles dans les batailles, renonçant à ce combat, s’en allèrent tous pleins d’étonnement suivant les directions des lieux, où ils avaient leurs palais.

« Tout l’honneur de cette lice fut pour les brahmes ! Draâupadî fut conquise par des brahmes ! » disaient, chemin faisant, tous les rois, qui étaient venus au concoure. 7122-7123.

Inondés par les flots de ces brahmes, vêtus d’une peau d’antilope, Dhanandjaya et Bhîmaséna n’avançaient qu’avec gêne. 7124.

Délivrés de leurs nombreux ennemis, les deux héros brillaient, suivis de Krishnâ, 7125.

Tels qu’au temps d’une pléoménie, le soleil et la lune, qui s’élèvent dans un ciel débarrassé de nuages. Comme ses fils ne revenaient pas à l’heure, où ils avaient coutume de rapporter les aumônes, leur mère pensait à différentes espèces de mort, qu’ils avaient trouvées peut-être : « N’auraient-ils pas été reconnus, se disait-elle, par les Dhritarâshtrides, qui leur ont arraché la vie ? 7126-7127.

» Ou seraient-ils morts sous les coups de ces Rakshasas épouvantables, qui leur ont juré une mortelle haine et qui sont armés de magie ? Le conseil du magnanime Vyâsa nous a été funeste ! » 7128.

Telles étaient les pensées de Prithâ dans l’amour de ses fils, dont son âme était pleine, quand tout à coup dans une grande soirée pluvieuse, sous un ciel inondé de nuages, à l’heure, où la multitude des hommes goûte déjà le sommeil, Djishnou, environné de brahmes, comme un soleil entouré de nuages, entra dans la maison du brahmane issu de Bhrigou. 7129-7130.

Arrivés à la maison de travail du Bhargavain et déjà sur le seuil de Prithâ, les deux princes, ses fils, d’une vaste renommée et d’une haute majesté, lui annoncent Draâupadî en ces termes : « Voici l’aumône ! » 7131.

Kountî, qui était dans la maison et qui ne voyait pas ses deux fils, répondit : « Partagez-vous-la tous également ! fl Puis, quand elle vit Krishnâ : a J’ai dit là, fit-elle, une mauvaise parole ! » 7132.

Inquiète de manquer au devoir et sa pensée toute occupée de la jeune fille à l’immense renommée, elle prit Yâjnasénî par la main et, s’approchant d’Youddhishthira, lui tint ce langage : 7133.

« Cette fille du roi Droupada fut laissée à ma disposition par tes deux frères mineurs, à qui j’ai répondu inconsidérément ce que j’ai coutume de répondre, sire, quand vous m’apportez une aumône : « Partagez-vous-la tous également ! 7134,

» Dis-moi ce qu’on doit faire, ô le plus éminent des Kourouides, afin que ma parole soit une vérité sans que le péché souille la fille du roi Droupada et qu’il voltige autour de son nom ! » 7135.

À ce langage de sa mère, le sage héros se mit à réfléchir un instant ; puis, il consola Kountî et, s’adressant à Dhanandjaya, lui dit ces mots : 7136.

« Yajnasénî est le prix de ta victoire, Phâlgouna ; quelle brille avec le nom de ton épouse ! Que le feu soit allumé ; et prends devant lui, suivant les rites, invincible héros, la main de cette noble vierge ! » 7137.

« Ne me rends pas coupable d’une chose inconvenante, lui répondit Arjouna ; cette règle est celle des gens malappris : c’est toi, qui dois, suivant le devoir, te marier d’abord ; ensuite, Bhîma aux longs bras, aux actions, qui surpassent la pensée ; 7138.

» Après lui, moi ; puis, Nakoula ; en dernier lieu, Sahadéva à la course rapide. Vrikaudara, moi, les deux jumeaux et cette jeune fille, nous sommes tous, sire, les sujets de ta majesté. 7139.

» Puisqu’il en est ainsi, pense à ce qu’on doit faire d’assorti au devoir, de conforme à l’honneur, de convenable aux intérêts du roi des Pântchâlains, et fais-le : parle ! nous sommes tous soumis à ta volonté. « 7140. Après qu’ils eurent écouté ce langage d’Arjouna, si plein d’amour fraternel et de noble dévouement, les fils de Pândou fixèrent tous la vue de leurs yeux sur la belle Pântchâlaine. 7141.

Quand ils virent ses regards fixés sur eux tels que leurs yeux sur elle, ils la firent asseoir mutuellement sur le siège de leurs cœurs. 7142.

À peine eut-il vu l’illustre Krishnâ-Draâupadî bouleverser le système entier des sens de tous ces hommes à la vigueur sans mesure, l’Amour se manifesta soudain au milieu d’eux. 7143.

En effet, les mains elles-mêmes du créateur avaient modelé ces formes suaves de la Pântchâlaine, supérieures aux belles formes des autres femmes et ravissantes pour toutes les créatures. 7144.

Aussitôt que le fils de Kountl, Youddhishthira, le taureau du troupeau des hommes, eut deviné l’amour de ses frères à l’expression de leurs visages, il se rappela entièrement les paroles de Krishna-Dwaîpâyana ; 7145.

Et dit à chacun de ses frères dans la crainte qu’une division ne les séparât : « La belle Draâupadî sera l’épouse de nous tous ! » 7146.

Dès que les fils de Pândou eurent ouï ces mots de leur frère aîné et tourné vers cet arrangement la pensée de leur esprit, la tristesse au même instant s’envola de leur âme.

Le héros né de Vrishni, désirant voir les héros nés de Kourou, se rendit, accompagné du fils de Rohinî, à la maison de travail du Bhargavain, chez lequel habitaient ces magnanimes princes. 7147-7148.

Krishna vit assis là Youddhishthira aux grands et larges bras ; il décrivit un pradakshina autour d’Adjâtaçatrou et de ses frères, assis l’un à la suite de l’autre et semblables à cinq flamipes. 7149.

Ensuite le Vasoudévide, s’étant approché du fils de Kountî, le plus vertueux des hommes vertueux, lui dit ; « Je suis Krishna ! » puis, il embrassa les pieds d’Youddhishthira, le monarque ami d’Adja. 7150.

Le fils de Rohinî fit de même après lui. Les héros nés de Kourou se réjouirent de voir les Yadouides, ces fils de la sœur de leur père, et, chef des Bharatides, ils en prirent les pieds dans leurs mains. 7151.

Adjâtaçatrou, l’héroïque rejeton de Kourou, fixant les yeux sur Krishna, s’enquit de sa bonne santé : « Comment, Vâsoudéva, lui dit-il, nous as-tu connus, nous, qui tous habitons ces lieux sous un déguisement ? » 7152.

Vâsoudéva lui répondit én riant : « Le feu a beau se déguiser, il ne peut manquer d’être connu, sire ! Existe-t-il parmi les enfants de Manou, autres que les fils de Pândou, un homme, capable d’exécuter un tel exploit ?

» Oh bonheur ! vous avez tous échappé, invincibles héros, à cet épouvantable incendie ! Oh bonheur ! le criminel fils de Dhritarâshtra et son ministre ne sont pas arrivés au comble de leurs vœux ! 7153-7154.

» Jouissez en maîtres de mes trésors déposés dans une caverne ; grandissez en vous accroissant comme la flamme et que nul des princes ne puisse vous reconnaître ! Vous irez sans danger maintenant au palais du roi. » À ces mots, ayant reçu congé du Pândouide, le Dieu fait homme à la fortune immortelle s’en alla vite, accompagné de Baladéva. 7155.

Vaîçampâyana dit encore :

« Dhrishtadyoumna, le fils du roi des Pântchâlains, avait suivi par derrière les deux héros, enfants de Kourou, tandis qu’ils se rendaient à la maison du Bhargavain.

Ne sachant pas quels étaient ces inconnus, il posta des hommes de tous les côtés, et se tint caché près d’eux lui-même dans la maison du Bhargavain. 7156-7157.

Le soir, Bhîma, qui broie ses ennemis, Djishnou et les deux jumeaux à la royale majesté, s’en étant allés mendier, revinrent et, d’une âme satisfaite, ils remirent la collecte à Youddhishthira. 7158.

À l’heure du souper, la généreuse Kountî de parler en ces termes à la fille du roi Droupada : « Noble dame, prends un agra[22] et sème-le en l’honneur de toutes les créatures ; puis, fais l’aumône au brahme. 7159.

» Donne de la nourriture à ceux, qui ont faim, aux hommes, que le besoin a conduits ici d’alentour ; ensuite, divise promptement le reste en quatre portions et réserve la moitié d’une pour toi et pour moi. 7160.

» Donne, illustre dame, la moitié du tout à Bhîma : c’est le jeune homme au teint doré, corpulent, aux formes, qui ressemblent à celles d’un gigantesque éléphant ; car ce héros fut toujours un grand mangeur ! » 7161.

La vertueuse fille de roi, ne doutant pas que cette parole ne fût bonne, fit exactement et d’un air joyeux tout ce qu’on lui avait dit ; et tous ils se mirent à manger les aliments. 7162.

Le fils de Mâdrî, Sahadéva à la course légère épandit sur le sol une jonchée de poas ; chacun des cinq héros étendit sa peau d’antilope et se coucha sur la terre. 7163.

Ces rejetons éminents de Kourou avaient la tête tournée vers la plage, où domine l’étoile Agastya : Kountî reposait à leurs fronts et Krishnâ était au milieu de leurs pieds.

Elle était couchée sur la terre avec les fils de Pândou au milieu des poas et servait comme de coussin à leurs pieds ; mais aucune peine alors n’entra même dans son cœur, et elle ne méprisa point ces princes enfants de Kourou. 7164-7165.

Ces héros, qui avaient eu des armées sous leur commandement, se mirent à narrer différentes histoires sur les astras divins, les chars, les éléphants, les cimeterres, les massues et les haches. 7166.

Le fils du roi des Pântchâlains les entendit raconter ces récits divers ; et tous ses hommes virent Krishnâ couchée aux pieds des cinq frères. 7167.

Dhrishtadyoumna s’en fut rapporter au roi Droupada, son père, tout ce qui s’était passé et tout ce qui s’était dit là dans le cours de la nuit. 7168.

Le magnanime roi des Pântchâlains, ses formes contristées, n’ayant point appris que ces hommes fussent les fils de Pândou, fit ces questions à Dhrishtadyoumna : « En quels lieux est allée Krishnâ ? Par qui fut-elle emmenée ?

» Ne serait-elle pas échue à un çoûdra, à un être abject, à un vaîçya soumis au tribut ? Un pied, souillé de poussière, ne fut-il pas mis sur son front ? Ce bouquet de fleurs n’est-il pas tombé dans un cimetière ? 7169-7170.

» Son époux est-il d’une race égale à la nôtre ? Est-il même d’une condition élevée ? N’aurait-il pas mis aujourd’hui, mon fils, son pied gauche sur mon front par le déshonneur de Krishnâ ? 7171.

» Un roi puissant ne doit introduire dans son alliance qu’un mortel de la plus haute renommée. Dis-moi, suivant la vérité, prince à l’éclatante dignité, qui fut aujourd’hui le conquérant de ma fille ? 7172.

» Les enfants du plus grand des Kourouides, du fils de Vitchitravîrya, sont-ils encore vivants ? N’est-ce pas le plus jeune des fils de Prithâ, qui a levé l’arc et touché le but ? » 7173.





LE MARIAGE



Vaîçampâyana dit :

À ces mots, le chef des Somakides, Dhrishtadyoumna, le fils du roi, conte d’un air joyeux à son père comment s’étaient passées les choses et qui avait emmené Krishnâ :

« Ce jeune homme aux grands yeux, dit-il, à la prunelle dorée, égal en beauté aux Dieux mêmes et revêtu d’une peau d’antilope noire, celui, qui fixa la corde à l’arc gigantesque et fit tomber le but à terre, 7174-7175.

» Ce jeune homme, environné et honoré des brahmes, comme le Dieu, qui tient la foudre, reçoit au milieu des fils de Diti les hommages de tous les rishis et de tous les Dieux, se retira sans plus attendre et d’un pied agile.

» Telle qu’une éléphante suit un éléphant, Krishnâ suivit joyeuse l’anachorète, qui l’avait conquise, à travers les rois irrités, impatients de cette victoire et tombant tous à la fois sur lui. 7176-7177.

» Mais voici qu’un second anachorète casse un grand arbre au milieu de la foule des princes et se met à frapper la ligue des rois, comme la mort frappe les êtres animés,

» Alors, Indra des hommes, ces mortels invincibles emmènent Krishnâ malgré les vains efforts des rois, et gagnent, resplendissants à l’égal de la lune et du soleil, une maison située hors de la ville, où travaille un brahme issu de Bhrigou. 7178-7179.

» Là brillait, comme la clarté du feu, une femme assise, leur mère, je pense, avec trois nobles hommes, portant le vêtement des premiers, assis dans l’ordre des âges, et tous l’image du feu. 7180.

» Les deux arrivants se prosternent aux pieds de cette femme et disent à Krishnâ : « Embrasse comme nous ses pieds ! » Ils présentent la jeune fille, qui reste là ; eux, ils s’en vont recueillir des aumônes. 7181.

» Ensuite, ils remirent à Krishnâce qu’ils avaient mendié. Ta fille alors sema l’offrande en l’honneur de tous les êtres, agit comme une brahmanî, servit la vieille et ses nobles fils ; puis, elle se mit à manger elle-même. 7182.

» Tous les princes se couchent et Krishnâ avec eux. Elle était placée au coussin de leurs pieds ; ce lit était par terre et composé d’une jonchée de poas, recouverte de leurs peaux d’antilope. 7183.

» Ces héros à la voix tonnante comme les sombres nuages se mirent à conter différentes histoires ; mais le sujet de ces récits n’était pas les occupations des çoûdras, ni celles des vaîçyas, ni celles mêmes des brahmes. 7184.

» Ils parlaient de guerre, sire : donc, ce sont, il n’y a nul doute, des kshatryas de haut rang. Cela confirme, évidemment ! nos espérances que les fils de Prithâ ont échappé, comme nous l’avons ouï dire, à la mort, qu’on leur avait préparée dans un incendie. 7185.

» Ce sont, pour sûr, les enfants de Prithâ, qui errent sous un déguisement : ce que prouvent leurs mutuels entretiens ; ce que prouve encore la vigueur de celui, qui a pu fixer la corde à son arc et toucher le but ! » 7186.

Aussitôt le roi Droupada joyeux d’envoyer, son archibrahme domestique porter aux magnanimes fils de Pândou ces paroles de sa bouche ; « Nous désirons vous connaître ! » 7187.

Ayant reçu la mission du roi, le pourohita se mit en chemin et, procédant suivant l’ordre, il commença par les éloges des jeunes princes et leur exposa exactement toute la dépêche de son maître : 7188.

« Ce monarque de la terre, le roi des Pântchâlains brûle d’envie de vous connaître, lui, qui donne les grâces, vous, qui les méritez ! Depuis qu’il a vu l’un d’entre vous percer le but, son cœur est dans une joie, qui n’a pas de fin. 7189.

» Dites-moi la généalogie de votre famille ; puissiez-vous mettre le pied sur la tête de vos ennemis ! Versez la joie dans ce cœur du roi des Pântchâlains et dans celui de sa cour. 7190.

» Car le roi Pândou fut le cher ami du roi Droupada ; il en fut comme la vie, et tel était le vœu de celui-ci ; « Voilà ma fille ! je la donnerai pour sa bru au noble rejeton de Kourou. » 7191.

» Ce désir n’est pas encore éteint dans le cœur du roi Droupada. En effet, princes charmants, il dit : « Qu’Arjouna reçoive en mariage cette princesse, ma fille ! 7192.

» Cette action sera ma gloire, elle sera une bonne œuvre, et cette chose faite dans mon intérêt, me sera comptée comme une vertu. » Après qu’il eut achevé de parler, Youddhishthira, fixant les yeux sur le pourohita, qui se tenait devant lui d’un air modeste, 7193.

Dit ces mots à Bhîma, qui était placé à son côté : « Qu’on donne à ce personnage de l’eau pour laver ses pieds et qu’on lui présente un arghya ! Le pourohita de sa majesté Droupada est digne des plus grands honneurs : il faut lui rendre un suprême hommage ! » 7194.

Alors que Bhîmaséna eut accompli ces devoirs, Youddhishthira, sire, adressa ces paroles à l’archibrahme, commodément assis et qui avait reçu avec joie ces respectueuses déférences : 7195.

« Le roi des Pântchâlains a donné sa fille par la seule vue de son devoir et non par un mouvement de préférence : ce héros l’a remportée comme un prix, que sa majesté avait proposé. 7196.

» Il n’y a rien ici à dire sur les conditions, ni sur le caractère, ni sur la famille, ni sur le physique des personnes^ elle fut gagnée par la vigueur à bander l’arc et l’adresse à percer le but. 7197.

» Le magnanime a conquis cette princesse au milieu de la foule des rois ; puisqu’il en est ainsi, le royal petit-fils de Somaka ne devrait pas s’affliger maintenant, si les choses allaient à son déplaisir. 7198.

» Ce désir même du puissant monarque de voir l’épreuve donner à un prince cette royale main de sa jeune fille ne restera pas sans^être accompli ; je le pense, brahme, avec raison. 7199.

» Car ce n’était pas un homme de petite force, qui pouvait attacher la corde à l’autre bout de cet arc. Était-ce un homme vil et qui n’eût jamais appris la science de l’arc, qui aurait pu abattre ce but ? 7200.

» Par conséquent, le roi des Pântchâlains ne doit pas maintenant concevoir de chagrin à cause de sa fille : car le but ne pouvait être ici jeté à bas par nul autre homme sur la terre ! » 7201.

Mais, tandis qu’Youddhishthira tenait ce langage, un autre homme, parti des côtés du monarque, un second envoyé vint à la hâte annoncer ici que le festin était prêt.

« Sa majesté Droupada, leur dit-il, a préparé un repas de noces à l’occasion de ce mariage. Jouissez et du festin et de Krishnâ, quand vous aurez mis fin à toutes vos affaires : n’apportez aucun retard. 7202-7203.

» Voyez ces chars, où sont peints des lotus d’or : attelés de rapides coursiers, ils sont dignes de porter les maîtres de la terre. Montez dedans et, tous, allez au palais du roi des Pântchâlains. » 7204.

À ces mots, tous les princes de Kourou, environnant l’archibrahme, portent le pied en avant ; ils montent dans ces vastes chars : Kountî et Krishnâ font le voyage seules dans un même char. 7205.

En réponse aux questions du pourohita, Youddhishthira dit ces mots, fils de Bharata : « Puisque vous désirez connaître toutes les espèces de richesses, que possèdent les princes de Kourou, rassemble dans ta pensée, 7206.

» Sire, les fruits, les racines, les cuirasses excellentes, les boucliers, les sièges, les bœufs, les cordes, les différentes semences, employées dans l’agriculture. 7207.

» Réunis devant toi, sire, toutes les autres choses, qui servent aux autres métiers, et toutes celles, qui sont à l’usage des amusements divers, 7208.

» Les cottes-de-mailles, les pannes resplendissantes, les grands cimeterres, les chevaux et les chars variés, les arcs superbes, toutes les sortes de flèches, les lances de fer, les sabres et les parures d’or, 7209.

» Les traits barbelés, les armes à feu, les haches et tout ce qui est du ressort de la guerre, les couches, les trônes opulents et les vêtements de toutes les façons. »

Kountî, ayant serré dans ses bras la vertueuse Krishnâ, la fit entrer dans le gynœcée de Droupada, où les femmes d’une âme joyeuse répondirent avec de grands honneurs aux révérences de l’épouse des Pândouides. 7210-7211.

À la vue de ces héros des hommes à la démarche assurée de lion, à la peau d’antilope noire pour vêtement supérieur, aux épaules hautes, effacées, aux bras longs comme des serpents, rois du peuple rampant, 7212.

Le monarque, tous ses ministres, ses fils, ses amis et tous les serviteurs du monarque, sans aucune exception, furent transportés, sire, au comble de la joie. 7213.

Là, ces héros éminents, suivant l’ordre des naissances, s’asseoient, sans défiance, sans étonnement, sur des sièges élevés, de grand prix, accompagnés de riches escabeaux. 7214.

Des officiers de bouche, des serviteurs et des servantes, splendidement vêtus, leur apportent des mets variés, des aliments de prince, en des plats d’argent et d’or. 7216.

Après qu’ils eurent mangé là au gré de leurs désirs, ces héros à la bien vaste renommée, les plus vaillants des hommes, sans témoigner, sire, nulle envie de voir tous les trésors, commencent par visiter l’arsenal. 7216.

À la vue de ce mouvement naturel, le fils de Droupada, le monarque et tous ses principaux ministres, s’étant approchés tout joyeux, pensèrent que les fils de Kountî ne pouvaient être que des fils de roi. 7217.

Ensuite, ayant appelé Youddhishthira, le Pântchâlain à la grande splendeur serra entre ses bras, d’un pieux embrassement, ce rejeton des rois ; 7218.

Et, dans la joie de son cœur, interrogea en ces termes le resplendissant fils de Kountî : « Comment pouvons-nous savoir si vos grandeurs sont des kshatryas ou des brahmes ; 7219.

« Si vous êtes des vaîçyas, doués de vertus, si vous êtes nés d’une mère çoûdrâ, ou si vous êtes des brahmes, qui, aidés par la magie, peuvent aller partout dans l’espace. 7220.

» Êtes-vous des Dieux, venus pour Krishnâ et conduits en ces lieux par le désir de la voir ? Que ta grandeur nous parle avec sincérité ! car c’est pour nous l’objet d’une grande incertitude. 7221.

» Plaise au ciel, fléau des ennemis, que tu verses la satisfaction dans nos cœurs en dissipant notre doute ! Plaise au ciel que le bonheur soit avec nos destins ! 7222.

» Dis-moi la vérité avec amour : la vérité brille chez les rois. L’homme, fidèle à ses devoirs, ne doit jamais dire un mensonge. 7223.

» Une fois ouïe ta parole, dompteur des ennemis, toi, le portrait des Immortels, ne doute pas que je n’accomplisse suivant les rites la cérémonie du mariage. » 7224.

« N’tde aucune inquiétude, sire, lui répondit Youddhishthira ; ouvre ton cœur à la joie, Pântchâlain. Ce vœu, constant objet de ton désir, n’en doute pas, se trouve exaucé. 7225.

» Car nous sommes des kshatryas, sire, les fils du magnanime Pândou. Sache que je suis l’alné des fils de Kountî. Bhîmaséna et Arjouna sont les deux, que voici !

» C’est par eux, sire, que ta fille a été conquise dans l’assemblée des rois. Les deux jumeaux et Kountî sont les personnes, que tu vois à côté de Krishnâ. 7226-7227.

» Que le chagrin s’enfuie de ton cœur ; nous sommes des kshatryas, roi des hommes ! Cette charmante fille de toi est passée de ton lac, comme un nélumbo magnifique, dans un autre lac. 7228.

» Tout ce que je t’ai dit là, puissant monarque, est la vérité. En effet, ta majesté est pour nous un gourou ; elle est notre voie suprême. » 7229.

Vaîçampàyana dit :

À ces mots, le roi Droupada, ivre de plaisir et les yeux troublés par la joie, ne put répondre à Youddhishthira.

Parvenu enfin à comprimer sa joie par ses efforts, il fit une digne réponse à l’aîné des Pândouides. 7230-7231.

Le monarque à l’âme juste lui demanda comment ils s’étaient enfuis de la ville, et Dharmarâdja se mit à lui narrer toute la série des faits. 7232.

Le roi Droupada, aussitôt qu’il eut ouï le récit du fils de Kountî, éclata en menaces contre Dhritarâshtra, le souverain des hommes ; 7233.

Et ce prince, le plus éloquent des êtres, à qui la parole fut donnée, releva le courage d’Youddhishthira, le fils de Kountî, lui promit de le remettre en possession de ses états ; 7234.

Et, montrant du geste son vaste palais, y fit entrer Kountî, Krishnâ, Bhîmaséna, Arjouna et les deux jumeaux. 7230.

C’est là, sire, qu’ils habitèrent, comblés d’honneurs par Yajnaséna. Celui-ci, remis de sa crainte, dit avec ses fils à l’aîné des Pândouides : 7236.

« Que maintenant Arjouna aux longs bras, le petit-fils de Kourou, prenne suivant les rites la main de Krishnâ dans un jour fortuné, et qu’il fixe l’instant. » 7237.

Le prince Youddhishthira, le Devoir en personne, lui répondit : « C’est à moi-même, souverain des hommes, qu’il appartient de faire maintenant cette union, avec une épouse. » 7238.

« Que ta majesté prenne suivant les rites la main de ma fille, repartit Droupada ; ou donne Krishnâ en mariage, héros, à celui, que tu préfères. » 7239.

« Draâupadî sera l’épouse de nous tous, sire, lui répondit Youddhishthira : c’est ainsi que ma mère, souverain des hommes, l’a dit elle-même avant ce jour. 7240.

» Le Pândouide Bhîmaséna et moi ne sommes pas entrés en lice : Arjouna seul a conquis ta fille, et c’est ainsi qu’elle est devenue notre commun joyau. 7241.

» Nous sommes convenus, sire, de posséder en commun cette parure ; et nous n’avons aucune envie de rompre ce traité, ô le plus grand des rois. 7242.

» Elle sera légalement l’épouse de nous tous : qu’elle prenne à chacun de nous la main devant l’autel, suivant l’ordre des naissances. » 7243.

« On accorde, objecta le père de Krishnâ, plusieurs épouses à un seul époux ; mais on ne voit nulle part, rejeton de Kourou, une femme avoir plusieurs maris. 7244.

» Ne veuille pas faire, toi, fils de Kountî, qui es vertueux et qui sais le devoir, une chose contraire au devoir et que repousse la science du monde ! D’où te vient une pareille idée ? » 7245.

« Le devoir est une chose délicate, puissant roi, lui répondit Youddhishthira ; et, quand nous ignorons sa voie, nous suivons la route, qu’ont tenue successivement noS aïeux. 7246.

« Ma bouche ne dit jamais un mensonge, et mon cœur ne marche pas dans la fange du vice. » C’est ainsi que parle ma mère et cette parole est gravée dans mon esprit. 7247.

» C’est le devoir, assurément ! Observe-le, sire, et n’hésite pas ! Qu’il n’y ait aucun doute ici, prince, de toute façon pour toi ! » 7248.

Droupada reprit :

« Dhristadyoumna, mon fils, Prithâ et toi, fils de Kountî, dites : « Nous ferons dans le jour, qu’amènera demain, ce qui doit être fait. » 7249.

Tous alors d’un mouvement unanime répondirent, fils de Bharata : « Soit ! » 7250.

Ensuite l’anachorète Dwaîpâyana se transporta, sire, de lui-même en cette ville. 7251.

Aussitôt tous les Pândouides et le roi de Pântchâli à la vaste renommée, s’étant levés de concert, s’inclinent devant ce magnanime Krishna. 7252.

Le saint rendit ces révérences ; elles terminées, il s’enquit de leur bonne santé ; puis, l’hermite au grand cœur s’assit sur un siège d’or éclatant. 7253.

Tous, les plus grands des êtres à deux pieds, en ayant reçu la permission de Krishna à la splendeur infinie, prirent place sur des trônes opulents. 7254.

Après un instant écoulé, monarque des hommes, le fils de Prishata, élevant sa voix mélodieuse, interrogea le magnanime touchant Draâupadî. 7255.

« Comment pourrait-elle être légitimement l’épouse unique de plusieurs maris ? Ce fait ne serait-il pas de la promiscuité ? Que ta sainteté me dise tout suivant la vérité. » 7256.

« J’ai envie, répondit Vyâsa, de connaître individuellement les opinions de vous tous relativement à cette loi, qui semble une infraction, que prohibent les usages du monde et les règles du Véda. » 7257.

Droupada fit cette réponse :

« J’estime que c’est une faute, défendue par le monde et le Véda : il n’existe pas une femme, ô le plus vertueux des brahmes, qui soit l’unique épouse de plusieurs maris.

» Et même c’est une loi, qui ne fut jamais suivie par nos magnanimes devanciers ; et même c’est une faute, que les sages ne doivent commettre en aucune façon. 7258-7259.

« Je ne prendrai jamais une telle résolution sur la chose, dont il s’agit ; car cette loi me semble toujours pleine d’incertitude. » 7260.

« Comment, brahme opulent de pénitences, dit à son tour Dhrishtadyoumna, comment, ô le plus éminent des régénérés, le frère aîné, s’il est vertueux, pourra-t-il serrer dans ses bras l’épouse de son frère puîné ? 7261.

» Mais le devoir est chose si délicate que nous ne connaissons aucunement sa voie ! « Le péché est vertu ! » Des hommes tels que nous sommes n’admettront jamais ce paradoxe. Moi, qui te parle, je ne puis admettre d’aucune manière cette énormité : « Que Krishnâ soit l’épouse de cinq maris ! » 7262-7263.

« Ma bouche ne dit rien, qui ne soit la vérité ; ma pensée ne met pas sa joie dans le péché, reprit Youddhishthira : mon esprit est fixé là-dessus ; non ! ce n’est pas un péché !

» Un Pourâna dit qu’une femme anachorète, nommée Gaâutamî, la plus vertueuse entre les femmes vertueuses, épousa sept rishis. 7264-7266.

» De même une Dryade, fille d’un solitaire, s’unit avec dix frères, qui avaient dompté leur âme avec le frein des pénitences et qui étaient appelés d’un nom commun les Pratchétasas. 7266.

» La parole d’un gourou est obligatoire comme une loi, dit-on ; et le plus excellent des gourous, ô le plus vertueux des hommes, qui savent le devoir, c’est une mère ! 7267.

» Elle a parlé ; il faut manger sa parole comme une aumône ! Voilà donc, ô le plus grand des brahmes, ce que je pense le suprême devoir. » 7268.

« Il en est ainsi que l’a dit Youddhisthira, qui marche dans le sentier de la vertu, observa Kountî. J’ai une crainte mortelle du mensonge : comment serai-je sauvée du péché d’avoir dit une chose fausse ? » 7269.

» Tu seras délivrée du mensonge, noble dame, reprit Vyâsa ; car cette loi est impérissable ; mais je ne parlerai pas à tous ; prête l’Oreille à mes paroles, auguste Pântchâlain. 7270.

» Cette loi fut promulguée, comme l’a dit ce fils de Kountî ; c’est une loi, qui ne saurait périr : il n’y a nul doute ici. » 7271.

À ces mots, le révérend se lève ; l’auguste Vyâsa donne sa main au roi et Dwaîpâyana entre dans le palais du roi. Les fils de Pândou, Kountî et Dhrishtadyoumna, le rejeton de Prishata, entrent aussi là même, où les attendaient ces deux nobles personnages. 7272-7273.

Alors Dwaîpâyana de raconter à ce magnanime souverain comment l’état d’une femme, unique épouse de plusieurs maris, était une condition légale. 7274.

« Au temps passé, dit Vyâsa, les Dieux firent un sacrifice dans la forêt Naîmisha. Là, ce fut Yama, sire, qui alors fut le prêtre officiant. 7275.

» Une fois sanctifié par le sacrifice d’initiation, le Dieu de la mort assura l’immortalité aux créatures indistinctement ; et les êtres, dont la mort épargnait la vie, se multiplièrent à l’excès, grâce à cette négligence de son devoir.

» Lunus, Indra, Varouna, Kouvéra, les Sâdhyas, les Roudras, les Vasous, les deux Açwins et les autres Dieux s’en allèrent de compagnie trouver le Pradjâpati, maître et modérateur du monde. 7276-7277.

» Rassemblés devant l’instituteur de l’univers, ils dirent, troublés d’une cruelle peur à cette multiplication des hommes : « Elle nous épouvante et, désirant le bonheur, nous sommes venus implorer le secours de ta divinité. » 7278.

» Pourquoi donc avez-vous peur ainsi des hommes, répondit l’aïeul suprême des créatures, puisque vous êtes tous immortels ? Secouez cette crainte, que vous inspire la vue de simples mortels ! » 7279.

« Les mortels sont devenus tous immortels, sans aucune exception, reprirent les Dieux. Effrayés de ce don accordé à tous indistinctement, nous venons ici te prier d’y mettre une exception. » 7280.

« Le fils de Vivaçvat, répondit l’adorable, était tout appliqué au sacrifice, quand il a dit : « Que ces hommes ne meurent pas ! » Il a consommé tout le sacrifice d’un esprit absorbé dans ses fonctions, l’heure de la mort ne peut donc arriver pour eux. 7281.

» Le corps du Vivaçvatide est enrichi de vigueur et la vigueur du vôtre s’accroît. La fin de ces hommes arrivera ; en effet, au temps naturel de la mort, il ne restera plus aucune vigueur chez eux. » 7282.

» Dès qu’ils eurent ouï ce langage de leur divin ancêtre, les Dieux se rendirent au lieu, où ils faisaient leurs sacrifices. Là, assis et rassemblés, ils virent dans la Bhagirathî un lotus d’or. 7283.

» Cette vue les remplit d’étonnement. Le héros, qui règne sur eux, vint les trouver. Il avait remarqué une femme, resplendissante comme le feu, à l’endroit où la Déesse Gangâ roule sans cesse avec des eaux plus abondantes. 7284.

» Cette femme pleurait, consumée d’une soif ardente ; elle se plongea dans la céleste Gangâ et se tint sur ses bords. 7285.

» Une goutte de ses larmes, tombée dans l’eau, s’y était changée en ce lotus d’or.

» À la vue de ce prodige, le Dieu du tonnerre demande alors à cette femme vis-à-vis de lui : « Qui es-tu, noble dame ? Pourquoi verses-tu des pleurs ? Je désire une parole, qui soit la vérité : parle ! » 7287.

» La femme répondit :

» Tu me connaîtras ; tu sauras, Indra, quelle femme est ici et pourquoi je pleure, infortunée. Viens, sire ; je marcherai devant toi : tu verras la cause de mes larmes. »

» Il suivit la femme, qui précédait ses pas, et se vit bientôt près d’un jeune homme à l’aspect admirable, jouant aux dés sur la cîme du roi des monts dans la compagnie d’une jeune fille. 7288-7289.

« Sache, lui dit le roi des Dieux, que le monde se tient sous ma puissance : je suis Iça ! » Et, voyant qu’absorbé par le jeu, il ne prêtait aucune attention à ses paroles, Çakra de lui parler avec colère. 7290.

» Mahâ-Déva sourit de le voir en courroux et tourna lentement ses yeux sur le roi des Dieux. À ce regard, celui-ci resta frappé de stupeur et demeura immobile comme un pieu. 7291.

» Après qu’il eut donné à son jeu un temps suffisant, Çiva dit à la femme, qui pleurait : « Qu’on l’emmène loin du lieu où je suis et que l’orgueil ne rentre plus en lui ! »

« À peine touché par lui, Indra s’affaisse et tombe de tout son corps sur la terre. L’adorable à la terrible splendeur lui dit : « Çakra, n’agis plus de cette manière à l’avenir ! 7292-7293.

» Entre dans ce roi des monts à la force, à la vigueur sans mesure ! Entre au milieu de sa caverne, où siègent des êtres semblables à toi, resplendissants comme le soleil. » 7294.

» Quand il eut ouvert l’antre de cette grande montagne, Indra vit là quatre autres Déités d’une splendeur égale à la sienne et cette vue le remplit de chagrin : « Est-ce que je serais, pensa-t-il, prisonnier comme eux ! » 7295.

» Ensuite, ouvrant les yeux, le divin Giriça dit ces mots au Dieu, qui tient la foudre : « Çatakratou, entre dans cette caverne, puisque ton ignorance a jeté le mépris sur moi, sans nul égard à ma présence ! » 7296.

» À ces mots du Seigneur, le roi des Dieux trembla, violemment frappé de cet arrêt, comme une feuille d’açvattha, agitée par le vent sur la cîme du roi des monts.

» À peine eut-il articulé rapidement ce langage, l’Être ineffable, de qui le taureau est la monture, fit entrer dans la caverne le Dieu terrible et multiforme, ses mains réunies aux tempes, et lui jeta ces mots : « Tiens maintenant l’Univers entier sous ton regard ! » 7297-7298.

Le Dieu, effrayant de splendeur, lui dit en riant ; « Les gens de ce caractère ne se laissent point oublier : en voici quatre, qui furent de cette manière avant toi ! Entre dans cette caverne, et ne reste point là ! 7299.

» Quand vous aurez été là prisonniers, vous descendrez tous, c’est indubitable ! dans une matrice de femme ; puis, quand vous aurez accompli sur la terre un exploit incomparable et donné une foule d’hommes à la mort, 7300.

» Vous reviendrez encore dans le monde fortuné d’Indra, conquis par le mérite de vos œuvres. Tout ce que j’ai dit s’accomplira ainsi, joint à d’autres choses différentes. »

« Nous irons du monde des Dieux au monde des hommes, dirent les anciens Indras, où nous attend une délivrance pénible à traverser. Que les Dieux Yama, Vâyou, Maghavat et les deux Açwins nous déposent au sein d’une mère ! » 7301-7302.

» À ces mots, le Dieu, qui tient la foudre, s’adressa en ces termes au plus grand des Dieux : « Je susciterai de ma semence, pour le bien de leur affaire, un homme, qui sera le cinquième de mes fils. » 7303.

(Ce furent Viçvabhoug et Bhoûtadhâman, Çivis, le portrait vivant de l’auguste Indra, Çântis le quatrième et Tédjasvî, qui est dit le cinquième). 7304.

» Le Dieu à l’arc terrible mit devant eux, comme il avait dit, l’amour, auquel aspirait leur penchant ; il fit de Lakshmî, l’amour des mondes, une femme, qu’il établit chez les hommes, pour qu’elle y devînt leur épouse.

» Le Dieu se rendit avec eux vers Nârâyana, l’éternel, l’antique, qui n’a pas eu de naissance, qui n’aura pas de fin, que l’esprit ne peut mesurer, qui est le Tout aux formes infinies. 7305-7306.

» Après qu’il eut ainsi tout disposé, ils naquirent tous sur la terre. Ensuite Hari suscita les deux Kéças, l’un blanc et l’autre noir, 7307.

» Qui entrèrent dans la famille d’Yadou, et deux femmes : Dévakî et Rohinî. L’un d’eux, qui fut le Kéça blanc de ce Dieu, était Baladéva ; l’autre enfant né fut Krishna, nommé ainsi de sa couleur noire. 7308.

» Les formes d’Indra, qui jadis vivaient prisonnières dans la caverne au sein de la montagne, sont ici-bas les héroïques fils de Pândou : l’Ambidextre, leur frère, est une portion d’Indra même. 7309.

» Ces héros, qui sont nés de Pândou, furent donc autrefois des Indras, sire ; et cette Draâupadî à la beauté céleste, qui fut destinée jadis à devenir leur épouse, est Lakshmî elle-même. 7310.

» Comment, sans la faveur du Destin, aurait-on pu voir jaillir de la terre, à la fin du sacrifice, une femme, de qui la beauté resplendissait comme le soleil ou la lune, et qui exhalait sa douce odeur jusqu’à la distance d’un kroça ?

» Il faut que je te fasse un autre don plus que merveilleux, divin ; que je te gratifie, puissant monarque, d’un regard céleste ! Vois, grâce à lui, ces fils de Kountî, revêtus des corps purs, divins, qu’ils portaient avant leur descente ici-bas. » 7311-7312.

Ensuite Vyâsa, le brahme pur aux actions grandes et sublimes, donna par la vertu de sa pénitence une vue céleste au monarque, et celui-ci les vit tous exactement revêtus de leurs anciens corps. 7313.

Droupada les vit tous jeunes, semblables à Indra, ayant la taille d’un palmier, la poitrine vaste, de belles formes, la couleur du soleil et du feu, parés de célestes guirlandes, coiffés de tiares d’or, et le bouquet de fleurs attaché au sommet de la tête ; 7314.

Environnés d’une splendeur immense dans leurs costumes divins, sans poussière, dans leurs guirlandes incomparables et de la plus exquise odeur, doués enfin de toutes les perfections et tels que des Vasous, des Adityas, des Roudras et des Çivas, qui se manifestent aux regards. 7315.

Voyant ces premiers Indras d’une beauté charmante, apprenant qu’Arjouna était un fils d’Indra et une forme d’Indra, le roi Droupada enchanté contemplait avec admiration cette magie divine et d’une hauteur infinie.

Dès que l’Indra des hommes vit cette femme supérieure, divine, riche d’une beauté suprême, pareille au feu ou telle que la lune en personne, il pensa qu’elle était une épouse assortie pour eux en renommée, en splendeur, en belles formes. 7316-7317.

Aussitôt qu’il eut regardé cette beauté hautement prodigieuse, il embrassa les pieds du fils de Satyavatî et, d’une âme sereine, lui dit : « Ceci n’a rien, qui surprenne en toi, éminent rishi. » 7318.

Vyâsa reprit :

» Un rishi magnanime avait une jeune fille dans la forêt des pénitences ; mais, toute charmante, qu’elle fût, cette fille ne trouvait pas un époux. 7319.

» Elle se mit donc à réjouir Çankara avec de violentes macérations ; et, satisfait : « Choisis une grâce ! » lui dit Içwara de sa bouche même. 7320.

» À ces mots, elle de répondre au Dieu, qui départ les grâces : « Je désire un époux, doué de toutes les qualités ;

» ce qu’elle répéta deux et plusieurs autres fois. Le souverain des Dieux exauça, l’âme contente, sa prière : « Tu auras, noble vierge, cinq maris à la fois, » lui dit Çankara. 7321-7322.

Elle d’une voix suppliante, elle répondit au Dieu : « Çankara, daigne me donner un seul époux, bien doué de qualités. » 7323.

Le Dieu des Dieux, l’esprit joyeux, reprit en ces paroles fortunées : « Tu m’as dit à cinq fois différentes : « Donne-moi un époux ! » 7324.

» Il en sera donc ainsi de cette parole ; mais, descende la félicité sur toi ! on ne la verra s’accomplir qu’à l’époque où tu seras passée dans un autre corps. » 7325.

» C’est la fille à la beauté divine, qui est née à Droupada : l’incomparable Krishnâ la Prishatide est l’épouse destinée à cinq maris. 7326.

» Cette vierge du ciel est née dans le grand sacrifice pour les fils de Pândou ; elle a mérité ici par son effrayante pénitence l’honneur de naître ta fille. 7327.

» Tu sais maintenant, sire, que cette brillante Déité, l’amour des Dieux, fut créée par Swayambhou lui-même pour être l’épouse de cinq Dieux en récompense du mérite de ses œuvres ici-bas : fais donc, sans hésiter, Droupada, ce qui est ton désir. 7328.

Droupada reprit :

« Avant que j’eusse ouï ces paroles de toi, grand saint, j’avais déjà tourné mes efforts à disposer les choses. Il est impossible d’éluder ce que le Destin a fixé : cela même est une loi manifeste. 7329.

» On ne peut dénouer le nœud, qui fut serré par le Destin ; aucune chose n’est fondée ici-bas par le fait d’elle-même. Cette demande, en effet, d’un seul époux, qui fut la cause d’une pluralité, n’est-elle pas de cette vérité une preuve bien manifeste ? 7330.

» Krishnâ, sans le vouloir, a dit en présence de Çiva : « Que l’Adorable me donne cinq époux ; » et le Dieu répondit : « Qu’il en soit ainsi de la grâce ! » sachant quel mystère enveloppaient ces paroles. 7331.

» Si la chose, que Çankara fit ainsi, était bien ou mal, ce n’est pas sur moi, qu’en retombe ici la faute. Que ces héros prennent donc suivant les rites la main de Krishnâ, puisqu’à ma grande joie elle fut destinée pour eux ! »

Ensuite le saint anachorète dit à Youddhishthira ; « Voici un jour saint pour vous, fils de Pândou ; c’est aujourd’hui que la lune fait sa conjonction avec l’astérisme Paaûshya : prenez aujourd’hui la main de Krishnâ au lever du soleil. » 7332-7333.

Le roi Yajnaséna fit donc apporter en grande quantité avec son fils toutes les choses excellentes prescrites dans les mariages ; il fit baigner sa fille et la fit parer de nombreux joyaux. 7334.

Alors se rassemblèrent de compagnie pour assister au mariage tous les amis du monarque, ses ministres, les brahmes de la plus haute renommée et tous les citadins suivant les rangs de prééminence. 7336.

La cour ornée avec des jonchées de lotus et de nélumbos, alors son palais, embelli de ses principaux officiers, émaillé par des masses de pierreries et des multitudes de chasse-mouches, resplendit comme le ciel, quand il est parsemé de ses limpides étoiles. 7336.

Ensuite, auguste seigneur, tels que de superbes taureaux entrent joyeux à l’étable, entrèrent, sur les pas du vertueux Dhaâumya, l’archibrahme, éclatant de la splendeur du feu, l’un suivant l’autre, conformément à l’étiquette, tous les vertueux fils du monarque issu de Kourou, jeunes, embellis de fleurs, ornés de pendeloques, revêtus de robes et d’habillements précieux, arrosés de sandal, sortants du bain et consacrés par les cérémonies pour attirer la bonne fortune. 7337-7338.

L’archibrahme, consommé dans les Védas, appliquant son esprit à ses fonctions, de sacrifier au feu allumé avec les prières ; et, séparant de ses frères Youddhishthira, le prêtre versé dans les prières de l’unir avec la belle Krishnâ. 7339.

Il conduisit les deux nouveaux époux se tenant par la main dans un pradakshina autour du feu sacré ; et, quand il eut obtenu le congé du prince, qui portent l’auréole des champs de bataille, le brahme, consommé dans les Védas, sortit de l’habitation du roi. 7340.

Les héros, incréments de la race de Kourou, fils du souverain des hommes, et portant une beauté chaque jour de plus en plus grande, prirent alors chacun à son tour la main de cette princesse, la plus belle des femmes. 7341.

Il fut déclaré là par le Dévarshi que cette beauté merveilleuse était incontestablement ce qu’il y avait de plus haut dans la condition humaine ; et la jeune vierge à la taille charmante prenait elle-même, à mesure que le jour s’écoulait, une incomparable excellence de majesté.

La cérémonie du mariage conduite à sa fin, Droupada se mit à gratifier les héros de précieuses richesses en toutes les formes : ils reçurent de lui une centaine de chars ornés de guirlandes en or du plus fin, attelés de quatre chevaux aux brides et aux freins d’or ; 7342-7348.

Une centaine d’éléphants et de proboscidiens aux défenses dorées, tels qu’un cent de montagnes aux pitons d’or ; une centaine de servantes dans la plus fraîche jeunesse, parées des bouquets, des robes, des parures et des vêtements les plus riches. 7344.

De plus, le Somakide à la haute majesté donna, en présence du feu, à chacun des brahmes, qui possédaient une vue céleste, un amas de richesses ; à ces dons, il ajouta encore des habillements et des insignes, joints à une grande puissance. 7345.

Le mariage célébré, maîtres de cette femme, la plus riche des perles, les fils de Pândou à la grande vigueur, ces portraits vivants d’Indra, se divertirent dans la ville du roi des Pântchâlains. 7346.

Après qu’il eut contracté cette union avec les fils de Pândou, ce monarque ne vit plus nulle part aucun danger à redouter pour lui, vînt-il même des Dieux ! 7347.

Les femmes du magnanime Droupada, nommées les Encomiastes, s’étant approchées de Kountî, touchèrent ses pieds du front. 7348.

Après que la nouvelle épouse, acquittée des saintes prières du mariage, eut fait, revêtue d’une robe de lin, ses révérences à sa belle-mère, elle se tint devant elle, inclinée et les paumes de ses mains réunies aux tempes. 7349.

Alors Kountî de répandre avec amour ces paroles de bénédiction sur Draâupadî, pleine de nobles qualités, douée d’un excellent caractère et qui réunissait en elle toutes les conditions de la beauté : 7350.

« De même qu’indranî avec le Dieu aux coursiers verts, Rohinî avec Lunus, Damayanti avec Nala ; de même que Bhadrâ avec le fils de Viçravas, Aroundhatî avec Vaçishtha et Lakshmî avec Nârâyana, ainsi puisses-tu être avec tes époux ! 7351-7352.

» Heureuse, environnée de plaisirs, enivrée de toutes les joies, participante aux sacrifices de ton époux, fidèle à tes vœux envers ton mari, sois une mère de héros et vois tes fils jouir tous de la vie ! 7353.

» Traitant avec honneur les hôtes venus dans ta maison, les gens de bien, les vieillards, les enfants et les gourous, que tes années coulent d’un cours éternel suivant la juste raison ! 7354.

» Constante amie de la vertu, fais sacrer un roi ton fils sur le trône des villes, des royaumes et des plus belles provinces du Kouroudjângala ! 7355.

» Donne en pleine propriété aux brahmes dans le grand sacrifice d’un açwa-médha ce globe entier conquis héroïquement par tes époux à la grande vigueur ! 7356.

» Savoure, noble femme, cent automnes de bonheur et jouis des plus riches pierreries, que renferme la terre opulente ! 7357.

» Telle que je te félicite aujourd’hui, nouvelle épouse, revêtue de la robe de lin, telle puissé-je bientôt te féliciter, vertueuse mère d’un nouveau-né ! » 7368.

Ensuite Hari envoya aux fils de Pândou à l’occasion de leur hymen un présent de parures en or, émaillées de pierreries et de lazuli. 7359.

Le meurtrier de Madhou envoya de précieux vêtements, tissus en différentes contrées, des couvertures, des pelleteries douces au toucher et des gemmes resplendissantes, 7860.

Des lits et des sièges grands et divers, des vases par centaines, incrustés de diamants et de lapis-lazuli. 7361.

Krishna leur donna des serviteurs, nés en différents pays, doués de jeunesse, de beauté, de politesse, et splendidement ornés de mainte et mainte parure ; 7362.

Des éléphants bien dressés, magnifiques, des chevaux excellents, domptés, richement décorés et des chars embellis de resplendissantes étoffes d’or. 7363.

Le meurtrier de Madhou à l’âme, qui dépasse toute mesure, envoya même de l’or brut et de l’or monnayé par dixaines de millions. 7364.

Youddhishthira, Yama fait homme, reçut tous ces présents, comblé de la plus grande joie et par le désir de faire une chose, qui plût à Govinda. 7366.





LE VOYAGE DE VIDOURA



Vaîçampâyana dit :

« Ensuite des espions rusés apportent aux rois la nouvelle que l’éclatante Draâupadî avait obtenu pour époux les cinq fils de Pândou. 7366.

« Celui, disaient-ils, qui leva l’arc pesant, toucha le but et renversa d’une flèche à terre le roi de Madra, est le plus grand des victorieux, ce vigoureux et magnanime Arjouna, qui manie un arc aux longues flèches. 7367.

» Il n’existe aucun doute sur le héros, qui, s’armant d’un arbre dans sa colère, jeta l’épouvante parmi les hommes sur le champ de bataille et coucha par terre le robuste Çatrouséna ; c’est Bhîmaséna au choc épouvantable. »

À la nouvelle que les fils de Pândou et de Kountî portaient les apparences de brahmes à l’âme placide, l’étonnement de saisir les Indras des enfants de Manou ; 7868-7369.

En effet, comme ils avaient jadis ouï dire que Kountî avait péri avec ses fils dans la maison de laque, ces potentats s’imaginaient, pour ainsi dire, qu’ils étaient maintenant ressuscités. 7370.

Ils avaient tous alors déversé le mépris sur Bhîshma et Dhritarâshtra, le rejeton de Kourou, à cause du crime, qu’avait exécuté Pourotchana, le plus cruel des hommes.

Le swayamvara fini, tous les rois, ayant vu la princesse arrêter son choix sur les fils de Pândou, s’en étaient retournés, comme ils étaient venus. 7371-7372,

Douryodhana, le roi insensé, revint avec ses frères, Açvatthâman, son oncle, Karna et Kripa, quand il vit Draâupadî honorer de son choix Arjouna, le héros au char blanc. Mais Douççâsana tint ce peu de mots au prince, couvert d’un peu de honte : 7373-7374.

« Si ce n’est pas un brahme, Draâupadî ne devrait pas lui appartenir ! Mais, sire, qui que ce soit ne connait Dhanandjaya dans sa vi’aie nature. 7876,

Il Je pense que c’est un grand Dieu ; le courage échoue contre lui. Honte à la valeur, mon enfant, quand elle s’attaque aux fils de Pândou ! » 7376.

Tandis qu’ils s’entretenaient ainsi et censuraient la conduite de Pourotchana, ils entrèrent dans Hastinapoura. Les Pândouides, qu’ils voyaient échappés au feu et forts de leur alliance avec Droupada, les remplissaient de tristesse et d’épouvante, éclipsaient leur esprit et paralysaient leur pensée. 7377-7378.

Ils songeaient à Dhrishtadyoumna et à Çikhandi, ces deux héroïques fils de Droupada, et à d’autres habiles dans tous les combats ! 7379.

Vidoura sut que Draâupadî était échue aux fils de Pândou et que ceux de Dhritarâshtra étaient revenus honteux et l’orgueil brisé. 7380.

Kshattri d’une âme joyeuse, monarque des hommes, dit avec enthousiasme à Dhritarâshtra ; Oh bonheur ! la branche de Kourou s’est agrandie ! » 7381.

À ces mots de Vidoura, le roi lils de Vitchitravîrya au comble de la joie répondit, Bharatide : « Oh bonheur ! oui ! oh bonheur ! » 7382.

Le monarque aveugle, qui avait l’œil de la science, s’imaginait dans son erreur que Douryodhana, son fils aîné, avait mérité le choix de Draâupadî. 7383.

Il commanda pour elle une riche parure et dit à Souyodhana, son fils : « Qu’on amène Krishnâ devant moi ! » 7384.

Alors Kshattri de lui raconter que l’époux choisi était les fils de Pâudou ; que Droupada avait traité avec honneur tous ces héros fortunés, 7385.

Et que les Pândouides avaient trouvé réunis dans ce swayamvara tous leurs parents et d’autres nombreuses et puissantes relations. 7386.

« Les fils de Pândou, lui répondit Dhritarâshtra, sont au-dessus de moi autant que l’esprit est au-dessus du corps. Écoute sur eux ces paroles de moi. 7387.

» Les héros fortunés de Pândou ne manquent point d’amis ; ils ont un grand nombre de parentés et d’autres liaisons, qui sont toutes des personnes magnanimes, 7388.

» Quel prince indigent, semblable à un roi, qui a perdu sa couronne, ne s’estimerait environné de la fortune, Kshattri, quand il a trouvé pour ami Droupada et sa famille ! » 7389.

À ces paroles du monarque, Vidoura fit cette réponse :

« Puisses-tu, sire, conserver cette pensée toujours, une centaine d’années ! » 7390.

Ensuite, auguste monarque, Douryodhana et le fils de Râdhâ viennent trouver Dhritarâshtra et lui tiennent alors ce langage : 7391.

« Nous ne pouvions te parler sans risque en présence de Vidoura ; personne, dis-tu, ne peut nous entendre : nous allons t’exposer quel est notre dessein. 7392.

» Ce que tu penses ton agrandissement, c’est, mon père, l’agrandissement de nos rivaux ; le prince, que tu glorifies en présence de Vidoura, c’est le plus grand de nos ennemis. 7393.

» Il te faut changer de conduite, vertueux monarque, selon que changent les affaires des rois : ce qu’il faut poursuivre sans relâche, c’est l’affaiblissement de leur puissance. 7394.

» Nous délibérons sur un dessein à mettre en exécution aussitôt le moment arrivé, afin qu’ils ne puissent nous dévorer, nous, nos parents, nos armées et nos fils ! » 7395.

« Je désire comme vous faire ce que vous dites, répondit Dhritarâshtra ; mais je ne veux pas changer de visage à l’égard de Vidoura. 7396.

» Ensuite, je continuerai à vanter leurs qualités sans réserve dans la crainte que Vidoura ne devine mon dessein à mes gestes. 7397.

» Dis-moi, Souyodhana, ce que tu juges convenable ; dis-moi, sans hésiter, fils de Râdhâ, ce que tu juges opportun dans la circonstance. » 7398.

« Employons dès aujourd’hui même, reprit Douiyodhana, des brahmes habiles, bien cachés, discrets aflidés, à semer la division parmi les fils de Kountî et les deux Pândouides, enfants de Mâdrî. 7399.

» Tentons de toutes les manières avec de grands amas de richesses le roi Droupada, ses fils et ses ministres ;

» Afin que ce monarque abandonne Youddhishthira, fils de Kountî ; ou qu’il fasse avec ses fils agréer aux rejetons de Pândou une habitation chez nous. 7400-7401.

» Que, désunis, les Pândouides tournent de ce côté leur pensée et que chacun d’eux en particulier fasse choix d’une habitation ici. 7402.

» Ou que des hommes adroits, féconds en expédients, se servent de l’amour des Pândouides pour les aliéner les uns des autres. 7403.

» Ou bien qu’on soulève contre les fils de Kountî la colère de Krishnâ ; qu’on les divise entre eux à cause d’elle et qu’ensuite on détourne d’eux son asprit. 7404.

« Ou que de secrets émissaires, ingénieux en moyens, préparent la mort à Bhîmaséna ; car, sire ! il les surpasse tous en vigueur. 7405.

» Il ne fit nul compte de nous, ce fils de Kountî, un jour que nous l’avions tous affronté ! Héroïque et violent, c’est leur suprême asile. 7406.

» Celui-ci tué, les efforts des autres sont tués, sire ; la force des autres est tuée : ils cesseront de prétendre au diadème ; car il est leur seul abri contre la défaite. 7407.

» Arjouna est invincible dans une bataille, quand Vrikaudara défend ses derrières ; mais, sans lui, Phâlgouna dans un combat n’est pas digne de toucher les pieds de Râdhéya ! 7408.

» Bhimaséna mort, ils n’oseront plus nous affronter ; car, s’ils connaissent la grande force de ses bras, ils savent aussi quelle est notre vigueur et leur faiblesse. 7409.

» Une fois venus dans cette ville, sire, et vivant sous la puissance de nos ordres, nous travaillerons à les détruire en nous conformant aux Traités de politique. 7410.

» Ou bien que des femmes charmantes enivrent de leurs séductions chacun des fils de Kountî et attirent sur eux la haine de Krishnâ. 7411.

» Que le fils de Râdhâ soit envoyé pour les conduire ici, et, qu’après nous les avoir amenés par tels ou tels moyens, ils tombent sous les coups de sûrs affidés. 7412.

» Mets en pratique, avant que le moment propice ne soit écoulé, celui de tous ces moyens, que tu juges le meilleur. 7413.

» Il est possible de nuire aux Pândouides tant que leur confiance n’aura pas jeté de bien profondes racines en ce Droupada, l’éminent roi ; mais, ce temps une fois passé, on ne le pourra plus. 7414.

» Voilà, mon père, quel est mon sentiment pour la coercition de ces hommes dangereux. Que te semble-t-il, fils de Râdhâ ? ou bon ou mauvais ! » 7415.

« Douryodhana, ta science est ici en défaut, répondit Karna : telle est mon opinion. Aucun de ces moyens, quel qu’il soit, incrément de Kourou, ne peut arrêter les fils de Pândou. 7416.

» Tu as cherché déjà par des ruses ingénieuses à les détruire ; mais aucune, héros, n’a jamais pu te réussir.

» Quand ils habitaient ici près de toi, sans un parti formé, simples disciples, il te fut, seigneur, impossible de leur donner la mort. 7417-7418.

» Revenus de l’exil, appuyés sur un parti, fortifiés de toutes les manières, aucun de ces moyens ne pourra donc triompher des fils de Kountî : c’est là mon sentiment inébranlable ! 7419.

» On ne peut les écraser sous le poids des malheurs : le Destin s’y oppose. Désirent-ils recouvrer l’empire de leur père et de leurs aïeux, il est impossible d’y mettre un obstacle. 7420.

» On ne peut jeter la division au milieu d’eux : cette communauté d’une seule épouse leur est agréable ; on ne pourra donc les diviser les uns des autres. 7421.

» Krishnâ elle-même ne peut être aliénée d’eux par des instigations étrangères. Elle a suivi les Pândouides, quand ils étaient fugitifs : combien plus restera-t-elle avec eux, quand ils seront dans une brillante position ! 7422.

» Posséder à elle seule plusieurs maris est un avantage, que désirent les femmes. Krishnâ jouit de ce bien, on ne saurait donc la séparer d’eux. 7423.

» Le roi du Pântchâli a de nobles sentiments ; il n’aime pas les richesses : tu peux être sûr qu’il n’abandonnera pas les fils de Kountî, lui donnât-on un royaume ! 7424.

» Son fils n’est pas moins vertueux ; il est attaché aux fils de Pândou : ainsi, je ne pense pas qu’on puisse d’aucune manière espérer la réussite de ces moyens. 7425.

» Voici, ô le plus éminent des hommes, ce qu’il nous est possible de faire maintenant ; il nous faut, seigneur, arracher les fils de Pândou avant qu’ils n’aient pris racine. Que cet avis t’agrée, mon auguste maître ! 7426.

» Tandis que notre parti est fort et que le Pântchâlain est faible, attaquons-les ! n’hésite pas. 7427.

» Marche contre eux, seigneur, tandis qu’ils n’ont pas encore dans le Gândhâra un grand nombre de chars, des amis et des familles ! 7428.

» Marche contre eux, seigneur, avant que le roi de Pântchâli et ses fils à la grande vaillance ne tourne son esprit à la guerre ! 7429.

» Portons-nous contre le palais du Pântchâlain avant que le rejeton de Vrishni, entraînant sur ses pas une armée d’Yadouides, ne vienne réclamer le diadème pour les fils de Pândou. 7480.

» Les richesses, les diverses jouissances, un royaume entier, il n’est rien, que Krishna ne veuille abandonner pour les fils de Pândou. 7431.

» Cest par la valeur, que Bharata le magnanime a conquis la terre ; c’est par la valeur, que le Dieu, régulateur de la maturité, a conquis les trois mondes. 7432.

» On loue, monarque des hommes, le kshatrya pour sa raleur ; la valeur, taureau du troupeau des rois, est la qualité propre aux héros. 7433.

» Nous, sire, à la tête d’une grande armée en quatre corps, allons vîte écraser Droupada et ramenons prisonniers les fils de Pândou. 7434.

» On ne peut vaincre les Pândouides, ni par les flatteries, ni par les dons, ni par la division ; c’est donc à force ouverte qu’il te faut triompher d’eux. 7485.

» Quand ils auront Succombé sous ta force, jouis du globe entier. Après tout, monarque des hommes, je ne vois pas d’autre expédient à suivre. » 7436. Vaîçampàyana dit :

À ces mots, l’auguste Dhritarâshtra d’honorer le fils de Râdhâ et de lui adresser les paroles suivantes : 7437.

« Une telle parole, qu’a dictée la vaillance, sied au fils de mon noble cocher, à toi, l’homme de grande science, qui es consommé dans la pratique des armes. 7438.

» Exposez vous deux une seconde fois avec Bhîshma, Drona et Vidoura, ces pensées, qui font lever l’astre de notre bonheur. » 7439.

Ensuite Dhritarâshtra, le grand roi à la vaste renommée, ayant convoqué tous ses ministres, se mit à délibérer avec eux. 7440.

Bhîshma dit ; « Il ne me plaît nullement qu’on use de contrainte à l’égard des fils de Pândou ; car Pândou était pour moi ce qu’est Dhritarâshtra lui-même : c’est indubitable. 7441.

» Les fils de Kountî sont pour moi au même degré que les enfants de Gàndhârî ; et tel que je dois, ainsi dois-tu les défendre toi-même, Dhritarâshtra. 7442.

» De même que c’est mon devoir et celui du roi, de même c’est le devoir de Douryodhana, ton fils, seigneur, et de tous les autres enfants de Kourou. 7443.

» Les choses étant ainsi, je n’approuve pas la guerre avec eux. Fais la paix avec ces héros : qu’on leur donne la moitié de la terre ; en effet, ce royaume appartient aux aïeux et au père de ces enfants, les plus nobles de Kourou. 7444.

» Douryodhana, tu regardes cet empire comme l’héritage de mes ancêtres : tel, mon fils, il est vu par les Pândouides eux-mêmes. 7445.

» Si les illustres fils de Pândou n’avaient aucuns droits à la couronne, combien moindres seraient les tiens ou ceux de quelque autre enfant de Bharata ! 7446.

» Pour que tu fusses monté légitimement sur le trône, auguste rejeton de Bharata, il faudrait que ceux-ci eussent commencé par recouvrer leur diadème : tel est mon avis. 7447,

» Qu’on leur donne avec Madhoura la moitié du royaume ! cet arrangement, tigre des hommes, sera pour le bien de tout le monde. 7448.

» Si l’on agit d’une autre manière, la chose n’ira point à notre avantage, et ta gloire elle-même en sera tout à fait souillée : on ne saurait en douter. 7449.

» Veille à la conservation de ta renommée : en effet, la renommée est la première des forces. La renommée perdue, on peut dire que la vie de l’homme a perdu son fruit. 7450.

» Aussi long-temps que subsiste la renommée d’un homme, aussi long-temps dure sa vie, rejeton de Kourou ; mais, sa renommée vient-elle à s’éteindre, il rend avec elle, fils de Gândhâri, son dernier soupir. 7451.

» Soigne ta renommée ; accomplis le devoir, comme il est digne de ta race ; fais ce qui sied au héros, à tes ancêtres, à toi-même. 7452.

» Heureusement les fils de Prithâ vivent ! Heureusement Prithâ vit elle-même ! Heureusement Pourotchana a trouvé la mort, sans réussir dans son criminel dessein ! 7453.

» Si l’incendie eût consumé les fils de la fille du roi Kountîbhodja, je n’aurais plus désormais, fils de Gândhâri, osé lever mes yeux dans le monde des êtres animés sur un homme, à l’oreille de qui fut portée cette infortune de Kountî. Il ne faut pas que le monde te mêle à tort dans le crime de Pourotchana ; car tu es sans raison, tigre des hommes, accusé par le monde. 7454-7455.

» Cette vie, dont ils jouissent, puissant roi, te lave de cette calomnie : tu dois estimer comme un trésor la vue des fils de Pândou. 7456.

» Mais tant qu’ils vivent, ces héros, le Dieu même, qui tient la foudre, ne peut, rejeton de Kourou, assurer dans tes mains l’héritage de leur père. 7457.

» Tous, ils se tiennent fermes dans la vertu ; tous, ils n’ont qu’un même esprit, et surtout on les a rejetés d’un royaume, où leur droit était égal au tien. 7468.

» Si tu veux suivre le devoir, si tu veux faire ce qui m’est agréable, si tu veux assurer la félicité commune, donne aux Pândouides une moitié du royaume. » 7469. Drona dit à son tour :.

« Délibère, auguste Dhritarâshtra, avec tes conseillers réunis ; qu’ils disent une parole juste, convenable, d’où naisse une bonne renommée : nous sommes prêts à l’écouter. 7460.

» Mon sentiment est celui, mon père, du magnanime Bhîshma. Qu’on admette les fils de Kountî au partage : c’est l’éternel devoir. 7461.

» Qu’on envoie donc en diligence à Droupada un homme aux paroles conciliantes, noble fils de Bharata, chargé de nombreuses pien-es fines et de négocier leur affaire. 7462.

« Qu’il s’en aille, ses mains pleines de richesses ! Qu’il expose au roi la chose en particulier et l’immense accroissement de puissance, qui résulte d’une alliance avec toi !

» Qu’il dise et répète mainte fois que Douryodhana et toi, royal enfant de Bharata, vous portez beaucoup d’amour à Droupada et son fils Dhrishtadyoumna.

» Qu’il fasse goûter à diverses fois aux fils de Pândou et aux deux fils de Mâdrî, en les flattant, ce qu’il y a de digne et d’agréable dans l’union. 7463-7464-7465.

» Qu’il donne en ton nom, Indra des rois, à la belle Draâupadî des parures éblouissantes, en grand nombre et faites d’or. 7466.

» Qu’il distribue ensuite, noble enfant de Bharata, des cadeaux assortis à Kountî, à tous les fils de Droupada, à tous les fils de Pândou. 7467.

» Quand il aura dit ces choses dans un langage accompagné de flatteries à Droupada et aux Pândouides, qu’il parle sans délai à ceux-ci de revenir avec nous. 7468.

» Aussitôt que ces héros en auront qbtenu le congé, envoie, commandée par Douççâsana et Vikarna, une brillante armée pour escorter jusqu’ici les fils de Pândou.

» Que dès lors, comblés sans cesse de tes honneurs, ces Pândouides, les plus vertueux des hommes, habitent dans cette ville de leurs pères avec le consentement des citoyens. 7469-7470.

» Telle est, puissant Bharatide, la marche digne, que tu dois suivre avec tesfils ; et mon opinion s’accorde avec le sentiment de Bhîshma. » 7471.

Karna de répliquer :

» Deux conseilla si bien unis et tellement sympathiques l’un à l’autre ne devraient pas délibérer avec deux autres, animés par le seul amour de ton bien. Il n’y a rien en cela de très-étonnant. 7472.

» Comment l’orateur, qui parle d’une âme dissimulée et d’un esprit méchant, pourrait-il embrasser l’avis des gens de bien, qui proposent le seul moyen de salut ? 7478.

« Mais les amis n’ont aucune influence pour le bien ou le mal dans les crises difficiles : le plaisir ou la peine arrive à chacun des hommes par une disposition antérieure de sa destinée. 7474.

» C’est la Destinée, qui partout assigne tout à l’homme, fût-il ignorant ou savant, enfant ou vieillard, avec ou sans auxiliaires. 7475.

» La tradition nous apprend que jadis vécut un monarque, appelé Amboutchîva. Dans son palais habitait un roi, issu des souverains du Mâgadha. 7476.

» Ce roi, dépourvu de toutes choses, était nommé Outchtchhwâsaparama : il ne voyait que par les yeux de son ministre dans toutes les affaires. 7477.

» Son ministre Mahâkarni était en réalité le seul maître. Au milieu de toute sa considération, il n’avait que du dédain pour soi-même, quoiqu’il eût absorbé toute la puissance. 7478.

» Femmes, joyaux, richesses, jouissances, domination poussée jusqu’à la démence, il avait enfin tout reçu du roi. 7470

» L’acquisition de tous ces biens ne fit qu’agrandir l’avidité de cet homme naturellement cupide ; et, maître de tout, il voulut encore lui enlever son royaume. 7480.

» Mais il eut beau déployer tous ses efforts, il ne put, nous dit la renommée, ôter le royaume à cet Outchtchhwâsaparama, dépourvu néanmoins de toutes ressources.

» À quoi bon parler davantage ? Le Destin sans doute avait lié la souveraineté à sa nature. Si la couronne fut ainsi attachée par lui en ta personne, elle ne peut t’échapper, monarque des hommes. 7481-7482.

» S’il en a fait ton lot, elle te restera, en dépit de l’univers entier ; mais, s’il en a disposé autrement, tu ne l’obliendras pas, quelque soient tes efforts. 7483.

» Instruit de ces choses, accepte la science ou l’ignorance de tes conseillers et les paroles des bons et des méchants, entre lesquels il faut savoir distinguer. »

« Nous savons par le défaut de ta nature, lui répondit Drona, ce qui t’inspire ce langage : méchant, tu fais parler ton mauvais caractère au sujet des fils de Pândou. 7484-7485.

» Je donne un conseil utile, excellent, qui tend à l’accroissement de la famille ; tu le juges mauvais : eh bien, Karna, propose un avis, qui soit meilleur ! 7486.

» Si l’on fait autre chose que suivre mes paroles bonnes et salutaires, il ne s’écoulera pas beaucoup de temps avant que la race de Kourou ne s’éteigne : voilà mon sentiment. »

» Vidoura dit alors :

« Il appartient sans doute à tes parents, sire, de te parler sur ton salut ; et la parole, qui se produit maintenant, n’est pas celle d’un homme, qui ne voulut pas écouter.

» Bhîshma, le fils de Santanou et le plus vertueux des Kourouides, vient d’exprimer, sire, des paroles aimables et sages ; mais ton fils ne les accepte pas. 7487-7488-7489.

» Drona plusieurs fois a tenu un langage plein de grandeur et de bonté ; mais Karna, le fils de Râdhâ, ne l’a point cru avantageux pour toi. 7490.

» J’ai beau chercher dans ma pensée, je ne vois personne, qui soit un ami plus affectionné pour toi, sire, ou qui soit plus grand par la science que ces lions des hommes. 7491.

» Tous deux avancés en âge, en science et dans les Védas, ils sont, Indra des rois, les images de toi et des fils de Pândou. 7492.

» Ces deux ne sont inférieurs sans doute en justice et en vérité, monarque issu de Bharata, ni à Râma le Daçarathide, ni au singe Gaya. 7493.

» Ils n’ont rien exposé en ta présence, qui fût sans utilité ; On ne voit pas qu’ils aient fait tomber sur toi rien, qui soit une offense. 7494.

» Comment ces éminentes personnes, qui ont la force de la vérité, n’auraient-elles pas donné un avis, qui pût Sauver en toi, sire, un homme sans péché ? 7495.

» Doués de science, ils sont en ce monde les plus vertueux des mortels : par conséquent ils ne diront jamais un mensonge à cause de toi. 7496.

» Telle est mon opinion fixe, rejeton de Kourou : ils n’avanceront dans une discussion d’affaires aucune chose, qui tienne à l’esprit de parti. 7497.

» Voici, à mon avis, ce qu’il y a de plus excellent pour toi : c’est que les fils de Pândou ne sont pas moins tes enfants, monarque issu de Bharata, que Douryodhana et ses frères ne sont tes fils : il n’y a là, sire, aucun doute.

» Les ministres, qui, instruits de cette vérité, proposeraient une décision funeste à tes neveux, ne savent nullement distinguer ce qu’il y a de plus avantageux pour toi. 7498-7499.

» Il existe au cœur du roi une certaine différence en faveur des siens : s’ils devinent cette préférence cachée, ils ne proposeront pas, c’est évident ! l’avis qui pourrait le sauver. 7500.

« Cette considération n’a rien fait dire à ces magnanimes d’une grande splendeur, qui sentît aucune altération dans leurs sentiments : c’est là, sire, une vérité pour toi. 7501.

» Ces éminentes personnes ont dit combien il est impossible de surmonter ces héros ; que cette parole soit aussi la tienne, tigre des hommes : sur toi descende la félicité !

» En effet, comment Dhanandjaya-l’Ambidextre, le fortuné fils de Pândou, pourrait-il être vaincu, sire, dans une bataille par Maghavat lui-même ? 7502-7503.

» Comment le grand Bhîmaséna aux longs bras, qui a la force d’une myriade de Nâgas, pourrait-il succomber dans la guerre sous les Immortels eux-mêmes ? 7504.

» Comment un être, qui souhaite vivre, pourrait-il vaincre dans un combat les deux jumeaux, habiles dans les armes et semblables à des fils d’Yama ? 7506.

» Comment triompherait-il dans une bataille du fils aîné de Pândou, dont la constance, la compassion, la patience, la vérité et la force n’abandonnent jamais le cœur ?

» Quelle puissance ne peut être vaincue dans la guerre par ces héros, de qui Balarâma soutient la cause, de qui Djanârdana est le conseiller et à côté desquels se tient Sâtyaki ; 750(5-7507.

» Eux, de qui le beau-père est Droupada ; eux, de qui les beaux-frères sont Dhrishtadyoumna et ses puînés, ces héroïques frères, enfants de Droupada et petits-fils de Prishata ! 7508.

» Reconnaissant que la victoire est impossible en face d’eux et que le droit de tes neveux est antérieur au tien, noble Bharatide, suis donc à leur égard une conduite toute réglée par la justice. 7509.

» Que ta faveur, sire, accordée à ces princes, lave cette grande tache exposée à tous les yeux, que le forfait de Pourotchana a jetée sur toi. 7510.

» Ta bienveillance, répandue autour d’eux, et la vie de tous ces princes au milieu de notre famille seront pour nous le plus grand bonheur et pour la caste des kshatryas une augmentation de sa force. 7511.

» Naguère le grand roi Droupada était en guerre avec nous ; son amitié, sire, est pour toi un accroissement de puissance. 7512.

» Les Dâçârhas sont nombreux et puissants, monarque des hommes ; ils sont tous du lieu, d’où est sorti Krishna, et où est Krishna, là est la victoire. 7613.

» Quel homme, maudit par le Destin, ferait par la violence, sire, une chose, qui doit être faite par la douceur ?

« Les habitants de la ville et ceux de la campagne savent que les fils de Prithâ sont vivants ; ils seront transportés de joie à leur vue : fais donc, sire, une chose, qui leur est agréable. 7614-7515.

» Douryodhana, et Karna, et Çakouni, fils de Soubala, sont des enfants à la fausse science, que l’injustice aveugle ; sire, ne suis pas leur parole. 7516.

» Je t’ai jadis adressé, prince vertueux, ce langage : « Une offense de Douryodhana doit un jour entraîner cette génération à sa perte ! » 7517.

Dhritarâshtra lui répondît :

« Bhîshma, le sage fils de Santanou, Drona, le révérend anachorète, et toi, vous m’avez tenu des paroles vraies, utiles, excellentes. 7618.

» De même que les héros aux grands chars, lils de Prilhâ, sont les fils de Pândou ; de même ils sont aussi mes fils, suivant la loi, il n’y a là aucun doute. 7519.

» Tel que ce royadme appartient à mes fils, tel, c’est hors de doute, il appartient également aux fils de Pândou.

» Va, Kshattri, enfant de Bharata, amène-moi, comblés d’honneurs, ces princes avec leur mère, accompagnés de Krishnâ, qui a la beauté d’une Déesse. 7520-7521.

» Oh bonheur ! les fils de Prithâ vivent ! oh bonheur ! Prithâ vit elle-même ! oh bonheur ! ces héros ont obtenu pour femme la fille de Droupada ! 7522.

» Notre bien à tous, oh bonheur ! s’est augmenté ! Pourotchana, oh bonheur ! a péri ! oh bonheur ! le sujet de ma profonde douleur m’est enlevé, anachorète à la grande splendeur ! » 7623.

Ensuite, noble Bharatide, continua le narrateur, Vidoura, chargé de maintes richesses et de joyaux pour Draâupadî, son père et les Pândouides, de s’en aller, sur l’ordre de Dhritarâshtra, en la présence d’Yajnaséna et des fils de Pândou. 7624-7525.

Arrivé là, sire, le prince, qui savait les devoirs et qui était versé dans tous les Traités, s’avança, suivant l’étiquette, vers Droupada, comblé de ses présents. 7526.

Celui-ci accueillit Vidoura conformément au devoir ; puis, ils firent suivant les convenances l’échange de leurs questions sur la bonne santé de l’un et de l’autre. 7527.

Il vit là, rejeton de Bharata, les fils de Pândou et le Vasoudévide, les embrassa avec tendresse et leur demanda comment ils se portaient. 7528.

Honoré successivement par eux, l’anachorète à l’intelligence sans mesure s’enquit, d’un cœur plein d’amour, mainte et mainte fois de leur santé au nom de Dhritarâshtra ; ensuite il donna aux fils de Pândou les pierreries et les divers cadeaux. 7529-7530.

Il distribua, monarque des hommes, les présents aux Pândouides, à Kountî, à Draâupadî et aux fils de Droupada, suivant les désirs, qu’avaient exprimés les princes de Kourou. 7531.

Le noble envoyé à l’intelligence infinie dit avec modestie au modeste roi en présence de Kéça va et des fils de Pândou :

« Écoute, sire, avec tes conseillers, avec tes fils, ces paroles de moi. Dhritarâshtra, plein d’une satisfaction, que partagent ses ministres, sa famille et ses fils, te souhaite mainte et mainte fois, sire, une excellente fortune. Cette alliance de sa race avec toi le remplit d’une joie des plus vives, monarque des hommes. 7532-7533-7534.

» Bhîshma à la grande science, le fils de Santanou, demande partout les nouvelles de ta santé avec les enfants de Kourou, sans excepter un seul. 7636.

» Drona, le fils de Bharadwâdja, ton cher et savant ami, se hâte de t’embrasser et s’informe comment tu vas. 7536.

» Roi de Pântchâli, Dhritarâshtra et tous les princes, nés de Kourou, s’estiment parvenus au comble de leurs vœux dans cette alliance, que leur famille vient de nouer avec toi. 7537.

» Le royaume, qu’ils possèdent, leur cause moins de joie que cette alliance, Yajnaséna, qui les unit avec toi. 7538.

» Instruite de ces choses, que ta majesté fasse partir les fils de Pândou ; car les princes de Kourou aspirent de toute leur âme à revoir ces nobles Pândouides. 7539.

» Après une si longue absence à l’étranger, les jeunes princes doivent brûler et Prithâ avec eux de fixer leurs yeux sur notre ville. 7540.

» Toutes les épouses des chefs enfants de Kourou, et la capitale, et le royaume attendent avec impatience la vue de Krishnâ, la merveille du Pântchâli. 7541.

» Que, sans tarder, ta majesté donne aux fils de Pândou congé pour faire ce voyage avec leur épouse : telle est ici mon opinion. 7542.

» Aussitôt que les magnanimes Pândouides auront, sire, obtenu ta permission, j’expédierai, moi ! à Dhritarâshtra de rapides messagers ; 7543.

» Et les fils de Kountî se mettront en route, accompagnés de Kountî et de Krishnâ. 7544.





L’OBTENTION D’UN ROYAUME



Droupada lui fit cette réponse :

« Ainsi que tu viens à l’instant de me le dire, homme à la grande science, cette alliance conclue entre nous m’inspire à moi-même, auguste Vidoura, une joie des plus vives. 7545.

» Le voyage de ces magnanimes est sans doute parfaitement convenable ; mais il ne me sied pas de le dire maintenant de ma bouche même. 7646.

» Que les fils de Pândou s’en aillent au moment, où le jugeront à propos cet héroïque fils de Kountî, Youddhishthira, Bhîmaséna, Arjouna, et les deux nobles jumeaux, et ces princes vertueux Balarâma et Krishna ; car leur âme se complaît dans l’intérêt et le plaisir des fils de Pândou. » 7547-7548.

« Nous et nos suivants, nous sommes soumis à ta volonté, sire, lui répondit Youddhishthira ; nous obéirons à tes ordres, suivant qu’il te plaira de nous les donner. »

« Il me plaît, reprit le Vasoudévide, qu’on se mette en voyage dès ce jour, si tel est également l’avis du roi Droupada, versé dans tous les devoirs. » 7549-7550.

Celui-ci répondit :

« Comme l’héroïque Dâçârha aux longs bras, le plus grand des hommes, pense que le moment est venu, il faut que mon âme s’arrête avec lui à cette résolution. 7551.

» En effet, de même que les nobles enfants de Pândou tiennent maintenant à moi, de même ces enfants de Kountî, c’est évident ! tiennent au Vasoudévide ; 7552.

» Et la pensée d’Youddhishthira, tout fils ainé qu’il soit de Kountî et de Pândou, n’est pas tant occupée de leur bien, que la pensée du Vasoudévide ne s’en occupe elle-même. » 7553.

Ensuite, ayant obtenu congé du magnanime Droupada, les fils de Pândou, et Krishna, et Vidoura, sire, prenant avec eux Draâupadî la noire et Kountî à la haute renommée, s’acheminèrent à leur aise et comme en se promenant vers la cité, qui tire son nom des éléphants. 7554-7555.

À peine eut-il appris l’arrivée des Pândouides, Dhritarâshtra, le souverain des hommes, envoya pour recevoir ces héros les princes nés de Kourou, et Vikarna au grand arc, et Tchitraséna, et Drona, et Kripa le Gotamide à l’arc sans égal. 7556-7557.

Environnés par eux, les resplendissants guerriers à la grande force entrèrent à pas lents dans la ville de Hastinapoura. 7558.

Elle était comme incendiée par les flammes de la curiosité : partout la vue de ces princes y détruisait la peiue et le chagrin. 7569.

Les citadins échangeaient différentes paroles, dictées par l’envie de leur être agréable ; et ces mots, en passant par les oreilles, allaient au cœur des Pândouides : 7560.

« Il revient à la vie ce prince, qui, versé dans les devoirs, nous protégeait comme ses fils avec justice ! 7661.

» Le désir de nous faire du bien ramène ici des bois, pour ainsi dire, Pândou lui-même, ce grand roi, chéri du peuple ! il n’y a là aucun doute. 7502.

« Le retour de ces héros, fils de Kountî, dans notre ville, ne porte-t-il point à son comble la joie de nous tous ! 7563.

» Si nous avons exercé l’aumône, si nous avons offert des sacrifices, si nous avons cultivé la pénitence, puissent, en récompense, les fils de Pândou vivre dans cette métropole une centaine d’automnes ! » 7664.

Ensuite, ces héros firent l’adoration des pieds du noble Dhritarâshtra, du magnanime Bhîshma et des autres, à qui était dû cet hommage ; 7665.

Puis, quand ils eurent échangé avec toute la ville les demandes et les réponses touchant leur mutuelle sauté, ils entrèrent dans le palais sur l’invitation de Dhritarâshtra. 7666.

Après que ces magnanimes à la grande vigueur s’y furent délassés un certain espace de temps, l’auguste Dhritarâshtra avec le fils de Çantanou les fit appeler en sa présence. 7567.

« Fils de Kountî, écoute ma parole avec tes frères, dit le roi : vas habiter dans le Khândava-Prastha de peur que la guerre ne renaisse entre nous. 7568.

» Habitant là et défendus par le fils de Prithâ, comme les treize Dieux par l’Immortel, qui tient la foudre, personne au monde ne pourra vous y troubler. Reçois donc la moitié de mon royaume et fixe-toi dans le Khândava-Prastha. » 7669.

Les jeunes princes accueillent cette parole, se prosternent tous devant le monarque, et s’acheminent vers ces bois épouvantables. 7570.

Arrivés en ces lieux, Krishna marchant à leur tête, ils s’établirent dans le Khândava-Prastha, tenant sous leur sceptre une moitié du royaume. 7571.

Ils ornèrent admirablement cette région comme un Paradis ; et, quand ils eurent célébré les sacrifices préliminaires dans un lieu propice et pur, ces héros augustes firent mesurer une ville, munie de fossés, qui étaient les images de la mer ; 7572-7573.

Abritée d’un rempart, qui s’élevait, masquant le ciel, semblable aux blanches nuées, et brillant d’un éclat pareil à celui de l’astre aux rayons froids. 7574.

Ornée de palais et de portes telles que des Garoudas aux deux ailes déployées, cette ville capitale resplendissait comme Bhogavati, peuplée de ses Nâgas. 7575.

Défendue par de grandes portes semblables à des masses de nuages ou pareilles au Mandara, et par des chemins couverts[23], bien cachés, bien approvisionnés de projectiles ; 7576.

Hérissée de fourches en fer, comme des serpents à deux langues, surexhaussée de tours voisines les unes des autres, elle brillait sous la garde de vaillants guerriers.

Cette immense ville rayonnait, parée de crocs aigus, de çataghnis, de grands disques en fer et par des multitudes de machines propres à la guerre. 7577-7578.

Ville aux grandes rues bien distribuées, favorisée de la protection des Dieux, elle réverbérait l’éclat de ses magnifiques et différents palais blancs. 7579.

Indraprastha édatait, semblable au ciel d’Indra et telle que dans l’atmosphère une masse de nuages, environnée par les flèches de l’éclair. 7580.

Là, dans un site délicieux et fortuné, resplendissait, pleine de richesses et pareille au palais de Kouvéra, l’habitation du prince enfant de Kourou. 7681.

L’envie du gain conduisit là, de mainte et mainte contrée, sire, des brahmes, les plus instruits de tous ceux, qui savent le Véda ; et, possédant toute la science des paroles, ils se faisaient donner gracieusement une maison.

De tous les côtés dans la ville s’élevaient des jardins royaux, plantés de manguiers, de spondias, de nîpas, d’açokas et de tchampakas, 7582-7583.

De rottleries, de nâgapoushpas, de barahals, d’arbres-à-pain, de shorées, de palmiers flabelliformes, de xanthocymes, de vakoulas, de pandanes les plus odorantes,

Arbres suaves, aux belles fleurs, aux branches courbéei sous le poids des fruits, de cissampelos, de myrobolans erablics, de loghras, d’alangiums à six pétales, gracieusement fleuris, 7584-7585.

De jambousiers, de bignones au doux parfum, de trapas bispineuses, de lauriers-rose odorants, de gærtners racémeuses, d’arbres au corail, et d’autres de mainte espèce.

Doués en toute saison de fruits et de fleurs, hantés par des troupes d’oiseaux en toutes les variétés, jamais abandonnés des kokilas joyeux, toujours répétant le cri des paons ivres d’amour ; 7586-7587.

Lieux, où s’élevaient des maisons à la surface pure comme le miroir, des berceaux de lianes ravissants et variés, des salles affectées aux tableaux, et des montagnes, où se promenaient l’amour ; 7588.

Lieux, embellis par différents viviers remplis d’une onde limpide, par de charmants lacs, tapissés de lotus et de nélumbos, 7589.

Par des étangs vastes, nombreux, admirables, où nageaient des oies rouges, des canards et des cygnes ; lieux séduisants par des champs de lotus variés, enchanteurs, encadrés de forêts ! 7590.

La joie des fils de Pândou, puissant monarque, alla toujours en croissant depuis qu’ils eurent obtenu ce vaste royaume. 7591.

Là, ayant reçu de Bhishma et du roi le diplôme d’investiture, les rejetons de Pândou furent installés habitants du Khândava-Prastha. 7592.

Cette immense ville, résidence des cinq héros, semblables à Indra, recevait d’eux autant de splendeur que les Nâgas en répandent sur Bhogavati. 7593.

Après qu’il eut établi les Pândouides en ces lieux, l’héroïque Kéçava, sire, accompagné de son frère, s’en revint avec leur congé à Dwâravati. 7694.

Djanamédjaya dit :

« Devenus maîtres du royaume, dont indraprastha est la capitale, que firent à la suite ces magnanimes enfants de Pândou ? 7595.

» Tous ces héros furent mes grands aïeux. Comment Draâupadi leur obéit-elle en épouse légitime ? 7596.

» Comment la possession de Krishna, leur unique épouse, ne mit-elle pas de division entre les cinq fortunés monarques des hommes ? 7597.

» Je désire entendre avec étendue, anachorète opulent de pénitence, toute l’histoire des cinq époux de Krishnâ. » 7598.

Vaîçampâyana répondit :

« Après que Dhritarâshtra leur eut donné congé, les héroïques fils de Pândou, maîtres d’un royaume, se divertirent avec leur épouse dans le Khândava-Prastha. 7699.

Quand il eut ceint la couronne, Youddhishthira à la grande splendeur, ferme dans la vérité, secondé par ses frères, gouverna la terre avec justice. 7600.

Vainqueurs des ennemis, doués d’une grande science, dévoués au devoir de la vérité, les fils de Pândou habitèrent là, savourant une félicité suprême. 7601.

Pour décider toutes les affaires des citadins, ces personnes éminentes s’asseyaient sur les plus riches des trônes. 7602.

Un jour que tous ces magnanimes occupaient leurs sièges, Nârada le Dévarshi vint spontanément les trouver ; Youddhishthira lui offrit son propre siège éclatant de splendeur. 7603.

Le sage monarque présenta de sa main au Dieu anachorète assis un arghya suivant l’étiquette et lui offrit son royaume. 7604.

Le saint hermite d’une âme joyeuse reçut l’hommage, combla ce prince de bénédictions et dit : « Emportez ! »

L’auguste Youddhishthira s’assit avec la permission de son hôte et fit savoir à Krishnâ l’arrivée de l’adorable saint. 7605-7606.

À cette nouvelle, Draâupadî se purifie et, d’une âme recueillie, elle se rend à la salle, où Nârada était assis avec les fils de Pândou. 7607.

La fille de Droupada, attentive à marcher sur les pas du devoir, embrassa les pieds du rishi divin et se tint devant lui, bien couverte et les paumes de ses mains réunies au front. 7608.

Le vénérable Nârada, le plus vertueux des saints, de qui la voix était celle de la vérité et l’âme celle de la justice, répandit sur la fille irréprochable des rois ses bénédictions et lui dit : « Retire-toi ! » 7609.

Krishna s’étant éloignée, l’auguste rishi tint ce langage en particulier à tous les fils de Pândou, Youddhishthira à leur tête : 7610.

« L’illustre Pântchâli, est l’unique et légitime épouse de vos excellences : suivez une ligne de conduite telle que la division ne puisse naître ici entre vous. 7611.

» En effet, jadis vivaient ensemble deux frères, Sounda et Oupasounda, célèbres dans les trois mondes : aucun être qu’eux-mêmes ne pouvait leur donner la mort. 7612.

» Ils possédaient en commun un seul royaume, un seul palais, une seule couche, un siège unique, un seul festin ; et cependant ils s’arrachèrent mutuellement la vie à cause de Tilauttamâ. 7613.

» Conservez donc cette amitié, qui est pour vous la source d’une félicité réciproque. Agis de manière que la désunion, Youddhishthira, ne se glisse point au milieu de vous, » 7614.

« De qui étaient fils, grand anachorète, les deux Asouras, Sonnda et Oupasounda, lui répondit Youddhishthira ? Comment naquit leur division et comment se donnèrent-ils la mort l’un à l’autre ? 7615.

» De quel Dieu était fille cette nymphe Tilauttamâ, pour laquelle, enivrés d’amour, ils s’arrachèrent mutuellement la vie ? 7616.

» Nous désirons entendre, brahme opulent de pénitence, toute cette histoire avec étendue ; car notre curiosité est extrême. » 7617.

« Youddhishthira, fils de Prithâ, reprit Nârada, écoute de ma bouche, en compagnie de tes frères, cette ancienne histoire exactement racontée. 7618.

» Jadis vécut dans la race du grand Asoura Hiranyakaçipou un vigoureux et splendide roi des Daltyas, appelé Nikoumbha. 7619.

» Deux fils à la grande vigueur, à l’effrayant courage naquirent de lui, Sounda et Oupasounda, épouvantables rois des Daîtyas à l’âme impitoyable. 7620.

» Ils n’avaient qu’une même pensée ; ils n’avaient dans leur opinion qu’une seule et même chose à faire ; ils s’y mettaient ensemble : le plaisir et la peine leur étaient communs. 7621.

» Ils ne mangeaient pas l’un sans l’autre ; celui-ci ne marchait pas sans être accompagné de celui-là ; ils se rendaient mutuellement des services, ils s’adressaient l’un à l’autre des paroles aimables. 7622.

» Doués du même caractère, ayant des mœurs toutes pareilles, ils semblaient une seule âme mise en deux corps. Devenus grands, ces vigoureux Daîtyas n’avaient dans les affaires qu’une même décision. 7623.

» S’étant résolus d’une même pensée à conquérir les trois mondes, ils se rendirent sur le mont Vindhya, où, après les sacrifices initiatoires, ils se mirent à cultiver une effroyable pénitence. 7624.

» Revêtus d’un valkala et les cheveux liés en gerbe. harassés de faim et de soif, ils s’attelaient, dès l’aube du jour, à la pénitence. 7625.

» Tous les membres souillés d’impuretés, n’ayant pour festin que le vent, se sacrifiant eux-mêmes dans leur chair, se tenant sur l’orteil d’un seul pied, les bras levés en l’air et sans cligner les yeux, ils soutinrent, fermes dans leurs vœux, ces mortifications un long espace de temps. 7626-7627.

» Brûlé un temps fort long par la toute-puissance de leurs macérations, le mont Vindhya en vomit de la fumée : ce qui sembla un prodige. 7628.

» À la vue de leur effrayante pénitence, les Dieux tombèrent dans la crainte, et ces Dieux jetèrent devant eux des obstacles pour anéantir leur pénitence. 7629.

» Ils cherchèrent mainte et mainte fois à les tenter par des joyaux et des femmes ; mais cela ne lit pas rompre leur vœu à ces terribles ascètes. 7630.

» Les Dieux firent de nouveau par la magie des fantômes, qui offraient aux yeux les apparences des concubines, des épouses, des mères et des fils mêmes de ces magnanimes. 7631.

» Fuyant éperdus, maltraités, les cheveux et les ornements détachés, les robes et les parures tombées, devant un Rakshasa, le trident à la main, 7632.

» Ils criaient, s’adressant aux deux frères ; « Sauvez-nous ! » mais cela ne fit pas même rompre leur vœu à ces terribles ascètes. 7633.

» Cet artifice n’ayant pu exciter chez les pénitents, ni la sensibilité, ni la crainte, les femmes et toute cette fantasmagorie de s’évanouir. 7634.

» Ensuite l’aïeul suprême des créatures, bon pour tous les mondes, l’auguste Brahma vint en personne trouver ces grands ascètes, et leur accorda une grâce. 7636.

À peine eurent-ils vu le divin ancêtre de l’univers, les deux frères au courage invincible, Sounda et Oupasounda, se tinrent devant lui, joignant au front les paumes de leurs mains. 7636.

» Ils dirent alors de concert à l’auguste Dieu : « Si Pitâmaha est satisfait par cette pénitence de nous, 7687.

» S’il étend sur nous sa faveur, puissions-nous être consommés dans la magie, consommés dans les astras, vigoureux, changeant de forme à volonté, à l’abri même de la mort ! » 7638.

« Tout ce que vous avez dit, répondit Brahma, vous est accordé, à l’exception de l’immortalité : choisissez autre chose ; car la loi de la mort pèse également sur les Dieux. 7639.

« Nous l’emporterons, dites-vous, car nous avons soutenu une grande pénitence. » Oui ! mais de cette cause ne peut venir l’immortalité pour vous. 7640.

» Vos grandeurs ont affronté cette pénitence dans le but de conquérir les trois mondes : par conséquent, rois des Daîtyas, je n’accomplirai pas votre désir. » 7641.

« Puisse aucun danger ne tomber sur nous d’aucun être, immobile et mobile, quel qu’il soit au monde, reprirent Sounda et Oupasounda, excepté mutuellement de nous-mêmes, aïeul suprême des créatures ! » 764 ?.

» Brahma dit :

« Je ne résiste plus ; je vous accorde cette grâce dans les termes de la demande : telle exactement sera pour vous cette exemption de la mort ! » 7643.

» Ensuite, reprit Nârada, quand l’aïeul suprême des créatures les eut enrichis de cette faveur et les eut retirés de la pénitence, il s’en revint au monde de Brahma.

» Les deux frères, monarques des Daîtyas, de s’en retourner eux-mêmes à leurs palais, maîtres de cette grâce et devenus immortels pour le monde entier. 7644-7645.

» Voyant ces fiers Démons élevés au comble de leurs vœux, en possession des grâces, toute la multitude de leurs amis en fut remplie de joie. 7646,

» Alors ils suppriment leur djatâ d’anachorètes, ils se coiffent de tiares, ils se revêtent de robes immaculées et se parent des plus riches ornements. 7647.

» Pour se plonger dans les plaisirs d’une fête, ils n’en attendirent point la saison ; ils firent de toutes les saisons une fête continuelle, et la foule de leurs amis goûta avec eux une joie sans fin. 7648,

» Dans chaque maison, ce n’était que bruit éternel de ces ordres, là : « Qu’on mange ! qu’on se régale ! faites l’aumône sans relâche ! qu’on s’amuse bien ! » Ici : « Chantez ! buvez ! » 7649.

» Les grands bruits éclatant çà et là, les échos répétant le battement des mains frappées en cadence répandaient sur la ville entière un air de fête et de joie. 7650.

» Grâce aux divertissements de ces Daîtyas, qui pouvaient changer de forme à volonté et qui passaient leur vie dans les jeux, des années s’écoulèrent comme un seul jour. 7651.

» Ces fêtes étaient à peine terminées, qu’ambitionnant la conquête des trois mondes, ils se mettent à délibérer et convoquent l’armée sous les drapeaux. 7652.

» Ayant pris congé de leurs amis, Daîtyas comme eux, des anciens et des ministres, ils entrèrent en campagne et s’avancèrent la nuit au dixième astérisme lunaire. 7658.

» Voilà donc nos Démons partis à la tête de la grande armée Daîtya, revêtue de ses cottes de maille et portant à la main des maillets d’armes, des lances, des haches et des massues. 7654.

» Les deux frères s’avançaient, remplis d’une joie suprême et vantés par les bardes, qui les comblaient de louanges, de paroles fortunées et des promesses de la victoire. 7655.

» Ces héros, qui pouvaient aller où ils voulaient, s’élancent dans les airs et, saisis d’une folle ivresse de combats, ils volent au palais même des Immortels. 7666.

» Informés de leur venue et de la grâce, qu’ils avaient obtenue du Seigneur, les Dieux abandonnent le Paradis et se rendent au monde de Brahma. 7657.

» L’empire d’Indra conquis, ces Daîtyas au courage impitoyable d’immoler par troupes les Yakshas, les Rakshasas et tous les êtres, qui hantent les routes de l’air. 7658.

» Victorieux des Nâgas, qui demeurent au fond de la terre, ce couple de héros soumit tous les peuples barbares, qui habitent les îles de la mer. 7659.

» Ensuite ces potentats aux terribles commandements se mettent à conquérir toute la terre et convoquent leurs guerriers, auxquels ils tiennent ce langage bien amer :

« Les brahmes et les Dévarshis par les sacrifices, les oblations et le beurre clarifié augmentent la force, le courage et la fortune des Dieux. 7660-7661.

» Donnez, vous ! de toute votre âme la mort à tous ces ennemis des Asouras, tout augmentés qu’ils soient ainsi de puissance I » 7662.

» Après qu’ils eurent exhorté avec ces mots tous les guerriers sur le rivage oriental de la mer, les deux chefs, nourrissant des pensées cruelles, portèrent leurs pas de tous les côtés. 7663.

» Ces héros puissants marchaient, frappant d’une mort violente tous les brahmes, qu’ils trouvaient dans les sacrifices, comme assistants ou comme officiants. 7664.

» Leurs guerriers enlevaient au milieu des hermitages les feux sacrés des anachorètes contemplatifs et les jetaient sans crainte dans les eaux. 7665.

» Les malédictions, que fulminaient dans leur colère ces magnanimes hermites, opulents de pénitences, tombaient sans porter coup, renvoyées par la grâce, que ces Daîtyas avaient reçue. 7666.

» Leurs malédictions n’ayant pas eu plus d’effet que des flèches lancées contre des rochers, les brahmes s’enfuirent çà et là, désertant leurs pénitences. 7667.

» Des saints, accomplis dans leurs observances, domptés, voués à la quiétude, fuyaient sur la terre, chassés par la crainte de ces deux frères, comme des reptiles devant Garouda ! 7668.

« L’univers entier, sire, avec les ondes répandues de ses aiguières cassées, avec ses hermitages dévastés, était vide de rishis et d’eaux saintes, qu’on n’y voyait nulle

part, comme si la Mort eu personne l’eût ravagé ; car les deux puissants Asouras, qui désiraient la mort des rishis, les persécutaient d’une résolution, qu’ils avaient d’avance bien délibérée. 7669-7670.

» Tantôt cachés sous les apparences d’éléphants ivres de rut et les joues ruisselantes de mada, ils précipitaient les saints dans cette habitation d’Yama située en des lieux, d’où l’on ne peut revenir. 7671.

» Tantôt changés en lions, tantôt prenant les formes des tigres, ces méchants égorgeaient sous tel ou tel déguisement les saints à peine vus. 7672.

« La terre alors était veuve de ses brahmes et de ses rois tués, de ses sacrifices et de ses fêtes anéanties, de ses oblations de beurre et de ses récitations des Védas interrompues. 7673.

Il Tourmentée par la crainte, poussant de tristes hélas ! hélas ! le commerce était exilé de ses marchés ; et, les cérémonies en l’honneur des Dieux supprimées, elle ne célébrait plus de saints mariages. 7674.

» Ses hermitages et ses villes écroulées, l’agriculture abandonnée, la surveillance des troupeaux désertée, semée d’ossements et de squelettes, elle était affreuse à voir. 7675.

» Revêtu de formes hideuses, le monde, où n’était plus d’offrande aux mânes, où n’était plus d’oblation aux Dieux, offrait un spectacle, que les yeux ne pouvaient supporter. 7676.

» Le soleil et la lune, les planètes, les étoiles, les constellations, les habitants du ciel tombèrent dans la consternation, en vovant ces horribles forfaits de Sounda et d’Oupasounda. 7677.

Après qu’ils eurent ainsi par de sanglants exploits conquis toutes les plages du monde et qu’ils ne se virent plus d’ennemis à vaincre, l’un et l’autre Daîtya mirent leur habitation dans le Kouroukshétra. 7678.

» Ensuite, à la vue de cette immense désolation, tous les Dévarshis, les Siddhas et les saints du plus haut rang furent plongés dans la plus amère douleur. 7679.

» Alors ces êtres, qui avaient triomphé de la colère, dompté leur âme et vaincu les organes des sens, vinrent trouver l’aïeul suprême dans son palais par pitié pour le monde. 7680.

» Ils virent Brahma assis avec les Dieux, environné de tous côtés par les Siddhas et les Dévarshis. 7681.

» Là, était le Dieu Mahâdéva ; là, était Agni avec le Vent ; là, étaient le soleil et la lune, Indra et les rishis, enfants de Paraméshthi. 7682.

» Les anachorètes, les Bâlikhilyas, les Vànaprasthas, les Marîtchipas, les Adjas, les Avimoûthas eux-mêmes, tous les saints ascètes, enfants de la splendeur, s’étaient rendus chez l’aïeul suprême des créatures. 7683.

» Tous les maharshis, s’étant approchés avec tristesse de Brahma, lui exposèrent les cruels exploits de Sounda et d’Oupasounda. 7684.

» Ils racontèrent sans rien omettre et suivant l’ordre au Pitâmaha tout ce que les deux frères avaient enlevé, tout ce qu’ils avaient commis. 7685.

» Alors tous les chœurs des Dieux et les saints du plus haut rang d’exciter l’aïeul suprême à s’occuper de cette affaire, en lui subordonnant toutes les autres. 7686.

» Dès qu’il eut ouï les paroles de ces êtres éminents, celui-ci réfléchit un instant pour décider ce qu’il était bon de faire ; 7687.

» Et, se proposant la mort de ces deux mauvais génies, il fit appeler Viçvakarma. 7688.

» À la vue du céleste ouvrier : « Crée-moi, dit le vénérable Dieu aux grandes pénitences, ime femme, objet de tous les désirs ! » 7689.

» L’artiste adresse au Dieu une adoration, prend à cœur ses paroles ; et, quand il eut mainte et mainte fois médité bon ouvrage, il fit une céleste femme. 7690.

» L’ouvrier en bois, qui possédait l’omniscience, rassembla devant lui chacune des choses, mobiles ou immobiles, qui étaient dans les trois mondes un objet d’admiration. 7691.

» Il employa dans la construction du corps les gemmes par dizaines de millions ; et l’être aux formes divines, qui sortit de ses mains, était le composé d’une multitude de pierreries. 7692.

» Cette nymphe, que modela Viçvakarma avec un art infini, était incomparable en beauté à toutes les femmes dans les trois mondes. 7693.

» Il n’y avait pas si petite chose dans sa personne, où la perfection des formes n’enchaînât le regard jeté par les yeux de ses admirateurs. 7694.

Charmante de formes, enflammant le désir et telle que Lakshmî, revêtue d’un corps, elle entraînait les âmes et les yeux de tous les êtres. 7695.

» Le suprême aïeul des créatures lui donna pour nom Tilauttamâ, parce qu’on l’avait composée de minimes parties rassemblées des pierreries. 7696.

» Elle fit son adoration à Brahma et, se posant devant lui, ses mains jointes, lui tint ce langage : « Quel besoin a-t-on de moi, seigneur des créatures, pour qu’on m’ait créée ici en ce jour ? » 7697.


« Va, lui répondit l’aïeul suprême, vers les deux Asouras, Sounda et Oupasounda : tente-les, fortunée Tilauttamâ, par cette beauté, qui allume le désir. 7698.

» Agis de telle sorte qu’ils deviennent à cause de toi l’un pour l’autre un rival à ta seule vue et par l’amour de cette grâce parfaite de tes formes. » 7699.

« Soit ! » promit-elle. Ensuite, elle répéta son adoration au Pitâmaha et décrivit un pradakshina autour du cercle des Immortels. 7700.

» Bhagavat était assis, la face tournée à l’orient, Mahéçvàra au midi ; les Dieux étaient au septentrion et les rishis de tous les côtés. 7701.

» Tandis que la nymphe décrivait son pradakshina autour de la divine assemblée, Indra et l’adorable Sthànou seuls de garder l’immobilité. 7702.

» La jeune fille allait-elle au sud, la tête tournée au midi sur les épaules de ce Dieu, insatiable de la voir, ouvrait aussitôt ses beaux yeux de lotus. 7703.

» Tournait-elle au couchant, la tête d’occident regardait ; passait-elle au septentrion, la tête du nord contemplait à son tour. 7704.

» Mais le millier de grands yeux aux angles rouges de Mahéndra était disséminé partout, devant, derrière, sur les côtés. 7705.

» Car tel qu’Indra, le meurtrier de Bala, possède mille yeux, tel jadis Sthânou le Grand-Dieu était à quatre têtes. 7706.

» Au contraire, les chœurs des Dieux et les maharshis tournaient de tous côtés la tête pour suivre Tilauttamâ dans ses évolutions. 7707.

» La vue de tous ces magnanimes, tombée sur le corps de cette belle, s’y trouvait liée fortement, excepté les regards du Dieu Pitâmaha. 7708.

« Aussitôt cette nymphe à la beauté si parfaite arrivée chez les Daîtyas, la victoire est gagnée ! » estimèrent tous les Dieux et les saints du plus haut rang. 7709.

Au moment où Tilauttamâ s’en allait, le créateur des mondes donna congé à tous les Immortels et aux troupes des rishis. 7710.

» Victorieux de la terre, sans ennemis, libres d’inquiétude, les Daîtyas, qui avaient mis le trouble dans les trois mondes, étaient donc arrivés au comble de leurs vœux ; 7711.

» Et, maîtres de toutes les pierreries, dont ils avaient dépouillé les Rakshasas, les rois des Nâgas, les Yakshas, les Gandharvas et les Dieux, ils jouissaient d’un contentement suprême. 7712.

» Débarrassés des travaux maintenant qu’il n’existait plus sur terre un seul être, qui mît obstacle à leur puissance, ils se divertissaient comme les Immortels, 7713.

» Et goûtaient la volupté sans pareille des breuvages exquis et variés, des mets, des festins les plus savoureux, des parfums, des bouquets et des femmes. 7714.

» Ils s’amusaient comme des Immortels dans chaque lieu, où les invitait leur fantaisie, dans les bois, sur les montagnes, dans le jardin public ou le bosquet du gynœcée. 7715.

» Un jour, sur un plateau du mont Vindhya aux roches de surface unie, ils étaient allés se promener en des salles de verdure à la cîme fleurie. 7716.

» Les deux frères, ivres de joie, s’assirent avec leurs femmes sur de riches trônes dans ces lieux, où étaient rassemblés tous les objets des célestes désirs. 7717.

» Leurs femmes les récréaient avec le concert des instruments et la danse ; elles s’approchaient d’eux avec amour, mêlant des louanges à leurs chansons. 7718.

» Tilauttamâ dans ce bois était couverte seulement de la partie inférieure de son vêtement écarlate ; car elle s’était dépouillée de la partie supérieure, qu’elle tenait en guise de corbeille pour y mettre des fleurs. 7719.

» Cueillant des karnikâras nés sur les bords de la rivière, elle s’approchait à pas lents du lieu, où étaient assis les deux grands Asouras. 7720.

» Eux, qui avaient bu les plus riches liqueurs et de qui l’ivresse avait rougi les angles des yeux, à peine eurent-ils vu cette nymphe à la jolie taille que leur âme en fut troublée au même instant. 7721.

» Ils se lèvent, ils abandonnent leurs sièges, ils s’avancent là où se tient la jeune fille, et tous deux la sollicitent, tous deux enivrés d’amour. 7722.

» Sounda prit dans sa main la main di’oite de la nymphe aux charmants sourcils ; Oupasounda prit Tilauttamâ par la main gauche. 7728.

» Enivrés de leur force naturelle, enivrés de la grâce obtenue, enivrés de posséder tant de richesses et de pierreries, enivrés de sourâ bue, surexcités par toutes ces ivresses, ils se regardent mutuellement avec des yeux aux sourcils contractés et, tout brûlants d’ivresse et d’amour, ils s’adressent l’un à l’autre ces paroles : 7724-7725.

« Elle sera ma femme ! car je suis ton aîné, » dit Sounda.

« En ce cas, elle sera ta belle-fille, répliqua Oupasounda ; car elle sera ma femme ! » 7726.

« Non la tienne, mais la mienne ! » se renvoyaient-ils. La colère déjà leur avait saisi le cœur ; et, fascinés par sa beauté, ils avaient perdu tout sentiment d’amour fraternel et d’amitié. 7727.

» À cause d’elle, ils s’étaient armés de massues épouvantables ; égarés par l’amour, que cette nymphe leur avait inspiré, ils lèvent à la fois ces deux terribles massues.

« À moi, le premier coup ! » s’écrie l’un ; « À moi, le premier coup ! » dit l’autre. Ils se frappent mutuellement ; et les deux effroyables Asouras tombent sur le sol de la terre, assommés l’un par la massue de l’autre, 7728-7729.

» Et les membres inondés de sang, comme deux soleils tombés du ciel. Ensuite leurs femmes de s’enfuir çà et là ; puis, la tribu entière des Daîtyas, agitée par le trouble et la peur, descendit au Pâtâla. 7730-7731.

» Alors, accompagné des maharshis et des Dieux, le suprême aïeul des créatures se rendit là, et, d’une âme pure, honorant Tilauttamâ, voulut répandre sur elle sa faveur et dans l’instant, où il accordait sa grâce, lui tint joyeux ce langage : 7732-7733.

« Tu promèneras tes pas, noble femme, dans ces plages, que parcourt le soleil, et qui que ce soit ne te ravira jamais ta virginité, ô toi, de qui la vue charme les yeux ! »

» Quand il eut ainsi gratifié la nymphe de cette faveur, l’auguste créateur de tous les mondes, ayant mis les trois mondes sous le sceptre d’Indra, s’en revint au monde de Brahma. 7734-7735.

» Voilà de quelle manière, enflammés simultanément d’un amour soudain pour Tilauttamâ, ces deux frères, qui jamais en toutes les affaires n’avaient eu qu’une même pensée, se donnèrent la mort l’un à l’autre dans un mouvement de colère. 7736.

» Aussi mon amitié m’engage-t-elle à vous dire, ô les plus vertueux des Bharatides, à vous tous : « Voulez-vous faire une chose, qui me soit agréable, adoptez, si vous souffrez que je le dise, un genre de vie tel que jamais la désunion ne vienne ici vous diviser tous à cause de Draâupadî. » 7737-7738.

À ces mots du maharshi Nârada, ces magnanimes, reprit Vaîçampâyana, s’engagent sous la puissance les uns des autres et jurent cette convention, sire, en la présence du céleste anachorète à la splendeur infinie : « Quiconque de nous aura soulevé le rideau sur nos mutuelles relations avec Draâupadî, qu’il vive douze années au sein des bois, solitaire et voué à la continence ! » Une fois cet arrangement conclu entre les Pândouides, qui marchaient dans le sentier du devoir, Nârada, le grand anachorète, s’en alla joyeux au pays, où l’appelait son désir. 7739-7740-7741.

C’est ainsi qu’ils furent amenés par le conseil de Nârada, puissant Bharatide, à se lier de cette convention, grâce à laquelle jamais la désunion ne put se glisser parmi eux. » 7742.





L’HABITATION D’ARJOUNA DANS LES BOIS



Vaîçampâyana dit :

« Les choses ainsi réglées, ces fils de Pândou habitèrent là, réduisant par la force des armes les autres monariiues sous leur domination. 7743.

Krishnâ était soumise à l’autorité de tous les cinq fils de Prithâ à la vigueur sans mesure, ces lions de l’espèce humaine. 7744.

Ils goûtaient avec elle comme elle avec les cinq héros, ses époux, un bonheur sans mélange, de même que la Sarasvati avec les Nâgas. 7745.

Grâce à la constance des magnanimes fils de Pândou à suivre le devoir, on voyait prospérer tous les enfants de Kourou, purs de tout péché, accompagnés du bonheur.

Après un long espace de temps écoulé, certains voleurs, luoparque des hommes, le plus vertueux des rois, enlevèrent ses vaches à certain brahme. 7746-7747. S’étant vu arracher cette richesse, le brahme tout rempli de colère, accourut au Khândava-Prastha, invoquant les Pândouides à grands cris ; 7748.

« Au vol ! mes vaches, mon trésor ! Des hommes vils, cruels, à l’àme méchante, les ont enlevées par la violence. Accourez, fils de Pândou ! Sortez de vos états ! 7740.

» Des voleurs ont détruit l’offrande de beurre clairifié chez un brahine à l’âme placide : le vil chacal a dévasté la caverne du tigre en son absence ! 7760.

» Le roi, qui ne sait pas défendre, vole, dit-on, le tribut du sixième. Il est tout à fait le complice du mal commis par tout le monde ! 7751.

» À cette heure, où le bien du brahme est enlevé, où les cérémonies de son ministère sont détruites, tu dois me prêter le secours de ton bras, quand mes cris le réclament. » 7752.

Dhanandjaya, le fils de Pândou et de Kountî, entendit ces paroles du brahmane, articulées à très-hauts cris dans son voisinage. 7753.

À peine ouïs : « Ne crains pas ! » dit au brahme ce héros aux longs bras ; mais les armes des magnanimes Pândouides étaient dans la salle, où le roi de la justice, Youddhishthira se trouvait alors en tête à tête avec Draâupadî. 7754.

Le fils de Pândou ne pouvait ni entrer ni même s’y rendre, et les paroles du brahme infortuné le pressaient de plus en plus. 7755.

Dans cet appel à son aide, dans ce vol d’une richesse à un brahmane pénitent, le fils affligé de Kountî promena son esprit sur ces réflexions : 7766.

« Il faut que j’essuie ses larmes ! pensa-t-il avec résolution ; mais cette inconvenance à l’égard du roi, mon frère, sera une bien grande faute. 7767.

» Si je n’embrasse pas la défense d’un homme, qui pleure à ma porte, je commets pour nous un acte d’athée ; mais ce danger est aussi dans la défense. 7758.

» Si j’entre, sans égard à la présence du roi, il y a faute également pour nous, et le souvenir en restera dans ce monde : il ii’y a là-dessus aucun doute. 7759.

» J’aurai même rendu fausse la parole du monarque Adjàtaçatrou, si, après mon entrée chez le roi, je ne vais point habiter les forêts. 7760.

» Mais, sans voir en tout cela rien autre chose que l’offense à l’égard du roi, la faute est grande. Que la mort me frappe dans les bois ; mieux vaut perdre la vie que manquer au devoir, n 7761.

Après qu’il eut ainsi arrêté sa résolution, Dhanandjaya, fils de Kountî, entra dans la salle, où était le roi, son frère, le salua, sire, et, quand il eut pris son arc, dit au brahme avec transport : « Brahme, allons vîte où sont les hommes avides du bien d’autrui ! 7762-7763.

» Ces vils gens ne peuvent s’être avancés loin ; marchons de compagnie tant que je n’aurai pas arraché ton bien aux mains des voleurs. 9 7764.

Revêtu de sa cotte de maille, armé de son arc et monté sur son char, où flottait son étendard, le Pândouide aux longs bras suivit les pas du brahme, perça les voleurs de ses flèches, reconquit la richesse enlevée, rendit les vaches à leur maître et se couvrit de gloire. 7765.

Aussitôt qu’il eut remis le brahme en possession du trésor de ses vaches, le héros ambidextre, Dhanandjaya, le fils de Kountî, revint à la ville. 7766.

ils se prosterna devant ceux, auxquels était dû son respect et, salué par eux, il tint à Dharmarâdja ce langage : « Impose-moi, seigneur, la pénitence. 7767.

» J’ai violé notre loi, car j’ai osé te voir dans une heure interdite. Je vais habiter dans les bois : c’est la peine convenue entre nous. » 7768.

À ce discours pénible, le roi de la justice, le monarque Youddhishthira, saisi de tristesse et consterné, se hâte de répondre en bon frère avec peine et d’une voix hésitante ces mots à son inébranlable frère Dhanandjaya aux cheveux nattés imitant les feuilles de l’euphorbe : 7769-7770.

« Si j’ai quelque autorité sur toi, écoute ma pensée, mortel sans péché. Je te pardonne tout ce qu’il y eut de blessant pour moi dans ton entrée : il n’en reste aucune peine dans mon cœur. L’entrée d’un frère aîné derrière son frère cadet n’est point une offense pour celui-ci, et l’entrée d’un frère plus jeune derrière son frère plus âgé ne détruit pas les droits de l’aîné. 7771-7772.

» Renonce à ton dessein, obéis à ma parole : tu n’as pas manqué au devoir et tu n’as commis aucune offense. » « J’ai ouï dire à la majesté, répondit Arjouna : « On doit remplir son devoir avec franchise. » Je ne m’écarterai pas de la vérité : c’est aussi vrai que je touche mon arme ! » 7773-7774.

Quand il eut obtenu le consentement du roi pour son habitation dans les bois, il se fit consacrer par les sacrifices d’initiation et s’en alla demeurer au sein des forêts douze années. 7775.

Au moment où partit ce héros aux longs bras, l’honneur des enfants de Kourou, il fut suivi par les magnanimes brahmes, qui avaiçnt abordé à la rive ultérieure des saintes écritirres, 7776.

Par les hommes versés dans les Védas et les Védângas, par ceux, de qui la pensée atteignait jusqu’à l’Amesuprême, les mendiants, les dévots en Bhagavat, les bardes, les narrateurs de Pourânas 7777.

Et les autres conteurs, sire, par les çramanas, les anachorètes des bois et les brahmes, qui, d’une voix mélodieuse, récitent les divines légendes. 7778.

Escorté de ces compagnons et d’autres en grand nombre, comme Indra est environné des Maroutes, le fils de Pândou abrégeait son voyage par d’aimables entretiens. 7779.

L’éminent Bharatide contemplait, rejeton de la même famille, des bois charmants et variés, des lacs, des fleuves, des mers, de beaux pays et des tîrthas purs. Arrivé aux portes de la Gangâ, le prince mit là son habitation. 7780-7781.

Écoute, Djanamédjaya, un exploit merveilleux, que fit là ce héros à l’âme sans tache, le plus excellent des fils de Pândou. 7782.

Quand le fils de Kountî se fut installé dans ces lieux avec les brahmes, ceux-ci, noble Bharatide, recommencèrent plusieurs fois d’allumer les feux sacrés. 7783.

Au milieu de ces feux réveillés, des oblations flamboyantes, des offrandes de fleurs consacrées, et des processions au rivage ultérieur, 7784.

La porte du Gange brillait d’une splendeur immense, grâce à ces magnanimes pénitents, domptés, savants et purifiés par les ablutions. 7785.

Durant cette habitation, où il était venu par le trouble de sa fortune, l’éminent Pândouide, fils de Kountî, descendit sur la rive du Gange pour y fûre ses ablutions.

Ses purifications terminées et les mânes de ses ayeux rassasiés de libations, il voulut sortir de l’eau, sire, pour vaquer aux cérémonies en l’honneur du feu. 7786-7787.

Mais Oulapî, la fille du roi des serpents, le cœur tout à l’amour, de tirer, puissant monarque, ce guerrier vigoureux au fond des ondes. 7788.

Là, dans le palais à l’éclatante lumière du Nâga Kaâuravya, le fils de Pândou vit le feu d’une âme profondément recueillie. 7789.

Là, Dhanandjaya, le fils de Kountî, rendit les honneurs au céleste Agni, et son oblation, versée d’un cœur sans crainte, satisfit le Feu. 7790.

Quand il eut achevé la cérémonie du feu, le fils de Kountî adressa en souriant ces paroles à la fille du roi des serpents ; 7791.

« Pourquoi, craintive demoiselle, as-tu commis ce rapt ? Quel est ce pays ? Qui es-tu, noble dame ? Et de qui es-iu la fille ? » 7792.

« Il est un serpent, né dans la race d’Aîrâvata, lui répondit Oulapî. On l’appelle Kaàuravya. Je suis une serpente, sa fille, sire, et je me nomme Oulapî. 7793.

» Je le vis descendu pour les ablutions sur la rive du fleuve ; et ce regard, tigre des hommes, me rendit folle d’amour. 7794.

» Je suis seule ici, rejeton de Kourou ; verse maintenant, homme sans péché, avec le don de ta personne, la joie dans mon cœur attristé par l’amour. » 7795.

« Dharmarâdja, noble fille, m’a imposé pour douze années ce vœu de continence, reprit Arjouna, et je ne suis pas le maître de ma personne. 7796.

« Je désire, habitante des eaux, faire ce qui est agréable pour toi ; mais jamais avant ce jour il ne m’est arrivé d’avancer une parole, qui ne fût la vérité. 7797.

» Comment pourrais-je faire à la fois que ma parole soit une vérité et que tu goûtes ce plaisir ? Agis de telle sorte que mon devoir ne soit pas écrasé entre ces deux choses, serpente. » 7798.

« Je sais pour quelle raison, fils de Pândou, lui répondit Oulapî, tu erres sur la terre, et comment ton frère aîné te soumit à ce vœu de continence. 7799.

« Si l’un de nous, faute de réflexion, entre vers la fille de Droupada, notre mutuelle épouse, tandis qu’un autre est avec elle, il observera la continence douze années au fond d’un bois ! » Voilà quel traité fut conclu entre vous : celui de vous envoyer l’un l’autre en exil pour Draâupadî ! 7800-7801,

» Là, tu as rempli jadis les obligations du devoir ; ici maintenant tu n’as point à manquer au devoir, car c’est aussi un devoir, jeune homme aux grands yeux, que de sauver les malheureux en détresse. 7802.

» Quand tu m’auras sauvée, tu n’auras pas enfreint le devoir. Si tu le fais, il n’y aura point là, si minime soit-elle, une infraction au devoir. 7803.

» Le devoir même est pour toi de sauver ma vie, Arjouna ! Réponds à mon amour, auguste fils de Prithâ : cette conduite sera louée des hommes de bien. 7804.

» Si tu ne le fais pas, sache que c’est me donner la mort ! Accomplis, héros aux longs bras, le plus grand des devoirs en me sauvant la vie. 7805.

» Je me réfugie en ce moment sous ta protection, ô le plus noble des hommes. Tu protèges continuellement des malheureux sans défense : eh bien ! fils de Kountî, j’implore ton aide, moi, qui me consume en plaintes dans ma douleur. 7800.

» C’est toi, que je désire, enflammée d’amour : souris donc à mes vœux et daigne y mettre le comble par ce don de ta personne. » 7807.

Quand la fille du roi des serpents eut fini son discours, Arjouna de satisfaire ainsi, en vue seulement du devoir, à tous ses désirs. 7808.

L’auguste prince habita cette nuit dans le palais du serpent, et, levé avec le soleil, qui se levait, il abandonna la royale habitation de Kaâuravya. 7809.

Il revint, accompagné d’Oulapî, à la porte du Gange, où la belle serpente le quitta et reprit le chemin de son palais.

Elle avait donné cette grâce au fils de Pândou. « Tu seras invincible dans les eaux, rejeton de Bharata, et tous les habitants des ondes devront te céder la victoire ; il n’y a là aucun doute. » 7810-7811.

Après qu’il eut raconté aux brahmes toute cette aventure, le fils du Dieu, qui tient la foudre, le héros issu de Bharata, se rendit sur un flanc de l’Himâlaya. 7812.

Le fils de Kountî, s’étant avancé jusqu’au figuier d’Agastya et jusqu’à la montagne de Vaçishtha, célébra sa purification à la cîme-de-Bhrigou. 7813.

À cette occasion, ce prince, le plus vertueux des Kourouides, distribua aux brahmes un bien grand nombre de mille vaches, rejeton de Bharata, et leur donna encore des parures. 7814.

Quand le meilleur des hommes et le plus éminent des Pândouides se fut baigné dans le tîrtha d’Hiranyavindou, il visita de saintes chapelles. 7815.

Le vertueux prince né de Bharata descendit avec les brahmes et s’avança, noble Bharatide, conduit par le désir de voir la plage orientale. 7846.

L’auguste enfant de Rourou en visita successivement tous les tîrthas ; il porta ses pas vers la rivière Outpalinî, le bois charmant de Naîmisha, 7817.

La Nandâ et l’Aparanandâ, la Kaâuçikî renommée, la grande rivière Gayâ, et le Gange aussi, rejeton de Bharata. 7818.

C’est ainsi qu’il vit dans ses courses tous les tîrthas et qu’en opérant sa purification il distribuait des vaches aux brahmes. 7819.

Il parcourut tous les tîrthas quelconques chez les Angas, chez les Vangas, chez les Kalingas, et visita tous les bains sacrés et les saintes chapelles. 7820.

Après qu’il eut vu ces lieux, le fils de Pândou répandit ses largesses, suivant l’usage. Arrivés à la porte du royaume de Kalinga, les brahmes, qui l’accompagnaient, ayant obtenu leur congé du fils de Kountî, s’en revinrent chez eux, noble Bharatide. 7821.

Congédié par eux également, l’héroïque Dhanandjaya, suivi de quelques compagnons, s’en alla vers les rivages de la mer. 7822.

Une fois qu’il eut franchi le Kalinga, ce prince auguste s’avança, contemplant de belles régions, de saints oratoires et de charmants palais. 7823.

Il vit, au bord de l’Océan, le mont Mahéndra, embelli de ses ascètes, et s’achemina lentement vers la cité de Manipoura. 7824.

Quand le héros aux longs bras eut exploré tous les tîrthas et les saintes chapelles, il vint trouver, sire, le maître de la terre, ce vertueux Tchitravâhana, le souverain de la ville des joyaux, qui avait une fille, nommée Tchilrângadâ, charmante à voir. 7825-7826.

Il la vit se promener à sa fantaisie dans la ville, et cette vue alluma son amour pour la princesse à la jolie taille, fille de Tchitravâhana. 7827.

Il se rendit chez le roi, et, lui ayant raconté son affaire : « Donne-la moi, sire, lui dit-il, à moi, qui suis un magnanime kshatrya. » 7828.

À ces mots : « De qui es-tu fils ? demanda le souverain ; et comment t’appelles-tu ? » Le fils de Pândou répondit : « Je suis Dhanandjaya, le fils de Kountî ! » 7829.

Le monarque lui dit alors ces mots, que précédait une parole flatteuse : « Il y eut dans cette race jadis un roi, nommé Prabhandjana. 7830.

« Il n’avait pas de fils et, dans son envie d’obtenir une postérité, il endura la plus haute pénitence. Le Dieu-des-Dieux, qui porte l’arc Pinâka, Içwara, l’époux d’Oumâ, fut content de ces effrayantes macérations ; et l’adorable Bhagavat accorda à cette race un enfant unique de génération en génération. 7831-7832.

» Il n’y a donc en cette liguée qu’un seul enfant à chaque degré : ainsi naquirent les fils héritiers de tous mes aïeux.

» Je n’ai que cette fille unique, la propagatrice de ma race, assurément : « C’est mon fils ! » me dis-je et telle est sur elle ma pensée, taureau du troupeau des hommes.

» C’est pour cette raison qu’elle est nommée Poutrikâ[24] : unique sera donc, prince, le fils qu’elle aura conçu de toi. 7833-7834-7836.

» Qu’elle rende ce tribut ; qu’il naisse d’elle un seul continuateur de cette race : accepte-la, fils de Pândou, à cette condition. » 7836.

« Soit ! » promit le fils de Kountî ; il reçut la jeune vierge et habita dans cette ville trois années. 7837. Un fils étant né d’elle, il serra dans ses bras la noble dame, fit ses adieux au monarque et s’en fut recommencer ses pérégrinations. 7838.

L’éminent Bharatide s’en alla visiter les tîrthas bien saints, resplendissants d’ascètes et situés sur le rivage de l’océan méridional. 7839.

Il était alors cinq tîrthas, qu’avaient désertés les ascètes ; mais qui avant ces joure étaient remplis de nombreux pénitents. 7840.

C’étaient le Saâubhadra, tîrtha d’Agastya, le Paâulonia d’une grande purification, le limpide Prasanna, le Hayamédhaphala, rapportant le même fruit qu’un açwamédhu, et le tîrtha du Bharadwâdjide, le grand destructeur des péchés. Le plus illustre des hommes vit ces cinq tîrthas.

Ayant observé que ces bains étaient déserts, ayant vu qu’ils étaient délaissés par les anachorètes instruits des choses relatives au devoir, 7841-7842-7843.

Le rejeton de Kourou, ses mains réunies aux tempes, interrogea les ascètes : « Pourquoi ceux, qui récitent la sainte écriture, ont-ils abandonné ces tîrthas ? » 7844.

« Cinq crocodiles, habitants de leurs eaux, entraînent les pénitents : c’est pour cela qu’on a déserté ces bains, » lui répondirent les ascètes. 7845.

À ces paroles, en vain retenu par les anachorètes opulents de pénitences, ce héros aux longs bras, le plus vertueux des hommes, s’en alla voir ces tîrthas. 7846.

L’intrépide fléau des ennemis s’approcha du Saâubhadra, le sublime tîrtha du maharshi ; il s’y plongea sans balancer et s’y baigna. 7847.

Mais un grand crocodile, qui rôdait sous les eaux, saisit par un pied Dhanandjaya, le terrible fils de Kountî. Le guerrier aux longs bras, le plus fort des forts, captura, malgré sa résistance, le monstrueux hôte des eaux, et se leva, grâce à la vigueur, dont il était doué. 7848-7849.

À peine le fameux Arjouna eut-il tiré ce crocodile hors des ondes, que la bête devint une noble dame, embellie de toutes les parures, 7850.

Éclatante de beauté, ravissante et de formes toutes divines. À la vue de cette grande merveille, Dhanandjaya, le fils de Kountî, 7851.

Transporté de joie, adressa les paroles suivantes à cette dame : « Qui es-tu, noble dame ? Et d’où es-tu, toi, qui te promènes dans les eaux ? 7852.

» Pourquoi ce destin ? Et quelle grande faute as-tu commise autrefois ? » Vargâ lui répondit : « Je suis une Apsara, habituée à me promener dans les bosquets des Dieux. Ma vue, prince à la grande force, aux longs bras, était sans cesse désirée par le Dieu, qui préside aux richesses ; et mon nom est Vargâ. 7853.

« Ces quatre autres nymphes resplendissantes, qui peuvent se transporter où les invite leur fantaisie, sont toutes mes amies. Avec elles, je m’en allai un jour au palais du Dieu protecteur des mondes. 7854.

» Nous vîmes toutes Brahma aux vœux parfaits, d’une immortelle beauté, se promenant à l’écart seul et lisant.

» Sa flamboyante pénitence, sire, illuminait le bois,

enveloppé de splendeur, tel que le soleil illuminait alors la région entière. 7855-7856.

» À la vue de cette pénitence, à l’aspect d’une telle beauté, sublime, prodigieuse, nous abaissâmes notre vol dans ce lieu, conduites par le désir de jeter un obstacle devant sa pénitence. 7857.

» Saâurabhéyi, Samîtchî, Voudvoudâ, Latâ et moi, nous nous approchâmes ensemble du brahme ineffable pour le tenter par nos chansons et nos rires ; mais il ne tourna pas un instant sur nous sa pensée, héros né de Bharata. 7858-7859.

« Le brahme à la grande splendeur ne fut pas ébranlé, il resta fixe dans sa pénitence immaculée ; mais sa colère, éminent kshatrya, de fulminer sur nous cette malédiction : « Changez-vous en crocodiles et circulez cent années sous les eaux ! » 7860.

Frappées de terreur, nous toutes alors de venir implorer la grâce du brahme immortel et riche de pénitences : 7861.

« Daigne nous pardonner, brahme adorable, cette inconvenance, que nous avons commise dans l’orgueil, que nous inspiraient la beauté, la jeunesse et l’amour. 7862.

» Nous avons bien mérité cette mort, puisque nous sommes venues ici pour te séduire, toi, de qui l’âme, riche en pénitences, est assise dans la perfection. 7863.

» Mais on ne doit pas donner la mort aux femmes ! ainsi pensent les sages. Élève-toi donc au sommet du devoir, Créateur, et ne veuille pas nous faire de mal. 7864.

» Le brahme est appelé un être, qui a la science du devoir et qui est bienveillant pour tous les êtres. Que cette parole des sages. Dieu juste, devienne ici une vérité.

» Les autres embrassent la défense des malheureux, qui invoquent leur appui : nous voici, implorant ton secours ; veuille donc nous pardonner ! » 7865-7866.

« Cent centaines de mille, répondit Brahma, est l’expression d’une durée, qui n’a pas de fin ; mais cent est un mot, circonscrit dans la mesure d’une durée finie. 7867.

» Devenues crocodiles, vous entraînerez les hommes sous les eaux ; mais, quand le plus vertueux des mortels vous aura tirées des ondes sur la terre, vous reprendrez alors vos anciennes formes. Il ne m’est jamais arrivé, fût-ce en riant, d’avancer une chose, qui ne fût pas la vérité. 7868-7869-7870.

» À compter de ce jour à venir, tous ces tirthas iront sans aucune réserve à la gloire sous le nom de Tîrthas-des-femmes ; ils redeviendront saints et purificateurs des sages anachorètes. » 7871.

» Ensuite, nous étant prosternées aux pieds du céleste brahme, l’ayant honoré d’un pradakshina, nous nous éloignâmes de ce lieu dans une vive douleur et nous nous mîmes tristement à songer : 7872.

« Où donc rencontrerons-nous toutes avant qu’il soit long temps cet homme, qui doit nous rendre la forme, que nous allons perdre ? 7873.

» Nous y pensions depuis un instant, rejeton de Bharata, quand nous aperçûmes Nârada, le fortuné Dévarshi.

» Transportées de joie, à la vue du céleste saint d’une splendeur infinie, nous nous inclinâmes, fils de Prithâ, et nous tînmes devant lui, nos visages pleins de pudeur.

» Il nous demanda et nous lui dîmes la cause de notre chagrin. Quand il en sut les circonstances, il nous parla en ces termes : 7874-7875-7876.

« Il y a sur le bord de l’océan méridional cinq tîrthas ; allez, sans différer, à ces bains purs et charmants. 7877.

» Là, bientôt le fils de Pândou, Dhanandjaya, ce prince à l’âme pure, vous affranchira de cette douleur : il n’y a là aucun doute. 7878.

» Nous toutes, nous partîmes de ce lieu, héros, aussitôt que nous eûmes recueilli ces paroles de sa bouche. C’était une vérité : aujourd’hui, en effet, tu m’as délivrée ici, homme sans péché. 7879.

» Mais sous les eaux encore sont errantes mes quatre compagnes : fais une bonne œuvre, héros, et délivre-les toutes. » 7880.

Alors cet éminent et courageux fils de Pândou les arracha toutes d’une âme intrépide, monarque des hommes, au pouvoir de cette malédiction. 7881.

Sorties des eaux et rendues à leurs formes naturelles, ces nymphes célestes se montrèrent aux yeux, sire, telles qu’elles étaient avant leur disgrâce. 7882.

Après qu’il eut purgé ces tîrthas des monstres, qui les infestaient, et donné congé aux Apsaras, l’auguste prince s’en revint à la Ville-des-joyaux afin d’y revoir Tchitrângadà. 7883.

Il engendra, au sein d’elle un fils, qui fut le roi Babhrouvâhana ; et, quand il eut vu cette princesse, il s’achemina, sire, vers le Gokarna. 7884.

Le guerrier à la valeur sans mesure alla visiter successivement les tîrthas saints et toutes les chapelles sur les confins des autres pays. 7885.

Quand il eut parcouru tous les tîrthas et les oratoires, qui existaient sur la mer occidentale, il se rendit en pèlerinage au Prabhâsa. 7886.

Krishna, le meurtrier de Madhou, apprit que l’invincible Bîbhatsou était venu au lieu enchanteur et saint de Prabhâsa. 7887.

Là, Mâdhava se rendit auprès de son ami, le fils de Kountî ; là, Arjouna et Krishna eurent une entrevue l’un avec l’autre dans le Prabhâsa. 7888.

Après qu’ils se furent serrés d’une étreinte mutuelle et interrogés tour à tour sur leur bonne santé, ces deux chers amis habitèrent dans le bois, comme les deux saints anachorètes, Nara et Nârâyana. 7889.

Ensuite le Vasoudévide s’enquit d’Arjouna quelle était la cause de sa conduite : « Pourquoi, fils de Pândou, explores-tu ces tîrthas ? » 7890.

Alors Phâlgouna de lui narrer toutes les circonstances de son aventure, et, quand l’auguste Vrishnide les eut apprises, il dit : « Tu as agi comme il fallait. » 7891.

Le fils de Pândou et Krishna, s’étant diverti dans le Prabhâsa au gré de leurs désirs, s’en allèrent habiter le mont Raivata. 7892.

Mais des hommes avaient déjà paré la montagne, et l’on y avait porté des vivres suivant les ordres de Krishna.

Après qu’Aijouna le Pândouide eut reçu et mangé de tout, les comédiens et les danseurs le recréèrent de leurs spectacles en compagnie du Vasoudévide. 7893-7894.

Le fils de Pândou à la haute sagesse, les ayant couiblés tous de ses dons et congédiés, goûta le repos dans une couche magnifique et convenablement apprêtée. 7895.

Étendu sur ce lit splendide, le héros aux longs bras de raconter à l’Yadouide les rivières, les lacs, les montagnes, les fleuves et les forêts, qu’il avait parcourus. 7896.

Au milieu de ces récits, le sommeil, Djanamédjaya, ravit le fils de Kountî sur cette couche semblable à celles du Paradis. 7897.

Réveillé par un chant mélodieux et par les accords des viâàs, il ouvrit les yeux au milieu de ses louanges et des paroles de bon augure. 7898.

Lorsqu’il se fut acquitté des cérémonies indispensables et qu’il eut reçu les félicitations du rejeton de Vrishni, il monta sur un char aux membres d’or et partit avec lui pour Dwàrakâ. 7899.

Cette ville, Djanamédjaya, pour honorer le fils de Kountî, avait décoré jusqu’aux portes de toutes ses habitations. 7900.

Le désir de voir ce fils de Prithâ fit affluer par centaines de mille hommes dans la rue du roi le peuple, qui habitait Dwârakà. 7901.

Il avait sous les yeux des centaines et des milliers de femmes ; immense était la multitude de ces fils de Bhodja-Vrishni et d’Andaka. 7902.

Bien accueilli par les rejetons d’Andaka et de Vrishni-Bhodja, il saluait ceux, auxquels était dû le salut, et tous échangeaient leurs révérences avec les siennes.

Vivement excité par les hommages des jeunes princes, le héros d’embrasser mainte et mainte fois les Koumâras, ses égaux par l’âge. 7903-7904.

Il demeura là plusieurs jours avec Krishnadans son palais charmant, tout rempli d’aliments et de pierreries. 7905.





LE RAPT DE SOUBHADRA



Peu de jours après, les Vrishnides et les Andhakides célébraient une fête sur le mont Raîvata. 7906.

À cette occasion, les héros nés d’Andhaka et de Bhodja-Vrishni distribuèrent par milliers des largesses aux brahmes du mont Mahéndra. 7907.

Sur tous les côtés de la montagne, ce lieu, sire, fut décoré alors d’arbres kalpas et de palais incrustés de pierreries. 7908.

Là, différents musiciens donnèrent une voix aux instruments, les danseurs dansèrent et les chanteurs entonnèrent des chants. 7909.

Là, de toutes parts, s’avancaient sur des chars d’or les jeunes princes Vrishnides, bien parés, à l’immense vigueur ; 7910.

Et les citadins, par centaines et par milliers, accompagnés de leurs épouses et de leurs suivants, les uns marchant à pied, les autres montés sur des chars aux formes variées. 7911.

Là, se promenait dans l’ivresse, enfant de Bharata, l’auguste Haladhara, accompagné de Révatî et suivi par des Gandharvas. 7912.

Ainsi marchait le majestueux roi des Vrishnides, Ougraséna, escorté par un millier de femmes, au concert de ses louanges chantées par les Gandharvas. 7913.

Le fils de Roukmini et Çâmba, tous deux ivres, moins cependant qu’ils ne l’étaient dans les batailles, parés de vêtements et de bouquets, s’amusaient comme deux Immortels. 7914.

Akroura, Sârana, Gada, Babhrou, Vidoûratha, Niçatha, Tchâroudéshna, Prithou, et Viprithou. 7915.

Satyaka et Sâtyaki, doués l’un et l’autre d’une grande voix à faire tout éclater, Hârddikya, Ouddhava et d’autres, qui ne sont pas cités, 7916.

Environnés chacun en particulier de femmes et de Gandharvas, contribuaient de leur présence à embellir cette joyeuse fête sur le mont Raîvata. 7917.

Le Vasoudévide et le fils de Kountî se promenaient de compagnie parmi les diverses et grandes merveilles, que déroulait ce curieux festival. 7918.

Tandis qu’ils erraient çà et là, ils virent Soubhadrâ, la fille de Vasoudéva, resplendissante et parée au milieu de ses compagnes. 7919.

À sa vue, l’amour naquit au cœur d’Arjouna. Krishna vit le fils de Prithâ, l’âme toute absorbée dans cet unique objet. 7920.

Le Dieu fait homme dit en souriant, noble Bharatide, à ce prince voué aux pérégrinations dans les bois : « Qu’est-ce donc ? Ton âme est troublée par l’amour. 7921.

» Cette jeune fille, ma sœur, est aussi la sœur germaine de Sârana ; elle est la fille née de mon père ; son nom, s’il te plaît, est Soubhadrâ. 7922.

» Si tu veux, je parlerai à son père. » Arjouna répondit : « Fille de Vasoudéva et sœur du Vasoudévide, quel être la beauté, dont elle est douée, ne rendrait-elle pas fou d’amour ? 7923.

» Si la fille de Vrishni, ta sœur, devient mon épouse, cette union fera, il est certain, mon bonheur entièrement.

» Quel serait le moyen de l’obtenir ? Dis-le-moi, Djanârddana : je ferai alors pour cela tout ce qu’un homme peut faire. » 7924-7925.

« Le swayamvara est le mariage des kshatryas, taureau du troupeau des hommes, reprit le Vasoudévide. Mais il est douteux ici, fils de Prithâ, car aucun signe ne dénote quel époux elle se propose de choisir. 7926.

» Le rapt de vive force est la gloire des kshatryas : c’est la cause du mariage des héros, disent les hommes, qui savent les devoirs. 7927.

» Enlève, Arjouna, ma noble sœur à force ouverte ; enlève-la dans son swayamvara ; on ne sait pas, en effet, ce qu’elle a envie de faire. » 7928.

Ensuite Arjouna et Krishna ayant décidé qu’il fallait agir de cette manière, différents hommes à la course rapide furent expédiés par eux à Indraprastha, où résidait Youddhishthira ; et le Pândouide aux longs bras, informé de tout, approuva ce dessein. 7929-7930.

Cette ouverture étant agréée, Dhanandjaya apprit, Djanamédjaya, que la jeune fille s’en était allée au mont Raîvata. 7931.

« Voici le moment d’agir ! » dit-il. Krishna fut de cet avis ; et, autorisé de sa permission, le noble rejeton de Bharata se mit en route. 7932.

Monté sur un char aux membres d’or, construit avec art, enguirlandé par des multitudes de clochettes, attelé des chevaux de son divin ami, Sougrîva et Çaîvya ; 7933.

Muni de tous les projectiles, roulant avec le bruit des nuées orageuses, pareil aux flammes du feu et destructeur de la joie des ennemis ; 7934.

Le héros armé, vêtu de la cuirasse, ceint du cimeterre, la manique attachée à la main pour défendre ses doigts, partit sous le prétexte qu’il s’en allait à la chasse. 7935.

En ce temps Soubhadrâ, ayant honoré le Raîvata, roi des montagnes, et toutes les Divinités de ce lieu, fait prononcer aux brahmes les paroles solennelles et salué ce mont d’un pradakshina, s’en revenait à Dwârakâ. Le fils de Kountî, percé des flèches de l’amour, s’élança vers elle et força la vierge toute charmante à monter dans son char. Ensuite le noble ravisseur de la fille au candide sourire de pousser vers sa ville son char aux membres d’or.

Quand elle se vit enlever Soubhadrâ, toute son escorte de guerriers s’enfuit, jetant des cris, vers la cité de Dwârakâ. 7936-7937-7938-7939.

Ils se rendirent tous ensemble au vertueux palms de Sabhâpâla et lui racontèrent, sans rien omettre, l’action audacieuse du fils de Prithâ. 7940.

À ces mots, Sabhâpâla de frapper le tambour aux cercles d’or, dont la grande voix appelle les guerriers aux armes ou aux conseils. 7941.

L’esprit ému à ce bruit, les Bhodja-Vrishnides et les Andhakides, abandonnant leurs festins et leurs coupes, accourent de tous les côtés. 7942.

Là, tels que le feu s’étend sur une contrée, ces éminents héros, petits-neveux d’Andaka et de Bhodja-Vrishni, vont s’asseoir par centaines sur des trônes aux membres d’or, incrustés de corail et de pierreries, semblables aux flammes du feu et couverts des tapis les plus dignes d’envie. 7943-7944.

Là, au milieu de ces princes assis, comme une assemblée de Dieux, Sabhâpâla, environné de sa suite, dénonça l’action du victorieux Arjouna. 7945.

À ce récit, les héros Vrishnides, pleins d’orgueil et les yeux rougis par l’ivresse, se lèvent irrités, impatients de punir le fils de Prithâ. 7946.

« Attelez vîte les chars ! s’écrient-ils. Prenez vîte les flèches barbelées, les arcs de haut prix et les vastes cuirasses ! » 7947.

Les uns de crier à leurs cochers : « Attelez mon char ! » Les autres d’atteler eux-mêmes les coursiers aux ornements d’or. 7948.

Au milieu de ces clameurs, des chars amenés, des étendards et des cuirasses apportées, une immense confusion régnait parmi ces héros des hommes. 7949.

Semblable à une cime du Kaîlâsa, paré d’une guirlande bocagère, ivre et saturé de liqueurs, Baladéva, le prince au vêtement noir, dit alors ces paroles : 7950.

« Que faites-vous, ignorants que vous êtes, irrités et poussant de vaines clameurs, tandis que Djanârdana se tient dans le silence, vous, qui ne savez pas quelles peuvent être ses dispositions ? 7951.

» Que ce prince à la grande sagesse nous dévoile maintenant sa pensée, et faites sans paresse ce qu’il aura jugé convenable de faire. » 7952.

À ce langage, que Haladhara leur avait présenté dans une forme acceptable, tous d’abord ils gardent le silence ; puis, ils s’écrient : « Bien ! c’est bien ! » 7953.

Dès qu’ils eurent goûté d’une oreille unanime ces paroles du prudent Baladéva, ils se rassirent tous sur leurs sièges au milieu de l’assemblée. 7954.

Ensuite Râma, le fléau des ennemis, tint ce langage au Vasoudévide : « Pourquoi demeures-tu en silence, tes yeux fixés sur nous, Djanârdana ? 7955.

» Le fils de Prithâ fut honorablement accueilli par nous tous à cause de toi, Atchyouta ; mais l’insensé, opprobre de sa famille, ne méritait pas cet honneur ; 7956.

» Est-il nulle part un homme, qui dans une famille, où il a pu se croire né, brise le vase, après qu’il en a mangé la nourriture ? 7957.

» Quel homme, à qui la vie est chère, s’il désire une alliance, voudrait nouer par un enlèvement l’union, qu’il a commencée par l’honneur. 7958.

» C’est pourtant ainsi qu’il nous a méprisés et que, sans égard à Kéçava, il a enlevé par la violence aujourd’hui Soubhadrâ, sa mort à lui-même. 7959.

» Comment ! il a mis son pied au milieu de ma tête ! Je le souffrirai, Govinda, comme un serpent qu’on le touche du pied ! 7960.

» Sans autre secours que mon bras, je ne laisserai pas aujourd’hui un seul Kourouide sur la terre ! Certes ! je ne dois pas tolérer cette offense d’Arjouna ! » 7961.

Les Bhodja-Vrishnides et les Andhakides sympathisèrent tous à ces menaces, qu’il jetait d’une voix aussi haute que le son des tambours ou le tonnerre des nuages. 7662.





Échange des présents de noces.



Vaîçampâyana dit :

« Tous les Vrishnides de parler suivant les inspirations du courage ; après eux, le Vasoudévide tint ce discours, assorti à l’intérêt et au devoir : 7963.

« Goudânéça ne fait pas mépris de notre famille ; il nous fait au contraire beaucoup plus d’honneur : il n’y a là aucun doute. 7964.

» Il n a pas cessé de penser que vous, les Yadouides, vous n’êtes point avides de biens : le fils de Pândou croit aussi qu’on doit respecter le choix d’un swayamvara.

» Qui peut approuver qu’on donne une fille comme un bétail ? Et quel homme sur la terre ferait la vente de son enfant ? 7965-7966.

» Le fils de Kountî a reconnu, je pense, ces inconvénients, et c’est pourquoi il a enlevé à force ouverte la jeune fille, suivant la loi des kshatryas. 7967.

» Cette alliance est assortie : Soubhadrâ est illustre, le fils de Kountî l’est également ; il a donc enlevé de vive force. »

Qui ne tiendrait à l’honneur de s’allier avec Arjouna, né dans la race de Bharata et du célèbre fils de Çântanou, le petit-fils enfin de Kountîbhodja ? 7968-7969.

» Je ne vois personne, de qui la force puisse triompher du Prithide dans un combat, si ce n’est Çiva aux trois yeux, qui arrache les yeux à la fortune ! 7970.

» Il est vénéré dans tous les mondes parmi les Indras et les Roudras : tels que sont mes coursiers et les tiens, tel est son char. 7971.

» Le Prithide est un guerrier aux armes rapides. Qui peut être supérieur à lui ? Courez vers Dhanandjaya avec les compliments les plus flatteurs, et joyeux ramenez-le ! Tel est mon avis le meilleur. 7972.

» Si, victorieux de vous, le fils de Kountî regagne sa ville, vos renommées en seront détruites à l’instant ; mais il n’y a pas une défaite à craindre avec des paroles amies. » 7973.

Eux d’agir, monarque des hommes, suivant ces paroles du Vasoudévide, et l’auguste Dhanandjaya revenu de célébrer là son mariage. 7974.

Le fils de Kountî habita cette ville plusieurs lunes excédant la révolution d’une année et s’y divertit au gré de ses désirs, honoré par les enfants de Vrishni. 7975.

Le prince demeura le reste du temps à Poushkara, et, dès qu’il eut accompli ses douze ans, il passa dans le Khândavaprastha. 7976.

Il s’approcha du roi, son frère, avec le recueillement du pénitent, et, quand il eut honoré les brahmes, il se rendit chez Draâupadî. 7977.

Celle-ci dit au rejeton de Kourou ces paroles, que lui inspirait un amour jaloux : « Fils de Kountî, va-t-en aux lieux, où est la fille d’Yadou ! 7978.

» Le premier nœud d’un fardeau se relâche, quelque bien attaché qu’il soit ! » À Draâupadî, qui se plaignait ainsi, Dhanandjaya adressa maintes cajoleries et même il s’excusa auprès d’elle plus d’une fois. 7979.

Le fils de Kountî se hâta de lui envoyer Soubhadrâ, quand il en eut fait orner la personne avec tous les atours d’une reine. 7980.

Rayonnante de cette beauté au plus haut degré, l’illustre dame à la jolie taille, épouse du héros, se rendit au plus riche des palais. 7981.

La noble femme se prosterna aux pieds de la fortunée Kountî ; celle-ci de baiser sur la tête cette bru charmante en toute sa personne, et de répandre des bénédictions incomparables sur elle, élevée au comble de la joie. 7982.

L’éminente dame au visage tel que la lune en sa pléoménie se hâta de s’avancer près de Krishnâ, s’inclina devant elle et dit : « Je suis ta servante ! » 7983.

Draâupadî, qui s’était elle-même courbée, s’étant relevée alors, embrassa la sœur de Mâdhava et lui dit affectueusement : « Puisse ton époux être sans ennemis ! »

La princesse dans une égale joie répondit : « Qu’il en soit ainsi ! » Le cœur des héros, fils de Pândou, était dans l’ivresse. 7984-7985.

Kountî savourait, Djanamédjaya, une satisfaction extrême. Kéçava aux yeux de lotus, à l’âme pure, ayant ouï dire qu’Aijouna, le plus vaillant des Pândouides, était arrivé dans sa ville capitale et habitait Indraprastha, s’y rendit avec Balarâma. 7986-7987.

Accompagné des principaux Andakides et Vrishnides, des héros aux grands chars, de ses frères et des Koumâras, environné de nombreux guerriers, Çaâuri, le fléau des ennemis, était défendu par une puissante armée. Le Dieu sage à la vaste renommée, qui préside aux richesses, y vint également. 7988-7989.

Akroûra, le général des héros Vrishnides, le dompteur des ennemis, Anâdhrishti à la grande vigueur, Ouddhava à la haute renommée, 7990.

Au grand cœur, à la vaste intelligence, le disciple de Vrihaspati en personne, Satyaka, et Sâtyaki, et Kritavarman l’Yadouide, 7991.

Pradyoumna et Çâmba, Niçatha et Çankou, le vaillant Tchâroudeshna, Djhilli et Viprithou, Sârana aux longs bras et Gada, le plus distingué entre les savants ; 7992.

Ceux-là et beaucoup d’autres, issus de Vrishni-Bhodja et d’Andhaka, se rendirent eux-mêmes dans Indraprastha, apportant avec eux beaucoup d’or. 7993.

Aussitôt qu’il eut appris l’arrivée de Krishna, le monarque Youddhishthira d’envoyer les deux jumeaux recevoir le meurtrier de Madhou. 7994.

Bien accueillie par eux, la magnifique armée des Vrishnides entra dans le Khândava-prastha, orné de bannières et de drapeaux, 7995.

Les rues de ses villes arrosées et balayées, décorées avec des gerbes de fleurs, embaumées de parfums exquis et des eaux fraîches de sandal, 7990.

Embellies avec des boutiques de marchands, encombrées d’un peuple joyeux et bien nourri, brûlant de place en place un bois d’aloës à la suave odeur. 7997.

Kéçava aux longs bras, le plus grand des hommes, s’avançait avec Râma, son frère, accompagné des rejetons de Bhodja-Vrishni et d’Andhaka. 7998.

Honoré des brahmes et des citadins par milliers, il entra dans l’habitation du monarque, semblable au palais du roi des Dieux. 7999.

Youddhishthira suivant l’étiquette s’approcha de Râma et, quand il eut baisé sur la tête Kéçava, le serra dans ses bras. 8000.

Govinda joyeux lui rendit ses politesses en prince bien élevé ; il honora également Bhîma, le tigre chez les hommes, suivant l’étiquette. 8001.

Youddhishthira, le fils de Kountî, accueillit les enfants de Vrishni et d’Andhaka avec les honneurs, que prescrit le Traité des bienséances et selon ce qu’exigeait la circonstance elle-même. 8002.

Il honora les uns comme ses gourous, il traita ceux-ci comme ses amis, il se prosterna devant les autres, ceux-là se prosternèrent devant lui. 8003.

Krishîkéça à la haute renommée donna aux Pândouides une immense richesse comme présent de noce ; il donna à Soubhadrâ la dot, qu’un père doit accorder à sa fille.

Le fortuné Krishna lui donna un millier de chars aux membres d’or, enguirlandés avec des multitudes de clochettes, attelés de quatre chevaux, conduits par des cochers habiles, instruits sous de bons maîtres, une myriade de vaches « au poil sans tache et luisant, chacune avec son veau, et nées toutes dans le Mâthoura. 8004-8005-8006.

Djanârdana lui donna avec amour un millier de cavales pures aux ornements d’or et brillantes d’un lustre semblable aux rayons de la lune ; 8007.

De plus, cinq et cinq centaines de mules bien dressées, rapides comme le vent, au pelage blanc, à la crinière aussi noire que le collyre. 8008.

Le prince aux yeux de lotus donna en outre un millier de femmes radieuses au teint doré, aux riches vêtements, pour en user dans les fêtes de la coupe et des bains, douées d’une fraîche jeunesse, non encore nubiles, splendidement parées, ornées de cent colliers d’or et bien habiles dans le service. 8009-8010.

Djanârdana fit entrer dans cette dot un nombre de cent mille chevaux de somme, nés dans le Bâlhkan, richesse immense pour la jeune fille. 8011.

Le prince Dâçârhain ajouta de l’or le plus fin, brut et travaillé, resplendissant comme le feu, ce qu’il en fallait pour la charge de dix hommes. 8012.

Il donna, accompagnés des cornacs, lui, qui aimait l’audace, mille éléphants bien dressés, beaux, semblables à des cimes de montagnes, ornés de guirlandes d’or et de clochettes gazouillantes, ivres de rut, versant le mada par trois canaux et ne sachant pas reculer dans les batailles. 8013-8014.

Râma-Lângali au bras armé d’un soc de charrue donna joyeux une poignée de main au fils de Prithâ en témoignage d’honneur pour son alliance. 8015.

Ce fleuve de grandes richesses aux pierreries du plus haut prix, encombré d’étendards en guise de vallisnéries, d’énormes éléphants à l’instar d’immenses crocodiles, de vêtements et de tapis au lieu d"écume, entra, s’y déversant, à l’océan des Pândouides et remplit de ses flots, débordants de chagrin pour les ennemis, cette mer déjà pleine. 8016-8017.

Youddhishthira, tel qu’un Dharmarâdja visible, reçut tous ces trésors ; il honora des siens les héros nés de Vrishni et d’Andhaka. 8018.

Ces magnanimes, les plus grands des Andhakides et des Vrishnides, se divertirent là de compagnie, tels que, dans l’habitation des Immortels, ces hommes, de qui la vertu est récompensée. 8019.

Les enfants de Vrishni et de Kourou çà et là s’amusaient au gré de leur joie et comme les y invitait le bonheur de la conjoncture, aux concerts des paumés de main, qui battaient la cadence. 8020.

Après qu’ils se furent plusieurs jours divertis de cette manière, les Vrishnides, ces hommes de la plus haute vaillance, s’en retournèrent à Dwâravatî comblés d’hommages par les Kourouides. 8021.

Les héros nés d’Andhaka et de Vrishni s’avançaient à la suite de Râma, emportant les joyaux éblouissants donnés par les princes de Kourou. 8022.

Le Vasoudévide habita là, rejeton de Bharata, dans la riante cité de Çakraprastha avec le magnanime fils de Prithâ. 8028.

L’Yadouide à la vaste renommée s’adonnait à la chasse avec Kirîti sur les rives de l’Yamounâ et s’amusait à percer de ses flèches les gazelles et les sangliers. 8024.

Ensuite Soubhadrâ, la sœur chérie de Kéçava, mit au monde Saâubhadra, comme Paâulomî enfanta l’illustre Djayat. 8025.

Elle donna le jour à Abhimanyou, le prince héroïque aux longs bras, à la poitrine vaste, aux yeux de taureau, le dompteur des ennemis. 8020.

Comme il était sans peur, abhî, et prompt à la colère, manyou, on fit de ces deux mots le nom d’Abhimanyou pour cet Arjounide, le taureau du troupeau des hommes, qui foulait aux pieds ses ennemis. 8027.

Tel que le feu, dans un sacrifice, naît par le frottement au sein d’un morceau d’acacia, tel ce guerrier, habile à combattre sur un char, naquit de Phâlgouna au sein de la princesse Yadouide. 8028.

À sa naissance, le fils de Kountî, Youddhishthira à la grande splendeur, donna aux brahmes, puissant Bharatide, une myriade de vaches et des nishkas d’or. 8029.

Dès son bas âge, cet enfant, cher au Vasoudévide, fut pour tous ses ancêtres ce que la lune est pour les créatures.

À partir de la naissance, Krishna accomplit toutes les cérémonies saintes pour lui, et l’enfant s’accrut comme la lune dans sa quinzaine lumineuse. 8030-8031.

Dompteur des ennemis et versé dans les devoirs, il apprit d’Arjouna le Dhanour-Véda entier, humain et divin, en ses quatre tomes et ses dix sections. 8032.

Jeune homme à la grande vigueur, il fut instruit complètement dans la science des astras, dans tous les exercices et dans l’excellence des armes. 8033.

Dhanandjaya le rendit égal à lui-même dans la connaissance de la sainte écriture, dans celle des rites magiques, et la vue de Saâubhadra, son fils, réjouissait son cœur ;

Ce fils invincible, qui maniait les grandes flèches, doué d’un corps non incomplet, qui présentait aux regards la réunion de tous les signes heureux, avec des épaules de taureau, des yeux toujours ouverts, comme le serpent, avec une fierté de lion, un courage d’éléphant ivre de rut, une voix telle que le tambour des nuées, un visage pareil à la lune en sa pléoménie ! 8034-8036-8036.

Bîbhatsou voyait son fils égal à Krishna en vigueur, en héroïsme, en beauté, en exploits, tel enfin qu’il avait paru lui-même aux yeux de Maghavat. 8037.

Pântchâlî même aux signes heureux conçut de ses cinq époux cinq fils héros, les plus vaillants des hommes et semblables à cinq montagnes. 8038.

Elle eut Prativindhya d’Youddhishthira, Soutasoma de Vrikaudara, Çroutakarman d’Arjouna ; Çatânîka était le fils de Nakoula et Çroutaséna celui de Sahadéva. Pântchâlî enfanta ces cinq héros aux grands chars, comme Aditi fut la mère des douze Adityas. 8039-8040.

Au moment que, suivant les Çâstras, on lui remit son fils, les brahmes dirent à Youddhishthira : « Que cet enfant soit un mont Prativindhya devant les coups des ennemis ! » De là, vint son nom. 8041.

Quand elle eut mis au monde ce fils égal à un millier de lunes, elle donna Soutasoma pour fils à Bhimaséna ; Soutasoma aux grandes flèches, à la splendeur telle que la lune et le soleil. 8042.

Après le retour de Kirîti, glorieux de son grand exploit, il eut un fils de Pântchâli : c’est le héros, qu’on appelle Çroutakarman. 8043.

Nakoula dans Çatânika, le saint roi, le magnanime enfant de Kourou, engendra un fils, incrément de gloire à l’honneur immortel. 8044.

Enfin, sous un astérisme consacré au Dieu du feu, Krishnâ donna le jour au fils, qu’elle avait conçu de Sahadéva et qui fut nommé Çroutaséna. 8045.

Ces fils illustres, de qui la mère fut Draâupadî, enflammés d’un mutuel désir du bien les uns pour les autres, naquirent, Indra des rois, séparés entre eux par l’intervalle d’une seule année. 8046.

Dhaâumya fit successivement pour eux, suivant les rites, ô le plus vertueux des Bharatides, les cérémonies de la scission du cordon ombilical et l’initiation par la tonsure.

Après qu’ils eurent achevé la lecture des Védas, ces jeunes princes aux vœux fidèlement observés reçurent d’Arjouna toute la science humaine et divine des arcs et des flèches. 8047-8048.

Les fils de Pândou savouraient le bonheur, monarque des rois, dans la compagnie de ces enfants aux larges poitrines, aux grands chars, semblables aux rejetons des Dieux. 8049.





L’INCENDIE DU KHANDAVA



Vaîçampâyana dit :

« Tandis qu’ils habitaient Indraprastha, ils mirent à mort différents monarques, suivant les ordres du roi Dhritarâshtra et du fils de Çântanou. 8050.

Telles que les âmes accourent au corps, qu’elles doivent animer, tels, accourant vers Dharmarâdja aux œuvres scellées d’un saint caractère, tous les hommes y trouvaient une agréable habitation. 8051.

Il cultiva d’une manière égale, comme trois parents égaux à lui-même, éminent Bharatide, l’intérêt, l’amour et le devoir, dont il faisait grand cas en habile politique. 8052.

Le fils de Kountî brillait comme un quatrième avec l’amour, l’intérêt et le devoir, tels que si, dans un partage égal avec lui, il se fussent incarnés sur la terre. 8053.

Ils obtinrent en lui pour monarque un lecteur éminent des Védas, un rénumérateur dans les grands sacrifices, un protecteur des mondes purs. 8054.

La Fortune résidait en lui, la Sagesse était sa compagne dévouée ; par lui croissait entière la vertu des rois. 8065.

Accompagné de ses quatre frères, le monarque brillait d’un éclat supérieur, comme un grand sacrifice, qui s’étend grâce à l’emploi simultané des quatre Védas. 8066.

Dhaâumya et les autres deux fois nés, s’étant approchés, aimaient à l’entourer, tels que les principaux Immortels, égaux à Vrihaspati, environnent le maître des créatures.

Car, dans son extrême bienveillance, la pureté d’Youddhishthira, semblable à celle de la lune en son plein, charmait également les yeux et les cœurs de ses sujets. 8067-8058.

Ils n’avaient point à se réjouir d’une condition des créatures, qui fût seulement l’ouvrage du Destin, car son gouvernement savait produire tout ce qui plaît aux âmes.

Comme le sage fils de Prithâ n’avait à la bouche que des paroles charmantes, il ne dit jamais une chose, qui fût, ou inconvenante, ou fausse, ou insupportable, ou fâcheuse. 8059-8060.

Ce prince à la très-haute splendeur se réjouissait en lui-même, ô le plus vertueux des Bharatides, de faire le bien de tout le monde ; ce qui était son désir. 8061.

Consumant de leur flamboyant éclat tous les rois de la terre, les cinq fils de Pândou habitaient ainsi dans la joie et libres de soucis. 8062.

Quelques jours s’étant écoulés, Bîbhatsou dit à Krishna : « Voici les chaleurs venues, Krishna ; allons sur les rives de l’Yamounâ. 8063.

» Après nous être divertis là, meurtrier de Mâdhou, le jour, nous reviendrons le soir. Veuille agréer, Djanârdana, ce que je propose. » 8064.

« Ô toi, de qui la mère est Kountî, répondit le Vasoudévide, je suis également d’avis qu’il faut nous amuser dans les ondes, environnés de personnes amies, tant que nous y trouverons du plaisir. » 8065.

Ensuite, lorsque Dharmarâdja leur eut donné sa permission et qu’ils l’eurent salué, rejeton de Bharata, le Prithide et Govinda s’en allèrent de compagnie, entourés de leurs amis. 8066.

Quand on fut arrivé au lieu des amusements du Prithide et de l’Yadouide, site magnifique, ombragé d’arbres divers, où s’élevaient différentes maisons, tel que la ville même de Pourandara, approvisionné de parfums en toutes les sortes, de guirlandes très-riches, de liqueurs savoureuses, de mets et de friandises, tout le cortège à la hâte entra dans le gynœcée, orné de maintes et maintes pierreries éblouissantes, et s’y joua, Bharatide, dans l’ivresse de la joie. 8067-8068-8069.

Des femmes aux larges croupes, aux seins potelés, aux yeux charmants, aux allures chancelantes par l’ivresse, y donnèrent l’essor aux amusements. 8070.

Les dames du Prithide et de Krishna s’amusaient, les unes dans le bocage, celles-ci dans les eaux, celles-là dans les palais, suivant le lieu, suivant le plaisir. 8071.

Draâupadî et Soubhadrâ, toutes deux pleines d’ivresse, puissant roi, firent des présents de robes et de parures aux femmes du gynœcée. 8072.

Les unes dansaient joyeuses, celles-ci poussaient des cris, celles-là riaient, les autres buvaient les plus fines liqueurs. 8073.

Ici, elles retenaient une compagne ; là, elles se battaient : ailleurs, elles délibéraient de choses secrètes, les unes avec les autres. 8074.

Tout, palais et bois d’une riche abondance, était rempli entièrement du son ravissant des tambours, des luths et des flûtes. 8075.

Tandis que ces scènes se déroulaient, les deux rejetons de Dâçârha et de Kourou s’en allèrent à certain lieu peu éloigné et du plus ravissant aspect. 8076.

Arrivés là, sire, ces magnanimes Krishnas, conquérants des villes ennemies, s’assirent tous deux sur des sièges du plus haut prix. 8077.

Là, Pârtha et Mâdhava s’amusèrent à conter beaucoup d’histoires, les unes des temps primitifs, les autres d’une époque plus récente. 8078.

Alors qu’ils étaient assis là joyeux, comme les deux Açwins sur la voûte du ciel, un brahme s’avança vers Dhanandjaya et le Vasoudévide. 8079.

Il ressemblait à un majestueux shorée, son éclat était celui de l’or passé au feu, sa barbe flamboyante était d’un jaune passant au noir, sa taille égalait en longueur un pramâna ( ?). 8080.

Il portait le vêtement d’écorce et le djatâ des anachorètes, son visage avait la teinte des pétales du lotus rouge, il semblait avec sa carnation dorée le soleil adolescent et flamboyait d’une splendeur en quelque sorte naturelle. 8081.

Tandis qu’il s’approche, éclatant de lumière, Krishna le Vasoudévide et Dhanandjaya se hâtent de marcher à la rencontre du brahme sublime et se tiennent debout en sa présence. 8082.

Il dit au fils de Prithâ et au Vasoudévide issu d’Yadou, ces deux héros du monde, placés alors non loin du Khândava : 8083,

« Je suis un brahme, qui mange beaucoup ; je puis dévorer un aliment, qui dépasse toute mesure. Je demande en aumône aux rejetons de Vrishni et de Pândou qu’ils me rassasient une seule fois ma faim. » 8084.

À ces mots le Pândouide et Krishna lui dirent : « Quelle nourriture pourrait apaiser la faim de ta sainteté ? Parle ! nous tâcherons de te la procurer. » 8085.

Le révérend de répondre à ces paroles des héros, qui demandaient : « Quelle nourriture devons-nous te servir ? » 8086.

« Ce n’est pas une nourriture humaine, que je désire manger : sachez que je suis le Feu ! Donnez-moi un aliment convenable à ma nature ! 8087.

» Indra ne cesse de protéger ce Khândava contre un incendie ; et je ne puis consumer ce bois toujours défendu par le magnanime. 8088.

» Là, habite continuellement son ami, le serpent Takshaka ; et c’est à cause de lui que le Dieu armé de la foudre et ses bataillons tiennent ce bois à l’abri d’un incendie. 8089.

» Là, sa bienveillance conserve beaucoup d’êtres, et, quelque soit mon désir de brûler ce bois, la puissance de Çakra m’empêche de le consumer. 8090.

» Aussitôt qu’il me voit élever mes flammes, il verse sur elles les eaux des nuages, et, quelque ardente que soit mon envie d’incendier cette forêt, il m’est impossible de la brûler. 8091.

» Je viens donc m’unir d’une alliance avec vous, qui possédez la science des astras. Que je puisse dévorer le Khândava : son incendie est cet aliment, que je vous demande. 8092.

» Vous deux en effet, qui savez les plus grands des astras, vous écarterez de tous côtés les nuages, « t les êtres de quelque part qu’ils viennent à leur secours. » Djanamédjaya dit :

« Pourquoi le vénérable Feu désirait-il incendier le Khândava, défendu par Mahéndra ei peuplé d’êtres bien divers ? 8093-8094.

» En effet, brahme, il me semble que petite ne devait pas être la cause de cette colère, qui poussait le Feu à dévorer le Khândava. 8095.

» Aussi, brahme, désiré-je la connaître avec étendue et dans la vérité : de quelle manière est donc né jadis, anachorète, cet incendie du Khândava ? » 8096. Vaîçampâyana répondit :

« Eh bien ! Je vais te raconter, ô le plus grand des hommes, cette histoire de la destruction du Khândava, légende, vantée par les rishis et tirée des Pourânas.

Ces Pourânas, sire, nous disent qu’il y eut un roi, doué de courage et de force, l’image du Dieu aux coursiers verts et célèbre sous le nom de Çwétaki. 8097-8098.

« On ne trouve pas, se disait-il, un autre sacrifiant quelconque égal au sage Dânapati ! Tel je veux être. » Il se mit donc à célébrer de grands sacrifices, dont les cérémonies étaient rétribuées avec de justes honoraires.

Il n’avait pas d’autre pensée tous les jours, sire, dans le sacrifice, dans le commencement de tous ses actes religieux, dans ses différentes aumônes. 8099-8100.

Le sage monarque sacrifia donc ainsi, accompagné de ses prêtres officiants ; mais, après un long espace de temps écoulé, ceux-ci fatigués, les yeux troublés par la fumée, abandonnèrent le roi des hommes. Il releva le courage de ses ritouidjs ; mais, retombés dans ce trouble des yeux, ils ne purent achever la cérémonie. 8101-8102.

De leur consentement, le souverain de la terre continua le sacrifice avec de nouveaux brahmes et de nouveaux ritouidjs. 8103.

Enfin la révolution du temps fit rouler cent années sur le roi embarrassé au milieu de ces conjonctures et dans son désir d’achever la cérémonie commencée. 8104.

Mais les prêtres officiants n’arrivaient pas à terminer le sacrifice du magnanime, quelque grands efforts, que fissent le monarque et ses amis. 8105.

Mainte et mainte fois, le prince à la vaste renommée, sans jamais se lasser, ramena à l’œuvre ses ritouidjs par des révérences, des flatteries et des largesses. 8106.

Mais ces prêtres à la force sans mesure ne pouvaient accomplir son dessein, et, saisi de colère, le roi dit aux anachorètes : 8107.

« Si je pèche, brahmes, et si je ne reste pas dans l’obéissance, qui vous est due, vous serez bientôt forcés de m’abandonner et je serai méprisé des brahmes. 8108.

» Ne veuillez donc pas empêcher ma foi dans le sacrifice, ni vous séparer de moi sans raison, ô les plus vertueux des brahmes. 8109.

» Mes actes, mes paroles, mes caresses, mes largesses, tout, brahmes, témoigne de mon inclination pour vous, daignez m’accorder votre bienveillance. 8110.

» Ou, rentré dans votre bienveillance, ô les plus vertueux des brahmes, je vous dirai ce que nous avons à faire ; ou, la haine vous ayant séparés de moi, j’irai chercher de nouveaux ritouidjs pour diriger mon sacrifice. » Le prince, une fois ces mots prononcés, garda le silence. 8111-8112.

Reconnaissant qu’ils n’avaient plus sur le monarque la puissance nécessaire à la conduite de son entreprise, les sacrifiants irrités dirent à l’invincible et vertueux souverain : 8113.

« Tes actes religieux, ô le grand des rois, n’ont aucun relâche, par conséquent nous sommes fatigués, nous, qui avons continuellement à en soutenir le poids. 8114.

» Écoutant le délire de tes pensées et mettant la précipitation en estime, ne veuille pas nous abandonner, roi sans péché, nous, que cette fatigue accable. 8115.

» Mais rends-toi aux pieds de Roudra, il prêtera son assistance à ton sacrifice ! » À peine eut-il entendu ces paroles de blâme, le roi Çwétaki 8116.

Dirigea ses pas vers le mont Kaîlâsa et s’y livra à de terribles pénitences. Il s’y tint long-temps, sire, les sens domptés, voué au jeûne, irréprochable en son vœu, cherchant à se concilier Mahâdéva. 8117.

Il prenait de la nourriture, soit des racines, soit des fruits, tantôt le douzième, tantôt le seizième jour. 8118.

Le roi Çwétaki se tenait, les bras levés en l’air, sans cligner les yeux, immobile comme un pieu : il resta dans cette attitude six mois avec recueillement. 8119.

Çankara vit avec la plus grande joie, rejeton de Bharata, ce tigre des rois, qui se mortifiait ainsi dans cette rude pénitence. 8120.

« Je suis content de tes mortifications, invincible monarque, lui dit-il : choisis, prince, s’il te plaît, une grâce, que tu veuilles obtenir. » 8121.

Aussitôt qu’il eut ouï ces paroles de Roudra à la splendeur infinie, le saint roi se prosterna aux pieds du magnanime et lui répondit : 8122.

« Si j’ai satisfait Bhagavat, adoré dans tous les mondes, accomplis toi-même, souverain des Souras, suzerain du roi

des Dieux, accomplis mon sacrifice. » 8123. À ce langage, que lui adressait le monarque, Bhagavat joyeux reprit en ces termes, que précédait un sourire :

« Diriger un sacrifice n’est pas une chose de nos attributions, et néanmoins c’est par le désir de cette grâce, sire, que tu as soutenu cette rude pénitence. 8124-8125.

Il Je ferai donc mener ton sacrifice à bonne fin sous une condition, victorieux monarque. » Et il ajouta : « Si, voué à la continence douze années, tu rassasies le feu d’une âme recueillie avec tes libations de beurre clarifié, 8126.

» Tu obtiendras de moi, prince, l’accomplissement de ton désir. » À ces mots de Roudra, Çwétaki, le souverain des enfants de Manou, 8127.

Fit tout de la manière, que l’avait prescrit ce Dieu armé d’un trident ; et, la douzième année révolue, il revint trouver Mahéçvara. 8128.

À son aspect, Çankara, le créateur des mondes, dit, transporté de joie, à Çwétaki, le plus vertueux des souverains : 8129.

« Je suis content, prince éminent, du fait supérieur, qui fut consommé par toi-même ici ; mais c’est aux brahmes que les règles attribuent la direction des sacrifices ; par conséquent, fléau des ennemis, je n’officierai pas moi-même dans ton sacrifice. 8130-8131.

» Il est sur la surface de la terre une portion de moi même ; c’est un fortuné mortel, le plus grand des brahmes ; on l’appelle DourvAças ; c’est lui, cet être à la vaste splendeur, qui, suivant mon ordre, t’aidera pour ton sacrifice. Qu’on s’occupe d’en faire les préparatifs ! » À ces mots, sortis de la bouche divine, 8132-8133.

Çwétaki s’en revint à sa ville ; il disposa de nouveau les apprêts ; et, quand tout fut préparé, il retourna vers le Dieu Roudra. 8134.

« Toutes les choses principales et auxiliaires sont préparées, lui dit-il. Qu’on célèbre demain par ta grâce, Mahâdéva, le sacrifice d’initiation ! » 8135.

À peine Roudra eut-il ouï ces paroles du roi magnanime qu’il appela Dourvâsas et lui tint ce langage : 8136.

« Voici l’éminent roi Çwétaki, ô le plus vertueux des brahmes ; fais sacrifier suivant mon ordre, Indra des brahmes, ce monarque de la terre. » 8137.

« Oui ! » répondit le saint à ces mots de Roudra. Ensuite fut célébré le sacrifice du roi magnanime. 8138.

Quand il eut terminé, conformément aux désirs, conformément aux paroles du monarque, ce sacrifice, enrichi de bien nombreux honoraires, 8139.

Les prêtres officiants et tous les prêtres assistants, qui avaient reçu la consécration du sacrifice préliminaire, s’en allèrent de côté et d’autre avec le congé de Dourvâsas. 8140.

Le fortuné monarque s’en retourna lui-même dans sa ville. Le vénérable feu alors fut surpris d’une maladie. Il perdit sa lumière, il tomba dans la consomption. Quand Agni se vit dépouillé de sa splendeur, 8141-8142.

Il s’en alla au séjour de Brahma, palais saint, honoré des mondes, et là il dit ces mots à Brahma sur le trône :

« J’ai perdu ma lumière et ma force, souverain de l’univers. Puissé-je, grâce à toi, recouvrer mon premier état naturel, sans le perdre jamais ! » 8143-8144.

Aussitôt qu’il eut ouï ce langage du feu, le vénérable auteur des mondes lui adressa, en souriant, ces paroles : 8145.

« Seigneur, tu as mangé, comme le beurre clarifié versé dans ton brasier, douze sortes de richesses, c’est pourquoi cette langueur s’est emparé de toi, 8146.

» Afin que, privé de ta vigueur, tu ne marchasses plus avec cette fougue, que tu reprendras, Agni, en reprenant ton état naturel. 8147.

» C’est pour te châtier d’avoir jadis réduit en cendres, à l’ordre des Immortels, cette épouvantable forêt du Khândava, l’habitation des ennemis des Dieux. 8148.

» Là, demeurent tous les êtres animés : rassasié de leur moëlle, Feu, tu reviendras à ton premier état. 8149.

» Cours vîte brûler ce bois et tu seras délivré de ta peine ! » À peine eut-il entendu ces paroles tombées de la bouche du Très-haut, 8150.

Agni se précipita d’une rapidité extrême. Arrivé bientôt à la majestueuse forêt de Khândava, grâce à cette incomparable vitesse, le feu, dont la colère était excitée parle vent, se mit soudain à vomir des flammes. 8151.

À la vue de ce bois devenu la proie des flammes, tous les habitants du Khândava de recourir aux plus grands efforts pour éteindre le feu. 8162.

Vîte, les éléphants irrités se hâtent de puiser l’eau avec leurs trompes et d’en arroser le feu par centaines et par milliers. 8153.

Ensuite les serpents à plusieurs têtes accourent, pleins de colère, sur les confins de l’incendie et s’empressent de lâcher les réservoirs d’eaux formées dans leurs têtes. 8154.

C’est ainsi, rejeton de Bharata, que les animaux du bois, par le jeu de leurs différentes armes, eurent bientôt contraint l’incendie à s’éteindre. 8155.

Le feu mainte et mainte fois renouvela ses flammes ; mais il fut jusqu’à sept fois par de tels moyens forcé lui-même à s’éteindre. 8156.

Alors tombé dans le désespoir et toujours en proie à la consomption, le Feu revint en courroux vers l’aïeul suprême des créatures. 8157.

Il exposa tout suivant les convenances à Brahma, et l’auguste Dieu, ayant réfléchi un moment, lui dit :

« J’entrevois un moyen, grâce auquel, irréprochable Déité, tu peux brûler aujourd’hui même la forêt Khândava, malgré l’époux de Çatchî. 8158-8159.

» Nara et Nârâyana, qui sont l’un et l’autre des Dieux antérieurs, sont descendu », Agni, dans le monde des hommes pour une alfaire des habitants du ciel. 8160.

» Ce sont les deux personnes, que le monde connaît sous les noms d’Arjouna et du Vasoudévide. Va les trouver ; ils sont en ce moment l’un avec l’autre dans le voisinage du Khândava. 8161.

» Sollicite une alliance avec eux pour l’incendie de cette forêt ; et, le traité conclu, tu brûleras ce bois, fût-il défendu par les Tridaças mêmes. 8162.

» Ces deux héros, unissant leurs efforts, arrêteront tous les êtres animés et le roi des Dieux lui-même : il n’y a nul doute ici pour moi. » 8163.

Ces paroles entendues, le Feu se hâte de s’en aller vers les deux héros et leur expose le motif de sa venue. 8164.

Je te l’ai fait connaître moi-même tout à l’heure, ô le plus grand des rois. Quand il eut parlé, Arjouna répondit à cet être, dans la bouche duquel sont nés les Védas, à lui, qui désirait, tigre des rois, incendier la forêt de Khândava, malgré Çatakratou, ces mots appropriés au temps : 8165-8166.

« J’ai des flèches nombreuses, supérieures, célestes, armé desquelles je pourrais combattre à la fois plusieurs Dieux de la foudre. 8167.

» Mais, Adorable, je n’ai pas un arc proportionné à leur immense vigueur et qui puisse supporter ma fougue, quand je déploie mon effort dans le combat. 8168.

» J’en ai besoin pour décocher mes flèches nombreuses, impérissables, coup sur coup. Il me faudrait aussi un char capable de porter mes flèches, telles que ton projet les désire. 8169.

» Je souhaiterais même des coursiers blancs, célestes, d’une vitesse pareille au vent ; un char, qui imite le bruit des nuages et qui ait une splendeur égale au soleil. 8170.

» Il n’existe pas une arme, qui soit proportionnée à la force de Mâdhava et sous laquelle ce Krishna puisse abattre dans un combat les Nâgas et les Piçâtchas ! 8171.

» Veuille bien dire. Adorable, avec quel moyen pour le succès de ton affaire je puis arrêter dans une grande bataille Indra, versant la pluie. 8172.

» Nous ferons avec bravoure, Agni, tout ce qui est à faire ; mais que ta révérence daigne nous procurer des instruments capables. » 8173.

À ces mots, le vénérable Feu, qui a la fumée pour son drapeau, de tourner par le désir de le voir sa pensée sur Varouna, le gardien du monde, 8174.

L’Aditya, le souverain des eaux, le Dieu, qui habite dans les ondes ; et celui-ci, à peine connue cette pensée, apparut soudain aux regards du Feu. 8175.

L’Être, de qui l’étendard est la fumée, reçut avec honneur ce maitre des eaux, le quatrième des gardiens du monde, l’éternel Dieu des Dieux, et lui dit : 8176.

« Je te demande les deux carquois et l’arc, qui te furent donnés par le roi Lunus. Donne-moi promptement l’un et l’autre objet avec le char, qui porte un singe pour emblème. 8177.

» Le fils de Kountî, armé de Gândlva, et le Vasoudévide avec le tchakra doivent accomplir un bien grand exploit : donne-moi cela dans l’instant même. » 8178.

« Mon refus est impossible ! » répondit au feu Varouna, qui lui donna les deux carquois impérissables et cette perle des arcs, merveilleuse, d’une grande force, l’accroissement de la renommée et de la gloire, invincible à toutes les armes, brisant toutes ses rivales, inspirant l’audace en présence des armées ennemies, souveraine de toutes les armes, unique, égale à cent mille arcs, pouvant augmenter un empire, admirable, embellie de couleurs variées, délicatement travaillée, sans défaut, honorée des années étemelles chez les Gandharvas, les Dânavas et les Dieux ! 8179-8180-8181-8182.

Il donna aussi le char, ayant pour insigne un incomparable singe, attelé de chevaux célestes, traîné par des coursiers d’argent aux guirlandes d’or, nés chez les Gandharvas,

Semblables aux nuées blanches, égaux en rapidité au vent ou à la pensée ; ce char, muni de tous les auxiliaires du courage, que n’auraient pu vaincre les Dânavas ni les Dieux mêmes, 8183-8184.

Lumineux, roulant avec fracas et ravissant l’âme par toutes les espèces de pierres fines ! Le Pradjâpati Bhaâumana, le seigneur du monde, l’avait créé par une sainte pénitence : c’est monté dans ce char, dont la beauté indescriptible égalait celle du soleil, que l’auguste Lunus avait jadis vaincu les Dânavas. 8185-8186.

Égaux en armes à Çakra même, les deux héros montèrent dans le char sans pareil, semblable aux nuées nouvelles et, pour ainsi dire, flamboyant de beauté. 8187.

La hampe du drapeau était d’or, magnifique, éblouissante : elle était surmontée d’un singe céleste, insigne du roi des rois. 8188.

Il se tenait sur la tête des héros, comme s’il avait envie lui-même d’incendier : sur le champ du drapeau étaient peints divers grands animaux. 8189.

À peine ont-elles entendu le bruit de ses roues, la connaissance expire dans l’âme des armées ennemies. Après qu’il eut décrit un pradakshina autour de ce char nompareil, embelli par maint et maint drapeau, et qu’il se fut prosterné en l’honneur des Dieux, 8190.

Le fils de Kountî armé, revêtu de la cuirasse, ceint du cimeterre, ganté de la manique, défense de ses doigts, monta, comme un saint, sur le char du ciel. 8191.

Brahma lui-même avait jadis fabriqué Gândîva, l’arc divin, le plus victorieux des arcs. Ce don ravit Arjouna au comble de la joie. 8192.

Ensuite, quand il eut fait prendre la première place au Feu, le vigoureux Arjouna saisit l’arc et, mettant sa force en jeu, il fixa le bout de la corde à l’extrémité de l’arme.

Au moment qu’il banda l’arc, l’âme de ceux, qui en entendirent le son, fut émue d’épouvante. 8193-8194.

Dès qu’il eut reçu le char, l’arc et les deux carquois indestructibles, le fils de Kountî, plein de joie, fut prêt à consommer l’exploit. 8195.

Le Feu donna au Vasoudévide un disque à l’ombilic de diamant avec le Trait-du-feu, son arme chérie, et Krishna fut également prêt au combat. 8196.

Agni de lui parler en ces termes : « Avec cette arme, meurtrier de Madhou, tu vaincras en bataille, ce n’est pas douteux, les êtres mêmes, qui ne sont pas de la race humaine. 8197.

» Avec elle, tu seras supérieur dans les combats aux hommes, aux Rakshasas, aux Piçâtchas, aux Daîtyas, aux Nâgas et même aux Dieux. 8198.

» Tu seras incomparable, il n’y a nul doute, pour donner la mort. Chaque trait, que tu lanceras, Mâdhava, au milieu des ennemis sur le champ de bataille, reviendra lui-même dans ta main, rougi par le sang de l’adversaire, qu’il aura tué dans le combat sans aucune résistance. »

L’auguste Varouna lui donna une massue, bruyante comme le tonnerre, infligeant la mort aux Daîtyas et nommée Kaâumaudakî. 8199-8200.

Alors, pleins de joie, Arjouna et l’immortel Atchyouta, tous deux consommés dans la science des astras, ayant obtenu des flèches, un char et même un drapeau, adressèrent au Feu ces paroles : 8201.

« Nous sommes prêts à combattre, Vénérable tous les Asouras et les Dieux ; combien plus un seul Indra, à qui le salut d’un serpent fait désirer la guerre ! » 8202.

Arjouna dit :

« Quand le vigoureux Hrishîkéça se promène, son tchakra à la main, dans une bataille, il réduit en cendres, le robuste guerrier ! tout ce que frappe son disque lancé ! » Il n’est rien dans les trois mondes, que ne puisse faire, Djanârdana ! » 8203-8204.

» Portant l’arc Gândîva et les deux indestructibles carquois, je puis vaincre, Agni, tous les mondes en bataille ! 8205.

» Tandis que nous empêcherons de tous côtés les secours, brûle aujourd’hui même, seigneur, ce grand bois à ton aise, nous voici prêts à consommer cet exploit ! »

À ces mots, que lui adressaient le Dâçârhain et le Pândouide, le vénérable Feu, prenant une forme toute flamboyante, se mit à incendier la forêt. 8206-8207.

Les secours empêchés de toutes parts, le Feu, vomissant des flammes, dévorait le bois du Khândava, offrant aux yeux, pour ainsi dire, le spectacle de la fin d’un youga. 8208.

Il s’empare de la forêt, il entre dans le bois, puisant Bharatide ; il jette la peur en tous les êtres avec son bruit semblable au tonnerre des nuages. 8209.

Les formes de ce bois en flammes ressemblaient k celles du Mérou, le roi des montagnes, inondé par les rayons du soleil. 8210.

Ces deux vaillants conducteurs de chars, se plaçant avec leurs chars aux deux côtés du bois, firent dans tous les points de l’espace un vaste carnage d’animaux. 8211.

Les deux héros se précipitaient de quelque côté qu’ils vissent fuir des êtres animés, hôtes du Khândava. 8212.

Ces guerriers ne voyaient pas le moindre espace laissé ouvert entre les deux chars, à la course rapide : tant ces deux incomparables véhicules ressemblaient à deux flèches, que les arcs ont décochées ! 8213.

Tandis que la flamme ravageait le Khândava, les animaux s’élançaient de tous les côtés en troupes de cent à la fois hors de leurs tannières, en poussant des cris épouvantables. 8214.

Un grand nombre n’avait qu’une partie du corps atteinte, les uns étaient brûlés partout, les autres aveuglés, ceux-ci paralysés, ceux-là tout ravagés. 8215.

Les uns tenant leurs fils embrassés, ceux-là serrant leurs pères, ceux-ci leurs frères, ils ne pouvaient dans leur tendresse les abandonner et succombaient avec eux à la mort, 8216.

On en voyait par troupes, qui sautaient hors du feu, en grinçant les dents ; mais, tout chancelants dans leur marche, ils retombaient dans le brasier. 8217.

On voyait çà et là des animaux périr, les pieds, les yeux, les ailes brûlés, se roulant sur le sol de la terre. De tous les côtés, on voyait des tortues inanimées et des poissons cuits dans les étangs, que l’incendie avait mis à sec. 8218-8219.

Revêtus comme de nouveaux corps enflammés, les animaux, dans la perte de leur vie, ressemblaient à des Agnis incarnés au milieu de cette forêt. 8220.

Le Prithide coupait en morceaux avec ses flèches les oiseaux à l’instant qu’ils prenaient leur volée et les faisait retomber dans le feu allumé. 8221.

Ceux-là parvenaient à s’élancer d’un vol rapide au sein des airs en poussant de grands cris ; mais ils retombaient dans le Khândava, tous les membres hérissés de flèches. On entendait un bruit épouvantable des habitants de ce bois abattus par bandes sous les traits aigus : tel fut jadis le fracas de l’océan baratté. 8222-8223.

Les grandes flammes du feu allumé s’élevaient dans les airs et jetaient une immense terreur au sein des habitants du ciel. 8224.

Insupportablement brûlés par ces flammes, tous les Dieux, magnanimes hôtes des cieux, mettant les rishis à leur tête, s’en vont trouver le Dieu aux mille regards, le souverain des Dieux, Çatakratou, l’immortel vainqueur des Asouras. 8225.

« Pourquoi, seigneur, lui dirent-ils, tous ces enfants de Manou sont-ils brûlés par le feu ! Est-il un endroit des mondes, où n’atteindra point la destruction ? » 8226.

À ces paroles d’eux, le meurtrier de Vritra, le Dieu aux coursiers verts tourna ses regards vers le Khândava et s’avança pour le sauver. 8227.

Vâsava, le roi des Souras, couvrit aussitôt l’atmosphère d’une grande multitude de nuages aux formes variées et répandit les torrents de sa pluie. 8228.

Le monarque des Dieux versa des gouttes aussi grosses que le globe de l’œil par centaines de mille et poussa les nuées vers le Khândava. 8229.

Mais la chaleur du feu neutralisa les gouttes de la pluie et, s’évaporant au sein des airs, elles ne tombèrent pas même sur le brasier. 8230.

Violemment irrité contre le feu, le meurtrier de Namoutchi versa de nouveau les eaux comme un déluge avec de plus grands nuages. 8231.

Au milieu de ce mélange des pluies et des flammes, He ces éclairs sillonnant la fumée, le bois, troublé par le fracas des tonnerres, offrait un aspect épouvantable. 8232.

Déployant les plus puissants des astras, Bîbhatsou, le fils de Pândou, arrêta ces pluies d’eau avec une pluie de flèches. 8233.

Telle que la lune couvre la terre de gelée blanche, tel le Pândouide à l’âme infinie couvrit de ses flèches nombreuses toute la forêt Khândava. 8234.

Nul être, quel qu’il fût, ne put sortir de sa retraite dans le temps que l’Ambidextre tenait obstrué l’air des flèches, que décochait son arc. 8235.

Mais Takshaka, le vigoureux monarque des serpents, n’était pas là. À peine avait-il vu incendier sa forêt qu’il était passé dans le Kouroukshétra. 8236.

Là, se trouvait le fils de Takshaka, le robuste Açvaséna, qui, pour se sauver du feu, mit en œuvre les plus violents efforts. 8237.

Il ne put sortir, empêché par les traits d’Arjouna : sa mère, fille d’un serpent, l’avala pour le sauver. 8238.

D’abord, elle absorba la tête, et la queue suivit. Quand elle eut avalé son fils, la serpente se mit en route avec le désir de sauver sa géniture. 8239.

Le Pândouide lui coupa la tête dans sa marche avec une flèche acérée au large tranchant sous les yeux mêmes d’Indra, l’époux de Çatchî. 8240.

Le Dieu, qui tient la foudre, avait envie de sauver Açvaséna ; il suscita donc une bourrasque de vent, qui frappa de stupeur l’esprit du Pândouide ; et le serpent de s’échapper au même instant. 8241.

À la vue de cette effrayante magie, le fils de Pândou, frustré du serpent, se mit à couper en deux et en trois les êtres animés, qui volent dans les airs. 8242.

Bîbhatsou, le Feu et le Vasoudévide lancèrent tous sur le tortueux reptile cette malédiction : u Tu n’auras aucune renommée ! » 8243.

Djishnou inonda ensuite le Dieu aux mille yeux de ses flèches au vol rapide et le combattit avec la colère, que lui inspirait le souvenir de cet artifice. 8244.

À la vue du courroux, dont brûlait Arjouna, le roi des Dieux recourut à son formidable astra et couvrit le ciel entièrement. 8245.

Un vent au vaste fracas souleva toutes les mers et dans les airs, où il régnait, fit naître des nuages, remplis d’eaux pluvieuses, 8246.

Et d’épouvantables nuées, où les éclairs de la foudre se mêlaient à la voix du tonnerre. Arjouna d’opposer un astra victorieux à celui de son ennemi. 8247.

Habile pour l’action et possédant une multitude de forces, il enchanta le Trait-du-Vent, qui détruisit l’astra des nuées tonnantes, décoché par le céleste Indra. 8248.

Les nuages manquèrent d’eau, les éclairs s’éteignirent et dans un instant l’obscurité la plus épaisse devint un ciel serein. 8249.

Rendu à son état naturel, le disque du soleil reparut, accompagné d’un vent frais et doux ; le feu, ne trouvant plus d’obstacle, reprit joyeux ses aspects variés. 8250.

Arrosé avec les torrents de moëlle sortis du corps des animaux, il vomit de nouveau ses flammes, remplissant le monde de ses bruits. 8261.

À la vue de leur bois, que défendent les deux Rrishnas, les volatiles, Souparna à leur tête, s’élancent avec fierté au milieu des airs. 8252.

Impatient de combattre avec des ailes, un bec et des serres telles que la foudre, Garouda accourut du ciel vers les deux héros ; 8258.

Et les foules des reptiles, vomissant un affreux poison, tombèrent, la gueule enflammée, près du fils de Pândou.

Le Prithide leur trancha la tête avec ses flèches trempées dans le feu de sa colère, et les reptiles entrèrent dans le feu allumé pour l’anéantissement de leurs corps. 8254-8255.

Alors les Asouras, les Gandharvas, les Yakshas, les Rakshasas et les Pannagas s’élancèrent tous, brûlants de combattre et poussant des rugissements incomparables. Armés de bhouçoundîs, de pierres, de tchakras, de kanapas en fer, la fureur doublant leur force, ils fondirent, les bras levés, sur Krishna et le Prithide, avec l’impatience de tuer. 8256-8257.

Bibhatsou de ses flèches aiguës trancha les membres supérieurs de ces monstres, jetant d’épouvantables cris et semant un grêle de projectiles. 8258.

Krishna à la bien grande splendeur fit avec son tchakra destructeur des ennemis un vaste carnage des troupes de Daîtyas et de Dânavas. 8259.

Blessés, ceux-ci par les flèches, ceux-là par le disque impétueux, les Démons, arrivés près de ces deux héros, s’arrêtent comme sur une berge escarpée. 8260.

Ensuite, monté sur son éléphant blanc, le souverain maître des Dieux, Çakra, bouillant de colère, fondit sur les deux guerriers. 8261.

Il saisit promptement son tonnerre, qu’il décoche avec l’astra de la foudre : « Les voici morts ! » dit aux Dieux le meurtrier des Asouras. 8262.

Aussitôt qu’ils virent le monarque des Dieux lever sa grande foudre, les Souras d’empoigner toutes leurs armes, chacun de saisir les siennes. 8263.

Le roi Yama prit le bâton de la mort, Kouvéra sa massue, Varouna son lacet et sa foudre multicolore. 8264.

Kârttikéya empoigne sa lance de fer et se tient immobile, aussi ferme que le mont Mérou ; les deux Açwins eux-mêmes arment chacun sa main de simples enflammés. 8265.

Dhâtri empaume son arc et Djaya son pilon, Twashtri à la grande force enlève une montagne. 8260.

Ança prit son trident, le Dieu Mrityou sa hache ; Aryaman se promena, armé de son épouvantable massue. Mitra dans une attitude résolue, monarque des hommes, s’était armé d’un tchakra aux bords tranchants comme le rasoir. Poushan, Bhaga en courroux et Savitri 8267-8268.

Fondirent, l’arc en main et le cimeterre au cou, sur Krishna et le fils de Kountî. Les Roudras, et les Vasous, et les Maroutes à la grande force, 8269.

Et les Viçvadévas, el les Sâdhyas, enflammés d’une splendeur naturelle, ces Dieux et d’autres en grand nombre, désirant tuer les deux plus vaillants des hommes, s’avancèrent avec des armes diverses contre le fils de Kountî et Krishna. 8270.

On vit dans cette grande bataille de merveilleux présages, jetant une folie d’épouvante au milieu des êtres, et tous d’une forme semblable à celle des augures, qui annoncent la fin d’un Youga. 8271.

À la vue de Çakra en courroux avec les Dieux, les deux Atchyoutas, sans peur, inaffrontables sur le champ de bataille, restèrent de pied ferme, l’arc bandé à la main. Irrités alors, les deux héros, habiles dans les combats, de tirer sur les Dieux, qui s’avançaient, et de les percer avec des flèches pareilles à des tonnerres. 8272-8273.

Plus d’une fois la terreur fit abandonner la bataille aux Dieux, qui, la résolution brisée, se réfugiaient en foule vers Indra. 8274. •

À cet aspect de Mâdhava et d’Arjouna, qui seuls tenaient arrêtées les troupes des Dieux, les anachorètes, habitants du ciel, vinrent là contempler cette merveille. 8275.

Çakra plus d’une fois reconnut dans le combat quelle était la bravoure de ces deux guerriers, il en ressentit la plus vive joie et renouvela contre eux la bataille. 8276.

Comme il avait envie de connaître encore mieux la vaillance de l’Ambidextre, le Dieu, qui opère la maturité, fit pleuvoir une immense averse de pierres. 8277.

Mais, bouillant de colère, Arjouna de repousser la tempête à coups de flèches ; et, quand il vit échouer son épreuve, Çatakratou, 8278.

Le Dieu, qui hâte la maturité, ajouta de nouvelles forces à l’ouragan. 8279.

Néanmoins, avec ses flèches d’une extrême vitesse, le fils de l’Immortel, qui préside à la maturité, fit rentrer dans le néant cette averse de cailloux, et réjouit ainsi le cœur de son père. 8280.

Ensuite, arrachant de ses mains une grande cime du Mandara, hérissée d’arbres, Çakra de lancer cette masse pour le tuer sur le fils de Pândou. 8281.

Mais Arjouna avec des flèches rapides, flamboyantes, volant droit au but, rompit en mille fragments le sommet de montagne. 8282.

La richesse de cette alpe resplendit alors en se brisant, comme si le ciel venait à se briser lui-même et semait çà et là ses planètes, sa lune et son soleil. 8283.

Beaucoup d’êtres animés, habitants du Khândava, furent tués par la chûte de cette grande cîme, qui semblait toute la montagne elle-même s’écroulant sur la forêt. 8284.

Aussitôt troublés, épouvantés par la chûte de cette alpe, s’enfuirent de tous côtés les hôtes du Khândava, Dânavas, Rakshasas, Nâgas, hyènes, ours, singes, éléphants en rut, tigres, lions à la flottante crinière, et autres enfants des animaux. 8285-8280.

D’autres immobiles, comme s’ils étaient environnés par le bruit d’un tremblement de terre, regardaient à la fois et la forêt et les deux Krishnas, les armes levées.

Voyant l’incendie du bois, qui, plusieurs fois éteint, recommençait de nouveau, et Krishna, ses armes levées, ils se mirent à pousser des cris éclatants. 8287-8288.

Au bruit de ces clameurs, au bruit épouvantable du feu, le ciel entier mugissait, comme si des nuages tonnants eussent monté dans l’atmosphère. 8289.

Ensuite Krishna aux longs bras, aux grands cheveux, lança pour leur mort son disque terrible, vaste, enflammé d’une lumière innée. 8290.

Maltraitées par lui, ces races impures, les rôdeurs de nuit et les Dânavas, tombèrent mutilés par centaines tous dans un instant au milieu des flammes. 8291.

Là, déchirés par le disque acéré de Krishna, les Dattyas, inondés de leur moëlle et de leur propre sang, ressemblaient aux nuages, à l’heure du crépuscule. 8292.

Alors, fils de Bharata, le rejeton de Vrishni s’avançait comme la Mort, en immolant par milliers les Vampires, les oiseaux, les reptiles et les quadrupèdes. 8293.

Ce disque lancé et relancé de Krishna, le meurtrier des ennemis, revenait de lui-même à chaque fois dans sa main, après qu’il avait ravi l’existence à beaucoup d’êtres.

Aussi la forme de cette arme, tuant les Vampires, les serpents infernaux et les Démons, n’offrait-elle plus aux regards que la forme épouvantable de l’âme de toutes ces créatures. 8294-8295.

De tous les Dieux réunis, il n’y en eut absolument pas un, qui sortît vainqueur de ce combat, livré au Vasoudévide et au fils de Pândou. 8256.

Les Souras, n’ayant pu ni défendre le bois contre leur puissance, ni éteindre l’incendie, tournent le dos pour la fuite. 8297.

À la vue des Immortels en déroute, Çatakratou, sire, en goûta de la joie et vanta l’héroïsme de Kéçava et d’Arjouna. 8298.

Les Dieux en fuite, une voix, non formée dans un corps, s’adressant au Dieu des cent sacrifices, lui dit avec un son immense et profond : 8299.

« Takshaka, ton ami, le plus grand des serpents, ne fut pas tué ! Car au moment, où le Khândava fut incendié, il était passé dans le Kouroukshétra. 8300.

» Apprends-le de ma bouche, fils de Vasou, une victoire n’est possible d’aucune manière dans un combat sur le Vasoudévide, ni même Arjouna. 8301.

» Ils ont du courage, ils ont de l’héroïsme : ta majesté le sait déjà. Qu’elle sache aussi qu’ils sont les Dieux primitifs, Nara et Nârâyana, célèbres dans les cieux. 8302.

» On ne peut vaincre même dans les trois mondes ces Dieux antiques, les plus grands des saints, inaffrontables, invaincus dans la guerre. 8303.

» Personne ne mérite au plus haut degré les hommages des Pannagas, des Kinnaras, des hommes, des Gandharvas, des Rakshasas, des Yakshas, de tous les Démons et de tous les Dieux mêmes. 8304.

» Veuille donc t’éloigner d’ici avec les Souras, sans plus t’inquiéter du Khândava, que les Destins condamnent à périr. » 8305.

Elle dit ; et, cette parole à peine entendue, le souverain des Immortels, déposant le ressentiment et la colère, s’achemine aussitôt vers le ciel. 8306.

Les habitants des cieux, sire, l’ayant vu partir, de suivre tous, accompagnés de l’armée, le magnanime Pourandara. 8307.

Alors que le Vasoudévide et Arjouna virent le roi des Immortels s’éloigner du champ de bataille avec les Dieux, ces deux héros de pousser le cri de victoire. 8308.

Le roi des Dieux enfui, sire, Arjouna et le Dieu chevelu, transportés de joie, incendient le bois à leur gré.. 8309.

Tel que le vent dissipe les nuages, tel Arjouna fit disparaître sous la multitude de ses flèches les Dieux et tous les êtres vivants, hôtes du Khândava. 8310.

Nul être, quel qu’il fût, ne put sortir de sa retraite, enseveli sous les traits, que décochait l’Ambidextre. 8311.

Aucun des plus grands animaux ne pouvait regarder Arjouna sur le champ de bataille ; combien moins engager un combat avec ce héros, de qui la flèche n’était jamais vaine ! 8312.

Il perçait avec un cent de flèches une centaine de volatiles, qui tombaient dans le feu, comme si la mort en personne les eût elle-même frappés. 8313.

Ils ne trouvaient la paix, ni sur les rivages des fleuves, ni sur le bord des précipices ; et la joie ne pouvait naître dans les habitations, ni des Dieux, ni des Mânes. 8314.

Les nombreuses bandes consternées des êtres poussaient de grands cris, les éléphants barettaient, les hyènes rugissaient, les gazelles bramaient. 8315.

Ce bruit confus, au son duquel tremblaient les habitants du ciel et les troupes des Vidyâdharas, alla porter l’effroi dans leurs demeures aux poissons, qui parcouraient les eaux de la Gangâ. 8316.

Personne, monarque aux longs bras, ne pouvait arrêter ses yeux sur Arjouna ; personne n’aurait pu lever ses yeux sur le noir Djanârdana ; à plus forte raison n’eussent-ils pu soutenir un combat avec eux ! 8317.

Quelque attention qu’ils pussent apporter, tous ils tombaient là : Hari sous le disque tranchant abattait les Nâgas, les Rakshasas et les Démons. 8318.

Les uns aux grands corps tombaient, le corps déchiré, la tête fendue, par le tchakra impétueux, dans le feu allumé. 8319,

Rassasié avec des torrents de moëlle, de sang et de graisse, le feu, se dégageant de la fumée, promena ses flammes au-dessus de l’atmosphère. Ses yeux flamboyants, sa langue enflammée, son grand visage tout enflammé, sa chevelure hérissée en flammes, ses yeux du rouge passant au noir, le Feu, buvant la moëlle des êtres animés, s’enivrant de la soudhâ, que lui procuraient Arjouna et Krishna, fut rassasié, joyeux et parvint au comble de la satisfaction. 8320-8321-8322.

Le meurtrier de Madhou vit alors Maya, l’Asoura, qui, d’une course rapide, s’enfuyait du palais de Takshaka.

Le Feu, de qui le char est conduit par le Vent, le feu, revêtu d’un corps, ayant le djatâ d’anachorète, parlant comme le nuage avec la voix du tonnerre, réclama le fuyard, qu’il avait envie de brûler ; 8323-8324.

Et le Vasoudévide, affermissant le pied, leva son disque pour le tuer. À la vue de Krishna, tenant son tchakra levé, et du Feu, manifestant son envie de le consumer. 8325.

Maya de courir, s’écriant : « Arjouna, sauve-moi ! » — « Ne crains pas ! » répondit Phâlgouna à ce cri d’épouvante. 8326.,

M Tu n’as rien à craindre ! » lui répéta le Prithide, ouvrant son âme à la pitié et le ressuscitant à la vie, pour ainsi dire, avec cette parole, fils de Bharata. 8327.

Quand le fils de Prithâ eut ainsi garanti ses jours, le Vasoudévide n’eut plus aucune envie de le tuer, et le Feu ne le brûla point. 8328.

L’intelligent Agni, qu’Arjouna et Krishna défendaient contre le Dieu, qui hâte la maturité, employa dix jours, auxquels furent ajoutés cinq autres, à consumer cette forêt. 8329.

Il y eut six êtres, que le feu ne brûla pas dans l’incendie du bois : Açvaséna, Maya et les quatre huppes. 8330.

Djanamédjaya dit :

« Pourquoi, dans cette conjoncture, le feu ne brûla-t-il point les huppes au milieu du bois incendié ? Racontemoi cela, brahme. 8331.

» Tu m’as dit quelle cause avait défendu contre le feu Açvaséna, le bois et Maya : mais tu ne m’as pas dit pour quelle raison furent sauvées les huppes. 8332.

» Ainsi conte-moi, deux fois né, le merveilleux salut de ces oiseaux. Comment n’ont-ils pas trouvé la mort dans la tourmente du feu ? » 8333.

Vaîçampâyana répondit :

« Je vais donc le raconter sans rien omettre, dompteur des ennemis, comment il est arrivé que le feu n’a point brûlé les huppes dans cette conjoncture. 8534.

Il y eut un grand saint, voué à la pénitence, versé dans les Védas, et qui surpassait de beaucoup les plus instruits des hommes dans la science des devoirs : il se nommait Mandapâla. 8335.

Entré dans la voie des rishis adonnés à la continence, c’était, sire, un ascète, victorieux des sens, consommé dans la sainte écriture et trouvant sa joie dans la vertu. 8336.

Après qu’il eut abordé à la rive ultérieure de la pénitence, il abandonna son corps et s’en alla dans le monde des Mânes ; mais il n’y trouva pas, rejeton de Bharata, la récompense, qu’il avait espérée. 8337.

Quand il vit stériles pour lui ces mondes, conquête de sa pénitence, il en demanda la cause aux habitants du ciel, qui formaient la cour du Roi des morts : 8338.

tt Pourquoi les mondes, que ma pénitence a conquis, me sont-ils voilés ? dit Mandapâla. Ai-je omis de faire une œuvre, dont ils sont la récompense ? 8339.

» Pourquoi ce fruit de ma pénitence ne se montre-t-il point à mes yeux ? Dites-m’en la cause, habitants du ciel : je vais y remédier ici. » 8340.

« Écoute, brahme, comment les hommes acquittent leur dette, répondirent les Dieux. C’est avec des cérémonies, la continence, une postérité : il n’y a là aucun doute.

» Tout est donc payé par le sacrifice, la pénitence et des fils. Tu es un ascète, tu as célébré des sacrifices ; mais il te manque des fils. 8341-8342.

» Ces mondes te sont voilés à cause des fils, que tu n’as point : deviens père et tu jouiras ainsi des mondes supérieurs. 8343.

» Le fils, c’est-à-dire, un mâle, poun, sauve, tra, son père du Narâka : c’est de là que vient, dit-on, le nom de poutra. Efforce-toi donc, ô le plus vertueux des brahmes, efforce-toi de mettre un fils au monde. » 8344.

À peine eut-il entendu ce langage des habitants du ciel, Mandapâla se mit à songer : « Où pourrai-je obtenir bientôt de nombreux fils ? » 8345.

Ses réflexions faites, il s’en alla trouver des oiseaux, qui ont un bien grand nombre d’enfants, et, s’étant revêtu des formes de la huppe[25], il s’accoupla avec une huppe, nommée Djaritâ, 8846.

Et devint père en elle de quatre fils, interprètes des Védas. Puis, l’anachorète, ayant abandonné en ce lieu même avec leur mère ses enfants, à peine sortis de la coquille, se tourna vers une perruche[25]. Quand l’éminent hermite eut convolé à de nouvelles noces avec elle dans ce bois, rejeton de Bharata, 8347-8548.

La volatile délaissée, pleine de tendresse pour ses fils, songea long-temps : « Les saints, nés dans les œufs, que mon époux abandonna, ne méritaient par cet abandon ! »

Et Djaritâ, affligée du malheur de ses enfants, ne voulut pas les abandonner dans la forêt Khândava. 8349.

Tourmentée de sa tendresse naturelle, elle nourrit seule de ses recherches la couvée nouvelle éclose. Ensuite, retournant avec sa perruche dans la forêt Khândava, le rishi Mandapâla y rencontra le Feu, qui venait brûler ce bois. 8350.

Le grand saint devina la pensée de ce vigoureux soutien du monde ; et, voyant la faiblesse de ses jeunes poussins, le brahme, d’une voix émue par le danger de ses fils, se mit à exalter l’Être, de qui la bouche enfanta les Védas : 8351-8352.

« Agni, s’écria-t-il, tu es la bouche de tous les mondes ; tu es l’exclamation Vat, par où commence l’offrande aux Dieux ; tu es la fin de tous les êtres ; tu circules, Feu, invisible aux yeux. 8353.

» Les chantres saints te proclament unique ; tu es, ajoutent-ils, de trois sortes : en t’allumant huit fois, ils ont préparé le char du sacrifice. 8354.

» C’est toi, disent les rishis du plus haut rang, qui as créé cet univers ; sans toi, à l’instant même périrait le monde entier ! 8355.

» Après qu’ils ont adressé à toi l’adoration, les brahmes entrent avec leurs épouses et leurs fils dans la voie éternelle, que leurs œuvres ont conquise. 8350.

» C’est toi, dit-on, Agni, qui es les nuages suspendus au milieu des airs avec les éclairs : sorties de toi, les flammes brûlent tous les êtres ! 8357.

» Ce grand Tout fut créé par toi, père des Védas à la splendeur immense : tout ce qui existe, mobile ou immobile, est déclaré ton ouvrage ! 8358.

» Les eaux furent jadis créées en toi ; ce monde entier demeure en toi ; en toi résident véritablement l’offrande aux Mânes et l’oblation aux Immortels. 8359.

» Dieu, tu es Dahana, tu es Dhâtri, tues Vrihaspati, tu es le couple jumeau des Açwins, tu es le soleil, tu es la lune, tu es le feu ! » 8360.

Ainsi loué par Mandapâla, Agni fut alors satisfait, sire, du solitaire à la splendeur infinie : 8361.

« Quelle chose, objet de ton désir, ferai-je pour toi ? » lui dit-il d’une âme joyeuse ; et Mandapâla, joignant ses mains au tempes, répondit au messager de l’offrande ; « Au temps, où tu incendieras le bois Khândava, épargne mes fils ! » 8362.

« Soit ! » reprit le vénérable Agni ; et, quand il eut fait cette promesse, le Feu déploya ses flammes avec le désir de brûler tout dans le Khândava, sauf cette exception.

Tandis que flamboyait l’incendie, les quatre huppes, agitées par l’épouvante, troublées au plus haut degré, plongées dans la plus amère douleur, ne trouvaient nulle part un asile. 8363-8364.

À la vue de ses fils encore tout nouveaux nés, la pénitente Djaritâ, leur mère, vivement affligée, bien tourmentée du chagrin de ses enfants, se mit à exhaler ces plmntes : 8365.

« Voici le feu, qui s’approche d’ici, consumant la forêt sèche, mettant le monde en flammes, terrible, épouvantable, accroissant ma douleur. 8366.

» Ces petits me déchirent l’âme. Privés encore d’intelligence, sans queue, le pied incapable de marcher, ils ne peuvent rien sans nous, qui sommes avant eux dans la vie. 8367.

» Voici le feu, qui s’avance, jetant la terreur, léchant les arbres ; et mes fils, à qui les ailes ne sont pas encore nées, ne peuvent me suivre dans ma fuite ! 8368.

» Si je prends mes fils, je ne pourrai me sauver moi-même, et je ne puis les abandonner ! Mon cœur est bouleversé comme par la tempête. 8369.

» Qui abandonnerai-je de mes fils ? ou qui emporterai-je avec moi dans ma fuite ? Que ferai-je dans ce qui est à faire ? Ou quel est votre avis, mes enfants ? 8370.

» En vain je pense aux moyens de vous sauver, je n’en trouve aucun nulle part : eh bien ! je vous couvrirai de mon corps, et je mourrai du moins avec vous ! 8371.

» Cette famille est fondée par le droit d’aînesse sur Djaritâri ; que Sârisrikwa, incrément de la race de nos ayeux, engendre des fils ; que Stambamitra se voue à la pénitence, et que Drona soit le plus savant des hommes instruits dans les Védas ? » C’est après de telles paroles que votre père jadis nous a quittés sans pitié. 8372-8373.

» Avec qui pourrais-je m’en aller, l’emportant avec moi, accablée de la plus cruelle infortune ? Que ferai-je qui soit ce qui est à faire ? » C’est ainsi quelle parlait dans son trouble ; mais elle n’entrevit pas avec l’œil de son intelligence le moyen de sauver ses enfants de l’incendie.

À ces mots les huppes de répondre à leur mère : « Dépose ton amour et vole, mère, là où le feu n’est pas.

» Nous morts, tu auras de nouveaux enfants ; mais, si tu péris, avec toi meurent toutes les générations à venir de ta race. 8374-8375-8376.

» Considère l’une et l’autre chose, mère, et pense que, pour faire ce qui doit amener le bien de notre famille, il n’est rien de mieux que l’instant présent. 8376-8377.

» Ne force pas ton amour à s’égarer jusque sur nos fils. C’est en effet de cette manière que, dans son aspiration aux mondes supérieurs, l’œuvre de notre père, aura pu atteindre son but. »

« Entrez vite au fond de ce trou, qu’un rat a creusé près de cet arbre dans la terre ; là, vous n’aurez point à craindre le feu, répondit Djaritâ. 8378-8370.

» Vous entrés, je cacherai avec de la poussière l’ouverture de la cavité ; cet obstacle, mes fils, vous défendra, je pense, contre les flammes de l’incendie. 8380.

» Aussitôt le feu éteint, je reviendrai écarter ce tas de poussière. Approuvez ce dessein pour vous sauver du feu. »

« Le rat est un carnassier, reprirent les huppes ; il nous tuera, nous petits êtres sans queue, un composé de chair : nous ne pouvons donc entrer là, où nous avons ce danger en perspective. 8381-8382.

» Comment le feu ne nous brûlera-t-il, comment le rat ne nous mangera-t-il pas ? Comment notre père aura-t-il atteint son but ? Comment notre mère échappera-t-elle à la mort ? 8383.

» La mort est dans le trou sous la forme du rat ; dans les airs, nous la trouvons sous la forme du feu ; ces deux choses mises en balance, mieux vaut périr dans les flammes qu’être mangé. 8384.

» Servir de mets à un rat dans son trou est une mort honteuse ; mais les Çâstras nous enseignent l’abandon volontaire de son corps au feu d’un bûcher. » 8385.

Djaritâ dit :

« Un faucon a saisi le rat au moment qu’il sortait de ce trou ; il s’en est allé, emportant le vil animal dans ses serres : vous n’avez donc plus à craindre ce danger. » 8386.

« Nous n’avons pas vu le rat enlevé par le faucon, répondirent les huppes ; peut-être il en reste d’autres : nous courons avec eux le même danger. 8387.

» Le danger par le feu est douteux, car il peut arriver que le vent change, c’est évident : mais dans ce trou la mort est certaine par les rongeurs, qui l’habitent. 8388.

» Mère, on doit préférer une mort douteuse à une mort certaine : prends ton vol dans les airs, où la raison t’appelle ; tu obtiendras un jour des fils plus heureux ! » 8389.

« J’ai vu, mes fils, reprit Djaritâ, ce faucon à la grande force, l’éminent oiseau, s’en aller, emportant le rat saisi hors de son trou. 8390.

» J’ai suivi de toute ma hâte par derrière l’autour, qui volait d’une grande impétuosité, et j’ai comblé de ces bénédictions l’oiseau, qui avait enlevé le rongeur de sa retraite : 8391.

« Tu précipites ton vol, roi des faucons, emportant notre ennemi ; monte dans les cieux ! sois fait d’or et sans ennemis ! » 8302.

» Après que le faucon eut mangé le rat, j’ai pris seulement alors congé du grand volatile et je suis revenue à mon nid. 8393.

» Entrez donc, mes fils, dans ce trou sans défiance ; il n’y a là aucun danger pour vous : le rat fut enlevé sous mes yeux par le magnanime faucon. » 8394.

Les huppes lui répondirent :

« Mais nous, mère, nous n’avons pu voir d’aucune manière le faucon emporter ce rat : n’ayant point appris ce fait par nos yeux, nous ne pouvons entrer dans ce trou de la terre. » 8395.

Djaritâ de repartir ;

« N’ai-je pas vu, moi, le rat, que le faucon emportait ! il n’y a donc ici, mes fils, nul danger pour vous. Faites ce que je vous dis. » 8390.

« Tu ne saurais nous guérir de la peur avec ces vains témoignages, répliquèrent les huppes ; car la raison n’agit plus en des âmes troublées. 8397.

» Il nous est impossible de te prêter secours et tu n’as pas sondé quel fardeau nous sommes. Quelle mère, accablée déjà par elle-même, pourrait nous porter ? Qu’es-tu comparativement à nous ? 8398.

» Tu es jeune, tu es charmante à voir, tu peux allumer le désir au cœur d’un mari : va trouver ton époux, mère ; tu obtiendras de beaux enfants ! 8399.

» Nous, en passant par le feu, nous arriverons aux mondes fortunés ; ou, si le feu nous épargne, tu reviendras auprès de nous ? » 8400.

À ces mots, la huppe, abandonnant ses fils dans le Khândava, s’enfuit à tire d’ailes vers une plage heureuse, où le feu ne portait pas ses ravages. 8401.

Ensuite l’incendie, hâtant sa marche, arriva avec ses flammes dévorantes au lieu où se tenaient les jeunes huppes, fils de Mandapâla. 8402.

Les petits volatiles virent les flammes s’étaler autour d’eux, et Djaritâri fit alors entendre ce langage au Feu :

« L’homme sage prévoit le malheur avant qu’il ne soit arrivé, et, quand survient l’infortune, son âme ne tombe jamais dans le trouble. 8403-8404.

» L’homme sans raison, qui n’a pas gardé le souvenir de l’infortune éprouvée, est tout bouleversé au retour du malheur et n’obtient pas une grande félicité. » 8405,

Sârisrikwa dit ;

« Tu es intelligent, tu es sage, et voici un désastre, qui menace notre vie. Le seul entre beaucoup, à qui est dû le nom de héros, c’est l’homme instruit. » 8406.

« L’ainé est un père, fit à son tour Stambamitra ; c’est l’aîné, qui sauve du malheur ; si l’aîné manque de prévision, que fera le plus jeune ? » 8407,

Drona reprit :

« Le feu hâte par ici la marche de ses flammes pour nous détruire ; il s’avance çà et là, léchant tout avec les sept langues de sa bouche cruelle ! » 8408.

Après que les fils de Mandapâla se furent parlé de cette manière l’un à l’autre, écoute prince, quels éloges ils adressèrent au Feu d’un air humble et dévot. 8409.

Djaritâri de s’écrier :

« Djalana, tu es l’âme, tu es le corps du vent ; tu es la matrice des jeunes pousses ; les eaux sont ta semence ; tu es encore la matrice elle-même des ondes. 8410.

» En haut, en bas, derrière, sur les côtés, se répandent tes flammes, comme les rayons du soleil. Être à la grande vigueur ! » 8411.

» Nous avons perdu notre mère, dit Sârisrikwa ; nous ne connaissons pas notre père ; nos ailes ne sont pas encore poussées ; il n’existe pour nous, héros, de qui la fumée est le drapeau, nul autre soutien ici que toi : sauve-nous donc, Agni, nous faibles enfants ! 8412.

» Par tes belles formes, Agni, par tes sept flammes, protége-nous, qui avons besoin de secours. 8413.

» Tu es la seule cause de la chaleur, père des Védas ; il n’en existe pas dans tous les quartiers de l’horizon une autre source que la tienne. Sauve-nous, Dieu, nous, rishis enfants : passe, toi qui portes l’offrande aux Dieux, passe par-dessus nos têtes ! » 8414.

« Toi seul, Agni, tu es tout, reprit Stambamitra, tu es l’univers entier ; tu soutiens les créatures, tu es le support du monde ! 8416.

» Feu, tu es Agni ; tu es Havyavâha, le char de l’oblation ; tu es le suprême Havis[26] : les doctes savent que tu es à la fois un et multiple. 8416.

» Tu crées ces trois mondes et tu les consumes dans tes flammes allumées au temps révolu, messager de l’offrande : c’est en toi que le monde entier, Agni, trouve sa naissance et sa conservation ! » 8417.

Après lui Drona chante :.

« Tu es, Seigneur du monde, la nourriture, que mangent les êtres animés. Inné en toutes les choses et croissant toujours avec elles, tu les conduis à la maturité : le Tout subsiste en toi ! 8418.

» Revêtu des formes du soleil, générateur des Védas, tes rayons enlèvent les eaux de la terre, les gazons et tous les sucs humides ; ensuite, par mainte et mainte pluie, que tu verses dans la saison, tu rends, Çoukra, la vie à tout ici bas. 8419.

» Tout alors, Çoukra, tout renaît de toi, ces lianes, ce vert feuillage, ces lacs et le bassin fortuné des eaux,

» Cet humide palais soumis à Varouna. Sois notre bienveillant sauveur. Dieu aux rayons ardents : ne veuille pas aujourd’hui nous détruire, 8421.

» Déité aux yeux bruns, au cou rouge, à la route noire, aux festins d’oblations. Passe par-dessus nos têtes ; épargne-nous comme tu épargnas jadis les épouses de la mer ! »

À ces mots, le Feu d’une âme satisfaite parla en ces termes à Drona, l’interprète des Védas, suivant la promesse, qu’il avait donnée à Mandapâla : 8422-8428.

« Tu es le rishi Drona ; ce que tu as dit est conforme à la sainte écriture ; je ferai ce que tu désires ; il n’y a rien ici, qui soit à craindre pour toi. 8424.

» Vous m’avez été recommandés par Mandapâla naguère : « Épargne, m’a-t-il dit, mes fils, quand tu brûleras cette forêt. 8425.

» La parole de ton père et la tienne, Drona, sont l’une et l’autre d’un bien grand poids à mes yeux : parle ! que ferai-je pour toi ? Je suis très-satisfait de ta louange : la félicité descende sur toi, ô le plus vertueux des brahmes ! » 8426.

Drona lui répondit :

« Ces paons, Çoukra, nous effraient continuellement ; fais-les brûler tous, mangeur de l’hostie, eux et leurs parents. » 8427.

Le Feu agit donc ainsi ; et, quand il eut donné congé aux jeunes huppes, il s’enflamma de nouveau, Djanamédjaya, et consuma le bois Khândava. 8428.

Vaîçampâyana dit, continuant son récit :

« Mandapâla même pensa, rejeton de Kourou, à ses fils ; et, quoiqu’il eut parlé au Feu, il ne pouvait goûter un instant de bonheur. 8429.

Tourmenté d’inquiétudes pour le sort de ses fils, il dit à la perruche : « Comment, Lapitâ ? Mes enfants sont incapables de marcher ! 8430.

» Le feu s’accroît, le souffle du vent sèche tout rapidement, et mes fils n’ont aucun moyen de sauver leur vie ! 8431.

» La pénitente, leur mère, n’est-elle pas incapable de les arracher à la mort ? Elle succombera à la douleur, quand elle verra son impuissance à sauver ses fils, 8432.


» Mes enfants, hélas ! qui ne peuvent ni voler, ni marcher ! Elle court sans doute en proie à sa douleur et poussant maint et maint gémissement ! 8433.

» Comment Djaritâri, comment Sârisrikwa, mon fils, comment Stambamitra, comment Drona, comment la pénitente, mon épouse, vont-ils sauver leur vie ! » 8434.

Au rishi Mandapâla, qui se désolait ainsi dans la forêt, la perruche tint ce langage, qui respirait l’injure, puissant Bharatide : 8435.

« Ce regard jeté sur tes fils n’est pas juste : ce sont des saints, remplis de splendeur et pleins d’énergie, m’as-tu dit ; ils n’ont alors rien à craindre du feu ! 8436.

» Car tu les as recommandés toi-même au Feu, et le magnanime Djalana fa fait cette promesse en ma présence : « Il en sera comme tu veux. » 8437.

» Le gardien du monde ne peut rendre vaine cette parole, qu’il a prononcée devant nous. Que ton esprit se rassure donc sur le sort de ta famille. 8438.

» Ton cœur s’afflige en pensant à ma rivale : l’amour, que tu as pour moi, n’est certainement pas égal à celui, que jadis tu as eu pour elle. 8439.

» Je ne suis donc nullement assortie avec un oiseau sans amour, qui peut voir d’un œil indifférent la douleur de son amie. 8440.

» Va trouver Djaritâ, de qui le sort t’afflige ; je m’en irai bien seule, puisque je suis accouplée avec un méchant homme. » 8441.

» Je ne vais pas dans le monde pour la raison, que tu penses, lui répondit Mandapâla ; je vas et je viens à cause de mes fils : voilà mon souci. 8442.

» Que le monde méprise l’insensé, qui, abandonnant le présent pour le futur, s’appuie sur l’avenir ! Agis de la manière que tu le veux. 8443.

» Car voici le feu, qui, flamboyant et léchant les arbres, fait naître en mon cœur, comme dans un carinda, une cuisante douleur, n 8444.

Quand le feu eut quitté ce lieu, Djaritâ, impatiente de revoir ses fils, accourut vers ses enfants. 8445.

Elle vit dans la forêt tous ses petits, que le feu avait épargnés, sains et saufs, exempts de mal et gazouillant à qui mieux mieux. 8440.

Elle répandit à leur vue mainte et mainte fois des larmes, et les embrassa tous, allant de l’un à l’autre avec des cris de joie. 8447.

Ensuite Mandapâla s’en vint lui-même à grande hâte, rejeton de Bharata, et tous ses fils saluèrent l’un après l’autre à différentes fois le rishi, qui s’exhalait en plaintes ; ils saluèrent aussi Djaritâ ; mais aucun d’eux n’adressa au pénitent une seule parole, ou bonne ou mauvaise. 8448-8449.

« Qui est ton fils ainé ? dit Mandapâla. Qui est son puiné ? Qui est le moyen, et qui est ton fils le plus jeune ?

» Pourquoi ne réponds-tu pas à la demande, que je t’adresse, moi, qui suis pénétré de chagrin ? Depuis que je t’ai abandonnée, je n’ai pas goûté un moment de tranquillité ! » 8450-8451.

Djaritâ lui répondit :

« Que t’importe l’aîné ? Que t’importe son puiné ? Que t’importe l’enfant né le troisième ? Que t’importe encore celui, qui est venu au monde le dernier ? 8452.

» Retourne vers ta jeune perruche au rire charmant, près de laquelle tu es allé jadis, après que tu m’eus délaissée au milieu de toutes les privations ! » 8453.

« Dans l’autre monde, reprit Mandapâla, il n’existe rien des femmes, si ce n’est l’homme. Il n’y a pas un autre destructeur des fortunes ici-bas que la rivalité des femmes ! 8454.

» Quand on allume le feu de l’inimitié, il produit une immense terreur. La noble Aroundhatî, illustre parmi tous les êtres, soupçonna elle-même, toute pieuse qu’elle fût, le magnanime Vaçishta, à l’âme infiniment pure et qui se complaisait toujours dans le bon et l’aimable. 8455-8456.

» Elle méprisa l’héroïque anachorète, qui est assis au milieu des sept rishis. Maudite par lui, de radieuse, elle devint bistrée comme la fumée ; d’admirable aux yeux, elle fut hideuse à voir, et, n’étant plus charmante, elle en reconnut la cause. 8457.

» Tu m’as vu conduit ici vers toi par l’envie d’être père ; et, dans un tel état de choses, j’ai maintenant obtenu par toi cet objet de mon désir. 8458.

« Un homme ne doit jamais enchaîner sa vie à une femme, parce qu’il se dit : « C’est mon épouse ! » et la femme, une fois qu’elle a des enfants, ne doit plus songer à la chose, qui l’a rendue mère. » 8459.

Ensuite, tous ses enfants de le servir, comme il était séant, et lui, il s’empressa de rassurer tous ses fils. 8460,

« J’avais prié Djwalana de vous épargner, leur dit Mandapâla ; elle magnanime Feu me l’avait promis en ces termes : « Je ferai ainsi ! » 8461.

» Si je ne suis pas venu ici plus tôt, c’est que j’avais reçu cette parole du Feu, que je n’ignorais pas la vertu de votre mère et que je connaissais l’éminente énergie de vos saintetés. 8462.

» Votre cœur ne doit, mes fils, concevoir aucune inquiétude à mon égard. Le Feu sait que vous êtes des saints et que les Védas ne vous sont pas inconnus. » 8463. Quand il eut rassuré ses fils, le brahme Mandapâla prit son épouse avec lui et s’en alla de ce lieu dans un autre pays. 8464.

Le vénérable Dieu aux ardentes effluves, maître du Khândava, grâce aux deux Krishnas, déploya ses flammes et, produisant le bien du monde, consuma toute la forêt.

Après qu’il eut bu des fleuves aux vagues de moëlle et de graisse, le Feu parvint à son plein rassasiement et se rendit visible aux yeux d’Arjouna. 8465-8466.

Alors, escorté du chœur des Vents, le bienheureux Indra, étant descendu des cieux, adressa au Prithide et à Kéçava les paroles suivantes ; 8467.

« Vous avez consommé un grand exploit difficile pour les Immortels eux-mêmes : je suis content, demandez-moi une grâce, inaccessible ici parmi les hommes. » 8468.

Le Prithide choisit pour don tous les astras de Çakra, sans excepter un seul, et le Dieu resplendissant de fixer un temps pour lui donner ces armes : 8469.

« Alors que, fils de Pândou, l’adorable Çiva t’aura accordé sa faveur, je te donnerai tôus mes astras, sans exception. » 8470.

» Je connaîtrai ce temps à ta grande pénitence, rejeton de Kourou, et je remettrai mes armes à ton excellence. » Tu recevras, Dhanandjaya, tous les traits du feu, les astras du vent, sans rien excepter, et tous les miens.

Le Vasoudévide obtint par le fils de Prithâ une joie éternelle, et le souverain des Dieux accorda même une grâce au sage Krishna. 8471-8472-8473.

Après qu’il eut comblé de ses dons les deux héros et donné congé au Feu, le monarque des Vents reprit avec les Dieux le chemin du triple ciel. 8474.

Alors, toute la forêt consumée avec ses volatiles et ses quadrupèdes, le Feu, complètement rassasié, dormit cinq jours plus un. 8475.

Gorgé de chairs, saturé de moëlle et de sang, rempli d’une suprême satisfaction, il tint ce langage à ces deux compagnons, Atchyouta et Arjouna : 8476.

« Vous m’avez rassasié à mon gré, héros, les premiers des hommes ; je vous donne congé : allez où vous conduiront vos désirs. » 8477.

Ainsi congédiés par le magnanime Agni, Arjouna, le Vasoudévide et Maya le Dânava, 8478.

S’étant avancés tous les trois, puissant Bharatide, arrivèrent de compagnie sur le délicieux rivage de la Gangâ. 8479.




FIN DE L’ADI-PARVA.


LE SABHA-PARVA.


LE SABHA-PARVA.



Commencez par rendre hommage à Nârâyana et à Nara lui-même, le plus grand des hommes, à la Déesse Saraswatî, puis à Vyâsa ; ensuite, vous entonnerez ce chant de victoire !

Vaîçampâyana dit :

« Ces choses faites, quand il eut honoré mainte et mainte fois le fils de Kountî, Maya, les paumes des mains réunies aux tempes, lui tint ce langage en présence du Vasoudévide : 1.

« Tu m’as arraché, fils de Prithâ, à la colère du terrible Krishna et au Feu, qui voulait me brûler : parle ! que ferai-je pour toi ? » 2.

« Tu l’as déjà tout fait, lui répondit Arjouna. Vas en paix, grand Asoura. Aie pour moi toujours autant d’affection que nous aurons nous-mêmes d’affection pour toi. 3.

Maya reprit :

« Ces paroles te siéent, éminent seigneur, ainsi que la manière, dont elles sont dites ; mais je désire faire pour toi, enfant de Bharata, une chose, que précède l’affection.

» Je suis le Viçvakarma, l’architecte et le grand poète des Dânavas. Je désire, fils de Pândou, faire une chose quelconque en l’honneur de toi. » 4-5.

« Tu penses, répondit Arjouna, que je t’ai sauvé du péril, qui menaçait ta vie. La chose étant ainsi, Démon sans péché, je ne pourrai jamais te demander aucun service. 6.

» Cependant je ne veux pas que ta pensée tombe vaine ; fais donc en moi, Dânava, une chose, qui soit une reconnaissance à l’égard de Krishna lui-même. » 7.

Le Vasoudévide, interrogé par Maya, réfléchit un instant, éminent Bharatide : « Que vais-je lui demander ? »

Et, quand il eut roulé cette pensée dans son esprit, Krishna, le Pradjâpati, le protecteur des mondes, lui dit ; « Construis un palais, 8-9.

« Si tu veux faire une chose, qui nous soit agréable, ô le plus habile des ouvriers. Fais-nous un palais tel, que tu te souviens être le palais du roi des morts ; tel qu’à la vue de ce merveilleux édifice, les hommes, vaincus dans le monde entier des enfants de Manou, soient incapables de l’imiter. Construis, Maya, un palais, où nous puissions voir prendre un corps sous ta main aux pensées humaines, asouriques et divines. » 10-11-12.

À peine eut-il entendu cette parole, Maya se mit avec ardeur à construire pour le fils de Pândou un palais resplendissant et semblable à celui des Immortels. 13.

Ensuite le Prithide et Krishna informèrent de toutes ces choses Youddhishthira, le roi de la justice, et présentèrent devant lui Maya. 14.

Youddhishthira lui rendit autant d’honneurs, qu’en méritait sa condition. Maya les reçut, Bharatide, après qu’il eut commencé par lui en adresser lui-même. 15.

Le Daîtya se prit alors, monarque des hommes, à raconter au milieu des fils de Pândou l’histoire des Asouras.

Après un moment de réflexions et de repos, l’émule de Viçvakarma se mit à construire le palais des magnanimes Pândouides, 16-17.

Suivant les idées du noble Krishna et des fils de Kountî. Dans un jour saint, ayant répandu les paroles de bonne fortune sur la fête, rassasié de lait tous les principaux des brahmes par milliers et versé maintes sortes de richesses dans leurs mains, l’architecte à la grande splendeur, à la grande puissance, fit mesurer un palais de dix mille coudées sur chaque face, ravissant, de formes célestes et doué des avantages de toutes les saisons. 18-19-20.

Après qu’il eut habité dans le Khândava-Prastha une demeure commode, honoré avec affection par les fils de Prithâ, lui, bien digne de tous les honneurs, Djanârdana aux grands yeux, désirant voir son père, de tourner sa pensée vers son départ. Il dit adieu à Dharmarâdja et à Kountî ; il se prosterna, la tête aux pieds de cette sœur de son père, lui Kéçava, devant lequel doit se prosterner le monde entier ! Il fut ensuite baisé par elle sur la tête et serré dans ses bras. 21-22-23.

Immédiatement après, Krishna à la vaste renommée vit sa sœur. Hrishîkéça, versant des larmes de joie, s’avança vers elle ; 24.

Et Bhagavat tint à la noble Soubhadrâ aux nobles paroles un langage convenable, vrai, bon, supérieur, accompagné de délicatesse. 25.

Elle de lui confier des paroles à rendre dans sa famille, de l’honorer maintes fois et de prosterner sa tête devant lui. 26.

Aussitôt qu’il eut pris congé d’elle et qu’il eut échangé salut pour salut avec la sensible dame, Djanârdana, le rejeton de Vrishni, se présenta devant Krishnâ et Daâumya. 27.

Le plus vertueux des hommes s’inclina devant le brahme suivant l’étiquette, adressa des compliments à Draâupadî et lui fit ses adieux. 28.

Accompagné d’Arjouna, le sage et vigoureux Krishna s’approcha de ses frères, et, environné des cinq Pândouides, il semblait Indra, entouré des Immortels. 29.

L’Être, qui porte Garouda sur son drapeau, désireux de faire au temps de son départ les œuvres convenables, se purifia, entra dans le bain et se revêtit de ses parures. 30.

L’éminent Yadouide honora les Dieux et les brahmes avec mainte et mainte révérence, prière, bouquet et parfum. 31.

Quand il eut accompli tous ces devoirs, le plus auguste des voyageurs se mit en route ; l’illustre enfant d’Yadou s’approcha de l’enceinte réservée aux chars, et sortit. 32.

Après qu’il eut répandu ses largesses sur les brahmes, qui l’honoraient avec des fiiiits, des vases de lait caillé, des grains frits et des paroles de bénédiction, il décrivit son pradakshina. 33.

Il monta dans le char d’or, éblouissant, muni d’armes incomparables, massues, tchakras, épées, arcs, et qui avait Târkshya pour son drapeau. 34.

Traîné par ses deux chevaux Gaîvya et Sougrîva, le guerrier aux yeux de lotus se mit en route dans un jour favorable, sous une heureuse constellation et dans une heure fortunée. 35.

Le monarque Youddhishthira monta derrière lui par affection et, s’emparant des fonctions de son cocher Dârouka, le plus habile des cochers, 36.

Le chef des Kourouides prit lui-même les rênes. Arjouna, monté ensuite, arma ses mains de la blanche ombrelle et du chasse-mouche blanc. 37.

Le guerrier aux longs bras déposa le sceptre d’or à sa droite ; et le vigoureux Bhîmaséna, accompagné des jumeaux, 38.

Suivit les pas de Krishna avec les ritouidjs et les citadins. Ainsi escorté de tous les frères, Kéçava, le meurtrier des héros ennemis, 39.

Brillait tel qu’un gourou, suivi de ses disciples chéris. Govinda, ayant serré dans ses bras d’une vigoureuse étreinte le fils de Prithâ, lui dit adieu. 40.

Quand il se fut avancé à la moitié d’un yodjana, Krishna, le conquérant des villes ennemies, salua donc Youddhishthira, Bhîmaséna et les deux jumeaux : embrassé étroitement par eux, adoré par les jumeaux prosternés, il fit, rejeton de Bharata, ses adieux à l’aîné des Pândouides, et lui dit : « Retourne chez toi ! » 41-42.

Ensuite Govinda, qui n’ignorait pas le devoir, se prosterna et prit ses deux pieds ; mais Dharmarâdja le fit se relever aussitôt et le baisa sur la tête. 43.

Youddhishthira, Yama incarné dans un fils de Pândou, donna congé à Krishna, l’éminent Yadouide aux yeux de lotus, en ces termes : « Poursuis ta route ! » 44.

Le meurtrier de Madhou obéit exactement à cet accord fait avec eux ; mais il eut de la peine à obtenir que les Pândouides et ceux, qui le suivaient à pied, retournassent sur leurs pas. 45.

Il put enfin s’avancer joyeux vers sa ville, comme Indra s’approche d’Amaravatî ; mais ils le suivirent des yeux aussi loin que pouvait s’étendre la portée des regards. Leurs âmes accompagnaient Krishna ; et le cœur de tous, non rassasié encore de voir Kéçava, le suivait avec amour. 46-47.

Çaâuri à la vue aimable disparut bientôt à leurs yeux ; et l’âme des Pândouides fut, malgré eux, séparée alors de Govinda. 48.

Ces hommes distingués, rebroussant chemin, s’en allèrent promptement à leur ville ; et Krishna lui-même sur son char léger arriva lestement à Dwârakâ. 49.

Accompagné de son cocher Dârouka et du héros Baladéva, qui venait par derrière, Çaâuri, le fils de Dévakî, s’avançait vers Dwârakâ avec la légèreté de Garouda. 50-51.

De retour avec ses frères, Dharmarâdja-Atchyouta, le roi d’Indraprastha, fit sa rentrée dans sa ville capitale, environné de ses amis. 52.

Là, Youddhishthira, le plus éminent des hommes, ayant congédié, sire, tous ses amis, ses frères et ses fils, de savourer le plaisir dans la compagnie de Draâupadî. 53.

Kéçava lui-iuême entra, plein de joie, dans sa capitale au milieu des honneurs, que lui rendaient les princes nés d’Yadou, Ougraséna à leur tête. 54.

Le prince aux yeux de lotus se prosterna aux pieds de son vieux bisaïeul Ahouka, de son illustre mère, de Baladéva lui-même, et se tint debout en leur présence. 55.

Djanârdana de serrer dans ses bras Pradyoumna, Çâmba, Niçatha, Tcharoudéshna et Gada, Anirouddha et Bhânou. 56.

Puis, quand il eut reçu congé des vieillards, il passa dans le palais de Roukminî. 57.

Vaîçampâyana dit, continuant son récit :

« Maya tint ce langage au fils de Kountî, Arjouna, le plus vaillant des victorieux : « Je l’adresse une question : M’en irai-je ? Te quitterai-je aussi moi-même ? 58.

» Jadis, au nord du Kaîlâsa, en face du mont Maînaka, comme les Dânavas désiraient faire un sacrifice, j’ai travaillé pour eux un vase admirable, charmant, fait de pierres fines, près du lac Vindou, dans un palais, qui Appartint à Vrishaparvan, fidèle au pacte de la vérité. 59-60.

» J’irai là, vaillant Bharatide ; je prendrai le vase, s’il y est encore, et je construirai un palais illustre au fils de Pândou ; 61.

» Habitation merveilleuse, réjouissant l’âme, ornée de toutes les pierreries. Il est aussi, rejeton de Kourou, une massue dans ce lac Vindou. 62.

» Sorti victorieux d’une bataille, où il avait immolé ses ennemis, le monarque a caché dans ce lac sa massue pesante, forte, capable de supporter la charge des combats et parsemée de larmes d’or. 63.

» Assommant des armées ennemies, égale à cent mille autres, elle est assortie à la force de Bhîma, comme Gândlva à celle de ton excellence. 64.

» On y trouve aussi Dévadatta, la grande conque de Varouna au bruit étourdissant : je donnerai tous ces trésors à ton altesse, n’en doute pas ! » 65.

Après que l’Asoura eut parlé ainsi au fils de Prithâ, il se dirigea vers la région, qui se développe entre le septentrion et l’orient, au nord du Katlâsa, en face du mont Matnâka. 66.

Là est une montagne d’une bien grande élévation, à la cime d’or, et toute faite de pierreries ; là est ce lac nommé Vindousara ; c’est là que le roi Bhagîratha 67.

Habita de nombreuses années pour obtenir de voir la chute de la Gangâ, qui de son nom fut appelée la Bhâgîrathî. C’est là que le magnanime Içwara, seigneur de tous les êtres, célébra des sacrifices. 68.

Il offrit là, ô le plus vertueux des Bharatides, une centaine de sacrifices solennels, où furent invités les Dieux et les brahmes. Il y avait des colonnes victimaires en pierreries et des tchaîtyas faits d’or, 69.

Disposés pour la splendeur, et dont nulle part on n’avait trouvé le modèle. Là, après qu’il eut sacrifié, le Dieu aux mille yeux, époux de Çatchî, atteignit à la perfection.

Là, après qu’il eut créé tous les mondes, le maitre éternel des êtres se tint environné d’une ardente splendeur et fut servi par des milliers de Bhoûtas. 70-71.

Là, Nara, Nârâyana, Brahma, Yama et Sthânou le cinquième avaient célébré un sacrifice, qui dura la révolution d’un millier d’yougas. 72.

Là, invariable dans la foi, le Vasoudévide, toujours dans l’accomplissement du devoir, offrit des sacrifices par de grands nombres d’années. 73.

Le Dieu chevelu y donna par milliers et par millions des colonnes victimaires en or et des tchaîtyas de la plus grande splendeur. 74.

Arrivé là, noble Bharatide, Maya prit la massue, et la conque, et le crystal, et les richesses du palais, qui avait eu pour maître Vrishaparvan. 75.

Arrivé là, sire, le grand Asoura d’enlever toute cette vaste opulence, qu’il fit garder par des Rakshasas, ses domestiques. 76.

Avec ces matériaux, le Démon bâtit un palais incomparable, un château céleste, fait de pierreries et célèbre dans les trois mondes. 77.

Il donna la massue nompareille à Bhîmaséna, et Dévadatta, la conque sans égale, prééminente au vaillant Arjouna. 78.

Le son de cet instrument faisait trembler tous les êtres. Ce palais, grand roi, avait des jardins aux arbres d’or. 79.

Il avait dix mille coudées sur toutes ses faces ; il ressemblait au palais de la lune, au château du feu, au palais du soleil. 80.

D’un incomparable éclat, il portait une beauté suprême et sa splendeur effaçait, pour ainsi dire, la splendeur lumineuse du soleil même. 81.

Céleste, il brillait d’une céleste lumière et telle qu’on l’aurait dit en flammes : semblable aux nuées nouvelles, il se dressait, masquant le ciel. 82.

Grand, large, fermé au péché, clos à la douleur, il était doué d’une opulence infinie, et des remparts de pierres fines l’environnaient d’une guirlande. 83.

Bâti par cet émule de Viçvakarma avec une immense richesse, avec une immense variété, il n’avait son égal ni dans le palais du Vasoudévide, ni dans celui du Conseil des Dieux, ni dans le palais même de Brahma ! 84.

Des Génies apportaient et gardaient aux ordres de Maya les matériaux, dont cet habile architecte construisait son édifice, éclatant de beauté. 85.

C’étaient huit milliers de Rakshasas épouvantables, volant dans les airs, aux grands corps, à la grande vigueur, aux oreilles en forme de conque, aux yeux rouges ou d’un jaune passant au noir, les uns comme serviteurs, les autres comme guerriers. Maya fit dans ce palais un bassin de lotus, auquel rien n’était comparable. 86-87.

Hanté par des bandes d’oiseaux variés ; il déployait ses feuilles de lazuli, ses nélumbos, qui flamboyaient sur des tiges de pierreries et ses nénuphars aux pétales d’or. 88.

On admirait ses lotus en fleurs, ses tortues et ses poissons d’or. Limpide avec des eaux transparentes, où l’on descendait par des escaliers d’un beau crystal, ses ondes étaient émues par un doux zéphir et ses rives semées d’un sable de perles. À l’entour s’élevaient des védikas, revêtus de leurs draperies et construits de pierres, qui n’étaient rien moins que de vastes gemmes. 89-90.

Certaines altesses, venues en ce lieu, bien qu’elles eussent déjà vu ce bassin, couvert de perles et de pierreries, ne le reconnaissaient plus, et, tombées dedans par ignorance, elles se débattaient pour s’en tirer[27]. 91.

Près de ce palais végétaient des arbres toujours fleuris, charmants, avec de fraîches ombres aux nuances bleues.

De tous côtés, des bois exhalaient une odeur exquise ; des bassins de lotus étaient sillonnés par des canards et des cygnes, embellis par des oies rouges. 92-93.

De tous côtés, les Maroutes, ayant dérobé les senteurs aux fleurs de terre ou d’eau, en venaient offrir les parfums aux fils de Pândou. 94.

Maya, sire, avait mis quatorze mois environ à construire un tel palais, quand il porta à Dharmarâdja la nouvelle qu’il avait terminé son édifice. 95.

Ensuite, l’auguste monarque Youddhishthira fit son entrée dans ce royal château, après qu’il eut distribué des aliments à une myriade de brahmes. 96.

Il rassasia entièrement les brahmanes, accourus de toutes les contrées, avec du beurre clarifié, du lait mêlé de miel, des mets divers, des racines, des fruits, des viandes de gazelle et de sanglier, du kriçara[28], des plats de jîvantî [29], du beurre clarifié, de la chair par monceaux, des nourritures variées, des choses à sucer ou à boire, en grande abondance, des habits neufs, des costumes et des guirlandes ou bouquets de toutes les sortes. Il donna en outre, sire, à chacun d’eux un millier de vaches. 97-98-99-100.

Là s’élevait, allant toucher la voûte des cieux, le bruit d’un jour de fête. Le chef des Rourouides entra dans son nouveau palais, noble Bharatide, après qu’il eut honoré les Dieux avec les symphonies des instruments divers et l’offrande de maint et maint parfum exquis. Là, des athlètes, des acteurs, les jongleurs, les chanteurs et les bardes déployèrent tous leurs talents au service d’Youddhishthira, le roi de la justice. 101-102.

Ainsi, après s’être acquitté avec ses frères des honneurs envers les brahmes et les Dieux, l’aîné des Pândouides se divertit dans son ravissant palais comme Çakra dans celui, du ciel. 103.

Dans ce palais s’assirent les rishis ; dans ce palais s’assirent, avec ces fils de Pândou, les Indras des hommes, venus de plusieurs contrées : 104.

Asita, Dévala, Satya, Sarpamâli, Mahâçiras, Arvâvasou, Soumitra, Maîtréya, Çounaka, Bali, 105.

Baka, Dâlbhya, Sthalouçiras, Krishna-Dwaîpâyana, Çouka, Soumantou, Djaîmini, Palla et nous, les disciples de Vyâsa, 106.

Tittiri et Yâjnavalkya avec le fils de Lomaharshana, Apsouhomya, Dhaâumya, Anlmândaet Vyakaâuçika, 107.

Dâmoshnîça et Traîbali, Parnàda, Varadjanouka, Maâundjâyana, Vâyoubhaksha et Sârika, fils de Parâçara, Balîvâka, Silîvâka, Satyapâla, Kritaçrama, Djâtoûkarna, Çikâvat, Alamba, Pâridjâtaka, 108-109.

L’éminent Parvata et Mârkandéya, le grand anachorète, Pavitrapâni, Sâvarna, Bhâlouki et Gâlava, 110.

Djanghâbandhou, Raîmya, Kopavéga et Brighou, Haribabhrou, fils de Koundinî, Bhabhroumâli et Sanâtana, 111.

Kâkshîvan et Aâuçidja lui-même, Nâtchikétou le Gautamide, Paînga, Varâha, Çounaka et Çândilyaâ la grande pénitence, 112.

Koukkoura, Vénoudjangha, Kâlâpa et Katha, anachorètes aux sens domptés, à l’âme ferme, à la grande science des devoirs. 113.

Ces rishis, les plus vertueux des solitaires, et beaucoup d’autres, justes, purs, sans tache, qui avaient abordé à la rive ultérieure des Védas et des Védângas, s’assirent dans le palais au-dessous du magnanime et l’entretinrent de saintes histoires. 114.

De même s’assirent au-dessous d’Youddhishthira les plus grands des kshatryas : 116.

Le fortuné, le magnanime, le juste Moundjakétou, Vivardhana, Sangràmadji, Dourmoukha et le vigoureux Ougraséna, 116.

Kakshaséna, le maitre de la terre, et Kshémaka, qui ne fut jamais vaincu, le roi de Kâmbodje, Kamatha etKampana à la grande vigueur, qui, sans autre forces que les siennes, ébranla tout le royaume des Yavanas, 117.

Remplis de force et de courage, à la splendeur infinie, à l’expérience consommée dans les armes : tel le Dieu, qui porte la foudre, abat les Démons, fils de Kâlakâ ; 118.

Djatâsoura, Rounti, le roi des Madrakas, Poulinda, qui régnait sur les Rirâtas, Anga et Vanga, les deux rois de Pândodra, avecPoungaka et Andhraka, 119.

Anga, Vanga, et Soumitra, et Çaîvya, l’exterminateur des ennemis, le roi du Rirâta, et Soumanas, le souverain des Yavanas, 120.

Tchânoûra, Dévarâta, Bhodja et Bhîmaratha, Çroutâyoudha le Ralingain et Djayaséna le Magadhain, 121.

Soukarman, Tchékitàna et Pourou, le meurtrier des ennemis, Rétoumat, Vasoudâna, Vaîdeha et Rritakshana, Soudharma, Anirouddha, Çroutâyoush à la grande force, Anoûparâdja, Dourdharsha et Rramadjit d’un aspect aimable, 122-123,

Çiçoupâla avec son fils, et le roi des Raroûshas, et les jeunes princes des Vrishnides, à la vaillance inaffrontable, à la beauté divine, 124.

Ahouka et Viprithou, Gada et Sârana lui-même, Akroûra, Kritavarman et Satyaka, le fils de Çini, 125.

Bhishmaka, Ankriti et le vigoureux Dyoumatséna, les héros Katkéyains Djajnaséna, Saâumaki, 126.

Kétoumat, Vasoumat et Kritàstra à la grande vigueur : ceux-ci et beaucoup d’autres kshatryas, estimés les premiers dans la caste, 127.

S’assirent dans le palais au-dessous d’Youddhishthira, le fils de Kountî. Avec eux siégèrent les fils de roi à la grande force, qui, portant une peau de gazelle pour vêtement, étaient venus apprendre sous Arjouna la science de l’arc. 128.

Ses leçons avaient formé, sire, les jeunes princes issus de Vrishni : le fils de Roukmini, Sâmba et Youyoudhâna, fils de Satyaka, 129.

Soudharman, Anirouddha et le roi Çaîvya. Là siégaient Toumbourou, l’ami constant d’Arjouna, 130.

Tchitraséna avec ses ministres, les Gandharvas et les Apsaras, habiles pour le chant et les instruments de musique, experts à danser en battant la cadence. 131.

Anittîés par Toumbourou, les intelligents Kinnaras, accompagnés des Gandharvas, chantèrent là sans relâche, mariant leurs voix célestes avec méthode, obserxant la mesure, les temps égaux et les intervalles ; et, déployant leurs talents, ils charmaient les rishis et les lils de Pândou.

Tous, fidèles aux devoirs de leur profession, constants dans sa vérité, ils servaient sans aucune interruption Youddhishthira, comme les Dieux servent Brahma dans le ciel. 132-133-134.




ÉPISODE DU PALAIS DES GARDIENS DU MONDE



Vaîçampâyana dit :

« Tandis que les magnanimes fils de Pàndou étaient assis là, tandis que les grands et les Gandharvas y étaient assis avec eux, rejeton de Bharata, 136.

Nârada à la splendeur immense, parcourant tous les mondes, vint alors dans ce palais, sire, accompagné des rishis, Pàridjata, Soumoukha, Saâumya et du sage Raîvata ; Nârada, honoré par les troupes des saints et des Dieux, le Dévarshi à la lumière sans mesure, versé dans les Kalpas et les anciennes histoires, instruit des Pourânas et des Itibàsas, consommé dans les Védas et les Oupanishads ;

Expert en logique, le plus grand des docteurs dans les six Angas, habile pour s’absorber dans le Un, qui est Deux et Multiple ;

Éloquent, intrépide, intelligent, doué de la mémoire, savant en politique, poète inspiré, connaissant les divisions de l’antérieur et du subséquent, arrêtant sur l’autorité ses résolutions.

Sachant le défaut ou la qualité de la pensée, qui marche avec cinq membres ; possédant une élocution plus abondante qu’elle n’est dans la parole même de Vrihaspati,

Prenant, comme il convient, toutes ses déterminations dans un affranchissement complet de l’intérêt, de l’amour et du devoir, ayant la vaste intelligence de tous les trésors du monde.

Embrassant de sa vue tout ce qu’il y a de perceptible dans l’univers, en haut, en bas, à travers ; connaissant les parties de l’Yoga et du Sânkhya, se méprisant lui-même devant les Asouras et les Dieux,

Sachant la vraie nature de la paix et de la guerre, docte en tous les Castras, distinguant les membres du syllogisme, possédant les règles des six qualités,

Cultivant les combats du chant, amical en tous lieux et temps. Le solitaire, doué de ces groupes de qualités et d’autres en grand nombre,

Vint, joyeux et rapide comme la pensée, visiter les fils de Pândou établis dans leur palais ; et le brahme de combler Dharmarâdja de ses bénédictions pour la victoire. (De la stance 136e à la 146e inclusivement.)

À peine eut-il vu arriver le rishi Nârada, l’aîné des Pândouides, instruit de tous les devoirs, se hâta avec ses frères puînés de se lever en présence de l’anachorète.

Le prince, qui n’ignorait pas le devoir, se prosterna devant lui avec amour et, modestement incliné, il offrit suivant l’étiquette à son hôte, assis et digne de cet honneur, une vache avêc un bassin de caillebotte, de beurre clarifié et de miel, lui présenta même un arghya, le combla de pierreries et de toutes les choses désirées ; et, quand il eut reçu d’Youddhishthira ces hommages, comme il convenait, le grand saint, honoré par tous les fils de Pândou, s’en réjouit ; et le sage, parvenu à la rive ultérieure des Védas, adressa à Youddhishthira ces questions relatives à l’intérêt, l’amour et le devoir : 147-148-149-150.

« Es-tu satisfait de tes affaires ? Ton âme se complaît-elle dans le devoir ? Goûtes-tu les plaisirs ? Rien n’alllige-t-il ton âme ? 151.

» Suis-tu une ligne de conduite noble, accompagnée de l’intérêt et du devoir dans les trois qualités et suivie, roi des hommes, par tes antiques aïeux ? 152.

» Tempères-tu le devoir par l’intérêt, ou l’intérêt par le devoir, ou l’un et l’autre par l’amour, qui est l’essence du plaisir ? 153.

» As-tu distribué à propos, ô toi, qui connais les temps, l’amour, le devoir et l’intérêt ; et sais-tu les cultiver également, généreux monarque et le plus grand des victorieux ? 154.

» Observes-tu, comme il sied, avec les six qualités d’un roi les sept moyens, de succès, et, par le fort et le faible, les quatorze moyens de politique ? 155.

» Après que tu as considéré et toi-même et les autres, accomplis-tu, invincible Bharatide, tes réflexions faites, les huit actions ? 156.

» N’y a-t-il aucune fracture, éminent Bharatide, dans les sept parties nécessaires de l’administration royale ? Les riches et les pauvres te sont-ils bien, entièrement attachés ? 157.

» Le silence de tes conseils n’est-il pas violé par tes ministres, sans que les agents secrets envoyés par toi en aient le moindre soupçon. 158.

» Sais-tu ce que se proposent de faire les amis, les indifférents et les ennemis ? Décides-tu à propos la paix ou la guerre ? As-tu fait choix d’une conduite à suivre avec l’indifférent, avec l’homme, qui s’est placé entre l’amitié et la haine ? 159.

» As-tu pris, héros, pour tes conseillers des hommes purs, avancés en âge, affectionnés, de noble race, d’une âme toujours égale, et capables de proposer un bon avis ? 160.

» En effet, Bharatide, la délibération du roi est la racine de la victoire. Tes ministres, versés dans les Traités de politique, gardent-ils bien le secret de tes conseils ? Ton royaume, bien défendu, mon enfant, n’est-il point insulté par les ennemis ? 107.

» Ne t’abandonnes-tu pas au pouvoir du sommeil ? Te réveilles-tu au temps convenable ? Et, sur la fin des nuits, penses-tu déjà aux affaires, toi, qui en as la science ?

» Délibères-tu, non seul ? Délibères-tu, non avec un grand nombre ? Et la résolution, que tu as prise, ne court-elle pas tout le royaume ? 162-163.

» Quand tu as décidé une chose, qui, d’une faible racine, doit produire de grands résultats, te mets-tu promptement à l’exécuter, et ne diffères-tu pas un tel résultat ?

» Les conséquences des affaires, quand elles ne sont pas visibles à tes yeux, ne t’inspirent-elles pas un doute prudent ? Ou bien fais-tu naître alors et prépares-tu la cause, qui doit produire ces résultats ? 164-165.

» Sont-elles suivies en des ordres convenables, non précipités par l’impatience ? Ou tes ministres, au contraire, ne savent-ils pas que toutes les affaires, vaillant roi, quand on les multiplie à l’excès, ne peuvent arriver au but ? Des précepteurs, versés dans toutes les sciences et qui savent conduire leur élève dans le devoir, forment-ils tes nobles fils à devenir tout à fait l’exemple des guerriers ? Payes-tu un seul homme instruit le prix de plusieurs milliers d’ignorants ? 166-167-168.

» Car un savant peut élever celui, qu’il sert, au comble du bonheur ! Toutes tes forteresses sont-elles bien pourvues d’eau, de blé, d’armes, de machines, de soldats, d’ouvriers et d’argent. Un ministre, fût-il seul, s’il est intelligent, instruit, vaillant et d’une âme domptée, peut conduire un roi ou un fils de roi à une éminente prospérité.

» Es-tu bien informé par tes agents inconnus, envoyés trois à trois, des quinze moyens de succès, que possède ton allié, et des dix-huit, que réunissent tes rivaux ? Toujours présent au milieu des ennemis sans qu’ils en sachent rien, promènes-tu sur eux tous, meurtrier des ennemis, un regard attentif ? Honores-tu ton archibrahme domestique ?

Est-il doué de modestie, libre d’envie, non de sang mêlé, mais de race pure ? Est-il soigneux d’entrenir tes feux sacrés, intelligent, droit, illustre, sachant les devoirs ? ( De 169 à 174 inclusivement.)

» Ne manque-t-il jamais à t’annoncer au temps propre le sacrifice accompli et le sacrifice à célébrer ? A-t-il soin, les membres lavés, de t’exposer la situation des étoiles ?

» Ton ministre est-il habile ? Sait-il bien reconnaître la destinée dans tous les prodiges ? Sais-tu bien employer dans les affaires les talents de tes serviteurs, les grands dans les grandes, les moyens dans les moyennes, les petits dans les petites ? As-tu remis en charge les anciens ministres, ces hommes purs, qui furent ceux de tes ayeux et de ton père ; et confies-tu aux plus sages les affaires les plus délicates ? Répands-tu chez tes sujets une profonde terreur par la sévérité des châtiments ? 175-176-177-178.

» Sont-ce les ministres, chef des Bharatides, qui tiennent les rênes de ton royaume ? Tel que les femmes méprisent le ribaud emporté, qui reçoit leurs dons, tes prêtres officiants ne te méprisent-ils pas comme un être déchu ? Le général de tes armées est-il un héros, un homme audacieux, intelligent, ferme, incorruptible, noble par sa naissance, habile et dévoué à ton service ? 179-180.

» Les officiers de ton armée sont-ils adroits en toutes les armes ? Honores-tu et conserves-tu en grande estime les hommes courageux, purs, intrépides ? 181.

» Donnes-tu à ton armée, comme il est juste, la nourriture et la solde, qu’on doit lui donner au temps échu, et n’en retranches-tu jamais rien ? 182.

» Car, si le jour s’est écoulé, sans qu’ils aient touché ni le prêt, ni les rations, les soldats règlent leur conduite sur l’indigence de maître ; ce qui est reconnu pour la cause de bien grands malheurs. 183.

» Peux-tu compter sur l’attachement des fils de race, à commencer par les chefs ? Sacrifieraient-ils à tes intérêts leur vie dans une bataille ? 184.

» Tu ne laisses pas sans doute l’homme sans mœurs, qui saute par-dessus les règles, conduire entièrement seul, à son gré, plusieurs choses, dont l’avenir dépend ?

» L’homme, qui illustre son bras par un exploit héroïque, obtient-il, soit un accroissement d’honneur, soit une augmentation de solde et de vivres ? 185-189.

» Honores-tu de tes dons, comme ils le méritent et suivant leurs qualités, les hommes cultivés par la science et consommés dans les matières de l’instruction ? 187.

» Soutiens-tu, chef des Bharatides, les épouses des hommes, qui sont tombés dans l’infortune ou qui ont perdu la vie pour toi ? 188.

» Défends-tu comme un fils, enfant de Prithâ, l’ennemi, qui se rend vers toi, conduit par la crainte, ou qui est subjugué, ou qui vient t’implorer, vaincu dans une bataille ? 189.

» Es-tu, maître de la terre, égal pour toute la terre, et ne peut-on douter de toi, comme d’un père et comme d’une mère ? 190.

» Quand tu vois l’ennemi accablé sous la malheur, passes-tu en revue, chef des Bharatides, une armée en trois corps et fonds-tu sur lui d’une course rapide ? 191.

» Te mets-tu en marche sous une bonne étoile au moment arrivé, dompteur des ennemis, après que tu as commencé par donner la solde à ton année et que tu l’as divisée, puissant monarque, en avant-garde et arrière-garde, en corps de bataille et corps de réserve ? 192.

» Donnes-tu, fléau des ennemis, suivant qu’ils en sont dignes, aux principaux officiers de ton armée les pierreries cachées dans le royaume ennemi ! 193.

» Commences-tu par te vaincre toi-même avant de songer à vaincre les autres ? Victorieux de tes sens, tu peux dompter alors des ennemis esclaves de la paresse et des sens. 194.

» Préviens-tu les ennemis, qui vont marcher contre toi, en faisant marcher contre eux, suivant la règle, ces moyens, habilement mis en œuvre ; la caresse, la corruption, la division et la force ! 195.

» Tu es en guerre avec un ennemi, qui a poussé de fortes racines : t’avances-tu vaillamment pour le vaincre, et, la victoire obtenue, deviens-tu son protecteur ? 196.

» As-tu une armée en quatre corps différents, composée de huit membres, bien commandée par de bons officiers, et capable de briser l’agrandissement des ennemis ? 197.

» Sans abandonner dans le royaume des ennemis, grand roi, le fléau des ennemis, ni une parcelle de terre, ni même la grandeur du poing, fais-tu mordre la poussière aux ennemis sur le champ de bataille ? 198.

» Dans les états de tes rivaux, as-tu de nombreux agents, qui influencent les affaires et se gardent mutuellement ? 199.

» Des inspecteurs, approuvés par toi, grand roi, veillent-ils sur les parfums, les comestibles et la pratique du massage ? 200.

» Ton trésor, tes greniers, ton char, ta porte, ton arsenal, tes revenus sont-ils confiés à des gens, qui te sont dévoués et d’une vertu parfaite ? 201.

» Commences-tu par te mettre en garde toi-même, souverain des hommes, contre ceux du dedans et contre ceux du dehors ; les défends-tu ensuite des leurs ; puis, les uns des autres ? 202.

» N’approuve-t-on pas les dépenses, effets du vice, que tu as faites dans la première partie du jour, en liqueurs, aux dés, à d’autres jeux, en femmes ? 203.

» Ta dépense en valets et en femmes est-elle payée avec la moitié ou seulement le quart de ton revenu ? 204.

» Combles-tu à chaque instant de grains et de richesses les parents, les gourous, les vieillards, les marchands et les ouvriers, que la pauvreté conduit vers toi ? 205.

» Tous les secrétaires et les arithméticiens, préposés aux recettes et aux dépenses de ta maison, règlent-ils toujours dans la première partie du jour quelles en seront et les dépenses et les recettes ? 206.

» As-tu soin de ne pas écarter des affaires les hommes, affectionnés, qui n’ont d’autre désir que celui de ton bien, qui possèdent la science des choses et qu’une faute n’a jamais souillés ? 207.

» Une fois que tu as appris ce que sont les hommes, supérieurs, inférieurs ou moyens, les emploies-tu, rejeton de Bharata, en des affaires assorties à leurs capacités ? 208.

» Sans doute, roi des hommes, tu ne mets pas à la tête de tes affaires des gens cupides, ou des voleurs, ou des ennemis, ou des mineurs ? 209.

» Ton royaume n’a-t-il pas à souffrir l’oppression des voleurs, ou des gens avides, ou des jeunes princes, tes fils, ou d’une armée de femmes, ou même de toi ? Les cultivateurs sont-ils contents ? 210.

» Les étangs sont-ils grands et bien remplis ? En fait-on entrer les eaux çà et là par des canaux dans le royaume, quand les champs du laboureur ne sont point arrosés par la pluie ? 211.

» Les semences et par conséquent la subsistance du cultivateur ont-elles péri, tu lui fais sans doute la remise gracieuse de son tribut du quatrième pour cent sur la récolte ? 212.

» Ton corps de métiers est-il bien composé de gens honnêtes ? En effet, mon fils, c’est par l’exercice des arts et des métiers que ce monde vit dans une douce prospérité. 213.

» Les hommes d’élite, sire, embrigadés cinq par cinq, après qu’ils ont acquis la connaissance des lois, maintiennent-ils, en réunissant leurs brigades, la tranquillité dans ton royaume ? 214.

» Les villages sont-ils faits à l’image de la ville pour la défense de la ville ? Et tout ce qui vient de toi est-il proclamé au milieu de la foule rassemblée ? 215.

» Frappant tout et suivis de ton armée, tes espions circulent-ils sur la terre, ton domaine, parcourant les plaines, les montagnes et les villes ? 216.

» Sais-tu bien flatter les femmes ? Sont-elles bien protégées ? Ne les crois-tu pas beaucoup trop ? Et ne leur dis-tu pas ce qu’il faut tenir caché ? 217.

» Quand tu as reçu la nouvelle d’une calamité, n’est-ce pas que, plein de cette pensée, tu ne dors pas, savourant les voluptés, sire, dans ton gynœcée ? 218.

» Après que tu as dormi les deux premières veilles de la nuit, te lèves-tu à la dernière, monarque des hommes, pour songer à l’intérêt et au devoir ? 219.

» Levé au temps fixé, environné de tes ministres, qui savent les temps, ne te montres-tu jamais, fils de Pândou, aux regards des hommes que royalement paré ? 220.

» Des guerriers, vêtus de l’habit rouge, le cimeterre à la main, splendidement décorés, t’environnent-ils à les pieds de tous les côtés pour ta garde, dompteur des ennemis ? 221.

» Ne décernes-tu, comme Yama, les châtiments et les récompenses, roi des hommes, qu’après l’examen le plus attentif des fautes ou des services ? 222.

» Est-ce que tu guéris toujours, fils de Prithâ, une indisposition du corps avec des simples ; ou celle de l’âme avec des observances religieuses et de grands actes de piété ? 223.

» As-tu des médecins habiles dans l’art de guérir les huit membres et des amis dévoués, toujours attentifs au bien de ta personne ? 224.

» Ne vois-tu pas, roi puissant, que l’avarice, ou la démence, ou l’orgueil ne donne aucunement des amis ? On n’obtient de ces défauts que des ennemis. 225.

» Ne retiens-tu pas avec le frein de l’amour, que tu inspires, la conduite des hommes, que l’irréflexion, la cupidité ou la présomption a conduits vers toi ? 226.

» Les habitants de la ville et ceux, qui résident avec toi dans le royaume, quand on les a vendus à des étrangers, prends-tu soin de les retenir tous ? 227.

» N’accables-tu pas un ennemi faible par la force, un fort par le conseil ou tel autre avec les deux moyens réunis ? 228.

» Est-ce que les rois, tes vassaux, te sont tous dévoués autant qu’on doit l’être au suzerain ? Paieraient-ils dans tes besoins l’estime, que tu as pour eux, du sacrifice de leur vie ? 229.

« L’honneur éclatant et d’où peut naître le salut, que tu rends à les vertueux brahmes, le mesures-tu sur le talent, qu’ils ont acquis dans toutes les sciences ? 230.

» Dans l’affaire, où tu déploies tes efforts, as-tu soin de suivre le devoir fondé sur les Védas, où marchaient les hommes, qui l’ont précédé ? 231.

» Les brahmes, cloués de qualités, mangent-ils dans ta maison des mets succulents et délicats ? Y reçoivent-ils les honoraires attachés à la surveillance de tes sacrifices ? 232.

» Sans autre pensée, t’efforces-tu de célébrer avec une âme pieuse les sacrifices Vâdjapéyas entièrement accomplis et les Poundarîkas suivis jusqu’à la fin ? 233.

» Te prosternes-tu devant les parents, les gourous, les vieillards, les Dieux, les ascètes, les arbres-Tchaîtyas et les plus éminents des brahmes ? 234.

» Sais-tu étouffer en toi, mortel sans péché, le chagrin ou le ressentiment ? Et l’homme, qui tient dans ses mains les choses fortunées, te suit-il, sans quitter jamais ton côté ?

» As-tu bien comme pensée, âme non souillée, as-tu bien pour conduite celle, qui embrasse d’un même regard l’intérêt, l’amour et le devoir, qui assure la vie et qui donne la renommée ? 235-230.

» Quand cette pensée inspire la conduite d’un roi, son empire ne tombe pas ; et, victorieux de la terre, sa prospérité s’accroît doucement, sans connaître aucune fin,

» L’avarice ne pousse-t-elle jamais un juge, ignorant des leçons enseignées dans les Çâstras, à frapper de mort, malgré son innocence, un citoyen noble à l’âme pure, que la calomnie accuse du crime de vol ? 237-238.

» La soif de l’argent ne fait-elle pas remettre en liberté, chef des Bharatides, un méchant, un voleur, pris en flagrant délit, vu par des témoins et nanti même de son vol ? 239.

» Entraînés du côté, où sont les richesses, est-ce que tes ministres ne voient pas sans partialité, rejeton de Bharata, les affaires du riche et du pauvre, soumises à leur jugement ? 240.

» Le matérialisme, le mensonge, la colère, l’incurie, la lenteur, la paresse, fuir la vue des personnes, qui possèdent la science, rejeter loin de soi l’exercice de la pensée,

» Ne songer qu’à l’intérêt seulement, délibérer avec des gens, qui ne connaissent pas les affaires, ne jamais commencer les affaires décidées, ne pas garder le secret du conseil, 241-242.

» Négliger les cérémonies et les autres choses du culte, se lever par honneur devant toutes sortes de gens : voilà quels sont les quatorze défauts des rois. Ne sont-ils pas ? les tiens ? 243.

» Ils ont causé très-souvent la chûte des princes, appuyés sur de fortes racines ! As-tu recueilli le fruit des Védas ? As-tu recueilli le fruit de la richesse ? 244.

» As-tu recueilli le fruit de tes épouses ? As-tu recueilli le fruit de la science écoutée ? » 245.

Youddhishthira dit alors :

« Quel est ce fruit des Védas ? Quel est ce fruit de la richesse ? Quel est ce fruit des épouses ? Quel est ce fruit de la science écoutée ? » 246.

Nârada lui répondit :

« Le fruit des Védas, c’est le feu sacré perpétuel ; le fruit de la richesse, c’est la nourriture donnée au pauvre ; les fils sont le fruit des épouses, né dans la volupté ; une conduite bien réglée est le fruit de la science. » 247.

Après qu’il eut dit ces choses, Nârada, l’anachorète aux grandes pénitences, adressa aussitôt ces questions à Youddhishthira, le devoir en personne : 248.

« Les percepteurs des impôts n’extorquent-ils pas de fausses taxes aux marchands, que l’espoir du gain amène ici de pays éloignés ? 249.

» Des hommes tenus en estime peuvent-ils apporter leurs denrées à vendre, sire, dans la ville et dans le royaume, sans qu’on les trompe, par la visite des marchandises ? 250.

» Ne manques-tu jamais de prêter l’oreille au langage des vieillards, qu’inspirent le devoir et l’utile ? Ils connaissent l’utile, mon enfant, attendu qu’ils voient l’utile dans le devoir. 251.

» Fais-tu consister l’utile et le devoir dans les travaux de l’agriculture, l’élève des troupeaux, la production des fleurs et des fruits ? Donnes-tu aux brahmes le lait et le beurre ? 252.

» Ne manques-tu jamais d’accorder, rigoureusement, comme il est convenable, à tous les ouvriers, chaque quatrième mois expiré, des moyens suffisants pour subsister ?

» N’ignores-tu aucune des belles actions ? Loues-tu celui, qui en est l’auteur, dans l’assemblée des gens de bien ? Et joins-tu, grand roi, les marques de ton respect à ses récompenses ? 253-254.

» Tiens-tu toutes les sentences dans ta mémoire, auguste chef des Bharatides, les sentences des éléphants, les sentences des chevaux, les sentences des chars ? 255.

» Cultive-t-on comme il sied dans ton palais, éminent Bharatide, le soûtra du Dhanour-Véda et le soûtra urbain des machines ? 256.

» Connais-tu bien tous les astras, mortel sans péché, la massue de Brahma, et tous les moyens de poison, qui peuvent donner la mort à l’ennemi ? 257.

» Défends-tu bien toutes les parties de ton royaume contre le danger de l’incendie, contre celui des tigres, contre les maladies et les Rakshasas ? 258.

» Sais-tu protéger, comme un père, ô toi, qui n’ignores pas le devoir, les aveugles, les fous, les boiteux, les estropiés, les orphelins et même les religieux mendiants ?

» Rejettes-tu derrière toi six choses funestes, puissant roi : le sommeil, la paresse, la crainte, la colère, la mollesse et la lenteur ? » 259-260.

À ces paroles du plus vertueux des brahmes, le magnanime roi, chef des Kourouides, s’inclina joyeux, adora ses pieds et répondit à Nârada, qui portait la beauté d’un Dieu : 261.

« Je ferai comme tu as dit ; car cette leçon a bien accru, ma science ! » Ces mots jetés, le monarque agit de cette façon et reçut la terre ceinte de la zône des mers. 262.

« Le roi qui se conduit ainsi dans la protection des quatre castes, lui dit Nârada, goûte d’abord le bonheur ici-bas et parvient ensuite à posséder le monde de Çakra. »

Après qu’il eut honoré le bramarshi et qu’il eut obtenu la permission de parler, Youddhishthira, le roi de la justice, répondit à ces paroles : 263-264.

« Ta sainteté vient d’exposer exactement cette détermination des devoirs ; c’est la règle que j’observe, suivant mes forces, suivant la convenance. 265.

» La chose, qui a une cause, qui a un sens, qui est présentée d’une manière conforme à la juste raison, doit être faite, il n’y a là aucun doute, comme les rois l’ont faite avant nous. 266.

» Nous désirons marcher dans leur sentier ; mais, seigneur, il est impossible à nous de le suivre comme il fut suivi par ces monarques aux âmes domptées. » 267.

Le Pândouide au cœur fidèle à ses devoirs, Youddhishthira à la grande splendeur, voyant qu’il s’était passé l’espace d’une heure depuis que le Dévarshi à la splendeur infinie avait tenu son discours et jugeant que Nârada était reposé entièrement, adressa un salut au milieu des rois et ces questions à l’anachorète, qui parcourt les mondes, au Dieu assis doucement, au-dessous duquel il était assis lui-même : 268-269-270.

« Ta divinité aussi rapide que la pensée parcourt sans cesse, en promenant ses regards sur eux, les mondes nombreux et de mainte sorte, que Brahma jadis a créés.

» Tes yeux auraient-ils déjà vu quelque part un palais tel ou plus beau que celui-ci ? Brahme, réponds à ma question ! » 271-272.

À peine eut-il entendu ce que lui demandait Youddhishthira, le fils de Pândou, Nârada lui répondit en souriant et d’une voix douce : 273.

« Je n’ai pas encore vu, mon enfant, ni même entendu citer parmi les hommes un palais tout de pierreries comme est celui-ci, rejeton de Bharata, comme est le tien, sire. 274.

» Mais je te parlerai du palais, où habite le roi des Mânes ; je te dirai le palais du sage Varouna, et celui d’Indra, et celui du Dieu, qui réside au mont Kaîlâsa.

» Je décrirai le palais divin de Brahma, d’où la souffrance est exilée ; céleste habitation, douée des célestes idées et qui a la forme de l’univers ; 275-276.

» Hantée par les Dieux, les troupes des Pitris, les Sâdhyas, les foules d’anachorètes sacrifiants, domptés, habiles, aux âmes comprimées, versés dans le sacrifice et les Védas ; je le décrirai, si tu penses, éminent Barathide, à me prêter l’oreille. » 277.

À ces mots du pénitent, Youddhishthira joignit au front les paumes de ses mains avec ses frères et les plus grands des brahmes ; puis, Dharmarâdja à la grande âme répondit en ces termes à Nârada : 278.

« Décris-nous tous ces palais ; nous désirons les connaître. Quelles en sont les richesses, brahme ? Quelle en est l’étendue ? Quelle en est la grandeur ? 279.

» Qui sont les serviteurs du Pitâmaha dans son palais ? Qui sont les courtisans du roi des Dieux, Indra ? Qui forment la cour d’Yama, le fils du soleil ? 280.

» Qui servent dans leurs palais Varouna et Kouvéra ? Nous avons tous une égale envie d’entendre ta bouche nous exposer tous ces détails suivant la vérité ; car notre curiosité est extrême. » 281.

À ces mots du Pândouide, Nârada, sire, décrivit l’un après l’autre ces divins palais : « Qu’on m’écoute ici, dit-il. 282.

» Le palais céleste de Çakra, habitation lumineuse, d’un éclat semblable à celui du soleil et qui est la conquête des bonnes œuvres, fut créé, enfant de Kourou, par Çakra lui-même. 283.

» Immense, aérien, se transportant où l’on veut, il mesure cent cinquante yodjanas en longueur et cinq en élévation. 284.

» Il est fermé à la douleur, au chagrin, à la vieillesse ; les maladies n’y entrent pas. Resplendissant, fortuné, charmant, riche de vêtements et de sièges, il est embelli par des arbres célestes. 285.

» Dans ce palais, Bharatide enfant de Kountî, le souverain des Dieux trône sur un siège prééminent avec Çatchî, Mahéndrânî, Çrî et Lakshmî. 286.

» La tiare sur la tête, ceint de bracelets en or, vêtu d’une robe immaculée et paré d’une admirable guirlande, il porte, avec les rayons de la fortune et de la gloire, une beauté indescriptible. 287.

» Là, sire, le magnanime Çatakratou est servi à tous les instants par les Maroutes sans exception et les Grihamédhins, 288.

» Les Siddhas, les Dévarshis, les Sâdhyas et les troupes des Dieux, les Maroutwantas réunis, à la vive lumière, aux guirlandes d’or. 289.

» Tous ceux-ci ont des formes célestes, de splendides parures, et, accompagnés de leurs suivants, ils forment la cour du magnanime roi des Dieux, qui dompte ses ennemis.

» Çatakratou est servi encore, fils de Kountî, par tous ces Dévarskis, purs, exempts de péché, flamboyants comme autant d’Agnis, lumineux, libres de chagrins, étrangers aux maladies : 290-291.

» Parâçara et Parvata, Sâvarni et Gâlava, Çankha et Likhita même, et l’anachorète Gaâuraçiras, 292.

» L’irascible Dourvâsas, Çyéna et l’hermite Dirghatamas, Pavitrapàni, Sâvarni, Yojnavalkya et Bhàlouki,

» Ouddâlaka, Çwétakétou, Tândya, Bhândâyani, Havishmat, et Garishtba, et le prince Harishtchandra, 293-294.

» Hridya, Oudaraçândilya, Pâràçarya, Krishîbala, Vâtaskandha, Viçâkha, Vidhàtri et Kâla, 295.

» Karâladanta, Twashtri, Viçvakarman et Toumbourou. Les êtres, qui se nourrissent du vent, les êtres, qui se nourrissent de l’oblation, nés ou non d’une matrice, servent de concert le Dieu, qui tient la foudre, souverain du monde entier : 296.

» Sahadéva, Sounitha, Vâlmîki à la grande pénitence, Çamîka à la bouche véridique et Pratchétas, fidèle à la vérité, 297.

» Médhâtithi, Vâmadéva, Poulastya, Poulaha, Kratou, Maroutta, Marîtchi et Sthânou aux grandes macérations,

» Kâkshîvat, Gaâutama, Târkshya et l’anachorète Vaîçvânara, l’hermite Kâlakavrikshîya, Açrâvya et Hiranmaya, 298-299.

» Sambarta, Dévahavya et l’énergique Viçvakséna, les eaux célestes, les simples divins, les çraddhas, les sacrifices, la parole, 300,

» L’intérêt, le devoir, l’amour et les éclairs, noble fils de Pândou, les nuages, qui voiturent l’eau, les vents, les tonnerres, 301.

» La plage orientale, les vingt-sept feux, messagers du sacrifice, les deux Agnîshomas, les Indrâgnis, Mitra, Savitri, Aryaman, 302.

» Bhaga, les Viçvas, les Sâdhyas, Gourou et Çoukra lui-même, Viçvâvasou, Tchitraséna, Soumanas et Tarouna, 303.

» Les sacrifices, les honoraires du sacrifice, les planètes et les étoiles, puissant Bharathide, les formules des prières, qui portent aux cieux les sacrifices, tous personnifiés sont assis là de compagnie. 304.

» Les Apsaras et les Gandharvas charmants y réjouissent à l’envi, puissant roi, Çatakratou, le monarque des Dieux, par la danse, le chant, les instruments de musique et leurs divins éclats de rire. 305.

» Ils comblent de louanges et de bénédictions le meurtrier magnanime de Vritra et de Bala pour ses actions et ses prouesses. 306.

» Les Râdjarshis, les Brahmarshis et les Dévarshis y flamboient tous comme autant d’Agnis, portés sur différents chars célestes ; 307.

» Tous ornés de parures et ceints de guirlandes, ceux-ci vont et ceux-là reviennent. Vrihaspati et Çoukra n’y désertent jamais leurs sièges. 308.

» Ceux-là et d’autres magnanimes eu grand nombre, à l’aspect aimable comme la lune et semblables à Brahma, entre lesquels on voit Bhrigou et les sept lumineux rishis, sont montés sur des chars pareils à l’astre des nuits. 309.

» Ce palais de Çatakratou aux longs bras, je l’ai vu de mes yeux, sire, avec ses guirlandes de lotus : écoute quel est aussi le palais d’Yama. 310.

» Je vais te décrire, fils de Kountî, prête-moi l’oreille ! ce château d’Yama, que Viçvakarma bâtit lui-même, Youddhishthira, pour ce fils du soleil. 311.

» Cette resplendissante demeure a cent yodjanas de largeur ; on lui a donné, royal fils de Pândou, une longueur beaucoup plus grande. 312.

» C’est un palais, brillant sur toutes ses faces, semblable au soleil, ni trop chaud, ni trop froid, séduisant l’âme et doué de ces formes, qu’on aime. 313.

» Là, n’entrent jamais ni le chagrin, ni la vieillesse, ni la faim, ni la soif, ni la tristesse, ni la fatigue, ni l’obstacle, ni le déplaisir. 314.

» Là, sont rassemblés tous les objets, que peuvent désirer ou les Dieux ou les hommes ; là, se trouvent à profusion et remplis de saveur tous les mets agréables, doux, appétissants, soit pour manger, soit pour lécher, soit pour sucer, et toutes les espèces de breuvages. 315-316.

» Là, sont des parfums exquis, de belles guirlandes, des arbres couverts en toutes saisons des fruits, que l’on désire, des eaux savoureuses, ou froides, ou chaudes.

» Là, mon enfant, ces Râdjarshis purs et ces Dévarshis immaculés forment la cour bienheureuse d’Yama, le fils du soleil : 317-318.

» Yayâti, Nahousha, Poùrou, Mandhàtri, le roi Somaka, l’illustre et vigoureux Trasadasyou, le Vâdjarshi,

» Arishtanémi, Siddha, Kritavéga, Kriti, Nimi, Pratardana, Çivi, Matsya, Prithoulâksha, Vrihadratha, 319-320.

» Vàrtta, Maroutta, Kouçika, Sankâçrya, Sànkriti, Dhrouva, Tchatouraçva, Sadaçvormi, et le prince Kàrttavîrya, 321.

» Bharata, Souratha, Sounitha, Niçatha, Nala et Divodâsa, Soumanas, Ambarisha, Bhagtratha, 322.

» Vyaçva, Sadaçva, Vadhryaçva, Prithouvéga, Prithouçravas, Prishadaçva, Vasoumanas et Kshoupa à la bien grande force, 323.

» Vrishadgou, Vrishaséna, Pouroukoutsa, Dhwadjî et Rathî, 324.

» Arshtipéna, Dilîpa et le magnanime Ouçînara, Aàuçînari, Poundarîka, Çaryàti, Çarabha, Çoutchi, 325.

» Anga, Rishta, Véna, Doushyanta, Srindjaya, Djaya, Bhàngàsouri, Sounitha, Nishada et Vahînara, 326.

» Karandhama, Vâhlika, Soudyoumna, le vigoureux Madhou, elle puissant Maroute Éla, le souverain de la terre,

» Kapotaroman, Trinaka, Sahadéva et Arjouna, Vyaçva et Sàçva, Kriçàçva et le roi Çaçavindou, 327-328.

» Râma le Daçarathide, Lakshmana et Pratarddana, Alarka, Kakshaséna, Gaya et Goràçva lui-même, 329.

» Râma le Djamadagnide, Nàbhàga et Sagara, Bhouridyoumna, Mahâçva, Prithâçva et Djanaka, 330.

» Le roi Valnya, Vârishéna, Pouroudjit, Djanamédjaya, Brahmadatta, et Trigartta, et Râdjoparitchara, 331.

» Indradyoumna, Bhîmadjânou, Gaâuraprishtha, Anala ; Gaya, et Padma, et Moutchoukounda, et Bhoûridyoumna, et Prasénadjit, 332.

» Arishtanémi, Soudyoumna et Prithoulâçva, le huitième ; œnt rois poissons, cent autres nipas[30], cent autres chevaux, 333.

» Une centaine de Dhritarâshtras, quatre-vingts Djanamédjayas, cent Brahmadattas, une centaine d’Irinas, 334.

» Deux centaines complètes de Bhîshmas et cent Bhîmas, une centaine de Prativindhyas, cent rois éléphants, cent autres yaks. 335.

» Sache qu’il y a encore une centaine de palâças faits hommes, cent kâças, kouças et autres végétaux personnifiés, Çântanou et Pândou même, ton père, monarque des rois,

» Ouçangava, Çataratha, Dévarâdja, Djayatratha et Vrishadarbha, le sage râdjarshi, avec ses ministres,

» Et des milliers d’autres monarques, arrivés dans le palais d’Yama, après qu’ils eurent sacrifié des açvamédhas nombreux, solennels, payés avec de riches honoraires.

» Ces ràdjarshis saints, renommés, chéris de la gloire, composent dans ce palais, Indra des rois, la cour du Vivasvatide. 336-337-338-339.

» Agastya, Matanga, Kâla et Mrityou même, les sacrificateurs, les Siddhas et ceux, qui ont les corps de l’yoga,

» Les Agniswâttas, les Pitris, les Phénapas, les Oushmapas, les Swadhavats, les Barhishadas et les autres cérémonies personnifiées, 340-341.

» Le vénérable Feu, qui se rend visible au temps, où expire un cycle du monde ; les hommes aux œuvres difficilement accomplies, les Dakshinâyanas, les Mrityavas,

» Et les énergies, qui participent au gouvernement d’Yama, le roi de la mort ; les çinçapas et les pâlâças, les kâças, les kouças et d’autres saints végétaux faits hommes composent, puissant roi, cette cour d’Yama, le roi de la justice. Tous ceux-là et d’autres en grand nombre sont les serviteurs et les courtisans du souverain des Mânes. 342-343-344.

» Il est impossible d’en supputer, fils de Prithâ, les noms et les fonctions. Avant de construire ce palais vaste, délicieux, se transportant où l’on désire, Viçvakarma se mortifia long-temps par la pénitence. 345.

» Les ascètes aux violentes macérations, aux vœux bien observés, et de qui la bouche est asservie à la vérité, y viennent, rejeton de Bharata, flamboyants et tout resplendissants de leur propre lumière. 346.

» Placides, purs, détachés des affections mondaines, sanctifiés par de bonnes œuvres, tous ont des corps éblouissants de splendeur, tous sont vêtus de robes immaculées.

» Tous portent des bracelets merveilleux, des pendeloques flamboyantes, des guirlandes admirables, et s’avancent, brillamment escortés de nobles personnes, qui sont leurs bonnes actions et leurs œuvres saintes. 347-348.

» Là sont, par troupes, des Gandharvas à la grande âme ; ici, des chœurs d’Apsaras. La musique des instruments, la danse, le chant, les rires, le gracieux lâsya[31] remplissent tout le palais. 349.

» De tous côtés, fils de Prithâ, ce ne sont que des parfums exquis, que des sons ravissants. De frais bouquets enchantent les yeux de toutes parts. 350.

» Cent millions de justes, doués tous de sagesse et de beauté, servent le magnanime souverain des créatures.

» Tel est, sire, le palais du roi des Mânes. Je vais maintenant te décrire le palais aux guirlandes de lotus, habitation de Varouna. 351-352.

» Le céleste château de Varouna est, Youddhishthira, d’une splendeur infinie ; il égale en dimensions le palais d’Yama. Ses portes arcadées et ses remparts éblouissent les yeux. 353.

» Viçvakarma, pour le construire, descendit au fond des eaux. Il est orné d’arbres divins, faits de pierreries, donnant des fleurs et des fruits, 354.

» D’arbrisseaux verts, jaunes, noirs, bleus, rouges et blancs, qui étendent sur leurs pédoncules des fleurs non encore écloses. 355.

» Là sont, par centaines et par milliers, des oiseaux admirables aux doux ramages et d’une beauté indescriptible. 356.

» Ce palais charmant, doux au toucher, blanc, ni froid, ni chaud, bien pourvu de sièges et de vêtemens, est défendu par Varouna. 357.

» C’est là que, accompagné de Varouni, habite le souverain des ondes, orné de célestes parures et vêtu d’une robe faite de pierreries célestes. 358.

» Là, oints d’onguents à l’odeur céleste, parfumés d’essences divines et ceints de belles guirlandes, les Adityas servent le Dieu, qui règne sur les eaux. 359.

» Vâsouki, Takshaka et Nâga, Aîrâvana, et Krishna, et Lohita, et Padma, et le vigoureux Tchitra, 360.

» Kambala et Açvatara, les deux serpents Dhritarâshtra et Balaka, Manimat et Koundadhàra, Karkotaka et Dhanandjaya, 361.

» Animat et un autre Koundadhâra, plein de vigueur, ô maître de la terre, Prahlâda, Moûshikâda et Djanamédjaya, 362.

» Les patâkinas[32], les raandalinas[32] et les phanavantas[32] sans exception, Youddhishthira, ces serpents et d’autres en grand nombre servent dans ce palais, 363.

» Sans connaître la fatigue, Varouna le magnanime. Bali, ce roi fils de Virotchana, Naraka, le conquérant de la terre, 364.

» Sanhrâda, Vipratchitti et les Dânavas, serpents des eaux, Souhanou, Dourmoukha, Çankha, Soumanas et après lui Soumati, 365.

» Ghatodara, Mahâpàrçwa, Krathana et Pithara, Viçvaroûpa, Swaroûpa et Viroûpa à la grande tête, 366.

» Daçagrîva, Bâli, Méghavâsas, Daçâvara, Tittibha, Vitabhoûta, un autre Sanhrâda et Indratâpana, 367.

» Toutes les troupes des Daîtyas et des Dânavas aux pendeloques éblouissantes, ceints de guirlandes, ornés de bouquets, vêtus d’habits célestes, 368.

» Tous ces héros, tous exempts de la mort, tous remplissant bien leurs fonctions, servent continuellement dans son palais, quand ils en ont obtenu la faveur, Varouna, le Dieu magnanime, qui tient dans sa main le lasso du devoir. En outre les quatre mers et le fleuve Bhâgîrathî, 369-370.

» La Kâlindî, la Vidiçâ, la Vénâ, la Narmadâ au rapide courant, la Vipâçâ, la Çatadroû, la Tchandrabhâgâ, la Sarasvati, 371.

» L’Irâvatî et la Vitastâ, le Sindhou, ce fleuve des Dieux, la Godâvarî, la Krishnavénâ et la Kavérî, la plus belle des rivières, 372.

» La Rimpounâ, et la Viçalyâ, et la rivière Vaîtaranî, qui est la troisième, la Djyeshthilà, et le Çona, roulant à grand bruit, et la Tcharmanvatî, et la grande rivière Parnâçâ, 373.

« La Sai-ayoû, la Vâravatyâ et la Lângalî, excellent cours d’eau, la Karatoyâ, l’Atréyî et le bruyant Laâuhitya.

» La Laghantî, la Goraatî, la Sandhyâ et la Trissrotasî : ces rivières et d’autres saints tirthas, célèbres dans le monde, Indra des rois, 374-375.

» Fleuves de tous les pays, bains sacrés, lacs, puits, ruisseaux faits hommes, Youddhishthira, 376.

» Marais, piscines, revêtus d’un corps humain, fils de Bharata, les points cardinaux, la terre et toutes les montagnes 377.

» Forment la cour du magnanime avec tous les êtres, qui nagent dans les eaux. Les troupes des Apsaras et des Gandharvas, le chant à la bouche et les instruments de musique à la main, 378.

» Entonnent les louanges de Varouna dans ce château, leur commune habitation. Là siègent, racontant de bien charmantes histoires, les montagnes aux riches pierreries et les eaux fameuses. Là habite Varouna avec son ministre Sounâbha ; 379-380.

» Varouna, environné de ses fils et de ses petit-fils, de Gonâman et de Poushkara. Tous ont des corps et tous ils composent la cour de cet auguste roi. 381.

» Tel est, éminent Bharatide, ce ravissant palais de Varouna, que j’ai vu avant le tien dans mes pérégrinations. Écoute-moi décrire maintenant le palais de Kouvéra. 382.

» Le palais du fils de Viçravas est long de cent yodjanas, sire ; il en couvre soixante-dix de sa largeur ; il brille d’une blanche lumière. 383.

» Kouvéra, sire, l’a conquis lui-même par ses mortifications : il a ime splendeur égale à celle de la lune ; son toit ressemble aux cimes du Kailàsa. 384.

» Soutenu par les Gouhyakas, ce palais céleste respendit comme suspendu au milieu des airs : il est embelli de hauts pavillons faits d’or. 385.

» Admirable, charmant, parfumé de senteurs divines, plein de grandes pierres fines, il paraît aux yeux naviguer dans l’atmosphère, et la forme de ses cîmes ressemble à des nuées blanches. 386.

» Château aérien, ses parties faites d’or le coupent comme des éclairs. C’est là que demeure le royal fils de Viçravas, paré d’une robe et d’ornements admirables.

» Portant des girandoles flamboyantes, saturé de bonheur, environné par des milliers de femmes, il siège sur un trône saint, couvert de tapis célestes, brillants comme le soleil, et ses pieds reposent sur un marche-pied divin. Un vent frais le caresse, un vent chargé de parfums, disséminant les senteurs des bois odorants, du bosquet Nandana et du bassin de lotus, qui prend son nom d’Alakâ ; un vent, joie du cœur, au souffle duquel se balance la cîme des généreux mandâras. 387-388-389-390.

» Là, rassemblés dans ce palais, chantent avec de célestes accents, puissant roi, les Dieux et les Gandharvas, environnés par les troupes des Apsaras, 391.

» Miçrakéçî, Rambhâ, Tchitrasénâ au candide sourire, Tchârounétrâ, Ghritakshî, Ménakâ et Poudji-Kasthalâ, Viçvâtchî, Sahadjanyâ, Pramlotchâ, Ourvaçi et Irâ, 392-393.

» Vargâ, Saâutabhéyî, Samîtchî, Voudvoudâ et Latà. Ces troupes d’Apsaras et de Gandharvas, ainsi que d’autres par milliers, habiles dans le chant et la danse, servent le Dieu, qui donne les richesses. Le chant, la danse et les instruments d’une musique céleste font résonner sans relâche ce divin palais. 394-395.

» Il brille de splendeur et n’est jamais vide d’Apsaras et de Gandharvas en troupes. Il y a des Kinnaras, il y a des Gandharvas, il y a des hommes et d’autres personnages : 396.

» Manibhadra, Dhanada et Çwétabhadra le Gouhyaka, Kaçéraka, Gandakandou et Pradyota à la grande force, Koustoumbarou et le Piçâtcha Gadjakarna, Viçàlaka,

» Varâhakarna, Tâmraâushtha, Phalakaksha, Phalaudaka, Hansatchouda, Çikhâvartta, Hémanétra, Vibhîshana, 397-398.

» Poushpânana, Pingalaka, Çonitoda, Prabâlaka, Vrikshavat, Panikéta et Tchîravâsas : ceux-là et d’autres Yakshas par centaines de mille. 399.

» L’auguste Lakshmî, Nalakoûvara, et moi, et d’autres mes égaux en grand nombre habitent continuellement ce palais. 400.

» Là, sont d’autres Brahmarshis et Dévarshis ; là, des Rakshasas mêmes et d’autres Gandharvas à la grande force servent le magnanime seigneur, qui dispense les richesses. 401.

» Là, environné par des troupes de cent mille Bhoûtas, l’auguste époux d’Oumâ, Paçoupati, le Dieu armé du trident, qui arrache les yeux à la fortune, 402.

» Tryambaka, l’archer terrible à la grande vigueur, Dévî à ses côtes, étrangère à la fatigue, habite là sans cesse, tigre des rois, chez son ami le Dieu des richesses, avec sa cour de nains-bossus, aux longues dents, aux yeux de sang, aux vastes cris, horribles mangeurs de chair et de moëlle. Des armes variées, épouvantables, sire, l’environnent, semblables à des vents rapides. Il compte dans sa cour d’autres nombreux et joyeux suivants par centaines et les chefs des Gandharvas : Viçvâvasou, Hâhâ, Houhoû, Toumbourou, Parvata, Çalloûsha et L’autre, 403-404-405-406.

» Tchitraséna, chanteur savant, et Tchitraratha : ces Gandharvas et d’autres composent la cour du maitre des richesses. 407.

» Tchakradharmâ, le souverain des Vidyâdharas, avec son cortège y sert l’auguste Dieu, qui préside à la richesse. 408.

» Les Kinnaras par centaines et les rois, marchant à la suite de Bhagadatta, servent eux-mêmes l’adorable Kouvéra. 409.

» Parmi les courtisans de l’opulente Déité est encore Drouma, Kimpourousha, Iça, le souverain des Rakshasas, le Mahéndra, le Gandhamâdana, 410.

» Avec les Yakshas, avec les Gandharvas, avec tous les Démons nocturnes. Le vertueux Vibhîshana y rend hommage à son auguste frère. 411.

» L’Himâlaya, le Pâripâtra, le Vindhya, le Kallâsa, le Mandâra, le Malaya, le Dardoura même, le Mahéndra, le Gandhamâdana, 412.

» L’Indrakîla, le Sounâbha et les deux montagnes célestes, ces monts et plusieurs autres, le Mérou à la tête, ont là tous leur siège au-dessous de l’auguste et magnanime souverain de la richesse. 413.

» Là siègent le bienheureux Nandiçvara, et Mahâkâla, et tous leurs divins suivants aux inufiles d’âne, 414.

» Kâshtha, Koutimoukha, Dantî et Vidjayâ aux sublimes pénitences, et le taureau Çwéta à la grande force, aux vastes meuglements. D’autres Rakshasas et Piçâtchas sont les serviteurs du Dieu, qui dispense les richesses.

» Le Poulastide, souverain de l’opulence, ne s’avance jamais que la tête inclinée vers l’époux d’Oumâ, environné de sa cour, Çiva aux formes multiples, Mahéçwara, le roi du roi des Dieux, qui donne la vie aux trois mondes. Il ne s’assied jamais avant que le Grand-Dieu, Bhava, l’ami de Kouvéra, ne lui en ait accordé la pcnnission. 415-416-417.

Là, Çankha et Padma, les premiers de ses plus riches trésors, les deux rois des richesses, se tiennent, toutes leurs richesses dans les mains, aux ordres du Dieu, qui préside aux richesses. 418.

» Tel est ce ravissant palais, que j’ai vu naviguer dans l’atmosphère ; je vais maintenant te décrire le palais de Brahma, l’aïeul suprême des créatures. Prête-moi l’oreille, sire. 419.

» Écoute-moi te raconter, fils de Bharata, quel est ce palais du Pitâmaha ; séjour, qu’on ne saurait dépeindre, mon enfant, à tel point qu’on pût dire : « Voilà sa forme ! »

» Jadis, dans l’âge Krita, l’adorable soleil, inaccessible à la fatigue, descendit du ciel, désirant voir le monde des hommes. 420-421.

» Voyageant sous un forme humaine, il vit le palais de Swayambhou, et me fit, d’après le témoignage de ses yeux, fils de Pândou, une description exacte de cette 422.

» Habitation immense, céleste, idéale, indescriptible par la prééminence de ses qualités, auguste Bharatide, et ravissante pour tous les êtres ! 423.

» À peine eus-je ouï raconter les merveilles de ce palais que, désirant le voir, chef des Pândouides, je parlai en ces termes au soleil : 424.

« Adorable, j’ai envie de voir ce radieux palais de l’ayeul suprême des créatures. Dis-moi par quelle pénitence, ou quelles œuvres, ou quels simples efficaces, maitre du monde, je puis obtenir de voir ce palais sublime et qui efface les péchés. » 426-426.

» À ces paroles de moi, l’astre aux mille rayons, la cause du jour, m’imposa, ô le plus vertueux des Bharatides, un vœu de mille années : 427.

« Observe d’une âme recueillie le vœu de Brahma ! » Il dit ; et moi de commencer ce grand vœu sur le flanc de l’Himâlaya. 428.

» Ensuite l’énergique soleil m’emporta et le bienheureux se dirigea, sans paresse, sans fatigue, vers le palais de Brahma. 429.

» Le dépeindre, monarque des hommes, et dire : « Voilà sa forme ! » est chose impossible. En effet, à chaque instant, il change de forme et sa beauté est indescriptible. 430.

» Je ne sache pas, enfant de Bharata, que nulle part avant j’aie vu de telles dimensions, un tel plan d’architecture, une telle beauté. 431.

» Une profonde joie règne toujours dans ce palais, qui n’est, sire, ni chaud, ni froid : ceux, qui entrent là, ne sentent ni la faim, ni la soif, ni la tristesse. 432.

» Fait de pierreries éblouissantes, ce palais a, pour ainsi dire, toutes les formes : il n’est pas soutenu sur des colonnes, mais il est éternel ; les êtres célestes de mainte espèce, qui l’habitent et brillent de splendeurs infinies, participent à son indestructibilité. 433.

» Sa lumière propre surpasse celle de la lune, celle du soleil, celle du feu. Il flamboie, situé sur la voûte du ciel, où il semble railler l’astre de la lumière ! 434.

» L’adorable ayeul de tous les mondes, seul avec lui-même, trône dans ce palais, où il crée sans cesse par la vertu de sa mâyâ divine. L’auguste Dieu, sire, est servi par les maîtres des créatures : 435..

» Daksha, Pratchétas, Poulaha, Marltchi, le grand Kaçyapa, Bhrigou, Atri, Vaçishtha, Gaâutama et Angiras, 436.

» Poulastya, Kratou même, Prahlâda et Karddama, Atharva, Angirasa, les Bâlikhilyas, les Marîtchipas, 437.

» Manou, l’Atmosphère, les Éclairs, le Vent, la Splendeur, l’Eau, la Terre, le Son, le Toucher, la Forme, le Goût et rOdorat, fils de Bharata, 438.

» La nature, la transmutation des formes et la seconde cause de la terre, Agastya à la grande splendeur et l’énergique Mârkandéya,

» Djamadagni, Bharadwâdja, Sambartta et Tchyavana, l’éminent Dourvâsas et le vertueux Rishyaçringa, 439-440.

» Sanatkoumâra le bienheureux, Yogàtchârya aux grandes pénitences, Asita, Dévalga et Djaîgîshavya, qui sait la vraie nature des choses, 441.

» Rishabha, Ajitaçatrou à la grande vigueur, Mani, Ayourvéda, Ashtânga et Déhavat siègent dans ce palais, enfant de Bharata.

» La lune avec ses constellations, le soleil avec ses rayons, les vents, les sacrifices, la pensée, la vie même, 442-443.

» Tous ces êtres magnanimes, enchaînés à de grands vœux, et plusieurs autres revêtus comme eux d’un corps humain, composent la cour de Brahma.

» L’intérêt, le devoir, l’amour, la joie, la haine, la pénitence, la répression des sens avec des troupes d’Apsaras et de Gandharvas, circulent de compagnie dans ce palais. 444-445.

» On y voit les vingt-sept gardiens du monde, sans exception, et d’autres : Çoukra, Vrihaspati, Boudha et Angâraka lui-même, 446.

» Çanalçtchara, Râhou, toutes les planètes, le Mantra, le Sâma-Véda et le riche Temps lui-même, 447.

» Les Adityas et les rois suprêmes, appelés avec des couples de noms, les Maroutes, Viçvakarma et les Vasous, noble Bharathide, 448.

» Toutes les troupes des Mânes, toutes les oblations de beurre clarifié, le Rig-Véda, le Sâma-Véda et l’Yadjour-Véda, fils de Pàndou, 449.

» L’Atharva-Véda, tous les Çâstras eux-mêmes, les Itihâsas, les Oupavédas et les Védângas entièrement, 450.

» Les éclipses de lune et de soleil, le soma ou te jus de l’asclépiade acide, toutes les divinités, Oumâ ou Sàvitri et Sarasvatî aux sept formes, difficile à traverser de l’un à l’autre bord, 451.

» L’intelligence, la fermeté, la mémoire, la science, la pensée, la réputation, la patience, les flatteries, les Çâstras de la louange et les chants variés, 452.

» Les paroles jointes à la pensée, revêtues les unes et l’autre d’un corps, les drames divers, souverain des hommes, les poèmes, les fables, les romans et les commentaires ; 453.

» Ces vertueuses personnes et d’autres, qui obéissent religieusement à un gourou, sont les habitants de ce palais, comme la seconde, la minute, l’heure, le jour et la nuit, 454.

» Les quinzaines lunaires, les mois et les six saisons, fils de Bharata, l’année, le lustre et la grande journée à quatre phases. 455.

» Là, siège toujours le cycle divin, immortel, impérissable ; là, siégent toujours, Youddhishthira, le cycle de Brahma, Aditi, Diti, Danou même, Sourasâ, Vinatâ, Irâ,

» Kâlikâ, Sourabhî, Dévî, Saramâ et Gaàutamî, Prabhâ, Kadrou, les deux Dévîs et les mères des Dieux,

» Roudrânî, Çrî, Lakshmî, Shashthî et Parâ, Prithivî ou la terre, Gângatà, la Déesse Pudeur, Svvâhâ et la renommée, 456-457-458.

» Sourâ, Dévî et Çatchî même, Poushti, Aroundhatî, Samvritti, l’Espérance, la compression des sens, la Déesse Création et la Volupté : ces divinités et d’autres forment la cour du Pradjâpati 459.

» Avec les Adityas, les Vasous, les Roudras, les Maroutes et les deux Açwins, les Viçvadévas, les Sâdhyas et les Pitris, aussi rapides que la pensée. 460.

» Sache, roi des hommes, qu’il y a sept classes de Pitris ou Mânes : quatre sont revêtues d’un corps et trois n’ont pas de corps. 461.

» Les éminents Vaîrâdjas, les Agniswâttas, auguste Bharathide, les Gârhapatyas, qui cheminent à travers le ciel, Pitris renommés dans le monde, 462.

» les Somapas, les Ékaçringas, les Tchatour-Védas et les Kâlas : tels sont les Pitris, sire, honorés dans les quatre castes. 463.

» Ceux-ci commencent par satisfaire à leur faim et Lunus ne satisfait à la sienne qu’après eux. Ils servent tous le Pradjâpati et joyeux ils siègent au-dessous de Brahma à la splendeur infinie. 464.

» Les Rakshasas, les Piçâtchas, les Dânavas et les Gouhyakas, les Nàgas, les Souparnas et las Paçous sont également au nombre des courtisans du Pitâmaha. 465.

» Les grands êtres, immobiles et mobiles, d’autres avec eux, Pourandara, le roi des Dieux, Varouna, Dhanada, Yama, sont eux-mêmes de sa cour. 466.

» Mahadéva, accompagné d’Oumâ, vient toujours de toute sa personne, Indra des rois, en ce merveilleux palais. Kârtikéya y sert lui-même avec eux l’ayeul suprême des créatures. 467.

» Là, sont encore le Dieu Nârâyana et les Dévarshis, et les rishis Bâlikhilyas, les êtres nés d’une matrice et ceux, de qui la naissance est surnaturelle. 468.

» Sache qu’il n’existe pas un être quelconque, immobile ou mobile, vu dans les trois mondes, que je n’aie trouvé là, roi des hommes. 469.

» Quatre-vingt-huit mille rishis, voués à la continence et cinquante mille rishis ayant donné le jour à des fils, noble Pândouide, 470.

» Tous habitants du ciel, une fois qu’ils ont rassasié leurs yeux du bonheur de contempler Brahma, se prosternent, la tête à ses pieds, et s’en vont tous comme ils sont venus. 471.

« Le saint à la sagesse infinie, Brahma, l’ayeul suprême des mondes, rempli de compassion à l’égârd de tous les êtres, accueille, suivant qu’ils en sont dignes,

» Les hôies, qui viennent chez lui. Dieux, Daîtyas, Nâgas et brahmes, Yakshas, Souparnas, Kâléyas, Gandharvas et Apsaras. 472-473.

» Reçus dans son palais, monarque des enfants de Manou, l’Être à la splendeur sans mesure, existant par lui-même, l’âme du monde, les flatte, les comble de biens et de plaisirs. 474.

» À chaque premier jour des quinzaines lunaires, le palais, enivrant de bonheur, est tout rempli, cher Bharatide, de ces nobles visiteurs. 475.

» Divin, tout composé de lumières, habité par les chœurs des Dévarshis, flamboyant d’une beauté brahmique, il brille d’une inaltérable splendeur. 476.

» Tel j’ai vu ce palais, aussi difficile à obtenir dans les mondes du ciel que le tien, celui-ci, tigre des rois, l’est dans le monde des enfants de Manou. 477.

» C’est dans le monde divin, que j’ai vu autrefois ces palais, auguste Bharatide ; mais le tien est sans contredit le plus beau dans le monde humain. » 478.

Youddhishthira lui répondit :

« Ô le plus éloquent des êtres, qui sont doués de la voix, tu as parlé très-souvent du monde des rois ; il est situé, comme tu l’as dit, saint anachorète, dans le palais d’Yama.

» Tu as dit, éminent solitaire, que les Nâgas, les rois des Daîtyas eux-mêmes, les plus grands fleuves et la mer en personne habitaient le palais de Varouna. 479-480.

» Tu as dit que le palais du Dieu des richesses était l’habitation des Yakshas, des Gouhyakas et des Rakshasas, des Gandharvas, des Apsaras et de l’Adorable, qui porte un taureau dans le champ de son étendard. 481.

» Tu as dit que dans le palais du Pitâmaha étaient réunis les grands saints, tous les chœurs des Dieux et tous les Çâstras faits hommes. 482.

» Tu as placé les Dieux, anachorète, dans le palais de Çakra, et, par exemple, les Gandharvas et les différents Maharshis. 483.

» Mais le saint roi Hariçtchandra est le seul, grand anachorète, que tu aies dit habiter le palais du magnanime roi des Dieux. 484.

» Quelle action avait-il faite, ou quelle pénitence avait-il supportée, hermite aux vœux constants, qui pût mettre ainsi le prince à la bien grande renommée au niveau de Çakra ? 485.

» Le vertueux Pândou, mon père, est allé dans le monde des Mânes : l’y as-tu vu, brahme ? Ou comment s’est-il rencontré avec toi ? 486.

» Qu’est-ce qu’il t’a dit, vénérable ? Conte-moi cela ; j’ai une extrême curiosité d’entendre toutes ces choses de ta bouche. » 487.

« Je vais donc te dire quelle fut, reprit Nârada, la magnanimité du sage Hariçtchandra, sur lequel tu m’interroges, auguste Indra des rois. 488.

» Ce fut un puissant monarque, suzerain de tous les rois : tous les potentats du globe se tenaient courbés devant ses ordres. 489.

» Monté dans un char victorieux aux ornements d’or, ce roi, qui possédait l’énergie des armes, conquit, souverain des hommes, les sept îles de la terre. 490.

» Après qu’il eut soumis ce globe entier avec les bois, les eaux et les montagnes, il offrit, puissant roi, le grand sacrifice du Râdjasoûya. 491.

» Dociles à son ordre, tous les rois y apportèrent des richesses et furent dans le sacrifice les assistants des brahmes. 492.

» Le souverain des hommes y donna avec amour des biens aux mendiants : d’abord, ce qu’ils avaient sollicité ; ensuite, dix fois plus. 493.

» Il rassasia de richesses en toutes sortes les brahmes, accourus de mainte et mainte contrée, quand fut arrivé le moment de procéder au sacrifice. 494.

» Enfin les brahmes contents, mis au premier rang, comblés de pierreries données en multitude, rassasiés de mets et d’aliments au gré de leur envie, prononcèrent les dernières paroles. 495.

» Plein d’héroïsme et proclamé par la renommée, il était supérieur à tous les rois : Hariçtchandra était donc, sache-le, auguste chef des Bharatides, éclatant de splendeur au milieu de ces milliers de souverains. Quand ce prince majestueux eut terminé ce grand sacrifice, alors, sacré au titre d’empereur universel, il n’y eut rien d’égal à sa noble lumière. Ainsi en est-il des autres potentats, chef des Bharatides, qui célèbrent le grand sacrifice du Râdjasoûya ; ils partagent les plaisirs d’Indra : ainsi en est-il de ceux, qui préfèrent la mort à la fuite dans les batailles : ainsi en est-il de ceux, qui détruisent leur corps ici-bas par une violente pénitence. Entrés, chef des Bharatides, dans le palais d’Indra, ils prennent part à ses plaisirs. 496-497-498-499-500.

» Admis dans ce paradis, ces fortunés hôtes y brillent d’une splendeur continuelle. Pândou, ton père, à la vue de la beauté, dont éclatait Hariçtchandra, m’a dit, royal fils de Kountî, la joie des Kourouides, dans l’épanouissement de son admiration, quand il sut que je tournais ma route vers le monde des enfants de Manou : 501-502.

« Après que tu l’auras salué, dis au puissant Youddhishthira : Tes frères te sont docilement soumis, tu es capable de conquérir la terre. 503.

» Célèbre ensuite un râdjasoûya, le plus efficace des sacrifices. Quand tu l’auras offert, toi, mon fils, je serai bientôt, moi ! un second Hariçtchandra ! et je m’enivrerai de plaisirs dans la cour de Çakra durant de nombreuses, éternelles années. » C’est ainsi qu’il m’a parlé, rejeton de Bharata. « Qu’il en soit ainsi ! ai-je répondu à Pândou ; je redirai ce langage au monarque ton fils, si je vais sur le monde de la terre. » Accomplis donc sa pensée, fils de Pândou. 504-505-506.

» Tu partageras avec tes ancêtres eux-mêmes le bonheur de posséder le monde de Mahéndra. Ce sacrifice est appelé grand ; beaucoup d’obstacles, prince, l’environnent. 507.

» Des brahmes, tombés dans la condition de Rakshasas, destructeurs des sacrifices, veulent y jeter des troubles : de là naissent des combats, qui font périr les kshastryas et produisent la ruine de la terre. 508.

» Une cause quelconque peut y apporter la destruction. Songe bien à cela, Indra des rois, et fais alors ce qui est heureux. 509.

» Levé sans paresse, n’abandonne pas un instant la défense des quatre classes ; grandis, amuse-toi, rassasie les brahmes de richesses ! 510.

« J’ai répondu amplement aux interrogations, que tu m’as adressées ; maintenant je te fais une question : puis-je aller à la ville des Dâçârhains ? » 511.

Après qu’il eut parlé de cette manière aux fils de Kountî, Nârada, auguste Djanamédjaya, s’en retourna, environné de ces rishis, dans la compagnie desquels il était venu. 512.

L’anachorète parti, le prince, issu de Kourou et fils de Prithâ, songea avec ces frères au râdjasoûya, le plus éminent des sacrifices. 513.



LE RADJASOUYA



Vaîçampâyana dit :

« À peine eut-il ouï ce langage du solitaire, Youddhishthira de soupirer et, songeant au sacrifice du râdjasoûya, il ne pouvait goûter de joie, rejeton de Bharata.

Comme il avait entendu raconter l’âme élevée des rishis, magnanimes sacrificateurs, comme il voyait que la possession de la terre et surtout la beauté du saint roi Hariçtchandra se gagnent par des sacrifices purs, il désirait pour lui-même un prêtre ofiiciant, digne de célébrer le sacrifice du râdjasoûya. 514-515-516.

Ensuite, ayant rendu lui-même des honneurs à tous ceux, qui siégeaient dans son palais, ayant reçu en échange des siens les honneurs de tous, Youddhishthira de tourner sa pensée vers le sacrifice. 517.

Alors, Indra des rois, quand il eut plusieure fois réfléchi sur cette affaire, le chef de la famille issue de Kourou prit sa résolution de sacrifier. 618.

En outre, il se disait, pensant au devoir, lui, de qui l’énergie et la vigueur étaient prodigieuses : « D’où pourrait donc venir le bien de tous les mondes ? » Ce fut dans cette pensée qu’il appliqua son esprit au sacrifice. 519.

Youddhishthira, le plus fort de tous ceux, qui soutiennent le devoir, répandit ses faveurs sur toutes les créatures, et procura entièrement le bien à tous ses sujets. 520.

« Qu’on donne à tous ce qu’il faut donner ! — Ceci est le devoir ! — Ceci est le juste devoir, qui efface la colère et l’orgueil ! » On n’aurait pu entendre chez lui une autre parole. 521.

Les choses étant ainsi, les hommes respiraient sous lui, comme s’il était leur père ; il n’avait pas un seul ennemi : c’est de-là que vint son nom d’Adjâtaçatrou, c’est-à-dire, l’homme, qui n’a point d’ennemi. 522.

Sous les faveurs du monarque, sous la protection de Bhîmaséna, sous la force de Bîbhatsou-l’Ambidextre à repousser les ennemis, 523.

Sous la règle des devoirs du prudent Sahadéva, sous la modestie naturelle de Nakoula envers tous, le peuple vivait alors sans guerre, sans crainte, chacun trouvant son bonheur dans les occupations de sa caste. 524.

Les campagnes avaient des pluies à volonté, elles prospéraient avec les choses du sacrifice, la surveillance des troupeaux, l’agriculture, le prêteur, le marchand. 525.

Tous ces biens n’avaient pas d’autre cause que les soins du monarque : et, tandis qu’Youddhishthira se maintenait dans la vertu, il n’y avait là, ni filouterie, ni vol ; rien n’y souffrait du feu des maladies. On n’entendait pas dire que le roi ou un ami du roi eussent fait l’un pour l’autre une chose injuste au profit des voleurs ou des fripons. Tandis qu’Youddhishthira se maintenait dans la vertu, les princes de ne faire que des choses aimables, de semer l’offrande en l’honneur de tous les êtres, et chacun en particulier de retrancher dans les six qualités d’un roi ce qui pouvait s’y trouver d’irrégulier. De jour en jour, son royaume s’augmentait d’étrangers, nés en de bonnes familles, d’hommes conduits par le désir du gain, amenés par la qualité de passion et dont il usait à sa volonté. Resplendissant, illustre dans ce monde, où il était préposé à l’empire universel, il était le seul monarque de tout, il avait toutes les qualités, il soutenait tout, il circulait dans tout. Les dix points de l’espace, sire, les créatures avaient pour lui l’amour, qu’on a pour un père et une mère, et les brahmes sous lui ne faisaient rien, qui fût un péché. (De 520 à 531.)

Le plus éloquent des êtres doués de la parole fit rassembler ses ministres et ses frères, qu’il interrogea mainte et mainte fois sur le râdjasoûya. 532.

Les ministres questionnés adressèrent donc alors de compagnie ces paroles convenables au sage Youddhishthira, qui désirait sacrifier : 533.

« Parce que le sacre donne au monarque la qualité de Varouna, c’est pour cela que le roi veut obtenir la qualité entière d’empereur universel. 534.

» Tes amis pensent que le temps du râdjasoûya est venu pour ta majesté, digne de porter le titre d’empereur du globe entier. 535.

» C’est de toi que dépend, grâce au privilège du kshatrya, le moment de ce sacrifice, dans lequel des brahmes aux vœux parfaits réunissent les six feux, conformément aux règles du Sâma-Véda. 536.

» Le prince, qui, tenant la sainte cuiller et l’oblation aux Dieux, aborde tous les sacrifices et reçoit l’onction royale, est à la fin du sacre appelé à cause cela même le conquérant de l’univers. 537.

» Tu as la puissance, héros au longs bras, et nous marchons tous soumis à ta volonté ; tu obtiendras donc avant qu’il soit long-temps ce râdjasoûya, grand roi.

» Applique sans balancer, puissant monarque, ta pensée au sacrifice. » Ils disent, et ses amis de lui parler ainsi, tous de compagnie et chacun en particulier. 538-539.

À peine le Pândouide, meurtrier des ennemis, eut-il entendu leurs justes paroles, qu’il saisit de son âme, monarque des hommes, la résolution de ce hardi sacrifice, bon par excellence. 540.

Ayant, fils du Bharata, entendu les discours de ses amis et connaissant sa puissance, il fixa mainte et mainte fois sa pensée sur la célébration du râdjasoûya,

Accompagné de ses frères, des prêtres, magnanimes, et de ses ministres, Youddhishthira, l’incarnation d’Yama, le sage, qui savait le prix du conseil, délibéra avec Dhaâumya, Dwaîpâyana et les autres. 541-642.

Il dit :

« Puis-je, moi, qui vous parle avec foi, accomplir ce grand désir, que j’ai, d’un râdjasoûya, l’excellent sacrifice, digne d’un empereur universel ? » 543.

À ces mots du roi, eux de répondre, prince aux yeux de lotus, ces proies opportunes à Dharmarâdja-Youddhisthira : 544.

« Tu es digne, ô toi, qui sais le devoir, du râdjasoûya, le grand sacrifice ! » Ce langage dea prêtres et des rishis au puissant roi 545.

Eut l’approbation des ministres et de ses frères. Ensuite, le sage fils de Prithâ, le monarque à la grande science de rouler encore plus ses pensées dans son âme parle désir du bien des mondes. Il réfléchit profondément, considérant le point juste de sa capacité, le lieu et le temps, dont il ne fallait pas laisser perdre les avantages ; car le sage, de qui les œuvres sont réglées par la pensée, ne succombe jamais, et l’entreprise d’un sacrifice n’est pas une chose, qui dépende seulement de la résolution, qu’en a prise une personne. Quand il eut reconnu cette vérité, embrassant l’affaire de toutes ses forces, le fils de Pândou se transporta de son âme pour la décision de la chose vers Krishna-Hari. Il pensa que Djanârdana était plus grand que tous les mondes ; que ce héros aux longs bras échappait à toute mesure, qu’il était né de son amour pour le monde, qu’il était Adja parmi les hommes, et, de ses actions semblables à celles des Dieux, il s’éleva à l’idée que rien ne lui était inconnu, que rien n’existait, qui ne fût né de ses œuvres. (De 546 À 551).

« Il n’est rien, qu’il ne supporte ! » C’est ainsi qu’il pensait à Krishna. Après qu’il eut conçu cette idée sublime, Youddhishthira, le fils de Prithâ, semblable à un gourou, dépêcha un messager à toute vitesse au gourou de tous les êtres. 552.

Le char aux rapides roues eut bientôt transporté l’enivoyé chez les Yadouides ; et, comme le Vasoudévide habitait à Dwârakâ, il vint le trouver dans cette ville. 553.

Accompagné d’Indraséna, l’inaltérable se rendit alors à Indraprastha, désirant lui-même voir le fils de Prithâ, qui désirait le voir. 554.

Après que son léger véhicule eut traversé différentes contrées à la hâte, Djarnârdana vit enfin Indraprastha et son ami le fils de Kountî. 555.

Honoré avec son frère par Youddhishthira et Bhîma, il visita ensuite affectueusement la sœur de son père. 556.

Joyeux, ils se divertit alors avec son ami joyeux, servi, comme un gourou, par Arjouna et les deux jumeaux. Dès que le fortuné Atchyouta se fut reposé dans un lieu resplendissant et qu’il eut un moment à lui donner, Dharmarâdja s’approcha de lui et l’informa de son projet. 557-558.

Youddhishthira dit :

« Un râdjasoûya est l’objet de mon désir ; maison n’arrive point à lui par le désir seulement : cette vérité, Krishna, t’est parfaitement connue. 559.

» Le roi, dans les mains duquel tout est réuni, qui est honoré partout, qui est le souverain de tous, obtient le râdjasoûya. 560.

» Mes amis disent que c’est à toi, réuni avec moi, de faire le râdjasoûya : que ma résolution dernière vienne donc ici de ta bouche, Krishna. 561.

« Quelques-uns par amitié ne signalent pas une faute ; d’autres hommes, dans un but d’intérêt particulier, ne disent que ce qui peut être agréable ; 562.

» Ceux-ci désirent l’aimable, ceux-là recherchent ce qui est utile en soi-même. De telle sorte sont les discours des hommes suivant le dessein, qu’ils se proposent. 563.

» Mais toi, sans t’arrêter à ces raisons, déposant la colère et l’amour, veuille bien dire exactement ce qui est au plus haut degré convenable dans le monde. » 564.

Le céleste Krishna de lui répondre :

« Tu es digne, grand roi, du râdjasoûya par tes vertus. Tu sais toute chose quelconque, rejeton de Bharata ; néanmoins je vais parler. 565.

» Tu sais, roi de la terre, que Râma le Djamadagnide laissa vivre une classe de kshatryas, que la race venue après elle fut appelée kshatryas dans le monde et que cette distinction dans les branches, éminent Bharatide, fut établie par les kshatryas, qui avaient part à l’autorité. 566-567.

» Les rois, ceux, qui tiennent à cette classe et les autres kshatryas sur la terre font remonter leur origine à la race d’Éla et d’Ikshwâkou. 568.

» Apprends, auguste Bharatide, que les rejetons d’Éla et les rois nés d’Ikshwâkou forment une centaine de familles. 569.

» Mais l’extension des rois issus d’Yayâti n’est pas moins grande suivant les qualités : leur expansion embrasse aujourd’hui les quatre faces de la face. 570.

» Toute la caste des kshatryas a servi leur félicité : maintenant Djarâsandha, sire, éclipse la prospérité de ces familles et, sacré, il recueille les révérences de la terre.

» Debout sur la tête des rois, il foule aux pieds toute leur puissance. Maître de ce monde, placé entre les cieux et les enfers, il songea donc à faire de la terre son lot particulier. 571-572.

» Car le roi, qui se fit le souverain seigneur et sous la seule puissance de qui le monde fut réuni, ceint pour cette cause, grand roi, le diadème de l’empire universel.

» L’auguste roi Çiçoupâla, s’étant dévoué entièrement à Djarâsandha, est devenu, sire, le général de ses armées. 573-574.

» Vakra, le monarque du Karoûsha, le combattant à la grande force, armé de la magie, s’approche, puissant roi, de Djarâsandha comme le disciple aborde son maître ;

» Dantavakra le Karoûshain, appelé d’un autre nom Karabha et l’Indra au char de nuages, qui porte sur le front un joyau céleste, nommé le merveilleux joyau 1 Deux autres magnanimes à la puissante vigueur, Hansa et Dimbhaka, ont cherché un abri sous l’alliance du terrible Djarâsandha. 575-576-577.

» De lui relève encore le roi Aparyantabala, Souverain des Yavanas, qui règne sur le Mourou et le Naraka, comme Varouna sur la plage occidentale ; 578.

Et Bhagadatta, le vieil ami de ton père, Bhagadatta, qui se courbe plus que toute autre, puissant roi, devant sa parole et son geste ; 579.

Et Snéhabaddha, qui t’est dévoué de toute son âme comme à un père, lui, qui règne sur la région du couchant et sur les bornes méridionales de la terre. 580.

» Pouroudjit, le noble incrément de Kounti et ton oncle maternel, s’est aussi lui-même tourné vers Djarâsandha, quoique ce héros terrible ne confesse dans le fond du cœur que toi-même pour son maître. L’homme, que je n’ai pas tué jadis et que les habitants du Tchédi reconnaissent pour un insensé, ô le plus grand des mortels,

» Lui, qui se décerne à soi-même le titre de Pouroushauttama [33] descendu en ce monde et qui, dans sa folie, usurpe mon étendard immortel, 581-582-583.

» Dans le Vanga, le Poundra et cher les Kirâtas ; ce roi, que la vigueur accompagne et qui est si fameux dans le monde sous le nom du Poundrakain le Vasoudévide, 684.

» Ce roi vigoureux, ami d’Indra, riche de savoir et d’opulence ; qui recueille l’impôt du quatrième, qui a subjugué, puissant roi, les Kaîçikas, les Krathas et les Pandyas, 585.

» Ce terrible immolateur des héros ennemis, qui est dévoûé au Magadhain et de qui l’héroïque frère Akriti était l’égal de Râma, le Djamadagnide, 586.

» Il ne nous aime pas ; nous qui l’aimons, qui sommes toujours gracieux avec lui, toujours inclinés devant lui, toujours attentifs à lui procurer des plaisirs, en échange desquels il ne sait nous rendre que des offenses ! 587.

» Il ne connaît pas sa famille, il ne connaît que sa force ; il s’est tourné vers Djarâsandha, les yeux ébloui de son éclatante renommée. 588.

» La terreur, que ce monarque inspirait, contraignit à chercher un asile dans la région occidentale, dix-huit races de Bhodjas septentrionaux. 589.

» Les Çourasénas, les Bhadrakàras ; les Bodhas, les Çâlvas, les Patatcharas, les SouSthâlas ; les Meukouttas ; les Kdulindas avec les Koüntis, 590.

» Les rois Çâlvâyanas, les Sodaryas et leurs suivants ; les Dakshinas ; les Pântchâlains, les orientaux du Kounti, les Koçalas, 591.

» Les Matsyas et les Nyastapâdas ; tourmentés par la crainte ; abandonnent la région septentrionale et se réfugient dans les contrées du couchant. 592,

» De même tous les Pântchâlains, harcelés par la terreur du conquérant, désertent leurs états et s’enfuient à tous les points de l’espace. 593.

» Kansa, après quelque temps écoulé, opprima les Yadouides, et ce Vrithâmati à l’âme insensée épousa deux princesses, filles du Vrihadrathide. 594.

« Tu obtiendras tout en notre nom ! » lui dirent les deux femmes, sœurs puînées de Sahadéva. Cette force donna à Vrithâmati les moyens de surmonter ses parents. 595.

» Il acquit la supériorité et fit enlever une foule considérable de monde. Les grands et les princes du Bhodja, accablés par ce tyran et désirant sauver leurs familles, de porter alors sur nous leur pensée. On donna à ce méchant la charmante fille d’Ahouka. 596-597.

» Secondé par Sankarshana, je servis la cause de mes parents ; Balarâma et moi, nous jetâmes à la mort Kansa et Sounâman. 598.

» Nous, à peine délivrés de ce danger, Djarâsandha se mit en marche, et l’on arrêta, sire, cette résolution dans les vaillantes familles des Ashtadâças : 599.

il Frappant sans repos avec de grandes armes, exterminatrices des ennemis, nous ne détruirions pas son armée avant trois siècles. 600.

» Car il a deux héros, semblables aux Immortels, les plus excellents des forts par la vigueur et de qui les armes ne peuvent trancher la vie. On les nomme Hansa et Dimbhaka. 601.

» Ces deux guerriers et Djarâsandha, le troisième avec eux, sont d’une force égale, non-seulement à celle des princes en aussi grand nombre que nous sommes, mais à celle des trois mondes : c’est mon opinion. » Telle fut donc leur pensée, ô le plus grand des sages. 602-603.

» Ensuite, un certain roi puissant, nommé, comme l’autre, Hansa, fut tué par Balarâma dans une bataille, que livrèrent les Ashtadâças. 604.

« Hansa est tué ! » s’écria quelqu’un. À ces paroles, auguste Bharatide, Dimbhaka se précipita dans les eaux de l’Yamounâ. 605.

« Je ne puis vivre en ce monde, séparé d’Hansa ! » Il dit ; et, prenant sa résolution, il se donna la mort. 606.

» Apprenant que Dimbhaka n’était plus, Hansa lui-même vint à l’Yamounâ et s’y précipita. À la nouvelle de leur mort, conquérant des villes ennemies, chef des Bharatides, le roi Djarâsandha s’en revint à sa ville d’une âme désolée. 607-608.

» Quand ce prince fut rentré de son expédition, meurtrier des ennemis, nous remîmes tous joyeux notre habitation dans Mathourâ. 609.

» Mais Râdjîvalotchanâ, épouse de Kansa et fille du roi de Magadha, vint trouver Djarâsandha, son père. 610.

» Affligée du malheur de son mari, elle excita son père à la vengeance, et lui dit, Indra des rois, dompteur des ennemis, mainte et mainte fois ces mots : « Abandonne-moi le meurtrier de mon époux ! » 611.

» Nous alors, souverain des hommes, nous rappelant la résolution, qui jadis avait été prise en conseil, nous émigrâmes de ces lieux ; et, chacun de nous, abandonnant une grande fortune, nous nous enfuîmes, puissant roi, chassés par la crainte, le cœur désolé, avec nos amis, nos parents et nos fils. 612-613.

» Tous, sous l’impulsion de cette pensée, nous gagnâmes la région occidentale et nous vînmes habiter Kousasthalî, ville charmante, embellie par le mont Raîvata. 614.

» Nous avons donc fait là une résidence, et nous avons décoré la cité d’une citadelle, que les Dieux mêmes, sire, auraient peine à conquérir. 610.

» Nous habitâmes, inaccessibles à la crainte, dans cette ville, meurtrier des ennemis, où des femmes auraient pu combattre ; à plus forte raison, les héros nés de Vrishni.

» Quand ils virent la sourcilleuse montagne franchie et les terres du Magadha traversées, les compagnons de Mâdhava, tigre de Kourou, en ressentirent une joie suprême. 616-617.

» Ainsi, après tant de maux soufferts de DjarâSandhâ, notre mauvais parent, nous étions allés, encore pleins de vigueur, chercher un asile vers le mont Gomat, 618.

» Haut de trois yodjanas, avec Sept fois trois Skandbas en sus de l’yodjana, et, à la fin de chaque yodjana, cent portes aux arcades ornementées de la vaillance des héros

» Et munies de guerriers ivres de combats, les plus braves des Ashtadâças. Il y a dix-huit mille frères dans notre famille. 619-620.

» Ahouka eut cent fils, dont chacun vaut individuellement plus qu’un Dieu : Tchakradéva, Tchâroudéshna et son frère, Sâtyaki, 621.

» Moi, le fils de Rohinî, Sâmbà, égal à Çaâuri dans la guerre. Écoute aussi de ma bouche, sire, ces autres sept chars : 622.

» Kritavarman, Anadhrishti, Samîka, Samitindjaya, Kanka, Çankou et Kounti : ce sont là sept grands chars.

» Joins encore à ceux-ci deux fils adultes du souverain d’Andaka et un roi : voilà dix héros à la grande force, aux grands chars, aux corps de diamant, 623-624.

» Qui, placés au milieu de la famille Vrishnide, y conservent le souvenir de la région médiale. Pour toi, ô le plus vertueux des Bharatides, tu ne déposes jamais les qualités d’un empereur universel. 625.

» Veuille donc t’adjuger à toi-même l’empire universel ; mais, tant que vivra le puissant Djarâsandha, sire, il est impossible que tu obtiennes le râdjasoûya : c’est là mon opinion. En effet, tel que de superbes éléphants sont retenus par un lion dans les défilés de l’Himâlaya, tel il retient prisonniers dans Girivradja tous les rois, qu’il a vaincus ; car le roi Djarasândha désire lui-même célébrer ce sacrifice avec les monarques de la terre. 626-627-628.

» Il a conquis par une violente pénitence la faveur de Mahâdéva, le magnanime époux d’Oumâ ; et c’est grâce à lui, dompteur des ennemis, qu’il a vaincu les rois. 629.

» Supérieur à tous les princes, il a épuisé la promesse, que ce Dieu lui a faite, car il a vaincu et revaincu tous les rois, qui ont marché contre lui avec des armées. 630.

» Il s’est fait un troupeau d’hommes, qu’il a emmenés, les bras liés, dans sa capitale ; et nous alors, puissant roi, chassés par la crainte de ce Djarâsandha, nous avons quitté Mathourâ et sommes venus habiter la ville de Dwâravatî. Si ton désir, grand roi, est de célébrer ce sacrifice, 631-632.

» Déploie tes efforts pour la délivrance de ces nobles captifs

et la mort de Djarâsandha. Cette entreprise d’accomplir 

entièrement le râdjasoûya est impossible d’une autre manière, ô toi, qui es la joie de Kourou et le plus excellent des sages ! Telle est mon opinion. Les choses étant ainsi, mortel sans péché, pèse mes raisons et dis-nous toi-même ce que tu penses. » 633-634.

Youddhishthira lui répondit en ces termes :

« Nul autre n’est capable de dire ce qui fut dit par toi avec tant de sagesse ; car les doutes n’offusquent pas ton esprit et tu n’as point ton second sur la terre. 635.

» Les rois, chacun dans son palais, comblent de biens chacun les siens ; mais ils ne parviennent jamais à l’empire universel ; car le mot samrâdj, monarque du monde entier, ne va pas sans la peine. 636.

» Comment, toi, qui as la science de la plus haute dignité, pourrais-tu donner des louanges à l’intérêt personnel ?

Celui, qui est honoré, c’est l’homme, qui mérite des éloges, parce qu’il est doué du sentiment le plus élevé. 637.

» La terre est grande, multiple, couverte de pierreries variées : quand on a porté loin ses pas sur elle, on sait, incrément de la race des Vrishnides, distinguer le mieux du pire. 638.

» La sérénité d’âme est le plus grand bien, je pense ; que je doive la félicité à ma sérénité d’âme ; je ne veux pas d’une suprématie achetée par des conquêtes : c’est mon sentiment. 639.

» C’est ainsi que pensent les sages nés dans une noble race : que la suprématie appartienne un jour à qui que ce soit d’entre eux, Djanârdana ! 640.

» Le péril, dont vous menaçait Djarâsandha, la méchanceté de ce tyran nous a nous-mêmes frappés de crainte au moment, où tu en parlais, mortel éminent et sans péché.

» En effet, à cette heure, où je suis abrité sous la force de ton bras, je ne puis encore me regarder comme un homme fort, puisqu’il t’inspire de la terreur à toi-même.

» Il est impossible de lui ôter la vie, Mâdhava aux longs bras, ou par la main d’Arjouna, ou par celle de Bhîmaséna, ou par Balarâma, ou même par un coup venu de toi ! 641-642.

» Dans ma connaissance de ces choses, rejeton de Vrishni, je roule mainte et mainte pensée ; car tu es devenu une autorité pour moi, Kéçava, dans toutes les affaires.

» À ces mots, Bhîma, orateur éloquent, de répliquer en ces termes : 643-644.

« Le roi, qui, ayant commencé une chose, ne s’y dévoue pas entièrement, et le, faible, qui, privé d’expédients, affronte le puissant, s’affaissent comme une fourmillière, battue des vents et de la pluie. 645.

» Mais il n’est pas rare de voir le faible vaincre à force d’activité un puissant ennemi par une conduite habile de ses ressources et grâce aux expédients. 646.

» La science politique est en Krishna, la force en moi, la victoire en Dhanandjaya, fils de Prithâ : nous abattrons le roi du Magadha et nous accomplirons le sacrifice, comme trois Agnis. » 647.

Krishna dit à son tour :

» Un insensé commence des entreprises et n’en considère pas les conséquences : aussi n’a-t-on garde de négliger un ennemi, fût-il un enfant, s’il donne une grande attention à ses affaires. 648.

» Yaâuvanâçvi, parce qu’il fit la remise des impôts ; Bhagîratha, parce qu’il sut bien défendre ses peuples ; Kârtavîrya à cause de l’énergie de sa pénitence ; l’auguste Bharata pour sa force, 649.

» Et Maroutta pour son opulence : tels sont les cinq, qui furent, suivant la tradition, monarques du monde entier. Tu désires, Youddhishthira, l’empire universel et tu réunis ces divers avantages. 650.

« L’élévation, qui porte le sceau de la politique, de l’utile et du juste, est donnée en vue de la répression dans l’youga des sages. » Djarâsandha le Vrihadrathide pense de cette manière ; il s’imagine que les mantras lui sont tous soumis : sache-le bien, chef des Bharatides. 651.

» Cent-et-une races, cent-et-un rois le détestent : il exerce donc malgré eux l’empire universel. 662.

» Des monarques, riches en pierreries, composent la cour de Djarâsandha ; et celui, qui, dans sa démence, fermerait son oreille à la politique, n’aurait point à se réjouir de lui. 653,

» Cet homme souverain enlève de force, un roi, de qui la tête fut sacrée, et nulle part nos yeux n’en voient un, sur lequel cet homme n’ait mis la main. 654.

» Djarâsandha les a tous ainsi réduits en sa puissance dans un nombre inférieur à cent : comment un, autre monarque nécessairement faible, pourrait-il, fils de Prlthâ, s’avancer contre lui ? 655.

» Quel plaisir, éminent Bharatide, peut exister dans la vie pour ces rois éclatants aux fronts sacrés, si ce n’est celui seul des bestiaux dans les étables de leur maître ?

» Comme l’honneur est la récompense du guerrier, qui trouve la mort sous les armes, repoussons, afin de la mériter, le roi du Magadha dans une bataille. 656-657.

» Djarâsandha, sire, emmena quatre-vingt-six rois ; quatorze restent encore ; il va donc se porter en avant d’une marche épouvantable. 658.

» Une gloire éclatante sera la récompense du héros, qui jetera devant, lui un obstacle : s’il, peut vaincre Djarâsandha, le titre d’empereur univercel est à lui ! » 659.

Youddhishthira lui répondit :

« Comment, dévoué à mon seul intérêt et, par une ambition d’empire universel, vous enverrais-je, Krishna, dans le seul dessein de commettre un, acte d’agression ! 660.

» Je regarde Bhîmaséna et Arjouna comme mes deux yeux et Djanârdana comme ma raison : quelle sera ma vie, si je n’ai plus mon intelligence et mes yeux ? 661.

» Arrivés en présence de l’armée invincible à l’héroïsme épouvantable de Djarâsapdha, quels seront là vos efforts ? Le Dieu de la mort ne pourrait lui-même en triompher !

» Dans ce milieu des choses, un malheur peut justement arriver : ainsi, je ne dois pas adopter ce projet » tout convenable, tout estimé qu’il soif, 662-663,

» Écoutez à présent, de ma bouche ce que seul je pense ;. Eh bien ! Djanârdana, il me plaît de renoncer à cette entreprise ; car mon âme est repoussée maintenant loin du râdjasoûya par les difficultés, qui environnent son accomplissement. » 664.

Alors Vaîçampâyana de continuer ainsi la narration commencée :

Le fils de Prithâ, qui avait reçu un arc incomparable, deux grands carquois indestructibles, un char, un drapeau et un palais, tint ce langage à Youddhishthira. : 665.

« Sire, j’ai acquis les avantages difficiles à obtenir, objets de mon envie : un arc, un cimeterre, des flèches, de la vigueur, un palais, une terre, la gloire, une armée.

» Les astrologues les plus sûrs de leur science vantent beaucoup la naissance dans une noble race : il n’est rien d’égal à la force ; la vigueur me plaît ! 666-667.

» Que fera l’homme faible, né dans une race d’hommes à la force éprouvée ? Mais l’homme vigoureux, né dans une race faible, s’élève au-dessus d’elle. 668.

» Sire, l’homme, qui grandit par des victoires remportées sur l’ennemi, est tout à fait un kshatrya : l’homme fort, n’eût-il aucune des autres qualités, peut triompher des ennemis. 669.

» Mais le faible, que fera-t-il, fût-il doué de toutes les qualités ? car les qualités se tiennent toutes subordonnées dans la force. 670.

» Son excellence est la cause de la victoire : le Destin alors s’unit à l’action. Quiconque a les forces pour ses alliées, n’a point à redouter la négligence. 671.

» Voici par quelle raison un ennemi fort succombe sous des ennemis plus faibles : de même que l’abattement d’esprit dans un faible, tel est dans un fort le délire de l’orgueil. Un roi, qui veut triompher, doit fouler aux pieds l’une et l’autre cause. 672.

» Si nous accomplissons la cérémonie du sacrifice, d’où sortiront la mort de Djarâsandha et la délivrance des rois, quelle action sera jamais plus belle ? 673.

» Renoncer à l’entreprise, c’est nécessairement assurer que la vertu nous manque ! Comment, sire, penses-tu que de la vertu, qui s’affirme, puisse venir le manque de vertu ? 674.

» La victoire obtenue, il sera facile aux solitaires, qui aspirent à la placidité, d’acquérir le vêtement rouge. Nous combattrons les ennemis de manière à rendre possible l’empire universel ! » 675.

Le Vasoudévide répondit :

« L’opinion, qu’Arjouna vient d’émettre, convient à un fils de Kountî, à un prince né dans la race de Bharata.

» Nous ne savons pas si la mort viendra le jour ou la nuit ; et nous n’avons jamais ouï dire que rien fût immortel dans la paix. 676-677.

» Ce que les braves ont à faire, c’est de réjouir le cœur en abordant avec résolution les ennemis suivant la conduite enseignée dans les Çâstras. 678.

» La meilleure des marches est celle, qui associe une bonne politique à l’absence des pertes. L’inégalité est la fille du combat ; l’égalité ne peut exister dans les deux partis à la fois. 679.

» La défaite la plus complète est celle, où le manque de politique est joint au manque d’expédients. L’égalité produit le doute, et la victoire ne peut être à la fois dans les deux armées. 680.

» Quant à nous, arrivés au corps de l’ennemi et secondés par une sage politique, attentifs à découvrir ses côtés faibles, et soigneux de couvrir les nôtres, comment ne pourrions-nous pas le renverser, comme la rapidité du fleuve emporte l’arbre ? 681.

« On ne doit pas, dit-on, livrer de combats à des rois plus forts, qui ont de puissantes armées 1 » Cette politique des sages, je l’approuve en cette conjoncture même.

» Entrés sans bassesse, sans être vifs, dans le palais de l’ennemi, jouissons-y du plaisir, après que nous aurons foulé son corps sous nos pieds ! 682-683.

» Un roi, s’il est unique au monde, ne perd jamais sa couronne. Je vois déjà la mort de l’ennemi, comme l’âme voit celle des éléments. 684.

» Ou bien, si le reste de ses guerriers nous renverse nous-mêmes sur l’ennemi terrassé dans le combat, nous irons au Paradis goûter la récompense de ce dévouement à la défense de nos pères ! » 685.

« Krishna, dit Youddhishthira, qui est ce Djarâsandha ? Quelle est donc la force, quel est donc l’héroïsme de cet homme, qui put mettre sa main sur toi, semblable au feu, et ne fut pas brûlé comme une sauterelle ? » 686.

« Écoute, sire, lui répondit l’adorable Krishna, quelle est la vigueur, quel est le courage de ce Djarâsandha, et comment nous lui avons toujours pardonné les offenses, qu’il a commises nombre de fois envers nous. 687.

» Il fut un roi puissant, orgueilleux des batailles, qu’avaient livrées ses trois armées complètes ; il s’appelait Vrihadratha ; il était le souverain du Magadha. 688.

» Doué de beauté, plein de vigueur, chéri de la fortune, incomparable en courage, le corps toujours sanctifié par les cérémonies initiatoires des sacrifices, il semblait un autre Çatakratou. 689.

» Semblable au soleil pour la splendeur, équipollent à la terre pour la puissance de porter, image d’Yama, le Dieu de la mort dans sa colère, il égalait en richesses le fils de Viçravana. 690.

» Tels que les rayons du soleil remplissent la terre, telle, ô le plus vertueux des rejetons de Bharata, elle était remplie entièrement|des vertus, qu’il avait héritées de sa famille. 691.

» Ce prince à la grande vaillance, auguste Bharatide, épousa deux filles jumelles du roi de Kâçi, opulentes de richesses et de beauté. 692.

» Ce prince fit alors en présence de ses deux femmes ce serment, qui l’engageait envers l’une et l’autre : « Je n’aurai jamais d’autre amour que vous ! » 693.

» Ce roi, le souverain du globe, brillait au milieu de ses deux aimables épouses, assorties à lui, comme un éléphant roi entre deux royales éléphantes. 694.

» Le potentat de la terre avec les deux reines à ses côtés resplendissait tel que l’Océan, revêtu d’un corps, entre les deux rivières en personne de la Gangâ et de l’Yamounâ. 695.

» Tandis qu’il était plongé dans les voluptés des sens, la jeunesse s’écoulait et il ne lui était pas né encore un fils, continuateur de sa race. 696.

» Il avait beau le solliciter avec beaucoup de prières, avec des oblations de beurre clarifié, avec les sacrifices institués en vue d’un fils, il n’obtenait pas ce fils, incrément de sa lignée. 697.

» Il entendit parler du grand Tchandakaâuçika, consumé par la pénitence, le fils de Kâkshîvat, le magnanime Gautamide. 698.

» Le monarque vint de lui-même, accompagné de ses deux femmes, trouver l’hermite, retiré au pied d’un arbre, et le combla de pierreries. 699.

» Le plus vertueux des saints à la parole de vérité, à la fermeté vraie, lui dit : « Je suis content, Indra des rois ; choisis, prince, fidèle à les vœux, une grâce, que tu veuilles obtenir. » 700.

» Alors, s’inclinant avec ses épouses, Vrihadratha d’une voix, que la désespérance de se voir un fils entrecoupait de larmes, fit cette réponse : 701.

« Révérend, j’ai quitté mon royaume pour venir dans le bois des pénitences. Qu’ai-je besoin d’une grâce, infortuné, que je suis ! À quoi bon un royaume pour moi, qui n’ai pas de fils ? » 702.

» À ces mots, l’anachorète tomba dans la rêverie et s’assit, les sens émus, à l’ombre de cet arbre, qui était un manguier. 703.

» Un perroquet mordit alors une mangue desséchée et fit tomber ce fruit dans le sein du solitaire assis. 704.

» Le vertueux moine prit la mangue, qu’il charma en la portant à son cœur, et donna au roi ce fruit merveilleux, qui renfermait la cause, d’où allait naître ce fils désiré. 705.

» Le grand anachorète à la grande science dit au roi : « Va-t-en, sire ! Tes vœux sont exaucés : retourne en ton palais, souverain des hommes ! » 706.

» À ces paroles de l’hermite, le sage monarque d’incliner sa tête aux pieds du solitaire et de s’en revenir à sa demeure. 707.

» Alors, quand il eut reconnu le moment opportun, le bon roi donna, taureau des Bharatides, le fruit à ses deux épouses. 708.

» Ces illustres dames, l’ayant divisé par le milieu, en mangèrent chacune la moitié pour les conséquences futures de la chose et par la vérité inhérente aux paroles du solitaire. 709.

» Un jeune être, dont le fruit mangé était la cause, naquit en elles ; et le roi, qui les vit enceintes, ressentit une joie suprême. 710.

» Ensuite le temps ayant amené, docte roi, le moment naturel des couches, elles mirent au monde chacune la moitié d’un enfant. 711.

» À l’aspect de ces deux portions d’un même corps, dont chacune avait un seul œil, un seul bras, une seule fesse, une seule jambe, la moitié d’un ventre et d’une bouche, un tremblement d’épouvante les agita l’une et l’autre.

» Alors, ces deux femmes-sœurs, pleines de trouble, s’étant consultées, abandonnèrent avec une vive douleur ces deux sections d’un être animé, dans les membres séparés duquel était répandue la vie. 712-713.

» Leurs nourrices, ayant mis ensemble ces deux parties d’un embryon, sortirent, passèrent la porte sans être vues, et, les ayant délaissées, elles rentrèrent dans le gynœcée.

» Une Rakshasi, nommée Djarâ, de qui la chair et le sang étaient la nourriture, vit ces portions jetées dans un carrefour et, sire, elle s’en empara. 714-716.

» Le Démon, qui désirait trouver dans ces morceaux le plaisir d’un festin, les prit donc et, poussé par la force du Destin, les rapprocha dans la jonction naturelle. 716.

» À peine ces deux portions eurent-elles été réunies l’une à l’autre, puissant roi, qu’elles ne formèrent plus alors qu’un jeune prince à la mine héroïque, portant un seul et même corps. 717.

» Et la vigueur manqua à la Rakshasi, les yeux épanouis d’étonnement, pour soutenir ce jeune garçon fait avec la force du diamant. 718.

» L’enfant de lui décharger un coup de son poing, qui semblait une boule de cuivre même, et, dans sa vive colère, de pousser un cri tel que le bruit de la nuée, grosse de pluies orageuses. 719.

» Émus à cette clameur, les gens du gynœcée et le monarque avec eux sortent précipitamment, tigre des hommes, épouvantable aux ennemis. 720.

» Les deux mères, flétries par l’accouchement, les seins remplis de lait, mais ayant perdu l’espérance d’en nourrir un fils, sortent elles-mêmes en grande hâte. 721,

» Quand la Rakshasi les vit dans une telle condition et le monarque en possession du fils, qu’il avait désiré, elle conçut la pensée qu’un tel enfant aurait une force extraordinaire.

« Moi, qui habite sur la terre de ce roi magnanime et vertueux, je ne dois pas, se dit-elle, tuer cet enfant, dont la naissance comble ses vœux paternels ! » 722-723.

» Alors elle prit l’enfant lumineux comme l’éclair, qui sillonne le nuage, et, s’étant fait une forme humaine, elle tint ce langage au monarque de la terre : 724.

« Vrihadratha, je te donne cet enfant, ton fils ; reçoisle ! Il fut conçu dans le sein de tes deux épouses, suivant la parole du saint anachorète. Abandonné par les nourrices, c’est moi, qui l’ai sauvé ! » 725.

» Aussitôt, noble rejeton de Bharata, les deux illustres filles du roi de Kâçi, s’étant approchées de l’enfant, s’empressèrent de l’abreuver avec les ruisseaux de leurs seins.

» Joyeux à la vue de toutes ces merveilles, le roi fit alors cette demande à la Rakshasî, qui avait dépouillé ses formes de Démon et qui semblait une femme d’or : 726-727.

« Qui es-tu, toi, qui ressembles à la corolle d’un lotus et qui m’as fait présent d’un fils ? Parle à ta volonté, noble dame[34] ; tu es pour moi l’image d’une Divinité. »

« Je suis, pour te servir, lui répondit-elle, une Rakshasî, nommée Djarâ, qui change de forme à volonté. J’ai habité tranquille et honorée dans ton palais, Indra des rois.

» Je suis la Rakshasî, qui se tient sans cesse dans chaque maison des hommes. Jadis l’Être-existant-par-lui-même m’a créée sous le nom de Grihadévl, la Déesse des maisons. 728-729-730.

» Je fus établie avec des formes célestes pour la ruine des Dânavas. Quiconque me baise dévotement avec mes fils dans son aiguière, moi, douée d’une immortelle jeunesse, que l’abondance règne dans sa maison ! autrement, qu’il se précipite à sa perte ! Je suis restée continuellement sous ton toit, seigneur, baisée dans l’aiguière, environnée de mes nombreux fils, honorée avec des parfums, des fleurs, de l’encens, des mets et des breuvages. 731-732-733.

» Aussi, ma pensée n’est-elle jamais un instant sans chercher quels services je puis te rendre ; j’ai vu ces deux parts de ton fils, homme juste ; 734.

» Je les ai réunies, le Destin m’y poussant, et de-là vint ce jeune prince ; mais je n’ai été ici, grand roi, que l’instrument de ta bonne fortune. 735.

» Je puis dévorer le Mérou : combien plus ton enfant ! Mais je te le rends, satisfaite des hommages, que j’ai recueillis dans ta maison. » 736.

» À ces mots, sire, elle disparut ; et le monarque de rentrer dans son palais, tenant le royal nourrisson dans ses bras. 737.

» Le prince fît alors pour cet enfant ce qui était à faire, et il institua chez les Magadhains la grande fête de la Rakshasî. 738.

» Ce père égal au suprême ayeul des créatures composa un nom pour son fils : « Comme Djarâ, dit-il, a rejoint, sandhita, ses deux portions, qu’il soit appelé Djarâsandha ! » 739.

» L’enfant à l’éclatante splendeur du roi des Magadhains grandit tel que le feu, où le sacrificateur verse le beurre clarifié ; doué de force et de majesté, il faisait la joie de son père et de ses mères, comme la lune celle du monde dans sa phase lumineuse. 740.

» Après qu’il se fut écoulé un certain espace de temps, le vénérable Tchandakaâuçika aux grandes pénitences revint chez les Magadhains. 741.

» Enchanté de cette visite, Vrihadratha sortit à la rencontre de l’arrivant, avec ses ministres, ses officiers, ses épouses et son fils. 742.

» Ce roi l’honora, auguste Bharatide, avec un arghya, de l’eau pour se laver les pieds, de l’eau pour se purifier la bouche, et lui présenta son fils, accompagné du royaume. 743.

» Quand il eut reçu du monarque ces hommages, le vénérable rishi d’une âme joyeuse parla, sire, en ces termes au prince Magadhain : 744.

« Mon regard céleste m’avait déjà fait connaître, sire, toutes ces choses ; mais écoute, Indra des rois, ce que sera ton fils. 745.

» Il aura la beauté, le courage, une force inébranlable : ces dons brillants élèveront ton fils, il n’y a nul doute, au comble de l’excellence. 746.

» Son héroïsme le rendra maître de l’univers, et les princes n’atteindront jamais à la vigueur, dont il est doué, 747.

» Comme les oiseaux ne peuvent suivre dans son essor le vol de Garouda ! Ses ennemis courront à leur perte ! Les traits lancés contre lui, fussent-ils envoyés par les Dieux mêmes, ne pourront ouvrir dans son corps une blessure, comme la rapidité d’un fleuve n’en peut faire à une montagne ! Son front, tel que le soleil ravit la splendeur à toutes les autres lumières, flamboiera, éclipsant tous les fronts couronnés ! Les rois, qui oseront l’attaquer avec des chars, des armées, des richesses, se précipiteront à la mort comme les sauterelles dans le feu ! 748-749-750.

» Tel que la mer engloutit les rivières et les fleuves, dont les saisons pluvieuses ont grossi les eaux, tel il engloutira les plus brillantes fortunes de tous les rois. 751.

» Monarque à la grande force, il portera, comme il sied, les quatre castes, ce qui est dans la lumière et ce qui est dans l’ombre : ainsi la terre féconde porte également tous ses fruits. 752.

» Tous les rois des hommes marcheront soumis à la puissance de ses ordres, comme les créatures animées à la puissance du vent, qui est l’âme de tous les êtres. 763.

» Ce Magadhain, il verra de ses yeux dans tous les mondes Roudra en personne, Hara, le Grand-Dieu, celui qui donna la mort au Démon Tripoura. » 754.

» Quand il eut parlé de cette manière, l’anachorète, songeant à ses vœux, donna congé au roi Vrihadraha, la terreur des ennemis. 755.

» Rentré dans sa ville, environné de ses amis et de ses parents, le souverain du Magadha fit alors conférer le sacre à son fils Djarâsandha. 756.

» Ce moment lui fit goûter les joies d’une félicité suprême. Aussitôt qu’il eut sacré Djarâsandha, le roi, suivi de ses deux épouses, se retira dans la forêt de pénitence. Dans le temps que son père et ses mères vivaient au sein des bois, Djarâsandha, par sa vigueur, soumit les rois de la terre à sa puissance. » 767-758.

Vaîçampâyana dit, reprenant à Krishna le fil de sa narration :

« Après un certain laps de temps écoulé, le monarque. hôte du bois de pénitence, monta au Swarga avec ses épouses recevoir la récompense des macérations, qu’il s’était infligées. 759.

Le roi Djarâsandha lui-même, suivant la parole de Kaâurika, obtint cet empire universel, accomplissement de la grâce accordée. 760.

Le Vasoudévide alors ôta la vie à Kansa, le maître de la terre, et cette enfanta une haine acharnée entre son beau-père et Krishna. 761.

Le vigoureux Magadhain fit tourner sur sa tête cent fois moins une, Bharatide, sa massue, qu’il envoya de Girivraja, sa capitale, tomber au loin. 762.

La resplendissante massue de franchir cent yodjanas moins un et d’arrêter sa chute dans Mathourâ, la résidence de Krishna aux actions merveilleuses. 763.

Cet événement fut alors exactement raconté par ceux des citadins, qui en furent les témoins, et l’endroit voisin de Mathourâ, où l’arme tomba, fut appelé la Borne-dela-massue[35]. 764.

Djarâsandha était soutenu par Hansa et Dimbhaka, deux véritables arsenaux, versés dans les Traités de politique et les plus intelligents des sages dans les conseils. 765. Je t’ai parlé déjà de ces héros à la grande force. Eux trois, c’est mon sentiment, ils étaient capables de faire tête aux trois mondes. 766.

C’est pour cela, héroïque et grand roi, que des raisons de politique avaient forcé les puissants Andhakas, Vrishnides et Koukouras à supporter ce tyran. 767.



LA MORT DE DJARÂSANDHA



Le Vasoudévide reprit :

« Hansa et Dimbhaka ne sont plus, Kansa fut tué avec ses suppôts, le moment est donc arrivé pour la mort de Djarâsandha. 768.

» Lui, de qui ne sauraient triompher dans un combat les Démons joints aux Dieux mêmes, il faut le vaincre dans un duel à mort : c’est ainsi que nous concevons l’entreprise. 769.

» La science politique est en moi, la force est en Bhlma ; nous serons gardés tous deux par Dhanandjaya. Nous vaincrons ainsi le Magadhain et nous accomplirons le sacrifice comme trois Agnis. 770.

« Il faut que nous allions trouver, nous trois, ce grand monarque dans un lieu solitaire : il ne refusera pas sans doute le combat avec un seul homme. 771.

» Poussé en avant par un vaniteux dédain, l’envie d’acquérir et l’orgueil, que lui inspire la vigueur de son bras, il ne reculera certainement pas devant un duel avec Bhîmaséna. 772.

» Ce héros à la grande force, aux longs bras, suffit pour sa mort, comme Yama seul pour celle du monde soulevé contre lui. 773.

» Si tu connais mon cœur, si tu as confiance en moi, ne tarde pas à me remettre comme un dépôt Arjouna et Bhîmaséna ! » 774.

À ces mots de l’adorable, Youddhishthira fit cette réponse, voyant Arjouna et Bhîma, qui se tenaient devant lui d’un air plein de résolution ; 775.

« Réponds-moi, immortel Atchyouta, ô toi, de qui le bras moissonne les armées des ennemis. Ta majesté est la protectrice des fils de Pândou, et c’est près de ta majesté que nous cherchons un abri. 776.

» Tout arrive de la manière que tu l’as prédit, Govinda, car tu n’es jamais devant ceux, de qui la fortune détourne son visage. 777.

» La mort de Djarâsandha, la délivrance des rois, la faculté obtenue par moi du râdjasoûya ; c’est toi, présent ici, qui as tout sous tes ordres. 778.

» Agis de telle sorte, ô le plus grand des hommes, que ces événements, protecteur du monde, ne tardent point à s’accomplir. 779.

» Je ne puis vivre sans vos trois altesse. » ; séparé de vous, c’est-à-dire, de l’aimable, de l’utile et du juste, le chagrin me tourmente comme une personne affligée par la maladie. 780.

» Krishna fût-il sans Arjouna et Arjouna sans Krishna ; il n’est pas un être invincible, à mon avis, dans le monde de ces deux Krishnas. 781.

» Que ne peut faire, secondé par vous, le protégé de la Fortune, le plus fort des êtres vigoureux, l’héroïque Vrikaudara à la vaste renommée ? 782.

» Une réunion de forces bien conduites enfante des effets supérieurs : la force aveugle est impuissante, dit-on ; il faut que les sages dirigent ses efforts. 783.

» C’est ainsi que les pêcheurs détournent l’eau des lieux, où elle est profonde ; c’est ainsi que les pêcheurs conduisent l’eau en des fosses creusées de leurs mains.

» Assurant donc notre appui sur Krishna, le sage, qui n’ignore point les axiômes de la science politique, le héros, célèbre dans l’univers, déployons tous nos efforts pour le succès de l’entreprise ! 784-785.

» Ainsi, l’heureuse issue dans les choses, que nous allons tenter, suivra nécessairement Krishna, qui réunit la force, la conduite et la science, qui est ingénieux à trouver les moyens de réussite. 786.

» Ainsi, qu’Arjouna suive maintenant Krishna et que Bhîma suive Arjouna pour l’accomplissement de cette affaire ; et la politique, la force et la victoire, associées dans l’héroïsme, concourront à nos succès. » 787.

Ces paroles dites, ces frères aux vastes forces, le Vrishnide et les deux Pândouides, s’acheminèrent tous vers le pays du Magadhain. 788.

Ils avaient revêtu le costume de brahmes éclatants de sainteté, consommés dans la science ; et leurs amis les avaient salués des plus aimables paroles. 789.

Le corps de ces trois hommes, qui avaient ceux d’Agni, de Lunus et du Soleil, flamboyait alors d’une éclatante lumière dans la colère, dont ils étaient consumés pour les injures faites à leurs parents. 790.

À la vue de ces deux Krishnas, qu’on n’avait pu vaincre dans les combats, qui réunissaient leurs efforts dans une seule entreprise et devant lesquels marchait Bhîma, tout le monde regarda comme déjà mort le roi Djarâsandha.

En effet, ces deux magnanimes seigneurs avaient, eux ! des stimulants à toutes les affaires ; ils étaient les promoteurs de toutes les entreprises, ils excitaient les hommes au juste, à l’utile, à l’aimable. 791-792.

Ils s’acheminèrent du pays des Kourous par le centre vers le Kouroudjângala ; ils arrivèrent au charmant Lac-des-Lotus et traversèrent le Kâlakoûta. 793.

Ils marchaient, rencontrant tour à tour dans l’Ékaparvataka les rivières Gandakî, Mahâçona et Sadânîrâ. 794.

Ils franchirent la délicieuse Sarayoû, ils virent la Koçalâ orientale, ils traversèrent la Mithilâ, la rivière Mâlâ, la Tcharmanvatî, la Gangâ et le Çona. Les trois immortels compagnons, vêtus d’écorce et d’herbes kouças, s’avançaient, le visage tourné à l’orient, vers les champs du Magadha. 795-796.

Quand ils se furent approchés du mont Goratha, ombragé de beaux arbres, toujours arrosé d’eau, éternellement foulé par les troupeaux, ils aperçurent enfin la capitale des Magadhains. 797.

Le céleste Vasoudévide tint alors ce langage :

« Cette splendide résidence du Magadhain, pleine de bestiaux, continuellement rafraîchie par les eaux, inconnue aux maladies, me semble vaste, fils de Prithâ, et riche de superbes maisons. 798.

» Le grand mont Vaîhâra, le Sanglier, le Taureau, la Montagne-des-rishis et les Beaux-Tchaîtyas, qui sont, mon enfant, la cinquième ; 799,

» Ces cinq montagnes aux cîmes élevées, aux arbres semant de frais ombrages, environnent de leurs flancs rapprochés Girivradja, comme si elles avaient envie de protéger cette ville de tous les côtés. 800.

» Elles sont cachées, pour ainsi dire, sous des bois de lodhras charmants, pleins de senteurs exquises, dont les fleurs couronnent l’extrémité des branches, arbres chers au peuple des amants. 801.

» C’est là que le magnanime anachorète aux vœux parfaits, Kâkshîvat le Gautamide, engendra ses fils au sein de l’artisane Aâuçînarî. 802.

» La faveur des rois passa ici de cette habitation du Gautamide, comme dans un palais, à la race de Manou.

» Anga, Vanga et d’autres monarques à la bien vaste puissance ont visité jadis, Arjouna, la chaumière du fils de Gautama, où ils se sont divertis. 803-804.

» Nous allons voir de charmantes allées d’arbres, des lodhras et de brillants pippalas, nés, fils de Prithâ, autour de l’hermitage du Gautamide. 805.

» Ici, habitent deux serpents, la terreur des ennemis, Arvouda etÇakravâpî ; ici, se dressent les palais sublimes de Swastika et de Maninâga. 806.

» Manou accorda aux Magadhains le privilège de n’être jamais sans l’abri des nuages, et Manimat, le rejeton de Kouçika, les combla de faveurs. 807.

» En possession d’une ville délicieuse, inattaquable de tous les côtés, Djarâsandha pense que sa prospérité atteint une perfection sans égale : arrachons-lui, nous I aujourd’hui son orgueil dans un combat ! » 808.

Ces paroles dites, ces frères aux vastes forces, le Vrishnide et les deux Pândouides, s’acheminèrent vers la cité des Magadhains. 809.

Ils s’approchèrent de cette imprenable Girivradja, fière de son peuple bien nourri, pleine de citadins appartenants aux quatre classes et toujours dans la joie de splendides fêtes. 810.

Ils s’avancèrent jusqu’à la porte de la ville aussi haute qu’une montagne. À peine eurent-ils reçu les hommages des Vribadrathides, habitants de la cité, qu’ils coururent du trhaitya de ce lieu vers un autre magnifique et nommé le Tchaîtya-des-Magadhains. 811.

C’était là que Vrihadratha jadis avait rencontré un taureau mangeur de chair, l’avait tué et fait couvrir de sa peau trois tambours. 812.

Il s’était revêtu du reste et les avait placés dans sa ville, où, quand ils résonnaient, ces tambours étaient inondés de fleurs célestes. 813.

Après que les trois compagnons eurent brisé les trois tambours, ils s’élancèrent tous de la porte, munis de plusieurs armes et sans tourner le visage, sur le retranchement, où s’élevait le tchaîtya. 814.

Eux alors de se précipiter sur le superbe tchaîtya des Magadhains et de le frapper sur la tête comme ils auraient voulu frapper Djarâsandha ; 816.

Et de faire tomber sous les coups de leurs grands bras cet arbre antique, vaste, inébranlablement assis, à la cîme aérienne, honoré de tous et sans cesse comblé d’encens et de guirlandes. Cet exploit accompli, nos héros joyeux entrent dans la ville. 816-817.

Or, dans cet instant même, des brahmes, qui étaient parvenus à la rive ultérieure des Védas, aperçurent de sinistres présages et en portèrent la nouvelle à Djarâsandha. 818.

Les Pourohitas de marcher à l’entour du monarque, debout et tel qu’un éléphant. Pour détourner ces mauvais augures, le glorieux Djarâsandha fut consacré par les cérémonies, observa la continence et se voua au jeûne. Les princes sous l’extérieur d’initiés et d’ascètes, qui désiraient, noble Bharathide, combattre avec Djarâsandha, entrèrent sans armes, sans nulle autre défense que leurs bras, dans cette ville, où ils admirèrent une opulence extraordinaire de jeux, de bouquets et de mets divers. 819-820-821.

Après qu’ils eurent parcouru des yeux la vaste abondance, riche de toutes les qualités et faite pour combler tous les désirs, étalée dans le marché, ces héros 822.

À la grande vigueur, Krishna, Bhîma et Dhanandjaya, portant leurs pas dans la rue du roi, enlevèrent de force à un marchand de fleurs sa provision de bouquets. 823.

Tous alors, parés de guirlandes, avec des pendeloques éblouissantes et des robes sans poussière, ils entrent dans l’habitation du sage Djarâsandha : tels des lions de l’Himàlaya regardent une étable de vaches. Leurs bras, pareils aux colonnes d’un palais, auguste roi, brillaient, parfumés d’aloës et de sandal, comme ceux des hommes accoutumés aux combats. À la vue de ces étrangers, semblables à des éléphants, à la vaste poitrine, à la taille aussi haute que le tronc des grands chênes, l’admiration saisit tous les Magadhains. Ces nobles aventuriers traversent trois enceintes, pleines de monde. 824-825-826-827.

Ils s’approchent du roi sans crainte et même avec fierté. Celui-ci de se lever aussitôt devant eux, suivant l’étiquette ; il s’approche de ces brahmes, dignes de l’eau pour se laver les pieds, et de la corbeille hospitalière, dignes qu’on leur offre la vache, entrés chez lui pour l’honneur de l’hospitalité : « La bien-venue soit à vous ! » leur dit l’auguste. 828-829.

Arjouna et Bhîma de garder le silence, et Krishna à la vaste intelligence, Djanamédjaya, répondit alors au milieu d’eux : 830.

« Ces deux hommes ne peuvent te parler, Indra des rois ; car ils sont liés par le vœu du silence. Ils causeront avec toi après la nuit prochaine. » 831.

Le monarque établit ses hôtes dans la chapelle des sacrifices et s’en alla dans l’appartement des rois. Ensuite, arrivée la moitié de la nuit, il se rendit où étaient les brahmes. 832.

[36]………………… 833.

…………… Djarâsandha, le plus grand des rois, s’approcha d’eux et, les ayant vus encore dans la toilette, qu’ils portaient avant, il fut saisi d’étonnement. À la vue du monarque, ces princes, meurtriers des ennemis, adressèrent tous, ô le plus vertueux des Bharatides, ces paroles à Djarâsandha : « Swasti ! sire ! Sur toi descende la prospérité ! » et là-dessus ils se tinrent, 834-835-836.

Les yeux fixés sur le roi, qui tenait les siens fixés sur eux. Djarâsanda dit alors, tigre des rois, à l’Yadouide et aux deux Pândouides : 837.

« Asseyez-vous ! » C’est ainsi qu’il parla, Indra des rois, à ces princes cachés sous le costume emprunté des brahmes. Ils s’assirent donc tous les trois. 838.

Le monarque, fidèle à la vérité, tint alors ce langage aux héros, qui flamboyaient de beauté, comme trois feux allumés sur le grand autel. 839.

Il les blâma de se travestir, fils de Kourou, en prenant des parures, qui ne séaient point à leur état : « Des brahmes, qui sont initiés et qui sont liés par des vœux, leur dit-il, ne portent point ainsi, dans ce monde des hommes, des onguents et des bouquets à l’extérieur. C’est ce dont je suis tout à fait sûr. Qui êtes-vous donc, vous, qui êtes parés de fleurs et sur les bras de qui la corde des arcs a imprimé ses traces ? 840-841.

» Vous, qui professez le brahmanat et portez une vigueur de kshatryas ? Vous, qui êtes revêtus de robes si pures ? Vous, qui êtes ainsi parés d’onguents et de bouquets à l’extérieur ? 842.

» Dites la vérité ! Qui êtes-vous ? La vérité brille chez les rois. Vous, qui avez brisé la cîme du tchaîtya, haute comme la cime d’une montagne, dites ! que couvre ici ce déguisement ? 843.

» Vous n’êtes pas entrés par la porte et n’avez pas craint d’offenser ainsi le roi : parlez ! et mettez surtout dans vos paroles la force du brahmane ! 844.

» Que signifie cette action de vous, que je vois maintenant et dont rien ne dénote l’intention ? Pourquoi, quand vous êtes venus près de moi, ne m’avez-vous pas honoré, en me rendant vos hommages, comme le prescrit l’étiquette ? Quelle raison vous a fait venir en ces lieux ? » Il dit ; et Krishna à la haute sagesse lui répondit

En ces termes d’une voix douce et profonde, lui, qui maniait habilement la parole : 845-846-847.

« Sache, monarque des hommes, que nous sommes des initiés, sinon des brahmes. L’initiation et les vœux embrassent à la fois, sire, les brahmes, les kshatryas et les vaîçyas.

» Ils ne diffèrent pas, quoiqu’ils aient des observances différentes. Le kshatrya, si toujours il excelle, arrive à posséder Çrî. 848-849.

» Çrî est la fidèle compagne des hommes, qui ont des fleurs : c’est pour cela que tu nous vois ici portant ces bouquets. Le kshatrya possède la vigueur du bras ; mais il n’a pas la force de la parole. 850.

» La parole dans sa bouche est sans énergie. Aussi Brahma lui a-t-il remis, fils de Vrihadratha, sa propre vigueur, qu’il a déposée aux deux bras des kshatryas. 851.

» Si tu désires en voir la preuve, sire, tu la verras aujourd’hui sans doute : les hommes sages entrent chez leurs amis par la porte ; mais, dans la maison de leurs ennemis, c’est par une autre voie que la porte. Le devoir même approuve ces moyens. Nous sommes venus en ta demeure, où des affaires nous appelaient ; mais nous n’y recevrons pas les honneurs d’un ennemi ; sache-le : c’est notre inébranlable résolution ! » 852-853.

Djarâsandha lui répondit :

« Je ne me souviens pas d’une époque, où j’aie été jamais en guerre avec vous ; et j’ai beau chercher dans ma pensée, je n’y trouve pas une offense, que j’aie reçue de vous en retour de la mienne. 854.

» Puisqu’il n’y a pas eu d’offense, comment pouvez-vous me regarder, moi, qui en suis innocent, comme un ennemi ? Expliquez-vous ! Allons ! brahmes ! c’est la loi des gens de bien. 855.

» Car le kshatrya, en jetant l’offense à qui ne l’a point offensé, met la douleur en son âme, c’est indubitable, parce qu’il foule aux pieds le juste et l’utile. 856.

» Un héros, qui, instruit des devoirs, suit dans le monde un sentier autre que celui-ci, entre dans la voie des pécheurs et se ferme les mondes purs. 857.

» Dans les trois mondes, en effet, le premier devoir du kshatrya est celui des hommes, qui pratiquent le bien : les sages, qui ont la science de la vertu, ne recommandent pas un autre devoir. 858.

» Vous m’avez l’air de parler ici maintenant avec irréflexion d’un homme tel que je suis, qui restes dans mon devoir, qui tiens mon âme comprimée et qui suis sans reproche à l’égard de mes sujets. » 859.

» Prince aux longs bras, il est, reprit Krishna, un rejeton de noble race, qui soutient seul le poids de sa race : c’est d’après son ordre que nous sommes venus ici vers toi. 860.

» Tu as enlevé des kshatryas dans le monde, qu’ils habitaient, sire ! Coupable de cette faute horrible, comment peux-tu dire : « Je suis pur de tout péché ? » 861.

» Comment, ô le plus grand des potentats, un roi voudrait-il faire du mal à des rois vertueux ? Et toi, tu veux offrir en sacrifice à Roudra ces rois, que tu as emmenés prisonniers ! 862.

» Ce que tu as fait de cette manière, fils de Vrihadratha, c’est à nous qu’en appartient le châtiment ; car c’est à nous, qui en avons la force, de maintenir le devoir, au sentier duquel nous marchons ! 863.

» Partout on voit les hommes dans leur tristesse abandonner l’usage des parfums. Comment désires-tu offrir au Dieu Çankara des sacrifices humains ? 864.

» Toi, homme de la même caste, tu donneras le nom de bestiaux à des hommes de ta caste ! Peut-il exister, Djarâsandha, un autre homme aussi insensé que toi ? 865.

» Quelque action que fasse un homme, il ne peut éviter, quelque puisse être sa condition, de recueillir son fruit.

» Revêtant la douleur de nos infortunés cousins, nous sommes venus ici pour sacrifier ta vie au salut de nos parents, dont tu jettes les vies à la mort. 866-867.

» Il n’existe pas, dit-on, un autre homme, ton égal, au monde parmi les kshatryas ! » Ces paroles font croire, sire, que tu es un immense océan de génie. 868.

» Quel roi kshatrya, s’il eut de l’âme, s’il ne mit pas en oubli de quelle race il était issu, n’est pas entré, aussitôt sorti du combat, dans l’incomparable et immortel Swarga ?

» Montés au Swarga même, les kshatryas, consacrés dans les sacrifices des batailles, conquièrent les mondes purs ; sache-le, monarque des enfants de Manou.

» La matrice du Swarga, c’est une grande science des livres saints ; la matrice du Swarga, c’est une vaste renommée ; la matrice du Swarga, c’est la pénitence : le Swarga est la récompense assurée de la mort dans les combats. 869-870-871.

» En effet, c’est grâce aux vertus, qui n’abandonnent jamais Vaîdjayanta, la bannière d’Indra, que Çatakratou, après qu’il eut taillé en pièces les Asouras, devint le maître du monde. 872.

» Qui fera la guerre comme toi pour la recherche du Swarga, comme toi, dis-je, avec tes nombreuses armées Magadhaines, orgueilleux de ta force et de tes richesses ?

« Ne méprise pas tes ennemis, sire ! Il y a de la vigueur en chaque homme : tel peut avoir une force égale à la tienne, souverain des hommes, ou même supérieure. 873-874.

» Aussi long-temps que cela te sera inconnu, sire, nous aurons à le supporter : c’est pourquoi je te parle. 875.

» Abandonne, Magadhain, ta hauteur et ton orgueil avec tes pareils : ne te jette pas avec ton armée, tes ministres et tes fils dans le séjour d’Yama ! 876.

» Le mépris, qu’ils professaient ici-bas pour les plus grands, fit périr les rois Dambhaudbhava, Kârttavirya, Outtara et Vrihadratha. 877.

» C’est le désir d’arriver près de toi, qui nous a fait prendre ces déguisements : oui ! nous ne sommes pas véritablement des brahmes. Je suis Hrishlkéça-Çaâuri ; ces deux princes sont les fils de Pândou. 878.

» Roi, nous te défions au combat ! Magadhain, combats résolument ! Ou remets en liberté tous les rois, ou descends au palais d’Yama ! » 879.

Djarâsandha répondit :

« Je n’ai réduit en esclavage aucuns rois, sans les avoir vaincus : celui, que je n’ai pas vaincu, conserve ses états. Qui est ici, que je n’aie pas vaincu ? 880.

» Le kshatrya peut faire ce qu’il veut de l’ennemi, qu’il a attaqué bravement et rangé sous sa puissance : tels sont, Krishna, et sa profession et les moyens, dont il vit. 881.

» Quand j’ai fait de ces rois la chose des Dieux, comment pourrais-je les mettre en liberté par crainte, n’ayant pas oublié, Krishna, le vœu, que j’ai prononcé comme kshatrya ? 882.

» Je combattrai à la tête d’une armée contre une armée, ou moi seul contre un seul, ou avec deux, ou avec trois, ensemble ou séparément ! » 883.

Ces paroles dites, le roi Djarâsandha, qui voulait déployer en cette bataille des efforts épouvantables, ordonna de sacrer son fils Sahadéva. 884.

Le monarque se rappela dans ce combat Kaâuçika, le général de ses armées, et Tchitraséna, qu’il s’en alla trouver, ô le plus éminent des Bharatides. 885.

C’étaient les mêmes, sire, que les hommes dans une vie précédente avaient appelés sous les noms, honorés dans le monde humain, de Hansa et Dimbhaka. 886.

Le tigre entre les hommes, l’ami constant de la vérité, l’auguste Çaâuri de se rappeler alors ce que le Destin sire, avait décrété sur le monarque, à l’audace semblable à celle d’un tigre, le héros à la bravoure épouvantable sur la terre, Djarâsandha, le plus fort des forts : on ne le tuera pas dans un combat soutenu contre Madhoubhid ! » 887-888.

Le frère puîné de Haladhara, le premier des hommes réfléchis, le saint meurtrier de Madhou, respectant cetordre de Brahma, n’eut aucune envie de le rompre lui-même. Adhokshadja aux éloquentes paroles, incarné dans un fils d’Yadou, tint ce langage au roi Djarâsandha, de qui l’âme était résolue au combat : 889-890.

« Avec qui des trois, sire, ton cœur aspire-t-il à combattre ? Qui d’entre nous tous doit se tenir prêt à cette lutte ? » 891.

À ces mots, le puissant roi du Magadha, Djarâsandha à la grande splendeur choisit pour adversaire Bhîmaséna.

L’archibrahme, le rotchana, une guirlande et d’autres bouquets à sa main, portant les médicaments les plus efficaces, des amulettes[37] et des charmes[37], s’approcha du monarque, brûlant de combattre. 892-893.

Aussitôt que le brahme illustre eut versé les bénédictions sur lui, l’auguste Djarâsandha, se rappelant son devoir de kshatrya, se revêtit de son armure. 894.

Il déposa le diadème et lia ses cheveux ensemble ; puis, il se leva comme une mer à la fougue impétueuse. 895.

Le monarque habile, à l’effrayante valeur, dit à Bhîma : a Je combattrai avec toi, héroïque Bhîma, le plus grand des vainqueurs. » 896.

À ces mots, le dompteur des ennemis, Djarâsandha à la grande splendeur, s’avança contre Bhîmaséna : tel jadis marchait contre Çakra le Démon Bala. 897.

De son côté, le vigoureux Bhîmaséna, à peine Krishna eut-il prononcé sur lui ses bénédictions, le salua et, poussé par le désir de combattre, s’avança contre Djarâsandha.

Ensuite, ces deux héros, tigres dans la condition humaine, en vinrent aux mains avec une ardeur extrême, n’ayant d’armes que leurs bras, ambitieux de remporter l’un sur l’autre une victoire. 898-899.

Ils commencent par se prendre les mains, se saluent du pied, retroussent dans leurs ceintures le pan de leur vêtement inférieur et se frappent les bras à grand bruit.

Ils se comprimèrent les épaules entre leurs bras, ils se frappèrent le corps mainte et mainte fois, ils s’embrassèrent de nouveau corps à corps, ils se choquèrent, seineur, ils mirent leurs mains dans les positions les plus savantes de l’art, rattachèrent leurs vêtements inférieurs et se firent voir la foudre et les éclairs avec de grands coups assénés sur le cou et sur les joues. 900-901-902.

Après qu’ils eurent exécuté les plus beaux enchaînements de bras, qu’ils se furent tous deux frappés avec le pied élevé à la hauteur de la tête, qu’ils se furent l’un à l’autre fait des joues semblables à des cruches, ils se portèrent le poing dans la poitrine. 903.

Les deux champions, armés seulement de leurs bras, se menaçant comme deux éléphants, criant d’une voix tonnante, pareille au bruit des nuages, se broyaient avec les mains. 904.

Ils combattaient, se meurtrissant avec la paume des mains, s’observant l’un l’autre, s’entretirant d’ici et de-là, comme deux lions en fureur. 906.

Quand ils se furent écrasés membres sur membres et bras contre bras, ils commencèrent une nouvelle lutte en s’étreignant mutuellement, le ventre de l’un comprimé dans les bras de l’autre. 906.

Ils fatiguèrent autour des lombes et des flancs vigoureux leurs bras exercés ; puis, dénouant leurs mains, ils en précipitèrent les coups au milieu du ventre et sur la gorge. 907.

Ils se brisaient les dos, dont ils franchissaient les bornes entièrement, et, donnant aux joues enflées la forme des cruches, ils faisaient perdre la connaissance sous les coups. 908.

Ils foulaient aux pieds le gazon et donnaient, autant qu’il le désirait, à leur poing une complète unification avec l’adversaire. C’est ainsi qu’ils soutenaient l’un contre l’autre les plus terribles combats. 909.

Les habitants de la ville s’étaient rassemblés pour contempler cette lutte de nos deux héros : brahmes, kshatryas, vaîçyas, çoûdras par milliers, les femmes et les vieillards entièrement. Ils étaient environnés là par ces multitudes d’hommes, pressés, vaillant monarque, sans laisser aucun intervalle. 910-911.

La prise des bras, leur compression, leur chûte rendaient les assauts du couple héroïque aussi épouvantables que deux foudres, tombant sur deux montagnes, 912.

Tous deux au plus haut point de la résolution, les mieux doués en force de tous les forts, poussés d’une mutuelle envie de la victoire, ils cherchaient à se trouver l’un l’autre en défaut. 913.

La terrible lutte de ces vigoureux athlètes avait rassemblé le monde sur leur champ de bataille au spectacle de ces grands assauts, comme jadis le combat de Vritra et du fils du Vasou. 914.

Tantôt poussés en arrière ou tirés en avant, tantôt cédant à la traction ou jetés çà et là, il s’entretiraient l’un l’autre et se frappaient avec les genoux. 915.

Ils se renvoyaient la menace d’une voix tonnante et répondaient aux coups par des coups, semblables à la chûte des rochers. 916.

Ces athlètes aux vastes poitrines, aux longs bras, également habiles dans ces luttes, s’attachaient l’un à l’autre avec des bras, pareils à des massues de fer. 917.

Ce duel commença le premier jour du mois Kârttika et se continua sans repos, sans nourriture, le jour et la nuit.

Ces magnanimes combattirent de cette manière treize jours ; enfin, le quatorzième, la fatigue força le Magadhain à quitter la partie. 918-919.

Quand Djanârdana, sire, vit le roi tellement accablé de lassitude, il adressa à Bhîmaséna aux terribles exploits ces paroles, qui semblaient renfermer un conseil ; 920.

« Il n’est pas reçu, fils de Kountî, qu’on profite de la fatigue de l’ennemi pour l’accabler dans un combat ; car l’homme tout épuisé de fatigue doit perdre nécessairement la vie. 921.

» Il faut donc laisser, fils de Kountî, respirer le monarque ; ensuite combats avec lui, noble Bharatide, à la force des bras. » 922.

À ces mots de Krishna et voyant quelle était la situation du roi, le Pândouide, immolateur des héros ennemis, tourna son esprit à la pensée de tuer Djarâsandha. 923.

Alors, ce rejeton de Kourou, Vikraudara, le plus fort des forts, alluma sa colère pour triompher de l’adversaire, qui n’était pas encore vaincu. 924.

Bhîma, s’élevant donc à une grande pensée dans son désir de tuer Djarâsandha, tint ce langage à Krishna l’Yadouide : 926.

« line convient pas, tigre d’Yadou, que j’épargne la vie de ce méchant, alors qu’il tient encore l’extrémité de son vêtement relevée pour le combat ! » 926.

Il dit, et l’héroïque Krishna de lui répondre ainsi, le stimulant par le désir de voir Djarâsandha morti : 927.

« Montre-nous donc, Bhîma, ce qu’il y a de vigueur en Djarâsandha, combien supérieure est ta destinée, et quelle est ta force, égale à celle du Vent, ton père ! » 928.

Ces paroles entendues, Ventre-de-loup, ce dompteur puissant des ennemis, enlève le vigoureux Djarâsandha et le fait pirouetter en l’air. 929.

Quand, le tenant par les jambes, il eut fait tourner ce malheureux cent fois, Bhîma l’envoya tomber sur son dos brisé, le broya, poussa un cri de victoire et, prenant d’une main l’un des pieds, l’homme à la grande force mit le corps en deux morceaux. 930.

Les hurlements du tyran foulé aux pieds et les cris du Pândouide menaçant se mêlèrent dans un bruit confus, qui sema la terreur chez tous les êtres animés. 951.

À ces clameurs de Bhîmaséna et de Djarâsandha, tous les Magadhains tremblèrent ; tous les fruits des femmes enceintes s’échappèrent de leur sein. 932.

« Est-ce que l’Himâlaya se brise ? Est-ce que la terre elle-même s’entrouvre ? » se demandaient les Magadhains à ce bruit de Bhimaséna. 933.

Ensuite les héroïques dompteurs des ennemis, ayant jeté dans la nuit le corps du roi privé de vie, semblable à une personne endormie, à la porte de son palais, sortirent de ces lieux. 934.

Krishna avait attelé les coursiers de Djarâsandha à son char, ombragé de son étendard, fait monter les deux frères dedans et mis en liberté les rois, leurs alliés ou parents. 935.

Ces rois, opulents de pierres fines, les souverains de la terre, délivrés d’un si grand péril, s’approchent de Krishna et lui font présent de leurs pierreries. Échappé du combat sans blessure, le vainqueur de l’ennemi, chargé de ses armes, monte dans le char céleste avec les rois et sort de Girivradja. Assis aux côtés des héros Arjouna et Bhîma, le cocher de Krishna et son frère germain, Dwiyodha, égal à son maître et guerrier invincible pour tous les rois et tous les archere, brillait dans ce char, dont il gouvernait les rênes. 936-937-938.

C’était le même char, qui jadis avait porté Çakra et Vishnou, courant à Târakâmava combattre les Démons. En ce moment Krishna s’avançait, monté dans ce char.

Destructeur des ennemis, victorieux, semblable à l’or passé au feu, enguirlandé avec des multitudes de clochettes et bruyant comme les nuées orageuses. 939-940.

Les princes de s’avancer alors, joyeux d’avoir conquis ce char, traîné sur lequel Indra jadis avait immolé neuf fois quatre-vingt-dix Dânavas. 941.

À la vue de Krishna aux longs bras, accompagné par les deux nobles frères et monté dans ce char, l’admiration saisit tous les Magadhains. 942.

Ce véhicule, attelé de chevaux divins, l’égal du vent pour la vitesse, brillait alors, auguste Bharatide, d’une très-vive splendeur, qu’il devait à l’honneur même de porter Krishna. 943.

On apercevait à la distance d’un yodjana le drapeau unique, cher à la Fortune, d’un éclat semblable à celui de l’arc-en-ciel, que la main du Dieu avait placé dans ce char nompareil. 944.

Krishna de penser à Garouda, et l’oiseau d’accourir au même instant ; il se tint debout sur le drapeau, comme un arbre tchaîtya. 945.

Garouda, le mangeur de serpents, resta dans ce char sans pareil avec des monstres, enfants et hôtes de la mer, la gueule ouverte et pleine de longs mugissements. 946.

Aucune des créatures n’aurait pu soutenir sa vue, tant il brillait d’une éminente splendeur, comme un Aditya au milieu du feu, environné par des milliers de rayons ! 947.

Les arbres ne peuvent embarrasser le passage, de cet immortel étendard, la flèche ne peut en percer le tissu. Les hommes, sire, ont vu de leurs yeux ici-bas ce drapeau nompareil et divin. 948.

Monté dans ce véhicule céleste d’un bruit semblable au tonnerre d’Indra, l’auguste Atchyouta sortit, accompagné des fils de Pândou. 949.

Le roi Vasou avait reçu d’Indra ce char ; Vrihadratha l’avait reçu de Vasou, et, suivant l’ordre de succession, il était arrivé de Vrihadratha au roi Djarâsandha, son fils.

Après qu’il fut sorti hors de Girivradja, le prince aux yeux de lotus bleu, aux longs bras, à la vaste renommée, s’arrêta dans une place publique. 950-951.

Là, tous les citadins, s’approchèrent de lui avec révérence, sire, les brahmes à leur tête, et de la manière enseignée par l’étiquette. 952.’

Les rois délivrés de la captivité honorèrent le meurtrier de Madhou et lui tinrent ce langage, que précédait un éloge : 963.

« Cet accomplissement de ton devoir, en compagnie de Bhîma et d’Arjouna, n’a rien, qui étonne en toi, guerrier aux longs bras, de qui Dévakî fut la mère. 954.

» Retirer les rois du lac épouvantable à la vase de chagrins, où Djarâsandha les avait plongés ; les arracher à cette forteresse de feu, effroi de la montagne, où ils périssaient de langueur, n’était de toi qu’une chose toute naturelle ! Mais cette délivrance, rejeton d’Yadou, t’a mérité, oh bonheur ! une éclatante renommée. 956-956.

» Que ferons-nous, tigre des hommes, nous, qui sommes dévoués à ton obéissance ? Dis-nous-le ! Et pense que la chose est accomplie déjà, fût-ce même ce qu’il y a de plus difficile à des rois ! » 957.

Le magnanime Hrishîkéça les encouragea et leur dit : « Youddhishthira désire célébrer le sacrifice nommé le râdjasoûya. 958.

» Que vos majestés, instruites de ces choses, se lient toutes d’une alliance avec ce prince, qui marche dans le devoir et qui veut l’empire de l’univers. » 959.

Alors, puissant monarque, ces rois, accueillant sa parole, de répondre tous d’une âme joyeuse : « Qu’il en soit ainsi ! » 960.

Les souverains de la terre firent hommage au Dâçarhain de leurs joyaux. Govinda consentit avec peine à les recevoir ; ce qu’il fit par un sentiment de compassion vis-à-vis d’eux. 961.

Sahadéva, le magnanime fils de Djarâsandha, son ar • chibrahme marchant devant lui, sortit avec son peuple et ses ministres. 962.

Humblement incliné et faisant porter devant ses pas des pierreries en masse, Sahadéva de s’avancer vers le Vasoudévide, l’auguste roi des hommes. 963.

Krishna d’accorder toute garantie au jeune prince, que la peur agitait ; et celui-ci d’offrir à Krishna des pierreries de la plus haute valeur. 964.

Le Vasoudévide sacra lui-même avec bonheur le Djarâsandhide aux longs bras ; et le nouveau monarque, inauguré, éclatant de splendeur, comblé d’honneurs, admis dans l’intimité de Krishna et des Pândouides, entra, sire, avec ces magnanimes dans la cité de Vrihadratha.

L’éminent Krishna, élevé avec les fils de Pândou au comble de la prospérité, ses trésors pleins d’une multitude de pierres fines, se remit en voyage. 965-966-967.

Rentré dans Indraprastha avec les deux Pândouides, Atchyouta, arrivé devant Youddhishthira, lui dit, rempli de joie : 968.

« Heureuse nouvelle, ô le plus excellent des rois I Bhima a couché dans la poussière le vigoureux Djarâsandha, et les rois sont maintenant délivrés de la captivité ! 969.

» Heureuse nouvelle ! Bhîma et Arjouna sont l’un et l’autre en bonne santé ! Ils rentrent sains et saufs dans ta ville ! » C’est ainsi qu’il parla, rejeton de Bharata. 970.

Alors Youddhishthira de rendre à Krishna les honneurs, dont il était digne, et d’embrasser, joyeux, Bhîmaséna et Arjouna. 971.

Djarâsandha mort, Adjâtaçatrou, content de la victoire, que ses deux frères utérins avaient remportée, en célébra les réjouissances avec tous ses frères. 972.

Le Pândouide, suivi des quatre autres, qui marchaient derrière lui suivant l’ordre des âges, s’approcha des rois délivrés, les traita bien, les combla d’honneurs et leur donna congé ; 973.

Puis, l’âme heureuse de cette permission, les monarques se hâtent, sur différents chars, de retourner chacun dans ses états. 974.

C’est ainsi qu’alors Djanârdana à la vaste intelligence, le plus éminent des hommes, fit arracher la vie à Djarâsandha, son ennemi, par la main des fils de Pândou. 975.

Après qu’il eut fait tuer ce tyran, le terrible guerrier offrit ses adieux, puissant Bharatide, à Dharmarâdja, à Kountî, à Krishnâ-Draâupadt, 976.

À Soubhadrà, à Bhimaséna, à Phâlgouna, aux deux jumeaux ; il prit congé du vénérable Dhaâumya, et s’achemina vers sa ville. 977.

Il fit résonner toutes les plages du monde avec le char nompareil, céleste, d’une rapidité égale à celle de la pensée, qu’Youddhishthira lui avait donné en présent. 978.

Mais, avant son départ, ô le plus éminent des Bharatides, les fils de Pândou, marchant à la suite de leur frère aîné, avaient décrit le pradakshina autour du Vasoudévide aux exploits infatigables. 979.

Après que le fils de Dévakî, Krishna les eut quittés, les Pândouides, qui avaient remporté une victoire éclatante, rendu la sécurité aux rois et mérité, grâce à cet exploit, une immense renommée, portèrent à son comble, auguste Bharatide, la félicité de leur commune épouse Draâupadî. 980-981.

En ce temps, le monarque, suivant les règles du devoir, acquit, par la défense de ses sujets, une renommée convenable, fondée sur l’utile, l’amour et le devoir. 982.




LA CONQUÊTE DES QUATRE POINTS DU MONDE



Vaîçampâyana dit :

Le Prithide, qui avait obtenu le plus excellent des arcs, deux grands carquois indestructibles, un char, un drapeau et un palais, tint ce langage à Youddhishthira : 983.

« Ces dons, peu faciles à acquérir, objets de mon envie, je les ai acquis, sire : un arc, un cimeterre, une grande vigueur, un parti, une terre, un renom, une armée. 984.

» Voici ce qui est maintenant à faire, je pense, ô le plus grand des souverains : je forcerai tous les rois à t’apporter leurs tributs pour augmenter ton trésor. 985.

» Je marcherai pour la victoire dans le jour, à l’heure, sous la constellation la plus sainte, contre ce quartier de la terre, auquel préside le Dieu des richesses. » 986.

À ces paroles d’Arjouna, Youddhishthira, le fils d’Yama, répondit en ces termes d’une voix aux sons doux et profonds : 987.

« Va trouver les brahmes, qui bénissent avec des paroles fortunées, et pars à la douleur des ennemis, à la joie des amis ! 988.

» La victoire sans doute attend là tes armes : tu parviendras au but, où aspire ton courage ! » À ces mots, le Prithide se mit en campagne, environné d’une grande armée. 989.

Sur le char céleste d’un merveilleux travail, donné par Agni, Bhîmaséna lui-même s’avança en guerre ; et les deux princes jumeaux s’en allèrent chacun d’un autre côté.

Tous honorés d’Youddhishthira, ils partirent avec des armées. Arjouna, le fils d’Indra, conquit la plage chère au souverain maître des richesses. 990-991.

Bhîmaséna vainquit la contrée de l’orient, Sahadéva celle du midi, et Nakoula, versé dans les astras, soumit la plage occidentale. 992.

Quant à l’auguste Youddhishthira, le roi de la justice, il resta dans le sein d’Indraprastha, environné par la foule de ses amis et savourant la plus douce félicité. 993. Djanamédjaya dit :

« Raconte-moi, brahme, avec étendue, la conquête des quartiers du monde, car je ne puis me rassasier d’entendre la grande histoire de mes ayeux. » 994.

Vaîçampâyana reprit :

Je te raconterai d’abord les conquêtes d’Arjouna, car les fils de Prithâ ont subjugué toute la terre dans le même temps. 995.

Dhanandjaya aux bras puissants commença par soumettre à sa domination les rois dans le pays du Koulinda ; expédition, qui ne lui coûta pas une peine extrême. 996. Quand il eut subjugué les peuples de l’Anartta, du Kâlakoûta et du Koulinda, il rassembla ses forces et composa de ses armées un cercle savant. 997.

Accompagné d’elles, sire, l’Ambidextre invincible assujétit le continent Çâka et le roi Prativindhya. 998.

Les souverains, qui habitaient dans ce continent et dans les six autres, soutinrent une guerre tumultueuse contre les armées d’Arjouna. 999.

Il défit, éminent Bharatide, ces guerriers aux grands arcs, et s’élança, accompagné de toutes ses troupes, vers le soleil d’orient. 1000.

Là, monarque des hommes, était un puissant roi, Bhagadatta. Le magnanime Pândouide eut avec lui une terrible guerre. 1001.

Ce dominateur de l’orient était environné de Kirâtas, de Chinois et d’autres nombreux guerriers, habitant les rivages humides de l’Océan. 1002.

Après qu’il eut combattu huit jours entiers Dhanandjaya, ce roi dit avec un sourire dans le combat au héros, inaccessible à la fatigue : 1003.

« Pândouide aux longs bras, Indra, ton père, a mis une grande vigueur en toi, guerrier brillant dans les combats ! 1004.

» Je suis l’ami d’Indra, son égal dans les batailles ; et cependant, mon fils, je ne puis dans ce combat tenir en face de toi ! 1005.

» Quel désir accomplirai-je de toi ? Parle, vigoureux fils de Pândou ! Je ferai, mon enfant, ce que tu me diras. » 1006.

Arjouna lui répondit :

« Le roi Youddhishthira, chef des Kourouides et fils d’Yama, qui a la science du devoir et qui est fidèle à la vérité, va célébrer un sacrifice, où seront départis les plus riches honoraires. Paye le tribut à ce prince afin qu’il obtienne, grâce au sacrifice, l’empire universel, son désir. 1007.

» Ta majesté est l’amie de mon père, elle est satisfaite de moi : ce n’est donc pas un ordre, que je lui donne : paye ce tribut comme un don émané de ta bienveillance. » 1008.

« Fils de Kountî, reprit Bhagadatta, ce que je suis pour toi-même, je le suis également pour Youddhishthira. Je lui payerai ce tribut : quelle autre chose veux-tu que je fasse encore ? » 1009.

Dhanandjaya répondit à ces mots de Bhagadatta : « Cette adhésion ne laisse plus rien à faire ! » 1010.

Après cette victoire, le fils de Kountî, Phâlgouna aux longs bras, s’en alla de ce pays vers la plage septentrionale, que tient sous sa garde le Dieu Kouvéra. 1011.

Là, ce prince, né de Kountî, dompta ce qui était dans la montagne, hors de la montagne et sous la montagne. 1012.

Vainqueur des montagnes et des rois différents, qui les habitaient, il rangea tous ces potentats sous sa domination et enleva d’eux entièrement les richesses. 1013.

Accompagné de tous ces rois, dont il avait gagné l’amitié, il marcha contre Vrihanta, sire, qui avait mis sa demeure dans Ouloûka. 1014.

Il ébranlait cette terre avec les cris de ses éléphants, avec le bruit des roues de ses chars, avec le son éclatant de ses tambours. 1015.

Bientôt Vrihanta sort à la hâte de cette ville avec une armée en quatre corps et livre bataille à Phâlgouna. 1016.

Dhanandjaya et Vrihanta se heurtèrent d’un choc terrible ; mais celui-ci ne put soutenir la furie du Pândouide. 1017.

Ce monarque inaffrontable, reconnaissant que la résistance était impossible avec le fils de Kountî, se rendit vers lui, apportant toutes ses richesses. 1018.

Aijouna lui rendit son trône ; puis, accompagné du monarque Ouloûkain, il marcha contre Sénâvindou, qu’il eut bientôt, sire, jeté hors de son royaume. 1019.

Il infligea le même sort à Modâpoura, Vâmadéva, Soudaman et Sousankoula ; il emmena prisonniers ces rois des Ouloûkas septentrionaux. 1020.

C’est ainsi qu’au temps, sire, où les ordres d’Youddhishthira, le tenaient dans cette région avec ses généraux, Kiriti subjugua cinq royaumes et battit leurs armées. 1021.

Ensuite, le conquérant s’avança vers la capitale de Sénâvindou, et fit son entrée dans Dévaprastha, à la tête d’une armée en quatre corps. 1022.

De là, environné de toutes ses divisions, le prince à la grande splendeur se porta contre Viçvagaçva, le puissant monarque issu de Pourou. 1023.

Il défit en bataille les héros montagnards aux grands chars, et enleva de vive force avec son armée la ville, que défendait ce rejeton de Pourou. 1024.

Viçvagaçva soumis, il vainquit les ennemis, habitants des montagnes, et les sept armées des Outsavamankétains ; puis, ce fils de Pândou, le plus héroïque des kshatryas, battit les héros kshatryas du Kâçmire et conquit le Lohita même avec ses dix régions. 1025.

Alors, sire, les Trigartas, les Dârvas, les Kokanadas, une multitude de kshatryas assaillirent à la fois ce fils de Kountî. 1026.

Ces choses faites, il réduisit la délicieuse Abhisârî ; après quoi, le rejeton de Kourou défit en bataille Rotchamâna, dont la ville d’Ouragâ était la résidence. 1027.

Ensuite, déployant sa force, le Pâkaçâsanide emporta avec le souffle des combats la charmante Ville-des-lions, munie de toutes les sortes d’armes. 1028.

Après sa conquête, le rejeton de Kourou et de Pândou, Kiriti, accompagné de toute son armée, s’empara de Sahma et battit les Soumâlas. 1029.

Puis, ce héros de la plus haute vaillance tailla en pièces les inaffrontables Vâhlîkas, dont il fit un grand carnage. 1030.

À la tête d’une puissante armée, Phâlgouna Ifattit encore les Daradas, et les guerriers du Kàmboje avec eux. Passant dans la région du Nord-Est, l’auguste subjugua les ennemis, qui l’habitaient, et tous ceux, qui vivaient dans la forêt. 1031-1032.

Le Pâkaçàsanide soumit les Lohas et les Kàmbojas ultérieurs, qui furent accompagnés sous le joug par les Rishikas du nord. 1033.

La bataille avec ceux-ci fut épouvantable au plus haut point : une seconde avec deux rois des Rishikas fut pareille au combat du Târakâmaya. 1034.

Il vainquit ces guerriers sur le champ de bataille et emmena comme prix de sa victoire huit chevaux, qui ressemblaient en couleur au ventre des perroquets. 1035.

D’autres furent emmenés par lui comme tribut, chevaux nompareils, légers, à la course rapide et semblables à des paons. 1036.

Après qu’il eut dompté l’Himâlaya avec ses bois dans les batailles, le plus grand des hommes porta ses pas vers le mont Çwéta, où il pénétra. 1037.

Quand il eut franchi cette montagne, lieu, que les Kimpouroushas habitent et que défend le fils de Drouma, le héros vigoureux, 1038.

Le plus vaillant des Pândouides en triompha dans une grande bataille, exterminatrice des ennemis, et le rangea sous le tribut. 1039.

Cette victoire obtenue, l’intrépide Arjouna de marcher avec son armée vers un pays, nommé Hâtaka, sous la garde même des Gouhyakas. 1040.

Eux une fois vaincus, le noble Kourouide s’approcha du lac Mânasa au nord et vit toutes les saintes rivières des rishis, 1041.

Arrivé près du lac Mânasa, non éloigné de la nation Hàtakaine, l’auguste Pândouide soumit, par la guerre, cette contrée défendue par les Gandharvas. 1042.

Il reçut alors de la cité des Gandharvas, tel qu’un précieux tribut, des chevaux supérieurs, nommés Mandoukas et tachetés comme la perdrix. 1043.

De là, le fils d’Indra et de Pândou se porta sur le Harivarsha, au nord, et désira conquérir cette région. 1044.

Parvenu au pied de la capitale, les gardes des portes à la haute taille, à la grande force, au grand courage, lui jetèrent ces mots avec orgueil : 1045.

« Fils de Prithâ, tu ne pourras jamais prendre cette ville ! Qu’il te suffise d’y être venu, illustre Atchyouta !

« Celui, qui entrera dans cette ville, ne sera, certes ! pas un homme ! Nous t’admirons, mais que tes victoires jusqu’ici te suffisent ! 1046-1047.

» En effet, il n’y a rien ici, Arjouna, que l’on puisse conquérir : tu es chez les Outtarakourous, avec lesquels il est inutile de combattre. 1048.

» Fusses-tu même entré ici, il te serait impossible d’y rien voir, fils de Kountî ; car il n’est rien ici de perceptible aux yeux d’un corps humain. 1049.

» Veux-tu faire ici quelque autre chose quelconque, dis-le, fils de Bharata ! Nous l’accomplirons sur ta parole. » 1050.

Arjouna, sire, leur fit en souriant cette réponse : « Je veux procurer l’empire universel au sage Dharmarâdja.

» Je ne verrai pas votre place, si la vue en est défendue aux hommes ; mais donnez en tribut une denrée quelconque à Youddhishthira. » 1051-1052.

Ceux-ci alors de lui payer le tribut avec des vêtements célestes, de célestes parures, des tissus de lin et de riches pelleteries. 1053.

C’est ainsi que le héros conquit la plage septentrionale et livra une foule de combats aux kshatryas et aux ennemis ; 1054.

Qu’il dompta les rois, les soumit au tribut, enleva à tous leurs richesses et leurs diverses pierreries ; 1055.

Les chevaux tachetés comme des perdrix, d’autres pareils aux fils des perroquets ou semblables aux paons, tous d’une vitesse égale au vent. 1056.

Le héros, environné d’une bien nombreuse armée en quatre corps, revint alors, sire, à Çakraprastha, la capitale de son frère. 1057.

Le fils de Prithâ remit tous ces trésors à Dharmarâdja, et, quand il eut reçu congé du roi, il se rendit à son palais. 1058.

Dans le même temps qu’Arjouna, le vigoureux Bhîmaséna, continua le narrateur, ayant obtenu l’agrément d’Youddhishthira, se mit en campagne contre la plage orientale. 1059.

Entouré d’un cercle épais d’armées, revêtues de cuirasses, pleines de chars, d’éléphants, de chevaux, dévastant les royaumes étrangers, l’auguste prince, enfant de Bharata, accroissant la douleur des ennemis, s’achemina vers la capitale des Pântchâlains. 1060-1061.

Le noble Pândouide mit en œuvre différents movens de flatteries auprès des Pântchâlains et vainquit, sans beaucoup de peine, les Vidéhains sur les rives de la Gandakî. Ensuite le roi Dâçârhain, Soudharman, soutint contre Bhîmaséna un grand, un épouvantable duel, où les bras étaient les seules armes. Admirant cette prouesse du magnanime, Bhîmaséna fit du vigoureux Soudharman le général en chef de ses armées. Après quoi, le guerrier aux effroyables exploits continua sa route vers la plage orientale, 1062-1063-1064-1066.

Ébranlant, pour ainsi dire, toute la terre sous la marche de sa grande armée. Ce héros, qui excellait en force par-dessus tous les forts, vainquit en bataille le resplendissant Açvamédhéçvara avec son armée. Après cette victoire, qui ne lui coûta pas une peine excessive, le héros à la grande vigueur, fils de Kountl et rejeton de Kourou, dompta les pays de l’orient. Ensuite, il marcha au midi contre la capitale du Poulinda. 1066-1067-1068.

Il soumit au tribut le puissant roi Soumitra dans la première fleur de l’âge. Ces choses faites, Djanamédjaya, l’éminent Bharatide se rendit, suivant les ordres d’Youddhishthira, vers Çiçoupâla à la grande vigueur. 1069.

Apprenant ce que désirait faire ce fils de Pândou, le formidable roi de Tchédi sortit de cette ville et vint à sa rencontre. 1070.

Les deux lions de Kourou et de Tchédi s’étant abouchés, ils échangèrent leurs questions, puissant roi, sur la félicité de leurs nobles familles. 1071.

Quand le roi de Tchédi lui eut offert son royaume, sire, il dit en souriant à Bhima : u Que fais-tu, mortel sans péché ? » 1072.

Alors Bhîma de lui raconter le dessein d’Youddhishthira. Le monarque reçut son hôte et fit comme il désirait. 1073.

Aussitôt qu’il eut habité là treize nuits, bien traité par Çiçoupâla, le vigoureux Bhîma de continuer sa route. Ce dompteur des ennemis vainquit ensuite Çrénimat dans le pays de Koumâra et Vrihadbala, le roi du Koçala. 1074-1075.

Le plus vigoureux des Pândouides battit encore dans Ayodhyâsans beaucoup de peine Dirghayajna à la grande force, versé dans la science des devoirs. 1076.

Puis, l’auguste soumit le Gopâlakaksha, les Koçalas du nord et Pârthiva, le souverain des Mallas. 1077.

De là, il marcha vers le flanc humide de l’Himâlaya, et le conquérant sut réduire en peu de temps cette région entière sous sa domination. 1078.

C’est ainsi que l’éminent Bharatide subjugua différentes contrées. Il vainquit le mont Çouktimat, voisin du Bhallâta. 1079.

Le Pândouide aux effrayants exploits, Bhîmaséna aux longs bras, à l’immense vigueur, qui surpassait en force tous les forts, le rangea sous sa puissance avec le roi de Kâçi aux bras invincibles, qui ne savait pas tourner le dos au milieu des combats. Après, ce fut le tour de Kratha, le roi des rois, qui habitait non loin du Soupârçwa. 1080-1081.

En vain celui-ci combattit vigoureusement, le Pândouide à la grande splendeur gagna la bataille. Ensuite, il vainquit les Matsyas et les puissants Maladas. 1082.

Le guerrier aux longs bras couvrit de ses armées le mont Madadhâra, terre féconde en troupeaux, que sa richesse exposait au danger des incursions. 1083.

Les Somadéyas vaincus, le vigoureux fils de Kountî s’avança, le visage tourné au nord, et contraignit à la soumission la terre de Vatsabhoûmi. 1084.

Il défit le souverain des Bhargas, le monarque des Nishâdas, et autres potentats nombreux, puissants et riches. 1085.

À la suite de ces victoires, Bhîmaséna soumit sans une peine extrême et comme en courant les Mallas du sud et le mont Bhogavat. 1086.

Il vainquit les Carinakas et les Varmakas, auprès desquels il s’était fait devancer par un langage d’amitié, et le roi Vidéhain Djanaka, le souverain du monde. 1087.

Le tigre des hommes n’eut pas une grande peine à le dompter ; et, préludant au succès par la ruse, il battit les Çakas et les Varvaras. 1088.

Tandis que le fils de Pândou et de Kountî guerroyait dans le Vidéha, en face du mont Indra, il défit sept rois des Kirâtas. 1089.

Ensuite, il subjugua les Souhmas, les Prasouhmas, les Swapârshwas, et porta ses incursions dans le pays des Magadhains. 1090.

Victorieux des rois Danda et Dandadhâra, accompagné de tous les monarques vaincus, il s’élança sur Girivradja.

Gagné par ses caresses, le fils de Djarâsandha se soumit au tribut, et, entraînant tous les tributaires à sa suite, le fort Bhîma courut sur Karna. 1091-1092.

Ébranlant, pour ainsi dire, toute la terre sous la marche de son armée en quatre corps, le valeureux Pândouide en vint aux mains avec ce Karna, le meurtrier des ennemis. 1093.

Après qu’il eut, noble Bharatide, abattu Karna dans une bataille et l’eut soumis au tribut, le robuste guerrier subjugua les rois, qui habitaient la montagne. 1094.

Ces choses faites, le Pândouide tua lui-même à la force de ses bras un roi plus vigoureux dans un terrible combat sur la montagne Modà. 1095.

Puis, il dompta Vasoudéva, héros à la grande viguem, qui régnait sur le Poundra, et le roi Maâudjas, qui habitait les rives de la Kaâuçikî : l’un et l’autre pleins de force, d’héroïsme et d’un ardent courage. Ces victoires obtenues, il fondit sur le roi de Vanga. 1096-1097.

Il renversa, chef des Bharatides, et Samoudraséna, et le prince Tchandraséna, et le roi Tâmralipla, qui régnait à Karvata, et le monarque des Souhmas, et les peuples, nés sur les rivages de la mer, et tous les Mlétchhas eux-mêmes. 1098-1099.

Le vigoureux fils du vent subjugua ainsi différentes contrées et, les ayant dépouillées de leurs richesses, il descendit vers l’Océan. 1100.

Il força tous les rois des barbares, qui habitent les humides terres, voisines de la mer, à lui apporter le tribut et leurs joyaux divers : 1101.

Sandal, aloës, pierreries, vêtements, perles, tapis, or, argent, corail, immenses trésors ! 1102.

Le fils de Pândou et de Kountî fut inondé par cette grosse pluie de richesses, qu’ils répandaient autour de lui en nombre de centaines de kotis. 1103.

Alors, Bhîma aux effrayants exploits revint à Indraprastha et déposa toutes ces richesses dans les mains d’Youddhishthira. 1104.

Salué par auguste Dharmarâdja, Sahadéva lui-même, sire, conduisit une grande armée vers la plage méridionale. 1105.

D’abord, le robuste prince né de Kourou défit entièrement, avec son héroïque armée, le roi des Matsyas et le soumit au tribut malgré sa résistance. 1106.

Il vainquit Dantavakra à la grande force, le suzerain des rois, le courba sous le tribut et le rétablit sur le trône. 1107.

Il fit tomber sous sa puissance le roi Soumitra dans la plus jeune fleur de l’âge et battit d’autres Matsyas, adonnés au brigandage. 1108.

Prudent capitaine, il subjugua promptement la terre des Nishâdas, le sourcilleux mont Goçringa et le roi Çrénimat. 1109.

À peine eut-il réduit ce nouveau royaume qu’il fondit sur le souverain de Kounti ; et celui-ci obéit à son commandement par un sentiment d’amitié. 1110.

Ensuite, il vit sur les rives de la Tcharmanvatî le monarque, fils de Jambhaka : dans une guerre antérieure, le Vasoudévide avait épargné sa vie. 1111.

Il ne craignit pas, noble Bharatide, de livrer une bataille au grand Sahadéva ; celui-ci remporta la victoire et continua sa route, le visage tourné au midi. 1112.

Le prince vigoureux battit les Sékas et les Aparasékas, reçut d’eux le tribut, des pierreries de toutes sortes, et, accompagné de ces peuples, continua sa marche vers la Narmadâ. L’auguste héros, fils d’un Açwin, triompha dans une bataille de Vinda et d’Anouvinda, princes d’Avanti, environnés d’une grande armée, reçut d’eux beaucoup de pierres fines et se dirigea vers la cité de Bhodjakata. 1113-1114-1115.

Là, divin monarque, après deux jours de combats, le fils de Mâdrî obtint la victoire sur l’inalfrontable Bhishmaka. 1116.

Il défit en bataille le roi du Koçala, le souverain du Venvâtata, les Kântârakas et les rois du Koçala oriental. Le vigoureux fils de Pândou gagna des batailles sur les Nâtakéyains et les Hérombakas ; il soumit de force, et Mâroudha, et Moundjagrâma, et les rois des Nâtchînas, et ceux des Arvoukains, et tous les peuples, qui vivent dans les forêts. 1117-1118-1119.

Le guerrier puissant réduit sous sa domination le roi Vcâtâdhipa ; et, quand il est sorti victorieux des combats livrés aux Poulindas, il marche du midi vers l’orient. 1120. Le vigoureux puîné de Nakoula combattit un jour entier avec le monarque du Pândya, et, vainqueur de nouveau, il fléchit sa route au midi. 1121.

Il s’avança vers Kishkindhâ, caverne au sein d’une montagne, illustre dans le monde, et combattit là sept jours avec deux rois des singes, Maînda et Dwivida, sans qu’ils en ressentissent la moindre fatigue. 1122. ê

Alors, ces deux magnanimes quadrumanes, satisfaits et joyeux, adressent à Sahadéva ce langage, qu’inspire l’amitié : « Va, tigre des Pândouides ! Emporte avec toi nos pierreries entièrement, et puisses-tu n’éprouver aucun obstacle dans ta mission pour le sage Dhai-marâdja ! »

Ensuite, chargé de leurs diamants, le prince de s’en aller à la ville de Màhishmatl, où le roi Nila soutint une bataille contre lui. 1123-1124.

Là, Sahadéva, l’auguste Pândouide, meurtrier des héros ennemis, eut à supporter le poids d’une lutte, capable de jeter l’épouvante dans les cœurs timides, 1125.

Mettant les existences dans l’incertitude et causant l’extermination des armées. Car le vénérable Feu s’était uni par une alliance à Nîla. 1126.

Aussitôt chars, coursiers, éléphants, cuirasses, hommes, tout parut en flammes dans l’armée de Sahadéva. 1127.

Alors, son âme entièrement agitée par l’émotion, le rejeton de Kourou n’eut pas la force, Djanamédjaya, d’opposer à ce malheur un seul mot. 1128.

« Pourquoi le vénérable Feu, brahme, interrompit Djanamédjaya, s’allia-t-il dans ce combat avec l’ennemi de Sahadéva, qui ne faisait la guerre que dans le but d’un sacrifice ? » 1129.

Vaîçampâyana répondit :

Un jour que l’auguste Feu, dit la tradition, habitait à Mâhishmati, on le surprit en flagrant délit de luxure.

Le roi Nîla avait une fille douée d’une extrême beauté ; elle servait toujours le feu sacré dans le but d’accroître la prospérité de son père. 1130-1131.

Mais la jeune fille avait beau l’exciter avec des éventails, il ne flamboyait pas tant qu’elle ne l’avait pas ému avec le souffle sorti de ses lèvres charmantes. 1132.

Le céleste Feu s’était donc épris d’amour pour cette jeune fille admirable à voir ; personne n’ignorait sa tendresse dans la maison du roi Nîla. 1133.

Ensuite, s’amusant à son gré sous les formes d’un jeune brahme, il s’oublia dans son amour pour la vierge à la jolie taille, aux yeux de lotus bleu. 1134.

Le vertueux monarque lui rappela son devoir, suivant les règles du Çàstra, et le divin Feu alors s’enflamma de colère. 1135.

Frappé de stupeur à cet aspect, le roi se prosterna, le front jusqu’à terre. Après quelque temps écoulé, il donna, baissant la tête, sa fille en mariage au Feu sous l’extérieur d’un brahme. Celui-ci accepta la fille aux charmants sourcils du roi Nîla. 1136-1137.

Le vénérable Feu, celui des êtres, qui sait le mieux donner la perfection aux sacrifices, rendit sa bienveillance au roi et lui accorda même une grâce. 1138.

Le monarque reçut, lui et son armée, l’assuranre contre tous les dangers ; et désormais quelque fussent les rois, qui, dans l’ignorance, ont voulu par une victoire emporter cette ville, le feu les a tous brûlés ! Alors, fils de Rourou, dans cette ville de Mâhishniatî, on ne put redemander aux épouses une jouissance, qu’elles avaient donnée, si elles ne le voulaient plus. Agni leur accorda cette grâce dans l’impuissance, où les femmes sont d’empêcher. 1139-1140-1141.

Là, errent donc à leur guise les femmes impudiques. Ainsi désormais, chef des Bharatides, les rois se sont toujours abstenus d’attaquer cette ville par la crainte du feu.

la vue de son année environnée par le feu et saisie de

terreur, le vertueux Sahadéva, aussi peu ému qu’une montagne, purifia sa bouche, puissant roi, et tint au Feu ce langage : 1142-1143-1144.

« C’est pour toi, Dieu à la route noire, que fut entreprise cette campagne. Hommage te soit rendu ! Tu es la bouche des Dieux, tu es, purificateur, le sacrifice même !

» On te nomme Pâvaka, parce que tu purifies ; Havyavâhana, parce que tu portes l’oblation aux Dieux ; Djâtavéda, parce que les Védas sont nés de toil 1145-1146.

» Tu es Tchitrabhânou, à l’admirable lumière ; tu es Souréça, le seigneur des Souras ; tu es Anala, le souffle de vie ; tu es, Vibhâvasou, celui, qui touche la porte du Swarga ; tu es Houlâça, qui mange les oblations ; tu es Djwalana, la flamme ; tu es Çikî ! 1147.

» Tu es le fils de Viçvânara ; tu es Pingéça et Plavanga ; tu es la mère de Kârtikéya à la splendeur immense ; tu es Bhagavat, tu es le fruit de Çiva, tu es Hiranyakrit, la cause de l’or ! 1148.

» Que le feu me donne la splendeur ! Que le vent répande en moi le souffle de la vie ! Que la terre place en moi la force ! Que l’eau fortunée me soumette l’espace !

» Germe des eaux, suprême énergie, Agni, tu es le père des Védas, le souverain des Souras, la bouche des Dieux, purifie-moi par la vérité ! 1149-1150.

» Dans tous les sacrifices bien offerts par les rishis, les brahmes, les Dieux et les Démons eux-mêmes, purifie-moi par la vérité ! 1151.

» Tu es Dhoumakétou au drapeau de fumée, tu es Çikl à la crête de flammes, tu es le destructeur des péchés, lu es la cause du vent, tu es uni toujours à tous les êtres animés, purifie-moi par la vérité ! 1152.

» Ainsi t’exalté-je avec dévotion et d’une âme pure ; donne-moi, adorable Agni, la satisfaction, la science, la nourriture et la bienveillance ! » 1153.

Quiconque, sacrifiant, reprit Vaîçampâyana, récite cet hymne éternel d’Agni, toujours dompté, toujours au sein de l’abondance, est lavé de tous ses péchés ! 1154.

« Messager de l’offrande, continua le fils de Mâdrî, il ne te sied pas de mettre obstacle au sacrifice ! » À ces mots, Sahadéva étendit sur la terre un lit de kouças.

Le tigre des hommes s’y assit suivant le rite, enfant de Bharata, en face du feu et sous les yeux de son armée, hors d’elle-même par la crainte. 1155-1156.

Mais le feu n’abandonna point celle-ci, comme la mer ne quitte pas son rivage. Alors, s’approchant de lui, Agni tint ce langage, que précédait une caresse, au rejeton de Kourou, à Sahadéva, le roi des hommes : « Lève-toi ! lève-toi, descendant de Kourou ! c’est une épreuve, que j’ai voulu faire. 1157-1158.

» Je connais entièrement le projet, dont vous êtes occupés, toi et le fils d’Yama. Mais je dois protéger cette ville aussi long-temps qu’elle portera un fils dans la famille du roi Nîla. Je ferai cependant, ô le plus vertueux des Bharatides, ce que désire ton cœur. » 1159-1160.

Alors s’étant levé d’une âme joyeuse, les mains réunies au front et la tête inclinée, le fils de Mâdrî adressa, chef des Bharatides, son hommage au feu. 1161.

Quand le feu eut cessé de brûler, le roi Nîla, par l’ordre d’Agni, se rendit auprès du fils de Pândou, et celui-ci le combla ainsi des mêmes honneurs. 1162.

Nlla de traiter avec révérence le prince Sahadéva, le roi des batailles. Celui-ci reçut son hommage, lui imposa le tribut, et le victorieux fils de Mâdrî continua sa marche vers les régions du midi. 1163.

Il rangea sous sa puissance le roi Traipoura à la vigueur sans mesure ; il subjugua le monarque issu de Pourou, Akriti, disciple de Kaâuçika ; conquête rapide, elle n’en coûta pas moins de grands efforts ! Le prince aux longs bras mit sous sa domination en ce même temps le monarque du Sourâshtra. 1164-1165.

Tandis qu’il était campé dans les champs de ce royaume, il envoya des courriers au roi Roukmi, qui tenait sa résidence à Bhodjakata ; le vertueux guerrier en dépêcha à son prudent ministre et à Bhîshma, l’ami d’Indra même en personne.

Le monarque et son fils obéirent à cet ordre, que précédait un langage caressant ; et, puissant roi, quand il eut vu le Vasoudévide, le souverain des combats se remit en campagne, emportant les pierres fines de Roukmi. 1166-1167-1168.

Ensuite le héros à la grande splendeur, aux vastes forces, soumit à sa puissance Çourpâraka, Tâlakata et les Dandakas ; 1169.

Les rois nés dans une matrice de Barbares, qui habitent les îles de la mer, les Nishâdas, les anthropophages, les Karnaprâvaranas mêmes, 1170.

Les peuples demi-hommes et demi-Rakshasas, qu’on appelle Kâlamoukhas, le mont Kola entièrement et la ville de Sourabhî. 1171.

Le héros à la grande sagesse réduisit en sa puissance l’île appelée Tâmrâ, le mont Râmaka, le roi Timingala, 1172.

Les Kérakains, hommes à un seul pied, qui habitent les forêts, la ville Sandjayanti et Karahâtaka l’hérétique.

Il fit reconnaître sa puissance par des envoyés et payer le tribut aux Pândyas, aux Dravidas et, de compagnie avec eux, aux Oundrakéralains. 1173-1174.

Il soumit les Andhras aux forêts de palmiers, les Kalingas, les Oushtrakarnikas, la charmante cité d’Atavî et la capitale des Yavanas. 1175.

À tous, il fit reconnaître sa puissance et payer le tribut par des envoyés. Quand il fut arrivé à Katchha, le sage fils de Mâdrî, le dompteur à l’âme juste des ennemis, expédia ses courriers, Indra des rois, à Vibhîshana, le magnanime fils de Poulastya, pour lui transmettre, avant ses ordres, les paroles de son amitié. 1176-1177.

Celui-ci reçut le commandement, qui avait pour son prélude un langage affectueux ; et le sage prince alors de penser que là se terminait son expédition. 1178.

Vibhîshana lui envoya toutes sortes de pierreries, des bois d’aloës et de sandal, des parures célestes, 1179.

Des vêtements d’une grande valeur, des joyaux : immenses trésors ! L’auguste et prudent Sahadéva revint donc sur ses pas. 1180.

Après qu’il eut ainsi, dans une rapide campagne, soumis les peuples, ceux-ci par des caresses, ceux-là par des victoires, et qu’il eut rendu les rois ses tributaires, le dompteur des ennemis retourna glorieux au palais de son frère. 1181.

L’éminent Bharatide versa toutes ces richesses aux mains d’Youddhishthira, et goûta dans son palais, auguste Djanamédjaya, le doux repos, que méritait une entreprise menée à si bonne fin. 1182.

Vaîçampâyana dit encore :

Maintenant je vais raconter les exploits et les victoires de Nakoula ; je dirai comment ce héros illustre a surpassé même les espérances vaincues des bénédictions, que le Vasoudévide avait répandues sur lui à son départ. 1183.

Sorti du Khândavaprastha, l’intelligent héros se dirigea vers les régions du couchant et s’avança à la tête d’une nombreuse armée. 1184.

Il ébranlait toute la terre avec le bruit des roues de ses chars, avec les violents cris de guerre et les menaçantes clameurs des soldats. 1185.

Il courut sur Rohitaka, ville chère à Kârttikéya, délicieuse, très-opulente, riche en troupeaux et en grains, pleine de vaches et de taureaux. 1186.

Là, il soutint une grande bataille contre des héros, semblables à des paons enivrés. Le héros à l’éclatante splendeur soumit à sa puissance la terre du Marou entièrement, pays bien riche en grains, Çaîrîshaka, Alahéttha, et Akroça, le saint roi, avec lequel fut engagée une terrible bataille. 1187-1188.

Quand il eut vaincu les Daçârnas, le fils de Pândou tourna ses armes contre cinq royaumes, les Çivis, les Trigarttas, les Ambashthas, les Màlavas et les Karpatas.

Après qu’il eut circulé chez les Madyakéyas, les brahmes Vâtadhânas, rejetons d’un brahme déchu, et de nouveau chez les tribus, qui habitent les bois du mont Poushkara, 1189-1190.

Le prince dompta les armées des Outsavakétains et les Grâmanîyas aux grandes forces, situés sur les rives du Sindhou, 1191.

Et les troupes des Çoûdrabhîras, et ceux, qui occupent les bords de la Sarasvatî, et ceux, qui vivent de poissons, et ceux, qui habitent les montagnes, 1192.

Et tout le Pantchanada, et le mont des Immortels, et l’Outtaradjyotisha, et la ville Divyakata. 1193.

Le héros à la grande splendeur mit promptement sous sa puissance Dwârapâla, les Râmathas, les Hârahoûnas et les rois, qui gouvernent dans l’occident. 1194.

Son ordre seul, enfant de Bharata, suffit pour les ranger sous la domination du fils de Pândou. Tandis qu’il parcourait ces contrées, il envoya un courrier au Vasoudévide ; 1195.

Et celui-ci de s’incliner sous son ordre avec les princes d’Yadou. Ensuite, il continua sa marche vers Çâkala, la ville des Madras. 1196.

Le vigoureux seigneur des batailles, que des paroles courtoises avaient précédé, soumit à sa puissance Çalya, son oncle maternel ; puis, honoré par ce roi, lui, qui était digne de ces honneurs, il s’avança, roi des hommes, emportant une multitude de pierreries, contre les peuples barbares, effroyables au plus haut point, qui habitent dans le sein de la mer. 1197-1198.

H soumit les Pahlavas, les Varvaras, les Kirâtas, les Yavanas, les Çakas ; et, quand il eut courbé tous les princes sous le joug, l’éminent Kourouide en possession de leurs pierres fines, Nakoula, qui n’ignorait pas les différents chemins, s’en retourna, suivi par des milliers de chameaux, qui portaient les trésors de ce magnanime. 1199-1200.

À peine dix milliers, grand roi, suffisaient-ils à porter ces immenses richesses. C’est ainsi qu’il se présenta au vaillant Youddhishthira, qui était resté dans Indraprastha.

Le charmant fils de Mâdrî lui remit ses richesses. C’est ainsi que l’auguste Bharatide Nakoula soumit cette plage de l’occident, à laquelle préside Varouna et que le Vasoudévide lui-même avait précédemment conquise. 1201-1202-1203.





LA CÉLÉBRATION DU RADJASOUYA.



Vaîçampâyana dit :

Grâce à la protection d’Youddhishthira, au maintien de la vérité et à l’extermination des ennemis, il n’y avait pas une créature, qui ne trouvât son bonheur dans ses occupations régulières. 1204.

Grâce aux dons, que répandaient les puissants, grâce au devoir, dont les lois étaient respectées, Indra versait les pluies à souhait et les campagnes étaient fécondes. 1205.

La surveillance des troupeaux, l’agriculture, le commerce, toutes les entreprises suivaient bien leur cours ; mais il n’était rien de tout cela, sans exception, qui n’eût pour sa cause les soins du monarque. 1206.

On n’entendait pas le roi ou un favori du roi se dire l’un à l’autre, sire, des paroles sans justice pour des voleurs ou des fripons. 1207.

Ni la sécheresse ou l’inondation, ni les malheurs causés par le feu ou les maladies, rien alors de tout cela n’existait, parce que Dharmarâdja n’abandonnait jamais le devoir. 1208.

Les rois venaient pour faire la cour, s’acquitter du tribut, satisfaire un mouvement naturel ; ils ne venaient jamais par d’autres causes. 1209.

Des accroissements légitimes de richesses avaient augmenté ses trésors à tel point qu’on n’aurait pu les épuiser par les dépenses de plusieurs centaines d’années. 1210.

Quand le royal fils de Kountî, le souverain de la terre, vit cette masse d’argent et d’or brut ou travaillé de ses trésors, il tourna son esprit à la pensée du sacrifice. 1211.

Tous ses amis lui dirent, chacun en particulier et tous de compagnie : « Arrête ici maintenant le jour du sacrifice ! » 1212.

Tandis qu’ils parlaient de cette manière voici venir Hari, l’antique rishi, l’âme des Védas, invisible à ceux-mêmes, qui ont la connaissance, 1213.

Le plus grand des êtres du monde, l’Origine, l’Éternel, le soutien de ce qui a été, de ce qui est, de ce qui sera, Kéçava aux longs cheveux, le meurtrier de Kéçi, 1214.

L’exterminateur des ennemis, l’asile assuré dans les infortunes, le retranchement de tous les Vrishnides ; Hari faisant résonner à la fois les tambours et les tymbales, insigne du commandement des armées. 1215.

Quand Mâdhava, le premier des hommes, eut donné à Dharmarâdja une multitude variée de richesses ; il entra, environné de sa grande armée, au bruit éclatant de son char, dans cette ville capitale, impérissable, sans limite, océan de pierreries, réceptacle des richesses. 1216-1217.

Remplissant cette ville déjà pleine, il apportait le deuil à ses ennemis. La cité des Bharatides se réjouit de cette arrivée de Krishna, comme un jour sans soleil se réjouit du soleil, comme le calme plat se réjouit du vent. Réuni à lui avec des transports de joie et l’ayant honoré, suivant l’étiquette, 1218-1219.

Youddhishthira le fit asseoir commodément et l’interrogea sur sa bonne santé. Puis, accompagné des ritouidjs, Dhaâumya et Dwaîpâyana à leur tête, de Bhîma, d’Arjouna et de ses deux frères jumeaux, l’éminent personnage dit à Krishna : « Grâce à toi, Krishna, toute la terre est réduite sous ma puissance. 1220-1221.

» Favorisé par toi, rejeton de Vrishni, j’ai conquis des richesses considérables : je désire, fils de Dévakî, les employer toutes suivant les rites en dons aux principaux des brahmes dans la célébration d’un sacrifice. Mon désir est donc, assisté par toi, Dâçârhain, de célébrer le grand râdjasoûya. 1222.

» Veuille bien, prince aux longs bras, m’en accorder la permission, à moi et à mes frères puînés. Donne-toi, puissant Govinda, l’initiation à toi-même pour cette sainte cérémonie. 1223-1224.

» Célébré par toi, Dâçârhain, le sacrifice me lavera de mes péchés : donne-nous ton agrément, seigneur, à mes frères et à moi. 1225.

» Avec ta permission, Krishna, j’aborderai le plus grand des sacrifices. » * Krishna de lui répondre, peignant d’un mot l’étendue de ses qualités : 1226.

« Tigre des rois, tu es digne de l’empire universel. Aborde ce grand sacrifice : toi l’accomplissant, c’est comme si nous l’avions accompli nous-mêmes. 1227.

» Offre le sacrifice, que tu désires, tandis que je suis dans les dispositions les plus favorables. Use de moi à ta volonté ; je ferai tout ce que tu me diras. » 1228.

« Ma pensée, reprit Youddhishthira, n’a pas été stérile : je dois nécessairement atteindre à la perfection, Hrishîkéça, puisque, suivant mon désir, je te vois à mes côtés. » 1229.

Autorisé de cette façon par Krishna, l’aîné des Pândouides avec ses puînés de commencer les préparatifs pour le sacrifice du râdjasoûya. 1230.

Ce noble meurtrier des ennemis donna cet ordre à Sahadéva, le plus vaillant des guerriers, et à tous ses ministres : 1231.

« Qu’on apporte vite dans ce sacrifice, suivant la connexion, suivant l’ordre, tous les membres, qui doivent former le corps du sacrifice, conformément aux paroles des brahmes, les vases et les offrandes, les choses fortunées, sans rien omettre ! Qu’on fasse, telles que Dhaâumya les indique, toutes les dispositions en rapport avec les sacrifices ! 1232-1233.

» Qu’inspirés par le désir de m’être agréables, Indraséna, Viçoka, Pourou, Arjouna et Sârathi soient attentifs à faire apporter les aliments et tout ce qu’il faut à la vie !

» Que tous les désirs, ô le plus vertueux des enfants de Kourou, soient comblés de choses ravissantes, causant la joie des brahmes, charmant le goût et l’odorat ! »

Bientôt Sahadéva, le plus vaillant des guerriers, vint annoncer à Youddhishthira, le roi de la justice, qu’on avait exécuté déjà tout dans un temps aussi court que l’avait été sa parole. 1234-1235-1236.

Ensuite Dwaîpâyana, sire, amena les ritouidjs, vertueux brahmes, tels que les Védas mêmes, incarnés dans un corps visible. 1237.

Le fils de Satyavatî fit lui-même dans ce sacrifice les fonctions de prêtre officiant ; Sousâmon y fut le chantre du Sâma-Véda. 1238.

Le bien vertueux Yâjnavalkya y fut l’excellent adhwaryou ; Paîla, fils de Vasou, assisté de Dhaâumya, y remplit les fonctions du hotri. 1239.

Leurs fiïs et les différentes classes de leurs disciples, tous avant abordé sur la rive ultérieure des Védas et des Védângas, furent les hotragas, le cortège des oblations. Après qu’ils eurent proclamé le saint jour et qu’ils en eurent accompli toutes les règles, 1240.

Ils consacrèrent le grand sacrifice des Dieux, suivant la manière enseignée par les Çâsitas ; et des ouvrière, la permission accordée, se mirent à construire des logis parfumés, vastes, semblables aux maisons des habitants du ciel. Alors cet auguste monarque, le plus vertueux des rois, commande à Sahadéva, son ministre : « Envoie à l’instant même des messagers à la course rapide porter les invitations. » 1241-1242-1243.

À cet ordre du souverain, celui-ci d’expédier les courriers : « Invitez les brahmes et les rois, leur dit-il ; amenez les honorables vaîçyas et tous les çoûdras. 1244-1245.

Congédiés avec cette instruction, les messagers de faire les invitations et d’envoyer eux-mêmes promptement çà et là d’autres hommes à la marche légère. 1246.

Les brahmes alors, puissant Bharatide, de conférer au temps fixe l’initiation pour le râdjasoûya à Youddhishthira, le fils de Kountî, 1247.

Le vertueux fils d’Yama consacré se rendit à l’autel du sacrifice, environné de brahmes par milliers, 1248.

Accompagné de ses frères, de ses parents, de ses amis, de ses conseillers, des kshatryas et des souverains, qui s’étaient réunis là de toutes les contrées. 1249.

Entouré des ministres, le plus éminent des hommes semblait aux yeux le Devoir même incarné. Des brahmes versés dans toutes les sciences, qui avaient lu entièrement le Véda et les Védângas, étaient accourus en ce lieu de pays situées çà et là sur la terre. Des ouvriers par milliers avaient construit pour chacune de ces compagnies en particulier, suivant les ordres d’Youddhisthira, des habitations remplies d’aliments, de couvertures, et douées des qualités requises par toutes les saisons. 1250-1251-1252.

Ce fut là que, bien traités du roi, demeurèrent les brahmes, s’amusant à conter de nombreuses histoires ou regarder les jeux des comédiens et des jongleurs. 1253,

On entendait là sans relâche un grand bruit de magnanimes brahmes dans la joie, causant et mangeant. 1254.

« Qu’on donne ! donnez ! — Mangez ! qu’on mange ! » Ces paroles et de semblables frappaient continuellement les oreilles. 1255,

À chacun deux en particulier, Youddhishthira, par centaines de mille, donna des vaches, des couvertures, de l’or et même des femmes. 1256.

Le sacrifice du héros au grand cœur, fils de Pândou, fut célébré sur la terre, comme celui d’Indra au sein du ciel. 1267.

Ensuite, Véminent roi Youddhishthira d’envoyer Nakoula, son frère, à Indraprastha vers Bhishma, 1258.

Drona, Dhritarâshtra, Vidoura, Kripa et tous les cousins, qui étaient dévoués à Dharmarâdja. 1259.

Arrivé à Indraprastha, le Pândouide victorieux dans les batailles, Nakoula transmit l’invitation à Bhîshma et à Dhritarâshtra. 1260.

Ceux-ci, invités avec révérence, s’acheminèrent d’une âme joyeuse vers le sacrifice, les instituteurs spirituels à leur tête, et marchant à la suite des brahmes. 1261.

La nouvelle du sacrifice d’Youddhishthira y fit accourir les hommes, qui en savaient les cérémonies ; d’autres y vinrent par le désir de voir l’assemblée et l’aîné des fils de Pândou ; les kshatryas s’y rendirent des points différents de la terre ; mais tous affluaient là, Bharatide, avec des cœurs satisfaits. 1262-1263.

On y vit arriver, apportant les trésors grands et variés de leurs joyaux, Bhîshma, le sage Vidoura, Dhritaràshtra, 1264.

Et tous ses fils, Douryodhana à leur tête, Soubala, le roi de Gàndhàra, Çakouni à la grande force, 1265.

Atchala, Vrishaka et Karna, le plus habile des conducteurs de chars, le vigoureux Çalya et Vâhlika aux grandes forces, 1266.

Somadatta, le rejeton de Kourou, Bhoûri, Bhoûriçravas, Çala, Açvatthâman, Kripa, Drona et Djayadratha, né sur les rives du Sindhou, 1267.

Yajnaséna, Çâlva, le souverain de la terre, avec son fils, et Bhagadatta au grand char, le roi du Prâgdjyotisba, Avec tous les Mlétchhas, qui habitent les humides régions voisines de la mer ; les rois montagnards et le roi Vrihadbala, 1268-1269.

Et Vâsoudéva le Poundrakain, Vanya du Kalinga, Akarsha et Kountala, les Mâlavas et les Andrakas, 1270.

Les Drâvindas, les Sikbalas et le roi du Kâsbmlre, Kountibhodja à la grande splendeur, le prince aux blancs coursiers, 1271.

D’autres héros et tous les rois du Vâhlika, Virâta avec ses fils, et Màvella à la grande force, 1272.

Les rois et les fils de rois, souverains de pays différents, Çiçoupâla à l’immense vigueur avec son fils. 1273.

Çiçoupâla, ivre de combats, vint au sacrifice du fils de Pàndou, ainsi que Râma, Nirouddha, Kanka avec Sârana, 1274.

Gada, Pradyoumna, Çâmba, le vigoureux Tcharoudéshna, Oulmouka, Niçatha et l’héroïque Angâvaha.

Tous ces héros et d’autres, enfants comme eux de Vrishnî, vinrent au sacrifice. Ces rois et d’autres en grand nombre, nés dans la région du milieu, 1275-1276.

Accoururent au râdjasoûya, le grand sacrifice, du fils de Pândou. Suivant Perdre d’Youddhishthira, on leur distribua des habitations, 1277.

Bien pourvues d’aliments, sire, parées d’arbres et de vastes étangs. Dharmarâdja lui-même combla d’hommages ces magnanimes. 1278.

Les rois, bien traités, entrèrent dans ces demeures, faites au gré de leurs désirs, ravissantes, ornées d’opulence, semblables en hauteur aux cîmes du Kaîlâsa,

Toutes garnies de fenêtres d’or, embellies d’un pavé en pierres fines, entourées de tous côtés par des remparts hauts, blancs, artistement construits, 1279-1280.

Servies par des escaliers aux marches douces, couvertes tout à l’entour de grands sièges, tapissées de bouquets et de guirlandes, parfumées du plus suave aloës.

Pareilles en couleur au cygne ou à la lune, offrant une agréable perspective à la distance d’un yodjana, accèssibles, percées de portes égales, réunissant maints différents avantages, 1281-1282.

Et les membres, tels que les cîmes de l’Himavat, doués de plusieurs métaux. Quand les rois se furent délassés, ils virent, entouré d’une multitude de présents, 1283.

Environné d’une foule d’assistants, Youddhishthira, le roi de la justice. Pleine de rois, de brahmes et de grands saints, cette assemblée resplendissait alors comme le palais des cieux rempli d’immortels. 1284-1285.

Youddhishthira de s’avancer à la rencontre de son bisaïeul et de son instituteur spirituel. Il se prosterna à leurs pieds, sire, et tint ce langage 1286.

À Bhîshma, à Drona et son fils, à Douryodhana et ses plusieurs fois vingt frères : « Que vos excellences me soient entièrement favorables dans ce sacrifice ! 1287.

» Ces richesses considérables, que je possède ici, elles sont à vous. Que vos excellences me favorisent selon mes désirs en ce sacrifice, auquel je les ai convoqués. » 1288.

Le frère aîné des Pândouides, consacré par l’initiation, quand il eut ainsi parlé à tous, leur assigna aussitôt diverses fonctions conformes à leur aptitude. 1289.

Il confia l’administration des vivres et des festins à Douççâsana : il chargea Açvatthaman des rapports avec les brahmes. 1290.

Il remit à Sandjaya l’échange des civilités avec les rois ; deux hommes à la haute sagesse, Bhîshma et Drona, furent préposés à la connaissance de ce qui était ou n’était pas fait. 1291.

Le monarque donna à Kripa le soin de surveiller l’argent, l’or, les pierreries, et de répartir les honoraires du sacrifice. 1292.

Il employa les autres princes à telle ou telle autre affaire. Vâhlîka, Dhritarâshtra, Somadatta, Djayadratha, 1293.

Venus à l’invitation de Nakoula, jouîssaient là des plaisirs en maîtres du palais. Vidoura, le fils de la femme esclave, instruit dans tous les devoirs, eut pour mission de faire les dépenses. 1294.

Les révérences dues aux brahmes furent entièrement confiées à Douryodhana : la charge de Krishna fut celle de laver leurs pieds, 1295.

Aucun de ces hommes rassemblés de tous les pays, amenés par le désir de voir l’assemblée, de contempler Youddhishthira et de savourer l’excellence d’une rémunération supérieure, n’offrit pas un hommage, qui fût inférieur à mille, et n’enrichit pas Dharmarâdja d’une multitude de pierreries. 1296-1297,

« Comment puis-je aider, par le don de mes joyaux, le fils de Kountî à célébrer le sacrifice ? » Ainsi pensaient les rois et chacun d’eux à l’envi donnait ses richesses. 1298.

L’assemblée du magnanime fils de Kountî resplendissait alors de maisons aux cîmes de temples, flanquées de tours, environnées d’armées. Elle éblouissait par des palais de rois, par das habitations de brahmes, par des édifices bien appropriés, semblables aux palais célestes, incrustés de pierreries diverses, comblés d’une suprême abondance, peuplés d’une foule de rois, dont Çrî s’était complue, sire, à accroître les richesses. 1299-1300-1301,

Youddhishthira, dans ces jours, rivalisa d’opulence avec le Dieu Varouna ; il offrit un sacrifice de six feux, regorgeant de présents honorifiques. 1302.

Approvisionné de nourritures et de maints aliments, environné d’un monde de cuisiniers[38], il rassasia avec abondance tous les désirs de tous les assistants. 1303.

Cette assemblée fut comblée de pierreries et de mets. Dans ce grand sacrifice, des Maharshis, habiles dans la science des prières, des libations, des sacrifices avec le beurre clarifié et la vache, assouvirent la faim des Dieux. Les brahmes furent, comme les Dieux, rassasiés de grandes richesses ; et, dans ce sacrifice, toutes les castes furent saturées de joie. 1304-1305-1306.



L’HOMMAGE DE L’ARGHYA




Vaîçampâyana dit :

Le moment venu d’arroser le feu par la main du brahme avec le beurre clarifié, les maharshis, dignes de cet honneur, entrèrent avec les rois dans l’enceinte réservée de l’autel. 1307.

Alors ces magnanimes, Nârada à leur tête, de rayonner dans le sanctuaire, où ils étaient assis avec les rois saints. De même que, rassemblés dans le palais de Brahma, les Dieux et les Dévarshis à la force sans mesure s’entredisent, partagés d’opinion : 1308-1309.

« C’est ainsi ! — Ce n’est point ainsi ! — C’est de cette manière, et ce n’est pas autrement ! » Tels ces brahmes saints soutenaient leur opinion l’un contre l’autre. 1310.

De-là, ceux-ci faisaient les choses à moitié, ceux-là entièrement ; mais à demi ou complètement faites, c’était par des raisons enseignées dans les Çâstras. Il en était qui, fiers de leur intelligence, dédaignaient l’avis des autres comme les faucons dédaignent le morceau de chair, qui tombe du ciel. 1311.

Les uns habiles dans les choses du devoir, les autres distingués par de grands vœux, mais tous les plus éloquents des hommes instruits dans les histoires, ils s’amusaient à raconter. 1312.

L’enceinte de l’autel, remplie de Dieux, de maharshis et de brahmes, versés dans les Védas, resplendissait comme un vaste ciel plein de constellations. 1313.

Ni dans ce parvis, qui était alors, sire, l’habitation d’Youddhishthira, ni dans son voisinage, il n’y avait pas un çoûdra, il n’y avait pas un homme, qui ne fût engagé par de saints vœux. 1314.

Nârada se réjouissait, voyant cette prospérité du sage Dharmarâdja, que la Déesse de l’abondance répandait sur lui pour l’acte du sacrifice. 1315.

Le céleste anachorète conçut alors une pensée, roi des enfants de Manou, à la vue de cette affluence de tous les kshatryas. 1316.

Il se rappela une vieille histoire, qui existait dans le palais de Brahma au temps, où les portions des Dieux vinrent ici-bas revêtir des corps humains. 1317.

Ayant discerné l’assemblée des Dieux mêmes, rejeton de Kourou, dans cette réunion d’hommes, Nârada se souvint dans sa pensée de Hari aux yeux de lotus bleu. 1318.

Fidèle à cette promesse, qu’il avait donnée, l’auguste Nârâyana en personne, le conquérant des villes ennemies, le héros, qui extermine les ennemis des Immortels, était né dans la race des kshatryas. 1319.

Jadis le créateur des êtres avait informé lui-même les Immortels de leur destinée ! « Quand vous vous serez tués les uns les autres, vous rentrerez dans les mondes célestes. » 1320.

Il dit ; et, quand il eut donné cet avis à tous les Dieux, Nârâyana, Çambhou, l’Adorable, le Seigneur du monde naquit dans la race d’Yadou. 1321.

La plus forte colonne entre celles, qui soutiennent une race, il brilla sur la terre dans la famille des Andhakas et des Vrishnides, comme la reine des étoiles au milieu des constellations, 1322.

Ce Hari, l’exterminateur des ennemis, de qui tous les Dieux avec Indra adorent la force du bras, le voilà qui habite sur la terre comme un enfant de Manou. 1323.

Oh ! n’est-ce pas une chose merveilleuse que l’Être-existant-par-soi-même doive un-jour reprendre en lui ce kshatrya, doué d’un telle vigueur ! 1324.

Telles étaient les pensées, que roulait en lui-même Nârada, quand l’anachorète, de qui rien n’est ignoré, eut discerné Hari-Nârâyana sous le monarque, qui alors célébrait les sacrifices. 1325,

Le brahme à la vaste intelligence, le meilleur des êtres connaissant le devoir, assistait ainsi au grand sacrifice du sage Dharmarâdja, dont il possédait l’estime et l’amitié.

Bhîshma dit ensuite : « Qu’on rende aux rois l’honneur, suivant qu’ils en sont dignes ! » C’est ainsi qu’il parla, royal Bharathide, à Youddhishthira, le fils d’Yama.

« Le précepteur spirituel, le ritouidj, le maître de maison, l’ami, ie roi, le gendre : voilà, dit-on, Youddhishthira, les six personnes, qui méritent la corbeille hospitalière. 1326-1327-1328.

» Tous ces hommes, dignes d’honneur, ont afflué vers nous ; ils sont venus depuis long-temps ; ils ont habité ici une année entière. 1329.

» Qu’on apporte un arghya pour chacun d’eux en particulier, sire ! Mais qu’un arghya spécial soit offert au prince, le plus digne parmi eux ! » 1330.

« À qui dans l’opinion de ton altesse appartient cet arghya ? lui répondit Youddhishthira. À qui, rejeton de Rourou, devons-nous l’offrir ? Dis-moi, vénérable aïeul, ce qu’il convient de faire ici ? » 1331.

Alors Bhîshma, le vigoureux fils de Çântanou, ayant agité cette question dans son intelligence, arrêta que le plus digne de cet honneur sur la terre était Krishna, le descendant de Vrishni. 1332.

« En effet par sa vaillance et sa vigueur ce héros brille parmi tous autant que le soleil brûlant parmi les astres du ciel. 1333.

» Notre assemblée resplendit par lui autant qu’un jour sans soleil par le soleil ; elle se réjouit de Krishna comme un calme plat se réjouit du vent ! » 1334.

Avec la permission de Bhîshma, l’auguste Sahadéva offrit donc, suivant l’étiquette, au rejeton de Vrishni cet arghya supérieur. 1335.

Krishna reçut l’hommage de la manière enseignée dans les Çâstras ; mais Çiçoupâla ne put supporter l’honneur, qu’on rendait au Vasoudévide. 1336.

Le vigoureux monarque de Tchédi blâma dans l’assemblée Youddhishthira et Bhîshma ; il méprisa le ûls de Vasoudéva. 1337.

Il dit :

« Ce Vrishnide ne mérite pas, comme s’il était un roi lui-même au milieu des magnanimes souverains, qui sont ici, filss de Kountî, un honneur, qui est dû seulement aux rois. 1338.

» Tu as, fils de Pândou, honoré Poundarikâksha par un sentiment de partialité complaisante : c’est une conduite, qui ne sied pas aux généreux Pândouides. 1339.

» Vous êtes des ignorants, fils de Pândou ; vous ne connaissez pas les choses ; petite est votre vertu ! Ce fils de la Gangâ est brouillé avec son intelligence ; il montre une vue étroite. 1340.

» Un homme vertueux de ta sorte, Bhîshma, de qui le désir seul d’être agréable, inspire les actions, est souverainement méprisé dans les mondes par le véritable homme de bien. 1341.

» Comment ce Daçârhain, qui n’est pas un roi, a-t-il mérité l’honneur de cette préférence, que vous lui avez décernée au milieu de tous les rois ? 1342.

» Pensais-tu honorer la vieillesse dans Krishna ? Mais comment cet honneur lui serait-il dû, quand Vasoudéva, son vieux père, assiste au sacrifice ? 1343.

» Ou bien le Vasoudévide ne s’est-il prêté à cet honneur que pour te faire plaisir ? À ce point de vue même, il n’en serait pas digne, quand Droupada est ici ! 1344.

» Pensais-tu voir dans Krishna un instituteur spirituel ? À ce titre encore, comment pouvais-tu l’honorer, fils de Kourou, Drona étant présent ? 1345.

» Pensais-tu voir dans Krishna un ritouidj ? Comment pouvais-tu, fils de Kourou, l’honorer comme tel en présence du vieillard Dwaîpâyana ? 1346.

» Quand Bhîshma est ici, Bhishma, le fils de Çântanou, le plus vertueux des hommes, à la volonté de qui l’instant de sa mort fut laissé ! pouvais-tu, sire, honorer Krishna ?

« Pouvais-tu, royal fils de Kourou, rendre ici cet honneur à Krishna en face du héros Açvatthâman, versé dans tous les Çâstras ? 1347-1348.

» Comment as-tu pu honorer Krishna, quand sous tes yeux est Douryodhana, le plus grand des hommes et l’Indra des rois, quand sous tes yeux est Kripa, l’ancien maître des jeunes Bharatides ! 1349.

» Pour les honorer, tu as sauté par-dessus Drouma, l’instituteur des Kimpouroushas ! Comment pouvais-tu rendre cet honneur à Krishna en présence de l’inaffrontable Bhîshma, qui porte comme Pândou les traits d’un père, en face de Napa, du vertueux Roukmi, d’Ékalavya même et de Çalya, le roi de Madra ? 1350-1351.

« Comment, Bharathide, as-tu pu rendre un tel honneur à Krishna, sans même donner un regard au fameux Karna, l’élève chéri du brahme, fils de Djaraadagni ; lui, de qui tous les rois vantent la force et qui, appuyé sur elle seule, a vaincu les souverains en bataille ? 1352-1363.

» Le meurtrier de Madhou n’est pas un ritouidj, ni un instituteur spirituel, ni un roi : et tu l’as honoré, chef de ? Kourouides ! Pour quel motif, si ce n’est par un sentiment de partialité complaisante ? 1364.

» Mais, si vous aviez envie d’honorer Mâdhava, qu’aviez-vous besoin, Bharatide, de convoquer ici les rois, pour leur infliger cet affront ? 1365.

» À ce magnanime enfant de Kourou, ferme dans son devoir et qui aspire à la monarchie universelle, nous payons tous des tributs, et voilà qu’il nous méprise ! 1366-1367.

» En effet, dans quel autre but que celui de nous infliger son mépris, a-t-il honoré de la corbeille hospitalière ce Krishna, qui n’a pas obtenu le caractère des rois ? 1358.

» En vain la renommée te proclame le fils du juste[39] ; en vain l’on pense de toi : « C’est le juste en personne ! » Quel juste put jamais adjuger à l’homme, déserteur du juste, un honneur si mal assorti, 1359.

» Au méchant, qui, né dans la race de Vrishni, a tué jadis un roi, le magnanime Djarâsandha ! 1360.

» Aujourd’hui la justice a rompu avec Youddhishthira. En décernant la corbeille à Krishna, il nous montre sa bassesse ! 1361.

» Si les Pândouides sont craintifs, avares, misérables, n’est-ce point là ce que tu fais voir dans cet honneur, que tu décernes à Mâdhava ? 1362.

» Et toi, Djanârdana, pourquoi as-tu permis à ces misérables de te rendre un honneur, dont tu n’étais pas digne ?

» Cet hommage, quoiqu’il ne te sied pas, t’inspire beaucoup d’estime pour toi-même : tel un chien, qui trouve dans un lieu sans témoin une portion échappée du beurre de l’offrande et qui la mange indignement. 1363-1364.

» Mais cet acte de mépris, il échoue contre ces rois tout-puissants : les enfants de Kourou se moquent de toi évidemment, Djanârdana. 1365.

» L’honneur, qu’ils te rendent, comme à un roi, à toi, qui n’est pas roi, c’est le présent d’une femme à un eunuque ; c’est le spectacle de la beauté offert à un aveugle !

» On voit Youddhisthira roi, on voit Bhîshma tel qu’un roi, on voit Krishna même sans gloire : tout cela n’est que la vérité ! » 1366-1367.

À ces mots, Çiçoupâla se lève du siège royal, où il était assis, et sort de l’assemblée, accompagné des rois. 1368.

À la suite de ces choses, le roi Youddhishthira s’en alla vite trouver Çiçoupâla et lui adressa ces paroles douces, que précédait une caresse : 1369.

« Ce que tu as dit, sire, n’était pas convenable ; c’était injuste au plus haut point, un langage injurieux, sans aucune utilité ! 1370.

» Un prince ne doit jamais oublier le devoir, son premier objet. D’ailleurs, tu ne devais pas mépriser Bhîshma, le fils de Çântanou. 1371.

» Vois ces nombreux souverains de la terre : ils sont plus vieux que toi et ils souffrent que l’hommage soit décerné à Krishna ; mais toi, tu ne daignes pas le supporter ! 1372.

» Connais Krishna dans la vérité : en effet, roi de Tchédi, Bhîshma, ce digne enfant de Kourou, est loin de le connaître sous les couleurs que tu l’as peint ! » 1373.

« On ne doit pas employer de ménagements avec cet homme, interrompit Bhîshma. Celui qui n’approuve pas l’hommage rendu à Krishna, le plus grand du monde, ne mérite pas de caresses. 1374.

» Le kshatrya, qui a vaincu dans la bataille un kshatrya, est le plus grand de ces deux combattants. Le guerrier, qui remet en liberté celui, qu’il a fait prisonnier, devient son gourou. 1375.

» Dans cette assemblée de rois, je ne vois pas, il est vrai, un seul monarque, de qui la vigueur de Çiçoupâla, fils de Sâtwatî, n’ait triomphé dans la guerre. 1376.

» Mais cet héroïque Atchyouta n’est pas seulement le plus digne de nos hommages, il mérite même ceux des trois mondes. 1377.

» Krishna en effet a vaincu une foule des plus grands kshatryas dans la guerre. Tout ce monde repose lui-même entièrement sur le rejeton de Vrishni. 1378.

» C’est donc lui seul et non d’autres, que j’honore, en présence même des vieillards ! Il ne te sied pas de parler ainsi : rejette une telle pensée. 1379.

» J’ai fait ma cour, sire, à de nombreuses personnes élevées très-haut dans la science. J’ai entendu ces hommes de bien, environnés d’une grande estime, s’entretenir dans leurs assemblées des vertus de Krishna, en qui sont réunies toutes les qualités. En outre, j’ai, nombre de fois, prêté l’oreille à des hommes, qui m’ont raconté les actions, qu’il a faites, ce sage, depuis sa naissance. Non-seulement ce n’est pas, roi de Tchédi, par un sentiment de complaisance, que nous honorons Djanârdana ; on ne veut pas honorer en lui un parent, ni d’aucune manière un homme ; on ne cherche pas la satisfaction d’atteindre à quelque but d’intérêt : nous honorons celui, qui est honoré par tous les gens de bien, celui, qui apporte le bonheur sur la terre à toutes les créatures. 1380-1381-1382-1383.

» En lui nous honorons la gloire, l’héroïsme, la victoire ; nous rendons hommage à la science de distinction, qu’il possède. Il n’est ici aucun jeune prince distingué, que vous n’ayez éprouvé : Hari fut estimé le plus digne d’honneur par-dessus tous les plus riches en qualités. Par la science, il surpasse les brahmes, il excelle en force sur tous les kshatryas. 1384-1385.

» Il possède les trésors et les greniers des kshatryas ; c’est la matrice, où sont nés les çoûdras. Il existe deux causes en Govinda, par lesquelles il était digne de cet honneur : une profonde connaissance des Védas et des Védângas, une force nompareille. Quel autre en effet dans le monde des hommes est supérieur à Govinda ? 1386-1387.

» La libéralité, la science, l’habileté, le courage, la pudeur, la renommée, une intelligence éminente, l’humilité, la fortune, la fermeté, la louange et la prospérité sont étroitement liés dans Atchyouta. 1388.

Il Veuillez tous supporter qu’on ait honoré celui, qui est honorable, le vraiment digne de cet hommage, le gourou, le père, l’instituteur parfait des mondes. 1389.

» Le ritouidj, le gourou, le gendre, le maître de maison, le souverain, l’anii, Rishîkéça est tout cela : donc, l’honneur était dù à Atchyouta. 1390.

» En effet, la génération et la fortune des mondes est dans Krishna ; cet univers et tout ce qui existe, immobile ou mobile, a sa cause dans Krishna. 1391.

» C’est lui, qui est la nature invisible, le créateur éternel, l’être supérieur à tous les êtres : donc, personne n’était plus digne de l’honneur qu’Atchyouta. 1392.

» L’intelligence, la grande âme, le vent, la lumière, l’eau, le ciel et la terre, il est tout ! Tout ce qui existe, composé des quatre éléments, a sa racine en Krishna.

» Le soleil et la lune, les constellations, les planètes, les points cardinaux et les points intermédiaires : tout subsiste en Krishna ! 1393-1394.

» Les Védas, qui sont la tête de l’agnihotra ou du feu sacré perpétuel, la Gayatrî, qui est la tôle des hymnes, les rois, qui sont la tête du genre humain, la mer, qui est la tête des fleuves, la lune, qui est celle des étoiles, le soleil, qui est la tête de toutes les splendeurs, le Mérou, qui est celle des montagnes, et Garouda celle des volatiles,

» La marche de l’univers aussi loin qu’elle s’étend, en haut, en bas, transversalement, tout enfin a pour tête dans les mondes et chez les Dieux l’adorable Kéçava ! 1395-1396.

» Mais Çiçoupâla est un jeune homme, qui ne réfléchit pas : c’est pourquoi il parle ainsi de Krishna en tous lieux et sans fin. 1397.

« L’homme, qui sonderait avec intelligence la hauteur du devoir, ne verrait, certes ! pas le devoir avec les mêmes yeux que ce roi de Tchédi. 1398.

» Toutefois, parmi les rois magnanimes, jeunes hommes ou vieillards, qui ne juge pas Krishna digne et qui n’est disposé même à lui rendre ses hommages ? 1399.

» Mais veuille bien faire ce qu’exige la droite raison, au sujet de cet honneur peu accessible, que Çiçoupâla, sire, a l’ambition d’atteindre. » 1400.

Ces paroles dites, Bhîshma à la grande vigueur se tut ; et Sahadéva aussitôt d’articuler cette réponse au langage rempli de sens : 1401.

« Le roi, qui parmi vous ne peut supporter que j’aie honoré Krishna à la valeur sans mesure, Kéçava, le Dieu, qui immola Kéçi, je lui mettrai ce pied sur la tête au milieu de tous les hommes forts. Qu’il réponde avec une vigueur égale à celle dont j’ai parlé ! 1402-1403.

» Que les rois sages, quels qu’ils soient ici, conviennent qu’Atchyouta était digne de l’arghya, que nous avons honoré celui, qui méritait l’honneur, le gourou, le père, l’instituteur du monde ! » 1404.

Aucun de ces rois, intelligents et sages, ou orgueilleux et forts, n’articula un seul mot à la vue de ce pied, donné en spectacle à leurs yeux. 1405.

Soudain, une pluie de fleurs tomba du ciel sur la tête de Sahadéva, et des voix, sorties de formes invisibles.

applaudirent, s’écriant : « C’est bien ! c’est bien ! » 1406.

Alors Nârada, qui connaît tous les mondes, qui délie tous les doutes, de prononcer au milieu de tous les êtres ces paroles saisissantes : 1407.

« Sachez qu’il ne sera parlé en aucune manière, ni pendant leur vie, ni après leur mort, des hommes, qui n’auront pas honoré Krishna aux yeux de lotus bleu ! »

Sahadéva, le roi des hommes, n’ignorant aucune des choses, qui distinguent les brahmes et les kshatryas, honora d’abord ceux, qui parmi eux étaient dignes d’honneur ; ensuite, il accomplit cette cérémonie de l’arghya. 1408-1409.

Comme on rendait l’hommage à Krishna, le héros Sounîtha, formidable aux ennemis, dit aux souverains, ses yeux tout enflammés de colère ; 1410.

« Je suis le général des armées, pensez-y ! En attendant, armons-nous à cette heure et faisons tête dans un combat à tous ces Vrishnides et Pândouides réunis ! » Quand il eut de cette manière soulevé tous les rois, le monarque de Tchédi se mit à délibérer avec eux sur les moyens de renverser le sacrifice. 1411-1412.

Toutes les troupes, auxquelles Sounîtha commandait, rassemblées à son appel, se montrèrent pleines de colère et le visage pâle de fureur. 1413.

« Ni le sacre d’Youddhishthira, ni l’hommage à Krishna ne sera fait comme l’un et l’autre doit l’être ! » Telles alors étaient les paroles de tous. 1414.

Ainsi parlaient, avec assurance et résolution, les rois, pleins de colère dans l’ignorance, où ils étaient des autres, et dans la foi, qu’ils avaient en eux-mêmes. 1415.

Retenus par leurs amis, la personne des rois en ce moment ressemblait à des lions rugissants, qu’on arrache à leur sanglant festin. 1416.

Alors Krishna de tourner sa pensée pour le combat sur cet océan de rois sans limite, impérissable, soulevé en guerre et qui recevait des fleuves d’armées. 1417.





LA MORT DE ÇIÇOUPALA



Vaîçampayana dit :

À la vue de cette foule de rois semblables à une mer toute émue de fureur, Youddhishthira d’adresser les paroles suivantes à Bhîshma, le plus grand des sages, le vieux grand-oncle des princes nés de Kourou ; tel le meurtrier des Asouras, Pourouhoûta à la splendeur immense parle à Vrihaspati : 1418-1419.

« Ce grand océan de rois est soulevé par la colère ; dis-moi, grand-oncle, quelle marche nous devons suivre ici, de manière que mon sacrifice ne trouve point d’obstacle et que le salut des créatures soit assuré partout. Dis-moi tout cela, vénérable ayeul, à l’instant même. » 1420-1421.

À ces paroles d’Youddhishthira, le fils d’Yama, versé dans la science du devoir, le grand-oncle des Kourouides, Bhîshma de répondre en ces termes : 1422.

« Ne crains pas, tigre de Kourou ! Un chien est-il capable de tuer un lion ? J’ai bien étudié avant ce jour ma route en cette affaire, et j’ai choisi le chemin le plus fortuné. 1423.

» Laisse crier tous ces rois de compagnie ! Tels que des chiens rassemblés aboient dans le sommeil du lion, tels ces rois sont devant le lion de Vrishni endormi ; mais les chiens en colère, mon enfant, aboient-ils en face du lion réveillé ? 1424-1425.

» En effet, Atchyouta est comme un lion, enseveli dans le sommeil. Tant qu’il ne se réveille pas, le puissant roi de Tchédi peut, faire jouer à tous ces chiens le rôle de lions ? 1426.

» Tout insensé qu’il est, Çiçoupâla est le plus formidable de tous ces princes et, mon fils, il désire de toute son âme précipiter ces rois dans les demeures d’Yama.

» Mais Adhokshadja veut, il est certain, rejeton de Bharata, enlever à Çiçoupâla cette puissance, qui réside en lui. 1427-1428.

» Oui ! avec ta permission, fils de Kountî, telle est, ô le plus intelligent des êtres doués de l’intelligence, la mauvaise pensée du roi de Tchédi sur tous les rois de la terre. 1429.

» L’invincible Krishna veut donc affranchir tous ceux, qu’il tient courbés sous la crainte, afin que la pensée du souverain de Tchédi soit ainsi confondue. 1430.

» Car, Youddhishthira, la naissance et la mort de tous les êtres, qui sont en quatre espèces dans les trois mondes, c’est Mâdhava lui-même ! » 1431.

À peine, noble Bharatide, eut-il ouï ce langage, l’auguste roi de Tchédi fit entendre à Bhîshma ces paroles aux amères syllabes : 1432.

« Vieillard et opprobre de ta race, que tu es, comment ne rougis-tu pas de semer la peur chez tous les rois en offrant à leurs yeux ces nombreux épouvantails ? 1433.

» Mais il te sied de parler ainsi, à toi, qui es dans la condition des eunuques. En effet, grâces à toi, ô le plus grand des Kourouides, les princes de Kourou, dont tu es le chef, sont maintenant une chose, qui n’a plus un caractère kshatrya. Ils ressemblent à un navire attaché avec un navire, à un aveugle, que mènerait un aveugle ! 1434-1435.

» Notre âme est encore toute émue du récit, que tu nous as fait, des prouesses de cet homme, dont le premier début fut le meurtre de Poûtanâ ! 1436.

» Comment cette langue de toi, Bhîshma, ne s’est-elle pas brisée en une centaine de morceaux, quand il te prit fantaisie de commencer, orgueilleux et stupide, cet éloge de Kéçava ? 1437.

» Vieux, comme tu es dans la science, tu commences les louanges de ce prince là, où des hommes plus jeunes, Bhîshma, trouvent sujet pour un blâme ! 1438.

» S’il a tué dans son enfance la Çakouni, ou, sous les formes de cheval et de taureau, deux Asouras, qui n’étaient point habiles à combattre, qu’y a-t-il en cela d’étonnant, Bhîshma ? 1439.

» Si, d’un coup de pied, il a renversé un char, un assemblage de bois sans âme ! qu’y a-t-il en cela de merveilleux, Bhîshma ? 1440.

» S’il a porté, sept jours durant, le Govarddhana, une montagne, qui n’est pas autre chose qu’une fourmillière, je ne regarde pas encore ce fait comme étonnant, Bhîshma !

« Il a mangé en jouant sur le front de la montagne une masse énorme de nourriture ! » Ce qui nous a causé le plus d’étonnement, Bhîshma, c’est de t’entendre nous tenir ce langage ! 1441-1442.

» Quoi ! ce qu’il y a de plus fort, homme, qui sais les devoirs, c’est qu’il a bien dîné ! « Il a tué Kansa ! » dis-tu. Ce n’est pas encore une chose très-merveilleuse.

» Peut-être n’as-tu pas ouï dire aux sages la sentence, que je vais t’apprendre, à toi, qui sais le devoir, Bhîshma, homme abject dans la race de Kourou : 1443-1444.

« Celui, qui veut manger ses aliments, celui, qui veut conserver sa maison, ne fera tomber ses armes ni sur les femmes, ni sur la race bovine, ni sur les brahmes. »

» C’est ainsi que les vertueux sages ont toujours instruit dans le monde les hommes de bien ; mais cette vérité, on la voit toute fausse en toi, Bhîshma. 1445-1446.

» Tu dis, comme un ignorant, ô le dernier des Kourouides, en célébrant Kéçava, qu’il est élevé dans la science, qu’il est avancé en âge, qu’il est plus que moi. 1447.

» Puisqu’il est honoré sur ta parole, Bhîshma, comment a-t-il mérité ces louanges, l’homme, que souillent le meurtre d’une femme et celui d’un taureau ? 1448.

» Tu dis : « Il est le meilleur des êtres intelligents, il est le seigneur du monde ! » Et Kéçava de le croire sur ta parole ! 1449.

« Tout cela est ainsi ! » pense-t-il. Ce qu’il y a de vrai, c’est que tout cela est faux. Parce qu’on chante beaucoup, on ne commande pas au chantre des hymnes. Tous les êtres suivent leur nature, comme le vautour la trace du feu des sacrifices. 1450.

» Ta nature est peut-être du plus bas degré, ou plutôt il n’y a point à en douter ; aussi approuves-tu la mauvaise nature de ces Pândouides, 1451.

» Entre qui le plus digne des honneurs, c’est Krishna, et desquels tu es même l’instructeur. Homme vertueux, tu ne connais pas la vertu ! Tu es sorti de la route des gens de bien ! 1452.

» Quel homme, le plus instruit des savants, quel homme, ayant la conscience de sa vertu, eût fait, Bhîshma, ce que tu as fait, après que tu eus considéré les règles du devoir ? 1453.

» Comment, s’il te plaît, orgueilleux de ta science, as-tu pu ravir une jeune fille vertueuse, nommée Ambâ, de qui l’amour s’était donné à un autre ? 1454.

» Aussi Vitchitravîrya, ton frère, fidèle à suivre le sentier des gens de bien, ne voulut-il pas accepter cette vierge, enlevée par toi, Bhîshma ! 1455.

» Et malgré toi, orgueilleux de ta science, il engendra des fils au sein de ses deux épouses dans la route foulée par les hommes de bien. 1456.

» Quelle obligation de caste, Bhîshma, te fait garder la continence ? Il n’y en a pas d’autre sans doute que le délire ou l’impuissance ! 1457.

» Je ne vois un incrément de toi nulle part ; et toi, qui parlais ainsi devoir, je ne te vois pas honorer une vieille épouse. 1458.

» L’oblation, l’aumône, la lecture, les sacrifices accompagnés de nombreux honoraires, tout cela ne vaut pas la seizième partie du mérite obtenu par un fils. 1459.

» En vain multiplie-t-on ses vœux et ses jeûnes, Bhîshma : ce sont de stériles pratiques, en vérité ! quand on n’a pas de fils. 1460.

» Tu n’as point de fils, tu es vieux, tu suis un faux devoir ; tu recevras aujourd’hui la mort de tes parents, comme le cygne de l’apologue. 1461.

» Je vais te dire entièrement cette fable, si tu veux m’écouter, Bhîshma, telle que jadis elle me fut racontée par des hommes versés dans la science. 1462.

» Il était donc autrefois un vieux cygne, habitant sur les confins de la mer. Parlant beaucoup des vertus, n’en mettant guère dans sa conduite, il instruisait les oiseaux. 1463.

» Suivez le devoir ! ne quittez pas le devoir ! » Telles étaient les paroles que l’apôtre de vérité, Bhîshma, ne cessait de répéter aux volatiles. 1464.

« Les oiseaux, qui sillonnaient les eaux de la mer, payaient ses leçons avec des vivres, et les autres, Bhîshma, s’entredisaient : « Ce que nous entendons est l’essence même du devoir ! » 1466.

» Tous les oiseaux, sans exception, ayant déposé leurs œufs auprès de lui, s’en allaient, Bhîshma, sans défiance, plonger dans les ondes marines. 1466.

» Mais le scélérat de cygne, attentif à son affaire, mangea tous les œufs de ces imprudents volatiles. 1467.

» Certain docteur ailé, voyant détruites les pontes, tantôt des uns, tantôt des autres, se douta de la chose et le surprit un jour. 1468.

» À la vue de cette perfidie, l’oiseau, pénétré de la plus vive douleur, s’en fut dénoncer le cygne hypocrite à tous les volatiles. 1469.

» Ceux-ci, accourus près de lui, voient le crime de leurs yeux et mettent à mort, ô le plus grand des Kourouides, le cygne à la fausse vertu. 1470.

» Tu es semblable au cygne, Bhîshma ; ces rois sont eux-mêmes les oiseaux : ils t’arracheront la vie dans leur colère, comme a péri le volatile. 1471.

» Les hommes, versés dans les Pourânas, chantent un couplet, Bhîshma, fait sur ce même sujet : je vais te le réciter en entier, fils de Bharata. 1472.

« Tu te plains, oiseau coupable, de perdre la vie ; mais un fait couvre ta voix : les œufs, que tu as mangés ! »

» J’estimais beaucoup le roi Djarâsandha à la grande vigueur. Il n’entra pas dans une lutte avec Krishna :

« C’est un esclave ! » pensa-t-il dans son dernier combat. 1473-1474.

» La mort, donnée à Djarâsandha, est le fait d’Arjouna, de Bhîmaséna et de Kéçava. Qui peut la regarder comme une belle action ? 1475.

» Entrer par une autre voie que la porte, se déguiser en brahme : était-ce là révéler au monarque Djarâsandha de la puissance en Krishna ? 1476.

» L’homme vertueux fit verser l’eau pour laver les pieds afin qu’elle fût donnée en sa présence à ce misérable, sans discerner le caractère de Brahma, attaché à sa personne. 1477.

« Mangez ! » dit le roi à Dhanandjaya, à Bhimaséna, à Krishna ; et celui-ci fit alors, descendant de Rourou, une chose en opposition avec ce caractère. 1478.

» S’il est, comme tu penses, le créateur du monde, comment, insensé, n’aurait-il pas su que le caractère de Brahma était absolument inséparable de sa personne ? 1479.

» Je m’étonne que les fils de Pândou, jetés par toi hors du sentier des hommes vertueux, puissent dire de cette action : « Elle est bonne ! » 1480.

» Cependant non ! cela ne doit pas m’étonner dans ces hommes, auxquels tu enseignes toutes choses, toi, rejeton de Bharata, qui es un vieillard et qui ressembles à une femme ! » 1481.

Quand il eut écouté ce dur et long discours aux syllabes amères, l’auguste Bhîmaséna, le plus fort des hommes forts, s’enflamma de courroux. 1482.

Ses yeux, naturellement grands et larges, rouges, semblables à la fleur du lotus, rougirent encore plus dans le feu de la colère. 1483.

Tous les rois virent ses sourcils contractés dessiner sur son front un arc à trois branches, tels que la Gangâ aux trois lits, roulant sur le Trikoûta. 1484.

Ils virent sa bouche, qui mordait ses lèvres de colère, comme la bouche de la mort, qui, au temps où expire un youga, veut dévorer tous les êtres. 1485.

Au moment qu’il s’élançait, Bhîshma aux longs bras arrêta vite le héros indigné : tel Kârtikéya est retenu par Çiva. 1486.

Le mouvement de Bhîshma pour contenir Bhîma fit rentrer sa colère dans le calme aussi promptement qu’un gourou, noble Bharatide, éteint celle de son disciple avec ses diverses paroles. 1487.

Le valeureux dompteur des ennemis ne désobéit point à sa voix : telle, dans la saison pluvieuse, la mer ne franchit pas ses rivages. 1488.

Inébranlable dans son courage, cette colère de Bhîmaséna ne put alors émouvoir, sire, l’héroïque Çiçoupâla.

En vain Bhîma se leva-t-il en sursaut mainte et mainte fois, l’autre ne s’en inquiéta pas davantage qu’un lion irrité ne pense à une gazelle. 1489-1490.

Voyant la colère de Bhîmaséna aux effrayants exploits, l’auguste roi de Tchédi lança en riant ces paroles : 1491.

« Lâche-le, Bhîshma ! Que ces monarque le voient tous consumé à l’instant par ma puissance, comme une sauterelle par le feu ! » 1492.

À ces mots du roi de Tchédi, Bhîshma, le plus grand des Kourouides et le plus excellent des êtres, doués de l’intelligence, tint ce langage à Bhîmaséna : 1493.

« Au moment, où ce prince, jadis à trois yeux et à quatre bras, naquit dans la famille du roi de Tchédi, il poussa des cris et forma des sons pareils aux braiements d’un âne.

» À ce bruit, son père et sa mère de trembler avec tous leurs parents ; et, voyant ce qui faisait de lui un objet de répulsion, ils pensèrent à l’abandonner ! 1494-1495.

» Alors une voix, non formée dans un corps, s’adressant au roi, le cœur défaillant par le trouble de ses pensées, articula ces mots devant son épouse, ses ministres et son archibrahme ; 1496.

« Roi des hommes, c’est ton fortuné fils, qui vient de naître avec une force éminente ; il ne faut donc pas que cela t’épouvante. Veille sans trouble sur ton nourrisson !

» Certes ! ni la Mort, ni Kâlane menacent ton fils de longtemps, roi des hommes ; mais un jour la Mort, armée d’un javelot, se lèvera pour lui donner la mort ! » 1497-1498.

» À peine eut-elle ouï ces mots, qu’exprimait une cause invisible, la mère dit, consumée par sa tendresse pour son fils : 1499.

« Qui vient de prononcer sur mon fils ces paroles ? Je t’adore, les mains réunies à mes tempes : ajoute encore un seul mot. 1500.

» Dis-le dans la vérité ! Que tu sois un adorable Dieu ou un autre, je désire l’entendre. Quelle sera un jour cette mort de mon fils ? » 1501.

» Alors cet être invisible de parler une seconde fois en ces termes : « Qu’un roi le prenne dans son sein ! Si deux bras vigoureux tombent de cet enfant sur le sol de la terre, comme deux serpents à cinq têtes, et si l’œil de superfétation, placé au milieu du front, disparaît, le prince, de qui la vue aura produit cette merveille, sera la mort de ton fils ! » L’enfant après ces mots fut appelé Tryaksha, celui, qui a trois yeux, et Tchatourbhoudja, qui a quatre bras. 1502-1503-1604.

» Tous les rois de la terre vinrent à Tchédi, amenés par le désir de voir ce nouveau-né. À mesure qu’ils arrivaient, le monarque de les honorer suivant qu’ils en étaient dignes.

» Alors il mit l’enfant sur le sein à chacun de ces princes. Son fils passa ainsi tour à tour dans les bras de mille rois individuellement, et l’on ne vit pas s’accomplir ce que l’oracle avait annoncé. Le récit en fut porté jusqu’à Dwâravatî aux oreilles de Çankarshana et de Djanârdana, les deux Yadouides à la grande force. Ils s’en allèrent donc à la ville de Tchédi voir la princesse Yadouide, sœur de leur père et mère de cet enfant. 1505-1506-1507-1508.

» Balarâma et Kéçava se prosternent suivant l’étiquette, selon ce qu’exigeait la prééminence, devant le monarque et leur tante, ils s’asseoient, ils s’enquièrent de leurs affaires et de leur santé. 1509.

» Les deux héros furent honorés alors avec affection et de la manière la plus distinguée. Ensuite, la reine de poser elle-même son fils sur le sein de Dâmaudara. 1510.

» À peine est-il placé dans son giron, les deux bras de superfétation tombent à terre et le troisième œil disparaît au milieu du front. 1511.

» À ce spectacle, la mère toute émue, effrayée, sollicite une grâce de Krishna : « Accorde-moi, dit-elle, Krishna aux longs bras, une grâce dans la peur, qui agite mon esprit.

» Tu es la confiance des malheureux ; tu donnes la sécurité à ceux, qu’agite la crainte. » Le rejeton d’Yadou répondit à ces mots : 1512-1513.

« Ne crains pas, vertueuse reine ; tu n’as aucune chose à redouter de ma part. Quelle grâce t’accorderai-je ? Que veux-tu que je fasse, sœur de mon père ? 1514.

» J’accomplirai ta demande, possible ou même impossible ! » À ces paroles, elle dit à Krishna, le rejeton d’Yadou : 1515.

« Supporte à cause de moi, puissant seigneur, cent offenses de Çiçoupâla. Sache, tigre d’Yadou, que c’est là cette grâce, que j’implore. » 1516.

Krishna lui répondit :

« Je m’engage, sœur de mon père, à supporter cent offenses de ton fils, dont chacune serait digne de mort : ne livre plus, ton âme au chagrin. » 1517.

» Voilà pour quelle raison, héros, fier de la grâce, qu’il a reçue de Govinda, ce criminel Çiçoupâla à l’étroite intelligence te défie maintenant au combat. 1518.

» C’est pour cela que le roi de Tchédi n’a pas eu la pensée de provoquer Atchyouta ; et cet arrangement des choses est sans doute ce que s’est proposé Krishna, le maître du monde. 1519.

» En effet, quel roi sur la terre, Bhîmaséna, aurait pu m’insulter aujourd’hui comme l’a fait cet opprobre de sa famille, dont l’âme est assiégée par la mort ! 1520.

» Ce guerrier aux longs bras est assurément une portion de la semence de Hari, que veut déjà reprendre l’Être disséminé partout. 1521.

» C’est pourquoi, tigre de Kourou, cet insensé monarque de Tchédi pousse, comme un tigre, ces clameurs désordonnées, sans penser à nous tous. » 1522.

Le roi de Tchédi ne put supporter ces paroles de Bhîshma et, dans sa colère, il jeta cette réponse au fils de Çântanou : 1523.

« Puissions-nous trouver dans nos ennemis, Bhîshma, cette même puissance, qui est dans Krishna ! lui, de qui tu es, comme un barde, toujours prêt à réciter les louanges ! 1524.

» Si ton âme se complaît à vanter les autres, Bhîshma, laisse de côté ce Djanârdana et vante les rois ! 1525.

» Loue ce magnifique Vâhlîkain, le plus vertueux des princes, qui, à sa naissance, déchira la terre ! 1526.

» Lui, qui, régnant sur les contrées d’Anga et de Vanga, est égal pour la force à l’Immortel aux mille yeux ! Loue, Bhishma, ce Karna, de qui le bras manie un si grand arc ! 1527.

» Lui, auquel un Dieu fit, héros aux longs bras, deux célestes pendeloques et une cuirasse naturelle, d’une splendeur telle que le soleil adolescent ! 1528.

» Lui, par qui l’invincible Djarâsandha, l’image de Pourandara, fut vaincu dans une lutte et sentit briser son corps ! 1529.

» Allons, Bhîshma ! loue Drona et Açvatthâman, ces deux héros, fils et père, les plus saints des brahmes et qui ne cessent jamais de mériter des éloges ! 1530.

» L’un ou l’autre de ces deux, à mon avis, détruirait la terre avec tous ses êtres animés ou inaniuiés, sans qu’il en restât rien, dans sa colère ! 1531.

» En effet, je ne vois pas un monarque égal à Drona dans la bataille ; je n’en vois pas un seul égal à Açvatthâraan : et tu ne sens pas le désir, Bhîshma, de louer ces deux personnes ! 1532.

» Je ne vois sur la terre, que bornent les mers, aucun homme, qui soit pour eux un adversaire de force égale. Je ne parle pas de l’Indra des rois, Douryodhana aux longs bras, 1533.

» Du monarque Djayadratha au courage inébranlable, guerrier consommé dans la science des armes ! Je tais encore Drouma, l’instituteur des Kimpouroushas, héros d’une vaillance renommée dans le monde, et Ip vieux maître des enfants de Bharata, et Kripa le Çaradvatide ! 1534-1535.

« Pourquoi, gardant le silence sur Roukmi à l’immense vigueur, le plus grand des homuies, le plus éminent de tous ceux, qui tiennent un arc, n’as-tu d’éloges que pour Kéçava ? 1536.

» Pourquoi, couvrant du silence l’énergique Bhîshmaka, et Dantavakra à la grande vigueur, le monarque de la terre, n’as-tu d’éloges que pour Kéçava ? 1537.

» Pourquoi ne loues-tu pas Bhagadatta, Yoûpakétou et Djayatséna le Magadhain, Virâta et Droupada, Çakouni à la grande force ? 1538.

» Couvrant de ton silence Vinda et Anouvinda, ces deux rois d’Avanti, le sublime roi du Pândya, Çwéta, et Çankha, à la bien haute fortune, et le fier Vrishaséna, et le vaillant Ékalavya, et l’héroïque Kalingain à la vigueur immense, pourquoi n’as-tu d’éloges que pour Kéçava ? Comment ne sais-tu pas louer Çalya et les autres souverains de la terre, 1539-1540.

» Si ta pensée, Bhîshma, n’aime à vivre qu’au milieu des éloges ? Ne pourrais-je pas dire, moi, Bhîshma, ce que peut-être tu n’as pas ouï dire à ces vieillards, qui s’entretenaient jadis sur le devoir ? 1541.

« Blâme de soi, louange de soi ! éloge d’autrui, blâme d’autrui ! cette conduite n’est pas celle des gens honnêtes. » Ces paroles, que nous avons entendues, elles s’adressent à toi, Bhîshma ! 1542.

» Personne n’approuve que tu prennes, sans cesse, Bhishma, un sujet d’éloges, que tu ferais mieux d’abandonner, ce Kéçava, pour lequel ton dévouement est folie ! 1543.

» Comment, par un simple désir, peux-tu mettre tout l’univers dans un méchant pâtre, dans un homme occupé du soin des troupeaux ! 1544.

» Cette pensée de toi, rejeton de Bharata, ne convient pas à la nature : il en est d’elle comme d’un oiseau, dont précédemment j’ai déjà raconté l’histoire. 1545.

» Ce boûlingaçakouni, ainsi qu’on l’appelle, habite sur le versant opposé de l’Himàlaya. On n’entend jamais de lui, Bhîshma, autre chose que des paroles, dont le sens est un blâme : 1546.

« Ne faites pas de vol ! » Il a continuellement ces recommandations au bec ; et lui, de qui le vol est l’occupation habituelle, il ne s’aperçoit pas qu’il vole ! 1547.

» Car le boûlinga sans réflexion arrache de sa gueule au lion, qui mange, un morceau de chair, Bhishma, pris déjà entre ses dents. 1548.

» Assurément, il se rassasie aux dépens du lion, qui a faim. Les paroles que tu dis, Bhîshma, sont du même genre. 1549.

» Tu te gorges, il est sûr, aux dépens de ces rois, qui meurent de faim l Homme, de qui les actes sont exécrés dans le monde, tu n’as pas ton pareil sur la terre ! » 1550.

À peine eut-il entendu ces piquantes paroles du roi de Tchédi, Bhîshma répondit ces mots, en présence et à l’ouïe de Çiçoupâla : 1551.

« Je ne prends jamais rien sur la table de ces monarques avides ; et je fais de ces rois aussi peu de cas que d’un brin d’herbe ! » 1552.

À ce langage, tous les rois de s’écrier ; les uns de s’horripiler, ceux-là de gourmander Bhîshma. 1553.

Les autres guerriers disent à ces paroles : « C’est un méchant, un orgueilleux, un vieillard ! Ce Bhîshma ne mérite pas tant de patience ! 1554.

» Allons, princes ! qu’on immole cet insensé Bhishma comme un vil bétail ! ou brûlons tous de concert ce furieux dans un feu d’herbes sèches ! » 1555.

Le grand oncle des Kourouides entendit ces paroles, et le sage Bhîshma répondit en ces termes à ces rois de la terre ; 1556.

« Je ne suis pas encore à la fin des paroles, que j’ai commencées. Écoutez, monarques, tout ce qui me reste à dire. 1557.

» Immolez-moi comme un bétail ou brûlez-moi dans un feu d’herbes sèches, mon pied n’en aura pas moins été mis tout entier sur vos têtes ! 1558.

» Voici l’immortel Govinda, que vous avez honoré. Toi, de qui la pensée court au-devant de ta mort, hâte-toi de provoquer au combat ce Krishna, le meurtrier de Madhou, aux mains armées de la massue et du tckakra ; et bientôt mordant la poussière, tu vas rentrer dans le corps de cet ineffable Dieu ! » 1559-1560.

À ces mots de Bhîshma, le roi de Tchédi à la bravoure immense, brûlant de combattre avec le Vasoudévide, jeta ces paroles à Krishna : 1561.

« Je te défie ! Viens, Djanârdana, combattre avec moi, afin que je t’arrache maintenant la vie, à toi, accompagné de tous les fils de Pândou ! 1562.

» Je tuerai avec toi les Pândouides jusqu’au dernier, Krishna, sans parler de ces rois, qui te rendent les honneurs, à toi, qui n’est pas un roi ! 1563.

» Il faut que je tue ceux, qui t’accordent stupidement ces hommages, comme si tu les méritais, à toi, insensé, qui ne les mérites pas, à toi, qui es un esclave, Krishna, et qui ne trônes pas entre les rois ! » 1564.

Il dit et le tigre des rois se tint dans une attitude irritée et menaçante. Krishna, auquel ces paroles étaient adressées, fit entendre ces mots, dont un langage doux fut le prélude, à tous les rois et aux Pândouides, rangés devant ses yeux : 1565.

« Princes, le fils de Sâtwatî est notre ennemi acharné. En vain le caressons-nous, sans lui faire aucun mal, cette âme cruelle n’a pour nous aucune bonté. 1566.

» Sur la nouvelle que nous étions allés à la ville du Prâdjyotisha, cet artisan de crimes est venu incendier notre Dwârakâ. Tandis que le roi du Bhodja se divertissait au mont Raîvata, lui, sans considérer qu’il était le fils de sa sœur, il a tué ou conduit prisonniers à Tchédi tous les princes, ses vassaux. Dans un criminel dessein et pour jeter un obstacle au sacrifice de mon père, il a enlevé le cheval, environné de gardes, mis en liberté et destiné à être immolé dans un açva-médha. Il a ravi l’épouse du pénitent Babhrou, qui était pour lui sans amour et revenait de son voyage dans le Souvira. 1567-1568-1569.

» Caché sous le voile de la magie, n’a-t-il pas, cet artisan d’iniquités, ravi à mon oncle même, pour le roi du Kâroûsha, la sainte Bhadrâ, qu’Oudjayanî vit naître ?

» J’ai supporté, en considération de la sœur de mon père, cette bien grande douleur ; mais, par bonheur, voici une offense, qui m’est faite ici en présence de tous les rois !

» Vos majestés sont témoins de la violente injure, que je reçois maintenant : jugez par elle de toutes celles, qu’il a pu me faire loin de vos yeux ! 1570-1571-1572.

» Mais il me sera impossible de supporter l’offense, que ce présomptueux, digne de mort, m’a faite aujourd’hui en pleine assemblée des rois. 1573.

» L’insensé, qui désirait la mort, osa demander Roukmini ; mais il n’a pas obtenu sa main, comme un indigne çoûdra n’obtient pas l’audition des Védas ! » 1574.

Aussitôt qu’ils eurent ouï ces paroles et d’autres du Vasoudévide, tous les monarques se mirent à blâmer de concert le roi de Tchédi. 1575.

Mais à peine eut-il entendu ce langage de Krishna, l’auguste Çiçoupâla de pousser un rire éclatant et de parler en ces termes : 1576.

« Comment n’as-tu pas honte, Krishna, de citer Roukminî, surtout devant ces rois assemblés ; elle, qui me fut accordée avant qu’elle ne devint ton épouse ? 1577.

» Quel homme de bon sens autre que toi, meurtrier de Madhou, oserait jamais, au milieu des gens de bien, parler d’une femme, qui, avant d’être la sienne, fut l’épouse d’un autre ? 1578.

» Supporte-moi, Krishna, ou, si tu m’en crois, ne me supporte pas : de ta colère ou de ta faveur, que peut-il m’arriver de toi ? » 1579.

À peine eut-il parlé de cette manière, que l’ineffable meurtrier de Madhou inclina son esprit à la pensée du tchakra, qui déchire l’orgueil des Daîtyas. 1580.

Au même instant, le disque terrible vint se mettre dans sa main ; et l’Adorable, qui maniait habilement la parole, articula ces mots à haute voix : 1581.

« Écoutez-moi, princes de la terre ! Pour quelle raison ai-je tant pardonné ? J’ai dû tolérer cent offenses à la demande de sa mère ! 1582.

» J’ai acquitté ce qu’on a sollicité de moi, sires, mais le nombre est enfin arrivé au complet ; je vais le tuer maintenant sous vos yeux mêmes, rois de ce monde ! »

Il dit et, dans sa colère, soudain le plus grand des Yadouides enleva la tête au roi de Tchédi avec ce tchakra, qui déchire les ennemis. 1583-1584.

Le guerrier aux longs bras de tomber comme une montagne frappée de la foudre. Aussitôt les rois virent le corps du roi de Tchédi lancer au dehors une suprême lumière, 1585.

Telle que si le soleil même, grand roi, s’envolait du ciel ! La splendeur éclatante s’inclina pour saluer l’ineffable aux yeux de lotus bleu, adoré dans les mondes ; elle s’absorba toute en lui-même. Et, puissant monarque des hommes, tous les rois, qui en furent les témoins, regardèrent comme un prodige que cette lumière se fût mêlée au corps du héros aux longs bras et du plus grand des enfants de Manou. Un ciel serein versa la pluie, et la foudre tomba flamboyante d’une atmosphère sans nuages, 1586-1587-1588.

La terre de trembler au moment où Krishna abattit le Tchédien, et qui que ce fût parmi tous ces rois n’osa dire un seul mot. 1589.

Quelques-uns, muets comme si la mort eût passé dans le canal de leur voix, les yeux fixés avec colère sur Djanârdana, se broyaient les doigts avec les doigts de leurs mains. 1590.

Les uns, pleins de fureur, se mordaient les lèvres avec les dents ; les autres donnaient en secret des éloges au rejeton de Vrishni. 1591.

Ceux-ci étaient au plus haut point de la colère, ceux-là dans l’indifférence ; mais les grands rishis de s’avancer vers Kéçava et de le combler d’éloges. 1592.

Les brahmes magnanimes et les puissants maîtres de la terre vantaient hautement cette prouesse de Krishna, qui réjouissait leurs yeux. 1593.

Il dit avec révérence aux cinq frères, les fils de Pândou : « Honorez de funérailles, sans tarder, l’héroïque souverain, de qui Damaghosha fut père. » 1594.

Ceux-ci d’exécuter aussitôt ces ordres de leur auguste cousin. Le fils de Prithâ ensuite de sacrer avec tous les rois sur le trône des Tchédiens le fils du prince défunt. Ces choses terminées, le monarque enfant de Kourou fit resplendir son beau sacrifice, duquel avait disparu l’obstacle, entreprise cause de plaisir, agréable aux plus excellents, opulente de tous les biens, regorgeante de richesses et de grains en abondance, 1595-1596-1597.

Pleine de mets et de toutes les sortes d’aliments. Youddhishthira conduisit donc à sa fin le grand sacrifice du râdjasoûya sous la protection vigilante de Kéçava. 1598.

Djanârdana aux longs bras, Çaâuri l’adorable garda le sacrifice jusqu’à son complet achèvement, armé du tchakra, de la massue et de l’arc Çârnga. 1599.

Ensuite, quand le bain de l’avabhrita eut purifié le vertueux Youddhishthira, il s’approcha du guerrier devenu monarque universel et lui tint ce langage : 1600.

« Tu grandis, ô bonheur ! prince, qui sais le devoir ! Tu as obtenu l’empire du monde entier. Par toi se trouve augmentée la gloire d’Adjamîtha et des Adjamîthides !

» Par cet acte solennel, Indra des rois, tu as accompli un bien grand devoir. Honorés de toutes choses en tous nos désirs, nous te disons adieu, tigre des hommes ! 1601-1602.

» Nous retournons dans nos royaumes : veuille donc nous donner ton congé. » Ces paroles des rois entendues, Youddhishthira, le fils d’Yama, 1603.

Après qu’il eut rendu à tous ces rois les honneurs, qu’ils méritaient, parla en ces termes à tous ses frères : « C’est l’amitié seule, qui a conduit vers nous tous ces princes. 1604.

» Ces rois formidables retournent dans leurs provinces et viennent de me faire leurs adieux. Accompagnez, s’il vous plaît, ces plus grands des rois jusqu’aux frontières de leurs états ! » 1605.

Connaissant la volonté de leur frère, les Pândouides, observateurs du devoir, accompagnèrent tous les rois, celui-ci d’un côté, celui-là d’un autre, honneur, dont ces princes étaient bien dignes. L’auguste Dhrishtadyoumna sehàtade suivre Virâta ; 1606.

Arjouna d’escorter le magnanime héros Yajnaséna, et Bhîmaséna aux grandes forces d’accompagner Bhishma et Dliri tarâshtra. 1607.

Sahadéva, le souverain des batailles, marcha sur les pas du vaillant Drona et de son fils : celui de Soubala et son père eurent Nakoula pour compagnon, 1608.

Les fils de Draâupadî et de Soubhadrâ firent cortège aux héroïques rois des montagnes ; d’autres princes accompagnèrent d’autres souverains. 1609.

Comblés de semblables honneurs, les brahmes de s’en aller par milliers. Une fois partis ces Indras des rois et tous les brahmes : 1610.

« Reçois mes adieux, rejeton de Kourou, dit le majestueux Vasoudévide à Youddhishthira ; je vais retourner à Dwârakâ. 1611.

» Tu as heureusement accompli ce râdjasoûya, le plus grand des sacrifices. À ces mots, Dharmarâdja fit cette réponse à Djanârdana : 1612.

« C’est grâce à ta faveur, Govinda, que j’ai célébré le plus éminent des sacrifices ; c’est grâce à ta faveur que l’ordre entier des rois est réduit sous ma puissance. 1613.

» Chargés des tributs les plus riches, ils sont accourus auprès de moi ! Comment donc ma voix pourra-t-elle, mortel sans péché, t’accorder ce congé pour ton départ ?

» Car en ton absence, héros, je ne trouve de plaisir dans aucune chose. Quoi qu’il en soit, il faut nécessairement que ta majesté s’en aille à sa ville de Dwârakâ ! » 1614-1616.

À ces mots, accompagné d’Youddhishthira, Hari à l’âme juste, à la vaste renommée, se rendit chez Prithâ et lui dit joyeux : « Tes fils, sœur de mon père, ont obtenu aujourd’hui l’empire universel. 1616.

» Ils sont riches, ils sont au comble de leurs vœux : que la satisfaction soit ton partage ! Puis-je avec ta permission m’en retourner à Dwârakâ ? » 1617.

Kéçava de saluer Soubhadrâ et Draâupadî ; puis, étant sorti du gynœcée, accompagné d’Youddhishthira, 1618.

Il se purifia, récita les prières et se fit dire par ses brahmes les formules pour l’heureux succès du voyage. Alors Dârouka aux longs bras de s’approcher avec le char, qu’il avait attelé, véhicule léger, artistement travaillé, pareil à la beauté des nuages. Quand il vit près de lui ce char, dont Garouda était le drapeau nompareil, 1619-1620.

Poundarîkâsha à la grande âme décrivit autour de lui un pradakshina ; il monta et s’achemina vers la cité de Dwâravatî. 1621.

Youddhishthira, le fils d’Yama, le favori de la Fortune, suivait à pied, accompagné de ses frères, le tout-puissant Vasoudévide. 1622.

Après que Hari aux yeux de lotus bleu eut dirigé un instant le char sans pareil, il dit à Youddhishthira, le fils de Kountî : 1623.

« Sois toujours sans négligence, roi des hommes, et défends tes peuples, comme les éléments entretiennent le nuage, comme les brahmes veillent sur un grand arbre. 1624.

» Que tes parents te soient tous soumis, tels que les Immortels au Dieu, qui regarde avec mille yeux ! » Dès qu’ils se furent unis par une alliance, salué et donné congé l’un à l’autre, le fils de Pândou et Krishna de s’en aller chacun du côté où s’élevait sa demeure. Après le départ du plus grand des Yadouides pour Dwâravatî, ces deux princes, Douryodhana, seul roi, et Çakouni, le fils de Soubala, continuèrent d’habiter dans le céleste palais. 1626-1626-1627.





LE JEU



Vaîçampâyana dit :

Le râdjasoûya terminé, cet excellent sacrifice, dont il est si difficile d’obtenir le mérite, Vyâsa, environné de ses disciples, se montra devant les yeux d’Youddhishthira.

Celui-ci, entouré de ses frères, se hâtant de marcher à sa rencontre en avant de son siège, honora son auguste bisayeul en lui donnant un trône et de l’eau pour, se laver les pieds. 1628-1629.

Quand il se fut assis sur un siège éminent d’or, le révérend dit au roi de la justice, Youddhishthira : « Assieds-toi ! » 1630.

Le vénérable Vyâsa, qui maniait habilement la parole, dit mainte et mainte chose au monarque assis, environné de ses frères : 1631.

« Ô bonheur ! l’empire universel, difficile à obtenir, met le comble à ta grandeur, fils de Kountî. Par toi ont grandi tous les Kourouides, incrément de la race de Kourou ! 1632.

» Je te fais mes adieux, monarque des hommes ; je m’en vais, content des honneurs, que tu m’as rendus. » À ces mots de Krishna-Dwaîpâyana, le roi de la justice, Youddhishthira se prosterne, embrasse les pieds de son aïeul et lui dit : « Il m’est né un doute, qu’il n’est point facile d’éclaircir, ô le plus vertueux des êtres, qui marchent sur deux pieds. 1633-1684.

» Nul autre que toi n’est propre à le dissiper, ô le plus grand des brahmes. Nârada, le vénérable rishi, m’a dit que nos prodiges sont de trois espèces : 1635.

» Ceux, qui viennent du ciel, ceux, qui apparaissent dans l’atmosphère, et ceux même de la terre. La chûte du roi de Tchédi fut encore elle-même une grande chose, qui tient du prodige et qui reste inexpliquée. » 1636.

Aussitôt que Vyâsa, l’auguste fils de Parâçara, eut entendu ces paroles du roi, Krishna-Dwaîpâyana de lui répondre en ces termes : 1637.

» La treizième année, puissant monarque, verra se produire le grand fruit de ce prodige pour l’extermination de tous les kshatryas. 1638.

» Yama, faisant de toi la seule cause de sa colère, plongera dans la mort, chef des Bharatides, toute la caste rassemblée des kshatryas, princes de la terre, 1639.

» Succombant sous la force d’Arjouna et de Bhîmaséna, soulevée par l’offense de Souyodhana. Tu verras en songe à la fin de la nuit, Indra des rois, le Dieu au cou bleu, qui porte le taureau sur le champ de son drapeau, Bhava, Sthânou, Kapâli, le Meurtrier-de-Tripoura, 1640-1641.

» Ougra, Roudra, Paçoupati, le Grand-Dieu, l’époux d’Oumâ, Hara, Sarva, Vrisha, Çoûli, le Dieu armé de l’arc Pinâka, Krittivâsas, à qui une peau sert de vêtement,

» Çiva enfin, semblable aux cimes du Katlâsa, chevauchant sur le taureau et ses yeux toujours fixés sur la plage soumise au roi des Mânes. 1642-1643.

» Tel apparaîtra le songe devant tes yeux. N’en sois pas trop soucieux, monarque des hommes ; car il est impossible de se soustraire à la mort ! 1644.

» Salut à toi ! Je vais au mont Kaîlâsa. Sans négligence, les sens domptés, étends sur la terre ta surveillance ! » 1640.

Quand le vénérable Vyâsa eut parlé de cette manière, Krishna-Dwaîpâyana de s’acheminer vers le mont Kaîlâsa, accompagné de ses disciples, qui suivent le sentier des Védas. 1646.

Après le départ de son aïeul, le monarque plongé dans l’amertume de ses pensées et poussant de brûlants soupirs, agita mainte fois cette chose même dans son esprit :

« Comment serait-il possible au courage de mettre une digue à la destinée ? Ce qu’a dit le rishi du plus haut rang doit nécessairement arriver ! » 1647-1648.

Ensuite Youddhishthira à la grande splendeur de parler ainsi à tous ses frères : « Vous avez, princes, entendu ce que m’a dit Krishna-Dwaîpâyana. 1649.

» À peine eus-je entendu ses paroles, je pensai déterminément à mourir, puisque je devais être la cause fatale de la mort pour tous les kshatryas. 1650.

» Engendré par le Dieu de la mort, quelle raison, mes amis, y a-t-il pour moi de vivre ? » À ces paroles du monarque, Phâlgouna répondit ; 1651.

« Ne t’abandonne pas, sire, au découragement ; c’est l’épouvantable destructeur de la pensée. Réfléchis, grand roi, et tiens la route, qu’il est à propos de suivre. »

Alors Youddhishthira, qui avait la constance de la vérité, médite le langage de son aïeul Dwaîpâyana et dit à tous ses frères : 1652-1668.

« Écoutez, s’il vous plaît, l’engagement, dont je me lie pour l’avenir. Quel besoin y a-t-il, mes amis, que je vive treize années ? 1664.

» Je n’adresserai jamais un mot amer, ni à mes frères, ni à nul autre des princes ; et, soumis à l’ordre de mes pères, je l’exécuterai en citant leurs paroles. 1655.

» Par cette conduite à l’égard de leurs fils et des autres, la désunion ne pourra se glisser parmi nous ; et la désunion est dans le monde la racine de la guerre. 1656.

» Tenant loin de moi la guerre, je ne fbrai que des choses aimables, princes des enfants de Manou, et par là je ne puis tomber dans le blâme des hommes. » 1667.

Ces paroles de leur frère entendues, les Pândouides, qui se complaisaient au bien d’Youddhishthira, approuvèrent ce langage même. 1658.

Quand il se fut lié par cet engagement, lui et ses frères, au milieu des peuples assemblés, qu’il eut rassasié d’offrandes comme il séait à la piété les Dieux et les Mânes, reçu les bénédictions et les paroles de bon augure, les princes des kshatryas partis, Dharmarâdj, accompagné des ministres et de ses frères, noble Bharatide, entra dans sa ville capitale. Mais Douryodhana et Çakouni, le fils de Soubala, étaient restés, puissant monarque, dans son palais. 1659-1660-1661.

Tandis qu’il habitait dans cette belle demeure, Souyodhana en visita peu à peu avec Çakouni toutes les merveilles. 1662.

Il vit réalisées dans ce palais des idées célestes, dont il n’avait pu voir avant ces jours les images dans la ville, qui tirait son nom des éléphants. 1663.

Une fois, le royal fils de Dhritarâshtra se trouva au milieu du château, dans un lieu tout pavé de crystal et, sans qu’il en eut le moindre soupçon, il se dit : « C’est de l’eau ! » 1664.

Le stupide roi, dans l’instant d’hallucination, où le jeta cette pensée, de retrousser le pan de sa robe, et, tournant la tête en arrière, il fit ainsi le tour de la salle.

L’imbécile prince tomba dans cette place et, se relevant tout honteux, la bouche pleine de soupirs, il n’en continua pas moins sa promenade autour de la salle.

Il trouva ensuite un lac aux ondes crystallines, aux lotus jouant le crystal, et, s’imaginant que c’était encore une salle, il tomba dans l’eau tout habillé. 1665-1666-1667.

Le vigoureux Bhîmaséna, l’ayant vu choir dans ces limpides eaux, se mit à rire et les domestiques eux-mêmes se moquèrent de Souyodhana. 1668.

Le monarque Youddhishthira lui fit donner de splendides vêtements, et, à la vue de son nouveau costume, le robuste Bhîmaséna, Arjouna, les deux jumeaux et tous rirent de plus belle. Il s’irrita et ne put supporter leurs moqueries. 1669-1670.

Mais il conserva les apparences du calme et, sans les regarder, il releva les pans de sa robe, comme s’il voulait traverser l’étang. 1671.

Il remonta sur les bords, et les assistants rirent de nouveau. Ce roi vit ensuite une porte de crystal, de laquelle on avait su dissimuler artistement les formes.

Il voulut passer, donna de la tête contre cette porte et resta comme étourdi. Il était une seconde porte semblable, en crystal, aux larges verroux. 1672-1673.

Douryodhana les ouvrit de ses deux mains, sortit et tomba, la tête en avant. Il revint sur ses pas, à un lieu où se trouvait une porte aux vastes dimensions. 1674.

« C’est ici que cela finit ! » pensa-t-il, et il cessa de chercher à la place même de la porte. Voilà comment, seigneur, différents trompes-l’œil abusèrent ses yeux dans ce palais. 1676.

Enfin, ayant reçu congé de l’auguste Pândouide, Douryodhana s’en revint à la ville d’Hastinapoura, l’âme chagrine de ces merveilleuses richesses, qu’il avait vu s’étaler dans le grand sacrifice du râdjasoûya. 1676.

Tandis qu’il revenait pensif, brûlé d’envie par cette prospérité des fils de Pândou, le roi Douryodhana conçut une idée scélérate. 1677.

Quand il vit, rejeton de Kourou, les Pândouides au comble de leurs vœux, les rois soumis à leur domination, le monde heureux sous leurs lois, depuis les vieillards jusqu’aux enfants, 1678.

Et la sublime grandeur des magnanimes fils de Pândou, Douryodhana le Dhritarâshtride en perdit les couleurs de son visage. 1679.

Il s’en allait seul, troublé, songeant à ce palais, à cette fortune sans pareille du sage Dharmarâdja. 1680.

Ne s’intéressant plus à rien, le fils de Dhritarâshtra ne répondait pas aux maintes et maintes paroles, que lui adressât le fils de Soubala. 1681.

Lorsqu’il vit son ami l’âme troublée : « Douryodhana, lui dit Çakouni, tu marches, poussant des soupirs : d’où vient la cause de ta peine ? » 1682.

Douryodhana lui fit cette réponse :

« C’est de voir, conquise par la puissance des armes du magnanime Arjouna, la terre entièrement soumise à Youddhishthira, 1683.

» C’est pour avoir vu, frère de ma mère, le sacrifice du fils de Prithâ devenu aussi grand que celui d’Indra à la splendeur éclatante. 1684.

» Depuis lors, plein de colère, consumé jour et nuit, je ressemble au faible ruisseau, qui se tarit dans la saison où reviennent les mois de Çoutchi et de Çakra. 1685.

» Vois ! Çiçoupâla est tombé sous le bras du plus grand des Yadouides ; et il n’existait pas dans ce monde un homme capable de suivre ses pas ! 1686.

» Les rois, qui avaient supporté l’offense, consumés par le feu sorti des Pândouides ! Quel homme peut endurer cela ? 1687.

» Le Vasoudévide a fait et la vigueur des magnanimes fils de Pândou a complété cet acte barbare ! 1688.

» Ainsi, s’étant chargés de pierreries en toutes les espèces, les rois sont allés vers le roi fils de Kountî, comme des vassaux, qui apportent des tributs. 1689.

» Quand je vis, dans le fils de Pândou, une fortune élevée à tel point et, pour ainsi dire, flamboyante, je tombai sous la puissance de la colère, et je brûle d’une manière que je n’ai jamais éprouvée ! » 1690,

Après qu’il eut, sous l’empire de telles idées, arrêté sa résolution, Douryodhana, brûlé comme par le feu, adressa de nouveau ces paroles au roi du Gândhâra : 1691.

« Ou je me précipiterai dans le feu, ou je boirai du poison, ou je me noierai dans les eaux ; car il m’est impossible de vivre ainsi. 1692.

» Quel homme dans le monde, s’il a du cœur, peut supporter de se voir dans l’indigence à côté de ses ennemis, qui prospèrent ! 1693.

» Je ne suis point un homme…, pas même ce qui est moins qu’un homme ! Je ne suis point une femme,… pas même ce qui est moins qu’une femme, moi, qui supporte de voir une fortune élevée à un si haut degré ! 1694.

» Témoin d’une telle domination sur toute la terre, d’une telle opulence, d’un tel sacrifice, quel homme, s’il est de ma condition, n’en aurait pas la fièvre ! 1695.

» Je suis incapable, réduit à moi seul, d’enlever au puissant roi cette immense fortune, et je ne me vois aucun allié : ma pensée se tourne donc vers la mort. 1696.

» Il me semble que le Destin est tout et que le courage n’est rien, quand je vois cette prospérité éclatante et comme la fortune elle-même dans le fils de Kountî. 1697.

» Jadis, fils de Soubala, j’ai déployé mes efforts pour le détruire ; mais, échappé à tout, il a cru dans ces périls comme un lotus au milieu des eaux. 1698.

» Oui ! à mon avis, le Destin fait tout et le courage ne fait rien, puisque les Dhritarâshtrides continuellement descendent et que les enfants de Kountî montent sans cesse ! 1699.

» Au souvenir d’une telle fortune, d’un tel palais, de ces moqueries des gardes, je suis brûlé, comme par le feu.

» Maintenant, frère de ma mère, laisse-moi aller avec ma cruelle douleur, et annonce à Dhritarâshtra quelle colère s’est emparée de moi. » 1700-1701,

Çakouni lui répondit :

« Douryodhana, tu ne dois pas en vouloir à Youddhishthira : ce dont jouissent les fils de Pândou, ce n’est pas autre chose que leur patrimoine. 1702.

» Le Destin a donné divers aspects à leur fortune et l’a faite supérieure. Attaqués mainte et mainte fois par différents moyens, tu n’as pu jadis les détruire, puissant roi, dompteur de tes ennemis ; le Destin a sauvé ces princes et les a mis au premier rang. 1703-1704.

» Ils ont obtenu Draâupadî pour épouse, Droupada avec ses fils pour alliés, et l’énergique Vasoudévide les a servis dans la conquête du monde. 1705.

» Ils ont acquis l’héritage de leurs aïeux ; ils ne l’ont pas enlevé, roi de la terre, avec des mains ennemies. Leur vaillance a su l’augmenter : qu’y a-t-il ici, dont il faille gémir ? 1706.

» Si le Feu a donné, content de ses bons offices, l’arc Gândiva, deux carquois indestructibles et des armes célestes à Dhanandjaya ; 4707.

» Si, aidé par le plus excellent des arcs et secondé par la vigueur de son bras, celui-ci a réduit les rois de la terre sous sa puissance, qu’y a-t-il ici, dont il faille gémir ?

» Si, en reconnaissance de sa vie, que le formidable Ambidextre avait sauvée du feu dévorant, Maya, l’architecte des Dânavas, a bien voulu construire ce palais ; 1708-1709.

» Si, à l’ordre même de Maya, des Rakshasas épouvantables, nommés les Rinkaras ou les serviteurs, ont apporté les matériaux de ce palais, qu’y a-t-il encore ici, dont il faille gémir ? 1710.

» Tu as dit que tu étais sans alliés ; cette parole n’est pas juste, sire ; en effet, tu as des frères en grand nombre, qui sont tous soumis à ta volonté. 1711.

» Tu as le vigoureux Drona au grand arc avec son fils, Râdhéya, le fils du cocher, et le héros fils de Gautama,

» Moi avec tous mes frères germains et le prince né de Somadatta. À la tête de tous ces guerriers, tu peux faire entièrement la conquête de la terre. » 1712-1713.

« Accompagné de toi, sire, lui repartit Douryodhana, et de ces autres héros, je triompherai des fils de Pândou, si tel est aussi ton sentiment. 1714.

» Eux vaincus, le monde à l’instant même est à moi, et tous les princes de la terre, et ce palais aux grandes richesses. » 1716.

« Dhanandjaya, reprit Çakouni, le Vasoudévide, Bhîmaséna, Youddhishthira, Nakoula et Sahadéva, Droupada avec ses fils, 1716.

» Ces rois aux grands arcs, aux grands chars, consommés dans la science des armes, qui s’enivrent de fureur aux combats, ne peuvent être vaincus dans une bataille, fût-ce par les armées des Immortels eux-mêmes. 1717.

» Mais je sais, moi ! comment on peut vaincre Youddhishthira lui-même : écoute, sire, et approuve ce moyen. » 1718.

Douryodhana lui répondit :

« Oncle, dis-moi comment on peut triompher d’eux par les soins de mes amis et de ces autres magnanimes ! »

« Youddhishthira aime beaucoup le jeu, et il ne sait pas jouer ! repartit Çakouni. Quand on le défie au jeu., le puissant roi n’a pas la force de s’abstenir. 1719-1720.

» Moi, je suis habile au jeu ; mon égal n’existe pas sur la terre, fils de Kourou, ni dans les trois mondes. Provoque-le donc au jeu ! 1721.

» Grâce à ma dextérité pour manier les dés, je saurai, n’en doute pas ! lui enlever pour toi, noble seigneur, son royaume et sa fortune éclatante ! 1722.

» Porte toutes ces choses à la connaissance du roi, et, quand ton père m’en aura donné la permission, je vaincrai Youddhishthira : ce n’est pas douteux, » 1723.

« Annonce toi-même ces choses à Dhritarâshtra, la tête des Kourouides, fit Douryodhana : les convenances, fils de Soubala, ne me permettent pas de lui en parler d’abord. » 1724.

À ces paroles du prince jaloux, Çakouni, qui avait assisté en compagnie du fils de Gândhâri au râdjasoûya, l’éminent sacrifice du royal Youddhishthira, et qui déjà, sire, connaissait le sentiment de son neveu, se rendit auprès du monarque à la grande science ; et le fils complaisant de Soubala tint alors ce langage au monarque assis dans son trône, aveugle, qui voyait avec les yeux de la science : 1725-1726-1727.

« Sache, puissant monarque des enfants de Manou, que Douryodhana est pâle, jaune, maigre, abattu, plongé dans ses pensées. 1728.

» Tu ne vois, certes ! nulle part un malheur, qui ait sa cause dans un ennemi : pourquoi ne remarques-tu pas le chagrin, qui ronge le cœur de ton fils ? » 1729.

« Douryodhana, quel est, fit son père, le sujet de ta peine. Tu es dans une profonde tristesse, mon fils ; dis-moi quelle en est la cause, ô le plus vertueux des Kourouides, si la chose peut être confiée à mes oreilles. 1730.

» Çakouni me dit que tu es pâle, jaune, maigre. J’ai beau chercher dans ma pensée, je n’y vois pas d’où peut venir ton chagrin. 1731.

» En effet, tu as une grande puissance : tout, mon fils, repose sur toi ; ni tes frères, ni tes amis, ne font rien, qui te déplaise. 1732.

» Tu es vêtu de riches manteaux ; tu manges des viandes fines, un riz exquis, on attelle à ton char des chevaux de noble race : pourquoi donc es-tu jaune, maigre ? 1733.

» Tu as des couches précieuses, des épouses ravissantes, des palais remplis de toutes les commodités, des promenades faites pour donner tous les plaisirs. 1734.

» Tout, on n’en peut douter, est soumis à ta voix, comme à celle des Dieux. Pourquoi, mon inaffrontable fils, gérais-tu ainsi qu’un misérable ? » 1735.

Douryodhana répondit :

⁂ « Je mange et je m’habille[40], comme une personne du vulgaire ! Je souffre une violente colère dans mon impatience de surmonter ce que le temps a pour moi de contraire. 1736.

» L’homme facile à irriter, en liberté de ses mouvements naturels, ferme dans son désir de s’arracher lui-même à la tristesse, que lui cause un rival, est appelé un homme énergique. 1737.

» Contentement passe richesse ! Il détruit même l’orgueil, il chasse la crainte et le désespoir, deux conditions, qui empêchent de manger beaucoup l’homme, qui en est assiégé. 1738.

» Je ne trouve plus à mes festins une saveur bien agréable depuis que j’ai vu dans Youddhishthira, le fils de Kountî, cette éblouissante prospérité, d’où vient ma pâleur.

» En voyant ma propre faiblesse à côté des forces accrues de mes ennemis ; en voyant au fils de Kounti cette haute fortune, qu’on ne pourrait voir en nul autre, je suis devenu pâle, abattu, jaune et maigre. J’ai vu Youddhishthira nourrir quatre-vingt-huit mille pères de familles initiés, à chacun desquels obéissent trente servantes ! Dix mille autres mangent toujours dans le palais d’Youddhishthira une nourriture excellente, servie sur des plats d’or. Ils sont assis sur les peaux noires, vertes et rouges des cerfs et des gazelles. 1739-1740-1741-1742-1743.

» Le roi de Kâmbodje lui a envoyé par centaines et par milliers les plus riches couvertures pour ses femmes et ses fils, pour ses chevaux et ses éléphants. 1744.

» Trente milliers de cavales et de chamelles errent dans ses prairies. Les rois, chargés de leurs tributs, ont afflué de compagnie au palais du puissant monarque. 1745.

Les maîtres de la terre avaient apporté en masse, roi de la terre, leurs gemmes de maintes sortes dans l’éminent sacrifice du fils de Kountî. 1746.

» Nulle part je n’ai vu ou n’ai ouï dire une agglomération de richesses telle qu’on la vit au sacrifice du sage fils de Pândou. 1747.

» Depuis que j’ai vu cette multitude infinie de richesses, que possède mon ennemi, ma pensée en est sans cesse occupée, souverain des hommes ; et je ne puis goûter un moment de joie. 1748.

» Des brahmes, des bâtadhânas, des propriétaires de troupeaux, chargés de tributs évalués à trois kharvas[41], attendent devant ses portes le moment où ils seront admis. 1749.

» Malgré qu’ils apportent de telles richesses et qu’ils tiennent à la main de resplendissantes aiguières faites d’or, l’entrée ne leur est pas accordée. 1750.

» Telles que des femmes immortelles présentent à Çakra le rhum distillé des fleurs, telles les ondes de la mer lui ont apporté la coupe de Varouna. 1751.

» Il fut sacré par le Vasoudévide même, tenant la plus excellente des conques, ornée de pierres fines, estimée valoir mille nishkas d’or. 1752.

» À la vue de toutes ces merveilles, une sorte de fièvre s’est emparée de moi ! Cette conque à la main, ses quatre frères vont aux deux mers, du levant et du midi.

» Cette conque à la main, ils se tournent vers la mer occidentale ! Ils s’avancent vers l’océan septentrional, où ne peuvent aller, mon père, les oiseaux avec le secours des ailes (?). 1763-1754.

» Arrivé là, Arjouna d’enlever comme tribut des richesses sans mesure. Dans ce palais ; j’ai vu encore une chose admirable : écoute-la de ma bouche. À une centaine entière de mille brahmes, Youddhishthira fit distribuer des festins. 1755.

» L’intelligence a mis là sa demeure ; là, résonne continuellement la conque. J’ai entendu mainte et mainte fois les accents de cette conque, qui ne cesse jamais de sonner, et mon poil, Bharathide, s’en est hérissé d’épouvante. L’assemblée était pleine de rois en grand nombre amenés par la curiosité. 1756-1757.

» Ils resplendissaient là, puissant roi, comme les constellations dans un ciel pur ! Quoique parés de toutes leurs pierreries, ces princes de la terre, sire, environnés de brahmes, étaient dans le sacrifice du sage fils de Pândou comme de simples vaîçyas. 1758-1759.

» La fortune chez le roi des Dieux, chez Yama, chez Varouna ou, chez le souverain des Gouhyakas, ne parvient pas à la hauteur, que cette fortune, sire, atteint chez Youddhishthira. 1760.

» Depuis que j’ai vu cette éminente prospérité chez le fils de Pândou, mon âme, consumée d’envie, ne goûte plus de tranquillité ! » 1761.

Çakouni répondit :

« Cette fortune sans égale, que tu as admirée chez le Pândouide, écoute de ma bouche, prince au courage, qui ne se dément jamais, le moyen, que j’imagine pour l’obtenir. 1762.

» Je suis renommé pour les dés sur la terre, fils de Bharata ; j’en connais la science, j’en connais les coups, je connais toutes les subtilités du jeu. 1763.

» Le fils de Kountî aime le jeu et il ne sait pas jouer. Si on le provoque, il est certain qu’il ne fuira, ni le jeu, ni le combat ! 1764.

» Je triompherai de lui nécessairement, seigneur, en le trichant, et je ferai passer dans tes mains cette divine abondance : défie-le donc ! » 1765.

À ces mots de Çakouni, le roi Douryodhana tint, sans plus tarder, ce langage au roi Dhritarâshtra : 1766.

« Ce prince, qui sait jouer aux dés, sire, peut gagner au fils de Pândou toute sa fortune en quelques parties de jeu : veuille donc lui accorder ta permission. » 1767.

« Kshattri à la grande science est mon conseiller, fit Dhritarâshtra ; je me range toujours à son avis. Je m’aboucherai avec lui, et je saurai quelle est son opinion sur le parti, qu’il sied d’embrasser. 1768.

» Ce prince à la vue longue, ayant mis avant toute chose le devoir, qui est à ses yeux l’utile au plus haut degré, m’enseignera ce qu’il y a de mieux à faire de l’un ou de l’autre côté. » 1769.

« Kshattri, s’il cause avec toi, essayera de te détourner, Indra des rois ; et, si tu refuses ton consentement, je mourrai : il n’y a là-dessus aucun doute. 1770.

» Quand je ne serai plus, sire, vis heureux avec Vidoura ! Tu jouiras de toute la terre : que ferais-tu avec moi ? » 1771.

À peine eut-il entendu ce triste langage, prononcé avec l’accent de la tendresse, Dhritarâshtra soudain, prenant les sentiments de son fils, dit à ses domestiques : 1772.

« Que les ouvriers me construisent au plus vite un palais vaste, à cent portes, à mille colonnes, ravissant, admirable à voir ! 1773.

» Qu’il soit pavé de pierres fines ; qu’il ait un beau frontispice ! Rassemblez de tous côtés les charpentiers et tenez-moi informé de ses moindres progrès, à mesure que l’édifice avancera ! » 1774.

Aussitôt qu’il eut arrêté cette résolution, afin de rendre la tranquillité à Douryodhana, le royal aveugle fit appeler Vidoura. 1775.

Mais, avant qu’il eût consulté son frère, sans que nulle décision vînt de son propre, il fut entraîné par sa folle tendresse pour son fils à vouloir ce jeu, dont il connaissait bien les inconvénients. 1776.

À la nouvelle que ce monarque était près d’arriver à la porte des guerres et qu’il se penchait vers la source de la ruine, le sage Vidoura courut chez Dhritarâshtra. 1777.

Quand ce frère aîné fut auprès de son magnanime frère puîné, il se prosterna, touchant ses pieds de la tête et lui dit ces paroles : 1778.

« Je ne te félicite pas de cette résolution, auguste monarque ; agis de manière que la désunion ne se glisse pas entre nos enfants. » 1779.

« Kshattri, lui répondit l’aveugle, il n’y aura pas de querelle entre mes fils et mes neveux, si les Dieux nous regardent avec bienveillance ; ce dont il ne faut pas douter. 1780.

» Beau ou laid, utile ou non, que ce jeu entre amis ait lieu : il se fera sous nos yeux sans aucun doute. 1781.

» En ma présence, en la tienne, fils de Bharata, en présence de Drona et de Bhîshma, il est impossible qu’il arrive un malheur, fût-il dans les dispositions mêmes du Destin. 1782.

» Monte dans un char attelé de chevaux pareils au vent pour la vîtesse ; rends-toi à l’instant même dans le Khândava-prastha, et amène ici Youddhishthira. 1783.

» Ma résolution ne doit pas être blâmée ; je te le dis, Vidoura ; le Destin, par qui cette chose arrive, me semble être supérieur. » 1784.

À ces mots, le sage Vidoura de réfléchir : « C’est cela ! » pensa-t-il ; et, dans une profonde affliction, il s’en alla trouver le fils du Gange à la vaste science. 1785.

Djanamédjaya, interrompant le narrateur :

« Comment naquit ce jeu, qui fut la seule cause de tous ces fratricides, amusement funeste, où le malheur tomba sur les fils de Pândou, mes ayeux ? 1786.

» Quels rois étaient là présents ? Qui furent ceux, qui approuvèrent ce jeu, ô le plus vertueux des brahmes ? Et qui furent ceux, qui ne l’empêchèrent pas ? 1787.

» Je désire l’entendre conté de ta bouche avec étendue ; car ce fut pour la terre, saint brahme, la racine de sa perte. » 1788.

Vaîçampâyana répondit :

Écoute donc ! je vais te le raconter avec détail, ô le plus juste des Bharatides, si ta volonté est encore de prêter l’oreille à mes récits. 1789.

Dhritarâsthra, le fils d’Ambikâ, ayant connu l’opinion de Vidoura, dit encore ces mots en particulier à Douryodhana : 1790.

« Loin d’ici le jeu, fils de Gândhâri ! Vidoura ne lui donne pas des éloges ; et ce prince à la grande intelligence ne nous dira jamais ce qui n’est pas notre bien.

» Ce que dit Vidoura est, à mon avis, le bien par excellence. Fais ce qu’il dit, mon fils : c’est là, je pense, ton intérêt. 1791-1792.

» Vidoura, le grand poète, sait tout le Çâstra, accompagné des mystères, que le vénérable Dévarshi, Vrihaspati à la vaste intelligence, le précepteur d’Indra, enseigna au sage monarque des Immortels. 1793.

» Je me tiens toujours, mon fils, docile à sa parole. Celui, que je regarde comme le plus grand des Kourouides, c’est, ou le prudent Vidoura, ou bien, sire, Ouddhava aux grandes pensées, honoré chez les Vrishnides. Loin de toi ce jeu, mon fils ! On a toujours vu le jeu engendrer la désunion ; 1794-1795.

» Et la désunion est la perte d’un royaume ! Évite cela, mon fils. On dit que le premier devoir d’un fils est d’obéir à son père et à sa mère. 1796.

» N’as-tu pas obtenu le rang de ton père et de tes ayeux ? Tu as lu, tu es versé dans les Çâstras ; tu n’as jamais trouvé qu’autour dans mon palais. 1797.

» Tu es l’aîné de tes frères. Qu’y a-t-il dans le royaume que tu n’aies pas obtenu, beau prince ? Les mets, que tu manges, sont exquis ; les habits, qui te revêtent, sont précieux ; choses, dont ne peuvent jouir les gens du commun. De quoi te plains-tu, mon fils ? Ce royaume de ton père et de tes ayeux est riche et vaste. 1798-1799.

« Tu y commandes sans cesse et tu y resplendis comme le souverain des Dieux au milieu du ciel. Quelle est, ô toi, qui as la science d’un sage, la cause de ton chagrin ? Veuille me dire, héros aux longs bras, quel accident est né pour te faire de la peine, » | | 1800.

Douryodhana répondit :

« Un homme vil, de qui les regards ne vont pas au-delà, se dit : « J’ai pour me vêtir et manger ! » Quiconque ne ressent pas de colère est appelé un homme du vulgaire.

» Une prospérité que j’ai de commun avec les autres, noble Indra des rois, ne me cause aucun plaisir. Depuis que j’ai vu dans le fils de Kountî cette fortune, pour ainsi dire, flamboyante, mon âme est dans le trouble. 1801-1802.

» Depuis que J’ai vu la terre soumise entièrement à l’empire d’Youddhishthira, je t’en fais l’aveu, malgré toute ma fermeté, je ne vis que de chagrin. 1803.

» Les Tchitrakas, les Kaâukouras, les Kâraskaras aux jambes de fer ressemblent dans son palais à des nîpas aux cimes inclinées. 1804.

» Toutes les mines de pierreries des pays marécageux, de la mer, de l’Himâlaya, toutes celles reculées aux extrémités du monde se trouvent çà et là dans le palais d’Youddhishthira. 1805.

« Celui-ci est l’aîné ; il doit être aussi le plus grand ! » s’est dit Youddhishthira ; et, d’après cette pensée, monarque des hommes, il m’honora en me confiant la charge de recevoir ses pierreries. 1806.

» On n’en vit jamais un autre parmi les plus dignes de l’arghya ; et dans cette mer de pierreries, qui inonde ses palais, on n’aperçoit, fils de Bharata, aucune rive ultérieure. 1807.

» Mes mains ne suffisaient pas à recevoir ces trésors ; enfin, elles s’arrêtèrent, fatiguées de recueillir ces richesses apportées des plus lointains pays. 1808.

» Je vis un lac de lotus aux feuilles de crystal, qui semblait rempli d’eau, mais qui trompait l’œil, auguste Bharatide, avec les diamants, que l’architecte Maya avait retirés du Vindousara. 1809.

» Je retroussai ma robe afin de ne point la mouiller et Ventre-de-Loup s’est moqué de moi, qui n’ai pas de pierreries et qu’une telle supériorité d’abondance chez mon ennemi avait rendu comme fou ! 1810.

» Si, dans ce moment, je l’avais pu, roi des hommes, j’aurais tué Ventre-de-Loup ; mais, si je tentais l’entreprise de renverser Bhîma, nous irions tous, ce n’est pas douteux, sur le chemin par où s’en est allé Çiçoupâla ! Ces railleries de mon ennemi, elles me brûlent, fils de Bharata ! 1811-1812.

» Ensuite, je vis un vrai lac, embelli par de vrai lotus, et croyant que c’était, comme l’autre, une salle de diamants, je suis tombé dans l’eau, puissant monarque !

» Krishna alors et le fils de Prithâ ont ri de moi avec un bruit éclatant, et Draâupadi avec ses femmes acheva de troubler mon âme par ses rires moqueurs. 1813-1814.

» À l’ordre du roi, ses domestiques m’ont apporté d’autres vêtements à la place des habits mouillés dans ma chûte : cet accident est la cause de ma plus vive douleur !

» Tu apprendras, sire, de ma bouche une autre mystification. Je voulus sortir par un lieu sans porte, quoiqu’il offrit aux yeux les apparences d’une porte ouverte, et je suis allé encore me frapper du front contre la pierre : je me suis blessé ! 1815-1816.

» Dans ce moment les deux jumeaux, qui m’avaient vu de loin me heurter si rudement, sont venus m’embrasser, paraissant de concert compâtir à ma peine. 1817.

» Alors Sahadéva me dit à plusieurs fois avec l’air d’un profond étonnement : « Voici la porte ! Sire, viens par ici ! » 1818.

» Bhimaséna de rire en éclatant : « Fils de Dhritarâshtra, me dit-il, rappelle-toi, sire, que la porte est ici ! »

» Je n’ai jamais ailleurs entendu les noms des pierreries, qui furent étalées sous mes yeux dans ce palais ; et mon âme en est consumée d’envie. 1819-1820.

» Écoute, rejeton de Bharata, les immenses richesses, que j’ai vues aux fils de Pândou et qui leur furent apportées d’ici et de là par les rois de la terre. 1821.

» Et le spectacle de telles richesses entre les mains de mon ennemi n’eût pas jeté mon âme dans la folie ! Que les denrées ou les climats te les fassent connaître, fils de Bharata. » 1822.

» Le roi de Kâmbodje lui a donné beaucoup de pelleteries et de couvertures les plus riches, en tissus de laine, en poil de rankou, ornées d’ivoire et d’or, 1823.

» Trois cents coursiers au pelage moucheté comme la perdrix avec des becs de perroquet, trois cents cavales et chamelles, nourries d’ingua, de çami et de pîlou. 1824.

» Les brahmes Govâsanas et les Dâsanîyas, sans excepter un seul, par affection pour ce magnanime Dharmarâdja, les brahmes Vâtadhânas et, par troupes de cent, les propriétaires de troupeaux attendent à sa porte le moment de son audience, chargés d’un tribut, qui n’est pas évalué, puissant roi, à moins de trois kharvas. Quoiqu’ils tiennent à la main de resplendissantes aiguières d’or massif et qu’ils apportent un si riche tribut, l’entrée ne leur est pas même accordée. 1825-1826-1827.

» Les peuples, qui habitent les champs marécageux du Marou, et les hommes nés à l’extrémité de l’Océan, dans les humides plaines voisines de la mer, où ils vivent de riz et de blé produits sans culture, ayant rassemblé tout leur tribut, auguste monarque, lui ont apporté des pelleteries et des tissus en poil d’axis moucheté, dignes qu’on les offrît pour sièges aux plus grands des brahmes. Ils ont amené pour lui des chevaux nés dans le pays des Gandharvas, cent milliers de femmes esclaves, habillées de coton, et des artisanes au corps svelte, au teint azuré, aux longs cheveux, toutes ornées de parures d’or. 1828-1829-1830-1831.

» Les Vaîramas, les Pâradas, les Abhîras et les Kitavas, apportant divers tributs, des pierreries variées, des chèvres, des brebis, des vaches, des ânes, des chameaux, de l’or, des liqueurs extraites des fruits, attendent à sa porte le moment d’être admis. 1832-1833.

» L’héroïque monarque du Prâgdjyotisha, le robuste souverain des Mlétchhas, le roi Bhagadatta au grand char, accompagné des Yavanas, lui amène des chevaux de noble race, légers, rapides comme le vent, et, chargé d’un tribut complet, il attend même à sa porte le moment d’être admis. 1834-1835.

» Bhagadatta, le roi du Prâgdjyotisha, se retire après qu’il a fait hommage au souverain d’épées aux poignées d’ivoire sur un plat entièrement fait de saphyr. 1836.

» J’ai vu attendre là par troupeaux à sa porte, coiffés de turbans et chargés de tributs, les rois de toutes les couleurs venus de mainte et mainte région, ceux-ci à deux, ceux-là à trois yeux, plusieurs à un seul œil placé au milieu du front, les uns monopèdes, les autres anthropophages velus, habitant au bout du monde. 1837-1838.

» Ils avaient amené des myriades d’ânes, répandus çà et là, nés sur les rives de la Vankshoû, doués de l’ardeur et de la taille, aux cous noirs, aux grands corps, bien dressés et capables de soutenir une longue route. Ils donnèrent au puissant monarque une masse d’argent et d’or en guise de tribut. 1839-1840.

» Ils obtinrent l’entrée dans le palais d’Youddhishthira, après qu’il eut reçu d’eux leurs chevaux d’une grande vîtesse, enfants des forêts, charmants à voir, les uns de couleur blanche, ceux-là pareils à la cochenille, les autres semblables à l’arc-en-ciel, ceux-là bigarrés de diverses couleurs, d’autres, qui ressemblaient aux nuages de l’aurore et du crépuscule. 1841-1842.

» Les monopèdes lui ont donné une quantité d’or inappréciable. J’ai vu attendre à sa porte les hinois, les Çakas, les Andras, les Varvaras, qui demeurent au milieu des forêts, les Vârshnéyas, les Harahoûnas, les rois habitant l’Himâlaya et différents princes venus des contrées marécageuses ou du pied des montagnes. 1843-1844.

» Par eux lui fut donné en guise de tribut un grand nombre d’ânes aux formes variées, aux grands corps, aux cous noirs, capables de marcher cent lieues. 1845.

» Ils lui donnèrent par myriades ces animaux, habitués des rivages de la Vankshoû, bien dressés, répandus à tous les points de l’espace, qui sentent l’ordre et la volonté du maître. 1846.

» J’ai vu attendre à sa porte les Çakas, les Toukharas et les Kankas, hommes velus au front armé de cornes, et les mains pleines de tributs : tissus en laine, en poil de rankou, en lils de soie, en fibres de l’arbre patta, étoffes crêpées à milliers, vêtements à la trame déliée, en coton, en toison de brebis, pelleteries douces au toucher, longues épées au tranchant acéré, sabres, lances de fer, hachettes, autres haches aiguës, modification du genre, liqueurs, parfums divers, pierres fines par milliers, 1847-1848-1849-1850.

« Monstrueux éléphants venus des pays éloignés, chevaux estimés de l’Arbouda, en grand nombre de centaines, de l’or en quantité égale à une myriade de millions ! 1851.

» Tous, ils attendent à sa porte le moment d’être admis, chargés de tributs variés, sièges de grande valeur, voitures, couches faites d’ivoire, incrustées d’or et de pierres fines, cuirasses damasquinées, projectiles de toute sorte, 1852-1853.

» Chars aux formes diverses, embellis d’or, couverts avec des peaux de tigres, attelés de chevaux, bien dressés, 1854.

» Couvertures d’éléphants admirablement peintes, joyaux différents pour l’espèce, flèches de fer et demi-flèches de fer, et javelots divers. 1855.

» Après qu’ils eurent déposé l’hommage de ces immenses richesses, l’entrée au temple, où était célébré le sacrifice du magnanime fils de Pândou, fut accordée à ces rois, qui tenaient sous leur puissance les contrées du levant. 1856.

» Écoute encore de ma bouche, mortel sans péché, les différents dons, immense accumulation de richesses, qui furent données par les rois au fils de Kountî pour la célébration du sacrifice. 1857.

n Ceux, qui habitent entre le Mérou et le Mandara près des bords charmants de la rivière Çaîlodâ, ombragée par les bambous, qui murmurent au souffle du vent, 1858.

» Les Khasas, les Ékasanas, les Arhas, les Pradaras, les Dîrghavénous, les Pâradas et les Koulindas, les Tanganas et les Paratanganas, de qui les rois en troupes lui apportaient, à mesurer au boisseau, de l’or pipîlika, ainsi nommé parce qu’il est extrcüt du sable par les fourmis plpîlikas ; 1859-1860.

» Tous ces peuples offraient de beaux chasse-mouches, les uns noirs, les autres blancs et pareils à la lune, une masse énorme d’un miel exquis, né des fleurs de l’Himâlaya. »

Les Kourous du nord firent hommage de guirlandes composées avec la plante Ambou et de simples à la plus haute vertu, recueillies sur le flanc septentrional du Kaîlâsa. 1861-1862.

» Les rois montagnards, apportant d’autres choses en tribut au souverain Adjâtaçatrou, attendent, inclinés devant sa porte, le moment, où ils seront admis. 1803.

» J’ai vu là, seigneur, les rois, qui habitent sur le versant ultérieur de l’Himavat ; ceux, qui vivent sur la montagne, où se lève le soleil, ceux du Kâroûsha, qui a pour limite l’Océan, et ceux, qui demeurent sur les confins de la mer Rouge, et les Kirâtas aux flèches inhumaines, artisans de cruauté, qui s’habillent de peaux, qui se nourrissent de fruits et de racines. 1864-1865.

» Ils apportaient des charges de bois d’aloës, de sandal, d’agallochum, des monceaux de parfums, d’or, de pierres fines et de pelleteries. Ils amenèrent aussi dix milliers d’esclaves femelles, et de femmes, nées dans les pays des Kirâtas, des choses ravissantes, des oiseaux et des quadrupèdes étrangers, 1866-1867.

» De l’or du plus radieux éclat, recueilli au sein des montagnes ; et, tout chargés qu’ils fussent de ces tributs au complet, ils n’en attendaient pas moins à sa porte le moment, où ils seraient admis. 1388.

» Les Daradas, qui touchent aux Kirâtas, les héroïques Darvas, les Vaiyamakas, les Aâudoumbaras, mal partagés, les Pâradas et les Vâhlikas, 1869.

» Les Kâçinîrains, les Koumâras, les Ghorakas, les Hansakâyanas, les guerriers de Trigarta et de Çivi, les princes des héros de Madra, 1870.

» Les Ambashthas, les Kaâukouras, les Tàrkshyas, les Vastrapas et les Pahlavas, les Vaçâtis, les Maâuléyas avec les Kshoudrakas et les Màlavas, 1871.

» Les Paâundrikas et les Koukkouras eux-mêmes, les Çakas, puissant roi, les Angas et les Vangas, les Poundras, les Çânavatyas et les Gayas 1872.

» Offrirent par les mains de leurs kshatryas excellents, bien nés, portant le cordon et la flèche, des trésors par centaines au magnanime Adjâtaçatrou. 1873.

» Les Vangas, les Kalingas, les Magadhains, les Tâmraliptas et les Poundrakas, les Daâuvalikas, les Sâgarakas, les Patrornas, les Çaîçavas 1874.

» Et les Karnaprâvaranas en grand nombre attendaient là, retenus par les gardes des portes, qui leur disaient, fils de Bharata, suivant la consigne enjointe par le suzerain : « Quand votre tour sera venu, princes, qui apportez de beaux tributs, l’entrée vous sera permise. » 1875-1876.

» Quand ils avaient donné chacun près du lac Kâmyaka deux mille éléphants aux longues dents, aux licous d’or, aux caparaçons de nuances variées, peints de lacouleur des lotus et semblables à des montagnes, couverts de cuirasses, patients, de bonne race et dans une continuelle ivresse, ils obtenaient enfin de passer le seuil de la porte. 1877-1878.

» Ces troupes de rois et beaucoup d’autres étaient venus de tous les points du ciel. Des pierres précieuses furent apportées encore là par d’autres magnanimes. » Quatre centaines de chevaux, qui avaient la rapidité du vent, furent données par le roi Gandharva, nommé Tchitraratha, le suivant d’Indra. 1879-1880.

» Le Gandharva Tombourou donna lui-même avec joie cent chevaux, parés de guirlandes d’or et semblables en couleur aux pétales de la fleur des manguiers. 1881.

» Le sage roi fit aussi cadeau lui-même de pourceaux et d’éléphants, les perles de leur espèce, auguste rejeton de Kourou, en bien grand nombre de centaines. 1882.

» Virâta, le roi des Matsyas, amena en guise de tribut deux mille éléphants aux guirlandes d’or, à l’ivresse sans fin. 1883.

» Le roi Vasoudâna, sire, envoya du Pânçourâshtra vingt-six éléphants et deux mille chevaux avec des guirlandes d’or, jeunes, rapides et pleins d’ardeur. Aussitôt qu’il eut rassemblé tout son tribut, souverain des hommes, il vint l’offrir aux fils de Pàndou. 1884-1885.

» Yajnaséna fit présent d’esclaves, seigneur, quatorze mille femelles et une myriade de mâles, accompagnés de leurs épouses. 1886.

» Il donna, grand roi, plusieurs centaines des plus beaux éléphants et vingt-six chars attelés eux-mêmes de proboscidiens. 1887.

» Le Vasoudévide, issu de Vrishni, désirant honorer Rirîti, fit hommage de son royaume entier aux Pândouides pour le sacrifice et donna quatorze milliers de superbes éléphants. Krishna en effet était l’âme d’Arjouna, et Arjouna était l’âme de Krishna. 1888-1889.

» Arjouna eût fait, ce n’est pas douteux, tout ce que lui aurait dit Krishna ; et Krishna eût renoncé même pour Dhanandjaya au monde du Swarga. 1890.

» De même le fils de Prithâ eût abandonné pour Krishna, non-seulement les parfums exquis du sandal préparé en des coupes d’or, des amas d’aloès et de sandal venus des monts Dardoura et Malaya, des pierreries et des perles éblouissantes, de l’or, des vêtements au tissu délié ; mais encore le souffle même de la vie. 1891-1892.

» Les rois du Tchola et du Pândya, arrivés à sa porte, n’en ont pas obtenu l’entrée ; et cependant ils apportaient des amas de perles, du lazuli, essence de la mer, des couvertures d’éléphants par centaines, de l’étain ou du cuivre ! Des personnages noirs aux yeux rouges, chargés de leurs tributs et vêtus d’habits en pierreries, attendent là qu’on leur permette l’entrée de sa porte. Les brahmes et les kshatryas vaincus, les vaîçyas et les çoûdras obéissants apportaient à l’envi quelque chose d’agréable. Tous les barbares de toutes les couleurs, nés dans la première, la moyenne ou la dernière condition, en différentes bordes rassemblées de différents pays, venaient avec joie, conduits par le respect, faire hommage à Youddhishthira, 1893-1894-1895-1896-1897.

» C’était comme un abrégé du monde dans le palais d’Youddhishthira ! Et, quand je vis tant de présents divers, que les rois offraient à mes ennemis, la douleur fît naître en moi le dégoût de la vie ! Je vais maintenant énumérer devant toi, seigneur, les domestiques au service des Pândouides ; 1898-1899.

» Les hommes, qui reçoivent d’Youddhishthira une ration journalière d’aliments crus ou cuits. Ses cornacs et les guerriers, qui montent ses éléphants, sont au nombre de trois padmas[42], plus une myriade. 1900.

» Il possède cent millions de chars ; ses fantassins sont en nombre infini. Ne parlons pas de mesura on ne peut que s’imaginer les aliments crus et cuits, nécessaires à la vie de tant d’êtres ! Ce n’est du reste partout que le bruit d’un jour de fête : et, de tous ces peuples, rassemblés dans le palais d’Youddhishthira, je n’ai pas vu un seul homme, qui n’eût pas mangé, qui n’eût pas bu, qu’on n’eût paré, qu’on n’eût bien traité ! Il est quatre-vingt-huit mille chefs de familles initiés, auxquels Youddhishthira donne la nourriture et qu’il fait servir individuellement par trente servantes. Tous ces hommes bien satisfaits, au comble de la joie, célèbrent à l’envi la maison de mon ennemi ! 1901-1902-1903-1904.

» Dix mille autres yatis, voués à la continence, mangent, servis sur des plats d’or, dans ce palais d’Youddhishthira. 1905.

» Draâupadi sans manger parcourt tous ses hôtes, seigneur, et voit depuis le bossu jusqu’au uain ceux, qui ont ou qui n’ont pas mangé. 1906.

» Que deux impôts, rejeton de Bharata, ne soient pas donnés au fils de Kountî : c’est assez de l’amitié généreuse des Pântchâlains, des Andhakas et des Vrishnides. 1907.

Douryodhana, ne s’arrêtant pas, continua de parler :

» De nobles rois, dévoués à la vérité, liés par de grands vœux, éloquents, en possession des sciences, ayant passé par le bain, qui termine les études, pleins de fermeté, doués de pudeur, à l’âme juste, vantés par la renommée et de qui l’onction royale a consacré la tête, composent la cour de cet homme. 1908-1909.

» J’ai vu çà et là plusieurs milliers de vaches, nées dans les bois et portant au cou leur vase à traire en cuivre jaune, que les rois avaient amenées pour être données comme les honoraires des brahmes. 1910.

» Les rois empressés avaient eux-mêmes apporté là, auguste Bharatide, à l’envi les uns des autres, maint et maint vases, qui devaient servir au sacre d’Youddhishthira, honoré de leurs hommages. 1911.

» Le roi du Vâhlika lui fit présent d’un char aux ornements d’or, que ce prince fort habile avait attelé des chevaux blancs, nés dans le pays de Kâmbodje. 1912.

» Sounîtha à la grande force lui donna de bon cœur une évocation magique et le roi de Tchédi un drapeau, qu’il arbora lui-même. 1913.

» Le souverain du Magadha méridional, une armure et deux chapeaux de fleurs ; le Vasoudévide à la grande force, un superbe éléphant, âgé de soixante années. 1914.

» Matsya, des roues magnifiques, revêtues d’or ; Ékalavya, une paire de chaussures ; le roi d’Avanti, différentes eaux pour le sacre. 1915.

» Tchékitâna offrit un carquois, le monarque de Kaçi, un arc, Çâlya, une épée de grande valeur, embellie d’or, à la riche poignée. 1916.

» Ensuite Dhaâumya et Vyâsa aux bien grandes pénitences, mettant à leur tête Nârada, Dévala et l’hermite Asita, de sacrer le fils de Pândou. 1917.

» Ces maharshis, accompagnés de Râma, le Djamadagnide, et d’autres, qui avaient abordé à la rive ultérieure des Védas, officièrent dans le sacre, et, la joie au cœur, ils environnèrent, en récitant les mantras, ce roi, qui avait rassemblé pour eux d’intarissables honoraires : ainsi les sept rishis dans le ciel entourent Mahéndra, le monarchie de Dieux.

» Sâtyaki à la bravoure infaillible portait son ombrelle : Dhanandjaya et Bhîmaséna le Pândouide tenaient deux éventails. 1918-1919-1920.

» Les deux jumeaux secouaient autour de sa personne deux chasse-mouches blancs. L’océan même lui avait donné la conque épouvantable, que, dans un âge antérieur, le Souverain maître des créatures avait reçu pour Indra. Exécutée par Viçvakarma, elle valait mille nishkas d’or. 1921-1922.

» Au moment, où Krishna vint à le sacrer, je tombai dans un subit évanouissement. 1923.

» Ses quatre frères vont de la mer d’orient à celle du couchant, de-là à la mer du midi ; ils s’avancent vers l’océan septentrional, où ne peuvent aller, mon père, les oiseaux avec le secours des ailes ( ?).

» Les conques alors de résonner par centaines en signe d’allégresse : à leurs accents, inspirés par le souffle, mon poil se hérissa d’épouvante ! 1924-1925.

» Les rois de la terre, que la force abandonne, tombent soudain. Dhrishtadyoumna, les cinq fils de Pândou, Sâtyaki et Kéçava le huitième, doués naturellement d’énergie et s’offrant l’un à l’autre l’agréable spectacle de leur assurance conservée, se rirent de moi, ausatôt qu’ils me virent tombé sans connaissance avec les rois.

» Ensuite Bîbhatsou dans sa joie donna, auguste Bharatide, aux principaux des brahmes cinq cent bœufs aux cornes d’or. 1926-1927-1928.

» Ni Rantidéva, ni le délaissé Mândatri, ni Manou, ni le roi Prithou-Vaînya, ni Bhagîratha lui-même, ni Yayàti ou Nahousha ne furent jamais ce qu’est le roi Youddhishthira ; car il possède, ce fils de Kountî, une fortune suprême et par-delà toute mesure. 1929-1930.

» Il est parvenu, comme l’auguste Hariçtchandra, à l’honneur de célébrer le râdjasoûya. Après que j’ai vu la prospérité de ce roi puissant renaître dans le fils de Prithâ, comment peux-tu dire, fils de Bharata que la vie pour moi vaille mieux que la mort ? La fortune aveugle, sire, attache sur moi son joug insupportable : les puînés montent et les aînés descendent ! 1931-1932.

» À la vue de ces choses, j’ai perdu tout plaisir, et ce spectacle, ô le plus éminent des Kourouides, m’a jeté dans la consomption, la pâleur et le chagrin ! » 1933.

Dhritarâshtra lui répondit :

« Tu es l’aîné de mes fils et tu es né de ma principale épouse. Ne hais pas les Pândouides, mon fils ; car il y a dans la haine une douleur égale à celle de la mort. 1934.

» Comment un prince tel que toi pourrait-il haïr Youddhishthira, qui ne te haït pas, qui est né plein d’affection pour toi, qui est un ami égal à toi, et de qui le rang est pareil au tien ? 1935.

» Comment, sire, toi, qui es son égal par l’héroïsme et la famille, ne vois-tu pas avec plaisir la prospérité de ton cousin : ne sois pas ainsi, mon fils ! Calme-toi ; bannis ce chagrin ! 1936.

» Tu désires, ô le plus grand des Bharatides, répandre autour de toi la majesté d’un tel sacrifice, eh bien ! que les ritouidjs célèbrent pour toi cette pieuse cérémonie, un sacrifice non moins grand ! 1937.

» Les rois viendront eux-mêmes par affection et pleins de respect t’apporter de grandes richesses et de royales parures. 1938.

Il Porter beaucoup d’envie au bien des autres est une conduite, qui n’a rien de noble, mon fils. L’homme, satisfait de ce qu’il a et ferme dans son devoir, augmente de plus en plus son bonheur. 1939.

» Ne pas tourner son attention sur les affaires des autres, sans cesse travailler avec ardeur à ses propres affaires, savoir conserver ce qu’on a acquis : telles sont les caractères de la grandeur. 1940.

» L’homme toujours actif, soigneux, habile, calme dans les infortunes, l’âme bien gouvernée, ne verra jamais que des choses heureuses. 1941.

» Ne te coupe pas les bras dans ces fils de Pândou, et que cette richesse de tes cousins ne te fasse pas nuire à tes amis. 1942.

» Ne hais pas dans ce moment les fils de Pândou ! La richesse de tes cousins est aussi la tienne. Nuire à ses amis est une grande faute, mon fils. Eux et toi ne sortez-vous pas des mêmes ayeux ? 1943.

» Inonde l’autel de tes richesses, satisfais tes plus chers désirs, folâtre sans peine d’esprit avec tes épouses, et ramène la paix dans ton cœur, auguste fils de Bharata. »

Douryodhana lui répondit :

« L’homme, qui n’a pas la science innée en lui et n’a fait qu’entendre beaucoup, ne connaît pas l’essence des Traités : il ressemble à celui, qui a pris dans une cuiller le goût des sauces. 1944-1945.

» Tu as de la science, sans doute ; mais tu me troubles, comme un bateau forcé de suivre les mouvements du navire, auquel il est amarré. Ta majesté n’aurait-elle pas de la haine pour moi en reconnaissance de l’attention, que j’ai pour ses affaires ? 1946.

» Ils sont mal guidés ces Dhritarâshtrides, de qui tu es le guide : ton affaire présente, tu l’appelles toujours une chose, qui se fera plus tard ! 1947.

» L’aveugle a besoin qu’un autre le mène ; il trouble la marche de l’homme, dont il se fait le conducteur. Comment pourraient-ils suivre sa route ceux, dont il prétend guider les pas ? 1948.

» Tu es dans la maturité de la science, tu consultes les savants, tu as subjugué tes organes des sens, et néanmoins, sire, tu déranges beaucoup notre chemin au milieu de nos affaires. 1949.

» La marche d’un roi, a dit Vrihaspati, est autre que la marche du monde : il faut donc qu’un roi pense toujours à son intérêt sans aucune négligence. 1950.

» La conduite attentive du kshatrya, puissant roi, a pour but la victoire. Vice ou vertu, tout est là : qu’est-il besoin d’un plus long examen dans sa conduite ? 1951.

» L’homme, qui veut enlever une fortune éclatante à son ennemi, frappe à tous les points de l’espace, éminent Bharatide, comme le cocher avec son aiguillon. 1952.

» Les hommes, qui possèdent la science des armes, appellent une arme entière et non un tronçon d’arme le moyen découvert ou caché, qui brise un ennemi. 1953.

» Ami ou ennemi, si l’un opprime l’autre, sire, on ne dit pas que c’est une image ou un alphabet, on l’appelle un ennemi ! 1954.

» Le mécontentement est ici la racine de la fortune, je le ferai donc naître. La politique, qui s’efforce d’atteindre à la grandeur, sire, est la meilleure. 1955.

» On ne doit mettre d’égoïsme, dira-t-on, ni dans la puissance, ni dans la richesse. Il en est, qui, enlevant aux fils le bien acquis par les ayeux, appellent ces conquêtes la vertu des rois. 1956.

» Quoiqu’il se fût lié avec Namoutchi parla promesse de ne lui faire aucun mal, Indra cependant lui trancha la tête ; et son action fut jugée la conduite éternelle envers un ennemi. 1957.

» De même que le serpent fait sa proie des animaux, qui vivent dans les trous, de même la terre dévore indistinctement ces deux classes d’hommes, le roi et le sujet, le brahme errant et celui qui ne sort pas de sa maison. 1958.

» L’ennemi d’un homme, puissant monarque, ne l’est pas de sa famille. Son ennemi est celui, et non pas un autre, entre qui et lui il y a ressemblance de vie. 1959.

» L’imprudent, s’il néglige les forces d’un ennemi, qui s’accroissent, le verra couper sa racine, comme une maladie, qui a fait des progrès. 1960.

» Un ennemi d’une petitesse infinie, qui s’augmente avec vigueur, est semblable à la fourmillière, née à la racine d’un chêne et qui dévore cet arbre, son voisin.

» Ne vois pas avec satisfaction, fils de Bharata, la prospérité d’Youddhishthira, mon ennemi ! La politique : voilà le fardeau, qui est mis sur la tête des hommes vigoureux ! 1961.

» L’homme, qui désire voir grandir sa puissance, comme grandit son corps depuis sa naissance, prélude à son accroissement au milieu de ses parents ; car de l’énergie soutenue vient le progrès. 1962.

» Si je n’obtiens pas la souveraineté des Pândouides, ma vie sera toujours en balance. Donc, ou je gagnerai sa couronne, ou je resterai mort sur le champ de bataille.

» À quoi bon maintenant la vie pour moi dans une telle condition, souverain des hommes ? Les progrès des fils de Pândou sont continuels, mais nos accroissements ne vont que d’un pas interrompu. » 1963-1964.

{1965}

« J’enlèverai par le jeu à Youddhishthira, le fils de Pândou, reprit Çakouni, cette fortune, dont la vue, ô le plus grand des victorieux, te consume d’envie. 1966.

» Invite donc au jeu ce fils de Kountî. L’homme, qui sait jeter les dés, peut vaincre à ce jeu les gens, qui ne savent pas les manier. 1967.

» Apprends, fils de Bharata, que ce jeu est mon arc ; que les dés sont mes flèches acérées ; apprends que la science des dés est ma corde d’arc, et le cornet[43] mon char de guerre. » 1968.

« Sire, ce prince habile aux dés, fit Douryodhana, peut enlever au jeu la fortune des fils de Pândou : veuille donc permettre le jeu. » 1969.

« Je suis, repartit Dhritarâshtra, soumis au conseil de mon frère le magnanime Vidoura ; je m’aboucherai avec lui et je saurai quel est son avis relativement à cette affaire. » 1970.

« Vidoura, c’est indubitable, en détournera ta pensée, répondit Douryodhana ; il soutient les intérêts des Pândouides ; il ne prend pas autant les miens, rejeton de Kourou. 1971.

» Un homme de sens n’entreprend jamais une affaire d’après le jugement d’autrui : il est impossible, auguste Kourouide, que deux hommes n’aient qu’une seule opinion sur la même affaire. 1972.

» Un lâche se sauve, quand il peut s’élever au-dessus de la crainte ; mais se montre-t-il mou comme l’herbe dans la saison des pluies, il succombe ! 1973.

» Ni les maladies, ni la mort ne demandent la santé ; c’est l’homme bien portant, qui, pendant qu’il vit, doit s’occuper de sa santé. » 1974.

« Mon fils, reprit Dhritarâshtra, il me déplaît souverainement d’engager une guerre avec des hommes puissants. La haine enfante le trouble de l’esprit ; et c’est là un trait bien aigu, quoiqu’il ne soit pas de fer. 1975.

» Fils de roi, tu as dans l’esprit une chose, qui est un malheur, le plus effroyable tissu, ouvrage de la querelle et d’où sortiront nécessairement les épées aiguës et les flèches. » 1976.

Douryodhana répondit :

« Les Pourânas autorisent le divertissement au jeu. Il n’y a point là de guerre ; il n’y a point là de mort ! Agrée la parole de Çakouni, et donne ici à l’instant même l’ordre de construire une salle ! 1977.

» Jouons la porte du Paradis ; c’est ce qu’il y a pour nous de plus distingué : c’est un jeu, qui sied aux personnes d’un tel rang. De cette manière le jeu sera digne de toi-même : établis sur ce pied les enjeux avec les fils de Pândou. » 1978.

« Je suis loin d’approuver les paroles, que tu viens de prononcer, fit Dhritarâshtra ; mais soit fait comme il te plaît ! Dans la suite, tu te repentiras de n’avoir pas suivi mon conseil ; car de telles paroles ne doivent pas être honnêtes. 1979.

» Le sage Vidoura, qui est toujours accompagné de la réflexion et de la science, a prévu tout cela, un grand danger, qui détruira, ce qui doit nécessairement arriver, les existences des kshatryas. » 1980.

À ces mots, Dhritarâshtra, le sage roi, de qui le Destin avait troublé l’âme, cédant à la parole de son fils et persuadé que le Destin est une puissance supérieure, insurmontable, adressa d’une voix haute cet ordre à ses officiers :

« Que des ouvriers attentifs me construisent sans tarder un palais sublime, vaste, couvrant de sa grandeur la mesure d’un kroça, aux cent portes, aux mille colonnes, aux ornements de lapis-lazuli et d’or, qui sera dit le Palais aux arcades de crystal. » 1981-1982.

À sa voix, des ouvriers attentifs, adroits, savants, par milliers, se hâtent, sans balancer, de bâtir ce palais et réunissent toutes les richesses dans sa construction.

Un long espace de temps ne s’était pas encore écoulé que déjà ces illustres artisans annonçaient au monarque le complet achèvement de cet édifice ravissant, admirable, orné de mainte et mainte pierrerie, meublé de sièges d’or en des formes variées. 1983-1984.

Ensuite Dhritarâshtra, le docte souverain, tint ce langage à Vidoura, le premier de ses ministres : « Va trouver le prince Youddhishthira, et amène-le promptement ici, en lui disant de ma part. 1985.

» Viens avec tes frères contempler ce palais admirable, où les pierres fines abondent, garni des lits et des sièges les plus riches. Qu’on engage là un jeu entre amis ! »

Telle fut, reprit Vaîçampâyana, telle fut, sire, la conduite du roi Dhristarâshtra, après qu’il eut connu la volonté de son fils et l’eut jugée irrévocable. 1986-1987.

À ces paroles si peu dignes, Vidoura, le plus sage des hommes sages, ne loua pas ce langage de son frère et lui parla en ces termes : 1988.

« Sire, je ne me félicite pas de cette mission : ne suis pas cette roule ; je crains qu’elle ne mène à la ruine de notre famille. Le jeu amènera certainement des querelles par la désunion de tes fils et de tes neveux : je m’en défie, souverain des hommes, n 1989.

« Il n’y aura pas de querelle ici, Kshattri, si le Destin, répondit l’aveugle Dhritarâshtra, ne m’est pas contraire. Ce monde n’est pas indépendant ; il est soumis tout entier au Destin, qui obéit au Créateur. 1990.

» Va donc à l’instant sur mon ordre chez le roi Youddhishthira, et fais venir promptement ici l’inaffrontable fils de Kountî. » 1991.

Alors Vidoura, malgré lui, contraint par les ordres de Dhritarâshtra, s’en alla, porté sur des chevaux vigoureux, bien dressés, d’une bonne race, d’une grande vitesse, trouver les sages fils de Pândou. 1992.

Quand il eut mesuré la carrière de son voyage, le prince à la vaste intelligence arriva et, honoré par les brahmes, entra dans la ville du monarque. 1993.

Il porta ses pas vers le palais du roi, semblable au château de Kouvéra, et le vertueux messager fut introduit en présence de cet Youddhishthira, le fils d’Yama. 1994.

Dès que le royal ami d’Adja, le prince sans ennemis, à la fermeté sure, à la grande âme, l’eut accueilli, en commençant par le combler des honneurs exigés par l’étiquette, il interrogea l’envoyé sur Dhritarâshtra et son fils. 1995.

« On entrevoit du chagrin dans ton âme, lui dit Youddhishthira ; as-tu fait un heureux voyage, Kshattri ? Les fils de mon vénérable oncle suivent-ils bien le devoir ? Ses peuples sont-ils bien soumis à ses ordres ? » 1996.

« Le magnanime roi jouit d’une bonne santé avec ses fils, répondit Vidoura : sur le trône, où il est environné de sa famille, il ressemble à Indra ; il est content, sire, des vertus de ses fils ; il est modeste, libre de soucis, et trouve son bonheur dans son âme, toujours inébranlable.

« Mais, après qu’il s’est informé si ta santé est bonne et tes affaires en cours inaltérable de prospérité, le roi des Kourouides t’envoie ces paroles : « J’ai un palais semblable au tien pour les formes ; viens le voir avec tes frères ! » C’est ainsi qu’il te parle, mon fils. 1997-1998.

« Arrivé avec tes frères, dans ma cour, fils de Prithâ, a-t-il ajouté, qu’on s’y amuse, qu’on y joue un jeu d’amis ! Tous les Kourouides et moi, rassemblés dans ce palais, nous serons heureux de vous y vwr réunis à nous. » 1999.

« Dhritarâshtra, le magnanime souverain a déjà disposé là ses enjeux. Tu y verras les joueurs, qui vous attendent. C’est pour cela que je suis venu, monarque des hommes : accueille mes paroles. » 2000.

« Kshattri, le jeu renferme des querelles, dit Youddhishthira. Qui de nous, s’il réfléchit, peut approuver le jeu ? Qu’en pense de convenable ton excellence ? Nous sommes tous soumis à la parole de ton altesse. » 2001.

« Je sais, repartit Vidoura, que le jeu est la racine du mal ; je me suis efforcé de l’empêcher. Mais le roi m’a envoyé en ta présence ; tu as entendu ses paroles : c’est à toi dans ta science de prendre ici le plus sage parti. »

« Qui sont les joueurs, qui jouent là, sans parler des fils du roi Dhritarâshtra ? s’enquit Youddhishthira. Réponds à ma question, Vidoura ; dis-moi qui sont les partenaires, rassemblés par centaines, contre lesquels nous aurions à tenir le jeu. » 2002-203.

« Ce sont, puissant monarque, lui répondit Vidoura, Çakouni, le souverain du Gândhâra, le roi Atidévi, Kritahasta, Matâksha, Vivinçati, Tchitraséna, le roi Satyavrata, Pouroumitra et Djaya. » 2004.

« Ce sont de redoutables joueurs ! fit Youddhishthira. Il y a là des joueurs très-habiles, armés de ruses fascinantes ! mais ce monde n’est pas indépendant ; il est soumit tout entier au sort, qui a reçu du Créateur ses instructions ! 2005.

» Je veux aller à ce jeu, poète, suivant l’ordre du roi Dhritarâshtra ; car un fils obéit toujours à son père. Je ferai donc, Vidoura, ce que tu m’as dit. 2006.

» Je ferai volontiers une partie de dés avec Çakouni, s’il me provoque dans l’assemblée, ce prince habitué à vaincre ; car, quand on me défie, je ne recule jamais : c’est là mon éternelle et bonne résolution ! » 2007.

Quand il eut ainsi parlé à Vidoura, Dharmarâdja de commander à la hâte tous ses préparatifs de départ. Dès le lendemain il se mit en route avec son monde, avec son escorte, avec ses femmes, Draâupadî et les autres. 2008.

« Car le Destin vous dérobe l’intelligence, comme le rayon du soleil, tombant sur les yeux, vous ôte la vision ; et l’homme suit la volonté du sort, comme si la Destinée l’entraînait lié avec des cordes ! » 2009.

À ces mots, le roi Youddhishthira de s’acheminer avec Kshattri : dompteur de l’ennemi, il était incapable de résister à son défi. 2010.

Le fils de Pândou et de Prithâ, l’immolateur des héros ennemis, s’avançait, environné de ses frères, monté sur un char, que traînait un attelage des chevaux du Balkhan. Il s’avançait, précédé des brahmes, et tout flamboyant d’une pompe royale, vers le lieu où l’appelaient et l’invitation de Dhritarâshtra et la volonté du Destin ! 2011-2012.

Arrivé sous les murs de Hastinapoura, il se rendit au palais de Dhritarâshtra, et le vertueux Pândouide se vit enfin en présence du monarque aveugle. 2013.

Là, suivant les convenances, l’auguste invité approcha de Bhishma, de Drona, de Karna, de Kripa et d’Açvatthaman^, le fils de Drona. 2014.

Le vigoureux héros aux longs bras se présenta devant Somadatta, Douryodhana, Çalya, et le fils de Soubala,

Et les autres souverains, qui s’étaient déjà rassemblés dans ce riche palais, le vaillant Douççâsana avec tous ses frères, Djayadratha et les princes nés de Kourou, sans exception. Ensuite le puissant monarque, environné de tous ses frères, entra dans le palais du sage roi Dhritarâshtra. Il vit là, entourée de ses brus, la chaste reine Gândhârî, telle que Rohinî environné de sa cour éternelle d’étoiles. 2015-2016-2017-2018-2019.

Après qu’il eut salué Gândhârî et qu’elle eut échangé avec lui ses compliments, il vit le vieux monarque, son oncle, aveugle, qui avait les yeux de la science. 2020.

Le roi baisa sur la tête les quatre fils de Pândou, le Kourouide, qui se présentèrent devant lui, sire, Bhîmaséna marchant à la tête. 2021.

La joie naquit au cœur des enfants de Kourou, puissant monarque, alors qu’ils eurent vu ces héros Pândouides à l’aspect si aimable. 2022.

Avec le congé du roi, ceux-ci entrent dans leurs appartements de pierreries et viennent s’offrir aux yeux de leurs femmes, dont la première est Draâupadî. 2023.

Quand les brus de l’auguste Dhritarâshtra virent la richesse incomparable et comme flamboyante de cette Yajnasénî, elles n’en eurent pas l’âme extrêmement satisfaite. 2024.

Aussitôt que les princes eurent goûté la vue de leurs femmes, qu’ils se furent occupés des choses, que précède la peine du travail, qu’ils eurent fait leur toilette et que, l’âme dans une disposition sainte, ils eurent fait prononcer aux brahmes les prières, alors, ayant vaqué aux soins journaliers, ayant savouré une délicieuse nourriture, tous.

parfumés d’un sandal céleste, ils entrèrent dans leurs chambres à coucher et s’endormirent aux chansons des femmes. Une joie immédiate à ces choses berça l’âme de ces héroïques Kourouides, vainqueurs des cités ennemies. 2025-2026-2027.

La sainte nuit s’écoula pour eux dans les amusements de la volupté. Délassés, et l’heure convenable arrivée, ils sortirent du sommeil aux chants élogieux des bardes. Après qu’ils eurent passé agréablement cette nuit et qu’ils eurent vaqué tous aux prières quotidiennes, ils se rendirent à la ravissante salle de jeu, où ils furent complimentés par les joueurs. 2028-2029.

Entrés là, les fils de Kouniî, que précédait Youddhishthira, s’approchent de tous les princes et honorent ceux, qui méritaient l’honneur. 2030.

Les optimates rassemblés prirent place, suivant leur âge, suivant leur dignité, sur des sièges purs, couverts des tapis les plus dignes d’exciter l’envie. 2031.

Au milieu de tous les rois assis là, Çakouni le Soubalide adresse alors ces paroles à Youddhishthira : 2032.

« La salle est disposée et tous, sire, nous n’attendons plus que ton moment : convenons d’une loi pour le jeu avant de jeter les dés, Youddhishthira. » 2033.

« La tricherie est un jeu coupable, répondit Youddhishthira ; il n’y a rien là, qui sente le courage du kshatrya ; il n’y a pas de vérité dans une telle conduite : pourquoi parles-tu de jouer ? 2034.

» Il n’y a point à vanter l’audace du joueur dans la tricherie : ne songe pas à nous vaincre, Çakouni, dans une impasse, comme un brigand ! » 2086.

« Le joueur, qui sait porter, reprit Çakouni, sa réflexion sur la tricherie, qui a la connaissance des règles, qui n’est pas troublé dans les coups, que font naître les dés, est un homme d’une vaste intelligence : celui, qui sait le jeu, est capable de tout supporter dans les fonctions de la royauté. 2036.

» Avec le jeu des dés, on peut triompher d’un ennemi ! Nous ne sommes coupables de rien ici, fils de Prithâ. Jouons, prince ; n’y mets pas d’hésitation ! Propose ton enjeu ; ne tarde pas davantage ! » 2037.

Youddhishthira lui répondit :

« Le célèbre Asita-Dévala, le plus saint des anachorètes, qui sans cesse parcourt ces portes du monde, a parlé de cette manière : 2038.

« Le jeu avec tricherie est un crime à l’égard de ses partenaire. On peut aimer la victoire dans im combat loyal ; mais ce qui est autre chose n’est pas jeu ! 2039.

» Les Aryas ne font pas de barbarisme, quand ils parlent ; il n’agissent pas en fascinant les yeux. Un combat droit, honnête, c’est ie devoir d’un homme de bien ! »

» Nos efforts ont pour but de nous procurer les moyens de faire aux brahmes le plus de largesses qu’il nous est possible. Ainsi, puisses-tu ne pas nous gagner ces richesses, Çakouni, par les plus grands et les plus forts des jeux ! 2040-2041.

» Je n’aime ni les plaisirs, ni les richesses avec la tricherie : l’habitude de tricher n’est pas honorée dans un joueur ! » 2042.

Çakouni lui répondit :

» Le brahme instruit vient trouver les brahmes instruits, Youddhishthira, avec le désir de remporter une victoire ; le savant se rend chez les ignorants, et ce n’est point appelé de la tricherie. 2043.

» L’homme expert s’approche des inexpérimentés dans l’intention de les battre avec les dés, dont il a acquis la science ; et cela, Youddhishthira, n’est point appelé de la tricherie. 2044.

» Tel, qui sait les armes, combat avec tel, qui ne les a point apprises ; un plus fort avec un plus faible : il en est ainsi dans toutes choses, Youddhishthira : on s’y engage avec la volonté de vaincre, 2045.

» C’est ainsi que tu es venu me trouver toi-même ici. Penses-tu qu’il y a de la tricherie ? Retire-toi du jeu, si tu as peur ! » 2040.

« Quand on me défie, reprit Youddhishthira, je ne dois pas me retirer : c’est là ma ferme résolution. Le Destin, est fort, sire, et mon sort dépend de sa puissance. 2047.

» Dans cet état des choses, avec quel enjeu tiendrai-je la partie ? Quel autre opposera-t-on au mien ? cela réglé, marche le jeu ! » 2048.

Douryodhana répondit :

« C’est moi, sire, qui donne les pierreries et l’or : Çakouni, mon oncle, tient le jeu pour moi ! » 2049.

« La chance de l’un n’est pas égale, reprit Youddhishthira, à celle de l’autre. Tu le sais ; si tu acceptes l’arrangement, volontiers ! Commençons le jeu ! » 2050.

Le jeu approuvé de cette manière, tous les rois entrèrent dans la salle, Dhritarâshtra marchant à leur tête.

Bhîshma, Drona, Kripa et Vidoura à la grande sagesse le suivaient d’une âme peu satisfaite, rejeton de Bharata. 2051-2052.

Des officiers à l’encolure de lion, à la grande force, leur distribuent individuellement ou deux à deux un grand nombre de trônes admirables à voir. 2058. La splendide réunion de ces rois illuminait alors ce palais comme l’assemblée des plus grands Dieux répand sa lumière dans le ciel d’Indra. 2054.

Tous, ils étaient versés dans les Védas ; tous, ils étaient des héros ; tous, ils avaient des corps radieux. Aussitôt l’entrée de ces princes, commença le jeu appelé d’amis.

« Voici une grande richesse, sire, qui a pris sa naissance dans les gouffres de la mer, dit Youddhishthira : une pierre de prix, un fil de perles sans égal, ravissant, une parure d’or, qui n’a pas sa pareille. 2055-2056.

» C’est mon enjeu, sire ! Quel est le tien, d’une telle opulence, que tu puisses, grand roi, tenir la partie contre moi ? » 2057.

« J’ai des pierreries et des trésors en bien grande quantité, répondit Souyodhana. Mon désir n’est pas dans les richesses : gagne cet enjeu ! » 2058.

Alors Çakouni prend les dés, dont il connaissait la nature, les jette et dit à Youddhishthira : « Tu as perdu ! »

« Quel jeu dois-je, fit Youddhishthira, jouer pour te gagner l’enjeu, Çakouni ? Eh bien ! jouons, en jetant les dés pour l’un ou l’autre tour à tour ! 2059-2060.

» J’ai des coursiers verts, luisants, qui valent chacun mille nishkas d’or ; j’ai un trésor, de l’or inépuisable, de l’or en bien grande quantité. Je suis maître de cette richesse ; je la joue contre toi, sire ! » 2061.

Les dés jetés, Çakouni dit encore au monarque Atchyouta, l’ainé des fils de Pândou, le propagateur de la race des Kourouides ; « Tu as perdu ! » 2062.

« Voici un char de roi, qui nous a portés ici, repartit Youddhishthira, char saint, fortuné, bien construit, le plus excellent des chars et nommé le Victorieux ; char égal à mille, roulant sur de belles roues, enguirlandé avec des multitudes de clochettes, couvert avec la peau des tigres et résonnant avec un bruit semblable au tonnerre ou au fracas des mers. 2063-2064.

» Il est attelé de huit chevaux généreux, estimés un royaume et pareils en couleur au lotus blanc. Impossible de mettre en liberté l’un d’eux, s’il touche du pied la terre : qu’on ne s’aventure pas à leur ôter le frein ! Je suis maître d’une telle richesse : « Je la joue contre toi, sire ! » 2065.

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés, et lui dit : « Tu as perdu ! » 2066.

« J’ai cent mille servantes, jeunes, ravissantes comme l’or, bien parées, fit alors Youddhishthira, portant des bracelets au-dessus du coude et à la naissance du poignet, des colliers au cou et des nishkas sur la poitrine ;

» Richement vêtues, arrosées de sandal, embellies de pierres fines et d’or, avec des ornements et des guirlandes de grand prix, habiles dans les soixante-six arts et métiers.

» Instruites dans le chant et la danse, elles font à mes ordres le service auprès des maîtres de maison initiés, des Immortels et des rois. Je possède une telle richesse : eh bien ! sire, je la joue contre toi ! » 2067-2068-2069.

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! » 2070.

« J’ai, fit Youddhishthira, autant de mille serviteurs jeunes, revêtus de manteaux avec des pendeloques étincelantes, polis, savants, réguliers, soumis, intelligents, qui portent sans cesse des plats à la main et nourrissent jour et nuit mes hôtes. Je suis le maître de cette richesse, et je la joue contre toi ! » 2071-2072-2073.

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit ; « Tu as perdu ! » 2074.

« J’ai par nombre de milliers, fils de Soubala, reprit Youddhishthira, des éléphants, toujours dans l’ivresse, ornés de houppes et peints de brillantes couleurs, aux licous d’or, aux guirlandes d’or, aux grands corps, aux défenses longues comme le manche d’une charrue, parfaitement domptés, capables de supporter tous les bruits dans une bataille, et tous dignes de porter un souverain : chacun est accompagné de huit éléphantes : tous d’une force à briser des villes, colosses pareils aux nuages nouveaux ! Je suis maître de cette richesse : je la joue contre toi ! » 2075-2076-2077.

Il dit ; Çakouni, à peine eut-il ainsi parlé, jette les dés et, d’un air moqueur, le fils de Soubala dit au fils de Prithâ : « Tu as perdu ! » 2078.

Youddhishthira de continuer :

« J’ai autant de chars aux timons d’or, aux flottants étendards, attelés de chevaux bien dressés ; des guerriers habitués à combattre sur des chars et différents hommes d’armes les défendent. 2079.

» Chacun d’eux reçoit une solde, qui n’est pas inférieure à mille autres. Qu’il soit eu guerre ou en paix, il obtient la paye due pour le temps du mois ! 2080.

» Je suis maitre de cette richesse : je la joue contre toi, sire ! » 2081.

Il dit ; et l’impitoyable Çakouni, ferme dans sa haine, à peine eut-il ainsi parlé, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! » 2082.

Mais Youddhisthira de continuer : « J’ai des chevaux Gandharvains, aux guirlandes d’or, tachetés comme les perdrix. Tchitraratha satisfait me les a donnés en reconnaissance du service, qu’il avait reçu de l’arc Gândîva dans une guerre, où ce héros était vaincu et presque déjà tué. Je suis maître de cette richesse : je la joue contre toi, sire ! » 2083-2084.

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! » 2085.

Mais Youddhishthira de continuer :

« Il me reste des myriades de voitures et de chariots excellents, attelés de chevaux, grands et petits, accouplés suivant les différentes couleurs du pelage. J’ai pour les soigner des hommes, très-contents de leur condition, au nombre de soixante mille, tous ayant le courage des héros, tous offrant de larges poitrines, s’abreuvant de lait et mangeant les grains du froment et du riz. 2086-2087-2088.

» Je suis maître de cette richesse ; je la joue contre toi, sire ! » 2089.

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! » 2090.

Mais Youddhishthira de continuer :

« J’ai quatre cents coffres-forts entourés de cuivre et de fer : chacun d’eux contient, fils de Bharata, cinq dronas d’un or pur, d’un or à vingt-quatre carats, inappréciable. Je suis maître de cette richesse : je la joue contre toi sire ! » 2091-2092.

À ces mots Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! » 2093.

Tandis que cet épouvantable jeu continuait ainsi, dépouillant Youddhishthira de toutes ses richesses, Vidoura, qui lève toutes les incertitudes, tînt à Dhritarâshtra ce langage :

« Grand roi, écoute ce que je vais te dire, enfant de Bharata, quoique ma parole ne puisse te plaire, comme le remède à l’homme, qui veut mourir. 2094-2095.

» Ce Douryodhana à l’âme scélérate, qui jadis à peine né, poussa comme un chacal des cris discordants, ce destructeur de la race des Bharathides est la cause, qui précipite vos majestés à la mort. 2096.

» Ton délire t’empêche de voir qu’un chacal sous la forme de Douryodhana habite dans ce palais. Écoute ma parole sage ! 2097.

» L’homme enivré de liqueurs ne s’aperçoit pas du précipice : à peine monté, il tombe et sa chûte l’en avertit.

» Tel celui, qu’enivre le jeu de dés, comme une liqueur, n’examine pas avec soin ; il s’est mis en guerre avec des héros et ne voit point à ses côtés le précipice. 2098.

» J’ai appris, héros à la grande science, que jadis, aimant à faire le bien des habitants de sa ville capitale, un roi chez les Bhodjas avait abandonné son fils, nommé Asamandjas. 2099,

» Les Andhakas, les Yadavas et les Bhodjas de concert ont eux-mêmes abandouné Kansa. Alors que, pour obéir au Destin, Krishna, l’exterminateur des ennemis, eut immolé ce tyran, tous nos parents ont goûté par sa mort cent années de bonheur. Commande ainsi à l’Ambidextre de réprimer Souyodhana. 2100-2101.

» Que son châtiment assure le bonheur des enfants de Kourou ! Achète ces beaux paons avec un corbeau, ces tigres avec un chacal, et ne plonge pas ces fils de Pândou dans un océan de chagrins ! 2102.

« Celui, qui sût tout, qui a pénétré la nature de tout, qui imprime la terreur à tous ses ennemis, sacrifiera un homme au salut d’une famille, une famille au salut d’un village, un village au salut d’une province et la terre au salut de son âme ! » Ainsi parlait Kâvya aux plus grands des Asouras pour leur faire abandonner Djambha.

» Certains oiseaux, habitants des bois, étaient venus se nicher dans le palais d’un roi : leur bec crachait de l’or ; mais ce roi, qui avait besoin d’or, aveuglé par le désir d’une prompte jouissance, les étouffa, puissant monarque, et tua ainsi d’un seul coup chez lui et le présent et l’avenir <ref>Je ne puis m’empêcher de signaler ici l’origine de cette petite fable : la Poule aux œufs d’or.<ref> ! Que l’amour des richesses, ô le plus vertueux des Kourouides, ne te pousse donc pas à faire du mal aux Pândouides. 2103-2104-2105-2106.

» Insensé, tu en aurais ensuite du regret, comme ce roi, qui tua les oiseaux. Ne te lasse pas de les traiter avec amour, comme le jardinier fait de son parterre ; reçois des Pândouides chaque fleur, qui naît, fils de Bharata ; et ne les brûle pas, comme un charbonnier les arbres avec les racines mêmes ! 2107-2108.

» Ne te plonge pas, sire, dans les demeures d’Yama avec tes fils, avec tes ministres, avec ton armée ! En effet, qui peut résister en bataille aux Pândouides réunis, fût-il même le roi des Vents en personne, accompagné de ses Maroutes ? 2109.

» Si le jeu est la racine de la querelle ; s’il tend à diviser les hommes, ce fils de Dhritarâshtra fait naître en ce moment le danger d’une grande désunion ; Dhouryodbana jette ici les semences d’une guerre épouvantable.

» Les Bhîshmas, les fils de Çântanou, les Bhîmasénas et les Vâhlikas seront tous plongés dans la peine grâce à la faute de Douryodhana. 2110-2111.

» Ce prince dans son orgueil enlève au royaume le bonheur, comme un taureau, qui, dans sa fureur, brise lui-même sa corne ! 2112.

» Le héros, le poète, qui, méprisant les yeux de son esprit, ne suit que la pensée d’un autre, tombe dans un affreux malheur, comme l’imprudent, qui s’embarque sur la mer dans un navire conduit par un enfant. 2113.

» Douryodhana joue aux dés avec le fils de Pândou, et tu t’en réjouis : « Il a gagné ! » dis-tu. Un amusement devient une guerre, d’où sortira la destruction des hommes ! 2114.

» Ton jeu de dés à toi, c’est la méditation, qui a pour sa racine le conseil et dont le fruit développé dans ton cœur est mûr et bon à cueillir ; mais tu approuves, sans y penser, une rixe avec ton neveu Youddhishthira. 2116.

» Enlants de Pratipa et de Çântanou, écoutez une parole sage, prononcée dans l’assemblée des rejetons de Kourou, et vous n’irez pas, suivant un insensé, vous précipiter dans un feu allumé aux flammes épouvantables !

» Alors qu’Adjâtaçatrou, le fils de Pândou, contenu maintenant par l’ivresse du jeu, alors que Ventre-de-loup, l’Ambidextre et les deux jumeaux lâcheront la bride à leur colère, en quelle île vous refugieriez-vous dans cette mêlée tumultueuse ? 2116-2117.

« Grand roi, tu fus jadis l’origine des richesses : si les dés sont maintenant le désir de ton cœur, si tu veux gagner les grandes richesses des Pândouides, triomphe ! Mais que te serviront ces biens, quand, tu auras aliéné de toi les fils de Prithâ ? 2118.

» Nous connaissons l’adresse au jeu du fils de Soubala : ce montagnard sait les tricheries, qu’on peut faire avec les dés. Que Çakouni s’en retourne au pays, d’où il est venu ! Rejeton de Bharata, n’attaque pas les fils de Pândou ! » 2119.

Douryodhana lui répondit en ces termes :

« Toujours méprisant les Dhritarâshtrides, la renommée de leurs ennemis fait toujours ta gloire. Kshattri, nous savons ce qui t’agrée, Vidoura, nous, que tu dédaignes sans cesse comme des enfants. 2121.

» L’homme, qui mêle le blâme dans la louange, fait voir ainsi qu’il a placé ailleurs son affection : ta langue met en évidence ton esprit, ton cœur, et montre l’opposition de ton âme contre ce qui vaut mieux qu’elle ! 2122.

» Tu es dangereux comme un serpent, qu’on réchauffe dans son sein ; tu ravis au royaume sa nourriture comme un chat ! Il n’y a pas de crime plus grand, dit-on, que le fratricide<ref>Le texte écrit bhartri, un époux. Il nous semble que la raison ici demande bhrâtri, c’est-à-dire, un frère.<ref>. Pourquoi, Kshattri, ne recules-tu pas devant le crime ? 2123.

» La victoire sur les ennemis est toujours accompagnée d’un grand fruit : ainsi, ne verse pas sur nous ces injures ! Tu brûles, Kshattri, de t’associer avec nos ennemis, et mainte fois déjà ton délire t’a poussé à la haine de nous.

» L’homme, qui jette des paroles mal-séantes est passé en secret à l’inimitié ; il couvre ce mystère sous les éloges des ennemis. Tu en es là, homme sans pudeur ! Pourquoi sèmes-tu ici le trouble, si tu désires ce dont tu parles. 2124-2125.

» Ne nous méprise pas ; nous savons quelle est ta pensée. Que la présence des sages t’enseigne la sagesse. Conserve la renommée, que tu as obtenue, Vidoura, et ne le mêle pas dans les affaires des autres. 2126.

» Tu aimes à dire, Vidoura : « C’est moi, qui ai fait telle ou telle chose ! » Ne nous méprise pas, ne nous adresse pas continuellement des paroles amères. Je ne le demande pas si une heureuse fortune m’est ici assurée ; mais cesse de vexer, Kshattri, des hommes, que tu as trouvés patients jusqu’ici ! 2127.

» Il n’y a qu’un seul roi ; il n’y a pas un second roi avec lui ; le roi veille sur l’homme endormi dans son sein. Enseigné par lui, je suis naturellement ses ordres, comme l’eau son penchant. 2128.

» L’intelligence d’un homme, qui nourrit de sa main un serpent, et veut fendre avec sa tête une montagne, donne la direction aux affaires ! Celui, qui veut ici régner de force, doit à cette volonté d’acquérir un ennemi !

» Que le sage pardonne à l’homme, qui vient à des sentiments d’amitié ; mais que l’incendiaire, s’il ne court pas long-temps à l’encontre du feu pour l’éteindre, soit consumé par ces flammes, qu’il a allumées, sans qu’il reste aucune chose de lui, fils de Bharata, pas même de la cendre ! 2129-2130.

» Le sage ne donnera pas, Kshattri, l’hospitalité chez lui à l’homme abject, méchant, surtout s’il est son ennemi.

Va-t-en où tu veux aller, Vidoura ! En vain flattez-vous la femme sans vertu, elle vous abandonne ! » 2131.

» L’amitié des gens, qui repoussent un homme de cette manière, est renfermée, avoue-le, sire, en d’étroites limites, répondit Vidoura. Certes ! les pensées bouleversées des rois font tuer, avec des massues, les mêmes hommes, à qui elles ont prodigué les caresses. 2132.

» Tu penses, fils de roi, n’être plus un enfant, « Suis-je donc un enfant ? » dis-tu, tête sans jugement. Celui, qui met d’abord un homme dans son amitié et qui ensuite ne voit plus en lui qu’un être dépravé, est un enfant ! 2133.

» On ne peut conduire un esprit sans réflexion au salut, de même qu’une femme sans mœurs dans la maison d’un brahme saint. Le raisonnement déplait à ce noble enfant de Bharata, comme une jeune fille n’aime pas un époux de soixante ans. 2134.

» Si tu désires n’entendre jamais dire que des choses agréables sur toutes les affaires, bonnes ou mauvaises, ne consulte que des femmes, des boiteux d’esprit, des idiots et tous êtres semblables. 2135.

» On reçoit volontiers un méchant, agréable diseur de choses très-aimables ; ne sait-il dire que des choses utiles, mais qui déplaisent, l’homme trouve difficilement un auditeur. 2136.

» L’homme, qui prenant pour son but le devoir, applique son esprit à ce qui peut servir ou desservir son maitre, et ne craint pas de porter aux oreilles des choses qui déplaisent, si elles sont utiles, est le fidèle ami du roi.

» Une parole vient du blâme ; elle vous ôte la gloire, mais elle est salutaire ; les méchants ne veulent pas boire ce breuvage nauséabond, âcre, brûlant, amer ; il ne peut être bu que par les bons ; étouffe, grand roi, ta colère ; et bois-le ! 2138.

» Je désire, à Dhritarâshtra et son fils, une gloire éternelle et des richesses sans fin. Que l’hommage te soit rendu, comme il t’est justement dû ! Puisse le bonheur nous sourire, à toi et à moi ! Daignent les brahmes nous le procurer ! » 2139.

» Le sage n’irritera point les serpents, dont les yeux dardent le poison ! Je te parle ainsi dans mon dévouement pour toi, digne enfant de Kourou. » 2140.

« Youddhishthira, dit alors Çakouni, tu as perdu les immenses richesses des fils de Pândou. Dis s’il te reste encore, fils de Kountî, un bien, qu’on ne t’ait pas gagné, » 2141.

« La richesse, qui me reste encore, Soubalide, est incalculable, répondit Youddhisthira ; mais pourquoi, Çakouni, cette demande sur mes richesses ? 2142.

» Qu’on joue ici une dixaine de mille, un million, dix millions, cent millions, une myriade de millions, cent mille millions, un milliard, un nikharva, cent billions, un madhya, un parârdha et même au-dessus : je suis maître de cette richesse ; je la joue, sire, contre toi ! »

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! » 2143-2144-1145.

Youddhishthira de continuer :

« Mes haras de chevaux, mes étables de bœufs et de taureaux, mes parcs tout remplis de vaches laitières, mes chèvres, mes brebis, mes bestiaux enfin, quels qu’ils soient, fils de Soubala, paissant le long de la Parnâçâ, à l’orient du Sindhou. Cette richesse entièrement à moi, je la joue contre toi ! » 2146.

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit ; « Tu as perdu ! » 2147.

Youddhishthira de continuer :

« Ma capitale, le royaume, la terre avec les richesses des brahmes, mes sujets, depuis l’esclave jusqu’au brahmane, cette fortune, qui me reste encore et dont je suis bien le maître, sire, je la joue contre toil » 2148.

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! » 2149.

Youddhishthira de continuer ;

« Ces pendeloques, ces nishkas, toutes ces royales parures, dont resplendissent, ornés ces fils de roi, mes frères, cette richesse, elle m’appartient, je la joue, sire, contre toi ! » 2150.

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! » 2151.

« Voici Nakoula au teint d’azur, aux yeux dorés, aux épaules de lion, aux longs bras, fit Youddhishthira : lui seul, sache-le, c’est encore là une immense richesse, que je puis mettre à l’enjeu. » 2152.

« Nakoula est ton ami, sire, il est né d’un roi, s’il passe dans nos domaines, reprit Çakouni, que te restera-t-il à jouer, Youddhishthira ? » 2163.

Ce disant, il jette les dés, compte les points et lui dit : « Tu as perdu ! » 2164.

Youddhishthira de continuer ;

« Voici Sahadéva, qui enseigne les vertus dans ce monde, où il est parvenu au titre de pandit : je le joue contre loi, comme s’il m’était odieux, ce frère, que j’aime et qui ne mérite pas de subir les chances d’un enjeu ! »

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! » 2155-2156.

« Sire, observa le Soubalide ; je t’ai gagné ces deux fils de Mâdrî ; mais Bhîmaséna et Dhanandjaya sont, je pense, d’un plus grand poids à tes yeux. » 2157.

Youddhishthira lui répondit :

« Tu suis la voie de l’injustice, sans doute, puisque tu détournes tes yeux des convenances, toi, imprudent, qui veux semer la division entre nous, dont les cœurs sont parfaitement unis. » 2158.

» L’homme ivre tombe dans un trou ; l’homme, qui marche étourdiment, heurte l’homme, qui se tient immobile, repartit Çakouni. Tu es l’aîné, sire, et le plus grand de tes frères : hommage à toi, prince des Bharatides ! 2159.

» Les joueurs voient en songe, tels que des gens ivres, et non comme s’ils étaient éveillés, Youddhishthira, les choses, dont ils gémissent, quand ils jouent, » 2160.

« Voici le resplendissant fils de roi, Phâlgouna, le vainqueur des ennemis, celui qui, dans une bataille, nous conduit à sa rive ultérieure, comme un navire ! lui dit Youddhishthira. Je mets pour mon enjeu contre le tien ce héros du monde, qui ne mérite pas ce traitement. » 2161.

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! 2162.

» Ah ! ah ! j’ai gagné l’archer des Pândouides, l’ambidextre fils de Pândou ! Joue ton cher Bhimaséna, sire, il te reste encore à jouer ! » 2163.

Youddhishthira lui répondit :

« Le magnanime Bhimaséna aux épaules de lion, au regard de travers, aux sourcils flexueux, le meurtrier des ennemis, le premier des hommes, qui portent la massue, guerrier unique et tel que l’ennemi des Dânavas, le Dieu, qui tient la foudre, il n’existe pas un homme qui lui soit égal en force : il est dans les combats notre guide et notre conducteur. Eh bien ! je le joue contre toi, sire, ce fils de roi, qui ne mérite pas d’être un enjeu ! » 2164-2165.

À ces mots, Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! » 2166.

» Fils de Kountî, ajouta le vainqueur, tu as perdu une richesse immense, tes chevaux, tes éléphants et tes frères, dis s’il te reste encore quelque chose à perdre. » 2167.

« Je reste seul de tous mes frères, et, blessé, vaincu, répondit Youddhishthira, je t’offre moi-même pour enjeu ma personne bien maltraitée. » 2168.

À ces mots Çakouni, résolu dans sa mauvaise foi, s’aide encore de la tricherie, jette les dés et lui dit : « Tu as perdu ! 2169.

» Tu as fait une très-mauvaise chose, quand tu ajoutas à tes pertes celle de ta personne. La perte de soi-même, sire, est une faute ; car la liberté est une richesse, qui reste encore à celui qui perd tout. » 2170.

Après ces paroles, l’homme instruit à manier les dés dit à chacun des rois : « J’ai conquis au jeu tous les héros du monde, qui assistaient à cette grande partie ! » 2171.

« Sire, tu as une épouse, reprit Çakouni ; c’est le seul lot, qu’on ne t’ait pas encore gagné. Mets pour enjeu ta Krishnâ-Draâupadî et gagne ton rachat avec cette mise ! »

« Cette femme aux cheveux annelés et noir-bleus, qui n’est, répondit Youddhishthira, ni trop grande, ni trop petite, ni noire, ni rouge, sera donc mon enjeu contre le tien. 2173.

» Ses yeux ressemblent en couleur au lotus bleu de l’automne et son parfum naturel aux senteurs du lotus bleu d’automne ; on l’admire comme un lotus bleu de l’automne et sa beauté est égale à celle de la Déesse de la beauté même ! 2174.

» Qu’elle soit ainsi pour l’amabilité, qu’elle soit ainsi pour l’excellence du naturel, qu’elle soit ainsi pour la perfection des formes, cette beauté nompareille, où aspirent les désirs de l’homme ! 2175.

» Sa bouche n’a que des paroles caressantes, elle est douée de toutes les perfections, elle est telle enfin que l’homme peut désirer une Lakshmî, en qui soit personnifié sur la terre l’idéal de l’amour, du juste et de l’utile. 2176.

» La dernière à s’endormir, la première à se réveiller, elle sait, depuis les rois jusqu’aux bergers, tout ce qui a été ou n’a pas été fait. 2177.

» Cette dame à la peau lisse, à la bouche vermeille, est née du milieu d’un autel ; son visage resplendit comme un lotus ; mais avec la sueur, c’est un jasmin d’arabie, emperlé de rosée. 2178.

» Eh bien, sire ! La Pântcbâlaine si parfaite aux membres charmants, à la taille gracieuse, cette Draâupadî, sera mon enjeu : je le joue contre le tien, fils de Soubala ! » 2179.

À peine le sage Dharmarâdja eut-il articulé ces paroles, les vieillards de l’assemblée s’écrièrent : « Oh honte ! oh malheur ! » 2180.

La compagnie des rois fut troublée, les soucis naquirent dans leur âme, la douleur saisit Bhîshma, Drona, Knpa et les autres. 2181.

Vidoura prit sa tête dans ses mains et le visage penché à terre, semblable à un homme expiré, il resta sur son siège plongé dans ses réflexions et poussant des soupirs comme un serpent. 2182.

Dhritarâshtra, le poil hérissé, ne put conserver la sérénité de son âme et demanda mainte et mainte fois : « Qui a perdu ? Qui a perdu ? » 2183.

Karna, Douççâsana et ses frères de témoigner leur joie ; mais l’eau des larmes tomba des yeux à tous les autres assistants. 2184.

À l’aveugle, qui avait adressé cette question, le Soubalide victorieux, ayant compté les points et ramassé les dés, répondit avec la fureur d’un homme ivre : « C’est encore Youddhishthira qui a perdu ! » 2185.

Douryodhana de s’écrier :

« Allons, Kshattri ! Amène promptement ici l’épouse bien-aimée des fils de Pàndou, leur estimée Draâupadi ! Qu’elle descende à l’officine des laveuses de vaisselle et qu’elle reste là parmi les servantes, cette femme d’une vicieuse nature ! » 2186.

« Insensé, répondit Vidoura, tu viens de prononcer une mauvaise parole bien digne de toi ! La mort t’a déjà lié de son lacet, et tu ne le sens pas ! Tu es suspendu sur le bord d’un précipice et tu ne le vois pas ! Gazelle, tu irrites au plus haut point la colère des tigres ! 2187.

» N’irrite pas sur ta tête des serpents à la brûlante colère, aux mortels venins ; ne te précipite pas, ô le plus insensé des hommes dans les demeures d’Yama ! 2188.

» Certes ! Krishnâ ne mérite pas d’être jetée dans la condition des esclaves ; en effet, quand elle fut mise pour enjeu, le roi n’était pas maître de soi-même : voilà mon sentiment. 2189.

» Tel que le roseau, destructeur de lui-même, ce roi bientôt recevra sa récompense ; le fils de Dhritarâshtra, ne s’aperçoit pas dans son ivresse, que ce jeu est la source de la plus épouvantable guerre. 2190.

» La parole de l’homme, dit le sage ; ne sera point acrimonieuse, mais toujours aimable ; ensuite, il ne doit point abuser de sa force pour dépouiller un plus faible ; qu’il ne dise jamais de ces calomnies, regardées justement comme des crimes, qui portent le trouble dans le cœur des autres. 2191.

» La bouche envoie des paroles outrageantes, dont les blessures font gémir nuit et jour. Ce sont des flèches, qui ne tombent pas dans les articulations, mais que le sage ne doit jamais lancer contre ses ennemis ! » 2192.

» Le bouc unique, assure la tradition, avala un trait épouvantable envoyé pour lui trancher le cou ; et, rejetée de sa tête, la flèche périt dans la terre : ne t’engage donc pas dans une guerre avec les fils de Pândou. 2193.

» Ni à l’hermite des bois, ni au maître de maison, ni à l’ascète, de qui la science est parfaite, les enfants de Prithâ ne disent rien de semblable à ces paroles, qui sont toujours dans la bouche des hommes sans pudeur. 2194.

» Le fils de Dhritarâshtra n’aperçoit pas cette porte flexueuse, bien effrayante du Naraka, où les Kourouides en grand nombre le suivront avec Douççâsana, quand l’astre du jeu sera levé davantage sur l’horizon. 2196.

» La citrouille est submergée, le caillou surnage, le navire s’égare continuellement sur les eaux ! L’insensé roi, fils de Dhritarâshtra, ferme son oreille à mon langage présenté sous des formes bien séantes ! 2196.

» L’avarice augmente et l’on refuse de prêter l’oreille aux sages paroles des amis, quoique revêtues de formes convenables : de là va naître la mort des Kourouides, une épouvantable destruction, qui enlèvera tout ! » 2197.

« Honte soit au fils de la femme esclave ! » dit le fils de Dhritarâshtra, enivré d’orgueil ; et, voyant Prâtikàmi dans la salle, il lui jeta cet ordre au milieu des plus nobles personnages ; 2198.

« Prâtikâmi, amène ici la Draâupadi ! Tu ne crains pas les fils de Pândou ; mais ce Kshattri en a peur, et toujours en dispute avec moi, il n’est pas fort désireux de mon agrandissement. » 2199.

À peine eut-il entendu ces paroles du roi, le cocher Prâtikâmi se mit en route d’un pied rapide ; il entra dans le gynœcée comme un chien dans la cour des lions ; et s’approcha de la royale épouse des Pândouides. 2200.

« Draâupadî, lui dit l’envoyé, Youddhishthira, l’esprit aliéné par l’ivresse du jeu, t’a perdue dans une partie, qui fut gagnée par Douryodhana. Viens donc au palais de Dhritarâshtra ; j’ai mission de t’y conduire, Yajnasénî. »

« Comment peux-tu, Prâtikâmi, fit-elle, parler de cette manière ? Quel fils de roi pourrait jouer son épouse ? Il avait, dis-tu, l’esprit aliéné par l’ivresse du jeu : mais il avait certainement quelque autre chose à jouer. » 2201-2202.

» Quand il ne lui restait plus rien autre chose à risquer, le roi fils de Pândou a joué d’abord ses frères, qu’il a mis pour enjeu, répondit le cocher ; ensuite, Adjâtaçatrou a joué sa personne elle-même. » 2203.

« Retourne à la salle de jeu, repartit Draâupadi ; et, arrivé là, demande : « Est-il vrai que tu as perdu, toi d’abord, ensuite moi ? » 2204.

» La réponse obtenue, reviens, fils de cocher. Alors moi, connaissant la volonté de mon royal époux, j’irai, mais affligée. » 2205.

Revenu dans la salle du jeu, celui, qui tient pour sceptre un fouet, répéta ces paroles de Draâupadî et dit ces mots à Youddhishthira debout au milieu des rois :

« Est-ce que tu nous as perdus ? Voilà en quels termes Draâupadî te parle. Est-il vrai que tu as perdu, toi d’abord, ensuite moi ?  ! 2206-2207.

Youddhishthira à ces mots resta sans pensée et, semblable à un homme expiré, il ne répondit pas au cocher une seule parole, ou bonne, ou mauvaise. 2208.

« Que la Pântchâlaine, fit Douryodhana, vienne ici ; qu’elle adresse elle-même cette demande, et que tous ici entendent ce qui sera dit par elle et par lui ! 2209.

Le cocher Prâtikâmi, soumis au commandement de Douryodhana, se rendit au palais du roi Pândouide et tint avec trouble ce langage à Draâupadî ; 2210.

« Les rois, qui assistent à l’assemblée, t’invitent à t’y rendre : le jour de la ruine des Kourouides est arrivé, je pense. Il est bien léger, fille de roi, celui qui n’a pu défendre sa haute fortune et qui ne peut maintenant te défendre au milieu des hommes, qui furent ses égaux. »

« Le créateur, veillant sur nous, qui tour à tour, soupira Draâupadi, sentons deux souffles du vent, l’un fort et l’autre faible, a sans doute ainsi disposé les choses ; il nous ramènera la paix de l’esprit. Le devoir dans le monde, nous a-t-il dit, est unique et suprême. 2211-2212.

» Puisse la vertu n’abandonner jamais les enfants de Kourou ! Retourne au palais, demande pour moi une vertueuse parole. Que ces rois, la vertu en personne, versés dans la science politique, les plus sages des hommes, me conseillent : je ferai ce qu’ils auront décidé. » 2213.

À ces mots, le cocher revint au palais, où il répéta ces paroles d’Yajnasénî. Mais les princes, qui n’ignoraient pas la volonté du Dhritarâshtride, baissèrent leur visage à terre et ne répondirent pas un seul mot. 2214.

Quand Youddhishthira eut ouï ce que Douryodhana voulait faire, il dépêcha, fils de Bharata, un envoyé à Draâupadî. Il portait ce message à la princesse, dont il possédait l’estime : « Vêtue d’une seule robe, pleurante, ta ceinture détachée, viens, Pântchâlî, au palais, bien que tu sois dans ton mois, et présente-toi devant mon oncle, qui est comme ton beau-père. » 2215-2216.

L’intelligent messager s’achemina rapidement vers l’habitation de Krishnâ, et lui annonça la résolution, à laquelle venait de s’arrêter Dharmarâdja. 2217.

Les magnanimes Pândouides, abattus, accablés de chagrins, les membres fortement liés par les chaînes du serment, n’avaient donc plus de secours à attendre. 2218.

Ensuite le roi Douryodhana, fixant les yeux sur le visage consterné des cinq frères, dit joyeux au cocher : « Amène-la ici, Prâtikâmi ! Que ces enfants de Kourou parlent devant elle ! » 2219.

Alors, mettant de côté la fierté, le cocher, soumis à sa volonté, mais craignant la colère de la fille du roi Droupada, demanda encore aux nobles assistants : « Que dirai-je à Krishnâ ? » 2220.

Et Douryodhana de s’écrier : « Douççâsana, voici mon lâche cocher, qui a peur de Bhîmaséna ! Prends toi-même et conduis-nous ici Draâupadî ! Que peuvent te faire des ennemis captifs ? » 2221.

À peine a-t-il entendu l’ordre, que son frère lui adresse, le fils de roi se lève, les yeux enflammés ; il entre dans le palais des héros Pândouides, et tient ce langage à la princesse Yajnaséni : 2222.

« Viens, Pântchâli ! On t’a perdue au jeu, Krishnâ ! Dépose ta pudeur, et lève tes yeux sur Douryodhana ! Aime les Kourouides maintenant, femme aux grands yeux de lotus. On t’a gagnée loyalement : viens à la salle du jeu ! »

Soudain, elle se lève, l’âme toute remplie de tristes pensées, et, de sa main essuyant son visage sans couleur, elle court éperdue vers l’appartement, où demeuraient les femmes du vieux roi, le chef des Kourouides.

Douççâsana la poursuivit en colère d’un pied rapide, vomissant contre elle ses menaces ; il saisit l’épouse du puissant monarque par ses cheveux ondoyants, longs et noirs ; 2223-2224-2225.

Ces cheveux que l’eau, consacrée par les prières, avait purifiés dans l’avabritha de ce grand sacrifice du râdjasoûya ! ces cheveux, qui avaient triomphé de l’héroïsme des Pândouides et que ce fils de Dhritarâshtra souillait par sa violence ! 2226.

Tel que le vent traîne un bananier rompu, tel Douççâsana, tirant Krishnâ à la très-longue chevelure comme une malheureuse abandonnée, elle, qu’aurait pu défendre un si puissant époux, traina cette noble dame jusqu’auprès de l’assemblée des rois ! 2227.

Tandis qu’elle était ainsi traînée, l’assemblage de ses membres tout courbé, elle dit avec lenteur : « Insensé, je suis dans le jour de mes règles ; je n’ai qu’une robe : ne veuille pas, indigne prince, m’offrir dans un tel état aux yeux de l’assemblée ! » 2228.

Alors, tenant par ses cheveux noirs Yajnasénî, qui appelle au secours et Krishna, et Arjouna, et Hari fait homme, il dit avec violence ; 2229.

« Que tu aies tes règles, Yajnasénî, que tu soies vêtue d’une seule robe, ou que tu n’en aies pas : il n’importe ! Tu fus gagnée au jeu : tu es devenue une esclave ; ton habit est convenable au milieu des servantes ! » 2230.

Ses cheveux détachées, sa robe à demi tombée, Krishnâ, qu’il secouait rudement, étouffa sa pudeur dans son immense colère et lui adressa lentement ces paroles : 2231.

« Ces rois, qui siègent dans l’assemblée, qui ont la science des affaires, qui tous ressemblent à Indra même, tiennent chacun ici le rang d’un père ; ils sont tous vénérables : je n’ai pas la force de paraître ainsi devant eux !

» Homme aux actions cruelles, à la conduite ignoble, ne me dépouille pas de ma robe, ne me traîne pas indignement ; car ces fils de roi, mes époux, ne supporteraient pas ton outrage, eusses-tu pour alliés tous les Dieux, Indra même à leur tête ! 2232-2233.

» Le fils d’Yama se tient dans le devoir ; c’est la vertu la plus délicate, c’est la plus subtile inférence. Je n’ai déserté aucune des vertus, mais je crains une faute, eût-elle la minime petitesse d’un atôme, que viendrait accuser la voix de mon époux ! 2234.

» Me traîner ainsi dans le jour de mes règles au milieu des héros de Kourou est une chose infâme ; et, certes ! il n’est personne ici, qui ne partage cette opinion et ne t’inflige son mépris ! 2235.

» Honte soit à vous ! La vertu des Bharatides est perdue : quiconque sait les devoirs du kshatrya en a déserté la pratique en ce moment, où les Kourouides voient tous avec indifférence dans cette assemblée franchir la rive, où est contenue la vertu de Kourou ! 2236.

» Il n’est donc plus un souffle de vie en Drona, en Bhîshma, en Kshattri, ni même en ce magnanime roi, puisque les plus grands et les vieillards de Kourou ne voient pas commettre ici un forfait épouvantable ! » 2237.

Tandis que cette femme à la jolie taille parlait d’une manière si touchante, elle vit de ses yeux charmants les cinq époux irrités, et, laissant tomber sur eux le regard oblique de ses yeux, elle enflamma ces fils de Pândou, dont la colère enveloppait les membres du corps. 2238.

Ni la perte des richesses, ni celle des pierreries les plus précieuses, ni celle du royaume entier ne leur avait causé autant de peine que ces obliques regards de Krishnâ, lancés par sa honte et sa colère ! 2239.

Douççâséna lui-même, quand il vit Draâupadi regarder ses époux infortunés, secoua vivement cette femme, de qui toute connaissance paraissait évanouie et s’écria avec un rire éclatant : « Ce n’est plus qu’une servante ! » 2240.

Karna d’applaudir à cette parole au comble de la joie avec des rires bruyants et le roi de Gândhâra, Çakouni, de féliciter Douççâsana ! 2241.

Tous les autres, qui étaient là présents, hormis ces deux et Souyodhana, éprouvèrent la plus vive douleur en voyant Krishnâ traînée ainsi dans l’assemblée. 2242.

Bhîmaséna dit :

« Telle est ici, noble dame, la délicatesse du devoir que je ne puis te résoudre convenablement cette question. L’homme, qui ne s’appartient pas, ne peut mettre au jeu le bien d’un autre ! et je considère que la femme suit le sort de l’époux. Youddhishthira cédera toute la terre avec ses richesses, mais on ne le verra jamais abandonner le devoir. « J’ai tout perdu ! » a dit le fils de Pândou : je ne puis donc ici résoudre la question. 2243-2244.

» Çakouni n’a point son égal aux dés parmi les hommes ; et le fils de Kountî, auquel celui-ci fit oublier son amour, ne crut pas que tu pourrais être l’objet d’une tricherie. Il m’est donc impossible de répondre à ta question. » 2245.

« Comment provoqué au jeu par des gens adroits, amis des dés, vils tricheurs aux âmes corrompues, a-t-il pu oublier son amour et ne pas déployer ses plus grands efforts ? soupira Draâupadî. 2246.

» Il ne s’est point aperçu qu’il jouait avec des hommes au cœur gâté, déterminé à la fraude, et c’est pour cela que, vaincu par tous, il s’est obstiné au jeu. 2247.

» Je m’adresse au rois issus de Kourou, qui siègent dans cette assemblée ; regardez tous, et vos fils, et vos brus, et moi ; donnez-moi une réponse dans la vérité ! »

Tandis qu’elle parlait ainsi lamentablement, baignée de larmes, jetant ses regards sur ses infortunés époux, Douççâsana lui jetait des paroles odieuses, amères, outrageantes. 2248-2249.

La voyant traînée dans le jour de son mois, elle indigne d’un semblable traitement et son vêtement supérieur tombé, Ventre-de-loup, fixant les yeux sur Youddhishthira et portant les formes de la plus cruelle douleur, s’enflamma de colère et dit : 2250.

« Il y a des courtisanes dans la maison des joueurs, Youddhishthira ; mais on n’en fait pas un enjeu et l’on a pour elles de la compassion. 2251.

» Les richesses, que nous avait apportées le roi de Kaçi, ces autres biens sans pareils et ces perles, tributs des autres souverains de la terre, 2253.

» Les chevaux, l’or et l’argent, les cuirasses, les armes, le royaume, nous et toi-même, le jeu a fait de tout la conquête de tes partenaires ! 2253.

» Cependant je n’en ai pas ressenti un mouvement de colère, car ta majesté était la maîtresse de tout et de nous-mêmes. Mais tu commis une faute, je pense, quand tu mis cette Draâupadî pour enjeu. 2254.

» En effet, cette jeune femme ne méritait pas une telle violence, après quelle eut épousé les fils de Pândou ; et c’est à cause de toi qu’elle est en but aux mauvais traitements de ces hommes vils, cruels, de qui l’âme ne fut pas cultivée ! 2255.

» C’est elle, sire, qui fait naître en mon cœur cette colère contre toi : je veux brûler tes deux bras. Sahadéva, apporte ici du feu ! » 2266.

« Jamais avant ce jour, Bhîmaséna, reprit Arjouna, tu n’as avancé de telles paroles ! Nos rivaux ont sans doute étouffé chez toi la majesté du devoir. 2267.

» Il ne faut pas mettre nos ennemis au comble de leurs vœux ; cultive la vertu dans toute sa grandeur ! Qui peut offenser un frère aîné à l’âme vertueuse ? 2258.

» Défié par des ennemis, ce roi, qui n’avait pas oublié son vœu de kshatrya, a joué sur le désir même de ses ennemis ; et cette témérité doit un jour nous procurer beaucoup de gloire, » 2259.

Bhimaséna répondit :

« Si j’étais sûr que la chose fût pour lui de cette manière, je ne lui brûlerais pas, Dhanandjaya, malgré moi, pour ainsi dire, ses deux bras dans le feu allumé. » 2260.

Quand le fils de Dhritarâshtra eut vu les princes de Pàndou dans la douleur et Pântchâli au désespoir, Vikarna d’articuler ces mots : 2261.

« Princes, dites les paroles, qu’Yajnasénî a prononcées ; car les enfers à l’instant même s’ouvriraient pour nous, si nous manquions à juger ses paroles ! 2262.

» Bhîshma et Dhritarâshtra, les deux plus âgés dans la race de Kourou, et Vidoura à la vaste intelligence, ont gardé de concert le silence. 2263.

» À plus forte raison, nulle question ne fut-elle adressée ni par le Bharadwâdjde, instituteur des uns et des autres, ni par Kripa, leur ami commun, ces deux brahmes, les plus vertueux des régénérés. 2264.

» Mais que les autres monarques rassemblés ici de tous les points du monde, parlent suivant leur opinion, mettant de côté la haine et l’amour ! 2265.

» Répondez, rois ! Par qui et de qui seraient supportées les paroles, que la belle Draâupadi a dites plus d’une fois ? » 2266.

Après qu’il eut ainsi parlé itérativement à tous les princes assemblés, aucun de ces rois de la terre ne lui répondit un seul mot, ou bon ou mauvais. 2267.

Alors qu’il eut répété maintes fois, mais en vain, cette demande à tous les rois, Vikarna, frottant avec force l’une de ses mains contre l’antre, s’écria en soupirant :

« Dites-moi une parole, souverains de la terre, ou ne m’en dites pas ; mais ce que je vais dire, fils de Kourou, est conforme, je pense, à la droite raison. 2268-2269.

Il y a quatre défauts, ont dit les plus sages des hommes, contre lesquels doivent se garder les rois : la chasse, le vin, les dés et l’intempérance du sommeil. 2270.

» Car l’homme, attaché à ces plaisirs, et dans la négligence de son devoir, et le monde ne croit pas que, lié de cette manière, il puisse accomplir sa mission. 2271.

» Une de ces passions commande en maîtresse au fils aîné de Pândou : aussi provoqué par les joueurs, mit-il pour enjeu cette vertueuse Draâupadî, épouse commune de tous les Pândouides ; mais, quand il risqua cet enjeu, il avait déjà perdu sa personne. 2272-2273.

» C’est le fils de Soubala, qui le premier, non rassasié de jouer, a parlé de Krishnâ. Quand j’ai bien promené ma pensée sur toutes ces circonstances, il me vient à l’esprit qu’on peut contester la validité de sa conquête. » 2274.

À ces mots une grande rumeur s’éleva parmi les membres de l’assemblée, qui approuvaient l’opinion de Vikarna et blâmaient le fils de Soubala. 2275.

Aussitôt que le bruit se fut calmé, Râdhéya, plein de colère, éleva son bras luisant et prononça ces paroles : « Les changements ne sont pas rares à voir dans les opinions de Vikarna : il est né pour la destruction de sa famille, comme le feu naît du frottement de l’arant pour détruire le bois, d’où il est sorti. 2276-2277.

» Interpelés par Krishnâ elle-même, ces hommes n’ont pas répondu un seul mot : donc, ils pensent que la fille de Droupada fut légalement gagnée. 2278.

» Et toi, fils de Dhritarâshtra, tu es partagé avec eux d’opinion, mais seulement par sottise ; ce qui t’a fait dire au milieu de cette assemblée une parole, que tu penses d’un vieillard et qui est d’un enfant. 2279.

» Le devoir ne t’est pas exactement connu, frère puîné de Douryodhana, puisqu’au sujet d’une femme, qui a été bien gagnée, tu dis avec si peu d’intelligence : « Elle n’a pas été perdue ! » 2280.

» Comment peux-tu croire, fils de Dhritarâshtra, que Krishnâ n’a pas été gagnée, quand le frère aîné des Pândouides avait risqué en pleine assemblée tout ce qu’il avait ! 2281.

» Draâupadî était une partie intégrante de son avoir, éminent Bharatide. Comment donc peux-tu penser qu’une femme si justement gagnée, n’a pas été perdue ? 2282.

» Draâupadi fut désignée par son nom : l’enjeu fut approuvé des Pândouides : sur quelle raison appuies-tu cette opinion qu’elle n’a pas été gagnée ? 2283.

» Tu penses qu’il fut contraire au devoir de l’amener dans la salle, vêtue d’un seul habit : écoute là-dessus ma parole suprême. 2284.

» Les Dieux ont statué que la femme aurait un seul époux : celle, qui appartient à plusieurs, est justement appelée une courtisane. 2285.

» Qu’on l’ait amenée dans la salle, il n’y a rien là d’extraordinaire, à mon avis ! Qu’elle eût un seul vêtement ou même qu’elle n’en eût pas, cela ne m’étonne et ne m’étonnerait pas davantage. 2286.

» Car les biens de toute nature, qui appartenaient aux fils de Pândou, et leur personne elle-même, et Krishnâ avec eux, toutes ces richesses ont été justement gagnées ici par le fils de Soubala ! 2287.

» Douççâsaua, ce Vikarna, qui fait sonner si haut son habileté, se montre ici bien maladroit : enlève-moi leurs habits aux fils de Pândou et à Draâupadî elle-même ! »

À ces mots, rejeton de Bharata, tous les Pândouides, rejetant d’eux-mêmes leurs vêtements extérieurs et tous leurs habits, s’assirent nus dans l’assemblée. 2288-2289.

Sur le champ Douççâsana, sire, ayant tiré de force Draâupadî au milieu de la salle, se mit à lui arracher ses vêtements. 2290.

Tandis qu’il cherchait à lui enlever son habit, elle tourna sa pensée vers Hari : « Krishna, disait-elle en soi-même, toi qui habites à Dwarakâ, Govinda, l’amant des Gopîs, 2291.

» Dieu aux longs cheveux, comment ne sais-tu pas que je suis en jouet au mépris des Kourouides ? À moi, protecteur ! À moi, époux de Lakshmî ! maître de la foudre, toi, par qui l’infortune est détruite ! 2292,

» Arrache-moi, Djanârdana, à cette mer des Kourouides, où je péris submergée ! Krishna, Krishna le grand ascète, l’âme de l’univers, toi, qui donnes l’existence à tout, Govinda, sauve-moi, infortunée, qui succombe au milieu des enfants de Kourou ! » Tandis qu’elle se rappelait ainsi Krishna, Hari, le seigneur des trois mondes, la dame irritée pleurait et, pleine de chagrin, se couvrait le visage. 2293.

À peine eut-il entendu ces paroles, le sensible Krishna, touché de compassion, abandonna soudain sa couche, son festin, Padmâ, son épouse, et accourut de la grotte, où il était alors. 2294.

« Yajnasénî appelle au secours, se dit-il, Krishna, Vishnou, Hari et Nara ! » Ensuite ce magnanime Dieu, la vertu elle-même, se cachant aux yeux, couvrit la femme opprimée de maints et maints habits. 2295.

À chaque fois qu’on arrachait son vêtement à Draâupadî, un autre de même forme, puissant monarque, apparaissait à la place. 2296.

Par cent fois, seigneur, des habits ou blancs ou variés dans les couleurs viennent, grâce à la protection, dont l’environne ce Dieu de la vertu, remplacer les habits arrachés. 2297.

Soudain, du milieu de ces rois, louant tous Draâupadî et blâmant le Dhritarâshtride, s’éleva un bruit épouvantable de voix confuses à la vue de ce prodige, le plus grand du monde. 2298.

Alors Bhîmaséna, broyant ses mains l’une dans l’autre, les lèvres tremblantes de colère, prononça d’une voix tonnante cette imprécation au milieu des rois : 2299.

« Kshatryas, qui habitez le monde, recevez de ma bouche ces paroles, qu’un autre homme n’a pas encore dites et qu’un autre ne dira jamais ! 2300.

» Si je n’exécute pas ce que vous allez entendre, monarques de la terre, que je n’obtienne jamais la route céleste, où marchent mes ayeux et mes ancêtres ! 2301.

» Oui ! quÀelle me soit fermée, si un jour, ayant brisé dans un combat sa poitrine, je ne bois pas le sang de ce scélérat insensé, l’opprobre des Bharatides ! » 2302.

À l’ouïe de ces terribles paroles, qui produisirent une horripilation d’épouvante, tous de blâmer le Dhritarâshtride et de combler à l’envi Bhîmaséna de leurs hommages. 2303.

Après qu’il eut amoncelé au milieu de la salle un amas de vêtements, Douççâsana, fatigué d’arracher, s’assit enfin couvert de honte. 2804.

À la vue de l’indigne état, où se trouvaient les fils de Kountî, les rois, qui formaient l’assemblée, de crier avec un bruit épouvantable : « Oh ! honte ! oh ! pudeur ! »

« Les Kourouides n’ont pas répondu à la question ! » s’écriaient les hommes vertueux, jetant le blâme au Dhritarâshtride. 2305-2306.

Ensuite, après qu’il eut élevé ses bras afin de ramener les assistants au silence, Vidoura, à qui tous les devoirs étaient bien connus, prit la parole en ces termes : 2307.

« Draâupadî a fait une question et s’est mise à fondre en larmes comme une abandonnée ; mais les membres de l’assemblée n’ont pas répondu à cette demande : le devoir fut donc alors foulé aux pieds. 2308.

» Car le malheureux vient dans une assemblée comme un feu allumé, et les assistants l’appaisent en versant sur l’incendie la vérité du devoir. 2309.

» Un homme bien né répondra toujours dans la vérité à une demande touchant le devoir. Que tous ceux, qui ont ici secoué le joug de l’amour et de la haine, répondent à la question. 2310.

» Rois puissants, Vikarna tout à l’heure vous a posé la question, comme doit la poser un homme de science. Que vos majestés répondent suivant leur opinion. 2311.

» Tout homme, qui, éclairé sur le devoir et siégeant dans un conseil, ne veut pas répondre à une question, mange la moitié du fruit, qui est dû au mensonge. 2312.

» Mais celui, qui, éclairé sur le devoir et venu dans un conseil, répond à la demande, en faussant la vérité, obtient le fruit entier, réservé à l’imposteur : telle est la décision. 2313.

» On raconte à ce sujet une antique histoire, l’entretien de Prahlâda avec l’anachorète, fils d’Angiras. 2314.

» Ce nommé Prahlâda était le roi des Daîtyas, il se déclara dans la poursuite d’une jeune fille contre Virotchana, son fils, en faveur de Soudhanvan, de qui Angiras était le père. 2315.

« Je suis le meilleur ! » disait l’un : « Je suis le meilleur ! » redisait l’autre, tous deux par le désir de posséder la jeune fille : de là, si l’on en croit la renommée, naquit la division entre ces deux hommes, enflammés d’amour.

» Il s’éleva sur cette question un litige, qu’ils soumirent au jugement de Prahlâda : « Qui de nous deux, lui dirent-ils, vaut le mieux ? réponds sans mensonge à cette demande. » 2316-2317.

» Effrayé de la contestation, il regarda Soudhanvan, et celui-ci, flamboyant comme le bâton de Brahma, lui dit avec colère : 2318.

« Si tu parles avec un mensonge, Prahlâda, ou si tu ne parles pas, le Dieu, qui tient la foudre, te fera sauter la tête en cent morceaux d’un coup de son tonnerre ! » 2310.

» À ces mots de Soudhanvan, le Daîtya, tremblant comme la feuille du figuier sacré, s’en alla consulter Kaçyapa à la grande vigueur : 2320.

» Toi, qui es ici la science du devoir asourique et divin, lui dit Prahlâda, écoute, vertueux anachorète, une difficulté qui se présente au brahme dans l’accomplissement de son devoir. 2321.

« Quels seront après celui-ci les mondes, récompense de l’homme, qui ne fait pas de réponse à une question ou qui donne un mensonge pour sa réponse ? Dis-moi cela, à moi, qui te le demande. » 2322.

« Celui, reprit Kaçyapa, qui, par haine, amour ou crainte, ne rend pas témoignage sur une chose, qui est à sa connaissance, attache à son âme mille liens de Yarouna. 2323.

» Le témoin, qui relâche d’un empan la vérité de son témoignage, attache à son âme mille liens de Varouna.

» Après toute une année entièrement écoulée, un seul de ses liens se dénoue. Donc, l’homme, qui sait la vérité, ne doit pas hésiter à dire la vérité. 2324-2325.

» Là, où la vertu, blessée par le vice, se présente dans une assemblée, si les membres ne la délivrent pas de sa flèche, ils sont blessés eux-mêmes de sa blessure. 2326.

» Si le plus sage en ôte une moitié, la pointe reste dans les auteurs du coup ; mais elle perce même ceux de l’assemblée, qui ne blâment pas ce qui est blâmable. 2327.

» Un homme vertueux est-H sans reproche dans l’assemblée, il sauve du reproche ses collègues, et, là, où celui, qui mérite le blâme est blâmé, la faute ne pèse que sur le coupable. 2328.

» Quiconque répond par le mensonge à l’homme, qui demande la vérité, Prahlâda, manque à son devoir ; il tue sept de ses ayeux et sept de ses descendants ! 2329.

» La douleur, qu’on ressent d’un vol, celle, que fait éprouver le meurtre d’un fils, celle, dont vous frappe un débiteur insolvable, celle, qui est causée à l’homme par la ruine de sa fortune, 2330.

» Celle, que donne à l’épouse l’abandon de son époux, celle, dont vous abreuve l’oppression d’un roi, la douleur, que la stérilité cause à la femme, celle de périr sous la gueule d’un tigre, 2331.

» La douleur, que le mari inflige à sa femme en partageant ses amours avec une rivale, celle de succomber, victime d’un faux témoignage : toutes ces douleurs sont égales, ont dit les rois du ciel. 2332.

» Eh bien ! sur l’homme, qui ne dit pas la vérité, toutes ces douleurs tombent à la fois, amenées par le crime de porter, de faire entendre, de montrer visible un faux témoignage ! 2333.

» Le juste et l’utile n’abandonnent jamais le témoin, qui dit la vérité. » Ces paroles de Kaçyapa entendues, Prahlâda tint ce langage à son fils : 2334.

« Soudhanvan est au-dessus de toi, et Angiras m’est supérieur ; la mère de Soudhanvan est plus grande que ta mère. Soudhanvan, que voici, Virotchana, est le maître des souilles de ta vie ! » 2335.

« Puisque tu es resté ferme dans le devoir, lui dit Soudhanvan, et que ton amour paternel ne t’a point aveuglé, je donne congé à ton fils : qu’il vive cent années ! » 2336.

» Maintenant que vous avez tous entendu, membres de cette assemblée, reprit Vidoura, ce qu’est le suprême devoir, répondez à Krishnâ comme il convient, et songez quel est ici le meilleur parti à suivre ! » 2337.

À ces paroles de Vidoura, les princes ne dirent point un seul mot ; mais Karna, s’adressant à Douççâsana : « Prends la servante Krishnâ, fit-il ; et amène-la. »

Celui-ci traîna donc au milieu de l’assemblée cette chaste femme tremblante, pleine de confusion, qui appelait en gémissant les Pândouides. 2338-2339.

« Attends un moment, criait-elle, insensé Douççâsana, le plus abject des hommes, le dernier outrage, qui reste à faire, ne me sera pas infligé en présence de ces nobles personnes ! 2340.

» Je suis troublée ! je suis entraînée de force par cet homme vigoureux !… Je fais ma révérence dans l’assemblée des princes de Kourou … On ne me fera pas une offense à moi, qui n’ai offensé personne ! » 2341-2342.

» Secouée par lui douloureusement, la vertueuse dame, qui ne méritait pas cet outrage, tomba et gémit cette plainte au milieu dé la salle : 2343.

« Moi, que les rois jadis rassemblés dans un amphithéâtre ont vue dans la cérémonie d’un swayamvara et qui jamais n’avais été vue ailleurs, me voici maintenant exposée aux yeux dans cette assemblée. 2344.

» Moi, que jamais avant ce jour ni le vent, ni le soleil ne virent dans mon palais, voici que je suis montrée au milieu d’une salle dans une assemblée d’hommes. 2345.

» Moi, que jamais avant ce jour les fils de Pândou ne laissèrent toucher au vent dans le sein d’une maison, ils souffrent maintenant qu’un homme vil porte la main sur moi ! 2346.

» Mais, si les princes de Kourou, supportent que leur bru, que leur fille soit opprimée, elle, indigne d’un semblable traitement, c’est parce que l’opposition du temps, à mon avis, les y contraint ! 2347.

» N’est-ce pas une chose plus déplorable encore qu’on me plonge à cette heure, moi, femme de noble race, au milieu de cette assemblée. Où donc s’en est allée la vertu des rois ? Nos pères en effet, dit la tradition, ne conduisaient jamais la femme vertueuse dans une salle d’assemblée ! 2348.

» L’antique, l’éternel devoir est donc éteint parmi les enfants de Kourou ? Car, moi, qui suis l’épouse des Pândouides, la sœur de Drishtadyoumna et l’amie du Vasoudévide, comment puis-je aller dans la salle où sont réunis les rois ? 2349.

» Dites, princes de Kourou, si, moi, l’épouse d’Youddhishthira, née dans un rang égal au sien, je suis ou ne suis pas une esclave, et je me soumettrai à votre jugement ! 2360.

» Mais je ne puis supporter long-temps, rejetons de Kourou, que cet homme vil, opprobre de sa race, m’outrage avec une telle violence ! 2361.

» Rois, songez à la réponse, que je désire : suis-je ou ne suis-je pas une conquête du jeu ? Je m’inclinerai sous votre décision ! » 2362.

Bhîshma de prononcer alors ces paroles :

« Je l’ai dit, noble dame : il est impossible aux hommes, fussent-ils d’une âme élevée, fussent-ils même savants, de connaître dans le monde la voie suprême du devoir. 2363.

» L’homme fort dans le monde regarde sa force comme une vertu, et la vertu est maltraitée comme une ennemie sur les confins du vice. 2364.

» Je ne puis pas te résoudre cette question avec certitude, tant cette affaire est délicate, profonde, inaccessible ! 2355.

» Sans doute cette famille arrivera bientôt à sa fin, car les enfants de Kourou sont tous aveuglés par la démence et l’avarice. 2336.

» Les hommes qui sont nés dans leurs familles sont affreusement tourmentés par les vices ; mais les princes, de qui tu es l’épouse, noble dame, ne désertent pas notre sentier de vertus. 2357.

» Une telle conduite te sied, Pântchâlî, à toi, qui, tombée même dans l’infortuné, n’a pas encore appris d’elle à mépriser le devoir. 2358.

» Vois ici Drona et ces autres vieillards, qui, versés dans la science des devoirs, se tiennent pareils à des morts, inclinant leurs corps, en quelque sorte, privés de l’âme, qui les animait. 2350.

» Mais Youddhishthira est une autorité dans cette question : il sait si tu as été vraiment gagnée ou non ; il peut nous le dire lui-même. » 2360.

Quand le fils de Dhritarâshtra vit là cette reine infortunée, qui poussait des gémissements comme les cris d’une pygargue, et ces rois qui, retenus par sa crainte, n’osaient dire une seule parole, soit bonne, soit mauvaise ; quand Douryodhana vit ces fils et petits-fils de rois garder le silence, il tint alors de lui-raéme ce langage à la fille du roi de Pântchâla : 2361-2362.

« Que la solution de cette question, Pântchâli, soit remise au jugement de Bhîma, ce héros au grand courage, d’Arjouna, de Sahadéva et de Nakoula même, ton époux ! Qu’ils donnent eux-mêmes, Yajnasénî, cette réponse, que tu demandes. 2363.

» S’ils disent au milieu de ces nobles personnes que Youddhishthira n’était pas le maître à l’égard de toi, Pântchâlî ; s’ils disent tous que le Roi-du-Devoir manqua m

ainsi à la vérité, tu seras aflranchie de ta condition d’esclave ! 2364.

» Le fils du Devoir se maintient dans le devoir ; il est semblable à Indra ; qu’il parle lui-même : était-il ou n’était-il pas le maître de toi ? Que ton sort, promptement fixé, dépende uniquement de sa parole ! 2365.

» Tous ces magnanimes enfants de Kourou, plongés dans ta peine, n’osent dire la vérité dans cette assemblée à la vue de tes époux, que le malheur a frappés. » 2366.

Alors, tous les assistants d’approuver ces paroles du roi des Kourouides. Les cris de : « Hâ ! hâ ! » éclatent ; ils poussent de hautes clameurs, ils déchirent leurs vêtements, et ce n’est partout dans la salle que des cris de désolation. Mais ce langage, si agréable pour eux, fit naître la joie au sein des Kourouides ; tous ces princes étaient contents et vantaient la justice de leur frère aîné. 2367-2368.

Tous, ils avaient les yeux fixés sur Youddhishthira ; et, tournant la tête l’un vers l’autre, ils se demandaient, pleins d’une vive curiosité : « Que va-t-il dire ? Il sait le devoir ! Que diront le fils de Pândou, Arjouna, invincible dans les batailles, et Bhîmaséna, et les deux jumeaux ? » 2369-2370.

Quand le silence se fut rétabli, Bhîmaséna de lever son bras céleste, brillant, oint de sandal, et d’articuler ces mots : 2371.

« Si le magnanime Youddhishthira est notre maître, nous ne pouvons supporter qu’un autre soit le maître de notre famille. 2372.

» Il règne sur nous, qui avons pour objet la vertu ; nos vies sont elles-mêmes sa propriété. S’il pense qu’on a gagné sa personne, la nôtre fut gagnée avec elle ! 2373.

» Certes ! il ne saurait m’échapper l’homme, qui, vivant, touchant la terre du pied, soumis à la condition des mortels, osa souiller de sa main ces cheveux de Pântchâlî ! 2374.

» Voyez ces bras ronds et longs comme deux massues ! Çatakratou lui-même, s’il tombait au milieu d’eux, ne pourrait s’en débarrasser. 2375.

» Enchaîné par les liens du devoir, empêché par le respect, qu’Youddh shthira m’impose, et retenu par Arjouna, je n’en ferai pas sentir l’étreinte. 2376.

» Mais si Dharmarâdja me lâchait comme un lion sur de viles gazelles, j’aurais bientôt mis en pièces avec mes seules mains pour épée ces infâmes Dhritarâshtrides ! »

Alors Bhishma, Drona et Vidoura même lui dirent : « Supporte cela ! Tout repose de cette manière en toi ! » 2377-2378.

Karna dit :

« Trois hommes dans cette assemblée possèdent assurément ; Bhîshma, Vidoura et le précepteur des Kourouides ; mais ceux qui disent qu’Youddhishthira, le plus méchant des hommes, possède encore quelque chose, sont des gens, qui désirent la richesse et n’ont rien à dépenser ! 2379.

» Trois personnes assurément ne possèdent rien : l’esclave, un fils et la femme sous la loi du mari. L’épouse de l’esclave est toute la richesse de l’esclave, noble dame au vil maître. 2380.

» Entrée dans la cour de notre suzerain, aime-le : c’est là ce qui te reste à faire, sache-le. Tes maîtres, fille de rot, sont les fils de Dhritarâshtra, non les fils de Kountî.

» Hâte-toi de choisir un autre époux, afin que le jeu ne t’ait pas apporté la servitude en partage. Ne pas garder son amour à son époux n’est jamais une faute dans l’esclavage, apprends cela ! 2381-2382.

» Nakoula, Bhîmaséna, Youddhishthira, Arjouna et Sahadéva ont tous été perdus au jeu : tu es devenue une esclave ; donc, Yajnasénî, ces gens, que d’autres ont gagnés, ne sont plus tes époux et tes maîtres. 2383.

» Le fils de Kounti ne sait donc pas que le courage et l’énergie sont pour causes dans la naissance, lui, qui put jouer aux dés en pleine assemblée cette noble fille de Droupada, le roi du Pântchâla ? » 2384.

À ces mots, Bhîmaséna, au comble de la colère, jetant de profonds soupirs, portant dans toutes les formes de sa personne l’expression de la douleur, mais docile à son frère et lié par les chaines du devoir, lui adressa ces paroles, en le consumant, pour ainsi dire, avec ses yeux enflammés de courroux : 2385.

« Ce n’est pas contre le fils du cocher que je suis en colère, sire ; c’est vrai ! nous sommes tombés dans la condition d’esclavage. Si tu ne veux pas que des ennemis me tiennent impunément ce langage, alors ne joue pas, roi des hommes, quand la chance est contre toi ! » 2386.

Aussitôt qu’il eut ouï ces paroles de Bhîmaséna, le prince Douryodhana de jeter ces mots à Youddhishthira muet dans la stupeur de son âme : 2387.

« Bhîmaséna, Arjouna et les deux jumeaux se tiennent sous tes ordres, sire, donne cette réponse à Krishnâ et dis-lui si tu penses qu’elle n’a pas été gagnée. » 2388.

Ces mots dits au fils de Kountî, il écarta son vêtement et, l’esprit aliéné par l’ivresse du pouvoir, il attacha, en souriant, ses yeux sur Pântchâlî ; puis, avec l’air d’approuver Râdhéya et de provoquer Bhîma, il fit voir à Draâupadî, qu’il regardait fixement, sa cuisse gauche, pareille au tronc d’un bananier, ronde comme la trompe d’un éléphant, semblable à la foudre même par sa couleur jaune, douée enfin de tous les caractères de la beauté. 2389-2390-2391.

Soudain Bhîmaséna, ouvrant ses grands yeux rouges et les dardant sur lui, prononça, au milieu des rois, ces paroles d’une voix, qui fit résonner toute la salle : 2392.

« Que Ventre-de-Loup n’obtienne jamais de partager le monde fortuné de ses ayeux, si, dans un grand combat, je ne te brise un jour cette cuisse par un coup de massue ! » 2393.

Ce disant, les flammes du feu de sa colère jaillissaient par tous les pores du guerrier, comme elles ruissellent par toutes les fentes d’un arbre, qui brûle. 2394.

Vidoura aussitôt de s’écrier :

« Voyez quel immense danger va sortir de Bhîmaséna ! Réfléchissez à ces choses, princes enfants de Pratipa ! C’est le Destin sans doute, qui envoya sous nos yeux les infortunes de ce jour et qui fit naître au milieu des Bharatides ce jeu effréné, où vous disputez, enfants de Dhritarâshtra, une femme dans une assemblée : c’est lui, qui fit délibérer aux Kourouides ces criminels desseins, la ruine entière de votre union et de votre félicité ! 2395-2396.

» Rejetons de Kourou, hâtez-vous d’apprendre ce devoir ; car si la vertu est morte en vous, il faut que l’assemblée pèche ! Si le joueur avait d’abord gagné au jeu cette femme, le maître eût conservé la liberté de sa personne.

» Celui, qui joue, n’étant plus maître de soi-même, perd, à mon avis, son bien comme dans un rêve. Que le jeune prince de Kourou ne s’écarte pas de ce devoir en écoutant ta parole du roi de Gândhdra, son oncle ! 2397-2398.

Douryodhana de répéter ;

« Je m’en rapporte à la parole de Bhîmaséna, comme à celle d’Arjouna, comme à celle de ces deux jumeaux eux-mêmes. S’ils disent, Yajnasénî, qu’Youddhishthira n’était pas ton maître, je t’affranchis en conséquence de l’esclavage ! » 2399.

» Avant ce jour, c’était le magnanime Dharmarâdja, le fils de Kountî, répondit Arjouna, qui était le maître dans notre maison ; mais de qui est-il maître, sachez-le tous, rejetons de Kourou, l’homme, qui a perdu jusqu’à sa personne ? » 2400.

Alors sous le toit du roi Dhritarâshtra et dans la chapelle du feu, sire, un chacal glapit, et de tous côtés les ânes de répondre avec les oiseaux sinistres mêmes à ses hauts cris. 2401.

Vidoura, qui savait la vérité des choses, et le fils de Soubala entendirent ce bruit épouvantable. Bhîshma, Drona et le savant Gautamide s’écrièrent : « Le ciel détourne l’augure ! le ciel détourne l’augure ! » 2402.

À la vue de ces effrayants présages, Gândhârî et le sage Vidoura les annoncent tristement au roi et celui-ci dit alors ces paroles : 2403.

« Tu m’as tué, stupide Douryodhana, toi, qui ne rougis pas d’apostropher une femme dans l’assemblée des princes de Kourou et surtout, homme mal élevé, Draâupadi, la vertueuse épouse ! » 2404.

À ces mots, l’intelligent Dhritarâshtra, attaché à la poursuite du bien, se sépara de ses enfants et tint ce langage, que précédait une caresse, à Krishnâ la Pântchâlaine, quand il en eut adouci la douleur, lui, de qui l’âme exhalait son parfum au frottement de la science : 2405.

« Choisis une grâce, Pântchâlî, que tu veuilles obtenir de moi ; car, étant la première dans le devoir, tu es à mes yeux la plus distinguée des femmes. » 2406.

« Si tu m’accordes une faveur, éminent Bharatide, lui répondit-elle, voici la grâce, que je choisis : c’est que le bel Youddhishthira, qui marche sur les pas de toutes les vertus, cesse d’être un esclave. 2407.

» Que ses jeunes compagnons, ignorant combien est grande son intelligence, ne disent pas de mon fils Prativindhya : « C’est le fils d’un esclave ! » 2408.

» Son père fut jadis ce que nul autre homme ne fut nulle part sur la terre ; mais ce titre de fils d’un esclave ne convient pas à l’enfant, qui reçut les caresses des rois. »

« Qu’il en soit ainsi que tu dis, noble dame, reprit Dhritarâshtra. Il faut que je t’accorde une seconde faveur ; choisis, illustre femme ! car déjà mon cœur te l’a donnée. Tu mérites plus qu’une seule grâce. » 2409-2410.

« Je choisis donc pour grâce que Bhîmaséna, Arjouna et les deux jumeaux, sire, lui répondit-elle, soient libres et ne soient plus esclaves avec leurs archers et leurs chars ! » 2411.

« Qu’il en soit ainsi que tu le désires, femme vertueuse, ma joie ! repartit Dhritarâshtra. Demande-moi une troisième grâce ; tu n’es point assez honorée par ces deux. En effet, toi, qui suis le sentier du devoir, tu es la plus vertueuse de toutes mes brus ! » 2412.

Draâupadî lui répondit :

« La cupidité est la ruine de la vertu, roi vénéré. Je ne puis rien solliciter davantage ; je ne suis pas digne de recevoir une troisième grâce, ô le plus vertueux des rois. 2413.

» On dit qu’il faut donner une seule grâce au vaîçya, deux à la femme du kshatrya, trois au roi, Indra des rois ; mais que le brahme peut recevoir cent grâces. 2414.

» Sauvés du malheur, où ils étaient plongés, ces miens époux, sire, goûteront maintenant la douceur des biens, grâce à ton œuvre sainte ! » 2415.

Karna dit alors :

« Nous avons ouï parler des femmes estimées pour la beauté parmi les hommes ; mais de laquelle avons-nous jamais entendu raconter une si belle action ? 2410.

» Au milieu des enfants irrités de Dhritarâshtra et de Kountî, Draâupadi la noire fut ici le salut des fils de Pândou. 2417.

» Dans ce déluge sans borne, où ils allaient périr submergés, Pântchâlî fut le navire, qui, sauva les fils de Pândou ! » 2418.

À peine eut-il entendu ces mots, prononcés au milieu des Kourouides, que les fils de Pândou n’avaient eu pour asile que le sein d’une femme, Bhîmaséna, bouillant de colère, s’écria, l’âme exaspérée : 2419.

» Dévala nous a dit : « L’homme porte à sa couronne trois fleurons : un fils, les bonnes œuvres, la science sacrée, d’où sont émanées les créatures. 2420.

» L’homme se survit à lui-même dans le premier, quand son corps privé de vie, délaissé par le souffle de l’existence, abandonné par sa famille, est cédé à la pourriture. »

» La souillure de notre épouse, Dhanandjaya, nous a terni ce fleuron : comment pourrait-il naître un fils d’un objet souillé ? » 2421-2422.

Arjouna lui répondit :

« Qu’on lui dise ou non des paroles amères, fils de Bharata, les réponses d’un être vil sont toujours blessantes ; mais les hommes supérieurs, sans garder le souvenir du mal, qu’on leur a fait, ne se rappellent que les services rendus. Les bons, une fois la réflexion acquise, ne dévient plus de la sagesse. » 2423-2424.

» Je vais tuer ici, reprit Bhîmaséna, tous nos ennemis rassemblés ! Ou, sortant, Indra des rois, je vais les exterminer tous, enfant de Bharata, eux et leurs racines !

» À quoi bon disputer ? À quoi bon tant de paroles ? Je vais les anéantir ici tous ! Toi, commande à toute la terre, fils de Bharata ! » 2425-2426.

Tandis qu’il parlait ainsi avec ses plus jeunes frères, Bhîmaséna, comme un lion au milieu des gazelles, soulevait mainte et mainte fois ses yeux. 2427.

Contenu par les caresses et les regards du fils de Prithâ aux travaux infatigables, le vigoureux athlète aux longs bras, souffrait, consumé d’un feu intérieur. 2428.

Un feu sans fumée de flammes et d’étincelles, roi des hommes, jaillit des oreilles et des autres organes creux du héros courroucé. 2429.

Son visage d’un aspect difficile à soutenir, comme la face de la Mort au temps où arrive le terme d’un youga, était effrayante par la contraction des sourcils. 2430.

Mais, arrêtant de son bras le héros armé de bras vigoureux, Youddhishthira lui dit : « N’agis point ainsi ; prends des sentiments plus doux, enfant de Bharata ! » 2431.

Quand il eut retenu le guerrier aux longs bras, aux yeux rouges de colère, il porta ses deux mains réunies à la hauteur du front et s’approcha de son oncle Dhritarâshtra. 2432.

« Que ferons-nous pour toi, sire, lui dit-il. Commande-nous : tu es notre souverain. Notre désir, fils de Bharata, c’est de rester à jamais sous tes ordres. » 2433.

Dhritarâshtra lui répondit :

« Adjâtaçatrou, la félicité descende sur toi ! Jouissez d’un bonheur inaltérable ! Je vous donne congé ; allez avec vos richesses gouverner vos états ! 2434.

» Voici mon ordre, écoutez-le ! Vieillard, je dis en lui tout ce qu’il y a de plus grand, de convenable et d’heureux. 2435.

» Tu connais, Youddhishthira, mon fils, la voie très-délicate des vertus ; tu es bien élevé, prince à la grande science ; tu aimes à honorer les vieillards. 2436.

» D’où procède l’intelligence, de là sort la patience. Vas au bonheur, Youddhishthira ! Que la hache ne tombe pas sur ce qui n’est pas un arbre, mais qu’on la fasse tomber sur le tronc de l’arbre même ! 2437.

» Ceux qui sont des hommes supérieurs ne connaissent pas les haines, ils voient toujours les qualités et jamais les défauts, ils ignorent la discorde. 2438.

» Ils gardent le souvenir des services rendus et non du tort, qu’on leur a fait ; les gens vertueux font du bien à leurs ennemis, ils ne pensent jamais à la vengeance. 2439.

» Les hommes au dernier rang jettent dans la conversation des paroles mordantes ; les gens placés dans un moyen étage rendent à ceux qui leur ont parlé, Youddhishthira, une réponse amère. 2440.

» Qu’on leur dise ou non des paroles acerbes, les premiers vous adressent, mon fils, des expressions choquantes, injurieuses ; mais toujours les personnes d’une âme supérieure se rappellent les services rendus et non le mal, qu’on leur a fait. Les bons, une fois qu’ils ont acquis la connaissance de l’âme, ne dévient pas de la sagesse. 2441-2442.

» Les bons savent garder un visage souriant et ne renversent pas les bornes des choses : telle fut ta conduite, noble prince, dans cette aimable réunion. 2443.

» Ne mets pas de fiel en ton cœur, mon fils, pour Douryodhana, ni pour Gândhârî, sa mère, ni pour moi-même par le désir, que nous avions de sa prééminence. 2444.

» Vois près de toi, fils de Bharata, ton oncle ou, pour mieux dire, ton père ; il est vieux, il est aveugle. J’avais d’abord repoussé ce jeu par le pressentiment de ses résultats ; mais je l’ai approuvé dans mon désir de voir nos amis et d’observer en tous mes fils le fort et le faible. Les enfants de Kourou, desquels tu es le chef, n’ont pas un sort à déplorer. 2445-2446.

» En effet, Vidoura, mon conseiller, est un sage versé dans tous les Traités ; le devoir siège en toi, la fermeté dans Arjouna, la bravoure dans Bhîmaséna, 2447.

» Et la sainte obéissance au gourou dans les deux jumeaux, les premiers des hommes. Rentre, s’il te plaît, Adjâtaçatrou, dans le Khândava-Prastha. Puissent à jamais tes frères conserver l’union fraternelle et ton âme rester bien assise dans le devoir ! » 2448-2449.

Il dit ; et le plus vertueux des enfants de Kourou, Youddhishthira, Dharmarâdja lui-même sur la terre, ayant conclu de nobles arrangements, part, accompagné de ses frères, qui, montés avec Krishnâ sur des chars semblables aux nuages, s’acheminent vers Indraprastha, la plus grande de leurs cités. 2460-2451.


fin de l’épisode
et du tome deuxième de la traduction.


ERRATUM.

Page 93, stance 6495, trois mots sont oubliés. Ajoutez : « répondit le Gandharva, après ceux-ci : « Vous n’aviez pas de feu perpétuel allumé. »

Page 115, ligne 6e : vit le solitaire ; lisez : vit un solitaire.

Page 242, ligue 18e, une faute d’impression, qui n’a pas été corrigée : Içavura pour Içwara.

Page 256, substituez au titre du chapitre celui-ci : Échange des présents de noces.

Page 280, ligne 13e : « comme s’il avait l’envie … ; » lisez : comme s’il avait envie. »

Page 408, lignes 20e et 21e : « on ne le tuera pas dans le combat, que lui suscitera Madhoubhid ! » lisez : « on ne le tuera pas dans un combat soutenu contre Madhoubhid  ! » Il y a là probablement une faute dans l’édition.

Page 574, ligne 16e : lié par les chaines de la colère, faute d’inattention, lisez : par les chaines du devoir.

Page 576, ligne 2e, un mot passé, lisez : « perd, à mon avis, son bien comme dans un rêve. »

Même page, ligne 3e, un contresens par la faute de l’édition, qui écrit niçasya. Je m’aperçois en relisant qu’elle aurait dû mettre, niçamya ! Lisez donc ainsi : « Que le jeune prince de Kourou ne s’écarte pas de ce devoir en écoutant la parole du roi de Gândhdra, son oncle. »





TABLE DES MATIÈRES


Pages.
 168



 489
fin de la table des matières.


  1. Chefs-d’œuvre du Théâtre indien, tome second, page 418.
  2. Page 264.
  3. Pages 179 et 180.
  4. Rathinâm, ici dans le sens qu’on dit en français : une personne à voiture, à équipage.
  5. Mesure itinéraire : deux kroças, dont chacun est égal à 4,000 coudées.
  6. Gbata.
  7. Utkatcha.
  8. Ceinture ou pièce d’étoffe, qui passe entre les cuisses et entoure les reins, sans nulle autre partie de vêtement.
  9. Tous les Dictionnaires et même Westergaard donnent au verbe pratigantum la signification de redire : il est évident ici que le composé a quelquefois le même sens que le mot simple.
  10. Il y a là, ce nous semble, un de ces jeux de mots, si fréquents dans les auteurs de l’Inde. Prishati mithounan veut dire à la fois un couple de PRISHATS, « the porcine deer, » et un couple de Prisuatides, rejetons de Prishata, qui fut père de Droupada. Le brahme entend ces deux mots dans le dernier sens, mais la reine dans le premier ; ce qui nous parait expliquer sa réponse ; « Os gero superbum. »
  11. Dhrishta.
  12. Dyoumua.
  13. Khrisnâ.
  14. Une mesure de temps, la moitié d’une minute environ.
  15. Augâraparnatâ.
  16. Celui, qui possède un char admirable. De ce nom, vient le titre donné à cet épisode : Le Tchaîtraratha.
  17. Celui, de qui le char fut brûlé.
  18. Parâsous.
  19. Viçâmpataî, au vocatif, suivant le texte. Est-ce une faute d’impression ? ou le poête oublie-t-il que ce n’est plus le Gandharva, qui est censé parler ici au royal fils de Pândou, mais l’anachorète à son petit-fils. Nous aimerions mieux le nominatif : Viçâmpatis, comme nous avons traduit.
  20. È femore natus.
  21. Benè splendidus.
  22. Limited alms (four mouthfuls). Dictionnaire de Wilson.
  23. Nirviddhari, mot, qui manque à tous les Dictionnaires.
  24. Voyez, tome 1er, page 320, la stance 3026.
  25. a et b Çâmgâka et lapitâ mots, qui manquent à tous les Dictionnaires. Il est évident qu’ils signifient deux espèces d’oiseaux : celui-là caractérisé par une aigrette, çringa; celui-ci par la voix, lapitan. J’ai donc traduit par huppe et perruche en attendant que les Dictionnaires aient remis à leur place ces deux mots absents.
  26. Le beurre clarifié, matière de l’oblation aux Dieux.
  27. Allusion à la malheureuse aventure de Douriodhanâ une des causes de la guerre. Voyez tome 1er, page 44, stance 412, et ma traduction du Çiçoupâla-bodha, page 208, cinquante-neuvième quatrain.
  28. Mets composé de lait, de sésame et de riz.
  29. Une sorte de légume.
  30. Espèce d’arbre, le naticléa kadamha.
  31. Espèce de danse, exécutée surtout par les femmes. Elle se compose d’attitudes et de gestes avec un léger mouvement des pieds, rarement élevés au-dessus de la terre.
  32. a, b et c Espèce de serpents.
  33. Le plus grand des hommes, un des noms de Vishnou.
  34. Le texte porte : kaçyâni, il est évident qu’il faut : kalyâni. Cette édition de Calcutta est souvent assez défectueuse. Dans la 758e stance, elle écrit akakote siècle, au lieu de akabote siècle, faciebat, troisième personne de l’imparfait.
  35. N’y aurait-il point là quelque réminiscence altérée de la chûte d’un aérolithe ?
  36. Nous séparons ici pour les rejeter en note une stance et demie, qui nous semblent détachées d’une variante et mal à propos mêlées au fil de cette narration :

     » Ce vœu du roi, sire, est très-connu sur la terre. Ayant ouï dire que des brahmes initiés étaient arrivés, ce victorieux dans les batailles, 833.

     » Le roi des hommes s’en alla, noble Bharatide, les trouver au milieu de la nuit.

  37. a et b Nirvritîs et vaidanâni, qui manquent à tous les Dictionnaires.
  38. Bhuktavat. Il nous semble que ce mot doit et peut avoir ici le sens de cuisinier. Mais voici le sens le plus ordinaire : d’un monde bien nourri.
  39. Dhanna, un des noms d’Yama, le Pluton indien.
  40. Il y a ici deux pièces sur le même sujet, qu’une compilation inintelligente a mises l’une à la suite de l’autre. Il faut donc rejeter l’une de ces deux variantes. Nous proposons d’écarter celle, qui est renfermée entre le signe ⁂ et les deux traits verticaux | |, pour s’en tenir à la pièce identique, qui va suivre, page 507.
  41. Dix millions de millions.
  42. Le padma fait dix milliers de millions.
  43. Asphouran, mot inconnu à tous les Dictionnaires.