Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 2/Les présents de noces donnés et reçus

Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 2p. 256-265).


Échange des présents de noces.



Vaîçampâyana dit :

« Tous les Vrishnides de parler suivant les inspirations du courage ; après eux, le Vasoudévide tint ce discours, assorti à l’intérêt et au devoir : 7963.

« Goudânéça ne fait pas mépris de notre famille ; il nous fait au contraire beaucoup plus d’honneur : il n’y a là aucun doute. 7964.

» Il n a pas cessé de penser que vous, les Yadouides, vous n’êtes point avides de biens : le fils de Pândou croit aussi qu’on doit respecter le choix d’un swayamvara.

» Qui peut approuver qu’on donne une fille comme un bétail ? Et quel homme sur la terre ferait la vente de son enfant ? 7965-7966.

» Le fils de Kountî a reconnu, je pense, ces inconvénients, et c’est pourquoi il a enlevé à force ouverte la jeune fille, suivant la loi des kshatryas. 7967.

» Cette alliance est assortie : Soubhadrâ est illustre, le fils de Kountî l’est également ; il a donc enlevé de vive force. »

Qui ne tiendrait à l’honneur de s’allier avec Arjouna, né dans la race de Bharata et du célèbre fils de Çântanou, le petit-fils enfin de Kountîbhodja ? 7968-7969.

» Je ne vois personne, de qui la force puisse triompher du Prithide dans un combat, si ce n’est Çiva aux trois yeux, qui arrache les yeux à la fortune ! 7970.

» Il est vénéré dans tous les mondes parmi les Indras et les Roudras : tels que sont mes coursiers et les tiens, tel est son char. 7971.

» Le Prithide est un guerrier aux armes rapides. Qui peut être supérieur à lui ? Courez vers Dhanandjaya avec les compliments les plus flatteurs, et joyeux ramenez-le ! Tel est mon avis le meilleur. 7972.

» Si, victorieux de vous, le fils de Kountî regagne sa ville, vos renommées en seront détruites à l’instant ; mais il n’y a pas une défaite à craindre avec des paroles amies. » 7973.

Eux d’agir, monarque des hommes, suivant ces paroles du Vasoudévide, et l’auguste Dhanandjaya revenu de célébrer là son mariage. 7974.

Le fils de Kountî habita cette ville plusieurs lunes excédant la révolution d’une année et s’y divertit au gré de ses désirs, honoré par les enfants de Vrishni. 7975.

Le prince demeura le reste du temps à Poushkara, et, dès qu’il eut accompli ses douze ans, il passa dans le Khândavaprastha. 7976.

Il s’approcha du roi, son frère, avec le recueillement du pénitent, et, quand il eut honoré les brahmes, il se rendit chez Draâupadî. 7977.

Celle-ci dit au rejeton de Kourou ces paroles, que lui inspirait un amour jaloux : « Fils de Kountî, va-t-en aux lieux, où est la fille d’Yadou ! 7978.

» Le premier nœud d’un fardeau se relâche, quelque bien attaché qu’il soit ! » À Draâupadî, qui se plaignait ainsi, Dhanandjaya adressa maintes cajoleries et même il s’excusa auprès d’elle plus d’une fois. 7979.

Le fils de Kountî se hâta de lui envoyer Soubhadrâ, quand il en eut fait orner la personne avec tous les atours d’une reine. 7980.

Rayonnante de cette beauté au plus haut degré, l’illustre dame à la jolie taille, épouse du héros, se rendit au plus riche des palais. 7981.

La noble femme se prosterna aux pieds de la fortunée Kountî ; celle-ci de baiser sur la tête cette bru charmante en toute sa personne, et de répandre des bénédictions incomparables sur elle, élevée au comble de la joie. 7982.

L’éminente dame au visage tel que la lune en sa pléoménie se hâta de s’avancer près de Krishnâ, s’inclina devant elle et dit : « Je suis ta servante ! » 7983.

Draâupadî, qui s’était elle-même courbée, s’étant relevée alors, embrassa la sœur de Mâdhava et lui dit affectueusement : « Puisse ton époux être sans ennemis ! »

La princesse dans une égale joie répondit : « Qu’il en soit ainsi ! » Le cœur des héros, fils de Pândou, était dans l’ivresse. 7984-7985.

Kountî savourait, Djanamédjaya, une satisfaction extrême. Kéçava aux yeux de lotus, à l’âme pure, ayant ouï dire qu’Aijouna, le plus vaillant des Pândouides, était arrivé dans sa ville capitale et habitait Indraprastha, s’y rendit avec Balarâma. 7986-7987.

Accompagné des principaux Andakides et Vrishnides, des héros aux grands chars, de ses frères et des Koumâras, environné de nombreux guerriers, Çaâuri, le fléau des ennemis, était défendu par une puissante armée. Le Dieu sage à la vaste renommée, qui préside aux richesses, y vint également. 7988-7989.

Akroûra, le général des héros Vrishnides, le dompteur des ennemis, Anâdhrishti à la grande vigueur, Ouddhava à la haute renommée, 7990.

Au grand cœur, à la vaste intelligence, le disciple de Vrihaspati en personne, Satyaka, et Sâtyaki, et Kritavarman l’Yadouide, 7991.

Pradyoumna et Çâmba, Niçatha et Çankou, le vaillant Tchâroudeshna, Djhilli et Viprithou, Sârana aux longs bras et Gada, le plus distingué entre les savants ; 7992.

Ceux-là et beaucoup d’autres, issus de Vrishni-Bhodja et d’Andhaka, se rendirent eux-mêmes dans Indraprastha, apportant avec eux beaucoup d’or. 7993.

Aussitôt qu’il eut appris l’arrivée de Krishna, le monarque Youddhishthira d’envoyer les deux jumeaux recevoir le meurtrier de Madhou. 7994.

Bien accueillie par eux, la magnifique armée des Vrishnides entra dans le Khândava-prastha, orné de bannières et de drapeaux, 7995.

Les rues de ses villes arrosées et balayées, décorées avec des gerbes de fleurs, embaumées de parfums exquis et des eaux fraîches de sandal, 7990.

Embellies avec des boutiques de marchands, encombrées d’un peuple joyeux et bien nourri, brûlant de place en place un bois d’aloës à la suave odeur. 7997.

Kéçava aux longs bras, le plus grand des hommes, s’avançait avec Râma, son frère, accompagné des rejetons de Bhodja-Vrishni et d’Andhaka. 7998.

Honoré des brahmes et des citadins par milliers, il entra dans l’habitation du monarque, semblable au palais du roi des Dieux. 7999.

Youddhishthira suivant l’étiquette s’approcha de Râma et, quand il eut baisé sur la tête Kéçava, le serra dans ses bras. 8000.

Govinda joyeux lui rendit ses politesses en prince bien élevé ; il honora également Bhîma, le tigre chez les hommes, suivant l’étiquette. 8001.

Youddhishthira, le fils de Kountî, accueillit les enfants de Vrishni et d’Andhaka avec les honneurs, que prescrit le Traité des bienséances et selon ce qu’exigeait la circonstance elle-même. 8002.

Il honora les uns comme ses gourous, il traita ceux-ci comme ses amis, il se prosterna devant les autres, ceux-là se prosternèrent devant lui. 8003.

Krishîkéça à la haute renommée donna aux Pândouides une immense richesse comme présent de noce ; il donna à Soubhadrâ la dot, qu’un père doit accorder à sa fille.

Le fortuné Krishna lui donna un millier de chars aux membres d’or, enguirlandés avec des multitudes de clochettes, attelés de quatre chevaux, conduits par des cochers habiles, instruits sous de bons maîtres, une myriade de vaches « au poil sans tache et luisant, chacune avec son veau, et nées toutes dans le Mâthoura. 8004-8005-8006.

Djanârdana lui donna avec amour un millier de cavales pures aux ornements d’or et brillantes d’un lustre semblable aux rayons de la lune ; 8007.

De plus, cinq et cinq centaines de mules bien dressées, rapides comme le vent, au pelage blanc, à la crinière aussi noire que le collyre. 8008.

Le prince aux yeux de lotus donna en outre un millier de femmes radieuses au teint doré, aux riches vêtements, pour en user dans les fêtes de la coupe et des bains, douées d’une fraîche jeunesse, non encore nubiles, splendidement parées, ornées de cent colliers d’or et bien habiles dans le service. 8009-8010.

Djanârdana fit entrer dans cette dot un nombre de cent mille chevaux de somme, nés dans le Bâlhkan, richesse immense pour la jeune fille. 8011.

Le prince Dâçârhain ajouta de l’or le plus fin, brut et travaillé, resplendissant comme le feu, ce qu’il en fallait pour la charge de dix hommes. 8012.

Il donna, accompagnés des cornacs, lui, qui aimait l’audace, mille éléphants bien dressés, beaux, semblables à des cimes de montagnes, ornés de guirlandes d’or et de clochettes gazouillantes, ivres de rut, versant le mada par trois canaux et ne sachant pas reculer dans les batailles. 8013-8014.

Râma-Lângali au bras armé d’un soc de charrue donna joyeux une poignée de main au fils de Prithâ en témoignage d’honneur pour son alliance. 8015.

Ce fleuve de grandes richesses aux pierreries du plus haut prix, encombré d’étendards en guise de vallisnéries, d’énormes éléphants à l’instar d’immenses crocodiles, de vêtements et de tapis au lieu d"écume, entra, s’y déversant, à l’océan des Pândouides et remplit de ses flots, débordants de chagrin pour les ennemis, cette mer déjà pleine. 8016-8017.

Youddhishthira, tel qu’un Dharmarâdja visible, reçut tous ces trésors ; il honora des siens les héros nés de Vrishni et d’Andhaka. 8018.

Ces magnanimes, les plus grands des Andhakides et des Vrishnides, se divertirent là de compagnie, tels que, dans l’habitation des Immortels, ces hommes, de qui la vertu est récompensée. 8019.

Les enfants de Vrishni et de Kourou çà et là s’amusaient au gré de leur joie et comme les y invitait le bonheur de la conjoncture, aux concerts des paumés de main, qui battaient la cadence. 8020.

Après qu’ils se furent plusieurs jours divertis de cette manière, les Vrishnides, ces hommes de la plus haute vaillance, s’en retournèrent à Dwâravatî comblés d’hommages par les Kourouides. 8021.

Les héros nés d’Andhaka et de Vrishni s’avançaient à la suite de Râma, emportant les joyaux éblouissants donnés par les princes de Kourou. 8022.

Le Vasoudévide habita là, rejeton de Bharata, dans la riante cité de Çakraprastha avec le magnanime fils de Prithâ. 8028.

L’Yadouide à la vaste renommée s’adonnait à la chasse avec Kirîti sur les rives de l’Yamounâ et s’amusait à percer de ses flèches les gazelles et les sangliers. 8024.

Ensuite Soubhadrâ, la sœur chérie de Kéçava, mit au monde Saâubhadra, comme Paâulomî enfanta l’illustre Djayat. 8025.

Elle donna le jour à Abhimanyou, le prince héroïque aux longs bras, à la poitrine vaste, aux yeux de taureau, le dompteur des ennemis. 8020.

Comme il était sans peur, abhî, et prompt à la colère, manyou, on fit de ces deux mots le nom d’Abhimanyou pour cet Arjounide, le taureau du troupeau des hommes, qui foulait aux pieds ses ennemis. 8027.

Tel que le feu, dans un sacrifice, naît par le frottement au sein d’un morceau d’acacia, tel ce guerrier, habile à combattre sur un char, naquit de Phâlgouna au sein de la princesse Yadouide. 8028.

À sa naissance, le fils de Kountî, Youddhishthira à la grande splendeur, donna aux brahmes, puissant Bharatide, une myriade de vaches et des nishkas d’or. 8029.

Dès son bas âge, cet enfant, cher au Vasoudévide, fut pour tous ses ancêtres ce que la lune est pour les créatures.

À partir de la naissance, Krishna accomplit toutes les cérémonies saintes pour lui, et l’enfant s’accrut comme la lune dans sa quinzaine lumineuse. 8030-8031.

Dompteur des ennemis et versé dans les devoirs, il apprit d’Arjouna le Dhanour-Véda entier, humain et divin, en ses quatre tomes et ses dix sections. 8032.

Jeune homme à la grande vigueur, il fut instruit complètement dans la science des astras, dans tous les exercices et dans l’excellence des armes. 8033.

Dhanandjaya le rendit égal à lui-même dans la connaissance de la sainte écriture, dans celle des rites magiques, et la vue de Saâubhadra, son fils, réjouissait son cœur ;

Ce fils invincible, qui maniait les grandes flèches, doué d’un corps non incomplet, qui présentait aux regards la réunion de tous les signes heureux, avec des épaules de taureau, des yeux toujours ouverts, comme le serpent, avec une fierté de lion, un courage d’éléphant ivre de rut, une voix telle que le tambour des nuées, un visage pareil à la lune en sa pléoménie ! 8034-8036-8036.

Bîbhatsou voyait son fils égal à Krishna en vigueur, en héroïsme, en beauté, en exploits, tel enfin qu’il avait paru lui-même aux yeux de Maghavat. 8037.

Pântchâlî même aux signes heureux conçut de ses cinq époux cinq fils héros, les plus vaillants des hommes et semblables à cinq montagnes. 8038.

Elle eut Prativindhya d’Youddhishthira, Soutasoma de Vrikaudara, Çroutakarman d’Arjouna ; Çatânîka était le fils de Nakoula et Çroutaséna celui de Sahadéva. Pântchâlî enfanta ces cinq héros aux grands chars, comme Aditi fut la mère des douze Adityas. 8039-8040.

Au moment que, suivant les Çâstras, on lui remit son fils, les brahmes dirent à Youddhishthira : « Que cet enfant soit un mont Prativindhya devant les coups des ennemis ! » De là, vint son nom. 8041.

Quand elle eut mis au monde ce fils égal à un millier de lunes, elle donna Soutasoma pour fils à Bhimaséna ; Soutasoma aux grandes flèches, à la splendeur telle que la lune et le soleil. 8042.

Après le retour de Kirîti, glorieux de son grand exploit, il eut un fils de Pântchâli : c’est le héros, qu’on appelle Çroutakarman. 8043.

Nakoula dans Çatânika, le saint roi, le magnanime enfant de Kourou, engendra un fils, incrément de gloire à l’honneur immortel. 8044.

Enfin, sous un astérisme consacré au Dieu du feu, Krishnâ donna le jour au fils, qu’elle avait conçu de Sahadéva et qui fut nommé Çroutaséna. 8045.

Ces fils illustres, de qui la mère fut Draâupadî, enflammés d’un mutuel désir du bien les uns pour les autres, naquirent, Indra des rois, séparés entre eux par l’intervalle d’une seule année. 8046.

Dhaâumya fit successivement pour eux, suivant les rites, ô le plus vertueux des Bharatides, les cérémonies de la scission du cordon ombilical et l’initiation par la tonsure.

Après qu’ils eurent achevé la lecture des Védas, ces jeunes princes aux vœux fidèlement observés reçurent d’Arjouna toute la science humaine et divine des arcs et des flèches. 8047-8048.

Les fils de Pândou savouraient le bonheur, monarque des rois, dans la compagnie de ces enfants aux larges poitrines, aux grands chars, semblables aux rejetons des Dieux. 8049.