Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 2/L’habitation d’Arjouna dans les bois

Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 2p. 233-249).


L’HABITATION D’ARJOUNA DANS LES BOIS



Vaîçampâyana dit :

« Les choses ainsi réglées, ces fils de Pândou habitèrent là, réduisant par la force des armes les autres monariiues sous leur domination. 7743.

Krishnâ était soumise à l’autorité de tous les cinq fils de Prithâ à la vigueur sans mesure, ces lions de l’espèce humaine. 7744.

Ils goûtaient avec elle comme elle avec les cinq héros, ses époux, un bonheur sans mélange, de même que la Sarasvati avec les Nâgas. 7745.

Grâce à la constance des magnanimes fils de Pândou à suivre le devoir, on voyait prospérer tous les enfants de Kourou, purs de tout péché, accompagnés du bonheur.

Après un long espace de temps écoulé, certains voleurs, luoparque des hommes, le plus vertueux des rois, enlevèrent ses vaches à certain brahme. 7746-7747. S’étant vu arracher cette richesse, le brahme tout rempli de colère, accourut au Khândava-Prastha, invoquant les Pândouides à grands cris ; 7748.

« Au vol ! mes vaches, mon trésor ! Des hommes vils, cruels, à l’àme méchante, les ont enlevées par la violence. Accourez, fils de Pândou ! Sortez de vos états ! 7740.

» Des voleurs ont détruit l’offrande de beurre clairifié chez un brahine à l’âme placide : le vil chacal a dévasté la caverne du tigre en son absence ! 7760.

» Le roi, qui ne sait pas défendre, vole, dit-on, le tribut du sixième. Il est tout à fait le complice du mal commis par tout le monde ! 7751.

» À cette heure, où le bien du brahme est enlevé, où les cérémonies de son ministère sont détruites, tu dois me prêter le secours de ton bras, quand mes cris le réclament. » 7752.

Dhanandjaya, le fils de Pândou et de Kountî, entendit ces paroles du brahmane, articulées à très-hauts cris dans son voisinage. 7753.

À peine ouïs : « Ne crains pas ! » dit au brahme ce héros aux longs bras ; mais les armes des magnanimes Pândouides étaient dans la salle, où le roi de la justice, Youddhishthira se trouvait alors en tête à tête avec Draâupadî. 7754.

Le fils de Pândou ne pouvait ni entrer ni même s’y rendre, et les paroles du brahme infortuné le pressaient de plus en plus. 7755.

Dans cet appel à son aide, dans ce vol d’une richesse à un brahmane pénitent, le fils affligé de Kountî promena son esprit sur ces réflexions : 7766.

« Il faut que j’essuie ses larmes ! pensa-t-il avec résolution ; mais cette inconvenance à l’égard du roi, mon frère, sera une bien grande faute. 7767.

» Si je n’embrasse pas la défense d’un homme, qui pleure à ma porte, je commets pour nous un acte d’athée ; mais ce danger est aussi dans la défense. 7758.

» Si j’entre, sans égard à la présence du roi, il y a faute également pour nous, et le souvenir en restera dans ce monde : il ii’y a là-dessus aucun doute. 7759.

» J’aurai même rendu fausse la parole du monarque Adjàtaçatrou, si, après mon entrée chez le roi, je ne vais point habiter les forêts. 7760.

» Mais, sans voir en tout cela rien autre chose que l’offense à l’égard du roi, la faute est grande. Que la mort me frappe dans les bois ; mieux vaut perdre la vie que manquer au devoir, n 7761.

Après qu’il eut ainsi arrêté sa résolution, Dhanandjaya, fils de Kountî, entra dans la salle, où était le roi, son frère, le salua, sire, et, quand il eut pris son arc, dit au brahme avec transport : « Brahme, allons vîte où sont les hommes avides du bien d’autrui ! 7762-7763.

» Ces vils gens ne peuvent s’être avancés loin ; marchons de compagnie tant que je n’aurai pas arraché ton bien aux mains des voleurs. 9 7764.

Revêtu de sa cotte de maille, armé de son arc et monté sur son char, où flottait son étendard, le Pândouide aux longs bras suivit les pas du brahme, perça les voleurs de ses flèches, reconquit la richesse enlevée, rendit les vaches à leur maître et se couvrit de gloire. 7765.

Aussitôt qu’il eut remis le brahme en possession du trésor de ses vaches, le héros ambidextre, Dhanandjaya, le fils de Kountî, revint à la ville. 7766.

ils se prosterna devant ceux, auxquels était dû son respect et, salué par eux, il tint à Dharmarâdja ce langage : « Impose-moi, seigneur, la pénitence. 7767.

» J’ai violé notre loi, car j’ai osé te voir dans une heure interdite. Je vais habiter dans les bois : c’est la peine convenue entre nous. » 7768.

À ce discours pénible, le roi de la justice, le monarque Youddhishthira, saisi de tristesse et consterné, se hâte de répondre en bon frère avec peine et d’une voix hésitante ces mots à son inébranlable frère Dhanandjaya aux cheveux nattés imitant les feuilles de l’euphorbe : 7769-7770.

« Si j’ai quelque autorité sur toi, écoute ma pensée, mortel sans péché. Je te pardonne tout ce qu’il y eut de blessant pour moi dans ton entrée : il n’en reste aucune peine dans mon cœur. L’entrée d’un frère aîné derrière son frère cadet n’est point une offense pour celui-ci, et l’entrée d’un frère plus jeune derrière son frère plus âgé ne détruit pas les droits de l’aîné. 7771-7772.

» Renonce à ton dessein, obéis à ma parole : tu n’as pas manqué au devoir et tu n’as commis aucune offense. » « J’ai ouï dire à la majesté, répondit Arjouna : « On doit remplir son devoir avec franchise. » Je ne m’écarterai pas de la vérité : c’est aussi vrai que je touche mon arme ! » 7773-7774.

Quand il eut obtenu le consentement du roi pour son habitation dans les bois, il se fit consacrer par les sacrifices d’initiation et s’en alla demeurer au sein des forêts douze années. 7775.

Au moment où partit ce héros aux longs bras, l’honneur des enfants de Kourou, il fut suivi par les magnanimes brahmes, qui avaiçnt abordé à la rive ultérieure des saintes écritirres, 7776.

Par les hommes versés dans les Védas et les Védângas, par ceux, de qui la pensée atteignait jusqu’à l’Amesuprême, les mendiants, les dévots en Bhagavat, les bardes, les narrateurs de Pourânas 7777.

Et les autres conteurs, sire, par les çramanas, les anachorètes des bois et les brahmes, qui, d’une voix mélodieuse, récitent les divines légendes. 7778.

Escorté de ces compagnons et d’autres en grand nombre, comme Indra est environné des Maroutes, le fils de Pândou abrégeait son voyage par d’aimables entretiens. 7779.

L’éminent Bharatide contemplait, rejeton de la même famille, des bois charmants et variés, des lacs, des fleuves, des mers, de beaux pays et des tîrthas purs. Arrivé aux portes de la Gangâ, le prince mit là son habitation. 7780-7781.

Écoute, Djanamédjaya, un exploit merveilleux, que fit là ce héros à l’âme sans tache, le plus excellent des fils de Pândou. 7782.

Quand le fils de Kountî se fut installé dans ces lieux avec les brahmes, ceux-ci, noble Bharatide, recommencèrent plusieurs fois d’allumer les feux sacrés. 7783.

Au milieu de ces feux réveillés, des oblations flamboyantes, des offrandes de fleurs consacrées, et des processions au rivage ultérieur, 7784.

La porte du Gange brillait d’une splendeur immense, grâce à ces magnanimes pénitents, domptés, savants et purifiés par les ablutions. 7785.

Durant cette habitation, où il était venu par le trouble de sa fortune, l’éminent Pândouide, fils de Kountî, descendit sur la rive du Gange pour y fûre ses ablutions.

Ses purifications terminées et les mânes de ses ayeux rassasiés de libations, il voulut sortir de l’eau, sire, pour vaquer aux cérémonies en l’honneur du feu. 7786-7787.

Mais Oulapî, la fille du roi des serpents, le cœur tout à l’amour, de tirer, puissant monarque, ce guerrier vigoureux au fond des ondes. 7788.

Là, dans le palais à l’éclatante lumière du Nâga Kaâuravya, le fils de Pândou vit le feu d’une âme profondément recueillie. 7789.

Là, Dhanandjaya, le fils de Kountî, rendit les honneurs au céleste Agni, et son oblation, versée d’un cœur sans crainte, satisfit le Feu. 7790.

Quand il eut achevé la cérémonie du feu, le fils de Kountî adressa en souriant ces paroles à la fille du roi des serpents ; 7791.

« Pourquoi, craintive demoiselle, as-tu commis ce rapt ? Quel est ce pays ? Qui es-tu, noble dame ? Et de qui es-iu la fille ? » 7792.

« Il est un serpent, né dans la race d’Aîrâvata, lui répondit Oulapî. On l’appelle Kaàuravya. Je suis une serpente, sa fille, sire, et je me nomme Oulapî. 7793.

» Je le vis descendu pour les ablutions sur la rive du fleuve ; et ce regard, tigre des hommes, me rendit folle d’amour. 7794.

» Je suis seule ici, rejeton de Kourou ; verse maintenant, homme sans péché, avec le don de ta personne, la joie dans mon cœur attristé par l’amour. » 7795.

« Dharmarâdja, noble fille, m’a imposé pour douze années ce vœu de continence, reprit Arjouna, et je ne suis pas le maître de ma personne. 7796.

« Je désire, habitante des eaux, faire ce qui est agréable pour toi ; mais jamais avant ce jour il ne m’est arrivé d’avancer une parole, qui ne fût la vérité. 7797.

» Comment pourrais-je faire à la fois que ma parole soit une vérité et que tu goûtes ce plaisir ? Agis de telle sorte que mon devoir ne soit pas écrasé entre ces deux choses, serpente. » 7798.

« Je sais pour quelle raison, fils de Pândou, lui répondit Oulapî, tu erres sur la terre, et comment ton frère aîné te soumit à ce vœu de continence. 7799.

« Si l’un de nous, faute de réflexion, entre vers la fille de Droupada, notre mutuelle épouse, tandis qu’un autre est avec elle, il observera la continence douze années au fond d’un bois ! » Voilà quel traité fut conclu entre vous : celui de vous envoyer l’un l’autre en exil pour Draâupadî ! 7800-7801,

» Là, tu as rempli jadis les obligations du devoir ; ici maintenant tu n’as point à manquer au devoir, car c’est aussi un devoir, jeune homme aux grands yeux, que de sauver les malheureux en détresse. 7802.

» Quand tu m’auras sauvée, tu n’auras pas enfreint le devoir. Si tu le fais, il n’y aura point là, si minime soit-elle, une infraction au devoir. 7803.

» Le devoir même est pour toi de sauver ma vie, Arjouna ! Réponds à mon amour, auguste fils de Prithâ : cette conduite sera louée des hommes de bien. 7804.

» Si tu ne le fais pas, sache que c’est me donner la mort ! Accomplis, héros aux longs bras, le plus grand des devoirs en me sauvant la vie. 7805.

» Je me réfugie en ce moment sous ta protection, ô le plus noble des hommes. Tu protèges continuellement des malheureux sans défense : eh bien ! fils de Kountî, j’implore ton aide, moi, qui me consume en plaintes dans ma douleur. 7800.

» C’est toi, que je désire, enflammée d’amour : souris donc à mes vœux et daigne y mettre le comble par ce don de ta personne. » 7807.

Quand la fille du roi des serpents eut fini son discours, Arjouna de satisfaire ainsi, en vue seulement du devoir, à tous ses désirs. 7808.

L’auguste prince habita cette nuit dans le palais du serpent, et, levé avec le soleil, qui se levait, il abandonna la royale habitation de Kaâuravya. 7809.

Il revint, accompagné d’Oulapî, à la porte du Gange, où la belle serpente le quitta et reprit le chemin de son palais.

Elle avait donné cette grâce au fils de Pândou. « Tu seras invincible dans les eaux, rejeton de Bharata, et tous les habitants des ondes devront te céder la victoire ; il n’y a là aucun doute. » 7810-7811.

Après qu’il eut raconté aux brahmes toute cette aventure, le fils du Dieu, qui tient la foudre, le héros issu de Bharata, se rendit sur un flanc de l’Himâlaya. 7812.

Le fils de Kountî, s’étant avancé jusqu’au figuier d’Agastya et jusqu’à la montagne de Vaçishtha, célébra sa purification à la cîme-de-Bhrigou. 7813.

À cette occasion, ce prince, le plus vertueux des Kourouides, distribua aux brahmes un bien grand nombre de mille vaches, rejeton de Bharata, et leur donna encore des parures. 7814.

Quand le meilleur des hommes et le plus éminent des Pândouides se fut baigné dans le tîrtha d’Hiranyavindou, il visita de saintes chapelles. 7815.

Le vertueux prince né de Bharata descendit avec les brahmes et s’avança, noble Bharatide, conduit par le désir de voir la plage orientale. 7846.

L’auguste enfant de Rourou en visita successivement tous les tîrthas ; il porta ses pas vers la rivière Outpalinî, le bois charmant de Naîmisha, 7817.

La Nandâ et l’Aparanandâ, la Kaâuçikî renommée, la grande rivière Gayâ, et le Gange aussi, rejeton de Bharata. 7818.

C’est ainsi qu’il vit dans ses courses tous les tîrthas et qu’en opérant sa purification il distribuait des vaches aux brahmes. 7819.

Il parcourut tous les tîrthas quelconques chez les Angas, chez les Vangas, chez les Kalingas, et visita tous les bains sacrés et les saintes chapelles. 7820.

Après qu’il eut vu ces lieux, le fils de Pândou répandit ses largesses, suivant l’usage. Arrivés à la porte du royaume de Kalinga, les brahmes, qui l’accompagnaient, ayant obtenu leur congé du fils de Kountî, s’en revinrent chez eux, noble Bharatide. 7821.

Congédié par eux également, l’héroïque Dhanandjaya, suivi de quelques compagnons, s’en alla vers les rivages de la mer. 7822.

Une fois qu’il eut franchi le Kalinga, ce prince auguste s’avança, contemplant de belles régions, de saints oratoires et de charmants palais. 7823.

Il vit, au bord de l’Océan, le mont Mahéndra, embelli de ses ascètes, et s’achemina lentement vers la cité de Manipoura. 7824.

Quand le héros aux longs bras eut exploré tous les tîrthas et les saintes chapelles, il vint trouver, sire, le maître de la terre, ce vertueux Tchitravâhana, le souverain de la ville des joyaux, qui avait une fille, nommée Tchilrângadâ, charmante à voir. 7825-7826.

Il la vit se promener à sa fantaisie dans la ville, et cette vue alluma son amour pour la princesse à la jolie taille, fille de Tchitravâhana. 7827.

Il se rendit chez le roi, et, lui ayant raconté son affaire : « Donne-la moi, sire, lui dit-il, à moi, qui suis un magnanime kshatrya. » 7828.

À ces mots : « De qui es-tu fils ? demanda le souverain ; et comment t’appelles-tu ? » Le fils de Pândou répondit : « Je suis Dhanandjaya, le fils de Kountî ! » 7829.

Le monarque lui dit alors ces mots, que précédait une parole flatteuse : « Il y eut dans cette race jadis un roi, nommé Prabhandjana. 7830.

« Il n’avait pas de fils et, dans son envie d’obtenir une postérité, il endura la plus haute pénitence. Le Dieu-des-Dieux, qui porte l’arc Pinâka, Içwara, l’époux d’Oumâ, fut content de ces effrayantes macérations ; et l’adorable Bhagavat accorda à cette race un enfant unique de génération en génération. 7831-7832.

» Il n’y a donc en cette liguée qu’un seul enfant à chaque degré : ainsi naquirent les fils héritiers de tous mes aïeux.

» Je n’ai que cette fille unique, la propagatrice de ma race, assurément : « C’est mon fils ! » me dis-je et telle est sur elle ma pensée, taureau du troupeau des hommes.

» C’est pour cette raison qu’elle est nommée Poutrikâ[1] : unique sera donc, prince, le fils qu’elle aura conçu de toi. 7833-7834-7836.

» Qu’elle rende ce tribut ; qu’il naisse d’elle un seul continuateur de cette race : accepte-la, fils de Pândou, à cette condition. » 7836.

« Soit ! » promit le fils de Kountî ; il reçut la jeune vierge et habita dans cette ville trois années. 7837. Un fils étant né d’elle, il serra dans ses bras la noble dame, fit ses adieux au monarque et s’en fut recommencer ses pérégrinations. 7838.

L’éminent Bharatide s’en alla visiter les tîrthas bien saints, resplendissants d’ascètes et situés sur le rivage de l’océan méridional. 7839.

Il était alors cinq tîrthas, qu’avaient désertés les ascètes ; mais qui avant ces joure étaient remplis de nombreux pénitents. 7840.

C’étaient le Saâubhadra, tîrtha d’Agastya, le Paâulonia d’une grande purification, le limpide Prasanna, le Hayamédhaphala, rapportant le même fruit qu’un açwamédhu, et le tîrtha du Bharadwâdjide, le grand destructeur des péchés. Le plus illustre des hommes vit ces cinq tîrthas.

Ayant observé que ces bains étaient déserts, ayant vu qu’ils étaient délaissés par les anachorètes instruits des choses relatives au devoir, 7841-7842-7843.

Le rejeton de Kourou, ses mains réunies aux tempes, interrogea les ascètes : « Pourquoi ceux, qui récitent la sainte écriture, ont-ils abandonné ces tîrthas ? » 7844.

« Cinq crocodiles, habitants de leurs eaux, entraînent les pénitents : c’est pour cela qu’on a déserté ces bains, » lui répondirent les ascètes. 7845.

À ces paroles, en vain retenu par les anachorètes opulents de pénitences, ce héros aux longs bras, le plus vertueux des hommes, s’en alla voir ces tîrthas. 7846.

L’intrépide fléau des ennemis s’approcha du Saâubhadra, le sublime tîrtha du maharshi ; il s’y plongea sans balancer et s’y baigna. 7847.

Mais un grand crocodile, qui rôdait sous les eaux, saisit par un pied Dhanandjaya, le terrible fils de Kountî. Le guerrier aux longs bras, le plus fort des forts, captura, malgré sa résistance, le monstrueux hôte des eaux, et se leva, grâce à la vigueur, dont il était doué. 7848-7849.

À peine le fameux Arjouna eut-il tiré ce crocodile hors des ondes, que la bête devint une noble dame, embellie de toutes les parures, 7850.

Éclatante de beauté, ravissante et de formes toutes divines. À la vue de cette grande merveille, Dhanandjaya, le fils de Kountî, 7851.

Transporté de joie, adressa les paroles suivantes à cette dame : « Qui es-tu, noble dame ? Et d’où es-tu, toi, qui te promènes dans les eaux ? 7852.

» Pourquoi ce destin ? Et quelle grande faute as-tu commise autrefois ? » Vargâ lui répondit : « Je suis une Apsara, habituée à me promener dans les bosquets des Dieux. Ma vue, prince à la grande force, aux longs bras, était sans cesse désirée par le Dieu, qui préside aux richesses ; et mon nom est Vargâ. 7853.

« Ces quatre autres nymphes resplendissantes, qui peuvent se transporter où les invite leur fantaisie, sont toutes mes amies. Avec elles, je m’en allai un jour au palais du Dieu protecteur des mondes. 7854.

» Nous vîmes toutes Brahma aux vœux parfaits, d’une immortelle beauté, se promenant à l’écart seul et lisant.

» Sa flamboyante pénitence, sire, illuminait le bois,

enveloppé de splendeur, tel que le soleil illuminait alors la région entière. 7855-7856.

» À la vue de cette pénitence, à l’aspect d’une telle beauté, sublime, prodigieuse, nous abaissâmes notre vol dans ce lieu, conduites par le désir de jeter un obstacle devant sa pénitence. 7857.

» Saâurabhéyi, Samîtchî, Voudvoudâ, Latâ et moi, nous nous approchâmes ensemble du brahme ineffable pour le tenter par nos chansons et nos rires ; mais il ne tourna pas un instant sur nous sa pensée, héros né de Bharata. 7858-7859.

« Le brahme à la grande splendeur ne fut pas ébranlé, il resta fixe dans sa pénitence immaculée ; mais sa colère, éminent kshatrya, de fulminer sur nous cette malédiction : « Changez-vous en crocodiles et circulez cent années sous les eaux ! » 7860.

Frappées de terreur, nous toutes alors de venir implorer la grâce du brahme immortel et riche de pénitences : 7861.

« Daigne nous pardonner, brahme adorable, cette inconvenance, que nous avons commise dans l’orgueil, que nous inspiraient la beauté, la jeunesse et l’amour. 7862.

» Nous avons bien mérité cette mort, puisque nous sommes venues ici pour te séduire, toi, de qui l’âme, riche en pénitences, est assise dans la perfection. 7863.

» Mais on ne doit pas donner la mort aux femmes ! ainsi pensent les sages. Élève-toi donc au sommet du devoir, Créateur, et ne veuille pas nous faire de mal. 7864.

» Le brahme est appelé un être, qui a la science du devoir et qui est bienveillant pour tous les êtres. Que cette parole des sages. Dieu juste, devienne ici une vérité.

» Les autres embrassent la défense des malheureux, qui invoquent leur appui : nous voici, implorant ton secours ; veuille donc nous pardonner ! » 7865-7866.

« Cent centaines de mille, répondit Brahma, est l’expression d’une durée, qui n’a pas de fin ; mais cent est un mot, circonscrit dans la mesure d’une durée finie. 7867.

» Devenues crocodiles, vous entraînerez les hommes sous les eaux ; mais, quand le plus vertueux des mortels vous aura tirées des ondes sur la terre, vous reprendrez alors vos anciennes formes. Il ne m’est jamais arrivé, fût-ce en riant, d’avancer une chose, qui ne fût pas la vérité. 7868-7869-7870.

» À compter de ce jour à venir, tous ces tirthas iront sans aucune réserve à la gloire sous le nom de Tîrthas-des-femmes ; ils redeviendront saints et purificateurs des sages anachorètes. » 7871.

» Ensuite, nous étant prosternées aux pieds du céleste brahme, l’ayant honoré d’un pradakshina, nous nous éloignâmes de ce lieu dans une vive douleur et nous nous mîmes tristement à songer : 7872.

« Où donc rencontrerons-nous toutes avant qu’il soit long temps cet homme, qui doit nous rendre la forme, que nous allons perdre ? 7873.

» Nous y pensions depuis un instant, rejeton de Bharata, quand nous aperçûmes Nârada, le fortuné Dévarshi.

» Transportées de joie, à la vue du céleste saint d’une splendeur infinie, nous nous inclinâmes, fils de Prithâ, et nous tînmes devant lui, nos visages pleins de pudeur.

» Il nous demanda et nous lui dîmes la cause de notre chagrin. Quand il en sut les circonstances, il nous parla en ces termes : 7874-7875-7876.

« Il y a sur le bord de l’océan méridional cinq tîrthas ; allez, sans différer, à ces bains purs et charmants. 7877.

» Là, bientôt le fils de Pândou, Dhanandjaya, ce prince à l’âme pure, vous affranchira de cette douleur : il n’y a là aucun doute. 7878.

» Nous toutes, nous partîmes de ce lieu, héros, aussitôt que nous eûmes recueilli ces paroles de sa bouche. C’était une vérité : aujourd’hui, en effet, tu m’as délivrée ici, homme sans péché. 7879.

» Mais sous les eaux encore sont errantes mes quatre compagnes : fais une bonne œuvre, héros, et délivre-les toutes. » 7880.

Alors cet éminent et courageux fils de Pândou les arracha toutes d’une âme intrépide, monarque des hommes, au pouvoir de cette malédiction. 7881.

Sorties des eaux et rendues à leurs formes naturelles, ces nymphes célestes se montrèrent aux yeux, sire, telles qu’elles étaient avant leur disgrâce. 7882.

Après qu’il eut purgé ces tîrthas des monstres, qui les infestaient, et donné congé aux Apsaras, l’auguste prince s’en revint à la Ville-des-joyaux afin d’y revoir Tchitrângadà. 7883.

Il engendra, au sein d’elle un fils, qui fut le roi Babhrouvâhana ; et, quand il eut vu cette princesse, il s’achemina, sire, vers le Gokarna. 7884.

Le guerrier à la valeur sans mesure alla visiter successivement les tîrthas saints et toutes les chapelles sur les confins des autres pays. 7885.

Quand il eut parcouru tous les tîrthas et les oratoires, qui existaient sur la mer occidentale, il se rendit en pèlerinage au Prabhâsa. 7886.

Krishna, le meurtrier de Madhou, apprit que l’invincible Bîbhatsou était venu au lieu enchanteur et saint de Prabhâsa. 7887.

Là, Mâdhava se rendit auprès de son ami, le fils de Kountî ; là, Arjouna et Krishna eurent une entrevue l’un avec l’autre dans le Prabhâsa. 7888.

Après qu’ils se furent serrés d’une étreinte mutuelle et interrogés tour à tour sur leur bonne santé, ces deux chers amis habitèrent dans le bois, comme les deux saints anachorètes, Nara et Nârâyana. 7889.

Ensuite le Vasoudévide s’enquit d’Arjouna quelle était la cause de sa conduite : « Pourquoi, fils de Pândou, explores-tu ces tîrthas ? » 7890.

Alors Phâlgouna de lui narrer toutes les circonstances de son aventure, et, quand l’auguste Vrishnide les eut apprises, il dit : « Tu as agi comme il fallait. » 7891.

Le fils de Pândou et Krishna, s’étant diverti dans le Prabhâsa au gré de leurs désirs, s’en allèrent habiter le mont Raivata. 7892.

Mais des hommes avaient déjà paré la montagne, et l’on y avait porté des vivres suivant les ordres de Krishna.

Après qu’Aijouna le Pândouide eut reçu et mangé de tout, les comédiens et les danseurs le recréèrent de leurs spectacles en compagnie du Vasoudévide. 7893-7894.

Le fils de Pândou à la haute sagesse, les ayant couiblés tous de ses dons et congédiés, goûta le repos dans une couche magnifique et convenablement apprêtée. 7895.

Étendu sur ce lit splendide, le héros aux longs bras de raconter à l’Yadouide les rivières, les lacs, les montagnes, les fleuves et les forêts, qu’il avait parcourus. 7896.

Au milieu de ces récits, le sommeil, Djanamédjaya, ravit le fils de Kountî sur cette couche semblable à celles du Paradis. 7897.

Réveillé par un chant mélodieux et par les accords des viâàs, il ouvrit les yeux au milieu de ses louanges et des paroles de bon augure. 7898.

Lorsqu’il se fut acquitté des cérémonies indispensables et qu’il eut reçu les félicitations du rejeton de Vrishni, il monta sur un char aux membres d’or et partit avec lui pour Dwàrakâ. 7899.

Cette ville, Djanamédjaya, pour honorer le fils de Kountî, avait décoré jusqu’aux portes de toutes ses habitations. 7900.

Le désir de voir ce fils de Prithâ fit affluer par centaines de mille hommes dans la rue du roi le peuple, qui habitait Dwârakà. 7901.

Il avait sous les yeux des centaines et des milliers de femmes ; immense était la multitude de ces fils de Bhodja-Vrishni et d’Andaka. 7902.

Bien accueilli par les rejetons d’Andaka et de Vrishni-Bhodja, il saluait ceux, auxquels était dû le salut, et tous échangeaient leurs révérences avec les siennes.

Vivement excité par les hommages des jeunes princes, le héros d’embrasser mainte et mainte fois les Koumâras, ses égaux par l’âge. 7903-7904.

Il demeura là plusieurs jours avec Krishnadans son palais charmant, tout rempli d’aliments et de pierreries. 7905.




  1. Voyez, tome 1er, page 320, la stance 3026.