Le Mahâbhârata (traduction Fauche)/Tome 2/Épisode du palais des gardiens du monde

Traduction par Hippolyte Fauche.
(tome 2p. 327-366).


ÉPISODE DU PALAIS DES GARDIENS DU MONDE



Vaîçampâyana dit :

« Tandis que les magnanimes fils de Pàndou étaient assis là, tandis que les grands et les Gandharvas y étaient assis avec eux, rejeton de Bharata, 136.

Nârada à la splendeur immense, parcourant tous les mondes, vint alors dans ce palais, sire, accompagné des rishis, Pàridjata, Soumoukha, Saâumya et du sage Raîvata ; Nârada, honoré par les troupes des saints et des Dieux, le Dévarshi à la lumière sans mesure, versé dans les Kalpas et les anciennes histoires, instruit des Pourânas et des Itibàsas, consommé dans les Védas et les Oupanishads ;

Expert en logique, le plus grand des docteurs dans les six Angas, habile pour s’absorber dans le Un, qui est Deux et Multiple ;

Éloquent, intrépide, intelligent, doué de la mémoire, savant en politique, poète inspiré, connaissant les divisions de l’antérieur et du subséquent, arrêtant sur l’autorité ses résolutions.

Sachant le défaut ou la qualité de la pensée, qui marche avec cinq membres ; possédant une élocution plus abondante qu’elle n’est dans la parole même de Vrihaspati,

Prenant, comme il convient, toutes ses déterminations dans un affranchissement complet de l’intérêt, de l’amour et du devoir, ayant la vaste intelligence de tous les trésors du monde.

Embrassant de sa vue tout ce qu’il y a de perceptible dans l’univers, en haut, en bas, à travers ; connaissant les parties de l’Yoga et du Sânkhya, se méprisant lui-même devant les Asouras et les Dieux,

Sachant la vraie nature de la paix et de la guerre, docte en tous les Castras, distinguant les membres du syllogisme, possédant les règles des six qualités,

Cultivant les combats du chant, amical en tous lieux et temps. Le solitaire, doué de ces groupes de qualités et d’autres en grand nombre,

Vint, joyeux et rapide comme la pensée, visiter les fils de Pândou établis dans leur palais ; et le brahme de combler Dharmarâdja de ses bénédictions pour la victoire. (De la stance 136e à la 146e inclusivement.)

À peine eut-il vu arriver le rishi Nârada, l’aîné des Pândouides, instruit de tous les devoirs, se hâta avec ses frères puînés de se lever en présence de l’anachorète.

Le prince, qui n’ignorait pas le devoir, se prosterna devant lui avec amour et, modestement incliné, il offrit suivant l’étiquette à son hôte, assis et digne de cet honneur, une vache avêc un bassin de caillebotte, de beurre clarifié et de miel, lui présenta même un arghya, le combla de pierreries et de toutes les choses désirées ; et, quand il eut reçu d’Youddhishthira ces hommages, comme il convenait, le grand saint, honoré par tous les fils de Pândou, s’en réjouit ; et le sage, parvenu à la rive ultérieure des Védas, adressa à Youddhishthira ces questions relatives à l’intérêt, l’amour et le devoir : 147-148-149-150.

« Es-tu satisfait de tes affaires ? Ton âme se complaît-elle dans le devoir ? Goûtes-tu les plaisirs ? Rien n’alllige-t-il ton âme ? 151.

» Suis-tu une ligne de conduite noble, accompagnée de l’intérêt et du devoir dans les trois qualités et suivie, roi des hommes, par tes antiques aïeux ? 152.

» Tempères-tu le devoir par l’intérêt, ou l’intérêt par le devoir, ou l’un et l’autre par l’amour, qui est l’essence du plaisir ? 153.

» As-tu distribué à propos, ô toi, qui connais les temps, l’amour, le devoir et l’intérêt ; et sais-tu les cultiver également, généreux monarque et le plus grand des victorieux ? 154.

» Observes-tu, comme il sied, avec les six qualités d’un roi les sept moyens, de succès, et, par le fort et le faible, les quatorze moyens de politique ? 155.

» Après que tu as considéré et toi-même et les autres, accomplis-tu, invincible Bharatide, tes réflexions faites, les huit actions ? 156.

» N’y a-t-il aucune fracture, éminent Bharatide, dans les sept parties nécessaires de l’administration royale ? Les riches et les pauvres te sont-ils bien, entièrement attachés ? 157.

» Le silence de tes conseils n’est-il pas violé par tes ministres, sans que les agents secrets envoyés par toi en aient le moindre soupçon. 158.

» Sais-tu ce que se proposent de faire les amis, les indifférents et les ennemis ? Décides-tu à propos la paix ou la guerre ? As-tu fait choix d’une conduite à suivre avec l’indifférent, avec l’homme, qui s’est placé entre l’amitié et la haine ? 159.

» As-tu pris, héros, pour tes conseillers des hommes purs, avancés en âge, affectionnés, de noble race, d’une âme toujours égale, et capables de proposer un bon avis ? 160.

» En effet, Bharatide, la délibération du roi est la racine de la victoire. Tes ministres, versés dans les Traités de politique, gardent-ils bien le secret de tes conseils ? Ton royaume, bien défendu, mon enfant, n’est-il point insulté par les ennemis ? 107.

» Ne t’abandonnes-tu pas au pouvoir du sommeil ? Te réveilles-tu au temps convenable ? Et, sur la fin des nuits, penses-tu déjà aux affaires, toi, qui en as la science ?

» Délibères-tu, non seul ? Délibères-tu, non avec un grand nombre ? Et la résolution, que tu as prise, ne court-elle pas tout le royaume ? 162-163.

» Quand tu as décidé une chose, qui, d’une faible racine, doit produire de grands résultats, te mets-tu promptement à l’exécuter, et ne diffères-tu pas un tel résultat ?

» Les conséquences des affaires, quand elles ne sont pas visibles à tes yeux, ne t’inspirent-elles pas un doute prudent ? Ou bien fais-tu naître alors et prépares-tu la cause, qui doit produire ces résultats ? 164-165.

» Sont-elles suivies en des ordres convenables, non précipités par l’impatience ? Ou tes ministres, au contraire, ne savent-ils pas que toutes les affaires, vaillant roi, quand on les multiplie à l’excès, ne peuvent arriver au but ? Des précepteurs, versés dans toutes les sciences et qui savent conduire leur élève dans le devoir, forment-ils tes nobles fils à devenir tout à fait l’exemple des guerriers ? Payes-tu un seul homme instruit le prix de plusieurs milliers d’ignorants ? 166-167-168.

» Car un savant peut élever celui, qu’il sert, au comble du bonheur ! Toutes tes forteresses sont-elles bien pourvues d’eau, de blé, d’armes, de machines, de soldats, d’ouvriers et d’argent. Un ministre, fût-il seul, s’il est intelligent, instruit, vaillant et d’une âme domptée, peut conduire un roi ou un fils de roi à une éminente prospérité.

» Es-tu bien informé par tes agents inconnus, envoyés trois à trois, des quinze moyens de succès, que possède ton allié, et des dix-huit, que réunissent tes rivaux ? Toujours présent au milieu des ennemis sans qu’ils en sachent rien, promènes-tu sur eux tous, meurtrier des ennemis, un regard attentif ? Honores-tu ton archibrahme domestique ?

Est-il doué de modestie, libre d’envie, non de sang mêlé, mais de race pure ? Est-il soigneux d’entrenir tes feux sacrés, intelligent, droit, illustre, sachant les devoirs ? ( De 169 à 174 inclusivement.)

» Ne manque-t-il jamais à t’annoncer au temps propre le sacrifice accompli et le sacrifice à célébrer ? A-t-il soin, les membres lavés, de t’exposer la situation des étoiles ?

» Ton ministre est-il habile ? Sait-il bien reconnaître la destinée dans tous les prodiges ? Sais-tu bien employer dans les affaires les talents de tes serviteurs, les grands dans les grandes, les moyens dans les moyennes, les petits dans les petites ? As-tu remis en charge les anciens ministres, ces hommes purs, qui furent ceux de tes ayeux et de ton père ; et confies-tu aux plus sages les affaires les plus délicates ? Répands-tu chez tes sujets une profonde terreur par la sévérité des châtiments ? 175-176-177-178.

» Sont-ce les ministres, chef des Bharatides, qui tiennent les rênes de ton royaume ? Tel que les femmes méprisent le ribaud emporté, qui reçoit leurs dons, tes prêtres officiants ne te méprisent-ils pas comme un être déchu ? Le général de tes armées est-il un héros, un homme audacieux, intelligent, ferme, incorruptible, noble par sa naissance, habile et dévoué à ton service ? 179-180.

» Les officiers de ton armée sont-ils adroits en toutes les armes ? Honores-tu et conserves-tu en grande estime les hommes courageux, purs, intrépides ? 181.

» Donnes-tu à ton armée, comme il est juste, la nourriture et la solde, qu’on doit lui donner au temps échu, et n’en retranches-tu jamais rien ? 182.

» Car, si le jour s’est écoulé, sans qu’ils aient touché ni le prêt, ni les rations, les soldats règlent leur conduite sur l’indigence de maître ; ce qui est reconnu pour la cause de bien grands malheurs. 183.

» Peux-tu compter sur l’attachement des fils de race, à commencer par les chefs ? Sacrifieraient-ils à tes intérêts leur vie dans une bataille ? 184.

» Tu ne laisses pas sans doute l’homme sans mœurs, qui saute par-dessus les règles, conduire entièrement seul, à son gré, plusieurs choses, dont l’avenir dépend ?

» L’homme, qui illustre son bras par un exploit héroïque, obtient-il, soit un accroissement d’honneur, soit une augmentation de solde et de vivres ? 185-189.

» Honores-tu de tes dons, comme ils le méritent et suivant leurs qualités, les hommes cultivés par la science et consommés dans les matières de l’instruction ? 187.

» Soutiens-tu, chef des Bharatides, les épouses des hommes, qui sont tombés dans l’infortune ou qui ont perdu la vie pour toi ? 188.

» Défends-tu comme un fils, enfant de Prithâ, l’ennemi, qui se rend vers toi, conduit par la crainte, ou qui est subjugué, ou qui vient t’implorer, vaincu dans une bataille ? 189.

» Es-tu, maître de la terre, égal pour toute la terre, et ne peut-on douter de toi, comme d’un père et comme d’une mère ? 190.

» Quand tu vois l’ennemi accablé sous la malheur, passes-tu en revue, chef des Bharatides, une armée en trois corps et fonds-tu sur lui d’une course rapide ? 191.

» Te mets-tu en marche sous une bonne étoile au moment arrivé, dompteur des ennemis, après que tu as commencé par donner la solde à ton année et que tu l’as divisée, puissant monarque, en avant-garde et arrière-garde, en corps de bataille et corps de réserve ? 192.

» Donnes-tu, fléau des ennemis, suivant qu’ils en sont dignes, aux principaux officiers de ton armée les pierreries cachées dans le royaume ennemi ! 193.

» Commences-tu par te vaincre toi-même avant de songer à vaincre les autres ? Victorieux de tes sens, tu peux dompter alors des ennemis esclaves de la paresse et des sens. 194.

» Préviens-tu les ennemis, qui vont marcher contre toi, en faisant marcher contre eux, suivant la règle, ces moyens, habilement mis en œuvre ; la caresse, la corruption, la division et la force ! 195.

» Tu es en guerre avec un ennemi, qui a poussé de fortes racines : t’avances-tu vaillamment pour le vaincre, et, la victoire obtenue, deviens-tu son protecteur ? 196.

» As-tu une armée en quatre corps différents, composée de huit membres, bien commandée par de bons officiers, et capable de briser l’agrandissement des ennemis ? 197.

» Sans abandonner dans le royaume des ennemis, grand roi, le fléau des ennemis, ni une parcelle de terre, ni même la grandeur du poing, fais-tu mordre la poussière aux ennemis sur le champ de bataille ? 198.

» Dans les états de tes rivaux, as-tu de nombreux agents, qui influencent les affaires et se gardent mutuellement ? 199.

» Des inspecteurs, approuvés par toi, grand roi, veillent-ils sur les parfums, les comestibles et la pratique du massage ? 200.

» Ton trésor, tes greniers, ton char, ta porte, ton arsenal, tes revenus sont-ils confiés à des gens, qui te sont dévoués et d’une vertu parfaite ? 201.

» Commences-tu par te mettre en garde toi-même, souverain des hommes, contre ceux du dedans et contre ceux du dehors ; les défends-tu ensuite des leurs ; puis, les uns des autres ? 202.

» N’approuve-t-on pas les dépenses, effets du vice, que tu as faites dans la première partie du jour, en liqueurs, aux dés, à d’autres jeux, en femmes ? 203.

» Ta dépense en valets et en femmes est-elle payée avec la moitié ou seulement le quart de ton revenu ? 204.

» Combles-tu à chaque instant de grains et de richesses les parents, les gourous, les vieillards, les marchands et les ouvriers, que la pauvreté conduit vers toi ? 205.

» Tous les secrétaires et les arithméticiens, préposés aux recettes et aux dépenses de ta maison, règlent-ils toujours dans la première partie du jour quelles en seront et les dépenses et les recettes ? 206.

» As-tu soin de ne pas écarter des affaires les hommes, affectionnés, qui n’ont d’autre désir que celui de ton bien, qui possèdent la science des choses et qu’une faute n’a jamais souillés ? 207.

» Une fois que tu as appris ce que sont les hommes, supérieurs, inférieurs ou moyens, les emploies-tu, rejeton de Bharata, en des affaires assorties à leurs capacités ? 208.

» Sans doute, roi des hommes, tu ne mets pas à la tête de tes affaires des gens cupides, ou des voleurs, ou des ennemis, ou des mineurs ? 209.

» Ton royaume n’a-t-il pas à souffrir l’oppression des voleurs, ou des gens avides, ou des jeunes princes, tes fils, ou d’une armée de femmes, ou même de toi ? Les cultivateurs sont-ils contents ? 210.

» Les étangs sont-ils grands et bien remplis ? En fait-on entrer les eaux çà et là par des canaux dans le royaume, quand les champs du laboureur ne sont point arrosés par la pluie ? 211.

» Les semences et par conséquent la subsistance du cultivateur ont-elles péri, tu lui fais sans doute la remise gracieuse de son tribut du quatrième pour cent sur la récolte ? 212.

» Ton corps de métiers est-il bien composé de gens honnêtes ? En effet, mon fils, c’est par l’exercice des arts et des métiers que ce monde vit dans une douce prospérité. 213.

» Les hommes d’élite, sire, embrigadés cinq par cinq, après qu’ils ont acquis la connaissance des lois, maintiennent-ils, en réunissant leurs brigades, la tranquillité dans ton royaume ? 214.

» Les villages sont-ils faits à l’image de la ville pour la défense de la ville ? Et tout ce qui vient de toi est-il proclamé au milieu de la foule rassemblée ? 215.

» Frappant tout et suivis de ton armée, tes espions circulent-ils sur la terre, ton domaine, parcourant les plaines, les montagnes et les villes ? 216.

» Sais-tu bien flatter les femmes ? Sont-elles bien protégées ? Ne les crois-tu pas beaucoup trop ? Et ne leur dis-tu pas ce qu’il faut tenir caché ? 217.

» Quand tu as reçu la nouvelle d’une calamité, n’est-ce pas que, plein de cette pensée, tu ne dors pas, savourant les voluptés, sire, dans ton gynœcée ? 218.

» Après que tu as dormi les deux premières veilles de la nuit, te lèves-tu à la dernière, monarque des hommes, pour songer à l’intérêt et au devoir ? 219.

» Levé au temps fixé, environné de tes ministres, qui savent les temps, ne te montres-tu jamais, fils de Pândou, aux regards des hommes que royalement paré ? 220.

» Des guerriers, vêtus de l’habit rouge, le cimeterre à la main, splendidement décorés, t’environnent-ils à les pieds de tous les côtés pour ta garde, dompteur des ennemis ? 221.

» Ne décernes-tu, comme Yama, les châtiments et les récompenses, roi des hommes, qu’après l’examen le plus attentif des fautes ou des services ? 222.

» Est-ce que tu guéris toujours, fils de Prithâ, une indisposition du corps avec des simples ; ou celle de l’âme avec des observances religieuses et de grands actes de piété ? 223.

» As-tu des médecins habiles dans l’art de guérir les huit membres et des amis dévoués, toujours attentifs au bien de ta personne ? 224.

» Ne vois-tu pas, roi puissant, que l’avarice, ou la démence, ou l’orgueil ne donne aucunement des amis ? On n’obtient de ces défauts que des ennemis. 225.

» Ne retiens-tu pas avec le frein de l’amour, que tu inspires, la conduite des hommes, que l’irréflexion, la cupidité ou la présomption a conduits vers toi ? 226.

» Les habitants de la ville et ceux, qui résident avec toi dans le royaume, quand on les a vendus à des étrangers, prends-tu soin de les retenir tous ? 227.

» N’accables-tu pas un ennemi faible par la force, un fort par le conseil ou tel autre avec les deux moyens réunis ? 228.

» Est-ce que les rois, tes vassaux, te sont tous dévoués autant qu’on doit l’être au suzerain ? Paieraient-ils dans tes besoins l’estime, que tu as pour eux, du sacrifice de leur vie ? 229.

« L’honneur éclatant et d’où peut naître le salut, que tu rends à les vertueux brahmes, le mesures-tu sur le talent, qu’ils ont acquis dans toutes les sciences ? 230.

» Dans l’affaire, où tu déploies tes efforts, as-tu soin de suivre le devoir fondé sur les Védas, où marchaient les hommes, qui l’ont précédé ? 231.

» Les brahmes, cloués de qualités, mangent-ils dans ta maison des mets succulents et délicats ? Y reçoivent-ils les honoraires attachés à la surveillance de tes sacrifices ? 232.

» Sans autre pensée, t’efforces-tu de célébrer avec une âme pieuse les sacrifices Vâdjapéyas entièrement accomplis et les Poundarîkas suivis jusqu’à la fin ? 233.

» Te prosternes-tu devant les parents, les gourous, les vieillards, les Dieux, les ascètes, les arbres-Tchaîtyas et les plus éminents des brahmes ? 234.

» Sais-tu étouffer en toi, mortel sans péché, le chagrin ou le ressentiment ? Et l’homme, qui tient dans ses mains les choses fortunées, te suit-il, sans quitter jamais ton côté ?

» As-tu bien comme pensée, âme non souillée, as-tu bien pour conduite celle, qui embrasse d’un même regard l’intérêt, l’amour et le devoir, qui assure la vie et qui donne la renommée ? 235-230.

» Quand cette pensée inspire la conduite d’un roi, son empire ne tombe pas ; et, victorieux de la terre, sa prospérité s’accroît doucement, sans connaître aucune fin,

» L’avarice ne pousse-t-elle jamais un juge, ignorant des leçons enseignées dans les Çâstras, à frapper de mort, malgré son innocence, un citoyen noble à l’âme pure, que la calomnie accuse du crime de vol ? 237-238.

» La soif de l’argent ne fait-elle pas remettre en liberté, chef des Bharatides, un méchant, un voleur, pris en flagrant délit, vu par des témoins et nanti même de son vol ? 239.

» Entraînés du côté, où sont les richesses, est-ce que tes ministres ne voient pas sans partialité, rejeton de Bharata, les affaires du riche et du pauvre, soumises à leur jugement ? 240.

» Le matérialisme, le mensonge, la colère, l’incurie, la lenteur, la paresse, fuir la vue des personnes, qui possèdent la science, rejeter loin de soi l’exercice de la pensée,

» Ne songer qu’à l’intérêt seulement, délibérer avec des gens, qui ne connaissent pas les affaires, ne jamais commencer les affaires décidées, ne pas garder le secret du conseil, 241-242.

» Négliger les cérémonies et les autres choses du culte, se lever par honneur devant toutes sortes de gens : voilà quels sont les quatorze défauts des rois. Ne sont-ils pas ? les tiens ? 243.

» Ils ont causé très-souvent la chûte des princes, appuyés sur de fortes racines ! As-tu recueilli le fruit des Védas ? As-tu recueilli le fruit de la richesse ? 244.

» As-tu recueilli le fruit de tes épouses ? As-tu recueilli le fruit de la science écoutée ? » 245.

Youddhishthira dit alors :

« Quel est ce fruit des Védas ? Quel est ce fruit de la richesse ? Quel est ce fruit des épouses ? Quel est ce fruit de la science écoutée ? » 246.

Nârada lui répondit :

« Le fruit des Védas, c’est le feu sacré perpétuel ; le fruit de la richesse, c’est la nourriture donnée au pauvre ; les fils sont le fruit des épouses, né dans la volupté ; une conduite bien réglée est le fruit de la science. » 247.

Après qu’il eut dit ces choses, Nârada, l’anachorète aux grandes pénitences, adressa aussitôt ces questions à Youddhishthira, le devoir en personne : 248.

« Les percepteurs des impôts n’extorquent-ils pas de fausses taxes aux marchands, que l’espoir du gain amène ici de pays éloignés ? 249.

» Des hommes tenus en estime peuvent-ils apporter leurs denrées à vendre, sire, dans la ville et dans le royaume, sans qu’on les trompe, par la visite des marchandises ? 250.

» Ne manques-tu jamais de prêter l’oreille au langage des vieillards, qu’inspirent le devoir et l’utile ? Ils connaissent l’utile, mon enfant, attendu qu’ils voient l’utile dans le devoir. 251.

» Fais-tu consister l’utile et le devoir dans les travaux de l’agriculture, l’élève des troupeaux, la production des fleurs et des fruits ? Donnes-tu aux brahmes le lait et le beurre ? 252.

» Ne manques-tu jamais d’accorder, rigoureusement, comme il est convenable, à tous les ouvriers, chaque quatrième mois expiré, des moyens suffisants pour subsister ?

» N’ignores-tu aucune des belles actions ? Loues-tu celui, qui en est l’auteur, dans l’assemblée des gens de bien ? Et joins-tu, grand roi, les marques de ton respect à ses récompenses ? 253-254.

» Tiens-tu toutes les sentences dans ta mémoire, auguste chef des Bharatides, les sentences des éléphants, les sentences des chevaux, les sentences des chars ? 255.

» Cultive-t-on comme il sied dans ton palais, éminent Bharatide, le soûtra du Dhanour-Véda et le soûtra urbain des machines ? 256.

» Connais-tu bien tous les astras, mortel sans péché, la massue de Brahma, et tous les moyens de poison, qui peuvent donner la mort à l’ennemi ? 257.

» Défends-tu bien toutes les parties de ton royaume contre le danger de l’incendie, contre celui des tigres, contre les maladies et les Rakshasas ? 258.

» Sais-tu protéger, comme un père, ô toi, qui n’ignores pas le devoir, les aveugles, les fous, les boiteux, les estropiés, les orphelins et même les religieux mendiants ?

» Rejettes-tu derrière toi six choses funestes, puissant roi : le sommeil, la paresse, la crainte, la colère, la mollesse et la lenteur ? » 259-260.

À ces paroles du plus vertueux des brahmes, le magnanime roi, chef des Kourouides, s’inclina joyeux, adora ses pieds et répondit à Nârada, qui portait la beauté d’un Dieu : 261.

« Je ferai comme tu as dit ; car cette leçon a bien accru, ma science ! » Ces mots jetés, le monarque agit de cette façon et reçut la terre ceinte de la zône des mers. 262.

« Le roi qui se conduit ainsi dans la protection des quatre castes, lui dit Nârada, goûte d’abord le bonheur ici-bas et parvient ensuite à posséder le monde de Çakra. »

Après qu’il eut honoré le bramarshi et qu’il eut obtenu la permission de parler, Youddhishthira, le roi de la justice, répondit à ces paroles : 263-264.

« Ta sainteté vient d’exposer exactement cette détermination des devoirs ; c’est la règle que j’observe, suivant mes forces, suivant la convenance. 265.

» La chose, qui a une cause, qui a un sens, qui est présentée d’une manière conforme à la juste raison, doit être faite, il n’y a là aucun doute, comme les rois l’ont faite avant nous. 266.

» Nous désirons marcher dans leur sentier ; mais, seigneur, il est impossible à nous de le suivre comme il fut suivi par ces monarques aux âmes domptées. » 267.

Le Pândouide au cœur fidèle à ses devoirs, Youddhishthira à la grande splendeur, voyant qu’il s’était passé l’espace d’une heure depuis que le Dévarshi à la splendeur infinie avait tenu son discours et jugeant que Nârada était reposé entièrement, adressa un salut au milieu des rois et ces questions à l’anachorète, qui parcourt les mondes, au Dieu assis doucement, au-dessous duquel il était assis lui-même : 268-269-270.

« Ta divinité aussi rapide que la pensée parcourt sans cesse, en promenant ses regards sur eux, les mondes nombreux et de mainte sorte, que Brahma jadis a créés.

» Tes yeux auraient-ils déjà vu quelque part un palais tel ou plus beau que celui-ci ? Brahme, réponds à ma question ! » 271-272.

À peine eut-il entendu ce que lui demandait Youddhishthira, le fils de Pândou, Nârada lui répondit en souriant et d’une voix douce : 273.

« Je n’ai pas encore vu, mon enfant, ni même entendu citer parmi les hommes un palais tout de pierreries comme est celui-ci, rejeton de Bharata, comme est le tien, sire. 274.

» Mais je te parlerai du palais, où habite le roi des Mânes ; je te dirai le palais du sage Varouna, et celui d’Indra, et celui du Dieu, qui réside au mont Kaîlâsa.

» Je décrirai le palais divin de Brahma, d’où la souffrance est exilée ; céleste habitation, douée des célestes idées et qui a la forme de l’univers ; 275-276.

» Hantée par les Dieux, les troupes des Pitris, les Sâdhyas, les foules d’anachorètes sacrifiants, domptés, habiles, aux âmes comprimées, versés dans le sacrifice et les Védas ; je le décrirai, si tu penses, éminent Barathide, à me prêter l’oreille. » 277.

À ces mots du pénitent, Youddhishthira joignit au front les paumes de ses mains avec ses frères et les plus grands des brahmes ; puis, Dharmarâdja à la grande âme répondit en ces termes à Nârada : 278.

« Décris-nous tous ces palais ; nous désirons les connaître. Quelles en sont les richesses, brahme ? Quelle en est l’étendue ? Quelle en est la grandeur ? 279.

» Qui sont les serviteurs du Pitâmaha dans son palais ? Qui sont les courtisans du roi des Dieux, Indra ? Qui forment la cour d’Yama, le fils du soleil ? 280.

» Qui servent dans leurs palais Varouna et Kouvéra ? Nous avons tous une égale envie d’entendre ta bouche nous exposer tous ces détails suivant la vérité ; car notre curiosité est extrême. » 281.

À ces mots du Pândouide, Nârada, sire, décrivit l’un après l’autre ces divins palais : « Qu’on m’écoute ici, dit-il. 282.

» Le palais céleste de Çakra, habitation lumineuse, d’un éclat semblable à celui du soleil et qui est la conquête des bonnes œuvres, fut créé, enfant de Kourou, par Çakra lui-même. 283.

» Immense, aérien, se transportant où l’on veut, il mesure cent cinquante yodjanas en longueur et cinq en élévation. 284.

» Il est fermé à la douleur, au chagrin, à la vieillesse ; les maladies n’y entrent pas. Resplendissant, fortuné, charmant, riche de vêtements et de sièges, il est embelli par des arbres célestes. 285.

» Dans ce palais, Bharatide enfant de Kountî, le souverain des Dieux trône sur un siège prééminent avec Çatchî, Mahéndrânî, Çrî et Lakshmî. 286.

» La tiare sur la tête, ceint de bracelets en or, vêtu d’une robe immaculée et paré d’une admirable guirlande, il porte, avec les rayons de la fortune et de la gloire, une beauté indescriptible. 287.

» Là, sire, le magnanime Çatakratou est servi à tous les instants par les Maroutes sans exception et les Grihamédhins, 288.

» Les Siddhas, les Dévarshis, les Sâdhyas et les troupes des Dieux, les Maroutwantas réunis, à la vive lumière, aux guirlandes d’or. 289.

» Tous ceux-ci ont des formes célestes, de splendides parures, et, accompagnés de leurs suivants, ils forment la cour du magnanime roi des Dieux, qui dompte ses ennemis.

» Çatakratou est servi encore, fils de Kountî, par tous ces Dévarskis, purs, exempts de péché, flamboyants comme autant d’Agnis, lumineux, libres de chagrins, étrangers aux maladies : 290-291.

» Parâçara et Parvata, Sâvarni et Gâlava, Çankha et Likhita même, et l’anachorète Gaâuraçiras, 292.

» L’irascible Dourvâsas, Çyéna et l’hermite Dirghatamas, Pavitrapàni, Sâvarni, Yojnavalkya et Bhàlouki,

» Ouddâlaka, Çwétakétou, Tândya, Bhândâyani, Havishmat, et Garishtba, et le prince Harishtchandra, 293-294.

» Hridya, Oudaraçândilya, Pâràçarya, Krishîbala, Vâtaskandha, Viçâkha, Vidhàtri et Kâla, 295.

» Karâladanta, Twashtri, Viçvakarman et Toumbourou. Les êtres, qui se nourrissent du vent, les êtres, qui se nourrissent de l’oblation, nés ou non d’une matrice, servent de concert le Dieu, qui tient la foudre, souverain du monde entier : 296.

» Sahadéva, Sounitha, Vâlmîki à la grande pénitence, Çamîka à la bouche véridique et Pratchétas, fidèle à la vérité, 297.

» Médhâtithi, Vâmadéva, Poulastya, Poulaha, Kratou, Maroutta, Marîtchi et Sthânou aux grandes macérations,

» Kâkshîvat, Gaâutama, Târkshya et l’anachorète Vaîçvânara, l’hermite Kâlakavrikshîya, Açrâvya et Hiranmaya, 298-299.

» Sambarta, Dévahavya et l’énergique Viçvakséna, les eaux célestes, les simples divins, les çraddhas, les sacrifices, la parole, 300,

» L’intérêt, le devoir, l’amour et les éclairs, noble fils de Pândou, les nuages, qui voiturent l’eau, les vents, les tonnerres, 301.

» La plage orientale, les vingt-sept feux, messagers du sacrifice, les deux Agnîshomas, les Indrâgnis, Mitra, Savitri, Aryaman, 302.

» Bhaga, les Viçvas, les Sâdhyas, Gourou et Çoukra lui-même, Viçvâvasou, Tchitraséna, Soumanas et Tarouna, 303.

» Les sacrifices, les honoraires du sacrifice, les planètes et les étoiles, puissant Bharathide, les formules des prières, qui portent aux cieux les sacrifices, tous personnifiés sont assis là de compagnie. 304.

» Les Apsaras et les Gandharvas charmants y réjouissent à l’envi, puissant roi, Çatakratou, le monarque des Dieux, par la danse, le chant, les instruments de musique et leurs divins éclats de rire. 305.

» Ils comblent de louanges et de bénédictions le meurtrier magnanime de Vritra et de Bala pour ses actions et ses prouesses. 306.

» Les Râdjarshis, les Brahmarshis et les Dévarshis y flamboient tous comme autant d’Agnis, portés sur différents chars célestes ; 307.

» Tous ornés de parures et ceints de guirlandes, ceux-ci vont et ceux-là reviennent. Vrihaspati et Çoukra n’y désertent jamais leurs sièges. 308.

» Ceux-là et d’autres magnanimes eu grand nombre, à l’aspect aimable comme la lune et semblables à Brahma, entre lesquels on voit Bhrigou et les sept lumineux rishis, sont montés sur des chars pareils à l’astre des nuits. 309.

» Ce palais de Çatakratou aux longs bras, je l’ai vu de mes yeux, sire, avec ses guirlandes de lotus : écoute quel est aussi le palais d’Yama. 310.

» Je vais te décrire, fils de Kountî, prête-moi l’oreille ! ce château d’Yama, que Viçvakarma bâtit lui-même, Youddhishthira, pour ce fils du soleil. 311.

» Cette resplendissante demeure a cent yodjanas de largeur ; on lui a donné, royal fils de Pândou, une longueur beaucoup plus grande. 312.

» C’est un palais, brillant sur toutes ses faces, semblable au soleil, ni trop chaud, ni trop froid, séduisant l’âme et doué de ces formes, qu’on aime. 313.

» Là, n’entrent jamais ni le chagrin, ni la vieillesse, ni la faim, ni la soif, ni la tristesse, ni la fatigue, ni l’obstacle, ni le déplaisir. 314.

» Là, sont rassemblés tous les objets, que peuvent désirer ou les Dieux ou les hommes ; là, se trouvent à profusion et remplis de saveur tous les mets agréables, doux, appétissants, soit pour manger, soit pour lécher, soit pour sucer, et toutes les espèces de breuvages. 315-316.

» Là, sont des parfums exquis, de belles guirlandes, des arbres couverts en toutes saisons des fruits, que l’on désire, des eaux savoureuses, ou froides, ou chaudes.

» Là, mon enfant, ces Râdjarshis purs et ces Dévarshis immaculés forment la cour bienheureuse d’Yama, le fils du soleil : 317-318.

» Yayâti, Nahousha, Poùrou, Mandhàtri, le roi Somaka, l’illustre et vigoureux Trasadasyou, le Vâdjarshi,

» Arishtanémi, Siddha, Kritavéga, Kriti, Nimi, Pratardana, Çivi, Matsya, Prithoulâksha, Vrihadratha, 319-320.

» Vàrtta, Maroutta, Kouçika, Sankâçrya, Sànkriti, Dhrouva, Tchatouraçva, Sadaçvormi, et le prince Kàrttavîrya, 321.

» Bharata, Souratha, Sounitha, Niçatha, Nala et Divodâsa, Soumanas, Ambarisha, Bhagtratha, 322.

» Vyaçva, Sadaçva, Vadhryaçva, Prithouvéga, Prithouçravas, Prishadaçva, Vasoumanas et Kshoupa à la bien grande force, 323.

» Vrishadgou, Vrishaséna, Pouroukoutsa, Dhwadjî et Rathî, 324.

» Arshtipéna, Dilîpa et le magnanime Ouçînara, Aàuçînari, Poundarîka, Çaryàti, Çarabha, Çoutchi, 325.

» Anga, Rishta, Véna, Doushyanta, Srindjaya, Djaya, Bhàngàsouri, Sounitha, Nishada et Vahînara, 326.

» Karandhama, Vâhlika, Soudyoumna, le vigoureux Madhou, elle puissant Maroute Éla, le souverain de la terre,

» Kapotaroman, Trinaka, Sahadéva et Arjouna, Vyaçva et Sàçva, Kriçàçva et le roi Çaçavindou, 327-328.

» Râma le Daçarathide, Lakshmana et Pratarddana, Alarka, Kakshaséna, Gaya et Goràçva lui-même, 329.

» Râma le Djamadagnide, Nàbhàga et Sagara, Bhouridyoumna, Mahâçva, Prithâçva et Djanaka, 330.

» Le roi Valnya, Vârishéna, Pouroudjit, Djanamédjaya, Brahmadatta, et Trigartta, et Râdjoparitchara, 331.

» Indradyoumna, Bhîmadjânou, Gaâuraprishtha, Anala ; Gaya, et Padma, et Moutchoukounda, et Bhoûridyoumna, et Prasénadjit, 332.

» Arishtanémi, Soudyoumna et Prithoulâçva, le huitième ; œnt rois poissons, cent autres nipas[1], cent autres chevaux, 333.

» Une centaine de Dhritarâshtras, quatre-vingts Djanamédjayas, cent Brahmadattas, une centaine d’Irinas, 334.

» Deux centaines complètes de Bhîshmas et cent Bhîmas, une centaine de Prativindhyas, cent rois éléphants, cent autres yaks. 335.

» Sache qu’il y a encore une centaine de palâças faits hommes, cent kâças, kouças et autres végétaux personnifiés, Çântanou et Pândou même, ton père, monarque des rois,

» Ouçangava, Çataratha, Dévarâdja, Djayatratha et Vrishadarbha, le sage râdjarshi, avec ses ministres,

» Et des milliers d’autres monarques, arrivés dans le palais d’Yama, après qu’ils eurent sacrifié des açvamédhas nombreux, solennels, payés avec de riches honoraires.

» Ces ràdjarshis saints, renommés, chéris de la gloire, composent dans ce palais, Indra des rois, la cour du Vivasvatide. 336-337-338-339.

» Agastya, Matanga, Kâla et Mrityou même, les sacrificateurs, les Siddhas et ceux, qui ont les corps de l’yoga,

» Les Agniswâttas, les Pitris, les Phénapas, les Oushmapas, les Swadhavats, les Barhishadas et les autres cérémonies personnifiées, 340-341.

» Le vénérable Feu, qui se rend visible au temps, où expire un cycle du monde ; les hommes aux œuvres difficilement accomplies, les Dakshinâyanas, les Mrityavas,

» Et les énergies, qui participent au gouvernement d’Yama, le roi de la mort ; les çinçapas et les pâlâças, les kâças, les kouças et d’autres saints végétaux faits hommes composent, puissant roi, cette cour d’Yama, le roi de la justice. Tous ceux-là et d’autres en grand nombre sont les serviteurs et les courtisans du souverain des Mânes. 342-343-344.

» Il est impossible d’en supputer, fils de Prithâ, les noms et les fonctions. Avant de construire ce palais vaste, délicieux, se transportant où l’on désire, Viçvakarma se mortifia long-temps par la pénitence. 345.

» Les ascètes aux violentes macérations, aux vœux bien observés, et de qui la bouche est asservie à la vérité, y viennent, rejeton de Bharata, flamboyants et tout resplendissants de leur propre lumière. 346.

» Placides, purs, détachés des affections mondaines, sanctifiés par de bonnes œuvres, tous ont des corps éblouissants de splendeur, tous sont vêtus de robes immaculées.

» Tous portent des bracelets merveilleux, des pendeloques flamboyantes, des guirlandes admirables, et s’avancent, brillamment escortés de nobles personnes, qui sont leurs bonnes actions et leurs œuvres saintes. 347-348.

» Là sont, par troupes, des Gandharvas à la grande âme ; ici, des chœurs d’Apsaras. La musique des instruments, la danse, le chant, les rires, le gracieux lâsya[2] remplissent tout le palais. 349.

» De tous côtés, fils de Prithâ, ce ne sont que des parfums exquis, que des sons ravissants. De frais bouquets enchantent les yeux de toutes parts. 350.

» Cent millions de justes, doués tous de sagesse et de beauté, servent le magnanime souverain des créatures.

» Tel est, sire, le palais du roi des Mânes. Je vais maintenant te décrire le palais aux guirlandes de lotus, habitation de Varouna. 351-352.

» Le céleste château de Varouna est, Youddhishthira, d’une splendeur infinie ; il égale en dimensions le palais d’Yama. Ses portes arcadées et ses remparts éblouissent les yeux. 353.

» Viçvakarma, pour le construire, descendit au fond des eaux. Il est orné d’arbres divins, faits de pierreries, donnant des fleurs et des fruits, 354.

» D’arbrisseaux verts, jaunes, noirs, bleus, rouges et blancs, qui étendent sur leurs pédoncules des fleurs non encore écloses. 355.

» Là sont, par centaines et par milliers, des oiseaux admirables aux doux ramages et d’une beauté indescriptible. 356.

» Ce palais charmant, doux au toucher, blanc, ni froid, ni chaud, bien pourvu de sièges et de vêtemens, est défendu par Varouna. 357.

» C’est là que, accompagné de Varouni, habite le souverain des ondes, orné de célestes parures et vêtu d’une robe faite de pierreries célestes. 358.

» Là, oints d’onguents à l’odeur céleste, parfumés d’essences divines et ceints de belles guirlandes, les Adityas servent le Dieu, qui règne sur les eaux. 359.

» Vâsouki, Takshaka et Nâga, Aîrâvana, et Krishna, et Lohita, et Padma, et le vigoureux Tchitra, 360.

» Kambala et Açvatara, les deux serpents Dhritarâshtra et Balaka, Manimat et Koundadhàra, Karkotaka et Dhanandjaya, 361.

» Animat et un autre Koundadhâra, plein de vigueur, ô maître de la terre, Prahlâda, Moûshikâda et Djanamédjaya, 362.

» Les patâkinas[3], les raandalinas[3] et les phanavantas[3] sans exception, Youddhishthira, ces serpents et d’autres en grand nombre servent dans ce palais, 363.

» Sans connaître la fatigue, Varouna le magnanime. Bali, ce roi fils de Virotchana, Naraka, le conquérant de la terre, 364.

» Sanhrâda, Vipratchitti et les Dânavas, serpents des eaux, Souhanou, Dourmoukha, Çankha, Soumanas et après lui Soumati, 365.

» Ghatodara, Mahâpàrçwa, Krathana et Pithara, Viçvaroûpa, Swaroûpa et Viroûpa à la grande tête, 366.

» Daçagrîva, Bâli, Méghavâsas, Daçâvara, Tittibha, Vitabhoûta, un autre Sanhrâda et Indratâpana, 367.

» Toutes les troupes des Daîtyas et des Dânavas aux pendeloques éblouissantes, ceints de guirlandes, ornés de bouquets, vêtus d’habits célestes, 368.

» Tous ces héros, tous exempts de la mort, tous remplissant bien leurs fonctions, servent continuellement dans son palais, quand ils en ont obtenu la faveur, Varouna, le Dieu magnanime, qui tient dans sa main le lasso du devoir. En outre les quatre mers et le fleuve Bhâgîrathî, 369-370.

» La Kâlindî, la Vidiçâ, la Vénâ, la Narmadâ au rapide courant, la Vipâçâ, la Çatadroû, la Tchandrabhâgâ, la Sarasvati, 371.

» L’Irâvatî et la Vitastâ, le Sindhou, ce fleuve des Dieux, la Godâvarî, la Krishnavénâ et la Kavérî, la plus belle des rivières, 372.

» La Rimpounâ, et la Viçalyâ, et la rivière Vaîtaranî, qui est la troisième, la Djyeshthilà, et le Çona, roulant à grand bruit, et la Tcharmanvatî, et la grande rivière Parnâçâ, 373.

« La Sai-ayoû, la Vâravatyâ et la Lângalî, excellent cours d’eau, la Karatoyâ, l’Atréyî et le bruyant Laâuhitya.

» La Laghantî, la Goraatî, la Sandhyâ et la Trissrotasî : ces rivières et d’autres saints tirthas, célèbres dans le monde, Indra des rois, 374-375.

» Fleuves de tous les pays, bains sacrés, lacs, puits, ruisseaux faits hommes, Youddhishthira, 376.

» Marais, piscines, revêtus d’un corps humain, fils de Bharata, les points cardinaux, la terre et toutes les montagnes 377.

» Forment la cour du magnanime avec tous les êtres, qui nagent dans les eaux. Les troupes des Apsaras et des Gandharvas, le chant à la bouche et les instruments de musique à la main, 378.

» Entonnent les louanges de Varouna dans ce château, leur commune habitation. Là siègent, racontant de bien charmantes histoires, les montagnes aux riches pierreries et les eaux fameuses. Là habite Varouna avec son ministre Sounâbha ; 379-380.

» Varouna, environné de ses fils et de ses petit-fils, de Gonâman et de Poushkara. Tous ont des corps et tous ils composent la cour de cet auguste roi. 381.

» Tel est, éminent Bharatide, ce ravissant palais de Varouna, que j’ai vu avant le tien dans mes pérégrinations. Écoute-moi décrire maintenant le palais de Kouvéra. 382.

» Le palais du fils de Viçravas est long de cent yodjanas, sire ; il en couvre soixante-dix de sa largeur ; il brille d’une blanche lumière. 383.

» Kouvéra, sire, l’a conquis lui-même par ses mortifications : il a ime splendeur égale à celle de la lune ; son toit ressemble aux cimes du Kailàsa. 384.

» Soutenu par les Gouhyakas, ce palais céleste respendit comme suspendu au milieu des airs : il est embelli de hauts pavillons faits d’or. 385.

» Admirable, charmant, parfumé de senteurs divines, plein de grandes pierres fines, il paraît aux yeux naviguer dans l’atmosphère, et la forme de ses cîmes ressemble à des nuées blanches. 386.

» Château aérien, ses parties faites d’or le coupent comme des éclairs. C’est là que demeure le royal fils de Viçravas, paré d’une robe et d’ornements admirables.

» Portant des girandoles flamboyantes, saturé de bonheur, environné par des milliers de femmes, il siège sur un trône saint, couvert de tapis célestes, brillants comme le soleil, et ses pieds reposent sur un marche-pied divin. Un vent frais le caresse, un vent chargé de parfums, disséminant les senteurs des bois odorants, du bosquet Nandana et du bassin de lotus, qui prend son nom d’Alakâ ; un vent, joie du cœur, au souffle duquel se balance la cîme des généreux mandâras. 387-388-389-390.

» Là, rassemblés dans ce palais, chantent avec de célestes accents, puissant roi, les Dieux et les Gandharvas, environnés par les troupes des Apsaras, 391.

» Miçrakéçî, Rambhâ, Tchitrasénâ au candide sourire, Tchârounétrâ, Ghritakshî, Ménakâ et Poudji-Kasthalâ, Viçvâtchî, Sahadjanyâ, Pramlotchâ, Ourvaçi et Irâ, 392-393.

» Vargâ, Saâutabhéyî, Samîtchî, Voudvoudâ et Latà. Ces troupes d’Apsaras et de Gandharvas, ainsi que d’autres par milliers, habiles dans le chant et la danse, servent le Dieu, qui donne les richesses. Le chant, la danse et les instruments d’une musique céleste font résonner sans relâche ce divin palais. 394-395.

» Il brille de splendeur et n’est jamais vide d’Apsaras et de Gandharvas en troupes. Il y a des Kinnaras, il y a des Gandharvas, il y a des hommes et d’autres personnages : 396.

» Manibhadra, Dhanada et Çwétabhadra le Gouhyaka, Kaçéraka, Gandakandou et Pradyota à la grande force, Koustoumbarou et le Piçâtcha Gadjakarna, Viçàlaka,

» Varâhakarna, Tâmraâushtha, Phalakaksha, Phalaudaka, Hansatchouda, Çikhâvartta, Hémanétra, Vibhîshana, 397-398.

» Poushpânana, Pingalaka, Çonitoda, Prabâlaka, Vrikshavat, Panikéta et Tchîravâsas : ceux-là et d’autres Yakshas par centaines de mille. 399.

» L’auguste Lakshmî, Nalakoûvara, et moi, et d’autres mes égaux en grand nombre habitent continuellement ce palais. 400.

» Là, sont d’autres Brahmarshis et Dévarshis ; là, des Rakshasas mêmes et d’autres Gandharvas à la grande force servent le magnanime seigneur, qui dispense les richesses. 401.

» Là, environné par des troupes de cent mille Bhoûtas, l’auguste époux d’Oumâ, Paçoupati, le Dieu armé du trident, qui arrache les yeux à la fortune, 402.

» Tryambaka, l’archer terrible à la grande vigueur, Dévî à ses côtes, étrangère à la fatigue, habite là sans cesse, tigre des rois, chez son ami le Dieu des richesses, avec sa cour de nains-bossus, aux longues dents, aux yeux de sang, aux vastes cris, horribles mangeurs de chair et de moëlle. Des armes variées, épouvantables, sire, l’environnent, semblables à des vents rapides. Il compte dans sa cour d’autres nombreux et joyeux suivants par centaines et les chefs des Gandharvas : Viçvâvasou, Hâhâ, Houhoû, Toumbourou, Parvata, Çalloûsha et L’autre, 403-404-405-406.

» Tchitraséna, chanteur savant, et Tchitraratha : ces Gandharvas et d’autres composent la cour du maitre des richesses. 407.

» Tchakradharmâ, le souverain des Vidyâdharas, avec son cortège y sert l’auguste Dieu, qui préside à la richesse. 408.

» Les Kinnaras par centaines et les rois, marchant à la suite de Bhagadatta, servent eux-mêmes l’adorable Kouvéra. 409.

» Parmi les courtisans de l’opulente Déité est encore Drouma, Kimpourousha, Iça, le souverain des Rakshasas, le Mahéndra, le Gandhamâdana, 410.

» Avec les Yakshas, avec les Gandharvas, avec tous les Démons nocturnes. Le vertueux Vibhîshana y rend hommage à son auguste frère. 411.

» L’Himâlaya, le Pâripâtra, le Vindhya, le Kallâsa, le Mandâra, le Malaya, le Dardoura même, le Mahéndra, le Gandhamâdana, 412.

» L’Indrakîla, le Sounâbha et les deux montagnes célestes, ces monts et plusieurs autres, le Mérou à la tête, ont là tous leur siège au-dessous de l’auguste et magnanime souverain de la richesse. 413.

» Là siègent le bienheureux Nandiçvara, et Mahâkâla, et tous leurs divins suivants aux inufiles d’âne, 414.

» Kâshtha, Koutimoukha, Dantî et Vidjayâ aux sublimes pénitences, et le taureau Çwéta à la grande force, aux vastes meuglements. D’autres Rakshasas et Piçâtchas sont les serviteurs du Dieu, qui dispense les richesses.

» Le Poulastide, souverain de l’opulence, ne s’avance jamais que la tête inclinée vers l’époux d’Oumâ, environné de sa cour, Çiva aux formes multiples, Mahéçwara, le roi du roi des Dieux, qui donne la vie aux trois mondes. Il ne s’assied jamais avant que le Grand-Dieu, Bhava, l’ami de Kouvéra, ne lui en ait accordé la pcnnission. 415-416-417.

Là, Çankha et Padma, les premiers de ses plus riches trésors, les deux rois des richesses, se tiennent, toutes leurs richesses dans les mains, aux ordres du Dieu, qui préside aux richesses. 418.

» Tel est ce ravissant palais, que j’ai vu naviguer dans l’atmosphère ; je vais maintenant te décrire le palais de Brahma, l’aïeul suprême des créatures. Prête-moi l’oreille, sire. 419.

» Écoute-moi te raconter, fils de Bharata, quel est ce palais du Pitâmaha ; séjour, qu’on ne saurait dépeindre, mon enfant, à tel point qu’on pût dire : « Voilà sa forme ! »

» Jadis, dans l’âge Krita, l’adorable soleil, inaccessible à la fatigue, descendit du ciel, désirant voir le monde des hommes. 420-421.

» Voyageant sous un forme humaine, il vit le palais de Swayambhou, et me fit, d’après le témoignage de ses yeux, fils de Pândou, une description exacte de cette 422.

» Habitation immense, céleste, idéale, indescriptible par la prééminence de ses qualités, auguste Bharatide, et ravissante pour tous les êtres ! 423.

» À peine eus-je ouï raconter les merveilles de ce palais que, désirant le voir, chef des Pândouides, je parlai en ces termes au soleil : 424.

« Adorable, j’ai envie de voir ce radieux palais de l’ayeul suprême des créatures. Dis-moi par quelle pénitence, ou quelles œuvres, ou quels simples efficaces, maitre du monde, je puis obtenir de voir ce palais sublime et qui efface les péchés. » 426-426.

» À ces paroles de moi, l’astre aux mille rayons, la cause du jour, m’imposa, ô le plus vertueux des Bharatides, un vœu de mille années : 427.

« Observe d’une âme recueillie le vœu de Brahma ! » Il dit ; et moi de commencer ce grand vœu sur le flanc de l’Himâlaya. 428.

» Ensuite l’énergique soleil m’emporta et le bienheureux se dirigea, sans paresse, sans fatigue, vers le palais de Brahma. 429.

» Le dépeindre, monarque des hommes, et dire : « Voilà sa forme ! » est chose impossible. En effet, à chaque instant, il change de forme et sa beauté est indescriptible. 430.

» Je ne sache pas, enfant de Bharata, que nulle part avant j’aie vu de telles dimensions, un tel plan d’architecture, une telle beauté. 431.

» Une profonde joie règne toujours dans ce palais, qui n’est, sire, ni chaud, ni froid : ceux, qui entrent là, ne sentent ni la faim, ni la soif, ni la tristesse. 432.

» Fait de pierreries éblouissantes, ce palais a, pour ainsi dire, toutes les formes : il n’est pas soutenu sur des colonnes, mais il est éternel ; les êtres célestes de mainte espèce, qui l’habitent et brillent de splendeurs infinies, participent à son indestructibilité. 433.

» Sa lumière propre surpasse celle de la lune, celle du soleil, celle du feu. Il flamboie, situé sur la voûte du ciel, où il semble railler l’astre de la lumière ! 434.

» L’adorable ayeul de tous les mondes, seul avec lui-même, trône dans ce palais, où il crée sans cesse par la vertu de sa mâyâ divine. L’auguste Dieu, sire, est servi par les maîtres des créatures : 435..

» Daksha, Pratchétas, Poulaha, Marltchi, le grand Kaçyapa, Bhrigou, Atri, Vaçishtha, Gaâutama et Angiras, 436.

» Poulastya, Kratou même, Prahlâda et Karddama, Atharva, Angirasa, les Bâlikhilyas, les Marîtchipas, 437.

» Manou, l’Atmosphère, les Éclairs, le Vent, la Splendeur, l’Eau, la Terre, le Son, le Toucher, la Forme, le Goût et rOdorat, fils de Bharata, 438.

» La nature, la transmutation des formes et la seconde cause de la terre, Agastya à la grande splendeur et l’énergique Mârkandéya,

» Djamadagni, Bharadwâdja, Sambartta et Tchyavana, l’éminent Dourvâsas et le vertueux Rishyaçringa, 439-440.

» Sanatkoumâra le bienheureux, Yogàtchârya aux grandes pénitences, Asita, Dévalga et Djaîgîshavya, qui sait la vraie nature des choses, 441.

» Rishabha, Ajitaçatrou à la grande vigueur, Mani, Ayourvéda, Ashtânga et Déhavat siègent dans ce palais, enfant de Bharata.

» La lune avec ses constellations, le soleil avec ses rayons, les vents, les sacrifices, la pensée, la vie même, 442-443.

» Tous ces êtres magnanimes, enchaînés à de grands vœux, et plusieurs autres revêtus comme eux d’un corps humain, composent la cour de Brahma.

» L’intérêt, le devoir, l’amour, la joie, la haine, la pénitence, la répression des sens avec des troupes d’Apsaras et de Gandharvas, circulent de compagnie dans ce palais. 444-445.

» On y voit les vingt-sept gardiens du monde, sans exception, et d’autres : Çoukra, Vrihaspati, Boudha et Angâraka lui-même, 446.

» Çanalçtchara, Râhou, toutes les planètes, le Mantra, le Sâma-Véda et le riche Temps lui-même, 447.

» Les Adityas et les rois suprêmes, appelés avec des couples de noms, les Maroutes, Viçvakarma et les Vasous, noble Bharathide, 448.

» Toutes les troupes des Mânes, toutes les oblations de beurre clarifié, le Rig-Véda, le Sâma-Véda et l’Yadjour-Véda, fils de Pàndou, 449.

» L’Atharva-Véda, tous les Çâstras eux-mêmes, les Itihâsas, les Oupavédas et les Védângas entièrement, 450.

» Les éclipses de lune et de soleil, le soma ou te jus de l’asclépiade acide, toutes les divinités, Oumâ ou Sàvitri et Sarasvatî aux sept formes, difficile à traverser de l’un à l’autre bord, 451.

» L’intelligence, la fermeté, la mémoire, la science, la pensée, la réputation, la patience, les flatteries, les Çâstras de la louange et les chants variés, 452.

» Les paroles jointes à la pensée, revêtues les unes et l’autre d’un corps, les drames divers, souverain des hommes, les poèmes, les fables, les romans et les commentaires ; 453.

» Ces vertueuses personnes et d’autres, qui obéissent religieusement à un gourou, sont les habitants de ce palais, comme la seconde, la minute, l’heure, le jour et la nuit, 454.

» Les quinzaines lunaires, les mois et les six saisons, fils de Bharata, l’année, le lustre et la grande journée à quatre phases. 455.

» Là, siège toujours le cycle divin, immortel, impérissable ; là, siégent toujours, Youddhishthira, le cycle de Brahma, Aditi, Diti, Danou même, Sourasâ, Vinatâ, Irâ,

» Kâlikâ, Sourabhî, Dévî, Saramâ et Gaàutamî, Prabhâ, Kadrou, les deux Dévîs et les mères des Dieux,

» Roudrânî, Çrî, Lakshmî, Shashthî et Parâ, Prithivî ou la terre, Gângatà, la Déesse Pudeur, Svvâhâ et la renommée, 456-457-458.

» Sourâ, Dévî et Çatchî même, Poushti, Aroundhatî, Samvritti, l’Espérance, la compression des sens, la Déesse Création et la Volupté : ces divinités et d’autres forment la cour du Pradjâpati 459.

» Avec les Adityas, les Vasous, les Roudras, les Maroutes et les deux Açwins, les Viçvadévas, les Sâdhyas et les Pitris, aussi rapides que la pensée. 460.

» Sache, roi des hommes, qu’il y a sept classes de Pitris ou Mânes : quatre sont revêtues d’un corps et trois n’ont pas de corps. 461.

» Les éminents Vaîrâdjas, les Agniswâttas, auguste Bharathide, les Gârhapatyas, qui cheminent à travers le ciel, Pitris renommés dans le monde, 462.

» les Somapas, les Ékaçringas, les Tchatour-Védas et les Kâlas : tels sont les Pitris, sire, honorés dans les quatre castes. 463.

» Ceux-ci commencent par satisfaire à leur faim et Lunus ne satisfait à la sienne qu’après eux. Ils servent tous le Pradjâpati et joyeux ils siègent au-dessous de Brahma à la splendeur infinie. 464.

» Les Rakshasas, les Piçâtchas, les Dânavas et les Gouhyakas, les Nàgas, les Souparnas et las Paçous sont également au nombre des courtisans du Pitâmaha. 465.

» Les grands êtres, immobiles et mobiles, d’autres avec eux, Pourandara, le roi des Dieux, Varouna, Dhanada, Yama, sont eux-mêmes de sa cour. 466.

» Mahadéva, accompagné d’Oumâ, vient toujours de toute sa personne, Indra des rois, en ce merveilleux palais. Kârtikéya y sert lui-même avec eux l’ayeul suprême des créatures. 467.

» Là, sont encore le Dieu Nârâyana et les Dévarshis, et les rishis Bâlikhilyas, les êtres nés d’une matrice et ceux, de qui la naissance est surnaturelle. 468.

» Sache qu’il n’existe pas un être quelconque, immobile ou mobile, vu dans les trois mondes, que je n’aie trouvé là, roi des hommes. 469.

» Quatre-vingt-huit mille rishis, voués à la continence et cinquante mille rishis ayant donné le jour à des fils, noble Pândouide, 470.

» Tous habitants du ciel, une fois qu’ils ont rassasié leurs yeux du bonheur de contempler Brahma, se prosternent, la tête à ses pieds, et s’en vont tous comme ils sont venus. 471.

« Le saint à la sagesse infinie, Brahma, l’ayeul suprême des mondes, rempli de compassion à l’égârd de tous les êtres, accueille, suivant qu’ils en sont dignes,

» Les hôies, qui viennent chez lui. Dieux, Daîtyas, Nâgas et brahmes, Yakshas, Souparnas, Kâléyas, Gandharvas et Apsaras. 472-473.

» Reçus dans son palais, monarque des enfants de Manou, l’Être à la splendeur sans mesure, existant par lui-même, l’âme du monde, les flatte, les comble de biens et de plaisirs. 474.

» À chaque premier jour des quinzaines lunaires, le palais, enivrant de bonheur, est tout rempli, cher Bharatide, de ces nobles visiteurs. 475.

» Divin, tout composé de lumières, habité par les chœurs des Dévarshis, flamboyant d’une beauté brahmique, il brille d’une inaltérable splendeur. 476.

» Tel j’ai vu ce palais, aussi difficile à obtenir dans les mondes du ciel que le tien, celui-ci, tigre des rois, l’est dans le monde des enfants de Manou. 477.

» C’est dans le monde divin, que j’ai vu autrefois ces palais, auguste Bharatide ; mais le tien est sans contredit le plus beau dans le monde humain. » 478.

Youddhishthira lui répondit :

« Ô le plus éloquent des êtres, qui sont doués de la voix, tu as parlé très-souvent du monde des rois ; il est situé, comme tu l’as dit, saint anachorète, dans le palais d’Yama.

» Tu as dit, éminent solitaire, que les Nâgas, les rois des Daîtyas eux-mêmes, les plus grands fleuves et la mer en personne habitaient le palais de Varouna. 479-480.

» Tu as dit que le palais du Dieu des richesses était l’habitation des Yakshas, des Gouhyakas et des Rakshasas, des Gandharvas, des Apsaras et de l’Adorable, qui porte un taureau dans le champ de son étendard. 481.

» Tu as dit que dans le palais du Pitâmaha étaient réunis les grands saints, tous les chœurs des Dieux et tous les Çâstras faits hommes. 482.

» Tu as placé les Dieux, anachorète, dans le palais de Çakra, et, par exemple, les Gandharvas et les différents Maharshis. 483.

» Mais le saint roi Hariçtchandra est le seul, grand anachorète, que tu aies dit habiter le palais du magnanime roi des Dieux. 484.

» Quelle action avait-il faite, ou quelle pénitence avait-il supportée, hermite aux vœux constants, qui pût mettre ainsi le prince à la bien grande renommée au niveau de Çakra ? 485.

» Le vertueux Pândou, mon père, est allé dans le monde des Mânes : l’y as-tu vu, brahme ? Ou comment s’est-il rencontré avec toi ? 486.

» Qu’est-ce qu’il t’a dit, vénérable ? Conte-moi cela ; j’ai une extrême curiosité d’entendre toutes ces choses de ta bouche. » 487.

« Je vais donc te dire quelle fut, reprit Nârada, la magnanimité du sage Hariçtchandra, sur lequel tu m’interroges, auguste Indra des rois. 488.

» Ce fut un puissant monarque, suzerain de tous les rois : tous les potentats du globe se tenaient courbés devant ses ordres. 489.

» Monté dans un char victorieux aux ornements d’or, ce roi, qui possédait l’énergie des armes, conquit, souverain des hommes, les sept îles de la terre. 490.

» Après qu’il eut soumis ce globe entier avec les bois, les eaux et les montagnes, il offrit, puissant roi, le grand sacrifice du Râdjasoûya. 491.

» Dociles à son ordre, tous les rois y apportèrent des richesses et furent dans le sacrifice les assistants des brahmes. 492.

» Le souverain des hommes y donna avec amour des biens aux mendiants : d’abord, ce qu’ils avaient sollicité ; ensuite, dix fois plus. 493.

» Il rassasia de richesses en toutes sortes les brahmes, accourus de mainte et mainte contrée, quand fut arrivé le moment de procéder au sacrifice. 494.

» Enfin les brahmes contents, mis au premier rang, comblés de pierreries données en multitude, rassasiés de mets et d’aliments au gré de leur envie, prononcèrent les dernières paroles. 495.

» Plein d’héroïsme et proclamé par la renommée, il était supérieur à tous les rois : Hariçtchandra était donc, sache-le, auguste chef des Bharatides, éclatant de splendeur au milieu de ces milliers de souverains. Quand ce prince majestueux eut terminé ce grand sacrifice, alors, sacré au titre d’empereur universel, il n’y eut rien d’égal à sa noble lumière. Ainsi en est-il des autres potentats, chef des Bharatides, qui célèbrent le grand sacrifice du Râdjasoûya ; ils partagent les plaisirs d’Indra : ainsi en est-il de ceux, qui préfèrent la mort à la fuite dans les batailles : ainsi en est-il de ceux, qui détruisent leur corps ici-bas par une violente pénitence. Entrés, chef des Bharatides, dans le palais d’Indra, ils prennent part à ses plaisirs. 496-497-498-499-500.

» Admis dans ce paradis, ces fortunés hôtes y brillent d’une splendeur continuelle. Pândou, ton père, à la vue de la beauté, dont éclatait Hariçtchandra, m’a dit, royal fils de Kountî, la joie des Kourouides, dans l’épanouissement de son admiration, quand il sut que je tournais ma route vers le monde des enfants de Manou : 501-502.

« Après que tu l’auras salué, dis au puissant Youddhishthira : Tes frères te sont docilement soumis, tu es capable de conquérir la terre. 503.

» Célèbre ensuite un râdjasoûya, le plus efficace des sacrifices. Quand tu l’auras offert, toi, mon fils, je serai bientôt, moi ! un second Hariçtchandra ! et je m’enivrerai de plaisirs dans la cour de Çakra durant de nombreuses, éternelles années. » C’est ainsi qu’il m’a parlé, rejeton de Bharata. « Qu’il en soit ainsi ! ai-je répondu à Pândou ; je redirai ce langage au monarque ton fils, si je vais sur le monde de la terre. » Accomplis donc sa pensée, fils de Pândou. 504-505-506.

» Tu partageras avec tes ancêtres eux-mêmes le bonheur de posséder le monde de Mahéndra. Ce sacrifice est appelé grand ; beaucoup d’obstacles, prince, l’environnent. 507.

» Des brahmes, tombés dans la condition de Rakshasas, destructeurs des sacrifices, veulent y jeter des troubles : de là naissent des combats, qui font périr les kshastryas et produisent la ruine de la terre. 508.

» Une cause quelconque peut y apporter la destruction. Songe bien à cela, Indra des rois, et fais alors ce qui est heureux. 509.

» Levé sans paresse, n’abandonne pas un instant la défense des quatre classes ; grandis, amuse-toi, rassasie les brahmes de richesses ! 510.

« J’ai répondu amplement aux interrogations, que tu m’as adressées ; maintenant je te fais une question : puis-je aller à la ville des Dâçârhains ? » 511.

Après qu’il eut parlé de cette manière aux fils de Kountî, Nârada, auguste Djanamédjaya, s’en retourna, environné de ces rishis, dans la compagnie desquels il était venu. 512.

L’anachorète parti, le prince, issu de Kourou et fils de Prithâ, songea avec ces frères au râdjasoûya, le plus éminent des sacrifices. 513.


  1. Espèce d’arbre, le naticléa kadamha.
  2. Espèce de danse, exécutée surtout par les femmes. Elle se compose d’attitudes et de gestes avec un léger mouvement des pieds, rarement élevés au-dessus de la terre.
  3. a, b et c Espèce de serpents.