Discours sur les psaumes (Augustin)/Psaumes XCI à C

Discours sur les psaumes : Psaumes XCI à C
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)

DISCOURS SUR LE PSAUME 91 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LE SABBAT DIVIN. modifier

Ici-bas nous sommes dans l’attente des promesses divines, nous avons la foi et l’espérance qui se transformeront un jour en charité ; aimons donc le Seigneur, soit qu’il nous châtie, soit qu’il nous console. Le sabbat, qui est pour nous la cessation de tout péché, tel est le titre du psaume. Le méchant n’a pas ce sabbat qui est la joie dans la paix, le repos dans les promesses de Dieu, et que trouble ce que l’on voit parmi les hommes. Si nous faisons le bien, nous en sommes redevables à Dieu ; si nous faisons le mal, il ne faut s’en prendre ni à Satan qui ne peut nous forcer, ni an destin comme s’il était quelque chose en dehors de Dieu ; nos fautes viennent de nous seulement, nos bonnes actions viennent de Dieu ; cherchons sou nom ou sa gloire dans la prospérité, ou dans l’adversité que nous attirons par nos crimes. Chanter sur le psaltérion, c’est faire le bien ordonné par le Décalogue ; et cela vient de Dieu, puisque par nature nous sommes menteurs en paroles et en actions. Si l’impie est dans la prospérité ici-bas, souvenons-nous que le Christ a souffert sur la terre ; l’impie alors est un poisson qui avale avec sa proie l’hameçon qui le perdra. Dieu est patient parce qu’il est éternel, tandis que l’impie se fanera comme l’herbe. Dieu corrige celui à qui il destine son héritage. Or, les méchants qu’il laisse en paix, n’ont rien à attendre de lui, taudis que le juste sera comme le palmier ou le cèdre que le soleil ne dessèche point. Ayons donc le véritable amour de Dieu, et nous ne l’accuserons plus, puisqu’il a l’éternité.


1. Écoutons ce psaume avec attention : que lieu nous donne de découvrir les mystères qu’il renferme, puisque c’est pour éviter à notre esprit tout dégoût que les mêmes enseignements nous sont donnés sous des formes différentes. Toutes les instructions en effet’ que Dieu nous donne, se réduisent à la foi, à l’espérance, à la charité : afin que notre foi s’affermisse en lui, tant que nous ne le voyons pas encore ; qu’après avoir cru en lui sans le voir nous nous réjouissions quand nous le perrons, et qu’à notre foi succède la vision, alors qu’on ne nous dira plus : Croyez ce que tous ne voyez point ; mais bien : Jouissez de ce que vous voyez ; afin que notre espérance soit immuable, et que, fixée en Dieu, elle ne subisse ni changement, ni fluctuation, ni agitation, comme Dieu qui en est la base, n’est assujetti à aucun ébranlement. C’est maintenant une espérance, mais à l’espérance un jour succédera la réalité. Elle porte en effet le nom d’espérance tant que nous ne voyons pas ce qui en est l’objet, comme l’a dit l’Apôtre : « L’espérance qui verrait se serait plus une espérance : comment espérer ce que l’on voit déjà ? Si donc nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience[1] ». Il nous faut donc la patience, jusqu’à ce que vienne ce qui nous est promis. Mais la patience n’existe point quand on est heureux, et l’on ne demande la patience qu’à l’homme qui souffre : on lui dit : De la patience, souffrez, endurez ; c’est une peine dans laquelle Dieu vous demande le courage, la force, la résignation, la patience. Mais vous fait-on des promesses mensongères ? Un médecin prépare son fer pour tailler des blessures, et il dit à celui qu’il va tailler : De la patience, de la force, de la constance. Il demande la patience pendant la douleur, et après la douleur il promet la guérison. Si le malade qui gémit sous le fer du médecin ne se proposait la santé qu’il n’a pas, il se laisserait abattre par la douleur qu’il endure. Il est donc beaucoup de douleurs à supporter en cette vie ; au dedans, au-dehors, partout et sans cesse des scandales : et nul n’en est touché, comme celui qui marche dans la voie de Dieu. À chaque page la sainte Écriture lui prêche la patience : dans les maux présents, l’espérance ; dans l’avenir, l’amour de Celui qu’il ne voit pas, afin de l’embrasser quand il le verra. Car la charité, cette troisième vertu, que l’on joint à la foi et à l’espérance, est plus grande que l’une et l’autre[2] : la foi ayant pour objet les choses que l’on ne voit point, ne sera plus quand viendra la vision. De même l’espérance a pour objet ce que l’on ne possède point encore, et n’existera plus lorsque nous jouirons de cet objet : ce ne sera plus une espérance alors, mais une possession. Or, si nous aimons ce que nous ne voyons point encore, que sera-ce quand nous le verrons ? Que notre désir s’accroisse dès lors. Nous ne sommes chrétiens que pour la vie future : que nul ne se promette le bien de cette vie et la félicité du monde, parce qu’il est chrétien ; qu’il use de la félicité d’ici-bas, comme il pourra, quand il pourra, et autant qu’il pourra. Quand il la possède, qu’il remercie Dieu qui le console ; quand il en est privé, qu’il rende grâces à sa justice. Qu’il soit toujours reconnaissant, jamais ingrat ; qu’il reçoive avec gratitude les faveurs d’un Père qui le console, et qu’il reçoive avec la même gratitude les châtiments d’un Père qui le soumet au joug de la discipline : car c’est toujours par amour que Dieu nous prodigue ses faveurs ou ses menaces, et que le chrétien rejette cette parole du Psalmiste : « Il est bon de bénir le Seigneur, et de chanter des hymnes en votre nom, ô Dieu Très-Haut[3] ».
2. Voici le titre du psaume : « Psaume du cantique pour le jour du sabbat[4] ». Aujourd’hui est un jour de sabbat, de ce sabbat que les Juifs honorent maintenant par un repos extérieur, une oisiveté molle et luxurieuse, car ils s’adonnent alors à des bagatelles, et ce sabbat qu’a prescrit le Seigneur[5], ils le passent à des occupations qu’il a défendues. Le sabbat, pour nous, c’est l’abstention de toute œuvre mauvaise, et pour eux, de toutes bonnes œuvres. Car labourer la terre serait mieux que danser. Pour eux, ils s’abstiennent de toute bonne œuvre, mais non de toute œuvre puérile, Dieu nous a donc prescrit un repos : quel repos ? Voyez d’abord où est ce repos. Pour plusieurs le repos est dans les membres, tandis que la conscience est dans un trouble tumultueux. Quiconque est méchant ne saurait avoir ce sabbat : car sa conscience n’est en repos nulle part ; il vit nécessairement dans l’agitation. La bonne conscience, au contraire, est toujours tranquille ; et cette paix est le sabbat du cœur Il se repose dans les promesses du Seigneur, et s’il éprouve quelque fatigue en cette vie, il s’élève jusqu’à l’espérance de l’avenir, et alors se dissipe tout nuage de tristesse ; comme le dit l’Apôtre : « Il jouit par l’espérance[6] ». Or ; cette joie pacifique dans l’espérance est notre sabbat. Voilà ce que chante, ce que préconise notre psaume ; il apprend au chrétien à demeurer dans le sabbat de son cœur, c’est-à-dire dans le calme et dans la tranquillité, dans la sérénité d’une conscience sans trouble. De là vient qu’il nous parle de ce qui est communément pour les hommes un sujet de trouble, afin de nous apprendre à célébrer le sabbat dans notre cœur.
3. Tout d’abord, si tu as fait quelques progrès dans la piété, tu dois confesser à Dieu que ces progrès viennent de sa grâce et non de tes mérites. C’est ainsi qu’il faut commencer à célébrer ton sabbat ; et ne t’attribue point ce qui te vient de Dieu, comme si tu ne l’avais point reçu[7] ; ne t’excuse point non plus du mal que tu as fait, car il est véritablement de toi. Des hommes pervers et dans le trouble, qui ne célèbrent point le sabbat, rejettent sur Dieu le mal qu’ils font, et s’attribuent le bien. Celui-ci fait-il une bonne action ? C’est moi qui l’ai faite, s’écrie-t-il. Fait-il du mal ? Il cherche à qui l’attribuer, pour ne point le confesser à Dieu. Qu’est-ce à dire qu’il cherche à qui l’attribuer ? S’il n’est pas tout à fait impie, il a sous la main le diable qu’il accuse : c’est le diable qui en est l’auteur, le conseiller, l’instigateur, comme si Satan avait le pouvoir de te forcer. Il a le pouvoir de te solliciter au mal ; que si Satan venait à parler, et Dieu à garder le silence, tu pourrais encore t’excuser ; mais maintenant tu es entre Dieu qui t’avertit, elle diable qui te pousse au mal. Pourquoi incliner l’oreille de l’un à l’autre ? Satan ne cesse de te pousser au mal, Dieu ne cesse de te porter au bien. Satan ne saurait te forcer ; tu as toujours le Pouvoir de consentir ou de résister. Si tu agis mal à son instigation, laisse là le diable, n’accuse que toi-même, afin que ton aveu te mérite le pardon de la part de Dieu. À quoi bon accuser celui qui ne peut obtenir son pardon ? C’est toi qu’il faut accuser, et tu obtiendras ton pardon. D’autres, sans accuser le diable, accusent le destin. C’est le destin, dit l’un, qui m’a poussé. Qu’as-tu fait ? diras-tu à l’un, pourquoi un tel crime ? C’est mon malheureux destin, répond-il. Pour ne point dire : Voilà ce que j’ai fait, il lève les mains contre Dieu, et sa langue profère des blasphèmes. Il ne le fait pas ouvertement, mais vois s’il ne le dit pas en effet. Demande-lui ce qu’est le destin, et il dira : Sa mauvaise étoile. Demande-lui qui a fait les étoiles, qui en a réglé le cours : à bout de réponses, il dira que c’est Dieu. Il n’a donc plus de ressource que d’accuser Dieu, soit directement, soit indirectement, soit sans aucun détour ; et bien que Dieu punisse les fautes, il attribue néanmoins ses fautes à Dieu. Mais Dieu ne saurait punir ce qu’il a fait. Il châtie ce que tu fais, min de délivrer ce qu’il a fait. Souvent encore ces pécheurs, sans aucun subterfuge, s’en prennent à Dieu même ; et quand ils deviennent coupables, ils s’écrient : C’est Dieu qui l’a moulu ; si Dieu ne l’eût point voulu, je n’eusse point péché. Il t’avertit, et non content de mépriser cette bonté au point de l’offenser, faut-il encore l’accuser de ta faute ? Que nous apprend donc ce psaume ? « Il est bon de confesser au Seigneur. Qu’est-ce à dire confesser au Seigneur ? » Il faut également confesser au Seigneur, et que la faute vient de toi, et que tes bonnes actions viennent de lui. Alors « tu chanteras un psaume au nom du Très-Haut », cherchant la gloire de Dieu et non la tienne, bénissant son nom et pas le tien. Si tu cherches le nom du Seigneur, il cherche aussi le tien : si au contraire tu négliges la gloire de Dieu, il effacera aussi ton nom. Comment ai-je pu dire qu’il cherche ton nom ? Comme il le fit à l’égard de ses disciples, qui revenaient de prêcher l’Évangile où il les avait envoyés. Ils avaient fait beaucoup de miracles, chassé les démons au nom du Christ, et ils revenaient en disant : « Seigneur, voilà que les démons nous sont soumis. » Sans doute ils avaient dit : « en votre nom », mais il vit qu’ils se réjouissaient de cette gloire, qu’ils tendaient quelque peu à l’orgueil, parce qu’ils avaient pu chasser les démons. Il vit qu’ils cherchaient leur propre gloire, et il leur dit, cherchant à son tour ou plutôt conservant leurs noms en lui-même : « Ne vous réjouissez point de cela, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel[8] ». C’est là qu’est ton nom, si tu ne négliges point le nom du Seigneur. Chante alors sur la harpe le nom du Seigneur, afin que ton nom soit affermi en Dieu. Qu’est-ce, mes frères, que chanter sur la harpe ? La harpe est un instrument de musique pourvu de cordes, Nos œuvres, voilà donc notre harpe. C’est chanter le Seigneur que mettre la main aux bonnes œuvres. Chante-le de la voix, chante-lui par les œuvres.
4. « Pour annoncer au matin votre miséricorde, et votre vérité pendant la nuit[9] ». Que veut dire le Prophète, qu’au matin la miséricorde de Dieu sera annoncée, et sa vérité pendant la nuit ? Le matin est pour nous le moment de la prospérité, et la nuit le moment de la tribulation. Que veut dire en un mot le Prophète ? Dans la prospérité, réjouis-toi dans le Seigneur, parce qu’elle est un bienfait de Dieu. Mais, diras-tu ; si je me réjouis en Dieu dans la prospérité, parce qu’elle est un bienfait de sa miséricorde, que ferai-je dans l’adversité ? Si le bonheur vient de sa miséricorde, le malheur viendrait-il de sa cruauté ? Si, dans la prospérité, je chante sa miséricorde, l’accuserai-je de cruauté dans le malheur ? Non, sans doute. Mais dans la prospérité chante sa miséricorde, et dans le malheur chante sa vérité : châtier les péchés. Ce n’est pas être injuste. Daniel était dans la nuit, quand il priait. C’était en effet quand Jérusalem était dans la captivité et sous la puissance de ses ennemis. Les saints alors étaient dans de grandes souffrances ; Daniel était jeté dans la fosse aux lions, et les trois enfants précipités dans la fournaise[10]. Voilà ce qu’endurait le peuple d’Israël dans sa captivité, c’était alors la nuit. Or, pendant la nuit, Daniel chantait la vérité de Dieu, et disait dans sa prière : « Nous avons péché, nous avons été impies, nous avons commis l’iniquité. À vous, Seigneur, la gloire ; à nous, la confusion du visage[11] ». Il chante la vérité de Dieu pendant la nuit. Qu’est-ce que prêcher la vérité de Dieu pendant la nuit ? C’est n’accuser point Dieu du mal dont tu souffres mais en attribuer la cause à tes péchés qu’il veut châtier : « Pour annoncer votre miséricorde, et votre vérité pendant la nuit ». Annoncer donc cette miséricorde le matin, et sa vérité pendant la nuit, c’est louer Dieu toujours, confesser Dieu, et chanter son nom.
5. « Sur l’instrument à dix cordes, et avec des chants sur le luth[12] ». Ce n’est point d’aujourd’hui que vous entendez cet instrument à dix cordes. Ces dix cordes du psaltérion désignent les dix commandements de la loi. Mais il ne faut pas seulement le porter, il faut s’en servir pour chanter. Les Juifs ont la loi, ils la portent, mais ne chantent point sur cet instrument. Qu’est-ce que ne point chanter ? Ne point opérer de bonnes œuvres. Cela ne suffit point ; agir avec tristesse n’est point chanter encore. Quand est-ce que l’on chante ? Quand on fait le bien avec allégresse. Car l’allégresse est dans le chant. Que dit en effet l’Apôtre ? « Que Dieu aime celui qui donne avec joie[13] ». Quoi que tu fasses, fais-le avec joie, ton action alors sera bonne et bien faite : une œuvre faite avec tristesse vient de toi ; mais tu ne la fais point ; tu portes le psaltérion plutôt que tu ne chantes. « Sur le psaltérion à dix cordes, avec des chants sur le luth » ; c’est-à-dire, dans tes paroles et dans tes actions. « Avec des chants », c’est la parole ; « sur le luth », c’est l’action. Te contenter du chant, c’est la parole mais sans luth ; agir sans chanter, c’est n’avoir que la guitare. Donc et parle bien, et agis bien, si tu veux avoir des chants avec le luth.
6. « Vous m’avez comblé de joie, Seigneur, à la vue de vos merveilles ; l’œuvre de vos mains m’a fait tressaillir[14] », Vous comprenez ce que dit le Prophète. Si je mène une vie pure, c’est à vous que je le dois, c’est vous qui m’avez formé : si je fais quelque bonne action, l’œuvre de vos mains me fera tressaillir. Ainsi l’a dit l’Apôtre : « Nous sommes son ouvrage, créés dans les bonnes œuvres[15] ». Si Dieu ne te formait au bien, tu ne connaîtrais que le mal dans tes œuvres. « Dire le mensonge, en effet, c’est parler de soi-même[16] ». Ainsi dit l’Évangile. Or, tout péché est un mensonge, car nous appelons mensonge tout ce qui est contre la loi et contre la vérité. Que dit donc l’Évangéliste ? « Quiconque dit le mensonge, dit ce qui lui est propre », c’est-à-dire que le péché est l’œuvre qui vient de nous. Écoutez maintenant le contraire de cette parole. Si l’homme qui dit le mensonge parle de lui-même, il suit de là que celui qui dit la vérité la dit par l’esprit de Dieu. Aussi est-il écrit ailleurs « Dieu seul est véridique, et tout homme est faillible[17] ». Toutefois ce passage ne veut point dire : Va, mens à loisir, parce que tu es un homme ; cela signifie au contraire : Comprends que tu es homme et sujet à l’erreur : pour être véridique, bois la vérité au sein de Dieu, afin de la répandre au-dehors, et d’être véridique toi-même. Comme tu ne saurais avoir la vérité de toi-même, il te faut la boire à sa source. T’éloigner de la lumière, c’est te jeter dans les ténèbres : il en est de même de la pierre qui n’a en elle-même aucune chaleur, qui la tire du soleil ou du feu, et qui se refroidit quand on l’en éloigne ; ce qui prouve qu’elle n’a aucune chaleur naturelle, qu’elle empruntait sa chaleur au soleil ou au feu : de même t’éloigner de Dieu, c’est le froid pour toi, comme t’approcher de Dieu c’est la ferveur : ainsi dit l’Apôtre : « Soyez fervents en esprit[18] ». Que dit-il encore, à propos de la lumière ? Si tu approches de Dieu, tu seras dans la lumière aussi le Psalmiste a-t-il dit : « Approchez de lui, et vous serez dans la lumière, et votre face n’aura point à rougir[19] ». Comme donc tu ne saurais faire aucun bien sans la lumière de Dieu, et la ferveur de l’Esprit-Saint, lorsque ta vie est régulière, bénis le Seigneur, et afin de ne point t’enorgueillir, tiens en toi le langage de l’Apôtre : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ; et si tu as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu n’avais point reçu[20] ? » Ainsi donc le Prophète nous apprend à faire au Seigneur une confession digne, quand il nous dit : « Seigneur, vous m’avez rempli de joie dans vos créatures, et l’œuvre de vos mains me fait tressaillir ».
7. Que dire de ceux qui vivent dans l’impiété et qui sont florissants ? Ces pensées troublent l’esprit d’un homme qui perd le repos. Il voit qu’il a passé tous les jours de sa vie dans les bonnes œuvres, et que néanmoins il est dans la misère, qu’il est dans la pauvreté, que peut-être il a faim, il a soif, il est dans la nudité, peut-être en prison, nonobstant le bien qu’il fait, tandis que celui qui l’a condamné à la prison est un homme d’iniquité, et néanmoins dans la joie ; alors dans son cœur se glisse une pensée détestable contre Dieu ; et il dit : O Dieu, à quoi bon vous servir, à quoi bon obéir à vos paroles ? Je n’ai point ravi le bien d’autrui, je n’ai commis ni larcin ni homicide, je n’ai convoité le bien de personne, je n’ai porté aucun faux témoignage, je n’ai outragé ni mon père ni ma mère ; jamais je n’ai adoré les idoles, ni pris en vain le nom du Seigneur, mon Dieu ; je me suis abstenu de tout péché. Il énumère ainsi les dix codes, ou les dix commandements de la loi[21] ; il sonde sa conscience sur chacun d’eux, et il voit qu’il n’en a point violé, pas même un seul, et il s’attriste de passer par tant d’afflictions. Quant à d’autres cependant, je ne dis point qu’ils touchent à quelques-unes de ces cordes ; ils ne touchent pas même le psaltérion : ils ne font aucune bonne œuvre, ils consultent les idoles ; ils paraissent être bons chrétiens, parce que leur maison ne souffre aucun dommage ; leur survient-il quelque affliction, ils ont recours aux pythonisses, aux magiciens, aux sortilèges. On leur parle du nom du Christ, ils s’en raillent, ils grimacent. On leur dit Vous avez la foi, et vous consultez les sorts ? Arrière, vous disent-ils ; ce sont eux qui m’ont conservé mon bien, sans eux je perdais tout ; je serais demeuré dans l’affliction. Homme naïf, ne marques-tu pas ton front du signe du Christ ? Et sa loi vous défend tout cela. Tu te réjouis de tes biens que tu as conservés, et tu n’es pas triste d’être perdu toi-même ? Combien vaudrait-il mieux avoir perdu ton vêtement, qu’avoir perdu ton âme ? Néanmoins il se rit de tout ; il outrage ses parents, il hait ses ennemis, les poursuit à mort ; il dérobe, s’il en trouve l’occasion ; il n’évite point le faux témoignage ; il tend des pièges au mariage des autres ; il convoite le bien d’autrui ; il fait tout cela : et néanmoins il est dans l’abondance, dans les honneurs, dans les dignités du siècle. Ainsi le voit ce pauvre qui fait le bien, qui souffre, et qui dès lors se trouble en disant : O Dieu, les méchants sans doute vous plaisent, et vous haïssez les bons, pour aimer ainsi les hommes d’iniquité. S’il vient à se troubler et à se laisser entraîner à cette pensée, il bannira la paix de son cœur. Dès lors, il ne comprend plus ces beaux cantiques, il s’en éloigne, et il répète sans sujet : « Il est bon de chanter le Seigneur, et de chanter des hymnes à votre nom, ô Très-Haut ». Et cet homme n’ayant plus le sabbat intérieur, ni le cœur en repos, et bannissant de son cœur toute bonne pensée, cherche à imiter celui qu’il voit fleurir au milieu des désordres, et il se laisse aller aux désordres qu’il voit commettre. Mais Dieu est patient parce qu’il est éternel, et il connaît le jour du jugement où il examinera toutes choses.
8. Comment le Prophète nous apprend-il ces vérités ? « Combien, Seigneur, vos œuvres minuit admirables, et combien sont profondes vos pensées[22] ! » À la vérité, mes frères, nulle mer n’est aussi profonde que cette pensée de Dieu, qui laisse fleurir les méchants, et qui laisse les bons dans la douleur. Rien n’est plus profond que cet abîme ; c’est dans ce gouffre, dans cette profondeur que tout infidèle fait naufrage. Veux-tu franchir cet abîme ? Attache-toi au bois du Christ, et pour ne pas sombrer, tiens fortement au Christ. Qu’ai-je dit : Tiens-toi au Christ ? C’est pour cela qu’il a voulu souffrir sur la terre. Vous l’avez entendu à la lecture de cette prophétie : il ne détournait ni ses épaules du fouet, ni son visage des crachats de la soldatesque, ni sa joue de leurs soufflets[23]. Pourquoi donc vouloir souffrir ainsi, sinon pour consoler ceux qui souffrent ? Il pouvait ne ressusciter sa chair qu’à la fin des temps : mais toi qui n’aurais rien vu, quelle espérance aurais-tu pu concevoir ? Il n’a donc point différé sa résurrection, afin d’écarter de toi tous tes doutes, C’est dans l’espoir de cette résurrection qu’il te faut endurer ici-bas les tribulations que le Christ a su endurer : sans t’émouvoir de ceux qui font le mal, et qui jouissent néanmoins ici-bas du bonheur. « Que vos pensées sont profondes, ô mon Dieu ! » Où est la pensée de Dieu ? Attacher à présent les rênes qu’il doit resserrer ensuite. Loin de toi cette joie du poisson qui tressaille en dévorant l’amorce ; le pécheur n’a pas encore retiré l’hameçon qui est dans la gorge de cet infortuné. Ce qui te paraît long est de courte durée, et tout cela passe rapidement. En face de l’éternité de Dieu, qu’est donc la plus longue vie humaine ? Veux-tu être patient ? envisage l’éternité de Dieu. Tu vois les jours peu nombreux, et dans ces jours tu veux que Dieu accomplisse tout. Qu’est-ce à dire tout ? Qu’il damne les impies et couronne les justes. Voilà ce que tu voudrais voir en tes jours. Dieu l’accomplira en son temps. Pourquoi t’ennuyer et ennuyer les autres ? Dieu est éternel ; il diffère, il est patient, et tu viens dire : Je ne puis attendre, je ne suis que pour un temps. Cela dépend de toi ; unis ton cœur au Dieu qui est éternel, et tu seras éternel avec lui. Qu’a dit le Prophète à propos de ce qui passe avec le temps ? « Toute chair est une herbe, et toute gloire de la chair est la fleur d’une herbe ; l’herbe s’est desséchée et la fleur est tombée[24] ». Tout se dessèche donc, et tout s’éteint, mais non la parole de Dieu : « Cette parole demeure éternellement ». L’herbe passe, la fleur de l’herbe passe ; mais il te reste un appui, c’est « la parole de Dieu qui demeure éternellement ». Dis-lui donc alors : « Que vos pensées sont insondables, ô mon Dieu ! » C’est alors qu’en tenant le bois de la croix, tu peux traverser cet abîme. Y vois-tu quelque chose ? Y comprends-tu quelque chose ? J’entends, me réponds-tu. Si tu es chrétien, si tu es instruit à l’école du Christ, tu réponds que Dieu réserve tout à son jugement. Les bons souffrent, parce que Dieu les flagelle comme des enfants ; les méchants sont dans la joie, parce qu’ils sont damnés comme des étrangers. Un homme a deux fils, il corrige l’un, et abandonne l’autre, l’un fait mal, et n’est aucunement réprimé par son père, l’autre au moindre mouvement est souffleté, châtié. Pourquoi l’un est-il négligé, l’autre frappé, sinon parce que l’on réserve l’héritage à ce dernier, et que l’autre est abandonné comme l’enfant que l’on déshérite ? On ne voit aucune espérance en lui, et on le laisse vivre à son gré. Mais si l’enfant que l’on corrige n’était point sage, s’il était assez imprudent pour envier le sort de son frère que l’on ne corrige point ; s’il gémit intérieurement, s’il dit en son cœur : Mon frère fait tous les crimes, il s’affranchit des ordres de mon père, et il ne reçoit aucune réprimande, tandis qu’à la moindre faute, je suis châtié sans pitié ; il serait alors un insensé, un imprudent s’arrêtant à ce qu’il souffre, et non à ce qu’on lui réserve.
9. Aussi après avoir dit : « Combien profondes sont vos pensées », le Prophète ajoute : « L’homme imprudent ne les connaîtra point, l’insensé ne les comprendra point[25] ». Qu’est-ce que l’insensé ne comprendra pas, que l’imprudent ne connaîtra pas ? « Que les pécheurs se lèvent comme l’herbe[26] ». Qu’est-ce à dire « comme l’herbe ? » Qu’ils sont verdoyants en hiver, et se dessèchent pendant l’été. Vois la fleur de l’herbe. Y a-t-il rien pour passer plus vite ? Quoi de plus brillant ? quoi de plus vert ? sans t’arrêter à cet éclat, redoute le dessèchement. Tu as entendu que « les pécheurs sèchent comme l’herbe » ; écoute les justes. « Car voici ». En attendant, vois les méchants qui s’épanouissent comme la fleur : c’est bien ; mais que sont ceux qui ne comprennent point ce mystère ? des insensés, des imprudents. « Quand « les pécheurs viennent à paraître comme « l’herbe, et qu’ils regardent tous ceux qui « commettent l’iniquité », Tous ceux qui ont dans le cœur une fausse idée de Dieu, ont regardé les pécheurs qui sont comme l’herbe, c’est-à-dire qui fleurissent pour un temps. Pourquoi les regarder ? « Afin de mourir pour le siècle du siècle ». En considérant cet éclat passager, ils les imitent, et dans leur volonté de fleurir avec eux pour un temps, ils périssent pour l’éternité : voilà ce que signifie : « Ils périssent pour le siècle du siècle ».
10. « Mais vous, Seigneur, vous êtes le Très-Haut pour l’éternité[27] ». Des hauteurs du ciel et de votre éternité, vous attendez que le temps des méchants s’écoule, et que vienne le temps des justes. « Car voici ». Redoublez d’attention, mes frères, puisque Celui qui parle ici déjà s’est uni à l’éternité de Dieu, et il parle en notre nom, au nom du corps du Christ, et le Christ parle au nom de son corps ou de son Église. Ainsi que je vous le disais tout à l’heure, Dieu a la longanimité, la patience ; il tolère tous ces maux qu’il voit commettre aux méchants. Pourquoi ? Parce qu’il est éternel, et qu’il voit ce qu’il leur réserve. À ton tour, veux-tu être patient ? Unis-toi à l’éternité de Dieu, et attends avec lui ce qui est au-dessous de toi : et dès lors que ton cœur sera uni au Très-Haut, tu seras au-dessus de tout ce qui est mortel ; et tu diras alors : « Voila que vos ennemis périront[28] ». Ils fleurissent aujourd’hui, ils périront demain. Quels sont les ennemis de Dieu ? Mes frères, peut-être ne regardez-vous comme ennemis de Dieu que les blasphémateurs de son nom ? Ils le sont en effet, et des ennemis outrageux, puisque ni leurs langues, ni leurs pensées n’épargnent à Dieu aucune injure. Mais que peuvent-ils faire à ce Dieu Très-haut et éternel ? Frappe du poing une colonne, tu te blesseras. Et tu crois qu’en frappant Dieu de tes blasphèmes, ce n’est point toi qui es meurtri ? Car Dieu n’est pas atteint. Mais les blasphémateurs sont ouvertement ennemis de Dieu, et chaque jour on trouve des ennemis cachés. Craignez d’être de ce nombre. L’Écriture nous montre quelquesuns de ces ennemis, afin que tu les connaisses du moins par l’Esprit de Dieu puisque tu ne peux les connaître par toi-même, et que tu craignes d’être de leur nombre. Saint Jacques dit clairement dans son épître : « Ne savez-vous pas que l’ami du monde est devenu l’ennemi de Dieu ? » Tu l’entends. Veux-tu n’être pas ennemi de Dieu ? Ne sois point l’ami du monde. Car, être l’ami du monde, c’est être l’ennemi de Dieu. De même qu’une Épouse ne saurait devenu adultère qu’elle ne soit en inimitié avec son mari ; ainsi toute âme qui est adultère par amour des choses du monde, ne peut être que l’ennemie de Dieu. Elle craint, mais elle n’aime pas. Elle craint la peine, elle n’aime pas la justice. Ils sont donc ennemis de Dieu, tous ceux qui aiment le monde, tous ceux qui recherchent ses vanités, tous ceux qui consultent les sorts, les astrologues et les devins. Qu’ils entrent ou non dans les églises, ils sont ennemis de Dieu. Ils peuvent, comme l’herbe, fleurir pour un temps ; mais ils périront lorsque Dieu jettera les yeux sur eux, et qu’il entrera en jugement avec toute chair. Joins ta voix à celle des Écritures, et dis avec le Psalmiste : « Voilà que vos ennemis périront ». Qu’on ne te trouve point où ils périront. « Et alors seront dispersés tous ceux qui font l’iniquité ».
11. Mais si les ennemis de Dieu doivent périr, si tous ceux qui opèrent l’iniquité doivent être dissipés, que deviendras-tu, toi qui gémis aujourd’hui, qui es dans l’affliction, qui as à endurer les scandales et les iniquités du monde, qui souffres dans ta chair, mais qui as la joie dans le cœur, que deviendras-tu ? Quelle est ton espérance, ô corps du Christ ? O Christ, qui êtes assis dans les cieux à la droite de votre Père, et dont les pieds et les membres sont meurtris ici-bas, vous qui dites : « Saul, pourquoi me persécuter[29] ? » quelle sera votre espérance, si les ennemis de Dieu doivent périr, si tous ceux qui font l’iniquité doivent être dispersés ? Que deviendrez-vous ? « Ma corne s’élèvera comme celle de la licorne[30] ». Pourquoi « comme celle de la licorne ? » Quelquefois la licorne signifie l’orgueil, quelquefois elle désigne l’élévation de l’unité. Élever l’unité en gloire, c’est tuer les hérésies avec les ennemis de Dieu. « Ma corne sera élevée comme celle de la licorne ». Quand cela doit-il arriver ? « Ma vieillesse sera dans une miséricorde abondante ». Comment dit-il « ma vieillesse ? » Mes derniers moments, de même que dans nos âges différents la vieillesse est le dernier : ainsi tout ce qu’endure aujourd’hui le corps du Christ, dans les travaux, dans les veilles, dans la faim, dans la soif, dans les scandales, dans les iniquités, dans les angoisses, c’est le temps de sa jeunesse : sa vieillesse ou ses derniers moments seront dans la joie. Que votre charité veuille bien entendre qu’il a dit vieillesse, et ne vous figurez pas la mort ; l’homme ne vieillit que pour mourir. Or, pour l’Église, sa vieillesse sera blanche par ses actions saintes, mais elle ne verra point ha corruption de la mort. Telle on voit la tête d’un vieillard, telles seront nos œuvres. Vous voyez la tête grisonner d’abord, puis blanchir totalement, à mesure qu’elle avance en âge. Qu’un homme vieillisse en son temps, et vous chercherez sur sa tête un cheveu noir sans pouvoir le trouver : ainsi quand notre vie sera telle que l’on cherchera en vain chez nous quelque noirceur du péché, cette vieillesse sera une véritable jeunesse, une vieillesse pleine de sève et qui doit fleurir à jamais. Vous avez entendu l’herbe fleurie des pécheurs, écoutez la vieillesse des justes : « Ma vieillesse sera dans une miséricorde abondante ».
12. « Mes yeux ont fixé mes ennemis ». Qui appelle-t-il ennemis ? Tous ceux qui commettent l’iniquité. Ne t’arrête pas à considérer que tu as pour ami un homme injuste ; vienne une affaire, et tu le connaîtras. Dès que tu seras un obstacle à ses injustices, tu pourras voir qu’il était ton ennemi, quand il te flattait : c’est qu’alors tu n’avais pas encore frappé, non pour faire entrer dans son cœur ce qui n’y était pas, mais pour en expulser ce qui y était. « Et mon œil s’est fixé sur mes ennemis ; et mon oreille entendra les malédictions de mes ennemis contre moi[31] ». Quand ? dans ma vieillesse. Qu’est-ce à dire ma vieillesse ? mes derniers moments. Et qu’entendra notre oreille ? De notre place, à la droite, nous entendrons ce qui sera dit à ceux de gauche. « Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges[32] ». Cette parole terrible n’aura rien d’effrayant pour le juste. Vous savez ce qui est dit dans un psaume. « La mémoire du juste sera éternelle, il ne craindra point la parole fâcheuse[33] ». Quelle parole fâcheuse ? Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges. « Et mon oreille entendra les malédictions de ceux qui s’élèvent contre moi ».
13. L’herbe passe ; la fleur des pécheurs passe aussi. Que deviendront les justes ? « Le juste fleurira comme le palmier ». Les premiers s’élèvent comme l’herbe ; « le juste fleurira comme le palmier ». Le palmier marque l’élévation. Peut-être le Prophète a-t-il voulu nous parler du sommet du palmier qui est très beau ; à partir de la terre, sa fin sera son sommet, où est toute sa beauté ; sa racine est âpre sur la terre, mais sa tête est belle dans les cieux. Telle sera donc ta beauté à la fin du monde. Que ta racine soit fortement fixée. Mais pour nous, la racine est en haut, car cette racine est le Christ qui est monté aux cieux. Il a été humilié, et il est élevé. « Il se multipliera comme le cèdre sur le Liban ». Voyez quels arbres choisit le Prophète : « C’est le juste qui fleurit comme le palmier, qui se multiplie comme le cèdre sur le Liban[34] ». Le palmier sèche-t-il sous les feux du soleil ? Le cèdre sèche-t-il ? Et pourtant les ardeurs du soleil font sécher l’herbe. Viendra donc le jugement, qui fera sécher les pécheurs, et verdir les fidèles. « Il se multipliera comme le cèdre sur le Liban ».
14. « Plantés dans la maison du Seigneur, ils fleuriront à l’entrée de la demeure de Dieu. Ils se multiplieront dans une féconde vieillesse, et ils seront tranquilles pour annoncer[35] ». Tel est le sabbat dont nous avons parlé tout à l’heure, et qui fait le titre du psaume. « Ils seront tranquilles pour annoncer ». Pourquoi ce calme en annonçant ? L’herbe des pécheurs ne pourra les ébranler. Ni le cèdre ni le palmier, ne se courbent dans la tempête. Qu’ils soient donc tranquilles pour annoncer ; puisqu’il faut Prêcher au milieu du persiflage des hommes. Infortunés, qui êtes épris du monde, les justes plantés dans la maison du Seigneur, vous prêchent la vérité ; eux qui confessent le Seigneur dans leurs cantiques et sur la harpe, dans la parole et dans les œuvres, vous prêchent et vous disent : Ne vous laissez point séduire par la félicité des méchants, ne vous arrêtez point à la fleur d’une herbe ; ne portez pas envie à ces heureux d’un moment, qui seront malheureux dans l’éternité. Cette félicité qui paraît maintenant au-dehors, n’est point réelle ; ils n’ont point la paix du cœur, eux qu’aiguillonne une mauvaise conscience. Pour toi, demeure en paix, comptant sur les promesses de ton Dieu. Qu’auras-tu à prêcher dans le calme ? « Que le Seigneur est droit, qu’il n’y a en lui aucune iniquité ». Voyez, mes frères, si vous voulez être plantés dans la maison du Seigneur, si vous voulez fleurir comme le palmier, vous multiplier comme le cèdre du Liban, afin de ne point vous dessécher sous les feux du soleil, comme ceux qui périssent avec éclat quand le soleil est loin de nous. Si donc vous ne voulez point être une herbe, mais bien des palmiers et des cèdres, qu’annoncerez-vous ? « Que le Seigneur Dieu est juste ; et qu’en lui il n’y a point d’iniquité ». Comment n’y a-t-il en lui aucune iniquité ? Voilà un homme si criminel, et pourtant il a ta santé, il a des enfants, il a la gloire, il a des honneurs, il se venge de ses ennemis, il commet toutes sortes de crimes : cet autre au contraire est intègre dans ses affaires ; il ne ravit point le bien d’autrui, il n’agit contre personne, il souffre dans les chaînes, dans les prisons, il souffre et soupire dans la misère. Comment donc n’y a-t-il en Dieu aucune injustice ? Du calme, et tu le comprendras. Car tu es dans le trouble, et tu obscurcis la lumière dans ton intérieur. Dieu, qui est éternel, veut laisser tomber sur toi ses rayons ; garde-toi de les obscurcir par aucun trouble ; demeure dans le calme, et écoute ma parole. Parce que Dieu est éternel et qu’il pardonne aux méchants pour les amener à la pénitence, parce qu’il flagelle les bons, pour les amener au royaume des cieux, « il n’y a point en lui d’injustice », sois sans crainte. Mais, diras-tu, j’ai subi tant de châtiments, chacun le sait, je suis pécheur, je l’avoue, je suis loin de me croire juste. Voilà ce que disent la plupart des hommes. Qu’un homme soit dans l’affliction, dans la douleur, tu vas le consoler, et il te répond : J’ai péché, je l’avoue, mes fautes sont grandes, je le reconnais ; mais suis-je aussi coupable que cet autre ? Je sais ce qu’il a fait, je connais ses fautes : j’ai péché, j’en conviens devant Dieu ; mais je suis moins coupable que cet autre qui souffre moins que moi. Sois sans trouble et dans le calme, afin de savoir « que le Seigneur est juste, et qu’en lui il n’y a point d’iniquité ». Que dirais-tu, s’il ne te flagellait ici-bas que pour t’épargner les flammes éternelles ? s’il n’épargnait cet autre ici-bas, qu’afin de lui dire : « Va au feu éternel ? » Mais quand, me diras-tu ? Quand tu seras placé à la droite, et que l’on dira à ceux de gauche : « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges ». Sois donc sans trouble dans tout cela, sois calme, garde le repos, et prêche « que le Seigneur est droit, qu’il n’y a en lui aucune injustice ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 92 modifier

SERMON AU PEUPLE modifier

LE SIXIÈME ÂGE DU MONDE. modifier

Le titre porte le sixième jour avant le sabbat, ou le jour de la création de l’homme, que Jésus-Christ est venu reformer au sixième âge du monde, de manière à nous conduire au véritable sabbat qui est le ciel. Il a consolidé la terre, ou les hommes dans la foi, et pour la consolider il s’est revêtu de beauté pour ses admirateurs, de force pour ses contradicteurs, de manière à prémunir les fidèles Contre les contradictions des hommes. Il s’est ceint par-devant, c’est-à-dire qu’il a été humble, comme hie fit en se ceignant d’un linge pour laver les pieds à ses Apôtres. L’humilité est la pierre, d’autant plus solide qu’elle est plus abaissée. Mettre une ceinture devant nous, c’est résister à ceux qui nous insultent face à face, comme on disait à Jésus : Descends de la croix ; car le courage est plus nécessaire. L’univers qui ne sera point ébranlé, c’est le froment que le van me chasse point de l’aire ; l’autre, c’est la paille qui s’envole. Si donc nous ne pouvons nous séparer des injustes, séparons-nous de leurs injustices. C’est là préparer un trône à Dieu, qui s’assied dans les saints ou les humbles, bien qu’il ait un trône éternel. Les fleuves ou les Apôtres ont élevé la voix quand l’Esprit-Saint a soufflé sur eux ; la mer s’est soulevée contre eux, mais le Christ l’a calmée par sa victoire sur le monde : qu’il en soit béni à jamais.


1. À la lecture du psaume, nous en avons entendu le titre ; et d’après les saintes Écritures, c’est-à-dire le livre de la Genèse, il n’est pas difficile d’en connaître la signification. Un titre est en effet comme l’inscription placée sur le seuil d’une maison : il nous indique ce qui est â l’intérieur. Voici donc cette inscription : « Louange du cantique à David, pour le jour qui précéda le sabbat, quand la terre fut fondée ». Or, en considérant ce que Dieu fit chaque jour, quand il créa et disposa toutes choses, du premier au sixième jour (car il sanctifia le septième jour et le consacra par le repos, après toutes ses œuvres, qui étaient excellentes), nous voyons qu’au sixième jour (et c’est bien celui de notre psaume, puisqu’il est marqué, la veille du sabbat), Dieu créa tous les animaux sur la terre. Puis le même jour, il créa l’homme à son image et à sa ressemblance. Or, cette disposition des six jours n’est pas sans raison, puisqu’elle annonce que les siècles doivent s’écouler, avant que nous nous reposions en Dieu. Et c’est nous reposer que faire des bonnes œuvres. C’est pour cela qu’il est écrit que Dieu se reposa le septième jour, après avoir tait des œuvres excellentes[36]. Car la fatigue ne lui faisait point prendre son repos, et maintenant il n’est pas inactif, puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ nous dit « Mon Père agit sans cesse[37] ». Ainsi parlait-il aux Juifs, qui avaient au sujet de Dieu des pensées charnelles, qui ne comprenaient point que Dieu agit, bien qu’il se repose, qu’il agit toujours, bien qu’il se repose toujours. Donc nous aussi, que le Seigneur a voulu personnifier en lui-même, nous aurons le repos après les bonnes œuvres. Il est vrai, mes frères, que les œuvres que nous faisons ici-bas avant le repos, sont des œuvres laborieuses en quelque sorte, et que Le repos dont il s’agit n’est qu’en espérance, et pas encore en réalité ; et sans cette espérance nous succomberions au travail. Mais toutes ces bonnes œuvres laborieuses passeront un jour. Quoi de meilleur que donner du pain à celui qui a faim ? Et, comme nous l’entendions tout à l’heure à la lecture de l’Évangile, quoi de plus saint que ce conseil général : « Que tout homme qui a deux tuniques en donne une à celui qui n’en a point, et que celui qui a de quoi manger en donne à celui qui a faim[38] ? » Vêtir celui qui est nu, c’est une bonne œuvre, mais cette bonne œuvre subsistera-t-elle toujours ? Elle est quelque peu pénible ; mais elle nous console, par l’espérance du repos à venir. Et pourtant quelle peine y a-t-il à vêtir un pauvre ? Une bonne œuvre est presque sans peine, le mal est plus laborieux. Vêtir un pauvre quand on peut le faire, n’est guère pénible ; si on ne le peut : « Gloire à Dieu au plus « haut des cieux, et paix sur la terre aux a hommes de bonne volonté[39] ». mais dépouiller celui qui est vêtu, qui pourra nous en dire la peine ? Et pourtant tout cela doit passer quand nous arriverons à ce repos, où il n’y aura ni affamé à nourrir, ni pauvre à revêtir. Toutes ces bonnes œuvres passeront donc, et ce sixième jour pendant lequel on fait ces œuvres excellentes, a un soir. Or, au jour du repos, il n’y aura aucun soir, puisque notre repos sera sans fin. Comme donc ce fut au sixième jour que Dieu fit l’homme à son image[40] ; ainsi trouvons-nous que ce fut au sixième âge que Notre-Seigneur Jésus-Christ vint reformer l’homme à l’image de Dieu. Le premier âge, en effet, marqué par le premier jour, serait depuis Adam jusqu’à Noé ; le second âge, qui serait comme un second jour, depuis Noé jusqu’à Abraham ; le troisième âge, ou troisième jour, depuis Abraham jusqu’à David ; le quatrième âge, ou quatrième jour, depuis David jusqu’à la transmigration à Babylone ; le cinquième âge, ou cinquième jour, depuis la transmigration à Babylone jusqu’à la prédication de Jean-Baptiste ; et le sixième jour, depuis la prédication de Jean-Baptiste jusqu’à la fin, et à la fin du sixième jour arrivera le repos. Nous sommes donc maintenant dans ce sixième jour. Si nous sommes dans ce sixième jour, voyez le titre du psaume : « Pour le jour qui précéda le sabbat, quand la terre fut fondée ». Examinons le psaume lui-même, et voyons quand la terre fut fondée, car elle ne le fut point peut-être ce jour-là. Ce n’est point en effet ce que nous lisons dans la Genèse. Quand donc la terre fut-elle fondée ? Quand, sinon, comme nous l’avons lu tout à l’heure dans l’Apôtre : « Si vous demeurez dans la foi, fermes et inébranlables[41] ». Lorsque dans toute la terre, tous les fidèles sont inébranlables dans la foi, c’est alors que la terre est fondée, que l’homme est fait à l’image de Dieu[42] ; ce que nous figurait le sixième jour de la Genèse. Mais comment Dieu a-t-il fait cette œuvre, comment a-t-il fondé la terre ? Le Christ est venu afin de fonder la terre. « Car nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui a été posé, qui est le Christ Jésus[43] ». C’est donc de Jésus-Christ que le psaume va parler.
2. « Le Seigneur a régné, il s’est couvert de gloire ; le Seigneur s’est revêtu de force, et il s’est ceint[44] ». Il a donc pris pour double vêtement la gloire et la force. Pourquoi s’en revêtir pour fonder la terre ? Car le Psalmiste continue : « Il a consolidé la terre qui ne sera point ébranlée ». Comment l’a-t-il consolidée ? En se revêtant de gloire. Mais il ne la consoliderait point s’il ne s’était revêtu de force en même temps que de gloire. Pourquoi donc la gloire, et pourquoi la force ? Car le Prophète a précisé l’un et l’autre : « Le Seigneur a régné, il s’est revêtu de gloire ; le Seigneur s’est revêtu de force et a ceint ses reins ». Vous le savez, mes frères, Notre-Seigneur, venant dans sa chair et prêchant l’Évangile du royaume, plaisait aux uns, déplaisait aux autres. Car les Juifs étaient partagés à son sujet : « Les uns disaient : Il est bon ; les autres : Non, il séduit la foule[45] ». Les uns parlaient donc de lui en bien, les autres en parlaient mal, le déchiraient, le mordaient, le noircissaient de leurs outrages. Il était donc revêtu de beauté pour ceux auxquels il plaisait, et de force pour ceux auxquels il ne plaisait point. Prends donc, toi aussi, le Seigneur pour modèle, afin que tu deviennes pour lui un vêtement. Sois revêtu de beauté pour ceux auxquels plairont tes bonnes œuvres, et sois fort contre tes détracteurs. Écoute comment Paul, cet imitateur du Christ, eut de la beauté, comment de la force : « Nous « sommes », dit-il, « la bonne odeur du Christ, en tout lieu, et pour ceux qui font leur salut et pour ceux qui périssent[46] ? » Ceux qui goûtent le bien, se sauvent ; les détracteurs du bien doivent périr. Autant qu’il était en lui, Paul était le parfum du bien, il était même la bonne odeur. Malheur à ces misérables que la bonne odeur fait mourir. Car l’Apôtre n’a point dit : Nous sommes une bonne odeur pour les uns, une mauvaise odeur pour les autres ; mais bien : « Nous sommes la bonne odeur du Christ, en tout lieu, et pour ceux qui se sauvent, et pour ceux qui périssent ». Et il ajoute aussitôt : « Aux uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, aux autres une odeur de mort pour la mort[47] ». Il était donc revêtu de beauté pour ceux auxquels il était une odeur de vie, et de force pour ceux auxquels il était une odeur de mort. Si tu te réjouis quand les hommes te louent, quand ils prennent goût à tes œuvres ; si leur blâme te fait manquer de courage, et ralentit tes bonnes œuvres, comme si tu en avais perdu le fruit en trouvant des détracteurs ; tu n’es pas immobile encore, et tu n’appartiens pas encore à « cette terre ferme qui ne sera point ébranlée, pour laquelle le Seigneur s’est préparé en se revêtant de sa force ». Saint Paul touche, à un autre endroit, cette force et cette beauté : « Par les armes de la justice, à droite et à gauche ». Vois où il place la beauté, où il place la force : « Par la gloire et par l’ignominie[48] ». Il est beau dans la gloire, il est courageux dans l’ignominie. Chez les uns on relevait en gloire, chez les autres on le méprisait. Il apportait donc la beauté aux premiers, et la force à ceux auxquels il ne plaisait point. C’est en ce sens qu’au même endroit il énumère tous ces contrastes jusqu’à cette parole : « Comme n’ayant rien et possédant tout[49] ». Posséder tout, c’est la beauté ; n’avoir rien, c’est la force. Ne nous étonnons donc point si le Prophète a dit : « Il a consolidé la terre qui ne sera point ébranlée ». Comment l’univers entier ne sera-t-il point ébranlé ? C’est parce que les fidèles du Christ sont partout et prêts à tout : à se réjouir avec ceux qui louent, à s’armer contre ceux qui blâment ; à ne s’amollir point devant la louange, âne point se laisser abattre par le blâme.
3. Peut-être demanderons-nous aussi le sens de cette parole : « Il est ceint ». Se ceindre désigne le travail, et un homme ceint ses reins quand il va travailler. Comment toutefois le Prophète, au lieu de dire : Il est ceint, a-t-il dit : « Ceint par-devant », praecinctus? Dans un autre psaume il est dit : « Ceignez vos reins de votre épée, ô Tout-Puissant, et les peuples tomberont sous vos coups[50] ». Ici, il n’est point dit simplement, ceignez-vous, cingere, ni ceignez-vous par-devant, praecingere, mais accingere gladium tuum, ceignez votre épée ; et accingere se dit lorsque la ceinture porte quelque chose aux flancs. Il a donc dit : Ceignez votre épée, accingere. Or, le glaive du Seigneur, qui a vaincu l’univers entier, c’est l’Esprit de Dieu dans la vérité de sa parole. Pourquoi ceindre ce glaive autour des reins ? il est vrai, mes frères, que ce verset vient d’un autre psaume, et que nous avons expliqué la ceinture autrement ; mais continuons puisqu’il se représente ici. Qu’est-ce que porter son épée à ses reins ? Les reins ont le sens de la chair. Car le Seigneur n’aurait point soumis l’univers entier, si le glaive de la vérité n’était venu dans la chair. Mais pourquoi dans notre psaume le mot praecingere, qui s’emploie quand on met quelque chose devant soi ? De là vient qu’il est dit que Jésus « mit devant lui un linge, praecinxit, et lava les pieds de ses disciples ». Il fut humble alors, ayant mis devant lui un linge pour laver leurs pieds. Or, toute force est dans l’humilité, puisque tout orgueil n’est que faiblesse. À propos de la force, le Prophète s’est servi du mot praecinctus, ceint par-devant, afin de te rappeler que ce même Dieu assez humble pour laver les pieds des disciples était aussi praecinctus. Or, Pierre saisi de frayeur en voyant à ses pieds son Seigneur, son Maître (et dire son maître, c’est moins dire que son Seigneur), voyant son Seigneur se courber à ses pieds, pour les laver, fut dans la stupeur et s’écria : « Seigneur, vous ne me laverez point les pieds ». Mais le Sauveur : « Ce que je fais, tu ne le comprends point maintenant, tu le sauras plus tard ». Et Pierre : « Jamais vous ne me laverez les pieds ». Et Jésus : « Si je ne te purifie, tu n’auras aucune part avec moi ». Mais Pierre qui avait frissonné en voyant son Maître lui laver les pieds, frissonna plus encore à cette parole : « Tu n’auras point de part avec moi ». Tant que le Seigneur n’agissait point sans motif, et qu’il y avait là quelque mystère, il s’écria : « Seigneur, non seulement les pieds, mais les mains et la tête et tout le corps ». Et Jésus : « Celui qui a été lavé n’a plus besoin de se laver une seconde fois, mais il est complètement pur ». Si donc il leur lavait les pieds, ce n’était pas tant pour les purifier que pour leur donner un exemple d’humilité. Car il leur avait dit : « Ce que je fais, tu ne le comprends pas maintenant, tu le sauras plus tard ». Voyons si plus tard ils ont compris, si plus tard il leur a exposé ce qu’il faisait alors, afin de voir le Seigneur ceint de sa force, car toute sa force était dans son humilité. Quand il leur eut lavé les pieds, il s’assit de nouveau, et leur dit : « Vous m’appelez Maître, et vous dites vrai ; je le suis en effet : vous m’appelez Seigneur, et vous dites vrai, car je le suis. Si donc moi, votre Maître et votre Seigneur, j’ai lavé vos pieds, comment devez-vous agir les uns envers les autres[51] ? » Si donc c’est dans l’humilité qu’est la force, ne craignez pas les orgueilleux. Les humbles sont comme la pierre ; elle paraît abaissée, mais elle est solide. Que sont les orgueilleux ? Semblables à la fumée, ils ne s’élèvent que pour s’évanouir. Donc il nous faut rapporter à l’humilité du Seigneur cette ceinture dont nous parle l’Évangile, et qu’il mit devant lui, pour laver les pieds à ses Apôtres.
4. On pourrait encore donner un autre sens à cette parole. Nous avons dit que praecingere c’est mettre une ceinture, mais devant soi. Or, nos détracteurs parlent quelquefois en mal de nous, mais en notre absence, et comme derrière nous ; d’autres le font en face, comme au Seigneur à la croix : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix[52] ». Or, nous n’avons pas réellement besoin de courage quand on ne médit de nous qu’en notre absence ; car nous n’entendons pas, nous ne sentons rien ; mais quand on nous outrage en notre présence, il nous faut alors du courage. Qu’est-ce à dire du courage ? Oui, pour supporter ; car n’allez pas croire qu’il y a du courage à vous laisser vaincre par l’outrage que vous entendez, et à frapper le coupable. Frapper un insolent, ce n’est pas être courageux, c’est être vaincu par la colère. Or, il y a folie à donner le nom de fort à un homme vaincu ; quand l’Écriture dit que « l’homme qui dompte sa colère, est plus fort que celui qui prend les villes[53] ». Un preneur de villes est donc inférieur à l’homme qui surmonte sa colère. Tu as dans toi-même un rude adversaire. Quand l’outrage soulève en toi la colère, et te pousse à rendre le mal pour le mal, souviens-toi de cette parole de l’Apôtre : « Ne rendez à personne le mal pour le mal, ni l’outrage pour l’outrage[54] ». Ces paroles étoufferont ta colère et te fortifieront : et comme ces paroles te sont dites en face, et non par-derrière, elles seront une ceinture devant toi.
5. Allons plus loin, le psaume est court. « Il a consolidé la terre qui ne sera point ébranlée[55] ». Vous le voyez, mes frères, beaucoup ont embrassé la foi de Jésus, c’est le grand nombre : et pourtant dans ce grand nombre, l’Évangile qu’on a lu vous le disait tout à l’heure, le Seigneur viendra le van à la main, et il purgera son aire, serrant le froment dans son grenier, et jetant les pailles au feu inextinguible[56]. Il y a donc sur toute la terre des bons et des méchants, des bons qui sont le grain, des méchants qui sont la paille. Le fléau dans l’aire brise la paille qui tombe et nettoie le froment. Qu’est-ce donc que cet univers qui ne sera point ébranlé ? Le Prophète ne tiendrait point ce langage s’il n’y avait aussi un univers qui s’ébranlera. Il y a donc un univers qui demeurera ferme, tandis qu’un autre univers doit chanceler. On appelle univers, en effet, les bons qui demeurent fermes dans la foi : et qu’on ne dise point qu’ils sont en un endroit, ils sont partout ; de même que les méchants, qui doivent abandonner la foi au souffle de la moindre tribulation, sont aussi partout, Il y a donc un univers mobile et un univers immobile, dont parle saint Paul. Vois cet univers mobile : « De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité, en disant que la résurrection est déjà faite, et qui bouleversent la foi de quelques-uns[57] » : je vous le demande, quels sont ces hommes dont parle saint Paul ? Appartenaient-ils à cet univers qui est inébranlable ? Ils étaient la paille : et ils bouleversent la foi, dit l’Apôtre. Il ne dit point la foi de tous : et s’il disait de tous, nous devrions comprendre de tous ceux qui appartiennent à la cité de Babylone, qui doit être damnée avec le diable. Néanmoins il dit la foi de quelques-uns. Et comme si l’on demandait : Qui pourra leur résister ? il ajoute aussitôt « Mais le solide fondement de Dieu subsiste[58] », Voilà que tu connais l’univers qui sera inébranlable. « Voici quel en est le signe ». Quel est le signe de ce fondement solide ? « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ». Tel est l’univers qui ne chancellera point : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ». Et qu’a-t-il pour signe ? « Que celui qui invoque le nom du Seigneur, s’éloigne de l’iniquité ». Qu’il s’éloigne maintenant de l’iniquité, puisqu’il ne peut se séparer des injustes, à cause du mélange de la paille et du froment, jusqu’au vannage. Que dis-je, mes frères ? Chose étonnante de la part du froment dans l’aire ! il se sépare de la paille quand on l’en dépouille, mais lorsqu’on le bat, il ne s’en va point de la grange. Quand se séparera-t-il tout à fait ? Quand viendra le vanneur[59]. L’univers entier est donc une aire : il faut, quelque bon que tu sois, que tu vives parmi les méchants ; mais si tu ne peux te séparer des hommes injustes, sépare-toi de l’injustice. « Que tout homme qui invoque le nom du « Seigneur se sépare de l’iniquité », et il sera dans cet univers qui est inébranlable.
6. « C’est de là, ô mon Dieu, qu’un trône vous ma été préparé[60] ». « De là », qu’est-ce à dire ? De ce moment : comme si le Prophète nous disait : Qu’est-ce que le trône de Dieu ? où s’assied-il ? En ses saints. Veux-tu être pour Dieu un trône ? Prépare-lui dans ton cœur un lieu où il s’asseye. Quel est en effet le siège de Dieu, sinon l’endroit qu’habite le Seigneur ? Et où habite le Seigneur, sinon dans son temple ? Et quel est ce temple ? se compose-t-il de murailles ? Loin de nous cette pensée Son temple est peut-être ce monde, qui est vaste et digne de la grandeur de Dieu ? Il ne saurait contenir celui qui l’a fait, où donc Dieu se repose-t-il ? L’âme calme, l’âme juste, voilà celle qui porte Dieu. Chose étrange, mes frères ! Dieu est infiniment grand, il pèse à ceux qui sont forts, il est pour les faibles un léger fardeau. Quels sont ces forts du Prophète ? Les orgueilleux qui ont confiance dans leurs forces. Et cette faiblesse, qui consiste dans l’humilité, est une force plus grande. Écoute ce que dit l’Apôtre : « Quand « je suis faible, c’est alors que je suis fort[61] » Voilà ce que je vous ai prêché, que le Seigneur s’est revêtu de force, quand il a enseigné l’humilité. Tel est donc ce siège de Dieu dont un Prophète nous a dit ailleurs : « En qui reposera mon esprit ? » C’est-à-dire, où mon esprit pourra-t-il reposer, sinon sur le trône de Dieu ? Écoute la description qu’il fait de ce trône. Tu t’imaginais peut-être un palais de marbre, d’amples parvis, une hauteur démesurée, des toits étincelants. Écoute ce que le Seigneur se prépare : « Sur qui reposera mon esprit ? Sur l’homme humble et calme, sur l’homme qui redoute ma parole[62] ». Es-tu humble ? Es-tu tranquille ? voilà que Dieu repose en toi. Mais Dieu, qui est élevé, n’habitera pas en toi si tu veux t’élever. Tu veux être grand afin qu’il habite en toi ; sois humble, redoute sa parole, c’est là qu’il habite. Il ne craint point une demeure tremblante, parce que lui-même la consolide. « C’est depuis lors, ô Dieu, qu’un trône vous est préparé ». « Depuis lors », c’est-à-dire depuis ce moment, ce qui semble préciser un temps particulier. Depuis ce temps, quel temps ? Peut-être le jour qui précéda le sabbat. Dès lors, le titre nous dirait alors quel jour. Ce serait le sixième jour, ou le sixième âge du monde, alors que le Seigneur vint en sa chair. C’est de ce jour, oui de ce jour, qu’il s’est fait homme, et qu’il est sorti du sein virginal. Que lisons-nous dans un autre psaume ? « Vous êtes dans la splendeur des saints, dès les entrailles maternelles ». « Dans la splendeur des saints », c’est-à-dire que vous éclairez les saints afin qu’ils voient Dieu en sa chair, et que leur cœur se purifie afin qu’ils le voient dans sa divinité. « Dans la splendeur des saints, dès les entrailles maternelles ». Mais que dit ensuite le Prophète ? Afin que l’on ne s’imagine point que le Christ n’a commencé son existence qu’au sortir du sein virginal, il ajoute : « Je t’ai engendré avant l’étoile du matin[63] ». Ainsi, après avoir dit : « Dans la splendeur des saints, dès les entrailles maternelles », le Prophète craint que l’on ne vienne à penser que le Christ a commencé au moment de sa naissance, comme Adam, comme Abraham, comme David, et il ajoute : « Avant l’étoile du matin, je t’ai engendré » ; avant tout ce qui est éclairé. L’étoile du matin, en effet, signifie toutes les étoiles, et par les étoiles tous les temps, puisque Dieu a fait les astres pour marquer les temps[64], en sorte que Jésus-Christ serait né avant tous les temps : or, celui qui est né avant tous les temps ne peut être regardé comme un homme né dans les temps, puisque le temps est la créature de Dieu, Car si tout a été fait par lui[65], le temps aussi est son ouvrage. Peut-être encore : « avant l’étoile du matin », signifierait-il aussi, avant tout esprit qu’éclaire la sagesse de Dieu. Que votre charité redouble d’attention. De même que le Prophète, après avoir dit : « Au sortir du sein virginal », craint pour notre foi que nous ne venions à croire que le Christ a commencé à dater de sa naissance du sein de la Vierge, et qu’il ajoute aussitôt : « Je t’ai engendré avant l’étoile du matin » ; de même ici, après avoir dit : « Depuis lors », c’est-à-dire depuis un certain temps, depuis le jour qui précède le sabbat, depuis le sixième âge du monde, quand le Christ Notre-Seigneur vint en sa chair, parce qu’il voulut bien se faire homme pour nous, lui qui est Dieu, non seulement avant Abraham, mais avant le ciel et la terre, lui qui a dit : « Je suis avant qu’Abraham fût[66] », et non seulement avant Abraham, mais avant Adam ; et non seulement avant Adam, mais avant les anges, avant le ciel et la terre, puisque toute chose a été faite par lui : le Prophète craint que ce jour de la naissance du Sauveur dans le temps, ne te fasse croire que c’est alors seulement qu’il commença son existence, et il ajoute : « Un trône vous a été préparé, ô Dieu ». Mais quel Dieu ? « Vous êtes de tout siècle », ou de toute éternité, ἀπὸ αἰῶνος : ainsi porte le grec qui se sert de αἰὼν, tantôt pour désigner le siècle, tantôt pour désigner l’éternité. O vous donc que l’on croirait né de ce moment, vous êtes de toute éternité. Ne nous arrêtons pas à une naissance humaine, élevons-nous à l’éternité divine. Sa vie du temps a donc commencé à sa naissance : il a crû en âge, vous l’avez entendu dans l’Évangile ; il a choisi ses disciples, les a remplis de l’Esprit-Saint, et ils ont commencé à prêcher. C’est là peut-être ce qui est dit ensuite.
7. « Les fleuves ont élevé leur voix[67] ». Quels sont ces fleuves qui ont élevé leur voix ? Rien ne l’indique : à la naissance du Sauveur, nous ne voyons pas que les fleuves aient parlé, non plus qu’à son baptême et à sa passion, nous n’entendons pas la voix des fleuves. Lisez l’Évangile, vous ne verrez point que les fleuves aient parlé. C’est peu de parler, « ils ont élevé leur voix » Non seulement ils ont parlé, mais avec force, mais avec fracas. Quels sont ces fleuves qui ont parlé ? L’Évangile n’en fait pas mention, disons-nous, cherchons-y néanmoins. Car où le trouver, sinon dans l’Évangile ? Je pourrais peut-être inventer, mais au lieu d’être un fidèle dispensateur, je ne serais plus qu’un fabuliste. Cherchons dans l’Évangile, cherchons ensemble quels sont ces fleuves qui élevèrent la voix. « Jésus se tenait debout et criait », lisons-nous dans l’Évangile. Que criait-il ? Voilà déjà la tête de tous les fleuves qui crie ; lui, la source d’où les autres fleuves doivent prendre leur écoulement, élève la voix le premier. Et que disait Jésus en se tenant debout ? « Celui qui croit, comme le dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». Et l’Évangéliste continue : « Il parlait ainsi à cause de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croyaient en lui. Mais le Saint-Esprit n’était pas encore donné, car Jésus n’était pas encore glorifié[68] ». Or, après que Jésus fut glorifié par la résurrection et par l’ascension, comme vous le savez, mes frères, et que furent écoulés dix jours qui étaient figuratifs, il envoya l’Esprit-Saint, qui remplit les disciples[69]. Cet Esprit-Saint est donc le grand fleuve qui remplit beaucoup d’autres fleuves. C’est de ce fleuve que le Psalmiste a dit ailleurs : « Un fleuve impétueux porte la joie dans la cité de Dieu[70] ». Des fleuves s’échappèrent donc du sein des disciples, quand ils reçurent le Saint-Esprit. Ils devinrent des fleuves d’Esprit-Saint. Comment ces fleuves élevèrent-ils la voix ? et pourquoi ? D’abord parce qu’ils avaient craint. Pierre n’était pas encore un fleuve quand la question d’une servante lui fit renier le Christ jusqu’à trois fois : « Je ne connais point cet homme[71] ». La crainte le fait mentir ; il n’élève pas encore la voix, il n’est pas encore un fleuve. Mais lorsqu’ils furent tous pleins du Saint-esprit, et que les Juifs les firent comparaître pour leur défendre de parler aucunement de Jésus et d’enseigner en son nom, Pierre et Jean leur dirent : « Jugez s’il est juste devant Dieu, de vous obéir plutôt qu’à Dieu ; car nous ne pouvons pas taire les choses que nous avons vues et entendues. Ces fleuves élevèrent la voix, et répondirent à la voix des grandes eaux ». C’est à cette voix qui s’élève que revient ce qui est écrit : « Pierre se tenant debout avec les « onze, et élevant la voix, s’écria : Hommes de Judée[72] » ; et le reste qu’il ajouta en leur prêchant Jésus-Christ sans crainte et avec une grande confiance. « Les fleuves ont élevé la voix, pour provoquer la voix des grandes eaux » ; car les Apôtres étant sortis du conseil des Juifs, ils vinrent trouver leurs frères, et racontèrent ce que leur avaient dit les prêtres et les sénateurs. À ces paroles, tous élevèrent une même voix vers le Seigneur, et dirent : « C’est vous qui avez fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui est en eux[73] » ; et tout ce que dirent ces fleuves en élevant la voix. « Les élévations de la mer sont admirables ». Comme ces disciples élevaient la voix, plusieurs embrassèrent la foi et reçurent le Saint-Esprit, et ces fleuves peu nombreux commencèrent à se multiplier et à élever la voix. Aussi est-il dit : « A la voix des grandes eaux, combien sont admirables les soulèvements de la mer », ou de ce siècle. Lorsque tant de bouches prêchèrent le Christ, la mer aussitôt s’irrita, et les persécutions se multiplièrent, Ainsi donc, lorsque « les fleuves élevèrent la voix, à la voix des grandes eaux répondirent les suspensions de la mer ». Ces suspensions sont des soulèvements, car le courroux de la mer fait soulever les flots. Mais que ces flots se soulèvent à leur gré, que la mer frémisse dans la rage ; « ses soulèvements sont admirables », sans doute : effroyables menaces, effroyables persécutions, mais vois ce qui suit : « Le Seigneur est admirable dans les cieux ». Que la mer donc s’apaise, qu’elle rentre dans le calme, et que l’on donne la paix aux chrétiens. La mer se soulevait jadis, la barque était agitée ; cette barque c’est l’Église, et la mer c’est le monde. Le Seigneur vint, il marcha sur la mer, foula aux pieds ses flots[74]. Comment le Seigneur marcha-t-il sur la mer ? En marchant sur la tête de ces grandes ondées écumantes. Les puissants et les rois ont cru et reçu le joug du Christ. Ne craignons donc point. Si « la mer a de terribles soulèvements, plus terrible encore est le Seigneur dans les cieux ».
8. « Vos témoignages sont devenus tout à fait croyables[75] », Car, si les soulèvements de la mer étaient effrayants, plus grand encore était le Seigneur dans les cieux. « Vos témoignages sont devenus tout à fait croyables ». Ce sont vos témoignages, car vous aviez dit auparavant : « Je vous dis ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. Vous aurez de grandes tribulations dans le monde[76] ». Je vous en avertis donc, le monde se soulèvera contre vous. Or, ils furent persécutés, et ces persécutions confirmèrent en eux la parole de Dieu et affermirent leur courage ; car en voyant s’accomplir la promesse des persécutions, ils espéraient que s’accomplirait aussi la promesse des couronnes. Dès lors, « effrayants étaient les soulèvements de la mer, et plus grand encore était le Seigneur dans les cieux. Vous aurez la paix avec moi, mais des persécutions dans le monde ». Que faisons-nous donc ? La mer est en courroux, les flots se soulèvent avec fureur, nous sommes dans la persécution, allons-nous défaillir ? Loin de là. « Le Seigneur est admirable dans les cieux ». Aussi quand il disait à ses Apôtres : « Vous aurez la paix avec moi, mais le monde vous persécutera » ; comme s’ils lui eussent demandé : Pensez-vous qu’en nous foulant aux pieds, le monde ne nous exterminera pas ? Il ajouta aussitôt : « Mais réjouissez-vous, j’ai vaincu le monde ». Si donc il dit : « J’ai vaincu le monde », attachez-vous à celui qui a vaincu le monde, qui a calmé la mer. Réjouissez-vous en lui, parce que le Seigneur est grand dans les cieux, et que « ses témoignages sont devenus tout à fait croyables ». Et qu’est-il arrivé de tout cela ? « La sainteté, Seigneur, convient à votre maison ». À votre maison, à toute votre maison. Non point ici, non point là, non point ailleurs ; mais dans toute votre maison, dans l’univers entier. Pourquoi dans l’univers entier ? « Parce qu’il a redressé l’univers entier qui ne sera point ébranlé[77] ». La maison du Seigneur sera solidifiée dans le monde entier ; beaucoup tomberont, mais la maison demeure ; beaucoup seront dans le trouble, mais la maison sera inébranlable. « La sainteté, Seigneur, convient à votre maison ». Est-ce pour un peu de temps ? Non, mais « pour de longs jours ».

DISCOURS SUR LE PSAUME 93[78]. modifier

LE MÉLANGE DES BONS ET DES MÉCHANTS. modifier

La prospérité du méchant est ici-bas un scandale pour les faibles, qui sont portés à imiter ceux qu’ils croient heureux, oui n’éviter le mal que par la crainte. Dieu découvre le mal qu’ils feraient sans cette crainte, et dans l’occasion ils montrent leur méchanceté. Ainsi naguère une famille attirait ses victimes à imiter ses forfaits. Le lion bravait les gardiens, que redoute le loup non moins coupable. Dieu veut nous faire pratiquer la justice par amour pour cette justice. Ce psaume tend à guérir nos pensées ; il est pour le quatrième jour, ou celui de la création des astres, parce que les saints doivent briller comme des astres, mais sans qu’on doive les adorer ils brillent en effet et poursuivent leur carrière sans s’arrêter aux crimes dont ils sont les témoins muets. Ils doivent supporter les injustes afin de ne point tomber du ciel ou de la loi, que nous devons lire ici-bas afin que rien ne nous ébranle. Dieu se vengera de ceux qui murmurent contre sa providence, de même qu’il n’épargnait personne ici-bas, quand il encourageait les justes par la promesse du ciel. Il les épargnera moins encore maintenant qu’ils l’ont crucifié, à moins qu’en s’humiliant ils ne méritent de faire des miracles, comme quelques-uns de ses bourreaux. Ils croient ou que Dieu ignore leurs crimes, ou que ces crimes lui plaisent. Mais d’abord le juste doit savoir que c’est ici-bas le lieu de souffrir, que la patience fait partie du labeur, ensuite que Dieu qui a planté l’œil et l’oreille saura voir et entendre ; que le péché devient la fosse du pécheur, de l’orgueilleux, qui s’arroge le bien qu’il trouve en lui, ou qui se préfère aux autres, que Jésus-Christ nous apprend l’humilité, en prenant notre chair, en mourant sur la croix, et que relit humilité fait descendre Dieu vers nous ; que s’il corrige le juste ici-bas, c’est pour l’épargner dans l’éternité ; que nous devons adapter notre volonté à celle de Dieu ; qu’il a pris nos sentiments humains afin de les redresser, de les sanctifier ; qu’il nous donnera la force de surmonter nos tentations, nous amènera à confesser nos faiblesses, car il aime l’aveu, et il tendit la main à Pierre sur le point d’être submergé ; que nul homme injuste ne pourra s’asseoir auprès de celui qui fait de la douceur un précepte ; que s’il soumet à la douleur ceux qui lui appartiennent, que ne réserve-t-il pas aux pécheurs ? Que s’il s’est donné à nous ici-bas, que nous réserve-t-il dans l’éternité ? Il veut nous rendre le repos, un repos éternel, au prix d’un travail pendant notre vie. L’affection réveille notre foi comme la tempête réveilla les Apôtres. Aux menaces des méchouis opposons les menaces de Dieu, qui a le droit du potier, de faire des vases à sa volonté, qui se sert des méchants pour nous exercer, sauf à les traiter selon l’intention qui les guide. Que notre foi nous soutienne ici-bas par des actes de charité.


1. Nous avons écouté avec beaucoup d’attention la lecture du psaume, écoutons aussi ce qu’il plaît à Dieu de nous révéler des mystères qu’il y a cachés. Si Dieu en effet a jeté le voile du mystère sur quelques passages des Écritures, c’est moins pour nous les dérober, que pour nous forcer à frapper à la porte pour en obtenir l’entrée. Si donc vous frappez avec une tendre piété et une charité sincère, Dieu vous ouvrira,[79], lui qui voit ce qui vous excite à frapper. Chacun de nous sait qu’il y eut autrefois beaucoup de murmurateurs contre la patience de Dieu (et puissions-nous n’être point de ce nombre), des hommes qui s’affligeaient de voir les méchants et les impies vivre sur la terre, et même y obtenir de la puissance ; et ce qui est plus impénétrable encore, de leur voir contre les bons assez de puissance pour les opprimer ; de voir enfin les méchants dans la joie, les bons dans l’affliction ; les méchants dans la gloire, les justes dans l’humiliation. À la vue de ces désordres, et ils sont nombreux dans le genre humain, des hommes d’un esprit faible et impatient se persuadent que c’est en vain qu’ils sont vertueux, puisque Dieu détourne, ou semble détourner les yeux des bonnes œuvres que font les hommes pieux et fidèles, et augmenter encore les jouissances des méchants. Asses faibles dès lors pour se persuader que c’est sans profit qu’ils lâchent de vivre saintement ; ou bien ils sont portés à imiter les désordres de ceux qu’ils voient en quelque sorte fleurir ici-bas ; ou bien, si quelque faiblesse de caractère ou de conscience les fait reculer devant le mal, ils sont retenus plutôt par la crainte des lois humaines, que par l’amour de la justice, ou plus clairement, ils craignent d’encourir parmi les hommes la réprobation des hommes, et ils évitent les actions condamnables, sans toutefois éviter les pensées honteuses. Et pour toutes ces pensées iniques, celle qui en est la source est cette impiété qui leur persuade que Dieu néglige la conduite de ce monde, et n’en prend aucun soin ; qu’il ne met aucune différence entre les bons et les méchants, ou, ce qui est plus horrible encore ; qu’il favorise les méchants et persécute les bons. Tout homme qui a ces pensées est impie envers lui-même, et se nuit quand même il ne nuirait à personne. Il n’atteint pas Dieu, il est vrai, mais il est son propre meurtrier, Dominés par ces pensées et par la crainte, ils peuvent bien ne pas nuire aux hommes, mais Dieu découvre et punit dans leurs pensées leurs homicides, leurs adultères, leurs fraudes et leurs rapines. Car il voit leurs désirs, lui dont l’œil n’est point arrêté par ce voile charnel, et peut pénétrer leur volonté. Que l’occasion se présente, et ces hommes ne deviennent plus méchants, ils montrent qu’ils le sont : ce n’est pas ce qui vient de naître qu’ils mettent en évidence, mais bien ce qui était caché dans leurs cœurs. Il n’y a que peu d’années, c’est hier en quelque sorte que l’on a vu ce que j’énonce, et les esprits les plus lents ont pu le comprendre ; il y avait ici une famille très puissante, dont Dieu s’était fait un fléau contre le genre humain ; et le genre humain se fût corrigé à cette occasion, s’il eût reconnu là une main paternelle, et redouté la sentence du juge. Pendant que cette famille exerçait en cette ville sa grande puissance, beaucoup gémissaient sous sa tyrannie, murmuraient, blâmaient, maudissaient, blasphémaient. Mais combien les hommes se nuisent à eux-mêmes, et combien sont abandonnés par un juste jugement de Dieu aux désirs de leur cœur[80] ? Puis subitement les murmurateurs devenaient membres de cette famille, et faisaient endurer aux autres les maux dont ils murmuraient un peu auparavant. Un homme est donc véritablement bon quand il ne fait point le mal qu’il pourrait faire ; c’est de lui qu’il est dit : « Il a pu violer la loi, et ne l’a point violée, faire le mal, et il ne l’a point fait. Quel est-il, et nous le comblerons de louanges ? car il a fait des merveilles en sa vie[81] ». Ainsi dit l’Écriture au sujet des hommes puissants qui demeurent inoffensifs. Un loup a la volonté de nuire autant qu’un lion. Le mal est inégal, mais non la volonté. Car un lion, non seulement dédaigne les aboiements du chien, mais il le met en fuite, puis s’élance dans l’étable, et enlève ce qu’il lui plaît, sans que le chien ose souffler : tandis qu’un loup n’ose le faire quand le chien aboie. Mais en est-il plus innocent quand il se retire sans rien prendre, effrayé qu’il est par les aboiements du chien ? Dieu nous apprend donc à pratiquer l’innocence, non par la crainte du châtiment, mais par l’amour de la justice. C’est alors que l’innocence est libre, et véritablement innocence. L’homme, innocent par crainte, n’est pas vraiment innocent, bien qu’il ne fasse point le mal qu’il voudrait bien faire. Il ne nuit point par une action coupable ; mais il se nuit beaucoup à lui-même, par son coupable désir. Vois dans l’Écriture comment il se nuit : « Quiconque aime l’iniquité, hait son âme[82] ». C’est donc nous tromper gravement que prétendre tourner contre les autres nos injustices, et non contre nous-mêmes. C’est contre les autres que l’on veut être injuste, on veut les blesser, détruire leurs biens, envahir leurs campagnes, enlever leurs esclaves, dérober leur or, leur argent, tout ce qu’ils peuvent posséder. Ce n’est guère qu’en ces manières qu’un autre est victime de nos injustices. En ce cas, ton iniquité pourrait donc nuire au corps de ton prochain, et pas à ton âme ?
2. Une doctrine si simple, si vraie, qui apprend aux hommes de bien à aimer la justice elle-même, à chercher par elle à plaire à Dieu, à reconnaître qu’il répand dans nos âmes une lumière invisible qui nous prépare aux bonnes œuvres, et à préférer, à tous les biens qui nous captivent ici – bas, cette lumière de la sagesse, un tel enseignement provoque les murmures des hommes ; et s’ils ne s’exhalent de leurs bouches, ils rongent du moins leurs cœurs. Que disent-ils donc ? Est-il vrai que je plaise à Dieu par la justice ? Que les justes lui plaisent, quand sa providence laisse fleurir ainsi les méchants ? Ils sont si criminels, et ne sont point châtiés. Et s’il leur arrive quelque mal, que vont-ils nous répondre, si nous leur disons : Voyez quelle vengeance Dieu a tirée des crimes de cet homme ? quelle fin malheureuse ! Ils vous énumèrent tous les justes qui ont essuyé quelque malheur, et nous les opposent en disant : si cet homme a essuyé des malheurs à cause de sa méchanceté, pourquoi donc a-t-il été traité de la sorte, ce juste qui a vécu si saintement, qui a fait tant d’aumônes, tant de bonnes œuvres dans l’Église, pourquoi une fin si tragique ? Pourquoi cette ressemblance entre sa mort et la mort de cet homme si coupable ? Ce langage fait voir que s’ils ne commettent point le mal, c’est qu’ils ne peuvent, ou qu’ils n’osent. Car la langue rend ici témoignage des volontés du cœur. Mais leur langue demeurât-elle muette et perdue par la crainte, que Dieu verrait encore intérieurement les pensées des hommes, qu’un autre homme ne saurait découvrir. Ce sont donc les pensées des hommes, pensées secrètes, ou qui se manifestent par des actes ou des paroles, que notre psaume veut guérir : si les malades veulent être guéris, qu’ils écoutent, et qu’ils se guérissent. Dieu veuille que dans cette foule rassemblée dans l’enceinte de cette église, et qui entend par ma bouche la parole de Dieu, il n’y ait personne à guérir de cette maladie. Oui, qu’il n’y ait personne. Et quand bien même il n’y aurait ici aucune de ces blessures, il n’est pas inutile d’en parler. Il faut apprendre à vos cœurs à guérir ceux qui tiendront de semblables discours. Tout chrétien, je me le persuade facilement, s’il est fidèle, s’il se confie en Dieu, s’il met son espérance dans l’avenir, et non sur cette terre, et en cette vie, s’il n’entend pas inutilement ces paroles : Vos cœurs en haut, méprise ces récriminations s’il les entend, plaint ceux qui profèrent de semblables murmures, et se dit en lui-même : Dieu sait ce qu’il fait, et nous ne pouvons pénétrer ses conseils, ni comprendre pourquoi il pardonne aux méchants pour un temps, et pourquoi il afflige dans le temps ceux qui le servent. Il me suffit que l’affliction du juste doive passer, comme le bonheur des méchants. Celui qui en est là est donc en sûreté, et supporte facilement le bonheur des impies ; il supporte également, il tolère l’affliction des bons, jusqu’à la fin du siècle, jusqu’à ce que l’iniquité soit passée. Il jouit déjà du bonheur, Dieu l’a déjà instruit de sa loi, lui a quelque peu adouci la rigueur des mauvais jours, jusqu’à ce que l’on creuse une fosse aux pécheurs. Que celui qui n’en est point encore là nous écoute, et reçoive de notre bouche ce qu’il plaît au Seigneur ; ou plutôt, que Dieu parle à son cœur, lui qui voit mieux que nous ce qu’il y doit guérir.
3. Voici le titre ou l’inscription du psaume : « Psaume de David pour le quatrième jour du sabbat ». Ce psaume doit enseigner la patience à tous les justes qui sont dans l’affliction. Il affermit notre patience, et nous apprend à voir sans aigreur le bonheur des méchants. Voilà ce qu’il contient d’un bout à l’autre. Pourquoi donc est-il intitulé : Pour le quatrième jour de la semaine ? Le premier jour de la semaine est le dimanche. Le second est la seconde férie, que le monde appelle jour de la Lune ou lundi ; le troisième jour est la troisième férie, appelé jour de Mars ou mardi. Le quatrième jour du sabbat est donc la quatrième férie, appelée jour de Mercure, ou mercredi par les païens et beaucoup de chrétiens. Nous voudrions qu’ils s’en corrigeassent, et ne parlassent plus ainsi ; car ils ont leur langage dont ils doivent se servir. Ces noms en effet ne sont point les mêmes chez tous les peuples, et les uns ont tel nom, les autres tel autre. Il serait donc mieux qu’un chrétien se servît du langage de l’Église. Toutefois si quelqu’un se laisse entraîner à la coutume, et se sert d’un langage qu’il condamne au fond de son cœur, qu’il reconnaisse du moins que ceux dont on a donné les noms aux astres sont des hommes, et que les astres n’ont point commencé avec ces hommes, qu’ils étaient dans les cieux avant que ces hommes fussent sur la terre. Mais que ces hommes puissants et éminents ici-bas, s’étant rendus chers à leurs semblables, à cause de certains bienfaits périssables, et qui ne regardaient point la vie éternelle, mais bien cette vie présente, ont reçu des mortels les honneurs divins. En effet les anciens du monde, trompés eux-mêmes et trompant les autres adulateurs envers ceux qui leur procuraient quelque bonheur en cette vie, montraient dans les cieux les constellations, et assuraient que c’était ici l’étoile d’un tel et là l’étoile de tel autre. Car des hommes qui n’avaient rien examiné auparavant, qui n’avaient point vu que ces étoiles occupaient celte place même avant leur naissance, crurent qu’elles commençaient à luire. Ainsi s’accrédita une opinion mensongère ; opinion que le diable confirme, que le Christ a détruite. Dans votre langage donc, le quatrième jour de la semaine est le quatrième, en commençant au dimanche, Que votre charité examine le sens du titre, il y a là un grand mystère, mais très caché. Le reste du psaume sera clair, les mouvements en sont de toute évidence et se comprennent facilement, mais il faut l’avouer, le titre n’est pas d’une faible obscurité. Toutefois, avec le secours de Dieu, le nuage se dissipera, vous comprendrez le psaume, et dès l’entrée vous en saisirez le sens. Car c’est au début que nous lisons : « Psaume pour David ou quatrième jour du sabbat ». Voilà ce qui est écrit au frontispice, gravé sur le portail. Un homme veut lire l’enseigne avant d’entrer dans la maison. Rappelons-nous alors les œuvres que dans la Genèse l’Écriture sainte assigne au premier jour ; nous trouvons qu’alors fut créée la lumière : ce qui fut fait le second jour ; et nous trouvons le firmament appelé le ciel : ce qui fut fait le troisième jour ; et nous trouvons la terre qui prend une forme, ainsi que la mer, et leur séparation de manière que l’on appela mer le vaste réservoir des eaux, et terre tout ce qui était aride. Le quatrième jour Dieu fit les deux grands flambeaux des cieux[83] : le soleil pour luire pendant le jour, et la lune et les étoiles pour briller pendant la nuit[84], Voilà l’œuvre du quatrième jour. Mais pourquoi ce titre de quatrième jour donné à notre psaume ? C’est qu’il nous apprend à supporter avec patience la félicité des méchants, l’affliction des bons. Souvenons-nous de cette parole de saint Paul aux fidèles et aux saints affermis dans le Christ : « Accomplissez toutes choses sans murmure et sans contestation, afin que vous soyez sans reproche, simples et sans tache comme des enfants de Dieu, au milieu d’une nation perverse et corrompue, où vous brillerez comme des astres dans le monde, portant en vous la parole de la vie[85] ». Saint Paul compare les saints à des astres, afin qu’ils soient sans murmure dans le monde, qui est tortueux et dépravé.
4. Mais, pour qu’on ne s’imagine point que l’on doive adorer les flambeaux des cieux, parce que l’Apôtre s’en sert comme d’un point de comparaison pour désigner les saints, montrons tout d’abord au nom du Christ qu’il ne suit pas de là qu’il faille adorer le soleil, ou la lune, ou les étoiles, ou le ciel, bien que l’Apôtre se serve de cette comparaison pour nous parler des saints. Il est en effet dans la nature bien d’autres objets auxquels on a comparé les saints et que l’on n’adore point. S’il fallait adorer tout ce qui a servi de comparaison pour les saints, il faudrait adorer les montagnes et les collines, puisqu’il est dit : « Les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines comme les agneaux[86] ». Ce que tu dis des saints, je le dis du Christ. Il faut adorer les lions, puisqu’il est dit : « Il a vaincu, ce Lion de la tribu de Juda[87] ». Il faut adorer la pierre, puisqu’il est dit : « Et la pierre était le Christ[88] ». Mais si tu n’adores pas ces choses terrestres, nonobstant les comparaisons que l’on en a tirées ; de même quand on prend quelques autres points de comparaison pour désigner les saints, tu dois comprendre que la créature n’est ici qu’une figure, et adorer l’auteur de toute créature. Notre-Seigneur Jésus-Christ a été appelé soleil[89] : mais est-il ce soleil que voient comme nous les plus chétifs animaux ? De qui donc est-il dit : « Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant en ce monde[90] ? » Car cette lumière que l’on voit n’éclaire pas seulement les hommes, mais les bêtes de somme, les troupeaux et tous les animaux. Mais celle qui éclaire les hommes, leur donne la lumière du cœur où est seulement l’intelligence.
5. Que votre charité veuille comprendre à qui l’Apôtre a dit : « Vous serez au milieu d’une nation tortueuse et perverse », c’est-à-dire au milieu des méchants, « et vous y brillerez comme des astres dans le monde, ayant la parole de vie[91] » : nous donnant par là le moyen de comprendre le psaume, et d’en connaître le titre. Du haut de leur conversation dans le ciel, des saints qui ont en eux la parole de vie, méprisent toutes les iniquités que l’on commet sur la terre : comme les astres pendant le jour aussi bien que pendant la nuit, marchent dans les cieux, poursuivent leur carrière par des mouvements réglés ; tous les crimes qui se commettent sur la terre, ne les font point dévier de la route fixée : ils gardent exactement dans la vaste étendue des cieux le sentier que leur a tracé le Créateur : ainsi doit-il en être des saints, si toutefois leurs cœurs sont fixés dans le ciel, si ce n’est pas en vain qu’ils nous entendent, et qu’ils répondent que leurs cœurs sont en haut, s’ils imitent Celui qui a dit « Notre conversation est dans les cieux[92] ». Dès qu’ils sont dans les cieux, et que leurs pensées sont occupées à des choses du ciel, ainsi qu’il est dit : « Où est votre trésor, là aussi est votre cœur[93] » ; les pensées des choses d’en haut leur donnent la patience, les rendent peu soucieux aux événements du monde, jusqu’à ce qu’ils achèvent leur pèlerinage en cette vie, de même que les astres, dans les cieux, n’ont d’autre souci que de continuer leur course le jour et la nuit, quels que soient les crimes que l’on commette sur la terre. Mais il est peut-être facile aux justes de supporter les iniquités que les méchants ne commettent point contre eux : ils doivent supporter aussi celles dont ils sont victimes, comme ils supportent celles que l’on commet contre les autres. Ce n’est point en effet parce qu’elles se commettent contre les autres, qu’ils doivent les supporter : mais fussent-elles commises contre eux, ils ne doivent jamais perdre la patience. Perdre la patience, c’est tomber du ciel ; mais pour l’homme dont le cœur est fixé dans le ciel, c’est la terre qui souffre sur la terre. Combien de fables inventées par les hommes au sujet des astres, et que ces astres souffrent patiemment ? Ainsi les justes doivent supporter avec patience toutes les calomnies dont on les noircit, Dire par exemple que cette étoile est de Mercure, comme nous le disions tout à l’heure, que cette autre est de Saturne, telle autre de Jupiter, c’est là calomnier les étoiles. En entendant ces blasphèmes, ces étoiles sont-elles émues, en continuent-elles moins leur course ? Ainsi l’homme qui a la parole de Dieu au milieu d’une nation tortueuse et perverse, ressemble à l’astre qui brille dans les cieux. Combien paraissent honorer le soleil, et le chargent de mensonges ? Dire que le Christ est le soleil, c’est outrager le soleil qui sait bien que le Christ est son Créateur. Et s’il était capable d’indignation, il en ressentirait contre les faux honneurs qu’on lui rend, plus encore que contre les calomnies dont on le charge. Pour un fidèle serviteur, l’injure qu’il ressent le plus est celle de son maître. Combien de faussetés débitées contre les astres, qui les supportent, qui les tolèrent, qui ne s’en émeuvent point ! Pourquoi ? parce qu’ils sont dans le ciel, Qu’est-ce donc que le ciel ? Mentionnons encore ceci : que de fables débitent les hommes, quand ils voient la lune s’obscurcir, quand ils disent que les magiciens la font descendre ! Tandis que c’est par l’ordre de Dieu qu’elle a ses éclipses à des temps marqués. Mais parce que cet astre est dans les cieux, il se rit des fables des hommes. Qu’est-ce à dire, qu’elle est dans les cieux ? Elle est solide au firmament. Ainsi l’homme, dont le cœur est dans le firmament du livre de Dieu, se rit des paroles des hommes.
6. Par le ciel, en effet, ou par le firmament, on entend d’ordinaire le livre de la loi. Aussi est-il dit en certain endroit : « Dieu déroula le ciel comme une peau[94] ». Si le ciel s’étend comme une peau, il s’étend comme un livre afin qu’on y lise, car une fois le temps passé on n’y lira plus. Si nous lisons encore la loi, c’est que nous ne sommes point encore parvenus à cette sagesse qui remplit les cœurs et les esprits de ceux qui la contemplent ; et alors il ne sera plus nécessaire pour nous de la lire. Dans une lecture, en effet, les syllabes résonnent et passent l’une après l’autre ; pour la lumière de la vérité, elle ne passe point, mais elle demeure fixe et enivre les cœurs de ceux qui la voient ; ainsi que l’a dit le Prophète : « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, ils boiront au torrent de vos voluptés, parce que la source de la vie est en vous, ô mon Dieu. Et voyez quelle est cette source : « C’est à votre flambeau que nous verrons la lumière[95] ». La lecture nous est donc nécessaire ici-bas, tant que « nous ne voyons qu’en partie, que nous ne prophétisons qu’en partie », comme l’a dit l’Apôtre : « mais quand nous arriverons à l’état complet, tout ce qui n’est qu’en partie disparaîtra[96] ». Dans cette cité de Jérusalem, en effet, où vivent les anges, d’où nous sommes aujourd’hui bannis par un exil qui nous fait gémir, si nous comprenons bien que nous sommes des exilés ; car c’est haïr sa patrie que se plaire en exil : dans cette cité qu’habitent les anges, lit-on l’Évangile, où les écrits de l’Apôtre ? On s’y nourrit du Verbe de Dieu, et ce Verbe de Dieu pour se faire entendre à nous dans le temps, « a été fait chair pour habiter parmi nous[97] ». La loi écrite est toutefois un firmament pour nous, et si votre cœur s’y repose, il n’est point ébranlé par les iniquités des hommes. « Le Seigneur donc », est-il dit, « étend les cieux comme une peau » ; mais quand sera écoulé le temps où les livres sont nécessaires, qu’est-il dit alors ? « Le ciel sera replié comme un livre[98] ». Celui-là, dès lors, dont le cœur est en haut, a un cœur lumineux, qui brille dans le ciel, et que n’obscurcissent point les ténèbres. Car les ténèbres sont au-dessous, les ténèbres sont l’iniquité, et les ténèbres ne sont point immuables. Déjà nous l’avons dit hier, et ceux qui sont ténèbres aujourd’hui, avec la bonne volonté seront demain la lumière ; ceux qui étaient ténèbres en entrant ici, peuvent être lumière dès maintenant. Car l’Apôtre, afin que nul ne croie que les ténèbres nous sont naturelles, et qu’on ne saurait les changer, nous dit clairement : « Vous étiez ténèbres autrefois, et maintenant que vous êtes lumière dans le Seigneur, marchez comme des enfants de la lumière[99] ». Vous êtes lumière, mais dans le Seigneur, nous dit l’Apôtre, et non en vous-mêmes. Que votre cœur soit donc dans ce livre : et votre cœur dans ce livre sera dans le firmament du ciel. Si votre cœur est là, qu’il tire de là sa lumière, elles iniquités d’au-dessous de lui ne l’ébranleront point : non qu’il soit au ciel selon la chair, mais il y sera par sa conversation, comme l’a dit saint Paul : « Notre conversation est dans le ciel[100] ». Tu ne saurais avoir une idée de cette cité que tu n’as point vue encore ; mais veux-tu penser au ciel ? Pense su livre de Dieu. Écoute ce que dit le psaume : « Le jour et la nuit il méditera sa loi ». Et le même psaume appelle « bienheureux celui qui n’est pas allé dans le conseil des impies, qui ne s’est pas arrêté dans la voie des pécheurs, qui ne s’est point assis dans la chaire de pestilence ; mais qui a mis sa volonté dans la loi du Seigneur[101] ». Vois cet astre dans le firmament : « Il méditera jour et nuit la loi du Seigneur ». Veut-il endurer tout avec patience ? Qu’il ne descende point du ciel, qu’il y médite nuit et jour la loi de Dieu. Que son cœur soit donc dans le ciel, et si son cœur est dans le ciel, toutes les iniquités qui se commettent pour un temps sur la terre, toute la félicité des méchants, toutes les vexations des justes ne sont rien pour celui qui médite jour et nuit la loi de Dieu ; il endure tout, et il est heureux dans la lumière de Dieu. Comment donc est-il dans le firmament des cieux ? C’est que la loi est ce firmament. « Bienheureux, Seigneur, l’homme que vous aurez instruit vous-même l’homme à qui vous aurez enseigné votre loi. Afin que vous adoucissiez en sa faveur les jours mauvais, jusqu’à ce que l’on creuse une fosse au pécheur[102] ». Voyez donc ces astres réglés dans leur cours ; ils marchent, ils se couchent, ils reviennent, ils poursuivent leur carrière, ils distinguent le jour de la nuit, ils mesurent les temps et les années, et malgré les maux qui se commettent sur la terre, ne perdent rien de la paix qu’ils ont dans les cieux. Qu’est-ce donc que Dieu nous enseigne ? Écoutons le psaume.
7. « Le Dieu des vengeances, le Seigneur, le Dieu des vengeances agit dans sa liberté[103] ». Oses-tu bien croire qu’il ne se venge point ? Il se venge assurément, puisqu’il est le Dieu des vengeances. Qu’est-ce à dire le Dieu des vengeances ? Le Dieu qui se venge. Ce qui soulève tes murmures, c’est qu’il ne se venge point sur les méchants. Garde-toi de murmurer, afin de n’être point de ceux dont il tire vengeance. Tel commet un larcin, et vit néanmoins, et tu murmures contre Dieu parce qu’il ne fait point mourir celui qui est voleur à ton préjudice ; mais à ton tour, vois si tu n’es point voleur ; et si tu ne l’es plus, vois si tu ne l’as pas été. Si tu es au jour, souviens-toi de ta nuit, et si tu es fixé au ciel, souviens-toi d’avoir été sur la terre. Tu trouveras peut-être qu’un jour tu fus voleur, et qu’un autre s’en prit à Dieu de ce que tu survivais à ton vol, et de ce qu’il ne te faisait point mourir. Mais de même que dans ta faute le Seigneur t’a épargné, t’a laissé vivre afin qu’à l’avenir tu ne fusses plus voleur ; ne cherche point après ton passage à détruire le pont de la divine miséricorde. Ne sais-tu pas que beaucoup doivent passer par où tu as passé toi-même ? Existerais-tu maintenant pour murmurer, s’il eût écouté ceux qui murmuraient jadis contre toi ? Et néanmoins tu veux que Dieu se venge des méchants, qu’il punisse un voleur ; et tu murmures contre Dieu, parce que ce voleur n’est point mis à mort. Pèse dans la balance de l’équité le vol et le blasphème ; tu n’es pas voleur, dis-tu, mais tes murmures contre Dieu te rendent blasphémateur. Tel profite du sommeil des autres pour commettre le vol ; et toi tu accuses Dieu de dormir et de ne pas voir les hommes. Si donc tu veux que la main du voleur se redresse, commence par redresser ta langue : tu veux que celui-là cesse d’être injuste envers les hommes, cesse de l’être envers Dieu, de peur que cette vengeance divine que tu appelles ne tombe d’abord sur toi. Dieu viendra, en effet, il viendra et jugera tous ceux qui persévèrent dans l’injustice, qui auront été peu reconnaissants de ses grâces, qui auront méprisé sa patience, qui auront amassé un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres[104], car ce le Seigneur est le « Dieu des vengeances, et le Dieu des vengeances agira en toute confiance ». Il n’épargnait personne quand il parlait ici-bas ; car, si le Seigneur vivait dans l’infirmité de la chair, il avait néanmoins la force de la parole. Il n’eut aucun égard pour les princes des Juifs. Que ne dit-il point contre eux, et comme l’a dit le Prophète, avec une pleine assurance ? Car c’est de lui qu’il est dit dans le psaume : « A cause de la misère des pauvres et des gémissements des misérables, je me lèverai, dit le Seigneur[105] ». Quels sont ces pauvres ? ces indigents ? Ceux qui n’ont d’espoir qu’en lui, qui seul ne trompe point. Voyez, mes frères, qu’ils sont pauvres et indigents. Car ces pauvres, dont l’Écriture parle avec éloge, ne paraissent point être ces pauvres qui n’ont rien. On voit quelquefois un pauvre qui, recevant une injure, a recours aussitôt à son patron chez qui il demeure, dont il est le locataire, le fermier, le client ; il affirme hautement qu’on le traite avec injustice, parce qu’il appartient à un tel homme. Il a mis son cœur dans cet homme, son espérance dans cet homme, sa cendre dans cette cendre. D’autres sont riches des biens du monde et jouissent des honneurs mondains, et pourtant ne mettent point leur espérance dans cet argent, ni dans leurs terres, ni dans leurs enfants, ni dans l’éclat d’une dignité passagère ; mais ils fondent leur espérance dans celui à qui nul ne succède, qui ne peut mourir, non plus que se tromper ou tromper ceux-ci, bien qu’ils paraissent avoir de grands biens aux yeux du monde, sont néanmoins au nombre des pauvres de Dieu, parce qu’ils dispensent leurs biens avec sagesse et pour les besoins des pauvres. Ils comprennent les dangers qui les environnent en cette vie, ils s’y trouvent étrangers : ils se conduisent au milieu de leurs grands biens comme le voyageur qui passe par une hôtellerie, mais sans y rien posséder. Que fera donc le Seigneur ? « A cause de la misère des pauvres, et des gémissements, des misérables, je me lèverai, dit le Seigneur. Je les mettrai dans le salut ». Or, le salut du Seigneur, C’est notre Sauveur. C’est en lui que le Prophète a voulu placer l’espérance du pauvre et du misérable. Et que dit-il ? « J’agirai en lui avec confiance[106] ». Qu’est-ce à dire, « j’agirai avec confiance ? » Il ne craindra point, il n’épargnera point les vices des hommes, ni leurs convoitises. C’est donc un médecin fidèle, muni du fer salutaire de sa parole, et qui a tranché dans nos plaies. Ainsi les Prophètes l’avaient annoncé d’avance, ainsi les hommes l’ont vu. Il prêchait sur la montagne, quand il dit : « Bienheureux les pauvres de gré, parce que le royaume des cieux leur appartient ». Il déclare même « bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice », et dans le même discours il ajoute que « le royaume des cieux leur appartient ». Et pour les faire briller comme des astres, c’est-à-dire pour les rendre patients dans toutes ces persécutions passagères, il leur dit : « Vous serez heureux quand ils vous persécuteront, quand ils diront toute sorte de mal contre vous ; réjouissez-vous alors et tressaillez, parce que votre récompense est grande dans les cieux[107] ». Dans la suite de ce discours, bien qu’environné de la foule, il tient à ses disciples qu’il instruit un langage qui frappait en face les Pharisiens et les Juifs, lesquels étaient en quelque sorte les maîtres dans l’exposition des saintes Écritures, croyaient être justes et passer pour tels, et enfin voyaient le peuple soumis à leur autorité, il ne les épargne pas, et s’écrie : « Quand vous priez, ne soyez point comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et dans les coins des rues, afin d’être vus par les hommes[108] » ; et d’autres enseignements semblables. Il les attaqua tous, sans redouter personne. Et après ce discours, voici la conclusion qu’en tire l’Historien évangélique : « Il arriva que Jésus ayant terminé son discours, la foule était dans l’admiration au sujet de sa doctrine. Car il enseignait comme un homme qui a l’autorité, et non à la manière des Scribes et des Pharisiens[109] ». Combien de fois donc Celui dont il est dit : « Il leur enseignait comme un homme qui a l’autorité », combien de fois leur dit-il : « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites[110] ! » Combien de fois leur parla-t-il ainsi et en face ! Il ne redouta personne. Pourquoi ? Parce qu’il est le Dieu des vengeances. Il ne les épargnait point en paroles, afin de pouvoir un jour les épargner au jugement refuser en effet cette médecine amère de la parole, c’était encourir la condamnation du jugement à venir, Pourquoi ? Parce que « le Seigneur est le Dieu des vengeances, et que le Dieu des vengeances agit avec liberté », c’est-à-dire n’épargne personne. Or, celui dont les paroles ne ménagent personne, quand il vient pour souffrir, ménagera-t-il quand il viendra pour juger ? Lui qui ne redoute personne quand il vient dans son humilité, redoutera-t-il quand il viendra dans sa gloire ? Ce qu’il a fait avec tant de confiance te donne à juger de ce qu’il fera à la fin des temps. Garde-toi donc de, murmurer contre Dieu, qui semble épargner les méchants ; mais sois de ces bons qu’il n’épargne pas dans cette vie peut-être, afin de les épargner au jugement. « Le Dieu des vengeances est le Seigneur, le Dieu des vengeances agit avec liberté ».
8. Mais cette liberté dans ses actions, ils n’ont pu la souffrir. Et comme il était venu humble, comme il avait pris une chair mortelle et venait pour mourir ; non pour agir comme les pécheurs, mais pour souffrir de leur part ; comme il était venu pour agir en toute liberté, et que ces Pharisiens ne pouvaient supporter la franchise de ses invectives, que firent-ils ? Ils le saisirent, le flagellèrent, se moquèrent de lui, le souffletèrent, lui crachèrent au visage, le couronnèrent d’épines, l’attachèrent à la croix, et enfin le firent mourir. Mais que dit le Prophète de cette active confiance ? « Élevez-vous, ô vous qui jugez la terre[111] ». Ils l’ont saisi dans son humilité, le saisiront-ils dans sa gloire ? Eux qui ont jugé un homme mortel, ne seront-ils pas jugés par lui devenu immortel ? Que dit donc le Prophète ? Élevez-vous, ô vous qui avez agi avec liberté, vous dont les invectives hardies leur étaient insupportables, vous que dans leur malice ils ont cru faire beaucoup de saisir et de crucifier : au lieu de vous saisir pour croire en vous, ils vous ont saisi pour vous persécuter ; ô vous donc, qui avez agi avec tant de confiance parmi les méchants, qui n’avez redouté personne, et qui avez souffert, « élevez-vous », c’est-à-dire ressuscitez pour aller au ciel, et que l’Église endure avec patience ce que le chef de l’Église a si patiemment enduré ; « élevez-vous, ô vous qui jugez la terre, rendez leur salaire aux superbes ». Il le rendra, mes frères. Qu’est-ce en effet qu’il est dit ici : « Élevez-vous, ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ? » C’est une parole prophétique, et non un commandement téméraire. Ce n’est point parce que le Prophète a dit : « Élevez-vous, ô vous qui jugez la terre », que le Christ a obéi à son Prophète en ressuscitant pour monter au ciel ; mais c’est parce que le Christ devait le faire que le Prophète l’a prédit. Car le Christ ne l’a point fait parce que le Prophète l’avait prédit, mais le Prophète l’a prédit parce que le Christ devait le faire. Il voit en esprit le Christ humilié, mais humilié sans redouter personne, sans ménager personne de sa parole, et il dit qu’« il agit avec liberté ». Il le voit agir avec cette confiance, il le voit saisi, il le voit crucifié, humilié, puis il le voit ressuscitant et montant au ciel, d’où il viendra pour juger ceux-là mêmes entre les mains desquels il a souffert tant de maux. « Élevez-vous », lui dit alors le Prophète, « ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ». Il le rendra aux méchants, et non aux humbles, Quels sont les superbes ? Ceux qui, non contents de mal faire, veulent encore défendre leurs péchés. Quelques-uns, en effet, de ceux qui ont crucifié le Christ, ont réellement opéré des miracles, quand ils se sont séparés des Juifs pour embrasser la foi, et Dieu leur a pardonné le sang du Christ. Ce sang du juste rougissait encore leurs mains, et déjà ce juste lavait son sang versé. Ceux qui avaient meurtri son corps mortel qu’ils voyaient, se sont unis à son corps spirituel ou à l’Église. Ils avaient répandu ce sang qui devait être leur rançon, alla de boire cette même rançon. Plusieurs, en effet, se convertirent ensuite aux miracles que faisaient les Apôtres, plusieurs milliers embrassèrent la foi en un même jour[112] ; et ils se trouvèrent si étroitement unis au Christ, qu’ils vendaient tout leur bien pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres, et on le distribuait à celui qui en avait besoin ; et ils n’avaient en Dieu qu’un même cœur et qu’une même âme, eux dont plusieurs avaient crucifié le Sauveur. Mais pourquoi Dieu ne s’en est-il pas vengé ? Parce qu’il est dit : « Rendez le salaire aux superbes », et que ceux-ci ne voulurent pas être orgueilleux. En voyant les miracles qui s’opéraient au nom de ce Jésus qu’ils croyaient avoir mis à mort, ils furent émus de ces miracles, et prêtèrent l’oreille à Pierre, qui leur déclara au nom de qui ils s’opéraient. Serviteurs fidèles, ces hommes ne voulurent point s’arroger la puissance de leur maître et dire qu’ils opéraient eux-mêmes ce que leur maître opérait par leurs mains. Les serviteurs rendirent donc au maître la gloire qui lui était due ; ils dirent que ces merveilles que l’on admirait s’accomplissaient au nom de celui que les Juifs avaient crucifié. Et ces juifs s’humilièrent, et touchés au fond du cœur, troublés, ils confessèrent leur péché[113] ; puis demandèrent conseil, en disant : « Que ferons-nous ? » Loin de désespérer de leur salut, ils cherchent le médecin. Alors Pierre leur dit : « Faites pénitence, et que chacun d’entre vous soit baptisé au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ[114] ». En faisant pénitence, ils devinrent humbles, et Dieu ne leur rendit point ce qu’ils avaient mérité. Voici en effet ce que dit notre psaume : « Élevez-vous, ô vous qui ce jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ». Or, ceux-ci n’étaient plus de ce nombre : en eux s’était accomplie cette parole du Sauveur à la croix : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[115] ». « Élevez-vous, ô vous qui jugez la terre, et rendez le salaire aux superbes ». Il doit donc rendre aux hommes ce qu’ils méritent ? Oui, mais aux superbes.
9. Mais quand ? oui, quand le rendra-t-il ? Parfois les méchants triomphent, les méchants tressaillent, ils blasphèment, ils font toutes sortes de maux. En es-tu étonné ? Cherche avec piété plutôt que de blâmer avec orgueil. En es-tu étonné ? Le Psalmiste est dans la même peine et il cherche avec toi non point qu’il en ignore la cause, mais il cherche ce qu’il sait bien, afin que tu trouves en lui ce que tu ne sais pas encore. Quand un homme veut consoler un autre homme, il ne le relève point sans pleurer d’abord avec lui. Il pleure donc avec lui, d’abord, puis il lui donne des paroles consolantes. Mais s’il entrait chez lui en se raillant de sa tristesse, il n’agirait point comme nous l’avons lu tout à l’heure dans l’Apôtre : « Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent, et pleurez avec ceux qui pleurent[116] ». Tu pleures donc avec lui, d’abord, afin qu’ensuite il entre dans ta joie ; tu entres dans sa douleur afin de le relever : c’est ainsi que le psaume, de même que l’Esprit de Dieu qui sait tout, cherche avec toi, et s’empare en quelque sorte de tes paroles : « Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand les pécheurs seront-ils dans la joie ? jusques à quand répondront-ils et diront-ils l’iniquité ? jusques à quand élèveront-ils la voix, ceux qui commettent l’iniquité[117] ? » N’est-ce point parler contre Dieu, que de dire : De quoi nous sert de vivre de la sorte ? Que dira-t-il ? Que font à Dieu les actions des hommes ? Parce qu’ils vivent, ils s’imaginent que Dieu ne sait ce qu’ils font. Vois quel est leur malheur : l’homme du poste qui les verrait les arrêterait, aussi cherchent-ils à éviter tout poste, dans la crainte d’être arrêtés ; mais nul ne peut échapper à l’œil de Dieu, qui voit non seulement dans la chambre la plus secrète, mais dans le secret de notre cœur. Eux aussi croient que l’on ne peut rien déclarer à Dieu, et parce qu’ils ont la conscience du crime qu’ils commettent, qu’ils se trouvent en vie bien que Dieu connaisse leurs crimes, ils se disent : Tout cela plaît donc à Dieu, car si nos actions déplaisaient à Dieu comme elles déplaisent aux juges, comme elles déplaisaient aux rois, aux empereurs, à ceux qui sont chargés d’en connaître, pourrions-nous échapper à l’œil de Dieu, comme nous échappons à l’œil des hommes ? Nos œuvres plaisent donc à Dieu ? Aussi Dieu dans un autre psaume fait-il ce reproche à l’impie : « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu : tu as soupçonné l’iniquité, tu as pensé que je serais semblable à toi[118] ». Qu’est-ce à dire : « Je serais semblable à toi ? Que je me plairais dans tes crimes comme tu t’y plais. Puis vient la menace de l’avenir : « Je te convaincrai ». Il ne se tait donc point celui qui a dit : « Je me suis tu ». Bien qu’il ait dit : « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu, et tu as soupçonné l’iniquité en croyant que je serais ce semblable à toi » : néanmoins il n’avait point gardé le silence. Lorsque nous parlons, il ne se tait point ; quand le lecteur lit, Dieu ne se tait point ; quand le Psalmiste chante, Dieu ne se tait point. Or, toutes ces voix de Dieu se dispersent dans l’univers entier, Comment donc Dieu peut-il se taire et ne point se taire ? Sa parole ne se tait point, mais sa vengeance se tait. Qu’est-ce à dire alors : « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ? » Voilà ce que tu as fait, et je n’en ai point tiré vengeance. « Dès lors tu as soupçonné que je serais mauvais et semblable à toi ». Dieu parle ailleurs de ce silence à l’égard de la punition, ou plutôt du châtiment différé : « Je me suis tu, me tairai-je donc toujours[119] ? ». « Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand les pécheurs se glorifieront-ils, jusques à quand répondront-ils pour dire l’iniquité, et devront-ils parler ceux qui commettent l’injustice ? » Il énumère toutes leurs œuvres : « Ils répondront, ils diront d’iniquité ». Qu’est-ce à dire : « Ils répondront ? » Ils trouvent une réponse qui déroute le juste. Un homme de bien vient et leur dit : Loin de toi l’iniquité. Pourquoi ? De peur de mourir. Voilà que je l’ai commise, pourquoi donc ne suis-je point mort ? Un tel a fait des œuvres de justice et il est mort : pourquoi ? Moi, j’ai commis l’iniquité : pourquoi Dieu ne m’a-t-il pas ôté la vie ? Pourquoi donc a-t-il tiré vengeance de celui qui a fait les œuvres de la justice ? Pourquoi tel autre est-il dans la misère, vous diront-ils ? Voilà ce que David appelle répondre. Ils ont de quoi vous répliquer : ils trouvent de quoi répondre dans la patience de Dieu à qui les épargne. Dieu les épargne dans un motif, et ils répondent par un autre motif, c’est qu’ils vivent. L’Apôtre, en effet, nous dit pourquoi Dieu les épargne et nous explique le dessein de Dieu dans cette patience. « Penses-tu donc en agissant de la sorte que tu éviteras le jugement de Dieu ? Oses-tu mépriser les richesses de sa bonté, de sa patience ? Ignores-tu que la patience de Dieu t’invite à la pénitence ? Quant à toi », c’est-à-dire à celui qui répond et qui dit : Si je déplaisais à Dieu, Dieu ne m’épargnerait pas ainsi ; vois le tort que tu te fais à toi-même, écoute l’Apôtre : « Pour toi, par la dureté, par l’impénitence de ton cœur, tu amasses coutre toi un trésor de colère, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres[120] ». Dieu donc prolonge sa bonté, lorsque tu prolonges ton iniquité. Il aura un trésor d’éternelle miséricorde pour ceux qui n’auront point méprisé sa miséricorde ; mais toi, ton trésor sera dans la colère : ce que tu amasses chaque jour peu à peu deviendra une masse accablante, tu la grossis insensiblement, et tu arriveras au comble. Ne compte point chaque jour sur la légèreté des fautes ; les moindres gouttes forment de grands fleuves.
10. Mais que font ceux qui répondent si insolemment à Dieu, que font-ils pour qu’il les épargne ? « Seigneur, ils ont humilié votre peuple » ; c’est-à-dire, tous ceux qui veulent vivre dans la justice, c’est contre eux que les méchants exercent leur insolence. « Seigneur, ils ont humilié votre peuple, ils ont opprimé votre héritage, ils ont tué la veuve et l’orphelin, ils ont mis à mort le prosélyte[121] », c’est-à-dire l’étranger, l’hôte, le nouveau venu, voilà ce qu’il appelle le prosélyte. Tout cela est clair, et nous n’avons pas à nous y arrêter.
11. « Et ils ont dit : Le Seigneur ne le verra point[122] ». Il n’a de tout cela ni soin ni souci ; d’autres pensées l’occupent, il ne s’arrête point à cela. Voilà, mes frères, les deux excuses des méchants : l’une que nous avons exposée : « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ; alors tu m’as soupçonné d’iniquité, et de ressemblance avec toi[123] ». Qu’est-ce à dire « que j’aurai de la ressemblance avec ce toi ? que je vois tes œuvres et qu’elles me sont agréables, dès lors que je n’en tire point vengeance. L’autre excuse est celle-ci, que Dieu ne considère point les œuvres des hommes, qu’il se met peu en peine de notre vie, qu’il ne prend de nous aucun souci. Est-il croyable que Dieu s’arrête à me regarder ? qu’il me compte pour quelque chose ? qu’il énumère les actions des hommes ? Misérable créature ! Dieu, qui a pris soin de te créer, n’aurait aucun souci de te faire marcher dans le bien ? Tel est donc le langage des méchants. « Ils ont dit : Le Seigneur ne le verra point, le Dieu de Jacob ne le comprendra point ».
12. « O vous, plus insensés que la populace, comprenez enfin, ayez enfin de la sagesse, ô hommes sans intelligence[124] ». Dieu instruit son peuple, dont les pieds pourraient chanceler à la vue de la prospérité des méchants. Voilà un homme qui vit parmi les saints de Dieu, ou les enfants de l’Église ; il voit les méchants dans la prospérité, eux qui commettent le crime, et alors il en est jaloux et se sent porté à les imiter dans leurs œuvres ; il voit encore que sa piété, que son humilité ne lui servent de rien sur la terre, où il attendait sa récompense. S’il ne l’attendait que dans le ciel, il ne la croirait point perdue, puisque le temps de la recevoir n’est point venu pour lui. Tu es à travailler dans une vigne, fais ton œuvre, et tu recevras ta récompense. Tu ne la demandes point au père de famille, avant de l’avoir gagnée, et tu l’exiges de Dieu avant tout travail ? Cette patience même fait partie de ton travail qui sera récompensé. C’est diminuer le travail dans la vigne, que ne vouloir pas attendre, car cette patience qui se résigne fait partie de l’œuvre qui doit être salariée. Mais si tu es fourbe, prends garde, non seulement de te priver de toute récompense, mais encore d’être châtié comme un ouvrier infidèle. Quand un ouvrier infidèle commence à mal faire, il fixe les yeux du père de famille, il examine celui qui l’a engagé pour travailler à sa vigne, afin de ralentir son travail, de muai faire s’il détourne les yeux, d’agir bien tant qu’il le voit. Mais Dieu, qui t’a engagé, ne détourne jamais les yeux ; tu ne saurais donc jamais mal faire, le père de famille a toujours les yeux sur toi ; cherche comment tu pourras le tromper, et tu cesseras alors d’agir. Si donc vous commenciez à vous ébranler en voyant la prospérité des méchants, si vos pensées faisaient chanceler vos pas dans la voie de Dieu, c’est à vous que s’adresse le Psalmiste ; mais si nul d’entre vous n’en est là, c’est aux autres qu’il s’adresse, mais par vous-mêmes, lorsqu’il dit : « Comprenez maintenant ». Ils ont dit : « Dieu ne verra point, le Dieu de Jacob ne comprendra point ». « Comprenez », s’écrie le Prophète, « vous qui êtes insensés parmi la populace, devenez enfin sages, vous qui êtes sans jugement ».
13. « N’entendra-t-il pas, Celui qui a planté l’oreille ? » Ne peut-il entendre, Celui qui t’a donné le pouvoir d’entendre ? « N’entendra-t-il pas, Celui qui a planté l’oreille ? Celui qui a fait l’œil, ne voit-il point ? Celui qui instruit les nations, ne reprendra-t-il point[125] ? » Considérez avec attention, mes frères : « Celui qui instruit les nations, ne reprendra-t-il point ? » Voilà ce que Dieu fait maintenant, il instruit les nations : c’est pour cela qu’il a envoyé aux hommes son Verbe, dans toutes les contrées de la terre : il l’a envoyé par les anges, par les patriarches, par les Prophètes, par ses serviteurs, tout autant de hérauts qui ont précédé le souverain Juge. Enfin, il a envoyé son Verbe lui-même, il a envoyé son Fils unique ; il a envoyé les serviteurs de son Fils, et parmi ses serviteurs, son Fils lui-même. Cette parole de Dieu est prêchée dans l’univers entier. Où n’est-il point dit aux hommes : Laissez vos iniquités passées et tournez-vous vers la voie droite ? Il vous épargne donc, afin que vous vous corrigiez ; il ne s’est point vengé hier, afin que vous viviez aujourd’hui plus saintement. Il instruit donc les nations, mais ne les reprendra-t-il point ? N’entendra-t-il point ceux qu’il instruit ? Ne jugera-t-il point ceux auxquels il a jeté sa parole comme une semence ? Dans une école recevrais-tu toujours sans rien répéter jamais ? C’est s’instruire que recevoir du maître, il te confie les leçons qu’il te donne, mais n’exige-t-il pas quelquefois que tu les répètes ? Et en commençant cette répétition, ne crains-tu pas le châtiment ? Nous recevons donc aujourd’hui les leçons, plus tard nous paraîtrons devant le juge, afin de rendre compte de tout notre passé ; c’est-à-dire afin de lui donner raison de toutes les faveurs dont nous sommes comblés maintenant. Écoute cette parole de l’Apôtre : « Nous comparaîtrons tous au tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant qu’il était revêtu de son corps[126]. Celui qui instruit les nations, ne les reprendra-t-il pas ; celui qui donne à l’homme la science ? » Peut-il ignorer ce qu’il t’a fait savoir, « Lui qui donne à l’homme la science ? ».
14. « Le Seigneur connaît les pensées des hommes, il voit qu’elles sont vaines[127] ». Tu peux bien ne pas comprendre combien sont justes les pensées de Dieu ; mais lui « sait combien sont vaines les pensées des hommes ». Des hommes, il est vrai, ont connu les pensées de Dieu ; mais il ne découvre ses secrets qu’à ses amis. Quant à vous, mes frères, ne vous méprisez pas vous-mêmes : c’est entendre les pensées de Dieu que d’approcher du Seigneur avec foi : voilà ce que vous apprenez maintenant, ce que nous vous disons, en vous découvrant pourquoi Dieu pardonne ici-bas aux méchants, afin que vous ne murmuriez point contre le Seigneur « qui donne à l’homme la Science. Le Seigneur connaît combien sont vaines les pensées des hommes ». Laissez donc ces pensées des hommes qui sont vaines, et comprenez toute la sagesse des pensées de Dieu. Mais qui comprend les pensées de Dieu ? Celui qui est fixé dans le firmament du ciel. Voilà ce que nous avons chanté, ce que nous avons exposé.
15. « Heureux l’homme que vous enseignerez, Seigneur, et que vous instruirez de votre loi ; afin de lui adoucir les jours mauvais, jusqu’à ce que la fosse soit creusée pour le pécheur[128] ». Tel est le secret du conseil divin, voilà pourquoi il épargne les pécheurs : c’est qu’une fosse est creusée au méchant. Tu veux déjà l’ensevelir, mais on creuse encore sa fosse, ne te hâte point de l’y jeter. Qu’est-ce à dire, « jusqu’à ce que la fosse soit creusée au pécheur ? » Ou bien, quel est ce pécheur ? Est-ce un seul homme ? Non : qu’est-ce donc ? Tous ceux du genre humain qui sont impies, tout le corps des superbes ; car il a dit auparavant : « Rendez aux superbes ce qui leur est dû ». Il était pécheur en effet, ce publicain, qui se tenait les yeux baissés vers la terre, et se frappait la poitrine en disant : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pécheur[129] ». Mais parce qu’il n’était point superbe, et que c’est aux superbes que Dieu rend le salaire, ce n’est point à lui, mais à ceux-ci, que l’on creuse une fosse, jusqu’à ce que Dieu rende à leur orgueil ce qu’il mérite. Ainsi donc dans cette parole : « Jusqu’à ce que la fosse soit creusée pour le pécheur », il faut entendre pour le superbe. Mais quel est le superbe ? Celui dont la pénitence ne va point jusqu’à la confession des péchés, afin d’être guéri par l’humilité. Quel est l’homme superbe ? Celui qui s’arroge le peu de bien qui peut paraître en lui, et l’enlève à la divine miséricorde. Quel est l’homme superbe ? Celui qui, tout en attribuant à Dieu le bien qu’il fait, insulte néanmoins à ceux qui ne le font point, et s’élève au-dessus d’eux. Ce Pharisien, en effet, disait : « Je vous rends grâces ». Il ne disait point : C’est moi qui agis, mais il rendait grâces à Dieu du bien qu’il faisait. Il reconnaissait donc qu’il faisait le bien, et qu’il le faisait par le secours de Dieu. Pourquoi donc est-il réprouvé ? Parce qu’il insultait au publicain. Écoutez donc, afin de devenir parfaits. Tout homme ou toute femme doit commencer par l’aveu de ses fautes, par une pénitence salutaire, qui témoigne qu’il se corrige et non qu’il se rit de Dieu. Après cette pénitence, quand il commencera à s’affermir dans le bien, il doit encore veiller sur lui, afin de ne point s’attribuer le bien qu’il fait, mais d’en rendre grâces à Celui par la bonté duquel il est entré dans le bien. Car c’est Dieu qui l’a appelé, Dieu qui l’a éclairé. Le voilà donc déjà parfait ? Point du tout. Il lui manque une chose encore. Que lui manque-t-il ? De ne point s’élever au-dessus de ceux qui ne vivent point encore comme il vit. Quiconque en est là est en sûreté ; ce n’est point à lui que l’on rendra le salaire dont il est dit : « Rendez aux superbes ce qu’ils méritent » ; il n’est point parmi ceux à qui l’on creuse une fosse. Voyez en effet celui qui disait : « Je vous rends grâces de ce que je ne ressemble point aux autres hommes, qui sont injustes, voleurs, adultères, ni même comme ce Publicain[130] ». Combien s’élève-t-il dans cette parole « Je ne suis point comme ce Publicain ? » Mais celui-ci, la tête baissée, se frappait la poitrine en disant : « Mon Dieu, soyez-moi propice, parce que je suis un lécheur ». L’un était orgueilleux de ses bonnes actions, l’autre s’humiliait de ses fautes. Voyez, mes frères, combien l’humilité dans les fautes est plus agréable à Dieu que l’orgueil dans les bonnes actions, tant Dieu déteste l’orgueil. C’est pourquoi le Sauveur conclut ainsi : « Je vous déclare que le Publicain sortit justifié beaucoup plus que le Pharisien ». Et il en donne le motif : « C’est ce que tout homme qui s’élève sera humilié, ce tout homme qui s’humilie sera élevé ». Mes frères, pour nous montrer que Jésus-Christ nous apprend l’humilité, il n’est besoin que d’un seul fait : c’est qu’un Dieu s’est fait homme. Voilà cette humilité qui déplaît tant aux païens, et d’où ils nous adressent cette injure : Quel est votre Dieu ? un homme qui est né pauvre. Quel est votre Dieu ? un crucifié. L’humilité du Christ déplaît donc aux superbes ; mais toi, chrétien, imite-la si elle te plaît. Dès qu’on l’imite, il n’est plus rien de pénible, car le Sauveur a dit : « Venez à moi, ô vous qui souffrez et qui êtes chargés, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur[131] », Tel est donc l’enseignement chrétien, que nul ne fait bien que par la grâce de Dieu Le mal que fait l’homme vient de l’homme, le bien qu’il fait vient de la faveur divine : s’il commence à faire le bien, qu’il ne se l’attribue point ; et s’il ne se l’attribue point, qu’il en rende grâces à celui dont il l’a reçu ; quand il fait le bien, qu’il n’insulte point à celui qui ne le fait point, et ne s’élève point au-dessus de lui. Ce n’est point à lui que se termine la grâce de Dieu de manière à ne point couler sur les autres.
16. « Afin que vous adoucissiez pour lui les jours mauvais, jusqu’à ce que la fosse soit creusée au pécheur[132] ». O toi, qui es chrétien, sois doux pendant les jours mauvais. Or, ils sont mauvais, ces jours pendant lesquels on voit fleurir le pécheur et souffrir le juste : mais la douleur du juste n’est que le châtiment d’un Père, et la félicité des pécheurs est la fosse qu’on leur creuse. Mais parce que Dieu nous mûrit pendant les jours mauvais, pendant que l’on creuse la fosse aux pécheurs, ne vous imaginez point que les anges sont quelque part avec des hoyaux, creusant une fosse immense pour contenir toute la race des méchants Et quand vous les voyez en si grand nombre, ne dites point dans un sens grossier : Quelle fosse pourra vraiment contenir une si grande foule de méchants ? Quel temps faudrait-il pour creuser une fosse aussi profonde ? Dieu devra donc leur pardonner. Loin de nous ces pensées. La fosse des pécheurs est leur félicité, ils y tombent comme dans une fosse. Pesez bien ceci, car il est assez étrange d’appeler fosse le bonheur lui-même : « Tant ce que l’on creuse une fosse au pécheur ». C’est par une secrète justice que Dieu épargne l’homme dont il reconnaît les fautes et l’impiété, et cette patience même de Dieu lui donne occasion de s’élever à cause de l’impunité. Il se croit élevé et il tombe, et sa chute vient de ce qu’il se croit élevé. Ce qu’il appelle marcher dans sa grandeur, Dieu l’appelle une fosse ; car une fosse descend vers l’abîme, et ne va point vers le ciel : or, les pécheurs et les orgueilleux semblent monter vers les cieux, tandis qu’ils se plongent dans l’abîme. Les humbles au contraire paraissent descendre vers la terre, et ils montent jusqu’au ciel. Humilie-toi donc, ô toi, qui que tu sois, si tu es instruit dans la loi de Dieu, afin que ton cœur soit un astre dans le ciel. Car c’est au quatrième jour, appelé le quatrième du sabbat, et d’où notre psaume emprunte son titre, que Dieu a formé les astres. De même que tu vois ces astres suivre avec patience le cours qui leur est tracé, peu soucieux de ce que les hommes disent contre eux ; dédaigne à ton tour les attaques d’une chair fragile. Car tout homme n’est que de la chair et du sang, et tu n’es point vil en comparaison de cette autre chair qui paraît t’opprimer. C’est le même Dieu qui s’est revêtu d’une chair et qui a répandu son sang pour toi comme pour lui, et qui vous conduira l’un et l’autre à son tribunal. Et s’il t’a fait cette grâce, lorsque tu étais dans l’impiété, que ne réserve-t-il pas à ta fidélité ? Que cette pensée te rende humble. Comment devenir humble ? En te disant : Les méchants ne sont dans le bonheur que par la volonté de Dieu, il veut les épargner afin de les amener à la pénitence ; et s’ils ne se convertissent point, il sait comment il les jugera. Or, l’homme n’est point humble, quand il veut s’opposer à cette bonté de Dieu, à cette patience, à ce pouvoir, à cette justice du juste. Dans son orgueil il s’élève contre Dieu, et Dieu le rabaisse, et cette humiliation est dans l’acte même qui s’élève contre Dieu. Car il est dit dans un autre psaume : « Vous les avez précipités alors qu’ils s’élevaient[133] ». Il n’est point dit : Vous les avez précipités parce qu’ils s’élevaient, afin de séparer le temps de l’élévation du temps de la chute ; mais, pour eux, s’élever, c’était parti même tomber. Plus en effet le cœur de l’homme est orgueilleux, et plus il est éloigné de Dieu, et s’éloigner de Dieu c’est tomber dans l’abîme. Un cœur humble au contraire fait descendre du ciel Dieu lui-même qui veut s’en rapprocher. Dieu est élevé, Dieu est au-dessus des cieux, il domine les anges : combien ne faut-il pas t’élever pour atteindre ces hauteurs ? Mais ne te mets pas en danger de te rompre à force de t’élever : je veux te donner un conseil, de peur que dans cette élévation l’orgueil n’en vienne à te rompre. Oui, Dieu est élevé : humilie-toi profondément et il descendra jusqu’à toi.
17. Nous comprenons donc pourquoi Dieu pardonne aux méchants ; leur félicité est leur fosse. Dieu nous dit que ce n’est point à nous de connaître comment ni pourquoi cette fosse leur est creusée, mais à nous de comprendre dans sa loi que nous devons être patients jusqu’à ce que la fosse soit creusée au pécheur. Mais moi, diras-tu, moi qui souffre au milieu des pécheurs, que m’arrivera-t-il ? La réponse qui va suivre te dira que « Dieu ne repoussera point son peuple[134] ». Il le tient en haleine, mais ne le repousse point. Que nous dit en effet l’Écriture à un autre endroit ? « Que Dieu châtie celui qu’il aime ; qu’il frappe celui « qu’il admet parmi ses enfants[135] ». Il reçoit celui qu’il châtie, et tu dis qu’il le repousse ? Voilà ce que des hommes font à leurs enfants sous nos yeux ; ils corrigent ceux qui leur donnent de l’espérance, mais ils abandonnent à leur vie de liberté, ces âmes indomptables qui ne laissent aucune espérance de bien. Or, il n’a point l’intention d’admettre à son héritage celui qu’il abandonne à sa liberté : et quand il corrige un enfant, c’est qu’il lui réserve son héritage. Que le fils que Dieu corrige, s’avance sous la main qui le frappe ; puisque le frapper c’est le préparer à l’héritage. Dieu donc n’éloigne pas de l’héritage le fils qu’il corrige, mais il ne le corrige que pour l’y admettre. Que ce fils toutefois ne pousse point la jalousie enfantine, jusqu’à dire : Mon frère est plus aimé que moi de mon père, qui le laisse vivre en liberté, et moi, au moindre mouvement contre sa défense, le fouet est là. Réjouis-toi sous le fouet du châtiment, puisque l’héritage t’est réservé, et que « Le Seigneur ne rejettera point son peuple ». Il corrige dans le temps, mais il ne damne point pour l’éternité. À ceux au contraire qu’il épargne dans le temps, malédiction sans fin. Choisis donc : veux-tu un labeur qui passera, ou une félicité éternelle ? Une félicité d’un moment, ou bien une vie éternelle ? De quoi vous menace le Seigneur ? d’une peine sans fin. Que vous promet-il ? un bonheur sans fin. Les châtiments qui pèsent sur les bons ne sont que passagers, l’exemption des méchants n’est que passagère non plus, car « le Seigneur ne « rejettera point son peuple, et n’abandonnera point son héritage ».
18. « Jusqu’à ce que la justice devienne un jugement, et qu’on voie auprès d’elle ceux qui ont le cœur droit[136] ». Travaille donc maintenant à posséder la justice, puisque tu ne peux encore avoir le jugement. Il faut la justice tout d’abord, mais le jugement affirmera cette justice. Ici-bas les Apôtres avaient la justice, ils supportaient les hommes d’iniquité, mais que leur est-il promis ? « Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël[137] ». Donc leur justice se convertira en jugement. Quiconque est en effet juste ici-bas, n’est tel que pour endurer et supporter le malheur. Qu’il souffre dans le temps des souffrances ; viendra le temps de juger. Mais que dirai-je des serviteurs de Dieu ? Le Seigneur, qui est juge des vivants et des morts, a voulu d’abord être jugé, puis juge ensuite. « Jusqu’à ce que la justice devienne un jugement, et ceux qui ont cette justice ont tous le cœur droit ». Avoir ici-bas la justice, ce n’est point juger encore. Il faut d’abord avoir la justice afin de juger ensuite ; souffrir d’abord les méchants, puis ensuite juger les méchants. Ayons premièrement cette justice, qui sera plus tard changée en jugement. Le juste subira les méchants autant qu’il plaît à Dieu, autant que son Église les souffrira, afin que leur malice lui serve d’instruction. Toutefois Dieu ne repoussera point son peuple, « jusqu’à ce que la justice devienne un jugement ; et ceux qui la possèdent, sont des hommes au cœur droit ». Quels sont les hommes au cœur droit ? Ceux qui veulent ce que Dieu veut. Dieu épargne les pécheurs, tu veux qu’il les damne dès ici-bas. Ton cœur est tortueux, ta volonté perverse ; car tu veux une chose, et Dieu en veut une autre. Dieu veut épargner les méchants, toi tu ne veux aucun ménagement ; Dieu est patient pour les pécheurs, tu n’as pour eux aucune patience. Tu veux donc une chose, et Dieu une autre chose ; redresse alors ton cœur, et tourne-le vers Dieu, parce que Dieu a pris en pitié les faibles. Il a vu que dans son corps, qui est son Église, il y a des infirmes qui cherchent à suivre leur volonté tout d’abord, mais qui redresseront leur cœur pour vouloir ce que Dieu veut, en voyant que Dieu veut autre chose Ne cherche donc point à rendre tortueuse la volonté de Dieu, mais redresse la tienne sur celle de Dieu. La volonté de Dieu est pour nous comme une règle : si tu viens à fausser la règle, sur quoi la redresser ? Mais cette règle demeure toujours droite ; elle est immuable. Tant que la règle subsiste, tu peux te redresser, et ce qu’il y a de tortueux en toi. Que désirent les hommes ? C’est peu, pour eux, d’avoir une volonté tortueuse ; ils veulent faire obliquer la volonté de Dieu, la former sur leur cœur, afin que Dieu fasse leur volonté quand ils doivent eux-mêmes faire ce que Dieu veut.
19. Comment le Seigneur, de deux volontés qui étaient en lui, a-t-il suivi celle qui s’était formée dans l’homme qu’il portait en lui ? Il a voulu montrer en son corps ou dans son Église ceux qui, dans l’avenir, voudront d’abord agir selon leur volonté, puis embrasseront la volonté de Dieu ; car il prévoyait qu’il y aurait des faibles parmi les siens, et il voulait qu’ils fussent personnifiés en lui-même. C’est pour cela qu’une sueur de sang couvrit son corps[138], parce que dans son Église, qui est son corps, le sang des martyrs devait couler de toutes parts. Le sang couvrit donc tout son corps : ainsi le sang des martyrs a coulé dans tout le corps de l’Église. Mais pour personnifier en lui-même ou dans son corps ceux qui sont faibles, il dit en leur nom et par pitié pour eux : « Mon Père, s’il est possible, éloignez de moi ce calice ». Il montre ainsi la volonté de l’homme, et s’il persévérait dans cette volonté, il ne nous montrerait plus un cœur droit. Mais s’il t’a pris en pitié, il t’a aussi guéri en lui. Suis-le donc, lorsqu’il dit ensuite : « Toutefois, non pas ma volonté, mais la vôtre, ô mon Père[139] ». Quand la volonté humaine vient te suggérer : Oh ! si le Seigneur donnait la mort à cet ennemi, qui ne m’opprimerait plus ? Oh ! si je pouvais moins souffrir de sa part ! Si tu persistes dans cette volonté, si tu y goûtes quelque plaisir, bien que tu saches que Dieu le défend, ton cœur est corrompu, tu n’as point cette justice qui doit devenir un jugement ; car « tous ceux qui ont cette justice ont le cœur droit ». Et quels sont « les cœurs droits ? » Ceux qui disent avec Job : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté : comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; que son nom soit béni[140] ». C’est là un cœur droit. De même quand il est couvert de plaies, que dit-il à son Épouse, que le démon lui avait laissée et n’avait pas mise à mort, afin de s’en faire une aide, et non une consolatrice de son mari ? Satan se souvenait que c’était par Eve qu’Adam avait été trompé[141], et il pensait que cette nouvelle Eve lui devenait un instrument nécessaire. Mais Adam vainqueur sur son fumier, fut bien supérieur à Adam vaincu dans le paradis. Que répondit Job à cette femme ? Vois un cœur tout prêt, un cœur droit, N’endurait-il pas alors une persécution, et une persécution bien cruelle ? Les chrétiens en souffrent aussi ; et quand les hommes se lassent de sévir, le diable sévit à son tour, Et si les empereurs sont devenus chrétiens, le diable est-il aussi devenu chrétien, lui ? Voyez, mes frères, ce qu’est un cœur droit. Sa femme s’approche et lui dit : « Parle contre Dieu, et meurs ». Elle énumère les maux qu’il endure ou qu’elle endure elle-même, puis elle ajoute : « Parle contre Dieu et meurs ». Mais Job reconnut Eve, et voulant retourner au point d’où il était tombé, le cœur fixé en Dieu, comme un astre dans le firmament du ciel, demeurant du cœur dans le livre de Dieu : « Tu as parlé », lui répond-il, « comme une femme insensée ; si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir aussi les maux[142] ? » Son cœur était fixé en Dieu, et dès lors jutait droit. Fixe donc ton cœur en Dieu, afin qu’il ait toujours la droiture. Mais il se glisse parfois une certaine volonté humaine, et je ne sais quelle mollesse charnelle s’empare de ton esprit ; alors garde-toi de désespérer. C’est toi, et non lui-même, que le Seigneur figurait autrefois dans sa faiblesse : car il ne craignait point de mourir, lui qui devait ressusciter le troisième jour. Quand même il n’eût souffert que comme un homme, et non comme un Dieu qui venait souffrir, comment eût-il craint de mourir, sachant qu’il ressusciterait le troisième jour, tandis que saint Paul n’avait pas cette crainte, lui qui ne devait ressusciter qu’à la fin des siècles ? « Car ce je me sens pressé de deux côtés », nous dit l’Apôtre ; « j’ai d’une part un ardent désir d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec Jésus-Christ, ce qui est de beaucoup le meilleur ; mais de l’autre il est plus avantageux pour vous que je reste en cette vie[143] ». La vie lui était donc à charge, et un double désir partageait son âme ; mourir pour être avec le Christ lui paraissait préférable de beaucoup. Aussi, quels tressaillements, quand vint le temps de souffrir ! quelle sainte joie ! « J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ; il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice, que le Seigneur en ce grand jour m’accordera comme un juste juge[144] ». L’un tressaille parce qu’il sera couronné, et celui qui doit le couronner est triste ! L’Apôtre est dans la joie, et Notre-Seigneur dit : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi[145] » Il a pris nos tristesses comme il a pris notre chair. Ne croyez point que le Seigneur n’ait tu as été triste ; ce n’est point là ce que nous disons, et si nous parlions de la sorte en présence de cette affirmation de l’Évangile : « Mon âme est triste jusqu’à la mort[146] », on pourrait dire aussi que Jésus ne dormit point, quand l’Évangile assure qu’il dormit[147] ; qu’il ne mangea point, quand l’Évangile affirme qu’il mangea[148] : un ver de corruption se glisserait dans la foi, et n’y laisserait rien de sain ; on pourrait dire encore qu’il n’avait pas un corps véritable, ni une chair véritable. Tout ce qui est écrit de lui, mes frères, s’est fait réellement, tout est vrai. Il fut donc triste ? Oui, triste en réalité, mais d’une tristesse qui fut volontaire, comme il avait pris volontairement notre chair ; et comme il avait pris volontairement une chair réelle, il prit volontairement une tristesse réelle. Il voulut montrer en lui-même cette tristesse, afin que, s’il venait à s’insinuer dans notre âme quelque faiblesse humaine, qui opposât notre volonté à la volonté de Dieu, nous pussions voir que nous sommes en dehors de la règle, rattacher notre cœur à cette règle, et redresser en Dieu ce même cœur qui perdait de sa droiture en l’homme. C’est donc ta faiblesse que Jésus montrait en lui, quand il disait : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ». C’est en elle qu’il dit aussi : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ». Néanmoins, fais aussitôt ce qu’il fit ensuite, afin de t’instruire : « Toutefois, non pas ma volonté, mais la vôtre, ô mon Père[149] ». Si vous agissez de la sorte, vous aurez la justice ; et avoir la justice, c’est avoir le cœur droit ; et si le cœur est droit, cette justice qui souffre maintenant sera changée en jugement, et quand le Seigneur viendra juger, tu ne craindras aucun châtiment, mais tu te réjouiras de porter la couronne. Tu verras alors à quoi sera venue aboutir la patience de Dieu, ou à châtier les autres, ou à te couronner. Maintenant tu ne vois pas, il est vrai ; mais crois ce que tu ne vois pas encore, afin de ne point rougir quand tu verras. « Jusqu’à ce que la justice devienne un jugement, et tous ceux qui ont cette justice ont le cœur droit ».
20. « Qui s’élèvera pour moi contre les méchants, ou qui prendra mon parti contre les artisans d’iniquité[150] ? ». De toutes parts on te porte au mal, et le serpent ne cesse de te suggérer l’iniquité. Quelque part que l’on se tourne, dès que l’on a fait quelque progrès dans la piété, on cherche un émule de vie chrétienne, et à peine peut-on le trouver : tu es environné de méchants, comme un peu de bon grain au milieu de beaucoup de paille. Il y a des grains dans l’aire, mais encore sous le fléau. Une fois qu’ils seront séparés de la paille, ils seront en grand nombre. Peu nombreux en comparaison de la paille, ils sont nombreux en eux-mêmes. Ainsi donc, lorsque les méchants murmurent de toutes parts, et te disent : Pourquoi vivre ainsi ? Es-tu seul chrétien ? Pourquoi ne point imiter les autres ? Pourquoi n’aller point aux spectacles comme les autres hommes ? Pourquoi n’avoir point leurs remèdes, leurs ligatures ? Pourquoi ne point consulter les augures et l’astrologie, comme le font les autres ? Tu fais alors le signe de la croix, tu dis : Je suis chrétien, pour repousser ce langage empoisonné, Mais l’ennemi te presse et va plus loin ; ce qui est pire encore, il veut étouffer le chrétien par l’exemple des chrétiens. L’âme est alors dans le trouble, dans l’angoisse. Elle peut vaincre néanmoins, mais est-ce par ses propres forces ? Aussi écoutez sa réponse De quoi me servirait d’employer ces remèdes pour ajouter peu de jours à ma vie ? Voilà que je vais sortir de ce monde pour paraître devant mon Dieu, et il me jettera dans l’enfer, parce que j’aurai préféré quelques jours à la vie éternelle. Quel enfer ? Le supplice de l’éternel jugement de Dieu. Vraiment, tu crois donc que Dieu prend soin de la vie des hommes ? Peut-être n’est-ce point un ami qui vous parle ainsi sur la place publique, mais quelquefois une Épouse au foyer domestique, ou un mari qui veut séduire une sainte et fidèle Épouse. Si c’est la femme au mari, elle est une Eve pour lui ; si c’est le mari à l’Épouse, il est Satan pour elle. Ou Eve pour le mari, ou le serpent pour la femme. Parfois un père qui veut former son fils, le trouve corrompu, perdu de débauches. Il a du zèle, puis il est irrésolu, il cherche comment vaincre, il est presque absorbé à son tour, presque de connivence ; que Dieu le protège. Écoutez donc le psaume : « Qui s’élèvera pour moi contre les méchants ? » Ils sont en si grand nombre ! quelque part que je regarde, je les vois. Qui tiendra tête au prince du mal, au diable et à ses anges, aux hommes qu’il a séduits ?
21. « Si le Seigneur ne m’eût secouru, mon âme eût habité les enfers[151] ». Elle serait descendue dans la fosse préparée aux pécheurs. Voilà ce que signifie : « Peu s’en faut que mon âme n’eût habité dans l’enfer » Notre interlocuteur, se voyant ébranlé, près de consentir au mal, a jeté les yeux sur le Seigneur. Des railleries peut-être l’amenaient à l’iniquité. Souvent les méchants se rassemblent pour insulter aux gens de bien, surtout quand ils sont en plus grand nombre et qu’ils environnent un homme isolé, comme la paille dans l’aire environne le bon grain. (Mais ils ne seront plus ensemble quand cette masse aura été vannée). Cet homme de bien se trouve donc environné de méchants, qui le persiflent, qui le circonviennent, qui s’efforcent de s’imposer à lui, qui le harcèlent parce qu’il est juste, qui font de sa justice un sujet de sarcasmes : Vous êtes, lui disent-ils, un grand Apôtre ; vous avez été ravi au ciel comme Elle. Ainsi parlent ces hommes, afin que, fatigué de ces traits envenimés, le juste rougisse enfin au milieu d’eux, Qu’il résiste donc à ces méchants, et que pour leur résister il ne compte point sur ses forces, de peur qu’il ne devienne orgueilleux en voulant fuir les orgueilleux et n’aille augmenter leur nombre. Que dire alors ? « Qui s’élèvera pour ce moi contre les méchants, ou qui voudra s’unir à moi contre ceux qui font le mal ? Si Dieu ne m’était venu en aide, peu s’en ce faudrait que mon âme ne fût dans l’enfer ».
22. « Si je disais mon pied est ébranlé ; votre miséricorde, ô mon Dieu, me soutenait[152] ». Vois combien l’aveu est précieux devant Dieu. Ton pied chancelle, et tu ne dis point : Mon pied chancelle ; mais tu affirmes que tu es ferme lorsque déjà tu es abattu. Au contraire, lorsque tu te sens ébranler, lorsque tu chancelles, confesse ton ébranlement pour n’avoir pas à pleurer ta chute ; afin que Dieu te tende la main et que ton âme n’aille point dans les enfers. Dieu veut la confession, il aime l’humilité. Tu es ébranlé parce que tu es homme, il te soutient parce qu’il est Dieu. Dis-lui donc mon pied est ébranlé ». Pourquoi dire : Je tiens ferme, lorsque ton pied s’ébranle ? « Si je disais : Mon pied chancelle, votre miséricorde me soutenait, ô mon Dieu ». C’est ainsi que Pierre ne mit point sa confiance en lui-même. On vit un jour le Seigneur marchant sur la mer, foulant aux pieds toutes les têtes orgueilleuses de ce monde. Et il a montré qu’il foulait aux pieds les têtes orgueilleuses, quand il marcha sur les flots en courroux. Ainsi en est-il de l’Église, car c’est l’Église qui est Pierre. Et toutefois Pierre n’osa de lui-même marcher sur la mer : mais que dit-il ? « Seigneur, si c’est vous, ordonnez que j’aille à vous sur les eaux ». Jésus marche par sa puissance, Pierre par l’ordre de Jésus. « Ordonnez que j’aille à vous », dit-il. Et Jésus répondit : « Viens[153] ». L’Église donc marche sur la tête des superbes : mais comme elle est l’Église, comme elle a sa part des infirmités humaines, afin d’accomplir cette parole : « Si je disais : Mon pied est chancelant », Pierre chancela sur la mer, et s’écria : « Seigneur, je péris ». Ainsi donc, ce qui est écrit ici : « Si je disais : Mon pied a chancelé », se traduit dans l’Évangile par : « Seigneur, je péris[154] ». Et cette autre parole : « Votre miséricorde me soutenait », s’accomplit ici : « Jésus tendit la main en disant : Homme de peu de foi, ce pourquoi douter[155] ? » Dieu est admirable dans les épreuves qu’il envoie aux hommes ; et nos propres dangers nous rendent plus cher le libérateur. Voyez en effet ce qui suit. Le Prophète a écrit : « Si je disais : Mon pied a chancelé : votre miséricorde venait à mon secours, ô mon Dieu ». Le Seigneur qui l’a tiré du danger lui est devenu plus cher ; et en exposant cette bonté du Seigneur, il s’écrie : « Seigneur, vos paroles ont versé dans mon âme une joie proportionnée à mes douleurs[156] ». Ces douleurs étaient grandes, et grandes aussi vos consolations ; la blessure était cuisante, mais le remède en est doux.
23. « Y aurait-il près de vous un siège d’iniquité, ô vous qui imposez la douleur comme un précepte[157] ? » C’est-à-dire : Tout homme injuste ne pourra s’asseoir avec vous, et vous n’aurez point vous-même un siège d’iniquité. Et comme pour en donner la raison, il ajoute : « Vous formez la douleur comme un précepte ». Ce qui me fait comprendre qu’il n’y a près de vous aucun trône d’iniquité, c’est que vous ne nous épargnez point. Nous lisons dans l’épître de saint Pierre un passage qu’il emprunte aux saintes Écritures, et qui est une preuve de ceci : « Voici le moment », dit-il, « où le jugement va commencer par la maison du Seigneur[158] » ; c’est-à-dire, le moment où vont être jugés ceux qui appartiennent à la maison du Seigneur. Si les enfants sont châtiés, que ne doivent pas attendre les serviteurs infidèles ? Puis saint Pierre ajoute : « Si le Seigneur commence ainsi par nous, que peuvent attendre ceux qui ne croient point à l’Évangile ? » Ce qu’il appuie de ce témoignage : « Et si le juste est à peine sauvé, que deviendront le pécheur et l’impie[159] ? » Comment les impies seraient-ils avec vous, puisque vous n’épargnez pas vos fidèles serviteurs, que vous exercez et que vous châtiez ? Mais comme c’est pour nous instruire qu’il ne nous épargne point, le Psalmiste a dit : « Vous formez la douleur comme un précepte ». Vous la formez, c’est-à-dire vous la faites, vous la créez, vous la pétrissez : Fingis ; vous lui donnez une forme ; de là vient que l’ouvrier d’argile se nomma Fingulus, et le vase qu’il forme fictile, car le mot fictum ne signifie pas toujours mensonge, mais ce que l’on prépare en lui donnant une forme, ce qui a donc une certaine forme, ainsi que le Psalmiste l’a dit : Celui qui a formé l’œil ne verra-t-il point ? Qui finxit oculum, et cette expression finxit ne désigne aucune feinte, mais elle signifie donner une forme à l’œil, faire l’œil. Dieu ne ressemble-t-il pas à l’ouvrier d’argile, figulus, quand il fait l’homme si fragile, si faible, si terrestre ? Écoute cette parole de l’Apôtre : « Nous avons ce trésor dans des vases de terre[160] ». Mais peut-être ces vases de terre nous viennent-ils d’un autre ? Écoute sa réponse : « O homme, qui es-tu pour oser répondre à Dieu ? Le vase d’argile a-t-il droit de dire à celui qui l’a fait : Pourquoi m’avez-vous fait ainsi ? Le potier n’a-t-il pas le droit de former avec la même masse d’argile ou un vase d’honneur, ou un vase d’ignominie[161] ? » Vois dans l’Évangile que le Christ Notre-Seigneur se compare à l’ouvrier d’argile ; car s’il a fait l’homme avec de la boue[162], ce fut aussi de la boue qu’il mit sur les yeux de celui dont il n’avait formé les yeux que d’une manière imparfaite au sein de sa mère[163]. Donc cette parole : « Y aura-t-il près de vous un siège pour l’iniquité, quand vous préparez la douleur comme un précepte ? » nous devons l’entendre comme s’il disait : Y aura-t-il près de vous un siège pour l’iniquité, vous qui formez la douleur comme un précepte ? Qui formez la douleur comme un précepte, qui nous faites un précepte de la douleur, en sorte qu’elle nous soit imposée. Comment la douleur est-elle un précepte pour nous ? C’est quand celui qui est mort pour toi te flagelle, sans te promettre le bonheur en cette vie, lui qui ne peut tromper, et qui ne te donne point ici-bas ce que tu cherches. Quel bien donnera-t-il ? Où le donnera-t-il ? Combien donnera-t-il, lui qui ne donne rien en cette vie, qui châtie en cette vie, qui fait de la douleur un précepte ? C’est maintenant le temps du travail, le repos nous est promis pour la suite. Tu considères le labeur qui t’échoit en cette vie, mais considère le repos que Dieu te promet. Peux-tu seulement te le figurer ? Si tu le pouvais, tu comprendrais que ton travail ne saurait lui être comparé. Écoute celui qui voyait ces biens en partie, qui s’écriait : « Je connais ce maintenant en partie seulement[164] » ; que nous dit l’Apôtre ? « Nos tribulations actuelles qui doivent passer, et qui sont légères, préparent en nous, d’une manière incroyable et incomparable, un poids éternel de gloire ». Qu’est-ce à dire « un poids éternel de gloire ? » Pour qui cette gloire ? « Pour ceux qui ne s’arrêtent point à ce qu’on voit, mais à ce qui est invisible. Car ce que l’on voit n’est que pour un temps, ce que l’on ce ne voit pas est éternel[165] ». Ne t’amollis point dans un travail qui passe rapidement, et tu jouiras d’un bonheur sans fin. Dieu te donnera la vie éternelle ; juge de quel travail tu la dois acheter.
24. Écoutez, bien, mes frères, voici un marché. Tout ce que j’ai est à vendre, dit le Seigneur, achète-le. Qu’a-t-il à vendre ? Il a un repos à vendre, achète-le par le travail. Écoutez afin que nous soyons au nom du Christ des chrétiens courageux ; il ne nous reste que très peu de notre psaume, ne nous fatiguons point. Comment pourrait-il être courageux pour agir, celui qui s’attiédit à écouter ? Dieu m’aidera à vous expliquer le reste du psaume. Écoutez comment Dieu a mis à l’encan le royaume des cieux. Combien vaut-il, lui diras-tu ? On l’achète par le travail : s’il te répondait qu’on l’achète avec de l’or, cela ne suffirait point : tu demanderais aussi combien d’or ; car il y a le grain d’or, l’once d’or, la livre d’or, et tout autre poids. Il te dit donc le prix, afin de t’épargner la fatigue de le chercher. Le prix de ce royaume, c’est le travail. Quel est ce travail ? Demande combien il te faut travailler ; car tu ne sais pas encore quel est ce travail, et combien tu dois travailler : Dieu te dit simplement : Je te fais voir quel est ce repos, juge de quel travail tu dois l’acheter. Que Dieu nous dise alors quel sera le repos. « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous béniront ce dans les siècles des siècles[166] ». Tel est donc le repos éternel ; ce sera un repos sans fin, un bonheur sans fin, une allégresse sans fin, une incorruptibilité sans fin. De quel travail peut-on acheter un bonheur qui est sans fin ? Si tu veux être juste dans la comparaison, si tu veux juger dans la vérité, un repos éternel doit être acheté par un travail éternel. Cela est vrai, mais ne crains point, Dieu est miséricordieux. Mais avec un travail éternel, tu n’arriverais jamais au repos éternel. Si tu travaillais sans fin, comment pourrais-tu arriver à ce repos éternel, qui mériterait qu’on l’achetât par un travail sans fin ? Pèse bien les valeurs : un repos éternel vaut un travail éternel. Mais travailler toujours, c’est n’arriver jamais au repos. Si donc tu veux arriver à ce que tu achètes, il faut que ton travail ait une fin, non que le repos ne vaille pas un tel prix, mais afin que tu puisses posséder ce que tu as acheté. Un travail éternel devrait en être le prix ; mais on ne saurait l’acheter que d’un travail passager. Assurément il fut bien un travail éternel pour un repos éternel. Qu’est-ce qu’un mil lion d’années dans le travail ? Un million d’années passera ; mais ce que je donnerai, dit le Seigneur, n’aura point de fin. Combien est grande la divine miséricorde ! Elle ne dit pas mille années de travail ; elle ne dit point cinq cents ans de travail, mais bien : travaille tant que tu vivras, peu d’années, et tu auras le repos, et le repos sans fin. Écoute encore la suite : « Dans les maux sans nombre qui affligeaient mon cœur, vos paroles ont versé la consolation dans mon âme ». Tu travailles peu d’années, et ce labeur est entrecoupé par la joie, car il y a des consolations en cette vie, Toutefois ne mets point ta joie dans ce monde, réjouis-toi dans le Christ, réjouis-toi dans sa parole, réjouis-toi dans ses préceptes. Ces entretiens avec vous, cette parole que vous entendez, font partie de votre joie. Combien de consolations dès lors dans un travail si court ! Elle est donc vraie, cette parole de l’Apôtre : « Nos tribulations actuelles, qui doivent ce passer et qui sont légères, préparent en nous, d’une manière incroyable et incomparable, un poids de gloire éternelle ». Voilà donc le prix que nous donnons à Dieu ! Quelques légumes grossiers pour des trésors éternels ; les légumes du travail, pour un repos indicible d’après cette parole : « Voilà ce qui nous prépare d’une manière incomparable un poids de gloire éternelle ». Tu te réjouis dans le temps, mais n’y mets point la confiance : la vie a ses tristesses, ne désespère point. Ne te laisse ni corrompre par la prospérité, ni abattre par l’adversité : ne dis pas en toi-même : il est impossible que Dieu admette auprès de lui les méchants, quand il châtie les justes eux-mêmes afin de les sauver : puisqu’il ne châtie que pour redresser. « Si le juste à peine est sauvé, qu’arrivera-t-il à l’impie et au pécheur[167] ? Y aura-t-il auprès « de vous un siège d’iniquité ? » C’est-à-dire, les impies s’assiéront-ils auprès de vous, quand vous faites de la douleur un précepte, quand vous voulez exercer vos enfants par la douleur ; afin de les instruire quand vous avez voulu leur donner des préceptes pour qu’ils ne fussent point sans crainte, qu’ils ne vinssent à aimer autre chose, et à vouloir vous oublier. Vous, leur véritable bien ? Dieu est bon ; et si, dans sa miséricorde, il ne mêlait quelque amertume aux félicités de cette vie, nous en arriverions à l’oublier.
25. Mais quand les peines et les afflictions viennent foudre sur nous, notre foi qui sommeillait sort de son assoupissement. La mer était calme, quand Jésus dormait : c’est pendant son sommeil que s’éleva la tempête, et qu’ils furent en péril. Le cœur du chrétien sera donc dans la paix et dans la tranquillité, mais seulement quand notre foi sera en éveil ; qu’elle s’endorme et nous sommes en danger. Le sommeil du Christ nous apprenait alors que ceux-là sont en danger qui laissent dormir leur foi. Mais comme dans les secousses du navire les disciples réveillèrent leur maître, en s’écriant : « Seigneur, nous périssons », comme il se leva, commanda à la tempête, commanda aux flots, lit cesser la tempête et rétablit le calme[168] ; ainsi le trouble des passions mauvaises, les instigations du démon, sont comme des flots qui doivent s’apaiser. Le découragement s’empare-t-il de toi, et penses-tu n’appartenir plus à Dieu ? réveille ta foi ; fais lever le Christ dans ton cœur ; et ta foi s’éveillant te montrera où tu es : et si les flots des convoitises se soulèvent, regarde les promesses de Dieu ; et ces ineffables promesses te feront mépriser les délices de ce monde : et si les méchants te menacent de leur puissance, au point de te forcer à renoncer à la justice, écoute les menaces de Dieu : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges[169] », et tu n’abandonneras point la justice. Tu craindras les feux éternels, et tu mépriseras les douleurs du temps ; à la vue des promesses de Dieu, tu mépriseras les félicités passagères. Il t’a promis le repos, endure les angoisses ; il te menace des flammes éternelles, méprise une douleur d’un jour : et au réveil du Christ ton cœur sera dans le calme, et tu arriveras au port. Celui qui t’offre une barque ne peut que te préparer un port de salut. « L’iniquité s’assiérait-elle près de vous, quand vous faites de la douleur un précepte ? » Dieu se sert des méchants pour nous exercer, et de leurs persécutions pour nous châtier. La malice du méchant sert à frapper le juste, et l’esclave à corriger le fils : ainsi la douleur devient un précepte. Les méchants font ce que Dieu leur permet, dans le temps qu’il les épargne.
26. Qu’ajoute le Prophète ? « Ils tendront des pièges à l’âme du juste[170] ». Pourquoi tendre des pièges ? parce qu’ils ne trouvent aucune faute réelle à lui reprocher. Pourquoi tendre des pièges au Seigneur ? Impuissant à lui trouver des crimes réels, ils en ont inventé de fictifs[171]. « Et ils condamneront le sang innocent ». Le Prophète va nous dire pourquoi tout cela.
27. « Et le Seigneur », dit-il, « est devenu pour moi un refuge[172] ». Tu ne chercherais pas un tel refuge si tu n’étais dans le danger : mais tu n’as été dans le danger qu’afin de le chercher ; car c’est Dieu qui fait de la douleur un précepte. Il se sert de la malice des méchants pour nous affliger ; sous l’aiguillon de la douleur, je cherche un refuge que je n’avais point cherché dans les délices du monde. Où est l’homme qui se tourne aisément du côté de Dieu, s’il est toujours heureux et content des espérances terrestres ? Que ces espérances mondaines disparaissent, et livrons-nous à l’espérance de Dieu, afin de pouvoir dire : « Le Seigneur est devenu pour moi un refuge ». Je consens à souffrir, pour que le Seigneur soit mon asile : « Et mon Dieu s’est fait le protecteur de mon espérance ». Ici-bas Dieu est pour nous en espérance ; tant que nous sommes sur la terre, nous n’avons que l’espérance, et non point la réalité. Mais de peur que nous ne perdions courage, Dieu qui nous a fait des promesses, nous relève et adoucit les maux que nous souffrons. Car ce n’est pas en vain qu’il est écrit : « Dieu est fidèle, et ne vous laissera point tenter au-dessus de vos forces, mais il ouvrira une issue à l’épreuve, afin que vous puissiez persévérer[173] » : qu’il nous jette dans la fournaise de la tribulation, de manière à cuire le vase et non à le briser. « Et le Seigneur est ce devenu un refuge pour moi, Dieu a soutenu mon espérance ». Pourquoi donc voyais-tu une injustice en Dieu qui épargne les méchants ? Vois comment le psaume se corrige, et corrige-toi avec lui ; car c’est pour cela que le psaume parlait ton langage. Quel langage ? « Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand les pécheurs se glorifieront-ils ? » Le psaume parlait donc tout à l’heure comme toi, parle maintenant comme le psaume. Que dit le psaume ? « Le Seigneur est devenu mon refuge, et mon Dieu est l’appui de mon espérance ».
28. « Le Seigneur leur rendra selon leurs œuvres, le Seigneur notre Dieu les détruira ce selon leur malice[174] ». Ce n’est pas sans raison que le Prophète dit : « Selon leur malice ». Ils me font un grand bien, et néanmoins ils sont méchants et nullement bienfaiteurs. Dieu se sert visiblement des méchants pour nous exercer, pour nous affliger. Pourquoi nous châtier ? Assurément pour le royaume des cieux. « Il flagelle tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants. Et quel est le fils à qui son père ne donne point la discipline[175] ? » Quand le Seigneur en agit ainsi, il nous dresse pour l’héritage éternel, et souvent il le fait par les méchants, exerçant et perfectionnant notre charité qu’il nous ordonne d’étendre jusqu’à nos ennemis, car il n’y a de parfaite charité dans le chrétien, qu’à la condition d’accomplir ce précepte du Christ : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent[176] ». C’est ainsi que l’on triomphe du diable, et que l’on remporte la couronne de la victoire. Tel est le bien que Dieu nous procure au moyen des méchants : et pourtant il doit les traiter, non selon le bien dont ils ont été pour nous les instruments, mais selon leur malice. Voyez ce qu’il nous a procuré au moyen de l’infâme trahison de Judas. Car Judas livre le Fils de Dieu pour être crucifié, et c’est par la croix du Fils de Dieu que tous les peuples ont été rachetés pour le ciel ; et néanmoins Dieu n’a point récompensé Judas de la rédemption de tous les peuples, mais il l’a châtié selon son crime. Si l’on considère seulement en Judas qu’il a livré Jésus-Christ, sans regarder avec quel esprit il l’a fait, Judas a fait ce que Dieu le Père a fait, puisqu’il est écrit qu’« il n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré à la mort pour nous tous[177] ». Judas a fait ce qu’a fait Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisqu’il est dit qu’« il s’est livré à ce Dieu pour nous, comme une offrande et une hostie d’agréable odeur » ; puis encore qu’« il a aimé son Église, et s’est livré à la mort pour elle[178] ». Cependant nous rendons grâces à Dieu, qui n’a pas épargné son Fils, qui l’a livré pour nous, de même que nous rendons grâces au Fils qui s’est livré pour nous, accomplissant ainsi la volonté de son Père ; et nous détestons Judas, dont le crime a servi à Dieu pour nous procurer un si grand bien, et nous disons avec raison : Dieu lui a rendu selon son iniquité, et l’a perdu selon sa malice. Ce n’est point pour nous en effet que Judas a livré le Christ, mais pour posséder l’argent de son crime : quoique le Christ ainsi livré soit demeuré notre salut, et que ce marché nous ait délivrés. Ainsi encore ceux qui persécutaient les martyrs ne les torturaient sur la terre qu’en les envoyant au ciel ; ils leur ôtaient sciemment la vie présente, pour leur faire gagner, sans le savoir, la vie future. Mais quand ces persécuteurs se sont obstinés dans leur injuste haine contre les saints, Dieu les a traités selon leurs iniquités, et les a perdus selon leur malice. De même en effet que la bonté des justes nuit aux méchants, de même l’iniquité des méchants est avantageuse aux bons. Car le Seigneur a dit : « Je suis venu afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles ![179] », Et l’Apôtre : « Aux uns nous sommes une odeur de mort pour la mort, aux autres une odeur de vie pour la vie[180] ». La malice des méchants est pour les justes l’arme de gauche, ainsi que l’a dit le même Apôtre : « Par les armes de la justice, à droite et à gauche, c’est-à-dire par la gloire et par l’ignominie[181] » : et il continue à énumérer les armes de la droite, la gloire de Dieu, la bonne renommée, la vérité qui leur faisait connaître qu’ils vivaient, qu’ils n’étaient point morts ; qu’ils devaient se réjouir, qu’ils enrichissaient les autres, et qu’ils possédaient toutes choses : les armes de la gauche, qui étaient pour eux l’ignominie, subir la diffamation, passer pour séducteurs, être ignorés, mis à mort, emprisonnés, subir tous les maux, être méprisés comme des pauvres et des indigents. Et qu’y a-t-il d’étonnant que des soldats du Christ combattent le Christ par ces différentes armes, à droite et à gauche ? Mais comme la paix est aux hommes de bonne volonté[182], même quand ils sont pour les autres une odeur de mort pour la mort ; de même la mort est pour les hommes de mauvaise volonté, même quand ils sont pour les justes des armes de gauche pour le salut, Dieu donc leur rendra, non point selon qu’ils nous auront été utiles, mais selon l’iniquité qu’ils aimaient en haïssant leurs âmes : il ne les glorifiera point selon ce qu’il nous procure par leur malice, lui qui tire un sage parti de leur malice : « Mais le Seigneur notre Dieu les perdra selon leur malice ».
29. Que le juste donc supporte l’injuste ; que pendant son labeur passager, le juste supporte l’impunité passagère des méchants, puisque le juste vit de la foi[183]. Il n’y a d’autre justice pour l’homme en cette vie, que de vivre selon la foi qui agit par la charité[184]. Or, si le juste vit de la foi, qu’il croie, qu’après cette vie de labeur, il jouira du repos éternel, comme le méchant, après la joie d’ici-bas, souffrira des tourments sans fin. Or, si la foi agit par la charité, qu’il aime jusqu’à ses ennemis[185], et autant qu’il est en lui, qu’il cherche à leur être utile : par là, malgré leur volonté, ils ne pourront lui nuire aucunement. Et quand parfois Dieu leur aura donné la puissance de nuire et de dominer qu’il élève son cœur en haut, où nul ne peut nuire ; qu’il s’instruise et se nourrisse de la foi de Dieu, afin que ses jours soient adoucis jusqu’à ce qu’une fosse soit creusée au pécheur. Si sa volonté est dans la loi de Dieu, s’il médite cette loi jour et nuit[186], si sa conversation est dans le ciel[187], du haut du firmament il brillera sur la terre, selon le titre du psaume, à propos du quatrième jour, où fument créés les astres[188] : en sorte qu’il fera tout sans murmure, gardant la parole de Dieu, au milieu d’une nation tortueuse et perverse[189]. De même que la nuit n’éteint pas dans les cieux la lumière des astres : ainsi l’iniquité n’abattra point les âmes des fidèles fixées dans le firmament des Écritures divines. Cette puissance que Dieu abandonne quelquefois aux méchants, sur nos biens terrestres, non seulement sert à nous instruire, à nous faire chercher en Dieu notre refuge, dans le Seigneur l’appui de notre espérance ; mais elle sert encore à creuser une fosse au pécheur, dont il est dit dans un autre psaume : « Il chancellera et tombera, quand il aura dominé le pauvre[190] ».
30. Un si long discours vous a fatigués sans doute : quoique votre ferveur m’ait empêché de le voir, pardonnez-moi néanmoins s’il en est ainsi ; d’abord, je ne l’ai fait que pour obéir ; car le Seigneur me l’a commandé par la bouche de ces frères en qui il habite ; Dieu en effet ne commande que de son trône. Ensuite votre avidité à m’écouter, je l’avoue, m’a donné l’avidité de vous parler. Que le Seigneur bénisse donc mon travail, et que cette sueur de mon visage soit pour vous un gage de salut, et non de condamnation ; c’est-à-dire, mes frères, que mes paroles vous stimulent dans la vertu ; que vous les méditiez en vous-mêmes, que vous n’en perdiez pas le souvenir, et qu’elles se gravent, non seulement dans votre esprit, mais aussi dans vos pratiques journalières. Une vie sainte, réglée sur les préceptes de Dieu, est comme le stylet qui grave dans le cœur ce que l’on entend au-dehors. Gravez-le sur la cire, il s’effacera bientôt : écrivez-le dans vos cœurs, dans vos saintes pratiques, et il ne s’effacera jamais.

DISCOURS SUR LE PSAUME 94[191]. modifier

LES JOIES CHRÉTIENNES. modifier

La joie est légitime quand elle est selon Dieu. Le Prophète nous appelle auprès de Dieu afin de la goûter. On est près de Dieu quand on porte son image dans une vie pure, loin de lui quand on aime l’impiété. Dieu cherche son image en nous comme César son effigie sur sa monnaie. Il appelle donc auprès de Dieu ceux qu’une vie dissolue en éloignait. Que votre joie soit inexprimable, qu’elle éclate par l’aveu de nos fautes et par la Louange du Dieu qui les pardonne, du médecin qui guérit nos plaies. Chantons donc le Seigneur parce qu’il est au-dessus des simulacres des nations, au-dessus des dieux qui sont tels par la participation à sa grâce, parce qu’il ne repoussera point son peuple, ce peuple issu d’Abraham, dont plusieurs furent retranchés à cause de leur infidélité, mais dont le reste fut sauvé avec les Apôtres et avec les membres de la primitive Église, parce que les confins de la terre sont à lui, qu’il est La pierre angulaire, unissant la synagogue à l’Église des Gentils, qu’il a renversé les hauteurs de la terre qui le persécutaient, parce que sont à lui et la mer ou le monde avec ses scandales, où il proportionnera nos forces à l’épreuve, et la terre qu’il abreuve de ses grâces ; parce que nous sommes ses créatures, ses brebis accomplissant ses lois, et qu’il aura pour nous la bonté. Donc n’endurcissons pas nos cœurs comme les Juifs au désert, ils seront nos pères si nous les imitons ; s’il doit toujours y avoir des méchants pour irriter Dieu, prenons part au repos qu’il nous promet, comme il menace de la damnation les rebelles.


1. J’aimerais bien mieux, mes frères, que nous pussions écouter notre Père commun mais obéir à un Père est aussi une bonne œuvre. Donc, puisque nous en avons reçu l’ordre de celui qui daigne prier pour nous, j’exposerai à votre charité ce qu’il plaira à Dieu de m’inspirer au sujet de ce psaume. Il a pour titre : « Louange du cantique pour David lui-même ». Or, « louange du cantique » désigne la joie, parce que c’est un chant, et la piété parce qu’il y a une louange. Quel objet plus digne l’homme peut-il assigner à ses chants que ce qui lui plaît sans pouvoir jamais lui déplaire ? On peut donc louer sans crainte, quand on loue le Seigneur ; et celui qui chante une louange est en pleine sécurité quand il n’a point à rougir de celui qu’il chante. Louons donc le Seigneur, louons-le par nos chants, c’est-à-dire avec joie et allégresse. Le psaume nous indique dans les versets suivants, ce qu’il nous faut chanter.
2. « Accourez, chantons au Seigneur ». Il nous invite au grand festin de l’allégresse, non point à nous réjouir selon le monde, mais selon Dieu. S’il n’y avait point dans le monde une allégresse condamnable, qu’il faut distinguer de la sainte allégresse, il suffirait de dire « Accourez, et chantons ». Mais un seul mot marque la distinction. Qu’est-ce qu’une joie sainte ? Celle que l’on prend en Dieu. La joie est donc mauvaise quand elle est selon le monde, légitime quand elle est selon Dieu. Il te faut goûter en Dieu une sainte joie, si tu veux sans crainte mépriser le siècle. Mais pourquoi dire : « Venez ? » D’où vient qu’il appelle, qu’il fait venir ceux avec lesquels il veut se réjouir dans le Seigneur, sinon parce qu’ils sont loin encore de venir et de s’approcher, loin de s’approcher et d’arriver, loin d’arriver et de se réjouir ? Comment sont-ils loin ? Y a-t-il une distance locale entre l’homme et celui qui est présent partout ? Veux-tu t’éloigner de Dieu ? Où iras-tu pour en être loin ? Un homme encore pécheur, il est vrai, mais déjà pénitent, s’affligeant de ses péchés, espérant son salut, craignant la colère de Dieu et voulant l’apaiser, parle ainsi dans un autre psaume : « Où me dérober à votre esprit ? Où fuir votre face ? Si je monte au ciel, vous y êtes[192] ». Que faire donc ? Puisque, s’il monte au ciel, il y trouve Dieu ; où aller pour fuir loin de Dieu ? Vois ce qu’il dit : « Si je descends dans l’abîme, vous y êtes encore[193] ». Si donc en s’élevant au ciel, il y trouve Dieu, s’il n’évite pas Dieu quand il descend dans l’abîme, où irait-il pour éviter sa colère, sinon à ce même Dieu apaisé ? Et toutefois, bien qu’on ne puisse s’éloigner d’un Dieu qui est partout, s’il n’y avait des hommes éloignés de Dieu, l’Écriture ne dirait point : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi[194] ». Ce n’est donc point par la distance des lieux qu’on s’éloigne de Dieu, mais pas la dissemblance. Qu’est-ce à dire, dissemblance ? Une vie mauvaise, des mœurs dépravées. Si une vie pure nous rapproche de Dieu, une vie désordonnée nous en éloigne. Ainsi donc le même homme qui est par la présence corporelle dans un même lieu, se rapproche de Dieu par l’amour qu’il a pour lui, s’en éloigne par l’amour de l’iniquité : il s’approche donc ou s’éloigne sans mouvoir les pieds. Car dans cette voie, nos pieds sont nos affections. Selon, la direction que prend notre cœur, la direction de notre amour, nous nous approchons de Dieu, ou nous nous en éloignons. Ne disons-nous pas bien souvent, en parlant d’objets dissemblables, que l’un est bien loin de l’autre ? Si nous venons à comparer deux hommes, deux chevaux, deux vêtements, et que l’on nous dise : Voilà un vêtement qui ressemble bien à tel autre, un homme, qui ressemble à un tel, que dit-on, si l’on veut nous contredire ? Point du tout, il en est ben loin. Qu’est-ce à dire, il en est bien loin ? Il est bien dissemblable. Ces deux hommes sont juxtaposés, et néanmoins l’un est bien loin de l’autre. De même voilà deux impies qui se ressemblent par leur vie et par leurs crimes, fussent-ils l’un à l’orient, l’autre à l’occident, ils sont rapprochés l’un de l’autre. Mettez encore un juste à l’orient, un autre à l’occident, ils sont rapprochés parce qu’ils sont en Dieu. Au contraire, qu’un juste et un impie soient rivés à la même chaîne, ils sont fort éloignés. Donc si la dissemblance nous éloigne de Dieu, la ressemblance nous en rapproche. Quelle ressemblance ? C’est à cette ressemblance que nous avons été faits : le pêché l’a détériorée en nous, nous la recouvrons par la rémission des péchés, elle se renouvelle au dedans de nous, comme l’empreinte qui reparaît sur une pièce de monnaie, c’est-à-dire l’image de Dieu qui reparaît en notre âme, afin que nous revenions dans ses trésors. Comment en effet, mes frères, Jésus-Christ se servit-il d’une pièce de monnaie pour faire comprendre aux Juifs qui le tentaient ce que Dieu exige de nous ? Lorsqu’ils voulurent l’accuser à l’occasion du tribut de César, qu’ils consultèrent le maître de ta vérité, et qu’ils demandèrent, pour le tenter, s’il était permis ou non de payer le tribut à César, que leur répondit-il ? « Pourquoi me « tenter, hypocrites ? » Il commanda qu’on lui apportât une pièce de monnaie, et on l’apporta. « De qui est cette image, leur dit-il ? Ils répondirent : De César ; et Jésus : Rendez donc à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu 1 ». Si César cherche son effigie sur la monnaie, Dieu ne cherche-t-il point son image dans l’homme. C’est à cette ressemblance avec Dieu que nous invite Jésus-Christ Notre-Seigneur, quand il nous ordonne d’aimer nos ennemis, et qu’il nous donne pour modèle Dieu lui-même : « A l’exemple de votre Père », nous dit-il, « qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes. Soyez donc parfaits, comme votre Père[195] ». C’est nous inviter à lui ressembler, que nous dire : « Soyez parfaits comme lui-même est parfait[196] ». Mais nous inviter à la ressemblance, c’est constater que nous étions dissemblables eu nous séparant de lui, que la ressemblance nous en rapproche, afin que s’accomplisse en nous ce qui est écrit : « Approchez de Dieu, et recevez la lumière[197] ». C’est donc à ceux qu’une vie dissolue éloignait de Dieu, que notre psaume vient dire : « Venez et chantons au Seigneur ». Où allez-vous ? Pourquoi vous écarter ? vous éloigner ? Où fuyez-vous en prenant part aux joies du siècle ? « Venez, réjouissons-nous dans le Seigneur ». Pourquoi ces joies qui feront votre perte ? Venez, réjouissons-nous dans celui qui nous a faits. « Venez, tressaillons dans le Seigneur ».
3. « Faisons éclater nos jubilations devant « le Dieu qui est notre salut ». Qu’est-ce à dire, nos jubilations ? Cette joie que ne peuvent exprimer nos paroles, qui s’échappe de nos cœurs par des voix confuses, et non point par une parole articulée, telle est la jubilation. Que votre charité veuille bien considérer ceux qui se livrent à la jubilation par certains refrains, et qui se livrent à l’envi l’un de l’autre aux joies mondaines ; vous les voyez entrecouper leurs refrains d’une joie qui les transporte, et que la parole ne saurait ex primer ; des tressaillements qui sont la voix de l’âme, impuissante à rendre en paroles ce que ressent leur cœur. Si une joie terrestre leur donne des jubilations, nous, à notre tour, ne devons-nous pas ressentir cette joie du ciel qui laisse bien loin les paroles humaines ?
4. « Prévenons sa présence par une confession ». Ce mot de confession a deux sens dans les saintes Écritures. Il y a une confession qui loue, et une confession qui gémit. La confession qui loue est en l’honneur de Dieu qui est loué : et la confession qui gémit est une pénitence pour celui qui la fait. Il y a donc confession dans l’homme qui loue Dieu, et confession chez celui qui avoue ses fautes ; la langue n’a rien de plus digne. Ce sont là, je le crois, ces vœux dont le Prophète a dit dans un autre psaume : « Je vous rendrai les vœux que mes lèvres ont discernés[198] ». Rien de plus relevé que cette distinction, rien de plus nécessaire que de la comprendre et de la pratiquer. Comment donc discerner les vœux que tu fais à Dieu ? En le louant et en t’accusant toi-même ; car la rémission de nos péchés est un effet de sa miséricorde. S’il voulait nous traiter selon nos mérites, il ne trouverait qu’à nous condamner. Venez donc, dit le Prophète, éloignons-nous de nos péchés, afin que le Seigneur ne nous demande pas compte du passé, mais qu’en venant à nouveau compter avec nous, il brûle toutes les obligations de nos dettes précédentes. Confessons donc sa louange, confessons sa miséricorde en chantant sa louange. Si la confession était toujours l’expression de la pénitence, l’Évangile ne nous dirait pas du Sauveur lui-même « En cette heure Jésus se réjouit dans l’Esprit-Saint, et dit : Père, Seigneur du ciel et de la terre, je vous confesse, parce que vous avez dérobé ces choses aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits[199] » : cette confession faisait-elle de Jésus-Christ un pénitent ? Il ne pouvait se repentir de rien, puisqu’il n’était coupable d’aucune faute : c’était une confession à la gloire de son Père. Et comme dans notre psaume il est question de jubilations, il nous faut sans doute par confession entendre celle qui est en l’honneur de Dieu ; et dès lors, louange du cantique, ne sera point la confession du repentir, mais la confession de la louange. Mais pourquoi le Prophète nous parle-t-il aussitôt d’une certaine confession en disant : « Prévenons sa face par la confession ? » Qu’est-ce à dire : « Prévenons sa face par la confession ? » Dieu viendra ; auparavant « prévenons sa face par la confession » : avant qu’il arrive, condamnons par un humble aveu ce que nous avons fait, afin qu’il ne trouve plus rien à condamner, mais de quoi couronner. Mais confesser tes péchés, n’est-ce point rendre gloire à Dieu ? C’est assurément le plus grand honneur qu’on puisse lui rendre. Pourquoi le plus grand honneur ? Parce que le médecin est d’autant plus digne de louanges qu’on désespérait plus du malade. Confesse donc tes péchés d’autant plus que tu désespérais de toi-même à cause de tes iniquités. Plus ta confession grossira tes fautes, plus tu relèveras là gloire de celui qui les pardonne. Ne croyons donc point nous écarter de la louange du cantique, en prenant la confession dans le sens de l’aveu des péchés. Car il y a dans cette confession louange de Dieu, puisque, reconnaître nos péchés, c’est signaler la gloire à Dieu. « Prévenons sa présence par la confession ».
5. « Chantons avec allégresse des psaumes en son honneur[200] ». Déjà nous avons dit ce qu’est l’allégresse ou la jubilation. Le Prophète la ramène encore afin de nous exhorter à la ressentir. La répétition est une exhortation, car nous n’avions pas oublié ce qui est dit pour avoir besoin d’être avertis de nouveau d’entrer en jubilation : mais souvent dans les transports de l’âme on répète une parole déjà émise, non pour la faire connaître encore, mais pour exhorter plus vivement ; cette répétition nous fait comprendre l’allégresse du Prophète. De là vient cette locution de Notre-Seigneur : « En vérité, en vérité, je vous le dis[201] ». Il suffisait de dire : « En vérité », une seule fois ; pourquoi dire : « En vérité, en vérité », sinon parce que la répétition est une confirmation ? « Chantons des psaumes avec allégresse en son honneur », dit le Prophète. Et que dirons-nous, ou plutôt que ressentirons-nous dans cette allégresse ? Quels sont ces sujets do louanges ? Écoutez : « C’est que Dieu, le Seigneur, est grand, c’est qu’il est un roi plus grand que tous les dieux » : voilà pourquoi doit éclater notre allégresse. « C’est parce qu’il ne rejettera pas son peuple », qu’il mérite nos jubilations. « C’est parce que tous les confins de la terre sont en sa main, et que les plus hautes montagnes sont à lui » : c’est pour tout cela que nous devons tressaillir en sa présence. « C’est parce que la mer est à lui, et qu’il l’a faite, et que ses mains ont formé la terre[202] », qu’il mérite nos transports. Mais pour discuter convenablement le sens de ces paroles, le temps nous manquerait ; et néanmoins, si nous gardons un silence absolu, nous vous serons redevables. Écoutez donc le peu que m’en laissera dire la brièveté du temps, puisqu’un peu de semence peut, dans une bonne terre, produire une grande moisson.
6. Tout d’abord le psaume nous expose pourquoi nos transports, pourquoi nos louanges : « C’est que Dieu le Seigneur est grand, c’est qu’il est un roi plus grand que tous les dieux ». Il est en effet des dieux bien inférieurs à ce grand Dieu qui est le nôtre, dont nous chantons les louanges dans nos cantiques, avec joie, avec transport ; il en est, mais non pour nous. L’Apôtre dit à ce propos : « S’il est des êtres appelés dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre, et qu’ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, néanmoins il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, de qui vient toute chose, et qui nous a faits pour lui ; il n’y a qu’un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites, set nous sommes en lui[203] ». Si donc ces êtres ne sont point dieux pour nous, pour qui sont-ils dieux ? Écoutez un autre psaume : « Les dieux des nations sont les démons, mais le Seigneur a fait les cieux[204] ». Le Saint-Esprit ne pouvait, par son Prophète, vous marquer, avec plus de brièveté et de magnificence quel est votre Dieu. C’était peu que Dieu fût terrible par-dessus tous les démons ; quelle grandeur d’être supérieur aux démons ? « Car les dieux des nations sont des démons ». Où est donc ton Dieu ? « Mon Dieu a fait le ciel ». Ton Dieu a fait cette demeure inaccessible aux démons, puisqu’ils en ont été chassés. Les cieux sont supérieurs aux démons, elle Seigneur aux cieux, car les cieux sont l’œuvre de ton Seigneur. Combien donc est Supérieur aux démons, à ces dieux des peuples, celui qui est supérieur aux cieux, d’où sont tombés les anges pour devenir des démons ? Et néanmoins les démons régnaient sur tous les peuples, on leur élevait des temples, on leur offrait des sacrifices, les démons avaient leurs prêtres, leurs autels, et pour prophètes les plus démoniaques. Voilà le culte que les peuples ont rendu au démon, culte véritable qui n’est dû qu’au seul Dieu véritablement grand. Les peuples ont élevé des temples aux démons, et Dieu aussi a son temple, il a ses prêtres, comme les démons eurent leurs prêtres, et son sacrifice comme ils eurent leurs sacrifices. Car les démons, voulant passer pour des dieux, n’eussent point exigé ce culte de ceux qu’ils trompaient, s’ils n’eussent compris qu’il était dû au Dieu véritable. D’ordinaire, en effet, le faux dieu exige qu’on lui rende les honneurs dus au vrai Dieu. Nous connaissons donc le véritable temple de Dieu. « Car le temple de Dieu est saint », est-il dit, « et vous êtes ce temple[205] ». Si donc nous sommes le temple de Dieu, notre âme est son autel. Le sacrifice de Dieu, quel est-il ? C’est peut-être ce que nous faisons maintenant, car c’est offrir un sacrifice sur l’autel de Dieu, que chanter ses louanges : puisque le Psalmiste nous dit : « Le sacrifice de louanges est un culte qui m’honore, et telle est la voie par laquelle je lui montrerai le salut de Dieu[206] ». Mais si tu en cherches le prêtre, il est élevé par-dessus tous les cieux ; c’est là qu’il intercède pour toi, lui qui est mort pour toi sur la terre[207]. Donc « Dieu le Seigneur est grand, c’est un roi qui domine les autres dieux » ; Nous entendons ici les hommes divins : car le Seigneur n’est point le roi des démons. L’Écriture nous donne encore ce témoignage : « Dieu s’est assis dans l’assemblée des dieux ; au milieu des dieux pour les juger[208] ». Ces dieux le sont par la participation, et nous par la nature ; par cette grâce qui veut faire des dieux. Combien est grand ce Dieu qui fait des dieux ! Ou quels sont les dieux que fait un homme ? À la grandeur de Celui qui fait les dieux répond le néant de ces dieux que font les hommes. Le vrai Dieu fait dieux ceux qui croient en lui et auxquels il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu[209]. De là vient qu’il est le vrai Dieu, parce qu’il n’a pas été fait : mais nous, qui avons été faits, nous ne sommes point véritablement dieux, quoique supérieurs aux dieux que font les hommes. « Car les idoles des nations sont de l’or et de l’argent, l’œuvre de la main des hommes : ils ont une bouche, et ne parlent point ; des yeux, et ne voient point[210] ». Mais à nous, Dieu a donné des yeux pour voir. Néanmoins, pour avoir des yeux qui voient, nous ne sommes cependant pas des dieux, car il en a fait de même aux bêtes ; mais il a fait de nous des dieux, quand il a éclairé nos yeux intérieurs. Donc, louange à Dieu, confession à Dieu, jubilation à Dieu : « Car le Seigneur est grand, il est roi par-dessus tous les dieux ».
7. « Comme il ne repoussera point son peuple » : louange à lui, jubilation à lui. Quel peuple ne repoussera-t-il point ? Il ne nous est point permis de donner un sens par nous-mêmes : saint Paul a éclairci ce passage, et nous apprend pourquoi cette parole[211]. Il y avait jadis un peuple juif, peuple des Prophètes, peuple des Patriarches, peuple issu d’Abraham selon la chair ; peuple qui figura toutes les promesses du Sauveur ; peuple où Dieu avait un temple, l’onction, le sacerdoce figuratif, afin qu’à la disparition des figures, arrivât la véritable lumière : c’était donc là le peuple de Dieu : c’est à ce peuple que furent envoyés les Prophètes, et au milieu de ce peuple que sont nés ceux qui lui furent envoyés ; c’est à lui que furent livrées et confiées les paroles de Dieu. Quoi donc ? Tout ce peuple est-il condamné ? Loin de là. Saint Paul le compare à l’olivier, dont la tige a commencé à pousser par les Patriarches, mais dont plusieurs branches se sont desséchées, parce qu’elles se sont élevées trop haut par l’orgueil ; ils ont donc été retranchés à cause de leur stérilité, et l’humilité y a fait insérer l’olivier sauvage. Néanmoins, mes bien aimés, pour détourner de l’orgueil l’olivier sauvage greffé sur l’olivier franc, que dit l’Apôtre ? « Si tu as été retranché de l’olivier sauvage, ta tige naturelle, et inséré contre nature sur l’olivier franc, à combien plus forte raison les branches de l’olivier même seront-elles entées sur leur propre tronc[212] ». De même, en effet, qu’en abandonnant l’infidélité, tu as mérité d’être inséré sur l’olivier franc, quand tu étais l’olivier sauvage ; ainsi les branches corrigées seront plus facilement greffées sur l’olivier franc, leur tige naturelle : telle est la parole de l’Apôtre à leur sujet. Tel est donc l’arbre : et si quelques rameaux en sont retranchés, tous ne le sont point. Si tous les rameaux en étaient retranchés, d’où viendraient Pierre, et Jean, et Thomas, et Matthieu, et André, et tous les autres Apôtres ? D’où viendrait l’apôtre saint Paul lui-même, qui nous parle ainsi, et qui par le fruit qu’il portait rendait témoignage à l’olivier ? Tons n’ont-ils point là leur tige ? D’où viennent ces cinq cents frères auxquels le Seigneur apparut après sa résurrection ? Et ces autres, par milliers, qui se convertirent à la voix de Pierre, alors que les Apôtres pleins du Saint-Esprit parlaient toutes les langues, qui furent si prompts à bénir Dieu, et à s’accuser, eux qui avaient répandu cruellement le sang du Seigneur, et qui le burent par la foi ? Ces milliers d’hommes étaient tellement convertis, qu’ils vendaient leurs biens pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres[213]. Ce qu’un riche n’avait point fait sur la parole du Sauveur, de qui il s’éloigna avec tristesse[214], voilà ce qu’accomplirent tant de milliers d’hommes qui avaient de leurs mains crucifié le Christ. Plus était grande la blessure de leurs cœurs, plus avidement ils cherchaient le médecin. Si donc de là sortirent tous ces hommes, c’est d’eux que le Psalmiste a dit, que « Dieu ne repoussera point son peuple ». C’est ce témoignage du psaume qu’a emprunté saint Paul, quand il a dit : « Que répondre, mes frères ? Dieu a-t-il donc repoussé le peuple élu dans sa prescience ? Loin de là ; car moi aussi je suis Israélite, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin. Le Seigneur n’a point repoussé le peuple élu dans sa prescience[215] ». Si Dieu avait repoussé son peuple, saint Paul n’en eût pas été tiré ; son origine est aussi celle des autres. Ce sont eux, et non tous les Juifs, qui forment le peuple de Dieu, ainsi qu’il est écrit : « Les restes seront sauvés[216] ». Tous ne forment donc point le peuple de Dieu : mais l’aire a été vannée ; la masse du froment est dans le grenier, et la paille au-dehors[217]. Dans tous les Juifs que vous voyez réprouvés, vous voyez la paille. Mais de cette paille que vous voyez est sorti le grain mis en dépôt dans les greniers célestes. Voyons ces deux destinées, pour cri faire le discernement.
8. Qu’ajoute le Psalmiste ? « Parce que dans sa main sont tous les confins de la terre ». Reconnaissons la pierre angulaire ; cette pierre est le Christ. Or, il n’y a d’angle, qu’à la condition d’unir l’une à l’autre deux murailles, qui viennent de directions différentes, mais qui mie sont point opposées dans l’angle qui les réunit. Or, vint d’une part la circoncision, de l’autre la gentilité ; deux peuples qui s’unirent dans le Christ, parce qu’il est la pierre dont il est écrit : « La pierre, qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue la pierre angulaire[218] ». Si donc le Christ est ta tête de l’angle, n’envisageons plus la différence de ceux qui viennent de loin, mais bien leur rapprochement dans le Christ qui les unit. C’est là que s’accomplit cette parole, que « le Seigneur ne repoussera point son peuple ». C’est là le premier côté de l’angle, dans lequel, avons-nous dit, « Dieu n’a point repoussé son peuple ». De là sont venus les Apôtres, de là tous les Israélites qui ont embrassé la foi, pour apporter aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens vendus[219] ; pauvres de volonté riches de Dieu. Nous connaissons donc une muraille, envers laquelle s’est accomplie cette promesse que « Dieu ne rejettera point son peuple » ; voyons l’autre muraille. « Il tient dans sa main tous les confins de la terre ». Telle est l’autre muraille qui vient des Gentils : « Dans sa main, tous les confins de la terre ». Toutes les nations du monde sont venues à cette pierre angulaire, où elles ont reçu le baiser de paix en celui-là seul qui, de deux peuples, en a fait un seul ; non point à la manière des hérétiques, qui d’un seul ont fait deux. Voici ce que nous a dit l’Apôtre, du Christ Notre–Seigneur : « C’est lui », dit-il, « qui est notre paix, qui de deux peuples n’en a fait qu’un[220] ». Bénissons-le dans nos transports. Pourquoi ? « Parce que le Seigneur ne rejettera point son peuple ». Pourquoi encore ? « Parce que tous les confins de la terre sont en sa main, et que les sommets des montagnes sont à lui ». Les sommets des montagnes sont les hauteurs de la terre. Autrefois ces hauteurs, c’est-à-dire ces puissances terrestres, se sont révoltées contre l’Église, ont promulgué des lois contre l’Église, ont tenté d’effacer de la terre le nom de chrétien ; mais depuis l’accomplissement de cette prophétie : « Tous les rois de la terre l’adoreront[221] », cette autre prophétie, à son tour, s’est accomplie : « Les sommets des montagnes sont à lui ».
9. Mais tu crains peut-être les tentations, et à la hauteur de ces grâces de la divine promesse, tu redoutes les scandales du monde ? Or, ces scandales ne te nuiront point, Dieu en a posé les bornes : « Car la mer est à lui ». Ce monde effectivement est une mer, et Dieu a fait la mer. Les flots ne peuvent pousser leur violence que jusqu’au rivage, où il leur a mis un terme. Viennent donc les tentations, viennent les tribulations, qu’elles consomment ta vertu sans te consumer. Vois si les tentations ne sont point utiles. Écoute l’Apôtre « Dieu est fidèle, et ne vous laissera point tenter au-dessus de vos forces ; mais il vous rendra la tentation avantageuse, afin que vous puissiez persévérer[222] ». Il ne dit point : Il vous délivrera de toute tentation ; car, refuser la tentation, c’est refuser la perfection. Dieu donc nous réforme par là ; et s’il nous réforme, nous sommes entre les mains de l’ouvrier. Il retranche en nous, il redresse, il aplanit, il purifie ; il agit en nous comme avec le fer ; il y a des scandales ici-bas, mais toi, ne redoute que de tomber des mains du Créateur. Nulle tentation ne sera au-dessus de tes forces. Dieu le permet pour ton avantage, afin de stimuler tes progrès. Écoute l’Apôtre, qui ajoute : « Dieu vous rendra la tentation avantageuse, afin que vous puissiez persévérer ». Craindrais-tu donc encore la mer ? Sois sans crainte : « Puisque la mer est à Dieu, et qu’il en est le créateur ». Craindrais-tu les scandales des Gentils ? C’est Dieu aussi qui a fait les Gentils, et il ne leur permettra point de sévir plus que vos progrès ne le demandent. N’est-il pas dit dans un autre psaume : « Toutes « les nations que vous avez faites, viendront, « et se prosterneront devant vous, ô mon Dieu[223] ? » Si toutes les nations que vous avez faites viendront, il est clair que toutes sont vos créatures. « La mer est à lui, puisqu’il l’a faite, et ses mains ont formé la terre qui est aride ». Sois une terre aride, aie soif de la grâce de Dieu, afin qu’une douce rosée descende en toi, et que Dieu y trouve des fruits. Il ne permettra point que les flots recouvrent ce qu’il a semé : « Et ses mains ont formé la terre, qui est aride ». Pour cela aussi offrons-lui des cantiques de joie
10. Puisqu’il en est ainsi, puisqu’à tous ces points de vue Dieu est si digne de louanges, retournez aux premiers sentiments qui commencent le psaume : « Venez, adorons le Seigneur, prosternons–nous devant lui ; pleurons devant le Seigneur qui nous a créés[224] ». Maintenant que je vous ai dit les merveilles du Seigneur, ne soyez point lents, rie vous attardez ni dans votre vie, ni dans vos mœurs : « Venez, adorons, et prosternons-nous devant lui ». Peut-être vos péchés qui vous tiennent loin de Dieu ne vous laissent-ils pas sans inquiétude : faisons ce qui est dit ensuite : « Pleurons nos péchés devant le Seigneur qui nous a créés ». Si tu ressens dans ta conscience l’embrasement des fautes, éteins les flammes du péché dans tes larmes, et pleure devant le Seigneur : pleure en sûreté devant le Seigneur qui t’a créé, car il ne méprisera point l’œuvre de ses mains. Loin de toi de croire que tu pourras te guérir toi-même celui qui t’a fait peut seul te refaire. « Pleurons devant le Seigneur qui nous a faits » oui, pleure devant lui, confesse tes fautes, préviens sa face par un humble aveu. O toi qui pleures, et qui confesses ta faute, qui es-tu, sinon sa créature ? L’ouvrage a toujours plus de confiance en l’ouvrier, surtout quand il n’est point une œuvre vulgaire, mais une œuvre faite à son image et à sa ressemblance. « Venez, adorons le Seigneur, prosternons-nous devant lui, pleurons devant le Seigneur qui nous a faits ».
11. « Car c’est lui qui est le Seigneur notre Dieu[225] ». Mais qui sommes-nous, pour nous prosterner et pour pleurer devant Dieu en toute sécurité ? « Nous sommes le peuple de son pâturage, les brebis de ses mains ». Vois comme le Prophète a sagement changé l’ordre des mots ; il néglige leur acception propre, afin de nous faire comprendre que ces mêmes brebis sont des peuples. Il n’a point dit : Les brebis de son pâturage, et les peuples de ses mains, ce qui paraîtrait plus naturel, puisque les brebis sont en rapport avec les pâturages ; mais il dit : « Le Peuple de son pâturage ». Donc ce peuple désigne des brebis, puisqu’il est dit : « Le peuple de son pâturage », et ce peuple sont ses brebis. Mais parce que les brebis que nous avons, sont les brebis que nous achetons, et non les brebis que nous avons faites, et que le Prophète avait dit plus haut : « Prosternons-nous devant Celui qui nous a faits » ; il a raison de dire ensuite : « Les brebis de ses mains ». Nul homme ne se fait des brebis : il peut en acheter, en recevoir, en trouver, en rassembler, et même en voler ; il ne saurait en faire. Quant à notre Dieu, c’est lui qui nous a faits ; aussi sont-ils « le peuple de son pâturage, et les brebis de ses mains », ceux qu’il a formés pour lui par sa grâce. Telles sont les brebis qu’il célèbre dans le Cantique des cantiques, en appelant les plus parfaites dans son Église, les dents de cette sainte Épouse : « Vos dents sont un troupeau de brebis, nouvellement tondues, remontant du lavoir, portant un double fruit, sans que nulle soit stérile[226] ». Qu’est-ce à dire : « Vos dents ? » Ceux par qui vous parlez : les dents de l’Église ou ceux qui portent sa parole. À quoi ressemblent ces dents ? « A un troupeau de brebis tondues ». Pourquoi « tondues ? » Parce qu’elles ont déposé le fardeau du siècle. N’étaient-ils pas des brebis tondues, ces hommes dont je parlais tout à l’heure, et qu’avait dépouillés cette parole de Dieu : « Allez, vendez tous vos biens, donnez-les aux pauvres, et vous aurez un trésor dans les cieux ; puis venez, et suivez-moi[227] ». Ils ont accompli ce précepte, et sont venus sans toison. Et comme ils reçurent le baptême et crurent en Jésus-Christ, qu’est-il dit ? « Qu’ils remontaient du lavoir », c’est-à-dire du bain qui les avait purifiés. « Toutes ont un double fruit ». Quel double fruit ? Ces deux préceptes qui renferment la loi et les Prophètes : « Nous sommes donc le peuple de son pâturage, et les brebis de sa main ».
12. Donc : « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix[228] » ; ô mon peuple, ô peuple de Dieu. C’est Dieu qui s’adresse à son peuple, non seulement à ce peuple qu’il ne repoussera point, mais aussi à tout son peuple. Car il parle de l’angle à chacune des murailles[229], c’est-à-dire que dans le Christ la prophétie s’adresse au peuple Juif et au peuple des Gentils. « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs ». Vous avez entendu sa voix par Moïse, et vous avez endurci vos cœurs ; il parle maintenant par lui-même, que vos cœurs s’attendrissent. Lui qui envoyait jadis des hérauts, daigne venir lui-même ; il vous parle de sa bouche sacrée, lui qui parlait par la bouche des Prophètes. « Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs ».
13. Pourquoi dire : « N’endurcissez pas vos cœurs ? » Parce qu’il vous souvient de ce que faisaient vos pères. « N’endurcissez pas vos cœurs, comme ils le firent dans leur murmure, au jour de la tentation au désert[230] ». Vous le savez, mes frères, ce peuple tenta Dieu[231], il en fut châtié, et il fut conduit au désert par un excellent cavalier, au moyen du frein des lois et du frein des préceptes, Dieu n’abandonna point ce peuple indomptable, et ne cessa non seulement de l’attirer par des bienfaits, mais de le corriger par le malheur. « N’endurcissez donc point vos cœurs, comme ils firent par leurs murmures, le jour de la tentation au désert ». Que ces hommes ne soient point vos pères ; gardez-vous de les imiter. Ils étaient vos pères ; mais si vous ne les imitez point, ils ne le seront plus ; et pourtant ils étaient vos pères, puisque c’est d’eux que vous êtes issus. Et si les nations viennent des extrémités de la terre, comme le dit Jérémie : « Les nations viendront vers vous des extrémités de la terre, en disant : Nos pères n’ont adoré que le mensonge, et des idoles qui ne servent de rien[232] » ; si les nations ont quitté leurs idoles pour venir au Dieu d’Israël ; ceux que le Dieu d’Israël a tirés de l’Égypte, en leur faisant passer la mer Rouge, dont les flots engloutirent leurs ennemis[233], ceux qu’il a nourris de la manne[234], sans détourner d’eux ni la verge de la discipline, ni les bienfaits de sa miséricorde, doivent-ils quitter leur Dieu quand les nations viendront l’adorer ? « Vos pères m’ont tenté ; ils ont éprouvé, ils ont vu mes œuvres ». Pendant quarante ans, ils ont vu mes œuvres, et pendant quarante ans, ils ont irrité ma colère. Sous leurs yeux, je faisais des miracles par la main de Moïse, et leurs cœurs n’en allaient que plus à l’endurcissement.
14. « Pendant quarante ans, j’ai été près de ce peuple ». Qu’est-ce à dire, « j’ai été proche ? » J’ai signalé ma présence au milieu de ce peuple par des signes et des prodiges, non pas un jour, ni deux jours, mais c’est « pendant quarante années, que j’ai été près de cette génération, et que j’ai dit : Leurs cœurs sont toujours égarés[235] ». Le Prophète explique par le mot toujours, ce qu’il a dit par l’expression quarante années, car ce nombre quarante indique l’accomplissement des siècles, comme si ce nombre en était le couronnement. C’est pourquoi Jésus-Christ jeûna quarante jours, fut tenté Pendant quarante jours au désert[236], et demeura pendant quarante jours avec ses disciples après la résurrection[237]. Dans la première quarantaine, il nous désigne les tentations, et dans la seconde quarantaine la consolation, car dans les épreuves la consolation nous soutient. Son corps ou l’Église doit souffrir ici-bas : mais le divin consolateur ne lui fait pas défaut, lui qui a dit « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[238] ». « Et j’ai dit : Leurs cœurs sont toujours égarés ». J’ai voulu demeurer auprès d’eux, pour figurer en eux cette race d’hommes qui doit m’irriter jusqu’à la fin des siècles ; c’est donc tous les siècles qu’il a voulu désigner par ces quarante années.
15. Quoi donc ? D’autres ne doivent-ils pas, à leur place, entrer dans le repos de Dieu ? Dieu les a réprouvés, parce qu’ils ont méprisé sa miséricorde, qu’ils n’ont opposé au Seigneur qu’un cœur endurci : mais Dieu qui les a rejetés perdra-t-il tout son peuple ? Ne sera-t-elle pas vraie, cette parole : « Dieu peut de ces pierres susciter des enfants d’Abraham[239] ? » Il est donc vrai que leurs cœurs sont toujours égarés ; ils n’ont point connu mes voies, et je leur ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos[240] ». Terribles paroles que celles-ci : je leur ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos ! Ce psaume qui a commencé par la jubilation se termine par une grande terreur : « J’ai juré dans ma colère qu’ils n’entreront point dans mon repos ». C’est beaucoup que Dieu parle ; mais qu’est-ce, quand il jure ? Craignons, quand un homme jure, qu’il n’accomplisse son serment même contre sa volonté ; mais combien ne faut-il pas craindre le Seigneur, dont nul serinent n’est téméraire ? Il a voulu confirmer sa parole par un serment ; et par qui Dieu peut-il jurer ? Par lui-même. Nul n’est au-dessus de lui, par qui il puisse jurer[241]. C’est par lui-même qu’il confirme ses promesses, par lui-même ses menaces. Que nul ne dise en son cœur : Sa promesse est vraie, sa menace est fausse. Tu dois être aussi certain de parvenir à son repos, à sa félicité, à son éternité, à son immortalité, si tu accomplis ses préceptes, que certain de la mort, des flammes éternelles, de la damnation avec le diable, si tu les méprises. Il leur jura donc dans sa colère qu’ils n’entreraient point dans son repos ; et pourtant il faut que plusieurs entrent dans ce repos ; car il y en aura qui le posséderont. C’est donc nous qui prendrons la place des Juifs réprouvés ; car si plusieurs branches ont été retranchées à cause de leur dissemblance et de leur infidélité, notre foi et notre humilité nous feront insérer[242]. Entrons donc dans ce repos. Qu’est-ce qui a procuré à ceux qui y sont entrés, le bonheur d’y entrer, d’être élus, de n’avoir pas un cœur obstiné ? C’est qu’il est vrai que « Dieu n’a pas rejeté son peuple ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 95[243]. modifier

LA MAISON DE DIEU OU L’ÉGLISE. modifier

Cette maison, dont il est parlé dans le titre, c’est l’Église de Dieu, ou son temple, dont nous devons être les pierres, et qui embrassera l’univers entier ; le cantique nouveau, c’est le cantique de la charité de l’Évangile qui régnera aussi partout. Le temple de Jérusalem a disparu ; c’était le vieux temple ; le nouveau, c’est la charité qui unit les chrétiens. Et tous croiront, car le Saint-Esprit s’est montré sous la forme de langues de feu, pour montrer qu’il doit se répandre dans tous les peuples. Quiconque bâtit pour sa propre gloire, n’élève qu’une simple muraille blanchie, mais pas une maison ; cette muraille nous laisse toujours dehors, tandis que nous devons être abrités dans la maison de Dieu. On fait partie de ce temple et on le construit quand on comprend les abaissements de Jésus-Christ, il se bâtit dans les forêts, c’est-à-dire dans les nations idolâtres et dès lors esclaves des démons, esclavage dont nous sommes tous rachetés par le sang du Christ, assez précieux pour ne pas se borner au rachat de la seule Afrique. Pour délivrer les hommes, on leur prêche Celui qui a fait les cieux, ou les Apôtres, et les saints. On devient saint en se purifiant par la confession, afin de se dépouiller du péché, de s’en humilier. Apportons, pour offrandes, l’humilité afin d’entrer dans son parvis. Toute la terre, et non pas une seule partie, s’est ébranlée ou soulevée contre le Christ qui l’a calmée, qui l’a raffermie ou soumise par le bois. Alors se réjouiront et les campagnes ou les justes, et les forêts ou les païens convertis, qui profiteront du premier avènement du Christ pour n’avoir plus à redouter le second. Détachons-nous de tout ce qui passe pour attendre son équité et sa vérité.


1. Sévère, mon vénérable seigneur et frère[244], diffère encore notre joie au sujet du discours dont il nous est redevable, car il reconnaît lui-même qu’il nous le doit. Dans toutes les Églises qu’il a visitées sur son passage, Dieu a répandu la joie par sa bouche. Celte Église a bien plus de droit à cette joie, puisque c’est d’elle que Dieu l’a tiré pour le rendre si utile aux autres. Que faire de mieux, que nous soumettre, à sa volonté ? Toutefois, mes frères, je vous l’ai dit, il ne nous prive pas, il diffère seulement. C’est à vous à forcer ce débiteur, à ne point le laisser partir qu’il ne se soit acquitté. Que votre charité veuille bien écouter ; j’exposerai ce qu’il plaira au Seigneur de m’inspirer sur notre psaume ; vous le savez déjà, mais on se rappelle volontiers la vérité. Peut-être l’énoncé du titre a-t-il été pour plusieurs un sujet d’étonnement. Voici en effet le titre du psaume : « Quand on bâtissait la maison après la captivité ». À l’énoncé de ce titre, vous cherchiez peut-être, dans le texte du psaume, quelles pierres on allait tailler des montagnes, quelles masses on allait traîner, quels fondements seraient jetés, quelles poutres préparées, quelles colonnes élevées, Or, le psaume n’en dit rien : et néanmoins, s’il parle d’un autre sujet, faudra-t-il croire ou qu’il n’est pas d’accord avec son litre, et qu’il annonce un sujet pour en chanter un autre ? Et pourtant le sujet est le même, seulement il faut le comprendre. Il nous parle de la construction de l’édifice. Que toutes les pierres de cet édifice comprennent ce qu’elles ont chanté, car Dieu se bâtit un temple, mais non sur l’emplacement du temple de Salomon. Ce roi bâtit un temple au Seigneur[245], et vous savez ce que le Seigneur disait naguère de ce temple, quand ses disciples, qui en admiraient les pierres et les grandes proportions, lui en témoignaient leur étonnement et leur stupeur : « Je vous le dis, en vérité, s’écria le Sauveur, su ne restera pas une pierre sur une pierre qui ne soit détruite[246] ». Telle n’est point la maison qui s’élève aujourd’hui : car voyez qu’elle ne s’élève point en un endroit particulier, ni dans une partie du monde. C’est ainsi que commence le psaume :
2. « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, que toute la terre chante au Seigneur[247] ». Si toute la terre chante un cantique nouveau, c’est par ces chants que s’élève l’édifice : chanter le Seigneur, mais non chanter le vieil homme, c’est le bâtir. Le chant vieilli, c’est l’appétit de la chair ; le chant nouveau, c’est l’amour de Dieu. Toute parole de convoitise est chant vieilli ; et quand même résonnerait dans votre bouche la parole d’un cantique nouveau, la louange ne peut être agréable dans la bouche du pécheur[248]. Mieux vaut être l’homme nouveau et se taire, que le vieil homme et chanter : si tu es homme nouveau gardant le silence, il n’y a que l’oreille de l’homme qui soit privée, puisque ton cœur chante un cantique nouveau, et ce cantique arrive aux oreilles de Dieu, qui t’a fait homme nouveau. Tu aimes, et en silence : l’amour est la voix qui arrive à Dieu, et l’amour est un cantique nouveau. Écoute bien qu’il est un cantique nouveau. Le Seigneur a dit : « Je vous donne un précepte nouveau, de vous aimer les uns les autres[249] ». Donc toute la terre chante un cantique nouveau, telle est la maison que l’on bâtit au Seigneur. Toute la terre est cette maison de Dieu. Si toute la terre est la maison de Dieu, quiconque n’est pas uni à la terre n’est qu’une ruine, et non un palais : et cette ruine est ancienne, elle était figurée par le temple ancien. Car on détruisait là ce qui était vieux, pour édifier ce qui est nouveau. Et comment détruire ce qui est vieux ? « En vérité, je vous le déclare », dit le Sauveur, « il ne restera pas pierre sur pierre qui ne soit détruite[250] ». Le Christ est pierre ; et l’Apôtre a dit : « Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu le Christ[251] ». Si tout homme baptisé dans le Christ a revêtu le Christ, qui posera pierre sur pierre, sinon celui qui ajoute baptême à baptême ? Mais soyez sans crainte ; « on ne laissera pas une pierre sur une pierre sans la détruire ». Quant aux pierres qui doivent servir à l’édifice nouveau, après la captivité, on les choisit de telle sorte, et la charité sait tellement les assembler dans l’unité, qu’il n’y a pas pierre sur pierre, mais que toutes les pierres ne forment qu’une seule pierre. N’en soyez pas étonnés : tel est l’effet du cantique nouveau, c’est-à-dire l’effet de la charité. C’est dans cet édifice que l’Apôtre veut nous faire entrer, et nous relier à cette grande unité, en disant : « Supportez-vous mutuellement dans la charité, travaillant à garder l’unité de l’esprit dans le lien de la paix[252] ». Où est l’unité de l’esprit, là est l’unité de la pierre ; mais cette pierre unique est formée de plusieurs pierres. Comment est-elle formée de plusieurs ? C’est que les chrétiens se supportent mutuellement dans la charité. Donc la maison du Seigneur notre Dieu se construit : on la fait, on la bâtit, c’est elle que construisent nos paroles, nos lectures, et l’Évangile que l’on prêche dans le monde entier ; elle se construit encore. Cet édifice a pris de l’accroissement, a renfermé bien des nations dans son enceinte ; il ne renferme pas encore toutes les nations, malgré ses accroissements, et toutefois il doit les enfermer toutes. Ceux qui se glorifient de l’habiter s’opposent à sa construction, et l’on dit qu’il commence à décroître. Il s’accroît au contraire ; il est bien des peuples qui ne croient pas encore en Jésus-Christ, et qui croiront en lui. Qu’on ne nous dise point : Tel peuple croira-t-il en lui ? Les barbares croiront-ils ? Et pourquoi le Saint-Esprit apparaissait-il en forme de langues de feu[253], sinon parce qu’il n’est aucune langue, dont la dureté ne doive se dissoudre dans ce feu divin ? Nous ne sommes pas en effet sans avoir vu des nations barbares. Le Christ a poussé plus loin que les Romains les limites de son empire : des barrières que le fer n’a point rompues, le sont aujourd’hui par le bois de la croix, car le Seigneur a régné par le bois. Quel est celui qui combat avec le bois ? Le Christ. Avec sa croix il a vaincu les rois, et a mis le sceau de sa croix sur le front des vaincus ; et ils se glorifient de cette croix, en laquelle est leur salut. Voilà ce qui se fait : ainsi s’accroît la maison, se construit l’édifice ; et pour bien le comprendre, écoutez ce que dit ensuite le psaume ; voyez les ouvriers qui construisent l’édifice. « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, que la terre entière chante au Seigneur ».
3. « Chantez au Seigneur ; bénissez son nom, annoncez de jour en jour son salut[254] ». Comment s’accroît l’édifice ? « Annoncez », dit le Prophète, « annoncez de jour en jour son salut ». Qu’on prêche de jour en jour ; que l’on construise de jour en jour ; que ma maison croisse de jour en jour, dit le Seigneur. Et comme si les ouvriers lui demandaient ; Où voulez-vous qu’on la construise ? où votre maison doit-elle s’accroître ? choisissez-nous un lieu bien uni, bien spacieux, si vous voulez qu’on vous construise une vaste maison. Où voulez-vous que nous prêchions de jour en jour ? Le Seigneur vous montre le lieu : « Prêchez sa gloire chez les nations. Oui, sa gloire, prêchez-la chez tous les peuples[255] ». Sa gloire, et non la nôtre. Ouvriers du Seigneur, prêchez sa gloire chez les nations. Si vous prétendez prêcher votre gloire, vous tomberez : si vous prêchez la sienne, vous entrerez vous-mêmes dans l’édifice que vous construirez. De là vient que vouloir prêcher sa propre gloire, c’est renoncer à faire partie de cet édifice, et dès lors ne point chanter un cantique nouveau dans toute la terre ; car c’est n’être plus en communion avec l’univers entier. De là vient qu’ils ne bâtissent point une maison, qu’ils élèvent seulement une muraille blanchie, Or, combien de menaces contre cette muraille ? Les Prophètes fulminent contre cette muraille des malédictions sans nombre[256]. Qu’est-ce qu’un mur blanchi, sinon l’hypocrisie, la dissimulation ? De l’éclat au-dehors, de la boue à l’intérieur. Ce que je dirai, a été dit cent fois ; mais puisque le Seigneur l’a fait dire par le même Esprit-Saint, qui nous le suggère, nous le disons encore, et tout ce que nous disons dans le même esprit, nos devanciers l’ont dit également. Ne le passons donc point sous silence, mais disons ce qui nous vient par un don de Dieu. En parlant de cette muraille blanchie, quelqu’un a dit : « De même que dans une muraille qui n’est jointe à aucune autre, mais qui s’élève solitaire, si vous faites une porte, quiconque y entrera se trouvera néanmoins dehors : ainsi dans la secte qui n’a pas voulu chanter avec la maison le cantique nouveau, mais élever une muraille, et une muraille blanchie et sans solidité, que pourrait faire une porte ? Y entrer, c’est toujours être dehors ». Eux-mêmes, en effet, ne sont pas entrés par la porte, et voilà que leur porte n’introduit personne. Le Seigneur n’a-t-il pas dit : « Je suis la porte ; c’est par moi que l’on entre[257] ? » Qui donc entre par la porte ? Celui qui cherche la gloire du Seigneur, et non sa propre gloire. Qui entre par la porte ? Celui qui fait ce qui est dit : « Annoncez sa gloire parmi les nations. Celui qui entre par la porte est le pasteur du troupeau », dit le Seigneur ; « mais celui qui escalade par un autre endroit, est un voleur, un larron[258] ». C’est l’humble qui entre par la porte, c’est l’orgueilleux qui escalade par un autre endroit. Aussi est-il dit de l’un qu’il entre, de l’autre qu’il escalade, Mais celui qui entre est reçu, celui qui escalade est précipité. « Annoncez sa gloire parmi les nations ». Qu’est-ce à dire « les nations ? » Ces nations ne sont peut-être qu’en petit nombre, et la secte qui élève une muraille blanchie, pourra peut-être nous faire cette objection : Pourquoi la Gélulie, la Mauritanie, la Byzacène, la Numidie ne sont-elles point les nations ? Ce sont des provinces, et dès lors des nations. Que la parole de Dieu, qui se bâtit une maison dans l’univers entier, enlève tout subterfuge à l’hypocrisie, à ce mur blanchi. C’est peu d’avoir dit : « Prêchez sa gloire parmi les nations » ; afin que l’on ne croie point qu’il y a ici quelque nation exceptée, le Prophète ajoute : « Et ses merveilles chez tous les peuples ».
4. « Car le Seigneur est grand, et infiniment digne de louanges[259] ». Quel est ce « Seigneur qui est grand et digne de nos louanges », sinon Jésus-Christ ? Il s’est montré dans son humanité, vous le savez ; il a été Conçu dans les entrailles d’une femme, vous le savez encore ; vous savez qu’il est né du sein de Marie, qu’il en a sucé les mamelles, qu’elle l’a porté dans ses bras, qu’il a été circoncis, qu’on offrit une victime pour lui, et qu’il grandit : enfin, vous savez qu’on lui donna des soufflets, qu’on lui cracha au visage, qu’il fut couronné d’épines, cloué à la croix, qu’il mourut, et que son flanc fut ouvert par une lance. Vous savez qu’il à souffert tout cela, et néanmoins « il est grand, il est digne de vos louanges ». Ne méprisez pas ses abaissements, mais comprenez sa grandeur. Il s’est fait petit, parce que vous étiez petits ; comprenez sa grandeur, et vous serez grands en lui. C’est ainsi qu’on lui construit un édifice, ainsi que cet édifice prend d’immenses proportions, et que les pierres que l’on amène à cet édifice vont toujours en croissant. Croissez donc, vous aussi, et comprenez la grandeur du Christ : dans ses abaissements, il est grand, infiniment grand. L’expression manque au Prophète ; il voulait nous parler de la grandeur de Dieu, mais dût-il répéter tout un jour : Grand, grand, que dirait-il encore ? Après l’avoir dit tout un jour, il finirait puisque le jour finit ; or, cette grandeur est avant tous les jours, au-delà de tous les jours, en un mot, sans jour. Que dira donc le Prophète ? « Que le Seigneur est au-dessus de toute louange ». Que peut une faible langue pour louer un Dieu si grand ? En disant : au-dessus, nimis, il a trouvé une expression qui donne à la pensée ce qu’elle peut comprendre ; comme s’il disait : Cherche dans ta pensée ce qu’il ne m’est pas donné d’exprimer, et tout ce que tu auras pu penser sera peu de chose encore. Comment la langue dirait-elle ce que la pensée ne peut exprimer ? « Le Seigneur est grand, s’il est au-dessus de toute louange ». Qu’on le bénisse, qu’on le prêche, que sa gloire soit annoncée, ainsi se construit l’édifice.
5. « Il est terrible par-dessus tous les dieux ». Y a-t-il en effet des dieux, à qui ce Dieu soit redoutable ? Voyons ceux que le Prophète appelle dieux, et nous comprendrons ses paroles. Mais auparavant, remarquez, mes frères, que celui qui paraît effrayé parmi les hommes, est à son tour « terrible par-dessus tous les dieux ». Les nations n’ont-elles point frémi ? Les peuples n’ont-ils pas médité de vains complots contre le Seigneur et contre son Christ[260] ? Des taureaux gras lie l’ont-ils point environné ? Le lion rugissant n’avait-il pas frémi contre lui[261], et n’était-il point entré dans le cœur des bourreaux qui criaient : « Crucifiez – le, crucifiez-le[262] ? » comme si ce rugissement devait effrayer celui qui « est terrible », non seulement au-dessus des hommes, mais encore « au-dessus des dieux ? » Le lieu en effet choisi pour y construire l’édifice est un lieu boisé ; de là vient cette expression d’hier : « Nous l’avons trouvée dans les campagnes des forêts[263] ». Or, David cherchait la maison de Dieu, quand il parlait de ces campagnes boisées. Pourquoi ce lieu est-il boisé ? Les hommes adoraient des idoles, ce qui n’a rien d’étonnant, puisqu’ils faisaient paître des pourceaux. Ils étaient cet enfant qui fuit la maison de son père, pour aller vivre dans la débauche et dissiper son bien avec des femmes perdues, qui fit paître des pourceaux[264], c’est-à-dire qui adorait les démons : la superstition des idolâtres avait fait de la terre entière une immense forêt. Mais celui qui bâtit la maison arrache la forêt ; et de là vient ce titre : « Quand ou bâtissait l’édifice, après la captivité ». Car les hommes, dans l’esclavage du diable, offraient des sacrifices à tous les démons ; mais ils sont rachetés de cet esclavage. Ils avaient bien pu se vendre, mais ils n’ont pu se racheter. Le Sauveur est donc venu, a payé leur rançon ; il a répandu son sang pour racheter l’univers entier. Cherchez-vous ce qu’il a racheté ? Voyez ce qu’il a donné, et comprenez ce qu’il a racheté. C’est le sang du Christ qui est le prix, Que peut-on acheter à un tel prix ? Quoi, sinon l’univers entier ? Quoi, sinon tous les peuples ? Il faut être bien peu reconnaissants d’une telle rançon, ou bien orgueilleux, pour en diminuer la valeur au point de dire que les Africains seuls sont rachetés, ou pour se croire importants au point de dire que seuls on vaut un tel prix. Qu’ils ne s’élèvent point, qu’ils ne se glorifient point ; c’est pour tous que le Christ a payé une telle rançon. Il sait ce qu’il a acheté, parce qu’il sait à quel prix. C’est donc parce que nous sommes rachetés, que l’édifice se construit après la captivité. Mais qui nous tenait dans la captivité ? Car c’est aux arracheurs de la forêt qu’il est dit « Annoncez » ; qu’ils arrachent donc les broussailles, qu’ils nous délivrent de la captivité, qu’ils construisent, qu’ils édifient, en prêchant partout la grandeur de la maison du Seigneur. Comment détruire cette forêt pleine de démons, sinon en prêchant celui qui les domine ? Donc tous les peuples n’avaient d’autres dieux que les démons ; c’étaient les démons qu’ils appelaient leurs dieux, selon ce mot si clair de l’Apôtre : « Ce que les païens immolent, c’est aux démons qu’ils l’immolent, et non à Dieu[265] ». C’est donc parce qu’ils sacrifiaient aux démons qu’ils étaient en captivité, et par cela même la terre était couverte de broussailles ; que l’on précise aujourd’hui : « Celui qui est grand, et au-dessus de toute louange ».
6. Comment le Prophète nous montre-t-il sa grandeur, afin d’extirper ces superstitions qui tenaient dans la captivité ce peuple qu’était venu racheter le Dieu « terrible par-dessus tous les dieux ? » Comme si on lui objectait : Pourquoi dire : « Au-dessus de tous les dieux ? » Sont-ils bien des dieux ? Le Prophète continue en disant : « Tous les dieux des nations sont des démons[266] ». Que votre charité me suive. Il disait tout à l’heure un grand mot : « Le Seigneur est grand » ; et dans son impuissance de le louer, il s’écriait : « Le Seigneur est au-dessus de toute louange ». Ne vous ai-je point dit qu’il vous laisse penser ce qu’il ne saurait exprimer ? Or, quand il expose en paroles ce qu’il a dit de grand au sujet de Jésus-Christ, que m’apprend-il ? Qu’il est au-dessus des démons ? Car, quand il dit qu’« il est terrible au-dessus de tous les dieux », il ajoute que « tous les dieux des nations sont des démons ».C’est peu d’être au-dessus des démons ; toi aussi tu seras au-dessus d’eux, si tu le veux, mais en croyant au Christ. Or, est-ce bien à cela que se réduit cette grande parole : « Dieu est grand, et par-dessus toute louange ? » Voulant exprimer sa pensée autant que le peut une langue humaine, et quoique le Saint-Esprit touche admirablement les instruments dont il se sert, puisqu’il ne nous fait Parvenir que le son des syllabes, à cause des voies étroites de l’esprit humain, et que ces syllabes forment des pensées en nous, voulant donc s’exprimer en langage humain, que nous dit-il ? « Le Seigneur est grand, et au-dessus de toute louange ». Dites-nous, ô Prophète, dites-nous combien il est louable. « Il est terrible », dit-il, « par-dessus tous les dieux ». Pourquoi par-dessus tous les dieux ? « Parce que les dieux des nations sont des démons ». Est-ce donc là toute la gloire de Celui qui est par-dessus toute louange, de surpasser les démons qui sont les dieux des nations ? Attendez, écoutez ce qui suit : « Quant au Seigneur, il a fait les cieux ». Déjà il n’est plus seulement au-dessus des démons, mais encore au-dessus des cieux qu’il a faits. S’il avait dit : « Par-dessus tous les dieux, parce que les dieux des nations sont les démons », et qu’il eût borné là toute la louange du Seigneur, il serait demeuré en arrière de nos pensées au sujet du Christ ; mais quand il dit : « Le Seigneur a fait les cieux » ; voyez quelle différence entre le ciel et les démons, et de plus la différence entre le ciel et le créateur du ciel : telle est la grandeur de notre Dieu. Il ne dit point que le Seigneur est assis au-dessus des cieux ; on pourrait croire alors qu’un autre a fait ces cieux sur lesquels il s’assied ; mais il s’écrie : « Le Seigneur a fait les cieux ». S’il a fait les cieux, il a fait aussi les anges ; et celui qui a fait les anges a fait les Apôtres. Aux Apôtres les démons étaient soumis, et les Apôtres étaient des cieux qui portaient le Seigneur. Et quel Seigneur portaient-ils ? Celui qui les avait faits. Écoute bien qu’ils sont des cieux « Les cieux annoncent la gloire de Dieu[267] ». C’est à ces mêmes cieux qu’il est dit « Annoncez sa gloire aux nations, et ses merveilles parmi tous les peuples. Car le Seigneur est grand et au-dessus de toute louange ; il est terrible par-dessus tous les autres dieux ». Quels dieux ? « Tous les dieux des nations sont des démons ». Et celui qui est terrible par-dessus tous les dieux, est « le Seigneur qui a fait les cieux ». O cieux qu’il a faits, publiez sa gloire dans tous les peuples ! Que sa maison se construise dans toute la terre, et que toute la terre chante un cantique nouveau.
7. « La confession et la beauté sont en présence[268] ». Aimes-tu la beauté ? Veux-tu la posséder ? Confesse-toi. Le Prophète ne dit point la beauté et la confession, mais « la confession et la beauté ». Tu étais souillé, confesse-toi afin d’être beau ; tu étais pécheur, confesse-toi afin d’être juste. Tu as bien pu te souiller, mais tu ne peux pas toi-même recouvrer la beauté. Qui est donc semblable à cet Époux divin, qui a aimé une Épouse difforme, afin de la rendre belle ? Comment, a dit quelqu’un, a-t-il pu l’aimer difforme ? « Je ne suis point venu », répond-il, « pour appeler les justes, mais les pécheurs[269] ». Mais appelez-vous les pécheurs pour qu’ils restent dans le péché ? Non, répond-il. Et comment ne seront-ils plus pécheurs ? « La confession et la beauté sont en sa présence ». Ils confessent leurs fautes, ils rejettent le poison qu’ils avaient avalé trop avidement, et ne reviennent plus à ce qu’ils ont vomi, comme le chien immonde[270] ; et alors la confession devient une beauté. Aimons cette beauté, mais choisissons d’abord la confession, afin que la beauté vienne ensuite. Un autre aime la puissance, il aime la magnificence ; il veut être grand comme les anges. Car il y a de la magnificence chez les anges, et une puissance telle, que s’ils la déployaient, nul ne pourrait résister. Tout homme aspire à la puissance des anges, mais n’aime pas pour cela la pureté des anges. Aime d’abord la justice, et la puissance viendra ensuite. Que dit en effet le Prophète ? « La sainteté et la magnificence sont dans son sanctuaire ». Tu aspires à la magnificence, cherche d’abord la sainteté ; et avec la sainteté tu auras cette magnificence. Mais si tu renverses l’ordre, jusqu’à vouloir tout d’abord la magnificence, tu tomberas avant de te relever ; car ce n’est point te relever, c’est t’élever par orgueil. Tu te relèverais plus sûrement, si celui-là t’élevait qui ne tombe jamais. Lui qui ne pouvait tomber, est descendu pour toi : tu étais tombé, et il est descendu pour te tendre la main ; tu ne saurais te relever par tes propres forces, embrasse les mains de Celui qui descend vers toi, et que sa force te relève.
8. Quoi donc ? Si « la confession et la beauté sont en sa présence, si la sainteté et la magnificence sont dans son sanctuaire » (car voilà ce que nous annonçons en bâtissant la maison du Seigneur, et cela est prêché aux nations) ; que doivent faire les nations, auxquelles ceux qui ont défriché la forêt ont prêché le Seigneur ? Voici ce que dit le Prophète à ces nations : « Familles des Gentils, « apportez au Seigneur, apportez au Seigneur l’honneur et la gloire[271] » ; non pas à vous, car ceux qui ont prêché n’ont point cherché leur propre gloire, mais la gloire de Dieu. Et vous aussi, « apportez au Seigneur l’honneur et la gloire » ; et dites : « Non pour nous, Seigneur, non point pour nous, mais pour votre nom, faites éclater votre gloire[272] ». Ne mettez votre espérance dans aucun homme. Si quelqu’un de vous reçoit le baptême, qu’il dise Celui-là me baptise, dont l’ami de l’Époux a dit : « C’est lui qui baptise[273] ». Parler ainsi, c’est rendre au Seigneur l’honneur et la gloire. « Rendez à Dieu gloire et honneur ».
9. « Rendez au Seigneur la gloire due à son nom ». Ce n’est ni le nom des hommes, ni votre nom, mais le nom du Seigneur qu’il faut glorifier. « Apportez des offrandes, entrez dans son parvis[274] ». « Apportez des offrandes » : quelles offrandes pour entrer dans son parvis ? Voilà que la maison prend de grandes proportions, elle a des parvis : que ceux qui apportent des hosties, entrent dans ces parvis. Devons-nous amener des taureaux, des boucs ou des brebis ? Loin de là. « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous l’eusse offert[275] », dit le Prophète, qui nous marque la victime qu’il nous faut offrir. Voyez si elle ne serait point celle dont nous avons déjà parlé : « La confession et la beauté sont en sa présence ». La confession est une hostie agréable à Dieu. Vous donc, ô nations, si vous voulez entrer dans les parvis du Seigneur, n’y venez pas les mains vides. « Apportez des offrandes ». Quelles offrandes porter avec nous ? « Le sacrifice que demande le Seigneur est une âme brisée, et Dieu ne rejette point un cœur contrit et humilié[276] ». Entrer dans la maison de Dieu avec l’humilité du cœur, c’est y entrer avec une offrande. Y entrer avec orgueil, c’est y entrer les mains vides. D’où viendrait ton orgueil, si tu n’étais vide et frivole ? Un homme rassasié n’a point d’enflure. Comment seras-tu rassasié ? Si tu apportes une hostie que tu puisses introduire dans la maison du Seigneur. Sans nous arrêter plus longtemps, passons rapidement sur le reste. Voyez la maison qui s’accroît, l’édifice qui s’étend par toute la terre. Réjouissez-vous d’être entrés dans les parvis, réjouissez-vous de faire partie du temple du Seigneur. Car y entrer, c’est faire partie de l’édifice qui est la maison du Seigneur, et qu’habite ce Dieu à qui l’on élève dans l’univers entier un palais, et après la captivité : « Apportez des hosties, et entrez dans les parvis[277] ».
10. « Adorez le Seigneur dans la splendeur de son sanctuaire » ; c’est-à-dire dans son Église catholique, car tel est son sanctuaire. Que nul ne dise : « Le Christ est ici, ou il est là[278], car alors il s’élèvera de faux prophètes ». Répondez-leur : « On ne laissera pas une pierre sur une pierre qui ne soit détruite ». Vous m’appelez à une muraille blanchie, et moi j’adore mon Dieu dans son temple saint.

11. « Que toute la terre soit ébranlée devant sa face : dites aux nations : Le Seigneur a régné par le bois, car il a raffermi la terre qui ne sera point ébranlée[279] ». Combien de preuves que la maison de Dieu s’élève ? Les nuées du ciel nous crient de toutes parts que la maison de Dieu se construit dans l’univers entier : et les grenouilles des marais osent nous dire : Nous sommes les seuls chrétiens. Quels témoignages avancer ? Ceux du psaume ; ceux que tu chantes sans les entendre : ouvre les oreilles, tu chantes ces témoignages, tu les chantes avec moi, mais en désaccord avec moi : ta langue rend le même son que la mienne, et ton cœur est en désaccord avec mon cœur. N’as-tu pas chanté ces paroles ? Vois que c’est bien le témoignage de l’univers entier : « Que toute la terre s’ébranle devant sa face ». Et tu soutiens qu’elle n’est pas ébranlée ? « Et aux nations : Le Seigneur a régné par le bois ». Prendront-ils ces paroles à leur avantage, et diront-ils qu’ils règnent par le bois, parce qu’ils règnent par les bâtons des circoncellions ? Règne par la croix du Christ, si tu veux régner par le bois. Ce bois dont tu es armé, te fait bois toi-même, tandis que le bois du Christ te fait traverser la mer. Écoute le psaume qui nous dit : « Il a raffermi la terre, qui ne sera point ébranlée » : et tu dis qu’après avoir été affermie, non seulement elle est ébranlée, mais même diminuée. Est-ce toi qui dis vrai, ou le Psalmiste qui ment ? Les faux prophètes qui nous disent : « Le Christ est ici, ou il est là[280] », ont dit vrai, et le vrai Prophète est menteur ? Quelle que soit la clarté de ces paroles, vous ne laissez pas d’entendre ce murmure au coin des rues : Tel ou tel a livré les livres saints. Que dis-tu ? Est-ce ta voix ou celle de Dieu qu’il faut entendre ? « Il a affermi la terre qui ne sera point ébranlée ». Et moi je te montre l’univers entier devenu le temple de Dieu ; apporte une hostie, entre dans le parvis du Seigneur. Mais parce que tu n’as pas d’hostie, tu ne veux pas entrer. Qu’est-ce à dire ? Si Dieu te commandait de lui offrir un taureau, un bouc, un bélier, tu trouverais ces victimes : il te demande un cœur humble, et tu ne veux pas entrer. Tu ne saurais en effet le trouver en toi, puisque tu es rempli d’orgueil. « Dieu a raffermi la terre qui ne sera point ébranlée. Il jugera les peuples dans l’équité ». Alors ceux qui n’aiment point l’équité en cette vie, pleureront leur misère.

12. « Que les cieux se réjouissent et que la terre tressaille[281] ». Qu’ils soient dans la joie, ces cieux qui annoncent la gloire de Dieu ; qu’ils soient dans la joie, ces cieux qu’a faits le Seigneur ; qu’elle tressaille, cette terre qu’arrosent les cieux. Car les cieux sont les prédicateurs, et la terre ceux qui les écoutent. « Que la mer soit ébranlée, et tout ce qu’elle contient ». Qu’est-ce que la mer ? le monde. La mer a été ébranlée, et tout ce qu’elle contient : le monde entier s’est soulevé contre l’Église, quand elle se répandait et se construisait dans tout l’univers. Ce soulèvement, vous l’avez entendu dans l’Évangile : « Ils vous traîneront devant les tribunaux[282] ». La mer s’est donc soulevée ; mais comment vaincre Celui qui a fait les cieux ?

13. « Les campagnes se réjouiront, et tout ce qu’elles renferment ». Les hommes doux, les humbles, les justes, sont les campagnes de Dieu. « Alors tressailliront les bois des forêts[283] ». Ces bois des forêts sont les païens. Pourquoi seront-ils dans la joie ? Parce qu’ils ont été retranchés de l’olivier sauvage pour être entés sur l’olivier franc[284]. « Alors tous les arbres des forêts seront dans la joie », parce qu’on y a coupé de grands arbres, des cèdres, des cyprès, d’autres bois incorruptibles pour les faire entrer dans l’édifice de l’Église[285] ; bois des forêts avant d’entrer dans l’édifice, bois des forêts, mais avant de porter l’olive.

14. « Alors tressailliront les bois des forêts devant la face du Seigneur, parce qu’il vient, parce qu’il vient pour juger la terre[286] »  . Il est venu une fois, et il doit revenir une seconde fois. Il est venu dans son Église, porté sur les nuées. Quelles sont les nuées qui l’ont porté ? Les Apôtres qui l’ont annoncé, comme vous l’entendiez par la lecture de saint Paul : « Nous sommes les ambassadeurs du Christ », nous dit-il, « vous conjurant en son nom de nous réconcilier à Dieu[287] ». Telles sont les nuées sur lesquelles est venu le Christ, mais il doit venir une seconde fois pour juger les vivants et les morts. Il est donc venu une première fois sur les nuées. C’est de ce premier avènement que Jésus a dit dans l’Évangile : « Désormais vous verrez le Fils de l’homme venant sur les nuées[288] ». Qu’est-ce à dire « désormais ? » Le Seigneur ne viendra-t-il point lorsque toutes les tribus de la terre seront dans les pleurs ? Il est venu dans ceux qui le prêchent, et il a rempli toute la terre. Ne résistons pas au premier avènement, afin de ne point redouter le second. Vous avez encore entendu dans l’Évangile : « Malheur aux femmes enceintes ou nourrices ; soyez sur vos gardes, parce que vous ne savez quand viendra cette heure[289] ». Tout cela est dit en figures. Quelles sont les femmes enceintes et les nourrices ? Les femmes enceintes sont les âmes qui ont mis leur espérance dans cette vie ; et celles qui ont déjà ce qu’elles espéraient, sont désignées par les nourrices. Ainsi, tel homme veut acheter une maison de campagne ; il ressemble à une femme enceinte ; rien n’est fait encore, mais l’espérance est dans son sein ; il l’achète, et le voilà qui a enfanté, qui allaite ce qu’il a acheté. « Malheur aux femmes enceintes ou qui allaitent » : malheur à ceux qui mettent leur espérance dans cette vie, malheur à ceux qui s’attachent aux biens qu’ils ont acquis par leur espérance mondaine ! Que doit donc faire un chrétien ? User du monde, mais non servir le monde. Qu’est-ce à dire ? C’est avoir comme s’il n’avait pas. Voici ce que dit saint Paul, ses exhortations à celui qu’il ne veut point laisser surprendre, comme les femmes enceintes ou nourrices, pour ce jour redoutable : « Du reste, mes frères, le temps est court, aussi faut-il que ceux qui ont des femmes soient comme s’ils n’en avaient point ; ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient point ; ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient pas ; ceux qui achètent, comme s’ils ne possédaient pas ; ceux qui usent des choses de ce monde, comme s’ils n’en usaient pas. Car la figure du monde passe ; et je veux que vous soyez sans inquiétude[290] ». L’homme sans inquiétude attend avec calme l’avènement de son Seigneur. Car, est-ce bien aimer Dieu, que craindre qu’il vienne ? N’est-ce point une honte pour nous, mes frères ? Nous l’aimons et nous craignons qu’il ne vienne ? En vérité, l’aimons-nous ? Ne lui préférons-nous pas nos péchés ? Haïssons donc le péché, aimons Celui qui viendra les punir. Il viendra, bon gré, mal gré. Qu’il ne soit point venu encore, ce n’est pas une raison pour qu’il ne vienne point. Il viendra, et à l’heure que tu ignores ; et s’il te trouve prêt, cette ignorance ne te nuira point. « Alors tressailliront tous les arbres des forêts devant la face du Seigneur, parce qu’il est déjà venu ». Et ensuite ? « Parce qu’il vient pour juger la terre ; tous les arbres des forêts seront dans l’allégresse ». Il est venu une fois, il viendra une seconde fois juger la terre, et il trouvera dans la joie ceux qui auront cru à soin premier avènement, « parce qu’il est venu ».

15. « Car il viendra juger dans l’équité l’univers entier » : non une partie, car il n’a pas racheté une partie. Il jugera le monde entier, parce qu’il a payé la rançon de tout le monde. Vous avez entendu l’Évangile dit qu’à son avènement, il rassemblera les élus « des quatre vents du monde[291] ». Or, rassembler ses élus des quatre vents, c’est bien les rassembler du monde entier. Et en effet, Adam, je l’ai dit déjà, signifie en grec tout l’univers. Il est composé de quatre lettres, A, D, A, et M. Or, dans le langage des Grecs, ces quatre lettres sont les initiales des quatre parties du monde. Ils nomment l’Orient Ανατολὴν, l’Occident Δὑσιν, le Nord Αρκτον, le Midi Μεσημβρἰαν. Dans ces initiales nous trouvons Adam, qui est ainsi répandu dans le monde entier[292]. Il n’était jadis qu’en un lieu, d’où il est tombé, et il a été réduit en poudre pour être jeté dans tout l’univers : mais la divine miséricorde a rassemblé de toutes parts ces débris, les a fondus au feu de la charité, et a réuni ce qui était brisé. Ce grand artiste a su réparer son ouvrage ; ne désespérons point. La tâche est difficile, mais pensez quel est l’architecte. Celui-là nous a rétablis, qui nous avait déjà faits ; celui qui nous a formés, nous reformera. « Il jugera l’univers entier dans l’équité, et les peuples dans la vérité ». Quelle équité, quelle vérité ? Il rassemblera ses élus pour juger avec lui, et séparera les autres. Il placera les uns à droite, les autres à gauche. Quoi de plus conforme à ta vérité, à la justice, que de réduire à n’attendre du souverain aucune miséricorde, ceux qui n’ont voulu faire aucune miséricorde avant son avènement ? Mais ceux qui auront voulu faire miséricorde, seront jugés avec miséricorde. Il sera dit à ceux de droite : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde[293] ». Et le Sauveur énumère les œuvres de miséricorde : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire[294] » ; et le reste. Que doit-il reprocher à ceux de gauche ? De n’avoir point voulu faire miséricorde. Et où vont-ils ? « Allez au feu éternel[295] ». Cette parole sévère produira un immense gémissement. Mais que nous dit un autre psaume ? « La mémoire du juste ne périra point, et il ne craindra point la parole terrible[296] ». Quelle est cette parole terrible ? « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges[297] ». Or, celui qui se réjouira d’entendre la parole de bénédiction, n’aura pas à craindre la parole terrible. Comment se réjouiront-ils de la parole de bénédiction ? « Venez, bénis de mon Père ». Quelle parole ne craindront-ils point ? « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges ». Voilà la justice, voilà la vérité. « Il jugera l’univers entier dans la justice, et les peuples dans la vérité ». Parce que tu es injuste, le juge ne sera-t-il pas juste ? Parce que tu es menteur, la vérité cessera-t-elle d’être vraie ? Si tu veux obtenir miséricorde, sois miséricordieux avant son avènement ; pardonne si l’on t’a offensé, donne de ton abondance. Et de qui viennent les dons, sinon de lui ? Donner ton bien serait une largesse ; donner du sien est une restitution. « Qu’as-tu donc que tu n’aies pas reçu[298] ? » Ainsi voilà les hosties agréables à Dieu, la miséricorde, l’humilité, la confession, la paix, la charité. Voilà ce que nous apportons, afin d’attendre en sécurité l’avènement du souverain juge, « qui jugera l’univers entier dans l’équité, et les peuples dans sa vérité ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 96 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LES SAINTES JOIES DE L’ÉGLISE. modifier

Ce que les saints personnages ont désiré voir, c’est le salut de Dieu chez les nations : ce salut est Jésus-Christ, auquel nous devons rapporter tout notre psaume, si nous voulons le comprendre. Il a pour titre : « Pour David », ou pour le Christ fils de David. « Quand sa terre fut rétablie », c’est-à-dire quand les Juifs égarés jusqu’à mettre à mort le Christ, se convertirent en grand nombre à la Pentecôte. De là les Apôtres passèrent chez les Gentils, et le Christ fut la pierre angulaire unissant la circoncision à la gentilité. Ainsi sa terre fut établie ; ce que l’on peut encore entendre de la résurrection. Le Seigneur a donc régné par sa parole prêchée sur les continents et dans les îles ; ces îles que battent les flots sans les submerger peuvent aussi désigner les Églises persécutées et non détruites. Ces ténèbres d’une part, la justice et l’équité d’autre part, caractérisent ceux qui entendent la prédication, nuageuse pour les orgueilleux, pleine de lumière pour les humbles qui forment son trône. Le feu qui marche devant le Seigneur, n’est point le feu de l’enfer, mais c’est le feu de la persécution qui a consumé les persécuteurs mêmes, ou le feu de la charité qui a embrasé le monde, et dévoré les ennemis de Dieu, en jetant les incrédules dans la réprobation, et – en ramenant à lui les hommes de bonne foi. Les Apôtres fuient comme des nuées d’où jaillirent ces éclairs de miracles et de prédications qui émurent la terre, qui fondirent les montagnes ou les orgueilleux. Honte à ceux qui adorent des pierres ; pour nous, notre pierre est vivante ! Ils adorent l’idole ou le démon, qui se repaît de nos malheurs : un bon esprit refuserait tout culte. Sion a entendu le baptême de Corneille, et l’appel fait aux Gentils, elle a tressailli de joie. Ainsi le Seigneur s’est montré supérieur aux démons et aux anges Nous qui aimons le Seigneur, haïssons le mal, au risque d’être persécutés ; car la persécution ne peut nous ôter ni le ciel, ni la vie de l’âme, ni la lumière d’est haut. N’ayons de joie que dans le Seigneur ; puisqu’il n’y a pas de joie pour l’impie, la nôtre est pour l’autre vie, selon la promesse de l’Évangile.


1. Dieu donne au cœur chrétien de grands spectacles, et que rien ne surpasse en douceur, si toutefois nous avons le palais de la foi qui goûte le miel de Dieu. Vous tous, qui avez la foi en Jésus-Christ, vous avez en vous, je le crois, l’Esprit-Saint, qui vous donne une sainte joie quand vous entendez lire les prophéties, émanées depuis tant de siècles de la bouche de saints personnages, et qui s’accomplissent après tant d’années dans la conversion des Gentils. Ces saints prophètes ressentaient une grande joie de ce qu’ils voyaient, non pas accompli, mais dans l’avenir. Oui, c’était là une grande joie pour eux ; et même telle était la charité dont ils étaient embrasés pour nous, pour nous qu’ils ne voyaient point encore, et qu’ils enfantaient par l’esprit, qu’ils eussent voulu vivre de notre temps et avec nous, s’il leur eût été possible, et voir s’accomplir ce qu’ils prédisaient en esprit. De là cette parole du Sauveur aux disciples qui commençaient à voir cet accomplissement : « Beaucoup de justes et de Prophètes ont voulu voir ce que vous voyez, et ne l’ont point vu ; et entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu[299] ». Bien qu’ils vissent tout cela en esprit, ils ne le voyaient néanmoins que dans un lointain avenir ; tandis que les Apôtres l’avaient sous les yeux. C’est pourquoi le saint vieillard Siméon fut transporté d’une grande joie, quand il vit l’enfant Jésus, en découvrant sa grandeur dans un tel abaissement, et dans une faible chair, le Créateur du ciel et de la terre. Grande fut sa joie, parce qu’il avait reçu la promesse qu’il ne sortirait point de cette vie, sans voir le salut de Dieu. Il le reconnut donc, en conçut une grande joie, et s’écria dans un saint ravissement : « Seigneur, vous laisserez maintenant mourir en paix votre serviteur ; car mes yeux ont vu votre salut[300] ». Voilà une grande joie, et que produit la charité. Le chant du psaume vous a donné une sainte soie ; quelques passages étaient clairs pour tous ; d’autres, autant que j’en puis juger, ne l’étaient que pour un petit nombre, mais non pour tous assurément. Considérons-le donc tous ensemble, dans ce discours dont je vous suis redevable ; et voyons avec quelle bonté Dieu nous ménage le bonheur de voir ses promesses et de nous en montrer la vérité par leur accomplissement.
2. Voici le titre du psaume : « Pour David, lorsque sa terre a été rétablie[301] ». Il faut rapporter le tout au Christ, si nous voulons saisir le véritable sens ; ne nous écartons point de la pierre angulaire[302], de peur que notre intelligence ne tombe en ruine ; qu’en lui se consolide tout ce qui est mobile et chancelant, qu’en lui s’affermisse tout ce qui est incertain. Quelque doute que fassent naître dans notre esprit les saintes Écritures, que l’homme ne s’éloigne pas du Christ, et s’il le découvre dans ses lectures, qu’il soit certain de les avoir comprises, et qu’il ne se persuade point qu’il les comprend, tant qu’il n’y rencontre pas le Christ, « qui est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront en lui[303] ». Qu’est-ce à dire, et comment appliquer au Christ cette parole : « Quand sa terre fut rétablie ? » On comprend aisément que David ici désigne le Christ, puisque le Christ est né de Marie dans la famille de David, et coin me il devait naître dans la postérité de David, ce nom servait à le désigner en figure. Ainsi donc David c’est le Christ, et David signifie la main puissante ; or, quelle main est plus puissante que celle qui, de la croix, vainquit le monde ? Car après la résurrection et l’Ascension du Sauveur, quand les Apôtres reçurent le Saint-Esprit et parlèrent diverses langues[304], ceux qui avaient crucifié le Sauveur s’émurent, et demandèrent un conseil de salut, qu’ils reçurent, et embrassèrent la foi. Et Dieu leur pardonna le sang de son Christ qu’ils avaient répandu, et ils burent ce sang du Christ ; de persécuteurs, ils devinrent ses fidèles ; ils crurent en celui qu’ils avaient crucifié, et voulurent avoir pour chef, pour tête, celui devant qui ils avaient branlé la tête[305] avec tant d’insolence. C’est ainsi que « sa terre fut rétablie », selon le titre du psaume. Cette terre était la Judée ; or, la Judée avait péri entièrement quand les Juifs crucifièrent leur Seigneur ; frénétiques ignorants, ils sévirent contre le médecin, repoussant follement leur salut. La Judée avait donc péri totalement comment totalement ? Les Apôtres eux-mêmes furent ébranlés ; Pierre qui suivait son maître avec un amour audacieux, le renia trois fois avec une crainte excessive[306]. Après sa résurrection, Notre-Seigneur Jésus-Christ trouve quelques-uns d’entre eux qui parlent de lui en voyageant, et quand il leur demande le sujet de leur entretien, ils vont jusqu’à lui dire : « Etes-vous donc le seul étranger à Jérusalem pour ignorer ce qui vient de s’y passer en ces jours ? Et il leur dit : Quoi donc ? Touchant Jésus de Nazareth, ce prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple ; et comme les princes des prêtres et nos magistrats l’ont livré pour être condamné à la mort et l’ont crucifié. Or, nous espérions qu’il délivrerait Israël[307] ». Ils n’avaient déjà plus d’espérance en lui ; ils ne disent point : Nous espérons qu’il rachètera Israël ; mais : « Nous espérions qu’il rachèterait Israël ». Il était avec eux, mais eux n’espéraient pas en lui. Il se montre à eux, il se fait voir aux autres disciples ; on le voit, on le touche, ceux qui le croyaient mort le rencontrent ; la foi de ceux qui étaient tombés se releva, « et sa terre fut rétablie ». Après avoir passé quarante jours avec eus, il s’élève au ciel[308] ; et, comme je l’ai dit tout à l’heure, il envoie le Saint-Esprit à ses disciples, qui naguère ignorants, parlent maintenant toutes les langues. Alors tous ceux pour qui le Christ n’avait pas dit inutilement : « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font[309] », furent touchés, disions-nous encore, et demandèrent le salut, et on leur conseilla de croire en lui. Trois mille embrassèrent la foi en un seul jour, et cinq mille en un autre[310]. Alors le Christ vit surgir une Église fervente, dans ces mêmes lieux où l’effervescence l’avait couvert d’opprobre, « et sa terre fut restituée ». Mais comme il avait dit : « J’ai d’autres brebis, qui ne sont point de ce bercail, et il me faut les appeler, afin qu’il n’y ait qu’un seul bercail et un seul pasteur[311] » ; il envoya ses Apôtres chez les Gentils auxquels il n’avait pas envoyé les Prophètes. Ils allèrent chercher ceux qui ne cherchaient point, et trouvèrent ceux qui n’espéraient rien. Ils n’avaient aucune promesse, et ils trouvèrent un Dieu Sauveur. Quant aux Juifs, ils avaient les promesses de Dieu, par les Prophètes, qui leur avaient annoncé le Christ, prêché le Christ, et sous leurs yeux ne le reconnurent point. Aux Gentils, au contraire, nulle promesse n’avait été faite : mais les Prophètes avaient parlé de conversion. Nulle parole ne leur avait été adressée, mais on avait parlé d’eux. Les Apôtres leur furent envoyés, et vous avez entendu ce que Dieu fit pour eux ; la lecture des Actes des Apôtres vous a fait connaître comment le centenier Corneille embrassa la foi. Ce centenier n’était point juif de nation. Il priait, il jeûnait, il faisait des aumônes. Dieu ne l’abandonna point, bien qu’il appartînt aux peuples idolâtres ; mais un ange lui fut envoyé pour lui annoncer que ses aumônes et ses oraisons étaient agréables à Dieu. Il crut, après avoir appelé Pierre chez lui[312]. L’ange ne pouvait-il pas l’instruire ? Pierre lui fut envoyé, afin qu’un homme fît naître en lui une foi plus parfaite, et lui montrât que Dieu a daigné visiter les hommes, et qu’il daigne bien nous instruire par les hommes, lui qui a bien voulu se faire homme. C’est ainsi que « sa terre a été rétablie », quand une muraille est venue des Juifs, et une autre muraille des Gentils : et qu’il a été lui-même la pierre angulaire reliant ces murailles qui venaient de directions différentes[313].
3. Comment pouvons-nous encore entendre : « Quand sa terre fut rétablie ? » Quand il ressuscita dans la chair. Car cet autre sens, qui ne s’éloigne pas du Christ, peut encore se soutenir : sa terre rétablie, c’est sa chair ressuscitée. C’est après sa résurrection que s’accomplirent toutes les merveilles que chante notre psaume. Écoutons donc ce chant joyeux sur le rétablissement de la terre. Que le Seigneur notre Dieu veuille bien exciter en nous une attente et une joie qui réponde à la grandeur de ces mystères ; qu’il me donne une parole qui aille à vos cœurs, et que la joie que la vue de ces spectacles fait naître en mon âme vienne sur ma langue pour passer de là dans vos cœurs, puis dans vos actes.
4. « Le Seigneur a régné ». Celui qui a comparu devant un juge, qui a reçu des soufflets, qui a été flagellé, qui a été conspué, lui a été couronné d’épines, dont le visage a été meurtri par les coups, qui a été suspendu au gibet, qui a été insulté sur la croix, qui est mort sur cette même croix, qui a été percé d’une lance, qui a été enseveli, et qui est ressuscité, « le Seigneur a régné ». Qu’ils sévissent de toute leur puissance dans ces royaumes de la terre, que feront-ils au roi des rois, au Seigneur de tous les potentats, au créateur de tous les siècles ? Est-il donc méprisable, pour avoir paru sur la terre si soumis, si humilié ? C’est là un acte de miséricorde, et non d’impuissance. S’il apparaît humble, c’est afin d’être à. notre portée. Mais voyons ces paroles : « Le Seigneur a régné : que la terre en tressaille, que les îles en soient dans la joie ». Car la parole de Dieu n’a pas été seulement prêchée sur les continents, mais encore dans les îles qui sont au milieu des mers ; et voilà qu’elles sont pleines de chrétiens, pleines de serviteurs de Dieu. Car l’Océan n’est pas une barrière pour celui qui u fait la nier. Où les navires peuvent aborder, la parole de Dieu ne le pourrait ? Oui, les îles sont pleines de cette parole. Toutefois ces îles peuvent être une expression figurée pour les Églises. Pourquoi des îles ? Parce qu’elles sont entourées des flots des tentations. De même toutefois qu’une île environnée de flots écumeux, peut bien être battue, mais non brisée par ces flots, comme elle les brise au contraire, bien plus qu’elle n’en est brisée ; ainsi les Églises de Dieu, répandues en tout lieu dans le monde, sont en butte à la persécution de la part des infidèles qui frémissent de toutes parts, et résistent marne les îles, et la mer est apaisée. « Que les îles soient dans la joie ».
5. « Les nuées et les ténèbres l’environnent, la justice et l’équité sont la base de son trône[314] ». Pour qui « Dieu est-il entouré de nuées et d’obscurité ? » Pour qui « la justice et l’équité sont-elles la base de son trône ? » Il n’y a de nuages et d’obscurité que pour les impies qui ne l’ont point compris. La justice et le jugement sont pour les fidèles qui ont cru en lui. L’orgueil a obscurci les yeux des uns, l’humilité a mérité aux autres d’être affermis. Écoute d’une part les nuées et l’obscurité, d’autre part la justice elle jugement. Le Sauveur adit lui-même mie suis venu eu ce monde pour le jugement, main que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles[315] ». Qu’est-ce à dire, « que ceux qui voient deviennent aveugles ? » Que ceux-là ne comprennent point et deviennent aveugles, qu’ils croient voir, qui pensent être sages, qui se persuadent qu’ils n’ont pas besoin du médecin. Et « que ceux qui ne voient pas voient », c’est-à-dire, afin qu’ils méritent d’être éclairés, ceux qui confessent leur aveuglement. Qu’il y ait donc « autour de lui un nuage et des ténèbres ». pour ceux qui ne l’ont point connu ; mais pour ceux qui confessent leurs fautes et qui s’en humilient, « la justice et l’équité sont la base de son trône » ; car ce sont eux qui forment son trône, puisque la sagesse habite eu eux. Car le Fils de Dieu est la sagesse de Dieu[316]. Un autre passage de l’Écriture nous met en pleine lumière cette pensée : « L’âme du juste est le siège de la sagesse ». Donc, parce qu’ils sont devenus justes en croyant en lui, parce qu’ils sont justifiés par leur foi, ils deviennent son trône : c’est en eux qu’il siège, en eux qu’il juge, eux qu’il redresse. Pourquoi ? Parce qu’il les trouve doux comme des animaux dociles, qui ne savent point regimber, ni se cabrer sous le fouet, ni secouer leur tête orgueilleuse pour rejeter le joug ce sont des animaux doux et souples qui méritent cet éloge du psaume : « Il conduira dans la justice ceux qui sont doux, et dirigera les humbles dans ses voies[317] ». Pour ceux donc qui ne sont point droits, il y a « nuages et ténèbres » ; mais ceux qui sont humbles, sont dans « la justice et dans l’affermissement de son trône ».
6. « Le feu marchera en sa présence, et embrasera ses ennemis autour de lui[318] ». Quel est ce feu, mes frères, dont il est dit qu’ « il marchera devant lui, et dévorera ses ennemis autour de lui ? » Je ne pense pas qu’il s’agisse du feu dans lequel on jettera les irai pies au jour du jugement, lesquels seront placés à gauche ainsi qu’il vous souvient de l’avoir lu dans l’Évangile, et auxquels on dira : « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges[319] » ; tel n’est point ce feu, selon moi. Et d’où me vient cette opinion ? Parce qu’il est question d’un feu qui marchera devant le Christ, avant qu’il vienne pour le jugement. Il est dit, en effet, que ce feu le précédera, et qu’il embrasera ses ennemis autour de lui, c’est-à-dire dans toute la terce. Le feu de l’enfer ne sera qu’après son avènement ; celui dont il est question doit le précéder. Quel est donc ce feu ? Nous pouvons l’entendre de la peine des méchants, et du salut de la rédemption. En quel sens de la peine des méchants ? Parce qu’ils ont soulevé une persécution contre le Christ que l’on prêchait parmi les nations : or, cette colère a été un feu qui a dévoré les persécuteurs plutôt que ceux qui étaient persécutés. Quand nous voyous deux hommes, dont l’un se met en colère, dont l’autre souffre avec patience, jugez par vous-mêmes qui de ces deux est en feu. Vous pouvez chaque jour vous donner ce spectacle parmi les hommes. Représentez-vous un homme injuste, à l’âme emportée, au visage menaçant, aux regards enflammés, aux paroles étincelantes, se ruer sur un autre pour le tuer, pour le dépouiller, pour l’outrager, pour l’injurier, un homme hors de lui-même, incapable de se contenir, l’autre qui souffre en paix ces outrages, ces violences, tout ce qu’on veut lui faire, qui tend l’autre joue quand on le frappe sur une joue : or, en voyant d’une part la fureur, d’autre part le calme ; ici la colère, et là la patience ; ici l’emportement, et là la paix, peut-on hésiter à se prononcer sur celui des deux qui est consumé et qui souffre la peine des flammes ? Est-ce celui dont le corps est meurtri, ou celui dont l’âme est embrasée ? Aussi le prophète Isaïe a-t-il dit : « Et maintenant le feu dévorera ses ennemis[320] ». Qu’est-ce à dire : « Et maintenant ? » Avant que vienne le grand jour du jugement, ils sont consumés par leur propre fureur, ceux qui doivent endurer ensuite la flamme éternelle. Pourriez-vous, en effet, mes frères, vous imaginer que l’injustice que commet un homme en voulant nuire à un autre, nuise à celui qu’elle attaque sans nuire à son propre auteur ? Comment cela serait-il possible ? Quelquefois on applique une torche ardente à un tison humide et vert ; ce tison ne brûle point, mais la torche continue à se consumer : ainsi en est-il de votre ennemi. Qu’un homme d’iniquité vienne à te tendre des embûches, ou à te ménager quelque peine, c’est là une injustice : mais si tu es un bois vert, c’est-à-dire plein d’un suc spirituel et vivace, qui résiste à la flamme de la haine ; si tu pries pour celui qui te nuit, son injustice ne te nuira point, mais à lui-même ; c’est lui qui brûle, et toi tu es intact. À moins peut-être que tu ne prennes pour une offense le mal corporel que l’on pourrait te faire, alors que ton âme pure et sans tache méritera de Dieu une couronne, en suivant l’exemple du divin maître qui a voulu souffrir de la part des Juifs, qui pouvait ne point mourir et qui est mort, qui a voulu naître, quoiqu’il eût pu ne point naître. Naître, c’est pour toi ta condition ; pour lui, c’est sa volonté ; mourir est dans ta condition ; pour lui, c’est un acte de miséricorde. De même alors que les Juifs ne lui ont point nui, ainsi nulle persécution ne pourra t’atteindre, si tu veux être membre de ce chef auguste.
7. C’est ainsi que nous entendons le feu qui marche devant lui, c’est-à-dire un feu qui, dès ici-bas même, est un châtiment pour les infidèles et pour les hommes injustes. Cherchons un autre feu qui soit le salut de la rédemption, comme nous nous l’étions proposé. Car le même Seigneur a dit : « Je suis venu jeter le feu sur la terre[321] ». Il parle ici du feu comme du glaive, car au même endroit il dit qu’il n’est point venu apporter la paix, mais le glaive[322] ; le glaive pour diviser, le feu pour brûler : mais l’un et l’autre sont nécessaires, car le glaive de sa parole nous a heureusement séparés de nos habitudes mauvaises. Il a donc apporté le glaive pour séparer chaque fidèle, ou d’un père qui ne croit point au Christ, ou d’une mère également infidèle, ou du moins de ses aïeux, s’il est né de parents fidèles. Il n’est, en effet personne d’entre nous qui n’ait son aïeul, ou son bisaïeul, ou quelqu’un de ses ancêtres engagé dans le paganisme et plongé dans cette infidélité dont Dieu avait horreur : nous sommes donc séparés de ce que nous étions : l’épée est venue, non pas nous donner la mort, mais nous diviser. Ainsi en est-il de ce feu : « Je suis venu jeter le feu sur la terre ». Les hommes qui ont cru en lui, se sont enflammés, puis ont reçu l’embrasement de la charité : c’est pour cela que le Saint-Esprit, envoyé aux Apôtres, apparaît sous la forme du feu : « Ils virent comme des langues de feu qui se partagèrent et se reposèrent sur chacun d’eux[323] ». Touchés de cette flamme sacrée, ils se répandirent dans le monde pour y porter cette flamme et en incendier les ennemis qui l’environnent. Quels ennemis ? Ceux qui ont abandonné le vrai Dieu qui les a créés, pour adorer les idoles qu’ils ont faites. S’ils étaient mauvais, cette flamme les consumait ; s’ils étaient bons, elle les perfectionnait. Atteint par ce feu de la parole de Dieu, ou bien l’incrédule résistait à la foi, et alors devenant pire, il était consumé, dévoré par le feu de sa propre envie. S’il se convertissait, ce feu n’en avait pas moins agi en lui. Le foin brûlait afin que l’or en devînt plus pur. Cet or, c’est la foi ; le foin, c’est la convoitise charnelle. « Toute chair est un foin », dit Isaïe, « et tout honneur de la chair tombera comme l’herbe[324] ». Tout ce qu’il y a dans l’homme charnel, convoitant ce qui est frivole et passager, n’est qu’une herbe. Combien, peut-être même d’entre nos frères, sont allés au théâtre ? L’herbe les entraînait. Ne faut-il pas désirer que ce feu dévore le foin, afin que l’or soit purifié ? Toute la foi qui Peut être en eux est étouffée par l’herbe. Il est donc bon pour eux d’être embrasés d’un feu divin, afin que l’herbe étant consumée, on voie éclater cet or précieux racheté par le Christ. Donc « le feu marchera devant lui, pour dévorer les ennemis qui l’environnent ». Il en est qu’il a consumé pour leur bonheur, et qui sont fidèles aujourd’hui ; d’ennemis qu’ils étaient, les voilà fidèles ; tu cherches des ennemis, il n’en est plus ; tout est brûlé, tout est consumé : la charité a consumé en eux ce qui persécutait le Christ, et purifié en eux ce qui croyait au Christ. « Il a dévoré les ennemis qui l’environnent ».
8. « Ses éclairs brillent dans l’univers entier[325] ». Quelle allégresse ! n’est-ce point ce que nous voyons ? ce qui est évident ? Ses éclairs ont brillé dans le monde entier : voilà ses ennemis embrasés, ses ennemis consumés. Tout ce qui contredisait a été consumé, et l’univers enliera vu ses éclairs ». Pourquoi ces éclairs ? Pour donner la foi. D’où venaient ces éclairs ? Des nuées. Quelles sont ces nuées du Seigneur ? Les prédicateurs de la vérité. Vois-tu dans le ciel cette nuée ? Elle est ténébreuse, obscure ; elle recèle je ne sais quoi qu’un éclair s’échappe de la nuée, tu en vois l’éclat ; et ce que tu méprisais a fait jaillir ce qui t’effraie. Notre-Seigneur Jésus-Christ u envoyé ses apôtres, ses prédicateurs comme des nuées. On ne voyait en eux que des hommes, et on les méprisait, comme on méprise les nuées qu’on voit avant qu’elles n’aient produit ce qui doit nous surprendre. Ils n’étaient tout d’abord que des hommes revêtus d’une chair, fragile ; ensuite des hommes sans lettres, ignorants, méprisables. Mais il y avait en eux cette foudre qui devait et tonner et briller. Pierre, cet humble pêcheur, venait, priait, et les morts ressuscitaient[326]. La forme humaine montrait une nuée, mais le miracle était l’éclair. Ainsi dans leurs paroles, dans leurs actes, quand ils disent des merveilles, et accomplissent des merveilles, « ses éclairs brillent dans l’univers entier. La terre les a vus et s’en est émue ». Voyez si cela n’est point vrai, si la terre entière, devenue chrétienne, ne répond point amen, bouleversée par les éclairs qui sortent de ces nuées. La terre les a vus et s’en est émue ».
9. « Les montagnes se sont fondues comme la cire devant la face du Seigneur[327] ». Quelles sont ces montagnes ? Les orgueilleux. Toute hauteur qui s’élève contre Dieu, a tremblé, a succombé devant les actes du Christ et des chrétiens, et l’on ne saurait trouver une expression plus juste que celle du Prophète, se fondre. « Les montagnes se sont fondues devant la face du Seigneur ». Où est cette hauteur des puissances ? Où est l’endurcissement des infidèles ? « Les montagnes se sont fondues comme la cire devant la face du Seigneur ». Le Seigneur a été pour elles un feu, et elles ont fondu en sa présence comme la cire, qui n’est dure que jusqu’aux approches du feu. Toute hauteur est aplanie aujourd’hui et n’ose plus blasphémer le Christ. Le païen qui ne croit point en lui s’abstient de tout blasphème ; s’il n’est pas encore devenu une pierre vivante, il n’est déjà plus une montagne endurcie. « Les montagnes ont fondu comme la cire devant la face du Seigneur, en présence du Seigneur de la terre entière » : non seulement des Juifs, mais encore des Gentils, comme a dit l’Apôtre[328] : ce n’est pas le Dieu des Juifs seulement, mais le Dieu des nations. Donc le Seigneur de toute la terre, le Seigneur Jésus-Christ, né en Judée, n’est pas né seulement pour les Juifs ; car avant de naître il a tout fait ; et ayant tout fait, il a tout restauré. « Devant la face du Dieu de la terre entière ».
10. « Les cieux ont annoncé sa justice, tous les peuples ont vu sa gloire[329] ». Quels cieux l’ont annoncé ? « Les cieux qui racontent la gloire de Dieu[330] ». Quels cieux ? Ceux qui lui servent de trône. De même que le Seigneur a pour trône les cieux, il a pour trônes les Apôtres, et les prédicateurs de l’Évangile. Toi aussi tu seras le ciel, si tu le veux. Veux-tu être le ciel ? Purifie ton cœur de ce qu’il a de terrestre. Si tu n’as plus de convoitises terrestres, si tu ne mens point en répondant que ton cœur est en haut ; tu es un ciel. « Si vous êtes ressuscités avec le Christ » (et l’Apôtre s’adresse aux fidèles), « cherchez ce qui est en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez les choses d’en haut, et non celles d’ici-bas[331] ». En commençant à goûter les choses d’en haut, et non les choses de la terre, n’es-tu pas devenu un ciel ? Tu as encore une chair, et ton cœur est un ciel ; car fa conversation est dans les cieux[332]. C’est alors que toi aussi tu annonces le Christ. Quel fidèle pourrait s’en taire ? Que votre charité redouble d’attention ; croyez-vous que nous qui prêchons ici soyons seuls à prêcher le Christ, et que vous ne le prêchiez point ? D’où vient alors que des hommes que nous n’avons jamais vus, jamais connus, jamais exhortés, viennent à nous pour devenir chrétiens ? Ont-ils cru sans qu’on leur ait annoncé la foi ? L’Apôtre dit cependant : « Comment croire à celui dont on n’entend point parler ? Et comment en entendre parler, si on ne le prêche[333] ? » Donc toute l’Église prêche le Christ, et les cieux prêchent sa justice : parce que tous les fidèles qui ont à cœur de gagner à Dieu ceux qui ne croient pas encore, et qui le font par charité, sont des cieux. C’est par eux que Dieu fait éclater le tonnerre de ses jugements : et l’infidèle tremble, et la crainte l’amène à la foi. Montrez aux hommes ce qu’a pu le Christ dans l’univers entier, en leur parlant et en les amenant à l’amour du Christ. Combien en est-il aujourd’hui qui ont entraîné leurs amis pour voir un comédien, un joueur de flûte ? Pourquoi, sinon par amour pour ces histrions ? Vous aussi, aimez le Christ. Aimez celui qui a donné de si grands spectacles, où l’on ne peut trouver rien à reprendre, et qui a vaincu le siècle. Quelquefois, en s’attachant à un personnage de théâtre, on est vaincu avec lui. Mais nul n’est vaincu avec le Christ, nul n’a motif d’en rougir. Saisissez donc, amenez-nous, entraînez ceux que vous pourrez ne craignez rien, c’est les amener à celui qui ne saurait déplaire à quiconque le verra : priez-le qu’il les éclaire, afin qu’ils le considèrent bien. « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire ».
11. « Qu’ils soient confondus, ceux qui adorent des idoles[334] ». Tout cela n’est-il point arrivé ? N’ont-ils pas été dans la confusion ? N’y vont-ils pas chaque jour ? Ces idoles sont en effet des statues faites par la main des hommes. Pourquoi ceux qui adorent les idoles sont-ils confondus tous ? Parce que tous lus peu pies ont vu la gloire du Christ. Déjà tous les peuples chantent cette gloire : qu’ils rougissent, les adorateurs de la pierre. Car ces pierres sont mortes, et nous avons trouvé la pierre vivante. Et même ces pierres n’ont jamais vécu pour être appelées des pierres mortes : tandis que notre pierre est vivante, qu’elle a toujours vécu en son Père, qu’elle est morte pour nous, puis ressuscitée, qu’elle vit maintenant, et qu’elle n’est plus soumise à l’empire de la mort[335]. Telle est la gloire que les peuples ont connue pour déserter les temples et accourir dans nos églises. « Qu’ils soient confondus, tous ceux « qui adorent des idoles ». Veulent-ils encore adorer ces idoles ? Ils ne veulent pas abandonner ces dieux, et ces dieux les abandonneront. « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres ». Mais quelque raisonneur, qui se croit savant, viendra me dire : Ce n’est point la pierre que j’adore, non plus que le simulacre insensible. Votre prophète n’a pu voir qu’il a des yeux et ne voit pas[336], sans que je sache, moi aussi, que cette idole n’a point d’âme, qu’elle ne voit point de ses yeux, n’entend point de ses oreilles ; ce n’est point là ce que j’adore, mais en adorant ce qui est visible, je sers ce qui est indivisible. Qui donc alors ? Une divinité qui préside à cette statue. Ils se croient habiles, en exposant ainsi le culte des idoles, et en nous disant qu’ils n’adorent point la statue, mais qu’ils adorent les démons. Car l’Apôtre l’a dit : « Les sacrifices des Gentils sont offerts aux démons, et non à Dieu. Je ne veux point », dit-il encore, « que vous ayez part avec les démons[337] » : car l’idole n’est rien, nous le savons[338] ; et l’Apôtre nous dit : « Nous savons que l’idole n’est rien, « mais que les offrandes des Gentils sont faites aux démons, et non à Dieu ». C’est lui qui dit encore : « Je ne veux point que vous ayez part avec les démons ». Qu’ils ne viennent donc plus nous dire qu’ils ne rendent pas un culte à des idoles inanimées : ils n’en sont que mieux sous le joug des démons, ce qui est plus dangereux. S’ils n’adoraient que des idoles, ces pierres ne pourraient les aider en rien, leur nuire en rien ; mais adorer et servir les démons, c’est les avoir pour maîtres. Et quels seront tes maîtres ? Ceux qui sont jaloux de ton bonheur, qui ne peuvent que t’envier ta liberté, qui voudraient te posséder toujours, et te rendre tels, qu’ils te puissent toujours entraîner. Il est en effet dans ces esprits une malice qui leur est naturelle, une volonté de nuire : le mal des hommes fait leur joie, ils se repaissent de nos erreurs, quand ils peuvent nous tromper. Et que cherchent-ils ? Non pas des hommes qu’ils puissent dominer éternellement, mais qui soient avec eux sous le poids d’une éternelle damnation, comme le voleur jaloux qui se plaît à accuser l’innocent. Qu’il soit brûlé vif, en souffrira-t-il moins si un autre brûle avec lui ? En mourra-t-il moins pour mourir avec un autre ? Sa peine est égale, mais sa méchanceté se rassasie. Qu’il meure avec moi, dit-il, non pour en mourir moins, mais pour se consoler par le malheur d’un autre. Telle est la malice du diable, qui veut séduire afin qu’on partage son supplice. Mais comme une peut tromper la justice de Dieu (car il n’excuse pas les innocents à son tribunal) il les pousse au péché afin d’avoir de véritables crimes à reprocher. Voilà les maîtres que se créent ceux qui adorent les idoles et les démons. « Les sacrifices des païens sont offerts aux démons, et non à Dieu : je ne veux point que vous ayez part avec les démons. »
12. Mais nous, quel est notre Dieu ? Écoutez la suite. Après avoir dit : « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des sculptures, qui se glorifient dans les simulacres », il prévoit qu’on viendra donner raison de ces idoles et nous dire : Ce n’est point la pierre que j’adore, mais la puissance divine. Quelle puissance ? Dis-moi, est-ce aux démons que lu rends un culte, ou bien aux bons esprits, tels que sont les anges ? Car il y a les saints anges, et les esprits mauvais. Pour moi, j’affirme que dans vos temples on n’adore que les mauvais esprits : ceux qui sont assez orgueilleux pour exiger des sacrifices, qui veulent être adorés comme des dieux, sont des méchants et des superbes. Tels sont aussi les hommes peu soumis à Dieu, qui recherchent leur propre gloire, et méprisent celle de Dieu. Mais voyez les hommes vraiment saints et qui ressemblent aux anges. Qu’on veuille rendre un culte à un homme saint, au véritable serviteur de Dieu, qu’on le veuille adorer comme un Dieu, il vous empêche à l’instant ; loin de s’arroger les honneurs divins, de se poser comme un Dieu à tes yeux, il adore Dieu avec toi. Voilà ce que tirent les saints apôtres Paul et Barnabé, quand ils prêchaient la parole de Dieu en Lycaonie. Pleins d’admiration pour les merveilles qu’ils avaient accomplies dans ces contrées, les Lycaoniens amenèrent des victimes et voulaient leur offrir des sacrifices, en donnant à Barnabé le nom de Jupiter, et à Paul celui de Mercure ; ceux-ci les rejetèrent avec horreur. Mais la cause de cette horreur était-elle parce qu’on les comparait aux démons ? Non, mais bien parce qu’ils avaient en abomination un culte divin rendu à des hommes. Leurs paroles sont claires, et je ne fais point de conjectures. Voici la lecture de ce passage, qui indique leur indignation : « Alors Paul et Barnabé déchirèrent leurs vêtements, et s’écrièrent : Mes frères, que faites-vous ? Nous sommes, comme vous, des hommes mortels[339] ». Remarquez bien ceci, De même que les hommes vraiment bons arrêtent ceux qui les veulent adorer comme des dieux, et ne veulent que pour Dieu seul le culte divin, pour Dieu seul les honneurs divins, pour Dieu seul le sacrifice, et non pour eux-mêmes ; ainsi les saints anges cherchent la gloire de celui qu’ils aiment ; ils brûlent du désir d’attirer à lui ceux qu’ils aiment, de leur inspirer une sainte ardeur pour lui rendre un culte, pour l’adorer, pour le contempler ; c’est lui qu’ils annoncent, et non pas eux-mêmes, parce qu’ils sont des anges : et comme ils sont aussi ses soldats, ils ne savent que chercher la gloire de leur général ; sitôt qu’ils chercheraient leur gloire, ils seraient condamnés comme des usurpateurs. Tel est le diable avec ses démons, c’est-à-dire avec ses anges. Il usurpa les honneurs divins pour lui et pour tous ses sectateurs ; il remplit les temples des païens, il leur persuada de lui élever des idoles, de lui offrir des sacrifices. Ne serait-il pas mieux d’adorer les bons anges, que d’adorer les démons ? Ils nous répondent : Nous n’adorons pas les anges mauvais. Nous adorons ces esprits que vous appelez des anges, et qui sont les puissances du Dieu souverain, les ministres du grand Dieu. Fasse le ciel que vous les adoriez, ils vous apprendraient bientôt à ne plus les adorer. Écoutez un ange qui nous instruit. Il faisait une révélation à un disciple du Christ, et lui montrait ces nombreuses merveilles consignées dans l’Apocalypse de saint Jean. À la vue de ces merveilles que l’ange lui découvrait, Jean est ravi et se jette à ses pieds ; mais l’ange, qui ne cherchait que la gloire de son Seigneur, lui dit : « Levez-vous, que faites-vous ? adorez le Seigneur, car moi, je suis serviteur comme vous et comme vos frères[340] ». Qu’on ne dise point : Je crains que l’ange ne s’irrite contre moi, si je ne t’adore point comme un dieu ; il s’irrite au contraire quand tu lui rends les honneurs divins, car il est bon et il aime Dieu. De même que les démons s’irritent quand on ne les adore point ; de même les bons anges s’irritent quand on les adore comme des dieux. Mais qu’une âme faible et timide ne vienne point nous dire : Si les démons s’irritent quand on ne les adore point, je crains de les offenser. Que pourra donc te faire le diable qui est leur chef ? S’il avait quelque puissance, nul de nous ne resterait debout. Ne savons-nous point combien les chrétiens le maudissent chaque jour, et pourtant les chrétiens se multiplient ? Si tu es en colère contre ton serviteur, tu lui donnes son nom, tu l’appelles diable, tu l’appelles Satan. Tu es dans l’erreur en appelant ainsi un homme ; c’est la colère qui te porte à cet outrage envers l’image de Dieu : tu choisis, pour la lui dire, une injure qui te fait horreur. Si le démon avait quelque puissance, ne se vengerait-il point ? Mais Dieu ne le lui permet point, et il ne peut rien que dans la mesure que Dieu permet. Il voulut mettre Job à l’épreuve, et il en demanda simplement la permission[341], sans laquelle il n’avait aucun pouvoir. Pourquoi donc ne pas adorer Dieu sans crainte, puisque sans son ordre nul ne peut te nuire, et qu’il ne le permet que pour te corriger, et non pour te nuire ? S’il plaît au Seigneur ton Dieu de permettre qu’un homme te nuise, ou même un esprit, il te corrige alors, pour te faire dire avec David : « Le Seigneur m’a châtié, mais ne m’a point livré à la mort[342] ». Donc « qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans des simulacres, Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges ». Que les païens apprennent ici à servir Dieu. Ils veulent adorer les anges, qu’ils imitent les anges, et qu’ils adorent celui que les anges adorent. « Adorez-le, vous qui êtes ses anges ». Qu’il l’adore, cet ange qui fut envoyé à Corneille, car c’est en adorant Dieu qu’il envoya Corneille à Pierre : qu’il adore le Christ, Seigneur de Pierre, lui qui est serviteur comme Pierre[343]. « Adorez-le, vous tous qui êtes ses anges ».
13. « Sion a entendu et a tressailli[344] ». Qu’a donc entendu Sion ? Que tous ses anges l’adorent. Qu’a entendu Sion ? Voici ce qu’elle a entendu : « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire : qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres ». L’Église, en effet, n’était point répandue encore parmi les nations quelques Juifs croyaient en Judée, et ces Juifs croyaient que le Christ n’était que pour eux seuls : les Apôtres furent envoyés aux Gentils, ils prêchèrent à Corneille, et Corneille embrassa la foi, fut baptisé, et tous ceux qui étaient avec lui furent baptisés. Mais vous savez ce que Dieu fit pour les amener au baptême : il est vrai que le lecteur n’a pas été jusque-là aujourd’hui, plusieurs s’en souviennent, mais que ceux qui ne s’en souviennent plus, m’écoutent quelque peu. L’ange fut envoyé à Corneille, il envoya Corneille à Pierre, et Pierre vint à Corneille. Et comme Corneille était païen, comme ceux de sa suite, ils n’étaient point circoncis ; afin qu’il n’y eût aucune hésitation à prêcher l’Évangile à des Gentils incirconcis, avant que Corneille fût baptisé avec sa suite, le Saint-Esprit vint, les remplit, et ils parlèrent diverses langues. Le Saint-Esprit jusqu’alors n’était tombé que sur des baptisés, mais il descendit sur ces derniers avant le baptême. Pierre aurait pu hésiter à donner le baptême à des incirconcis, mais le Saint-Esprit descendit, et ils parlèrent diverses langues, ils reçurent un don invisible, qui leva toute hésitation à propos du sacrement visible ; et tous furent baptisés. Il est écrit au même endroit : « Or, les Apôtres, et les frères qui étaient en Judée, apprirent que les Gentils avaient reçu la parole de Dieu, et bénissaient le Seigneur[345] ». Voilà ce qu’annonce le Prophète : « Sion a entendu et a tressailli ; les filles de Juda ont été dans l’allégresse ». Qu’est-ce que Sion a entendu, pour être dans la joie ? « Que les Gentils ont reçu la parole de Dieu ». Une muraille s’était élevée, mais l’angle n’existait pas. Sion est proprement l’Église qui était en Judée et qui a reçu cette dénomination. « Sion a entendu et a tressailli ; les filles de Juda ont été dans l’allégresse ». C’est ce qui est écrit : « Les Apôtres, et les frères qui étaient dans la Judée entendirent ». Voyez si « les filles de Juda n’ont point tressailli ». Qu’entendirent les frères ? « Que les Gentils ont reçu la parole de Dieu ». Que dit à ce propos notre psaume ? « Les cieux ont annoncé sa justice, et les peuples ont vu sa gloire ». Et comme les Gentils, adorateurs des idoles, embrassaient la foi, le psaume continue : « Qu’ils soient confondus, tous ceux qui adorent des idoles, qui se glorifient dans leurs simulacres. Sion a entendu et a tressailli ; les filles de Juda ont été dans l’allégresse ». Plus tard quelques circoncis voulurent reprocher à Pierre sa conduite, en disant : « Pourquoi êtes-vous entré chez les hommes incirconcis, et avez-vous mangé avec eux[346] ? » Pierre se justifia, et dit que dans son oraison un linceul, qui avait apparu, appendu au ciel par ses quatre coins, et que ce linceul, qui contenait toutes sortes d’animaux, désignait tous les Gentils. Il était suspendu aux quatre coins, parce que la terre qui renferme tous les peuples a quatre parties : et qu’on prêche les quatre Évangiles du Christ pour montrer que sa grâce doit se répandre dans les quatre parties du monde. Saint Pierre partit de cette vision qui lui était apparue, pour dire aux disciples tout ce qui s’était passé, et comment Corneille avait embrassé la foi, parce qu’avant de recevoir le baptême l’Esprit-Saint était descendu sur lui. Cet exposé fit taire les reproches et tous bénirent le Seigneur en disant : « Dieu a donc donné la pénitence aux Gentils pour les conduire à la vie[347] ». Voilà ce « qu’entendit la fille de Sion qui fut dans l’allégresse ; et les filles de Juda tressaillirent, à cause de vos jugements, ô mon Dieu ». Quels jugements ? C’est que Dieu ne fait acception de personne. C’est le mot de Pierre lui-même, quand, voyant que le Saint-Esprit avait rempli Corneille et ceux de sa suite, il s’écria : « En vérité, j’ai reconnu que Dieu ne fait acception de personne ». Donc « les filles de Juda ont tressailli à cause de vos jugements, ô mon Dieu ». Qu’est-ce à dire « à cause de vos jugements ? » C’est que « dans toute nation, dans tout peuple, quiconque veut le servir lui est agréable[348] », et qu’il n’est pas seulement le Dieu des Juifs, mais encore le Dieu des Gentils[349].
14. Voyez si ce n’est point pour cela qu’ont tressailli les filles de Sion. « Et les filles de Juda ont tressailli d’allégresse à cause de vos jugements, ô mon Dieu, parce que vous êtes le seul Dieu Très-Haut, au-dessus de toute la terre[350] ». Non sur la Judée seule, non sur Jérusalem seule, non sur Sion seulement, mais « sur toute la terre ». C’est dans l’univers entier que les jugements de Dieu sont en vigueur, afin de rassembler tous les peuples des extrémités du monde. Ceux qui se sont retranchés ne communiquent plus à ces peuples ; ils n’écoutent point cette prédiction, ne la voient point s’accomplir. « C’est que vous êtes le Dieu très-haut, au-dessus de toute la terre ; bien supérieur à tous les dieux ». Qu’est-ce à dire, « bien supérieur ? » Le Prophète parle du Christ. Et que veut-il dire par cette expression « bien supérieur », sinon nous faire comprendre qu’il est égal à son Père ? Qu’est-ce à dire encore supérieur à tous les dieux ? » Quels dieux ? Les idoles n’ont point de sens, n’ont point de vie : les démons ont le sentiment et la vie, mais sont mauvais, Quelle gloire donnons-nous au Sauveur en l’élevant au-dessus des idoles ? Il est bien supérieur aux démons, mais ce n’est point là une grandeur. Les démons sont les dieux des nations[351], mais pour lui il est élevé au-dessus de tous les dieux. Des hommes aussi ont été appelés des dieux : « Je l’ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut ». Il est encore écrit : « Dieu a pris séance dans l’assemblée des dieux, pour juger les dieux au milieu d’eux[352] ». Notre-Seigneur Jésus-Christ est bien supérieur à tous, non seulement aux idoles, non seulement aux démons, mais encore aux hommes justes ; c’est peu encore, il est supérieur à tous les anges. Pourquoi en effet ce précepte : « Adorez-le, vous qui êtes ses anges », sinon parce qu’« il est bien supérieur à tous les dieux ? »
15. Mais nous tous qui sommes assemblés auprès de celui qui est élevé bien au-dessus de tous les dieux, que devons-nous faire ? Il nous le dit en un seul mot : « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal[353] ». Il est honteux d’aimer en même temps le Christ et l’avarice. Si tu l’aimes, tu dois haïr ce qu’il hait. Un homme est ton ennemi, mais il est ce que tu es ; vous êtes l’œuvre du même créateur, et dans la même condition : et néanmoins, si ton fils parle à ton ennemi, entre dans la maison de ton ennemi, a de fréquents entretiens avec ton ennemi, tu veux le déshériter, parce qu’il parle à ton ennemi. Et comment ? Parce que tu trouves cette raison juste : Tu es l’ami de mon ennemi et tu veux une part de mon bien ! Un peu d’attention. Tu aimes le Christ, et l’avarice est l’ennemie du Christ ; pourquoi t’entretenir avec elle ? C’est peu dire, tu t’entretiens avec elle ; pourquoi être son esclave ? Le Christ commande bien souvent, tu n’obéis point ; l’avarice commande, à l’instant tu obéis. Le Christ ordonne de vêtir celui qui est nu, et tu ne le fais point ; l’avarice commande la fraude, et tu la fais à l’instant. S’il en est ainsi, si telle est ta conduite, garde-toi d’espérer une belle part dans l’héritage du Christ. J’aime le Christ, me diras-tu. « O vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». La preuve que tu aimes le bien, est dans la haine que tu montreras pour le mal. « Haïssez le mal, ô vous qui aimez le Seigneur ».
16. Mais dès que nous commençons à haïr le mal, voici bientôt la persécution. Nous haïssons le mal ; et voilà qu’un persécuteur vient nous dire : Commets telle fraude ; vient nous dire : Adore cette idole ; vient nous dire : Offre de l’encens aux démons ; mais nous l’avons entendu : « Vous tous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». Nous l’avons entendu, il est vrai, mais si nous n’obéissons, il sévira contre nous. Jusqu’où sévira-t-il ? Que nous enlèvera-t-il ? Réponds-moi, pourquoi es-tu chrétien ? Est-ce pour acquérir l’héritage éternel, ou une félicité terrestre ? Interroge ta foi, traduis ton âme au tribunal de la conscience, tourmente-la par la crainte du jugement, dis-moi en qui as-tu mis ta foi, et pourquoi cette foi ? Mais, dis-tu, j’ai cru au Christ. Que t’a promis le Christ, sinon ce qu’il nous montre en lui ? Que montre-t-il en lui ? Il est mort, il est ressuscité, il est monté aux cieux. Veux-tu l’y suivre ? Imite ses souffrances et attends ses promesses. Que peut t’enlever un persécuteur, quand tu commenceras à haïr le mal par amour pour le Seigneur ? Que t’enlever ? Ton patrimoine ? Est-ce le ciel ? Qu’il t’enlève, s’il veut, ce que Dieu t’a donné : (il ne peut même l’enlever, si Dieu ne le veut point ; mais, quand Dieu le permet, il te ravit ce que Dieu t’a donné, de peur que Dieu lui-même ne se dérobe à toi). Mais pour Dieu, nul ne peut te l’enlever ; toi seul, en fuyant Dieu, tu peux te le ravir.
17. Peu m’importe mon patrimoine, me diras-tu peut-être. « Dieu me l’a donné, Dieu me l’a ôté ». Puis-je dire avec Job : « et comme il a plu au Seigneur, il a été fait[354] ». Mais je crains que mon ennemi ne me tue, C’est là toute ma crainte. Écoute alors la consolation du Psalmiste : « Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs ». De même qu’il avait dit plus haut : « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal » : pour te délivrer de la crainte de ne haïr le mal, que par la peur que tu aurais d’être tué par le méchant, le Psalmiste ajoute aussitôt : « Le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs ». Apprends dans l’Évangile qu’il garde les âmes de ses serviteurs : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme[355] ». Il tue le corps, ce persécuteur, c’est l’apogée de sa puissance ; mais que t’a-t-il fait ? Ce qu’il a fait au Seigneur ton Dieu. Pourquoi vouloir posséder ce que possède le Christ, quand tu crains de souffrir ce qu’il a souffert ? il est venu pour se revêtir d’une vie temporelle, infirme, assujettie à la mort. Crains de mourir, j’y consens, si tu peux ne point mourir. Pourquoi ne point embrasser par la foi ce que tu ne peux éviter par ta nature ? Que cet ennemi si redoutable par ses menaces t’enlève cette vie, Dieu te donnera une autre vie ; car c’est lui qui t’a donné celle-ci, et s’il ne le voulait-on ne te l’enlèverait point : mais s’il lui plaît qu’on te l’enlève, il a de quoi faire un échange, ne crains point d’être dépouillé pour lui. Crains-tu de perdre un vêtement en lambeaux ? Il te donnera la robe de la gloire. De quelle robe me parlez-vous ? « Il faut que, corruptible, ce corps soit revêtu d’incorruptibilité, et mortel, d’immortalité[356] ». Cette chair même ne périra point. Notre ennemi peut sévir jusqu’à la mort : mais au-delà il n’a de pouvoir ni sur l’âme, ni sur la chair ; en dispersant ta chair, il n’empêcherait pas la résurrection. Les hommes craignaient pour leur âme, et que leur dit Jésus-Christ ? « Les cheveux de votre tête sont tous comptés[357] ». Craindras-tu de perdre ton âme, lorsque tu ne perds pas un cheveu ? Dieu en sait le nombre, il rétablira tout, lui qui a tout créé. Il les a créés quand ils n’étaient point, et quand ils existent, une saurait les réparer ? Croyez donc de tout votre cœur, mes frères, et « vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal ». Soyez forts, non seulement dans votre amour pour Dieu, mais aussi dans votre haine pour le mal. Que nul ne vous effraie : celui qui vous a appelés est plus puissant encore, il est le tout-puissant. Il est plus fort que toute force, plus élevé que toute élévation. Le fils de Dieu est mort pour nous ; sois assuré de recevoir sa vie, toi qui as pour gage de cette vie sa mort même. Pour qui est-il mort ? Est-ce pour les justes ? écoute saint Paul : « Le Christ est mort pour les impies[358] ». Tu étais impie, et il est mort pour toi : et quand tu es justifié, il t’abandonnerait ? Lui qui a justifié l’impie, pourrait-il abandonner l’homme juste ? « Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal », Que nul ne craigne, puisque « le Seigneur garde les âmes de ses serviteurs, et les tirera des mains du pécheur ».
18. Mais, diras-tu, je perds néanmoins cette lumière. « La lumière s’est levée pour le juste ». Quelle lumière crains-tu de perdre ? Crains-tu d’être dans les ténèbres ? Ne crains pas de perdre la lumière, ou plutôt prends garde qu’en craignant de perdre cette lumière tu ne perdes la vie éternelle. Mais voyons en effet à qui est donnée celle que tu crains de perdre, et avec qui elle vous est commune. N’y a-t-il que les bons pour voir le soleil, quand Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes[359] ? Cette lumière est commune avec les méchants, commune avec les voleurs, commune avec les impudiques, commune avec les bêtes, avec les mouches, avec les vermisseaux. Quelle lumière ne ménage-t-il point au juste, celui qui en donna une semblable à de pareils êtres ? C’est la lumière que les martyrs ont vue avec justice dans la vivacité de leur foi ; eux qui méprisaient cette lumière terrestre, en voyaient une autre après laquelle ils soupiraient, en dédaignant celle-ci. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie tour les cœurs droits[360] ». N’allez pas croire qu’ils étaient véritablement à plaindre, quand ils étaient chargés de chaînes. La prison était large pour les fidèles, et les chaînes légères pour les confesseurs. Ils paraissaient avec joie devant les tribunaux, eux qui prêchaient le Christ dans les tourments. « La lumière s’est levée pour le juste ». Quelle lumière s’est levée ? Celle qui ne se lève point pour l’injuste ; non point, cette lumière que Dieu fait lever sur les bons comme sur les méchants, Il est une autre lumière qui se lève pour le juste, lumière qui ne se lève point pour les hommes d’iniquité, et qui leur fera dire au dernier jour : « Nous avons erré loin du sentier de la vérité : la lumière de la justice ne s’est point levée pour nous, son soleil n’a point paru à nos yeux[361] ». Ils ont aimé ce soleil terrestre et sont tombés dans les ténèbres du cœur. Que leur sert d’avoir vu l’un des yeux du corps, quand ils ne verront point l’autre des yeux de l’esprit ? Tobie était aveugle et il enseignait à son fils la voie de Dieu. Vous savez qu’il lui donnait des conseils et lui disait : « Mon fils, fais l’aumône, parce que l’aumône ne te laissera point aller dans les ténèbres[362] ». Il était plongé lui-même dans les ténèbres en parlant de la sorte. Voyez-vous dès lors qu’il y a une autre lumière qui s’élève pour le juste, une autre joie pour ceux qui ont le cœur droit ? Il était aveugle, et disait néanmoins à son fils : « Fais l’aumône, parce que l’aumône ne te laissera point aller dans les ténèbres ». Il ne craignit point que son fils lui dît en son cœur : Vous donc, n’avez-vous pas fait l’aumône ? Pourquoi parler ainsi quand on est aveugle ? Voilà que vos aumônes vous ont fait devenir aveugle, et comment me dites-vous que « les aumônes m’empêcheront de tomber dans l’aveuglement ? » Pourquoi ce père parlait-il avec confiance, sinon parce qu’il voyait une autre lumière ? Le fils tendait la main au père pour diriger sa marche ; mais le père montrait au fils le chemin de la vie. Il est donc une autre lumière qui se lève pour le juste. « La lumière se lève pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le cœur droit ». Veux-tu la connaître ? Aie le cœur droit. Qu’est-ce à dire : Aie le cœur droit ? Prends garde d’aller à Dieu avec un cœur replié, en résistant â sa volonté et en cherchant à la courber vers toi au lieu de te redresser sur elle, et tu ressentiras la joie, la joie que goûtent tous ceux qui ont le cœur droit. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le cœur droit. »
19. « Tressaillez, vous qui êtes justes ». Peut-être que des fidèles qui entendent cette parole : « Tressaillez », rêvent des festins, préparent des coupes, attendent la saison des roses, parce que l’on dit ; « Tressaillez, ô justes ». Écoutez le mot suivant : « Dans le Seigneur. « Vous qui êtes justes, tressaillez dans le Seigneur ».
Tu attends la belle saison afin de te réjouir. Si le Seigneur est ta joie, il est toujours avec toi ; il n’y a point de saison pour lui : tu l’auras la nuit, comme tu l’auras le jour. Aie la droiture de cœur, et il sera toujours ta joie, car la vraie joie n’est pas toujours celle qui vient du monde. Écoute en effet le prophète Isaïe : « Il n’y a point de joie pour l’impie, dit le Seigneur[363] ». Ce que les impies appellent joie, n’est pas vraiment joie. Quelle joie connaissait donc celui qui condamnait cette joie ? Croyons, mes frères, ce qu’il nous en dit. Il était homme, et connaissait deux joies bien différentes. Homme, il connaissait la joie du vin, la joie de la table, la joie molle d’un lit, il connaissait toutes ces joies mondaines et luxurieuses. Et néanmoins connaissant toutes ces joies, il dit hardiment : « Il n’y a pas de joie pour l’impie, dit le Seigneur ». Ce n’était point l’homme qui parlait, mais bien « le Seigneur ». Donc, dans la vérité du Seigneur, « il n’y a point de joie pour les impies ». Ils paraissent avoir de la joie, mais « il n’est point de joie pour l’impie », telle est la parole non pas d’un homme, mais la parole « du Seigneur ». De là vient qu’à la vue de cette joie, un autre a dit : « Je n’ai point désiré le jour des hommes, vous le savez, Seigneur[364] ». O vous qui me montrez un autre jour, qui m’enseignez une autre lumière, qui répandez une autre joie dans mon cœur, qui me faites goûter intérieurement d’autres délices, vous m’amenez à ne point désirer le jour des hommes. Isaïe voyait sans doute les hommes plongés dans l’ivresse, dans la luxure, dans les spectacles ; il voyait le monde entier s’éprendre de toutes les bagatelles et néanmoins il s’écriait : « Il n’est point de joie pour les impies, dit le Seigneur ». Si là n’est point la joie, quelle joie voyait donc le Prophète, en comparaison de laquelle cette joie d’ici-bas n’est rien ? Qu’un homme admire la lumière d’une lanterne, toi qui connais le soleil, tu lui diras : Cette lumière n’est rien. Pourquoi n’est-elle rien ? Lui la prend pour quelque chose, il s’en réjouit ; et toi, tu dis que cette lumière n’est rien. Qu’un homme encore admire un singe, tu diras : telle n’est point la beauté : et s’il s’attache à considérer cet animal, à admirer l’agencement de ses membres, et leur proportion ; toi qui connais la beauté, tu nierais celle du singe, et tu dirais : Ce n’est point la beauté. Pourquoi ? Parce que tu en connais une autre. Mais, diras-tu : Je ne vois point la beauté que voyait Isaïe. Crois, et tu la verras. Tu n’as peut-être pas ce qu’il faut pour la découvrir ; car il est un œil qui voit la beauté. De même que l’œil corporel voit cette lumière, c’est l’œil du cœur qui voit la beauté. Cet œil, chez toi, est peut-être blessé, obscurci, troublé par la colère, par l’avarice, par la convoitise, par le délire des passions ; oui, ton œil est troublé, et tu ne saurais voir cette lumière. Crois avant de voir, et tu seras guéri, et tu verras. « La lumière s’est levée pour le juste, et la joie pour les cœurs droits ».
20. « Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, et rendez hommage à la mémoire de sa sainteté[365] ». Dans cette joie du Seigneur, dans les délices que vous goûterez, rendez-lui témoignage, car ce n’est que par sa volonté que nous goûtons en lui cette joie. Car le Seigneur a dit lui-même : « Je vous ai parlé de ces choses, afin que vous ayez la paix en moi ; vous aurez des afflictions dans le monde[366] ». Si vous êtes chrétiens, espérez ici-bas la tribulation ; n’espérez pas des temps meilleurs et plus calmes ; ce serait vous tromper, mes frères ; ne vous promettez point ce que l’Évangile ne vous promet point. Vous savez ce qu’il vous prédit ; nous parlons à des chrétiens, ne soyons pas des prévaricateurs de la foi. L’Évangile dit que dans les derniers temps, il s’élèvera beaucoup de calamités, beaucoup de scandales, beaucoup d’afflictions, beaucoup d’iniquités : mais que celui qui persévérera sera sauvé, « La charité de plusieurs se refroidira[367] », est-il dit encore. Celui donc qui persévérera dans l’esprit de ferveur, selon ce mot de l’Apôtre : « Soyez fervents en esprit[368] » ; celui-là ne verra point sa foi se refroidir : « Car l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné[369] ». Que personne donc ne se promette ce que l’Évangile ne promet point. Des temps plus heureux viendront, et je ferai ceci, j’achèterai cela. Il vous est bon de vous en tenir à celui qui ne se trompe point, qui ne trompe personne, qui vous a promis la joie, non pas d’ici-bas, mais en lui-même ; afin qu’après cette vie vous espériez de régner avec lui éternellement. Si tu veux régner sur la terre, tu ne trouveras de joie, ni en cette vie, ni dans l’autre vie.

DISCOURS SUR LE PSAUME 97 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LA CONVERSION DES GENTILS. modifier

Ce cantique nouveau est celui de l’homme, renouvelé en Jésus-Christ, qui chante les merveilles de Dieu. Or, ces merveilles sont celles que Dieu a faites pour sa gloire, c’est-à-dire en attirant à son service ceux qu’il guérit et qu’il sauve par le Christ. Ainsi s’accomplit sa promesse envers Jacob, sa vérité envers Israël. Car il a promis à Jacob, et il s’acquitte envers Israël ou envers le voyant de Dieu, en se manifestant à lui tel qu’il est. Or, cet Israël qui doit voir le Seigneur, vient de toutes les nations ; non d’une partie, comme le prétendent les Donatistes, mais de toute la terre. Chantons le Seigneur, avec la trompette d’airain, ou par les œuvres de la patience, et avec la trompette de corne, ou par des œuvres supérieures de l’humanité. C’est alors que les montagnes applaudiront des mains ou des œuvres saintes, et applaudiront en appelant le règne de Dieu.


1. « Chantez au Seigneur un nouveau cantique[370] ». L’homme nouveau connaît ce cantique, le vieil homme ne le connaît pas. Le vieil homme, c’est la vieille vie, l’homme nouveau, c’est la vie nouvelle : cette vieille vie nous vient d’Adam, la vie nouvelle est formée en nous par Jésus-Christ. C’est la terre entière que notre psaume invite à chanter un cantique nouveau. Car il dit plus clairement encore dans un autre passage : « Chantez au Seigneur un nouveau cantique, que la terre entière chante au Seigneur[371] ». Que les hommes séparés de la communion du monde entier comprennent enfin qu’ils ne peuvent chanter un cantique nouveau, parce que le cantique nouveau se chante dans le monde enlier, et non dans une partie. Or, remarquez et voyez que tel est le sens de notre psaume, et qu’en invitant l’univers entier à chanter un nouveau cantique, on signifie que c’est la paix qui entonne ce chant nouveau ; « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, parce que le Seigneur a fait des merveilles ». Quelles merveilles ? Tout à l’heure, à la lecture de l’Évangile, nous avons entendu les merveilles du Seigneur. On portait un mort, fils unique de sa mère, et celle-ci était veuve : le Seigneur touché de pitié fit arrêter le convoi ; et quand il fut arrêté, il dit : « Jeune homme, je te le commande, lève-toi. Et celui qui était mort s’assit, et commença à parler, et Jésus le rendit à sa mère[372] ». Voilà les merveilles du Seigneur. Mais il y a une merveille bien plus grande à tirer de la mort éternelle l’univers entier, qu’à ressusciter le fils unique d’une veuve. « Chantez donc au Seigneur un nouveau cantique, parce que le Seigneur a fait des merveilles ». Quelles merveilles ? Écoute encore : « Sa droite et la sainteté de son bras ont fait pour lui d’admirables guérisons ». Quel est ce bras saint du Seigneur ? C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ. Écoute Isaïe : « Qui croira à notre parole, et à qui le Seigneur a-t-il montré son bras[373] ? » Il est donc tout à la fois son bras saint et sa droite. Jésus-Christ donc est le bras de Dieu et la droite de Dieu : c’est pour cela qu’« elle a guéri pour lui ». Il n’est pas dit seulement que sa droite a guéri l’univers entier, mais qu’« elle l’a guéri pour lui ». Beaucoup en effet sont guéris pour eux, et non pour lui. Combien désirent la santé du corps, la reçoivent de sa miséricorde, et dès lors sont guéris par lui, et non pour lui ? Comment sont-ils guéris par lui, et non pour lui ? C’est qu’ayant recouvré la santé, ils se livrent au péché ; malades, ils étaient chastes ; guéris, ils deviennent adultères : pendant leur maladie, ils ne blessaient personne ; une fois en santé ils subjuguent et oppriment l’innocence. Ils sont guéris, mais non pour lui. Qui est guéri pour lui ? Celui qui est guéri intérieurement, Qui est guéri intérieurement ? Celui qui croit en Jésus-Christ, en sorte que, une fois qu’il est guéri intérieurement, et reformé sur l’homme nouveau, cette langueur même d’une chair mortelle qui est passagère, recouvre enfin sa santé la plus parfaite. Guérissons-nous donc pour Dieu ; et afin de nous guérir pour Dieu, croyons en sa droite : « Parce que sa droite et la sainteté de son bras ont fait pour lui des guérisons ».
2. « Le Seigneur a fait connaître son salut[374] ». Sa droite, son bras, son salut, c’est Notre-Seigneur. Jésus-Christ, dont il est dit : « Et toute chair verra le salut de Dieu[375] ». C’est encore de ce salut que le saint vieillard Siméon a dit en prenant l’enfant dans ses bras : « C’est maintenant, Seigneur, que vous laissez aller en paix votre serviteur, selon votre parole, car mes yeux ont vu votre salut[376]. Le Seigneur a fait connaître son salut ». À qui l’a-t-il fait connaître ? À une partie du monde ou du monde entier ? Ce n’est point à une partie seulement. Que nul ne nous trompe, que nul ne nous séduise en disant : « Le Christ est ici, ou il est là[377] ». Dire qu’ « il est ici ou là », c’est ne montrer que des parties du monde. Or, « à qui le Seigneur a-t-il révélé son salut ? » Écoute la suite « Devant toutes les nations, il a dévoilé sa justice ». La droite de Dieu, le bras de Dieu, le salut de Dieu et la justice de Dieu, c’est notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.
3. « Il s’est souvenu de sa miséricorde envers Jacob, et de sa vérité envers la maison d’Israël[378] ». Qu’est-ce à dire qu’ « il s’est souvenu de sa miséricorde et de sa vérité ? » Promettre était un acte de miséricorde : promettre et accomplir sa miséricorde, c’était manifester sa vérité. La miséricorde a donc fait la promesse, et la promesse accomplie a montré la vérité. « Il s’est souvenu de sa miséricorde envers Jacob, et de sa vérité envers Israël ». Quoi donc ? Est-ce seulement de Jacob, seulement d’Israël ? Cette race des Juifs, cette postérité d’Abraham selon la chair, s’appelle ordinairement maison d’Israël ; or, cet Israël était Jacob, car Jacob était fils d’Isaac, et Isaac fils d’Abraham. Jacob était donc petit-fils d’Abraham ; il eut douze fils, et de ces douze fils est issue toute la nation Juive. Est-ce à eux seulement que le Christ était promis ? Si l’on examine ce qu’est Israël, c’est à Israël qu’a été promis le Christ. Israël signifie qui voit Dieu : or, nous verrons Dieu face à face, si nous le voyons d’abord par la foi. Que notre foi ait des yeux, et la vérité de notre foi se manifestera : croyons-en celui que nous ne voyons point, et nous verrons avec joie ; désirons celui que nous ne voyons point, pour jouir de lui quand nous le verrons. Nous sommes donc ici-bas Israël par la foi, un jour nous serons Israël, en voyant Dieu face à face ; non plus en énigme et dans un miroir[379], mais, comme l’a dit saint Jean : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu ; mais ce que nous serons un jour n’apparaît point encore. Nous savons que quand il viendra nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est[380] ». Préparez vos cœurs pour cette vision, vos âmes à cette grande joie : pour te montrer son soleil, Dieu te demanderait seulement de préparer les yeux du corps ; mais comme il daigne nous montrer la beauté de sa sagesse, préparez les yeux de votre cœur : Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu[381]. « Le Seigneur s’est souvenu de sa miséricorde envers Jacob, et de sa vérité envers Israël ». Quel est cet Israël ? De peur que ta pensée ne s’arrête que sur la nation des Juifs, écoute ce qui suit : « Toutes les extrémités de la terre ont vu le salut de notre Dieu ». Il n’est pas dit : Toute la terre ; mais : « Tous les confins de la terre » ; comme on dit d’un bout à l’autre. Que nul ne déchire, que nul ne sépare le Christ : il est dans une puissante unité, Il n’a donné un si grand prix que pour acheter le monde entier. « Tous les confins de la terre ont vu le salut de notre Dieu ».
4. Donc, parce qu’ils l’ont vu, « que la terre entière jubile au nom du Seigneur ». Déjà vous savez ce qu’est la jubilation, réjouissez-vous et parlez. Si la parole ne peut exprimer votre joie, soyez dans la jubilation, que cette jubilation exprime ce que la parole ne saurait exprimer. Que cette joie cependant ne soit point muette, que le cœur ne se taise ni sur Dieu, ni sur ses dons. Si tu parles pour toi, tu es guéri pour toi : si la droite de Dieu t’a guéri pour lui, chante celui pour qui tu es guéri. « Tous les confins de la terre ont vu le salut de Dieu. Que la terre entière jubile au nom du Seigneur. Chantez, poussez des cris de joie, chantez des psaumes ».
5. « Chantez vos hymnes à notre Dieu sur la harpe, sur la harpe et sur le psaltérion[382] ». Chantez, non seulement de la voix ; joignez-y vos œuvres, afin de ne pas chanter seulement, mais d’agir. Chanter et agir, c’est chanter sur la harpe et sur le psaltérion.
6. Vois quels instruments servent ici de comparaison : « Chantez sur les trompettes ductiles, et sur les trompettes de corne ». Que signifient ces trompettes ductiles, ces trompettes de corne ? Les trompettes ductiles sont d’airain, et faites au marteau. Si c’est au marteau, c’est donc à force de coups. Vous serez alors des trompettes ductiles, battus pour la louange de Dieu, si vous avancez dans la piété au milieu des tribulations. Car la tribulation est le coup de marteau, et vos progrès seront l’extension de la trompette. Job était une trompette ductile, quand soudain, frappé de tant de malheurs, privé de ses enfants, il devint sous les coups si multipliés de la tribulation une trompette ductile, et jeta ce son harmonieux : « Dieu l’a donné, Dieu l’a ôté ; comme il a plu au Seigneur, il a été fait ; que de nom du Seigneur soit béni[383] ». O son délicieux ! Agréable harmonie ! On frappe une seconde fois cette trompette ductile ; Job est livré au pouvoir de Satan, afin d’être frappé dans sa chair ; et sa chair est frappée, tombe en pourriture, devient la proie des vers : son Épouse, nouvelle Eve, dont Satan veut se servir non pour le consoler, mais pour le séduire, lui suggère le blasphème ; mais Job résiste. Adam céda aux suggestions d’Eve dans le paradis[384] ; Adam sur son fumier repousse la nouvelle Eve. Car Job était assis sur le fumier quand le pus et les vers tombaient de ses plaies. Or Job, en pourriture sur son fumier, est plus fort qu’Adam plein de santé dans le paradis. Cette Épouse était encore Eve, mais Job n’était plus Adam. Il a une réponse pour celte Eve qui doit être pour lui la séduction, les embûches, et il s’écrie (voyez comme ce clairon est bien frappé. Satan l’a couvert d’une plaie effrayante ; des pieds à la tête, en pourriture, en proie aux vers, il est assis sur un fumier. Après avoir vu comment il a été frappé, écoutons ce son qu’il rend ; écoutons, s’il vous plaît, l’harmonie de cette trompette ductile) ; « Vous avez parlé », dit-il à sa femme, « comme une femme des plus insensées. Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir les maux[385] ? » Éclatante harmonie, suave harmonie ! Qui ne tirerait-elle point du sommeil ? Qui ne serait point porté à se confier en Dieu pour marcher en sécurité contre le diable, comptant sur les forces de celui qui nous éprouve, et non sur ses propres forces ? C’est Dieu même qui nous frappe aussi ; car le marteau ne peut rien de lui-même. Et le Prophète, parlant de la peine que Satan subira dans l’avenir, s’écrie que « le marteau de toute la terre a été brisé à son tour[386] ». Par ce marteau de la terre, il entend le diable. C’est ce marteau qui est en la main de Dieu, ou plutôt en la puissance de Dieu, et qui frappe les trompettes ductiles pour en tirer les louanges de Dieu. Voyez aussi comment (j’oserai bien vous le dire, mes frères), ce marteau frappait aussi saint Paul : « De peur que la grandeur de ces révélations ne me donne de l’orgueil, un aiguillon a été mis en ma chair, ange de Satan, pour me souffleter ». Le voilà martelé, voyons les sons qu’il va rendre. « C’est pourquoi », poursuit-il, « j’ai prié trois fois le Seigneur de l’éloigner de moi ; et il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse[387] ». Je veux, dit ce divin ouvrier, perfectionner une telle trompette, et je ne le puis que par le marteau. « La vertu s’affermit dans la faiblesse ». Écoutez maintenant la parfaite harmonie de cette trompette. « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort[388] ». L’Apôtre lui-même, s’attachant comme Apôtre au Christ, s’attachant à cette droite qui tient le marteau pour en frapper le clairon, placé dans cette même droite, se sert aussi du marteau ; car il dit de quelques-uns : « Je les ai livrés à Satan, afin qu’ils apprennent à ne plus blasphémer ». Il les a livrés au marteau qui doit les frapper. Ces trompettes sonnaient faux avant d’être battues ; et peut-être que devenues ductiles sous le marteau, elles ont oublié le blasphème pour chanter les louanges de Dieu. Voilà ces trompettes ductiles.
7. Qu’est-ce que la trompette faite avec la corne ? La corne est au-dessus de la chair. Or, en s’élevant au-dessus de la chair elle doit nécessairement se durcir, et ainsi durer longtemps et rendre un son. Mais pourquoi cela ? parce quelle est au-dessus de la chair. Pour être donc une trompette en corne, il faut s’élever au-dessus de la chair ? Qu’est-ce à dire au-dessus de la chair ? S’élever au-dessus des affections charnelles, vaincre les passions de la chair. Écoute ces trompettes de corne. « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ », dit l’Apôtre, « cherchez ce qui est en haut, où est le Christ assis à la droite de Dieu ; goûtez ce qui est en haut, et non ce qui est terrestre[389] ». Qu’est-ce à dire, « cherchez ce qui est en haut ? » C’est-à-dire, tout ce qui s’élève au-dessus de la chair, que vos pensées ne soient point charnelles. Ils n’étaient point encore trompettes de corne, ces hommes à qui l’on disait : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels. Comme à des enfants en Jésus-Christ, je vous ai donné du lait, et non des viandes ; vous ne pouviez pas les supporter encore : vous ne le pouvez même pas maintenant, car vous êtes encore charnels[390] ». Ne s’élevant point au-dessus de la chair, ils n’étaient donc pas encore des trompettes de corne. La corne tient à la chair, il est vrai, mais surmonte la chair. Si donc d’homme charnel, tu es devenu spirituel, ta chair est encore sur la terre, mais l’esprit est au ciel. « Quoique nous vivions dans la chair », dit l’Apôtre, « ne combattons pas selon la chair[391] ». Et n’oublions pas, mes frères, à quels hommes l’Apôtre parlait. Que leur dit-il, pour leur montrer qu’ils sont encore charnels, avec des goûts charnels, et qu’ils ne sont point encore des trompettes de corne ? « Quand chez vous l’un dit : Je suis à Paul ; l’autre, moi à Apollo ; celui-ci, moi à Céphas : n’êtes-vous point des hommes charnels, et ne vous conduisez-vous point selon l’homme ? Qu’est-ce que Apollo ? Qu’est-ce que Paul ? Les ministres du Dieu par lesquels vous avez cru. J’ai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu adonné l’accroissement[392] ». Il veut, de cette espérance qu’ils avaient mise en un homme, les élever jusqu’au niveau des choses spirituelles du Christ ; afin qu’en s’élevant au-dessus de la chair, ils puissent être des trompettes de corne. N’insultez point, mes frères, à ceux que la divine miséricorde n’a pas encore convertis. Sachez que tant que vous le faites, vous avez des goûts charnels. Le son d’une telle trompette n’est point harmonieux aux oreilles de Dieu : une trompette insolente ne soulève qu’une guerre inutile. Qu’une trompette de corne vous anime contre le démon, et non une trompette de chair contre vos frères. « Chantez devant le Seigneur qui est roi, chantez au son de la trompette ductile, ou au son de la trompette de corne ».
8. Et quand vous aurez jubilé, tressailli au son de la trompette ductile, au son de la trompette de corne, qu’arrivera-t-il ? « Que la mer soit émue, et tout ce qu’elle contient[393] ». Mes frères, quand les Apôtres prêchèrent la vérité, avec des clairons et des trompettes de corne, la mer se troubla, ses flots se soulevèrent, les tempêtes grandirent, et l’Église fut persécutée. D’où venait ce trouble de la mer ? Les jubilations, les cris d’allégresse en l’honneur de Dieu, étaient une harmonie qui charmait les oreilles de Dieu, et qui soulevait la mer. « Que la mer soit émue, et tout ce qu’elle contient ; que la terre en soit émue, et tous ceux qui l’habitent ». Que la mer se soulève pour la persécution. « Les fleuves battront des mains pour lui applaudir[394] ». Que la mer soit émue, que les fleuves battent des mains : et les persécutions s’élèvent, et les saints s’en applaudissent en Dieu. Pourquoi les fleuves battront-ils des mains ? Qu’est-ce qu’applaudir des mains ? C’est témoigner sa joie par des œuvres. L’applaudissement marque la joie, et les mains les œuvres. Quels sont ces fleuves ? Ceux dont Dieu a fait des fleuves, en faisant couler sur eux le Saint-Esprit comme une eau vive. « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne et qu’il boive », dit le Sauveur. « Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive sortiront de son sein[395] ». Tels sont les fleuves qui applaudissaient des mains, les fleuves qui témoignaient leur joie par des œuvres, et qui bénissaient Dieu.
9. « Les montagnes tressailliront devant la face du Seigneur, parce qu’il est venu, parce qu’il est venu juger la terre[396] ». Heureuses « montagnes ». Le Seigneur vient juger la terre, et elles sont dans la joie. D’autres montagnes doivent trembler, quand le Seigneur viendra juger la terre. Il y a donc de bonnes montagnes, et de méchantes montagnes ; bonnes à cause de l’éminence spirituelle, mauvaises à cause de l’enflure de l’orgueil. « Les montagnes tressailliront en face du Seigneur, parce qu’il est venu juger la terre ». Pourquoi viendra-t-il, comment viendra-t-il ? « Il viendra pour juger la terre. Il jugera l’univers dans la justice, et les peuples dans l’équité ». Que les montagnes donc se réjouissent, car il ne jugera point injustement. Quand un homme doit venir pour juger, comme il ne voit point le fond des consciences, que les hommes tremblent, fussent-ils innocents, si c’est de lui qu’ils attendent la louange, ou qu’ils craignent le supplice : mais quand viendra celui qui ne peut errer, que les montagnes se réjouissent, et soient en sûreté : elles recevront de lui la lumière, au lieu de subir la condamnation. Qu’elles se réjouissent, parce que le Seigneur viendra juger la terre dans l’équité. Mais si les montagnes justes se réjouissent, que les injustes soient dans la crainte. Ce juge cependant n’est point encore venu, à quoi bon trembler ? Qu’elles se corrigent et se réjouissent. Elle dépend de toi, cette manière dont tu attendras le Christ. S’il diffère de venir, c’est afin (le ne point te damner. Voilà qu’il n’est point venu encore, il est au ciel, et toi sur la terre ; s’il diffère son avènement, ne diffère pas ton choix. Son avènement sera dur pour les cœurs endurcis, et doux pour les cœurs doux. Vois ce que tu es maintenant : si tu es endurci, tu peux t’adoucir ; si tu es doux, réjouis-toi de son avènement : car tu es chrétien. Oui, me dis-tu. Je crois donc que tu pries, et que tu dis : « Que votre règne arrive[397] ». Tu désires qu’il vienne, et tu crains qu’il vienne. Corrige-toi, afin de ne pas prier contre toi.


DISCOURS SUR LE PSAUME 98 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LE RÈGNE DE JÉSUS-CHRIST. modifier

Le Christ annoncé dès le commencement par les Prophètes a régné quand on a commencé à le prêcher après sa résurrection. Le monde alors prit parti pour l’idole, il tua dans les martyrs cette chair qui doit ressusciter, mais non l’âme qui est couronnée, tandis que l’idole a disparu. Le Seigneur s’est donc fait homme et il a régné, il s’assied sur les chérubins ou sur la plénitude de ta science, et en toi, si lu as la science de la loi par la charité. Or, ces peuples frémissants ont été vaincus par la prière de l’Église qui les a absorbés ; prions pour ceux qui sont demeurés dans l’aveuglement, afin qu’ils se tournent enfin vers Dieu, qui est mort pour eux, qui leur prêche dans sa miséricorde, qui oublie nos fautes, mais qui enfin nous jugera. C’est lui qui forme eu nous la justice, car si nous pouvons par nous-mêmes devenir malades, il faut le secours du médecin pour nous guérir. Il produit donc en nous le jugement qui nous rat discerner ce qui est bien, et la justice qui l’accomplit. Adorons l’escabeau de ses pieds ou cette chair en laquelle il s’est montré, qui fit éloigner les disciples quand il leur proposa de la manger, lui dont Moïse, Aaron et Samuel étaient les serviteurs, et à qui il parlait d’une manière figurée, corrigeant leurs affections, ou ce qui était imparfait. Car nous ne voyons en eux aucun châtiment extérieur, mais leur peine était de vivre avec les imparfaits. À mesure que nous avançons dans la piété, nous voyons l’ivraie autour de nous, mais ne l’arrachons pas. De même saint Paul souffre davantage à mesure qu’il avance dans la perfection. Adorons le Seigneur qui nous éprouve, adorons-le sur la montagne sainte, et dans cette pierre qui grandit et remplit toute la terre. Que nos paroles soient pour vous la pluie du Seigneur.


1. Votre charité, mes frères, ne peut ignorer, car vous êtes enfants de l’Église, instruits à l’école de Jésus-Christ, et dans les écrits de nos pères de l’Ancien Testament, qui ont consigné les paroles de Dieu, les merveilles de Dieu, que leur but était de nous instruire, nous qui devions vivre en ces temps et croire en Jésus-Christ. Il est venu à nous d’abord dans son humilité au temps précis, il viendra ensuite dans sa splendeur. Il est venu une première fois, pour comparaître devant un juge ; il viendra une seconde fois, pour s’asseoir sur son tribunal, afin que tous les membres du genre humain comparaissent devant lui chacun selon ses mérites. Il s’est fait précéder de plusieurs hérauts, qui l’ont annoncé comme un grand juge, et aussi comme un homme qui viendra dans son humilité. Beaucoup également l’ont annoncé comme devant naître d’une vierge, sucer la mamelle comme un nouveau-né, puis devenir enfant, lui le Verbe de Dieu par qui tout a été fait ; plusieurs hérauts t’ont précédé pour prédire ces merveilles et les temps où nous sommes. Toutefois, en les prédisant, ils cachaient leurs pensées sous des figures, jusqu’à ce que le voile qui couvrait la vérité dans les livres anciens, fût enfin déchiré, et que la vérité sortit de la terre. Il est dit en effet dans un psaume : « La vérité s’est levée de la terre, et la justice a regardé du ciel[398] ». Tout notre but maintenant, quand nous lisons les psaumes, les prophètes, la loi, livres tous écrits avant la naissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur, est donc d’y retrouver le Christ, d’y comprendre le Christ. Que votre charité donc examine ce psaume, afin d’y chercher le Christ : assurément il apparaîtra à ceux qui le cherchent, lui qui s’est montré à ceux qui ne le cherchaient point ; il n’abandonnera point ceux qui soupirent après lui, quand il a racheté ceux qui le dédaignaient. C’est par lui que commence le psaume, quand il dit :
2. « Le Seigneur a régné, que les peuples frémissent[399] ». Notre-Seigneur a commencé son règne, on a commencé à le prêcher quand il est ressuscité des morts pour monter aux cieux, quand il a rempli ses disciples d’une sainte confiance dans l’Esprit-Saint, afin qu’ils n’eussent plus à craindre la mort qu’il avait tuée en lui-même. Or, il a commencé d’être annoncé aux hommes, afin que ceux qui voudraient être sauvés crussent en lui ; et alors les peuples qui adoraient des idoles ont frémi de colère. Ils frémissaient quand on leur prêchait tin Dieu qui les avait faits, ces hommes qui adoraient ce qu’ils avaient fait. Il se faisait annoncer par ses disciples, lui qui voulait ramener les hommes au Dieu qui les a créés, et les détourner des idoles qu’ils avaient faites. En faveur de l’idole, ils s’emportaient contre leur Seigneur, eux qui en faveur de leur idole ne pouvaient s’emporter contre leur esclave sans encourir la damnation. Car l’esclave valait bien mieux que l’idole, puisque c’est Dieu qui a créé l’esclave, tandis qu’un simple ouvrier a fait l’idole. Tel était leur zèle pour l’idole, qu’ils ne craignaient point de s’emporter coutre Dieu. Cette colère était prédite, mais non commandée ; David l’a dit en effet : « Le Seigneur a régné, que les peuples s’irritent ». Cette colère des peuples peut aboutir ; ils se fâcheront, et les martyrs seront couronnés par cette même colère. Qu’ont fait ces peuples aux prédicateurs de la vérité, aux nuées du Christ qui environnaient la terre, et qui arrosaient le champ du Christ ? Que leur ont-ils fait dans leur colère, sinon de tourmenter la chair qui était entre leurs mains, et de faire couronner l’âme qui était entre les mains de Jésus-Christ ? Et toutefois cette chair qu’ont pu tuer les persécuteurs, n’a pas été tellement morte, qu’elle eût péri éternellement : elle aura son temps pour ressusciter à son tour, puisque le Seigneur nous a déjà montré par lui-même que la chair doit ressusciter. Il a voulu se revêtir de notre chair, afin que nous ne pussions en désespérer. Donc, mes frères, la chair de ces serviteurs, que les idolâtres ont mis à mort, ressuscitera dans son temps : mais l’idole brisée par le Christ ne sera point rétablie par l’ouvrier. Tout à l’heure, quand on lisait Jérémie avant de lire les Apôtres, vous avez entendu, pour peu d’attention que vous ayez apportée, que les temps où nous vivons sont annoncés. Car il dit « Qu’ils périssent de la terre et de dessous le ciel, ces dieux qui n’ont fait ni le ciel ni la terre[400] ». Il ne dit point : Qu’ils disparaissent du ciel et de la terre, puisqu’ils n’ont jamais été au ciel. Mais que dit-il ? « Que les dieux qui n’ont pas fait le ciel et la terre disparaissent de la terre ». Comme s’il répondait au sujet de la terre, et n’avait rien à répondre à propos du ciel, puisque ces dieux n’ont jamais été dans le ciel : il nomme la terre deux fois, puisqu’elle est sous le ciel. « Qu’ils périssent de la terre, et de dessous le ciel », ou de leurs temples. Voyez si cet oracle ne s’accomplit point, s’il ne l’est même en grande partie. Que reste-t-il, combien en reste-t-il ? Ces idoles subsistent bien plus dans le cœur des païens, que dans leurs temples.
3. Donc « le Seigneur a régné, que les peuples s’irritent. Lui qui s’assied sur les chérubins », sous-entendu « a régné. Que la terre soit en émoi ». Ces derniers mots sont une répétition de ces autres : « Que les peuples s’irritent ». Car cette expression : « Seigneur », est répétée dans : « Celui qui s’assied sur les chérubins ». Il a régné », du premier verset, est sous-entendu dans le second, et : « Que les peuples s’irritent », est répété dans : « Que la terre soit en émoi ». Que sont en effet les peuples, sinon la terre ? Que la terre se soulève tant qu’elle voudra contre celui qui est assis dans le ciel. Le Seigneur en effet fut autrefois sur la terre, et il se fit de cette terre une chair afin d’habiter sur la terre. Il se revêtit de notre chair, et voulut être la première victime des emportements populaires. Pour affermir ses serviteurs contre cette colère, il voulut la subir le premier : et comme cette colère des peuples était nécessaire à ses serviteurs, pour les guérir de leurs péchés au moyen de la tribulation, le médecin but le premier ce breuvage amer, afin que le malade ne craignît plus de le boire. Donc « le Seigneur a régné, que les peuples s’irritent » : que les peuples se soulèvent, puisque leur colère sert à Dieu pour opérer de si grands biens. Les peuples s’irritent et les serviteurs de Dieu sont purifiés ; et parce qu’ils sont tourmentés, ils sont couronnés. « Que les peuples se soulèvent. Celui qui s’assied sur des chérubins » a régné : « Que la terre soit en émoi ». Le chérubin est le trône de Dieu, comme nous l’enseigne l’Écriture, un trône sublime dans les cieux, et que nous ne voyons pas ; mais le Verbe le connaît, et le connaît comme son trône ; et ce même Verbe de Dieu et l’Esprit de Dieu ont enseigné aux serviteurs de Dieu le trône du Seigneur. Non point que le Seigneur s’asseye à la manière d’un homme ; mais si tu veux que Dieu s’asseye en toi, si tu es juste, tu seras le trône de Dieu, car il est écrit que « l’âme du juste est le siège de la « sagesse ». Le mot trône, se dit en latin sedes ou siège. Ceux qui connaissent la langue hébraïque ont cherché ce que le mot chérubin signifie en latin, car chérubin est un mot hébreu, et ils ont dit qu’il signifie plénitude de la science. Donc parce que le Seigneur surpasse toute science, il est dit qu’il s’assied sur la plénitude de la science. Sois donc aussi plein de science, et le Seigneur s’assiéra en loi. Mais, diras-tu : Comment pourrai-je avoir la plénitude de la science ? Qui peut s’élever à cette hauteur pour avoir pleinement la science ? Crois-tu que pour trouver en nous la plénitude de la science, Dieu exige que nous sachions le nombre des étoiles, ou des grains, je ne dirai pas de sable, mais de froment, ou combien de fruits pendent sur les arbres ? Dieu connaît tout, il est vrai, puisqu’il a compté tous nos cheveux[401]. Mais il est une plénitude de science qu’il veut trouver en l’homme. La science que Dieu veut trouver en toi, consiste dans la loi de Dieu. Mais, diras-tu encore, qui peut connaître si parfaitement la loi pour avoir en lui la plénitude de la science, et devenir ainsi le trône de Dieu ?
Point d’effroi, voilà qu’on te dit en deux mots ce que tu dois avoir, si tu veux posséder la plénitude de la science et devenir le trône de Dieu. « La charité », nous dit l’Apôtre, « c’est la plénitude de la loi[402] ». Quoi donc ? Tu as perdu toute excuse. Interroge ton cœur, vois s’il a de la charité. S’il a de la charité, il a aussi la plénitude de la loi, et Dieu dès lors habite en toi, et tu es le trône de Dieu. « Que les peuples s’irritent ». Que feront-ils à celui qui est le trône de Dieu ? Tu considères ceux qui peuvent te nuire, et tu ne considères pas celui qui est en toi. Tu es devenu le ciel, et tu crains la terre ? Car l’Écriture fait dire ailleurs au Seigneur notre Dieu : « Le ciel est mon trône[403] ». Si donc tu es le siège de Dieu, parce que tu as la plénitude de la science, ainsi que la charité, tu es aussi le ciel, car aux yeux de Dieu ce n’est point ce ciel que nous voyons des yeux, qui a quelque prix : le ciel pour Dieu, ce sont les âmes saintes ; le ciel de Dieu, ce sont les esprits des anges, tous les esprits de ses serviteurs. Donc « que les peuples s’irritent, que la terre soit en émoi ». Que feront les peuples, que fera la terre à celui qui est le trône de Dieu, le ciel sur lequel il s’assied ?
4. « Le Seigneur est grand dans Sion, il est élevé au-dessus de tous les peuples[404] ». Oui, le Seigneur est grand dans Sion, il est souverainement élevé. Si donc il te restait quelque chose d’obscur sur cette parole : « Dieu est assis sur des chérubins » ; si tu te figurais un trône céleste éclatant de pierreries, fantôme grossier, voltigeant çà et là, et que tu appelais chérubin, tu as entendu que le chérubin c’est la plénitude de la science ; que cette science n’est pas une science quelconque, mais la pleine science de la loi, science utile aux hommes : et de peur que tu ne désespères d’arriver à cette science de la loi, on t’a dit que la plénitude de la loi est la charité ». Aie donc l’amour de Dieu et du prochain, et tu seras le siège de Dieu, tu seras un chérubin. Et si maintenant tu ne comprends pas encore, écoute ce qui suit : « Le Seigneur est grand dans Sion ». Celui qui s’assied sur les chérubins, celui-là est grand en Sion. Cherche maintenant ce qu’est Sion. Sion, nous le savons, est la cité de Dieu. Sion est la même ville que Jérusalem, et en interprétant le nom hébreu, Sion signifie observation, ou vision et contemplation. Car observer signifie regarder, ou plutôt apercevoir, ou faire des efforts pour voir. Or, Sion est toute âme qui s’applique à découvrir la lumière qu’elle doit voir. Contempler sa propre lumière, c’est s’aveugler. Mais l’âme s’éclaire en contemplant celle de Dieu. Comme il est néanmoins évident que Sion est la cité de Dieu ; quelle est cette cité de Dieu, sinon l’Église ? Les hommes, en s’aimant d’une charité mutuelle, en aimant Dieu qui habite en eux, font à Dieu une cité. Or, comme toute cité a des lois, leur loi est la charité, et la charité c’est Dieu. Car il est dit clairement : « Dieu est charité[405] ». Être plein de charité, c’est donc être plein de Dieu ; et quand plusieurs sont pleins de charité, ils forment une cité à Dieu. Cette cité de Dieu s’appelle Sion, et dès lors Sion c’est l’Église. C’est en elle que Dieu est grand. Sois dans Sion et Dieu ne sera point en dehors de toi. Et quand Dieu sera eu toi, parce que tu feras partie de Sion, tu seras un membre de Sion, un citoyen de Sion, uni à la société du peuple de Dieu, alors Dieu sera en toi plus élevé que tous les peuples, dominant ceux qui frémissent ou ceux qui frémissaient autrefois. Pensez-vous en effet que ces peuples qui s’irritaient jadis ne s’irritent plus aujourd’hui ? Ils s’irritaient alors, et comme ils étaient nombreux, ils le faisaient au grand jour ; maintenant qu’ils sont en petit nombre, leur colère est secrète. Dieu qui a jusque-là brisé leur audace, étouffera enfin leur colère.
5. Croyez-vous en effet qu’ils ne frémissent point contre nos jeûnes, ceux qui faisaient retentir hier leurs instruments de musique ? Pour nous, sans nous irriter contre eux, jeûnons pour eux. Ainsi l’a dit le Seigneur notre Dieu, il nous a ordonné de prier pour nos ennemis, de prier pour nos persécuteurs[406] ; voilà ce qu’a fait l’Église pour mettre fin aux persécutions. Elle a été exaucée quand elle a pratiqué ce précepte, Dieu l’exauce chaque jour quand elle le pratique ; ses ennemis prévalaient sur elle pour leur malheur ; et pour leur bonheur, ils sont dissipés. Voulez-vous savoir quelle a été leur fin ? L’Église les a absorbés. Vous les cherchez en eux-mêmes, et vous ne les trouvez point cherche-les dans celle qui les a absorbés, et tu les trouveras dans ses entrailles. Dans les entrailles de l’Église, en effet, ils sont devenus chrétiens : ils ont péri comme persécuteurs, grandi comme prédicateurs. Aussi quand nous voyons dans leurs fêtes ceux qui sont demeurés païens, se livrer à leurs folies voluptueuses et condamnables, nous prions Dieu pour eux, afin qu’au lieu d’écouter avec plaisir le son des harpes, ils écoutent mieux encore la voix de Dieu. Si une harmonie sans raison flatte notre oreille, la parole de Dieu doit plaire à notre cœur. Mais ce que nous demandons pour eux, quand nous jeûnons aux jours de leurs fêtes, c’est qu’ils soient à eux-mêmes leurs spectacles. Ils ne pourront se voir sans se déplaire, et s’ils ne se déplaisent point, c’est qu’ils ne se considèrent point. Un homme dans l’ivresse ne se déplaît point, mais il déplaît à l’homme sobre. Donne-moi un homme qui trouve son plaisir en Dieu, il mène une vie sérieuse, il soupire après la paix éternelle que Dieu lui a promise : or, qu’il rencontre un homme qui danse au son des instruments, et vois s’il ne plaindrait pas plus cette folie, que le délire d’un frénétique. Donc si nous connaissons leur malheur, plaignons-les, puisque Dieu nous en a délivrés, et si nous les plaignons, prions pour eux, et afin d’être exaucés, jeûnons pour eux. Car ce n’est point pour célébrer leurs solennités que nous jeûnons ; nous avons en effet d’autres jeûnes que nous célébrons dans les jours qui précèdent Pâques, et en d’autres jours solennels dans l’Église ; mais nous jeûnons aux fêtes des païens, afin de gémir quand ils s’élèvent à une joie insensée. Leur joie est un avertissement pour notre douleur, et ils nous font souvenir de ce que nous étions. Mais comme plusieurs sont délivrés de ces folies dans lesquelles nous avons été plongés, nous ne devons point désespérer d’eux-mêmes. S’ils frémissent encore de colère, prions. Si cette partie de la terre qui demeure infidèle est en émoi, pour nous persévérons dans nos gémissements, afin que Dieu leur donne l’intelligence, et qu’ils entendent comme nous ces paroles qui font notre joie : « Le Seigneur est grand dans Sion, il est élevé au-dessus de tous les peuples ».
6. « Qu’ils rendent gloire à votre grand nom[407] ». Que tous ces Peuples que domine le Dieu qui est grand en Sion, « rendent gloire à son nom si grand ». Votre nom était faible, ô mon Dieu, quand ils frémissaient de colère : maintenant qu’il est grand, puissent-ils le bénir. Comment disons-nous que le nom du Christ était faible avant qu’il se répandît avec tant d’éclat ? C’est que le nom se prend ici pour la renommée ; c’est pourquoi il était faible alors et maintenant il est grand. Quelle nation n’a pas entendu le nom du Christ ? Que les peuples donc rendent témoignage à la grandeur de votre nom, eux qui frémissaient quand il était faible. « Qu’ils confessent la grandeur de votre nom ». Pourquoi la confesser ? « C’est qu’il est terrible et qu’il est saint ». Votre nom, ô mon Dieu, est un nom saint et terrible. Ainsi on prêche la mort de Jésus à la croix, on prêche ses humiliations, on prêche le jugement qu’il a subi, mais en prêchant son avènement dans sa gloire, en prêchant qu’il est vivant, en prêchant qu’il viendra pour juger. Maintenant il épargne les peuples blasphémateurs, parce que le baptême de Dieu amène à la pénitence[408]. Car, celui qui épargne maintenant, épargnera-t-il toujours ? et si maintenant on le prêche pour le faire craindre, ne doit-il point venir juger ? Il viendra donc, mes frères, il viendra ; craignons-le, et vivons de manière à être placés à sa droite. Car il viendra pour juger, et il placera les uns à sa droite, les autres à sa gauche[409]. Et toutefois il ne fait point ce discernement de manière à se tromper, à mettre à gauche celui qui doit être placé à droite, ou à placer à droite celui qui doit être placé à gauche. Dieu ne saurait se tromper, ni mettre dès lors le méchant à la place du bon, non plus que le bon à la place du méchant. Mais s’il ne saurait se tromper, c’est nous tromper beaucoup, que ne pas craindre ; et si nous craignons maintenant, nous n’aurons plus rien à craindre alors. « Son nom est terrible et saint : l’honneur du roi aime l’équité ». Que les peuples donc le craignent et se craignent : qu’ils ne présument point de sa miséricorde au point de s’oublier et de vivre dans le désordre ; car s’il aime la miséricorde, il aime aussi la justice. Où est sa miséricorde ? À vous prêcher la vérité, à prendre sa grande voix pour vous amener à la conversion. Est-ce donc peu pour sa miséricorde, de ne pas t’avoir retranché de la terre au milieu de tes crimes, alors que tu vivais dans le désordre, et de t’avoir pardonné tes fautes, en considération de ta foi ? Est-ce peu pour sa miséricorde, et penses-tu qu’il sera toujours miséricordieux, au point de ne jamais punir ? Garde-t’en bien. Son nom est terrible et saint, « et l’honneur du roi aime l’équité ». Il y aurait injustice dans le jugement, ou plutôt ce ne serait point un jugement, si chacun n’était traité selon ses mérites, selon le bien ou le mal qu’il a fait pendant qu’il était sur la terre[410]. « L’honneur du roi aime le jugement ». Craignons donc alors, pratiquons la justice, et suivons l’équité.
7. Mais qui suit l’équité ? qui pratique la justice ? Est-ce l’homme pécheur, l’homme d’iniquité : l’homme pervers, et qui se détourne de la lumière de la vérité ? Que doit faire l’homme ? Simplement se convertir à Dieu, qui formera en lui cette justice que lui-même, loin de former, ne fait que défigurer. L’homme qui peut si facilement se blesser, peut-il donc se guérir ? Il est malade quand il le veut, mais ne se lève point quand il veut. Il n’a qu’à le vouloir, à s’exposer à l’excès du froid ou de la chaleur ; il sera malade au jour qu’il voudra : mais lorsqu’il est malade volontairement par ses propres excès, qu’il se lève quand il le voudra ; il s’est alité à son gré, qu’il se lève à son gré, s’il le peut. Pour être malade, il ne lui fallait que son intempérance ; mais pour sa guérison, il lui faut le secours du médecin, il en est ainsi du péché ; l’homme se suffit à lui-même pour pécher ; mais s’agit-il de la justification, il ne peut être justifié que par celui qui est le juste par excellence. Afin d’engager les hommes à se livrer à lui pour être formés à la justice, voilà qu’après avoir effrayé les peuples, et dit : « Qu’ils confessent la grandeur de votre nom, parce qu’il est terrible et saint, et l’honneur du roi aime la justice », le Prophète semble répondre aux hommes effrayés, qui lui demandent comment il leur faut vivre dans la justice ; puisqu’ils n’ont pas la justice en eux-mêmes, il leur signale celui qui peut former en eux cette justice : « C’est vous », dit-il, « qui avez préparé la justice ; vous avez fait en Jacob la justice et le jugement[411] ». Car nous aussi, nous devons avoir le jugement, nous aussi avoir la justice. Mais celui qui a fait la justice et le jugement est aussi celui qui nous a faits afin de les former en nous. Comment donc, nous aussi, aurons-nous la justice et le jugement ? Le jugement chez toi, c’est le discernement du bien et du mal ; la justice, de faire le bien et éviter le mal. Discerner le bien, c’est le jugement ; le faire, c’est la justice. « Évite le mal », dit le Prophète, « et fais le bien ; cherche la paix et poursuis-la[412] ». Ainsi donc, le jugement d’abord, et ensuite la justice. En quoi consiste le jugement ? À discerner ce qui est bien et ce qui est mal. En quoi la justice ? À se détourner du mal pour s’attacher au bien. Mais cela ne vient pas de toi : vois en effet ce que dit le Prophète : « C’est vous qui avez fait en Jacob le jugement et la justice ».
8. « Exaltez le Seigneur notre Dieu ». Oui, exaltez-le, relevez ses bienfaits. Louons-le, exaltons-le, puisqu’il a fait la justice que nous avons, et l’a faite en nous. Qui a créé en nous la justice, sinon celui qui nous a justifiés ? Or, il est dit du Christ, qu’« il a justifié l’impie[413] ». Nous sommes les impies, c’est lui qui nous rend justes, quand il établit en nous cette justice par laquelle nous pouvons lui plaire et mériter d’être placés, non point à sa gauche, mais à sa droite, lorsqu’il dira à ceux de droite : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui a été préparé pour vous dès l’origine du monde » ; afin qu’il ne nous place point à la gauche avec ceux auxquels il doit dire : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges[414] ». Combien ne devons-nous point exalter celui qui doit couronner en nous, non point nos mérites, mais ses dons ? « Exaltez le Seigneur notre Dieu ».
9. « Prosternez-vous devant l’escabeau de « ses pieds, car il est saint[415] ». Que devons-nous adorer ? « L’escabeau de ses pieds ». On appelle escabeau ce que l’on met sous les pieds. Les Grecs l’appellent upopodion, les Latins scabellum, d’autres l’ont appelé suppedaneum. Voyez, mes frères, ce que le Psalmiste nous ordonne ici d’adorer. Dans un autre endroit de l’Écriture il est dit : « Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds[416] ». Est-ce donc la terre qu’il nous faut adorer, puisqu’il dit ailleurs que c’est l’escabeau de ses pieds ? Comment adorer la terre, quand l’Écriture nous dit clairement : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu[417] ? » Cependant l’Écriture nous dit : « Adorez l’escabeau de ses pieds » ; et comme pour nous expliquer ce qu’elle entend par cet escabeau, elle dit ailleurs : « La terre est l’escabeau de ses pieds ». Me voilà dans l’embarras : je crains d’adorer la terre, de peur d’être condamné par celui qui a créé le ciel et la terre ; et je crains encore de n’adorer point l’escabeau des pieds de mon Dieu, quand le Psalmiste me dit : « Adorez l’escabeau de ses pieds ». Je cherche quel est cet escabeau, et l’Écriture me répond : « La terre est l’escabeau de ses pieds ». Dans mon anxiété, je me tourne vers le Christ, car c’est lui que je cherche ici, et je trouve comment l’on peut sans impiété adorer la terre, sans impiété adorer l’escabeau de ses pieds. Car c’est de la terre qu’il a reçu une terre, puisque la chair est une terre, et qu’il a pris sa chair de la chair de Marie. Et parce qu’il s’est montré sur la terre avec cette chair, que pour notre salut il nous a donné cette chair à manger, nul ne mange cette chair sans l’adorer d’abord. Et voilà que nous avons trouvé comment nous pouvons adorer cet escabeau de ses pieds, en sorte qu’on peut l’adorer sans pécher, et que ne point l’adorer au contraire, ce serait pécher. Mais est-ce la chair qui nous donne la vie ? Jésus-Christ lui-même, en nous signalant cette terre qu’il portait, nous dit : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien[418] ».C’est pour cela qu’en t’inclinant devant une terre quelconque, en l’adorant, tu ne fais aucune attention à la terre, mais à ce saint, dont la terre que tu adores est le marchepied, car c’est à cause de lui que tu l’adores : aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Adorez l’escabeau de ses pieds, parce que lui est saint ». Qui est saint ? Celui en l’honneur de qui tu adores l’escabeau de ses pieds. Et quand tu l’adores, que ta pensée ne demeure point dans la chair, de peur que tu ne sois privé de la vie de l’Esprit : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien », dit le Sauveur. Quand le Seigneur faisait cette recommandation, il avait parlé de sa chair, et il avait dit : « Si vous ne mangez ma chair, vous n’aurez pas la vie en vous[419] ». Quelques disciples, au nombre de septante environ, en furent scandalisés, et s’écrièrent : « Cette parole est dure, et qui e pourrait l’entendre ? » Ils se séparèrent et ne le suivirent plus[420]. Cette parole leur paraissait dure : « Si vous ne mangez ma chair, vous n’aurez pas la vie éternelle ». Ils l’entendirent d’une manière stupide ; leur pensée était charnelle : ils crurent que le Seigneur allait couper quelques morceaux de sa chair et les leur présenter, et ils s’écrièrent : « Cette parole est dure ». C’étaient eux qui étaient durs, et non la parole. S’ils eussent été humbles, et non pas durs, ils se seraient dit : Ce n’est pas sans raison que le Seigneur parle ainsi, il y a là quelque mystère caché. Dans leur soumission ils seraient demeurés avec Jésus-Christ, et ne seraient point partis avec dureté ; alors ils eussent appris de lui ce que les autres apprirent après leur départ. Car les douze qui demeurèrent après le départ des autres, affligés de leur mort spi rituelle, avertirent le Sauveur du scandale des autres et de leur départ. C’est alors qu’il leur dit pour leur instruction : « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien ; les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie ». Donnez à mes paroles un sens spirituel : ce n’est point ce corps tel que vous le voyez que vous devez manger, ni boire mon sang tel que le répandront ceux qui doivent me crucifier. C’est un mystère que je vous ai prêché, et si vous l’entendez d’une manière spirituelle, il vous donnera la vie. S’il faut le célébrer d’une manière visible, il faut néanmoins le concevoir d’une manière invisible. « Exaltez le Seigneur notre Dieu, et adorez l’escabeau ide ses pieds, car lui est saint ».
10. « Moïse et Aaron étaient ses prêtres, Samuel était de ceux qui invoquent son nom. Ils invoquaient le Seigneur, et il les exauçait, il leur parlait dans la cotonne de nuée[421] ». Des hommes, tels que Moïse, Aaron et Samuel, ont servi le Seigneur, et ont un grand nom parmi les anciens. Vous savez que Moïse fit éclater la puissance de Dieu en tirant le peuple de l’Égypte, et en le conduisant à travers la mer Rouge, et dans le désert. Dieu fit par Moïse beaucoup de merveilles que connaissent tous ceux qui écoutent lire volontiers les Écritures dans l’Église, ou qui les lisent eux-mêmes, ou qui les ont apprises de quelque manière. Aaron était frère de Moïse, et il l’ordonna grand prêtre. On ne voit pas qu’il y eût alors d’autre prêtre que Aaron, que les saintes lettres nomment expressément le prêtre de Dieu[422]. Il n’est point dit que Moïse fût prêtre. Mais alors qu’était-il, sinon prêtre ? Pouvait-il être supérieur au grand prêtre ? Notre psaume nous dit ici qu’il était prêtre : « Moïse et Aaron étaient parmi ses prêtres ». Ces deux grands hommes étaient alors prêtres du Seigneur, et plus tard on trouve le nom de Samuel dans le livre des rois. C’est le même Samuel qui vécut du temps de David, et qui lui donna l’onction royale[423]. Samuel, dès sa plus tendre enfance, grandit dans le temple du Seigneur. Sa mère était stérile, et dans son désir d’avoir un fils, elle pria le Seigneur avec grands gémissements de lui donner un fils, montrant qu’elle ne voulait point une consolation charnelle, puisqu’après sa naissance elle le donna à celui qui l’avait fait naître. Elle avait fait un vœu au Seigneur en disant : « Si j’obtiens un fils, il vous servira dans le temple » ; et elle tint parole. Samuel, après sa naissance, demeura auprès de sa mère, tant qu’il fut à la mamelle ; et quand il fut sevré, on l’amena dans le temple pour y grandir, y fortifier son esprit et y servir le Seigneur. Il fut de son temps le grand, le saint prêtre[424]. Le psaume nomme ces saints personnages, et par eux comprend tous les autres saints. Pourquoi nommer ceux-ci ? Parce que le Psalmiste veut mous montrer en eux le Christ. Que votre sainteté redouble d’attention. Il a dit tout à l’heure, « Exaltez le Seigneur notre Dieu, et adorez l’escabeau de ses pieds, car lui est saint[425] ». Nous désignons ainsi quelqu’un ou notre Seigneur Jésus-Christ, dont nous devons adorer l’escabeau, parce qu’il a pris une chair pour être visible aux hommes ; et pour nous montrer que c’est lui qu’ont figuré nos pères dans l’antiquité, que c’est ce même Jésus-Christ qui est le roi-prêtre, le psaume désigne ces personnages, parce que c’est à eux que Dieu parlait dans la colonne. Qu’est-ce à dire « dans la colonne ? » Il leur parlait en figure. Si Dieu leur parlait en effet sous des ombres, ces paroles voilées désignaient alors un personnage inconnu. Mais ce personnage inconnu n’est plus inconnu ; car nous savons que c’est notre Seigneur Jésus-Christ. « Moïse et Aaron étaient au nombre de ses prêtres, et Samuel parmi ceux qui invoquent son nom. Ils invoquaient le Seigneur et îles écoutait, il leur parlait dans la nuée ». Celui qui parlait d’abord dans la nuée, nous a parlé ensuite dans l’escabeau de ses pieds, c’est-à-dire dans la terre ou dans la chair qu’il avait prise ; de là vient que nous adorons l’escabeau de ses pieds, car lui est saint. Il leur parlait de la nuée un langage alors inconnu : il a parlé de l’escabeau de ses pieds, et nous a fait comprendre les paroles de cette nuée. « Il leur parlait dans une cotonne de nuée ».
11. Redoublons d’attention, mes frères, et voyez quels saints le Prophète nous désigne, et quelle est leur sainteté. « Ils gardaient ses témoignages, et les préceptes qu’il leur a donnés ». Assurément ils gardaient ces préceptes, comprenez-le bien. « Ils gardaient ses témoignages, et les préceptes qu’il leur a donnés ». Voilà ce que dit le Prophète, et ce qu’on ne peut nier. Mais n’avaient-ils aucun péché ? Comment cela ? Puisqu’ils gardaient ses préceptes, ils gardaient aussi ses témoignages. Voyez quelle disposition exige de nous le Prophète, afin que nous ne présumions point que notre justice est parfaite. Voilà Moïse et Aaron parmi ses prêtres, Samuel parmi ceux qui invoquent son nom. C’est à eux qu’il parlait de cette colonne de nuée, c’est d’eux qu’il exauçait la prière, parce qu’ils gardaient ses témoignages, et les préceptes qu’il leur avait donnés. « Seigneur », dit ensuite le Prophète, « Seigneur, notre Dieu, vous les avez exaucés. O Dieu, vous leur avez été propice ». Or, on ne dit point de Dieu qu’il soit propice, sinon quand il s’agit de péchés ; en accorder le pardon, voilà ce qu’on appelle être propice. Mais que pouvait-il trouver à venger en eux, pour se montrer propice en le leur pardonnant ? Dieu leur était propice par le pardon, et propice encore par le châtiment. Que dit en effet la suite ? « Vous leur avez été propice, même en tirant vengeance de leur affection ». Jusqu’à cette vengeance leur était propice : c’était bonté de votre part, non seulement de leur pardonner leurs fautes, mais encore de les châtier. Voyez, mes frères, ce que veut dire ici le Prophète ; remarquez bien. C’est le propre de la colère de Dieu de ne point châtier le pécheur. Pour l’homme, en effet, qui jouit de ses faveurs, non seulement il lui pardonne ses fautes qui lui seraient nuisibles pour la vie éternelle, mais il l’en châtie de peur qu’il ne mette à jamais son bonheur dans le péché.
12. Courage donc, mes frères, et si nous cherchons comment leurs fautes furent châtiées, Dieu m’aidera à vous le dire. Cherchons comment Dieu châtia les fautes de ces trois personnages, Moïse, Aaron et Samuel, puisque le Psalmiste nous dit : « Il tira vengeance de leurs affections », parlant sans doute de ces affections que Dieu voyait dans leurs cœurs, mais inconnues aux hommes. Car, aux yeux des hommes, ces saints étaient irréprochables au milieu du peuple de Dieu. Mais que dis-je ? Moïse ne fut-il pas coupable, dans les commencements de sa vie ? Car il s’enfuit de l’Égypte après avoir tué un homme[426]. Au début de sa vie encore Aaron déplut à Dieu. Lorsque le peuple, en effet, dans sa fureur et son délire voulut une idole, il le permit, et le peuple de Dieu se prosterna devant l’idole[427]. Mais que fit Samuel qui entra tout enfant dans le temple ? Depuis ses jeunes années, sa vie s’écoula dans les rites sacrés, au service du Seigneur[428]. Aucun reproche ne tomba sur Samuel, aucun de la part des hommes. Mais Dieu voyait sans doute en lui quelque chose à purifier. Car ce qui semble parfait aux hommes, est souvent bien imparfait devant la perfection. Nous voyons tous les jours des ouvriers, qui exposent leurs ouvrages aux yeux des ignorants ; et quand les ignorants regardent ces œuvres comme parfaites, l’artiste qui connaît leur imperfection les polit toujours, et force les hommes à l’admiration devant ce fini d’une œuvre qu’ils avaient d’abord jugée parfaite. Voilà ce qui arrive dans l’architecture, dans la peinture, dans les vêtements et dans presque tous les arts. Les hommes, tout d’abord, jugent parfait ce qu’on leur montre : leurs yeux ne désirent rien de plus, mais l’œil expérimenté en juge autrement, ainsi que les règles d’un art. C’est ainsi que ces mêmes saints, qui marchaient sous l’œil de Dieu, pouvaient paraître sans faute, comme des hommes parfaits, des anges ; mais Dieu, qui châtiait leurs affections, connaissait ce qui leur manquait. Il les châtiait sans colère, mais par bonté ; il les châtiait, non point pour punir leur faute, mais afin de perfectionner son œuvre. Dieu donc châtiait en eux leurs affections. Quel châtiment a-t-il exercé contre Samuel ? Où est la vengeance qu’il en a tirée ? Je parle ainsi afin que les chrétiens, qui ont déjà connu le Christ, qui est venu en eux dans l’escabeau de ses pieds, qui les a aimés jusqu’à répandre son sang pour eux, sachent comment ils seront flagellés quand ils seront avancés dans la piété. Cherchons un châtiment dans Moïse, et nous ne voyons presque rien dans l’Écriture, sinon qu’à la fin de sa vie Dieu lui dit : « Va sur la montagne, pour y mourir ». Or, il était vieux, quand Dieu lui dit : « Meurs » ; il avait eu de longues années, ne devait-il donc point mourir ? Où est le châtiment ? Prendrez-vous pour châtiment cette parole : « Tu n’entreras pas dans la terre promise[429] », où le peuple devait entrer ? Moïse était en cela une figure de plusieurs. Pour celui qui entrait dans le royaume des cieux, était-ce une grande peine de n’entrer point dans cette terre, promise pour un temps, ombre de l’avenir qui devait passer à son tour ? Beaucoup d’infidèles ne furent-ils pas admis dans cette terre ? Leur vie n’y fut-elle pas un désordre, un outrage contre Dieu ? Ne s’adonnèrent-ils pas à l’idolâtrie dans cette même terre ? Qu’était-ce pour Moïse de n’y pas entrer ? Moïse voulut être ici la figure de ceux qui étaient sous cette loi. Car ce fut Moïse qui donna la loi[430], et ce fut par là qu’il enseigna qu’ils n’entreraient point dans la terre promise, ces hommes qui s’obstineraient à demeurer sous la loi, refusant d’être sous la grâce. Cette parole donc adressée à Moise était une figure, et non un châtiment. Quelle peine que la moi-t pour un vieillard ? Quelle peine que n’entrer point dans cette terre où entrèrent des indignes ? Qu’est-il dit à propos d’Aaron ? Il mourut chargé d’années, et ses fils lui succédèrent dans le sacerdoce son fils devint grand prêtre après lui[431]. Où est le châtiment d’Aaron ? Samuel mourut aussi après une longue vieillesse, et laissa des enfants tour lui succéder[432]. Je cherche quelle vengeance fut exercée contre eux, et humainement parlant, je n’en trouve point ; mais à en juger sur la connaissance que j’ai de ce qu’endurent les serviteurs de Dieu, le Seigneur les affligeait chaque jour. Lisez ces afflictions, voyez-les, et vous, qui avancez dans la piété, profitez de ces afflictions. Chaque jour ils enduraient les contradictions du peuple, chaque jour encore l’iniquité des méchants ils étaient forcés de vivre avec ceux dont ils reprenaient tes désordres. Telle fut leur peine ; quiconque la trouve légère, n’a fait encore aucun progrès. Car tu souffres les injustices des autres à proportion que tu t’es purifié de la tienne. Quand, en effet, tu seras un bon grain, c’est-à-dire une bonne herbe qui croit d’une bonne semence, un fils du royaume commençant à donner du fruit, alors tu verras l’ivraie : « Quand l’herbe eut poussé et produit son fruit, l’ivraie parut aussi[433] ». À l’apparition de l’ivraie, tu verras que tu vis parmi les méchants. Tu voudrais en quelque sorte éloigner de toi les méchants, et séparer tout méchant de l’Église. Mais voici le Seigneur qui te répond « Laissez grandir l’un et l’autre jusqu’à la moisson, de peur qu’en voulant arracher l’ivraie, vous n’arrachiez aussi le froment[434] ». Ainsi donc, d’après l’arrêt de Dieu, il faut laisser croître l’ivraie, et d’après sa condition, le serviteur doit vivre parmi l’ivraie : tu ne saurais faire une séparation, il faut nécessairement la supporter. Vois combien de plaies dans ton cœur, quand tu es sain de corps au milieu des méchants. Vous me comprendriez quand vous aurez fait des progrès, et vous qui en avez fait vous me comprenez. Ce sont donc des maux qu’il faut tolérer ; et c’est peut-être à cela que l’on doit rapporter cette parole : « Le serviteur qui connaît la volonté de son maître, et qui ne l’exécute point, sera frappé de plusieurs coups[435] ». Bien souvent, en effet, plus nous connaissons la volonté de Dieu, et plus nos fautes nous apparaissent ; et plus ces fautes apparaissent, plus aussi nous nous abandonnons aux pleurs et aux sanglots. Nous comprenons combien il est juste que Dieu nous frappe, et quelle est notre imperfection, et alors s’accomplit en nous cette parole : « Multiplier la science, c’est multiplier la douleur[436] ». Plus tu auras de charité, et plus le péché t’affligera ; plus la charité grandira, plus la malice du méchant te sera à charge : non point à cause de la colère qu’il t’inspirera, mais à cause de ta compassion pour lui.
13. Vois ce que souffrait saint Paul, et ce qu’il souffrait chaque jour. « Outre les occupations extérieures » (il avait énuméré ce qu’il avait souffert, et il passe aux douleurs intérieures, en outre de ce qu’il souffrait au-dehors de la part des méchants qui persécutaient le Christ), « j’ai les assauts de chaque jour, et la sollicitude de toutes les Églises[437] ». Et vois quelle sollicitude, comme elle est paternelle, maternelle même : vois quelles étaient ses douleurs, comment Dieu châtiait toutes ses affections ; énumérons ces affections secrètes que Dieu châtiait : « Qui est faible », dit-il, « sans que je sois faible avec lui ? qui est scandalisé, sans que je sois brûlé[438] ? » Plus sa charité grandit, plus vives sont les douleurs qu’il ressent des péchés des autres. Il ressentait aussi l’aiguillon de la chair, l’ange de Satan qui le souffletait. Voilà comment Dieu se montre propice en tirant vengeance de ses affections. Or, de quelles affections tirait-il ainsi vengeance ? Il nous les expose lui-même dans ces paroles : « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil, il m’a été donné un aiguillon de la chair, un ange de Satan, pour me souffleter[439] ». Telle était sa perfection, que néanmoins l’enflure était encore à craindre ; car Dieu n’apporterait aucun remède, s’il n’y avait aucune blessure. Il demande qu’il lui soit ôté ; ce malade veut éloigner le remède : « C’est pourquoi », dit-il, « j’ai demandé au Seigneur de m’en délivrer », c’est-à-dire de me délivrer de cet aiguillon de la chair qui me donne des soufflets, c’est-à-dire quelque douleur corporelle. « J’ai demandé au Seigneur de m’en délivrer, et il m’a répondu : Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans la faiblesse[440] ». Je connais celui qu’il faut guérir, que le malade ne me donne pas de conseil. Le remède est cuisant, mais il te guérit. Paul supplie le médecin d’ôter ce remède, et le médecin ne l’ôte pas avant la guérison de cette plaie sur laquelle on l’a placé. « C’est dans l’infirmité que se perfectionne la force ». Nous donc, mes frères, qui avançons dans le Christ, n’espérons pas vivre sans épreuve douloureuse ; quels que soient nos progrès, en effet, Dieu connaît nos fautes, quelquefois il lui plaît de nous les montrer, et alors nous voyons nous-mêmes nos péchés. Et quand nous nous trouvons au milieu d’hommes tels qu’ils ne nous reprochent plus nos péchés, Dieu trouve encore de quoi nous reprocher, et tire vengeance de nos affections, par bonté pour nous. S’il nous abandonnait, sans daigner nous châtier, nous péririons. « O Dieu, vous leur avez été favorable, en châtiant toutes leurs affections ».
14. « Exaltez le Seigneur notre Dieu ». Encore une fois, chantons le Seigneur mais comment louer, comment exalter celui qui est bon, même quand il frappe ? Ce que tu fais à l’égard de ton fils, Dieu ne peut-il donc le faire pour toi ? Ne crois point que ce soit être bon que flatter ton fils, et méchant que le corriger. Tu es père dans tes caresses, et bon encore dans tes châtiments : tes caresses le garantissent du découragement, tes châtiments du désordre. « Chantez le Seigneur notre Dieu, et adorez-le sur sa montagne sainte, parce que le Seigneur notre Dieu est saint[441] ». De même que le Prophète a dit tout à l’heure : « Chantez le Seigneur notre Dieu, et adorez l’escabeau de ses pieds » ; or, nous avons compris ce que désigne cet escabeau ; de même, après nous avoir invités à touer le Seigneur Dieu, il nous signale sa montagne, de peur qu’on ne le chante ailleurs que sur sa montagne. Or, quelle est sa montagne ? Nous lisons ailleurs, à propos de cette montagne, qu’une pierre détachée de la montagne, sans la main d’aucun homme, brisa tous les royaumes de la terre, et que cette pierre grandit. C’est la vision de Daniel que je vous rapporte. « Elle s’accrut donc cette pierre détachée de la montagne, sans la main d’aucun homme ; elle devint une grande montagne », dit le Prophète, « au point de remplir, toute la terre[442] ». Telle est la montagne sur laquelle nous devons adorer Dieu, si nous voulons qu’il nous exauce. Les hérétiques ne l’adorent point sur cette montagne ; car elle a rempli la terre entière ; et eux, en s’attachant à une partie, ont perdu la totalité. S’ils reconnaissent l’Église catholique, ils adoreront Dieu avec nous sur cette montagne. Car nous voyons combien a grandi cette pierre détachée de la montagne, sans la main d’un homme, combien de contrées elle occupe, et à quelles nations elle est arrivée. Quelle est cette montagne d’où s’est détachée la pierre, sans la main des hommes ? C’est le royaume des Juifs, qui adoraient un seul Dieu. C’est de là que s’est détachée cette pierre, qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est lui qui est appelé « la pierre réprouvée par les architectes et devenue la pierre de l’angle[443] ». Cette pierre détachée de la montagne, sans la main d’un homme, a broyé tous les royaumes de la terre : nous voyons tous les empires du monde écrasés aujourd’hui par la pierre. Quels étaient ces royaumes de la terre ? Les royaumes de l’idolâtrie, empires du démon qui sont brisés. Saturne régnait sur un grand nombre d’hommes : où est son royaume ? Mercure avait beaucoup d’hommes sous son empire : où est cet empire ? Il est brisé, et les peuples qu’il dominait ont passé sous l’empire du Christ. Combien était puissant à Carthage l’empire de Vénus ! Où est maintenant Vénus, où est son empire ? Cette pierre détachée de la montagne, sans le secours d’aucun homme, a broyé tous les empires. Qu’est-ce à dire détachée de la montagne sans la main d’un homme ? Que sans l’opération d’aucun homme, le Christ est né parmi les Juifs. Tous les hommes qui naissent, ne peuvent naître que par l’œuvre maritale ; mais le Christ est né de la Vierge sans la main d’un homme ; or, la main signifie ici l’œuvre d’un homme, puisque nul homme n’a pris part à sa naissance, et qu’il s’est formé sans aucun acte conjugal. Cette pierre est donc née de la montagne, et sans la main d’un homme ; elle a grandi, et en grandissant a broyé tous les royaumes du monde. Il est devenu une grande montagne couvrant la surface de la terre. C’est là l’Église catholique, dont vous devez vous réjouir d’être les enfants. Quant à ceux qui ne lui appartiennent point, comme ils n’adorent point Dieu, ne le louent point sur la montagne, ils ne sont point exaucés pour la vie éternelle ; bien que Dieu les exauce quelquefois dans ce qui est du temps. Qu’ils ne se flattent point, dès lors, de ce que Dieu les écoute parfois, car il écoute aussi quelques vœux des païens. Dieu n’accorde-t-il pas la pluie aux prières des idolâtres ? Pourquoi ? Parce qu’« il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes[444] ». Ne te glorifie donc pas, ô idolâtre, de ce que tes prières obtiennent la pluie de Celui qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Il t’exauce pour ce qui est du temps ; mais il ne t’exauce pour ce qui est de la vie éternelle, que si tu l’adores sur sa montagne sainte. « Adorez le Seigneur sur sa montagne sainte, parce que le Seigneur notre Dieu est saint ».
15. Que cette explication du psaume suffise à votre charité : nous avons dit ce qu’il a plu au Seigneur de nous inspirer. Et tout ce que nous disons au nom du Seigneur, est une pluie de Dieu, puisqu’il lui plaît de parler par notre bouche ; voyez quelle terre vous êtes à votre tour. Quand la pluie descend sur la terre, si la terre est bonne, elle produit de bons fruits ; si elle est mauvaise, elle ne produit que des épines : la pluie est toujours douce, aux bous fruits comme aux épines. Celui qui aura entendu nos paroles pour tomber dans un état pire, et à qui cette pluie aura fait produire des épines, ne peut espérer que le feu sans accuser la pluie ; mais celui qui en sera devenu meilleur, qui aura produit les fruits d’une bonne terre, doit espérer les greniers célestes et bénir la pluie. Que sont en effet les nuées, ou qu’est-ce que la pluie, sinon la miséricorde de Dieu, qui fait tout en ceux qu’il aime et à qui il a donné de l’aimer ?

DISCOURS SUR LE PSAUME 99 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LA JUBILATION DANS L’ÉGLISE. modifier

Que la terre entière soit dans la jubilation et confesse le Seigneur. Cette jubilation est l’expression inarticulée d’une joie excessive, à la vue des grandeurs de la création ; mais le cœur pur comprend seul ces grandeurs, le cœur impur ne désire même pas la lumière ; pour voir il faut S’approcher, et l’on s’approche de Dieu par la ressemblance avec lui. Tout est également présent pour l’homme qui voit et pour l’aveugle, mais le résultat est bien différent. Approcher de Dieu, c’est te voir autant qu’il est possible en cette vie mortelle, c’est a source de la jubilation. Le joug du Seigneur est doux, et nous devons le servir par amour, afin d’être ainsi esclaves et libres. Servons-le avec allégresse, mais ici-bas la jubilation n’est pas entière, nous sommes daims la tribulation, comme le lis au milieu des épines. Le chrétien doit-il donc se séparer des méchants pour vivre dans la solitude ? Mais d’abord ses exemples de vertu seront perdus, et puis la solitude a ses tentations, ses faux frères, ses combats, et notre paix ici-bas n’est que dans la foi aux promesses divises Ce qui nous trompe, c’est que nous voyons uniquement ou les avantages ou les inconvénients d’un genre de vie ; on loue l’Église sans dire quelle renferme aussi des méchants ; on blâme les mauvais chrétiens salis faire attention aux bons. Il en est de même des clercs, de même des solitaires. Le Seigneur a donc raison de nous dire, que deux travailleront dans le champ du Seigneur, et que le bon seul sera admis, de même des deux à la meule, ou qui travaillent en apparence à leur salut. Sachons donc nous soumettre à Dieu, confessons nos fautes avant d’entrer dans ce bercail, où se continuera notre confession, mais confession de louanges en l’honneur de Dieu.


1. Vous avez, mes frères, entendu le psaume quand on l’a chanté ; il est court et n’a rien d’obscur : je vous donne cette garantie, afin que vous n’ayez pas à craindre la fatigue. Appliquons néanmoins notre attention, et d’autant plus volontiers que nous en avons plus le temps, à pénétrer le sens de ces paroles déjà si claires, afin d’en trouver la signification spirituelle autant que nous le pourrons. Quel que soit l’organe que prenne la voix de Dieu, c’est toujours la voix de Dieu ; il n’y a que sa parole qui plaise à ses oreilles ; et quand nous parlons, nous ne lui plaisons qu’à la condition qu’il parlera lui-même par notre bouche.
2. « Psaume pour la confession » : telle est l’inscription, tel est son titre : « Psaume pour la confession[445] ». Il contient peu de paroles, mais qui sont pleines d’un grand sens ; puissent-elles jeter la bonne semence dans vos âmes, afin que l’on prépare le grenier céleste pour la moisson du Seigneur. Poussons des cris de joie au Seigneur, c’est là ce que veut ce psaume de la confession, c’est à quoi il nous exhorte. Or, cette exhortation ne s’adresse point à un coin de la terre, ni à quelque lieu séparé, ou à quelque réunion d’hommes ; mais comme Dieu sait qu’il a répandu ses bénédictions sur toute la terre, il exige de toute la terre la jubilation.
3. « Vous tous, habitants de la terre, acclamez le Seigneur[446] ». Est-ce que la terre entière peut entendre ma voix ? Cependant la terre entière a entendu la voix du psaume. Déjà la terre entière acclame le Seigneur, et celle qui ne l’acclame point encore, l’acclamera bientôt. Car la bénédiction qui est partie de Jérusalem avec l’Église naissante, se répand dans toutes les nations[447], renverse partout l’impiété pour établir la piété en tout lieu : les bons sont mélangés aux méchants, et comme les méchants sont par toute la terre, les bons aussi sont par toute la terre. Toute la terre murmure avec les méchants, comme toute la terre pousse avec les bons des cris de jubilation. Qu’est-ce que la jubilation ? Car le titre de « psaume pour la confession », appelle notre attention sur cette expression du psaume. Qu’est-ce que jubiler dans la confession ? Il est une autre parole du psaume ainsi conçue : « Bienheureux le peuple qui connaît la jubilation[448] ». Sans doute c’est quelque chose de grand, puisqu’on est heureux de te comprendre. Que le Seigneur donc, que notre Dieu, qui donne aux hommes le bonheur, me donne de comprendre ce que je dois dire, et à vous de comprendre ce que vous entendrez : « Bienheureux le peuple qui comprend la jubilation ». Courons à cette félicité, comprenons la jubilation, ne la répandons point sans la comprendre. À quoi bon jubiler, et obéir aux invitations de ce psaume : « Terre entière, jubilez au Seigneur », si l’on ne comprend la jubilation, si cette jubilation n’est que dans notre voix et nota dans notre cœur ? Car le son du cœur, c’est l’intelligence.
4. Vous savez ce que je vais dire. Jubiler, ce n’est point parler, c’est exhaler sans paroles un cri de joie : c’est la voix d’une âme dont la joie est au comble, qui exhale autant que possible ce qu’elle ressent, mais ne comprenant point ce qu’elle dit dans les transports de son allégresse, l’homme après des paroles indicibles et inintelligibles exhale sa joie en cris inarticulés : en sorte que l’on comprend à la vérité sa joie dans ses cris, mais qu’il ne saurait exprimer en paroles cette joie excessive. Voilà ce que l’on remarque dans ceux qui chantent même sans pudeur. Sans doute notre jubilation ne ressemble point à leur jubilation, puisque notre allégresse n’a pour bot que la justice, tandis qu’ils ne jubilent que dans le crime : notre allégresse est dans la confession, la leur dans la confusion. Toutefois, afin de mieux comprendre mes paroles, et même de vous rappeler ce que vous savez, ceux qui jubilent sont principalement les ouvriers des champs. L’abondance des récoltes met en joie les moissonneurs, les vendangeurs, et tous ceux qui recueillent des fruits ; cette fécondité, cette richesse de la terre leur donne des chants d’allégresse ; et dans ces chants, ils mêlent aux paroles des ions confus qui témoignent de leur joie, voilà ce qu’on appelle jubilation. Si quelqu’un ne comprend point mes paroles, parce qu’il n’y a point fait attention, qu’il le remarque à l’avenir ; puisse-t-il cependant ne trouver personne à remarquer, de peur que Dieu ne trouve quelqu’un à renverser. Mais puisque les épines renaissent sans relâche, signalons, dans ceux qui exhalent une joie profane, la jubilation que Dieu réprouve, afin de lui offrir la jubilation qu’il couronne.
5. Quand est-ce que nous jubilons ? Quand nous chantons ce qui est inexprimable. Nous dons les yeux sur la terre, les mers, les cieux, et tout ce qu’ils renferment. Nous voyons que toutes les créatures ont leurs principes et leurs raisons, une force reproductive, un ordre de naissance, une manière de subsister, un dépérissement et une disparition, nous les voyons suivre sans aucune perturbation le cours des siècles, les astres couler en quelque sorte d’Orient en Occident, marquer la suite des années, la longueur des mois, l’étendue des heures ; et dans tout cela, je ne sais quoi d’invisible, que l’on appelle âme ou esprit, qui est dans tous les êtres animés, qui cherche le bonheur et redoute la gêne, afin de conserver sa vitalité ; des traits dans l’homme qui lui sont communs avec les anges de Dieu, et non avec les animaux, comme la vie, l’ouïe, la vue et le reste. Ainsi il connaît Dieu, ce qui est le propre de l’esprit, qui discerne le bien du mal, comme l’œil discerne le blanc du noir. Que l’âme, en considérant toutes ces créatures que nous avons pu nommer et parcourir, se demande : Qui a fait tout cela ? Qui a créé toutes ces choses ? Qui t’a créée toi-même parmi elles ? Que sont toutes ces choses que tu considères ? Qu’es-tu toi-même qui les considères ? Qui a fait, et ces créatures à considérer, et l’âme qui les considère ? Quel est ce Créateur ? Nomme-le : et pour le nommer, réfléchis. Ta pensée peut voir ce que ta parole ne saurait peut-être dire, mais jamais tu ne pourras dire ce que tu n’auras pu penser. Pense donc à ce Créateur avant de le nommer, et pour penser à lui, il faut s’en approcher. Quand tu veux bien voir, afin de pouvoir parler, tu t’approches pour mieux regarder, afin de n’être point trompé par l’éloignement. Mais de même que les yeux du corps perçoivent tous ces objets, de même c’est l’esprit qui voit Dieu, c’est le cœur qui le considère et le contemple. Et quel doit être le cœur pour contempler Dieu ? « Bienheureux », est-il dit, « ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu[449] ». J’entends, je crois, je comprends, comme je puis, que c’est le cœur qui voit Dieu, et que Dieu ne se découvre qu’aux cœurs purs : mais j’entends un autre passage de l’Écriture : « Qui se glorifiera d’avoir un cœur chaste ? Ou qui se glorifiera d’être exempt de toute faute[450] ? » J’ai considéré, autant que je l’ai pu, toutes les créatures ; j’ai vu, dans le ciel et sur la terre, celles qui ont un corps, et une créature spirituelle en moi qui parle, qui fait agir mes membres, entendre ma voix, mouvoir ma langue, qui prononce des paroles, qui en discerne le sens. Mais quand est-ce que je me comprends en moi-même ? et d’où pourrais-je comprendre ce qui est au-dessus de moi ? Et toutefois l’Écriture promet à l’homme qu’il verra Dieu, et lui indique la manière de purifier son cœur ; voici son conseil : Prépare-toi, de manière à voir Dieu que tu aimes, avant de le voir. Quand on parle de Dieu et de son saint nom, qui ne se réjouit d’entendre, sinon l’impie séparé de Dieu, rejeté au loin ?[451] « Ceux qui s’éloignent de vous périront », dit le Prophète ; et il ajoute : « Vous avez perdu ceux qui sont adultères loin de vous ». Mais à nous qu’arrivera-t-il ? Car ceux-là sont loin de vous, et dès lors dans les ténèbres, et leurs yeux sont tellement obscurcis par les ténèbres, que non seulement ils ne désirent point la lumière, mais qu’ils en ont horreur ; pour nous, qui ne sommes point éloignés, que nous est-il promis ? « Approchez de lui et soyez dans la lumière[452] ». Mais pour approcher de lui et en recevoir la lumière, il faut que les ténèbres te déplaisent ; condamne ce que tu es, afin de mériter d’être ce que tu n’es pas. Tu es injuste et tu dois être juste ; tu n’arriveras jamais à la justice, si l’iniquité a de l’attrait pour toi. Brise-la dans ton cœur, et purifie-toi ; chasse-la de ton cœur où veut habiter Celui que tu veux voir. Voilà donc l’âme qui s’approche de Dieu, l’homme intérieur restauré à l’image de Dieu, parce qu’il avait été créé à l’image de Dieu, et qui en était d’autant plus éloigné, qu’il lui était devenu plus dissemblable. Car ce n’est point par la distance des lieux qu’on s’approche de Dieu ou qu’on s’en éloigne. Tu es loin de lui, quand tu es dissemblable à lui ; tu es près de lui, si tu es à son image. Vois comment le Seigneur veut que nous approchions de Dieu, puisqu’il commence par nous rendre semblables à lui, afin que cette ressemblance nous rapproche. « Soyez », dit-il, « comme votre Père qui est dans les cieux, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes[453] ». Apprends à aimer un ennemi, si tu veux éviter un ennemi. À mesure que la charité grandit en toi, qu’elle te reforme, et ravive en toi l’image de Dieu, elle s’étend à tes ennemis, afin que tu deviennes semblable à Celui qui fait luire son soleil, non seulement sur les bons, mais aussi sur les méchants ; et pleuvoir, non seulement sur les justes, mais sur les justes et suries injustes. Plus la ressemblance est vive, et plus tu avances dans la charité, plus aussi tu commences à goûter Dieu. Et quel est celui que tu goûtes ? Celui qui vient à toi, ou Celui à qui tu reviens ? Car ce n’est point lui qui s’est éloigné de toi ; s’il est loin de toi, c’est que tu t’éloignes de lui. Tout est également présent et aux aveugles, et à ceux qui voient ; qu’un aveugle et qu’un voyant soient dans un même lieu, ils sont environnés des mêmes images : pour l’un ces images sont présentes, mais absentes pour l’autre : ainsi donc, voilà deux hommes en un même lieu, l’un est présent, l’autre absent ; non que les objets se rapprochent de l’un, s’éloignent de l’autre, mais cela tient à la différence des yeux. On dit de l’un qu’il est aveugle, parce qu’il est inutilement en présence des objets qu’il ne voit pas, puisqu’en lui est éteint l’organe qui nous met en rapport avec la lumière, qui donne une forme à tout ; et même on peut dire qu’il est plus absent que présent : partout en effet où il n’a pas un sens, on dit avec raison qu’il est absent ; car l’absence n’est qu’un défaut de sens. C’est ainsi que l’on dit que Dieu est en tout lieu, tout entier partout. Sa sagesse atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur[454]. Or, ce qu’est Dieu le Père, son Verbe, sa Sagesse l’est aussi, lui qui est Dieu de Dieu, et lumière de lumière. Que veux-tu donc voir ? Ce que tu veux voir n’est pas loin de toi. L’Apôtre nous dit en effet qu’il est placé non loin de chacun de nous, puisque « nous avons en lui la vie, le mouvement et l’être[455] ». Quelle misère donc d’être loin de celui qui est partout !
6. Sois donc semblable à Dieu par la piété, l’aimant par la pensée : car les perfections invisibles de Dieu, sont devenues visibles par les œuvres visibles qu’il a opérées[456]. Envisage donc ces œuvres, admire-les, cherche-en l’auteur. Si tu es dissemblable, il te repoussera ; si tu lui es semblable, tu seras dans la joie. Or, dès que tu t’approcheras de Dieu par la ressemblance, et que tu sentiras Dieu, à mesure que grandira ta charité, comme « Dieu est charité[457] », tu ressentiras quelque chose que tu disais sans le dire toutefois. Avant de le sentir, tu disais : C’est Dieu ; mais après l’avoir goûté, tu comprends qu’il est impossible d’exprimer tes sentiments. Or, après que tu auras compris ton impuissance à dire ce que tu sens, faudra-t-il te taire, ou chanter des louanges ? Faudra-t-il donc taire la louange de Dieu, et ne point rendre grâces à celui qui a voulu se révéler à toi ? Tu le bénissais eu le cherchant, tairas-tu ta louange après l’avoir trouvé ? Nullement, tu ne seras pas ingrat. À lui appartiennent et l’honneur, elle respect, et toutes les louanges. Vois ce que tu es, terre et cendre ; vois celui qui a mérité de voir, et de voir quoi ? Qui ? Quoi ? C’est un homme qui voit Dieu. Je reconnais, non point le mérite chez l’homme, mais la miséricorde en Dieu. Bénis donc cette miséricorde. Comment la bénirai-je, me diras-tu ? à peine puis-je exprimer le peu que je sens, en partie, en énigme, à travers un miroir[458]. Écoute le psaume : « Terre entière, jubilez au Seigneur ». Si ta joie est dans le Seigneur, tu comprends déjà la jubilation de la terre entière en l’honneur de Dieu. Que ta joie soit donc pour le Seigneur ; et ne la divise point entre telles et telles créatures. Tout le reste se peut dire en quelque manière ; celui-là seul est ineffable qui a dit, et tout a été fait. Il a dit, et nous avons été faits ; mais nous ne pouvons le nommer[459]. Le Verbe qui nous a dit d’être, est son Fils ; et pour que nous puissions la nommer en quelque façon, nous si infirmes, lest devenu infirme. Au lieu de verbe, nous pouvons jeter un cri confus, mais nulle parole ne peut exprimer le Verbe. « O terre entière, jubilez au Seigneur ».
7. « Servez le Seigneur dans l’allégresse ». Toute servitude est pleine d’amertume ; tous ceux qui sont sous le joug de la servitude, ne servent qu’avec murmure. Ne redoutez point le joug du Seigneur : il n’y a là ni gémissement, ni murmure, ni indignation ; nul ne cherche à s’en affranchir, on goûte le bonheur d’être racheté. Il y a donc, mes frères, un grand bonheur d’être dans cette maison, bien qu’il y ait des entraves. Ne redoute point ces entraves, heureux serviteur, mais confesse-toi mu Seigneur ; n’attribue ces entraves qu’à tes mérites ; rends gloire à Dieu dans ces chaînes, si tu veux qu’elles soient pour loi un ornement. Ce n’est pas en vain, ni sans avoir été exaucé, que le Prophète a dit : « Que les cris des captifs montent jusqu’à vous, ô mon Dieu[460]. Servez le Seigneur dans l’allégresse », C’est être libre que servir le Seigneur, c’est être libre, puisqu’on le sert, non par contrainte, mais par amour. « Pour vous », dit saint Paul, « vous êtes appelés à la liberté, mes frères : seulement que cette liberté ne soit point une occasion de vivre dans la chair ; mais assujettissez-vous les uns aux autres par l’esprit de charité[461] » Que la charité te rende esclave, puisque tu es l’affranchi de la vérité. « Si vous demeurez fermes dans ma parole », dit le Sauveur, « vous êtes véritablement mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira[462] ». Te voilà donc esclave, esclave et libre ; esclave parce que tu as été créé ; libre parce que tu es aimé de Dieu ton créateur : ou plutôt libre, parce que tu aimes celui qui t’a créé. Ne le sers donc point avec murmure ; tes murmures ne te dispenseront point de le servir, seulement ils feront de toi un mauvais serviteur. Tu es le serviteur du Seigneur, l’affranchi du Seigneur ; ne désire point la liberté au point d’être mis hors de la maison de Celui qui t’affranchit.
8. « Servez le Seigneur avec allégresse ». Cette allégresse sera pleine et entière, quand notre corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, et que notre mortalité aura revêtu l’immortalité[463] : c’est alors que la joie sera pleine, l’allégresse parfaite, la louange sans défaut, l’amour sans scandale, la jouissance sans crainte, et la vie sans trépas. Mais ici-bas ? N’y aura-t-il donc nulle joie ? S’il n’y a aucune joie, aucune jubilation, pourquoi dire : « Terre entière, soyez dans l’allégresse, au nom du Seigneur ? » Il est assurément une joie ici-bas ; l’espérance de la vie future nous rassasie par avance. Mais il faut que le bon grain souffre, mélangé à l’ivraie : il est environné de paille[464] ; c’est un lis au milieu des épines. Qu’est-il dit de l’Église ? « Comme un lis au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu des filles[465] ». Il n’est pas dit, au milieu, des filles étrangères, mais « au milieu des filles ». Quelle consolation pour nous, ô mon Dieu ! Comme vous nous fortifiez ! Comme vous nous effrayez ! Que dites-vous en effet ? « Comme le lis est au milieu de quelques épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu de quelles filles ? » Quelles sont ces filles que vous appelez des épines ? Elles sont pour moi des épines à cause de leurs mœurs, et des filles à cause de mes sacrements. Plût à Dieu que l’on n’eût à gémir que parmi les étrangers ! on en gémirait moins. Mais combien est plus amer ce gémissement : « Si un ennemi m’eût outragé, je l’eusse supporté ; si un homme irrité se fût élevé contre moi, je me serais dérobé à ses poursuites ». Ainsi dit le psaume ; celui qui connaît les saintes lettres peut suivre ; que celui qui les ignore, les apprenne et suive : « Si l’homme qui me haïssait eût répandu la malédiction sur moi, je me serais dérobé à lui ; mais toi, qui n’étais qu’un avec moi, toi, mon guide, mon ami, qui prenais avec moi la douce nourriture[466] ». Quelle douce nourriture prennent-ils donc avec nous, ceux qui n’y doivent pas être éternellement ? Quelle douce nourriture, sinon : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux[467] ? » C’est au milieu d’eux que nous devons gémir.
9. Mais comment le chrétien pourrait-il se séparer, pour ne pas vivre parmi les faux frères ? Où ira-t-il ? Que fera-t-il ? Dans la solitude ? Les scandales l’y suivront. Celui qui avance dans la vertu, doit-il se séparer de manière à ne plus supporter les hommes ? Et qu’arriverait-il, si nul ne le supportait lui-même avant ses progrès ? Si donc les progrès qu’il fait l’empêchent de supporter personne, par là même qu’il ne veut point souffrir les autres, il est convaincu de n’avoir fait aucun progrès. Que votre charité veuille bien écouter. « Supportez-vous mutuellement », dit l’Apôtre, « dans la charité, vous efforçant de conserver l’union des cœurs dans les liens de la paix[468] ». « Supportez-vous mutuellement » n’as-tu donc rien qu’un autre doive supporter ? Tu m’étonnerais, si tu n’avais rien ; mais admettons qu’il n’y ait rien en toi, tu es d’autant plus fort pour supporter les autres, que les autres n’ont rien à supporter de ta part. Si tu ne fais rien supporter, supporte les autres. Je ne saurais, diras-tu. Donc tu as en toi quelque chose que l’on doit supporter. « Supportez-vous mutuellement dans la charité ». Tu abandonnes le genre humain, tu te sépares afin que nul ne te voie ; à qui seras-tu utile ? En serais-tu arrivé là, si nul ne t’avait aidé ? Parce que tu crois avoir le pied assez agile pour passer le fleuve, vas-tu couper le pont ? C’est vous tous que j’exhorte, mes frères, c’est la voix de Dieu qui vous exhorte : « Supportez-vous mutuellement dans la charité ».
10. Je me serai, dit un autre, je me séparerai avec quelques gens de bien, et j’aurai la paix avec eux. Car il y a impiété, cruauté même à n’être utile à personne. Telles ne sont point les leçons du Seigneur mon Dieu, qui condamne un serviteur, non pour avoir usé de l’argent qu’il avait reçu, mais pour n’en avoir tiré aucun profit. Mesurons la peine du voleur à la peine du paresseux : « Serviteur méchant et paresseux », dit le maître en le condamnant. Il ne dit point : Tu as tourné à ton profit mon argent ; il ne dit point : Je t’ai confié, et tu ne m’as point remis le dépôt entier ; mais parce que ce dépôt ne s’est point accru, parce que tu ne l’as point mis à la banque, je punirai ton indolence[469]. Le Seigneur en effet est avare de notre salut. Je me séparerai donc, dit cet homme, avec quelques hommes choisis : qu’ai-je à faire avec la foule ? C’est bien : mais ces quelques bons, de quelle foule ont-ils été tirés ? Si toutefois ce petit nombre est tout à fait bon, c’est une pensée humaine, mais une pensée bonne et louable de vivre avec ceux qui ont choisi une vie paisible, de vous retirer loin du bruit populaire, des foules tumultueuses, et ne chercher comme dans un port un abri contre ces grands flots du monde. Mais est-ce bien là qu’on trouve cette joie pleine ? Est-ce bien là cette jubilation qu’on se promettait ? Pas encore ; mais on y gémit encore, on y éprouve encore des tentations. Ce port a quelque part une entrée ; puisque s’il était fermé de toutes parts on n’y pourrait pénétrer : il est donc ouvert quelque part ; mais par cette ouverture le vent s’engouffre quelquefois, et les vaisseaux qui ne craignent rien des rochers, se brisent les uns contre les autres. Où sera donc la sûreté, si elle n’est dans le port ? Et néanmoins on est plus heureux dans le port qu’en pleine mer, il faut l’avouer, je l’accorde, c’est la vérité. Que ces vaisseaux dans le port s’aiment donc mutuellement, qu’ils se tiennent unis étroitement, et ne se heurtent point : qu’ils gardent l’égalité, l’uniformité, une charité constante ; et quand par hasard le vent viendra s’y engouffrer par l’ouverture, que le gouvernail soit dirigé sagement.
11. Mais que me dira celui qui, dans ces lieux paisibles, est préposé à ses frères ou plutôt est leur serviteur, dans cet asile appelé monastère ? Que me dira-t-il ? Je me tiendrai sur mes gardes, je n’admettrai aucun méchant, Comment n’admettre aucun méchant ? Je n’admettrai aucun homme d’humeur fâcheuse, aucun frère méchant qui voudrait y montrer ; je me bornerai à quelques bons. Comment connaître celui que tu devras exclure ? On ne peut connaître sa méchanceté qu’après des épreuves dans le monastère. Or, comment exclure celui qui veut entrer, que tu dois éprouver ensuite, et que tu ne saurais éprouver s’il n’est entré ? Repousseras-tu donc tous les méchants ? car tu le promets, et tu as le coup d’œil juste. Ils viennent tous à toi le cœur sur la main ? Mais ceux qui veulent titrer ne se connaissent point, comment les connaîtrais-tu ? Plusieurs avaient promis de mener cette vie sainte, qui met tout en commun, où nul ne revendique de propriété, où tous n’ont qu’un cœur et qu’une âme[470] ; une fois dans la fournaise, ces vases ont crevé. Comment connaître celui qui ne se connaît point lui-même ? Excluras-tu les faux frères le la société des bons ? Mais toi qui parles de la sorte, bannis de ton esprit, si tu le peux, toutes les pensées mauvaises ; ne laisse entrer dans ton cœur aucune suggestion fâcheuse. Je n’y consens point, dis-tu. Cette suggestion n’est pas moins entrée, car nous voulons tous que nos cœurs soient sur leur garde, au point de ne laisser entrer aucune suggestion. Qui peut même savoir par où elle entrera ? Chaque jour notre cœur seul nous livre des combats, et un seul homme trouve dans son cœur une foule d’ennemis. Suggestions de l’avarice, suggestions de la luxure, suggestions de l’intempérance, suggestions las joies du siècle, suggestions de toutes parts. Attaqué partout, il résiste partout, s’abstient de tout ; mais il est bien difficile de n’être point blessé parfois. Où trouver la sécurité ? nulle part en cette vie, sinon dans l’espérance des promesses de Dieu. C’est dans l’accomplissement de ces promesses que nous louerons la parfaite sécurité, alors que se fermeront les portes de la Jérusalem céleste, dont les serrures sont inébranlables[471] ; là notre jubilation sera pleine, et notre bonheur ineffable. Mais aujourd’hui ne louez pas sans crainte une vie quelconque, ne chantez pas un homme avant sa mort[472].
12. Ce qui trompe les hommes, ce qui les détourne d’une profession sainte, ou les y engage témérairement, c’est que dans leurs louanges, quand ils veulent en donner, ils n’expriment point les inconvénients de certain genre de vie, et que dans leurs blâmes, ils font entrer la jalousie et le venin, au point de fermer les yeux sur ce qu’il y a de bien, et de se borner à exagérer le mal réel ou supposé qu’on y trouve. Il arrive de là que ces professions mal exposées, ou exposées sans précaution, attirent par ces applaudissements des hommes qui s’étonnent d’y rencontrer ensuite ceux qu’ils étaient loin d’y soupçonner : offusqués alors d’y trouver des méchants, ils se séparent même des bons. Mes frères, que cette leçon vous serve à régler votre vie, écoutez pour vivre pieusement. Pour, parler en général, c’est l’Église qu’on loue : les chrétiens, dit-on, sont de grands hommes, il n’y a qu’eux de grands. Vive l’Église catholique ; tous ses membres s’aiment, se font tout le bien qu’ils peuvent ; dans toute la terre, ils s’adonnent à la prière, au jeûne, à la louange de Dieu, et s’unissent dans un concert de paix pour louer le Seigneur. Un homme qui entend ce langage, qui ne sait pas ce qu’on ne lui dit point, que les méchants y sont mêlés aux bons, vient à l’Église attiré par ces louanges ; il y trouve des méchants dont la présence ne lui était pas signalée, et l’aversion que lui inspirent ces faix chrétiens, l’éloigne même des chrétiens véritables. Des hommes haineux, au contraire, des hommes envenimés se répandent en injures : Quelles gens que ces chrétiens ! Que sont-ils ? des avares, des usuriers. Ne les voit-on pas aussi dans les jours de fêtes et de spectacles, remplir les théâtres et les amphithéâtres, puis aller dans leurs églises aux jours de fêtes ? Ils sont ivrognes, gourmands, envieux, se déchirent mutuellement. Il y en a de semblables, il est vrai, mais ils ne sont pas les seuls. Ce censeur est aveugle et ne dit rien des bons, et ce panégyriste est imprévoyant et ne dit rien des méchants. Si l’on veut chanter maintenant l’Église de Dieu comme la chantent les saintes Écritures, voici comme il faut dire : « Ma bien-aimée est au milieu des filles, comme le lis au milieu des épines[473] ». Un homme nous entend, il considère, le lis lui plaît, il entre, il s’attache au lis, et tolère les épines : il mérite ainsi l’éloge et fixe les regards de l’Époux, qui dit : « Ma bien-aimée est au milieu des filles, comme le lis est au milieu des épines ». Ainsi en est-il des clercs. Leurs panégyristes considèrent parmi eux les ministres excellents, les fidèles dispensateurs, ceux qui supportent tout le monde, qui donneraient jusqu’à leurs entrailles pour ceux dont ils souhaitent les progrès, qui ne cherchent pas leurs propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ[474]. Voilà ce qu’on loue, et l’on oublie que les méchants y sont mélangés. De même ceux qui blâment l’avarice des clercs, la rapacité des clercs, les procès des clercs, les représentent comme avides du bien d’autrui, comme des ivrognes, des gourmands. C’est là blâmer avec jalousie, c’est louer étourdiment. Toi qui loues, dis qu’il y a là des méchants ; et toi qui blâmes, regarde les bons. Ainsi en est-il de cette vie commune que des frères mènent dans les monastères. Ce sont là des hommes admirables, des hommes saints, qui sont chaque jour dans les hymnes, dans la prière, dans la louange de Dieu, qui en vivent et qui s’occupent de saintes lectures ; le travail des mains pourvoit à leur subsistance ; ils vivent sans avarice, ne demandent rien, et tout ce qu’ils reçoivent de là piété de leurs frères, ils en usent avec charité, et selon leur besoin ; nul ne s’arroge une chose qu’un autre n’ait pas ; ils s’aiment tous, et se supportent mutuellement. Mais tu as loué cette vie, tu l’as louée ; et celui qui n’en connaît point l’intérieur, qui ne sait point que le vent pénètre parfois dans le port, et que les vaisseaux s’entrechoquent, entre dans ces maisons, espérant y trouver le calme, et n’avoir plus personne à supporter ; il y trouve de faux frères, dont on ne pouvait connaître la méchanceté, qu’après les avoir admis : (il faut d’abord les tolérer dans l’espoir qu’ils se corrigeront ; il est difficile de les exclure sans les avoir quelque peu supportés). Cet homme alors devient à son tour d’une impatience insupportable. Qui m’appelait ici, s’écrie-t-il ? Je croyais ici rencontrer la charité. Irrité alors par ce qu’il y a d’agaçant chez quelques hommes, et n’ayant point le courage d’accomplir son dessein, il abandonne son projet de sainteté, et apostasie ses vœux. Mais au sortir de là, il blâme, il maudit à son tour, il ne dit que les choses qu’il n’a pu supporter, et qui sont souvent vraies ; mais il faut supporter les défauts des méchants, si l’on veut jouir de la société des bons. « Malheur à ceux qui ne savent rien supporter[475] », dit l’Écriture. Ce qui est pire encore, cet homme, dans son indignation, répand pour ainsi dire l’odeur infecte de ces lieux, et en détourne ceux qui voudraient entrer, parce qu’il n’a pu y demeurer après y être lui-même entré. Qu’est-ce que ces gens ? des jaloux, des querelleurs, qui ne peuvent souffrir personne. Celui-ci y a fait tel crime, celui-là tel autre crime. Au méchant, pourquoi ne rien dire des bons ? Tu blâmes ceux que tu n’as pu supporter, sans rien dire de ceux qui ont supporté tes défauts.
13. Qu’elle est juste, mes frères, qu’elle est admirable cette parole de l’Évangile, émanée de la bouche de Notre-Seigneur : « Deux hommes seront dans un champ, l’un sera pris, l’autre sera laissé : deux femmes seront à moudre, l’une sera prise, l’autre sera laissée ; deux dans un lit, on prendra l’un, on laissera l’autre[476] ». Qui, ces « deux dans un champ ? » Ceux dont saint Paul a dit : « J’ai planté, Apollo a arrosé, Dieu a donné l’accroissement. Vous êtes le champ du Seigneur ». Nous travaillons dans ce champ. « Deux sont dans ton champ », ce sont les clercs : « l’un sera pris, l’autre laissé » ; On prendra le bon, on laissera le mauvais. « Deux seront à moudre », dit le Sauveur, en revenant au peuple. Pourquoi à « la meule ? » Parce que les liens du siècle les tiennent attachés au cercle des choses temporelles. « L’un de ces esclaves sera choisi, l’autre dédaigné[477] ». Lequel sera choisi ? Celui qui fait des bonnes œuvres, qui prend en pitié l’indigence des serviteurs de Dieu, qui est fidèle à confesser Dieu, qui met sa joie dans une espérance certaine, qui est attentif à Dieu, qui ne veut de mal à personne, qui aime autant qu’il peut, non seulement ses amis, mais encore ses ennemis, l’homme qui ne connaît d’autre femme que la sienne, l’Épouse qui ne connaît que son Époux, voilà celui que l’on prendra à la meule ; on laissera quiconque vit d’une autre manière. D’autres vous disent : Nous voulons le repos, t’avoir à souffrir de personne, nous retirer de la foule, vivre en paix dans quelque lieu retiré. Chercher le repos, c’est chercher un lit, où l’on fait trêve à toute inquiétude. Mais là encore « on prendra l’un, et on laissera l’autre ». Ne vous laissez point illusionner, mes frères ; si vous ne voulez vous tromper, si vous aimez vos frères, sachez que dans l’Église toute profession a ses faux frères. Je ne dis point que tout homme soit faux, mais il y a des faux dans toute profession : il y a de mauvais chrétiens, mais il y a aussi de bons chrétiens. Tu ne vois en quelque sorte que des mauvais, qui sont comme la paille, et qui ne te laissent pas approcher du bon grain[478] ; mais il y a aussi du bon grain, approche, vois, secoue, juges-en par ta bouche. Tu trouveras des vierges déréglées ; faut-il pour cela blâmer la virginité ? Il en est beaucoup qui ne s’enferment point dans leurs maisons, qui courent les maisons des autres, qui sont curieuses, parlent sans discrétion, orgueilleuses, causeuses[479], s’adonnent au vin : bien qu’elles soient vierges, qu’est-ce que cette pureté du corps avec une âme corrompue ? Le mariage, dans l’humilité, est préférable à une virginité orgueilleuse ; le mariage lui donnerait un frein pour la retenir et lui enlèverait ce nom qui l’enorgueillit. Mais pour des vierges indignes, faut-il condamner celles dont la chair est pure et l’âme sainte[480] ? ou pour celles qui sont louables, faudra-t-il donc louer celles qui sont condamnables ? Partout on prendra l’un, on laissera l’autre.
14. Finissons, mes frères, notre psaume, qui est clair dans tout le reste. « Servez le Seigneur avec joie[481] ». C’est à vous que s’adresse le Psalmiste, ô vous qui souffrez tout dans la charité, et vous réjouissez dans l’espérance. « Servez le Seigneur », non dans l’amertume de vos murmures, mais bien « dans la joie » de la charité. « Entrez en sa présence, dans l’allégresse ». Il est facile de se réjouir dans les choses du dehors ; tressaille en la présence de Dieu. Que cette allégresse ne soit point en paroles, que la conscience soit dans l’allégresse. « Entrez en sa présence, et dans l’allégresse ».
15. « Sachez que le Seigneur est lui-même votre Dieu[482] ». Qui ne sait que le Seigneur est Dieu ? Mais le Psalmiste parle de ce Seigneur que les hommes ne croyaient pas un Dieu : « Sachez que le Seigneur est lui-même Dieu ». Que ce Seigneur ne soit point méprisable à vos yeux. Vous l’avez crucifié, flagellé, couvert de crachats, couronné d’épines, revêtu d’un manteau d’ignominie, suspendu à la croix, percé de clous, frappé d’une lance, fait garder dans son sépulcre, et il est Dieu. « Sachez que le Seigneur est Dieu lui-même. C’est lui qui nous a faits, et non point nous-mêmes ». « C’est lui qui nous a faits », puisque tout a été fait par lui, et rien sans lui[483]. Pourquoi vos transports, pourquoi votre orgueil ? Un autre vous a faits, et celui qui vous a faits vous l’avez fait souffrir. Mais vous, votre jactance, votre orgueil, votre enflure, feraient croire que vous vous êtes faits vous-mêmes. Il est avantageux pour vous que celui qui vous a faits, vous perfectionne. « C’est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes ». Loin de nous tout orgueil ; tout le bien qui est en nous, nous vient du Créateur ; tout ce qui est notre œuvre aboutit à notre condamnation, et tout ce qu’il a mis en nous, à notre couronnement. « C’est lui qui nous a faits, et non pas nous-mêmes. Nous sommes son peuple, et les brebis de son bercail ». Les brebis et la brebis, toutes ses brebis, et une seule brebis. Et quel amour a pour nous notre pasteur ! Il abandonne les quatre-vingt-dix-neuf brebis, pour en chercher une seule, qu’il a rachetée de son sang et qu’il rapporte sur ses épaules[484] ; pasteur qui est mort sans hésiter pour sa brebis, et qui possède sa brebis en ressuscitant. « Nous sommes son peuple, et les brebis de son bercail ».
16. « Entrez dans ses portes par la confession[485] ». La porte marque l’entrée ; commencez par la confession. C’est là le titre du psaume, « la confession », ou les transports. Confessez que vous ne vous êtes pas faits vous-mêmes, louez Celui par qui vous avez été faits. Que de lui vienne tout ton bien, puisque tout ton mal est de t’être séparé de lui. « Entrez dans ses portes par la confession ». Que le troupeau entre par la porte, sans rester dehors, exposé aux loups. Et comment entrer ? « Par la confession ». Que la porte ou l’entrée soit pour toi la confession, d’où cette parole d’un autre psaume « Commencez avec le Seigneur par la confession[486] », où le mot « commencez » répond à « la porte » de notre psaume : « Entrez dans ses portes par la confession ». Et quoi donc ! n’aurons-nous rien à confesser quand nous serons entrés ? Confesse toujours, parce que tu as toujours de quoi confesser. Il est difficile ici-bas qu’un bornoie change au point de n’avoir plus rien de répréhensible. Accuse-toi donc toi-même, de peur d’être accusé par celui qui te damnera. Donc en entrant fais une confession. Quand ne sera-ce plus celle des péchés ? Dans ce repos où nous ressemblerons aux anges. Mais comprenez mes paroles : il n’y aura plus de confession des péchés ; je n’ai point dit qu’il n’y aura plus de confession, car alors il y aura la confession de la louange. Toujours tu confesseras qu’il est ton Dieu, que tu es sa créature, qu’il est le protecteur et toile pupille. Tu seras en quelque sorte caché en lui, ainsi qu’il est dit : « Vous le cacherez, Seigneur, dans le secret de votre face[487] ». Dans son parvis « chantez des hymnes à sa gloire ». Chantez sur ses portes, et quand vous serez dans son parvis, chantez encore des hymnes à sa « gloire ». Les hymnes sont des louanges. En entrant, accuse-toi ; et quand tu seras entré, chante à sa gloire. « Ouvrez pour moi les portes de la justice », dit un autre psaume, « et en entrant, je me confesserai au Seigneur[488] ». Mais dit-il : Quand j’y serai entré, je n’aurai plus de confession à faire au Seigneur ? Même après l’entrée il y aura confession. Était-ce donc des péchés que Notre-Seigneur accusait à son Père, quand il disait : « Je vous confesse, ô mon Père, Dieu du ciel et de la terre[489] ? » Cette confession était un cantique à Dieu, et non une accusation de lui-même.
17. « Louez son nom, car le Seigneur est doux ». Ne craignez point de vous lasser en le bénissant ; cette louange sera pour vous une nourriture ; plus vous chanterez, plus vous aurez de forces, et plus vous sera doux l’objet de vos louanges. « Louez son nom, parce que le Seigneur est doux, sa miséricorde éternelle ». Sa miséricorde, en effet, ne s’arrêtera point à la délivrance, et il y va de cette miséricorde, de te protéger dans la vie éternelle. « Sa miséricorde est éternelle, et sa vérité s’étend de génération en génération ». Cette expression, « de génération en génération », doit s’entendre de toute génération, ou de deux générations, l’une terrestre et l’autre céleste ; une génération qui enfante les hommes à une vie mortelle, et une génération qui les engendre à la vie éternelle. Dans l’une et dans l’autre est sa vérité ; et garde-toi de croire que sa vérité ne soit point ici-bas. Si sa vérité n’était point ici-bas, un autre psaume ne dirait point : « La vérité s’est levée de la terre[490] » ; et la vérité elle-même ne dirait point : « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[491] ».

DISCOURS SUR LE PSAUME 100 modifier

SERMON AU PEUPLE. modifier

LA MISÉRICORDE ET LE JUGEMENT. modifier

Que nul ne compte sur l’impunité à cause de la divine miséricorde, car le Psalmiste qui chante cette miséricorde tout d’abord, y joint le jugement ou la justice. Souvent chez les hommes la miséricorde a nui à la justice, et la justice à la miséricorde ; mais Dieu tout d’abord miséricordieux ne tolère les méchants que pour les juger ensuite, après les avoir amenés à la pénitence. Saint Paul qui proclame la miséricorde de Dieu pour lui-même, n’en menace pas moins du jugement de Dieu, ceux qui se rassurent à cause de l’impunité de cette vie. Outre la crainte, ce jugement doit nous inspirer l’amour, puisque nous serons couronnés. Sans la divine miséricorde, Paul n’était qu’un blasphémateur ; mais la grâce de Dieu lui fait espérer la couronne de Justice qui lui est due ; il est ici le type des pécheurs. Mais Dieu ne nous épargne que pour nous amener à la pénitence, autrement il serait notre complice. Il nous mettra en face de nous-mêmes pour nous convaincre. C’est donc là le chant du Christ, chef de l’Église, en qui nous sommes Christ. Mais pour chanter avec lui, il faut ne pas nuire aux autres, ni à soi-même. Autrement notre conscience perverse ne nous permettrait pas d’habiter ni dans le Christ, ni dans notre intérieur. Répudions les prévaricateurs pour nous unir à Dieu, bien qu’il ne nous exauce pas toujours. Malgré sa tristesse en face de la mort, le Sauveur s’unit à la volonté de son père. Dans le malheur nous accusons parfois Dieu qui désapprouve le pécheur. Rapprochons-nous le Dieu et fuyons la table des méchants : désapprouvons ce qu’ils aiment, comme Jésus à la table de Sinon était loin de son orgueil. Asseyons-nous avec les fidèles, afin de juger avec eux. Nous sommes donc ici-bas au temps de la nuit, ou de la miséricorde de Dieu qui nous éprouve comme il éprouva Job et les Apôtres. Extermination réservée à ceux qui ne se tourneront point vers lui.


1. Le premier verset de ce psaume centième contient tout ce que nous devons chercher dans tous les autres : « Je chanterai, le Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Que nul ne compte sur la divine miséricorde, pour se promettre l’impunité ; car il y a aussi le jugement : et que nul pécheur converti ne redoute le jugement ; car il y a aussi la miséricorde. Quand les hommes jugent, ils se laissent parfois dominer par la miséricorde, et ils prononcent contre la justice : et alors ils ont, du moins en apparence, la miséricorde et non la justice ; souvent aussi, pour être trop sévères dans leurs jugements, ils perdent la miséricorde. Quant à Dieu, l’effusion de sa miséricorde ne lui fait point perdre la sévérité du jugement, et dans la sévérité du jugement il n’oublie point sa bonté miséricordieuse. Si nous remarquons bien l’ordre de ces deux expressions : miséricorde et justice, nous trouverons que ce n’est point sans raison qu’elles sont ainsi placées de manière à ne point dire justice et miséricorde, mais bien, « miséricorde et justice » : et au point de vue du temps, nous verrons que c’est aujourd’hui le temps de la miséricorde, et dans l’avenir le temps du jugement. Comment la miséricorde vient-elle tout d’abord ? Considère tout d’abord en Dieu les dons que tu as reçus, afin d’imiter ton Père céleste. Car il n’y a point arrogance de notre part à dire que nous devons imiter notre Père ; puisque Notre-Seigneur, le Fils unique de Dieu, nous y exhorte en disant : « Soyez semblables à votre Père céleste ». Après avoir dit dans l’Évangile : « Aimez vos ennemis ; priez pour ceux qui vous persécutent » ; il ajoute : « Afin que, vous soyez semblables à votre Père qui est dans le ciel, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes[492] ». Telle est la miséricorde. Quand tu vois les justes et les injustes contempler le même soleil, jouir de la même lumière, boire aux mêmes fontaines, s’enrichir aux mêmes pluies, récolter en abondance les mêmes fruits de la terre, respirer le même air, se partager aussi les mêmes biens de cette vie, garde-toi d’accuser d’injustice ce même Dieu qui donne également ces biens aux justes et aux injustes. C’est maintenant le temps de la miséricorde, et non celui de la justice. Si lotit d’abord il ne nous pardonnait dans sa miséricorde, il ne trouverait personne qu’il pût couronner dans son jugement. Il y a donc un temps de miséricorde, alors que le Seigneur amène les pécheurs à la pénitence par la patience.
2. Écoute l’Apôtre qui distingue ces deux temps, et distingue-les avec lui : « Toi donc, ô homme, qui condamnes ceux qui commettent ces fautes, et qui les commets toi-même, penses-tu éviter le jugement de Dieu ? » Redoublez d’attention. Il se voyait lui-même, cet homme à qui s’adresse l’Apôtre, qui ne parle pas à un homme seulement, mais au genre humain qui est tel, il se voyait tomber chaque jour dans beaucoup de fautes, bien qu’il ne laissât pas de vivre, et qu’il ne lui arrivât aucun mal ; et alors il s’imaginait ou que Dieu dort, ou qu’il n’a aucun souci des choses humaines, ou bien qu’il prend plaisir au mal que font les hommes. Saint Paul détruit celte pensée dans leurs cœurs, pourvu néanmoins qu’ils le comprennent. Que dit-il donc ? « O homme qui juges ceux qui commettent ces fautes, et qui les fais toi-même, crois-tu donc échapper au jugement de Dieu ? » Et comme si on lui répondait : Tant de fois chaque jour je me rends coupable, pourquoi donc ne m’arrive-t-il aucun mal ? voilà que l’Apôtre continue en lui montrant que nous sommes au temps de la miséricorde : « Méprises-tu », lui dit-il, « les trésors de sa bonté, de sa patience, de sa longanimité[493] ? » Il les méprisait, en effet, mais l’Apôtre lui suggère l’inquiétude. « Ignores-tu », lui dit-il, « que la bonté de Dieu t’invite à la patience ? » Voilà le temps de la miséricorde. Mais pour l’empêcher de croire que ce temps durera toujours, comment lui inspire-t-il de l’effroi ? « Quant à toi » (écoute le jour du jugement après avoir entendu le jour de la miséricorde, puisqu’il est dit : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement) : quant à toi, par la dureté de ton cœur, et par ton impénitence, tu te grossis un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres[494] ». Voilà : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Mais saint Paul nous menace du jugement de Dieu : ce jugement ne doit-il donc nous inspirer que la crainte, et non l’amour ? Les méchants doivent le craindre à cause du châtiment, et les bons l’aimer à cause de la couronne qu’ils doivent recevoir. Mais puisque l’Apôtre a effrayé les méchants, dans le passage que j’ai cité, écoute l’espérance qu’il donne aux bons à propos même du jugement ; il se met en avant et montre par lui-même que c’est maintenant le temps de la divine miséricorde. Car s’il n’eût lui-même rencontré la miséricorde, qu’eût trouvé en lui le jugement ? le blasphème, la persécution, l’outrage. Voilà ce qu’il avoue lui-même en nous signalant ce temps de miséricorde qui est le nôtre : « Tout d’abord », nous dit-il, « j’ai été un blasphémateur, un persécuteur, un insolent ; mais j’ai obtenu miséricorde[495] ». Peut-être est-il le seul pour avoir obtenu miséricorde ? Écoute comment il nous relève : « Jésus-Christ », nous dit-il, « a voulu montrer en moi sa longanimité pour l’instruction de ceux qui croiront en lui[496] ». Qu’est-ce à dire, « a voulu montrer en moi sa longanimité ? » C’est-à-dire que tout pécheur, tout criminel comprenant que Paul a obtenu son pardon, ne doit point s’abandonner au désespoir. Le voilà qui se montre afin de relever les autres. Où ? Dans le temps de la miséricorde. Écoute ce qu’il dit aux bons à propos du jugement, en parlant de lui et des autres. D’abord il a obtenu miséricorde ; et comment ? Parce qu’il a blasphémé, persécuté, outragé. Le Seigneur est donc venu pour pardonner à Paul, non pour le récompenser. S’il eût voulu lui rendre selon ses œuvres, qu’eût-il trouvé pour Paul, sinon le châtiment et le supplice ? Il n’a point voulu le châtier, il lui a fait don de la grâce. Écoute bien comment celui qui a reçu cette grâce, ne voit plus dans le Seigneur qu’un débiteur. Il a trouvé en lui un donateur au temps de la miséricorde, il compte sur lui comme sur un débiteur au temps du jugement. Écoutez ce qu’il dit à ce propos : « Je touche déjà à l’immolation, et le temps de ma mort approché. J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Voilà pour le temps de la miséricorde ; écoute pour celui du jugement : « Il ne me reste qu’à lui tendre la couronne de justice que le Seigneur, juste juge, me rendra au grand jour[497] ». Il ne dit pas : Me donne ; mais, « me rendra ». Donner, c’était la miséricorde ; rendre, ce sera la justice ; car « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre justice ». En lui pardonnant ses péchés, il s’engageait à le couronner. C’est là que « j’ai reçu miséricorde ». Le Seigneur est donc tout d’abord miséricordieux ; c’est lui qui « me rendra » la couronne « de justice ». Pourquoi la rendre ? Parce qu’« il est un juste juge ». Pourquoi est-il alors un juste juge ? C’est que « j’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé ma foi n. Voilà ce que la justice ne peut se dispenser de couronner. Car elle a trouvé de quoi couronner ; mais auparavant qu’avait-elle trouvé ? « Un blasphémateur, un persécuteur ». Il a pardonné ces derniers actes, il couronnera les seconds ; il a pardonné les uns au temps de la miséricorde, il couronnera les autres au temps du jugement, car « c’est votre miséricorde et ensuite votre jugement que je veux chanter, ô mon Dieu ». Mais Paul est-il donc le seul pour avoir mérité celte grâce ? Car je vous l’ai dit, comme il nous effraie dans un de ses témoignages, ainsi il nous console dans l’autre. Après avoir dit : « Le Seigneur, qui est un juste juge, me rendra en ce grand jour » ; il ajoute : « Et non seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment sa manifestation et son royaume[498] ».
3. Donc, mes frères, tant que nous sommes dans le temps de la miséricorde, ne nous flattons point, ne nous négligeons point, ne disons point que Dieu pardonne toujours. J’ai péché hier, Dieu m’a pardonné ; je pèche aujourd’hui, Dieu pardonne encore ; donc je pécherai encore demain, puisque Dieu veut bien pardonner. Tu ne vois que la miséricorde, et tu ne crains pas le jugement. Si tu veux chanter la miséricorde et le jugement, comprends bien que s’il te pardonne, c’est afin que tu te corriges, et non afin que tu demeures dans ton péché. Ne te grossis pas un trésor de colère pour le jour de la colère et de la juste révélation du jugement de Dieu[499]. En ce qui regarde le temps de la miséricorde, il est dit dans un autre psaume : « Dieu a dit au pécheur : Pourquoi parler de ma justice, et mettre dans ta bouche mon alliance ? Tu hais l’ordre, et tu as rejeté ma parole bien loin derrière toi : si tu voyais un voleur, tu courrais à lui, tu partagerais l’héritage des adultères ; tu t’asseyais pour parler contre ton frère, tu mettais le scandale devant le fils de ta mère. Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu[500] ». Voilà le temps de la miséricorde. Qu’est-ce à dire, « je me suis tu ? » Est-ce à dire que je n’ai point réprimandé ? Non, mais je n’ai point jugé. De quel silence accuser celui qui parle chaque jour, dans les saintes Écritures, dans les Évangiles, dans ses prédicateurs ? C’est le supplice, et non la parole, qui a été en demeure. « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ». Et parce que Dieu s’est tu ou n’a point tiré vengeance, qu’a dit le pécheur dans le secret de son âme ? Écoute : « Tu m’as soupçonné d’iniquité », dit le Seigneur, « de ressemblance avec toi ». C’est-à-dire, c’est peu pour toi d’être ainsi, tu m’as cru semblable. Après avoir montré le temps de la miséricorde, le Seigneur nous effraie au sujet du jugement. « Je te convaincrai », dit-il au même endroit, « je te mettrai en face de toi-même[501] ». Tu te places par-derrière, mais je te placerai en face de toi-même. Quiconque, en effet, ne veut point voir ses fautes, se place derrière lui-même, relève exactement celles des autres, non par une sainte vigilance, mais par envie : sans vouloir guérir, il veut accuser, et s’oublie lui-même. C’est à ces hommes que le Seigneur a dit : « Tu vois la paille dans l’œil de ton frère, et non la poutre qui est dans ton œil[502] ». Puis donc que le Prophète chante pour nous la miséricorde et la justice, faisons la justice, et nous attendrons le jugement dans la sécurité : soyons dans son corps mystique, afin de les chanter aussi. Car c’est le chant du Christ : mais si le chef le chantait seul, ce serait le cantique du Seigneur, et non le nôtre. Or, si c’est tout le Christ qui le chante, c’est-à-dire la tête et les membres, attache-toi à lui par la foi, par l’espérance et par la charité, et tu chanteras en lui, tu tressailliras en lui ; comme lui-même souffre en toi, endure en toi la faim, la soif, la tribulation. Il meurt en toi encore aujourd’hui, et toi tu es déjà ressuscité en lui. S’il ne mourait en toi, il ne demanderait pas de répit à celui qui te persécute, et ne dirait point : « Saul, Saul, pourquoi me persécuter[503] ? » Donc, mes frères, c’est le Christ qui chante, mais en la manière que vous connaissez : car nous vous avons souvent parlé du Christ, et je sais qu’il n’y a point en vous d’ignorance. Notre-Seigneur Jésus-Christ est le Verbe de Dieu par qui tout a été fait. C’est ce Verbe qui s’est fait chair pour nous racheter, et qui a habité parmi nous[504] : il s’est fait homme, lui qui était Dieu par-dessus tout, Fils de Dieu égal à son Père ; il s’est fait homme, afin d’être Dieu, médiateur entre Dieu et les hommes, afin de réconcilier ceux qui étaient éloignés, de réunir ceux qui étaient séparés, de rappeler ceux qui étaient étrangers, de ramener les bannis ; voilà pourquoi il s’est fait homme. Il est donc devenu la tête de l’Église, ayant un corps et des membres. Parce que ses membres gémissent sur la terre dans l’univers entier, au dernier jour ils seront dans la joie, quand ils recevront cette couronne de justice dont saint Paul a dit, que « le Seigneur, dans la justice de son jugement, doit nous la rendre alors[505] ». Et maintenant unissons-nous en un même corps et chantons en espérance. Car après avoir revêtu le Christ, nous ne sommes qu’un même Christ avec notre chef, puisque nous sommes assurément de la race d’Abraham. C’est le langage de l’Apôtre. Et si j’ai dit que nous sommes le Christ, l’Apôtre a dit : « Vous êtes donc la race d’Abraham, les héritiers selon la promesse ». Vous êtes de la race d’Abraham : or, voyons si le Christ est la race d’Abraham : « En ta race les nations seront bénies. Il ne dit pas : Dans tes descendants, comme s’ils étaient plusieurs ; mais bien comme d’un seul : Et en celui qui naîtra de toi, et qui est le Christ[506] ». À nous aussi il est dit : « Donc vous êtes la race d’Abraham ». Il est donc évident que nous appartenons au Christ, et que nous sommes ses membres, sou corps ne formant avec notre chef qu’un seul homme. Ainsi répétons, nous aussi : « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre justice ».
4. « Je chanterai votre gloire, et je connaîtrai les voies de l’innocence, quand vous viendrez à moi[507] ». Tu ne saurais chanter et comprendre que dans les voies de l’innocence. Si tu veux comprendre, chante dans la voie pure, c’est-à-dire travaille avec joie pour le Seigneur. Quelle est cette voie pure ? Écoute la suite : « Je marchais dans l’innocence de mon cœur, au milieu de ma maison ». Cette voie pure commence par l’innocence, et arrive encore au terme par l’innocence. À quoi bon chercher tant de paroles ? Sois pur, et toute justice est accomplie. Mais en quoi consiste l’innocence ? Un homme peut nuire en deux manières à un autre homme, ou en, le rendant misérable, autant qu’il est en lui, ou en l’abandonnant dans la misère ; car tu ne veux point qu’un autre te plonge dans la misère, ni qu’il t’abandonne, si tu es misérable. Quel est celui qui fait la misère des autres ? Celui qui use de violences ou d’embûches, qui ravit le bien d’autrui, qui opprime les pauvres, qui se livre au vol, qui recherche l’adultère, qui calomnie, qui fait gémir les autres, pour le bonheur de nuire, Quel est celui qui abandonne les misérables ? C’est celui qui voit un pauvre dénué de tout secours, et qui néglige de le soutenir comme il le pourrait, qui le dédaigne, qui lui ferme son cœur. Quand même on serait homme à n’avoir jamais besoin de miséricorde, il y aurait encore de l’orgueil, dans l’abandon d’un misérable : mais lorsqu’on est dans la tribulation de la chair, qu’on ne sait ce qui peut arriver demain, et qu’on méprise les larmes d’un malheureux, on n’est plus innocent. Mais alors qui est innocent ? Celui qui ne nuit point aux autres ni à lui-même. Car se nuire à soi-même, ce n’est plus être innocent, Je n’ai rien dérobé à personne, me dira quelqu’un, ni fait violence à personne ; c’est avec mon bien, avec le juste fruit de mon travail que je prends mes ébats, que je veux avoir une table bien servie, dépenser autant qu’il me plaira et boire avec mes amis, autant qu’il me plaira ; à qui ai-je fait tort ? À qui ai-je fait violence ? Qui se plaint de moi ? Il paraît innocent. Mais s’il se pervertit, s’il détruit en lui-même le temple de Dieu, comment espérer qu’il sera miséricordieux pour les autres, qu’il prendra en pitié les malheureux ? Pourrait-il avoir de la pitié pour les autres, quand il est si cruel envers lui-même ? Toute la justice se résume ainsi dans ce mot d’innocence. – « Aimer l’iniquité, c’est haïr son âme[508] ». Lorsqu’il aimait l’iniquité, il croyait nuire aux autres ; mais vois s’il nuisait aux autres. « Aimer l’iniquité », dit le Psalmiste, « c’est haïr son âme ». C’est donc à lui-même qu’on nuit tout d’abord, quand on veut nuire aux autres : on ne se met point au large, l’espace manque : toute malice est toujours à l’étroit ; il n’y a que l’innocence pour être au large et se promener à l’aise. « Je me promenais dans l’innocence de mon cœur, au milieu de ma maison ». Par ce milieu de la maison, il entend ou l’Église elle-même dans laquelle se promène le Christ, ou notre cœur qui est une maison intérieure ; alors, au milieu de ma maison, serait une répétition de ce qu’il a dit plus haut : « Dans l’innocence de mon cœur ». Quiconque tient cette maison en mauvais état, en est chassé ; quiconque en effet est harcelé par une mauvaise conscience, ressemble à un homme qui demeure sous un toit d’où l’eau tombe de toutes parts, ou qui sort pour éviter la fumée, qui ne saurait demeurer chez lui tel est l’homme dont le cœur n’est point tranquille, et qui ne saurait y habiter à l’aise. La distraction de leur esprit jette ces hommes au-dehors d’eux-mêmes, et leur fait chercher le plaisir dans les choses corporelles, demander le calme aux bagatelles, aux spectacles, à la luxure, à toutes sortes de crimes. Pourquoi chercher leurs délices au-dehors, sinon en ce qu’ils ne peuvent à l’intérieur goûter la paix de la conscience ? Aussi le Seigneur, après avoir guéri le paralytique, lui dit-il : « Enlevez votre grabat et allez en votre maison[509] ». Voilà ce que doit faire une âme qui est comme amollie par la paralysie qu’elle se raffermisse dans les bonnes œuvres de ses membres, qu’elle fasse le bien, qu’elle emporte son grabat, qu’elle soumette le corps ; puis, qu’elle aille dans sa maison ou sa conscience, et qu’elle la trouve assez large pour s’y promener, y chanter, y avoir l’intelligence.
5. « Je ne mettais sous mes yeux rien d’injuste[510] ». Qu’est-ce à dire que « Je ne mettais sous mes yeux aucune injustice ? » Je n’y attachais point mon cœur, car, vous le savez, on dit d’un homme qui en aime un autre qu’il l’a sous les yeux, Et un homme que l’on méprise se plaint en disant : Je ne suis rien à ses yeux. Ainsi donc, avoir une chose sous ses yeux, c’est l’aimer ; qu’est-ce que ne pas l’aimer ? Ne pas y être de cœur. Le Prophète nous dit donc : « Je ne mettais sous mes yeux rien d’injuste » : je ne m’attachais pas au mal ; et il nous dit ce qu’est le mal : « Je haïssais quiconque violait la loi ». Écoutez bien, mes frères, si vous marchez avec le Christ au milieu de sa maison, c’est-à-dire si vous goûtez dans votre cœur un saint repos, ou si dans l’Église vous prenez le bon chemin qu’a suivi votre chef, vous ne devez pas seulement haïr les prévaricateurs que vous rencontrez au-dehors, mais encore tous ceux de l’intérieur. Quels sont les prévaricateurs ? Ceux qui haïssent la loi de Dieu ; ceux qui l’entendent sans la pratiquer, voilà les prévaricateurs. Poursuis de ta haine les prévaricateurs, écarte-les de toi. Mais c’est le prévaricateur, et non l’homme, que tu dois haïr. Le même homme qui devient prévaricateur a deux dénominations ; il est homme, puis prévaricateur : aime alors ce que Dieu a fait en lui, mais poursuis ce qu’il a fait lui-même. Poursuivre la prévarication, c’est tuer ce qu’a fait l’homme, pour délivrer ce qu’a fait Dieu. « J’ai haï ceux qui commettent le péché ».
6. « Le cœur méchant n’a pas eu d’accès auprès de moi[511] ». Qu’est-ce à dire un cœur méchant ? Un cœur tortueux. Qu’est-ce que le cœur tortueux ? Le cœur qui n’est pas droit. Quand est-ce que le cœur n’est pas droit ? Vois d’abord ce qu’est le cœur droit, tu sauras ce que peut être un cœur qui ne l’est pas. On appelle droit le cœur d’un homme qui ne repousse rien de ce que Dieu veut. Redoublez d’attention. Un homme demande à Dieu que je ne sais quoi ne lui arrive point, mais sa prière ne l’a point détourné. Qu’il redouble ses prières de tout son pouvoir ; ce qu’il veut éviter lui arrive contre sa volonté : qu’il se soumette alors à la volonté de Dieu, et ne résiste point à cette volonté si grande. C’est ce que nous apprend l’exemple du Sauveur lui-même, qui veut personnifier eu lui notre infirmité, et quai s’écrie, au moment de souffrir : « Mon âme est triste jusqu’à la mort[512] ». Et pourtant il ne craignait pas la mort, lui qui avait le pouvoir de donner sa vie, et aussi le pouvoir de la reprendre[513]. Et Paul, ce soldat et serviteur du Christ, s’écrie : « J’ai combattu un bon combat, j’ai gardé ma foi, j’ai achevé ma course ; il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice, que me rendra en ce jour le Seigneur qui est juste juge[514] ». Il tressaille parce qu’il va mourir ; et son Seigneur, son chef est triste devant la mort ! Le serviteur vaut donc mieux que le chef ? Alors que devient cette parole du divin Maître : « Il doit suffire au serviteur d’être comme son Seigneur, et au disciple d’être comme son maître[515] ?, Voilà que Paul est brave en face de la mort, et que le Seigneur est triste. « Je désirais », dit-il, « ma dissolution, afin d’être avec le Christ[516] ». Paul est dans la joie en face de la dissolution, afin d’être avec le Christ, et le Christ sera dans la tristesse, lui avec qui Paul se réjouit d’être un jour ? Qu’est-ce que cette parole, sinon Le cri de notre infirmité ? Beaucoup d’hommes faibles sont encore attristés en face de la mort ; mais qu’ils aient le cœur droit, qu’ils évitent la mort autant qu’ils le pourront ; et s’ils ne le peuvent, qu’ils disent ce que le Seigneur a dit, non pour lui, mais pour nous. Qu’a-t-il dit ? « Mon Père, s’il est « possible, que ce calice s’éloigne de moi ». Telle est bien l’expression de la volonté humaine : vois que déjà le cœur est droit : « Néanmoins, ô mon Père, que votre volonté se fasse, et non la mienne[517] ». Si donc le cœur droit suit le Seigneur, le cœur dépravé lui résiste. Qu’il lui arrive quelque chose de fâcheux, et il s’écrie : O Dieu, que vous ai-je fait ? Quel est mon crime ? Quelle faute ai-je commise ? Il veut être juste, et que Dieu soit injuste. Quel manque de droiture ! C’est peu d’être tortueux, on veut encore que la règle soit faussée. Corrige-toi d’abord, et alors te paraîtra droit celui dont tu t’es éloigné. Ses actes sont justes, les tiens injustes ; et tu es dépravé, parce que tu donnes le nom de juste à l’homme, à Dieu celui d’injuste. Quel homme appelles-tu juste ? Toi-même. Dire en effet : Que vous ai-je fait ? c’est te croire juste. Mais que Dieu te réponde : li est vrai que tu ne m’as rien fait, tu as toujours agi pour toi. Car en agissant pour moi, tu eusses fait le bien. Tout le bien que l’on fait, c’est pour moi qu’on le fait, puisque c’est pour obéir à mon précepte. Tout le mal que tu commets, tu le fais pour toi, et non pour moi ; car le méchant, dans ce qu’il fait, n’agit que pour lui, puisque je ne lui commande Point ces actes. Mes frères, quand vous rencontrerez ces hommes, avertissez-les, reprenez-les, corrigez-les : et si vous ne pouvez les reprendre ou les corriger, ne vous attachez point à eux, afin de pouvoir dire : « Le cœur pervers n’a eu nul accès auprès de moi ».
7. « Comme le méchant s’éloignait de moi, je ne le connaissais pas ». Qu’est-ce à dire : « Je ne le connaissais pas ? » Je ne l’approuvais point, ne l’applaudissais point, il me déplaisait, Nous voyons, en effet, que l’Écriture domine souvent au mot connaître, le sens de plaire. Que peut-on cacher à Dieu, mes frères ? Verra-t-il donc les justes sans voir les injustes ? Quelle est ta pensée qu’il ne connaisse point ? Je ne dis pas quel acte, mais quelle pensée peux-tu lui dérober ? Je ne dis pas seulement quelle pensée actuelle, mais quelle pensée à venir n’a-t-il pas vue avant toi ? Dieu connaît donc tout, et néanmoins, à la fin, c’est-à-dire au jour du jugement, qui suivra sa miséricorde, il dit de quelques-uns : « En ce jour, beaucoup viendront, et diront : Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas chassé les démons en votre nom, fait beaucoup de prodiges en votre nom, mangé et bu en votre nom ? et je leur dirai : Retirez-vous de moi, artisans d’iniquité, je ne vous connais point[518] ». Y a-t-il donc quelqu’un que Dieu ne connaisse pas ? Mais que signifie : « Je ne vous connais pas ? » Je ne vous trouve point conformes à ma règle. Car je connais la règle de ma justice, et vous n’y êtes point conformes, vous vous en êtes écartés, vous êtes tortueux. C’est en ce sens qu’il est dit ici : « Je ne connaissais point. Comme le méchant s’éloignait de moi, je ne le connaissais pas ». Qu’est-ce à dire : « Je ne le connaissais pas ? » Serait-ce parce qu’un méchant, rencontrant un juste dans tin chemin étroit, se dit cette parole de Salomon au livre de la Sagesse : « Il m’est odieux, même de le voir[519] » ; et qu’alors il se détourne du chemin pour ne point le voir ? Mais combien de méchants voyons-nous, et combien nous voient, qui loin de se détourner de nous, accourent au contraire auprès de nous, et voudraient faire de nous les complices de leurs iniquités ? Nous le voyons souvent. Comment donc se détournent-ils ? Quiconque n’est pas semblable à toi, s’éloigne de toi. Qu’est-ce à dire qu’il s’éloigne ? Qu’il ne te suit pas. Qu’est-ce à dire, qu’il ne te suit pas ? Qu’il n’imite pas tes exemples. Donc, « comme le méchant s’éloignait de moi », c’est-à-dire comme le méchant ne me ressemblait point, ne voulait point marcher sur mes traces, ni suivre l’exemple que je lui donnais ; « je ne le connaissais point ». Qu’est-ce à dire : « Je ne le connaissais point ? » non pas que je le méconnaissais, mais que je ne l’approuvais point.
8. « Celui qui parle en secret contre son prochain, je le poursuivais[520] ». C’est là une salutaire persécution, non contre l’homme, mais contre le péché. « Je ne m’asseyais à table, ni avec l’homme à l’œil superbe, ni avec l’homme d’un cœur insatiable ». Qu’est-ce à dire : « Je ne m’asseyais point à leur table ? » Que votre charité fasse attention ; nous entendrons quelque chose d’admirable. S’il ne s’asseyait pas à table avec eux, il ne mangeait point ; s’asseoir à table, c’est manger ; pourquoi donc voyons-nous que le Seigneur a mangé avec les orgueilleux ? Non point avec ces publicains et avec ces pécheurs, car ils étaient humbles, ils connaissaient leur maladie et cherchaient un médecin ; mais c’est avec les orgueilleux pharisiens que nous lisons qu’il mangea. Un de ces orgueilleux l’avait invité ; c’est à lui que déplut cette femme pécheresse, fameuse dans sa ville natale, et qui vint se jeter aux pieds du Sauveur ; c’est à ce pharisien qui disait en son cœur (et la pureté des pharisiens allait jusqu’à ne point se laisser toucher par des hommes impurs ; pour peu que les touchât un homme impur, ils étaient saisis d’horreur, et craignaient de devenir impurs par l’attouchement d’un homme impur) : « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle femme vient à ses pieds[521] ». Comment savait-il que Jésus ne connaissait point cette femme ? C’est qu’il le soupçonnait parce qu’il ne la repoussait point ? Lui, Simon, l’eût repoussée bien loin. Or, le Seigneur, non seulement connaissait cette femme, mais il voyait encore les blessures incurables faites à l’orgueil de Simon. À la vue de ses pensées, et pour lui montrer son propre orgueil : « Simon », lui dit-il, « j’ai quelque chose à te dire : un créancier avait deux débiteurs, dont l’un lui devait cinquante deniers, et l’autre cinq cents : comme ils ne pouvaient s’acquitter, il leur remit leur dette à tous deux : qui des deux l’aima le plus ? » Et celui-ci prononça contre lui-même cette sentence que la vérité lui arrachait : « Je crois, Seigneur, que c’est celui à qui il a le plus remis. Alors se tournant vers la pécheresse : Vois-tu cette femme, dit-il à Simon ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as point donné d’eau pour laver mes pieds ; mais celle-ci m’a lavé les pieds avec ses larmes[522] », et le reste que vous savez. Il n’est pas nécessaire de nous arrêter plus longtemps sur les détails de ce passage que nous citons. Ce pharisien donc était orgueilleux, et le Seigneur mangeait avec lui ; pourquoi David nous dit-il : « Je ne prenais mes repas ni avec l’homme au regard orgueilleux, ni avec l’homme au cœur insatiable ? » Qu’est-ce à dire : « Je ne prenais point mes repas ? » Je ne mangeais pas avec lui. Comment nous propose-t-il ce qu’il ne fait point ? Il nous engage à l’imiter : or, nous le voyons dans un festin avec les orgueilleux, comment nous défendra-t-il de manger avec eux ? Pour nous, mes frères, nous nous séparons quelquefois de nos frères, nous nous abstenons de manger avec eux, afin qu’ils se corrigent. Nous acceptons plus volontiers avec les étrangers, avec les païens, qu’avec ceux de nos proches que nous voyons plongés dans une vie de désordres, afin qu’ils en rougissent et s’en corrigent ; ainsi que l’a dit l’Apôtre : « Si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre, notez-le, et n’ayez point de commerce avec lui, ne le regardez pas néanmoins comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère[523] ». C’est ce que nous faisons souvent avec nos frères pour les guérir ; et pourtant nous mangeons souvent avec des étrangers et avec des impies.
9. Que signifie cette parole : « Je ne prenais point mes repas avec l’homme au regard orgueilleux, au cœur insatiable ? » Un cœur pieux a sa nourriture, et un cœur orgueilleux sa nourriture aussi. C’est en vue de cette nourriture du cœur superbe, que le Prophète a dit : « L’homme au cœur insatiable ». Quelle est la nourriture du cœur superbe ? S’il y a orgueil, il y a envie, il n’en peut être autrement. L’orgueil est père de l’envie, il ne peut engendrer que l’envie, et qu’être toujours avec elle. Tout orgueilleux est envieux, et il se repaît du mal d’autrui. De là cette parole de l’Apôtre : « Si vous vous déchirez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous détruire mutuellement[524] ». Voyez donc de quoi ils se nourrissent, et ne mangez point avec eux, fuyez un tel festin. Mais la joie du mal d’autrui ne les rassasie point, car ils sont insatiables. Garde-toi de tomber de leurs festins dans les filets de Satan. Tel était le festin des Juifs quand ils crucifièrent le Seigneur, ils se repaissaient en quelque sorte ries souffrances du Sauveur ; ce qui est bien différent de nous qui nous repaissons de sa croix, parce que nous mangeons sa chair. Ils lui disaient, en le voyant suspend à la croix et en lui insultant, car leur cœur était insatiable, ils disaient donc : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il descende de la croix ; il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même[525] ». Ils se repaissaient de leur cruauté, et pour lui, sa nourriture était sa miséricorde. « Mon Père », dit-il, « pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent ce qu’ils font[526] ». Ils avaient donc leur nourriture, et lui sa nourriture. Mais écoutez ce qui est dit de la table des orgueilleux : « Que leur table soit pour eux un piège, une vengeance, un scandale[527] ». Ils s’en sont repus et ont été pris ; de même que les oiseaux se font prendre en mangeant l’appât du piège, et les poissons en mordant à l’hameçon Les impies ont donc leurs festins, et les hommes pieux leurs festins. Écoutez, voici le festin des bons : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés[528] ». Si donc l’homme pieux se rassasie de justice et l’impie d’orgueil ; il n’est pas étonnant que celui-ci ait le cœur insatiable, car il a pour nourriture l’iniquité ; loin de toi ce pain de l’iniquité ; et l’homme à l’œil superbe, au cœur insatiable ne mangera point avec toi.
10. Mais toi, ô Prophète, où était ta nourriture ? À quelle table te plaisais-tu, quand l’impie ne mangeait pas avec toi ? « Mes yeux », répond-il, « étaient sur les fidèles de la terre, afin qu’ils soient établis avec moi[529] ». Le Seigneur nous dit : « Mes yeux sont sur les fidèles de la terre, afin qu’ils demeurent avec moi » : c’est-à-dire qu’ils y soient assis. Comment être assis ? « Vous serez assis sur douze trônes, pour juger les douze tribus d’Israël[530] ». Les fidèles de la terre seront donc juges, et c’est à eux que saint Paul a dit : « Ne savez-vous point que nous jugerons les anges[531] ? Mes yeux sont sur les fidèles de la terre, afin qu’ils soient établis avec moi. Celui qui marchait dans la soie pure, était celui qui me servait ». « Moi », et non pas lui. Beaucoup en effet sont ministres de l’Évangile, mais ministres pour eux, cherchant leurs intérêts et non ceux du Christ[532]. Qu’est-ce que servir le Christ ? Chercher ce qui est des intérêts de Jésus-Christ. Or, que les méchants annoncent l’Évangile, ils sauvent les autres, en se perdant eux-mêmes. Car il est écrit : « Faites ce qu’ils vous disent, mais ne faites pas ce qu’ils font[533] ». Tu n’as donc rien à craindre quand c’est un méchant qui t’annonce l’Évangile. Malheur à celui qui se sert lui-même, c’est-à-dire qui cherche ses intérêts : toi, cherche ceux du Christ. « Celui qui marchait dans la voie droite, celui-là me servait ».
11. « Celui qui se comporte avec orgueil, n’habitera point l’intérieur de ma maison[534] ». Reportez-vous à la maison indiquée plus haut, c’est-à-dire au cœur. Nul homme aux actes orgueilleux n’habitait dans mon cœur, nul homme semblable n’y demeurait, il en sortait à l’instant. Nul ne demeure dans mon cœur, s’il n’est doux et paisible : l’orgueilleux n’y habitait point, car l’injuste n’habite point le cœur du juste. Qu’un homme juste soit séparé de toi par des distances en des contrées ; vous habitez ensemble, si vous avez un même cœur. « L’homme qui se comporte avec orgueil n’a point habité dans mon cœur, l’homme aux paroles d’iniquité, ne marchera point d’un pas ferme en ma présence ». Telle est la voie sans tache, qui nous donne l’intelligence, quand le Seigneur vient à nous.
12. « Dès le matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre[535] ». Ce passage est obscur ; écoutons bien, je vous prie, le psaume touche à sa fin. « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre ». Pourquoi ? « Afin de bannir de la cité du Seigneur tous ceux qui commettent l’iniquité ». Il en est donc dans la cité du Seigneur qui commettent l’iniquité, et ils sont épargnés aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que nous sommes dans le temps de la miséricorde, et qu’après viendra celui du jugement. « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement ». Il nous a dit plus haut que les bons seuls s’attachent à lui, qu’il ne s’est pas attaché aux méchants, qu’il ne se plaît point dans le festin d’iniquité de ces hommes qui ne servent qu’eux-mêmes, et non le Seigneur, c’est-à-dire qui cherchent leurs propres intérêts. Et comme si nous lui demandions : Pourquoi donc avoir toléré si longtemps ces hommes dans votre cité ? C’était le temps de la miséricorde, nous dit-il. Mais qu’est-ce que le temps de la miséricorde ? C’est-à-dire que le jugement n’est pas encore dévoilé : c’est la nuit, viendra le jour, et le jugement apparaîtra. Écoute l’Apôtre : « Gardez-vous de juger quelqu’un avant le temps ». Qu’est-ce à dire « avant le temps ? » Avant le jour. Vois qu’il s’agit ici du jour : « Jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui doit éclairer les secrets des ténèbres, manifester les pensées des cœurs, et alors chacun recevra sa louange de Dieu[536] ». Maintenant en effet que vous ne voyez point mon cœur et que je ne vois point le vôtre, c’est la nuit. Tu demandes à un homme je ne sais quoi qu’il te refuse, et tu te crois méprisé ; or, peut-être n’es-tu pas méprisé. Car tu ne vois point le mur, et à l’instant tu murmures, il faut te pardonner comme à un homme qui erre pendant la nuit. Tu es aimé d’un homme, et tu crois qu’il te hait ; ou bien il te hait quand tu crois en être aimé : l’une et l’autre erreur est l’effet de la nuit. Sois donc sans crainte, mets ta confiance dans le Christ, et tu auras la lumière en lui : n’appréhende aucun mal de sa part, car nous sommes en sûreté, ayant la certitude qu’on ne peut le tromper et qu’il nous aime. Mais nous n’avons point cette certitude à l’égard de nous-mêmes. Dieu connaît notre amour mutuel, mais nous, bien que nous nous aimions, qui connaît notre intention alors ? Pourquoi le cœur se dérobe-t-il à tous ? Parce que nous sommes dans la nuit. Or, dans cette nuit les tentations abondent. C’est de cette nuit que le psaume a dit : « Vous avez amené les ténèbres, et voilà la nuit ; alors les bêtes de la forêt glissent dans l’ombre : les lionceaux rugissent après leur proie, et demandent à Dieu leur pâture[537] ». C’est pendant la nuit que les lionceaux cherchent la nourriture. Quels sont ces lionceaux ? Les princes et les puissances de l’air, le démon et ses anges[538]. Comment cherchent-ils leur nourriture ? En nous suggérant la tentation. Mais comme ils ne peuvent nous approcher si Dieu ne leur en donne le pouvoir, le Psalmiste ajoute qu’« ils demandent leur proie au Seigneur ». Le démon demande de tenter Job. Quelle était cette proie ? Une proie riche, opulente, le juste de Dieu, à qui le Seigneur lui-même avait rendu témoignage en l’appelant « homme irréprochable, et véritable serviteur de Dieu ». Demander de le tenter, c’était demander à Dieu sa proie, et il reçut le pouvoir, non de l’accabler, mais de le tenter[539] ; de le purifier, non de le perdre. Néanmoins il arrive que d’autres sont livrés au tentateur pour l’avoir mérité, parce qu’ils se sont livrés eux-mêmes à leurs concupiscences. Le diable en effet ne nuit à personne s’il n’en a reçu de Dieu le pouvoir. Mais quand ? pendant la nuit. Qu’est-ce à dire pendant la nuit ? En cette vie. Mais quand à la nuit succédera le jour, les méchants seront précipités avec le diable dans le feu éternel, et les justes auront une vie sans fin[540]. Là plus de tentateur, parce qu’il n’y aura plus de lionceaux, la nuit sera passée. Aussi le Seigneur dit-il à ses disciples : « Cette nuit Satan a demandé de vous cribler comme le froment ; mais, Pierre, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne vienne pas à faiblir[541] ». Qu’est-ce à dire, « vous cribler à comme le froment ? » De même que l’homme ne mange le froment qu’après l’avoir brisé pour en faire du pain, de même nul ne devient en quelque sorte la proie de Satan, qu’après avoir été brisé sous la meule de l’affliction. Il nous brise donc pour nous manger ; mais toi, si dans l’affliction tu demeures un véritable grain, tu ne seras point broyé, et il ne t’arrivera aucun mal. Quand les bœufs foulent le grain, n’ont-ils d’action que sur le grain seulement ? Ne les chasse-t-on point sur la paille dans la grange ? Mais est-ce le froment qui doit craindre ? Nullement. La paille seule est brisée, le froment est dépouillé du superflu, et alors viendra le van, qui fera du froment une masse pure. Le grain que l’on trouve alors est mis en réserve dans les greniers, et le monceau de paille jeté au feu inextinguible[542].
13. À quoi bon ce langage ? Parce que nous espérons voir le jour, Ce jour pour nous doit être dans le Christ, et pendant que nous sommes daims la tentation, c’est la nuit. Pendant la nuit, Dieu épargne les pécheurs, et ne les extermine point ; il leur inflige des épreuves douloureuses, afin de les corriger, il les tolère dans sa cité. Mais croyons-nous qu’il les souffrira toujours ? Si Dieu usait toujours de miséricorde, il n’y aurait point de jugement. Mais si le psaume a dit vrai « Seigneur, je chanterai votre miséricorde et votre jugement » ; il n’épargne aujourd’hui que pour juger plus tard. Or, quand jugera-t-il ? Quand la nuit sera passée. De là cette parole : « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre ». Qu’est-ce à dire, « au matin ? » Au point du jour, quand la nuit sera passée. « Au matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre » : pourquoi les avoir épargnés jusqu’au matin ? Parce que c’était la nuit. Qu’est-ce à dire, c’était la nuit ? C’était le moment de l’indulgence ; car Dieu pardonnait, quand le cœur des hommes était dans les ténèbres. Tu vois un homme vivant dans le désordre ; tu as pour lui de la tolérance ; comme il est dans la nuit, tu ne sais ce qu’il deviendra, si vivant aujourd’hui dans le désordre, il ne sera pas demain plus régulier ; et si l’homme régulier d’aujourd’hui ne sera pas demain l’homme du désordre. Nous sommes dans la nuit, et Dieu tolère les pécheurs dans sa longanimité. Il les tolère afin qu’ils se retournent vers lui. Mais ceux qui ne se convertiront point ici-bas seront exterminés. Pourquoi exterminés ? Afin qu’ils soient bannis de la cité de Dieu, de la société de Jérusalem, de la société des saints, de la société de l’Église. Quand seront-ils exterminés ? « Au matin ». Qu’est-ce à dire « au matin ? » Quand la nuit sera passée. Pourquoi les épargner aujourd’hui ? Parce que c’est le temps de la miséricorde. Pourquoi n’épargner pas toujours ? Parce que « je chanterai, Seigneur, votre miséricorde, et ensuite votre jugement ». Mes frères, que nul ne se fasse illusion. Tous ceux qui commettent l’iniquité seront exterminés : le Christ les exterminera au matin, et les bannira de sa cité. Mais aujourd’hui que nous sommes dans le temps de la miséricorde, que les pécheurs l’écoutent. Partout il nous prêche, et dans sa loi, et dans les Prophètes, et dans les psaumes, et dans les Epîtres et dans l’Évangile. Reconnaissez qu’il ne se tait point, qu’il épargne, qu’il use même de miséricorde ; mais veillez sur vous, car voici le jugement.

  1. Rom. 8,24-25
  2. 1 Cor. 13,13
  3. Ps. 91,2
  4. Id. 1
  5. Exod. 20,8
  6. Rom. 12,12
  7. 1 Cor. 4,7
  8. Lc. 10,17-20
  9. Ps. 91,3
  10. Dan. 6,3
  11. Id. 9,5-7
  12. Ps. 91,4
  13. 2 Cor. 9,7
  14. Ps. 91,5
  15. Eph. 2,10
  16. Jn. 8,4
  17. Rom. 3,4
  18. Rom. 12,11
  19. Ps. 33,5
  20. 1 Cor. 4,7
  21. Exod. 20,1-17
  22. Ps. 91,6
  23. Ps. 50,6
  24. Isa. 40,6-8
  25. Ps. 91,7
  26. Id. 8
  27. Ps. 91,9
  28. Id. 10
  29. Act. 9,4
  30. Ps. 91,2
  31. Ps. 91,12
  32. Mt. 25,41
  33. Ps. 111,7
  34. Id. 13
  35. Id. 14-16
  36. Gen. 1,1-3
  37. Jn. 5,17
  38. Lc. 3,11
  39. Id. 2,14
  40. Gen. 1,26
  41. 1 Cor. 15,58
  42. Gen. 1,26
  43. 1 Cor. 3,11
  44. Ps. 92,1
  45. Jn. 6,12
  46. 2 Cor. 2,15
  47. 2 Cor. 2,16
  48. 2 Cor. 6,8
  49. Id. 10
  50. Ps. 94,4-6
  51. Jn. 13,4-15
  52. Mat. 27,40
  53. Prov. 16,32
  54. 1 Pi. 3,9
  55. Ps. 112,1
  56. Mt. 12,12
  57. 2 Tim. 2,17-18
  58. Id. 19
  59. Mt. 3,12
  60. Ps. 92,2
  61. 2 Cor. 12,10
  62. Isa. 66,2
  63. Ps. 109,3
  64. Gen. 1,14
  65. Jn. 1,3
  66. Jn. 8,58
  67. Psa. 92,3
  68. Jn. 7,37-39
  69. Act. 2,4
  70. Ps. 45,5
  71. Mt. 26,69-74
  72. Act. 2,14
  73. Act. 4,18-24
  74. Mt. 14,24-25
  75. Ps. 92,5
  76. Jn. 16,33
  77. Ps. 95,10
  78. Sermon donné probablement dans un autre diocèse, à la prière de quelques évêques
  79. Mt. 7,7
  80. Rom. 2,24
  81. Sir. 31,9-10
  82. Ps. 10,6
  83. Gen. 1,3-19
  84. Psa. 135,8-9
  85. Phi. 2,14-15
  86. Psa. 113,4
  87. Apoc. 5,5
  88. 1 Cor. 10,4
  89. Sag. 5,6
  90. Jn. 1,9
  91. Phil. 2,15-16
  92. Id. 3,20
  93. Mt. 6,21
  94. Ps. 103,2
  95. Id. 35,9-10
  96. 1 Cor. 13,9-10
  97. Jn. 1,14
  98. Isa. 34,4
  99. Eph. 5,8
  100. Phil. 3,20
  101. Ps. 1,1-2
  102. Id. 93,12-13
  103. Ps. 93,1
  104. Rom. 2,4-6
  105. Ps. 11,6
  106. Ps. 11,6
  107. Mt. 5,3.10-12
  108. Id. 6,5
  109. Id. 7,28-29
  110. Id. 23,13
  111. Ps. 93,2
  112. Act. 4,4
  113. Act. 2,37
  114. Id. 2,4
  115. Lc. 23,34
  116. Rom. 12,15
  117. Ps. 93,3-4
  118. Id. 49,21
  119. Isa. 42,14
  120. Rom. 2,3-6
  121. Ps. 93,5-6
  122. Id. 7
  123. Id. 49,21
  124. Id. 93,8
  125. Ps. 93,9-10
  126. Rom. 14,10 ; 2 Cor. 5,10
  127. Ps. 93,11
  128. Ps. 93,12-13
  129. Lc. 18,13
  130. Lc. 18,10-14
  131. Mt. 11,28-29
  132. Ps. 93,13
  133. Ps. 72,18
  134. Ps. 93,14
  135. Héb. 12,6
  136. Ps. 93,15
  137. Mt. 19,28
  138. Lc. 22,44
  139. Mt. 26,39
  140. Job. 1,21
  141. Gen. 3,6
  142. Job. 2,9-10
  143. Phil. 1,23-24
  144. 2 Tim. 4,7-8
  145. Mt. 26,39
  146. Id. 38
  147. Id. 8,28
  148. Lc. 14,1
  149. Mt. 26,37-38
  150. Ps. 93,16
  151. Ps. 93,17
  152. Id. 18
  153. Mt. 14,28
  154. Id. 30
  155. Id. 31,32
  156. Ps. 93,19
  157. Id. 20
  158. 1 Pi. 4,17
  159. Id. 18 ; Prov. 11,31
  160. 2 Cor. 4,7
  161. Rom. 9,20-21
  162. Gen. 2,7
  163. Jn. 9,1-6
  164. 1 Cor. 13,12
  165. 2 Cor. 4,17-18
  166. Ps. 83,5
  167. Prov. 11,31 ; 1 Pi. 4,18
  168. Mt. 8,23-26
  169. Id. 25,41
  170. Ps. 93,21
  171. Mt. 26,59
  172. Ps. 93,22
  173. 1 Cor. 10,13
  174. Ps. 93,23
  175. Prov. 3,12 ; Hébr. 12,6-7
  176. Mt. 5,44
  177. Rom. 8,32
  178. Eph. 5,2-25
  179. Jn. 9,39
  180. 2 Cor. 2,16
  181. Id. 6,7-8
  182. Lc. 2,14
  183. Rom. 1,17
  184. Gal. 5,6
  185. Mt. 5,44
  186. Ps. 1,2
  187. Phil. 3,20
  188. Gen. 1,14
  189. Phil. 2,14-16
  190. Ps. 9,10
  191. Sermon prêché sur l’invitation d’Aurélien, de Carthage, ou plutôt de Valère, évêque d’Hippone, soit peu après, soit peu avant la promotion d’Augustin à l’épiscopat.
  192. Ps. 138,7
  193. Id. 8
  194. Isa. 29,13 ; Mat. 15,8
  195. Mt. 22,15-21
  196. Id. 5,45-48
  197. Ps. 33,5
  198. Ps. 65,13-14
  199. Lc. 10,21
  200. Ps. 94,2
  201. Jn. 1,51
  202. Ps. 94,3
  203. 1 Cor. 8,5-6
  204. Ps. 95,5
  205. 1 Cor. 3,17
  206. Ps. 49,23
  207. Rom. 8,31
  208. Ps. 81,1
  209. Jn. 1,12
  210. Ps. 113,4-5
  211. Rom. 11,1
  212. Id. 16-21
  213. Act. 2,4
  214. Mt. 19,21-22
  215. Rom. 19,11-12
  216. Isa. 10,22 ; Rom. 9,27
  217. Mt. 3,1-2
  218. Ps. 117,22
  219. Act. 4,34-35
  220. Eph. 2,14
  221. Ps. 71,11
  222. 1 Cor. 10,13
  223. Ps. 85,9
  224. Ps. 94,6
  225. Id. 7
  226. Cant. 4,2 ; 6,5
  227. Mt. 19,21
  228. Ps. 94,8
  229. Eph. 2,20
  230. Ps. 94,9
  231. Exod. 16,2-3 ; 17,2-7
  232. Jer. 16,19
  233. Exod. 14,21-31
  234. Id. 16,13-35
  235. Ps. 94,10
  236. Mt. 4,1-11
  237. Act. 1,3
  238. Mt. 28,20
  239. Id. 3,9
  240. Ps. 94,11
  241. Héb. 6,13
  242. Rom. 11,19-20
  243. Sermon prêché probablement l’an 405, durant les fureurs des Circoncellions
  244. Evêque de Milève
  245. 1 R. 6,1
  246. Mt. 24,1-2
  247. 1 Chr. 16,23 ; Ps. 95,1
  248. Sir. 15,9
  249. Jn. 13,34
  250. Mt. 24,2
  251. Gal. 3,27
  252. Eph. 4,2-3
  253. Act. 2,3
  254. Ps. 95,2
  255. Id. 3
  256. Ez. 23
  257. Jn. 10,7
  258. Id. 1,2
  259. Ps. 95,4
  260. Ps. 2,1
  261. Id. 21,13-14
  262. Mt. 27,23
  263. Ps. 131,7
  264. Lc. 15,12-15
  265. 1 Cor. 10,20
  266. Ps. 95,5
  267. Ps. 18,2
  268. Id. 95,6
  269. Mt. 9,13
  270. 2 Pi. 2,22
  271. Ps. 95,7
  272. Id. 113,1
  273. Jn. 1,33
  274. Ps. 95,8
  275. Id. 50,18
  276. Id. 19
  277. Id. 95,9
  278. Mt. 24,23-24
  279. Psa. 95,10
  280. Mat. 24,23
  281. Psa. 95,11
  282. Mrc. 13,9
  283. Psa. 95,12
  284. Rom. 11,17
  285. 1Ro. 5,6
  286. Psa. 95,13
  287. 2Co. 5,20
  288. Mrc. 13,26
  289. Id. 17,33
  290. 1Co. 7,29-32
  291. Mrc. 13,27
  292. Gen. 3,6
  293. Mat. 25,34
  294. Id. 30
  295. Id. 41
  296. Pas. 111,7
  297. Mat. 25,41
  298. 1Co. 4,7
  299. Mat. 13,17
  300. Luc. 2,29-30
  301. Psa. 96,1
  302. Eph. 2,20
  303. Rom. 10,4
  304. Act. 2,4-37
  305. Mat. 27,39
  306. Id. 26,70
  307. Lc. 24,18-21
  308. Act. 1,3-9
  309. Lc. 23,31
  310. Act. 2,41 ; 4,4
  311. Jn. 10,16
  312. Act. 10
  313. Eph. 2,20
  314. Ps. 96,2
  315. Jn. 9,39
  316. 1 Cor. 1,24
  317. Ps. 24,9
  318. Id. 96,3
  319. Mt. 25,41
  320. Isa. 26,11
  321. Lc. 12,49
  322. Mt. 10,31
  323. Act. 2,3
  324. Isa. 40,6
  325. Ps. 96,4
  326. Act. 9,40
  327. Ps. 96,5
  328. Rom. 3,29
  329. Ps. 116,6
  330. Id. 18,2
  331. Col. 3,1-2
  332. Phil. 3,20
  333. Rom. 10,14
  334. Ps. 96,7
  335. Rom. 6,9
  336. Ps. 113,5
  337. 1 Cor. 10,19-20
  338. Id. 8,4
  339. Act. 14,13-14
  340. Apoc. 19,10
  341. Job. 1,11
  342. Ps. 117,18
  343. Act. 10,3
  344. Ps. 96,8
  345. Act. 11,1
  346. Act. 11,3
  347. Id. 18
  348. Id. 34,35
  349. Rom. 3,29
  350. Ps. 96,9
  351. Id. 95,5
  352. Id. 81,1-6
  353. Id. 96,10
  354. Job. 1,21
  355. Mt. 10,28
  356. 1 Cor. 15,53
  357. Mt. 10,30
  358. Rom. 5,6
  359. Mt. 5,45
  360. Ps. 96,11
  361. Sag. 5,6
  362. Tob. 4,7-11
  363. Isa. 48,22 ; 57,21
  364. Jer. 17,16
  365. Ps. 96,12
  366. Jn. 16,33
  367. Mt. 24,3-13
  368. Rom. 12,11
  369. Id. 5,5
  370. Ps. 97,1
  371. Id. 95,1
  372. Lc. 7,12-15
  373. Isa. 53,1
  374. Ps. 97,2
  375. Lc. 3,6
  376. Id. 2,28-30
  377. Mt. 24,23
  378. Ps. 97,3
  379. 1 Cor. 13,12
  380. Jn. 3,2
  381. Mt. 5,8
  382. Id. 5
  383. Job. 1,21
  384. Gen. 3,6
  385. Job. 1,11
  386. Jer. 1,23
  387. 2 Cor. 12,7-10
  388. 1 Tim. 1,20
  389. Col. 3,1-2
  390. 1 Cor. 3,1-2
  391. 2 Cor. 10,3
  392. 1 Cor. 1,12 ; 3,1-6
  393. Ps. 97,7
  394. Id. 8
  395. Jn. 7,37-39
  396. Ps. 97,9
  397. Mt. 6,10
  398. Ps. 84,12
  399. Id. 98,1
  400. Jer. 10,11
  401. Mt. 10,30
  402. Rom. 13,10
  403. Isa. 66,1
  404. Ps. 98,2
  405. Jn. 4,8
  406. Mt. 5,44
  407. Ps. 98,3
  408. Rom. 2,4
  409. Mt. 25,31-33
  410. 2 Cor. 5,10
  411. Ps. 98,4
  412. Ps. 33,15
  413. Rom. 4,5
  414. Mt. 25,34-41
  415. Ps. 98,5
  416. Isa. 66,1
  417. Deut. 6,13 ; Mat. 4,10
  418. Jn. 6,64
  419. Id. 54
  420. Id. 61-67
  421. Ps. 98,6-7
  422. Exod. 28,1
  423. 1 Sa. 16,13
  424. Id. 1,11
  425. Ps. 98,5
  426. Exod. 2,12-15
  427. Id. 32,1-4
  428. 1 Sa. 1,24
  429. Deut. 32,49-52
  430. Jn. 1,17
  431. Nb. 20,24-28 ; 33,38
  432. 1 Sa. 8,1 ; 25,1
  433. Mt. 13,26
  434. Id. 30
  435. Lc. 12,47-48
  436. Eccl. 1,18
  437. 2 Cor. 11,28
  438. 2 Cor. 11,29
  439. Id. 12,7
  440. Id. 8,9
  441. Ps. 98,9
  442. Dan. 2,34-35
  443. Ps. 117,22 ; Act. 4,11
  444. Mt. 5,45
  445. Ps. 99,1
  446. Ps. 99,2
  447. Lc. 24,47
  448. Ps. 88,16
  449. Mt. 5,8
  450. Prov. 20,9
  451. Ps. 72,27
  452. Id. 33,6
  453. Mt. 5,45
  454. Sag. 8,1
  455. Act. 17,27-28
  456. Rom. 1,20
  457. Jn. 4,8
  458. 1 Cor. 13,12
  459. Ps. 32,9
  460. Ps. 78,11
  461. Gal. 5,13
  462. Jn. 8,31-32
  463. 1 Cor. 15,54
  464. Mt. 3,12 ; 13,30
  465. Cant. 2,2
  466. Ps. 54,13-15
  467. Id. 33,8
  468. Eph. 4,2-3
  469. Mt. 25,14-30
  470. Act. 4,32-35
  471. Ps. 147,13
  472. Sir. 11,30
  473. Cant. 2,2
  474. Phil. 2,21
  475. Sir. 2,16
  476. Mt. 24,40-41 ; Lc. 17,34-35
  477. 1 Cor. 3,6-9
  478. Mt. 3,12
  479. 1 Tim. 5,13
  480. 1 Cor. 7,34
  481. Ps. 99,2
  482. Ps. 99,3
  483. Jn. 1,3
  484. Lc. 15,4-5
  485. Ps. 99,4
  486. Ps. 146,7
  487. Id. 30,21
  488. Id. 117,19
  489. Mt. 11,25
  490. Ps. 84,12
  491. Mt. 28,20
  492. Mt. 5,44-45
  493. Rom. 2,4
  494. Id. 5
  495. 1 Tim. 1,15
  496. Id. 16
  497. 2 Tim. 4,6-8
  498. 2 Tim. 4,8
  499. Rom. 2,5
  500. Ps. 49,16-21
  501. Ps. 49,21
  502. Mt. 7,3
  503. Act. 9,4
  504. Jn. 1,3-14
  505. 2 Tim. 4,8
  506. Gal. 3,8.16.29 ; Gen. 12,3
  507. Ps. 100,2
  508. Ps. 10,6
  509. Mt. 9,6
  510. Ps. 100,2
  511. Ps. 100,4
  512. Mt. 26,38
  513. Jn. 10,18
  514. 2 Tim. 4,7
  515. Mt. 10,25
  516. Phil. 1,23
  517. Mt. 26,38-39
  518. Mt. 7,22-23
  519. Sag. 2,15
  520. Ps. 100,5
  521. Lc. 7,39
  522. Id. 36-44
  523. 2 Thes. 3,11-15
  524. Gal. 5,15
  525. Mt. 27,40-42
  526. Lc. 23,34
  527. Ps. 68,23
  528. Mt. 5,6
  529. Ps. 100,6
  530. Mt. 19,28
  531. 1 Cor. 6,3
  532. Phil. 2,21
  533. Mt. 23,3
  534. Ps. 100,7
  535. Id. 8
  536. 1 Cor. 15,5
  537. Ps. 103,20-21
  538. Eph. 2,2
  539. Job. 1,8-12
  540. Mt. 25,46
  541. Lc. 22,31-32
  542. Mt. 3,2