Discours sur les psaumes (Augustin)/Psaumes CXI à CXX
DISCOURS SUR LE PSAUME 111
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierLE TEMPLE SPIRITUEL.
modifierL’inscription du titre porte : Conversion d’Aggée et de Zacharie. Ces prophètes, bien postérieurs à l’époque des Psaumes, ont prédit la reconstruction du Temple après les soixante-dix années de captivité. Mais ce temple est l’Église, par qui l’homme est renouvelé et entre comme pierre vivante dans sa construction. Tel est le temple que prophétisaient Aggée et Zacharie, et dont le couronnement sera la sagesse qui commence par la crainte du Seigneur. C’est au Seigneur qu’il appartient de juger l’homme qui se fait un bonheur d’accomplir sa loi, dont la postérité sera puissante sur la terre, puisqu’elle pourra, par de bonnes œuvres, acquérir la vie éternelle. Loin de nous d’agir pour un motif humain, et de perdre la gloire qui demeure de siècle en siècle. Dieu nous a tirés de la vie ténébreuse pour nous apprendre à mériter le ciel par le pardon et le bienfait. L’homme doux, du Psaume, pardonne et prête ; et il y a dans le pardon une gloire plus pure que dans la vengeance, dans le bienfait une richesse plus solide que celle de la terre. La gloire donc et les richesses sont pour le cœur juste. Régler nos paroles pour le jugement, c’est aussi régler nos œuvres qui nous défendront alors ; de là cette bénédiction pour la race des justes, tandis que leurs ennemis n’ont voulu que les biens périssables, et seront loin du Verbe de Dieu.
1. Je pense, mes frères, que vous avez en tendu et fixé dans votre mémoire le titre de ce psaume : « Conversion d’Aggée et de Zacharie », est-il dit. Or, ces Prophètes n’étaient point encore, quand ce cantique fut chanté. Car, entre l’époque de David et la transmigration du
peuple d’Israël à Babylone, on compte quatorze générations, au témoignage des saintes Écritures, et surtout de l’Évangéliste saint Matthieu[1]. Or, selon la parole du saint prophète Jérémie, on espérait que le temple sortirait de ses ruines soixante et dix ans après celte transmigration[2]. Or, à l’accomplissement de ces soixante et dix ans, sous Darius, roi de Babylone[3], ces deux saints prophètes, Aggée et Zacharie, furent aussi remplis de l’Esprit-Saint[4] ; et tous deux, dans l’espace d’une année, commencèrent à prédire ce qui concernait la reconstruction du temple, déjà prédite si longtemps auparavant. Mais arrêter les yeux du cœur sur des faits complètement corporels, et ne pas élever son âme jusqu’aux actes spirituels de la grâce, c’est circonscrire sa pensée dans les pierres d’un temple dont la structure visible s’élève par la main des hommes, c’est ne pas devenir soi-même une pierre vivante qui se taille et se prépare à faire partie de ce temple auquel Jésus-Christ compara son corps en disant : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours[5] ». L’Église est d’une manière bien plus parfaite le corps de Jésus-Christ, dont la tête s’élève au ciel, et qui est par excellence la pierre vivante, la pierre angulaire dont saint Pierre a dit : « Approchez-vous de lui comme de la pierre vivante », rejetée par les hommes, choisie et honorée par Dieu ; et vous-mêmes, soyez établis sur lui, comme des pierres vivantes, pour former un édifice spirituel, un sacerdoce saint, afin d’offrir à Dieu des hosties spirituelles « qui lui soient agréables par Jésus-Christ[6] ». L’Écriture dit en effet : « Voici que je place en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse, et quiconque croira en elle ne sera point confondu[7] ». Celui donc qui veut devenir une pierre vivante, propre à entrer dans cet édifice, doit comprendre d’une manière spirituelle comment le temple se relève de cette ruine antique faite en Adam, comment se régénère le peuple nouveau, selon l’homme nouveau, l’homme céleste ; afin qu’après avoir porté l’image de l’homme terrestre, nous portions aussi l’image de Celui qui est dans le ciel[8], et qu’en lui, après tous les âges de cette vie, comme après ces septante années qui figuraient mystérieusement la perfection, comme après la captivité de ce long exil, nous puissions non plus être construits en un édifice qui doit crouler un jour, mais être solidement établis dans une immortalité sans fin. Ne croyez pas en effet que la Jérusalem spirituelle soit plus aux Juifs qu’à vous-mêmes. Comme l’a dit en effet l’Apôtre : « Vous n’êtes plus désormais des étrangers, des exilés ; mais vous êtes les concitoyens des saints, habitants de la cité de Dieu, construits sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, édifice dont Jésus-Christ est lui-même la principale pierre angulaire ; c’est sur lui que tout l’édifice construit s’élève jusqu’à devenir un temple consacré au Seigneur ; et c’est par lui que vous faites partie de la construction de cet édifice, devenant la maison de Dieu par l’Esprit-Saint[9] ». Voilà le temple que prophétisaient en figure Aggée et Zacharie, auquel saint Paul dit encore : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple[10] ». Quiconque dès lors veut sortir de ce monde qui tombe en ruines, pour entrer comme pierre vivante dans la construction de cet édifice, et pour espérer une part dans cette union sainte et solide, comprend le titre du psaume, il comprend la conversion d’Aggée et de Zacharie. Qu’il chante notre psaume, non plus par la voix, mais par les œuvres. Et le couronnement de cet édifice sera l’ineffable paix dans la sagesse, dont le commencement est la crainte du Seigneur[11] : qu’il commence par cette crainte, celui qui veut par sa conversion entrer dans l’édifice spirituel.
2. « Bienheureux l’homme qui craint le Seigneur, qui se tait un bonheur d’accomplir sa loi[12] ». C’est à Dieu, qui seul juge avec miséricorde et vérité, de voir combien notre interlocuteur a marché dans ses commandements : « Car la vie de l’homme sur la terre est une épreuve sans fin[13] », a dit Job. Et il est dit encore que le corps corruptible appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées[14]. Or, celui qui nous juge, c’est le Seigneur, et nous ne devons pas juger avant le temps, « jusqu’à ce que le Seigneur vienne et qu’il éclaire ce qui est caché dans les ténèbres, qu’il manifeste les pensées des cœurs ; et alors chacun recevra sa louange de Dieu[15] ».
Que le Seigneur voie donc les progrès de chacun dans la voie de ses commandements ; et toutefois il sera plein d’ardeur, celui qui aimera la paix de ce saint édifice ; et il ne doit point désespérer, puisque sa volonté est pleinement dans la loi du Seigneur, et qu’il y a paix sur la terre pour les hommes de bonne volonté[16].
3. C’est pourquoi « sa postérité sera puissante sur la terre[17] ». Cette race ou semence, qui nous prépare une moisson pour l’avenir, consiste dans les œuvres de miséricorde, selon l’Apôtre, qui nous dit : « Ne nous lassons pas de faire le bien, puisque nous moissonnerons dans la saison[18] » ; et encore : « Je vous le dis, quiconque sème peu, moissonnera peu[19] ». Quelle plus grande puissance, mes frères, que celle d’acheter le royaume des cieux, non seulement avec la moitié de nos biens, comme Zachée[20] mais encore avec les deux deniers de la veuve[21], et d’y posséder tous un héritage égal ? Quelle plus grande puissance que d’acquérir un royaume, et le riche par ses trésors, et le pauvre par un verre d’eau froide ? Or, plusieurs font ces œuvres, pour acquérir les biens de la terre, ou dans l’espérance d’une récompense de ha part du Seigneur, ou dans le désir de plaire aux hommes ; mais le Prophète ajoute que « la race des justes sera bénie », c’est-à-dire leurs œuvres ; car « le Seigneur est bon pour ceux « qui ont le cœur droit », et la droiture du cœur consiste à ne point résister au Père qui nous châtie, et à croire à ses promesses : et nulle bénédiction pour la race de ceux dont les pieds chancellent, dont la démarche est mal assurée et finit par la chute, comme un autre psaume l’a chanté, parce qu’ils ressentent de l’envie contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent, et qu’ils s’imaginent que leurs œuvres ont péri, dès lors qu’ils n’en reçoivent pas une récompense périssable[22]. Mais pour cet homme qui craint le Seigneur, et qui en redressant son cœur le façonne pour le royaume de Dieu, il ne cherche point la gloire humaine et ne convoite pas les richesses terrestres, et pourtant : « La gloire et la richesse sont dans sa maison ». Car sa maison, c’est son cœur, et là, fortifié par la faveur de Dieu, il est plus riche par l’espérance de la vie éternelle, qu’il ne le serait, avec les flatteries des hommes, dans des palais de marbre et d’azur, avec la crainte de la mort éternelle. « Car la justice de Dieu demeure de siècle en siècle[23] ». Telle est la vraie gloire, telles sont les véritables richesses. Quant à cet autre, sa pourpre, son fin lin, ses festins splendides[24], tout cela s’en va, même quand il en jouit ; et quand tout cela sera passé, sa langue desséchée demandera à grands cris qu’une goutte d’eau tombe du doigt de Lazare.
4. « Du sein des ténèbres la lumière s’est levée pour les cœurs droits[25] ». C’est avec raison qu’ils redressent leur cœur vers Dieu, avec raison qu’ils marchent dans le chemin droit, en présence de leur Dieu, préférant toujours sa volonté, et ne présumant point de la leur. Ils se souviennent, en effet, qu’autrefois ils étaient ténèbres, et qu’ils sont maintenant lumière dans le Seigneur[26]. « Car le Seigneur Dieu est clément, juste et miséricordieux ». Sa clémence et sa miséricorde nous réjouissent, mais sa justice nous effraie peut-être. Loin de toi tout désespoir et toute crainte, ô toi, homme bienheureux, qui crains le Seigneur, qui mets ta joie dans l’accomplissement de sa volonté : sois doux, miséricordieux, et bienfaisant. Car c’est ainsi que le Seigneur Dieu est juste, au point d’exercer un jugement sans miséricorde contre celui qui n’a point fait miséricorde[27]. Or, « celui-là est doux, qui fait miséricorde et qui prête[28] » ; Dieu ne le rejettera point de sa bouche comme celui qui serait fade. « Remettez les dettes », vous est-il dit, « et l’on vous remettra ; donnez, et l’on vous donnera[29] ». C’est faire miséricorde, que remettre les dettes, afin que les nôtres nous soient remises ; c’est prêter, que donner pour que l’on nous donne. Bien qu’en général on appelle miséricorde le soulagement que l’on procure à la misère ; il y a néanmoins une différence entre donner, et ces occasions où l’on ne fait aucune dépense, ni en argent, ni en assistance par un travail corporel, et où nous acquérons gratuitement le pardon de nos péchés, en pardonnant aux autres leurs offenses envers nous. Ces deux effets de la charité, de pardonner les offenses et de procurer des bienfaits, comme nous l’avons remarqué dans l’Évangile : « Remettez, et il vous sera remis ; donnez, et l’on vous donnera », sont ainsi résumés dans notre verset : « Celui-là est l’homme doux, qui pardonne et qui prête ». Ne négligeons rien ici, mes frères ; c’est chercher la gloire, que vouloir se venger ; mais écoutez ce qui est écrit : « L’homme qui dompte sa colère est plus fort que celui qui prend une ville[30] ». C’est vouloir s’enrichir que ne rien donner aux pauvres ; mais écoutez ce qui est écrit : « Vous aurez un trésor dans le ciel[31] ». Donc, pardonner n’est point sans gloire ; car il est plus grand de triompher de sa colère : on ne s’appauvrit point en donnant, parce que le trésor du ciel est bien plus sûr. Tout cela nous était annoncé par ce verset précédent : « La gloire et les richesses sont dans sa maison[32] ».
5. Observer ces préceptes, c’est « régler ses paroles pour le jugement ». Les actes sont des paroles qui nous défendront au jugement, et ce jugement ne sera point sans miséricorde pour l’homme qui aura lui-même fait miséricorde. « Car il ne sera point ébranlé éternellement[33] » celui qui, placé à droite, entendra ces paroles : « Venez, ô bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde[34] ». Et dans ce jugement il ne sera question que de leurs œuvres de miséricorde. Il entendra donc : Venez, ô bénis de mon Père ; parce que « la race des justes sera bénie », de même aussi « la mémoire du juste sera éternelle « et il ne craindra point cette parole sévère[35] », qu’il doit entendre prononcer contre ceux qui seront à gauche : « Allez au feu éternel, préparé à Satan et à ses anges[36] ».
6. Celui donc qui n’aura point cherché ses propres intérêts, mais ceux de Jésus-Christ[37], supporte le labeur avec une grande patience, et attend avec confiance les promesses divines : « Son cœur est tout prêt à espérer dans le Seigneur » ; et nulle épreuve ne saurait le briser. « Son cœur est fortifié et ne sera point ébranlé, jusqu’à ce qu’il voie le sort de ses ennemis[38] ». Ses ennemis n’ont voulu voir en cette vie que des biens, et quand on leur en promettait d’invisibles, ils disaient : « Qui nous fera voir les biens[39] ? » Que notre cœur donc s’affermisse, et ne soyons pas ébranlés jusqu’à ce que nous voyions le sort de nos ennemis. Pour eux, ils ont voulu voir les biens des hommes dans la terre des mourants ; et nous, nous espérons « voir les biens du Seigneur sur la terre des vivants[40] ».
7. Mais c’est un grand point, d’avoir le cœur affermi, de n’être point ébranlé, quand on voit dans la joie ceux qui aiment ce qu’ils voient, et qui prodiguent l’insulte à celui qui espère ce qu’il ne voit pas. Toutefois, celui-là ne sera point ébranlé, dit le Prophète, jusqu’à ce qu’il voie, non les choses de la terre comme ses ennemis, mais les choses d’en haut au-dessus de ses ennemis, « celles que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, qui ne sont point montées au cœur de l’homme, et que Dieu néanmoins a préparées à ceux qui le craignent ». Quel n’est point le prix de ce bien invisible, et que l’on n’acquiert qu’au prix de ce que chacun peut avoir ? Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Il a répandu ses biens, les a donnés aux pauvres ». Il ne voyait pas, et pourtant il achetait ; mais Celui qui ne dédaignait point d’avoir faim et soif dans les pauvres, lui réservait un trésor dans le ciel. Il n’est donc pas étonnant que « sa justice demeure dans les siècles des siècles », puisqu’elle est gardée par Celui qui a fondé les siècles, « Sa force sera élevée en gloire », lui dont les superbes méprisaient les saints abaissements.
8. « Le pécheur verra et frémira de colère » : donc une pénitence tardive et sans huit. Contre qui sa colère, sinon contre lui-même, quand il dira : « De quoi nous a servi notre orgueil, et que nous revient-il de l’ostentation de nos richesses ? » En voyant donc la force du juste s’élever en gloire, parce qu’il a répandu ses biens en les donnant aux pauvres, « il grincera les dents et séchera de dépit » ; car il y aura des pleurs et des grincements de dents. Il ne ressemblera point à cet arbre qui reverdit et se couvre de feuilles, comme il serait devenu par un repentir à temps opportun ; mais son repentir viendra quand « le désir des pécheurs s’évanouira » sans être adouci par aucune consolation. Car ce désir du pécheur doit s’évanouir, lorsque tout passera comme l’ombre, et quand la fleur tombera du foin desséché. « Mais le Verbe du Seigneur, qui demeure éternellement », se rira de leur perte et de leur véritable malheur, comme on l’a tourné lui-même en dérision, dans l’enivrement d’un bonheur passager.
DISCOURS SUR LE PSAUME 112
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierL’HUMILITÉ.
modifierC’est l’enfance que le Prophète invite à louer le Seigneur, ou plutôt c’est nous qui sommes invités à redevenir enfants, alors que, notre âme étant sans orgueil, notre louange soit plus pure. Les enfants n’ont point cet orgueil qui cherche sa propre gloire et non celle de Dieu. Louons-le dès cette vie quand on nous le prêche, et toujours, parce qu’il est toujours et que son nom est grand partout. C’est lui qui domine les cieux, qui regarde ce qu’il y a d’humble dans le ciel, c’est-à-dire les âmes humbles qui lui forment un trône sublime, et qu’il a grandies, et les humbles de la terre ou ceux qui, vivant ici-bas, conversent dans le ciel. Ou bien encore les cieux seraient les saints qui siégeront sur des trônes pour juger avec le Christ, et la terre désignerait ces élus qui seront à droite ; car les uns et les autres ont compris qu’ils doivent tout à la grâce, et telle est l’humilité. Leur grandeur et leur justice leur viennent de ce qu’ils ont reconnu que Dieu les a tirés de la poussière et du fumier des convoitises charnelles. Mais ils sont nombreux aussi ces enfants de l’Épouse jadis stérile, et qui se sont fait des amis avec la monnaie de l’iniquité. Ainsi se réalise la promesse que les enfants d’Abraham seront nombreux comme les étoiles du ciel, dans ceux qui jugeront sur les trônes, et comme le sable de la mer, dans ceux qui seront à droite.
1. Vous savez, mes frères, et vous avez entendu souvent cette parole de Notre-Seigneur dans l’Évangile : « Laissez venir à moi les petits enfants, car le royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent[41] » ; et encore : « Quiconque ne recevra point le royaume de Dieu comme un enfant, n’y entrera[42] ». Et dans plusieurs endroits, le Seigneur, pour nous rappeler à l’humilité d’une manière plus particulière, condamne l’orgueil du vieil homme et lui propose la vie de l’enfant comme un modèle d’humilité. Aussi, mes frères, quand vous entendez chanter dans les psaumes : « Enfants, louez le Seigneur », n’allez point croire que cette exhortation, n’est point pour vous, parce que vous avez dépassé l’âge de l’enfance, parce que vous avez la beauté d’une florissante jeunesse ou l’honorable blancheur du vieillard ; c’est à vous que l’Apôtre a dit : « Ne soyez point sans discernement comme les enfants, mais soyez comme eux, sans malice, à la condition d’avoir la prudence des hommes faits[43] ». Quelle est cette malice, sinon l’orgueil ? C’est lui qui s’élève dans une fausse grandeur, empêche l’homme de marcher dans la voie étroite, et d’entrer par la porte étroite. Pour l’enfant, il entre facilement par la porte étroite ; et c’est pourquoi nul ne peut entrer dans le royaume des cieux, s’il ne devient semblable à l’enfant. Quoi de pire que l’orgueil, qui ne veut personne pour supérieur, pas même Dieu ? Car il est écrit que « le commencement de l’orgueil, c’est de se séparer de Dieu[44] ». Loin de vous donc cet orgueil, qui ose bien lever la tête, se dresser à l’encontre des préceptes divins et secouer le joug si doux du Seigneur. Domptez-le, brisez-le, anéantissez-le ; puis : « Louez le Seigneur, ô enfants, louez le nom du Seigneur[45] ». Quand l’orgueil sera détruit, et complètement anéanti, alors Dieu tirera de la bouche des nouveau-nés et des enfants à la mamelle, une louange parfaite[46] ; quand il sera étouffé, détruit complètement, que nul ne se glorifiera, sinon dans le Seigneur[47]. Ils ne chantent point ainsi, ces hommes qui se croient de grands personnages ; ils ne chantent point de la sorte, ceux qui, ayant connu Dieu, ne l’ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces, qui se louent sans louer Dieu, parce qu’ils ne sont point enfants, qu’ils veulent toute la gloire pour leur nom, et non point pour le nom du Seigneur. Aussi se sont-ils évanouis dans leurs pensées, et leur cœur s’est-il obscurci dans sa folie ; et en se disant sages, ils sont devenus fous[48]. Ils ont voulu pour leur nom un retentissement vaste et durable, eux qui doivent être si vite mis à l’étroit, tandis que c’est Dieu seul, le Seigneur seul, qui doit être prêché éternellement et partout. Qu’il soit donc éternellement prêché « que le nom du Seigneur soit béni et maintenant et jusque dans les siècles ». Qu’on le prêche : « Depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, que le nom du Seigneur soit loué[49] ».
2. Qu’un de ces saints enfants qui bénissent le Seigneur, vienne me questionner et me dire : Cette expression « jusque dans les siècles », je l’entends de l’éternité ; mais pourquoi : « dès maintenant », et non point avant ce temps et avant tous les siècles, « que le nom du Seigneur soit béni ? » Je répondrai à l’enfant qui ne fait point cette question par obstination : C’est à vous, seigneurs et enfants, c’est à vous qu’il est dit : « Louez le nom du Seigneur : que le nom du Seigneur soit béni » ; qu’il soit béni par vous, ce nom du Seigneur, dès maintenant qu’on vous en avertit. Vous commencez à louer Dieu ; louez-le pour jamais. « Dès maintenant » donc, et jusque dans les siècles, louez-le sans fin. Ne dites point : Nous avons commencé à louer le Seigneur, parce que nous étions enfants ; maintenant, que l’âge est venu et que nous avons grandi, c’est nous-mêmes que nous bénissons. Non, mes enfants, non ; et Dieu nous dit par Isaïe : « Je suis ; et quand vous aurez vieilli, je suis encore[50] ». Il est donc toujours louable, Celui qui est toujours. « Louez-le donc dès aujourd’hui, ô enfants » ; louez-le quand vous aurez vieilli « et jusqu’à la fin des siècles » ; et la vieillesse aura pour vous la couronne des cheveux blancs de la sagesse, et non les rides flétries de la chair. Ou plutôt, comme l’enfance désigne principalement ici l’humilité, contraire à cette vaine et fausse grandeur de l’orgueil, et dès lors, comme il n’y a que les enfants pour louer le Seigneur, puisque les superbes ne savent point le louer, ayez une vieillesse enfantine et une enfance déjà mûre ; c’est-à-dire que votre sagesse ne soit point orgueilleuse, non plus que votre humilité sans sagesse : afin que vous puissiez louer le Seigneur, « dès maintenant et jusque dans les siècles ». De quelque côté que l’Église du Christ soit répandue dans les petits qui sont saints, « louez le nom du Seigneur » ; c’est-à-dire : « De l’Orient jusqu’au Couchant, louez le nom « du Seigneur ».
3. « Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations[51] ». Ces nations sont des hommes, et qu’y a-t-il d’étonnant que le Seigneur soit élevé au-dessus des hommes ? Ces idolâtres, qui abandonnent le Créateur pour adorer la créature, voient de leurs yeux briller dans le ciel ce soleil, cette lune et ces étoiles qu’ils adorent. Mais non seulement le Seigneur est élevé au-dessus des nations, « sa gloire domine aussi tous les cieux ». Les cieux voient donc le Seigneur bien au-dessus d’eux ; et les humbles, quoique constitués dans la chair au-dessous du ciel, ont avec eux ce même Dieu qu’ils adorent sans adorer le ciel.
4. « Qui est semblable à Dieu Notre-Seigneur, lequel habite les lieux élevés, et regarde ce qui est humble[52] ? » On pourrait croire que, d’un point élevé des cieux, le Seigneur regarde ce qu’il y a de plus bas sur la terre ; mais il regarde « ce qu’il y a de plus bas dans le ciel et sur la terre ». Quel est donc ce lieu élevé qu’habite le Seigneur pour voir ce qui est abaissé dans le ciel et sur la terre ? Dans ces lieux élevés qu’il habite, verrait-il aussi les humbles qu’il regarde ? Car, élever les humbles, ce n’est point les rendre orgueilleux. Il habite alors les âmes humbles qu’il a élevées ; il s’en fait un ciel ou un trône : et toutefois, comme ces âmes n’ont aucun orgueil, comme elles sont soumises à Dieu, il voit dans le ciel même ce qu’il y a de plus humble, ce qui lui forme un trône élevé. L’Esprit. Saint, en effet, s’exprime ainsi par la bouche d’Isaïe : « Voici ce que dit le Très-Haut, qui habite au plus haut des cieux, dont le nom est l’Eternel : Le Seigneur Très-Haut a son repos dans les saints[53] ». Il explique lui-même cette expression, qu’il habite au plus haut des cieux, en ajoutant, d’une manière plus claire, qu’il a son repos dans les saints. Mais quels sont les saints, sinon les humbles, sinon les enfants – qui louent le Seigneur ? Aussi le Prophète nous dit-il qu’il grandit les âmes pusillanimes, et qu’il donne la vie aux humbles de cœur. Ces âmes timides qu’il grandit sont donc les saints, en qui il repose ; car, en leur donnant la grandeur, il les élève ; puis, reposant en eux il habite les hauteurs. Et en retour, comme il donne la grandeur aux humbles, il voit l’humilité dans ces mêmes hauteurs qu’il habite. Mais, dit le Prophète, « Dieu regarde les humbles dans le ciel et sur la terre ».
5. Il nous engage ainsi à examiner si les humbles du ciel sont les humbles de la terre, ou bien s’il y a humilité dans le ciel et humilité sur la terre, pour fixer les regards du Seigneur notre Dieu. Si ces humbles sont les mêmes, je vois comment je dois les entendre d’après ces paroles de saint Paul : « Quoique nous vivions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair ; les armes de notre milice ne sont point charnelles, mais puissantes en Dieu[54] ». D’où leur vient la puissance, sinon de ce qu’elles sont spirituelles ? Dès lors que saint Paul, tout en vivant dans sa chair, combat d’une manière spirituelle, ne nous étonnons pas que Dieu regarde son humilité, et dans le ciel à cause de la liberté de son esprit, et sur la terre à cause de sa servitude corporelle. Car le même Apôtre dit ailleurs : « Notre conversation est dans le ciel[55] » ; lui qui dit encore : « Il me serait très avantageux d’être délié pour être avec le Christ, mais il est nécessaire pour vous que je demeure en la chair[56] ». Quiconque dès lors comprend et que la conversation de l’Apôtre soit dans le ciel, et qu’il demeure néanmoins ici-bas, doit comprendre aussi que Dieu habitant dans les saints les plus élevés, voit dans ces mêmes saints des esprits qui s’humilient devant lui, et dans le ciel, puisque, ressuscités par l’espérance en Jésus-Christ[57], ils goûtent les choses du ciel ; et sur la terre, puisqu’ils ne sont pas délivrés des liens de la chair, et ne peuvent être complètement à Jésus-Christ. Mais si le Seigneur notre Dieu voit une autre humilité dans le ciel, et une autre humilité sur la terre, je crois alors qu’il voit dans le ciel ceux qu’il a appelés, et en qui il habite, et sur la terre ceux qu’il appelle afin d’habiter en eux. Il possède les premiers tout absorbés dans les biens célestes, et il stimule les seconds qui rêvent encore les biens de la terre.
6. Mais comme il est difficile que l’on puisse appeler humbles ceux qui n’ont point encore pieusement courbé leurs épaules sous le joug suave du Seigneur, et que dans tout le psaume les saintes lettres nous avertissent d’appliquer aux saints cette expression d’humbles, on pourrait donner un autre sens que votre charité voudra bien examiner avec moi. Il me semble que les cieux signifient ici ceux qui seront assis sur des trônes pour juger avec le Seigneur[58], et que le nom de terre désigne ce grand nombre d’élus qui seront à droite, et applaudis à cause de leurs œuvres de charité, et reçus dans les tabernacles éternels par les amis qu’ils se sont faits eu cette vie mortelle, avec la monnaie de l’iniquité[59]. C’est à eux que l’Apôtre a dit : « Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce donc beaucoup de recueillir de vos biens terrestres[60] ? » Dieu donc regarde dans le ciel ceux qui sèment des biens spirituels, et sur la terre ceux qui rétribuent avec les biens du temps ; mais c’est l’humilité chez les uns, et l’humilité chez les autres. « Dans le ciel et sur la terre il regarde les humbles » car les uns et les autres ont compris ce qu’ils étaient par leur propre malice, et ce que Dieu les a faits par sa grâce. Car ce n’est pas seulement aux fidèles que le vase d’élection a dit : « Vous étiez autrefois ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur[61] » ; et encore : « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu, et qui ne vient pas des œuvres, afin que nul ne se glorifie » ; puis, s’unissant lui-même au commun des fidèles, il ajoute : « Nous sommes l’ouvrage de Dieu, créés dans les bonnes œuvres ». Il dit encore de lui en particulier, comme des autres que Dieu regarde du haut du ciel : « Nous étions, nous aussi, par nature enfants de colère comme les autres[62] ». Et ensuite : « Nous aussi, en effet, nous étions insensés et incrédules, égarés, asservis à toutes sortes de passions et de voluptés, agissant avec malignité et envie, digues d’être haïs et nous haïssant les uns les autres. Mais depuis que la bénignité et la tendresse de Dieu notre Sauveur a paru, il nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous avons faites, mais par sa miséricorde, en nous faisant renaître, par le baptême[63] ». Voilà ces actes d’humilité que Dieu voit du haut du ciel. Tels sont les hommes spirituels qui jugent de toutes choses[64], mais humbles toutefois, de peur que Dieu ne les abaisse et ne les juge. Et en parlant particulièrement de lui-même, l’Apôtre ne tient-il pas le même langage ? « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, nous dit-il, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu[65] ; mais j’ai obtenu miséricorde, parce que je l’ai fait dans l’ignorance et dans l’incrédulité[66] ».
7. Après nous avoir dit dans les versets précédents : « Qui est semblable au Seigneur notre Dieu, lequel habite les hauteurs et jette les yeux sur les humbles au ciel et en la terre ? » le Saint-Esprit, voulant nous montrer pourquoi ce nom d’humble dans le ciel, tandis que les hommes ainsi désignés sont grands, sont justes et dignes de s’asseoir sur des trônes pour juger, ajoute aussitôt : « C’est lui qui relève le pauvre de sa poussière, et l’indigent de son fumier, afin de le placer avec les princes, les princes de son peuple[67] ». Ainsi élevés en honneur, qu’ils ne dédaignent plus d’humilier leurs têtes sous la main de Dieu. Si d’une part, en effet, le dispensateur fidèle de l’argent de son maître est placé avec les princes du peuple de Dieu, s’il doit avoir place sur les douze trônes et juger les anges mêmes[68] ; d’autre part, néanmoins, le pauvre est relevé de la poussière, et l’indigent de son fumier. N’a-t-il pas été relevé de son fumier, cet homme asservi aux convoitises et aux voluptés de toutes sortes ? Mais peut-être qu’en parlant de la sorte, le Prophète n’était plus pauvre, n’était plus indigent. Pourquoi donc gémit-il sous son fardeau, aspirant à se revêtir de cette gloire qui est dans le ciel ? Pourquoi est-il souffleté de peur qu’il ne s’élève, et soumis à l’ange de Satan par l’aiguillon de sa chair[69]. Il est grand, sans doute, puisque le Seigneur habite en lui, puisqu’il possède ce même esprit qui pénètre tout, même les profondeurs de Dieu[70] : il est donc dans le ciel, mais c’est dans le ciel aussi que Dieu regarde ce qui est humble.
8. Quoi donc mes frères, si déjà nous avons entendu que ce qui est humble dans le ciel a été tiré du fumier, pour être placé avec les princes du peuple, n’est-il fait aucune mention de tout ce qui est humble, et que Dieu regarde sur la terre ? Ces amis, qui doivent juger avec le Seigneur, sont moins nombreux, en effet, que ceux qu’ils recevront dans les tabernacles éternels. Quoique la masse du bon grain soit petite, en comparaison de la paille qui en est séparée ; considérée en elle-même, elle est néanmoins abondante. « Les enfants de l’Épouse abandonnée sont plus nombreux que ceux de l’Épouse qui a un mari »[71]. Les enfants de celle qui a enfanté par la grâce et dans sa vieillesse sont plus nombreux que les enfants de celle qui, dès son jeune âge, s’est unie à un Époux par le lien de la loi. Je dis qu’elle a conçu dans sa vieillesse ; puisque Sara, notre mère, est devenue, à cause du seul Isaac, mère de tous les fidèles répandus par toutes les nations. Or, voyez la femme dont parle Isaïe : on dirait qu’elle n’est point mère et qu’elle n’a point d’enfants. Et pourtant, que va-t-on lui dire : « Les enfants que tu avais perdus te diront à l’oreille : La demeure est trop étroite, faites-nous une enceinte plus vaste et que nous puissions habiter. Et toi, tu diras dans ton cœur : Qui m’a donné ces enfants, car je sais que j’étais veuve et sans enfants ? Qui me les a nourris ? J’étais seule, j’étais abandonnée. D’où me sont-ils venus ? » Tel est en partie le langage de l’Église, qui paraît stérile aussi, dans ces mêmes foules qui n’ont pas encore tout abandonné pour suivre le Seigneur, et s’asseoir sur douze trônes. Mais dans ces mêmes foules, combien n’est-il pas de ces hommes qui se sont fait des amis avec la monnaie de l’iniquité, et qui siégeront à la droite à cause des œuvres de miséricorde ? Non seulement, donc, le Seigneur élève de son fumier le pauvre qui doit être placé avec les princes de son peuple ; mais encore : « Il fait habiter dans la maison la femme stérile, et lui donne la joie des mères. Ce même Dieu qui habite les hauteurs, et regarde ce qu’il y a d’humble dans le ciel et sur la terre » ; c’est-à-dire cette race d’Abraham, nombreuse comme les étoiles du ciel, dans ces mêmes saints qui siègent sur les trônes les plus sublimes ; et comme le sable des bords de la mer, dans cette multitude sans nombre d’hommes au cœur miséricordieux, et qui doivent être séparés des flots de la gauche, flots d’amertume et d’impiété.
PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 113
modifierPREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.
modifierLE BAPTÊME DANS LA MER ROUGE.
modifierLe but du Psaume est moins de raconter le passé que d’annoncer l’avenir. Les faits étaient prophétiques, le Psaume l’est aussi. Voilà pourquoi sa narration diffère quelque peu de l’histoire qui ne dit rien de ces tressaillements des montagnes et des collines. Par la foi nous sommes enfants d’Abraham, père de toutes les nations qui seront bénies dans le Christ. Or, l’Égypte d’où sortit Israël est la maison de l’affliction, la figure du monde oppresseur dont il faut nous séparer, et toutefois avec le secours de Dieu. Le prophète Michée nous montre aussi qu’il s’agit de nous, en nous parlant de péchés à submerger, et ces péchés sont les ennemis qui nous poursuivent quand nous abjurons le monde, La mer qui s’enfuit quand nous nous consacrons à Dieu, ce sont les obstacles qui s’aplanissent. Ce Jourdain qui retourne en arrière figure l’homme qui tournait le dos à Dieu, et qui retourne par la conversion à son créateur. Les montagnes et les collines qui bondissent sont les Apôtres et les prédicateurs qui s’applaudissent de nous avoir engendrés à Jésus-Christ ; parce qu’alors la terre s’est ébranlée, en présence du Seigneur, qui nous a ouvert, dans la pierre ou dans le Christ, les sources de la grâce.
1. Nous avons lu, mes frères, et nous avons tort bien retenu, ce que nous raconte le livre de l’Exode, que le peuple d’Israël fut délivré de l’injuste domination des Égyptiens, passa la mer à pied sec[72], entre les deux murailles que formaient les flots ; que le fleuve du Jourdain[73], par où il devait entrer dans la terre des promesses, s’arrêta, quand les pieds des prêtres qui portaient l’arche du Seigneur Vinrent à le toucher ; que les eaux d’en haut retinrent leur cours, au lieu que celles d’en bas s’écoulèrent à la mer, tant que les prêtres se tinrent debout au milieu du fleuve desséché, et que le peuple passa. Voilà ce que nous savons ; et, toutefois, ne nous imaginons pas que dans le psaume que nous chantons, en le faisant précéder et suivre de l’Alléluia, l’Esprit-Saint ne veuille que nous rappeler le passé, sans nous reporter vers l’avenir. « Toutes ces choses, nous dit l’Apôtre, n’arrivaient aux Juifs qu’en figures, et elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui venons à la fin des siècles[74] ». Ainsi donc, lorsque nous entendons le psaume nous dire : « Quand Israël sortit de l’Égypte, et la famille de Jacob du milieu d’un peuple barbare, Judas devint pour le Seigneur un peuple saint, et Israël le siège de sa puissance ; la mer le vit et s’enfuit, le Jourdain rebroussa vers sa source[75] » ; ne nous imaginons point qu’on veuille raconter le passé, c’est plutôt l’avenir que prédit le Psalmiste ; quand ces miracles s’accomplissaient chez ce même peuple, ils étaient dans le présent, mais ne laissaient pas d’avoir une signification pour l’avenir. Le Prophète, qui chantait ces merveilles prophétiques, nous montre dès lors qu’il donne à ses paroles le même sens qu’avaient les faits, puisqu’un seul et même Esprit a dirigé les faits et dicté les paroles, afin que ces actions et ces paroles fussent des avant-coureurs de ce qu’il se réservait de nous montrer à la fin des siècles. Le Prophète ne raconte point les faits tels qu’ils se sont passés, mais d’une manière quelque peu différente de celle que nous lisons, de peur qu’on ne crût qu’il racontait le passé plutôt qu’il ne prédisait l’avenir. Tout d’abord, nous ne lisons point que le Jourdain remonta vers sa source, mais qu’il s’arrêta du côté que les eaux descendaient de la source, pendant que le peuple passait. Ensuite nous ne lisons pas que les collines et les montagnes bondirent, ce que le Prophète ajoute, et qu’il répète même deux fois. Après avoir dit : « La mer le vit et s’enfuit, le Jourdain rebroussa en arrière », il ajoute : « Les montagnes bondirent comme des béliers et les collines comme des agneaux ». Puis, dans une apostrophe : « Pourquoi, mer, as-tu fui, et toi, Jourdain, pourquoi rebrousser en arrière ? Pourquoi, montagnes, tressaillir comme le bélier ; et vous, collines, comme des agneaux ? »[76]
2. Voyons donc la leçon que nous donne le Prophète ; car, et ces actions étaient des symboles qui nous concernaient, et ces paroles nous engagent à nous reconnaître nous-mêmes. Si nous conservons fermement la grâce de Dieu qui nous a été donnée, nous sommes Israël et postérité d’Abraham ; et c’est à nous que l’Apôtre a dit : « Vous êtes donc la postérité d’Abraham[77] » ; comme il le dit en effet à un autre endroit : « Ce n’est point après la circoncision, mais avant, que la foi d’Abraham lui fut imputée à justice, et ainsi il reçut la marque de la circoncision, comme le sceau de la justice qu’il avait mérité par la foi, lorsqu’il était encore incirconcis, pour être le père de ceux qui croient sans être circoncis, afin que leur foi leur soit également imputée à justice ; et pour être le père des circoncis, qui non seulement ont reçu la circoncision, mais qui suivent les traces de la foi de notre père Abraham, lorsqu’il était encore incirconcis[78] ». Car il n’est pas seulement père, et selon la chair, du peuple circoncis, lui à qui il fut dit : « Je t’ai établi père de beaucoup de nations ». Or, de beaucoup ne signifie pas de quelques-unes, mais bien de foules, ainsi qu’il est indiqué clairement dans ces paroles : « En loi seront bénies toutes les nations[79] ». Que nul chrétien donc ne se croie étranger au nom d’Israël. Car nous sommes unis, par la pierre angulaire, à ceux des enfants d’Israël qui embrassèrent la foi, et dont les principaux sont les Apôtres. De là cette parole du Seigneur : « J’ai encore u d’autres brebis, qui ne sont pas de ce bercail ; il me faut les amener, afin qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur[80] ». C’est donc plutôt le peuple chrétien qui est Israël, c’est lui qui est principalement la maison de Jacob, car Jacob et Israël ne sont qu’un même homme. Or, cette foule de Juifs, à qui leur perfidie a valu la réprobation, qui a vendu son droit d’aînesse pour un plaisir charnel, appartient plutôt à Esaü et non à Jacob. Car, vous le savez, tel est le sens de cette parole mystérieuse : « L’aîné servira le plus jeune[81] ».
3. Quant à l’Égypte, qui signifie affliction, ou celui qui afflige, qui opprime, elle est souvent la figure de ce siècle, dont il faut nous séparer en esprit, pour ne point porter le joug avec les infidèles[82]. Car on ne devient citoyen de la Jérusalem céleste qu’en renonçant tout d’abord au monde ; de même que le peuple d’Israël ne put être conduit dans la terre des promesses, qu’en sortant d’abord de l’Égypte. Mais, de même qu’il n’en sortit que par le secours de Dieu, qui le délivra ; de même nul cœur humain ne renonce au monde que par le secours de la divine miséricorde. Car ce qui arriva une fois en figure, arrive en cette dernière heure[83], comme l’a dit saint Jean, en chacun de ceux qui croient, et que l’Église enfante chaque jour. Écoutez en effet ce que nous apprend, au sujet de ce mystère, le docteur des nations : « Je ne veux pas vous laisser ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer Rouge et qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer ; qu’ils ont tous mangé la même viande mystérieuse, et qu’ils ont tous bu le même breuvage mystérieux ; car ils buvaient de la pierre mystérieuse qui les suivait ; et cette pierre était le Christ. Mais la plupart d’entre eux ne furent point agréables au Seigneur, et ils périrent au désert. Or, toutes ces choses étaient des figures qui nous concernent »[84]. Que voulez-vous de plus, mes frères bien-aimés ? Ce n’est point là un enseignement basé sur l’opinion humaine, mais bien sur le témoignage de l’Apôtre, c’est-à-dire sur le témoignage de Dieu même ; car c’est Dieu qui parlait dans les Apôtres, lui qui faisait retentir son tonnerre par ces nuées, bien qu’elles fussent de chair. Telle est donc la grande autorité qui nous assure que toutes ces choses figuratives du passé s’accomplissent maintenant dans l’affaire de notre salut ; elles étaient donc prédites avant d’être accomplies, et aujourd’hui, lire le passé, c’est connaître le présent.
4. Écoutez quelque chose de plus admirable encore, des mystères cachés sous un voile dans les livres anciens, et en partie révélés par ces mêmes livres. Le prophète Michée parle ainsi : « Je vous montrerai les merveilles comme au jour de votre sortie d’Égypte. Les nations verront et seront confondues de sa force ; elles mettront leurs mains sur leurs bouches, et leurs oreilles seront assourdies ; elles lécheront la poussière comme les serpents qui rampent sur la terre ; elles seront troublées dans leurs demeures, et dans la stupeur en présence du Seigneur Dieu, et vous les jetterez, Seigneur, dans l’épouvante. Qui est semblable à ton Dieu, pour ôter l’iniquité, et oublier les péchés du reste de ton héritage ? Il n’a point répandu sa colère comme un témoignage, parce qu’il fait ses délices de la miséricorde ; mais il reviendra et aura pitié de nous, il déposera nos iniquités, il précipitera toutes vos fautes au fond de l’abîme »[85]. Vous le voyez, mes frères, Dieu nous révèle ici les mystères les plus saints. Dans ce psaume, dès lors, bien que l’Esprit-Saint nous découvre les merveilles de l’avenir, il semble néanmoins nous entretenir du passé. « Le peuple Juif », dit-il, « fut son peuple saint : la mer le vit et s’enfuit ». Fut, vit, et s’enfuit, sont les expressions du passé. Le Jourdain rebroussa, les montagnes bondirent, la terre fut ébranlée, tout cela est au passé, et néanmoins nous devons l’entendre de l’avenir. Autrement, nonobstant la vérité de l’Évangile, il nous faudrait aussi voir un fait accompli, et non une prophétie de l’avenir, dans cette parole : « Ils ont partagé mes vêtements, et tiré ma robe au sort »[86]. Bien que ces paroles soient au passé, elles étaient néanmoins une prophétie de ce qui devait arriver si longtemps après, à la passion du Sauveur. Et toutefois, mes frères bien-aimés, le Prophète, que je viens de citer, a voulu ouvrir les yeux les moins clairvoyants pour les faire passer instantanément des choses passées à l’intelligence des choses futures, afin non seulement de nous faire croire, sur l’autorité des Apôtres, que nous étions figurés dans ces actes, mais de nous le montrer par les Prophètes eux-mêmes, en sorte que, après le témoignage de leurs écrits, la vérité que nous découvrons avec certitude nous remplisse de sécurité et de joie, en tirant ainsi du trésor des saintes Écritures des choses nouvelles et anciennes, qui ont un si parfait accord. Bien que le Prophète que je viens de citer n’ait ainsi parlé que fort longtemps après la sortie de l’Égypte, et fort longtemps aussi avant les jours de l’Église, il assure néanmoins, à n’en pas douter, qu’il prédit l’avenir. « Je ferai des prodiges », nous dit-il, « comme à leur sortie de l’Égypte. Les nations le verront et seront confondues ». C’est-à-dire, comme l’a précisé le psaume : « La mer le vit, et s’enfuit ». Or, si ces expressions « vit » et « s’enfuit », qui marquent le temps passé, en figurent un autre qui est à venir, devant ces autres expressions : « Ils verront et seront confondus », qui sont bien au futur, quel homme pourrait penser au passé ? Un peu après le même Prophète nous montre, avec la clarté du jour, que ces ennemis, qui nous poursuivaient pour nous donner la mort, sont bien nos péchés, que le baptême efface et submerge comme la mer engloutit les Égyptiens : « Dieu », nous dit-il, « se plaît à faire miséricorde ; il reviendra, et nous prendra en pitié ; il submergera nos iniquités, et précipitera nos péchés dans la mer ».
5. Qu’est-ce à dire, mes chers frères ? vous, qui vous reconnaissez pour les véritables enfants d’Abraham, qui êtes la maison de Jacob, les héritiers de la promesse, comprenez que vous êtes sortis de l’Égypte, puisque vous avez renoncé au monde, que vous êtes séparés du milieu d’un peuple barbare, eu abjurant par un humble aveu, les blasphèmes des nations. Ce n’est point en effet votre langue, mais la langue barbare, qui ne sait point louer ce Dieu à qui vous chantez l’Alléluia ; c’est en vous que la nation juive a été consacrée à Dieu : « Car le juif n’est point celui qui l’est au-dehors, et la circoncision n’est pas celle qui se faisait sur la chair ; mais le juif est celui qui l’est intérieurement, et la circoncision se fait dans le cœur »[87]. Interrogez donc vos cœurs ; voyez si la foi les a circoncis, et si la confession les a purifiés, alors c’est en vous que le peuple Juif est consacré à Dieu, en vous que réside son pouvoir sur Israël. Car il vous a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu[88].
6. Que chacun de vous se souvienne maintenant du moment où il a résolu d’appliquer son cœur à Dieu, de s’humilier sous son joug qui est si doux, d’abjurer toutes les convoitises du vieil homme et de l’ignorance, de soumettre à Dieu son esprit, en renonçant avec mépris à ce qu’il y a de charnel en ce monde (ce qui était pour lui un labeur sans fruit, comme s’il eût fabriqué sous le joug du démon, des briques en Égypte), alors que la voix de Dieu lui disait : « Venez à moi, vous tous qui souffrez, et qui êtes chargés, et je vous soulagerai[89] » ; et en vous chargeant du fardeau du Christ, que chacun de vous se souvienne comment tous les obstacles du monde s’aplanirent ; les voix, qui eussent voulu le dissuader, n’osèrent se faire entendre, ou rentrèrent dans le silence, en considérant le nom du Christ honoré et chanté dans toute la terre. Donc, « la mer a vu et a pris la fuite », afin de t’ouvrir un passage sans obstacle à la liberté de l’esprit.
7. Pour savoir comment rebroussa le Jourdain, je ne veux point que vous cherchiez hors de vous-mêmes, ou que vous soupçonniez quelque chose de mauvais. Le Seigneur reproche à quelques-uns de lui tourner le dos et non la face[90]. Or, quiconque abandonne son principe, et se détourne de son Créateur, tombe dans les eaux amères de ce monde, comme le fleuve dans la mer. Il est donc bon pour lui qu’il remonte vers sa source ; qu’il se trouve face à face avec ce Dieu, auquel il avait tourné le dos ; qu’il laisse bien derrière lui cette mer de ce monde, qu’il avait placée devant lui, et où il précipitait sa chute ; qu’il oublie ainsi tout ce qui est derrière lui pour s’avancer vers ce qui est devant lui[91] : tel est le bien pour tout homme déjà converti. Oublier ce qui est derrière lui, avant d’être converti, ce serait oublier Dieu, puisqu’il l’a mis derrière et lui a tourné le dos ; et s’avancer vers ce qui est devant lui, ce serait s’avancer vers le siècle, car c’est au siècle qu’il a tourné la face pour s’y précipiter avidement. Le Jourdain est donc la figure de ceux qui ont reçu la grâce du baptême ; et le Jourdain remonte vers sa source, quand ces hommes se tournent vers Dieu, afin de ne plus l’avoir derrière eux, mais de contempler la gloire du Seigneur à visage découvert, et d’être transformés en sa ressemblance de clarté en clarté[92].
8. « Les montagnes bondirent comme des béliers » ; c’est-à-dire les saints Apôtres, fidèles dispensateurs de la parole de vérité, les saints prédicateurs de l’Évangile. « Et les collines comme des agneaux[93] » c’est-à-dire les néophytes à qui l’Apôtre a dit : « Je vous ai engendrés par l’Évangile à Jésus-Christ » ; et encore : « Ce n’est point pour donner de la confusion que je vous écris, mais pour vous avertir, comme des enfants bien-aimés[94] » ; et encore : « Offrez au Seigneur les petits des béliers[95] ». Jetez les yeux sur la terre, vous qui savez admirer ces merveilles, qui en ressentez de l’allégresse et chantez des cantiques d’actions de grâces au Seigneur votre Dieu : jetez les yeux, et voyez comment s’accomplissent, parmi les nations, ces prophéties et ces actions figuratives, qui ont devancé de tant de siècles.
9. Voyez et chantez avec le Prophète : « Pourquoi t’enfuir, ô mer ; et toi, Jourdain, pourquoi rebrousser en arrière ; montagnes, pourquoi bondir comme des béliers ; et vous, collines, comme des agneaux[96] ? » D’où vient, ô monde, que tes obstacles sont impuissants ? et vous, fidèles, répandus par myriades sur la terre entière, comment avez-vous renoncé au monde, pour vous tourner vers Dieu ? D’où vous viennent ces transports de joie, vous à qui l’on dira : « Courage, bon serviteur, parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup[97] ? » D’où vous vient votre joie, vous à qui l’on dira au dernier jour : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès l’origine du monde[98] ».
10. Tout vous répondra, et vous vous répondrez à vous-mêmes : « La terre s’est ébranlée devant la face du Dieu de Jacob[99] ». Qu’est-ce à dire : « Devant la face du Seigneur », sinon en présence de Celui qui a dit : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[100] ? » Car la terre s’est ébranlée, en effet, elle qui était demeurée dans une langueur coupable, s’est ébranlée pour être solidement affermie devant la face du Seigneur.
11. « C’est lui qui a changé la pierre en un torrent, et les rochers en une source d’eau[101] ». Lui-même s’est changé en eau, et ce qui en lui était en quelque sorte solide, s’est liquéfié, afin d’arroser ses fidèles, et d’être en eux une source d’eau vive, jaillissant jusqu’à la vie éternelle[102], parce qu’il se montra, surtout d’abord, à ceux qui ne le connaissaient point. De là ce trouble de quelques-uns qui n’attendirent point que le Christ leur ouvrit les saintes eaux de l’Écriture qui les eussent inondés, et qui s’écrièrent : « Ce discours est dur, et qui peut l’entendre[103] ? » Telle est la pierre, telle est la dureté convertie en étang d’eau, et ce rocher devint une source d’eau vive, quand, après sa résurrection, il leur montra par tous les Prophètes, à commencer par Moise, que le Christ devait souffrir de la sorte[104], et qu’il leur envoya l’Esprit-Saint, dont il est dit : « Que celui qui a soif vienne à moi, et qu’il boive[105] ».
12. « Ce n’est point à nous, Seigneur, ce n’est point à nous, mais à votre nom qu’il faut donner la gloire[106] ». Cette grâce, ou cette eau vive, qui s’échappe de la pierre (et la pierre était le Christ[107], n’a pas été donnée en vertu des mérites qui l’auraient précédée ; mais celui qui justifie l’impie[108] l’a donnée par un acte de miséricorde. Car c’est pour les impies que le Christ est mort[109], afin que les hommes ne cherchassent point leur gloire, mais celle de Dieu.
13. « A cause de votre miséricorde et de votre vérité », ajoute le Prophète. Voyez combien souvent sont unies dans l’Écriture, ces deux vertus, la miséricorde et la vérité. C’est dans sa miséricorde que Dieu appelle à lui les impies, et c’est dans sa vérité qu’il juge ceux qui ont refusé de venir. « Afin que les nations ne disent jamais : Où est leur Dieu[110] ? » Au dernier jour apparaîtront sa miséricorde et sa vérité, quand le signe du Fils de l’homme se montrera dans le ciel, et alors toutes les tribus de la terre seront dans les larmes, et ne diront point : « Où est leur Dieu ? » car alors on ne leur prêchera plus la foi en lui, mais elles le verront dans sa majesté.
14. « Notre Dieu est au plus haut des cieux ». Non point dans ces mêmes cieux où les nations voient le soleil, la lune, ces œuvres de Dieu, qui sont leurs divinités ; mais notre Dieu est par-dessus les cieux, c’est-à-dire au-dessus de tous les corps, et célestes et terrestres. Il n’habite point le ciel, de manière à craindre que le ciel se retire, et qu’il se trouve ainsi sans aucun siège. « C’est lui qui a fait tout ce qu’il lui a plu dans les cieux et sur la terre »[111]. Il n’a aucun besoin des ouvrages qu’il a créés, comme pour s’en faire un siège ou une demeure. Mais il subsiste dans son éternité, il y demeure pour faire ce qu’il lui plaît dans le ciel et sur la terre, Les cieux en effet ne le portaient point afin d’être faits par lui, puisque s’ils n’étaient déjà faits, ils ne pourraient le porter. C’est donc lui qui maintient comme ayant besoin de lui ces créatures dans lesquelles il est présent, et non lui qui a besoin d’être contenu en elles. Ces paroles : « Il a fait ce qu’il lui a plu dans le ciel et sur la terre », peuvent encore s’entendre en ce sens que volontairement il répand sa grâce sur ceux de son peuple qui sont élevés, et sur ceux qui sont dans les basses conditions, afin que nul ne se glorifie du mérite de ses œuvres. Que les montagnes en effet bondissent comme des béliers, que les collines tressaillent comme des agneaux, la terre s’est ébranlée devant la face du Seigneur, afin que nul ne demeure éternellement dans les souillures d’ici-bas.
SECOND DISCOURS SUR LE PSAUME 113
modifierSECOND SERMON. – SECONDE PARTIE DU PSAUME.
modifierCes grâces du Seigneur par lesquelles finit le psaume précédent, nous viennent de la miséricorde et de la vérité que les nations verront au dernier jour, alors que Dieu fera éclater la gloire de son noix, et qu’elles ne diront plus : Oh est leur Dieu ? Quant aux dieux des nations, ce sont des simulacres fabriqués par les hommes et inférieurs même aux bêtes, puisque du moins celles-ci ont un cri, inférieurs au cadavre, qui du moins a vécu. L’Écriture en réprouvant fréquemment les idoles, combat le penchant des hommes à se laisser séduire par la forme attrayante, et à lui attribuer quelque puissance. Mais si quelque puissance habite l’idole, c’est une puissance démoniaque ; et si l’on prétend adorer les mêmes éléments dans ces mêmes idoles, c’est mettre la créature à la place du Créateur ; souvent encore la statue nous fait illusion au point que pour adorer la statue du soleil nous tournons souvent le dos au soleil. Pour nous, si nous avons des vases sacrés, ce sont des instruments et non les objets d’un culte. Quant à la maison d’Israël, et à la maison d’Aaron, ou des saints grands et petits ; ils ont mis leur espérance dans le Créateur du ciel et de ta terre, qui a béni les uns et les autres, et à leur tour ils le béniront dans l’éternité.
1. Pour tout homme, qui examine avec attention, il y a dans tous les psaumes une liaison telle que le suivant pourrait toujours se joindre au précédent ; ici, néanmoins, nous devons envisager celui-ci comme n’en formant qu’un seul avec le précédent. C’est en effet dans ce précédent que le Prophète a dit : « Ce n’est point sur nous, Seigneur, ce n’est point sur nous, mais bien sur votre nom qu’il faut faire éclater votre gloire, à cause de votre miséricorde et de votre vérité afin que les nations ne disent plus : Où est leur Dieu[112] ? » Car nous adorons un Dieu invisible, que ne peut voir l’œil du corps, et que n’aperçoit que le petit nombre dont le cœur est très pur. Or, comme si les nations pouvaient dès lors nous dire : Où donc est leur Dieu ? car elles peuvent mettre sous nos yeux leurs divinités : voilà que le Prophète nous avertit que la présence de Dieu se fait sentir par ses œuvres, « puisqu’il est au-dessus des cieux, et qu’il fait ce qu’il lui plaît dans le ciel et sur la terre ». Et comme s’il nous disait : Que les Gentils nous montrent leurs dieux, « Les idoles des nations », s’écrie le Prophète, « sont de l’or et de l’argent, œuvres de la main des hommes[113] ». C’est-à-dire, quoique nous ne puissions mettre sous vos yeux charnels ce Dieu que nous adorons, et que vous devez comprendre par ses œuvres, ne vous laissez pas néanmoins séduire par la vanité des idoles, sous le prétexte que vous pouvez montrer du doigt ce que vous adorez. Il serait plus honorable pour vous de n’avoir aucune divinité à montrer, que de montrer par ces idoles, que vous étalez à nos yeux, jusqu’où va l’aveuglement de votre cœur. Que nous montrez-vous en effet, sinon de l’or et de l’argent ? Ils en ont même d’airain, de bois, de terre cuite, et de telle ou telle autre matière. Mais l’Esprit-Saint a préféré mentionner ce qu’ils ont de plus précieux, parce que l’homme, qui aura rougi d’adorer ce qu’il y a de précieux, renoncera d’autant plus facilement au culte de ce qu’il y a de plus vil. On lit en effet dans un autre endroit des saintes Écritures, à propos des idolâtres : « Ils disent au bois : Tu es mon père, et à la pierre : Tu m’as engendré »[114]. Mais que celui qui se croit plus sage, parce qu’il a tenu ce langage à l’or et à l’argent, non plus au bois et à la pierre, jette ici les yeux et y apporte l’oreille de son cœur : « Les simulacres des nations sont de l’or et de l’argent ». Le Prophète ne désigne ici rien de vil et de méprisable ; et pour l’homme, dont le cœur n’est point encore devenu terre, l’or et l’argent ne sont qu’une terre, mais plus belle, plus brillante, plus ferme, plus solide. Ne va donc point chercher la main des hommes pour faire une fausse divinité avec le métal qu’a créé le vrai Dieu, ou même pour faire un faux homme, que tu vas adorer à la place du vrai Dieu, un homme que personne, sans folie, ne voudrait pour ami. Cette ressemblance qu’on lui a formée, cette harmonie que l’on a gardée dans les membres, lui donne un certain attrait pour le cœur des hommes grossiers. Mais, de ces membres dont la beauté est si ravissante pour toi, ô vanité de l’homme, viens nous montrer les mouvements, comme tu nous en montres les proportions.
2. « Elles ont une bouche et ne parlent point ; elles ont des yeux et ne voient point ; elles ont des oreilles et n’entendent point ; elles ont des narines et ne flairent point ; elles ont des mains et ne touchent point ; elles ont des pieds et ne marchent point ; et leur gosier ne rend aucun son »[115]. Il leur est donc bien supérieur, cet ouvrier qui a pu les fabriquer par le mouvement et l’adresse de ses mains : et pourtant tu rougirais d’adorer cet ouvrier. Toi-même, qui ne les as point faites, tu es bien supérieur, puisque tu fais ce qu’elles ne font point. La bête même leur est supérieure, et c’est pourquoi le Psalmiste ajoute : « Leur gosier ne rend aucun son ». Car après avoir dit tout à l’heure : « Elles ont une bouche et ne parlent point », à quoi bon, après avoir fait l’énumération des pieds à la tête, nous parler du cri du gosier, sinon, je crois, parce que nous comprenons que tout ce qu’il avait dit des autres nombres, était commun aux bêtes et aux hommes ? Car les bêtes voient, entendent, sentent, marchent, et même quelques-unes, comme les singes, se servent dès mains. Ce que le Prophète avait dit à propos de la bouche, est particulier à l’homme, puisque les bêtes ne parlent point. Mais afin qu’on ne puisse rapporter tout ce qui est dit, à l’œuvre des membres humains, ni préférer seulement les hommes aux dieux des nations, il ajoute après tout cela : « Leur gosier ne rend aucun son » ; ce qui est commun aux hommes et aux bêtes. Si, tout d’abord, quand il a énuméré les membres humains, à commencer par la bouche, il eût dit : « Elles ont une bouche, et ne crieront point », tout cela pourrait encore se rapporter à la nature humaine, et l’auditeur n’y trouverait pas aussi facilement quelque chose qui tînt de la bête. Mais quand, à propos de la bouche, il a dit ce qui est propre à l’homme, et qu’après l’énumération des différents membres du corps, qu’il semblait terminer aux pieds, le Prophète ajoute : « Leur gosier ne donne aucun cri », il stimule ainsi l’attention de l’auditeur ou du lecteur, afin qu’en cherchant l’à-propos de cette parole, il comprenne que, non seulement les hommes, mais aussi les bêtes, sont préférables aux dieux des nations ; et que s’il répugne à ces nations d’adorer une bête, à qui néanmoins Dieu a donné l’œil, l’ouïe, l’odorat, le toucher, la marche, et le cri du gosier, on comprenne combien il est honteux d’adorer un simulacre muet, qui n’a ni vie, ni sentiment, et dont les membres, semblables aux nôtres, sont une amorce pour l’âme adonnée aux sens charnels, et qui s’éprend d’une idole comme si elle était vivante et animée, dès qu’elle voit en elle ces membres, qu’elle trouve animés et vivants dans le corps qu’elle habite. Combien les rats, les serpents, et autres animaux semblables, jugent-ils mieux, en quelque sorte, les idoles des nations, si l’osa peut s’exprimer ainsi, puisque, ne trouvant point en elles la vie humaine, ils se mettent peu en peine de leur ressemblance avec l’homme ? Aussi l’on voit souvent qu’ils y font leur nid, et sans le bruit des hommes qui vient les effrayer, ils n’auraient point d’asile plus sûr. C’est donc l’homme qui se remue, pour effrayer une bête vivante et l’éloigner de son Dieu ; et il adore comme une puissance ce Dieu sans mouvement, dont il a éloigné l’animal qui lui était supérieur ! Car il a éloigné une bête qui voyait, d’un Dieu qui ne voyait pas ; une bête qui entendait, d’un Dieu qui était sourd ; une bête qui criait, d’un Dieu muet ; une bête qui marchait, d’un Dieu un mobile ; une bête qui sentait, d’un Dieu insensible ; une bête vivante, d’un Dieu mort, et même pire que s’il était mort. Car, s’il est évident qu’un mort ne vit plus, il est aussi évident qu’il a vécu. Un mort est donc bien préférable à un dieu qui n’a aucune vie, qui n’a jamais vécu.
3. Qu’y a-t-il de plus évident que tout cela, mes frères bien-aimés ? quoi de plus évident ? Quel enfant, si on l’interroge, qui ne réponde que e les idoles des nations ont des yeux et « ne voient point, une bouche et ne parlent point », et tout le reste qu’ajoute le Psalmiste ? Pourquoi donc ce soin que prend l’Esprit-Saint de nous enseigner tout cela en plusieurs endroits de l’Écriture, comme si nous ne le savions point ; sinon parce que cette figure extérieure des membres que nous sommes accoutumés de voir vivante chez les êtres animés, et de sentir vivante en nous, quoique faite, comme ils l’avouent, pour servir d’idole, et posée à ce sujet avec éclat dans un lieu élevé, ne laisse pas, lorsque nous la voyons adorée avec un profond respect par la foule, de faire naître en chacun de nous une affection vile et erronée, qui nous fait croire qu’il y a là une puissance cachée, puisque l’on ne voit dans cette idole aucun signe de vie ? Alors la forme séduisante, l’impression produite par l’autorité de quelques faux sages qui les ont établies, des foules qui les ont adorées, nous fait croire qu’une statue qui ressemble si bien au corps vivant, n’est point sans un être vivant qui l’habite. C’est ce penchant des hommes qui porte les démons à s’emparer des idoles des Gentils, et sous leur influence l’erreur se multiplie à l’infini avec ses poisons mortels. C’est contre ces erreurs que les saintes lettres nous prémunissent en tant d’endroits, de peur qu’en face de ce culte dérisoire, quelqu’un ne vienne dire : Ce n’est point l’idole visible que j’adore, mais la puissance invisible qui l’habite. L’Écriture, dans un autre endroit, condamne ainsi ces mêmes puissances : « Les dieux des nations sont des démons, mais le Seigneur a créé les cieux[116] ». Et l’Apôtre nous dit aussi : « Non que l’idole soit quelque chose, mais comme les sacrifices des nations s’offrent aux démons et non à Dieu, je ne veux point que vous ayez part avec les démons[117] ».
4. D’autres croient avoir un culte pins pur, parce qu’ils disent : Ce n’est ni la statue, ni le démon que j’adore, mais je vois dans cette forme corporelle le signe de l’objet que je dois adorer. Ils assignent donc une signification à chacune de leurs statues, en sorte que l’une est le symbole de la terre, de là le nom de temple de la terre, templum telluris; l’autre de la mer, comme la statue de Neptune ; celle-ci de l’air, comme celle de Junon ; celle-là du feu, comme celle de Vulcain ; une autre de Lucifer, comme celle de Vénus ; une autre du soleil, une autre de la lune, dont les statues portent les mêmes noms, comme celle de la terre ; une autre de tel ou tel astre, telle ou telle créature, car nous ne pouvons tout énumérer. Mais pressez-les de nouveau, et reprochez-leur d’adorer des corps, et principalement la terre, la mer, l’air, le feu, dont l’usage nous est ordinaire (car en ce qui regarde les corps célestes, comme ils sont hors de notre portée, et que nous ne pouvons les atteindre que par le rayon visuel, ils n’en rougissent pas tant), ils oseront bien vous répondre qu’ils n’adorent point des corps, mais bien les divinités qui y président. Un seul arrêt de l’Apôtre nous montre quelle sera la peine et la condamnation de tous ces hommes : « Ils ont changé », dit-il, « la vérité de Dieu en mensonge, ils ont honoré et servi la créature plutôt que le Créateur, qui est béni dans les siècles »[118]. Dans la première partie de cet arrêt, en effet, l’Apôtre condamne les idoles, et dans la seconde le sens qu’on leur attribue. Donner à des ouvrages qu’a travaillés l’ouvrier, les noms des choses que Dieu a faites, c’est changer en mensonge la vérité de Dieu ; mais regarder ces choses comme divines et les adorer, c’est servir la créature plutôt que le Créateur qui est béni dans les siècles.
5. Mais où est l’homme qui adore ou qui invoque une idole, et qui n’est point disposé à croire qu’il en est écouté, à espérer que cette idole lui accordera ce qu’il désire ? Des hommes donc, engagés dans ces sortes de superstitions, tournent souvent le dos au soleil pour prier devant une statue qu’ils appellent soleil ; et quand ils entendent derrière eux le mugissement de lamer, ils s’imaginent que la statue de Neptune, qu’ils prennent pour la mer, entend leurs sanglots. Tel est l’effet produit, ou plutôt extorqué en quelque sorte par cette conformation des membres. L’esprit qui vit dans les sens du corps est plus porté à croire qu’il y a du sentiment dans un corps semblable au corps qu’il habite, que dans le soleil dont la forme est ronde, et que dans l’étendue des eaux, et dans ce qui n’est pas circonscrit dans ces lignes qu’il a coutume de voir chez les êtres vivants. C’est pour détruire ce penchant, auquel tout homme charnel se laisse prendre si facilement, que la sainte Écriture nous dit dans ses cantiques des choses très connues, afin de nous les rappeler et de stimuler nos esprits qui s’endorment si facilement dans la routine des corps visibles. « Les idoles des nations », dit-elle, « sont de l’argent et de l’or ». Mais c’est Dieu qui a créé l’argent et l’or. « Ce sont là des œuvres faites de mains d’hommes ». Car ils adorent ce qu’ils ont fait eux-mêmes avec de l’or et de l’argent.
6. Il est vrai que nous-mêmes, nous avons des instruments, des vases du même métal qui nous servent à la célébration de nos mystères, et que l’on appelle sacrés, parce qu’ils sont employés en l’honneur de celui que nous servons dans l’intérêt de notre salut. Or, ces instruments, ces vases, que sont-ils autre chose que l’œuvre de la main des hommes ? Et toutefois ont-ils une bouche pour ne point parler ? Ont-ils des yeux pour ne point voir ? Leur adressons-nous des prières parce qu’ils nous servent à prier Dieu ? La principale cause de cette impiété folle et sacrilège, vient de ce que la forme d’un corps, qui est semblable à un homme vivant, et qui attire les idolâtres à lui adresser des prières, a plus d’effet sur l’esprit de ces malheureux, que l’assurance que cette idole est sans vie, et n’est digue que du mépris des hommes. Ces idoles, parce qu’elles ont mine bouche, qu’elles ont des yeux, qu’elles ont des oreilles, min nez, des mains et des pieds, ont plus de force pour courber une âme vers la terre, que pour la redresser, par cela même qu’elles ne parlent point, qu’elles ne voient point, qu’elles n’entendent point, ne sentent point, ne touchent point, ne marchent point.
7. Il faut dès lors que s’accomplisse la sentence qu’ajoute le Psalmiste ; c’est-à-dire, « Que ceux qui les font leur deviennent semblables, et tous ceux qui se confient en elles[119] ». Avec leurs yeux ouverts et impressionnés, que ces malheureux voient ; et que le cœur fermé et insensible ils adorent des idoles qui ne voient point et qui ne vivent point.
8. « C’est dans le Seigneur qu’a espéré la maison d’Israël[120] ». Or, l’espérance qui voit n’est plus une espérance. Comment, en effet, espérer ce que l’on voit ? Si donc nous espérons ce que nous ne voyons point, nous l’attendons par la patience[121] ». Mais afin que notre patience dure jusqu’à la fin, « le Seigneur est leur protecteur et leur appui ». Les hommes spirituels, toutefois, ceux qui instruisent les hommes charnels avec un esprit de douceur, qui prient comme des supérieurs pour des inférieurs, ne voient-ils pas déjà, et n’ont-ils pas en réalité ce que les inférieurs n’ont qu’en espérance ? Nullement ; car « la maison d’Aaron, elle aussi, a espéré dans le Seigneur[122] ». Donc, pour avancer avec persévérance vers ce qui est devant eux, pour courir jusqu’à ce qu’ils aient atteint celui qui les appelle[123], et pour le connaître comme ils en sont connus[124], il faut que « Dieu soit leur aide et leur protecteur ». Les uns et les autres « craignent le Seigneur, e espèrent dans le Seigneur, et il est pour eux un aide et un appui[125] ».
9. Ce n’est point nous en effet, qui, par nos mérites, avons prévenu la divine miséricorde, mais bien « le Seigneur qui s’est souvenu de nous et nous a bénis : il a béni la maison d’Israël, il a béni la maison d’Aaron ». Et en bénissant les uns et les autres, « il a béni tous ceux qui craignent le Seigneur[126] ». Quels sont, me diras-tu, ces uns et ces autres ? Le Psalmiste répond : « Les petits et les grands » ; c’est-à-dire la maison d’Israël et la maison d’Aaron, ceux-là mêmes qui, dans cette nation, crurent au Sauveur Jésus : « puisque tous ne furent pas agréables au Seigneur[127]. Mais si quelques-uns n’ont pas cru en lui, leur infidélité anéantira-t-elle donc la fidélité de Dieu ? Loin de là[128] ; car tous ceux qui sont d’Israël ne sont point pour cela israélites ; non plus que tous ceux qui sont de la race d’Abraham, ne sont fils d’Abraham » ; mais selon qu’il est écrit : « les restes seront sauvés ». Car c’est au nom de ceux du peuple qui ont cru qu’il est dit : « Si le Seigneur des armées n’avait réservé quelqu’un de notre race, nous serions devenus semblables à Sodome et à Gomorrhe[129] ». Ce reste est donc appelé semence, parce qu’il a été répandu et s’est multiplié dans toute la terre.
10. Or, dans la maison d’Aaron, les grands ont dit : « Que le Seigneur vous multiplie, qu’il ajoute à vous et à vos enfants[130] ». C’est ce qui est arrivé. Voilà que des enfants d’Abraham, suscités d’entre les pierres[131], sont venus se joindre à eux ; voilà que sont venues aussi des brebis qui n’étaient point de ce bercail, en sorte qu’il n’y a plus qu’un seul troupeau et qu’un seul pasteur[132] : voilà que pour venir à eux les nations ont embrassé la foi, et que s’est accru le nombre, non seulement de sages évêques, mais aussi de peuples soumis ; le Seigneur multipliant ainsi non seulement les pères qui doivent aller à lui dans le Christ, et y conduire ceux qui voudront les imiter, mais encore les fils qui marcheront sur les traces des pères. Voici, en effet, comment leur parle Celui qui les a engendrés à Jésus-Christ par l’Évangile : « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ[133] ». Dieu a donc multiplié, non seulement les montagnes qui bondissent comme des béliers, mais aussi les collines qui bondissent comme des agneaux.
11. C’est donc à tous ceux-là, aux grands et aux petits, aux montagnes et aux collines, que le Prophète s’adresse quand il dit : « Soyez les bénis du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre[134] ». Comme s’il disait : soyez les bénis du Seigneur qui a fait de vous les cieux et la terre, le ciel dans les grands, la terre dans les petits ; mais non ce ciel visible, parsemé d’astres lumineux que nous voyons. « Le ciel du ciel est au Seigneur », qui a élevé l’esprit de quelques saints à de telles hauteurs que nul d’entre les hommes, mais Dieu seul, peut les instruire. Or, en comparaison de ce ciel, tout ce que l’on voit des yeux du corps ne mérite que le nom de terre, et « Dieu l’a donnée aux enfants des hommes[135] », afin qu’en la considérant, ils comprennent autant qu’ils pourront le Créateur, qu’ils ne peuvent découvrir encore que par le moyen de la créature, à cause de l’infirmité de leur cœur.
12. Ces mêmes paroles : « Le ciel des cieux est au Seigneur, et il a donné la terre aux enfants des hommes », peuvent avoir un autre sens que je ne dois point vous dissimuler. Toutefois ne perdons point de vue ce que nous avons dit. Or, les grands et les petits, avons-nous dit, sont désignés dans ces paroles : « Soyez les bénis du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre ». Si donc nous désignons les grands par les cieux, et les petits par la terre, comme les petits en grandissant deviendront des cieux, et qu’on les nourrit de lait dans cette espérance ; ainsi ces mêmes grands, quand ils nourrissent les petits, sont le ciel pour la terre, de manière néanmoins à comprendre qu’ils sont aussi les cieux des cieux quand ils méditent sur l’espérance dont ils nourrissent les enfants. Et toutefois, parce que ces saints personnages ne puisent plus dans un homme ni au moyen d’un homme, mais bien en Dieu, les eaux abondantes et pures de la sagesse, ils ont donné leurs soins à des enfants qui seront un jour des cieux, puisqu’ils sont eux-mêmes les cieux des cieux, et qui sont maintenant la terre à qui ils peuvent dire : « J’ai planté, Apollo a arrosé, c’est Dieu qui a donné l’accroissement »[136]. À ces enfants des hommes dont il a fait des cieux, il a donné la terre pour y travailler, ce même Dieu qui sait pourvoir à la terre au moyen du ciel. Que le ciel et la terre demeurent donc au Dieu qui les a faits ; qu’ils vivent de lui, en le confessant et en le bénissant ; car s’ils veulent vivre d’eux-mêmes, ils trouveront la mort ainsi qu’il est dit : « Un mort, comme ce qui n’est plus, ne confesse point le Seigneur »[137]. Mais « les morts ne vous loueront point, Seigneur », dit le Prophète, « non plus que ceux qui descendent dans l’enfer ». Et dans un autre endroit l’Écriture vous crie : « Une fois au fond de l’abîme du mal, le pécheur n’a plus que le dédain[138] ; mais nous qui avons la vie, nous bénissons le Seigneur dès maintenant et jusque dans les siècles ».
DISCOURS SUR LE PSAUME 114
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierLA DÉLIVRANCE.
modifierL’espérance que le Seigneur nous exaucera attise notre amour pour lui ; et cette espérance est fondée sur la foi, car tout ce qu’il fait pour nous allume le flambeau de notre croyance en sa bonté. Les jours dans lesquels nous invoquons le Seigneur, sont les jours du vieil homme, et de l’éloignement du Seigneur. Mais ayant rencontré cette affliction qui vient de la considération de nos misères spirituelles, et qui est un gage de salut, j’ai invoqué le Seigneur qui est miséricordieux, puisqu’il nous appelle au salut, et qu’il ne nous châtie que pour nous pardonner si nous nous redressons. Reposons-nous dans celui qui nous a délivrés de cette mort de l’impie qui est un labeur sans fin, pour nous donner un repos accompagné de vigilance. Le Seigneur nous a donc délivrés de la mort des impies ou de la mort éternelle quand il nous a délivrés du péché ; c’est au péché que notre corps doit mourir pour que nous plaisions au Seigneur.
1. « J’ai aimé le Seigneur, parce qu’il écoutera la voix de ma prière[139] ». Que tel soit le chant de toute âme éloignée du Seigneur, le chant de toute brebis qui s’était égarée, le chant de tout enfant qui était mort et qui est ressuscité, qui était perdu et qui est retrouvé[140] ; le chant de notre âme, ô frères et enfants bien-aimés. Instruisons-nous de nos devoirs avec une ferme constance et chantons avec les saints : « J’ai aimé le Seigneur, parce qu’il écoutera la voix de ma prière ». La cause de notre amour pour Dieu est-elle bien, « parce qu’il exaucera la voix de ma prière ? » Ne l’aimons-nous pas plutôt parce qu’il nous a exaucés ? ou l’aimons-nous afin qu’il nous exauce ? Que signifie donc : « J’ai aimé parce qu’il exaucera ? » Serait-ce parce que, d’ordinaire, l’amour s’enflammant par l’espérance, le Prophète nous dirait alors qu’il a aimé, parce qu’il a espéré que le Seigneur exaucerait la voix de sa prière ?
2. Mais d’où lui est venue cette espérance ? C’est, nous répond-il, « parce qu’il a incliné son oreille vers moi, et que je l’ai invoqué pendant les jours de ma vie[141] ». Je l’ai donc aimé parce qu’il m’exaucera, et il m’exaucera parce qu’il a incliné son oreille vers moi. Mais, ô âme de l’homme, comment sais-tu que Dieu a incliné son oreille vers toi, si tu n’as dit : J’ai cru ? Voilà donc les trois vertus qui demeurent ici-bas, la foi, l’espérance et la charité[142]. Parce que tu as cru, tu as espéré, et parce que tu as espéré, tu as aimé ; maintenant si je demande comment l’âme a cru que Dieu inclinait son oreille pour l’écouter, ne peut-elle point me répondre : « C’est lui qui nous a aimés le premier, au point de ne pas épargner son propre Fils, et de le livrer pour nous tous ? Comment pourront-ils l’invoquer s’ils ne croient en lui ?[143] » dit le Docteur des nations, « et comment croire en lui, s’ils n’en ont entendu parler ? et comment en entendre parler, si on ne le leur prêche ? et comment y aura-t-il des prédicateurs si on ne les envoie[144] ? » Or, à la vue de tout ce que Dieu a fait pour moi, comment ne croirais-je pas qu’il a incliné son oreille vers moi ? Et il a tellement signalé son amour pour nous, que le Christ est mort pour les impies[145]. C’est donc parce qu’ils m’ont apporté tant de grâces, ces hommes dont les pieds sont beaux, qui ont annoncé la paix, annoncé les biens[146], et prêché que tout homme qui aura invoqué le nom du Seigneur sera sauvé[147], c’est pour cela que j’ai cru que Dieu inclinait son oreille vers moi, et que je l’ai invoqué en mes jours.
3. Et quels sont ces jours dont tu nous dis : « En mes jours j’ai invoqué le Seigneur ? » Ces jours peut-être qui ont fermé la plénitude du temps, alors que Dieu a envoyé son Fils[148], lui qui avait déjà dit : « Je t’ai exaucé au temps marqué, je t’ai aidé au jour du salut[149] ? » Tu as entendu de la bouche d’un prédicateur, dont les pieds étaient beaux : « Voici maintenant le temps favorable, voici les jours du salut[150] » ; et alors tu as cru, et dans ces jours tu as invoqué, et tu as dit : « Seigneur, mon Dieu, délivrez mon âme[151] ». Cela est vrai, et pourtant je puis appeler plus justement mes jours, les jours de ma misère, les jours de ma mortalité, les jours qui me viennent d’Adam, jours pleins de labeur et de fatigue, jours du vieil homme et de la corruption. Car je suis à terre, « et plongé dans la vase de l’abîme[152] » ; et dans un autre Psaume je me suis écrié : « Voilà que vous avez lait vieillir mes jours[153]. C’est pendant ces jours que je vous ai invoqué ». Mes jours sont donc bien différents des jours de mon Dieu. J’appelle mes jours ceux que je me suis faits à moi-même, par cette audace qui m’a porté à me séparer de lui. Et comme il règne partout, comme il est tout-puissant, tenant tout dans ses mains, j’ai mérité la prison, c’est-à-dire que j’ai dû subir les ténèbres de l’ignorance et les entraves de la mortalité. « Je vous ai donc invoqué en mes jours », parce que c’est moi qui crie dans un autre Psaume : « Délivrez mon âme de la prison[154] », Et comme le Seigneur m’a secouru au jour de ce même salut qu’il m’a procuré, voilà que le gémissement des captifs a monté en sa présence[155]. C’est en effet dans ces jours qui sont les miens que « les douleurs de la mort « m’ont environné, que les périls de l’enfer m’ont saisi[156] » ; et ils ne me trouveraient point si je n’étais loin de vous. Ils me tiennent donc maintenant en leur pouvoir, et moi je ne les trouvais point, moi qui mettais ma joie dans les prospérités de ce monde, où les périls de l’enfer sont plus trompeurs encore.
4. Mais quand, à mon tour, « j’ai rencontré la tribulation et la douleur, j’ai invoqué le nom de mon Dieu[157] ». Je ne connaissais point cette affliction, cette douleur très utile, affliction dont vient nous décharger celui auquel il est dit : « Donnez-nous votre secours dans l’affliction, car le salut qui vient de l’homme est trompeur[158] ». Pour moi, je croyais que ce vain salut de l’homme pourrait me procurer de la joie et de l’allégresse ; mais quand j’ai entendu cette parole du Seigneur : « Bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés[159] », je n’ai pas attendu pour pleurer, la perte de ces biens temporels qui me procuraient un funeste plaisir, mais j’ai considéré cette misère qui est en moi, et qui me fait trouver la joie dans ces biens que je crains de perdre, et que je ne puis néanmoins retenir ; je l’ai considérée avec attention et avec courage, et j’ai vu que non seulement j’étais tourmenté par les revers de cette vie, mais que ses prospérités elles-mêmes étaient un lourd fardeau ; et ainsi : « J’ai trouvé la tribulation et la douleur » que je ne connaissais pas, « et j’ai invoqué le nom du Seigneur. O Dieu, délivrez mon âme[160]. Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort, sinon la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur[161] ? » Que le peuple de Dieu s’écrie dès lors : « J’ai rencontré la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom de mon Dieu ». Qu’elles nous entendent, ces nations qui sont en arrière, et qui n’invoquent point encore le nom du Seigneur ; qu’elles nous entendent, qu’elles cherchent afin de rencontrer la douleur et la tribulation, et d’invoquer aussi le nom du Seigneur, et d’être sauvées. Nous ne leur parlons point de la sorte, afin qu’elles cherchent une misère qu’elles n’auraient point, mais afin qu’elles trouvent cette misère qu’elles ont sans la connaître. Ce que nous leur souhaitons, ce n’est point qu’elles manquent de ces biens terrestres qui leur sont nécessaires pendant cette vie mortelle ; mais qu’elles pleurent de ce qu’ayant perdu les biens du ciel qui les rassasiaient, elles aient mérité d’avoir besoin de ces biens de la terre qui ne procurent aucune jouissance durable, et qui n’ont d’utilité qu’en cette vie temporelle. Telle est la misère qu’ils doivent reconnaître et pleurer ; et leurs larmes deviendront bienheureuses en celui qui n’a point voulu pour ces peuples un malheur éternel.
5. « Le Seigneur est plein de clémence et de justice, notre Dieu se plaît à faire miséricorde[162] ». Dieu donc est miséricordieux, il est juste, il pardonne : miséricordieux d’abord, parce qu’il a incliné son oreille vers moi ; et j’ignorerais que Dieu se fût approché de moi pour entendre mes paroles, si je n’avais été excité à l’invoquer par ceux dont les pieds sont beaux. Qui donc a fait appel au Seigneur, sinon celui que le Seigneur a tout d’abord appelé ? Voilà donc tout d’abord sa miséricorde. Il est juste, parce qu’il châtie, et il est encore miséricordieux, parce qu’il reçoit celui qu’il a châtié. « Car le Seigneur flagelle celui qu’il reçoit au nombre de ses enfants[163] ». Et ma douleur dans le châtiment doit être moins vive pour moi que la joie de mon adoption. Commuent « le Seigneur qui garde les petits enfants[164] », ne châtierait-il pas ceux qu’il fera grandir pour être ses héritiers ? Quel est l’enfant que son père n’assujettit pas à la discipline[165] ? « Je me suis humilié, et il m’a sauvé ». C’est donc à l’humilité que je dois mon salut. Que le médecin fasse une incision, ce n’est point là un châtiment, mais une douleur salutaire.
6. « O mon âme, rentre donc dans ton repos, u puisque le Seigneur t’a comblée de biens ». Repose-toi, non à cause de tes mérites ou de tes propres forces ; mais parce que le Seigneur t’a comblée de ses biens ; car, ajoute le Prophète, « il a délivré mon âme de la mort[166] ». Il est étonnant, mes frères bien-aimés, qu’après avoir invité son âme à goûter le repos, parce qu’elle est comblée des biens du Seigneur, le Prophète ajoute : « Parce qu’il a délivré mon âme de la mort ». Son âme serait-elle donc en repos, parce qu’elle est délivrée de la mort ? N’est-ce pas plutôt dans la mort que l’on croit trouver le repos ? Quelle est enfin l’action de celui dont la vie est un repos, et dont la mort est un labeur ? Telle doit être l’action de l’âme, qu’elle tende à une paisible sécurité, et non à l’accroissement d’un labeur incessant. Elle est en effet délivrée de la mort par la grâce de celui qui l’a prise en pitié, et qui a dit : « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes ; car mon joug est doux et mon fardeau léger[167] ». L’action de l’âme qui cherche le repos doit dorme être douce et humble, puisqu’elle suit le Christ qui est sa voie ; et toutefois, elle ne doit pas être lente et paresseuse, afin qu’elle puisse achever sa course, ainsi qu’il est écrit : « Achevez vos œuvres avec douceur[168] ». Achevez vos œuvres, est-il dit, afin que la douceur ne dégénère pas en négligence. Car il n’en est pas alors comme en cette vie, où le repos du sommeil répare nos forces pour un nouveau travail ; mais la bonne action nous conduit à un repos accompagné de vigilance.
7. Or, tout cela est l’œuvre, est le bienfait de ce Dieu dont il est dit : « Puisque le Seigneur m’a comblé de biens, puisqu’il a délivré mon âme de la mort, mes yeux des larmes, et mes pieds de la chute[169] ». Voilà ce que le Seigneur accomplit eu espérance dans celui qui ressent les liens de la chair, et celui-ci le chante avec joie. Car il est vrai de dire : « Je me suis humilié, et le Seigneur m’a sauvé ». Mais elle est vraie aussi cette autre parole de l’Apôtre : « Que nous sommes sauvés par l’espérance[170] ». Quant à cette mort dont nous sommes délivrés, il est juste de dire que cela s’est accompli, si nous l’entendons de la mort des incrédules, dont le Seigneur a dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts[171] » ; et le Prophète dans un autre psaume : « Les morts ne vous loueront point, Seigneur, non plus que tous ceux qui descendent dans l’enfer, mais nous qui vivons, nous bénissons le Seigneur[172] ». Telle est donc la mort dont tout fidèle a raison de croire que son âme est exempte par cela même qu’elle a passé de l’incrédulité à la foi. De là cette parole du Sauveur : « Celui qui croit en moi passe de la mort à la vie[173] ». Le reste ne s’accomplit que par l’espérance dans ceux qui n’ont pas encore quitté cette vie. Maintenant, en effet, quand nous pensons à nos chutes si périlleuses, nos yeux ne cessent de verser des larmes ; mais il éloignera les larmes de nos yeux, quand il préservera nos pieds de tout faux pas. Car nos pieds ne seront plus exposés à la chute, quand il n’y aura plus rien de glissant dans notre faible chair. Maintenant, quoique notre voie soit ferme, puisque c’est le Christ lui-même ; néanmoins, parce que nous soumettons notre chair, qu’il nous est ordonné de dompter ; dans ces mêmes œuvres par lesquelles nous la châtions pour l’assujettir, c’est un bonheur de ne pas succomber ; quant à ne pas glisser, qui en est capable ?
8. Aussi, parce que nous sommes dans la chair, sans être néanmoins dans la chair, (nous sommes dans la chair à cause de ce lien qui n’est pas encore brisé : « qu’il serait plus avantageux de rompre pour être avec le Christ[174] » ; mais nous ne sommes pas dans la chair en ce sens que nous avons donné à Dieu les prémices de l’esprit, si toutefois nous pouvons dire que « notre conversation est dans le ciel[175] » et que nous sommes agréables à Dieu par la tête, tandis que nous sentons glisser nos pieds, qui paraissent l’extrémité de notre âme), écoute comment il y a une espérance dans ce même psaume qui paraît chanter ce qui est accompli déjà : « Il a délivré, dit le Prophète, et mes yeux de leurs larmes, et mes pieds de toute chute » ; et toutefois il n’ajoute point : Je plais ; mais bien : « Je plairai au Seigneur, dans la terre des vivants[176] » ; montrant assez par là qu’il n’est point encore agréable au Seigneur dans cette partie de lui-même, qui est la région des morts, c’est-à-dire en sa chair mortelle. « Ceux qui sont dans la chair ne sauraient plaire à Dieu ». C’est pourquoi cette parole que l’Apôtre ajoute : « Quant à vous, vous n’êtes point dans la chair », doit s’entendre en ce sens, que « le corps est véritablement mort au péché, tandis que l’esprit est vivant à cause de la justice » ; or, c’est par cet esprit qu’ils plaisaient à Dieu, puisque c’est par lui qu’ils n’étaient pas dans la chair. Qui pourrait plaire au Dieu vivant, tandis qu’il est dans un corps mort ? Que dit l’Apôtre ? « Si l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts habite en vous ; celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels à cause de l’esprit qui habite en vous[177] ». C’est alors que nous serons dans la terre des vivants, que nous plairons complètement au Seigneur, et que rien de nous-mêmes ne nous tiendra éloignés. « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur[178] » ; et plus nous en sommes éloignés, plus nous sommes éloignés aussi de la région des vivants. « Mais nous avons la confiance, et nous pensons qu’il est avantageux pour nous d’être séparés de ce corps, afin de demeurer dans le Seigneur ; c’est pourquoi nous nous efforçons de lui être agréables, soit que nous soyons éloignés, soit que nous soyons en sa présence[179] ». C’est là notre ambition pendant cette vie, parce que nous attendons la délivrance de notre corps[180] ; mais quand la mort aura été absorbée dans la victoire, quand ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, quand ce corps mortel aura revêtu l’immortalité[181], alors il n’y aura ni pleurs, ni chute, et il n’y aura aucune chute, parce qu’il n’y aura aucune corruption. Dès lors nous ne chercherons plus à plaire à Dieu, mais nous lui plairons d’une manière absolue, dans la région des vivants.
DISCOURS SUR LE PSAUME 115
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierCHANT DES MARTYRS.
modifierPrêcher le Christ, c’est conformer ses mœurs à la foi, autrement on aurait la vérité à la bouche, le mensonge dans le cœur ; c’est encourir la réprobation. D’autres croient sans prêcher, retiennent le talent sans le faire fructifier, et sont aussi réprouvés. Le fidèle serviteur croit et prêche ; sa parole lui vaut de nombreuses persécutions sans que la vérité en souffre aucune atteinte. Dans son extase il a compris qu’il ne pouvait compter sur lui-même, parce que l’homme est menteur et que Dieu seul peut donner la vérité. Mais que rendra-t-il au Seigneur en échange de cette vérité ? Ce qui vient de lui, le calice du salut, ou la force de souffrir. De lui-même il n’est que l’esclave, mais en servant de bonne volonté, il devient le fils de la Jérusalem libre, ou de l’Église. Alors il se glorifie en Dieu qui a brisé ses tiens ; il s’offre lui-même au milieu de cette Jérusalem ou de l’Église répandue par toute la terre, comme le prouve le psaume suivant : Peuples, célébrez tous les louanges du Seigneur, qui demeure ferme dans ses promesses comme dans ses menaces.
1. Votre sainteté, mes frères, connaît sans doute ce mot de l’Apôtre : « La foi n’est point l’apanage de tous[182] ». Et vous n’ignorez pas que le nombre des infidèles est le plus grand ; aussi le Prophète s’est-il écrié « Seigneur, qui a cru à notre parole[183] ? » C’est parmi ces incrédules que l’on peut ranger ceux dont l’Apôtre a dit : « Tous cherchent leurs intérêts et non ceux du Christ[184] ». Et ailleurs il dit que ces hommes annoncent la parole de Dieu non par un vrai zèle, mais par occasion ; non pas d’une manière chaste[185], c’est-à-dire qu’ils n’ont ni intention pure, ni charité sincère. Autres, en effet, étaient leurs sentiments, que laissaient voir leurs mœurs, et autre leur prédication, qui leur attirait l’estime des hommes par les saintes vérités qu’ils prêchaient. Aussi l’Apôtre a-t-il encore dit de ces hommes qu’« ils ne servent point le Dieu qu’ils prêchent, mais leur ventre[186] ». Et toutefois, il leur permet de prêcher le Christ. Bien que leur foi, en effet, non plus que leurs actions, ne pût aboutir qu’à la mort, toutefois ils prêchaient des vérités qui eussent pu sauver ceux qui les eussent embrassées par la foi ; car ils ne prêchaient rien qui fût en dehors des règles de la foi. Autrement ils fussent tombés sous cet anathème de l’Apôtre « Si quelqu’un », nous dit-il, « vous annonce d’autres vérités que celles que vous avez reçues, qu’il soit anathème[187] ». Or, ce n’est pas prêcher le Christ, que prêcher la fausseté, puisque le Christ est vérité[188]. Et toutefois, l’Apôtre dit de ces derniers qu’ils annoncent le Christ, bien qu’ils ne le fassent point d’une manière pure, c’est-à-dire bien qu’ils n’agissent point avec un esprit simple et pur, et avec la foi sincère qui agit par la charité[189]. Pleins des terrestres convoitises, ils annonçaient le royaume des cieux, et avaient ainsi la fausseté dans le cœur, la vérité sur la langue. Or, l’Apôtre, sachant bien que ceux qui avaient cru à l’Évangile, sur la prédication de Judas, étaient sauvés, donne à ceux-ci cette liberté de prêcher : « Pourvu que le Christ soit annoncé, peu importe que ce soit par occasion ou par un vrai zèle[190] ». Ils n’annoncent pas moins la vérité, bien que ce ne soit point dans la vérité, c’est-à-dire avec une intention pure. Ils prêchent ce qu’ils ne croient point, et c’est pour cela qu’ils sont réprouvés ; bien qu’ils soient utiles à ceux que le Seigneur daigne avertir ainsi : « Faites ce qu’ils vous disent et non ce qu’ils font, car ce qu’ils disent, ils sont loin de le faire[191] ». Pourquoi, sinon parce qu’ils ne croient point l’utilité de ce qu’ils prêchent ? Il en est d’autres qui croient, sans prêcher ce qu’ils croient, retenus par la tiédeur ou par la crainte. Et ce serviteur qui avait reçu un talent, ne s’entendit pas moins appeler : Méchant et lâche serviteur[192], parce qu’il ne l’avait point mis à profit. Dans un autre endroit de l’Évangile, il est dit que beaucoup de princes des Juifs crurent en Jésus, mais qu’ils ne professaient point leur foi au-dehors, de peur d’être chassés de la synagogue : ils ne laissent pas d’être désapprouvés et condamnés. Car l’Évangéliste ajoute : « Ils préféraient la gloire des hommes à la gloire de Dieu[193] ». Si donc une juste réprobation flétrit et ceux qui ne croient pas à la vérité qu’ils prêchent, et ceux qui ne prêchent pas la vérité qu’ils croient, à qui donnerons-nous le nom de serviteur fidèle, sinon à celui à qui le Christ adresse ces paroles : « Courage, bon serviteur, parce que tu as été fidèle en peu de choses, je t’établirai sur beaucoup, entre dans la joie de ton Seigneur[194] ? » Un tel serviteur ne parle donc point avant de croire, et ne se tait point dès qu’il croit, de peur, ou qu’en faisant valoir pour les autres ce qui lui est confié, il n’en garde rien pour lui, ou qu’il n’en retire aucun profit, parce qu’il ne l’aura point fait valoir. Voici, en effet, ce qui est dit : « Celui qui possède, on lui donnera ; mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a[195]. »
2. Qu’il dise alors, ce bon serviteur qui chante Alléluia, c’est-à-dire qui offre un sacrifice de louanges à ce même Dieu qui doit lui dire un jour : « Entre dans la joie de ton Seigneur » ; qu’il tressaille et qu’il chante : « J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé[196] ».C’est-à-dire, j’ai cru d’une manière parfaite. Refuser de prêcher ce que l’on croit, ce n’est point avoir une foi parfaite. Car une des obligations de la foi, c’est de croire aussi cette parole « Celui qui me confessera devant tes hommes, « moi aussi je le confesserai devant les anges de Dieu[197] ». Ce fidèle serviteur n’est pas ainsi appelé, en effet, parce qu’il a reçu de son maître, mais parce qu’il a dépensé et gagné. De même dans notre psaume, il n’est pas dit : J’ai cru et j’ai parlé ; mais le Prophète confesse qu’il a parlé parce qu’il a cru. Car il a cru en même temps que parler lui donnait une récompense à espérer, et que se taire lui laissait craindre un châtiment. « J’ai cru », dit-il, « et c’est pourquoi j’ai parlé pour moi, j’ai subi des humiliations à l’excès ». Il a passé par des tribulations nombreuses à cause de la parole qu’il gardait fidèlement, qu’il annonçait fidèlement ; il a subi des humiliations excessives, et c’est là ce qu’ont redouté « ceux qui ont préféré la gloire des hommes à la gloire de Dieu ». Mais pourquoi cette expression : « Quant à moi ? » Il devrait dire tout simplement : j’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé, et j’ai subi des humiliations à l’excès. Pourquoi ajouter « quant à moi », sinon pour nous montrer que l’homme peut bien subir des humiliations de la part de ceux qui contredisent la vérité, mais que cette vérité qu’il croit et qu’il prêche n’en souffre aucune atteinte ? De là vient que l’Apôtre disait en parlant de ses chaînes : « Mais la parole de Dieu n’est point enchaînée »[198]. De même le Psalmiste, ou plutôt en sa personne les saints témoins de Dieu, c’est-à-dire les martyrs : « J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé, quant à moi », non point la vérité que j’ai embrassée, non point la parole que j’ai portée ; mais, « moi j’ai été humilié à l’excès ».
3. « J’ai dit dans mon extase : Tout homme est menteur »[199]. Le Prophète par extase entend cette frayeur qui s’empare de la faiblesse humaine, sous la menace des persécutions, ou bien en face des tourments ou de la mort. Tel est le sens que nous donnons à cette expression, parce qu’on retrouve dans le psaume le cri des martyrs. Ce mot d’extase, il est vrai, peut s’entendre aussi de cet état de l’âme hors d’elle-même, non plus sous l’impression de la peur, mais par l’effet d’une révélation sur naturelle. « Pour moi, j’ai dit dans mon extase : Tout homme est menteur ». Dans son effroi il a considéré sa faiblesse, et a vu qu’il ne devait point compter sur lui-même. Car en ce qui regarde l’homme, il est menteur ; mais la grâce de Dieu l’a rétabli dans la vérité, de peur que, cédant aux persécutions de ses ennemis, il ne tût ou même n’abjurât la vérité qu’il avait embrassée ; ainsi qu’il en fut de saint Pierre, qui comptait sur lui-même, et qui avait besoin d’apprendre à n’y point compter à l’avenir. Et si nul ne doit mettre sa confiance dans un homme, il ne saurait compter sur lui-même, puisqu’il est homme. Dans la crainte qui l’a saisi, le prophète a donc vu avec raison que tout homme est menteur ; car ceux que la peur n’affole point de manière à céder aux persécutions par le mensonge, agissent non par leurs propres forces, mais par la grâce de Dieu. Il est donc bien vrai de dire que « tout homme est menteur » ; mais que Dieu est véridique, lui qui a dit : « Je l’ai dit : vous êtes tous des dieux, tous, les enfants du Très-Haut ; et néanmoins, vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme un des princes[200] ». Dieu console ici les humbles, il les remplit non seulement de cette foi qui leur fait croire la vérité, mais de cette confiance qui la tait prêcher, s’ils persévèrent dans la soumission au Seigneur, s’ils n’imitent point l’un des princes ou le diable qui ne s’est point maintenu dans la vérité et qui est tombé. Car si tout homme est menteur, moins ils seront hommes, et moins ils seront menteurs ; et alors ils seront des dieux, les fils du Très-Haut.
4. Le peuple si dévoué des martyrs considère comment le Seigneur dans sa miséricorde n’abandonne point l’infirmité humaine, dont la vue a fait dire en tremblant : « Tout homme est menteur » ; comment il daigne consoler les humbles, remplir de confiance ceux qui tremblaient, en sorte que leur cœur déjà presque mort reprend une vie naturelle, et qu’ils ne mettent plus leur confiance en eux-mêmes, mais en celui qui ressuscite les morts[201], qui rend éloquentes les langues des enfants[202], qui nous dit : « Quand ils vous traduiront, ne vous mettez point en peine de ce que vous devez dire ; ce qu’il vous faudra dire vous sera inspiré à l’heure même ; car ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous[203] ». Voilà ce que considère celui qui avait dit : « Dans mon extase, je l’ai dit : tout homme est menteur » ; et voyant que, par la grâce de Dieu, lui-même est devenu véridique : « Que rendrai-je au Seigneur, s’écrie-t-il, pour tous les biens qu’il m’a rendus[204] ? » Il ne dit point, pour tous les biens qu’il m’a accordés, mais : « pour tout ce qu’il m’a rendu ». Qu’avait donc fait l’homme auparavant, pour que les dons de Dieu ne fussent point une simple faveur, mais une rétribution ? Qu’avait fait l’homme, sinon des fautes ? Dieu a donc rendu le bien pour le mal ; lui à qui les hommes rendent le mal pour le bien. Voilà en effet ce que lui ont rendu ceux qui ont dit : « C’est là l’héritier, venez et tuons-le[205]. »
5. Mais l’interlocuteur cherche ce qu’il doit rendre au Seigneur, et il ne trouve rien, sinon les biens que le Seigneur lui a rendus. « Je prendrai », dit-il, « le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur[206] ». O homme, que ton péché a fait menteur, que la grâce de Dieu a rendu véridique, et qui n’es plus homme dès lors, qui t’a donné ce calice du salut, que tu prendras pour invoquer le nom du Seigneur, et le remercier de tous les biens qu’il t’a rendus ? Qui, sinon celui qui a dit : « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même[207] ? » Qui t’a donné la force de souffrir comme lui, sinon celui qui a, le premier, souffert pour toi ? De là vient que « la mort de ses saints est précieuse aux yeux du Seigneur[208] ». Il l’a achetée de ce même sang qu’il avait répandu pour le salut de ses serviteurs, afin que ces serviteurs n’hésitassent point à répandre leur sang pour lui ; ce qui néanmoins serait un avantage pour eux, et non pour le Seigneur.
6. Que l’esclave acheté à un si grand prix reconnaisse donc sa condition d’esclave, et qu’il dise : « Je suis votre serviteur, ô mon Dieu, et le fils de votre servante[209] ». Il est donc tout à la fois esclave acheté, et fils de la servante. A-t-il été aussi acheté avec sa mère ? Ou bien, parce qu’il est né dans la maison de son maître, et dès lors dépouillé à cause du péché de sa fuite, est-il esclave acheté, parce qu’il a été racheté ? Il est en effet le fils de la servante, en ce sens que toute créature est soumise au Créateur, et doit au véritable maître un véritable service, qui lui vaut la liberté quand elle le fait pleinement ; et voilà que lui vient du Seigneur la grâce de le servir de gré et non par nécessité. Le Prophète est donc fils de cette Jérusalem céleste, qui est notre mère d’en haut, notre mère à tous, et notre mère libre[210]. Libre du péché, mais esclave quant à la justice ; et c’est à ses fils, pèlerins en cette vie, que l’on dit : « Vous êtes appelés à la liberté[211] ». Puis le même Apôtre les réduit ensuite à l’esclavage : « Assujettissez-vous les uns aux autres par la charité[212] ». Puis il leur dit encore : « Lorsque vous étiez esclaves du péché, vous vous affranchissiez de la justice ; maintenant que vous êtes affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu, le fruit que vous en tirez est votre sanctification, et la fin sera la vie éternelle[213] ». Qu’il dise donc à Dieu, cet esclave : Il en est beaucoup, Seigneur, qui se disent martyrs, beaucoup qui se disent serviteurs, parce qu’ils en appellent à votre nom, sous le voile de telle hérésie, de telle erreur ; mais comme ils sont en dehors de votre Église, ils ne sont point les fils de votre servante : « Pour moi, je suis votre serviteur et fils de votre servante ».
7. « Vous avez brisé mes liens, et je vous offrirai un sacrifice de louanges »[214]. Je n’ai trouvé en moi aucun mérite lorsque vous avez brisé mes liens ; aussi vous dois-je un sacrifice de louanges : bien que je me glorifie d’être votre serviteur et le fils de votre servante, ce n’est point en moi, mais bien en vous, Seigneur, mon Dieu, que je me glorifie, puisque vous avez rompu mes liens, afin qu’en revenant de mes erreurs, je vous fusse attaché.
8. « J’accomplirai mes vœux au Seigneur »[215]. Quels vœux accompliras-tu ? Quelles victimes as-tu promises ? Quel encens ? Quels holocaustes ? N’as-tu pas en vue ce que tu disais tout à l’heure : « Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur, et je « vous offrirai un sacrifice de louanges ? » Et en effet, celui qui réfléchit à ce qu’il doit promettre au Seigneur, aux vœux qu’il doit lui rendre, qu’il se voue lui-même, et qu’il s’offre à Dieu. Voilà ce que le Seigneur exige, et ce qui lui est dû. « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »[216], disait le Seigneur en regardant une pièce de monnaie. On rend à César l’argent frappé à son effigie : que l’on rende à Dieu son image.
9. Mais quiconque se souvient qu’il n’est pas seulement serviteur de Dieu, qu’il est encore le fils de sa servante, comprend où il doit rendre ses vœux au Seigneur, en se conformant au Christ et en prenant le calice du salut. « A l’entrée de la maison du Seigneur », dit le Prophète. Cette maison de Dieu est aussi la servante de Dieu, et quelle est la maison de Dieu, sinon son peuple ? Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « En présence de tout son peuple ». Déjà il nomme plus clairement sa mère. Qu’est-ce, en effet, que son peuple, sinon, comme il le dit ensuite : « Au milieu de vous, ô Jérusalem »[217]. C’est alors que l’offrande est agréable au Seigneur, quand elle est faite en paix et avec un esprit de paix. Or, ceux qui ne sont point fils de cette servante, ont préféré la guerre à la paix. Mais, de peur qu’on ne s’imagine que cette entrée de la maison du Seigneur et tout ce peuple désignent le peuple juif, parce que le Prophète a terminé le psaume en disant : « Au milieu de vous, ô Jérusalem », nom qui fait l’orgueil des Israélites selon la chair, écoutez le psaume suivant, composé de quatre versets.
DISCOURS SUR LE PSAUME 116
modifierSUITE DU SERMON PRÉCÉDENT.
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« Nations, louez toutes le Seigneur ; peuples, célébrez tous ses louanges[218] ». Telle est l’entrée de la maison du Seigneur, ou tout ce peuple qui forme la véritable Jérusalem. Qu’ils écoutent surtout, ceux qui n’ont point voulu être les fils de cette cité, qui se sont eux-mêmes retranchés de la communion de tous les peuples. « Parce que sa miséricorde s’est affermie sur nous, et que la vérité du Seigneur demeure éternellement ».[219] miséricorde et la vérité, voilà deux attributs que je vous ai priés de retenir dans le psaume cent-treizième[220]. « La miséricorde du Seigneur s’est affermie sur nous », quand la fureur des nations s’est apaisée, cédant à la sainteté de son nom, par lequel nous est venue la délivrance : « Et la vérité du Seigneur demeure éternellement », soit dans les promesses qu’il a faites aux justes, soit dans ses menaces contre les impies.
DISCOURS SUR LE PSAUME 117
modifierSERMON AU PEUPLE.
modifierCONSTANCE DE L’ÉGLISE.
modifierCette confession dont le Prophète nous parle est une confession de louanges, dans le sens que lui a donné le Sauveur lui-même. Confessons donc le Seigneur parce qu’il est bon, c’est-à-dire que la bonté est son premier attribut, et parce que sa miséricorde est éternelle. Que les grands et les petits, la maison d’Aaron, la maison d’Israël, que tous ceux qui craignent le Seigneur publient la bonté du Seigneur. Avec son secours nous n’avons à craindre ni les hommes ni le démon ; notre confiance sera en Dieu seul. Les nations ont environné l’Église, et les Juifs assailli le Christ, et l’un et l’autre ont été délivrés. Comme les abeilles environnent la ruche pour y déposer le miel, ils ont mis dans le Sauveur la douceur du miel, ils se sont enflammés comme des épines, à sa passion, et en persécutant les martyrs que soutenait le Seigneur, et dont la confiance n’a pas été ébranlée. Cette Église qu’ils voulaient perdre raconte les louanges du Seigneur, qui nous a guéris, qui est lui-même la santé, la pierre angulaire de l’édifice, et le jour où il est devenu cette pierre est vraiment son jour. Bénissons alors celui qui nous a éclairés, établissons une fête éternelle et un éternel alleluia.
1. Nous avons entendu, mes frères, l’Esprit-Saint qui nous avertit et nous presse d’offrir à Dieu la confession comme un sacrifice. Or, il y a confession de louanges, et confession de nos péchés. Cette confession qui nous fait avouer nos péchés à Dieu, est connue de tout le monde ; et même la multitude peu instruite ne reconnaît guère que cette confession dans les saintes Écritures : et chaque fois que l’on entend cette expression dans la bouche du lecteur, on entend aussi qu’on se frappe la poitrine. Mais il faut remarquer dans quel sens un autre psaume a dit : « Voilà que j’entrerai dans le lieu d’un admirable tabernacle ; jusque dans la maison de Dieu, parmi les s cris de l’allégresse et de la confession, dans les cantiques de nos joies solennelles[221] ». Il devient évident que le mot de confession, non plus que son expression, ne marque point ici les douleurs de la pénitence, mais bien les joies d’une grande solennité. Si quelqu’un gardait quelque doute en présence d’un témoignage si clair, que répondrait-il devant cet autre de l’Ecclésiastique « Faites les œuvres du Seigneur, bénissez-le, donnez à son nom la magnificence, confessez-le par les paroles de vos lèvres, par le chant de vos cantiques, par le son de vos harpes, et vous direz dans cette confession : Que toutes les œuvres du Seigneur sont excellentes[222] ? » Il n’est point d’esprit si lourd qui ne puisse comprendre que la confession signifie ici la louange de Dieu ; à moins de pousser la perversité de l’esprit, jusqu’à dire que Notre-Seigneur Jésus-Christ confessait aussi à son Père ses propres péchés. Qu’un impie ose nous le dire, à cause du mot de confession, il nous sera facile de le réfuter par le contexte. Voici en effet ce que dit le Sauveur : « Je vous confesse, ô mon Père, Dieu du ciel et de la terre ; parce que vous avez dérobé ces mystères aux sages et aux prudents, pour les révéler aux petits. Oui, mon Père ; car il vous a plu ainsi[223] ». Qui ne prendra point cette expression pour une louange au Père ? qui ne voit que cette confession n’est point une douleur de l’âme, mais plutôt une joie ; puisque l’Évangéliste a dit avant ces paroles : « A cette heure même, il fut transporté par l’Esprit-Saint et dit : Je vous confesse, ô mon Père[224] ? »
2. Si donc, mes bien-aimés, en face de ces témoignages de l’Écriture, où vous pouvez vous-mêmes en puiser de semblables, il est indubitable que, dans les saintes Lettres, le mot de confession n’a pas seulement le sens d’un aveu des péchés, mais aussi d’une louange en l’honneur de Dieu ; dans ce psaume qui commence par Alléluia, louez Dieu, quel sens plus naturel pouvons-nous donner à ces paroles : « Confessez le Seigneur », que celui d’une louange ? On ne saurait plus abréger la louange du Seigneur, qu’en nous disant : « Parce qu’il est bon[225] ». Je ne vois rien de plus grand que cette brièveté ; car la bonté est tellement un attribut de Dieu, que le Fils de Dieu lui-même s’entendant appeler : « Bon maître », par un homme qui ne voyait en lui que la chair, sans comprendre la plénitude de la divinité qui était en lui, et le croyait simplement un homme, lui répondit : « Pourquoi m’appeler bon ? Nul n’est bon que Dieu seul[226] ». Qu’est-ce dire autre chose, sinon, si tu veux m’appeler bon, comprends que je suis Dieu ? Toutefois, le Psalmiste s’adresse à un peuple qui, pour nous figurer l’avenir, fut délivré de ton labeur, de la captivité, de l’exil, et de tout mélange avec les impies, faveur qu’il obtint par la grâce de Dieu, qui non seulement ne lui rendait pas le mal pour le mal, mais lui rendait au contraire le bien pour le mal ; dès lors c’est avec raison que le Prophète ajoute : « Parce que sa miséricorde est éternelle ».
3. « Que la maison d’Israël publie qu’il est bon, que sa miséricorde est éternelle. Que la maison d’Aaron publie qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle. Que tous ceux qui craignent le Seigneur publient que sa miséricorde est éternelle[227] ». Vous reconnaissez, je crois, mes frères, quelle est la maison d’Israël, la maison d’Aaron ; l’une et l’autre comprennent ceux qui craignent le Seigneur. Ce sont là ces petits et ces grands que, dans un autre psaume, nous vous avons fait remarquer ; or, réjouissons-nous que la grâce de celui qui est bon, et dont la miséricorde est éternelle, nous a mis de leur nombre ; car ils ont été exaucés, ceux qui ont dit : « Que le Seigneur vous multiplie, vous et vos enfants[228] » ; afin d’ajouter les Gentils à ceux des Israélites qui ont cru en Jésus-Christ, et d’où sont venus les Apôtres nos pères ; ce qui met le comble à l’éminence des parfaits et à l’obéissance des petits. Et dès lors formant l’unité dans le Christ, devenus un seul troupeau sous un seul pasteur, et le corps de cette tête adorable, disons tous, comme un seul homme : « Dans ma tribulation j’ai invoqué le Seigneur, et il m’a exaucé en dilatant mon cœur[229] ». Cette affliction qui nous met à l’étroit prend une fin, et cette béatitude où nous passons n’a point de bornes. « Qui donc oserait accuser les élus de Dieu[230] ? »
4. « Le Seigneur est avec moi, je ne craindrai point les efforts d’un homme[231] ». Mais l’Église n’a-t-elle d’ennemis que parmi les hommes ? L’homme adonné à la chair et au sang est-il donc autre chose que chair et sang ? Mais, dit l’Apôtre, « ce n’est point contre la chair et le sang qu’il nous faut combattre ; mais contre les puissances et les princes de ce monde, et de ce siècle ténébreux[232] » : c’est-à-dire, ceux qui dirigent les méchants, les hommes épris du monde, et dès lors des ténèbres ; car nous aussi nous fûmes ténèbres, et maintenant nous sommes lumière en notre Seigneur[233]. « Contre les esprits de malice répandus dans les airs[234] », dit saint Paul, c’est-à-dire contre le diable et ses anges ; et c’est ce même diable qu’il appelle ailleurs le prince des puissances de l’air[235]. Écoute maintenant ce qui suit ; « Le Seigneur est mon soutien, et je mépriserai mes ennemis[236] ». De quelque nature qu’il me vienne des ennemis, soit des hommes méchants, soit des esprits de malice, appuyé sur le Seigneur, je les mépriserai, et nous confessons notre Dieu en chantant l’ Alléluia en son honneur.
5. Mais quand j’aurai bravé mes ennemis de la sorte, que nul homme ne fasse valoir auprès de moi sa bonté, son amitié, pour me forcer à mettre en lui mon espérance. « Car il est meilleur pour moi de me confier en Dieu qu’en aucun homme[237] ». Que nul de ces esprits que l’on peut appeler de bons anges, ne s’impose à moi comme si je lui devais ma confiance ; car nul n’est bon, si ce n’est Dieu. Et quand un homme ou un ange paraissent nous venir en aide, quand ils le font par une vraie charité, c’est Dieu qui le fait par eux, lui qui leur a donné une bonté proportionnée. « Donc il est meilleur pour nous d’espérer en Dieu, que d’espérer dans les princes[238] ». Les anges en effet sont appelés du nom de princes, ainsi que nous lisons en Daniel : « Michel votre prince[239] ».
6. « Toutes les nations m’ont environné, et au nom du Seigneur j’en ai tiré vengeance ; elles m’ont environné de toutes parts, et au nom du Seigneur j’en ai tiré vengeance[240] ». Quand le Prophète nous dit que toutes les nations l’ont environné, et qu’il en a tiré vengeance, il nous montre les travaux et les victoires de l’Église. Mais comme si on lui demandait comment elle a pu surmonter de si grands maux, elle jette les yeux sur le divin modèle, et tout d’abord elle dit qu’elle a souffert dans son chef ; puis elle ajoute : « Ils m’ont serrée de près ». Et c’est avec raison que l’on n’a point ici répété : « Toutes les nations ». Car ce sont les Juifs qui ont agi de la sorte. « Et j’en ai tiré vengeance au nom du Seigneur ». Car le peuple fidèle, ou le corps du Christ, a éprouvé des persécutions de la part des Juifs, au sein desquels a pris naissance cette chair auguste qui fut clouée à la croix, et pour lesquels a été fait tout ce qu’ont opéré, en cette vie du temps, son pouvoir immortel et sa divinité cachée sous une chair visible.
7. « Ils m’ont environné, comme un essaim d’abeilles environne la ruche, ils ont pris flamme, comme le feu dans les épines, et j’en ai tiré vengeance, au nom du Seigneur[241] ». C’est par l’ordre des choses que l’on peut découvrir ici l’ordre des paroles. Car nous savons que le Seigneur, chef de l’Église, tut environné par ses persécuteurs, comme la ruche est environnée par les abeilles, et le Saint-Esprit nous montre, par cette ingénieuse expression, ce que faisaient les Juifs sans le savoir. C’est le miel que les abeilles font dans les ruches. Et les persécuteurs du Christ nous l’ont rendu plus doux par sa passion même : afin que nous puissions goûter et voir combien le Seigneur est doux[242], lui qui est mort à cause de nos péchés, et ressuscité pour notre justification[243]. Mais le Prophète nous dit ensuite : « Ils se sont enflammés « comme le feu dans les épines », ce qu’il est mieux d’entendre du corps de Jésus-Christ, c’est-à-dire de son peuple répandu dans toute la terre ; toutes les nations l’ont environné, puisque c’est des nations qu’il a été formé. « Elles ont pris flamme comme le feu dans les épines », quand elles soumirent au feu de la persécution cette chair pécheresse qui subit les tourments les plus atroces. « Et j’en ai tiré vengeance au nom du Seigneur », dit le Prophète ; soit que cette malice qui leur faisait persécuter les bons, venant à s’éteindre, ils soient entrés dans le peuple chrétien ; soit que ceux d’entre eux qui ont méprisé en cette vie la voix miséricordieuse qui les appelait, doivent à la fin éprouver la justice qui les condamnera.
8. « On m’a poussé comme un monceau de sable pour me faire : tomber, et le Seigneur m’a soutenu[244] ». Quoique le nombre des fidèles fût grand, et que la multitude pût en être comparée au sable qui ne peut se nombrer, et fût réunie en un même corps comme en un monceau ; néanmoins, qu’est-ce que l’homme, si vous, Seigneur, ne vous souveniez de lui[245] ? Il ne dit point : La foule des persécuteurs n’a pu l’emporter sur la foule de mes fidèles ; mais : « Le Seigneur m’a soutenu ». Ces nations persécutrices n’avaient donc aucun moyen d’ébranler et de renverser la multitude des fidèles qui habitaient dans l’unité de la foi, quand ils crurent en celui qui les soutenait tous et chacun en particulier, et partout ; car il n’eût pu faillir à ceux qui l’invoquaient.
9. « Le Seigneur est ma force, il est ma gloire, il est devenu mon salut[246] ». Qui sont donc ceux qui tombent quand on les pousse, sinon ceux qui veulent être à eux-mêmes leur force, à eux-mêmes leur gloire ? Nul ne succombe dans un combat, sinon celui dont la force a succombé comme la louange. C’est pourquoi celui dont le Seigneur est la force et la louange, ne peut succomber non plus que Dieu lui-même. Aussi le Seigneur est-il devenu leur soutien, non qu’il soit devenu ce qu’il n’était pas auparavant ; mais parce que ces fidèles, en croyant en lui, sont devenus ce qu’ils n’étaient pas ; et que le Christ est devenu non pour lui, mais pour eux, un Sauveur après leur conversion, ce qu’il n’était pas quand ils le fuyaient.
10. « Les voix de l’allégresse et du salut sont dans la tente des justes[247] » : où ne supposaient que la voix des larmes et de la mort, ceux qui tourmentaient ainsi leur chair. Ils ne comprenaient pas les joies intérieures que les saints puisent dans l’espérance de l’avenir. De là cette parole de l’Apôtre : « Comme si nous étions tristes, nous qui sommes toujours dans la joie[248] » ; et encore : « Et même nous nous glorifions dans l’affliction[249] ».
11. « La droite du Seigneur a signalé sa force ». De quelle force veut parler le Psalmiste ? « La droite du Seigneur m’a élevé[250] ». C’est une grande force que grandir l’humilité, déifier un mortel, que tirer la perfection de la faiblesse, la gloire de ce qui est abaissé, la victoire de la souffrance, et le secours de l’affliction ; en sorte que le vrai salut soit la part des persécutés, tandis que les persécuteurs n’auront que ce salut futile qui vient de l’homme. Tout cela est grand. Comment s’en étonner ? Écoute ce que répète le Psalmiste. Ce n’est point l’homme qui s’est élevé, ni l’homme qui s’est perfectionné, ni l’homme qui s’est élevé en gloire, ni l’homme qui a vaincu, ni l’homme qui s’est procuré le salut : « C’est la droite du Seigneur qui a signalé sa force ».
12. « Je ne mourrai point, mais je vivrai, pour raconter les œuvres du Seigneur[251] ». Ces bourreaux accumulant les meurtres, croyaient l’Église du Christ exterminée ; et voilà qu’elle raconte les œuvres de Dieu, partout le Christ est la gloire des martyrs. Il a vaincu ceux qui le frappaient par la douleur, les furieux par la patience, les plus violents par la charité.
13. Toutefois, que le corps du Christ, la sainte Église, le peuple d’adoption nous dise pourquoi il a enduré tant d’indignes traitements. « Le Seigneur m’a châtié sévèrement, mais il ne m’a point livré à la mort[252] ». Que cette rage des impies n’attribue rien à ses forces ; elle n’aurait point cette puissance, si elle ne lui était venue d’en haut. Souvent un père de famille fait châtier son enfant par des serviteurs qui sont des scélérats ; et néanmoins c’est au premier qu’il destine son héritage, et des fers aux autres. Quel est cet héritage ? de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, ou bien un fonds de terre, d’agréables jardins ? Vois par où l’on y entre, et comprends ce qu’il est.
14. « Ouvrez-moi », dit-il, « les portes de la justice ». Voilà que nous en connaissons les portes. Quel est l’intérieur ? « En y entrant », dit le Prophète, « je confesserai le Seigneur[253] » ; c’est là une confession de louanges, qui est admirable jusqu’à la maison de Dieu, dans les cris d’allégresse et de la confession, dans les harmonies d’une solennité[254]. Telle est l’éternelle félicité des justes, qui constitue le bonheur de ceux qui habitent la maison du Seigneur, et qui le bénissent dans les siècles des siècles[255].
15. Mais vois comment on entre par les portes de la justice. « Ce sont les portes du Seigneur », dit le Prophète, « et c’est par elles qu’entreront les justes[256] ». Du moins, que nul homme injuste ne puisse les franchir, pour entrer dans cette Jérusalem qui ne reçoit aucun incirconcis, et où l’on dit : « Loin d’ici les chiens[257] ». Qu’il me suffise, dans mon pèlerinage lointain, « d’avoir habité sous les pavillons de César, et d’avoir gardé la paix avec ceux qui n’aimaient pas la paix[258] » ; d’avoir supporté jusqu’à la fin le mélange avec les méchants : mais « voici les portes du Seigneur, c’est par là qu’entreront les justes ».
16. « Je vous confesserai, ô mon Dieu, parce que vous m’avez exaucé et que vous êtes devenu mon sauveur[259] ». À chaque instant on vous montre que c’est là une confession de louanges ; non celle qui découvre ses plaies au médecin, mais celle qui lui rend grâce de la guérison qu’il lui doit. Et le médecin est aussi la santé.
17. Or, quel est ce médecin ? C’est « la pierre qu’ont repoussée ceux qui édifiaient ». Car c’est lui qui « est devenu la pierre de l’angle[260], afin de former en lui ces deux peuples en un seul homme nouveau, d’établir la paix entre eux, les réunissant en un même corps pour les réconcilier avec Dieu[261] ». Et ces deux peuples sont ceux de la circoncision et des Gentils.
18. « C’est le Seigneur qui lui adonné cette mission[262] » ; c’est-à-dire que le Seigneur l’a établi pierre angulaire. Quoique le Seigneur n’en soit arrivé là que par la souffrance, ce ne sont pas néanmoins ceux qui l’ont fait souffrir qui lui ont donné cette mission. Car ceux qui bâtissaient l’édifice l’ont repoussé ; mais, dans l’édifice invisible qu’il élevait, le Seigneur a posé comme pierre angulaire celle que l’on avait repoussée. « Et c’est là une merveille pour nos yeux », c’est-à-dire les yeux de l’homme intérieur, pour les yeux de ceux qui ont la foi, qui ont l’espérance, qui ont la charité ; non pour les yeux charnels de ceux qui l’ont rejeté parce qu’ils ne voyaient en lui qu’un homme.
19. « Voici le jour que le Seigneur a fait[263] ». Notre interlocuteur se souvient donc d’avoir dit, dans les psaumes précédents : « Le Seigneur a incliné son oreille vers moi, et je l’invoquerai en mes jours[264] » ; faisant allusion aux jours du vieil homme. Aussi dit-il maintenant : « Voici le jour que le Seigneur a fait[265] », ou le jour dans lequel il m’a sauvé. Tel est le jour dont il est dit : « Au temps favorable je t’ai exaucé, et au jour du salut je t’ai secouru[266] » : c’est-à-dire au jour où le Christ a été fait tête de l’angle. « Réjouissons-nous dès lors, et tressaillons de joie ».
20. « O mon Dieu, sauvez-moi ; ô mon Dieu, tracez-moi un chemin heureux vers la vérité[267] ». Puisque viennent les jours de salut, « sauvez-moi ». Puisque, au retour d’un long exil, nous nous séparons de ceux qui haïssaient la paix, avec lesquels nous étions en paix, et qui nous faisaient la guerre sans motif, quand nous leur parlions[268], « tracez pour notre retour un chemin heureux », parce que c’est vous qui vous êtes fait notre voie.
21. « Bienheureux, en effet, celui qui vient au nom du Seigneur[269] ». Maudit soit dès lors celui qui vient en son propre nom, ainsi qu’il est dit dans l’Évangile : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez point reçu ; qu’un autre vienne en mon nom, vous le recevrez ». « Nous vous avons béni de la maison du Seigneur ». Je crois qu’aux petits s’adressent ici les parfaits c’est-à-dire ces grands qui touchent de l’esprit, autant qu’on le peut en cette vie, le Verbe qui est Dieu et en Dieu. Et toutefois, ils abaissent leur discours au niveau de ces petits, afin de pouvoir leur dire ce que dit l’Apôtre : « Soit que nous soyons hors de nous-mêmes, c’est pour Dieu ; soit que nous soyons plus calmes, c’est pour vous ; puisque l’amour de Jésus-Christ nous presse[270] ». Les parfaits bénissent donc les petits, de l’intérieur de cette maison de Dieu où la louange en son honneur s’élèvera dans les siècles des siècles ; aussi voyez ce que de là ils annoncent aux hommes.
22. « C’est le Seigneur qui est Dieu, et sa lumière s’est levée sur nous[271] ». Ce Seigneur qui est venu au nom du Seigneur, que les architectes ont repoussé, et qui est devenu la tête de l’angle[272], ce médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme[273] qui est Dieu, qui est égal à son Père, c’est lui qui nous a éclairés, afin que nous comprenions ce que nous avons cru, et que nous vous le prêchions, à vous qui le croyiez déjà, mais sans le comprendre. Afin donc de le comprendre vous-mêmes, « Établissez-vous un jour de fête avec un grand concours de peuple, jusques aux cornes de l’autel » ; c’est-à-dire jusqu’à l’intérieur de la maison de Dieu, de cette maison d’où nous vous avons béni, et qui renferme ce qu’il y a de plus élevé dans l’autel. « Établissez-vous un jour de fête », non plus avec lenteur ni avec indifférence, mais avec un grand concours de peuple. Voilà ce que signifie cette voix de l’allégresse qui solennise un jour de fête, et que font retentir ceux qui marchent dans le lieu d’un tabernacle magnifique, jusqu’à la maison du Seigneur[274]. S’il y a là un sacrifice spirituel, un éternel sacrifice de louanges, il y a là aussi un prêtre éternel, et pour autel éternel l’âme des justes dans une souveraine paix. Pour parler plus clairement, mes frères, quiconque veut comprendre le Verbe qui est Dieu, ne doit point se contenter de cette chair dont le Verbe s’est revêtu pour lui, afin de le nourrir de lait, ni de célébrer sur la terre cette solennité dans l’immolation de l’Agneau ; mais il faut sans délai nous établir en grande foule, jusqu’à ce que nous élevions bien haut notre esprit vers le Seigneur, pour arriver jusqu’au divin tabernacle de celui qui a bien voulu nous donner pour nourriture le lait de son humanité visible.
23. Et là quelle sera notre occupation, sinon de chanter ses louanges ? Que pourrons-nous dire, sinon : « C’est vous qui êtes mon Dieu, je vous confesserai ; c’est vous qui êtes mon Dieu, et je publierai vos grandeurs ; je vous confesserai, Seigneur, parce que vous m’avez exaucé, et que vous vous êtes fait mon Sauveur[275] ? » Ces paroles ne s’exhaleront point avec bruit, mais elles seront l’expression de notre amour qui s’attachera de lui-même au Seigneur ; c’est l’amour qui sera notre voix. Voilà que le Prophète achève par la louange ce qu’il a commencé par la louange. « Confessez le Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle[276] ». C’est ainsi que le Prophète a commencé, ainsi qu’il termine. Car, depuis ce commencement dont nous sommes éloignés, jusqu’à cette fin dernière où nous revenons, il n’est point de joie plus suave que la louange de Dieu, que l’éternel Alléluia.
PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLE VRAI BONHEUR.
modifierLe psaume débute par une invitation au bonheur dont le désir nous est naturel et que nous recherchons même par le péché, quoique ce bonheur ne consiste qu’à marcher dans la voie de Dieu, à nous attacher à lui. Étudier les témoignages de Dieu pour vivre plus saintement, c’est une perfection ; les étudier pour la science en elle-même, ce n’est point chercher le Seigneur de manière à devenir juste. Toutefois le bonheur dans la recherche de Dieu, n’est ici-bas qu’une espérance, comme celui qui consiste à souffrir persécution pour la justice.
AVANT-PROPOS.
modifierJusqu’ici, avec le secours de Dieu, j’ai expliqué soit en parlant au peuple, soit en dictant, et autant que je l’ai pu, tous les psaumes que nous savons renfermés dans le livre des psaumes, et que l’Église appelle communément le psautier. Mais pour le psaume cent-dix-huitièmes, j’en différais l’explication moins encore à cause de sa longueur, qu’à cause de sa profondeur accessible au petit nombre seulement. Mes frères, néanmoins, voyant avec peine que dans mes ouvrages et en ce qui regarde l’explication des psaumes, celui-ci manquait seul, et me pressant vivement d’acquitter ma dette, j’ai différé longtemps de me rendre à leurs prières et à leurs instances ; car toutes les fois que je m’en occupais, je trouvais la tâche au-dessus de mes forces. Plus il paraît clair, en effet, et plus j’y trouvais de profondeur ; au point que cette profondeur même échappait à mes démonstrations. Dans les autres qui sont difficiles à comprendre, bien que l’obscurité nous en dérobe le sens, on voit au moins qu’ils sont obscurs ; mais ici l’obscurité n’est pas même apparente : à la surface il nous paraît facile au point de n’avoir aucun besoin d’interprète, mais seulement d’un lecteur et d’un auditeur. Et maintenant que j’entreprends enfin ce travail, j’ignore complètement si je pourrai l’achever ; je compte néanmoins sur le secours de Dieu qui m’aidera à en expliquer quelque chose. C’est ainsi qu’il m’a aidé, quand j’ai interprété d’une manière suffisante quelques passages qui m’avaient paru d’abord difficiles et en quelque sorte impossibles à comprendre et à expliquer. J’ai résolu de traiter le psaume dans des discours prêchés au peuple, discours que les Grecs appellent homélies. C’est la manière qui me paraît la plus convenable, afin que les réunions des fidèles ne soient point privées de l’intelligence d’un psaume qu’elles entendent chanter avec joie comme tous les autres. Mais terminons ici cet avis, et parlons du psaume auquel nous avons cru devoir ces préliminaires.
1. Ce long psaume, dès le commencement, mes frères bien-aimés, nous convie au bonheur, que nul ne s’abstient de désirer. Pourrait-on, en effet, a-t-on pu, et pourra-t-on jamais rencontrer un homme qui n’aspire point au bonheur ? À quoi bon, dès lors, nous stimuler pour un bien que le cœur humain convoite si naturellement ? Quiconque en stimule un autre, ne se propose que d’activer sa volonté, de la pousser vers l’objet qu’il exhorte à désirer. Pourquoi donc nous engager à vouloir ce qu’il nous est impossible de ne vouloir point, sinon parce que tout homme à la vérité désire le bonheur, mais beaucoup ignorent de quelle manière on y arrive ? Aussi le Psalmiste nous l’enseigne-t-il, en disant : « Heureux les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur »[277]. Comme s’il nous disait O homme, je connais ton désir, tu cherches le bonheur : si donc tu veux être heureux, sois pur d’abord. Tous veulent du bonheur, mais peu veulent de cette pureté sans laquelle on ne saurait parvenir à ce bonheur convoité par tous. Mais où donc l’homme peut-il être sans tache, sinon dans sa voie ? Et quelle est cette voie, sinon la loi du Seigneur ? Cette parole dès lors : « Bienheureux les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur », n’est plus une parole superflue, c’est pour nos cœurs une exhortation bien nécessaire. Elle nous montre combien est avantageux ce qui est si généralement négligé, c’est-à-dire de marcher sans reproche dans cette voie qui est la loi du Seigneur ; elle proclame bienheureux ceux qui en agissent ainsi, afin que pour atteindre ce bonheur auquel tout homme aspire, nous nous déterminions à faire ce que tant d’hommes ne veulent point faire. Être heureux, est en effet un si grand bien, que les bons et les méchants le désirent. Il n’est pas étonnant que les bons soient tels pour y arriver ; mais ce qui est étrange, c’est que les méchants ne sont méchants que pour être heureux. Tout voluptueux, tout homme perdu de débauche ne s’abandonne à ces infâmes jouissances, que pour chercher le bonheur dans ces désordres, et il se croit malheureux quand il ne saurait atteindre la voluptueuse joie qu’il convoite, il vante son bonheur s’il y parvient. Quiconque est en proie aux désirs brûlants de l’avarice, n’amasse par tout moyen des richesses que pour être heureux ; quiconque cherche à répandre le sang de ses ennemis, quiconque veut dominer les autres, quiconque donne en pâture à sa cruauté le malheur des autres, ne cherche que le bonheur dans tous ces crimes. Ce sont donc ces âmes égarées, qu’une véritable misère force à chercher un faux bonheur, que cette voix divine rappelle dans le chemin si l’on veut l’entendre : « Bienheureux les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur » ; comme s’il leur disait : Où allez-vous, infortunées ? Vous allez à la mort sans le savoir. Ce n’est point par là que l’on peut aller où vous prétendez arriver : vous aspirez au bonheur, mais les chemins où vous vous précipitez sont pleins de misère, et conduisent à une misère plus profonde encore. Ne cherchez point un si grand bien par de si grands maux ; si vous voulez y parvenir, venez par ici, suivez cette route. Quittez ces routes perverses, vous qui ne pouvez quitter le désir du bonheur. En vain vous vous épuisez pour aller où vous ne sauriez arriver sans être corrompus. Non, non, ils ne sont point heureux, ces criminels égarés qui marchent dans la corruption du siècle ; mais « ceux-là sont heureux qui sont irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur ».
2. Voyez en effet ce qu’il ajoute : « Bienheureux ceux qui étudient ses témoignages, qui le recherchent de tout leur cœur[278] ». Ces paroles ne me paraissent point désigner un genre de bonheur autre que celui dont il est question auparavant. Car approfondir les témoignages du Seigneur, et le rechercher de toute son âme, c’est être sans reproche dans la voie, marcher dans la loi du Seigneur. Enfin le Prophète continue en disant : « Ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses voies[279] ». Si donc marcher dans la voie, c’est-à-dire dans la loi du Seigneur, c’est approfondir ses ordonnances et le rechercher de toute son âme, assurément commettre l’iniquité ce n’est point sonder ses ordonnances. Et toutefois, nous connaissons des artisans d’iniquité qui approfondissent les ordonnances du Seigneur parce qu’ils préfèrent la science à la justice ; nous en connaissons d’autres qui étudient ces mêmes témoignages du Seigneur, non qu’ils vivent déjà saintement, mais afin d’apprendre comment ils sont obligés de vivre. Ceux-là donc ne sont pas encore sans tache dans la voie du Seigneur, et dès lors n’ont point encore le bonheur. Comment donc faut-il entendre : « Bienheureux ceux qui approfondissent ses témoignages », puisque nous voyons que des hommes qui ne sont point heureux parce qu’ils ne sont point purs encore, étudient néanmoins ces témoignages ? Ces Scribes, en effet, comme ces Pharisiens qui s’asseyaient sur la chaire de Moïse, et dont le Sauveur a dit : « Faites ce qu’ils disent, mais ne faites pas ce qu’ils font ; car ils disent et ne font point[280] », approfondissaient les ordonnances du Seigneur, mais avec la droiture dans leurs discours et l’iniquité dans leurs, œuvres. Mais laissons ces hommes dont on pourrait nous dire avec raison qu’ils ne sondent point les témoignages du Seigneur, puisque en réalité ce ne sont point ces témoignages qu’ils recherchent, et qu’ils poursuivent par ces témoignages un tout autre but, c’est-à-dire la gloire aux yeux des hommes, et la richesse. Car ce n’est pas étudier les témoignages du Seigneur, que n’aimer point ce qu’ils prescrivent et ne vouloir point arriver où ils nous conduisent, c’est-à-dire à Dieu. Si l’on veut néanmoins que ces hommes approfondissent les témoignages du Seigneur, bien qu’ils ne l’y recherchent point lui-même, mais un tout autre but qu’ils veulent atteindre par ce moyen ; assurément ils ne recherchent point Dieu de tout leur cœur, et nous voyons que cette condition qu’ajoute le Prophète n’est point superflue. L’Esprit de Dieu, qui nous parle ici, sachant qu’il en est beaucoup qui étudient les saintes Écritures dans un autre but que celui que Dieu, nous prescrit, ne dit pas seulement : « Bienheureux ceux qui approfondissent ses témoignages » ; mais il ajoute : « Qui le recherchent de tout leur cœur », comme pour nous enseigner de quelle manière, et dans quel but nous devons étudier ces témoignages du Seigneur. Ensuite, au livre de la Sagesse, voici ce que dit la Sagesse elle-même : « Les méchants me cherchent sans me trouver, car ils haïssent la Sagesse[281] ». Qu’est-ce à dire, sinon qu’ils me haïssent moi-même ? Ceux donc qui me haïssent, dit le Seigneur, me cherchent sans me trouver. Comment peut-on dire qu’ils cherchent ce qu’ils haïssent, sinon parce que ce n’est point là ce qu’ils se proposent, mais un tout autre but ? Car ce n’est point pour la gloire de Dieu qu’ils veulent être sages, mais ils veulent paraître sages pour acquérir de la gloire aux yeux des hommes. Comment ne haïraient-ils point la Sagesse qui nous enseigne à mépriser ce qu’ils aiment, et nous en fait un précepte ? « Bienheureux dès lors les hommes irréprochables dans leur voie, qui marchent dans la loi du Seigneur. Bienheureux ceux qui étudient ses témoignages, qui le recherchent de tout leur cœur ». Car c’est en étudiant ses témoignages de manière à le chercher de tout leur cœur, qu’ils marchent irréprochables dans la loi du Seigneur. Et toutefois, ne sondait-il pas ses témoignages, et ne le cherchait-il pas, celui qui disait : « Bon maître, quel bien me faut-il faire pour u avoir la vie éternelle ? » Mais comment aurait-il cherché Dieu de tout son cœur, cet homme qui préférait les richesses à ses conseils, et qui s’en allait tristement après l’avoir entendu[282] ? Le Prophète Isaïe dit à son tour : « Cherchez le Seigneur, et après l’avoir trouvé, que l’impie abandonne ses voies, et l’homme d’iniquité, ses pensées[283] ».
3. Donc les impies et les pécheurs cherchent Dieu, afin de n’être plus ni impies ni pécheurs après qu’ils l’auront trouvé. Comment donc sont-ils heureux parce qu’ils approfondissent les témoignages du Seigneur, et quand ils le cherchent, puisque les impies, puisque les hommes d’iniquité peuvent le faire ? Quel homme serait assez impie, assez inique, pour affirmer que les impies, que les hommes d’iniquité sont heureux ? Ce bonheur des justes est donc en espérance, ainsi qu’il est dit : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice[284] » ; heureux non pour le présent, puisqu’ils sont dans la douleur, mais pour l’avenir, puisque le royaume des cieux est à eux. Et encore : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice[285] », non parce qu’ils ont faim, parce qu’ils ont soif, mais à cause de ce qui suit : « Parce qu’ils seront rassasiés ». Et encore : « Bienheureux ceux qui pleurent » ; non parce qu’ils pleurent, mais à cause de ce qui suit : « Parce qu’ils seront dans la joie[286] ». Donc, bienheureux ceux qui étudient ses témoignages, « qui le recherchent de tout leur cœur » ; non point parce qu’ils étudient et recherchent, mais parce qu’ils doivent trouver un jour ce qu’ils cherchent maintenant. Ils cherchent en effet de tout leur cœur, et non point avec négligence. Si donc ils sont heureux par l’espérance, peut-être aussi ne sont-ils purs qu’en espérance. Car en ce qui est de cette vie, bien que nous marchions dans la voie du Seigneur, bien que nous examinions ses ordonnances et que nous le cherchions de tout notre cœur, « si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous[287] ». Mais examinons avec plus de soin. Le Psalmiste continue en effet : « Ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses commandements ». D’où nous pouvons voir que ceux qui marchent dans la voie du Seigneur, c’est-à-dire dans sa loi, en étudiant ses témoignages, en le recherchant de tout leur cœur, peuvent déjà être purs, c’est-à-dire exempts de péchés, à cause de ces paroles qui suivent : « Ce ne sont point en effet ceux qui commettent l’iniquité qui marchent dans ses voies. Or, celui qui commet le péché, commet l’iniquité » ; dit saint Jean qui ajoute « Et le péché est l’iniquité[288] ». Mais il faut terminer notre discours, et nous ne pouvons restreindre une si grande question au peu de temps qui nous reste.
DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA VOIE DU SEIGNEUR.
modifierCelui qui commet l’iniquité ne marche pas dans la voie du Seigneur. Or, tout homme est pécheur et le péché c’est l’iniquité ; donc nul homme ne marche dans cette voie. Croire en effet que nous sommes sans péché, c’est le comble de l’orgueil ; dire que nous sommes en état de péché, sans le croire, c’est l’hypocrisie. Toutefois les saints marchent dans les voies du Seigneur, et néanmoins ils ont l’iniquité, puisque saint Paul faisait le mal qu’il ne voulait pas. Ainsi le péché habitait en lui, et néanmoins il marchait dans la voie du Seigneur.
1. Il est écrit dans notre psaume, nous le lisons, et c’est une vérité, que « ceux qui commettent l’iniquité ne marchent pas « dans les voies du Seigneur[289] ». Mais, avec le secours de Dieu, entre les mains de qui nous sommes, ainsi que nos discours[290], faisons en sorte qu’une parole si vraie ne vienne pas à troubler le lecteur ou l’auditeur qui la comprendrait mal : Ce sont en effet tous les saints qui nous tiennent ce langage : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous[291] ». Il nous faut éviter dès lors, ou de les regarder comme en dehors des voies du Seigneur, parce que le péché c’est l’iniquité, et que ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses voies, ou parce qu’il n’est pas douteux qu’ils marchent dans les voies du Seigneur, de croire qu’ils n’ont aucun péché, ce qui est faux. Ce n’est point en effet pour réprimer notre arrogance ou notre orgueil qu’il est écrit : « C’est nous séduire que dire que nous sommes sans péché ». Autrement l’Apôtre n’aurait pas ajouté : « Et la vérité n’est point en nous » ; mais il dirait : « L’humilité n’est point en nous » ; surtout que le texte suivant donne au sens sa plus grande clarté et vient lever toute espèce de doute. À ces paroles en effet, saint Jean ajoute : « Mais si nous confessons nos fautes, Dieu est fidèle et juste pour nous remettre nos péchés et nous purifier de toute iniquité[292] ». Que peut répondre, que peut opposer à cette parole la plus orgueilleuse impiété ? Si c’est pour confondre notre orgueil, et non pour proclamer une vérité, que les saints ne se disent pas sans péché, pourquoi cette confession, afin de mériter le pardon et la justification ? Est-ce encore là un moyen d’éviter l’orgueil ? Comment alors une confession mensongère leur obtiendrait-elle une véritable rémission des fautes ? Silence donc à cette feinte orgueilleuse, mort à cette plainte chétive qui se séduit elle-même, qui vient sous le voile de l’humilité dire à l’oreille des hommes qu’elle est en péché, tandis qu’un orgueil impie lui fait dire au fond de son âme qu’elle est sans faute. Tenir ce langage, c’est nous séduire nous-mêmes, c’est n’avoir point en nous la vérité. Parler ainsi devant les hommes, non seulement c’est nous séduire nous-mêmes, c’est encore séduire les autres en les infestant d’une doctrine si corrompue. Mais tenir ce langage dans le secret de leur cœur, c’est là se séduire soi-même, c’est n’avoir point en soi-même la vérité ; c’est mettre dans son propre cœur la séduction, et dès lors c’est perdre au fond de son âme la lumière de la vérité. Dès lors, que la famille du Christ, famille sainte, qui fructifie et s’accroît dans le monde, qui est vraiment dans la vérité et vraiment dans l’humilité, que celte famille s’écrie : « Si nous disons que nous n’avons aucun péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous. Si nous allons jusqu’à confesser à Dieu nos fautes, il est juste et fidèle, au point de nous pardonner nos péchés et de nous purifier de nos fautes ». Puisse notre cœur le sentir, comme notre langue le profère. Car l’humilité n’est véritable que quand elle ne consiste pas seulement en paroles, de manière que, selon la parole de saint Paul, « sans nous élever à des pensées trop hautes, nous nous accommodons à ce qu’il y a de plus humble[293] ». L’Apôtre ne dit point que nous parlions, il dit que nous nous accommodions, ce qui n’est point l’affaire de la langue, mais celle du cœur. Ainsi donc, ô hypocrite, dire que tu es en péché, sans le croire dans ton cœur, c’est feindre l’humilité au-dehors, et à l’intérieur embrasser la vanité. C’est donc n’avoir la vérité ni dans la bouche, ni dans le cœur. De quoi te servira que tes paroles soient humbles aux yeux des hommes, si Dieu voit l’enflure dans tes pensées ? Que l’oracle divin crie à ton oreille : Loin de toi toute parole orgueilleuse : tu mériterais néanmoins d’être condamné si les paroles de ta bouche étaient humbles devant les hommes, tandis que devant. Dieu les paroles de ton cœur seraient pleines d’enflure. Mais quand il dit formellement : « Au lieu de t’enorgueillir, crains plutôt[294] », il n’est point question ici de langage, mais plutôt de sentiments ; pourquoi l’humilité ne serait-elle point dans le cœur, comme le sentiment est dans le cœur ? L’enflure de l’âme ne couvrirait-elle donc, dans notre langage, qu’une humilité menteuse ? Tu lis, ou plutôt tu entends : « Au lieu de t’enorgueillir, crains plutôt » ; et tu t’élèves dans tes sentiments, au point de te croire sans péché ; et pour ne point en passer par la crainte, tu n’as d’autre ressource que l’orgueil.
2. Mais, diras-tu, pourquoi donc est-il écrit : « Tous ceux en effet qui commettent l’iniquité, ne marchent pas dans ses voies ? » Eh ! les saints du Seigneur ne marchent-ils pas dans les voies du Seigneur ? S’ils marchent dans ses voies, ils ne commettent point d’iniquité ; s’ils ne commettent point d’iniquité, ils n’ont aucun péché ; car « c’est l’iniquité qui est le péché[295] ». Ah ! levez-vous pour me secourir, Seigneur Jésus, et qu’à l’hérétique orgueilleux je puisse opposer l’humble aveu de l’Apôtre. Où est donc cet homme qui fait le vide en lui-même pour n’être plein que de vous ? Écoutons-le, saies frères, interrogeons-le sur cette question, s’il vous plaît, ou mieux, parce qu’il vous plaît. Dites-nous donc, ô bienheureux Paul, si vous marchiez dans les voies du Seigneur, lorsque vous viviez encore en cette chair ? Mais, nous répond-il, pourquoi m’écriais-je alors « Toutefois, marchons dans la voie où nous sommes arrivés[296] ? » Pourquoi dire encore : « Tite vous a-t-il donc circonvenus ? N’avons-nous pas marché dans le même esprit et suivi les mêmes traces[297] ? » Pourquoi dire : « Tant que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur, car nous n’allons à lui que par la foi, et nous ne le voyons pas à découvert[298] ? » Quelle voie nous conduit plus sûrement au Seigneur, que la foi dont vit le juste en ce monde[299] ? Dans quelle autre voie pouvais-je marcher quand je disais : « En tous cas, oubliant ce qui est derrière moi, je m’avance vers ce qui est devant moi, je m’efforce d’atteindre le but, pour remporter le prix auquel Dieu m’a appelé d’en haut par Jésus-Christ[300] ? » Enfin, dans quelle voie pouvais-je courir quand je disais : « J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma carrière[301] ? » Que ces citations nous suffisent pour montrer que l’apôtre saint Paul marchait dans la voie du Seigneur ; mais interrogeons-le sur un autre point. Dites-nous, ô saint Apôtre, je vous en supplie, quand vous viviez dans la chair, marchant dans les voies du Seigneur, aviez-vous quelque péché, ou viviez-vous sans péché ? Voyons s’il se séduira lui-même, ou bien s’il sera d’accord avec le bienheureux Jean, apôtre comme lui ; car la vérité était en eux[302]. Voici donc sa réponse : N’avez-vous point lu cet aveu que j’ai fait : « Ce que je fais, ce n’est point le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas[303] ? » Voilà ce que nous entendons ; mais demandons ensuite : Comment donc marchiez-vous dans les voies du Seigneur, si vous faisiez précisément le mal que vous ne vouliez pas ; puisque la parole du psaume est formelle : « Ceux qui commettent l’iniquité ne marchent point dans ses voies ? » Écoutons maintenant sa réponse dans la pensée suivante : « Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui agis de la sorte, mais le péché qui habite en moi[304] ». Voilà comment ceux qui marchent dans la voie du Seigneur ne commettent point l’iniquité, bien qu’ils ne soient point sans péché ; car s’ils ne le commettent point eux-mêmes, le péché néanmoins habite en eux.
3. Mais, dira-t-on, comment, d’une part, l’ Apôtre faisait-il le mal qu’il ne voulait pas, et comment, d’autre part, n’était-ce point lui qui le commettait, mais le péché qui habitait en lui ? En attendant que nous répondions, une difficulté est déjà résolue, et il devient évident par l’autorité de l’Écriture sainte, qu’il est possible que nous marchions dans les voies du Seigneur, sans être exempts de péché, bien que nous ne le commettions point nous-mêmes. « Ceux qui commettent l’iniquité », c’est bien là le péché, puisque le péché est une iniquité, « ceux-là ne marchent point dans les voies du Seigneur ». Maintenant, comme il faut finir ce discours, réservons pour un autre à expliquer comment c’est l’homme qui commet le péché à cause de ce corps de mort soumis à la loi du péché, et comment il ne le commet point dès qu’il marche dans les voies du Seigneur.
TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLE PÉCHÉ DANS L’HOMME JUSTE.
modifierSi saint Paul marche dans la voie du Seigneur, quoique le péché habite en lui, il suit de là que le péché stimule en nous les désirs déréglés, mais que le consentement seul nous rend coupables. Ce péché ne cessera d’habiter en nous que quand notre corps sera devenu immortel. Toutefois, ceux-là mêmes qui sont dans les voies du Seigneur, implorent la rémission de leurs dettes, c’est-à-dire des fautes de surprise, qui sont fréquentes. Les voies de Dieu se résument dans la foi : donc l’incrédulité est le péché de ceux qui ne marchent point dans ces voies. Qu’ils reviennent au Seigneur, et ils trouveront en lui miséricorde et vérité.
1. Cette parole de notre Psaume : « Ceux qui commettent l’iniquité, ne marchent « point dans ses commandements[305] », comparée à cette autre de saint Jean, que « le péché c’est l’iniquité », a soulevé une question difficile à résoudre. Comment les saints qui sont en cette vie peuvent-ils, d’une part, n’être point sans péché, puisqu’il est vrai de dire : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est point en nous[306] » ; et d’autre part, marcher néanmoins dans les voies du Seigneur, dans lesquelles ne marchent point ceux qui commettent l’iniquité ? Telle est la question résolue par ce mot de saint Paul : « Ce n’est point moi qui agis de la sorte, mais le péché qui habite en moi[307] ». Comment peut être sans péché celui en qui habite le péché ? Saint Paul est néanmoins dans la voie du Seigneur, dans laquelle ne marchent point ceux qui commettent l’iniquité ; car ce n’est point lui qui commet le mal, mais le péché qui habite en lui. Toutefois, cette question n’est résolue que pour en faire naître une plus grave. Comment un homme peut-il faire ce qu’il ne fait pas ? Car l’Apôtre a dit l’un et l’autre : « Ce n’est point ce que je veux, que je fais » ; et : « Ce n’est point moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi[308] ». D’où il nous faut comprendre que quand le péché agit en nous, ce n’est point nous qui agissons, dès lors que notre volonté n’y donne aucun consentement, et retient même les membres de notre corps, de peur qu’ils n’obéissent à ses désirs. Que peut faire en nous le péché malgré nous, sinon stimuler seulement des désirs déréglés ? mais si nous n’y donnons aucun assentiment, c’est une aspiration soulevée en nous, mais qui n’obtient aucun effet. C’est là le précepte que nous donne saint Paul : « Que le péché ne règne point en votre corps mortel, jusqu’à vous faire obéir à ses désirs déréglés, afin que vous n’abandonniez plus vos membres au péché comme des instruments d’iniquités[309] ». Il est en effet certains désirs du péché auxquels il nous défend d’obéir. Ces désirs opèrent donc le péché, et pour nous, y obéir, c’est commettre le péché ; et toutefois si, conformément à l’avis de l’Apôtre, nous n’y cédons point, ce n’est point nous qui agissons[310], mais le péché qui habite en nous. Et, si nous n’éprouvions aucun de ces désirs, il ne se commettrait aucun mal en nous, ni de notre part, ni de la part du péché. Mais quand se soulèvent en nous de ces désirs illicites qui nous laissent inactifs, si nous n’y obéissons point, il est dit néanmoins que c’est nous qui agissons, parce qu’ils ne sont point l’effet d’une force étrangère, mais des faiblesses de notre nature, faiblesses dont nous serons entièrement délivrés, quand notre corps sera devenu immortel aussi bien que notre âme. Donc, d’une part, dès lors que nous marchons dans les voies du Seigneur, nous n’obéissons point aux désirs du péché, et d’autre part, comme nous ne sommes point sans péché, nous en avons les désirs. Ce n’est donc point nous qui formons ces désirs, puisque nous n’y obéissons point, mais ils sont l’œuvre du péché qui habite en nous et qui les soulève. « Car ils ne marchent point dans les voies du Seigneur, ceux qui commettent l’iniquité », c’est-à-dire qui se laissent aller aux désirs du péché.
2. Mais, cherchons encore ce que nous demandons à Dieu de nous pardonner, quand nous disons : « Remettez-nous nos dettes[311] » ; sont-ce les fautes que nous commettons en obéissant aux désirs du péché, ou bien voulons-nous qu’il nous pardonne ces désirs, qui ne viennent point de nous, mais du péché qui habite en nous ? Autant que j’en puis juger, tout ce qu’il y a de coupable dans cette faiblesse qui soulève en nous ces convoitises déréglées, que saint Paul nomme péché, est effacé par le sacrement de baptême, ainsi que toutes les fautes que nous avons commises en y obéissant dans nos actes, dans nos paroles, dans nos pensées, et quoique cette faiblesse demeurât en nous, elle ne nous serait point nuisible, si nous n’obéissions jamais à ses désirs, ni en actions, ni en paroles, ni par un secret assentiment, jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement guérie quand s’accomplira cette prière : « Que votre règne arrive » ; ou bien : « Délivrez-nous du mal[312] ». Mais, comme la vie de l’homme sur la terre est une épreuve[313] ; bien que nous soyons fort éloignés du crime, nous ne manquons pas d’occasions néanmoins d’obéir aux désirs du péché, ou en actions, ou en paroles, ou en pensées, lorsque, prenant garde aux grandes fautes, nous sommes surpris par des fautes plus légères ; et toutes ces fautes rassemblées contre nous, pourraient, sinon nous briser chacune par leur poids, du moins toutes ensemble nous accabler par leur masse. De là vient que ceux-là mêmes qui marchent dans la voie du Seigneur, disent aussi : « Remettez-nous nos dettes[314] » ; car à ces voies du Seigneur appartiennent aussi la prière et la confession, quoique les péchés ne leur appartiennent pas.
3. C’est pourquoi dans ces voies du Seigneur, toutes renfermées dans la foi, par laquelle on croit en Celui qui justifie l’impie[315], et qui dit encore : « Moi je suis la voie[316] », nul ne commet le péché, mais chacun le confesse. Tout pécheur s’écarte donc de la voie, et dès lors on ne saurait attribuer à la voie le péché commis par celui qui s’en écarte ; mais dans le chemin de la foi, on regarde comme ne péchant point ceux à qui Dieu n’impute aucun péché. C’est de ces hommes que saint Paul, en relevant la justice qui vient de la foi, nous montre qu’il est écrit dans le psaume : « Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts : bienheureux l’homme à qui le Seigneur n’impute aucun péché[317] ». Voilà ce que l’on rencontre dans la voie du Seigneur ; et dès lors, comme « le juste vit de la foi[318] », cette iniquité qui consiste dans l’infidélité nous éloigne de la voie du Seigneur. Quiconque dès lors marche dans cette voie, c’est-à-dire dans une foi pieuse, ou ne commet aucune faute, ou s’il en commet quelqu’une en s’égarant quelque peu, elle ne lui est pas imputée à cause de cette même voie, et il est comme s’il n’en avait commis aucune. Ainsi donc, dans cet oracle du Prophète : « Ce n’est point dans ses voies qu’ils marchent, ceux qui commettent l’iniquité », on doit entendre par iniquité, ou s’écarter de la foi ou ne point s’en approcher. C’est en ce sens que le Seigneur a dit des Juifs : « Si je n’étais venu, ils n’auraient aucun péché[319] ». Et toutefois, ils n’étaient pas sans péché avant que le Christ vînt en sa chair, et ils ne sont point demeurés sans péché depuis son avènement, mais le Sauveur a voulu caractériser un péché spécial, c’est-à-dire l’infidélité, parce qu’ils n’ont pas cru en lui. De même ceux qui commettent l’iniquité, non point toute iniquité, mais celle qui consiste dans l’infidélité, ne marchent point dans ses voies ; car « toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité[320] » ; l’une et l’autre sont dans le Christ, et nulle part en dehors du Christ. « Or », nous dit saint Paul, « je déclare que le Christ a été ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu, et de confirmer les promesses faites à nos pères, que les Gentils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde[321] ». Il y a donc miséricorde en ce qu’il nous a rachetés ; il y a vérité en ce qu’il a accompli ce qu’il a promis, et qu’il accomplira ce qu’il promet encore. « Ceux donc qui commettent l’iniquité », c’est-à-dire qui sont incrédules, « n’ont pas marché dans ses voies », puisqu’ils n’ont point cru au Christ. Donc, qu’ils se convertissent et qu’ils croient humblement en Celui qui justifie l’impie[322], et dès lors ils retrouveront en lui toutes les voies du Seigneur, c’est-à-dire la miséricorde par le pardon de leurs péchés, et la vérité par l’accomplissement des promesses divines ; car, marchant dans ces voies, ils ne commettront point l’iniquité, parce qu’ils éviteront toute infidélité pour embrasser la foi qui agit par amour[323], et à laquelle Dieu n’impute aucun crime.
QUATRIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierL’OBÉISSANCE AUX PRÉCEPTES.
modifierLes Grecs ont dit avec raison « rien de trop », quand il s’agit de régler notre vie. Mais quand le Prophète veut que l’on garde les préceptes de Dieu « à l’excès », cela signifie : complètement ; il implore ensuite la grâce du Seigneur afin d’obéir à ses décrets, qu’il ne lui suffit pas de connaître pour les accomplir, et qui seraient pour lui un sujet de confusion, s’il ne les accomplissait point. Les accomplir, ce sera une confession glorieuse, aussi Dieu ne l’abandonnera-t-il point complètement.
1. Quel est, mes frères, celui qui dit au Seigneur : « C’est vous qui avez ordonné que l’on gardât à l’excès vos préceptes ; puissent mes voies se redresser, en sorte que j’obéisse à vos décrets ; je ne serai point confondu quand j’aurai considéré vos commandements ? »[324] Qui donc parle de la sorte, sinon tout membre du Christ, ou plutôt le corps entier du Christ ? Mais que signifie cette parole : « Vous avez ordonné que l’on gardât vos commandements à l’excès ? » Cette expression à l’excès signifie-t-elle, ou que Dieu a ordonné à l’excès, ou qu’il faut les garder à l’excès ? Quel que soit le sens que nous lui donnions, elle paraît contradictoire à cette fameuse et admirable maxime que les Grecs relèvent dans leurs sages avec des éloges auxquels ont applaudi les Latins : « Ne quid nimis, Rien de trop[325] ». S’il est vrai en effet qu’il ne faut rien de trop, comment se vérifiera ce qui est dit ici : « Vous avez ordonné que l’on gardât vos préceptes à l’excès ? » Eh ! comment y aurait-il excès ou dans l’ordre de Dieu, ou dans l’accomplissement de ses commandements, si tout excès était blâmable ? Nous dirions donc volontiers que les sages de la Grèce n’ont aucune autorité sur nous, en face de cette parole de l’Écriture : « Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde[326] » ; et ne serions-nous pas disposés à rejeter comme faux cet adage : « Rien de trop », plutôt que cette parole sainte que nous lisons et que nous chantons : « Vous avez ordonné que l’on gardât vos commandements à l’excès » ; si nous n’en étions détournés plus encore par la droite raison que par la futilité des Grecs ? Cette expression en effet, nimis, trop, exprime tout ce qui dépasse le nécessaire. Le peu et le trop sont deux opposés. Peu est au-dessous du nécessaire, et trop est au-dessus. Entre ces deux extrêmes, on peut intercaler assez. Or, comme il est très utile pour régler notre vie et nos mœurs de ne rien faire au-delà du nécessaire, nous devons adopter comme expression de la vérité cet adage : Rien de trop, et non le rejeter comme faux. Mais souvent la langue latine abuse de cette expression, et souvent, dans les saintes Écritures, « trop » signifie beaucoup, et dans nos sermons nous lui donnons le même sens. Ici en effet : « Vous avez ordonné que l’on gardât vos commandements à l’excès », l’expression à l’excès ou trop, signifie complètement. Nous disons aussi : Je vous aime trop, en parlant à quelqu’un qui nous est cher, non que nous l’aimions plus qu’il ne faut, mais seulement pour exprimer une grande affection. Enfin, dans la maxime grecque, on ne lit point l’expression que nous trouvons ici ; cette maxime porte agan qui signifie trop : tandis qu’il y a ici sphodra, qui signifie beaucoup. Mais, comme nous l’avons dit, on trouve l’expression nimis, trop, qui a ici le sens de valde, beaucoup, et nous la répétons en ce sens. De là ’vient que plusieurs exemplaires latins, au lieu de nimis portent valde: « Vous avez ordonné que l’on gardât vos ordonnances parfaitement ». Dieu donc l’a parfaitement ordonné, et ses préceptes doivent être parfaitement accomplis.
2. Mais voyez ce qu’ajoute l’humble piété ou la pieuse humilité, et la foi qui n’est point oublieuse de ses bienfaits « Puissent mes voies se redresser, afin que j’obéisse à vos décrets »[327]. Quant à vous, Seigneur, vous avez ordonné, mais puissiez-vous m’accorder de faire ce que vous avez ordonné. Cette expression « puissent » doit te désigner un désir, et devant un désir tu dois déposer tout orgueilleuse présomption. Comment exprimer le désir de ce qui serait tellement au pouvoir de notre libre arbitre, que nous pourrions l’obtenir sans aucun secours ? Si donc l’homme souhaite ce que Dieu ordonne, il doit demander à Dieu qu’il nous fasse accomplir ses préceptes. De qui pourrions-nous l’obtenir, sinon de celui qui est u le Père des lumières, de qûi nous u viennent toute grâce excellente et tout don « parfait[328] », comme le dit l’Écriture ? Mais à l’encontre de ceux qui s’imaginent que le secours divin, pour accomplir toute justice, se borne à nous faire connaître les préceptes du Seigneur, en sorte que ces préceptes une fois connus, s’accomplissent, sans aucune grâce de Dieu, mais par les seules forces de notre volonté, le Prophète ne désire le redressement de ses voies pour accomplir les préceptes divins, qu’après avoir appris ces mêmes préceptes, par le divin législateur. Car c’est dans ce dessein qu’il dit tout d’abord : « C’est vous qui avez ordonné que l’on gardât vos préceptes d’une manière parfaite ». Or, vos préceptes sont saints, justes et bons ; mais à l’occasion de ce qui est bon, le péché me cause la mort[329], si je n’ai le secours de votre grâce : « Puissent dès lors mes voies se redresser, afin que je garde vos décrets ».
3. « Je ne serai point couvert de confusion, tant que je serai attentif à tous vos préceptes[330] ». Qu’on lise ou qu’on repasse dans sa mémoire les commandements de Dieu, il faut les regarder comme un miroir, selon cette parole de l’apôtre saint Jacques : « Si quelqu’un écoute la parole, sans l’accomplir, il ressemble à un homme qui regarde sa face dans un miroir ; il s’est regardé et il s’en va, oubliant à l’heure même ce qu’il était ; mais l’homme qui inédite la loi parfaite, la loi de liberté, e n’écoutant pas seulement pour oublier aussitôt, mais faisant ce qu’il écoute, celui-là sera heureux en ses œuvres[331] ». Voilà ce que veut être notre interlocuteur, regarder les préceptes de Dieu comme dans un miroir, afin de n’être point confondu : il ne veut point seulement les entendre, mais encore les accomplir. C’est pour cela qu’il redresse ses voies, afin de garder les commandements de Dieu, Comment les redresser, sinon par la grâce de Dieu ? Autrement il n’aurait point dans la loi de Dieu un sujet de joie, mais un sujet de confusion, s’il étudiait les préceptes sans les pratiquer.
4. « Je vous confesserai, ô mon Dieu, dit le Prophète, dans la droiture de mon cœur, quand j’aurai appris les jugements de votre justice[332] ». Ce n’est point là une confession de péché, mais une confession de louange, dans le même sens que parlait celui qui était sans péchés et qui disait : « Je vous confesse, ô mon Père, Seigneur de la terre et du ciel[333] » ; et comme il est écrit au livre de l’Ecclésiastique : « Vous direz dans votre confession : Toutes les œuvres du Seigneur sont parfaitement bonnes[334]. « Je vous confesserai », dit le Psalmiste, « dans la droiture de mon cœur ». Assurément, si mes voies sont redressées, je vous confesserai, parce que ce sera votre ouvrage, et qu’à vous en sera due la gloire, et non à moi. C’est alors que « je vous confesserai parce que j’aurai appris les jugements de votre justice », si mon cœur est droit, c’est-à-dire si mes voies sont redressées pour garder vos ordonnances. De quoi me servirait en effet de les avoir apprises, si mon cœur perverti me fait marcher dans les voies de l’erreur ? Car elles ne feront point ma joie, mais ma condamnation.
5. Le Prophète ajoute « Je garderai vos préceptes[335] ». Paroles qui sont amenées par ce qui précède : « Puissent mes voies se redresser pour garder vos préceptes : alors je ne serai point confondu tant que je serai attentif à vos commandements ; je vous confesserai dans la droiture de mon cœur, et je garderai vos préceptes ». Mais que veut dire cette autre parole : « Ne m’abandonnez pas entièrement » ou « à l’excès », comme dans certains exemplaires qui ont nimis, à l’excès, au lieu de valde, totalement ; car la même expression grecque, sphodra se trouve encore ici : le Prophète voudrait-il être abandonné de Dieu, mais pas « totalement ? » Loin de là. Mais comme Dieu avait abandonné te monde à cause du péché, il aurait de même abandonné « totalement » l’interlocuteur, s’il n’eût profité de ce remède ineffable, c’est-à-dire de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Mais maintenant, à cause de cette prière que lui fait le corps entier du Christ, Dieu ne l’a point abandonné totalement, puisque « Dieu était dans le Christ se réconciliant le monde[336] ». On peut encore considérer ces paroles comme l’aveu d’un homme qui aurait dit dans son abondance et dans sa confiance en lui-même : « Je ne serai point ébranlé éternellement[337] » et alors, pour lui montrer que s’il est établi dans sa beauté et dans sa force, ce n’est point par son mérite, mais par un effet de la bonté divine, Dieu a détourné de lui sa face et t’a jeté dans la confusion[338]. Il se reconnaît, et sans présumer de lui-même, il s’écrie : « Ne m’abandonnez point totalement ». Si vous m’abandonnez de manière à laisser voir ma faiblesse, ne m’abandonnez pas complètement, de peur que je ne périsse. « C’est donc vous qui avez ordonné que l’on gardât vos préceptes parfaitement ». Je ne puis me couvrir de mon ignorance. Mais comme je suis infirme : « Puissent mes voies se redresser, afin que je garde vos préceptes. Alors je ne serai point confondu, tant que je serai attentif à vos ordonnances ; et je vous confesserai dans la droiture de mon cœur, quand j’aurai appris les jugements de votre justice, et alors je garderai vos ordonnances » ; et si vous m’abandonnez, afin que je ne me glorifie plus en moi-même, ne m’abandonnez pas entièrement ; et alors, justifié par vous, je me glorifierai en votre bonté.
CINQUIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLE REDRESSEMENT DE NOS VOIES.
modifierLe jeune homme redresse ses voies en gardant les préceptes de Dieu. Ici homme désigne le genre humain ; la jeunesse est mise en avant comme le temps le plus convenable, ou peut-être par allusion prophétique au prodigue de l’Évangile, ou parce que tout homme redressant ses voies est jeune par la grâce, qui nous est nécessaire pour observer la loi de Dieu si disproportionnée à nos forces. Aussi le Prophète supplie-t-il le Seigneur de lui enseigner ses préceptes comme les savent ceux qui les pratiquent.
1. Considérons, mes Frères, les versets suivants, et tâchons d’en pénétrer le sens autant que Dieu nous en fera la grâce : « Comment la jeunesse redressera-t-elle ses voies ? En gardant vos paroles[339] ». Le Prophète s’interroge et se répond à lui-même : « En quoi la jeunesse corrige-t-elle ses voies ? » Voilà l’interrogation. Voici la réponse « En gardant vos paroles ». Mais, ici, garder les paroles de Dieu, doit s’entendre de l’accomplissement de ses préceptes. En vain les garderait-on dans sa mémoire, si on ne les gardait aussi dans les mœurs. Il est des hommes en effet qui savent les préceptes de Dieu, et travaillent à ne point les oublier, mais ne travaillent point à vivre de manière à se corriger. Or, le Prophète ne dit point Comment la jeunesse exerce-t-elle sa mémoire ? Mais « En quoi la jeunesse corrige-t-elle ses voies ? » Et à cette question il répond : « En gardant vos paroles ». Or, on ne saurait dire que la voie est redressée quand la vie est perverse.
2. Mais que vient faire ici la jeunesse ? Car le Prophète eût pu dire : « En quoi l’homme corrige-t-il sa voie ? » et se servir du mot homo ou vir. L’Écriture en use souvent ainsi pour désigner le genre humain par le sexe qui est le plus noble, et dans cette manière de parler, elle exprime le tout par la partie. Car on ne saurait dire qu’une femme ne soit point heureuse, dès lors qu’elle n’a point assisté au conseil des méchants ; et toutefois, le Prophète a dit : « Bienheureux l’homme »[340]. Mais ici il n’emploie ni le mot homo ni le mot vir; mais seulement le plus jeune. Faut-il donc désespérer du vieillard ? Ou bien ce vieillard redresserait-il ses voies, autrement qu’en gardant les préceptes du Seigneur ? Ne serait-ce point là une indication du temps où ce redressement doit principalement avoir lieu, selon qu’il est écrit ailleurs « Mon fils, dès ta jeunesse reçois l’instruction, et tu obtiendras la sagesse jusqu’en tes derniers jours[341] ? » On peut néanmoins, dans un autre sens, reconnaître ici le plus jeune fils de l’Évangile, qui avait fui son père pour s’en aller dans une région lointaine, pour dissiper son bien en vivant avec des femmes débauchées, et qui, après avoir fait paître les pourceaux, cédant à la faim et à la misère, rentre en lui-même et dit : « Je me lèverai et j’irai à mon Père ». En quoi a-t-il redressé ses voies, sinon en gardant les préceptes du Seigneur, dont il était affamé comme du pain de la maison paternelle ? Ce n’était point son frère aîné qui corrigeait ses voies, lui qui disait à son père « Voilà tant d’années que je vous sers, et je n’ai jamais violé vos préceptes ». Ce fut donc le plus jeune qui corrigea ses voies, quand il reconnut qu’il les avait détournées et perverties et qu’il dit « Je ne suis pas digne désormais d’être appelé votre fils[342] ». Il me vient encore un troisième sens, et qui, selon moi, serait préférable aux deux premiers. Par le vieillard entendons le vieil homme, et par le plus jeune, l’homme nouveau ; le vieil homme porte l’image de l’homme terrestre, et le jeune homme l’image de l’homme céleste ; car u le premier n’est point le spirituel, mais le « corps animal vient, et ensuite le spirituel[343] ». Qu’un homme donc soit fort avancé en âge, qu’il arrive même à la décrépitude corporelle, il est jeune devant Dieu dès que la conversion l’a renouvelé dans la grâce c’est en cela qu’il corrige sa voie, en gardant les préceptes du Seigneur, c’est-à-dire la parole de foi que nous prêchons[344], et telle est la foi qui agit par la charité[345].
3. Mais ce peuple qui est le plus jeune, ce fils de la grâce, cet homme nouveau qui chante un cantique nouveau, cet héritier du Nouveau Testament, ce plus jeune qui n’est point Caïn, mais Abel ; non point Ismaël, mais Isaac ; non point Esaü, mais Israël ; non point Manassès, mais Ephraïm ; non point Héli, mais Samuel ; non plus Saül, mais David, écoutez ce qu’il ajoute : « Je vous ai cherché de tout mon cœur », dit-il à Dieu, « ne me repoussez point de votre loi[346] ». Le voilà qui implore du secours pour garder les paroles de Dieu qu’il nous donnait comme le moyen pour le jeune homme de corriger ses voies. Tel est en effet le sens de cette parole « Ne me rejetez point de vos préceptes ». Être rejeté de Dieu, qu’est-ce à dire, sinon ne recevoir de lui aucun secours ? La loi de Dieu si juste, si relevée, est trop disproportionnée à la faiblesse humaine, pour que nous l’observions, si Dieu dans sa bonté ne nous prévenait de son aide. Et ne point nous aider, c’est réellement nous repousser, c’est l’épée de flammes qui empêche l’homme devenu indigne de toucher à l’arbre de vie[347]. Mais qui est digne d’être aidé, depuis que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort qui a passé en tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché[348] ? Or, cette misère qui nous est due, est guérie par la miséricorde que Dieu ne nous doit point. Car notre interlocuteur qui nous dit ici : « Je vous ai cherché de tout mon cœur »[349] ; comment le pourrait-il, si Dieu lui-même ne l’avait appelé à lui, quand il se détournait ; lui à qui le Prophète a dit : « Convertissez-nous, Seigneur, et donnez-nous la vie » ; s’il ne cherchait lui-même celui qui est perdu, s’il ne rappelait celui qui s’égare, lui qui a dit : « Je rechercherai ce qui était perdu, « je rappellerai dans la voie ce qui était égaré[350] ».
4. C’est ainsi que notre interlocuteur redresse ses voies en gardant la parole de Dieu, sous la direction et sous l’action de Dieu ; ce qu’il ne pourrait faire de lui-même ; aussi Jérémie nous fait-il cet aveu : « Je sais, ô mon Dieu, que la voie de l’homme n’est point à lui, et que par lui-même il ne saurait marcher ni diriger ses pas[351] ». C’est là ce que demandait plu& haut celui qui s’écriait : « Puissent mes voies se redresser » ; et ici encore quand il dit : « J’ai caché vos paroles dans mon cœur, afin de ne point pécher contre vous[352] » ; il se hâte d’implorer le secours divin, de peur qu’il n’eût caché inutilement cette parole divine dans son cœur, si elle ne produisait des œuvres de justice. Aussi, quand il ajoute : « Béni êtes-vous, Seigneur ; enseignez-moi vos ordonnances[353] » ; enseignez-les-moi, dit-il, comme les savent ceux qui les pratiquent, non ceux qui s’en souviennent simplement afin de pouvoir en parler, Déjà il avait dit en effet : « J’ai caché vos paroles dans mon cœur, afin de ne point pécher contre vous » ; pourquoi veut-il encore apprendre ces mêmes paroles qu’il tient déjà cachées dans son cœur ? Ce qu’il n’aurait pu faire si déjà il ne les eût apprises. Pourquoi donc ajouter : « Enseignez-moi vos voies », sinon parce qu’il veut les apprendre en les accomplissant, et non les retenir dans sa mémoire ou en parler ? Comme donc il est dit dans un autre psaume : « Celui qui a donné la loi donnera aussi la bénédiction[354] » ; le Prophète nous dit ici : « Béni êtes-vous, Seigneur, enseignez-moi vos ordonnances ». Puisque j’ai caché votre parole dans mon cœur afin de ne point pécher contre vous, vous m’avez donné la loi ; donnez-moi aussi la bénédiction de la grâce, afin que j’apprenne en la pratiquant ce que vous m’avez commandé en m’instruisant, Que cela vous suffise et nourrisse votre esprit sans le surcharger. La suite exige un nouveau discours.
SIXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLE CHRIST EST LA VÉRITABLE VOIE.
modifierComment le Prophète a-t-il pu prononcer les jugements de Dieu qui sont insondables, et demande-t-il à Dieu de lui faire connaître les justifications qu’il faut pratiquer ? Le Prophète personnifie l’Église qui connaît les jugements de Dieu, et qui les connaît tous en Jésus-Christ, bien que l’homme ne puisse les sonder, et les connaître que par les lumières de l’Église. La voie des témoignages, si délicieuse pour le Prophète, c’est Jésus-Christ, gage de l’amour de Dieu, amour que l’Église médite et prêche.
1. Dans le psaume que nous expliquons, nous commençons notre discours par ce verset : « Mes lèvres ont prononcé tous les jugements de votre bouche[355] ». Qu’est-ce à dire, mes bien-aimés ? Que veut dire cette parole ? Qui peut énoncer tous les jugements de Dieu, quand il ne saurait même les découvrir ? Hésiterons-nous à nous écrier avec l’Apôtre : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables[356] ! » Le Seigneur dit aussi : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne sauriez les porter maintenant[357] ». Et bien qu’il ait promis aux disciples de leur apprendre toute vérité par l’Esprit-Saint, le bienheureux Paul s’écrie néanmoins : « Nous ne connaissons qu’en partie » ; afin de nous montrer que sans aucun doute c’est l’Esprit-Saint, dont nous avons reçu le gage, qui nous conduit à la pleine vérité ; mais seulement quand nous serons dans l’autre vie, alors qu’après avoir vu ici-bas en énigme et comme dans un miroir, nous verrons Dieu face à face[358]. Comment donc notre interlocuteur nous dit-il : « Mes lèvres ont prononcé tous les jugements de votre bouche ? » Et il nous parle de la sorte, après avoir dit au verset précédent : « Enseignez-moi vos préceptes ». Oui, comment a-t-il pu énoncer tous les jugements de la bouche de Dieu, lui qui veut encore en étudier les préceptes ? Connaissait-il déjà les jugements, et voulait-il de plus connaître les préceptes du Seigneur ? Mais il devient plus étonnant qu’il ait connu ce qu’il y a d’insondable en Dieu, sans connaître ce que Dieu nous ordonne de pratiquer. Car ces justifications, justificationes, ou moyens de devenir justes, ne sont pas des paroles, mais des actes de justice, ce sont les œuvres des justes commandées par Dieu. Ces œuvres sont appelées divines, bien que nous les accomplissions, parce que sans le secours de Dieu, nous ne pourrions les faire. Mais ou appelle jugements de Dieu, ceux qu’il exerce maintenant sur le monde jusqu’à la fin des siècles. Or, comme la parole de Dieu s’entend de ses justifications et de ses jugements tout à la fois, pourquoi le Prophète veut-il étudier les justifications, puisqu’il dit qu’il a renfermé dans son cœur toutes les paroles de Dieu ? Voici en effet ce qu’il dit : « J’ai caché vos paroles dans mon cœur afin de ne point pécher contre vous » ; puis il ajoute : « Béni êtes-vous, mon Dieu ; enseignez-moi vos justifications ». Puis ensuite : « Mes lèvres ont énoncé tous les jugements de votre bouche ». Il semble qu’il n’y ait ici rien de contradictoire, qu’il y ait même une liaison très naturelle entre cacher les paroles de Dieu dans son cœur, et prononcer ensuite des lèvres tous les jugements de Dieu ; « car c’est par le cœur que l’on croit à la justice, et par la bouche que l’on fait cette profession qui nous sauve[359] » : mais entre ces deux actes le Prophète intercale cette parole : « Béni êtes-vous, Seigneur ; enseignez-moi vos justifications », et l’on ne voit point comment elle peut convenir à l’homme qui renferme dans son cœur les paroles de Dieu, qui a énoncé de ses lèvres les jugements de Dieu, et qui veut ensuite étudier la justification de Dieu, à moins de comprendre qu’il veut les apprendre en les pratiquant, et non plus en les retenant de mémoire ou en les énonçant ; et il nous montre que nous devons demander cette grâce à Dieu sans qui nous ne pouvons rien faire. C’est là un point que nous avons traité dans le discours précédent ; maintenant comment le Prophète nous dit-il qu’il a énoncé de ses lèvres tous les jugements de la bouche de Dieu, quand ils sont qualifiés d’insondables, eux dont la profondeur a fait dire ailleurs : « Vos jugements sont un profond abîme[360] » ; voilà ce que nous voulons exposer avec le secours de Dieu.
2. Écoutez donc notre pensée à ce sujet. L’Église ignore-t-elle les jugements de Dieu ? Elle les connaît parfaitement. Car elle sait à quels hommes le juge des vivants et des morts dira un jour : « Venez, bénis de mon Père, et recevez le royaume » ; et à quels autres il dira : « Allez au feu éternel[361] ». Elle sait, dis-je, que ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les autres qu’énumère saint Paul, ne posséderont le royaume de Dieu[362]. Elle sait que la colère et l’indignation, la tribulation et l’angoisse deviendront le partage de tout homme qui fait le mal, du Juif d’abord, du Gentil ensuite ; que la gloire, l’honneur, la paix, sont pour tout homme qui fait le bien, pour le Juif d’abord, pour le Gentil ensuite[363]. Ces jugements de Dieu et d’autres encore évidemment exprimés dans l’Écriture, l’Église les connaît ; mais ce ne sont point là tous les jugements de Dieu, puisqu’il en est d’insondables, de profonds comme l’abîme et qui échappent à nos connaissances. Toutefois ne seraient-ils point connus des principaux membres de cet homme qui est avec son chef et Sauveur le Christ tout entier ? Ils seraient alors proclamés impénétrables à l’homme, parce que ses propres forces ne lui permettent pas de les pénétrer. Mais pourquoi tout homme qui aurait reçu les lumières de l’Esprit-Saint ne le pourrait-il point ? Ainsi, par exemple, il est dit que « Dieu habite une lumière inaccessible[364] », et pourtant il nous est dit encore : « Approchez de lui, et vous serez éclairés[365] », On répond à cette difficulté que Dieu est inaccessible à nos forces, mais que nous approchons de lui par sa grâce. À la vérité, tant que le corps corruptible appesantit l’âme[366], nul d’entre les saints ne saurait comprendre tous les jugements de Dieu, puisque nul n’a l’esprit pesant ou la marche boiteuse, sans un jugement de Dieu. Je vous cite ces exemples pour vous donner une idée de l’immensité de ces jugements : toutefois l’Église, ce peuple que Dieu s’est acquis, peut dire en toute vérité : « J’ai énoncé de mes lèvres tous les jugements de votre bouche », c’est-à-dire je n’ai tu aucun de ces jugements que vous m’avez fait connaître par vos paroles sacrées, mais je les ai tous énoncés de mes lèvres. Telle est l’interprétation que semble nous indiquer le Prophète, qui ne dit point tous vos jugements, mais « tous les jugements de votre bouche », c’est-à-dire tous ceux que vous m’avez fait connaître : en sorte que par le mot de bouche nous devrions entendre la parole, que Dieu nous a fait entendre dans les nombreuses révélations des saints, et dans les deux Testaments ; or, ces jugements, l’Église ne cesse de les proclamer de ses lèvres.
3. Le Prophète ajoute : « Je trouve dans la voie de vos témoignages autant de délices que dans toutes les richesses[367] ». Cette voie des témoignages de Dieu, nous ne pouvons l’entendre d’une manière plus facile, plus certaine, plus courte, plus relevée que du Christ, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse, et de la science[368]. C’est pourquoi le Prophète nous dit qu’il a trouvé dans cette voie, des joies et des délices « comme dans toutes les richesses ». Car ces témoignages de Dieu sont les preuves qu’il veut bien nous donner de son amour. Or, Dieu nous signale cet amour dans « cette mort que le Christ a endurée pour nous, lorsque nous étions encore pécheurs[369] ». Donc, puisqu’il nous dit lui-même : « Je suis la voie[370] », et que les saints abaissements de sa naissance et de sa passion deviennent des témoignages évidents de son amour pour nous, nul doute que le Christ ne soit la voie des témoignages de Dieu. Ces témoignages que nous voyons accomplis en lui nous font espérer pour l’avenir l’accomplissement des promesses qu’il nous a faites, « Dès lors que Dieu n’a point épargné son Fils unique, mais qu’il l’a livré pour nous tous, que ne nous donnera-t-il point après nous l’avoir donné[371] ? »
4. « Je m’entretiendrai de vos préceptes », dit ensuite le Prophète, « je méditerai vos voies[372] ». Ce que les Grecs traduisent par adolesxesen, les traducteurs latins le rendent par garriam, je gloserai, ou par exercebor, je m’appliquerai, qui paraissent avoir un sens différent ; mais si l’on entend, par s’appliquer, l’attention de l’esprit, jointe à un certain plaisir de discussion, on peut accorder ces deux expressions, en les modifiant l’une par l’autre, en sorte que converser et méditer ne soient nullement disparates. On appelle causeurs ceux qui aiment à converser ; or, l’Église s’applique à la méditation des commandements de Dieu, de manière à être causeuse dans les discussions nombreuses de ses docteurs contre les ennemis de la foi chrétienne et catholique discussions qui sont utiles à leurs auteurs, s’ils ne considèrent en cela que les voies du Seigneur, qui sont, d’après l’Écriture : « Miséricorde et vérité », et dont la plénitude se trouve en Jésus-Christ. C’est encore dans ces suaves entretiens que s’accomplit ce qu’ajoute le Prophète : « Je méditerai sur vos ordonnances, je n’oublierai point vos paroles ». Car je les méditerai de manière à ne point les oublier. De là vient qu’au premier psaume, celui-là est appelé heureux qui médite la loi de Dieu le jour et la nuit.
5. Dans tout ce que nous venons d’exposer selon notre pouvoir, souvenons-nous, mes frères, que celui qui renferme en son cœur les paroles de Dieu, qui énonce de ses lèvres tous les jugements de la bouche du Seigneur, qui trouve dans ses témoignages autant de délices que dans toutes ses richesses, qui s’entretient et qui s’exerce dans ses commandements, qui considère ses voies, qui médite ses ordonnances de peur d’oublier ses paroles, qui témoigne par là qu’il est instruit de la loi et des enseignements de Dieu, ne laisse pas néanmoins de prier le Seigneur et de dire : « Béni êtes-vous, Seigneur, enseignez-moi vos ordonnances ». Ce qui nous donne à comprendre qu’il ne demande par là que le secours de la grâce, et veut connaître par des œuvres ce que lui ont enseigné les paroles.
SEPTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA FOI ET LA GRÂCE.
modifierL’Église demande à Dieu la vie, et dès lors la vie de la foi qui agit par la charité. Or, cette foi nous vient de Dieu, qui seul donne la victoire. Mais demander la vie comme le fait le Prophète, c’est l’avoir déjà, et dès lors il demande à Dieu de la lui conserver afin qu’il comprenne les merveilles de ses préceptes ou la charité.
1. Si vous vous souvenez, mes Frères, de ce que nous avons déjà dit au sujet de ce psaume, cela doit vous aider à en comprendre la suite. Les interlocuteurs qui parlent comme parlerait un seul homme, sont les membres du Christ, qui ne forment qu’un seul corps sous un seul chef. Le Prophète dit plus haut : « En quoi le jeune homme corrige-t-il sa voie ? en gardant vos paroles ». Et maintenant, peur garder cette parole il implore du secours : « Rendez à votre serviteur », dit-il ; « que je vive, et je garderai vos paroles »[373]. Si c’est le bien pour le bien qu’il demande, il a donc déjà gardé la parole de Dieu. Toutefois il ne dit point Rendez à votre serviteur, parce que j’ai gardé vos paroles : comme s’il demandait à Dieu que son obéissance fût récompensée ; mais il dit : « Rendez à votre serviteur ; que je vive, et je garderai vos paroles ». Qu’est-ce à dire, sinon que les morts ne les peuvent garder ? et ces morts sont les infidèles, dont il est dit : « Laissez aux morts à ensevelir leurs morts[374] ». Si donc les morts sont pour nous les infidèles, et les vivants les fidèles ; puisqu’il est dit « Le juste vit par la foi[375] », on ne peut garder la parole de Dieu que par cette foi qui agit au moyen de la charité[376] ; telle est la foi que le Prophète demande à Dieu en disant : « Rendez à votre serviteur ; que je vive, et je garderai vos paroles ». Et comme avant la foi, il n’est dû à l’homme que le mal pour le mal, et que, par une grâce tout à fait gratuite, Dieu néanmoins nous a rendu le bien pour le mal, telle est la faveur que sollicite le Prophète, quand il dit : « Rendez à votre serviteur ; que je vive, et je garderai vos paroles ». Il est, en effet, quatre manières de rendre : ou bien le mal pour le mal, comme Dieu rendra aux méchants le feu éternel ; ou le bien pour le bien, comme il rendra aux justes un royaume sans fin ; ou le bien pour le mal, comme le Christ justifie l’impie[377] par sa grâce ; ou le mal pour le bien, comme Judas et les Juifs ont dans leur malice persécuté le Sauveur. De ces quatre manières de rendre, les deux premières appartiennent à la justice, comme rendre le mal pour le mal, ou le bien pour le bien ; la troisième, qui rend le bien pour le mal, est un acte de miséricorde ; la quatrième est inconnue à Dieu, car il ne rend à personne le mal pour le bien. Quant à celle que nous avons mise au troisième rang, elle nous est très nécessaire, puisque si Dieu ne rendait point le bien pour le mal, on ne trouverait personne qui rendît le bien pour le bien.
2. Écoute à ce sujet Saul, qui devint Paul ensuite : « Ce n’est point », nous dit-il, « à cause des œuvres de justice que nous avons faites, mais en vertu de sa miséricorde que Dieu nous a sauvés par le bain de la régénération[378] ». Et encore : « J’ai été d’abord un blasphémateur, un persécuteur, un véritable ennemi ; mais Dieu m’a fait miséricorde, parce que j’ai fait tous ces maux par ignorance, n’ayant pas la foi[379] » Et encore : « Je donne ce conseil comme ayant reçu du Seigneur la grâce de la foi[380] », c’est-à-dire la grâce de vivre, puisque « le juste vit de la foi[381] ». Avant de vivre par la grâce de Dieu, il était donc mort par sa propre injustice. Et, en effet, voici comme il avoue qu’il était mort : « Le commandement étant survenu, le péché a commencé à revivre ; pour moi, je suis mort, et il s’est trouvé que le précepte qui aurait dû me donner la vie, m’a donné la mort[382] ». Dieu donc lui a rendu le bien pour le mal, la vie pour la mort ; Dieu l’a traité comme le Prophète le demande ici : « Rendez à votre serviteur ; que je vive, et je garderai vos paroles ». Il a vécu, en effet, et a gardé la parole de Dieu, et dès lors s’est trouvé au rang de ceux à qui Dieu rend le bien pour le bien ; ce qui lui fait dire : « J’ai combattu un bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé ma foi ; il me reste à recevoir la couronne de justice que le Seigneur, comme un juste juge, me donnera au grand jour[383] ». En ce cas, Dieu est juste en rendant le bien pour le bien : lui qui, d’abord miséricordieux, a rendu le bien pour le mal. Toutefois, la justice qui rend le bien pour le bien n’est pas sans miséricorde, puisqu’il est écrit : « C’est lui qui vous couronne dans sa grâce et dans sa miséricorde[384] ». Comment celui qui a dit : « J’ai combattu un bon combat », aurait-il pu vaincre sans le secours de Celui dont il dit : « Je rends grâces à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ[385] ? » Lui qui a achevé sa course, comment eût-il pu courir, et fût-il arrivé sans l’assistance de Celui dont il a dit : « Ce n’est donc point l’affaire de celui qui veut ou de celui qui court, mais l’affaire de Dieu qui fait miséricorde[386] ? » Lui qui a conservé sa foi, comment l’eût-il conservée, si, comme il l’a dit lui-même, il n’eût reçu miséricorde afin de croire[387] ?
3. Que l’orgueil humain ne s’élève donc jamais : c’est aux dons de Dieu que nous devons le bénéfice de ses récompenses. Toutefois, celui qui prie dans notre psaume, et qui s’écrie : « Rendez à votre serviteur ; que je vive », ne prierait point s’il était mort complètement. Mais le commencement d’un bon désir lui vient de celui à qui il demande la vie pour lui obéir. Ils avaient déjà une certaine foi, ceux qui disaient au Seigneur : « Augmentez en nous la foi[388] ». Mais il confessait son incrédulité, sans néanmoins désavouer sa foi, celui à qui le Seigneur demandait s’il croyait, et qui répondait : « Je crois Seigneur, mais aidez mon incrédulité[389] ». Il commence à vivre et supplie le Seigneur qu’il le fasse vivre, celui qui croit et qui demande l’obéissance ; qui demande non point que Dieu le récompense de l’avoir conservée, mais qu’il l’aide à la conserver. Celui qui se renouvelle chaque jour[390], vit aussi de plus en plus chaque jour, à mesure que la vie s’augmente.
4. Mais le Prophète, sachant qu’on ne saurait garder fidèlement les paroles du Seigneur, à moins d’en avoir l’intelligence, ajoute aussitôt à sa prière : « Ôtez le voile de mes yeux, et je considérerai les merveilles de votre loi » ; puis encore : « Je suis un locataire en cette vie » ; ou, comme on lit en certains exemplaires : « Je suis un étranger en cette vie, ne me cachez pas vos commandements[391] ». Dans ces paroles : « Ne me cachez pas vos commandements », il répète ce qu’il a dit plus haut : « Otez le voile de mes yeux ». Et « vos commandements », c’est la répétition de ce qu’il a dit ailleurs : « Les merveilles au sujet de votre loi ». Or, la plus grande merveille dans les commandements de Dieu est cette parole : « Aimez vos ennemis »[392] ; c’est-à-dire, rendez le bien pour le mal. Mais ne passons pas légèrement sur ce point, que le Prophète se regarde comme un locataire ou comme un étranger ici-bas ; et comme nous ne pouvons en parler dans ce discours, nous en parlerons dans un autre avec le secours de Dieu.
HUITIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLES DÉLICES DE LA LOI DE DIEU.
modifierDès lors que notre âme n’est point d’ici-bas, que nous sommes bannis du paradis, et que nous cherchons une patrie meilleure, nous sommes ici des étrangers comme nos pères ou les saints. L’infidèle au contraire n’est pas étranger. Or, nous allons à la véritable patrie par les commandements de Dieu qui se réduisent à l’amour de Dieu et du prochain ; ce qui est facile à comprendre, et le Prophète supplie le Seigneur de lui en donner cette connaissance qui consiste à se plaire dans l’accomplissement de ces préceptes.
1. Dans ce psaume qui est le plus long, je dois répondre à votre attente, et vous parler à partir de ce verset : « Je suis un locataire », ou, comme on trouve en d’autres manuscrits, « un étranger ici-bas, ne me dérobez pas vos e préceptes »[393]. L’expression grecque paroikos, est traduite en effet tantôt par inquilinus, locataire, tantôt par incola, étranger, souvent même par advena, nouvel arrivant. Les locataires n’ayant point une demeure en propre, habitent les maisons des autres ; les étrangers, les nouveaux-venus, sont évidemment gens de passage. Alors s’élève une grave question au sujet de l’âme. Car ce n’est point de notre corps que l’on peut dire qu’il est étranger, ou nouveau-venu, ou de passage sur la terre, puisqu’il tire de la terre son origine. Mais sur une question aussi difficile, je n’oserais rien décider. Car le Prophète a pu se dire, ou locataire, ou étranger, ou nouveau-venu, sur cette terre, soit à cause de son âme, (Dieu me préserve de la regarder comme terrestre) soit dans le sens de l’homme tout entier, qui fut jadis habitant du paradis, où n’était déjà plus celui qui nous parlait de la sorte ; soit même, ce qui nous parait hors de toute contestation, que tout homme ne puisse tenir ce langage, mais celui qui souscrit à la promesse d’une patrie éternelle dans les cieux. Ce qu’il y a de certain, c’est que la vie de l’homme sur la terre est une épreuve[394], et qu’un lourd fardeau pèse sur les enfants d’Adam[395]. J’aime mieux entendre ces paroles en ce sens que nous sommes des locataires ou des étrangers ici-bas, parce que nous recherchons cette patrie céleste d’où nous avons reçu des gages, et où nous devons arriver pour ne plus en sortir. Car celui qui dans un autre psaume dit à Dieu : « Je ne suis à vos yeux qu’un locataire, qu’un étranger, comme tous mes ancêtres[396] » ; ne dit pas : ainsi que tous les hommes ; mais en disant, comme tous mes ancêtres, il veut nous faire comprendre sans aucun doute les justes qui l’ont précédé par le temps, et qui dans ce pèlerinage ont gémi, ont poussé vers la céleste patrie de pieux soupirs. C’est d’eux qu’il est dit aux Hébreux : « Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant, et comme les saluant de loin, et confessant qu’ils sont étrangers, et voyageurs sur la terre. Car parler ainsi, c’est montrer que l’on cherche une patrie. Et s’ils s’étaient souvenus de celle d’où ils étaient sortis, ils avaient certainement le temps d’y retourner. Mais ils en désiraient une meilleure, qui est le ciel. Aussi Dieu ne rougit point d’être appelé leur Dieu, car il leur a préparé une cité[397] ». Et cette parole : « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur[398] », peut aussi s’entendre des fidèles, et non de tous. « Car la foi n’est point l’apanage de tous[399] ». Remarquons en effet ce que saint Paul joint à ces paroles. Après avoir dit : « Tant que nous sommes dans un corps, nous sommes éloignés du Seigneur : c’est par la foi, reprend-il, que nous marchons, et non par la claire vue[400] » ; afin de nous montrer que ceux-là seulement qui vivent dans la foi sont ici-bas en exil. Quant aux infidèles que Dieu dans sa prescience n’a point prédestinés à devenir conformes à l’image de son Fils[401], ils ne peuvent, dans la force de la vérité, se dire étrangers sur la terre, puisqu’ils sont dans le lieu où ils sont nés selon la chair ; ils n’ont point de patrie ailleurs, et dès tors ils ne sont plus étrangers sur la terre, mais ils en sont les citoyens. De là vient que l’Écriture a dit d’un homme : « Il a placé sa maison dans la mort, et sa u demeure dans les enfers avec les habitants de la terre[402] ». Ceux-là encore sont des locataires, des étrangers non pour cette terre, mais pour le peuple de Dieu, dont ils sont séparés. De là cette parole de l’Apôtre aux fidèles qui commencent à prendre pour patrie la cité sainte qui n’est point de ce monde : « Vous n’êtes plus des étrangers ni des exilés, mais les concitoyens des saints, dans la maison de Dieu[403] ». Ceux-là donc sont citoyens de la terre, qui sont étrangers au peuple de Dieu ; mais ceux qui sont citoyens du peuple de Dieu, sont étrangers à cette terre ; parce que tout ce peuple, pendant qu’il est dans un corps, est étranger au Seigneur. Qu’il s’écrie dès lors : « Je suis un étranger sur la terre, ne me dérobez point vos commandements ».
2. Mais, quels sont donc les hommes à qui Dieu dérobe ses commandements ? Dieu n’a-t-il pas voulu qu’ils fussent prêchés partout ? Plût à Dieu qu’ils soient chers au grand nombre, comme ils sont clairs pour le grand nombre ! Quoi de plus clair en effet que cette parole : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même ; ces deux commandements renferment la loi et les Prophètes[404] ? » Quel est l’homme pour qui ces commandements soient cachés ? Tout fidèle les connaît, et même la plupart des infidèles. Pourquoi donc un fidèle vient-il demander à Dieu qu’il ne lui cache point ce qu’il voit que Dieu ne cache pas aux infidèles ? Parce qu’il est difficile de connaître Dieu, est-il aussi difficile de comprendre : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu », et peut-on craindre ici d’égarer son amour ? Quant au prochain, il paraît plus facile de le connaître. Car tout homme est le prochain d’un autre homme, et il est inutile de considérer l’éloignement de parenté, quand la nature est commune. Toutefois, il ne connaissait pas son prochain, celui qui disait au Seigneur : « Et qui est mon prochain[405] ? » Quand on lui parla d’un homme qui tomba entre les mains des voleurs, en descendant de Jérusalem à Jéricho, lui, qui faisait cette question, jugea que le prochain de cet homme n’était autre que celui qui avait usé de miséricorde envers lui ; et il devint évident, que dans les actes de miséricorde, celui qui aime son prochain ne doit regarder personne comme étranger. Mais il en est beaucoup qui ne se connaissent point eux-mêmes : car il n’appartient pas à tous les hommes de se connaître, comme un homme doit se connaître. Comment donc aimer son prochain comme soi-même, quand on ne se connaît point soi-même ? Ce n’est pas en vain que ce plus jeune des deux fils qui s’en était allé dans une région lointaine, dissiper son bien en vivant dans la débauche, rentra d’abord en lui-même avant de dire : « Je me lèverai, et j’irai vers mon père[406] » ; il était allé si loin, qu’il était sorti de lui-même. Et toutefois, il ne fût point rentré en lui-même, s’il se fût complètement ignoré ; et il n’eût point dit : « Je me lèverai, et j’irai à mon père », s’il eût complètement ignoré Dieu. Les paroles de Dieu nous sont donc connues jusqu’à un certain point, et afin de les connaître davantage, nous avons raison de demander à Dieu qu’il nous les fasse connaître. Aussi pour savoir comment nous devons aimer Dieu, il nous faut d’abord connaître Dieu ; et pour que l’homme sache aimer son prochain comme lui-même, il doit d’abord s’aimer lui-même en aimant Dieu ; et comment le pourrait-il s’il ne connaît ni Dieu, ni lui-même ? Le Psalmiste a donc raison de dire à Dieu. « Je suis un étranger sur la terre, ne me dérobez point vos préceptes ». Il est très juste que Dieu les cache à ceux qui ne sont pas étrangers sur la terre : car en les écoutant ils ne les goûtent point, ils n’ont goût qu’aux choses terrestres. Mais ceux dont la conversation est dans le ciel[407], ne conversent ici-bas que comme des étrangers. Qu’ils supplient donc le Seigneur de ne point leur dérober ces commandements qui les délivreraient de cet exil, parce qu’ils aimeraient Dieu avec lequel ils habiteront éternellement, et leur prochain afin qu’il soit où ils seront eux-mêmes.
3. Mais, dans notre amour, que pouvons-nous aimer, si nous n’aimons l’amour lui-même ? De là vient que cet étranger sur la terre, après avoir demandé à Dieu de ne point lui dérober ses commandements, dont le but unique ou du moins le but principal est l’amour, proclame aussitôt qu’il veut aimer l’amour lui-même, et s’écrie : « Mon âme aspire continuellement à désirer vos justifications[408] ». C’est là un désir louable que Dieu ne condamnera point. Ce n’est point de ce désir qu’il est dit : « Tu ne convoiteras point[409] » ; mais c’est du désir que la chair oppose à l’esprit[410]. Quant à cette convoitise que l’esprit oppose à la chair[411], vois ce qui est écrit, et tu trouveras : « Le désir de la sagesse nous conduit au royaume[412] ». Beaucoup d’autres endroits nous montrent qu’il y a une bonne convoitise. Toutefois il y a cette différence, que l’on mentionne l’objet désiré, quand on prend la convoitise en bonne part ; et que quand l’objet n’est point mentionné, quand on ne désigne que la concupiscence, on ne saurait la prendre qu’en mauvaise part. Ainsi dans le passage cité plus haut : « La concupiscence de la sagesse nous conduit au royaume », si le texte n’ajoutait : de la sagesse, on ne saurait dire : La concupiscence conduit au royaume. Au contraire, quand l’Apôtre nous dit : « Je ne connaissais point la convoitise, si la loi n’eût dit : Vous ne convoiterez point[413] » ; il ne désigne point l’objet de la convoitise, ou ce que l’on ne doit point convoiter ; car il est certain qu’en pareil cas on ne comprend qu’une convoitise illicite. Quelle est donc chez l’interlocuteur la convoitise de son âme ? « C’est », dit-il, « de désirer toujours vos justifications ». Sans doute, qu’il ne les désirait point encore, puisqu’il souhaitait de les désirer. Or, ces justifications sont des actions justes, ou des œuvres de justice. Mais, dès lors que désirer c’est n’avoir point encore, combien en est éloigné celui qui souhaite seulement de les désirer ? Et combien plus éloignés ceux qui ne forment pas même ce désir ?
4. Il est étrange toutefois que nous souhaitions un désir, sans avoir en nous l’objet que nous souhaitons. Car cet objet n’est rien de corporel et de beau, comme l’or, ou comme une chair séduisante, choses que l’on peut désirer sans les avoir, puisqu’elles sont hors de nous, et non point en nous. Mais qui ne sait que la convoitise est en nous, que le désir est en nous ? Pourquoi donc souhaiter de l’avoir, comme s’il était en dehors de nous ? Ou même comment peut-on le convoiter sans l’avoir, puisqu’il n’est autre que la convoitise ? Car désirer, c’est assurément convoiter. Quelle est donc cette langueur merveilleuse et inexplicable ? Et toutefois elle existe. Qu’un malade, en effet, soit atteint du dégoût, il veut sortir de ce fâcheux état ; et, pour lui, aspirer à n’avoir point ce dégoût, c’est aspirer à désirer la nourriture : mais ce dégoût, c’est une maladie du corps. La convoitise, au contraire, qui lui fait aspirer à désirer la nourriture, ou à se guérir du dégoût, est une affection de l’âme et non du corps : elle n’est dans l’agrément ni du palais, ni de l’estomac, agrément qui disparaît devant le dégoût ; mais elle consiste dans sa raison de recouvrer la santé, et de se délivrer du dégoût de toute nourriture. Il n’est donc plus étonnant que l’esprit souhaite que le corps désire, puisque l’esprit désire, sans que le corps désire en même temps. Mais quand il ne s’agit que de l’esprit, et quand il y a désir dans l’un et dans l’autre cas, pourquoi souhaiter le désir des justifications de Dieu ? Comment dans un seul et même esprit qui est le mien, aspirer à ce désir, et n’avoir pas ce désir même ? Pourquoi aspirer au désir des justifications, et ne pas aspirer à ces justifications, plutôt qu’à leur désir ? Ou comment puis-je aspirer au désir de ces justifications, sans aspirer à ces justifications elles-mêmes, puisque je n’aspire à les désirer, que parce que je les désire ? S’il en est ainsi, c’est donc elles-mêmes que je désire. Pourquoi donc en souhaiter le désir, puisque je l’ai, et que je sens que je l’ai ? Car je ne pourrais aspirer au désir de la justice, qu’en désirant la justice. N’est-ce point là ce que j’ai dit plus haut, qu’il nous faut aimer jusqu’à cet amour par lequel on aime ce qu’il faut aimer ; comme on doit haïr cet amour dont on environne ce qu’il ne faut pas aimer ? Car nous haïssons cette convoitise qui est en nous, et que la chair oppose à l’esprit[414]. Et qu’est-ce que cette convoitise, sinon un amour dépravé ? Nous aimons aussi cette aspiration qui est en nous, et que l’esprit oppose à la chair. Or, quelle est cette aspiration, sinon un amour légitime ? Mais dire que l’on doit aimer cet amour, n’est-ce point dire qu’on doit le désirer ? Si donc il est bon d’aspirer aux justifications de Dieu, il est bon d’aimer l’amour de ces justifications. Ou bien la concupiscence diffère-t-elle du désir ? Non que le désir ne soit une concupiscence, mais parce que toute concupiscence n’est pas un désir. La concupiscence a pour objet ce que nous possédons et ce que nous ne possédons pas ; c’est par elle qu’un homme jouit de ce qu’il a : mais le désir a pour objet des choses absentes. Mais alors qu’est-ce que le désir, sinon la concupiscence de ce que nous n’avons pas ? Et comment les justifications de Dieu peuvent-elles être loin de nous, sinon quand nous les ignorons ? Sont-elles vraiment absentes, quand nous les connaissons sans les observer ? Que sont en effet des justifications, sinon des œuvres de justice, et-non de simples paroles ? Il peut arriver dès lors que notre âme soit assez faible pour ne point les désirer, et qu’en même temps la raison lui en démontrant l’utilité et la sainteté, lui en fasse souhaiter le désir. Souvent en effet, nous voyons ce qu’il faut faire, et ne le faisons pas, parce que nous n’avons point d’attrait pour le faire, et que nous voudrions y en trouver. L’esprit vole ; mais notre faiblesse nous retient, notre amour languissant ne suit qu’avec lenteur, et parfois même ne suit point. Le Prophète souhaitait donc de désirer ce qu’il trouvait bien ; il voulait trouver de l’attrait dans ce qu’il voyait de raisonnable.
5. Il ne dit point : Mon âme souhaite ; mais : « Mon âme a souhaité désirer vos justifications ». Peut-être cet homme étranger sur la terre était-il arrivé au terme de ses souhaits, et désirait-il déjà ce qu’autrefois il aurait tant voulu désirer. Mais s’il désirait les justifications, comment ne les avait-il point ? Il n’y a rien qui nous empêche d’avoir les justifications du Seigneur, comme ne pas les désirer, alors que nous ne ressentons aucun amour pour elles, bien qu’on en voie la lumière éclatante. Le Prophète ne les avait-il point déjà, ne les pratiquait-il point ? Car il nous dit un peu après : « Quant à votre serviteur, il s’exerçait dans vos justifications[415]1 ». Mais il nous montre quels sont en quelque sorte les degrés pour y arriver. Le premier, est de voir combien elles sont avantageuses et honorables ; ensuite d’en souhaiter le désir ; enfin à mesure que s’augmentent en nous la lumière et la force, il faut que nous ressentions dans l’accomplissement de ces œuvres de justice, le goût que nous inspirait la seule méditation. Mais ce discours est déjà bien long ; réservons alors ce qui suit pour l’exposer plus facilement dans un autre avec le secours de Dieu.
NEUVIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA VIE EN ÉCHANGE DE LA MORT.
modifierC’est l’orgueil qui nous détourne de Dieu comme il en détourna le premier homme. Il tourne en dérision les enfants de Dieu qui demandent à être délivrés des opprobres, non pour eux, mais pour le préjudice que se font à eux-mêmes les insulteurs. Et ces blasphémateurs s’abstiennent comme aujourd’hui. Le Christ a prié pour ceux qui s’élevaient contre lui, et leur a ainsi communiqué la vie en échange de cette mort qu’ils donnaient à ses membres.
1. Les versets que nous allons expliquer dans notre psaume nous font souvenir de la cause de nos misères. Car le Prophète dit : « Mon âme a souhaité de désirer vos justifications en tout temps[416] » ; c’est-à-dire et dans la prospérité, et dans l’adversité ; puisque dans les travaux et dans les souffrances de cette vie nous devons trouver goût dans la justice ; non, nous ne devons pas en faire nos délices exclusivement dans les moments paisibles, de manière à l’abandonner dans les temps de trouble ; elle doit nous être chère en tout temps ; maintenant il ajoute : « Vous avez châtié les superbes ; maudits soient ceux qui s’écartent de vos préceptes[417] ». Ce sont les superbes qui s’écartent des préceptes de Dieu. Or, autre chose est de ne point les accomplir à cause de notre faiblesse ou de notre ignorance, et autre chose de s’en détourner par orgueil, comme l’ont fait ceux qui nous ont engendrés pour mourir. Ils prirent goût à cette parole : « Vous serez comme des dieux[418] », et dans cette pensée orgueilleuse, ils se détournèrent du précepte du Seigneur, qu’ils connaissaient formellement, et qu’ils pouvaient très facilement accomplir, puisque nulle faiblesse ne les en détournait, n.e les empêchait, ne les retardait. Et voilà que toute cette vie si pénible, si calamiteuse de l’homme devenu mortel, est comme un châtiment héréditaire de l’orgueil. Quand le Seigneur dit à Adam : « Où es-tu ? »[419] il n’ignorait point où il était ; mais il lui reprochait son orgueil : sa question ne venait point du désir de connaître où il était, c’est-à-dire dans quelle misère il était tombé, mais de l’en avertir par un reproche. Voyez comme le Prophète, après avoir dit : « Vous avez réprimandé les superbes », n’ajoute point : Malédiction à ceux qui ont abandonné vos préceptes, de peur qu’on n’arrête sa pensée uniquement sur le péché du premier homme ; mais il dit : « Malédiction à ceux qui abandonnent ». Car il voulait par cet exemple jeter l’effroi chez tous les hommes, leur apprendre à ne point se détourner des préceptes du Seigneur, à aimer la justice en tout temps, et à recouvrer par le travail de cette vie ce que nous avons perdu dans les délices du paradis.
2. Mais comme ces reproches si sévères ne font point courber la tête aux orgueilleux, comme le supplice de la mort et du travail qui pèse sur eux ne réprime point leur insolence, comme ils imitent le ton hautain de ceux qui tombent, et tournent en dérision l’humilité de ceux qui se relèvent, voilà que le corps du Christ intercède en leur faveur et s’écrie : « Eloignez de moi l’opprobre et le mépris, parce que j’ai recherché vos témoignages »[420]. En grec, ces testimonia, ou témoignages s’appellent martyria, expression qui a passé dans le latin. De là vient que nous ne donnons plus le nom de « témoins », comme nous pourrions dire en latin testes, mais le nom grec de martyrs à ceux qui ont enduré divers tourments pour rendre témoignage au Christ. Cette expression étant donc plus familière et plus élégante, entendons ces paroles comme si le psaume portait : « Éloignez de moi l’opprobre et le mépris, parce que j’ai recherché vos martyres ». Mais quand le corps du Christ nous tient ce langage, croirons-nous qu’il regarde comme une peine d’entendre les outrages et les insultes des impies et des superbes ; quand c’est là un moyen de hâter sa couronne ? Pourquoi donc demander à Dieu d’en être délivré comme d’un fardeau pénible et insupportable, sinon, comme je l’ai dit, parce que le Prophète prie pour ses ennemis, en voyant combien il leur est dangereux de faire aux chrétiens un crime du nom béni de Jésus-Christ ; de n’avoir comme les Juifs que des sarcasmes pour la croix, remède suprême qui produit dans les âmes l’humilité chrétienne, laquelle peut seule guérir cet orgueil dont l’enflure a produit notre chute, et que nourrissent et font croître nos chutes journalières ? Que le corps de Jésus-Christ prie donc en leur faveur, lui qui déjà sait aimer ses ennemis[421] ; qu’il dise au Seigneur : « Éloignez de moi l’outrage et le mépris, parce que j’ai recherché vos martyres » ; c’est-à-dire, délivrez-moi de ces outrages que j’entends, de ce mépris que j’endure par cet unique motif que j’ai recherché vos martyres, Car mes ennemis que vous m’ordonnez d’aimer, qui courent de plus en plus à la mort et à leur perte, en méprisant vos martyres, et en me chargeant de calomnies, revivront et reviendront de leurs égarements, s’ils révèrent en moi vos témoignages. Voilà ce qui est arrivé, ce que nous voyons. Voilà que le témoignage du Christ, loin d’être un opprobre aux yeux des hommes et du monde, est devenu un grand honneur : voilà que la mort des justes est précieuse, non seulement devant Dieu[422], mais encore devant les hommes ; voilà que ses martyrs, loin d’être en butte au mépris, sont au contraire comblés d’honneur ; le plus jeune des deux fils qui déchirait son héritage, dans le petit nombre des chrétiens qui le possédaient avant lui, en vue des pourceaux qu’il faisait paître, ou plutôt des démons qu’il adorait, voilà que maintenant il relève les martyrs devant ces peuples si grands et si nombreux, il prêche ce qu’il insultait, il comble d’honneurs ceux qu’il méprisait, il était mort, et le voilà ressuscité, il était perdu et le voilà retrouvé[423]. Tel est le grand succès de conversion, d’amélioration et de rédemption de ses ennemis pour lequel le corps du Christ disait : « Éloignez de moi, Seigneur, l’opprobre et le mépris ». Et comme si on lui demandait pour quel motif il est outragé et méprisé, il ajoute : « Parce que j’ai recherché vos martyres ».
3. Où est donc maintenant cet opprobre ? Où est ce mépris ? Tout est passé, tout s’est évanoui ; et comme ceux qui étaient perdus sont retrouvés, les mépris ont disparu. Mais quand l’Église faisait cette prière, elle souffrait effectivement ces douleurs. « Voilà que les u princes se sont assis », dit le Prophète, « et ils ont parlé contre moi[424] ». La violence de la persécution venait de ce qu’elle était décrétée par des princes qui étaient assis, c’est-à-dire élevés sur les tribunaux de la justice. Applique ces paroles à notre chef, et tu trouveras que les princes des Juifs s’assirent, cherchant entre eux les moyens de perdre le Christ[425]. Applique ces paroles au corps, ou à l’Église, et tu verras que les rois ont médité, ont ordonné la ruine des chrétiens sur la terre. « Voilà que les princes se sont assis, et ont parlé contre moi ; quant à votre serviteur, il s’exerçait dans vos ordonnances[426] ». Si tu veux connaître quel était cet exercice, vois ce qu’ajoute le Prophète : « Car vos témoignages sont ma préoccupation, et vos justifications sont tout mon conseil ». Souviens-toi que ces témoignages, comme nous l’avons dit, sont des martyres ; souviens-toi également que dans les justifications du Seigneur, la plus admirable comme la plus difficile est d’aimer ses ennemis. Tels étaient donc les exercices du corps de Jésus, qu’il méditait son témoignage, et qu’il aimait ceux qui le poursuivaient[427] de leurs outrages, et de leurs injures à cause des témoignages qu’il rendait au Christ. Car ce n’était point pour lui qu’il suppliait, nous l’avons déjà remarqué, mais bien plutôt pour eux qu’il disait : « Éloignez de moi tout opprobre et tout mépris. Voilà que les princes se sont assis, et ils parlaient contre moi ; mais votre serviteur s’exerçait dans vos justifications ». En quelle manière ? « Car vos témoignages sont ma préoccupation, et vos justifications sont tout mon conseil[428] ». Conseil contre conseil : le conseil des princes qui étaient assis fut de perdre les martyrs que l’on trouvait ; et le conseil des martyrs, de retrouver leurs ennemis qui se perdaient. Les premiers rendaient le mal pour le bien, les seconds le bien pour le mal. Faut-il s’étonner après cela, si les uns ont succombé en donnant la mort, et les autres triomphé en mourant ? Faut-il, dis-je, s’étonner que, sous le feu de la persécution païenne, les martyrs aient souffert avec tant de patience la mort du temps, et que les païens, à la prière des martyrs, aient pu arriver à la vie éternelle ? Le corps du Christ n’est-il point exercé de manière qu’il médite les témoignages du Seigneur et qu’il appelle sur les persécuteurs des témoins, les biens du ciel, en échange de leur malice ?
DIXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLE GOÛT DES BONNES ŒUVRES.
modifierComme le Prophète s’est attaché à la poussière, c’est-à-dire à la terre, ou même à ces affections du corps dont les convoitises sont contraires à celles de l’esprit, et dont il désire l’affaiblissement, il demande à Dieu, à cause de sa parole, ou de sa promesse qui fait de nous des enfants d’Abraham, de s’élever de plus en plus à la hauteur de la charité Pour n’en pas déchoir, il demande à Dieu la loi de la vie ou de la foi, puis s’applaudit de ce que Dieu a dilaté son cœur pour courir dans ses commandements, c’est-à-dire lui a donné le goût des œuvres saintes.
1. Voici ce que nous donne la suite de ce grand psaume qu’il nous faut considérer et expliquer selon qu’il plaît à Dieu : « Mon âme s’est attachée à la poussière, donnez-moi la vie selon votre parole[429] ». Qu’est-ce à dire « Mon âme s’est attachée à la poussière ? » Car en disant ensuite : « Vivifiez-moi selon votre parole », le Prophète montre qu’il avait énoncé d’abord pour quel motif il demandait la vie, lorsqu’il disait : « Mon âme s’est attachée à la poussière ». Si donc il demande la vie, parce que son âme s’est attachée au sol, l’on peut prendre cette expression dans un sens favorable. Toute la pensée en effet se réduit à dire Je suis mort, donnez-moi la vie. Quel est donc ce sol, cette poussière ? Si nous voulons regarder le monde entier comme un vaste palais, nous verrons que le ciel en est comme le dôme, et que le pavé sera la terre. Le Prophète alors demande à être délivré de la terre afin de dire comme saint Paul « Notre conversation est dans le ciel[430] ». Donc s’attacher aux choses terrestres, c’est la mort de l’âme, et dès lors dire : « Vivifiez-moi », c’est demander la vie contraire à cette mort.
2. Mais il faut voir si ces paroles ainsi entendues peuvent convenir à celui qui parlait tout à l’heure, de manière à se montrer plus attaché à Dieu qu’à la terre ; celui-là peut-il demander que sa conversation soit moins des choses de la terre que des choses du ciel ? Eh ! comment comprendre qu’il se soit attaché aux choses terrestres, celui qui dit de lui-même : « Votre serviteur s’exerçait dans vos œuvres e de justice, car vos témoignages sont l’objet « de mes méditations, et vos justifications sont « mon conseil ? » Telles sont en effet les paroles qui précèdent, et auxquelles il ajoute « Mon âme s’est attachée au pavé ». Nous faut-il comprendre par là que tant qu’un homme ait fait de progrès dans les voies du Seigneur, il ne laisse pas d’avoir en sa chair quelques affections terrestres en quoi consiste pour lui sur la terre[431] l’épreuve de la vie humaine ; et qu’à mesure qu’il avance, il passe tous les jours de la mort à la vie, par la grâce vivifiante de celui qui renouvelle chez nous, de jour en jour, l’homme intérieur[432] ? Et en effet, quand l’Apôtre disait : « Tant que nous habitons dans ce corps, nous marchons hors du Seigneur[433] » ; il souhaitait alors d’être dégagé des liens du corps, et d’être avec le Christ[434] et son âme s’était attachée à la poussière. Donc on peut fort bien, par le pavé, entendre le corps lui-même qui est terrestre et qui appesantit l’âme parce qu’il est corruptible[435] ; ce qui nous rait gémir et dire à Dieu : « Mon âme s’est attachée à la poussière ; donnez-moi la vie selon votre parole ». Car il n’est pas dit que ce sera dans nos corps que nous serons toujours avec le Seigneur[436] ; mais nous les aurons quand ils ne seront plus corruptibles, quand ils n’appesantiront plus l’âme, et, à bien prendre, quand nous ne serons point en eux, quand ils seront en nous, et nous en Dieu. De là vient qu’un autre psaume a dit : « Pour moi, mon bien est de m’attacher à Dieu[437] » ; afin que nos corps vivent de nous, en s’attachant à nous, et que nous vivions de Dieu, parce qu’il est bon de nous attacher à lui. Quant à cet attachement dont il est dit : « Mon âme s’est attachée à la poussière », il ne me paraît point désigner l’union de la chair avec l’âme, bien que plusieurs l’aient compris en ce sens, mais bien plutôt cette affection de l’âme qui fait que la chair conspire contre l’esprit[438]. Si tel est le vrai sens, le Prophète en disant : « Mon âme s’est attachée à la poussière, vivifiez-moi selon votre parole », ne demande point d’être délivré de ce corps de mort, par la destruction de ce même corps : ce qui aura lieu au dernier jour de notre vie, et qui ne peut tarder beaucoup, tant la vie est courte ; mais le Prophète alors demanderait que les convoitises de la chair contre l’esprit s’affaiblissent en lui de plus en plus, que les aspirations de l’esprit contre la chair se fortifient, jusqu’à ce que les premières se consument en nous, et que les secondes soient consommées par l’Esprit-Saint qui nous a été donné.
3. Aussi le Prophète ne dit-il point : « Donnez-moi la vie » selon mes mérites, mais bien, donnez-moi la vie selon votre parole » : et qu’est-ce à dire, sinon selon votre promesse ? Il veut être un fils de la promesse, et non un fils de l’orgueil ; afin que la promesse demeure ferme selon la grâce à tout enfant d’Abraham. Voici en effet cette parole de la promesse : « C’est d’Isaac que ta postérité prendra son nom ; c’est-à-dire, ce ne sont point les enfants d’Abraham selon la chair qui sont les enfants de Dieu, mais les enfants de la promesse qui sont réputés de la race d’Abraham[439] ». Le Prophète nous dit en effet dans le verset suivant ce qu’il était par lui-même : « Je vous ai déclaré mes voies et vous m’avez exaucé[440] ». On trouve dans plusieurs manuscrits : « Vos voies », mais la plupart, surtout les grecs, portent « Mes voies », c’est-à-dire mes voies mauvaises. Car il me paraît dire : Je vous ai confessé mes péchés, exaucez-moi, c’est-à-dire pardonnez-les. « Enseignez-moi vos œuvres de justice ». Je vous ai confessé mes voies, vous les avez effacées enseignez-moi les vôtres. Enseignez-les-moi, de telle sorte que je les pratique ; et non seulement de manière que je sache ce qu’il faut faire. De même qu’il est dit du Seigneur, qu’il ne connaissait point le péché[441], et que l’on comprend qu’il ne le commettait point de même on doit dire que celui-là connaît vraiment la justice, qui la met en pratique. Telle est donc la prière d’un homme en progrès. Car s’il n’eût point pratiqué la justice, il n’eût point dit plus haut : « Votre serviteur « s’exerçait dans les œuvres de justice ». Ce n’est donc point celles dans lesquelles il s’exerçait qu’il veut apprendre du Seigneur ; mais il veut de celles-ci s’élever à d’autres, et aller de progrès en progrès.
4. Il ajoute ensuite : « Insinuez-moi le chemin de vos justifications[442] » ; ou comme l’on trouve dans certains exemplaires : « Instruisez-moi de cette voie ». Le grec est plus expressif : « Faites-moi comprendre[443] ». « Elle m’exercera dans vos merveilles ». Le Prophète appelle merveilles de Dieu ces œuvres plus élevées auxquelles il veut atteindre dans ses progrès. Il y a donc des justifications de Dieu si admirables que l’infirmité des hommes ne croit point pouvoir les atteindre, si déjà l’on n’en a fait l’expérience. Aussi le Psalmiste, sous le poids de ce labeur, et en quelque sorte accablé par ces difficultés, nous dit-il : « Mon âme s’est assoupie d’ennui, affermissez-moi dans vos paroles[444] ». Qu’est-ce à dire « s’est « assoupie », sinon que s’est refroidie cette espérance qu’elle avait conçue de pouvoir atteindre ces hauteurs ? Mais « affermissez-moi », dit-il, « dans vos paroles », de peur qu’en demeurant dans ce sommeil, je ne vienne à déchoir de la hauteur à laquelle je me sens parvenu ; affermissez-moi donc dans ces mêmes paroles, auxquelles je suis arrivé par la pratique, afin que par elles je puisse monter à d’autres plus élevées.
5. Mais où est l’obstacle qui entrave notre marche dans la voie des justifications de Dieu, de manière que l’homme ne s’élève que difficilement à ces merveilles ? Quel obstacle pouvons-nous croire, sinon celui dont il prie Dieu de le délivrer dans le verset suivant : « Éloignez de moi la voie de l’iniquité[445] ». Et parce que la loi des œuvres est survenue pour faire abonder le péché[446], le Prophète continue en disant : « Et par votre loi prenez-moi en pitié ». Par quelle loi, sinon par la loi de la foi ? Écoute l’Apôtre : « Où est donc votre glorification ? Elle est anéantie. Par quelle loi ? celle des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi[447] ». C’est donc par cette loi de la foi que nous croyons, et que nous sollicitons le don de la grâce, afin de faire ce que nous ne saurions faire par nous-mêmes ; de peur que méconnaissant la justice de Dieu, et voulant établir la nôtre, nous ne manquions de soumission pour la justice de Dieu[448]. Ainsi donc dans la loi des œuvres, c’est la justice de Dieu qui ordonne ; et dans la loi de la foi, c’est sa miséricorde qui nous soutient.
6. Après avoir dit : « Dans votre loi, ayez pitié de moi », il semble prendre acte, si l’on peut s’exprimer ainsi, des bienfaits du Seigneur, pour obtenir de lui d’autres grâces qu’il n’a point encore. « J’ai choisi », dit-il, « la voie de la vérité ; je n’ai point oublié vos jugements. Je me suis attaché à vos témoignages, ne me couvrez point de confusion. J’ai choisi la voie de la vérité », afin d’y courir : « Je me suis attaché à vos témoignages », tandis que j’y courais : « Seigneur, ne me couvrez point de confusion[449] » : que je m’avance vers mon but, que j’y arrive enfin ; car le tout ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu, qui fait miséricorde[450]. Enfin : « J’ai couru dans la voie de vos commandements », dit le Prophète, « lorsque vous avez dilaté mon cœur[451] ». Je ne pourrais courir, si vous n’aviez dilaté mon cœur. Ce verset nous explique très bien ce qui est dit plus haut : « J’ai choisi la voie de la vérité, je n’ai point oublié vos jugements, je me suis attaché à vos témoignages ». Telle est en effet la marche dans la voie des commandements de Dieu. Et comme l’interlocuteur fait valoir auprès de Dieu les bienfaits qu’il a reçus de lui plutôt que ses propres mérites, comme si on lui disait : Comment as-tu pu courir dans cette voie, la choisir, ne pas oublier les jugements de Dieu, et t’attacher à ses témoignages ? L’as-tu pu par toi-même ? Non, répond-il. Comment donc ? « J’ai couru dans la voie de vos préceptes », nous dit-il, « parce que vous avez dilaté mon cœur ». Ce n’est donc point par ma propre volonté, et sans aucun besoin de votre secours ; mais quand il vous a plu de « dilater mon cœur ». Cette dilatation du cœur, c’est la joie dans les œuvres de justice ; et cette joie est un don de Dieu, qui nous fait observer ses préceptes, non dans les angoisses de la crainte, mais dans le délicieux amour de la justice. Et telle est la dilatation du cœur que Dieu nous promet, quand il dit : « J’habiterai en eux, je marcherai au milieu d’eux[452] ». Combien on doit être au large où. Dieu se promène ! C’est dans cette latitude que la charité se répand dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[453]. De là cette parole de l’Écriture : « Que vos eaux coulent dans vos places publiques[454] ». Le mot place publique, ou platea, vient d’un mot grec exprimant l’étendue ; car platu, en grec, signifie large. C’est au sujet de ces eaux que le Seigneur s’écrie : « Qu’il vienne à moi celui qui a soif. Si quelqu’un croit en moi, des fleuves d’eau vive jailliront de ses entrailles[455] » ; et l’Évangéliste nous donne cette explication : « Il parlait ainsi à propos de l’Esprit-Saint, que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ». On pourrait discourir longuement à propos de cette dilatation du cœur, mais je m’aperçois que ce discours est déjà bien long.
ONZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLE PROGRÈS DANS LA PIÉTÉ.
modifierLe Prophète qui a déjà couru dans la voie des commandements, supplie le Seigneur de lui poser comme une loi la voie de ces mêmes commandements, ou de l’aider à y courir jusqu’à ce qu’il arrive à la palme promise, Il recherche toujours cette voie, en s’efforçant de pratiquer ces préceptes, et comme cette voie est la vérité, il la possédera à jamais. Il ne veut pas connaître la loi selon la lettre seulement, mais encore selon ta pratique ; alors il supplie Dieu de le conduire en inclinant son cœur vers les préceptes, et non vers les convoitises qui firent tomber le vieil Adam.
1. Dans notre psaume si étendu, voici ce qu’il nous faut considérer et exposer avec le secours du Seigneur. « Faites-moi, Seigneur, une loi de la voie de vos commandements, et que je la recherche toujours[456] ». L’Apôtre nous dit : « La loi n’est pas établie pour le juste, mais pour les injustes et les rebelles », et le reste, puis il conclut ainsi : « Et pour tout ce qui est opposé à la saine doctrine, laquelle est selon l’Évangile de la gloire du Dieu de béatitude, qui m’a été confié[457] ». Or, celui qui nous dit : « Faites-moi, Seigneur, une loi », était-il de ceux pour qui saint Paul a dit que la loi était faite ? Loin de là. S’il en était, il n’aurait pas dit plus haut : « J’ai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez dilaté mon cœur ». Pourquoi donc demander que Dieu lui impose une loi, puisqu’il n’est point de loi pour le juste ? Ou bien n’y aurait-il pas de loi pour le juste, dans le même sens qu’elle est établie pour le peuple rebelle, sur des tables de pierre[458], et non sur des tables de chair, qui sont les cœurs[459] ; selon l’Ancien Testament, du mont Sinaï qui engendre pour la servitude[460] et non selon le Testament Nouveau, dont le prophète Jérémie a dit : « Voilà que viennent les jours, dit le Seigneur, et j’établirai une nouvelle alliance avec la maison d’Israël et la maison de Juda : non pas l’alliance que j’ai formée avec leurs pères, dans les jours où je les pris par la main, pour les tirer de la terre d’Égypte et parce qu’ils ne sont pas demeurés dans cette alliance, je les ai punis, dit le Seigneur. Voici, en effet, l’alliance que j’ai faite avec la maison d’Israël : après ces jours-là, dit le Seigneur, je graverai mes lois jusque dans leurs entrailles, et je les écrirai dans leurs cœurs[461] ». C’est ainsi qu’il supplie le Seigneur de lui imposer une loi, non plus comme aux injustes et aux rebelles qui n’appartiennent pas au Nouveau Testament, une loi sur des tables de pierre ; mais une loi qui convienne à la sainte génération de l’Épouse libre, ou de la Jérusalem céleste, aux enfants de la promesse, aux fils de l’héritage éternel, dans le cœur desquels Dieu écrit sa loi, de son doigt par le Saint-Esprit ; non plus pour qu’ils en conservent la mémoire pendant qu’ils la négligeront dans la pratique ; mais afin qu’ils la connaissent pour la comprendre, qu’ils la pratiquent en l’aimant d’un cœur dilaté par la charité, et non resserré par la crainte. Agir, en effet, par la crainte du châtiment, et non par l’amour de la justice, c’est agir en quelque sorte malgré soi. Mais celui qui agit malgré lui, voudrait, s’il était possible, qu’il n’y eût point de commandement ; et dès lors il est l’ennemi, et non point l’ami de cette loi, qu’il souhaite qu’on ne lui ait point imposée ; son action, dès lors, ne saurait être pure, quand sa volonté est corrompue. On ne saurait dire alors ce que dit le Prophète dans les versets précédents : « J’ai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez dilaté mon cœur » ; puisque cette dilatation signifie la charité, qui est, selon l’Apôtre, la plénitude de la loi[462].
2. Pourquoi donc le Prophète veut-il encore qu’on lui impose une loi, puisque si cette loi ne lui eût déjà été donnée, il n’aurait pu, dans la dilatation de son cœur, courir dans la voie des commandements de Dieu ? Mais comme l’interlocuteur s’avance dans la vertu, comme il sait que cet avancement il le doit à la grâce de Dieu ; demander qu’une loi lui soit imposée, qu’est-ce autre chose que demander d’y faire de nouveaux progrès ? Car, présentez, par exemple, une coupe toute pleine à l’homme qui a soif, il la boit et l’épuise, et en demande encore. Quant aux injustes[463], aux rebelles, qui n’ont reçu la loi que sur des tables de pierre, cette loi en a fait des prévaricateurs, et non des enfants de la promesse. Mais s’en souvenir et ne pas l’aimer, c’est être également coupable ; car la mémoire est en quelque sorte une pierre écrite, et qui est plutôt un fardeau qu’un ornement : c’est un poids et non un titre d’honneur. Cette loi, le Prophète l’appelle une voie des justifications de Dieu, et elle ne diffère en rien de la voie des préceptes de Dieu, que le Prophète nous dit avoir parcourue dans la dilatation de son cœur. Il a donc couru, il court encore, jusqu’à ce qu’il atteigne cette manne céleste, à laquelle Dieu l’a appelé d’en haut. Enfin, après avoir dit : « Donnez-moi, Seigneur, pour loi, la voie de vos justifications » ; le Prophète ajoute : « Et que je la recherche toujours ». Pourquoi demander ce qu’il a déjà, sinon parce qu’il possède cette loi en l’accomplissant, et qu’il en cherche les progrès ?
3. Mais que signifie « toujours ? » N’y aura-t-il point de fin à ses recherches ? En est-il de même que dans ces paroles : « Sa louange e sera toujours en ma bouche[464] », parce qu’il n’y aura point de fin à la louange de Dieu ? Car nous ne cesserons las de le louer quand nous serons parvenus au royaume éternel, puisque nous lisons : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles[465] ! » Ou bien « toujours » doit-il s’entendre du temps de la vie, parce que c’est alors que l’on avance dans la vertu, et qu’après cette vie, celui qui aura fait des progrès sera parfait ? Cette expression reviendrait à ce que nous dit saint Paul de certaines femmes qu’« elles apprennent toujours » ; mais c’est alors en mauvaise part, puisqu’il ajoute qu’« elles n’arrivent jamais à la science de la vérité[466] ». Celui au contraire qui va toujours en progressant arrive enfin où il s’est efforcé d’arriver, et où il n’y a plus de progrès, parce qu’on demeure éternellement dans cette perfection. Toutefois en disant de ces femmes qu’« elles apprennent toujours », saint Paul n’a point prétendu qu’après leur mort elles continueront à étudier des choses vaines et sans profit, puisqu’à ces doctrines succéderont, non plus des études, mais les supplices éternels. Rechercher donc la loi de Dieu en cette vie, c’est y faire des progrès par sa science et par l’amour ; dans l’autre vie, au contraire, il n’y aura plus à chercher cette loi dans sa plénitude, mais à en jouir. Mais voici ce qui est dit encore : « Cherchez toujours sa face[467] ». Où sera-ce « toujours », sinon en cette vie ? Car en l’autre nous ne chercherons pas la face de Dieu, puisque nous le verrons face à face[468]. Si néanmoins on peut dire que l’on cherche toujours une chose parce qu’on l’aime sans dégoût, et qu’on le fait pour ne point la perdre, nous rechercherons sans fin la loi de Dieu, c’est-à-dire la vérité de Dieu ; car il est dit dans ce même psaume : « Et votre loi est la vérité[469] ». On la cherche maintenant pour la posséder ; alors on la possédera pour ne point l’abandonner ; selon qu’il est écrit de l’Esprit de Dieu, qu’il pénètre tout, même les profondeurs de Dieu[470] : non point pour apprendre ce qu’il ne connaît point, mais parce qu’il n’y a rien qu’il ne connaisse.
4. C’est donc proclamer bien haut la grâce de Dieu, que demander au Seigneur de nous poser une loi, comme le fait le Prophète qui connaissait la loi selon la lettre. Mais parce que la lettre tue, et que l’esprit vivifie[471], il demande à faire par l’esprit ce qu’il savait par la lettre, de peur que cette connaissance d’un précepte négligé ne le rende coupable d’une prévarication nouvelle. Toutefois, connaître une loi comme on doit la connaître, c’est-à-dire comprendre ce qu’elle ordonne, pourquoi elle a été donnée à ceux qui ne devaient point l’observer ; quelle en était l’utilité en cela même qu’elle est survenue pour faire abonder le péché[472], c’est ce que ne saurait faire un homme, à moins que Dieu ne lui en ait donné l’intelligence. Aussi le Prophète a-t-il ajouté : « Donnez-moi l’intelligence, et je sonderai votre loi, et je la garderai de tout mon cœur[473] ». Lorsqu’en effet un homme a sondé la loi, qu’il est arrivé à ces hauteurs qui en font toute l’essence, il doit alors aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, et son prochain comme lui-même. Ces deux commandements renferment la loi et les Prophètes[474]. Voilà ce qu’il semble promettre à Dieu, quand il dit : « Et je la garderai de tout mon cœur ».
5. Mais comme il n’en saurait venir là par ses propres forces, et sans le secours de celui qui fait ce commandement, voilà que le Prophète supplie le Seigneur de lui faire accomplir ce qu’il ordonne : « Conduisez-moi dans les sentiers de vos commandements, car c’est là que je me plais[475] ». C’est peu de ma volonté, si vous-même ne me conduisez où je veux aller. Or, c’est bien là le sentier, la voie des commandements rie Dieu, où il avait couru, disait-il, dans la dilatation de son cœur ; et s’il l’appelle un sentier, c’est qu’elle est étroite, cette voie qui conduit à la vie[476] ; et comme elle est étroite, on ne saurait y courir, si le cœur n’est dilaté.
6. Mais parce qu’il s’avance toujours, qu’il court toujours ; et c’est ce qui lui fait implorer le secours d’en haut qui doit le faire aboutir, ce qui n’appartient ni à la course ni à la volonté, mais à la divine miséricorde[477] ; enfin, parce que c’est Dieu qui produit en nous le vouloir[478], et que le Seigneur même nous prépare la volonté, le Prophète continue : « Inclinez mon cœur vers vos préceptes, et non vers l’avarice[479] ». Qu’est-ce à dire, avoir le cœur incliné vers un objet, sinon le vouloir ? Il a donc voulu déjà, et il demande de vouloir encore. Il a voulu, quand il a dit : « Conduisez-moi dans le sentier de vos commandements, car c’est là que je me plais » ; il demande de vouloir encore, quand il dit : « Inclinez mon cœur vers vos témoignages, et non vers l’avarice ». Ce qu’il demande alors, c’est que sa volonté soit de plus en plus forte. Or, quels sont les témoignages de Dieu, sinon ceux par lesquels il se rend témoignage à lui-même ? C’est avec le témoignage que l’on fait une preuve, et dès lors, c’est par des témoignages que Dieu prouve ses œuvres de justice et ses préceptes ; par ses témoignages qu’il nous persuade ce qu’il lui plaît ; et c’est vers ces témoignages que le Prophète le supplie d’incliner son cœur, et non vers l’avarice. C’est par ces témoignages que Dieu nous amène à lui rendre un culte gratuit, ce que ne permettrait point l’avarice, qui est la racine de tous les maux. Il y a dans le texte grec un mot qui désigne l’avarice en général ou le désir excessif, car pleon signifie en latin plus ou davantage, et exis désigne ce que l’on possède, en latin habere. Ainsi donc, avoir plus a fait pleonexia, que plusieurs interprètes latins ont traduit ici par emolumentum, profit, d’autres par utilitas, avantage, d’autres mieux encore, par avaritia, avarice. L’Apôtre nous dit donc que u l’avarice est la racine de tous les « maux[480] ». Mais dans le grec, d’où ces paroles ont été traduites dans notre langue, l’Apôtre ne s’est point servi de pleonexia, que nous lisons dans notre psaume, il a employé celui de philaguria qui désigne l’amour de l’argent. Il faut voir dans cette expression l’espèce pour le genre, et dans l’amour de l’argent, cette convoitise universelle qui est véritablement la racine de tous les maux. Nos premiers parents n’eussent point été séduits et renversés par le serpent, s’ils n’avaient voulu avoir plus qu’ils n’avaient, être plus qu’ils n’étaient. C’est là en effet ce que leur avait promis le serpent : « Vous serez comme des dieux[481] », leur avait-il dit. Telle fut donc la pleonexia qui les fit succomber. Voulant avoir plus qu’ils n’avaient, ils perdirent ce qu’ils avaient reçu. Le droit civil nous montre une lueur de cette vérité répandue partout, dans cette clause qui déboute celui qui demande plus que son droit ; c’est-à-dire qui fait perdre même ce que l’on doit à celui qui réclame plus qu’il ne lui est dû. Or, c’est retrancher de nous toute avarice, que rendre à Dieu un culte gratuit. C’est de là que cet ennemi tirait une accusation contre Job, dans le rude combat de l’épreuve, quand il dit « Est-ce gratuitement que Job sert le Seigneur[482] ? » Le diable croyait en effet que dans le culte qu’il rendait à Dieu, cet homme juste avait le cœur incliné vers l’avarice, qu’il ne servait Dieu que pour ces grands avantages des biens temporels, dont le Seigneur l’avait comblé, comme le mercenaire qui cherche une semblable récompense mais dans cette épreuve il montra qu’il servait Dieu gratuitement. Si donc notre cœur n’est point enclin à l’avarice, nous ne servons Dieu que pour Dieu, en sorte qu’il est luimême la récompense de notre culte. Aimons-le en lui-même, aimons-le en nous, aimons-le dans le prochain que nous aimons comme nous-mêmes, soit qu’il possède le Seigneur, soit afin qu’il le possède. Et comme c’est par sa grâce que ce bien nous arrive, le Prophète lui dit : « Inclinez mon cœur vers vos témoignages, et non vers l’avarice ». Remettons la suite à un autre discours.
DOUZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA VANITÉ ET L’ENVIE.
modifierIci-bas nous sommes assujettis à la vanité, et le Psalmiste en veut détourner ses yeux, c’est-à-dire, ou qu’il veut être du nombre de ceux qui en seront délivrés, ou peut-être voudrait-il n’avoir jamais ni la vanité pour but de ses actions, c’est-à-dire la louange qui vient des hommes, ni mène le bien-être de cette vie, autrement il n’y aurait plus de martyrs. Faire cette prière, c’est reconnaître le besoin de a grâce ; aussi le Prophète veut-il être affermi dans la crainte qui sanctifie.
Éloigner de lui l’opprobre du soupçon signifierait le détourner de soupçonner le mal chez les autres, ce qui est le propre de l’envie ; et dès lors il veut être vivifié dans la justice de Dieu, ou dans la charité qui est le Christ.
1. Dans le psaume que nous avons entrepris d’expliquer, le Prophète continue : « Détournez mes yeux, afin qu’ils ne voient pas la vanité ; vivifiez-moi dans votre voie[483] ». Vanité et venté sont fort opposées. L’amour de ce monde est vanité, mais le Christ qui nous délivre de ce monde est vérité. Il est la voie dans laquelle notre Prophète veut être vivifié, parce qu’il est aussi la vie ; il a dit en effet : « Je suis la voie la vérité et la vie[484] ». Mais qu’est-ce à dire : « Détournez mes yeux, afin qu’ils ne voient point la vanité ? » Est-ce que l’on peut dérober à nos yeux la vanité pendant notre séjour sur la terre ? « Toute créature, en effet, est soumise à la vanité[485] » ; ce que l’on entend de la vanité qui est dans l’homme ; et encore : « Tout est vanité : quel est pour l’homme le profit du labeur qu’il s’impose sous le soleil[486] ? » Le Prophète voudrait-il demander à Dieu que sa vie ne soit point sous le soleil, où but est vanité, mais eu celui dans lequel il veut être vivifié ? Car celui-là s’est élevé non seulement au-dessus du soleil, mais « par-dessus tous les cieux, afin de remplir toutes choses[487] ». Et c’est plus en lui que sous le soleil que vivent ceux qui n’écoutent pas en vain cette parole de saint Paul : « Cherchez ce qui est en haut, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; n’ayez du goût que pour les choses d’en haut, et non pour celles d’ici-bas, car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ[488] ». Et dès lors, si notre vie est où est aussi la vérité, elle n’est point sous le soleil, où est la vanité. Mais nous ne possédons un si grand bien que par l’espérance, et non en réalité. Et l’Apôtre n’a tenu ce langage que selon l’espérance ; car, après avoir dit de la créature qu’elle est assujettie à la vanité, il ajoute que c’est contre son gré, et à cause de celui qui l’y a soumise dans l’espérance. C’est donc dans l’espérance de demeurer un jour fixés à la contemplation de la vérité, que nous sommes en attendant soumis aux choses vaines. Car la créature spirituelle, et animale et corporelle, se trouve dans l’homme, ou plutôt est l’homme lui-même. Elle a péché de son plein gré, et dès lors est devenue ennemie de la vérité ; et son juste châtiment est d’être assujettie à la vanité contre son gré. Enfin l’Apôtre ajoute un peu plus loin : « Non seulement ces créatures, mais nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit[489] », c’est-à-dire nous qui sommes soumis à Dieu, et non à la vanité, non pas assurément dans tout ce que nous sommes, mais dans la supériorité que nous avons sur les animaux, ou par les prémices de l’esprit : « Nous gémissons en nous-mêmes dans l’attente de l’adoption qui sera la délivrance de notre corps. Nous sommes sauvés en effet, mais par l’espérance ; car l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance ; comment espérer ce qu’on voit déjà ? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience ». Aussi longtemps que nous sommes dans un corps dont nous espérons avec patience être délivrés par l’adoption divine, nous sommes assujettis à la vanité, en ce qu’il y a de nous sous le soleil. Comment donc serions-nous en état de ne point voir la vanité, à laquelle nous sommes assujettis en espérance ? Pourquoi dès lors le Prophète nous dit-il : « Détournez mes yeux, afin qu’ils ne voient point la vanité ? » Voudrait-il demander, non point que s’accomplisse en cette vie ce qui est l’objet de notre espérance, mais qu’il soit au nombre de ceux en qui cette espérance pourra s’accomplir aussitôt qu’« ils seront délivrés de la corruption » dans l’esprit, dans l’âme et dans le corps, pour être admis à la liberté et
à la gloire des enfants de Dieu, où ils ne verront plus la vanité ?
2. On peut entendre ainsi ces paroles et demeurer dans les règles de la foi : mais il est un antre sens qui, je l’avoue, me sourit davantage. Le Seigneur dit dans l’Évangile : « Si votre œil est pur, tout votre corps sera lumineux ; mais si votre œil est mauvais, tout votre corps sera ténébreux. Si donc la lumière qui est en vous est ténèbres, combien grandes seront les ténèbres elles-mêmes[490] ? » Dès lors ce qui devient très important dans nos actions, c’est le motif qui nous fait agir. Car une action ne doit pas être pesée par l’action elle-même, mais par l’intention ; c’est-à-dire qu’il ne faut pas considérer si elle est bonne en elle-même seulement, mais surtout si elle est bonne dans l’intention qui nous fait agir. Or, ces yeux par lesquels nous examinons ce qui nous fait agir, le Prophète demande à Dieu de les détourner afin qu’ils ne voient point la vanité ; c’est-à-dire, afin qu’il ne se propose point la vanité, quand il fait une bonne action. Or, ce qui vient au premier rang dans cette vanité, c’est l’amour des louanges humaines, qui a été le mobile de tant de grandes actions dans ceux à qui le monde a décerné le nom de grands, et que les villes païennes ont comblés de tant de louanges. Ils cherchaient, non la gloire qui vient de Dieu, mais celle qui vient des hommes ; et pour cette gloire ils vivaient dans une sorte de prudence, de courage, de tempérance, de justice ; obtenir cette gloire, c’était obtenir leur récompense, vain salaire d’une vaine ambition. C’est d’une telle vanité que le Seigneur veut détourner nos yeux, quand il nous dit : « Gardez-vous de te faire votre justice devant les hommes, afin qu’ils vous voient ; autrement vous n’aurez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux[491] ». Puis énumérant quelques parties de cette justice, comme l’aumône, la prière, le jeûne, il avertit de ne faire aucune de ces œuvres en vue d’une gloire humaine, et partout il dit que ceux qui agissent de la sorte, ont reçu leur récompense, non point cette récompense éternelle que nous réserve notre Père avec les saints, mais cette récompense temporelle qu’ils recherchent en se proposant la vanité dans les œuvres qu’ils accomplissent. Sans doute il ne faut pas incriminer la louange humaine (qu’y a-t-il en effet de plus désirable parmi les hommes que l’agrément dans ce qu’ils doivent imiter ?) mais agir en vue de cette louange, c’est envisager la vanité dans ses actions, Quelque louange que l’homme de bien reçoive de la part des hommes, elle ne doit pas être la fin de ses bonnes œuvres, mais il doit la reporter à Dieu pour qui seul le véritable juste fait le bien, car il ne le fait point de lui-même, mais par le secours de Dieu. Aussi le Sauveur avait-il déjà dit dans le même discours : « Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux[492] ». C’est là qu’il nous donne comme fin la gloire de Dieu, que nous devons toujours nous proposer, quand nous faisons une bonne œuvre, si nos yeux se détournent de la vanité. Dans nos bonnes œuvres dès lors, ne nous proposons jamais les louanges des hommes, redressons au contraire ces louanges, et rapportons-les à la gloire de Dieu, qui nous donne ce que l’on peut louer en nous sans erreur. Or, s’il y a vanité à faire le bien pour en être loué par les hommes, combien sera-t-il plus frivole encore de le faire pour acquérir, pour grossir, pour retenir des trésors ou tout autre bien temporel qui nous vient de l’extérieur ? Car « tout est vanité, et quel avantage revient à l’homme de tout ce labeur qu’il s’impose sous le soleil[493] ? » Nous ne devons pas même faire nos bonnes œuvres pour la santé de cette vie, mais bien plutôt pour le salut éternel, où nous jouirons d’un bien immuable, qui nous viendra de Dieu, ou mieux qui sera Dieu lui-même. Si, en effet les saints n’eussent eu dans leurs bonnes œuvres d’autre but que la santé de cette vie, jamais les martyrs n’eussent perdu cette vie pour l’œuvre glorieuse de confesser le Christ. Mais ils ont reçu le secours au milieu de la tribulation, ils n’ont point envisagé la vanité, car le salut qui vient des hommes n’est que vanité[494] ; ils n’ont point désiré les jours de l’homme[495], parce que l’homme est assimilé à la vanité, et que ses jours passent comme l’ombre[496].
3. Mais demander à Dieu ce qui paraît en notre pouvoir, c’est-à-dire qu’il nous donne de détourner nos yeux de la vanité, n’est-ce pas proclamer le besoin de sa grâce ? Plusieurs en effet n’ont pas détourné leurs yeux de celte vanité, ils ont cru par eux-mêmes devenir justes et bons, et ils ont préféré la gloire des hommes à celle de Dieu[497] : car ils sont hommes aussi, et ont mis en eux-mêmes leur complaisance, et ont trop présumé des forces de leur libre arbitre. Mais là encore il y a vanité et présomption d’esprit[498]. Aussi, après avoir dit : « Détournez mes yeux de peur qu’ils ne voient la vanité ; donnez-moi la vie dans votre voie[499] » ; comme cette voie n’est pas la vanité, mais la vérité, le Prophète ajoute : « Affermissez votre parole dans votre serviteur, afin qu’il vous craigne[500] ». Qu’est-ce dire autre chose que, donnez-moi d’accomplir ce que vous ordonnez ? Car cette parole n’est pas affermie dans ceux qui l’ébranlent en eux-mêmes en faisant ce qui lui est contraire ; mais être affermie chez un homme, c’est y être immobile. Dieu donc a affermi sa parole dans la crainte, chez tous ceux à qui il domine l’esprit de crainte. Or, telle n’est pas la crainte qui a fait dire à l’Apôtre : « Vous n’avez point reçu l’Esprit de servitude pour agir encore par la crainte[501] » ; puisque cette crainte est bannie par la charité[502] ; mais la crainte dont il est ici question est celle que le Prophète appelle Esprit de crainte de Dieu[503] ; crainte qui est chaste, qui demeure dans le siècle des siècles[504], crainte qui n’ose déplaire à celui qu’on aime. Autre est en effet la crainte que l’Époux inspire à l’Épouse adultère, autre celle de l’Épouse chaste ; l’une craint qu’il ne vienne, l’autre qu’il ne s’éloigne.
4. « Éloignez de moi l’opprobre que je soupçonne, parce que vos jugements sont pleins de douceur[505] ». Qui donc a des soupçons au sujet de son opprobre, et qui ne le connaît pas plus parfaitement que l’opprobre d’aucun autre ? On peut avoir des soupçons quand il s’agit des autres, mais non quand il s’agit de soi-même ; car soupçonner c’est encore ignorer. Or, on ne soupçonne point son opprobre, on en a une science certaine, puisque la conscience parle. Que signifie donc cette parole : « Mon opprobre que je soupçonne ? » C’est dans les versets précédents que nous en pourrons découvrir le sens. Tant qu’un homme ne détourne point ses yeux pour qu’ils ne voient pas la vanité, il soupçonne chez les autres ce qu’il sent en lui-même ; et il croit facilement que dans le culte qu’il rend à Dieu, dans les bonnes œuvres qu’il fait, tel autre a le même but qu’il se propose lui-même. Les hommes en effet peuvent voir nos actions ; mais le dessein qui nous fait agir est caché : de là le soupçon, et chez un homme l’audace de juger des secrets des autres, d’en juger souvent à faux, et toujours témérairement, quand même le soupçon toucherait à la vérité. C’est pourquoi le Seigneur, en parlant de l’intention qui doit nous faire agir dans nos bonnes œuvres, et voulant détourner nos yeux de la vanité, nous avertit de ne pas faire le bien à cause des louanges des hommes, en disant : « Gardez-vous de faire votre justice devant les hommes afin d’en être vus[506] ». Il nous avertit aussi de ne les point faire par le désir de l’argent, en disant : « Ne vous amassez point des trésors sur la terre[507] » ; et encore « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent[508] ». Il nous détourne encore d’agir en vue de la nourriture et du vêtement, en disant : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez[509] ». Après nous avoir donné tous ces avis, comme nous pouvons soupçonner de pareilles intentions chez ceux dont nous voyons les œuvres de justice sans voir leurs desseins, le Sauveur ajoute : « Ne jugez point, de peur d’être jugés[510] ». C’est pourquoi, après avoir dit : « Éloignez de moi l’opprobre que je soupçonne », le Prophète ajoute : « Parce que vos jugements sont pleins de douceur » ; c’est-à-dire, parce que vos jugements sont vrais. Quiconque aime la vérité, proclame la douceur de ce qui est vrai. Quant aux jugements des hommes sur les secrets des cœurs, ils ne sont point doux à cause de leur témérité. Il appelle donc son opprobre celui qu’il soupçonne dans les autres ; car l’Apôtre l’a dit : « En se comparant eux-mêmes à eux-mêmes[511] », ils se jettent dans l’erreur, et l’homme en effet soupçonne facilement chez les autres ce qu’il sent en lui. C’est pourquoi le Prophète supplie le Seigneur d’éloigner de lui cet opprobre qu’il sentait en lui-même et qu’il soupçonnait chez les autres, afin de ne point ressembler au diable qui avait soupçonné les motifs cachés du saint homme Job. Il ne croyait point que Job servît Dieu gratuitement, et demanda le pouvoir de le tenter, afin de trouver en lui la faute qu’il lui reprochait[512].
5. Mais, il n’y a que l’envie qui soupçonne le mal chez les autres ; dans son impuissance à dénigrer une bonne action, car ce qui est extérieur s’affirme de soi-même, elle s’en prend à l’intention qui est secrète, et ne s’affirme point ; quiconque dès lors peut la soupçonner mauvaise, parce qu’il ne voit pas ce qui se dérobe, et qu’il porte envie à ce qui est évident. À cette inclination perverse, qui nous porte à soupçonner chez les autres un mal que nous ne voyons point, il faut opposer la charité qui n’est point jalouse[513], et que le Seigneur nous recommande si particulièrement quand il dit : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres[514] » ; et encore : « Tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». Et au sujet de l’amour de Dieu et du prochain, « toute la loi », nous dit-il, « est renfermée dans ces deux commandements, ainsi que les Prophètes[515] ». Aussi le Prophète, contrairement à ce soupçon, dont il veut être délivré, dit-il à Dieu : « Voilà que j’ai désiré vos commandements, vivifiez-moi dans votre justice[516] ». Voilà que j’ai désiré de vous aimer de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon esprit, et mon prochain comme moi-même ; « vivifiez-moi dans votre justice », et non dans la mienne, ou plutôt comblez-moi de celte charité que j’ai désirée. Soutenez-moi dans l’accomplissement de ce que vous recommandez, donnez-moi vous-même ce que vous m’ordonnez. « Vivifiez-moi dans votre justice » ; car j’ai en moi de quoi mourir, mais ce n’est qu’en vous que je trouve de quoi vivre. « Votre justice, c’est le Christ qui nous a été donné par Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption ; afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur[517] ». C’est en lui que je trouve votre loi que je désire, afin que vous me donniez la vie dans votre justice, ou plutôt en lui-même. Car c’est lui qui est le Verbe Dieu, et le Verbe s’est fait chair, afin d’être aussi mon prochain[518].
TREIZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA VIE DANS LE CHRIST.
modifierLe Prophète supplie le Seigneur de le vivifier dans la justice ou dans le Christ, et c’est là un acte de miséricorde et de salut envers les enfants de la promesse. Alors il répondra une parole à ceux qui lui reprochent une parole. Cette parole, c’est le Christ, que nous reprochent ceux que la croix scandalise ; c’est le Christ encore, que répondent les martyrs, et ceux qui après une chute Sont revenus à lui comme Pierre : cette parole n’a donc pas été pour jamais ôtée de leur bouche. C’est alors que le Prophète gardera la loi de Dieu en cette vie et en l’autre.
1. Au sermon d’hier il faut joindre celui-ci sur les versets suivants du plus long des psaumes. Voici ces versets : « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, vienne sur moi[519] ». Ces paroles semblent se rapporter aux précédentes ; car le Prophète ne dit point : « Que votre miséricorde vienne sur moi » ; mais : « Et que votre miséricorde ». Or, voici les paroles qui précèdent : « Voilà que j’ai désiré vos commandements ; vivifiez-moi dans votre justice ». Puis il continue : « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi ». Que demande le Prophète, sinon d’accomplir par la divine miséricorde les préceptes qu’il a désirés ? Il explique en quelque sorte le sens de ces paroles : « Vivifiez-moi dans votre justice », quand il ajoute : « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi, ainsi que votre salut selon votre parole » ; c’est-à-dire, selon votre promesse. De là vient que saint Paul veut que nous nous regardions comme les fils de la promesse[520], afin que nous rapportions tout ce que nous sommes à la grâce de Dieu, sans nous en rien attribuer à nous-mêmes. « Car le Christ nous a été donné par Dieu, comme notre sagesse, notre justice et notre sanctification, notre rédemption, afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur[521] ». Quand donc le Prophète nous dit : « Vivifiez-moi dans votre justice », il demande la vie dans le Christ, et telle est la miséricorde qu’il supplie Dieu de faire descendre sur lui. C’est aussi le Christ qui est le « salut de Dieu » ; et ce mot nous fait voir quelle miséricorde voulait appeler sur lui le Prophète, quand il disait ; « Et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi ». Si nous voulons savoir quelle est cette miséricorde, écoutons ce qui suit « Votre salut, selon votre parole u. Voilà ce qui nous est promis par Celui qui appelle ce qui n’est point encore, comme s’il était déjà[522] ». Il n’y avait personne encore à qui il pût faire des promesses, afin que nul ne se glorifiât de ses mérites. Et ceux à qui la promesse a été faite ont été promis eux-mêmes, afin que tout le corps du Christ pût dire : « Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis[523] ».
2. « Et je répondrai », dit le Prophète, « à ceux qui me reprochent une parole[524] ». On ne sait s’ils me reprochent une parole, ou si je répondrai une parole ; mais l’un et l’autre nous désignent le Christ. C’est lui que nous reprochent ceux pour qui la croix est un scandale ou une folie[525] ; qui ne savent point que le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous, et que ce Verbe était au commencement en Dieu, était Dieu[526]. Mais, quand même ils ne nous reprocheraient point ce Verbe qu’ils ignorent, puisqu’ils n’en reconnaissent point la divinité, eux qui ont méprisé sa faiblesse à la croix, nous leur répondons néanmoins ce Verbe, notas disons que leurs reproches ne nous inspirent ni frayeur, ni confusion. « S’ils eussent en effet con nu le Verbe, « ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire[527] ». Mais pour répondre le Verbe à ceux qui nous font des reproches, il faut que la divine miséricorde soit descendue sur nous, que son salut soit venu pour nous protéger, et non pour nous briser. Car il viendra, pour les briser, sur quelques-uns qui méprisent maintenant son humilité, et qui seront broyés en se heurtant contre lui. Voici ce qu’il dit dans l’Évangile : « Quiconque heurtera cette pierre s’y brisera, elle écrasera celui sur qui elle tombera[528] ». Nous reprocher le Christ, c’est donc le heurter et s’y briser. Pour nous, mes frères, loin de nous heurter et de nous briser contre lui, loin de craindre leurs injures, répondons-leur une parole, « parole de la foi que nous prêchons. Car si tu crois en ton cœur que le Christ est le Seigneur, et si tu confesses de bouche que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé. Car on croit de cœur pour être juste, et l’on confesse de bouche pour être sauvé[529] ». C’est donc peu d’avoir le Christ dans son cœur, et de ne point le confesser par crainte des injures ; mais à ceux qui nous le rejettent comme un opprobre, il faut répondre hautement le Verbe. Afin que les martyrs pussent le faire, voici ce qui leur fut promis : « Ce n’est point vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous[530] ». Aussi, après avoir dit : « Je répondrai une parole à ceux qui m’injurient », le Prophète a-t-il ajouté : « Parce que j’ai espéré en vos paroles » ; c’est-à-dire, en vos promesses.
3. Mais comme plusieurs, tout initiés qu’ils étaient au corps du Christ, qui parle ici, accablés sous le poids des persécutions, n’ont pu supporter ces opprobres, et sont tombés en reniant le Christ, le Prophète continue : « N’ôtez pas à jamais de ma bouche la parole de vérité[531] ». N’ôtez pas de ma bouche, est-il dit, car c’est l’unité de tout le corps qui parle, et l’on compte parmi ses membres ceux qui ont failli, renégats d’un instant, mais sont ressuscités par la pénitence, ou bien ont regagné, par une confession nouvelle, cette palme du martyre qu’ils avaient d’abord perdue. Ainsi ce ne fut pas « à jamais », usque valde, ou « pour toujours », usquequaque, comme on trouve en certains manuscrits, c’est-à-dire d’une manière absolue, que la parole fut retirée à saint Pierre, alors type de l’Église. Bien que troublé par la crainte il ait un moment renié son Dieu, il se releva par ses larmes[532], et mérita par une glorieuse confession la couronne glorieuse. C’est donc tout le corps de Jésus-Christ, l’Église entière, qui parle ici ; et dans ce corps entier, la parole n’a pas été ôtée à jamais de sa bouche, soit parce que devant l’apostasie d’un grand nombre d’autres demeuraient forts, et combattaient jusqu’à la mort pour la vérité, soit parce que dans ces renégats beaucoup se relevaient. Quand nous entendons dire à Dieu : « N’ôtez pas », il nous faut comprendre : Ne souffrez pas que l’on m’ôte ; dans le même sens que nous disons dans notre prière : « Ne nous induisez pas en tentation[533] ». Le Seigneur lui-même dit à Pierre : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne vienne point à défaillir[534] » ; c’est-à-dire, afin que la parole de vérité ne fasse point défaut dans ta bouche « pour toujours ». « Parce que j’ai espéré dans vos jugements », dit le Prophète ; ou comme il y a plus expressément dans le grec, « j’ai surespéré[535] » ; expression moins usitée, mais qui répond à la nécessité d’interpréter la vérité. Il nous faut donc examiner avec attention le sens de ces paroles, afin de comprendre avec le secours de Dieu ce que signifie : « J’ai espéré dans vos paroles, j’ai surespéré dans vos jugements ». « Je répondrai », dit le Prophète, « je répondrai à mes insulteurs une parole, parce que j’ai espéré en vos paroles » ; c’est-à-dire, parce que vous m’avez fait cette promesse : « Et n’ôtez pas à jamais de ma bouche la parole de la vérité, parce que j’ai surespéré dans vos jugements » ; c’est-à-dire, parce que ces jugements que vous exercez en me redressant et en me châtiant, non seulement ne m’ôtent point l’espérance, mais l’affermissent en moi ; car le Seigneur corrige celui qu’il aime, et il flagelle celui qu’il reçoit parmi ses enfants. Or, voilà que les saints, les humbles de cœur, en mettant leur espoir en vous, n’ont point failli dans les persécutions : ceux mêmes qui sont tombés en s’appuyant sur eux-mêmes, et qui néanmoins appartiennent à votre corps, ont pleuré en reconnaissant leur misère, et ont retrouvé une grâce d’autant plus ferme qu’ils ont déposé leur orgueil. Donc u n’ôtez pas à jamais « de ma bouche votre parole, parce que vos jugements sont toute mon espérance ».
4. « Et je garderai toujours votre loi ». C’est-à-dire, si vous n’ôtez pas de ma bouche la parole de la vérité, « je garderai votre loi, toujours, et dans les siècles des siècles ». Le Prophète nous donne ici la signification de « toujours ». Souvent, en effet, « toujours » signifie pendant la vie d’ici-bas ; mais alors ce n’est point « dans le siècle et dans les siècles des siècles » ; toutefois la traduction vaut mieux que celle de certains exemplaires qui portent : « Dans l’éternité, et dans les siècles des siècles », parce qu’ils n’ont pu dire : « Et dans l’éternité de l’éternité ». Il faut donc entendre par la loi, celle dont l’Apôtre a dit : « L’amour est la plénitude de la loi[536] ». Telle est la loi que garderont les saints dont la bouche ne cessera de dire la vérité, c’est-à-dire l’Église du Christ qui la gardera non seulement dans le siècle, c’est-à-dire pendant la durée du monde, mais encore dans l’autre vie, que l’on appelle ici le « siècle du siècle ». Là, en effet, nous n’aurons point à garder les préceptes de la loi, comme ici-bas, mais la plénitude de la loi, que nous garderons sans craindre de l’offenser, parce que nous aimerons Dieu plus parfaitement quand nous le verrons, ainsi que notre prochain, puisque Dieu sera tout en tous[537], et que nous n’aurons aucune occasion de soupçonner faussement le prochain, parce que nul ne sera inconnu aux autres.
QUATORZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLES EFFETS DE LA GRÂCE.
modifierAprès avoir prié, le Prophète raconte le bien qu’il a fait, comme pour nous dite qu’il a été exaucé. Il a marché dans la voie large par la charité, parce qu’il s’appliquait à suivre les préceptes du Seigneur avec le secours de la prière, et cette prière est avivée par l’Esprit-Saint qui demeure en nous. Ensuite il a publié sans rougir les témoignages du Seigneur, comme les martyrs, parce qu’il méditait les préceptes elle pratiquait.
1. Les versets précédents de ce long psaume contenaient une prière ; ceux que nous avons à traiter maintenant sont une narration. L’homme de Dieu implorait en effet le secours de la grâce, quand il disait : « Vivifiez-moi dans votre justice, et que votre miséricorde, ô mon Dieu, descende sur moi » ; ainsi des autres versets qui précèdent ou qui suivent. Maintenant il s’écrie : « Et je marchais dans la voie spacieuse, parce que j’ai cherché vos commandements. J’annonçais vos témoignages en présence des rois, sans en rougir. Je méditais vos préceptes qui font mes délices. Et j’ai levé mes mains vers vos commandements, objet de mon amour, et je m’exerçais dans les œuvres de votre justice[538] ». Ce langage est d’un homme qui raconte, et non d’un homme qui prie ; il a, ce semble, obtenu de Dieu ce qu’il demandait, et reconnaît en louant Dieu ce qu’a fait de lui cette miséricorde, qu’il appelait sur lui-même. Il ne cherche pas à relier ces paroles à ce qui précède, et ne dit pas : Et n’ôtez point à ma bouche votre parole à jamais, parce que j’ai espéré en vos jugements, et je garderai toujours votre loi dans le siècle, et dans le siècle des siècles, et je marcherai dans la voie spacieuse, parce que j’ai recherché vos commandements. Et je parlerai de vos témoignages en présence des rois, sans en rougir ; et ainsi de suite : alors on eût compris qu’il rattachait ce qui suit à ce qui précède ; mais il dit : « Et je marchais dans la voie spacieuse », phrase inconséquente, puisque la particule copulative : « Et » ne lie absolument rien ; car il ne dit pas : « Et je marcherai », comme il disait : « Et je garderai toujours votre loi ». Ou bien, s’il est dit au mode optatif : Custodiam, « Que je garde votre loi » ; il n’est pas dit : Que je marche dans la voie large, comme si le Prophète eût fait un souhait et une prière. Mais il dit : Ambulabam, « je marchais dans la voie large » ; et si l’on ne voyait ici une conjonction, si la phrase sans se rattacher à ce qui précède eût été absolue : Je marchais dans la voie large ; rien d’extraordinaire n’eût forcé le lecteur à voir ou à chercher ici un sens caché. Il nous laisse donc à entendre ce qu’il n’a pas dit, c’est-à-dire qu’il a été exaucé : et il nous montre l’état où nous a mis la grâce de Dieu, comme s’il disait : Quand je faisais cette prière, vous m’avez exaucé : « Et je marchais dans la voie spacieuse », et le reste que nous lisons ensuite.
2. Que signifie donc : « Et je marchais dans la voie large », sinon je marchais dans la charité, « qui a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[539] ? » C’est dans cette voie large que marchait celui qui disait : « O Corinthiens, ma bouche vous est ouverte, et mou cœur se dilate[540] ». Or, cette charité est renfermée complètement dans les deux préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, qui renferment à leur tour la loi et les Prophètes[541]. Aussi, après avoir dit : « Et je marchais dans la voie large, le Prophète nous en donne-t-il la raison : « C’est », dit-il, « parce que j’ai cherché vos préceptes ». Dans plusieurs exemplaires, on voit, non point, « vos préceptes, mais, vos témoignages » : plus souvent, néanmoins, nous avons lu, « vos préceptes » surtout chez les Grecs, et qui ferait difficulté de s’en tenir à cette traduction d’où est venu le texte latin ? Si donc nous voulons savoir comment le Prophète a cherché ces commandements, ou comment il faut les chercher, écoutons ce que nous dit le divin maître, qui nous enseigne et nous domine ce que nous devons demander : « Demandez et vous recevrez ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l’on vous ouvrira ». Et un peu après : « Si donc vous qui êtes méchants, savez donner ce qui est bon à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il ce qui est bon à ceux qui le lui demandent[542] ? » Par là il nous montre évidemment que ces paroles : « Demandez, cherchez, frappez », ne sont qu’une recommandation de prier avec instance. Mais un autre Évangéliste ne dit point : « Il donnera des biens à ceux qui les lui demandent », ce qui peut avoir plusieurs sens et se rapporter aux biens corporels, ou aux biens spirituels ; mais il retranche tout le reste et nous montre d’une manière précise ce que le Seigneur veut que nous demandions avec ardeur et avec instance : « A combien plus forte raison », dit-il, « votre Père du ciel donnera-t-il l’Esprit à ceux qui l’invoqueront[543] ? » C’est ce même Esprit qui répand la charité dans nos cœurs, afin que nous accomplissions les commandements par l’amour de Dieu et du prochain. C’est par ce même Esprit que nous crions : Père, Père[544]. C’est lui dès lors qui nous fait demander ce que nous voulons recevoir, qui nous fait chercher ce que nous désirons trouver, qui nous fait frapper où nous essayons d’arriver. Voilà ce qu’enseigne l’Apôtre qui, après nous avoir dit que le Saint-Esprit nous fait crier : Père, Père, ajoute dans un autre endroit : « Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils qui crie : Abba, mon Père[545] ». Comment est-ce nous qui crions, si lui-même crie en nous, sinon parce qu’il nous fait crier, quand il commence d’habiter en nous ? li le fait encore dès qu’il est en nous, afin qu’en demandant, en cherchant, en frappant, on le demande, et on le reçoive plus abondamment. Soit en effet que l’on demande à Dieu une vie sainte, soit que l’on vive déjà saintement, tous ceux qui sont dirigés par l’Esprit de Dieu sont enfants de Dieu[546]. Donc : « Je marchais », dit le Prophète, « dans la voie large, parce que j’ai cherché vos préceptes ». Il avait cherché et il avait trouvé, parce qu’il avait demandé et reçu l’Esprit-Saint, par lequel, devenu bon lui-même, il avait fait des bonnes œuvres, par la foi qui opère par la charité[547].
3. « Et je parlais de vos témoignages en présence des rois, sans en rougir » ; non plus que celui qui avait demandé et obtenu la faveur de répondre à ceux qui lui reprocheraient le Verbe, et à la bouche duquel ne devait pas être dérobé le Verbe de la vérité. Il combat donc pour elle jusqu’à la mort et ne rougit point de la proclamer en présence des rois. Ces témoignages, en effet, qu’il nous dit avoir proclamés, s’appellent en grec « martyres », expression que nous avons adoptée en latin ; et de là vient que nous avons appelé martyrs ceux à qui Jésus a prédit qu’ils le confesseraient en présence des rois[548].
4. « Et je méditais », dit le Prophète, « vos commandements qui font mes délices. Et j’ai levé les mains vers vos préceptes, objet de mon amour[549] ». D’autres ont traduit dilexi valde, que j’ai aimés beaucoup, d’autres nimis, « à l’excès », d’autres encore vehementer, « avec violence », cherchant à rendre ainsi le grec sphodra. Il aimait donc les commandements de Dieu, dès lors qu’il marchait dans la voie large, par ce même Esprit-Saint qui a répandu dans nos cœurs la charité, et qui dilate les cœurs des fidèles[550]. Or, il les a aimés en les méditant et en les pratiquant. Quant à la méditation, il nous dit : « Je réfléchissais à vos œuvres » ; et quant à la pratique : « Je levais les mains vers vos préceptes ». Et à chacun de ces versets, il ajoute : quae dilexi, « que j’ai aimés ». « Or, la fin de tout précepte, c’est la charité émanant d’un cœur[551] ». Quand c’est dans cette fin, c’est-à-dire d’après cette considération que l’on accomplit les préceptes de Dieu, alors l’œuvre est bonne, et on élève les mains, parce que c’est vers Dieu qu’on les élève. Aussi l’Apôtre voulant parler de la charité, nous dit-il : « Je vous indique une voie bien supérieure[552] » ; et ailleurs, « afin », dit-il, « de connaître l’amour de Jésus-Christ envers nous, lequel surpasse toute connaissance ». Car accomplir les commandements de Dieu en vue d’un bonheur terrestre, c’est abaisser les mains plutôt que les élever ; puisque c’est rechercher par une semblable intention, non plus les récompenses d’en haut, mais celles d’ici-bas. À la méditation et à l’accomplissement des préceptes appartient ce qui suit : « Et je m’exerçais dans vos œuvres de justice[553] » : ce que plusieurs ont traduit ainsi de préférence à laetabar, « je me réjouissais », ou à garriebam, « je m’entretenais », comme l’ont fait plusieurs à cause du grec edolesxoun. Celui en effet qui aime les commandements de Dieu, et qui fait ses délices de les méditer et de les pratiquer, s’exerce dans ces commandements avec joie, en parle avec plaisir.
QUINZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLES EFFETS DE LA GRÂCE.
modifierLe Prophète supplie Dieu de se souvenir de sa promesse, non que le Seigneur oublie, mais parce que lui-même désire ardemment ce qu’il demande Cette parole d’espérance l’a consolé dans les épreuves de l’humiliation, l’en a fait triompher en lui donnant la vie du bien, en le soutenant contre l’apostasie dans la persécution. Celui qui est ainsi consolé, c’est l’homme tombé du paradis et relevé par la promesse du Rédempteur. Depuis le commencement il a pu se soutenir par la méditation des Jugements de Dieu, par sa miséricorde ; et dans la nuit du péché, il s’est souvenu de Dieu, ce qui l’a fortifié contre les assauts du démon.
1. Considérons, avec le secours de Dieu, et expliquons ces versets de notre psaume « Souvenez-vous de votre parole à votre serviteur, et qui m’a donné l’espérance. Cette espérance m’a consolé dans mon humilité, car votre parole m’a donné la vie[554] ». Est-ce que l’oubli est aussi chez Dieu, comme chez les hommes ? Pourquoi donc le Prophète lui dit-il : « Souvenez-vous ? » Il est vrai qu’en d’autres endroits de l’Écriture on retrouve cette même expression : « Pourquoi m’avez-vous oublié[555] ? » et : « Pourquoi oublier notre misère[556] ? » et Dieu lui-même nous dit par son Prophète : « J’oublierai toutes ses iniquités[557] » et beaucoup d’autres exemples semblables. Mais ces paroles ne doivent point s’entendre de Dieu comme on les entend des hommes. De même en effet qu’on dit de Dieu qu’il se repent, quand contrairement à l’espérance des hommes, il change le cours des choses, sans néanmoins changer son dessein, puisque le dessein du Seigneur demeure éternellement[558] ; ainsi on dit qu’il oublie, quand il semble différer son secours, ou l’effet de sa promesse, ou ne peut châtier les pécheurs comme ils le méritent, ou toute autre chose semblable ; comme si ce que l’on espère, ou que l’on redoute, avait échappé à sa mémoire parce qu’on n’en voit pas l’accomplissement. C’est une manière morale de se mettre au niveau des hommes, quoique Dieu agisse de la sorte, avec une disposition fixe, sans aucun défaut de mémoire, sans obscurcissement d’intelligence, sans changement de volonté, Dès lors, dire au Seigneur : « Souvenez-vous », c’est montrer, c’est stimuler un désir dans celui qui réclame l’effet de la promesse, mais non rappeler au Seigneur ce qu’il aurait oublié. « Souvenez-vous », dit le Prophète, « de votre parole à votre serviteur » ; c’est-à-dire, accomplissez ce que vous avez promis à votre serviteur ; c’est-à-dire encore, cette parole qui contenait une promesse et qui m’a fait espérer.
2. « C’est elle qui m’a consolé dans mon humilité[559] » : elle, c’est-à-dire cette espérance qui a été donnée aux humbles, comme le dit l’Écriture : « Dieu résiste aux superbes, et donne la grâce aux humbles[560] ». De là cette maxime sortie de la bouche du Sauveur lui-même : « Quiconque s’élève sera abaissé ; quiconque s’abaisse sera élevé[561] ». Et par cet abaissement nous n’entendons pas cette humilité de quiconque avoue ses péchés et ne s’arroge point la justice ; mais celle d’un homme qui est tombé dans la tribulation ou dans quelque mépris dont Dieu a voulu châtier son orgueil, ou exercer sa patience et la mettre à l’épreuve Aussi le Psalmiste nous dit-il un peu plus loin : « Avant d’être humilié, j’ai commis le péché ». Et encore au livre de la Sagesse : « Demeure en paix dans la douleur ; et au temps de l’humiliation, garde la patience ; car l’or et l’argent s’épurent par la flamme, mais les hommes que Dieu accepte passent par le feu[562] ». En disant que Dieu accepte ces hommes, il nous donne cette espérance qui console dans l’humilité. Et quand le Seigneur Jésus prédisait aux disciples que ces humiliations leur viendraient de la part des persécuteurs, il ne les abandonna point sans espérance, mais il leur donna celle-ci qui doit les consoler : « Vous posséderez vos âmes par votre patience[563] ». Quant à votre corps que vos ennemis peuvent tuer, et en quelque sorte anéantir, un cheveu de votre tête ne périra point[564] », nous dit-il. Telle est l’espérance donnée au corps du Christ, ou à l’Église, pour la consoler dans son humilité. C’est à propos de cette espérance que l’apôtre saint Paul nous dit : « Si nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous l’attendons par la patience[565] ». Mais cette espérance regarde les biens éternels. Or, il y a une autre espérance très propre à nous consoler dans l’abaissement de la tribulation, et qui a été donnée aux saints dans la parole de Dieu qui leur promet la grâce, de peur qu’ils ne viennent à succomber. C’est de cette espérance que l’Apôtre nous dit : « Dieu est fidèle, et ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces ; mais il vous fera profiter de la tentation, afin que vous puissiez persévérer[566] ». Telle est encore l’espérance que nous donnait la bouche du Sauveur : « Cette nuit Satan a demandé à vous cribler comme le froment, et j’ai prié pour toi, Pierre, afin que la foi ne t’abandonne point[567] ». C’est encore cette espérance qu’il nous donne dans la prière qu’il nous a enseignée et où il nous fait dire : « Ne nous induisez pas en tentation[568] ». C’était en quelque-sorte promettre aux siens qui seraient en danger ce qu’il veut qu’ils lui demandent. C’est donc de cette espérance qu’il nous est mieux d’entendre cette parole du psaume : « C’est elle qui m’a consolé dans mon humilité, car votre parole m’a donné la vie[569] ». D’autres avec plus de fidélité ont traduit, non point Verbum ou « parole », mais Eloquium ou langage. Il y a en effet dans le grec logion ou Eloquium, tandis que c’est logos qui signifie Verbum.
3. Nous lisons ensuite : « Les superbes me provoquaient sans cesse par l’iniquité ; mais je n’ai point abandonné votre loi[570] ». Par ces superbes, il veut nous faire entendre les persécuteurs des saints ; c’est pourquoi il ajoute : « Mais je n’ai point abandonné votre loi », car c’était à une telle apostasie que tendait la persécution. C’est avec raison qu’il les accuse d’avoir sans cesse commis l’iniquité ; car, non seulement ils étaient impies, mais ils poussaient les saints à l’impiété. Or, dans cette humilité, ou plutôt dans cette affliction, se trouve la consolation de l’espérance, qui nous a été donnée dans la parole de Dieu, promettant des secours aux martyrs, de peur que leur foi ne vienne à défaillir : on trouve aussi la présence de l’Esprit-Saint qui répare les forces de ceux qui souffrent, afin qu’ils puissent échapper au filet des chasseurs, et dire « Sans la présence du Seigneur parmi nous, ils nous auraient dévorés tout vivants[571] ».
4. Quand il dit : « Cette espérance m’a consolé dans mon humiliation », n’entendrait-il point cette humiliation de celle où tomba l’homme, quand il fut condamné à la mort à cause du péché si malencontreusement commis dans le paradis de délices[572] ? C’est en effet par cette humiliation que l’homme est devenu semblable à la vanité, elle qui a fait passer ses jours comme l’ombre[573] ; c’est elle qui a fait de nous tous des enfants de colère, et pour toujours, si ceux qui avant la création du monde[574] ont été prédestinés pour le salut éternel, ne sont réconciliés avec Dieu par le Médiateur ; et c’est en ce Médiateur que les anciens justes mettaient leur espérance, quand l’esprit de prophétie le leur montrait venant en sa chair. Alors la promesse faite à nos pères au sujet d’un médiateur, pourrait être cette promesse dont il est ici question si nous leur prêtons ce langage au sujet de la même promesse : « Souvenez-vous de votre parole à votre serviteur, et dans laquelle vous m’avez donné l’espérance ». C’est elle qui m’a consolé dans mon humiliation, c’est-à-dire dans ma mortalité : « Car cette parole m’a donné une vie nouvelle » : en sorte que, destiné à la mort, j’ai néanmoins conçu l’espoir de vivre. « Quant aux superbes, ils agissaient toujours d’une manière criminelle » : car l’assujettissement à la mort n’a pas dompté leur orgueil. « Mais je n’ai point apostasié votre loi[575] », comme les superbes voulaient m’y contraindre.
5. « Je me suis souvenu, Seigneur, de vos jugements, depuis le commencement, et j’ai été consolé » : ou, comme on lit en certains exemplaires, exhortatus sum, j’y ai trouvé de l’encouragement. Le verbe grec parekleten peut avoir ces deux significations, Depuis le commencement donc, à l’origine de la race humaine, « je me suis souvenu de vos jugements au sujet des vases de colère destinés a la perdition[576] » ; et j’ai été consolé, parce que là aussi j’ai compris les trésors de votre gloire pour les vases de votre miséricorde.
6. « La défaillance m’a saisi, quand j’ai vu les pécheurs abandonner votre loi. Vos oracles étaient mes cantiques dans le sein de mon exil[577] » : ou, comme d’autres ont traduit, « dans le lieu où j’étais étranger ». Telle est l’humiliation de l’homme banni du paradis, de la Jérusalem d’en haut, exilé dans ce lieu où il est mortel ; c’est de Jérusalem que descendait à Jéricho cet homme qui tomba entre les mains des voleurs ; mais à cause de la miséricorde que montra pour lui le samaritain[578], il chanta dans le lieu de son exil les oracles de Dieu. Et toutefois, la vue des pécheurs qui abandonnaient la loi divine, redoublait son ennui, car il lui fallait converser avec eux, au moins pour un temps, jusqu’à ce que le vent ait passé dans l’aire. On peut aussi accorder ces deux versets avec chaque partie du verset précédent ; en sorte que ces paroles : « Je me suis souvenu, ô Dieu, de vos jugements depuis le commencement », peuvent se rapporter à celles-ci : « La défaillance m’a saisi à la vue des pécheurs qui abandonnent votre loi » ; et ce mot : « Je me suis consolé », à ces paroles : « Dans le lieu de mon exil, je chantais vos oracles ».
7. « Pendant la nuit, je me suis souvenu de votre nom, ô mon Dieu, et j’ai gardé votre loi[579] ». Cette nuit est l’humiliation avec l’ennui de la mortalité. Il y a nuit pour ces méchants qui commettent sans cesse l’iniquité, nuit encore dans cette défaillance à la vue des pécheurs qui abandonnent la loi de Dieu ; nuit enfin dans ce lieu d’exil, jusqu’à ce que vienne le Seigneur pour éclairer ce qu’il y a de plus caché dans les ténèbres, manifester les pensées des cœurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange[580]. Dans cette nuit donc l’homme doit se souvenir du nom du Seigneur, afin que celui qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur[581], aussi est-il écrit : « Ce n’est point à nous, Seigneur, ce n’est point à nous, mais à votre nom qu’il faut donner la gloire[582] ». Car ce n’est point en cherchant sa propre gloire, mais celle de Dieu, comme ce n’est point par sa propre justice, mais par celle de Dieu, celle qui est un don de Dieu, que chacun garde la loi du Seigneur, ainsi que l’a dit le Prophète : « Je me suis souvenu de votre nom, Seigneur, et j’ai gardé votre loi ». Il ne l’eût point gardée, s’il s’était appuyé sur sa propre vertu, oubliant le nom du Seigneur. « Car c’est dans le nom du Seigneur qu’est notre secours[583] ».
8. Aussi le Prophète nous dit-il ensuite : « Elle m’est arrivée, parce que j’ai recherché vos justices[584] » ; oui, vos justices par lesquelles vous justifiez l’impie, et non les miennes, qui, loin de me rendre juste, me donnent de l’orgueil. Car le Prophète n’était point de ceux qui ignorent la justice venant de Dieu, et qui en voulant établir la leur, n’aboutissent qu’à se soustraire à celle de Dieu[585]. Ces justices, dès lors, qui rendent justes gratuitement et par la grâce ceux qui ne peuvent le devenir par eux-mêmes, ont été nommées plus à propos justifications : car le grec ne porte point dikaiosunas, ou justices, mais dikaiomata, ou justifications. Mais que veut dire le Prophète dans ces paroles : « Elle m’est arrivée ? » Qui, elle ? la loi peut-être ? Car il avait dit : « J’ai gardé votre loi » ; et c’est à cette phrase qu’il joint cette autre : « Elle a été pour moi », comme s’il disait : Cette loi a été la mienne. Mais ne nous arrêtons point à montrer comment la loi de Dieu est devenue la sienne, car le mot grec, traduit en latin, nous indique suffisamment qu’il ne s’agit point de loi dans cette parole : « elle est devenue pour moi ». Car le mot loi est masculin dans cette langue, et c’est à propos d’un nom féminin qu’il est dit : celle-ci est devenue pour moi. Il faut donc chercher plus haut ce qui lui a été fait, puis comment « celle-ci », quelle qu’elle soit, est devenue pour lui. « Celle-ci », dit-il, « est devenue pour moi » : or, ce n’est point cette loi, sens qui est rejeté par le grec. C’est peut-être cette nuit, car dans le verset supérieur il est dit : « Toute la nuit je me suis souvenu de votre nom, ô mon Dieu, et j’ai gardé votre loi » ; puis il continue : « Celle-ci est devenue pour moi[586] » ; or, si ce n’est pas la loi, c’est la nuit qui est devenue pour lui. Mais que signifie alors, cette nuit m’est arrivée parce que j’ai recherché vos justifications ? C’est plutôt la lumière qui a été faite pour lui, et non la nuit, parce qu’il a recherché les justifications de Dieu. On peut aussi entendre, elle est devenue pour moi, dans le sens de elle a été faite pour moi, elle m’est devenue utile, Car si l’on entend par nuit, comme on le peut très bien, l’humiliation de cette vie mortelle, où les cœurs se dérobent mutuellement, et où ces ténèbres produisent des tentations graves et sans nombre, en sorte que pendant cette nuit passent et repassent les bêtes des forêts, les lionceaux rugissants qui demandent à Dieu leur nourriture ; ce même lion rugissant et cherchant sa nourriture, et dont le Seigneur a dit ce que nous avons déjà rappelé : « Cette nuit Satan a demandé à vous cribler comme le froment[587] » ; c’est-à-dire, pendant cette nuit où passent et repassent les bêtes des forêts, le lion gigantesque a demandé à Dieu sa nourriture : assurément, cette humiliation dans ce lieu d’exil, que l’on peut bien appeler nuit, devient utile à ceux qui y sont à l’épreuve, et qui apprennent à ne point s’élever par l’orgueil ; crime pour lequel nous sommes plongés dans cette nuit. « Le commencement de l’orgueil chez l’homme, c’est de se séparer de Dieu[588] ». Mais comme il est justifié gratuitement, et afin de s’avancer dans l’humilité, dans toutes ces tentations auxquelles il est exposé pendant cette nuit, maintenant qu’il a reçu l’intelligence, qu’il répète ce verset du psaume que nous lirons bientôt : « Il m’est bon que vous m’ayez humilié, afin que j’apprenne vos œuvres de justice[589] ». Dire en effet : « Il m’est bon que vous m’ayez humilié », qu’est-ce autre chose que dire de cette humilité, qui est appelée nuit : « Elle a été pour moi », c’est-à-dire, elle m’a été avantageuse ? Mais pourquoi ? parce que j’ai recherché votre justice, et non la mienne.
9. Nous pouvons encore donner un autre sens à ces mots : « Celle-ci est devenue pour moi ». Ce ne serait alors ni la loi ni la nuit que désignerait le pronom « celle-ci », mais il aurait le sens que nous avons donné à cette expression d’un autre psaume : Unam petii, sans dire ce que signifie « une », ou quelle est cette « une », dont il dit, « je la demanderai encore ». Le genre féminin est ici mis pour le neutre ; car il est contre notre usage de dire : Unam petii, j’ai demandé une seule, saris marquer à quoi se rapporte cette « seule ». On dirait mieux : Unum petii. J’ai demandé cela « seulement », d’habiter dans la maison du Seigneur. Dans ces espèces d’adjectifs neutres latins, on n’exige pas le nom neutre qui demeure sous-entendu, comme un bien, un don, ou quelque chose de semblable ; mais cette expression neutre peut désigner soit un nom masculin, soit un nom féminin, soit même ce que l’on veut désigner sans distinction de genre, et dans le langage ordinaire. Le Prophète a donc pu dire en cet endroit : « Celle-ci m’est arrivée », comme il aurait dit : « Ceci m’est arrivé ». Mais si nous demandons quoi, voyons ce qui a été dit auparavant : « Je me suis souvenu pendant la nuit de votre nom, ô mon Dieu, et j’ai recherché votre loi ». Ceci m’est arrivé, c’est-à-dire de garder votre loi, non par moi-même, mais cela m’est arrivé par vous, parce que j’ai recherché vos justices, et non les miennes. « C’est Dieu, en effet », dit l’Apôtre, « qui opère en nous le vouloir et le faire selon sa bonne volonté[590] ». Et le Seigneur dit encore par son Prophète : « Et je ferai que vous marchiez dans mes justifications, et que vous observiez et pratiquiez mes jugements[591] ». Quand donc le Seigneur nous dit : « Je ferai en sorte que vous observiez et que vous pratiquiez mes jugements », le Prophète a raison de dire : Ceci m’est arrivé ; et à celui qui voudrait savoir ce qui lui est arrivé, il peut répondre ce qu’il a dit plus haut : « De garder la loi de Dieu ». Mais ce sermon est déjà bien long, il est mieux, dès lors, de réserver la suite à un autre discours, avec la grâce de Dieu.
SEIZIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierL’UNION A DIEU.
modifierTout homme qui garde la loi du Seigneur, a le Seigneur en partage. Mais comme il ne saurait garder cette loi sans le secours de l’Esprit-Saint, il doit l’invoquer. Fortifié par ce secours, il se détournera de l’iniquité, ne craindra ni les embûches du démon, ni les scandales des hommes, et confessera plus hautement le Seigneur à mesure que s’élèvera la persécution. Alors le Christ s’unit à son serviteur, et par une faveur nouvelle, il en fait un serviteur par amour, et non par crainte.
1. Dans notre long psaume nous entreprenons d’expliquer, avec le secours de Dieu, les versets suivants : « Le Seigneur est ma portion », ou, comme d’autres ont traduit : « Seigneur, vous êtes mon héritage[592] ». Ces deux expressions signifient-elles que tout homme a sa part en Dieu, dès lors qu’il s’attache à lui, selon cette parole : « Il m’est bon de m’attacher au Seigneur[593] ? » Ce n’est point en effet parce qu’un homme existe qu’il est dieu, mais il le devient par sa participation à celui qui est seul et vrai Dieu. Ou bien le Seigneur est-il notre portion à la manière dont les hommes se choisissent ici-bas, ou obtiennent par le sort, celui-ci telle portion, celui-là telle autre qui le fait vivre ; et qu’en un certain sens le partage des justes serait le Seigneur qui leur donne la vie éternelle ? Ces deux sens n’ont rien d’absurde. Mais écoutons ce qui suit : « Je l’ai dit, c’est de garder votre loi ». Qu’est-ce à dire : « Ma portion, Seigneur, je l’ai dit, c’est de garder votre loi », sinon que le Seigneur sera notre héritage à mesure que nous garderons sa loi ?
2. Mais comment la peut-il garder sans le don et le secours de l’Esprit qui vivifie, de peur que la lettre ne tue[594], et que le péché à l’occasion du précepte ne soulève dans l’homme toute concupiscence[595] ? Il faut donc invoquer cet Esprit, et c’est alors que la foi obtient de lui ce qu’ordonne la loi : quiconque en effet invoquera le nom du Seigneur sera sauvé[596]. Aussi voyez ce qu’ajoute le Prophète : « J’ai imploré votre présence du fond de mon cœur ». Et pour montrer comment il a prié : « Ayez pitié de moi », dit-il, « selon votre parole ». Et comme il a été exaucé et secouru par celui qu’il avait invoqué : « J’ai réfléchi », nous dit-il, « à mes voies, et j’ai ramené mes pieds dans le sentier de vos préceptes[597] ». Je les ai ramenés de mes voies qui m’ont déplu, et je les ai fait marcher dans vos préceptes qui seront leur sentier. Dans plusieurs exemplaires, on ne lit point : « Parce que j’ai réfléchi », comme dans quelques-uns, mais simplement : « j’ai réfléchi ». Cette phrase encore : « J’ai détourné mes pieds », se lit ailleurs : « Parce que j’ai réfléchi et que vous avez détourné mes pieds », pour attribuer plutôt à la grâce de Dieu une telle conversion, selon cette parole de l’Apôtre : « C’est Dieu qui agit en vous[598] » ; c’est à lui que l’on dit : « Détournez mes yeux afin qu’ils ne voient point la vanité ». Si donc il détourne les yeux afin qu’ils ne voient point la vanité, pourquoi ne détournerait-il pas les pieds de peur qu’ils ne s’égarent ? C’est encore pour cela qu’il est écrit : « Mes yeux sont toujours fixés sur le Seigneur, parce qu’il détournera tues pieds des embûches[599] ». Mais qu’on lise : vous avez détourné mes pieds, ou bien j’ai détourné mes pieds, nous ne pouvons le faire que par celui dont le Prophète a imploré la présence de tout son cœur, et à qui il a dit : « Ayez pitié de moi, selon votre parole », c’est-à-dire selon votre promesse. Car ce sont les fils de la promesse qui composent la postérité d’Abraham[600].
3. Enfin, après avoir obtenu ce bienfait de la grâce : « Je suis prêt », dit le Prophète, « et rien ne une trouble dans l’accomplissement de vos préceptes[601] ». Quelques-uns ont traduit : « Pour garder vos préceptes » ; d’autres, « afin de garder » ; d’autres encore, « à garder », d’après le grec tou phulaxastai.
4. Pour montrer combien il est prêt à garder les préceptes du Seigneur, le Prophète ajoute : « Les filets des pécheurs m’ont environné, mais je n’ai point oublié votre loi[602] ». Ces filets des pécheurs sont les obstacles des ennemis, soit spirituels, comme le diable et ses anges, soit charnels, comme les incrédules, en qui le démon agit comme il lui plaît[603]. Car ces funes peccatorum du latin, ne signifient point filets des péchés, mais bien filets des pécheurs, comme on le voit par le grec[604]. Quand par leurs menaces ils effraient les justes, et les détournent de souffrir pour la loi de Dieu, ils les environnent de leurs filets, et les retiennent, pour ainsi dire, de leurs cordes. Ils traînent en effet leurs péchés comme une longue chaîne[605], dont ils s’efforcent de garrotter les saints, et quelquefois Dieu le permet. Mais enlacer le corps ce n’est point enlacer l’âme, puisque notre interlocuteur n’a point oublié la loi de Dieu, et en effet la parole de Dieu n’est point enchaînée[606].
5. « Au milieu de la nuit », dit le Prophète, « je me levais pour vous rendre témoignage, à cause des jugements de votre justice[607] ». Car c’est par un jugement de la justice divine que les liens des pécheurs environnent le juste. C’est ce qui a fait dire à l’apôtre saint Pierre que voici le temps auquel « Dieu doit commencer son jugement par sa propre maison. Et s’il commence par nous », dit-il, « quelle sera la fin de ceux qui ne croient point à l’Évangile ? Et si le juste à peine est sauvé, que deviendront le pécheur et l’impie[608] ? » Or, il parlait ainsi des persécutions qu’endurait l’Église, quand les filets des pécheurs l’environnaient de toutes parts. Dès lors, par milieu de la nuit, on doit entendre, je crois, le plus terrible moment de la persécution. « Je me levais », dit l’interlocuteur, parce que la persécution l’affligeait, sans l’abattre ; elle l’exerçait au contraire et le faisait lever : c’est-à-dire que la tribulation lui donnait des forces pour confesser le Seigneur avec plus de courage.
6. Mais commue tout cela ne s’opère qu’au moyen de la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, voilà que tians cette prophétie le Sauveur va joindre sa voix à la voix de son corps mystique. Car c’est bien le chef, je crois, que nous entendons dans ces paroles : « Je u suis associé à tous ceux qui vous craignent et u qui gardent vos préceptes[609] ». Ainsi qu’il est marqué dans l’Epître aux Hébreux : « Celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés viennent tous d’un seul. C’est pourquoi il ne rougit point de les appeler ses frères ». Et un peu après : « Comme donc les enfants sont revêtus de chair et de sang, lui-même aussi en a été revêtus[610] ». Mais qu’est-ce dire autre chose sinon qu’il leur est associé ? Nous ne pourrions en effet participer à sa divinité, si lui-même ne participait à notre nature mortelle. Dans un autre endroit de l’Évangile cette participation à la divinité est ainsi énoncée : « Il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à ceux qui croient en son nom, qui ne sont point nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu[611] ». Et comme, pour nous accorder cette faveur, il a pris part à notre mortalité, l’Évangéliste continue : « Et le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous ». Cette participation nous donne la grâce de craindre Dieu d’une crainte chaste, et d’accomplir ses commandements. C’est donc Jésus-Christ qui parle dans cette prophétie : mais certaines paroles appartiennent à ses membres dans l’unité du corps, qui ne forme qu’un seul homme répandu dans l’univers entier, et qui s’accroît avec le cours des siècles ; d’autres paroles appartiennent au chef lui-même. C’est ce qu’il nous marque dans ces mots : « Je suis associé à tous ceux qui vous craignent, et qui gardent vos préceptes ». Et comme il a pris part avec ses frères, Dieu avec les hommes, l’immortel avec les mortels, voilà que le grain est tombé en terre, afin d’y mourir et de produire ainsi beaucoup de fruits ; et c’est de ces fruits qu’il nous dit aussitôt : « La terre est pleine de la miséricorde du Seigneur ». Et comment, sinon parce que l’impie est devenu juste ? Et afin d’avancer rapidement dans la science de la grâce, le Prophète ajoute : « Enseignez-moi vos ordonnances ».
DIX-SEPTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLES BIENS DE LA GRÂCE.
modifierLe Prophète remercie le Seigneur de lui avoir donné l’amour qui bannit la crainte. Il demande au surplus la douceur ou l’attrait que l’on goûte à faire le bien, la discipline ou l’intelligence des leçons que Dieu nous donne par l’affliction, et la science qui devient utile quand elle est unie à la piété. Les deux premières s’acquièrent par l’expérience, mais la science ne s’acquiert pas sans l’intelligence qui vient de Dieu, ainsi que la force d’accomplir ce que nous savons, qui est la foi efficace. Adam devenu pécheur fut humilié, et Dieu lui donna les moyens de redevenir juste : tels sont les moyens que nous devons étudier et pratiquer en dépit des orgueilleux.
1. Les versets de notre psaume, que nous voulons exposer avec le secours de Dieu, commencent par celui-ci : « Seigneur, vous avez signalé votre bonté envers votre serviteur, selon votre parole, ou plutôt selon votre promesse[612] ». Mais l’expression grecque Chrestoteta, est tantôt traduite par « douceur », tantôt par « bonté ». Toutefois, comme il peut se trouver une douceur dans le mal, quand on met son plaisir dans ce qui est illicite et honteux ; comme il peut s’en trouver dans les plaisirs charnels dont l’usage est permis, nous devons donner à cette « douceur », appelée par les grecs Chrestoteta, le sens d’une faveur spirituelle. C’est pour cela que nos interprètes ont traduit « bonté », et dès lors : « Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur », n’aurait d’autre sens, à mon avis, que celui-ci : Vous m’avez fait aimer le bien. Car c’est une grande faveur de Dieu que ce plaisir qu’on trouve dans le bien. Mais qu’une bonne œuvre commandée par la loi ne soit faite que par la crainte du châtiment, et non par l’amour de la justice, parce que l’on craint Dieu, et non parce qu’on l’aime, c’est une œuvre servile et non une œuvre libre. « Or, l’esclave ne demeure pas éternellement dans la maison, mais le fils y demeure éternellement[613] », car la charité parfaite chasse la crainte[614]. « Vous avez donc fait, ô mon Dieu, un acte de douceur envers votre serviteur », en faisant un fils de celui qui était esclave : « Selon votre parole », c’est-à-dire selon votre promesse, afin que pour tout enfant d’Abraham[615] votre promesse soit affermie par la foi.
2. « Enseignez-moi la douceur, la discipline, la science », dit le Prophète, « car j’ai cru à vos commandements[616] ». Il demande alors l’accroissement et la perfection de ces dons en lui ; autrement, après avoir dit : « Vous avez agi avec douceur envers votre serviteur », comment pourrait-il ajouter : « Enseignez-moi la douceur », sinon pour connaître de plus en plus la grâce divine par la douceur du bien ? Ils avaient la foi, en effet, ceux qui disaient : « Seigneur, augmentez en nous la foi[617] ». Et tant que l’on vit en ce monde, ce doit être là le refrain de ceux qui avanceront dans la vertu. À la douceur le Prophète ajoute « et l’instruction », ou, comme on lit dans plusieurs manuscrits, « et la discipline ». Mais ce mot discipline que les grecs appellent paideian, se met dans les saintes Écritures pour exprimer une science qui s’acquiert péniblement, comme on le voit dans ces paroles : « Le Seigneur châtie celui qu’il aime, il frappe de verges tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants[618] ». Cette instruction s’exprime dans les saintes Écritures par disciplina qui est la traduction du grec paideia. Tel est le mot que nous trouvons dans le grec de l’Epître aux Hébreux, et que le traducteur latin a exprimé par disciplina: « Toute discipline, quand on la reçoit, semble causer de la tristesse, et non de la joie ; mais ensuite elle donne à ceux qui ont combattu de recueillir en paix les fruits de la justice[619] ». Celui donc sur qui Dieu verse sa douceur, c’est-à-dire celui à qui il inspire le goût du bien ; et pour m’expliquer plus clairement, celui à qui Dieu donne l’amour de Dieu et du prochain à cause de Dieu, doit prier avec ferveur, afin que ce don s’accroisse en lui, et lui fasse non seulement mépriser pour lui les autres plaisirs, mais endurer pour lui toutes les douleurs. C’est pourquoi le mot discipline est convenablement uni au mot douceur. Car il faut la désirer et la demander, non seulement pour une douceur ou une bonté médiocre, laquelle serait toutefois la sainte charité ; mais cette charité, fût-elle si grande que la violence du châtiment, loin de l’éteindre, ne fît que l’animer en la frappant, comme le vent anime la flamme ; pour elle encore la discipline est désirable. C’était donc peu de dire : « Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur », si le Prophète ne demandait à Dieu de lui enseigner la douceur, et une telle douceur qu’il pût souffrir avec patience la plus sévère discipline. En troisième lieu vient la science car si la science est plus grande que la charité, loin d’édifier, elle produit l’enflure[620]. C’est donc lorsque la science qui accompagne la douceur est suffisante pour résister sans s’éteindre aux afflictions qui accompagnent la discipline, c’est alors qu’elle devient utile, cri montrant à l’homme ce qu’il a mérité, les dons qu’il a reçus de Dieu, dons qui lui font comprendre qu’il peut alors ce qu’il ne croyait point pouvoir et ce qu’il ne pouvait en effet par lui-même.
3. Pourquoi, néanmoins, le Prophète ne dit-il pas : Donnez-moi ; mais : « Enseignez-moi ? » Comment enseigner la douceur, si elle ne se donne point ? Il en est beaucoup en effet qui savent ce qui ne leur est point agréable ; ils en ont la connaissance, mais n’y trouvent aucune douceur. Car on ne saurait apprendre la douceur, si l’on ne trouve de la douceur à l’apprendre. Il en est de même de la discipline, qui est une peine propre à nous corriger ; elle ne s’apprend que quand on l’éprouve ; c’est-à-dire que ce n’est ni l’attention, ni la lecture, ni la réflexion qui nous la donne, mais l’expérience. Pour ce qui est de la science, dont le Prophète nous parle en troisième lieu quand il dit : « Enseignez-moi », ce n’est qu’en nous instruisant que Dieu nous la donne. Qu’est-ce en effet qu’instruire, sinon donner la science ? Ce sont là deux choses tellement corrélatives, que l’une ne saurait exister sans l’autre. Nul en effet n’est instruit s’il n’apprend, et nul n’apprend si on ne l’instruit. Et dès lors qu’un disciple n’est point capable de comprendre ce que son maître enseigne, le maître ne saurait dire : Je lui ai enseigné, mais il n’a rien appris ; il peut dire au contraire : J’ai dit ce qu’il fallait dire, mais il n’a pas appris, parce qu’il n’a pu rien percevoir, rien saisir, rien comprendre. Car le disciple aurait appris, si le maître l’eût instruit. Aussi, quand le Seigneur veut nous instruire, il nous donne d’abord l’intelligence, sans laquelle un homme ne saurait apprendre ce qui tient à la doctrine d’en haut ; c’est pour cela que le Prophète va dire à Dieu : « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne vos commandements[621] ». Aussi bien, quand un homme en veut instruire un autre, il peut dire ce que le Sauveur après sa résurrection disait à ses disciples ; mais il ne saurait faire ce qu’il fit : l’Évangile nous dit en effet : « Alors il leur ouvrit l’esprit afin qu’ils comprissent les Écritures, et il leur dit[622] ». Nous lisons dans l’Évangile ce qu’il leur dit alors ; mais s’ils comprirent ses paroles, c’est qu’il leur ouvrit l’esprit qui comprend. Dieu donc nous apprend la douceur en nous inspirant un charme secret ; il nous enseigne la discipline, en nous ménageant l’affliction ; il nous enseigne la science, en nous donnant la connaissance. Mais il y a des choses que nous apprenons seulement pour les connaître, d’autres pour les faire, et quand Dieu nous les enseigne, il le fait de telle sorte que nous sachions ce qu’il faut savoir, en nous découvrant la vérité, et que nous fassions ce qu’il faut faire, en nous inspirant la douceur. Car ce n’est pas en vain que le Prophète lui dit : « Enseignez-moi, afin que j’accomplisse votre volonté[623] ». Enseignez-moi de telle sorte que je l’accomplisse, non content de la savoir. Car cette volonté saintement accomplie, c’est le fruit que nous devons rendre au laboureur qui nous cultive. Mais l’Écriture nous dit ensuite : « Le Seigneur donnera la douceur, et notre terre donnera son fruit[624] ». Quelle est cette terre, sinon celle dont il est dit à celui qui donne la douceur : « Mon âme est pour vous une terre sans eau[625] ».
4. Après avoir dit : « Enseignez-moi la douceur, la discipline et la science », le Prophète ajoute : « Parce que j’ai cru à vos commandements » ; et l’on pourrait demander avec quelque raison pourquoi il ne dit point : J’ai obéi ; mais : J’ai cru. Autres en effet sont les commandements, et autres les promesses. Nous recevons les commandements pour les accomplir et mériter par là de recevoir les promesses. Aux promesses donc la foi, aux préceptes l’obéissance. Que signifie dès lors, « j’ai cru à vos commandements », sinon j’ai cru que ces commandements ne viennent point d’un homme, mais de vous, bien que vous les ayez annoncés par le ministère des hommes ? Donc, parce que j’ai cru que ces préceptes viennent de vous, que cette foi m’obtienne la grâce d’observer ce que vous avez commandé. Qu’un homme vienne me donner cet ordre à l’extérieur, me donnerait-il intérieurement la force de l’accomplir ? Enseignez-moi donc la douceur en m’inspirant la charité ; enseignez-moi la discipline en me donnant la patience ; enseignez-moi la science en éclairant mon esprit. « Parce que j’ai cru à vos préceptes ». J’ai cru, ô mon Dieu, que vous-même les avez intimés, et que vous donnez à l’homme la force d’accomplir ce que vous lui commandez.
5. « J’ai péché avant d’être humilié, c’est pourquoi j’ai gardé votre parole[626] », ou d’une manière plus expressive : « J’ai gardé votre promesse », afin de n’être plus humilié. Par cette humiliation il est mieux d’entendre celle que dut subir Adam, en qui toute créature humaine fut comme viciée dans sa racine, et soumise à la vanité[627], parce qu’elle ne voulut pas être soumise à la vérité. Et cette expérience a servi aux vases de miséricorde à rejeter l’orgueil, à embrasser l’obéissance, à faire disparaître pour jamais nos misères.
6. « Vous êtes doux, ô mon Dieu » ; ou, comme on lit dans plusieurs exemplaires « C’est vous qui êtes doux, ô mon Dieu[628] ». D’autres encore : « Vous êtes doux » ; d’autres : « Vous êtes bon » : dans le sens que nous avons assigné plus haut à cette expression. « Et dans votre douceur, enseignez-moi vos justifications ». C’est avoir une véritable volonté d’accomplir les ordonnances du Seigneur, que vouloir les apprendre, dans la douceur, de ce même Dieu à qui il dit : « C’est vous, ô mon Dieu, qui êtes doux ».
7. Enfin il poursuit : « L’iniquité des superbes s’est multipliée envers mois[629] » ; c’est-à-dire, l’iniquité de ceux à qui n’a servi de rien l’humiliation de l’homme après le péché. « Mais moi, je m’attacherai, de tout mon cœur, à sonder vos commandements ». Quelque nombreuse que soit l’iniquité, dit-il, la charité ne se refroidira point en moi[630]. Il peut parler de la sorte, celui qui apprend les ordonnances de Dieu dans sa douceur. Plus il y a de douceur dans les préceptes de celui qui nous aide à les accomplir, et plus aussi celui qui les aime les étudie, afin de les pratiquer à mesure qu’il les connaît, et de les mieux connaître par la pratique ; car les accomplir est le moyen de les mieux connaître.
8. « Leur cœur s’est épaissi comme le lait[631] ». De qui, sinon de ces orgueilleux dont il dit que l’iniquité s’est multipliée envers lui ? Par cette expression le Prophète veut ici désigner les cœurs endurcis. On peut l’entendre quelquefois aussi dans un sens favorable, car, au psaume soixante-septième, une montagne épaisse, montagne fertile[632], signifie fertilisée par la grâce. Plusieurs en effet ont traduit mons coagulatus, comme ici lac coagulatum. Mais vois ce que le Prophète oppose de son côté a la dureté de leur cœur : « Pour moi », dit-il, « j’ai médité votre loi ». Quelle loi ? Cette loi, la plus juste et la plus miséricordieuse, dont il parlait en disant : « Ayez pitié de moi selon votre loi ». Il résiste aux superbes, afin qu’ils tombent dans l’endurcissement ; Il donne la grâce aux humbles[633], afin qu’ils aiment l’obéissance et reçoivent la gloire par excellence. C’est en méditant cette loi que l’on se soumet volontairement au joug de l’humilité, pour ne pas encourir le châtiment de l’humiliation dont le Prophète va nous parler.
9. « Il m’est bon d’avoir été humilié par vous, afin d’apprendre vos justifications[634] ». Tout a l’heure il avait dit dans le même sens : « Avant D’être humilié, j’avais péché ; c’est pourquoi j’ai gardé votre parole ». Un tel avantage fait ressortir le bien de l’humiliation, et connaître en même temps la cause de cette humiliation qui est le péché commis auparavant. Mais quand il dit ici : « C’est pourquoi j’ai gardé votre parole », là, afin « que j’apprenne vos ordonnances » : il nous indique suffisamment que connaître ces préceptes c’est les accomplir, comme les accomplir c’est les connaître. On ne saurait dire, en effet, que le Christ ne connaissait point ce qu’il blâmait, et néanmoins il blâmait le péché, tandis qu’il est dit de lui qu’« il ne connaissait pas le péché[635] ». Il le connaissait en un sens, et dans un autre sens il l’ignorait. Il en est de même des préceptes du Seigneur : beaucoup les apprennent sans les apprendre. Ils les connaissent d’une manière, et d’une autre manière ils les ignorent, parce qu’ils ne les pratiquent point. Il nous faut donc entendre ces paroles du Prophète : « Afin que « j’apprenne vos ordonnances », de manière a les pratiquer.
10. Mais cette pratique est un effet de l’amour, qui procure des délices a celui qui accomplit la loi de Dieu ; aussi est-il dit : « Dans votre douceur enseignez-moi vos ordonnances » ; et le verset suivant nous en donne la raison : « La loi de votre bouche « est plus précieuse pour moi que l’or et l’argent[636] » ; ainsi la charité a plus d’ardeur pour la loi de Dieu que la cupidité pour les monceaux d’or et d’argent.
DIX-HUITIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLES BIENFAITS DE LA GRACE.
modifierDieu nous a faits de ses mains ou dans sa sagesse et dans sa puissance, mais dans un même esprit. Non seulement Adam peut parler ainsi, mais tout homme né par la génération, puisque rien n’est produit en dehors de la force active de Dieu. Le Prophète demande à Dieu l’intelligence, que nous avons en naissant, il est vrai, mais il entend par là cette foi qui purifie nos cœurs, qui nous fait comprendre la loi de Dieu d’une manière efficace, et comprendre que cette intelligence même est une faveur de Dieu ; qu’elle nous vienne par un ange ou autrement, c’est Dieu qui nous la donne.
1. Quand Dieu forma l’homme de poussière et l’anima de son souffle, il n’est point marqué qu’il le forma de ses mains[637]. Je ne vois donc point pourquoi quelques-uns ont cru que Dieu, ayant fait tout le reste de sa parole, fit de ses mains l’homme qui serait alors supérieur ; à moins peut-être qu’en lisant que Dieu forma de poussière le corps humain, on ne s’imagine que cela n’est possible que par les mains. Mais c’est là oublier que cette parole de l’Évangile, à propos du Verbe de Dieu, que « tout a été fait par lui[638] », n’est plus vraie, si le corps de l’homme n’a été aussi formé par le Verbe. Mais on s’appuie sur les paroles de notre psaume, et on nous dit : Voici l’homme qui s’écrie avec la dernière évidence : « Vos mains m’ont fait et m’ont donné la forme[639] ». Comme s’il n’était pas dit clairement encore : « Je verrai les cieux qui sont l’ouvrage de vos mains[640] » ; et non moins clairement : « Et l’ouvrage de vos mains, c’est le ciel[641] » ; et beaucoup plus clairement : « Et ses mains ont formé la terre[642] ». La main de Dieu, c’est donc la puissance de Dieu. Que si le nombre pluriel étonne, s’il n’est pas dit votre main, mais vos mains, qu’on entende par les mains de Dieu, la puissance et la sagesse de Dieu, que saint Paul a dit être Jésus-Christ seul[643], lui qui est encore le bras de Dieu dans ce passage de l’Écriture : « Et à qui le bras du Seigneur a-t-il été montré[644] ? » Ou bien, qu’ils entendent par les mains de Dieu le Fils et le Saint-Esprit, puisque le Saint-Esprit agit conjointement avec le Père et le Fils. De là cette parole de l’Apôtre : « C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses[645] ». Il dit formellement que c’est un seul et un même Esprit, de peur qu’on n’imagine autant d’esprits que d’ouvrages, et non que le Saint-Esprit agit conjointement avec le Père et le Fils. Nous pouvons donc entendre comme il nous plaira ces mains de Dieu, pourvu qu’on ne refuse point au Verbe ce qu’il fait de ses mains ; ou à ses mains ce qu’il fait par son Verbe ; pourvu que ces mains ne fassent point croire à une forme corporelle, ou même à une droite et à une gauche ; ni que le Verbe ne fasse croire à un son, ou même à un mouvement transitoire dans les œuvres de Dieu.
2. Il s’est rencontré des hommes qui ont établi cette distinction entre les verbes faire et former, que l’âme serait « faite » par Dieu et le corps « formé », parce que Dieu a dit de l’âme : « C’est moi qui ai fait tout souffle[646] » ; et qu’on lit à propos du corps : « Et Dieu forma l’homme de la terre[647] » ; comme si Dieu faisait tout ce qu’il forme, sans néanmoins former tout ce qu’il fait. Alors on dirait de l’âme qu’elle est faite plutôt que formée, parce qu’elle est un esprit et non pas un corps ; comme s’il n’était pas dit que Dieu a formé dans l’homme l’esprit de l’homme[648]. Toutefois, comme ces deux expressions sont employées à propos de l’homme dans un même endroit de l’Écriture, et comme on ne saurait nier que chaque substance de l’homme, c’est-à-dire l’âme et le corps, ne soient l’ouvrage de Dieu, il n’est point sans élégance d’attribuer à chacune de ces substances une de ces expressions, et de dire que l’âme a été faite, que le corps a été pétri, ou formé, ou façonné. Quelques interprètes, en effet, n’ont pas voulu traduire finxerunt me, m’ont formé, et ont dit plasmaverunt me, m’ont façonné, préférant dans la langue latine s’éloigner du grec, pour ne pas employer le mot finxerunt, qui s’emploie quelquefois pour la dissimulation.
3. Mais est-ce bien en Adam que nous pouvons tenir ce langage ? Et parce que tous les hommes viennent de lui, dès lors qu’il fut créé, tout homme ne peut-il pas dire qu’il a été fait à raison de son origine et de sa génération ? Ou bien pouvons-nous dire : « Vos mains m’ont fait et m’ont formé », parce que nul, sans l’œuvre de Dieu, ne saurait naître de ses parents, qui sont alors générateurs, et Dieu créateur ? Otez, en effet, aux choses de ce monde la puissance active de Dieu, elles périront bien vite ; et rien ne se produit soit des éléments, soit des parents, soit d’une semence quelconque, si Dieu n’opère en eux. Aussi le Seigneur dit-il au prophète Jérémie : « Je t’ai connu avant de te former au sein de ta mère[649] ». Mais Dieu a-t-il formé sans intelligence soit le premier homme, soit chacun de ceux qui naissent en cette vie, pour que le Prophète lui dise : « Vos mains m’ont fait et m’ont formé, donnez-moi l’intelligence ? » L’intelligence ne fait-elle point partie de la nature humaine, pour la distinguer de la brute ? Ou bien cette nature serait-elle déformée par le péché au point que Dieu doive même la réformer en cela ? Et n’est-ce point pour ce motif que saint Paul disait à ceux qui ont eu part à la régénération : « Renouvelez-vous dans l’intérieur de votre âme[650] ». Or, c’est dans l’âme qu’est l’intelligence. Puis il dit de nouveau : « Qu’il y ait une transformation dans votre esprit[651] ». Quant à ceux qui n’ont aucune part à cette régénération : « Je vous avertis », leur dit-il, « et vous conjure par le Seigneur de ne plus marcher comme les Gentils, qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, entièrement éloignés de la voie de Dieu, par l’ignorance qui est en eux à cause de l’aveuglement de leur cœur[652] ». C’est donc à cause de ces yeux intérieurs, dont l’aveuglement consiste à ne pas comprendre, c’est afin qu’ils soient ouverts, et qu’ils deviennent sereins de plus en plus, que nos cœurs sont purifiés par la foi[653]. Il est vrai que l’homme, s’il n’a aucune intelligence, ne saurait croire en Dieu ; et néanmoins la foi le guérit, et dilate son intelligence. Il est, en effet, des choses que nous ne croyons qu’à la condition de les comprendre, d’autres que nous ne comprenons qu’à la condition de les croire. La foi vient, en effet, de ce que nous entendons, et nous entendons la prédication[654] de la parole du Christ a, mais dès lors, pour ne rien dire de plus, comment peut croire à celui qui lui prêche la foi un homme qui n’entend pas même la langue du prédicateur ? Ensuite s’il n’y avait certaines choses que nous ne pouvons comprendre avant de les croire tout d’abord, le Prophète ne nous dirait point : « Si vous n’avez la foi, vous n’aurez point l’intelligence[655][656] ». Ainsi donc notre intelligence doit s’accroître pour comprendre ce qu’elle croit, et notre foi pour croire les choses qu’elle doit croire : et l’âme pour le comprendre de plus en plus croit aussi en intelligence. Tout cela, néanmoins, ne s’accomplit point par nos propres forces, mais bien par la faveur et le secours de Dieu, comme c’est par l’effet de la chirurgie, et non de la nature, que l’œil, une fois blessé, recouvre la faculté de voir. Dire à Dieu dès lors : « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne vos préceptes », ce n’est pas être dépourvu de toute intelligence comme l’animal, ni mériter d’être mis au nombre de ceux « qui s’avancent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’esprit plein de ténèbres, et qui sont entièrement éloignés de la voie de Dieu[657] ». S’il en était ainsi, l’interlocuteur ne tiendrait pas ce langage. Car il n’appartient pas à une intelligence médiocre de savoir à qui l’on doit demander l’intelligence. Il nous reste à réfléchir sur la profondeur des commandements de Dieu, quand, pour les connaître, celui-là demande encore l’intelligence, qui a déjà une si grande pénétration, et qui nous disait tout à l’heure qu’il a gardé les paroles de Dieu.
4. Ce que nos traducteurs ont rendu par : « Donnez-moi l’intelligence », est exprimé plus succinctement en grec par sunetison me: car ce seul mot sunetison exprime ce qui en demande plusieurs en latin : comme si l’on ne pouvait dire en latin, en un seul mot, guérissez-moi, et que l’on eût recours à la circonlocution, donnez-moi la santé ; ainsi le Prophète a dit ici : Donnez-moi l’intelligence, ou rendez-moi sain, comme on pourrait dire : Rendez-moi intelligent. Un ange aurait pu le faire aussi ; car un ange dit à Daniel : « Je suis venu vous donner l’intelligence[658] » ; et dans le grec on trouve le même verbe qui est ici, sunetisai se, comme si le latin disait rendre la santé, quand le grec porterait, te guérir. Le traducteur latin n’aurait point recours à une circonlocution, pour dire, vous donner l’intelligence ; si l’on pouvait dire, vous « intelligencier », comme on dit, vous guérir. Mais si l’ange peut accorder cette grâce, pourquoi le Prophète a-t-il recours à Dieu pour obtenir cette faveur ? Est-ce que Dieu avait commandé à l’ange de le faire ? Oui, certainement, car on comprend que ce fut le Christ qui fit cette injonction à l’ange ; et les paroles du Prophète en font foi : « Or, lorsque je voyais, moi Daniel, la vision, et que j’en cherchais l’intelligence, voilà que s’arrêta devant moi comme la ressemblance d’un homme, et j’entendis la voix d’un homme dans Ubal, et il appela, et dit : Fais-lui comprendre cette vision[659] ». Or, le grec a le même verbe que nous trouvons dans notre psaume, c’est-à-dire sunetison. Dieu donc, qui est la lumière, illumine par lui-même les saintes âmes[660], afin qu’elles comprennent les choses divines qu’on leur annonce ou qu’on leur montre. Mais s’il a recours pour cela au ministère d’un ange, l’ange peut agir sur l’esprit de l’homme, de manière qu’il comprenne la lumière de Dieu, et que cette lumière lui donne l’intelligence ; mais on dit alors qu’il donne l’intelligence à l’homme, ou qu’il le rend intelligent, comme on dit d’un architecte qu’il éclaire une maison, ou lui donne de la lumière, quand il y ouvre une fenêtre. Ce n’est point sa propre lumière qu’il y fait entrer pour l’éclairer, il ouvre seulement une entrée à la lumière. Le soleil qui, par l’ouverture de la fenêtre, éclaire cette maison, n’a point créé la maison, non plus que l’architecte qui a ouvert la fenêtre : il n’a ni commandé de construire cette maison, ni aidé à la construire, il n’a même rien fait pour pratiquer l’ouverture afin de répandre sa lumière. Dieu, au contraire, a fait à l’homme une âme raisonnable et intelligente, capable de recevoir la lumière qui vient de lui ; il a fait l’ange capable d’agir sur l’esprit de l’homme, de telle sorte que celui-ci pût recevoir la lumière ; il aide notre esprit et le dispose aux opérations de l’ange ; et par lui-même il éclaire l’esprit de manière non seulement à voir ce que la vérité lui montre, mais à contempler la vérité elle-même. Mais après avoir donné des éclaircissements nécessaires, autant que j’en puis juger, quoique peut-être un peu longs, finissons ce discours, et remettons à un autre jour les versets suivants de notre psaume.
DIX-NEUVIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA JOIE DANS LE SERVICE DE DIEU.
modifierC’est à Dieu, qui nous a créés, qu’il appartient de nous créer encore, en nous donnant de comprendre ses préceptes. Ceux-là craignent qui sont dans le Christ et dans l’Église. Or, ils verront un jour cette Église qui est le corps du Christ, et dont ils font partie, mais qu’ils ne voient point dans sa splendeur ici-bas, à cause de la crainte inhérente à notre situation actuelle. Le Prophète appelle sur lui les divines miséricordes et la vie, c’est-à-dire la vie heureuse, car celle d’ici-bas est plutôt une mort. Cette vie s’obtient par la méditation des préceptes, méditation qui nous met en communion avec Jésus-Christ par la pureté du cœur, qu’il nous faut demander instamment.
1. Dans ce psaume, Jésus-Christ Notre-Seigneur, parlant au nom de son corps qui est l’Église, a demandé, comme pour lui-même, que Dieu lui donnât l’intelligence, afin de comprendre ses commandements. Car la vie de son corps, c’est-à-dire de son peuple, est cachée avec la sienne en Dieu[661], et lui-même dans ce même corps souffre de l’indigence, et demande ce qui est nécessaire à ses membres. « Vos mains », dit-il, « m’ont fait et m’ont formé, donnez-moi l’intelligence afin que j’apprenne vos commandements[662] », Puisque vous m’avez formé, dit-il, formez-moi de nouveau, afin que dans le corps de Jésus-Christ s’accomplisse la parole de saint Paul : « Qu’il se fasse en vous une transformation dans le renouvellement de votre esprit[663] ».
2. « Ceux qui vous craignent », dit-il, « me verront et seront dans la grâce » ; ou, comme plusieurs ont traduit : « Seront dans l’allégresse, parce que j’ai espéré en votre parole[664] » ; c’est-à-dire, dans les serments que vous avez faits, afin de vous former ce peuple de la promesse, cette race d’Abraham, en qui seront bénies les nations[665]. Or, quels sont les hommes qui craignent Dieu, et quel est celui qu’ils verront, qui les réjouira, parce qu’il a espéré en la parole de Dieu ? Si c’est le corps de Jésus-Christ ou l’Église qui parle ici par Jésus-Christ, ou si c’est le Christ qui parle d’elle et en elle comme de lui-même ; ceux qui craignent Dieu ne sont-ils pas dans le Christ et dans l’Église ? Qui donc verront-ils pour être dans la joie ? Est-ce parce que le peuple se voit lui-même et en est dans la joie, qu’il est dit : « Ceux qui vous craignent vous verront, et seront dans la joie, parce que j’ai espéré eu vos paroles » ; ou, comme d’autres ont traduit plus justement : « J’ai surespéré[666] » ; comme s’il disait : « Ceux qui vous craignent verront » votre Église « et ils seront dans la joie, parce que j’ai surespéré en vos paroles » ; puisqu’ils sont eux-mêmes l’Église, ceux qui voient l’Église et en sont ravis ? Mais alors pourquoi ne pas dire : Ceux qui vous craignent me voient, et en sont ravis ; tandis que craignent est au présent, et que verront et seront dans la joie sont des paroles au futur ? Serait-ce parce que maintenant il y a crainte, tant que « la vie de l’homme est une épreuve sur la terre[667] » ; et que cette joie dont il est question ici ne s’épanouira que quand les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur père[668] ? De là vient qu’on lit encore dans un autre psaume : « Combien est grande, ô mon Dieu, la douceur que vous avez cachée à ceux qui vous craignent[669] ? » Tandis qu’ils craignent, ils ne voient pas encore ; mais ils verront et seront dans la joie ; ce qui a rapport à la parole suivante : « Vous l’avez accomplie dans ceux qui espèrent en vous[670] » ; comme il est dit ici : « Parce que j’ai espéré ou surespéré dans vos paroles ». Ici le traducteur a composé son verbe, afin de nous faire mieux comprendre que « Dieu est assez puissant pour faire au-delà de ce que nous pouvons demander ou comprendre[671] » ; et que s’il dépasse la portée de nos prières et de notre intelligence, ce serait peu d’espérer, il nous faut un surcroît d’espérance.
3. Ainsi donc, parce que l’Église ici-bas est encore dans la crainte, et ne se voit point dans ce royaume où elle jouira d’une entière sécurité, mais qu’elle est au milieu des périls et des épreuves de ce monde, où elle entend cette parole : « Que celui qui se croit debout, prenne garde de tomber[672] » ; elle jette les yeux sur la misère de cette vie mortelle où les enfants d’Adam sentent le joug pesant qui les accable, depuis le jour qu’ils ont quitté le sein maternel, et qui s’étend sur chacun d’eux jusqu’au jour où ils retourneront au sein de la terre leur mère commune[673] ; elle voit que même après la régénération, la convoitise de la chair contre l’esprit[674] leur arrache des gémissements contre cette oppression ; et à cette vue elle s’écrie : « J’ai connu, Seigneur, que la justice est dans vos jugements, et que c’est dans votre vérité que vous m’avez humiliée. Consolez-moi par le retour de votre miséricorde, et selon la promesse faite à votre serviteur[675] ». La miséricorde et la justice sont tellement liées dans les saintes Écritures, et particulièrement dans les psaumes, que même en certains passages on lit : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité[676] ». Dans celui qui nous occupe, nous trouvons d’abord cette vérité qui nous a humiliés jusqu’à la mort par la sentence de Celui dont les jugements sont justice : vient ensuite la miséricorde qui nous rétablit dans la vie selon la promesse de Celui dont les bienfaits constituent la grâce. Aussi est-il dit : « Selon votre parole à votre serviteur » ; c’est-à-dire, selon la promesse faite à votre serviteur. Dès lors, bien que la régénération, ou si l’on veut, la foi, l’espérance et la charité, trois vertus qui s’affermissent en nous, soient un don de la divine miséricorde, elles ne sont néanmoins, dans cette vie d’orages et de misères, que le soulagement du malheur, et non le comble de la félicité. C’est pourquoi il est dit : « Que votre miséricorde s’étende sur moi pour me consoler ».
4. Mais comme c’est après ces misères, et même par ces misères que nous viendra le bonheur à venir, le Prophète poursuit « Que vos miséricordes viennent sur moi, et que je vive[677] ». Je vivrai en effet quand je n’aurai plus rien à craindre, pas même la mort. Ce que l’on nomme la vie sans rien ajouter, ne peut s’entendre que de la vie éternelle et bienheureuse, comme si elle seule pouvait être appelée vie, et qu’en comparaison d’elle celle d’ici-bas méritât plutôt le nom de mort que le nom de vie. C’est ainsi qu’il est dit dans l’Évangile « Si tu veux arriver à la vie, observe les commandements[678] ». Le Sauveur a-t-il dit vie éternelle ou vie bienheureuse ? De même, en parlant de la résurrection de la chair : « Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie[679] », il n’ajoute ni heureuse ni éternelle. De même ici le Prophète s’écrie : « Que vos miséricordes viennent, afin que je vive », sans parler de vie éternelle ni de vie heureuse comme s’il n’y avait aucune différence entre vivre, et vivre sans fin ou sans calamité. Mais comment mériter cette vie ? « Parce que votre loi est le sujet de mes pensées », dit le Prophète Et si cette méditation n’était pas selon la foi qui agit par la charité[680], nul homme ne pourrait jamais arriver à cette vie. J’ai cru devoir le dire, afin que nul ne s’imagine qu’il lui suffit de confier toute la loi à sa mémoire, de s’en souvenir souvent, de la chanter, de ne pas taire ce qu’elle ordonne, sans le faire néanmoins, pour dire à bon droit : « Votre loi est l’objet de mes pensées », et croire ensuite qu’il obtiendra par là ce qui est marqué dans les versets précédents, et que le Prophète sollicitait en vertu de cette méditation, quand il disait : « Que votre miséricorde s’étende sur moi, et que je vive ». Cette méditation est la pensée d’un cœur qui aime, et qui aime avec tant d’ardeur, que ce feu de méditation ne se refroidit point, quelque nombreuses que soient les iniquités qui l’environnent[681].
5. Le Prophète continue : « Confusion aux superbes, parce qu’ils m’ont injustement maltraité ; pour moi, je m’exercerai dans vos commandements[682] ». Voilà ce que fait la méditation de la loi de Dieu, ou plutôt qui est la loi.
6. « Qu’ils se tournent vers moi, ceux qui vous craignent, et qui connaissent vos oracles[683] ». Dans certains exemplaires et grecs et latins, on lit : « Qu’ils se tournent à moi », ce qui revient, ce me semble, à se tourner vers moi. Mais qui donc parle ainsi ? nul homme n’oserait tenir ce langage, et l’osât-il on ne devrait point l’écouter. C’est donc celui qui, plus haut, parlait encore en son nom, quand il disait : « Je suis associé à tous ceux qui vous craignent ». Comme il a pris part à notre mortalité pour nous donner part à sa divinité, nous avons aussi part à la vie en lui seul, comme il a eu part à la mort en plusieurs. C’est en effet vers lui que se tournent tous ceux qui craignent Dieu, qui connaissent ces témoignages que les Prophètes lui ont rendus si longtemps d’avance et qu’il a vérifiés par sa présence autorisée par tant de miracles.
7. « Que mon cœur », dit-il ensuite, « soit sans tache dans vos ordonnances, afin que je ne sois pas confondu[684] ». Voici de nouveau la parole du corps mystique, ou du peuple saint, qui demande à Dieu un cœur pur, c’est-à-dire le cœur de tous ses membres ; et cela par les justifications de Dieu, non par leurs propres forces. Il ne présume point de lui-même, il supplie. Ce qu’il ajoute : « Afin que je ne sois point confondu », nous l’avons déjà vu dans les premiers versets de notre psaume : « Puissent mes voies se redresser pour garder vos préceptes, alors je ne serai point confondu en méditant vos préceptes ». Cette expression « puissent », qui est un optatif, reparaît plus clairement encore dans la prière que fait le Prophète : « Que mon cœur soit sans tache ». Ni dans l’une ni dans l’autre de ces pensées, qui sont identiques au fond, nous ne trouvons la présomption du libre arbitre s’élevant contre la grâce. Cette expression : « Alors j’échapperai à la confusion », il la répète ici : « Afin que j’échappe à la confusion ». Ainsi donc, pour le corps et pour les membres du Christ, le cœur devient pur, au moyen de la grâce de Dieu, par le chef de ce corps, c’est-à-dire par Jésus-Christ Notre-Seigneur, dans le bain de la régénération, où toutes nos fautes anciennes sont effacées[685] ; par le secours de l’Esprit qui nous donne des désirs contraires à ceux de la chair, de peur que nous ne succombions dans la lutte[686] ; par l’effet de la prière dominicale et où nous disons : « Remettez-nous nos dettes[687] ». Dès lors que notre âme a reçu le don de la régénération, est soutenue dans sa lutte, et répand sa prière, notre cœur devient pur, afin que nous ne soyons point confondus car c’est là un des points des ordonnances et des justifications de Dieu, puisque, parmi les préceptes, il nous dit : « Remettez et il vous sera remis, donnez et l’on vous donnera[688] ».
VINGTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLES SOUPIRS DE L’ÉGLISE PERSÉCUTÉE.
modifierLe roi défaillance employé par le Prophète n’est qu’une sainte impatience vers le salut. Toujours ce désir a été exalté dans l’Église ; sous l’ancienne loi les saints soupiraient après le Christ incarné ; ils soupirent aujourd’hui après Jésus qui viendra nous juter. Telle est la langueur de l’Église, qui fait monter vers le ciel de brûlants soupirs ; et ces soupirs éloignent les convoitises charnelles et avivent la charité. Elle demande sa délivrance, et néanmoins elle subsistera jusqu’à la fin du monde ; elle répudie les fables que débitent les hérétiques ses persécuteurs, elle demande pour ses martyrs et obtient le secours du ciel qui les soutient.
1. Avec le secours de Dieu nous devons considérer et exposer cette partie de notre long psaume qui commence ainsi : « Mon âme est en défaillance dans l’attente de votre salut ; je n’espère qu’en votre parole[689] ». La défaillance n’est pas toujours une faute ou un châtiment : il est une défaillance louable et désirable. Comme ces deux termes progrès et défaillance sont opposés l’un à l’autre, il est plus ordinaire de prendre le progrès en bonne part et la défaillance en mauvaise part, quand on ne précise ou qu’on ne sous-entend pas en quoi il y a défaillance ou progrès. Mais un mot que l’on ajoute peut donner au progrès un sens défavorable, et un sens favorable à la défaillance. L’Apôtre nous dit ouvertement : « Evitez les discours nouveaux et profanes, dont les progrès sont rapides vers l’impiété[690] ». Et en parlant de quelques-uns : « Ils feront des progrès dans le mal[691] ». La défaillance qui va du bien au mal est donc mauvaise ; elle est bonne, quand elle va du mal au bien. C’est, en effet, une louable défaillance qui a fait dire au Prophète : « Mon âme languit, elle soupire après vos tabernacles, ô mon Dieu[692] ». Aussi le Prophète ne dit-il point : Mon âme a failli à votre salut ; mais bien : « Mon âme est dans la défaillance parle désir de votre salut ». Cette défaillance est donc louable ; elle marque le désir d’un bien qu’on ne possède point encore, mais que néanmoins on souhaite avec un violent désir. Mais qui peut exhaler ces soupirs, sinon la race choisie, le royal sacerdoce, la nation sainte, le peuple conquis[693] et depuis l’origine du monde jusqu’à la fin, soupirant au Christ, dans ceux qui ont vécu, ceux qui vivent, et ceux qui vivront ici-bas au temps marqué parle Seigneur ? Témoin le saint vieillard Siméon, qui s’écria en recevant dans ses bras le divin enfant : « Maintenant, Seigneur, vous laissez mourir en paix votre serviteur, selon votre promesse ; car mes yeux ont vu votre salut ». Il avait reçu d’en haut l’assurance de ne point mourir avant d’avoir vu l’oint du Seigneur[694]. Tel nous voyons le désir de ce saint vieillard, et tel était, nous devons le croire, le désir des saints dans les temps les plus reculés. De là cette parole du Sauveur à ses disciples : « Beaucoup de Prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez, et ne e l’ont point vu ; entendre ce que vous entendez, et ne l’ont point entendu[695] » ; en sorte qu’on peut aussi leur attribuer cette parole : « Mon âme languit après votre salut ». Ni alors, ni aujourd’hui ces désirs des saints n’ont cessé dans le corps du Christ, qui est l’Église ; ils doivent durer jusqu’à la fin des siècles, jusqu’à l’avènement du Désiré des nations[696], selon la promesse du Prophète. Aussi l’Apôtre nous dit-il : « Il me reste à recevoir la couronne de justice que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge ; et non seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment son avènement[697] ». C’est pourquoi le désir dont nous parlons vient du désir de son avènement, dont saint Paul a dit encore : « Lorsque paraîtra le Christ, qui est votre vie, vous aussi vous paraîtrez avec lui dans la gloire[698] ». Ainsi donc, les premiers temps de l’Église qui ont précédé l’enfantement de la Vierge, ont eu des saints qui soupiraient après l’incarnation ; les temps qui s’écoulent depuis qu’il est remonté au ciel ont leurs saints qui aspirent après sa manifestation quand il viendra juger les vivants et les morts. Depuis l’origine du monde jusqu’à la fin, ce désir n’a pas été interrompu un instant, sinon pendant le temps si court que le Christ a vécu avec ses disciples ; en sorte que c’est à tout le corps du Christ qui gémit ici-bas que l’on peut attribuer ces paroles : « Mon âme languit après votre salut, et j’ai mis mon espoir dans votre parole », c’est-à-dire dans votre promesse ; et cette espérance nous fait attendre avec patience ce que nous croyons sans le voir[699]. Encore ici nous lisons dans le grec[700] le verbe que nos traducteurs ont rendu par « surespéré », sans doute parce que cette espérance est au-dessus de toute expression.
2. « Mes yeux ont langui après votre parole ; ils ont dit : Quand me consolerez-vous[701] ? » Voici encore dans les yeux, mais dans les yeux intérieurs cette heureuse et louable défaillance, qui ne vient pas d’une faiblesse de cœur, mais d’un ardent désir des promesses de Dieu. Car c’est votre parole, dit le Prophète, qui les fait languir ; mais comment de tels yeux peuvent-ils dire : « Quand me consolerez-vous », s’il n’y a une prière et un gémissement dans cette espérance toujours attentive ? C’est la langue en effet qui parle, et non les yeux. Toutefois une prière fervente serait en quelque sorte la parole des yeux. Mais ce cri du Prophète : « Quand me consolerez-vous ? » nous montre qu’il souffre de cette attente. De là encore cette autre parole : « Mais vous, Seigneur, jusques à quand[702] ? » Dieu use parfois de délai pour nous rendre plus douce la joie différée : on peut dire aussi que pour un cœur qui aime, le temps même le plus court est toujours bien long. « Or, le Seigneur sait quand il doit faire toute chose, lui qui règle tout avec nombre, avec poids et mesure[703] ».
3. Or, la ferveur de ces désirs spirituels éteint, sans aucun doute, les désirs charnels c’est pourquoi l’interlocuteur poursuit : « Je suis devenu comme une outre exposée aux frimas, mais je n’ai point oublié vos préceptes[704] ». Par outre il entend cette chair mortelle, et par frimas cette grâce d’en haut qui refroidit et paralyse nos concupiscences. De là vient que nous n’oublions point les commandements de Dieu, puisque nous n’avons point d’autres pensées, et que s’accomplit en nous le mot de l’Apôtre : « Ne cherchez point à contenter les désirs de la chair[705] ». Aussi, après avoir dit : « Je suis devenu comme l’outre sous les frimas », le Prophète a-t-il ajouté : « Je n’ai point oublié vos ordonnances ». C’est-à-dire, je ne les ai point oubliées, parce que j’ai été réduit en cet état. L’ardeur des désirs s’est glacée, pour donner à la mémoire la ferveur de la charité.
4. « Combien de jours doit compter encore votre serviteur ; quand me ferez-vous justice de ceux qui me persécutent[706] ? » Tel est dans l’Apocalypse le cri des martyrs, et la patience leur est recommandée jusqu’à ce que le nombre de leurs frères soit au complet[707] ». Le corps du Christ demande alors à Dieu combien de jours il doit passer en ce monde, Et de peur que tel homme ne vienne à s’imaginer que l’Église ne subsistera point jusqu’à la fin du monde, qu’il s’écoulera un certain espace de temps où l’Église n’existera plus sur la terre, aussitôt qu’elle s’enquiert du nombre de ses jours, le Prophète nous parle de jugement, pour nous montrer que cette Église demeurera sur la terre jusqu’au jugement qui la vengera de ses persécuteurs. Et si l’on s’étonne qu’elle fasse la même question que les disciples, quand le Maître leur répondit : « Il ne vous appartient pas de connaître les temps que le Père a réservés dans sa puissance[708] », pourquoi ne verrions-nous pas dans cet endroit du psaume une prophétie de cette question, et ce cri de l’Église prophétisé si longtemps d’avance, accompli dans l’interrogation des disciples ?
5. Quant à ces paroles : « Les impies m’ont raconté leurs fables, mais elles ne sont point comme votre loi, ô mon Dieu[709] » ; le mot grec adoleskias ;ne saurait jusqu’à présent se rendre en latin par un seul mot ; ceux-ci l’ont traduit par deleclationes, ceux-là par fabulationes; nous pouvons regarder cela comme des paraboles étudiées, mais qui ont certain charme dans la conversation. Or, ces jeux d’esprit nous les trouverons dans les divers genres de la littérature profane, et même dans les livres juifs que l’on nomme deuterostes, et qui, étrangers aux saintes Écritures, renferment des fables par milliers. On les trouve aussi chez les hérétiques, si féconds en vaines paroles. Ces conteurs, le Prophète les appelle des impies, et leurs contes, adoleskias, c’est-à-dire des puérilités, des jeux de mots, « mais qui ne ressemblent point, Seigneur, à votre loi », parce que dans cette loi, c’est la vérité, et non l’expression, qui a pour moi des attraits.
6. Enfin il ajoute : « Quant à vos préceptes ils sont tous vérité ; aidez-moi contre leurs injustes poursuites[710] ». Le sens de ces paroles dépend de ces autres qui précèdent : « Combien de jours doit compter votre serviteur ; quand me ferez-vous justice de ceux qui me persécutent ? » C’était me persécuter que me raconter leurs fables ineptes ; mais je leur ai préféré votre loi, qui avait pour moi plus de charmes, parce que « tous vos préceptes sont la vérité », et n’ont rien de cette vanité qui règne dans leurs discours. Et « ils m’ont persécuté injustement », en ce sens qu’ils ont persécuté en moi la vérité. Donc, « secourez-moi », afin que je combatte pour la vérité jusqu’à la mort, puisque tel est votre commandement, et qu’en cela consiste la vérité.
7. En accomplissant ce précepte, l’Église endura ce que dit le Prophète : « Ils m’ont presque anéantie sur la terre[711] », en massacrant tant de martyrs qui confessaient et prêchaient la vérité. Mais comme l’Église n’avait pas dit en vain : « Aidez-moi », elle ajoute : « Pour moi, je n’ai pas abandonné vos préceptes ».
8. Afin de pouvoir persévérer jusqu’à la fin, « vivifiez-moi, dit-elle, selon votre miséricorde, et je garderai les témoignages de votre bouche[712] », ce que le grec appelle martyria. N’oublions pas cette remarque à la louange du mot de martyrs qui nous est si doux. Or, dans cette violence de la persécution, qui fit presque disparaître de la terre l’Église de Dieu, ils n’auraient pu garder les témoignages du Seigneur, si Dieu n’eût exaucé en eux cette prière : « Donnez-moi la vie selon votre miséricorde ». Dieu leur donna la vie en effet, de peur que l’amour d’une vie ne leur fît perdre la véritable vie, et qu’en reniant la vie, ils ne perdissent la vie. Par là ceux qui n’échangèrent pas la vérité contre la vie trouvèrent la vie en mourant pour la vérité.
VINGT-UNIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierSOUPIRS DE L’ÉGLISE VERS LE CIEL.
modifierLe Prophète aspire au ciel où demeure éternellement la parole de Dieu, puis il se rabat sur la terre où il voit passer les générations qui se transmettent sa parole. Ces deux générations sont l’Ancien et le Nouveau Testament, et ceux de l’Ancien qui se sont sanctifiés appartenaient au Nouveau, étaient fondés sur Jésus-Christ, qui est le véritable jour. Afin de ne point périr tians son abaissement, le Prophète médite la loi de Dieu ; il est à Dieu, et non à lui-même ; les exemples des pécheurs l’eussent perdu, s’il n’eût compris par les témoignages de Dieu qu’il vaut mieux mourir qu’abandonne cette loi.
1. Il semble que l’interlocuteur de notre psaume est pris d’ennui à cause de l’inconstance des hommes, qui nous fait de la vie une source de tentations. Environné par la tribulation qui lui fait dire : « Les injustes m’ont persécuté » ; et encore : « Peu s’en faut qu’ils ne m’aient anéanti sur la terre », il s’enflamme d’un saint désir pour la Jérusalem céleste, et élevant les yeux en haut il s’écrie : « C’est pour l’éternité, Seigneur, que votre parole demeure dans les cieux[713] » ; c’est-à-dire dans les saints anges qui gardent, sans la déserter jamais, la milice éternelle.
2. Après le ciel, le verset suivant nous parle de la terre, car il est encore un des huit qui appartiennent à cette lettre de l’alphabet. À chacune de ces lettres, en effet, sont joints huit versets jusqu’à la fin de ce long psaume. « Votre vérité passe de génération en génération ; vous avez fondé la terre qui demeure toujours ». Donc, après le ciel, il jette sur la terre un regard de foi ; il y trouve des générations qui ne sont point dans le ciel, et il s’écrie : « Votre vérité passe de génération en génération ». Cette répétition peut signifier toutes les générations, tantôt plus, tantôt moins fécondes en saints, chez qui s’est trouvée la vérité de Dieu. Selon la diversité des temps passés ou à venir, le Prophète peut même avoir en vue deux générations, l’une embrassant la loi et les Prophètes, l’autre embrassant les temps de l’Évangile. Expliquant ensuite pourquoi la vérité ne manque jamais à ces deux générations, « vous avez fondé la terre », dit le Prophète, « et elle demeure » ; appelons terre ceux qui habitent la terre. « Or, nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui est posé, et qui est Jésus-Christ[714] ». Car cette génération, qui embrasse la loi et les Prophètes, n’en avait pas moins pour fondement Jésus-Christ, à qui la loi et les Prophètes rendaient témoignage[715]. Ou bien, faudrait-il ranger Moïse et les Prophètes parmi les fils de cette servante qui engendre pour l’esclavage, et non parmi les fils de l’Épouse libre qui est notre mère[716], à qui un homme dit : Sion, vous êtes ma mère ; et cet homme a été fait en elle, et il est lui-même le Très-Haut qui l’a fondée[717] ? Il est en effet le Très-Haut en son Père, et à cause de nous il s’est fait très humble en cette mère ; celui qui était Dieu au-dessus d’elle, a été fait homme en elle. Tel est, Seigneur, le fondement sur lequel vous avez basé la terre, et elle demeure ; car, solidifiée sur un tel fondement, elle ne sera pas ébranlée dans le siècle des siècles[718] ; elle demeurera dans ceux à qui vous donnerez la vie éternelle. Quant à ceux qui sont nés de la servante, qui appartiennent à l’Ancien Testament dont les ombres couvraient le Nouveau, ils n’ont eu du goût que pour les choses terrestres, et ne demeureront point, « car le serviteur ne demeure point toujours dans la maison du maître, mais le Fils y demeure éternellement[719] ».
3. « Le jour se maintient dans votre loi[720] ». Tout ce qui vient d’être marqué est un jour, et ce jour est celui que le Seigneur a fait : soyons dans la joie, livrons-nous à l’allégresse[721], et marchons dans la décence comme au grand jour[722]. « Tout vous est assujetti ». Tout, c’est-à-dire tout ce qui tient à ce jour, tout ce dont on vient de parler, tout cela vous est assujetti. Mais les impies dont il est dit : « J’ai comparé votre mère à la nuit[723][724] », ne servent point le Seigneur.
4. Le Prophète examine ensuite de quel état la terre sera délivrée, afin de demeurer affermie ; il ajoute : « Si je n’eusse médité votre loi, j’eusse probablement péri dans mon abaissement[725] ». Cette loi est celle de la foi ; non d’une foi stérile, mais d’une foi qui opère au moyen de la charité[726]. C’est par elle que l’on obtient la grâce qui nous donne la force dans les tribulations du temps, de peur que nous ne périssions dans l’humiliation de cette vie mortelle.
5. « Je n’oublierai jamais », dit-il, « vos ordonnances, parce qu’en elles vous m’avez donné la vie[727] ». De là vient qu’il n’a point péri dans son humiliation. Car, si Dieu ne nous vivifiait, que serait-ce que l’homme qui peut se dérober à la vie, mais non se la donner ?
6. Ensuite il ajoute : « Je suis à vous, sauvez-moi, car je recherche vos justifications[728] ». Ne passons point légèrement sur cette parole : « Pour moi, je suis à vous ». Qu’est-ce qui n’est pas à Dieu ? Et parce qu’on dit que Dieu est dans le ciel, faut-il croire qu’il y ait sur la terre quelque chose qui ne soit point à lui ; quand surtout nous chantons dans un autre psaume : « La terre est au Seigneur, et tout ce qu’elle contient, l’univers entier et tous ceux qui l’habitent[729] ? » Pourquoi donc l’interlocuteur a-t-il voulu se recommander tout particulièrement à Dieu, en disant : « Pour moi, je suis à vous, sauvez-moi », sinon afin de nous prévenir que, pour son malheur, il a voulu être à lui-même, par la désobéissance qui est le premier et le plus grand mal ? Comme s’il nous eût dit : J’ai voulu être à moi, et je me suis perdu. « Je suis à vous », reprend-il, « sauvez-moi, parce que j’ai recherché vos justifications » ; non plus ces volontés par lesquelles j’étais à moi, mais vos justifications, afin d’être à vous.
7. « C’est moi », dit-il, « que les pécheurs ont attendu pour me perdre ; mais j’ai compris vos commandements[730] ». Qu’est-ce à dire, « ont attendu pour me perdre ? » Lui auraient-ils tendu des embûches, attendant son passage pour le tuer ? Craignait-il donc la mort du corps ? Loin de là. Que signifient donc ces paroles : « Ils m’ont attendu », sinon qu’ils ont voulu le porter au mal ? Ils l’eussent alors perdu. Or, il nous montre pourquoi il n’a point péri : « J’ai compris vos témoignages », nous dit-il. Mais l’expression grecque : « J’ai compris vos martyres », est plus familière dans l’Église. Et quand ils eussent puni de mort ma résistance à leurs impiétés, ce n’est point périr que vous rendre témoignage. Mais ceux qui attendaient mon assentiment pour me perdre, me tourmentaient quand je vous confessais : et toutefois il n’abandonnait point ce qu’il avait compris ; il envisageait et voyait cette fin qui serait sans fin, s’il persévérait jusqu’à la fin.
8. Le Prophète continue : « J’ai vu la dernière consommation de toutes choses, votre loi est d’une étendue infinie[731] ». Il avait pénétré dans le sanctuaire de Dieu, et avait compris la fin des choses[732]. Or, par consommation, il faut, je crois, entendre ici, combattre à mort pour la vérité[733], endurer tous les maux pour le bien le plus réel et le plus grand ; et la fin de cette consommation serait d’être élevé en gloire dans le royaume du Christ, qui n’a point de fin, d’y posséder, sans craindre la mort ou la douleur, une vie souverainement glorieuse, une vie acquise par la mort, par les douleurs et les opprobres de cette vie. Cette loi d’une étendue infinie, je ne saurais l’entendre que de la charité. De quoi servirait en face de la mort la plus atroce, et au milieu des plus affreux supplices, de rendre témoignage à la vérité, si la charité ne dictait cette confession ? Écoutons l’Apôtre : « Quand je livrerai mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne me sert de rien[734]. Or, cet amour de Dieu a été répandu « dans nos cœurs, par le Saint-Esprit qui nous a été donné[735] ». Mais cette effusion nous met au large, et si nous sommes au large, nous parcourons sans peine la voie étroite, avec la grâce de ce même Dieu à qui nous disons : « Vous avez élargi la voie sous mes pieds, et mes démarches n’ont pas été affaiblies[736] ». Il est donc large ce commandement de la charité, et il est double, puisqu’il nous fait aimer Dieu et le prochain. Pourrait-elle être plus vaste quand elle renferme la loi et les Prophètes[737] ?
VINGT-DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierL’INTELLIGENCE DE LA LOI.
modifierC’est la foi agissant par la charité qui nous facilite l’accomplissement des préceptes divins, et cette foi vient de la grâce de Dieu qui nous éclaire, qui nous dispose à l’accomplissement de la loi or, cette loi qui se résume dans la charité durera éternellement, puisque dans le ciel nous ne cesserons d’aimer Dieu. Celui qui surpasse en intelligence les docteurs et les anciens, c’est le Christ, et tout homme qui se pénètre de l’esprit plus que de la lettre de l’Évangile. Cet homme se détourne du sentier du mal, ou plutôt résiste à ses convoitises, goûte la parole divine comme un miel exquis ; et ce miel est dans l’intelligence qui lui est venue par les préceptes, ou plutôt par l’obéissance aux préceptes.
1. Nous vous l’avons dit souvent, mes frères, par cette voie large, dans laquelle on accomplit sans difficulté la loi de Dieu, il faut entendre la charité. Aussi, dans notre long psaume, après avoir dit : « Votre loi est d’une merveilleuse largeur », le Prophète nous donne-t-il ensuite raison de cette largeur : « Combien, Seigneur, j’ai aimé vos lois[738] ! » L’amour est donc l’étendue de la loi. Comment en effet pourrions-nous aimer le Dieu qui ordonne, sans aimer le commandement qu’il fait ? Or, telle est la loi. « Tout le jour », dit le Prophète, « elle est ma méditation ». Voilà que je l’aime au point de la méditer tout le jour. Le latin dit tota die, le grec totam diem, olen ten emeran, ce qui marque une méditation continuelle ; or, qui dit tout le temps, dit toujours. Cette charité détruit la concupiscence qui nous détourne souvent d’obéir à la loi, à cause des révoltes de la chair contre l’esprit ; mais l’esprit à son tour se révoltant contre la chair[739], doit aimer la loi de Dieu au point de la méditer tout le jour. Or, saint Paul dit : « Où est donc votre glorification ? Elle est anéantie. Et par quelle loi ? Par la loi des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi[740] ». Telle est la foi qui agit par la charité, parce qu’en cherchant, en demandant, en frappant, elle obtient l’Esprit-Saint[741] par lequel la charité est répandue dans nos cœurs[742]. Tous ceux qui sont conduits par cet Esprit, sont fils de Dieu[743], admis pour se reposer avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux[744], d’où sera banni l’esclave qui ne demeure pas éternellement dans la maison[745] ; c’est-à-dire cet Israël[746], selon la chair à qui il est dit : « Vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, ainsi que tous les Prophètes dans le royaume de Dieu, et vous en serez chassés. Ils viendront de l’Orient et de l’Occident, de l’Aquilon et du Midi, pour se reposer dans le royaume de Dieu. Et voilà derniers ceux qui « étaient premiers, et premiers ceux qui étaient derniers[747] ». Quant aux Gentils, ainsi que l’a dit le Vase d’élection, « ceux qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice, c’est-à-dire la justice qui vient de la foi ; tandis qu’Israël qui recherchait la loi de la justice, n’est point parvenu à la loi de la justice. Pourquoi ? Parce qu’ils ne l’ont point recherchée par la foi, mais par les œuvres, et qu’ils ont heurté contre la pierre du scandale[748] ». Et de la sorte ils sont devenus les ennemis de Celui qui parle dans notre psaume.
2. Il ajoute : « Plus qu’à tous mes ennemis vous m’avez fait connaître votre loi, parce que je l’ai embrassée pour jamais[749] ». Ils ont à la vérité le zèle de Dieu, mais non selon la science. Ne connaissant point en effet la justice de Dieu, et s’efforçant d’établir leur propre justice, ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu[750]. Mais l’interlocuteur, devenu par la loi de Dieu plus sage que ses ennemis, veut être, ainsi que saint Paul, trouvé en Jésus-Christ, n’ayant point une justice qui lui soit propre, mais une justice qui lui vienne de Dieu par la foi[751]. Ce n’est point que la loi que lisent ses ennemis ne soit aussi de Dieu, mais ils ne la goûtent point comme la goûte celui qui est plus sage que ses ennemis, qui s’attache à cette pierre contre laquelle ils se sont heurtés[752]. Car le Christ est la fin de la loi pour justifier ceux qui croiront[753], afin qu’ils soient justifiés gratuitement par sa grâce[754] ; non point comme ceux qui s’imaginent accomplir la loi par leurs propres forces, cherchant, dans la loi de Dieu, il est vrai, mais leur propre justice : ils veulent ressembler au contraire au fils de la promesse, qui a faim et soif de cette justice[755], qui cherche, qui demande, qui frappe, qui mendie en quelque sorte auprès du Père[756], afin d’être adopté et d’obtenir par le Fils unique. Mais quand eût-il pu goûter ainsi la loi de Dieu, s’il n’eût reçu ces dispositions de Celui à qui il dit : « Vous m’avez fait goûter votre loi d’une manière bien supérieure à mes ennemis ? » Or, ces ennemis, ces fils d’Agar, nés dans l’esclavage[757], n’ont cherché dans cette loi que des récompenses temporelles : de là vient qu’elle n’a pu être pour eux une loi éternelle, comme elle l’est pour celui-ci. La traduction, « pour l’éternité », est préférable en effet à celle qui a dit « pour le siècle », comme si une fois le siècle écoulé, il n’y ait plus de préceptes de la loi. Il n’y en aura plus en effet d’écrite sur les tables et les livres visibles ; mais l’amour de Dieu et du prochain demeure éternellement dans le livre du cœur ; et ce double précepte renferme la loi et les Prophètes[758] ; le législateur lui-même sera la récompense de ceux qui auront gardé ces préceptes ; Dieu que nous aimons sera le prix de notre amour quand il sera tout en tous[759].
3. Mais que signifie cette parole suivante : « J’ai surpassé en intelligence tous ceux qui m’instruisaient[760] ? » Quel est cet homme plus intelligent que ceux qui l’instruisent ? Quel est celui qui ose mettre son intelligence au-dessus de celle des Prophètes lesquels, non contents d’instruire par leur parole ceux qui vivaient de leur temps, enseignaient encore par leurs écrits et avec une si sainte autorité, ceux qui sont venus après eux ? Salomon, sans doute, reçut de Dieu une sagesse qui le mit bien au-dessus de tous ses prédécesseurs[761] ; mais il n’est pas croyable que ce soit lui que David son père veuille prophétiser ici ; surtout qu’on ne saurait lui appliquer cette parole de notre psaume : « J’ai défendu à mes pieds toute voie perverse ». Si donc, comme il est plus probable, David nous parle ici du Christ, qu’il prophétiserait tantôt comme chef, ou Sauveur, tantôt au nom de son corps mystique ou de l’Église, et néanmoins ne composant qu’un seul et même tout, à cause du grand sacrement ainsi formulé : « Ils seront deux dans une seule chair[762] » ; je reconnais qu’en effet il a été plus intelligent que tous ceux qui l’instruisaient, quand, à douze ans, l’enfant Jésus demeura à Jérusalem, alors qu’après trois jours ses parents le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant ; tandis que tous ceux qui l’entendaient étaient dans l’admiration à cause de sa sagesse et de ses réponses[763]. Or, ce n’est pas sans raison, puisque longtemps auparavant il avait dit par la bouche du Prophète : « J’ai surpassé en intelligence ceux qui m’instruisaient ». Il entend par là tous les hommes, et non Dieu le Père, dont le Fils a dit : « Je parle selon que mon Père m’a enseigné ». Ce qu’il est difficile d’entendre du Verbe, à moins de comprendre comme on le pourra que, pour le Fils, être Instruit par le Père, c’est être engendré. Celui, en effet, pour qui être ne diffère point d’être enseigné, mais qui est instruit par là même qu’il est, reçoit assurément l’instruction de celui qui lui donne l’être. Si nous envisageons le Christ dans son humanité et sous la forme de l’esclave, il est plus facile de comprendre qu’il a reçu de son Père ce qu’il a dit : en le voyant en effet sous cette forme d’esclave, et jeune enfant, les hommes ont pu croire que d’autres plus âgés l’instruisaient ; mais celui que le Père a enseigné a mieux compris que tous ceux qui l’instruisaient. « Parce que vos témoignages », dit-il, « sont l’objet de mes méditations ». Il était donc plus intelligent que tous ses maîtres, parce qu’il méditait les témoignages du Seigneur, et qu’il connaissait mieux ceux qui le concernaient que ceux à qui il disait : « Vous avez envoyé vers Jean, et il a rendu témoignage à la vérité ; pour moi, je ne reçois point témoignage d’aucun homme, mais je vous parle ainsi afin de vous sauver. Il était une lampe ardente et brillante, et pour un peu de temps vous avez voulu vous réjouir à sa lumière. Mais moi j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean ». Tels étaient les témoignages qu’il méditait, quand il surpassait en intelligence tous ceux qui l’enseignaient.
4. Il ne serait point hors de propos d’entendre par ces docteurs, ces mêmes anciens dont il nous dit ensuite : « J’ai compris mieux que les vieillards ». Et selon moi, le but de cette répétition serait de nous rappeler l’âge du Christ mentionné dans l’Évangile ; enfant par l’âge, il siégeait parmi les anciens ; jeune, parmi les vieillards, et son intelligence devançant celle de ses maîtres, D’ordinaire, en comparant les petits avec les grands, on dit les jeunes et les anciens, quoique souvent ni les uns ni les autres n’approchent de la vieillesse. Si néanmoins nous voulons rechercher dans l’Évangile ce nom des vieillards au-dessus desquels s’élevait son intelligence, nous le trouvons quand les scribes et les pharisiens lui dirent : « Pourquoi vos disciples sont-ils violateurs de la tradition des vieillards ? car ils ne lavent point leurs mains avant de manger ». Voilà qu’on lui oppose une faute contre la tradition des vieillards. Mais écoutons la réponse de Celui qui comprenait mieux que les vieillards : « A votre tour, pourquoi transgressez-vous le précepte du Seigneur, à cause de votre tradition ? » Puis un peu plus loin, afin de nous montrer que non seulement la tête, mais aussi le corps et les membres auraient une intelligence supérieure à celle des vieillards, dont on lui objectait la tradition sur la coutume de laver les mains, il assemble autour de lui la foule, et s’écrie : « Écoutez et comprenez », comme s’il disait : Vous aussi, comprenez mieux que ces vieillards, afin qu’il devienne évident que c’est de vous aussi que le Prophète a dit : « J’ai compris mieux que les vieillards » ; que ce n’est pas seulement de la tête, mais de tout le corps, et qu’ainsi elle s’applique au Christ tout entier. « L’homme n’est point souillé par ce qui entre dans sa « bouche, mais il est souillé par ce qui sort de sa bouche ». Voilà ce que n’avaient pas compris les vieillards, qui avaient donné comme importante la prescription de se laver les mains. Les membres mêmes de ce chef divin, comprenant mieux que les vieillards, n’avaient pas encore compris ce qu’il avait dit, Aussi Pierre lui dit-il un peu après : « Expliquez-nous cette parabole ». Il prenait encore pour une parabole ce que le Seigneur avait dit sans figure. Mais le Sauveur lui dit : « Vous aussi, êtes-vous sans intelligence ? Ne comprenez-vous pas que tout ce qui entre dans la bouche va dans les entrailles, et tombe dans un lieu secret ? Mais ce qui sort de la bouche vient du cœur, et c’est là ce qui souille l’homme[764] ! » Vous aussi, seriez-vous sans intelligence, et ne comprenez-vous pas mieux que ces vieillards ? Mais maintenant, après avoir entendu un tel maître qui est notre chef, chacun de nous peut dire : J’ai compris mieux que les anciens. Ce qui suit, en effet, convient aussi au corps : « Parce que j’ai recherché vos préceptes ». « Vos préceptes », et non ceux des hommes ; « vos préceptes », et non ceux des anciens qui veulent être docteurs de la loi, bien qu’ils n’entendent ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils affirment[765]. C’est à bon droit qu’à propos des préceptes divins que nous devons rechercher afin d’avoir plus d’intelligence que ces vieillards, le Sauveur répondit à ceux qui préféraient l’autorité de ces anciens à la vérité : « A votre tour, pourquoi transgressez-vous le précepte de Dieu, pour établir vos traditions ? »
5. Les paroles suivantes paraissent moins convenir au chef qu’aux membres : « J’ai détourné mes pieds de tout sentier du mal, afin de garder vos paroles[766] ». Le Christ, en effet, qui est notre chef et Sauveur de son corps, n’est porté dans le sentier du mal par aucune convoitise charnelle, et n’a pas besoin de l’interdire à ses pieds, comme s’ils y allaient de leur propre mouvement, ainsi que nous le faisons quand nous interdisons la voie du mal à nos désirs dépravés, que le Sauveur n’a point ressentis. Le moyen, en effet, d’accomplir les commandements de Dieu, est de ne point suivre nos concupiscences perverses[767], de ne leur permettre jamais d’arriver au mal qu’elles convoitent, mais de les refréner par les désirs de l’esprit contre la chair[768], de peur qu’elles ne nous emportent, nous entraînant dans les sentiers du mal.
6. « Je ne me suis point écarté de vos jugements, parce que vous m’avez posé une loi[769] ». Le Prophète nous dit ici le sujet de ses craintes et pourquoi il détournait ses pieds de tout sentier du mal. Que signifie en effet : « Je ne me suis point écarté de vos jugements », sinon ce qu’il a dit ailleurs : « J’ai craint au sujet de vos jugements ? » J’y ai cru d’une foi persévérante : « Parce que vous m’avez posé une loi ». Vous, plus intérieur que tout ce qui est intérieur en moi, c’est vous qui avez gravé dans mon cœur une loi par votre esprit comme par votre doigt, non point afin que je la craigne sans l’aimer comme l’esclave, mais afin qu’une crainte chaste me la fasse aimer, qu’un amour chaste me la fasse craindre.
7. Aussi, voyez ce qui suit : « Combien votre parole est douce à ma bouche[770] » ; ou, comme dans le grec, d’une manière plus expressive : « Vos promesses ». Elles surpassent le miel et le rayon de miel. Telle est la douceur que le Seigneur fait descendre, afin que notre terre donne son fruit[771] » ; c’est-à-dire, afin que nous fassions le bien d’une manière qui soit bonne ; en d’autres termes, non plus par la crainte d’un mal temporel, mais par l’attrait du bien spirituel. Dans plusieurs exemplaires, on ne lit point favum, rayon de miel, mais il se trouve en d’autres. Le miel serait alors le symbole d’une doctrine sage et évidente. Le rayon de miel marquerait celle que l’on tire des mystères les plus cachés, comme d’autant de cellules de cire, que l’on nous expliquerait en les pressant de la dent. Mais cela n’est doux qu’à la bouche du cœur, et non à la bouche charnelle.
8. Mais que signifie cette parole : « Vos préceptes m’ont donné l’intelligence ? » Autre est en effet : J’ai compris vos préceptes, et autre : Vos préceptes m’ont fait comprendre. Il y a donc je ne sais quelle autre chose dont il reconnaît que les préceptes de Dieu lui ont donné l’intelligence : autant que j’en puis juger, il dit qu’en pratiquant les préceptes du Seigneur il est arrivé à connaître, à comprendre ce qu’il désirait savoir. Aussi est-il écrit : « Si tu désires la sagesse, observe les commandements, et le Seigneur te la donnera[772] » ; ce qui, chez l’homme qui n’a pas encore pratiqué l’humilité de l’obéissance, refoule toute prétention à s’élever jusqu’à la hauteur de la sagesse, à laquelle il ne saurait atteindre que par degrés. Qu’il écoute ce qui est dit ailleurs : « Ne cherche point ce qui est au-dessus de toi, n’examine point curieusement ce qui dépasse tes forces, mais que ta pensée soit toujours occupée des ordres du Seigneur[773] ». C’est ainsi que par l’obéissance aux préceptes l’homme arrive à la science des vérités les plus cachées. Après avoir dit : « Que votre pensée s’occupe des ordres du Seigneur », l’écrivain sacré ajoute semper, « toujours », parce qu’il faut observer l’obéissance pour garder la sagesse, et qu’après avoir acquis la sagesse il ne faut pas négliger l’obéissance. Ce sont donc les membres spirituels du Christ qui disent : « J’ai compris par vos commandements ». C’est en effet le langage que peut tenir le corps du Christ dans ceux qui ont observé les commandements de Dieu et acquis ainsi une sagesse supérieure. « C’est pourquoi j’ai eu en horreur toute voie d’iniquité », dit le Prophète ; et en effet, l’amour de la justice c’est la haine de tout mal ; amour qui s’accroît à mesure qu’il est enflammé par la douceur de la sagesse, et Dieu la donne à quiconque lui obéit et s’instruit par ses commandements.
VINGT-TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA VÉRITABLE LUMIÈRE.
modifierOn appelle flambeau ce qui ne s’allume qu’à la véritable lumière qui est le Christ. Cette parole qui est un flambeau, c’est la parole de l’Évangile prédite par les Prophètes, prêchée par les Apôtres. Elle a déterminé le Prophète à garder les décrets de la justice, par celte foi si persécutée, et pour laquelle il demande à Dieu la vie selon sa parole, c’est-à-dire la vie de l’âme par une pureté toujours croissante. Il veut que cette âme soit entre es mains de Dieu ; il l’offre afin qu’elle échappe aux pièges des pécheurs. Ces témoignages acquis par héritage lui viennent de Dieu notre Père, à qui nous devons rendre témoignage par la charité qui est éternelle.
1. Il faut avec la grâce de Dieu approfondir et vous exposer quelques versets de notre psaume dont le premier est celui-ci : « Votre parole est un flambeau qui guide mes pas, une lumière dans mon sentier[774] ». Le mot « flambeau » est répété dans « lumière », et « mes pas » répété « dans mon sentier ». Que signifie cette parole ou ce Verbe ? Est-ce bien ce Verbe qui, dès le commencement, était Dieu et en Dieu, ce Verbe par qui tout a été fait[775] ? Point du tout ; car ce Verbe est la lumière, et non un flambeau, et tout flambeau est créature, et non Créateur ; il ne s’allume qu’au contact de l’immuable lumière. C’est là ce qu’était Jean, dont le Verbe de Dieu a dit : « Il était une lampe ardente et brillante[776] ». Toutefois cette lampe était aussi lumière, et néanmoins, en comparaison du Verbe dont il est dit : « Le Verbe était Dieu », il n’était point la hum ère, mais seulement envoyé pour rendre témoignage à la lumière. La lumière véritable n’était point celle qui reçoit la lumière d’ailleurs, à l’imitation des hommes, mais celle qui éclaire tout homme[777]. Et cependant, si le flambeau n’était aussi lumière, le Sauveur ne dirait point aux Apôtres : « Vous êtes la lumière du monde[778] ». Mais de peur que cette parole ne leur persuadât qu’ils étaient lumière dans le même sens qu’il avait dit de lui : « Je suis la lumière du monde[779] », voilà qu’il leur dit d’eux-mêmes : « Une ville placée sur une montagne ne saurait être cachée, et on n’allume point un flambeau pour le placer sous le boisseau, mais sur un candélabre, afin qu’il éclaire tous ceux qui sont dans la maison ; ainsi que votre lumière brille devant les hommes[780] » ; il voulait qu’ils se considérassent comme des flambeaux allumés à cette lumière qui ne change point. Nulle créature, en effet, pas même celle qui est raisonnable et intelligente, ne saurait s’éclairer par elle-même ; elle ne s’allume que par la participation à la vérité éternelle, bien que souvent on l’appelle jour : ce jour n’est point le Seigneur, mais le jour que le Seigneur a fait. Aussi le Prophète lui dit-il : « Approchez de Dieu afin d’en être éclairés[781] ». C’est à cause de cette participation que le Médiateur est dans son humanité appelé une lampe dans l’Apocalypse[782]. Mais c’est là une prérogative particulière, car il n’est point d’homme, quelque saint qu’il soit, dont il soit dit d’en haut, et dont on puisse dire : « Le Verbe s’est fait chair[783] » ; c’est uniquement du Médiateur de Dieu et des hommes[784]. Si donc l’on appelle lumière ce Verbe unique égal à celui qui l’engendre ; si l’on appelle lumière cet homme éclairé par le Verbe que l’on nomme aussi flambeau, tel que Jean, tels que les Apôtres, bien que nul d’entre eux ne soit le Verbe, et que ce Verbe qui les éclaire ne soit point une lampe ; qu’est-ce dès lors que ce Verbe qui est tout à la fois lumière et flambeau (car « votre Verbe, nous dit le Prophète, est un flambeau qui guide mes pas, une lumière dans mes sentiers »), si nous n’entendons par là ce Verbe, cette parole donnée aux Prophètes, prêchée par les Apôtres, non pas la parole qui est le Christ, mais la parole du Christ, dont il est écrit : « La foi vient de ce qu’on entend, et on entend la parole du Christ[785] ? » Saint Pierre, à son tour, comparant à une lampe la parole des Prophètes : « Nous avons », dit-il, « une preuve plus frappante dans les oracles des Prophètes, sur lesquels vous faites bien d’arrêter les yeux, comme sur un flambeau qui luit dans un lieu obscur[786] ». Alors ce que le Prophète nous dit ici : « Votre parole est un flambeau pour mes pieds, une lumière dans mon sentier », s’entend de la parole contenue dans les saintes Écritures.
2. « J’ai juré, j’ai résolu de garder les décrets de votre justice[787] ». Cette parole est d’un homme qui suit fidèlement cette lumière divine, et qui marche dans les droits sentiers.
Le second verbe explique ce qu’avait commencé le précédent ; comme si nous lui demandions ce que signifie « je l’ai juré », il ajoute « et je l’ai résolu ». Il appelle jurement ce qu’ila confirmé par un serment ; car l’âme doit être tellement déterminée à garder les jugements de la justice divine, que sa résolution soit un véritable serment.
3. Or, c’est par la foi que l’on garde les décrets de la justice divine ; cette foi vive qui nous persuade que sous un Dieu juste, il n’y a nulle bonne œuvre sans récompense, ni crime sans châtiment ; mais comme cette foi a valu au corps du Christ de graves et nombreuses persécutions, le Prophète s’écrie : « J’ai été humilié à l’excès[788] ». il ne dit point : Je me suis humilié, en sorte qu’on doive entendre ces paroles de l’humilité qui est de précepte ; mais il dit : « J’ai été humilié à l’excès », endurant la plus affligeante persécution ; parce qu’il a juré, résolu de garder les décrets de la justice divine, Et de peur que la foi ne l’abandonne dans une si grande humiliation, il ajoute : « Seigneur, donnez-moi la vie selon votre parole », c’est-à-dire, selon votre promesse. Car cette parole des saintes promesses est un flambeau pour mes pieds, une lumière pour mes sentiers. C’est ainsi que plus haut, dans la persécution qu’il endurait, il a demandé à Dieu de le vivifier, en disant : « Peu s’en est fallu qu’ils ne m’anéantissent sur la terre ; et pour moi je n’ai point abandonné vos préceptes ; vivifiez-moi selon votre miséricorde, et je garderai vos témoignages ou vos martyres ». Ce qui nous fait comprendre que si Dieu ne nous vivifiait en nous dominant la patience, selon cette parole : « Vous posséderez vos âmes dans votre patience[789] » ; et c’est encore de lui qu’il est dit : « Que la patience vient de lui[790] », la persécution pourrait bien ne pas tuer le corps, mais l’âme mourrait pour n’avoir point gardé les martyres ou les décrets de la justice divine.
4. « Agréez, Seigneur, les offrandes volontaires de ma bouche[791] » ; c’est-à-dire, puissent-elles vous plaire, ne les rejetez point, mais approuvez-les. Or, par ces sacrifices de la bouche, peuvent très bien s’entendre les sacrifices de louanges qu’exhale un cri d’amour et non la crainte d’une servile nécessité. De là cette autre parole : « Je vous offrirai des sacrifices volontaires[792] ». Mais pourquoi ajouter : « Et enseignez-moi vos jugements ? » Le Prophète n’avait-il pas dit plus haut : « Je ne me suis point écarté de vos jugements ? » Comment l’a-t-il pu, s’il ne les connaissait point ? Et s’il les connaissait, comment dit-il ici : « Enseignez-moi vos jugements ? » En est-il ici comme de ces autres paroles : « Vous avez fait acte de douceur envers votre serviteur », après lesquelles il dit : « Enseignez-moi votre douceur ? » paroles que nous avons expliquées comme le cri d’une âme qui progresse, et qui demande que l’on ajoute encore à ce qu’elle a déjà reçu.
5. « Mon âme est toujours entre vos mains[793] ». On lit dans plusieurs exemplaires, « entre mes mains » ; mais dans le plus grand nombre, « entre vos mains », et le sens est clair les âmes des justes, en effet, sont entre les mains de Dieu[794] ; et nous-mêmes sommes entre ces mains ainsi que nos paroles[795]. « Et je n’ai point oublié votre loi », dit le Prophète ; comme si ces mains de Dieu entre lesquelles est son âme aidaient sa mémoire à ne point oublier la loi de Dieu. Mais je ne sais en quel sens il faudrait dire : « Mon âme est entre mes mains ». Ce langage n’est point celui de l’injuste, mais du juste qui retourne à son Père, et non qui s’en éloigne. On pourrait dire que le prodigue de l’Évangile voulait avoir son âme entre ses mains, quand il disait à son Père : « Donnez-moi la portion de bien qui doit m’échoir[796] ». Mais telle fut la cause de sa mort, la cause de sa perdition. Ou bien cette expression : « Mon âme est entre mes mains », signifierait-elle que le Prophète offre son âme à Dieu afin qu’elle soit vivifiée ? Elle reviendrait alors à cette autre : « J’ai levé mon âme vers vous[797] ». Car le Prophète a dit plus haut : « Vivifiez-moi ».
6. « Les pécheurs », poursuit-il, « m’ont tendu un piège, et je n’ai point dévié de vos préceptes[798] ». D’où vient cette fidélité, sinon de ce que son âme est entre les mains de Dieu, ou qu’il l’offre de ses mains à Dieu afin qu’il la vivifie ?
7. « J’ai acquis vos témoignages comme un héritage éternel[799] ». Quelques-uns, pour imiter le grec, et renfermer tout en un mot, ont traduit, haereditavi; mais cette expression, quoique latine, semble désigner plutôt celui qui donne en héritage, que celui qui accepte ; en sorte que haereditavi, signifierait j’ai enrichi. Le sens est donc plus exact dans ces deux expressions : « J’ai acquis par héritage », ou « possédé par héritage » ; mais « par héritage », et, non un héritage. Et si l’on se demande ce qu’il a acquis par héritage, « ce sont vos témoignages », répond-il. Que veut-il dire, sinon qu’il a reçu du Père, dont il est héritier, la faveur d’être son témoin, de confesser ses témoignages, c’est-à-dire d’être le martyr de Dieu, de le confesser comme le font ses martyrs ? Beaucoup, en effet, l’ont voulu et ne l’ont pu ; mais nul ne l’a pu s’il n’a voulu ; car ils n’eussent rien pu, s’ils eussent voulu renier à Dieu son témoignage. Encore est-ce le Seigneur qui a ainsi disposé leur volonté[800]. Voilà ce qu’il déclare qu’il a reçu en héritage, et cela « pour jamais » ; parce qu’on ne retrouve pas dans ces témoignages cette gloire passagère des hommes qui recherchent la vanité, mais cette gloire éternelle qui échoit à ceux qui souffrent un moment ici-bas, et qui doivent régner sans fin. De là ce qu’ajoute le Prophète : « Parce qu’ils font les délices de mon cœur ». Ils peuvent affliger le corps, mais ils sont la joie du cœur.
8. « J’ai incliné mon cœur », dit-il ensuite, « afin d’accomplir éternellement vos préceptes, en vue de la récompense[801] ». Celui qui dit ici : « J’ai incliné mon cœur », avait déjà dit : « Inclinez mon cœur vers vos témoignages », afin de nous faire comprendre que c’est là l’œuvre de Dieu et de notre volonté tout ensemble. Mais devons-nous accomplir éternellement les préceptes du Seigneur ? Les œuvres par lesquelles nous soulageons les besoins du prochain ne sauraient être éternelles, non plus que ces besoins ; mais si nous ne les faisons par charité, elles ne peuvent nous justifier ; si nous agissons par charité, comme la charité est éternelle, une récompense éternelle lui est réservée. C’est en vue de cette récompense éternelle qu’il a, dit-il, incliné son cœur pour accomplir les préceptes de Dieu, afin qu’en l’aimant éternellement, il mérite de posséder éternellement l’objet de son amour.
VINGT-QUATRIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierIMPORTUNITÉ DES MÉCHANTS.
modifierHaïr les méchants ne peut, selon la charité, s’entendre que de leurs œuvres. Le Prophète les éloigne de lui afin d’approfondir la loi du Seigneur, dont il est détourné par leurs affaires du temps, par leurs querelles. Il demande à Dieu ce soutien qui est vie, c’est-à-dire vie éternelle, car Dieu réduit au néant ceux qui s’éloignent de lui. Tous ceux qui pèchent sont-ils prévaricateurs ?
1. Le passage de notre psaume, qu’il nous faut exposer selon la volonté de Dieu, commence ainsi : « J’ai haï les méchants, et aimé votre loi[802] ». Le Prophète ne dit point : J’ai haï les méchants, et aimé les justes ; ou bien : J’ai haï l’iniquité et aimé votre loi ; mais après avoir dit : « J’ai haï les méchants », le Prophète en donne la raison dans ce qu’il ajoute : « Et aimé votre loi » pour nous montrer qu’il ne hait point dans les méchants cette nature qui en fait des hommes, mais bien l’iniquité qui les rend ennemis de cette loi qu’il aime.
2. « Vous êtes mon soutien et mon protecteur », ajoute le Prophète. « Soutien » pour faire le bien, protecteur pour éviter le mal. Mais ajouter : « J’ai mis tout mon espoir dans votre parole[803] », c’est parler en fils de la promesse.
3. Mais que signifie le verset suivant : « Méchants, retirez-vous de moi, et j’approfondirai les commandements de Dieu[804] ? » Il ne dit point : j’accomplirai ; mais, j’approfondirai. C’est donc pour les connaître plus parfaitement qu’il veut éloigner de lui les méchants, et même qu’il les force à se retirer de lui. Car les méchants, qui nous servent à la vérité à suivre les préceptes de Dieu, nous empêchent de les étudier, non seulement quand ils nous persécutent, ou qu’ils prétendent nous quereller, mais aussi lorsqu’ils sont d’accord avec nous et nous témoignent de l’estime, ils nous pressent de leur donner notre temps, de les aider dans leurs affaires temporelles, dans leurs convoitises vicieuses ; ou bien ils oppriment les faibles, qu’ils forcent de porter leurs plaintes vers nous, alors que nous n’osons leur dire : « O homme, qui m’a établi entre vous juge ou arbitre[805] ? » L’Apôtre lui-même a établi des ecclésiastiques pour connaître de ces causes, et défendu aux chrétiens de plaider au forum[806]. À ceux qui, sans ravir le bien d’autrui, revendiquent le leur avec trop d’âpreté, nous ne disons pas même : Gardez-vous de toute convoitise, en leur remettant devant les yeux cet homme à qui l’on dit dans l’Évangile : « O insensé, cette nuit ton âme te sera ôtée, et à qui seront ces biens que tu as amassés[807] ? » Car lorsque nous leur tenons ce langage, ils ne nous quittent point, ils ne s’éloignent point ; mais ils persistent, ils pressent, supplient avec bruit, et nous forcent à nous appliquer à ce qu’ils désirent plutôt qu’à étudier les commandements de Dieu que nous aimons. Quel profond ennui des embarras de ce monde, et quel désir des saintes paroles a fait dire : « Méchants, éloignez-vous de moi, et je sonderai les préceptes de mon Dieu ? » Qu’ils me pardonnent, ces fidèles si pleins de déférence, qui nous requièrent si rarement pour leurs affaires temporelles, qui acceptent nos jugements avec une si grande docilité, qui nous consolent par leur obéissance, loin de nous fatiguer de leurs procès. Mais pour ces opiniâtres, qui ont des querelles sans fin, qui oppriment les bons en se riant de nos sentences, qui nous font perdre uni temps que nous devrions donner aux choses divines ; pour ceux-là, dis-je, qu’il nous soit permis de nous écrier ici avec le corps du Christ : « Retirez-vous, ô méchants, et j’approfondirai les préceptes de mon Dieu ».
4. Après que le Prophète a pour ainsi dire chassé de ses yeux ces mouches qui l’importunaient, il revient à celui à qui tout à l’heure il disait : « Vous êtes mon soutien et mon protecteur, j’ai espéré en votre parole » ; et continuant cette prière : « Protégez-moi », dit-il, « selon votre parole, et je vivrai, et ne me confondez point dans mon attente[808] ». Lui, qui avait dit : « Vous êtes mon soutien », implore de plus en plus cette protection et veut arriver à ce bien suprême pour lequel il a tant souffert ici-bas : il est plein de la confiance d’y trouver une vie plus réelle, qu’au milieu des fantômes d’ici – bas. Car c’est à propos de l’avenir qu’il est dit : « Et je vivrai », comme si l’on ne vivait point dans ce corps mortel, puisque ce corps est mort par le péché. Pleins de confiance dans la délivrance de notre corps, nous sommes sauvés par l’espérance, et cet objet de l’espérance que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience[809]. Mais cette espérance n’est point vaine, si l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[810]. Et c’est pour le recevoir avec plus d’abondance que le Prophète s’écrie en parlant au Père : « Ne me confondez point dans mon attente ».
5. Et comme si ou lui eût répondu silencieusement : Veux-tu n’être point confondu dans ton espérance ? médite sans cesse mes ordonnances, le Prophète sent que la tiédeur de l’âme est un obstacle à cette méditation, et il s’écrie : « Soutenez-moi et je serai sauvé, et je méditerai sans cesse vos ordonnances[811] ».
6. « Vous avez méprisé », ou, pour traduire le grec plus exactement : « Vous avez réduit au néant tous ceux qui s’écartent de vos préceptes, parce que leur pensée est injuste[812] ». Si donc il s’écrie : « Soutenez-moi et je serai sauvé, et je méditerai vos ordonnances », c’est que Dieu réduit au néant tous ceux qui s’éloignent de ses préceptes. D’où vient cet éloignement ? De l’injustice de leur pensée. C’est par la pensée que l’on approche, par elle que l’on s’éloigne de Dieu. Toute action, en effet, soit bonne, soit mauvaise, vient de la pensée ; c’est par la pensée que l’homme est innocent, comme par la pensée il est coupable. Aussi est-il écrit : « Une sainte pensée te sauvera[813] » comme on lit ailleurs : « Ce sont les pensées de l’impie que l’on examinera[814] ». Et l’Apôtre nous dit à son tour que les pensées nous accusent ou nous défendent[815]. Où est le bonheur pour l’homme qui est misérable dans sa pensée, et comment ne serait point misérable celui qui est réduit à néant ? Car l’iniquité est un vide étrange ; et c’est avec raison qu’il est dit : « Qu’ils soient confondus, ces méchants qui font des choses vaines[816] » ; c’est-à-dire, qui travaillent aussi vainement que s’ils étaient anéantis.
7. « J’ai regardé », dit ensuite le Prophète, ou « j’ai estimé », ou « j’ai envisagé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre[817] ». On a traduit en effet de plusieurs manières ce verbe grec, elogisamen ; mais la pensée est profonde, et si Dieu nous vient en aide, nous tâcherons de l’étudier avec plus de soin dans un autre discours. Car ce que le Prophète ajoute : « C’est pour cela que j’ai aimé vos préceptes à jamais », lui donne encore plus de profondeur. L’Apôtre nous dit : « La loi produit la colère » ; et pour nous donner raison de cette parole, il nous dit : « Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication[818] », et nous montre ainsi que tous ne sont point prévaricateurs, puisque tous n’ont pas reçu la loi. Or, ce passage nous indique clairement que tous n’ont pas reçu la loi : « Ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi[819] ». Que signifie donc cette parole : « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre ? » Mais qu’il nous suffise d’avoir posé cette question, que nous éclaircirons dans un autre discours, de peur que celui-ci ne devienne trop long et ne nous oblige de la resserrer trop, sans y donner la clarté suffisante.
VINGT-CINQUIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA PRÉVARICATION.
modifierTous les pécheurs de la terre sont prévaricateurs, dit le Prophète, non pas tous contre la loi mosaïque, puisque tous ne l’ont pas reçue ; mais comme cette loi n’est qu’un développement ou une restauration de la loi naturelle, les Juifs qui la violent sont plus coupables, et les Gentils, violateurs de la loi naturelle sont coupables à leur tour. Donc tout pécheur est violateur au moins de la loi naturelle. Quelques-uns ont voulu condamner sans remède ceux qui ont vécu en dehors de la loi, et simplement à être jugés ceux qui ont péché sous la loi. Erreur ! Le Christ est la base de toute sanctification, et les Juifs incrédules seront jugés plus sévèrement. Au nombre des pécheurs mettons les enfants, puisqu’ils ont la tache originelle, et que tous dès lors ont besoin de la grâce de Dieu ceux qui ont la raison doivent agir, non par la crainte servile qui laisse le désir du péché, mais par la crainte de la charité, oui redoute simplement de déplaire à Dieu.
1. Cherchons, si Dieu nous fait la grâce de le trouver, comment il nous faut comprendre dans ce long psaume ce qui est dit de « ceux qui ont violé », ou plutôt de ceux qui « violent la loi », car le grec porte parabainontas, au participe présent, et non parabatas, au passé. Nous cherchons donc la manière de comprendre : « J’ai regardé comme prévariquant tous les pécheurs de la terre ». L’Apôtre nous dit : « Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Mais il parlait ainsi pour établir une distinction entre la loi et les promesses. Pour rétablir en effet le sens plus complet d’après ce qui précède : « Ce n’est point par la loi », dit-il, « mais par la justice de la foi, que s’accomplit la promesse faite à Abraham, ou à sa postérité, d’avoir le monde pour héritage. En effet, si ceux qui appartiennent à la loi sont les héritiers, la foi devient vaine, et les promesses sont abolies. Parce que la loi produit la colère, où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication. Ainsi c’est par la foi que nous sommes héritiers, afin que nous le soyons par la grâce, et que la promesse demeure ferme pour toute la postérité d’Abraham, non seulement pour ceux qui ont reçu la loi, mais encore pour ceux qui suivent la foi d’Abraham, le père de nous tous[820] ». Pourquoi ce langage de l’Apôtre, sinon pour nous montrer que sans la promesse de la grâce, non seulement la loi n’ôte point le péché, mais ne fait que l’augmenter ? De là cet autre mot de saint Paul : « La loi est entrée, en sorte que le péché a abondé[821] ». Mais comme la grâce nous remet toutes nos fautes, non seulement celles que l’on a commises sans la loi, mais aussi celles que l’on a commises avec la loi, l’Apôtre ajoute : « Mais où le péché a abondé, a surabondé la grâce ». L’Apôtre n’appelle donc pas prévaricateurs tous les pécheurs, mais il ne donne ce nom de prévaricateurs qu’aux violateurs de la loi. « Là où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». D’où il suit que, d’après l’Apôtre, tout prévaricateur est un pécheur, puisqu’il pèche contre la loi qu’il a reçue ; mais tout pécheur n’est pas prévaricateur, puisqu’il en est qui pèchent sans la loi : « Or, où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Mais si nul ne péchait sans la loi, l’Apôtre ne dirait point : « Quiconque a péché sans la loi, périra sans la loi ». Si donc, selon notre psaume, tous les pécheurs de la terre sont prévaricateurs, il n’est aucun péché sans prévarication ; or, il n’y a point de prévarication sans la loi, donc il n’est aucun péché sans la loi. Celui donc qui dit ici : « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre », ne veut sans doute regarder comme pécheurs que ceux qui ont transgressé la loi, et il est en désaccord avec celui qui a dit : « Ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi ? ». Car selon lui il en est qui sont pécheurs sans être prévaricateurs, c’est-à dire qui ont péché sans la loi : « Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication » ; et selon le Psalmiste, il n’est aucun pécheur sans prévarication, puisqu’il regarde comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre. Donc, selon lui, nul n’a péché sans la loi, car : « Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Nous faudra-t-il dire qu’à la vérité sans loi il n’y a pas de prévarication, mais qu’il n’est pas vrai que plusieurs aient péché sans loi ; ou bien, qu’il est vrai que plusieurs ont péché sans loi, mais qu’il n’est pas vrai qu’il n’y ait pas de prévarication là où n’est pas la loi ? Mais l’Apôtre a dit l’un et l’autre, donc l’un et l’autre sont vrais, puisque c’est la Vérité qui le dit par sa bouche. Comment donc sera vrai ce que la même Vérité nous dit indubitablement dans ce psaume : « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre ? ». Car on nous répondra : Quels sont donc ceux qui, selon l’Apôtre, ont péché sans la loi ? Puisque l’on ne saurait mettre aucun d’eux au rang des prévaricateurs ; car, selon le même Apôtre, il n’y a pas de prévarication où n’est pas la loi.
2. Mais quand l’Apôtre disait : « Tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi », il parlait de cette loi que Dieu a donnée au peuple d’Israël par son serviteur Moïse. Voilà ce que prouvent les paroles du contexte. L’Apôtre parlait des Juifs, puis des Grecs ou des Gentils qui n’appartenaient point à la circoncision, mais qui étaient incirconcis ; et il dit que ces derniers sont sans la loi, parce qu’ils n’avaient point reçu cette loi dont les Juifs se glorifiaient, ainsi qu’il le leur reproche : « Mais toi qui portes le nom de Juif, qui te reposes sur la loi, et te glorifies en Dieu ». Voyons toutefois comment il en vient à cette conclusion : « Tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi ». « Colère », dit-il, « et indignation, tribulation et angoisse pour l’âme de tout homme qui fait le mal, du Juif premièrement, puis du Gentil. Mais gloire, honneur et paix à tout homme qui fait le bien, au Juif d’abord, puis au Gentil. Car Dieu ne fait acception de personne ». Puis il ajoute ce qui a soulevé notre difficulté : « Ainsi tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi, et tous ceux qui ont péché dans la loi seront jugés dans la loi[822] ». Par les uns il veut assurément désigner les Juifs, et par les autres les Gentils, car c’est d’eux qu’il est question ; il montre que tous sont soumis au péché, afin qu’ils confessent les uns et les autres qu’ils ont besoin de la grâce ; c’est pourquoi il ajoute : « Il n’y a point de distinction, tous ont péché, et ont besoin de la grâce de Dieu ils sont justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui vient de Jésus-Christ[823] ». Mais de qui l’Apôtre dit-il que tous ont péché, sinon des Juifs et des Gentils, et dont il avait dit : « Il n’y a nulle différence ? » Car c’est d’eux qu’il disait un peu auparavant : « Nous avons convaincu les Juifs et les Gentils d’être tous dans le péché[824] ». Ainsi « tous ceux qui ont péché sans la loi », c’est-à-dire sans cette loi dont se glorifient les Juifs, « périront sans la loi ; et tous ceux qui ont péché sous la loi », c’est-à-dire les Juifs, « seront jugés par la loi » ; ce qui ne les empêchera pas de périr, s’ils ne croient en Celui qui est venu chercher ce qui a péri[825].
3. Quelques auteurs, même catholiques, peu attentifs aux paroles de l’Apôtre, leur ont donné un sens qu’elles ne comportent pas, en disant que ceux-là périront qui ont péché sans la loi, et que ceux qui ont péché sans la loi seront simplement jugés, mais ne périront pas : comme si nous devions croire qu’ils seront purifiés par des peines passagères, comme celui dont il est dit : « Quant à lui il sera sauvé, mais comme par le feu[826] ». Mais il est clair que celui dont l’Apôtre parlait alors ne devait être sauvé que par le mérite du fondement qui est le Christ : « Comme un sage architecte, j’ai posé le fondement, un autre bâtit. Que chacun prenne garde à ce qu’il construit. Car nul ne saurait établir u de fondement autre que celui qui est posé, lequel est Jésus-Christ[827] » ; et le reste, jusqu’à cet endroit où l’Apôtre dit qu’il sera sauvé, mais comme par le feu, celui qui aura bâti sur ce fondement, non avec de l’or, de l’argent, ou des pierres précieuses, mais avec du bois, du foin ou de la paille, et qui ne refuse point de recevoir ce fondement divin, ou qui ne l’abandonne pas après l’avoir reçu ; qui le préfère à tous les plaisirs terrestres, quand se présente l’alternative ou de les abjurer, ou d’abjurer Jésus-Christ ; s’il ne préférait alors le Christ, il n’aurait plus de fondement, car ce fondement doit toujours venir avant toute autre partie de l’édifice. Je ne pense pas qu’ils se soient imaginé que ceux-là ne périront point dont il est dit : « Ils seront jugés par la loi », à moins qu’ils n’aient le Christ pour fondement. Ils ont donc peu examiné ce que nous venons de démontrer : et l’Écriture ellemême nous dit bien clairement que l’Apôtre parle ainsi des Juifs qui n’ont pas le Christ pour base. Or, où est le chrétien qui ne condamnerait point à périr, mais seulement à être jugé, tout Juif qui ne croit point au Christ ? quand le Christ lui-même nous affirme qu’il est venu chez ce peuple afin de sauver les brebis qui ont péri[828] ; et que Sodome, qui a péché sans la loi, sera traitée avec plus de douceur au jour du jugement que les cités juives qui n’ont pas cru en lui quand il faisait tant de miracles[829].
4. Si donc saint Paul entendait parler de la loi que Dieu donna par Moïse au peuple d’Israël, mais non aux autres peuples, quand il a dit que ces autres peuples étaient sans la loi[830] ; que devons-nous comprendre lorsque le psaume nous dit : « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre », sinon qu’il est une loi que Moïse n’a point donnée, et d’après laquelle sont prévaricateurs tous les pécheurs des autres peuples ? Car « où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Or, quelle est cette loi, sinon peut-être celle dont l’Apôtre a dit : « Les Gentils qui n’ont pas la loi font naturellement ce que la loi commande ; n’ayant point de loi, ils sont à eux-mêmes la loi[831] ? » Ainsi donc d’après cette parole : Ils n’ont point la loi, ils ont péché sans la loi, et ils périront sans la loi ; mais d’après cette autre : Ils sont à eux-mêmes la loi, ce n’est point sans raison que le Prophète regarde comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre. Car nul ne fait injure à un autre sans être fâché qu’on lui fasse injure ; et dès lors il est violateur de la loi naturelle qu’il ne saurait ignorer, en faisant ce qu’il ne veut point qu’on lui fasse. Mais cette loi naturelle n’était-elle point aussi pour Israël ? Assurément, puisque les Israélites étaient hommes. S’ils avaient pu être en dehors du genre humain, ils n’auraient point eu cette loi naturelle. À plus forte raison ils sont devenus prévaricateurs après avoir reçu cette loi divine, qui rétablissait, ou développait, ou confirmait cette loi naturelle.
5. Si donc, comme il est très possible, dans ces pécheurs de la terre on entend aussi les enfants, à cause des liens du péché originel, qui les atteint comme la transgression d’Adam[832], nous pouvons dire qu’ils ont part aussi à cette prévarication, qui fut commise contre la loi donnée dans le paradis[833] ; et dès lors, sans aucune exception tous les pécheurs de la terre peuvent être envisagés comme des prévaricateurs. « Car tous ont péché, tous ont besoin de la gloire de Dieu[834] ». La grâce de Jésus-Christ n’a donc trouvé sur la terre que des prévaricateurs, les uns plus, les autres moins. Plus en effet est grande la connaissance de la loi, moins la faute est excusable ; et moins le péché est excusable, plus la prévarication est manifeste. Nous n’avions donc nulle ressource que dans la justice, non de chacun de nous, mais dans la justice de Dieu, et cette justice nous est donnée. De là ce mot de l’Apôtre : « C’est par la loi que l’on connaît le péché » ; non point qu’on l’efface, mais qu’on le connaît. « Au lieu que maintenant », nous dit-il, « la justice de Dieu nous est donnée sans la loi, affirmée par la loi et par les Prophètes[835] ». C’est pourquoi l’interlocuteur ajoute : « Et dès lors j’ai aimé vos témoignages ». Comme s’il disait : Puisque la loi, soit intimée dans le paradis, soit gravée naturellement dans le cœur, soit promulguée dans les saintes Écritures, a rendu prévaricateurs tous les pécheurs de la terre : « c’est pour cela que j’ai aimé vos témoignages », qui sont dans votre loi et qui concernent votre grâce ; en sorte que ce n’est point ma justice, mais la vôtre qui est en moi. Car la loi est utile en ce qu’elle nous envoie à la grâce. Non seulement par le témoignage qu’elle rend à la manifestation future de la justice de Dieu qui est au-dessus de la loi, mais par cela même qu’elle tait des prévaricateurs, et que la lettre tue, elle nous frappe de crainte et nous force à recourir à l’esprit qui vivifie[836], seul capable d’effacer nos fautes, de nous inspirer l’amour du bien : « C’est pour cela », dit le Prophète, « que j’ai aimé vos témoignages ». Dans certains exemplaires, on lit semper, « toujours » ; d’autres ne l’ont pas. Mais s’il faut mettre « toujours », on doit l’entendre tant que l’on vit ici-bas. C’est ici-bas en effet que nous avons besoin que les témoignages de la loi et des Prophètes nous viennent garantir cette justice de Dieu qui nous justifie gratuitement ; c’est ici-bas encore que nous avons besoin de ces témoignages, pour lesquels les martyrs ont donné avec joie la vie de ce monde.
6. Après nous avoir fait connaître la grâce de Dieu, qui seule nous délivre du péché où nous fait tomber la connaissance de la loi, le Prophète continue par cette prière : « Que votre crainte soit comme des aiguillons qui percent ma chair[837] ». C’est ainsi qu’ont traduit les Latins, pour donner plus d’expression à ce que les Grecs ont exprimé en un seul mot, katheloson. D’autres l’ont rendu par confige, percez, sans ajouter clavis, « avec des clous » ; et dès lors en voulant rendre le mot grec par un seul mot latin, ils ont affaibli la pensée ; car dans le mot confige, les clous ne sont point rendus, tandis qu’il est impossible de séparer de ces aiguillons le mot katheloson, que l’on ne saurait dès lors exprimer en latin sans ces deux mots confige clavis, percez de clous. Qu’est-ce à dire, sinon comme le demandait saint Paul : « A Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon en la croix de Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde[838] ? » Et encore : « Je suis », dit-il, « attaché à la croix avec le Christ, je vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi[839] ? » Qu’est-ce à dire encore, sinon qu’elle n’est plus en moi cette justice qui venait de la loi, et cette loi m’a rendu prévaricateur ; mais c’est la justice de Dieu, c’est-
à-dire celle qui me vient de Dieu[840], et non de moi ? C’est ainsi que ce n’est pas moi, mais le Christ qui vit en moi : « Lui qui nous a été donné de Dieu, comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification, notre rédemption, afin que selon qu’il est écrit : Que celui qui se glorifie le fasse dans le Seigneur[841] ». C’est lui qui dit encore : « Ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair, avec ses passions et ses convoitises[842] ». Or, ici il est dit qu’ils ont crucifié leur chair, et dans notre psaume le Prophète prie Dieu qu’il la perce lui-même de sa crainte, comme avec des aiguillons ; afin que nous comprenions que tout le bien que nous faisons doit être attribué à la grâce de Dieu, « qui opère en nous le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté[843] ».
7. Mais après avoir dit : « Que votre crainte perce ma chair, comme des aiguillons », pourquoi ajouter : « J’ai craint vos jugements ? » Que signifie : « Pénétrez-moi de votre crainte, car j’ai craint ? » S’il avait craint déjà, ou s’il craignait, pourquoi demandait-il à Dieu de crucifier sa chair ? Voulait-il que Dieu augmentât cette crainte et la rendit si forte qu’elle fût suffisante pour crucifier sa chair, c’est-à-dire ses convoitises avec ses affections charnelles ; comme s’il eût dit : perfectionnez en moi votre crainte, car je redoute vos jugements ? Mais il est un sens plus relevé, que l’on peut, avec le secours de Dieu, tirer des entrailles mêmes de ce passage. « Que votre crainte pénètre ma chair, comme des aiguillons ; car j’ai craint vos commandements » ; c’est-à-dire, qu’une crainte chaste, qui demeure éternellement[844], vienne coin primer en moi les désirs charnels ; car j’ai craint vos jugements, sous la menace de cette loi qui ne pouvait me donner la justice. Mais la charité parfaite bannit cette crainte qui redoute seulement la peine ; elle nous rend libres, non par la crainte du châtiment, mais par l’amour de la justice. Car cette crainte qui nous fait, non point aimer la justice, mais redouter le châtiment, est une crainte servile et charnelle, qui ne crucifie pas la chair. Elle laisse vivre en nous la volonté du péché, qui se manifeste quand nous comptons sur l’impunité ; qui demeure cachée, mais vivante néanmoins, quand elle compte sur la peine qui suivra. Elle voudrait se donner, elle regrette qu’elle ne se puisse donner ce que la loi défend ; elle n’a aucun goût pour le bien que promet cette loi, mais elle craint vivement la peine dont elle menace. La charité, au contraire, qui bannit cette crainte, a pourtant une crainte chaste du péché ; elle ne croit pas qu’une faute soit impunie, puisque l’amour de la justice lui fait du péché même un châtiment. Telle est la crainte qui crucifie notre chair ; parce que le goût des biens spirituels surmonte l’amour des biens charnels que la lettre de la loi nous défend sans nous les faire éviter, et que cette victoire devenant complète en nous, éteint ces vains plaisirs. Donc, ô mon Dieu, « que votre crainte perce ma chair comme des aiguillons, car j’ai redouté vos jugements ». C’est-à-dire, donnez-moi cette crainte chaste, que la crainte servile de cette loi m’a conduit, comme un maître, à vous demander, en me remplissant de frayeur à l’idée de vos jugements.
VINGT-SIXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA VRAIE CHARITÉ.
modifierQuand le Prophète parle ici du jugement, ce mot doit être entendu dans un sens favorable, dans le même sens que la justice dont l’acte produit le jugement. Toutefois il craint que ses ennemis ou les démons ne le poussent au désordre, et il supplie le Seigneur de l’en délivrer ; loin de compter sur lui-même, il en appelle à Dieu qui donne la force et la patience. Or, cette patience nous est nécessaire, pour nous maintenir contre les calomnies de nos ennemis de toutes sortes. Le Prophète veut être au service de Dieu par amour, et comme l’ancienne loi s’est effondrée sous le grand nombre des prévarications, le Prophète soupire après l’acte suprême de Dieu, c’est-à-dire après le Christ qui nous justifie par la grâce, et nous redresse en nous faisant agir par la charité.
1. Nous entreprenons aujourd’hui d’approfondir et d’exposer les versets suivants de notre long psaume « J’ai gardé le jugement et la justice, ne me livrez point à ceux qui me nuisent[845] ». Il n’est pas étonnant qu’il ait gardé le jugement et la justice, celui qui avait demandé à Dieu de pénétrer ses chairs d’une crainte chaste, c’est-à-dire de meurtrir comme d’aiguillons nos convoitises charnelles, dont l’effet ordinaire est de nous détourner d’un jugement droit ; bien que selon l’usage de notre langue on appelle ainsi tout jugement, soit jugement droit, soit jugement dépravé, selon cet avis que l’Évangile donne aux hommes : « Ne jugez point selon l’apparence, mais portez un jugement droit[846] » ; toutefois, dans notre passage, le mot jugement est employé de telle sorte que, si ce jugement n’est point droit, il ne mérite point d’être appelé jugement ; autrement il ne suffirait pas de dire : « j’ai gardé le jugement » ; mais il faudrait dire : J’ai gardé le jugement droit. C’est dans ce sens que parlait Notre-Seigneur Jésus-Christ, quand il disait : « Vous abandonnez ce qu’il y a de plus important dans la loi, le jugement, la miséricorde et la foi[847] ». Ici encore le mot de jugement est employé comme s’il n’y avait point de jugement dès lors qu’il est corrompu. Dans plusieurs endroits des saintes Écritures, il a cette acception : ici, par exemple : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement[848] ». Et dans cet autre passage d’Isaïe : « J’attendais d’Israël le jugement, et il a fait l’iniquité[849] ». Le Seigneur ne dit point : J’attendais un jugement droit, et il a été perverti ; mais il se sert du mot jugement, comme s’il désignait l’équité, comme s’il n’y avait plus de jugement dès lors qu’il y a injustice. Quant à la justice, on ne dit point une bonne ou une mauvaise justice, comme on dit un jugement équitable ou un jugement injuste, mais elle est bonne par là même qu’elle est justice. Ainsi dans le langage habituel on dira un bon jugement, un mauvais jugement, comme on dit un bon juge, et un mauvais juge ; mais on ne dit pas une bonne justice, ou une mauvaise justice, comme on ne dit pas non plus un bon juste, ou un mauvais juste, car tout homme est bon dès lors qu’il est juste. La justice est donc une vertu de l’âme que l’on peut appeler bonne et louable, et dont nous n’avons plus à nous occuper ; quant au jugement, dès qu’on le prend en bonne part, il est l’acte que produit cette vertu. Car celui qui a la justice porte un jugement droit, ou plutôt, dans le sens rigoureux, avoir la justice c’est juger, car porter un jugement faux ce n’est point juger. Et ici, sous le nom de justice nous n’entendons pas seulement une vertu, mais l’acte de cette vertu. Et en effet qui produit la justice dans l’homme, sinon celui qui justifie l’impie, c’est-à-dire qui, par sa grâce, le rend juste d’impie qu’il était ? De là ce mot de l’Apôtre : « Nous sommes justifiés gratuitement par sa grâce[850] ». Celui donc qui a en lui la justice ou l’œuvre de la grâce, fait la justice ou l’œuvre de la justice.
2. « J’ai fait le jugement et la justice », dit le Prophète, « ne me livrez pas à ceux qui me nuisent » ; c’est-à-dire, j’ai porté un jugement juste, ne me livrez point à ceux qui me persécutent pour ce jugement. Ou, comme on lit dans quelques exemplaires : « Ne me livrez u point à mes persécuteurs ». L’expression grecque, en effet, tois antidikousi; se traduit par nocentibus, ceux qui me nuisent, par persequentibus, ceux qui me persécutent, par calumniantibus, ceux qui me calomnient ; je m’étonne de n’avoir lu, dans aucun des exemplaires que j’ai pu me procurer, adversantibus, mes adversaires, bien que le mot grec antidikos se traduise sans hésitation par adversarius, adversaire. Quand le Prophète supplie le Seigneur de ne point le livrer à ses ennemis, quel est le sens de sa prière, sinon le même que quand nous disons : « Ne nous induisez pas en tentation[851] ? » Car saint Paul nous montre quel est notre adversaire, quand il dit : « De peur que le tentateur ne vous ait tentés[852] ». Dieu nous livre à lui quand Dieu nous abandonne. Car le tentateur ne saurait tromper celui que Dieu n’abandonne pas, lui qui, dans sa bonne volonté, donne à l’homme la beauté comme la force. Quant à celui qui a dit dans son abondance : « Je ne serai jamais ébranlé[853] ». Dieu en détourne sa face, et lui se trouble en se voyant tel qu’il est. Celui, dès lors, dont la chair est crucifiée par la crainte chaste du Seigneur, et qui, pur de toute convoitise charnelle, fait le jugement et l’œuvre de la justice, doit demander de n’être point livré à ses adversaires, c’est-à-dire de ne point céder aux persécuteurs, et de ne faire point le mal en craignant de souffrir un mal. Le même Dieu qui lui donne de vaincre ses convoitises, et de ne pas céder aux voluptés, lui donne aussi la force de la patience et le soutient contre la douleur. Celui dont il est dit : « Le Seigneur donnera la douceur[854] », est aussi celui dont il est dit encore : « C’est de lui que vient ma patience[855] ».
3. Enfin : « Affermissez votre serviteur dans le bien, que les superbes ne me calomnient pas[856] ». Ils me poussent afin de me faire succomber au mal ; pour vous, affermissez-moi dans le bien. Ceux qui ont traduit : Non calumnientur me, au lieu de mihi, ont suivi le mot grec, moins usité dans la langue latine. Ou peut-être : Non calumnientur me aurait-il la même énergie que si l’on disait : Qu’ils ne me surprennent point par leurs calomnies ?
4. Or, les superbes peuvent jeter le mépris sur l’humilité chrétienne par bien des calomnies ; mais la plus grande est d’entendre ces hommes superbes nous accuser d’adorer un mort. Car c’est la mort du Christ qui nous prêche, qui relève à nos yeux l’humilité d’une manière divine. Or, cette calomnie nous vient des deux peuples infidèles, des Juifs et des Gentils. Les hérétiques ont aussi leurs calomnies propres à chacune des sectes : ils ont les leurs, tous ces schismatiques séparés par leur orgueil de l’unité des membres du Christ. Or, quelle effrayante calomnie ne lança point le diable lui-même contre le juste, quand il s’écria : « Est-ce donc gratuitement que Job sert le Seigneur[857] ». Mais un regard plein de vigilance et de piété sur Jésus crucifié, dissipe ces calomnies des superbes comme la bave empoisonnée des serpents. C’était lui que voulait figurer Moïse quand, sur l’ordre de Dieu, il planta dans le désert la figure d’un serpent au haut d’un arbre[858], afin de nous montrer que la ressemblance de la chair du péché, qui était dans le Christ, serait attachée à la croix. C’est en fixant nos regards sur cette croix salutaire que nous chassons tout le venin de nos calomniateurs ; c’est elle que le Prophète fixait en quelque sorte avec une profonde attention, quand il disait : « Mes yeux s’affaiblissent dans l’attente de votre salut et des paroles de votre justice[859] ». Car Dieu a revêtu son Christ d’une chair semblable à notre chair de péché[860], et l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous fussions la justice de Dieu[861] ». Le Prophète nous dit donc que ses yeux se sont affaiblis à attendre cette parole de la justice divine, lorsque sentant jusqu’où va la faiblesse humaine, il a une soif ardente de cette divine grâce qu’il considère dans le Christ.
5. De là cette prière du Prophète : « Agissez avec votre serviteur selon votre miséricorde[862] », et non, selon ma justice. « Et enseignez-moi vos justifications » ; sans doute ces moyens par lesquels Dieu fait les justes, qui ne le deviennent point par eux-mêmes.
6. « Je suis votre serviteur ». Car je ne me suis pas bien trouvé d’être libre, et non à votre service. « Donnez-moi l’intelligence, afin que je sache vos témoignages[863] ». Il ne faut jamais cesser de faire à Dieu cette prière, car il ne suffit pas d’avoir reçu l’intelligence, d’avoir appris les préceptes de Dieu ; il faut recevoir toujours cette intelligence, et en quelque sorte boire à la source de la lumière éternelle. Car plus un homme a d’intelligence, et plus il connaît les témoignages du Seigneur.
7. « Quant au Seigneur, il est temps qu’il agisse[864] ». C’est ainsi qu’on lit en plusieurs exemplaires, et non comme en d’autres : Seigneur, il est temps d’agir. Quel est donc ce temps, ou que doit faire le Seigneur selon le Prophète ? Ce qu’il avait demandé un peu auparavant : « Agissez envers votre serviteur, selon u votre miséricorde[865] ». Voilà ce que le Seigneur doit faire, il en est temps. Et que désignent ces paroles, sinon la grâce qui nous a été révélée en son temps par Jésus-Christ ? Et de quel temps parle saint Paul, ici : « Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils[866] » ; et dans un autre endroit, citant une parole des Prophètes, où Dieu dit : « Je vous ai exaucé au temps favorable, et secouru au jour de salut ? voici, dit l’Apôtre, le temps favorable, voici les jours de salut[867] ». Mais pourquoi le Prophète, voulant nous montrer que pour le Seigneur il était temps d’agir, a-t-il ajouté : « Ils ont dissipé votre loi ? » Comme si pour le Seigneur le temps d’agir était celui où les orgueilleux ont dissipé sa loi, eux qui, ne connaissant point la justice de Dieu, et voulant établir leur propre justice, n’ont pas été soumis à celle de Dieu[868] ? Qu’est-ce à dire en effet : « Ils ont dissipé votre loi », sinon que dans leurs iniques prévarications ils ne l’ont point observée entièrement ? Il fallait donc à ces âmes orgueilleuses, trop présomptueuses de leur liberté, imposer une loi, afin qu’après avoir violé cette loi, ceux qui s’humilieraient dans la componction eussent recours par la foi et non par la loi, à la grâce qui s’offrait à eux. Mais la loi ayant été anéantie, vint le temps de la divine miséricorde par le Fils unique de Dieu. Car la loi est entrée dans le monde pour faire abonder le péché, et le péché ayant anéanti la loi, le Christ est venu à temps pour faire surabonder la grâce, où le péché avait abondé[869].
8. « C’est pour cela », dit le Prophète, « que j’ai aimé vos préceptes plus que l’or et la topaze[870] ». La grâce nous fait accomplir par la charité ces préceptes de Dieu que nous ne pouvions accomplir par la crainte. « Car c’est par la grâce de Dieu que la charité est répandue dans nos cœurs en vertu de l’Esprit-Saint qui nous a été donné[871] ». Aussi le Seigneur nous dit-il : « Je ne suis point venu pour abolir la loi, mais pour l’accomplir[872] ». Et l’Apôtre à son tour : « La charité est la plénitude de la loi[873] ». De là vient que le Prophète l’aime plus que l’or et la topaze ; et dans un autre psaume, plus que l’or et les pierres les plus précieuses[874] ; on dit en effet que la topaze est une pierre des plus rares. Mais les Juifs ne comprenant point cette loi cachée dans l’Ancien Testament, et recouverte comme d’un voile, ce qui était figuré par cette face de Moïse qu’ils ne pouvaient regarder[875], n’accomplissaient les préceptes du Seigneur qu’en vue d’une récompense terrestre et charnelle, et dès lors ne l’accomplissaient point ; car ce n’étaient point les préceptes, mais la récompense qu’ils aimaient. De là vient que leurs œuvres n’étaient point des œuvres volontaires, mais plutôt des œuvres forcées. Mais pour celui qui aime les préceptes plus que l’or et les pierres les plus riches, toute récompense terrestre devient vile auprès de ces commandements, et l’on ne saurait établir aucune comparaison entre les autres biens de l’homme et ces biens qui le rendent bon lui-même.
9. « C’est pour cela que je me dirigeais selon vos préceptes[876] ». Je me redressais, parce que je les aimais ; et comme ils sont droits, je me redressais en m’y attachant par l’amour, ce qui a pour conséquence la parole suivante : « J’ai haï », dit le Prophète, « toute voie d’iniquité ». Comment en effet ne point haïr le chemin tortueux, dès lors qu’il aimait le chemin droit ? De même en effet que s’il avait eu la passion de l’or et des pierres précieuses, il eût haï tout ce qui aurait pu lui faire perdre ces biens, de même, pour lui, aimer les préceptes du Seigneur, c’était haïr la voie de l’iniquité, comme cet impitoyable écueil que l’on rencontre dans un voyage sur la mer, et où le naufrage nous ferait perdre des biens inestimables. Pour éviter ce malheur, il dirige ailleurs ses voiles, ce pilote prudent qui s’est embarqué sur le bois de la croix, avec les précieuses marchandises des préceptes divins.
VINGT-SEPTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLE SECOURS DE LA GRÂCE.
modifierÉtudier à fond les témoignages du Seigneur, c’est là une tâche difficile à un homme, et toutefois il est bon d’étudier ce qu’il y a d’admirable, d’étonnant dans sa loi. Cette loi, œuvre d’un Dieu bon, ne donnait ni la justice, ni la vie ; le Prophète en a recherché ta cause, et il a trouvé que cette loi se bornait à indiquer le péché, afin de nous humilier, et de nous démontrer qu’il nous faut le secours de Dieu, et de nous le faire demander. Voilà ce qu’a compris le Prophète, et il invoque le Seigneur qui nous a aimés le premier, lui demandant de le servir par amour, de résister aux persécutions qui le détournaient du service de Dieu, de connaître la loi d’une manière pratique ; il s’humilie à cause de ses fautes.
1. Voici les versets du psaume que nous allons vous exposer avec le secours de Dieu : « Vos témoignages sont admirables, et c’est pourquoi mon âme les a sondés[877] ». Qui peut énumérer au moins sommairement les témoignages de Dieu ? Le ciel et la terre, les œuvres visibles, et les œuvres invisibles, sont en quelque manière le témoignage de sa bonté, comme de sa grandeur ; ce cours si régulier et si répété de la nature, le temps qui entraîne dans son cours toutes sortes de créatures quoique passagères et mortelles, tout cela que l’habitude nous rend moins sensibles, n’en rend pas moins témoignage au Créateur, quand on le considère avec une pieuse attention. Qu’y a-t-il dans ces créatures qui ne soit point admirable, quand on en juge, non d’après l’usage, mais d’après la raison ? Et si nous embrassons comme d’un seul regard tout cet ensemble, ne se vérifie-t-elle point cette parole du Prophète : « J’ai considéré vos œuvres, et j’en ai été dans l’extase[878] ? » Et toutefois notre interlocuteur n’est point hors de lui-même en admirant ces ouvrages ; mais il nous dit qu’il a dû les étudier avec tant de soin parce qu’ils sont admirables. Après cette exclamation en effet : « Combien sont admirables les témoignages du Seigneur », il ajoute : « C’est pour cela que mon âme les a sondés » ; comme si la difficulté de les sonder avait stimulé sa curiosité. Plus un effet est caché dans sa cause, et plus il est admirable.
2. Qu’un homme donc s’en vienne dire qu’il étudie les témoignages du Seigneur, parce qu’il les trouve admirables ; ne pourrions-nous pas, en voyant que toutes les créatures qui se révèlent ou qui se dérobent à nos yeux, sont pleines de ces témoignages, l’arrêter en disant : « Ne cherche point au-dessus de toi, et ne sonde point ce qui est plus fort que toi, mais repasse toujours en ton esprit ce que Dieu t’a commandé[879] ? » Mais il nous répond en disant : Ces préceptes du Seigneur, que vous me recommandez de méditer, sont ces mêmes témoignages que je trouve admirables, car ils nous attestent que c’est le Seigneur qui commande, et qu’il est grand et bon dès lors qu’il donne de semblables préceptes : oserions-nous dès lors le détourner d’étudier ces commandements, et ne serions-nous pas les premiers à l’exciter à s’adonner de toutes ses forces à un travail si important ? Ou bien en viendrons-nous à confesser que les préceptes du Seigneur sont des témoignages de sa bonté, tout en niant qu’ils soient admirables ? Qu’y a-t-il d’admirable, en effet, qu’un Dieu qui est bon commande le bien ? Ce qui est tout à fait étonnant, au contraire, c’est qu’un Dieu qui est bon et qui ordonne le bien, ait néanmoins donné une loi qui est bonne à des hommes qu’elle ne pouvait justifier, puisque cette loi, quelque bonne qu’elle fût, ne leur donnait point la justice ? « Car si la loi qui a été donnée pouvait donner la vie, la justice viendrait de la loi[880] ». Pourquoi donc en donner une qui ne pouvait ni donner la vie, ni donner la justice ? Voilà ce qui doit nous étonner, nous effrayer. Voilà ce qu’il y a d’admirable dans les témoignages de Dieu : et l’âme du Prophète les a sondés, parce que l’on ne saurait lui dire à ce sujet : « Ne sonde pas ce qui est plus fort que toi, mais repasse toujours en ton esprit ce que Dieu t’a commandé[881] » ; puisque c’est cela même que le Seigneur a commandé, et que dès lors on doit toujours méditer. Voyons plutôt ce qu’a trouvé l’âme du Prophète après avoir sondé.
3. « La révélation de vos promesses répand la lumière et donne l’intelligence aux petits[882] ». Quels sont ces petits, sinon les humbles et les faibles ? Loin de toi donc tout orgueil ! arrière toute présomption de tes forces qui sont nulles, et tu comprendras pourquoi Dieu a donné une loi qui était bonne, sans pouvoir néanmoins donner la vie. Car le but de la loi était de rabattre ta grandeur pour te faire petit, de te montrer que tu n’as pas en toi-même la force d’accomplir la loi, de te forcer dans ton indigence et ton dénuement à recourir à la grâce et de t’écrier : « Ayez pitié de moi, Seigneur, à cause de ma faiblesse[883] ». Voilà que la méditation a fait comprendre au Prophète, qui est petit, cette vérité que nous montre celui qui se dit le moindre des Apôtres, saint Paul, lequel se fait petit enfant, c’est-à-dire qu’une loi impuissante à nous vivifier nous a été donnée : « Parce que l’Écriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse faite par Dieu fût accomplie par la foi en Jésus-Christ à l’égard de ceux qui croiront[884] ». Ainsi soit-il, Seigneur ! Oui, ainsi soit-il, Dieu de miséricorde ! commandez ce qu’on ne saurait accomplir, ou plutôt commandez ce qu’on ne saurait accomplir que par votre grâce, afin que cette impuissance des hommes à rien faire par leurs propres forces « leur ferme la bouche », et que nul ne croie plus à sa grandeur. Que tous deviennent petits, tous coupables devant vous. « Parce que nul homme ne sera justifié devant Dieu par les œuvres de la loi ; car la loi ne donne que la connaissance du péché. Maintenant la justice que Dieu donne sans la loi nous a été découverte, attestée par la loi et par les Prophètes[885] ». Tels sont vos admirables témoignages qu’a sondés l’âme de cet humble enfant, et il les a découverts, parce qu’il s’est fait humble et petit. Qui pourrait accomplir vos préceptes comme on doit les accomplir, c’est-à-dire par la foi qui opère dans la charité[886], si votre Esprit-Saint ne répandait lui-même cette charité dans les cœurs[887] ?
4. Voilà ce que proclame cet interlocuteur devenu humble : « J’ai ouvert ma bouche », nous dit-il, « et j’ai attiré l’esprit, parce que je brûlais d’ardeur pour vos commandements[888] ». Que désirait-il, sinon d’accomplir ces préceptes ? Mais, faible et petit, il ne pouvait accomplir des œuvres fortes et grandes ; il a ouvert la bouche, confessant ainsi ce qu’il ne pouvait faire de lui-même, et il a attiré la force de le faire ; il a ouvert la bouche en demandant, en cherchant, en frappant[889] ; dans sa soif, il a puisé l’esprit de sainteté qui lui a fait accomplir ce qu’il ne pouvait par lui-même, c’est-à-dire une loi sainte, et juste, et bonne[890]. Si nous, en effet, quoique méchant, nous savons donner ce qui est bon à nos enfants, à combien plus forte raison Dieu donnera-t-il du ciel l’Esprit de sainteté à ceux qui le demandent[891] ? Ce ne sont point ceux qui agissent par leur sens propre, mais tous ceux qui sont dirigés par l’Esprit de Dieu, qui sont fils de Dieu[892] ; non qu’eux-mêmes ne fassent rien, mais de peur qu’ils ne fassent rien de bon, c’est la bonté même qui les fait agir. Car chacun devient de plus en plus enfant de Dieu, à mesure que Dieu répand plus largement en lui l’Esprit de sainteté.
5. Enfin le Prophète continue à prier. Il a ouvert la bouche et attiré l’Esprit, mais il frappe encore à la porte du Père céleste ; il cherche encore. Il a bu ; mais plus il a goûté de délices, et plus ardente est sa soif. Écoutez les paroles de celui qui a soif : « Jetez les yeux sur moi », dit-il, « et prenez-moi en pitié, selon vos décrets envers ceux qui aiment votre nom[893] » ; c’est-à-dire, selon votre décret envers ceux qui aiment votre nom ; afin qu’ils vous aiment, vous les aimez le premier. C’est ce que dit saint Jean : « Nous aimons Dieu », dit-il ; et comme si nous lui demandions le motif de cet amour, il ajoute : « Parce qu’il nous a aimés le premier[894] ».
6. Vois encore ce que nous dit clairement le Prophète : « Dirigez mes pas selon vos préceptes, et que l’iniquité n’exerce point sur moi son empire[895] ». Qu’est-ce dire autre chose que : Donnez-moi la droiture et la liberté selon votre promesse ? Plus en effet l’amour de Dieu règne dans une âme, et moins l’iniquité y domine. Quel est donc l’objet de sa prière, sinon d’aimer Dieu par le secours de Dieu ? En aimant Dieu il s’aime lui-même, afin de pouvoir saintement aimer son prochain comme lui-même, double précepte que renferment la loi et les Prophètes[896] : sa prière ne se réduit-elle pas à demander que Dieu lui fasse accomplir par sa grâce les préceptes qu’il lui impose ?
7. Mais que signifie cette parole : « Délivrez-moi des calomnies des hommes, afin que je garde vos commandements[897] ? » Si les reproches des hommes sont vrais, il n’y a point calomnie ; s’ils sont faux, à quoi bon demander la délivrance de ces calomnies ou de ces fausses récriminations qui ne sauraient lui être nuisibles ? Car une fausse imputation ou une calomnie ne rend un homme coupable qu’au tribunal d’un homme ; mais au tribunal de Dieu, il n’y a pas de fausse imputation, elle serait plutôt nuisible à l’accusateur qu’à l’accusé. N’est-ce point là par avance la prière de l’Église et de tout le peuple chrétien qui a été délivré des calomnies dont les hommes le flétrissaient de toutes parts à cause de ce nom de Chrétiens ? Mais est-ce bien à cause de cette délivrance qu’il garde les commandements de Dieu ? Ne les gardait-il pas au milieu des calomnies, et n’était-il pas plus glorieux pour lui d’obéir aux préceptes de Dieu, en dépit des tribulations, et de résister aux persécuteurs qui le poussaient à l’impiété ? Ces paroles donc : « Délivrez-moi des calomnies des hommes, afin que je garde vos commandements », signifient, répandez en mon âme votre Esprit-Saint, de peur que cédant à la crainte et aux calomnies des hommes, je ne me détourne de leurs préceptes pour adopter leurs vices. Si vous en agissez ainsi avec moi, c’est-à-dire si vous me délivrez des calomnies en m’accordant la patience, afin que je ne redoute aucunement leurs récriminations, je garderai vos préceptes au milieu même des calomnies.
8. « Faites briller sur votre serviteur la lumière de votre face[898] ». C’est-à-dire, manifestez votre présence en me fortifiant de vos grâces, « et enseignez-moi vos préceptes », de telle sorte que je les pratique ; ce qui est dit plus clairement dans un autre psaume : « Enseignez-moi, Seigneur, à faire votre volonté[899] ». N’allons pas croire en effet qu’ils ont appris la loi, ceux qui l’ont entendue et retenue de mémoire, sans la pratiquer. La Vérité a dit elle-même : « Quiconque a ouï le Père et a eu l’intelligence, vient à moi[900] ». Donc, il n’a rien appris celui qui ne vient pas, c’est-à-dire qui ne pratique pas.
9. Rappelant en son âme la douloureuse pénitence qu’il fit de son péché, le Prophète s’écrie : « Mes yeux ont versé des torrents de larmes, parce qu’ils n’ont point gardé votre loi[901] », c’est-à-dire mes yeux. On lit en effet dans certains exemplaires : « Parce que je n’ai point gardé votre loi, mes yeux ont descendu des torrents de larmes ». Comme on dirait, mes pieds ont descendu la montagne, et non à travers la montagne, ou par la montagne, comme on dit encore descendre une échelle, et non le long d’une échelle. On dit encore en latin, piscinam descendit, descendre la piscine ; et non descendit in piscinam, descendre dans la piscine. Le Prophète se sert admirablement du mot descendre, pour marquer l’humiliation dans la pénitence ; ses yeux étaient montés en effet quand un orgueil obstiné les avait dirigés en haut. Ils se croyaient fort élevés, lorsque dans leur ignorance de la justice de Dieu, ils prétendaient établir leur propre justice[902] ; mais fatigués de ces efforts et confus des violations de la loi, ils sont descendus de ces hauteurs, et ont versé des larmes pour obtenir la justice de Dieu par la pénitence. Dans certains exemplaires, au lieu de descendendit, on lit transierunt, mes yeux ont surpassé les torrents d’eau ; ce qui serait une exagération pour dire que ses larmes ont surpassé l’eau des fontaines, et nous donnerait à comprendre par ces torrents d’eau que ses larmes ont été plus abondantes que l’eau des fleuves. Mais, pourquoi pleurer ainsi, parce qu’on n’a point gardé la loi, sinon afin d’obtenir la grâce qui efface le péché de l’homme pénitent, et qui soutient la volonté du fidèle ?
VINGT-HUITIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLE PLUS JEUNE PEUPLE.
modifierLe Prophète pleure sa faute à cause de la justice de Dieu, et dans la ferveur de son amour il veut le faire partager à ceux qui lui rendent le mal pour le bien ; il veut leur faire goûter les délices de sa pénitence. Il semble regretter que ses ennemis plus avancés en âge, et qui sont la figure de l’ancien peuple, aient oublié la loi de Dieu, tandis que lui, peuple nouveau, est resté fidèle à cette loi de Dieu au milieu des persécutions. Au milieu de ses angoisses, il demande l’intelligence, c’est-à-dire de connaître combien est méprisable ce que la persécution peut lui enlever ; alors il vivra pour rendre témoignage à Dieu.
1. Celui qui chante notre psaume avait dit plus haut : « Mes yeux ont versé des torrents de larmes, parce que je n’ai point gardé votre loi[903] ». Ce qui nous montre combien il a pleuré sa prévarication. Puis afin de nous donner raison de cette abondance de larmes, et de cette vive douleur due à son péché, il s’écrie : « Vous êtes juste, Seigneur, et votre jugement est droit. Vous avez imposé des préceptes qui sont la justice, et la plus sainte vérité[904] ». C’est donc cette justice de Dieu, qui est irréfragable jugement et vérité, que doit craindre tout pécheur. C’est par elle que sont damnés tous les damnés, et nul ne peut rejeter sa perte sur ce Dieu qui est justice. Voilà ce qui légitime les larmes du pénitent car tout cœur condamné pour son impénitence, est damné par la plus stricte justice. Le Prophète a raison de donner à la justice de Dieu le nom de témoignage, car Dieu se montre juste en nous imposant la justice. Il l’appelle aussi vérité, puisque Dieu se fait connaître aux hommes par de semblables témoignages.
2. Mais que dit ensuite le Prophète ? « Mon zèle m’a consumé[905] » ; ou, comme on lit en d’autres exemplaires, « votre zèle ». Ailleurs on lit : « Le zèle de votre maison m’a dévoré[906] », et non « m’a desséché », ce qui est cité dans l’Évangile, comme on le sait[907]. Toutefois, votre zèle m’a desséché, ressemble assez à : votre zèle m’a dévoré. Et cette version, « mon zèle », qu’on lit en plusieurs exemplaires, ne soulève aucune difficulté ; y a-t-il en effet rien d’étonnant qu’un homme soit desséché par zèle ? Mais cette autre version : « Votre zèle », nous indiquerait un homme qui a du zèle pour Dieu et non pour lui-même. Cependant rien n’empêche de dire, « mon zèle ». L’Apôtre ne dit-il pas en effet : « Je vous aime de jalousie en Dieu, de tout le zèle de Dieu[908] ? » Dire : Je vous aime de jalousie, qu’est-ce que cela, sinon montrer son propre zèle ? Mais quand il dit « en Dieu », il montre qu’il n’aime point pour lui, mais pour Dieu ; de là cette parole : « Du zèle de Dieu ». C’est Dieu qui, par son Esprit, forme cette émulation dans le cœur des fidèles, émulation d’amour et non d’envie. Quelle sollicitude, en effet, mettait dans la bouche de l’Apôtre cette parole ? « Je vous ai fiancés », nous répond-il, « à cet unique Époux, Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure. Mais je crains que comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits ne se corrompent, et ne dégénèrent de la simplicité, qui est selon Jésus-Christ[909] ». Il était dévoré du zèle de la maison de Dieu, non pour lui, mais pour le Christ. Car si l’Époux aime l’Épouse d’un amour de jalousie, l’ami de l’Époux doit aimer cette Épouse non pour lui-même, mais pour l’Époux. On doit donc prendre en bonne part le zèle du Psalmiste ; et il nous en indique la cause en disant : « Parce que mes ennemis ont oublié vos paroles ». Ils lui rendaient donc le mal pour le bien, puisqu’il les aimait en Dieu d’un zèle si saint et si violent, que ce zèle, selon son aveu, l’avait desséché ; tandis que pour ce motif ils le poursuivaient de leurs inimitiés, car le zèle dont il les aimait le poussait à leur faire aimer Dieu. Dans sa reconnaissance pour cette grâce divine qui d’ennemi qu’il était, l’avait réconcilié avec Dieu, il aimait ses ennemis, et se sentait une sainte jalousie de les gagner à Dieu ; il s’affligeait, il séchait de dépit de leur voir oublier ses paroles.
3. Considérant ensuite cette flamme d’amour qu’allume dans son cœur la parole de Dieu : « Votre parole est un feu ardent, et votre serviteur l’a aimée[910] ». C’est donc avec raison que le cœur impénitent de ses ennemis stimulait son zèle : ils avaient, eux, oublié la parole de Dieu, et il brûlait de les amener à ce qu’il aimait lui-même avec tant d’ardeur.
4. « Je suis plus jeune et méprisé », dit le Prophète, « mais je n’ai point oublié vos préceptes[911] » ; contrairement à mes ennemis qui ont oublié vos paroles. Plus jeune par l’âge, et n’ayant point oublié les préceptes de Dieu, il semble regretter que ses ennemis qui sont ses aînés, les aient oubliés. Que signifie, en effet, « je suis plus jeune, et toutefois je n’ai point oublié », sinon que ces anciens ont oublié ? Il y a en effet dans le Neoteros, qu’on lit aussi dans le passage où il est dit : « En quoi le plus jeune redresse-t-il sa voix ? » Ce mot « plus jeune », est un terme de comparaison, et dès lors est relatif aux plus âgés. Nous reconnaissons donc ici ces deux peuples qui luttaient jadis dans les entrailles de Rébecca : « Quand sans égard pour leurs œuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il lui fut répondu : L’aîné servira le plus jeune[912] ». Mais ici le plus jeune se dit méprisé, et c’est en cela qu’il est devenu le plus grand ; car Dieu a choisi ce qu’il y a de plus bas et de plus méprisable dans le monde, et même les choses qui ne sont point, pour anéantir ce qu’il y de plus grand[913]. Et voilà derniers ceux qui étaient premiers, et premiers ceux qui étaient derniers[914].
5. Or, ce n’est pas sans raison qu’ils ont oublié les paroles de Dieu, eux qui, dans l’ignorance de la justice de Dieu, ont voulu établir leur propre justice[915] ; mais il ne les a point oubliées, ce plus jeune qui a voulu avoir, non sa propre justice, mais celle de Dieu, dont il dit maintenant : « Votre justice est justice pour, l’éternité, et votre loi est la vérité même[916] ». Comment ne serait-elle point vérité, cette loi qui fait connaître le péché, et qui rend témoignage à la justice de Dieu ? Voici en effet ce que dit l’Apôtre : « La justice de Dieu a été manifestée, affirmée par la loi et les Prophètes[917] ».
6. C’est pour cette loi que le plus jeune a souffert la persécution de la part de l’aîné, en sorte que ce plus jeune a pu dire : « La tribulation et l’angoisse ont fondu sur moi ; vos préceptes sont toujours ma méditation[918] ». Qu’ils sévissent, qu’ils persécutent, pourvu que l’on n’abandonne point les commandements, et que selon ces commandements, on aime jusqu’aux persécuteurs.
7. « Vos jugements sont la justice éternelle : donnez-moi l’intelligence et je vivrai[919] ». Ce plus jeune demande l’intelligence, et pourtant, s’il ne l’avait point, il ne comprendrait pas mieux que les vieillards ; mais il la demande au milieu des angoisses et des tribulations, afin de comprendre combien il doit mépriser ce que peuvent lui enlever les persécutions de ses ennemis, dont il se dit méprisé. C’est pour cela qu’il ajoute : « Et je vivrai », car si la tribulation et l’angoisse étaient poussées par ses persécuteurs jusqu’à lui ôter la vie, il vivrait néanmoins éternellement, lui qui préfère aux biens du temps, cette justice qui dure éternellement. Or, dans la tribulation et l’angoisse, cette justice devient le martyre de Dieu, ou le témoignage qui a valu aux martyrs la couronne glorieuse.
VINGT-NEUVIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA VÉRITABLE PRIÈRE.
modifierC’est le cœur qui doit prier : il prie par l’application de la pensée, et il est entier à la prière quand il exclut toute autre pensée. Ainsi prie le Prophète : Il demande à Dieu de pouvoir chercher ses ordonnances, qui forment l’essence de la sagesse. Mais pour trouver la sagesse, il faut la vouloir d’une manière pratique, de manière à rendre témoignage à Dieu. Stimulé par son amour, le Prophète ou plutôt l’Église a devancé le temps de la prière, quand par l’organe des Prophètes elle a poussé des cris suffisants, avant l’incarnation. Elle implore le secours de Dieu contre la persécution qui approche, et se confie dans les témoignages de Dieu, basés sur Jésus-Christ, et promettant la vie éternelle.
1. Qui pourrait douter que cet appel à Dieu que l’on fait dans la prière ne soit un son des plus vains, quand il est simplement le retentissement de la voix, sans que le cœur soit tourné vers Dieu ? Mais, s’il vient du cœur, quand même la voix se tairait, il peut être inconnu à l’homme, jamais à Dieu. Soit donc que la voix se fasse entendre quand cela est nécessaire, soit que l’on prie Dieu en silence, c’est le cœur qui doit parler dans la prière. Or, ce cri du cœur est une forte application de la pensée ; et quand cette application se trouve dans la prière, elle marque dans celui qui prie un désir tel qu’il ne désespère point d’obtenir ce qu’il demande. Mais on crie à Dieu de tout son cœur, quand on n’a pas d’autre pensée. De telles prières sont rares chez beaucoup, fréquentes seulement chez le petit nombre ; et je ne sais chez qui elles sont habituelles. Telle est, au dire de notre interlocuteur, la prière qu’il a faite : « J’ai crié de tout mon cœur, exaucez-moi, ô mon Dieu[920] ». Puis il nous marque aussitôt ce que produira son cri : « Je rechercherai vos ordonnances ». Voilà donc ce qui le faisait crier vers Dieu de tout son cœur : rechercher ses ordonnances, telle est la grâce qu’il demandait à Dieu. Prions dès lors le Seigneur de nous faire chercher ce qu’il nous ordonne. Mais combien est encore éloigné de la pratique, celui qui ne fait encore que rechercher ! Trouver n’est pas toujours la conséquence de chercher, ni pratiquer la conséquence de trouver ; mais on ne saurait pratiquer sans avoir trouvé, ni trouver sans avoir cherché. Il y a toutefois une grande espérance dans cette parole du Seigneur Jésus : « Cherchez, et vous trouverez[921] ». La sagesse, qui n’est autre que lui-même, nous dit cependant : « Les méchants me chercheront sans me trouver ». Ce n’est donc pas aux méchants, mais aux bons, qu’il est dit : « Cherchez, et vous trouverez ? » Il l’a dit à ceux-là mêmes à qui, un peu plus haut, il adresse ces paroles : « Si donc vous, tout méchants que vous êtes, vous savez donner à vos enfants ce qui est bon[922] ». Comment dire aux méchants : « Cherchez et vous trouverez » ; quand il dit aussi : « Les méchants me chercheront sans me trouver ? » Le Seigneur voulait-il que l’on cherchât autre chose que la sagesse, quand il faisait à ceux qui chercheraient la promesse qu’ils trouveraient ? Car la sagesse renferme tout ce que doivent chercher ceux qui aspirent au bonheur. Là donc se trouvent les ordonnances de Dieu. Il nous reste dès lors à conclure que tous les méchants ne trouveraient point la sagesse quand même ils la chercheraient ; c’est-à-dire ceux qui poussent la malice jusqu’à la haïr. Car voici cette parole de la sagesse : « Les méchants me chercheront sans me trouver ; car ils haïssent la sagesse[923] ». C’est donc leur haine qui les empêche de la trouver. Mais avec cette haine, comment la chercheront-ils, à moins qu’ils ne la cherchent, non pour elle, mais pour quelque avantage précieux aux méchants, et qu’ils espèrent acquérir plus facilement au moyen de la sagesse ? Il en est beaucoup en effet qui recherchent avec soin les paroles de la sagesse, qui la veulent montrer dans leurs discours, mais non dans leur vie ; qui ne cherchent point à parvenir à la lumière de Dieu, qui est la véritable sagesse, en réglant leurs mœurs d’après ses maximes, mais qui veulent se faire applaudir par les hommes, et telle est la vaine gloire. Ils ne cherchent donc point la sagesse même en la recherchant, puisque ce n’est point elle qu’ils cherchent, autrement ils en feraient la règle de leur vie ; mais ils veulent être enflés de ses paroles ; et plus ils en recherchent l’enflure, plus ils s’en éloignent[924]. Or, en implorant de Dieu ce que Dieu lui-même nous commande, en lui demandant de faire ce qu’il ordonne que nous fassions ; car c’est Dieu qui dans sa bonté, opère en nous le vouloir et le faire !: « J’ai crié », dit le Psalmiste, « j’ai crié de tout mon cœur ; exaucez-moi, ô mon Dieu : je chercherai vos ordonnances » ; c’est-à-dire pour les accomplir, et non seulement pour les connaître, afin de ne point ressembler à ce serviteur endurci, qui n’obéira point même après avoir compris[925].
2. « J’ai crié, sauvez-moi[926] » ; ou, comme on trouve dans quelques exemplaires et grecs et latins. « Je vous ai crié, sauvez-moi ». Qu’est-ce à dire, « je vous ai crié », sinon je vous ai invoqué par mes cris ? Mais après avoir dit : Sauvez-moi, qu’a-t-il ajouté ? « Et je garderai vos témoignages », de peur de vous renier par faiblesse. Car la santé de l’âme consiste à remplir le devoir que l’on connaît, et à combattre pour la vérité des témoignages divins, jusqu’à la mort, si la dernière tentation va jusque-là. Si l’âme n’a point cette santé, elle succombe de faiblesse, et abandonne la vérité.
3. Mais ce qui suit renferme une certaine obscurité, qu’il nous faut expliquer un peu plus longuement. « J’ai devancé dans une nuit intempestive, et j’ai crié[927] ». Dans plusieurs manuscrits on ne trouve pas, « au milieu de la nuit », intempesta nocte, mais immaturitate, une nuit peu avancée. C’est à peine si l’on en trouve un seul avec la double préposition, c’est-à-dire in immaturitate, dans la nuit peu avancée. L’expression immaturitas désigne ici le temps de la nuit, qui n’est point mûr encore ; c’est-à-dire une nuit qui ne permet pas encore le travail à l’homme éveillé ce que l’on appelle vulgairement l’heure indue. Une nuit, intempesta, se dit encore du milieu de la nuit, quand on doit se reposer, et ce nom « d’intempestive », lui vient assurément de ce qu’elle est peu favorable au travail. Car les anciens appelaient tempestivum ce qui est favorable, et intempestivum ce qui est défavorable, et cette expression a pour racine le temps, et non cette tempête qui désigne ordinairement en latin la perturbation du ciel. Toutefois les historiens emploient volontiers cette expression, et au lieu de eo tempore, ils disent ea tempestate, en ce temps ; et dans ce vers d’un grand maître :
Unde haec tam clara repente
Tempestas ?
le mot tempestas ne signifie point un ciel troublé par les vents et les orages, mais un ciel tout à coup brillant et splendide. Ce que le grec a donc exprimé par en aoria, non point en un seul mot, mais en deux, la préposition et le nom, les traducteurs l’ont rendu par une « nuit intempestive », d’autres par immaturitate, non point eu deux mots, mais en un seul, dont le nominatif est immaturitas; d’autres encore en deux mots, comme dans le grec : In immaturitate; car aoria, signifie immaturitas, et en aoria, in immaturitate, comme pour donner à intempesta nocte le même sens qu’avec sa double préposition, in intempesta, en sorte que l’une de ces prépositions indique l’heure, tandis que l’autre fait partie du nom lui-même. Toutefois peu importe, quand on indique le chant du coq pour l’heure d’une action, que l’on dise, galli cantu, ou bien in galli cantu. De même, pour nous dire qu’il a crié dans la nuit peu avancée, peu importe que le Psalmiste se serve de intempesta nocte, ou de in intempesta nocte. Le grec cependant à dit : Dans une nuit non écoulée, ce qui revient à dire une nuit peu mûre, c’est-à-dire, dans le moment où la nuit n’est point achevée. Mais c’est assez disputer sur une expression obscure ; voyons quel en est le sens.
4. « J’ai prévenu, dans le milieu de la nuit, et j’ai crié : j’ai mis mon espoir en vos paroles ». Si nous rapportons ces paroles à chaque fidèle, en les prenant à la lettre, il arrive souvent qu’à ce point de la nuit l’amour de Dieu veille, et, dans ce sentiment de ferveur pour la prière, il ne saurait attendre le chant du coq ou l’heure de la prière, mais il le prévient. Mais si nous appelons nuit toute la vie d’ici-bas, c’est bien avant qu’elle soit achevée que nous crions vers Dieu, et nous en prévenons la maturité, ou la fin, alors que Dieu nous rendra ce qu’il nous a promis, cmme on lit ailleurs : « Prévenons sa force par un humble aveu[929] ». Toutefois, si par le temps non écoulé de la nuit nous entendons les siècles écoulés avant la plénitude des temps, c’est-à-dire que la maturité serait la manifestation du Christ en sa chair[930], l’Église alors n’est point demeurée en silence ; mais elle a prévenu cette maturité des temps, elle a crié par les Prophètes, elle a espéré dans les paroles de ce Dieu assez puissant pour accomplir ses promesses, et bénir toutes les nations dans la race d’Abraham[931].
5. C’est elle qui dit ce qui suit : « Mes yeux ont devancé le point du jour, afin de méditer vos paroles[932] ». Appelons matin ce moment où la lumière s’est levée pour ceux qui étaient assis à l’ombre de la mort[933] ; les yeux de l’Église n’ont-ils pas devancé ce matin, dans la personne des saints qui étaient auparavant sur la terre, et qui ont ainsi devancé l’avenir en méditant les promesses que Dieu avait faites alors ; et qui annonçaient dans la loi et les Prophètes ce qui arriverait aux hommes ?
6. « Exaucez ma voix, Seigneur, selon votre miséricorde ; vivifiez-moi selon votre jugement[934] ». Dieu, dans sa miséricorde, commence par abroger la peine due aux pécheurs ; puis, quand ils sont devenus justes, il leur donne la vie ; car ce n’est pas sans raison que le Prophète a suivi cet ordre : « Je chanterai, Seigneur, votre miséricorde et votre jugement », bien que le temps de la miséricorde ne soit point séparé du jugement, dont l’Apôtre a dit : « Que, si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés par Dieu. Mais lorsque nous sommes jugés, c’est le Seigneur qui nous reprend, afin que nous ne soyons point condamnés avec le monde[935] ». Et son collègue dans l’apostolat : « Voici le temps où Dieu va commencer son jugement par sa propre maison ; et s’il commence par nous, quelle sera la fin de ceux qui ne croient point l’Évangile de Dieu[936] ? » De même le dernier jugement ne sera point sans miséricorde, « car Dieu vous couronne », dit le Psalmiste, « dans sa miséricorde et sa bonté[937] ». Il est vrai qu’il y aura un jugement sans miséricorde, mais seulement pour ceux – qui seront à gauche et n’auront point fait miséricorde[938].
7. « Ils m’ont approché, ceux qui me persécutent par l’injustice[939] », ou « injustement », comme on lit en certains manuscrits. C’est approcher de la part des persécuteurs, que pousser la persécution jusqu’à déchirer notre chair, lui donner la mort. De là cette parole du psaume vingt-unième, qui est une prophétie de la passion du Christ : « Ne vous éloignez pas, car la persécution est proche[940] » ; ce qui était dit non sous la menace, mais sous le coup même de la passion. Il dit que l’affliction qu’il souffrait dans sa chair est proche, parce que pour l’âme rien n’est plus proche que la chair dont elle est revêtue. Donc ces persécuteurs se sont approchés en affligeant la chair de leurs victimes. Mais écoute la suite : « Ils se sont éloignés de votre loi ». Plus ils approchent des justes pour les persécuter, plus ils s’éloignent de la justice. Mais quel mal ont-ils fait à ceux dont ils s’approchaient ainsi, puisque le Seigneur, qui ne les abandonne jamais, s’approchait d’eux intérieurement ?
8. Aussi voyez la suite. « Mais vous êtes près de moi, Seigneur, et toutes vos voies sont vérité ». Au milieu de leurs souffrances les saints confessent ordinairement la vérité de Dieu, et proclament qu’ils souffrent avec justice. Ainsi en fut-il de la reine Esther, ainsi de Daniel, ainsi des trois enfants dans la fournaise, ainsi de tous leurs émules en sainteté. Mais on peut demander comment il est dit : « Toutes vos voies sont vérité », quand il est dit ailleurs : « Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité ». À l’égard des saints toutes les voies du Seigneur sont miséricorde, comme toutes les voies du Seigneur sont vérité, car il les soutient même en les jugeant, et ainsi la miséricorde ne fait point défaut, et dans sa miséricorde il leur donne ce qu’il a promis, de peur de manquer à sa vérité. Quant à l’universalité des hommes, à ceux qu’il délivre, comme à ceux qu’il condamne, toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et vérité : et dès que sa miséricorde est à bout, il fait voir la vérité de ses vengeances. Il en sauve plusieurs qui ne l’ont point mérité, il n’en condamne point qui ne le méritent.
9. « Dès le commencement », dit le Prophète, « j’ai connu par vos témoignages que vous les avez fondés pour l’éternité ». Ce que le grec a exprimé par catarxas, dès le commencement, les nôtres l’ont traduit par initio, ou bien par ab initio, et même par ab initiis. Mais en traduisant par le pluriel, « dès les commencements », on rend le grec avec plus de fidélité. Toutefois, dans la langue latine, on rencontre plus fréquemment initio, ou ab initio, ce que les Grecs expriment au pluriel, quoique d’une manière adverbiale, par catarxas. En latin cependant nous trouvons par exemple : Alias hoc facio, « plus tard, voici ce que je ferai », où nous semblons employer un pluriel féminin, et qui est simplement un adverbe, lequel signifie, dans un autre temps. Que signifie donc cette parole : « J’ai a connu dès le commencement », ab initio, ou bien d’une manière adverbiale, initio, « J’ai connu dès le commencement, à propos de vos témoignages, que vous les avez fondés ? » Il dit qu’il a connu par les témoignages du Seigneur que ces témoignages sont fondés pour l’éternité ; il affirme qu’il l’a connu dès le commencement, et qu’il ne l’a pas connu par une autre voie que par ces mêmes témoignages. Or, quels sont ces témoignages, sinon la promesse que Dieu a faite de donner à ses enfants un royaume éternel ? et comme il avait promis de le donner par son Fils unique, dont il est dit que « son royaume n’aura point de fin[941] », le Prophète nous dit que ces témoignages sont fondés pour l’éternité, parce que l’objet de la promesse divine est éternel. Car en eux-mêmes les témoignages ne seront plus nécessaires, quand sera vu à découvert ce qui a besoin de témoignage pour obtenir notre adhésion. Aussi le Prophète a-t-il dit avec justesse : « Vous les avez fondés », puisque c’est en Jésus-Christ que l’on en découvre la vérité. Or, « nul ne saurait poser un fondement autre que celui qui a été posé, et qui est Jésus-Christ[942] ». Comment donc le Prophète a-t-il compris cela dès le commencement, sinon parce que c’est l’Église qui parle ici, et que, dès l’origine du genre humain, l’Église n’a pas fait défaut au monde, elle qui eut pour prémices de sainteté Abel immolé, lui aussi[943], pour être un témoignage du sang du Médiateur, qu’un frère impie devait répandre ? C’est au commencement en effet que fut prononcée cette parole : « ils seront deux dans une seule chair[944] » et saint Paul a dit à ce sujet : « Ce sacrement est grand, oui, dans le Christ et dans l’Église[945] ».
TRENTIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA GRÂCE DE DIEU.
modifierCette loi que le Prophète n’a point oubliée, est celle qui élève les humbles, et abaisse les orgueilleux ; or, l’élévation des saints, c’est la vie éternelle, due à la grâce qui nous sépare des pécheurs. Cette grâce a produit dans l’Église la force en face des persécuteurs : de là tant de martyrs ; et la charité qui pleure les apostasies, en même temps qu’elle raffermit dans la parole divine.
1. Nul d’entre les membres du Christ ne regardera comme étrangère pour lui cette parole, que répète le corps mystique du Christ, tout entier dans l’humilité, et qui commence, dans notre psaume, notre lecture d’aujourd’hui : « Voyez mon humiliation et délivrez-moi, car je n’ai point oublié votre loi[946] ». Nous ne pouvons entendre ici nulle autre loi de Dieu que le décret qui astreint irrévocablement à être humilié quiconque s’élève, et quiconque s’humilie, à être élevé[947]. Le superbe est donc en proie aux misères afin d’en être humilié, et l’humble en est délivré afin d’être élevé.
2. « Jugez ma cause », dit le Prophète, « et rachetez-moi[948] ». C’est là une répétition de la pensée précédente. Car « voyez mon humiliation », revient à « jugez ma cause » ; et « délivrez-moi », revient à « rachetez-moi ». Enfin cette parole qui précède : « Je n’ai point oublié votre loi », a rapport à cette autre qui suit : « Donnez-moi la vie à cause de votre parole ». Car cette parole est la loi de Dieu, qu’il n’a point oubliée, afin de s’humilier pour être ensuite élevé. Or, à cette élévation revient cette parole : « Donnez-moi la vie » ; car l’élévation des saints est la vie éternelle.
3. « Loin des pécheurs est le salut, parce qu’ils n’ont point recherché vos justifications[949] ». Qui te sépare en effet, ô toi, qui proclames « que loin des pécheurs est le salut », qui te sépare de ces pécheurs, de sorte que ce salut ne soit point éloigné de toi, mais avec toi ? Ce discernement vient peut-être de ce que tu as fait ce qu’ils n’ont point fait, c’est-à-dire recherché les justifications de Dieu. « Qu’as-tu que tu n’aies pas reçu ? » N’est-ce pas toi qui disais un peu plus haut « J’ai crié de tout mon cœur : exaucez-moi, mon Dieu, je chercherai vos ordonnances ? » C’est donc de celui à qui tu en appelais que tu as reçu de les chercher. C’est donc lui qui t’a séparé de ceux qui sont éloignés du salut, par cela même qu’ils n’ont point recherché les ordonnances de Dieu.
4. Voilà ce qui n’a point échappé au Prophète. Et moi je ne le verrais point si je ne le voyais en lui, si je n’étais en lui. Car ces paroles sont du corps de Jésus-Christ, dont nous sommes les membres. Voilà, dis-je, ce qu’il a vu, et aussitôt il ajoute : « Seigneur, vos miséricordes sont grandes ». Et ces recherches que nous faisons de vos ordonnances ne sont qu’un effet de vos miséricordes. « Vivifiez-moi selon votre jugement[950] ». Car je sais que votre jugement sur moi ne sera point sans miséricorde.
5. « Mes persécuteurs et mes ennemis deviennent de plus en plus nombreux, je ne me suis point détourné de vos oracles[951] ». C’est là un fait : nous le savons, nous nous en souvenons, nous le proclamons. Toute la terre a été rougie du sang des martyrs ; les couronnes des martyrs embellissent le ciel, les Églises sont illustrées par les temples élevés aux martyrs, les fêtes des martyrs viennent rehausser les jours de l’année, et chaque jour on voit des guérisons par les mérites des martyrs. D’où viennent tous ces honneurs, sinon parce que s’est accomplie à l’égard de cet homme répandu dans l’univers entier cette prophétie : « Mes persécuteurs et mes ennemis deviennent de plus en plus nombreux, et je ne me suis point détourné de vos oracles ? » Nous le reconnaissons et en rendons à Dieu des actions de grâces. Car c’est bien toi, ô homme, c’est toi qui as dit dans un autre psaume : « Si le Seigneur ne nous eût assistés, les hommes nous auraient dévorés tout vivants[952] ». Voilà pourquoi tu n’as point dévié de ces témoignages, et pourquoi, environné de cette foule de persécuteurs et d’ennemis, tu as pu néanmoins cueillir la palme céleste à laquelle Dieu t’appelait.
6. « J’ai vu les insensés, et j’ai séché de dépit », ou comme on lit en d’autres exemplaires, et c’est la version la plus commune « J’ai vu ceux qui n’observaient point votre pacte[953] ». Mais quels sont les violateurs du pacte, sinon ceux qui se sont éloignés des témoignages de Dieu, et qui n’ont pu supporter les nombreuses persécutions ? Et le pacte c’est la couronne décernée au vainqueur. Ce pacte, ils l’ont violé, ceux qui succombant aux persécutions, se sont éloignés par l’apostasie des témoignages du Seigneur. Voilà ceux qu’a vus le Prophète, et il en séchait de dépit parce qu’il les aimait. Or, ce zèle est ban, il vient de l’amour et non de l’envie. Le Prophète nous montre ensuite en quoi ces apostats ont violé le pacte du Seigneur : « C’est », dit-il, « parce qu’ils n’ont point gardé vos paroles ». Ils les ont reniées au milieu des souffrances.
7. Pour montrer combien il diffère de ces apostats, le Prophète s’écrie : « Voyez, Seigneur, combien j’ai aimé vos préceptes ». Il ne dit point : J’ai renié vos paroles ou vos témoignages, comme on voulait y contraindre les martyrs, dont la fidélité était accablée de douleurs si violentes, mais il nous signale tout l’avantage des souffrances : car en vain je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas la charité cela ne me sert de rien[954]. Telle est la charité dont il s’applaudit : « Voyez, Seigneur, combien j’ai aimé vos préceptes ». Puis il demande sa récompense : « Seigneur, donnez-moi la vie dans votre miséricorde ». Ceux-là me donnent la mort, vous, donnez-moi la vie. Mais s’il demande à la miséricorde le prix que lui doit la justice, combien plus doit-il à cette miséricorde cette victoire même qui mérite une récompense !
8. « Le principe de vos paroles est la vérité, et tous les jugements de votre justice sont éternels[955] ». C’est de la vérité, dit-il, que découlent vos paroles, et dès lors elles sont vraies ; sans jeter personne dans l’erreur, elles assurent la vie au juste, la damnation à l’impie. Tels sont les jugements de Dieu qui subsistent dans l’éternité.
TRENTE-UNIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierINJUSTES PERSÉCUTIONS CONTRE L’ÉGLISE.
modifierRien ne motivait les persécutions contre l’Église, puisque l’Évangile ordonne la soumission aux pouvoirs terrestres, c’est à Dieu que s’est attachée l’Église pour triompher et remporter les dépouilles ou convertir ses persécuteurs. De là ce redoublement d’amour pour la loi de Dieu qu’on craint de violer, et cette prière faite sept fois le jour, ou un nombre complet. L’amour de la loi de Dieu nous préserve des chutes, mais le salut nous vient du Christ annoncé, parla loi, en des témoignages qui font notre espérance. Aussi le Prophète nous dit-il que ses voies sont en Dieu, en Dieu qui regarde les méchants, qui voit aussi les justes, c’est-à-dire qu’il a voulu marcher selon la volonté de Dieu.
1. Nous savons quelles persécutions les rois de la terre ont infligées au corps du Christ, c’est-à-dire à la sainte Église. Reconnaissons donc ses plaintes dans les paroles suivantes : « Les princes m’ont persécuté sans sujet, et mon cœur ne craint que votre parole[956] ». Qu’avaient fait aux royaumes de la terre, ces chrétiens à qui leur roi avait promis le royaume des cieux ? En quoi ces promesses blessaient-elles des royaumes terrestres ? Ce roi qu’ils servent a-t-il défendu à ses soldats de rendre et de payer aux rois de la terre ce qui leur est dû ? Quand les Juifs le calomniaient à ce sujet, ne dit-il point : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu[957] ? » « Ne prit-il pas, dans la gueule d’un poisson, de quoi payer lui-même le tribut ? Son précurseur dit-il aux soldats de ce royaume, qui lui demandaient ce qu’ils devaient faire pour acquérir la vie éternelle : Quittez le baudrier, jetez vos armes, abandonnez votre roi, afin d’entrer dans la milice du Seigneur ? Nullement, « mais gardez-vous de toute violence, de toute injure, et que votre solde vous suffise[958] ». Un des soldats les plus affectionnés de ce roi, son compagnon fidèle, ne dit-il pas à ses frères d’armes, et en quelque sorte aux fourriers du Christ : « Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures ? » Et un peu plus loin : « Rendez à chacun ce qui lui est dû ; le tribut à qui vous devez le tribut, l’impôt à qui vous devez l’impôt, la crainte à qui vous devez la crainte, l’honneur à qui l’honneur est dû. Ne soyez redevables envers personne, sinon de l’amour qui est dû à tous[959] ? » N’a-t-il pas ordonné à son Église de prier pour les rois ? En quoi donc les chrétiens ont-ils pu offenser ces rois ? De quel devoir sont-ils en demeure ? En quoi les chrétiens ont-ils désobéi aux rois de la terre ? C’est donc réellement sans sujet que les rois de la terre ont persécuté les chrétiens ? Mais écoute la suite : « Et mon cœur a tremblé à cause de vos paroles ». Assurément les paroles de ces hommes étaient effrayantes ; bannissement, proscription, mort, déchirer avec des ongles de fer, brûler vif, condamner aux bêtes, déchirer les membres ; mais j’ai redouté vos paroles plus encore : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et ne peuvent plus rien ensuite ; mais craignez celui qui ala puissance de jeter en enfer le corps et l’âme[960] ». Voilà vos paroles qui m’ont saisi de frayeur : et j’ai méprisé l’homme qui me persécutait, vaincu le diable mon séducteur.
2. Il est dit ensuite : « Je me réjouirai de vos oracles comme celui qui a remporté de riches dépouilles[961] ». Les paroles qui l’ont fait craindre l’ont rendu victorieux ; car c’est aux vaincus que l’on enlève les dépouilles ; et voilà qu’il a été dépouillé comme un vaincu, celui dont il est dit dans l’Évangile : « Nul n’entre dans la maison du fort, pour enlever ce qui lui appartient, si tout d’abord il n’enchaîne ce fort[962] ». Mais il se trouva beaucoup de dépouilles, quand, pris d’admiration pour les martyrs, les persécuteurs eux-mêmes embrassèrent la foi ; quand ceux qui voulaient détruire notre roi en égorgeant ses soldats, vinrent eux-mêmes grossir ses rangs. Tout homme dès lors qui cède à la parole de Dieu, et craint d’être vaincu dans le combat, tressaille dans ces paroles qui l’ont rendu victorieux.
3. Mais de peur que nous n’en venions à croire que cette crainte a jeté dans son âme quelque haine contre la parole de Dieu, le Prophète qui avait déjà dit : « Vos paroles m’ont fait tressaillir », langage qu’il n’eût pu tenir, s’il eût eu de la haine, ajoute néanmoins : « J’ai eu l’injustice en horreur, en abomination ; mais j’ai aimé votre loi[963] ». Ainsi, cette crainte qu’il ressentait pour la parole de Dieu, loin de lui en inspirer la haine, la lui a fait au contraire aimer plus parfaitement, car il n’y a point de différence entre la loi et les paroles de Dieu. A Dieu ne plaise que la crainte bannisse l’amour, quand cette crainte est chaste ! Un fils pieux a pour son père de la crainte et de l’amour ; une chaste Épouse craint son Époux, de peur d’en être abandonnée ; elle l’aime, afin de le posséder. Si donc l’on doit craindre et aimer ùn père qui est un homme, un Époux qui est un homme, combien plutôt doit-on craindre et aimer notre Père qui est dans les cieux[964] ; cet Époux plus beau que les enfants des hommes, non d’une beauté corporelle, mais d’une beauté spirituelle ! Eh ! qui aime la loi de Dieu, sinon l’homme qui aime Dieu ? Et pour un fils bien né, qu’a de fâcheux la loi d’un père ? Est-ce parce qu’il châtie tous ceux qu’il aime, et qu’il frappe tout homme qu’il reçoit parmi ses enfants[965] ? Mépriser ces décrets de Dieu, c’est renoncer à ses promesses. Il nous faut donc louer les jugements de Dieu même sous son fouet, si nous voulons jouir des récompenses qu’il promet.
4. C’est là ce que fait autre interlocuteur : « Sept fois le jour », dit-il, « je vous ai loué sur la justice de vos décrets[966] ». « Sept fois le jour », c’est-à-dire toujours. Ce nombre, en effet, désigne ordinairement une totalité ; c’est pourquoi, après les six jours de la création, Dieu donna le septième au repos[967] ; et la révolution de sept jours forme les temps et les siècles. Tel est encore le motif qui a fait dire : « Le juste tombera sept fois en un jour, et se relèvera » ; c’est-à-dire, le juste ne périt point, quelles que soient ses humiliations, pourvu qu’il ne pèche point, autrement il ne serait plus juste. Alors cette expression : il tombe sept fois, désigne ici toutes les tribulations qui affligent le juste, et comme dans toutes ces tribulations il trouve un accroissement de justice. Il est dit : Il se relèvera. Les paroles suivantes nous indiquent suffisamment le sens de celles-ci ; on lit en effet : « Quant aux impies, le mal les affaiblira[968] ». Dès lors, pour le juste, tomber et se relever signifie n’être point affaibli par le malheur. C’est donc avec raison que l’Église a loué Dieu sept fois le jour sur les jugements de sa justice, puisqu’au temps où Dieu commença le jugement par sa propre maison[969], loin d’être affaiblie par les persécutions, elle fut glorifiée par les couronnes des martyrs.
5. « Paix abondante à ceux qui aiment votre loi ; pour eux elle n’est point un scandale[970] ». Est-ce la loi qui n’est point scandale à ceux qui aiment la loi, ou pour ceux qui aiment cette loi n’y a-t-il scandale d’aucune part ? Ces deux sens conviennent à ces paroles. Aimer en effet la loi de Dieu, c’est respecter dans cette loi ce que l’on ne comprend point, et si le juste y trouve un sens qui lui paraît absurde, il croit plutôt que son intelligence est en défaut, et qu’il y a là un grand mystère qui lui échappé. La loi de Dieu n’est donc point un scandale pour lui. Mais pour ne trouver absolument aucun sujet de scandale, qu’il ne jette point les yeux sur les hommes, quelque sainte que soit leur profession, de peur qu’en voyant tomber ceux dont il appréciait la vertu, il ne périsse lui-même par le scandale ; mais qu’il aime la loi de Dieu, et il aura une paix profonde sans aucun scandale, car il peut l’aimer en toute sûreté, puisqu’elle ne connaît point le péché, quelque pécheurs que soient ceux qui l’ont embrassée.
6. « J’attendais votre salut, ô mon Dieu, et j’ai aimé vos préceptes[971] ». De quoi eût servi aux justes de l’ancienne loi d’aimer les préceptes du Seigneur, si le Christ, qui est le soleil de Dieu, ne les eût délivrés, lui dont l’Esprit leur donnait de pouvoir aimer la loi ? Si donc ils attendaient le salut de celui dont ils aimaient les préceptes, combien plus était nécessaire Jésus, c’est-à-dire le salut de Dieu, pour sauver ceux qui n’aimaient point ses préceptes ? On peut, en effet, voir dans cette parole prophétique les saints d’aujourd’hui, depuis que l’Évangile est prêché ; car ceux qui aiment les commandements attendent le Christ, afin qu’à l’apparition du Christ, qui est notre vie, nous aussi nous apparaissions aussi dans la gloire[972].
7. « Mon âme », dit-il, « a gardé vos témoignages, je les ai aimés souverainement[973] » ; ou comme on lit en certains exemplaires « elle les a aimés », c’est-à-dire « mon âme » les a aimés ; c’est garder les témoignages de Dieu que ne point y renoncer. Tel est le devoir des martyrs, puisque martyres et témoignages sont identiques. Mais comme il ne sert de rien d’endurer les flammes pour les témoignages de Dieu, si l’on n’a point la charité[974], le Prophète ajoute : « Je les ai aimés souverainement ». Auparavant il avait dit : « J’ai aimé vos commandements » ; puis, au verset suivant : « J’ai gardé et aimé vos commandements » ; puis ensuite, ce sont les témoignages et les préceptes qu’il a gardés. Voici le texte : « J’ai gardé vos préceptes et vos témoignages[975] ». Celui qui les aime les garde pleinement et avec joie. Mais il arrive souvent qu’en gardant les préceptes de Dieu, nous avons pour ennemis ceux qui ne veulent point qu’on les garde ; c’est alors qu’il faut les garder avec plus de courage, de peur que la persécution ne fasse apostasier.
8. Après avoir proclamé ce qu’il a fait, le Prophète l’attribue à Dieu qui lui en a donné la force, et s’écrie : « Toutes mes voies, ô mon Dieu, sont en votre présence ». Ce qui m’a fait garder vos préceptes et votre témoignage, c’est que toutes mes voies sont en votre présence. Comme si le Prophète disait à Dieu : « Si vous aviez détourné de moi votre face, j’eusse été troublé, et je n’aurais gardé ni vos témoignages ni vos préceptes. Si donc je les ai gardés, c’est que toutes mes voies sont en votre présence ». Il veut nous faire comprendre que Dieu regarde ses voies d’un œil propice et secourable ; tel est le sens de cette prière : Ne détournez point de moi votre face[976]. Car si la face du Seigneur est sur tous ceux qui font le mal, c’est afin de perdre leur mémoire[977]. Ce n’est point en ce sens que notre interlocuteur dit que Dieu regarde ses voies, mais dans le sens qu’il a dit que Dieu connaît la voie des justes[978], et que le Seigneur dit à Moïse : « Je te connais entre tous les autres[979] ». S’il ne trouvait, dans cette croyance, que le Seigneur a les yeux sur ses voies, il ne dirait point qu’il a gardé les préceptes et les témoignages du Seigneur, parce que toutes ses voies sont en présence de Dieu. Il comprend cette parole : « Servez le Seigneur dans la crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement ; embrassez la discipline, de peur que la colère du Seigneur ne vous fasse dévier de la voie des justes[980] ». Mais cette voie ne serait point celle de la justice, si elle n’était en présence du Seigneur. Telle est la crainte que veut nous inculquer saint Paul, quand il dit : « Opérez votre salut avec crainte et avec tremblement » ; et pour nous donner raison de cette recommandation, « c’est Dieu », nous dit-il, « qui opère en nous le vouloir et le faire selon sa volonté[981] ». Ainsi les voies des justes sont sous le regard du Seigneur, afin qu’il redresse leurs pas, et c’est de ces voies qu’il est dit dans les Proverbes : « Ce sont les voies de droite que connaît le Seigneur, mais les voies perverses sont à gauche[982] » ; afin de nous faire comprendre que le Seigneur ne connaît point ces dernières, puisqu’il dira aux méchants : « Je ne vous connais point[983] ». Or, afin de nous montrer combien il est avantageux que Dieu connaisse les voies droites, ou les voies des justes, le Prophète ajoute : « C’est lui qui doit redresser vos pas, et conduire vos voies en paix[984] ». C’est pourquoi le même Prophète ajoute encore : « J’ai gardé vos préceptes et vos témoignages ». Et comme si nous lui demandions comment il l’a pu : « C’est », répond-il, « parce que toutes mes voies sont en votre présence, ô mon Dieu ».
TRENTE-DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME 118
modifierLA FORCE DANS L’ÉGLISE.
modifierElle convient à l’Église cette prière qui demande le salut, qui a pour objet de connaître les ordonnances, puis de les publier, au milieu des contradictions. Afin de ne rien craindre, l’interlocuteur s’attache aux préceptes de Dieu qui veut bien arracher son âme dans la personne des martyrs, vivifier l’Église par cette mort. Il est lui-même la brebis égarée que cherche le bon pasteur.
1. Écoutons maintenant la voix de la prière, car nous connaissons celui qui prie, et nous devons nous reconnaître parmi ses membres, si nous ne sommes point réprouvés. « Que ma prière s’approche de vous, ô mon Dieu[985] ». C’est-à-dire, qu’elle s’approche de vous, cette prière que je fais en votre présence. Car le Seigneur est proche de ceux qui ont le cœur contrit[986]. « Donnez-moi l’intelligence selon « votre parole u : il demande à Dieu l’effet de sa promesse. Car il dit, selon votre parole, comme il dirait, selon votre promesse. Or, c’est là ce que le Seigneur a promis en disant : « Je vous donnerai l’intelligence[987] ».
2. « Que ma prière s’élève en votre présence, ô mon Dieu, délivrez-moi selon votre parole ». Il reprend en quelque sorte sa prière. Car il avait dit d’abord : « Que ma prière s’approche de vous, ô mon Dieu » supplication semblable à celle-ci : « Que ma prière, Seigneur, s’élève en votre présence[988] » ; et cette autre partie du verset supérieur : « Donnez-moi l’intelligence », revient à celle-ci : « Délivrez-moi selon votre parole ». Recevoir en effet l’intelligence, c’est être délivré, pour celui à qui son ignorance est un piège.
3. « Mes lèvres », dit-il, « publieront vos louanges, quand vous m’aurez enseigné vos ordonnances[989] ». Nous savons comment le Seigneur instruit ceux qui écoutent ses leçons. Quiconque, en effet, a ouï le Père et a appris, vient à celui qui justifie l’impie[990] ; afin de garder les ordonnances du Seigneur, non seulement par la mémoire, mais aussi par la pratique. C’est ainsi que tout homme qui se glorifie, ne se glorifie point en lui-même, mais dans le Seigneur[991], et chante une hymne à sa louange.
4. Mais dès qu’il est instruit, et qu’il en a béni Dieu, il veut à son tour enseigner, « Ma langue », dit-il, « publiera vos paroles, parce que vos préceptes sont la justice[992] ». Dire qu’il publiera ces paroles, c’est se faire ministre de la parole de Dieu. Bien que le Seigneur, en effet, nous instruise intérieurement, la foi vient cependant de ce que l’on entend, et comment pourrait-on entendre parler, si quelqu’un ne prêche[993] ? Quoique Dieu seul donne l’accroissement[994], il ne faut point négliger de planter et d’arroser.
5. Le Prophète sait bien, et quelles persécutions et quelles contradictions s’élèveront contre lui quand il prêchera la parole de Dieu ; aussi a-t-il ajouté : « Que votre main s’étende pour me sauver ; car j’ai choisi vos commandements pour mon partage[995] ». Afin, dit-il, de ne rien craindre, et d’avoir vos paroles, non seulement dans le cœur, mais aussi sur les lèvres : « J’ai choisi vos préceptes », et l’amour a étouffé la crainte. Que votre main dès lors s’étende sur moi, et me sauve des mains étrangères. Or, Dieu a sauvé les martyrs en arrachant leur âme à la mort ; car sauver seulement le corps de l’homme, est un salut futile[996]. Cette parole : « Que votre main se fasse », pourrait encore s’entendre du Christ qui est la main de Dieu, selon cette parole d’Isaïe : « Et à qui le bras de Dieu a-t-il été révélé[997] ? » Le Fils unique de Dieu n’a pas été fait, puisque tout a été fait par lui[998] ; mais il a été fait de la race de David[999], afin d’être Jésus, ou Sauveur, lui qui était déjà créateur. Mais comme cette expression : « Que votre main se fasse », ou « la main du Seigneur se fit », se lit souvent dans l’Écriture, je ne sais pas si l’on pourrait dans tous ces endroits lui assigner le sens dont nous parlons. Assurément, quand nous entendons ce qui suit : « J’ai désiré, Seigneur, votre salut[1000] », en dépit de tous nos ennemis nous devons l’entendre du Christ qui est le salut de Dieu. C’est lui que les anciens appelaient de leurs soupirs, ils le proclamaient sincèrement ; c’est après lui que soupirait l’Église, quand il devait sortir du sein de sa mère ; c’est lui encore qu’elle appelle de la droite de son Père. À cette pensée le Prophète ajoute : « Et votre loi a fait mes délices ». Car la loi rend témoignage au Christ.
6. Mais devant cette foi, qui nous fait croire de cœur pour la justice, et confesser de bouche pour être sauvés[1001], que les nations frémissent, que les peuples forment de vains projets, que l’on tue le corps pendant qu’il vous prêche ; du moins, « l’âme vivra, et vous louera, et vos jugements seront mon soutien ». Ces jugements en effet devaient commencer par la maison du Seigneur[1002], le temps en était venu. Mais, dit le Prophète, ils seront mon appui. Et quel aveugle pourrait ne point voir combien le sang de l’Église a aidé l’Église ? Quelle riche moisson une telle semence a fait germer dans toute la terre ?
7. Enfin l’interlocuteur se découvre, et nous montre celui qui parle dans tout le psaume. « J’ai erré », dit-il, « comme une brebis perdue ; cherchez votre serviteur, parce que je n’ai point oublié vos préceptes[1003] ». Dans certains exemplaires, on trouve, non pas cherchez, mais vivifiez : ces deux expressions, en grec, ne diffèrent que d’une syllabe, Zeson et Zeteson; aussi trouve-t-on des différences dans les manuscrits grecs eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, cherchons cette brebis égarée, qu’on donne la vie à cette brebis perdue ; c’est pour la chercher[1004] que le bon pasteur abandonne les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes, et se fait déchirer par les épines des Juifs. Mais on la cherche encore ; oui, qu’on la cherche toujours, et après l’avoir trouvée en partie, qu’on la recherche encore[1005]. Elle semble trouvée quand le Prophète nous dit : « Je n’ai point oublié vos préceptes » ; mais ceux qui ont choisi comme leur partage les préceptes du Seigneur, qui les aiment, qui les méditent, ceux-là cherchent toujours cette brebis, et la trouvent dans toutes les contrées de la terre, par la vertu du sang que son pasteur a versé pour son salut.
8. Ce long psaume, je l’ai parcouru, expliqué autant que je l’ai pu, autant que Dieu m’en a fait la grâce. D’autres plus habiles et plus intelligents ont fait mieux, à coup sûr, ou feront mieux ; mais pour cela, je n’ai point dû me dispenser de l’entreprendre, surtout devant les sollicitations de mes frères, à qui je suis comptable de ce ministère. Je n’ai rien dit de l’alphabet hébreu, qui partage tout le psaume en sections de huit versets pour chacune des lettres ; et il n’y a là rien d’étonnant : c’est que cette manière de procéder ne m’a rien suggéré, et ce psaume n’est pas le seul dans ce genre de composition. Disons seulement à ceux qui ne trouvent point ces caractères dans les versions grecques et latines, parce qu’on ne les y a point conservés, que dans l’hébreu, chacun des huit versets commence par la lettre qu’ils ont en tête, comme nous l’assurent ceux qui connaissent l’hébreu, Cela s’est fait ici bien plus exactement, que nos auteurs, soit latins soit puniques, ne l’ont fait dans les psaumes appelés abécédaires, Car ils ne commencent point par la même lettre, tous les versets d’une même strophe, mais seulement les premiers versets.
=FIN DU TOME NEUVIÈME.=
QUATRIÈME SÉRIE
modifierDISCOURS SUR LE PSAUME 119
modifierLES ASCENSIONS DU CHRÉTIEN.
modifierVoici un cantique des degrés, et les degrés servent à s’élever et à descendre. On s’élève de cette vie, on s’élève par le cœur, et on s’élève à la félicité incomparable. Cette vallée est le symbole des humiliations, et de cette vallée nous devons nous élever jusqu’au Christ ou jusqu’au Verbe de Dieu qui est la montagne. Lui-même s’est abaissé afin de nous aider à monter, et l’on ne monte qu’à la condition de passer par la vallée des larmes ; les deux disciples ne pourront s’asseoir à la droite et à la gauche du Sauveur, qu’en buvant au calice de ses humiliations. Sur l’échelle de Jacob, les uns s’élèvent et figurent ceux qui avancent dans la piété, les autres descendent, et figurent ceux qui demeurent en arrière. Néanmoins le Christ, sans tomber comme Adam, est descendu afin de se mettre à notre portée, comme Paul s’abaisse pour nous parler du Christ, comme Isaïe descend de la sagesse à la crainte il s’est fait chair, a été crucifié, afin que nous puissions le voir. Ainsi donc, dans l’Église ceux qui sont avancés dans les choses spirituelles, descendent afin d’aider à monter ceux qui étaient faibles ; et ceux-là montent, qui font des progrès en sainteté.
Mais quiconque veut s’élever a pour antagonistes les méchants qui le dissuadent, en lui persuadant que la vie chrétienne est impossible. Or, le Prophète a crié vers Dieu, qui l’a placé sur les degrés afin qu’il pût s’élever ; qui lui a donné la flèche ou la parole du prédicateur, et le charbon brûlant ou l’exemple de ces hommes, jadis morts pour le bien, et qui ont aujourd’hui l’ardeur du feu, et embrasent tout ce qui est contraire au bien. Repousser les langues trompeuses, c’est donc le premier degré. Mais ici-bas nous avons l’exemple des méchants, le bon grain est mélangé avec la paille. Le bon grain figure les saints qui sont dans l’Église, et l’Église de la terre soupire après la Jérusalem du ciel. Les deux fils d’Abraham Ismaël et Isaac, ou l’alliance terrestre et l’alliance spirituelle, subsistent maintenant encore. Les uns veulent s’élever, les autres les abaissent. Un jour le van passera dans l’aire. Mais en attendant, paix avec les hérétiques, ou avec les ennemis de la paix.
1. Le psaume que nous venons d’entendre chanter et auquel nous avons répondu, est court, mais très utile. Il vous en coûtera peu de l’écouter, et la peine de le pratiquer vous sera payée avec usure. Comme l’indique son titre, c’est un cantique des degrés, en grec anabatmon. Des degrés s’élèvent ou descendent, mais des degrés, dans le langage des psaumes, désignent une ascension. Comprenons-les afin de monter, et ne nous effrayons pas de monter avec nos pieds et d’une manière charnelle, mais comme il est dit dans un autre psaume : « Il a préparé des ascensions dans son cœur, dans cette vallée des larmes, dans le lieu qu’il a marqué[1006] ». Où sont donc ces ascensions ? dans le cœur. D’où faut-il nous élever ? de la vallée des pleurs. Mais, pour désigner l’endroit où il faudra monter, la parole humaine fait défaut en quelque sorte ; on ne saurait le dire, ni peut-être le penser. Vous avez entendu tout à l’heure ce passage de saint Paul, que « l’œil n’a point vu, que l’oreille n’a pas entendu, et qu’il n’est pas monté au cœur de l’homme[1007] ». Si cela n’est point monté au cœur de l’homme, que le cœur de l’homme s’élève jusque-là. Donc, si « l’œil n’a point vu, si l’oreille n’a point entendu, si cela n’est pas monté jusqu’au cœur de l’homme », comment dire où nous devons monter ? Aussi, dans son impuissance, le Prophète nous dit-il : « Dans le lieu marqué ». Que pourrais-je vous dire de plus, nous dit cet homme en qui parlait le Saint-Esprit ? Est-ce en tel lieu, ou en tel autre ? Quelles que soient mes expressions, vos pensées sont terrestres, se traînent sur la terre, la chair nous pèse, car le corps corruptible appesantit l’âme, et cette habitation terrestre abat l’esprit capable des plus hautes pensées[1008]. À qui le dirai-je ? Qui voudra l’entendre ? Qui comprendra le lieu Où nous serons après cette vie, si l’on y monte par le cœur ? Puisque nul ne le saurait coin prendre, espère quelque chose d’ineffable, une incomparable félicité que nous a préparée Celui qui a disposé dans ton cœur de saintes ascensions. Mais où les a-t-il disposées ? Dans la vallée des larmes. Une vallée est le symbole de l’humilité, comme la montagne est le symbole de l’élévation ; or, la montagne qu’il nous faut gravir est une élévation spirituelle. Mais quelle est cette montagne qu’il nous faut gravir, sinon Jésus-Christ Notre-Seigneur ? C’est lui qui, par ses souffrances, nous a tait une vallée des larmes, comme il nous a fait par son séjour une montagne que nous devons gravir. Qu’est-ce que cette vallée des larmes ? « Le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous[1009] ». Qu’est-ce que cette vallée des pleurs ? Il a présenté sa joue à ceux qui le frappaient, et a été rassasié d’opprobres[1010]. Qu’est-ce encore que cette vallée des pleurs ? Il a été souffleté, couvert de crachats, couronné d’épines, cloué à la croix. C’est de cette vallée des pleurs qu’il nous faut monter plus haut. Mais monter où ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[1011] ». « C’est ce Verbe qui s’est fait chair et qui a demeuré parmi nous ». Il est descendu vers Toi, de manière cependant à demeurer en lui-même : il est descendu vers toi, afin de devenir pour toi la vallée des pleurs ; il est demeuré en lui-même, afin d’être pour toi une montagne à gravir. « Et voilà », dit Isaïe « que dans les derniers jours se manifestera la montagne du Seigneur, dominant le sommet des montagnes[1012] ». C’est là qu’il faut nous élever. Mais parce que l’on parle des montagnes, loin de toi toute pensée terrestre, toute hauteur visible : et quand il est question de pierre ou de rocher, ne te figure point quelque corps dur, non plus que la férocité quand on parle de lion, ni l’animal de l’étable quand il est question d’agneau. Le Christ en lui-même n’est rien de tout cela, et il s’est fait tout cela pour toi, C’est d’ici-bas qu’il faut s’élever, c’est jusque-là qu’il faut monter ; de son exemple à sa divinité. Il est devenu ton modèle dans ses abaissements ; et ceux qui n’ont point voulu s’élever de cette vallée des pleurs, ont senti le poids de son bras. Ils voulaient s’élever à contre-temps, ils rêvaient de grands honneurs, sans penser à la voie de l’humilité. Que votre charité comprenne ceci, mes frères. Deux disciples du Sauveur demandaient à s’asseoir aux côtés de Jésus, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche[1013]. Jésus vit qu’ils renversaient l’ordre, qu’ils étaient prématurément ambitieux des honneurs, tandis qu’il leur fallait d’abord apprendre à s’humilier avant d’être élevés, et il leur dit « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même[1014] ? » Car dans cette vallée des larmes il devait boire le calice de sa passion ; mais eux, sans faire attention à l’humilité du Christ, ne voulaient comprendre que sa grandeur. Il les rappelle dans la voie comme des hommes qui s’égarent, non pour leur refuser ce qu’ils désiraient, mais pour leur montrer par où ils doivent y arriver.
2. Chantons donc, mes frères, ce cantique des degrés, mais chantons-le en nous élevant par le cœur, car c’est pour nous élever que le Christ est descendu jusqu’à nous. Jacob vit une échelle, et sur cette échelle il vit les uns monter, les autres descendre[1015] : voilà ce qu’il vit. Dans ceux qui montaient nous pouvons voir à notre tour ceux qui s’avancent dans la piété ; et dans ceux qui descendaient ceux qui demeurent en arrière. C’est en effet ce que nous retrouvons dans le peuple de Dieu ; les uns s’avancent, les autres demeurent en arrière. Tel est peut-être le sens des échelles, et pourtant on pourrait ne voir que des bons sur ces échelles, et ceux qui montent, et ceux qui descendent. Car ce n’est pas sans raison qu’on ne dit point qu’ils tombaient, mais qu’ils descendaient. Tomber et descendre sont bien différents. Adam tomba[1016], et c’est pourquoi le Christ descendit. Le premier donc est tombé, mais le second est descendu ; l’un tomba par orgueil, l’autre descendit par miséricorde. Mais ce n’est point Jésus-Christ seul qui est descendu du ciel ; beaucoup d’autres saints descendent vers nous sur ses traces, et sont descendus vers nous. L’Apôtre était dans une habituelle exaltation du cœur, lui qui disait : « Soit que nous ayons des ravissements, c’est pour Dieu[1017] ». Ainsi ses ravissements d’esprit étaient des ravissements en Dieu. S’élevant en effet au-dessus de toute fragilité humaine, de tous les siècles qui finissent, de tout ce qui ne vient au monde que pour s’évanouir par la mort, de tout ce qui passe, son cœur fixé en Dieu habitait autant qu’il lui était possible dans une indicible contemplation, dans laquelle « il ouït », dit-il, « des paroles ineffables, que l’homme ne saurait répéter[1018] ». Mais, nonobstant l’impuissance de ses paroles, il n’en voyait pas moins en quelque manière ce qu’il ne pouvait nous redire. Toutefois, s’il eût voulu demeurer dans ce qu’il voyait sans pouvoir le redire, il n’aurait pu s’élever à cette hauteur et te faire voir ce qu’il voyait lui-même. Qu’a-t-il donc fait ? Il est descendu. Car il a dit au même endroit « Soit que nous ayons des extases, c’est pour Dieu ; soit que nous soyons plus calmes, c’est pour vous ». Or, qu’est-ce à dire que nous soyons plus calmes ? que nous parlions de manière à être compris par vous, Car le Christ en sa naissance et en sa passion s’est fait tel que les hommes pussent parler de lui, puisqu’un homme parle facilement d’un autre homme. Mais parler de Dieu dans son essence divine, comment un homme le pourrait-il ? Un homme parle donc facilement d’un homme, et dès lors, afin que ceux qui sont élevés en grandeur pussent descendre vers les petits, sans toutefois leur rien dire que de grand, celui qui est grand par excellence s’est fait petit, afin que les grands parlassent de lui aux petits. Vous venez d’entendre dans la lecture de saint Paul la vérité de cette parole ; car ainsi s’exprimait l’Apôtre, si vous y avez pris garde : « Je n’ai pu vous parler comme à des e hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels[1019] ». C’est donc dans les hauteurs qu’il parle aux hommes spirituels, et il s’abaisse pour parler aux hommes. Et pour vous montrer que quand il s’abaisse, il parle de celui qui s’est abaissé, voici commue saint Jean parle du Christ demeurant en lui-même « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu, au commencement. Toutes choses ont été faites par lui, et rien n’a été fait sans lui[1020] ». Saisis, si tu le peux ; prends, c’est là ton pain. Mais, diras-tu, c’est là un pain, je l’avoue, et cependant je ne suis qu’un enfant qui ai besoin de lait pour devenir capable de prendre une plus solide nourriture. Donc, parce qu’il te faut du lait, et que le Verbe est une nourriture solide, voilà qu’au moyen de la chair cette nourriture passe par ta bouche. De même qu’au moyen de la chair, la nourriture d’une mère devient un lait qu’elle transmet à son enfant ; de même le Seigneur, qui est la nourriture des anges, le Verbe s’est fait chair[1021] pour devenir un lait. Et l’Apôtre a dit : « Je vous ai nourris de lait, et non de viandes solides, que vous n’eussiez pu supporter ; à présent même, vous ne le pouvez encore[1022] ». Mais pour donner ce lait à des enfants, l’Apôtre est descendu à leur niveau, et, en s’abaissant ainsi, il leur a donné celui qui s’est abaissé. Car il s’écrie : « Me suis-je vanté au milieu de vous de savoir autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié[1023] ? » S’il eût dit simplement Jésus-Christ, ce Jésus-Christ est aussi dans sa divinité le Verbe qui était en Dieu, Jésus-Christ est le Fils de Dieu ; mais à ce point de vue les enfants ne sauraient l’atteindre. Comment donc pourront l’atteindre ceux qui ne sont capables que de lait ? Jésus-Christ, dit l’Apôtre, et Jésus-Christ crucifié. Sucez ce qu’il a daigné se faire pour vous, et vous croîtrez en ce qu’il est lui-même. Dans l’Église donc, les uns montent, les autres descendent ; et c’est par ces échelles qu’ils montent, par elles qu’ils descendent. Qui sontils, ceux qui montent ? Ceux qui font des progrès dans l’intelligence des choses spirituelles. Et ceux qui descendent, qui sont-ils ? Ceux qui ont le goût et l’intelligence des choses spirituelles, autant que le peuvent des hommes, et qui néanmoins s’abaissent au niveau des petits, afin de leur tenir un langage proportionné à leur faiblesse, de les nourrir de lait, jusqu’à ce qu’ils deviennent assez forts pour prendre une nourriture spirituelle. Isaïe, mes frères, fut lui-même un de ceux qui s’abaissèrent à notre niveau : on voit facilement par quels degrés il est descendu. En parlant de l’Esprit-Saint : « Sur lui », dit-il, « reposera l’Esprit de sagesse et d’intelligence, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de science et de piété, l’Esprit de crainte du Seigneur[1024] » ; il commence par la sagesse, et descend jusqu’à la crainte. De même que celui qui enseigne descend de la sagesse à la crainte, toi qu’il enseigne, élève-toi de la crainte à la sagesse. Car il est écrit que le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur. Écoutez maintenant le psaume : représentons-nous un homme qui va monter[1025]. Où seront ses degrés ? Dans son cœur. D’où s’élèvera-t-il ? De l’humilité ou de la vallée des pleurs. Où va-t-il s’élever ? À ce je ne sais quoi d’ineffable, que dans son impuissance le Prophète appelle « le lieu qu’il a disposé[1026] ».
3. Dès lors que l’homme a ainsi disposé son ascension, ou, plus clairement, dès lors qu’un chrétien songe sérieusement à s’avancer dans la vertu, il est en butte aux langues de ses adversaires. Quiconque n’a point encore essuyé ces attaques, n’a fait encore aucun progrès, et quiconque n’en souffre point, n’essaie point de s’avancer. Veut-il comprendre ce que nous disons ? qu’il fasse l’expérience de ce que nous allons entendre. Qu’il commence à marcher, qu’il conçoive le désir de s’élever, le désir de mépriser tout ce qui est terrestre, fragile, temporel, de regarder comme rien une félicité passagère, de ne penser qu’à Dieu seul, de n’être sensible à aucun avantage, abattu par aucun revers, le désir de tout vendre pour le donner aux pauvres et suivre Jésus-Christ : voyons commuent s’élèveront contre lui les langues des méchants, quelles contradictions il va souffrir, et ce qui est plus grave, en le détournant du salut, sous prétexte de lui donner des conseils. Qu’un homme donne des conseils, il le fait pour le bien, il le fait pour le salut, mais ceux-ci détournent du salut. Comme donc, sous le manteau de la bienveillance, ils cachent un venin mortel, ils sont appelés dans l’Écriture des langues trompeuses. Donc, avant de s’élever, le Prophète implore le secours de Dieu contre ces langues perfides, et s’écrie : « Seigneur, dans mes tribulations j’ai crié vers vous, et vous m’avez exaucé[1027] ». Comment Dieu l’a-t-il exaucé ? En le plaçant sur les degrés pour s’élever.
4. Et comme il va monter parce qu’il est exaucé, que va-t-il demander ? « Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et des langues trompeuses[1028] ». Qu’est-ce qu’une langue trompeuse ? Une langue fourbe, qui a l’apparence de nous conseiller, et la perfidie de nous nuire. Tels sont les hommes qui nous disent : Et toi aussi, tu feras ce que nul ne saurait faire ; seul, tu seras chrétien. Que si nous leur prouvons que beaucoup d’autres avant nous ont agi de la sorte ; si nous leur lisons dans l’Évangile le Précepte que nous en fait le Seigneur, ou les Actes des Apôtres, que nous répondent leurs langues fourbes, leurs lèvres trompeuses ? L’entreprise est bien difficile, et tu n’en viendras pas à bout. Les uns nous détournent par leurs défenses, les autres font de leurs louanges une persécution plus violente encore. Comme cette vie chrétienne s’est répandue dans le monde entier, l’autorité du Christ y est si grande que les païens n’osent plus élever la voix contre lui. On lit cette parole de celui qu’on ne saurait contredire : « Allez, vendez tout ce que vous avez, distribuez-le aux pauvres, et suivez-moi »[1029]. On ne saurait contredire le Christ, ni contredire l’Évangile, ni blâmer ses paroles ; alors la langue trompeuse élève un obstacle par ses louanges. O langue, si tu as des louanges, exhorte, du moins ; pourquoi détourner par des flatteries perfides ? Le blâme serait préférable à de fausses louanges. Que pourrais-tu dire dans tes invectives ? Loin de nous une telle vie, elle est honteuse, elle est criminelle. Mais, comme tu sais qu’en parlant de la sorte l’autorité de l’Évangile t’imposerait silence, tu prends d’autres détours, afin d’éloigner les hommes de la vie chrétienne, et par une fausse louange tu me ravis la véritable gloire ; et en louant Jésus-Christ, c’est de Jésus-Christ que tu m’éloignes. Qu’est-ce que cette vie, me dis-tu ? Tel en est venu à bout, mais toi, tu ne le pourras pas. Tout en essayant de monter tu tomberas. Il semble t’avertir, et c’est un serpent, une langue trompeuse, pleine de venin. Défends-toi d’elle par des supplications, et dis au Seigneur : « Délivrez mon âme, ô mon Dieu, des lèvres injustes et des langues trompeuses ».
5. Et le Seigneur te répond : « Que te donnerai-je, que mettrai-je devant toi contre la langue trompeuse » ; c’est-à-dire, quelles sont tes armes contre la langue trompeuse, que peux-tu lui opposer, comment t’en défendre ? « Que te donnerai-je, que mettrai-je devant toi ? » Il nous interroge pour appeler notre attention, car c’est lui qui va répondre à sa question ; et il le fait aussitôt, quand il ajoute : « Les flèches du puissant sont aiguës, comme des charbons dévastateurs[1030] », ou « désolateurs » ; mais « dévastateurs » ou « désolateurs », car on trouve l’une et l’autre expression dans les différents exemplaires ; elles ont le même sens. Voyez : on les appelle des charbons dévastateurs, parce qu’ils nous conduisent facilement à la désolation, en nous ravageant et en nous dévastant. Quels sont ces charbons ? Que votre charité veuille comprendre d’abord quelles sont les flèches. « Ces flèches aiguës du puissant » sont les paroles de Dieu. Qu’on les lance, elles pénètrent les cœurs. Mais ces flèches, en traversant les cœurs, y allument un vif amour au lieu d’y apporter la mort. Le Seigneur sait attiser l’amour avec ces flèches et nul ne lance une flèche d’amour mieux que celui qui lance la flèche de la parole ; il perce le cœur de l’amant, afin de l’aider à aimer davantage ; il le perce, afin de l’embraser d’amour. Or, ces flèches sont les paroles saintes. Mais quels sont ces charbons désolateurs ? C’est peu que la parole pour agir contre les langues trompeuses, les lèvres de l’iniquité, c’est peu que la parole, il faut l’exemple. L’exemple est donc le charbon qui désole. Que votre charité veuille bien écouter pourquoi il est appelé désolateur. Voyez d’abord comment on agit par l’exemple. Leur langue trompeuse ne sait que dire, et dès lors elle en est plus trompeuse encore ; prends garde qu’une telle vie ne soif supérieure à tes forces, n’est-ce point trop entreprendre ? Mais tu connais le précepte de l’Évangile ; c’est là ta flèche, et toutefois tu n’as pas les charbons. Il est à craindre que la flèche seule ne soit trop faible contre la langue trompeuse, prends aussi les charbons. Voilà que le Seigneur te vient dire : Tu ne saurais faire cela ? Pourquoi donc celui-ci l’a-t-il pu ? celui-là encore ? Seras-tu plus mou que ce sénateur ? plus faible de santé que cet homme, ou que cet autre ? Serais-tu plus débile qu’une femme ? Des femmes l’ont pu, des hommes ne le pourront ? Des pauvres ne pourraient ce qu’ont pu des riches efféminés ? C’est vrai, diras-tu, mais, pour moi, je suis un grand coupable, j’ai beaucoup péché. On vous montre de grands pécheurs, qui ont d’autant plus aimé qu’on leur a plus pardonné ; c’est le mot de l’Évangile : « Celui à qui on pardonne peu, aime peu »[1031]. Après cette énumération, et quand le Seigneur a désigné par leur nom ceux qui ont triomphé, l’homme, percé au cœur par une flèche, brûlé par ces charbons qui désolent, sent la ruine dans ses terrestres pensées. Qu’est-ce à dire la ruine ? Qu’elles sont dévastées chez lui. Une funeste végétation s’était faite en son âme, végétation de pensées terrestres, d’affections mondaines ; voilà ce que brûlent ces charbons dévastateurs, afin que ce champ se déblaie et se purifie, et que Dieu puisse y construire son édifice. Où le diable n’avait fait qu’une ruine, le Christ y bâtira une demeure solide ; tant que (hure, en effet, le séjour du démon, le Christ ne saurait être édifié. Ces charbons désolants viennent donc détruire ce qui avait été si malencontreusement édifié, et quand ce lieu est déblayé, s’élève alors l’édifice de l’éternelle félicité. Voyez : pourquoi ce nom de charbons ? C’est parce que, revenir au Seigneur, c’est passer de la mort à la vie. Vous allumez ces charbons ; mais, avant qu’ils fussent allumés, ils étaient éteints. Mais un charbon éteint s’appelle un charbon mort ; il est vif, au contraire, quand il est allumé. L’exemple de ces pécheurs nombreux, qui sont revenus au Seigneur, est appelé un charbon. Tu entends parfois des hommes dire avec surprise : J’ai connu un tel, quel ivrogne, quel scélérat ! Quel homme passionné pour le cirque et l’amphithéâtre ! Quel fripon ! Aujourd’hui quelle ferveur dans le service de Dieu, quelle innocence dans sa vie ! Qu’y a-t-il d’étonnant c’est un charbon. Tu le pleurais éteint, et tu le vois rallumé avec plaisir. Mais en louant ce charbon vif, si tu peux le faire sagement, mets-le près d’un charbon éteint ; c’est-à-dire, voilà un homme lent à suivre Dieu approche de lui un charbon autrefois éteint, prends la flèche de la parole de Dieu et ni charbon désolant pour t’opposer aux lèvres injustes et à la langue trompeuse.
6. Qu’arrive-t-il, ensuite ? Cet homme reçu les flèches ardentes, qu’il reçoive encore les charbons dévastateurs. Il a repoussé la langue trompeuse, les lèvres iniques ; il a fait un pas, il commence à marcher, mais il est encore au milieu des méchants, des hommes d’iniquité ; le van n’a point encore passé dans l’aire : le froment est formé sans douter mais est-il dans les greniers ? Il faut qu’il soit renfermé sous des monceaux de paille, et plus il avance, plus il voit de scandales dans le peuple de Dieu. Car, à moins d’avancer, il ne voit point les iniquités ; à moins d’être un véritable chrétien, il ne peut remarquer ceux qui n’en ont que l’apparence. Jésus-Christ, en effet, nous l’apprend par la parabole du bon grain et de l’ivraie : « Après que l’herbe u eut poussé et produit son fruit, on découvrit aussi l’ivraie[1032] » : c’est-à-dire, que nul homme ne découvre les méchants, si lui-même n’est devenu bon, puisque « l’ivraie ne parut que quand l’herbe eut poussé et produit son fruit ». Notre interlocuteur s’avance donc, il voit les méchants et bien des désordres qu’il ne découvrait point auparavant, et il s’écrie vers le Seigneur : « Malheur à moi ! car mon exil a été prolongé[1033] ». Je me suis beaucoup éloigné de vous, ô mon Dieu ; mon séjour ici-bas est bien prolongé ! Je ne suis point encore dans cette patrie où je ne verrai aucun méchant ; je ne suis point encore dans cette société des anges où je ne craindrai plus de scandales. Pourquoi n’y suis-je point encore ? C’est que u mon pèlerinage s’est prolongé ici-bas ». Mon séjour est un exil. Ou appelle exilé celui qui habite une terre autre que sa patrie. « Mon exil », dit le Prophète, « est devenu bien long ». Pourquoi si long ? Quelquefois, mes frères, un homme, qui se trouve en pays étranger, rencontre des hommes plus dévoués qu’il n’en trouvait dans sa patrie ; mais il n’en est pas ainsi quand nous sommes hors de cette Jérusalem du ciel. L’homme qui change de patrie se trouve quelquefois mieux dans l’éloignement ; il trouve au loin des amis dévoués qu’il n’aurait pu rencontrer chez lui, Des ennemis l’ont banni de sa patrie, et sur la terre étrangère il trouve ce qu’il n’avait point trouvé dans sa patrie. Il n’en est pas ainsi de notre patrie, qui est Jérusalem ; on n’y rencontre que des justes ; quiconque est en dehors est parmi les méchants, dont il ne peut se séparer, qu’en rentrant dans la société des anges, qu’en retournant au lieu qu’il avait quitté. C’est là que sont tous les justes et tous les saints qui jouissent de la parole de Dieu ; sans la lire au moyen de caractères, fis découvrent sur la face de Dieu ce que nous trouvons sur les pages de nos livres. Admirable patrie ! O grande patrie, combien il est malheureux d’en être éloigné !
7. Mais ce cri du Prophète : « Bien long est mon exil ici-bas », c’est surtout le cri de l’Église qui souffre sur cette terre ; c’est le cri de celle qui dans un autre psaume dit à Dieu : « Des confins de la terre j’ai crié vers vous[1034] ». Qui de nous pousse des cris des confins de la terre ? Ce n’est ni celui-ci, ni toi, ni moi mais c’est l’Église entière, c’est l’héritage entier du Christ qui crie vers Dieu des confins de la terre, car l’Église est l’héritage du Christ, et c’est de l’Église qu’il est dit : « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et les confins de la terre pour ton empire ». L’héritage du Christ embrasse les confins de la terre, et l’héritage du Christ embrasse tous les saints, et tous les saints ne forment qu’un seul homme en Jésus. Christ, puisque c’est dans Jésus-Christ que se trouve l’unité ; et cet homme unique s’écrie « Des confins de la terre j’ai crié vers vous, quand mon cœur était dans l’angoisse »[1035]. Cet homme donc trouve son exil bien long parmi les méchants. Et comme si on lui demandait : Chez quels hommes demeurez-vous, pour gémir de la sorte ? « Mon pèlerinage est bien long », répond-il. Mais, direz-vous, s’il est avec des bons ? S’il était avec les bons, il ne dirait point : Malheur à moi ! Ce mot « hélas », ou « malheur », désigne l’affliction, la misère ; et néanmoins il n’est point sans espérance dès lors qu’il a appris à gémir. Beaucoup sont malheureux, et sans gémir ils sont en exil refusant de retourner. Mais, dans son impatience de retourner, notre interlocuteur comprend le malheur de son exil ; et parce qu’il l’a senti, il revient ; il commence à monter, parce qu’il commence à chanter le cantique des degrés. Où donc gémit-il, au milieu de quoi demeure-t-il ? Il demeure dans les tentes de Cédar, Mais peut-être ne comprenez-vous point cette expression, qui vient de l’hébreu. Que signifie : « J’ai habité parmi les tentes de Cédar ? » Le mot Cédar, autant que je me souvienne des étymologies hébraïques, signifie « ténèbres ». On dit tenebrae, en traduisant Cédar en latin. Or, vous connaissez les deux fils d’Abraham, dont nous entretient saint Paul, en nous disant qu’ils sont la figure des deux Testaments : l’un était né de la servante, et l’autre de l’Épouse libre. De la servante était né Ismaël[1036], de Sara ou de la femme libre était né Isaac, conçu par la foi contre toute espérance. Tous deux étaient issus d’Abraham, sans être néanmoins héritiers tous deux. L’un est fils, mais non héritier d’Abraham ; l’autre fut héritier ; non seulement fils, mais héritier encore. En Ismaël sont tous ces hommes qui n’ont pour Dieu qu’un culte charnel, et ils appartiennent à l’Ancien Testament, d’après ce mot de saint Paul : « Vous qui voulez être « sous la loi, n’entendez-vous point la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils, l’un de l’esclave, et l’autre de la femme libre, c’est là une allégorie, car ce sont les deux alliances[1037] ». Quelles sont ces deux alliances ? L’ancienne et la nouvelle. L’ancienne alliance vient de Dieu, comme la nouvelle vient de Dieu, de même que d’Abraham étaient issus Ismaël et Isaac. Mais Ismaël appartenait au royaume terrestre, et Isaac au royaume céleste. De là vient que l’Ancien Testament a des promesses terrestres, une Jérusalem de la terre, une Palestine de la terre, un royaume de la terre, un salut de la terre, ou la victoire sur les ennemis, des familles nombreuses, des récoltes abondantes. Mais tout cela tient aux promesses terrestres, qui étaient néanmoins la figure des promesses spirituelles ; la Jérusalem de la terre figurait la Jérusalem du ciel, et le royaume terrestre figurait le royaume céleste. Ismaël était l’ombre, et Isaac la lumière. Mais si Ismaël était l’ombre, rien d’étonnant qu’il y eût là des ténèbres, puisque les ténèbres ne sont que l’ombre devenue plus épaisse. Ismaël était donc dans les ténèbres, et Isaac dans la lumière. Tous ceux qui, aujourd’hui dans l’Église, ne savent demander à Dieu qu’une félicité temporelle, appartiennent à Ismaël. Ce sont eux qui s’opposent par leurs contradictions aux hommes spirituels qui s’avancent dans la vertu, qui en médisent, qui ont des lèvres iniques, des langues menteuses. C’est à l’encontre de tous ces contradicteurs que celui qui s’avance implore le secours de Dieu, et on lui a donné des charbons désolants, et les flèches perçantes du fort. Il vit au milieu d’eux jusqu’à ce que le van ait passé dans l’aire, et alors il s’écrie : « J’ai habité sous les tentes de Cédar ». Car, on appelle tentes de Cédar, les tentes d’Ismaël. C’est ainsi qu’on lit dans la Genèse que Cédar appartient à Ismaël[1038]. Isaac est donc avec Ismaël ; c’est-à-dire que ceux qui appartiennent à Isaac vivent au milieu de ceux qui appartiennent à Ismaël. Les uns veulent s’élever, et les autres s’efforcent de les abaisser. Nous lisons en effet dans saint Paul : « Et comme alors celui qui était né u selon la chair persécutait celui qui était né « selon l’Esprit, il en est encore de même aujourd’hui : l’homme spirituel est persécuté par l’homme charnel ». Mais que dit l’Écriture ? « Chassez l’esclave et son fils, car le fils de l’esclave ne sera point héritier avec le fils de la femme libre, avec mon fils Isaac[1039] ». Or, ce mot, chassez, quand sera-t-il exécuté ? Quand le van passera dans l’aire. mais maintenant, avant qu’il soit chassé, « malheur à moi, parce que mon exil est prolongé ! c’est parmi les lentes de Cédar que je suis contraint d’habiter ». Le Prophète nous montre ensuite ceux qui appartiennent à Cédar.
8. « Mon âme a été longtemps étrangère ». Ce n’est point là un exil corporel, puisque c’est l’âme qui est en exil. Le corps est en exil par l’éloignement des lieux, l’âme par les affections. Si tu aimes la terre, tu es éloigné de Dieu : aimer Dieu, c’est monter vers lui. Exerçons-nous dans l’amour de Dieu et du prochain, afin de revenir à l’amour. Tomber sur la terre, c’est aller au dépérissement, à la corruption. L’interlocuteur était tombé, une main est descendue jusqu’à lui, afin de le relever. En considérant le temps de son exil, voilà qu’il se dit étranger parmi les tentes de Cédar. Pourquoi ? Parce que « mon âme a été longtemps exilée ». Elle est étrangère dès qu’elle doit monter. Ce n’est point le corps qui est en exil, puisque le corps ne monte pas. Mais où faut-il monter ? « C’est dans le cœur », dit le Prophète, « que sont les degrés ». Si donc on s’élève par le cœur, il n’y a pour s’élever par les degrés du cœur que l’âme exilée. Mais jusqu’à ce qu’elle arrive, « mon âme est longtemps étrangère ». Où ? parmi « les tentes de Cédar ».
9. « Avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique ». À vrai dire mes frères bien-aimés, vous ne pouvez comprendre la vérité de ce que vous chantez, si vous ne commencez à le pratiquer. Tant qu’on puisse le dire, de quelque manière qu’on l’expose, et avec quel choix d’expressions, cette parole n’entre point dans un cœur qui ne la pratique point. Commencez donc à pratiquer, puis écoutez ce que nous dirons. C’est alors que chaque parole du psaume fera couler des larmes, alors que vous le chanterez avec joie et que le cœur pratiquera ce que chante la voix. Hélas ! combien chantent de la voix quand le cœur est muet ! Combien aussi de lèvres silencieuses quand le cœur pousse des cris d’amour ! Or, c’est au cœur de l’homme qu’est l’oreille de Dieu ; de même que l’oreille de l’homme entend la voix du corps, l’oreille de Dieu entend la voix du cœur. Dieu en exauce beaucoup dont la bouche est fermée, et beaucoup d’autres avec leurs grands cris ne sont point exaucés. C’est donc par le cœur que nous devons prier et dire : « Mon âme a été longtemps étrangère avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique ». Que disons-nous autre chose à ces hérétiques, sinon, connaissez la paix, aimez la paix. Vous vous dites justes. Si vous l’étiez, vous gémiriez comme le bon grain mélangé à la paille. Comme il y a aussi de bons grains, de véritable froment dans l’Église catholique, ils tolèrent la paille jusqu’à ce que le van passe dans l’aire, et c’est parce qu’il y a de la paille, qu’ils s’écrient : « Hélas ! mon exil est bien prolongé, j’habite parmi les tabernacles de Cédar ». J’habite avec la paille, dit le Prophète ; mais de même que d’un monceau de paille il sort beaucoup de fumée, il sort de Cédar d’épaisses ténèbres. « J’ai habité parmi les tabernacles de Cédar ; mon âme a été longtemps étrangère ». Tel est le cri du bon grain qui gémit parmi la paille. Ainsi disons-nous à ceux qui haïssent la paix, et nous leur répétons : « J’étais pacifique avec ceux qui haïssent la paix ». Qui donc hait la paix ? Celui qui brise l’unité. Ils demeureraient dans l’unité, s’ils ne haïssaient point la paix. Mais c’est parce qu’ils étaient justes qu’ils ont fait schisme et afin de n’être point mêlés avec les injustes. Ou bien, c’est nous qui parlons ici par la bouche du Prophète, ou bien ce sont eux. Choisissez. L’Église catholique s’écrie qu’il ne faut point rompre l’unité, ni faire de schisme dans l’Église du Christ ; que Dieu jugera plus tard les bons et les méchants ; que s’il est impossible aujourd’hui de séparer les bons des méchants, il faut tolérer cela pour un temps ; que les méchants peuvent bien être mélangés avec nous dans l’aire, mais qu’ils n’y seront point dans les greniers célestes ; que s’ils paraissent mauvais aujourd’hui, demain peut-être ils seront bons, et que ceux qui s’enorgueillissent aujourd’hui de leur bonté peuvent demain être méchants. Quiconque dès lors supporte un moment les méchants arrivera au repos éternel. Ainsi dit l’Église catholique. Que disent maintenant nos adversaires, qui ne savent ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils affirment[1040] : « Ne touchez à rien d’impur[1041] » ; et encore : « Quiconque touchera quelque chose d’impur sera impur lui-même[1042] ». Séparons-nous ; point de mélange avec les méchants. Aimez la paix, disons-nous à notre tour, aimez l’unité. Ignorez-vous de combien de justes vous vous séparez, quand vous semblez ne vous en prendre qu’aux méchants ? À cette réponse, les voilà qui s’emportent, qui bondissent de colère, qui cherchent à nous donner la mort. Souvent nous avons vu leurs violences, découvert leurs embûches. Dès lors que nous vivons au milieu de leurs pièges, et qu’ils s’irritent quand nous leur disons : Aimez la paix, nous revendiquons pour nous cette parole du Prophète : « Avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique, et quand je leur parlais, ils m’attaquaient sans motif ». Qu’est-ce à dire, mes frères, « ils m’attaquaient ? » Et c’est peu encore ; le Prophète ajoute « sans sujet ». Dire à ces rebelles : Aimez la paix, aimez le Christ, est-ce donc leur dire : Aimez-nous et honorez-nous ? Non, mais honorez le Christ ; point d’honneur pour nous, mais tout honneur à Jésus-Christ. Qui sommes-nous en effet auprès de l’apôtre saint Paul ? Et que disait-il néanmoins à ces petits que des méchants, que des maîtres perfides voulaient séparer de l’unité et jeter dans le schisme, que leur disait-il ? « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous, ou bien est-ce au nom de Paul que vous êtes baptisés[1043] ? » C’est aussi ce que nous leur disons : Aimez la paix, aimez Jésus-Christ. Car, aimer la paix, c’est aimer le Christ ; et leur dire : Aimez la paix, c’est leur dire : Aimez le Christ. Pourquoi ? C’est que l’Apôtre a dit du Christ qu’il est notre paix, lui qui de deux peuples n’en a fait qu’un seul[1044]. Si donc le Christ est la paix parce qu’il a réuni deux peuples en un seul, pourquoi d’un seul peuple en faites-vous deux ? Comment seriez-vous amis de la paix, vous qui d’un seul peuple faites deux peuples, quand Jésus-Christ de deux peuples n’en a fait qu’un seul ? Mais, tenir ce langage à ceux qui haïssent la paix, c’est être pacifique, et pourtant, quand nous leur parlons de la sorte, ces ennemis de la paix nous attaquent sans sujet.
DISCOURS SUR LE PSAUME 120
modifierSERMON AU PEUPLE POUR LA FÊTE DE SAINTE CRISPINE, MARTYRE.
modifierNOTRE CONFIANCE DANS LE SEIGNEUR.
modifierC’est de la vallée des larmes ou de l’humilité, qu’il faut nous élever, et le Christ s’est fait vallée en s’abaissant jusqu’à la mort de la croix, avant de s’élever par la résurrection. Les martyrs l’ont compris, eux qui n’ont recueilli qu’après avoir semé dans les larmes. Nous devons monter de manière à n’être point surpris par le dernier moment qui viendra comme un voleur pendant la nuit. Il n’y aura de surpris que l’orgueilleux, qui met sa confiance dans les biens de la terre, et l’homme de la nuit, ou l’infidèle. Qu’ils lèvent les yeux sur les montagnes ou qu’ils écoutent les saints prédicateurs. Le Prophète, craignant l’orgueil qui nous ébranle, demande à Dieu que son pied ne chancelle point, et Dieu ajoute : Que ton gardien ne s’endorme point. Choisis pour te garder le Christ qui garde Israël, et Israël voit Dieu. Tu seras Israël quand tu croiras aux gloires de son humanité, et à sa résurrection. Il couvrira la main de ta droite. La droite signifie les biens spirituels, et la gauche les biens temporels. Quiconque met sari bonheur dans les biens d’ici-bas, prend sa droite pour sa gauche. La droite c’est l’embrassement de Dieu : tes longs jours ou le bonheur éternel sont à droite, à gauche les richesses. La main signifie la puissance, et la vie et la mort sont en la main de la langue, parce que la langue nous justifie ou nous condamne. Cette main est le pouvoir de prendre place à la droite de Dieu parmi ses enfants. Mais Dieu doit nous protéger contre le scandale ou l’erreur : erreur à propos de Dieu, c’est le soleil qui brûle ; erreur à propos de l’humanité du Christ ou de l’Église, c’est la lune qui brûle. C’est le Seigneur qui veille sur notre entrée, ou la tentation, et sur notre sortie, c’est la victoire sur la tentation. Ainsi Crispine lève la tête au-dessus des persécutions, son âme est gardée, et c’est le Seigneur qui est notre force.
1. Voici le second des psaumes intitulés « Cantiques des degrés ». Il en est plusieurs, en effet, comme vous l’avez entendu à propos du premier, qui marquent cette ascension par laquelle notre cœur s’élève à Dieu du fond de cette vallée des pleurs, c’est-à-dire des abaissements de nos misères. Nous ne pouvons en effet nous élever utilement, si d’abord nous ne sommes humiliés, afin de nous souvenir qu’il faut nous élever du fond de la vallée (or, une vallée sur la terre est un lieu bas, et ces lieux bas s’appellent vallées, au même titre que les lieux élevés s’appellent montagnes ou collines) ; de peur qu’en cherchant à nous élever avec précipitation et à contretemps, nous ne trouvions une chute au lieu d’une ascension. Le Seigneur en effet nous a montré qu’il faut nous élever de cette vallée des larmes, quand il a daigné s’abaisser jusqu’à souffrir pour nous la mort de la croix. Ne perdons point de vue cette leçon ; les Martyrs ont compris cette vallée des larmes. Et d’où l’ont-ils comprise ? D’où ? parce que c’est de la vallée des larmes qu’ils se sont élevés pour être couronnés.
2. Ce psaume, ce cantique des degrés, convient parfaitement à notre solennité ; car c’est des Martyrs qu’il est dit ailleurs : « Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences[1045] ». C’est bien ici une vallée de larmes, où l’on sème en pleurant. Quelle est cette semence ? Les bonnes œuvres que l’on fait dans les tribulations de cette vie. Quiconque fait le bien dans la vallée des pleurs, ressemble à un homme qui sème pendant l’hiver. Le froid l’empêche-t-il de travailler ? Ainsi les persécutions du monde ne doivent point nous détourner des bonnes œuvres ; vois en effet ce qui suit : « Ils marchaient en pleurant », dit le Prophète, « et répandaient leurs semences ». Misérables, s’ils pleuraient toujours ; misérables, si nul ne devait essuyer leurs larmes. Mais nous lisons ensuite : « Quand ils viendront, au contraire, ils viendront dans la joie, en portant leurs gerbes[1046] ».
3. Ces cantiques, mes frères, ne nous apprennent donc qu’à nous élever, mais à nous élever par le cœur, par de saints désirs, par la foi, l’espérance et la charité, par le désir de l’éternité et d’une vie sans fin. C’est ainsi qu’on s’élève. Il est de notre devoir d’expliquer coin ment nous devons monter. Quelles terribles menaces ne venez-vous pas d’entendre à la lecture de l’Évangile ! Vous y voyez que le jour du Seigneur viendra, comme le voleur, pendant la nuit. « Si le père de famille », est-il dit, « savait à quel moment viendra le voleur, je vous le déclare, il ne laisserait point pénétrer dans sa maison[1047] ». Or, vous vous dites en vous-mêmes : Comment peut-on connaître ce moment, puisqu’il viendra comme un voleur ? Dans ton ignorance de l’heure, veille continuellement, afin que, nonobstant ton ignorance, ce moment te trouve prêt sans cesse. Et peut-être est-ce afin que tu sois toujours prêt que ce moment est inconnu. Cette heure surprendra le père de famille, qui est ici le type de l’orgueilleux. Ne sois donc point de ces pères de famille, et cette heure ne te surprendra point. Que faut-il être, me diras-tu ? Ce que tu viens d’entendre dans le psaume : « Pour moi, je suis pauvre et affligé »[1048]. Si tu es pauvre et affligé, tu ne seras point ce père de famille que cette heure doit surprendre tout à coup, et tout à coup accabler. Ils sont pères de famille, ceux qui s’enorgueillissent en donnant un libre cours à leurs convoitises, en se plongeant dans les délices de cette vie ; qui s’élèvent contre les humbles, jettent le mépris sur les saints qui comprennent la voie étroite[1049] conduisant à la véritable vie. Ces hommes seront surpris par la dernière heure, car tels étaient ceux qui vivaient aux jours de Noé, dont l’Évangile parlait tout à l’heure, comme vous l’avez entendu[1050]. « Ils mangeaient, ils buvaient, les hommes mariaient leurs filles, épousaient des femmes, plantaient, bâtissaient, jusqu’à ce que Noé entrât dans l’arche, et le déluge vint et les perdit tous[1051] ». Quoi donc ! Sont-ils condamnés à périr ceux qui en agissent ainsi, qui marient leurs filles, qui Épousent des femmes, qui plantent, qui bâtissent ? Non, mais ceux-là qui s’en glorifient, qui préfèrent à Dieu toutes ces occupations, qui, pour cela, sont toujours prêts à offenser Dieu. Quant à ceux qui n’en veulent point user, ou qui n’en usent que comme n’en usant pas, qui se confient en Celui qui a donné ces biens plus qu’en ces biens qui sont donnés, qui reconnaissent dans ces dons la miséricorde qui les console, qui ne se passionnent point pour ces dons, afin de ne point tomber d’auprès de Dieu, ces hommes ne seront point surpris quand le moment viendra comme le voleur. C’est à eux que l’Apôtre a dit : « Quant à vous, vous n’êtes point dans les ténèbres pour être surpris par ce jour comme par un voleur ; vous êtes tous des enfants de lumière et des enfants du jour[1052] ». Aussi le Seigneur, en nous disant de craindre cette heure, a-t-il dit qu’elle viendra la nuit, et l’Apôtre s’exprime ainsi : « Le jour du Seigneur viendra la nuit comme le voleur[1053] ». Veux-tu n’être Point surpris ? Ne sois pas dans la nuit. Et qu’est-ce à dire, ne sois point dans la nuit ? « Vous êtes les enfants de la lumière, les enfants du jour ; nous ne sommes point enfants de la nuit, « ni des ténèbres ». Or, quels sont ces enfants des ténèbres et de la nuit ? Les injustes, les impies, les infidèles.
4. Mais à leur tour, avant que vienne la nuit, qu’ils écoutent et que l’Apôtre leur dise : « Vous étiez jadis ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur[1054] ». Qu’ils s’éveillent selon l’avis de notre psaume. Déjà les montagnes sont éclairées, pourquoi dormir encore ? « Qu’ils lèvent les yeux vers a les montagnes, d’où leur viendra le secours[1055] ». Qu’est-ce à dire que déjà les montagnes sont éclairées ? Déjà s’est levé le soleil de justice, déjà les Apôtres ont prêché l’Évangile, prêché les saintes Écritures, toutes les figures sont à découvert, le voile est déchiré[1056], le secret du temple est révélé ; qu’ils lèvent enfin les yeux vers les montagnes, d’où leur viendra le secours, Voilà ce que nous ordonne ce psaume, qui est le second parmi les cantiques des degrés. Mais qu’ils ne conçoivent aucune présomption au sujet de ces montagnes, car ces montagnes, loin d’être éclairées par elles-mêmes, reçoivent la lumière de Celui dont il est dit « Et celui-là était la véritable lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde[1057] ». Par ces montagnes, on peut entendre les hommes d’une éminente piété, les hommes illustres. Et qui rut pins grand que Jean-Baptiste ? Quelle montagne, que cet homme dont le Sauveur a dit : « Parmi ceux qui sont nés des femmes, nui n’est « plus grand que Jean-Baptiste[1058] ? » Assurément tu vois cette montagne, tu en contemples la lumière ; écoute ses aveux. Quels aveux ? « Et nous avons tous reçu de sa plénitude[1059] ». De celui qui adonné aux montagnes de sa plénitude, viendra aussi le secours pour toi, et non des montagnes[1060]. et toutefois si tu ne lèves les yeux sur ces montagnes, par le moyen des Écritures, tu ne pourras approcher afin d’être éclairé par Celui qui les éclaire.
5. Chante alors ce qui suit Si tu veux savoir sur quels degrés tu poseras solidement ton pied, afin de monter sans fatigue et sans tomber[1061], répète ce qui suit : « Ne permettez pas que mon pied soit ébranlé[1062] ». Par quoi nos pieds sont-ils ébranlés ? Qui ébranla le pied d’Adam, quand il était dans le paradis ? Mais vois d’abord comment fut ébranlé le pied de celui qui était parmi les anges, et qui tomba par cette secousse, et d’ange qu’il était devint diable : il tomba parce que son pied fut ébranlé. Cherche la cause de sa chute. Il tomba par orgueil. Il n’y a dès lors que l’orgueil pour ébranler nos pieds ; que l’orgueil, pour nous faire chanceler et tomber. La charité, au contraire, nous ébranle pour marcher, pour avancer, pour monter ; l’orgueil, pour nous faire tomber. Aussi qu’est-il dit dans notre psaume ? « Les enfants des hommes espéreront à l’abri de vos ailes[1063] ». S’ils sont à l’abri, ils sont toujours humbles, toujours pleins d’espérance en Dieu, toujours sans présomption d’eux-mêmes. « C’est à l’abri de vos ailes qu’ils concevront de l’espérance » ; car ce n’est point en se rassasiant d’eux-mêmes qu’ils goûtent la félicité. Mais que dit ensuite le Prophète ? « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez au torrent de vos délices[1064] ». Les voilà qui ont soif et qui s’enivrent, qui ont soif et qui boivent ; mais ils ne boivent point en eux-mêmes, car ils ne sont point des sources. Où boivent-ils alors ? « C’est à l’abri de vos ailes qu’ils conçoivent l’espérance[1065] ». S’ils sont à l’ombre de vos ailes, ils sont humbles. Pourquoi ? « Parce que c’est en vous », dit le Prophète, « qu’est la source de la vie[1066] ». Ces montagnes donc ne s’arrosent point elles-mêmes, pas plus qu’elles ne s’illuminent. Vois en effet ce qui suit : « C’est en votre lumière que nous verrons la lumière[1067] ». Si donc c’est dans la lumière de Dieu que nous voyous la lumière ; qui est privé de la lumière, sinon l’homme qui ne voit point en Dieu ? Quiconque veut être sa propre lumière, se prive dès lors de la lumière qui l’éclaire. Aussi, sachant qu’il n’y a, pour être privé de la lumière, que celui-là seul qui veut s’éclairer, bien qu’il ne soit que ténèbres, le Prophète ajoute : « Que le pied de l’orgueil ne vienne point contre moi, et que la main du pécheur ne m’ébranle point » ; c’est-à-dire, qu’à l’imitation des pécheurs, je ne sois point ébranlé et séparé de vous. Mais pourquoi craindre et dire : « Que le pied de l’orgueil ne vienne point sur moi ? » Le Prophète répond : « C’est là que sont tombés ceux qui commettent l’iniquité[1068] ». Tous ceux qui commettent maintenant l’iniquité sous tes yeux sont déjà condamnés ; mais, pour en arriver là, ils sont tombés où le pied de l’orgueil les a heurtés. Il a donc raison celui qui écoute afin de monter et de ne point tomber, afin de s’élever de cette vallée de larmes, sans tomber par orgueil ; il a raison de dire à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé », et Dieu lui répond : « Que ton gardien ne s’endorme pas ». Écoutez bien, mes frères. On joint ensemble ici deux interlocuteurs. L’homme qui s’élève, en chantant ce cantique, dit à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé » ; et Dieu parait lui répondre : Tu me dis : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé », ajoute alors : « Et que ton gardien ne s’endorme pas », ton pied alors ne sera point ébranlé.
6. Peut-être va-t-il répondre : Est-il en mon pouvoir que mon gardien ne s’endorme pas ? Je voudrais qu’il ne s’endormît point, qu’il ne sommeillât point. Choisis donc pour te garder celui qui ne dort, qui ne sommeille point, et ton pied ne sera point ébranlé. Or, Dieu ne dort jamais ; choisis donc le Seigneur pour ton gardien, si tu veux avoir un gardien vigilant. « Ne permettez point que mon pied « soit ébranlé », dis-tu : c’est bien ; c’est très bien. Mais Dieu te répond : « Et que ton gardien ne s’endorme pas ». Tu allais chercher parmi les hommes un gardien, et dire : Qui trouverai-je pour ne point dormir ? Quel homme ne s’endort point ? Qui trouver ? Où aller ? Où me tourner ? Voilà que le Seigneur vient à ton aide : « Voilà qu’il ne dormira point, qu’il ne sommeillera point, celui qui garde Israël[1069] ». Car c’est le Christ qui garde Israël. Sois donc Israël, toi-même, Qu’est-ce à dire Israël ? Israël signifie voyant Dieu. Et comment voit-on Dieu ? D’abord par la foi, ensuite face à face. Si tu ne peux le voir face à face, vois-le du moins par la foi. Si tu ne peux le voir face à face, parce qu’en cela consiste la claire vue, vois du moins ses gloires postérieures. C’est ce que le Seigneur dit à Moïse : « Tu ne saurais voir ma face, mais quand je serai passé, tu me verras par-derrière[1070] ». Tu attends qu’il passe : il est déjà passé ; suis-le de vue par-derrière ; où est-il passé ? Écoute saint Jean : « Quand vint l’heure », nous dit-il, « où il devait passer de ce monde à son Père[1071] ». Déjà Notre-Seigneur Jésus-Christ a fait la Pâque, et Pâque signifie passage, car c’est un mot hébreu, et non, comme l’ont cru plusieurs, un mot grec, ayant le sens de souffrances. D’autres, plus exacts et plus savants, ont trouvé que Pâque est un mot hébreu ayant le sens de passage, et non de douleur. C’est par les souffrances que Jésus-Christ a passé de la mort à la vie, nous traçant ainsi la voie, à nous qui croyons en sa résurrection, afin que nous passions de la mort à la vie. C’est peu de croire que le Christ est mort : les païens, les Juifs, les impies le croient aussi. Tous croient qu’il est mort ; la foi chrétienne consiste à croire en sa résurrection ; croire qu’il est ressuscité, c’est donc l’important pour nous. Il a donc voulu être vu dans son passage, ou dans sa résurrection, et il a voulu que l’on crût en lui quand il passait, parce qu’il a été livré pour nos péchés, et qu’il est ressuscité pour notre justification[1072]. Telle est la foi en la résurrection du Christ, vivement recommandée par l’Apôtre : « Vous serez sauvés », dit-il, « si vous croyez de tout votre cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts[1073] ». Il ne dit point : Si tu crois que le Christ est mort, ce que croient les païens, les Juifs et tous ses ennemis ; mais bien : « Si tu crois de tout ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé ». Croire ainsi, c’est être Israël, c’est voir Dieu ; et bien que tu le voies seulement par-derrière, la foi en ses gloires postérieures te conduira à la claire vue. Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire quand tu croiras en ce que Jésus-Christ s’est fait pour toi, dans la suite des temps, quand tu croiras en ce qu’il a pris de toi postérieurement. Car au commencement quelle est sa face ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Qu’est-il postérieurement ? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous »[1074]. Croire donc en ce que le Verbe s’est fait pour toi, en la résurrection de sa chair, afin de ne point désespérer de la tienne, c’est devenir Israël. Mais une fois que tu seras Israël, ton gardien ne dormira point, ne sommeillera point. Car tu es Israël, et tu as entendu le Psalmiste : « Voilà que le gardien d’Israël ne dormira point, ne sommeillera point ». Le Christ lui-même a dormi, mais il est ressuscité. Que dit-il à son tour dans un psaume ? « J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil ». Est-il demeuré endormi ? « Je me suis levé », dit-il. « parce que le Seigneur me protégera[1075] ». Si donc il est ressuscité, il a passé ; s’il a passé, regarde-le par-derrière. Crois en sa résurrection. Et comme l’Apôtre a dit : « Quoiqu’il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair, il est néanmoins vivant par la puissance de Dieu[1076] » ; et encore : « Le Christ, ressuscité d’entre les morts, ne meurt plus ; la mort n’aura plus d’empire sur lui[1077] » ; le Prophète a raison de chanter : « Voilà qu’il ne dormira point, qu’il ne sommeillera point, le gardien d’Israël ». Tu cherches, peut-être, dans un sens charnel, qui ne dormira point, qui ne sommeillera point ? Tu le cherches parmi les hommes, mais en vain ; tu ne le trouveras pas. Ne mets ta confiance dans aucun homme, puisque tout homme dort, tout homme sommeille. Quand sommeille-t-il ? quand il porte ici-bas une chair fragile. Quand dormira-t-il ? quand il sera mort. Ne mets donc point ta confiance dans un homme. Il peut sommeiller, puisqu’il est mortel, et il s’endort en mourant. Ne cherche point parmi les hommes.
7. Et qui donc, me diras-tu, pourra me garder sans dormir, sans sommeiller ? Écoute ce qui suit : « Le Seigneur te gardera ». Ce n’est donc point un homme qui dort ou qui sommeille, mais le Seigneur qui te garde. Comment te garde-t-il ? « C’est lui qui est ta défense, qui couvre ta droite » Courage, mes frères, comprenons, avec le secours de Dieu, ce que signifie cette parole : « Le Seigneur est ta défense, il couvre ta main de droite ». Il y a, je crois, quelque raison mystérieuse qui a détourné le Prophète de dire purement et simplement : « Le Seigneur te protégera » ; mais lui a fait ajouter : « Il couvre la main de ta droite ». Dieu ne garde-t-il que notre droite, et néglige-t-il notre gauche ? Ne nous a-t-il pas faits entièrement ? Et celui qui a fait notre droite, n’a-t-il pas fait aussi notre gauche ? S’il lui a plu de ne parler que de la droite, pourquoi cette expression : la main de ta droite, et non pas simplement, la main droite ? Pourquoi ce langage, s’il n’y avait pas là quelque raison mystérieuse qu’il nous dérobe, afin que nous frappions à la porte ? Car il devrait dire, sans rien ajouter, ou bien : Le Seigneur te gardera ; ou, s’il voulait ajouter la droite : Le Seigneur te protégera sur ta droite ; ou enfin, s’il voulait ajouter la main, il dirait : Le Seigneur couvrira ta main droite, et non la main de ta droite. Je vous dirai ce que daignera me suggérer le Seigneur ; lui qui veut bien habiter en vos âmes, daignera, sans doute, vous faire agréer mes paroles comme celles de la vérité. Vous ne savez encore ce que je veux dire ; mais quand je vous l’aurai dit, ce n’est point moi qui vous montrerai la vérité de mes paroles, vous-mêmes en reconnaîtrez la vérité. Comment la reconnaîtrez-vous, sinon à la lumière de Celui qui habite en vous, parce que vous êtes au nombre de ceux qui disent « Ne laissez point s’ébranler mon pied » ; et à qui lui-même répond : « Que ton gardien ne s’endorme pas, qu’il ne sommeille pas ? » Que Jésus-Christ ne s’endorme point en vous, et alors vous comprendrez la vérité de mes paroles. Comment cela, direz-vous ? Parce que, si votre foi s’endormait, le Christ dormirait en vous. Car le Christ est dans votre cœur, quand vous croyez au Christ. L’Apôtre nous dira que le Christ habite en nos cœurs par la foi[1078]. Que notre foi ne sommeille point, et le Christ veille en nous. Et si ta foi sommeillait, et te laissait, à l’égard du sujet qui nous occupe, dans une fluctuation semblable à celle du vaisseau que battait la tempête, et dans lequel Jésus dormait[1079], éveille le Christ, et la tempête s’apaisera.
8. J’en appelle donc à votre foi, mes frères, ô vous qui êtes les fils de l’Église, qui vous êtes avancés dans l’Église, et qui vous avancerez si vous ne l’avez point fait encore, qui ferez des progrès de plus en plus rapides, et qui en avez faits déjà, j’en appelle à votre foi ; comment comprenez-vous cette parole que vous entendez dans l’Évangile : « Que votre main gauche ignore ce que fait votre droite[1080] ? » Comprendre cette parole, c’est comprendre ce qu’est la droite et ce qu’est la gauche ; vous comprendrez également que c’est Dieu qui a fait l’une et l’autre, la droite et la gauche, et que néanmoins la droite ne doit point savoir ce que fait la gauche. La gauche signifie toute possession temporelle, et la droite le bien éternel et immuable que Dieu nous a promis. Or, si le même Dieu qui nous donnera la vie éternelle nous console pendant cette vie par les biens des temps, c’est lui, assurément, qui a fait la droite et la gauche. David a dit dans un psaume, à propos de quelques-uns, que « leur bouche a dit des choses vaines, et que leur droite est la droite de l’iniquité ». Donc, il en trouve, et il les en blâme, qui prennent leur véritable droite pour la gauche, et leur véritable gauche pour leur droite, et il nous montre ensuite quels sont ces hommes. Quiconque ne voit pour l’homme de félicité que dans les seuls biens et les plaisirs du temps, dans l’abondance et les richesses de ce monde, celui-là est un insensé, un pervers, il prend sa gauche pour sa droite. Tels étaient ceux dont le psaume nous dit, non point qu’ils n’avaient pas reçu de Dieu les biens qu’ils possédaient, mais qu’ils ne faisaient consister qu’en ces jouissances la vie bienheureuse, et ne recherchaient rien autre chose. Écoutez, en effet, ce qu’il dit ensuite à leur sujet : « Leur bouche a dit des choses vaines, et leur droite est la droite de l’iniquité ». Et ensuite : « Leurs enfants sont comme de jeunes arbres, leurs filles sont ornées comme l’idole d’un temple, leurs « celliers sont remplis et regorgent deçà et delà, leurs brebis sont fécondes et s’en vont en foule de leurs étables ; leurs bœufs sont gras, on ne voit dans les clôtures ni passage ni ruine, et nul cri ne s’élève de leurs places publiques[1081] ». Telle est la grande félicité de quelques-uns. Toutefois cette félicité pourrait échoir à un juste, comme elle échut à Job ; mais Job la regardait comme sa gauche, et non comme sa droite ; car il ne comptait pour sa droite que le bonheur continuel et sans fin qu’il se promettait en Dieu. C’est pourquoi Dieu permit qu’on le frappât sur la gauche, et sa droite lui suffit. Comment la gauche fut-elle frappée ? Par les tentations du démon. Le démon lui enleva soudainement ses biens, lui à qui Dieu permet d’agir, pour éprouver le juste et châtier l’impie, enleva tout à Job ; mais Job savait que la gauche était la gauche, et qu’il n’y a que la droite qui soit la droite ; avec quelle force admirable il s’attacha à la droite ! Il tressaillit dans le Seigneur, il se consola de ses pertes, parce qu’il ne laissa point entamer ses trésors intérieurs ; son cœur était plein de Dieu. « Le Seigneur l’a donné », dit-il, « le Seigneur l’a ôté ; ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a e été fait : que le nom du Seigneur soit béni[1082] ». Telle était sa droite, le Seigneur lui-même, la vie éternelle même, la possession de l’ineffable lumière, la source de la vie, la lumière dans la lumière. « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison[1083] ». C’était là sa droite. Quant à sa gauche elle n’était qu’un secours de consolation, et non un affermissement dans la félicité. Car Dieu était pour lui le bonheur véritable et souverain. Ainsi, quand David a dit de ces hommes que « leur bouche s’épanche en vanités, que leur droite est la droite de l’injustice[1084] », il ne leur fait pas un crime de posséder tous ces biens, mais de ce que leur bouche se répand en paroles vaines. En effet, que voyons-nous ensuite ? Après avoir énuméré toutes leurs richesses, il s’écrie : « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens[1085] ». Telle est la vanité qu’a proférée leur bouche, c’est d’avoir proclamé heureux le peuple qui a de tels biens. Mais que direz-vous, ô Prophète, qui savez discerner quelle est votre gauche et quelle est votre droite ? Il continue en disant : « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu[1086] ».
9. Que votre charité soit donc attentive. Nous avons vu ce qu’est la gauche et vu encore ce qu’est la droite. Écoutez dans les cantiques la confirmation de nos paroles : « Sa gauche est sous ma tête », nous dit l’Épouse en nous parlant de l’Époux, l’Église en parlant du Christ dans l’embrassement d’une ineffable charité. Que dit-elle donc ? « Sa gauche est sous ma tête », et il m’embrasse de sa droite[1087]. D’où vient que l’Époux, afin d’embrasser l’Épouse, mettait sa gauche sous sa tête et sa droite au-dessus ; sa gauche pour la consoler et sa droite pour la protéger ? « Sa gauche est sous ma tête », nous dit-elle. Cette gauche vient de Dieu, bien qu’elle soit appelée gauche, parce que c’est lui qui donne tous les biens temporels. Combien sont vains, sont impies ceux qui demandent ces biens aux idoles, aux démons ! Combien en est-il qui les demandent aux démons sans les obtenir ; combien d’autres qui les obtiennent sans les demander aux démons, car les démons ne les donnent point. De même beaucoup les demandent au Seigneur et ne les obtiennent point. Dieu qui nous appelle à la droite sait aussi régler la gauche. Si donc elle est la gauche, qu’elle soit la gauche, mais sous notre tête, et que la tête s’élève au-dessus d’elle, ou plutôt notre foi dans laquelle habite le Christ. Loin de toi de préférer à ta foi rien de temporel, et alors ta gauche ne sera pas au-dessus de ta tête ; suborne à ta foi tout ce qui est du temps, et mets ta foi au-dessus de tout ce qui passe, alors la gauche sera sous ta tête, et la droite de l’Époux t’embrassera.
10. Écoute les Proverbes te dire encore ce qui est la droite et ce qui est la gauche. Il est dit, à propos de la Sagesse : « La longueur des jours, les années de la vie sont dans sa droite ; et dans sa gauche, la gloire et les richesses[1088] ». Cette longueur des jours marque l’éternité ; c’est ainsi que l’Écriture ne donne le nom de longueur qu’à ce qui est éternel ; car, tout ce qui a une fin est court. « Je le comblerai de la longueur des jours[1089] », est-il dit à un autre endroit. Autrement, y aurait-il une grande faveur à dire : « Honorez votre père et votre mère, afin de vivre longtemps sur la terre[1090] ? » Quelle terre, sinon celle dont il est dit : « Vous êtes mon espérance, mon héritage sur la terre des vivants[1091] ? » Qu’est-ce que vivre longtemps sur cette terre, sinon vivre éternellement ? Ici-bas qu’est-ce, en effet, que vivre longtemps, sinon arriver à la vieillesse ? Quelque long que cet âge nous paraisse, dès qu’on y arrive, il paraît court, parce qu’il a une fin. Beaucoup vieillissent ici-bas après avoir maudit les parents ; beaucoup d’autres, après les avoir honorés, vont bientôt à Dieu. La promesse de vivre longtemps sur cette terre est-elle donc accomplie ? Non, mais cette, longue vie s’entend de l’éternité. La longue vie est dans sa droite ; mais dans sa gauche on trouve les richesses, la gloire, ce qui est nécessaire ici-bas et que les hommes appellent des biens. Mais un homme s’élève contre toi et veut te frapper sur la droite, c’est-à-dire te ravir ta foi tu as reçu un soufflet sur la droite, présente la gauche[1092] ; c’est-à-dire, laisse enlever ce qui est du temps et non ce qui est éternel. Écoutez comme l’apôtre saint Paul pratiquait cette doctrine. Les hommes persécutaient en lui le chrétien ; on frappait sa droite, il présentait sa gauche : « Je suis citoyen romain », disait-il[1093]. lis outrageaient en lui la droite, il les effrayait de sa gauche, parce qu’ils ne pouvaient craindre en lui la droite, puisqu’ils ne croyaient pas au Christ. Si donc c’est la droite qui embrasse la gauche qui est sous la tête, que signifie cette parole : « Que votre gauche ignore ce que fait votre droite ? » C’est-à-dire, quand tu fais une bonne œuvre, fais-la en vue de la vie éternelle. Car, si tu ne fais le bien sur la terre que pour posséder en abondance les biens terrestres, ta main gauche fait ce que tait ta droite ; tu mets la droite avec la gauche. N’agis donc jamais que pour la vie éternelle. Oui, agis de la sorte, et tu agiras sans crainte ; tel est l’ordre du Seigneur. Si tu n’agis que pour les biens de la terre et en vue de la vie présente, il n’y a que ta droite pour agir ; mais si tu travailles en vue de la vie éternelle, et qu’il se glisse quelque désir qui tienne à la vie du temps, de manière à travailler aussi dans cette vue et par le désir d’une récompense terrestre, c’est là mêler la main droite aux œuvres de la main gauche ; et c’est ce que Dieu défend.
11. Arrivons maintenant à cette parole du psaume « C’est le Seigneur qui couvre la main de votre droite ». La main signifie la puissance ; comment le prouver ? C’est que la main de Dieu est appelée la puissance de Dieu. Car le diable qui tenta Job dit à Dieu « Étendez votre main, touchez ce qui est à lui, et voyez s’il vous bénit en face[1094] ». Qu’est-ce à dire : « Étendez votre main », sinon donnez-m’en le pouvoir ? Mais écoute plus clairement encore, ô mon frère, afin de couper court aux pensées charnelles, et de ne point te figurer un Dieu qui a des membres ; vois plus clairement que la main de Dieu est sa puissance. Il est dit quelque part dans l’Écriture : « La mort et la vie sont dans les mains de la langue[1095] ». Nous connaissons le morceau de chair appelé langue, se remuant dans la bouche, frappant le palais et les dents pour articuler les sons qui forment la parole. Montrez-moi la main de la langue. La langue n’a donc point de mains, et cependant elle a une main. Quelle est cette main de la langue ? Son pouvoir. Qu’est-ce à dire que « la vie et la mort sont dans les mains de la langue ? Ta bouche te justifiera et ta bouche te condamnera[1096] ». Si donc la main est le pouvoir, quelle est la main de la droite ? Je ne vois rien de plus juste, sinon de comprendre par la main de la droite le pouvoir que Dieu t’a donné de prendre place à sa droite, avec le secours de sa grâce, si tu le veux. Car tous les impies seront à sa gauche ; et c’est à droite que seront les fils de Dieu fidèles à sa volonté ; c’est à eux qu’il dira : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé à l’origine du monde[1097] ». Tu as donc reçu le pouvoir d’être à la droite, le pouvoir de devenir enfant de Dieu. Quel pouvoir ? Celui dont saint Jean nous dit : « Il leur a donné la puissance de devenir enfants de Dieu[1098] ». D’où as-tu reçu cette puissance ? « Elle est donnée à ceux qui croient en son nom ». Si donc tu as la foi, tu as aussi le pouvoir d’être enfant de Dieu. Or, être parmi les enfants de Dieu, c’est être à sa droite. Donc ta loi est la main de ta droite, c’est-à-dire que la main de ta droite c’est le pouvoir qui t’a été donné d’être parmi les enfants de Dieu. Mais que deviendrait cette puissance que l’homme a reçue, si Dieu ne le protégeait ? Le voilà qui croit, qui marche dans la foi ; il est faible, agité au milieu des tentations, des chagrins, des attraits charnels, des aiguillons de la convoitise, des artifices et des pièges de l’ennemi. De quoi lui sert de croire au Christ et d’avoir la puissance d’être parmi les enfants de Dieu ? Malheur à cet homme, si Dieu ne vient au secours de sa foi ; c’est-à-dire s’il n’empêche que tu sois tenté au-dessus de tes forces, comme l’a dit l’Apôtre : « Dieu est fidèle et il ne souffrira point que vous soyez tentés au-delà de ce que vous pouvez supporter[1099] ». Celui donc qui ne souffre pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces, quoique nous ayons déjà la foi, quoique nous possédions la main de notre droite, Dieu nous protège sur la main de notre droite. Il ne nous suffirait pas d’avoir la main de notre droite, si lui-même ne couvrait de sa protection cette main de notre droite.
12. Voilà pour les tentations : écoutez ce qui suit : « Que le Seigneur te protège sur la main de ta droite ». Je vous l’ai expliqué, et, autant que je puis en juger, j’ai réveillé vos souvenirs. Si vous ne l’aviez déjà su, et su par les saintes Écritures, vos murmures ne m’auraient point fait connaître que vous l’avez compris. Donc, mes frères, puisque vous l’avez compris, voyez ce qui suit, pourquoi Dieu nous protège, et sur la main droite, c’est-à-dire dans cette même foi, dans laquelle nous avons reçu le pouvoir d’être enfants de Dieu et d’être à sa droite. Pourquoi faut-il que Dieu nous protège ? À cause des scandales. D’où viennent les scandales ? Il faut les craindre sous deux points de vue, parce qu’il y a deux préceptes qui renferment toute la loi et les Prophètes, l’amour de Dieu et l’amour du prochain[1100]. On aime l’Église à cause du prochain, et Dieu pour lui-même or, le soleil est une figure de Dieu, comme la lune est une figure de l’Église. Quiconque peut être dans l’erreur au point de croire sur Dieu ce qu’il ne faut point croire, ou à ne point croire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont une même substance, est dans l’erreur des hérétiques, principalement des Ariens. S’il croit que Je Fils ou le Saint-Esprit ont quelque chose de moins que le Père, il est tombé dans le scandale en ce qui regarde Dieu, et dès lors brûlé par le soleil. Quiconque aussi croit que l’Église est dans une partie du monde, et ne reconnaît point qu’elle est répandue dans le monde entier, qui croit à ceux qui lui disent : « C’est ici, c’est là qu’est le Christ[1101] », comme vous l’avez entendu tout à l’heure dans la lecture de l’Évangile, tandis que le Christ a racheté le monde entier pour lequel il a donné une telle rançon : celui-là est scandalisé au sujet du prochain, il est brûlé par la lune. Ainsi quiconque est dans l’erreur sur la substance même de la vérité, est brûlé par le soleil, brûlé pendant le jour, parce qu’il erre au sujet de la sagesse dont il est dit : « Le jour parle au jour ». De là cette parole de l’Apôtre : « Nous communiquons les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels. Le jour annonce la parole au jour, en communiquant les choses de l’esprit aux hommes spirituels. Le jour annonce la parole au jour ; mais nous annonçons la sagesse aux parfaits[1102] ». Que signifie « et la nuit annonce la science à la nuit[1103] ? » Aux petits on prêche l’humilité du Christ, l’incarnation du Christ, la croix du Christ ; c’est le lait qui suffit aux enfants. Dès lors on n’abandonne point les enfants dans la nuit, puisque la lune éclaire dans la nuit ; c’est-à-dire que par la chair du Christ on prêche l’Église, puisque la tête de l’Église c’est fe Christ eu sa chair. Quiconque n’est scandalisé ni de l’Église ni de la chair du Christ, celui-là n’est point brûlé par la lune. Quiconque n’est point scandalisé au sujet de la vérité immuable et inaltérable, n’est point brûlé par le soleil ; non point qu’il soit épargné par ce soleil que voient les mouches et les bestiaux ; mais je parle de ce soleil qui fera dire aux impies au dernier jour : « Que nous revient-il de notre orgueil, et que nous a valu le faste de nos richesses ? Tout cela est passé comme l’ombre ». Puis ils déplorent leur malheur : « Nous avons donc erré loin du sentier de la vérité, et la lumière de la justice n’a pas lui pour nous, son soleil ne s’est point levé à nos yeux[1104] ». Mais le soleil vulgaire n’éclaire-t-il point les impies, par l’ordre de « Celui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants[1105] ? » Dieu a donc fait un soleil qui se lève sur les bons et sur les méchants et que peuvent voir les uns et les autres ; mais il est un autre soleil qui n’a pas été fait, mais engendré, par qui tout a été fait, en qui est toute l’intelligence de l’immuable vérité. C’est de lui que les impies diront : « Et le soleil ne s’est point levé pour nous ». Celui qui n’erre point sur la sagesse elle-même, n’est point brûlé par le soleil ; et celui qui n’erre pas au sujet de l’Église, et de la chair du Christ, et de tout ce qu’il a fait pour nous dans le temps, n’est point brûlé par la lune. Mais bien qu’un homme ait cru en Jésus-Christ, il tombera dans l’erreur deçà ou delà, si cette parole ne s’accomplit en sa faveur : « C’est le Seigneur qui te couvre sur la main de ta droite. » Aussi, après avoir dit : « C’est le Seigneur qui te couvre sur la main de ta droite » ; comme si on lui répondait : Voilà que j’ai la main de ma droite, j’ai choisi la foi en Jésus-Christ, j’ai reçu le pouvoir d’être parmi les enfants de Dieu, qu’ai-je encore besoin que Dieu me protège, c’est-à-dire qu’il couvre la main de ma droite ? Voilà que le Prophète continue : « Le soleil ne te brûlera point pendant le jour, ni la lune pendant la nuit[1106] ». Ainsi donc le Seigneur couvre la main de ta droite, afin que tu ne sois brûlé ni par le soleil pendant le jour, ni par la lune pendant la nuit. Comprenez par là, mes frères, que ce langage est figuratif ; car si nous arrêtons notre pensée sur le soleil visible, il brûle pendant le jour, à la vérité, mais est-ce que la lune brûle pendant la nuit ? Mais qu’est-ce qu’une brûlure ? Un scandale. Écoute ce mot de l’Apôtre : « Qui est faible, sans que je sois faible avec lui ? Qui est scandalisé, sans que je brûle[1107] ? »
13. Donc « le soleil ne te brûlera pas pendant le jour, ni la lune pendant la nuit ». Pourquoi ? Parce que le Seigneur te préservera de tout mal ». Il te préservera, et du scandale de la part du soleil, et du scandale de la part de la nuit, en un mot de tout mal, celui qui couvre la main de ta droite, qui ne dort pas, qui ne sommeille pas. Pourquoi cette promesse ? C’est que nous sommes au milieu des tentations : « Et le Seigneur te gardera de tout mal ; que le Seigneur garde ton âme ». Oui, jusqu’à ton âme. « Qu’il veille sur ton entrée et ta sortie, et aujourd’hui et jusque dans les siècles ». Rien n’est demandé pour le corps, parce que c’est le corps que l’on fit mourir chez les martyrs ; mais que le Seigneur garde ton âme, car chez les martyrs l’âme ne succomba point. Les bourreaux sévissaient contre Crispine, dont nous célébrons aujourd’hui la fête. Ils traitaient cruellement une femme riche et débile. Mais elle était forte, parce que le Seigneur, qui la gardait, couvrait la main de sa droite. Qui, mes frères, ne connaît Crispine dans l’Afrique tout entière ? Elle était illustre, de noble origine et possédait de grands biens. Mais tout cela était la gauche, était sous sa tête. L’ennemi vint frapper la tête et on la soutint de la gauche qui était sous la tête. Mais la tête s’élevait au-dessus, et la droite de Dieu l’embrassait d’en haut. Que pouvait toute la malice d’un persécuteur, contre cette femme si débile ? Sans doute, il y avait chez elle, et la faiblesse du sexe, et cette langueur que produisent les richesses, et cette mollesse d’une longue habitude. Mais qu’est-ce que tout cela en comparaison des grands secours de Dieu ? Qu’est-ce que tout cela quand l’Époux met sa gauche sous la tête, et nous embrasse de sa droite ? Quel ennemi pourrait la frapper ainsi défendue ? Il frappa néanmoins, mais le corps. Or, que dit le psaume ? « Que Dieu garde ton âme ». L’âme ne céda point, le corps fut frappé ; encore ne fut-il frappé que pour un temps, puisqu’il doit ressusciter à la fin du monde. Celui qui a daigné se faire chef de l’Église, permit aux bourreaux de le frapper pour un temps ; mais il ressuscita sa chair le troisième jour, et ressuscitera la nôtre à la fin du monde. La tête est ressuscitée afin de veiller sur le corps et de l’empêcher de céder. « Que le Seigneur garde ton âme ». Qu’elle ne cède point, qu’elle ne se laisse briser ni par les scandales, ni par les persécutions, ni par la tribulation ; que son courage ne se laisse point abattre. Le Seigneur l’a dit : « Ne craignez joint ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme, mais craignez celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer[1108] ». Que le Seigneur dès lors garde cette âme, de peur que tu ne sois victime des séductions de l’ennemi, victime de fausses promesses, victime des menaces contre les biens du temps, et que « le Seigneur garde ton âme ».
14. Ensuite « Que le Seigneur garde ton entrée et ta sortie, et aujourd’hui et jusque dans les siècles[1109] ». Réfléchis un moment sur ton entrée. « Que le Seigneur veille sur ton entrée et sur ta sortie, dès ce jour, et jusque dans les siècles ». Qu’il garde aussi ta sortie. Qu’est-ce que l’entrée ? Qu’est-ce que la sortie ? L’entrée pour nous, c’est la tentation ; et ! a victoire sur la tentation, c’est la sortie. Vois cette entrée et cette sortie dans l’Écriture : « La fournaise éprouve les vases du potier, et la tribulation douloureuse les hommes justes[1110] ». Si les hommes justes sont comme les vases du potier, il faut que ces vases soient mis dans la fournaise. Et ce n’est point quand ils entrent que le potier se tient assuré, mais quand ils sortent. Quant au Seigneur, il ne craint point, car il connaît ceux qui lui appartiennent’; il connaît ceux qui n’éclateront point dans la fournaise. Ils n’éclatent point, ceux qui n’ont point l’orgueil. C’est donc l’humilité qui nous garde en toute tentation ; car nous montons de la vallée des larmes en chantant le cantique des degrés, et le Seigneur veille sur l’entrée, afin que nous entrions en toute sûreté. Gardons une foi pure dans la tentation, et le Seigneur « gardera notre sortie dès maintenant et jusque dans les siècles ». Quand nous serons sortis de toute épreuve, nulle tentation ne viendra nous effrayer dans l’éternité, nulle convoitise ne nous inquiétera. Écoute l’Apôtre qui nous rappelle ce que nous disions tout à l’heure : « Dieu est fidèle, et ne permettra point que nous soyons tentés au-dessus de nos forces »[1111]. C’est ainsi que Dieu veille sur ton entrée quand il écarte de toi l’épreuve à laquelle tu ne pourrais résister, il veille sur ton entrée : voyez s’il ne garde point aussi la sortie. « Mais, poursuit l’Apôtre il donnera une issue à la tentation, afin que vous la puissiez supporter[1112] ». Pouvons-nous, mes frères, nous expliquer autrement que ne le fait ici l’Apôtre ! Veillez donc sur vous, mais non par votre propre vigilance, parce que c’est Dieu qui vous protège et qui vous garde, lui qui ne dort point, qui ne sommeille point. Une seule fois, il a dormi pour vous ; il est ressuscité et ne dormira plus. Que nul ne compte sur soi-même. C’est de la vallée des pleurs que nous nous élevons ; ne demeurons pas en chemin. Nous avons encore des degrés à monter ; nous ne devons ni y demeurer par paresse, ni y tomber par orgueil. Disons à Dieu : Que notre pied ne soit point ébranlé ; il ne dormira point celui qui nous garde. Cela est en notre pouvoir, si, avec le secours de Dieu, nous choisissons pour gardien celui qui ne dort pas, qui ne sommeille pas, qui garde Israël. Quel Israël, sinon celui qui voit Dieu ? Ainsi le secours te viendra du Seigneur, ainsi il te protégera sur la main de ta droite, ainsi seront gardées, et ton entrée et ta sortie, dès maintenant et jusque dans les siècles. Si tu présumes de toi-même, ton pied sera ébranlé, et si ton pied est ébranlé, quand même tu te croirais sur quelque degré, tu tomberas à cause de ton orgueil ; car celui qui est humble dans cette vallée des pleurs dit à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé ».
15. Le psaume était court, et néanmoins voila une longue explication, un long sermon. Imaginez-vous, mes frères, qu’à l’occasion de la fête de sainte Crispine, je vous ai invité à un festin, et que je n’y ai point gardé la tempérance ; je vous ai retenus trop longtemps à table. Cela ne pourrait-il point vous arriver, si quelque homme du monde vous invitait et vous forçait à boire outre mesure ? Qu’il nous soit permis d’en agir ainsi, à propos de la parole divine, afin qu’elle vous enivre et vous rassasie, comme cette pluie du Seigneur vient détremper les terres, et que nous allions avec plus de joie rejoindre les martyrs, comme nous l’avions promis hier. Car les martyrs sont ici-bas avec, nous, sans aucun labeur.
- ↑ Mt. 1,17
- ↑ Jer. 25,12 ; 29,10
- ↑ Esdr. 1,1
- ↑ Agg. 1,1 ; Zach. 1,1-26
- ↑ Jn. 2,19
- ↑ 1 Pi. 2,4-6
- ↑ Isa. 28,16
- ↑ 1 Cor. 15,49
- ↑ Eph. 2,19-22
- ↑ 1 Cor. 3,17
- ↑ Prov. 1,7
- ↑ Ps. 111,1
- ↑ Job. 7,1
- ↑ Sag. 9,15
- ↑ 1 Cor. 4,4-5
- ↑ Lc. 9,14
- ↑ Ps. 111,2
- ↑ Gal. 6,9
- ↑ 2 Cor. 9,6
- ↑ Lc. 19,8
- ↑ Mc. 12,42
- ↑ Ps. 72,1-14
- ↑ Ps. 111,5
- ↑ Lc. 16,19
- ↑ Ps. 101,4
- ↑ Eph. 5,8
- ↑ Jac. 2,13
- ↑ Ps. 111,5
- ↑ Lc. 11,37-38
- ↑ Prov. 16,32
- ↑ Mt. 19,21
- ↑ Ps. 111,5
- ↑ Id. 6
- ↑ Mt. 25,34
- ↑ Ps. 111,7
- ↑ Mt. 25,41
- ↑ Phil. 2,21
- ↑ Ps. 111,7-8
- ↑ Id. 4,6
- ↑ Ps. 26,13
- ↑ Mt. 19,14
- ↑ Mc. 10,15
- ↑ 1 Cor. 14,20
- ↑ Sir. 20,1
- ↑ Ps. 112,1
- ↑ Id. 8,3
- ↑ 1 Cor. 1,31
- ↑ Rom. 1,21-22
- ↑ Ps. 112,2-3
- ↑ Isa. 46,4
- ↑ Ps. 112,4
- ↑ Id. 5,6
- ↑ Id.
- ↑ 2 Cor. 10,3-4
- ↑ Phil. 3,20
- ↑ Id. 1,23-24
- ↑ Col. 3,1
- ↑ Mt. 19,28
- ↑ Lc. 16,9
- ↑ 1 Cor. 9,11
- ↑ Eph. 5,8
- ↑ Id. 2,3-10
- ↑ Tit. 3,3-5
- ↑ 1 Cor. 2,19
- ↑ 1 Cor. 15,9
- ↑ 1 Tim. 1,13
- ↑ Ps. 112,7-8
- ↑ Mt. 19,28
- ↑ 1 Cor. 11,7
- ↑ Id. 2,10
- ↑ Isa. 54,1
- ↑ Exod. 14,22
- ↑ Jos. 3,15-17
- ↑ 1 Cor. 10,11
- ↑ Ps. 113,2-3
- ↑ Ps. 113,3-6
- ↑ Gal. 3,29
- ↑ Rom. 4,10-12
- ↑ Gen. 22,18
- ↑ Jn. 10,16
- ↑ Gen. 25,23-33 ; Rom. 9,13
- ↑ 2 Cor. 6,14
- ↑ Jn. 2,18
- ↑ 1 Cor. 10,1-8
- ↑ Mic. 7,15-19
- ↑ Ps. 21,19
- ↑ Rom. 2,28-29
- ↑ Jn. 1,12
- ↑ Mt. 11,28
- ↑ Jer. 2,27
- ↑ Phil. 3,13
- ↑ 2 Cor. 3,18
- ↑ Ps. 113,4
- ↑ 1 Cor. 4,14-15
- ↑ Ps. 28,1
- ↑ Id. 113,5-8
- ↑ Mt. 25,21
- ↑ Id. 34
- ↑ Ps. 122,7
- ↑ Mt. 27,20
- ↑ Ps. 113,8
- ↑ Jn. 4,14
- ↑ Jn. 6,61
- ↑ Lc. 24,26-27
- ↑ Jn. 7,37
- ↑ Ps. 113,1
- ↑ 1 Cor. 10,4
- ↑ Rom. 4,5
- ↑ Id. 5,6
- ↑ Ps. 113,2
- ↑ Ps. 129,3
- ↑ Ps. 113,1-2
- ↑ Id. 4
- ↑ Jer. 11,27
- ↑ Ps. 113,5-7
- ↑ Ps. 95,5
- ↑ 1 Cor. 10,19-20
- ↑ Rom. 1,25
- ↑ Ps. 113,8
- ↑ Id. 9
- ↑ Rom. 8,24-25
- ↑ Ps. 113B, 10
- ↑ Phil. 3,12-14
- ↑ 1 Cor. 13,12
- ↑ Ps. 113B, 11
- ↑ Id. 12,13
- ↑ 1 Cor. 10,5
- ↑ Rom. 3,3
- ↑ Id. 20,27-29
- ↑ Ps. 113B, 14
- ↑ Mt. 3,9
- ↑ Jn. 10,16
- ↑ 1 Cor. 4,15-16
- ↑ Ps. 113B, 15
- ↑ Id. 16
- ↑ 1 Cor. 3,6
- ↑ Sir. 17,26
- ↑ Prov. 18,3
- ↑ Ps. 125,1
- ↑ Lc. 15,6-24
- ↑ Ps. 114,2
- ↑ 1 Cor. 13,13
- ↑ Rom. 8,32
- ↑ Id. 10,14-15
- ↑ Id. 5,8-9
- ↑ Isa. 52,7
- ↑ Jol. 2,32
- ↑ Gal. 4,4
- ↑ Isa. 49,8
- ↑ 2 Cor. 6,2
- ↑ Ps. 145,5
- ↑ Id. 58,3
- ↑ Id. 38,6
- ↑ Id. 141,8
- ↑ Id. 78,11
- ↑ Id. 114,3
- ↑ Id. 4
- ↑ Id. 59,13
- ↑ Mt. 5,5
- ↑ Ps. 114,4
- ↑ Rom. 7,24-25
- ↑ Ps. 114,5
- ↑ Héb. 12,6
- ↑ Ps. 114,6
- ↑ Héb. 12,7
- ↑ Ps. 114,7-8
- ↑ Mt. 11,28-30
- ↑ Sir. 3,19
- ↑ Ps. 114,8
- ↑ Rom. 8,21
- ↑ Mt. 8,22
- ↑ Ps. 113B, 17-18
- ↑ Jn. 5,24
- ↑ Phil. 1,23
- ↑ Id. 3,20
- ↑ Ps. 114,9
- ↑ Rom. 8,8-11
- ↑ 2 Cor. 5,6
- ↑ Id. 8,9
- ↑ Rom. 8,23
- ↑ 1 Cor. 15,53-54
- ↑ 2 Thes. 3,2
- ↑ Isa. 53,1 ; Rom. 10,16
- ↑ Phil. 2,21
- ↑ Id. 1,27
- ↑ Rom. 16,18
- ↑ Gal. 1,9
- ↑ Jn. 14,6
- ↑ Gal. 5,6
- ↑ Phil. 1,18
- ↑ Mt. 23,3
- ↑ Id. 25,26
- ↑ Jn. 12,42-43
- ↑ Mt. 25,23
- ↑ Id. 13,12 ; 25,29
- ↑ Ps. 105,1
- ↑ Mt. 10,32
- ↑ 2 Tim. 2,9
- ↑ Ps. 115,11
- ↑ Ps. 81,6-7
- ↑ 2 Cor. 1,9
- ↑ Sag. 10,21
- ↑ Mt. 10,19-20
- ↑ Ps. 115,12
- ↑ Mt. 21,38
- ↑ Ps. 115,13
- ↑ Mt. 20,22
- ↑ Ps. 115,15
- ↑ Id. 16
- ↑ Gal. 4,26
- ↑ Id. 5,13
- ↑ Id.
- ↑ Rom. 6,20-22
- ↑ Ps. 115,17
- ↑ Id. 18
- ↑ Mt. 22,21
- ↑ Ps. 115,19
- ↑ Ps. 116,1
- ↑ Id. 2
- ↑ Voyez Discours sur le Ps. 113, serm. 1, num. 13.
- ↑ Ps. 41,5
- ↑ Sir. 39,19-21
- ↑ Lc. 10,21
- ↑ Id.
- ↑ Ps. 117,1
- ↑ Mc. 10,17-18
- ↑ Ps. 117,2-4
- ↑ Id. 113,12-14
- ↑ Id. 117,5
- ↑ Rom. 8,33
- ↑ Ps. 117,6
- ↑ Eph. 6,12
- ↑ Id. 5,8
- ↑ Id. 6,12
- ↑ Id. 2,2
- ↑ Ps. 117,7
- ↑ Id. 8
- ↑ Id. 9
- ↑ Dan. 12,1
- ↑ Ps. 117,10
- ↑ Ps. 117,12
- ↑ Id. 33,9
- ↑ Rom. 4,25
- ↑ Ps. 117,13
- ↑ Id. 8,5
- ↑ Id. 4
- ↑ Id. 15
- ↑ 2 Cor. 6,10
- ↑ Rom. 5,3
- ↑ Ps. 117,16
- ↑ Ps. 117,17
- ↑ Id. 18
- ↑ Id. 19
- ↑ Id. 41,5
- ↑ Ps. 83,5
- ↑ Ps. 117,20
- ↑ Apoc. 22,15
- ↑ Ps. 119,5
- ↑ Id. 117,21
- ↑ Id. 22
- ↑ Eph. 2,15-16
- ↑ Ps. 117,23
- ↑ Id. 24
- ↑ Id. 114,2
- ↑ Isa. 49,8
- ↑ Ps. 117,25
- ↑ Id. 119,7
- ↑ Id. 117,26
- ↑ Jn. 5,43
- ↑ 2 Cor. 5,13-14
- ↑ Ps. 117,27
- ↑ Mt. 21,9-42
- ↑ 1 Tim. 2,5
- ↑ Ps. 41,5
- ↑ Id. 117,28
- ↑ Id. 29
- ↑ Ps. 118,1
- ↑ Ps. 118,2
- ↑ Id. 3
- ↑ Mt. 23,3
- ↑ Prov. 1,28-29
- ↑ Mt. 16,16-22
- ↑ Isa. 55,6-7
- ↑ Mt. 5,10
- ↑ Id. 6
- ↑ Id. 5
- ↑ Jn. 1,8
- ↑ Id. 3,4
- ↑ Ps. 118,3
- ↑ Sag. 7,16
- ↑ Jn. 1,8
- ↑ Id. 9
- ↑ Rom. 7,16
- ↑ Id. 11,20
- ↑ Jn. 3,4
- ↑ Phil. 3,16
- ↑ 2 Cor. 12,18
- ↑ Id. 5,6-7
- ↑ Rom. 1,17
- ↑ Phil. 3,13-14
- ↑ 2 Tim. 4,7
- ↑ Jn. 1,8
- ↑ Rom. 7,15
- ↑ Id. 15-17
- ↑ Ps. 118,3
- ↑ Jn. 1,8
- ↑ Rom. 7,17-20
- ↑ Rom. 7,16
- ↑ Id. 6,12-13
- ↑ Rom. 7,17
- ↑ Mt. 6,12
- ↑ Id. 10-12
- ↑ Job. 7,1
- ↑ Mt. 6,12
- ↑ Rom. 4,5
- ↑ Jn. 14,6
- ↑ Rom. 4,7 ; Ps. 31,1-2
- ↑ Rom. 1,17
- ↑ Jn. 15,22
- ↑ Ps. 24,10
- ↑ Rom. 15,8-9
- ↑ Rom. 4,5
- ↑ Gal. 5,6
- ↑ Ps. 118,4-6
- ↑ Térence, Andr. Act. 1, sc. 1
- ↑ 1 Cor. 1,20
- ↑ Ps. 118,5
- ↑ Jac. 1,17
- ↑ Rom. 7,12-13
- ↑ Ps. 118,6
- ↑ Jac. 1,23-25
- ↑ Ps. 118,7
- ↑ Mt. 11,25
- ↑ Sir. 39,20-21
- ↑ Ps. 118,8
- ↑ 2 Cor. 5,19
- ↑ Ps. 29,7
- ↑ Id. 8
- ↑ Ps. 118,9
- ↑ Ps. 1,1
- ↑ Sir. 6,18
- ↑ Lc. 15,12-21
- ↑ 1 Cor. 15,46-49
- ↑ Rom. 10,8
- ↑ Gal. 5,6
- ↑ Ps. 117,10
- ↑ Gen. 3,24
- ↑ Rom. 5,12
- ↑ Ps. 84,7
- ↑ Ez. 34,16
- ↑ Jer. 10,23
- ↑ Ps. 118,11
- ↑ Id. 12
- ↑ Id. 83,8
- ↑ Ps. 118,13
- ↑ Rom. 11,33
- ↑ Jn. 16,12-13
- ↑ 1 Cor. 13,9-12
- ↑ Rom. 10,10
- ↑ Ps. 35,7
- ↑ Mt. 25,34-41
- ↑ 1 Cor. 6,9-10
- ↑ Rom. 2,9-10
- ↑ 1 Tim. 6,16
- ↑ Ps. 33,5
- ↑ Sag. 9,15
- ↑ Ps. 118,14
- ↑ Col. 2,3
- ↑ Rom. 5,8-9
- ↑ Jn. 14,6
- ↑ Rom. 8,32
- ↑ Ps. 118,15
- ↑ Ps. 118,17
- ↑ Mt. 8,22
- ↑ Rom. 1,17
- ↑ Gal. 5,6
- ↑ Rom. 4,5
- ↑ Tit. 3,5
- ↑ 1 Tim. 1,13
- ↑ 1 Cor. 7,25
- ↑ Rom. 1,17
- ↑ Id. 7,9-10
- ↑ 2 Tim. 4,7-8
- ↑ Ps. 102,4
- ↑ 1 Cor. 15,57
- ↑ Rom. 9,16
- ↑ 1 Cor. 7,25
- ↑ Lc. 17,5
- ↑ Mc. 9,23
- ↑ 2 Cor. 4,16
- ↑ Ps. 118,18-19
- ↑ Mt. 5,44
- ↑ Ps. 118,19
- ↑ Job. 7,1
- ↑ Sir. 40,1
- ↑ Ps. 38,13
- ↑ Héb. 11,13-16
- ↑ 2Co. 5,6
- ↑ 2Th. 3,2
- ↑ 2 Cor. 5,6-7
- ↑ Rom. 8,29
- ↑ Isa. 28,15
- ↑ Eph. 2,19
- ↑ Mat. 22,37-40
- ↑ Lc. 10,29-37
- ↑ Id. 15,13-18
- ↑ Phil. 3,19-20
- ↑ Ps. 118,20
- ↑ Exod. 20,17
- ↑ Rom. 7,7
- ↑ Gal. 5,17
- ↑ Sag. 6,21
- ↑ Rom. 7,7
- ↑ Gal. 5,17
- ↑ Ps. 118,23
- ↑ Ps. 118,20
- ↑ Id. 21
- ↑ Gen. 3,5
- ↑ Id. 9
- ↑ Ps. 118,22
- ↑ Mt. 5,44
- ↑ Ps. 115,15
- ↑ Lc. 15,12-24
- ↑ Ps. 118,23
- ↑ Mt. 26,3
- ↑ Ps. 118,24
- ↑ Mt. 5,44
- ↑ Ps. 118,22
- ↑ Ps. 118,25
- ↑ Phil. 3,20
- ↑ Job. 7,1
- ↑ 2 Cor. 4,16
- ↑ Id. 5,6
- ↑ Phil. 1,23
- ↑ Sag. 9,15
- ↑ 1 Thes. 4,12-16
- ↑ Ps. 72,20
- ↑ Gal. 5,17
- ↑ Rom. 9,7-8
- ↑ Ps. 118,26
- ↑ 2 Cor. 5,21
- ↑ Ps. 118,27
- ↑ Grec, sunetison me
- ↑ Ps. 118,28
- ↑ Ps. 118,29
- ↑ Rom. 5,20
- ↑ Id. 3,27
- ↑ Id. 10,3
- ↑ Ps. 118,30-31
- ↑ Rom. 9,16
- ↑ Ps. 118,32
- ↑ 2 Cor. 6,16
- ↑ Rom. 5,5
- ↑ Prov. 5,16
- ↑ Jn. 7,37-39
- ↑ Ps. 118,33
- ↑ 1 Tim. 1,9-11
- ↑ Exod. 31,18
- ↑ 2 Cor. 3,3
- ↑ Gal. 4,24
- ↑ Jer. 31,31-33
- ↑ Rom. 13,10
- ↑ 2 Tim. 1,9
- ↑ Ps. 33,2
- ↑ Id. 83,5
- ↑ 2 Tim. 3,7
- ↑ Ps. 104,4
- ↑ 1 Cor. 13,12
- ↑ Ps. 118,142
- ↑ 1 Cor. 2,10
- ↑ 2 Cor. 3,6
- ↑ Rom. 5,20
- ↑ Ps. 118,34
- ↑ Mt. 22,37-40
- ↑ Ps. 118,35
- ↑ Mt. 7,14
- ↑ Rom. 9,16
- ↑ Phil. 2,13-14
- ↑ Ps. 118,36
- ↑ 1 Tim. 6,10
- ↑ Gen. 3,5
- ↑ Job. 1,9
- ↑ Ps. 118,37
- ↑ Jn. 14,6
- ↑ Rom. 8,20
- ↑ Sir. 1,2-3
- ↑ Eph. 4,10
- ↑ Col. 3,1-3
- ↑ Rom. 8,20-25
- ↑ Mt. 6,22-23
- ↑ Mt. 6,1
- ↑ Id. 5,16
- ↑ Sir. 1,2-12
- ↑ Ps. 59,13
- ↑ Jer. 17,16
- ↑ Ps. 143,4
- ↑ Jn. 12,43
- ↑ Eccl. 6,9
- ↑ Ps. 118,37
- ↑ Id. 38
- ↑ Rom. 8,15
- ↑ Jn. 4,18
- ↑ Isa. 11,3
- ↑ Ps. 18,10
- ↑ Id. 118,19
- ↑ Mt. 6,1
- ↑ Id. 19
- ↑ Id. 24
- ↑ Mt. 6,25
- ↑ Id. 7,1
- ↑ 2 Cor. 10,12
- ↑ Job. 1,9-11
- ↑ 1 Cor. 13,4
- ↑ Jn. 13,31-35
- ↑ Mt. 12,40
- ↑ Ps. 118,40
- ↑ 1 Cor. 1,30-31
- ↑ Jn. 1,40
- ↑ Ps. 118,41
- ↑ Rom. 9,8
- ↑ 1 Cor. 1,30-31
- ↑ Rom. 4,17
- ↑ 1 Cor. 15,10
- ↑ Ps. 118,42
- ↑ 1 Cor. 1,23
- ↑ Jn. 1,1-14
- ↑ 1 Cor. 2,8
- ↑ Lc. 20,18
- ↑ Rom. 10,8-10
- ↑ Mt. 10,20
- ↑ Ps. 118,43
- ↑ Mt. 26,70-75
- ↑ Mt. 6,13
- ↑ Lc. 22,32
- ↑ Grec, epelpisa.
- ↑ Rom. 13,10
- ↑ 1 Cor. 15,28
- ↑ Ps. 118,40-48
- ↑ Rom. 5,5
- ↑ 2 Cor. 6,2
- ↑ Mt. 22,40
- ↑ Id. 7,7-51
- ↑ Lc. 11,13
- ↑ Rom. 7,15
- ↑ Gal. 4,6
- ↑ Rom. 8,14
- ↑ Gal. 5,6
- ↑ Mt. 10,18
- ↑ Ps. 118,47-48
- ↑ Rom. 5,5
- ↑ 1 Tim. 1,5
- ↑ 1 Cor. 12,31
- ↑ Eph. 3,19
- ↑ Ps. 118,49-50
- ↑ Id. 41,10
- ↑ Id. 43,24
- ↑ Ez. 18,22
- ↑ Ps. 32,11
- ↑ Ps. 118,10
- ↑ Jac. 4,6 ; 1 Pi. 5,5
- ↑ Lc. 14,11 ; 18,14
- ↑ Sir. 2,4-5
- ↑ Lc. 21,19
- ↑ Id. 18
- ↑ Rom. 8,25
- ↑ 1 Cor. 10,13
- ↑ Lc. 22,31-32
- ↑ Mt. 6,13
- ↑ Ps. 118,50
- ↑ Id. 51
- ↑ Ps. 123,2-3
- ↑ Gen. 3,23
- ↑ Ps. 143,4
- ↑ Eph. 1,4-5
- ↑ Ps. 118,49-51
- ↑ Id. 52
- ↑ Ps. 118,53-54
- ↑ Lc. 10,30-37
- ↑ Ps. 118,55
- ↑ 1 Cor. 4,5
- ↑ Id. 1,31
- ↑ Ps. 113,1
- ↑ Ps. 123,8
- ↑ Id. 118,56
- ↑ Rom. 10,3
- ↑ Ps. 103,21
- ↑ 1 Pi. 5,8
- ↑ Sir. 10,14
- ↑ Ps. 118,71
- ↑ Phil. 2,13
- ↑ Ez. 36,27
- ↑ Ps. 118,57
- ↑ Id. 72,28
- ↑ 2 Cor. 3,6
- ↑ Rom. 7,8
- ↑ Jol. 2,32 ; Rom. 10,13
- ↑ Ps. 118,58-59
- ↑ Phil. 2,13
- ↑ Ps. 24,15
- ↑ Rom. 9,8-9
- ↑ Ps. 118,60
- ↑ Id. 61
- ↑ Eph. 2,2
- ↑ Amartolon
- ↑ Isa. 5,18
- ↑ 2 Tim. 2,9
- ↑ Ps. 118,62
- ↑ 1 Pi. 4,17-18
- ↑ Ps. 118,63
- ↑ Héb. 2,11-14
- ↑ Jn. 1,12-13
- ↑ Ps. 118,65
- ↑ Jn. 8,35
- ↑ Jn. 4,18
- ↑ Rom. 4,16
- ↑ Ps. 118,66
- ↑ Lc. 17,5
- ↑ Héb. 12,6
- ↑ Id. 11
- ↑ 1 Cor. 8,1
- ↑ Ps. 118,78
- ↑ Lc. 24,45-46
- ↑ Ps. 142,10
- ↑ Id. 84,13
- ↑ Id. 142,6
- ↑ Ps. 118,67
- ↑ Rom. 8,20
- ↑ Ps. 118,68
- ↑ Id. 69
- ↑ Mt. 24,12
- ↑ Ps. 117,70
- ↑ Ps. 67,16
- ↑ Jac. 4,6 ; 1 Pi. 5,5
- ↑ Ps. 118,71
- ↑ 2 Cor. 5,21
- ↑ Ps. 118,72
- ↑ Gen. 2,7
- ↑ Jn. 1,3
- ↑ Ps. 118,73
- ↑ Id. 8,4
- ↑ Id. 101,26
- ↑ Id. 94,5
- ↑ 1 Cor. 1,24
- ↑ Isa. 53,1
- ↑ 1 Cor. 12,11
- ↑ Isa. 57,16
- ↑ Gen. 2,7
- ↑ Zach. 12,1
- ↑ Jer. 1,5
- ↑ Eph. 4,23
- ↑ Rom. 12,2
- ↑ Eph. 4,17-18.23
- ↑ Act. 15,9
- ↑ Rom. 10,17
- ↑ Isa. 7,9
- ↑ selon les LXX
- ↑ Eph. 4,17
- ↑ Dan. 10,14
- ↑ Id. 8,15-16
- ↑ Jn. 1,4-9
- ↑ Col. 3,3
- ↑ Ps. 118,73
- ↑ Rom. 12,2
- ↑ Ps. 118,74
- ↑ Gen. 12,3 ; 26,4
- ↑ Grec, epelpisa
- ↑ Job. 7,1
- ↑ Mt. 13,48
- ↑ Ps. 30,20
- ↑ Id. 21
- ↑ Eph. 3,20
- ↑ 1 Cor. 10,12
- ↑ Sir. 40,1
- ↑ Gal. 5,17
- ↑ Ps. 118,75-76
- ↑ Ps. 24,10
- ↑ Id. 118,77
- ↑ Mt. 19,17
- ↑ Jn. 5,29
- ↑ Gal. 5,6
- ↑ Mt. 24,12
- ↑ Ps. 118,78
- ↑ Id. 79
- ↑ Ps. 118,80
- ↑ Tit. 3,5
- ↑ Gal. 5,17
- ↑ Mt. 6,12
- ↑ Lc. 6,37-38
- ↑ Ps. 118,81
- ↑ 2 Tim. 2,16
- ↑ Id. 3,13
- ↑ Ps. 83,3
- ↑ 1 Pi. 2,9
- ↑ Lc. 2,26
- ↑ Mt. 13,17
- ↑ Agg. 2,8
- ↑ 2 Tim. 4,8
- ↑ Col. 3,4
- ↑ Rom. 8,25
- ↑ Grec, epelpisa.
- ↑ Ps. 118,82
- ↑ Id. 6,4
- ↑ Sag. 11,21
- ↑ Ps. 118,83
- ↑ Rom. 13,14
- ↑ Ps. 118,84
- ↑ Apoc. 6,10-11
- ↑ Act. 1,7
- ↑ Ps. 118,83
- ↑ Ps. 118,86
- ↑ Ps. 118,87
- ↑ Id. 88
- ↑ Ps. 118,69
- ↑ 1 Cor. 3,11
- ↑ Rom. 3,21
- ↑ Gal. 4,24-26
- ↑ Ps. 86,5
- ↑ Id. 103,5
- ↑ Jn. 8,35
- ↑ Ps. 118,91
- ↑ Ps. 118,24
- ↑ Rom. 13,13
- ↑ Os. 4,5
- ↑ selon les LXX
- ↑ Ps. 118,92
- ↑ Gal. 5,6
- ↑ Ps. 118,93
- ↑ Id. 94
- ↑ Id. 33,1
- ↑ Ps. 118,95
- ↑ Id. 96
- ↑ Id. 72,17
- ↑ Sir. 4,33
- ↑ 1 Cor. 13,3
- ↑ Rom. 5,5
- ↑ Ps. 17,37
- ↑ Mt. 22,37-40
- ↑ Ps. 118,96-97
- ↑ Gal. 5,17
- ↑ Rom. 3,27
- ↑ Gal. 5,6
- ↑ Lc. 11,10-13
- ↑ Rom. 5,5
- ↑ Id. 8,14
- ↑ Mt. 8,11
- ↑ Jn. 8,35
- ↑ Lc. 13,28-30
- ↑ Rom. 9,30-32
- ↑ Ps. 118,98
- ↑ Rom. 10,2-3
- ↑ Phil. 3,9
- ↑ Rom. 9,32
- ↑ Id. 10,4
- ↑ Id. 3,24
- ↑ Mt. 5,6
- ↑ Id. 7,7
- ↑ Gal. 4,24
- ↑ Mt. 22,37-40
- ↑ 1 Cor. 15,28
- ↑ Ps. 118,99
- ↑ 1 R. 3,12
- ↑ Eph. 5,31-32
- ↑ Lc. 2,42-47
- ↑ Mt. 15,1-18
- ↑ 1 Tim. 1,7
- ↑ Ps. 118,101
- ↑ Sir. 18,30
- ↑ Gal. 5,17
- ↑ Ps. 118,102
- ↑ Id. 103
- ↑ Id. 84,13
- ↑ Sir. 1,26
- ↑ Id. 3,22
- ↑ Ps. 118,105
- ↑ Jn. 1,1
- ↑ Id. 5,35
- ↑ Jn. 1,1-9
- ↑ Id. 8,12
- ↑ Mt. 5,14
- ↑ Mt. 5,14-16
- ↑ Ps. 33,6
- ↑ Apoc. 21,23
- ↑ Jn. 1,14
- ↑ 1 Tim. 2,5
- ↑ Rom. 10,17
- ↑ 2 Pi. 1,19
- ↑ Ps. 118,106
- ↑ Ps. 118,107
- ↑ Lc. 21,19
- ↑ Ps. 61,6
- ↑ Id. 118,108
- ↑ Ps. 52,8
- ↑ Id. 118,109
- ↑ Sag. 3,1
- ↑ Id. 7,16
- ↑ Lc. 15,12-24
- ↑ Ps. 24,1
- ↑ Id. 118,110
- ↑ Id. 111
- ↑ Prov. 8,35
- ↑