Cours d’agriculture (Rozier)/JARDIN

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 1-83).


JARDIN. Espace quelconque de terrein, ordinairement entouré par des murs, ou par des fossés, ou par des haies, sur lequel on cultive séparément, ou des arbres, ou des légumes, ou des fleurs, ou le tout ensemble. Ces trois objets déterminent toutes espèces de jardins. On peut cependant ajouter un quatrième ordre, aujourd’hui appelé jardin anglois, qui renferme les trois premiers, & bien au-delà, puisque jusqu’aux prairies, aux terres labourables, aux forêts, &c. sont de son ressort & entrent dans sa composition. Il s’agit de toutes les espèces de jardin, & sur-tout du jardin potager & fruitier, à cause de leur utilité.


Plan du Travail.


CHAP. I. Du jardin potager ou légumier.
Sect. I. De son exposition.
Sect. II. De son sol et de sa préparation.
Sect. III. Du temps de semer, soit relativement au climat de Paris, soit à celui des provinces du midi.
CHAP. II. Des jardins fruitiers.
Sect. I. De leur formation.
Sect. II. Des travaux qu’ils exigent dans chaque mois de l’année.
Sect. III. Catalogue des arbres fruitiers les plus estimés.
CHAP. III. Des jardins mixtes, c’est-à-dire, légumiers et fruitiers en même-temps.

CHAP. IV. Des jardins à fleurs.
Sect. I. De sa situation, de la préparation du sol, &c.
Sect. II. Énumération des fleurs agréables ou odorantes.
Sect. III. Du tems de semer.
Sect. IV. Du tems de planter les oignons, les renoncules & les anemones.
CHAP. V. Des jardins de propreté ou de plaisance.
Sect. I. Des observations préliminaires avant de former un jardin.
Sect. II. Des dispositions générales d’un jardin.
CHAP. VI. Des jardins anglois.

CHAPITRE PREMIER.

Du Jardin potager ou légumier.

On doit faire une très-grande différence entre celui de l’homme riche & celui d’un simple particulier ; du jardin maraicher, à la porte d’une grande ville ou dans les campagnes. La disparité est encore plus forte entre les légumiers des provinces du nord, que l’on arrose à bras, & ceux des provinces du midi, arrosés par irrigation. (Voyez ce mot essentiel à lire.)

La richesse enfante le luxe, & le luxe multiplie les besoins, sur-tout les besoins superflus. Le financier veut à prix d’argent soumettre la nature à ses goûts ; rapprocher, pour ainsi dire, les climats, afin d’obtenir leurs productions diverses ; & aidé par l’art, jouir des présens de Pomone au milieu des rigueurs de l’hiver. Ces jouissances à contre-temps flattent la vue & la vanité ; le goût l’est-il ? C’est ce dont on se soucie bien peu. De-là le potager de l’homme riche doit avoir, au moins dans une partie, des quarreaux entourés & coupés par des murs, afin d’y placer les couches, les chassis vitrés, les serres chaudes, &c. ; le maraîcher voisin des grandes villes où les fumiers de lisière sont très-abondans, obtient à peu près les mêmes effets par des soins multipliés & jamais suspendus, par des abris formés avec des roseaux, des paillassons autour de ses couches, couvertes avec des cloches de verres, & de paille longue au besoin. Le maraîcher des campagnes, ou voisin d’une petite ville, profite des abris naturels, s’il en a, & attend patiemment que la saison de semer & de planter soit venue, suivant le climat qu’il habite.

Un Parisien qui voyage est tout étonné de ne pas trouver dans les provinces qu’il parcourt, les légumes aussi avancés que dans les environs de la capitale. Il y a un mois, dit-il avec un air de satisfaction, que l’on y mange des laitues pommées, des petits pois, des melons. &c. &c. ; & aussitôt il conclut que les maraîchers & jardiniers de l’endroit sont des ignorans. Tel est le langage de l’homme qui juge & tranche sur tout sans avoir auparavant examiné s’il est possible de cultiver autrement dans les provinces, c’est-à-dire, si le jardinier voulant & pouvant très bien cultiver comme dans les environs de la capitale, retireroit un produit capable de le dédommager de ses avances.

Les primeurs sont chèrement payées à Paris sur-tout, parce que l’argent y regorge : le litron de petits poius, qui y est vendu jusqu’à 200 livres, vaudroit un petit écu dans les provinces, & encore la vente en seroit douteuse. Cependant, pour se procurer cette primeur, le maraîcher de province auroit été obligé de faire les avances de chassis vitrés, de cloches & d’une quantité de fumier de litière, soit pour les couches soit pour les réchaux (voyez ces mots) : mais un tombereau de fumier sortant de dessous les pieds des chevaux, lui coûte 40 sous ou 3 livres ; il lui en faudra au moins vingt. Le malheureux aura donc sacrifié en pure perte son temps & son argent pour acquérir la gloire stérile d’avoir des primeurs. Je mets en fait que le premier melon ne se paie pas plus de 14 sous à Aix & à Montpellier, & il en est ainsi de toutes les autres parties du jardinage. C’est le local, ce sont les abris naturels qui doivent décider du temps de semer, de planter, &c. ; tout le reste est superfluité & confirme l’antique proverbe, qui dit que chaque chose doit être mangé dans sa saison. Je ne veux pas cependant conclure que les gens riches, & qui habitent en province, doivent strictement se conformer à la méthode du jardinage adoptée dans leurs cantons, je les invite très-fort au contraire à envoyer leurs jardiniers s’instruire auprès de ceux de Paris, parce qu’il en résultera, 1°. une plus grande dépense de la part du propriétaire, & qui augmentera le bien-être de la classe des journaliers ; 2°. parce que son jardinier une fois instruit ne bouleversera pas la méthode de son canton, mais il la perfectionnera dans plusieurs de ses points, sans augmenter la dépense ; objet essentiel, sans lequel il ne réussira jamais auprès des jardiniers qui vivent & payent leur ferme du produit de la vente de leurs légumes. L’homme riche ne regarde pas de si près ; il veut jouir, coûte qui coûte ; voilà le but de ses désirs & de ses dépenses : mais une chose que l’on ne conçoit pas, c’est que le financier qui sacrifie pour le luxe de son potager des sommes qui fourniroient au-delà de la subsistance de dix familles, relègue ce même potager dans un coin, & le dérobe à la vue par des charmilles, & souvent par des murs, comme si c’étoit un objet méprisable & peu digne de figurer dans son parc ! Il traitera de provinciale ma manière de juger des objets. Je souscris à toutes les qualifications qu’il plaira lui donner ; mais à mon goût, rien ne flatte plus agréablement la vue, qu’un potager bien entretenu. La diversité des verds & des formes des plantes qu’on y cultive, offre une multiplicité de nuances qui enchante ; & de cette espèce de désordre, naît la beauté du coup-d’œil. C’est-là que l’on voit la végétation dans toute sa pompe, l’agréable réuni à l’utile, & l’assommante & symétrique uniformité en est bannie. Chacun a sa manière de voir ; telle est la mienne.

Section Première.

De l’exposition d’un Légumier.

Elle est à peu de chose près indifférente à l’homme riche, parce qu’à force d’entasser pierre sur pierre, d’élever des murs & des terrasses, il se procure les abris qu’il désire : ces dépenses excèdent pour l’ordinaire la valeur du fond ; mais rien n’est perdu, parce que l’ouvrier y a gagné.

En général, l’exposition du levant & du midi sont à préférer ; la plus mauvaise est celle du nord. Ces assertions sont générales ; mais elles souffrent de grandes restrictions. Avant de déterminer l’emplacement d’un légumier, on doit connoître depuis deux à trois ans quels sont les vents dominans du climat, & surtout les points d’où partent les vents impétueux & les orages. Les quatre points cardinaux désignent les principaux vents ; mais dans tel canton le nord, par exemple, y amène les froids, les glaçons & des coups de vents terribles, tandis que dans d’autres le nord-ouest est le seul glacial & orageux. Ici le vent d’est est dévorant par sa chaleur, tandis que dans la province voisine c’est le vent pluvieux. Que conclure, sinon que toute règle générale en ce genre est abusive, & que l’étude seule des climats & des abris du canton doit fixer l’emplacement d’un jardin potager ? Cependant, comme l’eau est la base fondamentale de la prospérité d’un jardin, on doit y avoir égard, à moins que la source, la pompe, le puits ou le réservoir soient placés sur un lieu assez élevé pour que l’eau coule par sa pente naturelle près de l’extrémité, dans de petits bassins, si on arrose à bras, ou à son entière extrémité sur toutes ses parties, si on arrose par irrigation.

Si le légumier est d’une vaste étendue, on aura beau multiplier les réservoirs particuliers, remplis par l’eau du réservoir général, ou par celle de la pompe, ou par celle du puits, il ne faudra pas moins pomper ou puiser cette eau, & arroser à bras cette vaste superficie Que de soins perdus, & sur-tout que de peines pour les malheureux valets chargés des arrosemens ! La noria, ou puits à chapelet (voyez ce mot, & indiqué à celui d’Irrigation), diminuera l’ouvrage des trois quarts, parce qu’il y a beaucoup de grosses plantes que l’on peut arroser ainsi, même dans nos provinces du nord. En supposant que la chose fût impossible, il en résulteroit toujours qu’une mule ou un cheval monteroit plus d’eau en deux ou trois heures, qu’un ou plusieurs hommes n’en monteroient dans les vingt-quatre. Économie dans la dépense, la première mise une fois faite, & économie dans l’emploi du temps, sont les premiers bénéfices.

Le potager doit être placé près de l’habitation & près des dépôts de fumier ; cependant, si le jardinier a son logement dans le légumier même, il est alors presqu’indifférent qu’il soit plus ou moins rapproché de l’habitation du maître, parce que le jardinier est dans le cas de veiller à sa conservation & d’empêcher les dégâts. Malgré cela, il est bon que le maître puisse, de sa demeure, voir ce qui se passe dans son potager, surveiller son jardinier & ses valets. Il n’est pour voir que l’œil du maître, sur-tout lorsqu’il n’est pas d’humeur & qu’il ne croit pas être du bon ton de se laisser voler & piller impunément.

Quelques auteurs conseillent de placer le légumier à la naissance d’un petit vallon, parce qu’elle forme une espèce d’amphithéâtre circulaire, plus ou moins allongé. J’adopte leur sentiment jusqu’à un certain point. Il est clair que cette situation offre les différentes expositions, & multiplie les abris ; & par conséquent, on peut avoir mieux que par-tout ailleurs, & jardin d’été, & jardin d’hiver. Malgré ces avantages, il convient d’y renoncer complettement, pour peu que le plan incliné soit, je ne dis pas rapide, mais un peu au-delà de la pente très douce.

Plusieurs de nos provinces sont sujettes à des pluies fréquentes, & d’autres à des pluies d’orage, les seules que l’on connoisse pendant l’été dans celles du midi. Ces pluies entraînent l’humus ou terre végétale (voyez les mots Amendemens, Engrais, & le dernier chapitre du mot Culture), qui doit faire la base essentielle de la terre d’un jardin, & qui est le résultat des débris des végétaux, des animaux & des engrais qu’on y prodigue. Si j’avois à choisir, je préférerois le terroir plat au-dessous de l’amphithéâtre formé par le vallon. Une seule pluie d’orage entraîne plus de terre végétale, qu’il ne s’en forme dans une année.

Le sol du bas des vallons est toujours très-bon en général, & très-productif, parce qu’il est engraissé par la terre végétale que les eaux ont fait descendre du vallon, & qu’elles y ont accumulée : mais souvent ce local est marécageux. Le premier soin est donc d’ouvrir un large & profond fossé de ceinture tout autour du jardin, 1°. afin d’y recevoir en dépôt la terre végétale entraînée du coteau ; 2°. d’y contenir les eaux, & les empêcher d’inonder le jardin ; 3°. pour servir d’écoulement aux eaux du sol, & l’assainir. Avec de telles précautions on aura un fond excellent. Cependant on a encore à redouter les funestes effets des brouillards, que les cultivateurs appellent des rosées. Dans une matinée, toutes les plantes sont couvertes comme d’une espèce de rouille qui les fait périr, ou du moins les empêchent de prospérer. C’est par la même raison que les légumiers placés près des bois, ou entourés de hautes charmilles, &c. ne réussissent jamais aussi-bien que ceux qui sont à découverts, & où les vents dissipent l’humidité vaporeuse de l’atmosphère. Dans les jardins ordinaires, le niveau de pente est trop fort à deux pouces par toise.

Les jardins en terrasses les unes sur les autres, offrent d’excellens abris, de bonnes expositions, de beaux espaliers, des places favorables aux couches, aux châssis ; mais ils ne conviennent qu’à des gens riches : leur entretien est dispendieux & ruineux pour le particulier, parce qu’il faut tout y transporter à bras d’hommes, sans parler des frais de construction. Les terrasses, toutes circonstances égales, consomment beaucoup plus d’eau lors des arrosemens, que les terreins plats, à cause des abris qui augmentent la chaleur ; & comme dans ce point d’élévation il y a un plus grand courant d’air, l’évaporation est de beaucoup plus considérable. Les légumes cultivés sur ces terrasses sont plus savoureux, plus parfumés que ceux venus dans un bas fond.

L’exposition avantageuse ou nuisible d’un jardin, doit, je le répète, varier suivant les climats & les vents dominans, & souvent elle dépend de la position de l’eau. Comme tous ces points sont susceptibles de se sous-diviser à l’infini, je persiste à dire qu’il est impossible d’établir des règles invariables, ce seroit induire en erreur le cultivateur crédule. Qu’il étudie le pays qu’il habite, c’est là le seul livre à consulter ; il y trouvera une certitude, dont la base sera l’expérience.

Section II.

Du sol d’un Légumier, & de sa préparation.

Voulez-vous avoir des légumes monstrueux pour la grosseur ; ayez un fond de terre de deux pieds environ, uniquement composé de débris de couches, de débris de végétaux unis à quantité de fumiers, enfin une quantité d’eau suffisante aux arrosemens. Ces légumes seront magnifiques à la vue ; mais le goût sera-t-il satisfait ? non ; ils sentiront l’eau & le fumier. Les laitues, les herbages que l’on cultive en Hollande, sont monstrueux par leur volume, ils étonnent, & voilà tout. Leur graine transportée & semée ailleurs, quand les circonstances ne sont pas égales, la plante acquiert en qualité, en saveur, ce qu’elle perd en volume, & semée plusieurs fois de suite dans un terrein médiocre, elle revient par dégénérescence au premier point dont elle est partie, sur-tout s’il y a une grande différence dans le climat. (Voyez le mot Espèce.)

Désirez-vous obtenir des légumes bons & bien savoureux ; ayez une terre franche, modérément fumée & arrosée ; mais ce n’est pas le compte des maraîchers, il leur faut du beau & du promptement venu ; la qualité leur importe peu.

C’est d’après l’un ou l’autre de ces points de vue, qu’il faut choisir le sol d’un jardin. Comme on n’est pas toujours le maître du choix, l’art doit suppléer à la nature, & il en coûte beaucoup lorsqu’on veut la maîtriser. C’est au propriétaire à examiner le but qu’il se propose ; il travaille à se procurer des légumes pour sa consommation, ou pour en faire vendre la plus grande partie. Dans ce cas, qu’il dispose donc le sol de son jardin en conséquence ; voici une loi générale, capable de servir de base à la culture de tous les légumes en général. L’inspection des racines décide la nature & la profondeur du sol qui leur convient. Les plantes potagères sont ou à racines fibreuses, ou à racines pivotantes. (Voyez le mot Racine.) Il est clair que les premières n’exigent pas un grand fond de terre, puisque leurs racines ne s’enfoncent qu’à cinq ou six pouces de profondeur. Les secondes, au contraire, demandent une terre qui ait du fond, & une terre peu tenace. Sans l’une & l’autre de ces conditions, elles ne pivoteront jamais bien. Or, si le terrein n’est pas préparé par les mains de la nature, il faut le faire ou renoncer à une bonne culture. Afin de diminuer les frais, le propriétaire destinera une partie de son terrein aux plantes à racines fibreuses, & l’autre aux racines pivotantes, & lui donnera par le travail ou par le mélange des terres, la profondeur convenable. Il est aisé, dans le fond d’un cabinet, de prescrire de pareilles règles ; il n’en est pas ainsi lorsqu’il s’agit de les mettre en pratique ; le travail est long, pénible, très-dispendieux & souvent trop au-dessus des moyens du cultivateur ordinaire. Celui qui se trouvera dans ce cas, doit se résoudre à ne défoncer ou à ne mélanger chaque année qu’une étendue proportionnée à ses facultés ; s’il emprunte pour accélérer l’opération, c’est folie.

Il n’est pas possible d’attendre aucun succès, si on rencontre une terre argilleuse ; la préparation qu’elle demande, coûteroit plus que l’achat du sol. La terre rougeâtre, que le cultivateur appelle aigre, est dans le même cas ; elle est bonne, tout au plus, à la culture des navets. Un des grands défauts de la terre pour les jardins, est d’être trop forte, trop compacte, trop liante ; elle retient l’eau après les pluies, se serre, s’agglutine & se crevasse par la sécheresse. Lorsque le local ou la nécessité contraignent à la travailler, la seule ressource consiste à y transporter beaucoup de sable fin, des cendres, de la chaux, de la marne, de grands amas de feuilles, & toutes sortes d’herbes, afin d’en diviser les pores. Malgré cela, en supposant même tous ces objets réunis & transportés à peu de frais, ce ne sera qu’après la troisième ou quatrième année que l’on commencera réellement à jouir du fruit de ses dépenses & de ses travaux.

Après avoir reconnu la qualité de la couche supérieure jusqu’à une certaine profondeur, on doit s’assurer de la valeur de la couche inférieure. Si celle-ci, par exemple, est sablonneuse, elle absorbera promptement l’eau de la supérieure, & le jardin exigera de plus fréquens arrosemens. Si au contraire elle est argilleuse, il ne sera pas nécessaire d’autant arroser pendant l’été ; mais dans la saison des pluies, il est à craindre que les plantes ne pourrissent. Ces attentions préliminaires sont indispensables avant de fixer l’emplacement d’un jardin. De ces généralités, passons à la pratique.

Long-tems avant de tracer le plan d’un jardin, on doit avoir mûrement examiné les avantages & les inconvénient du local, la position de l’eau, la facilité dans sa distribution, la commodité pour des charrois, le transport commode & le lieu du dépôt des engrais, enfin la position où seront construits le logement du jardinier, le hangard destiné à mettre à couvert les instrumens aratoires, & le terrein destiné au placement des couches, des châssis, des serres, &c. suivant l’objet qu’on se propose.

Le plan & le local une fois décidés, & le jardin tracé, il ne s’agit plus que de défoncer le sol, afin que dans la suite on soit en état de le travailler par-tout également. Si un particulier aisé entreprend la confection d’un jardin, il doit ouvrir des allées de communication entre chaques grands quarreaux ; celle du milieu, & qui correspond à l’entrée, sera la plus large. (Consultez le mot Allée, relativement aux proportions à garder.) Le jardin de l’humble maraîcher n’a pas besoin de cet agrément, son but capital est de profiter du plus de superficie qu’il est possible.

Les allées tracées, on enlèvera la couche supérieure de terre, & on la mettra en réserve, suivant que le terrein total sera pierreux ; on excavera les allées, afin de recevoir les pierres & cailloux qui se présenteront lors de la fouille générale. Le grand point, le point essentiel est de si bien prendre ses précautions, qu’on ne soit jamais obligé de manier ou transporter deux fois la même terre.

Si le sol est marécageux ou simplement humide, ces pierrailles deviendront de la plus grande utilité, & serviront à établir des aqueducs, ou filtres ou écouloirs souterreins, qui transporteront les eaux au-dehors de l’enceinte. Afin d’éviter les répétitions, voyez ce qui sera dit en parlant de l’assainissement des Prairies.

La fouille du total de l’emplacement doit être de trois pieds de profondeur. Si on veut économiser, on donnera ce travail à l’entreprise, & à tant par toise quarrée de superficie sur la profondeur convenue. Mais pour ne pas conclure un marché en dupe, on commencera à faire fouiller, à journées d’hommes, une ou deux toises, & on jugera ainsi, toute circonstance égale, quel doit être la dépense générale, & combien on doit payer par toise. Si on désire connoître bien particulièrement le prix, il faut que le propriétaire ne quitte pas d’un seul moment ses travailleurs, & qu’il calcule ensuite à combien lui revient chaque toise. S’il s’en rapporte à d’autres yeux qu’aux siens, il est difficile qu’il ne soit pas trompé. Malgré l’avis que je donne, mon intention n’est pas que le propriétaire se prévale des lumières qu’il a acquises pour ruiner les prisataires. Il faut que ces gens vivent, & gagnent plus sur le prix fait, que si l’ouvrage avoit été commencé & fini à journées, parce qu’ils travailleront beaucoup plus, la tâche étant à leur compte, que s’ils remuoient la terre à journées. Il ne convient pas non plus que les intérêts du propriétaire soient lésés ; à prix fait, bien entendu, il en coûte moins, & l’ouvrage est beaucoup plutôt achevé. C’est au propriétaire à veiller ensuite sur la manière dont l’opération s’exécute. Pour cet effet, il coupe un morceau de bois, & marque la longueur de deux ou trois pieds, suivant la profondeur convenue, & de tems à autre il vient sur le chantier, & enfonce en différens endroits cette jauge, afin de se convaincre que les ouvriers se sont conformés aux conditions admises. Si la jauge n’enfonce pas, l’ouvrier ne manquera pas d’objecter qu’elle est arrêtée ou par une pierre, ou par une motte de terre mal brisée. C’est aussi ce que le propriétaire doit examiner aussi-tôt, en faisant enlever la terre jusqu’à l’endroit qui présente de la résistance, afin de convaincre l’ouvrier de sa friponnerie ou de sa négligence à ne pas enlever les pierres, ou à ne pas briser les mottes, comme il y étoit obligé par l’acte ou les conventions du prix fait. Si au contraire la résistance vient de ce que l’ouvrier n’a pas donné à la tranchée la profondeur convenable, il doit sur-le-champ faire suspendre tout l’ouvrage, jusqu’à ce que le vice soit réparé. La sévérité est nécessaire avec l’ouvrier ; payez-le bien, & faites-vous bien servir ; si vous lui passez une faute, il en commettra cent, & vous finirez par être complettement sa dupe.

Est-il nécessaire, dans la fouille générale du sol, de comprendre celui sur lequel les allées sont ou doivent être tracées ? Plusieurs auteurs sont pour la positive ; quant à moi, je n’y vois qu’une dépense superflue. Les premiers disent : si on ne fouille pas tout le terroir, celui des quarreaux sera plus élevé que celui des allées, & elles deviendront un cloaque après chaque pluie. Les seconds conviennent du fait ; mais, comme il n’existe point de terrein, ou presque point, sans pierres, sans graviers, les allées sont destinées à les recevoir, & ces gravats les rehausseront, les assainiront, & l’eau ne pourra pas les détremper, sur-tout si on a la précaution de les ensabler & de les niveler lorsque tout l’ouvrage sera fini. C’est donc dans le cas seulement où il seroit impossible de se procurer du sable & des pierrailles, qu’il conviendroit de fouiller la totalité du sol. On pourroit encore éviter les trois quarts de la dépense, en portant sur ces allées, & avec la brouette, un peu de terre des quarreaux voisins ; alors les allées seront de niveau, ou, si l’on veut, plus élevées que le reste.

Supposons actuellement que tout soit disposé pour commencer les tranchées sur la longueur ou sur la largeur d’un quarreau. On commence par enlever la terre de la première fouille de trois pieds de profondeur sur quatre à cinq pieds de largeur, & on la porte à l’autre extrémité du quarreau. Les Brouettes (Voyez ce mot), sont très-commodes pour l’opération, d’ailleurs, elles peuvent être conduites par des femmes ou par des jeunes gens, dont les journées sont de moitié moins cheres que celles des hommes, & elles font autant d’ouvrages. On peut encore se servir de tombereaux ; mais je réponds, d’après ma propre expérience, que ce second moyen est plus coûteux.

La première tranchée ouverte, & la terre enlevée, les ouvriers commencent la seconde & en jettent la terre derrière eux, s’ils se servent de pioches ou de tels autres instruments à manches recourbés, en observant que la terre de dessus soit retournée & forme le dessous. Au contraire si l’ouvrier travaille avec la Bêche (Voyez ce mot) il va à reculons & jette devant lui & dans le creux, la terre qu’il souleve avec cet outil. Dès que le sol n’est pas pierreux, je préfère la Bêche à tout autre instrument, parce que la terre est mieux & plus régulièrement divisée, émiettée & nivelée. — L’ouvrier continue ainsi son travail, jusqu’à ce qu’il parvienne à l’extrémité du quarreau. Là il trouve la première terre transportée, qui lui sert à remplir le vuide formé par la derniere tranchée, alors le quarreau est complettement défoncé, & sa superficie se trouve de niveau.

Plusieurs particuliers couvrent de fumier la superficie du sol à défoncer. Je ne vois pas le but de cette opération, à moins que le terrein ne soit destiné à être tout à la fois & légumier & fruitier. Dans ce cas, l’engrais servira & favorisera l’accroissement des racines des arbres qu’on doit planter ; mais dans un simple légumier, les racines des plantes n’iront jamais chercher la nourriture à trois pieds de profondeur ; ni aucun travail, à moins qu’il ne soit semblable au premier, ne ramènera jamais plus cet engrais à la superficie. Si les tranchées ont été bien conduites, la terre de la superficie, une fois retournée, doit occuper le fond de la tranchée, & celle du fond le dessus.

Dans quel temps doit-on commencer à ouvrir les tranchées ? Cela dépend des saisons, du climat, de la nature du sol, & de l’époque à laquelle les ouvriers sont le moins occupés. Dans les pays méridionaux, il convient de commencer l’opération à la fin de janvier ou de février, afin que la terre ait le temps de s’approprier les influences de l’atmosphère & d’être pénétrée par la lumière & la chaleur vivifiante du gros soleil d’été ; quelques légers labours, même à la charrue, suffiront à la préparation des planches, des tables, &c., à moins qu’il ne soit survenu de grosses pluies d’orage ; on pourroit encore commencer à semer & à planter les légumes pour l’hiver suivant. Il est bon cependant d’observer qu’il vaut mieux donner quelques coups de charrue pendant l’été, afin de détruire les mauvaises herbes, que de trop-tôt se hâter de semer & de planter. Dans les provinces du nord, l’automne est la saison favorable ; la terre n’est ni trop sèche ni trop mouillée. Si elle est trop sèche, le travail est long, pénible & coûteux ; si elle est trop pénétrée par l’eau, il est inutile de le commencer, on paîtriroit la terre, on la durciroit & on la retourneroit mal. Dans quelque climat que l’on habite, on doit consulter les circonstances ; l’hiver & les glaces produisent dans le nord un effet opposé à ceux des provinces du midi, ils soulèvent le terrein & l’émiettent, mais les pluies & la fonte des neiges le tassent & le plombent trop vite.

Plusieurs Auteurs qui se sont fidèlement copiés les uns après les autres, conseillent de défoncer le sol jusqu’à la profondeur de quatre pieds, si on ne peut pas facilement se procurer de l’eau pour arroser, parce que la terre ainsi profondément retournée, conserve la fraîcheur pendant plus long-temps. Je demanderois à ces Auteurs s’ils pensent de bonne foi que cette terre se soutiendra toujours ainsi soulevée ; si petit à petit elle ne se plombera pas, & si une fois plombée elle conservera plus de fraîcheur qu’auparavant ? Je crois au contraire qu’il y aura plus d’évaporation, & par conséquent que les effets de la sécheresse se manifesteront bien plus vite. Sans la quantité convenable d’eau pour les arrosemens, il faut renoncer à toute espèce de grand légumier, à moins que l’on n’habite un pays où les pluies soient très-fréquentes pendant l’été, & en outre un pays ou la chaleur soit très tempérée dans cette saison.

J’ai dit plus haut que le sol des tranchées devoit être défoncé à la profondeur de trois pieds, mais c’est dans le cas qu’on plante des arbres fruitiers dans le légumier ; autrement la tranchée de deux pieds de profondeur est très-suffisante, parce que je ne connois point de légumes à racine pivotante qui plonge au-delà de ce terme. À quoi sert donc de multiplier la dépense, & d’enfouir au fond de la tranchée de trois pieds la terre de la superficie qui ne reverra jamais le jour, & qui devient inutile à la nourriture des plantes ?

Si la fouille a été faite immédiatement avant l’hiver, il est à propos de couvrir le sol avec du fumier bien consommé, afin que les pluies, les neiges la détrempent & imbibent la terre de sa graisse. Si au contraire la fouille a été faite après l’hiver, il convient d’enterrer le fumier à quelques pouces de profondeur, afin que l’ardeur du soleil & le courant d’air ne détruisent & ne fassent pas évaporer ses principes vivifians. Ce que je viens de dire supposé qu’on n’a pas la puérile envie de jouir du terrein aussitôt après que le travail est fini. Je ne cesserai de répéter ce qui a été dit au mot Défrichement, au mot Amendement. Il faut que la terre de dessous, ramenée à la superficie, ait eu le temps d’être travaillée & pénétrée par les météores. On éloigne, il est vrai, le moment de jouir, mais on jouit ensuite bien plus sûrement.

Jusqu’à présent tout a été du ressort des manœuvres ou journaliers ; ici commence le travail du jardinier. Il soudivise ses quarreaux en tables ou planches, & dispose le local des petits sentiers de séparation. Si le jardin doit être arrosé par irrigation, il trace la place des rigoles & celles des plates-bandes, en un mot, il prépare le terrein pour recevoir des plans enracinés, ou les semences.

Le simple jardin légumier ne demande aucun plan étudié ; des quarreaux plus ou moins allongés sont tout ce qu’il exige. C’est la commodité, la facilité dans le service, dans l’arrosement, le transport des fumiers qu’il faut se procurer par dessus tout, enfin ne rien négliger de ce qui tend à simplifier le travail & à diminuer les frais de main-d’œuvres. C’est là le premier bénéfice.

Il me reste encore une question à examiner. Les fouilles ou tranchées plus ou moins profondes sont-elles indispensables dans tous les cas lorsqu’il s’agit de créer un jardin ? Elles sont très-utiles en général, mais elles ne sont pas toujours d’une nécessité absolue. Cette distinction tient à la qualité du sol ; en effet, si la couche de terre est par elle même profonde, meuble, riche, & si elle ne retient pas trop l’eau, à quoi serviront les grandes tranchées ? si le sol est naturellement composé d’un sable gras & fertile, les fouilles le rendront d’un côté plus perméable à l’eau, & de l’autre plus susceptible d’évaporation. Les fouilles ont pour but de faciliter le pivotement & l’extension des racines, & dans les deux cas cités, rien ne s’oppose à leur développement. Les grandes fouilles sont donc ici très-inutiles, il suffit avant de tracer le jardin, d’égaliser le terrein à la charrue, afin d’enlever les brousailles, les touffes d’herbe, & de passer ensuite la herse sur les deux labours croisés, afin de niveler & d’égaler le terrein. On parviendra par cette méthode à tracer facilement les allées, & la plus légère raye les dessinera & les séparera, à l’œil, du sol destiné à former les quarreaux, les plates-bandes &c. Le plan une fois tracé, arrêté & fixé par différents piquets, il ne s’agit plus que de bien fumer la superficie, & de donner un fort coup de bêche pour l’enterrer.

Section III.

Du tems de semer.

Fixer une époque générale pour les semailles, c’est établir l’erreur la plus décidée, ou bien il faut se contenter d’écrire pour un canton isolé, & encore doit-on subordonner à la manière d’être des saisons, les préceptes que l’on donne. Cependant comme je ne puis traiter ici de tous les cantons du royaume en particulier, je me contente d’envisager les deux extrémités, celle du midi & du nord, comme les deux qui sont les plus opposées. Les particuliers dont les jardins s’éloignent des extrémités de l’un ou de l’autre climat, modifieront l’époque des semailles en raison de leur éloignement, & sur tout en raison des abris que la nature leur fournit. (Voyez le mot Agriculture, chap. III des Abris., afin de juger jusqu’à quel point ils influent sur la végétation, ou combien dépendent d’eux son accélération ou son retard). Lille en Flandres & Paris sont les exemples pour le nord, Marseille & Béziers pour le midi. Les deux ** indiquent qu’il faut semer sur couche & sous cloche pour le climat de Paris seulement. La couche & la grande paille, au besoin, suffisent pour l’autre. La seule * marque que la graine demande à être semée dans un lieu bien abrité ; le reste sans * en pleine terre.

ÉPOQUES DES SEMAILLES.
Climat de Paris et de Flandres. Climat des bords de la Méditerranée.
Janvier. Janvier.
** Feves. ** Melons.
** Laitues crêpe. ** Concombres.
versailles. ** Pourpier.
printanière. ** Céleri.
** Melons. * Radis.
** Radis. * Petites raves.
** Petites raves. * Choux-fleurs hâtifs.
** Pourpier vert. * Laitues allemande.
** Chicorée sauvage. pomme de Berlin.
** Cardons. grosse rouge.
** Concombres. jeune rouge.
** Cerfeuil. coquille.
** Cresson alénois. passion.
* Oignons de S. Antoine. grosse blonde.
grosse gorge.
bapaume.
les gênes.
l’italie.
la royale.
la gotte.
sanguine ou flagellée.
chicon rouge.
panaché.
gris.
hâtif.
* Cresson alenois.
* Mâche
* Cerfeuil.
Poireaux.
Oignons.
Choux blancs.
pommés.
de milan.
verds.
rouges.
Feves.
Pois.

Persil.
Échalote.
Épinards.
Février. Février.
** Melons. ** Choux fleur.
** Aubergines. brocoli.
** Petites raves. cabu ou pomme.
** Radis. de Milan.
** Pourpier vert. de Strasbourg.
** Concombres. ** Poivre d’Inde.
** Oignons ** Aubergine.
** Carottes. ** Courges.
** Chou de milan. ** Concombres.
** Chou-fleur. ** Melons.
** Basilics. ** Céleri.
** Couches à champignon. ** Basilic.
** Asperges. ** Laitues coquille.
** Haricots. paresseuse.
* Pois verts. Versailles.
michauds. d’Autriche.
domini. brune de Hollande.
nains. Perpignan.
* Feves de marais. petite crêpe.
* Ail. grosse crêpe.
* Échalotes. celles du mois précédent.
* Rocamboles.
* Ciboule. * Oignons d’automne.
* Oignon. Pois.
* Chicorée. Fenouil.
* Escarolle. Chervis.
* Chou frisé nain. Topinambour.
Épinards. Pomme de terre.
Cerfeuil. Poirée.
Persil. Petites raves.
** Les laitues du mois précédent. Radis de toute espèce.
Persil.
Fèves.
Fournitures de salades.
Cardons d’Espagne.
Haricots.
Asperges.
Carottes.
Panais.
Salsifix.
Cerfeuil.

Chicorée.
Escarolle.
Mâche.
Senevé.
Arroche.
Lentilles.
Mars. Mars.
** Couches à champignons Laitues à coquille.
** Melons. de la passion.
** Potirons. romaine.
** Courges. chicon verd.
** Concombres. gris.
** Chou-fleur. d’Espagne.
** Céleri. d’Allemagne.
** Capucine. panaché.
** Basilic. alphange.
** Chicorée sauvage. On peut encore essayer les laitues des mois précédents.
** Feves de marais.
** Haricots. Porreaux.
* Laitues Versailles. Oignons d’été.
La george.     d’automne.
La petite crêpe.     échalotes.
La Bagnolet.     aulx.
Persil. Pois quarrés.
Cerfeuil. nains.
Radis. à parchemin.
Raifort. romain.
Petites raves. d’Angleterre.
Navets. verd.
Pimprenelle. michaud.
Pourpier verd. baron.
Poirée. à cul noir.
Cresson alénois. de tous les mois.
Oignons. goulus.
Épinards. Feves.
Feves de marais. Chervi.
Pois. Raifort.
Carottes jaunes & rouges. Radis.
Lentilles. Petites raves.
Pommes de terre. Épinards.
Pois. Persil.
Chicorée sauvage. Poirée.
Moutarde. Betteraves jaunes.
rouges.

Cardons.
Haricots.
Artichauds.
Asperges.
Basilic.
Capucine.
Bourrache.
Sarriete.
Carotes.
Panais.
Scorsonère.
Salsifix.
Céleri.
Cerfeuil.
Chicorée de toute espèce.
Pourpier.
Cresson alenois.
Angélique.
Courges.
Melons.
Concombres.
Estragon.
Percepierre.
Navets.
Radis.
Petites raves.
Pommes de terre.
Topinambour.
Pomme d’amour ou tomates.
Choux de toutes les espèces, & même le chou-fleur.
Avril. Avril.
** Chou de milan. Laitues la royale.
fleur. la crêpe blonde.
** Céleri. la petite rouge.
** Cardon. la capucine.
** Potiron. l’Autriche.
** Différentes laitues. Roulette verte.
** Pourpier doré. Tous les chicons.
Chou de Milan. Chou fleur.
Poirée. de Milan.
Radis. rave.
Petites raves. brocolis.

  Chicorées.   Pois à cul noir.
Maïs ou blé de Turquie. nains.
Cardon. goulus.
Haricots. michauds.
Pois à cul noir. Oignons.
goulu. Chicorées endives.
quarré. Épinards.
Feves. Persil.
Persil. Feves.
Carotte jaune. Raifort.
rouge. Radis de toute espèce.
Laitues. Cardons.
Chicorée sauvage. Artichaux.
Salsifix. Haricots.
Betterave jaune. Oxès ou alléluia.
rouge. Anis.
Sarriette. Oseille.
Panais. Basilic.
Laitues de Silésie. Carottes.
de Versailles. Scarsonne.
d’Italie. Salsifix.
Chou frisés. Pourpier.
nains. Pommes d’amour ou tomates.
fleurs durs. Poivre d’Inde.
de la S. Remi. Aubergine.
fleurs durs. Navet.
Céleri long. Fenouil.
plein.
branchu.
Cardons.
Potirons.
Concombres.
Mai. Mai.
** Chou-fleur   Laitues chicons de toute espèce.
Chou tardif brune de Hollande.
Cardons d’Espagne. petite crêpe.
Melons. Chou de Milan.
Haricots blancs. fleur tardif.
Feves de marais. raye.
Poirée. Pois à cul noir.
Oseille. Épinards.
Céleri. Raifort.
Cerfeuil.

  Laitues.   Radis de toute espèce.
Pourpier doré. Poirreaux.
Pois, & sur-tout le quarré blanc. Haricots verds.
Choux d’hiver. d’Espagne.
Scorfonères. blancs communs.
Betteraves. Carottes.
Concombre. Scorsonère.
Cornichons. Céleri.
Radis. Chicorée endive frisée.
scariole.
à la régence.
de Meaux.
Pourpier.
Cresson alenois.
Concombres.
Tomates.
Poivre d’Inde.
Navets gris.
Juin. Juin.
  Haricots.   Chicons de toute espèce.
Chicorées. Choux verds.
Mâche. Milan.
Poirée blonde & verte. brocolis.
Pourpier doré. Pois nains.
Laitues d’été. à cul noir.
Chicons verds.
Toutes espèces de radis, & surtout le gros radis noir de Strasbourg.
Cerfeuil.
Choux pommés hâtifs. Épinards.
frisés hâtifs. Haricots.
de Milan. Concombres.
Pois michaud. Carottes.
suisse. Basilic.
Radis. Chicorée endive, scariole.
Raves. Pourpier doré.
Raiforts. Mâche.
Juillet. Juillet.
  Oseille.   Laitues.
Poirée. Ciboules.
Cerfeuil. Épinards.
Laitue royale. Radis de toute espèce.

  Chicorées.   Haricots de toute espèce, excepté celui d’Espagne.
Pourpier doré.
Pois michaud. Cerfeuil.
quarrés. Endives de toute espèce.
Navets. Navet.
Radis. Pourpier.
Raiforts.  
Raves.
Chou de bonneuil.
Haricots.
Oignons blancs.
Ciboule.
Fraisier des mois.
Août. Août.
  Cerfeuil.   Laitues petite crêpe.
Chicorées. grosse blonde.
Poirée. brune de Hollande.
Épinards. cocasse.
Navets. coquille.
Laitues d’hiver. la passion.
Mâche. laitue épinard.
* Oignons blancs. Chicons romains et verts.
Raves. Oignons d’été.
Ciboule. Choux fleur.
Oseille. cabus.
* Choux fleurs durs. de Milan.
pommés hâtifs. Épinards.
frisés hâtifs. Cardons.
Milan. Carottes.
gros de Milan. Scorsonère.
de bonneuil. Endives.
d’Aubervilliers. Chicorées.
Salsifix. Mâche.
Scorsonère. Navets.
Raves.
Raiforts.
Radis de toute espèce.
Septembre. Septembre.
  Raves.   Laitues à coquille.
Radis. de la passion.
Raiforts. pommées.

  Carottes jaunes & rouges.   Laitues petite crêpe.
Épinards. brune de Hollande.
Mâche. la roulette.
Oignons blancs. la royale.
Cerfeuil. la gênes.
* Pois michauds. chicons d’Allemagne.
Épinards.
Oignons. à remettre en terre.
Ail.
Rocambole.
Échalotes.
Chou-fleur hâtif.
Cerfeuil.
Endives.
Chicorées.
Mâches.
Navets.
Radis.
Petites raves.
Octobre. Octobre.
Épinards. * Chou fleur.
Cerfeuil. cabu.
Mâche. * Feves.
Radis. * Concombres.
Petites raves. Oignons.
* Pois verts. Endives.
Laitue romaine. Chicorées.
crêpe. Raiforts.
* Chou fleur. Navets.
Radis.
Petites raves.
Épinards.
Pois goulus.
barons.
michauds.
nains.
Mâche.
Cresson alenois.
Coriande.
Novembre. Novembre.
* Pois verts. à semer en mannequin. Laitues roulette.
dominé. la george.
michau. la mignone.
de Silésie.
panachée.
de la passion.
capucine.
paresseuse.
d’Autriche.
crêpe verte.
* Chicons.
Oignons.
Raifort.
Radis.
Petites raves.
Épinards.
* Feves.
Pois michauds.
nains.
goulus.
Décembre. Décembre.
* Pois verts. Laitues, les mêmes que dans le mois précédent, & en sus :
* Feves de marais.
    la rouge pommée.
    la royale.
    la Versailles, & les mêmes qu’en janvier.
Oignons.
Fèves.
* Radis.
* Petites raves.

On sera peut être étonné de voir certaines espèces semées chaque mois de l’année, surtout dans les provinces méridionales, les radix, les épinards par exemple. Sans cette précaution on n’en auroit à cueillir que depuis le mois de septembre jusqu’en mars ; alors les derniers & les premiers seroient trop durs après trois semaines ou un mois de leur semis. Si on veut jouir pendant toute l’année, il faut semer souvent, parce que la grande chaleur fait promptement monter les plantes en graines. On peut dire en général que chaque graine est dans le cas d’être semée à trois époques différentes dans les mêmes années ; mais il faut avoir un jardinier intelligent qui sache saisir le moment. Cette classe d’hommes a une routine très-bonne en elle-même, & sait que le jour de la fête de tel saint, il convient de semer telle & telle espèce. Si la saison est dérangée, ses plantes montent en graine, ou ne réussissent point, il rejette la faute sur la qualité de la graine, tandis que cela tient à la constitution de la saison qui ne s’accordoit pas avec son calendrier. Ce fait prouve encore combien les époques générales que l’on prescrit sont abusives.

Le particulier riche croit faire des merveilles d’appeler chez lui des jardiniers instruits auprès des grandes villes, sur-tout si elles sont éloignées de son canton. Cet habile homme sur lequel il fonde ses espérances, sera pendant les deux premières années très-inférieur aux jardiniers les plus communs du pays, parce qu’il n’en connoît point le climat ; mais s’il a de l’intelligence, s’il sait observer & raisonner la méthode du pays, à coup sur il la perfectionnera dans la suite.

Ce seroit perdre ici son temps de présenter un tableau semblable au précédent, pour indiquer les époques auxquelles on doit transplanter les semis, cueillir les graines, serfouir, enterrer les plantes à blanchir &c. &c. Tous ces objets dépendent du climat, je le répète, on transplante lorsque le semis est assez fort, on travaille le pied des plantes, on les sarcle autant de fois qu’elles en ont besoin ; on récolte la graine quand elle est mûre, on fait blanchir les cardons, les chicorées, lorsque les pieds sont assez forts &c. &c. Il ne faut que des yeux pour juger ; les préceptes sont abusifs, & l’Auteur fait parade d’une vaine & inutile érudition, à moins qu’il n’écrive pour un très-petit canton ; s’il généralise, tout est perdu.

CHAPITRE II.

Des Jardins fruitiers.

Le règne de Louis XIV fut l’époque de la perfection des arts en France, comme celui de François I de la renaissance des lettres. L’art des jardins fruitiers prit une nouvelle forme. Laquintinie parut, & les arbres autrefois livrés à eux-mêmes, couvrirent de leurs branches, de leurs feuilles, de leurs fleurs & de leurs fruits, la nudité & la rusticité des murs. Enfin dans ses mains l’arbre prit la forme d’un espalier, d’un éventail & d’un buisson. Ce grand homme opéra une révolution presque aussi entière dans la culture du légumier.

Pendant que la France & l’Europe entière admiroient & adoptoient les méthodes de M. Laquintinie, & qu’on s’extasioit à la vue de ses espaliers, de simples particuliers, conduits par le génie de l’observation & de l’expérience, perfectionnoient à petit bruit, ou plutôt presqu’ignorés, la théorie de la taille des arbres. Enfin après des travaux soutenus pendant près d’un siécle, on a commencé à se douter que les seuls habitans du village de Montreuil (Voyez ce mot) avoient découvert le secret de la nature. Ce n’est que depuis quelques années que la vérité gagne de proche en proche. Il faudra bien du temps pour que la révolution soit générale & complette ; on tient à ses anciens préjugés ; on les caresse & il est difficile d’en secouer le joug. Les partisans de la méthode de M. de Laquintinie ne croiront pas sur paroles, & ils demanderont des preuves sur la supériorité de celle des Montreuillois. Sans entrer ici dans aucune discussion, je leur dirai seulement, on voit encore aujourd’hui à Montreuil des pêchers plantés à la fin du siècle dernier. Que l’on cite un pareil exemple dans les fruitiers de M. Laquintinie, & dans tout le reste du royaume. M. Laquintinie connut le genre de culture de ces bons travailleurs, mais trop attaché à la méthode qu’il avoit imaginée, & encouragé par les louanges qu’un grand Roi & la nation lui prodiguoient, il crut au-dessous de lui de devenir imitateur. Il avoit fait venir le jeune Pepin, cultivateur de Montreuil, qui tailla en sa présence plusieurs arbres, mais Laquintinie jaloux ou enthousiaste de sa propre méthode, se hâta de le congédier, & Pepin de retourner à son village y cultiver l’héritage de ses pères.

Section Première.

De la formation des Jardins fruitiers.

Ils supposent nécessairement une plus grande profondeur à la couche de terre végétale que celle des légumiers, afin que le pivot des arbres plonge & s’enfonce sans contrainte, & sur-tout sans être forcé de s’étendre horizontalement. Ceci demande des développemens, & éprouvera beaucoup de contradiction. Comme chacun a sa manière de voir, si on condamne la mienne, je ne force personne à l’adopter.

J’établis en principes 1°. Qu’on ne doit planter aucun arbre dépouillé de son pivot. 2°. Que tout arbre doit être greffé franc sur franc ; il résulte donc de ces deux assertions que pour se procurer un bon & excellent jardin fruitier, il faut une couche de terre qui ait beaucoup de profondeur. On concluroit à tort que je désapprouve les jardins fruitiers dont la couche de terre franche n’a que trois ou quatre pieds, & qui porte sur une couche de gravier ou de pierrailles &c. Lorsqu’il n’est pas possible de se procurer un autre sol, on est forcé de se contenter de celui-là, il est inutile alors de laisser le pivot, & de ne planter que des arbres greffés franc sur franc. Ces exceptions ne détruisent pas les deux assertions générales, elles les confirment au contraire, puisque nulle règle sans exception. Mais je persiste à dire que celui qui est assez heureux pour avoir un grand fond de terre & de bonne terre, doit en profiter & en tirer le meilleur parti. Je conviens que des arbres ainsi plantés resteront plus long-temps à se mettre à fruit, sur-tout s’ils sont taillés suivant la marotte ordinaire ; que certaines espèces réussissent mieux greffées sur cognassier, sur prunier, &c. Il ne s’agit pas ici de quelques exceptions particulières, mais de la masse des arbres fruitiers considérée dans son ensemble. En suivant les procédés que j’indique, on ne sera pas obligé de remplacer chaque année un grand nombre d’arbres & souvent un tiers ou une moitié après la première année de la plantation ; enfin, on aura des arbres forts & vigoureux qui subsisteront pendant plusieurs générations d’hommes. J’ose dire plus, si un particulier avoit la patience d’attendre, je lui conseillerois de semer sur place le pepin, le noyau &c ; de cultiver leur produit avec les mêmes soins que les semis des pépinières ; enfin de greffer lorsque les troncs auroient acquis la grosseur convenable & déterminée pour recevoir la greffe, (Voyez ce mot). La beauté & la durée de tels arbres bien conduits, feroient époques dans le canton, sur-tout si on n’avoir pas eu la manie de les semer trop près les uns des autres. On auroit alors l’arbre naturel, & l’arbre dans toute sa force. Que l’on considère dans une forêt l’arbre venu de brin ou celui venu sur souche, & on décidera auquel des deux on doit donner la préférence ! Il en est ainsi de l’arbre fruitier. Je sais que la greffe s’oppose à la grande & naturelle extension de l’arbre, mais par exemple les abricotiers à noyaux doux n’ont pas besoin d’être greffés pour produire leurs espèces, ainsi que plusieurs autres fruits à noyaux. Je demande si on pourra comparer avec eux, pour la force, pour la vigueur, un abricotier, un pêcher greffé sur un prunier ou sur amandier, &c. &c., si le pommier ou le poirier sont aussi vigoureux greffés sur cognassier que sur franc ? enfin, si un arbre quelconque, dont on a supprimé le pivot, végéte aussi rapidement & dure autant que celui dont on a ménagé le pivot, & sur-tout que celui qui a été semé à demeure ? Nier ces faits, c’est vouloir se refuser à l’évidence ; il y a très-peu d’exceptions à cette loi. L’on veut jouir, & jouir promptement, dès-lors il faut contrarier la nature, & l’arbre, par une caducité précoce, la venge des loix qu’on a violées.

Il est très-ordinaire de voir, dans un jardin fruitier, les arbres à fruits d’été, d’automne & d’hiver, mêlés indistinctement les uns avec les autres ; on ne sépare pas plus les arbres dont la végétation a une force, par exemple, comme douze de ceux dont le degré de végétation n’excède pas six. Il résulte de ces bigarrures, qu’une allée, qu’une partie d’un espalier sont dégarnis de fruits & de feuilles, tandis que les arbres de certaines places en sont chargés. Il vaut beaucoup mieux destiner un emplacement pour chaque espèce en particulier ; par exemple, tous les bons chrétiens d’été ensemble, &c. &c. Il en est ainsi pour les arbres inégaux en végétation. N’est-il pas plus agréable à voir dans une allée des arbres taillés, soit en évantail, soir en buisson, & tous de la même force & de la même hauteur, plutôt que d’en voir un plus haut, l’autre plus bas ? Le jardinier aura beau tailler long ou court, par exemple, une arménie panachée, ses branches ne s’élèveront, ne s’étendront & ne se feuilleront jamais autant que celles d’un dagobert, &c., le premier aura perdu ses feuilles à la première matinée fraîche, tandis que l’autre ne se dépouillera qu’aux gelées. Que d’exemples pareils il seroit facile de rapporter !

J’insiste sur la séparation des espèces, afin que le jardinier ne fasse point de méprise à la taille. L’homme instruit connoît la qualité de l’arbre à la seule inspection du bois ; mais, pour parvenir à ce point de certitude, il faut une longue pratique, & surtout avoir l’art de bien observer. Un autre avantage qui résulte de cette séparation, consiste dans la facile cueillette des fruits, elle évite le transport çà & là des échelles, des paniers, &c.

Voici encore une proposition qui paroîtra paradoxale à bien des gens ; j’ose avancer qu’on doit planter, dans les endroits les plus froids & les plus battus des vents, les arbres à fleurs les plus précoces, comme abricotiers, pêchers, amandiers, &c. Ces arbres, originaires d’Arménie & de Perse, se trouvent en France dans un climat bien différent ; cependant ils y fleurissent dès que le dégré de chaleur de l’atmosphère est le même que celui qui les metroit en fleur dans leur pays natal ; ils ont beau avoir changé de climat, ils obéissent, quand les circonstances ne s’y opposent pas, à la loi que la nature leur a assignée dans le nouveau. Aussi voit-on, lorsque les fortes gelées sont tardives, des pêchers, des amandiers fleurir à la fin de décembre & souvent de janvier ; or, en plaçant ces arbres dans l’endroit le plus froid & le plus exposé aux grands courrans d’air, ils ne fleuriront pas en pure perte, ni si-tôt que les autres arbres de leur espèce, plantés contre de bons abris. D’ailleurs, ils fleuriront plus tard au printemps, le développement & l’épanouissement étant retardé, la fleur craindra beaucoup moins les funestes effets des gelées tardives du printemps. Admettons encore que ces arbres soient en fleurs dans le même temps que le seront ceux qui sont bien abrités, je ne crains pas de dire que les fleurs de ces derniers seront bien plus maltraitées que les autres, en raison de l’humidité qui les recouvre, tandis que le courant d’air l’aura dissipée sur les fleurs des premiers. On fera très-bien cependant d’avoir de bons abris pour les pêchers, les abricotiers, les amandiers, surtout dans les provinces du nord, afin que si les gelées détruisent les fleurs des arbres plantés sur l’élévation, elles n’endommagent pas celles des arbres bien abrités, & ainsi tour à tour. J’ai observé un très grand nombre de fois, dans l’intérieur du royaume, que les gelées du printemps nuisoient plus aux arbres des bas fonds qu’à ceux des coteaux ou des éminences. Les sols argileux sont à comparer aux bas fonds ; ils retiennent l’eau trop long-temps, quand une fois ils en sont imbibés ; la chaleur a-t-elle dissipé leur humidité, leurs molécules se resserrent, s’adaptent les uns aux autres, & la masse se durcit au point que les racines n’ont plus la liberté de s’étendre. Les fruits cueillis sur ces arbres n’ont ni saveur ni parfum, & ces arbres offrent sans cesse le triste spectacle de la nature souffrante, & qui dépérit insensiblement.

Les jardins fruitiers sont communément environnés de murs, soit afin de défendre les fruits contre le pillage, soir pour se procurer de beaux espaliers. (Voyez ce mot.) Les arbres y sont plantés & taillés ou en espalier, ou en contrespalier, ou en évantail, ou en buisson, ou bien, livrés à eux-mêmes, s’ils sont à plein vent. Tout le monde convient que le fruit de ces derniers est infiniment supérieur au goût ; mais dans nos Provinces du nord la chaleur n’est souvent pas assez forte pour lui faire acquérir une parfaire maturité : il convient, & on est forcé alors de les tenir ou à mi-tige, ou ravalés par une taille quelconque, soit en évantail, soit en buisson. Le premier offre le long d’une allée une jolie tapisserie de verdure, singulièrement embellie au temps des fleurs, & très-riche lorsque les fruits ont acquis leur grosseur & leur couleur ordinaire ; mais la monotonie est fatiguante. Les seconds permettent à la vue de pénétrer à travers le vuide qui reste entre eux, à mesure qu’ils s’éloignent & forment une cloche dont l’évasement est au sommet. Il est certain que si tous ces arbres sont à la même hauteur, que s’ils ont un égal diamètre, ils produisent un très-bel effet. (Voyez les mots Buisson, Buissonnier.)

Je n’aime pas la bigarrure le long des allées ou des espaliers, que présentent les arbres à mi-tige, placés alternativement avec les arbres nains : ou tout un, ou tout autre. Le mi-tige seul figure très-bien, & la vue se promène agréablement par dessous. L’arbre en éventail fait tapisserie, & ne permet pas de voir au-delà, pour peu que ses branches soient élevées. Lorsqu’on plante, on doit considérer 1°. l’utile, 2°. l’agréable.

Admettons qu’on ait à former la totalité d’un jardin fruitier, & qu’on désire avoir des arbres sous toutes les formes ; les allées une fois tracées, le sol divisé par plate-bandes ou par quarreaux, on réservera les quarreaux du fond aux arbres à plein vent, les quarreaux qui les précèdent seront destinés aux arbres à mi-tige, ceux en avant aux arbres taillés en buissons ; les seconds quarreaux aux arbres nains, livrés à eux-mêmes, & tels qu’ils pousseront après les avoir ravalés après leur plantation, & encore mieux sans les avoir ravalés ; enfin, les quarreaux sur le devant seront occupés par des arbres taillés en éventail.

On sera peut-être étonné que je place dans le nombre des nains des arbres qui ne seront point sujets à la serpette ni à la taille ; outre qu’ils produiront un effet pittoresque, & un peu sauvage au milieu de ces arbres symétriquement arrangés, j’ose assurer que chaque année ils se chargeront de beaucoup plus de fruits que les autres, & l’on sera surpris de leur étonnante végétation. Enfin, après une longue suite d’années, on les mettra, si l’on veut, & sans courir aucun risque, en arbres à plein vent ; il suffira petit-à-petit & médiocrement chaque année, de supprimer les branches les plus basses, & de recouvrir soigneusement les plaies avec l’onguent de Saint Fiacre. (Voyez ce mot.) Au surplus, la disposition de la forme des arbres dépend de la volonté du propriétaire.

Lorsque l’on plante un fruitier, l’espace paraît immense, & le pied de chaque arbre, très-éloigné du pied voisin, parce qu’alors on n’aperçoit qu’un tronc mince, sans branches, sans feuilles, & absolument nud ; mais pour peu qu’on ait l’habitude de voir & de juger de l’espace qu’il occupera dans la suite, on se règle alors sur la distance proportionnelle que les arbres exigeront entre eux : c’est pourquoi j’ai conseillé de mettre chaque espèce à part, soit par rapport au fruit, soit par rapport à la force de la végétation de chaque espèce. Ce n’est pas tout : on doit encore connoître la manière d’être & de végéter de chaque arbre, dans le pays qu’on habite, & relativement au sol : par exemple, les bons chrétiens d’été, d’Ausch, à feuilles de chêne, &c. poussent bien plus vigoureusement, (toutes circonstances égales) dans les Provinces du midi que dans celles du nord ; ils demandent donc à être plus éloignés entr’eux dans cette région qu’aux environs de Paris. C’est de cette manière que l’homme instruit juge & compare, tandis que l’ignorant tire des coups de cordeaux, alligne & espace symétriquement ses arbres. Eh ! le coup d’œil, dira-t-on, doit-il être compté pour rien ? Je réponds : Eh ! qu’importe votre coup d’œil à la nature ? croyez-vous que la beauté d’un jardin dépend d’une monotone symétrie ? Le premier point est de tirer du sol tout le parti possible, & d’avoir des arbres de la plus grande beauté. Veut-on encore absolument ne pas déroger au total à l’ordre symétrique ? eh bien, placez dans les premiers rangs les arbres qui étendent moins leurs branches & s’élèvent moins, & ainsi successivement pour les autres, selon l’ordre de la végétation. Alors les coups de cordeaux seront sur le devant plus serrés, & plus larges dans le fonds ; mais comme l’effet de la perspective est de paroître diminuer de largeur à mesure qu’elle se prolonge, la suppression d’un, de deux ou de trois ou quatre arbres sur le fond sera insensible, suivant la grandeur & la largeur du quarreau ; alors, au lieu d’avoir des lignes droites, vous en aurez d’obliques, mais parallèles & symétriques. Tout l’art consiste, avant de planter, de mesurer la longueur & la largeur du quarreau, de désigner par des points sur le papier l’espace qui doit régner entre chaque arbre, & de calculer leur nombre, de manière qu’il se trouve toujours un arbre sur la bordure tout autour du quarreau. Sa grandeur & la force de végétation de chaque espèce, décident le nombre que l’espace doit contenir, ainsi que celle à laisser entr’eux. On ne se repent jamais d’avoir éloigné les arbres, au contraire, on se repent toujours, & bientôt, d’avoir planté trop près. Je plante près, vous dit-on, pour jouir plus vite, à la longue je supprimerai un rang d’arbres. La précaution est utile pour garnir des espaliers, si toutefois on n’attend pas que les arbres aient souffert par l’entrelacement de leurs racines ; alors ces arbres, surnuméraires de l’espalier, seront choisis parmi ceux qui se mettent les premiers à fruits, & on les taillera fort à fruit, sans se soucier qu’ils fassent jamais de beaux arbres, puisqu’ils doivent être supprimés après un certain nombre d’années. En général on attend toujours trop tard à faire cette soustraction ; il en est alors des arbres plantés près-à-près comme d’un pauvre petit enfant dont le corps est lié & garotté, ses membres ne peuvent ni s’allonger ni s’étendre ; les racines des arbres éprouvent le même sort, & comme les branches sont toujours proportionnées aux racines, on doit juger de la chétive physionomie de l’arbre qui souffre. Consultez ce qui est dit au mot Espalier, relativement à la distance des arbres, des murs de clôture, & à la multiplication des murs pour former les Abris, & non pas les Arbres, ainsi qu’on l’a imprimé.

L’expérience démontre que les arbres plantés, soit dans les bas fonds, soit dans les terreins gouteux-marécageux, donnoient des fruits sans goût, & dont le parfum ne différoit guères de celui de la rave : de tels fruits sont très-indigestes, & ne se conservent pas. Ces arbres sont dévorés par la mousse, les lichens, &c., & la main attentive du jardinier ne peut complettement les détruire. Je préférerais un sol graveleux, ou caillouteux, ou sablonneux, parce que avec de l’eau & des engrais appropriés, je me procurerais des arbres passables, mais dont le parfum du fruit seroit admirable. Lorsque le terrein est goûteux, les fossés d’écoulement sont le seul moyen de les assainir ; s’il n’est pas possible d’en ouvrir, il vaut mieux renoncer à l’établissement d’un jardin. Heureux, cent fois heureux, celui qui trouve une bonne & profonde couche de terre végétale.

La position la plus utile pour un jardin fruitier, est celle d’un coteau à pente douce, & à l’abri des vents orageux. Dans les provinces du midi, il est indispensable que l’on puisse conduire l’eau au pied des arbres, au moins deux ou trois fois dans l’été, & après que l’eau a pénétré la terre, la travailler ; sans cette précaution le fruit flétrira sur l’arbre, ou bien s’il y reste attaché, sa trop précoce maturité ne permettra pas qu’il prenne sa grosseur ordinaire ni son goût parfumé.

Peu de personnes se déterminent à planter des fruitiers séparés, & sur-tout avec des arbres à plein vent ; alors c’est un verger proprement dit, & pour profiter du terrein qui se trouve entre les arbres, on sème de la graine de foin, mais on a soin chaque année de faire travailler deux fois la circonférence du pied des arbres. Si l’entretien de cette prairie exige une fréquente irrigation, ces arbres se trouveront dans le cas de ceux plantés dans les terreins humides, dont il a déjà été question. Cependant cette terre ne doit pas rester inculte, on peut la semer ou la planter avec des légumes qui exigent peu d’eau, & qui sont en état d’être récoltés un peu auparavant l’époque des grandes chaleurs : les arbres profiteront singulièrement des labours donnés à la terre. Quant aux arbres en évantail ou en buisson, il n’est guères possible d’en cultiver le sol dans la vue d’en retirer des récoltes ; leur ombre est trop rapprochée de la terre, trop épaisse, les plantes s’étioleroient. (Voyez ce mot.) On doit cultiver la terre en plein plusieurs fois dans l’année, & la tenir rigoureusement sarclée.

Ce que j’ai dit jusqu’à présent s’applique aux jardins fruitiers en général. Ceux des provinces méridionales, dans le Pays-bas, & par conséquent très-chaud, exigent quelques précautions de plus ; ils demandent à être arrosés par irrigation, & les grenadiers, les jujubiers, les caroubiers, n’y exigent pas des abris ainsi que l’oranger & le citronnier. Quant aux figuiers, ils doivent être plantés dans un quartier séparé ou en bordures ; & ils ne réussissent jamais mieux que lorsque leurs racines ont de l’eau tout au près, & lorsque leur tête est exposée au plus gros soleil. Les câpriers, arbustes à tiges inclinées, craignent singulièrement l’humidité & la terre forte ; les cerisiers, appelés guigniers dans le nord, y réussissent très-mal, malgré les soins les plus assidus ; les griottiers à fruits acides, nommés cerisiers à Paris, y réussissent un peu mieux. On n’y cultive aucune espèce de vigne, ni en espalier, ni en contr’espalier, ni en treille, parce que les raisins de vignes sont si bons, si sucrés, si parfumés, qu’il ne vaut pas la peine de leur donner des soins particuliers. Il est inutile d’entrer ici dans de plus grands détails, on peut consulter chaque article au mot propre.

Section II.

Des travaux du jardin fruitier.

M. de la Bretonnerie, dans l’ouvrage qu’il vient de publier sous le titre d’École du jardin fruitier, que je me plais à citer, a donné un précis des travaux, distribué mois par mois. Il peut servir de rudiment aux jardiniers des provinces du nord, & être très-utile à ceux des provinces du midi. Je ferai observer les différences relatives à ces derniers climats ; copier mot pour mot cette partie de l’ouvrage de l’auteur, c’est convenir de ma part que ce qu’il a dit vaut mieux que ce que j’aurois pu dire, & c’est avec plaisir que je lui rends cet hommage.

Janvier.

On continue pendant les mauvais temps tous les ouvrages du mois précédent qui se font à couvert ; on donne encore la chasse aux limaçons, retirés dans les trous de murs, au pied des espaliers.

Continuer la taille des arbres, des pommiers, poiriers & pruniers, quand il vient quelques beaux jours. On attend en février à tailler les pêchers, les abricotiers[1] ; on a soin de réserver, en taillant, les branches dont on veut tirer des greffes, qu’on ne coupera aussi qu’en février.

Février.

On taille les pommiers, poiriers & pruniers qu’on avoit épargnés jusqu’à présent, pour en tirer des greffes qu’on prend sur de bons arbres vigoureux, & l’on choisit de jeunes branches de l’année. (On les conserve ainsi qu’il a été dit au mot Greffe.)

Si on a quelques arbres languissans dont la pousse s’arrête, on ne manquera pas de les ravaller sur jeune bois, pour les rajeunir, & débotter tous ceux qu’on veut greffer en fente en avril, afin de concentrer la sève.

On achève à couvert, pendant les mauvais tems, les ouvrages qu’on n’a pu finir en janvier.

On prépare les paillassons de pailles ou de roseaux, afin d’abriter les arbres, les couches, &c.

C’est la vraie saison à la mi-février de tailler les abricotiers & les pêchers, (Voyez la note ci-dessous) sans attendre, suivant la routine ordinaire, qu’ils soient en fleurs, car alors on ne sait où poser les mains sans en abattre, & quelquefois les meilleures. Il suffit pour tailler, que les boutons à fruit marquent, en s’arrondissant comme des pois ; on palisse à mesure qu’on taille.

Communément on peut tailler la vigne sans risque, depuis la mi-février & le commencement de mars.[2]

Quand la terre est saine, le tems au beau, & qu’on a beaucoup de plantations à faire, on commence à planter les arbres qu’on n’a pas pu planter en automne dans les terreins trop humides.[3]

On visite les amandes, les châtaignes qu’on a mises en automne dans du sable à la cave, & l’on voit si elles sont germées & bonnes à planter, & si elles ne sont pas germées, à cause de la trop grande sécheresse du sable, on le change & on en remet de plus frais.

On plante & on séme les pépinières comme en novembre ; celles-ci ont l’avantage d’échapper aux rigueurs de l’hiver & à la dent des mulots, mais les plans poussent un peu plus tard.[4]

Vous semez les pépins de citron depuis la mi-février jusqu’à la mi-mars, pour faire des sujets propres à recevoir les greffes des orangers. Les pépins des oranges de Malthe, selon quelques habiles orangistes, valent encore mieux.[5]

On ne doit pas tarder de planter les rejetons enracinés de noisetiers, ainsi que les boutures des groseilliers, des osiers,[6] qu’on coupe d’un pied de longueur, & qu’on enfonce jusqu’à la terre dure ; il suffit que la tête sorte de trois à quatre pouces : on plante les boutures par un temps humide, & jamais par le hâle.

Il ne faut pas oublier, à mesure qu’on taille des arbres, d’écraser la punaise grise qui s’attache derrière les branches ; les orangers y sont fort sujets, ce qui lui a donné le nom de punaise d’oranger.

Les limaçons n’ont pas encore quitté leurs retraites ; il faut les chercher dans les trous des murs & dans les ras de pierre.

Il faut labourer tous vos arbres aussi-tôt qu’ils sont taillés, avant qu’ils fleurissent, parce que l’humidité qui s’élèveroit de la terre, fraîchement remuée, s’attachant aux fleurs, les exposeroit à la gelée. Ce labour est le second dans les terres légères & sèches qu’on a dû labourer avant l’hiver, & le premier dans les terres froides, qu’on n’a pas dû au contraire ouvrir avant l’hiver, & qui ne sont même pas assez ressuyées encore pour les labourer dans ce temps-ci ; si elles sont boueuses, on attend en mars, en avril ou en mai, quand les fruits sont noués.

Ou fume en même temps les terres légères avec du bon fumier de vache bien consommé, & les terres froides avec du fumier de cheval.

On plante la vigne en février & en mars. Les coteaux, la terre légère & caillouteuse lui conviennent.

Mars.

On continue de planter les arbres, & de faire les labours avant que la fleur paroisse ;[7] on met une douve ou petite planchette au devant des pêchers qu’on a plantés pour garantir les bourgeons qu’ils pousseront, des gelées & du grésil.

Les taupes coupent quelquefois les racines des arbres ; elles tracent & remuent beaucoup de terre dans ce temps ci ; on doit leur rendre des pièges. (Voyez le mot Taupe.)

On commence, selon l’ancienne coutume, ou l’on continue de tailler la vigne, si on a commencé à la mi-février, ce qu’on a pu faire sans risque de la tailler trop tôt.[8]

On plante les groseillers de boutures à mesure qu’on taille, & les framboisiers de plant enraciné.

On plante des mûriers, des grenadiers de plant enraciné, des cognassiers de boutures & de plant enraciné, des noisetiers de plant enraciné,[9] des figuiers de boutures, de marcotes, de plant enraciné.

C’est encore le tems de planter des pépinières de châtaignes, de noix, d’amandes, & autres noyaux, si on ne l’a pas fait dans les mois précédens.

On continue jusqu’à la fin de ce mois tous ces ouvrages ; il faut donner un labour aux osiers, pour détruire les herbes.

Il est encore temps de semer des pépins d’orange sur couches, ou dans des pots qu’on enfouit successivement dans plusieurs couches chaudes, pour les avancer : on marcote aussi des branches.

Si vous voulez avoir des câpriers, vous en sèmerez ou planterez dans les crevasses & trous des murs.

Les grandes gelées étant passées, on découvre les figuiers qu’on avoit couchés dans terre en décembre, & ceux des espaliers qu’on avoit empaillés.[10]

C’est le meilleur temps pour ôter la mousse des arbres, après quelques pluies, à la fin de l’hiver, parce qu’elle ne se reproduit point pendant la sécheresse & les chaleurs de l’été, & se trouve détruite pour cinq ou six ans ;[11] mais quand on l’ôte avant l’hiver, l’humidité de la saison la reproduit bientôt.

Avril.

Il est temps de commencer à ratisser & à nettoyer les allées.[12]

Il faut faire la guerre aux fourmis, dès qu’elles paraissent dans les arbres ; les phioles ou petites bouteilles remplies d’eau sucrée, sont les pièges qu’on leur tend, ainsi qu’aux perce-oreilles, qui rongent aussi les yeux des jeunes arbres, & ne s’y répandent que dans la nuit.

Quand la sève est en mouvement,[13] ce que l’on connoît lorsque l’écorce des arbres se détache facilement, on greffe en fente, en écusson, ou à la pousse. Il vaut mieux attendre à la fin du mois ou en Mai, si la sève est encore languissante.

La mi-avril est la saison de marcoter les grenadiers ; c’est encore le temps de planter les figuiers de boutures, de marcotes, de plants enracinés qu’on trouve sur les vieux pieds, ou des morceaux mêmes des vieilles souches qu’on éclate, pourvu qu’il y tienne de la racine. Les petits plants peuvent se planter en caisse ou en pots.[14]

On taille les figuiers en pleine terre, quand ils s’élancent trop, aussi-tôt que leurs yeux paraissent, & que le fruit est sorti, c’est-à-dire qu’on raccourcit toutes les branches élancées & sans couronne, afin de les faire fourcher : ceux qui sont suffisamment garnis de branches depuis le bas jusqu’en haut, & dont les branches sont couronnées, peuvent s’en passer, cette taille n’étant faite que pour multiplier les branches & le fruit. Mais pour les figuiers en caisse ou en pots, on ne sauroit se dispenser de les tailler, pour leur faire prendre la forme qu’on veut leur donner, qui doit être celle de l’entonnoir ou du buisson. Les figuiers taillés en boule sur tige ne produisent pas de fruit.[15]

Dans les années hâtives on commence par éclaircir les abricots, lorsqu’ils sont trop serrés & par paquets ; on supprime les plus petits, les mal-faits, & on laisse de préférence ceux du bas des branches : dans les trochets où ils sont serrés, on tourne entre les doigts ceux qu’on veut ôter, & on les tire doucement à soi, pour ne pas endommager les autres.

La greffe en couronne entre le bois & l’écorce se fait aussi quand les arbres sont en pleine sève ; elle n’est pas sans inconvénient.

Le contraste du chaud & du froid fait quelquefois cloquer toutes les feuilles du pêcher, (voyez le mot Cloque) & le puceron s’y loge : le remède est d’abattre ces feuilles, quand elles commencent à se faner, & de les brûler, pour détruire le puceron. Si on les abattoit trop tôt, la saison n’étant pas avancée, les nouvelles feuilles, qui ne tardent pas à repousser, seroient encore exposées au même accident.

C’est la saison de faire des incisions longitudinales au corps des arbres dont la tige est restée plus maigre d’un côté que de l’autre, & se trouve arquée, ou bien quand la tige est restée en totalité plus maigre que la greffe ; ce qui s’exécute avec la pointe de la serpette, en fendant l’écorce jusqu’au bois.

C’est aussi le temps en avril ou en mai, lorsque les nouveaux bourgeons ont cinq à six pouces de longueur, de courber les branches trop vigoureuses de quelques arbres qui s’emportent plus d’un côté que d’un autre, ce qu’on appelle arbre épaulé, & de détacher & laisser en liberté le côté le plus foible, qu’on lâchera alors, n’ayant plus besoin d’être contraint.

Il faut commencer à ficher les échalas au pied des souches de la vigne.

Faire la guerre aux hannetons, en secouant les arbres le matin & à midi, parce qu’alors ils sont engourdis, & ne prennent pas leur volée comme le soir.

Chercher sur les poiriers de bon chrétien d’hiver la chenille noire, qui gâte ses fruits, & toutes les autres en général, qui paroissent à plusieurs reprises & en différentes saisons les plus chaudes & sèches, comme au temps du solstice & de la canicule ;[16] serrer entre les doigts les feuilles roulées des arbres, pour écraser le ver qui s’y est logé.

On retourne la douve ou planchette dont on a couvert ses jeunes pêchers nouvellement plantés, pour donner plus de place & d’air aux jeunes pousses qu’ils ont faites.

Mai.

On fera bien d’accoler & de donner le premier lien à la vigne, pour attacher les branchages longs que le vent pourroit décoller, & ôter en même temps quelques bourgeons, pour ne laisser que les plus beaux sarmens, au nombre de deux, trois ou quatre, plus ou moins, suivant l’âge & la force du cep.

On visitera les espaliers, pour retirer les nouveaux bourgeons qui passent derrière les treillages ; on attachera les plus longs, & l’on ôtera les feuilles cloquées & les limaçons.

Il faut pincer ou rompre les jeunes branches des groseillers, élever ses tiges, que le vent pourroit casser.

Vous n’oublierez pas les greffes en écussons des châtaigniers, des cerisiers & des pruniers, si elles ne sont pas encore faites ; celles en flûte ou en sifflet des figuiers ; & encore celles en fente qui restent à faire des pommiers & des poiriers. Les greffes faites en ce tems-ci pousseront au bout de quinze jours, si le temps est favorable ; pendant que celles faites en avril sont quelquefois un mois sans qu’on y aperçoive aucun mouvement.

Vous fumerez, s’il est besoin, & labourerez, aussi-tôt que les fruits seront noués, les arbres qui n’ont pu l’être dans les terres fortes & humides.

Si on éprouve une grande & longue sécheresse en mai, les arbres manquent de sève, les fruits se détachent & tombent ; il faut alors verser avec l’arrosoir quelques seaux d’eau par-dessus les feuilles, si l’on peut, & au pied de ses arbres, pour les remettre en sève. Les prunes tombent les premières.

On donne un second ratissage aux allées, & l’on tond les buis pour la première fois, afin qu’ils puissent se recouvrir de feuilles avant l’été.

Quand on s’apperçoit par des points noirs, particulièrement au revers des feuilles du poirier de bon-chrétien d’hiver, qu’elles sont attaquées du tigre, on les passe fortement entre ses doigts, pour écraser l’insecte & ses œufs.

On sort les orangers de la serre,[17] ainsi que les figuiers en caisses ou en pots ; on les travaille ensuite avec de l’eau échauffée au soleil ; on enlève toutes les feuilles chancrées, le bois mort, & l’on donne l’arrondissement à la tête en les taillant, car c’est la véritable saison. Les Jardiniers, pour en tirer plus de fleurs, remettent à les tailler en septembre, mais aux dépens des arbres qui restent trop chargés & mal formés pendant la fleur & tout l’été. Les petits orangers élevés de pépins & sur couches n’ont plus besoin d’abri ; on continue d’arroser ces arbres une fois par semaine, jusqu’en juin qu’on commence à les arroser plus souvent. On rencaisse ceux qui en ont besoin.[18]

Les gelées étant passées, il est temps d’ôter les petits paillassons qu’on avoit placés au dessus de ses espaliers en décembre ou en février ; on ne les ôtera que dans un temps sombre & couvert, & non dans l’ardeur du soleil ; on enlève aussi les petites planchettes qu’on avoit mises au-devant de ses arbres.

Les greffes faites en avril commencent à remuer, si le temps a été favorable.

L’ébourgeonnement du cerisier hâtif ou précoce, qui est en espalier au midi, doit précéder celui de tous les arbres, son fruit mûrissant le premier ; on lui ôte peu de bourgeons, & l’on attache tout ce qu’on peut attacher.

On donne le second labour à la vigne, quand tous les risques sont passés.

On donne un léger labour tous les mois aux orangers avec la houlette, tant qu’ils sont hors de la serre.

Quand on voit aux pêchers des branches qui se disposent à devenir gourmandes, dominantes ou mal placées, on commence à la fin de mai à les couper à moitié de leur longueur, près d’un œil, on les recoupe en juin & juillet, comme on le verra ; mais on retranche tout-à fait ceux qui viennent aux côtés du pied des principales branches de la derniere taille, qu’ils arrêteroient en leur interceptant la nourriture, ou qui feroient de trop grandes plaies, si on ne les retranchoit qu’au tems de l’ébourgeonnement.

On commence par attacher les branches les plus allongées des jeunes arbres, que le vent pourroit casser.

Il faut chercher la lisette, qui coupe le bourgeon des greffes.

Il ne faut pas attendre la saison ordinaire pour ébourgeonner les pêchers où les fourmis & les pucerons se sont jetés, & ont formé au bout des branches des houpes ou toupillons qu’il faut couper & jeter au feu.

Juin.

Au commencement de juin on met un second lien à la vigne, pour rassembler les bras qui se sont allongés, & on l’ébourgeonne pour la seconde fois.

Quelques-uns ne se contentent pas d’avoir en avril taillé leurs figuiers en caisses ou en pots ; ils pincent & rompent encore, au commencement de juin, à trois ou quatre yeux, les plus forts des nouveaux bourgeons ou les nouveaux jets les plus vigoureux, suivant leur force. Ces trois ou quatre yeux feront une couronne de branches à fruit pour l’année suivante, & le fruit de l’année, qui profitera de la seve qui s’y seroit portée, en deviendra plus beau ; mais comme c’est le temps de l’extravasion du suc laiteux que cet arbre rend avec abondance par l’extrémité des branches rompues, nous croyons cette opération plus dommageable qu’utile ; il vaut mieux se contenter de raccourcir les branches trop élancées en avril.

Continuez de palisser les treilles, dont le vent casseroit les bras les plus allongés.

On coupe le lien de la greffe en écusson, quand on voit que l’écusson est bien repris, afin qu’il n’étrangle pas la greffe.

Il est tems de tendre des pièges aux loirs, avant que ces animaux commencent à sortir pour manger les abricots & les pêches, afin qu’ils voient ces pièges en sortant, & s’y accoutument, sans en être épouvantés, comme ils le seroient s’ils ne les avoient pas vu d’abord. Les meilleurs pièges sont les quatre de chiffres, ou les petits assommoirs qu’on tend à leur passage sur le chapiteau des murs, où ils courrent pendant la nuit pour gagner les espaliers.

À la mi-juin on recoupe encore par la moitié les branches gourmandes dont on avoit retranché la moitié en mai. On arrose les figuiers en caisses ou en pots de deux jours l’un, depuis cette époque jusqu’à ce que le fruit soit cueilli. On cueille les boutons de câpriers avant que les fleurs épanouissent ; les plus petits boutons & les plus fermes sont les meilleurs.

On ne donne plus que des ratissages & menues façons aux pieds des arbres dans les terres légères, mais il faut travailler les terres fortes, fraîches & argileuses, qu’on ne sauroit trop ouvrir & remuer après l’hiver. Il faut donner aux oliviers le premier labour à la houe, & tous les mois un petit labour avec la houlette aux orangers.[19]

Ébourgeonner les abricotiers, les pêchers après la Saint-Jean, c’est-à dire après le solstice, temps où le soleil dardant ses rayons plus à plomb, cause à la sève une forte fermentation, & fait pousser une infinité de bourgeons ; en un mot, c’est le temps de la grande pousse des arbres : c’est donc une règle certaine, qui ne sauroit tromper, que de ne se pas presser d’ébourgeonner plutôt, pour ne pas recommencer, comme font ceux qui manquent de pratique ou d’instruction. Les poiriers & les pommiers, qui sont plus tardifs, s’ébourgeonnent plus tard au déclin de la canicule, quand le bouton est formé au bout des branches.

On commence l’ébourgeonnement par les abricotiers, ensuite celui des pêchers à fruits hâtifs, si les bourgeons sont assez allongés, comme d’un pied ou quinze pouces, pour soutenir l’attache & pouvoir palisser. Les jeunes pêchers sont toujours ceux qui pressent le plus, parce qu’ils ont ordinairement poussé de fortes branches fort allongées, que le vent casseroit : vous aurez soin de réserver en ébourgeonnant quelques branches superflues, que vous ne couperez point, mais que vous marquerez & attacherez au mur, afin d’en tirer des greffes, si vous en avez besoin pour les écussons à œil dormant en août.

Il est encore temps de couper les branches attaquées par les fourmis & par les pucerons, si on ne l’a pas fait plutôt.

Les arbres étant ébourgeonnés, on couchera en palissant les branches les plus hautes sous le chapiteau des murs, sans les couper & arrêter, pour qu’elles ne dépassent pas le mur, si ce n’est en septembre, lorsque la sève est arrêtée.

Le palissage étant fini, il ne reste plus qu’à éclaircir les pêches qui sont trop serrées, qui se nuisent, & ne pourroient grossir ni mûrir parfaitement. Les abricots ont été éclaircis en avril. On éclaircit aussi les poires trop serrées, mais on n’ôte rien aux rousselets, ni à la plupart des fruits d’été.

On retire quelques clous des arbres palissés au clou & à la loque, quand les clous se trouvent trop près du fruit, & l’on passe une petite pierre sous les branches où il se trouve quelques fruits trop près du mur qui les endommageroit.

On a l’attention de n’éclaircir les pêches tardives que huit jours après les autres, parce qu’il en tombe ordinairement après l’ébourgeonnement. Les prunes des arbres à plein vent, quand il y en a trop, perdent beaucoup de leur qualité, si l’on n’en diminue pas le nombre, en coupant celles qu’on veut ôter par le milieu de la queue avec des ciseaux. La reine-claude entre autres, quand elle charge beaucoup, dégénère au point de n’être pas reconnoissable.

Ce n’est qu’en juin que la vigne défleurit, & que les grains commencent à paroître ;[20] c’est le temps, aussi-tôt qu’ils sont de la grosseur d’une tête d’épingle, d’éclaircir les grappes de muscat, dont les grains toujours serrés & enfoncés mûrissent difficilement ; on en ôte les deux tiers ou les trois quarts, avec de petits ciseaux pointus & bien affilés : Les plaies se referment assez promptement, & les grains qui restent deviennent plus gros, plus croquans, prennent plus de couleur, & mûrissent mieux.

La seconde opération après l’ébourgeonnement des arbres, c’est de découvrir les fruits qui sont trop cachés sous les feuilles, à mesure qu’ils en ont besoin ; on n’abat point les feuilles entières avec leur talon ou pédicule, ce qui nuiroit à la branche & au fruit, qui ne prendroit pas autant de nourriture ; on les casse adroitement dans le milieu, en les serrant entre deux doigts, & les tirant prestement en tournant. On ne fait cette opération qu’après quelque petite pluie, & jamais dans la sécheresse & la grande ardeur du soleil, qui frapperoit les fruits trop vivement. La tache blanche & large qu’on apperçoit sur des fruits découverts naturellement, ou qu’on a découvert mal-à-propos, vient d’un coup de soleil, dont les pêches, qui en sont couronnées, comme on dit, ne profitent plus, & se gâtent. On attend, pour découvrir les abricots & les pêches hâtives que ces fruits commencent à tourner ou prendre de la disposition à mûrir ; on les découvre peu-à-peu, à mesure qu’ils avancent en maturité ; mais la pêche de Magdelène, particulièrement entre les hâtives, & toutes les pêches tardives, s’effeuillent toutes vertes, & ne craignent pas le soleil, parce qu’elles sont plus dures ; la première en aura plus de couleur, & les dernières mûriront plutôt.

On acheve d’ébourgeonner la vigne, & on donne à la fin de juin le troisième & dernier palissage des treilles ; on pince, on casse, à l’endroit de quelque nœud, le bout des branches, pour les arrêter, & on devance de huit jours cette opération dans les climats un peu plus chauds que celui de Paris.

Il faut se disposer à la Saint-Jean à arroser tous les jeunes arbres nouvellement plantés, si on veut assurer leur réussite ; vous faites au pied de vos arbres un petit bassin d’un pied de diamètre, en ramenant de la terre circulairement, & non pas en creusant au pied de l’arbre, comme le font mal-adroitement les jardiniers ignorans, qui découvrent ainsi les racines qui restent couvertes de trop peu de terre, & s’éventent quand la terre, après les arrosemens, se fend par l’ardeur du soleil. Vous couvrirez le bassin, après avoir arrosé avec de la litière ou du crottin de cheval, ou du terreau, ou d’une planche, & au défaut de tout, avec de la terre sèche & émiettée,[21] afin d’y conserver la fraîcheur, & d’empêcher la terre de se fendre. Vous continuerez de les arroser jusqu’à la fin d’août.

Vous pincerez à sept ou huit pouces, & même à un pied, le maître jet des greffes en fente, quand il se trouve encore seul, & qu’il s’allonge trop, afin de le tenir bas, & de lui faire pousser des bourgeons qui deviendront de bonnes branches que vous taillerez l’année suivante, afin de les avancer & de les faire mettre à fruit ; mais on ne parle que des greffes des arbres qui sont en place, & non de celles des pépinières & autres arbres à replanter, auxquels on coupe la tête en les transplantant ; il n’y faut point toucher.

C’est le temps, vers la fin de juin, de couper à moitié de leur longueur tous les bourgeons ou nouveaux jets des extrémités les plus hautes des arbres stériles, poiriers, pommiers ou pruniers nains, qu’on veut laisser aller sans les tailler, pour les faire mettre à fruit ; ils repousseront de nouveaux bourgeons de tous les yeux restans, qui auront encore le temps de s’aoûter, c’est-à-dire de prendre de la consistance & de la maturité, par la chaleur du mois d’août.

Il faut évider les groseillers en entonnoir, en les ébourgeonnant au dedans & au dehors, & pincer toutes les pointes à une égale hauteur, quand les groseilles sont tout-à-fait rouges, tant pour faire grossir & achever de mûrir le fruit, en le débarrassant de tous les bourgeons, & lui procurant la vue du soleil, que pour cueillir plus facilement, & en éloigner les moineaux qui se cachent dans l’épais feuillage, & détruire en même temps les pucerons & les fourmis qui s’y logent. Ces arbrisseaux étant ainsi ébourgeonnés en ont meilleure grâce, & les longs rameaux de ceux qu’on a élevés sur tiges, seroient, faute de cette opération, cassés par le vent, ce qui dérangeroit tout-à fait la forme de leur tête.

C’est aussi dans le solstice, où il se fait un nouvel épanchement de la sève, qu’il faut prendre garde au flux de gomme qui en provient : il ne paroît d’abord qu’une petite tache à la branche attaquée ; mais bientôt si vous ne la coupez deux doigts au dessous du mal, il gagne promptement, & fait mourir toute la branche.

Les insectes qui ont attaqué les arbres au printemps, se renouvellent & prennent de nouvelles forces dans ce temps-ci, ainsi que dans la canicule. Ces insectes sont les punaises, les pucerons, les chenilles.

Le blanc, la rouille, la chute des feuilles sont aussi des accidens du temps, qui disparoissent l’année suivante ; mais les chancres, les ulcères & les excroissances, qui viennent de la même cause, restent ordinairement pour toujours.

Juillet.

On continue dans ce mois d’arroser les jeunes arbres, & on donne le troisième ratissage aux allées.

Les mêmes soins aux orangers qu’en juin ; ils sont en pleine fleur.

On continue d’ébourgeonner les pêchers.

On découvre l’abricot hâtif de quelques feuilles au commencement de juillet, & le gros abricot quinze jours après, lorsqu’ils commencent à jaunir & à s’éclaircir,[22] l’abricot d’espalier étant sujet à rester vert du côté de la queue, qui est presque toujours serrée contre le mur ou contre le treillage. La Quintinie, afin d’y rémédier, de les faire mûrir plus parfaitement, & de leur donner plus de qualité, détachoit les branches de l’abricotier, les tiroit en avant, & les fixoit à certaine distance du mur, en les attachant à un pieu. J’ai pratiqué la même opération, en éloignant les branches du mur, au moyen de quelques petites fourches ou de petites planchettes passées derrière entre le mur & la branche ; je m’en suis assez bien trouvé.

On coupe les branches gourmandes pour la troisième fois.

On donne quelques binages ou menues façons, avec la binette, à tout ce qui en a besoin, pour faire mourir l’herbe, & rendre la terre meuble.

Depuis le 15 juillet jusqu’au commencement de septembre, on peut faire des greffes en écusson, à œil dormant, sur le prunier & l’amandier, pour y élever des pêchers & des abricotiers, & le prunier sur son propre sauvageon ; on pose des écussons sur le pêcher même, & sur l’abricotier, mais seulement sur les branches de l’année, auxquelles on veut ajouter quelques branches qui manquent, ou changer d’espèce, & sur les poiriers & pommiers de même.

Depuis la mi-juillet jusqu’à la mi-septembre, on peut écussonner les petits orangers de deux ou trois ans, lorsqu’ils ont acquis la grosseur du doigt à deux ou trois pouces au-dessus du tronc, afin que la tige soit formée du jet de la greffe, & qu’elle ne repousse pas des bourgeons francs, mais de la greffe : si dans la suite quelque maladie ou accident obligeoit d’étêter l’arbre, on fera encore mieux d’attendre à les écussonner au commencement d’août.

On découvre un peu la pêche petite mignonne, qui mûrit dans ce mois-ci.

Les framboisiers, soit en haies, soit en buissons, seront tondus à la hauteur de trois pieds, quand le fruit sera passé, tant pour la propreté que pour donner plus de nourriture aux souches.

On ne doit point encore ébourgeonner les poiriers, pommiers & pruniers, quoiqu’on le voye faire à d’autres, afin que leurs arbres aient l’air d’être plutôt arrangés. Il n’y faut pas procéder que le bouton ne soit formé au bout des branches, ce qui est le signe certain que la sève est arrêtée, & ne produira plus de faux bourgeons.

On ébourgeonne de nouveau, on attache & on laboure la vigne avant le mois d’août ; on détruit en même temps les limaçons, les perce-oreilles, qui sont logés dans les feuilles repliées & dans les liens.

L’écusson du pêcher doit être appliqué sur différens sujets, au déclin de la seconde sève, sur le prunier de S. Julien à la fin de juillet ; mais sur le jeune amandier, qui garde sa sève plus long-temps, ce n’est que vers la mi-septembre.

Août.

Les arrosemens & les labours se continuent aux orangers comme ci-devant, de même qu’à tous les jeunes arbres de l’année.

On n’ébourgeonne les orangers que vers le déclin de la canicule, comme les autres arbres, après le renouvellement de la sève d’août, quoique plusieurs jardiniers les ébourgeonnent en juillet & août, aussi-tôt que la fleur est passée ; mais cette propreté prématurée fait pousser de nouveaux bourgeons. Après l’ébourgeonnement dont nous parlons, on n’y touche plus. On greffe les orangers en écusson dormant.

On découvre la pêche grosse mignone, à mesure qu’elle commence à tourner ou blanchir du côté de la queue, qui est le côté opposé au soleil, & les prunes de reine-claude, qui sont en espalier au midi.

Pendant le renouvellement de la sève de la canicule, appelée sève d’août, les arbres poussent une multitude de nouveaux jets. Le pêcher principalement, après avoir été ébourgeonné exactement en juillet, paroît tout-à-coup hérissé d’un nombre prodigieux de bourgeons confus, qui se reproduisent jusqu’au-delà de la canicule, après quoi cet arbre devient sage. Il faut bien se donner de garde d’ôter aucune de ces branches folles ; l’expérience apprend qu’il en repousseroit de nouvelles en plus grand nombre. Il faut donc laisser vos pêchers jeter leur feu, & préférer de les voir long-temps en désordre, que de les perdre par une propreté mal entendue ; mais on est assuré qu’au déclin de la canicule il ne poussera plus de ces faux bourgeons, c’est le cas alors de les supprimer, c’est-à dire, à la fin du mois ; on n’épargne que ceux qui peuvent être palissés. Ce qui démontre qu’il ne faut ébourgeonner les poiriers, pruniers & pommiers, qui sont plus tardifs, que vers le déclin de la canicule, c’est-à-dire vers la mi-août ; le véritable temps est quand, le soleil n’ayant pas la même force, la sève s’arrête, & le bouton est formé & parfaitement arrondi au bout des branches qui étoient terminées auparavant par deux feuilles, qui font la fourche, comme il est facile de l’observer. Vos poiriers, &c. étant ébourgeonnés plutôt, pendant la force de la canicule, repousseroient de faux bourgeons, des yeux & des branches crochets que vous auriez fait pour se tourner à fruit, & ces faux bourgeons, qui sont blanchâtres, cotonneux & tendres, qui ne s’aoûtent & ne mûrissent point avant l’hiver, resteront non-seulement inutiles, mais même pernicieux, n’étant pas propres à donner de bonnes branches à bois ni à fruit dont ils tiennent la place : on est obligé de les recouper, ce sont autant d’yeux perdus, & le but de l’ébourgeonnement, qui est la véritable taille d’été pour faire tourner les branches à fruit, est manqué.

On donne le troisième labour à la vigne avant que les vignerons aillent en moisson.

Repassez le long de vos espaliers, pour attacher les pointes des branches qui se sont allongées depuis le palissage qu’on a fait en ébourgeonnant.

Découvrez de leurs feuilles après quelques pluies, comme il a été dit, en cassant les feuilles par la moitié, du poirier du bon chrétien d’hiver & de la pomme d’api, pour leur donner de la couleur.

On continue de greffer en écusson jusqu’au 15 septembre.

Le temps est venu de supprimer aux pêchers tous les faux bourgeons dont on a parlé précédemment.

Septembre.

On donne quelquefois en septembre un sarclage ou léger labour, pour détruire l’herbe qui a dû croître dans les vignes, quand le mois d’août a été pluvieux ; ce travail favorise la maturité du raisin.

Quand on veut tenir ses arbres proprement, on fait, au mois de septembre, un troisième palissage, pour attacher toutes les branches de la pousse du mois d’août, couper celles qui débordent le chapiteau quand on ne peut les coucher en dessous ; on ne craint pas qu’elles repoussent de nouveaux bourgeons.

On continue de greffer en écusson jusqu’au 15 septembre.

Il faut découvrir de quelques feuilles les raisins des treilles, quinze jours seulement avant leur maturité, & avec précaution, ne découvrant d’abord que ceux qui se trouvent étouffés sous un trop épais feuillage, à qui l’on peut procurer plus d’air, sans les découvrir encore tout-à-fait, car le raisin sur-tout ne mûrit pas lorsqu’il est trop tôt dépouillé de ses feuilles ; quand il est découvert à propos, le chasselas prend cette belle couleur ambrée qu’on estime.

On découvre aussi de la même manière la poire de bon chrétien d’hiver & la pomme d’api, si on ne l’a pas fait plutôt, afin de leur faire prendre un rouge vif qui en relève la beauté.

On donne la quatrième façon ou ratissage aux allées, au moyen de quoi elles resteront propres pendant tout l’hiver.

Les arbres qu’on plantera en novembre, & même au printemps, en viendront mieux si on fait les trous dans ce moment ; les impressions de l’air en préparent la terre.

On continue de serfouir ou labourer légèrement les orangers, mais ils ne seront plus arrosés qu’une fois par semaine jusqu’au commencement d’octobre, huit jours avant de les rentrer dans la serre, ainsi que les figuiers en caisse & en pots.

On tond les buis pour la seconde fois.

On greffe le pêcher sur le jeune amandier vers la mi-septembre. Quelques jardiniers ne taillent leurs orangers qu’en septembre, quand la sève est arrêtée, pour avoir plus de fleurs ; mais ils font tort à leurs arbres, & confondent l’ébourgeonnement avec la taille, car c’est le temps de les ébourgeonner en août & septembre, après la fleur. On a dû les tailler en mai. On laisse échapper quelques menues branches pour avoir de la fleur en hiver.

On achève de découvrir les chasselas de toutes leurs feuilles ; il n’y a plus de risques à présent, le raisin est clair & dans toute sa grosseur ; il n’a plus qu’à prendre couleur, c’est-à-dire, à devenir blond & doré en mûrissant, ce qui est la perfection du chasselas. On laisse en place jusqu’en octobre celui qu’on veut conserver pour l’hiver.

C’est le temps de gauler les noix ; on les met en monceau dans un lieu sec & aéré, où elles achèvent de s’écaler. On laisse sécher les noix dépouillées de leur robe à l’ombre dans le grenier ; elles se conserveront sèches pendant tout l’hiver, mais on aura soin de mettre dans le sable, à la cave, celles qu’on destinera pour planter en pépinière au printemps.

Pour cueillir tous les fruits en général, il faut choisir un temps sec, afin qu’ils se conservent mieux ; observer de ne pas rompre leur queue, de les peu toucher, & de les porter doucement sans les heurter & les meurtrir. On a pour cette cueillette de grandes corbeilles plates à deux anses, que deux hommes portent ; on en garnit le fond & les côtés avec des feuilles de vigne, on pose dessus un seul rang de fruit, jamais deux l’un sur l’autre, & sur-tout des pêches, plus sujettes à se meurtrir que d’autres.

Dans les années hâtives, on ramasse déjà des châtaignes. (Voyez ce mot & la manière de les conserver.)

On gardera les pépins des poires & des pommes, mettant à part ceux de doucin & de paradis, pour former des pépinières en novembre ou en mars. Le moyen de se pourvoir d’une quantité suffisante de pépins de poires ou de pommes, c’est de ramasser, quand il est sec, le marc de ces fruits qui ont été sur le pressoir, on les frotte entre les mains & on les crible ; ceux même des fruits pourris sont aussi bons que d’autres. On étend ces pépins sur le plancher d’un grenier, où ils restent jusqu’à ce qu’on les seme, ou bien, lorsqu’ils sont secs, on les conserve à l’abri des souris dans des sacs suspendus au plancher.

Il faut se transporter, à la fin de septembre, dans les pépinières, pour choisir les arbres qu’on veut planter ; on les frappe au pied d’un petit coup de marteau, pour y laisser l’empreinte de deux lettres, afin de les reconnoître, & de les lever ensuite quand la feuille sera tombée : les arbres en valent mieux de ne pas être arrachés plutôt, ce qu’on n’observe point assez. Si on attend plus tard à marquer ses arbres, on court risque de trouver les plus beaux enlevés, & de n’avoir que le rebut.

On plante les marcottes des grenadiers qu’on a faites en avril.

Octobre.

Il est encore temps de donner le dernier ratissage aux allées, si on ne l’a déjà fait, & une petite façon à tout le jardin, afin qu’il reste propre pendant tout l’hiver.

Dans les plans de bois & les pépinières qui sont dans des fonds humides, où il a cru beaucoup d’herbes, il faut ramasser les terres en buttes & par chaînes, pour faire pourrir les herbes retournées pendant l’hiver ; ces terres s’égouttent & se mûrissent ainsi : on les répand au printemps, & c’est la meilleure façon qu’on puisse leur donner.

On cueille tous les raisins, tant chasselas que muscats & autres, par un beau temps, pour les conserver dans des armoires ou sur des claies, à l’abri des gelées & de toute impression de l’air.[23]

Il n’y a plus de pêche en octobre que la persique & la pavie, qui mûrissent rarement. La pavie sur tout ne mûrit guères que dans les pays les plus chauds, comme en Provence, où la grande ardeur du soleil, qui est contraire dans ce pays aux pêches tendres, n’a que la force nécessaire pour attendrit la pavie, & lui donner la qualité qu’elle n’acquiert jamais ici.[24]

On cueille les poires de messire-Jean, de marquise, de crésane, de bergamote d’automne, & de S. Germain, vers la S. Denis, les pommes de calville rouge & de calville blanc.

Dans les années peu hâtives, on achève la récolte des châtaignes & des amandes, & on met dans la cave celles qu’on destine aux pépinières.

Si on a empaillé des roseliers en juillet, on a encore des groseilles jusqu’aux gelées.

Si votre terrein n’est pas trop froid, ou l’année tardive, vous cueillerez tous les fruits d’hiver vers la S. Denis, vers le 15, mais dans les deux cas ci-dessus, vous attendrez jusqu’à la fin du mois.

Il ne faut donc pas se presser trop de cueillir ces fruits, quoiqu’il en tombe même quelques-uns ; ils ne seront pas perdus en les serrant sèchement, s’ils ne sont pas meurtris, ou en les faisant cuire au chaudron dans l’eau réduite en sirop. Les fruits cueillis trop tôt se rident, se farinent & se dessèchent, il n’y reste que la peau & le cœur pierreux sans jamais mûrir.

On fera bien de laisser le bon chrétien d’hiver huit jours plus tard que les autres sur l’arbre, pour le perfectionner, & la pomme d’api le plus long-temps que l’on pourra, afin qu’elle prenne plus de couleur.

On continue de faire des trous pour planter les arbres.

On peut encore, dans cette saison, changer de terre les orangers qui en ont besoin ; on réchauffe avec du petit fumier de mouton ceux qui sont languissans ; on les serfouit & on les mouille tous pour la dernière fois, huit jours avant de les renfermer. On emporte ceux qu’on a élevés sur couche, & on finit par les entrer tous dans la serre vers le 15 du mois.

On porte les nèfles au grenier sur de la paille pour les faire mûrir.

À l’égard des coins, il n’y a pas de risques d’attendre, pour les cueillir, jusqu’aux gelées, qu’ils ne craignent pas, & jusqu’à ce qu’ils aient acquis une belle couleur d’or ; on les essuie pour en ôter le duvet, &, après les avoir mis un peu au soleil, on les serre dans un lieu sec, & séparément, à cause de leur odeur forte, qui feroit gâter les autres fruits. Malgré toutes les précautions, ils pourrissent bientôt, si l’on n’a pas soin de bonne heure d’en faire des compottes, de la marmelade ou du rarafiat.

On finit le travail de ce mois par porter des terres neuves, des gazons, des gravois ou démolitions de murs faits en terre, des boues de rues long-temps reposées à l’air, & autres engrais qu’on répand au pied de ses arbres, ainsi que les fumiers qu’on ne fait non plus que répandre sur les terres froides avant l’hiver.

Novembre.

On lève dans les pépinières, aussitôt que la feuille est tombée, les arbres qu’on a marqués en septembre. C’est la saison de les planter particulièrement dans les terres légères, (sur-tout dans les Provinces du midi) Nos cultivateurs de Montreuil préfèrent en général la plantation du printemps ; elle peut être plus favorable dans leur terrein ; mais on conviendra que d’attendre à planter au printemps dans les terres légères, si la saison est sèche, la plantation manque en plus grande partie, au lieu qu’étant faite avant l’hiver, les arbres ont déjà poussé quelques racines, qui ont pris corps, & se sont alliées avec la terre, de façon qu’ils craignent moins la sécheresse. Le pommier & le prunier sur-tout exigent, encore plus que d’autres, d’être plantés avant l’hiver.

On répand du fumier au pied des arbres, dans les terres froides qu’on ne laboure qu’au printemps ; mais pour toutes les terres usées, trop sèches, les sables, les terres légères en général, on les laboure profondément avec la fourche, aux environs de la Toussaint ; nous disons avec la fourche, car la bêche, qui tranche la racine des arbres, doit être proscrite & bannie pour toujours du jardin fruitier.

Vous n’oublierez pas de planter en pépinière, dans cette saison comme au printemps, toutes les boutures & rejettons enracinés de pruniers, merisiers, poiriers, pommiers, &c. en un mot, tous les plans, les châtaignes, les amandes, les noyaux, &c. On a vu en février la raison de former les pépinières de ces noyaux au printemps, en les conservant pendant l’hiver dans du sable à la cave, pour les faire germer. On peut toujours, sauf à recommencer, semer quelques pepins, qui avanceront plus que ceux qu’on sème en février & mars, s’ils échappent aux rigueurs de l’hiver.

Quand on veut avoir du plant de mûriers, on a soin de marcotter des branches, quand la feuille est tombée.

L’olivier se plante en novembre dans les pays chauds, (Voyez le mot Olivier.) & en février & mars dans les pays tempérés.

On coupe les osiers vers la Toussaint, quand la feuille est tombée après les premières gelées. On ne coupera qu’en mars ceux qu’on destine à faire du plant.

On tire les échalas de la vigne, pour les mettre par chevalet dans le jardin, pour passer l’hiver ou les serrer à l’abri, s’il y en a peu, & l’on cure les raies dans les vignes, c’est-à-dire qu’on en relève la terre qu’on jette à droite & à gauche sur les planches avec la houe, ce qui fait des sentiers propres, & donne de l’écoulement aux eaux.

On retire le petit fumier de mouton qu’on avoit mis en octobre au pied des orangers languissans, parce que ce fumier, s’il y restoit plus de six semaines, au lieu de les raviver, les brûleroit.

Quand les gelées deviennent trop fortes, ou les pluies trop fréquentes, & qu’on ne peut ni labourer ni planter, on s’occupe à couper des perches, pour raccomoder des treillages & faire des paillassons ; on coupe & on aiguise les échalas, on élite les osiers ; on fait des caisses, &c.

On taille le câprier.

On peut enfin, quand les feuilles sont tombées, éplucher & préparer la vigne pour la taille, ainsi que les pêchers & abricotiers, ôtant les chicots, les bois morts, quelques bourgeons & branches inutiles ; c’est autant d’ouvrage fait avant la taille, qui n’aura lieu entièrement qu’en février pour la vigne, (voyez note première, page 19.) pour les pêchers & les abricotiers ; mais pour les autres, aussi-tôt que la feuille est tombée.

On peut commencer à enlever la mousse des arbres après quelques pluies, & continuer de même pendant l’hiver, mais le mieux c’est à la fin de l’hiver.

Décembre.

On ne tailloit autrefois les poiriers & les pommiers qu’en février, comme le pêcher après les fortes gelées ; on les taille à présent aussi-tôt que les feuilles sont tombées ; il est rare que la gelée soit assez forte en ce climat pour les endommager. Quelques curieux cependant qui n’ont pas beaucoup d’ouvrage, attendent encore à tailler en février, sur-tout les jeunes arbres, afin d’être hors de tout risque que la gelée ne fasse des gersures, & n’endommage l’œil à l’extrémité des branches taillées. Les poiriers de rousselet de Rheims paroissent les plus tendres à la gelée ; mais on taille à présent, pour avancer l’ouvrage, quand on en a beaucoup. Il est bon de réserver à tailler en février ceux de ces arbres dont on veut tirer des greffes, parce qu’en restant alors moins de temps dans la cave, selon notre méthode, elles se conservent plus facilement jusqu’à la fin d’avril. On palisse à mesure qu’on taille.

Des agriculteurs modernes pensent qu’on peut tailler la vigne aussi quand la feuille est tombée ; en conséquence quelques personnes plantent en même temps les crossetes, à mesure qu’elles taillent ; mais d’autres, & tous nos vignerons, attendent à la fin de février ou le commencement de mars pour l’une ou l’autre opération. La vigne taillée en ce temps-ci pousse plutôt au printemps, & se trouve conséquemment plus exposée à la gelée ; au lieu que la taille en février ou mars, en prenant garde que la sève ne soit pas encore en mouvement, & qu’elle ne coule pas par la coupe qu’on fait au sarment, par où elle perdroit beaucoup si la sève étoit encore long-temps en activité. La taille de mars retarde la pousse de la bourre ; elle court moins de risque. L’une & l’autre méthode peuvent réussir, selon les années & la saison du printemps plus ou moins froide ; mais la taille de février ou mars nous a paru la plus sûre & la meilleure aussi pour planter.[25]

Dans les climats froids on fait bien d’attacher les figuiers près des murs, afin de les couvrir de paillassons ou de litière, de fougère ou de cosses de pois, qu’on arrête dessus avec des perches & des osiers, pour les garantir de la gelée.

Quand les figuiers sont adossés à des bâtimens assez élevés pour les mettre à l’abri, ils n’ont besoin ordinairement d’aucune précaution ; ce n’est que dans les hivers très-rigoureux qu’ils sont sujets à geler. Les figuiers se trouvent-ils éloignés des abris, on les couche dans la terre.

À mesure que les arbres sont taillés, on leur ote la mousse facilement dans les temps humides ; il est plus avantageux d’attendre la fin de l’hiver. L’instrument le plus commode pour abattre la mousse dans toutes les branches, est le sarclet des maraîchers, avec lequel ils nettoient l’herbe des planches d’oignons.

En enlevant avec le même instrument les écorces galeuses & chancreuses, on détruit la retraite d’une infinité d’insectes.

On continue de charrier & de ramasser au pied des arbres toutes sortes d’engrais convenables, tels qu’ils sont indiqués à la fin d’octobre.

On raccommode les treillages, les outils de jardin ; on aiguise les échallas.

On fait bien de placer au-dessus des espaliers de pêchers, de petits paillassons de deux pieds de largeur, pour garantir ces arbres, pendant l’hiver, de la neige & du verglas qui les gâtent.

Section III.

Catalogue des meilleurs fruits.

Il ne sera pas question dans cette liste de toutes les espèces de fruits, mais simplement des meilleurs & des plus utiles. Pour le surplus, consultez ce qui est dit sous chaque mot propre.

§. I. Des fruits à noyaux.

Abricotier, voyez abricot précoce… gros abricot ou commun… abricot blanc… abricot musqué… abricot d’Angoumois, ou abricot rouge… abricot de Provence… abricot de Hollande… abricot alberge… abricot de Portugal… abricot noir… abricot pêche ou de Nanci… abricot mont-gamet… abricot alberge…

Amandier commun, à gros ou à petit fruit… amandier à coque tendre, ou amandier des dames… amandier à fruit amer… amandier pêche, plus curieux qu’utile.

Azerolier à fruit blanc ou à fruit rouge. Ce fruit n’est bon que dans les Provinces méridionales.

Cerisier. Merisier à fruit doux… à gros fruit doux… (cerisiers guigniers, ainsi nommés à Paris, & cerisiers en Province.) Guignier à fruit noir… guignier à gros fruit blanc… guignier à gros fruit noir & luisant… guignier à fruit rouge tardif, plus curieux qu’utile.

Bigarreautiers à gros fruit rouge… à gros fruit blanc… à petit fruit hâtif…

Cerisiers à fruits ronds, à Paris, & appellés griotiers en Province… nain précoce… hâtif… commun à fruit rond… cerisier à la feuille… cerisier à trochet… tardif ou de la Toussaint, simplement curieux… de Montmorenci ou gobbet gros & à courte queue… de villenes à gros fruit de rouge pâle… de Hollande… à fruit ambré… griotier de Portugal… d’Allemagne… la cheri-duke… cerise guigne.

Jujubier. On n’en connoît qu’une seule espèce dans nos Provinces du midi.

Noisettier ou Avelinier franc à fruit ovoide & la pellicule du fruit rouge… à fruit rond ou commun… à fruit anguleux ou d’Espagne… à fruit blanc & ovoide. Le premier mérite la préférence.

Noyer commun… à très-gros fruit, plus agréable qu’utile… à fruit tendre & à écorce fragile… celui qui donne deux récoltes, simplement curieux… le tardif ou de la Saint-Jean, époque à laquelle il fleurit. Le premier & le dernier sont vraiment utiles ; le dernier sur-tout dans les pays où l’on craint les gelées tardives du printemps.

Pêcher. (Suivant l’ordre de maturité.)[26] Avant-pêche blanche : son seul mérite est d’être précoce… avant-pêche rouge, ou avant-pêche de Troye… double de Troye ou petite mignonne… magdelène blanche, bonne dans les Provinces du midi… chevreuse hâtive… pourprée hâtive… grosse mignonne… fausse mignonne… vineuse… magdelène tardive à petites fleurs… la chancelière… pêche malte… belle garde ou galande… petite violette hâtive… grosse violette, ou violette de Courson… admirable, ou belle de Vitry… bourdine ou royale… teton de Vénus… chevreuse tardive… brugnon violet… nivette… violette tardive… pourprée tardive… persique… pavie rouge… de Pomponne… pavie jaune… admirable jaune… jaune lisse.

Pistachier, cultivé en pleine terre dans les Provinces du midi.

Prunier. Prune jaune hâtive ou de Catalogne… gros damas de Tours… damas musqué… perdrigon hâtif… grosse mirabelle… prune de Monsieur… la diaprée… perdrigon blanc… perdrigon violet… perdrigon rouge… impériale… grosse reine-claude, ou dauphine, ou abricot vert, ou damas vert… petite reine-claude… impératrice blanche… abricotée… diaprée rouge, ou roche-courbon… diaprée blanche… sainte-catherine… damas de septembre… impératrice violette, ou princesse ou altesse… prunier du Canada, non pour son fruit, mais pour ses fleurs.

§. II. Des fruits à pepins.

Coignassier. Coin commun… coin de Portugal. Le dernier est à préférer.

Épine-vinette, à fruit, à pepins ou sans pepins. Le dernier seul mérite d’être cultivé dans les jardins.

Figuier, (climat de Paris) Figue printanniere, ou blanche longue… blanche ronde d’automne… violette longue ou angélique… violette ronde… (climat du midi) la cordelière ou serpentine… figue de Bordeaux… grosse blanche longue… la marseillaise… petite blanche ronde ou de Lipari… la verte… la grosse jaune… la grosse violette longue… la petite violette… la bourjassete ou barnisore… la graissane… la verte-brune… figue du Saint-Esprit.

Framboisier. Framboises blanches ou rouges.

Grenadier. Grenade douce… douce & acide.

Groseiller non épineux à fruit rouge… à fruit blanc… à fruit noir ou cassis. Epineux à fruit blanc… à fruit violet, ou groseilles à maquereaux.

Mûrier à gros fruit noir. Il est inutile de parler ici des mûriers dont la feuille sert à nourrir les vers à soie. Le fruit en est fade.

Néflier sauvage… à gros fruit ou de Hollande… sans noyau.

Olivier. Il est inutile d’en parler ici : on ne peut le cultiver dans le nord sans le secours de l’orangerie, & dans les Provinces du midi il couvre les champs, & on ne le cultive pas dans les jardins.

Oranger proprement dit. Orange douce ou de Portugal… grosse orange ou de Grasse… orange rouge… sans pépins… de Chine… riche dépouille… orange bergamotte… bigarade commune… violette… petite bigarade chinoise… pommier d’Adam… Bouquetier.

Limonier. Limon commun… de Calabre… doux limon poirette… impérial… balotin… de grenade ou pomme de paradis ou lime en Provence… limon de Valence… cédrat de Florence.

Arbres qui participent de l’Oranger & du Limonier.

Lime douce… pompoleum… Schaddech ou chadec… pompelmous… niella rosa.. oranger hermaphrodite… citronnier.

Poirier. (suivant l’ordre de maturité relative aux climats & aux saisons) Amiré-joanet… petit muscat ou sept-en-geule… muscat robert… aurate… magdelène ou citron des carmes… cuisse-madame… la bellissime… l’épargne… gros & petit blanquet… l’épine rose ou poire rose, ou caillot rosat… l’orange musquée… l’orange rouge… la robine ou royale d’été… bon chrétien d’été musqué… gros rousselet… rousselet de Rheims… fondante de Brest… Épine d’été… orange tulipée… bergamote d’été… bergamote rouge… verte longue… angleterre ou beurré d’Angleterre… beurré… doyenné blanc… doyenné gris… bezi de Montigny… bergamote suisse… & d’automne… bellissime d’automne… messire-jean… sucrévert… bon chrétien d’Espagne… merveille d’hiver… épine d’hiver… la louise bonne… la marquise… la crezane… l’ombrette… l’échasserie… bezy de Chaumontel… saint-germain… vigoureuse… martinsec… le colmar… la royale d’hiver… Angleterre d’hiver… angélique de Bordeaux… franc réal… carillac… bon chrétien d’hiver… rousselet d’hiver… orange d’hiver… double fleur… muscat l’allemand… bergamotte de Hollande impériale… poire livre…

M. de la Bretonnerie indique un choix entre les poiriers qui est très-bien vu, & sert à fixer celui des personnes qui, ne connoissant pas les fruits, veulent se procurer les espèces les plus estimées. Si l’étendue du jardin est considérable, on peut planter les arbres des espèces que je viens de citer ; mais si l’emplacement ne contient que cinquante poiriers, voici ceux adoptés par l’auteur cité. 2 cuisse-madame… 2 blanquette… 2 robine ou royale d’été… 4 rousselet de Rheims… 4 beurré… 4 doyenné gris.. 3 messire jean… 4 crezane… 4 saint germain… 2 chaumontel… 2 royale d’hiver… 4 virgouleuse… 4 colmar… 2 bon chrétien d’hiver… 2 martinsec… 2 muscat l’allemand… 2 bergamotte de Hollande… 1 franc réal.

Pour un jardin où l’on n’auroit que 24 places, on choisiroit… 3 rousselet de Rheims… 3 beurré… 2 doyenné gris… 2 crezane… 4 saint-germain… 2 vigoureuse… 2 chaumontel… 4 colmar… 2 bon chrétien d’hiver.

Pour un jardin à douze places, il suffit de diminuer sur les nombres précédens.

Pommier. (par ordre de maturité) On prévient que cet arbre réussit mal dans les Provinces du midi, sur-tout les cantons fortement abrités.

La passe pomme… la calville d’été… le rambour franc… le postophe d’été… calville rouge… calville blanche… pomme de châtaigner… court pendu… fenouillet gris… rouge… reinette franche… reinette grise… drap d’or ou reinette dorée… pomme d’or ou reinette d’Angleterre… reinette de Canada… reinette d’Espagne… grosse reinette blanche fouettée de rouge… reinette grise de Champagne… l’api franc… api gros ou pomme rose… l’haute en bonté… rambour d’hiver… la violette… postophe d’hiver.

Vigne. Il ne s’agit que de celles cultivées dans les jardins. Pour les autres voyez l’article Vigne. Le morillon hâtif ou raisin de la Magdelène, non à cause de la bonté de son fruit, mais parce qu’il est mûr à la fin de juillet… chasselas doré ou Bar-sur-aube… chasselas rouge… chasselas musqué… la Cioutat… muscat rouge… muscat blanc… muscat d’Alexandrie ou passe longue… le cornichon… le corinthe blanc.

Le châtaignier est un arbre fruitier hors de rang, & ne peut être comparé, pour son fruit, qu’à celui du maronier d’Inde, recouvert par une enveloppe coriace & armée de piquans ; cependant ces deux arbres sont totalement séparés dans l’ordre de la nature, & on ne doit pas les confondre.

Dans les jardins, il ne faut cultiver que les châtaigniers qui produisent des marons, & si le pays ne convient pas à cet arbre, son fruit sera toujours au-dessous du médiocre. Si on peut le cultiver dans les champs, il y figurera mieux que dans un jardin, où il occuperoit trop d’espace.

CHAPITRE III.

Du jardin fruitier & légumier en même temps.

C’est le plus commun, parce qu’il y a très-peu de propriétaires en état de le séparer. Ce que j’ai dit des deux premiers s’applique à celui-ci.

Ordinairement on se contente de couvrir les murs par des arbres en espalier, soit nains, soit à mi-tige, & les bordures des quarreaux avec des nains, taillés ou en évantail, ou en buisson.

La distribution des arbres est différente dans les jardins toujours mixtes, & arrosés par irrigation. (Voyez ce mot.) Comme ces jardins sont divisés en grands quarreaux, & ces quarreaux en trois, quatre ou cinq grandes tables, les arbres sont plantés tout autour des allées, mais encore dans la platte-bande qui sépare chaque table. Dans les jardins de maraîchers, tous les arbres sont à plein vent ; chez les particuliers, ceux de l’intérieur des quarreaux sont à plein vent, & ceux des bordures sont taillés en évantail ou en buisson ; quelques-uns taillent les uns & les autres en évantail. Le buisson est interdit pour l’intérieur, parce qu’il gêneroit l’ouvrier qui ouvre & ferme les rigoles lorsqu’il s’agit d’arroser.

Un point essentiel à observer dans la formation des jardins à irrigation, c’est qu’après en avoir tracé le plan sur le sol, on doit donner plus de profondeur aux tranchées destinées à recevoir les arbres, qu’à celles du reste du jardin. Fouiller & retourner la terre à la profondeur de deux pieds, est très-suffisant pour les légumes, mais ce n’est point assez pour des arbres à plein vent. Sans cette précaution leurs racines, au lieu de plonger dans la terre, s’étendront horizontalement dans le voisinage, & nuiront aux légumes.

CHAPITRE IV.

Du jardin destiné aux fleurs.

Je ne parlerai pas ici de ce qu’on appelle parterre, il est du ressort des jardins nommés de propreté, dont il sera question dans l’article suivant. Il s’agit uniquement du jardin des amateurs fleuristes.

Section Première.

De sa situation, de la préparation du sol, &c.

I. De sa situation. Il doit être placé dans un lieu un peu élevé, où passe un libre courant d’air, mais cependant abrité contre les vents du nord, & des côtés par lesquels soufflent communément les vents impétueux. Il est cependant à souhaiter qu’il ait, soit par art, soit naturellement, toutes les expositions, afin que l’amateur puisse y cultiver les plantes agréables qui naissent soit au midi, soit au nord ; elles ne réussissent jamais bien dans un petit jardin, environné de maisons trop élevées : la lumière du soleil y arrive trop tard, ou le quitte trop tôt ; la chaleur s’y concentre, & elle n’est pas tempérée par un courant d’air frais : l’humidité une fois introduite se dissipe difficilement ; les rosées & le serein y sont plus abondans, & les gelées fortes ou foibles y sont plus destructives.

La seconde condition est que l’eau y soit abondante, ou du moins proportionnée aux besoins ; si elle vient d’une source, qu’il y ait un réservoir susceptible d’en contenir une certaine quantité, afin que son degré de chaleur suive celui de l’atmosphère, (Voyez ce qui a été dit aux mots Arrosement, Fontaine, Irrigation.)

La troisième, que le jardin ait un niveau de pente, doux & proportionné à son étendue, afin que les eaux pluviales n’y séjournent pas. Si la pente est trop rapide, la terre végétale ou humus, naturellement & totalement soluble dans l’eau, sera entraînée, & il ne restera plus que la terre matrice.

II. De la qualité du sol. Je sais qu’entre les mains d’un fleuriste, le sol devient toujours ce qu’il veut qu’il soit, parce que s’il est argileux, il le fait enlever, & le supplée par un terrein préparé ; s’il est sablonneux, il donne le corps & l’agglutination nécessaires à ses molécules ; enfin, la terre d’un jardin destinée aux fleurs n’est point une terre naturelle, on n’en trouve aucune semblable, elle est créée par l’art. Il est cependant très-important, pour un jardin de ce genre, de trouver dans l’origine un bon fond de terre, une terre bien végétative, parce qu’elle doit servir de base à toutes ses préparations, & cette rencontre heureuse diminue les frais, les travaux & l’embarras.

III. De sa préparation. Pour ne pas se tromper, on doit considérer les racines de chaque espèce de plante ; elles indiquent la profondeur de bonne terre qu’elles exigent. (Voyez ce qui a été dit au chapitre premier du jardin légumier.) Après s’être assuré de la profondeur à laquelle une plante plonge ses racines, il reste à considérer comment & quelle est la manière d’être des racines. Par exemple, les plantes à oignons, comme les jacinthes, les tulipes, &c., à tubercules, comme les renoncules, les anémones, &c., n’exigent pas des engrais animaux à moins qu’ils ne soient très-vieux, très-consommés & réduits complettement à l’état de terreau. Si la terre retient l’eau, si le fond est argileux, les oignons pourriront, parce qu’ils se nourrissent plus par leurs fleurs que par leurs racines ; ils prospéreront au contraire dans une terre douce, végétale, substantielle, mêlée en parties égales avec des feuilles d’arbres bien pourries. On doit cependant excepter celles des noyers, des myrthes, & même des chênes, parce qu’elles conservent toujours leur astriction & leur amertume naturelle, très-préjudiciables aux plantes ; celles de figuiers produisent le même effet. La hauteur de huit pouces de terre préparée leur suffit. Si on donnoit à des œillets une terre aussi douce, ils travailleroient beaucoup en racines, & peu en fleurs. Les giroflées & autres plantes analogues y prospéreront, mais beaucoup mieux dans une terre faite, unie aux engrais animaux, surtout si elles trouvent un fond de semblable terre de douze à quinze pouces de profondeur. Je n’entrerai pas ici dans de plus grands détails sur l’espèce de terre préparée, qui convient à chaque genre de plante en particulier, parce qu’elle est indiquée à l’article de toutes les plantes, & ce seroit une répétition inutile. J’ai cité les exemples ci-dessus comme des généralités, pour indiquer seulement la nécessité de diversifier le sol suivant le besoin.

Dans le jardin d’un fleuriste, il doit y avoir un local uniquement consacré à la préparation des terres, & divisé en plusieurs cases séparées par des cloisons. Ces cases demandent à être éclairées par les rayons du soleil, & couvertes soit avec des planches, soit avec de la paille, soit par un toit réel, afin que la terre ne soit pas délavée par les pluies, & qu’exposé au soleil, elle attire à elle ce sel aérien, le grand combinateur des principes. (Voyez le mot amendement & le dernier chapitre du mot agriculture.)

Le temps, pour commencer la préparation des terres, est après la chute des feuilles ; on amoncele celles-ci ou séparément, ou unies avec la terre, ou mêlées avec la terre. & les engrais animaux, suivant le besoin. Si le hangard recouvre exactement le monceau, si la pluie ne peut l’imbiber, on le mouillera de manière que l’humidité pénétre jusqu’au fond : il reste dans cet état jusqu’après l’hiver. Au premier printemps & par un beau jour, on renverse le monceau ; on l’étend, & à force de coups de pelle la masse totale est mélangée & amoncelée de nouveau sous le hangard. Si elle se trouve trop sèche, on l’imbibe de nouvelle eau, car sans humidité point de fermentation, de décomposition, ni recomposition. Au mois de juin ou de juillet on recommence la même opération, ainsi qu’au mois d’octobre.

Les bons & zélés fleuristes n’emploient cette terre qu’après deux ans de travail, & ils ont raison. Telle est la manière de se procurer un fonds de terre suffisant & relatif à la nature de chaque plante en particulier ; c’est de ce mélange bien fait & bien approprié, que dépendent non-seulement la beauté des fleurs, mais encore le perfectionnement des espèces. (voyez ce mot) Ils ont encore l’attention, lorsqu’ils le peuvent, de ne pas faire servir deux fois la même terre à la même espèce de plante ; alors cette terre première est recombinée avec d’autres, & sert aux plantes d’une constitution différente.

J’ai vu des fleuristes attacher la plus grande importance à se procurer de la terre des taupinières : je conviens qu’elle est bien divisée, bien atténuée, mais en est-elle meilleure pour cela ? Si elle est argilleuse, la pluie & ensuite l’exsication la durciront tout comme auparavant ; si elle est sablonneuse, elle restera toujours sans adhésion, & cette terre ne diffère en rien de celle du champ, du chemin, &c. où l’animal a travaillé. Sa bonne qualité est donc simplement relative, & non pas essentielle. Il n’en est pas ainsi de celle que l’on retire de l’intérieur des troncs pourris des vieux arbres, parce que c’est un vrai débri de substances végétales bien consommées, & excellent pour les semis des graines fines, délicates & difficiles à germer.

Plusieurs amateurs se sont persuadés, qu’en combinant avec ces terres des principes colorans & solubles dans l’eau, ils parviendroient à colorer les plantes, par exemple, à se procurer des œillets noirs, &c. Il n’existe aucune fleur noire dans la nature, & elle ne changera pas ses loix pour leur faire plaisir ; d’ailleurs, la sève ne se charge jamais d’aucun principe colorant ; elle monte claire dans un état de vaporisation. Le fleuriste doit donc se contenter d’avoir des fleurs superbes, & rien de plus en ce genre. Une occupation bien digne de ses soins, seroit de faire des expériences sur l’hybridicité des fleurs. (Consultez le mot Hybride, & ce qui est dit au mot Abricotier.) Mais toutes ces tentatives seront en pure perte, s’il croit opérer sur des fleurs doubles ou privées des parties organiques de la génération. Il n’en sera pas ainsi des fleurs semi-doubles, parce qu’elles n’ont plus qu’un pas à faire pour devenir complettement doubles. Ses essais sur les fleurs simples, vigoureuses, belles & bien nourries, seront couronnés du succès, si leurs genres ne sont pas trop disproportionnés.

IV. Des objets nécessaires à un jardin fleuriste. Si l’amateur embrasse la fleurimanie dans sa totalité, il lui faut nécessairement une serre chaude, une serre en manière d’orangerie, des chassis vitrés, des amas de fumier de litières, du tan, des couches, des cloches, &c. Le simple amateur, plus restreint dans son goût, se contente des chassis, de quelques couches, & d’un certain nombre de cloches. Les pots, vases, caisses de toutes grandeurs, sont nécessaires à l’un & à l’autre, ainsi que beaucoup de terrines plattes pour les semis ; des cribles en fil de fer de différent diamètre, des cribles en crin pour nettoyer les graines, & de quelques cribles en parchemin, destinés aux mêmes usages ; des grilles en fil de fer, des clayes en bois pour passer la terre ; des pêles, des bêches, des râteaux, des tire-fleurs ou houlettes de différentes grandeurs, des cordeaux, des plantoirs, des arrosoirs, de petites pioches, &c.

Il doit encore avoir un local spacieux & couvert, sec, susceptible d’être aéré au besoin, & garni tout le tour avec des tablettes, sur lesquelles il dépose les oignons, les griffes, &c. ; une partie de ces tablettes doit être divisée en petits quarreaux, par des traverses en bois, afin que chaque espèce de griffes de renoncule, par exemple, soient séparées des autres espèces, & ne se confondent pas avec elles ; afin d’éviter les étiquettes qu’un coup de vent dérange souvent. Plusieurs des petits quarreaux sont peints en jaune, blancs, violets, rouge, &c., en un mot d’une couleur correspondante à celle de la fleur dont il renferme la griffe & l’oignon ; alors il n’y a plus de méprise, & lors de la plantation, l’amateur est à même de disposer à son gré de l’effet que chaque couleur de la fleur doit produire dans son jardin. Les oignons, les griffes, &c. peuvent encore être classés dans ces quarreaux, suivant leur nomenclature. La première méthode est à préférer, parce qu’elle parle plus directement aux yeux.

Le même ordre d’arrangement, la même distribution de case peut avoir lieu pour les graines. Quant à moi, je préférerois l’usage des calebasses ou courges de pèlerins. Lorsqu’elles sont encore sur la plante, on grave dans la peau extérieure les noms de chaque espèce, ou bien on applique par-dessus & on colle un papier où chaque lettre du nom est découpée, ou bien encore on colle chaque lettre séparément, & le soleil les fait reparoître par le changement de couleur. Lorsque la calebasse est mûre, ces caractères sont ineffaçables, & elle servira pendant plus de quinze à vingt ans. Les graines s’y conservent mieux que dans des sacs de toile ou de papier. Une ficelle passée & nouée à leur col, sert à les attacher à un clou, ou contre les tablettes, ou contre un mur.

Le jardin du fleuriste exige un amphithéâtre ou des gradins, afin d’y placer des vases, soit pour offrir le plus beau de tous les coups d’œils, soit pour conserver plus long-temps la durée d’une fleur. Ces amphithéâtres sont recouverts par un toit, ou avec des toiles, afin de garantir les fleurs de l’activité du soleil ou des pluies qui les font passer brusquement, & ne donne pas à l’amateur le temps de jouir du fruit de ses travaux.

Il est essentiel que la hauteur des gradins soit proportionnée à celle des vases qu’il doit supporter ; sans cette précaution, le petit pot à oreilles d’ours, à prime-vère, &c., figureroit très-mal sur un gradin destiné à des pots d’œillets, de reine-marguerite, d’amarantes, &c. ; il faut que le bois ne paroisse point à la vue, & qu’il n’y ait presqu’aucune partie du vase qui soit visible, si ce n’est dans le premier rang ; alors la verdure & les fleurs sont dans une progression ascendante & continuelle, d’où dépend la beauté du coup d’œil. Elle n’existe plus, cette beauté, si une fleur est cachée par une autre, ou si l’œil la confond avec elle. La coquetterie est ici nécessaire, chaque fleur doit être vue séparément. C’est dans l’arrangement d’un amphithéâtre qu’on connoît le goût de l’amateur ; assortir les nuances & les couleurs, les faire ressortir les unes par les autres, & les marier si bien, que chaque fleur, considérée séparément, paroisse parfaite : c’est en quoi l’art consiste.

On cultive rarement les tulipes, les jacinthes, les renoncules, les anémones dans des vases ; on les met en pleine terre, où presque toujours elles réussissent mieux. Le gros soleil & la pluie sont les ennemis des fleurs, &, pour leur assurer une certaine durée, on les couvre avec des toiles soutenues par des piquets. En général ces piquets sont toujours trop bas, la plante respire difficilement, & on jouit mal du coup d’œil ; il vaut beaucoup mieux avoir de grandes tentes de toiles, portées sur des châssis allez élevés pour qu’on puisse librement se promener par dessous, & voir ses fleurs à chaque instant du jour. Lorsque le soleil est couché, on retire ces toiles sur les côtés, & les plantes jouissent de la fraîcheur de la nuit ; jamais les fleurs ne paroissent plus belles, plus brillantes que lorsque le grand jour est modéré par ces toiles ; elles sont aux fleurs ce que les cadres sont aux tableaux.

Section II.

Énumération des plantes à fleurs agréables ou odorantes.

I. Des plantes à oignons. Les amarillis, & par préférence les lys de S. Jacques, & celui de Guernesey… le pancratium maritime ou narcisse de mer… le perce neige… les jacinthes… les tulipes… les jonquilles.. les narcisses… les colchiques… la fritillaire… la couronne impériale… le lys blanc… le lys martagon… le muguet ou lys des vallées… la tubéreuse.

II. Des plantes à tubercules. L’ellébore à grande fleur blanche… les anémones… les renoncules… les iris, & particulièrement celui de Suze & celui de Perse… l’ixia de Chine… la pivoine mâle & femelle.

III. Des plantes annuelles à racines fibreuses. La reine marguerite… les amaranthes, & sur-tout la crête de coq & le tricolor… l’œillet d’Inde… l’œillet d’Inde passe velour… la belle de nuit… la balsamine… l’anonis ou goutte de sang… le réséda… le basilic… la giroflée ou violier quarantaine… les grands pavots… les coquelicots… la pensée… le thalaspi… le pois odorant ou musqué… les bluets ou centaurées à fleur jaune, blanche ou violette… le séneçon du Canada… les pieds d’alouette… l’immortelle violette… le xeranthemum ou immortelle rayonnée.

IV. Des plantes vivaces à racines fibreuses. Les prime-vères… l’hépatique… les oricules ou oreilles d’ours… les giroflées… les violiers jaunes… les juliennes… les œillets… l’œillet de Perse… les juliennes… l’ancolie ou gantelée… les grandes mauves trémiaces, celle de Chine… la mauve en arbre… la piramidale… la violette.. la coque lourde ou lychnis… la croix de Jérusalem ou de malthe… la scabieuse… le souci… la camomille à fleur double… le petit tournesol à fleur double… le monarda.

V. Des arbustes odorans ou à jolies sieurs. Le taraspic… la pervenche du Cap… l’héliotrope du Pérou… le lilas de Perse… la rose gueldres… les rosiers de toutes espèces.. les jasmins d’Espagne, d’Arabie, des açores & le jasmin jaune très-odorant.. le laurier thym… le pêcher… l’amandier nain & à fleurs doubles… le myrthe… la bruyère du Cap… le genêt à fleurs doubles… le spirea à feuilles d’obier & de saule… le seringa à fleur double… le leonurus ou queue de lion d’Afrique… le thym… le serpolet… la lavande… la marjolaine… le marum… le géranium ou bec de grue… l’immortelle jaune.

Je sais qu’on peut ajouter beaucoup à ce catalogue, mais le grand fleurimane le trouvera à coup sûr trop nombreux ; il se contente de cultiver les prime-vères, les auricules, les œillets, les tulippes, les renoncules, les anémones, & ensuite quelques plantes de fantaisie.

Section III.

Du temps de semer.

Si on n’est pas riche en fleurs de distinction, il faut absolument prendre le parti de semer, à moins qu’on ne soit dans le cas de satisfaire ses fantaisies à prix d’argent. On jouit plutôt, il est vrai, mais cette jouissance est moins précieuse, moins flateuse que celle d’avoir obtenu par ses soins, ou une espèce nouvelle, ou une espèce perfectionnée. Les Flamands & les Hollandois font un commerce de graines qu’ils vendent assez chèrement, c’est à eux qu’il faut s’adresser, & ils sont en général de très-bonne foi : c’est d’eux surtout qu’il faut tirer la graine des prime-véres & des oreilles d’ours. Les semis de ces deux plantes ni leur culture ne réussiront jamais bien dans nos provinces du midi ; on en sème la graine aussitôt qu’elle est bien mûre, dans des terrines remplies de terreau consommé, ou avec de la terre noire que l’on retire du dedans du tronc des vieux arbres ; on peut attendre à la semer à la fin de l’hiver ; il en est ainsi de celle des oreilles d’ours, des tulipes, des jacinthes, des œillets. Quelques amateurs attendent le mois de septembre pour les semis des graines à oignon, sans doute dans la crainte des effets de la chaleur de l’été : en plaçant les terrines au nord, on parera à cet inconvénient, & la jeune plante aura pris de la consistance avant l’hiver. Chacun, sur cet objet, doit consulter le climat qu’il habite & l’expérience ; il me paroît cependant qu’on ne risque jamais rien d’imiter la nature, qui confie à la terre le soin des graines dès qu’elles sont mûres. Lorsque la plante est annuelle, lorsque les gelées la font périr, à coup sûr elle ne lèvera pas avant l’hiver ; si elles sont vivaces, & si elles bravent le froid, elles germeront & végéteront dès que l’air ambiant sera au degré de chaleur qui leur convient. (Voyez les belles expériences de M. Duhamel, décrites au mot Amandier, page 458.) Voilà les loix invariables qui doivent guider les fleuristes.

Le semis des anémones, des renoncules se fait aux mêmes époques.

Les semis n’ont encore rien ajouté aux jonquilles, aux narcisses, ni à la tubéreuse, on a obtenu des fleurs doubles, rien de plus. Il n’en est pas ainsi des tulipes, les espèces se sont singulièrement multipliées ; la tulipe à fleur double est rejetée par les amateurs, mais elle figure bien dans les bordures d’un grand jardin.

Si on a des serres chaudes, des chassis, des couches, des cloches, des paillassons, &c., rien de plus aisé alors que d’accélérer l’époque des semis des fleurs ordinaires, autrement il faut se résoudre à attendre la fin de l’hiver, le mois d’avril pour les provinces du nord, de février pour celles du midi, & de mars pour celles du centre du royaume. Cette loi générale souffre peu d’exceptions ; il vaut beaucoup mieux préparer des couches & semer par-dessus quand elles auront jeté leur premier feu, que de semer en pleine terre ; mais on doit appréhender que la chaleur n’attire les courtilières ou taupes-grillons, (Voyez ce mot) & ces insectes malfaisans détruiront toutes les plantes, si on ne se hâte de les suffoquer avec l’huile, ainsi qu’il sera dit dans cet article. Pour prévenir cet inconvénient, on garnira le fond de la couche avec des planches bien jointes & à languettes, ainsi que le tour, jusqu’à la hauteur de cinq à six pouces ; si on n’a pas les bois nécessaires, on peut employer de larges quarreaux.

Si on est privé de ces secours, on sera réduit à semer en pleine terre, au pied de quelque bon abri, & on attendra que la chaleur soit bien établie dans l’atmosphère. Les gelées tardives sont la ruine totale des semis précipités ; les pavots, les coquelicots, les pieds d’alouette demandent à être semés en octobre, ils ne sont pas si beaux étant semés en mars ou en avril. Si on veut encore une règle bien sûre qui fixe l’époque à laquelle chaque graine doit être semée, que l’on considère celle à laquelle chaque graine tombée dans le jardin germe & lève ; imitons la nature, elle ne nous trompe jamais.

Section IV.

Du temps de planter les oignons, les renoncules, les anémones.

I. Des oignons. On a, dans chaque pays, une régle sûre qui fixe l’époque à laquelle ils doivent être plantés, de quelque espèce qu’ils soient, c’est lorsque, au centre de l’oignon, on commence à voir paroîrre son dard ou pousse ; si on retarde plus long-temps, l’oignon souffre : il vaut mieux dévancer l’époque que de la retarder ; quelques exceptions ne détruisent pas cette loi générale. L’époque de cette germination n’est pas la même partout ; elle varie suivant la chaleur des climats. Pour les provinces du nord, le mois d’octobre est le temps où l’on plante les oignons de jacinthe, de tulipes, & en général de toutes les espèces d’oignons qu’on lève de terre en été après que les feuilles sont sèches ; quant à ceux qu’on laisse en terre pendant plusieurs années de suite, ils demandent d’être replantés à la même époque ; cependant, dans le nord du royaume on peut, à la rigueur, planter les oignons jusqu’en février. Il n’en est pas ainsi dans les provinces du midi ; l’oignon s’épuise à pousser ses feuilles si on ne le plante à la fin de septembre ou au commencement d’octobre ; cette époque passée, la fleur qu’il donne est chétive, parce que sa végétation, lors du développement de la tige, est trop précipitée par les chaleurs.

II. Des anémones & des renoncules. Je ne sais pourquoi, aux environs de Paris, on donne la préférence aux renoncules sémi-doubles sur les renoncules complettement doubles ; chacun a sa manière de voir, je préfère les dernières. Dans le nord, on plante les griffes à la fin de février, lorsque l’on ne craint plus les fortes gelées. Dans les provinces du midi, il faut absolument les planter en octobre ou au commencement de novembre, les garantir pendant l’hiver de la neige, (s’il en survient) au moyen des paillassons ou avec de la paille longue. Si on plante plus tard, on court les risques de perdre beaucoup de griffes, & à coup sûr on n’aura que de chétives fleurs. Les anémones se plantent comme les renoncules.

Ces généralités sur le temps de semer & de planter, doivent suffire pour le moment, parce qu’à chaque article en particulier sont indiqués la manière & le temps convenable aux différentes plantes.

Il seroit superflu de tracer ici le plan du jardin d’un fleuriste ; tout plan suppose la connoissance du local, de ce qui l’accompagne, de sa position, de ses points de vue, &c., & ces plans seroient trop généraux, & pourroient ne convenir à aucune situation particulière. Les gens très riches sont les seuls qui attachent une certaine importance à cette espèce de jardin. Le fleurimane ne voit que fleur, ne parle que fleur, le reste lui est indifférent ; la division de son jardin consiste dans des quarreaux placés à côté les uns des autres, communément bordés par des briques de champ, & non par des buis ou telles autres plantes dont les racines affameroient les plantes voisines, & qui serviroient de retraite à une multitude d’insectes destructeurs. La devise de son jardin est : Argus esto, sed non Briareus ; ou bien : soyez tous yeux, & n’ayez point de mains. En effet, ses fleurs sont plus précieuses pour lui que la richesse. Chacun a sa jouissance & sa marotte.

CHAPITRE V.

Des jardins de propreté ou de plaisance.

C’est ici où le luxe s’unit à la belle nature, où les arts s’empressent d’étaler leurs plus riches productions ; où la main habile du jardinier donne des formes symétriques à ses arbres, & en tient captives les branches, en un mot, où tout est décoré, paré, embelli & fait tableau.

L’ennui naquit un jour de l’uniformité.

Ce vers devroit servir d’épigraphe à nos jardins. En effet, une symétrie monotone y régne de toute part ; toujours des lignes droites, des allées à perte de vue, des bosquets maniérés, le feuillage des arbres soumis aux ciseaux, en tout & partout la nature contrariée & forcée. Nous ne la voyons dans nos jardins que comme une vieille coquette qui doit son faux éclat aux frais immenses d’une toilette rafinée. Le premier coup d’œil frappe, le second est plus tranquille, au troisième l’illusion cesse, l’art paroît, & le prestige s’évanouit. Cela est si vrai, qu’on s’ennuye bientôt des jardins artistement symétrisés, leurs propriétaires préfèrent la promenade des champs à celle de leurs parcs, ils y découvrent une agréable simplicité, une variété charmante, un beau désordre, des beautés toujours nouvelles, enfin la nature qu’ils ont exilée de leurs possessions.

Cependant, comme ces jardins symétriques ont encore leurs partisans, il est nécessaire de tracer sommairement les préceptes généraux de leur composition, tels qu’ils ont été donnés par Leblond, élève de Lenotre.

Tout le monde se croit en état de tracer le plan d’un jardin, & il n’est pas un seul architecte qui ne se regarde comme un grand homme en ce genre ; cependant j’ose dire qu’il faut un génie particulier, & que cet art est un des plus difficiles, parce qu’il ne porte sur aucune base fixe. Le plan total doit dépendre du site, des points de vue, de la position des eaux, de la nature du sol, du climat, relativement aux arbres, enfin de mille & mille circonstances. Tracer des quarrés, des ronds, des pattes d’oyes, des allées, des contre-allées, des bosquets, des boulingrins, des portiques ; indiquer la place des jets d’eau, des cascades, des statues, des vases, des treillages, &c., c’est moins que rien ; mais faire concourir chaque objet isolé avec l’ensemble général, c’est le maximum de l’art auquel peu de personnes parviennent, parce qu’il n’est pas dans la nature. Avant Lenotre, cet art étoit inconnu ; il l’a créé dans le siècle dernier. On ne se doutoit pas en France de la distribution & du luxe d’un jardin ; cet homme célèbre a eu un grand nombre de copistes, d’imitateurs, & pas un égal ; il assujettit tout au compas, à la ligne droite & à la froide symétrie du cordeau. Les eaux furent emprisonnées par des murs, la vue bornée par des massifs, &c., enfin on appela grand, majestueux, sublime, ce qui dans le fond n’étoit que beautés factices, difficultés vaincues, & monotone symétrie.

Section Première.

Observations préliminaires avant de former un jardin.

Le local de l’habitation décide communément de celui du parc ; on tient à ce qui existe, on veut le laisser exister, & souvent, pour conserver un bâtiment déjà fait, on multiplie les dépenses au double de ce qu’il en auroit coûté si on avoit tout abattu.

Avant de songer au plan d’un jardin, il faut examiner si l’emplacement qu’on lui destine est à une exposition saine, bien aérée ; si le sol est bon & fertile, si l’eau est abondante & heureusement placée pour la distribution générale ; s’il est possible de se procurer une vue agréable, de jolis paysages, l’aspect d’une ville ou de plusieurs villages, enfin si on peut s’y rendre facilement ; si une de ces conditions manque, il faut renoncer à l’entreprise.

Les plans en plaine sont plus faciles à dessiner que ceux placés sur des coteaux, mais ils sont privés d’un des plus beaux ornemens, celui qui embellit tous les autres, de la vue. De grandes & belles promenades de plein pied, & tout le luxe & la magnificence possibles, ne rachètent jamais cette privation. L’air est toujours plus pur sur les coteaux situés du levant au midi, la position en est riante, & tous les objets se dessinent à la vue ; au lieu que dans la plaine l’œil ne s’étend pas au-delà des allées & des palissades, en un mot, on est comme enseveli dans ses plantations ; la chaleur y est plus étouffante, & le serein dangereux.

On veut construire un parc, on fait venir un ordonateur de jardins, ou un architecte. Il examine le local, fait arpenter, lève le plan, retourne chez lui & dessine. Ce n’est pas ainsi qu’on doit se hâter ; les petites méprises tirent dans la suite à de grandes conséquences : je désirerais que l’ordonateur passât huit jours de suite sur les lieux dans chaque saison de l’année, afin qu’il eût le temps de connoître le local sous tous ses aspects, d’examiner, de remanier de nouveau son dessein général, de d’établir une concordance exacte entre chaque partie, je ne dis pas symétrique, mais une concordance de goût, une concordance d’ensemble. Le plan général une fois dressé, je le communiquerois à des connoisseurs, non pas à la foule de ce qu’on nomme amateurs ; j’irois avec eux sur les lieux, le plan à la main, j’en ferois une espèce d’application au local, avec le secours d’un nombre proportionné de jalons ; j’écouterois leurs critiques, saisirois leurs idées, & j’en conserverois une note fidèle. Un second & un troisième examen, fait par d’autres connoisseurs, serviraient de contrôle au premier plan & aux vues des seconds. Il est clair que sur un grand nombre d’objets de détails, il y aura des contradictions sans nombre, mais il est clair aussi que ce qui sera réellement beau, naturel & bien vu, sera généralement adopté. Malgré ces examens & ces visites réitérées, je laisserai encore mûrir ce plan entre les mains du premier architecte, & je lui communiquerai successivement les corrections indiquées, non sous le titre de corrections, crainte de blesser son amour-propre, mais comme des doutes, des vues, des probabilités qu’on soumet à son examen, avec prière d’y réfléchir. Quant aux objets qui auront été généralement critiqués, ils sont, à coup sûr, mauvais, & doivent être supprimés & suppléés par d’autres de meilleur goût. C’est un point sur lequel le propriétaire doit insister.

Le plan une fois arrêté, il doit demander un devis estimatif des dépenses, soit pour la fouille & le transport des terres, soit pour les bâtimens, les morceaux d’architecture, l’achat des arbres, des arbustes, leurs plantations, &c. &c. Je suppose que la dépense totale soit portée, par exemple, à trente mille livres, le propriétaire doit s’attendre qu’elle sera doublée avant que tout soit fini, & peut-être encore excédera-t-elle le double. C’est à lui actuellement à calculer s’il peut faire cette dépense sans se déranger, sans se gêner, sans nuire à son bien-être ; autrement c’est un fou, & un fou à lier, s’il a des enfans. Si ce propriétaire ne veut pas être trompé dans son attente, il doit demander à l’ordonnateur un devis estimatif de chaque objet en particulier, & dans lequel seront stipulés l’épaisseur & la hauteur des murs, les déblais & les remblais des terres, les plantations, &c. &c. &c. Tous ces points bien circonstanciés, il donnera le prix fait de l’exécution à l’ordonateur, & il veillera de très-près à ce que toutes les conditions du traité soient strictement remplies dans la pratique. C’est le seul moyen de ne pas excéder la dépense qu’on s’est proposé de faire.

Section II.

Des dispositions générales d’un jardin.

Le célèbre Leblond, dans son ouvrage intitulé Théorie & pratique des jardins, va nous servir de guide.

Il vaut mieux se contenter d’une étendue raisonnable bien cultivée, que d’ambitionner ces parcs d’une si grande étendue, dont les trois quarts sont ordinairement négligés. La vraie grandeur d’un beau jardin ne doit guères passer trente à quarante arpens. (Voyez ce mot) Le bâtiment doit être proportionné à l’étendue du jardin, & il est aussi peu convenable de voir un magnifique bâtiment dans un petit jardin, qu’une petite maison dans un jardin d’une vaste étendue.

L’art de bien disposer un jardin a pour base quatre maximes fondamentales. La première, de faire céder l’art à la nature ; la seconde, de ne point trop offusquer un jardin ; la troisième, de ne point trop le découvrir ; & la quatrième, de le faire paroître toujours plus grand qu’il ne est effectivement. Tout homme de bon sens voit, du premier coup d’œil, les résultats de ces quatre maximes ; leurs commentaires deviendroient inutiles & mèneroient trop loin.

La proportion générale des jardins, est d’être un tiers plus longs que larges, & même de la moitié, afin que les pièces en deviennent plus gracieuses à la vue ; une fois ou deux plus long que large, le jardin est manqué.

Voici, à peu près, les autres régles générales. Il faut toujours descendre d’un bâtiment dans un jardin par un perron de trois marches au moins ; cela rend le bâtiment plus sec, plus sain, & on découvre de dessus ce perron toute la vue générale, ou une bonne partie.

Un parterre est la première chose qui doit se présenter à la vue ; il occupera les places les plus proches du bâtiment, soit en face ou sur les côtés, tant parce qu’il met le bâtiment à découvert, que par rapport à sa richesse & sa beauté, qui sont sans cesse sous les yeux, & qu’on découvre de toutes les fenêtres de la maison. On doit accompagner les côtés d’un parterre de morceaux qui le fassent valoir, comme c’est une pièce platte, il demande du relief ; tels sont les bosquets, les palissades, placés suivant la situation du lieu. L’on remarquera, avant de les planter, si on jouit d’une belle vue de ce côté-là, alors on doit tenir ces côtés tous découverts, en y pratiquant des boulingrins & autres pièces plattes, afin de profiter de la belle vue. Il faut sur-tout éviter de la boucher par des bosquets, à moins que ce ne soit des quinconces, des bosquets découverts avec des palissades basses, qui n’empêchent point l’œil de se promener entre les tiges des arbres, & de découvrir la belle vue de tous les côtés.

Si au contraire il n’y a point d’aspect riant, il convient alors de border le parterre avec des palissades & des bosquets, afin de cacher des objets désagréables.

Les bosquets (Voyez ce mot) sont le capital des jardins ; ils font valoir toutes les autres parties, & l’on n’en peut jamais trop planter, pourvu que les places qu’on leur destine n’occupent point celles des potagers & des fruitiers, qu’on doit toujours placer près des basses cours.

On choisit, pour accompagner les parterres, les dessins de bois les plus agréables, comme bosquets découverts à compartimens, quinconces, salles vertes, avec des boulingrins, des treillages & des fontaines dans le milieu. Ces petits bosquets sont d’autant plus prétieux près du bâtiment, que l’on trouve tout-à-coup de l’ombre sans l’aller chercher loin, ainsi que la fraîcheur, si délicieuse en été.

Il seroit bon de planter quelques petits bosquets d’arbres verts ; ils feront plaisir dans l’hiver, & leur verdure contrastera très-bien avec les arbres dépouillés de leurs feuilles.

On décore la tête d’un parterre avec des bassins ou pièces d’eau, & au-delà, une palissade en forme circulaire, percée en patte d’oie, qui conduit dans de grandes allées. L’on remplit l’espace, depuis le bassin jusqu’à la palissade, avec des pièces de broderies ou de gazon, ornées de caisses & de pots de fleurs.

Dans les jardins en terrasse, soit de profil ou en face d’un bâtiment où l’on a une belle vue, comme on ne peut pas boucher la tête d’un parterre par une demi-lune de palissades, il faut alors, pour continuer cette belle vue, pratiquer plusieurs pièces de parterre tout de suite, soit de broderies, de compartimens à l’angloise, ou par des pièces coupées, qu’on séparera d’espace en espace par des allées de traverse, en observant que les parterres de broderie soient toujours près du bâtiment, comme étant les plus riches.

On fera la principale allée en face du bâtiment, & une autre grande de traverse, d’équerre à son alignement ; bien entendu qu’elles seront doubles & très-larges. Au bout de ces allées on percera les murs par des grilles qui prolongeront la vue. On tâchera de faire servir les grilles & les percées à plusieurs allées, en les disposant en patte d’oie, en étoile, &c.

S’il y avoit quelqu’en droit où le terrein fût bas & marécageux, & qu’on ne voulût pas faire la dépense de le remplir, on y pratiquera des boulingrins, des pièces d’eau, & même des bosquets, en relevant seulement les allées pour les mettre de niveau avec celles qui en sont proches & qui y conduisent.

Après avoir disposé les maîtresses allées & les principaux alignemens, & avoir placé les parterres & les pièces qui accompagnent ses côtés & sa tête, suivant ce qui convient au terrein, on pratiquera dans le haut & le reste du jardin, plusieurs différens dessins, comme bois de haute futaie, quinconces, cloîtres, galeries, salles vertes, cabinet, labyrinthe, boulingrins, amphithéâtres ornés de fontaines, canaux, figures, &c. : toutes ces pièces distinguent fort un jardin du commun, & ne contribuent pas peu à le rendre magnifique.

On doit observer en plaçant & en distribuant les différentes parties d’un jardin, de les opposer toujours l’une à l’autre : par exemple, un bois contre un parterre ou un boulingrin, & ne pas mettre tous les parterres d’un côté, & tous les bois d’un autre ; comme aussi un boulingrin contre un bassin, ce qui feroit vuide contre vuide.

Il faut de la variété non-seulement dans le dessin général, mais encore dans chaque pièce séparée ; si deux bosquets, par exemple, sont à côté l’un de l’autre, quoique leur forme extérieure & leur grandeur soient égales, il ne faut pas pour cela répéter le même dessin dans tous les deux, mais en varier le dedans. Cette variété doit s’étendre jusques dans les parties séparées ; par exemple, si un bassin est circulaire, l’allée du tour doit être octogone. Il en est de même d’un boulingrin & des pièces de gazon qui sont au milieu des bosquets.

On ne doit répéter les mêmes pièces des deux côtés, que dans les lieux découverts, où l’œil, en les comparant ensemble, peut juger de leur conformité, comme dans les parterres, &c.

En fait de dessins, évitez les manières mesquines, donnez toujours dans le grand & dans le beau, en ne faisant point de petits cabinets de retour, des allées si étroites, qu’à peine deux personnes peuvent s’y promener de front : il vaut mieux n’avoir que deux ou trois pièces un peu grandes, qu’une douzaine de petites, qui sont de vrais colifichets.

Avant de planter un jardin, on doit attentivement considérer ce qu’il deviendra, vingt ou trente ans après quand les arbres seront grossis, & les palissades élevées. Un dessin paroît quelquefois beau & d’une belle proportion dans le commencement que le jardin est planté, qui dans la suite devient trop petit & ridicule.

Après toutes ces règles générales, il faut distinguer les différentes sortes de jardins ; elles se réduisent à trois ; le jardin de niveau parfait, le jardin en pente douce, & le jardin dont le niveau & le terrein sont entrecoupés par des chûtes de terrasse, de glacis, de talus, de rampes, &c.

Les jardins de niveaux parfaits sont les plus beaux, soit à cause de la commodité de la promenade, soit par rapport aux longues allées & enfilades où il n’y a point du tout à descendre ni à monter ; cela les rend d’un entretien moins dispendieux que les autres.

Les jardins en pente douce ne sont pas si agréables & si commodes : quoique leur pente soit imperceptible, elle ne laisse pas de fatiguer & de lasser extraordinairement, puisque l’on monte ou que l’on descend toujours. Les pentes sont fort sujettes à être gâtées par des ravines, & sont d’un entretien continuel.

Les jardins en terrasses ont leur mérite & leur beauté particulière, en ce que du haut d’une terrasse, vous découvrez tout le bas d’un jardin ; & les pièces des autres terrasses, qui forment autant de différens jardins, qui se succèdent l’un à l’autre, causent un aspect fort agréable & des scènes différentes. Ces jardins le disputent en beauté à ceux de niveau, si toutefois ils ne sont pas coupés par des terrasses trop fréquentes, & si on y trouve de longs plein-pieds. Ils sont fort avantageux pour les eaux qui se répètent de l’une à l’autre ; mais ils sont d’un grand entretien & d’une grande dépense.

C’est d’après ces différentes situations que l’on doit inventer la disposition générale d’un jardin, & la distribution de ses parties. Tels sont les préceptes de M. le Blond. Si on désire de plus grands détails, il faut consulter son ouvrage, enrichi d’un très-grand nombre de gravures qui représentent des plans suivant les différentes situations, les modèles des parterres en tous genres, des bois, des bosquets, des boulingrins, des palissades ; des rampes, des glacis, des tapis de gazon, des portiques, des berceaux, des treillages, des fontaines, des bassins, des jets d’eau, &c. &c. Ces objets sont étrangers à cet ouvrage : cependant, pour avoir une idée précise de ces détails, il suffit de considérer la planche I, qui représente un magnifique jardin en ce genre, dont le sol est uni & de niveau.

Je ne crois pas pouvoir mieux terminer ce chapitre, qu’en rapportant les paroles de Michel de Montaigne, quoique de son temps l’art des jardins de plaisance fût pour ainsi dire inconnu. « Ce n’est pas raison, dit ce philosophe, que l’art gaigne le point d’honneur sur notre grande & puissante mère nature. Nous avons tant rechargé la beauté intrinseque de ces ouvrages par nos innovations, que nous l’avons du tout étouffée. Si est-ce que par-tout sa pureté reluit, elle faît merveilleuse honte à nos vaines & frivoles entreprises ».

Je suis bien éloigné de blâmer cette somptuosité, cette magnificence dans les jardins publics par exemple, aux Thuileries, modèle unique en ce genre ; dans les jardins des princes & des grands seigneurs : ces jardins en imposent par leur air de grandeur & de majesté, si toutefois on doit les qualifier de ces épithètes, & si la belle nature ne leur est pas préférable ; mais que de simples particuliers sacrifient une étendue considérable de terrein à des objets purement de luxe, & où ils ne promèneront jamais, c’est le comble du ridicule. Passe encore que ces particuliers décorent les parties voisines de leur habitation par des parterres, des boulingrins, &c. &c. ; c’est dans l’ordre reçu : il faut que tout ce qui avoisine l’habitation ait un air de propreté & d’arrangement ; pour tout le reste, on doit tout au plus un peu aider à la nature, & jamais ne s’écarter du naturel. C’est sur ces parcs que devroient peser les impôts puis qu’ils dérobent à l’agriculture les terreins les plus précieux & devenus inutiles ; mais malheureusement leurs possesseurs sont ceux qui en paient le moins. Une paroisse est écrasée parce qu’un financier s’est mis dans la tête d’acheter tous les champs qui l’environnent, d’en former un parc, & de faire refluer les impositions que ces champs payoient auparavant sur le reste de la communauté. Il en résulte que la misère est identifiée avec les villages peu éloignés des grandes villes, parce que la moitié, & souvent les trois quarts du territoire sont occupés par des gens exempts de tailles, &c. Heureuses sont les provinces où les impositions sont réelles & non personnelles, alors les parcs ne sont pas les destructeurs & les sang-sues du voisinage.

CHAPITRE VI.

Des Jardins Anglois.

Qu’est-ce qu’un jardin anglois ? C’est une campagne, belle par son site, riche par sa végétation, boisée convenablement, coupée par des canaux ou par des rivières, par des ruisseaux, variée dans ses produits, embellie par des masses dont on a su profiter ; en un mot, c’est la belle & simple nature parée de toutes ses grâces. Si l’art vient à son secours, il ne doit pas se faire remarquer dans l’ensemble, mais seulement dans quelques détails de bon goût.

Les Chinois, les Japonois sont les premiers inventeurs de ces jardins. Kœmpfer, dans son Histoire du Japon, dit que ce peuple a toujours dans son jardin, entr’autres ornemens, un petit rocher ou une colline artificielle, sur laquelle il élève quelquefois le modèle d’un temple ; que souvent on y voit un ruisseau qui se précipite du haut d’un rocher avec un agréable murmure, & que l’un des côtés de la colline est orné d’un petit bois, &c.

On imprima à Londres, en 1757, un ouvrage intitulé de l’Art de distribuer les jardins suivant l’usage des Chinois, où l’auteur s’explique ainsi : « Les jardins que j’ai vus à la Chine étoient très-petits ; leur ordonnance cependant, & ce que j’ai pu recueillir des diverses conversations que j’ai eues sur ce sujet avec un fameux peintre chinois, nommé le Pepqua, m’ont donné, si je ne me trompe, une connoissance de ces peuples sur ce sujet. »

» La nature est leur modèle, & leur but est de l’imiter dans toutes ses irrégularités. D’abord ils examinent la forme du terrein ; s’il est uni ou en pente ; s’il y a des collines ou des montagnes ; s’il est étendu ou resserré, sec ou marécageux ; s’il abonde en rivières ou en sources, ou si le manque d’eau s’y fait sentir. Ils font une très-grande attention à ces diverses circonstances, & choisissent les arrangemens qui conviennent le mieux avec la nature du terrein, qui exigent le moins de frais, cachent ses défauts, & mettent dans le plus grand jour tous ses avantages. »

» Comme les Chinois n’aiment pas la promenade, on trouve rarement chez eux les avenues ou les allées spacieuses des jardins de l’Europe. Tout le terrein est distribué en une variété de scènes ; des passages tournans & ouverts au milieu des bosquets, vous font arriver aux différens points de vue, chacun desquels est indiqué par un siège, par un édifice ou par un autre objet ».

» La perfection de leurs jardins consiste dans la beauté & dans la diversité de ces scènes. Les jardins chinois, comme les peintres de l’Europe, rassemblent les objets les plus agréables de la nature, & tâchent de les combiner de manière que non-seulement ils paroissent avec plus d’éclat, mais même que par leur union ils forment un tout agréable & frappant. »

» Leurs artistes distinguent trois différentes espèces de scènes, auxquelles ils donnent les noms de riantes, d’horribles & d’enchantées. Cette dernière dénomination répond à ce qu’on nomme scène de roman, & nos chinois se servent de divers artifices pour y exciter la surprise. Quelquefois ils font passer sous terre une rivière ou un torrent rapide, qui, par son bruit turbulent, frappe l’oreille sans qu’on puisse comprendre d’où il vient ; d’autres fois ils disposent les rocs & les bâtimens, & les autres objets qui entrent dans la composition, de manière que le vent passant à travers des interstices & des concavités qui y sont ménagées pour cet effet, forme des sons étranges & singuliers : ils mettent dans ces compositions les espèces les plus extraordinaires d’arbres, de plantes & de fleurs ; ils y forment des échos artificiels & compliqués, & y tiennent différentes espèces d’oiseaux & d’animaux monstrueux. »

» Les scènes d’horreur présentent des rocs suspendus, des cavernes obscures, d’impétueuses cataractes qui se précipitent de tous les côtés du haut des montagnes ; les arbres sont difformes, & semblent brisés par la violence des vents & des tempêtes. Ici on en voit de renversés qui interceptent le cours du torrent, & paroissent avoir été emportés par la fureur des eaux ; là, il semble que, frappés de la foudre, ils ont été brûlés & fendus en pièces ; quelques-uns des édifices sont en ruines, quelques-autres consumés à demi par le feu : quelques chétives cabannes dispersées çà & là, sur les montagnes, semblent indiquer à la fois l’existence & la misère des habitans. À ces scènes, il en succède communément de riantes. Les artistes chinois savent avec quelle force l’ame est affectée par les contrastes, & ils ne manquent jamais de ménager des transitions subites, & de frappantes oppositions de formes, de couleurs & d’ombres. Aussi, des vues bornées, ils vous font passer à des perspectives étendues ; des objets d’horreur à des scènes agréables, & des lacs & des rivières, aux plaines, aux coteaux & aux bois : aux couleurs sombres & tristes, ils en exposent de brillantes, & des formes simples aux compliquées, distribuant, par un arrangement judicieux, les diverses masses d’ombre & de lumière, de telle sorte que la composition paroît distincte dans ses parties, & frappante dans son tout. »

» Lorsque le terrein est étendu, & qu’on peut y faire entrer une multitude de scènes, chacune est ordinairement appropriée à un seul point de vue ; mais lorsque l’espace est borné, & qu’il ne permet pas assez de variété, on tâche de remédier à ce défaut, en disposant les objets de manière qu’ils produisent des représentations différentes, suivant les divers points de vue ; & souvent l’artifice est poussé au point que ces représentations n’ont entr’elles aucune ressemblance. »

» Dans les grands jardins les chinois se ménagent des scènes différentes pour le matin, le midi & le soir, & ils élèvent, aux points de vue convenables, des édifices propres aux divertissemens de chaque partie du jour. Les petits jardins, où, comme nous l’avons vu, un seul arrangement produit plusieurs représentations, présentent de la même manière aux divers points de vue, des bâtimens qui, par leur usage, indiquent le temps du jour le plus propre à jouir de la scène dans sa perfection. »

» Comme le climat de Chine est extrêmement chaud, les habitans emploient beaucoup d’eau dans leurs jardins. Lorsqu’ils sont petits, & que la situation le permet, souvent tout le terrein est mis sous l’eau, & il ne reste qu’un petit nombre d’îles & de rocs. On fait entrer dans les jardins spacieux des lacs étendus, des rivières & des canaux. On imite la nature, en diversifiant, à son exemple, les bords des rivières & des lacs. Tantôt ces bords sont arides & graveleux, tantôt ils sont couverts de bois jusqu’au bord de l’eau ; plats dans quelques endroits, & ornés d’arbrisseaux & de fleurs ; dans d’autres ils se changent en rocs escarpés, qui forment des cavernes où une partie de l’eau se jette avec autant de bruit que de violence : quelquefois vous voyez des prairies remplies de bétail, ou des champs de riz qui s’avancent dans les lacs, & qui laissent entr’eux des passages pour des vaisseaux : d’autres fois, ce sont des bosquets pénétrés en divers endroits par des rivières & des ruisseaux capables de porter des barques. Les rivages sont couverts d’arbres, dont les branches s’étendent, se joignent, & forment en quelques endroits des berceaux, sous lesquels les batteaux passent. »

» Vous êtes ordinairement conduit à quelqu’objet intéressant, à un superbe bâtiment placé au sommet d’une montagne coupée en terrasses, à un casin situé au milieu d’un lac, à une cascade, à une grotte divisée en divers appartemens, à un rocher artificiel, ou à quelqu’autre composition semblable. »

» Les rivières suivent rarement la ligne droite ; elles serpentent, & sont interrompues par diverses irrégularités ; tantôt elles sont étroites, bruyantes & rapides, tantôt lentes, larges & profondes. Des roseaux & d’autres plantes & fleurs aquatiques, entre lesquelles se distingue le Lien-hoa, qu’on estime le plus, se voient & dans les rivières & dans les lacs. Les Chinois y construisent souvent des moulins & d’autres machines hydrauliques, dont le mouvement sert à animer la scène. Ils ont aussi un grand nombre de batteaux de formes & de grandeurs différentes. Leurs lacs sont semés d’îles ; les unes stériles & entourées de rochers & d’écueils ; les autres enrichies de tout ce que la nature & l’art peuvent fournir de plus parfait. Ils y introduisent aussi des rocs artificiels, & ils surpassent toutes les autres nations dans ce genre de composition. Ces ouvrages forment chez eux une perfection distincte : on trouve à Canton, & probablement dans la plupart des autres villes de Chine, un grand nombre d’artisans uniquement occupés à ce métier. La pierre dont ils se servent pour cet usage, vient des côtes méridionales de l’empire ; elle est bleuâtre, & usée par l’action des ondes, en formes irrégulières. On pousse la délicatesse fort loin dans le choix de cette pierre. J’ai donné plusieurs taëls pour un morceau de la grosseur du poing, lorsque la figure en étoit belle & la couleur vive. Ces morceaux choisis s’emploient pour les paysages des appartemens. Les plus grossiers servent aux jardins ; & étant joints par le moyen d’un ciment bleuâtre, ils forment des rocs d’une grandeur considérable : j’en ai vu qui étoient extrêmement beaux, & qui montroient dans l’artiste une élégance de goût peu commune. Lorsque ces rocs sont grands, on y creuse des cavernes & des grottes avec des ouvertures, au travers desquelles on apperçoit des lointains. On y voit en divers endroits des arbres, des arbrisseaux, des ronces & des mousses, & sur le sommet on place de petits temples & d’autres bâtimens, où l’on monte par le moyen de degrés raboteux, irréguliers & taillés dans le roc. »

» Lorsqu’il se trouve assez d’eau & que le terrein est convenable, les chinois ne manquent point de former des cascades dans leurs jardins. Ils y évitent toute sorte de régularités, imitant les opérations de la nature dans ces pays montagneux. Les eaux jaillirent des cavernes, des sinuosités, des rochers. Ici paroît une grande & impétueuse cataracte ; là c’est une multitude de petites chûtes. Quelquefois la vue de la cascade est interceptée par des arbres dont les feuilles & les branches ne permettent que par intervalle de voir les eaux qui tombent le long des côtés de la montagne ; d’autres fois au-dessus de la partie la plus rapide de la cascade, sont jetés, d’un roc à l’autre, des ponts de bois grossièrement faits, & souvent le courant des eaux est interrompu par des arbres & des monceaux de pierre, que la violence du torrent semble y avoir transportés. »

» Dans les bosquets, les chinois varient toujours les formes & les couleurs des arbres, joignant ceux dont les branches sont grandes & touffues, avec ceux qui s’élèvent en pyramide, & les verds foncés avec les verds gais. Ils y entremêlent des arbres qui portent des fleurs, parmi lesquels il y en a plusieurs qui fleurissent pendant la plus grande partie de l’année. Entre leurs arbres favoris est une espèce de saule[27] : on le trouve toujours parmi ceux qui bordent les rivières & les lacs, & ils sont plantés de manière que leurs branches pendent sur l’eau. Les chinois introduisent aussi des troncs d’arbres, tantôt debout, tantôt couchés sur la terre, & ils poussent fort loin la délicatesse sur leurs formes, sur la couleur de leur écorce, & même sur leur mousse. »

» Rien de plus varié que les moyens employés pour exciter la surprise : ils vous conduisent quelquefois au travers de cavernes & d’allées sombres, au sortir desquelles vous vous trouvez subitement frappé de la vue d’un paysage délicieux, enrichi de ce que la nature peut fournir de plus beau : d’autres fois on vous mène par des avenues & par des allées qui diminuent & qui deviennent raboteuses peu à peu ; le passage est enfin tout à fait interrompu. Des buissons, des ronces, des pierres le rendent impraticable, lorsque tout-d’un-coup s’ouvre à vos yeux une perspective riante & étendue, qui vous plaît d’autant plus que vous vous y étiez moins attendu.

» Un autre artifice de ces peuples, c’est de cacher une partie de la composition par le moyen d’arbres & d’autres objets intermédiaires. Ceci excite la curiosité du spectateur ; il veut voir de près, & se trouve, en approchant, agréablement surpris par quelque scène inattendue, ou par quelque représentation totalement opposée à ce qu’il cherchoit. La terminaison des lacs est toujours cachée, pour laisser à l’imagination de quoi s’exercer : la même règle s’observe, autant qu’il est possible, dans toutes les autres compositions chinoises.

» Quoique ces peuples ne soient pas fort habiles en optique, l’expérience leur a cependant appris que la grandeur apparente des objets diminue, & que leurs couleurs s’affoiblissent à mesure qu’ils s’éloignent de l’œil du spectateur. Ces observations ont donné lieu à un artifice qu’ils mettent en pratique. Ils font des vues en perspective, en introduisant des bâtimens, des vaisseaux & d’autres objets diminués à proportion de la distance du point de vue : pour rendre l’illusion plus frappante, ils donnent des routes grisâtres aux parties éloignées de la composition, & ils plantent dans le lointain des arbres d’une couleur moins vive, & d’une hauteur plus petite que ceux qui paraissent sur le devant : de cette manière, ce qui en soi-même est borné & peu considérable, devient en apparence grand & étendu.

» Ordinairement les Chinois évitent les lignes droites, mais ils ne les rejettent pas toujours. Ils pratiquent quelquefois des avenues, lorsqu’ils ont quelqu’objet intéressant à mettre en vue. Les chemins sont constamment taillés en ligne droite, à moins que l’inégalité du terrein ou quelqu’obstacle ne fournisse au moins un prétexte pour agir autrement. Lorsque le terrein est entièrement uni, il leur paroît absurde de faire une route qui serpente : car, disent-ils, c’est ou l’art ou le passage constant des voyageurs qui l’a faite, &, dans l’un ou l’autre cas, il n’est pas naturel de supposer que les hommes voulussent choisir la ligne courbe, quand ils peuvent aller par la droite. »

» Ce que les Anglois nomment clump, c’est-à-dire peloton d’arbres, n’est point inconnu aux Chinois, mais ils le mettent rarement en œuvre ; jamais ils n’en occupent tout le terrein. Leurs jardiniers considèrent un jardin comme nos peintres considèrent un tableau, & les premiers groupent leurs arbres de la même manière que les derniers groupent leurs figures, les uns & les autres ayant leurs masses principales & secondaires. »

Tel est le précis, continue l’auteur, de ce que m’ont appris, pendant mon séjour en Chine, en partie mes propres observations, mais principalement les leçons de Lepqua, & l’on peut conclure de ce qui vient d’être dit, que l’art de distribuer les jardins dans le goût chinois, est extrêmement difficile, & tout-à-fait impraticable aux gens qui n’ont que des talens bornés. Quoique les préceptes en soient simples, & qu’ils se présentent naturellement à l’esprit, leur exécution demande du génie, du jugement & de l’expérience, une imagination forte, & une connoissance parfaite de l’esprit humain, cette méthode n’étant assujettie à aucune règle fixe, mais susceptible d’autant de variations qu’il y a d’arrangemens différens dans les ouvrages de la création.

On ne sauroit fixer l’époque ni l’origine de ces jardins, elle paroît fort ancienne en Chine, & les premiers papiers peints, apportés de ces contrées, ont sans doute fait imaginer de les imiter en Europe. On lit, dans le recueil des lettres édifiantes des missionnaires de Chine, & sur-tout dans celles du F. Attiret, jésuite & peintre de l’Empereur, des détails fort intéressans ; mais ce qu’on vient de dire suffit pour donner une idée assez exacte de la composition de ces jardins.

Pendant que Lenotre soumettoit tout au cordeau, à l’équerre & à la symétrique correspondance, le célèbre Dufresny s’étoit déjà ouvert une route nouvelle, & d’une main hardie, mais, ami du beau naturel, il traçoit les jardins de Mignaux, près Poissy, ceux de l’abbé Pajot, près de Vincennes, & présentoit à Louis XIV deux plans de jardins pour Versailles. Les idées neuves de Dufresny furent envisagées comme ridicules par les uns, & leur exécution comme trop dispendieuse par les autres. Leur singularité empêcha qu’on sentît le mérite de ce genre nouveau ; le plan de Lenotre fut préféré à ceux de Dufresny, & bientôt, à force de dépenses, furent tracés les froids, monotones & magnifiques jardins qui existent aujourd’hui. On y cherche en vain la belle & simple nature, à sa place on voit l’art régner d’un bout à l’autre, & la figure des arbres atteste l’esclavage sous lequel ils gémissent.

Il est constant qu’au commencement de ce siècle, les jardins en Angleterre ne différoient en rien de ceux de l’Europe ; ou plutôt l’art des jardins, mêmes symétriques, y étoit inconnu avant Lenotre. Environ l’an 1720, parut Kent, homme de génie, artiste plein de goût ; il présenta à l’Anglois, ce peuple ami de la nature, la nature elle-même dans la composition des jardins, & son entreprise des jardins d’Esher, maison de campagne du ministre Pelham, produisit une révolution totale.

Le goût des jardins appellés anglois, & qu’on devroit plutôt nommer chinois, s’étend aujourd’hui dans toutes les parties du continent ; mais on a la fureur, sur un espace très circonscrit, d’entasser objets sur objets ; tout y est mesquin, rétréci, petit, parce que les compositeurs de ces jardins n’ont pas encore des yeux exercés à contempler la nature, ni assez de génie pour l’imiter dans sa simplicité & dans ses champêtres décorations.

Il a paru, depuis quelques années, plusieurs ouvrages sur la composition de ces jardins. En 1771, l’art de former les jardins modernes, ou l’art des jardins anglois, à Paris, chez Jombert, 1 vol. in-8°. En 1774, M. Watelet publia son essai sur les jardins, imprimé à Paris chez Saillant. En 1776, Théorie des jardins chez Pissot. En 1777, de la composition des paysages, ou des moyens d’embellir la nature autour des habitations, en joignant l’agréable à l’utile, par M. Gerardin, à Paris, chez Delaguette. En 1779, sur la formation des jardins par l’auteur des considérations sur le jardinage, Paris, chez Pissot. Enfin le Poème des jardins de l’abbé de Lille. Ces ouvrages sont-ils vraiement nécessaires ? Je ne le crois pas. Dufresny & Kent ne connurent que leur génie, & se frayèrent une route qu’on soupçonnoit peut-être, mais inconnue avant eux. Mon but n’est certainement pas de dépriser les ouvrages que je viens de citer, & j’en ai parlé exprès, afin que ceux qui désireront travailler en grand, les lisent, les méditent, & sur-tout évitent, en appliquant les préceptes à la nature, quelques défauts qu’on a reprochés aux premiers inventeurs. Presque tous les jardins, nouvellement plantés dans les environs de Paris, ne doivent pas être pris pour des modèles en ce genre ; ces jolis colifichets sont plutôt la caricature d’un grand jardin. Je dirai aux amateurs : allez à Ermenonville, voilà le jardin, le parc, rendu à la nature par les soins de M. Gerardin, son propriétaire & son compositeur ; là, une étude de quelques jours vous instruira plus que les livres, parce que tout y est saillant & démontré par l’exemple. La science, les beaux, profonds & métaphysiques raisonnemens sur les sites, les eaux, les rochers, les bois, &c. sont plus qu’inutiles, si le goût manque, si l’homme qui étudie n’a pas en lui une propension décidée pour le beau naturel, qu’on appelle goût, enfin s’il ne sait pas voir la nature.

Je n’entreprendrai pas de tracer ici les préceptes répandus dans les ouvrages déjà cités, la forme de ce cours d’agriculture, ses bornes & son but ne le permettent pas, mais la description des jardins de Stowe, & la gravure qui l’accompagne, suffiront pour donner une idée de ce qui mérite le nom de jardin naturel. Il en existe aujourd’hui de plus parfaits en Angleterre, mais je n’en ai pas la représentation ni celle du parc d’Ermenonville en France.

Stowe est à soixante milles de Londres, & à un mille & demi de la ville de Buckingham, il appartient à Richard Grenville, lord Temple & baron de Cobham ; le terrein compris dans l’enceinte des jardins est d’environ quatre cents arpens.

Le château 1 (Voyez Planche 2) est situé sur le sommet applati d’une colline plus élevée que toutes celles des environs ; La perspective qui s’offre de la grande porte d’entrée 2, & sous la colonnade qui orne le centre de la façade méridionale, est une des plus belles de stowe. Vous plongez de tous côtés sur les jardins, & vous découvrez l’immense prairie 3, & la belle porte qui est au-delà du parc, vers Buckingham, avec un lointain qui est une partie du Buckinghamshire. De-là vous descendez sur la terrasse 4, dont la longueur égale celle de la façade du château ; elle est couverte de gravier très-fin, & domine une vaste pièce de gazon 5, qui, en se rétrécissant, forme une large avenue 6 bien alignée & bien unie jusqu’à une grande pièce d’eau 7, très irrégulière, où deux rivières viennent se réunir en serpentant. Cette pièce étoit autrefois un grand bassin exagone, au milieu duquel s’élevoit un obélisque qui a été transporté dans le parc. Cette avenue & la pièce de gason forment un des plus beaux tapis verd animé par toutes sortes de troupeaux ; il présente une pente douce depuis la terrasse jusqu’à la pièce d’eau ; aux deux bouts de la terrasse sont deux jardins potagers 8, 9, entièrement environnés de bois.

En tournant à droite, vous trouvez l’orangerie 10, qui fait partie de l’aile gauche, & a plus de vingt pieds de longueur. Outre les orangers, il y a des serres pour les plantes étrangères ; le devant de l’orangerie est orné d’un joli parterre 11.

De ce même côté, à l’extrémité du fossé d’enceinte, est le sallon de Nelson 12, portique quarré, dont le plafond & les murs sont ornés de peintures à fresque, médiocres & gâtées, avec des inscriptions latines, une sur l’arc de Constantin à sa louange, & à gauche, une sur la nomination de Marc-Auréle à l’empire du monde. Deux colonnes & deux pilastres ornent la façade de ce sallon. De chaque côte, & à peu de distance, sont deux grands vases de plomb doré. Ce reposoir, ouvrage de Vanbrugh, est environné d’arbres verds, & d’arbres qui quittent leurs feuilles. Ceux qui bordent les allées sont plus considérables.

À l’extrémité de ce bosquet est le temple de Bacchus 13, qui consiste en un immense tapis verd, terminé par un grand lac, au-delà duquel est le temple de Vénus & un lointain. Le temple de Bacchus est d’ordre dorique ; on y monte par trois marches ornées de sphinx. Les peintures, qui sont de Nollikins, représentent le réveil de Bacchus & des Bacchantes. Aux deux côtés du temple sont deux statues, l’une de la poésie lyrique, & l’autre de la poésie satyrique.

En quittant ce temple & son beau point de vue, si vous vous enfoncez dans le bois, à droite, vous arrivez dans une cabane des plus rustiques, appelée l’hermitage de S. Augustin 14 ; elle est faite de racines & de troncs d’arbres en leur état naturel, entrelacés avec beaucoup d’art, & surmontée de deux croix. L’intérieur représente parfaitement une cellule des pères de la Thébaïde ; ce sont des planches couvertes de foin & de sarment, des racines saillantes sans ordre & chargées de mousse, des bancs aux encoignures, & des fenêtres à trappe sur lesquelles on lit des inscriptions, peu décentes en vers Léoniens, dans le goût des siècles barbares : cet ermitage est dans un lieu fort obscur, & tout-à-fait caché par des bois.

En suivant le sentier, on arrive à une statue qui représente une Dryade dansante 15. Là étoit autrefois l’obélisque de Coucher, mais ce nom, ainsi que ceux de quelques autres amis de feu lord Cobham, ont disparu des jardins. Si vous continuez la longue terrasse, appellée la promenade de Nelson, & qui est bordée à gauche par un joli bosquet peu profond, elle vous conduit à deux pavillons 16, qui terminent cet angle des jardins. Ils sont d’ordre dorique & à voûte unie ; le dôme extérieur est orné de quatre bustes, & surmonté d’une petite rotonde ouverte à huit colonnes ; l’un de ces deux pavillons est hors du parc, & sert de ferme. Au milieu de l’intervalle est une belle grille de fer 17, du dessein de Kent, laquelle donne passage dans les immenses pelouses & les bois qui composent le parc. À peu de distance des pavillons, hors des jardins & sur la même rivière qui vient de les arroser, on voit un fort beau pont.

Dans le coin de la terrasse & au travers des arbres, on entrevoit une piramide 18 fort noire. Les gens qui aiment ce qui leur retrace l’antiquité, verront toujours ce bâtiment avec plaisir ; il est d’une élégante simplicité, & construit précisément comme les pyramides d’Égypte. On y peut monter extérieurement jusqu’au sommet par les quatre faces, sur des marches de trois pouces de largeur & de quatorze pouces de hauteur ; il y a deux portes fort basses & d’un dorique très-massif ; l’intérieur est une voûte à six coupes ; la hauteur de cette pyramide est de soixante pieds : cette pyramide est consacrée à Vanbrugh, constructeur de ces jardins. Dans l’intérieur de la pyramide & sur un des côtés des murs, on lit des vers d’Horace, qui commencent par ces mots : lusisti satis &c., & sur l’autre : linquenda tellus, &c.

De la pyramide on découvre un beau tableau, la grande pelouse où domine la rotonde, une partie du lac, & de superbes allées d’arbres toujours verts à droite & à gauche.

Entrez dans le labyrinthe, qui est à droite, & suivez-en les détours, vous y trouverez de jolies salles & des lits de verdure fort agréables. Au milieu de l’allée qui est vis-à-vis de l’angle des pavillons, est une statue de Mercure volant. Cette allée vous conduit à une éminence ornée de cyprès, & sur laquelle est le monument de la reine Caroline 19, dont la statue est élevée sur quatre colonnes ioniques. Comme ce monument est presque environné de bois, le principal objet qui frappe de ce point de vue, est la rotonde à l’autre bout de la prairie.

En continuant votre route après avoir traversé quelques groupes d’arbres, vous arrivez à l’extrémité d’un grand lac 20, dont l’aspect est délicieux. Ses bords sont des promenades de gazon, ombragées des plus beaux arbres : d’un côté est le vaste tapis verd, dont l’inégale surface est couverte de troupeaux de toute espèce ; de l’autre, un bois touffu, où l’on distingue confusément des grottes, des sentiers, des statues. L’extrémité opposée du lac vous frappe agréablement par une superbe cascade 21, dont les eaux se précipitent à travers des rochers, & des ruines artificielles bien imitées. Le pied des rochers se divise en plusieurs grottes remplies de dieux marins. C’est à mon gré de toutes les scènes de Stowe la plus piquante & la plus animée. Les cignes nombreux dont le lac est couvert, les poissons qui jouent à sa surface, l’éclat des eaux & de celles de la cascade, quand elles sont frappées des rayons du soleil ; ces bois dont les teintes sont si variées ; cette prairie couverte de troupeaux, ces temples qui s’offrent de toutes parts ; ces petites îles ornées de grouppes d’arbres ; les images des arbres & des rochers réfléchies dans l’eau, tous ces objets forment une perspective qui tient du romanesque.

En vous promenant le long du lac, vous vous trouvez insensiblement le long de la terrasse du couchant, dont l’angle forme une espèce de bastion rempli par un petit bocage d’arbres verts, & par le temple de Venus 22. Ce bâtiment est composé de trois pavillons, unis par six arcades, & il représente un demi-cercle. La porte du pavillon du milieu est ornée de deux colonnes ioniques, & supporte une demi-coupole sculptée en petits lozanges. Le reste de la façade est rempli par quatre niches ornées par quatre bustes : l’intérieur est orné de peintures dont le sujet est pris de la Reine Fée de Spenser. C’est la belle Hellinore qui, dégoûtée de son vieux mari Malbecco, s’est enfuie dans les bois, où elle vit avec les satyres. Malbecco, après l’avoir longtemps cherchée, la trouve enfin, & veut lui persuader de le suivre ; mais elle le repousse avec mépris, & le menace de le livrer aux satyres, s’il ne se retire promptement. Le vieillard obéit, mais avec les marques du désespoir. Le plafond est orné d’une Venus : sur la frise on lit ces vers de Catulle :

Nunc amet qui nundum amavit,
Quique amavit nunc amet.


Ce temple est appelle le bâtiment de Kent, parce que cet architecte a été le vrai créateur de Stowe, & en a donné les dessins.

Du temple de Vénus, revenez sur vos pas jusqu’à l’allée qui croise la terrasse, & traversez le vaste tapis verd, pour voir enfin de plus près ce que c’est que cette rotonde 23, qui vous a toujours frappé de tous les points de vue, & où l’on monte insensiblement de tous côtés. Elle est formée de dix colonnes ioniques, qui soutiennent un dôme couvert de plomb, sous lequel est une Vénus de Médicis, de bronze, sur un piédestal noir. Le contraste de cette couleur & du bronze de la statue avec le blanc des colonnes, produit de loin un bel effet. Cette rotonde est de Vanbruch, perfectionnée par Bora : sa situation est admirable ; on ne sauroit imaginer une scène plus riche ni plus majestueuse que celle où domine cet élégant édifice.

Allez vers le nord, & percez dans les feuillages, vous découvrirez la caverne de Didon 24, petit reposoir fort simple, où l’on a peint Énée & Didon avec ces vers de Virgile : Speluncam Dido, &c. De-là, par un sentier fort court & fort sombre, vous venez au pied d’un monticule, sur lequel est érigée une colonne 25 corinthienne, qui supporte la statue du Roi Georges II : elle est environnée de sapins. On voit d’ici le lac, la maison, la colonne Cobham, le temple des grands hommes[28], la grande porte du côté de Buckingham, le temple de Vénus, & la rotonde.

En descendant à gauche, vous vous trouvez au bout d’une vaste avenue de gazon, bordée de plantations irrégulières. Cette extrémité, qui n’est éloignée que de quelques pas de la grande avenue, forme une espèce de terrasse ornée de deux urnes : on l’appelle le théâtre de la Reine 26. Le fond de cette avenue étoit autrefois rempli par une belle pièce d’eau.

Continuez votre route à gauche & traversez ce charmant bosquet, dont les allées bordées de fleurs & d’arbrisseaux de toute espèce, viennent en serpentant aboutir à un centre 27 commun. Là étoit autrefois un joli bâtiment ionique, appellé Sallon du repos.

Après avoir traversé une autre belle salle régulière, un sentier vous conduit à une petite allée d’arbres verts 28, sous laquelle, par le moyen de plusieurs canaux, la pièce d’eau se précipite dans le lac, & forme cette cascade 21 si pittoresque dont on a déjà parlé.

De-là vous descendez sur le bord du lac, qui est tapissé d’un beau gazon, & s’élève doucement. Tout se réunit ici pour rappeller à votre imagination les idées poëtiques ; les arbres, les plantes & le gazon dont vous êtes environné ; le lac, le vaste tapis verd qui est au-delà, dont vous mesurez l’étendue ; l’aspect des ruines couvertes de lière & d’arbres verts ; les tritons & les naïades qui s’offrent sous diverses attitudes dans leurs grottes humides ; le chant de mille oiseaux & le bêlement des troupeaux, mêlés au bruit des feuilles agitées & à celui de l’eau de la cascade, produisent le plus beau & le plus agréable ensemble. Tout près est une grotte rustique de l’invention de Kent 29, appellée l’Hermitage ou la Grotte du Berger : elle est couverte de lierre, & au-devant d’un boccage qui s’élève jusqu’à la terrasse ou l’allée du midi ; le dedans est voûté. On y trouve une inscription angloise presque effacée, à la mémoire d’un lévrier d’Italie, appelle le Signor Fido.

Si vous remontez en traversant le boccage jusqu’à l’allée méridionale, nommée la Terrasse de Pegs, vous trouvez deux pavillons 30 en forme de péristyles, placés aux deux côtés de l’entrée la plus ordinaire des jardins. La porte de fer ne s’élève qu’au niveau de la terrasse, ainsi que toutes les autres portes d’entrée, pour ne pas marquer les bornes des jardins, & afin que rien n’empêche qu’elles ne s’unissent en apparence avec le reste de la campagne. On monte sous chaque pavillon par six marches ; le plafond sculpté en hexagone, avec une rose au centre, est supporté par six colonnes doriques. La perspective est ici de la plus grande beauté. Les massifs bordés d’arbres verts qui règnent le long de la terrasse, s’ouvrent pour laisser voir la pièce d’eau & ce beau tapis de verdure & de bois qui s’élève continuellement jusqu’à la maison, & il devient assez large pour que la façade soit pleinement découverte. À droite de à gauche on apperçoit au travers des arbres & des percés, d’autres objets, tels que le lac, les rivières, &c.

Continuez votre promenade à droite, le long de la terrasse, vous arriverez à une espèce de demi lune décorée par le Temple de l’Amitié 31. C’est un bâtiment d’ordre dorique, & distingué par la justesse de ses proportions. La façade présente un portique à quatre colonnes & deux niches, & les côtés sont composés chacun de trois arcades qui forment deux autres portiques. Le dessus de la porte est orné de l’emblème de l’amitié, & sur la frise est cette inscription : Amicitiæ sacrum. L’intérieur du temple offre une suite de dix bustes de marbre blanc, sur des pieds-destaux de marbre noir, tous bien exécutés ; chaque buste est le portrait d’un ami du lord Temple. Le plafond présente la Grande-Bretagne assise, & à ses côtés les emblèmes des règnes qu’elle regarde comme les plus glorieux ou les plus honteux de ses annales. Tels sont d’une part ceux d’Elisabeth & d’Edouard III, & de l’autre, celui de Jacques second, qu’elle semble vouloir couvrir de son manteau, & rejeter avec dédain. De ce temple, la vue se porte immédiatement sur un charmant vallon traversé par une rivière, dont le côté le plus éloigné est un vaste tapis verd 32 triangulaire, en plan incliné, coupé très-irrégulièrement, parsemé de quelques arbres, couvert de troupeaux, & terminé au sommet par le Temple des Dames. Les principaux objets de ce point de vue sont d’ailleurs le temple gothique, le pont de Palladio, la colonne Cobham, & le château antique qui est dans le parc. L’angle des jardins, qui est peu éloigné du temple de l’Amitié, est marqué par une belle grille de fer 33, élevée de toute sa hauteur au-dessus de la terrasse : cette porte est le passage pour aller à l’ancien château.

Descendez dans le vallon, le long de la terrasse du levant, qui est la plus irrégulière, & vous trouverez bientôt un très-beau pont, appellé le Pont de Pembroch 34, ou le pont de Palladio, parce qu’il est construit selon la manière de ce dernier. Ses deux extrémités offrent deux élégantes balustrades qui se continuent dans les entre-colonnes : le plafond soutenu par des colonnes ioniques, est divisé en quatre ceintres sculptés en grands hexagones : les quatre coins intérieurs sont ornés de vases de plomb dorés. On voit de dessus ce pont la principale rivière serpenter dans les jardins & dans le parc, & ses bords couverts de troupeaux qui viennent s’y désaltérer. Les autres points de vue sont une ferme, le château gotique, le temple de Vénus, l’arc d’Amélie, & le temple de l’Amitié.

Après avoir traversé le pont, continuez la même allée 35 le long du tapis verd, dont l’élévation est très-sensible, jusqu’à ce que vous arriviez à un temple 36 rougeâtre, qui se voit de très-loin, parce qu’il est situé sur une éminence : il est bâti d’un grès fort tendre & fort rouge, & sa forme imite parfaitement celle des anciens temples du treizième & du quatorzième siècle. On l’appelle le Temple Gothique. Tout est dans le goût antique, les portes, les vîtreaux, les tours, les ornemens. On monte par un escalier fort usé à une galerie qui forme un second étage, & de-là jusqu’au haut d’une grosse tour, d’où l’on découvre tout le pays d’alentour à la distance de plusieurs milles. Ce temple a soixante dix pieds de haut. Le dôme est orné des armes de la famille des Grenville. On lisoit autrefois sur la porte d’entrée, ce vers de Corneille :

Je rends grâces aux Dieux de n’être pas Romain.


L’extérieur a trois faces semblables, & chaque angle a une tour pentagone, dont celle qui est tournée au levant est la plus élevée, & surmontée de cinq petites flèches avec des croix : les autres ont de petits donjons à cinq fenêtres ; chaque façade a sept portes & autant de fenêtres vitrées. Au levant & à quelques toises du temple, on a placé en demi cercle sur le gazon les sept divinités saxones, qui ont donné leurs noms aux jours de la semaine chez les Anglois. Ces statues sont en pierre & du ciseau de Risbrack, célèbre sculpteur. Le lord Cobham les avoit placées dans le boccage 15 autour d’un autel rustique : c’étoit observer le costume, & ne pas mêler le sacré avec le profane. Derrière ces statues, il y a une porte d’entrée qui s’ouvre dans le parc sur de vastes prairies. De tous les côtés du temple gothique, on a de beaux points de vue : le vallon qui paroît ici très-profond, couvert de troupeaux & d’arbres ; la maison qui s’élève au-dessus des arbres, le temple de Myladi, la colonne Cobham au bout d’une longue allée ; la rivière & le pont, d’immenses prairies & des lointains.

Suivez toujours la terrasse, ou si vous l’aimez mieux, la route irrégulière 37, qui lui est à-peu-près parallèle, & qui traverse de vastes massifs diversement grouppés, dont l’ensemble présente une forme triangulaire. Vous trouvez à l’extrémité de cette route une superbe colonne 38 canelée & octogone, dont le sommet est surmonté d’une rotonde ouverte sur huit petites colonnes quarrées. Sur cette rotonde est placée la statue du lord Cobham, habillé à la romaine & en attitude de Jules-César. On monte jusqu’au sommet par cent quarante-sept marches fort rudes, autour de laquelle on lit ces mots en gros caractères : Ut L. Luculli summi viri quis ? at quam multi villarum magnificentiam imitati sunt !

Cette colonne est apperçue de presque tous les coins du jardin, dont elle est un des objets les plus remarquables. Indépendamment des paysages & des champs du côté du parc, elle domine dans les jardins, sur une belle pelouse qui se termine de chaque côté par des bois, & vient se perdre dans un profond vallon, au-delà duquel est le superbe temple de la Concorde ; à gauche on voit le temple gothique, la grande arcade vers Buckingham, & au-delà un agréable paysage.

Achevez de parcourir la terrasse jusqu’à cette grande demi-lune 39 qui la termine, & n’est ornée que de quelques grouppes d’arbres plantés sans ordre : j’excepte toujours ceux qui règnent le long du mur & du fossé d’enceinte dans tout le circuit des jardins. M. Whalely a déjà observé que c’étoit là presque les seules traces de symétrie qui eussent été conservées à Stowe.

La terrasse du nord 40 est entièrement bordée de bosquets & de bocages percés très-irrégulièrement. En général les arbres, les arbrisseaux toujours verds, tels que les cyprès, les ifs, les sabines, les thuya, les lauriers de toute espèce, les houx, les magnolia, &c. règnent principalement le long des bordures dans toutes les plantations de Stowe, & les arbres qui se dépouillent de leur verdure remplissent l’intérieur des bois, quoiqu’ils soient également mêlés d’arbres toujours verds. Le commencement des bosquets de la terrasse du nord, est orné d’un pavillon octogone 41 ouvert, orné de quatre thermes en-dehors & de quatre têtes de bélier en-dedans, avec une voûte qui se termine en pointe ; on l’appelle le temple de la poésie pastorale. À quelques pas du pavillon, vers l’angle de la terrasse, est une statue qui représente la poésie pastorale 40 ; elle tient dans sa main une toile déroulée, sur laquelle on lit ces mots : Pastorum carmina canto.

En se promenant le long de la terrasse, on a pour perspectives d’immenses pelouses, couvertes de bêtes fauves & de toutes sortes de troupeaux, des champs, des villages, de vastes forêts percées d’allées à perte de vue, & de l’obélisque de Wolf.

Quand vous êtes parvenu au bout de la terrasse, vous êtes arrêté par une porte de fer qui ne s’élève qu’à la hauteur de l’allée. Tournez à gauche & percez quelques grouppes d’arbres, vous serez agréablement frappé de l’aspect du bâtiment le plus superbe de ces jardins : c’est le temple Grec 42, dont la forme rectangulaire porte environ quatre-vingt-huit pieds de longueur ; il est de l’ordre ionique, & construit exactement sur le modèle du temple de Minerve à Athènes. On monte par quinze marches sous un superbe péristyle de vingt-huit colonnes, qui régne tout autour du temple, & dont le plafond est sculpté en petits quarrés ornés de roses. Le fronton présente en demi-relief les quatre parties du monde, qui apportent à la Grande Bretagne les principales productions qui les caractérisent ; c’est l’ouvrage du sculpteur Scheèmaker. Le sommet du fronton est orné de trois statues, plus grandes que le naturel, & celui du fronton opposé en a autant. Sur la frise du portique est gravée cette inscription :

Concordia & Victoria.


Sur le mur de face aux deux côtés de la porte, qui est peinte en bleu & or, sont deux grands médaillons, sur l’un desquels sont écrits ces mots : concorda fœderatorum ; & sur l’autre : concorda civium. Sur la porte on a gravé ce passage de Valère-Maxime : quo tempore salus eorum in ultimas angustias deducta, nullum ambitioni locum relinquibat. L’intérieur du temple est d’une grande simplicité ; on y voit quatorze niches vuides, indépendamment d’une autre niche où est placée une statue avec cette inscription : libertas publica. Au-dessus de ces niches sont autant de médaillons où sont représentées, en bas reliefs, les conquêtes des Anglois sur les François.

Le temple Grec est admirablement bien situé, & domine une magnifique perspective presqu’entièrement composée de bois & de pelouses. La vue se porte immédiatement sur un profond vallon de traverse 43, entièrement couvert de gazon, dont les côtés ont depuis deux cent cinquante jusqu’à deux cent quatre-vingt pieds de talus. Au-delà du vallon, la scène se divise en trois ouvertures, qui, en partant du temple, forment encore trois rayons divergens ; celle qui est à gauche est une clarière assez étroite, au bout de laquelle on apperçoit l’obélisque qui est dans le parc ; celle de la droite consiste en un beau tapis verd, terminé par la colonne Cobham 38 ; enfin la division du milieu, qui est sans comparaison la plus superbe, présente, dans toute sa longueur, un large & profond vallon, marqué par de petits monticules & de légers enfoncemens, & dont les bords sont couronnés de beaux massifs, d’où se détachent quelques grouppes d’arbres jusques dans le fond. Le long de ces bords ont été placés quelques grouppes de statues de plomb blanchi, dont les plus belles sont celles d’Hercule & d’Antée, de Caïn & d’Abel, morceaux pleins de vigueur. Ce terrein couvert de gazon, & ces bois où l’on distingue toutes les nuances de verd, ces bâtimens, ces statues, tous ces objets placés à une juste distance, composent un point de vue qui étonne & attache le spectateur ; vous ne pouvez quitter ce bâtiment, où règne tant de goût & de simplicité, qu’après en avoir fait le tour plus d’une fois.

Si de-là vous traversez le vallon à droite, & ensuite la première allée qui se présente, vous découvrez un édifice situé entre deux beaux tapis de verdure & de vastes bosquets ; c’est le temple des Dames 44. Vous entrez de plein pied sous trois rangs d’arcades qui se croisent quarrément & forment neuf voûtes à six coupes, dont les points d’intersection sont marqués par une rose. Le pavé est composé de petits cailloux, & varié par des desseins de pierre plate, circulaires & exagones ; un escalier assez joli conduit à un sallon dont les murs sont ornés de peintures de Sleter, assez médiocres ; elles représentent plusieurs dames, occupées, les unes à des ouvrages à l’éguille, les autres à peindre, les autres à jouer des instrumens. Ce sallon est encore décoré de huit colonnes & quatre pilastres d’ordre ionique, & de marbre veiné de rouge & de blanc. Ce bâtiment a, d’un côté, pour perspective le magnifique tapis verd ou vallon triangulaire 32, avec tous les objets qui l’accompagnent, tels que la rivière, le pont, le temple Gothique & le temple de l’Amitié ; & de l’autre côté une belle pelouse de niveau, la colonne Cobham & la colonne Rostrale.

Descendez le vallon au midi, en côtoyant le bois à droite, jusqu’à ce que vous trouviez, à la seconde allée de traverse, un petit coteau rapide 45 ; descendez ce coteau, & vous ne trouverez plus, en vous promenant le long des trois pièces d’eau qui se succèdent jusqu’à la rivière & remplissent le fond d’un grand vallon, qu’une alternative délicieuse de boccages sombres, de pièces de gazon & de petits lieux de repos.

Le premier objet qui se présente au bas du coteau & au milieu d’un ombrage épais, est une jolie grotte 46, dont la surface extérieure est couverte de petits silex ou pierres à fusil, & de plaques de porcelaine. L’intérieur est divisé en trois compartimens, dont les murs sont incrustés de coquillages & de silex. La voûte du milieu est ornée de glaces dont la forme représente un soleil ; les murs des autres divisions sont aussi couverts de glaces comme des cheminées, mais le plus bel ornement de cette grotte est une admirable statue de marbre, qu’on dit représenter une Vénus, quoique son air modeste annonce le contraire ; elle est représentée toute nue, quoique de grandeur plus d’humaine, portant une main sur son sein, & jetant de l’autre une légère draperie qui ne la couvre que très-foiblement. Immédiatement derrière la grotte, le terrein s’élève à pic, & il est entièrement couvert d’arbrisseaux, de lierres & de ronces.

À la distance de trois ou quatre pas de l’entrée de la grotte, sont placées deux jolies rotondes, l’une dorique, l’autre ionique, composées chacune de six colonnes, qui soutiennent une coupole ; les colonnes ioniques sont torses. Ces rotondes sont entièrement incrustées de petits silex & de nacres, leurs centres offrent des grouppes de quatre enfans qui se tiennent par la main.

Tournez à gauche, en vous écartant un peu du bord de l’eau, gagnez le bois, & vous trouverez un bâtiment fort simple, appellé cold-bath ou les bains froids ; il contient un réservoir plein d’eau courante, destinée aux bains, & il n’est orné que de quelques médaillons où sont des têtes d’Empereurs Romains.

Entre les deux rotondes, commence la première pièce d’eau, appellée la rivière des aulnes 47 parce que cette espèce d’arbre abonde sur ses bords : elle contient une petite isle remplie d’arbrisseaux. Les eaux se dégorgent dans la seconde pièce d’eau sous un pont de rocailles 48, couvert de lierre & d’autres plantes rampantes, & forment plusieurs jolies cascades. Sur le bord de cette pièce d’eau, à côté du pont, étoit autrefois un petit pavillon chinois.

En partant du pont de rocailles, suivez le bord du canal à gauche, vous trouverez une espèce de petit amphithéâtre de gazon, couronné par le temple des illustres Bretons 49, ou des hommes les plus célèbres d’Angleterre ; c’est une suite, à peu près demi-circulaire de seize niches, dans chacune desquelles a été placé le buste de quelque Anglois fameux ; le milieu de la courbe est orné d’une pyramide remplie par un fort beau buste de Mercure, au-dessus duquel est cet hémistiche de Virgile : campos ducit ad Elysios ; & plus bas une plaque de marbre noir, où sont gravés ces vers de Virgile : hìc manus ob patriam, &c. Les illustres Anglois ici représentés sont… Alexandre Pope… Thomas Gresham… Ignace Jones… Jean Milton… Guillaume Shakespear… Jean Locke… Isaac Newton… François Bacon… Le roi Alfred… Edouard, prince de Galles… La reine Elisabeth… Le roi Guillaume III… Walter Raleigh… François Drake… Jean Hampden… Jean Barnard… Cette suite de niches est terminée en-bas par trois grandes marches, & s’enfonce dans un boccage de lauriers, dont les branches, tombant naturellement sur les frontons, forment une couronne à chaque buste. Le terrein compris entre le bâtiment & les eaux forme une pente douce, de la largeur de deux à trois toises, & couverte de gazon.

Le temple des illustres Bretons est l’objet le plus intéressant des champs élisées. On appelle ainsi tout le vallon compris entre la grande avenue 5, 6, & la pelouse triangulaire 32, & dont le fond est rempli par les trois pièces d’eau 47, 50, 51 ; mais la scène, divisée par la pièce d’eau du milieu, a reçu plus particulièrement le nom de champs élisées. Pour achever de les parcourir, revenez sur vos pas, & traversez le pont de rocailles 48, ensuite montez à droite, & percez quelques grouppes d’arbres verds fort touffus, vous verrez une église paroissiale 52, entourrée d’un cimetière, terminé par un mur, & rempli d’épitaphes ; cette église, quoique tout-à-fait cachée par des bois, n’est pas un objet digne des champs élisées, & des jardins charmans paroissent peu faits pour renfermer un cimetière.

Vous quittez bien vite ce triste séjour pour examiner un monument plus digne de votre attention, & qui s’offre à vos yeux en sortant du cimetière ; c’est une colonne rostrale 53, en l’honneur du capitaine Grenville ; sur le sommet est une statue qui représente la poésie héroïque, tenant un rouleau déployé où sont ces mots : non nisi grandia canto ; sur la plinthe & sur le piédestal sont gravées plusieurs inscriptions.

À quinze ou seize toises de la colonne Grenville, vous apercevez, sur un monticule, & dans une heureuse situation, le temple de l’ancienne Vertu 54. C’est une très-jolie rotonde qui n’est pas ouverte de toutes parts, comme celle de Vénus, mais seulement entourrée d’un péristyle composé de seize colonnes d’ordre ionique. On y entre par deux portes tournées au midi & au levant, à chacune desquelles on arrive par un escalier de douze marches. On lit au-dessus de chaque porte : prisca virtuti. L’intérieur du dôme est fort bien sculpté, & les murs sont décorés de quatre niches, où sont placées les statues un peu gigantesques d’Homère, de Lycurgue, de Socrates & d’Épaminondas, au-dessous desquelles sont gravées des inscriptions.

Chaque ouverture de péristyle entre les colonnes, présente quelques points de vue agréables. De la porte du levant, on voit la colonne de Grenville, le temple des fameux Bretons, le pont de Pembroke & la rivière. De la porte du midi on découvre les colonnes du roi George & de la reine Caroline, & le château antique.

À côté de ce temple est celui de la moderne vertu qui n’est qu’un monceau de ruines, avec une arcade & une statue brisée, le tout couvert de ronces & de lierre.

Marchez le long du bosquet à droite, vous trouvez une route tortueuse & ornée, qui vous mène à une arcade 55, d’ordre dorique, érigée en l’honneur de la princesse Amélie, tante du roi. Ce monument est sur le sommet du vallon des champs élisées, presque sur le bord de la grande prairie d’avenue, & au milieu d’un joli bosquet. Une clarière étroite qui s’ouvre dans les bois, laisse voir sur la même ligne, mais fort éloignés l’un de l’autre, le pont de Palladio & le château gothique ; le ceintre de l’arcade, orné d’hexagones remplis par une belle fleur finement sculptée, est supporté par des pilastres cannelés ; on lit sur l’attique du côté de l’avenue : Amelia Sophia aug., & du côté du vallon on voit son médaillon avec cette exergue, prise d’Homère : O colenda semper & culta !

Aux deux côtés de cette arcade sont placées en demi-cercle les statues d’Appollon & des neuf Muses, qui ouvrent de ce côté là la scène des champs élisées.

Entre l’arcade & l’avenue, on admire un beau grouppe de gladiateurs entrelacés & renversés l’un sur l’autre. Le reste des massifs ou bosquets vient se terminer près de la grande pièce d’eau 7, où des sentiers tortueux conduisent à une cabane 56, entièrement cachée par des arbres.

En descendant de l’arcade d’Amélie & du temple des Vertus, on se promène sur un charmant tapis verd 57, parsemé de quelques arbres, & qui présente une pente douce jusqu’à la pièce d’eau ; il est toujours couvert de troupeaux, & dès le commencement du printemps les rossignols & les autres oiseaux y font entendre leurs ramages. Assis sous un orme antique & touffu qui répand au loin son ombre sur le tapis verd, & au pied duquel on a placé un banc des plus simples, vous voyez devant vous la pièce d’eau 50, & au-delà, cette suite des grands hommes d’Angleterre, environnés de lauriers & de myrrhes, qui se réfléchissent dans l’eau. Quoique cette perspective soit véritablement élyséenne à beaucoup d’égards, elle seroit encore plus agréable si on y voyoit moins de bâtimens.

Des champs élisées, vous traversez on pont 48, bordé d’arbres, pour entrer dans la grande pelouse triangulaire 32 ; ce pont sépare la pièce d’eau du milieu de la troisième, qu’on appelle rivière inférieure 51. Pour la distinguer de la principale rivière, appellée la rivière supérieure 58, le point de réunion de ces deux rivières est marqué par un simple pont de pierre 59, que vous traversez en sortant de la pelouse pour achever de parcourir les derniers bosquets qui vous restent à voir dans l’enceinte des jardins.

Le premier bâtiment qui vous frappe quand vous matchez à gauche sur le bord de la rivière, est le monument Congrève 60 ; c’est une piramide tronquée, sur le sommet de laquelle est un singe assis qui se regarde dans un miroir : le reste de la piramide est orné d’un vase sur lequel sont sculptés les attributs du genre dramatique, propre à Congrève ; au bas du monument sont deux morceaux séparés & appuyés contre le piédestal, obliquement & d’une manière fort négligée ; c’est d’un côté le buste du poète en demi-relief & en forme de masque comique, & de l’autre une pièce de marbre sur laquelle est gravée une inscription en l’honneur de Congrève.

Si vous vous enfoncez dans le bosquet, vous voyez encore un petit bâtiment, appelle la grotte de cailloux 61 ; c’est une demi-coupole qui ressemble à une coquille ; le fond en est composé d’un gravier très-fin & de petits cailloux, de manière qu’ils imitent des fleurs, & présentent dans le fond les armoiries du lord Cobham ou des Grenvilles, donc la devise est : templa quàm dilecta ? On voir que les jardins répondent à la devise.

De la grotte des cailloux vous remontez par la première allée qui se présente jusqu’à la terrasse du midi, & vous revenez aux deux pavillons 30, qui répondent à l’avenue, après avoir parcouru & examiné tous les objets renfermés dans l’enceinte de Stowe.

Au-delà des jardins, il reste encore dans le parc quelques objets que j’ai indiqués, en parlant de certaines perspectives, & qu’il faut considérer de plus près, mais ils ne sont pas représentés dans le plan, parce qu’ils sont trop éloignés.

À un mille & demi ou environ de l’angle oriental de la terrasse, vous trouvez, au milieu des champs & des prés, une ferme construite comme les forts du XIV siècle, avec des créneaux au sommet des murs. On l’appelle le château ; il est environné de petits bosquets de bois du côté opposé au jardin ; là est une laiterie qui fournit d’excellentes crèmes & de bons laitages.

De ce château, en allant directement au nord, vous arrivez à l’obélisque que le lord Temple a érigé en 1759, à la mémoire du major général Wolfe ; cet obélisque, qui a plus de cent pieds de hauteur, est situé sur une éminence, au milieu d’une immense pelouse peuplée de troupeaux, & sur-tout de bêtes fauves. La perspective ici est fort étendue, & du côté opposé aux jardins, c’est-à-dire vers le Northamptonshire, est une vaste forêt, percée d’allées à perte de vue, & terminée par des lointains.

De l’obélisque, vous revenez à la terrasse du nord, pour voir la statue équestre de Georges Ier 62 ; elle est placée hors des jardins, quoique sur la même ligne que la terrasse & à l’extrémité d’un tapis verd 63, fort vaste & parfaitement uni, qui règne dans toute la longueur de la façade du nord ; cette statue est très-médiocre dans son genre.

À peu de distance de la statue commence une vallée, dont le bord règne parallèlement à la terrasse ; depuis ce bord jusqu’au fond de la vallée, la pente oblique est environ de sept à huit cent pieds. Le terrein, extrêmement diversifié & couvert de toutes sortes de troupeaux, tant dans la vallée que dans les campagnes qui sont au-delà, offre une perspective des plus agréables & des plus champêtres.

Faites entièrement le tour de ces belles allées qui environnent les jardins de toutes parts, excepté au levant, & terminez le petit voyage de Stowe par la superbe porte ou arcade qui est au midi des jardins, sur le bord du chemin qui conduit à Buckingham ; elle est construite dans le goût de la porte S. Martin de Paris, quoique moins vaste, & sans figures ni trophées. Cette façade est ornée de quatre belles colonnes corinthiennes ; l’intérieur de la voûte, qui est très-large, est sculpté en grands quarrés creux, & l’entablement est surmonté d’une très-belle balustrade. Cette porte de décoration répond exactement à la grande avenue des jardins, au sommet de laquelle est placé le château. On le voit tout entier s’élever au milieu des bois, ainsi que plusieurs autres bâtimens, tels que le temple gothique, la rotonde, les colonnes, &c., ce qui forme un tableau magnifique.

Tels sont les jardins de Stowe, ou vous voyez, dit Pope, l’ordre dans la variété ; où tous les objets, quoique différens, se rapportent à un seul tout : ouvrage admirable de l’art & de la nature, que le temps perfectionnera.

On auroit tort de se figurer que ces temples, ces rotondes, ces obélisques, &c. contribuent à la vraie beauté des jardins de Stowe ; tous ces objets sont purement accessoires & de décoration, & j’ose dire que s’ils étoient supprimés, ces jardins seroient toujours beaux & très-beaux, parce qu’ils sont dans la belle nature, que rien n’y présente l’idée de gêne, de contrainte, de travail, & l’on croiroit qu’ils ne doivent rien à l’art, tant l’art a soin de s’y cacher. Le grand mérite, le mérite capital est d’avoir tiré le parti le plus avantageux des fonds, des élévations, des plateaux, & d’avoir conservé aux points de vue différens leur étendue & leur agrément ; enfin on peut dire que c’est le local lui même qui a décidé le plan de ces jardins, tandis que, pour l’ordinaire, il faut que le local soit soumis au plan de l’architecte. Il est impossible, dans ce dernier cas, d’avoir un jardin naturel. Cette vérité exigeroit des commentaires, des dissertations ; mais comme j’ai cité les ouvrages qui la démontrent, il est inutile que j’entre dans de plus grands détails ; d’ailleurs, ils seront toujours superflus pour l’homme né avec le goût qui lui fait distinguer le beau naturel du prétendu beau factice. Les règles sont utiles aux imaginations froides, lorsqu’il s’agit d’objets de conventions ; mais dans les jardins appellés anglois, il ne peut exister d’objets de convention, puisque tout doit y être naturel, subordonné au site, à ses accidens & aux objets qui l’environnent.

Le lecteur peut à présent comparer les différentes espèces de jardins, & choisir celle qui sera le plus conforme à son goût.


  1. Dans les provinces du midi, le pêcher sur-tout a souvent, à cette époque, ses boutons prêts à épanouir. On doit se hâter de les tailler dès qu’ils s’arrondissent, & lorsque leur forme annonce s’ils seront boutons à bois ou boutons à fruit, afin de ne laisser de ces derniers que le nombre nécessaire.
  2. On peut tailler la vigne dès que les feuilles sont tombées, si le bois est mûr. Si, dans le nord, on craint que le froid & les gelées pénètrent l’œil lorsqu’on a coupé le sarment raz & au-dessus, ou peut laisser deux pouces de bois au-dessus de l’œil, & le retrancher à l’époque indiquée par l’auteur. C’est une double opération, j’en conviens, mais la première se fait dans un temps où l’on n’est pas pressé par le travail, & la seconde est bientôt faite. On peut palisser aussi-tôt après qu’on a taillé, afin d’avoir moins d’ouvrage sur les bras en février & en mars.
  3. Ces plantations arriérées réussissent mal dans les provinces du midi, elles sont trop tôt surprises par les chaleurs.
  4. Dans les provinces du midi, les semis doivent être faits en novembre.
  5. Dans les pays méridionaux, semez en novembre, les pépins se conservent en terre ; tenez les vases ou les caisses dans de bons abris pendant les rigueurs de l’hiver, couvrez-les avec de la paille de litière, & garantissez-les des pluies ; ils germeront dès que la chaleur de l’atmosphère sera au degré qui leur convient, & à la fin de l’année vous aurez une forte pousse.
  6. Plantez en novembre. Le noisetier est souvent en fleur en janvier ; il réussit bien lorsqu’il est arrosé pendant l’été : il mourroit sans cette précaution, à moins qu’il ne survienne des pluies, ordinairement très-rares dans les provinces du midi.
  7. C’est trop tard pour les provinces du midi.
  8. Dès que le bois est mûr, on peut la tailler. (Voyez note 1, page 19.) Dans les provinces du midi elle commence à pleurer à cette époque, & dans ce cas la taille est pernicieuse.
  9. C’est trop tard. (Voyez les notes précédentes.)
  10. Double méthode plus qu’inutile dans les provinces du midi.
  11. Si les arbres sont plantés dans un bas fond, si le sol est naturellement humide, elle reparoît beaucoup plus vite ; j’en ai la preuve.
  12. Commencez en février dans les provinces du midi, & pendant l’année, autant de fois qu’elles en auront besoin, sans attendre aucune époque fixe.
  13. L’époque du détachement de l’écorce est celle que l’on doit observer, & non pas le mois ; attendre à la fin d’avril ou en mai seroit trop tard.
  14. L’expérience démontre ici que les boutures de figuier reprennent ici mieux que les plans enracinés ; le mois de mars est l’époque de leur plantation.
  15. Consultez le mot Figuier, pour connoître la culture qui lui convient dans les provinces du midi.
  16. Les poiriers de ces provinces, ou plutôt leurs jeunes bourgeons, sont attaqués, vers l’extrémité supérieure, par un insecte qui les pique à plusieurs reprises & circulairement. Au-dessus de ces piqûres, il dépose son œuf, il sort un petit ver qui se nourrit de la moelle & de la substance intérieure du bourgeon ; il va toujours en descendant. Après un certain temps & un long enfoncement, il se change en chrysalide, ensuite en insecte parfait, & fait une petite ouverture par laquelle il sort pour aller se reproduire. Malgré les soins les plus assidus, je n’ai pu découvrir l’insecte parfait, mais j’ai tout lieu de croire que c’est un Charanson : on reconnoît la présence du ver par les feuilles supérieures qui se dessèchent, ainsi que la partie du bourgeon, située au-dessus des piqûres. Les boutons inférieurs, ainsi que leurs feuilles, restent verts pendant toute la saison, mais l’année suivante, à la taille, on trouve une branche creuse comme un chalumeau, & qui périt ; cette cavité a souvent plus d’un pied de longueur, & même pénétre quelquefois dans le tronc. Enfin, le ver creuse toujours jusqu’à ce qu’il se transforme en chrysalide.

    Il faut se hâter, dès qu’on voit les feuilles mortes, de couper la partie du bourgeon noire & flétrie, & de retrancher du bourgeon qui reste verd, jusqu’à ce qu’on ait trouvé l’insecte ; alors on taille près du premier bon œil qu’on rencontre au-dessous. Cette visite doit être faite chaque hiver pendant ce mois & le suivant ; c’est l’unique moyen de détruire un insecte qui pullule beaucoup.

    Les mouches meunières, également très-communes dans ces provinces, s’attaquent au tronc & aux grosses branches, dont l’écorce est encore lisse ; elles font une très-petite ouverture avec la tarrière dont la nature les a pourvues, y déposent un œuf, d’où il sort ensuite un gros ver. Sa manière de travailler est toujours en montant, &, avec les pinces dont la partie antérieure de sa bouche est garnie, il coupe, mâche, taille la partie ligneuse du bois, & la rejette en-dehors par l’ouverture placée au bas de sa galerie ; c’est une vraie sciure de bois, & en tout semblable aux débris formés par la scie de l’ouvrier, avec cette différence cependant que les brins sont, pour ainsi dire, agglutinés & collés les uns aux autres. À mesure que le ver grossit, les sciures augmentent & couvrent la terre. Il est alors aisé de reconnoître la présence du ver, & l’ouverture par laquelle coule la sciure ; il suffit de prendre la perpendiculaire si une branche est attaquée, ou d’examiner le tronc de l’arbre du côté où la sciure s’accumule ; on prend ensuite un fil de fer que l’on insinue dans la cavité, & on le pousse jusqu’à ce que la résistance mette obstacle à sa plus forte introduction. Il est bon d’observer cependant que souvent les courbures de la galerie arrêtent le fil de fer avant qu’il soit parvenu jusqu’à l’insecte, & on se tromperoit grossièrement si on s’imaginoit l’avoir tué. Pour éviter cette méprise, on garnit la pointe du fil de fer avec un gros plomb de lièvre, l’arrondissement du plomb glisse sur les irrégularités du tube, & permet son introduction ; enfin on le pousse & on le retire à différentes reprises, jusqu’à ce qu’on soit bien convaincu d’avoir tué l’insecte. Si la cavité est pleine de tours & de détours, si l’introduction du fil de fer jusqu’au bout devient impossible, il faut alors fendre l’écorce, & aller chercher l’animal dans sa retraite. On pansera ensuite la playe avec l’onguent de S. Fiacre.

  17. À la fin de février, suivant la saison, on découvre les citronniers en pleine terre ; les orangers ont moins besoin de garniture pendant l’hiver, & on sort tous les pieds de l’orangerie. Attendre jusqu’en mai, par exemple, à Lyon, à Bordeaux, &c., ce seroit trop tard ; on le peut au commencement ou au milieu d’avril.
  18. Les arrosemens doivent être relatifs aux climats, & l’encaissement avoir lieu à la sortie de l’orangerie.
  19. Consultez les mots Olivier & Oranger pour connoître leur culture dans les provinces du midi.
  20. Beaucoup plutôt, à mesure qu’on approche du midi.
  21. La bâle du bled, de l’avoine, &c. est, à mon avis, ce qu’il y a de mieux, de l’épaisseur de deux à trois pouces.
  22. Il ne faut jamais perdre de vue que ces époques sont relatives au climat dans lequel l’auteur écrit ; elles doivent être devancées, je le répète, à mesure qu’on approche du midi, soit par la chaleur que procurent les abris, soit en effet par l’éloignement du nord.
  23. Dans les provinces du midi, cette cueillette demande à être faite du 10 au 20 septembre pour le plus tard.
  24. Le succès de la pavie n’est pas réservé aux seules provinces qui avoisinent la Méditerranée ; ce fruit mûrit très-bien dans l’Agenois, la Guyenne, le Dauphiné, le Lyonnois, & dans plusieurs de nos provinces du centre du royaume. Si, dans ces climats chauds, on a la facilité d’arroser les pieds d’arbres, les pêches tendres y sont très-bonnes, & infiniment plus parfumées que dans les environs de Paris.
  25. Consultez le mot Vigne, où cette question sera discutée.
  26. Je n’indique aucune époque fixe, elle varie suivant les saisons, & sur-tout suivant les climats.
  27. Note de l’Éditeur. Je crois que le saule dont il est ici question est celui que nous appelons saule pleureur ou saule de Babylone. Salix Basilonica. Lin. (Voyez le mot Saule.)
  28. Note de l’Éditeur. M. de Gerardin a quelque chose d’approchant dans son parc d’Ermenonville, & par un seul mot, pour devise, il caractérise les personnages :
    Newton, Montesquieu,
    Lucem. Justitiam.
    Descartes, Rousseau,
    Nil in rebus inane. Naturam.
    Voltaire, Joseph Priestley,
    Ridiculum. Aerem.
    W. Penn, Benj. Franklin,
    Humanitatem. Fulmen.
    Et au bas de la colonne cassée :
    Quis hoc perficiet.