Cours d’agriculture (Rozier)/ONGUENT DE SAINT-FIACRE

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 280-281).


ONGUENT DE SAINT-FIACRE. Jardinage. Nom donné à un mélange de bouse de vache ou de bœuf avec de l’argile ou autre terre tenace ; il a été appelé de saint Fiacre, parce que ce saint est le patron des jardiniers. Lorsque ces deux substances sont fortement corroyées ensemble, elles se gercent peu, & présentent un tout solide & très-utile pour recouvrir les plaies faites aux arbres, ou la place sur laquelle on a fait l’amputation de quelque branche. La bouse de vache lie entre elles les molécules de l’argile, & leur sert de gluten ; ce qui n’empêche pas cependant, si la plaie est considérable, que l’argile ne prenne de la retraite en se desséchant & qu’il ne se gerce ; mais si pendant le corroi on ajoute des balles de blé ou d’orge, elles forment, par leur entrelassement, autant de liens qui empêchent les gerçures. Il en est de cet onguent comme de ceux qui sont employés sur les chairs de l’homme & de l’animal ; il soustrait la plaie au contact de l’air, préserve la partie ligneuse (qui correspond à la chair animale) du hâle, du desséchement, & permet à l’écorce (en tout semblable à l’épiderme) de s’étendre, de s’alonger, de recouvrir la plaie, enfin de former la cicatrice.

Si chaque fois que l’on taille un olivier, un mûrier, un châtaignier, (voyez ces mots) ou tel autre arbre, on avoit la sage précaution d’employer l’onguent de saint Fiacre, la pourriture ne s’établiroit pas dans la plaie, & le bois ne pourriroit pas depuis le sommet jusqu’à sa base, & par ce moyen on n’auroit aucun tronc creux ou caverneux. Il faut entendre bien peu ses intérêts pour ne pas conserver avec le plus grand soin les troncs des arbres dont le bois est si précieux pour la menuiserie, & dont les fruits offrent d’excellentes récoltes. L’amateur des arbres fruitiers a toujours en réserve une certaine quantité d’onguent de saint Fiacre, afin de s’en servir au besoin, pendant que l’agriculteur charpente ses arbres sans tâcher de remédier au mal qu’il leur fait !

On prépare avec soin, & l’on vend dans les boutiques des cires jaunes, vertes, rouges, &c. dont on se sert inutilement pour les orangers ou pour tels autres arbres fruitiers. On verroit, si l’on prenoit la peine de l’examiner, 1o. que les cires, ou telles autres préparations graisseuses, ne s’appliquent jamais bien sur les plaies des arbres ; l’humidité causée par l’ascension de la séve s’y oppose, & la cire se détache par écailles ; 2o. on verroit que la portion de l’écorce, seule partie regénérative, se dessèche, parce que la transpiration a été interceptée : dès-lors elle peut tout au plus, & à la longue, être chassée par l’extension de l’écorce inférieure à elle, & la plaie n’est que très-tard cicatrisée. Un pareil inconvénient n’est point à craindre si l’on se sert de l’onguent de saint Fiacre : il s’adapte intimement au bois, intercepte l’action de l’air extérieur, & garantit la plaie du hâle & du desséchement ; ensuite les bords de l’écorce forment le bourrelet (voyez ce mot) : ce bourrelet soulève l’argile qui lui devient inutile : enfin peu à peu l’écorce recouvre toute la superficie de la plaie : ceci n’est point un objet de théorie ; il suffit d’avoir des yeux pour être en état de juger soi-même.