Cours d’agriculture (Rozier)/ORANGER

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 284-313).
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ORANGER. Le célèbre von-Linné a réuni, sous le genre qu’il nomme citrus, l’oranger & le citronnier : presque tous les autres botanistes en ont fait deux genres différents, ce qui n’empêche pas qu’on ne puisse parler de l’oranger & du citronnier dans le même article, puisque ces deux arbres ont le plus grand rapport entr’eux, & que la culture qu’ils exigent est la même. Tournefort les place dans la sixième section de la vingt unième classe destinée aux arbres à fleur en rose dont le pistil devient un fruit charnu, rempli de semences calleuses : il appelle le premier aurantium, l’autre citreum ; & limon la sous-division des citronniers ; von-Linné les classe dans la polyandrie icosandrie, & les nomme citrus.

Plan du travail.
CHAPITRE PREMIER. Des espèces d’orangers, de citronniers & de limoniers.
CHAP. II. Des moyens de multiplier ces arbres.
CHAP. III De la greffe.
CHAP. IV. De la conduite de l’oranger, provenu du semis ou de bouture, & après qu’il est greffé.
CHAP. V. De la conduite de l’oranger en pleine terre.
CHAP. VI. Des fleurs & des fruits.
CHAP. VII. Des maladies de l’oranger & de ses ennemis.
CHAP. VIII. Du temps auquel on doit le renfermer.


CHAPITRE PREMIER.

Des espèces d’orangers & de citronniers.


§. I. Des Orangers.

Fleur. Composée de cinq pétales oblongs, blancs, pâles & ouverts ; son calice d’une seule pièce verte, à cinq dentelures & petit ; une vingtaine d’étamines réunies par leurs filets, en plusieurs corps. Les fleurs sont rassemblées en bouquet au sommet des branches dans le plus grand nombre des espèces.

Fruit. Baie dont l’écorce est charnue, la pulpe composée de vésicules ; la baie ordinairement arrondie, aplatie par les deux bouts, divisée en neuf loges qui renferment chacune deux semences ovales, calleuses.

Feuilles, simples, presque entières, épaisses, luisantes, arrondies au sommet ; le pétiole garni de folioles qui le font paroître ailé en forme de cœur.

Bois. L’écorce des tiges ou des branches de couleur brune, quand elles sont âgées, verdâtre sur les jeunes. Les branches non greffées sont armées de longs & durs aiguillons. Racine chevelue & fibreuse.

Ces arbres sont originaires des grandes Indes ; ils sont devenus indigènes dans les îles de l’Amérique ; enfin on les a naturalisés en Portugal en Espagne, en Italie & dans les îles de la méditerranée. On en voit quelques-uns en plein champ en Provence, mais on ne peut pas dire qu’ils y soient en culture réglée ; il faut cependant en excepter les îles d’Hières.

Le Père Ferrard, Jésuite & natif de Sienne, publia en 1646 un ouvrage intitulé Hesperides, sive de Malorum aureorum cultura & usu, in-folio, dans lequel il indique sommairement toutes les espèces d’orangers, de citronniers & de limoniers rassemblées à Rome. Il seroit difficile de faire l’application de ses descriptions aux espèces ou variétés soigneusement cultivées on France. M. de Laville-Hervé, neveu, & rédacteur des Mémoires de M. l’abbé Roger de Schabol, donne dans sa Théorie du jardinage la liste des espèces cultivées à Paris, & c’est cette même liste que je transcris ici sans y rien changer ni ajouter.

1. Orange à écorce lisse, à pulpe aigre-douce ; ses feuilles sont comme celles de la bigarade, hors le talon qui est plus étroit.
2. Orange lisse & douce ; le fruit & la feuille ressemblent à celle de l’orange de Portugal.
3. Orange lisse, cornue, de même que celle de Portugal, excepté qu’il y a des excroissances sur le fruit.
4. Orange lisse, sauvage, aigre ; on pense que c’est un sauvageon du Portugal.
5. Orange lisse, étoilée, ou couronnée.
6. Orange dite simplement de Portugal.
7. Orange rouge de Portugal, ainsi appelée à cause de sa couleur, on la nomme orange-grenade ou de Malthe.
8. Oranger à feuilles de laurier.
9. Oranger à feuilles dorées.
10. Oranger à feuilles panachées & argentées.
11. Oranger de Nointel, à feuilles longues, quoique son fruit soit orange de Portugal.
12. Oranger à fleurs doubles.
13. Bigarade ronde.
14. Bigarade cornue ; sa fleur a jusqu’à huit pétales, & d’autres fort étroites qu’on prendroit pour des étamines si elles contenoient des poussières.
15. Bigarade sauvage ou sauvageon.
16. Bigarade violette, à fruit violet, dont la pousse & l’œil, ainsi que la fleur, sont violets.
17. Réga ou orange suisse, son fruit est tranché de blanc, ainsi que la feuille & le bois.
18. Orange turque, sa feuille est bordée de blanc ; elle est raccourcie, en pointe, & large par le bout.
19. Oranger à fruit, semblable à un gland.
20. Le véritable oranger de Curassao.
21. Lime très-petite de Curassao.
22. Oranger Riche-dépouille, à feuilles rondes & frisées.
23. Riche-dépouille à feuilles pointues, frisées.
24. Riche-dépouille à feuilles panachées, argentées & frisées.
25. Orange aigre de Chine, ou sauvageon ; ses pépins sont comme ceux de l’oranger chinois.
26. Orange douce de Chine.
27. Orange de Chine, dont les feuilles sont panachées, dorées, & le fruit tranché de jaune.
28. Pampelmoes du Levant, ou schaddeck.
29. Pampelmoes d’Amérique.
30. Pampelmoes des Barbades, ou Schaddeck, qui n’a point d’épine comme les Schaddeck ; son fruit de même que sa feuille, a le talon très-large ; la feuille est épaisse & ovale.
31. Pampelmoes à feuilles panachées.
32. Huit espèces ou variétés d’hermaphrodites.
33. Hermaphrodite de Provence.
34. Hermaphrodite à feuilles panachées.
35. Cédrat sans épines.
36. Cédrat ordinaire.
37. Cédrat mella-rosa ; sa feuille sent la rose ; son fruit est rouge, & le pistil de sa fleur est court.
38. Cédrat du Liban, à feuilles longues, ovales, épaisses ; sa fleur est grosse, son fruit est un cédrat chagriné.
39. Mella-rosa à fleurs blanches ; son fruit est ovale, comme celui de la bigarade jaunâtre.
40. Poncire commun, sa feuille aussi épaisse que celle du balotin, est un peu plus longue.
41. Poncire blanc ; le bois, la peau, la fleur, sont blancs, sa feuille est ronde ainsi que son fruit.
42. Poncire violet ; c’est le plus beau fruit, son bois est court, il ne forme pas une belle tête.
43. Poncire figuré comme le commun, sa feuille est un peu plus longue.
44. Lime douce, à feuille d’une belle forme ; le fruit à peau lisse, couronné par un pistil qui avance.
45. Lime aigre, ou sauvageon de la lime douce.
46. Balotin d’Espagne ; le fruit en est rouge & gros, la feuille ronde & épaisse ; la fleur violette.
47. Balotin commun ; le fruit plus petit, la feuille comme celui d’Espagne.
48. Bergamotte orange, dont le fruit est rond & bon à manger.
49. Bergamotte à côte, dont le fruit est aussi à côte, & jaune pâle quand il est mûr.
50. Bergamote mella-rosa, de même que la mella-rosa, à l’exception qu’il n’a point d’épines.
51. Pommier d’Adam de Paris ; son fruit est beau, la pomme est lisse, & sa feuille alongée.
52. Bigarade sans pepins. Il est des fruits où il s’en trouve, & d’autres où il n’y en a pas.
53. Orange lisse, sauvage, dont le fruit est doux, & le bois garni d’épines.
54. Orange jumelle ; espèce d’hermaphrodite dont les feuilles varient.
55. Limon de Portugal, ou citron orange, bon fruit, plus arrondi que le citron.
56. Orange lisse sans pepins ; dans d’autres il a des pepins.
57. Oranger à feuilles étroites comme celles du saule.
58. Le même à fruit doux.
59. Oranger à feuilles pointues & épaisses ; son fruit est gros & hâtif.
60. Oranger à fleurs rouges.
61. Oranger à fruit semblable au limon.
62. Oranger dont le fruit est à côtes.
63. Oranger sauvage dont la feuille & le fruit sont très-bien panachés.

§. II. Des citronniers.

Il est difficile d’établir des caractères tranchans qui séparent les citronniers des orangers. L’on peut dire cependant, en général, que le fruit des citronniers est terminé en pointe ; que leurs feuilles sont plus pointues que celle de l’oranger, & leurs pétioles nus et simples ; que leurs jets sont plus forts, croissent avec plus de promptitude, & qu’il est plus difficile de maintenir en tête arrondie le sommet de l’arbre.

1. Citron de Chine, à feuilles très-petites, d’un vert blanchâtre ; son fruit fort petit, & en forme de toupie.
2. Citron aigre, à feuilles panachées ; le fruit à l’ordinaire, provenant d’un pepin qui a panaché.
3. Citron d’Italie ; il a le fruit à l’ordinaire, & de belles feuilles d’un ver de pré.
4. Citron d’Amérique, la feuille en est étroite, longue ; son fruit est petit et en fuseau.
5. Citron ou limon-challi, à feuilles longues, larges, tant soit peu épaisses ; son fruit est long & son écorce épaisse.
6. Citron mella-rosa ; sa feuille a une odeur de rose, & son fruit est citron.
7. Cinq à six espèces de citrons extraordinaires, tant pour la figure de l’arbre, que pour le feuillage et le fruit.
8. Citron perrette, dont le fruit est en fuseau, la feuille alongée par les deux bouts & étroite.
9. Citron à côte ou limon de Calabre ; la feuille est longue, large, pointue, & le fruit en toupie quoiqu’à côte.
10. Citron de saint-Cloud ; sa feuille est ronde par le bout, & étroite depuis le talon ; le fruit est limon doux.
11. Citron blanc à fleurs doubles ; le fruit est moins long que l’ordinaire ; la pousse en est blanche.
12. Citron extraordinaire, dont la feuille est faite comme du chagrin, & de figure ovale.
13. Citron extraordinaire, dont les feuilles ressemblent à celles du cèdre du Liban, épaisses, longues, arrondies par le bout, & le fruit d’ailleurs comme les citrons ordinaires.
14. Citron doux d’Espagne ; il a la peau violette, & la feuille d’un beau vert de pré.
15. Citron blanc d’Espagne, il a la peau blanche, & son fruit est plus pâle que les autres.
16. Citron bergamote, dont le fruit est plus court que celui des citronniers ordinaires ; la feuille est aussi plus courte.
17. Citron de Nointelle, qui approche beaucoup du citron-perrette par sa feuille étroite & longue, ainsi que par son fruit.
18. Citron de Madère.
19. Citron musqué.
20. Citron ou limon chéri.
21. Citron gayetan.

Il est plus difficile de séparer les limoniers des citronniers, que ceux-ci des orangers. On se fait une méthode sur l’habitude de les voir, & de les comparer ; cette manière est plus sûre à la vérité, il n’en résulte pas un grand inconvénient quant à la nomenclature, & aucun pour la conduite de l’arbre.

1. Limon à fleur pleine ; il fleurit souvent double ; mais toutes ses fleurs ne le font pas toujours.
2. Limon dont la forme du fruit ressemble à une citrouille.
3. Limon dont le fruit est très-gros.
4. Limon saint-Dominique.
5. Limon à feuilles très-longues.
6. Limon à feuilles longues & épaisses.
7. Limon dont le fruit est en forme de grappe de raisin.
8. Limon cannelé.
9. Limon d’Espagne à épines.
10. Limon à feuilles ondées.
11. Limon de marais à fruit oblong.

Malgré le nombre de variétés des trois espèces qu’on vient de citer, il est plus probable qu’il en existe encore un très-grand nombre d’autres, soit aux Indes, soit en Italie, en Espagne, ou au Levant. La culture, le changement de climat, & sur-tout le mélange des étamines ou poussière fécondante portées par les abeilles qui vont butiner de fleurs en fleurs, doivent, chaque jour, augmenter le nombre des variétés.

Les citronniers & les limoniers sont plus affectés du froid que l’oranger. Les uns & les autres forment de très-grands arbres dans leur pays natal, & on y voit souvent des orangers dont le tronc a jusqu’à soixante pieds de hauteur sur six ou huit de circonférence. La nécessité où l’on est en France de placer les orangers pendant l’hiver dans des serres, ne permet pas de leur laisser acquérir cette hauteur : le plus fort n’excède guères celle de quinze à vingt pieds au plus. Une plus grande élévation permettroit difficilement de les tailler. Ces arbres produisent leurs fleurs & leurs fruits en même temps, c’est-à-dire que sur le même pied on voit des fleurs, des fruits naissans, des fruits avancés, & des fruits mûrs. Ces derniers, dans nos climats, ne sont mûrs qu’à la seconde année. L’oranger est plus agréable à contempler dans nos jardins que lorsqu’il est forestier. Les citronniers épineux forment des haies impénétrables dans nos îles ; elles y sont multipliées afin de défendre les plantations de canes à sucre de l’incursion des animaux. On les rendra plus impénétrables encore & plus fructifiantes, si on suit la méthode indiquée au mot haie.

Si on excepte quelques cantons privilégiés de la Provence, on ne voit guère en France des orangers ou citronniers plantés en pleine terre, à moins que par des soins multipliés, on ne les garantisse des gelées. Dans le village d’Hières, on est même obligé de couvrir les citronniers, les cédrats, &c. pendant les rigueurs du froid. Des amateurs, dans les provinces du midi, ont quelques orangers & citronniers en espaliers contre des murs qui les abritent du nord. Au château de la Chaise, entre Villefranche & Beaujeu, & sur la hauteur, on voit un bel & très-long espalier d’orangers en pleine terre. À l’entrée de chaque hiver on construit sur toute la longueur, une espèce de serre en bois, & l’espace qui se trouve entre les planches & le mur est rempli avec des feuilles sèches. Lorsque la rigueur du froid augmente, on allume le feu à une des extrémités, & la chaleur est portée, par des tuyaux, dans toute la serre. Au printemps, lorsque la saison est décidée, toutes les enveloppes sont emportées, & le voyageur est très-étonné de voir des orangers en pleine terre sur cette montagne.

Ces palissades ont un défaut essentiel ; elles sont trop épaisses ; ce qui provient sans doute du peu de capacité de la personne chargée de les entretenir ; elle se contente, chaque année, de supprimer le bout des branches & les feuilles qui dépassent la ligne… En tenant ces branches plus ravalées près du tronc, on diminueroit le diamètre, le tapis de verdure seroit plus égal, & les fruits plus gros & plus multipliés.


CHAPITRE II.

Des moyens de multiplier les orangers & les citronniers.


Les semis, les boutures, les provins & les marcottes servent à multiplier ces arbres, & les Génois ont établi une branche de commerce de ces provins & de ces marcottes. Ce sont eux qui fournissent les pépiniéristes de Provence, qui les distribuent dans le reste du royaume, à moins que des particuliers ne trouvent des occasions pour les tirer directement d’Italie.

I. Des semis. Il convient de choisir les plus beaux citrons, les plus belles oranges, de les laisser pourrir, & d’en séparer ensuite les pépins. L’homme a regardé comme de son domaine toutes les espèces de fruits ; mais la nature en a originairement destiné la chair ou la pulpe pour la perfection de la semence : c’est donc un très-petit sacrifice à faire lorsqu’on désire avoir une graine parfaite.

Aussitôt après avoir séparé la semence de la pulpe, on la confie à la terre ; si elle est sèche & maintenue telle, la semence ne germera pas ; elle se conservera pendant l’hiver, & ne développera sa radicule qu’au printemps.

Les semences mises en terre dans le cours de l’été, donnent & produisent les rudimens de petits arbustes si tendres & si délicats, qu’ils passent difficilement l’hiver, même dans les bonnes orangeries. Il est donc avantageux d’avoir des graines prêtes à germer au printemps, telles que celles que l’on met en terre & que l’on y conserve pendant l’hiver. La terre ou le sable empêchent que la semence ne se dessèche & ne se hâle par l’impression de l’air, & sa germination est beaucoup plus prompte que celle qui n’a pas été conservée par ce moyen.

On sème en général trop épais les graines ; elles doivent être placées en échiquier, & au moins à quatre pouces de distance les unes des autres : on en verra bientôt la raison.

La terre destinée aux semis doit être composée moitié de terreau de vieilles couches, bien consommé, & moitié d’une bonne terre franche. Au défaut de ce terreau peu commun ailleurs que dans la capitale, on en préparera un avec des feuilles que l’on fera pourrir, celles du noyer exceptées. La terre noire que l’on trouve dans les troncs des vieux saules, des vieux, peupliers, &c. est excellente. Le point essentiel est de se procurer une terre très-douce, légère, & très-substantielle.

Dans les provinces du midi du royaume, on remplit de cette terre des caisses ou des pots, & on les place contre des expositions abritées des vents froids. Dans celles du nord, les semis exigent plus de soins. On prépare des couches, des chassis, (voyez ces mots) & chaque pot est enterré dans ces couches modérément chaudes. Les sujets ainsi élevés craignent ensuite beaucoup plus le froid que ceux élevés suivant la méthode des provinces méridionales.

La semence enterrée & recouverte à la hauteur d’un pouce, exige de petits arrosemens au besoin, d’être débarrassée de toute herbe parasite, & lorsque la tige commence à s’élever, de serfouir la terre de temps à autre. Comme dans les provinces du midi la chaleur & sur-tout l’évaporation sont très-fortes, il est bon de couvrir la superficie de la caisse ou du pot avec de la paille hachée & encore mieux avec du crottin de cheval ; ils maintiennent & conservent l’humidité dans la terre. Je me suis très-bien trouvé de changer tous les mois ce crottin, de le remplacer par du crottin frais, & de donner aussitôt une bonne mouillure. Cet engrais faisoit pousser vigoureusement les jeunes pieds ; or, ce point est essentiel, afin qu’ils acquièrent une certaine force, une certaine consistance avant de les fermer dans l’orangerie.

La coutume généralement suivie est de lever, à la fin de l’année, chaque pied, de le replanter dans un pot. Si on a eu soin de semer, dans des caisses ou dans des pots, profonds, si chaque graine a été semée à une distance convenable je préfère attendre à la fin de la seconde année ; les pieds ont plus de corps, plus de racines, & ils se ressentent moins des effets de la transplantation. C’est d’après des expériences de comparaison que j’avance cette assertion.

À la fin de la première année, & lorsque l’on sort les caisses ou pots de l’orangerie, on gratte la superficie de la terre qu’ils contiennent, on la fait tomber afin de la remplacer par une terre nouvelle & bien préparée. Le tassement de la première est ordinairement de quatre pouces sur une caisse d’un pied de profondeur, & la nouvelle terre qu’on ajoute chausse les pieds, & les enterre d’autant. On doit, pendant cette seconde année, changer le crottin frais de la superficie aussi souvent que dans la précédente. En suivant cette méthode, on est assuré d’avoir dès-lors des sujets très-forts, très-bien enracinés, & qui ne souffriront point de la transplantation. À la troisième année, & lorsqu’on sort l’arbre de l’orangerie, c’est le cas alors de placer séparément chaque pied dans de grands pots.

Si on considère la multiplicité & la longueur des racines chevelues que poussent l’oranger & le citronnier, on jugera combien le sujet souffre dans de petits pots, & combien sa tige gagne en grosseur & en hauteur, lorsque les racines peuvent s’étendre sans gêne, & trouvent en abondance la nourriture qui leur convient. J’insiste sur ce moyen, parce qu’on gagne du temps & des sujets vigoureux & plus promptement disposés à recevoir la greffe.

II. des boutures. On choisit une branche jeune, saine, droite, de la longueur d’un pied environ, que l’on enfonce à trois ou quatre pouces dans une terre préparée, ainsi qu’il a été dit. On tient le pot ou la caisse à l’ombre & dans un lieu chaud, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que la bouture ait poussé des racines ; alors on la retire de ce lieu, & on l’expose peu à peu à l’ardeur du soleil. Cette méthode n’exige que des sarclages & des arrosemens au besoin.

III. Des marcottes & des provins. Lorsque la tête d’un oranger ou d’un citronnier est élevée, il n’est pas aisé de les marcotter ; il faut avoir recours à l’art. On choisit sur cette tête une jeune branche, & à l’endroit où il convient de la marcotter, on fait une ligature avec une ficelle qui presse & serre un peu l’écorce. Cette ligature donne naissance à un bourrelet (voy. ce mot) parce que la sève descendante, ne pouvant plus se porter avec la même facilité de la tête aux racines, s’engorge en cette partie, oblige l’écorce à se mamelonner, & de ces mamelons naissent des racines. La ligature faite, on prend un pot partagé en deux parties sur sa hauteur, & percé d’un trou dans le bas par lequel on fait passer la branche. Les deux parties du pot étant rapprochées, l’une contre l’autre, on les tient resserrées par un lien de fil de fer, soit en haut soit en bas ; enfin on remplit ce pot de terre. Afin de maintenir & supporter ce poids ajouté à la branche, pour qu’elle ne soit pas exposée à être cassée, on assujettit le pot contre deux piquets fortement fixés en terre, & avec ce secours la branche n’est tourmentée ni par le poids ni par les coups de vent. La terre du pot est arrosée au besoin. Lorsque la branche est enracinée, on la coupe au dessous du pot, on la dépote, & on lui donne une caisse ou un autre pot convenable à son volume. Si on ne se sert pas de ligature on coupe un peu l’écorce dans quelques points de la circonférence, & il se forme des bourrelets à la base de chaque partie coupée. Cette méthode est minutieuse, casuelle, & ne mérite d’être employée que lorsque l’on veut se procurer des espèces rares. Le provin est plus sûr, & l’on travaille sur un plus grand nombre de sujets à la fois, si la greffe a été placée près des racines.

On coupe le tronc de l’arbre à cinq ou six pouces au dessus de la greffe, & on lui laisse tous les nouveaux jets qu’il pousse. Lorsqu’après la première, ou encore mieux après la seconde année, les jets ont de la consistance, on forme tout autour un encaissement dont la hauteur excède de cinq à six pouces la partie supérieure du tronc qu’on a laissé ; on le remplit de terre à mesure que l’on couche les branches, & on provigne le tout (voyez ce mot) : enfin on remplit de terre tout rencaissement. La petite ligature dont on a parlé, facilite la sortie des racines.

S’il ne s’agit que de se procurer des sujets non greffés, on coupe le tronc presque à fleur de terre, & il sort du collet des racines une multitude de jets.

Des quatre manières de multiplier les orangers & les citronniers, celle du semis est à préférer ; on a tout à la fois un grand nombre de sujets, & il en est de ces arbres comme des forestiers : ceux venus de brins sont toujours les plus beaux, les plus forts & les plus vigoureux.

De quelque manière qu’on se soit procuré des sujets, si on veut avoir des pieds élevés, on ne doit pas se hâter de supprimer les branches inférieures. C’est par leur secours que le tronc prend de la consistance & une belle grosseur. À force d’élaguer, le tronc s’énerve & file ; il ne se trouve plus proportionné avec la tête, & il ne fera jamais qu’un arbre de médiocre valeur.

On s’amuse peu dans les provinces du nord à multiplier les orangers, parce que leur végétation est très-lente : il vaut beaucoup mieux tirer de Provence ou d’Italie les arbres tout formés, quoique leur reprise soit casuelle, longue & quelquefois difficile. Dans celles du midi au contraire, un semis bien conduit donne, à la quatrième année ou à la cinquième au plus tard, un beau sujet propre à être greffé, si on se contente d’un pied de médiocre hauteur, & à la sixième, un pied propre à garnir les plus grandes caisses.

Les graines de citron poussent plus rapidement que celles de l’orange, & les pieds que fourniffent les premières, sont plutôt formés pour la grosseur & pour la hauteur, & par conséquent plutôt susceptibles de recevoir la greffe.


CHAPITRE III.

De la greffe.


On peut placer la greffe à trois endroits différens : ou à quelques pouces au dessus du collet des racines, ou à deux ou trois pieds, ou enfin à cinq ou six pieds au dessus, lorsque l’on se propose d’avoir de grands arbres pour l’orangerie. Il est cependant aisé, en plaçant la greffe au dessus des racines, de conserver son fer, & de l’élever en haute tige ; mais cette manière de greffer est sujette à des inconvéniens, lorsque l’on désire avoir des troncs élevés : pendant la première & la seconde année, le jet formé par la greffe est tendre, peu ligneux, & il est par conséquent sujet à être cassé ou surpris par les premières gelées, ou enfin à souffrir & à se dessécher dans l’orangerie. Le tronc alors ne reste plus droit, uni ; il forme un coude dans la partie d’où part la nouvelle tige, & la beauté du tronc dépend de sa régularité. Il vaut beaucoup mieux placer les greffes à la hauteur de la tige que l’on désire conserver. D’ailleurs, en greffant près des racines on ne doit placer qu’une seule greffe, & si elle ne reprend pas, c’est une année perdue, & il est à craindre qu’à la seconde l’écorce ne soit trop dure. Au contraire, les jeunes branches de la tête de l’arbre permettent de placer plusieurs greffes qui reprennent plus facilement, & leur nombre supplée celles qui ne prennent pas. D’ailleurs, la greffe placée près des racines, produit rarement une tige belle, haute & nette.

L’époque de greffer dépend de la chaleur du pays que l’on habite. On peut greffer en écusson dès que la séve est en mouvement dans l’arbre, & que la peau se soulève facilement ; ou à œil dormant. (Voy. le mot greffe) Plusieurs personnes pensent qu’il est nécessaire de placer la greffe en sens contraire, c’est-à-dire de haut en bas ; il en résulte une courbure inutile, & cette manière contre nature prouve combien l’oranger est un arbre peu délicat dès qu’il trouve un degré de chaleur convenable à ses besoins & approchant de celui de son pays natal. La greffe en écusson, placée comme celle des autres arbres fruitiers, réussit beaucoup mieux ; j’en ai la preuve sous les yeux. On greffe à œil dormant pendant l’été ; la conduite est ici la même que celle décrite au mot greffe. L’onguent de saint Fiacre (voyez ce mot) doit recouvrir toutes les plaies que l’on a faites ; les cires naturelles ou composées, les mastics, &c., sont au moins inutiles, en supposant qu’ils ne soient pas dangereux.

Le tronc de l’arbre que l’on veut greffer doit avoir au moins la grosseur du petit doigt, & encore mieux celle du pouce dans l’endroit où l’on place la greffe. La grosseur du petit doigt suffit pour les branches.

Une autre observation à faire lorsque l’on greffe sur les orangers provenus de semis ou de boutures, &c. est que si on place une greffe de citronnier, il est à craindre que par la suite il ne se forme dans cet endroit une exostose, un bourrelet. L’inégalité dans la force de végétation de ces deux arbres en est la cause & rend le tronc difforme. Il vaut donc bien mieux greffer les citronniers sur eux-mêmes que sur l’oranger, & même greffer sur citronnier autant qu’on le peut. L’oranger se greffe encore par approche. (Voyez le mot greffe)


CHAPITRE IV.

De la conduite de l’oranger provenu du semis ou de bouture, après qu’il est greffé.


§. I. De la plantation. Lorsque l’on ne veut pas prendre la peine de semer, de marcoter, &c., on achette ou on fait venir d’Italie ou de Provence des arbres tout formés, & dont la hauteur & la grosseur du tronc est conforme à la demande qu’on en a faite. Si à l’arrivée de ces arbres les feuilles sont molles, flasques, si elles se plient sans se casser, c’est une preuve que les arbres ont souffert en route. Le seul expédient pour ranimer leur fraîcheur, est de les déballer, d’enlever la mousse qui recouvre les racines, de les plonger ensuite, pendant quelques heures, dans une eau dont la chaleur soit de douze à vingt degrés, suivant le thermomètre de Réaumur : on les plante, après cela, dans de grands pots de terre vernissés ; ou dans des caisses (voyez ce mot, afin de ne pas répéter ici ce qui a été dit sur les moyens de les conserver pendant long-temps.) Les caisses sont préférables aux pots, parce qu’à hauteur & à diamètre égaux, elles contiennent beaucoup plus d’espace & par conséquent plus de terre ; d’ailleurs elles sont moins sujettes à être renversées par un coup de vent.

Lorsque l’on donne aux Génois ou aux Provençaux la commission d’envoyer des arbres, on doit stipuler qu’on ne paiera que les pieds auxquels on aura laissé toutes les racines garnies de tous leurs chevelus. Ces racines doivent être, après les avoir séparées de la terre qui les environnoit, mollement rangées entre des lits de mousse fraîche, & encaissées avec soin. Lorsqu’on les sort de la caisse, on retranche les racines chancies, cassées ou gâtées & rien de plus, quoi qu’en disent les jardiniers dont la fureur est de châtrer, d’écourter les racines, ce qu’ils appellent rafraîchir. Je n’ai cessé de m’élever contre ces abus toutes les fois que l’occasion s’en est présentée, & je reviendrai si souvent là dessus, que peut-être viendrai-je à bout de persuader les incrédules. La multiplicité des racines & de leurs chevelus accélère & garantit leur reprise ; la méthode de planter de tels arbres en motte est très-casuelle. En suivant la première méthode, il est inutile d’étêter les arbres ; elle est indispensable si on suit la seconde, parce que le peu de séve pompée par des racines écourtées, n’est pas capable de nourrir les branches que l’on laisse.

§. II. De la préparation de la terre pour les caisses. Chaque amateur a sa méthode plus ou moins compliquée, & chacun est persuadé qu’il suit la meilleure. Tous les extrêmes sont préjudiciables.

Quelques personnes n’emploient que le terreau des vieilles couches uni par moitié avec la terre ordinaire. Le terreau rend l’autre terre trop perméable à l’eau qui, en s’écoulant avec facilité, entraîne les matériaux de la séve ; la seule terre végétale & soluble dans l’eau (voyez le mot amendement) & la terre matrice s’appauvrissent à chaque arrosement : d’ailleurs, comme cette masse, comme ces molécules sont peu liées entre elles, l’évaporation est plus forte, & elle exige de plus fréquentes irrigations. Alors les feuilles jaunissent, parce que la séve est trop aqueuse & trop peu nourrissante.

Par un système tout opposé, d’autres n’emploient que de l’argile, ou quelque autre terre qui approche de la ténacité & de la compacité de ses molécules. Cette terre, il est vrai, n’a pas besoin d’autant d’arrosemens que l’autre ; mais les racines & leurs chevelus ont la plus grande peine à s’étendre : on a beau passer & repasser au crible cette terre, l’unir avec un fumier quelconque, ce n’est que très à la longue, & avec beaucoup de peine, qu’on parvient à la mélanger.

La terre des taupinières a son mérite lorsque l’animal travaille dans un sol depuis long-temps en prairie, & sur-tout si elle est sujette à être couverte par des inondations qui charient & déposent beaucoup de limon. Le limon seroit par lui-même trop compact ; mais les débris annuels des végétaux & des animaux lui donnent de la souplesse & augmentent la masse de l’humus ou terre végétale. Mais la terre des taupinières d’un champ ordinaire n’a pas plus d’efficacité que celle de ce même champ.

Quelquefois on fait mélange de parties égales de fumier de cheval, de fientes de vaches, de crottins de moutons & de bonne terre : on mêle le tout ensemble, on le laisse amoncelé pendant un an ou deux, & de temps à autre, on le passe à la claie, afin de le bien combiner. Cette préparation n’est pas mauvaise ; j’aimerois cependant mieux qu’il y eût moitié franche de bonne terre.

Les balayures des rues, les matières des voieries, & même les excrémens humains, unis à une bonne terre, & lorsqu’on a laissé le tout fermenter ensemble pendant deux à trois ans, fournissent un mélange bien substantiel. On ne sauroit trop le laisser vieillir, ni le passer trop souvent à la claie après la première année, afin que la combinaison devienne parfaite. Le grand point est de rassembler beaucoup d’humus ou terre végétale, puisque c’est la seule qui fournit les matériaux de la séve, & dont est formée la charpente de la plante.

Il n’est pas toujours facile de se procurer ces divers engrais ; quelquefois on n’a pas le temps de les préparer, car ils ne sont utiles qu’autant qu’ils sont consommés & bien unis avec les molécules de la terre. Dans presque tous les cas, je préférerois des gazonnées prises dans les prairies dont on a parlé ci-dessus parce que le limon déposé par l’eau est une vraie terre végétale qu’elle a tenue en dissolution, & qui devient noire par l’addition des débris des plantes & des animaux. Voyez le mot Amendement, & le dernier chapitre du mot Agriculture, où sont détaillées très-au long les opérations de la nature, & les combinaisons qu’elle suit dans la préparation de la séve. Ces gazonnées amoncelées pendant un ou deux ans, & criblées quelques fois, sont à mon avis la meilleure terre pour les orangers.

Si on veut bien préparer les terres, on doit auparavant avoir ouvert des tranchées de deux à trois pieds de profondeur pour les recevoir. Lorsqu’elles sont remplies du mélange, on les recouvre, ou avec d’autre terre compacte, ou avec des gazons ou avec des planches, afin d’empêcher l’évaporation de leurs principes. Lorsqu’il s’agit de les cribler, on lève la couche supérieure, ensuite on passe tout le mélange, qui est remis dans la fosse avec les mêmes précautions que la première fois.

Lorsqu’il règne une longue sécheresse, ou bien lorsque les eaux pluviales ne peuvent pénétrer la couche supérieure, il faut de temps en temps, avec un bâton, ménager des trous qui pénètrent jusqu’au mélange, & y vider une quantité d’eau proportionnée à son volume. Sans humidité il n’y a point de fermentation, & sans fermentation, nulle décomposition, nulle combinaison nouvelle. Si au contraire la masse d’eau est trop considérable, la fermentation cesse aussitôt & ne se rétablit qu’autant que la chaleur augmente & que l’humidité superflue diminue. D’après de tels principes on voit clairement pourquoi les argiles & autres terres sont peu susceptibles de se recombiner & de s’approprier les autres substances auxquelles on les unit.

§. III. De l’encaissement. On a imaginé, pour le service des grandes orangeries, un expédient bien commode, lorsqu’il s’agit d’encaisser ou de décaisser les orangers. Qu’on se figure une échelle double, assez élevée pour surmonter de plusieurs pieds le sommet des branches de l’arbre, & formant un triangle assez évasé par le haut pour que ces mêmes branches ne touchent point les montans de l’échelle ; quatre perches réunies par le haut & assez élevées, produisent le même effet, & sont plus maniables que les échelles. On attache fortement au sommet une poulie, dans laquelle passe une corde dont le bout est terminé par un nœud coulant. On commence par ouvrir le nœud assez pour le faire passer tout autour des branches, & on le descend ensuite sur le tronc ; là on le serre, mais auparavant on a soin de faire glisser la corde entre les branches, de la fixer le plus qu’il est possible sur la perpendiculaire, enfin, de garnir avec de vieux chiffons la partie du tronc que le nœud doit embrasser. Des hommes prennent l’autre extrémité de la corde passée par la poulie, la tirent, & ils soulèvent l’arbre de manière que la base des racines soit au dessus de la partie supérieure de la caisse. Par ce moyen l’arbre reste suspendu ; l’on peut fort à son aise supprimer les racines superflues, & replacer la motte dans le milieu de la caisse.

Si on trouve ce moyen trop embarrassant, on peut décaisser un oranger avec un levier semblable à celui dont on se sert pour soulever les voitures, lorsqu’il s’agit d’en graisser les roues.

Lorsque l’on est privé du secours de l’une de ces machines, la nécessité oblige de coucher le pot ou la caisse, & de tirer l’arbre en dehors à force de bras ; mais comme la circonférence de la tête des orangers est ordinairement du double, ou du triple & même du quadruple de celle de la caisse, il arrive presque toujours que les branches froissées contre le sol, sont endommagées ou cariées. D’ailleurs, il est très-difficile de tourner l’arbre dans tous les sens, lorsqu’il s’agit de retrancher les racines superflues. Pour le rencaisser c’est encore un nouvel embarras, il faut multiplier les bras, on augmente la dépense & les accidens lorsque tous les travailleurs ne sont pas intelligens ; au lieu qu’avec le secours des machines, l’arbre se place de lui-même dans le milieu de la caisse & sur la ligne la plus perpendiculaire.

Plusieurs jardiniers placent dans le fond du pot ou de la caisse des graviers, ou des décombres à la hauteur d’un pouce ou deux dans la vue de donner issue aux eaux superflues des arrosemens, & par là d’empêcher la pourriture des racines. À la vérité cette méthode est bonne ; mais je me suis également bien trouvé de jeter dans ce fond une couche de deux pouces de fumier pailleux & bien serré.

Il y a deux manières de disposer la terre dans la caisse ; dans la première on bat la terre, on la serre le plus que l’on peut jusqu’à la hauteur sur laquelle doit reposer la motte de l’arbre. L’oranger mis en place, on ajoute de la terre tout autour, on la serre & on la bat de nouveau, jusqu’à ce que l’on soit parvenu à remplir le pot ou la caisse. Le but de cette opération est d’empêcher 1°. que l’eau des arrosemens ne pénètre trop promptement la terre, ne la délave & n’entraîne avec elle la graisse de la terre, l’humus ou terre végétale soluble dans l’eau ; 2°. que le tronc de l’arbre ne soit couché d’un côté ou d’un autre par les coups de vent.

Dans la seconde méthode on ne foule point la terre, mais on connoît jusqu’à quel point elle doit se tasser, alors on dispose la motte de manière que le collet des racines excède d’autant la superficie de la caisse ; & à mesure que la terre se tasse, l’arbre s’enfonce ; mais comme il reste un grand nombre de racines à découvert, on a le soin de garnir tout le pourtour de la caisse ou du pot avec de petits morceaux de planches, ou avec des briques ou des tuiles plates & minces, d’où résulte un encaissement que l’on remplit de terre. Au premier arrosement la terre se plombe & l’arbre descend ; enfin, après quelques jours il est aussi enfoncé qu’il doit l’être : alors on débarrasse la superficie de la caisse, de la masse de terre qui est devenue inutile.

Cette seconde méthode est à tous égards préférable à la première qui a été adoptée par le travailleur paresseux, afin d’arroser moins souvent mais beaucoup trop à la fois, comme on le dira ci-après.

IV. De la suppression des racines. La végétation de l’oranger & du citronnier est rapide, soit pour les branches soit pour les racines ; & ces dernières remplissent tellement la caisse la plus grande, qu’à la fin de la seconde année elles tapissent leurs parois intérieures ainsi que le fond. Les jardiniers donnent le nom de perruque à ces chevelus, parce qu’ils sont tellement entrelassés & placés si près les uns des autres, qu’ils semblent former un tissu de cheveux : cette surabondance de chevelus nécessite leur suppression à la fin de la seconde année.

La majeure partie des jardiniers ne laisse pas à la souche le diamètre d’un pied en tout sens, de manière qu’il ne reste, pour ainsi dire, que les chicots des grosses racines. Comme il ne reste plus de proportion entre les racines & la tête de l’arbre, on est forcé de serrer, de battre la terre tout autour du pied, afin qu’elle ne cède pas à la moindre agitation que le vent imprimera aux branches, & afin que le trône reste perpendiculaire. Un homme de bon sens concevra aisément que cette terre si fortement serrée équivaut à de l’argile, & que les nouvelles racines & chevelus que l’arbre va pousser, auront la plus grande peine à la pénétrer ; dès-lors la végétation des branches doit nécessairement languir pendant un temps considérable, d’où résulte la chute presque totale des feuilles, & la couleur pâle, jaune & souffrante des premières qui paroîtront.

Il vaut beaucoup mieux laisser plus de diamètre à la masse des racines, n’enlever & ne couper que les chevelus qui tapissent la caisse, & retrancher seulement les racines à trois ou quatre pouces. S’il se trouve de grosses racines, il est essentiel de ne pas les couper en bec de flûte, mais le plus net & le plus rond qu’il sera possible. Cette plaie se cicatrise & non pas celle en bec de flûte : sans cette précaution la pourriture fait de grands ravages. On dira peut-être qu’en laissant une telle étendue aux racines, il faudra chaque année décaisser les arbres, afin d’éviter le trop plein, & que c’est multiplier inutilement la dépense & les travaux. Si de cette opération il résultoit une plus ample récolte de fleurs & de fruits, si l’arbre se portoit & prospéroit beaucoup mieux, ne seroit-on pas amplement dédommagé de ses avances ? Mais cette dépense que l’on redoute n’est pas nécessaire. Il suffit, l’année d’après l’encaissement, de donner un demi encaissement, c’est-à-dire, sur tout le pourtour intérieur de la caisse, & sur une largeur de quatre pouces, d’en enlever la terre ainsi que les chevelus. On enfonce successivement le tranchant d’une bêche, on retire la terre pénétrée par les racines & qu’elle a coupées, & ainsi successivement sans en déranger le tronc. Ce travail renouvelle une bonne partie de la terre, & l’oranger ne s’aperçoit pas qu’on lui ait enlevé des chevelus qui ne lui sont plus d’aucun secours. Les chevelus placés entre les parois de la caisse & de la terre ne servent point, ou du moins très-peu à la nourriture de l’arbre, & ils absorbent inutilement une humidité nécessaire aux grosses racines. L’oranger profite pendant toute l’année de la bonification que l’on ajoute à l’ancienne terre.

V. De l’arrosement. Il est utile de répéter ici ce qui a déjà été dit au mot Arrosement, sur la qualité des eaux, sur leur degré de fraîcheur, & sur le temps auquel il convient d’arroser. Il suffit d’observer que l’on arrose trop à la fois, d’où il résulte plusieurs inconvéniens. Les grands lavages dissolvent l’humus, & l’entraînent, ce qui appauvrit considérablement la terre matrice. Les racines se trouvent pendant quelques jours environnées d’une eau surabondante, dans laquelle les matériaux de la séve se trouvent noyés, & celle qui est portée aux branches est trop aqueuse & trop délayée ; on peut s’en convaincre : si on cueille une orange mûre, on trouvera en la mangeant, qu’elle ne sent que l’eau ; la même observation a lieu lorsque des pluies continuelles ont trop abreuvé les feuilles & la terre. Il vaut beaucoup mieux donner chaque jour, (suivant le besoin ou le climat) de petits arrosemens capables de maintenir une légère humidité dans la terre, & rien de plus ; mais dans les pays méridionaux, l’oranger demande de larges & fréquentes irrigations. (Voyez ce mot)

On a coutume, dans presque tous les pays, de donner à chaque pied d’oranger, immédiatement après l’encaissement, ce qu’on nomme une lessive. Cette préparation varie ; & suivant le systême de chaque jardinier elle est plus ou moins surchargée. Elle consiste en général dans un mélange de crottin de cheval, de celui de mouton, de fiente de vache, de lie de vin, de salpêtre, &c. & de toute espèce d’assemblage ridicule qu’on imagine. Les plus sages se contentent d’avoir du fumier vieux, bien consommé, point éventé ; d’en jeter une quantité proportionnée au besoin dans un bassin, dans un creux, &c. de le remplir d’eau & de laisser le tout ainsi pendant plusieurs jours. La fermentation ne tarde pas à s’y établir, & lorsqu’elle s’est bien manifestée, on arrose les caisses avec cette lessive. L’opération est très-bonne en elle-même, mais dans ce cas elle est faite à contre-temps, puisque la terre des caisses est censée avoir déjà été préparée avec soin. Elle n’exige donc pas, dans ce moment, une surabondance de principes, sur-tout quand les racines n’ont pas encore travaillé : un arrosement avec de l’eau simple suffit. Si l’on emploie cette lessive un mois après, elle produira beaucoup plus d’effet, & réparera le commencement de la déperdition de principes que la terre aura déjà éprouvée : mais un moyen plus simple m’a toujours réussi, soit au centre, soit au midi du royaume ; tous les mois ou toutes les six semaines au plus tard, je fais enlever le fumier qui couvre la caisse, & il est suppléé par du crottin de cheval ou de mulet, encore frais, sur une épaisseur d’un bon pouce ; l’eau de l’arrosement en détache la partie soluble, & la porte à toutes les racines.

Plus on approche des provinces du midi, plus il est nécessaire d’entretenir une couche de fumier ou de débris de végétaux sur la surface de la caisse. La chaleur trop active excite une trop grande évaporation humide des principes de la terre, c’est donc un bien petit embarras que celui de renouveler cette couche.

VI. De la taille de l’oranger & de son ébourgeonnement. J’emprunte cet article tout entier de la Pratique du jardinage, de M. Roger de Schabol, & publiée par M. de la Villehervé. Ce que dit l’auteur vaut mieux que ce que je pourrois dire, c’est un hommage que je me plais à lui rendre.

§. I. De la taille. « Quelques-uns prétendent que la taille des orangers est très-difficile ; elle l’est comme celle des autres arbres, quand on ne s’y entend pas, & qu’on n’étudie point leur nature ni leur façon de pousser. On n’a pas à ce qu’il paroît, assez distingué dans le régime de l’oranger la taille proprement dite, & l’ébourgeonnement ; la première a pour objet la pousse précédente ; & le second la pousse actuelle ; toutes deux étant fort différentes, doivent être traitées différemment. »

» On demande s’il faut tailler les orangers en sortant de la serre, ou après qu’ils ont donné leurs fleurs, ou avant de les rentrer ? Chacune de ces époques a ses trois partisans. Ceux qui taillent après la fleur, & qui suppriment ou raccourcissent à mesure les pousses irrégulières, confondent la taille avec l’ébourgeonnement. Quelques-uns laissent aller les arbres à leur gré, & se contentent, pour éviter la difformité, de retrancher les branches mortes ou qui s’échappent. »

» Il est des particuliers qui taillent au printemps, & qui ébourgeonnent durant la pousse. Ils traitent les branches fructueuses des orangers comme celles des autres arbres, en allégeant les bois à fleur, & les conservant autant qu’il est possible, sauf à ravaler après la fleur, lors de l’ébourgeonnement, celles des branches à fruit qui pourroient faire difformité. Les partisans de cette méthode allèguent en sa faveur, le recouvrement le plus prompt alors des plaies faites aux arbres, & ils prétendent que leur vigueur, leur santé & leur accroissement en sont les suites. En convenant qu’elle est assujettissante, parce qu’il faut de quinzaine en quinzaine ébourgeonner les orangers, ils assimilent cette sujétion à celle qu’occasionnent nos espaliers pour lesquels on prend les mêmes soins. »

» La plupart de nos jardiniers taillent les orangers immédiatement après la fleur. Cette méthode a ses avantages & ses inconvéniens. La taille étant faite à la fin de juillet, vers le solstice d’été, qui est le temps de la plus grande pousse de ces arbres, la production du nouveau bois est aisée, & les bourgeons peuvent encore s’aoûter ; d’un autre côté, vous les obligez à faire de nouvelles pousses à la place de celles que vous leurs ôtez dans le temps où ils se sont comme épuisés à produire leurs fleurs. Si on ne leur supprimoit pas à la taille une aussi grande quantité de bourgeons, il est certain qu’ils auroient assez de force pour les nourrir, puisqu’ils en reproduisent un nombre équivalant à ceux qu’on leur a ôtés, & que la séve qui passe dans ceux-là, eût suffi pour substanter ceux-ci. Or, je demande pourquoi abattre ce que la plante ne manque pas de repousser ; ce qui lui est nécessaire, & ce qu’elle est elle-même forcée de reproduire, parce qu’elle ne peut pas s’en passer ? »

» Si au lieu de dépouiller, comme on fait, les orangers de tous leurs bois, on les ménageoit davantage, on en tireroit un meilleur parti. Tous les jardiniers taillent suivant leur goût particulier, sans principes, sans règles ; mais quelles sont les bonnes règles ? en voici un exposé succint. »

» Je commence par adopter la méthode de ceux qui taillent leurs arbres au sortir de la serre. Deux sortes de branches s’offrent d’abord, savoir des bois de la pousse précédente, & des bourgeons nés durant le séjour des orangers dans la serre. Les premiers se sont alongés, ou n’ayant pas eu le temps de se former en entier sont fluets, ou ont péri durant l’hiver ; la peau des seconds est flasque ou trop tendre, & ils ne résistent point au grand air. Il faut donc les receper ou rabattre à un bon œil, & la vraie saison est le printemps. En taillant ou supprimant alors quelques branches de vieux bois, mortes ou mourantes, l’arbre n’en poussera que mieux. »

» On taille encore toutes celles qui s’emportent, qui excèdent ou qui s’abaissent trop, celles dont l’extrémité est fluette, celles qui ayant poussé doubles ou triples, n’ont pas été éclaircies lors de l’ébourgeonnement, ou qui sont nées postérieurement à cette époque ; on les taille, dis-je, par-tout où se trouvent de bons yeux, & on les arrête dessus. Ces branches ainsi rapprochées, font éclore par la suite des bourgeons dont on se sert pour renouveler l’arbre. »

» Si l’on trouve qu’un oranger a poussé plus d’un côté que de l’autre, ou qu’il paroisse vouloir s’y jeter, en laisse au côté fougueux beaucoup de branches & de bourgeons, dussent-ils faire un peu confusion. Au contraire, on soulage amplement le côté foible ; par ce moyen le côté fort étant plus chargé, fait un emploi de séve plus considérable que si on le tenoit court. »

» L’oranger a une sorte d’inclination à pousser des branches longuettes, à larges feuilles, qui se rabattent horizontalement & tombent sur les inférieures. Beaucoup de branches fortes, dont les feuilles larges & épaisses abondent de sucs nourriciers, se renversent pareillement sur celles du dessous. On remédiera à ces inconvéniens en taillant court & les mettant sur un œil du dehors pour faire éclore des bourgeons montant perpendiculairement. »

» Une des perfections des orangers, outre leur figure ronde & régulière, est d’être également pleins par-tout. Il en est où se trouvent des vides causés par la mortalité ou par la fracture des branches. Comment réparer ces défauts ? Voici ce qu’un jardinier intelligent ne manque pas de faire. Le vide se rencontre dans le haut de l’arbre, dans son contour, ou dans le bas ; si c’est dans le haut, le jardinier prend deux petites baguettes qu’il attache en croix au milieu de la partie vide, & y amène les branches voisines. On remédie aux lacunes des contours, en attirant avec des osiers ou des joncs les branches les plus proches vers le côté défectueux. On fait la même chose dans le bas, où l’on force un peu avec un osier fort, & jamais avec du fil d’archal, les gros bois, pour les amener, de façon que les branchages se rapprochent par leur extrémité. »

» Il arrive encore à l’oranger de produire des branches fortes & bien nourries qui ne sont pas néanmoins des gourmands. Comme elles dérangent sa belle ordonnance, & que l’arbre est d’ailleurs suffisamment rempli, il faut les supprimer. Quantité de petits jets ont poussé en juillet & en août aux aisselles des branches fortes ; on a négligé de les ôter lors de l’ébourgeonnement ; & plusieurs ont grossi & se sont aoûtés (voyez ce mot) ; c’est encore à la taille qu’ils doivent être retranchés. »

» Les jardiniers, pour avoir plutôt fait, cassent ces jets : pratique vicieuse dont les suites sont de petites esquilles qui nuisent à l’œil voisin, font difformité & causent par la suite, en se séchant, une sorte de petit chancre. On aura l’année précédente laissé des gourmands ou des branches de faux bois à certains endroits garnis de bois mesquin : c’est au temps de la taille qu’on coupe ces derniers & qu’on se retranche sur les premiers. Il faut, autant que la régularité de l’arbre le permet, tailler un peu long ces sortes de bois, & les charger en leur conservant quelques-uns de leurs bourgeons du bas, sauf à les retailler en ravalant quand ils auront jeté leur feu.

» Quoique nous conseillons de faire prendre aux orangers cette forme de calotte ou de dôme qui plaît si généralement, néanmoins nous ne croyons pas qu’il faille sacrifier leur santé ni leur fécondité. L’utilité peut s’allier avec une certaine décoration. Nous connoissons beaucoup de jardiniers dont les arbres, sans être parfaitement symétrisés, ne sont point difformes, & qui leur rapportent par an des sommes considérables.

§. II. De l’ébourgeonnement. Les orangers font ordinairement éclore trois ou quatre bourgeons ensemble : c’est le plus droit, le mieux nourri, le mieux placé qu’il faut conserver. On les visitera une fois le mois, & vers le solstice d’été tous les quinze jours. Depuis la fin d’août jusqu’au temps où l’on les serre, l’ébourgeonnement n’a plus lieu. Quantité de jardiniers, & la Quintinie entr’autres, s’accordent à laisser croître la tête de leurs arbres de six pouces au pourtour pour chaque bourgeon de l’année, ce qui fait un pied de diamètre. Il s’en faut bien que cette règle soit suivie ; si elle l’étoit, on ne les verroit pas presque toujours les mêmes. De plus, si un oranger augmentoit chaque année dans cette proportion, sa tête, au bout de six ans, auroit une toise de plus dans son diamètre, ce qui en feroit trois de tour. Les orangers de Versailles, âgés de plus de cent ans, n’ont pas cent pieds de diamètre qui en feroient trois cens de tour. La cause de leurs progrès peu sensibles, doit être attribuée ou au défaut de conduite, ou aux événemens fâcheux, tels que les vents, la gelée & la grêle qui obligent de les rapprocher de temps à autre. Dailleurs, si tous les ans ils croissoient d’un pied de diamètre, quelle caisse les contiendroit, & quelle serre pourroit les recevoir ? »

» Nous avons parlé dans le paragraphe précédent de certains bourgeons qui se rabattent sur leurs inférieurs : voici comment on les ébourgeonne. Ou ils sont nécessaires dans la place qu’ils occupent, ou ils ne le sont point ; dans le premier cas on les conserve, mais on les empêche de se renverser en attachant en travers ou perpendiculairement une petite baguette aux branches voisines, qui leur sert de tuteur jusqu’à ce qu’ayant été aoûtés, ils aient pris leur pli. Dans le second cas on les supprime entièrement. Il peut arriver qu’il n’y ait qu’une partie de ces bourgeons d’utile pour la forme de l’arbre, ou pour remplacer quelque petite pousse voisine : on les raccourcit alors à trois ou quatre yeux en les faisant monter droit, & ces yeux font éclore de bons bourgeons dont par la suite on fait choix pour garnir l’arbre.

» Dans le fort de la pousse des orangers, au commencement de juillet, sur-tout lorsque les années sont humides, il paroît une multitude de petits faux bourgeons maigres, tendres & d’un vert pâle naissant. Ces branches folles qui poussent fréquemment des aisselles, des gourmands, peuvent se couper dès leur naissance avec l’ongle du pouce. Ce qui embarrasse le plus dans nos orangers, comme dans nos autres arbres fruitiers, ce sont les gourmands & les demi-gourmands. Il est des moyens sûrs d’en tirer de grands avantages & d’éviter les maux qu’ils peuvent occasionner. Ils deviennent très-précieux toutes les fois qu’ils sont placés avantageusement, c’est-à-dire qu’ils n’ont autour d’eux que du bois mesquin & des pousses chétives, ce qui les met en état de renouveler cette partie de l’arbre où ils ont pris naissance. Il y a pour lors deux moyens d’en faire usage ; le premier est de ne point trop laisser grandir ces gourmands, mais de les arrêter de bonne heure pour leur faire pousser des drageons capables de garnir la place. On les coupe à cet effet à moitié au-dessus d’un œil, d’où il arrive que plusieurs yeux dit bas s’ouvrent & font éclore des bourgeons. On les ravale ensuite sur un d’eux, & même sur le dernier : celui-ci s’alonge & a encore le temps de s’aoûter, & l’année suivante on taille dessus. Le second moyen est de supprimer ce bois frêle quand le gourmand est en état de suppléer, ce qui est du ressort de la taille.

» Faire une tête aux orangers n’est pas l’ouvrage d’une seule taille ni d’un seul ébourgeonnement. Il faut durant plusieurs années les redresser & les corriger, leur donnant l’essor du côté où ils poussent trop, & les tenant courts du côté foible, puis rabattant lors de la pousse la partie trop forte, & serrant fort près du haut pour leur procurer une figure ronde & régulière également par-tout. De même leur beauté consiste à être un peu haut montés, & à avoir une taille élégante, ce qu’ils acquièrent lorsque d’année en année on élague tantôt une branche & tantôt une autre ou plusieurs. J’ai vu des jardiniers qui, pour avoir plutôt fait, élaguaient tout à la fois leurs arbres dont ils faisoient par la tige, ce que l’on appelle, des manches à balai. »


CHAPITRE V.

De la conduite de l’oranger en pleine terre.


Cette culture en France doit tout à l’art, ou tout à la nature. Le premier triomphe dans les espaliers placés derrière de bons abris & par le secours de vitreaux, de tuyaux de chaleur, &c. ; & le second est l’effet de la situation : tels sont quelques cantons privilégiés de la basse Provence & du Roussillon. C’est un luxe assez déplacé que de vouloir braver la rigueur des hivers en multipliant les soins & les dépenses. Il ne faut qu’une seule nuit, qu’un seul jour ou qu’une seule inadvertance de la part du jardinier pour perdre le fruit d’un travail de longues années. On se fait honneur de la difficulté vaincue, lorsque l’entreprise réussit ; mais que cette gloriole est froide & passagère ! Combien peu elle dédommage de l’assujettissement journalier qu’elle exige !

La culture artificielle de l’oranger en pleine terre se réduit à deux points : à avoir des espaliers ou bien des orangers à hautes tiges. Les premiers sont plus aisés à conduire, puisqu’ils sont déjà bien abrités d’un côté par des murs ; il ne s’agit plus que de leur donner un toit & un mur factice sur le devant : tels sont les espaliers du château de la Chaise dont on a déjà parlé. À mesure que le froid augmente, on remplit l’espace avec des feuilles, & on redouble le feu dans les conduits de chaleur qui règnent d’un bout à l’autre. Dans les endroits où le froid est de cinq à six degrés au plus, ces conduits deviennent inutiles, pour peu que la toiture & les murs de face soient assez bien calfeutrés pour qu’il ne s’établisse aucun courant d’air. Les toits en bois sont préférables à ceux en paille, les eaux pluviales les pénètrent moins. Cependant, si la paille est arrangée avec autant de soin que l’est le chaume sur les maisons dans quelques provinces du Royaume, elle fournit alors la toiture la meilleure & contre le froid & contre les pluies. Les murs de face ne doivent être formés que par des planches dont la jointure est recouverte par une petite bande en bois. On glisse ces planches les unes après les autres dans la forte rainure ménagée dans la pièce de bois qui les fixe par le bas, & dans celle du haut qui supporte le toit, de la même manière qu’on ferme le devant d’une boutique par des planches qui glissent dans les coulisses. Dans le milieu sont deux montans qui se placent dans les mêmes coulisses, & qui sont assujettis par en haut & par en bas avec des chevilles de fer que l’on pose & que l’on enlève à volonté. Ces deux montans servent de support à la porte que l’on tient ouverte ou fermée suivant le besoin ; mais dans les provinces du midi, elle ne reste guères close plus de quinze jours à trois semaines pendant tout l’hiver. Si la crise passagère du froid devient très-rigoureuse, on recouvre ces planches avec de la paille ou avec des paillassons. Avant l’hiver on a eu soin de garnir toute la surface de la terre d’une bonne couche de fumier. Dans beaucoup d’endroits on se contente de couvrir les orangers avec de simples paillassons. Le coup d’œil agréable qu’offrent ces arbres, la récolte très-lucrative de leurs fleurs & de leurs fruits encore verts & petits, tout invite à multiplier leurs espaliers, puisqu’ils exigent si peu de soins & si peu de dépenses : mais dans les provinces du nord de semblables espaliers sont de purs objets de luxe qui rapportent très-peu, & qui ne conviennent qu’à des financiers ou à de très-grands seigneurs qui préfèrent la difficulté vaincue à un espalier d’arbres fruitiers ordinaires, bien plus productifs & plus analogues au climat.

La conduite des orangers est la même que celle des autres arbres pour la taille, l’ébourgeonnement, &c. ; mais ces arbres exigent une terre bonne, souvent renouvelée, & sur-tout bien fumée. Avant de les planter, on doit s’assurer de la profondeur de la couche végétale, reconnoître si elle est au moins de quatre pieds de diamètre, & sur-tout si elle ne repose pas sur une couche d’argile : cette dernière retient l’eau, & l’aquosité fait pourrir les racines. Il en est ainsi des fonds marécageux ou constamment trop humides.

Avant l’hiver, ainsi qu’il a déjà été dit, on couvre le sol d’une couche de fumier d’un à deux pouces d’épaisseur. Après l’hiver, c’est-à-dire au commencement de mars, ce fumier est enfoui par un fort binage, & lorsque la séve commence à être en mouvement, on donne une ample mouillure avec la lessive dont on a parlé. La multiplicité des racines de l’oranger, & sur-tout de ses chevelus, effrite beaucoup la terre, détruit le gluten qui donnoit du corps à ses molécules, enfin absorbe l’humus ou terre végétale, seule partie qui constitue la charpente des plantes. Il est donc essentiel de réparer ces pertes par la suppression de la terre usée & par l’addition d’une terre remplie des matériaux de la séve. Le même travail des orangers en caisse doit avoir lieu pour les espaliers, c’est-à-dire que tous les deux ou trois ans, on enlève, après l’hiver, la couche supérieure, & qu’on ouvre une tranchée à une certaine distance du pied de l’arbre, en ménageant soigneusement les racines que l’on trouve : on remplit, & on recouvre le tout avec de la terre préparée. Le plus grand défaut de tels espaliers bien conduits est de pousser une trop grande quantité de bois nouveaux, les citronniers sur-tout qui exigent beaucoup de connoissances & de pratique dans la personne qui est chargée de les entretenir. Un seul oranger peut facilement couvrir un mur de huit pieds de hauteur sur vingt à vingt-cinq de longueur, & c’est à tort qu’on n’espace ces arbres qu’à dix ou douze pieds, principalement les citronniers dont les pousses sont trois fois plus fortes que celles de l’oranger.

Quant aux orangers à haute tige, ou taillés en éventail, ou même en buisson, & qui restent toute l’année en pleine terre, on élève, pour les conserver, une charpente destinée à cet effet, & dont la longueur & la largeur sont proportionnées à l’espace qui demande à être recouverte. De grandes pierres plates sont, de distance en distance, enfoncées en terre, & dans le milieu sont pratiquées des ouvertures quarrées pour recevoir les pieds droits qui doivent supporter les pierres du toit, & recevoir les traverses des côtés. Chaque traverse est sillonnée par une forte rainure ou coulisse dans laquelle l’on fait glisser les planches de fermetures. Dans certains endroits, on supplée ces coulisses par des volets : cette méthode est plus sûre, parce qu’on est moins exposé à avoir des courans d’air, des planches déjetées, & qu’enfin on les ouvre & on les ferme plus commodément à volonté : on a soin de placer, de distance en distance, des vitraux, afin que la lumière du jour éclaire l’intérieur de cette orangerie. Cette précaution est essentielle, puisque, sans la lumière, les bourgeons s’étiolent, les feuilles jaunissent, & l’arbre souffre beaucoup. Si le besoin l’exige, on allume des poêles garnis d’une longue suite de tuyaux, afin de conserver plus long-temps la chaleur & économiser le bois. La saison décide du nombre de volets qui demandent à être ouverts ou fermés. Avec de semblables précautions, les arbres ne s’aperçoivent pas qu’ils sont transportés dans des climats qui leur sont presqu’étrangers. Lorsqu’on ne redoute plus les gelées, toute cette charpente est démontée aussi facilement qu’elle avoit été mise en place, puisque chaque pièce de bois n’est assujettie que par des clavettes ; & chaque pièce est transportée sous un hangard, pour y rester pendant la belle saison. Chacun peut aisément imaginer de semblables serres, & les faire construire avec les matériaux les moins chers du pays.

Aux îles d’Hières, à Grâce, à Nice, en Espagne, en Italie & en Corse, ces soins sont inutiles. La douceur du climat pendant l’hiver dispense des soins qu’on est forcé ailleurs de prodiguer aux végétaux étrangers ; l’oranger y végète, y croît comme nos arbres fruitiers : il s’y élèveroit fort haut si on le lui permettoit, mais comme on le cultive pour en récolter les fleurs, les fruits, encore jeunes ou à leur parfaite maturité, on est forcé d’arrêter leurs tiges à une certaine hauteur. Cet arbre exige dans ce pays comme ailleurs, beaucoup d’engrais, & qu’on travaille la circonférence du pied de l’arbre. Les Génois viennent jusqu’en Languedoc acheter la colombine. Les orangers plantés dans des caisses exigent de fréquens arrosemens : il n’en est pas tout-à-fait ainsi de ceux qui sont en pleine terre, parce que leurs racines trouvent assez de place pour s’étendre, pour plonger & aller pomper au loin l’humidité : malgré cela des irrigations copieuses & faites à propos leur sont d’une grande utilité. J’ai vu des baies de citronniers semblables à celles qui ferment les héritages, qui quoique non arrosées étoient cependant chargées de fruits. Il faut, il est vrai, convenir que le suc de leurs fruits citrons étoit trop acide, parce que les arbres avoient manqué d’eau.

L’oranger livré à lui-même n’exige pas d’autres soins que nos arbres fruitiers à plein vent ; il suit, comme eux, les loix de la nature, & n’a presque aucun besoin de la main de l’homme. Retrancher la sommité des bourgeons qui périt quelquefois, supprimer les branches mortes lorsqu’il s’en trouve, élaguer de temps à autre, les branches chiffonnes ou de l’intérieur, voilà tout ce que cet arbre demande.


CHAPITRE VI

Des fleurs & des fruits de l’oranger.


J’emprunte encore de l’Ouvrage cité plus haut cet article si conforme au climat de Paris & des provinces voisines, mais qui ne l’est point à celui des pays méridionaux où l’arbre n’est pas contrarié dans sa végétation. Cependant on feroit bien d’y approprier quelques pratiques indiquées par l’auteur. Nous empruntons ses propres paroles : « On distingue trois sortes de branches sur l’oranger, celles à bois, celles à fruit, & celles a bois & à fruit tout ensemble ; les unes de vieux bois, & les autres de la pousse de l’année précédente. C’est vers le 11 de Juin (climat de Paris) que les fleurs des orangers commencent reparoître, puis elles croissent de jour en jour ; quelques-uns donnent des fleurs dans la serre même, & d’autres les y font éclore. Ces fleurs précoces, ordinairement petites & fort maigres, tombent sans parvenir à leur grosseur ; elles indiquent dans les sujets un dérangement mécanique, d’où je conclus qu’ils doivent être médicamentés, taillés souvent, & déchargés de fleurs ».

» Les premières qui croissent dans l’ordre de la nature, sont celles qui prennent naissance sur le vieux bois ; on les connoît aisément : au lieu de pousser une à une, ou deux à deux ensemble, elles sont groupées & entassées ; elles s’entrepoussent, & tombent fréquemment ; leur multiplicité les empêche de grossir, & elles nouent rarement. Ceux qui, autour de Paris, font un commerce de fleurs pour les bouquets, tirent de celles-ci un grand profit ; mais les curieux orangistes les jettent bas, & prétendent qu’elles épuisent les arbres. Quant aux fleurs des branches de la pousse dernière, elles sont grosses, longues, bien nourries, & plus communément placées aux extrémités que dans le bas : c’est une des raisons qui empêche beaucoup de gens de tailler les orangers au printemps après leur sortie de la serre. »

» Il n’y a point de règles certaines pour la quantité plus ou moins grande de fleurs à laisser sur les orangers. Tout arbre fort qui n’aura pas été épuisé par la soustraction annuelle de son bois, ne peut pas trop porter de fleurs ; mais à celui qui est fatigué, il ne faut point en laisser. On demande en quelle quantité elles doivent rester sur les arbres pour nouer & devenir oranges ? Voici mon sentiment que je soumets au jugement des personnes dégagées de toute prévention. Je ne puis voir, sans douleur, la quantité prodigieuse de branches qu’on abat tous les ans sur des orangers dont on fait autant de squelettes, pour leur faire pousser de nouveau bois qui aura son tour l’année suivante. Cette foule de bourgeons est jetée bas en pure perte pour l’arbre : on ne peut pas dire qu’ils soient mauvais, ni que ceux qui les remplaceront puissent être meilleurs. En vain me répondra-t-on que c’est pour rapprocher l’oranger, de peur qu’il ne s’emporte & ne s’étende trop. Voici un moyen plus efficace, & qui ne violente pas du moins la nature. »

» On convient qu’un arbre vigoureux qui ne se porte point à fruit, ne peut faire que des pousses fongueuses, mais que dès qu’il s’y met, il devient sage : ainsi donc au lieu de réduire les orangers presqu’à rien, on doit leur faire porter assez amplement de fruits pour consommer la séve : cela ne revient-il pas au même ? on aura du moins un profit réel. Pourquoi la plupart de nos oranges arrivent-elles rarement à maturité, sont-elles dépourvues de goût, petites, sèches & rabougries ? c’est parce qu’elles prennent naissance sur des arbres qu’on altère dans le principe, dont on dérange le mécanisme par des coupes réitérées, & dont on détruit l’organisation par des encaissemens meurtriers, en coupant les racines, principe de toute végétation. Toutes ces mutilations enlèvent à l’arbre sa substance, & opèrent le même effet que des saignées fréquentes faites à un homme jeune & robuste. Lorsque cet arbre n’épanchera plus sa séve dans des bourgeons dont on le prive incessamment, que ses racines ne seront plus à l’air, qu’on ne le laissera plus manquer d’eau ; il poussera sagement, & ses fruits, venus dans l’ordre de la nature, mûriront & auront suffisamment de goût, autant que nos muscats blancs & violets, nos figues, nos melons, nos grenades, quoique leur goût soit inférieur à celui qu’ont ces fruits dans leur pays natal. »

» C’est à l’âge, à la force, à la santé des arbres, & à diverses circonstances qui décident de leur état, à régler la quantité d’oranges qu’ils peuvent nourrir ; je crois qu’on doit la proportionner à celle du bois que tous les ans on a coutume de leur ôter. Ainsi, par exemple, je suppose que la suppression que je fais annuellement des pousses d’un oranger, puisse équivaloir à une trentaine d’oranges, je lui en laisse ce nombre ; si je crois que c’est trop, ou pas assez, je me réforme. Ces fleurs doivent être laissées dans le bas des branches, près de l’endroit où est la jonction, & non dans le centre de l’arbre où le fruit seroit trop ombragé, non plus qu’à l’extrémité des branches où son poids pourroit occasionner leur fracture lorsque le vent les agite. L’oranger ayant beaucoup de disposition à jeter ses oranges toutes nouées, il faut lui en laisser nouer plus que moins, sauf à le décharger si le nombre se trouve trop grand. On conserve encore les fleurs les plus alongées, qui ont la queue la plus grosse, & qui se portent vers le haut. »

» On cueillera tous les jours la fleur d’orange lorsqu’elle sera fermée encore, mais prête à s’ouvrir ; l’après-midi, sur les cinq ou six heures, quand le soleil commencera à passer, jamais durant ni immédiatement après la pluie. On observera de ne point tirer ni casser, mais avec l’ongle du pouce, de détacher en coupant & en la prenant dans son pédicule. Il n’est pas besoin de recommander qu’en transportant l’échelle double, on doit veiller à ne point offenser les branches. »

» À l’égard des oranges, depuis le temps oh elles nouent jusqu’à celui de leur maturité, elles sont ordinairement sur les arbres durant quinze mois. C’est une des raisons pour lesquelles leurs feuilles se conservent plus long-temps & ne tombent point toutes à la fois ; elles ont toujours à travailler pour ces fruits : leur séjour prouve encore que, par leur ministère & les fonctions qu’elles sont chargées de remplir envers les arbres, elles préparent & digèrent la séve. La Quintinye prétend que les feuilles des orangers les plus vigoureux sont trois ou quatre ans attachées à la branche, & qu’aux autres elles ne restent pas plus d’un à deux ans. Je puis assurer au contraire, que chaque feuille tombe à peu près dans le cours de l’année, à compter du jour de sa naissance. Lorsqu’on voit les oranges à leur grosseur, vers le temps que j’ai indiqué, on les tire foiblement ; si elles se détachent, c’est un signe qu’elles sont à leur point de maturité ; si elles résistent, on les laisse sur l’arbre. »

L’oranger est pour les pays méridionaux ce que les arbres fruitiers & à plein vent sont pour la France, on ne regarde pas de si près à leur fleuraison & à leur fructification. La récolte des fleurs est un objet considérable ; on les confit & on les distille, pour en obtenir ce qu’on appelle l’eau de fleur d’orange, & dont il se fait une très-grande consommation. Cette récolte ne permet pas de laisser nouer un trop grand nombre de fleurs. On confit également les petites oranges, & par la cueillette qu’on en fait, on ne laisse sur l’arbre, pour mûrir, qu’une quantité déterminée par le coup d’œil ; moins on en laisse, & plus l’orange devient belle. Cependant il en est de ce fruit comme des poires, des pommes, &c ; sa grosseur dépend beaucoup de la qualité de l’arbre & de celle de sa greffe : on a beau multiplier les soins, les engrais, &c., les fruits grossiront un peu plus à la vérité ; mais ils ne seront jamais annuellement bien beaux. Si dans ces pays on attendoit la maturité complette du fruit, on seroit forcé de le consommer sur les lieux mêmes, & il ne pourroit pas soutenir le transport sans pourrir : on est donc forcé de le cueillir long-temps avant sa maturité & avant l’hiver, comme nous récoltons les pommes de calville, de reinette, &c. ; il mûrit sur des tablettes ou dans les caisses que l’on expédie.


CHAPITRE VII.

Des maladies de l’oranger & de ses ennemis.


Ses maladies sont, pour l’ordinaire, une suite de l’éducation forcée que l’on est obligé de suivre, afin de conserver cet arbre dans un climat si différent du sien ; elles sont moins fréquentes, moins graves & moins multipliées, à mesure qu’il approche d’un pays semblable à celui où la nature l’avoit placé : on ne les connoît pas en Chine, en Amérique ; elles sont rares en Espagne, un peu plus communes en Italie & très-fréquentes en France. Dans les pays méridionaux de l’Europe, la gomme & la jaunisse sont à peu près les seuls maux auxquels l’oranger est sujet. Le premier est dû à une transition trop forte du chaud au froid : quand la séve commence à être en mouvement, le froid fait refluer la matière de la transpiration dans la masse de la séve, la partie affectée devient livide, ensuite brune, & la gomme la recouvre. Ce mucilage produit sur l’oranger les mêmes ravages que sur nos arbres fruitiers à noyaux. (Consultez le mot Gomme, & les moyens d’en prévenir les suites dangereuses) Ces froids inattendus brûlent quelquefois la sommité des bourgeons qui ne sont pas encore bien aoûtés, & même une partie de la sommité de ceux qui sont plus nouvellement aoûtés : supprimer la partie morte & tailler jusqu’au vif, est alors le seul remède. La couleur pâle & livide des feuilles dépend ou du peu de nourriture que les nombreux chevelus des racines trouvent dans une terre épuisée, ou du défaut d’irrigation, ou enfin d’une surabondance d’eau pluviale ou d’arrosement, sur-tout lorsque la couche de terre inférieure est argileuse.

Ces mêmes maladies se manifestent en France ; cependant on y voit très-rarement la gomme en nature ; Les mêmes marques subsistent, & sont la cause de grands dégâts si on n’y remédie par l’amputation jusqu’au vif. Sans cette précaution les chancres, & la pourriture gagneront insensiblement toute la branche. Il est inutile de répéter que chaque plaie, que chaque coupure doit être recouverte avec l’onguent de saint Fiacre.

Outre les causes déjà indiquées de la jaunisse, la mutilation forcée des chevelus & des racines, lors de l’encaissement & du décaissement, y contribue beaucoup. En effet, comment peut-on concevoir qu’un oranger à haute tige, & dont la tête a six ou huit pieds de diamètre, puisse recevoir une nourriture proportionnée à ses besoins, par un bloc de tronçons de racines qui a un pied ou tout au plus dix-huit pouces de diamètre, & qui est placé dans une terre surchargée d’eau ! Le gros soleil que l’arbre éprouve en sortant de l’orangerie contribue encore à la jaunisse : les feuilles sont devenues tendres pendant l’hiver, elles ont peu joui de la lumière, & le trop grand jour les affecte ; mais cette jaunisse est passagère & de peu de durée ; dès qu’elles sont accoutumées au plein air, elles reprennent promptement la couleur qui leur est naturelle. La jaunisse est encore quelquefois la suite d’une taille trop souvent réitérée qui détourne inutilement le cours de la séve. Une ou plusieurs de ces causes réunies font souvent perdre à l’arbre toutes ses feuilles. Si c’est par défaut de nourriture, on doit lui donner une nouvelle terre bien préparée, & de temps à autre une lessive, afin qu’il ait la force de réparer la perte qu’il vient de faire.

La brûlure provient encore quelque-fois, sur-tout dans les provinces du midi, de fortes rosées ou de petits-brouillards qui paroissent dans le courant de juin, & qui sont tout à coup dissipés par un soleil violent. On est sûr alors que le vent du midi veut chasser le vent du nord, & que dans la journée même le premier triomphera des efforts de son antagoniste : les pointes tendres des bourgeons en sont également affectées. On doit laisser tomber les feuilles d’elles-mêmes, c’est l’affaire de quelques jours, & supprimer les extrémités des bourgeons qui sont desséchées. Les feuilles & les pousses des citronniers, plus délicates que celles de l’oranger, sont communément les plus maltraitées. Si la rosée ou le brouillard sont légers & le coup de soleil moins chaud, alors l’arbre est exempt de brûlure & tout le mal se réduit à une espèce de rouille sur les feuilles, qui n’est réellement dangereuse que lorsqu’elle est trop multipliée.

Les chancres s’annoncent sur les branches & sur les bourgeons ; on doit les traiter comme la gomme ainsi qu’il a été dit plus haut.

La gale n’attaque point les orangers plantés en pleine terre. Sur ceux encaissés, elle provient sans doute ou du défaut de préparation de la terre, ou d’une séve viciée qui s’extravase, ou de tel autre cause que je ne connois pas. Le remède consiste à frotter les branches avec un bouchon de paille ou avec une brosse à poils rudes, afin d’enlever les boutons galeux, & à passer légèrement par dessus un peu d’onguent de saint Fiacre que l’on détache aussitôt après qu’on le juge inutile.

Les galle-insectes, (voyez ce mot) dont la multiplication est excessive, sont les plus cruels ennemis des orangers. Ces insectes passent l’hiver sur les pousses & sous les feuilles de l’année ; ils y sont attachés & paroissent immobiles. Lorsque l’oranger est sorti de la serre, la chaleur du soleil tire ces insectes de leur engourdissement, ils quittent leur ancienne demeure & peu à peu gagnent les nouveaux bourgeons & les jeunes feuilles. Là, par des piqûres multipliées, ils occasionnent une grande déperdition de séve dont ils se nourrissent, & la fourmi toujours en quête ne tarde pas à appeler ses compagnes. Il résulte de l’extravasions de la séve, de la multiplicité des insectes & de celle de leurs excrémens, que les branches & les feuilles paroissent être couvertes d’une poussière noire qui s’oppose à la transpiration des humeurs superflues de l’arbre, & dérange d’une manière marquée le cours de la séve. Je ne répéterai pas ici ce qui a été dit au mot galle-insecte, sur la manière de débarrasser l’arbre de ces parasites dangereux, j’insiste seulement sur l’usage de frotter le tronc, les branches & les feuilles avez une brosse souvent trempée dans du vinaigre très-fort ; c’est le seul moyen de détacher les galle-insectes & de les faire mourir. Plusieurs auteurs blâment l’usage du vinaigre, est-ce parce qu’il a une odeur vive & pénétrante ? Mais elle ne nuit pas à l’arbre. Dira-t-on que le vinaigre bouche les pores de l’écorce, qu’il les resserre ? Mais rien n’empêche de laver ensuite le tout à grande eau, & cette espèce de courant entraînera le gluten du vinaigre & les cadavres des insectes, ainsi que les débris de leurs excrémens. Le vinaigre tue également la galle-insecte, le kermès, les cantharides, &c. Si on excepte les liqueurs acides, je doute qu’on en trouvât d’autres qui pussent les remplacer ; je réponds, d’après mon expérience, de l’efficacité de ce moyen ; l’opération est longue à la vérité, puisqu’il faut passer au vinaigre les feuilles & les branches les unes après les autres. Si on en connoît un plus prompt & plus efficace, je prie de me le communiquer. La galle-insecte est en général plus connue sous la dénomination impropre de punaise. Quand l’arbre sera entièrement débarrassé des galle-insectes & de leurs œufs, on est assuré que les fourmis n’accourront plus pour butiner, (voy. ce mot) ; ce n’est pas l’opinion de plusieurs auteurs, mais S’ils prenoient la peine de bien examiner, ils verroient que les fourmis n’accourent que lorsqu’il y a extravasation de séve. Cependant les galle-insectes ne sont pas la cause unique de cette extravasation ; souvent des pucerons s’attachent au sommet des bourgeons, les piquent afin d’en tirer leur nourriture ; alors les fourmis accourent & profitent des restes de l’extravasation. Plusieurs rangs d’épis de blé barbus, la pointe des barbes en bas & attachée tout autour du tronc de l’arbre, empêchent la fourmi de parvenir à son sommet. Alors le mal est moins considérable, mais il l’est toujours assez. Ceindre le pied des caisses avec des terrines que l’on tient continuellement pleines d’eau, est encore un moyen excellent contre les fourmis, non seulement pour garantir la tête de l’arbre de leurs excursions, mais encore pour les empêcher d’établir leur domicile dans la terre même de la caisse. À force d’aller, de venir, de fouiller, de creuser des galeries, elles mettent des racines à découvert, facilitent des issues trop libres à l’eau des arrosemens ; en un mot, l’arbre périt, si on ne détruit cette cause du mal. Le premier expédient est de changer la caisse de place, & de la laisser ainsi pendant plusieurs jours ; d’enlever autant de terre que l’on pourra de la caisse, de lui donner une nouvelle terre, de répéter cette opération pendant plusieurs jours de suite. À la fin, les fourmis se sentant sans cesse tracassées, prennent leur parti & abandonnent une retraite où elles ne sont plus en sûreté. Pendant cet intervalle on met du fumier frais sur la place que la caisse avoit occupé, ou on fouille la terre à un pied de profondeur ; la fouille est renouvelée chaque jour, & est chaque jour fortement arrosée ; alors la fourmi ne trouvant plus une libre issue à travers cette terre pâteuse, en établit ailleurs de nouvelles. Si la caisse est portée par une dale ou large pierre quarrée, il faut lever cette pierre, & on trouvera par dessous les principales entrées des galeries de fourmis, & même le dépôt de leurs œufs.


CHAPITRE VIII.

Du temps auquel on doit enfermer les orangers, & de leur conduite dans la serre.


Dans les provinces un peu montagneuses, & même dans les plaines qui sont à quelques lieues de là, & qui sont abritées par des chaînes de montagnes éloignées, on est souvent forcé de fermer les orangers plutôt qu’on ne le voudroit, pour éviter les petites gelées trop fréquentes à la fin du mois d’octobre, ou au commencement de novembre. Ces gelées sont quelquefois assez fortes pour endommager la partie encore trop tendre des jeunes branches. Le terme à peu près de ces gelées est de quatre à sept jours. Si on est assez heureux pour ne pas les endurer, on ne doit pas se presser de rentrer les orangers, parce qu’ils pourront sans risque rester un mois entier exposés à l’air où ils seront mieux que dans l’orangerie, sur-tout si la température de l’atmosphère se soutient de six à huit & à dix degrés de chaleur au thermomètre de Réaumur. Dans la partie des provinces du midi, qui n’est pas assez chaude pour la culture des orangers en pleine terre, il arrive souvent qu’on peut les laisser dehors jusqu’au mois de janvier. Alors les arbres souffrent peu pendant les trois mois qu’ils ont à rester dans l’orangerie.

Plus on approche du nord & plus leur rentrée doit être accélérée, autant pour les garantir du froid que des pluies continuelles : car il est important de ne leur donner l’orangerie que lorsqu’il fait beau. Si leurs feuilles, leurs branches, leur terre même sont mouillées, la chancissure est à craindre, principalement si le froid oblige, aussitôt après, de tenir les portes & les fenêtres fermées. Dans ce cas, il n’existe plus de courant d’air capable d’enlever & de dissiper une humidité superflue & nuisible. On doit conclure de ces principes, que c’est la saison plutôt qu’aucune époque fixe qui prescrit le véritable moment de fermer les orangers.

Lorsque l’on place les arbres dans l’orangerie, il est essentiel qu’il règne un intervalle d’une tête à une autre, afin d’établir un courant d’air tout autour, & afin que le jardinier puisse, monté sur son échelle, tourner & nettoyer ces têtes pendant le séjour des arbres dans orangerie.

Les arrosemens doivent être légers, parce qu’alors il y a peu d’évaporation de l’humidité & peu de déperdition de séve. Si le jardinier aime ses arbres, il profitera du long repos de l’hiver, & du temps qu’il ne gèle pas, pour débarrasser les orangers des galle-insectes qui sont engourdis, des œufs de puceron, enfin des autres immondices qui salissent les branches ou les feuilles de ces arbres.

À l’approche du froid, il fermera les portes & les fenêtres, calfeutrera, avec de la filasse, leurs fentes, de manière qu’il ne n’introduise aucun vent coulis très-dangereux à l’arbre contre lequel se porte sa direction ; enfin il préparera les poêles, examinant si leurs tuyaux sont en bon état & s’ils ne donneront point de fumée.

Il ne s’agit pas d’exciter une forte chaleur dans l’orangerie, mais d’y maintenir une température de huit à dix degrés ; un thermomètre placé pour l’indiquer, servira de règle au jardinier. Pendant les gelées, lorsque le froid est long & rigoureux, l’air ne peut pas être renouvelé dans l’orangerie ; il se vicie, il se dessèche par l’action du feu : on y remédiera en plaçant sur les poêles des terrines remplies d’eau, & en proportion des besoins ; l’eau qui s’évapore rend à l’atmosphère de l’orangerie une humidité, qui est pompée par les feuilles, qui les nourrit, & qui perpétue leur fraîcheur. J’ai vu conserver, par ce moyen, les feuilles des citronniers qui tombent quelquefois très-facilement.

Des auteurs conseillent de suppléer les poêles par des lampes allumées ; ils n’ont pas fait attention que la lumière de ces lampes rend l’air fixe (voyez ce mot) ou méphitique, & que quoiqu’une des grandes propriétés des arbres soit d’absorber cet air fixe, les orangers ainsi renfermée ne sont pas dans le cas d’épurer l’air, parce que leur végétation est, pour ainsi dire, suspendue, & qu’elle ne peut agir que très-foiblement sur une grande quantité d’air vicié, & qui ne se renouvelle point. Le feu du poêle au contraire attire l’air intérieur de l’orangerie, il le chasse au loin à l’aide de ses tuyaux, & le purifie ; à la vérité il le rendoit un peu trop sec sans la précaution des terrines.

Il est essentiel, aussitôt que les froids sont passés, & que le temps est beau, d’ouvrir les portes & les fenêtres afin de renouveler l’air. Le thermomètre de Réaumur servira de règle au jardinier. Comme les orangeries sont toujours exposées au plein midi & bien abritées du nord, pour peu que le soleil paroisse, la chaleur y deviendra assez forte ; mais dans la crainte que la température ne devienne plus froide la nuit, on aura soin, chaque soir, de les enfermer, à moins qu’on ne soit presque sûr qu’il n’y ait rien à craindre.