Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 395-411).


HAIE, clôture des champs, des vignes, &c., faite avec des arbres, des arbustes communément épineux & quelquefois sans épines.

Tout propriétaire a le droit naturel de clorre de haies ses héritages, excepté dans les capitaineries à cause des chasses, & cependant ce seroit le cas de les clorre plus que par-tout ailleurs, s’il y a des cerfs & des biches, &c.

Les droits coutumiers varient suivant les Provinces. Il est cependant reconnu que dix-huit pouces de distance de l’héritage voisin, suffisent pour planter une haie d’épine blanche ou d’aubépine. Cette distance n’est pas suffisante pour les haies formées avec des ronces, parce que les ronces tracent entre deux terres & gagnent promptement le champ voisin. Le propriétaire limitrophe peut forcer son voisin à couper des branches de la haie qui excèdent ses limites.

Une haie plantée sur un fossé appartient au propriétaire du fossé. Si la haie & le fossé sont en tel état qu’on ne puisse distinguer à qui ils appartiennent, ils doivent être adjugés aux propriétaires qui ont le plus besoin de clôture ; car s’ils sont entre une terre que l’on sème & une vigne, la présomption est qu’ils appartiennent au propriétaire de la vigne à qui la clôture est plus nécessaire qu’au champ ; il en est de même d’une haie plantée entre une terre & un pré, le pré étant exposé à la pâture du bétail, s’il n’est pas clos. Si la haie se trouve entre deux fonds qui aient également besoin de clôture, elle doit être réputée mitoyenne. Cette manière de décider la propriété ne peut pas avoir lieu dans les pays cadastrés où l’étendue des héritages est fixée & stipulée d’après un arpentage légal & inscrit sur les registres du cadastre. Dans le cas de discussion, un nouvel arpentage, fait volontairement par les deux parties, fixe la contenance de chaque particulier, & décide la question. Si on plante une haie morte, on peut la placer sur la lisière du champ.

Il est défendu aux propriétaires des héritages aboutissans aux rivières navigables, de planter des arbres & faire des clôtures ou haies, plus près de trente pieds du côté du tirage des bateaux, & de dix pieds de l’autre côté.

On appelle haie vive celle formée avec des plants enracinés & qui végètent ; haie morte, celle construite avec des pieux ou avec des bois épineux morts.

Je n’insisterai pas ici sur la nécessité & les avantages des haies, ils sont démontrés au mot clôture ; (consultez ce mot, il est essentiel à l’article présent), & je ne vais parler que des haies défensives.


CHAPITRE PREMIER.

Des Arbres et Arbustes propres à la formation des Haies.


Tout arbre, en général, peut servir à cet usage si on sait conduire à propos ses branches latérales & supprimer tout canal direct de la sève, c’est-à-dire, toute branche qui monte perpendiculairement. Peu d’arbres font exception à cette loi. Les uns cependant sont très-difficiles à gouverner, parce que l’état ravalé des haies nuit à leur végétation : ils languissent, rabougrissent & meurent. Ceux qui ont une tendance décidée à s’élever perpendiculairement, & qui souffrent avec peine la suppression de leur tête, ne seront vraiment utiles qu’entre les mains du cultivateur qui ne négligera aucuns soins pour la plantation de la haie & pour son entretien.

Je dois insister sur l’article des haies, puisqu’il est démontré qu’un champ circonscrit est plus productif qu’un champ ouvert. (Voyez le mot clôture). Il est également démontré qu’une haie située entre deux terres labourées, qui n’aura, par exemple, qu’un pied d’épaisseur par le bas & dix-huit pieds de longueur, donnera autant de bois qu’un taillis de même bois qui auroit dix-huit pieds en quarré. Quel sera donc le bénéfice, outre celui de clôture, si ces haies sont rendues productives comme il sera dit dans la suite. Boisez vos domaines, vos métairies ; je ne cesserai de le répéter. La majeure partie du Royaume est à la veille de manquer de bois. Celui des haies économisera les forestiers ; & c’est en ce moment la meilleure spéculation d’agriculture à laquelle les grands propriétaires doivent se livrer.

Il n’est pas possible d’élever dans tout le Royaume l’aubépine, le prunelier, (voyez ces mots) qui forment des clôtures plus défensives que les murs mêmes ; il faut donc établir un assez grand nombre de généralités pratiques pour que chaque canton adopte la méthode qui sera la plus avantageuse. Il est inutile de parler des haies mortes ; tout le monde les connoît & sait les construire.

Section première.

Des arbres ou arbustes non épineux, proposés pour exemple.

S’il ne s’agit que de se clorre, que d’empêcher les hommes & les animaux d’entrer dans nos possessions, il n’y a pas à balancer, les haies fruitières sont préférables à toutes les autres, puisqu’elles sont utiles & comme clôture & comme productives ; celles faites avec des arbres & des arbustes sans fruits mangeables, sont simplement des haies défensives, dont le feuillage de quelques-unes peut cependant servir de nourriture d’hiver aux bestiaux.

§. I. Des Haies fruitières.

J’appelle de ce nom, celles plantées en pommiers, poiriers, coignassiers, néfliers, sorbiers, pruniers & même abricotiers ; le pêcher & le cerisier me paroissent peu propres à cette destination. La gomme, la cloque, le blanc, épuisent trop promptement le premier, il n’est pas assez vigoureux pour se prêter à ce qu’on exigeroit de lui ; enfin, son éducation, confiée à des mains peu exercées, sera mauvaise, & sa courte existence dégoûtera bientôt de son emploi dans les haies. Le cerisier, quoique indigène à la France, a conservé un certain caractère sauvage qui lui fait supporter impatiemment la taille & les espèces de greffes que les haies demandent, & dont on parlera dans le Chapitre suivant.

Le noyer jouit du triple mérite de bien clorre, de donner du fruit & d’avoir des feuilles que les troupeaux respectent.

L’amandier fait de bonnes haies si on sait les conduire, & si on empêche le plant de s’élever perpendiculairement, & par conséquent de se dépouiller des petites branches par le bas.

Le noisetier, quoique très-facile à manier en apparence, ne l’est que par des soins assidus, parce qu’il pousse sans cesse des rejets de ses racines, & ses nouvelles tiges épuisent les anciennes, dès qu’elles sont parvenues à une certaine élévation, à moins qu’on ait eu l’attention ou de les supprimer, ou de les croiser avec les autres, & en cas de besoin de s’en servir pour les suppléer lors de leur caducité.

Le coignassier est un arbre excellent, il se prête à toutes les formes, & se garnit supérieurement.

Règle générale, en fait de fruits à noyaux, les pruniers de race vigoureuse, & qui se chargent naturellement de gros & bon bois, sont à préférer à tous les autres ; l’abricotier vient ensuite, surtout pour les provinces méridionales, ainsi que l’amandier ; tous arbres à fruits à pépins qui végètent avec force, sont utiles, & forment d’excellentes haies.

Il me semble voir la surprise de mon lecteur, & l’entendre critiquer ces assertions. Qu’il daigne ne pas me condamner sans m’entendre, & qu’il ne se hâte pas de prononcer avant que, des expériences bien faites l’aient mis dans le cas de juger avec connoissance de cause.

Deux objections assez plausibles se présentent naturellement contre de telles haies : elles seront broutées par les troupeaux, & on volera leurs fruits. Les troupeaux sont ou au propriétaire du champ, ou ils appartiennent à des étrangers ; dans le premier cas, rendez les bergers & les pâtres responsables des dégâts, & retenez-en la valeur sur leurs gages ; une fois punis de la sorte, ils seront plus vigilans, plus attentifs à l’avenir ; quant aux troupeaux du voisinage, c’est à vous à les faire surveiller ; ne conservez-vous pas vos blés, vos prés, vos vignes, &c. contre leurs dévastations ? la loi ne veille-t-elle pas ? deux témoins, même des gens de votre métairie, suffisent pour intenter une procédure au berger malfaiteur. La correction judiciaire est pesante, & cette leçon coûteuse est un bon & sûr préservatif pour l’avenir ; enfin, partout il n’y a pas de troupeaux.

Le vol des fruits est plus à craindre, aux portes des grandes villes, car dans les métairies écartées, les arbres fruitiers, isolés dans les champs, sont rarement attaqués. Les vignes, aux portes de Paris, ne sont pas fermées par des murs, par des haies ; il est même défendu aux propriétaires de les clorre : cependant on ne vole pas les raisins, ni les cerises, ni les prunes des arbres qui y sont plantés. Supposons que quelques pommes, que quelques poires, &c. soient dérobées, il en restera toujours assez, & le passant avide ne pourra toucher aux fruits qui ne seront pas sous sa main, ou qui seront en dedans de la haie. L’idée de la jouissance exclusive nous fera bientôt envier aux oiseaux jusqu’aux baies de sureau & d’aubepin que ces arbres produisent dans nos buissons.

Si les enfans, les jeunes gens, pillent des fruits, c’est pour les manger, & les gens d’un âge plus mûr, pour les vendre. Plantez des arbres à fruits d’hiver, & ils ne tenteront plus, parce qu’on les cueille longtemps avant l’époque de leur maturité ; ou bien, plantez des pommiers à cidre.

Les avantages de ces haies se réduisent 1o. à clorre & garantir les champs ; 2o. à fournir autant de bois de chauffage qu’aucune autre haie ; 3o. à assurer une récolte de plus dans le canton. On supprimera alors ces arbres épars çà & là dans les champs, dans les vignes, &c. parce qu’ils nuisent nécessairement à la récolte qu’on attend du sol couvert par leur ombre.

Le sort des habitans de la campagne est déjà assez à plaindre ; ne leur envions donc pas une petite ressource de plus : les conditions qu’on impose ordinairement à ses métayers, sont si dures, qu’on leur laisse à peine le plus strict nécessaire.

Les prunes, par exemple, forment une récolte dans les environs de Tours, par la multiplicité des pruniers qui enrichissent ce canton. Pourquoi une semblable ressource seroit-elle refusée à d’autres provinces ? ou plutôt, pourquoi l’industrie ne l’a-t-elle pas établie ? Cela tient à l’exemple à donner par deux ou trois particuliers. L’homme imite toujours ce qu’il voit faire.

Supposons que de semblables haies fussent établies dans tout le royaume, il en résulteroit nécessairement la soustraction de tous les arbres fruitiers dans l’intérieur des pièces destinées à la culture, & qui nuisent essentiellement à leurs travaux. Une abondance de fruits, dont on tireroit une boisson comme des pommiers ou des poiriers ; le noyer, le noisetier, l’amandier fourniroient de l’huile, on dessécheroit plusieurs fruits qu’on est sûr de vendre, parce qu’on peut les transporter au loin ; les pains d’abricots d’Auvergne, les pruneaux de Tours, les rousselets de Reims, &c. &c. en sont la preuve ; enfin, si l’industrie n’étoit pas portée jusqu’à ce point-là, l’excédent des fruits que le cultivateur ne consommeroit ou ne vendroit pas, seroit donné aux oiseaux de basse-cour, ou aux troupeaux ou aux bestiaux, & on les verroit engraisser à vue d’œil. Comme rien n’est perdu dans les campagnes, on doit donc multiplier les ressources dans tous les genres.

Ce n’est pas au pauvre fermier, au pauvre métayer à faire la première dépense de ces haies, ni à les entretenir pendant les trois ou quatre premières années. Le premier, à moins qu’il ne soit assuré d’un second bail, ne jouiroit pas à proportion des peines qu’il auroit eues : le second, homme à gages, ignore si un caprice, ou tel autre motif, ne le fera pas mettre à la porte après un ou deux ans. Ces gens n’ont donc qu’un intérêt précaire à la chose, & elle sera par conséquent mal faite ; cependant, du commencement de l’entreprise dépend sa réussite. Comment faut-il établir ces haies ? nous l’examinerons dans le chapitre suivant.

§. II. Des Haies forestières.

Je qualifie de ce nom celles qui sont plantées en arbres indigènes aux forêts, comme avec les chênes blancs ou verts, le fau ou hêtre, le frêne, l’érable ou sycomore, le micocouiller, l’ormeau ; tous ces arbres de chêne blanc réussiront bien dans les provinces septentrionales ; l’alisier, le bois de Sainte-Lucie, les sorbiers, le sureau, le charme ou charmille, le saule-marceau, les tamariscs, & surtout le tamariscus narbonensis dans les provinces méridionales, &c. On peut employer l’aune ou verne lorsqu’il s’agit de se défendre contre les rivières & contre les hommes & les bestiaux.

Si on est libre de choisir parmi les arbres naturels au pays, l’orme mérite une exclusion totale, non parce qu’il ne forme pas de bonnes haies, mais parce qu’il étend ses racines horizontalement, & qu’elles vont à trente & quarante pieds dévorer la substance des moissons, des vignes, &c. cette marche traçante des racines, augmente encore plus lorsqu’on tient l’ormeau bas, & lorsque l’on rabaisse souvent ses branches. Le mûrier mériteroit la préférence sur tous les arbres cités, s’il trouvoit partout le sol & le climat qui lui convient. Son utilité est trop reconnue pour insister sur cet article ; il a cependant le défaut d’avoir des racines traçantes ainsi que l’ormeau ; mais la cause première & déterminante de ce tracement, consiste dans la suppression du pivot lorsqu’on a planté ces arbres ; la soustraction le force à donner des racines horizontales, tandis que la nature les destinoit à pivoter profondément. Il est facile de se convaincre de ce fait, en examinant ces arbres lorsqu’on les enlève pour la première fois de la pépinière, ou à la seconde, si on a ménagé ce pivot à la première transplantation. Si le sol a du fond, si on n’a point coupé le pivot, on craindra peu que les racines tracent horizontalement. Quand abandonnera-t-on donc la mauvaise habitude de tailler & de mutiler les racines des arbres qu’on veut planter ? Je me suis déjà plus d’une fois récrié contre cet abus, & je ne cesserai de le combattre autant de fois que l’occasion s’en présentera.

On voit dans plusieurs provinces du royaume, & dans quelques cantons de Normandie, surtout, une excellente manière de former, non pas des haies, mais des clôtures qui s’élèvent & deviennent si touffues, que le voyageur ne distingue souvent une habitation ou village même que par son clocher qui s’élève au dessus des arbres. Tout autour de l’héritage que l’on veut enclorre, on élève une butte en terre, d’une à deux toises, & la base est deux tiers plus large que la butte n’est haute. On commence à planter des chêneaux sur l’arrête de la bute, à six pieds de distance les uns des autres : à quelques pieds au-dessous est planté un nouveau rang, un troisième toujours en descendant, enfin le dernier au niveau du sol. Ces arbres plantés près à près sont obligés d’élancer leurs tiges, elles montent droites, & forment une belle quille. Mais, comme insensiblement ces tiges resteroient trop minces & trop fluettes, & qu’il n’y auroit aucune proportion entre le diamètre du tronc & sa hauteur, on coupe par le pied un arbre entre deux. Alors les branches, depuis le pied jusqu’au sommet, ont la liberté de s’étendre & de grossir ; le tronc grossit à proportion, & devient par la suite d’un beau jet. À mesure que ce tronc prend une certaine consistance, la hauteur une fois formée, on diminue & supprime graduellement les branches du bas, qui consommeroient une grande partie de la sève, & affameroient celles du haut, avec une précaution aussi simple qu’ingénieuse. Les propriétaires parviennent à avoir le bois de chauffage nécessaire à la consommation de leur métairie, & d’excellent & de magnifique bois de charpente, lorsque le temps est venu d’abattre ces arbres. Lorsqu’ils ont été coupés par le pied, on est libre de les laisser former par la suite un bon taillis, ou de convertir les pousses en grands arbres en supprimant les surnuméraires. Si on prend la peine d’entrelacer les branches du bas, on a une haie ou clôture qu’aucun animal ni aucun homme ne sauroit franchir ; de pareilles clôtures réussiront toujours très-mal dans les pays où les pluies sont rares & le terrain maigre & naturellement sec.

Je ne parle pas du cornouiller ou sanguin, du fusain ou bonnet de prêtre, du troëne, du lilas, du seringa, du sécuridace ou émerus, &c. À moins que ces arbres ne soient employés seuls, ils nuisent plus aux haies qu’ils ne sont utiles, ainsi que la rose de gueldres, & les rosiers sauvages.

L’arbre de Judée, le lentisque, le laurier-franc, le laurier-cerise, l’arbousier, le myrte, &c. réussiront à merveilles dans les provinces du midi, si on sait les conduire, ainsi que le laurier-thym.

Section II.

Des Arbres & Arbustes épineux.

Ici, comme sur tous les points de l’agriculture, il faut distinguer ceux qui conviennent aux climats méridionaux ou à ceux du nord. Sans cette précaution, tout ce que l’on écrit devient trop général, & par conséquent à peu près inutile.

§ I. Des Arbres & Arbustes épineux, propres aux Provinces méridionales.

Le plus utile, sans contredit, est le grenadier, (voyez ce mot) soit à fruit acide, soit à fruit doux & vineux, soit à fleur double ; le second est à préférer aux deux autres ; le premier est plus épineux que le second & le troisième. Cet arbre réunit l’avantage de buissonner singulièrement lorsqu’on le veut, & de former des haies impénétrables ; son feuillage & ses jeunes pousses sont respectés par les troupeaux, & il donne des fruits fort recherchés.

Après lui vient le paliure, ou porte-chapeau, (voyez le mot Paliure). L’Azerolier, (voyez ce mot) venu par semis ou par drageons & non greffé, peut remplacer l’aubepin qui réussit fort mal en général dans ces climats chauds & secs.

Il seroit important de naturaliser dans nos provinces du midi le févier épineux d’Amérique. Comme je n’en ai pas parlé au mot févier, je vais le décrire.

Von-Linné le classe dans la dioécie hexandrie, & le nomme gleditsia triacanthos ; M. Duhamel l’appelle gleditsia spinosa.

Fleur. Ordinairement la fleur mâle est portée sur un pied différent, & séparé de celui de la fleur femelle, néanmoins M. Duhamel a remarqué quelques fleurs mâles sur les individus femelles, & des fleurs hermaphrodites sur des individus mâles. Cette variété singulière seroit-elle due au changement de climat ?

Les fleurs mâles sont portées sur de longs chatons épais, compactes ; leur calice est divisé en quatre parties, droites, ouvertes, & les découpures sont concaves ; les pétales, au nombre de quatre, ovales-linéaires, concaves & presque disposés en rose ; les étamines au nombre de six.

Fleurs femelles, portées sur des chatons lâches ; les pétales plus grands que ceux des fleurs mâles, & disposés comme eux ; le pistil dépasse la corolle.

Fruit. Le pistil se change en une silique large, très-aplatie, un peu charnue, remplie de semences ovales, alongées, dures, luisantes.

Feuilles, doublement ailées ; leur forme & leur disposition approchant de celles de l’acacia, d’un vert plus foncé ; elles se replient le soir & se développent le matin, plus ou moins tard, suivant la sérénité de l’air. (Voyez le mot Sommeil des plantes).

Port. L’arbre s’élève assez haut ; son écorce est grisâtre ; ses épines sont placées un peu au-dessus de l’insertion des feuilles ; elles sont rougeâtres, longues, & ont deux épines plus petites près de leur base. Il est originaire de Virginie.

Cet arbre se multiplie par les semences qui lèvent avec la plus grande facilité, & végète sans beaucoup de soin. Si on conserve les branches qui naissent sur la tige principale, ou les tiges qui partent des racines, il est aisé d’en former de bonnes haies.

Le genêt épineux ou l’ajonc, (voyez ce mot,) garanti de la dent des troupeaux pendant les six ou huit premiers mois, devient impénétrables, ainsi que le génévrier, (voyez ce mot) qui fournit la cade. Le nerprun ou noirprun, (voyez ce mot) demanderoit à être multiplié à cause de ses baies, dont on tire le verd-de-vessie, ainsi que la granette d’Avignon, si utile pour les teintures.

Le jujubier a également le mérite de présenter des piquans sans nombre, & de donner une récolte d’une certaine valeur.

§. II. Des Arbres & Arbustes épineux, propres aux Provinces du nord.

L’aubepin, (voyez ce mot) tient sans contredit le premier rang, il se prête à toutes les formes que l’on désire, se garnit de beaucoup de petites branches, mais il faut, pendant les premières années, le garantir, par des haies mortes, de la dent des troupeaux, & on ne peut espérer avoir une bonne clôture qu’à la huitième ou à la dixième année.

Le prunelier tient le second rang, le rosier sauvage le troisième, l’épine-vinette vient ensuite avec le groseillier épineux, (voyez ces mots). La meilleure de toutes les haies seroit sans contredit celle faite avec le houx, si la lenteur de sa végétation ne s’opposoit aux désirs que les propriétaires ont de jouir.

Je ne place pas les ronces au rang des arbustes destinés à la formation des haies ; elles en sont les destructeurs les plus rapides, à moins qu’elles ne soient seules & séparées de toutes autres espèces d’arbres. Alors elles ne forment plus de véritables haies, parce qu’elles n’ont plus de soutien ; leurs longues pousses rampent çà & là, elles s’enracinent par tous les points où elles touchent à la terre, & occupent assez inutilement un vaste espace de terrain.


CHAPITRE II.

Observations générales sur la formation des Haies.


Le but est d’interdire aux hommes & aux animaux l’entrée d’un champ, d’une vigne, &c., excepté par l’endroit destiné à la porte : on peut même empêcher les poules & les chiens d’y pénétrer ; alors la haie est parfaite, de quelqu’espèce d’arbres qu’elle soit plantée. On sent combien une pareille haie devient intéressante pour un jardin potager ou pour un verger. Existe-t-il des moyens de s’en procurer de semblables ? Oui, sans doute ; mais il faut multiplier les soins, surtout pendant les premières années. Une fois formée, elle en exige bien peu, & on doit, en général, attribuer son dépérissement au trop d’épaisseur qu’on lui laisse acquérir.

Vaut-il mieux planter des pieds enracinés, ou semer sur place ? Si on désire promptement jouir, il faut planter ; mais si on veut longuement jouir, il vaut mieux semer. À bien prendre, le semis est à préférer, & il ne diffère pas de beaucoup la jouissance, parce que la plante ne souffre pas de la transplantation ; d’ailleurs elle conserve son pivot, objet de la plus grande importance, & dont dépend surtout la vigueur de la végétation.

Soit qu’on veuille se procurer une haie épineuse ou fruitière, ou forestière, le premier soin consiste à défoncer profondément le terrain, & même à le fumer, si on le peut, ou au moins à remplir avec des gazons une partie de la fosse. Toute lésinerie ou parcimonie dans cette première opération, tire à conséquence pour la suite. On ne doit jamais perdre de vue que la haie subsistera pendant un siècle, & que la première dépense est moins que rien, si on voit sa durée en perspective. Ce défoncement est également nécessaire, si on prend le sage parti de semer. J’estime au moins à trois pieds d’ouverture la partie supérieure de la fosse, sur autant de profondeur. On trouvera peut-être ces proportions trop fortes ; mais elles ne le sont point pour quelqu’un qui travaille en bon père de famille.

Je préférerois à faire les semis dans un jardin ; la terre y est naturellement plus meuble, & on peut leur donner les soins convenables. On a encore la facilité, en levant les sujets de terre, pour les transplanter, de fouiller assez profondément, & de ne point endommager les pivots. S’ils sont trop longs, relativement à la profondeur indiquée de la fosse, il suffira de coucher & d’étendre ce pivot, sans le raccourcir.

On n’a pas cette facilité, lorsqu’il faut aller chercher les plants dans les bois : on prend ce que l’on trouve, & on ne trouve, pour l’ordinaire, que des brins venus sur souche, que l’on éclatte, & ils sont peu enracinés. L’expérience a démontré que tout plant venu de souche ne végète pas aussi vigoureusement que les plants venus de graine.

La distance nécessaire d’un pied à un autre, dans la plantation, varie d’une province à l’autre. Ne doit-il pas cependant y avoir une loi générale, quoique soumise aux localités. Par exemple, dans un terrain très-substanciel, l’intervalle d’un pied entre chaque plant n’est pas trop forte, & celui de six à huit pouces dans les sols maigres, surtout s’il s’agit de plants pris sur souche. Si on veut opérer, ainsi qu’il sera dit ci-après, la distance doit être de dix-huit pouces ; je parle des haies communes, & non pas des fruitières ou forestières. L’espace exige d’être proportionné, non pas à l’étendue que prendrait l’arbre livré à lui-même, & formant un tronc, mais à celui que ses branches acquièrent ordinairement.

On a la fureur, lorsque l’on plante une haie commune, de la fourrer de toutes sortes de plants : sureau, aubepin, prunelier, rosier sauvage, ronces, groseillier épineux, tout est confondu ; & pour excuser cette mauvaise opération, on dit froidement que si une espèce manque, l’autre la remplacera : de tous les raisonnemens possibles, voilà le plus absurde & celui dont les conséquences sont les plus funestes. Si tous ces arbustes avoient une loi & une force de végétation égale, la bigarrure seroit supportable ; mais le sureau, par exemple, est déjà très-feuillé, lorsque l’aubepin commence à ouvrir ses premiers boutons. Le prunelier a passé fleur ; il est chargé de feuilles lorsque la végétation commence à s’établir dans l’aubepin, &c. &c. &c. Dès-lors ne voit-on pas que l’ombrage des premiers sur les autres, les empêche de jouir du contact direct de l’air & des impressions du sol ? Il est donc dans l’ordre que la végétation des premiers devance celle des seconds, qu’elle lui nuise & qu’elle les conduise insensiblement de la maigreur à la mort : voilà quant à la loi de végétation. Quant à la force, l’effet est le même. Le groseillier épineux, par exemple, ne peut, dans aucun cas, toutes circonstances égales, s’élever aussi haut que l’aubepin ; le sureau écrasera celui-ci ainsi que le prunelier ; & la ronce les anéantira tous, parce que la vigueur de végétation est très-inégale entre ces individus ; le plus fort dévore le plus foible. Deux pieds de sureau dans une haie, en détruiront dix dans leur voisinage. Un accident brise une grosse branche de sureau, & de plusieurs années ensuite il ne sera pas possible de reboucher cette trouée, puisque les autres plants voisins sont morts, ou si débiles, que leurs pousses annuelles sont de peu de valeur. Laissez une ronce, une clématite, un smilax, (voy. ces mots) prendre pied dans une haie, ils en seront bientôt les tyrans & les destructeurs. Ces plantes ont dans le commencement demandé un léger soutien à la haie ; par son secours elles ont étendu leurs rameaux, & finissent par s’emparer de toute la superficie ; elles seules jouissent des bienfaits de l’air & de la lumière, & la haie qui périt insensiblement, n’est plus que leur support & leur esclave. Enfin, un coup de vent brise le bois, & tout périt à la fois. Admettons, pour un instant, que la caducité de cette haie ne soit pas aussi prompte que je l’avance, & qu’elle serve de clôture ; mais on n’en perd pas moins le bénéfice de la tonte qui seroit renouvelée tous les quatre ans. La conséquence à tirer de ces exemples, est qu’on ne doit, dans aucun cas, entremêler les plants, & qu’une haie doit être faite d’une seule & même espèce de sujet.

Chaque année, après la plantation ou après le semis, les plants seront travaillés de chaque côté, à la profondeur d’un fer de bêche, afin de détruire les racines qui commenceront à tracer ; il convient de les forcer à s’enfoncer en terre ; elles craindront moins, dans la suite, la sécheresse & les insectes rongeurs.

Sarcler souvent est une opération indispensable ; & il est plus indispensable encore, si on craint la dent des troupeaux, d’environner les semis ou les plants enracinés, avec une espèce de haie morte & piquante. L’interruption dans la végétation, ou cette espèce de taille faite à contre-temps, lui nuit beaucoup. Si les jeunes pousses sont broutées par des chèvres, il n’y a presque plus rien à en attendre.

On ne doit pas se presser de faire monter les tiges, de les faire gagner en hauteur, à moins qu’on ne se propose de les conduire comme il sera dit dans le Chapitre troisième. Il convient donc de laisser pousser toutes les branches latérales qui partent près du pied, & on les arrêtera seulement dans le cas où ces branches gagneraient trop en force & amaigriraient les mères-tiges.

Si on a soin, chaque année, de travailler les plants, de les sarcler au besoin, & de leur donner des arrosemens, suivant les circonstances, on est assuré qu’à la quatrième année, les tiges auront au moins de cinq à six pieds de hauteur, pour peu que le sol soit bon. Cependant cette belle élévation deviendroit la cause de la destruction de la haie, si on n’avoit pas l’attention de ravaler les tiges jusqu’à la hauteur de deux pieds environ, & de ne laisser aux branches inférieures que six pouces de diamètre de chaque côté du pied. Sans cette précaution, la sève s’emportera vers le sommet, & les branches inférieures se dessécheront peu à peu.

Tous les deux ans ensuite, on rabaissera les nouveaux jets, suivant leur force & leur hauteur, & on raccourcira, soit au ciseau, soit à la serpette, soit au croissant, les branches latérales. Plus on se pressera de jouir, je le répète, & moins on jouira longuement.

Le meilleur temps pour la plantation d’une haie est la fin de l’automne, dès que les feuilles sont naturellement tombées des arbres, surtout pour les pays méridionaux. Les pluies d’hiver assujettissent la terre contre les racines ; elle a le temps de se tasser, & si l’hiver n’est pas rigoureux, ces racines végéteront ou du moins se disposeront à végéter aux premières approches de la chaleur ; enfin, la plantation craindra moins les funestes effets de la sécheresse & de la chaleur de l’été.

Toute espèce de haie peut devenir un objet d’agrément & d’utilité, conduite par une main exercée. Par exemple, de telles clôtures autour d’un jardin potager, ou dans les parties rapprochées de l’habitation, demandent à être taillées comme des charmilles, & lorsqu’elles sont parvenues à la hauteur que l’on désire, on laisse, de distance en distance réglée, s’élever une tige, au sommet de laquelle on taille les branches en boule. Ces petits soins donnent un air d’arrangement & de propreté qui flatte la vue & rend l’habitation plus riante. Unir l’agréable & l’utile, doit être le but de tout propriétaire, & surtout de celui qui demeure dans sa métairie.


CHAPITRE III.

De la formation par approche, des Haies fruitières, forestières et épineuses.


J’avoue de bonne foi que je n’ai pas fait des expériences sur toutes les espèces d’arbres dont j’ai parlé plus haut, & dont je parlerai encore ; mais je puis répondre, d’après ma pratique, de la réussite des haies fruitières. C’est en voyageant que j’ai vu le parti qu’on peut tirer des arbres forestiers.

Section Première.

Des Haies fruitières.

Placez à cinq, six ou huit pieds l’un de l’autre, suivant la qualité du terrain, des pommiers, ou des poiriers, ou des pruniers (je n’ai point fait d’essais sur d’autres arbres fruitiers) ; mais ne mélangez pas les espèces de fruits ; par exemple, prunier avec poirier, ou poirier avec pommier, &c. ; & même, si vous vous déterminez au pommier, que tous les pieds soient de la même espèce, c’est-à dire, ou tous de pommes de reinette, ou tous d’api, ou pommier à cidre, &c., attendu l’inégalité de force dans la végétation des uns & des autres.

Il est clair que tout arbre rabougri dans la pépinière, foible, languissant ou endommagé, doit être rejeté. Il faut encore les choisir d’un pied égal de force, &, s’il se peut, également enracinés, & greffés dans le même temps ; en un mot, aussi égaux en tous points, que faire se pourra. Si on a eu la précaution de semer des pépins chez soi, d’établir une pépinière, le choix sera facile. Je préfère les arbres greffés sur franc, à ceux greffés sur coignassier ; ils sont toujours plus forts, plus vigoureux, & surtout ils ont leur pivot.

Après les avoir plantés avec le plus grand soin, coupez la tige à quinze ou dix huit pouces au-dessus de terre. (Voyez Figure 6, Planche XV du mot Greffe, page 344). Sur cette hauteur il se formera quatre, six ou huit bourgeons, qui s’ouvriront pour donner des feuilles & des branches. Lorsque les bourgeons auront poussé & lorsqu’ils seront assurés, supprimez ceux de la partie supérieure AA ; à la fin de juin, supprimez les inférieurs BB : on les a conservés jusqu’à cette époque ; dans la crainte des accidens, on peut attendre jusqu’à l’époque du renouvellement de la sève, & l’arbre sera moins fatigué. Par ce retranchement, les bourgeons CC acquerront plus de consistance & plus de force. Un peu avant le renouvellement de la sève, faites, avec un instrument tranchant, en DD, une incision circulaire sur l’écorce, & qui pénètre jusqu’au bois ; on peut même enlever une partie de l’écorce sur une demi-ligne de diamètre. Cette petite soustraction de l’écorce fera refluer la nouvelle sève au profit des bourgeons CC, & empêchera le développement des nouveaux bourgeons sur la partie supérieure, à la ligne circulaire DD.

À la fin de l’hiver suivant, retranchez en D la partie supérieure de l’arbre ; recouvrez la plaie avec l’onguent de Saint-Fiacre (voyez ce mot), & il ne restera plus sur le tronc que les deux branches provenues des bourgeons CC. Si ces branches sont foibles, ravalez-les & ne laissez de chaque côté qu’un bon œil ou bourgeon sur chacune. Si, au contraire, elles sont fortes, proportionnées, bien nourries, laissez deux bourgeons. Il est certain que, dans cette seconde année, ils donneront chacun une bonne & forte branche, & votre arbre se présentera, à peu de chose près, comme dans la Figure 7. Je réponds que, suivant la qualité du terrain, ces branches auront surement trois à quatre pieds de longueur. Voilà déjà deux années écoulées & employées à préparer l’arbre pour disposer ses branches en haie. C’est à la troisième que commence réellement le travail.

Suivant le climat, suivant la saison, c’est-à-dire, lorsque la sève commence à monter des racines aux bourgeons, prenez les deux branches latérales AA de la Figure 7, & supprimez les autres branches ; faites-leur perdre peu à peu & doucement leur position oblique ou presque perpendiculaire, & ramenez-les insensiblement à une position presque horizontale, comme dans la Figure 4 ; réunissez leurs extrémités CC ; faites-les croiser l’une sur l’autre, afin de reconnoître où sera leur point de réunion ; marquez sur leur écorce, & avec un instrument tranchant, la disposition & l’espace qu’elles doivent occuper dans les points de leur réunion ; enlevez ensuite, avec cet instrument, sur chacune de ces branches, & dans une égale proportion, un tiers de leur diamètre, du côté qui doit correspondre au même côté de l’autre branche ; faites que ces deux entailles s’emboîtent & se touchent exactement, & se réunissent dans tous leurs points lorsque vous les croiserez ; mais surtout ayez grand soin de ne pas meurtrir les écorces à l’endroit où elles doivent se toucher.

Tout étant ainsi disposé, prenez de la mousse, de la filasse ou telle autre substance flexible ; enveloppez ces branches sur leur point commun de réunion, &, avec un osier, serrez assez fortement la mousse, afin que cette mousse & cette ligature subsistent pendant le reste de l’année sans se déranger ; passé ce temps, tous deux deviennent inutiles.

Cette greffe par approche (voyez ce mot) une fois exécutée, fichez en terre un échalas E, de manière qu’il soit solidement planté & ne craigne pas d’être ballotté & agité par les vents ; &, sans faire perdre aux deux branches leur direction presque horizontale, & sans déranger la greffe, assujettissez-les avec un nouvel osier contre l’échalas : il ne reste plus qu’à couper les deux sommités des branches en FF, & à ne leur laisser qu’un œil ou deux au-dessus du point de leur réunion. La force des branches doit décider le nombre des boutons.

Si la vigueur de l’arbre vous a permis de laisser deux branches de chaque côté, vous ajusterez les supérieures comme les inférieures, ce qui donnera autant de greffes par approche. Tout autour de la réunion de ces greffes, il se formera, pendant l’été & pendant l’automne, des protubérances ; l’écorce de l’une s’identifiera avec celle de l’autre ; enfin, le tout s’unira avec une si grande intensité, que l’année suivante, ces branches, tourmentées par des vents ou par d’autres causes, se rompront plutôt ailleurs, que dans la greffe.

Il faut observer que si l’on serroit trop fort l’osier contre les points de réunion, les branches venant à grossir dans le cours de l’année, l’osier imprimeroit des sillons dans leurs substances, & ces sillons nuiroient jusqu’à un certain point à l’ascension de la sève vers le bourgeon supérieur, pendant le jour, & à la descente de cette même sève des branches aux racines, pendant la nuit.

Cependant, si l’on voit que la branche provenante du bourgeon C (Figure 4) soit emportée par la sève, & qu’elle pousse trop vigoureusement & aux dépens des bourgeons inférieurs GG, il convient alors de serrer la ligature. La sève se portera moins rapidement vers l’extrémité, & fortifiera les branches inférieures GGG. On doit les ménager avec soin & ne pas les perdre de vue. Si elles sont trop multipliées, il faut en supprimer quelques-unes, afin que les restantes prennent plus de corps & de consistance, & on les laisse croître jusqu’à ce qu’elles puissent être mariées ou greffées par approche avec les branches voisines, par une opération toute semblable à la première, ainsi qu’on le voit dans la Figure 3.

On peut, pour plus grande sureté, & pour cette seconde ou troisième fois seulement, donner des tuteurs aux nouvelles greffes. Parce que, dans la suite, les mères-branches seront assez fortes & soutiendront leurs rameaux.

Il suit naturellement de ce qui vient d’être dit, qu’il faut saisir toutes les occasions de réunir deux branches ; par approche, en les éloignant, autant qu’il sera possible, de la direction perpendiculaire qui attire trop fortement la sève vers la région supérieure. Le grand point & la perfection de ces haies consiste dans la multiplication & le rapprochement des branches qui formeront autant de losanges ; alors chaque portion du losange sera garnie de bois à fruit & de brindilles (voyez ces mots) qui assurent l’abondance. Cette manière de disposer les branches, cette multiplicité de greffes s’opposent à la naissance des bois gourmands qui ruinent l’espalier si on ne sait pas en tirer parti, & si on les livre à l’impétuosité de leur sève ; elle met beaucoup plutôt à fruit les arbres sur franc, & comme je l’ai déjà dit, je conseille de n’en planter pas d’autres, parce que tout arbre greffé sur coignassier, sur paradis, a une végétation très-inégale & très-inférieure à celle de l’arbre greffé sur franc. Dans ces haies, tout bois est à fruit dès la seconde année ; & si elles ont un défaut, c’est d’être trop garnies de bois à fruit. Elles exigent donc de temps à autre de rabaisser ces bois à un pouce près de la mère-branche, afin de les forcer à en donner de nouveaux. Il est presque démontré que tous les arbres, en général, ne donnent que de deux années l’une, c’est le cas de choisir pour la taille, l’année d’intermittence.

Chacun sait qu’à force de greffer un sauvageon sur lui-même, son fruit perd peu à peu son âpreté, j’en ai la preuve sur un pommier de buisson. Je ne dis pas que les greffes multipliées aient converti son âpreté & son austérité naturelle en une substance délicate ; mais je dis qu’à la fin on pourroit manger ce fruit sans répugnance, & qu’il ne conserveroit presque plus de vestige de son premier état. Or, si des greffes réitérées d’un sauvageon sur lui-même produisent de bons effets & perfectionnent la qualité du fruit, que ne doivent donc pas produire de bonnes greffes ajoutées à une première bonne greffe faite dans la pépinière ? Pour peu que la saison favorise le développement des fleurs, & si les fruits aoûtent bien, (voyez ce mot) on sera étonné de la multiplicité des fruits, & de leur qualité. Ils seront moins gros, il est vrai, que ceux des arbres ordinaires ; mais il ne s’agit pas ici de ces fruits recherchés pour la table des grands seigneurs, mais de ce qui constitue une récolte & qui l’emporte toujours en valeur numérique sur celle de quelques beaux fruits vendus chèrement dans les grandes villes. J’ai plus en vue le soulagement de la classe du peuple, que la satisfaction ou la vanité des opulens. Augmenter le bien-être des malheureux habitans de la campagne est ma seule ambition.

Je ne vois aucun arbre fruitier, pas même le noyer, (je ne l’ai pas éprouvé) qui ne soit susceptible de recevoir cette greffe par approche. Je conseillai à un paysan, en parcourant la route d’Orléans à Bordeaux, à une ou deux postes près de Châteauroux, qui avoit des haies formées par des branches de noyer & d’autres arbres, de faire l’essai de ces greffes par approche. Il me le promit, & j’ignore si elles ont été exécutées. Je prie celui qui lira cet article & qui tentera cette expérience, d’avoir la bonté de m’en communiquer les résultats. L’amateur pourroit encore tenter de marier ainsi différentes espèces d’arbres, soit fruitiers, soit forestiers. Le pays que j’habite aujourd’hui ne me permet pas de me livrer à ces expériences.

Section II.

Des Haies forestières & épineuses.

Le manuel ou la fabrication de celles-ci est précisément la même que celle des haies fruitières. Ici je suis simple narrateur de ce que j’ai vu dans quelques cantons de l’Allemagne, aux portes d’Anvers, &c. Il est vrai qu’on n’y fait point d’entailles ou greffes par approche aux points de réunion ; mais lorsque les deux branches se serrent fortement les unes contre les autres, il s’y fait une greffe par approche naturelle, & les deux branches s’identifient à la longue les unes aux autres. Il est donc facile de diminuer le travail de l’opération par la suppression de ces greffes ; cependant comme il s’agit d’une clôture & d’une clôture défensive, ces greffes ne sont pas déplacées lorsque l’on est pressé de jouir & de prévenir les dévastations. J’y trouve un second avantage, en ce qu’elles modèrent l’impétuosité de la sève, & s’opposent au trop grand & trop rapide alongement des branches. Elles donnent le temps au cultivateur de garnir les haies par le bas, car, sans cette précaution, la partie inférieure devant être la plus dégarnie, le but de l’opération est manqué.

Ces exemples prouvent qu’on a le plus grand tort de laisser aux tiges des haies épineuses ou forestieres leur perpendicularité, puisqu’en les écartant avec la main, l’homme mal intentionné peut s’ouvrir un passage, tandis que les tiges inclinées & entrelacées offrent un obstacle invincible à l’homme qui n’a pas un instrument tranchant. Ce fait est si vrai, qu’Evelin, (Forest Tree, p. 114) en parlant des haies d’Écosse, formées avec l’aubepin, & greffées par approche, dit « qu’elles sont si fourrées, si serrées qu’elles renferment des lapins aussi surement que des enceintes de planches ». Le hasard me conduisit, étant fort jeune, à faire les premiers essais d’une haie fruitière. Qu’on se représente, s’il est possible, ma joie, lorsque j’apperçus pour la première fois des haies forestières, bien végétantes, & souffrir la tonte comme la charmille. Je sais aujourd’hui que le frêne, l’ormeau, l’érable ou sycomore forment des palissades aussi agréables à la vue que les charmilles ; mais on ne s’étoit pas encore avisé en France de les destiner à la clôture, en entremêlant, en inclinant & en greffant les tiges & les branches par approche. Il n’y a donc plus qu’un pas à faire pour que toutes nos haies réunissent l’agréable & l’utile, surtout quand on ne sera pas dans la disette du bois de chauffage. Il vaut beaucoup mieux alors, la haie une fois formée, laisser pousser en liberté ses branches en haut & sur le côté, & tous les trois ou quatre ans les rabaisser près du tronc. Cette opération entraîne après elle une défectuosité qui mine sourdement la haie. Au sommet du tronc restant de la branche coupée, il se forme une multitude de bourgeons qui attirent la sève en trop grande abondance, & nuisent aux branches inférieures. Il s’y forme ce qu’on appelle des têtes de saule ; c’est le cas de supprimer les rameaux surnuméraires à la pousse du mois d’août suivant, sans quoi ces rameaux se dévoreront entr’eux par la suite. Souvent ces bouts de tronc se déssechent, se carient, & communiquent cette maladie petit à petit au tronc principal. Le cultivateur intelligent visitera ses haies après chaque tonte, & ne laissera ni chicots, (voyez ce mot) ni bois défectueux ou inutile. Pour des haies faut-il des soins assidus ? elles n’en exigent aucun, si on n’attache aucune importance à leur conservation & à leur durée. Elles en demandent beaucoup si la clôture est essentielle.

Le second défaut de la tonte en général est de laisser insensiblement gagner trop d’épaisseur à la haie, parce que si l’on se sert du croissant, des ciseaux, de la serpe, &c., on coupe, à peu de choses près, vers l’endroit où la première tonte a été faite ; & c’est multiplier les têtes de saule ou toupillonner, expression usitée dans les provinces. Il faut donc de temps à autre, par exemple, la troisième, cinquième ou septième tonte, qu’un ouvrier armé d’une petite hache ou d’une forte serpe, passe après le tondeur, & abatte ces têtes chiffonnes.

On ne doit pas conclure d’après ce qui a été dit, qu’il faille planter des arbres forestiers aussi près que l’aubepin, & celui-ci aussi éloigné que les arbres forestiers. La distance dépend de la force végétative de chaque espèce d’arbre. Cette loi prise dans sa généralité deviendroit abusive ; car un chêne blanc livré à lui-même a souvent 30, 40 & même 80 pieds de diamètre d’une extrémité de ses branches à une autre, & l’aubepin & le grenadier, par exemple, peuvent s’élever à plus de 20 pieds de hauteur. Ici la parité générale n’est point exacte, parce que tous les arbres en général sont dans un état forcé lorsqu’on les soumet à former une haie. La distance dans la plantation dépend encore de l’élévation qu’on veut donner à la haie, du terrain, du climat, &c. Ces considérations doivent avoir été apperçues par le cultivateur, & il est impossible de décrire ici toutes les acceptions particulières.

Les haies quelconques ont leurs apologistes comme leurs détracteurs, la raison en est que chaque écrivain a regardé le petit coin qu’il habite comme le royaume entier, & parce qu’il a conclu du petit au grand, soit pour, soit contre les haies. Les uns ont dit qu’il valoit mieux enclorre ses possessions d’un fossé large & profond, & que l’on perdoit moins de terrain… ; que les haies nuisoient par leur ombre, par leurs racines, & offroient un asile aux oiseaux, aux insectes, &c.

Je dis qu’un fossé de six pieds d’ouverture sur autant de hauteur, doit avoir deux pieds de largeur à sa base, & voilà une superficie au moins égale à celle occupée par les branches d’une haie, même dans l’année de la tonte. Les racines de cette haie ne s’étendent certainement pas horizontalement à trois pieds de chaque côté, surtout si on a conservé le pivot de chaque plant. Il y a donc autant de terrain perdu d’une manière que d’une autre ; mais il est dans l’ordre de la nature que les bords des fossés s’affaissent, & qu’à la seconde ou troisième année son ouverture primitive de six pieds s’étende jusqu’à 8, & le fond s’élève d’un à deux pieds. Celui qui veut nuire, peut donc le faire impunément, & le fossé devient défensif, seulement contre le bétail. Si on a des troupeaux, ses bords seront affaissés & dégradés dès la première année. Je préférerois cependant les fossés dans les pays où les coups de vent, les grands courans d’air sont rares, surtout si ces pays sont d’ailleurs bien boisés ; mais dans les cantons où il règne assez habituellement des raffales de vent, je demande à quoi servent les fossés, qui ne peuvent en aucune manière diminuer leur violence ? Tout ce qui avoisine la mer, tout champ au-dessous des montagnes, & sur lesquelles leur courant d’air se rabat, demandent des haies, non pas de quelques pieds d’élévation, mais de la plus grande hauteur possible. C’est en multipliant les clôtures de Bambou, que les hollandois sont parvenus, au Cap de Bonne-Espérance, à mettre à couvert leurs récoltes des ouragans destructeurs.

Je conviens que les haies sont le repaire des oiseaux granivores ; mais les oiseaux feront-ils jamais autant de dégât à une moisson, à un pré, à une vigne que le simple passage d’un troupeau ? Les insectes, les chenilles qui dévoreront une haie, n’attaquent ni les blés ni les herbes des prairies, &c. On objectera encore l’exemple des plaines de la Brie, de la Beauce, &c., fertiles à l’excès, & dépourvues de haies. Cela est vrai, mais tout le royaume ne ressemble pas à ces provinces, dont la vue est si triste lorsque les blés sont coupés, & si monotone lorsqu’ils sont sur pied. Les récoltes y sont superbes, & on est obligé d’y couvrir les maisons de chaume ou de paille, & de se chauffer avec le chaume à cause de la rareté du bois. Un propriétaire doit trouver dans le produit de ses champs tout ce qui est nécessaire à sa consommation, sans être obligé de l’acheter, à moins que le climat ne s’oppose à la diversité des cultures. On objectera peut-être le peu de qualité du produit de certaine culture, du vin, par exemple. Il vaut mieux le recueillir mauvais que de n’en pas avoir, à moins que dans le voisinage il ne soit à vil prix. Si le propriétaire en achète pour ses gens, il choisira celui à plus bas prix, & par conséquent le plus mauvais ; il valoit autant cultiver un peu de vignes, ou des poiriers ou des pommiers à cidre plantés en haies.

Je suis partisan des haies, j’en conviens, & des haies fort élevées, & je serois au comble de ma joie, si j’en voyois un jour dans le Comtat, dans la basse-Provence & dans le bas-Languedoc de semblables à celles de Normandie, soit en chêne vert, soit en ormeau, soit en frêne, on y conserveroit au moins dans plusieurs endroits, les oliviers qui y dépérissent, & dont le nombre diminue à vue d’œil chaque année, parce que les abris se sont affaissés, & les arbres sont de plus en plus exposés aux vents impétueux, & par conséquent à la rigueur des hivers.