Cours d’agriculture (Rozier)/GROSEILLE, GROSEILLIER

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 384-388).


GROSEILLE, GROSEILLIER. Tournefort l’appelle grossularia, & le place dans la huitième section de la vingt-unième classe des arbres & arbustes à fleur en rose, dont le pistil se change en un fruit à pépin. Von-Linné le nomme ribes, & le classe dans la pentandrie monogynie.


I. Caractère du Genre.


Calice d’une seule pièce, renflé, presqu’entièrement divisé en cinq parties ; les découpures oblongues, concaves, colorées & recourbées en-dessous. La fleur a cinq petits pétales disposés en rose, & implantés sur les bords du calice ; les étamines, au nombre de cinq, droites, implantées sur le calice ; le germe au dessous de la fleur ; un seul pistil divisé en deux. Le fruit est une baie charnue, ronde, qui renferme des pépins ou semences presque rondes.

II. Caractère des Espèces.


Von-Linné divise les groseilliers en deux ordres ; savoir, en épineux, ou sans épines. Je suivrai la même division.


Des Groseilliers sans épines.

1. Groseillier des Jardins ou Groseillier commun, ribes rubrum. Lin. Ribes vulgare acidum. Bauh. Ses fleurs, foiblement colorées en vert-jaune, & très-ouvertes. Son fruit est rouge, rond, marqué d’un point ombilical en-dessus, succulent ; il renferme plusieurs semences.

Feuilles, simples, échancrées, découpées en lobes comme celles de la vigne, attachées à de longs pétioles.

Racine, ligneuse, fibreuse.

Port. Arbrisseau à quatre écorces, & à trois sortes d’yeux comme le cerisier ; l’écorce extérieure, brune, cendrée. Ses tiges sont nombreuses, droites, sans piquans ; les fleurs disposées en grappes, ou seules, ou plusieurs réunies ensemble, sortent des aisselles des feuilles : au-dessous des fleurs, on voit des feuilles florales, & les vraies feuilles sont alternativement placées sur les tiges.

Lieu ; les Alpes, le nord ; fleurit en mars, avril ou mai, suivant le climat.

Propriétés. Les fruits ont une saveur acide, vineuse, & ils sont rafraîchissans ; ils nourrissent peu, tempèrent l’ardeur de l’estomac, réveillent l’appétit diminué par des humeurs tendantes à la putridité ; ils sont indiqués dans les diarrhées bilieuses.

Le changement de climat, la culture, & peut-être le mélange des étamines d’autres espèces de groseilliers, ont produit plusieurs variétés ou espèces jardinières & constantes.

Tels sont les groseilliers à gros fruit rouge ; couleur de chair ; d’un blanc imitant celui des perles, & plus ou moins gros, suivant l’espèce ; verdâtre ; à fruit plus ou moins doux ; à feuilles panachées de différentes couleurs, &c. Il suffit d’indiquer ces variétés, pour ne pas s’y méprendre, lorsqu’on connoît le type d’où elles émanent.

x. Groseillier, proprement dit Des Alpes. Il diffère du précédent par ses grappes qui sont droites, & par les feuilles florales, plus longues que les fleurs ; les fleurs, d’un jaune paille ; le fruit est doux, fade. Cet arbrisseau ne mérite pas d’être cultivé dans les jardins ; mais on peut le placer dans les massifs du printemps, où il figure assez bien. Il est très-commun en Suède, en Suisse, en Angleterre, dans les terrains secs.

3. Groseillier à fruit noir ou Cassis ou Groseillier noir de Pensilvanie, ribes nigra. Lin. Grossularia non spinosa, fructu nigro majore. Tourn. Il diffère des deux premiers par ses fleurs oblongues, ses fruits d’un brun-noirâtre, & plus gros, par ses grappes velues, ses feuilles plus grandes que celles du N°. 1, & de la même forme ; ses rameaux velus. Les amateurs en font deux espèces ; l’une, du cassis, & l’autre, du groseillier noir de Pensilvanie : cependant celui-ci est une simple variété, qui diffère seulement par ses rameaux lisses & ses fleurs un peu en forme de cloche. Il fleurit en avril & mai, suivant le climat ; il est originaire des pays froids.

Propriétés. Les feuilles & les fleurs ont une odeur forte, aromatique, peu agréable ; les fruits restent acerbes, quoique mûrs. Les feuilles & les fruits sont stomachiques, diurétiques : l’on prescrit les feuilles fraîches ou sèches en infusion, quelquefois en décoction.

On a vanté, avec une espèce d’acharnement, les propriétés du cassis ; il n’étoit question que de ses qualités admirables, chaque jardin étoit garni de cet arbrisseau. L’enthousiasme s’est dissipé, & le cassis est presqu’oublié, malgré l’impression d’un ouvrage sur ses propriétés admirables. Il est cependant prouvé que le suc exprimé de ses fruits est recommandé avec raison dans les maladies des voies urinaires, lorsqu’il y a inflammation & acrimonie dans les urines.


Des Groseilliers épineux.


1. Groseillier blanc ou Groseillier à maqueraux, ribes uva crispa. Lin. Grossularia simplici acino, vel spinosa silvestris. Bauh. Son fruit est blanc, sillonné par des raies vertes du sommet à la base, plus gros que tous les précédens ; feuilles plus petites, à trois ou cinq lobes un peu velus en-dessous, soutenues par de courts pétioles. Les tiges de l’arbrisseau sont nombreuses, garnies d’aiguillons doubles ou triples ; l’écorce des jeunes tiges, blanchâtre, & rougeâtre dans les vieilles. Les fleurs naissent des aisselles des feuilles, disposées en grappes armées d’aiguillons ; les feuilles florales sont simples, placées au-dessous des calices, & les vraies feuilles, placées alternativement sur les tiges. On remarque, à la base de chaque pétiole, trois aiguillons alongés. Il est indigène au nord de l’Europe, & il sert à former des haies.

Cette espèce première a fourni le groseillier épineux à fruit d’un rouge pourpre, plus ou moins foncé ; de couleur violette, ou à fruit plus ou moins blanc & gros.

L’écorce du fruit est, en général, dure, la pulpe douce, sucrée, fade quand il est mûr ; acide & austère avant sa maturité. On l’appelle groseille à maquereaux, parce qu’on se sert de son suc, comme du verjus, pour préparer ce poisson ; le verjus est à préférer.

Les fruits verts font astringens ; ils perdent cette qualité en mûrissant, & ils font indigestes.

Von-Linné décrit plusieurs autres espèces de groseilliers épineux ; mais, comme elles intéressent peu l’agriculteur, je les passe sous silence.


III. Culture.


Ces arbrisseaux réussissent médiocrement dans nos provinces méridionales ; ils n’y sont pas communs, & le groseillier épineux est rare. Lorsque ces arbrisseaux ne sont pas exténués par la chaleur, & qu’ils trouvent une température qui leur convient, ils prospèrent dans presque toute espèce de sol, & exigent peu de soin. On peut forcer sa tige s’élever à quatre ou cinq pieds, & à former une tête, une boule qui devient très-agréable à la vue, lorsqu’elle est chargée de fruits : cependant elle souffre de cette contrainte ; & pour la conserver, il faut avoir soin d’arracher les jeunes tiges qui s’élèvent des racines. Il vaut donc bien mieux laisser à ces arbrisseaux la liberté de suivre le penchant imprimé par la nature, c’est-à-dire, à buissonner. Les tiges nouvelles ou drageons, ordinairement très-nombreuses, servent à multiplier les espèces j il suffit de les détacher de la souche principale, de ménager les racines, & de les replanter avec soin. Il est prudent de commencer cette opération dès que les feuilles sont tombées en automne, & dès que le bois est mûr : leur reprise est plus assurée que dans les plantations tardives.

Doit-on tailler, chaque année, le groseillier, où le livrer à lui-même ? Par la taille, on lui donne la forme que l’on veut ; on s’assure du bois nouveau & du fruit : si on ne le taille pas, le bois épuisé, ou trop vieux, meurt, & de nouveaux rejets le remplacent. J’ai vu de très volumineux & très-beaux groupes, qu’on n’avoit pas touché depuis plus de dix ans, se charger à chaque année d’une quantité prodigieuse de fruits, lorsque les pluies ou les vents froids n’avoient pas fait couler les fleurs. Je crois qu’il est dans l’ordre de supprimer, seulement chaque année, les bois morts, & quelque peu de branches inutiles. Si on veut tailler, on peut rabaisser les forts bourgeons à trois ou quatre yeux, & les foibles à un ou deux : mais, je le répète, c’est mettre de l’importance à un objet qui ne l’exige pas. On voit un exemple frappant de ce que j’avance, dans les haies faites avec le groseillier épineux ; le groseillier commun n’est pas plus délicat ; celui à fruit blanc, couleur de perle, l’est davantage.

On peut conserver presque jusqu’aux gelées les groseilles sur l’arbre : elles sont alors délicieuses ; la partie sucrée masque leur acide, & elle est plus rapprochée par l’évaporation d’une certaine quantité d’eau de végétation. Ce moyen bien simple consiste, lorsque le fruit est mur, à envelopper avec de la paille longue l’arbrisseau, & de le couvrir de toute part. Pour soutenir la paille, on plante un ou plusieurs piquets en terre, contre lesquels elle est assujettie avec des osiers ou des cordes qui s’opposent à son dérangement. Le sirop de groseilles se fait comme tous les autres Sirop[sirops. (Voyez ce mot). Voici une manière bien simple de préparer une gelée avec ce fruit.

Dans un plat quelconque, profond & évasé, mettez la quantité de sucre que vous désirerez, & il doit être réduit en poudre très-fine. Ayez une spatule ou une cuiller d’argent. Dans un autre vase, exprimez le jus des groseilles, passez-le & pressez-le à travers un linge serré, afin d’en séparer les grains & les débris du parenchyme… Videz doucement un peu de ce suc sur le sucre, & remuez sans cesse avec la spatule jusqu’à ce qu’il se soit approprié autant de sucre qu’il est susceptible d’en prendre… Ajoutez de nouveau suc, mêlez comme la première fois, & ainsi de suite, jusqu’à ce que le mélange n’ait d’autre consistance que celui d’une gelée. S’il est trop liquide, la fermentation vineuse s’y établira, & elle s’y établira encore plus facilement si les groseilles sont trop mûres. Dans ce cas, ajoutez un peu de sucre en poudre, & mêlez de nouveau. S’il y a trop de sucre, la gelée se candira ; mais il est aisé de connoître, au simple coup-d’œil, le point convenable. Cette gelée, faite sans feu, conserve tout le parfum de la groseille ; celle, au contraire, faite sur le feu, & par évaporation, l’altère, Ces deux espèces de gelées ne peuvent pas supporter la comparaison.