Cours d’agriculture (Rozier)/ÉTIOLEMENT, s’ÉTIOLER

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 399-403).


ÉTIOLEMENT, s’ÉTIOLER, Botanique. On entend par ce mot une altération qui survient aux plantes, une vraie maladie qui leur fait pousser des tiges longues, effilées, de couleur blanche, & terminées par de petites feuilles maigres, mal-façonnées & d’un vert pâle. Pour avoir une idée précise de cette maladie végétale, on n’a qu’à jeter les yeux sur ces plantes graminées, que l’on rencontre souvent sous les pierres ; elles offrent de grandes tiges maigres & blanches. Le blanchiment des laitues, des chicorées, des céleris, n’est qu’un étiolement factice par lequel on parvient à donner aux plantes une saveur plus douce & plus sucrée. On peut même dire en général, que toutes les plantes que l’on élève dans de très-petits jardins entourés de murs ou de bâtimens très-hauts, s’étiolent jusqu’à un certain point ; puis que nous les voyons pousser beaucoup en hauteur, peu en grosseur ; leur vert est pâle & triste, un certain air de langueur est répandu sur toute la plante, & souvent elle périt avant d’avoir porté du fruit, ou du moins l’avoir conduit jusqu’à maturité. Les plantes que l’on sème trop dru, & les arbres que l’on plante trop près, sont bientôt attaqués de la même maladie. Les tiges s’alongent, & toutes les parties qui ne sont pas frappées directement par la lumière blanchissent.

Les deux principaux phénomènes que l’étiolement offre, ce sont l’alongement excessif de la tige & la blancheur. Quelle en est la cause, & la même concourt-elle à les produire tous les deux ?

Peu de savans, & encore moins de botanistes, se sont occupés de cette maladie des plantes, & avant MM. Bonnet & Duhamel ; à peine soupçonnoit-on que c’en fût une. Le hasard, sans doute, est la cause que l’on en a tiré parti. La saveur douce & sucrée que l’on a trouvée dans les plantes étiolées, a engagé à forcer celles dont le goût austère répugnoit à notre sensualité, à en contracter une autre, au moyen de l’étiolement factice : le procédé que l’on employoit pour en venir à bout, a enfin engagé les savans observateurs que nous venons de citer, à réfléchir sérieusement sur le principe de l’étiolement. Après eux, M. Méese est celui qui s’en est occupé le plus, & il a démontré jusqu’à l’évidence, par ses nombreuses expériences, que la privation de la lumière étoit la cause de l’étiolement, & que l’humidité excessive y contribuoit beaucoup.

M. Changeux a fait imprimer, dans le Journal de Physique 1778. supl. T. 13, un mémoire sur l’étiolement qu’il attribue, non à la privation de la lumière, mais à la chaleur humide. Nous discuterons ces deux sentimens, après que nous aurons détaillé les expériences qui leur servent de base.

M. Bonnet dans son ouvrage intitulé, Recherches sur l’usage des feuilles, est le premier qui ait prouvé que l’étiolement étoit dû à l’absence de la lumière. Il sema trois pois, l’un à l’ordinaire, l’autre dans un tuyau de verre fermé, & le troisième dans une boîte de sapin fermée ; les deux premiers ont poussé à l’ordinaire, & le troisième seul s’est étiolé. Il en fut de même des haricots ; il observa encore que ces plantes ne s’étioloient pas dès qu’un des côtés de la boîte étoit de verre. Un bouton de vigne introduit dans un tuyau de fer blanc de trois pieds, & ouvert par en haut, produisit une tige d’un vert très-vif & fort étroite ; enfin, des graines semées dans différens étuis de verre, de bois, de carton, de papier, ont produit des plantes d’autant plus étiolées, que l’obscurité dans laquelle elles ont poussé, a été plus parfaite ; & dès qu’on pratiquoit de petites fenêtres dans ces étuis, les plantes prenoient une couleur un peu plus foncée vis-à-vis de ces ouvertures, que dans le reste de leur étendue.

M. Méese a été plus loin, & il a suivi les plantes depuis le moment de la germination de la graine, jusqu’à celui de la fructification. Il sema le 7 janvier des graines de cameline dans trois vases différens ; elles levèrent le 21 du même mois, dans le premier exposé sur une fenêtre au grand air ; le 20, dans le second placé dans un endroit séparé par une cloison de la chambre où étoit le premier, & dans lequel l’air se renouvelois continuellement ; un rayon de lumière qui entroit par une fente, donnoit un peu sur ce vase, & le 19, dans le troisième pot mis dans une obscurité parfaite. Au commencement de février, les plantes du troisième pot avoient des tiges blanchâtres, & trois fois plus longues que celles du premier, & d’un quart seulement que celles du second ; elles penchoient à terre, & étoient singulièrement tortillées ; les feuilles étoient jaunâtres, & elles moururent en moins d’un mois après : celles du second avoient les tiges assez semblables à celles du troisième, peu fermes, inclinées vers la lumière, & les feuilles peu vertes, tandis que celles du premier étoient comme toutes celles de son espèce élevées dans les jardins.

Il mit dans l’obscurité des plantes qui avoient déjà leurs premières feuilles, & après beaucoup d’expériences & souvent répétées, il s’aperçut toujours que les jeunes plantes ne vivent pas dans l’obscurité, n’y croissent pas ; que ce ne font que les grandes & les adultes qui peuvent y produire des tiges ; que les feuilles vertes, produites avant qu’on ait intercepté la lumière, périssent toutes ; tandis que celles qui ont été produites dans l’obscurité même, vivent plus long-temps ; que les parties qui sont naturellement vertes deviennent jaunes, tandis que la couleur pourprée paroît ne pas changer dans les feuilles & les pétioles nés dans l’obscurité, & qu’enfin la structure des poils paroît différer un peu de ce qu’elle est ordinairement.

Au sujet des poils des plantes, M. Méefe a observé qu’ils étoient plus rares, & quelquefois plus longs sur les plantes élevées dans l’obscurité, que sur celles qui croissoient à la lumière.

Des plantes aquatiques soumises aux mêmes expériences, se sont de même étiolées dans l’obscurité ; & il faut en conclure que la lumière influe jusque sur la végétation des plantes qui croissent dans l’eau.

Si la lumière a une telle influence sur toute la vie végétale, que dès le moment que la plante en est privée elle commence à tomber en langueur & finit par périr, elle doit en avoir nécessairement une très-considérable sur le principal acte de la végétation, la fécondation ou la fructification. C’est ce que M. Méese confirma. Il mit dans l’obscurité une pâquerette ou marguerite qui avoit deux fleurs ouvertes & quelques autres fermées ou à demi-ouvertes ; au bout de quelques heures les fleurs se fermèrent : la plante resta dans cet état pendant tout le mois d’avril ; les feuilles vertes périrent peu à peu, les fleurs restèrent toujours fermées, & la plante mourut vers la mi-mai. Il en arriva autant à des fleurs de mouron, de senneçon, de soleil, de narcisse, &c. ; il est donc constant que la fructification ne s’achève pas dans l’obscurité. Il observa cependant que quelques fleurs s’y sont ouvertes ; mais cet épanouissement peut venir de deux causes ; 1°. de l’extension lente des parties encore contenues dans leurs enveloppes, & cette extension est le produit de la nutrition ; 2°. de l’expansion subite par laquelle la fleur s’ouvre, & qui provient d’une plus grande affluence de sucs. L’absence de la lumière, en troublant, suivant M. Méese, le mouvement des sucs par le retardement & la diminution de la transpiration, les sucs affluant en moindre quantité dans l’obscurité, ne pourront pas tendre les fleurs avec autant de force. Celles-ci ne s’ouvriront pas, si la fructification n’est pas encore assez avancée lorsqu’on intercepte la lumière ; mais elles s’ouvriront plus ou moins, si la végétation a déjà assez de force pour ne pas se ressentir trop de la diminution qui leur survient ; enfin, n’est-il pas probable que les fleurs ouvertes, se fermeront dans l’obscurité, parce que les sucs n’y ont plus la force suffisante pour vaincre l’élasticité des fibres.

Quoique la fructification n’ait pas lieu dans l’obscurité, il ne faut pas l’attribuer au manque des étamines & de la poussière fécondante ; elles se forment également : il est indécis si cette poussière dans cet état est réellement fécondante, & c’est ce dont M. Méese n’a pu s’assurer comme il s’est assuré qu’en général les fleurs mises dans l’obscurité périssoient souvent plutôt que celles qui jouissent de la lumière.

D’après ces expériences & quantité d’autres, M. Méese conclut que les plantes s’étiolent toutes les fois qu’elles font privées de la lumière directe, que l’étiolement est plus ou moins considérable, suivant que cette privation est plus ou moins complète ; mais que cette altération n’a lieu que pour les parties tendres & délicates des plantes, comme la partie supérieure de la tige qui n’est pas encore verte ; que pour les autres qui sont entièrement développées, & ont acquis tout leur accroissement, elles périssent, à la vérité, mais sans donner de signe d’étiolement ; si ce n’est un peu au bout supérieur des branches ; & qu’enfin le plus grand étiolement a lieu en général pendant les premiers jours que la plante est privée de l’influence de la lumière.

Cette privation produit donc un effet constant dans toutes les plantes, la mort ; mais les jeunes plantes, celles qui sont encore tendres, éprouvent une maladie de plus, l’accroissement extraordinaire en quoi consiste proprement l’étiolement. Celles qui sont fortes, & dont la vie est plus longue, résistent davantage à cet accroissement. La rigidité & la solidité des fibres en est la cause principale ; (voyez le mot Accroissement) mais un des principes les plus énergiques de vitalité ne les animant plus, elles n’en périssent pas moins : Au mot Lumière, cette vérité sera mise dans tout son jour.

Telles sont & les expériences & les conséquences de M. Méesé sur l’étiolement, qu’il attribue simplement à l’absence de la lumière. Ce n’est pas cependant qu’il n’ait reconnu que la chaleur & l’humidité, dans bien des cas, ne produisent un allongement dans les tiges des plantes analogues à l’étiolement, par la foiblesse des tiges minces, des feuilles jaunâtres, quelquefois d’une plus petite surface, d’une couleur plus pâle, &c.

M. Changeux, comme nous l’avons dit plus haut, pense au contraire, que la chaleur humide opère principalement, & est le premier agent de L’étiolement : & voici les expériences sur lesquelles il se fonde.

Sur une pelouse fournie abondamment d’herbe de différentes espèces, il plaça des vases qui avoient depuis quelques pouces de diamètre jusqu’à quatre pieds : ces vases renversés, renfermoient sous leur enceinte un gazon épais ; toutes les plantes s’y étiolèrent en plus ou moins de temps. Ces expériences répétées dans différentes saisons, lui ayant toujours donné le même résultat, & la température de l’air renfermé sous les vases, lui ayant paru plus chaude & plus humide, il en a conclu que l’altération que les plantes y éprouvoient en étoit le produit.

Nous croyons que ces deux causes ont de l’influence sur la végétation ; (voyez Chaleur ET Humidité) mais nous n’admettons pas son explication ; il auroit fallu pour la démontrer pleinement, qu’il eût répété ses expériences sur des plantes non privées de lumière ; & dans le cas présent, on ne voit que des plantes sur lesquelles ces trois causes ont agi également. Ces expériences de MM. Duhamel, Bonnet & Méese sont bien plus concluantes, & il est difficile de ne pas regarder, d’après elles, l’absence de la lumière comme la cause première de l’étiolement. De plus, les plantes recouvertes de terre s’étiolent également dans tous les temps de l’année, & l’on sait que la chaleur de la surface de la terre n’est pas égale dans toutes les saisons ; une plante renfermée dans du sable très-sec s’étiole de même ; ici point d’humidité.

Ce seroit peut-être ici le lieu d’examiner si non-seulement l’absence de la lumière, mais encore le changement dans l’acte de la transpiration végétale n’en est pas une cause prochaine. Pour bien entendre la solution de cette difficulté, il faut concevoir parfaitement le méchanisme de la transpiration de la plante ; nous renvoyons donc à cet article, où nous traiterons des maladies végétales causées par la suppression de la transpiration. M. M.