Cours d’agriculture (Rozier)/LUMIÈRE

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 310-322).


LUMIÈRE. Physique et physiologie végétale.


Plan du Travail.


Sect I. Coup d’œil général sur la lumière.
Sect. II. De la lumière considérée par rapport à ses qualités physiques.
§. I. Qu’est-ce que la lumière.
§. II. Elle a toutes les propriétés de la matière.
§. III. Du mouvement de la lumière.
Sect. III. Action de la lumière sur les corps du règne animal & végétal.
§. I. Sur ceux du règne animal.
§. II. Sur ceux du règne végétal.


Section Première.

Coup d’ail général sur la lumière.


Quoique en général la physique proprement dite ne soit pas du ressort de cet ouvrage ; cependant, suivant le plan que nous nous sommes proposé, il est nécessaire souvent d’y avoir recours, & d’en établir quelques principes, parce qu’ils doivent servir de base à l’explication des phénomènes les plus frappans de l’économie végétale ; c’est ce qui nous oblige dans ce moment à entrer dans quelques détails sur la lumière, considérée physiquement. Cet élément est l’agent universel de la nature, il semble tout animer, tout mouvoir.

Mais, si nous considérons la lumière sous un rapport plus immédiat avec nous ; si nous réfléchissons que c’est à elle que nous devons le spectacle brillant de l’univers, cette jouissance qui se renouvelle sans cesse, & sans laquelle la terre entière seroit le séjour des ténèbres & de la mort, quel est l’esprit assez apathique, pour ne pas désirer de connoître le principe & les propriétés de l’ame de l’univers ! Quel plus magnifique spectacle que celui qui se développe à nos yeux au moment où la lumière, disséminée autour de nous, va s’animer par la présence du soleil, que les ténèbres de la nuit sont dissipées, que nos yeux, longtemps fermés par un sommeil bienfaisant, s’ouvrent insensiblement & se promènent sur tout ce qui nous environne ; on diroit alors qu’il se fait une nouvelle création pour nous, à mesure que nous distinguons de nouveaux objets ; ils paroissent renaître ; déjà l’éclat de la lumière augmente, les objets les plus éloignés semblent se rapprocher, parce qu’ils deviennent plus visibles ; notre domaine s’étend, nos jouissances sont plus multipliées, notre existence se multiplie avec elles. La terre se pare de couleurs éclatantes, sa beauté va frapper nos yeux à l’instant où l’astre de lumière qui anime toute la nature, s’élance rapidement de l’horizon, & s’élève au-dessus de notre séjour. Quelle majesté dans son ascension ! quelle vivacité dans ces flots de lumière qu’il lance de tous côtés ; nos yeux éblouis n’en peuvent supporter l’éclat ; ils aiment bien mieux reposer leurs regards, tantôt sur les cimes dorées des montagnes, tantôt sur l’azur qui colore le vague des airs, ou sur ces tapis verdoyons dont mille & mille fleurs naissantes marquent les différentes parties, & dessinent les contours.

La lumière a paru, tout a repris l’existence, tout revit par ses bienfaits ; l’homme, fortifié & renouvelle pour ainsi dire par un repos salutaire, retourne gaiement à son travail ; les animaux sortent de leurs retraites pour jouir de ses premières influences ; les oiseaux, portés sur leurs ailes légères, s’élèvent en chantant dans les airs, & semblent vouloir la prévenir & célébrer par leurs hymnes mélodieuses son heureux retour ; les plantes, plongées auparavant dans un vrai sommeil, s’éveillent, leurs tiges se redressent, les feuilles & leurs fleurs s’épanouissent, & déjà elles exhalent autour d’elles cet atmosphère d’air pur & vivifiant qui purifie l’air.

La matière qui vit dans les animaux & les végétaux n’est pas la seule qui ressente les bienfaits de la lumière, la matière morte & inerte en reçoit une espèce d’existence par les diverses combinaisons qu’elle est susceptible de prendre avec elle. La lumière ayant la faculté de pénétrer les corps qu’elle touche, de produire en eux la chaleur, de développer celle qui étoit engourdie dans leur sein, que de phénomènes se reproduisent alors par ce nouvel agent ! on peut même dire qu’il existe dans la nature une action & une réaction perpétuelle entre tous les corps qui sont soumis à son impression.

Si donc toute la nature éprouve une action si marquée de la part de la lumière, de quel intérêt n’est-il pas que nous cherchions à nous instruire plus particulièrement de ses propriétés & de ses effets.


Section II.

De la lumière considérée physiquement.


§. I. Qu’est-ce que la lumière.


La lumière est une matière, un fluide infiniment délié, qui en affectant notre œil de cette impression vive qu’on nomme clarté, rend les objets visibles ; ce fluide disséminé dans tout l’espace, réside nécessairement entre le corps vu & notre œil, puisque c’est lui qui nous avertit de son existence, & qui fait naître dans notre ame sa sensation par le mécanisme de l’organe de l’œil. Mais qu’est-ce que cette matière ? comment agit-elle sur notre œil, & y fait-elle naître le sentiment de la vue ? Ces deux questions importantes ont été longtemps discutées, sur-tout la première, & les physiciens, tant anciens que modernes, ne sont point d’accord sur la nature de la lumière. Le sentiment le plus généralement reçu, & que nous adoptons ici sans entrer dans de longues discussions, qui n’appartiennent qu’à des traités de physique, celui qui paroît expliquer le mieux & le plus naturellement tous les phénomènes qui dépendent de la lumière, c’est que la lumière est un fluide dont les parties sont extraordinairement tenues, disséminées, & remplissant tous les espaces vuides de l’univers. Parfaitement élastique par lui-même, il est susceptible de toutes sortes de mouvemens & dans tous les sens mais ce fluide n’est pas lumineux par lui-même, pour le devenir il a besoin d’éprouver certain degré de mouvement de vibration dans lequel consiste la lumière proprement dite, ou, pour mieux dire encore, duquel résulte la sensation de lumière dans notre ame.


§. II. La lumière a toutes les propriétés de la matière.


Si la lumière est un fluide, une matière, elle doit en avoir toutes les propriétés ; elle est divisible ; le prisme de tous les corps diaphanes qu’elle traverse en se reportant sous un angle connu, la décompose, la divise & la sépare pour ainsi dire en sept atomes colorés, dont la réunion faisoit auparavant la lumière blanche. 2°. Elle est pesante ; elle change de direction lorsqu’elle est à portée de la sphère d’attraction de quelques corps. 3°. Les molécules qui la composent ne sont ni simples ni homogènes, mais chacune est composée de plusieurs autres qui paroissent de nature différente ; ainsi le rayon rouge est bien plus pesant que le rayon violet, & entre ces deux on remarque une infinité de rayons intermédiaires, qui approchent plus ou moins de la pesanteur du rayon rouge & de la légèreté du violet. 4°. Elle est massive, & fait mouvoir des corps qu’elle frappe ; elle fait tourner sur son pivot une aiguille, placée au foyer d’un miroir ardent. 5°. Elle est élastique, & sans doute le plus élastique de tous les corps de la nature ; ce qu’on peut estimer facilement, parce qu’elle se réfléchit exactement sous le même angle sous lequel elle a frappé le corps qui le réfléchit. 6°. Enfin, elle tend, comme tous les corps, à se mouvoir en ligne directe, & elle s’y meut effectivement tant qu’il ne se trouve point d’obstacles sur son passage. S’il s’en trouve un, elle est soumise encore comme eux aux mêmes loix ; l’obstacle est-il perméable, & la lumière le pénétre-t-elle obliquement ? elle souffre alors, en le pénétrant & en sortant, un changement dans sa direction, par lequel elle s’approche plus ou moins de la perpendiculaire : c’est ce que l’on nomme en physique réfraction. L’obstacle est-il imperméable, alors elle se réfléchit, & c’est ce mouvement de réflexion qui, se propageant jusqu’à notre œil, produit en nous la sensation de la vue des corps.

En général, dès que la lumière en mouvement vient à frapper un corps par ses parties solides, intérieures comme extérieures, car la lumière est si subtile qu’elle pénétre tous les corps, & qu’elle s’y fixe en partie, alors le mouvement de vibration qu’elle lui imprime fait naître dans ce corps un certain degré de mouvement qui peut aller jusqu’à la chaleur & même ignition. Ce mouvement interne produit par la lumière, cette nouvelle modification, est, comme nous le verrons plus bas, le principe direct des phénomènes qui naissent par sa présence ou son absence, sur-tout dans le règne végétal.


§. III. Du mouvement de la lumière.


Toute cause qui peut déterminer le mouvement de vibration dans le fluide lumineux, & le propager jusqu’à notre œil, produira l’éclat lumineux. Le soleil est ce qui, jusqu’à présent, a le plus d’action dans la production de la lumière, soit que cet astre soit un réservoir immense de ce fluide, & qu’à chaque instant il en verse des torrens qui ne s’épuisent jamais, soit seulement qu’il ne fasse qu’imprimer le mouvement nécessaire au fluide lumineux, disséminé dans tout l’espace.

Ce mouvement s’affoiblit de lui-même, & finit par cesser totalement, si la cause agissante est affoiblie. Ainsi, le jour paroît dès que le soleil vient sur notre horison mettre en vibration le fluide lumineux ; le jour dure tant que cet effet a lieu ; le jour cesse & la nuit arrive lorsque, par l’absence du soleil, le fluide lumineux perd son mouvement, & retombe dans un degré de motion presque insensible. La lumière réfléchie par la lune & par les astres répandus dans les cieux, soutient jusqu’à un certain point ce foible mouvement, ce qui entretient une espèce de lueur au milieu des ténèbres de la nuit, qui suffit à quelques espèces d’animaux pour y voir & se diriger. L’œil même de l’homme y devient sensible à la longue, & l’on parvient alors à distinguer quelques objets très-proches, lorsque la prunelle de l’œil s’est assez dilatée pour ramasser, pour ainsi dire, le plus de rayons de lumière possible. Dans ce cas, leur multiplicité équivaut en quelque sorte à leur vivacité. Mais si le fluide lumineux est absolument privé de toute espèce de mouvement, alors plus d’éclat lumineux, plus de sensation dans l’organe de la vue ; des ténèbres épaisses nous environnent ; rien n’est sensible, parce que rien n’a de mouvement. Observons toujours que la sensibilité de la vue étant, comme celle de tout autre sens, différente dans les divers êtres, ce qui est invisible pour nous, l’est aussi pour certains animaux, qui eux-mêmes sont plongés dans la nuit la plus obscure, tandis que quelques insectes jouissent encore d’une espèce de jour.

Le mouvement du fluide lumineux se propageant dans tous les sens, la plus petite étincelle de lumière se voit par tous les points de sa superficie ; il faut donc la regarder comme un centre d’une sphère qui lance de toutes parts des rayons lumineux ; ces rayons partant d’un centre commun, se propagent en s’écartant les uns des autres ; leur éclat qui venoit de leur réunion s’affoiblit donc à mesure qu’ils s’éloignent & se séparent, & leur mouvement de vibration diminue en proportion, & pareillement il augmente à mesure qu’ils se rapprochent & se réunissent. Telle est la cause qui fait que plus nous nous éloignons d’un objet, & moins nous le distinguons, & vice versâ. Plus nous sommes près d’un objet, & plus notre œil reçoit de ses rayons, ou, ce qui revient au même, il est frappé d’un mouvement plus vif de vibration. Ce mouvement, qui nous paroît instantané, puisque nous apercevons les objets à l’instant même que nous les regardons, est cependant successif lorsque la distance qui nous sépare est très considérable. Les rayons lumineux qui partent du soleil, ou la propagation du mouvement de cet astre à nous, employant, suivant les observations de Bradley, huit minutes treize secondes à parcourir trente quatre millions de lieues, distance du soleil à la terre. Suivant celles d’Hughens, quand les satellites de Jupiter sortent de l’ombre de cet astre, la lumière de ces satellites nous parvient d’autant plus tard que Jupiter est plus éloigné de notre globe, & la différence qu’on remarque dans cette vitesse va à dix minutes au moins, lorsque Jupiter est à sa plus grande & à sa plus petite distance.

Les molécules lumineuses sont si tenues & si déliées, qu’elles peuvent se croiser & se pénétrer, pour ainsi dire, sans se confondre ; c’est à cette propriété qu’est dû l’avantage le plus précieux de la lumière, par lequel une infinité de rayons, partant des objets qui sont placés au delà de nous, pénètrent le globe de notre œil, s’y croisent néanmoins sans se confondre, & vont peindre chacun distinctement, au fond de cet organe, l’image de chaque partie de l’objet qui les réfléchit.

Nous avons déjà observé plus haut que lorsque la lumière frappe un corps, une partie étoit réfléchie ou réfrangée, & l’autre absorbée par ce corps ; cette dernière portion s’y fixe au point qu’elle devient, pour ainsi dire, partie constituante de ce corps ; si elle peut y conserver son mouvement de vibration, cette portion communiquera au corps une portion de son éclat lumineux, ou plutôt la portion absorbée restant toujours lumineuse, illuminera le corps qui l’a absorbée. Certains corps sont plus susceptibles de conserver cet éclat que les autres, & lorsqu’ils ont été exposés longtemps au soleil, si on les transporte tout-d’un-coup dans un endroit très obscur, ils paroissent pendant quelques instans lumineux & phosphorescens. En général les corps blancs comme le papier, sont plus susceptibles que les autres de cette propriété. Si le mouvement de vibration s’éteint trop vite, le corps reste obscur, mais il n’en éprouve pas moins une nouvelle modification, qui dans les uns est une altération, & dans les autres au contraire est une espèce de vivification. Les propriétés physiques de la lumière bien connues, il en reste une chymique, que tous les savans s’accordent à reconnoître actuellement dans la lumière, & dont la démonstration nous mèneroit trop loin ; nous la regarderons cependant comme démontrée pour l’explication que nous avons à donner de divers phénomènes ; c’est une qualité acide ou phlogistiquante, qui a fait que quelques chimistes l’ont regardée comme le vrai phlogistique ; comme telle, la lumière joue un rôle très intéressant dans le règne animal & végétal, ainsi que nous allons le voir.


Section III.

Action de la lumière dans le règne végétal & animal.


§. I. Action de la lumière sur le règne animal.

Tout ce qui a un principe de vie paroît avoir un besoin absolu de la présence de la lumière, pour exister en état de santé, & remplir toutes les fonctions nécessaires à la vie ; & tous les êtres vivans qui en sont privés, éprouvent bientôt une altération sensible. Les animaux, dont la nature est de vivre dans l’obscurité & loin de la lumière, n’y sont pas autant sujets à la vérité, mais dans leur port & leur couleur ils annoncent qu’ils ont été condamnés à une nuit éternelle ; l’éclat du jour les fatigue, un air triste, un caractère sauvage, une robe nuancée de couleurs sombres, semblent leur attirer avec justice la haine des autres animaux, & ils sont pour eux comme pour l’homme d’un mauvais augure. Ceux au contraire qui sont nés pour jouir de la lumière, viennent-ils à en être privés quelque temps, la langueur s’empare de tout leur être, la circulation des humeurs se ralentir, le principe de vie s’altère, une maladie, semblable à celle que l’on appelle étiolement dans le règne végétal, achève enfin le désordre commencé. Comme la vie est plus courte dans ce dernier règne, l’altération est plus prompte & plus sensible, comme nous le verrons bientôt. Mais ne peut-on pas attribuer autant à la privation de la lumière qu’à l’humidité & au mauvais air, les maladies que les prisonniers contractent au fond des cachots ? Poussons plus loin nos observations, & peut-être serons-nous étonnés des traces frappantes de l’influence de la lumière sur les animaux qui nous environnent, comme sur nous-mêmes, sans que nous y ayons jamais réfléchi.

La peau de l’homme, ce tissu si délicat, qui n’est recouvert que par une légère pellicule nommée épiderme, (Voyez ce mot) paroît très susceptible de s’altérer lorsqu’elle est longtemps exposée à la lumière. En effet, ne voyons-nous pas que la peau de nos mains, de notre visage, & de toutes les parties du corps qui ne sont point habituellement couvertes, prennent une nuance foncée & brunâtre, & perdent insensiblement cette blancheur & cette douceur qui en faisoit tout le prix dans la fleur de la jeunesse. Cette altération ne s’arrête pas à l’épiderme, elle pénètre plus avant, & affecte même le réseau de Malpighi, comme je m’en suis assuré au microscope ; j’ai trouve en effet qu’il n’y avoit pas une grande différence entre l’épiderme de la peau la plus blanche, & celui d’une peau très-hâlée par le soleil, seulement la dernière étoit plus raboteuse, mais la couleur & la transparence étoient presque les mêmes : au contraire la différence entre le réseau de l’une & de l’autre étoit très-sensible, & l’altération étoit frappante. Les personnes qui restent longtemps exposées à un grand éclat de lumière, au soleil, par exemple, les gens de la campagne, les paysans, les laboureurs, les chasseurs, les voyageurs ont le teint & les mains presque brunes & comme brûlées ; les Européens qui quittent ces climats tempères pour aller habiter les zones brûlantes de l’Inde ou de l’Amérique, perdent bientôt leur blancheur ; cette dégradation non-seulement se perpétue, mais elle augmente encore de race en race ; & qui sait si ce n’est pas la seule cause originelle de la couleur noire de certains peuples ?

En réfléchissant sur les idées que nous avons données de la manière dont les plantes se coloroient, (Voyez le mot Couleur des plantes) on verra qu’on peut en faire assez facilement l’application à la coloration accidentelle de la peau de l’homme, & la lumière, comme principe acide, pénétrant à travers l’épiderme dans le réseau de Malpighi & dans le parenchyme, fait entrer en fermentation le suc dont il est imbibé ; du degré de fermentation résulte le degré d’altération, & de ce dernier la nouvelle couleur qui paraît à travers l’épiderme. Que les amateurs des beautés de la figure, se consolent, cette blancheur de lys, cet éclat de fraîcheur qu’ils regrettent tant lorsque la lumière l’a fait disparaître, n’est pas perdu pour jamais ; la nature, trop bonne, travaille à chaque instant à leur rendre ce qui excite leur regret. Que l’habitant efféminé de la ville, qui, pour varier ses ennuis, a fui un instant dans la campagne, & a osé exposer au grand jour sa peau délicate, ne se désespère pas si elle s’est hâlée un peu, qu’il rentre dans ses murs, la privation du plus grand des biens, de la lumière, lui rendra bientôt sa blancheur. Vil esclave d’une beauté passagère, que de plaisirs, que de jouissances dont il se prive pour la conserver !

Nous n’avons que très-peu d’observations sur l’influence de la lumière sur les animaux, cependant nous en citerons quelques-unes, qui nous serviront à nous mettre sur la voie pour en faire de nouvelles,

Il est constant que les climats où la robe des animaux, & le plumage des oiseaux, sont peints des plus riantes & des plus vives couleurs, sont ceux qui sont éclairés plus constamment par un soleil sans nuage, comme les régions renfermées sous la zone torride ; plus nous nous éloignons de ces climats, plus nous approchons des régions polaires, où de longues nuits privent la terre de la bénigne influence de la lumière, & plus l’animal prend une teinte pâle, lavée, grise & blanche ; les ténèbres d’un hiver de six mois affectent tellement certains animaux, qu’ils changent absolument de couleur, & qu’ils deviennent blancs durant cette saison rigoureuse, pour reprendre leur première parure si tôt que le soleil reparaît sur l’horizon. M. Scheele cite un trait plus frappant encore & plus direct de l’effet de la lumière sur la nereis palustris, qui, dit-il, est rouge lorsqu’elle vit au soleil, & blanche dans l’obscurité.

Les productions animales nous étant souvent plus utiles que les animaux mêmes, ont été beaucoup plus étudiées, & on s’est apperçu bientôt que la lumière les affectoit sensiblement L’industrie humaine a su en tirer parti, les Chinois blanchissent leur soie en l’exposant au soleil : nous en faisons autant pour la cire, le suif, les toiles de chanvre ou de lin. La liqueur de certains animaux, blanche quand elle circule dans leurs vaisseaux, rougit aussitôt qu’elle est en contact avec la lumière ; telle est celle de certains coquillages que l’on trouve au bord de la mer, & dont les anciens habirans de Tyr se servoient pour teindre leurs étoffes en pourpre.


§. II. Action de la lumière dans le règne végétal.


Ce n’est que depuis quelques années que les savans se sont occupés sérieusement des effets de la lumière sur les individus du règne végétal ; leur maladie, connue sous le nom d’étiolement, en a été la principale cause ; nous sommes entrés dans quelques détails sur cette singulière maladie au mot Étiolement ; (Voyez ce mot) nous en avons cherché l’origine, & nous l’avons trouvée avec M. Méese & Bonnet dans la privation de la lumière. Nous ne répéterons donc pas ici ce que nous avons déjà dit, mais nous nous occuperons seulement de l’influence de la lumière sur la croissance des plantes, sur la coloration des pétales, des fruits & des autres parties de la plante, en un mot sur toute l’économie végétale.

Depuis MM. Duhamel, Bonnet & Méese, deux illustres observateurs ont suivi la marche de la lumière, & ses effets sur les plantes. Le premier est M. l’abbé Tessier, si avantageusement connu par ses divers travaux sur les grains & leur maladie ; l’autre M. Senebier de Genève, à qui la physique & la chymie doivent quantité d’observations importantes ; c’est l’extrait de leurs travaux que nous allons présenter ici.

M. l’abbé Tessier voulant s’assurer jusqu’à quel degré les plantes recherchoient la lumière, si leur penchant vers elle avoit lieu à la surface de la terre & dans des appartemens plus ou moins éclairés, comme dans les lieux obscurs, où le jour ne pénètre que par un seul endroit ; si cette inclinaison varieroit suivant la manière dont les plantes seroient élevées, & suivant les époques de leur végétation ; enfin si cette inclinaison seroit la même, & quelle modification elle éprouveroit par une lumière directe ou réfléchie, par la lumière du jour ou d’un flambeau allumé ; M. l’abbé Tessier, dis-je, a fait un très-grand nombre d’expériences qu’il a variées de mille manières, en exposant des tiges de bled semé dans des pots, tantôt plus ou moins obliquement à une fenêtre, tantôt sur une cheminée, devant une glace ou devant les pilastres de la cheminée ; tantôt en coupant les tiges déjà inclinées, pour voir si les nouvelles pousses se pancheroient de même ; tantôt en éclairant des plantes renfermées dans une cave, par la lumière réfléchie des miroirs, ou par une lampe. Le détail de ces expériences nous mèneroit trop loin, il en résulte seulement que plus les tiges des plantes sont près de leur naissance, plus elles s’inclinent vers la lumière. Mais se fortifient-elles par la végétation ? Leur tige se solidifie, & l’inclinaison diminue. Cette inclinaison semble augmenter encore, toutes choses égales d’ailleurs, en proportion de l’éloignement de la plante vers la lumière. La nature & la couleur des corps devant lesquels les plantes sont placées, influent encore sur leur inclinaison ; s’ils sont de nature à absorber ou à ne réfléchir que très-peu de rayons, l’inclinaison sera considérable. La facilité avec laquelle les tiges poussent & se développent, augmente aussi la facilité avec laquelle elles s’inclinent vers la lumière. « Enfin on peut conclure, dit M. l’abbé Tessier, que l’inclinaison des plantes vers la lumière, est en raison composée de leur jeunesse, de la distance où elles sont de la lumière, de la manière, dont leurs germes ont été posés, de la couleur des corps devant lesquels elles croissent, & du plus ou mmoins de facilité que leurs tiges trouvent à sortir de terre, ou des autres matières sur lesquelles on les avoit semées. »

Ne soyons donc pas étonnés, d’après ces expériences, que les plantes & les arbres se portent toujours vers l’endroit où la lumière afflue avec le plus d’abondance, & que sur les bords des allées, des clairières & des bois, nous voyons les grands arbres s’incliner en-dehors, & leurs voisins se diriger dans le même sens ; que ceux qui se trouvent environnes d’autres, cherchent sans cesse à s’élever au-dessus d’eux, afin de jouir du bienfait de la lumière dont ils ont tant besoin. Nous voyons aussi toutes les plantes renfermées dans une serre, se porter naturellement du côté d’où leur vient le jour.

Si la lumière influe à ce point sur la direction des tiges des plantes, elle a une action encore plus énergique sur la coloration des tiges, des feuilles, en un mot de toutes les parties de la fleur. M. l’abbé Tessier a fait encore un grand nombre d’expériences pour s’assurer si les différentes modifications de la lumière agiroient sur la couleur des plantes comme la couleur directe. Pour cet effet, il plaça des plantes dans une cave qui n’étoit éclairée que par deux soupiraux, & il disposa les pots dans lesquels étoient semés du bled, les uns directement sous les soupiraux, les autres dans des endroits où ils ne pouvoient recevoir la lumière de ces soupiraux, que réfléchie par des miroirs. Tantôt il fit coïncider en un seul point la lumière réfléchie par des miroirs placés au bas des deux soupiraux, & à ce point de réunion il mit des pots dans lesquels il avoit semé du bled ; tantôt il s’est servi, pour les éclairer, de la lumière d’une lampe ; dans d’autres expériences il s’est servi de la lumière de la lune, & dans d’autres de la lumière qui avoit traversé des verres diversement colorés.

Le résultat de ses expériences est : « que les plantes élevées dans des souterrains loin de l’éclat du jour, sont d’autant moins vertes qu’il s’y introduit moins de lumière, ou que la cave étant profonde, la lumière est portée plus loin ; celles qui reçoivent la lumière du jour ont une couleur verte plus foncée que celles qui ne reçoivent que la lumière de réflexion, & plus les réflexions se multiplient, & plus la couleur verte diminue, parce que la lumière s’affoiblit davantage. La lumière d’une lampe conserve aux plantes leur verdure avec moins d’intensité que la lumière directe ou réfléchie ; à la réflexion de la lumière d’une lampe, la couleur s’affoiblit encore, mais cependant jamais jusqu’à se détruire comme dans l’obscurité. Pour qu’une plante soit décolorée, il n’est pas nécessaire qu’elle soit très-éloignée de la lumière ; pourvu que la lumière ne tombe pas sur elle, elle n’aura pas de couleur… Enfin, on ne peut douter que la lumière de la lune, celle des étoiles fixes, des planètes, & celle des crépuscules, n’entretiennent dans les végétaux la couleur verte qu’ils reçoivent du jour ou du soleil, puisque les plantes qui passent les nuits dans des lieux parfaitement obscurs, sont moins vertes que celles qui sont jour & nuit exposées à l’influence des différens corps lumineux. »

De ces observations que la nature confirme en grand, naît une difficulté que M. l’abbé Tessier ne s’est pas cachée, & de laquelle il a donné une solution qui nous paroît très-juste. Si toutes choses égales d’ailleurs, les plantes les plus exposées à la lumière sont celles qui sont les plus vertes, comment se fait-il que celles qui sont au nord, ou abritées par des bois, sont quelquefois plus vertes que celles qui sont exposées au grand soleil & sans abris ? « C’est que, répond très-ingénieusement M. l’abbé Tessier, dans le premier cas elles sont ordinairement plus fraîchement, au lieu que dans le second cas, étant plus exposées aux évaporations & à l’ardeur du soleil qui les dessèche, elles ne peuvent conserver leur couleur verte, qui demande, outre la lumière, une certaine humidité, sans laquelle elle ne se soutient pas. »

M. Senebier s’est occupé, pendant plusieurs années, de l’effet de l’influence de la lumière sur les plantes, & il a observé qu’elle étoit non-seulement une cause immédiate de leur coloration, mais encore que c’étoit à son action qu’étoit dûe la décomposition de l’air fixe dans les feuilles, & le développement de l’air déphlogistiqué. Nous ne citerons encore ici que le résultat de ses ingénieuses expériences, dont on peut lire le détail dans son recueil d’excellens mémoires physico-chymiques sur l’influence de la lumière solaire, pour modifier les êtres, & sur-tout ceux du règne végétal.

L’allongement des tiges, la blancheur des feuilles, la foiblesse & la longueur de toutes les plantes, sont d’autant plus grands, que la privation de la lumière a été plus complète & de plus longue durée. Cette vérité a été démontrée, & parce que nous avons dit jusqu’à présent, & par les détails que nous avons développés au mot Etiolement. Comment donc la lumière agit-elle dans la coloration des végétaux ? C’est le problème que M. Senebier a cherché à résoudre ; & en lisant son ouvrage, on voit, avec plaisir, que la nature lui a dévoilé son secret, pour le récompenser du zèle & de l’espèce d’acharnement qu’il a mis à la consulter. Il a découvert qu’il existe une matière colorante, qui réside dans le parenchyme de la plante que cette matière colorante est une résine fixe dans l’endroit où elle se trouve, qu’elle s’y forme, qu’elle y subsiste, sans circuler avec le reste des fluides de la plante ; que c’est sur cette résine que la lumière a son action directe, & que c’est par la combinaison de la lumière avec elle, que les parties qui la contiennent & qui en éprouvent les effets, se colorent en verd. Quelques faits que nous allons rapporter, vont mettre en évidence cette ingénieuse théorie. Si l’on met dans l’obscurité une branche, un bouton, il n’y a d’étiolé que les nouvelles feuilles qui poussent depuis la privation de la lumière ; si même l’on couvre avec quelque chose une portion de feuille attachée à sa tige, exposée à la lumière, toute la feuille restera verte, excepté ce qui avoit été couvert ; enfin, si l’on expose de nouveau à l’action de la lumière, des parties de plantes étiolées, elles reprendront bientôt leurs premières couleurs ; ce qui démontre évidemment que la matière colorante ne circule pas, & que la lumière agit directement, par la présence ou son absence, sur la partie de la plante altérée ; qu’elle traverse l’épiderme, qui est transparent, pour aller agir, comme acide phlogistiquant, sur la matière parenchymateuse, lui donner la teinte verte qu’elle doit avoir. La lumière, au contraire, vient-elle à lui manquer, privée alors de ce principe essentiel, cette matière s’altère & blanchir.

Si l’on pousse plus loin l’observation, & que l’analyse chymique vienne apporter son flambeau pour éclairer nos pas incertains dans ce labyrinthe, nous trouverons que les plantes vertes contiennent beaucoup plus de principes, qui annoncent la présence du phlogistique, que les plantes étiolées. On peut aller encore plus loin ; ces dernières ont infiniment moins d’odeur & de saveur, & l’on sçait que le phlogistique est, pour ainsi dire, l’ame de ces deux qualités. Ce que nous disons des tiges & des feuilles des plantes, s’applique naturellement aux fruits qui ont beaucoup plus de goût, en proportion de la lumière qu’ils reçoivent. Cette observation est constante. Quelle différence n’y a-t-il pas entre la saveur des fruits des pays perpétuellement exposés à l’ardeur du soleil, & ceux des climats tempérés, où le soleil est rarement sans nuage !

Non content des nombreuses expériences qu’il avoit faites sur les plantes vivantes, M. Senebier a suivi [influence de la lumière sur elles jusqu’après leur mort, en examinant son effet sur les bois, & sur les teintures des plantes dans l’esprit de vin. Rien n’est plus curieux que les résultats de ces expériences, & ils nous donnent la raison de ces changemens singuliers que nous voyons arriver tous les jours aux différens bois que nous employons dans les arts. Tous les bois ne changent pas aussi vite ni aussi fort, & leur variation dépend, comme on peut le croire, de leur nature, de leur âge, & du degré de dessication. Les tables suivantes offrent le tableau des expériences de M. Senebier.

Le bois d’épine-vinette commence à changer au bout de 3 à 4 minut.
D’acacia 4 à 5.
De larze, ou larix 4 à 5.
De sapin blanc 40
D’abricotier, de 1 h. 15 minut.
De saule 4
De fernambouc. 4
D’érable 4
De cerisier 4
De houx 4
D’if 4
De poirier 4
De sassafras 4
De gayac 4
De mahogony 4
De rose 5
De tremble 5
De prunier 5
De tilleul 9
De palesandre clair 9
De quassi 12
De fayard, ou lière 14
De chêne 14
De noyer 18
De verne 19
De palesandre noir 20
De santal rouge 23
De violette 24
D’ormeau 29
D’amandier 29
D’ébène 30
Les bois qui ont le plus changé de façon, qui ont presque perdu leur couleur première, & qui ont bruni considérablement, sont :
Le gayac.
Le cohenpo blanc.
Le cornouiller.
Le plane
Le bois rouge.
Le châtaignier,
Le pin.
L’ormeau,
L’alisier.
Le bois néphrétique.
Le santal rouge.
Le santal citrin.
Le mûrier blanc.
Le fusain. Le coudrier
Le faux acacia.
Le charme.
Le laurier.
Le maronnier.
Le pommier.
Le saule,
L’épine-vinette.
L’abricotier.
Le larhe.
Les bois qui, dans le même temps, y ont beaucoup moins changé, quoiqu’ils aient été légèrement brunis, sont :
Le mahogony.
Le serpentin.
Le quassie.
Le lierre.
L’if.
L’olivier.
Le buis.
Le sassafras.
L’oranger.
Le bois de rose.
Le santal blanc.
L’aloes.
Le cèdre.
La squine.
Le lilas.
L’amandier.
L’ébène verd.
Enfin, ceux qui n’ont point éprouve d’effet dans le même espace de temps, ou qui, dans un temps plus long, n’ont éprouvé qu’un très-léger changement, sont :
Le guy.
Le sureau.
Le bois de vigne
Le réglisse.

Quelques bois prennent à la lumière des nuances remarquables, & changent diversement dans leurs divers état.

Le gayac y verdir.

Le cèdre & le chêne blanchissent.

Le bois néphrétique brunit dans sa partie blanche j mais sa partie brune brunit plus encore que la première.

Le bois de pêcher brunit plus dans ses veines serrées que dans le bord sur lequel elles rampent.

Le noyer brun, tiré du cœur de l’arbre, change très-peu j mais la partie blanche, près de l’écorce, change beaucoup.

Le noyer, fraîchement coupé, brunit beaucoup plus que le sec, & sur-tout celui qui est près de l’écorce.

Le sapin jaune, près de l’écorce, a moins bruni que le sapin blanc da cœur de l’arbre ; le sapin vieux & sec brunit beaucoup plus que le sapin jeune & frais.

Le faux acacia frais, brunit moins que le sec.

En général, les bois blancs se dorent, les bois bruns blanchissent, les bois rouges & violets jaunissent & noircissent.

Nous ne suivrons pas cet intéressant auteur dans ses expériences sur les teintures des plantes exposées à la lumière du soleil, & sur l’altération qu’elles y éprouvent. Notre objet étoit de suivre ses influences dans les objets naturels, & en tant qu’elles pourroient nous donner la solution, ou du moins nous mettre sur la voie de trouver celle de la plupart des phénomènes qui lui sont dus, & qui se passent sous nos yeux. Voyez encore Corolle, Couleur des plantes, Panaches, &c. M. M.