Cours d’agriculture (Rozier)/LUNATIQUE

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 322-325).
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LUNATIQUE. Médecine Vétérinaire. Ce mot doit son existence à ceux qui ont imaginé, que sur le déclin de la lune, il découloit de cet astre une vertu secrète, qui troubloit & chargeoit la vue du cheval ; c’est à l’époque de cette opinion, qu’on a surnommé les individus, d’entre ces animaux, qui ont été atteints de cette maladie, chevaux lunatiques.

Il est néanmoins des médecins vétérinaires, qui ne font pas venir cette maladie des influences occultes de la lune mais ils l’attribuent à différentes causes, dont les unes sont aisées à détruire, les autres sont plus tenaces, & d’autres résistent à tous les remèdes qu’on emploie pour les combattre.

Celles qui proviennent de quelque coup, de quelque blessure, ou de quelque froissement peu considérable, sont aisées à guérir.

Celles qui affectent la conjonctive & les paupières, de manière que la douleur que le cheval ressent, le détermine à mettre l’œil qui en est atteint, à l’abri des rayons lumineux, sont plus difficiles à guérir. Elles dépendent, ou de l’âcreté de la lymphe, ou d’une suppression considérable des excrétions, &c. Celles qui pénètrent jusqu’au fond de l’œil, & dans ses tuniques intérieures, sont incurables ; elles se manifestent par des symptômes plus violens que les précédentes, par des douleurs plus cruelles, & par la fièvre, qui est quelquefois accompagnée du délire. Elles causent une suppuration & un écoulement des humeurs contenues dans le globe, qui ne se terminent que par la perte de l’œil. Un pareil ravage est l’effet d’un coup violent, ou de la gale, ou du roux-vieux, dont on aura supprimé, sans précaution, le suintement des humeurs qui se portoient à la peau, ou d’un ancien ulcère qu’on aura cicatrisé inconsidérément, &c.

Il résulte de ce qui vient d’être dit, que les diverses maladies qui affectent l’œil du cheval, sont l’effet d’une cause interne, ou d’une cause externe. On en distingue de plusieurs espèces, qui sont la sèche, l’humide, l’épizootique & la périodique. Toutes ces maladies des yeux sont désignées par le mot ophtalmie, qui signifie inflammation de l’œil, accompagnée de rougeur, de chaleur, & de douleur, avec, ou sans écoulement de larmes.

L’ophtalmie sèche, sans écoulement de larmes, est l’effet de la stagnation du sang dans les petits vaisseaux. Les chevaux d’un tempéramment colérique, dont les fibres tenues ont une grande rigidité, & en qui la marche du sang est impétueuse, sont sujet à l’ophtalmie sèche, sur-tout si on les soumet à des exercices longs, violens, & à des travaux pénibles. Elle s”annonce par l’affaissement du globe, par une diminution considérable de son volume, par son enfoncement dans la cavité orbitère, par l’inflammation de la conjonctive, qui se communique à toutes les parties de l’œil, & à celles qui l’environnent. Tous ces symptômes sont communément violens.

Les chevaux phlegmatiques, naturellement engourdis & paresseux, sont sujets à l’ophtalmie humide ; les paupières s’enflent, se collent, il en sort une grande quantité de sérosité, dont la qualité est si âcre qu’elle ronge quelquefois le bord de la paupière intérieure, du cote du grand angle, & enlève le poil le long du chamfrin, sur lequel elle coule… L’ophtalmie épizootique règne dans certain temps de l’année ; elle dépend de la constitution froide & humide de l’air, ce qui fait qu’elle attaque indifféremment toutes sortes de chevaux.

L’ophtalmie périodique est celle qui revient toujours dans le même temps ; parce que son cours se fait d’une manière régulière. Il est des chevaux qui en sont attaqués tous les ans, d’autres tous les six mois, & d’autres tous les mois. C’est par l’analogie de la régularité de son mouvement ou de sa révolution, comparée avec le cours de la lune, sans doute, qu’on a supposé que l’ophtalmie périodique dépendoit de l’influence de cet astre.

J’ai vu un cheval, d’un tempérament pléthorique, qui avoit les parotides gorgées, dures & enflammées, dont l’inflammation se portoit jusqu’à l’œil du même côte. La tête de cet animal étoit basse, il ne pouvoit supporter la lumière il découloit de son œil une sérosité fort abondante ; le ventre étoit paresseux, & la sécrétion des urines languissante. Pour dissiper le mal, & rétablir les fonctions des viscères, le régime, les boissons délayantes & apéritives, la saignée, les purgatifs & les collyres furent mis en usage. Le cheval parut guéri ; mais au bout de six mois, l’ophtalmie attaqua l’œil de nouveau. On ajouta à ce premier traitement, le séton, & un régime plus long ; ce qui n’empêcha pas que l’ophtalmie ne revint périodiquement de six mois en six mois, pendant l’espace de deux ans. Tandis que les partisans des qualités occultes, attribuoient cette fluxion aux influences de la lune, on reconnut qu’elle n’y avoit aucune part, & qu’elle provenoit de la foiblesse de l’estomac & du relâchement des intestins. On prescrivit, peur la boisson ordinaire du cheval, l’eau teinte avec la boule de mars ; ce qui fut exécuté pendant près d’un mois. Le ventre devint plus libre, les reins firent mieux leurs fonctions, & l’ophtalmie ne reparut plus.

Il suit de-là, que toutes les différentes espèces d’ophtalmie, qui proviennent d’une cause inconnue à l’artiste, ou toutes celles qui ont déjà causé une certaine foiblesse à l’organe de la vue, produisent l’ophtalmie périodique, ou y disposent, & qu’on ne parviendra jamais à les guérir, qu’on n’ait guéri les maladies dont elles sont les symptomes. En conséquence, ce ne sera qu’après avoir administré les remèdes des maladies principales, qu’on en viendra au traitement de ces espèces d’ophtalmies.

Outre les causes particulières à chacune de ces espèces d’ophtalmie, si on laisse le cheval exposé à l’air de la nuit, sur-tout quand il règne un vent froid du nord ; s’il éprouve quelque suppression subite de la transpiration, principalement après avoir eu très-chaud ; s’il reste longtemps exposé à la blancheur éblouissante de la neige ; si on le fait passer subitement, d’une profonde obscurité, à une lumière éclatante ; si on le loge dans une écurie basse, humide, ou s’il est exposé aux exhalaisons du fumier, que les propriétaires négligens, ou peu éclairés, entassent dans sa demeure, &c. chacune de ces circonstances peut encore occasionner l’ophtalmie.

Quant au diagnostic de l’ophtalmie périodique, l’âcreté des larmes qui découlent, fend la paupière inférieure, l’œil qui est attaqué est plus petit que l’autre, l’humeur aqueuse qu’il contient est trouble, la conjonctive est enflammée, l’enflure attaque les deux paupières, & principalement l’inférieure ; l’écoulement des larmes est continuel, l’obscurcissement de l’œil présente une couleur de feuille morte ; le délire, les actions effrénées s’emparent quelquefois de l’animal.,

Prognostic. Si l’ophtalmie est légère, elle est facile à guérir, sur-tout lorsqu’elle provient d’une cause externe ; mais si elle est violente, & qu’elle dure longtemps, elle laisse, communément des taches sur la cornée lucide ; elle obscurcit l’éclat des yeux, elle rend les humeurs troubles, elle épaissir la cornée, & elle la rend moins transparente, & quelquefois se termine par la perte de la vue.

Lorsque le cheval a un cours de ventre, & que l’ophtalmie passe d’un œil à l’autre, ce sont des signes qui ne sont pas défavorables ; mais si elle est accompagnée d’une fièvre violente & opiniâtre, le cheval est en danger de perdre la vue.

Remèdes. La saignée est toujours indiquée dans une violente ophtalmie ; on peut même la répéter, selon l’urgence des symptômes ; on doit la faire, le plus près qu’il est possible, de la partie malade.

L’application des sangsues aux tempes & aux paupières inférieures, ne peut produire qu’un bon effet. Les breuvages & les lavemens délayans, ainsi que les laxatifs, ne doivent pas être négligés.

On pourra faire avaler au cheval, à jeun, de quatre en quatre jours, une décoction de tamarin & de séné ; on aura soin qu’il ne manque pas d’eau blanchie avec le son de froment, ou d’eau d’orge, ou de petit lait. On lui donnera tous les soirs une demi-bouteille de racine de sénéka, ou une bouteille de décoction de celle de bardane.

On lui fera prendre, trois fois par jour, un bain d’eau tiède, dans lequel on placera les deux extrémités, antérieures jusqu’aux genoux : chaque bain sera au moins de trois quarts d’heure.

On brossera la tête du cheval, de manière à en enlever toute la poussière & la crasse, & l’on profitera du moment que ses jambes seront dans le bain, pour lui faire tomber, d’une certaine hauteur, une douche d’eau froide sur la tête, & pendant qu’elle tombera, un palefrenier frottera légèrement &c continuellement la partie douchée.

Si l’ophtalmie ne cède pas à ces premiers soins, on appliquera les vésicatoires aux tempes, ou derrière les oreilles, & on entretiendra l’écoulement pendant quelques semaines, au moyen de l’onguent vésicatoire, adouci avec l’onguent basilicum.

Le séton fait au cou, ouvert de haut en bas, produit aussi de bons effets lorsqu’il donne abondamment.

Si l’inflammation des yeux est très considérable, il est bon d’appliquer sur ces organes un cataplasme de mie de pain & de lait, adouci avec du beurre frais ou de la très-bonne huile. Lorsque l’inflammation est dissipée, on fortifie les yeux, en les étuvant soir & matin avec une partie d’eau-de-vie dans six parties d’eau, ou avec une partie de vinaigre dans huit d’eau ; ou avec deux gros de vinaigre de plomb, & autant d’eau-de-vie que l’on met dans quatre livres d’eau de fontaine.

Mais si l’ophtalmie est symptomatique, il faut d’abord traiter la maladie dont elle est un symptôme ; autrement, tous les remèdes qu’on vient de prescrire, ne parviendront jamais à guérir l’inflammation des yeux. M. B. R.