Cours d’agriculture (Rozier)/ÉPIDERME

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 244-247).


ÉPIDERME, Botanique. L’épiderme ou la peau est une membrane extérieure extrêmement fine, qui recouvre toute la plante, depuis le bout des racines jusqu’à l’extrémité des feuilles, qui s’étend sur toutes les parties même les plus saillantes, comme les fleurs, les fruits & les épines, qui enfin est au végétal, ce que l’épiderme est à l’animal. L’existence de l’épiderme n’est pas difficile à démontrer, il suffit de déchirer une feuille, un pétale, d’écorcer une branche, de peler un fruit ; la première membrane transparente & sans couleur que l’on enlèvera, ce sera l’épiderme : il est vrai, que comme l’épiderme reste presque toujours adhérent au réseau cortical, il est très facile de les confondre ensemble, & de prendre pour épiderme ce qui constitue réellement l’écorce. Aux mots Corolle & Feuille on peut voir la distinction qui existe entre ces deux parties, & comment on peut enlever l’épiderme indépendamment de l’écorce. Le défaut d’avoir séparé l’un de l’autre, est cause que presque tous les auteurs qui ont écrit sur la botanique, ont parlé de l’épiderme comme de l’écorce, & lui ont attribué ce qui n’appartenoit qu’à cette dernière ; on lui a trouvé des vaisseaux, des fibres, un parenchyme même ; toutes ces parties cependant constituent l’écorce proprement dite, & sont recouvertes par l’épiderme qui, pour parler juste, doit être absolument réduit à une simple membrane. L’auteur qui l’a mieux étudié, sans contredit, est M. Desaussure, dans ses observations sur l’écorce des feuilles & des pétales ; il l’a observé sur un très-grand nombre de plantes, & n’y a jamais apperçu les traces d’organisation.

Quelle est donc la nature de cette singulière production végétale, de cette membrane si simple qui croît avec la plante & s’étend en superficie presqu’autant qu’elle ? je dis presqu’autant qu’elle, parce que dès que l’accroissement est trop prompt ou trop considérable, l’épiderme se déchire en lambeaux. Sur plusieurs plantes, comme sur quelques arbres ; l’épiderme semble se renouveler de temps en temps, il se détache par parcelles assez considérables, & l’on en retrouve un nouveau fraîchement produit. Cette observation, jointe à quelques raisonnemens, firent élever des doutes même sur l’existence de cette membrane, dans l’esprit de M. Desaussure. Ce savant observateur crut d’abord que ce n’étoit qu’une couche de quelque fluide, soutenue par les fibres du réseau cortical qui offroit aux yeux l’apparence d’une membrane ; ensuite il s’imagina qu’elle n’étoit qu’une illusion d’optique. Pour résoudre le premier doute, il fit sécher des écorces, & il la retrouva encore sur les écorces sèches ; pour dissiper le second, il l’observa à différens jours, dans différentes positions, avec différens microscopes, & il la retrouva toujours.

Ses recherches ont été encore plus loin, car, sur plusieurs espèces d’arbres, il a observé très-distinctement une membrane délicate recouvrant ce réseau & ces fibres que l’on a nommées l’épiderme des branches, du tronc & des racines ; mais toujours aussi sage dans ses conclusions qu’exact dans ses observations, il n’ose pas en conclure du particulier au général. Si mes observations peuvent être mises à côté de celles de ce célèbre naturaliste, la question seroit absolument décidée, & l’on pourra regarder toutes les plantes & tous les arbres, en général, comme revêtus de cette membrane ; je l’ai retrouvé si souvent, & dans tant d’espèces diverse, sur tant de parties, que je n’ai pas craint d’assurer au mot Écorce, & que je ne crains pas de le répéter ici, que son existence est commune dans tous les individus : ce n’est point, à la vérité, sur les vieux troncs que je l’ai cherché ; l’état de dépérissement ou il est dans la plupart, l’espèce de couche terreuse dont l’air, les insectes & les plantes parasites le recouvrent perpétuellement, mettent dans l’impossibilité de le bien observer ; mais c’est sur les jeunes branches, les pousses de l’année, & les racines tendres que j’ai été l’examiner. Le microscope de Dellebare me l’a toujours offert ; ce qui est le plus étonnant, c’est l’espèce d’uniformité que j’ai observée dans tous les épidermes. Cette membrane est si fine & si simple que la substance qui la compose doit, pour ainsi dire, être une.

Lorsqu’il est directement exposé à l’influence de l’air & des météores, je me suis apperçu qu’il étoit moins transparent, & par conséquent, à ce que je crois, plus épais ; ou ce qui pourroit peut-être être plus juste, les vaisseaux indiscernables dont il est composé, sont obstrués, & les sacs qu’il renferme, desséchés. Que l’on prenne une féve, & qu’adroitement on enlève l’épiderme qui est au-dessous de la première peau, on s’appercevra que non-seulement il recouvre la partie convexe des lobes, mais encore qu’il se replie autour d’eux, qu’il leur sert d’enveloppe dans l’intérieur de la féve, que de-là il recouvre la radicule & la plumule. Si on étend sur le porte-objet un lambeau de cet épiderme, dont une partie appartienne à la partie extérieure, & l’autre à la partie intérieure de la féve on distinguera facilement la différence de transparence, la partie intérieure étant ou moins épaisse ou plus transparente que l’autre.

La seconde propriété de l’épiderme que l’observation microscopique démontre évidemment, c’est qu’il est sans couleur. Si, lorsqu’il recouvre une partie végétale quelconque, il paroît vert, gris, brun, rouge, jaune, c’est une illusion d’optique ; il agit comme un vernis sur un tableau ; le vernis n’est nullement coloré, il laisse distinguer à travers la propre substance les couleurs étendues sur la toile. La nature nous offre une comparaison plus juste & plus exacte. L’épiderme qui recouvre la peau noire, brunâtre, cuivreuse de certains peuples n’est pas noir, brun ou cuivreux, & le principe de ces couleurs ne réside pas dans cette membrane ; mais dans la substance muqueuse que l’on a nommée le réseau de Malpighi. Il est vrai que l’épiderme influe sur l’intensité des couleurs & sur leur vivacité. À l’article Couleur des Plantes, (Tome III, page 521) nous sommes entré dans quelques détails sur cet objet, & nous y renvoyons, afin de ne pas nous répéter.

Quelqu’attention que l’on apporte à enlever un lambeau d’épiderme, on remarque presque toujours qu’il y reste adhérens des corps globuleux, transparens & colorés ; ces corps sont ou des glandes corticales, ou des mamelons, des utricules qui faisoient partie du parenchyme & du tissu réticulaire. Dans les feuilles & les pétales, ces utricules contiennent la matière colorante.

L’épiderme que nous avons reconnu tout à l’heure, recouvrant extérieurement & intérieurement les lobes d’une féve, & enveloppant la plante & la radicule, est le principe de l’épiderme entier de toute la plante ; il s’étend dans la profondeur de la terre, avec la radicule, & s’élève dans les airs avec la plume. Le même mécanisme qui préside à l’accroissement & au développement de chaque partie de la plante, occasionne sans doute celui de l’épiderme ; au mot Accroissement nous en avons donné la théorie. Ce seroit certainement ici le lieu d’expliquer comment l’épiderme de certains arbres se conserve sain & entier, tandis que celui des autres se déchire & se désunit par lambeaux ; mais, nos recherches & nos observations n’ont pas été jusque-là. Nous voyons tous les jours ce phénomène, il frappe nos yeux à chaque instant, cependant il est encore un mystère pour nous. Il est bien facile de dire que l’épiderme est plus tenace & plus ductile, si l’on peut se servir de cette expression dans le règne végétal, dans tel ou tel arbre que dans un autre ; la question ne sera pas résolue, & elle le sera encore moins lorsque l’on songera qu’en général l’épiderme des arbres vigoureux résiste davantage, & se déchire bien plus tard que celui des arbres languissans.

Presque tous les anatomistes & les observateurs qui ont étudié au microscope, la peau animale, croyent, d’après Lewenhoeck, Boerhaave & autres, que l’épiderme qui la recouvre est composé d’écailles. J’avoue de bonne foi que je n’ai jamais pu les observer, & qu’au contraire j’ai toujours trouvé une membrane sèche absolument en rapport avec l’épiderme végétal. Ce n’est pas sur les mains sur les parties exposées au grand air, ni sur la peau des hommes faits & avancés en âge, & même des vieilles femmes qu’il faut chercher un épiderme entier & continu. Cet épiderme éprouve le même sort que l’épiderme du tronc & des grosses branches ; il se fendille & s’altère exactement par le même principe. C’est sur l’épiderme des parties délicates & couvertes de la peau des enfans & des femmes, que l’on observera une continuité par laquelle on sera convaincu que l’épiderme n’est qu’une membrane & non des écailles posées en recouvrement comme les écailles des poissons. La douceur de leur peau l’annonce assez, & auroit dû au moins faire douter de l’existence de ces écailles naturelles ; mais Lewenhoeck l’avoit dit, & on la répété jusqu’à présent. J’ai enlevé très-souvent avec la pointe d’une épingle un peu crochue, des lambeaux d’épiderme de la longueur environ d’une ligne de la peau d’un enfant & d’une femme ; je l’ai exposé à la lentille du microscope, & sa surface ne m’a jamais offert la moindre écaille. Comme cet épiderme est transparent, & que quelquefois il reste à la surface intérieure quelques petits vaisseaux, il ne faut pas confondre les mailles & les divisions qu’ils forment avec les divisions des écailles ; cette erreur ne seroit pas pardonnable à un bon observateur microscopique.

L’usage de l’épiderme dans les végétaux se conçoit facilement en considérant sa nature. Son tissu serré empêche, comme l’observe très-bien M. Desaussure, que les corps infiniment petits qui voltigent dans l’atmosphère, n’entrent & ne pénètrent tous indifféremment dans l’intérieur de la plante ; car on verra au mot Nutrition que la plante se nourrit par tous ses pores. L’épiderme ne s’ouvre que vis-à-vis des vaisseaux absorbans & excrétoires. Par sa force & son élasticité, elle retient en place tous les vaisseaux & toutes les parties qui viennent se terminer à la surface de la plante. Nous verrons à l’article Feuille que l’épiderme est la principale cause du retournement des feuilles & de leur mouvement spontané. Enfin, le savant observateur que nous venons de nommer, soupçonne encore que dans l’épaisseur de l’épiderme se trouvent peut-être les organes de la transpiration insensible. Nous examinerons cette idée ingénieuse, au mot Transpiration insensible.

Nous ne nous arrêterons pas sur l’épiderme en particulier des feuilles & des fleurs, des racines, & des fruits ; à chacun de ces mots nous l’examinerons, & par conséquent nous y renvoyons ainsi qu’à Corolle & Écorce. M. M.