Cours d’agriculture (Rozier)/ÉPIER ou MONTER EN ÉPI

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 247-248).


ÉPIER ou MONTER EN ÉPI. De cette opération dépend l’abondance de la paille, dans le sens que le mot épi comprend la tige & l’épi proprement dit. Sa hauteur dépend de l’état où la terre se trouve lorsque la tige s’élance de la racine. Si elle est trop sèche, & dans les terres fortes sur-tout, la terre serre, comprime le collet des racines, & empêche l’élancement des tiges ; si elle est trop humide, & que la saison soit froide, les tiges sont maigres, alongées ; mais si la terre est humide & la chaleur forte, la tige est forte, bien nourrie, l’épi se sentira de ce bien-être. Jamais cette végétation n’est plus active, que lorsqu’il règne à cette époque des temps vulgairement appelés bas, pesans ; ils sont tels, parce qu’ils sont chargés de principes électriques, que je crois être les principes de l’air inflammable, ou ce que les chimistes appellent le phlogistique, peu importe le nom qu’on lui donne & même sa nature ; mais il est constant que ce principe du feu favorise singulièrement la végétation, lorsque la sécheresse de la terre n’y met point d’obstacle.

Si la tige est maigre & fluette, à coup sûr l’épi le sera, à moins que par les circonstances les plus heureuses, par exemple, une pluie survenue à propos ou tel autre accident heureux, n’ait redonné du ton à sa manière de végéter. Il arrive souvent alors, que l’épi proprement dit, prend beaucoup de consistance, que les grains aoûtent ; (voy. ce mot) mais très-rarement dans cette circonstance il se trouve une correspondance convenable entre l’épi & la tige ; il en résulte que l’épi trop pesant, proportion gardée, pour peu qu’il soit surchargé par la pluie ou agité par le vent, fait plier la tige, les blés se couchent &c. &c. Quelle multitude innombrable de combinaisons éprouve une plante, du moment de sa naissance jusqu’à la maturité de son fruit !

Aux causes fâcheuses & indépendantes de la volonté de l’homme, il s’en joint une qui est son propre ouvrage. On a la fureur dans toutes nos provinces de semer trop épais, & si, avant ou pendant quelques jours d’hiver, les blés n’offrent pas à la vue un beau tapis vert, égal à celui des prés au premier printemps, on croit tout perdu ; ces plantes serrées les unes contre les autres ne trouvent pas à s’étendre ; cependant les tiges ; qui en sortent, cherchent à jouir des bienfaits de la lumière, & semblables dans ce cas, aux sapins, aux arbres forestiers plantés trop près, elles s’allongent sans grossir. Comparez-leur les tiges de quelques grains semés moins dru, la disproportion est étonnante : le cultivateur la voit, la connoît & ne se corrige pas ; il se plaint ensuite, accuse les saisons, tandis qu’il devroit s’imputer les suites fâcheuses de son obstination.