Cours d’agriculture (Rozier)/FEUILLE

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 562-589).


FEUILLE. Après la fleur, organe de la multiplication, une des parties les plus essentielles à la plante est sans, contredit la feuille, sous quelque rapport qu’on la considère, soit comme simple ornement, soit comme partie utile & nécessaire. Des formes variées, pour ainsi dire, à l’infini, une couleur verte, tranchante, agréable, une proportion, une taille, si je puis m’exprimer ainsi, svelte & légère, une mobilité singulière ; voilà ce que la feuille nous offre à l’extérieur ; voilà les caractères qu’elle présente à l’indifférent même, qui ne cherche dans la feuille que la parure de la nature, & le bienfait de l’ombre & de la fraîcheur : un tissu délicat, des substances de diverse nature, un organe composé, une machine toujours en travail, douée d’une force qui la met à même de pomper l’air atmosphérique, de sucer l’humidité qui nage dans son sein, & de chasser & de rejeter en même temps les déchets de la sève, & tout ce qui, circulant dans l’arbre, ne peut servir à son entretien & à sa vie ; voilà les merveilles que la feuille offre au philosophe qui réfléchit sur ce qu’il voit, qui, à chaque pas, interroge la nature, lui demande le développement des moyens qu’elle emploie pour soutenir la vie de tout ce qui respire.

Déjà les frimats qui couvroient la terre, & répandoient par-tout la tristesse, fuient devant les premiers rayons du soleil du printemps ; déjà une douce chaleur, un mouvement interne & vivifiant annonce le retour d’une saison où tout paroît renaître, & la première annonce de son arrivée est indiquée par le développement des feuilles. Ce vert naissant ramène l’allégresse : à cette vue les oiseaux chantent le réveil de la nature ; les animaux vont s’engraisser d’une nourriture plus fraîche, & l’homme même, dont les sens ne sont que trop souvent émoussés par le vil intérêt & de folles passions, est encore sensible à ce renouvellement de la nature. La saison s’avance, l’été brûlant prend la place du doux printemps ; les feuilles entièrement développées vont rendre à tous les êtres un nouveau service.

Qui, dans ces jours où les ardeurs du soleil embrasent l’atmosphère, n’a pas désiré d’être assis au pied d’un arbre dont le feuillage épais pût le mettre à l’abri, & lui laisser respirer un air plus frais ? Qui, lorsqu’il a rencontré un ombrage, n’a pas béni dans ce moment l’Auteur de la nature, qui a revêtu les branches d’un nombre immense de feuilles légères qui, jouant sur leurs tiges délicates, brisent & détournent les rayons du soleil, tandis qu’elles agitent l’air, & lui rendent le mouvement si nécessaire à sa pureté ? Tranquillement étendu sur le gazon qui tapisse le pied de cet arbre bienfaisant, il voit voltiger au-dessus de sa tête ce pavillon mobile, pendant que ses membres fatigués reposent mollement sur un lit de verdure. La chaleur qui circuloit dans ses veines se dissipe insensiblement ; la fraîcheur, cet air salutaire, cette aure, qu’il appelle aura veni, vient & lui apporte de nouvelles forces : il renaît, & déjà prêt à continuer sa course, il se lève en saluant l’arbre bienfaisant qui lui a rendu une nouvelle vie. Ah ! s’il connoissoit toutes les merveilles que ces feuilles renferment ! s’il savoit le mécanisme étonnant par lequel elles viennent de lui fournir abondamment cet air pur, cet air vital qui a réparé ses forces & ranimé son courage, son sentiment de reconnoissance seroit accompagné d’admiration. Pour le mettre à même de réunir ces deux sensations, nous allons parcourir tous les phénomènes que la feuille offre à nos regards : ils sont sans nombre, & les observations multipliées de plusieurs savans vont servir de base à leur développement.

Plan du travail sur le mot Feuille.

Section première. De la Feuille en général.
§ I. Description de la Feuille.
§ II. Foliation & position de la Feuille dans le bouton.
§ III. Développement de la Feuille.
Sect. II. Forme des Feuilles.
§. I. Feuille considérée par rapport à sa figure.
§. II. Par rapport à sa disposition.
Sect. III. Anatomie de la Feuille, & usage de chaque partie.
§. I. De l’épiderme & de l’écorce.
§. II. Du réseau cortical.
§. III. Des nervures.
§. IV. Du parenchyme.
§. V. Différence des deux surfaces.
§. VI. Couleur des Feuilles.
§. VII. De leur nécessité.
Sect. IV. Physiologie de la Feuille.
§. I. Sa vie & ses mouvemens spontanés.
§. II. Elle est l’organe de la sève descendante.
§. III. Elle est l’organe de la sécrétion végétale.
§. IV. Sa mort, sa chute ; son utilité après sa mort.
§. V. Systèmes botaniques sur les Feuilles.

Section première.

Description & développement de la Feuille.

§. I. Description de la feuille. La feuille est cette partie de la plante qui accompagne les tiges, les branches & les fleurs ; c’est une production mince, ordinairement verte, qui est soutenue par un pétiole, & quelquefois adhérente par sa base. Si ce n’est pas la plus belle partie, c’est du moins la plus usitée, & celle dont l’utilité est de plus longue durée. On distingue dans la feuille deux parties principales, le pétiole ou la queue, & la feuille proprement dite. Le pétiole est Ce petit cylindre ligneux qui part de la branche ou de la tige, & dont l’épanouissement vers l’extrémité donne naissance aux nervures qui forment la charpente de la feuille. La feuille, de son côté, est formée de ces nervures principales, réunies par une infinité d’autres en tout sens, ce qui produit un réseau, dans les mailles duquel se trouve le parenchyme. Les deux surfaces de ce réseau sont recouvertes par une écorce & un épiderme.

§. II. Foliation, ou disposition de la feuille dans le bouton. La feuille, comme toutes les autres parties de la plante, est enfermée originairement dans le germe, mais distribuée en infiniment petit dans tous les endroits où elle doit être un jour. Il est probable que la feuille n’y existe pas sous sa forme complète & organique, elle y est en élémens, & elle se développe à mesure que les sucs nourriciers viennent dissoudre & remplir les mailles du réseau. (Voyez Accroissement) La plantule sortie de terre offre les deux premières feuilles, les séminales ou cotylédons. (Voyez ce mot) La plante croît, & ses branches perçant l’écorce dans différens endroits, portent des boutons qui renferment les feuilles qui doivent les garnir, ou bien les feuilles elles-mêmes naissent de l’aisselle des cotylédons ou des branches nouvelles. Les feuilles qui, dans les plantes herbacées, paroissent toutes seules, naissent toujours roulées de différentes manières ; mais cet enroulement n’est nulle part aussi varié & aussi admirable que dans le bouton à feuilles ou à bois. Cette situation, que le Chevalier von-Linné a nommée foliation, est très-régulière pour chaque espèce de plantes. Pour la bien observer, on prend un bouton prêt à s’épanouir, & on le coupe horizontalement ; la section fait voir l’ordre admirable avec lequel chaque feuille est disposée autour du centre du bouton.

Selon le chevalier von-Linné, les feuilles, en général, sont roulées dans le bouton sous dix formes principales, qui déterminent autant de foliations différentes.

1°. La feuille peut être repliée de manière que ses bords latéraux sont roulés sur eux-mêmes en dedans, comme dans le chèvre-feuille, le poirier, le pommier, le plantain, l’ortie, le sureau, &c. Fig. 1, Pl. 5. Lorsqu’il n’y a qu’une feuille, c’est une foliation simple ; mais il est bien des cas ou il se trouve plusieurs feuilles dans le même bouton ; alors elle est alterne, si les feuilles sont l’une dans l’autre, & que les rebords soient opposés à la nervure du milieu, comme Fig. 2, & opposée, lorsqu’il y a deux feuilles roulées par leurs bords, opposées l’une à l’autre, comme la Fig. 3.

2°. Les bords de la feuille roulés en dehors, comme dans le romarin, le laurier, la pariétaire, la primevère, le chardon, &c., Fig. 4. Lorsqu’il y a plusieurs feuilles, cette foliation peut être opposée, Fig. 5.

3°. Ou bien le bord d’un des côtés de la feuille, enveloppe le bord de l’autre côté de la même feuille roulée en spirale, en manière de crosse, comme dans le balisier, l’amomum, la plupart des graminées, la laitue, le berberis, la saxifrage, &c., Fig. 6. Quelquefois aussi cette foliation est composée. Fig. 7.

4°. Les bords de la feuille se rapprochent parallèlement l’un de l’autre, & la feuille est pliée en deux, comme dans le chêne, le hêtre, le tilleul, l’alaterne, le rosier, &c. Fig. 8.

5°. La feuille peut être plissée & repliée sur elle-même longitudinalement, comme dans l’érable, la vigne, la mauve, le groseillier, &c. Fig 9.

6°. Les bords d’une feuille peuvent être compris alternativement entre les bords d’une autre feuille, comme dans l’œillet, la scabieuse, le valériane, la sauge, &c. Fig. 10.

7°. Les feuilles sont quelquefois en recouvrement les unes sur les autres, de manière que les deux bords de la feuille intérieure sont embrassés par celle qui la recouvre, comme dans l’iris, quelques graminées, le jonc odorant, &c. Fig. 11.

8°. Les feuilles se recouvrent parallèlement, de sorte que les deux bords d’une feuille aboutissent aux deux bords de la feuille opposée, comme dans le troêne, le seringa, le pourpier, le laurier, la campanule, &c. Fig. 12.

9°. Ou bien les feuilles sont repliées en bas vers le pétiole, comme dans l’aconit, la pulsatille, l’anémone, &c.

10°. Ou, enfin, elles sont roulées en dessous en spirale transversale, de manière que leur sommet occupe le centre, comme dans la fougère & quelques palmiers, &c.

Si la section horizontale offre ces principales variétés, on les retrouve avec un peu d’adresse lorsqu’on développe le bouton, & qu’on arrache toutes les écailles, jusqu’à ce que l’on soit parvenu aux feuilles ; alors on est frappé d’un nouveau spectacle, & l’on découvre le profil de l’élévation de ce que l’on n’avoit vu qu’en plan géométrique. Nous en allons donner quelques exemples.

Les feuilles du lilas, Fig. 13, du poirier, &c., ont leurs deux bords roulés les uns sur les autres, & en dedans, comme dans le premier genre de foliation, (Fig. 1). Les feuilles de l’orme sont pliées en deux, & appliquées l’une contre l’autre par leurs bords, & renferment intérieurement d’autres feuilles plus petites, & disposées de même. Voyez, Fig. 14, où l’on voit en A une feuille détachée, tandis qu’en B, sont encore celles qui attendent le moment du développement. Dans les feuilles des bettes on retrouve la foliation opposée du second genre. (Voy. Fig. 15) AA représente deux feuilles dont les bords sont roulés en dehors, & qui sont opposées. B est une de ces deux feuilles, détachée. C’est une autre paire de feuilles roulées pareillement, & que l’on voit en D, détachée des deux grandes feuilles AA.

§. III. Développement de la feuille. Les feuilles ainsi rassemblées dans le bouton, se nourrissent des sucs élaborés que la substance même du bouton, c’est-à-dire, les vaisseaux dont il est composé, leur apportent. À l’abri des injures des météores, ces tendres nourrissons grandissent insensiblement jusqu’à ce qu’ils soient pourvus d’une force assez grande pour briser les entraves qui les tenoient enchaînés. Les premiers mouvemens de la sève, l’impulsion qu’elle imprime à toutes les parties qu’elle touche, la rigidité de leurs fibres, qui devient assez considérable pour pouvoir être élastique ; enfin, la douce chaleur du soleil, qui dilate tout ce qu’elle pénètre, hâtent leur développement. Les écailles tombent, le suc visqueux qui les tenoit collées se dessèche, la feuille s’élève au-dessus du bouton, elle se déplie ou se déroule ; enfin, elle s’étale toute entière à la lumière. D’abord sa couleur d’un vert blanchâtre, annonce sa délicatesse & sa foiblesse ; mais bientôt elle prend de la force, ses organes s’affermissent, le suc parenchymateux entre en fermentation, sa couleur prend la nuance qu’elle doit avoir ; son pétiole élastique, solide & mobile en même temps, lui apporte une partie de sa nourriture, la sève ascendante : tandis qu’elle même, balancée dans les airs, soutire de l’atmosphère tous les principes, qui concourent à la formation de la sève descendante ; enfin, elle embellit & nourrit la plante qui la porte.

Section II.

Forme des Feuilles.

Un très-ancien proverbe dit, qu’il n’y a point de feuilles qui se ressemblent ; ce proverbe peut s’entendre de deux façons : ou il s’agit de feuilles de même espèce & du même arbre, ou il s’agit des feuilles des plantes diverses ; dans le premier cas, toutes les feuilles du même arbre, de la même plante se ressemblent essentiellement, elles ont la même force particulière, qui ne varie qu’accidentellement pour la grandeur, la largeur, &c. Dans le second cas, elles ne se ressemblent point, & l’on peut dire avec Malpighi, que chaque espèce de plante a une feuille propre. Quelle étonnante variété n’existe-t-il donc pas dans la forme des feuilles, aussi multipliées que les espèces. Un botaniste peut souvent reconnoître une plante à sa feuille, & si ce caractère n’eût pas été aussi étendu, peut-être auroit-on cherché à en faire un système, de même qu’on l’a fait pour les fleurs & les fruits. M. Adanson dans sa Famille des plantes a trouvé dans leur figure, leur situation, leur enroulement, & leur durée, de quoi établir quatre systèmes particuliers ; mais nous nous en occuperons plus bas.

Notre projet n’est pas d’entrer ici dans les détails immenses qu’offrent les feuilles par rapport à leur figure & à leur situation ; ils appartiennent plutôt à un traité ex professo de botanique, & après Linné, personne n’a traité cet objet aussi bien que M. l’Abbé Rozier, dans ses Démonstrations Élémentaires de Botanique ; le Chevalier de la Marck, dans la Flore Françoise, & M. Durande, dans ses Notions Élémentaires de Botanique. Nous ne les suivrons pas dans tous ces détails essentiels pour le botaniste, mais nous ne pouvons nous dispenser de tracer ici les principaux caractères que nous offrent les feuilles.

§. I. Feuille considérée par rapport à la figure. Nous diviserons d’abord toutes les feuilles en deux grandes familles, les feuilles simples, & les feuilles composées. Les feuilles simples sont celles dont le pétiole n’est terminé que par un seul épanouissement, c’est-à-dire, dont toutes les fibres sont réunies, & forment un seul réseau rempli par le parenchyme. Les feuilles composées, au contraire, sont celles dont le pétiole se termine par plusieurs épanouissemens, ou, ce qui est encore plus exact, dont le pétiole unique est terminé par plusieurs feuilles. Les feuilles, tant simples que composées, méritent notre attention, non-seulement par rapport à leur figure, mais encore par leur situation & leur disposition.

I. Pour bien saisir tout ce qui concerne la figure des feuilles simples, on la considère sous huit rapports différens ; 1°. suivant leur circonférence ; 2°. leurs angles ; 3°. leur sinus ; 4°. leur bordure ; 5° leur surface ; 6°. leur sommet ; 7°. leur substance.

1°. La circonférence est le contour de la feuille, abstraction faite des sinus & des angles qu’elle peut offrir ; & alors elle peut être orbiculaire, lorsque ses bords sont également éloignés d’un centre commun, Fig. 16, géranium sanguin ; ronde, lorsque étant orbiculaire, elle n’a aucun angle remarquable, Fig. 17, la soldanelle des Alpes ; ovale, lorsqu’étant arrondie à sa base, elle est plus étroite à son sommet, Fig. 18, la scabieuse succise. Lorsqu’elle est attachée au pétiole par la partie étroite, elle est alors ovale renversé ; elliptique, lorsque le diamètre de la longueur surpassant celui de la largeur, elle est également retrécie & arrondie à ses deux extrémités, Fig. 19, la vesce ; oblongue, lorsque la longueur contient plusieurs fois la largeur, Fig. 20, l’oseille des prés ; cunéiforme, lorsqu’elle imite, par sa forme, un coin dont le sommet un peu tronqué tient au pétiole, Fig. 21, le pourpier ; si le sommet est très-alongé, elle se termine par un bord arrondi ; elle est alors spatulée, Fig. 22 ; la pâquerette vivace.

2°. Les angles sont uniquement les parties saillantes d’une feuille considérée comme entière ; sous ce rapport, elle peut être lancéolée, lorsqu’elle imite un fer de lance, Fig. 23, la gratiole officinale ; linéaire, filiforme, capillaire, &c., lorsqu’elle est très-étroite & d’une longueur presqu’égale par-tout, excepté à son sommet qui se termine en pointe, Fig. 24, l’asperge ; tubulée ou en forme d’alène, lorsqu’étant linéaire, elle se termine insensiblement en une pointe très-aiguë, Fig. 25 ; rhomboïde, lorsqu’elle a quatre côtés parallèles formant quatre angles, dont deux aigus & deux obtus, Fig. 26, patte-d’oye ; triangulaire, quadrangulaire, &c. lorsqu’elle a trois ou quatre côtés d’angles saillans bien déterminés, Fig. 27 ; oreillée, lorsqu’elle a deux appendices ou oreillettes à sa base ou près du pétiole ; dans la Fig. 22 on voit ces deux oreillettes.

3°. Les sinus sont des échancrures qui forment dans le disque des feuilles, des angles rentrans, & sous ce rapport la feuille peut être en cœur ou cordiforme, lorsqu’étant un peu pointue à son sommet, & échancrée à sa base, elle imite la forme d’un cœur, Fig. 28, le tilleul, la violette ; si l’échancrure est au sommet, alors la feuille est en cœur renversé ; réniforme, lorsqu’elle est arrondie, un peu plus large que longue, & échancrée à sa base, ayant la forme d’un rein, Fig. 29, le cabaret ; en croissant ou lunulée, lorsqu’elle imite la forme d’un croissant, Fig. 30 ; sagittée ou en fer de flèche, lorsqu’elle est triangulaire & échancrée à sa base, Fig. 31, le liseron des champs ; hastée ou en fer de pique, c’est la même que la précédente, excepté que ses pointes font un peu le crochet vers la base, & s’écartent considérablement, Fig. 32, le pied de veau ; parduniforme ou en forme de violon, lorsqu’elle a à-peu-près la forme de cet instrument, Fig. 33, la patience sinuée ; bifide, trifide, quadrifide, c’est-à-dire, fendue en deux, trois, quatre lanières ; bilobée, trilobée, quadrilobée, &c. lorsqu’elle est fendue en deux, trois, quatre parties arrondies en lobes : lorsque ces découpures sont très-profondes & qu’elles vont jusqu’à la base, alors elle est partagée en deux, trois, quatre, &c. ; palmée, lorsqu’elle imite une main ouverte, Fig. 34, fleur de la passion ; laciniée, lorsque ses découpures sont elles-mêmes une ou plusieurs fois divisées, Fig. 35, le panicaut commun ; sinuée, lorsque les échancrures sont peu considérables, & qu’elles sont arrondies & très-ouvertes, Fig. 36, la jusquiame noire.

4°. La bordure est le limbe ou bord de la feuille, abstraction faite du disque, & sous ce rapport la feuille est dentée, hors le bord des pointes horizontales, distinctes & égales, Fig. 37, l’androface ; si ces dents ou pointes regardent le sommet de la feuille, alors elle est en scie, Fig. 38, achillière sternutatoire ; si ces dents sont tournées en-dehors, sans se recourber, ni vers la base ni vers le sommet, alors elle est crénelée, Fig. 39, betoine officinale ; cartilagineuse lorsque son rebord est distingué par une espèce de cartilage, Fig. 40, saxifrage cotylédone ; ciliée, lorsqu’il est garni de poils parallèles comme des cils, Fig. 41, bruyère quaternée ; frisée, déchirée, selon les diverses formes & inflexions des découpures.

5°. La surface ou superficie est la partie plane, le dessus & dessous de la feuille ; sous ce rapport la feuille peut être nerveuse, lorsqu’elle est chargée de côtes ou nervures qui partent de la base & se terminent au sommet comme dans le plantain : non nerveuses, au contraire, lorsqu’elle en est privée, comme la tulipe ; glabre, lorsqu’elle est sans poil & sans inégalités remarquables, l’épinard ; cotonneuse ou drapée, lanugineuse, lorsqu’elle est couverte de poils que la vue ne distingue pas, mais que le tact annonce, le bouillon blanc ; velue, lorsqu’elle est couverte de poils visibles, l’épervière piloselle ; hérissée, lorsque sa superficie est couverte de poils rudes & fragiles, Fig. 42, la vipérine commune.

6°. Le sommet est l’extrémité de la feuille qui dans ce sens peut être tronquée, lorsque son sommet est coupé par une ligne transversale ; émoussée, lorsqu’il est très-obtus & presque échancré ; échancrée, lorsqu’il est réellement entaillé & qu’il forme deux pointes, Fig. 43, liseron du Brésil ; aiguë, lorsqu’il se termine en pointe, la patience frisée.

7°. La substance de la feuille en particulier & relativement à sa forme, c’est ce que quelques auteurs botanistes ont désigné sous le nom de côtés ou port général de la feuille ; sous ce rapport, elle peut être cylindrique, lorsqu’elle ressemble à un cylindre dont le sommet est terminé en pointe, Fig. 44, la ciboule ; lorsque le cylindre est creux, alors elle est fistuleuse ; charnue, pulpeuse, lorsqu’elle est épaisse, & que sa substance est tendre & succulente, l’orpin ; menbraneuse, lorsqu’au contraire, elle est peu épaisse & presque sans pulpe, la gesse sauvage ; déprimée, comprimée, plane, selon les divers aplatissemens : convexe ou concave suivant sa courbure ; plissée, lorsqu’elle forme des plis remarquables, Fig. 45, le pied-de-lion commun ; ombiliquée, lorsque toutes les nervures partent d’un même centre concave ; à trois côtés, lorsqu’elle a trois côtés ou faces, & qu’elle se termine en pointe ; en épée ou glaive, lorsqu’elle est alongée, peu épaisse, & qu’elle a ses deux bords tranchans, l’iris ; en gouttière, en sillon, lorsque les bords forment un ou plusieurs sillons ; cannelée, striée, ces mots n’ont pas besoin d’explications ; corinée, lorsqu’elle est creusée dans le milieu & relevée par le bout, comme l’asphodelle rameux.

II. La feuille composée est celle qui, comme nous l’avons dit, est formée de la réunion de plusieurs. Tous les caractères dont nous venons de parler, peuvent appartenir aux feuilles composées, mais elles en ont de propres. La feuille est, ou composée simplement, ou recomposée, ou sur-composée.

1°. La feuille composée finalement, est binnée, ternée, quinée, &c. lorsqu’elle porte deux, trois, cinq folioles sur un pétiole commun, Fig. 1, Planche VI, le fabago ; Fig. 2, le trèfle ; Fig. 3, la quinte-feuille ; sur un pied, lorsque plusieurs folioles se réunissent à leur base sur un pétiole commun, Fig. 4, l’ellébore noir ; digitée, lorsque les folioles réunies à leur base, imitent la forme d’un doigt ; ailée, lorsqu’elle est composée de folioles rangées en manière d’ailes des deux côtés & le long d’un pétiole commun, Fig. 5, l’astragale ; ailée par interruption, lorsque les folioles sont de grandeur inégale, Fig. 6, l’aigremoine ; ailée, lorsqu’elle est terminée par une impaire, Fig. 7, le térébinthe, le noyer ; ailée sans impaire, lorsqu’elle est terminée par deux folioles opposées, Fig. 8, le lentisque ; ailée, lorsqu’elle est terminée par des vrilles ou mains, Fig. 5, la vesce ; ailée alterne, Fig. 10, l’aigremoine ; ailée opposée, conjuguée, lorsque les folioles se prolongent sur la tige, formant quelquefois des articulations, Fig. 11.

2°. La feuille recomposée, est en quelque sorte composée deux fois ; c’est-à-dire, que le pétiole, au lieu de porter des pétioles de chaque côté, en porte d’autres petits chargés de folioles particulières, Fig. 12, la rhue. Ces petits pétioles peuvent se diviser encore, ou en deux, ou en trois nouveaux, Fig. 13, comme dans l’épimède ; ou bien ils sont eux-mêmes ailés, c’est-à-dire, qu’ils portent de chaque côté des folioles, Fig. 14, comme la sensitive.

3°. La feuille sur-composée est celle dont les pétioles sont plusieurs fois divisés & portent des filets qui, au au lieu de se terminer par des folioles, se divisent encore en d’autres filets qui soutiennent des folioles, Fig. 15, la barbe de chèvre. Au lieu de filets terminés par des pétioles, la feuille surcomposée porte quelquefois des pétioles ailés, Fig. 16, comme dans la scabieuse colombaire.

§. II. Feuilles considérées par rapport à leur disposition. Non-seulement les feuilles demandent à être connues par rapport à leur figure, mais il n’est pas moins intéressant de les considérer, & par rapport au lieu où elles naissent, & par rapport à la manière dont elles sont attachées à la plante, & par rapport à leur position respective, &, enfin par rapport à la manière dont elles se présentent, c’est-à-dire, à leur direction.

1°. Tantôt elles naissent & sont attachées immédiatement au collet de la racine, Fig. 17, AA, le pissenlit ; tantôt le long de la tige BB, la laitue ; tantôt sur les rameaux C, le pommier ; tantôt dans les aisselles des branches au-dessous de l’insertion de chaque branche sur la tige D ; tantôt auprès des fleurs E, & alors elles portent le nom de bractées. (Voyez ce mot)

2°. La manière dont elles sont attachées, ne varie pas moins : tantôt elles sont pétiolées ou portées par un pétiole, Fig. 18 A, le rosier ; tantôt ombiliquées ou en rondache B : ce pétiole est implanté au centre de leur surface inférieure, la capucine ; tantôt sessiles, elles n’en ont point du tout, C, la véronique teucriette ; tantôt courantes D, lorsque la feuille est collée sur la tige, depuis la base jusqu’à son milieu, & le reste est libre, le bouillon-blanc ; tantôt amplexicante, lorsque par sa base elle embrasse le tour de la tige E, le jusquiame noir ; tantôt perfeuillées, lorsqu’elle est enfilée dans son disque par la tige, sans y adhérer par ses bords F, le bupterre ; tantôt cohérentes ou connées, lorsqu’opposées deux à deux, elles sont tellement unies à leur base, que chaque paire ne paroît composée que d’une seule feuille G, la candère laciniée, le chèvre-feuille ; tantôt enfin elles sont en gaine, lorsque leur base forme une espèce de tuyau qui entoure la tige en manière de gaine H, les graminées.

3°. Les feuilles considérées respectivement les unes aux autres, sont articulées, lorsqu’elles naissent du sommet les unes des autres, le cactier aux raquettes ; verticillées, étoilées A, Fig. 19, lorsqu’elles sont rangées en anneau ou en étoile autour de la tige, caille-lait ; alterne B, lorsqu’elles sont disposées par degrés sur la tige, & qu’elles sont placées de côté & d’autre alternativement, le chardon ; éparses C, lorsqu’au-contraire, elles ne gardent aucun ordre, le lis blanc ; embriquées D, lorsqu’elles se recouvrent l’une l’autre à moitié comme les tuiles d’un toit, le cyprès toujours vert ; en faisceau, lorsqu’elles forment des faisceaux, des petits paquets de feuilles, l’asperge ; éloignées B, lorsque leurs points d’insertion sont distans les uns des autres ; opposées au contraire, lorsqu’ils sont vis-à-vis les uns des autres E, la scabieuse.

4°. Les feuilles n’ont pas toutes la même position, & quand elles sont dans leur état parfait, c’est alors seulement que l’on peut juger de leur direction naturelle. Elles sont arquées A, Fig. 20, quand elles se tournent vers la tige ; droites B, lorsqu’elles approchent de la perpendiculaire ; ouvertes C, lorsqu’elles s’en écartent ; horizontales D, quand elles sont parallèles à l’horizon ; obliques, lorsque les deux bords de la feuille deviennent verticaux, de sorte que la base de la feuille a une espèce d’entorse ; réfléchies ou rabattues E, lorsqu’elles sont inclinées de manière que la base est plus haute que le Commet ; repliées F, lorsqu’elles se roulent en-dedans par le sommet ; flottantes, lorsqu’elles surnagent l’eau, &c.

Il faut cependant observer que ces directions ne sont pas constantes, souvent durant le cours d’une journée ; cela dépend de la lumière, de la chaleur : mais n’anticipons pas sur ce que nous avons à dire.

On distingue encore plusieurs manières d’être dans les feuilles. Les premières partent immédiatement des racines, & sont appelées radicales, telles sont les feuilles de toutes les plantes liliacées ; les secondes partent également des racines & des tiges, & on peut les nommer dissimilaires, parce qu’il est très-rare qu’elles se ressemblent, même quant à la forme ; les troisièmes tiennent aux tiges, & on les appelle caulinaires ; les quatrièmes enfin, accompagnent toujours les fleurs, & on les nomme florales.

Section III.

Anatomie de la Feuille, & usage de chaque partie.

On peut faire l’anatomie de la feuille de deux façons, ou en enlevant chaque partie l’une après l’autre à l’aide d’un instrument, & les examinant séparément, ou en laissant macérer une feuille dans l’eau pendant très-long-temps, jusqu’à ce que le parenchyme soit absolument décomposé, & qu’il ne reste plus que les nervures & le réseau. Cette seconde façon, la plus commode à la vérité, n’est pas la plus exacte, & la feuille, après la macération, n’offre plus qu’un squelette végétal, si je puis me servir de cette expression : on n’apperçoit que les nervures & la charpente ; mais l’écorce, le parenchyme, les glandes, les utricules, &c. se sont décomposés dans l’eau, & ne sont plus visibles. Nous nous servirons donc ici du premier procédé, comme plus exact.

§. I. De l’écorce. La première partie qui s’offre à la vue dans une feuille, est cette enveloppe extérieure qui la revêt des deux côtés, à laquelle quelques auteurs n’avoient donné que le nom d’épiderme, mais qui mérite avec raison celui d’écorce, puisqu’elle en est une véritable. L’écorce, comme nous l’avons vu à ce mot, couvre toutes les parties de la plante, depuis l’extrémité la plus déliée des racines, jusqu’à la dernière ramification ; mais, comme nous l’avons aussi observé, l’écorce n’est pas par-tout la même, & n’est pas composée des mêmes parties ; dans la tige, les branches, les racines, elle contient un épiderme, une enveloppe cellulaire, un réseau & des couches corticales, des vaisseaux, &c. : les couches corticales ne lui sont pas tellement essentielles qu’il ne puisse exister d’écorce sans elles, puisque dans la feuille, les pétales & les autres parties les plus délicates de la plante, comme les filets des étamines, le style du pistil on ne les rencontre pas ; l’épiderme, le réseau cellulaire ou cortical, & le parenchyme qui remplit les mailles, voilà ce qui constitue l’écorce proprement dite, & ce que l’on retrouve partout, sur-tout dans l’écorce des feuilles.

Si l’on considère les deux côtés d’une feuille, on sera frappé de la grande différence qu’ils offrent ; l’un est, en général, lisse, brillant, vernissé, l’autre, au contraire, est rude ; profondément sillonné, & les nervures beaucoup plus apparentes. Le premier est la surface supérieure qui regarde le ciel, & le second est l’inférieure toujours tournée du côté de la terre. Comme la nature n’a rien fait en vain, cette différence annonce un objet & des vues différentes ; mais n’anticipons point les merveilles que nous avons à décrire.

Pour pouvoir observer aisément l’écorce d’une feuille, même à la vue simple, prenez une feuille d’arbre quelconque ou d’une plante, dont la feuille soit un peu large & déchirez-la doucement, vous remarquerez que le bord de la déchirure n’est jamais net, & qu’il est garni de lambeaux d’une pellicule très-fine, transparente & d’un blanc-gris mêlé d’un peu de vert. Cette pellicule est l’écorce qui recouvre la feuille ; quand elle est bien enlevée sans portion de parenchyme elle paroît grise, & les taches vertes qu’on y observe sont des portions de parenchyme, qui sont restées adhérentes au réseau. Si la feuille est large, & que le lambeau de l’écorce soit considérable, en regardant à travers & contre le jour, vous pouvez distinguer le réseau cortical, sur-tout avec des yeux exercés à ces observations ; au reste le moindre microscope, une loupe simple suffit pour cela.

Avec un peu d’adresse & la pointe d’un canif, on vient à bout d’enlever de plus grands lambeaux d’écorce, & c’est le moyen qu’il faut employer, lorsqu’on veut faire des observations sur différentes écorces pour les comparer ensemble. Après avoir enlevé l’écorce, le parenchyme paroît à découvert ; mais il paroît d’un vert plus foncé, sans éclat, tandis que cette couleur paroît lustrée sur-tout à la surface supérieure. On lui rend bientôt son éclat & sa couleur, en y appliquant de nouveau le morceau d’écorce qu’on avoit enlevé. Ces jolies expériences sont très-faciles à répéter, sur-tout sur l’espèce de joubarbe dont la tige s’élève à la hauteur d’un pied, un pied & demi ; comme elle est très-charnue, l’enlèvement de l’écorce s’opère aisément, & l’on peut même l’en dépouiller en plus grande partie. Le parenchyme que l’on met alors à découvert, est d’un très-beau vert, avec un œil velouté & tout parsemé de points brillans ; replacez l’écorce, la nuance change, la feuille reprend & sa couleur & son lustre ordinaire.

M. Desaussure qui a poussé fort loin ses observations, a remarqué que toutes les feuilles offroient les mêmes apparences, que dans toutes l’écorce étoit grise & demi-transparente ; que lorsqu’elle paroissoit verte & opaque, c’étoit le parenchyme qui lui restoit adhérent qui en étoit cause ; que par-tout la couleur grise de l’écorce modifioit la couleur du parenchyme, & que par-tout le lustre des feuilles étoit dû à l’écorce ou plutôt à l’épiderme de l’écorce.

En effet, l’écorce d’une feuille est composée de trois parties principales ; de l’épiderme, du réseau cortical & des glandes corticales. Mettez sur le porte-objet d’un bon microscope un lambeau de l’écorce de la digitale, par exemple, & vous distinguerez facilement ces trois parties. L’écorce vous paroîtra exactement comme celle d’une corolle, (voyez à ce mot le dessein d’une écorce de corolle) une membrane fine, couverte d’une espèce de réseau dont les mailles contiennent de petits corps ronds ou de figure approchante. La membrane est l’épiderme proprement dit, elle est extrêmement fine, toujours transparente & sans couleur. L’observation la plus scrupuleuse n’a fait appercevoir à M. Desaussure ni fibres ni pores. Il est à croire cependant, que cet habile observateur s’est trompé ici ; car, si l’épiderme de la feuille, qui, sans doute, est le même qui recouvre toute la plante, n’a point de pores, comment s’exécuteroit le mécanisme de la succion & de la transpiration, duquel dépend la vie de la plante ? Mille faits, mille expériences parlent en faveur des pores, & il en est peut-être de l’épiderme végétal comme d’une glace qui est très-transparente, quoique le meilleur infiniment n’y puisse distinguer des pores : je dirois plus ; les pores de l’épiderme doivent être plus considérables, puisqu’ils laissent un passage, non-seulement aux molécules de la lumière, mais encore à des corps plus grossiers, comme l’air, l’eau, les sucs séveux, gommeux, &c. &c. Nous examinerons cette question plus en détail, lors que nous parlerons de la transpiration des plantes.

§. II. Du réseau cortical. Immédiatement au-dessous de l’épiderme est le réseau cortical, que l’on avoit pris jusqu’à présent pour l’épiderme lui-même. Cette membrane est tellement adhérente au réseau, qu’on ne peut distinguer si elle lui est extérieure ou non, & de quelque côté qu’on observe l’écorce, on voit & le réseau & la membrane avec la même facilité : cependant, comme souvent en écorchant une feuille, il arrive que le réseau ne suit pas la membrane, & qu’il reste attaché contre le parenchyme & les nervures, il est évident que l’épiderme lui est extérieur & le recouvre. Non-seulement le réseau, ou plutôt les mailles du réseau ne sont pas les mêmes dans les feuilles des plantes de différentes espèces, mais elles ne le sont pas sur toute la feuille ; en général, elles sont plus régulières dans le réseau du dessus de la feuille, que dans celui de dessous. La feuille du pêcher offre cette différence à un point singulier ; la forme des mailles de la surface supérieure approche de celle d’un hexagone régulier, tandis que celles de dessous n’offrent rien de régulier. À mesure que les mailles s’approchent du pétiole, elles sont constamment plus alongées & plus étroites ; elles le sont bien davantage sur le pédicule même. On en sent facilement la raison ; les mailles trouvant plus de surface & plus de liberté vers le milieu de la feuille, que vers le pétiole, se sont développées plus facilement, & les parties nutritives qui produisent l’accroissement, ont pu se placer en plus grand nombre entre ces mailles ; tandis que vers le pétiole & sur le pétiole même, l’espace trop étroit & trop resserré empêchoit naturellement ce développement. Il en est de même des mailles qui portent sur les nervures ; l’alongement de ces nervures en longueur beaucoup plus qu’en largeur, nécessite l’alongement des mailles qui les recouvrent.

La forme de ces mailles & le nombre de leurs côtés, varient dans presque toutes les plantes. M. Desaussure a observé que dans toutes les feuilles, 4, 5, 6 ou 7 filets viennent aboutir à une même maille ; le nombre de 6 est le plus fréquent. Il n’en faut pas de là conclure, comme il paroîtroit naturel, qu’ils forment toujours des hexagones réguliers, car les fibres qui composent ce réseau souffrent, d’après ses remarques, de si fréquentes inflexions, cheminent en serpentant d’une façon si irrégulière dans le plus grand nombre des espèces, que les mailles n’ont aucune figure régulière ni même constante ; la digitale, l’éclaire, le merisier, la fumeterre, la sauge &c. &c. en sont la preuve. D’autres fois les côtés des hexagones, que forment les mailles sont rectilignes, comme dans la joubarbe, le gui, la canne-d’inde ; alors l’irrégularité de leur figure ne vient que de leur inégalité & de l’irrégularité de leur position. Quelquefois la maille n’a pas autant de côtés qu’il y a de fibres qui viennent y aboutir ; ainsi, dans l’œillet, dans l’orchis, &c. la maille est un rectangle quoiqu’ordinairement 5 à 6 vaisseaux y aboutissent, & alors le plus grand côté du rectangle est constamment parallèle à la longueur de la feuille : les liliacées & les graminées sont dans ce cas. Parmi les plantes à mailles longues ; les unes ont leurs côtés droits, & les autres tortueux ; les lis à l’arme de job, quelques gramens ont des mailles de la première espèce, & l’iris, l’oignon, le poireau, l’asphodèle, &c. de la seconde. Les mailles qui n’ont que quatre côtés sont fort rares, & peut-être n’y en a-t-il point qui les aient constamment telles.

Si la forme des mailles du réseau cortical varie, la grandeur de ces mailles varie également dans les différentes espèces. Suivant M. Desaussure, elle s’étend depuis de ligne jusqu’à un quart de ligne de longueur, & un trentième de largeur.

Nous avons vu que très-souvent le parenchyme restoit adhérent à l’écorce quand on l’enlevoit : il est très-difficile alors, pour ne pas dire impossible, de reconnoître la forme des mailles du réseau ; cela arrive en général à toutes les plantes dont les feuilles sont sèches & dures.

Les fibres qui forment le réseau & ses mailles, sont de petits cylindres transparens dans leur axe, & qui s’anastomosent parfaitement les uns avec les autres, lorsqu’ils se rencontrent. Le fluide qui les parcourt doit être singulièrement limpide ; puisqu’il n’a tiré en aucune manière la transparence de ces vaisseaux, & l’on peut conjecturer qu’il est de même nature dans toutes les plantes, puisque dans aucune il ne paroît coloré. Ces vaisseaux ne paroissent varier que relativement à leur grosseur, leur figure & leur position, ce qui constitue les différences que l’on remarque dans les mailles. Puisque ces vaisseaux renferment un fluide circulant, ils doivent le recevoir & le transmettre : mais est-il nécessaire, comme le pense M. Desaussure, qu’ils communiquent pour cet effet avec les autres vaisseaux de la feuille ? Non, il suffit que ce réseau qui, existant non-seulement sous l’épiderme de la feuille & de la corolle, mais encore sous celle de toute la plante, se retrouve depuis les racines jusqu’aux extrémités supérieures ; il suffit, dis-je, que ces vaisseaux aient leurs orifices propres par lesquels ils reçoivent ce fluide, & s’en débarrassent indépendamment des autres vaisseaux, soit des feuilles, soit de la tige.

En observant attentivement an microscope l’intérieur des mailles du réseau cortical de l’écorce inférieure, on remarque un petit corps globuleux embrassé par une fibre ou un vaisseau, dont la figure est à peu près celle que présente la circonférence des corps globuleux. M. Desaussure a donné à ce corps globuleux le nom de glande corticale. Il faut bien distinguer cette espèce de glande, des glandes qui sont extérieures & reposent sur la surface des feuilles. (Voy. le mot Glande)

La figure des glandes corticales est communément ovale, plus ou moins alongée, quelquefois circulaire, & quelquefois aussi longue que large. Les vaisseaux qui forment le réseau, viennent s’aboucher & s’anastomoser avec celui qui environne la glande, & ils paroissent être de même nature. Dans certaines plantes, ces glandes sont si sensibles qu’on les apperçoit même à travers l’épiderme. Grew & M. Guettard les ont observées, & c’est à elles que ce dernier a donné le nom de glandes milliaires, à cause de leur multiplicité sur certaines feuilles. Dans les feuilles dont les mailles du réseau cortical sont très-alongées, le plus grand diamètre de la glande est parallèle à la longueur de la feuille, comme dans les liliacées, les orchis, les gramens, les pins, l’if, le genévrier, &c. Quoique leur grandeur soit variable, M. Desaussure n’en a jamais vu qui fussent cinq fois plus longues ou plus larges que celles d’une autre plante, & les plus grandes ne lui ont pas paru avoir plus d’ de ligne pour diamètre moyen.

Les glandes, comme le vaisseau qui les enveloppe, & les fibres du réseau cortical, sont transparentes & sans couleur.

Quel peut être l’usage de cet organe ? Ce n’est pas en vain que la nature l’a disposé avec tant d’appareil. M. Desaussure pense, d’après la position constante des glandes corticales auprès de la surface de la feuille, & leur organisation, que probablement elles sont destinées à séparer les sucs qui doivent faire la matière de la transpiration, ou à préparer & assimiler aux végétaux les vapeurs & les exhalaisons qu’ils absorbent par leurs feuilles. Ce qui appuie son opinion, & ce qui m’a été confirmé très-souvent, quand j’ai répété les observations microscopiques de M. Desaussure, c’est qu’il y a dans beaucoup de végétaux un rapport constant entre l’état de ces glandes & l’état de santé & de maladie des feuilles. Sont-elles vertes & bien portantes ? les glandes paroissent parfaitement transparentes ; jaunissent-elles ? les glandes s’obscurcissent & deviennent comme nébuleuses ; enfin, sont-elles tout-à-fait jaunes & prêtes à tomber ? les glandes deviennent tout-à-fait opaques, ou au moins entièrement obscures.

Cette observation appuie le sentiment nouveau sur la couleur des végétaux, que j’ai exposé au mot Couleur des plantes. Le passage de la transparence à l’état nébuleux & enfin à l’obscur & à l’opaque, ne vient que d’une fermentation intérieure du fluide renfermé dans la glande, qui se décompose & passe à l’état concret, à peu près comme une huile légère & transparente, qui, traitée avec un acide, passe à l’état de résine ou de baume.

Les nombreuses expériences de M. Bonnet, portent M. Desaussure à croire que les glandes corticales sont des vaisseaux absorbans ; & en effet, les plantes herbacées pompent autant d’humidité par la surface supérieure, que par la surface inférieure de leurs feuilles, tandis que les arbres & les arbustes en pompent incomparablement plus par la surface inférieure que par l’autre ; or, on remarque que presque toutes les plantes herbacées ont des glandes corticales dans l’une & l’autre surface, moins à la vérité dans la surface supérieure, au-lieu que les arbres & les arbustes n’en ont jamais que dans la surface inférieure. Il paroîtroit donc, d’après cela, que le degré d’aptitude à pomper les sucs dans les surfaces des feuilles, est en raison de la quantité de glandes corticales.

Il paroît encore certain que les glandes corticales & les vaisseaux qui les entourent ont une communication avec les vaisseaux ou les utricules du parenchyme, & que, par conséquent, les sucs qu’elles absorbent ou qu’elles laissent échapper, sont portés en partie au parenchyme, ou fournis en partie par lui. Mais avant que d’exposer les raisons en faveur de ce sentiment, il faut bien connoître auparavant le réseau parenchymateux & le parenchyme lui-même.

§. III. Des Nervures & du Réseau parenchymateux. Si l’on considère le point où la feuille tient au pétiole ou à sa queue, l’on remarque facilement que tous les vaisseaux qui le composoient s’épanouissent en divers sens, à peu près comme les branches d’un éventail. Ces vaisseaux, qui ne sont recouverts que par l’écorce, excèdent ordinairement l’épaisseur du parenchyme sous la forme de gros filets. Ce sont ces filets, ou pour mieux dire, ces vaisseaux, auxquels on a donné le nom de nervures. Ces nervures ne se distribuent pas d’une manière égale dans les feuilles de toutes les plantes. Dans les feuilles ovales & entières, comme celles du jujubier, il part de la queue trois nervures principales, qui s’étendent presque jusqu’à la pointe de la feuille ; dans d’autres, elles sont en plus grand nombre, comme dans les feuilles du cornouiller, du plantain, &c. Le plus ordinairement il n’y a qu’une seule grosse nervure principale, qui traverse le milieu de la feuille, & de laquelle se détachent, à droite & à gauche, les autres principales, comme dans le rosier, le chêne, &c. Souvent ces nervures se subdivisent en d’autres de la seconde classe, plus petites, qui donnent naissance à d’autres plus petites encore. Enfin, il arrive que les nervures principales se prolongent jusqu’au limbe de la feuille, & là, tantôt elles se replient sur elles-mêmes, & forment de nouvelles ramifications le long des bords, & tantôt elles sortent en dehors de la feuille, sous la forme d’épine. Il seroit trop long d’entreprendre de détailler ici toutes les variétés qu’offrent les nervures ; constantes dans chaque plante, elles varient comme les espèces, & sont multipliées comme elles.

Les nervures, ces gros filets, ne sont autre chose que des vaisseaux séveux, propres & aériens. Pour s’en convaincre, il suffit de rompre une feuille, & l’on verra ces vaisseaux dégorger tantôt une lymphe pure & transparente, qui est la sève, tantôt une matière colorée, qui n’est autre chose que le suc propre à l’arbre ; il n’est pas même difficile de reconnoître les trachées ; en déchirant tout doucement une feuille de rosier, par exemple, vous voyez des vaisseaux très-fins & très-délicats qui s’alongent extrêmement avant de se rompre, qui, étant tournés en spirale, se déroulent à mesure que vous tirez, & qui, abandonnés à eux-mêmes, se resserrent aussi-tôt dans leur premier état. (Voyez le mot Trachée.)

Les nervures sont disséminées à travers le parenchyme, ou plutôt c’est le parenchyme qui occupe les vides que laissent les différentes ramifications des nervures ; & elles ne sont sensibles que lorsque, par leur grosseur, elles excèdent l’épaisseur du parenchyme ; mais outre ces nervures, il existe encore dans l’épaisseur de la feuille & à son centre, un réseau qui est composé d’une infinité de petits filets très-déliés, qui s’anastomosant les uns avec les autres, forment des mailles plus ou moins grandes. Pour distinguer ce réseau du réseau cortical, nous lui donnerons le nom de réseau parenchymateux, ou réseau cellulaire, parce qu’il loge & soutient le parenchyme dans des espèces de cellules. Il est assez facile de l’obtenir isolé, & le premier moyen que nous avons indiqué pour l’anatomie de la feuille, la macération dans l’eau, le fait voir très-exact. Des chenilles, que M. de Réaumur a nommées mineurs des feuilles, en se glissant au dessous de l’épiderme, se nourrissant du parenchyme & des parties les plus délicates de la feuille, dépouillent souvent tellement le réseau parenchymateux, qu’il est très-facile d’en suivre tous les filets, après qu’elles ont, pour ainsi élire, disséqué la feuille, Il faut cependant observer que, dans ce cas, on n’a pas le réseau parfaitement entier, parce que les chenilles mangent souvent les filets les plus tendres, & par conséquent dénaturent les mailles ; la macération, au contraire, ne fait que détruire le parenchyme, sans attaquer les nervures & les mailles.

Il en est des mailles du réseau parenchymateux, à peu près comme de celles du réseau cortical, elles ont plusieurs formes très-variées ; alongées auprès du pétiole, elles sont resserrées par les principales nervures ; au contraire, vers le milieu de la feuille, elles sont plus épanouies, pour se comprimer encore vers le limbe ; ou si l’on fait attention aux figures si multipliées des feuilles dont nous avons parlé dans la première section, on pourra observer qu’elles dépendent toutes de la distribution des nervures principales & du réseau parenchymateux.

§. IV. Du Parenchyme. Le parenchyme, auquel M. Duhamel a donné le nom d’enveloppe cellulaire, parce qu’il l’avoit trouvé dans l’écorce, immédiatement au-dessous de l’épiderme, est une substance verdâtre, légère, rare, toujours succulente : nous ne pouvons mieux la comparer qu’à une éponge, ou mieux encore à un morceau de feutre ; car le parenchyme paroît composé de petits filets extrêmement multipliés, qui se croisent en tout sens. Le parenchyme occupe le centre des mailles du réseau parenchymateux ; il recouvre le tissu, & repose directement sous le réseau cortical qu’il touche, & qu’il tient continuellement imbibé. Les observations microscopiques les plus délicates n’ont pu jusqu’à présent faire connoître la nature des petits vaisseaux qui composent le parenchyme, comment ils communiquent entr’eux, & comment ils communiquent, soit avec les vaisseaux qui forment les nervures & les mailles du réseau parenchymateux, soit avec le réseau cortical, les glandes corticales & l’épidémie. Nous pouvons cependant conclure cette communication de plusieurs raisons. 1°. Les glandes corticales paroissent, en général, tellement adhérer avec le parenchyme, que lorsqu’on écorce une feuille, on enlève des portions de cette substance beaucoup plus dans les endroits où sont les glandes corticales, que dans les autres. 2°. On ne trouve presque ces glandes que dessus le parenchyme. 3°. enfin, le parenchyme ne peut être altéré, que les glandes corticales, & les vaisseaux qui composent les mailles ne le soient, & vice versà. Il y a donc tout lieu de supposer cette communication comme démontrée par le droit, quoi qu’elle ne le soit pas par le fait, c’est-à-dire, par l’observation.

Le parenchyme est perpétuellement imbibé d’une humidité, & de sucs assez communément verdâtres, qu’il reçoit, selon toutes les apparences, des vaisseaux du réseau. Souvent ces sucs sont renfermés dans de petits réservoirs nommés utricules, que Malpighi & Grew ont très-bien observés : c’est-là que ces sucs sont élaborés, purifiés, pour être entraînés jusqu’à la racine par la sève descendante ; ou bien ces sucs, secrétions de la végétation, n’attendent que l’acte de la transpiration insensible, pour être expulsés du corps de la feuille.

Telles sont toutes les parties dont la feuille est composée, & dont la connoissance est absolument nécessaire pour bien entendre la solution des principaux phénomènes que cet organe va nous offrir ; & comme il paraît que c’est le principal agent de la végétation, il n’est pas étonnant que la nature se soit plu à le travailler, & à le rendre propre à remplir ses vues.

Deux objets cependant méritent encore notre attention ; c’est la différence que l’on remarque entre les deux surfaces des feuilles, & la couleur verte qui est si commune à cette partie végétale.

§. V. Différence entre les deux surfaces de la feuille. Nous n’avons considéré jusqu’à présent la feuille qu’en général, & que par rapport aux différentes parties dont elle est composée, sans beaucoup insister sur ses deux surfaces, l’inférieure & la supérieure. La surface supérieure est celle qui regarde le ciel, & l’inférieure regarde la terre. Quoique ces deux surfaces soient recouvertes par le même épiderme, quoiqu’on y retrouve le même réseau cortical, des nervures, un parenchyme,& qu’elles ne soient séparées l’une de l’autre que par le réseau parenchymateux, cependant il est difficile de les confondre, & elles ont un aspect ordinairement si différent, qu’on ne peut s’empêcher d’imaginer tout de suite que la nature leur a attribué des fonctions différentes. La surface supérieure est ordinairement lisse & lustrée ; ses nervures sont indiquées, mais sans être saillantes ; rarement est-elle garnie de poils : il y a même des plantes où elle paroît avoir une couleur différente. Le tremble, l’argentine, &c. ont leur surface supérieure verte, & l’inférieure blanche. La nuance du vert dans toutes les autres n’est pas la même ; elle est toujours plus foncée & plus tranchante. La surface inférieure, au contraire, est rude, pleine d’aspérité, souvent fournie de poils courts plus ou moins nombreux ; ses nervures sont saillantes, & les mailles du réseau parenchymateux y sont très-souvent sensibles. Sa couleur, toujours plus pâle que celle de la surface supérieure, n’a presque pas de lustre, & quelquefois elle est d’une autre teinte. La dureté n’est pas aussi la même ; l’épiderme qui recouvre la surface inférieure est ordinairement plus tendre, & le parenchyme plus succulent qu’à la surface supérieure. Enfin, on peut observer en général que les feuilles sont concaves supérieurement, & que la nervure du milieu forme une espèce de rigole ou de gouttière qui traverse toute la feuille depuis son extrémité jusqu’au pétiole. Il arrive cependant quelquefois que la feuille change de forme, & devient convexe ; mais cet état n’est pas naturel, & il dépend d’une affection particulière de la plante, comme nous aurons lieu de le remarquer.

§. VI. Couleur des feuilles. La couleur de la feuille ne réside ni dans l’épiderme, ni dans le réseau cortical, mais dans le parenchyme, ou plutôt dans le suc dont il est imbibé, & ses différens degrés de fermentation sont la cause des différentes nuances qu’il prend, & par lesquelles il passe. Comme nous avons développé cette théorie, au mot Couleur des plantes, nous y renvoyons pour ne pas nous répéter.

§. VII. De la nécessité des feuilles. Pour peu que l’on examine avec soin une branche d’un arbre, d’un arbrisseau, on verra que chaque bouton qui se forme est garni de sa feuille, & à mesure que ce bouton s’élance pour former le bourgeon, il est toujours surmonté & terminé par une feuille, qui devient la vraie mère-nourrice du petit œil ou bouton, à mesure qu’il se forme. Si on doute de cette vérité, on peut supprimer quelques-unes des feuilles, & on verra dans l’année suivante, qu’à cette place il ne poussera aucun bourgeon. Sans elles, sans leurs secours, nul bouton à fruit, à fleur, à feuilles, &c. On doit encore remarquer que les feuilles sont bien plus multipliées sur les boutons à fruits que sur ceux à bois ; elles y sont, pour ainsi dire, grouppées, parce que ces premiers boutons ont besoin d’une sève mieux élaborée pour leur accroissement, & d’un plus grand nombre de nourrices pour leur conservation.

Section IV.

Physiologie de la Feuille.

S’il est intéressant, pour raisonner sur une machine, de bien connoître toutes les parties qui la composent, de distinguer les roues & les leviers, de suivre les rapports qu’ils ont entr’eux, de comparer leur action réciproque, de calculer les effets, il l’est encore bien davantage de connoître la force ou le premier mobile qui la fait agir ; c’est lui qui est, pour ainsi dire, le principe vital ; sans lui la machine n’iroit point, &, à proprement parler, elle n’existeroit pas, puisqu’elle ne produiroit aucun effet. Nous pouvons assurer jusqu’à un certain point que nous connoissons la feuille ; presque toutes ses parties se sont offertes à nos regards, nos recherches nous ont conduit même jusqu’aux relations que ses différentes parties ont entr’elles ; nous savons qu’à l’endroit où le pétiole tient à la tige, il y a une petite tumeur, qu’il entre dans l’épaisseur de la peau, & qu’il y est enfermé comme un diamant dans le chaton d’une bague ; cette espèce de sertissure retient le pédicule, & c’est par la petite tumeur qu’il communique avec toute la plante. (Voyez Pétiole) Nous avons vu le pétiole composé de vaisseaux de nature diverse s’épanouir, se diviser, ses ramifications principales donner naissance à d’autres plus délicates, qui, à leur tour, finissoient par produire un réseau, dont les mailles étoient remplies d’une substance spongieuse ; nous avons vu cette substance composée d’une infinité de petits filets, perpétuellement imbibés de sucs, & recouverte d’un second réseau beaucoup plus délicat, chargé de glandes enveloppées d’un petit vaisseau ; nous avons vu une membrane transparente, envelopper ce brillant appareil. Voilà la machine connue, voilà les roues & les leviers ; les rapports que nous avons soupçonnés entre le réseau parenchymateux & le parenchyme, entre le parenchyme & les glandes corticales, entre les glandes corticales & leur réseau, entre ce réseau & l’épiderme ; voilà les communications entre toutes les parties, c’est par ces points qu’elles agissent les unes sur les autres. Mais où est le ressort qui les fait mouvoir ! quelle est la cause, le principe du mouvement ? Où est le premier mobile ? Ici nous nous arrêtons, & nous avouons de bonne foi que nous l’ignorons. Le même génie qui a dit à la matière sous forme animale, vis, croîs & multiplie, l’a dit pareillement à la matière sous forme végétale. Comme la toute puissance est un acte simple de sa volonté, la matière s’est animée ; nous voyons qu’elle vit, nous suivons ses actions, nous pouvons même calculer ses effets, mais nous ignorons comment & pourquoi elle vit. La recherche que nous en ferions, nous entraîneroit nécessairement dans des discussions & des raisonnemens inutiles, & d’autant plus inutiles qu’ils nous éloigneroient de la vérité. Contentons-nous donc d’étudier les phénomènes de la nature, sans en vouloir découvrir la première cause. Ils sont si multipliés, si grands, si élevés qu’ils sont dignes de nous fixer & de nous satisfaire.

La feuille vit comme les autres parties de la plante, elle a des mouvemens particuliers & des fonctions propres ; comme être vivant, elle a son développement & son accroissement, & par conséquent son décroissement qui la conduit insensiblement à la mort. Mais comme être vivant, elle n’est pas sur la terre pour être inutile ; elle doit donc être utile pendant sa vie & après sa mort : ainsi nous allons considérer la feuille sous ses divers rapports ; 1°. la feuille vivante & ayant des mouvemens particuliers ; 2°. la feuille pompant dans l’air la sève descendante 3°. la feuille organe de secrétion ; 4°. sa mort, sa chute & son utilité après sa mort.

§. I. Vie de la feuille & ses mouvemens. La feuille est renfermée en miniature dans la graine, comme toutes les autres parties de la plante ; mais elle est d’une telle finesse, qu’il est impossible de l’y découvrir. Plus avancée & plus développée dans le bouton & le bourgeon (Voyez ces mots) elle en sort à la saison nouvelle & se déploie, sa surface s’étend, les nervures s’affermissent, & la feuille se dirige & se fixe dans la position la plus commode, pour remplir les fonctions importantes dont la nature l’a chargée. Cette situation consiste à avoir constamment la surface supérieure tournée non-seulement vers le ciel, mais encore vers l’endroit d’où elle peut recevoir une plus grande quantité de lumière & d’air libre. Jetez les yeux sur un grand arbre très-feuillé, un marronnier-d’inde, par exemple, & considérez attentivement la direction des feuilles ; toutes celles qui sont à l’extrémité des branches, & au bord du feuillage, ont leur pétiole horizontal, de façon que le disque de la feuille se présente à la lumière, & en reçoit l’influence dans presque tous ses points. Celles qui sont placées au contraire, dans l’intérieur sont diversement inclinées ; mais toujours dans la position la plus directe vers un endroit vide ou peu épais, par lequel les rayons de la lumière peuvent venir jusqu’à elle. Cette disposition est naturelle à la feuille, & toutes les fois qu’accidentellement elle est dérangée ; elle tend de toute sa force à la reprendre. Quand un jardinier taille & attache une branche dans une nouvelle position, il dérange nécessairement la direction des feuilles, mais bientôt après, on les voit toutes se retourner & présenter à l’air & à la lumière leur face supérieure.

Ce pouvoir de se retourner, n’est pas moins admirable dans les feuilles que dans la radicule des graines semées à contre-sens ; il a paru digne de fixer l’attention d’un des plus savans observateurs de la nature, M. Bonnet, qui, dans son traité des Recherches sur l’usage des feuilles, s’en est occupé avec le soin le plus scrupuleux. Nous allons parcourir ses différentes observations, qui ne sont pas moins amusantes qu’intéressantes.

Pour répéter ces jolies expériences, il suffit d’incliner le jet qui porte la feuille, de façon que la feuille ne présente plus au ciel sa surface supérieure, & de le fixer en cet état par le moyen d’un morceau de bois, ou d’un fil. Au bout de quelque temps vous retrouverez les feuilles retournées. Ce retournement s’exécute ordinairement sur le pédicule ; tantôt il se replie, ou se courbe en divers endroits, tantôt il se contourne en manière de vis, & quelquefois il se contourne & se replie à la fois. M. Bonnet a soumis à ces expériences toutes sortes de plantes herbacées ou ligneuses, & le retournement a eu lieu dans toutes. Nous n’en citerons qu’un exemple seulement, afin de mettre sur la voie, ceux qui voudroient s’amuser à répéter ces expériences. Dans le mois de septembre, il courba en arc de cercle un jet de vigne portant quatre grandes feuilles, deux de chaque côté. Au bout d’environ deux jours, la direction des feuilles commença à changer ; la surface supérieure ne regardoit plus la terre qu’obliquement. Cette obliquité augmenta de jour en jour. Bientôt le plan de chaque feuille, auparavant parallèle à la terre, devint perpendiculaire ; enfin, le retournement ayant continué, la surface inférieure des feuilles s’offrit de nouveau à la terre, & l’autre au zénith.

Toutes choses égales, les jeunes feuilles se retournent plus promptement que celles qui sont plus avancées en âge ; les premières ont un degré de souplesse que les autres ne peuvent plus avoir. De-là vient que ces expériences réussissent bien mieux dans le printemps que dans l’automne. Les feuilles des plantes herbacées se retournent aussi plus promptement que celle des arbres. Au bout de quatre heures, les feuilles de l’atriplex commencent à se retourner. Les feuilles des arbres toujours verts sont dans le même cas que les autres. Le retournement a lieu aussi-bien dans la nuit que dans le jour, mais beaucoup plus promptement dans un temps chaud & serein, que dans un temps frais & pluvieux ; on pourroit même croire qu’il est en raison de la température de l’atmosphère ; mais aussi plus on augmente le nombre de retournemens dans une feuille, & plus il s’opère lentement.

Tous ces retournemens sont des états forcés, & par conséquent doivent influer sur les feuilles & les pétioles, & les altérer ; en effet, les feuilles qui ont subi plusieurs retournemens, paroissent s’amincir ; leur surface inférieure se dessèche & semble s’écailler ; le pétiole noircit, se gerce çà & là, & sur-tout dans les endroits où se fait le retournement. Il n’est pas étonnant que la surface inférieure de la feuille, accoutumée à n’éprouver jamais l’effet des rayons du soleil, & à recevoir l’humidité qui s’élève, souffre, se dessèche & s’écaille.

Si les plantes isolés offrent toujours la surface supérieure de leurs feuilles au soleil, on voit ce même effort agir jusques dans les plantes qui sont voisines d’un abri, comme celles placées près d’un mur ; alors leurs branches & leurs feuilles s’écartent du mur, s’étendent sur les deux côtés, & présentent leur surface inférieure du côté du mur, comme nous l’avons déjà observé pour les feuilles de l’intérieur d’un arbre.

Il est un autre retournement naturel que l’on peut observer dans les plantes, & auxquels on a donné le nom de nutation, il consiste à présenter au soleil leurs feuilles, & à le suivre ainsi dans sa marche. Les feuilles du tournesol, de la grande & de la petite mauve, du trèfle, de l’atriplex, &c. & de quantité d’autres, peut-être même de toutes les plantes herbacées & quelques-unes de ligneuses, comme l’acacia, le troêne, &c. semblent en quelque sorte marcher sur les traces de cet astre. Le matin, on les voit se diriger vers le levant ; au milieu du jour, vers le midi, & le soir au couchant. Quand les branches sont horizontales, & que les feuilles sont attachées des deux côtés, comme dans l’acacia sur-tout, on les voit, avant le lever du soleil, assez horizontales ; mais le soleil vient-il à paroître, à s’élever sur l’horizon, à échauffer l’atmosphère ? bientôt les feuilles frappées de ses rayons, se redressent, le rapprochent & forment une espèce de gouttière : le soleil, au contraire, se précipite-t-il sous l’horison, la chaleur diminue-t-elle ? la gouttière s’élargit, les feuilles s’abaissent, reprennent leur direction, & la nuit arrivée, elles se renversent & se ferment en se dirigeant vers la terre.

Toute plante élevée dans un endroit obscur, ou s’étiole, si elle est absolument privée de lumière, ou elle dirige ses feuilles du côté où la lumière pénètre jusqu’à elle. Rien ne peut détruire cette faculté dans les feuilles, qu’une altération marquée dans le pétiole. Il n’est pas même nécessaire que la feuille tienne à la tige, détachée & renversée en sens contraire ; si elle est libre, elle se retournera encore, l’eau même dans laquelle elle sera trempée, ne pourra s’opposer à ce mouvement.

Tels sont les phénomènes singuliers & principaux que les feuilles offrent à l’observateur attentif. Quelle en peut être la cause & le mécanisme ? M. Bonnet a cru les trouver dans l’influence de la chaleur et de l’humidité, & dans la différence des deux surfaces de la feuille. Il regarde la surface supérieure comme capable de se contracter par la chaleur & l’action des rayons de la lumière, & la surface inférieure par celle de l’humidité ; & il regarde les trachées, comme les vaisseaux du pétiole les plus propres à produire le retournement ; voici à-peu-près comment il explique ce mouvement. Les fibres de la surface supérieure, contractées par la chaleur qui se fait sentir au-dessus d’elles, déterminent la feuille à se tourner peu-à-peu du côté où la chaleur agit avec plus de force ; la surface inférieure se prête avec d’autant plus de facilité à ce mouvement, que ses fibres sont alors dans un état de relâchement ou de dilatation, occasionné par la chaleur que la nouvelle position leur a fait souffrir ; l’humidité qui agit ensuite pendant la nuit sur la surface inférieure, concourt à faire reprendre à la feuille sa première direction. Si donc on vient à retourner une branche, une feuille, sa partie supérieure regardant la terre, éprouvera un effet tout contraire à celui qu’elle éprouvoit lorsqu’elle regardoit le ciel. L’humidité qui viendra la frapper, relâchera ses fibres, tandis que la lumière directe & la chaleur agissant sur la surface inférieure tournée du côté du ciel, contractera ses fibres. Ce relâchement d’une part, & cette contraction de l’autre, obligeront la feuille de se retourner. Il arrive exactement alors à la feuille, par rapport à l’effet de la chaleur & de l’humidité, ce qu’il arrive à ces petits hygromètres où l’on voit deux petites figures suspendues par une corde à boyau ; l’humidité contractant cette corde, fait tourner les petites figures à droite, & la sécheresse la relâchant, les fait tourner à gauche.

§. II. Feuille considérée comme pompant la sève descendante. On doit consulter, avant de lire cet article, ce que nous avons dit au mot Air, T. I. p. 318, sur l’introduction de l’air dans les plantes par les tiges & les feuilles. Lors que nous avons dit que l’arbre & la plante se nourrissoient également par les parties cachées dans la sève & par celles qui sont exposées à l’air, & que nous avons ajouté que les feuilles étoient des racines aériennes, nous avons promis de le démontrer ici. Oui, les feuilles, telles qu’elles sont composées, sont de vrais suçoirs par lesquels la plante tire de l’air les principes qui doivent former la sève descendante, & la nourrir. Si les racines élaborent les parties substancielles, comme la sève soluble & les élémens savonneux qu’elles vont chercher dans la sève ; les feuilles, à leur tour, pompent & travaillent l’humidité, & l’air atmosphérique, le décomposent, s’en approprient le principe essentiel à l’entretien végétal, l’air fixe, & rejettent l’air vital ou déphlogistiqué, qui lui est inutile. Mais par quel mécanisme ce travail si important s’opère-t-il ? Avant que de répondre à cette question, prouvons par l’expérience qu’il s’opère, & démontrons par les faits que la feuille suce & attire, non seulement l’air atmosphérique, mais encore l’humidité & les molécules des corps qu’elle tient en dissolution.

1°. La feuille pompe l’air atmosphérique. Si l’on a lu attentivement l’article que nous avons cité plus haut, on aura remarqué sans doute l’expérience de M. Fabroni, & celles que j’ai faites sur les feuilles de plusieurs plantes. Dans la première, l’air atmosphérique & les émanations du fumier frais, avoient d’abord pénétré par l’écorce de la tige ; mais après le développement des boutons, les feuilles étoient devenues l’organe principal de la succion. Dans les miennes, l’expérience a été plus directe : je ne me suis servi que de feuilles, & l’on ne peut s’empêcher d’être étonné de la quantité d’air que ces feuilles avoient absorbé. Cet effet eût été encore bien considérable, si j’avois fait les expériences sur des feuilles adhérentes encore à la tige, au lieu qu’elles en étoient détachées, & par conséquent, dans un état de maladie tendant à la mort. Je n’ai pu m’assurer si la surface supérieure pompoit l’air avec plus d’énergie que la surface inférieure, mais je croirois volontiers que, la seconde paroissant chargée spécialement de pomper l’humidité, la première a l’emploi de s’approprier l’air atmosphérique, d’autant plus que dans les feuilles des plantes nageantes, comme le nénuphar, c’est toujours la surface supérieure qui regarde le ciel.

2°. La feuille pompe l’humidité. Comme M. Bonnet est l’auteur qui a fait le plus d’expériences dans ce genre, c’est aussi celui dont nous allons les emprunter, pour démontrer ce que nous avons avancé. Voici comment il les a faites. Il prenoit des vases qu’il remplissoit d’eau jusqu’à leur bord, & posoit dessus les feuilles qu’il soumettoit à l’expérience, les unes par la surface supérieure, les autres par l’inférieure. Quatorze espèces de plantes herbacées ont fourni à ces essais. C’étoient le plantain, le bouillon blanc, le pied de-veau, la grande mauve, l’ortie, le haricot, la belle de nuit, le soleil, le chou, la mélisse, la crête de coq, l’amaranthe à feuilles pourpres, l’épinard, & la petite mauve. Parmi ces plantes, le pied-de-veau, le haricot, le soleil, le chou, l’épinard & la petite mauve ont vécu à peu près aussi long-temps, soit qu’elles aient pompé l’eau par leur surface supérieure, soit par l’inférieure. La surface inférieure a paru avoir quelqu’avantage sur l’opposée dans la belle de nuit & dans la mélisse ; la supérieure a paru avoir plus d’énergie dans les autres, sur-tout dans l’ortie, le bouillon blanc & l’amaranthe. On doit remarquer la longue vie de quelques-unes de ces feuilles mises en expériences : une feuille d’ortie posée sur l’eau par sa surface supérieure, a vécu deux mois, & une de mélisse, posée par l’inférieure, a vécu environ quatre mois & demi.

Il arrive souvent que lorsqu’on commence ces expériences des feuilles paroissent se faner, & qu’elles reprennent ensuite leur vigueur naturelle. Cela vient de la transpiration insensible qui leur fait perdre une partie de leurs sucs, avant qu’elles aient pu pomper une assez grande quantité d’eau pour se soutenir & vivre.

Les feuilles de seize espèces d’arbres ont pareillement été mises en expériences ; celles du lilas, du poirier, de la vigne, du tremble, du laurier-cerise, du cerisier, du prunier, du marronnier d’inde, du mûrier blanc, du tilleul, du peuplier, de l’abricotier, du noyer, du coudrier, du chêne, & de la vigne de Canada.

Dans toutes, la surface inférieure l’a emporté sensiblement sur celle opposée, excepté dans le lilas & le tremble.

La faculté de pomper l’humidité est si essentielle à la conservation & à la vie de la feuille, que dès l’instant qu’on l’en prive par le moyen d’un vernis, d’une couche huileuse dont on la couvre, elle languit & meurt bientôt ; les plantes les plus herbacées éprouvent de plus vives & de plus grandes altérations que les plus ligneuses & les plus dures ; la surface inférieure en souffre plus que la supérieure, sans doute à cause du vernis naturel dont celle-ci est enduite, & qui lui a servi de défense.

La feuille ne jouit pas seulement de cette faculté de l’intérieur à l’extérieur, c’est-à-dire, elle ne pompe pas seulement l’humidité & l’air qui l’environne, mais elle agit encore intérieurement du côté de la tige, à travers le pétiole, & elle attire très-fortement à elle la sève circulante, & la force, pour ainsi dire, d’enfiler les vaisseaux du pétiole, & de venir se disséminer dans son parenchyme & dans toutes les parties qui la composent.

Toutes les expériences qui viennent d’être rapportées, prouvent donc bien que les feuilles pompent & l’air & l’humidité ; il est constant qu’il y a une étroite communication de la feuille au pétiole, du pétiole à la tige & à toute la plante ; ainsi, comme s’exprime si judicieusement M. Bonnet, « les végétaux sont plantés dans l’air, à peu près comme ils le sont dans la terre. Les feuilles sont aux branches ce que le chevelu est aux racines. L’air est un terrein fertile où les feuilles puisent abondamment des nourritures de toute espèce. La nature a donné beaucoup de surface à ces racines aériennes, afin de les mettre en état de rassembler plus de vapeurs & d’exhalaisons ; les poils dont elle les a pourvues, arrêtent ces sucs ; de petits tuyaux, toujours ouverts, les reçoivent & les transmettent à l’intérieur. On peut même douter si ces poils ne sont pas eux-mêmes des espèces de suçoirs. (Voyez Poil) Souvent, au-lieu de poils, les feuilles n’offrent que de petites inégalités, qui produisent apparemment les mêmes effets essentiels. Dans les espèces dont les feuilles sont si étroites, qu’elles ressemblent plus à des petits tuyaux qu’à de véritables feuilles, la petitesse des surfaces paraît avoir été compensée par le nombre des feuilles. Ces espèces ont plus de feuilles dans un espace donné, que n’en ont, dans le même espace, celles qui portent de plus grandes feuilles. La prêle, le pin, le sapin, en fournissent des exemples. &c. &c. »

§. III. Feuille considérée comme organe de la transpiration. Si les feuilles ont la fonction de pomper l’air & l’humidité qui forment la base de la sève descendante, elles jouissent encore d’une autre faculté non moins essentielle, celle de transpirer & de porter hors de la plante tout ce qui ne peut plus servir à son entretien, son accroissement & sa vie. La plante paroît transpirer par toutes ses parties, mais plus spécialement encore par ses feuilles.

Pour le prouver en général, une expérience très-simple suffit : il s’agit de prendre une feuille, de la peler au moment qu’on vient de l’arracher, & de la repeler quelque temps après, lorsqu’elle commencera à se faner, & ensuite lorsqu’elle sera passée tout-à-fait, on s’appercevra bientôt qu’elle aura perdu de son poids. Si l’on renferme dans un vase de verre une branche d’arbre chargée de feuilles, & qu’on la mastique à l’orifice du vase, de façon qu’il ne puisse rien en échapper, on trouvera, au bout de deux ou trois jours, le fond du vase de verre plein d’une certaine quantité d’eau limpide & sans couleur. Comme la transpiration est en raison des surfaces, plus la feuille est large, plus elle transpire, toutes choses égales d’ailleurs ; & par conséquent, plus un arbre, une plante a de feuilles, & plus aussi sa transpiration est abondante ; & plus une plante est vigoureuse, plus elle transpire. La transpiration végétale offre une infinité de phénomènes très-intéressans. Nous renvoyons au mot Transpiration pour les détails, afin de ne pas nous répéter ici.

Nous dirons encore ici en abrégé, pour ne rien laisser à désirer à cet article, qu’il paroît constant que, des feuilles, il s’échappe trois différentes substances, de l’eau, de l’air & des sucs propres.

Nous avons vu comment on pouvoit obtenir l’eau : cette eau n’est que la sève extrêmement atténuée, & dépouillée de tout ce qui pouvoit servir à la nourriture de la plante ; c’est l’eau qui tenoit en dissolution la terre soluble, & les parties huileuses & salines ; c’est l’humidité atmosphérique qui a circulé & parcouru tous les canaux. Aussi cette eau végétale est-elle en général très-claire, sans saveur, & absolument comme de l’eau commune distillée. M. Hales a cependant observé que, dans les jours de grande chaleur, & où le soleil avoit été ardent, cette eau avoit une légère odeur de la décoction de la plante qui la fournit. Cela vient sans doute d’une portion de l’esprit recteur qu’elle a entraîné avec elle. Quelque transparente, quelque pure que paroisse cette eau, on doit soupçonner qu’elle ne l’est pas en effet, & qu’elle est chargée de principes même de la plante, puisqu’il est de fait qu’elle se corrompt plus promptement que l’eau commune.

La seconde substance est l’air. Les belles expériences de M. Ingen-Houze & de M. Senebier viennent de prouver que les feuilles d’une plante exposée au soleil, laissoient échapper une certaine quantité d’air déphlogistiqué, & qu’à l’ombre, ou lorsque les feuilles commençoient à se gâter, c’étoit de l’air fixe qui transpiroit. En général, les grandes feuilles donnent un air plus pur & meilleur que les petites & les nouvelles. Rien n’est plus amusant & plus curieux de voir comment cet air sort de la feuille, tantôt en petites bulles rondes, tantôt en vessies irrégulières ; mais il faut bien remarquer qu’en général c’est la surface inférieure de la plante qui paroît chargée de l’utile emploi de la transpiration, & les conduits excrétoires doivent y être placés en grande partie.

La troisième substance sont les sucs propres, comme les gommes, les résines, l’esprit recteur, le sucre, &c. Les feuilles sont chargées à leurs surfaces extérieures de petites glandes, (voyez ce mot) qui sont spécialement destinées à cette sécrétion. Toutes les plantes ne paroissent pas fournir abondamment ces différens sucs, & l’on ne trouve que sur quelques-unes de la gomme, ou de la résine, ou du sucre. Il ne faut pas s’en rapporter aux yeux seuls ; ils sont ici des juges infidèles, & si l’on concluoit que les feuilles ne donnent point de l’eau, parce qu’on n’en voit point sur leur surface, on se tromperoit. Il est un juge plus sûr & plus exact, que l’on peut appeler en témoignage ; le tact, & sur-tout celui du palais. Mettez dans la bouche différentes espèces de feuilles, gardez-les quelque temps sans les mâcher, & vous vous appercevrez bientôt qu’elles développeront une saveur différente les unes des autres, amères, douces, sucrées, astringentes, acides, &c. Elles ne sont dues qu’aux molécules de gommes, de sucre, &c., que la salive dissout.

Voilà donc la feuille chargée, pour ainsi dire, d’entretenir la vie de toute la plante ; elle pompe, élabore & sépare une partie de la nourriture. Un mouvement vital, & qui nous est encore inconnu, agit en elle, & opère tous ces phénomènes. Utile dès le moment qu’elle se développe, les services qu’elle rend ne font qu’augmenter à mesure qu’elle atteint son âge de perfection ; mais en qualité d’être animée chaque instant de sa vie est un pas vers le tombeau.

§. IV. Mort, chute & utilité de la feuille. À mesure que les sucs nourriciers pénètrent la feuille, ils la remplissent de parties qui l’entretiennent en même temps que cette feuille nourrit la plante qui la porte ; cette action même semble hâter sa mort. C’est en vain que les fibres ligneuses qui forment le pétiole, ses nervures & ses différens réseaux semblent faire corps avec les branches & les tiges d’où elles partent ; bientôt ces mêmes vaisseaux s’obstruent par les sucs qui se déposent & s’épaississent dans leurs circulations. Dès l’instant que cette espèce d’incrustation vient à engorger ces fibres, la circulation cesse dans la feuille, & avec la circulation, le mouvement vital. Cependant la transpiration insensible ne cesse de dépouiller les vaisseaux & le parenchyme de l’humidité & des autres principes, & la réparation n’est pas en raison de la déperdition. Les sucs privés de l’eau végétale nécessaire à leur dissolution, s’épaississent, fermentent, réagissent les uns contre les autres, & altèrent par cette réaction le parenchyme qui les contenoit. Cette altération s’annonce par le changement de couleur que la feuille éprouve avant sa chute, & qui augmente en proportion de sa maladie. Le désordre augmentant de jour en jour, la feuille meurt, son pétiole desséché, se contracte, & cette contraction le détache insensiblement de la tige : triste jouet des vents, elle tombe enfin, exemple frappant, de la nécessité de mourir, imposée à tout être qui a commencé à vivre. Plusieurs accidens peuvent accélérer cet instant ; une bruine, un froid subit, une gelée, ou dans l’été même, une chaleur forte & long-temps continuée ; mais dans ces cas, la mort est produite par une maladie extraordinaire, & ce n’est pas la marche inévitable de la nature. Les feuilles des arbres, des arbrisseaux, tombent lorsque le bouton qu’elles ont nourri, a acquis sa juste grosseur & sa consistance. Dans l’origine, c’étoit un point imperceptible, mais grossissant peu-à-peu, il agit comme un coin placé à la base de la feuille ; petit à petit, il soulève & détache cette base, enfin, lorsqu’il est bouton parfait & capable de devenir bourgeon l’année suivante, la feuille est détachée, parce qu’il n’a plus besoin de son secours. Cette opération de la nature fait sentir avec quel ménagement on doit effeuiller. (Voy. les mots Bourgeon,& Effeuiller)

Telles sont les causes les plus simples que l’on puisse donner de la chute des feuilles. Les arbres que l’on appelle toujours verds, parce qu’ils conservent leurs feuilles pendant tout l’hiver, & plus long-temps que les autres, ne sont cependant pas exempts pour cela de la loi commune. Si leurs feuilles paroissent braver la rigueur des premiers froids & des gelées, elles n’en tombent pas moins au printemps, lorsque les nouvelles feuilles paroissent, ou si elles subsistent encore quelque temps, leur mort & leur chute n’est que différée.

La feuille qui a été si utile à la plante durant sa vie, en s’appropriant l’air & l’humidité, l’est encore après sa mort en se décomposant. La terre soluble dont elle est composée, les sucs qui se sont desséchés & qui se délayent de nouveau par l’humidité de la terre sur laquelle elle est tombée, vont de nouveau nourrir les racines, & de-là toute la plante. La fermentation putride qui s’établit dans un monceau de feuilles, hâte leur décomposition, & en fait un excellent fumier. (Voyez les mots Amendement, Engrais.)

Section V.

Systèmes botaniques, tirés des Feuilles.

L’envie de classer toutes les plantes, & de trouver ainsi un moyen facile de les reconnoître, a fait chercher des caractères distinctifs & frappans dans toutes les parties apparentes d’une plante. Plusieurs auteurs ont employé les feuilles à cet usage. Les uns ne les ont considérées que comme partie d’un grand système ; les autres les ont choisies pour base. De la première classe sont 1°. Rai qui établit sa douzième & treizième classe sur la disposition & la substance des feuilles ; 2°. Magnol, dans sa troisième section, considère les herbes par rapport à leurs feuilles ; 3°. Boerhaave de même, depuis la cinquième jusqu’à la douzième classe ; 4°. Morandi ; 5°. Heister. Dans la seconde classe, 1°. M. Sauvages qui a établi onze classes, d’après les feuilles considérées comme manquant, les champignons ; comme formant un gazon près de la racine, le plantain ; opposées deux à deux, la valériane ; verticillées, la prèle ; alternes étroites, le pin ; alternes longues, le tilleul ; digitées, le chanvre ; palmées, le houblon ; pinnées, polypode ; ailées sur plus de deux rangs, le frêne ; & déchiquetées, le chêne. 2°. M. Duhamel a distribué en quatre classes les arbres d’après leurs feuilles considérées comme simples & entières, comme simples & découpées assez profondément ; comme composées conjuguées & comme composées palmées. 3°. enfin, M. Adanson a trouvé dans les feuilles de quoi composer quatre systèmes différens, en les considérant 1°. par leur figure, entières ou peu dentées, parvisées, palmées, digitées, ailées, conjuguées & pinnées ; 2°. par leur situation, alternes, alternes & opposées, opposées deux à deux, & opposées plus de deux à deux ou verticillées ; 3°. par leur enroulement & développement, ouvertes, appliquées à plat, en face deux à deux ou davantage, quelques liliacées ; concaves en bateau, appliquées en toit les unes sur les autres, brione ; concaves en triangle, opposées en face ou de côté, la dernière n’enveloppant toutes les autres, arum ; concaves en bateau, appliquées en face deux à deux ou davantage, quelques aristoloches ; à bords roulés en dedans sur le centre, appliquées en face deux à deux ou davantage, rosier ; à bords roulés en dehors sur le dos, appliquées en face deux à deux ou davantage, chèvre-feuille ; roulées en cornet ou en spirale sur un seul côté, la dernière enveloppant toutes les autres, gramen ; roulées des deux côtés en-dedans en cercle ou en cylindre, la dernière enveloppant toutes les autres, orchis ; roulées en dedans en entier en spirale sur elles-mêmes ou sur leur pédicule du haut en bas en étoffe, fougère ; pliées en deux, appliquées par les côtés, jujubier ; pliées en deux, appliquées par le tranchant en face, légumineuses ; pliées en deux, le côté droit de l’une embrassant le côté gauche de l’autre, scabieuse ; pliées en deux, l’extérieure enveloppant toutes les autres, bourrache ; enfin, pliées en plus de deux doubles, palmier. 4°. Par leur durée ; plantes qui quittent toutes leurs feuilles en même temps tous les ans ; plantes qui sont toujours couvertes de feuilles.

Voyez au mot Système, ce qu’il faut penser des systèmes botaniques sur les feuilles. M. M.