Cours d’agriculture (Rozier)/BOURGEON

Hôtel Serpente (Tome secondp. 413-415).


BOURGEON, Botanique. Rien de plus ordinaire que de voir les auteurs qui ont écrit sur le jardinage, en général sur la botanique, confondre ces trois mots, bourgeon, bouton & œil. Ils les emploient indifféremment pour désigner ces petites excroissances ligneuses, que l’on remarque entre le corps de la branche & le pédicule des feuilles. De-là naît une espèce de confusion qui répand quelquefois du louche sur ce qu’ils veulent dire. Pour éviter un pareil reproche, nous aurons très-grand soin de distinguer dans nos explications, ce que la nature elle-même semble si bien différencier. Aux yeux de l’observateur, il y a une vraie progression qui empêche de les prendre les uns pour les autres.

L’œil est ce petit stilet verdâtre, pointu, & qui n’est, pour ainsi dire, que le germe du bouton. (Voyez le mot Œil)

Le bouton est ce même germe développé, porté déjà sur une tige ligneuse, mais encore tendre, & qui par sa forme peut annoncer s’il ne contient que des feuilles & du bois, ou s’il renferme le précieux dépôt de la multiplication par les fleurs & les fruits. (Voyez le mot Bouton)

Le bourgeon enfin est ce même bouton, beaucoup plus développé, plus avancé, dont la tige a acquis de l’accroissement, tant en grosseur qu’en longueur. C’est une jeune pousse, une branche naissante, un arbre en petit ; en un mot, c’est la pousse d’une année qui a eu pour mère une branche, pour père un bouton, & pour nourrice une feuille.

Trois saisons bien distinctes sont l’espace de tems que la nature a prescrit pour le passage de l’œil à son entier développement dans l’état de bourgeon. Le printems & le commencement de l’été voit naître l’œil ; il croît, acquiert de la force, & devient bouton vers le solstice ; il se fortifie de plus en plus, se nourrit dans l’automne, où l’on peut déjà y distinguer les rudimens des feuilles & les germes des fleurs. Enfin, vers la fin de l’hiver, au retour du printems, lorsque la chaleur vernale développe tout, le bouton grandit & devient bourgeon. Le froid resserre les pores du bourgeon, le fait changer de couleur ; & lorsque le bois du bourgeon est trop tendre, à l’approche des gelées, toute sa partie, encore imparfaite, périt. Après l’hiver, lorsque la végétation prend de la force, on observe sur la majeure partie des arbres, que l’écorce prend une couleur différente de celle qu’elle avoit eue jusqu’alors ; par exemple, sur l’ormeau, le bourgeon rougit, sa couleur est vive, ardente, & son écorce très-luisante ; sur le saule, elle devient verte, &c. &c. Mais dès que cette seconde année est passée, l’écorce acquiert une couleur semblable à celle du reste de l’arbre.

D’après cette distintlion exacte, nous renvoyons au mot Bouton tous les détails qui le concernent ; nous nous contenterons d’exposer, d’après Grew, comment les bourgeons se forment & croissent. (Voyez Accroissement) Grew attribue l’accroissement de la tige aux parties du suc les plus grossières, poussées du centre à la circonférence par un mouvement latéral, en même-tems qu’elles s’élèvent jusqu’en haut par un mouvement perpendiculaire. Les parties les plus légères & les plus volatiles servent à produire les bourgeons. La force du mouvement qui les porte du centre à la circonférence, se communique aussi aux fibres du corps ligneux qui sont mêlées avec la moelle : ces fibres sont ainsi emportées avec elle ; & comme le corps ligneux n’est pas également serré par-tout, elles passent à travers les endroits les moins serrés ; non-seulement elles forment alors dans la circonférence du corps ligneux ces cercles nouveaux qui le font grossir, mais s’avançant quelquefois encore au-de-là, elles poussent le parenchyme de l’écorce, lui font prendre le même mouvement & obligent la peau de le suivre aussi ; & c’est de cette manière que les bourgeons se forment. C’est par un mécanisme semblable qu’ils croissent & acquièrent de la grandeur.

Cette explication peut bien suffire pour la formation & l’accroissement de la partie ligneuse du bourgeon ; mais pour celles des feuilles & des fleurs qu’il renferme, c’est un secret de la nature que l’on a tenté plusieurs fois de découvrir ; mais les solutions que l’on a données sont peut-être bien éloignées de la vérité. Nous renvoyons au mot Germe le détail de nos connoissances sur cet objet. M. M.

Il faut distinguer un second ordre de bourgeons, & appeler faux-bourgeon celui qui ne sort pas directement du bouton, mais qui perce de l’écorce ; il est toujours maigre, poreux, & n’est point assez élaboré pour donner un bon bourgeon. On doit les supprimer à la taille, à moins que la nécessité n’oblige de les conserver pour garnir des vides.

Pour mieux s’entendre & avoir des idées claires, le mot bourgeon est ordinairement accompagné d’une épithète qui désigne la manière dont il est placé sur la branche. Ainsi, on l’appelle bourgeon vertical, ou bourgeon direct, lorsqu’il est perpendiculaire à la branche ; & cette espèce de bourgeon fait ce qu’on nomme gourmand, bois gourmand, qui emporte l’arbre, absorbe une si grande quantité de séve qu’il appauvrit & extenue les autres branches. Il est absolument nécessaire de ne pas les conserver, les cas d’exception sont infiniment rares. Les bourgeons latéraux sont ceux qui croissent de droite & de gauche, & qui demandent à être conservés. Il y a encore les bourgeons antérieurs & postérieurs aux branches. Les uns & les autres doivent être abattus.

Dès que le bourgeon commence à prendre une certaine consistance, il demande à être palissé. Le grand point est de lui conserver sa direction naturelle, de ne la point forcer, de ne la point couder, ou courber, & de disposer ses bourgeons sur les places vides, en conservant entr’eux un espace proportionné. Au mot Palissage, on trouvera tout ce qui concerne cette opération.

Pour éviter toute confusion, il faut se souvenir que la jeune tige sortie du bouton se nomme bourgeon ; que si elle part du bas de la tige, elle est appellée surgeon, & drageon, si elle s’élève des racines.