Cours d’agriculture (Rozier)/PALISSADE, PALISSADER, PALISSAGE

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 390-393).


PALISSADE, PALISSADER, PALISSAGE. Le premier mot a plusieurs acceptions ; il signifie la clôture d’un lieu quelconque, soit avec des piquets en bois, soit avec des pierres minces, larges & hautes, & plantées en terre par un de leurs bouts. Cette clôture est assez ordinaire dans les pays où le bois est rare, & où cette espèce de pierre propre à la palissade est commune. Dans la seconde acception, une haie, une allée plantée en charmilles, en ormeaux, & taillée en manière de mur, est appellée palissade. La beauté d’une palissade consiste à être bien fourrée depuis le haut jusqu’en bas, à conserver dans sa hauteur une proportion convenable à la largeur de l’allée & à sa longueur : communément sa hauteur est de deux tiers plus grande que la largeur de l’allée. En supposant dix pieds à cette dernière, la hauteur sera de vingt pieds. Consultez le mot allée sur les proportions qu’elle exige suivant sa longueur.

Les palissades ont leurs agrémens quoiqu’en disent les prôneurs des jardins prétendus anglois (Voyez ce mot). Elles sont utiles pour masquer une vue désagréable, pour procurer de l’ombre près de l’habitation, sans intercepter la vue, & sur-tout le courant d’air, comme cela arrive souvent par la plantation des grands arbres. Ainsi sans multiplier les palissades suivant l’ancienne méthode, elles servent encore à la décoration des jardins, à l’embellissement des parcs : si on les multiplie, tout devient monotone, l’ennui gagne, & l’on cherche les promenades loin de ses possessions.

Lorsque l’on plante une palissade, on ne voit qu’un espace nu, & presque toujours l’on ne donne pas assez de largeur à l’allée. Peu à peu l’épaisseur de la palissade augmente, & l’allée devient plus étroite ; elle le paroît encore plus à mesure que la palissade s’élève.

Toute très-grande allée en ce genre de palissade est triste, fatigue celui qui se promène, parce qu’avant d’arriver au terme, il ne voit que la même chose. Ainsi en réclamant les avantages des palissades, je ne me fais aucune illusion sur leurs défauts. Je dis plus ; au milieu d’une scène sauvage ou agreste, l’œil aime quelquefois à trouver une petite partie soignée & placée comme hors de son domicile : c’est le trop qui fatigue.

L’épaississement de la palissade dépend de la main de celui qui la taille. Il se contente d’abattre au volant, ou de tondre avec les ciseaux, les bourgeons de l’année ; il ne prend pas sur le bois de la précédente, mais un peu en avant ; ainsi de proche en proche l’épaisseur gagne, & il faut enfin venir à ravaler toutes les branches jusques près du tronc : le jardinier devroit donc commencer sa première taille pendant l’hiver, & il auroit la facilité de raccourcir à volonté.

On peut, si l’on veut, rendre les palissades de clôture aussi assurées que le meilleur des murs, si on les conduit ainsi qu’il a été dit au mot haie.

Palissader, c’est couvrir un mur de verdure, par exemple avec du jasmin, avec le chèvre-feuille, le jasminoïde, &c., parce que ces plantes ont besoin d’être soutenues par des piquets, lattes, &c. qui représentent une palissade. Au surplus, ces deux mots palissader ou palisser sont presque synonymes, mais le dernier mérite d’être préféré lorsqu’il est question des arbres fruitiers placés en espalier.

Palissage est défini par M. l’abbé de Schabol, l’action d’arranger & d’attacher à un mur ou à un treillage, au moyen de quoi que ce puisse être, avec ordre & d’après des règles, les diverses branches & les bourgeons des arbres… Le palissage à la logue est le plus parfait de tous… Voyez le mot logue.

Son excellent confirmateur M. de la Ville-Hervé donne du palissage une définition moins générale & plus caractéristique, « c’est l’art d’assigner aux bourgeons leur place, de les diriger avec ordre, pour laisser entre eux un espace proportionné, afin qu’à peu de chose près, ils soient également proches & également distans, sans forcer ni contourner les uns ni leur faire prendre une forme désagréable. Cette opération exige du goût & de l’intelligence. Considérez un arbre palissé par une main habile, vous y apercevrez la naissance de chaque branche, & vous la suivrez de l’œil ; aucune ne croisera sur sa voisine ; toutes les parties de l’arbre tirées & alongées par les extrémités, formeront comme autant de brins étendus sur la muraille, avec laquelle ils ne sembleront faire qu’un même corps ; comparez ensuite un arbre ainsi dressé avec ceux des jardins ordinaires, où vous ne voyez rien que de forcé & hors de sa place naturelle, où des parties sont absolument dégarnies, tandis que d’autres sont dans la confusion, &c.

» Quelque grands que puissent être les avantages de cette opération, on ne peut disconvenir que ce ne soit troubler l’ordre de la végétation que de priver la séve d’une partie des réservoirs destinés à lui servir de passage & de dépôt. Pour retranchemens on fait aux arbres des plaies vers lesquelles elle est obligée de se porter en se détournant pour les fermer. Les différentes formes auxquelles nous les assujettissons, sont également contre nature ; elle les a fait pour élever leurs têtes altières, pour étendre à leur gré leurs rameaux simples & faire briller dans toutes leurs parties cette multitude de branches, de bourgeons, dont chaque année elle embellit symétriquement leur tige. L’art qui s’est attribué sur la nature un empire absolu, en même temps qu’il l’assujettit, sait aussi la diriger, l’orner & la perfectionner. Ce concours de la nature & de l’art a procuré aux arbres en espalier cette forme régulière qui fait le long des murailles une tapisserie riche & une riante verdure, en abattant les branches de devant & de derrière, pour étendre avec ordre & symétrie celle des côtés. »

» L’art du palissage, continue cet excellent praticien, consiste à attacher d’abord au treillage le côté le plus difficile, puis à passer à l’autre, & finir par le devant & le milieu. »

» On distingue deux sortes de palissage, l’un d’hiver & l’autre d’été. Tous deux considérés, quant au fond & à la forme, ont également pour objet l’utilité &, l’avantage de l’arbre. Le dernier se propose de plus de former un coup-d’œil régulier. Tous deux tendent à donner à l’arbre plus d’étendue, à faire naître l’abondance, à accélérer la maturité du fruit, & à lui procurer un coloris charmant, une saveur douce & un parfum exquis. »

» De la façon dont jusqu’ici on a traité les arbres en espalier, qui ne parviennent jamais à garnir les murailles, il n’est pas aisé de concevoir que le palissage contribue à leur donner plus d’étendue. On croiroit que ce se soit plutôt l’office de la taille ; rien cependant n’est plus vrai. Par la taille & par l’ébourgeonnement, on ôte aux arbres d’espalier toutes les branches tant de devant que de derrière. Parmi celles qu’on laisse pour être dressées en éventail, il y en a au moins la moitié qu’on supprime aux différens ébourgeonnemens. Cette suppression peut être estimée la troisième partie de leurs membres. Joignez encore à ces prodigieux retranchemens celui de l’extrémité de leurs rameaux, il est impossible qu’ils s’alongent ; je dis plus, ils périront en peu de temps, & la stérilité d’ailleurs en sera le partage. Si donc au lieu de tant les décharger, & de leur faire pousser tant de bourgeois en pure perte, on laissoit à leurs rameaux plus d’étendue & plus de longueur, ils prendroient l’essort, & ils donneroient le centuple de ce qu’ils donnent ordinairement ; il se fortifieroient, & leur durée seroit plus longue. Puisque nous leur ôtons, par nécessité, les rameaux de devant & de derrière, qui sont la moitié d’eux-mêmes, il faut, pour les dédommager, les laisser pousser sur les côtés, & étendre, suivant la force des arbres, les branches des extrémités & de face, ainsi que celles qui poussent entre deux. Pourquoi les beaux espaliers sont-ils si rares ? c’est parce que tous les jardiniers déchargent leurs arbres à tort & à travers, & les tiennent de court le plus qu’ils peuvent. Ils soutiennent, en faisant usage de leur raison, que les arbres sont stériles ou qu’ils poussent, lorsqu’on ôte à la séve son jeu, ses récipiens, & ses parties organiques. »

» Une des règles fondamentales du palissage est d’alonger toutes les branches des extrémités, tant celles des côtés que celles de face. On va objecter que cette méthode va éteindre les yeux du bas, & que les arbres n’auront plus de verdure qu’au bout de leurs branches. À cela je réponds qu’autant qu’un habile jardinier est prodigue, quant à l’allongement des bourgeons à la pousse, autant est-il réservé à la taille, excepté à l’égard des branches de côté, & occupé de rapprocher & de concentrer. L’ignorant au contraire alonge à la taille les branches à fruit, & tient de court toutes les autres. Alors les premières n’ont pas de quoi fournir, & les autres poussent avec véhémence. Rien n’est plus propre à rendre l’arbre plein, que de laisser à la sève ses vases & ses récipiens pour s’y porter, en observant d’alonger, par préférence, les branches qui ont dans le bas deux yeux francs. S’il arrivoit qu’ils fussent éteints, comme cela a lieu pour le pêcher qui ne repousse point communément, il y a un moyen de le faire revivre, savoir de greffer à la pousse sur ces branches. »

» Le palissage contribue à une plus prompte maturité du fruit, à son goût & à son coloris ; par son moyen, l’arbre & le fruit ont également part aux bienfaits de l’air qui s’insinue par ses pores, l’humecte, le rafraîchit, lui porte la rosée durant la nuit, & lui verse pendant le jour, des pluies fécondes. Dans les arbres de tige & en buisson, l’air circule & pénètre de toutes parts, au lieu que contre la muraille il n’a ni jeu ni action. »

» Pour que le palissage soit dans les règles, il faut, pour ainsi dire, appercevoir du premier coup d’œil la généalogie de chaque branche, & saisir ce bel ensemble où les parties se rapportent au tout. Il a été dit, en parlant des branches, qu’on ne devoit laisser que les obliques, de façon que chacune formât autant de petits éventails qu’il y a de membres dans l’arbre. Suivant la méthode ordinaire, il n’en forme qu’un en prenant la figure d’un demi-cintre où toutes les branches partent du tronc comme autant de rayons qui vont du centre à la circonférence. Rien n’empêche que ce qui a été pratiqué jusqu’ici dans la totalité de l’arbre, ne soit répété dans chacune de ses parties, & que de toutes en particulier, on ne fasse en petit ce que l’on a fait en grand dans chaque arbre. Ces subdivisions qui composent un tout si parfait, outre qu’elles satisferont pleinement les yeux, dédommageront par leur avantage & leur produit du travail qu’elles occasionnent. »

» Je vais plus loin, & je prétends qu’il faut moins de temps pour diriger & palisser un arbre, suivant ma méthode que suivant l’ancienne. Gouverné comme je l’enseigne, tant pour la taille que pour l’ébourgeonnement, & en diminuant l’une & l’autre, un seul arbre occupe la place de trois. Il est évident qu’en employant les mêmes momens, on ne peut pas dire que la somme du temps que le travail exige, soit augmentée. »

» Je tire les branches mères par leur extrémité, tant que je puis les étendre, ainsi que les bourgeons qui en naissent & les membres qui croissent perpendiculairement de distance en distance, sur ces branches mères obliques. Enfin, je tire également sur le milieu, en alongeant à droite & à gauche, chaque bourgeon : c’est ainsi que je forme autant de petits éventails particuliers de chacune des branches. Les obliques qui ont poussé deux jambes, sont palissées avec leurs faux-bourgeons, & servent à garnir le mur. Je continue la même opération d’année en année, & ce travail commencé de bonne heure, devient par la suite d’une extrême facilité. On ne le réitère qu’autant de fois qu’il se présente de bourgeons à arrêter, à mesure qu’ils poussent de nouveau & s’allongent. »

À l’article pêcher on donnera la comparaison de la méthode de la Quintynie pour palisser, avec celle de Montreuil ; & on verra facilement alors leurs avantages & leurs défauts.