Cours d’agriculture (Rozier)/GERME

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 278-283).


GERME, Physique Végétale. Ce mot a deux acceptions principales : par la première, on entend la partie inférieure du pistil, celle qui porte sur le réceptacle, qui renferme les embryons des semences & les organes qui doivent servir à leur nourriture, lorsque, par la fécondation, ils commencent à vivre ; par la seconde, plus étendue & plus générale, le mot germe désigne le principe végétal qui doit être vivifié & organisé un jour.

Nous nous occuperons ici spécialement du germe considéré sous la seconde acception, renvoyant au mot Graine, ce que nous avons à dire du premier.

De tout temps on a cherché à deviner l’opération de la nature dans la reproduction des êtres, & ne pouvant l’expliquer mécaniquement, on a eu recours à la supposition si simple qu’il existoit, dans les deux règnes, des germes qui, à dater du moment de la fécondation, prenoient de l’accroissement & devenoient autant d’individus particuliers. Mais, ces germes, où sont-ils ? comment existent-ils ? à qui doivent-ils eux-mêmes leur formation ? On a imaginé différens systèmes pour expliquer ces problèmes ; tous ont eu d’illustres défenseurs & presque tous ont été abandonnés : deux seuls paroissent l’emporter sur les autres & mériter l’attention du philosophe, non-seulement en raison du nom de leurs auteurs ou de ceux qui les ont le mieux fait valoir, mais principalement parce qu’ils paroissent assez conformes aux loix simples de la nature.

Le premier est celui qui suppose que les germes ne sont autre chose que des molécules organiques disséminées & répandues partout dans l’air, l’eau, la terre & même tous les corps solides ; ces germes ne parviennent à se développer & à prendre une forme particulière animale ou végétale, que lorsqu’ils rencontrent dans la nature des moules ou des matrices convenables, ou simplement des corps de même espèce qui puissent les retenir, les couver, pour ainsi dire, les nourrir & les faire croître. Dans ce sentiment, toute la nature est un vaste magasin qui renferme des germes à l’infini, qui n’attendent pour se développer qu’une heureuse circonstance qui les place dans leur moule propre. Comme ils sont d’une petitesse prodigieuse, ils évitent & échappent à toutes les causes qui pourroient les détruire. Ils pénètrent les végétaux & les animaux desquels ils deviennent parties constituantes & dans lesquels ils passent à l’état de fœtus ou d’embryon, pour en sortir ensuite, se répandre dans l’espace, ou rentrer dans de nouveaux corps, après que les premiers se sont décomposés. Tel est, en peu de mots, le fameux systême des molécules organiques que M. de Buffon a fait valoir & exposé avec tant d’appareil dans son ouvrage immortel.

Des observations microscopiques nombreuses ont paru l’étayer ; mais ce système approfondi & étudié avec plus d’attention se trouve exposé à tant d’objections puissantes & insolubles, qu’il a été abandonné par le plus grand nombre de ses partisans.

Le second système suppose que tous les germes de tous les corps organisés d’une même espèce étoient renfermés les uns dans les autres, depuis le premier créé ; qu’ils se sont développés successivement, & qu’ils ne cesseront de se développer que lorsque que l’espèce sera annihilée. Au premier aspect, ce système étonne l’imagination & la pousse, pour ainsi dire, dans un abyme d’infiniment petits ; mais M. Bonnet, auteur de ce grand système, pour accoutumer l’imagination à un tel effort, offre l’exemple suivant pris dans la nature : « Le soleil, dit-il, un million de fois plus grand que la terre, a pour extrême un globule de lumière dont plusieurs milliards entrent à la fois dans l’œil de l’animal, vingt-sept millions de fois plus petit qu’un ciron. » Que l’on réfléchisse un instant sur ces deux extrêmes, le soleil, & un grain de lumière ; quelle distance ! quelle immensité ! Les germes contenus les uns dans les autres, tous ceux qui doivent un jour se développer & perpétuer les espèces, étonneront moins ; il sera même facile de se familiariser avec cette idée.

De tous les systèmes proposés jusqu’à présent, j’avoue que c’est celui qui m’a toujours paru le plus préférable, parce que c’est celui qui rend raison plus simplement de tous les phénomènes de la nature dans les règnes animal & végétal : aussi n’avons-nous pas balancé de l’adopter, & il nous a servi de base en général pour tout ce qui concerne le développement. L’explication que nous avons donnée de l’accroissement de la plante, de la formation du bourrelet, de la fécondation ; celle que nous donnerons de la germination, de la formation des hybrides, des monstres, enfin de la végétation, sont fondées sur ce système : il ne sera donc pas inutile d’entrer ici dans quelque détail.

Nous avons ici trois choses principales à considérer : i°. le germe en lui même ; 2°. l’emboîtement des différens germes les uns dans les autres ; 3°. leur évolution successive. Ces trois considérations nous mèneront à examiner la situation & l’état du germe avant sa fécondation, pendant & après la fécondation.

§. I. Du Germe proprement dit. Nous regardons le germe comme un être propre qui contient exactement toutes les parties essentielles à la plante ou à l’animal. (Ne faisons attention ici qu’à la plante, afin que la multiplicité des objets n’entraîne pas de l’obscurité.) Dans cet état, le germe ne diffère de l’embryon développé, ou de la graine, ou même de la plante, que parce qu’il n’est composé que des seules parties élémentaires, tellement resserrées les unes contre les autres, qu’elles n’occupent que le moindre espace possible, & que les autres sont bien composées des mêmes parties élémentaires, mais écartées & unies à plus ou moins d’autres particules que l’acte de la nutrition a déposées entre elles. L’exemple des mailles d’un filet dont nous nous sommes servi au mot accroissement, pour nous faire entendre, va rendre ceci très-clair : que l’on prenne un morceau de filet & qu’on le tire par les deux bouts, de façon que toutes les mailles soient exactement resserrées & appliquées les unes contre les autres, elles occuperont un petit espace ; voilà le germe. Développez le morceau de filet de manière que toutes les mailles soient écartées & ouvertes, remplissez même chacune de quelque substance, le morceau de filet occupera un espace beaucoup plus considérable ; voilà la graine, voilà la plante. Le germe ne croît donc que par développement produit par l’addition des parties nouvelles ; il est en petit tout ce qu’il doit être un jour, il contient tout, moins le principe vital qui consiste dans le mouvement, & qu’il doit recevoir par le stimulus de la fécondation, soit qu’elle soit produite par la poussière séminale, soit que s’opérant dans le mystère, elle agisse par un principe qui nous est encore inconnu, comme dans les plantes que M. l’abbé Spallanzani a vu produire des graines absolument sans influence des parties mâles, (Voyez le mot Fécondation). D’après ces idées si simples, on est en droit de conclure que la génération n’est qu’un développement de ce qui existoit en miniature, en infiniment petit.

Il se présente une question très naturelle, mais qui paroît en même temps très-embarrassante, c’est de savoir où réside le germe. Le germe existe-t-il dans la plante avant la fécondation, & la poussière des étamines est-elle un des principes de son développement ? ou bien la poussière fécondante, ainsi que la liqueur séminale chez les animaux, contient-elle le germe & ne fait-elle que le déposer dans la partie femelle de la plante ? Le système le plus commun attribuoit autrefois le germe au mâle, & la découverte des animalcules spermatiques semble décider la question ; on les a trouvés dans presque toutes les semences, on a cru leur voir un mouvement, une vie propre, & de-là on a conclu qu’ils étoient les germes que le mâle déposoit dans la femelle, qu’ils y subissoient des métamorphoses analogues à celles du têtard, & l’animal comme le végétal ont été formés par les animalcules spermatiques.

Tout ce brillant appareil a disparu aux yeux d’observateurs plus exacts ou meilleurs logiciens ; ces animalcules n’ont pas été observés dans tous les animaux, & les autres sont rentrés dans la classe qui leur appartenoit & ont cessé de présider à la génération.

Suivant le système que nous développons ici, le germe existe dans la femelle, pour les espèces qui ont besoin du concours du mâle & de la femelle pour la reproduction. Non-seulement le raisonnement l’y suppose, mais l’expérience l’y démontre. M. l’abbé Spallanzani a vu des plantes femelles de l’espèce de citrouille nommée cucurbita melopepo fructu clipeiformi ; celles de l’épinard, du chanvre, produire des graines, sans aucune action des étamines ; or, il n’y a pas de graine sans germe préexistant : il faut donc en conclure que le germe se trouvoit placé dans la plante femelle. Le règne animal en est une preuve non moins évidente ; le jaune est la partie essentielle de l’œuf, celle qui contient le germe & le poulet ; mais tout le monde sait que le jaune existe dans l’œuf non fécondé ; ainsi, dans les ovipares on est assuré que le germe appartient à la femelle.

Quoique nous ne parlions ici que du germe de la graine, il ne faut pas conclure qu’il soit unique dans la plante ; il est plus vrai de dire, au contraire, qu’une infinité de germes est répandue dans tout le corps de la plante, puisqu’il n’est presque point de partie de la plante qui ne puisse donner naissance à des boutons, à des branches, ou à des racines ; la feuille même dans laquelle se rencontrent des vaisseaux propres, des fibres ligneuses, des trachées, des utricules, &c., peut produire de bouture une petite plante qui, par la suite, donnera des fleurs & des fruits ; pour que cette production ait lieu, il faut donc que la feuille contienne les germes nécessaires. Ces germes ont une véritable vie qu’ils ont reçue au moment de la première fécondation ; cette vie les met en état de végéter & de produire de nouveaux germes, ou plutôt de les mettre à découvert & de les offrir au stimulus qui doit un jour les animer.

§. II. De l’emboîtement des Germes. Dans le système que nous avons adopté, & qui sert de base à toutes nos explications, nous supposons que tous les germes sont renfermés les uns dans les autres, à peu près comme de petites boîtes dans de plus grandes : mais cet emboîtement, jusqu’où va-t-il ? Reconnoît-il des termes, ou l’infini l’accompagne-t-il ? Gardons-nous de le croire : l’emboîtement à l’infini seroit une supposition absurde ; tout est fini dans la nature, & quand on appuieroit l’emboîtement à l’infini sur la divisibilité de la matière à l’infini, ce ne seroit que défendre une erreur par une autre erreur. Rien d’indéterminé, quoique cette détermination nous soit inconnue : à peine connoissons-nous l’extérieur, l’écorce des objets qui nous environnent, & nous voulons calculer ce qu’il y a de plus caché. Écoutons M. Bonnet dans sa Considération sur les Corps organisés : « Nous ignorons absolument quels sont les derniers termes de la division de la matière, & c’est cette ignorance même qui doit nous empêcher de regarder comme impossible l’enveloppement des germes les uns dans les autres. Nous n’avons qu’à ouvrir les yeux, & à promener nos regards autour de nous, pour voir que la matière a été prodigieusement divisée : l’échelle des êtres corporels est l’échelle de cette division. Combien la moisissure est-elle contenue de fois dans le cèdre, la mite dans l’éléphant, la puce d’eau dans la baleine, un grain de sable dans le globe de la terre, un globule de lumière dans le soleil ! On nous prouve qu’une once d’or peut être sous-divisée par l’art humain en un fil de 444 lieues de longueur ; on nous montre à un microscope des animaux dont plusieurs milliers n’égalent pas ensemble la grosseur du plus petit grain de poussière ; on fait cent observations du même genre, & nous traiterions d’absurde la théorie des enveloppemens ! Il y a plus : on observe, pour ainsi dire, à l’œil cet enveloppement ; on découvre dans un oignon d’hyacinthe jusqu’à la quatrième génération ; & ce qu’il y a de très-remarquable, c’est que les parties de la fleur sont celles qu’on distingue le mieux dans la troisième & quatrième génération ; le volume de ces parties paroît incomparablement plus grand que celui de toutes les autres parties prises ensemble. »

On peut donner des preuves directes de l’emboîtement dans les deux règnes. L’abbé Spallanzani a vu distinctement dans le volvox animalcule des infusions, jusqu’à la troisième génération. D’autres observateurs ont été plus loin, puisqu’ils y ont découvert jusqu’à la cinquième, & même jusqu’à la sixième génération ; & toutes ces générations emboîtées les unes dans les autres se développoient successivement, suivant certaines proportions.

Les végétaux nous offrent de semblables preuves : outre l’exemple de l’hyacinthe, il suffit de jeter les yeux sur un arbre, de réfléchir un instant, & l’on y apercevra la réalité de l’emboîtement. En effet, les branches & les rameaux ne sont que des générations annuelles qui étoient originairement emboîtées les unes dans les autres ; toutes étoient contenues dans la maîtresse tige ; celle-ci dans la graine, qui elle-même faisoit partie d’un arbre. Cet arbre avoit été pareillement existant dans un autre par le même mécanisme, & ainsi de suite il est facile de remonter jusqu’au premier arbre.

L’idée de l’emboîtement des germes, qui semble si singulière au premier coup-d’œil, mieux étudiée & plus approfondie, paroît, après un examen sérieux, être le vrai secret de la nature.

§. III. De l’évolution. On a donné, dans ce système, le nom d’évolution au passage qui conduit le germe à l’état de perfection qui est propre à chaque espèce. Ici l’observation suffit pour la démonstration ; & pour peu que l’on examine, que l’on étudie, que l’on suive la nature pas à pas, on verra à chaque instant les germes avancer vers leur développement, leur perfection ; c’est une loi de la nature toujours agissante. La germination de la graine dans la terre, celle des bourgeons sur la tige en sont les effets constans. Au mot Végétation, nous verrons l’application de cette loi en grand, & l’on peut en prendre une idée au mot Accroissement.

D’après tout ce que nous venons de dire, il sera facile de concevoir l’état du germe avant, pendant & après la fécondation. Dans le premier cas, le germe existe ; mais il n’a pas une vie propre : il est même susceptible de croître & d’augmenter jusqu’à un certain point ; mais cette force n’est pas à lui, elle appartient tout entière à l’individu qui le porte. Je ne puis pas mieux le comparer alors qu’à une pendule montée & prête à marcher, & dont le mouvement est arrêté, parce que le pendule ne fait point d’oscillations : on peut, en faisant tourner l’aiguille avec le doigt, lui faire indiquer successivement toutes les heures ; elle semble remplir sa destinée : mais que la main qui la faisoit mouvoir cesse d’agir, la pendule sera sans vie & sans mouvement : au contraire, faites mouvoir le pendule, les rouages agiront les uns sur les autres, & l’aiguille marchera. Pareillement le germe attend la fécondation pour marcher, pour ainsi dire, & vivre par lui-même : c’est le premier mouvement imprimé au pendule, qui entraîne tous les autres. Dès que le germe est animé, alors il s’approprie tout ce qui est nécessaire à son développement : il vit par lui-même & pour lui-même ; la graine & le bourgeon, séparés de la plante ou arrachés de la tige qui les portoit, & mis en terre, sauront bientôt s’assimiler les principes nécessaires à leur végétation, & au développement des germes nombreux qu’ils renferment dans leur sein. Le germe une fois animé continue de vivre, quoique la cause qui l’avoit animé ne subsiste plus, n’agisse plus, parce que l’Auteur de la nature les a tellement ordonnés & construits, que la première impulsion donnée, il est en état de convertir en sa propre substance tout ce qui peut servir à le nourrir : sève, air, humidité, principes salins, savonneux, &c., tout lui devient propre, tout peut se fixer dans ses fibres, les étendre & les développer. De simple germe, il passe à l’état de fœtus, de graine ; & bientôt, par le même mécanisme, il devient une petite plante, un arbuste, & enfin un arbre majestueux, qui est au premier état du germe ce que l’unité est à des millions. M. M.