Cours d’agriculture (Rozier)/HYBRIDE

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 586-590).


HYBRIDE, Botanique. Mot employé dans le règne animal, pour désigner un individu né de deux animaux de différentes espèces. Les botanistes l’ont transporté dans la nomenclature du règne végétal, & ont nommé hybride, la plante née de la graine d’une espèce fécondée par une autre espèce. Ainsi, l’hybride est parmi les plantes, ce que le mulet est parmi les animaux. On en trouve plusieurs exemples que la nature elle-même a produits, & selon toutes les apparences, l’abricot-pêche, l’abricot-alberge ne doivent leur existence qu’au mélange accidentel des parties sexuelles des abricotiers avec celles des pêchers, des albergiers, &c. Il n’est pas étonnant que le hasard en ait produit au fond des bois, & M. Von-Linné a trouvé dans le Gothland, le sorbier hybride. Les montagnes de Neufchatel en Suisse, le renferment également, ainsi que plusieurs autres endroits. Des observations plus particulières feront reconnoître facilement de nouvelles plantes hybrides ; peut être même que certaines variétés ne sont réellement que des espèces hybrides. (Voyez le mot Espèce).

Que l’on relise ce que nous avons dit aux mots Fécondation & Germe, & l’on concevra comment se produit une plante hybride. Le germe existe tout formé dans la plante ; il n’a besoin, pour vivre, que d’être stimulé & nourri par la poussière fécondante, ou par un principe qui en fait l’essence, & qui nous est encore inconnu. Si donc on porte sur le stigmate du pistil d’une plante, de la poussière fécondante d’une autre de la même espèce, ou d’une espèce différente, il peut arriver deux effets : ou cette poussière fécondante ne pourra pénétrer à travers le pistil, jusqu’au germe, ou elle descendra par le canal & ira jusqu’à lui ; dans le premier cas, point d’action, point de fécondation, sur-tout si le germe est de nature à avoir nécessairement besoin d’un stimulus étranger pour acquérir le premier mouvement vital ; dans le second cas, si la poussière fécondante est tirée d’une plante de même espèce & de même variété, la fécondation aura lieu, parce qu’elle remplira les deux objets qui lui sont propres, celui de stimuler le germe & de le nourrir ; si elle est tirée d’une espèce différente, la fécondation pourra quelquefois réussir par l’analogie qui se trouvera entre ces deux plantes. Qu’arrivera-t-il alors ? la nouvelle plante produite tiendra nécessairement des deux qui lui ont donné naissance, & elle annoncera, par sa forme, sa fleur & son fruit, qu’elle est la réunion de toutes les deux. Des exemples vont confirmer cette observation, & nous serviront à expliquer comment s’opère un des plus merveilleux phénomènes de la nature, qu’il seroit si intéressant de répéter souvent pour acquérir de nouvelles connoissances sur l’objet important de la fécondation & du développement du germe.

M. Koelreuter a fait plusieurs essais sur les digitales & les lobelies, qui ont plus ou moins réussi ; il prit de la poussière fécondante de la digitale pourprée, qu’il répandit sur les pistils de la digitale jaunâtre. Ces expériences répétées pendant treize années de suite, lui ont toujours réussi. La nouvelle plante ou l’hybride tient des deux, mais elle est plus forte, plus vivace & plus parfaite. Les deux digitales passent au bout de deux ans, & leurs racines ne subsistent pas davantage. La nouvelle, au contraire, est vivace ; sa tige s’élève de 6 à 8 pieds, & produit beaucoup plus de branches. Si cependant elle est plus forte que la digitale jaunâtre, elle l’est bien moins que la pourprée ; ses feuilles sont lancéolées plus largement, d’un vert plus gai que celles de la digitale jaunâtre ; celles d’en-bas sont pétiolées, au lieu que celle de la digitale jaunâtre sont toutes sessiles, & que la pourprée est vraiment pétiolée. À peine trouve-t-on du pourpré dans les tiges, les pétioles & les nerfs des feuilles de la pourprée. Les pétioles sont moindres que ceux de la jaunâtre, mais beaucoup plus grands que ceux de la digitale pourprée. Ses fleurs, pour la grandeur & la conformation, tiennent le milieu entre celles de la digitale jaunâtre & la pourprée. La corolle annonce encore mieux qu’elle est le résultat des deux plantes ; car elle est d’un rouge tendre mêlé d’un peu de jaune, tiquetée dans l’intérieur, de petites taches pourprées entourées de rouge : quelquefois les fleurs se sont trouvées extérieurement d’un rouge plus éclatant, & dans l’intérieur, d’un jaune pâle ; d’autres fleurs étoient blanches, un peu plus grandes, & tenoient davantage de la digitale pourprée ; enfin, dans les semences on en trouve très-peu de bonnes, soit que les germes aient été mal fécondés, soit qu’ils ne l’aient pas tous été : on ne trouve ordinairement qu’une ou deux semences de bonnes dans la capsule.

M. Koelreuter a varié cette expérience de quarante-quatre manières, en fécondant artificiellement, les unes par les autres, toutes les espèces de digitales ; savoir, la pourprée, la jaunâtre, la ferrugineuse, l’ambiguë, l’obscure, la digitale thlaspi & celle des Canaries ; cinq combinaisons seulement lui ont parfaitement réussi, & lui ont donné des variétés hybrides ; savoir, 1°. la jaunâtre fécondée par la pourprée ; 2°. la jaunâtre, par la digitale thlaspi ; 3°. la ferrugineuse, par l’ambiguë ; 4°. la pourprée, par la digitale thlaspi ; 5°. la digitale thlaspi par la pourprée, 6°. la ferrugineuse par l’obscure, & vice versâ ; 7°. l’ambiguë, par l’obscure, & vice versâ ; 8°. l’obscure par la jaunâtre, & vice versâ. Ce savant essaya encore de féconder artificiellement les nouvelles espèces hybrides, ou par elles-mêmes, ou avec la poussière d’autres digitales ; mais le succès ne répondit point à ses espérances, & toutes les conceptions furent de nul effet absolument, ou de peu de valeur.

Il fut plus heureux dans les expériences qu’il fit sur les lobélies siphilitiques cardinales, & moins sur la brûlante, l’érine, l’enflée & la lobélie cliffort.

Un des membres de la société des amis scrutateurs de la nature, a tenté tes mêmes fécondations artificielles sur la grande & petite espèce de belle-de-nuit ou jalap, qui lui réussirent parfaitement, & il en obtint une variété hybride, qui portoit sensiblement le caractère d’une origine mélangée.

Ces succès annoncent aux observateurs des phénomènes du règne végétal, qu’ils en peuvent espérer de nouveaux, en tentant de nouvelles expériences dans ce genre, & il seroit très-intéressant de les multiplier & de les varier à l’infini ; on peut compter que nous acquerrions bientôt des richesses.

Il nous reste deux grands points à expliquer dans la production merveilleuse des hybrides ; 1°. comment la poussière séminale d’une espèce peut féconder une autre espèce ? 2°. Pourquoi, dans le cas du succès, la nouvelle plante hybride tient plus ou moins de l’une ou de l’autre des plantes originelles ?

Nous répondrons à la première question, que cette fécondation a lieu exactement, comme celle qui s’opère naturellement dans la plante commune ou dans des plantes absolument de même espèce. (Voyez le mot Fécondation).

La solution de la seconde n’est pas aussi facile : nous allons cependant en hasarder une suivant les principes que nous avons déjà établis plusieurs fois. Le germe, avons nous dit très souvent, existe tout formé dans l’ovaire de la plante ; mais il y est dans un état de torpeur, d’engourdissement ; il vit d’une vie empruntée & non de la vie propre. Pour remplir l’objet important auquel la nature l’a destiné, il faut qu’il soit excité, stimulé, réveillé, pour ainsi dire, qu’il trouve en même temps, dans le même agent, le même stimulus, une nourriture propre qui commence le premier acte du développement. Cela posé, qu’arrive-t-il dans la fécondation artificielle ? La poussière séminale de la digitale pourprée, (pour suivre l’exemple que nous avons cité plus haut) formée naturellement pour stimuler & nourrir un germe de la même nature & couleur, se trouve destinée à stimuler & nourrir un germe de la digitale jaunâtre. Il le stimule & l’anime, parce qu’il est de même nature, à la forme & à la couleur près, qu’il doit développer un jour ; ce ne sont ici que des rapports accidentels qui ne peuvent influer sur l’existence proprement dite d’un individu de digitale ; par conséquent le germe sera d’abord animé, il commencera a vivre. En même temps que cette poussière a la propriété générale de stimuler un germe de digitale, il n’a que la propriété particulière de nourrir & de développer un germe de digitale pourprée. En nourrissant le germe de la digitale jaunâtre, il le nourrira donc dans le rapport d’une digitale pourprée, & le résultat de cette nourriture sera un développement qui tiendra plus ou moins des deux. On sait combien la nourriture influe sur les formes & les couleurs. Les belles expériences de la colorisation des os des animaux, en les nourrissant de garance & des tiges de plantes, en leur faisant pomper des teintures diverses, servent de preuves à l’explication que nous venons de donner. Il n’est pas étonnant que la tige, les feuilles, les fleurs, les semences, la durée même de la nouvelle plante hybride soient un mélange de qualité des deux espèces qui leur ont donné la naissance. Il peut arriver même, comme dans les expériences citées, que la plante hybride acquière plus de force, de vigueur & de vie, pour ainsi dire, que les plantes productrices, parce que le germe a été nourri, au moment de la fécondation artificielle, par un principe plus énergique que celui qu’il auroit eu naturellement.

Le règne animal nous offre des exemples bien frappans & bien propres à confirmer ce que nous venons d’annoncer ; les mulets produits par l’accouplement de deux individus d’espèces différentes, participent de la nature de l’un & de l’autre ; ainsi, le mulet proprement dit, a les longues oreilles & la queue nue de l’âne, & le corps du cheval ; le mulet volatil ou l’oiseau né d’une serine & d’un linot, a le chant & les plumes verdâtres du linot, & le corps du serin, &c. En général, on a toujours objecté que le corps du mulet tenoit plus de la femelle que du mâle, & que les extrémités, au contraire, tenoient plus du mâle que de la femelle. Cette dernière observation se trouve confirmée par les expériences de M. Koelreuter : la plante hybride ressembloit un peu plus à la mère ou à la plante qui avoit été aspergée de la poussière fécondante ; la fertilité étoit aussi plus constante du côté de la mère.

Ce point de physiologie végétale, expliqué dans le sens que nous avons donné, laisse encore beaucoup d’incertitude à éclaircir, sur-tout celle qui regarde la stérilité ou la fécondité de la semence hybride ; mais nous avons encore trop peu d’observations sur cet objet. M. M.