Cours d’agriculture (Rozier)/GERMINATION

Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 283-286).


GERMINATION, Botanique. De toutes les opérations de la nature dans le règne végétal, une des plus intéressantes est sans contredit la germination : la fécondation anime le germe, & la germination le développe. La première le met à même de recevoir les secours de la seconde, & de passer de l’état d’embryon à celui d’individu vivant, & pouvant à son tour donner l’être à un million d’autres individus renfermés dans son sein. Le germe, (voyez ce mot) vivifié par le stimulus de la fécondation, croît dans l’ovaire de la plante, & devient graine. Cependant cette graine mourroit desséchée sans reproduire, si elle restoit perpétuellement adhérente par son cordon ombilical au péricarpe auquel elle est attachée ; mais ce même cordon qui lui avoit porté les sucs nourriciers, élaborés & préparés suivant sa délicate constitution, se dessèche lui-même, lorsque le germe est graine parfaite ; alors le péricarpe s’entrouvre & laisse tomber la graine à terre, où l’air, l’humidité & les principes que cette humidité contient la font germer, c’est-à-dire, développent la racine & la tige qu’elle renferme.

Arrêtons-nous un instant, & considérons attentivement ce phénomène important, & suivons, pour ainsi dire, pas à pas tous les détails qu’il nous offre.

Les principes les plus nécessaires an développement de la graine sont, comme nous le verrons au mot Végétation, l’air & l’humidité. M. Homberg a fait plusieurs expériences qui prouvent que si le ressort de l’air & sa pesanteur ne sont point la cause principale de la germination des plantes, du moins ils y influent beaucoup. Il prit deux caisses dans lesquelles il sema également différentes espèces de graines, en laissa une à l’air libre, & posa l’autre sous le récipient d’une machine pneumatique, dans lequel il fit le vide, & il observa, 1°. qu’à l’air libre la laitue leva avant le pourpier : le contraire arriva dans le vide ; 2°. qu’il ne parut dans le vide que quelques pieds qui, en trois jours, s’élevèrent de plus d’un pouce, & les feuilles séminales de la laitue ne s’étendirent point sur-tout en largeur ; celles du pourpier & du cresson étoient à l’ordinaire. 3°. Le pourpier ne subsista qu’un jour dans le vide, le cresson six jours ; la laitue subsista dans un même état pendant dix jours, le cerfeuil & le persil ne parurent point ; 4°. qu’après avoir laissé rentrer l’air dans le récipient, le cerfeuil & le persil levèrent, ainsi que quelques graines de cresson ; 5°. qu’après avoir enlevé le récipient, pour voir si ces plantes subsisteroient dans l’air libre, elles périrent toutes les unes un peu plutôt que les autres. Quelque confiance que mérite M. Homberg, on peut croire cependant que ses expériences n’ont pas toute l’exactitude requise, & que sa machine pneumatique n’étoit pas assez bien faite pour garder un vide parfait, & long-temps ; car si cela avoit été, il ne devoit y avoir aucune germination, comme on peut le croire d’après des expériences citées dans les Transactions Philosophiques de Londres. On avoit semé une même espèce de laitue dans deux vases remplis d’une terre de même qualité : l’un fut placé dans le vide, & l’autre resta exposé à l’air libre. Dans ce dernier, les graines germèrent très-bien, & les plantes s’élevèrent à deux pouces & demi de hauteur en huit jours de temps, tandis que, dans le premier, il ne parut absolument rien. MM. Béale & Boyle qui firent ces expériences, voulant s’assurer que la privation totale de l’air étoit cause que les graines ne germoient pas dans le vide, laissèrent rentrer l’air & enlevèrent le récipient ; bientôt après les semences germèrent, & en huit jours de temps elles acquirent la hauteur des autres.

L’humidité n’est pas moins nécessaire à la germination que l’air, & sans elle il n’y auroit point de nourriture : au contraire, avec elle seule & l’air, les plantes peuvent vivre, porter des feuilles & des fleurs. (Voyez Air, Eau & Végétation).

Suivons le développement d’une graine dans la terre, & par cet exemple nous pourrons facilement juger de toutes les autres, car il paroît que c’est absolument le même mécanisme dans toutes. La féve nous offrira ce développement assez en grand pour que l’œil seul puisse le suivre sans avoir besoin du secours de la loupe. Afin de bien suivre, jour par jour, tous les changemens que la féve éprouve dans la terre, il faut en semer au moins une trentaine dans la même terre, & à la même profondeur, afin que tout soit égal autant que cela se pourra ; ensuite, chaque jour, en déterrer une & l’examiner.

Après vingt-quatre heures ou un jour entier, la graine de féve paroît enflée ; l’épiderme n’offre plus de rides, & l’ouverture par laquelle doit passer la radicule s’élargit un peu, & laisse appercevoir quelques utricules que l’humidité de la terre a dilatées. L’écorce de la féve est molle, & la partie qui environne l’ouverture de la radicule, qui est ordinairement noire, devient violette : si on enlève cette écorce, on remarque au milieu des deux lobes la plantule qui a un petit goût sucré. On distingue facilement les deux lobes AA (Fig. 1 de la Planche du mot Glandes) & le rudiment de la tige B. Si l’on sépare les deux lobes, on apercevra déjà deux petites feuilles AB (Fig. 2) à l’extrémité de la tige ; elles sont jaunes : ce sont les deux premières qui doivent se développer. La racine C commence aussi à se nourrir & à grossir. Au bout de trois jours, la racine F (Fig. 3) a acquis assez de force pour vaincre l’ouverture dont nous avons parlé, & déjà elle pénètre la terre qui commence à lui fournir des sucs nourriciers : dès ce moment la végétation acquiert plus d’énergie. Tant que la racine est encore renfermée dans les lobes, elle est blanche ; mais elle prend une couleur verte sitôt qu’elle trace dans la terre. Ce changement de couleur est dû au contact de l’air & de la lumière, avec lesquels elle commence à communiquer : l’écorce est encore plus molle ; elle se déchire très-facilement, & n’a plus de goût. Le peu de parties sucrées qu’elle contenoit a passé des lobes au germe, & lui a servi de première nourriture. Ces lobes GG, (Fig. 3) blanchâtres & concaves intérieurement, sont remplis de sucs ; & si on les coupe, ils laissent échapper quelques gouttes d’une humeur glutineuse. La tige H (Fig. 4) s’étend & commence à se contourner de manière que la racine regarde la terre, & la plantule l’air : on peut y distinguer déjà des fibres ligneuses & des utricules.

Le quatrième jour, l’écorce se trouve mouchetée de taches rougeâtres ; les lobes L (Fig. 5) sont très-enflés, & la racine D est devenue plus épaisse, plus longue & toute verte : les deux petites feuilles M, quoiqu’un peu plus développées, sont encore renfermées dans les lobes.

Vers le septième jour, la plante paroît beaucoup plus forte ; elle pousse déjà une racine tortueuse O, (Fig. 6) à l’extrémité de laquelle on apperçoit les rudimens d’autres plus petites. La tige vers sa partie supérieure est jaunâtre, & devient insensiblement blanchâtre. Les deux lobes ne sont pas grossis de beaucoup ; ils sont de couleur jaune, & laissent déjà passer l’extrémité des deux petites feuilles. Si on coupe la plantule, elle rend une grande quantité de liqueur, & la tige Q (Fig. 7) laisse appercevoir l’écorce, la moelle & leurs utricules. Au point R, on distingue le point de séparation où les lobes sont attachés : si on les enlève totalement, on voit que les deux petites feuilles SS sont bien distinctes ; les côtes & les nervures paroissent déjà.

Au bout du neuvième jour, la tige K (Fig. 8) s’élève ; les enveloppes des lobes se détachent & les laissent à nu II ; ils sont mous, verts & entr’ouverts ; les feuilles qui étoient pliées se développent, sortent par cette ouverture N, & commencent à prendre une couleur verte. La racine T, tortueuse : on voit déjà de tous côtés de petits rameaux.

Quelques jours après, la tige V (Fig. 9) se redresse totalement : à sa base on remarque les deux lobes qui ont diminué de volume par la quantité de nourriture qu’ils ont fournie à la plantule & à la radicule, pendant qu’ils étoient dans leur sein : ils sont encore verdâtres ; les feuilles de la tige prennent de la consistance, & se développent davantage. On apperçoit entr’elles le rudiment de nouvelles feuilles Y ; la racine est chargée d’un plus grand nombre de radicules.

Vers le vingtième jour, la plantule est devenue totalement plante ; elle a ses feuilles larges & absolument développées AA (Fig. 10). On remarque en B un bourgeon qui contient en petit tout le reste de la plante qui doit se développer dans la suite. Les lobes CC, desséchés & épuisés, adhèrent encore à la tige, mais ne sont plus à la plante d’aucune utilité. La tige est verte, solide & fistuleuse intérieurement ; car les utricules de la moelle commencent à se dessécher, & à laisser ainsi un vide à leur place. Depuis ce moment-là, la plante végète hors de terre, & son enfance terminée, elle commence son adolescence.

Ce tableau de la germination, que l’on peut suivre en général dans toutes les graines, & qui est partout le même, nous offre une suite de développemens singuliers, mais qui ne font que confirmer ce que nous avons dit au mot Germe, que tout n’étoit que développement dans la nature, & que nous n’avions pas de nouvelle création. En effet, quelle différence y a-t-il entre la graine que l’on va mettre en terre, & la plante qui en est sortie ? Aucune essentielle : ce qui est en petit, en extrait, en miniature dans la graine, est plus en grand, plus développé dans la plante. Racine, tige, feuilles, fleurs & fruits, tout y étoit, tout n’attendoit que l’addition de nouveaux sucs pour s’étendre & occuper une plus grande place. Ce sont les mailles du réseau qui se sont écartées les unes des autres, & qui ne peuvent se rejoindre, parce que les nouvelles molécules qui se sont déposées entre leurs parois, les tiennent nécessairement écartées. (Voyez Accroissement, Fécondation, Germe, Végétation). M. M.