Cours d’agriculture (Rozier)/AMANDE, AMANDIER

Hôtel Serpente (Tome premierp. 442-465).


AMANDE, AMANDIER. M. Tournefort place cet arbre dans la septième section de la vingt-unième classe, qui comprend les arbres & les arbrisseaux à fleur en rose, dont le pistil devient un fruit à noyau, & il le nomme amygdalus sativa. M. le chevalier Von Linné le classe dans l’icosandrie monogynie, & l’appelle amygdalus communis.


Plan du travail sur l’Amandier.
CHAP. I. Description du genre.
CHAP. II. Description des espèces.
CHAP. III. De la culture de l’Amandier.
CHAP. IV. Existe-t-il des moyens capables de retarder la fleuraison de l’Amandier ?
CHAP. V. Des haies formées avec les Amandiers.
CHAP. VI. Des usages médicinaux de l’Amande, & de l’huile qu’on en retire.


CHAPITRE PREMIER.

Description du genre.


Fleur, calice d’une seule pièce, concave, renflé par le bas, divisé dans le haut en cinq lanières évasées, creusées en cuilleron, & terminées par une pointe un peu obtuse ; l’intérieur du calice est d’un blanc jaunâtre, ou jaune & verd ; l’extérieur tire plus ou moins sur le purpurin, avec un mélange de verd. Cette partie se conserve jusqu’à ce que le fruit ait noué : cinq pétales forment la fleur ; ils surmontent le calice, & s’implantent dans l’intérieur entre les angles que laissent les divisions du calice, de manière que les cinq pièces ne soutiennent & ne correspondent pas aux cinq pétales ; par cet arrangement, le calice & la corolle forment chacun séparément une rose ; les pétales tiennent à leur base par un onglet délié, & ils tombent dès que l’embryon est formé : la nature ne les avoit placés que pour veiller à sa première conformation.

La forme des pétales est ovale, obtuse, échancrée par le haut, & ils ont une nervure qui les traverse longitudinalement. Les étamines, au moins au nombre de vingt, & de longueur inégale, sont surmontées d’une anthère ovoïde, & marquées d’une suture longitudinale ; le pistil parsemé de poils à sa base, est de la longueur des étamines, & son stigmate est simple & arrondi.

Fruit. Le pistil se change en un fruit d’abord spongieux & velu, jusqu’à ce qu’il ait pris une certaine consistance : il devient ensuite coriace, sec, renferme un noyau ovale légérement sillonné, dans lequel on trouve une amande ovale. L’enveloppe extérieure qu’on nomme écale ou brou, se sépare d’elle-même du noyau, lors de la maturité du fruit. La manière d’être de l’amande proprement dite & séparée du noyau, est la même que celle de toutes les graines en général, c’est-à-dire que, sous la double pellicule qui la recouvre, on trouve deux lobes légérement sillonnés à l’extérieur & lisses en dedans ; entre ces deux lobes & au sommet supérieur, on voit le germe du fruit dans lequel est renfermé en miniature l’arbre qu’il doit reproduire.

Lors de la germination, la pointe s’enfonce dans la terre pour former la racine, les deux lobes s’ouvrent par leur base, & entr’eux la plantule ou jeune tige s’élève : alors, les lobes prennent le nom de feuilles séminales, c’est-à-dire, formées par la semence même ; ces lobes subsistent jusqu’à ce que la plantule ait quelques pouces de hauteur ; dès-lors la tige, assez forte pour se défendre par elle-même, & n’ayant plus besoin de protecteur, les lobes ou feuilles florales tombent. Voilà comme la nature pourvoit admirablement, & veille à la conservation de son ouvrage. Il en est ainsi pour tout ce qu’elle fait : la feuille pompe & prépare la nourriture du bouton toujours placé à sa base, & qui se développe seulement au printems de l’année suivante ; le bourgeon, par ses écailles multipliées & son duvet intérieur, protège la fleur qu’il renferme jusqu’à son développement, la met à l’abri des pluies, du froid & des effets des météores ; enfin, les parties constituantes de la fleur concourent toutes à former le fruit, & le fruit à former la graine qui doit reproduire un arbre semblable. Ô nature ! quel homme peut te suivre dans tes ouvrages sans t’admirer, & sans louer celui qui t’a imprimé cette force toujours agissante !

Feuilles, moins grandes que celles du pêcher, blanchâtres, longues, simples, entières, terminées en pointe, pétiolées, étroites, dentelées en leurs bords.

Port. La tige est droite, assez symétriquement chargée de branches, quand l’arbre est jeune ; sa tête est peu touffue ; l’écorce des jeunes tiges est lisse, cendrée ; celle du tronc, écailleuse, gercée ; le bois est très-dur ; les fleurs sont portées par de courts péduncules, & souvent rassemblées au nombre de trois ou de quatre : elles naissent des aisselles ou disposées le long des tiges ; les feuilles sont d’un verd gai, & alternativement placées.

Lieu naturel dans la Mauritanie ; de là, transporté dans nos provinces méridionales, où il réussit assez bien. On dit de lui qu’il est le plus fou de tous les arbres, parce qu’il fleurit aussitôt que les gelées ne le retiennent plus ; c’est pourquoi les gelées tardives rendent la récolte de son fruit très-casuelle. J’ai vu des amandiers en plein champ complétement fleurir dans les premiers jours de Janvier, en 1756. Cet arbre est très-commun en Provence, en Languedoc, dans le territoire d’Avignon, dans la Touraine, & s’accommode peu du climat de Paris. Pourquoi la fleur de cet arbre épanouit-elle dès que le froid cesse, ainsi que celle du pêcher & de l’abricotier ? Ces arbres ont été naturalisés en Europe ; mais n’y conservent-ils pas encore leur manière d’être de leur pays natal ? En Mauritanie, en Perse, en Arménie, l’époque de leur fleuraison n’est-elle pas en Décembre ou Janvier ? Et ne conservent-ils pas dans nos climats la même activité pour fleurir, lorsqu’aucune cause ne s’y oppose ? Les voyageurs devroient examiner ce fait ; & comme beaucoup de négocians ont des correspondances dans ces pays, je prie ceux entre les mains de qui cet Ouvrage tombera, d’avoir la complaisance de me donner la solution de ce problême. Il me semble que les arbres & les plantes, transportés de loin & cultivés, par exemple, en France, y fleurissent à la même époque à laquelle ils fleuriroient dans le pays d’où on les a transportés, si toutes les circonstances sont d’ailleurs égales. Je les prie encore de faire remettre à l’académie de Marseille ou de Bordeaux, des amandes avec leur brou, de toutes les espèces qu’ils trouveront dans les pays étrangers, afin que, les plantant en France, je puisse voir & constater si les espèces que nous cultivons aujourd’hui ont été perfectionnées, ou si elles ont dégénéré ; enfin, si, par le moyen des amandes qu’ils auront la bonté de me procurer, il sera possible d’acquérir de nouvelles espèces avantageuses & utiles pour notre climat.


CHAPITRE II.

Description des espèces.


On le répète pour la dernière fois, en se servant du mot espèce, c’est parler le langage du cultivateur, & non du botaniste : il est bon d’emprunter de celui-ci certains mots techniques, & sur-tout pour les descriptions ; mais quant à tout le reste, c’est pour l’agriculteur que l’on écrit.


I. Amandier commun, ou à petit fruit. Amygdalus sativa fructu minori, Bauhin. Amygdalus foliis serratis, petalis florum emarginatis, Miller. Les pétales sont plus grands que le calice, & très-larges en proportion de leur grandeur ; leur extrémité supérieure est figurée en cœur, fendue peu profondément. M. Duhamel va nous servir de guide dans le reste de sa description.

La fleur est presque toute blanche ; souvent elle a six pétales, & le calice six échancrures.

Les feuilles des bourgeons sont longues de cinq à six pouces & demi, sur un pouce dans leur plus grande largeur, qui est plus près du pétiole que de l’autre extrémité qui se termine réguliérement en pointe ; le côté du pétiole se termine également en pointe, mais moins aiguë. Les pétioles ou queues sont longs de huit à douze lignes ; les feuilles des branches à fruit n’ont que deux à trois pouces de longueur, & neuf ou dix lignes de largeur ; elles sont moins pointues que celles des bourgeons.

Le fruit diminue considérablement & presque réguliérement de grosseur vers la tête, qui est terminée par un petit mamelon formé des restes du pistil desséché. Le côté le plus arrondi, ou plutôt qui décrit une plus grande partie d’ellipse, est relevé d’une côte assez saillante qui s’étend de la tête à la queue, & qui couvre l’arête du noyau. La queue ou péduncule qui le soutient, est grosse, ronde, lisse, verte, longue de deux lignes au plus, très-évasée par l’extrémité qui s’insère dans le fruit. La peau est d’un verd blanchâtre, couverte d’un duvet fort touffu ; le noyau est de la même forme que le fruit : il est terminé par une pointe aiguë, & contient une amande douce & d’un goût agréable.

C’est de cette espèce d’amandier que provient un si grand nombre de variétés, ou, si l’on veut, d’espèces, lorsque l’on sème son fruit ; mais, est-il vraiment l’arbre formé tel par la nature, c’est-à-dire à fruit doux ? Ne doit-il pas cet avantage à l’art & à la culture ? En effet, C. Bauhin, dans son Pynax, l’appelle amygdalus silvestris ; amandier sauvage. La question se réduit à savoir si l’amandier sauvage a le fruit doux ou amer. Rhauvolf dit, dans son Itinéraire, que cet amandier croît abondamment de lui-même dans les haies de Tripoli, & que les pauvres gens en ramassent le fruit. M. Tournefort rapporte, dans son Voyage du Levant de Tocat & d’Angora, que l’on trouve sur les bords de la rivière de Carmili, des amandiers sauvages plus petits que notre amandier commun, leurs branches ne sont pas terminées par un piquant, comme celles de l’amandier sauvage de Candie. Les feuilles de l’amandier des bords du Carmili n’ont que quatre ou cinq lignes de large sur un pouce & demi de longueur ; & pour tout le reste, elles ressemblent à celles de notre amandier. Le fruit est à peine de huit à neuf lignes de long sur sept ou huit lignes de large, & il est très-dur. Le noyau est moins amer que celui de nos amandes amères, & a le goût du noyau de pêcher.

L’un ou l’autre des arbres dont on vient de parler, seroit-il le type de notre amandier commun ? Dans ce cas, il n’auroit pas valu la peine de le transporter en Europe. Dans le Comtat, dans la Provence, dans le Languedoc, on voit des haies formées par des amandiers. Leurs feuilles, leurs fleurs & leurs fruits sont moins considérables que ceux de l’amandier commun, mais beaucoup plus volumineux que ceux dont parle M. Tournefort. La raison en est, que ces haies qui servent de clôture aux champs, sont des haies semées à demeure avec des noyaux amers. On les choisit tels, afin qu’ils ne soient pas dévorés par les rats & les mulots avant leur germination. Cependant, quoique les noyaux soient tous amers, on rencontre quelquefois des individus qui produisent des amandes douces. Afin de constater l’origine de l’amandier commun, & reconnoître si c’est une espèce perfectionnée par l’art, & s’il doit à cet art la conversion de l’amande amère en amande douce, il conviendroit de semer plusieurs fois de suite le fruit produit par ces haies. Comme l’arbre, & dans ce cas l’arbrisseau, vient en peu d’années au point de donner son fruit, on en auroit en moins de douze à quinze ans trois générations consécutives, & venues du même noyau. Il n’y a que ce moyen pour se rapprocher de la nature, & la suivre dans son perfectionnement ou dans la dégénération du sujet.


II. Amandier à coque tendre. Amandier des Dames. Amygdalus dulcis, putamine molliore. Bauhin, On l’appelle amandier abelan ou abeilan, en Provence. (Voyez Planche 13) La fleur est un peu moins grande que la précédente ; les pétales sont plus longs que larges, & leur plus grande largeur est à peu près à la moitié de leur longueur. L’extrémité du pétale est fendue en cœur plus profondément que dans l’espèce précédente ; les onglets sont d’un rouge vif ; le dedans des pétales est blanc, excepté l’extrémité, qui est légérement teinte de rouge de chair, le dehors de quelques-uns est entiérement teint de cette couleur. Cet amandier fleurit plus tard que les autres, & ses premières fleurs se développent en même tems que les fruits ; au lieu que dans les autres, l’épanouissement des fruits prévient la naissance des feuilles.

La longueur des feuilles est de deux à deux pouces & demi, & leur largeur de neuf à dix lignes. Elles sont soutenues droites par des pétioles assez gros, longs de sept à huit lignes. Sur les bourgeons, on en trouve qui sont un peu plus grandes, & celles des branches à fruit sont beaucoup moindres.

La forme du fruit approche plus de l’ovale que celle des autres amandes ; elle diminue peu de grosseur vers la tête. Quoique le côté le plus elliptique soit creusé d’un petit sillon, plutôt que relevé d’une côte, ce même côté du noyau est garni d’une arête très-saillante & tranchante. Le péduncule est reçu dans une cavité peu profonde, bordée de quelques petits plis.

Le noyau est formé, comme celui des autres amandes, de deux tables parallèles, dont l’intérieure est mince & assez solide ; la table extérieure est plus épaisse, mais si fragile, que dans un transport un peu long, le frottement des amandes les unes contre les autres, la réduit en poussière. Elle se forme long-tems après la table extérieure ; de sorte que si vers la mi-Août on enlève le brou de ces fruits, elle s’en distingue à peine, & s’enlève en même tems. C’est ce retardement de sa production qui empêche son endurcissement. Dans les provinces méridionales, la table extérieure acquiert plus de solidité, parce qu’elle mûrit davantage. Une autre cause du peu de consistance de cette table, vient de la quantité des fibres du brou de cette amande. Ces fibres, plus gros que ceux des amandes dures, forment un réseau plus volumineux entre les deux tables ; de manière que l’épaisseur de ce réseau est plus considérable que celle des deux tables prises ensemble. Comme ce réseau est très-lâche, ses fibres peu serrées, la coque reste tendre. Ce noyau renferme une amande douce.

L’amandier des Dames est un de ceux qui méritent le plus d’être cultivés, quoique sa fleur soit un peu sujette à couler. Plus l’arbre vieillit, plus la coque devient dure.

L’amandier des Dames a produit une variété dont l’amande est amère. Elle fleurit en même tems. Sa fleur a beaucoup de rapport avec celle de l’amandier commun.

Il a fourni encore une seconde variété, dont le fruit est petit & le noyau tendre. On la nomme amande sultane.

Sa troisième variété est celle de l’amande pistache, encore moins grosse que l’amande sultane. Sa coque est fort tendre ; le fruit a la forme d’une pistache, & les feuilles sont plus petites que celles des deux autres.


III. Amandier à gros fruit, dont l’amande est douce. Amygdalus dulcis fructu majori. (Voyez Pl. 13, p. 446) Cet amandier, plus vigoureux que les autres, a des bourgeons gros & forts, verds du côté de l’ombre, & rougeâtres du côté du soleil.

Ses fleurs sont belles, très-grandes ; les pétales ont environ huit lignes & demie de longueur, sur six de largeur ; ils sont fendus profondément par l’extrémité, légérement froncés par les bords, quelques-uns repliés ou roulés en dessous ; entiérement blancs, quoique leur extrémité soit teinte d’un rouge carmin très-vif avant leur épanouissement ; beaucoup de fleurs ont six pétales, & le calice six échancrures.

Les feuilles ont en général de deux à deux pouces & demi de longueur, sur huit à neuf lignes de largeur. Elles sont dentelées très-finement, terminées en pointe par les deux extrémités ; en pointe très-aiguë par l’extrémité opposée au pétiole ou queue. Sur les petites branches à fruit, on trouve des feuilles très-longues en proportion de leur largeur, n’ayant que cinq à six lignes de large, sur trente lignes de longueur. Le côté du pétiole diminue peu de largeur ; l’autre côté se termine réguliérement en pointe. Le pétiole des feuilles est délié & long de six à sept lignes.

Ses fruits sont gros, quelques-uns ont plus de deux pouces de longueur, de quatorze à quinze lignes sur leur grand diamètre, & douze ou treize sur leur petit diamètre. On doit bien concevoir que tous ces fruits ne sont pas parfaitement conformes à ces proportions ; on parle en général. Le péduncule est gros, court, implanté dans un enfoncement souvent bordé de plis. Cette extrémité du fruit est beaucoup plus grosse que l’autre, qui se termine par une pointe ou un gros mamelon conique. Le côté qui comprend la plus grande partie de l’ellipse, est divisé, suivant sa longueur, par une rainure assez profonde. La queue est rarement plantée au milieu de l’extrémité du fruit, mais très-obliquement, & presque sur le côté. Le brou est ordinairement épais d’une ligne ; ainsi le noyau, qui est de même forme, n’a environ que deux lignes de moins sur chaque dimension. Son bois est dur, son arête peu sensible, & il renferme une amande grosse, ferme & de bon goût.

Cet arbre a, comme les autres, sa variété, qui est l’amandier à gros fruit à amande amère. Cette amande ne diffère de l’autre que par sa forme moins alongée & plus ronde.


IV. Amandier à fruit amer. Je pense que cette espèce est moins éloignée de son origine que les amandiers à fruits doux. S’il faut s’en rapporter à ce que disent les voyageurs, ils ne parlent que des amandiers à fruits amers. Les romains eux-mêmes, avant le tems de Caton, ne connoissoient que l’amandier amer, & dans la suite ils se glorifièrent d’avoir fait disparoître l’amertume de son fruit ; c’est ainsi que Pline s’explique. On doute si du tems de Caton il y avoit des amandes en Italie, car celles dont il fait mention sont les noix grecques, mises par quelques-uns au nombre des diverses sortes de noix. C’est d’Asie que les romains apportèrent l’amandier en Europe. La première espèce qui fut apportée à Rome étoit donc amère ; ce qui laisse à penser que l’amandier amer est l’amandier primitif.

Sa fleur est plus grande que celle de l’amandier commun ; ses pétales moins larges en proportion de leur longueur, fendus plus profondément en cœur, & ils conservent, après leur développement, une teinte de rouge très-légère, plus caractérisée vers l’onglet.

Le fruit est beaucoup plus alongé & terminé en pointe plus longue & plus aiguë.

Cet amandier a une variété également à fruit amer, mais beaucoup plus petit, & sa fleur plus grande, dont les pétales sont plus étroits.


V. Amandier-Pêcher. Amygdalus persica, ou malus persica amygdalo insita. H. R. parisiensis. (Voyez Pl. 13, pag. 446). Voilà certainement une espèce hibride, (voyez ce mot) formée par la réunion de la poussière fécondante des fleurs du pêcher avec celle de l’amandier, & qui est devenue constante par le secours de la greffe.

Cet arbre tient du pêcher, & plus encore de l’amandier. Il est vigoureux, s’élève & fructifie en plein vent ; ses bourgeons sont verts, ses feuilles de grandeur & de forme mitoyenne entre celles du pêcher & celles de l’amandier ; elles sont unies, étroites, d’un verd blanchâtre, dentelées très-finement par les bords. Les fleurs sont grandes, presque blanches, teintes très-légérement de rouge, plus ressemblantes à celles de l’amandier, qu’à celles du pêcher.

On trouve souvent sur le même arbre & sur la même branche, deux sortes de fruits. Les uns sont gros, ronds, divisés suivant leur longueur par une gouttière, très-charnus & succulens comme la pêche. La peau & leur chair sont vertes, leur eau est amère, ils ne sont comestibles qu’en compote. Les autres sont gros, alongés, n’ont qu’un brou sec & dur qui se fend comme celui des amandes, lorsque le fruit est mur vers la fin du mois d’Octobre. Les uns & les autres ont un gros noyau qui n’est point rustiqué comme celui du pêcher ; il contient une amande douce.


VI. Amandier nain des Indes. Amygdalus indica nana. H. R. Parisiensis. La hauteur de cet arbrisseau, très-commun chez les calmouks & les tartares, excède rarement deux pieds & demi, & ses plus fortes tiges sont tout au plus de la grosseur du petit doigt ; elles périssent souvent avant d’y être parvenues, & l’arbrisseau se renouvelle par ses rejets ou drageons qu’il produit en grand nombre.

Ses bourgeons sont droits & garnis de feuilles disposées dans un ordre alterne ; sous l’aisselle de chaque feuille, il se forme des yeux, quelquefois jusqu’au nombre de cinq, mais un seul est à bois. Les supports sont gros & très-saillans.

Les feuilles sont d’un verd de pré, longues, terminées en pointe par les deux bouts ; mais la plus grande largeur est beaucoup plus près de l’extrémité que du pétiole ; c’est le contraire des feuilles de tous les autres amandiers. Leur dentelure est fine, réguliere, très-aiguë & assez profonde. Les grandes feuilles des bourgeons vigoureux sont longues de trois ou de trois pouces & demi, & larges de dix à douze lignes. Les autres sont beaucoup moindres & plus étroites à proportion de leur longueur. Leur queue ou pétiole est assez gros & court, se prolonge jusqu’à leur extrémité, forme sur toute leur longueur une arête très-saillante & d’un verd blanc. Les nervures latérales sont à peine sensibles, sur-tout sur les petites feuilles.

Les fleurs sont composées, 1o. d’un calice en godet, divisé en cinq échancrures terminées en pointe obtuse. Le tube est long de deux à trois lignes, recouvert de quelques écailles ; il est formé d’une ou de plusieurs membranes minces, sur lesquelles on distingue des raies ou de petites côtes fauves, formées par le filet des étamines qui y prennent naissance. 2o. De cinq pétales couleur de rose, plus foncés vers l’extrémité que vers le calice ; ils diminuent réguliérement de largeur depuis l’extrémité qui est arrondie, jusqu’au calice où ils sont attachés entre les échancrures. 3o. D’une vingtaine d’étamines dont les filets sont d’un rouge pâle, & les sommets jaunes, divisés par une raie rouge ; elles ne tombent point éparses sur les pétales, mais elles se tiennent rassemblées droites sur le disque de la fleur. 4o. D’un embryon conique surmonté d’un style terminé par un stigmate. D’un même nœud, il sort depuis une jusqu’à quatre fleurs & un bourgeon, dont les premières feuilles se développent en même tems que les fleurs. Ce mélange de feuilles & de fleurs, dont toutes les branches sont garnies, rend cet arbrisseau très-agréable à la vue dans le tems de sa fleuraison, qui est plus ou moins avancée ou retardée, suivant le climat où on le cultive.

Ses fruits sont petits, rarement abondans ; leur longueur est d’un pouce tout au plus, & pas tout-à-fait la moitié si gros : ils se terminent en pointe, & diminuent aussi de grosseur vers la queue, qui est fort courte. Le brou est couvert d’un duvet roux, long, rude, épais ; le noyau dépouillé du brou, est renflé dans le milieu, aplati sur les bords ; l’extrémité où le péduncule est attaché, se termine en pointe obtuse, d’où partent quelques sillons peu larges, peu profonds, qui ne s’étendent que sur cette extrémité du fruit, & trois plus considérables, qui règnent sur un côté entier à la place de l’arête qu’on trouve sur les amandes ordinaires. L’extrémité opposée se termine en pointe fort aiguë ; la surface de ce noyau n’est ni rustiquée, ni percée de trous, mais unie : elle renferme une amande du double plus longue que large.

Cet amandier figure très-bien dans les bosquets du printems : on ne doit le cultiver que par curiosité. M. Duhamel, à qui l’on doit la description de cet arbrisseau, pense que si on le plaçoit dans l’orangerie, ou dans la serre chaude pour hâter sa fleuraison, on pourroit faire féconder ses fleurs par celles d’une bonne espèce d’amandier : alors, ses semences produiroient peut-être des amandiers nains dont les fruits seroient utiles.


VII. Amandier nain à feuilles veinées. Amygdalus pumila, Lin. Mantissa plantarum. C’est avec raison que M. le chevalier Von Linné fait de cet amandier une espèce à part. Les fleurs sont, pour l’ordinaire, au nombre de deux sur les bourgeons ; & paroissent n’avoir point de péduncules ; les pétales sont échancrés de couleur rouge incarnat ; & plus longs que le tube du calice. Les filets qui supportent les étamines sont pâles, & le germe & le style inférieurement sont blancs ; les stipules sont profondément dentées en manière de scie. Les fleurs varient beaucoup, & souvent elles sont doubles ; on les multiplie par la greffe pour garnir les bosquets du printems, & cet arbrisseau y figure très-bien. Kolb, dans sa Description du Cap de Bonne-Espérance, dit l’avoir trouvé avec sa variété à fleur double ; & il rapporte que son fruit est extrêmement amer, & que les hottentots, pour le rendre mangeable, le font bouillir dans différentes eaux. C’est le même procédé dont les corses se servent pour adoucir le lupin ; il est vrai qu’ils le font infuser dans l’eau de la mer ; l’eau douce produiroit le même effet, mais un peu moins promptement.


VIII. Amandier du levant. Amygdalus orientalis, foliis argenteis splendentibus. Ce qui caractérise cet arbre, sont ses feuilles satinées & argentées ; son fruit est petit, pointu & mauvais. On ne doit donc le cultiver que par curiosité. On dit qu’il a été apporté d’Alep, en France. M. Granger, dans son Voyage d’Égypte, & après lui l’infortuné M. Hasselquitz, disent qu’on ne trouve ni amandier ni noyer en Égypte, ni en Palestine.

On compte encore plusieurs variétés seulement agréables ; telles sont l’amandier à feuilles panachées de blanc ; un autre à feuilles panachées de jaune ; un autre à fleurs toutes blanches, &c. Je ne conçois pas quel mérite on peut trouver à ces différentes panachures. Les plantes ainsi bigarrées me paroissent languissantes, & les panachures annoncent toujours qu’elles souffrent, ou qu’elles ont souffert.


CHAPITRE III.

De la culture de l’Amandier.

I. Des semis. Tous les amandiers, excepté l’amandier nain des Indes, n°. VI, se multiplient par les semences. Il y a trois manières de semer les amandes : 1odans des caisses, pour les replanter ensuite ; 2o. dans des pépinières, d’où on les enlève quand l’arbre est formé, pour le placer dans la fosse qui l’attend ; 3o. enfin, les semer à demeure.

1o. Du semis dans des caisses. L’amande à coque tendre, n°. II, est celle qu’on doit choisir par préférence ; & il est inutile, malgré la recommandation de Columelle, de faire tremper dans l’eau miellée les amandes qu’on se propose de semer, ni d’observer le jour de la lune. Le climat que l’on habite indique le moment de semer, parce qu’on est libre d’avancer ou de retarder la germination, afin d’éviter les gelées printanières. Ayez de la terre douce, légère, peu humide, & faites au commencement de Décembre, un lit de cette terre, & un lit de noyaux, & ainsi successivement, jusqu’à ce que la caisse soit pleine. Tenez cette caisse dans un lieu modérément chaud, & les amandes seront germées au commencement de Mars. Si on craint les gelées à cette époque, ne confiez les amandes à la terre qu’en Janvier ou Février, & le plus ou le moins d’humidité que recevra la terre hâtera la germination. Trop d’humidité feroit pourrir l’amande sans germer. Il est avantageux, cependant, de faire germer de bonne heure, parce que l’on gagne du tems ; & lorsque l’on a saisi le moment favorable, il arrive souvent qu’on peut écussonner à la séve du mois d’Août suivant.

Lorsque les germes commenceront à paroître, tirez doucement hors de terre les amandes les unes après les autres, sans nuire au germe. Transportez-les dans la pépinière, & placez-les à deux pieds & demi en tout sens les unes des autres. Un pouce de terre suffit pour les recouvrir. On ne donne communément qu’un pied de distance, & on a tort. L’arbre profite beaucoup mieux à la distance de deux à deux pieds & demi, & la terre en est plus facilement & mieux travaillée.

2o. Du semis dans la pépinière. Cette manière est plus tardive & plus casuelle. Soit pour le midi de la France, & soit pour le nord, la première est préférable, à moins qu’on n’ait mis les amandes en terre aussitôt après leur complette maturité. Cette méthode n’équivaut pas la stratification : on plantera l’amande à deux pouces de profondeur, la pointe en bas. Il est à craindre que les mulots ne dévorent toutes ces amandes, & ces maraudeurs inviteront leurs camarades à venir partager le butin. Voilà ce qui a mal à propos engagé à semer des amandes amères.

3o. Des semis à demeure. Si l’on est à portée de donner les soins nécessaires aux jeunes plantes, ce semis est préférable aux deux premiers. On n’a pas à craindre les effets de la transplantation, toujours nuisibles aux racines.

II. Du terrain de la pépinière, & des soins à donner aux amandiers. Toute terre forte, compacte, glaiseuse, ne vaut absolument rien pour la pépinière. Si les circonstances nécessitent à en former une dans une terre de cette qualité, il convient, & même il est nécessaire de la mélanger avec une moitié franche de sable : sans cette précaution, ce sera beaucoup travailler pour n’avoir que des arbres rabougris, mal enracinés, &c.

Le fumier doit être banni de la pépinière. L’arbre auroit trop à souffrir pour s’accoutumer ensuite au terrain léger & maigre qu’on lui destine. De fréquens labours suffisent. Le premier, lorsque la tige a pris assez de consistance ; le second à la fin de Mai, & le troisième à la fin du mois d’Août. Sarcler souvent est encore une obligation indispensable.

III. De la greffe. Celle employée communément est l’écusson ou œil dormant. On ne greffe en couronne que les arbres déjà formés, & rarement on y réussit, parce que la gomme qui découle de l’arbre dans la partie coupée, fait périr la greffe. Il vaut donc mieux décapiter l’arbre avant l’hiver, couvrir la plaie avec l’onguent de St. Fiacre, & attendre qu’il ait poussé de nouvelles branches sur lesquelles on greffera en écusson. Il est constant que dans le nombre des amandes, même choisies les unes après les autres pour planter, ou toutes amères, ou toutes douces, il se trouvera des variétés. Les unes donneront des sujets à fruits doux, les autres des sujets à fruits amers, ce qui nécessite absolument la greffe, afin d’obtenir l’espèce de fruit qu’on desire. Une observation essentielle à faire, est de ne greffer jamais sur un sujet trop maigre, sans quoi la greffe fera bourrelet, moins fort, à la vérité, d’amandier sur amandier, qu’amandier sur prunier. Lorsqu’on peut éviter cette défectuosité, pourquoi ne pas choisir un bon sujet ; & comment veut-on qu’une greffe réussisse & donne un beau jet, si l’arbre n’est pas vigoureux ?

L’amandier-pêcher, & l’abricot-pêche, prouvent combien il seroit facile à un amateur patient & adroit d’enrichir nos pépinières. Pourquoi, à l’exemple de la nature, ne feroit-il pas sur l’amandier l’opération décrite en parlant de la culture de l’abricotier ? (Voyez ce Chapitre, pag. 197) le mélange des étamines le dédommageroit de ses soins par des variétés nouvelles : ou bien, pourquoi n’essayeroit-il pas de mettre en pratique ce que le docteur Beal annonce dans les Transactions philosophiques, où il s’explique ainsi : « Si, après plusieurs greffes choisies & curieuses, on met l’amande dans un bon terreau, on peut s’attendre à quelques espèces nouvelles, comme demi-pêche, demi-abricot, &c. »

Voici encore une opération à tenter, qui demande beaucoup de dextérité. Elle consiste à lever sur une jeune branche, par exemple de prunier, d’abricotier ou de pêcher, &c. un écusson proportionné pour la grosseur, à celui qu’on aura enlevé d’un amandier ; partager exactement l’écusson de l’amandier & de l’abricotier, par exemple sur toute leur longueur ; rassembler la moitié de ces deux écussons, les rapprocher très-près l’un de l’autre, pour que les deux parties des bourgeons réunies n’en forment qu’un seul ; les mettre toutes deux dans la fente faite à l’arbre que l’on veut greffer ; bien réunir les lèvres de l’écorce, & prendre garde que les bourgeons ne se séparent ; enfin, lier & traiter cet écusson comme les autres. Il arrivera nécessairement qu’on en manquera beaucoup ; mais une seule greffe qui réussiroit sur cent, ne dédommageroit-elle pas bien amplement de la peine qu’on auroit prise ? Si nous conseillons d’opérer sur l’amandier, c’est que cet arbre vient très-vite, & on jouit plus promptement. On peut, si l’on veut, également essayer sur les autres arbres. C’est en opérant de cette manière qu’on s’est procuré l’oranger hermaphrodite, c’est à-dire, celui dont le fruit a une côte orange & une côte citron ; les deux chairs, les pepins & l’écorce sont bien distincts ; quelquefois ce fruit est moitié orange & moitié citron. Le raisin suisse a eu la même origine ; il offre un grain noir & un grain blanc, & quelquefois la moitié du même grain est blanche, & l’autre moitié est noire.

Il faut avoir l’attention de ne pas greffer ainsi un amandier avec un pêcher tardif, parce que la végétation de celui-ci est plus tardive que celle de l’autre, & dès-lors les boutons de l’écusson ne végéteroient pas dans le même tems. On peut donc essayer de marier, par exemple, l’abricot précoce, l’abricot blanc avec l’amandier ; & pour tous les autres arbres, se conformer au tems de la végétation des boutons : c’est un point essentiel.

IV. Du terrain propre à l’amandier. Les provinces septentrionales de France sont déjà trop froides pour la culture en grand de l’amandier ; cette culture commence à être abondante depuis Valence jusqu’à la mer, & depuis Antibes jusqu’à Perpignan, parce que ces différentes provinces sont abritées par de grandes chaînes de montagnes, & elles sont autant de climats privilégiés. (Voyez au mot Agriculture, le Chapitre III, pag. 282, sur les effets des abris.) Dans la partie la plus chaude de la Provence, l’amandier y réussit mal ; & s’il en faut croire M. Lemery dans son Traité des Alimens, les amandiers transportés de Provence aux îles de l’Amérique, y sont devenus forts & vigoureux, & n’ont pas donné de fruit ; cependant ils réussissent en Barbarie. Cette singularité ne viendroit-elle pas de ce que le noyau ou l’arbre a été planté dans un terrain trop compacte ? Dans le climat où l’on peut cultiver l’olivier, il faut préférer cet arbre à l’amandier qui y fleurit trop tôt, & dont la fleur périt à la moindre gelée, ou par les effets d’un brouillard froid. Il semble que la nature a désigné l’emplacement convenable à l’amandier : là où l’olivier cesse de bien végéter, l’amandier trouve le climat qui lui convient. Quoiqu’on le cultive dans le territoire d’Aigle en Suisse, pays très-chaud pendant l’été, parce qu’il est abrité par les hautes montagnes de Gruyères, je doute que sur dix ans, il y ait une récolte décidée ; l’air glacial de ces montagnes influe nécessairement pendant les derniers jours d’hiver sur les bourgeons des fleurs trop impatientes à s’épanouir,

Les terres légères, sablonneuses, graveleuses & calcaires, conviennent à cet arbre : au contraire, dans les terrains gras & humides, il y dure peu, donne peu de fruits, & la gomme l’épuise. L’amandier fait peu de racines horizontales ou traçantes ; elles s’enfoncent très-profondément lorsque le grain de terre le leur permet ; c’est pourquoi, ne pouvant pivoter dans les terres humides ou compactes, il y souffre, dégénère & périt.

Dans les pays chauds dont on a parlé, il convient de planter l’amandier sur les endroits élevés & exposés au nord ; les terrains bas leur sont peu favorables, & les exposent trop souvent aux gelées blanches & aux brouillards, à moins que leur humidité ne soit habituellement expulsée par un courant d’air venant du nord ou nord-est.

V. De la transplantation de l’amandier. Le sujet a été greffé ou à la séve d’Août dans la première année, ou à celle du printems de la seconde ; il n’a plus qu’à se fortifier dans la pépinière. On attend communément sa quatrième année pour le transplanter, & on a tort. Les pépiniéristes, pour avoir plutôt déraciné l’arbre, mutilent les racines, & l’arbre a beaucoup de peine à reprendre & à former de nouvelles racines. Il faut donc ou le déraciner complétement avec soin, ou le transplanter plus jeune, mais toujours avec les racines qu’il a produites, sans les endommager ni les châtrer à la manière des jardiniers. Voyez le mot Racine, & dès-lors vous jugerez que la nature ne les a pas prodiguées à une plante pour les détruire.

La saison la plus favorable pour transplanter, est la fin de l’automne ; c’est-à-dire, dès que les feuilles sont tombées. Les jeunes amandiers amers conservent souvent des feuilles vertes sur leurs jets vigoureux, même jusqu’à la fin de l’hiver, malgré cela, il convient également de les transplanter, au plus tard, au commencement de l’hiver. Tous les amandiers en général, se hâtent de produire des fleurs ; & la séve, comme on l’a déjà dit, est en mouvement dès que le froid cesse & qu’une température un peu plus douce lui succède. Si on attend cette époque pour la transplantation, il est très-rare de voir l’arbre prospérer.

Les trous où ils doivent être transplantés seront faits, s’il se peut, dès le mois d’Août ; l’air, la chaleur & les pluies pénètrent plus avant dans la terre, y préparent les sels, & y en ajoutent de nouveaux ; mais comme la terre du fond a été resserrée depuis le mois d’Août jusqu’au commencement de Novembre, & qu’elle se trouveroit trop dure pour les racines, on fera bien de remuer ce fond à la bêche ou avec la pioche. Le trou doit être proportionné à la grosseur de l’arbre & au volume des racines, surtout si on l’enlève de terre sans les mutiler. Les trous sont en général toujours trop étroits ; & par une parcimonie mal entendue, on s’oppose dans le début aux progrès de l’arbre ; cependant sa perfection dépend des soins qu’il exige dans sa transplantation.

Presque tous les auteurs qui ont écrit sur la culture de l’amandier recommandent très-expressément de couper le pivot dès que la germination est faite & en le mettant dans la pépinière, ou du moins de le couper lors de la transplantation. C’est une erreur formelle, puisque l’on voit que cet arbre cherche toujours à pivoter, & non à produire des racines horizontales, à moins que le fond du sol ne lui empêche de pivoter. Cette indication manifeste de la nature auroit dû faire ouvrir les yeux sur une pratique qui va directement contre les loix. Il faudroit un trou plus profond ; on ne sait que faire du pivot qui embarrasse en plantant dans de petits creux : donc il faut le couper ; voilà comme on a raisonné. Mais est-ce là le langage de la nature, qui ne produit rien en vain, & qui est toujours constante dans sa marche ? L’expérience prouvera toujours, & démontrera à l’homme le plus prévenu pour l’ancienne méthode, qu’un amandier planté avec son pivot & toutes ses racines dans un trou d’une grandeur convenable, travaillera plus dans quatre années, qu’un amandier dont on aura coupé le pivot & bien rafraîchi les racines, à la manière des jardiniers, ne poussera en dix ans.

Si l’arbre vient d’une pépinière éloignée ; s’il a resté pendant plusieurs jours hors de terre ; enfin, si ses racines sont sèches, il sera prudent de lui mettre le pied dans l’eau pendant huit, douze ou vingt-quatre heures, selon les circonstances. Lorsqu’on le replante, la terre s’adapte mieux aux racines.

Si le trou est trop humide ; si la terre qu’on en a retirée est trop humectée, il faut différer de quelques jours la transplantation. Cette terre joindroit mal contre les racines, se pétriroit, se durciroit, & l’arbre en souffriroit. Il est nécessaire d’épierrer & d’ajouter de la terre neuve, bonne & menue sur les racines, afin qu’il ne reste point de vide. Chaque année on doit faire piocher le tour de l’arbre, si on ne l’a pas planté dans un champ labourable, ou cultivé habituellement.

Le haut de la tige de l’arbre planté doit être dépouillé de ses branches, mais il convient de lui en laisser deux ou trois, coupées à deux ou trois pouces au dessus de leur base. On fera bien de couvrir la coupure avec l’onguent de Saint Fiacre, ou avec de la terre glaise bien corroyée.

VI. De la taille de l’amandier. Si l’on a semé l’amande à demeure, & qu’on ait chaque année travaillé le terrain, ainsi qu’il l’exige, la tige ne demande qu’à être dépouillée des petites branches, afin de lui faire former un arbre. Ces petites branches seront abattues au commencement de Novembre, & la plaie sera bien cicatrisée & durcie avant les gelées. Si on attend plus tard, on doit craindre l’extravasion de la séve qui formera la gomme, & la gomme annonce toujours l’état de souffrance de l’arbre quelconque. Dès que le tronc est formé, laissez l’arbre confié aux soins de la nature ; elle en fait plus que nous.

Les amandiers transplantés ont peu besoin de la main de l’homme. Il doit tout au plus abattre les branches foibles, couper le bois mort, de crainte que la carie ne gagne le corps de l’arbre. Comme les boutons à fruit ne poussent que sur le jeune bois, si l’arbre n’avoit plus que du vieux bois & des pousses chiffonnes, c’est le cas de le rajeunir, ou en rabaissant de quelques pieds ses vieilles branches, ou en les enlevant tout-à-fait. Pour peu que l’arbre ait conservé de vigueur, des boutons à bois perceront la vieille écorce, & donneront des branches nouvelles.

Quelques amandiers, sur-tout ceux qui sont plantés dans les terrains gras ou trop bien cultivés, ne donnent que des boutons à bois, & ne fleurissent point. Dans le premier cas, du sable ajouté en grande quantité à la terre forte, lui fera donner du fruit ; & dans le second, moins de culture produira le même effet. Les anciens auteurs sur l’agriculture conseillent la perforation de l’arbre. Il est constant que cette opération détourne une grande partie de la séve ; mais ne nuit-elle point à la durée de l’arbre ? ne vaut-il pas mieux le laisser vieillir ? & lorsque ses canaux séveux seront plus oblitérés, lorsque la séve montera avec moins d’abondance & moins de vélocité, alors les fruits paroîtront & dédommageront avec usure du tems qu’on a mis à les attendre.

Le gui, (voyez ce mot) plante parasite & vorace, s’attache quelquefois sur les branches de l’amandier. Une seule de ces plantes suffit pour se multiplier très-promptement sur tous les amandiers des alentours. Dès que le premier brin paroît, il faut rigoureusement l’abattre & creuser dans la substance même de l’écorce, jusqu’à ce que ses racines ou mamelons soient extirpés. Un seul mamelon le reproduiroit de nouveau. Dès qu’on voit du gui sur un amandier, il est sûr que l’arbre est couvert de mousse. C’est sous l’écaille & dans la gerçure de l’écorce, que le vent ou les oiseaux ont déposé la graine du gui, & la mousse entretient l’humidité nécessaire pour sa première végétation : la séve de l’arbre fournit ensuite à son accroissement. Les amandiers des pays chauds & secs, sont en général exempts du gui ; il n’en est pas de même de ceux qui végètent dans les terrains plus humides.

Règle générale, on ne doit jamais employer le fer pour tailler l’amandier, qu’à la fin du mois d’Octobre ; & suivant les climats, au plus tard depuis les premiers jours de Novembre jusqu’au 15 de ce mois.

Autant on recherche pour les bosquets d’agrément les arbres à feuilles panachées, autant on doit détruire dans les cultures d’amandiers les branches à feuilles panachées ; elles souffrent & nuisent à cette espèce d’équilibre assigné par la nature entre les branches d’un arbre. Si un côté domine, l’autre s’affoiblira, & l’arbre aura une forme désagréable qui l’entraînera peu à peu vers sa perte. Si on fait bien attention à la cause de cette panachure, ou à l’emportement des branches d’un seul côté, on verra ou que l’arbre a été taillé à contre-tems, ou que le tronc a souffert du côté dégarni, soit par un coup, par une plaie dans son écorce, ou par l’effet de la gelée. Cette défectuosité provient souvent des racines qui ont été mutilées en travaillant la terre, ou rongées par les insectes, ou endommagées par les autres animaux qui vivent sous terre.

VII. Des arbres qu’on peut greffer sur l’amandier. Les pépiniéristes sèment beaucoup d’amandes amères pour former des sujets ; deux motifs les y déterminent : le premier est la crainte des mulots ; & le second, parce que les écussons sur amandier amer poussent plus vigoureusement, donnent de belles tiges ; & à cause de sa bonne mine, l’arbre se vend bien ; voilà leur but. Celui de l’acquéreur est plus étendu ; il veut que le bel arbre qu’il a payé chèrement, lui donne du fruit bon & beau, & son espérance est trompée. Un tel arbre s’épuise en bois, donne de petits fruits, en petite quantité, & presque toujours un peu amer. Il reconnoît l’erreur ; il faut arracher l’arbre, & on a perdu plusieurs années. Ceux qui sont accoutumés à voir souvent de jeunes amandiers, ne seront pas si facilement trompés, s’ils examinent le pied de l’arbre au dessous de la greffe. L’amandier amer a l’écorce plus brune & plus lisse que l’amandier à fruit doux. Les racines du premier sont encore plus vigoureuses que celles du second.

L’écusson de toutes les pêches lisses réussira sur l’amandier à fruit doux. Quelques auteurs préfèrent l’amandier, lorsque le pêcher qu’on y aura greffé doit être planté dans une terre légère ; & M. Roger de Schabol, à qui l’art de la culture des arbres doit sa perfection, aime mieux employer l’amandier pour toutes les terres fortes ou légères, & le préfère au prunier. M. le baron de Tschoudi assure d’après son expérience, & on peut l’en croire lorsqu’il le dit, que dans les provinces septentrionales de France, comme l’Alsace, où il habitoit alors, les amandiers greffés sur pruniers lui réussissent mieux que franc sur franc. Par ce moyen, il parvient à les élever en espalier.

L’abricot de Nanci reprend très-bien sur l’amandier.


CHAPITRE IV.

Existe-t-il des moyens capables de retarder la fleuraison de l’Amandier ?

Il est démontré par l’expérience, que si l’on greffe des pêchers, des pruniers sur l’amandier, ces greffes végéteront en même tems que l’espèce d’arbre sur lequel elles auront été enlevées, mais non pas aussi promptement que l’amandier ; de sorte que la séve de cet arbre sera en vain en mouvement relativement à la greffe. Si, au contraire, on greffe un amandier sur un pêcher ou sur un prunier, la greffe du nouvel amandier végétera dans le même tems, & aussi promptement que les amandiers ordinaires. Ces phénomènes ne doivent pas surprendre, si l’on considère que chaque espèce d’arbre exige pour sa végétation un certain degré de chaleur déterminé. Celui qui donne le mouvement à la séve dans l’amandier, n’est pas suffisant pour la déterminer dans le prunier, dans le pêcher, & encore moins dans le châtaigner, le noyer, le mûrier, &c. La chaleur intérieure de la terre ne suffit pas ; il faut encore que la température de l’air ambiant soit au point requis pour la végétation de tel ou tel arbre. La greffe de l’amandier, portée & implantée sur un autre sujet, ainsi que toutes les greffes quelconques, ne changent point de nature par leur transposition, & suivent le cours des loix physiques. Ainsi la végétation est toujours conforme à l’ordre établi par le créateur, & la main de l’homme ne peut l’y soustraire.

La belle & ingénieuse expérience de M. Duhamel établit mieux que tous les raisonnemens la loi de la végétation. Si on plante, dit-il, un cep de vigne dans une caisse, & qu’on le transporte dans une serre échauffée par des poêles, ce cep poussera, & se garnira de feuilles avant ceux qui sont restés en plein air. Ceci n’offre rien de fort singulier.

Si, après avoir placé cette caisse dans la terre, on fait sortir au dehors l’extrémité du sarment du cep qui y est contenu, on verra que les boutons qui seront dans la serre s’ouvriront & produiront des fleurs & des fruits, pendant que ceux qui seront au dehors resteront fermés jusqu’au tems où la vigne pousse naturellement.

Si on met la caisse en dehors de la serre, & si l’on fait entrer le sarment dans la serre, les boutons de l’extrémité de ce sarment, qui seront dans cette serre, s’ouvriront & produiront des grappes & des feuilles, pendant que ceux qui seront au dehors de la serre, quoique plus voisins des racines que les autres, resteront fermés.

Si la caisse reste en dehors, & qu’on fasse entrer le sarment dans la serre, & qu’ensuite on en fasse ressortir l’extrémité au dehors, alors les boutons de cette extrémité, ainsi que ceux d’auprès des racines, resteront fermés, & ceux du milieu du sarment qui seront dans la serre, végéteront, s’ouvriront & produiront des feuilles, &c.

M, Duhamel conclut avec raison de ces expériences, 1o. que la séve existe dans le bois dans un état convenable à la végétation, qu’il ne lui manque qu’une cause déterminante pour agir ; 2o. que cette cause est la chaleur ; 3o. qu’elle réside dans les boutons qui lui sont exposés. Que de conséquences on tireroit encore de ces expériences ! mais elles nous écarteroient de notre sujet.

La rigueur du froid n’arrête pas, jusqu’à un certain point, la végétation dans les racines. Elle la suspend seulement dans les parties où elle pénètre, & non au dessous ; ainsi, dès que l’air de l’atmosphère a repris le degré de chaleur propre à la végétation de l’amandier, sa végétation, jusqu’alors suspendue, se manifeste dans toute sa force, & plus tard si l’amandier est greffé sur prunier ; par conséquent, il seroit avantageux pour les grandes cultures d’amandier, de suivre ce procédé.

Plusieurs auteurs l’ont indiqué, plusieurs l’ont rejeté. C’est à l’expérience à prononcer. « J’avois fait écussonner à la séve d’Août (c’est M. Duhamel qui parle, dans sa Physique des Arbres, à l’article Greffe) des amandiers sur des pruniers de petit damas noir, sur la foi de plusieurs auteurs qui assurent que, par ce moyen, on rend les amandiers plus tardifs, & moins exposés à être endommagés par les gelées du printems. Ces écussons poussèrent à merveille au printems, & pendant l’été suivant, de sorte qu’en automne ces amandiers étoient quelquefois garnis de feuilles, pendant que les amandiers ordinaires en étoient dépouillés. On ne pouvoit pas concevoir une plus belle espérance ; cependant ceux que je fis lever de la pépinière pour les mettre en place, moururent. La plupart de ceux qui étoient restés dans la pépinière, poussèrent passablement l’année suivante ; mais ils moururent dans le cours de la troisième année : je dis la plupart, car deux de ceux-là ont subsisté pendant plusieurs années, & m’ont donné de fort beau fruit. On ne peut pas attribuer le mauvais succès de ces greffes au manque d’analogie dans les parties solides ni dans les liqueurs, parce que la reprise de ces greffes avoit été des plus heureuses ; mais encore parce que l’on greffe tous les jours, & avec un succès pareil, les pêchers sur des amandiers & sur des pruniers.

J’ai remarqué, continue M. Duhamel, que la greffe d’amandier prenoit beaucoup de grosseur, & que l’extrémité de la tige du prunier restoit fort menue, de sorte qu’il se formoit au bas de la greffe un gros bourrelet : d’ailleurs, il est prouvé par l’expérience que l’amandier pousse de meilleure heure au printems, & qu’il croît plus vîte que le prunier ».

M. Bernard, dans son mémoire couronné par l’académie de Marseille sur cette question : Quelle est la meilleure manière de cultiver l’amandier, & quels sont les moyens, s’il y en a, de suspendre la fleuraison sans nuire à la durée de l’arbre, à l’abondance des récoltes, & à la qualité des fruits, est de l’avis de M. Duhamel ; mais M. Bernard décide-t-il la question sur la parole d’autrui, ou d’après sa propre expérience ? c’est ce qu’il ne dit pas.

Aux expériences décourageantes de M. Duhamel, on doit en opposer d’autres bien propres à ranimer l’espérance ; ce sont celles de M. le baron de Tschoudi, observateur très-exact & très-instruit. Voici comment il s’explique au mot Amandier, dans le premier volume du supplément du Dictionnaire Encyclopédique. « M. Duhamel assure que l’amandier réussit même dans les terres fortes, pourvu qu’elles soient profondes. Mon expérience est contraire à la sienne. J’ai dans une terre compacte un amandier dont l’écorce est ridée, les bourgeons maigres & noirs, & qui n’a jamais fleuri, quoiqu’il ait déjà onze ans. J’en ai d’autres qui ne font pas plus de progrès dans une terre légère, substantielle & profonde, mais qui tient de la nature des terres blanches ; au reste, notre climat (l’Alsace) peut contribuer à ce mauvais succès. Je ne puis y élever d’amandiers que dans des terres pierreuses, & à l’abri des mauvais vents ; il n’y a même que ceux greffés sur pruniers qui fleurissent bien ; ils me réussissent aussi en espalier ».

Malgré l’espèce de démonstration résultante des expériences de M. Duhamel, malgré les inductions à tirer de celles de M. de Tschoudi, la question n’est point encore complétement décidée. Tous deux ont greffé dans des climats peu propres à l’amandier, l’un en Gâtinois, l’autre en Alsace. Ce sont de nouvelles tentatives à faire en Provence, dans le Comtat, dans le Bas-Dauphiné & en Languedoc, où la récolte des amandes forme un objet considérable, & où elle est très-casuelle.

Comme les greffes ne réussissent pas également bien sur tous les sujets, je conseille de se procurer les pieds de différentes espèces de pruniers, & sur-tout des pruniers qui sont les plus hâtifs dans le pays, & les plus vigoureux. On peut, par exemple, greffer sur la prune de Catalogne jaune hâtive, ou sur la prune précoce de Tours, (voyez ces mots) sur la reine-claude, quoique moins hâtive, &c. Pour n’avoir rien à se reprocher, il convient d’essayer également sur les pruniers les plus tardifs. Celui qui réussira complétement, rendra le plus important de tous les services aux provinces méridionales du royaume. Cet objet seroit digne de l’encouragement des états de Provence & de Languedoc ; & l’avantage est si direct pour ces provinces, que ces états devroient faire les frais de ces expériences, & ces frais seroient peu considérables.

Des auteurs ont conseillé sérieusement de découvrir les principales racines des amandiers pendant les rigueurs de l’hiver, & de ne les recouvrir de terre que lorsque les gelées seroient passés. Ce moyen est absurde ; si l’arbre n’en meurt pas ou n’en souffre pas, ses fruits mûrissent aussi promptement ; mais on ne ralentit pas sa végétation, parce qu’on ne peut ralentir les effets de la chaleur de l’atmosphère. L’expérience de la vigne de M. Duhamel n’étoit sans doute pas connue par ces donneurs de conseils.

M. Bernard, dans le mémoire déjà cité, propose un moyen qu’il est bon de connoître, ainsi que la théorie sur laquelle il l’établit. C’est une chose reconnue, que les gelées se font sentir très-vivement près de la surface de la terre ; mais l’on s’apperçoit aisément que leur action s’affoiblit par degrés à mesure qu’on l’observe, à des élévations plus grandes sur le terrain. La vigne pousse beaucoup plutôt, & elle conserve pendant plus long-tems ses feuilles, lorsque l’on donne au cep une certaine longueur pour la marier à quelqu’arbre, que lorsqu’on la cultive, suivant la coutume ordinaire. Les figuiers, les orangers, &c. sont beaucoup plus sujets à périr par les gelées lorsqu’ils sont bas, que lorsqu’ils ont une tige élevée. Les poiriers & les pommiers nains que l’on voit dans les jardins, fleurissent constamment plus tard que les arbres de même espèce qui sont en plein vent & auxquels on retranche peu de branches.

Il faudroit donc, dans les pépinières, après avoir greffé l’arbre, conserver ses premiers jets, ses premières branches basses, pour former, dans la suite, les principales, afin que leur origine fût aussi près qu’il est possible de la surface de la terre. Par le moyen de la taille, on dirigeroit ensuite le mouvement de la séve dans les branches latérales, & on couperoit celles qui, par leur direction & leur vigueur, paroîtroient plus propres à donner aux arbres une forme différente de celle qu’on se propose de leur faire prendre. Avec quelques attentions suivies dans les premières années du développement des sujets, on parviendroit aisément à les assujettir à la forme qu’on juge convenable, & leurs branches se trouvant alors constamment dans une atmosphère plus froide, ouvriroient nécessairement leurs boutons plus tard.

Cette théorie est fondée sur l’expérience d’un cultivateur qui avoit dans son champ plusieurs amandiers fort gros. Il prit le parti de faire couper un de ces arbres, parce que ses boutons se développant de très-bonne heure, les gelées les endommageoient chaque année. Comme le terrain étoit peu précieux, il laissa croître les jets nouveaux qui poussèrent de la souche. Quelques années après, il vit naître sur ces jets des fleurs beaucoup plus tard que sur les arbres qu’il avoit conservés. La vigueur des jeunes pousses étoit certainement une des causes qui avoit suspendu leur fleuraison ; le peu d’élévation au dessus du terrain étoit, selon M. Bernard, ce qui avoit le plus influé pour produire cet effet. Cette expérience est facile à tenter, & peu coûteuse dans son exécution.


CHAPITRE V.

Des Haies formées avec les Amandiers.

Dans tous les pays à amandiers, les terrains que l’on sacrifie aux grandes plantations d’amandiers sont maigres, sablonneux, caillouteux ; & l’année où ils sont semés en grains, ils exigent beaucoup d’engrais, sans quoi les frais de culture excéderoient la valeur de la récolte. À cet effet, on laisse ces champs ouverts à la libre pâture des troupeaux, ce qui suppose que les haies ne bordent pas les héritages ; si elles étoient en amandiers, la dent meurtrière du mouton les auroit bientôt détruites. On place ces haies dans la terre qui touche les chemins, & souvent pour bordures dans les vignes ; elles sont formées avec des noyaux d’amandes amères plantées à demeure. Quelques-uns les placent à six pouces de distance, & d’autres à celle d’un pied. L’arbuste n’est point greffé : il produit des amandes amères, & quelques pieds d’amandes douces ; elles sont moins grosses que celles des arbres greffés, & parfois la récolte est assez abondante. Un vice essentiel caractérise ces haies : la tige s’emporte, se dégarnit dans le bas, & fourmille de branches à son sommet, parce qu’aucune opération ne contraint l’arbre à demeurer nain : tant que le canal direct de la séve ne sera pas intercepté, il est constant que l’arbre cherchera toujours la perpendiculaire, & poussera des rameaux vigoureux qui suivront à peu de chose près la même direction. Il est rare de les voir, pendant les premières années, décrire avec le tronc un angle de plus de vingt à vingt-cinq degrés ; si, dans les commencemens, on coupe la tige par le pied & près de la terre, les rameaux se multiplieront & s’élanceront comme les bois taillis. Il est donc important chaque année d’arrêter les branches qui s’emportent & de raccourcir les petites branches ; rarement on prend cette peine.

N’y auroit-il pas un moyen plus utile, & qui assureroit à la haie, comme haie, une plus longue existence, & la feroit servir réellement pour l’objet qui a déterminé à la planter, c’est-à-dire, à interdire à l’homme & aux animaux l’entrée du champ ? Supposons la tige de l’arbuste, encore bien flexible, de quatre pieds de hauteur, & chaque amandier planté à six ou douze pouces de distance l’un de l’autre, je préférerois ce dernier. En inclinant sur une ligne diagonale cette tige dans toute sa longueur, jusqu’à ce que son extrémité fût à un pied & demi de terre, la plante n’auroit plus ce canal direct de la séve qui la fait emporter vers son sommet. La tige voisine seroit inclinée de la même manière, mais dans le sens opposé : de sorte que ces deux tiges se croiseroient à six pouces au dessus du niveau du sol, & formeroient un losange. On voit qu’en inclinant ainsi successivement toutes les tiges de la haie, on auroit des losanges parfaits ; & que chaque tige réunie à ses voisines, formeroit deux & même trois losanges. Si on a l’attention de croiser ces tiges à chaque point de réunion, c’est-à-dire de passer l’une en dedans, & l’autre en dehors, & ainsi successivement, on n’aura pas besoin de recourir aux ligatures pour les assujettir, & s’il en falloit absolument, la filasse suffiroit pour la première année, & on n’en auroit plus besoin par la suite pour la réunion de ces losanges. Les branches qui auront poussé à l’extrémité du losange supérieur, seront également couchées à la fin du mois d’Octobre suivant ; & en continuant toujours ainsi, à mesure que les losanges s’élèvent, on parviendra à avoir une haie impénétrable aux hommes & aux animaux.

La plus grande perfection à donner à ces losanges, est de les greffer par approche à tous les points de réunion des branches ou des tiges. Il suffit d’enlever un morceau de l’écorce & du bois de chaque tige, & de réunir exactement parties contre parties, & de fixer le tout avec une ligature de filasse. Ce procédé sera expliqué plus au long au mot Haie. Un enfant de dix à douze ans suffit pour exécuter cette opération : on est sûr, par ce moyen, que le bois ne s’emportera jamais, que celui des losanges ne poussera que des petites branches à fruit ; & lors même que les losanges inférieurs se dégarniroient de branches, la haie produiroit également le premier effet qu’on en attend, & les losanges supérieurs donneroient du fruit en abondance.

D’après l’idée de M. Bernard, dont il a été fait mention dans le Chapitre précédent, ces haies basses fleuriroient beaucoup plus tard que les arbres à plein vent, & leurs récoltes seroient moins exposées à être détruites dans une nuit.

D’après la réussite d’un premier essai, rien n’empêcheroit de planter dans les champs des haies d’amandiers ; & après avoir greffé les sujets, de les substituer aux arbres à plein vent. Ces expériences méritent d’être tentées ; & par analogie, on peut d’avance répondre du succès. J’ai planté ainsi des haies de poiriers & de pommiers, qui ont très-bien réussi. Dans les Pays-Bas autrichiens & en Allemagne, ses charmilles sont traitées de cette manière, &c. Consultez le mot Haie, où ces principes & cette pratique seront plus développés.


CHAPITRE VI.

Des usages médicinaux & économiques de l’Amande, & de l’huile qu’on en retire.

Propriétés. L’amande a une saveur agréable ; elle est huileuse, & la pellicule qui la recouvre est chargée d’une poussière résineuse brune. Les amandes, en général, sont pesantes pour certains estomacs, & elles sont laxatives & anodines. On dit les amandes amères stomachiques & fébrifuges. Les amandes douces, triturées dans l’eau pure, augmentent le cours des urines, surtout lorsqu’il y a chaleur & ardeur dans les voies urinaires, & elles fatiguent moins l’estomac que les semences de courge. Elles sont indiquées dans les maladies inflammatoires, où il n’existe ni oppression, ni expectoration difficile, ni météorisme, ni humeurs acides dans les premières voies, ni tendance des humeurs vers la putridité. Elles calment les feux de la poitrine, sans favoriser l’expectoration ; elles diminuent les symptômes de la gonorrhée virulente, la toux convulsive, la soif occasionnée par de violens exercices, ou par des substances âcres ; elles sont rarement utiles dans la fièvre ardente, dans la fièvre inflammatoire, dans la phthisie pulmonaire essentielle, dans le marasme, &c.

Les amandes amères recommandées pour faire mourir les vers, produisent rarement cet effet.

Le sirop d’orgeat convient dans les mêmes espèces de maladies que les amandes douces triturées dans l’eau édulcorée avec le sucre.

L’huile d’amande douce à petite dose ne produit aucune évacuation sensible ; à forte dose, elle purge ; elle est quelquefois utile dans les coliques produites par des substances vénéneuses ; dans les maladies convulsives des enfans, occasionnées par des humeurs âcres, & même par des humeurs acides. Dans ce dernier cas, il vaut mieux faire usage des yeux d’écrevisse, ou tout simplement de la craie blanche.

Donnée en lavement, elle soulage dans les coliques & les tenesmes engendrés par des matières âcres ; dans la constipation par la trop grande dureté des matières fécales, ou par la forte contraction du rectum.

Extérieurement appliquée en onction, elle relâche ; elle diminue souvent la dureté & la douleur des tumeurs phlegmoneuses, mais en même tems elle les dispose à la suppuration.

L’huile d’amande douce se donne pour l’homme depuis demi-once jusqu’à quatre onces ; & pour l’animal, à la dose de demi-livre.

Pour la manière dont on prépare le sirop d’orgeat, voyez le mot Sirop.

L’huile des amandes douces ou amères est toujours douce. Il y a deux manières de la retirer ; ou sans le secours du feu, ou avec le feu. Pour la retirer sans feu, il faut commencer par secouer les amandes dans un sac, afin d’enlever l’écorce brune qui les recouvre : on les pile ensuite jusqu’à ce qu’elles soient réduites en pâte, & on les met dans une grosse presse enveloppées dans une toile forte. Cette espèce de sac est placé entre des plaques de fer ; il en dégoutte une huile extrêmement douce, qui est l’huile par expression.

Il reste dans la toile un son que les parfumeurs vendent sous le nom de pâte d’amande pour les mains. C’est le parenchyme de la plante, qui a retenu une partie de l’huile, & la plus grande partie du mucilage.

L’huile contenue dans les cellules particulières de ces semences, devient libre par le broiement ; mais comme elle se trouve confondue avec la partie du parenchyme, il faut l’exprimer pour la faire sortir.

Cette huile ainsi tirée, est la meilleure qu’on puisse employer pour l’usage de la médecine ; elle contient un mucilage qui la rend analeptique & adoucissante, mais on en retire très-peu. Les marchands & les droguistes qui ont intérêt à gagner beaucoup, & qui d’ailleurs ne trouvent pas toujours à vendre le son dont l’œil est gris, ont cherché des moyens de retirer une plus grande quantité d’huile.

Ils jettent leurs amandes dans l’eau bouillante pour les dépouiller de l’enveloppe qui les couvre ; & comme, par ce moyen, ils les ont abreuvées d’eau, & que cette partie d’eau s’unit à la partie mucilagineuse dont elle est le dissolvant, ils sont obligés de mettre leurs amandes dans un étuve où elles éprouvent un degré de chaleur capable de détruire le mucilage & d’attaquer l’huile. Quelquefois même ils échauffent leurs amandes pilées dans un bassin de métal, ainsi que les plaques de fer de la presse. Il est constant que, par ce procédé, ces frelateurs tirent une plus grande quantité d’huile que par le premier procédé ; mais aussi cette huile a déjà contracté un commencement de rancidité en sortant de la presse. Toutes les fois qu’on emploie, pour des usages médicinaux, l’huile d’amande douce, on doit la sentir & la goûter ; si elle a une odeur un peu forte, & un goût un peu âcre ou piquant, il faut absolument la rejeter. Dans les chaleurs, l’huile d’amande douce récemment exprimée, ne se conserve pas plus de quinze jours sans devenir rance.

L’amande amère est un poison violent, dit-on, pour les bipèdes, & on devroit ajouter pour la plupart des quadrupèdes. Si on ouvre les volumes des Éphémérides des Curieux de la nature, des années 1677 & 1688, on trouvera une longue suite d’expériences qui constatent les effets pernicieux des amandes amères sur les animaux. D’après cela, est-il prudent de donner des massepains amers, surtout aux enfans, ou les amandes amères en substance, sous prétexte de chasser les vers ? L’huile douce d’amande est le meilleur remède contre le poison de son fruit.

La gomme qu’on enlève à l’amandier sert en médecine aux mêmes usages que la gomme arabique. On la regarde comme vulnéraire & astringente, & propre à émousser les acides contenus dans l’estomac, & qui occasionnent des aigreurs.

Usages économiques. Le bois est dur, sert pour la marqueterie & pour monter les outils des charpentiers & des menuisiers.

Ses feuilles forment une excellente nourriture pour les troupeaux, & les engraissent en très-peu de tems.