Cours d’agriculture (Rozier)/AMARANTHE

Hôtel Serpente (Tome premierp. 465-468).


AMARANTHE. Comme on en cultive plusieurs espèces pour la décoration des jardins, & qu’elles figurent très-bien dans les plates-bandes, il ne faut pas les confondre, ainsi que l’ont fait plusieurs auteurs, en donnant soit les noms de l’une à une autre, soit en les confondant toutes ensemble.

La première est l’amaranthe à queue. M. Tournefort place cette plante dans la première section de la sixième classe, qui comprend les herbes à fleur polypétale, régulière, rosacée, dont le pistil devient un fruit à une seule loge, qui s’ouvre transversalement en deux parties ; & d’après Bauhin, il la nomme amaranthus maximus. M. le chevalier Von Linné la classe dans la monœcie pentandrie, & l’appelle amaranthus caudatus.

Fleurs, mâles ou femelles séparées sur le même pied. Elles n’ont point de corolle, & leur calice leur en tient lieu. Sa couleur est d’un rouge vineux ; il est droit, divisé en trois ou cinq parties, lancéolées, aiguës, & disposées en manière de rose. Les étamines, quelquefois au nombre de trois, & plus souvent au nombre de cinq, sont portées par des filets droits & de la longueur du calice ; les anthères sont oblongues. Dans la fleur femelle le germe est ovale, & on y découvre trois styles courts & en forme d’alène.

Fruit ; capsule arrondie, un peu comprimée, colorée comme le calice, à trois pointes, à une seule loge, s’ouvrant par le milieu horizontalement. Chaque capsule ne contient qu’une semence ronde, très-fine, polie & très-luisante.

Feuilles, assez longuement pétiolées, simples, très-entières, oblongues & lisses.

Racine, fibreuse, chevelue.

Port. La tige s’élève quelquefois à la hauteur d’un homme ; elle est branchue, cannelée. Les fleurs sont ramassées le long d’un grand péduncule, quelquefois de plus d’un pied de longueur, & souvent ce péduncule se divise en plusieurs autres également chargés de fleurs. Les fleurs mâles & les fleurs femelles sont rassemblées sur les mêmes grappes. Les feuilles sont alternes.

Lieu. Cette plante croît naturellement en Perse, au Pérou, d’où elle a été transportée en France. Elle s’est tellement naturalisée dans les jardins, que lorsqu’on l’a une fois laissée grainer sur pied, il est presque impossible de détruire dans la suite les jeunes plantes qui fourmillent de toute part. Cette plante a l’avantage de fleurir pendant tout l’été, & même elle fait encore plaisir à voir en automne dans les provinces septentrionales du royaume.

Propriétés. Elle est pleine de suc, peu odorante. Quelques auteurs la regardent comme astringente & comme rafraîchissante. Il est assez inutile d’en faire usage en médecine.

La seconde espèce est l’amaranthe à trois couleurs, ou herbe de jalousie. Les fleurs à trois étamines sont pelotonnées en épi au haut des tiges, & elles l’environnent. Les feuilles sont lancéolées, ovales, assez arides, chamarrées de jaune, de verd & de rouge, & ces différentes bigarrures ne sont point uniformes sur toutes les feuilles : celles du bas de la tige sont simplement vertes. Cette amaranthe nous a été apportée de l’Inde. Elle figure très-bien dans les jardins.


Amaranthe mélancolique. Ses fleurs, comme celles de la précédente, sont à trois étamines, pelotonnées en petites grappes presque rondes, & elles naissent des aisselles des feuilles, sans être portées par des péduncules. Les feuilles sont en forme de fer de lance. Leur couleur est cuivreuse en dessus, & le dessous varie beaucoup ; il est quelquefois d’un rouge brun ou cramoisi, ou pourpre foncé, & leur extrémité, tant en dessus qu’en dessous, est d’une couleur jaune tirant sur le pourpre. Cette plante vient de l’Inde ; elle fleurit plus tard que les deux espèces d’amaranthe dont on a parlé. Si on cultive cette espèce dans une serre chaude & dans les provinces méridionales, dans un lieu bien abrité & très-exposé au soleil, alors les feuilles se chargent d’une couleur sanguine très-vive & très-agréable. La tige de cette plante s’élève plus haut que celle du tricolor.

Les fleuristes, ainsi que les anciens botanistes, comprennent encore sous le nom d’amaranthe, quelques espèces qui nous restent à décrire ; mais M. le chevalier Von Linné en a fait un genre à part, sous le nom de celosia, qu’il a placé dans la pentandrie monogynie, parce qu’elles sont hermaphrodites, c’est-à-dire, que les fleurs mâles ne sont pas séparées des fleurs femelles comme dans les espèces précédentes. Malgré cette distinction de genre bien fondée, nous allons les décrire, afin d’éviter des renvois, & pour ne pas multiplier des noms que les fleuristes & les jardiniers n’adopteront pas.


Amaranthe à crête de coq. Celosia cristata. Lin. Amaranthus panicula glomerata. Bauhin. Le calice est divisé en trois ; les folioles aiguës & en forme de lance. La corolle est composée de cinq petits pétales lancéolés, aigus, droits, assez roides. Les étamines, au nombre de cinq, presque portées sur le nectaire, & elles sont de la longueur des pétales. Le germe est rond, le style est en forme d’alène, droit, de la longueur des étamines, & le stigmate est simple. La capsule est ronde, environnée par la corolle, à une seule loge, & s’ouvre horizontalement. Elle contient plusieurs semences presque rondes. Les péduncules qui portent ces fleurs sont anguleux, les épis sont courts, oblongs, & ressemblent assez bien à la crête d’un coq. Leur couleur varie beaucoup : il y en a de pourpres, de jaunes, de blancs, de panachés, &c. Cette plante conserve sa fleur pendant plus de deux mois, ce qui la fait rechercher pour les jardins, où elle figure très-bien.


Amaranthe couleur écarlate. Celosia coccinea. Lin. Amaranthus panicula speciosa cristata. Bauhin. Elle diffère de la précédente par ses feuilles, qui sont trois fois plus épaisses & fort cassantes ; par ses fleurs, qui sont tout-à-fait pourpres sans être rouges ; par ses étamines, plus courtes que la corolle. Le nom de passe-velours donné par les jardiniers à la première espèce, & à la crête de coq quand elle est rouge, conviendroit mieux à cette espèce qu’à toute autre.

Culture. Ces plantes exigent plus de soins dans les provinces du nord que dans celles du midi. Il est de la dernière importance de les préserver, lorsqu’elles sont encore tendres, des gelées, & même des matinées froides du printems. Les jardiniers des environs de Paris les sèment sur couche au commencement d’Avril, & même les couvrent avec des cloches. Les cloches, dans ce cas, sont nécessaires, parce que la chaleur de la couche les rend plus susceptibles des impressions du froid. Sans chercher tant de soins, qu’on ne peut leur donner lorsque les fumiers frais ne sont pas abondans dans un pays, il vaut mieux attendre le 15 ou le 20 d’Avril pour les semer dans du terreau, ou même dans une terre bien préparée.

Lorsque les amaranthes auront deux ou trois pouces de hauteur, & seront garnies de deux ou trois paires de feuilles, on peut les transplanter à demeure, si on ne craint plus les gelées. Un léger arrosement est nécessaire à cette époque ; & pour les préserver de l’ardeur du soleil pendant le jour, on les recouvrira avec une feuille de choux ou de carde poirée, qu’on aura soin d’enlever dès que le soleil sera passé. Il convient de continuer ainsi jusqu’à ce que la plante ait bien repris. Si on l’a enlevée de la pépinière avec sa terre, & plantée sans en dégarnir les racines, ces soins seront superflus ; l’arrosement seul suffira.

Cette simplicité dans la culture n’est pas ce que recommandent les fleuristes. J’ai eu des amaranthes aussi belles que les leurs, & je n’y ai pas donné d’autres soins que ceux que j’indique. Dans les provinces méridionales on ne cherche pas plus de façon ; & quoiqu’exposées à l’ardeur d’un soleil très-chaud, elles réussissent très-bien, & mieux encore que dans les environs de Paris, pourvu que l’eau ne leur manque pas.

Les fleuristes replantent l’amaranthe dans des pots, pour figurer sur des gradins d’été & d’automne. Cette pratique est facile dans les climats tempérés : il faudroit les arroser au moins deux fois par jour dans les provinces du midi. Comme cette plante a des racines très-chevelues, elles absorbent beaucoup d’eau. Quelques amateurs prétendent qu’on doit arroser les amaranthes en plein midi, & non le soir ni le matin. Arrosez le matin, le soir ou à midi, dès que la plante en aura besoin ; & dans tous les cas, évitez de mouiller les feuilles, sur-tout si vous arrosez lorsque le soleil est encore fort élevé.

Lorsqu’on arrachera les amaranthes, il faut en garder quelques touffes, quelques pieds pour donner de la graine. Ces pieds seront suspendus dans un lieu sec, à couvert & à l’abri des vents. La plante se desséchera, & de tems à autre on la secouera sur du papier pour en avoir la graine. Comme au midi de la France les amaranthes végètent beaucoup plus vigoureusement que dans le nord, cette précaution est inutile. Il suffit de laisser faner la plante sur pied, ce qui survient par les premières petites gelées ; alors on l’arrache doucement de terre, & on la secoue sur du papier ; la graine tombe d’elle-même & parfaitement mûre, & on la conserve dans un lieu sec, pour la semer au printems suivant.

Règle générale, toutes les amaranthes aiment les terres douces, légères & substantielles.

Voici un fait que je rapporte sur parole & d’après le témoignage de plusieurs auteurs. On conserve les amaranthes pendant tout l’hiver dans leur beauté, en les faisant sécher au four lorsqu’elles approchent de leur maturité ; & lorsque l’on veut les rendre aussi belles, aussi fraîches dans cette saison, qu’elles le sont dans l’été, on les fait tremper dans l’eau, que l’on met dans des vases ou des carafes, destinés à cet objet. Par ce petit stratagême, on jouit ainsi de cette fleur avec d’autant plus d’agrément, qu’elle paroît fleurir & revivre dans une saison qui lui est étrangère. Je crois qu’on pourroit étendre cette méthode sur beaucoup d’autres fleurs, sur-tout sur celles dont les tiges sont naturellement peu herbacées. Dillenius, dans son Traité des mousses, rapporte qu’il tira de son herbier une mousse qui y avoit été pendant dix ans, & par conséquent bien desséchée ; & qu’après l’avoir laissée dans l’eau pendant quelques jours, elle y végéta comme si on venoit de l’arracher de terre.

La famille des amaranthes n’est pas circonscrite dans le petit nombre des espèces qui viennent d’être décrites. M. le chevalier Von Linné en compte vingt-deux espèces, sans parler de celles qu’il a transportées au genre des celosies ; mais comme elles ne sont utiles ni pour la médecine, ni pour l’agriculture, ni pour l’ornement des jardins, il seroit superflu d’en parler dans cet Ouvrage.