Commentaire sur la deuxième Épître de saint Paul aux Corinthiens

Œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome (éd. M. Jeannin, 1866)

TRADUCTION FRANÇAISE DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME. modifier

COMMENTAIRE SUR LA DEUXIÈME ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS. modifier

HOMÉLIE I. modifier


PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST, PAR LA VOLONTÉ DE DIEU, ET TIMOTHÉE, SON FRÈRE, A L’ÉGLISE DE DIEU QUI EST A CORINTHE, ET A TOUS LES SAINTS QUI SONT DANS TOUTE L’ACHAÏE, LA GRÂCE ET LA PAIX SOIT AVEC VOUS PAR DIEU LE PÈRE ET JÉSUS-CHRIST, NOTRE SEIGNEUR. BÉNI SOIT DIEU ET LE PÈRE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, LE PÈRE DES MISÉRICORDES ET LE DIEU DE TOUTE CONSOLATION, QUI NOUS CONSOLE DANS TOUTES NOS TRIBULATIONS, AFIN QUE NOUS PUISSIONS, À NOTRE TOUR, CONSOLER LES, AFFLIGÉS, ET VERSER DANS LEURS CŒURS CES CONSOLATIONS QUI NOUS VIENNENT DE DIEU. (CHAP. 1, 1-4)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. Saint Chrysostome commente les cinq premiers versets du premier chapitre.
  • 3-6. Il fait ressortir le dessein de l’Apôtre dans cette Épître. – Il s’élève à de belles considérations sur le mérite des souffrances. – Exemple d’Abraham et de Job.


1. Demandons-nous d’abord pourquoi l’apôtre adresse aux Corinthiens cette seconde épître, et pourquoi dès le début, il leur parle de la bonté de Dieu et des consolations qu’il répand dans les âmes ? Pourquoi donc une seconde épître ? Dans la première il leur avait dit : « J’irai vous voir, et je ne me contenterai pas d’entendre les paroles de ceux qui sont enflés d’orgueil, je m’informerai de leurs œuvres » ; en terminant il leur fait la même promesse en termes plus doux : « J’irai vous voir », leur dit-il, « en passant par la Macédoine ; je ne ferai que traverser ce pays ; mais je séjournerai chez vous, et peut-être y passerai-je l’hiver ». Il s’écoula bien du temps sans que l’apôtre eût pu tenir sa promesse. L’époque fixée passa, et il n’arrivait pas à Corinthe : car l’Esprit-Saint le tenait occupé à des travaux plus urgents. C’est pourquoi il crut nécessaire d’écrire une seconde fois aux Corinthiens ; il eût pu s’en dispenser, s’il eût tardé moins longtemps à les visiter. Un autre motif, c’est que sa première lettre avait produit chez eux des fruits de salut. Car cet impudique qu’ils favorisaient auparavant et dont ils s’enorgueillissaient, ils l’avaient complètement retranché de leur communion. Ce qu’il leur rappelle en ces termes : « Si l’un de vous m’a contristé, il ne m’a pas contristé moi seul, mais vous tous aussi, au moins en quelque sorte ; ce que je dis pour ne le point surcharger dans son affliction ». C’est assez qu’il ait été repris par un grand nombre de fidèles. C’est la même idée qu’il suggère un peu plus loin : « Cette tristesse que vous avez ressentie selon Dieu, vous a remplis de sollicitude ; elle vous a justifiés ; vous vous êtes indignés contre le coupable, vous avez redouté la justice divine, vous vous êtes trouvés plein d’ardeur pour l’accomplissement de sa loi, pour venger l’injure faite à Dieu ; en un mot vous avez montré que vous n’avez en rien participé au crime ». (2Cor. 7,11) Bien plus, ils s’étaient empressés de recueillir la somme d’argent qu’il leur avait demandée. Aussi leur disait-il : « Je sais quel est votre empressement, et je m’en glorifie auprès des Macédoniens, et je leur dis que l’Achaïe est toute prête depuis l’année dernière ». (2Cor. 9,2) D’ailleurs ils avaient reçu avec bienveillance son disciple Tite qu’il leur avait envoyé. Il leur en témoigne sa reconnaissance en ces termes : « Tite vous aime tendrement : il se souvient de votre obéissance et du saint tremblement avec lequel vous l’avez reçu ». (2Cor. 7,15)
Voilà les divers motifs qui le décident à écrire une seconde épître aux fidèles de Corinthe. Après leur avoir reproché leurs désordres, ne devait-il pas les féliciter d’être revenus à de meilleurs sentiments ? Aussi ne fait-il paraître ni amertume ni colère dans tout le cours de cette épître, excepté cependant vers la fin. C’est qu’il y avait chez eux des Juifs enflés d’orgueil et qui, pleins de mépris pour l’apôtre, le traitaient d’homme arrogant, mais sans valeur. Ils disaient : « Ses lettres sont graves et fortes, mais son extérieur ne fait aucune impression, et son langage est méprisable ». C’est comme s’ils eussent dit : Dès qu’il est ici, il n’inspire aucun respect ; et quand il est parti, ses lettres sont pleines de faste et d’orgueil. Tel est le sens de ces mots : « Ses lettres sont graves et fortes ». Et pour se faire de la réputation, ils se flattaient hypocritement de ne rien accepter de personne : c’est de cette hypocrisie que parle saint Paul quand il dit : « Pour trouver un sujet de gloire, ils veulent paraître tout à « fait semblables à nous ». En outre, comme ils ne manquaient pas d’éloquence, ils faisaient gloire de ce talent. C’est pourquoi l’apôtre s’appelle lui-même un homme simple et sans habileté, pour montrer qu’il ne rougit pas de ce défaut ; et que l’éloquence à ses yeux n’a aucune valeur, aucun prix. Il était vraisemblable que leurs discours en avaient entraîné plusieurs loin de la vérité : aussi, après avoir loué leurs bonnes actions, les blâme-t-il de leur zèle à pratiquer les cérémonies judaïques, et leur adresse-t-il quelques reproches à cet égard. Tel est, à mon avis, pour le dire en passant, le sujet et comme – le sommaire de cette épître. – Expliquons-en maintenant le commencement, et disons pourquoi, tout aussitôt après les avoir salués selon sa coutume, il leur parle de la miséricorde du Seigneur. Demandons-nous cependant, avant toutes choses, pourquoi il fait ici mention de Timothée. « Paul, apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu, et Timothée, son frère ». Dans sa première épître, en effet, il leur promettait de leur envoyer son disciple, et les exhortait à bien l’accueillir. « Quand Timothée sera venu, faites en sorte qu’il vive sans crainte au milieu de vous ». Pourquoi donc joint-il à son propre nom le nom de son disciple ? Selon la promesse du Maître, Timothée s’était transporté à Corinthe. « Je vous l’ai envoyé, dit-il, pour qu’il vous fasse part de mes desseins, qui sont selon Jésus-Christ » ; et après avoir établi dans cette ville un ordre parfait, il était revenu près de l’apôtre. En le leur envoyant, saint Paul leur disait : « Congédiez-le dans la paix du Seigneur ; car je l’attends avec les frères ».
2. Quand donc il fut de retour, ils s’occupèrent ensemble d’opérer en Asie les réformes nécessaires : « Je resterai à Éphèse jusqu’à la Pentecôte, dit saint Paul » (1Cor. 16,8), et ils passèrent en Macédoine. C’est donc à juste titre qu’il le nomme au commencement de son épître, puisqu’il l’accompagnait dans ce voyage Il écrivait sa première épître en Asie ; sa seconde, il la leur adressa de la Macédoine. S’il joint à son nom celui de Timothée, c’est pour recommander de plus en plus son disciple, et aussi par humilité. Timothée était bien au-dessous de Paul ; mais la charité supprime les distances. Et c’est pourquoi il ne met point de différence entre Timothée et lui. Tantôt il dit de son disciple : « Il m’aide, comme un fils aide son père » (Phil. 2,22) ; tantôt : « Il accomplit l’œuvre de Dieu, comme je l’accomplis moi-même ». (1Cor. 16,8) Enfin dans cette épître il l’appelle son frère, afin de lui concilier par tous les moyens la vénération des fidèles de Corinthe. Car il avait séjourné dans cette ville, et tous avaient été témoins de sa piété.
« A l’église de Dieu qui est à Corinthe ». Il donne aux Corinthiens le nom d’Église, pour les porter à une étroite union, et les concilier entre eux. Une église cesse d’être une, dès que ceux qui la composaient sont en désaccord et séparés les uns des autres. « Avec tous les saints qui sont dans toute l’Achaïe ». Il veut faire honneur aux Corinthiens, en saluant tous les chrétiens du pays, et en les comprenant tous dans cette lettre adressée aux fidèles de Corinthe. S’il les appelle des saints, c’est afin de montrer que ses salutations ne s’adressent pas aux hommes corrompus. Pourquoi l’apôtre, en écrivant à la Métropole, s’adresse-t-il en même temps à tous les chrétiens d’Achaïe ? Il s’en faut bien qu’il agisse toujours de la sorte. Quand il écrit aux Thessaloniciens, il ne s’adresse pas aux habitants de la Macédoine ; quand il écrit aux Éphésiens, il ne s’adresse pas à tous les fidèles de l’Asie ; l’épître aux Romains n’est pas envoyée non, plus aux chrétiens répandus en Italie. Dans celle-ci, il écrit à tous ceux d’Achaïe ; et c’est encore le même procédé dans l’épître aux Galates. Ce n’est pas à une ou à deux ou à trois villes qu’il écrit, mais à tous les chrétiens de ce pays. Voici en effet ses paroles : « Paul, apôtre, non par la volonté des hommes ou d’un homme en particulier, mais par celle de Jésus-Christ et de Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts, et tous les frères qui sont avec moi, aux églises de Galatie la grâce et la paix soient avec vous ». (Gal. 1,1-3) Il écrit de même une lettre commune à tous les Hébreux, et non pas à telle ou telle de leurs villes. Pourquoi donc agit-il de cette manière ? En voici, je crois, la raison. C’est que chez ces divers peuples il y avait des maladies spirituelles communes ; ils avaient besoin d’un remède commun, et il le leur donne par une lettre commune… Tous les Galates, tous les Hébreux étaient malades ; et, je le crois aussi, tous les chrétiens de l’Achaïe. Aussi s’adresse-t-il à toute la nation et les salue-t-il, selon sa coutume : « La grâce et la paix soient avec vous, dit-il, par Dieu notre Père et Jésus-Christ Notre-Seigneur ».
Entendez maintenant comment son exorde répond bien au dessein qu’il se propose « Béni soit Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation ». Quel rapport, direz-vous, entre ces paroles et le dessein de l’apôtre ? – Le rapport est manifeste. Voyez en effet : Les Corinthiens étaient vivement affligés et troublés de ne point voir arriver l’apôtre qui leur avait promis de venir, et qui persistait à séjourner en Macédoine, préférant, ce semble, les Macédoniens à ceux de Corinthe. Pour calmer leur affliction, il leur expose donc le motif qui l’a retenu. Il ne le fait pas en propres termes sans doute, et ne leur dit pas : Je sais que je vous avais promis d’aller vous voir, mais mille traverses m’en ont empêché. Pardonnez-moi, je vous prie, et ne me reprochez ni orgueil ni négligence. Il tient un langage plus élevé et plus persuasif ; il leur adresse des consolations, pour qu’ils ne songent plus à lui demander le motif de ses délais. Il parle comme parlerait un homme qui aurait promis à son ami de venir le voir et que mille obstacles auraient arrêté. Gloire à Dieu, dirait cet homme, qui rue permet enfin de voir votre visage si cher ! Béni soit le Seigneur, qui m’a tant de fois sauvé du péril ! Cette action de grâces n’est-elle pas une excuse qui prévient tout reproche et tout murmure ? L’ami rougirait en effet d’accuser son ami, de lui demander compte de son retard, quand il l’entend rendre gloire à Dieu, et le remercier de l’avoir sauvé de tant de maux. Tel est le sens de ces paroles de l’apôtre : « Béni soit le Dieu des miséricordes ». Elles insinuent que Dieu l’a tiré des mille dangers qu’il courait.
David n’invoque pas toujours Dieu de la même manière ni dans les mêmes circonstances : s’agit-il de guerre et de victoire : « Je vous aimerai, Seigneur, vous qui êtes ma force : le Seigneur est mon protecteur ». S’agit-il de quelque péril auquel il vient d’échapper, ou de quelque trouble qui obscurcissait son âme : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut », s’écrie-t-il. Tantôt c’est la bonté et la clémence de Dieu, tantôt sa justice et ses jugements qu’il célèbre. De même en cet endroit saint Paul donne au Seigneur un nom que lui suggère sa clémence et sa bonté ; il l’appelle « le Dieu des miséricordes », c’est-à-dire, le Dieu qui vient de faire éclater sa miséricorde envers lui, en l’arrachant aux portes mêmes de la mort.
3. Rien qui convienne mieux à Dieu, qui soit plus dans sa nature que la miséricorde ; et c’est pourquoi l’apôtre le nomme « Dieu des miséricordes ». Mais considérez aussi l’humilité de saint Paul. C’était la prédication de l’Évangile qui l’exposait à tous ces dangers : il n’attribue pas néanmoins son salut à ses propres mérites, mais à la bonté du Seigneur. Il développe plus loin sa pensée. Pour le moment il ajoute : « Qui nous console dans toutes nos tribulations ». Il ne dit pas : Qui nous préserve de l’affliction ; mais : « Qui nous console dans l’adversité », paroles bien propres à montrer la puissance de Dieu, et à redoubler la patience dans les âmes affligées. C’est là ce que le prophète avait en vue lui-même, quand il disait : « Au sein de l’affliction, vous avez dilaté mon cœur ». Il ne dit pas : Vous n’avez point permis au malheur de fondre sur moi ; ni, vous avez bien vite écarté loin de moi l’adversité ; mais bien, vous avez dilaté mon âme plongée dans la douleur. N’est-ce pas ce qui arriva aux trois jeunes Hébreux ? Dieu n’empêcha pas qu’on les jetât dans la fournaise ; et quand on les y eut précipités, il n’éteignit point la flamme, mais il sut, même au milieu de ces brasiers, leur ménager le bien-être et la consolation.
Telle est toujours la conduite de la Providence ; et c’est là ce que nous enseigne l’apôtre par ces paroles : « Qui nous console dans toutes nos tribulations ». Il veut encore nous donner un autre enseignement. Ce n’est pas une fois ou deux seulement que Dieu nous console, mais toujours, mais continuellement. Il ne nous console pas aujourd’hui pour nous abandonner demain ; non, jamais il ne cesse de nous consoler. « Qui nous console », dit l’apôtre, et non pas, qui nous a consolés ; « dans toutes nos tribulations », et non pas seulement dans celle-ci ou dans celle-là. Oui, dans toutes nos tribulations, « afin qu’à notre tour nous puissions consoler ceux qui souffrent, et répandre dans leurs âmes ces consolations qui nous viennent du Seigneur ». Voyez-vous comme il trouve moyen de s’excuser, en laissant supposer au lecteur qu’il s’est trouvé en proie aux plus cruelles afflictions ? En même temps, quoi de plus modeste que ce langage ? Cette miséricorde, l’apôtre et son disciple en ont éprouvé les effets non pas à raison de leurs mérites ou de leur dignité, mais pour le bien de ceux qu’ils doivent assister eux-mêmes. Dieu nous a consolés, dit-il, pour qu’à notre tour nous consolions les autres. Et comme le dévouement de l’apôtre éclate dans ces paroles ! A peine est-il consolé, à peine commence-t-il à respirer, que, loin de demeurer oisif comme nous faisons, il s’empresse d’exhorter les fidèles, de les affermir, de les exciter. D’autres donnent de ce passage une autre explication. Le sens, d’après eux, serait celui-ci Notre consolation est aussi la consolation des autres. Il semble aussi que saint Paul veuille dans cet exorde censurer la conduite de ces faux apôtres, qui, pleins de jactance, restaient dans leurs maisons et y vivaient dans les délices ; mais il le fait d’une manière obscure et détournée. Ce qu’il se proposait surtout, c’était d’écarter tout reproche de négligence au sujet du retard qu’il avait mis à tenir sa promesse. Si en effet Dieu nous console pour qu’à notre tour nous consolions les autres, ne nous blâmez pas d’avoir différé notre voyage à Corinthe. Nous avons passé tout ce temps à résister aux attaques de nos ennemis, à écarter les dangers qui nous menaçaient.
« Car de même que les souffrances de Jésus-Christ abondent en nous, de même aussi les consolations surabondent dans nos âmes par Jésus-Christ ». Pour ne pas consterner ses disciples par le récit de ses souffrances, il leur montre d’autre part l’abondance des consolations. Ainsi les rassure-t-il ; et c’est encore dans ce dessein qu’il leur rappelle Jésus-Christ, et qu’il regarde ses souffrances comme étant celles du Sauveur ; et ainsi avant même de prononcer le mot de consolation, il sait trouver un motif de consolation dans les souffrances elles-mêmes. Quoi de plus doux en effet, quoi de plus agréable que d’être associé à Jésus-Christ et de souffrir à cause de lui ? Quelle consolation comparable à celle-là ? Voici une autre parole bien capable aussi de soutenir ceux qui souffrent : « Elles abondent, ces souffrances », dit-il. Il ne dit pas : De même que les souffrances de Jésus-Christ fondent sur nous ; mais, « de même qu’elles abondent », voulant ainsi montrer, que les apôtres endurent non seulement les mêmes souffrances que le Sauveur, mais de plus nombreuses encore. Nous n’avons pas seulement à souffrir ce qu’il a souffert ; mais nous souffrons beaucoup plus qu’il n’a souffert lui-même. Voyez en effet : le Christ a été tourmenté, persécuté, battu de verges, il est mort. Eh bien ! nous souffrons davantage encore ; et c’en serait assez pour nous consoler. On ne saurait taxer l’apôtre d’arrogance ou de témérité. Écoutez ce qu’il dit ailleurs : « Maintenant je me réjouis de mes souffrances ; et j’accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ ». (Col. 1,4) Oui, l’apôtre peut tenir ce langage sans arrogance ni témérité. Les disciples n’ont-ils point fait des miracles plus grands que ceux du Sauveur lui-même ? « Celui qui croit en moi, fera des miracles plus étonnants que ceux-ci ». (Jn. 14,12) Mais toute la gloire en revient à Jésus-Christ, qui agit dans ses serviteurs. Toute la gloire de leurs souffrances revient pareillement au Sauveur, qui les console, et qui leur donne la force de supporter avec courage les maux qui viennent fondre sur eux.
4. Aussi l’apôtre adoucit-il sur-le-champ ce qu’il vient de dire, et il ajoute : « De même la consolation abonde par Jésus-Christ ». C’est à Jésus-Christ qu’il rapporte toutes choses, et il aime à publier la bonté du Sauveur. Il ne dit pas : La consolation égale les souffrances ; mais bien : « La consolation abonde » ; en sorte que le temps de la lutte est aussi le temps des nouveaux triomphes. Quoi de plus grand, quoi de plus glorieux que d’être battu de verges pour Jésus-Christ, que de s’entretenir avec Dieu, que d’être assez fort pour résister toujours, que de vaincre les persécuteurs, que de ne pouvoir être dompté par l’univers entier, que d’attendre des biens que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a pas entendus, que le cœur de l’homme ne peut comprendre ? Est-il rien de comparable à ces souffrances endurées pour, la religion, à ces innombrables consolations qui nous viennent du Seigneur, à ce pardon qui nous délivre de péchés si multipliés et si graves ; à cette justice et à cette sainteté dont le Saint-Esprit orne les cœurs, à cette assurance, à ce courage en face de l’ennemi, à cette gloire dont l’éclat brille au sein même du danger ? Ne nous laissons donc point abattre, quand l’affliction vient nous éprouver. On ne peut vivre dans les délices, on ne peut s’endormir dans la mollesse, et demeurer uni au Sauveur. Pour s’approcher de Jésus, il faut secouer toute indolence, passer par l’épreuve des afflictions, entrer résolument dans la voie étroite. C’est le chemin qu’il a suivi lui-même. Ne disait-il pas : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ? »
Ne vous plaignez donc pas d’être affligés ; songez que vous êtes dans la société de Jésus, que par l’affliction vous effacez vos crimes et vous vous acquérez de grands mérites. Ce qu’il faut craindre, ce qu’il faut redouter, c’est d’offenser le Seigneur. Cela excepté, ni l’affliction, ni les attaques de l’ennemi ne sauraient attrister une âme vraiment sage. Que dis-je ? Si vous jetez une étincelle dans l’Océan, n’est-elle pas éteinte aussitôt ? Ainsi en est-il de la souffrance ; fût-elle excessive, quand elle rencontre une conscience pure, elle se dissipe et s’évanouit sur-le-champ. C’est pourquoi saint Paul ne cessait de se réjouir, parce qu’il avait confiance en Dieu ; et il n’avait pas même le sentiment de si cruelles épreuves. Il était homme et il souffrait, mais sans se laisser abattre. Abraham n’était-il pas joyeux aussi, malgré les douleurs auxquelles il était en proie ? Exilé, condamné à de longs et pénibles voyages, il n’a pas où mettre le pied sur la terre étrangère. La famine sévit dans le pays de Chanaan et le force à passer en Égypte. Alors on lui enlève son épouse ; il court risque d’être tué. Ajoutez à tous ces maux la stérilité de Sara, les guerres qu’il est obligé de soutenir, les dangers qui l’environnent, et cet ordre qui lui enjoint d’immoler son Fils unique, cet Isaac qu’il aime si tendrement et dont la mort doit lui causer d’indicibles, d’irrémédiables douleurs. Il obéit promptement, il est vrai ; mais ne croyez pas qu’il ait supporté tant de maux, sans éprouver de souffrances. Quelque parfaite que fût sa justice, il était homme, et, comme tel, sensible à la douleur. Rien cependant ne put le décourager ; mais il soutint la lutte avec générosité, et chacun de ces combats fut suivi d’une victoire.
De même aussi le bienheureux apôtre qui chaque jour voyait fondre sur lui les afflictions, semblait goûter les délices du paradis ; il était heureux, il tressaillait de joie. Au sein d’une telle joie, l’homme est inaccessible au découragement. Mais qu’il tombe aisément, s’il ne sait point la préférer à tout le reste ! C’est un soldat mai armé, et que renverse du premier coup son adversaire. S’il avait d’autres armes, il repousserait tous les traits dirigés contre lui. Y a-t-il une arme plus forte que cette divine allégresse ? Non, l’homme qui la ressent, ne peut se laisser vaincre ; il supporte courageusement toutes les attaques de ses ennemis. Y a-t-il un supplice plus horrible que le feu ? Y a-t-il rien de plus cruel que de continuelles tortures ? On endurerait plus facilement la perte de ses biens, la mort de ses enfants. « Peau pour peau », dit l’Écriture, « et tout ce que possède un homme, il le donnerait pour racheter sa vie ». (Job. 11,4) Non, il n’est rien de plus affreux que les tourments du corps ; et cependant ces supplices dont le nom seul fait horreur, deviennent, grâce à cette joie divine, faciles à supporter et vraiment dignes d’envie. Retirez du bûcher, ou du gril le martyr qui conserve encore un reste de vie, vous trouverez son âme toute remplie d’une ineffable allégresse.
A quoi bon ces réflexions ? direz-vous, nous ne sommes plus au temps du martyre. Que dites-vous ? Nous ne sommes plus au temps du martyre !… Mais n’est-ce pas sans cesse le temps du martyre, n’est-il pas sans cesse devant nous, si nous savons être sages ? Pour être martyr, il n’est point nécessaire d’être mis en croix ; si cela était nécessaire, Job aurait-il obtenu de si nombreuses couronnes ? Fut-il traîné devant les tribunaux ? Entendit-il la voix des juges, vit-il les bourreaux, fut-il pendu à un gibet ? Et cependant il souffrit plus cruellement que bien des martyrs ; ces messagers qui se succédaient sans interruption lui faisaient de plus profondes blessures que les instruments de supplice les plus horribles. – C’étaient autant de traits qui s’enfonçaient dans son âme ; et ces vers qui le rongeaient de toutes parts le faisaient souffrir plus que n’eussent fait les bourreaux eux-mêmes.
5. N’est-ce pas là un véritable martyre, ou plutôt n’est-ce pas endurer mille fois le martyre ? Il soutint en effet mille combats divers, qui lui valurent autant de couronnes. Il perdit ses biens, il perdit ses enfants, il souffrit dans son corps ; amis, ennemis, épouse, tous s’acharnèrent contre lui ; ses serviteurs même lui crachèrent au visage. Joignez-y la faim, les rêves, la puanteur. N’ai-je pas eu raison de dire que Job avait souffert le martyre, non une fois ou deux, mais plutôt mille fois. Ce qui multiplie encore ses triomphes, c’est le temps que durèrent ses souffrances, et l’époque où il souffrit. C’était avant la promulgation de la loi, avant l’avènement de Jésus-Christ ; elles durèrent plusieurs mois, elles furent excessives et vinrent fondre sur lui toutes ensemble. Chacune semblait intolérable, même la perte de ses biens, qui cependant paraît plus facile à supporter que les autres malheurs. Combien n’en voit-on pas en effet qui se résignent aux blessures, et qui ne peuvent supporter la perte de leur fortune ? Pour en sauver une partie, ils consentent à être battus de verges et à souffrir les plus horribles traitements : rien ne leur semble plus pénible que de perdre ce qu’ils ont. C’est donc une sorte de martyre que de supporter généreusement la perte de ses richesses.
Et comment, direz-vous ; comment avoir cette généreuse résignation ? – Sachez qu’un seul mot d’action de grâces nous profite plu ; que ne peut vous nuire la perte de tous vos biens. Quand nous apprenons ce malheur sans nous troubler, et que nous nous écrions : Dieu soit béni, nous retrouvons des trésors ; bien autrement précieux. Il y a moins d’avantage pour vous à verser toutes vos richesses ; dans le sein des pauvres, à les visiter, à le ; rechercher, qu’à dire cette unique parole. Oui, j’admire moins Job tenant sa maison ouverte aux indigents, que je ne l’admire, que je ne l’exalte en l’entendant rendre grâce ! après la perte de ses biens. Il agit encore de la sorte en apprenant la mort de ses enfants. Vous recevrez la même récompensa qu’Abraham, qui emmène son fils sur la montagne pour l’immoler, si, témoin de la mort de votre enfant, vous bénissez la bond du Seigneur. Auriez-vous en effet moins de mérite que le patriarche ? Lui, il ne vit point son fils étendu sans vie à ses pieds ; il ne fit que trembler pour les jours d’Isaac. Il s’apprêtait à le sacrifier, et en cela il l’emporte sui vous ; il tenait le glaive levé contre lui, en cela encore il vous est supérieur ; mais votre fils est mort, et en cela vous l’emportez ci votre tour sur Abraham.
Ne trouvait-il pas d’ailleurs une bien grande consolation dans l’accomplissement de cette action héroïque, qui devait faire éclater toute la force de son âme ? Cette voix venue d’en haut ne redoublait-elle pas son ardeur ? Rien de semblable pour vous. Oui, il faut une âme d’airain pour supporter avec résignation et sans murmure la perte d’un fils unique, élevé au sein des richesses, qui donnait de si belles espérances, et que l’on voit désormais étendu dans un tombeau. Heureuxl ’homme qui, apaisant dans son cœur les flots irrités de la nature, peut s’écrier, sans verser de larmes : « Dieu me l’avait donné ; Dieu me l’a ôté ». Cette unique parole lui vaudra d’être placé auprès d’Abraham, de recevoir comme Job la couronne due au vainqueur. Qu’il comprime les sanglots des femmes, qu’il écarte les chœurs des pleureuses, qu’il excite tout le monde à célébrer les louanges de Dieu, il sera magnifiquement récompensé dès cette vie ; les hommes l’admireront, les anges applaudiront, Dieu le couronnera.
6. Mais, direz-vous, qui pourrait ne point verser de larmes ? Abraham et Job ne pleurèrent point, et cependant ils étaient hommes et ils vivaient avant la loi, avant la grâce, avant cette sublime philosophie donnée par Dieu au monde. D’ailleurs, celui qui vient de mourir, habite une région plus heureuse, il jouit d’un meilleur sort ; loin d’avoir perdu votre fils, vous l’avez mis en lieu sûr. Ne dites donc pas : J’ai cessé d’être père : Ce n’est plus sur la terre seulement que vous êtes appelé de ce nom, mais encore dans le ciel. Bien loin de l’avoir perdu, vous le possédez plus que jamais : Vous êtes père, non plus d’un fils sujet à la mort, mais d’un fils immortel, d’un généreux soldat qui ne doit plus quitter sa patrie. Il n’est plus à côté de vous ; mais gardez-vous de croire qu’il soit perdu pour vous. Supposez-le parti pour un voyage : il est absent de corps, il est vrai ; mais cela suffit-il pour que le nom de parent disparaisse ? Ne considérez donc point ce visage désormais sans vie ; vous ne feriez que rappeler votre chagrin ; mais faites en sorte d’élever votre âme jusqu’au ciel. Ce n’est point ce cadavre étendu par terre qui est votre fils ; mais il s’est envolé, pour ainsi dire, à des hauteurs intimes. A la vue de ces yeux fermés, de cette bouche muette, de ce corps sans mouvement, gardez-vous bien d’accueillir cette pensée ; cette bouche ne parle plus, ces yeux ne voient plus, ces pieds ne marchent plus ; tous ces organes sont la proie de la corruption. Dites au contraire : cette bouche parlera un plus digne langage, ces yeux contempleront de plus beaux spectacles, ces pieds s’élèveront au-dessus des nuées, et ce corps enfin, maintenant livré à la corruption, sera un jour revêtu d’immortalité, et je reverrai mon fils tout éclatant de lumière. Si ce que vos yeux aperçoivent vous cause de la tristesse, faites ces réflexions : C’était un vêtement qu’il a dépouillé pour en prendre un plus beau ; c’était une maison, que l’on a renversée, pour en construire une plus belle. .
Quand nous devons nettoyer nos maisons, laissons-nous quelqu’un dans l’intérieur ? Non. – Mais nous faisons sortir tout le monde, pour que la poussière ne souille personne, pour que le bruit ne fatigue personne. Et quand nous avons mis toutes choses en ordre, nous permettons d’y rentrer. C’est aussi la conduite du Seigneur. Après avoir détruit cette tente où votre fils habitait, il l’introduit dans sa propre demeure, afin de relever ce qu’il vient d’abattre et d’y ajouter une nouvelle splendeur. Ne dites donc point : Il est perdu, il n’est plus. C’est le langage de ceux qui n’ont pas de foi ; dites plutôt : Il dort et il ressuscitera ; il est parti pour un voyage d’où il doit revenir avec son roi. Qui est-ce qui parle de la sorte ? Celui dans l’âme duquel parle Jésus-Christ lui-même. « Si en effet, dit l’apôtre, nous croyons que Jésus-Christ est mort, qu’il est ressuscité, qu’il est plein de vie ; de même aussi Dieu ramènera avec lui, par Jésus-Christ, ceux qui se sont endormis dans la mort ». (1Thes. 4,14) C’est pourquoi, si vous cherchez votre fils, cherchez-le dans le palais du roi, dans les rangs de l’armée céleste, non pas dans le tombeau, non pas dans la terre ; et tandis qu’il habite ces sublimes régions, ne restez point cloué à la terre. – Avec de telles réflexions, nous n’aurons pas de peine à bannir toute espèce de chagrins. Daigne le Dieu des miséricordes et le Père de toute consolation consoler tous les cœurs de ceux qui sont en proie à cette Tristesse ou qui endurent d’autres souffrances ! Daigne sa bonté nous délivrer de tout chagrin, nous faire goûter les délices spirituelles et nous accorder les éternelles richesses. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE II. modifier


SI NOUS SOMMES AFFLIGÉS, C’EST POUR VOTRE CONSOLATION ET VOTRE SALUT, QUI S’ACCOMPLIT DANS LA SOUFFRANCE DES MÈNES MAUX QUE NOUS SOUFFRONS. – ET NOUS AVONS UNE FERME ESPÉRANCE À VOTRE SUJET. (CHAP. 1,6, 7, JUSQU’À 11)
Tome X p. 1-185

Analyse. modifier


  • 1 et 2. La souffrance est une épreuve. – Elle enseigne l’humilité.
  • 3. Dieu console.
  • 4. La prière obtient ces divines consolations.
  • 5-7. Les fidèles doivent prier les uns pour les autres, et aussi pour les catéchumènes.


1. L’apôtre vient de proposer un premier motif de consolation, et c’est la ressemblance et l’union avec le Sauveur. Un second motif, c’est que le salut des disciples s’opère par ces souffrances. Ne vous laissez donc pas abattre, dit-il, ne vous troublez point, ne craignez rien, quand vous nous voyez dans l’affliction ; concevez au contraire de grands sentiments de confiance. Sans les tribulations que nous avons endurées, vous auriez été perdus. Comment cela ? Oui, si la mollesse, si la crainte, nous eussent empêché de vous annoncer l’Évangile, et de vous donner la véritable science, c’en était fait de vous. Voyez-vous quelle force et quelle hardiesse de langage ? Pour les consoler, il a recours à des expressions qui devraient, ce semble, porter le trouble dans leurs âmes. Plus la persécution redouble de violence contre nous, plus vous devez avoir d’espérance, parce que l’œuvre s’opère d’autant mieux, et que votre consolation s’en augmente. Quoi de plus consolant en effet que les biens sans nombre dont les enrichit la prédication de l’Évangile ? Ensuite pour ne pas s’attribuer à lui seul toute la gloire, voyez comme il sait la partager avec eux ! Il vient de dire : « Si nous sommes affligés, c’est pour votre consolation et votre salut » ; et il ajoute : « Il s’opère dans la souffrance des mêmes maux que nous souffrons ».
Il s’exprime ensuite plus clairement encore, en disant : « Comme vous partagez nos souffrances, vous partagerez aussi notre consolation ». Tout à l’heure, il se contentait de leur insinuer cette pensée, en disant, « les mêmes souffrances », et en leur appliquant ce mot aussi bien qu’à lui-même. Or voici le – eus de ses paroles : Ce n’est pas nous seulement qui nous occupons de votre salut, mais vous aussi. En, vous prêchant l’Évangile, nous souffrons l’affliction ; et vous qui écoutez nos enseignements, vous souffrez avec nous ; nous souffrons l’affliction pour vous transmettre ce que nous avons reçu, et vous, pour recueillir et conserver ce que l’on vous donne. Peut-il pousser plus loin l’humilité ? Ces chrétiens, qu’il laisse si loin derrière lui, il leur attribue une patience égale à la sienne. « Votre salut s’opère, dit-il, en endurant les mêmes souffrances que nous ». Ce n’est pas seulement votre foi qui vous sauvera, mais la patience avec laquelle vous supportez les mêmes souffrances que nous.
L’athlète excite l’admiration par la vigueur et les belles proportions de son corps, lors même qu’il se tient en repos ; mais s’il déploie sa force, s’il frappe son adversaire, nous l’admirons bien plus encore ; car alors nous avons la preuve de sa vigueur et de son habileté. Ainsi votre salut s’opère avec plus d’énergie, il se manifeste, il grandit, il s’étend par la patience et le courage au sein des afflictions. Ce n’est pas en maltraitant les autres, mais en supportant le mal qu’ils nous font, que s’opère notre salut. L’apôtre ne dit-il pas : « Qui opère ( ένεργούσης), mais : qui s’opère ( ένεργοομένης), pour montrer que la grâce de Dieu s’unissant à leur ardeur et opérant dans leurs âmes, leur procurait les plus grands avantages. « Nous avons pour vous une ferme espérance ». C’est-à-dire, quelles que soient vos souffrances, nous sommes sûr que les persécutions ne vous feront point chanceler. Bien loin de supposer que nos tribulations puissent vous jeter dans le trouble, nous nous persuadons que vous ne vous laisserez pas même abattre par vos propres malheurs. Voyez-vous quels fruits a portés chez eux la première épître du saint apôtre ! Il donne moins d’éloges aux Macédoniens, que parfois cependant il loue dans cette lettre. Il n’était pas sans crainte à leur sujet, et il leur disait : « Nous vous avons envoyé Timothée pour vous affermir et vous encourager dans votre foi, afin que personne ne se laisse ébranler par ces tribulations : « Vous savez que nous y sommes sans cesse exposés ». Et encore : « Plein d’inquiétude je me suis enquis de votre foi ; j’ai voulu savoir si le tentateur ne vous avait pas renversés, rendant ainsi notre travail inutile ». (1Thes. 3,2, 5)
Ce n’est pas de la sorte qu’il parle des fidèles de Corinthe ; au contraire, « Nous avons pour vous une ferme espérance. Si nous sommes consolés, c’est pour votre consolation et votre salut ; sachant bien que partageant nos souffrances, vous partagerez aussi notre consolation ». C’est à cause d’eux en effet que l’on persécutait les apôtres, et c’est ce qu’il veut leur faire entendre par ces paroles. « Si nous souffrons, c’est pour votre consolation et votre salut ». Il veut leur montrer aussi que c’est à cause d’eux qu’ils sont consolés. Ne l’avait-il pas dit plus haut en termes plus obscurs : « Béni soit Dieu qui nous console dans toutes nos tribulations, afin que nous puissions à notre tour consoler ceux qui sont plongés dans l’affliction ». Il le redit maintenant avec plus de clarté, et ses paroles respirent la tendresse : « Si nous sommes consolés, c’est pour votre consolation ». Comme s’il disait : Notre consolation, c’est aussi la vôtre, et nous n’avons pas besoin de parler pour consoler vos cœurs. Il suffit que nous respirions pour que vous repreniez courage. Vous regardez nos malheurs comme étant les vôtres ; et nous ne pouvons être consolés, sans que vous le soyez aussi. Non, puisque vous partagez mes souffrances, vous devez partager ma joie et mon bonheur. Vous vous associez à tout ce qui me concerne, à mes douleurs et à mes consolations ; et dès lors je ne crains point que vous me reprochiez d’avoir tardé si longtemps : car c’est pour vous que nous sommes affligés, et c’est pour vous que nous sommes consolés. On eût pu se blesser de cette parole : C’est pour vous que nous souffrons ; aussi a-t-il soin d’ajouter : « C’est à cause de vous que nous sommes consolés ». Nous ne sommes pas seuls à courir des dangers, puisque vous vous associez vous-mêmes à nos souffrances.
2. En se les associant ainsi dans les dangers qu’il court, en trouvant en eux-mêmes la cause de ses propres consolations, il adoucit tout ce que ses paroles pouvaient offrir d’un peu dur. Si donc on nous dresse des embûches, rassurez-vous : C’est pour que votre foi se fortifie, que nous endurons tous ces maux. Si nous sommes consolés, vous pouvez vous en glorifier. C’est à cause de vous que nous goûtons ces consolations ; vous aussi vous serez consolés, puisque vous partagez notre joie. Entendez bien ici la nature de ces consolations : non seulement la conduite des Corinthiens le console ; mais il se réjouit de penser qu’ils sont désormais délivrés de toute espèce de trouble à son sujet. Voyez les paroles qui suivent où i1 leur dit ouvertement : « Nous savons que, partageant nos souffrances, vous partagerez aussi notre consolation ». Vous souffrez de nos persécutions, comme si vous les subissiez vous-mêmes ; nous ne pouvons en douter, les consolations que nous éprouvons, causent à vos cœurs autant de jouissances qu’aux nôtres. Où trouver plus d’humilité ? Cet homme, environné de tant de périls, veut bien associer à ses mérites ceux qui n’y ont aucune part ; quant aux consolations, c’est à cause d’eux qu’il les éprouve, et nullement en vue de ses travaux. Il parlait de ses souffrances en général ; maintenant il désigne le pays où il a souffert. « Nous ne voulons pas vous laisser ignorer, mes frères, les tribulations que nous avons souffertes en Asie (8) ». Si nous vous parlons de nos souffrances, c’est pour que vous n’ignoriez pas ce qui nous arrive. Tout ce qui nous concerne, nous voulons que vous le sachiez, nous nous empressons de vous le dire. Et c’est de la part de l’apôtre une grande preuve d’affection. Dans la première épître, il leur faisait pressentir ces tribulations en disant : « Évidemment une large porte s’ouvre devant moi, et j’ai de nombreux adversaires dans Éphèse ». (1Cor. 16,9) Maintenant donc il leur rappelle et leur expose ce qu’il vient d’endurer. « Je ne veux pas que vous ignoriez les maux que j’ai soufferts en Asie ». Il agit de même dans son épître aux Éphésiens. S’il leur envoie Tychique, c’est pour les informer de sa situation. « Je veux que vous sachiez tout ce qui m’arrive, tout a ce que je fais : Tychique vous le dira, Tychique notre frère bien-aimé et notre fidèle ministre dans le Seigneur ; je vous l’envoie exprès, pour que vous sachiez ce qui nous concerne, et aussi pour qu’il répande la consolation dans vos cœurs ». (Eph. 6,21-22) Nous remarquons la même chose dans ses autres épîtres. Il n’y a rien là d’inutile : tout cela au contraire est nécessaire. N’est-ce pas une conséquence du grand amour de l’apôtre pour ses disciples ? Ne fallait-il pas, au milieu de ces continuelles épreuves, trouver quelque consolation dans ces renseignements mutuels ? S’ils étaient tristes et affligeants, on se préparait à souffrir, on se tenait sur ses gardes ; s’ils étaient bons et joyeux, on ressentait une commune joie. Au reste en ce passage il mentionne en même temps et le commencement et la fin de l’épreuve. « Nous avons été accablés outre mesure et au-dessus de nos forces ». Ne dirait-on pas un navire qu’une charge trop pesante a submergé ? Ces paroles : « Outre mesure et au-dessus de nos forces » semblent offrir le même sens. Il n’en est rien cependant. On eût pu dire : « L’épreuve était excessive, il est vrai, mais non point trop forte pour vous ». Et c’est pourquoi l’apôtre ajoute : L’épreuve était grande et au-dessus de nos forces ; et tellement au-dessus de nos forces que la vie nous était à charge, c’est-à-dire, que nous désespérions de vivre plus longtemps. Ce que David appelle « les portes de l’enfer et les douleurs de l’enfantement », c’est ce que Paul veut faire entendre à son tour, quand il dit : Le danger que nous avons couru devait amener la mort.
« Et nous avons eu au dedans de nous-mêmes une réponse de mort, afin que nous ne mettions pas notre confiance dans nos forces, mais en Dieu qui ressuscite les morts (9) ». Qu’est-ce à dire : « Nous avons eu une réponse de mort ? » C’est-à-dire une sentence, un jugement, l’attente de la mort. C’était là comme le cri, comme la réponse de ce qui nous arrivait : tout cela nous disait que nous devions mourir. Cependant la menace ne s’accomplit pas : notre attente ne se réalisa point. L’épreuve, par sa nature même rendait une sentence de mort ; mais la puissance divine ne voulut pas qu’elle eût son effet ; elle permit seulement que nous nous attendissions à mourir. Et c’est pourquoi l’apôtre dit : « Nous avons eu au dedans de nous-mêmes une réponse de mort », au dedans de nous-mêmes, et non pas dans la réalité. Pourquoi Dieu a-t-il permis une épreuve qui nous avait enlevé jusqu’à l’espérance, et abattu tout notre courage. « C’est, dit-il, afin que nous ne mettions pas notre confiance en nous-mêmes, mais en Dieu ».
3. Saint Paul tenait ce langage, non pas qu’il fût dans cette disposition : (loin de nous une telle pensée), mais tout en parlant de lui-même, il voulait instruire les autres ; c’était encore son humilité qui lui inspirait ce langage. Car plus loin, il dit : « J’ai senti l’aiguillon de la chair » (2Cor. 12,7), c’est-à-dire, les tentations, et cela, « de peur que je ne fusse enflé d’orgueil ». Dieu toutefois lui en donne une autre raison ; et laquelle ? C’est qu’il veut faire éclater sa puissance : « Ma grâce te suffit », lui dit-il ; « car ma puissance se montre tout entière dans la faiblesse ». Mais, comme je le disais, ce que Paul ne perd jamais de vue, c’est sa faiblesse : toujours il se range parmi ceux qui bien inférieurs à lui-même ont besoin de s’instruire et de se corriger. Ne suffit-il pas d’une ou deux épreuves pour ramener l’homme le plus vulgaire à de meilleurs sentiments ? Comment donc cet apôtre, qui toute sa vie s’est montré le plus humble des hommes, qui a enduré toutes les souffrances, qui fait preuve depuis tant d’années d’une sagesse toute céleste, aurait-il besoin de cet avertissement ? Rien de plus évident ; c’est par modestie, c’est pour reprendre ceux qui entretiennent des sentiments d’orgueil et de vaine gloire qu’il emploie ces paroles : « Afin que nous ne mettions pas notre confiance en nous-mêmes, mais en Dieu ».
Et voyez avec quelle douceur il les traite avec quels ménagements ? C’est à cause de vous, dit-il, que Dieu a permis que nous fussions éprouvés : tant votre âme a de prix aux yeux du Seigneur : « Si nous sommes dans la tribulation, c’est pour votre consolation et votre salut ». Mais l’excès même de cette tribulation, Dieu le permet pour prévenir en nous tout sentiment d’orgueil. « Nous avons été accablés au-delà de toute mesure et au-dessus de nos forces, pour que nous ne mettions pas en nous-mêmes notre confiance, mais en Dieu seul ». Il leur remet en mémoire cette doctrine de la Résurrection, qu’il développe si longuement dans la première épître, et qu’établit si bien la situation actuelle de l’apôtre. Il ajoute donc : « Qui nous a délivré si souvent de la mort (10) ». Il ne dit pas : De tant de périls. Non : car il veut montrer l’excès de ses souffrances, et confirmer ce qu’il a dit de la résurrection. La résurrection des morts appartient à l’avenir, et c’est pourquoi l’apôtre fait voir que tous les jours Dieu ressuscite des morts. Cet homme qui avait perdu tout espoir, qui était descendu jusqu’aux portes de la mort, Dieu, qui le rappelle à la vie, qui le retire de l’abîme où il est tombé, ne donne-t-il point par là comme un exemple de la résurrection future ? Lorsque ces malades dont on désespère échappent à une maladie dangereuse, ou à d’intolérables souffrances, ne disons-nous pas : c’est une véritable résurrection.
« Nous espérons qu’il nous en délivrera encore, avec le secours des prières que vous a faites pour nous : afin que la grâce que nous avons reçue en considération de plusieurs, soit aussi reconnue par les actions de grâces que plusieurs en rendront pour nous (11) ». Il vient de dire : « Afin que nous ne mettions pas en nous-mêmes notre confiance » ; et ces paroles semblent renfermer un reproche général dont quelques-uns pouvaient se blesser. Mais qui pourrait se plaindre, maintenant qu’il implore le secours de leurs prières, et qu’il leur rappelle que toute notre vie doit se passer dans les soucis et l’inquiétude ? Leur dire en effet : « Nous espérons qu’il nous en délivrera encore », n’est-ce pas leur annoncer comme une armée de tentations, et du même coup l’assistance et le secours dans le combat ?
Que néanmoins la vue de ces dangers ne les consterne point ; ils offrent de grands avantages, et ces avantages il les énumère dans ces paroles : « Afin que nous ne mettions pas en nous-mêmes notre confiance » ; c’est-à-dire, afin que Dieu nous maintienne dans une continuelle humilité, et que leur salut s’accomplisse. Autres avantages : l’épreuve met en communion avec Jésus-Christ. « Car », dit-il, « les souffrances de Jésus-Christ abondent en nous-mêmes » ; c’est pour les fidèles que l’apôtre souffre : « Si nous sommes dans la tribulation, c’est pour votre consolation et pour votre salut ». Ce même salut resplendit d’un plus grand éclat, car : « Il s’opère par les mêmes afflictions supportées avec patience ». De plus, la tribulation fortifie ; et surtout fait briller aux regards la radieuse espérance de la résurrection : « Il nous a tant de fois sauvés de la mort » ; la souffrance rend vigilant, et force l’homme à lever sans cesse les yeux vers le Seigneur : « Nous espérons qu’il nous délivrera » ; dernier avantage enfin, la souffrance ne permet pas de se détacher de la prière « Avec le secours des prières que vous faites pour nous ». Après leur avoir ainsi montré les avantages de la tribulation, après leur avoir inspiré une salutaire inquiétude, il ranime leur zèle et les excite à la vertu, par ce témoignage qu’il rend de l’efficacité de leurs prières : « Avec le secours des prières que vous faites pour nous, dit-il ». Quel est le sens des paroles qui suivent ? « Afin que la grâce que nous avons reçue en considération de plusieurs, soit aussi reconnue par les actions de grâces que plusieurs en rendront pour nous ». Il nous a maintes fois sauvés de la mort, avec le secours de vos prières ; c’est-à-dire, vous l’avez tous prié pour nous. Ce salut, qu’il vient de nous accorder, c’est un bienfait que vous partagez avec nous ; et ainsi vous devez joindre vos actions de grâces aux nôtres, puisque avec nous vous avez éprouvé la miséricorde de notre Dieu.
4. Il les exhortait par là à prier les uns pour les autres, et les habituait aussi à remercier le Seigneur, à l’occasion de ce qui arrive au prochain, leur faisant entendre que rien ne pouvait lui être plus agréable. En effet, s’ils le font déjà pour le prochain, ils ne manqueront pas dans l’occasion de le faire pour eux-mêmes. De plus, il les forme à l’humilité et les pousse à s’enflammer d’une charité plus ardente. Ne leur dit-il pas, lui, ce grand apôtre, ne leur dit-il pas qu’il doit son salut à leurs prières, qu’elles lui ont valu le secours du ciel ? Quelle ne doit donc pas être l’humilité des simples fidèles ! N’oubliez pas non plus, quelle est l’efficacité de la prière. Sans doute Dieu se montre miséricordieux envers nous, et c’est à la divine miséricorde que Paul au commencement de cette épître attribue son salut : « Le Dieu des miséricordes », dit-il, « nous a délivrés ». Mais ici il proclame l’efficacité de la prière. L’homme qui devait dix mille talents vint se jeter aux pieds de son maître, et le maître eut pitié de lui : « Ému de pitié, il lui remit sa dette », dit l’Écriture ; ce fut à force d’instances, à force de persévérance, que la Chananéenne finit aussi par obtenir la guérison de sa fille : toutefois ce fut un effet de la miséricorde du Sauveur.
Ainsi donc, bien que Dieu manifeste envers nous sa miséricorde, nous devons recourir à la prière, si nous voulons nous en rendre dignes. Sans doute le secours de Dieu nous vient de sa miséricorde, mais il faut que Dieu nous en trouve dignes. On ne l’obtient pas sans motif, et tout en demeurant dans l’inaction : « J’aurai pitié », dit-il, « de celui dont j’aurai pitié ; et celui dont j’aurai pitié, éprouvera l’effet de ma miséricorde ». (Ex. 33,19) Voyez aussi ce que dit l’apôtre : « Avec le secours de vos prières ». Ce n’est pas uniquement à leurs prières qu’il attribue son salut, de peur d’enfler leurs âmes ; il leur attribue néanmoins une part dans les secours qu’il a reçus d’en haut, pour accroître leur ardeur et resserrer les liens de la charité fraternelle. C’est pourquoi il leur disait encore : « Il vous a accordé ma délivrance ». Dieu semble comme avoir honte de résister à une multitude qui n’a qu’un cœur et qu’une voix pour le prier. Aussi disait-il à son prophète : « Quoi ! ne pardonnerai-je pas à cette cité dans laquelle habitent plus de cent vingt mille hommes ». (Jon. 4,11)
N’allez pas croire pourtant que le grand nombre suffise pour émouvoir la bonté de Dieu : car le Seigneur dit aussi : « Israël fût-il aussi nombreux que les grains de sable de la mer, il n’y aura de sauvé que les restes de ce peuple ». (Is. 10,22) Comment se fait-il donc qu’il ait sauvé les Ninivites ? C’est que non seulement ils étaient nombreux, mais ils firent éclater leur vertu, ils firent tous pénitence, et renoncèrent à leurs désordres. En les sauvant le Seigneur disait : « Ils ne savent pas distinguer leur droite de leur gauche ». N’est-il pas évident qu’ils avaient péché plus par ignorance que par malice ? Ne voyons-nous pas d’ailleurs qu’il suffit de quelques paroles pour les convertir ? Si la seule vue des cent vingt mille habitants de Ninive eût pu déterminer le Seigneur, pourquoi dès le principe ne leur eût-il point pardonné ? Pourquoi, demanderez-vous, ne disait-il pas au prophète : Ne pardonnerai-je pas à cette cité maintenant convertie, mais bien : « A cette cité qui renferme tant de milliers d’hommes ? » C’était afin de ne rien omettre : la conversion était en effet manifeste ; mais le prophète ne savait ni le nombre des Ninivites, ni leur ignorance. Dieu veut donc mettre tout en œuvre pour leur faire miséricorde : le nombre n’est pas inutile, quant au nombre se joint la vertu.
C’est encore ce que nous dit l’Écriture dans ce passage : « Sans cesse l’Église priait Dieu pour l’apôtre ». (Act. 12,15) Et voyez la puissance de ces prières ! Les portes de la prison étaient fermées, l’apôtre, chargé de chaînes et entouré de gardiens qui dormaient à ses côtés ; les prières des fidèles le délivrèrent et renversèrent tous les obstacles. – Le nombre, disions-nous, n’est pas inutile, si au nombre se joint la vertu ; mais il n’offre aucun avantage, si le vice y domine. Les Israélites, en effet, aussi nombreux, dit l’Écriture, que les grains de sable de la mer, périrent tous. Et au temps de Noé, les hommes n’étaient-ils pas innombrables ? Quel avantage retirèrent-ils de leur grand nombre ? C’est que le nombre seul ne peut rien : il n’est qu’un accessoire. Empressons-nous donc d’unir nos prières, prions les uns pour les autres, comme les premiers chrétiens priaient pour les apôtres. Ainsi nous accompli : sons le précepte du Seigneur, ainsi nous fortifions en nous la charité ; et ce mot de charité ne comprend-il pas tous les biens ? Montrons aussi plus d’empressement à rendre grâces. Si l’on remercie Dieu pour les dons faits au prochain, à plus forte raison le remerciera-t-on pour les bienfaits qu’on a reçus soi-même. David nous en a donné l’exemple : « Louez le Seigneur avec moi, et ensemble célébrons la sainteté de son nom ». (Ps. 33,4) C’est ce que réclame sans cesse l’apôtre. Suivons ce conseil, publions partout les bienfaits de Dieu, pour associer tous nos frères aux actions de grâces que nous lui rendons. Quand nous publions les bienfaits que nous avons reçus des hommes, n’augmentons-nous pas leur bienveillance à notre égard ? Publions les bienfaits de Dieu, et nous nous ménagerons de sa part une plus grande bienveillance. Et si après avoir obtenu des hommes quelques faveurs, nous invitons les autres à joindre leurs remerciements aux nôtres, ne devons-nous pas, à plus forte raison, presser nos frères de s’unir à nous pour remercier le Seigneur ? Paul le faisait, lui (lui – s’approchait de Dieu avec tant de confiance ; à plus forte raison, sommes-nous obligés de le faire nous-mêmes.
5. Prions les saints, conjurons-les de remercier Dieu pour nous, et remercions-le aussi les uns pour les autres. C’est surtout le devoir des prêtres : il n’est pas une fonction plus élevée que celle-là. Quand nous montons à l’autel, nous commençons par rendre grâces au Seigneur au nom du monde tout entier pour les bienfaits communs que tous ont reçus de sa munificence. Sans doute tous ensemble jouissent de ces bienfaits ; mais n’en avez-vous point votre part ? Donc pour cette part qui vous est faite, vous devez vous associer aux communes actions de grâces ; et il est juste aussi qu’en votre particulier, vous remerciiez Dieu de ce qu’il étend ses bienfaits à tous les hommes. Ce n’est pas seulement pour vous qu’il a allumé le soleil dans le firmament, mais pour tous en général ; toutefois vous en jouissez aussi complètement que s’il eût été créé pour vous seul. C’est pour l’utilité de tous que Dieu l’a fait si grand ; et vous le voyez à vous seul aussi grand que tous les mortels ensemble. D’où il suit que votre reconnaissance doit égaler la commune reconnaissance du genre humain tout entier. Oui, vous devez remercier Dieu de ces bienfaits communs à tous les hommes, vous devez le remercier pour la vertu des autres. D’ailleurs ces bienfaits que Dieu nous accorde, ne tournent-ils pas aussi à l’avantage de nos frères ? S’il y avait eu seulement dix justes dans Sodome, Sodome eût obtenu son pardon. Remercions Dieu des mérites de nos frères c’est une antique loi, qui a pris racine dans l’Église. Saint Paul ne rend-il pas grâces pour les Romains, pour les Corinthiens, pour l’univers entier ? Ne dites pas : Cette belle action n’est pas mon fait. Mais son auteur n’est-il pas comme vous un membre de l’Église, et n’est-ce pas assez pour que vous exprimiez à Dieu votre reconnaissance ? Cette belle conduite, vous vous l’appropriez par vos actions de grâces, vous vous ménagez les faveurs du ciel, et vous acquérez des droits à la récompense.
Aussi les lois de l’Église prescrivent-elles de prier de la sorte non seulement pour les fidèles, mais aussi pour les catéchumènes. L’Église, en effet, ne commande-t-elle pas aux fidèles de prier pour ceux qui ne sont pas encore initiés aux saints mystères ? Quand le diacre dit : « Prions avec ferveur pour les catéchumènes », ne se propose-t-il pas d’exciter la multitude des fidèles à prier pour eux ? Cependant les catéchumènes ne font pas encore partie de l’Église ; ils ne sont pas encore membres de Jésus-Christ ; ils ne participent pas aux saints mystères, ils sont encore séparés du troupeau spirituel. Si donc il faut prier pour les catéchumènes, à plus forte raison faut-il prier pour ceux qui sont avec nous les membres d’un même corps. Le diacre dit : « Prions avec ferveur », pour que vous ne les rejetiez pas comme des étrangers, pour que vous ne les laissiez pas à l’écart, comme des inconnus. Eux, ils n’ont pas encore cette prière enseignée par Jésus-Christ et que la loi chrétienne nous impose : ils ne peuvent encore s’approcher de Dieu avec une filiale confiance, et ils ont besoin d’être aidés par ceux qui ont reçu le baptême. Ils se tiennent hors des demeures royales, loin de l’enceinte sacrée. Aussi les éloigne-t-on ; quand arrive le moment des redoutables prières. Le diacre vous exhorte donc à prier pour eux, afin qu’ils deviennent vos membres, et cessent d’être des étrangers et des profanes. Cette parole : « prions » s’adresse au peuple aussi bien qu’aux prêtres. Quand il dit : « Ayons une attitude respectueuse et prions », il vous invite tous à la prière. Puis il commence en ces termes : « Afin que le Dieu clément et tout miséricordieux exauce leurs demandes ». Ne dites pas : « A quoi sert-il de prier pour eux ? » Ce sont des étrangers, ils ne font point partie de notre communion : : comment obtenir pour eux les grâces du Seigneur ? Comment leur obtenir miséricorde et pardon ? Non, loin de vous une pareille hésitation : qu’elle cède devant ces paroles : « Afin que le Dieu clément et tout miséricordieux », entendez-vous ? « Le Dieu tout miséricordieux ». Donc n’hésitez plus : le Dieu tout miséricordieux étend sa miséricorde à tous les hommes, aux pécheurs comme à ses amis. Ne dites donc plus : Comment prierai-je pour eux ? Dieu exaucera les prières faites pour eux. Et que peuvent demander les catéchumènes, sinon de ne pas rester catéchumènes.
Ensuite le diacre explique le sens de la prière ; et quel est-il ? « Afin, ajoute le diacre, qu’il ouvre les oreilles de leur cœur » ; – car elles sont encore fermées et obstruées ; non pas certes les oreilles du corps, mais celles de l’âme. – « Afin qu’ils apprennent ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, ce que le, cœur de l’homme n’a point senti ». Ils ne savent rien encore des sacrés mystères ; mais ils se tiennent à l’écart pendant qu’on les célèbre ; entendraient-ils, qu’ils ne comprendraient point ce qui se dit : il ne suffit pas en effet de les entendre, il faut en avoir l’intelligence, et les oreilles de leurs cœurs sont encore fermées. Aussi le diacre, demande-t-il pour eux le don de prophétie. Voici en effet ce que disait le prophète : « Dieu enseigne à ma langue le moment où elle doit parler : c’est lui qui m’ouvre la bouche ; dès le matin il m’a fait cette grâce, et il m’a donné une oreille qui entend bien ». (Is. 50,4-5) De même que les prophètes entendaient autrement que les autres ; de même les fidèles entendent autrement que les catéchumènes. Aussi enseignons-nous au catéchumène que ce n’est point des hommes que lui vient la science et l’intelligence : « N’appelez personne maître sur la terre », mais d’en haut, mais du ciel ; « tous », dit l’Écriture, « seront instruits par Dieu lui-même ». (Mt. 23,8 ; Is. 54,13) Et le diacre ajoute : « Afin qu’il fasse résonner en eux la parole de vérité ». C’est d’une voix intérieure que leur vient l’enseignement. Car cette parole de vérité, ils ne la connaissent point encore comme il faut. « Afin qu’il répande sa crainte, comme une semence, dans leurs âmes ». Mais cela ne suffit pas, car la semence peut tomber sur le chemin ou sur la pierre.
6. Ce n’est certes point là seulement ce que nous demandons. Mais, de même qu’une terre fertile est renouvelée par les profonds sillons qu’y creuse la charrue, de même leurs âmes doivent être renouvelées pour recueillir la semence et retenir fidèlement tout ce qu’ils entendront : telle est le sens de notre prière. Écoutez ce qui suit : « Afin qu’il affermisse la foi dans leurs cœurs » ; c’est-à-dire, afin qu’elle ne reste pas 'à la surface, mais qu’elle y jette de profondes racines. « Afin qu’il leur révèle l’Évangile de la justice ». Cet Évangile, un double voile leur en dérobe la vue ; d’abord les veux de leurs âmes sont fermés ; ensuite l’Évangile est comme caché pour eux. C’est pourquoi le diacre disait tout à l’heure : « Afin qu’il ouvre les oreilles de leurs cœurs ». Et maintenant il ajoute : « Afin qu’il leur révèle l’Évangile de la justice », c’est-à-dire, afin qu’il leur donne la sagesse et les dispose à recevoir la grâce ; afin qu’il les instruise et jette dans leurs cœurs la bonne semence. A quoi leur servira-t-il d’être préparés, si Dieu ne leur en communique la science ; et à quoi leur servira cet enseignement, s’ils ne veulent pas le recevoir ? Aussi demandons-nous au Seigneur d’ouvrir leurs âmes et de leur apprendre l’Évangile. Qu’un ornement royal soit recouvert d’un voile, en vain regarderez-vous ; vos yeux ne l’apercevront pas ; qu’on soulève le voile, vous ne l’apercevrez pas davantage, si vous ne tournez vos regards de ce côté. Or, que nos catéchumènes le veuillent, et le voile sera levé et leurs yeux seront ouverts.
Que signifient ces paroles : « l’Évangile de la justice ? » C’est comme si l’on disait « l’Évangile qui justifie ». Elles ont pour effet d’exciter en eux le désir du baptême, en leur montrant que non seulement l’Évangile remet les péchés, mais qu’il donne aussi la justice. « Afin qu’il, leur donne une âme toute divine, « de sages pensées, et une vie vertueuse ». Entendez, fidèles, vous qui vous livrez tout entiers aux affaires de ce monde. Si l’Église nous prescrit de prier ainsi pour ceux qui n’ont pas encore reçu le baptême, dites-moi comment doivent se conduire ceux qui sollicitent ces grâces pour les autres ? Ne devons-nous pas rendre notre vie conforme à l’Évangile ? Aussi, dans cette prière pour les catéchumènes, passons-nous de l’enseignement à la pratique. Après avoir dit : « Afin qu’il leur révèle l’Évangile de la justice », le diacre ajoute aussitôt : « Afin, qu’il leur donne une âme toute divine ». Qu’est-ce à dire : « toute divine ? » c’est-à-dire : « Afin que Dieu habite dans leurs âmes ». – « Car », dit le Seigneur, « j’habiterai au dedans d’eux, et j’y marcherai ». (Lev. 26,12) L’âme, une fois douée de justice, et dépouillée de ses péchés, devient la maison de Dieu ; en elle plus rien d’humain, dès qu’il y a fixé son séjour. C’est ainsi que l’âme est comme divinisée ; tout ce qu’elle dit lui est pour ainsi dire inspiré par le Seigneur, qui l’a choisie pour en faire sa demeure.
Donc il n’a pas une âme divine, celui qui tient de mauvais discours ; il n’est pas sage, celui qui met son bonheur dans d’indécentes bouffonneries. Qu’est-ce donc que posséder la sagesse ? C’est avoir l’âme saine. L’esclave des mauvaises passions, celui qui soupire après les biens de cette vie, n’est point sage ; son âme est malade. L’homme dont le corps est malade ne recherche-t-il pas ce qui ne peut lui convenir ? C’est ce que fait aussi l’âme dont je parle. « Une vie toujours vertueuse ». La doctrine appelle l’action. Écoutez, vous qui, pour recevoir le baptême, attendez que vous soyez mourants. Nous demandons que vous fassiez le bien après votre baptême ? Et vous, au contraire, vous voulez absolument sortir de ce monde sans avoir fait aucune action chrétienne. Il ne suffit pas d’être juste seulement par la foi. Nous demandons que vous le soyez aussi par vos bonnes œuvres. « Pour songer sans cesse aux choses de Dieu, pour les rechercher sans cesse, pour les mettre sans cesse eu pratique », ce n’est pas en effet pour un jour ou deux seulement, mais pour toute la durée de la vie que nous demandons cette sagesse et cette vertu, et ce qui est la source de tout bien, les bons désirs. « La plupart, en effet, recherchent ce qui leur convient, et non pas ce qui appartient à Jésus-Christ. » Et comment former ces bons désirs ? Il faut joindre à la prière la bonne volonté. « Si jour et nuit nous étudions sa Loi ». Aussi le diacre demande-t-il ensuite que les catéchumènes « s’appliquent jour et nuit à la Loi du Seigneur ». Il disait plus haut « sans cesse », il dit maintenant « jour et nuit » ; c’est le même sens. C’est pourquoi je m’afflige à la pensée que certains chrétiens se montrent à peine une fois l’an dans l’Église. Comment les excuser ? On leur fait une loi d’étudier, ce n’est pas assez dire, de méditer jour et nuit la Loi de Dieu ; et ils refusent d’employer même une faible partie de leur vie à se souvenir de ses préceptes et à garder ses justices !
7. Comme toutes ces demandes se suivent bien, s’enchaînent bien les unes avec les autres ! Pas de chaîne d’or plus solide et plus belle. On demande d’abord une âme toute divine, et on dit ensuite ce qu’il faut pour l’obtenir. Que devons-nous donc taire ? Il faut sans cesse s’appliquer aux choses de Dieu. Et comment y arriver ? En méditant sans cesse sa loi sainte. Comment y amener les hommes ? En leur persuadant d’observer les commandements ; ou plutôt c’est la méditation de la Loi divine qui engendre l’observation des commandements ; comme aussi le zèle des choses de Dieu, la sanctification de l’âme, font qu’on s’y applique. En effet, chacune des choses dont nous venons de parler en produit une autre, qui, à son tour, reproduit la première ; et elles sont comme renfermées l’une dans l’autre. « Prions encore pour eux avec plus de ferveur ». D’ordinaire un long discours fatigue l’âme et l’endort. Ces paroles sont dites pour la réveiller. C’est qu’il faut demander de grandes faveurs, des grâces signalées ; et c’est pourquoi il est dit : « Prions pour eux avec plus de ferveur ». Que va-t-il donc solliciter ? « Que le Seigneur les délivre de tout mal et de toute action funeste ».
Ici nous demandons qu’ils n’entrent point en tentation et que Dieu préserve du danger leurs corps aussi bien que leurs âmes. Et c’est pourquoi le diacre ajoute : « Que Dieu les préserve de toute action diabolique, et de toutes les embûches de l’ennemi ». Paroles qui indiquent clairement les tentations et les péchés. Car le péché assiège l’homme, il l’entoure de tous côtés, par-devant, par-derrière, et cherche à le renverser. Après nous avoir mis sous les yeux nos obligations, après nous avoir rappelé que nous devons étudier la Loi de Dieu, nous souvenir de ses préceptes et observer ses justices, on nous avertit que tout cela est insuffisant, si Dieu ne nous vient en aide. « En effet, si le Seigneur ne construit la maison, en vain travaillent ceux qui veulent la construire ». (Ps. 126,1) Et si le secours d’en haut est nécessaire, n’est-ce pas surtout à ceux qui sont encore soumis à l’empire du démon ? Vous le savez, vous tous qui avez été baptisés. Rappelez a votre mémoire ces paroles que vous, prononçâtes en renonçant à le servir, à genoux devant celui que vous preniez pour votre roi : paroles redoutables qui nous disent assez que nous ne devons plus obéir au démon en quoi que ce soit.
Le démon, le diacre l’appelle un adversaire : car il ne cesse de calomnier Dieu auprès des hommes, et les hommes auprès de Dieu. Autrefois ne calomniait-il pas Job auprès du Seigneur, quand il disait : « Job n’a-t-il pas intérêt à servir Dieu ? » (Job. 1,9-16) Ne calomnie-t-il pas Dieu auprès de Job, quand il lui dit : « Le feu est descendu du ciel ? » N’en agit-il pas de même auprès d’Adam et d’Eve, en lui affirmant que leurs yeux seront ouverts ? Et quand il dit aux hommes : « Dieu ne s’occupe point de ce monde visible ; c’est aux démons qu’il abandonne le soin de vos affaires » ; n’est-ce pas encore là calomnier le Seigneur ? Que de Juifs prêtèrent l’oreille à ses calomnies contre le Christ, qu’il appelait imposteur et magicien ! Maintenant voulez-vous savoir comment il s’y prend ? S’il rencontre une âme que n’inspire point la divine sagesse, qui met en oubli les commandements de Dieu, qui n’observe point ses justices, il s’en empare et l’entraîne à sa suite. Si Adam s’était rappelé l’ordre de son Dieu : « Mange des fruits de tous les arbres, etc. » ; s’il eût tenu compte de cette menace : « Du jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort » (Gen. 2,17), eût-il subi la peine qu’il a subie ?
« Que Dieu leur accorde au temps favorable le bain de la régénération et la rémission de leurs péchés ». Nos demandes se rapportent, les unes au présent, les autres, à l’avenir. Nous exprimons les effets du baptême, et leur apprenons tout ce qu’il a de salutaire. Nous les habituons, à regarder le baptême comme une seconde naissance, à comprendre que ces eaux sacrées nous donnent la vie surnaturelle, comme nos mères nous ont donné la vie temporelle. Nous ne voulons pas qu’ils disent avec Nicodème « Comment un homme déjà vieux peut-il naître ? Peut-il entrer dans le sein de sa mère, et naître une seconde fois ? » (Jn. 3,4) Cette rémission des péchés dont il vient de parler, il y revient encore : « Qu’il leur accorde le vêtement de l’immortalité ». Le baptisé est élevé à la dignité de Fils de Dieu ; désormais il est donc immortel. Que signifient ces mots : « En temps favorable » ? Recevoir le baptême en temps opportun, c’est le recevoir dans de bonnes dispositions, avec une âme remplie d’ardeur et de foi : voilà le temps véritablement opportun.
« Qu’il bénisse leur entrée et leur sortie, qu’il bénisse leur vie tout entière ». Ici on nous prescrit de demander pour eux des bénédictions temporelles ; et cela, parce qu’ils sont encore trop faibles. « Qu’il bénisse leurs maisons et leurs familles ». C’est-à-dire, leurs serviteurs, ou leurs proches, ou leurs amis. Telles étaient les récompenses de l’ancienne Loi ; et rien alors n’était pénible comme le veuvage, la stérilité, une mort prématurée, la famine, les revers. Le diacre leur permet donc de se complaire encore dans ces demandes des biens temporels, et peu à peu il les fait monter plus haut. N’est-ce pas aussi ce que fait Jésus-Christ, ce que fait saint Paul ? Ne rappellent-ils pas eux-mêmes les antiques bénédictions ? Jésus-Christ dans ces paroles : « Bienheureux ceux qui sont doux ! car ils posséderont la terre ». Et saint Paul, quand il dit : « Honore ton père et ta mère, afin que tu vives longtemps sur la terre ».
8. « Qu’il bénisse leurs enfants, qu’il les conduise à la perfection de l’âge et les forme à la sagesse ». Ici encore il sollicite pour eux des bienfaits temporels et spirituels. Mais ensuite il n’a plus en vue que les dons spirituels. « Qu’il dirige toutes leurs entreprises selon leur utilité » ; non pas seulement leurs entreprises, mais selon leur avantage. Souvent en effet on se propose un voyage, mais ce voyage n’est pas utile ; on se – propose autre chose qui n’offre elle-même aucune utilité. Ainsi nos catéchumènes peuvent apprendre qu’en toute circonstance il faut louer Dieu, qui ne perd jamais de vue notre intérêt. Cette prière achevée, le diacre leur ordonne de se lever. Jusque-là ils étaient prosternés ; maintenant qu’ils ont prié et que la confiance remplit leurs âmes, on les invite à se lever et à prier Dieu par eux-mêmes. Nous prions d’abord nous-mêmes ; nous leur ouvrons, pour ainsi dire, les portes de la prière, et ensuite nous leur abandonnons le soin de prier à leur tour. Ce sont, pour ainsi dire, des enfants que nous instruisons, et qui doivent ensuite prendre eux-mêmes la parole. Nous leur disons donc : « Demandez l’ange de la paix, ô catéchumènes ! » N’y a-t-il pas en effet l’ange du tourment, comme il est dit dans le psaume : « Les troubles suscités par les mauvais anges ? » Il y a un ange exterminateur. Aussi leur enjoignons-nous de demander l’ange de la paix, et leur apprenons-nous ainsi à demander le bien qui résume tous les autres, cette paix qui les préserve de tout combat, de toute guerre, de toute dissension.
« Ne vous proposez rien que de pacifique ». – Ayez la paix, et tout fardeau, même le plus lourd ; vous devient léger. Et c’est pourquoi le Christ disait : « Je vous donne ma paix ». Le démon n’a point d’arme plus puissante et plus terrible que la lutte, la guerre, les dissensions. « Demandez la paix pour cette journée, et pour tous les jours de votre vie ». Voyez-vous comme il leur enjoint encore de pratiquer la vertu toute leur vie ? « Demandez, que votre fin soit chrétienne ; demandez en un mot tout ce qui est bien, tout ce qui est utile ». Ce qui n’est pas honnête, en effet, ne saurait être utile. Nous avons de l’utile une toute autre opinion que le vulgaire. « Recommandez-vous au Dieu vivant et à son Christ ». Nous ne les exhortons pas encore à prier pour le prochain ; c’est assez qu’ils puissent déjà prier pour eux-mêmes. Qu’elle est belle ; qu’elle est parfaite cette prière ! Quelle doctrine et quelle règle de conduite ! Nommer l’Évangile, rappeler ce vêtement d’immortalité, ce bain de la régénération, n’est-ce pas en peu de paroles comprendre tous les dogmes chrétiens ? Quant à la vie chrétienne, n’en traçons-nous pas le modèle dans ces expressions, : « Une âme toute divine ; de sages pensées » ; et le reste. Nous leur ordonnons ensuite d’incliner la tête, pour recevoir les bénédictions de Dieu, gage certain que les prières ont été exaucées. Ce n’est point l’homme en effet qui bénit, mais par les mains et par la voix du prêtre nous offrons leurs têtes au Roi suprême. Et tous s’écrient alors : «  Amen ».
Pourquoi ce discours ? Pour vous montrer que nous devons nous intéresser au bonheur de nos – frères ; et pour rappeler aux fidèles que toutes ces prières récitées pour les catéchumènes, ils doivent y prendre part. Ce n’est pas aux murs que s’adresse le diacre, quand il dit : « Prions pour les catéchumènes. » Mais il en est d’assez insensés, d’assez lâches, d’assez dissolus pour se tenir mal, pour lier des conversations, non seulement au moment de la prière pour les catéchumènes, mais encore pendant la prière pour les fidèles. Aussi on se corrompt, on se perd ; et comment en serait-il autrement ? C’est au moment même où nous pourrions nous rendre Dieu propice que nous excitons sa colère en nous retirant. On nous enjoint de prier pour les évêques ; pour les prêtres, pour les empereurs, pour les princes, pour la terre et pour la mer, pour la sérénité de l’air, pour l’univers tout entier, et d’implorer sur tous la divine miséricorde. Nous devrions avoir assez de crédit auprès de Dieu pour intercéder en « faveur des autres, et nous mettons de la négligence à prier même pour nous ! Comment serions-nous donc excusables ? Ah ! je vous en conjure, rappelez-vous mes paroles, saisissez avec bonheur le temps de la prière, élevez vos âmes, abandonnez la terre, montez jusqu’au ciel, afin de vous rendre Dieu propice et d’obtenir les biens qu’il vous promet. Puissions-nous y arriver un jour par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE III. modifier


CAR NOTRE GLOIRE, C’EST CE TÉMOIGNAGE DE NOTRE CONSCIENCE : QUE NOUS AVONS VÉCU DANS CE MONDE DANS LA SIMPLICITÉ ET LA SINCÉRITÉ DE DIEU, ET NON PAS SELON LA SAGESSE DE LA CHAIR, MAIS SELON LA GRACE DE DIEU. (CHAP. 1,12, JUSQU’À 22)

Analyse. modifier


  • 1-2. Quelle grande consolation naît d’une conscience pure. – Les promesses de Dieu ne trompent point : sa gloire même est intéressée à les réaliser.
  • 3-5. Dieu nous a donné l’Esprit-Saint comme gage de sa fidélité.
  • 6. L’Esprit-Saint fait de nous des rois, des prêtres, des prophètes.
  • 7. Exemple d’Abraham, développé avec une rare éloquence.


1. Voici que l’apôtre nous présente un autre motif de consolation, et ce nouveau motif est bien propre à relever une âme plongée dans le malheur. Comme il avait dit plus haut : « Dieu nous a délivrés », et qu’il avait attribué sa délivrance à la divine miséricorde et aux prières des fidèles ; il était à craindre que les Corinthiens ne se relâchassent de leur ardeur, en Se reposant sur la bonté de Dieu et les prières de leurs frères ; c’est pourquoi il leur montre que Timothée et lui ne sont pas restés oisifs, mais qu’ils ont fait ce qui dépendait d’eux. C’est ce qu’il leur laissait entendre auparavant : « De même », disait-il, « que les souffrances du Christ abondent en nous, de même abonde aussi notre consolation ». Ici il parle encore d’une autre bonne action qui lui est propre. Quelle est-elle ? Partout, dit-il, nous avons conservé notre conscience sans reproche, notre âme pure de toute tromperie ; et c’est là pour nous un puissant motif de consolation et d’encouragement. non seulement nous y puisons des consolations, mais ce qui vaut mieux encore, une véritable gloire. Ainsi leur apprend-il que dans les tribulations ils ne doivent point se laisser abattre, mais plutôt se glorifier, lorsque leur conscience ne leur adresse aucun reproche. Indirectement aussi il attaque les faux apôtres. Il disait dans l’épître précédente : « Le Christ m’a envoyé pour annoncer l’Évangile, non par la sagesse des discours, pour que la croix du Christ ne soit pas rendue vaine » ; et encore : « Pour que votre foi ne vienne point de la sagesse des hommes, mais de la puissance de Dieu ». (1Cor. 1,1.7, et 2, 5) Ici c’est encore la même pensée : « Non pas selon la sagesse. », dit-il, « mais selon la grâce du Christ ». Ces mots : « non pas selon la sagesse », signifient encore non pas selon l’erreur ; et c’est la sagesse profane qu’attaque l’apôtre.
« Notre gloire », dit-il, « c’est le témoignage de notre conscience » : c’est-à-dire, notre conscience ne peut nous condamner : nulle mauvaise action ne la trouble. Tous les maux viennent fondre sur nous ; de toutes parts on nous attaque, on nous dresse des embûches ; mais la pureté de notre conscience suffit pour nous consoler ; et non seulement pour nous consoler, mais pour, nous glorifier. Elle nous rend témoignage, en effet, que cette affliction n’est point le châtiment de nos crimes, que Dieu lui-même nous l’a ménagée pour accroître notre vertu ; notre sagesse, et procurer le salut d’un grand nombre d’âmes. Le premier motif de consolation venait de Dieu ; celui-ci venait d’eux-mêmes et de la sainteté de leur vie. Aussi l’appelle-t-il une gloire, et à juste titre, puisqu’il est l’effet de leur courage. En quoi cette gloire consiste-t-elle donc, et quel est le témoignage que nous rend notre conscience ? Elle nous dit. « que nous avons vécu dans la simplicité et la sincérité ». C’est-à-dire, que nous n’avons point trompé, que nous n’avons point été hypocrites, ni dissimulés, ni flatteurs, que nous n’avons jamais dressé d’embûches, ni tendu de pièges, ni commis d’injustices en quoi que ce soit ; que nous allons toujours agi avec franchise et droiture, avec une intention pure et exempte de toute malice, de toute ruse, au grand jour et sans aucune dissimulation. « Non pas avec la sagesse de la chair », c’est-à-dire, non pas avec méchanceté et perversité, non pas avec l’habileté du langage, et la subtilité des sophismes car c’est là ce qu’il appelle la sagesse de la chair. Les faux apôtres mettaient en cela toute leur gloire ; saint Paul repousse et rejette bien loin tous ces artifices ; et il s’applique à faire voir qu’on ne doit point s’en glorifier, puisque lui-même, loin de les rechercher, les écarte et les déclare honteux. « Mais nous avons vécu selon la grâce de Dieu ». Que veulent dire ces paroles : « selon la grâce de Dieu ? » Cette sagesse et cette puissance qu’il nous a données, nous la manifestons par des miracles. Bien plus, nous qui sommes sans instruction, dénués de toute science profane, nous triomphons des savants, des orateurs, des philosophes, des rois et des peuples. Quel motif de consolation, quel sujet de gloire pour l’apôtre et son disciple de pouvoir se dire qu’ils n’ont pas eu recours à la puissance de l’homme, pour faire le bien, mais uniquement à la grâce du Seigneur !
« Dans le monde », non pas seulement à Corinthe, mais dans tout l’univers. « Mais plus abondamment auprès de vous ». Qu’est-ce à dire : « plus abondamment auprès de vous ? » Ces paroles se rattachent aux précédentes : « Nous avons vécu selon la grâce de Dieu ». Car chez vous nous avons fait des prodiges et des miracles, nous y avons déployé plus de zèle et mené une vie irréprochable. C’est là encore un effet de la grâce de Dieu ; c’est à elle qu’il attribue ses bonnes œuvres. A Corinthe, l’apôtre était allé plus loin que les préceptes : pour épargner leur faiblesse, il leur avait annoncé l’Évangile, sans rien recevoir d’eux. – « Nous ne vous écrivons rien autre chose que ce que vous lisez ou connaissez déjà (13) ». L’apôtre vient de se rendre à lui-même un magnifique témoignage, et pour ne point scandaliser les Corinthiens, il en appelle à leurs propres souvenirs. Ce n’est pas un vain étalage de paroles, dit-il ; tout ce que nous vous disons, vous le savez déjà ; et vous pouvez mieux que tous les autres rendre témoignage de notre sincérité. En lisant notre lettre, vous reconnaissez que nous ne faisons que rappeler des choses bien connues de vous. Vous ne pouvez nous contredire ; mais tout ce que vous savez est parfaitement, d’accord avec ce que vous lisez : « Car vous nous connaissez, en partie du moins (14) ». C’est par modestie qu’il écrit ces derniers mots. Ces restrictions lui sont en effet habituelles, quand il est obligé de faire son propre éloge : il ne les emploie pas en d’autres circonstances ; et si alors il en fait usage, c’est pour écarter tout soupçon d’orgueil. – « Or, j’espère que vous me connaîtrez jusqu’à la fin ».
2. Voyez-vous comment le passé garantit l’avenir, non seulement le passé, mais encore la puissance de Dieu ? Il n’affirme rien d’une manière absolue, mais c’est en Dieu qu’il met toute son espérance. « Vous connaissez que nous sommes votre gloire, comme vous êtes la nôtre, au jour de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Si les précédentes paroles avaient soulevé quelque mécontentement, tout mécontentement doit disparaître, maintenant qu’il associe les Corinthiens à ses œuvres et à sa gloire. Ces œuvres, elles ne sont pas seulement notre partage, dit-il, mais elles vous appartiennent aussi, et nous nous en renvoyons mutuellement la gloire. Il venait de faire son propre éloge. Le passé, disait-il, est une garantie pour l’avenir : il ne veut ni les scandaliser, ni les mécontenter, ainsi que je l’ai dit ; et c’est pourquoi maintenant il les fait entrer en participation de sa gloire et du mérite de ses bonnes œuvres. Notre gloire, dit-il, est aussi la vôtre ; et en retour, à la vue de vos triomphes, nous tressaillons d’allégresse et nous partageons vos trophées. N’y a-t-il pas dans ces paroles une nouvelle preuve de son humilité ? Ce n’est pas un maître qui parle à ses disciples, mais un disciple qui s’entretient avec ses condisciples sur le ton d’une amicale familiarité..
Mais voyez maintenant comme il les élève haut, quelle philosophie sublime il leur enseigne, en les renvoyant à ce terrible jour des jugements de Dieu ! Ne me parlez point du présent, leur dit-il, ni des outrages, ni des injures, ni des railleries que vous subissez, ni des éloges dont vous êtes les objets. Qu’est-ce que tout cela ? Qu’y a-t-il d’avantageux dans ces louanges, qu’y a-t-il de funeste dans ces outrages ? Songez à ce jour terrible, à ce jour affreux où tout sera révélé. Alors nous nous glorifierons en vous, et vous vous glorifierez en nous ; vous vous glorifierez d’avoir des maîtres qui ne vous auront rien enseigné d’humain, dont la vie aura été sans reproche et sans tache ; nous aussi, nous serons heureux d’avoir eu des disciples qui, se tenant loin des missions humaines, n’auront jamais chancelé, et se seront empressés de recevoir avec franchise nos enseignements. Dès maintenant, il est vrai, tout cela est clair pour qui veut être attentif ; mais alors tous devront en être convaincus. Si donc aujourd’hui, nous sommes dans l’affliction, nous trouvons un puissant motif de consolation, dans le témoignage de notre conscience, et dans cette pensée qu’un jour tout sera manifesté. Maintenant notre conscience nous dit que tout ce que nous Taisons, nous le faisons par la grâce du Seigneur ; et vous ne l’ignorez pas vous-mêmes ; et vous le saurez encore mieux plus tard. Mais au jour du jugement, tous les hommes connaîtront vos actions et les nôtres, et verront que nous sommes glorifiés les uns par les autres.
L’apôtre ne se réserve donc pas à lui seul cet éclat dont ses vertus l’environnent ; il l’étend aussi sur les Corinthiens ; il les distrait ainsi de la tristesse qui les accable. Il leur disait, tout à l’heure : C’est à cause de vous que nous sommes consolés ; maintenant il leur attribue sa propre gloire : « C’est à cause de vous que nous nous glorifions », continuant de la sorte à les associer à tout ce qui le concerne, à ses consolations, à ses souffrances, à son salut ; car c’est à leur prière qu’il attribue sa délivrance. « Vous nous avez aidés de vos prières », leur dit-il, « et Dieu nous a délivrés ». De même en cet endroit il partage sa gloire avec eux. Comme il disait plus haut : « Sachant que vous vous unissez à nos consolations, comme à nos souffrances » ; il leur dit encore maintenant : « Nous sommes votre gloire, comme vous êtes la nôtre. – Et c’est avec cette persuasion que je voulais aller a vous voir (15) ». De quelle persuasion s’agit-il ? C’est que j’ai toute confiance en vous, je me glorifie en vous, je suis votre gloire, je vous aime, ma conscience ne me reproche rien ; en moi tout est selon l’Esprit, et j’ai en vous d’irrécusables témoins. « Je voulais donc venir vous voir ; et de Corinthe passer ensuite en Macédoine (16). » Dans la première épître il leur annonçait tout le contraire : « J’irai vous voir », disait-il, « quand j’aurai traversé la Macédoine ; car je traverserai la Macédoine » : Pourquoi donc se contredire ensuite ? Non, l’apôtre ne se contredit pas. Sans doute ce qu’il écrit maintenant est opposé à ce qu’il écrivait précédemment, mais non pas à ce qu’il voulait alors. Aussi ne dit-il pas : « Je vous ai écrit que j’irais en Macédoine » ; mais bien : « Je voulais ». Bien que je ne vous l’aie pas dit dans ma lettre, tel était cependant mon désir et ma volonté. Et j’étais si éloigné de songer à différer l’accomplissement de ma promesse, que j’ai voulu le hâter. « Pour que vous ayez une seconde faveur ». Que veut-il dire par là ? une seconde faveur : c’est-à-dire une double faveur : son épître d’abord, sa présence ensuite. Par faveur, il entend la joie qu’il leur causera. « Et de Corinthe je passerai en Macédoine, de Macédoine je reviendrai au milieu de vous, et je prendrai ensuite congé de vous pour aller en Judée. En vous faisant cette promesse, ai-je agi légèrement (17) ? »
3. Ici il repousse tout reproche au sujet de son retard et de son absence. Voici la pensée de l’apôtre : Je voulais aller vous voir ; pourquoi donc ne l’ai-je pas fait ? Est-ce par légèreté et par inconstance ? Non ; certes. Pourquoi donc ? « Parce que les pensées que je médite ne sont point des pensées charnelles » ; qu’est-ce à dire : « ne sont point des pensées charnelles ? » c’est-à-dire : « chez moi, oui c’est oui ; et non, c’est non ». Mais ici encore il y a quelque obscurité. Que signifient donc ces paroles ? L’homme charnel,'l’homme qui s’attache aux biens de ce monde, et qui s’en occupe sans cesse, qui jamais ne suit les mouvements de l’Esprit-Saint, peut bien errer dans sa marche ; mais le serviteur de l’Esprit-Saint, l’homme qu’il inspire et qu’il dirige n’est point maître de ses résolutions : il dépend de cette puissance surnaturelle. Il ressemble à ce serviteur fidèle qui suit, en tout les ordres de son maître, qui va où il l’envoie, qui n’a plus de volonté propre, qui ne s’est pas même réservé la faculté de respirer librement ; s’il fait quelque promesse à d’autres serviteurs, et que le maître ensuite en ordonne autrement, il ne peut plus tenir ce qu’il a promis. C’est donc parce que je ne prends point conseil de la chair et que je me laisse diriger par l’Esprit-Saint, que je ne suis point libre d’aller où je veux. Car je me soumets à l’empire et aux ordres du Paraclet, et j’accepte en tout ses décisions. Voilà pourquoi je n’ai pu aller vous voir : c’est que tel n’était pas le bon vouloir de l’Esprit Saint. On voit aussi dans le livre des Actes que souvent l’apôtre dut ne pas tenir sa promesse il se proposait de se rendre en quelque ville, et l’Esprit-Saint l’envoyait ailleurs. Il n’y a donc ni légèreté, ni inconstance de ma part, si je ne suis pas allé à Corinthe, mais je devais obéir à l’Esprit, auquel je me soumets toujours.
Ne reconnaissez-vous point le raisonnement habituel de l’apôtre ? De ce qu’il n’avait pas tenu sa promesse, ses adversaires voulaient conclure qu’il suivait les conseils de la chair ; et c’est en partant de cette apparente violation de sa promesse qu’il leur montre son obéissance aux mouvements du Saint-Esprit, et qu’il leur prouve que se conduire autrement t’eût été agir, selon la chair. Mais, direz-vous, n’est-ce pas l’Esprit-Saint qui lui avait inspiré cette promesse ? Non. Paul ne savait point tout ce qui pouvait arriver, ni tout ce qui pouvait être avantageux. C’est pourquoi, dans sa première épître, il disait aux Corinthiens : « Afin que vous me conduisiez, en quelque lieu que j’aille » (1Cor. 16,6), craignant sans doute qu’après avoir mentionné la Judée ; il ne fut obligé d’aller ailleurs. Alors toutes ses espérances avaient été déçues ; mais il peut dire maintenant que son intention était de passer ensuite en. Judée. Dans la première épître il leur dit expressément ce que sa charité pour eux lui dicte en leur annonçant sa visite ; mais qu’ensuite il se, rendit en Judée ou ailleurs, peu leur importait, et c’est pourquoi il ne détermine aucun pays. Maintenant qu’il sait clairement qu’il passera en Judée, il n’hésite plus à le leur dire.
Ces hésitations tournaient à l’avantage de ; Corinthiens ; elles les empêchaient d’avoir de l’apôtre une opinion exagérée. Si en effet, malgré tout cela, on voulut parfois lui offrir des sacrifices, à quel excès d’impiété ne se fût-on point porté, si les apôtres n’eussent donné mille preuves de la faiblesse naturelle à l’homme ? Ne vous étonnez point que, l’apôtre ait ignoré certains faits à venir ; dans ses prières, n’ignore-t-il point ce qui lui est avantageux ? « Nous ne savons pas, dit-il, ce qu’il nous est expédient de demander ». (Rom. 8,26) Ce qu’il dit, non seulement pour donner une bonne opinion de sa modestie, mais encore pour montrer qu’il ignore ce qui est véritablement utile. Et en quelles circonstances l’a-t-il ignoré ? Quand il demandait à Dieu d’être délivré de ses tentations. Voici ses paroles : « Et je sentis l’aiguillon de la chair, l’ange de Satan qui me souffletait. C’est pourquoi je priai trois fois le Seigneur, et il me dit : Ma grâce te suffit ; car ma puissance se montre toute entière dans tes infirmités ». Vous le voyez donc, il ne savait pas demander ce qui était expédient. Aussi ne fut-il peint exaucé, malgré sa persévérance.
« Dieu, qui est fidèle, m’est témoin qu’il n’y a point eu de oui et de non dans la parole que je vous ai annoncée (18) ». Il prévoit une objection qu’il se hâte de détruire. Les Corinthiens pouvaient dire en effet : Si après nous avoir promis de venir, vous avez cependant mis tant de retard, et qu’ainsi on ne puisse pas se fier à votre parole, si vous renversez ensuite ce que vous avez établi, comme vous l’avez fait en cotte occasion ; malheur à nous ! Peut-être en sera-t-il de même pour la prédication de l’Évangile ? Pour prévenir cette pensée, et le trouble qu’elle eût produit, il leur dit donc « Dieu m’est témoin qu’il n’y a pas de oui et de non dans la parole que je vous ai annoncée ». Ce qui s’est passé relativement à ma promesse, n’a pas lieu dans la prédication de l’Évangile, mais seulement dans la direction de mes voyages. Tout ce que nous vous avons enseigné demeure ferme et immuable. Il s’agit ici de la prédication de l’Évangile. Et il donne une preuve certaine de la vérité de ses, enseignements, en rapportant à Dieu cette prédication tout entière. Voici le sens de ses paroles. C’est de moi-même que je vous ai promis d’aller à Corinthe, et cette promesse était tolite spontanée. Mais ce n’est pas de moi-même que je vous ai prêché l’Évangile ; cette prédication n’a rien d’humain, elle est toute divine. Or ce qui vient de Dieu ne peut être sujet au mensonge. Aussi l’apôtre dit-il : « Or Dieu est fidèle », c’est-à-dire, véridique. C’est pourquoi vous ne pouvez vous défier, d’enseignements qui viennent de lui : car ces enseignements n’ont rien d’humain. Quelle parole il a en vue, il l’expose dans ce qui suit.
4. Quelle est donc cette parole ? « Le Fils de Dieu qui vous a été annoncé par nous, par Silvain, Timothée et moi, n’a pas été oui et non (19) ». Il met en avant, les prédicateurs eux-mêmes, pour donner plus de crédit à son témoignage, et pour l’appuyer sur les maîtres aussi bien que sur les disciples. Or, Timothée et Silvain étaient eux-mêmes disciples de l’apôtre ; c’est par modestie qu’il les élève au rang des maîtres. Que signifient ces paroles : « Le Fils de Dieu n’a pas été oui et non ? » Il veut dire : Je n’ai pas renversé ce qu’auparavant je vous avais annoncé dans mes prédications ; je ne vous ai pas dit tantôt une chose, tantôt une autre : ce n’eût plus été la foi de l’Évangile ; mais la marque d’une âme qui s’aventure au hasard. « Mais le oui est en lui ». C’est-à-dire, ma parole n’a pas varié ; elle demeure ferme et immuable. « Toutes les promesses de Dieu sont en lui OUI et en lui AMEN, pour la gloire de Dieu par notre organe (20) ». Qu’est-ce à dire : « Toutes les promesses de Dieu ? » La prédication de l’Évangile faisait de nombreuses promesses ; et c’étaient les apôtres qui annonçaient l’Évangile et faisaient ces promesses. Ils avaient parlé de la résurrection, de l’assomption des corps désormais incorruptibles, des récompenses éternelles et de ces biens mystérieux du ciel. Or, toutes ces promesses, l’apôtre les déclare fermes et immuables : le « oui » et le « non » ne s’y succèdent point ; ce qui signifie : Ce que je vous ai dit n’est pas tantôt vrai, tantôt faux, comme la promesse que je vous faisais d’aller vous voir ; mais ce que je vous ai prêché demeure toujours vrai. Il l’affirme d’abord des dogmes de la foi et de son enseignement sur Jésus-Christ : Ma parole, dit-il, et ma prédication n’ont pas été tour à tour « oui et non » ; ensuite il l’affirme des promesses : « Toutes les promesses de Dieu », dit-il, « sont en lui OUI ». Si les promesses de Dieu sont sûres, s’il n’est pas douteux qu’il donne ce qu’il a promis, à plus forte raison Dieu lui-même et la parole qui le concerne sont-ils immuables et sûrs ; et l’on ne peut pas dire que tantôt il est d’une manière, tantôt d’une autre : non, il est toujours, et toujours le même.
Que veulent dire ces mots : « Sont en lui OUI et en lui AMEN ? » Ils expriment ce qui doit arriver nécessairement. C’est par Jésus-Christ, et non point par la puissance dé l’homme que doivent se réaliser ces promesses. N’ayez donc aucune crainte : s’il s’agissait d’un homme, vous pourriez hésiter ; mais c’est Dieu lui-même qui a parlé, et il tiendra sa parole. « Pour la gloire de Dieu par nous ». Qu’est-ce à dire ? C’est par nous qu’il les accomplit, c’est-à-dire, par les bienfaits qu’il nous accorde en vue dé sa gloire. Mais si Dieu a en vue sa propre gloire, nul doute qu’il ne tienne ses promesses. Quand même il dédaignerait de nous sauver, il ne, peut cependant mépriser sa gloire. Mais d’ailleurs n’est-il pas tout plein de, miséricorde envers nous ? Notre salut n’est-il pas lié très-intimement à sa gloire, puisque notre salut le glorifie ? Si donc la gloire de Dieu dépend de ses promesses, notre salut est infaillible. C’est la même pensée qu’il reproduit sans cesse dans son épître aux Éphésiens, quand il dit, par exemple : « Pour l’augmentation de sa propre gloire ». (Eph. 1,14) Et cette pensée si souvent répétée a pour but de prouver l’infaillibilité des divines promesses. C’est encore ce que l’apôtre se propose en cet endroit : Les promesses de Dieu, non seulement nous procurent le salut, mais encore elles servent à le glorifier. Ne vous dites doit plus : ces promesses nous viennent de l’apôtre, et c’est pourquoi nous devons nous en défier. Ce n’est pas nous qui les réaliserons, mais Dieu lui-même. Elles viennent de lui ; ce n’est pas nous qui avons promis, mais Dieu lui-même.
« Or, celui qui nous confirme, avec vous dans le Christ, celui qui nous a oints, c’est Dieu ; et il nous a marqués de son sceau, et il nous a donné un gage par l’Esprit-Saint qu’il a répandu dans nos cœurs (21,22) ». Le passé est encore ici garant de l’avenir. Si en effet c’est Dieu qui nous confirme dans le Christ, c’est-à-dire, s’il ne permet pas que notre foi soit ébranlée, s’il nous a oints lui-même, s’il a répandu son Esprit dans nos cœurs, comment ne nous donnera-t-il pas les biens à venir ? Ces premières grâces, la foi en Dieu, la réception de l’Esprit-Saint, ne sont-elles pas comme la racine, le fondement, la source des autres ? Comment donc ne nous donnerait-il pas les biens qui en sont la conséquence ? Si en effet les bienfaits qui précèdent ne nous sont accordés qu’en vue d’autres bienfaits qui doivent suivre, Dieu qui nous a accordé les premiers, nous accordera aussi les seconds. Il nous a comblés de faveurs, quand nous étions ses ennemis ; maintenant que nous sommes devenus ses amis, ne se montrera-t-il pas plus généreux encore ? Aussi ne dit-il point simplement : le Saint-Esprit, mais : « le gage de l’Esa prit-Saint » ; afin que ce gage vous assure tout le reste. Non, s’il n’avait voulu voua donner tout le reste, il ne vous aurait point donné ce gage, et n’aurait pas en vain répandu et perdu, pour ainsi dire, son esprit dans vos cœurs. Et voyez la bonne foi de l’apôtre. A quoi bon dire, remarque-t-il, que la vérité des promesses de Dieu ne dépend point de nous ? Votre constance, votre inébranlable fermeté, est-ce à nous que obus la devez ? non, mais à Dieu seul : « Car celui qui vous confirme, c’est Dieu ». Ce n’est donc pas nous qui 'vous affermissons ; et nous-mêmes, n’avons-nous pas besoin de son secours pour persévérer dans nôtre constance ? Ainsi donc n’hésitez pas à croire nos enseignements ; c’est Dieu qui s’est chargé de tout, c’est de lui que tout dépend.
5. Que signifient ces paroles : « Qui nous a oints et marqués de son océan ? » C’est-à-dire, Dieu nous a donné son Esprit, et cet Esprit nous a oints et marqués de son sceau, nous faisant ainsi prophètes, prêtres et rois ; car prophètes, prêtres et rois recevaient autrefois l’onction sainte. Pour nous, ce n’est pas une seule de ces dignités, mais les trois ensemble qui nous sont conférées et dans un degré supérieur. Car nous sommes appelés à régner un jour, et en offrant nos corps comme victimes, nous devenons prêtres : « Offrez », nous dit l’apôtre ; « offrez vos membres, comme des hosties vivantes et agréables à Dieu ». (Rom. 12,1) De plus nous sommes établis prophètes : « Ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a point entendu, voilà ce qui nous a été révélé ». (1Cor. 2,9) Nous sommes rois encore, si nous voulons commander à nos mauvaises pensées. Oui, celui qui commande à ses pensées mauvaises, est vraiment roi, il règne plus véritablement que celui dont la tête est ceinte du diadème : je veux vous le prouver.
Le roi a de nombreuses armées, il est vrai ; mais nos pensées sont encore plus nombreuses. Impossible en effet de compter les pensées qui sont dans notre esprit, non seulement il y a en nous une multitude de pensées ; mais ces pensées ont leurs généraux, leurs tribuns, leurs centurions, leurs archers, leurs frondeurs. A quel signe encore reconnaissez-vous un roi ? A ses vêtements ? Mais les vêtements de nos pensées ne sont-ils pas plus brillants et plus durables ? Ni la teigne, ni la vétusté ne les rongent. Bien plus elles ont pour couronnes la gloire et les miséricordes du Seigneur. « Bénis le Seigneur, ô mon âme », s’écrie David, « parce qu’il te couronne de bonté et de miséricorde ». (Ps. 102,2-4) « Vous l’avez couronnée », dit-il encore, « de gloire et d’honneur, et vous fui avez donné votre bonté pour bouclier et pour diadème ». (Ps. 5,13) Il forme autour d’elles comme une couronne de grâces : « Vous recevrez », dit l’Écriture, « une couronne de grâces sur votre tête ». (Prov. 1,9) Voyez-vous quelle variété de couronnes, quel gracieux diadème ! Mais entrons dans le détail, et examinons avec soin ce qui entoure les rois. Le roi domine sur tons ceux qui lui font cortège, et commande à tous ses sujets. Or je veux vous montrer ici un commandement bien plus étendu. Quant à la multitude des pensées elle est égale à celle des sujets, elle la surpasse même ; comparons donc la soumission des unes et des autres. Ne produisons point ces rois déchus de leurs trônes, ou tués par leurs satellites. Non, n’en tenons pas compte, et ne mettons en parallèle que ces rois qui ont bien 4dministré leurs royaumes. Supposez tous ceux qu’il vous plaira ; je me contenterai, moi, de mettre en regard le seul patriarche Abraham.
Lorsqu’il reçut l’ordre d’immoler son fils, que de pensées, dites-moi, vinrent s’opposer à sa résolution ! Il les fit taire cependant, et elles tremblèrent devant lui plus que des satellites devant leur roi ; d’un seul regard, il les comprima toutes, et pas une n’osa murmurer ; toutes baissèrent la tête, comme si elles eussent cédé devant un roi, et cependant qu’elles étaient violentes et emportées ! Oui, moins horribles, moins redoutables sont les piques dont se hérisse toute une armée. N’inspirait-elle point plus d’horreur que des lances acérées, cette pitié que soulevait la nature ; et ne pouvait-elle pas s’enfoncer dans l’âme plus avant que la pique la plus aiguë ? Jamais on ne verra pointe plus acérée que les pointes de ces pensées qui jaillissent du fond du cœur et se dressant devant l’âme du juste, la transperçaient toute entière. Une lance, pour donner la mort, a besoin de temps, d’une résolution à prendre, d’un coup à frapper, d’une douleur à causer, et la mort ne vient qu’après ; mais ici rien de tout cela n’était nécessaire, tant les blessures étaient promptes et cuisantes. Et cependant, malgré tant de pensées armées contre lui, son âme était calme, et toutes ces pensées, rangées en bon ordre, l’honoraient, au lieu de le terrifier. Voyez-le donc brandir son épée ; et comparez-lui qui vous voudrez, un Auguste, un César. Non, ils ne peuvent soutenir le parallèle, et leur attitude est moins sublime, moins digne des cieux.
C’est de la plus violente tyrannie que ce juste a su triompher. Quoi de plus tyrannique que la nature ? Rassemblez par la pensée tous ceux qui ont donné la mort à quelque tyran, vous n’en trouverez aucun qui lui puisse être comparé. Cette victoire était plutôt la victoire d’un ange que celle d’un homme. Voyez en effet ! Là nature est terrassée malgré ses armes, malgré ses légions ; et lui se tient debout ; le bras levé, ayant, non pas une couronne, mais un glaive dont l’éclat surpasse celui des couronnes ; la troupe des luges applaudissait, et du haut des cieux Dieu le proclamait vainqueur. Toute son âme se portait vers les cieux, et c’est de là aussi que lui vint son triomphe. Quel triomphe est plus glorieux ; ou plutôt quel triomphe est comparable à celui-ci ? Aux jeux Olympiques, si, au lieu d’un héraut, le roi lui-même se levant de son trône eût proclamé le vainqueur, l’athlète n’eût-il pas été plus fier de cet hommage que de toutes ces couronnes, et n’eût-il pas attiré bien mieux sur lui tous les regards ? Ici ce n’est pas un roi mortel, c’est Dieu, qui proclame bien haut, non pas sur un théâtre de peu détendue, mais en présence de l’univers, en présence, des anges et des archanges, la victoire que vient de remporter Abraham. A quelle hauteur, je vous le demande, ce juste ne s’est-il donc pas élevé ?
Écoutons, si vous le voulez, la voix de Seigneur. Que disait-elle ? « Abraham, Abraham, n’étends point ton bras sur Isaac, ne lui fais point de mal. Je sais maintenant que tu crains le Seigneur, puisque pour moi, tu n’as pas épargné ton fils unique ». (Gen. 22,12) Que veut-il dire ? Celui qui sait toutes choses avant qu’elles aient lieu, commençait-il seulement alors : à connaître la foi d’Abraham ? Les hommes mêmes connaissaient sa piété : n’en avait-il pas donné une preuve éclatante, quand le Seigneur lui eut dit : « Sors de ton pays et de ta parenté » (Gen. 12,1) ; quand, en vue de la gloire de Dieu, il céda la place qu’il occupait au fils de son frère ; quand, sur l’ordre de Dieu, il se rendit en Égypte, où il se vit enlever son épouse, sans concevoir d’indignation, et dans tant d’autres circonstances ? Oui, les hommes eux-mêmes avaient appris par là à connaître la piété d’Abraham ; à plus forte raison Dieu ne l’ignorait pas, lui qui n’attend pas l’accomplissement des faits pour les savoir. Et comment l’eût-il déclaré juste, s’il n’eût apprécié sa justice ? « Abraham crut, dit l’Écriture, et sa foi lui fut réputée à justice ». (Rom. 4,3) Que signifient donc ces paroles : « Maintenant j’ai reconnu ? » Le texte syriaque porte : « Maintenant tu as fait connaître », sous-entendez : aux hommes, car moi je te connaissais, même avant de t’avoir intimé cet ordre. Pour quoi donc manifester sa foi aux yeux des hommes ? ses précédentes actions ne suffisaient-elles pas pour prouver son dévouement au Seigneur ? Sans doute elles suffisaient. Mais ce dernier acte d’obéissance est tellement supérieur aux autres qu’ils ne paraissent plus rien à côté de lui. Ce fut donc pour faire ressortir la grandeur de cette action et pour en montrer l’incomparable sublimité, que Dieu prononça ces paroles.
6. N’est-ce pas ainsi que s’expriment les hommes, en présence de quelque action d’éclat et qui l’emporte sur les précédentes ? Si, par exemple, on reçoit un présent d’une plus grande valeur que lés autres, ne dit-on pas : je n’en doute plus, il m’aime. Ses sentiments étaient bien connus par avance ; mais on veut exprimer par là que le dernier présent l’emporte en richesse sur tous ceux qui ont précédé. Dieu emprunte ici le langage des hommes, quand, il dit : « Maintenant je sais ». Ce qu’il veut faire entendre, c’est la grandeur du combat, et non pas seulement la certitude qu’il a de la crainte d’Abraham ou de l’étendue de cette crainte. S’il dit : « Venez, descendons et voyons » (Gen. 11,7) ; ce n’est pas qu’il ait besoin de descendre, lui qui remplit l’univers et à qui rien n’échappe ; mais il veut nous apprendre à ne point nous prononcer témérairement. De même aussi quand l’Écriture dit : « Dieu a regardé du haut du ciel » (Ps. 13,2), elle emprunte cette métaphore à notre manière de parler, et désigne par ces mots, une connaissance approfondie. De même en cet endroit le Seigneur dit : « Je sais maintenant » ; pour faire voir que cette marque de soumission éclipse toutes les autres. Oui, elle éclipse toutes les autres, et la preuve se trouve dans les paroles qui suivent : « Parce que à a cause de moi tu n’as pas épargné ton fils bien-aimé » ; non pas seulement : « ton fils » ; mais « ton fils bien-aimé ». Ce n’est pas seulement la nature que combat Abraham, mais encore cette tendresse si vive que lui inspiraient les mœurs et la rare vertu de cet enfant, Si les, parents ne peuvent se résoudre à repousser des fils dépravés, s’ils répandent des larmes sur eux ; que dire de, cette admirable sagesse d’Abraham, quand nous le voyons sur le point d’immoler son fils, son fils unique, son fils bien-aimé, Isaac en un mot ? Cette victoire n’est-elle pas mille fois plus glorieuse que tous les diadèmes, que toutes les couronnes ?
Celui qui porte une couronne ; se la voit enlever par les mains de la mort, et avant de mourir, mille dangers l’environnent. Pour Abraham, qui pourra d’entre ses proches, ou d’entre les étrangers, lui enlever, même après la mort, le diadème qui orne son front ? Mais contemplez le plus précieux des diamants qui le composent. Il s’y trouve placé en dernier lieu comme le plus riche de tous. Quel est-il donc ? Le voici : a à cause de moi ». Rien de bien admirable qu’il n’ait pas épargné son fils ; ce qu’il y a de plus digne d’admiration, c’est qu’il l’ait fait à cause de moi. O heureuse main ; quelle épée on te donne ! O admirable épée, à quelles mains on le confie ! O heureuse épée, à quelle œuvre on te destine ! quel ministère elle remplit, quel mystère elle figure ! Pourquoi est-elle teinte de sang, pourquoi n’est-elle pas teinte de sang ? Je ne sais plus que dire, tant ce mystère était redoutable. Elle n’effleura pas même la peau de l’enfant, elle ne s’enfonça point dans sa gorge, elle ne se teignit point de son sang ; ou plutôt elle frappa, elle s’enfonça, elle se couvrit de sang ; elle fut plongée dans le sang et n’y fut point plongée. Il vous semble que je m’égare en me contredisant de la sorte. Ah ! sans doute, je suis hors de moi, quand je contemple ce merveilleux spectacle, et cependant je ne me contredis point. Car la main de l’homme juste a enfoncé le glaive dans la gorge de l’enfant ; mais ce glaive, Dieu ne permit pas qu’il fût souillé du sang d’Isaac. Abraham n’était pas seul à le tenir ; Dieu le tenait en même temps qu’Abraham ; le patriarche l’enfonça par sa volonté ; Dieu le retint par sa parole. La voix de Dieu arma la main d’Abraham et la retint ensuite. Dieu commandait en maître ; soumise à ses ordres, elle les exécutait fidèlement, et se laissait diriger par sa voix. Voyez en effet : Dieu commande d’immoler ; elle s’arme aussitôt. Il dit ensuite : ne frappe pas ; aussitôt elle est désarmée : car alors l’épreuve était suffisante. Dieu devait désormais montrer à l’univers, à l’assemblée des anges, ce soldat, ce général victorieux, ce prêtre, ce roi, que son glaive couronne mieux que ne ferait un diadème, qui élève un brillant trophée, qui remporte une éclatante victoire, sans avoir eu d’ennemis à terrasser.
Un général, qui a sous ses ordres une vaillante armée, par son habileté, par sa seule attitude, par le seul aspect, de sa force, frappe son ennemi de terreur ; ainsi Dieu par la résolution, par les gestes, par l’attitude de l’homme juste, épouvante et met en fuite notre ennemi commun, le démon. Qui, à ce moment, le démon recula saisi d’effroi. Mais, dira-t-on, pourquoi Dieu ne permit-il pas que la main d’Abraham se teignît du sang de la victime, pourquoi rappelle-t-il Isaac àla vie ? C’est que Dieu ne pouvait accepter ce sang répandu ; un tel breuvage ne doit être servi que sur la table infâme des démons. A ce moment éclataient à la fois la bonté de Dieu et la vertu de son serviteur. Naguère il avait abandonné sa patrie ; maintenant il sacrifie jusqu’aux sentiments de la nature. Aussi obtint-il sa récompense, le capital et les intérêts, si je puis m’exprimer de la sorte, et à juste titre ; il aima mieux cesser d’être père que de manquer à ses devoirs de serviteur. C’est pourquoi non seulement il demeura père, mais il devint prêtre ; et comme il avait renoncé à ses propres avantages à cause de Dieu, Dieu se plut à l’enrichir de ses dons. Quand les ennemis dressent des embûches, il les laisse aller jusqu’au bout, et il fait un miracle. Mais quand c’est lui-même qui commande, il retire son ordre, dès que la bonne volonté s’est manifestée.
7. Eh bien ! je vous le demande, que manque-t-il à la générosité d’Abraham ? Le saint patriarche pouvait-il prévoir ce qui arriverait Savait-il quels étaient les desseins dé la divine miséricorde ? Il était prophète, je le veux bien ; mais les prophètes ont une science limitée. L’immolation devenait donc inutile et indigne de Dieu. S’il lui fallait apprendre que Dieu est assez puissant pour ressusciter les morts, la fécondité miraculeuse de son épouse ne le lui disait-elle pas assez ? Et même avant cette éclatante manifestation de la puissance divine, sa foi ne le lui apprenait-elle pas ? Ne vous contentez pas d’admirer la justice d’Abraham, imitez-la. Quand vous le voyez voguer sur – ces flots tumultueux, comme sur une mer paisible, saisissez aussi le gouvernail de l’obéissance et du courage. Ne me dites pas qu’il se contenta de dresser un autel et de préparer le bois ; rappelez en votre mémoire les paroles d’Isaac, songez à cette légion de pensées qui envahit son âme et la glace d’épouvante à ces paroles de son fils : « Mon père, où est donc la victime ? » (Gen. 22,7) Que de pensées agitent alors son âme ! ce sont comme amant de javelots enflammés qui la percent et la déchirent. Si j’en vois qui sans être pères sont émus à ce récit, et qui eussent versé des larmes, s’ils n’avaient connu le dénouement, si j’en vois, qui malgré le dénouement fondent en larmes, quel tourment ne dut pas endurer celui qui l’avait engendré, qui l’avait élevé dans sa vieillesse, qui n’avait que lui, qui le voyait, qui l’entendait, qui était sur le point de lui donner la mort ?
Mais ensuite, quelle sagesse et quelle douceur dans sa réponse ! Qui donc inspirait Abraham ? était-ce le démon qui ravivait les ardeurs de la nature ? Non, c’était Dieu qui voulait éprouver l’âme si riche de l’homme juste. Quand l’épouse de Job élevait la voix, c’était le démon qui l’inspirait : les conseils qu’elle donne le font bien voir. Mais Abraham ne prononce pas une seule parole impie ; tout dans son langage respire la piété et la religion. Il y a même je ne sais quelle grâce et quel parfum ; de cette âme calme et paisible le miel coule avec abondance ; et il y a dans ses paroles de quoi toucher le cœur le plus dur. Et cependant le sien résiste ; il n’est pas même ébranlé. Il ne dit pas : Pourquoi appeler du nom de père celui qui tout à l’heure ne sera plus ton père, qui déjà même a perdu ce doux honneur ? – Et pourquoi le fils a-t-il fait cette demande ? Ce n’était pas simplement par curiosité ; mais parce que tout ce qu’il voyait, était de nature à lui donner de l’inquiétude. Voici ce qu’il se disait : « Si mon père n’avait l’intention de me faire participer à son action, il n’aurait point laissé ses serviteurs au pied de la montagne pour m’emmener seul avec lui ».
Et c’est pourquoi il l’interroge, alors qu’ils étaient seuls, et que personne ne pouvait les entendre. Telle était la prudence de cet enfant. Eh bien ! qui que vous soyez, hommes et femmes, ne sentez-vous point, vos âmes tout embrasées ? Ne serrez-vous point dans vos bras, ne couvrez-vous point dé vos baisers cet enfant dont la prudence est si admirable ? n’êtes-vous point émus, à la vue de tant de douceur ? On le lie, on l’étend sur le bûcher : il ne s’effraie point, il ne fart aucun mouvement, il ne reproche pas à son père sa cruauté. Oui, on l’enchaîne, on se saisit de lui, on le place sur le bûcher ; et il souffre tout cela sans rien dire, comme un tendre agneau, ou plutôt, comme le Sauveur, nôtre maître commun, Car il imitait la douceur du Messie dont il était la figure. « Il a été conduit à la mort », dit le prophète, « et il s’est tu comme l’agneau « devant celui qui le tond ». (Is. 53,7) C’est-à-dire, il n’a montré ni arrogance ni dureté dans ses paroles, mais au contraire la plus grande douceur et la plus grande, mansuétude : son silence en eût moins manifesté. Le Christ ne disait-il pas : « Si j’ai mal parlé, témoignez du mal que j’ai dit ; mais sij’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » (Jn. 18,23) N’y a-t-il pas dans ces paroles plus de douceur que dans le silence même ? Du haut de la croix il parle comme Isaac de l’autel où son père l’a placé : « Mon père », dit-il, « pardonnez-leur : car ils ne savent ce qu’ils font » ; (Lc. 13,31) Et que dit le patriarche ? « Dieu y pourvoira, mon fils, et trouvera bien une victime ». (Gen. 22,8) Tous deux emploient les noms que suggère la nature : l’un, celui de père, l’autre, celui de fils. De part et d’autre je vois une guerre terrible, une affreuse tempête ; mais le navire n’est point brisé : la sagesse triomphe de tout. A peine Isaac a-t-il entendu le nom de Dieu, il se tait, et ne pose plus de questions. Voyez quelle était la prudence de cet enfant, quelle était sa sagesse dans un âge si tendre !
Vous avez vu maintenant toutes les armées dont le roi a su triompher, toutes les victoires qu’il a remportées. Ces peuples barbares qui ne cessaient d’assiéger la ville de Jérusalem, étaient moins terribles que ces pensées qui de toutes parts venaient fondre sur l’âme d’Abraham ; et cependant il les subjugua toutes. Voulez-vous maintenant que je vous montre le prêtre ? je ne serai pas long. Il tient la flamme et le glaive, il est debout devant l’autel ; vous ne pouvez mettre en doute son sacerdoce. Est-ce la victime que vous cherchez ? Voici une double victime. Il offrit son fils, il offrit une brebis, ou plutôt, et surtout, il immola sa volonté propre ; par le sang de la brebis, il sanctifia ses mains ; par l’immolation de son fils, il sanctifia son âme. Ainsi fut-il fait prêtre par l’immolation de son fils unique, et par le sang de cette brebis. Les prêtres en effet étaient sanctifiés par le sang des victimes offertes au Seigneur. Voulez-vous voir le prophète dans Abraham ? « Abraham votre père tressaillit du désir de voir mon avènement ; il le vit, et fut rempli de joie ». (Jn. 5,35) Vous aussi, le baptême vous fait rois, prêtres et prophètes ; il vous, fait rois, quand vous terrassez vos mauvaises actions, et que vous donnez la mort à vos péchés ; il vous fait prêtres, quand vous sacrifiez votre corps, vous immolant ainsi vous-mêmes. « Si en effet » ; dit saint Paul, « nous mourons avec Jésus-Christ, nous vivrons avec lui » (2Tim. 2,11) ; enfin il vous fait prophètes ; quand vous apprenez à connaître l’avenir, quand vous recevez l’inspiration divine, et que vous êtes marqués du sceau de Dieu. L’Esprit-Saint imprime aux fidèles un caractère analogue à cette marque qui fait reconnaître les soldats ; et si vous quittez les rangs, vous êtes aussitôt découverts. Les Juifs avaient la circoncision, comme marque distinctive des Chrétiens, il est le gage de l’Esprit – Saint. Pénétrés de ces pensées, persuadés de notre sublime dignité, conformons-y toujours notre vie, afin d’arriver au royaume des Cieux. Puissions-nous y parvenir tous, par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père et au Saint-Esprit la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE IV. modifier


POUR MOI, J’EN ATTESTE LE SEIGNEUR, SI JE NE SUIS PAS ENCORE ALLÉ A CORINTHE, C’ÉTAIT POUR VOUS MÉNAGER. (I, 23, JUSQU’À II, 11)

  • 1 et 2. Prudence de saint Paul ; son affection pour les Corinthiens.
  • 3 et 4. Absolution donnée à l’incestueux : belles réflexions de saint Chrysostome à ce sujet.
  • 5 et 6. En quoi consiste la vraie pénitence.


1. Que dites-vous, bienheureux Paul ? C’est par ménagement pour les Corinthiens que vous n’êtes pas venu chez eux. N’est-ce pas une contradiction ? Pus haut vous disiez, pour vous excuser, que vous ne preniez point conseil de la chair, que vous n’étiez pas votre maître, que vous suiviez toujours les mouvements de l’Esprit-Saint ; vous mettiez en avant vos tribulations. Maintenant vous revendiquez votre liberté, et vous n’attribuez plus rien à l’autorité de l’Esprit-Saint : « C’est pour vous ménage », dites-vous, « que je ne suis pas allé vous voir ». Qu’est-ce à dire ? Saint Paul voulait-il aller à Corinthe, et l’Esprit-Saint lui a-t-il conseillé de renoncer à son dessein par ménagement pour les fidèles ? Ou bien s’agit-il d’un autre voyage, et veut-il dire, qu’avant d’écrire sa première épître, son intention était de se rendre à Corinthe, mais que la charité l’en avait détourné : car il leur eût reproché trop vivement leurs désordres. Il est probable qu’après cette première épître la même raison le détermina à ne pas faire ce voyage, sans que l’Esprit s’y opposât. Dans le principe, sans doute, l’Esprit-Saint s’y opposait ; mais ensuite il se convainquit lui-même que c’était le parti le plus sage ; après y avoir mûrement réfléchi.
Voyez maintenant de quelle manière il parle de lui. Je ne cesserai de vous le faire remarquer, c’est par les contraires qu’il se justifie toujours. Les Corinthiens pouvaient avoir de fâcheux soupçons ; ils pouvaient dire : si vous n’êtes pas venu, c’est que vous nous détestiez. Il leur affirme tout le contraire : s’il n’a pas voulu se rendre à Corinthe, c’est par amour pour les Corinthiens. Que signifie cette parole : « par ménagement pour vous ? » J’ai appris, dit-il, que plusieurs d’entre vous s’étaient rendus coupables de honteux désordres ; et je n’ai pas voulu vous contrister par ma présence. Il m’aurait fallu faire une enquête, condamner, châtier, punir un grand nombre de fidèles. J’ai cru qu’il valait mieux ne pas aller à Corinthe, et vous donner le temps de faire pénitence, que de m’y, rendre pour vous punir et m’irriter contre vous. Il exprime nettement sa pensée à la fin de son épître, en disant : « Je crains, qu’une fois à Corinthe, Dieu ne m’humilie auprès de vous, et que je n’aie à verser des larmes sur plusieurs qui, après avoir péché, n’ont point fait pénitence de leur impureté et de leurs fornications ». (2Cor. 12,21) II semble vouloir ici s’excuser ; mais cependant quel reproche et quel sujet d’effroi ! Ne leur montre-t-il pas les châtiments qu’ils ont encourus, et qu’ils subiront, s’ils ne se corrigent au plus tôt. Il y revient vers la fin de son épître : « Si je vais à Corinthe », leur dit-il, « je ne vous épargnerai point ». Ici son langage est plus clair ; tout à l’heure, au début de sa lettre, il s’exprimait avec plus de ménagement. Et encore cherche-t-il à tempérer, à mitiger ce qu’il vient de dire. C’est, en effet, le langage d’un homme qui jouit d’une pleine autorité ; on ne ménage, en effet, que ceux-là seulement contre lesquels on peut sévir. Il l’adoucit donc et voile pour ainsi dire ce qu’il pourrait avoir de trop dur en disant : « Ce n’est pas que nous tyrannisions votre foi (24) » ? C’est-à-dire, ce n’est point pour faire valoir mon autorité que je me suis servi de ces expressions : « Je voulais vous ménager, en m’abstenant de venir à Corinthe ». Il n’a pas dit : « vous tyranniser », mais « tyranniser votre foi » ; paroles qui renferment plus de douceur et de vérité. Qui en effet pourrait forcer à croire celui qui s’y refuse ?
« Mais nous cherchons à contribuer à votre joie ». Votre joie n’est-elle pas la nôtre ? Aussi ne suis-je pas allé à Corinthe, de peur de vous contrister, et d’augmenter ainsi ma propre tristesse ; mais je suis resté, pour que vous puissiez vous réjouir, une fois corrigés par mes menaces. Votre joie est le but constant de nos efforts : car nous la partageons nous-mêmes. « Car vous êtes fermes dans la foi ». Voyez quelle modération ! Il craint de les réprimander trop vivement, parce que dans sa première lettre il les avait traités sévèrement, et qu’ils avaient témoigné quelque repentir n’eût-ce pas été compromettre cet heureux résultat, que de leur adresser les mêmes reproches après leur conversion ? Aussi cette seconde épître est-elle moins sévère que la précédente.
« J’ai donc résolu de ne pas aller de nouveau et vous voir dans la tristesse (1) ». En disant, « de nouveau » ; il leur montre qu’ils lui ont causé du chagrin ; et tout en paraissant s’excuser, il leur reproche leur conduite. Si déjà ils l’avaient contristé et qu’ils dussent le contrister encore, jugez quel serait alors son chagrin ! Il ne leur dit donc pas : vous, m’avez contristé ; il emploie un autre tour pour leur faire entendre sa pensée : « Je ne suis pas venu », leur dit-il, « afin de ne pas vous affliger », paroles qui ont la même force, sans renfermer rien dé blessant. « Si en effet, je vous contriste, et qui donc me réjouit, sinon celui qui est contristé par moi (2) » ; quelle est ici la liaison du discours ? La liaison est très-grande. Voyez en effet : Je n’ai pas voulu, dit-il, me rendre à Corinthe pour ne pas vous contrister davantage en vous blâmant, en vous reprochant avec indignation tous vos désordres. Mais ensuite, comme il y a dans ces paroles une certaine dureté, comme elles reprochent aux Corinthiens une conduite propre à contrister le cœur de l’apôtre, il les tempère en disant : «. Si je vous contriste, qui donc me réjouira, sinon celui-là même qui est contristé par moi ? » Et voici le sens de ces expressions : S’il m’arrivait d’être plongé dans la douleur par la nécessité de vous adresser quelques reproches, et de vous voir ensuite contristés vous-mêmes, je ne pourrais faire autrement que de me réjouir en même temps. N’est-ce pas en effet me témoigner la plus grande affection que de m’estimer assez pour être sensibles aux reproches que vous adresse mon âme indignée.
2. Mais voyez aussi la prudence de l’apôtre. D’ordinaire, les disciples s’affligent et s’indignent d’une réprimande : Saint Paul leur en fait un mérite, c’est un plaisir qu’ils lui font ; je irai pas de plus grande joie, dit-il, que de voir mes paroles produire de l’effet et contrister l’âme de celui qui est témoin ; de ma colère. Il était naturel de dire : Si je vous contriste, qui donc vous réjouira ? Il ne le dit pas, il prend le contre-pied pour mieux adoucir sa pensée : Bien que je vous aie contristés, vous me témoignez la plus vive reconnaissance, puisque vous vous affectez de mes reproches. – « Car c’est là due je vous ai écrit (3) ». Quoi donc ? que je n’étais pas venu à Corinthe, dans l’intention de vous ménager. Quand le leur écrivait-il ? Est-ce dans sa première épître, où il leur disait : « Je ne veux pas vous voir en passant ? » Non, à mon avis du moins, mais bien dans celle-ci, quand il leur dit : « Je crains qu’une fois au milieu de vous, Dieu ne m’humilie ». Je vous ai donc éprit à la fin de cette épître : « De peur qu’une fois au milieu de vous, Dieu ne m’humilie et que je n’aie à verser des larmes sur un grand nombre de ceux qui ont péché auparavant ». Pourquoi écriviez-vous donc : « Afin qu’à mon arrivée je n’aie » pas à pleurer sur ceux qui auraient dû me « réjouir, ayant cette confiance à votre sujet, que ma joie est aussi la vôtre ? » Après avoir dit : « Je me réjouis de vous voir dans la tristesse », paroles un peu dures, ce semble, et un peu hardies, il prend un autre tour pour les rendre plus acceptables. Je vous ai écrit, dit-il, pour que je n’aie pas la douleur de vous trouver non corrigés encore. Quand je dis : « Pour que je n’ai pas la douleur », ce n’est point mon avantage personnel que j’ai en vue, mais le vôtre : Je le sais en effet, vous êtes joyeux de ma propre joie, et vous souffrez de me voir souffrir.
Voyez comme tout s’enchaîne depuis le commencement. Cet examen nous fera mieux entendre ce que veut dire apôtre. Si je ne suis pas venu, dit-il ; c’est pour ne pas vous contrister dans le cas où vous ne seriez pas encore réformés. En cela je me suis proposé votre intérêt, et non le mien propre. Quand je vous vois plongés dans la tristesse, j’en ressens une grande joie ; car cette affliction, cette douleur, me prouve que vous vous souciez de mes paroles et de mon indignation. « Qui donc me réjouit en effet, sinon celui que je contrains moi-même ? » Toutefois, comme je vous ai vous-mêmes en vue, je, me suis servi de ces paroles : « Pour n’avoir pas la douleur », en m’oubliant moi-même, pour ne penser qu’à vous. Car, je ne l’ignore pas, vous éprouverez beaucoup de chagrin de me voir triste ; comme au contraire, vous vous réjouirez de me voir joyeux : Voyez donc quelle est la prudence de l’apôtre ! Il avait dit : Je ne suis pas venu pour ne pas vous contrister, et cependant, dit-il, je m’en réjouis. Ensuite, pour ne pas leur laisser croire que leur douleur est cause de sa joie, il ajoute : Je me réjouis de voir mes paroles produire leur effet. Ce qui m’afflige, c’est d’être dans la nécessité de contrister des fidèles qui me chérissent, non seulement par les reproches que je leur adresse ; mais aussi par la tristesse où ils me voient plongé. Et voyez comment il sait assaisonner le reproche par l’éloge : « Par ceux au sujet desquels j’aurais dû ressentir de la joie ». N’est-ce pas le langage d’un homme qui témoigne la vivacité de son affection ? Ne vous semble-t-il point parler de fils qu’il aurait comblés de bienfaits et pour lesquels il se serait imposé les plus rudes travaux ? Ainsi ! donc, si je vous écris, au lieu d’aller vous voir, c’est dans votre intérêt, ce n’est point par haine, mais au contraire, par amour pour vous : Mais il avait dit : Celui qui me chagrine me cause de la joie ; et ils auraient pu conclure : C’est donc là ce que vous cherchez, votre propre joie ; vous voulez donc montrer à tout le monde l’énergie de votre puissance ! – Aussi se hâte-t-il d’ajouter : « C’est l’âme brisée de douleur et les larmes aux yeux, que je vous écrivis alors, non point pour vous affliger, mais pour que vous sentiez la vive affection que j’ai pour vous (4) ».
Y eut-il jamais âme plus aimante ? Ne se montre-t-il pas plus vivement affligé que ceux-là mêmes qui ont péché ? Il ne se contente pas de dire : c’est avec douleur ; mais voyez la force de son expression C’est l’âme brisée de douleur ». Il ne dit pas : avec larmes, mais « en répandant beaucoup de larmes ». N’est-ce pas comme s’il disait : La tristesse me suffoquait, m’ôtait la respiration ; je ne pouvais plus endurer cette sombre tristesse, et je vous ai écrit, non pour vous affliger, mais pour vous témoigner l’affection que je vous porte. Ces paroles, « non pour vous affliger », semblaient amener naturellement celles-ci : mais pour vous rassurer, et tel était en effet son dessein ; cependant ce n’est point ce qu’ajoute l’apôtre. Il sait donner à son langage plus de douceur et pins d’attrait, il veut, leur inspirer plus d’amour pour lui, en leur montrant que tout ce qu’il fait, al le fait lui-même sous l’impulsion de la charité. Et non seulement il aime les Corinthiens, mais il les aime jusqu’à l’excès. C’est ainsi qu’il veut se les attacher, en leur témoignant qu’il les aime plus que les autres, qu’il les regarde comme ses disciples de prédilection. C’est pourquoi il dit : « Si je ne suis pas apôtre pour les autres, du moins le suis-je pour vous » ; et encore : « quand même vous auriez beaucoup de maîtres, cependant vous n’avez pas beaucoup de pères ». (2Cor. 9,2 ; 4, 15) Il dit encore « Nous avons agi dans le monde avec la grâce du Seigneur, mais nulle part autant que chez vous ». Et plus bas il ajoute : « Je vous porte une vive affection ; la vôtre est moins forte envers moi ». (2Cor. 1, 12 ; 13, 15) Et enfin ici : « Cette affection si vive que j’ai pour vous ».
3. Son langage était plein d’indignation sans doute, mais cette indignation venait de l’affection et de la douleur. La cause de la douleur, des angoisses que j’éprouvais en vous écrivant, ce n’étaient pas seulement vos désordres, mais aussi la nécessité où je nie trouvais, de vous contraster. Si cette nécessité même n’avait-elle point son principe dans l’affection ? Qu’un père voie son fils bien-aimé rongé par un ulcère qu’il faille enlever et brûler ; il souffre et de voir son fils en proie à la maladie, et d’être contraint à cette cruelle opération. Ainsi donc, ce que vous croyez être une marque de haine, c’est au contraire une preuve d’affection. Si donc je vous aime en vous contristant, à plus forte raison je vous aime encore en me réjouissant de vous voir affligés. Voilà comment l’apôtre se justifie ; et nous le voyons se justifier en maintes circonstances, sans qu’il ait lieu d’en rougir : car Dieu lui-même ne craint pas de se justifier en disant : « O mon peuple, de quoi suis-je coupable envers toi ? » (Mic. 6,3) Maintenant, il va parler en faveur de cet homme qui s’était rendu coupable d’inceste. Il fallait prévenir une surprise trop brusque, une obstination funeste, chose si naturelle en présence de deux injonctions contradictoires. Car il avait fait éclater son indignation contre l’incestueux, et maintenant, il allait enjoindre de l’absoudre. Voyez donc comment tout se prépare et par ce qu’il a déjà dit, et par ce qu’il va dire encore.
Que dit en effet l’apôtre ? « Si quelqu’un m’a contrasté, ce n’est pas moi seul qu’il a contrasté (5) ». Après les avoir loués de partager sa joie et sa tristesse, il aborde son sujet. Il a dit : « Ma joie est aussi votre joie ». S’il en est ainsi, ne devez-vous pas vous réjouir avec moi, comme vous vous êtes affligés avec moi. En vous affligeant, vous m’avez causé de la joie ; en vous réjouissant aujourd’hui, mous m’en causerez encore. L’apôtre n’a pas dit : ma tristesse à été votre tristesse. Cette pensée, il l’avait exprimée dans d’autres endroits ; ici, il se contente de rappeler, ce que demande son sujet, et il dit : « Ma joie est aussi votre joie ». Il revient ensuite sur le passé : « Si quelqu’un, dit-il, a été un sujet de tristesse ; ce n’est pas moi seulement qu’il a contrasté ; mais vous a aussi du moins en partie, pour user de ménagement à son égard ». Je le sais, dit-il, vous avez tous partagé mon indignation contre celui qui avait commis l’inceste ; oui, vous avez tous, du moins presque tous, éprouvé quelque tristesse, en apprenant ce crime abominable. Si je dis : presque tous, ce, n’est pas que vous ayez été moins vivement émus que moi-même ; mais je m’exprime ainsi pour user de ménagement à l’égard du coupable. Ce n’est donc pas moi seulement qu’il a contristé, mais vous tous aussi bien que moi ; et c’est par indulgence que j’emploie ces expressions : « Presque tous ». Voyez-vous comme il s’empresse d’apaiser, leurs âmes, en leur disant qu’ils ont partagé son indignation ? « Il suffit à cet homme d’avoir été repris parle plus grand nombre (6) ». Il ne dit pas : « à l’incestueux » ; mais « à cet homme », comme dans l’épître précédente ; toutefois, ce n’est plus pour la même raison qu’il se sert de ce mot. Alors, c’était par modestie, ici, par indulgence. Oui, c’est par indulgence que désormais il ne rappelle plus la faute commise ; car il veut maintenant prendre sa défense.
« Maintenant, au contraire, soyez pleins de prévenances à son égard, et empressez-vous de le consoler, de peur qu’il ne soit comme absorbé par une tristesse trop prolongée (7) ». non seulement l’apôtre ordonne de cesser la punition, mais il veut qu’on le rétablisse dans son premier état. Se borner à châtier le coupable sans le soigner et le guérir, c’est en effet ne rien faire. Voyez comme il sait imposer un frein à l’incestueux, de peur qu’il n’abuse du pardon qu’il obtient. Il a confessé sa faute, il s’en est repenti, il est vrai ; néanmoins, ce n’est pas tant son repentir que la généreuse bonté de l’Église qui le relève de l’excommunication, c’est pourquoi saint Paul emploie ces mots : « Accordez-lui son pardon et empressez-vous de le consoler ». La suite le dit clairement aussi. Ce n’est pas qu’il soit digne de rentrer en grâce, ce n’est pas que la pénitence ait été suffisante, non ; c’est parce qu’il est faible, dit l’apôtre, que je le juge digne de pardon. Aussi ajoute-t-il : « De peur qu’il ne soit comme absorbé par une trop longue tristesse », C’est le langage d’un homme qui rend témoignage à une pénitence sincère et qui craindrait de voir le coupable tomber dans le désespoir. Que signifie cette parole : « De peur qu’il ne soit absorbé ? » c’est-à-dire, de peur qu’il ne vienne à faire comme Judas, ou bien encore ; de peur qu’il ne mène une vie plus coupable, s’il se résigne à continuer de vivre. En effet, qu’il perde courage, ne pouvant supporter plus longtemps les reproches dent on l’accable, ou bien il se donnera là mort, ou bien il se plongera dans toutes sortes de crimes.
4. L’apôtre se proposait donc, comme je l’ai dit, d’imposer à l’incestueux le frein d’un salutaire conseil, pour prévenir le relâchement après le pardon. Si je lui pardonne, dit-il, ce n’est pas que je le regarde comme entièrement lavé de ses souillures, mais je veux empêcher qu’il ne se porte aux dernières extrémités. Ainsi donc, ce n’est pas seulement d’après la nature des fautes que nous devoirs infliger une pénitence ; nous devons tenir compte aussi des dispositions et des sentiments du coupable, comme fit en cette circonstance saint Paul, qui redoutait la faiblesse de l’incestueux. Aussi disait-il « De peur qu’il ne soit dévoré » par la tristesse, comme par une bête féroce, ou par une violente tempêter « C’est pourquoi je vous exhorte ». Il ne commande plus, il exhorte ; non comme un maître, mais comme un égal ; il établit jugés les Corinthiens eux-mêmes, et lui, il joue maintenant le rôle d’avocat. Comme il avait réussi au gré de ses désirs, il ne se sent plus de joie maintenant, et ne met plus de bornes à ses prières. Que demandez-vous donc, ô grand apôtre : « Je vous exhorte à confirmer « votre charité envers lui (8) ». Ce que je vous demande, ce n’est pas une charité quelconque, mais une charité effective et persévérante. N’est-ce pas un beau témoignage que rend l’apôtre à la vertu des Corinthiens ? Oui, les Corinthiens, qui aimaient ce pécheur, qui l’approuvaient ad point de sen glorifier, l’eurent ensuite en si grande aversion que saint Paul dût les exhorter à se montrer charitables envers lui. Admirez la vertu du maître, admirez la vertu des disciples ! Les disciples se montrent dociles, le maître les dirige avec une rare sagesse. S’il en était ainsi de nos jours, tant de fautes ne passeraient pas inaperçues. Il faut aimer, il faut montrer de l’aversion, sans doute, mais toujours à propos, et jamais sans motif.
« Je vous ai écrit pour me convaincre par expérience de votre obéissance en toutes choses (9) ». C’est-à-dire, quand il s’agit de rétablir parmi les fidèles, comme quand il s’agit d’exclure de leur société. Voyez-vous comme il sait, ici encore, leur inspirer un sentiment de crainte ? Quand cet homme eut péché, il sut les faire trembler pour les amener à se détourner de lui : « Ne savez-vous pas », leur disait-il, « qu’un peu de levain suffit pour corrompre toute la masse ? » (1Cor. 5,6) De même, il leur fait redouter les suites d’une désobéissance, en leur tenant à peu près ce langage. Comme par le passé vous avez agi dans votre intérêt aussi bien que dans l’intérêt du coupable ; maintenant encore, vous devez rechercher votre avantage autant que le sien, et ne montrer ni obstination, ni dureté, ni désobéissance. Et voilà pourquoi il leur dit : « Je vous ai écrit pour me convaincre par expérience de votre obéissance en toutes choses ». L’obéissance qu’ils avaient montrée d’abord, pouvait être imputée à la jalousie, à la haine ; ici, c’est une obéissance évidemment pure de tout mauvais sentiment ; et qui ne s’exerce qu’en vue de la miséricorde. Les vrais disciples, les disciples bien disposés, après avoir obéi, quand il s’agissait de punir, obéiront encore maintenant qu’il s’agit de pardonner. Aussi l’apôtre disait-il : « En toutes choses ». Sils refusent d’obéir ; la honte sera pour eux plutôt que pour lui, car on les regardera comme des hommes pleins d’obstination. Il veut donc par là les amener à l’obéissance, et c’est pourquoi il leur dit : « Je vous ai écrit dans ce dessein ». Sans doute, tel n’était pas le but de son épître, et s’il s’exprime ainsi ; c’est pour les entraîner plus facilement. Ce qu’il avait surtout en vue, c’était le salut de l’incestueux ; mais il aime à leur faire plaisir, quand il le peut sans inconvénient : Par ces paroles. « En toutes choses », il fait de nouveau leur éloge, en leur rappelant ainsi leur première obéissance.
« Quand vous accordez quelque faveur, c’est moi aussi qui l’accorde (10) ». Voyez comme il se met au second rang ; ce sont eux qui commencent, il ne fait que les suivre. C’est ainsi qu’on apaise une âme imitée ; c’est ainsi qu’on brise l’obstination. Cependant, il ne veut pas les rendre orgueilleux en proclamant leur autorité, ni leur permettre d’abandonner le pécheur. C’est pourquoi il ajoute qu’il lui pardonne lui-même : « Si je lui ai remis sa faute, c’est à cause de vous que je l’ai fait ». Oui, ce pardon, c’est à cause de vous que je l’ai accordé. Quand il leur enjoignit de le retrancher de l’assemblée des fidèles, il ne les laissa pas libres d’user d’indulgence envers lui ; mais il leur disait : « J’ai jugé à propos de le livrer au pouvoir de Satan » ; et cependant il se les associe pour prononcer la sentence, en ajoutant : « Vous vous réunirez à cet effet ». Remarquez ces deux actes de la plus haute importance : la sentence est prononcée, mais non sans leur participation, pour qu’ils ne pussent se plaindre, il ne la prononce pas seul, de peur de montrer de l’arrogance et du mépris à leur égard. D’autre part, il ne leur abandonne pas toute l’affaire, de peur que, manquant à leurs devoirs, ils n’exercent envers le coupable une indulgence intempestive. Il en agit de même dans la circonstance présente : « Je lui ai déjà accordé son pardon, comme dans ma première épître je l’avais déjà condamné ». Ensuite pour prévenir tout soupçon de mépris, il ajoute : « A cause de vous » ; quoi donc ? c’est pour se ménager les bonnes grâces des hommes, qu’il lui pardonne ? Non, car il ajoute aussitôt : « Dans la personne du Christ. » Qu’est-ce à dire : Dans « la personne du Christ ? » c’est-à-dire, selon Dieu, ou pour la gloire du Christ : « De peur que nous ne soyons circonvenus par Satan, car nous n’ignorons pas ses pensées (11) ». Voyez-vous comme il leur accorde et leur retire tour à tour l’autorité, voulant d’une part les ménager, et d’autre part prévenir tout sentiment d’orgueil ? Il veut en outre leur faire voir que leur désobéissance tournerait au détriment général. C’est ce qu’il avait en vue dès le principe, car alors il disait aussi : « Un peu de levain corrompt toute la masse » (1Cor. 5,6) ; et ici il dit : « De peur que nous ne soyons circonvenus par Satan ». Partout il se les associe dans l’absolution donnée à l’incestueux…
5. Reprenons les choses de plus haut. « Si quelqu’un m’a contristé, ce n’est pas moi qu’il a contristé », dit-il, « mais vous tous, en partie du moins, pour ne point l’accabler ». Et ensuite : « Il suffit qu’il soit réprimandé par le plus grand nombre ». Tel est sa décision, telle est sa pensée. Il ne s’en tient pas là ; mais de nouveau il se les associe en disant : « En sorte qu’il convient maintenant, au contraire, que vous lui pardonniez et le consoliez. C’est pourquoi je vous conjure de confirmer à son égard votre charité ». Après leur avoir abandonné tout le soin de cette affaire, il rappelle son autorité dans ces paroles : « Je vous ai écrit pour me convaincre que vous êtes obéissants en toutes choses » Puis il leur accorde le droit de faire grâce au coupable, en leur disant : « Celui à qui vous aurez pardonné ». Ensuite il le revendique pour lui-même : « Pour moi, si je lui ai pardonné, c’est à cause de vous, dans la personne du Christ » ; c’est-à-dire, pour la gloire de Jésus-Christ, ou bien encore d’après l’ordre de Jésus-Christ. C’est là ce qui surtout devait faire impression sur leurs : âmes. Ils eussent craint en effet de manquer d’indulgence dans une circonstance où la gloire de Jésus-Christ se trouvait intéressée. Après cela, c’est le funeste résultat de leur désobéissance qu’il leur met sous les yeux : « De peur que l’usurpateur Satan n’emporte quelque chose sur nous ». Épithète bien juste : car il ne prend pas seulement ce qui est à lui ; mais il enlève encore ce qui nous appartient. Qu’on ne dise pas : Mais l’incestueux seul est là proie du démon. Songez que le troupeau n’est plus complet ; et c’est un grand malheur, maintenant surtout, qu’il peut retrouver ce qu’il a perdu : « Car nous n’ignorons passes pensées » ; c’est-à-dire que ; soirs prétexte de piété, il cause notre perte. Ce n’est pas seulement en poussant au crime qu’il sait perdre les âmes, mais aussi en les plongeant dans une tristesse excessive. Puisque, non content d’enlever les siens, il se jette aussi sur ceux qui nous appartiennent, puisqu’à cause la perte des uns en les entraînant au péché, et qu’il nous dérobe ceux mêmes auxquels nous imposons une pénitence ; n’est-ce pas un usurpateur qui s’empare du bien d’autrui ? Il ne lui suffit pas de nous renverser par le péché ; il obtient le même résultat par notre pénitence, si nous ne sommes sur nos gardes. Saint Paul, a donc raison de l’appeler usurpateur, puisqu’il triomphe par nos propres armes ; qu’il s’empare de nous parle péché, je le conçois ; c’est une arme qui lui est propre ; mais qu’il triomphe par la pénitence, c’est une usurpation ; car la pénitence est une arme qui nous appartient, et qu’il ne peut revendiquer comme la sienne. Lorsqu’il peut nous vaincre, même par la pénitence, quelle défaite honteuse pour nous ! Il se rira de notre faiblesse et de notre misère, il nous tourmentera de mille manières, après nous avoir subjugué par nos propres armes. Quoi de plus ridicule en effet, de plus honteux, pour nous que de nous sentir blessés par ce qui devait nous, guérir ? Aussi l’apôtre disait-il : « Nous n’ignorons pas ses pensées ». C’est-à-dire nous savons combien il est souple, rusé, fourbe, méchant, habile à séduire par les apparences mêmes de la piété. C’est ce que nous ne devons jamais perdre de vue. N’ayons donc de mépris pour personne ; ne désespérons pas après notre péché, ne vivons point non plus dans l’indolence ; mais brisons notre âme par un sincère repentir, et ne nous bornons pas à témoigner notre douleur par nos paroles.
Beaucoup en effet répètent qu’ils se repentent de leurs péchés, mais ils n’accomplissent aucun acte de pénitence ; ils jeûnent, il est vrai ; ils sont modestes dans leurs vêtements, mais ils ont plus soif de richesses que les usuriers ; leur colère surpasse celle des bêtes féroces ; la médisance leur cause plus de plaisir qu’à d’autres les éloges. Est-ce là une pénitence ? Non, c’est l’ombre, c’est l’apparence du repentir, ce n’est point le repentir. C’est pourquoi il est bon de leur adresser les paroles de l’apôtre : Prenez garde de vous laisser circonvenir par Satan ; car nous n’ignorons point ses pensées. Il sait perdre, ceux-ci par le péché, ceux-là par la pénitence, en les empêchant de retirer aucun fruit de leur repentir. Il ne peut réussir par un chemin direct ; il prend un chemin détourné ; il redouble la fatigue et enlève les fruits ; il persuade que tout est fait et qu’on peut négliger ce qui reste encore. Prenons donc garde que notre pénitence ne soit frappée de stérilité.
Que de femmes font ainsi pénitence ! Adressons-leur cette courte exhortation, car elles en ont un besoin tout spécial. Oui, c’est une bonne chose que de jeûner, que de coucher sur la terre, que de mettre des cendres sur sa tête ; mais à quoi sert tout cela, s’il ne s’y joint autre chose ? Dieu n’a-t-il pas fait voir à quelle condition il pardonne les péchés ? Pourquoi donc abandonner cette voie pour en suivre une autre ? Autrefois les Ninivites péchèrent, et ils firent ce que vous faites maintenant ; mais quel avantage en retirèrent-ils ? Les médecins ont recours à mille remèdes différents ; mais la prudence veut que l’on se demande non pas quel remède a été employé, mais quel effet ce remède a produit. Il faut en agir, de même après que l’on a péché. Qu’y eut-il donc de vraiment avantageux pour ce peuple barbare ? Ils jeûnèrent, ils couchèrent sur la dure, se vêtirent de sacs, répandirent la cendre sur leurs têtes, ils poussèrent des gémissements : mais aussi, ils changèrent de conduite.
6. Parmi nous ces remèdes, quel fut le remède efficace ? Comment le savoir, direz-vous ? Si nous allons trouver le médecin et que nous l’interrogions, il nous le dira volontiers. Ou plutôt il nous épargne la peine de le lui demander, et il nous mentionne dans ses, écrits, le remède qui sauva les Ninivites. Quel est donc ce remède ? « Dieu vit que chacun avait quitté ses voies perverses, et il se repentit de les avoir menacés de si grands malheurs ». (Jon. 3,10) L’Écriture ne dit pas : Il vit leur jeûne, leurs cilices, la cendre répandue sur leurs têtes. Ce que je dis, non pour déprécier le jeûne, à Dieu ne plaise ; mais pour vous exhorter à vous abstenir de toute espèce de vices ; ce qui vaut mieux encore que de se priver de nourriture. David, lui aussi, commit de grands péchés : voyons comment il en fit pénitence : Trois jours il resta assis sur la cendre. Ce n’était point pour expier son crime qu’il en agissait de la sorte ; mais il manifestait par là cette douleur où la mort de son fils avait plongé sort âme. Quant à son crime, il l’expia d’une autre manière, c’est-à-dire, par l’humilité, par la contrition, par la componction du cœur, par la résolution de ne plus le commettre de nouveau, d’en garder perpétuellement le souvenir, de souffrir avec joie toutes les adversités, dé pardonner à ses ennemis, de ne point se venger pu lui-même ou par d’autres. Séméi l’accablait d’outrages, et fin général s’indignait de l’entendre. Mais que disait le saint roi ? « Laissez-le me maudire, c’est Dieu qui le lui commande ». (2Sa. 16,10) Il avait le cœur contrit et humilié ; et voilà ce qui surtout purifiait son âme. C’était là en effet avouer sa faute et s’en repentir. Si tout en jeûnant, nous demeurons orgueilleux, non seulement le jeûne ne nous sert de rien, mais encore il nous est nuisible. C’est pourquoi, vous aussi, soyez humbles, pour que Dieu vous attire vers lui : « Car Dieu est auprès de ceux qui ont le cœur brisé ». (Ps. 33,19) Ceux qui habitent de splendides palais, après s’être eux-mêmes déshonorés par le péché, se laissent outrager, sans résistance par les derniers de, leurs serviteurs ; ils souffrent sans se plaindre, parce qu’ils se sont eux-mêmes couverts d’infamie par leurs péchés. Agissez de même : on vous accable d’injures ; ne vous irritez point, mais poussez des gémissements, non point à cause de l’outrage que l’on vous fait, mais à cause de ce péché qui vous a plongés dans l’infamie. Gémissez sur votre péché, non pas à cause des peines que vous avez encourues ; ces peines ne sont rien ; mais parce que vous avez offensé Dieu ; un Dieu si bon, si plein d’amour pour vous, si désireux de votre salut, qui n’a pas craint d’immoler son Fils pour vous. Gémissez donc et ne cessez point de gémir ; par là, vous confesserez votre péché : Ne passez pas de la joie à la tristesse, et de la tristesse à la joie ; mais persévérez dans votre douleur et dans votre repentir : « Bienheureux ceux qui pleurent », dit l’Écriture. (Mt. 5,5) C’est-à-dire, bienheureux ceux qui ne cessent de pleurer. Pleurez donc sans cesse, veillez sur vous-mêmes, brisez votre cœur, affligez-vous comme si vous aviez perdu votre propre fils. « Déchirez vos cœurs », dit l’Écriture, « et non point vos vêtements ». (Jol. 2,3) Ce qui a été déchiré ne peut se redresser ; ce qui est broyé ne peut se relever : Aussi l’Écriture dit-elle : « Déchirez », et encore : « Dieu ne méprisera pas un cœur contrit et humilié ». (Ps. 50,19)
Vous êtes philosophe ; vous êtes riche, vous êtes puissant, n’importe ; brisez votre cœur, et ne lui permettez point de s’enfler d’orgueil et de jactance. Ce qui est déchiré ne peut s’enfler.
S’il y a lieu encore à quelque élévation, du moins le gonflement se trouve désormais impossible. Appliquez-vous donc à la modestie et à l’humilité. Rappelez-vous qu’une seule parole suffit pour justifier le publicain. Et encore n’était-ce point précisément un acte d’humilité, mais plutôt le sincère aveu de ses péchés. Or, si tel fut l’effet de cette confession, quel ne sera pas celui de l’humilité ? Pardonnez volontiers à ceux qui vous auront offensés ; vous obtiendrez ainsi la rémission de vos fautes. Quant à l’efficacité du premier sentiment, voici ce que dit l’Écriture : « Je l’ai vu s’avancer plein de tristesse, et j’ai guéri ses voies ». (Is. 57,18) C’est ce sentiment qui calma le Seigneur irrité contre Achab. Quant au pardon des injures : « Pardonnez », dit l’Écriture, « et l’on vous pardonnera ». (Lc. 6,37) Il y a encore un autre moyen d’obtenir notre pardon, c’est de condamner nous-mêmes nos crimes : « Condamnez le premier vos iniquités, pour mériter d’être justifié ». (Is. 43,26) Oui, vous effacerez vos péchés, si vous savez rendre grâces au sein des tribulations. Mais rien n’est comparable à l’aumône.
Comptez maintenant les remèdes capables de guérir vos blessures, et employez-les tour à tour ; employez l’humilité, la confession, l’oubli des injures, l’action de grâces dans les tribulations ;. assistez le prochain par votre argent, par votre zèle, par vos bons offices, et priez avec persévérance. C’est ainsi que la veuve de l’Évangile put fléchir ce juge cruel et impitoyable. Elle fléchit un juge inhumain ; à plus forte raison fléchirez-vous ce juge plein de douceur et de bonté. Outre tant de moyens que nous venons d’indiquer, il en est un autre encore, c’est de prendre la défense de ceux qui sont outragés : « Jugez en faveur de l’orphelin », dit l’Écriture, « et rendez la justice en faveur de la veuve ; venez et engageons la discussion. Et si vos péchés sont rouges comme la pourpre, ils deviendront blancs comme la neige ». (Is. 1,16-17) Serions-nous excusables, si avec tant de moyens pour nous élever au ciel, avec tant de remèdes pour guérir nos blessures, nous persévérions dans les mêmes habitudes, même après avoir reçu le baptême. Oh ! non, je vous en conjure, n’y persévérons point. Voies, qui n’êtes point tombés, ne souillez point la beauté de vos âmes ; cherchez au contraire à l’augmenter de jour en jour. Vous n’avez point commis de péchés que vos bonnes œuvres doivent effacer ; eh bien ! elles rendront votre beauté plus éclatante. Et nous qui avons tant de fautes à nous reprocher, effaçons-les en faisant usage des remèdes que nous venons d’énumérer, afin que nous puissions nous présenter avec assurance au tribunal du Christ. Cette assurance, daigne notre Dieu nous l’accorder par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. – Ainsi soit-il.

HOMÉLIE V. modifier


ARRIVÉ DANS LA TROADE POUR Y PRÊCHER L’ÉVANGILE DU CHRIST ; LA PORTE DE CE PAYS M’AYANT ÉTÉ OUVERTE DANS LE SEIGNEUR, MON ESPRIT N’EUT POINT DE REPOS ; PARCE QUE JE N’Y TROUVAI POINT MON FRÈRE TITE. (II, 12, 13, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier


  • 1 et 2. Après avoir développé le sens de quelques versets, saint Chrysostome insiste sur les avantages d’une bonne conscience.
  • 3. Le témoignage d’une bonne conscience est la gloire de l’homme.
  • 4 et 5. Il traite ensuite du pardon des injures, et recommande de faire au démon une guerre acharnée.


1. Voilà des paroles indignes, ce semble, du grand apôtre ; l’absence d’un frère lui fait perdre l’occasion de convertir les âmes. On ne voit d’ailleurs aucun lien qui les unisse à ce qui précède. – Voulez-vous donc que je vous montre d’abord que saint Paul n’a riels dit qui fût indigne de lui ? Ou bien voulez-vous que je vous fasse voir l’enchaînement de ses pensées ? Il vaut mieux, je crois, commencer par ce second point ; il servira à nous faire comprendre le premier. Comment donc ces dernières paroles de l’apôtre se rattachent-elles aux précédentes ? Pour le comprendre, reportons-nous à ce qu’il disait au commencement. – Que disait-il donc ? « Je ne veux pas que vous ignoriez les tribulations que nous avons a endurées en Asie, où nous avons été accablés outre mesure et au-dessus de nos forces ». Après avoir montré comment Dieu le délivra de ses maux, et ajouté ce que nous avons lu, il parle d’un nouveau genre d’affliction : il n’a point rencontré Tite dans la Troade. Pour accabler son âme, c’est bien assez sans doute de supporter tant de tribulations. Mais la souffrance n’est-elle pas encore plus vive quand on ne reçoit de consolations de personne, quand personne ne vient aider à supporter le poids du malheur. Or, Tite est ce même disciple dont Paul parle plus bas, disant qu’il est revenu de Corinthe auprès de lui, à qui il donne de si grands éloges, et que dans la première épître, il dit avoir envoyé à Corinthe. C’est donc pour eux encore que saint Paul, a supporté cette affliction, et tel est le sens de ses paroles. Tout cela, vous le voyez, se lie donc très-bien à ce qui précède.
J’essaierai maintenant de vous prouver crue ces paroles ne sont pas indignes de saint Paul. Il ne dit pas en effet que l’absence de Tite ait retardé le salut de ceux qui devaient se convertir ; ni que pour cette raison il ait négligé ceux qui déjà avaient embrassé la foi de l’Évangile, mais simplement que son esprit n’eut point de repos, c’est-à-dire que l’absence de ce frère chéri le plongea dans la douleur et l’affliction. Il veut montrer par là combien l’absence d’un frère peut être pénible ; et la douleur qu’il ressentit le força de quitter ce pays. Que signifient ces paroles : « Après être venu dans la Troade pour l’Évangile ? » Je ne suis pas allé sans motif dans ce pays, mais bien pour y annoncer la parole de Dieu. C’était là le motif qui m’y avait amené ; mon zèle trouvait une ample matière. « La porte », dit-il, « m’avait été ouverte dans le Seigneur ; je n’eus point de repos » ; mais cependant mon travail n’en fut point entravé. Pourquoi dit-il donc : « Prenant congé d’eux, je m’en allai ? ». C’est-à-dire : les angoisses et la douleur ne rue permirent point d’y prolonger mon séjour. Peut-être même l’absence de Tite était-elle un obstacle aux travaux de l’apôtre ; c’est encore là un moyen de consoler les Corinthiens. Et en effet, la porte était ouverte à saint Paul, il était venu en Troade pour y prêcher l’Évangile ; mais il n’y trouve point son frère, et aussitôt il quitte ce pays ; à plus forte raison devez-vous nous pardonner en songeant à tant d’affaires pressantes, indispensables, qui nous mènent et nous ramènent, qui nous empêchent de nous rendre là où nous voudrions, et de prolonger notre séjour comme nous le souhaiterions.
Plus haut c’était déjà l’Esprit-Saint qui dirigeait ses voyages ; maintenant c’est encore Dieu qui les détermine, car il, ajoute : « Or, je rends grâces à Dieu qui nous fait toujours triompher en Jésus-Christ, et qui répand en tout lieu par notre ministère, la bonne odeur de sa connaissance (14) ». Bien loin de verser des larmes et de se lamenter, l’apôtre rend grâces à Dieu. Or voici le sens de ses paroles. Partout l’affliction, partout les angoisses : je suis venu en Asie ; les souffrances y dépassaient mes forces. Je suis venu en Troade, je n’y ai point trouvé mon frère ; je n’ai pu venir chez vous, et j’en ai ressenti une vive tristesse, d’abord parce que beaucoup d’entre vous sont tombés dans le péché, ensuite parce queutais prisé de vous voir : « Ç’a été pour vous ménager que je ne suis pas allé à Corinthe », dit-il. Pour ne point paraître désolé, il ajoute non seulement nous ne nous plaignons point de ces tribulations, mais nous nous en réjouissons ; oui, nous nous en réjouissons non seulement à cause des biens futurs, mais encore à cause des biens présents : car tout cela donne un nouveau lustre à notre gloire. Bien loin de nous en désoler, nous triomphons au contraire, et nous nous glorifions de tout ce qui nous est arrivé. Et Lest pourquoi l’apôtre disait : « Nous rendons grâces à Dieu qui nous fait triompher » ; c’est-à-dire, qui fait briller notre gloire aux yeux de tous. Ces persécutions qui semblent être un déshonneur, nous nous regardons comme très-honorés de les subir. Aussi, ne dit-il pas seulement : Qui nous rouvre de gloire ; mais, « qui nous donne le triomphe », voulant montrer que ces persécutions lui élèvent partout de nombreux trophées contre le démon. Puis, après avoir indique le triomphateur, il fait connaître la cause du triomphe, et par là encore il relève les courages. non seulement c’est Dieu qui nous fait triompher, dit-il, mais nous triomphons en Jésus-Christ, c’est-à-dire, à cause de Jésus-Christ et de la prédication de l’Évangile. Puisqu’il s’agit d’un triomphe, et que nous portons le trophée, nous devons être en évidence, et par là-même couverts d’une gloire éclatante : « Et il manifeste en tous lieux par notre ministère la bonne odeur de sa connaissance ».
2. Tout à l’heure l’apôtre disait : « Qui nous fait triompher toujours », maintenant il dit : « en tous lieux » pour montrer que tous les temps et tous les lieux sont remplis dès travaux apostoliques. Il emploie encore une autre métaphore, celle « d’un suave parfum » ; nous sommes aperçus de, tous, comme si nous portions des parfums : c’est la connaissance de Dieu qu’il compare à un parfum de grand prix. Il ne dit pas : la connaissance, mais le « parfum de la connaissance ». Telle est en effet la connaissance que nous avons de Dieu ici-bas, une connaissance qui est loin d’être claire et sans voiles. Et c’est pourquoi, dans sa première épître, l’apôtre disait : « Nous voyons maintenant comme dans un miroir et en énigme ». (1Cor. 13,12) Ici, c’est à une odeur qu’il compare la connaissance que nous avons de Dieu. Une substance odorante, cachée quelque part, se trahit par son odeur, mais la nature de cette substance, on ne peut. La connaître uniquement par son odeur ; il faut avoir vu la substance elle-même. De même nous savons que Dieu existe, mais nous ne savons quelle est sa nature. Nous sommes donc, pour ainsi dire, un encensoir royal, et partout où nous allons, nous portons en quelque sorte un parfum céleste, une odeur spirituelle. Voilà ce que disait saint Paul, afin de montrer la puissance de la prédication évangélique. Dresser des embûches aux apôtres, c’est donner tan nouvel éclat à leur gloire ; en les persécutant, on rend l’univers entier témoin de leurs victoires, et on répand partout la suavité de leurs parfums. Ce que se proposait encore l’apôtre, c’était d’encourager les Corinthiens à supporter généreusement toutes les afflictions, toutes les tribulations, en leur montrant la gloire ineffable dont ils seraient environnés, même avant de recevoir les récompenses célestes.
« Nous sommes la bonne odeur du Christ pour Dieu dans tous ceux qui sont sauvés et dans ceux qui périssent (45) ». – Oui, dit-il, qu’un homme soit sauvé, ou qu’il périsse, l’Évangile n’en manifeste pas moins cette énergie qui lui est propre : si les yeux sont malades, le soleil les offusque ; en est-il pour cela moins lumineux ? Le miel est amer pour les infirmes ; mais cependant n’est-il pas doux de sa nature ? Ainsi l’Évangile exhale le parfum le plus suave ; bien que plusieurs refusent de croire et, périssent. Ce n’est pas l’Évangile qui 'est cause de leur perte, mais bien la perversité de leurs cœurs. Au contraire la perte des hommes méchants et corrompus fait ressortir la douceur de l’Évangile. Et de la sorte les méchants qui se damnent comme les bons qui se sauvent, révèlent sa vertu. N’est-ce point par son éclat même que le soleil blesse les yeux des malades ? Le Sauveur n’est-il point venu pour la ruine et la résurrection d’un grand nombre ? Il n’en demeure, pas moins le Sauveur, quel que soit le nombre de ceux qui se perdent.: il a été présent au milieu des hommes, et il a puni d’autant plus sévèrement ceux qui ont refusé d’obéir ; mais sa présence dans le monde n’en a pas été moins salutaire. Aussi l’apôtre dit-il : « Nous sommes une bonne odeur pour Dieu ». C’est-à-dire, bien que plusieurs périssent, nous demeurons néanmoins ce que nous étions. Il ne dit pas d’une manière absolue : « Nous sommes une bonne odeur » mais « pour Dieu ». C’est vers Dieu que s’élève cette odeur ; il l’a pour agréable. Qui pourrait donc soulever la moindre objection. Ces paroles : « Nous sommes la bonne odeur du Christ », me semblent pouvoir s’entendre de deux manières. Les apôtres, en mourant pour Jésus-Christ, s’offrent eux-mêmes comme victimes ; ou bien encore, ils sont la bonne odeur de Jésus-Christ immolé ; comme si l’on disait : Le parfum que les apôtres exhalent est la bonne odeur de cette victime sainte. Tel est peut-être le sens de ce passage, ou bien, comme je l’ai dit plus haut, il signifie que chaque jour ils sont immolés pour le Christ. Voyez-vous comme saint Paul exalte les tribulations, en les nommant un triomphe, une bonne odeur, un sacrifice offert à Dieu.
Puis, après avoir dit : « Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ dans ceux qui périssent » ; pour empêcher que vous ne regardez ceux-ci comme agréables à Dieu, il ajoute : « Aux uns nous sommes une odeur de mort pour la mort ; aux autres une odeur de vie pour la vie (46) ». Cette odeur, les uns la respirent pour être sauvés ; d’autres, pour périt. Il en est donc qui trouvent la mort dans cette odeur, mais c’est leur faute. Les parfums, dit-on, suffoquent les porcs, et l’éclat de la lumière, comme je l’ai dit, plonge dans les ténèbres les yeux malades. C’est ainsi que les Substances les meilleures non seulement guérissent les substances auxquelles elles conviennent, mais aussi font périr celles à qui elles ne conviennent pas : c’est en cela surtout que se montre leur énergie. Voyez le feu ! Ce n’est pas seulement quand il éclaire, quand il purifie l’air qu’il manifeste sa force ; mais encore lorsqu’il ravage les épines. De même le Christ fait éclater sa grandeur ; quand de son souffle il terrasse l’antéchrist, et l’écrase par la splendeur de son visage. « Et qui est capable de ces choses ? » L’apôtre vient de tenir un langage magnifique, en disant : Nous sommes immolés pour le Christ, nous sommes une bonne odeur, partout nous triomphons ; maintenant pour tempérer cette magnificence, il renvoie à Dieu toute la gloire : « Et qui est capable de ces choses ? » Tout cela appartient au Christ ; nous ne devons rien nous attribuer à nous-mêmes. Quelle différence entre ce langage et celui des faux apôtres ! Ceux-ci se glorifiaient en effet comme si, dans la prédication de l’Évangile, ils avaient eu quelque mérite propre ; mais saint Paul ne se glorifie que d’une chose, c’est de ne rien avoir en propre « Notre gloire dit-il, c’est ce témoignage de notre conscience que nous avons vécu dans le monde non pas selon la sagesse de la chair, mais selon les mouvements de la grâce de Dieu ». (2Cor. 1,12) Cette sagesse extérieure que les faux apôtres se glorifiaient de posséder, saint Paul se glorifie de ne pas l’avoir ; et c’est pourquoi il dit : « Et qui est capable de ces choses ? » Si nous n’en sommes point capables, elles sont donc l’œuvre de la grâce : « Car nous ne ressemblons pas à tant d’autres qui corrompent la parole de Dieu (17) ».
3. Oui, nous avons dit de grandes choses ; mais nous avons protesté que tous ces succès ne nous appartiennent pas, qu’ils appartiennent à Jésus-Christ. Nous ne voulons pas imiter les faux apôtres qui revendiquent pour eux toute la gloire. N’est-ce pas un trafic honteux, que de mêler l’eau au vin, que de vendre à prix d’argent, ce que l’on doit donner gratuitement ? Saint Paul se raille ici de leur amour pour les richesses ; il veut aussi faire comprendre qu’ils, mêlent leurs propres intérêts aux intérêts de Dieu. Isaïe adressait dé son temps le même reproche : « Tes cabaretiers mêlent l’eau avec le vin ». Sans doute le prophète parle de vin ; mais ce n’est point se tromper pourtant que d’entendre ces peuples de l’enseignement de la vérité. Pour nous, dit l’apôtre, nous n’agissons point de la sorte. Mais tout ce que l’on nous a confié, nous le distribuons, et nous offrons toujours une doctrine sans mélange. C’est pourquoi il ajoute : « Nous parlons avec sincérité, comme au nom de Dieu, en présence de Dieu et dans le Christ ». Ce n’est point pour vous tromper que nous prêchons, ni pour vous flatter, ni pour vous faire admettre nos propres idées mêlées à celles du Seigneur ; mais nous vous prêchons au nom de Dieu, c’est-à-dire, nous ne vous disons point que nous vous enseignons notre propre doctrine, mais que tout nous vient de Dieu. Tel est le sens de cette parole : « Au nom de Dieu ». Nous ne nous glorifions point comme si nous avions quelque chose en propre ; mais c’est à liai que nous renvoyons toute la gloire : « Nous parlons dans le Christ », inspirés non par notre propre sagesse, mais par sa puissance. Quand on se glorifie, parle-t-on de la sorte ? Non, mais on s’attribue tout à soi-même. Ce sont encore les faux apôtres qu’il attaque ailleurs en ces termes : « Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? et si vous l’avez reçu, pourquoi vous en glorifier, comme si vous ne l’aviez pas reçu ? »
La plus grande de toutes les vertus, c’est de tout attribuer à Dieu, de ne rien s’attribuer à soi-même, de ne rien faire en vue de la gloire humaine, mais de faire toutes choses pour se conformer à la volonté de Dieu. Car c’est lui qui nous demandera compte des actions de nôtre vie. Eh bien ! L’ordre n’est-il point renversé ? Celui qui sera assis sur son tribunal, qui nous demandera compte de notre vie, le craignons-nous ? Et ne tremblons-nous pas au contraire devant ceux qui se tiendront devant lui pour être jugés avec nous ? Quelle étrange maladie ! Comment se fait-il qu’elle ait envahi nos âmes ? C’est que nous ne songeons pas assez à la vie future, et que nous demeurons trop attachés aux biens présents. Et c’est pourquoi nous tombons si facilement dans des actions coupables, et, si nous faisons quelque bien, c’est par ostentation que nous le faisons, en Sorte que ce bien même nous devient funeste. Cet homme a jeté des regards immodestes sur une femme ; celte-ci ne s’en est peint aperçue non plus que les autres ; mais l’œil vigilant du Seigneur l’a remarqué. Oui, cet œil a pénétré, même avant que la faute eût été commise, cette âme impudique, cette passion intérieure, ces pensées qui s’agitaient comme une tempête furieuse. A-t-il besoin de témoins et de preuves, celui à qui toutes choses sont connues ? Ne considérez donc point les compagnons de votre misère : l’homme aura beau vous louer, si Dieu ne vous accueille favorablement ; et c’est en vain que l’homme vous condamnera ; vous ne souffrirez point de cette condamnation, si Dieu lui-même ne vous condamne point. Prenez garde, vous irriterez votre juge, si vous tenez compte de vos compagnons, si vous ne montrez ni crainte ni effroi devant son visage indigné.
Méprisons donc cette gloire qui vient des hommes. Jusques à quand travaillerons-nous à nous avilir et à nous dégrader ? Dieu veut nous élever au ciel ; jusques à quand persisterons-nous à ramper sur la terre ? Si les frères de Joseph avaient eu la Crainte de Dieu devant les yeux, ils ne se seraient pas emparés de lui dans le désert pour le faire mourir. Et Caïn,.s’il eût redouté le jugement de Dieu, aurait-il dit à Abel : « Viens, et sortons dans la campagne ». Quoi donc, ô lâche, ô misérable, tu l’entraînes loin de son père et tu l’emmènes dans la campagne ! Mais au milieu des champs, Dieu ne verra-t-il point ton crime ? Ce qui est arrivé à ton père n’a-t-il pu t’apprendre que Dieu sait tout et qu’ il assiste à toutes tes actions ? Pourquoi, lorsque Caïn niait son crime, Dieu ne lui dit-il pas : Peux-tu m’échapper à moi qui suis présent partout et qui connais ce qu’il y a de plus secret ? C’est que le coupable ne pouvait comprendre ce langage. Que lui dit-il donc ? « La voix du sang de ton frère crie vers moi ». Ce n’est pas que le sang ait une voix, mais Dieu parle, comme nous parlons de toute chose évidente et manifeste : Cette chose crie, disons-nous. Il faut donc avoir sans cesse devant, les yeux le jugement de Dieu ; et bientôt le mal aura disparu. Nous pouvons avoir la même attention dans nos prières, si nous songeons quel est celui auquel nous notes adressons, si nous nous rappelons que nous offrons un sacrifice, que nous portons dans nos mains le glaive, le feu, le bois ; si par la pensée nous ouvrons les portes du ciel, si nous nous y transportons, si ce glaive de l’esprit nous l’enfonçons dans la gorge de la victime, si nous offrons à (Esprit-Saint notre vigilance, si nous répandons des larmes. Les larmes, voilà le sang de la victime : ce sont elles qu’il faut faire fouler sur l’autel du sacrifice. Ne souffrez pas qu’en ce moment aucune pensée humaine occupe votre âme.
4. Rappelez – vous qu’Abraham, lorsqu’il offrit son sacrifice, n’admit en sa présence ni son épouse, ni son serviteur, ni personne autre. Vous non plus, ne souffrez pas qu’aucune passion servile, indigne des enfants de Dieu vienne occuper votre cœur ; allez tout seul sur la montagne que gravit Abraham, sans permettre à personne de la gravir avec lui. Que si des pensées humaines veulent monter avec vous, commandez-leur avec autorité ; dites-leur : Restez ici ; mon fils et moi nous reviendrons, après avoir adoré. Laissez donc au pied de la montagne l’ânesse, les serviteurs, tout ce qui est dépourvu de siens et de pensées. Prenez avec vous ce qui est doué d’intelligence et montez, comme Abraham monta avec Isaac. Comme le patriarche, élevez un autel ; dépouillez-vous de toute humaine pensée, élevez-vous au-dessus de la nature. Eût-il immolé son fils, s’il ne se fût lui-même élevé au-dessus de la nature ? Que rien ne vienne vous troubler dans votre oraison ; élevez-vous au-dessus du ciel même ; poussez d’amers gémissements ; offrez à Dieu, comme un sacrifice, la confession de vos fautes : « Commencez par confesser, vos iniquités, afin d’être par là justifié ». Offrez-lui la contrition de votre~cœur. Voilà des victimes qui ne sont pas réduites en cendres, qui ne se dissipent pas en fume, pour lesquelles vous n’avez besoin ni de bois ni de feu, mais seulement d’une âme remplie de componction c’est le bois, c’est le feu qui brûle ces victimes, sans les consumer. Celui qui prie avec ferveur, est brûlé, mais il n’est point consumé ; son éclat redouble comme celui de l’or que le feu vient d’éprouver.
Gardez-vous encore de prononcer aucune parole capable d’irriter le Seigneur, et ne l’invoquez point non plus contre vos ennemis. Si c’est déjà une honte d’avoir des ennemis, songez quel mal ce serait de prier contre eux ! Loin de vous excuser d’avoir des ennemis, vous iriez encore les accuser devant Dieu Et comment obtiendrez-vous votre pardon, si vous les accusez au moment même où vous implorez miséricorde pour Vous ? N’est-ce pas en effet le pardon de vos péchés que vous sollicitez dans votre prière : ne vous souvenez donc, pas des péchés d’autrui ; autrement vous réveilleriez le souvenir des vôtres. Si vous dites : frappez mon ennemi ; vous vous fermez la bouche, vous enlevez toute liberté à votre languie, N’excitez-vous pas en effet dès le commencement la colère du Seigneur ; et ensuite ne demandez-vous pas précisément le contraire de ce qu’il faudrait demander ? Si en effet vous priez pour obtenir la rémission de vos péchés, comment se fait-il qu’en même temps vous, sollicitiez la punition des autres ? C’est le contraire que vous deviez faire : il fallait prier polir vos ennemis, afin de pouvoir aussi prier avec confiance pour vous-mêmes. Vous prévenez la sentence du juge par votre propre sentence, puisque vous déclarez les pécheurs dignes d’une punition : comment seriez-vous encore excusables ? Priez pour eux, et alors vous n’avez pas même besoin de dire un mot de vos propres fautes : tout est fait. Rappelez-vous combien la Loi prescrivait de sacrifices : le sacrifice de louange, le sacrifice de la confession, le sacrifice dû salut, le sacrifice d’expiation et tant d’autres ; mais je ne vois pas qu’elle en prescrive aucun contre les ennemis, tous au contraire ont pour objet nos propres péchés ou nos bonnes œuvres.
Quel Dieu priez-vous donc ? N’est-ce pas celui qui a dit : « Priez pour vos ennemis ? » (Mat. 5,44) Comment osez-vous donc élever la voix contre eux ? Comment pouvez-vous prier Dieu d’enfreindre sa propre loi ? Rien qui convienne moins au rôle de suppliant personne ne supplie pour qu’un autre périsse ; mais on implore son propre salut. Pourquoi donc jouer le rôle de suppliant avec des paroles d’accusateur ? Quand nous prions pour nous-mêmes, nous nous remuons, nous nous agitons, nous nous laissons aller à mille pensées étrangères ; mais quand nous prions contre nos ennemis, nous le faisons avec attention et avec ardeur. Le diable sait bien que nous nous enfonçons alors un glaive dans la poitrine ; et c’est pourquoi il se garde bien de nous distraire, de détourner notre attention ; il veut nous causer ainsi tout le mal possible. – Mais, direz-vous, on m’a fait injure, on m’a blessé. – Eh bien, priez donc contre le démon, qui nous outrage plus que personne ne le fait. On vous prescrit de dire dans votre prière : « Délivrez-nous du malin ». (Mt. 6,93) Voilà votre implacable ennemi mais l’homme, quoi qu’il vous fasse, est votre ami et votre frère. : Aussi lançons-nous tous contre lui, prions Dieu contre lui ; et disons : Brisez Satan sous nos pieds. C’est lui qui nous suscite des ennemis. Si vous priez contre vos ennemis, vous accomplissez le plus ardent de ses vœux ; mais en priant pour vos ennemis, c’est contre lui que vous priez. Pourquoi donc laisser de côté votre véritable ennemi, pour dévorer vos membres, vous montrant ainsi plus cruels que les bêtes féroces ? – Mais, dites-vous, on m’a outragé ; on m’a enlevé mes biens. – Qui donc est le plus à plaindre, de celui qui supporte l’outrage ou d’e celui qui le fait ? S’enrichir à vos dépens, c’est perdre l’amitié de Dieu, et le dommage l’emporte Sur le gain. Agir de la sorte ; c’est se nuire à soi-même. Au lieu de prier contre votre ennemi, priez pour lui, pour que Dieu lui fasse miséricorde.
5. Que de souffrances n’endurèrent pas les trois jeunes Hébreux, sans avoir fait aucun mât. Emmenés loin de leur patrie, privés de toute liberté ; captifs, esclaves sur une terre étrangère, dans un pays barbare, ils étaient menacés de mort, sans motif, sans raison, uniquement à cause d’un songe qu’avait eu le roi. Quand ils furent réunis à Daniel quelle fut leur prière ? Que dirent-ils ? Brisez Nabuchodonosor, arrachez-lui son diadème, précipitez-le de son trône ? – Non, ils ne demandèrent rien de semblable ; au contraire ils imploraient sur lui la divine miséricorde. Dans la fournaise, ils firent de même. Et vous, que faites-vous ? Vous avez moins souffert qu’eux, et la plupart du temps vos souffrances étaient bien méritées, et cependant vous ne cessez de charger vos ennemis d’imprécations. L’un s’écrie : Seigneur, renversez pion ennemi ; comme vous avez précipité dans les flots le char de Pharaon ; l’autre : frappez-le dans sa chair ; un troisième, punissez-le dans ses enfants. Ne reconnaissez-vous point votre langage ?
Pourquoi riez-vous donc ? voyez-vous combien tout cela devient ridicule, dès que la passion est absente ? Retranchez la passion, et vous verrez aussitôt combien le péché renferme de honte. Il suffit dé rappeler à celui qui s’est irrité, les paroles qu’il a proférées dans sa colère pour qu’il ait honte de lui-même, et il aimerait mieux souffrir toutes sortes de maux plutôt que d’avoir prononcé de telles paroles. Mettez un impudique en présence de la femme qu’il a violée ; il s’en détournera avec horreur. Maintenant que vous n’éprouvez point de passion contre vos ennemis, vous riez en entendant les paroles que je viens de prononcer : elles sont en effet ridicules, dianes d’une vieille femme en état d’ivresse qui se prend de querelle avec une autre.
Joseph avait été vendu, réduit en servitude, jeté en prison ; néanmoins il ne lui échappa pas un seul mot d’amertume contre ceux qui l’avaient outragé. Que disait-il ? « J’ai été enlevé furtivement de la terre des Hébreux ». (Gen. 40,15) Il ne dit point par qui. Il rougit du crime de ses frères, plus qu’ils n’en rougissaient eux-mêmes. Telles doivent être nos dispositions : éprouvons pour ceux qui nous ont injuriés, une douleur plus vive qu’ils ne l’éprouvent eux-mêmes. Car tout le dommage est pour eux. Si vous voyez un homme lancer des coups de pied contre des clous, et s’enorgueillir de sa bravoure, vous vous prendriez de pitié, vous verseriez des larmes à la vue d’une telle démence. De même vous devez plaindre, et non maudire ceux qui vous outragent, sans que vous leur ayez fait aucun mal : car ils font une grave blessure à leur âme. Quoi de plus criminel qu’une âme qui fait des imprécations ? Quoi de plus impure qu’une langue qui offre de tels sacrifices ? Vous êtes hommes ; ne vomissez point le venin des aspics ; vous êtes hommes ; ne vous changez pas en bêtes féroces. La bouche vous a été donnée, non pour mordre, mais pour guérir les blessures du prochain. Souvenez-vous de mes commandements, dit le Seigneur ; je vous ai prescrit de remettre et de pardonner. Et vous me demandez de me joindre à vous pour renverser mes préceptes ; vous rongez votre frère, vous ensanglantez vos dents, vous ressemblez à ces furieux qui enfoncent leurs dents dans leurs propres chairs. Quelle joie doit ressentir le démon, quels éclats de rire il doit poisser, en entendant votre prière ! Mais aussi que le Seigneur doit être irrité contre vous, et qu’il doit vous haïr, quand vous le priez de la sorte. Rien de plus fâcheux qu’une telle conduite. On ne peut s’approcher des saints mystères avec du ressentiment contre ses ennemis ; mais si, non contents de les haïr, vous faites des imprécations contre eux, on doit vous interdire jusqu’à l’entrée du temple. Pleins de ces pensées, nous rappelant l’objet de l’auguste sacrifice, dans lequel le Christ s’est immolé pour ses ennemis, mettons tous nos soins à n’avoir pas même un ennemi ; si nous en avons un, prions pour lui ; afin d’obtenir nous-mêmes le pardon de nos fautes, et de pouvoir nous présenter avec confiance devant le tribunal du Christ, à qui soit gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VI. modifier


COMMENCERONS-NOUS A FAIRE ENCORE UNE FOIS NOTRE ÉLOGE ? AVONS-NOUS BESOIN, COMME QUELQUES-UNS, DE RECOMMANDATIONS AUPRÈS DE VOUS, OU BIEN AVONS-NOUS BESOIN DE RECOMMANDATIONS DE VOTRE PART ? (III, 1, JUSQU’À 6).

Analyse. modifier


  • 1 et 2. Éloge des Corinthiens.
  • 3. Parallèle entre la Loi ancienne et la Loi nouvelle ; développement de ces paroles : la lettre tue, mais l’esprit vivifie.
  • 4. De l’âme plongée dans la mort.


1. On ne manquera pas de reprocher à l’apôtre qu’il se comble lui-même d’éloges. C’est ce reproche qu’il veut prévenir. Sans doute il a expliqué le sens de ses paroles ; il a dit : « Qui est capable de ces choses ? » Et encore : « Nous parlons avec sincérité ». Mais cela ne suffit pas. Telle est la coutume de saint Paul. Il insiste : tant il craint d’avoir l’air de parler de lui-même avec orgueil, tant il met d’ardeur et de zèle à foie même l’apparence de ce vice l’Remarquez ici l’étendue de sa prudence. Ce qu’il y a de plus triste, ce semble, c’est-à-dire, les afflictions, il les relève à ce point, il en montre si bien la grandeur et l’éclat, que son langage peut sembler orgueilleux. Il en agit de même à la fin de l’épître. Après avoir passé en revue les innombrables périls qu’il a courus, les outrages qu’il a essuyés, ses besoins, ses angoisses, et le reste, il ajoute : « Nous ne prétendons point faire notre éloge, mais vous donner à vous-mêmes l’occasion de vous glorifier ». Il dit la même chose plus loin avec une certaine force, afin d’encourager de plus en plus les Corinthiens. Ici c’est le langage de l’affection « Avons-nous besoin, comme plusieurs, de lettres de recommandation ? » Mais à la fin de cette épître, tout est plein de véhémence et de feu : il le fallait dans l’intérêt des fidèles de Corinthe : « Nous n’entreprenons point de faire notre éloge, mais nous vous donnons à vous-mêmes l’occasion de vous glorifier ». Et ensuite : « Pensez-vous que nous voulions nous excuser nous-mêmes ? C’est en présence de Dieu et dans le Christ que nous parlons. Je crains qu’arrivant parmi vous je ne vous troue pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous le voudriez ».
Il ne veut pas avoir l’air de les flatter en vue de se faire honorer lui-même, et c’est pourquoi il dit : « Je crains qu’arrivant parmi vous je ne vous trouve pas tels que je voudrais et que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous le voudriez ». Ces paroles respirent le blâme ; au début de l’épître il s’exprime en termes moins durs. Que veut-il dire ? Il a parlé de ses épreuves, des dangers qu’il a courus ; des triomphes que Dieu lui a fait remporter par Jésus-Christ et que tout l’univers connaît. C’est parce qu’il vient de rappeler toutes ces circonstances si glorieuses pour lui, qu’il se fait à lui-même cette objection : « Est-ce que j’entreprends de faire mon « propre éloge ? » Voici le sens de ses paroles : Peut-être nous dira-t-on : Eh quoi ! Paul, est-ce ainsi que vous parlez de vous-même ? Est-ce ainsi que vous vous glorifiez ? C’est donc pour renverser cette objection qu’il dit : Nous ne voulons point nous enorgueillir ni nous glorifier. Bien loin d’avoir besoin auprès de vous de lettres de recommandation, nous vous regardons comme étant vous-mêmes notre lettre. « Car vous êtes notre lettre, dit-il ». Qu’est-ce à dire ? Si nous avions besoin de nous recommander auprès des autres, nous vous produirions vous – mêmes comme une lettre de recommandation. Il disait la même chose dans la première épître : « Vous êtes le sceau de mon apostolat ». Il emploie ici une autre forme ; il fait usage de l’interrogation, pour donner plus de force à son discours. « Avons-nous besoin de lettres de recommandation ? »
Puis faisant allusion aux faux apôtres, il ajoute : « Comme d’autres en ont besoin auprès de vous, ou de votre part », auprès des autres. Ensuite il adoucit ce qu’il vient de dire, en ajoutant : « Vous êtes, notre lettre, écrite dans nos cœurs, et cette lettre tous les hommes la connaissent(2). Tout le monde a sait que vous êtes la lettre du Christ ». Ici, il rend témoignage non seulement de leur charité, mais encore de leurs bonnes actions, puisqu’il suffit de leurs vertus pour prouver la dignité du maître. C’est ce qu’il veut dire par ces paroles : « Vous êtes notre lettre ». Une lettre pourrait nous recommander et nous attirer le respect ; or on est plein d’estime pour nous, dès que l’on vous a vus et entendus. La vertu des disciples est pour le maître une meilleure recommandation, un plus bel ornement que n’importe quelle lettre. – « Inscrite dans nos cœurs », c’est-à-dire, que tout le monde connaît. Vous êtes sans cesse dans notre cœur, et ainsi nous vous portons partout où nous allons. C’est comme si l’apôtre disait : Vous nous recommandez auprès des autres ; vous êtes sans cesse dans notre cœur, et partout nous publions vos bonnes œuvres. Ainsi nous pouvons nous passer de vos lettres, puisque vous nous servez vous-mêmes de lettres de recommandation mais nous n’avons pas besoin non plus d’être recommandés auprès de vous, parce que nous vous aimons avec tendresse. C’est à des inconnus que l’on présente des lettres de recommandation ; mais vous, sans cesse vous êtes présents à notre pensée. Il ne dit pas simplement : « Vous êtes », mais « vous êtes inscrits ». C’est-à-dire, vous ne pouvez sortir de notre cœur. Tous ceux qui connaissent notre cœur, y lisent comme dans une lettre l’amour que nous vous portons.
2. Si par une lettre je reconnais que tel ou tel est mon ami, si en conséquence je traite avec lui familièrement, l’amour que vous me portez produit le même effet. Si donc nous nous rendons parmi vous, toute recommandation devient inutile, puisque votre affection nous en tient lieu ; si nous nous dirigeons d’un autre côté, là encore nous pouvons nous passer de lettres : votre charité nous suffit bien ; car nous portons une lettre dans nos cœurs. Il va plus loin, et les appelle une lettre du Christ : « Tout le monde sait », dit-il, « que vous êtes une lettre du Christ ». Il part de là pour examiner ce qui concerne la loi. – Ils sont, dit-il, d’une autre manière encore, la lettre de l’apôtre. Tout à l’heure ils lui servaient de lettre de recommandation ; maintenant il les appelle la lettre du Christ, parce qu’ils ont la loi de Dieu gravée dans leurs cœurs. Tout ce que Dieu a voulu vous faire connaître, à vous et aux autres, tout cela est gravé dans vos cœurs. Nous vous avons préparés à recevoir les lettres de cet enseignement divin. Moïse grava la Loi sur des tables de pierre ; nous l’avons gravée dans vos âmes. C’est pourquoi l’apôtre dit : « Nous en avons été les secrétaires. ». Jusque-là, point de différence : Les lois de Moïse avaient été écrites par Dieu lui-même ; celle-ci est écrite par l’Esprit-Saint. En quoi diffèrent-elles donc ? « Cette loi, ce n’est pas avec l’encre qu’elle a été écrite, mais par l’Esprit du Dieu vivant ; il l’a écrite non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair qui sont vos cœurs (3) ». Autant il y a de différence entre l’Esprit-Saint et l’encre, entre des tables de pierre et des tables de chair, autant il s’en trouve entre ces deux Lois elles-mêmes ; et par conséquent entre les ministres de celle-ci et les ministres de celle-là.
Il vient encore de parler de lui-même avec éloge, et aussitôt il se reprend en ces termes « Or nous avons confiance en Dieu par Jésus-Christ (4) ».C’est à. Dieu qu’il renvoie toute la gloire : Le Christ, dit-il, est l’auteur de tous ces dons. – « Nous ne pouvons avoir aucune bonne pensée par nous-mêmes, comme venant de nous-mêmes (5) ». C’est une nouvelle précaution que prend l’apôtre. Car il possède au plus haut degré la vertu d’humilité : Aussi dès qu’il a rappelé quelqu’une, de ses bonnes œuvres, il s’empresse de s’en ôter le mérite. C’est ce qu’il fait ici. « Nous ne pouvons avoir a aucune bonne pensée de nous-mêmes, comme venant de nous-mêmes ». Ce qu’il signifie, par ces mots : « Nous avons confiance » ; je n’ai pas voulu m’attribuer une, chose, et une autre à Dieu ; mais c’est à Dieu que j’attribue tout. « Toute notre puissance vient de Dieu qui a nous rendus capables d’être les ministres du Nouveau Testament (6) ». Que veulent dire ces paroles : « Qui nous a rendus capables ? » c’est-à-dire, qui nous a donné la force et l’aptitude nécessaire pour remplir cette mission. N’est-ce pas une grande mission que cette d’apporter au monde des tables de lois, des lettres bien supérieures à la loi et aux lettres anciennes ? Et c’est pourquoi l’apôtre ajoute. « Les ministres, non de la lettre, mais de l’Esprit ».
Voyez une autre, différence. Et quoi donc ? La Loi ancienne n’était-ce pas une Loi spirituelle ? l’apôtre ne dit-il pas : « Nous savons que la Loi est spirituelle ? » Oui, sans doute ; mais elle ne donnait pas l’Esprit-Saint. Ce n’est pas l’Esprit que Moïse apporta aux Hébreux, mais la lettre de la, Loi ; pour nous, Dieu nous a chargés de donner l’Esprit-Saint. L’apôtre insiste sur ce point, et il ajoute : « La lettre tue, mais l’Esprit vivifie ». Ce n’est pas sans raison qu’il parle ainsi ; il songe à ceux qui mettent leur orgueil dans les observances judaïques. Cette lettre dont il parle, c’est la loi de Moïse ; qui châtie les pécheurs ; l’Esprit, c’est la grâce du baptême qui rappelle à la vie ceux que le péché a fait mourir. Après avoir établi cette différence dans la nature des deux lois, il ne s’en tient pas là ; il continue, et achève de la faire voir. Il compare les avantages et la facilité de l’une et de l’autre : c’est par là surtout qu’il s’emparera de ses auditeurs. La loi nouvelle, dit-il, n’offre aucune difficulté, et présente des avantages bien plus nombreux. Si en effet, quand il parle de Jésus-Christ, il rappelle plutôt ce qui est de nature à prouver sa miséricorde que ce qui montre notre propre mérite, bien que notre mérite se trouve joint à la miséricorde divine, à plus forte raison en agit-il ; de la sorte à propos de la Loi nouvelle. Que signifient donc ces paroles : « La lettre tue ? » Saint Paul avait parlé de tables de pierre et de cœurs de chair ; mais la différence entre les deux Testaments n’était pas encore assez sensible. C’est pourquoi il ajoute que l’une est écrite avec de l’encre, l’autre par l’Esprit-Saint. Ce n’était pas encore assez pour encourager les Corinthiens. Ce qu’il ajoute est de nature à leur donner des ailes « La lettre tue », dit-il, « mais l’Esprit vivifie ».
3. Que veut-il dire encore ? Sous la Loi, celui qui pèche, reçoit un châtiment ; dans le Nouveau – Testament, le pécheur s’avance, reçoit le baptême, et il est justifié ; une fois justifié, il vit : car il est soustrait à la mort du péché. La loi punit de mort celui qui est convaincu, d’homicide ; la grâce au contraire l’éclaire et le vivifie. Que dis-je ? un homicide ? Ne suffisait-il pas de ramasser un peu de bois le jour du sabbat pour être lapidé ? C’est pourquoi l’apôtre dit-: « La lettre tue ». Que d’homicides, que de voleurs la grâce n’a-t-elle pas accueillis ! une fois baptisés, ils ont été délivrés de leurs crimes. Ainsi donc : « l’Esprit vivifie ». La Loi surprend un homme dans le péché, elle le trouve vivant, elle lui donne la mort ; la grâce vient trouver le coupable ; il est plongé dans la mort ; elle lui rend la vie. « Venez, dit-elle, venez à moi ; vous tous qui êtes fatigués et accablés sous le faix » ; et elle n’ajoute pas : je vous tourmenterai, mais, « je vous soulagerai ». (Mt. 11,28) En effet le baptême ensevelit les péchés, fait disparaître le passé, donne la vie à l’homme, et imprime toute espèce de grâces dans son cœur, comme sur une table. Voyez donc, je vous prie, quelle est la dignité de l’Esprit-Saint ; puisque les tables qu’il grave valent mieux qua les anciennes, et puisqu’il produit une œuvre meilleure que la résurrection. Car la mort dont il délivre est pire que la première ; il y a entre ces deux morts la même différence qu’entre l’âme et le corps ; car c’est la vie de l’âme que donne le Saint-Esprit. Or si l’Esprit-Saint peut donner une telle vie, à plus forte raison peut-il en donner une moindre. Les prophètes ont pu rendre la Vie du corps, mais ils n’ont pu rendre la vie à l’âme. Personne ne peut remettre les péchés, excepté Dieu : Et encore, cette vie temporelle, les prophètes ne pouvaient la rétablir sans le secours de l’Esprit-Saint.
Ce n’est pas seulement en ce qu’il vivifie, que l’Esprit-Saint est digne de notre admiration ; mais aussi en ce qu’il communique à d’autres cette puissance. « Recevez le Saint-Esprit », dit le Sauveur. Pourquoi ? Est-ce qu’il ne pouvait conférer ce pouvoir, sans nommer le Saint-Esprit ? Assurément ; mais Dieu se sert de ces paroles pour montrer que l’Esprit-Saint a en partage l’essence divine et la puissance suprême, et que sa dignité égale celle des autres personnes. Aussi Jésus-Christ ajoute-t-il : « Ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». (Jn. 20,22) Puisque nous avons recouvré la vie ; conservons-la toujours, et ne nous replongeons point dans la mort : « Car le Christ ne meurt plus ». (Rom. 6,10) Il est mort, mais une fois seulement, à cause de nos péchés, et il ne veut pas que nous soyons sans cesse ramenés au salut par la grâce. Autrement nous n’aurions aucun mérite ; et c’est pourquoi il veut que nous fassions quelque chose de notre côté. Travaillons donc et efforçons-nous de maintenir notre âme dans la vie. Or qu’est-ce que la vie de l’âme ? Vous pouvez en juger par celle du corps. On dit que le corps a de la vie, quand il s’avance d’un pas ferme et qui annonce la santé. Lorsqu’il tombe en défaillance ; lorsqu’il se meut péniblement, mieux vaudrait pour lui la mort que ce reste de mouvement et de vie. Ou bien encore, s’il ne dit rien de sensé, si toutes ses paroles sont déraisonnables, si ses yeux le trompent, mieux vaudrait qu’il fût mort.
De même une âme qui se porte mal, a beau sembler vivante ; elle est morte. Quand l’or lui paraît, non plus de l’or, mais quelque chose de grand et de précieux, quand elle ne se préoccupe plus de la vie future, quand elle rampe à terre, quand elle fait le contraire de ce qu’elle devra faire, elle est morte. Et d’où savons-nous que nous avons une âme ? N’est-ce point par ses actes ? Si donc elle cesse de remplir ses fonctions, elle est morte. Ainsi ; quand, loin de s’appliquer à la vertu, elle prend la bien d’autrui, elle se plonge dans le vice, comment pourrait-on dire qu’elle vit encore ? Vous marchez, il est vrai ; hais les animaux marchent aussi. Vous mangez et vous buvez ; mais les animaux en font autant. Votre corps est debout, et il se soutient sur deux pieds. Cela me prouvé que vous êtes un animal revêtu d’une forme humaine. En tout le reste vous ressemblez à l’animal ; vous n’en différez qu’en ce que votre corps est droit ; c’est là ce qui me trouble et m’épouvante : je crois avoir un monstre sous les yeux. Eh quoi ! Si je voyais un animal qui parle à la manière des hommes, dirais-je que cet animal est homme ? Non, je dirais que c’est un animal plus merveilleux que les autres. Comment croirais-je que vous avez une âme humaine, quand je vous vois lancer des ruades, comme les ânes ; avoir de la rancune, comme les chameaux ; vivre de rapines, comme les loups ; mordre, comme les ours ; voler, comme les renards ; aussi fourbes et rusés que, les serpents, aussi impudents que les chiens ? Comment, dis-je, pourrais-je croire que vous avez une âme ? Voulez-vous que je vous montre une âme – plongée dans la mort, et une âme qui a la vie ? Reportons-nous aux personnages de l’antiquité. Faisons paraître ce riche qui vivait au temps de Lazare, et nous comprendrons alors ce que c’est que la mort de l’âme. L’âme de ce riche était morte, et ses actions nous le montrent clairement. Elle ne faisait rien de ce que l’âme doit faire ; elle mangeait, elle buvait, elle se livrait au plaisir.
4. Ils ressemblent a ce riche, ceux, qui sont sans entrailles et sans pitié ; eux aussi, leur âme est plongée dans la mort. Elle a perdu toute cette chaleur que produit l’amour du prochain ; elle est plus morte qu’un cadavre. Voyez au contraire le pauvre Lazare ; il se retranche dans la citadelle de la Sagesse, et il brille de l’éclat le plus vif ; la faim le dévore, il n’a pas même le nécessaire, et cependant, loin de blasphémer contre Dieu, il supporte ses maux avec courage. Voilà l’énergie de l’âme ; voilà le signe de la force et de la santé. Quand cela manque, n’est-il pas évident que l’âme est morte ? N’est-elle pas morte, cette âme que le diable envahit ; qu’il frappe, qu’il perce, qu’il dévore, sans qu’elle sente aucune douleur, sans qu’elle se plaigne, lors même qu’on lui enlève ses forces ? Le démon s’élance sur elle, elle demeure immobile, elle reste insensible comme un cadavre. Voilà ce qu’elle est nécessairement, dès qu’elle a perdu la crainte de Dieu, dès qu’elle s’est laissée aller à la négligence : son état est plus déplorable que celui des morts. Elle ne se corrompt point sans doute, elle ne tombe pas en poussière comme le corps, mais elle se plonge : dans l’ivrognerie, dans l’avarice, dans de coupables amours, dans les passions les plus funestes. Quoi de plus horrible ?
Si vous voulez voir tout ce qu’il y a d’affreux dans A état, donnez-moi une âme pure, et alors vous pourrez voir clairement combien est hideuse une âme impure. Non, maintenant vous ne pouvez pas vous en faire une idée exacte ; car, tant que nous sommes habitués à une mauvaise odeur, mous ne sentons pas tout te qu’elle a de détestable. C’est après nous être nourris de paroles spirituelles, que nous reconnaissons toute l’étendue du mal, lors même que plusieurs le voient avec indifférence. Je ne parle pas encore de l’enfer. Mais, si vous le voulez, bornons-nous à la vie présente, ne parlons pas même de celui qui commet de honteuses actions, considérons seulement celui qui tient de honteux discours ; voyez combien il est ridicule, comme il s’outrage lui-même, semblable à cet homme dont la bouche vomit l’ordure et qui ainsi souille ses propres vêtements. Si ce qui jaillit de sa bouche est impur, quelle n’est pas l’infection de la source elle-même ? « La bouche parle de l’abondance du cœur ». (Mt. 12,34) Ce que je déplore, ce n’est pas seulement ce mot en lui-même, mais c’est l’indifférence de tant ale chrétiens qui n’en aperçoivent point la turpitude. Voilà ce qui multiplie le mal outre mesure ; c’est que l’on pèche, sans se douter que l’on souille sa conscience.
Voulez-vous donc savoir quel est le crime de ceux qui tiennent des discours honteux ? Voyez rougit de vos propos obscènes ceux qui les entendent. Quoi de plus vil, quoi de plus méprisable qu’un homme tenant de mauvais discours ? Il se met lui-même au rang des histrions et des femmes de mauvaise vie. Que dis-je ? Ils ont plus de pudeur que vous ; comment pouvez-vous former votre épouse à la sagesse, quand par vos discours vous l’excitez à la débauche ? Mieux vaudrait vomir du pus que prononcer un mot obscène. Si votre bouche sent mauvais, on ne vous admettra pas à un, festin ; et quand votre âme exhale une odeur si infecte, vous osez participer aux sacrés mystères ! Si quelqu’un venait Placer sur votre table un vase infect, vous prendriez un bâton pour le chasser. Dieu est présent sur cette table qu’il a formée, (car sa table, c’est notre bouche toute remplie de grâces) et vous proférez des paroles plus impures que le vase le plus infect, et vous ne craignez pas de l’irriter ! Comment ne s’indignerait-il pas ? lui qui est la sainteté, la pureté même ; rien ne l’irrite autant que de telles paroles. Rien non plus ne donne autant d’impudence et de témérité ; que ces paroles proférées ou entendues. Rien ne rompt les nerfs de la pudeur autant que la flamme allumée par ces discours. Dieu a déposé un parfum sur vos lèvres ; vous lui substituez des paroles plus fétides qu’un cadavre ; vous tuez votre, âme, vous la frappez d’immobilité.
Quand vous injuriez quelqu’un, c’est le fait, non de votre âme, mais de la colère ; quand vous prononcez des mots obscènes, ce n’est point votre âme qui parle, c’est la passion ; si vous commettez des médisances, elles ont l’envie pour principe ; si vous dressez des embûches, ce n’est point votre âme qui agit, c’est l’ambition. Rien de tout cela n’est son œuvre, c’est l’œuvre des passions et des maladies qu’elle renferme. De même que la corruption n’est point l’œuvre du corps, mais bien de la mort et de, la souffrance qui agissent sur le corps, de même aussi ces désordres résultent des passions qui sont dans l’âme. Si vous voulez entendre la voix d’une âme vivante, écoutez saint Paul, quand il dit : « Pourvu que nous ayons des aliments et de quoi nous vêtir, nous sommes contents » ; et encore : « La piété est un gain considérable ». (1Tim. 5,6-8) Et ensuite : « Le monde est crucifié pour moi, et moi, pour le monde ». (Gal. 6,14) Écoutez saint Pierre : « Je n’ai ni or ni argent ; mais ce que j’ai, je te le donne ». (Act. 3,6) Écoutez Job rendant grâces et disant : « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté ». (Job. 1,21) Voilà le langage d’une âme pleine de vie, d’une âme qui déploie sa vigueur. Ainsi Jacob disait à son tour : « Je ne demande à Dieu que du pain pour me nourrir, et des habits pour me couvrir ». (Gen. 28,20) Et Joseph : « Comment me rendrais-je à tes séductions et ferais-je le mal en présence du Seigneur ? » (Gen. 39,9) Ce n’est pas ainsi que parlait l’Égyptienne ; mais enivrée de passions, et comme au délire, elle disait : « Viens dormir avec moi ». Maintenant que nous sommes instruits, imitons les âmes vivantes, fuyons cette âme plongée dans la mort, afin d’obtenir un jour la vie éternelle. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même temps qu’au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII. modifier


SI CETTE DISPENSATION DE LA MORT GRAVÉE AVEC DES LETTRES SUR DES TABLES DE PIERRE, SE FIT AVEC TANT D’ÉCLAT, QUE LES FILS D’ISRAËL NE POUVAIENT CONTEMPLER. LE VISAGE DE MOÏSE À CAUSE DE SA SPLENDEUR, LAQUELLE POURTANT A DISPARU ; A PLUS FORTE RAISON LA DISPENSATION DE L’ESPRIT-SAINT SE FERA DANS LA GLOIRE. (III, 7, 8, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier


  • 1-3. Continuation du parallèle entre la Loi ancienne et la Loi nouvelle : supériorité de celle-ci.
  • 4. Divinité du Saint-Esprit.
  • 5-7. Gloire de l’âme-chrétienne. – Il faut combattre l’amour sensuel et rechercher la beauté spirituelle.


1. L’apôtre a dit que les tables de la Loi étaient de pierre, que celles de la grâce sont de chair, que ces tables sont les cœurs des apôtres et qu’elles sont gravées par l’Esprit-Saint. Il a dit encore, que la lettre tue et que l’Esprit vivifie. Pour achever la comparaison, il fallait parler de la gloire de Moïse. La, gloire du Nouveau Testament ne se voit point avec les yeux de la chair. Celle de Moïse semblait donc bien grande, puisqu’elle frappait les sens ; on ne pouvait s’en approcher, mais les yeux l’apercevaient. C’est, l’intelligence, au contraire, qui contemple la gloire du Nouveau Testament. Les faibles ne peuvent comprendre cette supériorité : la gloire de Moïse les étonnait bien davantage et les attirait. L’apure qui vient d’aborder cette comparaison, et qui veut démontrer que la gloire de la nouvelle Loi l’emporte sur celle de la Loi ancienne, a une tâche difficile à remplir, à raison de la grossièreté de ses auditeurs ; voyez avec quelle adresse il procède. D’abord il emploie le raisonnement, pour rendre la différence sensible, et il rattache son discours à ce qu’il a dit tint à l’heure, Si l’une est une loi de mort, dit-il, si l’autre est, une loi de vie, nul doute que celle-ci ne soit plus glorieuse que la première. Il ne peut la faire briller aux yeux du corps : il se sert d’un raisonnement pour en faire voir l’excellence. « Si la dispensation de la mort fut glorieuse, comment la dispensation de l’Esprit ne le serait-elle pas ? »
Par dispensation de la mort ; il entend la loi. Et voyez cependant comme il prend garde de donner prise à l’hérésie ? Il ne dit pas : la loi produit la mort, mais « elle produit une dispensation de la mort. ». Elle dispensait la mort, mais, ne l’enfantait point. Ce qui produisait la mort, c’était le péché. La loi infligeait le supplice, elle faisait ressortir la faute, mais né la faisait point. Oui, elle faisait ressortir le mal et le punissait, mais elle ne poussait pas au mal. Elle se présentait non pour produire le péché ou pour donner la mort, mais uniquement pour punir celui qui avait péché, et de la sorte elle effaçait le péché. En montrant tout ce qu’il y a d’horrible dans le péché, elle excitait à l’éviter, Celui qui prend un glaive et qui tranche la tête à un scélérat, prête sors ministère au juge qui prononce la sentence ; bien qu’il tranche la tête, ce n’est pas lui cependant qui donne la mort. Ce n’est pas non plus celui qui prononce une sentence de condamnation, mais bien le crime du coupable que l’on punit. De même ici, ce n’est pas la loi qui donnait la mort, c’était le péché qui faisait mourir et condamnait. Pour elle, par ses menaces, elle abattait la violence de la passion, et la comprimait par la crainte des châtiments. Mais l’apôtre ne se contente point de montrer ainsi la supériorité de la loi de grâce ; il ajoute : « Gravée avec des lettres sur des tables de pierre ». Voyez comme il rabaisse l’orgueil des Juifs. La loi, ce n’était pas autre chose que des lettres gravées sur la pierre. Mais quel secours pouvaient-elles fournir ? Pouvaient-elles animer les combattants, comme fait le baptême ? C’étaient des tables gravées qui menaçaient de mort ceux qui en violaient les préceptes. Voyez-vous comme il confond les prétentions des Juifs ? Comment, par les noms qu’il lui donne, il affaiblit la dignité de leur loi : ce sont des tables de pierre, ce sont des caractères qui sont les ministres de la mort, des caractères empreints, gravés sur la pierre. N’est-ce pas comme s’il disait que cette loi n’était établie qu’eu un seul lieu, bien différente en cela de l’Esprit, qui, présent partout, partout aussi inspire la force et le courage ? Ne veut-il pas dire aussi que ces lettres respirent toutes sortes de menaces, et de ces menaces qui ne peuvent disparaître, qui demeureront toujours, vu qu’elles sont gravées sur le roc ?
Et ensuite, tout en donnant des louanges à cette loi de Moïse, cependant il n’épargne pas les reproches au peuple juif. Après avoir dit « Gravée avec des caractères sur des tables de pierre, elle fut entourée de gloire », il ajoute « En sorte que les fils d’Israël ne pouvaient contempler le visage de Moïse », paroles qui font bien voir la faiblesse des Juifs et leurs tendances vers les choses de la terre. Il dit encore, non pas à cause de la gloire des tables de la Loi, mais, « à cause de la gloire de son visage, laquelle gloire, a disparu bientôt ». C’était donc lui, Moïse, qui était environné de gloire, et non pas les tables de la Loi. Saint Paul ne dit pas en effet qu’ils ne pouvaient contempler ces tables de pierre, mais « le visage de Moïse » ; et il ajoute, non pas à cause de la gloire des tables, mais, « à cause de la gloire de son visage ». Et après avoir fait briller cette gloire, voyez comme il la fait disparaître, en disant : « laquelle a cessé de briller ». Ce n’est pas un reproche qu’il adresse à Moïse, il veut simplement diminuer son mérite. Il ne dit pas : laquelle a été corrompue, laquelle a été mauvaise ; mais seulement, laquelle a cessé, laquelle a disparu. « Comment donc la dispensation de l’Esprit ne serait-elle point plus glorieuse encore ? » C’est avec la plus ferme assurance qu’il célèbre la dignité du Nouveau Testament, comme tout à fait hors de doute. Et voyez ce qu’il fait : au cœur il oppose une pierre ; aux lettres, l’Esprit-Saint. Après avoir indiqué les conséquences des deux Lois, il n’y revient plus. Il se contente de rappeler les effets de la lettre, à savoir, la mort et la condamnation, et ne parle point de ceux de l’Esprit qui sont la vie et la justice ; aux effets de la Loi il oppose l’Esprit-Saint lui-même. Le discours y gagne en énergie. Car le Nouveau Testament ne donne pas seulement la vie, mais il communique l’Esprit-Saint lui-même, auteur de la vie. Il donne donc beaucoup plus que la vie. C’est pourquoi l’apôtre dit : « La dispensation de l’Esprit-Saint ». Ensuite il reprend la même pensée, en disant : « Car si la dispensation de la condamnation est accompagnée de gloire ».
2. II expose plus clairement ici le sens de ces paroles : « La lettre tue ». Il dit en effet ce que nous disions tout à l’heure, à savoir que la Loi fait connaître le péché, sans le produire elle-même. « À plus forte raison la dispensation de la justice surabonde-t-elle en gloire (9) ». Les tables de la Loi indiquaient les pécheurs et les punissaient ; quant à la Loi de grâce, non seulement elle ne punit point, mais encore elle justifie ; tel est en effet le don salutaire du baptême. « Et la gloire de la Loi n’est point une véritable gloire, si on la compare avec la gloire sublime de l’Évangile (10) ». Plus haut il montrait déjà la gloire de l’Évangile, non une gloire quelconque ; mais une gloire abondante ; il n’a pas dit simplement Comment le ministère de l’Esprit ne serait-il pas accompagné de gloire ? Mais bien : « il surabonde en gloire ». Et il en donne les preuves que nous avons vues. Maintenant, il fait voir jusqu’à quel point la gloire de l’Évangile l’emporte sur celle de la Loi de Moïse. Si vous les comparez l’une à l’autre, dit-il, la gloire de l’Ancien Testament ne, peut même s’appeler gloire. Il ne parle point d’une manière absolue, mais il établit un parallèle ; aussi ajoute-t-il : « à ce point de vue », c’est-à-dire, en comparaison. Ce n’est point là condamner l’Ancien Testament, c’est le louer au contraire, car on ne compare que des objets analogues.
Puis il invoque un autre argument qui démontre d’une autre manière encore la supériorité de l’Évangile. Et quel est cet argument ? Il est pris de la durée des deux Lois. « Si ce qui finit est accompagné de gloire, à plus forte raison ce qui demeure est-il accompagné de gloire (11) ». L’Ancien Testament a fini, le Nouveau subsistera toujours. – « C’est parce que nous avons une telle espérance, que nous sommes remplis de confiance (12) ». L’auditeur qui vient d’entendre un éloge si magnifique du Nouveau Testament, souhaitait de voir de ses yeux cette gloire si excellente. Aussi voyez comme il le transporte au siècle futur ! Il fait luire à ses yeux l’espérance : « Parce que nous avons un tel espoir », dit-il. Et quel espoir ? Parce que nous avons été jugés dignes de plus grandes choses que Moïse lui-même, non seulement nous qui sommes apôtres, mais vous aussi qui êtes de simples fidèles, pour cette raison, « nous sommes remplis de confiance ». Auprès de qui ? Auprès de Dieu, ou auprès de nos disciples ? Auprès de vous, dit-il, qui êtes mes disciples. C’est-à-dire, partout nous parlons avec liberté, sans rien cacher, sans rien dissimuler, sans aucune arrière-pensée, mais avec une entière franchise. Nous ne craignons pas d’éblouir vos yeux, comme Moïse éblouissait les yeux des Juifs. Que telle soit la pensée de l’apôtre, la suite vous le montrera. Racontons d’abord ce qui se passa dans le désert ; l’apôtre d’ailleurs y revient sans cesse. Que se passa-t-il donc alors ? Moïse, ayant reçu de nouveau les tables de la Loi, descendit de la montagne, et son visage resplendissait d’un tel éclat, que les Juifs ne purent ni s’approcher de lui, ni converser avec lui, tant qu’il n’eut pas voilé son visage. C’est ce que dit l’Exode : « Lorsque Moïse fut descendu de la montagne, il tenait dans ses mains les deux tables de la Loi. Il ne savait pas que son visage fût resplendissant de gloire ; et les Juifs n’osaient s’approcher de lui. Moïse les appela et leur adressa la parole. Et quand il eut cessé de leur parler, il mit un voile devant sa face. Mais quand il s’avançait devant a le Seigneur, pour s’entretenir avec lui, il « enlevait le voile et restait la tête découverte, jusqu’à ce qu’il eut quitté le Seigneur ». (Ex. 34,29-34)
L’apôtre rappelle ce récit en disant : « Et non pas comme Moïse qui mettait un voile « sur son visage, de manière que les fils d’Israël ne vissent point son visage. Mais tout cela a fini (13) ». Comme s’il disait : Il n’est pas nécessaire que nous nous voilions le visage comme faisait Moïse. Vous pouvez contempler cette gloire qui nous environne de sa splendeur, bien que cet éclat soit bien plus vif que l’éclat de la gloire de Moïse. Voyez les progrès que les Corinthiens ont faits ! Dans sa première épître, il leur disait : « Nous vous avons donné du lait à boire, mais pas de nourriture solide ». (1Cor. 3,2) Il leur dit maintenant : « Nous sommes remplis de confiance ». Il fait paraître Moïse, et par les comparaisons qu’il emploie, il élève son discours afin d’élever en même temps ses auditeurs. Et d’abord il les met avant les Juifs, quand il dit : Nous n’avons pas besoin de nous couvrir d’un voile, comme Moïse était obligé de – le faire en présente de son peuple. Ce qui vient ensuite se rapporte à la dignité du Législateur, ou à quelque chose de plus grand peut-être. Mais écoutons maintenant ce que dit l’apôtre : « Leurs esprits étaient endurcis. Jusqu’à ce jour le même voile est étendu devant leurs yeux, quand ils lisent, l’Ancien Testament, car ce voile ne s’ôte que par Jésus-Christ (14) ». Voici ce que l’apôtre veut établir. Ce voile dont Moïse couvrit une fois son visage, ce même voile est perpétuellement étendu sur la Loi. L’apôtre ne prétend donc point déprécier la toi ancienne, ni Moïse dont le visage était voilé, mais seulement faire des reproches aux Juifs ingrats : La Loi brille d’une gloire qui lui est propre ; mais, les Juifs n’ont, pu, la contempler. Qu’y a-t-il donc dé surprenant, dit-il ; s’ils ne peuvent voir cette gloire de la grâce, quand ils n’ont pas même vu la gloire plus faible de Moïse, ni pu contempler son visage ? Pourquoi vous troubler de voir les Juifs refuser de croire en Jésus-Christ, puisqu’ils ne erraient pas même à leur Loi ? S’ils n’ont point connu la grâce, c’est précisément parce qu’ils n’ont connu ni l’Ancien Testament, ni sa gloire. Car la gloire de la Loi, c’est de convertir à Jésus-Christ.
3. Voyez-vous comme l’apôtre confond l’orgueil des Juifs. Ils mettaient leur gloire dans cet éclat du visage de Moïse ; et c’est par là que saint Paul leur démontre leur grossièreté et leur bassesse. Qu’ils cessent donc de s’en glorifier ! Que leur importe cet éclat, puisqu’ils ne purent en jouir ? Il insiste en leur disant que le voile demeure étendu devant leurs yeux, quand ils lisent l’Ancien Testament, et qu’il ne saurait être levé que par Jésus-Christ. Bien plus, quand ils lisent les livres de Moïse, ce voile est sur leur cœur ; et ainsi il est à la fois devant leurs yeux et devant leurs cœurs. Plus haut il disait : « En sorte que les fils d’Israël ne pouvaient contempler le visage de Moïse, à cause de l’éclat dont il resplendissait, lequel éclat a cessé », Et quoi de plus dégradant qu’une telle faiblesse ? Ils ne peuvent fixer leurs regards sur une gloire qui s’évanouit, sur une gloire qui n’est rien en comparaison de la gloire de l’Évangile ; un voile la leur cache, de manière qu’ils n’aperçoivent pas la fin de ce qui finit, c’est-à-dire de la foi qui a disparu. « Mais leur intelligence a été obscurcie ». Et quel rapport entre ces paroles, et le voile de Moïse ? C’est que ce voile figurait l’avenir. Ils n’aperçurent pas, l’éclat du visage ; maintenant ils ne comprennent pas la Loi. Et c’est leur faute : l’obscurcissement de l’intelligence est le signe de la paressé et dé la lâcheté. C’est nous au contraire qui connaissons la Loi : le voile leur cache non seulement la grâce, mais la Loi elle-même.
« Jusqu’à ce jour le même voile demeure devant eux, quand ils lisent l’Ancien Testament, et ce voile ne s’ôte que par Jésus-Christ ». Voici le sens de ces paroles. Ils ne peuvent voir que la fin de la Loi est venue, parce qu’ils ne croient pas au Christ. C’est le Christ qui a mis fin à la Loi, comme la, Loi elle-même le dit : Comment donc les Juifs qui ne reçoivent pas le Christ qui a fait disparaître la Loi, pourraient-ils voir que la. Loi n’existe plus ? S’ils ne le peuvent voir, n’est-il pas manifeste qu’ils ne connaissent point non plus la force et la gloire de la Loi ? Et me demandez-vous, où la Loi dit-elle qu’elle est abolie parle Christ ? non seulement elle le dit, mais elle le montre par les faits eux-mêmes. N’a-t-elle pas renfermé dans un seul lieu tous les sacrifices et tous les rites sacrés, et le temple n’a-t-il pas été renversé ? Si elle n’avait pas voulu que les sacrifices avec tout ce qui s’y rapporte, cessassent un jour d’exister, de deux choses l’une, ou bien elle n’aurait point, détruit le temple, ou bien si le temple eût été détruit, elle n’aurait point défendu de sacrifier ailleurs.
Mais il est défendu de sacrifier en aucun lieu dé l’univers, pas même à Jérusalem ; le temple seul est le lieu dès sacrifices ; et le voilà détruit. Les faits eux-mêmes ont donc montré que le Christ a mis fin aux rites de la Loi. C’est le Christ en effet qui a fait disparaître le temple. Voulez-vous maintenant en être, convaincus par les paroles mêmes de la Loi, écoutez le Législateur lui-même : « Du milieu de vos frères Dieu vous suscitera un prophète semblable à moi ; vous lui obéirez en tout ce qu’il vous commandera. Et toute âme qui n’écoutera point ce prophète ; sera exterminée ». (Deut. 18,18-19) Voyez-vous comment la Loi montre que le Christ la fera disparaître ? Ce prophète, c’est-à-dire, le Christ Dieu incarné, le Christ que Moïse ordonne d’écouter, a fait cesser le sabbat, la circoncision et toutes tes autres cérémonies légales. David exprime la même pensée, quand il dit du Christ : « Tu es prêtre éternellement selon l’ordre de Melchisédech » (Ps. 109,4), et non pas selon l’ordre d’Aaron. C’est cette parole que saint Paul interprète avec la plus grande clarté en ces termes : « Le sacerdoce ayant été transféré, il est nécessaire que la Loi soit ellemême transférée ». (Héb. 7,12) Dans un autre endroit il tient encore le même langage « Vous n’avez plus voulu des sacrifices et des offrandes ; les holocaustes pour le péché ne vous ont point plu ; alors j’ai dit : Voici que je viens ». (Héb. 10,5-7)
Que d’autres passages de l’Ancien Testament nous pourrions citer pour montrer que le Christ a mis fin à la Loi de Moïse ! Quittez donc la Loi pour bien voir la Loi ; tant que vous y demeurerez attachés, tant que vous refuserez de croire en Jésus-Christ, vous ne verrez pas la Loi. C’est pour mieux établir cette vérité que l’apôtre ajoute : « Jusqu’à ce jour, quand ils lisent les livres de Moïse, un voile est étendu sur leurs cœurs ». Il vient de dire qu’un voile est étendu sur la lecture de l’Ancien Testament ;. maintenant il veut empêcher qu’on n’entende ces paroles de l’obscurité de la Loi. Et déjà il affirmait que les Juifs étaient coupables, en disant : « Leur intelligence a été obscurcie ». Il l’affirme encore dans le pas sage que nous venons de piler. Il n’a pas dit en effet : Le voile est étendu sur les expressions de la Loi, mais « sur la lecture ». Or la lecture est l’acte de ceux qui lisent. Il dit encore : « Quand ils lisent les livres de Moïse ». Mais son langage lest plus clair encore dans ces paroles : « Un voile est étendu sur leurs cœurs ». Le voile couvrait le visage de Moïse, non pas à cause de Moïse lui-même, mais à cause de la grossièreté des Juifs et de leurs âmes charnelles.
4. Après lui avoir fait ces reproches, il leur fait voir comment ils peuvent ne plus les encourir. « Quand les Juifs seront revenus au Seigneur », c’est-à-dire, quand ils auront renoncé à leur Loi, « le voile sera enlevé ». Voyez-vous que le voile couvrait non pas le visage de Moïse, mais celui des Juifs ? Il s’agissait non pas de cacher la gloire de Moïse, mais d’empêcher les Juifs de l’apercevoir. Car ils n’auraient pu en soutenir la vue. C’était donc une conséquence de leur faiblesse : ce, voile ne dérobait à Moïse aucune connaissance, mais il arrêtait les regards des Juifs. Si l’Apôtre ne dit pas en propres termes. Quand ils auront abandonné la loi, il le fait assez entendre par ces paroles : « Quand ils seront revenus au Seigneur, le voile sera enlevé ». Il continue jusqu’au bout son allusion à la même histoire. Quand Moïse parlait aux Juifs, il voilait son visage ; quand il se tournait vers le Seigneur, le voile tombait. C’était une figure de l’avenir. Quand nous nous tournerons nous-mêmes vers le Seigneur, alors nous contemplerons la gloire de la Loi, nous verrons à découvert le visage du Législateur. Bien plus, nous – serons élevés au même rang que Moïse.
Voyez-vous comme l’apôtre excite les Juifs à embrasser la foi de l’Évangile ? S’ils croient en Jésus-Christ, non seulement ils pourront contempler Moïse, mais ils se tiendront au même rang que le Législateur lui-même. non seulement, dit-il, vous verrez cette gloire, que vous ne vites pas alors, mais vous brillerez de la même gloire que lui. Que dis-je ? Votre gloire sera plus brillante encore, si brillante que la gloire de Moïse n’est qu’une ombre en comparaison. Et comment cela ? Oui, si vous revenez au Seigneur ; si vous entrez dans la grâce, la gloire dont vous serez environnés sera-t-elle que la glaira de Moïse n’est rien en comparaison. Mais quoique la gloire de votre Législateur soit si peu de chose et si inférieure à cette autre que je vous annonce, vous n’y arriverez pas, tant que vous resterez. Juifs. D’où il suit que ni du temps de Moïse, ni maintenant, les Juifs n’ont vu ni ne voient cette gloire. Mais si vous embrassez la foi, la bonté de Dieu vous en découvrira une autre bien plus magnifique. Quand il s’adressait aux fidèles, il disait que la gloire de Moïse n’avait pas été une gloire véritable : il ne s’exprime plus maintenant de la même manière ; que dit-il donc ? « Quand les Juifs se seront convertis au Seigneur, le voile sera enlevé ». Il élève peu à peu les Juifs, et les place d’abord au même rang que Moïse lui-même, pour les mettre ensuite en participation des biens d’un ordre supérieur : Quand vous aurez contemplé la gloire de Moïse, dit-il, alors vous vous convertirez au Seigneur et votre gloire l’emportera sur la sienne. Voyez que de circonstances il, signale pour faire ressortir la différence du Nouveau et de l’Ancien Testament, pour établir la supériorité de l’un sur l’autre, sans les mettre néanmoins en opposition l’un avec l’autre. L’Ancien Testament, c’est la lettre, ce sont des tables de pierre, c’est un ministère de mort, il a disparu ; et cependant les Juifs n’ont pas même pu en contempler la gloire ; le Nouveau Testament, ce sont des tables de chair, c’est l’Esprit-Saint, c’est la justice, et il subsistera toujours ; et tous nous sommes appelés à le contempler ; cet honneur n’est point réservé à un seul, comme l’honneur de contempler la Loi ancienne fut réservé au seul Moïse. « Tous », dit l’apôtre, « nous contemplons la gloire », non de Moïse, « mais du Seigneur ».
Mais plusieurs combattant les vérités les plus claires, prétendent que ces paroles « lorsqu’ils se seront convertis au Seigneur », se rapportent au Fils. Étudions-les donc avec soin, et voyons d’abord les motifs sur lesquels ils s’appuient. Quels sont-ils ? De même, disent-ils, que l’Écriture dit : Dieu est Esprit ; de même aussi en cet endroit elle dit : Le Seigneur est Esprit. Mais non, l’Écriture n’a pas dit : Le Seigneur est Esprit, mais bien : L’Esprit est le Seigneur. Il y a une grande différence entre ces manières de dire. Quand l’Écriture veut s’exprimer comme vous dites, elle ne joint pas l’article à l’attribut. Mais revenons sur nos pas, et voyons de qui l’apôtre, a voulu parler, quand il disait : « La lettre tue, l’Esprit vivifie » ; et encore : « La loi écrite non avec l’encre, mais par l’Esprit du Dieu vivant ». Est-ce du Fils ou de l’Esprit-Saint qu’il veut parler ? Évidemment c’est de l’Esprit-Saint : car il exhortait les Juifs à quitter la lettre pour se rendre à l’Esprit-Saint. Mais peut-être en entendant ce mot : « l’Esprit », les Juifs trouveront leur condition inférieure à celle de Moïse, puisque Moïse « s’est tourné vers le Seigneur » et eux vers l’Esprit-Saint, C’est pour prévenir cette erreur, que l’apôtre dit : « L’Esprit-Saint est le Seigneur » ; c’est-à-dire, lui aussi est Dieu. Et pour qu’ils comprennent bien qu’il s’agit du Paraclet, il ajoute : « Là où se trouve l’Esprit du Seigneur, là est la liberté ». Impossible de supposer que l’apôtre ait voulu dire : Là où se trouve le Seigneur du Seigneur. Quant à la liberté, il l’oppose à la servitude de la Loi. Ce n’est point du temps à venir qu’il parle, puisqu’il dit ensuite : « Contemplât sans voile la gloire du Seigneur » ; non pas celle qui finit, mais celle qui demeure, d’une gloire nous passons à une autre ; transformés à son image, comme par l’Esprit-Saint qui est le Seigneur (18) ».
Voyez-vous comme il affirme la divinité du Saint-Esprit, comme il met les fidèles au même rang que les apôtres ? D’abord il disait : « Vous êtes la lettre du Christ » ; et ici : « Tous nous contemplerons sans aucun voile ». Or les apôtres étaient venus portant la Loi, comme autrefois Moïse. Mais, dit-il, nous qui sommes apôtres, nous n’avons pas eu besoin de voiles ; vous n’en avez pas eu besoin non plus, vous, qui avez reçu l’Évangile. Or celte gloire est bien autrement éclatante que celle de Moïse : car ce n’est pas la gloire de notre visage, mais celle de l’Esprit-Saint ; et néanmoins, vous aussi bien que nous, vous pouvez y fixer vos regards. Les Juifs ne le purent pas même par un intermédiaire ; vous, sans médiateur, vous pouvez contempler une gloire plus grande ; ils ne purent contempler la gloire de Moïse, vous, vous pouvez contempler celle de l’Esprit-Saint. Si l’Esprit-Saint occupait un rang inférieur ; assurément l’apôtre n’eût point déclaré cette gloire de l’Évangile supérieure à celle de la Loi.
5. Mais que signifient ces paroles : « Contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image ? » Le sens de ces mots était plus clair, quand le don des miracles déployait toute sa puissance. Cependant on n’aura pas de peine à les comprendre aujourd’hui, si on les envisage avec les yeux de la foi. Quand nous recevons le baptême, notre âme a plus d’éclat que le soleil, purifiée qu’elle est par le Saint-Esprit ; non seulement nous apercevons la gloire de Dieu, mais nous y puisons une certaine splendeur : Voyez l’argent bien pur, exposé aux rayons du soleil lui-même lance des rayons, non pas seulement en vertu de sa propre nature, mais aussi parce qu’il est éclairé par l’astuce du jour : de même l’âme purifiée de ses souillures, devenue plus brillante que l’argent, reçoit les rayons glorieux de l’Esprit-Saint qui les réfléchit à son tour. C’est pourquoi l’apôtre dit : « Contemplant la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en une même image, par la gloire de l’Esprit-Saint, dans la gloire », qui nous est propre désormais, qui réside en nous, et qui a tout l’éclat d e son origine, qui est l’Esprit-Saint.
Voyez donc comment ici encore il qualifie l’Esprit-Saint, de Seigneur ! Ailleurs aussi on peut remarquer son souverain empire : « Pendant qu’ils priaient le Seigneur et qu’ils jeûnaient », disent les Act. « l’Esprit-Saint leur dit : Choisissez pour moi Paul et Barnabé. » (Act. 13,2) Pourquoi l’Écriture emploie-t-elle ces paroles : « Tandis qu’ils priaient le Seigneur, choisissez pour moi », sinon pour montrer que l’Esprit-Saint est au même rang que les autres personnes divines. Le Christ lui-même avait dit : « Le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ». (Jn. 15,15) Or de même que l’homme connaît ce qui est en lui, de même l’Esprit-Saint connaît les choses de Dieu, sans avoir besoin de les apprendre : autrement la comparaison ne se soutient plus. Ce qui montre encore l’autorité suprême et la puissance du Saint-Esprit, c’est qu’il agit selon sa volonté. C’est lui qui nous transforme, c’est lui qui nous empêche de nous conformer au siècle présent, c’est lui qui est l’auteur de cette nouvelle création : L’Écriture dit : « Nous avons été créés en Jésus-Christ ». (Eph. 2,10) Et elle dit aussi : « O Dieu, créez en moi un cœur nouveau, et mettez dans l’intime de mon âme un esprit droit ». (Ps. 50,12)
Voulez-vous mieux comprendre encore cette puissance de l’Esprit-Saint ? Voyez les merveilles opérées par les apôtres ! Songez à saint Paul, dont les vêtements taisaient des miracles, à saint Pierre dont l’ombre même avait tant d’efficacité ! S’ils n’eussent porté en eux-mêmes l’image du R. à leurs âmes n’eussent brillé d’un éclat incomparable, leurs vêtements et leurs ombres eussent-elles opéré ces prodiges ? Le vêtement royal suffit pour épouvanter les voleurs. Voulez-vous voir resplendir cette gloire même à travers le corps. « Contemplant le visage d’Étienne, ils le virent semblable à celui d’un ange ». (Act. 5,15) Et cependant qu’était-ce que cet éclat en comparaison de celui qui brillait au dedans du martyr ? Cette gloire dont resplendissait le visage de Moïse, elle entourait leurs âmes ; elle était donc bien plus précieuse. L’éclat du visage de Moïse frappait les sens ; la gloire des martyrs et des apôtres n’avait rien de matériel. Les corps enflammés en tombant sur d’autres corps leur communiquent leur propre éclat ; c’est ce qui arrive pour les fidèles. Aussi quittent-ils, pour ainsi dire, la terre, pour ne plus s’occuper que des choses célestes.
Hélas ! oui, oui, gémissons amèrement : élevés à une si éminente dignité, nous ne savons pas même ce que l’on nous dit à ce sujet, tant cet éclat passe vite, tant nous mettons d’empressement à courir après les biens sensibles. Cette splendeur mystérieuse et vénérable, elle dure en nous un jour ou deux, pour s’évanouir ensuite. Nous en chassons les rayons par la tempête des choses mondaines, par les épais nuages que nous amoncelons. Car les affaires de cette vie ressemblent à une tempête, si toutefois elles ne sont plus tristes qu’une tempête. Sans doute elles n’amènent ni le froid, ni la pluie, elles ne produisent ni boue ni limon ; mais que leurs conséquences sont plus terribles ! Elles aboutissent à l’enfer et aux maux de l’enfer. La violence du froid engourdit les membres, leur donne là mort ; ainsi la tempête des péchés refroidit les âmes, qui ne remplissent plus leurs fonctions, qui s’engourdissent pour ainsi dire dans la glace de la conscience tue mauvaise conscience est, pour l’âme ce qu’est le : froid pour le corps : elle fait frissonner l’âme de crainte. Rien de plus timide que l’homme attaché aux choses de la vie. Il ressemble à Caïn, qui sans cesse tremblait de frayeur. A quoi bon parler de la mort, de la perte des biens, des haines ; des pièges de la flatterie ? Il y a mille autres dangers qu’il redoute. Ses coffres regorgent d’or ; mais son âme craint sans cesse la pauvreté ; et c’est avec raison : Il s’attache à ce qui passe, à ce qui change, il y fixe, pour ainsi dire, son ancre ; quand même il ne fait pas naufrage lui-même, la vue du naufrage des autres suffit pour le tuer ; il est craintif, il est lâche. Et ce n’est pas seulement au milieu du danger qu’il fait preuve de lâcheté, mais en toute circonstance. Si l’avarice s’empare de son âme, il ne saura point la repousser avec une généreuse liberté ; mais il se fera l’esclave de cette passion tyrannique, comme s’il s’était vendu à elle. Qu’il voie une jeune fille, le voilà séduit aussitôt par la beauté de son visage, il la suit, comme un chien dévoré par la rage, tandis qu’il devrait faire tout le contraire.
6. Quand volis voyez une belle femme, cherchez non pas à satisfaire votre passion, mais à vous en délivrer : Et comment y parviendrai-je, dites-vous ? Car je ne suis pas libre d’aimer ou de ne pas aimer. Qui donc vous contraint à éprouver cet amour coupable ? Est-ce le démon ? Vous croyez que c’est le démon qui vous tend un piège. – Eh bien ! combattez, luttez contre votre passion. – Mais je ne puis, dites-vous. – Sachez donc tout de suite que votre lâcheté en est la cause, que dès le principe vous avez donné au démon entrée dans votre âme, et que maintenant, si vous le voulez, vous le repousserez aisément. Dites-moi, ceux qui commettent l’adultère, y sont-ils amenés par la violence dé leur amour, ou bien seulement par le désir de courir un danger ? Évidemment c’est l’amour qui les entraîne. Est-ce un motif suffisant d’excuse ? Non, assurément. Pourquoi, parce qu’ils ont commis l’adultère par leur faute.
A quoi bon tous ces raisonnements, direz-vous ? Je sens bien que je voudrais me délivrer de cette passion, mais que je n’en ai point la force. Elle me poursuit sans cesse, elle m’accable, elle me tourmente. – Vous voulez, dites-vous, vous en délivrer. Mais, vous ne faites rien de ce qu’il faudrait. Vous ressemblez à un homme qui, brûlé par la fièvre, ne cesserait de boire de l’eau fraîche et dirait : que d’expédients j’imagine pour apaiser ma fièvre, et je n’en viens pas à bout ; je ne fais qu’en accroître la violence ! Et vous, ne ranimez-vous point sans cesse les flammes de votre passion, tout en vous imaginant faire usage de ce qui pourrait les éteindre ? – Oh ! non, dites-vous. – Eh, bien, je vous le demande, qu’avez-vous donc fait pour apaiser votre passion ? Comment en général se développe une passion ? Nous ne sommes pas tous, il est vrai, sujets aux mêmes faiblesses, et on trouverait bien plus d’esclaves de l’amour des richesses que l’on ne trouverait d’esclaves de la beauté des corps, mais le remède, que je propose peut convenir à tous, à ceux-ci comme à ceux-là. L’amour des uns n’est pas moins absurde que celui des autres ; mais l’amour qu’excite la beauté corporelle est plus vif, plus violent. Si nous triomphons de celui-ci, nul doute que nous ne triomphions de celui-là ; qui est plus faible.
Mais, direz-vous, si la passion de l’amour a plus de violence, comment se fait-il qu’elle ne s’empare point de tout le monde, et qu’un si grand nombre coure après les richesses avec une véritable fureur ? – C’est que cette passion des richesses semble moins dangereuse ; ensuite, si la passion de l’amour a plus de violence, elle s’éteint aussi plus vite. Si elle persistait, comme l’avarice, c’en serait fait de celui dont elle s’empare. Parlons donc de cet amour que fait naître la beauté corporelle, et voyons comment se développe cette coupable faiblesse. Nous saurons alors si nous sommes à coupables ou non ; si nous sommes coupables, ne négligeons rien pour triompher du mal ; il n’y a rien de notre faute, pourquoi nous tourmenter en vain ? Au lieu de blâmer les victimes de l’amour, pourquoi ne pas leur pardonner au contraire ? – Comment donc l’amour prend-il naissance dans une âme ? Ce qui le produit, dites-vous, c’est la beauté du visage : un beau visage, un visage plein d’agréments, porte à l’âme une profonde blessure. – Vaines paroles ! S’il suffisait de la beauté pour produire l’amour, cette jeune fille aurait tout le monde pour amants. Il n’en est pas ainsi, et c’est pourquoi il ne faut attribuer cette passion ni à la beauté ni à la nature, mais à l’immodestie des regards. Vous la contemplez avec admiration, vous soupirez après tant de charmes ; et le trait s’enfonce dans votre cœur. – Eh, dites-vous, comment voir une belle femme, sans se sentir épris d’admiration ? S’il ne dépend pas de nous d’admirer ou de ne pas admirer, nous ne sommes donc pas libres non plus de ne pas aimer.
Arrête, ô homme ! Pourquoi confondre ainsi toutes choses, pourquoi se jeter ainsi de tous côtés, sans vouloir découvrir la racine du mal ? Combien n’y en a-t-il pas qui admirent, qui louent, et qui cependant ne sont point les esclaves de cette passion de l’amour ? – Mais, diras-tu, est-il possible de ne pas aimer, quand on admire ? – Pas de trouble, je te prie, patience, et tu entendras Moïse qui admire le fils de. et qui dit : « Joseph était beau de visage ; et son aspect était plein de charmes ». (Gen. 39,6) Et bien ! tout en tenant ce langage, Moïse était-il épris d’amour pour Joseph ? Non certes. – C’est qu’il 'ne voyait pas, diras-tu, celui dont il faisait l’éloge mais ce sentiment de l’amour, nous l’éprouvons en entendant parler de la beauté corporelle comme en la voyant de nos yeux. – Mais je veux trancher la question : David n’était-il pas fort beau, n’avait-il pas les cheveux blonds et de très beaux yeux ? Et rien ne captive mieux que la beauté des yeux. Or, qui s’éprit d’amour pour lui ? personne. L’admiration n’entraîne donc point nécessairement l’amour. Que d’hommes ont eu des mères d’une beauté remarquable ! Et cependant les fils ont-ils brûlé d’amour pour leurs mères ? Loin de nous cette pensée. Ils admiraient sans doute cette beauté qu’ils avaient sous les yeux ; mais ils ne se laissaient pas aller à un amour honteux. – C’était, dis-tu, l’effet de la nature. – Et comment ? Parce que, ces femmes étaient leurs mères ? – Ne savez-vous pas que les Perses ont avec leurs mères, et cela librement, un commerce incestueux ; non pas seulement un ou deux de ce peuple, mais la nation tout entière ? – Mais pourquoi tant de paroles ? Il est bien évident d’ailleurs que ce n’est point la beauté du corps, ni celle du visage qui engendre cette maladie, mais la paresse et la lâcheté de l’âme. Combien n’en voit-on pas qui dédaignent les femmes vraiment belles, pour se livrer à d’autres vraiment laides. Donc l’amour ne vient point de la beauté ; autrement, ces hommes dont je parle eussent donné la préférence aux premières. – Quelle est donc la cause de l’amour ? S’il ne vient point de la beauté, où a-t-il donc son principe et sa racine ? – Vient-il du démon ? Sans doute. Mais ce n’est pas la question. II s’agit de savoir si nous lui donnons nous-mêmes naissance. Car ce n’est pas le démon tout seul qui l’inspire, nous agissons de concert avec lui. Ce qui engendre surtout cette maladie pernicieuse, c’est le trop de familiarité, ce sont les paroles flatteuses, c’est l’oisiveté, le désœuvrement, l’inoccupation.
7. Grande, oui, bien grande est la force de l’habitude ; elle est si grande qu’elle devient une nécessité. Si donc l’habitude est la cause du mal, n’est-il pas évident que l’habitude contraire le fera disparaître. Que d’amants ont cessé d’aimer en ne voyant plus celles qu’ils aimaient ! Quelque temps sans doute c’est une privation amère et pénible ; mais l’amertume se change ensuite en douceur, et on ne pourrait retomber, quand même on le voudrait. – Mais, direz-vous, avant d’avoir contracté l’habitude, dès le premier aspect, me voilà séduit. – Lâcheté encore, mollesse, négligence de vos devoirs, abandon de vos affaires les plus urgentes. Vous ressemblez à un vagabond que tous les maux envahissent ; votre âme me fait l’effet d’un enfant qui erre au hasard, et que le premier vent emmène en servitude. Il faut qu’elle exerce son activité ; si vous ne l’appliquez à des actions sérieuses, comme elle ne peut se passer d’agir, elle se crée une autre occupation. La terre que l’on n’ensemence point, où l’on ne plante rien, ne produit que de l’herbe ; ainsi en est-il de l’âme ; n’a-t-elle rien de sérieux en vue, elle se laisse aller au mal par le désir qu’elle a d’agir. L’œil, dont la fonction est de voir, à défaut de beaux objets, se portera sur des objets repoussants. De même l’âme, à défaut d’occupations utiles, s’occupera de futilités. Que le travail, que l’application puisse repousser la première attaque, on peut en donner bien des preuves. C’est pourquoi si vous voyez une belle femme et que vous vous sentiez affecté, cessez de la voir et vous êtes délivré.
Et comment puis-je ne plus la voir, entraîné que je suis par la passion ? – Appliquez-vous à d’autres objets capables de distraire vota âme : lisez, méditez, défendez le pauvre, venez au secours de l’opprimé, priez, songez à la vie future ; voilà autant de moyens d’enchaîner votre âme. Alors vous pourrez guérir, je n dis pas une, blessure toute fraîche encore mais une blessure profonde, invétérée. Une insulte, dit le proverbe, suffit pour éteindre l’amour dans le cœur de l’amant ; à plus forte raison ces spirituels enchantements triompheront-ils du mal, pourvu que nous voulions nous éloigner de l’objet de notre passion. Mais si nous continuons à fréquenter, à entretenir ces personnes qui lancent ces traits contre nous, qui nous font ces blessures, si nous aimons à parler d’elles, à jouir de leur conversation, nous ne ferons qu’accroître notre maladie. Comment pouvez-vous espérer d’éteindre le feu, si chaque jour vous activez la flamme ? – Voilà ce que j’avais à dire aux jeunes gens sur les effets de l’habitude.
Quant aux hommes faits ; quant à ceux qu’savent réfléchir, je ne puis rien leur conseiller de plus efficace que la crainte de Dieu, la pensée de l’enfer, le désir du royaume de cieux : cela suffit bien pour éteindre le feu de la passion. Dites-vous encore que ce que vos yeux admirent n’est pas autre chose que de l’humeur et du sang et le suc d’une nourriture corrompue. – Mais du moins, dites-vous, ce visage est comme une fleur brillante. – Est-il rien de plus brillant que les fleurs de la campagne ? Et cependant elles se flétrissent elles se corrompent. Aussi, ne vous attachez point à cette fleur ; voyez plus avant par la pensée ; enlevez par la pensée cette peau si belle, et considérez ce qu’elle cache. Le corps des hydropiques a-t-il rien de repoussant, ne brille-t-il pas au contraire des plus vives couleurs ? Néanmoins, la seule pensée de l’humeur qu’il renferme nous rebute, et nous ne voudrions pas baiser un hydropique.
Cet œil est plein de tendresse et en même temps de vivacité, ce sourcil s’étend délicieusement, ces paupières sont azurées, cette prunelle respire la douceur, le regard est d’une ineffable sérénité. – Mais après tout, qu’est-ce autre chose que des nerfs, des veines et des artères ? Figurez-vous cet œil si beau, débilité, épuisé par la vieillesse, abattu par le chagrin, gonflé par la colère ! Oh ! qu’il est hideux, que sa beauté s’est vite évanouie ! une peinture se dissipe moins rapidement. Élevez votre esprit jusqu’à la, véritable beauté. – Mais je ne vois pas, dites-vous, la beauté de l’âme. – Vous la verrez, si vous le voulez bien. Comme on peut admirer la beauté d’un visage en se le représentant par l’imagination, même en l’absence de ce visage ; de même, sans le secours des yeux, on peut voir la beauté de l’âme. Ne vous êtes-vous jamais représenté par la pensée une forme remarquable par sa, beauté, et n’avez-vous pas de la sorte éprouvé un vif sentiment ? Représentez-vous donc aussi la beauté de l’âme, et complaisez-vous dans cette image.
Mais je ne puis voir ce qui est incorporel. – Notre esprit le contemple mieux que nous ne contemplons les corps. N’admirons-nous pas les anges et les archanges, que nous ne voyons pas de nos yeux ? De même aussi, nous pouvons admirer les bonnes mœurs et la vertu de l’âme. Si vous voyez un homme de bien, modéré dans ses désirs, vous l’admirerez bien plus qu’un beau visage. Si vous le voyez supporter un outrage avec patience, aimez-le quand même il serait accablé par la vieillesse. Oui, la beauté de cette âme, malgré la vieillesse, a un grand nombre d’amants, elle ne se flétrit jamais, elle se conserve toujours dans sa fleur. Pour posséder nous-mêmes cette beauté, recherchons ceux qui la possèdent, et soyons épris d’amour pour eux. Ainsi pourrons-nous, à notre tour, une fois revêtus de cet éclat, parvenir aux biens éternels. Puissions-nous tous avoir ce bonheur, par la grâce et la bonté, etc.

HOMÉLIE VIII. modifier


CHARGÉS DE CE MINISTÈRE, SELON LA MISÉRICORDE QUI NOUS A ÉTÉ FAITE, NOUS NE LE NÉGLIGEONS POINT ; MAIS NOUS AVONS DÉPOSÉ TOUTE HONTE CACHÉE. (IV, 1-7)

Analyse. modifier


  • 1 et 2. Mauvaise foi des faux apôtres.
  • 3. Aveuglement des Juifs.
  • 4. Preuves de la divinité du Christianisme.


1. L’apôtre a dit de grandes choses ; il s’est mis, lui et, tous les fidèles, avant Moïse lui-même. S’apercevant qu’il vient encore de faire de lui-même un éloge magnifique, il se hâte de parler le langage de l’humilité. Il devait se louer de la sorte à cause des faux apôtres et de ceux auxquels il s’adressait, et ensuite tempérer son langage, sans se contredire pourtant c’eût été de la comédie. Il procède donc maintenant d’une autre minière, et il, fait voir qu’il faut rapporter toute cette gloire, non pas à nos mérites et à nos vertus, mais à la bonté de Dieu. C’est pourquoi il dit : « Chargés de ce ministère ». Tous les biens que nous vous avons distribués, c’est en qualité de ministres du Seigneur que nous vous les avons distribués ; nous n’avons fait que prêter notre ministère aux dons qui venaient du ciel. Aussi ne dit-il point : largesse ou donation, mais bien, ministère. Et encore cela ne lui suffit-il pas, il ajoute : « Selon la miséricorde qui nous a été faite ». Ce ministère lui-même dont nous sommes chargés, c’est de la divine Bonté que nous l’avons reçu. Le propre de la pitié, c’est, de délivrer du mal, non pas de faire du bien mais la divine miséricorde va jusqu’à combler de bienfaits. « Nous ne le négligeons point ». C’est encore à la bonté de Dieu qu’il faut attribuer cet effet. Car ces paroles : « Selon la miséricorde qui nous a été faite », elles se rapportent à la fois à ceci : « nous ne le négligeons point », et au ministère apostolique.
Voyez comme il s’applique à, rabaisser son propre mérite. Après avoir été comblé de tels bienfaits, et cela uniquement par pure bonté, par pure miséricorde de la part de Dieu, est-ce faire beaucoup que de se charger de ces quelques travaux, que de courir ces dangers, que de soutenir ces tentations ? Et c’est pourquoi nous ne nous décourageons point, mais au contraire nous nous réjouissons, nous agissons avec confiance. A ces mots : « Nous ne le négligeons point », il rattache les suivants : « mais nous avons déposé toute honte cachée, ne marchant point dans la ruse, et ne corrompant point la parole de Dieu ». Que veulent dire ces paroles : « Une honte cachée ? » Nous n’annonçons point, nous ne promettons point de grandes choses ; dit-il, pour n’en réaliser que de faibles, comme font les faux apôtres. Aussi disait-il : « Vous lisez sur notre visage ». (2Cor. 10,7) Tels vous nous voyez, tels nous sommes : nulle duplicité dans notre âme ; nous ne parlons pas d’une façon pour agir d’une autre, pour faire ce que la honte contraint à cacher et à couvrir d’un voile. C’est pour développer cette pensée qu’il ajoute : « Nous ne marchons point avec ruse ». Ce dont ils se glorifiaient, il le regarde, lui, comme honteux et misérable.
Que signifie ce mot : « Avec ruse ? » Ils passaient pour ne recevoir aucun présent ; mais ils en recevaient en secret ; on les regardait comme de saints, comme d’irréprochables apôtres, et pourtant ils étaient tout plein de vices. Pour nous, dit-il, nous avons horreur de ces procédés (et c’est là ce qu’il appelle une turpitude secrète) », et nous nous montrons tels que nous sommes. Il n’y a rien de caché non seulement dans notre vie et dans nos mœurs, mais nul voile ne recouvre, notre enseignement. C’est là le sens de ces paroles : « Ne corrompant point la parole de Dieu, mais « annonçant toujours la vérité ». C’est-à-dire l’annonçant non par notre visage et en apparence, mais en proposant une doctrine solide et substantielle : «. Nous recommandant nous-mêmes à la conscience de tous les hommes ». Ce ne sont pas seulement les fidèles, mais encore les infidèles qui peuvent nous connaître : nous nous montrons à tous de manière que tous puissent nous examiner comme ils voudront. C’est ainsi que nous savons nous recommander, et non pas au mayen de l’hypocrisie ou d’un masque brillant. Nous disons donc que nous ne recevons point de présents, et nous vous prenons à témoin. Nous disons que notre conscience ne nous reproche rien, et ici encore nous invoquons votre témoignage : eux au contraire, c’est en se cachant sous le voile de l’hypocrisie, qu’ils en trompent un si grand nombre. Nous, nous soumettons notre vie aux regards de tous, nous prêchons à découvert : tous peuvent nous comprendre. – Cependant les infidèles ne connaissaient point la force de la prédication de l’apôtre ; et c’est pourquoi il ajoutait que ce n’était pas à lui, mais bien à eux qu’on devait l’imputer. « Si notre Évangile est couvert d’un voile, il l’est dans ceux qui périssent. Le Dieu de ce siècle a aveuglé les âmes des infidèles (3, 4) ». C’est une pensée qu’il exprimait déjà plus haut : « Nous sommes pour les uns une odeur de mort pour la – mort ; aux autres une odeur de vie pour la vie ». (2Cor. 2,16)
2. Que signifient ces mots : « Le Dieu de ce siècle ? » Les Marcionites prétendent que l’apôtre veut parler du Créateur, qui a la justice en partage, sans, avoir la bonté. Les Manichéens soutiennent qu’il est question du démon ; et ils imaginent follement un autre créateur que le seul véritable. L’Écriture, disent-ils, donne le nom de Dieu, non seulement à celui qui possède la nature divine, mais à tout ce Uni exerce un véritable empire sur la faiblesse des hommes : c’est ainsi qu’elle appelle de ce nom la richesse et le ventre. Non pas que ni l’un ni l’autre aient cette dignité ; mais ils exercent une entière puissance sur ceux qui se sont rendus leurs esclaves. Quant à nous, il nous semble qu’il ne s’agit nullement ici du démon, tuais bien du Dieu créateur de toutes choses, et qu’il faut lire : « Dieu a frappé d’aveuglement les âmes des infidèles de ce siècle ». Il n’y aura point d’infidèles dans le siècle futur ; il ne peut y en avoir que dans celui-ci. Et quand même on lirait : « Le Dieu de ce siècle », il ne saurait y avoir de difficulté : Ces mots ne peuvent servir à prouver que le Dieu dont parle l’apôtre n’est que le Dieu du siècle présent. Ne dit-on pas aussi : Le Dieu du ciel ? Et Dieu cependant n’est pas, seulement le Dieu du ciel. Ne dit-on pas encore : Le Dieu du jour présent ? Mais, en le disant, nous n’entendons point circonscrire la puissance de Dieu dans les bornes d’un seul jour. Dieu est encore appelé le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ; et cependant il n’est pas seulement le Dieu de ces trois patriarches. On trouverait dans les Écritures beaucoup d’autres témoignages.
Mais comment Dieu les a-t-il frappés d’aveuglement ? Il n’a pas agi d’une manière positive ; il l’a seulement souffert et permis C’est la façon ordinaire de parler de la sainte Écriture, comme quand elle dit :.« Dieu les a livrés à leur sens réprouvé ». (Rom. 1,28) D’abord ils ont cessé de croire ; ils se sont ensuite montrés indignes de voir les mystères, et ensuite il a permis qu’ils fussent frappés d’aveuglement. Qu’eût fait le Seigneur ? Les eût-il amenés à lui par force ? Eût-il révélé ses mystères à des hommes qui ne voulaient point les contempler ? Mais ils les eussent méprisés, sans daigner les apercevoir. Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « En sorte que la lumière glorieuse de l’Évangile du Christ ne rayonne « pas à leurs yeux » : Ce qu’il dit non pas en ce sens qu’ils ne croiront pas en Dieu, mais en ce sens que l’âme infidèle ne pénétrera point ses mystères. Ne nous fait-il pas, à nous, la même recommandation, quand il nous dit de ne pas jeter les pierres précieuses devant les pourceaux ? Révéler ses mystères aux incrédules, t’eût été accroître encore leur incrédulité. Forcez un homme qui a mal aux yeux à regarder les rayons du soleil, n’augmenterez-vous pas encore sa maladie ? Aussi les médecins les tiennent-ils dans les ténèbres, pour ne pas aggraver leur état. Comprenons donc ce passage en ce sens qu’ils sont devenus incrédules par leur faute. Une fois incrédules, ils n’ont pu contempler les mystères de l’Évangile : car Dieu leur a dérobé ses rayons. C’est ce qu’il disait à ses disciples : « Voilà pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’ils entendent, sans entendre ». (Mt. 13,13)
Un exemple vous, le montrera plus clairement. Supposez un gentil qui traite de fables les dogmes chrétiens. Vaudra-t-il mieux pour lui entrer dans nos temples, assister à nos mystères que rester dehors ? C’est pourquoi l’apôtre dit : « En sorte que la lumière de « l’Évangile ne rayonne pas à leurs yeux ». Il fait encore allusion à l’histoire de Moïse. Ce qui alors arriva aux Juifs, arrive à tous les infidèles depuis l’Évangile. Quels mystères sont voilés pour eux, quels mystères ne leur sont point révélés ? Écoutez ce que dit l’apôtre : « En sorte que la lumière glorieuse de l’Évangile du Christ ne brille point à leurs yeux, de l’Évangile du Christ, qui est l’image de Dieu ». C’est là ce qui ne leur avait pas été découvert : que la croix est le salut du monde et sa gloire ; que Celui qui a été crucifié reviendra entouré de splendeur ; et qu’avec lui apparaîtront le présent, l’avenir, ce qui est visible, ce qui est invisible ; et la manifestation d’un grand nombre de mystères qui sont l’objet de notre espérance et de notre attente : C’est pourquoi l’apôtre dit : « Afin que la lumière ne rayonne pas », pour que vous ne cherchiez point tout ici-bas, où l’on vous envoie seulement les rayons de l’Esprit-Saint. C’est dans le même dessein que plus haut il disait : « le parfum », ou « le gage » : la réalité, nous la trouverons dans, le ciel. Or tout cela leur est caché ; et c’est une conséquence de leur incrédulité. Ensuite pour montrer que ce n’est pas seulement la gloire du Christ qu’ils ignorent, mais aussi celle du Père, saint Paul ajoute : « Lequel est l’image de Dieu ». Ne vous arrêtez pas au Christ. Par lui vous voyez le Père ; et si vous ne connaissez point sa gloire, vous rie connaîtrez point non plus la gloire du Père. « Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais nous prêchons Jésus-Christ et nous nous déclarons vos serviteurs par Jésus-Christ (5) ».
3. Voyons la suite des idées. Comment ceci peut-il se rattacher à ce qui précède ? Peut-être fait-il encore allusion à, ces faux apôtres qui cherchent leur propre gloire, et qui persuadent à leurs disciples de se recommander de leurs noms, comme il disait dans sa première épître : « Moi, je suis de Paul, moi, au contraire, je suis d’Apollon ». (1Cor. 3,4) Peut-être aussi a-t-il en vue quelque chose de très-sérieux. Quoi donc ? Ne veut-il pas dire que cab faux apôtres lui faisaient une guerre acharnée et lui dressaient de toutes parts des embûches : Est-ce contre nous que vous combattez, dit-il. N’est-ce pas plutôt contre Celui que nous prêchons ? Car nous ne nous prêchons pas nousmême ; je ne suis qu’un serviteur, je remplis auprès de ceux qui reçoivent ma prédication le ministère qu’un autre m’a confié, et tout ce que je fais, je le fais pour sa gloire. Donc en me faisant la guerre, vous renversez ce qui appartient à mon maître. Bien loin de rien m’arroger à moi-même des succès de ma prédication, je ne refuse pas d’être votre serviteur à cause du Christ, puisqu’il lui a plu de vous combler d’honneur, de vous environner de son amour, de faire tant de choses pour vous. C’est pourquoi il dit : « Nous nous déclarons nous-même votre serviteur à cause du Christ ». Voyez-vous quelle abnégation ? non seulement, dit-il, nous n’usurpons point ce qui appartient au Seigneur, mais nous nous faisons serviteur à cause de lui.
« Parce que le même Dieu qui a dit à la lumière de resplendir du sein des ténèbres, a lui-même brillé dans vos cœurs ». Ils désiraient voir le merveilleux éclat de cette gloire de Moïse, il la leur montre toute brillante d’une splendeur encore plus vive. La gloire brillait sur le visage de Moïse, elle brille aussi dans vos cœurs. Et d’abord il rappelle la première œuvre de la création, la lumière sensible et les ténèbres, et il montre que ce second ouvrage de – Dieu l’emporte sur le premier. Quand est-ce que Dieu dit : « Que la lumière brille du sein des ténèbres ! » Au premier jour de la création : « Les ténèbres », dit l’Écriture, « étaient étendues sur l’abîme ; et Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut ». (Gen. 1,2-3) Alors il disait : « Qu’elle soit, et elle fut ». Il ne le dit plus maintenant, mais c’est lui-même qui est notre lumière. L’apôtre ne dit pas en effet que Dieu ait parlé, mais qu’il a resplendi lui-même dans les cœurs. Ce ne sont donc point les choses sensibles que nous contemplons dans cette lumière, mais c’est Dieu lui-même par Jésus-Christ. Voyez-vous comme il n’y a aucune différence entre les personnes de la Trinité ? En parlant de l’Esprit-Saint l’apôtre dit : « Pour nous, contemplant sans voile la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image de la gloire pour la gloire, comme par l’Esprit qui est le Seigneur ». (2Cor. 3,18) Et en parlant du Fils : « Afin que la glorieuse lumière de l’Évangile du Christ, qui est l’image du Père, ne brille pas à leurs records ». Enfin en parlant du Père : « Celui qui a dit à la lumière de resplendir du sein des ténèbres, a lui-même brillé dans vos cœurs, pour vous éclairer de l’éclat de la science de Dieu par le visage du Christ (6) ». Après avoir dit : « L’Évangile du Christ », il ajoute : « Qui est l’image de Dieu », pour faire voir que les incrédules ont été privés aussi de la gloire de Dieu. De même après avoir dit : « La science de Dieu », il ajoute : « par le visage du Christ », pour montrer que c’est par Jésus-Christ que nous parvenons à la connaissance du Père, comme par l’Esprit-Saint nous arrivons à la connaissance du Fils ».
« Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile, afin que notre élévation soit l’œuvre de la puissance de Dieu, et non pas notre ouvrage (7) ». Après tant de beaux développements sur cette gloire ineffable, l’apôtre craint qu’on ne lui dise : Et comment pouvons-nous jouir d’une telle gloire, et vivre dans un corps mortel ? Oui, sans doute, reprend-il, c’est chose merveilleuse, et la plus grande preuve de la puissance divine, qu’un misérable vase déterre comporte tant d’éclat, et garde un tel trésor. Aussi l’apôtre s’écrie-t-il, saisi d’admiration : « Afin que notre grandeur soit l’œuvre de la puissance de Dieu, et non pas notre propre ouvrage », faisant allusion encore à ceux qui recherchaient leur propre gloire. La grandeur des dons, et la faiblesse de ceux qui les reçoivent font éclater la puissance de Dieu : il montre sa puissance non seulement en faisant des largesses, mais encore en les faisant à des êtres de si peu de prix. L’apôtre, par ces vases d’argile, représente la fragilité de la nature humaine et la faiblesse de notre chair. Elle ne vaut pas mieux en effet qu : un vase d’argile : elle est exposée à tant d’attaques ; la mort, les maladies, l’intempérie des saisons, mille autres maux, la détruisent si facilement ! Tout cela, saint Paul le disait tant pour rabattre l’orgueil des faux apôtres, que pouf montrer qu’en nous, chrétiens, il n’y a plus rien d’humain.
4. Dieu fait éclater surtout sa puissance, en accomplissant de grandes choses au moyen des plus faibles instruments. C’est pourquoi l’apôtre dit dans un autre endroit : « Ma puissance se montre tout entière dans la faiblesse ». (2Cor. 12,9) Dans l’Ancien Testament ne se servait-il pas de moucherons et de mouches pour mettre en fuite des armées de barbares ? [Il appelle « la Chenille », sa grande puissance.] (Jol. 2,25) Et par la confusion des langages ne détruisait-il pas cette immense tour de Babel ? Trois cents hommes lui suffisaient pour mettre en déroute une innombrable armée, et le son de quelques trompettes pour renverser les villes : David encore enfant, si petit et si faible, triomphait de toute une armée. De même dans ces derniers temps il envoie douze hommes, et par eux soumet l’univers, et cela quand tout le monde les persécute et leur fait la guerre. Admirons donc la puissance du Seigneur, admirons-la, adorons-la. Demandons aux Juifs, demandons aux Gentils quels hommes ont persuadé aux peuples d’abandonner leurs mœurs pour embrasser un autre genre de vie ? Est-ce un pêcheur ou un faiseur de tentes ? Est-ce un publicain ou un ignorant, un homme étranger à toute espèce de connaissances ? Comment expliquer un pareil changement, si la puissance de Dieu n’eût opéré, ces merveilles tsar leur ministère ? Que disaient-ils pour persuader le monde ? Soyez baptisés au nom du Crucifié. – Quel est donc ce Crucifié ? – Un homme qu’ils n’avaient jamais vu : voilà ce qu’ils leur disaient, ce qu’ils leur prêchaient ; et ils persuadaient à leurs auditeurs, que ces dieux qui rendaient des oracles et qui avaient été transmis jusqu’à eux d’âge en âge comme des dieux, n’étaient pas dieux. Le Christ, qui avait été cloué à la croix, attirait tout le monde à lui.
On savait bien qu’il avait été crucifié et enseveli ; mais un bien petit nombre seulement l’avaient vu après sa résurrection. Cette résurrection du Sauveur, les apôtres la firent croire à ceux mêmes qui n’en avaient pas été les témoins ; bien plus ils leur persuadèrent qu’il était monté aux cieux et qu’il viendrait juger les vivants et les morts. Qu’y a-t-il de si persuasif dans de pareils discours, dites-moi ? Cette persuasion leur venait de la puissance divine. Et d’abord c’étaient des nouveautés capables de blesser les esprits : quoi de plus grave que d’innover en pareille matière, puisque c’est saper les, fondements des vieilles institutions, détruire les lois jusque dans leurs racines ? Et les prédicateurs, quelle confiance inspiraient-ils ? lis étaient d’une nation détestée des autres nations, et de plus timides et ignorants. Comment purent-ils donc triompher de, l’univers ? Comment vous ont-ils mis en fuite, vous, vos ancêtres, ces grands philosophes, vos dieux eux-mêmes ? Bien évidemment parce que Dieu était avec eux. Non, ce n’est point là un effet de la puissance humaine, mais bien d’une ineffable, d’une divine puissance.
Mais, dites-vous, n’ont-ils pas eu recours à la magie ? – Alors il eût fallu fortifier l’empire des démons et propager le culte des idoles. Comment se fait-il donc qu’il ait disparu, et qu’il ait été remplacé par notre religion ? C’est une preuve de plus que tout s’est accompli par la puissance de Dieu même. Elle se montre cette puissance, non seulement dans les résultats de la prédication, mais encore dans la conduite même des chrétiens. La virginité fut-elle jamais aussi fréquente ? Professa-t-on jamais tant de mépris pour les richesses, pour la vie, pour tous les biens de la terre ? Des hommes débauchés, des magiciens n’eussent jamais produit de tels sentiments dans les âmes ; ils auraient développé les sentiments contraires. Mais les apôtres nous apprirent à mener une vie digne des anges, ils nous en donnèrent les premiers l’exemple et dans notre pays, et sur la terre étrangère, et jusqu’aux extrémités du monde. Il est donc bien évident que tous ces changements ont été opérés par la puissance du Christ, par cette puissance qui envoie partout ses rayons et les répand plus prompts que l’éclair dans les intelligences. Pénétrés de ces pensées, trouvant dans les merveilles du passé une sûre garantie de la promesse des biens futurs, adorez avec nous l’invincible puissance du Crucifié. Ainsi pourrez-vous échapper aux affreux tourments de l’enfer et parvenir au royaume des Cieux. Daigne le Seigneur nous en faire la grâce, par bonté, etc.

HOMÉLIE IX. modifier


PARTOUT NOUS AVONS DES TRIBULATIONS, MAIS NOUS NE SOMMES POINT ACCABLÉS ; NOUS SOMMES DANS LE BESOIN, MAIS NOUS NE SUCCOMBONS PAS ; ON NOUS PERSÉCUTE, MAIS NOUS NE SOMMES PAS DÉLAISSÉS. (IV, 8, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. Avantages des afflictions et des tentations. – C’est l’espérance des biens futurs qui. Nous console et nous réjouit.
  • 3 et 4. Il faut mépriser les délices de la vie présente, craindre les maux de l’avenir, éviter le péché qui irrite le Seigneur.


1. Il insiste sur cette pensée, pour montrer que toutes ces merveilles sont l’œuvre de la puissance divine ; il veut ainsi réprimer l’arrogance de ceux qui se glorifient eux-mêmes. Chose admirable, dit-il, non seulement nous gardons ce trésor dans des vases d’argile, mais ; malgré tant de souffrances que nous endurons, tant de persécutions qui nous accablent, nous pouvons le défendre et nous ne le perdons point. Et ce serait encore un vase d’airain, qu’il ne suffirait pas à porter ce trésor, ni à résister à de telles attaques. Et cependant ce trésor, nous le portons, et la grâce de Dieu nous empêche d’éprouver rien de fâcheux. « Partout », dit-il, « nous avons des tribulations, et nous ne sommes point accablés ». Qu’est-ce à dire, « partout ? » C’est-à-dire, de la part de nos ennemis, de nos amis, de nos proches ; c’est-à-dire, par suite des besoins qui nous pressent de tous côtés, des dangers que nous suscitent nos parents comme nos ennemis. « Mais nous ne sommes point accablés ». Voyez comme il oppose les pensées aux pensées. « Nous sommes dans les tribulations », dit-il ; « mais nous ne sommes point accablés : nous sommes dans le dénuement, mais nous ne succombons point » ; c’est-à-dire, nous ne tombons pas en défaillance : Dieu ne permet pas que nous soyons vaincus, mais seulement que nous soyons éprouvés.
« Nous sommes persécutés, mais nous ne sommes, pas délaissés ; nous sommes renverses, mais nous ne périssons point (9) ». Les tentations viennent fondre sur nous, mais nous ne subissons pas les conséquences ordinaires des tentations ; et c’est là un effet de la puissance, de Dieu et de sa grâce. Ailleurs l’apôtre dit que Dieu permet tout cela, soit pour affermir l’humilité dans, leurs cœurs, soit aussi pour assurer le bien des fidèles : « De peur que je ne m’enorgueillisse », dit-il, « un aiguillon m’a été donné ». (2Cor. 12,7) Et il dit encore : « De peur que l’on n’ait de moi une opinion plus haute que ce que l’on voit ou ce que l’on entend de moi ». Et ailleurs : « De peur que nous ne soyons pleins de confiance en nous-mêmes ». Ici il permet ces tentations, afin de faire éclater sa puissance. Voyez-vous combien les tentations sont avantageuses ? Elles montrent la puissance de Dieu, elles font voir l’efficacité, de sa grâce : « Ma grâce te suffit », dit le Seigneur. Elles affermissent l’humilité chez les uns, elles apaisent l’orgueil des autres et augmentent leur patience. « Car la patience », dit l’apôtre, « produit l’épreuve, et l’épreuve donne l’espérance ». (Rom. 5,4) Quand on a couru de grands dangers, quand ensuite on en est sorti triomphant pour avoir mis en Dieu sa confiance, n’apprend-on point par là à s’attacher de plus en plus au Seigneur ?
« Sans cesse nous portons dans notre corps la mortification de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps (10) ». Quelle était donc cette mortification du Soigneur Jésus, qu’ils portaient dans leurs corps ? C’est qu’ils mouraient, pour ainsi dire, chaque jour, et prouvaient ainsi la résurrection du Sauveur. – Vous croyez que Jésus-Christ est mort, semblaient-ils dire, et vous ne croyez pas qu’il soit ressuscité, jetez les yeux sur nous qui mourons tous les jours, et qui chaque jour aussi ressuscitons ; alors vous croirez à la résurrection. Voilà donc encore une nouvelle cause des tentations : « Afin que », dit-il, « la vie de Jésus soit manifestée dans notre corps », en ce qu’il nous arrache au péril. Ainsi, ce qui semble être de la faiblesse, ce qui a l’air d’une défaillance, prêche la résurrection de Jésus-Christ. Le manque de tribulations manifesterait moins bien cette puissance de Jésus-Christ que ne la manifestent ces souffrances dont nous triomphons.
« En effet, nous qui vivons, nous sommes livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit manifestée en nous, dans notre chair mortelle (11) ». C’est ainsi que procède ordinairement l’apôtre ; son langage d’abord obscur, s’éclaircit ensuite. Dans les paroles que nous venons de citer il expose plus nettement ce qu’il disait tout à l’heure. C’est pourquoi, dit-il, nous sommes livrés, c’est-à-dire, nous portons la mortification du Seigneur, afin que la puissance de sa vie se manifeste davantage. Car cette chair mortelle, accablée de tant de maux, il ne permet point qu’elle succombe. On peut encore entendre ce passage dans un autre sens. Quel est-il ? Celui qu’exprime ailleurs l’apôtre en disant : « Si nous mourons avec lui, nous vivrons avec lui ». (2Tim. 2,11) Maintenant nous subissons la mort, comme il l’a subie lui-même, pour lui nous préférons la mort à la vie ; lui aussi, quand nous serons morts, il voudra nous ressusciter. Si nous sortons de cette vie, si nous mourons, lui, il nous prendra par la main pour nous tirer du tombeau et nous ramener à la vie. « Donc la mort opère en nous, mais la vie opère en vous (12) » : Ce n’est plus de la mort du corps qu’il s’agit, mais des tentations et du repos. Nous, dit-il, nous sommes sans cesse dans les périls et dans les tentations vous au contraire vous jouissez en paix de cette vie que procure le danger. Nous courons les dangers ; vous au contraire vous goûtez le bonheur ; il s’en faut bien que vous supportiez les mêmes épreuves que nous. – « Nous avons donc le même esprit de foi, comme il est écrit : J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé ; nous aussi nous croyons et c’est pourquoi nous parlons, sachant bien-que celui qui a « ressuscité Jésus – Christ, nous ressuscitera « aussi par Jésus-Christ (13, 14) ». Il a cité les paroles d’un psaume, plein d’une sublime philosophie, et bien propre à nous soutenir dans le danger. Le roi-prophète les prononça alors que les plus grands périls l’entouraient, et qu’il ne pouvait être délivré que par le secours du ciel.
2. Le rapprochement de circonstances analogues est de nature à procurer de grandes consolations. C’est pourquoi saint Paul a dit : « Nous avons le même esprit », ce qui signifie Le secours qui sauva David, nous sauve nous-même ; l’Esprit qui lui inspira ce psaume, est celui qui nous inspire nous-même. Ne montre-t-il point par là qu’il y a un merveilleux accord entre le Nouveau et l’Ancien Testament, que c’est le même Esprit qui opère dans tous les deux, que nous ne sommes pas les seuls à souffrir, mais que les anciens ont souffert comme nous ; qu’il faut nous appuyer sur la foi et l’espérance, et ne pas demander une prompte délivrance de nos maux. Après avoir montré la résurrection et la vie, après avoir fait voir que les périls ne sont nullement une preuve de faiblesse et de défaillance, il parle de la foi, et c’est à elle qu’il confie toutes choses. Cette foi, il l’appuie sur la résurrection de Jésus-Christ, en disant : « Nous croyons et c’est, pourquoi nous parlons ». Que croyons-nous, dites-moi ? Nous croyons « que celui qui a ressuscité Jésus-Christ ; nous ressuscitera nous-même et nous affermira avec vous. Car tout se fait à cause de vous, afin que, la grâce étant abondante, tous rendent grâce à Dieu pour sa gloire (15) ». Il élève leurs âmes, afin qu’ils ne croient point devoir leur conversion à des hommes, c’est-à-dire, à de faux apôtres. Tout est l’œuvre de Dieu, qui veut se montrer généreux à l’égard d’un grand nombre pour faire apparaître toute la puissance de sa grâce. C’est pour vous que Jésus-Christ est ressuscité, c’est pour vous que ses miracles ont eu lieu. Ce qu’il a fait, il ne l’a pas fait pour un seul homme, mais pour tous les hommes.
« C’est pourquoi nous ne succombons point ; mais si l’homme extérieur chez nous se corrompt, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour (16) ». Comment l’homme extérieur se corrompt-il ? Quand on le frappe de verges, quand on le tourmente, quand on l’accable de maux. « Mais l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour ». Et comment se renouvelle-t-il ? Par la foi, par l’espérance, par la ferveur de l’âme. Il faut donc se montrer intrépide en face du danger. Plus le corps est tourmenté, plus aussi l’âme conçoit d’espérance, plus elle a de splendeur, semblable à l’or éprouvé par le feu. Voyez comme il fait disparaître les afflictions de la vie présente ! « Ces tribulations si légères, ces tribulations d’un moment, produisent en nous un poids éternel, excessif de gloire, si nous portons nos regards non sur les choses qui se voient, mais sur celles qui ne se voient pas (17, 18) ». Tout se ramène donc à l’espérance ; déjà dans l’épître aux Romains il disait : « C’est par l’espérance que nous avons été sauvés ; or l’espérance de ce que l’on voit n’est pas une espérance ». (Rom. 8,24) C’est la même pensée qu’il exprime ici, quand il compare le présent à l’avenir, les biens éphémères avec les biens éternels, des avantages si minces avec d’autres si considérables, la tribulation avec la gloire. Mais il ne s’en tient pas là, il ajoute une expression qu’il répète pour lui donner plus de force : « excessif jusqu’à l’excès ». Ensuite il fait voir comment de telles afflictions deviennent légères. Et qu’est-ce donc qui les allège ? « C’est que nous portons nos regards, non sur des choses qui se voient, mais sur celles qui ne se voient pas ». C’est ainsi que les maux présents nous deviendront légers, et les biens futurs, immenses, si nous nous détournons des choses visibles : « Car ce que l’on voit ne dure qu’un instant ». Ce que l’on voit, ce sont les afflictions. « Mais ce que l’on ne voit pas est éternel ». Or les célestes couronnes sont invisibles. L’apôtre ne dit pas : telles sont les tribulations, mais « ce qui se voit », qu’il s’agisse des supplices ou du repos. Il ne faut donc ni se laisser amollir par le repos, ni se laisser abattre par les tribulations. En parlant des biens futurs, il ne dit pas non plus : Le royaume des cieux est éternel ; mais, « ce qui ne se voit pas est éternel », qu’il s’agisse du royaume des cieux ou des châtiments.
Il faut donc trembler à la pensée des châtiments, et aspirer à la récompense. Oui, puisque les biens qui se voient sont éphémères, puisque ceux qui ne se voient pas sont éternels, portons nos regards vers ceux-ci. Serions-nous excusables de donner aux premiers la préférence ? Le présent peut être agréable, mais il passe ; les peines qui succèdent à ces jouissances ne finiront jamais, ne seront jamais adoucies. Et comment Dieu ferait-il grâce à ces hommes qui, après avoir reçu le Saint-Esprit et ses dons ineffables, s’appliquent aux choses de ce inonde et se laissent tomber à terre ? J’entends trop souvent prononcer ces ridicules paroles : Donnez-moi la journée présente, et prenez pour vous celle du lendemain. S’il y a une vie future, comme vous le dites, ce sera donner un pour un ; s’il en est autrement, ce sera donner deux pour rien. Quoi de plus criminel, quoi de plus insensé que ce langage ? Il s’agit du ciel etde ses biens infinis : et vous citez des paroles qui se crient dans les cirques, et vous ne vous voilez pas le visage, et vous ne rougissez pas de ressembler aux fous qui les prononcent ? Quoi ! vous ne rougissez pas d’être cloués, pour ainsi dire, aux choses de la terre ! Vous ne sortirez pas de cette démence, de cet égarement, vous ne cesserez pas de délirer, comme des enfants ! Que les gentils parlent de là sorte, je ne m’en étonne point ; mais de la part des chrétiens, est-ce excusable ? Vous révoquez donc en doute ces immortelles espérances ? Vous les tenez donc pour incertaines ? Encore une fois êtes-vous excusables ? – Mais, dites-vous, qui est venu de l’autre monde nous dire ce qui s’y passe ? – Ah ! Ce n’est pas un homme, vous répondrai-je ; c’est Dieu lui-même, dont vous ne pouvez récuser le témoignage ; oui, c’est Dieu qui vous a révélé toutes ces choses. – Mais vous ne les voyez pas ! – Et Dieu, le voyez-vous ? Quoi donc, nierez-vous son existence, sous prétexte que vous ne le voyez pas ? – Certes, répliquez-vous, je crois bien que Dieu existe.
3. Un infidèle vous demande : qui donc est venu du ciel vous annoncer cette vie future ? Que lui direz-vous ? – D’où savez-vous que Dieu existe ? – L’ordre visible de cette création, l’univers lui-même, le consentement général nous le disent assez. – Je vous tiendrai le même langage au sujet du jugement. – Comment cela?-. le vous interrogerai et vous répondrez. – Dieu est-il juste, et rend-il à chacun selon son mérite ? Ou bien au contraire veut-il que les méchants soient dans le, bonheur et lus délices, et que les bons soient malheureux ? – Non certes, direz-vous ; les hommes mêmes ne le souffriraient pas. – Mais ceux qui souffrent ici-bas, où trouverontils le bonheur ? Où les méchants souffriront-ils, s’il n’y a pas ensuite une autre vie où chacun recevra selon ses œuvres ? Voyez-vous que c’est un pour un, et non pas deux pour un ? Je vais plus loin, et je prétends vous montrer que les méchants n’auront pas même un pour un, que les justes auront deux pour un. Ceux qui pendant la vie, se sont plongés dans les délices, n’ont pas même reçu un, pour uni ceux au contraire qui ont pratiqué la vertu, ont reçu deux pour, un. – Quels sont ceux qui ont goûté le repos pendant la vie ? Sont-ce ceux qui ont abusé du temps présent ou ceux qui se sont conduits avec sagesse ? – Les premiers, dites-vous ; moi, je vous dis que ce sont les derniers, et j’en atteste ceux-mêmes qui ont joui des biens présents, et ils n’auront rien à répliquer à ce que je vais dire.
Que de fois n’ont-ils pas maudit leurs fiancées, et le jour où s’est ouverte la chambre nuptiale ? Que de fois n’ont-ils pas envié le bonheur de ceux qui ne se sont point mariés ! Que de jeunes gens, libres de se marier, n’ont pu s’y résoudre, à la pensée des embarras de cet état de vie ! Je n’entends point par là décrier le mariage, (il est honorable), je ne fais que blâmer ceux qui en abusent. Si la vie des hommes mariés semble parfois insupportable, que dirons-nous de ceux qui se précipitent dans le gouffre de l’adultère ? Est-il un esclave plus malheureux ? Que dirons-nous de ceux qui se corrompent dans legs délices, et y contractent toutes sortes de maladies ? – Mais la gloire a glu moins des charmes. – Rien de plus amer qu’une telle servitude. L’homme, avide de gloire, se fait esclave, rampe jusqu’à terre pour plaire à tout le monde. Quiconque au contraire la foule aux pieds, quiconque méprise cette gloire qui vient des hommes, est au-dessus des autres. – Mais les richesses sont désirables. – N’avons-nous pas démontré bien des fois que moins on a de richesses ; plus on est riche et tranquille. – Il y a du plaisir à s’enivrer. – Non, vous ne pouvez tenir ce langage. – Si donc la pauvreté vaut mieux que les richesses, si le célibat est préférable au mariage ; si l’obscurité vaut mieux que la gloire, la privation mieux que les délices, on peut dire que les hommes détachés des choses de ce monde possèdent plus que les autres.
Je n’ai rien dit encore de l’espérance qui soutient l’homme affligé, même au milieu des plus vives souffrances, de cette crainte de l’avenir qui trouble le plaisir, même au sein des plus abondantes jouissances. N’est-ce pas là un terrible châtiment, et d’autre part, n’est-ce pas là aussi une source féconde de bonheur et de repos ? Mais ce n’est pas tout. – Qu’y a-t-il donc encore ? Les délices de la vie n’ont rien de réel, pas même au moment où on les goûte ; leur nature et leur fragilité le montrent assez ; les biens qui viennent de l’affliction, non seulement sont de vrais biens, mais ils demeurent inébranlables. – Vous le voyez donc, ce n’est pas deux pour rien, mais trois, cinq, dix, vingt, mille pour rien, qu’il faut dire. Un exemple le vous fera comprendre. Le mauvais riche et Lazare crut joui, l’un du présent ; l’autre de l’avenir. Est-ce la même chose, je vous le demande, que d’être éternellement tourmenté, et de souffrir quelques instants la faim ? De souffrir dans un corps mortel, et d’endurer sans pouvoir mourir le cruel supplice du feu ? Ne verrez-vous point de différence entre ces couronnes, ces jouissances, éternelles récompenses d’une courte maladie, et ces supplices, ces tourments éternels, conséquence de quelques instants de plaisir ? Est-ce la même chose ? qui oserait le dire ? Comparez ces deux états, quant à la quantité, quant à la qualité, voyez l’estime, que Dieu fait de l’un et de l’autre, le jugement qu’il porte sur l’un et, sur l’autre. Jusques à quand tiendrez-vous un langage digne de ces insectes qui se roulent dans la poussière ? Est-ce ainsi que doivent parler des hommes raisonnables ? Convient-il de sacrifier une âme si précieuse pour un si vil plaisir, quand il faudrait au contraire gagner le ciel au prix de quelques fatigues ? Voulez-vous une autre preuve du jugement terrible qui se fera au dernier jour ? Ouvrez la porte de votre conscience, et voyez ce juge qui siège au dedans de votre âme. Malgré l’amour que vous avez pour vous-mêmes, vous vous condamnez, et vous n’oseriez point porter sur vous-mêmes une injuste sentence. Pensez-vous que Dieu se préoccupe moins de la justice, qu’il ne prononcera pas, lui aussi, sur tous une sentence équitable, croyez-vous que cette sentence doive être prononcée au hasard et sans fondement ? qui oserait le dire ? personne – assurément. Tous, grecs et barbares, poètes et philosophes, le genre humain tout entier est en cela d’accord avec nous, chacun à sa manière ; et tous mettent des tribunaux dans les enfers, tant c’est chose manifeste et reconnue ! – Et pourquoi, demandez-vous, Dieu ne punit-il pas dès ce monde ? C’est pour montrer sa générosité, pour nous laisser le temps du repentir qui doit nous sauver, pour ne pas causer la ruine du genre humain, pour ne point priver du bonheur éternel ceux qui, par un changement complet de vie peuvent encore opérer leur salut. S’il punissait aussitôt après le péché, s’il frappait de mort sur-le-champ, comment Paul eût-il été sauvé ? Comment Pierre, comment les apôtres, ces docteurs des nations eussent-ils été sauvés ? Comment David eût-il gagné le ciel par sa pénitence ? Et les Galates ? et tant d’autres ? Voilà pourquoi le Seigneur ne fait pas toujours éclater sa vengeance en cette vie. C’est le petit nombre seulement qu’il punit ici-bas. Tous ne sont point punis dans l’autre inonde : les uns reçoivent leur châtiment sur la terre, les autres après la mort. Il veut, par les châtiments qu’il inflige, dès cette vie, ranimer les plus opiniâtres ; en laissant les autres impunis, il veut fixer notre attention sur les châtiments de la vie future. D’ailleurs n’en voyez-vous pas un grand nombre punis même ici-bas ; ceux par exemple qu’une tour écrasa dans sa chuté, ceux dont le sang fut mêlé par Pilate au sang des victimes ; ces Corinthiens qui moururent avant le temps pour avoir profané les saints mystères, ce Pharaon, ces Juifs, massacrés par les barbares, une multitude d’autres alors, maintenant et toujours ? D’autres aussi, coupables des plus grands crimes, sont morts sans avoir été châtiés durant leur vie, comme ce riche du temps de Lazare, comme beaucoup d’autres encore.
4. Dieu agit de la sorte pour, exciter ceux qui ne croient pas à la vie future, pour rendre plus actifs ceux qui y croient et qui s’engourdissent. Dieu en effet est un juge plein de justice, de force et de générosité, et il ne fait pas chaque jour éclater sa colère ; mais si nous abusons de sa longanimité, le, temps viendra où elle ne se fera plus sentir même, un seul instant, où la justice se hâtera d’accourir. Ces délices d’un instant, (et cette vie n’est qu’un instant) que nous voulons goûter, prenons-y garde, nous vaudront, une éternité de supplices. Ah ! travaillons plutôt quelque temps, afin de mériter des couronnes immortelles. Eh ! dans les affairés de ce monde, ne voyez-vous pas la plupart des hommes entreprendre des travaux de peu de durée pour s’assurer un long repos ? Souvent il leur arrive tout le contraire de ce qu’ils espéraient, car ici-bas la peine et le gain sont équivalents ; souvent même la peine est immense et le résultat bien faible. Il en est tout autrement du rythme des cieux : la peine est peu de chose, et la joie qui en résulte est infinie. Examinez en effet : le laboureur travaille toute l’année, et à la fin il voit tomber toutes ses espérances. Le pilote et le soldat passent toute leur vie dans les guerres et dans les fatigues et que de fois l’un perd le produit de ses marchandises, et l’autre la vie dans son triomphe ! Sommes-nous excusables ; je vous le demande ? Voilà que dans les choses de la vie nous préférons le travail au repos, afin de nous préparer quelques jouissances, toujours bien minces, si encore nous les obtenons, (car elles sont incertaines) ; et quand il s’agit de la vie spirituelle, nous faisons tout le contraire, nous aimons mieux nous reposer lâchement et nous attirer ainsi des châtiments inexprimables.
Ah ! je vous en conjure, sortez enfin de cette torpeur ! Vous n’aurez, pour vous arracher à ces horribles supplices, ni frère, ni père, ni enfant, ni ami, ni voisin, ni personne. Si nos œuvres nous trahissent ; c’en est fait de nous, nous sommes perdus. Que de gémissements poussa le mauvais riche ! comme il supplia le patriarche de lui envoyer Lazare ! Mais entendez la réponse d’Abraham : « il y a un immense chaos entre vous et nous ; et quand même on le voudrait, on ne pourrait aller jusqu’à vous ». (Lc. 16,26) Que de prières les vierges folles n’adressèrent-elles pas à leurs compagnes, pour obtenir d’elles un peu d’huile ! Mais écoutez ce qu’on leur répond : « Peut-être notre huile ne suffirait-elle pas pour nous et pour vous ». (Mt. 25,9) Et personne ne put les introduire dans la chambre nuptiale. Pénétrons-nous bien de ces pensées ; et prenons soin de notre conduite. Imaginez – les travaux les plus pénibles, les tourments les plus épouvantables ! Qu’est-ce que cela en comparaison des biens futurs ? D’autre part, le feu, le fer, les bêtes féroces, les supplices les plus cruels ne sont pas même l’ombre des supplices de l’enfer. Malgré leur violence en effet, les premiers sont moins terribles parce, qu’ils ne durent qu’un instant : le corps ne peut résister longtemps, à une douleur excessive. Dans l’autre monde il en est tout autrement : la durée se trouve jointe à l’intensité, aussi bien dans la joie que dans la douleur. Donc, pendant qu’il en est temps encore, prévenons le visage du Seigneur par l’aveu de nos fautes, afin qu’il se montre à nous plein de douceur et de bonté, et que nous puissions échapper à ces puissances terribles et menaçantes.
N’apercevez-vous point ces farouches licteurs ? Ne les voyez-vous point exécuter les ordres de leurs chefs, entraîner les pécheurs, les enchaîner, les accabler de coups, les percer de leurs glaives, leur brûler les flancs avec des torches, les déchirer ? Mais ce n’est là qu’un jeu, qu’une dérision en comparaison des tourments de l’enfer. Tout cela passe en effet : mais en enfer le ver ne meut point, le feu ne s’éteint point, le corps n’est plus sujet à la corruption. Ah ! nous préserve le Seigneur d’en faire l’expérience ! Puissent les menaces seules nous faire trembler, sans que nous soyons livrés aux bourreaux ! Qu’il serait préférable pour nous d’être châtiés ici-bas ! Que de paroles nous répandrions dans les enfers, en nous accusant nous-mêmes ! Que de gémissement, que de sanglots nous pousserions ! Mais à quoi tout cela nous servirait-il ? A quoi servent les gémissements au pilote, quand son navire brisé s’est abîmé dans les flots ? A quoi servent-ils au médecin, quand le malade est mort ? Ils ne cesseront de répéter qu’il fallait faire ceci et cela, paroles inutiles et inefficaces ! Tant que l’on peut espérer de se sauver par la réforme de sa vie et de ses mœurs, paroles et actions, tout peut servir ; mais quand il ne nous reste plus rien, quand tout est perdu, en vain parlerons-nous, en vain agirons-nous. Les Juifs diront alors : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » (Jon. 12,13) Mais ces paroles n’auront point pour effet de les soustraire aux châtiments. Ils ne les ont point prononcées, quand il fallait les prononcer. Épargnons-nous un pareil sort. Hâtions-nous de changer de vie, afin de nous présenter avec confiance au tribunal du Christ. Cette confiance, puissions-nous l’obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire soit au Père et à l’Esprit-Saint, etc.

HOMÉLIE X. modifier


NOUS SAVONS EN EFFET QUE, SI CETTE TENTE MATÉRIELLE OU NOUS DEMEURONS SE DISSOUT, DIEU NOUS RÉSERVE UNE DEMEURE QUI N’A PAS ÉTÉ FAITE DE MAIN D’HOMME, MAIS QUI EST ÉTERNELLE ET DANS LES CIEUX. (V, 1, JUSQU’A 10)

Analyse. modifier


  • 1 et 2. Saint Chrysostome développe les textes de l’apôtre qui se rapportent à la résurrection et au jugement dernier.
  • 3 et 4. Il cherche par le tableau de ce jugement à inspirer à son auditoire une salutaire frayeur.


1. L’apôtre ranime encore l’ardeur des Corinthiens et les soutient dans leurs nombreuses épreuves. Sans doute aussi son absence, avait diminué leur courage. Que leur dit-il donc ? Ne soyez ni surpris ni troublés de tant d’afflictions. Elles nous valent de nombreux avantages. Il leur en a montré déjà plusieurs : Nous portons avec nous, leur a-t-il dit, la mortification de Jésus-Christ, et nous sommes partout la preuve vivante de sa puissance. « Afin que, dit-il, on reconnaisse l’étendue de la vertu de Dieu. » Nous servons encore de preuve à sa résurrection ; ce qu’il disait en ces termes « Afin que la vie de Jésus soit manifestée dans notre chair mortelle ». Il dit ensuite que l’homme intérieur est perfectionné : « Si l’homme extérieur se corrompt, dit-il, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour ». Voulant ensuite montrer l’avantage des souffrances et des persécutions, il ajoute qu’elles enfantent toutes sortes de biens pour ceux qui les endurent avec patience. Peut-être vous désoleriez-vous de voir l’homme extérieur se corrompre : or c’est précisément lorsque cette corruption se sera produite que vous éprouverez le plus de jouissances et que vous aurez le sort le plus heureux : non seulement donc, il ne faut point s’affliger, si quelque partie du corps se dissout ; mais au contraire il faut aspirer à une complète dissolution. Cette corruption de l’homme extérieur mène à l’immortalité : Et c’est pourquoi l’apôtre ajoute : « Nous savons en effet que si cette tente matérielle où nous habitons, se dissout, Dieu nous réserve une demeure qui n’a pas été faite de main d’homme, une demeure éternelle et qui est dans les cieux ». Le dogme qu’il leur coûtait le plus d’admettre, c’était le dogme de la résurrection. Il cherche à l’établir de plus en plus, il invoque les jugements mêmes de ses auditeurs, et voici comment il procède. Il trouve une autre occasion d’entrer en matière. Il les avait déjà tirés de leur erreur. Maintenant il dit : « Nous savons que si cette tente matérielle où nous habitons vient à se dissoudre, Dieu nous en réserve une autre qui n’a pas été faite de main d’homme, qui est éternelle et dans les cieux ».
Il en est qui par cette demeure terrestre entendent le monde où nous sommes : Je crois plutôt que l’apôtre fait allusion au corps. Voyez maintenant comment par les noms eux-mêmes il montre la supériorité des biens à venir sur les présents. Au mot « terrestre » il oppose le mot « céleste » ; au mot « tente », qui peint la fragilité, le peu de durée des choses d’ici-bas, il oppose le mot « éternel. ». C’est pourquoi Jésus-Christ dit : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures ». (Jn. 14,2) S’il donnait le nom de tentes aux demeures des saints, il y ajouterait quelque autre expression. Ainsi le Sauveur ne dit pas : afin qu’ils vous reçoivent dans leurs tentes ; mais : « Afin qu’ils vous reçoivent dans les tentes éternelles ». (Lc. 16,9) En disant : « Une demeure qui n’est pas faite de main d’homme », il fait songer à celle qui est faite de main d’homme. – Quoi donc ? Le corps est-il fait de main d’homme ? Non pas ; mais par là il désigne ou bien les maisons construites par les hommes ; ou bien c’est le corps lui-même qu’il appelle une maison que la main de l’homme n’a pas élevée. Alors ce ne serait plus le second terme d’une comparaison, mais simplement une louange et un éloge. – « Dans cette demeure périssable nous gémissons, et nous souhaitons de revêtir cette autre demeure qui est du ciel (2) ». Quelle est cette demeure ? Un corps désormais incorruptible. Et pourquoi gémissons-nous maintenant ? – Parce que le corps dont plus tard nous serons revêtus,.est bien préférable à celui que nous avons aujourd’hui. Il dit qu’il est céleste, parce qu’il n’est plus sujet à se corrompre. Ce corps ne nous vient pas du ciel, sans doute, l’apôtre par cette, expression vent signifier la grâce qui vient du ciel. Bien loin de nous affliger de quelques épreuves, nous devons les rechercher toutes. C’est comme s’il disait : Vous vous plaignez des persécutions, vous gémissez de voir se corrompre l’homme extérieur ? Gémissez plutôt de n’être point persécutés davantage encore, devoir l’homme extérieur se dissoudre si lentement. Voyez-vous comme il retourne la pensée ? Il faut s’affliger de ne pas vair s’accomplir entièrement la dissolution, au lieu de se plaindre de la voir commencer. C’est pourquoi il donne au corps non plus le nom de tente, mais celui d’habitation permanente. Et cela avec raison. Car une tente se dissout aisément, mais une habitation reste toujours. « Si cependant nous sommes trouvés revêtus, et non pas nus (3) ». Tous ne peuvent attendre la résurrection avec confiance. Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Si cependant nous sommes revêtus », c’est-à-dire, si nous arrivons à l’incorruptibilité, si nous reprenons un corps qui ne soit plus sujet aux souffrances. « Et si nous ne sommes point trouvés nus », c’est-à-dire privés de gloire et de sécurité. Il exprimait la même pensée dans sa première épître aux Corinthiens. « Tous nous ressusciterons », disait-il ; « et chacun à notre rang » ; et encore : « Il y a des corps célestes, et il y a des corps terrestres ». (1Cor. 15,23-40) Tous ressusciteront, mais tous ne seront point glorifiés ; les uns ressusciteront dans la gloire, les autres dans l’opprobre ; les tins pour régner dans les cieux, les autres pour être tourmentés dans les enfers. C’est là ce que l’apôtre veut faire entendre par ces paroles : « Si nous sommes trouvés revêtus et non point nus. Car nous aussi qui sommes dans cette tente, nous gémissons, parce que nous ne voulons pas être dépouillés, mais couverts de nouveaux vêtements (4) ».
2. Ne ferme-t-il pas aussi la bouche aux hérétiques ; en leur montrant qu’il ne s’agit pas d’un corps ou d’un autre, mais de la corruption et de l’incorruptibilité ? Ce qui cause nos gémissements, ce n’est pas le désir que nous avons d’être délivrés de notre corps (car nous ne voulons pas en être dépouillés) ; mais c’est le désir d’être délivrés de la corruption qu’il renferme. Aussi dit-il : Nous ne voulons pas être dépouillés de notre corps, mais nous voulons le revêtir d’immortalité. Il s’explique ensuite : « Afin que ce qui est corruptible, soit absorbé par la vie ». Il semblait pénible à la plupart de quitter leur corps, et c’était combattre leurs sentiments que de dire : « Nous gémissons de ne pas vouloir en être délivrés ». Et en effet, si l’âme éprouve tant de peine à se séparer du corps, comment dites-vous donc que nous nous plaignons de n’en être point séparés ? C’est cette objection qu’il veut prévenir : Je ne veux pas dire, reprend-il, que nous gémissons par suite du désir que nous avons de quitter nos corps. La mort est une cause de tristesse pour tout le monde ; et le Christ lui-même a dit de saint Pierre : « Ils te prendront et te mèneront où tu ne veux pas aller » (Jn. 21,18) ; mais nous voulons revêtir notre corps d’une robe d’immortalité. Voilà ce qui nous afflige : ce n’est pas d’avoir un corps ; mais d’avoir un corps mortel et sujet à la souffrance. Telle est encore une fois la cause de notre, affliction. Mais la mort, vient détruire ce qu’il y a de corruptible en nous, elle ne détruit point le corps. – Et comment cela se fait-il, demandez-vous ? Ne posez point cette question. C’est Dieu lui-même qui le fait. Pas de vaine curiosité.
C’est pourquoi l’apôtre ajoute : « Celui qui nous a créés pour cela même, c’est Dieu ». Il s’agit donc d’une disposition toute céleste et éternelle. Ce n’est pas aujourd’hui que Dieu l’a établie ; il en a décidé ainsi quand dans l’origine il nous forma de terre, quand il créa le premier homme, Adam. Il ne l’a point créé pour mourir, mais pour le rendre immortel. Afin de confirmer ce qu’il vient de dire, l’apôtre ajoute : « Et il nous a donné le gage de l’Esprit-Saint ». C’est pour cette fin qu’il créa l’homme, c’est pour cette fin qu’il l’a renouvelé par le baptême. Le gage qu’il nous en donne, n’est certes point sans valeur : c’est l’Esprit-Saint lui-même. Souvent il parle de gage, soit pour montrer qu’il s’engage formellement, soit afin d’inspirer par ces paroles plus de confiance à des esprits encore grossiers. « Ayant donc toujours confiance et sachant ». Il parle de confiance à cause des persécutions, des embûches, des menaces de mort continuelles, comme s’il disait : « On vous menace, on vous persécute, on vous fait mourir ? » Ne vous découragez point ; tout cela se fait pour votre bien, ne tremblez point ; mais au contraire ayez confiance. Ce qui vous fait gémir, ce qui vous cause de la douleur, cette corruption dont vous vous plaignez, c’est ce qui doit vous enlever de ce monde et vous arracher à la servitude. Voilà le sens de ces paroles : « Ayant donc toujours confiance », non seulement quand vous vivez au sein du repos, mais encore quand vous êtes affligés. « Et sachant que tant que nous habitons ce corps, nous sommes loin du Seigneur. Car nous nous avançons au moyen de la foi, et non point en contemplant Dieu lui-même. Mais nous avons confiance et nous espérons sortir du corps et nous présenter devant le Seigneur (6-8) ». Il place en dernier lieu ce qui a le plus de grandeur. Revêtir l’immortalité ; c’est moins que vivre avec le Christ. Et voici ce qu’il veut dire : L’ennemi qui nous donne la mort, n’éteint pas en nous la vie ; ne craignez clone rien. Ayez confiance, au contraire, si l’on vous fait mourir. Car non seulement on vous soustrait à la corruption, et on vous décharge d’un lourd fardeau, mais on vous fait passer de ce monde vers le Seigneur. C’est pourquoi l’apôtre ne se borne pas 'à dire tandis que nous sommes dans le corps ; il s’exprime comme si nous étions en pays étranger : « Sachant donc que nous sommes pour ainsi dire exilés dans le corps ; et loin du Seigneur ; mais nous avons confiance, et nous espérons sortir du corps pour nous présenter devant le Seigneur ».
Voyez-vous comme il sait taire les noms de mort et de trépas, et leur en substituer d’autres pleins de douceur et d’agrément. Il appelle la mort un voyage vers le Seigneur.. Ces noms, si doux en apparence, qui expriment la vie, il les remplace par des noms peu gracieux, et la vie n’est pour lui qu’un exil où nous sommes loin de Dieu. Il en use de la sorte afin qu’on ne s’attache point au présent, qu’on s’en afflige au contraire,.que la vue de la mort réjouisse au lieu d’affliger, puisque la mort donne accès à de plus grands biens. – Mais on pourrait dire, après l’avoir entendu tenir ce langage : « Quoi donc ? Parce que nous sommes sur la terre, nous vivons loin du Seigneur ? » C’est pour prévenir cette objection qu’il ajoute : « Car nous nous avançons, la lumière de la foi, et non en contemplant Dieu lui-même ». Nous le connaissons donc ici-bas, mais moins clairement que nous – ne le connaîtrons dans le ciel. Il le dit ailleurs encore : « Nous le voyons comme dans un miroir,» ; et « en énigme ». (1Cor. 13,12) « Mais nous avons confiance et nous espérons », dit-il. Qu’espérons-nous donc ? « Nous espérons sortir du corps et nous présenter devant le Seigneur ». Quelle élévation dans ce langage ! C’est ainsi que toujours procède l’apôtre. Il s’empare des paroles de ses adversaires, et les tourne dans un sens tout opposé. C’est une remarque que j’ai déjà exprimée. « Ainsi donc nous nous efforçons de lui plaire, que nous soyons près de lui, que nous soyons loin de lui ». L’objet de nos efforts, dit-il, c’est de vivre selon sa volonté, que nous soyons au ciel, que nous soyons sur la terre. Nous n’avons rien plus à cœur qu’une telle conduite. Dès ici-bas vous jouissez déjà et avant toute épreuve, du royaume des cieux. Après avoir excité chez eux un bel désir, il ne veut pas qu’un délai trop prolongé les décourage, et c’est pourquoi il leur montre même ici-bas, comme l’abrégé, de tous les biens, qui consiste à plaire au Seigneur. Ce qu’il faut, désirer, ce n’est pas simplement de sortir de ce monde, mais d’en sortir après une vie sainte voilà ce qui rend la mort agréable ; ce n’est pas la vie elle-même qui est à charge, mais la vie passée à offenser Dieu.
3. Gardez-vous de croire qu’il suffise de sortir du corps : partout il est besoin de vertu. Quand l’apôtre parlait de la résurrection, il n’a pas voulu que ce mot nous inspirât trop de confiance, il disait : « Si cependant nous nous trouvons revêtus, et non pas nus ». De même quand il parle de la séparation de notre âme d’avec le corps, il ne veut pas que nous la regardions comme suffisante pour le salut, et il ajoute qu’il faut plaire à Dieu. Après les avoir ranimés parla vue de tarit d’objets magnifiques, il leur inspire de la crainte en leur mettant sous les, yeux des tableaux effrayants. Les avantages d’une vie vertueuse, c’est de mériter le bonheur et d’échapper auxsupplices, d’obtenir le royaume des cieux, et d’éviter les feux de l’enfer. Mais de ces deux avantages, le plus sensible, c’est d’échapper aux supplices. Quand toute la peine consiste dans une privation, la plupart s’y résignent volontiers ; mais il en est autrement, quand il s’agit d’une souffrance positive ; la privation elle-même devrait paraître insupportable ; mais la faiblesse de notre nature, sa bassesse nous fait regarder les supplices comme bien plus terribles. La vue des récompenses produisait moins d’effet sur le grand nombre que la menace des supplices éternels : et c’est pourquoi l’apôtre conclut en disant : « Tous nous devons comparaître devant le tribunal du Christ ». Après avoir ainsi produit l’effroi dans les âmes, après les avoir ébranlées par la pensée de ce redoutable ; tribunal, il ne Sépare point les menaces qui effraient des récompenses qui réjouissent, et il dit : « Afin que chacun rende compte de ses œuvres bonnes ou mauvaises ». Il fait briller aux regards des justes et de ceux qui sont persécutés des récompenses bien capables de soutenir leur ardeur, et il fait retentir aux oreilles des pécheurs des menaces bien propres à les tirer de leur négligence, et enfin il donne une preuve de la résurrection des corps. Le corps, en effet, a prêté son ministère pour le bien et pour le mal, il doit donc partager le sort de l’âme : avec elle il doit être puni, avec elle il doit être couronné.
Certains hérétiques prétendent que nous ressusciterons avec un Corps différent de celui que nous avons eu sur la terre. – Pourquoi donc, je vous le demande ? Notre corps a péché ; c’est un autre qui subira, la peine ! Notre corps a fait le bien, c’est un autre qui recevra la couronne ! Qu’avez-vous à répliquer à ces mots de l’apôtre : « Nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir un vêtement plus précieux ? ». – Comment donc ce qui est corruptible peut-il être absorbé par la vie ? Saint Paul n’a pas dit : « Afin que le corps mortel ou corruptible soit absorbé par un corps in« corruptible » ; mais afin que « la corruption a soit absorbée par la vie ». C’est ce qui arrive, lorsque le même corps que nous avions reprend une vie nouvelle. Mais si nous ressuscitons avec un autre corps ; ce n’est plus la corruption qui est absorbée ; au contraire, elle demeure, elle triomphe. Or, ce n’est pas ce qui doit avoir lieu : il faut que ce qui est corruptible, c’est-à-dire le corps, revête l’immortalité. Le corps est au milieu : maintenant sujet à la corruption, plus tard il, doit ressusciter incorruptible. Il est d’abord corruptible : s’il était incorruptible, il ne pourrait être détruit : « La corruption », dit l’apôtre, « ne peut avoir a en partage l’incorruptibilité ». (1Cor. 15,50). Comment en effet cela serait-il possible ? Mais au contraire la corruption sera absorbée par la vie. La vie triomphe de la corruption, mais la corruption fie saurait triompher de la vie. De même que la cire fond devant le feu et non point le feu devant la cire ; de même la corruption est consumée par l’immortalité et disparaît ; mais elle ne saurait elle-même triompher de l’immortalité.
Prêtons donc l’oreille à la voix de l’apôtre qui nous dit : « Il nous faudra paraître devant le tribunal du Christ » ; représentons-nous ce tribunal, supposons qu’il est déjà dresse et qu’on nous demande compté de nos actions : Mais je veux moi-même entrer dans quelques détails. Saint Paul venait de parler de tribulations, et il ne voulait pas contrister encore les Corinthiens. C’est pourquoi il n’insiste pas sur le jugement dernier, et se contente de ces quelques mots : « Chacun rendra compte de ses actions ». Puis il passe à une autre pensée. Supposons donc que ce dernier jour est arrivé. Examinons notre conscience, songeons que nous sommes aux pieds de notre juge, que toutes nos actions sont dévoilées et produites au grand jour. Car non seulement nous comparaîtrons, mais encore notre âme sera mise à découvert. Vous rougissez, vous êtes hors de vous-mêmes ! Cependant ce n’est là qu’une supposition, qu’une fiction de notre esprit ; et la vue de notre conscience nous effraie. Que ferons-nous donc, quand ce jour arrivera, quand tout l’univers sera rassemblé, quand nous apercevrons les anges et les archanges, quand nous serons témoins de cet immense concours, quand nous verrons les saints emportés sur les nuages, quand nous aurons devant nous cette multitude saisie de terreur, quand nous entendrons le son bruyant des trompettes, et ces cris sans cesse répétés ? N’y eût-il point d’enfer, quel affreux supplice déjà quo de se voir repoussé avec tant d’éclat, et de se retirer couvert de confusion ! Quand l’empereur entre dans une ville, nous sentons même notre misère, et le spectacle que nous avons sous les yeux nous cause moins de joie que nous n’éprouvons de chagrin, de ne pas avoir part à tant de magnificence et de ne pas approcher du souverain. Que sera-ce donc au jour du jugement ? Quel supplice de n’être pas admis dans le chœur des bienheureux, de ne point partager cette gloire ineffable, d’être repoussé bien loin de cette brillante assemblée, de ces biens que nul langage ne saurait exprimer ! Mais songea ensuite à ces ténèbres, à ce grincement de dents, à ces chaînes indissolubles, à ce ver qui ne meurt point, à ce feu qui ne s’éteindra point ; à ces horribles souffrances, à ces angoissés, à ce feu qui dévore la langue, comme il dévorait celle du mauvais riche ; à ces hurlements, que personne n’entend, à ces cris de désespoir, à ces rugissements, arrachés par la douleur, sans que personne y prenne garde, sans que personne ne vienne nous soulager que dire de pareilles tortures ? Quoi de plus malheureux que les âmes des damnés ? Y a-t-il spectacle plus lamentable ?
4. Si nous entrons dans une prison, la vue de ces prisonniers presque nus, chargés de chaînes, épuisés de faim, plongés dans de ténébreux cachots, nous trouble jusqu’au fond de l’âme et nous glace d’horreur : il n’est rien que nous n’endurions plutôt que de tomber dans ces affreuses demeures. Ah ! quand nous nous sentirons traînés vers ces supplices de l’enfer ; quelle situation plus affreuse encore ! Là nous serons enchaînés non point avec des chaînes de fer ; mais avec les chaînes d’un feu qui né s’éteindra jamais. Nous aurons pour bourreaux non point des hommes comme nous qui se laissent parfois apaiser, mais les anges, que nous n’oserons même regarder, tant ils sont irrités contre nous par nos fautes d’autrefois. Là, personne ne viendra, comme il se pratique ici-bas, nous apporter ou de l’argent, ou de la nourriture, ou des consolations. En enfer plus de pardon à espérer. Noé, Job, Daniel verraient leurs proches plongés dans ces supplices, qu’ils n’oseraient leur porter secours. Cette pitié que donne la nature, elle est éteinte après cette vie. Un père vertueux peut avoir un fils dans l’enfer, et réciproquement. Leur joie doit être sans aucun mélange de tristesse, et au sein du bonheur éternel, elle ne doit pas être troublée par un sentiment de pitié. C’est pourquoi j’affirme que cette pitié naturelle s’éteint en eux et qu’ils s’indignent avec le Seigneur contre leurs propres enfants. Ne voit-on pas les hommes renier ceux de leurs fils qui se conduisent mal et les retrancher de leur famille ? À plus forte raison les justes agiront-ils de la sorte. Ne vous promettez donc aucun bonheur, si vous n’avez fait le bien, eussiez-vous mille ancêtres au nombre des saints. « Chacun recevra selon ses œuvres personnelles, selon les actes de sa vie corporelle ». N’est-ce pas le fornicateur que l’apôtre a en vue, et qu’il veut effrayer par les menaces des éternels supplices ? ou plutôt n’a-t-il pas en vue tons les pécheurs quels qu’ils soient ?
Donc nous aussi prêtons l’oreille à ses paroles. Si le feu de la passion vous dévore, opposez-lui ces feux éternels ; et, le feu de la passion finira par s’éteindre. Si vous songez à prononcer quelque parole inconvenante, songez au grincement de dents ; et la crainte mettra un frein à votre bouche. Voulez-vous prendre le bien d’autrui, écoutez la terrible sentence du Juge suprême : « Liez-lui les mains et pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures » ; et vous bannirez le désir des richesses. Vous vous enivrez, vous ne pouvez vaincre cet odieux penchant, écoutez le riche disant à Abraham : « Envoie Lazare, afin qu’avec l’extrémité de son doigt il rafraîchisse ma langue dévorée par l’ardeur des flammes », (Mt. 22,13), sans qu’il puisse rien obtenir ; et votre penchant cédera. C’est l’amour du plaisir qui vous captive, songez aux souffrances, aux angoisses de l’enfer et vous ne songerez plus aux délices d’ici-bas. Si vous êtes implacable et cruel, rappelez-vous ces vierges folles, qui pour avoir laissé éteindre leurs lampes, furent privées de recevoir l’époux ; et vous deviendrez bientôt miséricordieux-. Vous êtes paresseux et lâche ? Rappelez-vous cet homme qui cache son talent ; et vous serez plus actif que le feu lui-même.
Mais c’est la soif du bien d’autrui qui vous dévore ? Songez à ce ver qui ne meurt point ; vous guérirez vite de cette maladie et vous accomplirez aisément toute la loi de Dieu. Car elle ne nous impose rien de pénible ni d’insupportable. Comment se fait-il donc que les préceptes du Seigneur nous paraissent si lourds ? Notre indolence en est la cause. Ayons un peu d’ardeur, et, ils nous deviendront légers et faciles. Mais si nous sommes lâches, ces préceptes si légers nous paraîtront difficiles à accomplir.
Pleins de ces pensées, songeons non pas aux délices que l’on peut goûter ici-bas, mais à leurs affreuses conséquences. Dans ce monde tout est corruption, tout est charnel ; après la mort ceux qui s’abandonnent au plaisir seront dévorés par le ver qui ne meurt point et par le feu qui ne s’éteint point ; ne songeons pas aux richesses que procure le vol ; songeons aux maux qu’elles engendrent ici-bas les craintes ; et les angoisses dans l’enfer des chaînes indissolubles ; ne songeons pas à la gloire ; mais à ses suites funestes : ici-bas c’est l’esclavage ; c’est la dissimulation ; dans l’autre vie ce sont d’insupportables supplices, les tourments que cause une flamme dévorante. Répétons-nous sans cesse à nous-mêmes ces salutaires paroles, opposons-les à la voix de nos passions, nous apaiserons bien vite la soif des biens de ce monde, nous allumerons promptement dans nos cœurs l’amour des biens à venir. Ah ! cet amour, qu’il s’allume, qu’il s’enflamme ! La pensée toute seule de ce bonheur, si faible qu’elle soit, ne nous remplit-elle pas de joie ? Quel charme n’éprouverons-nous donc pas, lorsque nous le goûterons réellement ? Heureux, mille fois heureux ceux qui, l’obtiendront ; malheureux au contraire, mille fois malheureux, ceux qui endureront les tourments de, l’enfer. Soyons, du nombre des premiers, et non peint parmi les derniers, et pour cela pratiquons la vertu. C’est ainsi que nous parviendrons au bonheur éternel. Puissions-nous tous en jouir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui gloire, puissance, honneur, avec le Père et l’Esprit-Saint, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XI. modifier


REMPLIS DE LA CRAINTE DU SEIGNEUR, NOUS CHERCHONS A PERSUADER LES HOMMES, ET DIEU VOIT LE FOND DE N0TRE CŒUR ; J’ESPÈRE AUSSI QUE VOS CONSCIENCES ONT DE NOUS UNE CONNAISSANCE EXACTE. (V, 11, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier


  • 1-2. Je ne fais aucune attention à la condition terrestre de qui que ce soit ; mais je n’ai égard qu’à la nouvelle créature formée de Dieu, qui, par la médiation de Jésus-Christ, a admis l’homme à se réconcilier avec lui, et qui m’a aussi confié le ministère de la réconciliation. – Ce ministère, je l’exerce à la place de Jésus-Christ, car c’est lui qui est l’unique médiateur, Dieu en ayant fait la victime pour le péché.
  • 3 et 4. Que nous devons plus craindre le péché que la punition du péché.


1. Tremblant nous-mêmes à la pensée de ce redoutable tribunal, nous nous efforçons de ne vous donner aucune prise contre nous, de ne vous causer aucun scandale, de ne faire naître en vos âmes aucun fâcheux soupçon. Voyez quelle perfection, quelle délicatesse de conscience ! Il ne nous suffit point de ne pas faire le mal, pour être à l’abri des reprochés ; si l’on nous soupçonne, même sans fondement aucun, et que nous ne nous efforcions point d’écarter ces soupçons, nous méritons d’être punis. – « Nous ne nous recommandons point auprès de vous, nous vous donnons seulement occasion de vous glorifier à notre sujet ». Que de fois il se défend de faire son propre éloge ! Rien n’offense autant les auditeurs que d’entendre un homme, se décerner de pompeux éloges. Forcé de se donner à lui-même des louanges, il reprend aussitôt : C’est à cause de vous que je m’exprime de la sorte, et non par, à cause de moi, afin que vous ayez lieu de vous glorifier, et non pour nous arroger à nous-même quelque gloire. Il avait aussi en vue les faux apôtres. C’est pourquoi il ajoute : « Auprès de ceux qui se glorifient extérieurement, mais non dans le cœur (12) ». Voyez-vous comme il les détourne de ces hommes dangereux, pour se les attirer à lui-même, en montrant aux Corinthiens qu’eux aussi désirent trouver une occasion de le soutenir et de le défendre contre ses détracteurs ? Si nous vous parlons de la sorte, dit-il, ce n’est point afin de nous glorifier nous-même, mais bien pour que vous puissiez parler vous-mêmes librement en notre faveur. C’est ainsi qu’il leur témoigne son amour, non seulement je me propose votre propre gloire, mais encore de vous prémunir contre leurs pièges. Il ne le leur dit pas en propres termes, mais c’est la pensée qu’il exprime dans un langage plein de modération et incapable de blesser personne. « Afin que vous puissiez vous glorifier en présence de ceux qui se glorifient eux ; mêmes extérieurement ». Et encore leur recommande-t-il de ne point le faire sans motif, mais uniquement lorsque les faux apôtres feront paraître de l’orgueil. Partout il exige que l’on se guide sur les circonstances. Ce n’est donc point pour faire briller son mérita qu’il agit de la sorte, mais bien pour réprimer l’orgueil de ces hommes qui par leur jactance pouvaient nuire aux Corinthiens. Que signifient ces mots : « à l’extérieur ? » C’est-à-dire, en ce qui frappe les yeux, en ce qui s’étale au grand jour. Ils n’agissaient qu’en vue de la gloire, ils étaient vides de bonnes intentions, prenaient le masque de la piété pour paraître dignes de respect, sans avoir au fond aucun mérite.
« Si nous semblons exagérer, c’est pour Dieu ; si nous parlons un humble langage, c’est pour vous (13) ». Oui, dit-il, soit que nous nous louions nous-mêmes (c’est ce qu’il appelle « exagérer », comme ailleurs il dit « être insensé »), nous le faisons à cause de Dieu ; à la vue de notre bassesse, peut-être nous mépriseriez-vous, et ainsi vous courriez à votre perte. Si au contraire nous parlons un langage plein de modération et d’humilité, c’est pour vous apprendre à vous-mêmes à demeurer toujours humbles. On bien encore l’apôtre veut dire. Si l’on nous traite d’insensés, c’est de Dieu que nous attendons notre récompense, après avoir été l’objet d’un tel outrage ; si au contraire on reconnaît notre sagesse, on en recueillera les précieux avantages. – Ou bien encore : On nous regarde comme un insensé ; eh bien ! c’est à cause de Dieu que nous sommes insensés. Aussi ajoute-t-il : à la charité de Dieu nous presse, et nous « pensons… (14) ». Ce n’est pas seulement la crainte de l’enfer qui nous défend de nous engourdir dans un lâche sommeil, mais le souvenir du passé nous excite sans cesse à supporter pour vous de si grandes fatigues. Et quels sont donc ces événements passés ? « Si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts ». L’apôtre s’exprime donc comme si tous étaient morts. Si tous, en effet, n’eussent été morts, le Christ ne serait point mort pour tous. Ici-bas le salut est possible ; mais après cette vie, il n’est plus possible de se sauver. C’est pourquoi l’apôtre dit : « La charité du Christ nous presse » et ne nous laisse prendre aucun repos. Ne serait-ce point le pire des maux, un mal plus affreux que l’enfer lui-même que de trouver des hommes qui, après cet immense dévouement du Sauveur, ne retireraient aucun fruit de ses souffrances ? Quel excès de charité de la part de Jésus-Christ que d’avoir souffert la mort pour sauver un monde si mal disposé à son égard !
« Afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux (15) ». Si donc nous ne devons point vivre pour nous-mêmes, ne vous troublez point, ne vous effrayez point à l’approche des dangers et de la mort. C’est un devoir pour nous, et la raison qu’il en donne est convaincante. Puisque c’est la mort de Jésus-Christ qui nous a donné la vie, ne devons-nous pas vivre pour celui à qui nous la devons ? Saint Paul semble n’avoir exprimé qu’une seule pensée ; mais, si nous y prenons garde, il y en a deux ; la première, que nous vivons par. Jésus-Christ ; la seconde, qu’il est mort à cause de nous. L’une ou l’autre suffit pour flous mettre sous sa dépendance. Mais quand elles se réunissent toutes deux, jugez quelles sont nos obligations ! Ou plutôt il y a là trois choses. Car il est ressuscité d’entre les morts et a transporté l’homme dans les cieux. Voilà pourquoi saint Paul ajoute : « A celui qui est mort et qui est ressuscité pour nous ». – « C’est pourquoi depuis ce temps nous ne connaissons plus personne selon la chair parmi les fidèles ». Car si toits sont morts, victimes de la tyrannie du péché, si tous sont ressuscités parle baptême de la régénération, et le renouvellement opéré par l’Esprit-Saint, l’apôtre a raison de dire : « Nous ne connaissons plus personne d’entre les fidèles selon la chair ». Ils sont encore dans la chair, je le veux bien. Mais en eux il n’y a plus de vie charnelle ; et de plus nous avons été engendrés dans le Saint-Esprit, et maintenant nous ne connaissons plus d’autre conduite, d’autre vie que la vie du ciel. L’auteur de ce bienfait, c’est encore le Christ, ainsi que le dit l’apôtre : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de la sorte (l6) ».
2. Eh ! quoi, direz-vous ? Jésus-Christ a-t-il déposé la chair, et n’a-t-il plus de corps ? Loin de nous cette pensée : maintenant encore il est revêtu de sa chair. « Ce Jésus qui a été élevé au ciel et dérobé à vos regards, viendra comme vous l’avez vu remonter ». (Act. 1,14) C’est-à-dire, dans la chair et avec son corps. Pourquoi donc l’apôtre dit-il : « Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair ; maintenant nous ne le connaissons plus de a la sorte ? » Pour nous, « être dans la chair », c’est être dans le péché ; et « n’être pas dans la chair », c’est n’être pas dans le péché. Quand il s’agit du Christ„ cette expression « selon la chair », signifie les affections naturelles, comme la faim, la soif, la fatigue, le, sommeil. « Car il n’a point commis le péché, et la ruse ne s’est point trouvée sur ses lèvres ». (Is. 53,9) Et c’est pourquoi le Sauveur disait : « Qui de vous me convaincra de péché ? » Et encore : « Le prince de ce monde est venu, et il n’a rien en moi ». (Jn. 8,46 ; 14, 30) Cette expression, « non selon la chair », nous dit qu’il n’est plus sujet à ces sortes d’affections, mais non pas qu’il n’a point de corps. Car il doit venir un jour revêtu de sa chair désormais impassible et immortelle pour juger l’univers. Alors aussi nos corps seront transformés comme le sien et resplendiront d’une gloire semblable.
« En sorte que s’il y a dans le Christ une nouvelle création… (17) ». C’est l’amour de Dieu qui doit d’abord nous exciter à la vertu ; mais ensuite l’apôtre nous y porte par les choses elles-mêmes. Et c’est pourquoi il ajoute : « S’il est dans le Christ une création nouvelle ». Celui qui embrasse la foi de l’Évangile, est pour ainsi dire créé une seconde fois : L’Esprit-Saint lui a donné une seconde fois la naissance. Nous devons donc vivre pour Jésus-Christ, non seulement parce que nous ne nous appartenons pas à nous-mêmes ou parce qu’il est mort pour nous, ou parce qu’il a ressuscité les prémices du genre humain, mais aussi parce que nous sommes entrés dans une vie nouvelle. Voyez que de motifs pour nous exciter à tenir une conduite vertueuse. C’est pourquoi l’apôtre se sert d’une expression fort matérielle pour rendre cette transformation, afin que nous en sentions mieux l’importance. Il va plus loin, et nous montre en quoi consiste cette création nouvelle. – « Les choses anciennes ont passé, dit-il, voilà que tout a été renouvelé ». Quelles sont ces choses anciennes ? Les péchés, les impiétés, ou bien les cérémonies judaïques, ou bien les deux ensemble. « Voilà « que tout a été renouvelé. – Or tout vient de Dieu… (l8) ». Rien ne vient de nous-mêmes. Le pardon de nos fautes, notre adoption, notre – glorification, nous tenons tout de sa munificence. A l’avenir l’apôtre joint le présent pour les exciter encore davantage. Voyez en effet : Il a dit que nous devons ressusciter, entrer dans une vie éternelle, régner éternellement avec Dieu ; mais le présent aura plus d’influence que l’avenir sur ceux qui n’ont pas une foi bien ferme dans les biens futurs, et c’est pourquoi il leur rappelle les bienfaits qu’ils ont reçus et l’état où ils se trouvaient, quand Dieu les en a comblés. En quel état se trouvaient-ils donc ? Ils étaient tous morts. – « Tous sont morts », dit-il, « et le Christ est mort pour tous », tant il les aimait tous. Tous étaient courbés sous la vétusté des vices.
Mais tout a été renouvelé, l’âme qui a été purifiée, le corps, la manière d’adorer Dieu, les promesses, le Testament, la table, les vêtements, tout en un mot. Au lieu de la Jérusalem d’ici-bas, nous avons reçu la Jérusalem céleste ; au lieu d’un temple matériel, un temple spirituel ; au lieu des tables de pierre, des tables de chair ; au lieu de la circoncision, le baptême ; au lieu de la manne, le corps du Seigneur ; au lieu de l’eau du rocher, le sang qui coule du côté de Jésus ; nous avons reçu la croix au lieu de la verge de Moïse et d’Aaron, le royaume des cieux au lieu de la terre promise, un seul Pontife au lieu de ces milliers de prêtres, l’Agneau spirituel au lieu de cet agneau privé de raison. C’est tout plein de ces pensées que l’apôtre disait : « Tout a été renouvelé. Et tout nous vient de Dieu » par le Christ ; c’est un présent de la divine munificence. Aussi ajoute-t-il : « Qui nous a réconciliés avec lui par Jésus-Christ et nous a donné le ministère de la réconciliation. » De là en effet nous viennent tous les biens. Celui qui nous a rendus les amis de Dieu, nous a valu tous les autres bienfaits que Dieu nous a prodigués. Il n’a point voulu que nous fussions encore ennemis de Dieu, au moment où il nous faisait ces largesses ; il a commencé par nous rétablir dans son amitié. En disant que le Christ a été pour nous l', auteur de la réconciliation, je veux parler aussi du Père ; et en disant que ces bienfaits nous viennent du Père, j’entends aussi parler du Fils. « Car c’est par lui que tout a été fait ». (Jn. 1,13) D’où il suit qu’il est lui-même aussi l’auteur de ces bienfaits. Ce n’est pas nous qui sommes accourus vers lui ; c’est lui qui nous a appelés. Et comment nous a-t-il appelés ? Par la mort du Christ : « Qui nous a donné un ministère de réconciliation ». Ici il montre encore la dignité des apôtres, la grandeur de leur mission, l’amour excessif de Dieu envers nous. Les hommes ne voulurent pas entendre la voix de l’ambassadeur céleste, et cependant Dieu ne s’irrita point, ne les abandonna point, il redoubla d’instance auprès d’eux et par lui-même et par ses envoyés. Comment avoir assez d’admiration pour une telle sollicitude ? Le Fils de Dieu ; venu sur la terre pour nous réconcilier avec son Père, le vrai Fils de Dieu, son Fils unique, est mis à mort, et cependant le Père ne se détourne point des criminels ; il ne dit point : J’ai envoyé mon Fils en ambassade, non seulement ils n’ont pas voulu l’entendre, mais ils l’ont fait mourir, ils l’ont crucifié ; il est bien juste que je les abandonne. Il agit tout autrement ; et quand Jésus-Christ a quitté la terre, c’est à nous-même qu’il confie le ministère de la réconciliation. « Il nous a donné », dit saint Paul, « le ministère de la réconciliation ».
« Car Dieu était dans le Christ réconciliant « le monde avec lui-même, ne leur imputant « point leurs péchés. (19) ». Quel amour ! Ne dépasse-t-il point tout ce qu’on pourrait dire, tout ce qu’on pourrait s’imaginer ? Quel était l’offensé ? Dieu lui-même. – Qui se présenta le premier pour opérer la réconciliation ? – Dieu encore. – Mais, dites-vous, il a envoyé son Fils, il n’est pas venu lui-même. – Il a envoyé son Fils, j’en conviens ; mais le Fils n’était point seul à – exhorter les hommes ; le Père les exhortait aussi avec lui et par lui. – « Dieu était dans le Christ réconciliant le « inonde avec lui ».' – « Dans – le Christ. », c’est-à-dire, « par le Christ ». L’apôtre avait dit : « Il nous a donné un ministère de ré« conciliation ». Il adoucit un peu sa pensée en disant : Ne croyez pas que nous soyons à nous seuls chargés clé, cette mission ; nous ne sommes que des serviteurs. C’est Dieu qui a – fait tout cela ; c’est lui qui a réconcilié le monde par son Fils unique. Et comment-? Ce qu’il y a d’admirable en effet, ce n’est pas seulement que le monde soit venu l’ami de Dieu, mais aussi la manière dont s’est opérée la réconciliation. Comment s’est-elle donc opérée ? Dieu a pardonné les péchés des hommes. : l’amitié ne pouvait se contracter autrement. Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Sans tenir compte de leurs péchés ». Ah ! s’il eût voulu demander compte aux hommes de leurs fautes, nous étions tous perdus ; car tous étaient morts. Mais ces fautes si nombreuses, il ne voulut pas en tirer vengeance, il nous rendit au contraire ses bonnes grâces ; non seulement il nous pardonna nos péchés, mais il ne nous les imputa pas même. C’est ainsi que nous aussi nous devons pardonner à nos ennemis, si nous voulons obtenir de Dieu notre pardon. « Et il a mis en nous la parole de la réconciliation ». Ce n’est point pour une mission pénible que nous sommes venus, mais pour vous rendre l’amitié de Dieu. Ils, n’ont pas voulu se rendre à mes paroles ; vous, ne cessez de les exhorter, jusqu’à ce que vous les persuadiez. C’est pourquoi saint Paul ajoute : « Nous sommes les ambassadeurs du Christ ; et c’est Dieu qui exhorte par notre bouche. Nous vous en conjurons au nom de Jésus-Christ : réconciliez-vous avec Dieu (20) ».
3. A quelle hauteur il porte cette mission dont il est chargé ! C’est le Christ lui-même qui supplie dans l’apôtre. Et non seulement Jésus-Christ, mais Dieu le Père. Car voici le sens de ces paroles : Le Père a envoyé son Fils pour, exhorter les hommes en son nom et pour remplir auprès d’eux les fonctions d’ambassadeur. Les hommes l’ont fait mourir ; il a quitté ce monde, et nous lui avons succédé dans sa mission. C’est donc en son nom et en celui de son – Père que nous vous exhortons. Le père aime le genre humain à ce point qu’il a livré son propre Fils, sachant bien que les hommes le feraient mourir, et qu’il nous a faits ses apôtres à cause de vous. L’apôtre pouvait donc bien dire : « Tout est pour vous. Nous sommes les ambassadeurs du Christ ». Comme s’il disait : Nous tenons la place du Christ, nous lui avons succédé dans sa mission. Cela vous semble peut-être bien extraordinaire : Écoutez ce qui suit, vous verrez que les apôtres tiennent la place non seulement du Christ, mais aussi du Père. Saint Paul ajoute en effet : « C’est Dieu qui vous exhorte par notre bouche ». Ce n’est point seulement par son Fils que le Père vous exhorte, mais encore par nous qui avons pris la place de son Fils. Ne vous imaginez donc point que c’est nous qui vous prions. C’est le Christ lui-même, c’est son Père qui vous prie par notre bouche. Est-il rien de comparable à une pareille bonté ? Ce Père dont on a payé les immenses bienfaits par tant d’outrages, non seulement ne se venge point, mais il donne son Fils pour nous réconcilier avec lui. Loin de vouloir se réconcilier, les hommes le font mourir. Il envoie d’autres ambassadeurs, et après les avoir envoyés, il se fait lui-même suppliant en leurs personnes. Et que demande-t-il ? « Réconciliez-vous avec Dieu ». Il ne dit pas : Réconciliez Dieu avec vous : Ce n’est pas lui qui nous hait, c’est vous qui voulez être ses ennemis. Dieu éprouve-t-il jamais un sentiment de haine ? Et il discute la cause, comme ferait un ambassadeur.— « Celui qui m’a point connu le péché, il l’a fait péché à cause de nous ». Je ne rappelle point le passé, vos outrages envers moi, qui ne vous ai jamais tait de mal, mes bienfaits si nombreux ; je ne vous dirai point que je ne vous ai point punis, que bien qu’outragé le premier, je suis cependant le premier à vous prier. Non, je ne veux rien rappeler de tout cela. Ne suffit-il pas du bienfait qu’il-vous accorde aujourd’hui pour vous décider à une réconciliation ? Quel est-il donc, ce bienfait ? « Celui qui n’a point connu le péché, pour vous il l’a fait péché… (21) ». Ne vous aurait-il jamais accordé d’autres faveurs, n’était-ce pas une faveur immense que de livrer son Fils pour ceux qui l’avaient outragé ? Oui, il l’a donné, et ce n’est pas assez, il a permis que ce Fils, l’innocence même, fût accablé d’outrages pour ceux-mêmes qui les lui infligeaient. – Ce ne sont point les paroles de l’apôtre ; elles sont encore plus expressives. « Celui », dit-il, « qui ne connaissait point le péché ; qui était la justice même, « il l’a fait péché », c’est-à-dire, il l’a laissé condamner comme un pécheur, mourir comme un homme chargé de malédictions : « Car maudit est celui qui est pendu au bois ». (Deut. 21,23) Une mort ordinaire n’était rien en comparaison de cette mort si atroce. Et c’est ce que saint Paul nous donne à entendre, quand il dit : « S’étant fait obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix ». (Phil. 2,8) Il y avait là non seulement le supplice, mais l’ignominie. Voyez donc que de bienfaits vous avez reçus ! C’est chose admirable qu’un pécheur consente à mourir pour un autre quel qu’il soit ; mais quand c’est un juste qui meurt, et qui meurt pour des pécheurs, et qui meurt comme un maudit et pour nous mériter des faveurs auxquelles nous ne pouvions prétendre (afin que par lui nous devenions justes de la justice de Dieu), comment dire, comment peindre tant de générosité ? Celui qui était juste, dit l’apôtre, il l’a fait pécheur, afin de justifier les pécheurs. Et ce n’est pas même ainsi qu’il parle ; il tient un langage plus sublime encore ; ce n’est point l’état qu’il exprime, mais la qualité elle-même. Il ne dit pas : il l’a fait pécheur, mais : « il l’a fait péché » ; il ne dit pas : celui qui n’a point péché, mais celui qui n’a point connu le péché ; il ne dit pas : afin que nous devenions justes, mais afin que nous devenions à la justice », et même « la justice de Dieu ». C’est en effet la justice de Dieu, quand elle ne vient point des œuvres, quand elle n’est ternie d’aucune tache, niais bien le fruit de la grâce qui fait disparaître toute imperfection. De telles expressions ne nous permettent point de nous enorgueillir : car c’est de Dieu que nous vient ce trésor, et nous apprenons ainsi à connaître la puissance de notre bienfaiteur. La loi et les œuvres produisaient « simplement la justice » ; celle dont parle l’apôtre est. « la justice de Dieu ». Pénétrons-nous bien de ces pensées, et qu’elles nous effraient plus que la vue même de l’enfer ; admirons de tels objets plus que le royaume des cieux ; et regardons comme une peine non d’être châtiés, mais de tomber dans le péché. Si Dieu ne nous châtiait pas lui-même, nous devrions nous imposer à nous-mêmes un châtiment, après nous être montrés ingrats envers un tel bienfaiteur. Que de fois un amant passionné ne s’est-il point donné la mort, parce qu’il n’a pu assouvir sa passion ? et après l’avoir assouvie, que de fois ne s’est-il pas jugé indigne de vivre pour avoir outragé son amante ? Et nous qui avons offensé un Dieu si bon, si miséricordieux, nous ne nous précipiterons pas dans le feu de l’enfer ? Ce que je vais dire paraîtra singulier, étrange, incroyable à la plupart : Celui qui sera puni après avoir outragé un maître si plein de bonté, devra s’estimer plus heureux, s’il est raisonnable, et s’il aime Dieu, que celui qui n’aura pas été puni.
4. N’en avons-nous point la preuve dans la vie commune ? Si vous injuriez un de vos amis, vous n’avez de repos qu’après vous être punis vous-mêmes ou reçu quelque injure à votre tour. Écoutez ce que disait David : « Moi qui suis le pasteur, j’ai péché ; moi qui suis le pasteur, j’ai commis l’injustice : et ceux-ci, qui forment mon troupeau, quel mal ont-ils fait ? Je vous en conjure, tournez votre main contre moi et contré la maison de mon père ». (2Sa. 24,17) Après la mort d’Absalon, il s’infligea les plus rudes tourments ; et cependant, bien loin d’être coupable, C’est lui qui avait reçu l’outrage. Mais l’amour qu’il portait à son fils, lui faisait rechercher ces douleurs où il trouvait quelque consolation. Nous aussi, quand nous péchons contre ce Dieu que nous ne devrions point offenser, empressons-nous de nous punir nous-mêmes. Ne voyez-vous point ceux qui ont perdu des enfants bien chers, se frapper la poitrine, s’arracher les cheveux ? C’est une consolation pour eux de s’affliger pour ceux qu’ils aiment. Si donc, sans avoir fait aucun mal à nos amis, nous trouvons du soulagement à nous affliger de leurs propres douleurs, n’en trouverons-nous point à nous punir nous-mêmes, après les avoir irrités et outragés ? Qui pourrait en douter ? Celui qui aime Jésus-Christ, comme il convient, comprend ce que je dis ; et quand même Dieu le laisserait en repos, lui, il ne supporterait point de n’être pas puni. Le plus grand supplice que vous puissiez endurer, c’est d’avoir irrité le Seigneur. Je sais bien que ce langage vous étonne ; cependant je ne dis rien d’exagéré.
Si donc nous aimons vraiment Jésus-Christ, nous nous punirons nous-mêmes de nos fautes. Ce qu’il y a de pénible pour un homme, ce n’est point de souffrir après avoir offensé son ami, mais bien d’avoir irrité celui qu’il aimait. Et si cet ami ne se venge point de l’injure qu’il a reçue, le coupable n’en est que plus tourmenté ; il n’éprouve du soulagement qu’après avoir été offensé à son tour. Ne craignons donc pas tant les feux de l’enfer ; craignons plutôt d’offenser Dieu. Quoi de plus affreux pour nous que de voir le Seigneur détourner de nous son visage irrité ? C’est assurément le plus terrible de tous les supplices. Un exemple vous fera mieux comprendre ma pensée. Un roi vit un criminel que l’on menait au supplice ; il livra son propre fils pour être immolé à la place du coupable ; non content d’envoyer son fils à la mort, il transporta sur cette victime innocente le crime lui-même, afin de sauver le coupable, de l’arracher à l’infamie ; bien plus, il l’éleva à une haute dignité. Or, après avoir été sauvé, de la sorte, après s être vu combler d’honneurs, le misérable outragea son bienfaiteur. Eh bien, je vous le demande, si cet homme a encore sa raison ; n’aimera-t-il pas mieux mourir mille fois, plutôt que de rester sous le poids d’une pareille ingratitude ? Telle est précisément la question pour nous-mêmes. Nous avons outragé notre bienfaiteur ; poussons d’amers gémissements. Et sous prétexte qu’il se montre plein de patience ; n’allons pas nous rassurer ; au contraire, que cette patience accroisse notre douleur. Qu’on vous frappe sur la joue gauche, et qu’ensuite vous présentiez la droite, ne vous vengez-vous pas mieux de la sorte qu’en accablant votre ennemi ? Quand on vous lance des paroles outrageantes, est-ce en rendant outrages pour outrages que vous blesserez le plus vivement votre ennemi ? Non, mais bien en gardant le silence, ou en lui souhaitant toutes sortes de biens. Si donc la patience de ceux que nous outrageons nous couvre de confusion, combien n’est-elle pas plus à craindre la patience du Seigneur pour ceux qui ne cessent point de pécher et qui ne reçoivent aucun châtiment. Ah ! c’est sur leur tête que s’amoncellent d’incompréhensibles tourments. Songeons-y et ne craignons rien tant que le péché ; le péché c’est notre supplice, c’est l’enfer ; c’est la réunion de toits les maux. Ne nous bornons pas à le craindre, mais encore fuyons-le et efforçons-nous de plaire au Seigneur : car c’est là notre royaume, c’est là notre vie, c’est la réunion de tous les biens. Ainsi dès ici-bas nous posséderons le royaume des cieux et les biens de la vie future. Puissions-nous tous y arriver par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soit au Père et au Saint-Esprit gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. – Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XII. modifier


DONC, EN QUALITÉ D’AUXILIAIRES, NOUS VOUS EXHORTONS À NE PAS RECEVOIR EN VAIN LA GRÂCE DE DIEU. – CAR IL DIT : JE VOUS AI EXAUCÉ DANS LE TEMPS FAVORABLE, ET AU JOUR DU SALUT JE VOUS AI PORTÉ SECOURS. (VI, 1, JUSQU’À 10)

Analyse. modifier


  • 1-3. Étant donc ; dit l’apôtre, l’envoyé de Dieu dans l’œuvre de votre sanctification, je vous exhorte à laisser agir en vous les grâces que vous avez reçues, et à ne pas laisser passer le temps de la grâce sans en profiter, comme aussi de mon côté je me montre un ministre de Dieu sans reproche et fidèle par ma constance au milieu de toutes les épreuves, par une conduite irrépréhensible, et par la liberté d’esprit dont je jouis au dedans de moi-même, malgré toutes les tribulations qui au-dehors m’environnent.
  • 4-6. Dans quel esprit on doit pratiquer l’aumône et les autres vertus. – De la pauvreté et des richesses.


1. C’est, Dieu lui-même qui invite les hommes, a dit l’apôtre ; et les apôtres sont les ambassadeurs de Dieu ; en son nom ils les pressent de rentrer en grâce avec le Seigneur. De peur que les Corinthiens ne tiennent, à se relâcher encore, il leur inspire de nouveau un sentiment de crainte ; « Ne recevez donc pas en vain la grâce de Dieu ». De ce que Dieu nous prie lui-même et nous envoie ses ambassadeurs, ce n’est pas un motif pour nous de vivre dans l’indolence ; nous n’en devons avoir que plus d’ardeur et de zèle pour plaire à Dieu et pour faire provision de richesses spirituelles. (C’est ce que l’apôtre disait plus haut : « La charité de Dieu nous presse », c’est-à-dire nous pousse, nous excite) Après tant de preuves de bonté de la part de Dieu, gardons-nous de tomber et de perdre l’effet de si nombreuses grâces, en ne montrant aucune générosité. Il nous envoie maintenant ses lieutenants pour nous exciter au bien ; mais cette miséricorde aura un terme : ce sera le second avènement de Jésus-Christ ; après cela viendra la condamnation et les supplices. C’est pourquoi l’apôtre dit : Nous sommes pressés. Ce n’est pas seulement par la vue de si grands Biens, par la pensée de la bonté de Dieu, qu’il excite les fidèles, mais aussi par la considération du peu de durée de la vie. Ailleurs il dit : « Notre salut est maintenant plus proche » (Rom. 13,11) ; et encore : « Le Seigneur est proche ». (Phil. 4,5)
Ici il fait quelque chose de plus. Ce qui doit les animer, c’est que non seulement la vie est courte, mais une fois le temps de la vie écoulé, le salut devient impossible. « Voici », leur dit-il, « voici le temps favorable, voici les jours de salut ». Ne les laissons donc point passer inutiles, mais que notre zèle réponde aux grâces que nous avons reçues. Si nous mettons nous-mêmes tant d’empressement à vous prêcher l’Évangile, c’est que nous songeons au peu de durée d’une vie si précieuse. Telle est le sens de ces paroles : « En qualité d’auxiliaire nous vous exhortons ».C’est vous que nous aidons, plutôt que Dieu, dont nous sommes les ambassadeurs. Dieu ne manque de rien, le salut est tout à votre avantage. L’apôtre ne craint pas non plus de s’appeler l’auxiliaire du Seigneur, car ailleurs il dit : « Nous sommes les auxiliaires de Dieu »..C’est de cette manière qu’il contribue au salut des hommes : « Nous vous exhortons ». Dieu ne se contente pas d’une simple exhortation, mais il l’appuie des motifs les plus puissants : il a donné son fils ; l’innocence même, son fils qui ne connaissait point le péché ; il l’a fait « péché » pour nous qui étions pécheurs, afin de nous rendre justes à ses yeux. Et ce Jésus qui est Dieu, ce n’est pas lui qui devrait prier les hommes coupables de tant d’offenses ; ce sont les hommes qui devraient le prier. Néanmoins c’est lui qui les prie. Pour nous, quand nous vous prions, nous ne pouvons mettre en avant aucun droit, aucun bienfait : c’est au nom du Dieu qui vous a comblés de grâces que nous vous prions. Nous vous conjurons donc de recevoir le bienfait qui vous est offert ; de ne pas refuser ce présent de la part de Dieu. Obéissez-nous donc et prenez garde de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu..
En effet, l’apôtre ne veut pas qu’ils s’imaginent que la foi leur suffit pour être réconciliés ; il leur demande avec la foi le zèle dans leur conduite. Si après s’être vu délivré de ses péchés, après être devenu l’ami de Dieu, on le plonge, de nouveau dans ses anciens désordres, on redevient ennemi de Dieu, et la grâce de Dieu ne sert de rien désormais pour la vie éternelle. A quoi peut en effet servir la grâce du baptême, si nous vivons dans l’impureté ? Au contraire, elle nous devient funeste, elle aggrave nos fautes, puisque nous retournons à nos péchés après avoir connu Jésus-Christ et après avoir joui de ses dons. Mais cette pensée, il ne l’exprime pas tout de suite, pour ne pas tenir un langage par trop rebutant ; il se borne à dire qu’il ne nous en revient aucun avantage. Il rappelle ensuite les paroles du prophète, pour les exciter davantage à mettre la main à l’œuvre de leur salut. Car le prophète a dit : « Je vous ai exaucés en temps favorable, et je vous suis venu en aide au jour du salut. « Voici maintenant un temps favorable, voici maintenant des jours de salut ». Un temps favorable, quel est-il donc ? Le temps du bienfait et de la grâce, temps où l’on ne demande pas compte des fautes commises, où l’on ne subit point de châtiment, mais où après avoir été réconcilié avec Dieu, on jouit de biens sans nombre, la justice, la sainteté, et tant d’autres faveurs. Quels travaux ne s’imposerait-on point pour trouver une occasion aussi précieuse ? Et voici que, sans effort de notre part, elle s’offre à nous et nous apporte la rémission de toutes nos fautes passées. C’est pourquoi l’apôtre appelle ce temps un temps favorable ; car il accueille les plus criminels, et non seulement il les accueille ; mais il les élève au sommet des honneurs. C’est ainsi que l’arrivée de l’empereur annonce non pas un jugement, mais des bienfaits et le salut ; voilà le temps que l’apôtre appelle un temps favorable : c’est le temps où nous sommes dans la carrière, où nous cultivons la vigne, c’est en un mot la onzième heure, comme dit l’Évangile.
2. Courage, menons une vie toujours pure, cela ne nous est point difficile. Combattre, alors que Dieu répand de tels dons et de telles grâces, c’est être sûr de remporter aisément la victoire. Quand on célèbre les fêtes des empereurs, quand ils sont revêtus des ornements consulaires ; ne suffit-il pas d’une faible démarche pour obtenir de grandes faveurs ? Et quand ils rendent la justice, ne faut-il pas une enquête minutieuse et active ? Eh bien ! nous aussi, combattons dans ce temps des bienfaits ce sont les jours de grâces, les jours de la grâce divine, et rien de plus facile que d’obtenir des couronnes. Nous étions chargés de vices, et Dieu nous a accueillis, nous a délivrés de ce fardeau ; et quand après cela nous nous acquittions de nos devoirs, il ne nous accueillerait pas plus favorablement encore ! Ensuite, selon sa coutume, l’apôtre se propose comme modèle, il ajoute : « Nous ne scandalisons personne, pour que notre ministère ne soit point déshonoré (3) ». Il ne s’agit donc plus seulement d’un temps opportun ; mais encore il leur met sous les yeux de grands exemples pour les porter au bien : et cela sans orgueil, sans arrogance. Il ne dit pas : regardez-nous, et voyez notre conduite ; mais il se contente de prévenir le reproche, et c’est pour cette raison uniquement qu’il parle de lui. Voici deux caractères d’une vie sans tache : « Nous ne donnons aucun scandale à personne ». Il ne dit pas : aucun motif d’accusation, son expression a moins d’énergie : « Aucun scandale ». C’est comme s’il disait : Nous ne donnons à personne l’occasion du moindre reproche et de la moindre plainte : « De peur que notre ministère ne soit déshonoré », c’est-à-dire, de peur qu’on n’y trouve quelque chose de répréhensible. Il ne dit point non plus : De peur qu’on ne puisse l’accuser, mais : De peur qu’on n’y surprenne la moindre faute, qu’on ne puisse y soupçonner quoi que ce soit.
« Mais en toutes choses nous nous présentons comme les ministres de Dieu… (4) ». Ceci est d’un ordre bien plus élevé. Ce n’est certes pas la même chose d’être exempt de tout reproche, et de se montrer aux yeux de tous comme les ministres de Dieu. Il y a bien plus de gloire à mériter des éloges qu’à se mettre simplement à l’abri des reproches. L’apôtre n’a point dit : nous apparaissons, mais. « nous nous présentons », ou : « nous nous montrons ». Et comment se montrent-ils les ministres de Dieu ? « Par une patience sans bornes », dit-il. Vous avez dans cette parole le fondement de tous les biens. Aussi n’a-t-il pas dit : « patience », mais : « une grande patience », pour faire voir l’étendue de cette vertu dans son âme. Ce serait peu de chose d’avoir supporté une ou deux tentations. Mais les tentations qu’il a subies, il les représente tombant sur lui comme une grêle, en disant ; « Dans les tribulations, dans les nécessités ». Quel surcroît d’accablement quand les maux sont inévitables, quand il y a comme une nécessité de les souffrir, quand on ne peut s’en délivrer ! « Dans les angoisses ». Dans les angoisses de la faim et des autres besoins, ou simplement des tentations : « Dans les corps, dans les prisons, dans les séditions… (5) ». Chacun de ces maux n’est-il pas insupportable ? Ne suffit-il pas, pour faire perdre patience, d’être battu de verges, d’être enchaîné, d’être sans cesse persécuté, sans jamais trouver de repos ? Car c’est ce que signifie ce mot : « dans les séditions ». – Quand tous ces maux viennent fondre ensemble sur quelqu’un, songez quelle fermeté d’âme il faut à cet homme ! Voilà pour les afflictions qui lui viennent du dehors ; mais il souffre aussi de soif plein gré « Dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes, dans la chasteté… (6) ». Il désigne par là ces fatigues qu’il éprouvait en courant çà et là, en gagnant sa vie de ses propres mains, en passant – les nuits à enseigner et à travailler. Il n’omet point le jeûne, quoique toutes ces fatigues valussent mille fois cette privation de nourriture. Par « chasteté » il entend ou bien la pureté, ou bien une intention droite en toutes choses, ou bien la prédication de l’Évangile faite gratuitement et sans recevoir aucune espèce de dons.
« Dans la science ». Que veut dire cette expression ? Dans la science qui lui vient de Dieu, et c’est la vraie science. Ce n’est point la science de ces sages qui se glorifient d’une science toute profane et qui n’ont pont celle-là. – « Dans la longanimité, dans la douceur ». C’est encore une vertu d’une âme généreuse, que de souffrir patiemment la colère et les injures d’autrui. – Enfin, pour montrer le principe d’une telle patience ; il ajoute : « Dans l’Esprit-Saint ». C’est lui, en effet, qui est l’auteur de tous ces dons. Mais ce secours de l’Esprit-Saint, il n’en parle qu’après avoir énuméré toutes ses vertus. Dans ces paroles, il me semble avoir voulu faire entendre autre chose encore. Quoi donc ? L’abondance avec laquelle il avait reçu la grâce de l’Esprit-Saint. C’était une nouvelle preuve de sa mission, que ces dons spirituels déposés dans son âme. Sans doute toutes ces vertus étaient l’effet de la grâce ; mais cependant il les avait méritées en quelque façon par ses bonnes œuvres et par ses fatigues. Dire que saint Paul ait voulu montrer aussi qu’enrichi de tant de grâces, il en avait fait le meilleur usage, ce n’est pas s’éloigner de la pensée de l’apôtre. Car ceux qui parmi les chrétiens avaient reçu le don des langues, furent blâmés d’avoir conçu des sentiments d’orgueil : il peut donc bien arriver qu’on ne fasse pas un bon usage des grâces de l’Esprit-Saint. Pour nous, dit l’apôtre, il n’en est pas ainsi : on ne peut rien nous reprocher dans l’usage que nous en avons fait : « Dans une charité toujours sincère ».
3. Telle était pour lui la cause de tous les biens ; voilà ce qui le rendait si parfait ; c’est eu vertu de cette charité que l’Esprit-Saint, par le secours de qui il pratiquait tant de – bonnes œuvres', demeurait au dedans de lui. – « Dans la parole de la vérité… (7) ». C’est une pensée qu’il exprime souvent : Nous avons annoncé la parole de Dieu sans aucun déguisement et sans jamais l’altérer. « Dans la vertu de Dieu ». Comme toujours, il ne s’arroge rien à lui-même ; c’est à Dieu qu’il rapporte toutes ses actions, tout ce qu’il fait d’éclatant. Il s’était donné des éloges en disant que sa vie n’avait cessé d’être à l’abri de tout reproche, et qu’il avait toujours fait preuve d’une grande sagesse ; il attribue maintenant toutes ces vertus à l’Esprit-Saint et à Dieu : Ce n’étaient certes point des vertus ordinaires que celles dont il parle. Si en menant une vie paisible, il est difficile d’arriver à la vertu et de demeurer irréprochable, quelle difficulté n’était-ce pas que de jeter tant d’éclat par sa vertu, au sein de pareilles afflictions ? quelle force d’âme ne fallait-il point, pour cela ? Et ce ne sont pas les seules afflictions qu’il ait endurées ; il en endura beaucoup d’autres qu’il énumère plus loin. Ce qu’il y a de plus admirable ici, ce n’est pas de le voir toujours irrépréhensible au milieu de ces torrents de souffrances, ni de contempler sa patience invincible, mais de le voir joyeux au milieu de ces épreuves ; il nous le dit dans ces paroles : « Par les armes de la justice, à droite et à gauche » ; quelle présence d’esprit, quelle fermeté de sentiment ! Les afflictions sont pour lui des armes, elles ne le renversent pas, elles le protègent, elles le fortifient. – Par ce qui est à gauche, il entend les chagrins apparents, car ces sortes de peines nous méritent aussi une récompense. Pourquoi leur donne-t-il ce nom ? C’est pour se conformer à l’opinion du vulgaire, ou bien parce que Dieu nous a ordonné de prier pour que nous n’entrions pas en tentation.
« Par la gloire et l’ignominie, par l’infamie et la bonne renommée ». Que dites-vous ? Quel mérite y a-t-il donc à être glorifié ? Un très-grand mérite, reprend l’apôtre. – Et comment donc ? – C’est une grande chose assurément que de supporter l’ignominie ; mais vivre entouré de gloire, n’est-il pas besoin pour cela d’une âme énergique ? Oui, il faut beaucoup d’énergie pour ne pas se laisser accabler par la gloire. Et c’est pourquoi l’apôtre se glorifie de sa gloire comme de son ignominie : car l’une et l’autre sont pour lui une occasion de mérite. – Mais comment la gloire peut-elle être une arme de justice ? C’est qu’un grand nombre conçoivent des sentiments de piété, quand ils voient leurs maîtres comblés d’honneurs : ces honneurs sont une preuve de leurs bonnes œuvres, et Dieu se trouve par là glorifié. C’était aussi le dessein de Dieu d’ouvrir la porte à la prédication de l’Évangile par des moyens opposés. Voyez en effet, Paul était-il chargé de chaînes ? Cette captivité tournait au profit de l’Évangile. « Ces chaînes que je porte, contribuent au progrès de l’Évangile ; plusieurs de mes frères, pleins de confiance dans mes liens ; osent maintenant annoncer la parole de Dieu sans aucune crainte ». (Phil. 1,12-14) Était-il entouré d’honneurs ? Cette circonstance donnait encore aux fidèles une nouvelle assurance. – « Par l’infamie » et « la bonne renommée ». Ce n’étaient pas seulement les afflictions corporelles qu’il endurait avec patience, ce n’étaient pas seulement les maux qu’il a énumérés ; mais aussi ces douleurs qui ne se font sentir qu’à l’âme, et qui causent d’ordinaire des troubles qui ne sont pas médiocres.
Jérémie, après avoir souffert de nombreuses afflictions, se sentait accablé, et quand on l’avait accablé d’injures, il disait : « Non, je ne prophétiserai point, je ne parlerai plus au nom du Seigneur ». (Jer. 20,9) David, lui aussi, se lamente au sujet des outrages qu’il reçoit. Is. après beaucoup d’autres conseils, donne celui-ci : « Ne craignez point les injures des hommes, et ne redoutez point leur mépris ». (Is. 51,7) Et le Christ disait à ses disciples : « Quand on vous accablera de calomnies, réjouissez-vous et tressaillez d’allégresse : car votre récompense est abondante dans les cieux. ». (Mt. 5,11, 12) Ailleurs il dit encore. « Tressaillez d’allégresse ». (Lc. 6,23) Eût-il promis de si belles récompenses, si l’épreuve n’eût été terrible ? Dans les tourments le corps partage les douleurs avec l’âme : cette douleur affecte également l’âme et le corps ; mais par les outrages c’est l’âme seule qui est affligée. Que d’âmes ils ont accablées et perdues ! Job lui-même ne trouvait-il pas moins pénibles les vers et les ulcères que les outrages dont ses amis l’accablaient ? Non, pour ceux qui souffrent, il n’est rien de plus insupportable que des paroles blessantes. Et voilà pourquoi à côté des dangers et des fatigues, l’apôtre nomme aussi la gloire et l’ignominie. Que de Juifs refusèrent de croire en Jésus-Christ, de peur de perdre cette gloire dont la multitude les entourait. Ce qu’ils redoutaient, ce n’était point d’être châtiés, mais d’être chassés de la synagogue. C’est pourquoi le Christ disait : « Comment pourriez-vous croire, vous qui recevez de la gloire les uns des autres ? » (Jn. 5,4) On en voit un grand nombre qui, après avoir triomphé des dangers les plus terribles, se laissent vaincre par le, désir de la gloire. – « Comme séducteurs et comme véridiques ». Ces paroles expriment la même pensée que celles-ci : « Par l’infamie et la bonne renommée. – Comme ceux qui sont inconnus, et comme ceux qui sont connus », est la même chose que : « Par la gloire et l’ignominie ». Ils étaient connus de quelques-uns et en étaient respectés ; d’autres ne daignaient pas même les connaître. – « Comme mourants ; et voici que nous vivons… (9) » : Comme destinés et condamnés à mourir : ce qui aussi était une ignominie.
4. Le dessein de l’apôtre était de montrer la puissance de Dieu et la patience des apôtres. Les persécuteurs n’ont rien négligé pour nous donner la mort, et ils croient avoir réussi ; mais Dieu nous a tiré du danger que nous courions. Pour expliquer ensuite pourquoi Dieu permet ces souffrances, il ajoute : « Comme châtiés ; mais non jusqu’à être tués ». Ainsi donc les afflictions offrent de grands avantages même avant la récompense, et les ennemis deviennent utiles, même malgré eux. « Comme si nous étions tristes, et en réalité « nous sommes dans la joie… (10)». Les païens nous croient plongés dans la tristesse, mais peu nous importent leurs imaginations ; notre âme goûte une joie délicieuse. Remarquez que saint Paul ne dit pas seulement : nous sommes dans la joie, mais il ajoute : « toujours. Nous sommes toujours dans la joie », dit-il. Y a-t-il rien de comparable à cette vie, où les périls mêmes ne font que redoubler la joie ? « Comme pauvres, et nous enrichissons un grand nombre d’hommes ». Selon plusieurs, il s’agirait ici des richesses spirituelles ; pour moi, je crois qu’il est question même des richesses temporelles. Car ces richesses mêmes leur arrivaient en abondance ; toutes les maisons, par une sorte de prodige, leur étaient ouvertes. Et ce qu’il dit ensuite ne le prouve-t-il pas ? « Comme n’ayant rien, et nous possédons tout ».
Et comment cela se peut-il faire ? Direz-vous. – Mais, vous répondrai-je, c’est le contraire, qui est impossible. Celui qui possède beaucoup de choses, n’a rien ; et celui qui n’a rien, possède tout. Cela ne se voit pas seulement en cette circonstance ; mais c’est en toutes choses que les contraires naissent des contraires. Vous vous étonnez, vous demandez comment il se fait qu’on manque de font et qu’on possède tout : Eh bien ! je vous montre saint Paul qui commandait à l’univers, qui avait – en son pouvoir non seulement l’argent mais les yeux des fidèles. « S’il eût été possible, vous vous fussiez arraché les yeux pour me les donner ». (Gal. 4,14) Ne nous troublons donc point des opinions de la foule. On nous traite d’imposteurs, on nous méconnaît, on nous croit condamnés, plongés dans le chagrin, accablés par le besoin, la pauvreté, la tristesse, quand au contraire nous sommes dans, la joie. Eh ! les aveugles peuvent-ils contempler l’éclat du soleil, et les insensés peuvent-ils goûter les plaisirs de la sagesse ? Il n’y a de justes appréciateurs que les hommes pieux : ils s’affligent et se réjouissent autrement que les autres. Qu’un spectateur ; peu familiarisé avec les jeux du stade, voie un athlète couvert de blessures et le front ceint d’une couronne, il s’imaginera qu’il souffre beaucoup de ses blessures, parce qu’il ignore la joie que cause une couronne. De même on est témoin de nos afflictions, sans savoir pourquoi nous souffrons ; il n’est pas étonnant qu’on n’aperçoive que les afflictions : c’est la lutte, c’est le péril qui frappe les regards ; on n’aperçoit point le mobile de ces combats si c’est-à-dire les récompenses et les couronnes.
Quelles étaient donc ces richesses que possédait l’apôtre, quand il disait : « Comme n’ayant rien et nous possédons tout ? » C’était à la fois les richesses temporelles et les richesses spirituelles. Cet homme que les cités recevaient comme un ange, auquel les fidèles eussent donné leurs yeux, pour qui ils étaient tout disposés à sacrifier leur vie, ne possédait-il pas tous leurs biens ? S’agit-il des richesses spirituelles ? Il n’en est point qu’il ne possède. Admis dans l’intimité du Roi des cieux, il était le confident de ses secrets ; pouvait-il donc ne point surpasser tous les autres en richesses surnaturelles, pouvait-il ne point les posséder toutes ? Autrement les démons ne lui eussent point si facilement cédé ; il n’aurait pu mettre en fuite les douleurs et les maladies. Nous aussi, quand nous souffrons pour le Christ, montrons-nous, non seulement courageux, mais pleins de joie. Si nous jeûnons, tressaillons, comme si le jeûne était un plaisir. Si l’on nous outrage, formons des chœurs, comme si l’on nous comblait d’éloges. Si nous dépensons nos richesses, croyons que nous en amassons de nouvelles. Si vous n’êtes dans cette disposition, vous ne donnerez pas facilement. Voulez-vous donc faire des largesses ? Ne considérez pas seulement la dépense que vous faites, songez au gain qui vous en revient ; que ce soit là votre première pensée.
Ce n’est pas seulement pour l’aumône, mais pour toute espèce de vertus, qu’il faut envisager non point l’âpreté des fatigues, mais la suavité des récompenses, qu’il faut se mettre sous les yeux Jésus-Christ pour qui nous combattons. Ainsi vous engagerez la lutte avec ardeur, et votre vie se passera tout entière dans la joie. Rien ne donne plus de plaisir qu’une bonne conscience. Paul, malgré tant d’afflictions, se réjouissait et tressaillait d’allégresse. De nos jours au contraire une ombre de souffrance suffit pour jeter dans la tristesse, et cela, parce qu’on manque de sagesse. Dites-moi, je vous prie, quelle est la cause de vos larmes ? Votre pauvreté, l’indigence qui vous accable ? Il faut vous plaindre, non point de ce que vous pleurez, de ce que vous êtes ; dans le besoin, mais de ce que vous avez l’âme si peu élevée ; non pas de ce que vous manquez de richesses, mais de ce que vous avez tant d’amour pour les richesses. Saint Paul mourait, pour ainsi dire, chaque jour, et, cependant, loin de se plaindre, il se réjouissait : Il souffrait sans cesse de la faim, et cependant, loin de s’en attrister, il s’en glorifiait.
5. Vos récoltes ne sont pas encore serrées, c’est ce qui vous afflige, ce qui vous tourmente. Oui, dites-vous, saint Paul n’avait à s’inquiéter que de lui-même ; moi, je songe à mes serviteurs, à mes enfants, à mon épouse : Détrempez-vous, saint Paul ne se préoccupait point uniquement de ses intérêts, mais des intérêts du monde entier. Vous, c’est une seule maison qui vous tient en souci, lui, c’étaient les pauvres de Jérusalem, ceux de Macédoine, tous ceux en un mot quittaient dans le besoin ; c’étaient eux qui donnaient aussi bien que ceux qui recevaient. Il se préoccupait non pas seulement de procurer au monde les choses nécessaires, à la vie, mais aussi l’abondance des richesses spirituelles. Vous vous affligez moins de voir vos enfants souffrir de la faim qu’il ne s’affligeait des peines des chrétiens. Que dis-je, des chrétiens ? Mais les infidèles eux-mêmes étaient l’objet de sa sollicitude, et cette sollicitude allait jusqu’à lui faire souhaiter d’être pour eux anathème. Et vous, quand même la famine sévirait mille fois, vous ne voudriez pas donner votre vie pour un de vos frères. L’objet de toute votre inquiétude, c’est une épouse unique ; l’apôtre s’inquiétait de toutes les Églises de l’univers. « Ma sollicitude », disait-il en effet, « s’étend sur toutes les Églises ». (2Cor. 11,28) Jusques à quand, ô homme, te feras-tu un jeu de te comparer à saint Paul ? Quand cesseras-tu d’avoir cette faiblesse ! Pleurons, non pas d’être pauvres, mais d’être pécheurs : voilà ce qui mérite que nous versions des larmes ; tout le reste devrait nous faire rire.
Mais ce n’est point la pauvreté qui m’afflige, c’est de voir tel ou tel au faîte des honneurs ; tandis que moi, je suis dans l’obscurité et le mépris. Eh quoi ! Saint Paul ne semblait-il pas aussi méprisable, et la plupart ne le rebutaient-ils pas ? – Oui, mais c’était saint Paul, direz-vous. – Donc ce ne sont point les maux eux-mêmes qui vous découragent, mais la faiblesse de votre volonté. C’est pourquoi, ne pleurez point sur votre pauvreté, pleurez sur vos mauvaises dispositions. Ou plutôt ne pleurez point, mais corrigez-vous, et au lieu de briguer, les richesses, cherchez ce qui enfante plus de joie que toutes les richesses ensemble : je veux dire la sagesse et la vertu. Avec la vertu, la pauvreté ne peut nuire. Sans elle, à quoi les richesses peuvent-elles servir ? Quel bonheur peut-on goûter, quand on est riche de biens temporels, en demeurant pauvre des biens spirituels ? Vous vous trouvez moins malheureux que ne se croit à plaindre ce riche de ce qu’il ne possède point toutes les richesses. Et s’il ne pleure pas comme vous, pénétrez dans son âme, et vous verrez ses lamentations et ses sanglots. Voulez-vous que je vous montre vos richesses, afin que vous cessiez d’envier le bonheur des riches ?
Voyez-vous ce ciel, si beau si grand, si élevé ? Ce spectacle, le riche n’en jouit pas plus que vous, il ne peut point vous en priver pour en faire sa propriété exclusive : il a été créé pour vous aussi bien que pour lui. Et ce soleil, cet astre si brillant si radieux, qui charme nos regards ? Ne luit-il pas pour tous, et tous, riches et pauvres, n’en jouissent-ils point ? Et ce chœur des étoiles, et ce disque de la lune, n’ont-ils pas été donnés à tous les hommes ? Sans doute, et chose admirable, les pauvres en jouissent bien plus que les riches. Ceux-ci, en effet, la plupart du temps plongés dans l’ivresse, passant leur vie dans les festins et le sommeil, ne jouissent pour ainsi dire point de ces magnifiques spectacles ; ils se tiennent, renfermés à l’ombre de leurs splendides demeures. Les pauvres au contraire, par leur condition même, goûtent ce bonheur plus que les autres mortels. Et cet air répandu par tout l’espace, le pauvre le respire plus pur et plus abondant, Les voyageurs, les laboureurs n’éprouvent-ils pas en cela plus de jouissances que ceux des villes ; et parmi ceux-ci les artisans ne sont-ils pas dans une atmosphère plus salubre que ceux qui passent le jour à s’enivrer ?
Que dirai-je de la terre ? N’est-elle pas aussi la propriété de tous ? – Non ? Direz-vous. – Et pourquoi ? – C’est que le riche, possède dans la ville une vaste étendue de terrain, il y plante des vergers, et à la campagne il retient pour lui une bonne partie des champs. – Et quoi donc ? De ce qu’il possède ces terrains, s’ensuit-il qu’il en jouisse tout seul ? Nullement, quoi qu’il veuille. Il est obligé en effet de distribuer les fruits qu’il récolte ; c’est pour vous qu’il fait venir le blé, le vin et l’huile, et partout il soigne vos propres intérêts. C’est encore pour vous qu’il élève à si grands frais, au prix de tant, de travaux, ces palais et ces enceintes, dont il vous livre là jouissance, moyennant une somme modique d’argent. Les bains et tout le reste vous montrent que les riches sont accablés de dépenses, de soucis et de travaux ; les pauvres profitent de tout cela pour quelques oboles, et ils en' jouissent dans la plus grande sécurité. Non, le riche ne jouit pas plus des fruits de la terre que vous n’en jouissez, vous-mêmes : il n’a pas dix ventres à – rassasier tandis que vous n’en avez qu’un. – Mais ses mets sont plus délicats ? – Qu’importe, vraiment ? Au contraire, le pauvre a encore ici l’avantage. Ce luxe d e la table volis semble désirable en ce qu’il donne plus de plaisir. Le pauvre en goûte bien davantage, puisqu’il a pour lui la santé. Tout ce qui revient au riche de tant de somptuosité, c’est l’affaiblissement du corps et le germe de nombreuses maladies. Le pauvre dans son régime prend conseil de la nature ; mais le riche mange avec dérèglement, et les excès n’engendrent que faiblesse et corruption.
6. Un exemple vous le fera mieux comprendre. Allumez un bûcher ; jetez-y des robes de soie ; les tissus les plus fins ; qu’un autre jette des branches de chêne ou de pin ? Que vous restera-t-il de plus qu’à lui ? Rien assurément ; vous aurez même moins de reste que lui.. Comment cela ? Rien ne nous empêche de modifier cet exemple. On jette du bois sur un bûcher, sur un autre des cadavres ; près duquel resterez-vous de préférence ? Celui que le, bois alimente, ou bien relui où les cadavres sont entassés ? Le premier, sans aucun doute, il n’y a rien que de naturel dans les flammes de ce bûcher, et il vous offre un spectacle agréable L’autre au contraire, par la graisse qui ruisselle de toutes parts, par le sang que l’on voit couler ; l’épaisse fumée qui s’en élève, la puanteur qui s’en exhale, fera fuir tout le monde. Ce tableau voue fait horreur, et volts ne pouvez le regarder. Eh bien ! voilà les ventres des riches, vous y trouverez plus de pourriture que dans ce bûcher. Quelle haleine fétide, quelles exhalaisons pestilentielles, quel malaise dans tout le corps et dans chaque partie du corps, résultat d’une nourriture trop abondante. Quand la chaleur naturelle ne suffit plus pour digérer les aliments, quand elle est comme engloutie sous leur masse, ils pèsent sur l’estomac, y produisent des vapeurs, et causent un malaise général.
Ces ventres, à quoi les comparerai-je encore ? Ne vous offensez pas de ce que je vais dire. Si je ne dis pas la vérité, reprenez-moi. Oui, à quoi puis-je comparer les ventres des riches ? Car tout ce que nous avons dit ne suffit pas encore pour peindre leur misère. Voici donc un autre tableau. Dans les cloaques où il y a, quantité de fumier, de paille, de jonc, de pierres, de boue, il se produit souvent des obstructions, et alors toute la boue remonte comme un flot à la surface. C’est ce qui se passe dans leurs ventres : il est aussi obstrué, et les matières corrompues refluent vers le haut du corps. Chez les pauvres, il en est tout autrement. Semblables à des fontaines d’où s’écoule une onde pure et qui arrosent, les jardins et les prairies, leurs ventres sont vides de toute cette corruption. Les riches au contraire, ou plutôt ceux qui s’abandonnent aux délices de la table, sont tout remplis d’humeurs malfaisantes, de sang corrompu, de déjections pourries. Aussi ne peuvent-ils garder longtemps leur santé ; sans cesse ils sont malades. Aussi il me prend, envie de leur demander pourquoi la nourriture nous a été accordée, si c’est pour nous donner la mort, ou pour soutenir notre vie ? Si c’est pour ruiner notre santé, ou bien pour l’entretenir ? Pour cous affaiblir ou nous fortifier ? Il est bien évident que la nourriture est destinée à entretenir chez nous la santé et les forces. Pourquoi donc en abuser, pourquoi l’employer à rendre le corps infirme et malade ? Le pauvre au contraire, par une nourriture simple et frugale, se ménage une santé robuste. Cessez donc de déplorer une pauvreté qui vous donne la santé ; réjouissez-vous plutôt d’être pauvres ; et si vous voulez être riches, méprisez les richesses. La vraie richesse consiste taon pas à posséder les richesses, mais à ne pals même les désirer : Ah ! si nous arrivons à ce dégagement des biens de la terre, mous serons plus abondamment pourvus que les riches et nous obtiendrons les biens de la vie future. Puissions-nous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIII. modifier


NOTRE BOUCHE S’EST OUVERTE POUR VOUS, Ô CORINTHIENS, NOTRE CŒUR S’EST DILATÉ. – VOUS N’ÊTES PAS A L’ÉTROIT DANS NOTRE CŒUR, C’EST DANS LES VÔTRES QUE VOUS ÉTES RESSERRÉS. (VI, 11, JUSQU’À VII, 1)

Analyse. modifier


  • 1-3. Je laisse mon cœur se répandre sur ce sujet, afin que vous puissiez connaître l’amour ardent que j’ai pour vous, et me rendre amour pour amour. – Fuyez particulièrement toute société avec les infidèles, car Jésus-Christ et Satan ne peuvent aller, ensemble, et le temple du Dieu vivant, qui est vous-mêmes, ne peut contracter aucune liaison avec les idoles.
  • 3 et 4. Qu’il ne faut pas divulguer ses aumônes, et que l’état du pauvre est plus avantageux que celui du riche.


1. L’apôtre vient de passer en revue ses épreuves et ses afflictions : « J’ai vécu dans la patience », dit-il, « dans les afflictions, dans le besoin, dans les angoisses, sous les verges, dans les prisons, changeant souvent de demeure, dans les fatigues, dans les veilles ». C’est là, dit-il, un grand bien : « On nous croit tristes, et nous sommes toujours dans la joie ; on nous croit pauvres, et nous enrichissons beaucoup de nos frères ; on nous croit dans l’indigence, et nous possédons toutes les richesses ». Toutes ces épreuves sont pour lui autant de ressources : « Par là, Dieu nous instruit, et nous ne mourons point ». De plus elles manifestent là puissance de Dieu et sa sollicitude envers nous : « Afin que notre patience semble l’effet de la toute puissance divine, et ne paraisse pas venir de nous-même ». En outre il nous dit ses combats : « Nous portons en tous lieux la mortification de Jésus » Il ajoute que c’est là une preuve évidente de la résurrection du Sauveur : « Afin que la vie de Jésus soit manifestée dans notre chair mortelle ». Voici maintenant la mission qui lui a été confiée : « Nous sommes les ambassadeurs du Christ, comme si Dieu exhortait par notre parole ». Ensuite il indique l’objet de son ministère ; c’est non point la lettre, mais l’esprit. Ce n’est point par son ministère seulement qu’il mérite le respect, mais aussi par ses afflictions : « Grâces soient rendues à Dieu », dit-il, « qui nous fait partout triompher ».
Puis il s’apprête à les blâmer de leur négligence. Mais, avant d’en venir là, il leur témoigne son affection, et il passe ensuite aux reproches. Sans doute les belles actions commandent le respect envers celui qui blâme ; mais ses reproches sont mieux accueillis encore s’il fait preuve d’une véritable amitié. Saint Paul laisse donc maintenant de côté ses souffrances, ses fatigues, ses combats, pour parler de son amour pour les Corinthiens, et pouvoir ensuite leur faire entendre le langage de la sévérité. Comment leur témoigne-t-il de son affection ? « Notre bouche s’est ouverte pour vous, ô Corinthiens ». Et quelle preuve d’affection renferment ces paroles ? que signifient-elles ? Nous ne pourrions garder le silence ; quand il s’agit de vous ; c’est un besoin pour nous de vous faire entendre notre voir, de nous entretenir avec, vous. N’est-ce point la conduite de ceux qui aiment ? Comme deux corps s’unissent par la jonction des mains, ainsi deux âmes se lient par la conversation. Mais il v a un autre sens dans ces paroles. Lequel ? Vous nous êtes chers, et nous vous parlons en toute franchise, sans rien dissimuler, sans rien vous cacher. Il va leur adresser des reproches ; il s’en excuse d’abord ; ces reproches eux-mêmes seront une preuve de la vite affection qu’il a pour eux. Il ajoute le nom des Corinthiens, et c’est encore là une marque d’une vive, d’une ardente amitié. N’aimons-nous pas à répéter sans cesse les noms de ceux que nous aimons ? – « Notre cœur s’est dilaté ». C’est la chaleur qui dilate ; c’est aussi le propre de la charité : car la vertu est ardente. C’est elle qui ouvrait la bouche de saint Paul, et qui dilatait son cœur. – Je n’aime pas seulement de bouche, dit-il ; mon cœur est d’accord avec mes lèvres ; et c’est pourquoi je vous parle avec confiance de toute ma bouche et de toute mon âme.
Rien de plus large que le cœur de Paul. Avec l’ardeur brûlante d’un amant, il embrassait toutes les âmes pieuses, sans se diviser, sans s’affaiblir : son affection se portait tout entière sur chacun d’eux. Rien en cela de surprenant, puisque ce cœur de l’apôtre embrassait même les infidèles dans l’univers entier. Aussi ne dit-il pas : je vous aime ; mais il s’exprime par images : « Notre bouche s’est ouverte pour vous ; notre cœur s’est dilaté ». Nous vous avons tous dans notre cœur ; et encore vous n’y êtes pas à l’étroit ; vous y êtes au large. Celui que nous aimons se promène, pour ainsi dire, sans aucune crainte, au fond de notre cœur. C’est pourquoi l’apôtre dit : « Vous n’êtes pas à l’étroit dans notre cœur, mais c’est dans vos cœurs que vous êtes à l’étroit ». Il y a dans ces paroles un reproche qu’adoucit l’indulgence de saint Paul : et c’est encore le propre de ceux qui aiment. Il ne dit pas : Vous ne m’aimez point ; mais vous ne m’aimez pas autant que je vous aime. Il ne veut pas les reprendre trop durement. Si l’on veut savoir de quel amour il brûlait pour les fidèles, on n’a qu’à parcourir ses épîtres. Dans sa lettre aux Romains il dit : « Je désire vous voir », et encore : « Je me suis souvent proposé de me rendre chez vous » ; et : « Puisse-je me rendre sans obstacle chez vous ». (Rom. 1,11, 13, 10) Voici ce qu’il dit aux Galates : « Mes petits enfants ; que j’enfante de nouveau » (Gal. 4,19) ; aux Éphésiens : « A ce sujet je fléchis les genoux pour vous » (Eph. 3,14) ; aux Philippiens : « Quelle est mon espérance, ou ma joie, ou ma couronne de gloire, si ce n’est vous. » (1Thes. 2,19) Il les porte, dit-il encore, dans son cœur et dans ses liens. Il écrit aux Colossiens : « Je voudrais que vous fussiez témoins des luttes que je soutiens pour vous ; puissent aussi en être témoins tous ceux qui ne m’ont point vu dans la chair, afin que leurs cœurs soient consolés » (Col. 2,1) ; aux Thessaloniciens ; « Comme une nourrice réchauffe ses enfants, nous aussi nous désirions vous donner, non seulement l’Évangile, mais encore nos âmes » (1Thes. 2,7, 8) ; et dans sa lettre à Timothée : « Le souvenir de tes larmes me remplit de joie ». (2Tim. 1,4) Il appelle Tite « son cher fils » (Tit. 1,4) ; et c’est aussi le nom qu’il donne à Philémon. (Phil. 1,1)
2. En outre, dans l’épître aux Hébreux il y a bien d’autres témoignages de l’affection de l’apôtre ; il ne cesse de les consoler et de leur dire : « Encore un peu de temps et celui qui doit venir, viendra ». (Héb. 10,37) C’est une mère qui s’adresse à des enfants accablés d’ennui et de chagrin. C’est ainsi qu’en cet endroit encore il leur dit : « Vous n’êtes pas à l’étroit dans notre cœur ». Non seulement il témoigne aux Corinthiens son affection ; mais il leur rappelle qu’eux aussi ont de la sympathie pour lui, afin de se concilier ainsi de plus en plus leur bienveillance. Et pour leur exprimer clairement sa pensée, il leur dit : « Tite à son arrivée nous a exprimé votre désir, vos pleurs, votre empressement ». (2Cor. 7,7) Il disait des Galates : « S’il eût été possible, vous vous fussiez arraché les yeux pour nous les donner ». (Gal. 4,15) – Des Thessaloniciens : « Nous nous rappelons l’accueil que vous nous fîtes à notre arrivée ». (1Thes. 1,9) Et il disait une seconde fois à son disciple Timothée : « Je me souviens de tes larmes, et elles me comblent de joie ». (2Tim. 1,4) Et partout dans les épîtres de saint Paul, vous l’entendez dire à ses disciples qu’il les aime et qu’il est payé de retour. Leur affection cependant n’égale pas la sienne. Il dit, par exemple, aux Corinthiens : « Je vous aime ardemment, et votre amour pour moi est loin d’être aussi vif ». (2Cor. 12,15) C’est ainsi qu’il parle à là fin de sa seconde épître ; ici, il s’exprime plus fortement : « Vous n’êtes pas à l’étroit dans notre cœur ; c’est dans vos propres cœurs que vous êtes à l’étroit ». Un objet suffit pour les remplir ; le nôtre contient votre ville entière et son peuple. Il ne dit pas : Vos cœurs ne peuvent nous contenir ; mais : « Vous avez des cœurs trop étroits » ; c’est la même pensée qu’il exprime en termes adoucis, pour ne point les blesser.
« Or, vous avez les mêmes récompenses que nous ; c’est pourquoi, et je vous parle comme si vous étiez mes enfants, dilatez aussi vos cœurs (13) ». Il y a plus de mérite à aimer le premier, qu’à payer de retour. L’amour fût-il égal de part et d’autre, la priorité suffit pour donner l’avantage. Mais je ne veux pas être trop exigeant, dit-il ; il me suffit, pour vous aimer, pour vous chérir, que vous me témoigniez quelque bienveillance en retour de l’affection que je vous porte. Ensuite, pour leur montrer qu’ils y sont tenus, pour écarter tout soupçon de flatterie, il ajoute : « Je vous parle, comme si vous étiez mes enfants ». Qu’est-ce à dire : « Comme si vous étiez mes enfants ? » Il n’y a rien d’étonnant que, me regardant comme vôtre père, je veuille, être aimé de vous. Quelle prudence ! quelle modestie ! Il ne rappelle ni les dangers qu’il a courus pour eux,-ni les fatigues qu’il a supportées, ni la mort qui le menaçait – chaque jour, et tant d’autres – actes de dévouement, tant il craint de paraître orgueilleux ! Mais s’il exige leur affection, c’est qu’il les aime lui-même le premier. Je suis votre père, dit-il, parce que j’ai pour vous la plus vive affection. N’est-ce pas offenser son ami, que de lui rappeler les bienfaits dont il a été l’objet ; il y a là comme un reproche. Aussi l’apôtre se garde-t-il bien de rappeler le passé ; aimez-moi comme un père, leur dit-il ; il ne leur demande donc rien que de naturel, et ce que tout enfant doit à l’auteur de ses jours. Et ce n’est point son propre intérêt qu’il a en vue, mais uniquement le leur. Aussi ajoute-t-il : « Ne tirez pas le même joug avec les infidèles… « (14) ».
Il ne dit pas : ne vous mêlez point avec les infidèles ; il emploie un terme plus énergique, pour leur faire sentir qu’ils vont contre la justice. Ne vous avilissez point. « Quelle participation y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? » Ce n’est point son affection qu’il compare avec l’affection de ces hommes qui corrompaient les Corinthiens ; mais la noblesse des Corinthiens qu’il met en regard de l’ignominie de leurs corrupteurs. Ainsi donnait-il plus de force à son discours, ainsi relevait-il sa mission, ainsi se les conciliait-il de plus en plus. C’est le langage que l’on tiendrait à un fils plein de mépris pour ses parents, et tout entier livré à des scélérats qui le perdent ! Que fais-tu, mon enfant ? Tu méprises ton père, tu lui préfères des scélérats, ries hommes plongés dans les vices les plus honteux ? Ne vois-tu pas combien tu l’emportes sur eux en probité et en noblesse ? Ainsi on le tirera bien mieux de la société des pervers qu’en lui faisant l’éloge de son père. Qu’on lui dise par exemple : Ne sais-tu pas que ton père vaut bien mieux que ces hommes-là ? On produira sui lui moins d’effet. Mais ne lui parlez pas de son père, et dites-lui Ignores-tu qui tu es ? Né songes-tu donc plus ni à ta noblesse, ni à ta naissance, ni à leur déshonneur ? Comment peux-tu t’adjoindre à des voleurs, à des adultères, à des charlatans ? Louez-le de la sorte ; vous lui donnez pour ainsi dire des ailes, et il prend son essor loin de la société des méchants. Lui parler autrement, faire l’éloge de son père, c’est lui préférer son père, c’est le blâmer d’accabler de chagrin non pas un père quel qu’il soit, mais un pépé doué de tant de qualités. Si vous louez cet enfant lui-même, vous n’avez plus rien à craindre. Il n’est personne qui n’aime les louanges : les louanges font accueillir les reproches ; cet enfant cédera aux avis qu’on lui aura donnés, il concevra de nobles sentiments, et repoussera désormais la société des hommes pervers. C’est donc une belle comparaison que vient d’employer l’apôtre ; mais voici quelque chose de plus admirable encore, une pensée bien propre à inspirer une terreur salutaire. D’abord il procède par interrogation : c’est la forme que l’on donne aux pensées claires et évidentes ; ensuite il emploie l’accumulation, pour faire mieux ressortir son idée. Ce n’est pas un ou deux ou trois noms seulement, mais un plus grand nombre qu’il met en regard ; il personnifie les choses ; d’un côté il nous montre la vertu dans sa perfection, de l’autre le vice dans toute sa laideur. Entre l’un et l’autre il fait voir une différence infinie, en sorte que toute preuve devient inutile : « Quelle participation y a-t-il entre la justice et l’iniquité ? Quel commerce entre la lumière et les ténèbres ? Quel accord entre le Christ et Bélial ? Quel partage entre le fidèle et l’infidèle ? Quel rapport entre le temple de Dieu « et les idoles (15, 16) ? »
3. Voyez-vous comme l’apôtre s’exprime nettement ! N’y a-t-il pas là de quoi les détourne ? des hommes corrompus qui les obsèdent ? Il ne se sert pas du mot « prévarication », qui a plus de force pourtant que le mot « iniquité ». Il ne dit pas : Ceux qui sont dans la lumière et ceux qui sont dans les Ténèbres ; mais il oppose une chose à une autre, met en regard deux choses incompatibles : la lumière et les ténèbres. Il ne dit pas ceux qui appartiennent au Christ et ceux qui appartiennent au démon, mais il oppose le Christ à Bélial, et cette opposition est bien plus marquée. Le mot Bélial en hébreu signifie apostat. – « Qu’y a-t-il de commun entre le fidèle et l’infidèle ? » Ce n’est plus seulement le vice qu’il attaque ou la vertu qu’il recommande ; il met aussi les personnes en parallèle. Il ne dit pas : « Quelle société ? » Mais : « Quel partage ? » – Il veut parler des récompenses. – « Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles ? Car vous êtes le temple du Dieu vivant ». Voici le sens de ces paroles : Votre roi n’a rien de commun avec le démon. « Quel accord y a-t-il entre le Christ et Bélial ? » Point de rapport non plus entre les choses elles-mêmes : « Quel commerce entre la lumière et les ténèbres ? » Donc vous non plus vous ne devez pas avoir de relations avec les infidèles. Il nomme d’abord le roi, puis les sujets, afin de les séparer plus complètement de leurs ennemis. Après avoir dit : « Quel rapport entre le temple de Dieu et les idoles ? » il les appelle « le temple du Dieu vivant ». Ce n’est pas une flatterie ; il leur en donne immédiatement la preuve. Louer quelqu’un sans appuyer son éloge sur aucune preuve, cela, ressemble à une flatterie. Quelle preuve l’apôtre leur donne-t-il donc à l’appui de cette parole ? « J’habiterai en eux et je m’y promènerai ». J’habiterai dans ces temples, et je m’y promènerai : marque éclatante de l’amour de Dieu pour eux ! « Ils seront mon peuple et je serai leur Dieu ». Que direz-vous maintenant ? Vous portez – Dieu au dedans de vos âmes ; et vous courez à là suite des infidèles ! Oui, vous portez-en vous le Seigneur qui n’a rien de commun avec eux. Êtes-vous excusables ? Songez donc à l’hôte qui se promène, pour ainsi dire, dans vos âmes, qui y fait son séjour !
« C’est pourquoi sortez du milieu d’eux, séparez-vous de leur société, ne touchez point ce qui est impur. » – « Et je vous recevrai, dit le Seigneur… (17, 18) ». Il ne dit pas : Ne commettez point d’actions impures ; il exige quelque chose de plus ; ne touchez pas à ce qui est impur, n’en approchez point. Quelles sont les impuretés de la chair ? C’est l’adultère, la fornication, l’incontinence. Et les impuretés de l’âme : ce sont les mauvaises pensées, les regards indécents, le souvenir des injures, les fourberies, et le reste. L’apôtre veut que nous soyons purs et de corps et d’âme. Et voyez comme Dieu récompense la pureté ! On est éloigné des méchants et réuni au Seigneur. Écoutez ce qui suit : « Je serai votre père et vous serez mes fils et mes filles », dit le Seigneur. Ainsi le prophète annonçait bien longtemps à l’avance notre véritable, grandeur, notre régénération parla grâce.
« Telles sont les promesses, qui nous sont faites, mes bien-aimés… » (7, 1). Quelles promesses ? Nous sommes les temples de Dieu, nous sommes ses fils et ses filles », il est notre hôte, il se promène au dedans de nous ; nous sommes son peuple, il est notre Dieu et notre père. – « Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit ». N’ayons point de contact avec ce qui est impur : autrement nous souillons notre corps ; n’ayons point de contact avec ce qui souille l’âme : autrement notre âme devient impure. Il va plus loin et il ajoute : « Achevons de nous sanctifier dans la crainte de Dieu ». Il ne suffit pas en effet de n’avoir aucun contact avec l’impureté, pour être pur. Si nous voulons être saints, il faut des efforts, de l’attention, de la prudence. Il a raison d’ajouter : « Dans la crainte de Dieu ». La pureté en effet peut être un effet non de la crainte de Dieu, mais de la vaine gloire. Mais ces paroles offrent encore un autre sens, et font voir la manière dont se perfectionne la sainteté : Les passions peuvent bien vous tyranniser : mais si vous vous armez de la crainte de Dieu, vous briserez vite leur fureur. Par sainteté l’apôtre n’entend pas seulement la pureté, mais, aussi l’état d’une âme libre detout péché. Celui-là est saint, qui n’a rien à se reprocher. Vous serez donc saint, si, non content de ne pas vous livrer à la débauche, vous repoussez l’avarice ; l’envie, l’arrogance et la vaine gloire ; surtout la vaine gloire qu’il faut fuir en toute circonstance, et principalement quand vous faites l’aumône.
Dès que vous y joignez l’orgueil, ce n’est plus une aumône, mais un acte d’ostentation et de cruauté. Si vous faites l’aumône non par pitié, mais par désir de paraître, n’est-ce point plutôt un outrage qu’une aumône ? Ne dénoncez-vous point votre frère ? Pour faire l’aumône il ne suffit donc point de donner de l’argent ; il faut le donner par un sentiment de pitié. Ceux qui dans les théâtres donnent de l’argent aux enfants qu’ils corrompent et à d’autres qui se montrent sur la scène, ne font certes point l’aumône ; ceux qui en donnent à des courtisanes, loin de se montrer en cela généreux, ne font qu’outrager ceux auxquels ils donnent. Il en est de même de celui qui recherche la vaine gloire. Le débauché qui vient de faire outrage à une courtisane, lui paie le prix de cet outrage. Vous aussi vous exigez une récompense de celui que vous outragez, et vous vous faites à vous comme à lui une mauvaise réputation. Bien plus, vous vous faites à vous-même là plus grand tort. C’est une maladie, c’est une cruauté qui nous enlève tous nos biens : elle en fait sa proie, semblable à une bête féroce ou à un chien dévoré par la rage. L’homme impitoyable ne donne jamais rien, il est vrai, à celui qui est pauvre ; mais vous faites pire encore, vous empêchez de faire l’aumône ceux qui en auraient le désir. En vantant votre bienfait, en le publiant partout, vous perdez la réputation de celui qui l’a reçu, et vous arrêtez celui qui s’apprêtait à donner quelque chose, pour peu qu’il manque de générosité. Non, il ne donnera rien à un homme qui à reçu de vous, qui ne manque par conséquent de rien ; et si cet homme vient le trouver, il le traitera d’importun.
4. Quelle aumône y a-t-il donc, à vous couvrir vous et lui de déshonneur, et à déshonorer aussi Celui qui vous a prescrit de faire l’aumône ? Vous ne vous contentez point d’avoir Dieu pour spectateur, vous voulez pour témoins vos semblables, et vous violez ainsi la loi qui vous le défend ! J’aurais voulu parler aussi d’autres actes de piété, du jeûne et de la prière, par exemple, et vous montrer comment la vaine gloire leur enlève aussi tout leur mérite ; mais je me souviens que, dans notre dernier entretien je n’ai pas développé suffisamment ma pensée. De quoi s’agissait-il ? Je vous disais que les pauvres, même dans les choses temporelles, sont plus heureux que les riches ; et je parlais de santé et de plaisir. Je vous en ai donné des preuves bien évidentes. Aujourd’hui montrons qu’ils ont l’avantage, non pas seulement dans les choses temporelles, mais encore dans les biens surnaturels. Est-ce l’opulence, est-ce la pauvreté qui ouvre les portes du ciel ? Écoutez le Roi des cieux lui-même : « Il est plus aisé », dit-il, « à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’au riche d’entrer dans le royaume des cieux ». Voilà pour les riches. Voici maintenant ce qu’il dit des pauvres : « Si vous voulez être parfait, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres. Venez, suivez-moi, et vous aurez un trésor dans les cieux ». Portez maintenant votre attention sur cette autre pensée : « Il est resserré et étroit », dit l’Écriture, « le chemin qui conduit à la vie ». (Mt. 19,24, et VII, 14) Quel est donc celui qui marche par cet, étroit chemin, est-ce l’homme qui vit dans les délices, ou celui qui est dans l’indigence ? Est-ce celui qui est seul, ou celui qui porte d’énormes fardeaux ? Celui qui mène une vie molle et dissolue, ou bien celui qu’accablent les soucis et les inquiétudes ? Mais pourquoi tant de paroles quand nous pouvons citer des exemples ?
Lazare était pauvre, très-pauvre ; il était riche au contraire celui qui passait sans daigner jeter un regard sur le pauvre couché devant sa porte. Lequel est entré dans le royaume des cieux, lequel se repose maintenant dans le sein d’Abraham ? Qui des deux est dévoré par les flammes, sans pouvoir obtenir même une goutte d’eau ? Mais, dites-vous, la plupart des pauvres périront ; et bien des riches, au contraire, jouiront de ces biens mystérieux. – Non, vous verrez au contraire que peu de riches sont sauvés, et qu’un bien plus grand nombre de pauvres opèrent leur salut. Considérez d’une part l’embarras des richesses, et de l’autre les inconvénients de la pauvreté. Ou plutôt ce ne sont les inconvénients ni des richesses, ni de la pauvreté ; ces inconvénients sont inhérents aux personnes elles-mêmes. Voyons cependant si ce sont les richesses ou la pauvreté qui offrent le plus de ressources. Quels vices entraîne donc la pauvreté ? – Le mensonge. – Et quels vices entraînent les richesses ? L’orgueil, père de tous les maux, qui a fait le diable ce qu’il est depuis sa chute. Une autre racine des maux, c’est l’avarice, et où se trouve-t-elle d’ordinaire ? Est-ce chez le riche ou chez le pauvre ? Chez le riche, sans aucun doute. Plus on a de richesses, en effet, plus on veut en avoir. Après ces deux vices, vient la vaine gloire, qui ruine un si grand nombre de vertus. Et combien le riche n’est-il pas exposé à la vaine gloire !
Mais vous ne dites rien des inconvénients de la pauvreté ? Vous ne parlez ni de l’affliction ni des angoisses qui en sont les conséquences. – Mais le riche n’en est pas exempt ; au con-, traire, il y est sujet plus encore que le pauvre. Ainsi donc les inconvénients qui semblent être le partage du pauvre, se font sentir tout aussi bien au riche ; et les inconvénients des richesses sont le partage exclusif de celui qui les possède. – Mais, direz-vous encore, la misère du pauvre lui fait commettre, bien des crimes ? – Eh bien ! il n’est point de pauvre qui par suite de ses besoins commette autant de crimes que les riches pour ne rien, perdre de leurs immenses richesses. Le pauvre désire-t-il le nécessaire avec autant d’avidité que le riche désire le superflu ? A-t-il autant de moyens d’exercer sa scélératesse ? Le riche qui désire davantage et qui peut davantage, accomplira, donc bien évidemment plus d’actions criminelles. Le pauvre redoute moins la faim que le riche ne tremble de perdre ses biens, qu’il ne se désole de ne point posséder à lui seul toutes les richesses. Exposé, comme il l’est à la vaine gloire, à l’orgueil, à l’avarice, source de tous les maux, quel espoir de salut lui reste-t-il, s’il ne fait preuve d’une sagesse supérieure ? Comment pourra-t-il marcher dans la voie étroite ? Puisqu’il en est ainsi, ne nous en tenons plus à l’opinion du vulgaire, voyons les choses en elles-mêmes. Quand il s’agit d’une somme d’argent, nous ne nous en rapportons pas à d’autres, nous voulons compter nous-mêmes ; s’agit-il au contraire de trancher une question, vite nous nous laissons entraîner par l’opinion, quand cependant nous avons une balance, fine règle certaine, la parole de Dieu lui-même. Quoi de plus absurde ? Je vous en conjure donc, ne, vous occupez point de ce que pense celui-ci ou celui-là ; consultez les saintes Écritures ; apprenez d’elles quelles sont les vraies richesses, puis mettez toute votre ardeur à les rechercher, afin de jouir des biens éternels. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIV. modifier


DONNEZ-NOUS PLACE DANS VOTRE CŒUR : NOUS N’AVONS BLESSÉ PERSONNE, NOUS N’AVONS CORROMPU PERSONNE, NOUS N’AVONS CIRCONVENU PERSONNE. – JE NE LE DIS POINT POUR VOUS CONDAMNER : NOUS VENONS DE VOUS DIRE QUE VOUS ÊTES DANS NOS CŒURS POUR MOURIR AVEC NOUS ET POUR VIVRE AVEC NOUS. (VII, 2, 3, JUSQU’À 8)

Analyse. modifier


  • 1 et 2. Puisque vos cœurs sont encore trop étroits, élargissez-les pour me recevoir. – Je n’ai que de bonnes dispositions à votre, égard. – Je dis cela parce que j’ai confiance en vous. – Je parle librement, à cause de la joie que j’éprouve et des bonnes nouvelles que Tite m’a apportées de vous.
  • 3. Que les fidèles doivent aider les pasteurs à corriger les pécheurs.


C’est encore de son affection qu’il parle aux Corinthiens, et il veut tempérer par là ce qu’il y a de dur dans ses reproches. Il les a blâmés, il leur a reproché de ne pas l’aimer autant qu’il les aime ; mais de s’éloigner de lui pour se joindre à des hommes corrompus. Ces reproches, durs à entendre, il les tempère en disant : « Donnez-nous place » dans votre cœur, c’est-à-dire, aimez-nous. Ce qu’il demande est bien facile ; et l’avantage en revient plutôt à celui qui donne, qu’à celui qui reçoit. Il ne dit pas : aimez-moi ; mais ce qui doit toucher davantage : « Donnez-moi place ». Qui donc nous a chassés de vos cœurs ? Qui donc nous en a bannis ? Pourquoi sommes-nous à l’étroit dans vos âmes ? Ce qu’il disait plus haut : « Vous êtes resserrés dans vos propres cœurs », il le dit ici en termes plus clairs : « Donnez-nous place ? » Et de la sorte il se concilie leur affection. Rien de plus propre à inspirer l’amour que de voir celui qui aime souhaiter d’être payé de retour. – « Nous n’avons blessé personne ». Il ne passe point en revue ses bienfaits, il s’y prend d’une autre manière, et sait donner à son langage plus d’énergie, sans faire éprouver aucun sentiment pénible. Ce sont les faux apôtres qu’il a en vue, quand il dit : « Nous n’avons blessé personne, nous n’avons corrompu personne, nous n’avons circonvenu personne ». Que signifient ces mots : « Nous n’avons corrompu personne ». L’apôtre veut dire : Nous n’avons séduit personne. Ailleurs il dit : « De peur que vos sentiments ne soient corrompus, de même qu’Eve fut trompée par le serpent ». (2Cor. 11,13) – « Nous n’avons circonvenu personne » ; c’est-à-dire : Nous n’avons rien, dérobé, nous n’avons point tendu de pièges. Il ne dit pas encore : Nous vous avons procuré tel et tel avantage ; son langage est plus persuasif : « Nous n’avons blessé personne », dit-il. C’est comme s’il disait : Ne vous eussions-nous fait aucun bien, ce ne serait pas un motif de vous détourner de nous : car vous n’avez absolument rien à me reprocher. Ces paroles un peu incisives, il les adoucit encore. Mais il devait les prononcer ; autrement il n’eût point agi sur leurs âmes ; il devait les mitiger ensuite : car la blessure eût été trop profonde. Que dit-il donc ? – « Ce n’est point pour vous condamner que je vous parle de la sorte ». Et quelle preuve en donne-t-il ? – « Je viens de vous dire que vous êtes dans notre cœur à la mort, à la vie ».
N’est-ce point là une bien grande marque d’amour ? Ils le méprisent, et cependant c’est avec eux qu’il veut mourir et qu’il veut vivre. Vous n’êtes pas simplement dans notre cœur, mais vous y êtes de la manière que je viens de dire. On peut aimer et cependant fuir le danger : ce n’est pas ainsi que nous vous aimons. Voyez ici l’admirable prudence de l’apôtre ! Il ne dit rien des bienfaits qu’il leur a prodigués dans le passé ; il aurait l’air de les leur reprocher. Il leur en promet pour l’avenir. S’il vous arrive de courir des dangers, il n’est rien que je ne m’empresse de souffrir pour vous : car ni la mort ni la vie ne sont rien pour moi : mais partout où vous serez vous me rendrez ou bien la mort plus chère que la vie ou bien la vie plus chère que la mort. Souhaiter de mourir pour quelqu’un, c’est la plus grande preuve d’amitié ; mais qui refuserait de vivre, qu’il aime ou qu’il n’aime point ? Pourquoi donc l’apôtre voit-il en cela encore une marque d’affection ? Il ne se trompe point. Ils ne sont pas rares les gins qui partagent la douleur de leurs amis, mais qui bien loin d’être heureux de leurs succès, sont dévorés par l’envie. Pour nous, il n’en est point de la sorte. Si vous êtes dans le malheur, nous n’hésitons pas à compatir à vos souffrances ; si vous êtes heureux, nous n’éprouvons aucun sentiment de jalousie. C’est la pensée qu’il exprime de mille manières. « Vous n’êtes pas à l’étroit dans nos cœurs ». C’est nous qui sommes à l’étroit dans les vôtres. Recevez-nous, dilatez vos cœurs, nous n’avons « blessé personne ». Toutes ces paroles renfermaient quelque reproche ; et il en atténue l’effet, en disant : « Je vous parle avec une grande liberté ». Ce n’est donc point pour vous condamner que je vous ai tenu ce langage, mais bien parce que j’ai confiance en vous ; c’est la même pensée qu’il exprime ensuite : « J’ai grand sujet de me glorifier de vous… (4) ».
Soyez sans inquiétude, je n’ai pas du tout l’intention de vous condamner : je me complais en vous, je me glorifie à votre sujet. Seulement je veux votre bien, et je souhaite de vous voir faire des progrès dans la vertu. C’est ainsi qu’après avoir accablé les Hébreux de reproches, il leur disait : « Nous avons confiance en vos vertus, et nous vous croyons dans la voie du salut, bien que nous vous parlions de la sorte : Mais nous voulons que chacun de vous montre le même zèle à nous satisfaire jusqu’à la fin ». (Héb. 6,9, 11) N’est-ce pas la même pensée qu’en cet endroit : « Je me glorifie à votre sujet ? » Oui, dans les autres Églises, nous nous faisons gloire de vous avoir pour disciples. Quoi de plus propre à les consoler ? Et, sachez-le bien, je me glorifie abondamment ; aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Je suis rempli de consolation ». De quelle consolation ? C’est de vous qu’elle me vient. Vous vous êtes corrigés, et vous m’avez consolé par vos œuvres. C’est le propre de celui qui aime de se plaindre de n’être pas assez aimé, et de craindre d’aller trop loin dans ses reproches, pour ne pas chagriner. C’est pourquoi l’apôtre dit : « Je suis rempli de consolation ; je surabonde de joie ».
2. Mais dites-vous, il y a là contradiction. – Point du tout ; au contraire ces diverses pensées s’accordent parfaitement. Grâce aux louanges que donne l’apôtre, les reproches seront mieux accueillis : toute dureté disparaît, et ces reproches produiront tout leur fruit. C’est donc fort à propos qu’il leur tient cet affectueux langage. Il ne dit pas : j’ai été rempli de joie ; mais, la joie « abonde dans mon âme » ; ou mieux encore, « la joie surabonde ». Il montre par là combien vif est son amour pour eux ! Les Corinthiens l’aiment ; il s’en réjouit, il tressaille d’allégresse ; cependant leur affection pour lui n’est pas aussi forte qu’il le désirerait, il n’a pas encore reçu tout ce qu’il voulait : tant son amour pour eux a de vivacité, tant il désire que leur affection pour lui s’accroisse encore. Si l’on aime avec ardeur, on se réjouit d’être payé même d’un retour quelconque. Cette joie que ressent l’apôtre est donc à elle seule une preuve de son amour pour ceux de Corinthe. Je suis consolé, dit-il fut reçu ce qui m’était a dû » ; quant à la joie que j’éprouve, elle surabonde : C’est comme s’il disait : Vous m’avez causé une profonde tristesse ; mais vous m’avez abondamment satisfait, vous m’avez consolé ; non seulement toute cause de tristesse a disparu, mais vous m’avez inondé d’une joie délicieuse. Pour en exprimer l’étendue, il ne se borne pas à dire : « Je surabonde de joie », mais il ajoute, « dans toutes mes souffrances ». Tel était ce plaisir figue vous m’avez procuré, que mes afflictions, si vives pourtant, n’ont pu l’étouffer. Tous ces ennemis au contraire ont comme disparu, et ont cessé de se faire sentir.
« Car étant venus en Macédoine, nous n’avons eu aucune relâche selon la chair ». – Il vient de parler d’afflictions ». Il en fait voir maintenant la grandeur ; il la peint tout entière, afin de faire voir aussi la grandeur des consolations et de la joie qu’ils lui ont procurées. Cette joie en effet a dû être bien vive pour dissiper une telle douleur. « Mais nous avons toujours eu à souffrir ». Comment cela ? « Combats au-dehors », de la part des infidèles ; « frayeur au dedans ». Car il craignait de voir les faibles dans la foi se laisser entraîner à l’erreur. Ce n’est pas seulement chez les Corinthiens que de telles séductions avaient lieu, mais encore partout ailleurs. – « Mais celui qui console les humbles, nous a consolés par l’arrivée de Tite (6) ». Le magnifique témoignage qu’il vient de leur rendre, eût pu leur paraître une flatterie. Il prend à témoin Tit. son disciple, qui, revenant de Corinthe après l’envoi de la première épître, avait appris à l’apôtre le changement des Corinthiens. Voyez comme il apprécie la présence de son cher disciple ! Plus haut il s’exprimait ainsi : « Lorsque je fus arrivé dans la Troade, pour y prêcher l’Évangile, mon esprit n’eut point de repos, parce que je n’y trouvais point Tite mon frère ». (2Cor. 2,11) – Ici encore c’est le même sentiment : « Nous avons été consolés par l’arrivée de Tite ». Il veut recommander son disciple à leurs yeux, et lui concilier leur affection. Voyez comme il remplit son dessein ! En disant : « Mon esprit n’a pas eu de repos », il leur fait voir combien est grande la vertu de. Tite. Quand il dit ensuite : « Au milieu de mes tribulations, j’ai été consolé par son arrivée ; non seulement par son arrivée, mais encore par la consolation qu’il a lui-même reçue de vous », il lui ménage l’affection des Corinthiens.
Rien de plus propre à produire, à fortifier l’amitié, que de savoir qu’on donne de nous de bonnes, de joyeuses nouvelles. Ce que saint Paul affirme de son disciple : A son retour il a rempli de joie notre âme, en nous disant du bien de vous, et c’est pourquoi sou arrivée nous a causé tant de plaisir. Ce n’est pas seulement son arrivée qui nous a réjouis, mais aussi les consolations qu’il a reçues de vous. Et comment l’avez-vous consolé ? Par votre vertu et vos bonnes' œuvres. C’est pourquoi l’apôtre ajoute : « Il nous a rapporté vos désirs, vos pleurs, l’ardente affection que vous me portez… (7) ». Voilà ce qui m’a fait tant de plaisir ; ce qui m’a donné tant de consolation. Voyez-vous aussi comment il montre aux Corinthiens l’affection que Tite leur porte ? Ce disciple regarde leur vertu, leur gloire comme sa propre consolation, et de retour auprès de l’apôtre il s’en glorifie, comme s’il s’agissait de ses propres vertus et de sa propre gloire ? Quel sentiment dans ces paroles : « Votre désir, vos pleurs, votre ardent amour pour moi ! » La cause de leur douleur et de leur deuil était vraisemblablement le retard prolongé de saint Paul : ils se demandaient ce qui pouvait l’irriter contre eux. C’est pourquoi l’apôtre ne dit pas simplement « vos larmes », mais « vos pleurs » ; ni « vos désirs », mais « vos ardents désirs » ; ni votre impatience, mais « une sorte d’émulation » ; et « une émulation » en faveur de l’apôtre, sans doute contre l’incestueux, contre les accusateurs de saint Paul. Ma lettre, dit-il, vous a remplis de zèle et d’ardeur.. Ce qui le console, ce qui le réjouit, c’est l’effet que sa lettre a produit dans leurs âmes. Il leur tient, je crois, ce langage, non seulement pour les consoler au sujet de ce qui avait eu lieu, mais aussi pour animer ceux qui avaient réformé les abus. Plusieurs, ce me semble, méritaient les reproches de tout – à l’heure, et étaient indignes de tout éloge ; cependant l’apôtre ne fait aucune distinction ; – il leur adresse à tous et l’éloge et le blâme, laissant à la conscience de chacun de s’approprier l’un ou l’autre. De la sorte les reproches ne pouvaient blesser, et les éloges devaient exciter l’ardeur des fidèles.
3. Ceux auxquels s’adressent les reproches, doivent se lamenter et verser des larmes, désirer voir leurs maîtres, et les attendre avec plus d’impatience qu’ils n’attendraient leurs parents eux-mêmes. Ceux-ci leur ont donné la vie, mais ceux-là leur ont appris à bien vivre. Il faut supporter les reproches d’un père, il faut compatir à la douleur des supérieurs, quand les fautes de nos frères viennent les affliger. Il ne suffit point de leur zèle pour corriger les coupables, il nous faut agir de concert avec eux. Si le coupable se voit repris sévèrement par son père, puis entouré de caresses par ses frères, ne se pervertira-t-il pas davantage ? Aussi quand le père s’irrite, irritez-vous avec lui, puisque vous vous intéressez à votre frère et que vous partagez l’indignation de votre père. Déployez tout votre zèle, versez des larmes, non pas à cause des reproches adressés au coupable, mais à cause de sa faute. Si je construis et que vous démolissiez, que ferons-nous autre chose que de nous fatiguer vainement ? Bien plus, vous assumez sur vous un châtiment. Celui qui s’oppose à la guérison d’une blessure n’encourt-il pas une peine plus grave que l’auteur même de la blessure ? N’est-il point plus criminel d’empêcher le remède que de faire la blessure ? L’un cause la mort, l’autre ne la donne pas toujours. Ainsi donc, lorsque vos supérieurs pour de justes motifs s’irritent contre vos frères, partagez leur indignation, et si vous les voyez reprendre un coupable, détournez-vous de lui plus vivement qu’ils ne le font eux-mêmes. Oui, que le coupable vous redoute plus qu’eux-mêmes. S’il ne craint que son maître, il ne tardera pas à pécher de nouveau. Mais qu’il ait à redouter une multitude de regards et de visages, il agira désormais avec plus de prudence. Si nous ne nous unissons à nos supérieurs, nous encourrons les peines de l’autre vie ; comme aussi en secondant leurs efforts, nous partagerons leur récompense, pour avoir coopéré à l’amendement du coupable.
Que telle soit donc notre conduite. Ne nie dites pas que les chrétiens doivent se montrer plein de bienveillance envers leur prochain sachez que pour être bienveillant ici, il faut s’irriter, et non pas user avant le temps, envers le pécheur, d’une indulgence qui l’empêcherait de sentir sa faute. Je suppose un fiévreux ou un frénétique. Serez-vous bienveillant à son égard en lui donnant la faculté de s’enivrer, en le laissant libre de faire tout ce qu’il voudra, tout ce qu’on peut faire en bonne santé ? Ne devrez-vous point plutôt l’étendre dans son lit, l’enchaîner, l’éloigner de toute nourriture, de tout breuvage qui ne conviendrait pas à son état ? Cette prétendue bienveillance ne ferait qu’accroître le mal ; cette sage sévérité au contraire l’empêchera de mourir. Il faut en dire autant des maladies de l’âme. Oui, il y a de l’humanité à ne pas se montrer toujours indulgent envers les pécheurs, à ne pas flatter sans cesse leurs passions. Personne n’aimait plus que saint Paul l’incestueux de Corinthe, et c’est pourquoi il le livre à Satan ; personne n’eut pour lui tant de haine que ceux qui l’applaudirent et le flattèrent. La suite le fit bien voir. Ses flatteurs enflèrent son âme, et son orgueil monta de plus en plus ; Paul comprima cette arrogance, et il n’eut de repos qu’après avoir entièrement guéri le malade. Eux, ils ne firent qu’aggraver le mal ; lui, il le détruisit jusque dans sa racine. Approprions-nous ces lois si sages. Si vous voyez un cheval s’emporter, bien vite vous lui jetez un frein, vous le retenez vivement, vous l’accablez de coups de fouet ; c’est un supplice sans doute pour l’animal, mais ce supplice le sauve.
Tenez cette conduite à l’égard des pécheurs. Chargez-les de chaînes, jusqu’à ce qu’ils aient obtenu de Dieu leur pardon ; ne les laissez point libres, de peur que la colère divine ne les enchaîne. Si je les enchaîne moi-même, Dieu ne les enchaînera point ; sinon, un jour viendra où ils seront chargés de chaînes qu’on ne pourra plus briser. « Si nous avions soin de nous juger nous-mêmes, nous ne serions point jugés ». (1Cor. 11,31) Il n’y a rien de cruel, rien d’inhumain dans cette conduite, soyez-en surs ; elle est au contraire très-bienveillante ; c’est le moyen le plus prompt, le plus intelligent de guérir les malades. – Mais il y a assez longtemps qu’ils souffrent, direz-vous ! – Combien de temps, dites-moi. Un an, ou deux, ou trois ? – Ce n’est pas au temps que : je prends garde, c’est à la réforme des mœurs. Prouvez-moi qu’ils se repentent, qu’ils sont corrigés ; et tout sera fait. S’il en est autrement, qu’importe la longueur dis temps ? Qu’on ait lié plus ou moins de fois une blessure, ce n’est pas là ce que nous tenons à savoir ; nous demandons si ce mal est guéri ; dans ce cas, qu’on cesse d’employer le remède. Mais si le mal persiste, qu’on l’emploie dix ans,.s’il le faut. Pour enlever les liens, consultez-les résultats obtenus. Prenons ainsi soin de nous-mêmes et des autres, ne songeons ni à la gloire ni à l’ignominie d’ici-bas, mais aux châtiments et aux opprobres de la vie future, prenons garde d’offenser le Seigneur, et imposons-nous comme remèdes de rigoureuses pénitences. Ainsi recouvrerons-nous promptement la santé, ainsi, parviendrons-nous aux biens éternels. Puissions-nous tous en jouir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec lequel, au Père et au Saint-Esprit, gloire ; puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XV. modifier


BIEN QUE JE VOUS AIE ATTRISTÉS PAR MA LETTRE, NÉANMOINS JE N’EN SUIS POINT FÂCHÉ, QUOIQUE JE L’AIE ÉTÉ AUPARAVANT. (VII, 8, JUSQU’A 12)

Analyse. modifier


  • 1 et 2. Je ne me repens donc pas de vous avoir écrit ma première lettre, mais je me réjouis de ce que cette lettre vous a inspiré une tristesse qui vous a portés à la pénitence, source du salut. – Je l’ai fait surtout par amour pour vous tous.
  • 3-5. L’art de commander est le premier des arts, et l’agriculture vient après. – Mais il a une autorité plus tante que l’autorité temporelle, c’est l’autorité spirituelle. – Comparaison de ces deux autorités.


1. Maintenant il peut traiter les. Corinthiens avec douceur, puisqu’ils sont revenus de leurs égarements. Il justifie donc la lettre qu’il leur a écrite, et leur – montre les avantages qu’ils en ont retirés. C’est né qu’il avait déjà fait auparavant quand il leur disait : « Du sein de mes tribulations et de mes angoisses, je vous ai écrit non pour vous contrister, mais pour vous faire connaître la vivacité de l’affection que je vous porte ». Il revient sur ce sujet, et développé sa pensée : Il ne dit pas : « Auparavant je me repentais, mais, aujourd’hui je ne me repens plus ». Quelles sont donc ses expressions ? « Je ne me repens point maintenant », dit-il, « quand même je me serais repenti » ; comme s’il disait : Quand même je vous aurais blâmés jusqu’à l’exagération, jusqu’à m’en repentir ensuite ; à la vue des avantages qui en sont résultés, je ne puis plus avoir aucun repentir. Ce n’est pas à dire que ces reproches fussent exagérés ; il s’exprime de la sorte pour mieux faire ensuite leur éloge. Vous avez fait tant de progrès, dit-il, que, vous eusse-je même repris trop vivement et au point de me reprocher à moi-même quelque exagération, je – m’applaudirais, de l’avoir fait, à la pensée du succès obtenu. Quand on a donné aux enfants quelque remède un peu violent, après une amputation par exemple, ou une cautérisation, ou une potion amère, on peut les flatter sans inconvénient c’est ce que fait maintenant l’apôtre à l’égard des Corinthiens. « Je vois que cette lettre vous a contristés dans le moment. Je me réjouis maintenant, non de ce que vous avez été contristés, mais de ce que cette tristesse vous a convertis… (9)».
Après avoir dit : « Je ne me repens point », il s’explique aussitôt, et rappelle l’heureux succès de son épître. Il a raison d’ajouter encore : « Bien que pour quelque temps seulement ». Le chagrin n’a duré qu’un, instant, les avantages ne finiront point. La suite des idées exigeait que l’apôtre dit : Ma lettre vous a contristé un instant, mais cette tristesse a été suivie d’une joie et d’une utilité sans fin. Il procède autrement toutefois, et avant d’exposer ces avantages, il fait de nouveau leur éloge ; et leur exprime toute sa sollicitude à leur égard. « Je me réjouis maintenant, non pas de ce que vous avez été contristés (que « me revient-il en effet de votre tristesse ?) ; « mais de ce que ce chagrin vous a convertis » ; de ce que ce chagrin vous a été avantageux.. Un père qui voit amputer son fils, ne se réjouit certes point d’être témoin de ses souffrances, mais de la guérison qui en résultera. Ainsi en est-il de l’apôtre. « Voyez comme il leur attribue à eux-mêmes l’affaire de leur conversion, et comme il impute à son épître la tristesse qu’ils ont ressentie. Ne leur dit-il pas en effet que sa lettre les a contristés pour quelque temps » ; et n’est-ce pas de leur vertu qu’il fait résulter les avantages produits par sa lettre ? Il n’a pas dit en effet : Mon épître vous a convertis, bien, qu’en cela il eût dit vrai ; mais bien : « De ce que cette tristesse vous a convertis. Vous avez été contristés selon Dieu, pour, que vous n’éprouviez de dommage en quoi que ce fût ». Quelle ineffable prudence ! Si nous n’avions agi de la sorte, dit-il, nous vous aurions fait beaucoup de mal. Le bien, ce sont eux qui l’ont produit ; le mal, lui seul en eût été cause, s’il eût gardé le silence. Puisque vous deviez vous convertir par – suite de nos reproches, si nous avions négligé de vous les adresser, nous vous aurions été nuisible, et nous nous serions aussi fait tort à nous-même. C’est nuire au navigateur que de ne point lui fournir ce qui lui est nécessaire pour s’embarquer ; de même, c’est été vous nuire que dune pas vous exciter à la pénitence. Volez-vous quel tort on fait au pécheur, quel tort on se fait à soi-même, quand on ne reprend point celui qui s’est rendu coupable ?
« La tristesse qui est selon Dieu produit une pénitence qui à son tour produit le salut et l’affermit… (10) ». – C’est pourquoi, dit-il, bien que j’aie eu regret avant d’avoir aperçu les heureux résultats de ma démarche, maintenant je suis loin de m’en repentir. Tels sont les avantages de cette tristesse qui est selon Dieu ; l’apôtre fait bien voir que toute tristesse n’est point fâcheuse, et qu’il n’y a de tristesse fâcheuse que la tristesse selon le monde. – Qu’est-ce à dire : Selon le monde ? S’attrister de la perte, de ses biens, de la perte de sa gloire, de la mort de quelqu’un, c’est s’attrister selon le monde. Cette tristesse produit la mort. Celui qui s’attriste d’être privé de gloire, porte envie aux autres et, presque toujours il est dans la nécessité de mourir. Telle fut la tristesse de Caïn et d’Esaü. La tristesse du siècle est donc aux yeux de l’apôtre cette tristesse qui nuit à ceux qui l’éprouvent. Il n’y a d’avantageux que le chagrin que l’on ressent d’avoir péché et ce que nous venons de dire le montre assez. S’affliger de la perte de ses biens, est-ce les recouvrer ? Pleurer la mort de quelqu’un, est-ce un moyen de le ressusciter ? Se tourmenter d’une maladie, n’est-ce pas l’aggraver plutôt que de la guérir ? Mais déplorer ses péchés ; c’est se procurer de grands avantages ; c’est les consumer, c’est les faire, disparaître. C’est au péché seulement que, la tristesse petit porter remède ; là se borne son utilité ; partout ail – leurs elle est dangereuse.
2. Mais, direz-vous, la tristesse de Caïn venait de ce qu’il ne pouvait plaire à Dieu. – Non, telle n’était point la cause de son chagrin. Il s’affligeait de la gloire de son frère. Si sa tristesse eût eu un autre principe, ne devait-il pas imiter la vertu d’Abel et le féliciter ? Mais il s’en fallait bien ; et vous voyez par là que sa tristesse était une tristesse selon le monde. Est-ce ainsi qu’agissaient David, Pierre et les autres justes ? Non ; ce qui fait leur, gloire, c’est qu’ils s’attristaient ou de leurs propres péchés, ou de ceux du prochain. Et quoi de plus pénible que le chagrin ? Néanmoins, quand on s’afflige selon Dieu, cette tristesse vaut mieux que la joie du monde. La joie du monde s’anéantit ; la tristesse chrétienne produit le repentir, et le repentir, le salut, dont ou n’a jamais lieu de se repentir. Oui, si vous vous affligez de la sorte, jamais vous ne vous en repentirez et c’est tout le contraire qui arrive, lorsqu’on s’attriste selon le monde. Quoi de plus cher qu’un fils ? Quoi de plus cruel que de le voir mourir ? Et cependant ces parents qui sont inconsolables dans leur douleur, qui se frappent la poitrine, ne tardant tas à se repentir de cet excès de tristesse, qui n’a servi qu’à accroître leurs maux, bien loin de les diminuer. Bien différente est la tristesse selon Dieu : elle offre un double avantage ; jamais on ne regrette de l’avoir éprouvée, et elle a pour conséquence le salut. La tristesse mondaine n’a aucun de ces résultats. Ceux qui s’affligent selon le monde ; s’affligent pour leur malheur, et après s’être affligés, ils se le reprochent ; ce qui montre bien l’inconvénient de cette tristesse. Quant à cette tristesse quia est selon Dieu, c’est tout le contraire : aussi l’apôtre disait-il : « Un repentir qui produit le salut, repentir que l’on ne regrette point ». Personne, en effet, ne se reprochera de s’être affligé pour ses péchés, d’avoir éprouvé de la douleur et de la contrition. Pour appuyer cette assertion, saint Paul n’avait pas besoin de chercher bien loin des exemples, de citer ces personnages dont la pénitence nous est retracée par l’histoire ; il suffisait d’en appeler aux Corinthiens eux-mêmes. C’est par leurs œuvres qu’il prouve ce qu’il avance, et c’est pour lui une occasion de les instruire en faisant leur éloge, et de se les attacher plus fortement.
Cette tristesse que vous avez ressentie selon Dieu, quelle ardeur n’a-t-elle point « produite en vous !… (1) » Oui, loin de vous porter à vous condamner vous-mêmes, comme si vous vous fussiez attristés en vain, elle a redoublé votre zèle. Et voici maintenant les marques de ce progrès ; « elle a produit la justification », sous-entendez, auprès de moi ; « l’indignation », contre celui qui avait péché ; « la crainte ». N’était-ce pas, en effet, une preuve de crainte, que ce zèle et cette conversion si prompte ? Mais il ne veut pas qu’on lui reproche un mouvement de vaine gloire ; et c’est pourquoi il modère aussitôt son langage en disant : « Le désir » pour moi ; « l’émulation » pour Dieu ; « la vengeance » ; car vous vous êtes montrés les défenseurs de la loi de Dieu. « En toutes choses dans cette affaire vous vous êtes montrés irrépréhensibles ». non seulement ils ne s’étaient eux-mêmes rendus coupables d’aucun crime, (ce qui était manifeste), mais ils n’avaient en rien favorisé celui de l’incestueux. Dans sa première épître il disait : « Vous avez été enflés d’orgueil ». Dans celle-ci il leur dit : « Vous vous êtes même affranchis de ce soupçon, puisque non seulement vous n’avez point applaudi à ce crime, mais vous vous êtes même indignés contre son auteur.
« Si donc je vous ai écrit, ce n’est ni à cause de celui qui a fait l’injure, ni à cause de celui qui l’a soufferte (12) ». Les Corinthiens auraient pu dire : Pourquoi donc nous faire des reproches, puisque nous n’avons en rien participé au crime ? C’est une objection qu’il voulait prévenir plus haut, et il se frayait, pour ainsi dire, le chemin, en disant : « Je ne me repens pas, quand même j’aurais dû me repentir. Bien loin de me repentir maintenant de ce que je vous ai écrit, je m’en serais repenti autrefois plutôt que maintenant que vous vous montrez si fermes dans le bien. Voyez-vous quelle force de langage ; avec quelle énergie saint Paul réfute l’objection ! et comment il sait la rétorquer ils voudraient le blâmer de leur adresser des reproches non mérités, puisqu’ils ont fait de grands progrès dans la vertu ; et il profite de cette idée pour leur montrer qu’il doit leur parler avec une entière liberté : Il ne refuse point de leur parler avec douceur, quand il le peut. Il leur disait plus haut : « Celui qui fait le mal avec une prostituée, ne fait qu’un avec elle » (1Cor. 6,16) ; et encore : « Livrez cet homme à Satan pour la perte de sa chair » (1Cor. 5,5) ; et encore : « Tous les péchés que l’homme commet sont en dehors de son corps » (1Cor. 6,48) ; et autre chose de ce genre. Comment se fait-il qu’il leur dise maintenant : « Ce n’est pas à cause de celui qui a fait l’injure, ni à cause de celui qui l’a soufferte ? » Il ne se contredit point en parlant de la sorte ; au contraire, il est parfaitement d’accord avec lui-même. Et comment cela ? C’est qu’il avait à cœur de leur témoigner toute la vivacité de son amour. Il ne veut pas empêcher qu’on ne prenne soin du pécheur ; il veut seulement montrer aux Corinthiens l’affection qu’il leur porte, et leur faire comprendre qu’il craint pour le bien de toute l’Église. Il tremblait en effet que le mal ne gagnât de proche en proche et n’envahît toute la famille chrétienne. Aussi disait-il : « Un peu de levain corrompt toute la pâte ». (1Cor. 5,6) Voilà ce qu’il disait alors. Maintenant qu’ils se sont amendés, il leur tient un autre langage. Il leur laisse entendre là même chose, mais ses paroles ont plus de douceur ; et il leur dit : « Pour vous témoigner le zèle que nous avons pour vous ». C’est-à-dire pour que vous sachiez combien nous vous aimons. C’est ce qu’il disait plus haut ; mais, exprimée en d’autres termes, cette pensée offre un tout autre aspect. Que ce soit la même pensée, voyez l’intention de l’apôtre, et vous en serez convaincus. Je vous aime, dit-il, et c’est pourquoi je craignais que vous n’éprouviez de la tristesse et de l’ennui. Quand l’apôtre dit : « Est-ce que Dieu s’inquiète des bœufs ? » (1Cor. 9,9), il ne veut pas dire que Dieu ne prend aucun soin de ces animaux ; car rien ne peut continuer à vivre sans le secours de la Providence ; il veut dire seulement qu’au moment de donner sa loi Dieu n’avait pas eu spécialement en vue les créatures dénuées d’intelligence. De même ici l’apôtre veut dire : C’est à cause de vous spécialement que j’ai écrit, et ensuite à cause de lui. Je vous aimais du fond du cœur, lors même que je ne vous aurais pas adressé de lettre ; mais je tenais à vous témoigner à tous mon affection au moyen d’une épître. « C’est pourquoi nous avons été consolés ». Car, nous vous avons témoigné notre amour et nous nous sommes pleinement acquittés de notre mission. Ainsi disait-il encore ailleurs : « Nous vivons, si vous vous tenez dans le Seigneur » (1Thes. 3,8) ; et encore : « Quelle est donc notre espérance, ou notre joie, ou la couronne de notre gloire ? N’est-ce pas vous ? » (1Thes. 2,19) La vie d’un maître, s’il est digne de ce nom, sa consolation, sa joie, ce sont les progrès de ses disciples.
3. Rien ne sied mieux à quiconque a le pouvoir, que l’amour et l’indulgence pour ses inférieurs. Être père, ce n’est pas seulement engendrer des enfants, mais encore les aimer après leur avoir donné la naissance. Si la loi naturelle commande à ce point l’amour, que ne fera pas la loi de grâce ? C’est par là que brillèrent tous les personnages anciens. Ainsi Samuel fit preuve de grandeur, quand il dit : « Loin de moi ce péché contre le Seigneur ; non, je ne cesserai point de prier pour vous ». (1Sa. 12,23) Ainsi parlaient David, Abraham, Élie, tous les justes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Moïse n’abandonna-t-il point d’immenses richesses, de prodigieux trésors, pour partager l’affliction du peuple qu’il commandait ? Avant d’être établi chef de ce peuple, il le gouvernait déjà par ses services. Quoi de plus ridicule que les paroles de cet Hébreu, qui lui disait : « Qui donc t’a établi notre chef et notre juge ? » (Ex. 2,14) Que dis-tu ? Ne vois-tu pas ses œuvres ? Hésites-tu encore à l’appeler du nom de chef ? Vous voyez un médecin occupé à traiter un malade ; il apporte beaucoup de soulagement au membre qui souffre. Vous lui demandez : Eh ! dites-moi, qui vous a établi médecin ? Qui vous a permis de traiter ce malade ? – Mais, vous répondra-t-il, c’est la science que je possède ; c’est la maladie qui vous travaille. Or, n’est-ce pas aussi la science du commandement qui a élevé Moïse à la dignité de chef ? Car le commandement n’est pas seulement une dignité, c’est aussi un art, et le plus sublime de tous. Si le commandement dans l’ordre temporel est un art, et le plus beau de tous les arts, que dirons-nous du commandement dans l’ordre spirituel ? Autant l’ordre spirituel l’emporte sur l’ordre temporel, autant l’art de commander dans l’ordre spirituel est supérieur à l’art de commander dans l’ordre naturel ; et ce n’est pas assez dire encore. Mais entrons dans de plus grands développements.
L’agriculture, la fabrication des tissus, l’architecture sont des arts, et des arts vraiment nécessaires pour l’entretien de la vie. Les autres, l’art de travailler le fer, par exemple, ou les autres métaux, l’art d’élever les brebis et les autres animaux, ne sont que leurs auxiliaires. Mais quoi de plus nécessaire que l’agriculture ? Dieu lui-même n’en a-t-il pas fait le premier des arts, en créant l’homme ? On peut, dans la vie, se passer de chaussures et de vêtements ; mais l’agriculture est indispensable. Ne sont-ils point nus les Hamaxobiens, ces nomades de la Scythie, qui vivaient au milieu des pâturages, ces gymnosophistes de l’Inde ? Ils se passent bien d’architecture, de tissus, et de ce qui sert à vêtir le corps ; ils se contentent de cultiver leurs champs. Rougissez donc d’avoir recours à tant d’arts superflus, d’avoir besoin de cuisiniers, pour vous préparer des pâtisseries et autres friandises, d’avoir besoin de tant d’autres gens pour donner plus de charmes à votre existence ! Rougissez d’avoir introduit dans la vie humaine un si grand nombre d’arts frivoles ! Vous qui croyez en Jésus-Christ, que ces barbares qui savent se passer de tout cela vous fassent honte. Dieu nous a faits de manière à pouvoir nous contenter de peu. Cependant je ne veux pas vous contraindre à ressembler à ces peuples, je ne veux pas vous en faire une loi. Imitez seulement Jacob dans les demandes qu’il faisait. Que demandait-il donc?.« Que Dieu me donne du pain pour me nourrir et des vêtements pour me couvrir ». (Gen. 28,20) Saint Paul n’enjoignait-il pas de ne pas rechercher davantage : « Contentons-nous, disait-il, d’avoir des aliments, et de quoi nous vêtir ». (1Tim. 6,8) Le premier des arts, c’est donc l’agriculture ; vient ensuite l’art de tisser les vêtements, puis l’art de bâtir des maisons. Le dernier de tous est celui de faire des chaussures. Ne voit-on pas chez, nous beaucoup de serviteurs et de laboureurs se passer de chaussures ? Les premiers seuls sont donc utiles et nécessaires Eh bien ! comparons-les avec l’art du commandement. C’est dans ce dessein que j’ai parlé de ces arts les plus utiles de tous. S’il est évident qu’ils sont inférieurs à l’art de commander, à plus forte raison les autres arts lui seront-ils inférieurs. Comment vous ferai-je voir que l’art de commander l’emporte sur les autres ? C’est que, sans lui, tous les autres sont inutiles.
Mais ne nous occupons que de l’agriculture, de ce premier des arts. A quoi servirait le trayait des laboureurs, si les hommes étaient sans cesse en guerre, et se pillaient mutuellement ? N’est-ce pas la crainte du Prince qui les retient, et qui garde ainsi le fruit de leurs travaux ? Que cette crainte disparaisse, toute leur peine sera perdue. En examinant bien, vous trouverez un autre pouvoir, qui engendre et protégé celui-là : quel est-il donc ? C’est un pouvoir en vertu duquel chacun doit se commander à soi-même, se dominer soi-même, réprimer ses mauvaises passions, mettre tout son zèle à développer le germe de ses vertus et à les accroître. Il y a en effet deux espèces de commandements. D’abord le commandement des peuples et des villes : il dirige la vie civile. C’est celui dont parle saint Paul, quand il dit : « Toute âme doit être soumise aux puissances supérieures : car il n’y a pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu ». (Rom. 13,1) Et ensuite, pour montrer les avantages de ce commandement, l’apôtre ajoute : « Le magistrat est le ministre de Dieu pour le bien » ; et encore : «. Il est le ministre de Dieu, son vengeur contre celui qui fait le mal ». Une autre sorte de commandement, c’est celui qu’exerce sur soi-même quiconque veut être prudent. Saint Paul en parle dans ce passage : « Voulez-vous ne pas craindre le pouvoir ? Faites le bien ». (Rom. 13,3) Il a en vue celui qui se commande à lui-même.
4. Il y a encore une autre espèce de commandement, d’un ordre plus élevé que le commandement politique. Quel est-il donc ? C’est le pouvoir ecclésiastique. Saint Paul en fait mention, quand il dit : « Obéissez à ceux qui sont à votre tête ; soyez-leur soumis : ils sont pleins de vigilance, comme devant rendre compte de vos âmes ». (Héb. 13,17) Autant le ciel est au-dessus de la terre, autant ce pouvoir de l’Église est au-dessus du pouvoir politique ; et je ne dis pas assez encore. Le pouvoir ecclésiastique s’occupe – moins de punir les crimes que de les prévenir ; quand ils ont été commis, il ne cherche pas à faire périr le malade, mais à guérir la maladie. Il s’occupe peu des choses de ce monde ; il a toujours en vue le ciel : « Notre conversation est dans les cieux » (Phil. 3,20), dit l’apôtre, et notre vie aussi. « En effet », dit-il, « elle est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ». (Col. 3,3) C’est dans le ciel que se trouve la récompense, et on court dans le stade pour mériter des couronnes toutes célestes. La vie chrétienne ne finit point avec la mort ; la mort lui donne un nouvel éclat. Ainsi donc ceux qui sont investis de ce pouvoir, sont plus honorés que les chefs de provinces, que les rois eux-mêmes, puisque l’objet de leur charge est plus élevé, puisqu’ils préparent les hommes à de plus grands avantages.
Mais ni les chefs politiques, ni les supérieurs ecclésiastiques, ne pourront s’acquitter dignement de leurs fonctions, sans se commander d’abord à eux-mêmes, et sans observer scrupuleusement les lois de l’État et de l’Église. S’il y a deux espèces de pouvoirs publics, il y a aussi deux sortes d’empire à exercer sur soi-même. Et ici encore l’empire spirituel l’emporte sur l’empire temporel, comme nous l’avons démontré. Certains arts exercent aussi une espèce d’empire ; l’art du laboureur, par exemple. Le laboureur n’est pas comme préposé aux plantes. Il les taille, il en arrête la croissance ; ou bien il en hâte le développement parla culture. Il imite en cela la conduite des meilleurs princes, qui punissent, qui font mourir les criminels, ces hommes dangereux pour la société, et qui comblent d’honneur las gens de bien. C’est pourquoi l’Écriture compare à des vignerons ceux qui commandent aux autres. Les plantes, il est vrai, ne se plaignent pas comme ceux qui dans les cités reçoivent quelque injure ; mais leur aspect montre le mal qu’elles éprouvent des mauvaises herbes qui les étreignent. Les lois répriment la méchanceté ; de même aussi l’art du laboureur corrige les vices du sol et la mauvaise nature, la nature sauvage des plantes. Les plantes nous offrent l’image de nos mœurs ; nous y retrouvons l’âpreté, la mollesse, la timidité, l’audace, l’inconstance ; nous y voyons certains rameaux se nourrir, se développer aux dépens des autres, et d’autres par là même se sécher et périr. C’est une haie qui nuit aux plantes du voisinage, ce sont des arbres stériles et sauvages, dont l’ombrage nuit aux arbres du voisinage. Les préfets et les empereurs voient leur autorité menacée et battue en brèche ; et le laboureur n’a-t-il pas à redouter les incursions des bêtes féroces, l’intempérie des saisons, la rouille, la grêle, la sécheresse, et d’autres fléaux. Tout cela arrive pour que vous mettiez toujours votre espérance dans le Seigneur.
Le travail de l’homme est pour beaucoup dans les autres arts ; l’agriculture doit mettre surtout en Dieu son espérance ; c’est de lui que dépend toute sa richesse. Sans doute elle a besoin des pluies, d’un temps favorable ; mais ce qu’elle requiert avant tout, ce sont les soins de la Providence : « Car ni celui qui plante, ni celui qui arrose, ne sont rien ; c’est Dieu qui donne l’accroissement ». (1Cor. 3,7) Là encore il y a vie et mort, il y a enfantement laborieux, comme dans l’espèce humaine. On arrache les arbres, ils portent des fruits, ils meurent ; et la mort est suivie d’une résurrection ; en sorte que la terre elle-même nous prêche de mille manières la résurrection de nos corps. Quand la racine porte des fruits, quand elle produit des semences, n’est-ce pas là une résurrection ? Une étude approfondie de cet art y découvre partout la Providence et la sagesse de Dieu. Mais, pour revenir à notre sujet, le pouvoir de l’agriculture a pour objet la terre et ses plantes ; le nôtre a pour objet les âmes. Quelle distance des plantes aux âmes ! Combien par conséquent l’un de ces pouvoirs ' est supérieur à l’autre ! Autant il vaut mieux commander à des êtres qui consentent qu’à des créatures qui s’y soumettent par force, autant ceux qui commandent dans l’Église l’emportent sur les chefs de la société civile. Le commandement ecclésiastique est vraiment celui qui convient à notre nature. Hors de l’Église, c’est la crainte et la nécessité qui déterminent à agir ; dans l’Église, on fait le bien librement et sans contrainte. Ce n’est pas seulement par là que le gouvernement ecclésiastique vaut mieux que le gouvernement politique ; on peut dire encore que c’est moins un gouvernement qu’une paternité. Il commande avec une douceur toute paternelle ; et tout en prescrivant de plus grandes choses, il n’emploie que la persuasion. Le prince dit : « Si vous commettez un adultère, c’en est fait de vous ». Le gouvernement ecclésiastique va jusqu’à vous menacer de peines très-graves, si vous portez sur une femme des regards immodestes. Le tribunal de l’Église est un tribunal auguste, qui n’atteint pas seulement le corps, mais aussi l’âme elle-même.
5. Il y a entre les deux gouvernements la même différence qu’entre le corps et l’âme. Le pouvoir civil ne juge que les crimes extérieurs, et encore ne les juge-t-il pas tous, mais seulement ceux qu’il a découverts. Bien souvent même, il fait semblant de les ignorer. Au contraire, notre tribunal avertit les accusés qu’un jour viendra où le Juge suprême manifestera aux regards du monde entier toutes les fautes dont on se sera rendu coupable ; et que là il n’y aura pas moyen de les cacher. Ainsi donc la loi du christianisme protégé notre vie bien mieux que ne font toutes les lois civiles. Ne vaut-il pas mieux trembler pour des péchés secrets et cachés, que de craindre seulement pour des fautes rendues publiques ? Ne se tiendra-t-on pas davantage sur ses gardes ? En punissant pour des fautes légères, n’excite-t-on pas mieux à la pratique de la vertu qu’en punissant seulement pour des fautes énormes ? Il est donc bien certain que le pouvoir ecclésiastique fait beaucoup plus que les autres pour le bien de l’humanité.
Examinons encore l’élection des chefs de l’Église et celle des chefs de la société civile ici encore nous trouverons la même différence. Ce n’est pas avec de l’argent que l’on obtient les dignités ecclésiastiques, mais bien en faisant preuve d’une vie irréprochable. Celui que l’on y élève, ne doit pas avoir en vue la gloire humaine et le repos, mais le travail, la fatigue et l’utilité des fidèles. Aussi reçoit-il abondamment les grâces de l’Esprit-Saint. Le prince se contente de publier les lois qu’il faut exécuter ; l’évêque y ajoute le secours de ses prières, qui obtiennent la grâce du Seigneur. Dans le gouvernement civil, personne qui enseigne la sagesse, qui apprenne à connaître l’âme, le monde ; qui dise ce que nous deviendrons après cette vie, où nous irons après l’avoir quittée, comment on peut pratiquer la vertu. On ne parle que de marchés, de contrats, de richesses : de la vertu et de sa récompense, pas un mot. Dans l’Église c’est là au contraire l’objet de tous les discours. Aussi peut-on l’appeler, sans craindre de se tromper, un tribunal, une école de médecine ou de sagesse, la carrière où l’âme s’exerce à cette course qui mène au ciel. Si le gouvernement ecclésiastique réclame le plus de diligence, c’est aussi le plus doux des gouvernements, et en voici la preuve. Que le gouvernement civil convainque un homme d’adultère, aussitôt il sévit contre lui. Et quel profit la société peut-elle en retirer ? Ce n’est pas un vice qu’on fait disparaître, c’est une âme que l’on bannit. L’évêque au contraire ne se préoccupe point de punir le coupable ; il veut que le vice disparaisse. Vous, vous ressemblez à un homme qui, au lieu de guérir un mal de tète, couperait fa tête au malade ; pour moi c’est la maladie que je tranche. J’éloigne, il est vrai, le coupable des mystères et de l’enceinte sacrée ; mais quand il s’est corrigé, quand il s’est purifié de ses fautes, quand il s’est amélioré par la pénitence, je le rétablis dans ma communion.
Et comment faire, direz-vous, pour faire disparaître l’adultère ? Rien de plus facile : il suffit de se soumettre aux lois de l’Église. L’Église est un bain spirituel, qui, par les exercices de la pénitence, enlève non les souillures du corps, mais celles de l’âme. – Vous, si vous ne punissez point le coupable, vous l’autorisez à pécher de nouveau ; si vous le punissez, vous ne le guérissez point ; moi, ni je ne le laisse impuni, ni je ne le punis comme vous faites. Mais du même coup et je lui inflige la peine qu’il mérite et je le corrige de ses défauts : Oui, votre glaive ; vos bûchers ne peuvent remédier au mal ; et moi, tout en me passant de ces rigueurs, je rends au malade une santé parfaite. Pour vous en convaincre, je n’ai pas besoin d’un long discours. Il me suffit de vous montrer la terre et la mer, et par conséquent la nature même de l’homme. Avant que le tribunal de l’Église eût été dressé, où en étaient les hommes ? Les grandes actions que l’on accomplit de nos jours étaient-elles connues seulement de nom ? Se montrait-on intrépide en face de la mort ? Méprisait-on les richesses ? Se riait-on de la gloire humaine ? Abandonnait-on le tumulte du monde pour les montagnes, pour la solitude, cette mère de la sagesse ? La virginité était-elle connue ? Toutes ces vertus et beaucoup d’autres, c’est le tribunal de l’Église qui les a enfantées c’est le pouvoir ecclésiastique qui nous les a données. Ainsi donc tous les avantages sérieux de la vie présente, toute cette réforme de l’univers, a son origine dans le gouvernement de l’Église. Si vous en êtes convaincus, venez donc souvent entendre la parole de Dieu ; rassemblez-vous souvent pour prier. Si telles sont vos dispositions, si votre vie, si vos mœurs sont dignes du ciel, vous pourrez arriver aux biens éternels par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduction de M. l’abbé JOLY

HOMÉLIE XVI. modifier


C’EST POURQUOI NOUS SOMMES CONSOLÉS DE VOTRE CONSOLATION ; MAIS NOUS NOUS SOMMES RÉJOUIS PLUS SURABONDAMMENT ENCORE DE LA JOIE DE TITE, PARCE QUE SON ESPRIT S’EST REPOSÉ, GRACE A VOUS TOUS. (VII, 13, JUSQU’A VIII, 6)

Analyse. modifier


  • 1. L’apôtre se réjouit de la charité qui anime les fidèles de Corinthe. – Il les a trouvés louables dans toute leur conduite, et il espère tout d’eux.
  • 2. Il leur cite pour les exciter l’exemple des Macédoniens, dont la joie a été grande au milieu des tribulations, et dont les aumônes ont été abondantes.
  • 3. Les Macédoniens ont été en même temps plein de docilité ; saint Paul envoie Tite aux Corinthiens pour que ceux-ci ne le cèdent en rien aux Macédoniens. – Éloge de Tite.
  • 4. L’aumône est une bonne couvre plus méritoire que le rappel des morts à la vie. – Pour être véritablement l’aumône, elle doit être désintéressée.


1. Voyez encore une fois comme il exalte leurs louanges, et comme il montre leur charité. Après avoir dit qu’il a été joyeux que sa lettre ait produit un si grand résultat, et qu’ils en aient tiré tant de profit : « Je me réjouis, non pas de ce que vous avez été affligés, mais de ce que cette affliction vous a conduits à la pénitence (9) » ; après avoir montré son affection pour eux : « Et si je vous ai écrit », dit-il, « ce n’est pas à cause de l’auteur de l’injure, ni à cause de celui qui l’a reçue, mais c’est afin de manifester à vos yeux notre zèle pour vous (12) » ; il ajoute un autre signe de leurs bonnes dispositions qui leur fait beaucoup d’honneur, et qui montre combien leur charité est sincère : « Dans votre consolation », dit-il, « nous nous sommes réjouis plus surabondamment encore de la joie de Tite (13) ». Pourtant, ce n’est pas le fait d’un homme qui les aime beaucoup, de se réjouir de ce qui arrive à Tite plutôt que de ce qui leur arrive. Si fait, nous dit l’apôtre ; car je ne m’en suis pas tant réjoui pour lui que pour vous. Et c’est pourquoi il en donne ensuite la cause en ces termes : « Parce que son cœur s’est reposé, grâce à vous tous ». Il n’a pas dit : Lui, mais : « Son cœur », c’est-à-dire, sa charité pour vous : Et comment s’est-il reposé ? « Grâce à vous tous ». Et en effet, c’est encore là un fort grand éloge. « Car si je me suis glorifié de vous en quelque chose auprès de à lui (14) ». Grand éloge pour les disciples que leur maître se glorifie d’eux ! « Je n’ai pas n’en », dit-il, « à en rougir (14) ». Je me suis réjoui, veut-il dire, de ce que vous êtes devenus meilleurs, et de ce que vous avez confirmé mes paroles par vos œuvres. De sorte que c’est pour moi un double honneur, puisque vous avez fait des progrès, et que moi, on a vu que je ne m’écartais pas de la vérité. « Mais de même que nous vous avons toujours parlé avec vérité, ainsi quand nous nous sommes glorifié de vous auprès de Tite, cela s’est trouvé conforme à la vérité (44) ». Ici, l’apôtre nous donne encore autre chose à entendre ; de même que tout ce que nous vous avons dit a été selon la vérité, car il est naturel qu’il leur ait fait aussi beaucoup d’éloges de Tite, ainsi les choses que nous avons dites à Tite sur votre compte, ont été trouvées vraies. « Et ses entrailles ressentent pour vous une tendresse bien plus vive (15) ». Ces paroles sont d’un homme qui leur recommande Tite comme ayant pour eux une ardente charité, et leur étant extrêmement attaché. Et il n’a pas dit : Sa charité, mais : « Ses entrailles ». Puis, pour qu’on ne pense pas qu’il le flatte, il ajoute partout les motifs de cette affection, afin, comme je viens de le dire, d’échapper au soupçon de flatterie, et afin de les exhorter encore mieux, en faisant retomber l’éloge sur eux ; et en leur montrant que ce sont eux qui ont fait naître en lui le principe et le motif d’une telle charité. Car, après avoir dit « Ses entrailles ressentent pour, vous une tendresse bien plus vive », il ajoute : « Car il se souvient de votre docilité à tous ».
Ce langage nous montre aussi Tite reconnaissant envers ses bienfaiteurs, puisqu’il est revenu les portant tous dans son cœur, qu’il se souvient continuellement d’eux, et qu’ils sont perpétuellement à sa bouche et dans sa pensée. Il fait aussi aux Corinthiens un mérite encore plus grand de ce que, lorsqu’ils laissèrent Tite partir, ils se l’étaient ainsi gagné. Ensuite, il parle aussi de leur docilité pour accroître leur zèle ; c’est pour cela qu’il ajoute : « De la crainte, et du tremblement avec lesquels vous l’avez reçu (15) ». Non pas avec charité seulement, mais aussi avec un extrême respect. Vous le voyez, il rend témoignage de deux mérites en eux : – de ce qu’ils l’aimaient comme un père, et de ce qu’ils le craignaient comme un supérieur, sans que cette crainte affaiblît leur affection, sans que cette affection détruisît leur crainte. C’est ce qu’il avait déjà dit plus haut : « Cette tristesse selon Dieu que vous avez eue, quelle vigilance n’a-t-elle pas produite en vous, et aussi quelle crainte et quels soupirs (11) ? Je me réjouis donc, parce que j’ai en tout confiance en vous (16) ». Voyez-vous que c’est en eux qu’il se réjouit surtout ? C’est, veut-il dire, parce que vous n’avez été en aucune circonstance la honte de votre maître ; et que vous ne vous montrez pas indignes du mon témoignage. Ainsi, il ne se réjouissait pas tant à propos de Tite de ce que celui-ci avait été l’objet d’un si grand respect, qu’à propos des Corinthiens, de ce qu’ils avaient fait preuve d’une si grande reconnaissance. Car afin qu’on ne crût pas qu’il se réjouissait plus à cause de lui qu’à cause d’eux, voyez comme il en donne encore ici le motif. De même qu’il a dit plus haut : « Car si je me suis glorifié de vous en quelque chose auprès de lui, je n’ai pas eu à en rougir » ; de même ici encore : « Parce que j’ai eu toute confiance en vous ». Ai-je à vous réprimander ? Je ne crains pas de votre part une rupture avec moi ; ai-je à me glorifier de vous ? Je n’ai pas à redouter d’être convaincu d’avoir tort ; en un mot, que j’aie à louer en vous soit l’obéissance, soit la charité, soit le zèle, j’ai confiance en vous. Je vous ai dit de couper, et vous avez coupé ; je vous ai dit d’accueillir, et vous avez accueilli ; j’ai dit en présence de Tite que vous êtes magnanimes et admirables ; que vous savez respecter vos maîtres ; et par votre conduite vous avez prouvé que cela est vrai. Bien plus, ce n’est pas tant de moi que de vous-mêmes que Tite a pu l’apprendre. Aussi est-il revenu rempli pour vous d’un amour enthousiaste, car vous avez offert à ses yeux plus encore que mes paroles n’avaient annoncé. « Or, je vais vous faire connaître, mes frères, la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine ». (8, 1)
2. Quand il les a élevés par ses éloges, il en, vient à l’exhortation. Et s’il a mêlé les louanges aux reproches, c’est de peur, en passant du reproche à l’exhortation, de rendre ses paroles difficiles à accepter ; – il veut, en commençant par flatter leurs oreilles, frayer la route à ses exhortations. Il se propose de parler sur l’aumône : aussi a-t-il la précaution de dire : « Je me réjouis de ce qu’en tout j’ai confiance en vous » ; faisant servir leurs mérites précédents à augmenter leur bonne volonté pour la circonstance présente. Il ne dit pas immédiatement : Faites donc l’aumône ; mais voyez sa prudence ; voyez comme il prépare de loin son discours, comme il le prend de haut : « Je vais vous faire connaître », dit-il, « la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine ». De peur qu’ils ne s’enorgueillissent, il appelle cela une grâce, et racontant les œuvres des autres, il se sert des éloges qu’il donne à ceux-là pour rendre plus grand le zèle de ses auditeurs. Et il loue les Macédoniens pour deux motifs, pour trois même parce qu’ils supportent courageusement les épreuves, parce qu’ils savent exercer la miséricorde, et parce que, tout pauvres qu’ils sont, ils ont montré de la libéralité dans leur aumône ; ils étaient pauvres, car on leur avait enlevé leurs biens. C’est ce qu’il nous apprend lorsqu’il leur écrit dans une de ses lettres : « Car vous êtes devenus les imitateurs des églises de Dieu qui sont en Judée, parce que vous avez aussi souffert les mêmes traitements de : la part de vos compatriotes, que les fidèles de Judée de la part des Juifs ». (1Thes. 2,14) Écoutez ce qu’il dit plus tard en écrivant aux Hébreux : « Car vous avez a accepté avec joie l’enlèvement de vos biens ». (Héb. 10,34) Il appelle donc cela une grâce, non seulement afin de réprimer leur orgueil, mais afin de les stimuler, et d’enlever à ce qu’il va dire tout ce qui pourrait causer leur jalousie. C’est encore pour cela qu’il ajoute l’appellation de frères, c’est afin de détruire tout sentiment jaloux : car il se prépare à donner aux Macédoniens d’insignes éloges. Écoutez-les, ces éloges. Il vient de dire : « Je vais vous faire connaître la grâce de Dieu », il n’ajoute pas : qui a été donnée dans telle et telle ville, mais il loue la nation tout entière en ces termes : « Dans les églises de Macédoine ».
Puis il expose quelle est cette grâce. « C’est que leur joie a été extrême dans de nombreuses épreuves de tribulation (2) ». Voyez-vous quelle prudence ? Il ne commence pas par ce qui est le but de son discours ; il dit d’abord autre chose, pour ne pas avoir l’air d’aborder exprès son sujet, mais y paraître amené par la suite d’autres idées : « Dans de nombreuses épreuves de tribulation ». C’est ce qu’il avait dit aux Macédoniens eux-mêmes, lorsqu’il leur écrivait ceci : « Vous êtes devenus les imitateurs du. Seigneur, ayant reçu la parole au milieu de nombreuses tribulations, avec la joie de l’Esprit-Saint » (1Thes. 1,6) ; et un peu plus loin : « La parole du Seigneur a rejailli de chez vous, non seulement dans la Macédoine et dans l’Achaïe, mais votre foi en Dieu est même parvenue en tout lieu ». (Id. 8) Or que signifie : « Leur joie a été extrême dans de nombreuses épreuves de tribulation ? » Ils ont eu, veut-il dire, les deux choses au plus haut degré : la tribulation et la joie. Aussi était-ce grande merveille devoir une telle abondance de joie jaillir en eux de la tribulation même. Car non seulement cette tribulation n’engendra point chez eux le chagrin, mais elle leur devint un sujet de contentement : et elle était grande pourtant ! Il parlait donc ainsi pour préparer les Corinthiens à se montrer courageux et inébranlables dans les épreuves. Car les Macédoniens n’avaient pas supporté la tribulation d’une manière ordinaire, mais de telle sorte qu’ils s’étaient illustrés parleur patience : bien mieux, l’apôtre ne parle pas de leur patience, mais, ce qui est plus encore, de leur joie ; et non pas simplement, de leur joie, mais d’une joie extrême oui, elle surgissait en eux, immense, ineffable. « Et que leur profonde pauvreté a été surabondante pour la richesse de leur simplicité ». Encore ici les deux choses au plus haut degré. Car de même qu’une grande tribulation a produit une grande joie, une joie extrême ; de même une grande pauvreté a produit une grande richesse d’aumône. Car c’est ce qu’il a voulu exprimer par ces mots : « A été surabondante pour la richesse ; de leur simplicité ». Car ce n’est pas à la quantité des choses données, mais à l’intention de ceux qui donnent que se mesure la libéralité. Aussi ne parle-t-il pas de la richesse des dons, mais il dit : « La richesse de leur simplicité ». Ce qui revient à ceci :. non seulement la pauvreté ne fut pas pour eux un obstacle à la libéralité, mais elle leur devint un motif de donner largement, comme la tribulation devint le motif de leur joie. Car plus ils étaient pauvres, plus ils montraient de libéralité, et donnaient de bon cœur. Aussi les admire-t-il beaucoup, de ce qu’avec tant de pauvreté ils montrèrent une libéralité si grande. Car « leur profonde pauvreté », c’est-à-dire leur extrême pauvreté, qui dépassait toute expression, fit voir leur simplicité. Il ne dit pas : Fit voir, mais : « A été surabondante » ; il ne dit pas leur simplicité, mais : « La richesse de leur simplicité », c’est-à-dire, une richesse en rapport avec la grandeur de leur pauvreté ; que dis-je, l’extrême libéralité dont ils firent preuve alla beaucoup au-delà de cette mesure. Il explique ensuite la même chose encore plus clairement, en ces termes : « Car, je l’atteste », (et certes le témoin est digne de foi) « ils ont agi selon leurs moyens, et même au-delà de leurs moyens (3) » ; ce qui revient au même que : « A été surabondante pour la richesse de leur simplicité ». Que dis-je?. ceci n’est pas la seule explication : tout ce qui suit éclaircit encore cette même pensée : « De leur propre mouvement », dit-il. C’est là un second titre d’excellence. « Avec beaucoup d’instances (4) » ; en voilà un troisième ; puis un quatrième : « Nous demandant ». Puis un cinquième : Quoiqu’étant dans la tribulation, et dans la pauvreté, ce qui en fait un sixième ; enfin en voici un septième : c’est qu’ils ont donné considérablement.
3. Et comme son principal objet, c’est d’obtenir des Corinthiens qu’ils donnent de bon cœur il insiste principalement là-dessus, et il dit : « Avec beaucoup d’instances », et : « Nous demandant ». Ce n’est pas nous qui leur avons fait une demande, ce sont eux qui nous en ont fait une. Et que nous ont-ils demandé ? « La grâce et la communication des services « rendus aux saints (4) ». Voyez-vous comme il relève encore leur action, en lui donnant des noms honorables ? Parce qu’ils avaient du zèle pour les âmes, il appelle cela une grâce, afin que les Corinthiens y courent ; puis il l’appelle une communication, pour que les Corinthiens sachent que ce n’est pas là seulement donner, mais en même temps recevoir. Ce dont ils nous priaient, dit l’apôtre, c’était donc de nous charger d’un tel service. « Et ce ne fut pas comme nous nous y attendions « (5) ». Il fait ici allusion, et à la quantité de ce qu’ils donnèrent, et à leurs tribulations. Il veut dire : Car nous ne nous sérions pas attendus qu’étant dans une si grande tribulation et dans une si grande pauvreté, ils nous eussent pressés, et nous eussent si instamment priés. Il nous a fait aussi connaître la régularité du reste de leur vie, en ajoutant : « Mais ils se sont donnés d’abord au Seigneur, et à nous par la volonté de Dieu (5) ». Car en toutes choses ils furent plus dociles que nous ne l’avions attendu ; et, parce qu’ils exerçaient la miséricorde, ils ne négligeaient pas pour cela les autres vertus, mais ils se donnèrent d’abord au Seigneur. Et que signifie : « Ils se sont donnés au Seigneur ? » C’est-à-dire : Ils se consacrèrent à lui, ils s’illustrèrent par leur foi, ils se montrèrent d’un grand courage dans les tentations, ils firent preuve de beaucoup de modération, de douceur, de charité, d’ardeur et de zèle dans la pratique de toutes les mitres vertus. Et ces mots. « Et à nous ? » C’est-à-dire, ils ont été dociles à notre égard, ils ont pratiqué la charité et l’obéissance, en ce qu’ils ont accompli les lois de Dieu, et que par la charité ils nous sont demeurés unis. Considérez comme il montre aussi leur zèle, en disant : « Ils se sont donnés au Seigneur ». Ils n’ont pas obéi à Dieu pour certaines choses, et au monde l four d’autres, ils ont obéi – à Dieu en tout, et se sont donnés tout entiers à lui. Ainsi parce qu’ils faisaient l’aumône, ils n’en ont point conçu nu fol orgueil, mais c’est tout en montrant beaucoup d’humilité, beaucoup d’obéissance, beaucoup de respect, beaucoup de grandeur d’âme, qu’ils ont exercé aussi la miséricorde. Et pourquoi ces mots : « Par la volonté de Dieu ? » C’est qu’ayant dit : « Ils se sont donnés à nous », il veut faire entendre que ce n’est pas humainement parlant, mais qu’en cela même ils ont agi suivant l’intention divine. « De sorte que nous avons prié Tite d’achever cette grâce en vous comme il l’a commencée (6) ».
Et comment ces paroles viennent-elles après les autres ? Avec beaucoup de suite ; et se rattachant étroitement à ce qui précède. En effet, voici le sens : Comme nous avons vu les Macédoniens pleins d’énergie et d’ardeur en toutes choses, dans les tentations, dans l’aumône, dans leur charité envers nous, dans la pureté de leur vie pour tout le reste ; afin que vous les égaliez, nous avons envoyé Tite vers vous. Il ne le dit pas, mais il le fait comprendre. Voyez son extrême tendresse ! Lorsque nous vîmes, veut-il dire ; les Macédoniens nous supplier ainsi et réclamer de nous ces services, nous avons eu souci de vos intérêts, dans la crainte que vous ne leur fussiez inférieurs. Aussi avons-nous envoyé Tite pour qu’il vous réveillât en vous rappelant leur exemple, et qu’alors vous devinssiez les rivaux des. Macédoniens. Car Tite se trouvait là quand cette lettre fut écrite. Et l’apôtre nous le représente comme ayant déjà commencé l’œuvre avant les exhortations que lui-même donne maintenant : « Comme il l’a commencée », dit-il. Ainsi, il lui accorde de grands éloges, d’abord vers le commencement de l’épître, lorsqu’il dit : « N’ayant point rencontré Tite, mon frère, je n’ai pas trouvé de repos pour mon esprit » (2Cor. 2,13) ; et ensuite, dans tout ce qu’il vient de dire ici, et dans le passage même où nous en sommes ; car ce n’est pas un faible titre aux éloges, même de n’avoir encore que commencé l’œuvre : c’est le fait d’une âme fervente, d’un zèle ardent. Aussi, entre autres motifs, l’apôtre a-t-il envoyé un tel homme aux Corinthiens, afin de fournir, dans la présence même de lite, le plus grand stimulant à leur libéralité. Il a encore autre chose en vue, en l’exaltant par ses louanges : il veut l’établir plus solidement dans l’amitié des Corinthiens. Car un des grands points pour nous persuader, c’est que l’homme qui nous conseille soit notre ami. Ce n’est pas avec moins de raison qu’ayant à parler de l’aumône, non pas une fois, mais à deux et trois reprises différentes, il l’appelle une grâce. La première fois, il dit : « Je vais vous faire connaître, mes frères, la grâce de Dieu qui a été donnée dans les églises de Macédoine » ; un peu plus loin : « De leur propre mouvement, avec beaucoup d’instances nous demandant la grâce et la communication » ; et enfin : « D’achever cette grâce en vous comme il l’a commencée ».
4. En effet, l’aumône est un grand bien, un grand présent de Dieu, et quand nous la pratiquons, elle nous rend semblables à Dieu autant que cela est possible : car c’est elle surtout qui fait l’homme. Aussi le Sage, dans une peinture qu’il a faite de l’homme, a mis ce trait : « C’est une grande chose que l’homme, et c’est une chose de prix qu’un homme miséricordieux [1] ». (Prov. 20,6) L’aumône est une grâce plus grande que de ressusciter des morts. En effet, quelque chose de bien plus excellent que de rappeler, au nom de Jésus, les morts à la vie, c’est de nourrir le Christ lorsqu’il a faim ; car c’est vous qui faites alors du bien à Jésus-Christ-, et dans le premier cas, c’est lui qui vous en fait. Or la récompense se gagne à faire le bien, et non pas à le recevoir. Dans le premier cas, je veux dire lorsque vous faites des miracles, c’est vous qui êtes redevable à Dieu ; et quand vous faites l’aumône, c’est Dieu qui est votre débiteur. Or il y a aumône, lorsqu’elle est faite de bon cœur, avec libéralité, lorsqu’on ne croit pas donner, mais recevoir, lorsqu’en la faisant, on se regarde soi-même comme favorisé d’un bienfait, comme y gagnant et non pas comme y perdant, car dans ce dernier cas, cela ne pourrait même s’appeler une grâce. Quand on exerce la miséricorde, on doit être joyeux, et non mécontent. Quelle absurdité n’y aurait-il pas, lorsque vous faites cesser la tristesse d’autrui, à tomber vous-même dans la tristesse ? Vous êtes cause alors que ce n’est plus une aumône. Car si vous êtes triste pour avoir délivré un autre de sa tristesse, vous faites preuve de la dernière cruauté, de la plus grande inhumanité ; il vaudrait mieux ne point, lui ôter sa peine, que la lui ôter ainsi. Mais au bout du compte, qu’est-ce qui vous attriste ? Est-ce de voir diminuer votre or ? Alors, si telle est votre disposition, ne donnez absolument rien ; si vous n’avez pas la confiance que vos richesses se multiplient dans le ciel, ne faites point d’aumône. Mais peut-être, vous voudriez une récompense ici-bas. Et pourquoi ? Laissez donc l’aumône être l’aumône, n’en faites pas un trafic.
Bien des gens sans doute ont reçu une récompense même ici-bas ; mais ce n’est pas avec le privilège de l’emporter un jour sur ceux qui n’auront rien reçu en ce monde quelques-uns d’entre eux au contraire ne l’ont reçue qu’en raison de leur plus grande faiblesse, parce qu’ils n’étaient guère attirés par les biens de l’autre vie. Ils ressemblent à ces gens gloutons ? mal appris et esclaves de leur ventre, qui, invités à un festin splendide, n’attendent pas le moment convenable, mais, comme les petits enfants, compromettent leurs jouissances mêmes en les anticipant, et en se gorgeant d’aliments de qualité inférieure. Ainsi les gens qui, dès ce monde, cherchent et reçoivent leur récompense, diminuent pour eux celle de la vie à venir. Quand vous prêtez de l’argent, vous désirez ne rentrer dans le capital qu’au bout de longtemps, peut-être même ne pas y rentrer du tout, afin d’accroître les intérêts par cet ajournement : et lorsqu’il s’agit d’aumône, vous réclamez votre dédommagement tout de suite, et cela, quand vous ne devez pas rester en ce monde, que vous devez être pour toujours dans l’autre ; quand ce n’est point ici-bas que vous serez jugé, quand c’est là-haut que vous devez rendre vos comptes ? Si l’on vous préparait une demeure où vous ne dussiez pas rester, vous regarderiez cela comme une dépense perdue : eh quoi ! vous voulez vous enrichir en ce monde, d’où il vous faudra partir, peut-être avant ce soir ? Ne savez-vous pas que nous sommes ici à l’étranger, comme des hôtes, comme des voyageurs ? ne savez-vous pas que le sort des étrangers, c’est d’être chassés au moment où ils ne s’y attendent et n’y songent point ? Eh bien ! c’est là notre condition. En conséquence ; tout ce que nous avons amassé ici, nous l’y laissons. Le souverain Maître ne permet pas que nous emportions rien avec nous, soit que nous ayons construit des maisons, soit que nous ayons acheté des terres, ou des esclaves, ou des meubles, ou autres choses semblables, Et non seulement il ne laisse rien emporter, mais il ne vous donne pour cela aucun dédommagement : il vous a prévenus de ne rien bâtir, de ne faire aucune dépense avec des ressources étrangères, mais d’y employer les vôtres. Pourquoi donc, laissant là ce qui vous appartient, mettez-vous en œuvre et dépensez-vous des biens étrangers, de manière à perdre à la fois et votre peine et votre salaire, et à subir les derniers châtiments ? Qu’il n’en soit pas ainsi, je vous en conjure, mais puisque nous sommes par notre condition, étrangers en ce monde, soyons-le aussi par nos dispositions, afin de ne pas être là-haut chassés avec mépris comme étrangers. Car si nous avons voulu devenir citoyens de ce monde, nous ne serons citoyens ni de ce monde, ni de l’autre ; si au contraire nous restons ici-bas comme étrangers, si nous nous y conduisons comme des étrangers doivent le faire, nous obtiendrons les franchises du citoyen, et dans ce monde et en l’autre vie. Car l’homme juste, ne possédât-il rien, vivra ici même au milieu des biens de tous, comme si ces biens étaient à lui, et quand il sera parvenu au ciel, il y verra ses propres tabernacles éternels ; même en ce monde il n’aura rien eu à souffrir d’humiliant ; car nul n’aura pu considérer comme étranger celui qui aura eu pour cité la terre entière ; et une fois en possession de sa véritable patrie, il y recevra les véritables richesses. Afin donc de gagner à la fois et les biens de ce monde et ceux de l’autre, usons comme il faut de ce que nous possédons. Car de cette manière nous serons citoyens des cieux, et nous y jouirons d’un grand crédit auprès de Dieu ; puissions-nous tous obtenir cette faveur, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur au Père, ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVII. modifier


MAIS AFIN QUE VOUS EXCELLIEZ EN TOUT, PAR VOTRE FOI ET PAR VOTRE PAROLE, ET PAR VOTRE SCIENCE, ET PAR TOUTE ESPÈCE DE ZÈLE. (VIII, 7, JUSQU’A 15)

Analyse. modifier


  • 1. Saint Paul évite tout ce qui pourrait ressembler à de l’importunité à l’égard des Corinthiens r il leur a cité l’exemple des Macédoniens, non pour rendre les Corinthiens jaloux, mais pour les engager à imiter les Macédoniens ; il stimule ensuite les Corinthiens par leur propre exemple. – Il commence par leur demander de faire l’aumône sans aller jusqu’à se gêner.
  • 2. Leur aumône rétablira l’égalité, tant des biens temporels que des biens spirituels. – C’est le fait de l’orgueil, de ne vouloir avoir besoin de personne. – Utilité des pauvres en ce monde.
  • 3. Les riches ont bien plus besoin d’autrui que les pauvres. – Ce besoin où nous sommes les uns des autres, est un effet de la sagesse divine. – Il ne faut jamais se lasser de faire l’aumône. – Faire aux autres ce que nous voulons qu’ils nous fassent, telle est la règle de conduite à suivre à l’égard du prochain.


1. Voyez encore comme avec des éloges il les excite à en mériter de plus grands. Il n’a pas dit : Afin que vous donniez ; mais : « Afin que vous excelliez par votre foi dans les dons de la grâce, par votre parole » pleine de sagesse, « par votre science » des dogmes, « par toute espèce de zèle » pour les autres vertus, « et par votre charité », cette charité dont j’ai déjà parlé, et dont j’ai donné la preuve. « Qu’ainsi vous excelliez également en cette dernière grâce (7) ». Vous le voyez, s’il commence par les louer sur les premiers points, c’est afin de les entraîner, par la suite de son discours, à se montrer tout aussi zélés sous ce dernier rapport. « Je ne vous dis pas cela par manière de commandement (8) ». Voyez quelle complaisance il a sans cessa pour eux, comme il s’abstient d’être importun, et d’employer là violence ou la contrainte ; que dis-je ? ce double caractère est ici dans les paroles même : absence d’importunité et absence de contrainte. En effet, comme il les a continuellement exhortés, qu’il a beaucoup loué les Macédoniens, de peur que cela ne ressemble à de la contrainte, voici comment il s’exprime : « Je ne vous dis pas cela par manière de commandement, mais voulant, par le zèle des autres, éprouver aussi votre fonds sincère de charité (8) ». Non pas qu’il en, doute : car tel n’est pas ici le sens ; mais il veut mettre cette vertu en lumière, la prouver, et en même temps la fortifier. Si je vous parle ainsi, veut-il dire, c’est afin de vous exciter à la même ardeur ; et en faisant mention de leur zèle, je donne de l’éclat ; du lustre, un stimulant, à vos propres dispositions. Puis, de ce motif, il en vient à un plus puissant : car il ne néglige aucune manière de présenter son conseil : il met tout en œuvre, il emploie toutes les ressources du langage ; il les a d’abord exhortés en louant les autres : « Vous connaissez la grâce de Dieu qui a été adonnée dans les églises de Macédoine (1) » ; il les exhorte ensuite en les louant eux-mêmes : « Mais afin que vous excelliez en a tout, par votre parole et par votre science (7) ». En effet, il peut être plus cuisant d’être surpassé par soi-même que par autrui.
Il arrive ensuite à l’argument capital et définitif de son conseil : « Car vous connaissez i la grâce de Notre-Seigneur, par laquelle il « s’est appauvri pour nous, lui qui était riche, « afin que nous nous enrichissions par sa pauvreté (9) ». Pensez, leur veut-il dire, à cette faveur divine, réfléchissez-y, méditez-la ; ne la laissez point passer comme inaperçue, mais considérez-en la grandeur, l’importance et la dignité, et alors vous ne ménagerez rien de ce qui vous appartient. Notre-Seigneur s’est dépouillé de sa gloire, pour que vous vous enrichissiez, non par sa richesse, mais par sa pauvreté. Si vous ne croyez point que la pauvreté produise la richesse, pensez à votre Maître, et vous n’aurez plus de doute. Car s’il n’était pas devenu pauvre, vous ne seriez pas devenu riche. Chose étonnante pourtant, que la pauvreté ait enrichi la richesse ! C’est qu’ici, par le mot richesse, l’Écriture entend la science de la piété, la purification de nos péchés, la justice, la sanctification, et les biens innombrables que Dieu nous a procurés, et qu’il nous procurera plus tard. Or, tout cela nous est venu de sa pauvreté. Et en quoi consista cette pauvreté ? A se revêtir de notre chair, à se faire homme, à souffrir ce qu’il a souffert. Et cependant il ne vous devait pas ces sacrifices, au lieu que vous, vous lui êtes redevable. « Et je vous donne en cela un avis pour votre utilité (10) ». Voyez comme ici encore il se préoccupe de n’être pas importun, et comme il adoucit son discours par ces deux expressions : « Je vous donne un avis », et « Pour votre utilité ». Il leur dit : Je ne vous contrains pas, je ne vous violente point, je fais un appel à votre bonne volonté et en vous parlant ainsi, j’ai moins en vue l’intérêt de ceux qui recevront que votre propre avantage.
Puis, l’exemple même qu’il donne, il le tire d’eux-mêmes, et non pas de quelques autres. « À vous qui avez déjà commencé, non seulement à faire celte bonne œuvre, mais même à la vouloir dès l’année dernière (10) ». Voyez comme il fait voir qu’ils s’y sont portés d’eux-mêmes et sans impulsion étrangère. C’est qu’ayant précédemment rendu ce témoignage aux habitants de Thessalonique, qu’ils avaient pratiqué l’aumône de leur propre mouvement, et avec beaucoup d’instance, il veut montrer que ce mérite est aussi celui dés Corinthiens. Voilà pourquoi il dit : « Non-seulement à faire cette bonne œuvre, mais même à la vouloir », et pourquoi aussi, non content de ces simples mots : Vous avez commencé, il emploie ceux-ci : « Vous avez déjà commencé dès l’année dernière ». Ainsi, ce à quoi je vous exhorte, c’est une chose dans laquelle vous m’avez déjà prévenu, en vous y excitant vous-mêmes avec la plus grande ardeur. « Et maintenant vous en avez accompli l’exécution (11) ». Il ne dit pas : « Vous avez fait cette bonne œuvre », mais : « Vous y avez mis la dernière main ». – « De manière que comme votre désir est provenu de votre vouloir, ainsi votre action est provenue de votre avoir (11) ». En effet, il ne faut pas que ce noble mérite se borne au désir, il faut qu’il reçoive la récompense qui suit les actions ; « car pourvu que le désir précède, on est bien accueilli selon ce que l’on a, et non selon ce qu’on n’a pas (12) ».
Voyez quelle ineffable sagesse l’apôtre leur avait montré au commencement des gens qui avaient fait l’aumône au-delà de leurs moyens, je veux parler des habitants de Thessalonique ; il les en avait loués, et avait dit : « Je leur rends ce témoignage qu’ils ont donné même au-delà de leurs moyens (3) » ; maintenant qu’il engage les Corinthiens à faire l’aumône suivant leurs moyens seulement, il laisse l’exemple qu’il a donné produire son effet de lui-même, sachant bien que c’est moins l’exhortation que le zèle qui pousse les hommes à imiter les bonnes actions ; c’est pour cela qu’il dit : « Car pourvu que le désir précède, on est bien accueilli selon ce que l’on a, et non selon ce qu’on n’a pas. ». Ne vous effrayez pas, veut-il dire, des paroles que j’ai prononcées tout à l’heure, car ce que j’en ai dit était pour faire l’éloge de leur libéralité ; mais Dieu nous demande en raison de nos moyens, d’après ce que nous avons, et non d’après ce que nous n’avons pas. Car l’expression : « On est bien accueilli » a ici la même valeur que s’il y avait : « Dieu demande de nous ». S’en remettant donc avec confiance à l’exemple qu’il a cité, il les ménage extrêmement, et les attire d’autant mieux qu’il les laisse libres ; aussi ajoute-t-il encore : « Car il ne faut pas que le soulagement des autres soit votre surcharge (13) ».
2. Cependant Jésus-Christ avait loué au contraire la veuve pour s’être dépouillée de tous ses moyens d’existence et avoir donné quelque chose dans sa misère même. Mais saint Paul parlait aux Corinthiens, à ce peuple au milieu duquel il préférait souffrir la faim : « Car », disait-il, « il est plus beau pour moi de mourir, que si quelqu’un me dépouillait de mon sujet de gloire ». (1Cor. 9,15) C’est pour cela qu’il a recours à une exhortation mesurée, louant à la vérité ceux qui font l’aumône au-delà de leurs moyens, mais sans contraindre les Corinthiens à en faire autant ; non pas qu’il ne le voulût, mais parce qu’ils étaient un peu faibles. En effet, pourquoi loue-t-il les autres de ce que, dans de nombreuses épreuves de tribulation, ils avaient une surabondance de joie, de ce que leur profonde pauvreté avait été surabondante pour la, richesse de leur simplicité (2Cor. 8,2), et de ce qu’ils avaient donné au-delà de leurs moyens (3) ? N’est-il pas clair que c’est pour y amener les Corinthiens ? Ainsi, bien qu’il paraisse leur passer en cela l’infériorité, ce n’est pour lui qu’un moyen de les faire monter aussi haut que les autres. Observez en effet comme par les paroles qui suivent, et sans en avoir l’air, il les prépare encore à ce résultat. Après ce qu’il vient de dire, il ajoute « Que votre superflu supplée à ce qui leur manque (4) ». Pour rendre son commandement léger, il n’en avait pas dit assez, il a voulu y ajouter les mots que vous venez d’entendre. Et même, non content des moyens précédents, il leur facilite encore l’accomplissement du précepte, en leur montrant la récompense, et en des termes plus grandioses qu’ils ne le méritent : « Afin », dit-il, « que l’égalité se fasse dans le temps présent, et que leur superflu supplée à ce qui vous manque (ibid) ». Qu’est-ce à dire ? Le voici : vous regorgez, vous autres, de richesses : eux, ils regorgent de la véritable vie et de leur crédit auprès de Dieu. Donnez-leur donc de ces richesses que vous avez en surabondance, et dont ils sont privés, afin que vous receviez d’autres biens par l’entremise de ce crédit dont ils sont riches, et dont vous êtes pauvres. Voyez comme il a su, sans qu’ils s’en doutassent, les préparer à donner au-delà de leurs moyens, et même dans l’indigence. Car si vous voulez, leur dit-il, recevoir de la surabondance des autres, donnez vous-mêmes de votre surabondance ; mais si vous voulez vous faire donner tout, il faut leur offrir même de votre indigence, et au-delà de vos moyens. Il ne tient pas littéralement ce langage à ses auditeurs, mais il laisse leur raisonnement tirer cette conclusion : en attendant, il poursuit toujours son premier but, il opère son exhortation modérée, en leur parlant des effets visibles, en leur disant : « Afin que l’égalité se fasse dans le temps présent ».
Comment arrivera cette égalité ? En ce que vous et eux vous vous donnerez réciproquement de ce que vous avez en abondance, et vous suppléerez mutuellement à ce qui vous manque. Et quelle est cette égalité, puisqu’en retour de choses matérielles, on vous en rendra de spirituelles ? La supériorité est grande de ce dernier côté : comment donc appelle-t-il cela de l’égalité ? Il ne la considère qu’au point de vue du superflu et du trop peu, ou bien seulement par rapport à la vie présente. C’est pour cela qu’après avoir dit : « L’égalité », il ajoute : « Dans le temps présent ». Et en parlant ainsi, il voulait rabaisser l’orgueil des riches, et faire voir qu’après notre départ d’ici-bas, les hommes spirituels auront de beaucoup l’avantage. Car en ce monde nous jouissons tous d’une grande égalité ; mais alors il y aura une grande différence, les uns auront sur les autres une extrême supériorité, car les justes seront plus resplendissants que le soleil. Ensuite, quand il les a représentés non seulement comme donnant, mais encore comme recevant en retour dé plus grands avantages, il veut donner à leur ardeur un autre mobile, en leur montrant que même s’ils ne font part de rien à autrui, ils ne posséderont lien de plus, après avoir ainsi tout amassé chez eux. Et il leur cite alors un trait de l’antique histoire : « Selon ce qui est écrit : « Celui qui en recueillait beaucoup, n’en avait pas plus que les autres ; et celui qui en recueillait peu, n’en avait pas moins ». (Ex. 16,18) C’est de la manne qu’il en fut ainsi. Car ceux qui en avaient ramassé davantage et ceux qui en avaient ramassé moins, se trouvaient en avoir la même mesure, Dieu punissant ainsi l’avidité. Or l’apôtre parlait ainsi, tant pour les effrayer par, l’exemple dé ce qui s’était passé alors, que pour leur persuader de ne désirer rien de trop, et de ne point s’affliger lorsqu’ils n’avaient pis assez. Et l’on peut voir se renouveler de nos jours, au sujet des affaires de cette vie, ce qui eut lieu autrefois à propos de la manne. Chacun de nous n’a qu’un seul estomac à satisfaire, la durée de la vie est la même pour tous, et chacun de nous n’est revêtu que d’un seul corps : en conséquence, le superflu du riche ne lui vaudra rien de plus, comme au pauvre son dénuement, rien de moins.
Dès lors, pourquoi craignez-vous la pauvreté ? Ou pourquoi courez-vous après la richesse ? Je crains, direz-vous, d’être forcé de frapper à la porte des autres, et de demander à mon prochain. J’entends aussi continuellement nombre de personnes qui font au ciel cette prière : Ne permettez pas que j’en vienne jamais à avoir besoin des hommes. J’ai grande pitié d’entendre un tel langage car la crainte est puérile. Tous les jours, et pour ainsi dire en toutes choses, nous avons besoin les uns des autres. De sorte que ces paroles dénotent un esprit irréfléchi, plein de lui-même, et qui ne discerne pas clairement la nature des choses. Ne voyez-vous pas que tous nous avons besoin les uns des autres ? le soldat a besoin de l’artisan, celui-ci du négociant, le négociant à son tour a besoin du laboureur, l’esclave a besoin de l’homme libre, le maître a besoin de l’esclave, le pauvre du riche, le riche du pauvre, celui qui ne fait aucun travail de celui qui fait l’aumône, et celui qui donné de celui qui reçoit, car celui qui reçoit l’aumône tient une place extrêmement nécessaire, et plus importante que toutes les autres. S’il n’y avait pas de pauvres, la plus grande partie de notre salut se trouverait renversée, les hommes n’ayant pas où répandre leurs richesses. Ainsi, le pauvre, qui semble le plus inutile de tous les hommes, en est au contraire le plus utile. Si donc il est honteux d’avoir besoin d’autrui, il ne lui reste plus qu’à mourir, car il n’est pas possible de vivre si l’on craint cela comme une honte. Mais je ne puis, direz-vous, souffrir un regard d’arrogance. Et pourquoi, en condamnant la hauteur chez les autres, vous flétrissez-vous du même coup par cette accusation ? Car ne pouvoir supporter l’arrogance, c’est le fait d’une âme gonflée elle-même d’orgueil. Et si tout cela ne mérite d’être compté pour rien, pourquoi le craindre, pourquoi le redouter, pourquoi à cause de cela trembler à l’idée de la pauvreté ? Si vous étiez riche, les gens dont vous auriez besoin n’en seraient que plus nombreux, oui plus nombreux et en outre plus vils : car plus on s’enrichit, plus on se met en butte à cette malédiction.
3. En demandant les richesses pour n’avoir besoin de personne, vous ne savez pas, ce que vous souhaitez : c’est comme si un homme, en s’embarquant sur une mer où l’on a besoin de nautoniers, d’un vaisseau, et de mille agrès divers, formait le vœu de n’avoir absolument besoin de personne. Si vous voulez n’avoir grand besoin de personne, demandez la pauvreté : car si, étant pauvre, vous êtes obligé d': avoir recours à quelqu’un, ce ne sera que pour du pain ou pour un vêtement ; tandis qu’étant riche, vous serez forcé de recourir à autrui pour vos terres, pour vos maisons, pour les impôts, pour les salaires, pour votre rang, pour votre sûreté, pour votre gloire, pour vos rapports avec les gens en place ; et non pas avec eux seulement, mais avec leurs subordonnés, avec ceux de la ville, ceux de la campagne, avec les négociants, avec les aubergistes. Voyez-vous que de telles paroles sont insensées au dernier point ? Car si, au bout du compte, ce besoin du secours d’autrui vous paraît quelque chose de si terrible, premièrement il est impossible de s’y soustraire absolument ; en second lieu, si vous voulez du moins fuir la foule, car ceci est possible, alors, vous réfugiant dans le port sans tourmente de la pauvreté, rompez avec le tumulte si compliqué des, affaires, mais gardez-vous de considérer comme honteux, d’avoir besoin des autres : car c’est ici l’ouvrage de la sagesse ineffable de Dieu. Voyez en effet : nous, avons besoin les uns des autres, et ce n’est pas encore assez de ces liens nécessaires pour nous réunir par ceux de l’amitié ; eh bien ! si chacun de nous pouvait se suffire à soi-même, ne serions-nous pas des bêtes féroces que rien ne pourrait apprivoiser ? Dieu nous a donc placés sous une dépendance mutuelle parla contrainte et la nécessité, et chaque jour nous nous froissons les uns contre les autres. Si Dieu nous eût retiré ce frein, qui de nous eût recherché de longtemps l’amitié de son prochain ? Gardons-nous donc de considérer ce besoin comme une honte, et ne disons pas dans nos prières : Préserve-nous d’avoir besoin de personne ; mais demandons-lui ceci : Ne permets pas que, lorsque nous serons dans le besoin, nous repoussions ceux qui peuvent nous secourir. Ce qui est méprisable, ce n’est pas d’avoir besoin des autres, mais c’est de ravir ce qui appartient à autrui. Eh bien ! pourtant nous ne prions jamais à ce dernier sujet, jamais nous ne disons : Préserve-moi de désirer le bien des autres ; et pour ce qui est d’avoir, besoin d’eux, nous croyons, devoir en demander à Dieu l’affranchissement. Pourtant saint Paul se trouva souvent dans le besoin, et il n’en rougissait pas ; au contraire, il s’en vantait, et il faisait dans les termes suivants l’éloge de ceux qui lui avaient rendu service : « Car une première et une seconde fois vous m’avez envoyé de quoi m’aider dans mes besoins » (Phil. 4,16) ; et ailleurs : « J’ai dépouillé les autres Églises, en recevant de quoi vivre pour vous servir ». (2Cor. 11,8) Rougir de cela, ce n’est donc pas de la dignité, mais de la faiblesse, c’est le fait d’une âme sottement fière, d’un esprit déraisonnable. En effet, Dieu juge à propos que nous ayons besoin les uns des autres. Ne poussez donc pas votre sagesse au-delà des bornes. Mais, dira-t-on, je ne puis souffrir un homme à qui je fais des prières réitérées, et qui n’y accède point. Et comment donc Dieu te souffrira-t-il, quand il t’exhorte et que tu ne te rends pas, et cela, lorsqu’il t’exhorte dans ton propre intérêt ? « Car nous, sommes les délégués du Christ », dit l’apôtre, « de sorte que c’est Dieu qui vous adresse par notre organe cette exhortation : Réconciliez-vous avec Dieu ». (2Cor. 5,20) Mais, direz-vous, je ne laisse pas d’être le serviteur de Dieu. Comment, cela ? Quand vous, le prétendu serviteur, vous vous enivrez, et que lui, le Maître, souffre de la faim, et n’a pas même la nourriture nécessaire, en quoi pourra vous protéger le titre de serviteur ? Il ne fera au contraire que vous charger davantage, lorsque vous aurez demeuré dans vos palais à triple étage, tandis que votre maître n’avait pas même un abri suffisant ; quand vous aurez couché sur des lits moelleux, tandis qu’il n’avait pas même ou reposer sa tête. On me dira encore : Eh bien ! j’ai donné. Oui, mais il ne faut pas s’arrêter dans cette voie. Car cette raison ne sera bonne que lorsque vous n’aurez plus de quoi donner, que vous ne posséderez plus rien. Tant que vous aurez quelque chose, eussiez-vous donné à dix mille personnes, s’il y a encore des gens qui ont faim, vous n’aurez pas de bonne raison à faire valoir.
Et si vous accaparez le blé, si vous le faites enchérir, si vous imaginez d’autres moyens insolites de, trafic, quel espoir de salut vous restera-t-il ? Dieu vous a prescrit de donner gratuitement à celui qui a faim, et vous ne le faites même pas quand vous recevez un prix en proportion ; il s’est lui-même pour vous, dépouillé de tant de gloire, et vous ne daignez pas même lui donner du pain : votre chien est rassasié, et Jésus-Christ meurt de faim ; votre serviteur est gorgé de mets jusqu’à étouffer, et votre Maître et le sien manquent de la nourriture nécessaire. Est-ce là se conduire en ami ? Réconciliez-vous donc avec Dieu ; car votre manière d’agir a été celle d’un ennemi, d’un ennemi juré. Rougissons donc de tous les bienfaits que nous avons reçus, de tous ceux que nous recevrons encore ; et quand un pauvre s’approche de nous en nous demandant l’aumône, accueillons-le avec une grande bienveillance, le consolant, l’encourageant par nos paroles, afin que nous éprouvions à notre tour le même traitement, et de la part de Dieu, et de la part des hommes.
En effet, « tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur vous-mêmes ». (Mt. 7,12) Cette loi n’a rien de pénible, rien de rebutant. Faites-nous, dit-elle, ce que vous voulez que l’on vous fasse ; la rémunération est égale à l’action. L’Écriture ne dit pas : Ne faites pas ce que vous ne voulez pas que l’on vous fasse ; elle va plus loin. Ce dernier précepte serait l’abstention du mal, le premier est la pratique du bien, et l’autre y est renfermé. L’Écriture ne dit pas non plus : Souhaitez-le aussi aux autres ; mais : « Faites-le-leur ». Et qu’y gagne-t-on ? « C’est la loi et les prophètes ». Vous voulez que Dieu ait pitié de vous ? Ayez pitié des autres. Vous voulez obtenir votre pardon ? Pardonnez donc vous-même. Vous prétendez que l’on ne dise pas de mal de vous ? Ne dites donc de mal de personne. Vous désirez être loué ? Faites l’éloge d’autrui. Vous souhaitez que l’on ne vous enlève pas vos biens ? Ne ravissez donc pas les biens étrangers. Voyez-vous comme Notre-Seigneur nous montre que le bien est une chose naturelle, et que nous n’avons pas besoin de chercher des lois ni des maîtres hors de nous ? Car suivant que nous voulons être traités par notre prochain de telle ou telle manière, nous nous faisons notre loi en conséquence. Si donc vous ne voulez pas qu’il vous fasse quelque chose, et que vous le lui fassiez, ou bien si vous voulez qu’il vous fasse quelque chose, et que vous ne lui fassiez pas, vous prononcez votre propre condamnation, et il ne vous reste plus aucun moyen de vous justifier, en alléguant que vous ne saviez comment agir, que vous ignoriez ce qu’il fallait faire. Aussi, je vous en conjure, gravons en nous cette loi pour notre usage, et en lisant ces paroles si claires à la fois et si concises, devenons tels envers notre prochain, que nous voulons qu’il soit envers nous, afin que nous jouissions de la paix ici-bas, et que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et là charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance et honneur, au père ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduction de M. Edouard MALVOISIN.

HOMÉLIE XVIII. modifier


ET GRÂCES SOIENT RENDUES À DIEU QUI A MIS LE MÊME ZÈLE POUR VOUS DANS LE CŒUR DE TITE. (VIII, 16, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier

  • 1. Pour augmenter le zèle des Corinthiens dans l’exercice de l’aumône, l’Apôtre leur fait l’éloge de ceux qu’il envoie recueillir leurs offrandes. – Il commence par louer Tite, auquel il fait surtout un mérite de sa spontanéité à se rendre à Corinthe. – Quel est ce frère qu’il lui adjoint, et dont la réputation dans l’Évangile est répandue dans toutes les Églises ? – Ses titres à la confiance des fidèles.
  • 2. Saint Paul a choisi des hommes à l’abri de tout soupçon, afin d’éviter même les interprétations malveillantes du monde. – Le troisième frère qu’il envoie est plein de zèle aussi, et choisi par les Églises comme le précédent.
  • 3. Ils étaient probablement inconnus aux Corinthiens. – Honorer les envoyés des Églises, c’est honorer les Églises ; et honorer les Églises, c’est honorer Dieu. – Puissance et valeur de l’Église en corps. – Il y a plusieurs circonstances où ministres et simples fidèles ont les mêmes droits. – Nous sommes tous les membres d’un seul corps ; aussi est-ce une chose déplorable que la désunion entre les fidèles. – Dieu a permis que Jéthro donnât un bon avis à Moïse, pour faire voir que Moise était homme, et avait besoin du secours de Dieu pour opérer des miracles. – Moïse n’a pas rougi de suivre le conseil de Jéthro. – Lorsque nous sommes consultés, nous devons mettre de côté tout orgueil, ne considérer que l’intérêt de tous, et admettre les bons avis, même lorsqu’ils viennent des personnes de la plus basse condition.


1. Voici encore l’apôtre qui donné des éloges à Tite. Après avoir parlé de l’aumône, il parle de ceux qui doivent recevoir et emporter leurs offrandes. Cela était dans l’intérêt de la collecte, cela augmentait le zèle de ceux qui y contribuaient. Quand nous avons confiance dans le dispensateur, quand nous ne soupçonnons pas les personnes qui recueillent nos dons, nous y mettons plus de libéralité. Pour obtenir ce résultat, écoutez comme l’apôtre leur recommande les gens qui sont allés les trouver dans ce but, et parmi lesquels Tite est le premier. Il dit : « Et grâces soient rendues à Dieu qui a mis le même zèle pour vous dans le cœur de Tite ». Que veut-il dire par : « Le même zèle ? » Le même que Tite avait pour les habitants de Thessalonique, ou bien encore Paul voulait-il dire aux Corinthiens Un zèle semblable à celui que j’ai moi-même pour vous ? Et remarquez sa sagesse : ayant montré que c’était l’œuvre de Dieu, il le remercie d’être l’auteur de cette grâce, pour les exciter encore par ce moyen. Car si c’est Dieu qui a inspiré Tite et qui l’a envoyé vers vous, c’est donc Dieu qui vous demande par l’organe de Tite. Ne pensez donc pas que ce qui est arrivé soit quelque chose d’humain. Et à quel signe reconnaît-on que c’est Dieu qui a poussé Tite à agir de la sorte ? Le voici : « Car non seulement il a bien accueilli mon exhortation, mais, plus zélé encore lui-même, il est parti de son propre mouvement (17) ». Voyez comme il le représente accomplissant son couvre personnelle, sans avoir besoin d’autrui. Mais comme saint Paul avait dit que c’était une grâce de Dieu, il ne la laisse pas attribuer à Dieu tout entière, afin de leur inspirer encore plus d’affection pour Tite en leur disant que ce dernier s’y est porté de lui-même. Car « plus zélé encore lui-même, il est parti de son propre mouvement » ; il a saisi l’occasion, il s’est élancé sur ce trésor, il a jugé que vous rendre service, c’était agir dans son propre intérêt ; dans son amour extrême pour vous, il n’a pas eu besoin de mes exhortations, et quoique je l’aie exhorté, ce n’est pas cela qui l’a déterminé ; il y a été porté de lui-même et par la grâce de Dieu. « Nous avons aussi envoyé avec lui notre frère, dont la réputation dans l’Évangile est répandue dans toutes les Églises (18) » ?
Quel est ce frère ? Les uns veulent que ce soit saint Luc, qui serait désigné ainsi à cause de l’Évangile qu’il écrit. Selon d’autres, il s’agit de Barnabas, et ses prédications, quoique non écrites, seraient ce que saint Paul appelle ici Évangile. Et pourquoi ne donne-t-il pas les noms de ceux qu’il envoie avec Tite ? Il nomme Tite expressément, il le caractérise en outre, et par sa coopération dans la prédication évangélique, [car il était si utile que Paul, en son absence, ne pouvait rien faire de grand et d’énergique : « N’ayant point trouvé mon frère Tite je n’ai point trouvé, de soulagement pour mon esprit]» (2Cor. 2,13), et par sa charité pour les Corinthiens.« [Ses entrailles ressentent pour vous une affection encore plus surabondante] » (2Cor. 7,15), et par son zèle pour l’œuvre dont il s’agit : « Il est parti, lisons-nous, de son propre mouvement » ; et quant aux autres que saint Paul envoie en même temps, il ne fait pas ainsi leur portrait, et il ne les nomme pas. Comment expliquer cela ? Peut-être n’étaient-ils pas connus des Corinthiens ; alors il n’insiste pas sur, leur éloge, parce que les Corinthiens n’ont pas encore été à même de les apprécier ; il n’en dit que ce qui suffisait pour les recommander et les mettre à l’abri de tout mauvais soupçon. Mais voyons en quoi il fait consister l’éloge de celui des coopérateurs de Tite dont il parle en premier ? De quoi le loue-t-il ? De sa prédication d’abord, et il le loue non seulement de prêcher, mais de le faire comme il faut, et avec le zèle convenable. Car il ne dit pas : Il prêche et il évangélise, mais il parle de sa « réputation dans l’Évangile ». Et de peur que cela ne paraisse une flatterie, il prend à témoin non pas un seul homme, ni même deux ou trois hommes, mais les Églises entières : « Notre frère, dont la réputation, dans l’Évangile est répandue dans toutes les Églises ». Ensuite il le rend respectable en raison du choix que l’on a fait de lui ; ce qui n’est pas non plus un faible honneur. Aussi, après avoir, dit : « Dont la réputation dans l’Évangile est répandue dans toutes les Églises », il ajoute : « Et non seulement cela (19) ». C’est comme s’il disait : non seulement il est respectable parce qu’il est renommé pour sa prédication et que, tout le monde fait son éloge, « mais encore il a été choisi par les Églises avec nous (19) ». C’est ce qui me porte à croire qu’il est question de Barnabas. Et saint Paul représente la mission de ce frère comme considérable, car il indique pourquoi on l’a élu ; c’est,.dit-il, « afin de nous accompagner dans nos voyages et de coopérer avec nous dans cette grâce que nous dispensons (19) ». Voyez-vous quels éloges ! Il s’est illustré en annonçant l’Évangile ; et toutes les Églises lui en ont donné un témoignage a été choisi pour la même œuvre que saint Paul ; associé partout à ce dernier, il a partagé ses épreuves et ses périls ; car le mot de voyages donne à entendre tout cela. Et que signifie : « Afin de coopérer avec nous dans cette grâce que nous dispensons ? » C’est-à-dire, pour annoncer la parole et prêcher l’Évangile ; ou bien, pour, distribuer les aumônes ; je crois même qu’in s’agit de l’un et de l’autre but. Saint Paul ajoute ensuite : « Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l’intérêt de votre zèle (19) ». Saint Paul veut donc dire ceci : Nous avons demandé qu’il fût élu avec nous, et désigné pour cette œuvre, afin qu’il devienne le dispensateur et le distributeur de l’argent sacré, [ce qui n’étant pas un faible honneur, car les apôtres avaient dit : « Choisissez sept hommes d’entre vous, qui aient une bonne réputation] » (Act. 6,3) ; or il a été choisi par les Églises, et le suffrage du peuple entier lui a été favorable. Que veut dire : « Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l’intérêt de votre zèle ? » Cela signifie : Et pour que Dieu soit glorifié, et pour que vous deveniez plus zélés, en voyant que les hommes qui reçoivent ces aumônes sont connus, et que personne ne peut faire naître contre eux aucun soupçon injuste.
2. C’est pour cela que nous avons cherché de tels hommes, et que nous n’avons pas confié le tout à un seul, car nous voulions qu’il échappât à un pareil soupçon ; mais nous avons envoyé Tite et avec lui un autre. Puis, pour expliquer ces mots. « Pour la gloire du Seigneur, et dans l’intérêt de votre zèle », il ajoute : « Ayant ceci pour but, que personne ne nous blâme dans cette abondance que nous dispensons (20) ». Quel est ce langage ? Il est digne de la vertu de Paul, et il montre sa grande sollicitude, et sa condescendance. Pour que personne, veut-il dire, ne vous soupçonne, et ne dirige contre nous quelque blâme, comme si nous – détournions une partie de l’argent qui nous est confié ; pour ce motif nous avons envoyé des hommes de ce caractère ; pour ce motif nous en avons envoyé non pas seulement un, mais deux, mais trois. Voyez-vous comme il les met à l’abri de tout soupçon ? Ce n’est pas, seulement en s’appuyant sur leur prédication' ni même simplement sur le choix que l’on a fait d’eux, mais il s’autorise de ce qu’ils sont connus, et de ce qu’on les a choisis tout exprès peur qu’ils ne pussent être soupçonnés. Il n’a pas dit non plus : De peur que vous ne nous blâmiez ; mais : « Que personne ne nous blâme » ;. c’est-à-dire, personne autre que vous. Ainsi, bien qu’il ait fait cela pour eux ce qu’il donné à entendre par ces mots : « Pour la gloire du Seigneur lui-même, et dans l’intérêt de votre zèle » ; néanmoins il ne veut pas se blesser, et il prend un autre tour : « Ayant ceci pour but ». Et non content de cela, il les flatte encore dans ce qui vient ensuite : « Dans cette abondance que nous dispensons » ; il accompagne d’un, éloge ce qui serait dur à entendre. Afin de ne pas les contrister, afin qu’ils ne disent pas : Tu crois donc devoir nous soupçonner ? Nous sommes donc assez malheureux pour t’être suspects à cet égard ? Il leur dit par manière de correctif : Les sommes d’argent que vous envoyez sont considérables, et cette abondance, c’est-à-dire, cette quantité d’argent serait de nature à donner des soupçons aux méchants, si nous ne faisions voir une garantie. « Car nous pour voyons au bien, non seulement aux yeux de Dieu, mais encore aux yeux des hommes (21) ».
Comment égaler saint Paul ? Il ne dit pas : Malheur et douleur à qui viendrait soupçonner pareille chose ; tant que ma conscience ne me condamne pas, je tiens pour rien les soupçons d’autrui. Non, mais plus ils sont faibles, plus il s’abaisse à leur niveau.. C’est qu’en effet, lorsqu’un homme est malade, il ne s’agit pas de se fâcher contre lui, il faut tâcher de le guérir. Et cependant, de quel péché sommes-nous aussi éloignés, que ce grand saint était loin de prêter à un tel soupçon ? personne, eût-ce été un démon, n’eût élevé, aucun doute sur la manière dont le bienheureux apôtre administrait cette aumône. Eh bien ! quoique si fort à l’abri des interprétations malignes, il fait tout, il met tout en couvre, pour ne pas laisser même le plus léger prétexte à qui s’aviserait de faire, d’une manière ou d’une autre, quelque supposition mauvaise. Il prévient non seulement les accusations, mais encore les reproches, le blâme le plus vulgaire et jusqu’au simple soupçon. « Nous avons aussi envoyé avec eux notre frère (22) ». En voilà donc un troisième qu’il adjoint aux deux autres, également avec éloge, et avec son suffrage et celui de plusieurs autres témoins. « Que nous avons », dit-il, « éprouvé souvent en mainte circonstance comme un homme zélé, et à présent comme bien plus zélé encore (Id) ». Après avoir loué les mérites personnels de ce frère, il l’exalte en raison de sa charité pour les Corinthiens, et ce qu’il disait de Tite que « plus zélé encore lui-même, il était parti de son propre mouvement (17) », il le dit aussi de ce troisième : « Et à présent comme bien plus zélé encore ». Par ces paroles, il fait voir déjà en germe dans leurs cœurs leur amour pour les Corinthiens. Enfin, après avoir montré leurs vertus, il exhorte les Corinthiens dans leur propre intérêt, en disant : « S’il s’agit de Tite il est mon coopérateur, et il travaille avec ravi pour vous (23) ». Que signifie : « S’il s’agit de Tite ? » Voici le sens s’il faut parler de Tite en quelque chose, j’ai à dire qu’il est mon coopérateur, qu’il travaille avec moi. Ou bien encore il entend par là vous faites quelque chose pour Tite vous n’aurez pas obligé le premier venu, car il est mon coopérateur. Et tout en ayant l’air de le louer, il vante les Corinthiens, en montrant que leurs dispositions envers lui sont telles qu’il suffit, pour leur donner lieu d’honorer quelqu’un, de leur faire voir en cette personne le coopérateur de Paul. Toutefois, il ne s’en tient pas encore là, et il ajoute cet autre motif : « Il travaille avec moi pour vous ». non seulement il travaille avec, moi, mais c’est pour des affaires qui vous regardent, c’est pour votre progrès, pour votre avantage, c’est par amitié, par zèle pour vous ; il leur dit tout ce qui était le plus capable de lui gagner leur affection. « S’il s’agit de nos frères (Id) ». C’est-à-dire du bien si vous voulez que je vous parle des autres, ils ont aussi les plus grands droits à vous être recommandés. En effet, eux aussi sont « nos frères », eux aussi « ils sont les apôtres des Églises », c’est-à-dire, envoyés par les Églises. Puis, ce qui est au-dessus de tout, « La gloire du Christ ». Car c’est à Jésus-Christ que se rapporte tout ce qui leur arrive. Soit donc que vous vouliez les accueillir comme des frères, ou comme les envoyés des Églises, soit que vous le fassiez pour la gloire du Christ, vous avez de nombreux motifs de bienveillance à leur égard.. Car j’ai à dire de Tite qu’il est mon coopérateur et votre ami dévoué, et j’ai à dire des autres qu’ils sont nos frères, qu’ils sont les apôtres des Églises, qu’ils sont la gloire de Jésus-Christ.
3. Vous le voyez, ceci prouve qu’en ces derniers étaient inconnus aux Corinthiens. Autrement il leur eût fait honneur comme à Tite d’avoir de l’affection pour les Corinthiens. Mais sommé ceux-ci ne les connaissaient pas encore, recevez-les, dit-il, comme des frères, comme des envoyés des églises, comme agissant pour la gloire du Christ ; c’est pourquoi il ajoute : « Prouvez-leur donc à la face des Églises quille est votre charité et la gloire que nous mettons en vous (24) » : C’est-à-dire : Faites voir maintenant, d’une part combien vous nous aimez, et de l’autre, combien l’orgueil que : nous avons conçu de vous est légitime et fondés or, vous prouverez tout cela, si vous montrez de la charité envers eux. Il donne à son langage quelque chose de plus redoutable en ajoutant : « À la face des Églises ». C’est, dit-il, pour la gloire et l’honneur des Églises ; car si vous honorez nos frères, vous honorerez les Églises dont ils tiennent leur mission. En effet, l’honneur qu’on rend aux envoyés ne s’arrête pas à eux, il va jusqu’à ceux qui les délèguent, qui les ont choisis, il va plus loin encore, il rend gloire à Dieu même. Honorer les ministres de Dieu, c’est faire monter, nos louanges jusqu’à lui. Devant la communauté des Églises : et ce n’est pas là un point sans importance : il y a une grande puissance dans la réunion, c’est nomme si je disais : dans les Églises. Considérez combien a été grande cette puissance de la réunion. La prière de l’Église délivra Pierre de ses liens (Act. 12,5-7), et ouvrit la bouche de Paul ; à son tour, le suffrage de ces deux apôtres revêt de faveurs insignes ceux qui arrivent aux dignités spirituelles. C’est pourquoi celui qui va faire élection de quelqu’un invoque leurs prières, et ceux qui sont initiés aux fonctions sacrées sont appelés à donner leur suffrage, et déclarent ce qu’ils savent, car il n’est pas permis de tout révéler devant ceux qui ne sont pas initiés aux fonctions sacrées. Dans d’autres cas, il n’y a point de différence entre le prêtre et ses administrés ; comme lorsqu’il s’agit de prendre part aux redoutables mystères ; car nous y sommes admis tous indistinctement.
Ce n’est pas comme sous l’ancienne Loi, où les mets du prêtre n’étaient pas ceux du simple fidèle ; où il n’était pas permis au peuple d’avoir part aux mêmes choses que le pontife. Il n’en est plus ainsi die nos jours : un seul corps, un seul calice est offert à tous. Dans les prières, on peut voir aussi que le peuple est pour beaucoup. Pour les énergumènes, pour les personnes soumises à une pénitence, les prières viennent à la fois du prêtre et des fidèles ; ils disent tous la même, et c’est une prière pleine de miséricorde. Quand nous avons exclu de l’enceinte sacrée ceux qui ne peuvent participer à la sainte table, c’est à une prière d’un autre genre qu’il faut avoir recours ; mais alors encore tout le monde indistinctement se prosterne à terre et se relève. Quand on donne et que l’on reçoit le baiser de paix, tout le monde y est admis. Dans la célébration même des très-redoutables mystères, le prêtre prié pour le peuple, mais le peuple prie aussi pour le prêtre, car ces mots : « Et avec votre esprit », n’ont pas d’autre sens. L’action de grâces leur est commune également, car ce n’est pas le prêtre seul qui rend grâces, mais le peuple tout entier. En effet, c’est après avoir reçu l’assentiment des fidèles, et après qu’ils sont convenus que cela est juste et légitime ( Dignum et justum est), que le prêtre commence l’action de grâces. Et pourquoi s’étonnerait-on que le peuple parle conjointement avec le prêtre, puisqu’alors aussi le peuple s’associe aux Chérubins eux-mêmes et aux puissances célestes pour faire monter en commun les hymnes sacrées vers Dieu ? Or si je vous ai dit tout cela, c’est afin que même parmi les simples fidèles, chacun soit vigilant, afin que nous apprenions que nous sommes tous un seul corps, que nous ne, différons ensemble que comme certains membres diffèrent des autres, c’est afin que vous ne rejetiez pas tous les soins sur les prêtres, mais que pour votre part aussi, vous vous inquiétiez de l’Église tout entière, comme de votre corps commun. Car cela nous procure une plus grande sécurité, et un accroissement de vertu plus considérable.
Écoutez comme du temps des apôtres on admettait dans d’autres circonstances encore, les simples fidèles à donner leur avis. Quand on voulut choisir les sept diacres, on commença par consulter le peuple ; et quand Pierre élut Matthias, il consulta tous ceux qui étaient là, les femmes comme les hommes. C’est qu’il ne s’agit pas ici d’orgueil du côté des chefs, ni de servitude de la part des subordonnés ; l’autorité y est toute spirituelle, et ce qui la distingue principalement, ce n’est pas de chercher de plus grands honneurs, c’est de prendre sur elle la plus grande partie des peines et de la sollicitude dont vous êtes l’objet. En effet, comme l’Église doit être pour nous une seule et même demeure, nos dispositions à tous doivent être celles d’un seul et même corps, de même qu’il n’y a qu’un baptême, qu’une table sainte, qu’une source de purification, qu’une seule création, qu’un seul Père. Pourquoi donc sommes-nous divises, lorsque tant de choses nous réunissent ? Pourquoi ces déchirements entre nous ? Car nous sommes obligés de déplorer encore une fois ce dont j’ai bien souvent gémi ; le présent est lamentable : quelle profonde désunion nous sépare les uns des autres, quand nous devrions imiter la connexion des membres d’un même corps. Ce serait le moyen grâce auquel le plus grand pourrait tirer parti même du plus petit : Car si Moïse apprit de son beau père quelque chose d’utile qu’il ne savait lui-même, à plus forte raison cela arriverait-il dans l’Église. Et pourquoi l’homme spirituel ne savait-il pas alors ce que savait l’infidèle ? C’était pour que tous apprissent alors que Moïse était un homme ; que pour diviser les eaux de lamer, pour ouvrir les flancs du rocher, il avait besoin du secours de Dieu ; et que tout cela était l’œuvre, non pas de la nature humaine, mais dé la puissance divine ; enfin que de nos jours, dans l’Église, si l’un ne donne pas un avis utile, un autre se lève et donne le sien.
Et fût-il d’une condition inférieure, si ce qu’il dit est bon, sanctionnez son avis, et quand cet homme serait de la classe la plus humble, ne le méprisez pas. Car ; nul dans ces derniers rangs n’est à une aussi grande distance de son prochain, que l’était Jéthro de son gendre Moïse ; toutefois celui-ci, ne dédaigna pas d’écouter son beau-père, il accueillit au contraire son avis, il s’y rangea, et il l’a consigné par écrit, il n’a pas rougi de le transmettre à l’histoire (Ex. 18), renversant en cela l’orgueil du plus grand nombre des hommes. C’est pour cela qu’il a laissé ses divers événements de sa vie gravés comme sur le marbre il savait que le récit en serait utile à beaucoup de gens. Ainsi, ne dédaignons pas ceux qui nous donnent de bons conseils, fussent-ils de simples fidèles, même de rang infime, et quand nous avons fait nous-même une proposition, ne prétendons pas à toute force la voir adopter ; que tout ce qui paraît avantageux reçoive la sanction de tous. Car souvent, à force d’ardeur et d’attention, ceux qui voient trouble, distinguent certaines choses mieux que ceux dont la vue est perçante. Ne dites pas : Pourquoi m’appelez-vous afin de donner mon avis, si vous n’écoutez pas ce que je dis ; ce reproche est celui d’un despote, et non pas d’un conseiller. Le conseiller n’a d’autre droit que de faire connaître sa façon de penser ; s’il se produit quelque manière de voir plus utile, et que ce même homme veuille néanmoins imposer la sienne, alors, comme je viens de le dire, ce n’est plus un conseiller, c’est un tyran. Gardons-nous donc d’une pareille conduite ; mais, dépouillant notre âme de tout orgueil et de toute infatuation, ayons en vue non pas de maintenir uniquement notre opinion, mais de donner, l’avis le plus utile, le moyen de prévaloir, quand même cet avis ne viendrait pas de nous. Car nous gagnerons beaucoup, si nous n’avons pas trouvé ce qu’il faut à l’accueillir lorsque les autres nous paraîtront l’offrir ; nous recevrons de Dieu une grande récompense, et c’est en même temps le meilleur moyen d’en retirer de la gloire. En effet ; si l’homme qui ouvre des avis utiles fait preuve de sagesse ; nous autres, en les accueillant, nous nous attirons la réputation d’esprits judicieux et d’âmes droites. Voilà pour les familles et pour, les cités, et aussi pour l’Église, la ligne à suivre pour atteindre à un plus grand développement ; voilà également pour nous tous le plan de conduite, qui après avoir été le meilleur pour la vie présente, nous vaudra les biens du monde à venir : puissions-nous tous obtenir cette faveur par là grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire ; puissance et honneur du Père, ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIX. modifier


CAR À L’ÉGARD DES SERVICES QUE L’ON REND AUX SAINTS, IL EST SUPERFLU QUE JE VOUS ÉCRIVE. (IX, 1 ; JUSQU’À 10)

Analyse. modifier


  • 1. Chrysostome lait remarquer à ses auditeurs que l’Apôtre a eu la prudence de commencer par des éloges, à l’adresse des Corinthiens, de peur d’exciter leur jalousie contre les Macédoniens lorsqu’il leur proposera ceux-ci pour modèles.
  • 2. Voulant les amener à donner de bon cœur et beaucoup, l’Apôtre commence par leur représenter que l’aumône est une bénédiction.
  • 3. Il faut donner beaucoup ; il est honteux de ne donner à Jésus-Christ qu’à contre-cœur, lorsqu’une foule de gens font si volontiers tant de dépenses honteuses. – Il faut savoir se contenter du nécessaire et donner son superflu.
  • 4. Exemple de la veuve de l’Évangile et de celle du temps d’Élie. – Dieu mesure les dons aux ressources des personnes qui les font. – L’amour des richesses est incompatible avec la justice.


1. Après tout ce qu’il vient de dire au sujet de cette aumône, il ajoute ici : « Il est superflu que je vous écrive ». Et sa prudence ne consiste pas seulement en ce qu’après avoir parlé si au long, il ajoute : « Il est superflu que je vous écrive », mais elle consiste aussi en ce qu’il reparle encore après, sur le même sujet. En effet, ce qu’il vient de dire en dernier lieu, avait rapport à ceux qui devaient recevoir les offrandes, et avait pour but de leur attirer beaucoup d’estime ; ce qu’il avait dit auparavant au sujet des Macédoniens, que « leur profonde pauvreté avait été surabondante pour la richesse de leur simplicité », et tout le reste, avait rapport à la charité et à l’aumône. Eh bien ! malgré, cela, après tant de paroles, et lorsqu’il va encore en ajouter d’autres, il dit : « Il est superflu pour moi de vous écrire ». Or il s’y prend de la sorte pour les attirer davantage. En effet, pour un homme dont la réputation est telle qu’il n’a même pas besoin de conseil, c’est une honte de paraître au-dessous de l’opinion que l’on a conçue de lui, et d’être dépassé. L’apôtre en use fréquemment ainsi, lorsqu’ayant à faire des reproches, il a recours aux prétéritions : c’est un moyen quia beaucoup de force. Un juge qui reconnaît chez un accusateur de la grandeur d’âme, n’a plus, aucun soupçon contre lui. Il se dit : Puisque cet homme ne dit pas tout ce qu’il pourrait dire, comment inventerait-il ce qui n’est pas ? L’accusateur fait alors soupçonner de l’accusé plus de choses qu’il n’en dit, et il donne de sa propre personne l’idée d’un caractère honorable.
C’est ainsi que procède l’apôtre et pour les conseils et pour les éloges. Après avoir dit « Il est superflu d’écrire », voyez ce qu’il ajoute : « Car je connais votre bonne volonté, pour laquelle je me glorifie de vous auprès des Macédoniens (2) ». C’est déjà beaucoup que lui-même connaisse cette bonne volonté, mais c’est encore bien plus qu’il aille la redire aux autres ;.elle n’en acquiert que plus de force, car les Corinthiens ne voudraient pas encourir une telle honte que de ne pas justifier cette réputation. Voyez la prudence de son plan : il les a exhortés d’abord par l’exemple des autres, c’est-à-dire des Macédoniens : « Je connais la grâce de Dieu qui a été donnée dans les Églises de Macédoine (8,1) » ; ensuite par leur propre exemple : « Vous qui avez déjà commencé auparavant, depuis l’année dernière, non seulement à exécuter cette œuvre, mais encore à la vouloir ». (8,10) Il les avait aussi exhortés en leur citant Notre-Seigneur : « Car vous connaissez », dit-il, « la grâce de Notre-Seigneur, par laquelle il s’est appauvri pour nous, lui qui était riche (8, 9) ». Enfin il revient à son argument principal, l’imitation des autres. C’est que l’humanité est naturellement jalouse. L’exemple de Notre-Seigneur aurait dû les entraîner plus que tout le reste, et après cela, l’espoir de la récompense ; mais, vu leur faiblesse, il préfère les entraîner par le motif d’émulation.
Rien n’égale en effet le pouvoir de ce sentiment. Et encore, examinez de quelle manière neuve il le met en jeu. Il ne leur dit pas : Imitez-les ; comment s’exprime-t-il ? « L’émulation venue de vous a excité le plus grand nombre (9, 2) ». Eh quoi ! diront les Corinthiens, vous disiez naguère que les Macédoniens avaient agi d’eux-mêmes et en vous priant avec beaucoup d’instance ; comment donc nous dites-vous à présent : « L’émulation venue de vous ? » Sans doute, répondra l’apôtre ; car nous ne leur avons adressé ni conseil ni supplication ; nous vous avons simplement loués, nous nous sommes glorifiés de vous, et cela a suffi pour les exciter. Vous avez vu comme il les stimule les uns par les autres ; les Macédoniens à l’aide des Corinthiens, et réciproquement, et comme à l’émulation il sait joindre les plus grands éloges ?
Puis, pour ne pas les enorgueillir, il y met un certain correctif, en disant : « L’émulation venue de vous a excité le plus grand nombre ». Songez un peu ce que ce serait pour vous, après avoir fait naître cette noble ambition chez les autres, de vous laisser dépasser à l’occasion de cette offrande. C’est pourquoi il ne dit pas : Imitez les Macédoniens ; car cela n’eût pas été aussi propre à les piquer d’honneur ; et que dit-il donc ? Ce sont les Macédoniens qui vous ont, imités ; ne vous montrez – donc pas, vous les maîtres, au-dessous de vos disciples. Voyez en même temps comme pour les réveiller, pour augmenter leur ardeur, il fait semblant de prendre parti pour eux ; on dirait une lutte, une rivalité dans laquelle il se range de leur côté. Car de même qu’il disait plus haut : « Ils sont venus nous trouver d’eux-mêmes, et avec beaucoup d’instances, de sorte que nous avons engagé Tite à achever cette grâce comme il l’avait commencée ». (9, 3-6) De même il dit ici : « C’est pourquoi j’ai envoyé nos frères, afin que nous ne nous soyons pas vainement glorifiés en vous ». (9, 3) Vous voyez, il est tourmenté, il tremble, craignant de paraître n’avoir parlé de la sorte que pour les exhorter ; aussi leur dit-il : Dans un tel état de choses, j’ai, envoyé nos frères : si je m’occupe de vous avec tant de zèle, c’est afin que nous ne nous soyons pas vainement glorifiés en vous. Et il semble prendre de tout point les intérêts des Corinthiens, quoique en réalité sa sollicitude soit la même pour tous. Voici le sens de ce qu’il dit : Je suis extrêmement fier de vous, je m’en fais honneur devant tous, je m’en suis glorifié devant les Macédoniens, de sorte que si vous vous laissez vaincre, la honte sera tout ensemble pour vous et pour moi. Et ici encore, il mesure ses expressions, car il ajoute : « Sous ce rapport » ; et non pas en toute chose : « Afin que, comme je le disais, vous soyez préparés ». (Id) Car je n’ai pas dit que les Macédoniens se proposent d’agir, mais bien que tout est disposé, et qu’il ne leur manque plus rien pour l’exécution. Je veux donc que vos œuvres soient là pour témoigner que vous êtes prêts. Puis les inquiétudes de l’apôtre redoublent : « De peur », ajoute-t-il, « que si les Macédoniens viennent avec moi, nous ne soyons (car je ne veux pas dire, vous ne soyez) couverts de confusion, de ce que nous nous serons glorifiés de volis sous ce rapport (4) ».
2. Cela nous impose davantage, quand on nous donne dg nombreux, spectateurs, et deux-là même à qui l’on a parlé de nous. Et il ne dit pas : « Car j’amène avec moi les Macédoniens » ; les Macédoniens viennent avec moi ; afin qu’on ne suppose pas qu’il le fait exprès ; comment s’exprime-t-il ? « De peur que si les « Macédoniens viennent avec moi ». C’est-à-dire, cela peut arriver ; c’est une chose possible. De cette ; façon, il mettait ses paroles – à l’abri de tout soupçon ; et s’il eût tenu un autre langage, il eût rendu les Corinthiens trop jaloux. Voyez comment il les attire non seulement par des raisons spirituelles, mais encore par des motifs humains. Si vous ne faites par, grand cas de moi, et que vous comptiez sur mon indulgence, songez du moins aux Macédoniens, « de peur que s’ils, viennent, ils ne vous trouvent », non pas ; dit-il, de mauvaise volonté, mais seulement « non préparés », n’ayant pas encore tout accompli. Et s’il serait honteux de n’avoir pas apporté votre offrande promptement, imaginez combien vous auriez à rougir, si vous n’en apportiez aucune, ou si elle était trop faible. Ensuite, il leur représente avec douceur en même temps que d’une manière propre à leur, faire impression, ce qui résulterait de cette conduite ; et voici en quels termes : « Nous ne soyons (car je ne veux pas dire, vous ne soyez) couverts de confusion ». Puis il met de nouveau un certain tempérament à ses paroles : « De ce que nous nous serons glorifiés ; de vous sous ce rapport ». Non pas qu’il veuille les rendre plus négligents, mais il veut montrer qu’ayant bonne réputation pour le reste, ils doivent encore jouir sur ce dernier point d’une renommée incontestable.
« J’ai donc cru nécessaire d’envoyer par avance nos frères, afin qu’ils préparent cette bénédiction de vos offrandes ; de telle sorte qu’elles soient prêtes à titre de bénédiction, et non pas comme arrachées à votre avarice (5) ». C’est la même pensée reprise d’une autre façon ; et pour que l’on ne croie pas qu’il tient ce langage au hasard, il va jusqu’à dire que ce voyage n’a pas d’autre motif que de leur épargner la confusion. Vous voyez bien que ces mots : « Il est superflu pour moi de vous écrire », étaient le commencement d’un conseil. Aussi, vous voyez pareillement combien il s’étend sur cette œuvre de charité. En même temps, on peut dire encore une chose : il eût semblé se contredire en continuant à les entretenir du même objet, après avoir dit que cela était « superflu » ; afin donc de ne pas donner prise à cette critique, il passe à d’autres considérations ; il leur parle de promptitude, de générosité, de bonne volonté ce qui lui sert même à préparer le résultat qu’il cherche. En effet, ce sont les trois conditions qu’il réclame, et ces points-là, il les a mis en avant tout d’abord : car lorsqu’il disait : « La surabondance de leur joie s’est manifestée dans de nombreuses épreuves de tribulation, et leur profonde pauvreté a été surabondante pour la richesse de leur simplicité (8, 2) », cela ne signifiait pas autre chose que : Ils ont donné beaucoup, ils l’ont fait avec joie et avec promptitude ; et non seulement ils n’ont pas été fâchés de donner beaucoup, ils n’ont pas même été contristés par les épreuves, chose plus pénible pourtant que de faire l’aumône. Et ces paroles-ci : « Ils se sont donnés à nous », montrent de même et leur bonne volonté, et la solidité de leur foi. Et maintenant, il revient encore sur le même sujet. Comme il y a antagonisme entre la libéralité et la bonne volonté, et que souvent tel qui a donné beaucoup en est fâché, et que tel autre donne moins, pour ne pas avoir à souffrir, voyez comme il s’occupe de ces deux sortes de gens et avec la prudence qui lui convient. Il ne dit pas : Il vaut mieux donner peu, et de bon cœur, que beaucoup et par contrainte : non, car il voulait que leurs offrandes fussent à la fois abondantes et faites de bonne grâce. Que dit-il donc ? « Afin qu’ils préparent cette bénédiction de vos offrandes de telle sorte qu’elles soient prêtes à titre de bénédiction, et non pas comme arrachées à votre avarice ». Il commence par la condition la plus douce, la moins pesante ce ne doit pas être par contrainte. En effet ; dit-il, c’est une bénédiction. Puis, voyez comme sous forme d’exhortation il leur montre bientôt le fruit qui en résulte, et la bénédiction venant combler ceux qui ont donné. C’est par l’expression dont il s’est servi qu’il les a attirés ; en effet nul ne donne avec chagrin ce qui est une source de bénédiction. Et non content de cela, il a ajouté : « Et non pas comme arrachées à votre avarice ». N’allez pas croire, veut-il dire, que nous-mêmes, nous recevions cette aumône en gens avides ; non, mais c’est afin de vous attirer des bénédictions. Quand on est avide, on donne à contre-cœur ; de sorte que celui qui fait l’aumône à contre-cœur, fait un don d’avare.
Ensuite il passe à l’autre point : la largesse dans l’offrande. « Or, je vous dis ceci (6) ». C’est-à-dire, à cette première considération j’en ajoute une seconde. Et laquelle ? « Celui qui sème mesquinement, moissonnera mesquinement, et celui qui sème au milieu de la bénédiction, moissonnera au milieu de la bénédiction ». Il ne dit pas : Sordidement, il se sert d’une expression adoucie : celle qui caractérise l’homme parcimonieux. Et il compare l’aumône à des semailles, afin qu’aussitôt cela vous fasse envisager la rétribution, et qu’en songeant à une moisson, vous sachiez que vous recevrez en retour plus que vous n’avez donné. Voilà pourquoi il ne dit pas : Celui qui donne ; mais : « Celui qui sème » ; et il ne dit pas non plus : Si vous semez, mais il parle d’une manière générale. Au lieu de dire Abondamment, il emploie cette expression « Au milieu des bénédictions » ; ce qui était bien plus. Puis il se rejette encore sur la première condition, celle de faire l’aumône avec joie : il dit : « Que chacun donne selon la détermination de son cœur (7) ». En effet, nous faisons plus quand on nous laisse libres, que lorsque nous sommes contraints. Aussi insiste-t-il sur ce point ; car après ces mots : « Selon la détermination de son cœur », il ajoute : « Non avec chagrin, ni par force ». Et non content même de cela, il y joint encore ce témoignage tiré de l’Écriture : « Car Dieu aime celui qui donne avec joie ». Voyez-vous quelle suite l’apôtre met dans tout cela « Je ne vous dis pas cela par manière de commandement (VIII, 8) ; » puis : « Et je vous donne en cela un avis » (VIII, 10) ; ensuite : « A titre de bénédiction, et non pas comme arrachées à votre avarice » (IX, 5) ; et enfin : « Non avec chagrin, ni par force ; car Dieu aime celui qui donne avec joie (IX, 7) ». Je crois qu’ici « avec joie » veut dire avec libéralité ; mais il s’est servi de ce mot afin de les porter à donner de bon cœur. En effet, comme l’exemple des Macédoniens, et tous les autres, étaient capables de – les faire donner abondamment, il ne parle pas beaucoup de cette qualité de leurs dons, mais il parle d’une autre : la spontanéité. Car si c’est une œuvre de vertu, et que toute action provenant de la contrainte perde sa récompense, il est bien fondé à s’y prendre ainsi. Et il ne se borne pas à des conseils ; mais, comme toujours, il fait des vœux pour eux : « Et Dieu », dit-il, « a le pouvoir de vous combler de toute grâce (8) ».
3. Par cette prière il fait tomber un argument où l’on se retranche contre cette générosité, et qui encore maintenant arrête plusieurs personnes. Bien des gens craignent de faire l’aumône, parce qu’ils se disent : J’ai peur de devenir, pauvre moi-même, et d’avoir besoin des autres à mon tour. Eh bien ! pour dissiper cette crainte, il ajoute cette prière : « Dieu a le pouvoir de faire abonder toute grâce en vous ». Non pas simplement : De vous combler, mais : « De faire abonder en vous ». Et qu’est-ce que « faire abonder la grâce ? » C’est-à-dire, vous enrichir de tant de faveurs que vous puissiez exercer abondamment cette générosité. « Afin qu’en toutes choses et toujours ayant tout ce qui vous suffit, vous abondiez en toute bonne œuvre ». Voyez encore dans ce souhait la grande sagesse de l’apôtre. Il ne leur désire pas la richesse ni le superflu, mais « tout ce qui leur suffit ». Et ce n’est pas seulement par là qu’il est admirable ; car si d’une part il ne leur a pas souhaité le superflu, il ne les surcharge pas non plus, il ne Les force pas à donner de leur indigence même, parce qu’il condescend à leur faiblesse ; il demande pour eux des ressources suffisantes, et il fait voir en même temps qu’il ne faut pas abuser des dons de Dieu. « Afin », dit-il, « que vous abondiez en toute bonne œuvre ». C’est-à-dire, je vous souhaite ces biens afin que vous en fassiez part à d’autres. Et il ne dit pas seulement Afin que vous en donniez, mais : « Afin que vous abondiez ». Oui, s’il leur souhaite le nécessaire quant aux choses matérielles, il demande que dans l’ordre spirituel ils aient même du superflu, non pas seulement en fait, d’aumône ; mais sous tous les autres rapports ; car c’est le sens de cette expression : « En toute bonne œuvre ». Ensuite, à l’appui de cette pensée, et voulant un témoignage qui les détermine à la libéralité, il fait intervenir la parole du prophète ; c’est pourquoi il, ajoute : « Selon qu’il est écrit : Il a dispersé son bien, il a donné aux pauvres ; sa justice demeure dans la suite des siècles (9) ». Cela revient à ce qu’il disait : « Afin qui vous abondiez ». Car l’expression : « Il a dispersé » ne signifie pas autre chose que donner avec libéralité. Car si les richesses ne subsistent pas, leur résultat subsiste. Chose admirable en effet, celles que l’on garde se perdent, et celles que l’on disperse demeurent, et demeurent pour toujours. Ce que le prophète appelle ici justice, c’est la charité envers le prochain : en effet la charité nous justifie, parce que c’est un feu qui détruit nos péchés, quand nous répandons largement nos aumônes.
Ainsi, n’y regardons point, mais donnons à pleines mains. Voyez combien d’argent certaines gens dépensent pour le donner à des histrions ou à des prostituées ! Donnez seulement à Jésus-Christ la moitié de ce que ces gens-là donnent à des danseurs ; ce que, dans leur amour du faste, ils consacrent à des comédiens, réservez-le pour les pauvres. Ils couvrent d’or sans mesure le corps des courtisanes : et vous, vous ne revêtez pas même d’un mince vêtement la chair de Jésus-Christ, et cela, quand vous voyez qu’il est nul Quel pardon méritez-vous, et de quel châtiment n’êtes-vous pas digne, lorsque voyant tel homme fournir de pareilles sommes à la femme qui le perd et le déshonore, vous n’accordez pas la moindre chose à celui qui vous sauve et vous ennoblit ? Ah ! vous savez bien dépenser de l’argent pour votre gourmandise, votre ivrognerie, votre luxure ; et jamais vous ne songez à là pauvreté : quand il vous faut venir en aide à un pauvre, vous devenez tout à coup plus pauvre que personne au monde : s’agit-il de nourrir des parasites et des flatteurs, vous vous en donnez à cœur joie, comme si vous puisiez la richesse à une source intarissable ; mais vous arrive-t-il de voir un pauvre, alors la crainte, de la pauvreté s’empare de vous. C’est pour, cela que nous serons condamnés un jour, et par nous-mêmes et par les autres ; tant justes que pécheurs. Car on vous dira : Pourquoi n’avez-vous pas montré la même libéralité dans les choses convenables ? Voici un homme qui, pour donner à une courtisane, n’a pas réfléchi à tout cela ; et vous, pour offrir quelque secours à ce divin Maître qui vous a recommandé de n’avoir aucune inquiétude, vous voilà plein de trouble et de crainte. Quelle indulgence méritez-vous ? Si un homme à qui vous faites du bien n’y reste pas indifférent, mais sait vous en tenir compte, à plus forte raison Jésus-Christ agira-t-il ainsi. Lui qui vous donne avant d’avoir rien reçu de vous, comment ne vous donnerait-il pas, quand il aura reçu quelque chose de vous ?
Eh quoi ? direz-vous, quand je vois des gens qui après avoir tout sacrifié, non seulement ne reçoivent rien en retour, mais ont ensuite eux-mêmes besoin d’autrui ? A cela je répondrai : Vous me parlez là de ceux qui ont donné tous leurs biens, tandis que vous ; vous ne donnez pas même une obole. Engagez-vous à vous dépouiller de tout, et vous demanderez ensuite comment font les autres ; mais tant que vous serez avare, et que vous ne donnerez qu’une très-faible portion de votre avoir, pourquoi toutes ces allégations, tous ces prétextes ? Nous ne vous poussons pas jusqu’aux dernières limites de l’indigence, nous vous prions seulement de vous retrancher le superflu, et de vous contenter de ce qui suffit. Ce qui est suffisant, c’est ce dont on ne peut se passer pour vivre. Personne ne veut vous enlever cela, on ne veut pas vous interdire votre nourriture de chaque jour ; mais je dis nourriture et non pas délices[2] ; je dis vêtement, et non pas parure. Et même, en y regardant bien, c’est là précisément que sont les délices. Car voyez : lequel des deux jugerons-nous être dans les plus grandes délices, de celui qui se nourrissant de légumes, jouit de la santé, et n’éprouve aucune souffrance, au de celui qui, avec une table digne des Sybarites, est accablé d’une foule de maladies ? Évidemment c’est le premier. Eh bien donc, ne cherchons pas plus loin, si nous voulons à la fois vivre dans les délices et avoir la santé ; que ce sait là pour nous la mesure de ce qui suffit. Tel se porte bien en ne mangeant que des légumes secs, qu’il rie cherche pas autre chose ; tel autre, d’une santé plus faible, a besoin d’un régime d’herbes et de racines : on ne s’y oppose point. Si enfin le tempérament d’un troisième, plus délicat encore, exige l’usage modéré de la viande, nous ne la refuserons pas non plus. Car nos conseils n’ont pas pour but la perte et la destruction des hommes, mais le retranchement du superflu ; or le superflu, c’est ce qui dépasse nos besoins. Or, lorsque nous pouvons nous passer d’une chose, sans nuire à notre santé ni aux convenances ; c’est une addition tout à fait superflue.
4. Calculons de la sorte à l’égard de notre habillement, de notre table, de notre demeure, et de tout le reste, et ne cherchons en tout que le nécessaire. En effet, le superflu est même inutile. Et quand vous aurez travaillé à vous contenter de ce qui suffit, et qu’alors vous voudrez imiter la veuve de l’Évangile, nous vous initierons à une plus grande perfection. Car vous n’êtes pas arrivé à la haute sagesse de cette femme, tant que vous êtes préoccupé du nécessaire. Elle s’était élevée encore au-dessus : elle avait sacrifié tout ce qui devait la nourrir. Et vous contesteriez encore sur la question du nécessaire ? vous n’auriez pas honte d’être vaincu par une femme ? Et loin de chercher à l’imiter, quelle supériorité ne lui laissez-vous pas sur vous ? Elle ne disait pas comme vous autres : Eh quoi ? si après avoir tout donné, j’étais forcée d’avoir recours aux autres ? Non, elle s’est dépouillée avec libéralité de ce qu’elle possédait. Et que diriez-vous de la veuve de l’Ancien Testament, du temps du prophète Élie ? (1R. 17) Celle-là ne courait pas seulement le risque d’être pauvre, mais elle était en danger de mourir, de perdre la vie, et non pas elle toute seule, mais encore ses enfants. En effet, elle n’espérait l’assistance de personne ; elle ne s’attendait qu’à une mort prochaine. Mais, nous dit l’Écriture, elle vit le prophète, et cela la rendit libérale. N’avez-vous pas les exemples d’une foule de saints ? Et pourquoi parler des saints ? vous voyez le Maître des prophètes lui-même demander l’aumône, et vous redevenez pas encore charitables ? vous avez des réserves qui débordent de toutes parts, et vous ne faites part à personne de votre superflu ? Vous me direz : L’homme qui vint trouver cette veuve était un prophète, et cette circonstance la détermina à montrer tant de générosité. Mais cela même n’est-il pas fort surprenant, qu’elle fut ainsi persuadée qu’elle avait devant elle un grand homme, un personnage admirable ? Comment ne s’est-elle pas dit, ainsi que cela était naturel de la part d’une étrangère, d’une femme d’un autre pays : Si cet homme était prophète, il n’aurait pas besoin de moi ; s’il était l’ami de Dieu, Dieu ne l’aurait pas abandonné. Que les Juifs, pour leurs péchés, subissent ce châtiment, soit ! mais l’homme que voici, qu’a-t-il fait ? pourquoi est-il puni ? Mais au lieu de faire toutes ces réflexions, elle lui ouvrit sa maison, et avant cela, son cœur ; elle lui apporta tout ce qu’elle possédait, et oubliant la nature, mettant de côté ses enfants, elle fit passer son hôte avant tout.
Songez donc au châtiment qui nous attend, nous qui avons moins de vertu, nous qui sommes plus faibles qu’une veuve, qu’une étrangère, qu’une inconnue, pauvre et mère de plusieurs enfants, à laquelle rien n’était révélé des mystères dont nous autres nous avons connaissance. Car ce n’est pas la vigueur du corps qui fait l’homme courageux. Celui-là seul possède cette vertu, fût-il sur un lit de douleur, chez qui la force procède de l’intérieur : comme aussi celui à qui cette force manque, quand même il serait assez robuste pour arracher des montagnes, je le déclare aussi faible qu’une jeune enfant, ou qu’une malheureuse vieille femme. Le premier lutte contre des maux immatériels que le second n’ose même pas envisager. Et pour vous convaincre que c’est bien en cela que consiste le courage, concluez de cet exemple même. Quoi de plus courageux que cette femme qui a bravé généreusement, et la tyrannie de la nature, et la violence de la faim, et les menaces de la mort, et qui a triomphé de tout cela ? Aussi, écoutez en quels termes le Christ fait son éloge : « Il y avait », dit-il, « beaucoup de veuves du temps d’Élie, et le prophète ne fut pas envoyé vers d’autre que celle-là ». (Lc. 4,25) Dirai-je quelque chose, de bien fort, quelque chose qui semblera étrange ? Cette femme a dépassé en fait d’hospitalité notre père Abraham. Elle n’a point, comme lui, couru à son troupeau, mais avec sa poignée de farine, elle a plus fait que tous ceux qui ont été renommés pour leur hospitalité. Le triomphe d’Abraham fut de s’acquitter par lui-même de cet office ; mais le triomphe de la veuve fut de n’épargner pas même ses enfants, pour l’amour de son hôte, et cela, sans attendre en retour les biens futurs.
Et nous, avec l’espérance du royaume des cieux, la menace de l’enfer, et au-dessus de tous les motifs, lorsque Dieu a tant fait pour nous, lorsque cette vertu lui plaît et le réjouit, nous languissons de la sorte ! Non, je vous en conjure : répandons nos largesses, donnons aux pauvres comme il faut donner. Car Dieu n’évalue pas la grande ou la petite quantité à la mesure de ce que l’on donne, mais aux ressources de celui qui donne. Souvent donc, vous qui avez apporté cent statères d’or, vous avez moins sacrifié que cet autre qui n’a remis qu’une obole ; car vous avez pris sur votre superflu. Mais n’importe : même dans ces conditions, donnez toujours ; vous en viendrez bientôt à plus de munificence. Répandez vos richesses, pour faire provision de justice. La justice ne saurait se trouver en compagnie des richesses : elle nous arrive par les richesses, mais non point avec elles. Il n’est pas possible que l’amour des richesses et la justice habitent ensemble ; leur domaine est distinct. Ne vous acharnez donc pas à réunir des choses incompatibles, mais expulsez l’avarice, qui est une usurpatrice, si vous voulez accueillir la justice, qui est la souveraine légitime. Oui, c’est elle la véritable reine, qui d’esclaves nous rend libres ; l’avarice fait tout le contraire. Employons donc tout notre zèle à fuir l’une et à nous attacher à l’autre, afin de jouir de la liberté ici-bas, et de posséder ensuite le royaume des cieux ; puissions-nous, tous obtenir cette faveur, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance et honneur au Père ainsi qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. E. MALVOISIN.

HOMÉLIE XX. modifier


DIEU QUI DONNE LA SEMENCE A CELUI QUI SÈME, VOUS DONNERA DU PAIN DONT VOUS AVEZ BESOIN POUR VIVRE, ET MULTIPLIERA CE QUE VOUS AUREZ SEMÉ, ET FERA CROÎTRE, DE PLUS EN PLUS, LES FRUITS DE VOTRE JUSTICE. (IX, 10, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier


  • 1. Double rémunération, spirituelle, corporelle.
  • 2. L’aumône n’est pas seulement un bienfait matériel, c’est, de plus, une preuve de soumission à l’Évangile.
  • 3. Contre l’ivresse. – Éloge de l’aumône. – C’est une oblation puissante, c’est une prière qui s’élève au plus haut du ciel.


1. Là sagesse de Paul mérite surtout, ici, d’être admirée, par la raison qu’après avoir fondé ses exhortations sur les choses de l’esprit et sur les choses de la chair, il fonde pareillement ce qu’il enseigne de la rémunération, sur ces deux ordres de récompense. Ces paroles : « Il a distribué, il a donné son bien aux pauvres, sa justice demeure éternellement », se rapportent à la récompense spirituelle ; quant à celles-ci : « Et multipliera ce que vous aurez semé », elles out trait à la rémunération de la chair. Toutefois l’apôtre ne s’arrête pas là, il reprend de nouveau les biens spirituels, sans cesse il les met en opposition avec les autres, car ces paroles : « Et fera croître de plus en plus les fruits de votre justice », appartiennent à l’ordre spirituel. Ce qu’il en fait, c’est pour varier son discours, et pour déraciner de l’esprit des fidèles les pensées lâches et molles ; c’est pour dissiper, par tous les moyens, la crainte de la pauvreté, ce à quoi tend le présent exemple. En effet, si Dieu accorde à ceux qui ensemencent la terre, à ceux qui nourrissent le corps, l’abondance de tous les biens, à plus forte raison est-il magnifique pour ceux qui ensemencent le ciel, pour ceux qui prennent soin de l’âme ; car c’est de l’âme qu’il veut surtout que l’on soit occupé. Mais il n’exprime pas cette vérité sous forme de raisonnement, comme je viens de le faire, il l’énonce dans une prière, et, par ce moyen, il propose du même coup aux fidèles un raisonnement d’une parfaite clarté, et de plus grands motifs d’espérance, qui se fondent non seulement sur les faits réels, mais sur cette prière même Que Dieu donne, qu’il « multiplie », dit-il, « ce que vous aurez semé, et fasse croître de plus en plus les fruits de votre justice ». Ces paroles font voir ici à découvert la magnificence de Dieu : c’est bien là ce qu’indiquent ces mots : « Donnez » et « multipliez ». En même temps l’apôtre insinue qu’il ne faut s’inquiéter que de ce qui est nécessaire pour vivre, lorsqu’il dit : « Le pain dont vous avez besoin pour vivre ». Car voilà ce qu’il faut surtout admirer dans Paul, ce qu’il a déjà fait voir auparavant, c’est qu’il ne nous permet pas ; en ce qui concerne les nécessités de la vie, de rien chercher au-delà de ce dont nous avons strictement besoin, tandis qu’en ce qui concerne les biens spirituels, il nous exhorte à amasser d’immenses richesses.
Plus haut, il disait : « Afin qu’ayant ce qui suffit pour votre subsistance, vous possédiez abondamment de quoi exercer toutes sortes de bonnes œuvres » ; et ici : « Celui qui vous donne le pain dont vous avez besoin pour vivre, multipliera ce que vous aurez semé », c’est-à-dire, votre semence spirituelle. En effet l’apôtre ne demande pas seulement que l’on fasse l’aumône, il la veut largement. Voilà pourquoi il ne se lasse pas de l’appeler du nom de semence. De même que le grain de froment jeté sur la terre vous rend de riches moissons, de même l’aumône multiplie les épis de la justice, et fait surgir l’abondance des plus magnifiques produits. Après avoir demandé au ciel, pour eux, cette fécondité, l’apôtre montre l’usage qu’il en faut faire, il dit : « Afin que vous soyez riches en tout, pour exercer, avec un cœur simple, tout ce qui nous donne sujet de rendre à Dieu de grandes actions de grâces.(11) ». Il ne faut pas faire de votre opulence un mauvais usage, il faut l’employer à des œuvres d’où naissent les plus grands sujets de rendre à Dieu des actions de grâces. Car Dieu nous a rendus maîtres des affaires les plus importantes ; il s’est réservé les moindres pour nous laisser celles du plus grand intérêt. Il a voulu être le maître de nous mesurer la nourriture du corps : quant à celle de l’esprit, il l’a laissée à notre libre arbitre ; il dépend de notre libre arbitre de rendre notre moisson pleine et abondante. Il ne faut pour cette récolte ni le secours des pluies, ni l’harmonie des saisons, il suffit de la volonté pour s’élever d’un bond jusqu’au ciel. Maintenant, par simplicité, l’apôtre entend l’abondance d’un cœur généreux, c’est là ce qui fait que nous donnons des sujets de rendre à Dieu des actions de grâces. En effet, cette munificence ne produit pas seulement l’aumône, mais elle est encore le sujet de nombreuses actions de grâces ; disons mieux, non seulement d’actions de grâces, mais encore de beaucoup d’autres avantages, que l’apôtre fait voir dans le développement de son discours, afin que cette exposition excite l’ardeur des fidèles. Quels sont donc ces avantages ? Écoutez : « Car cette oblation, dont nous sommes les ministres, ne supplée pas seulement aux besoins des saints, mais elle est riche et abondante par le grand nombre d’actions de grâces qu’elle fait rendre à Dieu parce que ces saints, recevant ces preuves, de votre libéralité par notre ministère, se portent à glorifier Dieu, de la soumission que vous témoignez à l’Évangile de Jésus-Christ, et de la bonté avec laquelle vous faites part de vos biens, soit à eux, soit à tous les autres ; et de plus, elle est riche et abondante par les prières qu’ils font pour vous, dans l’affection qu’ils vous portent, à cause de l’excellente grâce que vous avez reçue de Dieu (12, 13, 14) ». Or voici le sens de ces paroles : D’abord vous ne remplissez pas seulement les mains vides des saints, mais vous les comblez, vous dépassez la mesure du nécessaire pour eux ; ensuite, par leur moyen, vous glorifiez Dieu ; c’est en effet la gloire de Dieu qu’ils proclament par suite de votre soumission dans la foi. L’apôtre ne voulant pas que leurs actions de grâces s’expliquent uniquement par les bienfaits qu’ils ont reçus, en donne une cause bien plus élevée. Ce qu’il dit de lui-même ailleurs aux Philippiens : « Ce n’est point que je désire vos dons » (Phil. 4,17), il le dit aussi des fidèles de Jérusalem. Sans doute, dit-il, les saints se réjouissent que vous remplissiez leurs mains vides, que vous soulagiez leur indigence, mais ils se réjouissent bien plus de vous voir ainsi soumis à l’Évangile, c’est là ce que témoigne votre générosité.
Car c’est l’accomplissement du précepte de l’Évangile. « Et de la bonté avec laquelle vous faites part de vos biens, soit à eux, soit à tous les autres ». Ils glorifient Dieu, dit-il, de ce que votre libéralité ne s’adresse pas à eux seulement, mais s’étend aussi sur tous. Il y a encore, dans ces paroles, un éloge des saints qui bénissent Dieu des bienfaits répandus sur les autres. Ils ne louent pas seulement ce qui les concerne personnellement, dit-il, mais ils louent aussi le bien accordé aux autres, quoiqu’ils soient eux-mêmes dans la dernière indigence ; et c’est là une marque de grande vertu. Car il n’y a personne de porté à la jalousie comme les pauvres. Mais les saints de Jérusalem sont exempts de ce défaut ; ils sont si loin de s’affliger du bien des autres qu’ils s’en réjouissent tout autant que du bien qui leur est fait à, eux-mêmes. « Par les prières qu’ils font pour vous ». Assurément ils bénissent Dieu des biens qu’ils ont reçus, dit l’apôtre, mais, de plus, touchés de votre charité, de votre assistance, ils prient Dieu de leur faire la grâce de jouir de votre présence. Et en cela, ce n’est pas votre opulence qu’ils recherchent, mais la, joie d’être les spectateurs des grâces à vous accordées.
2. Voyez-vous la prudence de Paul ? en exaltant leur vertu, il en rapporte toute la gloire à Dieu, il l’appelle une grâce. Après avoir parlé d’eux en termes relevés, après les avoir appelés ministres, les avoir exaltés parce qu’ils s’épuisaient pour secourir les pauvres par des aumônes dont il n’était lui-même que le porteur, il fait voir que l’auteur de toutes choses, c’est Dieu, et se confondant avec eux, il rend à Dieu des actions de grâces par ces paroles « Dieu soit loué de son ineffable don (15) ». Or, par le mot don, il entend ici tant de biens si précieux, ces fruits de l’aumône recueillis, et par ceux qui la reçoivent et par, ceux qui la font ; ou encore ces biens mystérieux que sa présence en tous lieux communique à toute la terre, avec une si grande libéralité ; cette conjecture est même la plus vraisemblable. Il a pour but ; en leur rappelant ces grâces, de les rendre plus humbles, d’en faire de plus généreux dispensateurs des dons qu’ils ont reçus de Dieu. C’est là, en effet, le stimulant le plus énergique pour toute vertu ; aussi est-ce par cette pensée qu’il termine son discours sur ce point. Que si le don de Dieu est inénarrable, qui pourrait égaler le délire de ceux dont la curiosité s’épuise à rechercher son essence ? Et ce n’est pas seulement le don de Dieu qui surpasse toute parole, mais ce que l’intelligence même ne saurait atteindre, c’est la merveille de cette paix qui a réconcilié le ciel et la terre.
Soyons donc jaloux, puisque nous jouissons d’une grâce si grande, d’y répondre par nos vertus, par notre empressement à faire l’aumône, et c’est ce que nous ferons, si nous fuyons l’intempérance, l’ivresse ; la gloutonnerie. La nourriture et la boisson nous ont été données par Dieu, non pas pour que nous dépassions joute mesure, mais pour que nous puissions nous alimenter. Ce n’est pas le vin qui produit l’ivresse ; s’il en était ainsi, tous les hommes l’éprouveraient. Mais le vin, direz-vous, ne devrait pas la produire, même quand on le prend en grande quantité. Ce sont là des paroles de gens ivres. Si malgré l’inconvénient qui résulté de ce qu’on en prend trop, vous ne renoncez pas aux excès de la boisson, si la honte et le danger ne suffisent pas pour, vous corriger d’une sensualité coupable, supposez qu’il fût possible de boire des flots devin, sans en éprouver aucun malaise, qui viendrait mettre un terme à cette avidité ? Ne désireriez-vous pas voir les fleuves rouler des flots devin ? Ne vous verrait-on pas tout exterminer, tout détruire ? Il y a une mesure déterminée pour les aliments ; quand nous la dépassons, nous sommes malades ; rien n’y fait, vous êtes incapable de supporter un tel frein, vous le brisez, vous mettez toutes les fortunes au pillage, pour vous asservir à la détestable tyrannie de votre ventre ; que feriez-vous donc si cette mesure fixée par la nature était supprimée ? Ne dépenseriez-vous pas tout votre temps à réjouir cette passion ? Fallait-il donc fortifier cette gourmandise insensée, ne pas mettre d’entraves aux suites funestes de ce dérèglement ? Et combien d’autres conséquences funestes n’en seraient pas sorties ? O les insensés, ces hommes qui se roulent, comme dans un bourbier, dans l’ivresse, dans les autres hontes du même genre ; et qui, lorsqu’ils commencent à revenir à eux-mêmes, n’ont d’autre souci que de dire : Pourquoi faut-il tant dépenser pour cela, quand ils ne devraient rien faire que de déplorer leurs péchés. Au lieu de ce que vous dites : Pourquoi Dieu a-t-il fixé des limites ? pourquoi toutes choses ne sont-elles pas abandonnées au hasard ? demandez-vous donc plutôt : Pourquoi ne cessons-nous pas de nous enivrer ? pourquoi sommes-nous insatiables ? pourquoi sommes-nous plus insensés que les êtres dépourvus de, raison ? Voilà les questions que vous devriez vous adresser les uns aux autres, et vous devriez écouter la voix apostolique, et vous devriez savoir tous les biens dont l’aumône est la source, et vous devriez vous jeter sur ce trésor. Car le mépris des richesses, c’est le Maître lui-même qui l’a dit, fait les hommes vertueux, fait glorifier le Seigneur, rend la charité ardente, les âmes grandes, constitue des prêtres vraiment prêtres ; assurés d’une récompense glorieuse. Celui qui fait l’aumône ne se montre pas, il est vrai, avec une robe traînante, ni des sonnettes à l’entour comme Aaron ; il ne se promène pas la couronne en tête ; il porte la robe de la bienfaisance, plus sainte encore que les vêtements sacerdotaux ; il est frotté d’huile, non d’une huile sensible, mais de celle que produit le Saint-Esprit, et la couronne dont il se pare, est celle de la miséricorde ; car l’Écriture dit : « Qui vous couronne de sa miséricorde ; et des effets de sa compassion » (Ps. 102,4) ; au lieu de porter une lame d’or avec l’inscription du nom de Dieu, elle est elle-même égale à Dieu. Comment cela ? « Vous serez », dit l’évangéliste, « semblables à votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 5,45)
3. Voulez-vous quelque chose de plus encore ? voulez-vous contempler son autel ? Ce n’est pas Beseleel qui l’a construit, ni aucun autre ouvrier, mais Dieu lui-même ; ce n’est pas un autel de pierre ; les matériaux dont il est composé, sont plus éclatants, plus resplendissants que le ciel même, ce sont des âmes douées de raison. Mais vous allez dire : Le prêtre entre dans le Saint des Saints. Permis à vous-même d’entrer dans des sanctuaires d’une plus sainte horreur, en offrant ce sacrifice, où nul n’assiste, excepté votre Père qui vous regarde dans le lieu caché où aucun autre ne vous voit. (Mt. 6,6) Et comment se fait-il, dira-t-on, qu’on ne soit pas vu, l’autel étant exposé aux regards du public ? Voilà, en effet, ce qui est merveilleux ; autrefois, dans le temple, les portes toutes fermées, les tentures et les voiles faisaient la solitude autour du prêtre ; tandis qu’aujourd’hui le sacrifice est public, et pourtant on peut le faire, comme dans le Saint des Saints, avec une plus sainte horreur encore. Car, lorsque vous ne faites rien pour être vu des hommes, quand même la terre entière vous verrait, nul ne vous a vu, puisque vous n’avez pas cherché à être vu. Car le Christ ne s’est pas contenté de dire : « Prenez garde de ne pas faire vos bonnes œuvres devant les hommes », mais il a ajouté, « pour en être regardés ». (Mt. 6,1) Cet autel est composé des membres mêmes du Christ, et le corps du Seigneur est pour vous la pierre du sacrifice. Sachez donc l’entourer de votre respect ; c’est dans la chair du Seigneur que vous immolez la victime que vous lui offrez. Cet autel est plus redoutable même que l’autel sensible que voient nos yeux aujourd’hui, à plus forte raison que l’autel d’autrefois. Mais ne vous troublez pas : l’autel visible a d’admirable la victime que l’on y offre en sacrifice ; l’autel de l’aumône a cela d’admirable, en outre, qu’il se compose de la victime même qui offre le sacrifice. Autre merveille encore, l’autel visible est une pierre, et cette pierre est sanctifiée parce qu’elle supporte le corps du Christ ; l’autel de l’aumône, parce qu’il est le corps même du Christ. De sorte que cet autel où vous vous tenez quoique laïque, est plus redoutable que l’autre.
Que vous semble maintenant d’Aaron ? et de la couronne ? et des clochettes ? et du Saint des Saints ? À quoi bon poursuivre la comparaison avec l’ancien autel, lorsque, comparé même avec l’autel d’aujourd’hui, celui de la miséricorde apparaît avec tant de splendeur ? Eh bien ! vous, vous honorez cet autel, parée qu’il supporte le corps du Christ, et pour l’autel qui est le corps du Christ, vous l’outragez, et quand il tombe en ruines, vous passez sans regarder. Cet autel, vous pourrez le voir partout, et dans les ruelles, et dans les places, et il n’est pas de jour où vous ne puissiez y offrir un sacrifice à toute heure, car sur cet autel le sacrifice s’offre aussi. Et de même que le prêtre, debout à l’autel, fait venir le Saint-Esprit, de même, vous aussi, vous le faites venir ce Saint-Esprit, non par des paroles, mais par des actions. Car il n’est rien qui alimente, qui embrase le feu du Saint-Esprit, comme cette huile de l’aumône largement répandue. Tenez-vous à savoir encore ce que deviennent les largesses épanchées par vous, approchez, je vous montrerai tout. Quelle est la fumée ? Quelle est la bonne odeur que cet autel exhale ? C’est la gloire, avec les bénédictions. Et jusqu’où monte-t-elle cette fumée ? Jusqu’au ciel ? Non, elle ne s’y arrête nullement ; elle s’élève bien au-dessus du ciel, elle va plus haut encore ; jusqu’au trône même du Roi des Rois. « Car », dit l’Écriture, « vos prières et vos aumônes sont montées jusqu’à la présence de Dieu ». (Act. 10,4) La bonne odeur qui flatte les sens, ne traverse pas une grande partie de l’air ; le parfum de l’aumône pénètre à travers les plus hautes voûtes des cieux. Vous gardez le silence, mais votre œuvre fait entendre un grand cri ; c’est un sacrifice de louange ; il n’y a pas de génisse égorgée, de peau dévorée par la flamme, c’est une âme spirituelle qui apporte tous ses dons : sacrifice incomparable, surpassant tout ce que peut faire l’amour pour les hommes. Donc à la vue d’un pauvre fidèle, dites-vous que c’est un autel que vos yeux contemplent ; à la vue d’un mendiant, qu’il ne vous suffise pas de ne pas l’outrager, soyez encore saisi de respect. Que si vous voyez qu’on l’outrage, empêchez, repoussez cette injure. C’est ainsi que vous pourrez vous rendre Dieu propice, et obtenir les biens qui nous sont annoncés ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.

HOMÉLIE XXI. modifier


MAIS MOI, PAUL, MOI-MÊME QUI VOUS PARLE, JE VOUS CONJURE, PAR LA DOUCEUR ET LA MODESTIE DE JÉSUS-CHRIST, MOI QUI, ÉTANT PRÉSENT, PARAIS BAS PARMI VOUS ; AU LIEU QU’ÉTANT ABSENT, J’AGIS. ENVERS TOUS AVEC HARDIESSE ; JE VOUS PRIE QUE, QUAND JE SERAI PRÉSENT, JE NE SOIS POINT OBLIGÉ D’USER AVEC CONFIANCE DE CETTE HARDIESSE QU’ON M’ATTRIBUE, ENVERS QUELQUES-UNS QUI S’IMAGINENT QUE NOUS NOUS CONDUISONS SELON LA CHAIR. (X, 1, JUSQU’A 6)

Analyse. modifier


  • 1. Explication d’une réprimande adressée à quelques Corinthiens. – Les contradicteurs de saint Paul l’accusaient de vivre selon la chair.
  • 2. Nous ne combattons pas, répond-il, selon la chair. – Des armes charnelles et des armes puissantes en Dieu.
  • 3. Glorieux empire de Saint Paul ; son admirable activité, ses victoires.
  • 4. Il faut l’imiter. – Contre l’hérésie de Marcion et des Manichéens.


1. Après avoir achevé, comme il convenait, son développement sur l’aumône, après avoir montré qu’il aime les fidèles plus qu’il n’est aimé d’eux, après avoir parlé de sa patience et de ses épreuves, il saisit l’occasion de leur adresser de justes reproches ; il fait entendre qu’il y a de faux apôtres, il arrive à la conclusion de son discours par les vérités les moins agréables à entendre, et il relève son autorité personnelle. C’est ce qu’il faut dans tout le cours de l’épître. Il ne le fait pas sans s’en apercevoir, et de là vient qu’il a souvent recours à des correctifs, ainsi : « Commencerons-nous de nouveau à nous relever nous-mêmes ». (2Cor. 3,1) ; et plus loin : « Nous ne prétendons point nous relever encore ici nous-mêmes, mais vous donner occasion de vous glorifier » (2Cor. 5,12) ; et encore : « J’ai été imprudent en me glorifiant ; c’est vous qui m’y avez contraint ». « (II Cor. 12,11) Il emploie un très-grand nombre de correctifs pareils, On ne se tromperait pas, en disant que cette lettre est l’éloge de Paul, tant elle abonde en paroles relatives à la grâce qu’il a reçue, et à la patience qu’il a montrée. Comme il y avait certains hommes, infatués d’eux-mêmes qui se préféraient à l’apôtre, qui l’attaquaient comme un fanfaron, comme un homme sans valeur, comme un maître dont la doctrine n’avait rien de bon (ce qui était la meilleure preuve qu’ils pussent donner de leur propre corruption) ; voyez comment Paul débute dans la réprimande qu’il leur adresse. « Mais moi, Paul, moi-même ». Comprenez-vous tout ce qu’il y a là de gravité, d’autorité ? C’est comme s’il disait : Je vous en prie, ne me forcez pas à exercer, ne me laissez pas l’occasion d’exercer ma puissance contre ceux qui nous dénigrent, qui nous regardent comme des hommes adonnés à la chair. Ces paroles sont plus sévères que les menaces qu’il leur adressait dans la première lettre, en ces termes : « Est-ce la verge en main que j’irai vous voir, ou avec charité, et dans un esprit de douceur ? » (1Cor. 4,21) Il disait alors : « Il y en a qui s’enflent de présomption, comme si je ne devais plus vous aller voir. Je vous irai voir néanmoins ; et je reconnaîtrai, non les paroles de ceux qui sont enflés de présomption, mais ce « qu’ils peuvent ». (Id. 18, 19) Ici, il montre à la fois deux choses, d’une part, sa force, d’autre part, sa douceur et sa patience, par la prière qu’il leur adresse, par sa manière de les conjurer de ne pas le contraindre à déployer sa propre puissance pour punir, pour frapper, pour châtier, pour infliger les peines les plus sévères. C’est ce qu’il fait entendre en disant : « Je vous prie que, quand je serai présent, je ne sois point obligé d’user avec confiance de cette hardiesse qu’on m’attribue, envers quelques-uns qui s’imaginent que nous nous conduisons selon la chair ».
N’allons pas plus loin, et reprenons le commencement. « Mais moi, Paul, moi-même ». Il y a, là une grande force, une grande autorité. Il dit ailleurs de même : « C’est moi, Paul, qui vous dis » (Gal 5,2) ; et encore : « Comme moi, Paul, déjà vieux » (Phm. 1,19) ; et encore : « Car elle en a assisté elle-même plusieurs, et moi, en particulier ». (Rom. 16,2) C’est de la même manière qu’il dit ici encore : « Mais moi, Paul, moi-même ». C’est déjà une considération puissante que lui-même conjure les fidèles, mais ce qu’il ajoute a plus de force encore : « Par la douceur et la modestie de Jésus-Christ ». Comme, il veut agir fortement sur les esprits, il se fait une arme de la douceur et de la modestie, afin de rendre, par là, ses supplications plus pressantes : c’est comme s’il disait : Ayez égard à la modestie même de Jésus-Christ, c’est à ce titre que, je vous recommande ma prière. Il disait ces paroles pour leur montrer en même temps, que, quelle que fût la contrainte qu’ils feraient peser sur lui, sort caractère l’inclinait pourtant vers la douceur ; ce n’est pas par impuissance qu’il parle ainsi, c’est pour imiter le Christ.
« Moi qui étant présent parais bas parmi vous, au lieu qu’étant absent, j’agis envers vous avec hardiesse ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Ou c’est une ironie qui reproduit leurs discours. Car ces hommes disaient que, quand il se montrait, il n’avait aucune valeur, qu’il était vit et méprisable ; mais qu’à distance, il s’enflait, grossissait son langage, s’élevait contre eux, se permettait de les menacer. C’est ce que font entendre des paroles de la lettre qui viennent plus loin : « Les lettres de Paul, selon eux, sont graves et fortes, mais, lorsqu’il est présent, il paraît bas en sa personne, et méprisable en son discours ». Donc, ou bien ses paroles sont une ironie sévère, comme s’il disait. Moi qui suis si bas, moi qui suis si misérable, lorsque je suis présent, comme disent ces hommes, et qui, à distance, devient très-haut ; ou bien l’apôtre veut dire que quelle que soit la fierté de ses lettres, ce n’est pas l’orgueil qui l’égare, mais sa confiance en eux qui le porte à s’y abandonner.
« Je vous prie que, quand je serai présent, je ne sois point obligé d’user avec confiance de cette hardiesse qu’on m’attribue, envers quelques-uns qui s’imaginent que nous nous conduisons selon la chair ». Comprenez-vous tout ce qu’il y a d’indignation dans ces paroles, tout ce qu’elles renferment de reproches évidents ? Je vous en prie, leur dit-il, ne me forcez pas à montrer que, même quand je suis présent, ce n’est ni la force qui me manque, ni la puissance. Ils disent que c’est quand je suis au loin que je deviens hardi et insolent avec vous en paroles, je vous en prie, ne souffrez pas qu’ils me contraignent à me servir de la force que je me sens. C’est là ce que peut dire, « d’user, avec confiance ». Et il ne dit pas, de cette hardiesse que je suis prêt à exercer mais, « qu’on m’attribue ». En effet je ne suis pas encore décidé, ils me fournissent une occasion, mais je ne veux pas en profiter. Ce n’était pourtant pas le soin de sa propre vengeance qui l’inspirait, mais le soin de la défense de l’Évangile, Que si, quand il s’agit de soutenir la prédication de la foi, il refuse de se montrer trop acerbe, s’il recule, s’il cherche à se soustraire à une pénible nécessité, à bien plus forte raison, quand il ne s’agissait que de lui, montrait-il une parfaite indulgence.
2. Accordez-moi, dit-il, cette grâce, ne me forcez pas à montrer que, même quand je suis présent, je peux faire ressentir ma hardiesse au besoin, c’est-à-dire, châtier et punir, Voyez-vous cette modestie qui ne fait rien pour paraître en spectacle, qui, même quand la nécessité est évidente, parle ici de hardiesse ? « Je vous prie », dit-il, « que, quand je serai présent, je ne sois point obligé d’user avec confiance de cette hardiesse qu’on m’attribue, envers quelques-uns ». Un maître doit surtout se garder de la précipitation dans les châtiments, il doit redresser, il doit toujours différer, temporiser avant de punir. Maintenant quels sont ceux à qui l’apôtre s’adresse ? Des hommes « qui s’imaginent que nous nous conduisons selon la chair ». On l’accusait donc d’hypocrisie, de méchanceté, d’orgueil : « Car encore que nous virions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair (3) ». Ici commencent des figures propres à intimider l’esprit des contradicteurs : nous sommes revêtus de chair, dit-il, je n’en disconviens pas, mais nous ne vivons pas pour la chair. Je me trompe, il ne s’exprime pas ainsi, il tempère une parole qui ferait l’éloge de sa vie ; il parle de la prédication, il, montre que ce n’est pas une œuvre de l’homme, appuyée sur les secours qui viennent d’en bas. Aussi ne dit-il pas, nous ne vivons pas se1on la chair, mais « nous ne combattons pas selon la chair » ; ce qui veut dire, nous avons entrepris une guerre, des combats, mais que nous ne soutenons pas avec des armes charnelles, en nous appuyant sur quelque secours humain. « Car nos armes ne sont pas charnelles (4) ».
Quelles sont les armes charnelles ? Les richesses, la gloire, la puissance, l’éloquence, l’habileté, l’intrigue, la flatterie, la feinte, toutes les autres ressources du même genre. Nos armes à nous ne ressemblent pas à celles-là ; mais quelles sont-elles ? « Mais puissantes en Dieu ». L’apôtre ne dit pas, nous ne sommes pas charnels, mais, « nos armes ». Je l’ai déjà dit, il ne parle que de la prédication, et c’est à Dieu qu’il rapporte toute puissance. Et il ne dit pas, nos armes sont spirituelles ; le reproche de vivre selon la chair semblait amener cette opposition d’armes spirituelles ; mais il dit, « puissantes », et par là il fait entendre que celles de ses ennemis sont sans force et sans puissance. Et remarquez la mesure et la modération des termes. Il ne dit pas, nous sommes puissants, mais : « Nos armes sont « puissantes en Dieu ». Ce, n’est pas nous qui les avons rendues telles, c’est Dieu lui-même. En effet, on les frappait de verges, on les chassait en tous lieux, ils souffraient mille douleurs, des maux innombrables, autant de preuves de leur faiblesse ; voilà pourquoi l’apôtre dit, pour montrer que la puissance est à Dieu : « Mais puissantes en Dieu ». Car ce qui fait le mieux voir combien sa force est grande, c’est qu’avec de telles armes il triomphe. Oui, quoique ce soit nous qui les portions ces armes, c’est Dieu lui-même qui s’en sert pour combattre et pour produire ses œuvres. Suit maintenant un long éloge de ces armes : « Pour renverser les remparts ». N’allez pas, à ce mot de remparts, vous représenter quelque chose de sensible ; voilà pourquoi l’apôtre dit : « En détruisant les raisonnements humains » ; l’image est pour exalter la puissance divine ; ce qui la suit prouve qu’il s’agit d’une guerre spirituelle. Ces remparts ne sont pas élevés contre dés corps, mais des âmes. Aussi sont-ils plus solides, aussi faut-il, pour les renverser, des armes plus puissantes. Ces remparts signifient, pour l’apôtre, l’orgueil de la sagesse des Grecs, leurs sophismes, leurs raisonnements. Dieu a fait bon marché de toutes ces armes dressées contre les fidèles : « En détruisant les raisonnements humains, et tout ce qui s’élève avec hauteur contre la science de Dieu (5) ».
Il continue la métaphore, pour donner plus de force à son discours. Remparts, dit-il, tours, fortifications quelconques, il faut que tout cède à ces armes. « Et réduisant en captivité tout esprit, pour le soumettre à l’obéissance de Jésus-Christ ». L’expression de réduire en captivité quelque chose d’affligeant, elle marque la perte de la liberté. Pourquoi donc l’apôtre l’emploie-t-il ? Il l’emploie en un autre sens. Servitude signifie deux choses, et que l’on est déchu de la liberté, et que l’on est au pouvoir de la force, sans espérance de se relever. C’est dans ce dernier sens que l’apôtre a entendu la captivité. Comme quand il dit : « J’ai dépouillé les autres Églises » (2Cor. 11,8), il fait savoir par là qu’il ne s’y est pas introduit comme un voleur qui se cache, mais seulement qu’il a tout pris, tout emporté ce qu’on lui a donné ; de même ici : « Réduisant en captivité », ne marque pas un combat à forces égales, mais une victoire facilement remportée. Et il ne dit pas un ou deux esprits seulement, mais, « tout esprit » ; il ne dit pas Nous sommes vainqueurs, nous avons l’avantage ; il dit plus : « Nous réduisons en captivité » ; de même que plus haut, il ne dit pas : Nous faisons avancer les machines contre les remparts, mais : Nous les détruisons, car la supériorité de nos armes n’admet pas de comparaison. Et en effet, nous ne combattons pas avec des paroles, mais avec des actions contre des paroles, non avec une habileté qui tient à la chair, mais revêtus de l’esprit de douceur et de force. Comment donc, dit-il, pouvais-je me glorifier, étaler l’orgueil des paroles, écrire des menaces épistolaires, encourir les accusations de ceux qui disent : « Les lettres de Paul sont graves et fortes » (2Cor. 10,40), puisque c’est en cela que notre pouvoir consiste le moins ?
3. Lorsque l’apôtre dit : « Réduisant en captivité tout esprit, pour le soumettre à l’obéissance de Jésus-Christ », aussitôt qu’il a fait entendre ce mot de captivité, il sent que ce terme est trop dur, et, vite, il le corrige, il ajoute : « Pour le soumettre à l’obéissance de Jésus-Christ » ; après la captivité, la liberté ; après la mort, la vie ; après la perdition, le salut. Car nous ne venons pas seulement pour terrasser, nous venons surtout pour transformer, pour conquérir nos adversaires à la vérité. « Ayant en notre main le pouvoir de punir toute désobéissance, lorsque vous aurez satisfait à tout ce que l’obéissance demande de vous (6) ». Ici ce n’est pas les coupables seulement qu’il remplit de crainte, mais il intimide les autres avec eux. C’est vous, dit-il, que nous attendons ; quand nos avertissements, nos menaces vous auront redressés, purifiés, séparés de tout commerce avec les coupables, quand les malades incurables seront dans leur isolement, alors nous sévirons, attendant pour cela que vous vous soyez franchement séparés. Vous obéissez sans doute maintenant, mais votre obéissance n’est point parfaite. Mais, dira-t-on, si vous agissiez tout de suite, il y aurait une plus grande utilité. Nullement : car si j’agissais tout de suite, je vous envelopperais dans la punition. Mais vous deviez châtier les autres et nous épargner. Mais si je vous épargnais, on pourrait m’accuser de partialité : je ne veux rien faire, quant à présent, je veux d’abord vous redresser, et ensuite c’est aux autres que j’irai parler.
Est-il possible de mieux prouver la tendresse qu’on porte dans ses entrailles ? Il voit ses fidèles compromis par un indigne commerce, il veut frapper les coupables, mais il s’arrête, il contient son indignation ; il donne aux siens le temps de se retirer, pour n’avoir à frapper que ceux qu’il faut punir ; disons mieux, pour n’avoir même pas à les frapper eux-mêmes. Car s’il les menace, s’il dit ne vouloir recouvrer que les vrais fidèles, c’est pour que les autres, corrigés par la crainte, reviennent à résipiscence, c’est pour n’avoir à faire tomber sur personne le feu de sa colère. C’était un médecin excellent, un bon père étendant ses soins sur tous, un protecteur, un curateur plein de zèle, attentif à tous les intérêts, écartant tous les obstacles, réprimant les hommes dangereux, se montrant partout à la fois pour veiller au salut de tous. Et ce n’était pas en livrant des combats qu’il achevait ainsi les affaires, il courait toujours comme à une prompte victoire, à un triomphe tout préparé, n’ayant qu’à dresser des trophées, renversant d’un coup de main les forteresses du démon, les machines des mauvais anges, et transportant son butin tout d’un trait dans le camp du Christ ; il ne se donnait pas le temps de reprendre haleine ; de tels peuples soumis, il s’élançait d’un bond vers d’autres peuples ; de ces derniers, vers d’autres peuples encore, comme un général victorieux qui ne passe pas un jour, ce n’est pas assez dire, qui ne passe pas une heure sans ériger de nouveaux trophées. Entré dans la mêlée sans avoir rien sur lui qu’une méchante tunique, il prenait les villes des ennemis avec tous leurs habitants, et pour arcs, pour lances, pour flèches, pour toute arme, Paul n’avait que sa langue. Il lui suffisait de parler, et ses discours tombaient sur les ennemis avec plus de force dévorante que le feu, et il chassait les démons, et il ramenait à lui les hommes que les démons retenaient prisonniers. Quand l’apôtre mettait en fuite cet exécrable Satan, on vit cinquante milliers de magiciens se réunir, brûler les livres de sorcellerie, et revenir à la vérité. Comme il arrive, au sein d’une guerre, lorsqu’une tour s’écroule, lorsqu’un tyran est renversé, que tous ses partisans jettent leurs armes, se rendent au général de l’armée victorieuse, le même fait se produisit alors. Le démon était terrassé, on vit alors tous ceux qu’il tenait assiégés, jeter loin d’eux leurs livres, ou plutôt les détruire, et accourir vers Paul pour tomber à ses pieds ; et lui, tenant tête à l’univers, comme si toute la terre n’eût été pour lui qu’une armée ennemie, ne s’arrêtant jamais, on eût dit qu’il avait des ailes, et toujours, et partout, il faisait seul toutes choses, tantôt redressant un boiteux, tantôt ressuscitant un mort, tantôt frappant de cécité un magicien ; même en prison son activité ne se reposait pas, il attirait à lui son geôlier, le prisonnier faisait alors cette glorieuse prise.
Sachons donc l’imiter, nous aussi, dans la mesure de nos forces. Mais que dis-je, dans la mesure de nos forces ? Il nous est permis de nous approcher de lui, nous n’avons qu’à le vouloir, nous pouvons contempler sa vertu dans les combats, imiter son courage. Aujourd’hui encore, l’apôtre continue son œuvre, détruisant les raisonnements humains, et tout ce qui s’élève avec hauteur contre la science de Dieu. Un grand nombre d’hérétiques ont entrepris de le déchirer, et Paul, même en lambeaux, montre encore son énergie invincible. Et Marcion et les Manichéens ont prétendu se servir de Paul, mais en le mutilant ; qu’est-il arrivé ? qu’ils sont convaincus, réfutés par ces lambeaux mêmes. Il suffit de la main du fort étendue sur eux, pour les mettre en pleine déroute ; de son pied, même séparé de son corps, pour les poursuivre et les disperser de toutes parts ; ce membre mutilé, défiguré, conserve assez de force encore pour confondre tous les opposants. – Eh bien, dira-t-on, c’est une preuve de perversité que la même parole puisse servir à tous ceux qui se livrent de mutuels combats. De perversité, oui, mais ce n’est pas à Paul qu’il la faut imputer, cette perversité, gardons-nous-en bien, mais à ceux qui prétendent faire, de sa parole, un pareil usage. Il n’y avait pas en lui de versatilité ; il est simple, il est parfaitement clair ; mais ces hérétiques ont corrompu le sens de ses paroles pour les rendre conformes à leurs propres pensées. Et comment, dira-t-on, ses expressions ont-elles pu donner prise à ceux qui ont voulu s’en servir ? Ce ne sont pas ses expressions qui donnent prise à l’erreur, c’est la démence des hérétiques qui abuse des expressions. Ce monde que nous voyous, ce monde entier si grand et si digne d’admiration prouve assez la divine sagesse : « Les cieux racontent la gloire de Dieu ; le jour l’annonce au jour, et la nuit en donne la connaissance à la nuit » (Ps. 18,1-2) ; et cependant ce monde est, pour le grand nombre, un scandale, et les hommes disputent entre eux. En effet, les uns l’admirant outre mesure, en ont fait un Dieu ; les autres, au contraire, en ont méconnu la beauté jusqu’à le regarder comme indigne d’être la création d’un Dieu, jusqu’à en attribuer la plus grande partie à une matière mauvaise.
Et cependant Dieu avait prévenu cette double erreur : il l’avait fait beau et grand, pour qu’on ne le jugeât pas au-dessous de sa sagesse, et, en même temps, il l’avait fait défectueux, incapable de se suffire à soi-même, pour qu’on ne le soupçonnât pas d’être un Dieu. En dépit de cette conduite de Dieu, les hommes, aveuglés par leurs raisonnements, sont tombés dans la contradiction des opinions, se réfutant les uns les autres, s’accusant les uns les autres, et justifiant la sagesse divine par l’erreur des raisonnements où ils se sont eux-mêmes égarés. Mais que parlé-je du soleil et du ciel ? Les Juifs avaient vu de leurs yeux une infinité de miracles, et ils se mirent aussitôt à adorer un veau d’or. Ce n’est pas tout ; ils virent encore le Christ chassant les démons, et ils l’accusèrent d’être possédé du démon. Était-ce la faute de celui qui chassait les démons ou celle de ces aveugles, de ces insensés ? N’allez donc pas accuser Paul, ni le rendre responsable des folles pensées de ceux qui ont abusé de ses paroles, appliquez-vous plutôt à bien vous rendre compte du trésor de Paul, à contempler ses richesses, à tenir tête fièrement à tous les hommes en vous revêtant de ses puissantes armes ; c’est ainsi que vous fermerez la bouche aux Grecs et aux Juifs. Mais comment est-ce possible, dira-t-on, s’ils n’ont pas foi en lui ? Par les événements qui se sont accomplis par lui, par le spectacle de la terre entière qui s’est redressée à sa voix. Ce n’est pas une puissance humaine qui a accompli une telle œuvre ; la vertu du crucifié, soufflant sur lui, l’a seule rendu plus fort que tous, les orateurs, philosophes, rois, empereurs, plus puissant que toutes les puissances, et Paul n’a pas eu pour lui seul le pouvoir de revêtir de telles armes, et de terrasser ses adversaires, il lui a été donné de rendre d’autres, avec lui, aussi puissants que lui. Donc voulons-nous être utiles, nous aussi, et à nous-mêmes, et aux autres, ne nous lassons pas de tenir Paul entre nos mains, au lieu de demander nos, plaisirs aux prairies, aux vergers, faisons, de ses écrits, nos plus chères délices. C’est ainsi que ; nous pourrons nous affranchir de la corruption, conquérir la vertu, obtenir les biens qui nous sont annoncés, par la grâce et par la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissante, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXII. modifier


EST-CE QUE VOUS NE CONSIDÉREZ QUE LE DEHORS ? SI QUELQU’UN SE PERSUADE EN LUI-MÊME QU’IL EST A JÉSUS-CHRIST, IL DOIT AUSSI CONSIDÉRER EN LUI-MÊME QUE, COMME IL EST A JÉSUS-CHRIST, NOUS SOMMES AUSSI A JÉSUS-CHRIST. (JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier


  • 1. Comment saint Paul réprimande, non seulement ceux qui trompent les autres, mais, avec eux, ceux qui se laissent tromper.— De la réserve avec laquelle il se loue, quand il est obligé de parler de ses œuvres.
  • 2. Ce que ses adversaires disaient de lui, qu’il n’était grand et redoutable que dans ses lettres.
  • 3. De la modestie de saint Paul ; de tous les vices auxquels nous devons nous arracher pour devenir saints comme lui.


1. Ce qui mérite le plus l’admiration dans Paul, outre ses autres titres, c’est que, lorsqu’il est dans la nécessité de se glorifier, il arrive à ces deux résultats, et qu’il se glorifie, et qu’il le fait sans se rendre odieux à personne ; ce que prouve parfaitement sa lettre aux Galates. En effet, là aussi, il subit une nécessité de ce genre, et il réussit à produire ce double effet ; ce qui suppose une très-grande difficulté surmontée, et demande beaucoup de prudence ; l’apôtre sait, à la fois, garder la mesure et parler de lui-même d’une manière relevée. Voyez comment, dans le passage qui nous occupe, il parle de lui-même avec fierté. « Ne considérez-vous que « le dehors ? » Voyez ici, quelle prudence ! Après s’être élevé contre ceux qui ont trompé les fidèles, il ne s’arrête pas à ces coupables seulement, mais il s’élance, de ceux qui font des dupes, à ceux qui se laissent duper ; c’est l’habitude constante de Paul. Il ne lui suffit pas d’attaquer les trompeurs, il s’en prend à ceux qui leur donnent les moyens de les tromper. Car s’il ne les eût pas réprimandés eux aussi, ils n’auraient pas facilement trouvé, dans les paroles adressées aux autres, leur propre correction, ils se seraient même enorgueillis comme n’ayant pas donné lieu à des réprimandes. Voilà pourquoi l’apôtre s’en prend aussi à eux.
Et ce n’est pas là seulement ce qu’il a d’admirable, mais c’est que, des deux côtés, la réprimande est parfaitement juste. Écoutez ce qu’il dit : « Ne considérez-vous que le dehors ? » L’accusation n’est pas indifférente, elle est très-sévère. Pourquoi ? C’est que, dit-il, l’espèce humaine est facilement dupe. Voici sa pensée : Vous jugez des hommes par ce qui paraît au-dehors, par les choses de la chair, par les choses corporelles. Qu’est-ce à dire par le dehors ? Si un homme est riche, s’il étale beaucoup de faste, s’il est escorté de flatteurs qui l’entourent en foule, s’il se vante, s’il se laisse emporter par la vaine gloire, s’il joue la vertu, quand il ne possède pas la vertu : car voilà ce que signifient ces paroles : « Vous ne considérez que le dehors. Si quelqu’un se persuade à lui-même qu’il est à Jésus-Christ, il doit aussi considérer, en lui-même, que, comme il est à Jésus-Christ, nous sommes aussi à Jésus-Christ ». L’apôtre ne veut pas éclater tout d’abord ; ce n’est que peu à peu qu’il devient plus explicite et plus impétueux. Remarquez ici, l’aspérité, et tout ce que les expressions laissent deviner. Ces mots : considérer « en lui-même », veulent dire, ce n’est pas de nous, c’est-à-dire, ce n’est pas de notre réprimande, c’est des réflexions que chacun peut faire, en son particulier, que chacun doit tenir la certitude que, comme il est à Jésus-Christ, nous aussi, nous sommes à Jésus-Christ : l’apôtre ne dit pas qu’il appartient à Jésus-Christ, autant que celui-là, mais, « comme il est à Jésus-Christ, je suis aussi à Jésus-Christ ». C’est un motif d’union ; car il n’est pas, lui, de son côté, à Jésus-Christ, moi, de mon côté, à tout autre. Après avoir ainsi établi l’égalité, l’apôtre va plus loin, il ajoute ce qui lui donne l’avantage sur l’autre. « Car quand je me glorifierais un peu davantage de la puissance que le Seigneur m’a donnée, pour votre édification, et non pour votre destruction, je n’aurais pas sujet d’en rougir ». Il s’apprête à dire de lui quelque chose de grand, voyez comme il s’y prend d’avance pour ne pas blesser.
C’est que rien ne choque tant la foule que d’entendre quelqu’un faire son propre éloge. Aussi, pour prévenir le mauvais effet de ses paroles, l’apôtre dit-il. « Quand je me glorifierais un peu davantage ». Et il ne dit pas : Si quelqu’un a la confiance qu’il appartient à Jésus-Christ, que celui-là réfléchisse à la distance qui le sépare de nous, car moi, je tiens de lui un grand pouvoir, et ceux, qu’il me plaît, je les punis, je les châtie ; non, mais que dit-il ? « Quand je me glorifierais un peu davantage ». Il lui est impossible de dire la grandeur de son pouvoir, toutefois il en parle modestement, il ne dit pas : je me glorifie, mais : « Quand je me glorifierais », supposez que j’en eusse la volonté ; cette expression, toute mesurée qu’elle est, montre toute l’étendue de son pouvoir. « Quand donc je me glorifierais », dit-il, « de la puissance que le Seigneur m’a donnée ». Ici encore, il rapporte tout à Jésus-Christ, et il montre que le don n’est pas pour lui seul. « Pour votre édification, et non pour votre destruction ». Vous voyez de quelle manière il s’y prend pour prévenir le mauvais effet de la louange qu’il se décerne à lui-même, et, pour se concilier l’auditeur, il lui parle de l’emploi à faire du don qu’il a reçu. Pourquoi donc dit-il : « Détruisant les raisonnements humains ? » C’est que l’édification consiste surtout à détruire de la sorte, à faire disparaître les obstacles, à confondre la corruption, à donner de la solidité à la vérité. « Pour votre édification ». Voilà donc pourquoi nous avons reçu nos pouvoirs, c’est pour édifier. Si on s’acharne contre nous, si l’on persiste à nous combattre, si l’on se montre incurable, nous aurons recours à une autre arme puissante, nous détruirons le coupable en le terrassant. De là encore ce qu’ajoute l’apôtre : « Je n’aurais pas sujet d’en rougir », c’est-à-dire, on verra bien que je ne suis ni un menteur, ni un fanfaron. « Mais afin qu’il ne semble pas que nous « voulions vous intimider par des lettres, « parce que les lettres de Paul, disent-ils, sont graves et fortes ; mais lorsqu’il est présent, il paraît bas en sa personne, et méprisable en son discours ; que celui qui est dans ce sentiment, considère, que ce que nous sommes, par les paroles de nos lettres, à distance, nous le sommes également, de « près, par nos actions (9-11) ». Ce qui revient à dire : Je pourrais sans doute me glorifier, mais on pourrait m’objecter encore que je me vante dans mes lettres, tandis que, de près, je suis méprisable ; donc je ne dirai rien de grand à mon sujet. Sans doute, dans la suite il célèbre sa vie, mais il ne dit rien de la puissance par laquelle il intimidait ses adversaires, il ne parle que des révélations qui lui ont été faites, et plus encore de ses épreuves. Donc, afin qu’il ne semble pas que nous voulions vous intimider : « Que celui qui est dans ce sentiment, considère que ce que nous sommes par les paroles de nos lettres, à distance, nous le sommes également, de près, par nos actions ». Comme on disait que, dans ses lettres, il parlait de sa personne avec fierté ; mais que, vu de près, il paraissait misérable ; par cette raison, il s’arrête à cette manière de présenter sa pensée avec modestie et réserve. Et il ne dit pas : Si nos lettres ont de la grandeur, il y a de la grandeur aussi dans les actions que nous faisons quand on nous voit de près ; non, ses paroles sont plutôt modestes. Il disait plus haut : « Je vous prie que, quand je serai présent, je ne sois point obligé d’user avec confiance de cette hardiesse, qu’on m’attribue envers quelques-uns » ; il y avait de la vivacité ; mais ici, ce n’est plus que de la modestie. « Nous sommes également, de près, ce que nous sommes à distance » ; c’est-à-dire, humbles, modestes, ne nous vantant jamais. C’est ce qui résulte de la suite : « Car nous n’osons pas nous mettre au rang de quelques-uns, qui se relèvent eux-mêmes, ni nous comparer à eux (12) ».
2. Ces paroles font voir que l’orgueil travaille ces hommes, qu’ils aiment à se louer ; l’apôtre les représente comme remplis de jactance. Quant à nous, dit-il, ce n’est pas notre habitude. Dans le cas même où nous faisons quelques grandes œuvres, c’est à Dieu que nous rapportons toute chose, et nous ne nous comparons qu’à nous-mêmes. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Mais nous nous mesurons sur ce que nous sommes, en nous, et nous ne nous comparons qu’avec nous-mêmes », ce qui veut dire : ce n’est pas à ces sages que nous nous comparons, mais à nous-mêmes, entre nous. En effet, il dit plus loin : « Je n’ai été en rien inférieur aux plus éminents d’entre les apôtres » (2Cor. 12,11) ; et dans la première épître, il disait : « J’ai travaillé plus qu’eux tous » (1Cor. 15,10) ; et encore : « Les marques de mon apostolat ont paru parmi vous, dans toutes sortes de patience ». « (2Cor. 12,12) Ainsi c’est entre nous que nous nous comparons, nous-mêmes avec nous-mêmes, et non avec ceux qui n’ont rien pour eux ; car leur orgueil tient du délire. C’est donc, ou de lui-même qu’il parle, ou de ces orgueilleux ; comme s’il disait Nous n’osons pas nous comparer avec ces gens qui ne savent que disputer, se vanter, et qui ne comprennent pas, c’est-à-dire, qui ne sentent pas le ridicule de la jactance, et qui prônent leurs propres louanges. « Quant à nous, nous ne nous glorifions point au-delà de toute mesure (13) », comme ils font. Il est probable que ces orgueilleux avaient poussé la vanité jusqu’à dire que la conversion de la terre était leur ouvrage, qu’ils s’étaient avancés jusqu’aux extrémités du monde, et un grand nombre d’autres forfanteries. Pour nous, dit l’apôtre, nous ne nous exprimons pas de la même manière. « Mais dans les bornes du partage que Dieu nous a donné, nous nous glorifions d’être parvenus jusqu’à vous ». Il donne ici une double preuve de sa modestie, il dit n’avoir rien fait de plus qu’un autre, et cela même qu’il a fait, il l’attribue à Dieu. « Mais dans les bornes », dit-il, « du partage que Dieu nous a donné, nous nous glorifierons d’être parvenus jusqu’à vous ». Comme on distribue une vigne entre différents ouvriers de la campagne, ainsi Dieu nous a fait nos parts distinctement. Autant donc que nous avons eu la permission d’avancer, voilà dans quelle mesure nous nous glorifierons.
« Car nous ne nous étendons pas au-delà de ce que nous devons, comme si nous n’étions pas parvenus jusqu’à vous, puisque nous sommes arrivés jusqu’à vous ; en prêchant l’Évangile de Jésus-Christ (14) ». Ce n’est pas assez dire, que nous nous sommes approchés de vous, nous vous avons apporté la nouvelle, nous vous avons fait la prédication, nous vous avons persuadés, nous avons réussi. Il est vraisemblable que ces orgueilleux, pour s’être réunis aux disciples des apôtres, s’exagéraient leur importance personnelle, au point de se rapporter tout le succès de la prédication. Il n’en est pas de même de nous, dit l’apôtre personne ne saurait prétendre que nous n’avons pas pu arriver jusqu’à vous, et que toute notre gloire ne consiste que dans nos paroles. Car nous vous avons prêché la parole, à vous aussi. — « Nous ne nous relevons donc point au-delà de toute mesure, en nous attribuant les travaux des autres ; mais nous espérons que votre foi, croissant toujours de plus en plus, nous étendrons notre partage beaucoup plus loin, et que nous prêcherons l’Évangile aux nations mêmes qui sont au-delà de vous, sans entreprendre sur le partage d’un autre, en nous glorifiant d’avoir bâti sur ce qui aura été préparé (15, 16) ». Il leur inflige une grande réprimande par ces paroles, et parce qu’ils se glorifiaient trop ; et parce qu’ils se glorifiaient de ce qui ne leur appartenait pas ; les apôtres seuls avaient répandu leur sueur, et ces orgueilleux faisaient gloire du travail des apôtres. Pour nous, dit-il, nos paroles se fondent sur ce que nous avons fait. Aussi ne voulons-nous pas imiter ceux qui se vantent : ce que nos œuvres témoignent, voilà ce que nos paroles exprimeront. Mais pourquoi, dit-il, est-ce que je vous entretiens de vous ? Certes, j’ai bon espoir, parce que votre foi s’accroît : il ne manifeste pas ici toute sa pensée, il suit son habitude familière : j’espère, dit-il,-grâce aux progrès que vous faites dans la foi, que notre partage s’étendra, que nous prêcherons plus loin l’Évangile. Nous ferons des pas en avant, nous irons plus loin, dit-il, pour prêcher, pour affronter des fatigues, non pour nous glorifier en paroles des fatigues d’autrui. C’est avec raison qu’il prononce le mot de partage, montrant par là que le but de son voyage c’est la conquête de la terre, c’est le plus beau des héritages, et que tout est l’œuvre de pieu. Donc, ayant accompli de telles œuvres, et en attendant de plus grandes encore, dit-il, nous ne nous vantons pas comme ceux qui n’ont rien produit, et ce n’est pas à nous-mêmes que nous rapportons quelque chose ; mais c’est à Dieu que nous attribuons le tout. Aussi ajoute-t-il : « Que celui donc qui se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur (17) ». Et ce que nous montrons, dit-il, c’est de Dieu que nous le tenons. « Car ce n’est pas celui qui se rend témoignage à soi-même qui est vraiment estimable ; mais c’est celui à qui Dieu rend témoignage (18) ». Il ne dit pas, c’est nous, mais : « C’est celui à qui Dieu rend témoignage ». Voyez-vous ce qu’il y a de réservé dans ces paroles ? La fierté du langage qu’il tient plus loin ne doit pas surprendre ; c’est encore l’habitude de Paul. S’il n’eût jamais fait entendre que d’humbles paroles, il n’aurait pas frappé de coup assez fort, il n’aurait pas ramené ses disciples de leurs égarements. Il arrive, en effet, parfois qu’une modestie hors de propos est nuisible, et qu’au contraire, un éloge qu’on fait de soi à propos, peut avoir son utilité. C’est ce que l’apôtre a pratiqué. C’eût été un grave danger que de laisser les disciples concevoir quelque basse opinion de Paul. Paul d’ailleurs ne recherchait pas la gloire qui vient des hommes ; s’il l’eût recherchée, il n’eût pas si longtemps enseveli dans le silence les œuvres admirables qui s’opérèrent en lui quatorze ans auparavant, il n’aurait pas attendu que la nécessité pesât sur lui, pour montrer encore tant d’hésitation et de répugnance à en parler. Il est manifeste que même alors, il n’a élevé la voix que parce qu’il s’est vu tout à fait contraint.
Ce n’est donc pas par amour de la gloire humaine qu’il a dit ces choses, mais c’est par intérêt pour ses disciples. On l’accusait de forfanterie ; de jactance dans ses paroles, d’impuissance à rien produire dans ses actions ; voilà ce qui le force à en venir à ces révélations. Sans doute il pouvait les convaincre par des œuvres réelles, quand il prononçait ces paroles, toutefois il emploie encore la menace des discours : c’est qu’avant tout son âme était pure de toutes les souillures de la vaine gloire ; c’est ce que prouve sa vie tout entière, aussi bien avant qu’après cette époque. Voilà pourquoi sa conversion fut si prompte, comment, après sa conversion, il confondit les Juifs, et répudia tout l’honneur dont il jouissait auprès d’eux, quoiqu’il fût leur chef et le guide du peuple. Mais aucune de ces considérations ne l’arrêta ; une fois qu’il eut trouvé la vérité, il échangea tout contre les insultes et les outrages ; il ne perdait pas de vue le salut du grand nombre ; c’était tout pour lui. Et comment celui qui ne considérait ni la géhenne, ni la royauté, ni cane foule innombrable de mondes comme capables de conserver la moindre importance en comparaison de l’amour de Jésus-Christ, aurait-il poursuivi une gloire vulgaire ? Il était bien loin d’un pareil désir : au contraire, il était tout à fait humble, quand il lui était possible de l’être ; il flétrit la première partie de sa vie, il s’appelle lui-même un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur. Et Luc son disciple, raconte de lui un grand nombre de faits qu’évidemment il ne tenait que de lui, lorsque l’apôtre lui racontait aussi bien la première partie de sa vie que celle qui est venue après.
3. Ce que je dis, ce n’est pas seulement pour que nous entendions des paroles, mais pour que nous nous instruisions. Car si l’apôtre gardait dans sa mémoire les fautes par lui commises avant le baptême, quelle excuse pourrions-nous avoir, nous qui oublions même les fautes que nous avons faites depuis ? O homme, que dites-vous ? vous avez offensé Dieu, et vous ne vous souvenez plus de votre péché ? C’est une seconde offense contre Dieu, un nouveau sujet de colère pour lui. De quels péchés demandez-vous donc la rémission ? de ceux que vous ne connaissez pas vous-même ? Voilà évidemment votre prétention. Vous ne vous inquiétez pas,' vous ne prenez aucun souci des comptes que vous aurez à rendre, vous qui ne tenez même pas à vous rappeler vos actions, qui vous faites un jeu de ce qui ne ressemble pas le moins du monde à un jeu. Mais viendra le temps où ce jeu ne nous suffira plus. Il faut absolument mourir (le grand nombre est frappé d’engourdissement d’esprit à tel point que nous sommes forcés de faire des discours sur ce qui saute aux yeux), il faut absolument ressusciter, absolument être jugés, être châtiés ; ou plutôt ici, ce n’est pas absolument qu’il faut dire, mais le fait dépend de notre volonté. Il y a des choses dont nous ne sommes pas les maîtres, notre fin, notre résurrection, notre jugement ; de ces choses, le maître c’est le Seigneur ; quant à ce qui est d’être puni ou non, c’est nous qui en sommes les maîtres ; car c’est ce à quoi nous pouvons pourvoir. Si nous le voulons, nous rendrons notre punition impossible, ainsi qu’ont fait Paul et Pierre et tous les saints ; car les châtier c’est chose impossible. Donc, si nous le voulons, nous ferons aussi que ce soit chose impossible que nous ayons un malheur à souffrir. Quand nous aurions commis faute sur faute, il nous est possible de reconquérir notre salut tant que nous sommes ici-bas.
Songeons donc à notre salut : que le vieillard considère que bientôt il lui faudra mourir ; qu’il a vécu assez longtemps dans les plaisirs (s’il faut appeler vie de plaisirs une existence consacrée à la corruption ; mais j’accommode un instant mes paroles à ses pensées) ; qu’il remarque ensuite combien est court le temps où la faculté lui est laissée de se laver de toutes ses fautes. Que le jeune homme considère à son tour combien est incertaine l’heure qui termine la vie, et le grand nombre des vieillards qui souvent continuent à vivre lorsqu’on voit les jeunes gens que la mort enlève avant eux. C’est pour prévenir, de notre mort, toute spéculation fondée sur notre fin dernière que l’épreuve en est incertaine. De là cet avertissement que nous donne le Sage par ces paroles : « Ne tardez pas à vous convertir au Seigneur, et ne différez pas de jour « en jour (Sir. 5,8) ; car vous ne savez pas « ce que produira le jour de demain ». (Prov. 27,1) Ce sont les délais qui – produisent les dangers et les motifs de crainte ; il n’y a qu’à éviter tout retard pour s’assurer évidemment du salut : attachez-vous donc à la vertu : car, par ce moyen, soit que vous quittiez ce monde jeune encore, vous le quitterez sans avoir rien à craindre ; soit que vous parveniez à la vieillesse ; vous sortirez de cette vie comblés de biens, et vous aurez passé votre vie tout entière dans cette double fête qui consiste à s’abstenir de la corruption, à embrasser la Vertu. Gardez-vous de dire : Il sera temps un joug de me convertir ; ces paroles ne font qu’irriter contre nous la colère de Dieu. Car enfin, il vous promet l’immensité des siècles, et vous, vous ne consentez pas aux labeurs de la vie présente, si courte, si fugitive, et vous êtes assez mous, assez lâches pour rechercher encore une vie plus misérable que cette vie de rien ? Est-ce que ce ne sont pas les mêmes festins tous les jours ? est-ce que ce ne sont pas les mêmes tables, les mêmes prostituées, les mêmes théâtres, les mêmes richesses ? Jusques à quand serez-vous amoureux de ce qui n’a pas de réalité ? Jusques à quand ressentirez-vous cet insatiable désir de corruption ? Considérez qu’autant de fois que vous avez pratiqué la fornication, autant de fois vous vous êtes condamné vous-même ; car telle est la nature du péché ; aussitôt qu’il est commis, aussitôt le juge porte sa sentence. Vous vous êtes enivré, vous vous êtes chargé le ventre, vous avez pratiqué la rapine ? Arrêtez-vous maintenant, rebroussez chemin ; rendez grâces à Dieu de ne vous avoir pas enlevé au milieu de vos péchés ; ne demandez pas qu’il vous accorde encore du temps pour vivre dans le péché ; c’est au moment où un grand nombre s’abandonnaient à l’avarice qu’ils ont été enlevés, et ils sont partis pour subir un châtiment manifeste. Craignez, vous aussi, qu’il ne vous arrive malheur, parce que vous ne pouvez pas réparer vos fautes.
Mais, dira-t-on, Dieu a permis à un grand nombre d’hommes de trouver, dans l’extrême vieillesse, assez de temps pour se confesser. — Eh bien ! vous donnera-t-il du temps à vous aussi ? Peut-être, répond-on. Que dites-vous, et que signifie « peut-être, quelquefois », et « souvent ? » Considérez donc que c’est de votre âme que vous discutez l’intérêt ; supposez donc tout le contraire, et réfléchissez, et dites-vous que sera-ce si Dieu ne m’accorde pas le temps ? Mais, répond-on, si Dieu me l’accorde ? Sans doute, il est arrivé que Dieu a accordé du temps ; mais le temps présent est plus sûr, plus avantageux que ce temps à venir. Si, à partir de ce moment, vous commencez à bien vivre, c’est tout profit pour vous, soit que vous receviez, soit que vous ne receviez pas de délai ; mais si vous différez toujours, cet ajournement sera précisément pour lui une raison de vous refuser un délai. En effet, quand vous partez pour la guerre, vous ne dites pas : à quoi bon faire mon testament, peut-être reviendrai-je ; au moment de conclure un mariage, vous ne dites pas : je prendrai une femme pauvre ; beaucoup de gens en effet, contre toute attente, même dans ces conditions, sont arrivés à la fortune ; quand vous construisez une maison, vous ne dites pas : je jetterai des fondations ruineuses ; même dans ces conditions, beaucoup d’édifices ont pu se soutenir ; et quand vous délibérez du salut de votre âme, c’est sur ce qu’il y a de plus ruineux, sur un « peut-être », sur un « souvent », sur un « quelquefois », sur ce qu’il y a de plus incertain que vous étayez votre confiance ! Ce n’est pas, me répond-on, sur l’incertain, mais sur la bonté de Dieu pour les hommes ; car Dieu est plein de bonté pour les hommes. Je suis le premier à le reconnaître, mais ce Dieu plein de bonté pour les hommes, n’en a pas moins fait mourir ces coupables dont j’ai parlé ; et qu’arrivera-t-il si, après avoir reçu du temps, vous demeurez semblables à vous-mêmes ? Le lâche restera lâche jusque dans sa vieillesse. Non, me réplique-t-on : mais je connais bien cette manière de compter ; après quatre-vingts ans, on en demande quatre-vingt-dix ; après quatre-vingt-dix, cent ; et après cent années on se montre plus lâche encore, et, de cette manière, c’est en vain que cette vie tout entière se dépense. Il vous arrivera à vous aussi, ce qui a été dit au sujet des Juifs : « Leurs jours les ont abandonnés dans la vanité » (Ps. 77,33), et plût au Ciel que ce fût seulement dans la vanité, et non de manière à vous conduire à votre perdition ; car si nous devons partir, d’ici chargés du lourd fardeau de nos péchés (voilà ce qui produit la perdition), nous apporterons un aliment au feu éternel, une riche pâture aux vers. C’est pourquoi je vous en prie, je vous en conjure, sachons donc nous arrêter avec une généreuse fierté, rompre avec la corruption, afin d’obtenir les biens (lui nous sont annoncés ; puissions-nous tous entrer dans ce partagé, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XXIII. modifier


PLUT À DIEU QUE VOUS VOULUSSIEZ UN PEU SUPPORTER MON IMPRUDENCE ! ET SUPPORTEZ-LA, JE VOUS PRIE. (XI, 1, JUSQU’À 12)

Analyse. modifier

  • 1. Dans ce monde on est vierge jusqu’au mariage ; il n’en est plus de môme après ; dans l’Église, c’est tout le contraire : ceux mômes qui n’étaient pas vierges avant leur mariage avec Jésus-Christ, après ce mariage, deviennent des vierges.
  • 2 et 3. Contre les orgueilleux qui, tout en prêchant la môme doctrine que les apôtres, se croient supérieurs à eux, parce qu’ils disent tout autant en plus de mots.
  • 4. Du peu d’instruction de Paul en ce qui concerne les beaux discours ; mais la vérité de Jésus-Christ était en lui.— De son abaissement pour élever les autres.— De son mépris de l’argent et de sa fierté dans sa pauvreté.— Infatuation des orgueilleux qui se glorifient de ne rien recevoir de personne.
  • 5 et 6. Du vrai mépris de, la richesse, fondé sur la vanité des choses humaines ; non sur l’orgueil, mais sur la vertu.— L’avarice, cause de tous les maux.


1. Au moment de se mettre à faire son propre éloge, il prend une foule de précautions. Ce n’est pas une fois ou deux seulement qu’il montre cette réserve ; cependant la nécessité du sujet devait être pour lui une excuse suffisante, outre tant de preuves d’humilité déjà données par lui. Celui qui gardait le souvenir des péchés que Dieu avait oubliés, celui qui, en rappelant sa vie première, se déclarait indigne du titre d’apôtre, celui-là, même aux yeux des hommes les plus dépourvus de sens, ne peut pas paraître un glorieux, débitant, pour se vanter, les paroles qu’il va maintenant faire entendre. En effet, pour dire quelque chose d’étrange, sa gloire même était fort compromise en ce qu’il parlait de ses actions, car se louer, c’est se rendre à charge au grand nombre. Toutefois il ne s’arrête à aucune des considérations de ce genre, il ne voulut voir qu’une chose, le salut de ses auditeurs. Donc, pour ne blesser en rien les insensés par l’éloge qu’il allait faire de lui-même, il s’entoure d’une foule de précautions, il dit : « Plût à Dieu que « vous voulussiez un peu supporter mon imprudence ! et supportez-la, je vous prie ». Quelle prudence dans ces paroles ! Leur dire : « Plût à Dieu que vous voulussiez », c’est leur dire que tout dépend d’eux ; or cette affirmation montre toute la hardiesse que lui inspire leur affection, qu’il les aime, qu’il en est aimé ; disons mieux : ce n’est pas en vue d’une affection mesquine, c’est sous l’influence d’un amour ardent, violent, qu’ils doivent, selon lui, supporter son imprudence. Ce qui fait qu’il ajoute : « Car j’ai pour vous un amour de jalousie, et d’une jalousie de Dieu (2) ».
Il ne dit pas : je vous aime, il se sert d’une expression beaucoup plus vive. La jalousie est le propre des âmes qu’embrase un amour violent, la jalousie n’a d’autre source qu’une ardente et violente affection. Ensuite, pour prévenir cette pensée, que s’il recherche leur amour c’est par un désir d’honneur, ou d’argent, ou de quelque autre chose, il ajoute : « D’une jalousie de Dieu ». Si l’on dit la jalousie de Dieu, ce n’est pas que cette passion puisse être soupçonnée en lui ; Dieu est au-dessus des passions humaines ; l’apôtre veut faire comprendre à tous qu’il n’est jaloux que du bonheur de ceux pour qui il fait toutes choses ; ce n’est pas afin d’y trouver quelque profit pour lui-même, c’est afin de les sauver. Chez les hommes, le jaloux ne cherche que son repos à lui ; il ne songe pas aux outrages faits à l’objet aimé, mais à ceux qui lui sont faits, à lui qui aime, et qui n’est pas considéré, aimé comme il aime, par l’objet de son affection. Or, la jalousie de Paul n’a nullement ce caractère. Je ne m’inquiète pas, dit-il, de ne pas trouver en vous, pour moi, les sentiments que j’ai pour vous ; ce qui m’occupe, c’est, que vous ne vous corrompiez pas. Telle est la jalousie de Dieu, telle est la mienne, à la fois vive et pure. Ajoutez à cela, que la cause de cette affection la rend nécessaire : « Parce que je vous ai fiancés à cet unique époux, pour « vous présenter à lui comme une vierge toute « pure ».
Ce n’est donc pas pour moi que je suis jaloux, mais pour celui à qui je vous ai fiancés. Le temps présent est le temps des fiançailles ; le temps des noces ne viendra qu’après, quand on dira : voici l’époux ! O merveille ! Dans le monde on reste vierge jusqu’au mariage ; après le mariage il n’en est plus de même. Ici, c’est le contraire ; quand on ne serait pas vierge avant le mariage, on le devient après ; c’est ainsi que l’Église tout entière est vierge. Car ce que dit l’apôtre s’adresse à tous les hommes, à toutes les femmes qu’unit le mariage. Mais maintenant voyons ce qu’il apporte en nous fiançant, quelle est la dot : ni or ni argent ; le royaume des cieux. Voilà pourquoi il a dit : « Nous faisons donc, pour le Christ, les fonctions d’ambassadeurs » (2Cor. 5,20) ; et il a recours aux prières pour prendre sa fiancée. On vit une figure de ceci au temps d’Abraham. Ce patriarche envoya son fidèle serviteur pour fiancer son fils à une jeune fille étrangère ; notre Dieu aussi a envoyé ses serviteurs pour fiancer l’Église à son fils, il a envoyé les prophètes qui faisaient autrefois entendre ces paroles : « Écoutez, ma fille, et voyez et oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi désirera de voir votre beauté ». (Ps. 44,10-11) Voyez-vous le prophète faisant lui-même des fiançailles ? Voyez-vous, l’apôtre de son côté, prononçant avec une entière confiance des paroles du même genre, quand il dit : « Je vous ai fiancés à cet unique époux, pour vous présenter comme une vierge toute pure à Jésus-Christ ? » Voyez-vous encore tout ce qu’il montre de sagesse ? En disant, plût à Dieu que vous voulussiez me supporter, il ne dit pas, car je suis votre docteur, ni, car c’est moi qui vous parle, il leur dit ce qui devait avoir pour eux la plus grande valeur, il se représente, lui, comme l’agent du mariage, il les représente, eux, comme l’épousée.
Et ensuite il ajoute : « Mais j’appréhende qu’ainsi que le serpent séduisit Eve par ses artifices, vos esprits aussi ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité en Jésus-Christ (3) ». Car quoique la perdition fût pour vous seuls, la douleur m’en serait néanmoins commune avec vous. Et considérez la sagesse de l’apôtre : il ne parle pas ouvertement de leur corruption, bien qu’elle ne fût que trop vraie, comme le prouvent ces paroles : « Lorsque vous aurez satisfait à tout ce que l’obéissance demande de vous, et que je ne sois « obligé d’en pleurer plusieurs qui ont péché » (2Cor. 10,6 ; 12,21), toutefois, il les force à rougir ; voilà pourquoi il dit : « J’appréhende que » ; il ne condamne pas, il ne garde pas non plus le silence ; ni l’un ni l’autre de ces deux partis n’était sûr, il ne fallait ni parler ouvertement, ni garder le tout caché jusqu’au bout. Voilà pourquoi il prend une expression intermédiaire, « j’appréhende que », qui ne marque ni une condamnation, ni une grande confiance, qui est à égale distance des deux jugements contraires. Voilà comment il les avertit ; l’histoire qu’il leur rappelle était faite pour les frapper de terreur, pour leur montrer qu’ils étaient inexcusables. En effet, quoique le serpent fût rusé, la femme insensée, aucune de ces considérations n’a sauvé la femme.
2. Prenez donc garde, dit-il, de ne pas courir le même sort, et de ne trouver aucun secours dans votre malheur. C’est par ses magnifiques promesses que le démon séduisit la femme, c’est de la même manière, par leur langage superbe, que ces orgueilleux égaraient les fidèles. Et c’est ce qui résulte, non seulement des paroles précédentes, mais de celles que l’apôtre ajoute ensuite : « Car si celui qui vient vous prêcher vous annonçait un autre Christ que celui que nous vous avons annoncé, ou s’il vous faisait recevoir un autre esprit que celui que vous avez reçu, ou s’il vous prêchait un autre Évangile que celui que vous avez embrassé, vous auriez raison de le souffrir ». Et il ne dit pas : J’appréhende que, comme Adam a été trompé, il montre que ce sont des femmes qui se laissent tromper ; car le propre des femmes, c’est d’être des dupes. Et il ne dit pas : J’appréhende que, de la même manière, vous ne soyez trompés ; il continue la comparaison, il dit : « Que vos esprits aussi ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité en Jésus-Christ » ; je dis simplicité et non pas malice ; ce ne serait ni de la malice, ni du manque de foi que viendrait votre mal, mais de votre simplicité. Toutefois, on n’est pas excusable parce que l’on se laisse tromper même par trop de simplicité ; c’est ce que l’exemple d’Eve sert à montrer. Si la simplicité n’excuse pas en pareil cas, que sera-ce de la vanité ?
« Car si celui qui vient vous prêcher vous annonçait un autre Christ que celui que nous vous avons annoncé ». Ces paroles montrent que si les Corinthiens se corrompent, ce n’est pas d’eux-mêmes, mais qu’il leur vient du dehors des gens qui les trompent ; de là cette expression : « Celui qui vient. Ou s’il vous faisait recevoir un autre esprit que celui que vous avez reçu, ou s’il vous prêchait un autre Évangile que celui que vous avez embrassé, vous auriez raison de le souffrir (4) ». Que dites-vous ? C’est vous-même qui disiez aux Galates : « Si quelqu’un vous annonce un Évangile différent de celui que vous avez reçu ; qu’il soit anathème (Gal. 1,9), et c’est vous qui dites maintenant, vous auriez raison « de le souffrir ? » Comment ! Bien loin de le souffrir, il faudrait se reculer avec horreur ; si l’on prêche le même Évangile, voilà la seule prédication qui se doive souffrir. Comment donc prétendez-vous que si l’on ne prêche que le même Évangile, on ne doit pas le souffrir ? Si l’on en prêchait un autre, dites-vous, on devrait le souffrir ? Appliquons ici notre attention ; le danger est grand, nous sommes auprès d’un affreux précipice, n’allons pas devant nous sans attention, ce passage mal interprété ouvrirait la voie à toutes les hérésies. Quel est donc le sens de ces paroles ?
Ces orgueilleux se vantaient de ce que l’enseignement des apôtres étant défectueux, ils étaient eux-mêmes en mesure de le compléter. On peut croire que ces gens gonflés de vanité introduisaient dans les dogmes des extravagances de leur propre fonds. Voilà pourquoi l’apôtre rappelle, et le serpent, et la malheureuse Eve, trompée par un excès de prétention. C’est ce qu’il disait à mots couverts dans la première épître : « Vous êtes déjà riches, vous régnez sans nous » ; et encore : « Nous sommes fous pour l’amour de Jésus-Christ, mais vous autres, vous êtes sages en Jésus-Christ ». (1Cor. 4,8, 10) Il est probable que si l’apôtre leur adresse ces paroles, c’est qu’enflés de leur sagesse profane, ils débitaient beaucoup de frivolités ; voilà pourquoi il leur dit : Si ces hommes disaient du nouveau, s’ils prêchaient un autre Christ qu’il ne fallait pas prêcher, que nous aurions oublié, nous, vous auriez raison de le souffrir ; c’est ce qui fait qu’il ajoute : « Que celui que nous vous avons annonce ». Mais maintenant, si les articles principaux de la foi sont les mêmes, quel avantage ont-ils sur nous ? Quoi qu’ils puissent dire, ils ne diront rien de plus que ce que nous avons dit. Admirez la précision du langage ; il ne dit pas : si celui qui vient, vous dit quelque chose de plus ; car ces gens-là disaient quelque chose de plus, leurs harangues avaient plus d’abondance et aussi plus de beauté dans les expressions. Voilà pourquoi l’apôtre ne s’exprime pas comme je viens de le supposer, mais que dit-il : « Si celui qui vient, vous annonçait un autre Christ », ce en quoi l’art des paroles est parfaitement inutile ; « ou s’il vous faisait recevoir un autre esprit » ; ici encore, les phrases n’ont rien à faire, c’est-à-dire, s’il vous rendait plus riches, quant à la grâce ; « ou s’il vous prêchait un autre Évangile que celui que vous avez reçu » ; ici encore les phrases ne servent à rien : « vous auriez raison de le souffrir ». Considérez donc, je vous en prie, comment toutes les expressions de l’apôtre montrent distinctement que ces hommes n’ont rien dit de plus, qu’ils n’ont rien ajouté. En s’exprimant ainsi : « Si celui qui vient, vous annonçait un autre Christ », il a soin d’ajouter que « celui que nous vous avons annoncé » ; après, « s’il vous faisait recevoir un autre esprit », il met tout de suite, « que celui que vous avez reçu » ; et après, « ou s’il vous prêchait un autre Évangile », il ajoute aussitôt, « que celui que vous avez embrassé » ; et toutes les paroles de l’apôtre démontrent qu’il ne faut pas accueillir simplement ce qu’ils peuvent dire de plus, mais ce qu’ils disent de plus, quant aux vérités qu’il fallait dire, et que nous aurions oubliées. Si nous n’avons négligé de dire que ce qu’il ne fallait pas dire, pourquoi leur accordez-vous votre admiration ?
3. Mais, dira-t-on, si leur langage est le même, pourquoi les empêcher de parler ? C’est parce que, d’une manière hypocrite, ils introduisent des dogmes étrangers. Toutefois l’apôtre ne le dit pas encore, il ne donnera cette raison que plus tard ; en s’exprimant ainsi, ils se déguisent en apôtres du Christ ; en attendant, il prend les moyens les plus doux pour soustraire les disciples à leur autorité, non qu’il fut jaloux de leur puissance, mais par intérêt pour les fidèles. En effet, pourquoi n’empêche-t-il pas Apollon, personnage éloquent, versé dans la connaissance des Écritures, d’enseigner la doctrine, pourquoi va-t-il jusqu’à promettre de l’envoyer ? C’est qu’Apollon faisait servir sa science à défendre l’intégrité de la doctrine ; les autres faisaient le contraire. Voilà pourquoi l’apôtre leur fait la guerre, et blâme les disciples épris d’admiration pour eux, pourquoi il leur dit : si nous avons oublié quelqu’une des vérités qui devaient être dites, si ces gens-là ont complété ce que nous avions laissé défectueux, nous ne vous empêchons pas de vous appliquer à leur enseignement ; mais si tout l’édifice a été construit par nous, si nous n’avons rien omis, d’où vient que ceux-là se sont emparés de vos esprits ? De là, ce qu’il ajoute : « Mais je ne pense pas avoir été inférieur en rien aux plus grands d’entre les apôtres (5) ».
Ici ce n’est plus avec les faux apôtres qu’il se compare, mais avec Pierre, avec les autres apôtres. Si ces gens-là savent quelque chose de plus que moi, ils savent aussi quelque chose de plus que ces grands apôtres. Et voyez encore ici avec quelle mesure Paul s’exprime. Il ne dit pas : les apôtres n’ont rien dit de plus que moi ; comment s’énonce-t-il : « Je ne pense « pas », c’est mon sentiment que je ne suis en rien dépassé par les plus grands apôtres. Il pouvait paraître au-dessous des autres apôtres, parce que ceux-ci, l’ayant précédé dans la prédication, avaient un plus grand nom, s’étaient acquis plus de gloire ; les adversaires de Paul voulaient s’introduire dans leurs rangs ; de là ce que dit l’apôtre en se comparant aux anciens avec une parfaite convenance. C’est pourquoi il les cite avec les éloges qui leur sont dus, et il ne se contente pas de dire : je ne suis pas inférieur aux apôtres ; mais « aux plus grands d’entre les apôtres », montrant par là Pierre et Jacques et Jean.
« Si je suis peu instruit pour la parole, il n’en est pas de même pour la science (6) ». La supériorité de ceux qui corrompaient les Corinthiens consistait en leur science de la parole, et l’apôtre tient à montrer que, loin de rougir de son peu d’instruction sur ce point, il s’en glorifie au contraire. Il ne dit pas : si je suis peu instruit pour la parole, il en est de même aussi de ces grands apôtres ; on eût pu voir dans cette manière de parler, un outrage aux apôtres, un éloge pour les beaux diseurs ; Paul rabaisse leur mérite, leur sagesse extérieure. Dans sa première lettre, il s’attache fortement à montrer que cette science de parole, non seulement ne sert en rien à la prédication, mais obscurcit la gloire de la croix. « En effet », dit-il, « je suis venu vers vous sans les discours élevés de l’éloquence et de la sagesse humaine, pour ne pas rendre vaine la croix de Jésus-Christ » (1Cor. 11,1 ; 1, 17) ; et bien d’autres protestations du même genre prouvent la plus grande grossièreté en fait de connaissances humaines ; ce qui est pour les hommes le comble de la grossièreté.
Donc quand il fallait se comparer avec quelqu’un relativement aux grandes choses, il se comparait aux apôtres ; quand il ne fallait que s’expliquer sur une prétendue infériorité, il ne procédait plus de même ; on le voit alors s’attacher à ce qu’on attaque, et prouver que ce que l’on prend pour un désavantage est au contraire un avantage réel. Quand aucune nécessité ne le presse, il se nomme le dernier des apôtres, il se déclare indigne de porter ce titre ; mais aussi, dans d’autres circonstances, il affirme qu’il n’a été inférieur en rien aux plus grands des apôtres. C’est qu’il savait bien que ces paroles seraient de la plus grande utilité pour les disciples. Aussi ajoute-t-il : « Mais nous nous sommes montrés à découvert parmi vous, en toutes choses ». Il faut voir ici une nouvelle accusation contre les faux apôtres qui usaient de dissimulation. Il avait déjà déclaré en parlant de lui-même qu’il ne prenait pas de masque, qu’il n’y avait ni esprit de fraude, ni amour du gain dans sa prédication. Au contraire, les personnages dont il parle, étaient autres en réalité qu’en apparence ; mais l’apôtre ne leur ressemblait pas. Aussi le voit-on partout se féliciter de ne rien faire pour une gloire humaine, de ne rien cacher de ses actions. Il disait aussi auparavant : « C’est par la manifestation de la vérité que nous nous recommandons à toute conscience d’homme » (2Cor. 4,2) ; et maintenant c’est la même pensée qu’il exprime : « Nous « nous sommes montrés à découvert parmi « vous, en toutes choses ». Or qu’est-ce que cela veut dire ? Nous avons peu d’instruction, dit-il, et nous ne nous en cachons pas ; nous recevons de quelques-uns, et nous ne gardons pas le silence. Donc, nous recevons de vous, et nous n’affectons pas de ne rien recevoir, comme font ceux-ci qui reçoivent ; nous rendons tout manifeste à vos yeux. Langage d’un homme rempli de confiance pour ceux à qui il s’adresse, et qui ne dit rien que de vrai. Ce qui fait qu’il les prend eux-mêmes à témoin, et maintenant en leur disant, « parmi vous », et auparavant quand il leur écrivait : « Je ne vous écris que des choses dont vous reconnaissez la vérité, ou après les avoir lues ». (2Cor. 1,13)
Ensuite, après s’être justifié, il ajoute sévèrement : « Est-ce que j’ai fait une faute, en m’abaissant moi-même, afin de vous élever (7) ? » Pensée qu’il explique ainsi. « J’ai dépouillé les autres églises, en recevant d’elles l’assistance, pour vous servir (8) ». C’est-à-dire, je me suis trouvé dans la gêne ; car c’est là le sens de « m’abaissant moi-même ». Est-ce donc là ce que vous avez à me reprocher ? et vous vous élevez contre moi, parce que je me suis abaissé moi-même, parce que j’ai mendié, j’ai été pauvre, j’ai souffert de la faim pour vous élever ? Mais comment ceux-ci étaient-ils élevés, pendant que Paul était dans la pauvreté ? Ils n’en étaient que plus édifiés, ils n’y trouvaient aucun sujet de scandale. C’était par où ils méritaient le plus d’être accusés, c’était la marque la plus honteuse de leur faiblesse, que l’impossibilité où se trouvait l’apôtre de les relever, s’il ne commençait pas par se rabaisser lui-même. Est-ce donc là ce que vous me reprochez, que je me suis soumis à l’abaissement ? Mais c’est de cette manière que vous avez été élevés. Il a dit d’abord que ses adversaires lui reprochaient de paraître méprisable vu de près, de n’avoir de fierté qu’à distance ; il se justifie donc, et en même temps il fustige ses détracteurs : c’est pour vous, leur dit-il, que « j’ai dépouillé les autres églises ». Dès ce moment, il prend le ton du reproche, mais ce qui précède rend ce reproche plus facile à supporter. Il a dit en effet : supportez un peu mon imprudence, et, avant toutes ses autres bonnes œuvres, c’est de son désintéressement qu’il se glorifie. C’est en effet ce que le monde aime surtout, et c’est aussi de quoi se vantaient ses adversaires. Aussi l’apôtre ne parle-t-il pas d’abord des périls qu’il a bravés, des signes miraculeux qu’il a fait paraître ; il parle d’abord de son mépris pour l’argent, puisqu’ils s’enorgueillissaient au même titre : en même temps l’apôtre fait entendre qu’ils sont riches.
4. Ce que Paul a d’admirable, ici, c’est qu’au lieu de dire, comme il pouvait le faire, que ses mains le nourrissaient, il ne le dit pas ; il tourne sa phrase de manière à les faire rougir sans chanter ses louanges : j’ai reçu des autres, voilà ce qu’il exprime. Et il ne dit pas j’ai reçu, mais : « J’ai dépouillé », c’est-à-dire, j’ai mis à nu, je les appauvris. Et, ce qui est plus fort, ce n’est pas pour se procurer l’abondance, mais pour s’assurer du nécessaire ; l’assistance dont il parle, marque la nourriture nécessaire. Et, ce qui est plus grave : « Pour vous servir ». C’est à vous que nous prêchons, c’est de vous que je devais recevoir ma nourriture, c’est des autres que je l’ai reçue. Double faute, triple faute plutôt : il était auprès d’eux, c’était pour eux qu’il travaillait, il manquait de la nourriture qui lui était nécessaire, et ce sont les autres qui la lui ont fournie. Assurément ceux qui le nourrissaient étaient de beaucoup supérieurs à ceux qui le laissaient sans aliments. Lâche indolence d’un côté ; zèle de l’autre ; tandis qu’on envoyait de bien loin de quoi suffire aux besoins de l’apôtre, ceux qui l’avaient auprès d’eux ne le nourrissaient pas.
Ensuite, après les avoir vivement réprimandés, il adoucit ce que le reproche a de trop vif, il dit : « Et lorsque je demeurais parmi vous, et que j’étais dans la nécessité, je n’ai été à charge à personne (9) ». Il ne dit pas en effet : Vous ne m’avez rien donné, mais, je n’ai rien reçu. Il les ménage encore ; toutefois, même dans la réserve de son langage, il les frappe à la dérobée. Car ces paroles : « Lorsque je demeurais parmi vous » sont fort expressives, de même que : « et que j’étais dans la nécessité » ; et pour qu’on ne lui réponde pas, eh bien ! après, si vous aviez de quoi vous suffire ? il dit : « Et que j’étais dans la nécessité, je n’ai été à charge à personne ». Maintenant il y a encore ici un petit coup donné à ceux qui se refusaient à une contribution de ce genre, qui la regardaient comme une charge. Vient ensuite ce qui explique comment il n’a pas été à leur charge, et l’explication est un grave reproche et bien fait pour exciter leur amour-propre jaloux. Aussi ne fait-il pas, de cette explication, son objet principal ; c’est un accessoire pour montrer comment et par qui il a été nourri, et il pourra ainsi, sans qu’on s’en doute, provoquer l’ardeur pour l’aumône. « Mes besoins », dit-il, « ont été « satisfaits par nos frères venus de Macédoine ». Voyez-vous cette manière de les piquer au vif, en parlant de ceux qui l’ont assisté ? Il a commencé par leur inspirer le désir de savoir quelles personnes l’avaient secouru, quand il a dit : « J’ai dépouillé les autres églises », et maintenant il dit leurs noms ; ce qui était fait pour exciter à l’aumône ceux qui l’écoutaient. Ils s’étaient laissé vaincre en ne pensant pas à nourrir l’apôtre, et il leur fait sentir qu’on ne doit pas se laisser vaincre quand il s’agit de secourir les pauvres. Il écrit à ces mêmes Macédoniens : « Vous m’avez envoyé deux fois de quoi satisfaire à mes besoins, quand j’ai commencé la prédication de l’Évangile » ; (Phil. 4,16 et 15) c’était une gloire insigne pour eux d’avoir ainsi fait, dès les premiers jours, briller leur vertu. Maintenant remarquez bien, partout il n’est question que des nécessités, nulle part de richesses superflues. Donc en disant : « Lorsque, je demeurais parmi vous, et que j’étais dans la nécessité », il montre assez que les Corinthiens auraient dû le nourrir ; en disant : « Mes besoins ont été satisfaits », il montre qu’il n’a rien demandé. Il évite ici de donner la vraie raison. Quelle raison donne-t-il ? à savoir que d’autres l’avaient assisté. « Mes besoins », dit-il, « ont été satisfaits par nos frères venus ». Voilà pourquoi, dit-il, « je n’ai été à charge à personne » parmi vous ; ce n’est pas que je n’eusse point de confiance en vous. Par cette manière de parler, il n’en dit pas moins ce qu’il veut dire ; la suite rend sa pensée manifeste ; il ne l’exprime pas à découvert, il la recouvre d’une ombre, l’abandonnant à la conscience de ceux qui l’écoutent. Il parle encore à mots couverts dans ce qu’il ajoute aussitôt après : « Et j’ai pris garde à ne vous être à charge en quoi que ce soit, comme je ferai encore à l’avenir ». N’allez pas vous imaginer, leur dit-il, que ce que j’en dis, c’est pour recevoir quelque chose. Le « comme je ferai encore à l’avenir » est mordant, s’il entend par là qu’il n’a pas encore de confiance en eux, qu’il a désespéré une fois pour toutes de rien recevoir d’eux. Il leur montre qu’ils le considéraient comme une charge ; voilà pourquoi il leur dit : « J’ai pris garde à ne vous être à charge en quoi que ce soit, comme je ferai encore à l’avenir ». Il exprimait la même pensée dans la première épître : « Je ne vous écris point ceci, afin qu’on en use ainsi envers moi, car j’aimerais mieux mourir que de voir quelqu’un me faire perdre cette gloire ». (1Cor. 9,15) Et ici de même : « J’ai pris garde à ne vous être à charge en quoi que ce soit, comme je ferai encore à l’avenir ».
Ensuite il ne veut pas que ces paroles puissent être considérées comme un moyen pour lui, de se concilier leur faveur ; il leur dit « J’ai la vérité de Jésus-Christ en moi ». Cardez-vous de croire que ce que je vous dis, c’est pour recevoir quelque chose, pour vous attirer à moi davantage. « J’ai la vérité de Jésus-Christ en moi, et je vous assure qu’on n’arrêtera point le cours de ma gloire dans les terres de l’Achaïe (10) ». Il ne veut pas non plus qu’on s’imagine que c’est pour lui un sujet de chagrin, que c’est la colère qui le fait parler ; et ce qui lui arrive, il le montre comme un titre de gloire. Dans la première épître, même affirmation. Là, pour ne pas les blesser, il dit : « Quel est donc mon salaire ? de prêcher gratuitement l’Évangile de Jésus-Christ ». (1Cor. 9,18) Ce qu’il appelle salaire dans cette épître, il l’appelle maintenant ici un titre de gloire, afin que ceux qui l’écoutent n’aient pas trop à rougir de ne rien accorder à ses demandes. Car si vous me donniez, que s’ensuivrait-il ? Je ne veux rien recevoir. Quant à l’expression : « On n’arrêtera point le cours de ma gloire », c’est une image prise des cours d’eau ; sa gloire se répandait partout, parce qu’il ne recevait rien. Vous ne mettrez pas par vos dons une digue à ma liberté. Mais il ne dit pas : Vous n’arrêterez pas…, l’expression eût été choquante ; il dit : « On n’arrêtera point « le cours de ma gloire dans tes terres de « l’Achaïe ». Mais c’était encore leur porter un coup bien sensible, que de parler de la sorte ; c’était les remplir de confusion et de chagrin ; ils étaient donc les seuls auxquels il répondît par des refus. Si c’était pour lui un titre de gloire, ce devait être partout un titre de gloire ; si je ne me glorifie de mes refus qu’en ce qui vous concerne vous seuls, c’est probablement à cause de votre faiblesse.
Ces considérations auraient pu les attrister, l’apôtre prévient cette tristesse : voyez comment il adoucit son langage. « Et pourquoi ? Est-ce que je ne vous aime pas ? Dieu le sait (11) ». Il se hâte d’arriver à la solution, dé les délivrer de toute peine. Toutefois, même de cette manière, il ne les met pas hors de cause. Il ne leur dit pas, c’est que vous êtes faibles, ni, c’est que vous êtes forts ; mais, c’est que je vous aime, et c’était là ce qui chargeait le plus l’accusation. Il donnait une grande marque de son amour pour eux, en ne recevant rien d’eux, après les avoir vivement réprimandés.
5. L’amour donc lui faisait tenir deux conduites opposées : il recevait et il ne recevait pas ; or, cette opposition provenait des dispositions contraires de ceux qui donnaient. Et il ne leur dit pas : Ce qui tait que je ne reçois rien de vous, c’est que j’ai une vive affection pour vous ; comme il vient d’accuser leur faiblesse, et de les confondre, il donne de sa conduite une autre explication. Quelle est elle ? « C’est afin de retrancher une occasion à ceux qui veulent une occasion de se glorifier, en faisant comme nous (12) ». Ils cherchaient un prétexte qui devait leur être enlevé. C’était là, en effet, pour eux, le seul motif de se glorifier. Il fallait donc leur enlever cet avantage, les corriger sur ce point, car, pour le reste, leur infériorité était notoire. Rien, comme je l’ai déjà dit, n’édifie tant les mondains que la position d’un homme qui ne reçoit rien. Aussi le démon n’écoutant que sa perversité, leur avait surtout jeté cette amorce, afin de leur nuire par d’autres moyens. Je ne vois là que de l’hypocrisie. Aussi l’apôtre ne dit pas : une occasion de pratiquer la perfection de la vertu, mais que dit-il ? « De se glorifier ». Par ces paroles, l’apôtre se raillait de leur arrogance ; car ils se glorifiaient même des vertus qu’ils n’avaient pas. L’homme bien doué non seulement ne se glorifie pas de ce qu’il ne possède pas, mais il ne se reconnaît même pas celles qu’il possède. Telle était la conduite de notre bienheureux Paul, telle était celle du patriarche Abraham, disant : « Je ne suis que terre et que cendre. ». (Gen. 18,27) Ce saint homme ne trouvant en lui aucun péché, brillant de toutes les vertus, avait beau s’examiner, impossible à lui de découvrir un titre pour s’accuser lui-même, et il était obligé de se rabattre sur sa nature ; et trouvant le mot de terre encore trop respectable, il y joignait le mot cendre. D’où vient qu’un autre disait aussi : « Qui donne de l’orgueil à la terre et à la cendre ? » (Sir. 9,10)
Ne me vantez plus l’éclat de ce teint vermeil, ni cette tête si fièrement levée, ni la distinction des vêtements, ni les coursiers, ni les cortèges : quelle est la fin où tendent tous ces avantages, au bout de toute chose mettez cette fin. Si vous me parlez des choses visibles, je vous objecterai les peintures qui les surpassent de beaucoup en éclat ; et comme nous n’admirons pas les peintures, parce que nous voyons que toute leur essence n’est que de la boue, de même n’admirons pas les splendeurs de la vie, car il n’y a là encore que de la boue. Avant même la décomposition, la réduction en poussière, montrez-la-moi, cette noble tête, montrez-moi ce fiévreux qui râle ; et alors causons ensemble, et je vous demande ce qu’est devenu toute cette pompe. Où est-elle passée toute cette année de flatteurs, de serviteurs, d’esclaves, et cette abondance, et cette opulence, et tant de possessions ? Quel coup de vent a tout emporté ? Mais, dira-t-on, même sur le lit où il est étendu, ce riche porte les marques de son luxe, de magnifiques étoffes le recouvrent, pauvres et riches escortent ses funérailles, où se mêlent les bénédictions des peuples. Voilà surtout en quoi consiste la dérision ; quoi qu’il en soit, tout cela c’est la fleur qui passe. Une fois que nous aurons de nouveau franchi le seuil des portes de la ville, après avoir livré le corps aux vers, et que nous serons de retour, je veux vous demander encore où s’en est allée cette grande multitude, ce qu’est devenu ce concert de clameurs, ce tumulte ; et ces torches, qu’en a-t-on fait ? Où sont ces chœurs de femmes ? Est-ce que tout cela n’est qu’un songe ? Et ces cris, où sont-ils ? Et que font-elles maintenant toutes ces bouches vociférant avec un grand bruit, et conseillant la confiance, parce que la mort n’est rien ? Certes, ce n’est pas lorsqu’un homme ne les entend plus, qu’il faut lui dire ces choses ; mais quand il se livrait aux rapines, à la passion d’amasser, c’était alors qu’il fallait, en modifiant un peu les paroles, lui dire : pas de confiance, parce que rien n’échappe à la mort ; réprime ta fureur insensée, éteins ta cupidité. Ce mot, confiance, il faut le dire à celui qui souffre l’injustice.
De telles paroles, en ce moment, pour ce mort, c’est un ménagement plein d’ironie ; il n’a plus de sujet maintenant d’éprouver de la confiance, il n’a plus qu’à craindre, qu’à trembler. Mais s’il est désormais inutile de dire ces choses à ce malheureux sorti du stade de la vie, que ceux qui sont malades comme il l’était, que les riches qui l’accompagnent à sa sépulture, entendent la vérité. Si, jusqu’à ce moment, l’enivrement des richesses les a empêchés de concevoir des pensées sérieuses, qu’à cette heure au moins, quand la vue de ce mort confirme nos paroles, ils reviennent à la sagesse, qu’ils s’instruisent, qu’ils considèrent qu’on viendra bientôt les chercher, eux aussi, pour les conduire au tribunal où se rendent les comptes redoutables, où il leur faudra expier leurs rapines, leur cupidité que rien ne rassasiait. Et à quoi bon ces réflexions pour les pauvres ? me répondra-t-on. C’est un très-grand plaisir pour la foule de voir le châtiaient de celui qui commet l’injustice ; mais, pour nous, ce n’est pas un plaisir : notre plaisir à nous, c’est d’être hors des atteintes du mal. Je vous loue vivement, et je vous félicite de ces dispositions, vous faites bien de ne pas vous réjouir des malheurs d’autrui, de ne regarder comme un bonheur que votre propre sécurité. Eh bien ! cette sécurité, je vous la promets. Quand les hommes nous font du mal, nous nous libérons d’une partie considérable de notre dette, en supportant courageusement ce qui nous arrive. Nous n’éprouvons, à coup sûr, aucun dommage : Dieu nous tient compte de la vexation qui nous est faite, c’est autant de payé sur ce que nous lui devons, et ce n’est pas sa justice qui fait le calcul, mais son amour pour nous. Voilà pourquoi il n’est pas descendu au secours de celui à qui l’on fait du mal. Où est votre preuve ? me dit-on. Les Babyloniens ont fait du mal aux Juifs, Dieu ne s’y est point opposé, et l’on a emmené en servitude les enfants et les femmes. Eh bien ! après cette captivité, qui leur a été comptée comme une expiation de leurs fautes, ce peuple a été consolé. De là ces paroles inspirées par Dieu à Isaïe : « Consolez, consolez mon peuple, ô prêtres ; parlez au cœur de Jérusalem, elle a reçu de la main du Seigneur des peines doubles de ses péchés » (Is. 40,1-2) ; et encore : « Donnez-nous la paix, car vous nous avez tout rendu ». (Id. 26,12) Et David dit : « Voyez mes ennemis qui se sont multipliés, et remettez-moi tous mes péchés ». (Ps. 24,19, 18) Et quand Seméï l’outrageait, David résigné disait : « Laissez-le faire, afin que le Seigneur voie mon humiliation, et me donne la rémunération en échange de ce jour ». (2Sa. 16,11, 12) Car lorsque Dieu ne venge pas les injures qu’on nous fait, c’est alors que nous faisons le plus de profits ; il nous compte pour vertu notre résignation qui le bénit.
6. Donc, lorsque vous voyez un riche ravissant le bien d’un pauvre, ne vous occupez pas de celui à qui l’on fait du tort, pleurez sur le ravisseur. Le pauvre se purifie de ses souillures, le riche se souille. C’est ce qui arriva au serviteur d’Élisée avec Naaman. (2R. 5) Car si ce serviteur ne ravit point, il consentit à recevoir frauduleusement ; en cela consistait sa faute. Qu’y a-t-il gagné ? une faute de plus, et avec cette faute, la lèpre ; celui à qui on faisait du tort, y trouvait son profit ; et celui qui faisait du tort, éprouvait les plus grands maux. C’est aujourd’hui l’histoire de l’âme ; et cela s’étend si loin que souvent le mal éprouvé suffit seul pour rendre Dieu propice : celui à qui l’on fait du mal a beau être indigne d’assistance, l’excès de son malheur suffit pour lui attirer le pardon de Dieu, pour décider Dieu à se porter son vengeur. De là, ces paroles adressées autrefois par Dieu à des barbares à qui il avait confié sa vengeance : « Je ne les avais envoyés que pour un léger châtiment, et ils ont ajouté beaucoup de maux de leur, chef. ». (Zac. 1,15) Et voilà pourquoi ils souffriront des maux sans remèdes. Non, non, il, n’est rien qui excite autant la colère de Dieu que la rapine, la violence, l’insatiable cupidité. Pourquoi ? parce que rien n’est plus facile que de s’abstenir de ce péché. Il n’y a pas là un désir naturel ; ce désordre n’est que le fruit de notre indolence. Pourquoi donc l’apôtre l’appelle-t-il la racine de tous les maux ? Je dis comme lui, mais ne l’imputons qu’à nous-mêmes, cette racine ; et non à la nature. Si vous le voulez, établissons la comparaison : voyons quelle est la plus tyrannique, de la cupidité ou de la concupiscence ; la passion qui sera convaincue d’avoir abattu les grands hommes, c’est la plus funeste. Voyons donc quel grand homme a été la proie de la cupidité ! Il n’en est aucun ; nous ne trouvons que des êtres misérables, abjects, un Giézi, un Achab de Juda, les prêtres des Juifs. Mais la concupiscence, elle a triomphé du grand prophète David. Ces paroles q ne je prononce ne tendent pas a excuse ceux qui se laissent prendre par cette passion, mais bien plutôt à les rendre vigilants. Quand je montre la grandeur de ce mal, je montre combien l’indolence ne mérite aucune excuse. En effet, si vous ignoriez ce que c’est que cette bête féroce, vous pourriez chercher auprès d’elle votre refuge ; mais si, quand vous la connaissez, vous allez tomber sous ses coups, vous ne sauriez rien dire pour vous, justifier : Après David, son fils y succomba plus encore. Certes, pourtant nul ne le surpassa jamais en sagesse ; il fut, orné en outre de toutes les vertus ; cependant il fut tellement la proie de cette passion, qu’elle lui fit de mortelles blessures. Le père se releva de la chute, renouvela ses combats, reconquit sa couronne ; le fils ne nous montre pas le même spectacle. Aussi Paul disait : « Mieux vaut se marier, que de brûler » (1Cor. 7,9) ; et le Christ : « Qui peut comprendre ceci, le comprenne. » (Mt. 19,12) Pour les richesses, il n’en est pas de même ; mais : « Quiconque aura quitté ses biens, recevra le centuple ». (Id. 29)
Mais comment donc, objecterez-vous, a-t-il pu dire des riches, qu’ils obtiendront difficilement le royaume des cieux ? (Ibid. 23) Ces paroles sont faites pour laisser soupçonner ce qu’il y a en eux de mollesse ; les richesses n’exercent pas un empire tyrannique, mais les riches s’obstinent à y demeurer asservis. C’est ce que démontre le conseil de Paul. Pour détourner de la cupidité, il dit : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation ». (1Tim. 6,9) A propos de la concupiscence, il ne tient pas le même langage ; après une courte séparation du consentement mutuel du mari et de la femme, il les avertit de se rapprocher. Il redoutait les flots d’une passion débordée, il redoutait un naufrage sinistre : Cette passion a plus de violence que la colère même : la colère est impossible en l’absence de tout objet qui l’excite ; mais la concupiscence s’éveille même en l’absence de la beauté qui provoque les désirs. Voilà pourquoi l’apôtre ne condamne pas d’une manière absolue cette passion ; il ajoute qu’il ne faut pas y céder « sans cause » ; ce n’est pas le désir même qu’il supprime, mais le désir quand il est coupable. « À cause de la concupiscence », dit-il, « que chaque homme possède sa femme à lui ». (1Cor. 7,2)
Mais, pour ce qui est de thésauriser, l’apôtre n’admet pas la distinction de cause et de sans cause. Les passions utiles ont été misés en nous par la nature ; les désirs des sens répondent à la procréation des enfants ; la colère est un secours pour ceux qui souffrent de l’injustice ; le désir des richesses ne répond à aucune nécessité. Ce n’est donc pas une passion naturelle. C’est pourquoi s’il vous arrive d’être vaincus par ce mal, votre défaite sera d’autant plus honteuse. Voilà pourquoi Paul, qui permet jusqu’à un second mariage, est si rigoureux en ce qui concerne les richesses « Pourquoi », dit-il, « ne souffrez-vous pas plutôt, qu’on vous fasse tort ? pourquoi ne consentez-vous pas plutôt à perdre ? » (1Cor. 6,7) Sur la virginité il dit : « Je n’ai point, reçu de commandement du Seigneur ; et je vous dis ceci pour votre utilité, non pour vous tendre un piège » (1Cor. 7,25, 35) ; mais c’est un autre langage, s’i1 vient à parler d’argent : « Ayant de quoi nous couvrir, et de la nourriture, contentons-nous-en ». (1Tim. 6,8) Comment donc se fait-il, dira-t-on, que le grand nombre succombe à cette passion ? C’est qu’on n’est pas préparé à la combattre, comme on l’est à repousser l’impudicité, la fornication ; si la cupidité paraissait un mal aussi funeste, on ne s’y laisserait pas prendre si vite. Ces vierges malheureuses de l’Écriture ont été bannies de la chambre de l’époux parce qu’après avoir terrassé leur plus redoutable ennemi, elles s’étaient laissé vaincre par le plus faible, par un ennemi sans force. On peut aussi ajouter à ces réflexions qu’un homme qui triomphe de la concupiscence, et dont triomphe la cupidité, cet homme bien souvent n’a pas même à triompher de la concupiscence ; il doit à la nature de ne pas être troublé de ce côté-là, car nous n’y sommes pas tous également portés.
C’est pourquoi, instruits de ces vérités, ayant toujours devant les yeux l’exemple des vierges, fuyons l’avarice, cette redoutable bête féroce. Si leur virginité ne leur a servi de rien, si, après tant de fatigues, tant de sueurs, elles se sont perdues par leur amour pour l’argent, qui nous sauvera, nous, dans le cas où nous succomberions à cette passion ? Aussi je vous conjure de tout faire afin que vous vous débattiez si vous vous êtes laissé prendre. Sachons rompre ces affreux liens. C’est ainsi que nous pourrons parvenir au ciel, et obtenir les biens infinis : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au, Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIV. modifier


CAR CE SONT DE FAUX APÔTRES, DES OUVRIERS TROMPEURS, QUI SE TRANSFORMENT EN APÔTRES DE JÉSUS-CHRIST. (XI, 13, JUSQU’À 20)

Analyse. modifier


  • 1. Sur les faux apôtres. — Grandes précautions que prend Paul, lorsqu’il est forcé de parler avantageusement de lui-même ; pourquoi, et dans quelle intention, il se glorifie des avantages qui sont selon la chair.
  • 2. De la tyrannie exercée par les faux apôtres.— Reproches de Paul à ceux qui les supportent.
  • 3. Dans quelles circonstances il est permis de parler de soi avec éloge : exemples de l’Écriture qui prouvent que c’est quand des paroles de ce genre tournent à l’édification du prochain.
  • 4. Combien la jalousie est funeste.— Vices qu’elle engendre.— Contre le luxe, contre l’amour de la gloire, contre la servitude des passions qui semblent les plus fières.— C’est la gloire à venir qu’il faut rechercher.


1. Que dites-vous ? ceux qui prêchent Jésus-Christ, qui ne veulent pas recevoir d’argent, qui n’enseignent pas un Évangile différent, ce sont de faux apôtres ? Oui, dit-il, et surtout parce que tout ce qu’ils font n’est qu’une comédie, afin de tromper. « Des ouvriers trompeurs ». Ils travaillent à la vérité, mais c’est pour arracher ce qui avait été planté. Ils savent ce à quoi ils sont forcés pour se faire accepter, ils prennent le masque de la vérité, et par ce moyen, ils jouent leur comédie au profit de l’erreur. Il est vrai, dit-il, qu’ils n’acceptent pas d’argent ; mais c’est pour recevoir davantage, c’est pour perdre les âmes. Ou plutôt, leur prétention même est un mensonge ; ils savaient fort bien percevoir sans qu’on pût s’en apercevoir ; c’est ce que l’apôtre montre clans ce qui suit. Il a déjà insinué ce fait, en disant : « A ceux qui se glorifient de faire comme nous » ; nous le verrous ailleurs exprimer sa pensée sur le même objet avec plus de clarté en ces, termes : « Qu’on vous mange, qu’on vous prenne, qu’on vous traite avec hauteur, vous souffrez cela (20) ». Quant à présent, il attaque les faux apôtres d’une autre manière, il dit d’eux : « Qui se transforment ». Ils n’ont qu’un masque, ce n’est que la peau de la brebis qui les recouvre. « Et l’on ne doit pas s’en étonner, puisque Satan même se transforme en ange de lumière. Il n’est donc pas étrange que ses ministres aussi se transforment en ministres de la justice (14,15) ». S’il faut s’étonner de quelque chose, c’est du pouvoir de Satan, mais ce que font ceux-ci n’a pas de quoi surprendre. Leur maître ose tout ; il n’y a rien ! d’étonnant à ce que ses disciples suivent son exemple. Maintenant que signifie « ange de lumière ? » C’est un ange qui a la liberté de parler à Dieu, et qui se tient auprès de Dieu. Il faut savoir qu’il y a aussi des anges de ténèbres, des anges du démon, anges de la nuit, anges féroces. Le démon a trompé un grand nombre d’hommes, en se transformant, sans devenir pour cela un ange de lumière. De même ces gens-là se promènent sous un masque d’apôtres, sans en avoir la vertu qui n’est pas en leur puissance.
Rien n’appartient autant à la nature du démon que d’agir par ostentation. Mais que signifie : « Ministres de la justice ? » C’est ce que nous sommes, nous qui vous prêchons l’Évangile où est contenue la justice. Ou c’est là ce que dit l’apôtre, ou il signifie que les ministres de l’Évangile se sont acquis la réputation d’hommes justes. Comment donc les reconnaîtrons-nous ? Par leurs œuvres selon la parole du Christ. Aussi est-il forcé d’établir le parallèle entre ses bonnes œuvres et leur perversité, afin que la comparaison mette en évidence les intrus. Au moment d’entreprendre encore son éloge, il commence parles accuser, afin de montrer qu’il est contraint par son sujet, afin qu’on ne l’accuse pas de parler de lui-même, et il dit : « Je vous le dis encore une fois (16) ». Il a déjà eu recours à une foule de précautions. C’est égal, il ne me suffit pas de ce que je vous ai déjà dit, mais je vous le dis encore une fois, afin que l’on ne me regarde pas comme un insensé. Ces gens-là n’avaient qu’une occupation, c’était de se glorifier sans aucun motif. Considérez comment l’apôtre, chaque fois qu’il entreprend son propre éloge, prélude avec circonspection. C’est une action insensée, dit-il, que de se glorifier ; mais moi je ne le fais pas à la manière des insensés, j’y suis forcé. Si vous ne me croyez pas, si même en reconnaissant la nécessité qui me presse vous me condamnez, eh bien ! je n’en persisterai pas moins. Voyez-vous comme il montre l’impérieuse nécessité qui le contraint de parler ? S’il ne reculait pas devant le soupçon d’être un insensé qui se vante, considérez quelle violente nécessité de parler lui était imposée, quel effort il faisait, quelle contrainte il subissait. Cependant il s’exprime encore avec mesure. Il ne dit pas : Afin que je me glorifie. Au moment de se glorifier un peu, il a encore recours à une précaution préliminaire ; il dit : « Ce que je dis, je ne le dis pas selon Dieu ; mais je fais paraître de l’imprudence, dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier (17) ».
Voyez de combien il s’en faut que se glorifier soit conforme à la loi du Seigneur. « Lorsque vous aurez tout accompli », dit le Seigneur, « dites-vous : nous sommes des serviteurs inutiles ». (Lc. 17,10) Mais, si l’action en elle-même n’est pas conforme à la loi du Seigneur, elle le devient par l’intention qui la produit. Aussi l’apôtre s’exprime-t-il ainsi : « Ce que je dis… » ce n’est pas l’intention qu’il reprend, mais seulement les paroles. Son but est assez élevé pour rehausser les paroles mêmes. De même que l’homicide est le plus grand des crimes, mais souvent l’intention l’a rendu méritoire ; de même que la circoncision n’est pas conforme à la loi du Seigneur, mais l’intention l’a rendue telle ; de même pour ce qui est de se glorifier. Mais pourquoi l’apôtre ne présente-t-il pas avec toute cette précision les considérations qui l’excusent ? C’est qu’il est pressé, qu’il a un tout autre but, ce n’est qu’en passant qu’il laisse échapper quelques mots accordés comme par grâce à ceux qui veulent le censurer ; il, pense surtout à dire ce qui doit être utile. Les observations déjà faites par lui, étaient suffisantes pour éloigner de lui tout soupçon. « Mais je fais paraître de l’imprudente ». Il a commencé par dire : « Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence » ; et maintenant il dit. « Je fais paraître de l’imprudence ». Plus il avance, plus il donne de netteté à ses expressions. Ensuite comme il ne veut pas qu’on le prenne absolument pour un insensé, il dit « Dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier ». En cela seulement, dit-il ; c’est avec une restriction du même genre qu’il dit ailleurs « Afin que nous ne soyons pas confondus » ; il dit de même ici. « Dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier ». Ailleurs il dit encore. « Est-ce selon la chair que je fais les desseins que je fais, de telle sorte que l’on trouve également en moi oui, oui ; non, non ? » et après avoir montré qu’il ne peut pas remplir toujours toutes les promesses qu’il faisait d’aller visiter les Églises parce qu’il ne prend pas de résolutions selon la chair, pour empêcher qu’on ne soupçonnât aussi son enseignement d’inconstance et de variabilité, il dit : « Mais Dieu qui est véritable, m’est témoin qu’il n’y a point eu de oui et de non dans la parole que je vous ai annoncée ». (2Cor. 1,17-18)
2. Voyez après combien de préliminaires il apporte encore d’autres motifs d’excuse ; entendez-le ajoutant, disant : « Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien aussi me glorifier comme eux (18) ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Selon la chair ? » C’est-à-dire, de choses extérieures, de leur noblesse, de leurs ressources, de leur science, de ce qu’ils sont circoncis, de ce qu’ils ont pour ancêtres des Hébreux, de la gloire dont ils jouissent auprès de la multitude. Voyez l’adresse de Paul : il étale d’abord ces biens qui ne sont rien, pour amener le mot de folie qu’il met ensuite. S’il y a de l’imprudence à se glorifier à propos des biens réels, à plus forte raison y en a-t-il à propos de ceux qui ne sont rien. Et c’est ce qu’il dit, « n’être pas conforme à la loi du Seigneur ». En effet, il ne sert à rien d’être Hébreu, ni de jouir d’autres avantages du même genre. N’allez donc pas vous imaginer que je considère ces titres comme des vertus ; mais puisque ces gens-là s’en glorifient, je suis bien forcé d’établir là-dessus ma comparaison avec eux ; c’est ce que fait l’apôtre dans d’autres circonstances encore : « Si quelqu’un croit pouvoir prendre avantage de ce qui n’est que charnel, je le puis encore plus que lui ». (Phil. 3,4) L’apôtre parle ainsi à cause de ceux qui prenaient ainsi leurs avantages. Supposez un homme d’une brillante naissance, ayant embrassé la pratique de la sagesse, et qui enverrait d’autres enorgueillis de leur noble origine ; pour rabaisser leur vanité, il serait forcé dé parler de l’illustration de sa race à lui, ce qu’il ferait non par désir de se vanter, mais afin de rappeler les autres à l’humilité. C’est ce que fait Paul. Ensuite, laissant de côté ces vaniteux, il ne s’attaque plus qu’aux Corinthiens.
« Vous souffrez sans peine les imprudents (19) ». C’est donc vous qui êtes cause de ces désordres, encore plus que ces faux apôtres. Si vous ne les supportiez pas, si le mal qu’ils vous font ne venait que d’eux, je n’aurais rien à dire ; mais c’est votre salut qui m’inquiète, et je condescends à votre faiblesse : Voyez comme il mêle à la réprimande un éloge après avoir dit : « Vous souffrez sans peine les imprudents », il ajoute : « étant vous-mêmes sages ». C’est de l’imprudence que de se glorifier pour de pareils sujets. Sans doute il pouvait les réprimander ouvertement, leur dire : Ne supportez pas les imprudents ; mais la réprimande, telle qu’il la formule, a plus d’éloquence. En s’y prenant autrement il eût paru ne les réprimander que parce qu’il était privé des mêmes avantages ; au lieu qu’en se montrant, même au point de vue de ces avantages, supérieur à ses adversaires, et en disant qu’il dédaigne de pareils titres, ses paroles ont plus de force pour corriger. D’ailleurs, avant de commencer son éloge et d’entreprendre la comparaison qui lui donne la supériorité, il reproche aux Corinthiens la bassesse qui les courbe devant ces hommes.
Voyez comme il les raille : « Vous souffrez », dit-il, « qu’on vous mange (20) ». Mais alors, ô Paul, comment avez-vous pu dire : « A. ceux qui se glorifient de faire comme nous ? » Voyez-vous comme il les montre ne se faisant pas faute de recevoir, et non seulement de recevoir, mais au-delà de toute mesure ? car c’est ce que signifie manger. « Qu’on vous asservisse ». Vos fortunes, dit-il, et vos personnes, et votre liberté, vous avez tout livré. Certes voilà qui est plus fort que de recevoir, ce n’est pas seulement de vos fortunes, mais de vos personnes mêmes qu’ils sont les maîtres. C’est ce qu’il fait voir auparavant par ces paroles : « Si d’autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi ne pourrions-nous pas, en user plutôt qu’eux ? » (1Cor. 9,12) Vient ensuite ce qui est plus grave : « Qu’on vous traite avec hauteur ». Votre servitude est extrême, vos maîtres n’ont pas la douceur en partage, ils sont insupportables, odieux. « Qu’on vous frappe au visage ». Voyez-vous ici encore l’excès de la tyrannie ? Ce n’est pas qu’ils fussent frappés au visage, mais ils étaient couverts de mépris et d’outrages ; de là ce que l’apôtre ajoute : « C’est à ma confusion que je le dis (21) ». On ne vous traite pas moins mat que ceux que l’on frappe au visage. Que peut-il y avoir de plus violent, de plus amer que cette domination qui vous prend vos fortunes, votre liberté, votre honneur, sans s’adoucir même en vous traitant de cette manière, qui ne vous laisse même pas la condition d’esclaves, mais abuse de vous en vous outrageant plus que l’on ne fait du misérable acheté à prix d’argent. « Comme si nous avions été faibles ». Il y a de l’obscurité dans l’expression. C’est que la vérité était désagréable à dire ; il en dissimule l’odieux par l’obscurité des termes. Voici ce qu’il veut faire entendre. Ne pouvons-nous pas faire de même ? Mais nous ne le faisons pas. Pourquoi donc les supportez-vous comme s’il nous était impossible d’en faire autant ? Certes il faut vous reprendre de ce que vous, supportez des insensés ; mais qu’en outre vous vous laissiez ainsi mépriser, piller, traiter avec hauteur, frapper de coups, c’est ce qui ne comporte aucune excuse, c’est ce que jamais la raison ne saurait admettre. Car voilà une étrange manière de tromper les hommes. Ordinairement les trompeurs font des largesses, adressent des flatteries ; ceux-là au contraire, ils vous trompent, ils vous prennent ce que vous avez, ils vous outragent. D’où il suit que vous ne pourriez trouver une ombre d’excuse : à ceux qui s’abaissent eux-mêmes à cause de vous, afin que vous soyez élevés, vous répondez par vos mépris ; et ceux qui s’élèvent eux-mêmes afin que vous soyez abaissés, vous les entourez de votre admiration. Ne pouvons-nous pas faire de même ? Nous nous en gardons bien, nous ne nous proposons que votre intérêt. Ces hommes-là vous pillent, parce qu’ils ne se proposent que leur intérêt à eux. Voyez-vous comment la parfaite liberté de son langage conspire en même temps à leur donner des craintes ? Si vous ne les honorez, dit-il, que parce qu’ils vous frappent, que parce qu’ils vous outragent, nous aussi nous pouvons bien faire de même, vous asservir ; vous frapper, vous traiter avec hauteur.
3. Comprenez-vous comment l’apôtre rend les fidèles uniquement responsables et de l’arrogance des faux apôtres et de ce qui paraissait de sa part, de l’imprudence ? Ce n’est pas pour exalter ma gloire, c’est pour vous affranchir de votre arrière servitude que je me vois forcé de me glorifier un peu. Il ne faut pas se borner à examiner seulement les paroles, il faut aussi considérer l’intention. Samuel faisait de lui-même un grand éloge en sacrant Saül, quand il disait : « Quel est celui de vous à qui j’ai pris son âne, ou son veau, ou sa chaussure ? Qui ai-je opprimé ? » (1Sa. 12,3) Personne cependant ne l’accusait. Ce n’était pas pour se vanter qu’il parlait ainsi, mais au moment d’instituer un roi, il voulait, en ayant l’air de se justifier, enseigner à ce roi la douceur, la mansuétude. Et considérez la sagesse du prophète, ou plutôt la bonté de Dieu.
…Rem Il voulait d’abord les détourner de prendre un roi. Que fait-il alors ? Il rassemble toutes les charges dont pourra les accabler le roi à venir, comme par exemple, qu’il forcera leurs femmes à tourner la meule, qu’il emploiera les hommes pour conduire ses troupeaux, pour avoir soin de ses mulets (le prophète se plaît à entrer dans le détail de tous les services dont s’entoure le faste de la royauté). Mais quand il voit que ses observations sont inutiles auprès du peuple, que la nation est atteinte d’un mal incurable, alors il compatit à sa faiblesse, et il modère le roi, et il s’efforce de le porter à la douceur. Voilà pourquoi il donne l’exemple de sa propre conduite en témoignage, car personne assurément ne réclamait alors contre lui, ni ne l’accusait ; il n’avait pas besoin de se justifier ; ce n’est que pour porter le roi à bien faire, que Samuel parle de lui-même. Aussi, afin de réprimer l’orgueil de la royauté, il ajoute : « Si vous écoutez le Seigneur, vous et votre roi », tous les biens seront votre partage ; si, au contraire, vous ne l’écoutez pas, tout se tournera contre vous. Amos disait aussi : « Je n’étais ni prophète, ni fils de prophète, je n’étais que bouvier, me nourrissant de mûres. Et Dieu m’a pris ». (Amo. 7,14, 15) Ce n’était pas pour se louer qu’il parlait ainsi, mais pour fermer la bouche à ceux qui ne voyaient pas en lui un prophète, pour leur montrer qu’il ne les trompait pas, que ses discours étaient inspirés. Un autre encore disait dans le même esprit : « Pour moi, j’ai été rempli de la force du : Seigneur, dans son esprit et dans sa vertu ». (Mic. 3,8) David aussi, quand il parlait de son ours ou de son lion (1Sa. 17,34), ne le faisait pas pour s’exalter, il se préparait à une couvre d’une admirable énergie. Comme on ne voulait pas croire qu’il triompherait du barbare, lui, nu, incapable de porter de lourdes armes, il était bien forcé de fournir des preuves de son courage viril. Et lorsqu’il coupa le bord du manteau de Saül (1Sa. 24,5), ce n’était pas pour se glorifier qu’il dit les paroles qu’il fit entendre, mais pour détourner les affreux soupçons répandus contre lui, qu’il voulait tuer le roi. Donc il faut toujours considérer l’intention des paroles. Celui qui ne se propose que l’intérêt de ceux qui l’écoutent, même quand il se loue, ne doit pas être accusé ; au contraire, il mérite une couronne ; ce serait, s’il gardait le silence, qu’il mériterait d’être accusé. Si David eût gardé le silence en face de Goliath, on ne lui aurait pas permis de se mesurer avec lui, et il n’aurait pas remporté ce glorieux trophée. David, on n’en peut douter, ne parle que parce qu’il y est forcé, et ce n’est pas à ses frères, mais au roi ; ses frères ne l’auraient pas voulu croire ; la jalousie leur fermait les oreilles. Voilà pourquoi, sans songer à ses frères, il ne s’adresse qu’au roi, que l’envie ne travaillait pas encore.
4. Affreux mal que l’envie, mal affreux, et qui va jusqu’à nous persuader de mépriser notre propre salut. C’est ainsi que Caïn s’est perdu lui-même, et avant lui, celui qui avait perdu son père, le démon. C’est ainsi que Saül appela sur lui-même le malin esprit pour la perte de son âme, et après l’avoir appelé, il répondit par de l’envie aux soins de celui qui voulait le guérir. (1Sa. 18) Telle est, en effet, la nature de l’envie ; Saül voyait bien que David le sauvait, et il aimait mieux périr que de voir la gloire de son sauveur. Quoi de plus affreux que cette passion ? On peut dire ; sans craindre de se tromper, que c’est un enfant du démon, qu’on y trouve le fruit de la vaine gloire, ou plutôt la racine ; car ces deux fléaux s’engendrent l’un l’autre. C’est ainsi que Saül ne se possédait plus, dans son âme envieuse, quand le peuple disait : « David en a tué dix mille ». (1Sa. 18,7) Quoi de plus insensé ? Car enfin, répondez-moi, d’où vous vient votre envie ? De ce que quelqu’un reçoit des louanges ? Vous devriez vous réjouir. Mais peut-être ne savez-vous pas si la louange est méritée ? Votre tristesse vient-elle de ce qu’on loue un homme qui n’a rien d’éclatant ? Mais alors vous devriez plutôt avoir compassion de cet homme. En effet, si c’est un homme de bien, personne ne doit ressentir de l’envie, au bruit des louanges qu’on lui donne ; il faut joindre sa voix au concert des bénédictions ; si au contraire ce n’est pas un homme de bien, pourquoi le chagrin qui vous ronge ? pourquoi vous frapper vous-même du glaive ? Parce que cet homme est admiré ? Oui, admiré des hommes d’aujourd’hui, qui demain n’existeront plus. Parce qu’il jouit de la gloire ? De quelle gloire, dites-moi ? de celle dont le Prophète dit que c’est la fleur des champs ? (Is. 40,6) Voilà ce qui excite votre envie, vous voudriez porter ce fardeau, ces fleurs misérables ; vous voudriez en charger vos épaules ? Si cet homme excite tant votre envie, que ne portez-vous envie également aux hommes de peine, que vous voyez tous les jours, sous leur charge de foin, entrer dans la ville ? La charge de cet homme n’a rien de supérieur ; au contraire, elle a moins de prix encore. L’une ne pèse que sur le corps, l’autre, souvent est un poids funeste pour l’âme et elle lui cause plus d’anxiété que de plaisir.
Quelqu’un est éloquent, il en retirera moins d’admiration que d’envie ; et puis la louange se lasse vite, mais l’envie ne pardonne pas. Mais cet homme est auprès des princes, en grand-honneur ? Eh bien ! de là l’envie qu’il excite, et ses dangers. Ce que vous ressentez contre lui, d’autres l’éprouvent également et ils sont en grand nombre. Mais on ne cesse pas de le célébrer ? De là, pour cet homme, une servitude pleine d’amertume. Voilà en effet qu’il n’ose plus agir librement, de peur d’offenser ceux qui le glorifient : c’est une lourde chaîne pour lui, que son illustration. Plus cet homme a de gens qui célèbrent son nom, plus il a de maîtres, plus sa servitude s’étend, il voit ses maîtres et seigneurs apparaître partout à ses yeux. Le serviteur, une fois affranchi de la présence de celui qui lui commande, respire en pleine liberté ; cet homme, au contraire, rencontre partout ceux qui lui commandent, car il est l’esclave de tous ceux que ses yeux rencontrent sur la place publique. Qu’une affaire urgente le force à sortir, il n’ose pas se risquer sur la place, sans une escorte de serviteurs, sans chevaux, sans pompe, sans étalage, de peur que ceux aux ordres de qui il est ne le désapprouvent. S’il lui arrive d’apercevoir quelqu’un de ses amis, de ses plus familiers, il n’a pas assez de confiance pour lui parler sur le ton de l’amitié ; c’est qu’il a peur que ses maîtres ne le fassent un peu déchoir de la hauteur de sa gloire. D’où il suit que, plus il est illustre, plus il est asservi. S’il lui arrive un malheur, l’outrage de la fortune est pour lui d’autant plus amer, que plus de témoins voient l’insulte, et qu’il semble que sa dignité en est atteinte ; et il n’y a pas là seulement un outrage, mais un désastre. Une foule de gens s’en réjouissent ; au contraire, dans le cas d’un bonheur nouveau, une foule de gens n’éprouvent que l’envie qui les irrite contre cet homme heureux, et le désir ardent de le renverser. Est-ce là du bonheur, dites-moi ? Est-ce là de la gloire ? Mille fois non. C’est de la honte, c’est de la servitude, c’est une chaîne, c’est tout ce qui peut s’appeler un fardeau. Si vous trouvez si désirable la gloire que donnent les hommes, s’il suffit pour bouleverser votre âme de voir cet homme que la foule applaudit, eh bien ! au milieu des applaudissements dont vous le verrez jouir, élancez-vous parla pensée vers la vie à venir, vers la gloire réservée à la fin des siècles ; et, comme on prend la fuite pour échapper à une bête féroce, comme on se précipite dans sa maison, dont on ferme les portes ; prenez alors de même la fuite, cherchez votre refuge dans la vie qui nous attend, dans la gloire ineffable que rien n’égale. C’est ainsi que vous foulerez aux pieds la gloire présente, que vous conquerrez sans peine la gloire divine, que vous jouirez de la vraie liberté, des biens éternels : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXV. modifier


MAIS, PUISQU’IL Y EN A QUI SONT SI HARDIS À PARLER D’EUX-MÊMES, JE VEUX BIEN FAIRE UNE IMPRUDENCE, EN ÉTANT AUSSI HARDI QU’EUX. (XI, 21, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier

  • 1. Encore sur la répugnance que Paul montre toujours à parler de ses œuvres, même quand il y est forcé. — Énumération de ses souffrances, de ses épreuves, de ses dangers.
  • 2. Il ne parle pas de ses miracles, mais seulement de ce qui fait paraître sa faiblesse.— Les souffrances de son âme, plus cruelles que celles de son corps, et provenant de sa charité.— De sa prudence, égale à son courage.
  • 3. C’est l’Église tout entière qui triomphe par ses œuvres, par ses vertus.— C’est un feu inextinguible ; c’est un feu qui convertit en sa substance tout ce à quoi il se communique. — Paul supérieur à David vainqueur de Goliath.— Exemples qu’il nous faut retirer de la vie et du caractère de Paul.


1. Voyez-le, ici encore, montrer sa répugnance, ses hésitations, voyez de quelle précaution il use. Et certes il ne s’est pas fait faute de dire, exprimant toujours la même pensée : « Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence ! » et encore : « Que personne ne me juge imprudent, ou au moins, souffrez-moi comme imprudent » ; et : « Ce que je dis, je ne le dis pas selon Dieu, mais je fais paraître de l’imprudence » ; et : « Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, moi aussi, je me glorifierai ». Et, ici encore : « Mais, puisqu’il y en a qui sont si hardis à parler d’eux-mêmes, je veux bien faire une imprudence en étant aussi hardi qu’eux ». C’est de la hardiesse, c’est de l’imprudence, selon lui, que de parler de soi avec fierté, même quand on y est contraint, et il s’attache à nous montrer qu’il faut fuir cette prétention. Si, après avoir tout fait, nous devons nous considérer comme inutiles, quelle pourrait être l’excuse de celui qui, sans raison aucune, s’exalte et se vante ? C’est ce qui a attiré au Pharisien le traitement qu’il a subi ; voilà comment il a fait naufrage dans le port ; voilà l’écueil contre lequel il s’est brisé. C’est ce qui fait que Paul, quelle que soit l’impérieuse nécessité qui 1e presse, répugne tant à se louer, et ne cesse pas de rappeler que c’est de l’imprudence. Enfin il se risque, et après avoir fait valoir la nécessité qui l’excuse, il dit : « Sont-ils Hébreux ? Moi aussi. Sont-ils Israélites ? Moi aussi (22) ». En effet, tous les Hébreux n’étaient pas Israélites, puisque et les Ammonites et les Moabites étaient Hébreux. Aussi ajoute-t-il, pour montrer la pureté de son sang : « Sont-ils de la race d’Abraham ? Moi aussi. Sont-ils ministres de Jésus-Christ ? Quand je devrais passer pour imprudent, je le suis plus qu’eux (23) ». Il ne se contente pas d’avoir déjà employé cette précaution, il répète ici encore ce correctif : « Quand je devrais passer pour imprudent, je le suis plus qu’eux ». Je vaux mieux, je les surpasse.
Les preuves manifestes de sa supériorité ne lui manquaient certes pas ; il n’en qualifie pas moins son langage, d’imprudent. Mais, dira-t-on, si c’étaient de faux apôtres, il n’était pas besoin d’une comparaison pour établir sa supériorité sur eux, il fallait montrer que ces hommes-là n’étaient pas des ministres. Aussi Paula-t-il dit que c’était « de faux apôtres, des ouvriers trompeurs, qui se transfigurent en apôtres de Jésus-Christ ». Mais maintenant, il ne procède plus de même ; il veut examiner à fond la question ; on ne doit pas, lorsqu’une enquête est possible, se borner à une simple affirmation de jugement ; l’apôtre fait d’abord la comparaison de leur vie et de la sienne, et c’est en 's’appuyant sur la réalité qu’il les ruine avec une bien plus grande autorité. C’est d’ailleurs l’opinion que ces gens-là ont d’eux-mêmes, et non son jugement à lui, que l’apôtre exprime, en disant : « Ils sont ministres de Jésus-Christ ». Quand il ajoute : « Je le suis plus qu’eux », c’est une comparaison ; une affirmation pure et simple ne lui suffit pas, il va donner la démonstration par les faits, et par là on verra bien que c’est à lui qu’appartient le caractère propre dé l’apostolat. Laissant de côté tous ses miracles, il parle de ses épreuves tout d’abord, il dit : « J’ai plus souffert de travaux, plus reçu de coups », ta seconde épreuve, être battu, recevoir des coups de fouet, est plus cruelle que la première. « Plus enduré de prison ». Ici encore, gradation. « Je me suis souvent vu tout près de la mort. Il n’y a pas de jour », dit-il, « que je ne meure ». (1Cor. 15,31) Ici, c’est la réalité même qu’il décrit, souvent il a été exposé à des dangers de mort. « J’ai reçu des Juifs, cinq différentes fois, trente-neuf coups de fouet (24) ». Pourquoi « trente-neuf ! » C’est qu’une ancienne loi portait que celui qui recevait plus de quarante coups était infâme. Donc pour empêcher que l’emportement de celui qui donnait les coups, n’excédât le nombre et ne rendît infâme celui qui les recevait, on avait fixé ce nombre à quarante moins un, à trente-neuf ; de cette manière, quelle que fût la vivacité de celui qui frappait, il n’était pas exposé à dépasser les quarante, il restait en deçà du nombre déterminé, et ne rendait pas infâme le patient.
« Trois fois j’ai été battu de verges ; une fois lapidé ; trois fois j’ai fait naufrage (25) ». Et que fait cela à l’Évangile ? Beaucoup, puisque pour le prêcher, il faisait de longs voyages, et traversait les mers. « Un jour et une nuit, j’ai été dans l’abîme ». Au milieu de la mer, selon les uns ; selon les autres, il nageait ;-ce qui est plus vraisemblable. Ce fait, il rie le donne pas comme un miracle, comme plus considérable que ses naufrages. « Dans les périls sur les fleuves (26) ». En effet, il était forcé de traverser les fleuves : « Dans les périls des voleurs, dans les périls au milieu de la cité, dans les périls de la solitude ». Partout des luttes devant moi, dans les pays, dans les contrées, dans les cités, dans les solitudes. « Dans les périls entre les nations, dans les périls entre les faux frères ». Vous voyez, ici, une autre espèce de guerre. Il ne rencontre pas seulement des ennemis déclarés, il se voit attaqué par ceux qui jouaient l’affection fraternelle, et il avait grand besoin, et de fermeté et de prudence. « J’ai souffert les travaux et les fatigues ». Les dangers succédaient aux labeurs, les labeurs aux dangers, sans relâche, sans trêve, et ne le laissaient pas même respirer un moment. « Souvent dans les voyages, souffrant la faim, la soif, la nudité, outre les maux extérieurs (27, 28) ».
2. II en passe plus qu’il n’en énumère ; ou plutôt, même les épreuves qu’il énumère, il n’en peut exprimer la rigueur ; il ne les montre pas, Il se contente d’en donner un chiffre court, facile à retenir ; par trois fois, dit-il, par trois fois, une fois ; quant à celles dont il ne peut donner le chiffré, parce que ce chiffre serait trop considérable, il n’en parle pas. Et il ne dit pas les heureux fruits qui en sont sortis, tant et tant de conversions ; il ne dit que ce qu’il a souffert en prêchant l’Évangile, et il fait en même temps deux choses : il montre sa modestie, et il montre, qu’alors même que ses travaux n’auraient rien produit, ils n’auraient pas été pour lui sans résultat, car c’est ainsi qu’il a mis le comble à la rémunération qu’il attend. « Mes assauts de tous les jours ». Les troubles, les violentes inquiétudes, les peuples qui l’attaquaient, les villes – qui se jetaient sur lui. C’étaient surtout les Juifs qui lui faisaient la guerre, parce que c’étaient eux surtout que l’apôtre couvrait de confusion, et le plus grand reproche que lui adressait leur fureur, c’était son changement si brusque de parti. La guerre était, contre lui, universelle, acharnée, guerre de la part de ses proches, guerre de la part des étrangers, guerre de la part des hypocrites ; partout autour de lui, des flots, des précipices, dans les contrées habitées, dans les pays sans habitants, sur la terre, sur la, mer, au-dehors, au dedans. Et il n’avait pas la nourriture nécessaire, il n’avait pas un mince vêtement, l’athlète de la terre livrait nu ses batailles, et c’est en ayant faim, qu’il soutenait ses luttes ; tant il était loin de chercher des richesses. Et il ne se plaignait pas, il rendait grâces à Dieu qui présidait à tous ces combats. « Le soin que j’ai de toutes les Églises ». La plus terrible de toutes ces épreuves, c’est qu’il était déchiré dans l’âme, que ses pensées le tourmentaient en sens divers. S’il n’essuyait aucune attaque du dehors, il avait la guerre à l’intérieur, les flots montaient sur les flots, les inquiétudes s’amassaient en tourbillons, toutes ses pensées se heurtaient dans une ardente mêlée. Souvent un homme qui n’a qu’une maison à gouverner, et, sous ses ordres, des serviteurs, des intendants, des économes, n’a pas le temps de respirer dans les soucis qui l’agitent, puisque personne ne lui cause d’embarras ; Paul n’avait pas une maison seulement à gouverner, mais des villes, des peuples, des nations, la terre entière. Et que d’affaires, et que d’ennemis qui le harcelaient ! Et il était seul, endurant tant de souffrances, et il éprouvait des angoisses telles que nul père n’en ressentit jamais pour ses enfants : essayez de concevoir ce qu’il eut à subir.
Ne dites pas que ses inquiétudes n’avaient peut-être rien de bien cuisant, mais écoutez ce qu’ajoute l’apôtre. « Qui est faible, sans que je m’affaiblisse avec lui (29) ? » Il ne dit pas : Je prends ma part de la tristesse, mais, je souffre autant que celui qui souffre, aussi malade que le malade, aussi troublé, aussi agité. « Qui est scandalisé sans que je brûle ? » Voyez ici encore l’extrême douleur qu’exprime cette image d’un feu dévorant. Je suis dans la flamme, le feu me consume, dit-il : supplice affreux. Les autres épreuves dont il parle, étaient cruelles, mais passaient vite ; il s’y mêlait une joie inaltérable ; mais ce qui l’étouffait, ce qui lui broyait le cœur, lui déchirait l’âme, c’était d’avoir tant à souffrir pour la faiblesse de chaque infirme, quel qu’il pût être. Son caractère n’était pas de s’affliger avec les plus considérés, sans prendre souci de ceux qui l’étaient moins ; l’être le plus abject, il le regardait comme un de ses proches. De là, ses paroles : « Qui est faible ? » On eût dit qu’il était, à lui seul, l’Église tout entière, tant il était tourmenté dans chacun de ses membres.
« S’il faut se glorifier de quelque chose, je me glorifierai de ma faiblesse (30) ». Vous voyez qu’il ne parle nullement de miracles ; voyez-vous qu’il ne se glorifie que de ses persécutions et de ses épreuves ? C’est que ce sont là, dit-il, des marques de faiblesse. Et il montre combien les combats étaient de nature différente. Les Juifs lui faisaient la guerre, les païens se soulevaient contre lui, les faux frères le combattaient, et lui s’affligeait à voir la faiblesse de ses frères, et leurs scandales ; de toutes parts lui venaient les troubles, les bouleversements, et du côté de ses proches, et du côté des étrangers. Voilà le caractère du véritable apostolat : voilà comment l’Évangile fait sa trame.
« Dieu, qui est le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sait que je ne mens point. Le gouverneur de la province de Damas, pour le roi Arétas, faisait faire garde dans la ville pour m’arrêter (31, 32) ». Pourquoi, ici, cette protestation qu’il dit vrai, cette manière d’affirmer dont il ne s’est jamais servi jusque-là ? C’est probablement que le fait était vieux et peu connu ; tandis que le reste était parfaitement connu, par exemple sa sollicitude pour les Églises, et tout ce dont il a parlé. Comprenez maintenant la violence de la guerre excitée contre lui, s’il était cause que l’on faisait garder la ville. Quand je parle de la violence de la guerre, je parle du zèle ardent de Paul ; si son ardeur eût été moins vive, il n’aurait pas excité à ce point la rage du gouverneur. Voilà ce que fait une âme vraiment apostolique ; sous tant de coups qui la frappent, elle n’est pas ébranlée, elle supporte tout avec une noble fierté, elle ne se précipite pas d’ailleurs au-devant des périls, elle ne les cherche pas pour s’y jeter par plaisir. Voyez à quel moyen il eut recours pour échapper au gouverneur : « Mais on me descendit par une fenêtre dans une corbeille (33) ».. Sans doute il désirait quitter cette terre, mais il n’en désirait pas moins le salut des hommes. Voilà pourquoi il a souvent recours à de pareils moyens ; il veut se conserver pour la prédication ; il ne refusait pas d’employer des moyens humains, quand les circonstances l’exigeaient ; telle était sa prudence et son activité. Lorsque les malheurs étaient inévitables, il n’avait recours qu’à la grâce ; quand l’épreuve n’excédait pas certaines limites, il trouvait dans son propre fonds un grand nombre de ressources ; et, ici encore, c’est à Dieu qu’il rapportait tout. Supposez une étincelle d’un feu inextinguible, tombant dans la mer, ensevelie sous les flots qui s’amoncellent, et reparaissant brillante au-dessus des ondes ; tel était le bienheureux Paul, tantôt englouti sous les dangers, tantôt affranchi, libre, plus brillant, triomphant par son courage de tous les malheurs.
3. Voilà l’éclatante victoire, voilà le trophée de l’Église, voilà ce qui met en fuite le démon,-nos souffrances. Pendant que nous subissons les souffrances, le démon est captif, c’est lui qui souffre du mal qu’il veut nous faire. C’est ce qui est arrivé à Paul ; plus le démon suscitait de dangers contre lui, plus ce maudit se voyait vaincu. Un seul genre d’épreuves ne lui suffisait pas, il variait, il diversifiait les périls. Tantôt la fatigue, tantôt le découragement, tantôt la crainte, tantôt la douleur, tantôt les angoisses, tantôt la honte, tantôt tous ces moyens ensemble ; il avait beau tenter, en toutes choses l’apôtre remportait la victoire. Supposez un soldat tout seul, tenant tête à la terre soulevée contre lui pour le combattre, soulevée tout entière, et au milieu des bataillons ennemis, ce soldat n’éprouve aucun mal ; c’est l’image de Paul, seul au milieu des barbares, au milieu des Grecs, présent sur toute ruer, présent sur toute terre, et toujours invincible. Supposez une étincelle tombant sur la paille ou le foin, convertissant en sa nature tout ce qu’elle embrase : c’est l’image de Paul dans sa course, ramenant tous les hommes à la vérité ; c’est un torrent qui inonde tout, qui renverse tous les obstacles. Supposez un seul et même athlète à la lutte, à la course, au pugilat ; un soldat assiégeant des murailles, combattant à pied, combattant sur mer. C’est l’image de Paul livrant toute espèce de combats, répandant le feu de son zèle et nul n’ose l’approcher ; à lui seul, il embrassait toute la terre, sa seule langue convertissait toutes les âmes.
Toutes ces trompettes qui tombèrent sur les murailles de Jéricho (Jos. 6,20), et les brisèrent, n’égalent pas cette voix retentissante qui jette par terre les citadelles du démon, et tire à soi ses ennemis transformés. Il faisait des prisonniers en foule ; ces captifs, il les armait ensuite, il en faisait ses soldats à lui, son armée à lui, et, par eux, il remportait d’admirables victoires. David renverse Goliath d’un seul coup de pierre (1Sa. 17,49) ; pesez les exploits de Paul, et l’œuvre de David n’est qu’une action d’enfant ; vous trouvez entre eux toute la différence du berger et du général. Paul ne renversait pas Goliath d’un coup de pierre ; mais de sa voix il mettait en fuite toute la phalange du démon ; comme un lion rugissant, dont la langue lancerait du feu, il ne trouvait personne pour lui résister, et c’étaient partout des bonds continuels, fondant sur les uns, tombant sur les autres, s’élançant sur d’autres encore, les premiers le revoyaient accourant plus vite que le vent, et comme on gouverne une seule maison, un seul navire, aussi facilement régissait-il la terre et tous ses habitants, retirant des abîmes ceux qui tombaient, soutenant ceux qui avaient le vertige, exhortant les matelots assis à la poupe, surveillant la proue, tendant les cordages, maniant la rame, assurant la voile, les yeux au ciel, remplissant à lui seul, toutes les fonctions, de matelot, de pilote, de nocher, de voile, de navire, souffrant tout, pour épargner aux autres tous les maux.
Voyez : il a souffert le naufrage, pour sauver l’univers du naufrage ; un jour et une nuit, il est resté dans l’abîme pour retirer les hommes de l’abîme de l’erreur ; il s’est fatigué pour apporter du repos à ceux qui sont fatigués ; il a souffert des coups pour guérir ceux que le démon frappe ; il a séjourné dans des prisons, pour ramener à la lumière les hommes assis dans les prisons des ténèbres ; il a souvent bravé mille morts, pour nous affranchir des morts les plus affreuses ; il a reçu, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet, afin de délivrer ceux-mêmes qui les lui donnaient, du fouet du démon ; il a été frappé de verges, afin de soumettre les hommes à la verge et à la houlette du Christ ; il a été lapidé, afin de les mettre à l’abri de ces pierres qui n’atteignent pas les sens ; il a été dans la solitude, afin de les tirer hors de la solitude ; il a été dans les voyages, afin de mettre un terme aux courses vagabondes, et d’ouvrir la voie qui conduit au ciel ; il a couru des dangers dans les cités, afin de nous montrer la cité d’en haut ; il a souffert de la faim et de la soif, pour nous affranchir de la faim la plus cruelle ; il a enduré la nudité, afin de revêtir ceux qui étaient dans la honte de la robe de Jésus-Christ ; il a été assailli par les multitudes, afin de nous soustraire à l’attaque des démons ; il a été brûlé, afin d’éteindre les traits enflammés de l’enfer ; il a été descendu du haut d’une muraille par une fenêtre, pour faire remonter ceux qui étaient renversés sur la terre.
Continuerons-nous encore à discourir, quand nous n’avons pas même une idée des souffrances que Paul a endurées ? Montrerons-nous encore de l’attachement pour l’argent, de l’attachement pour une épouse, pour une ville, pour la liberté, quand nous le voyons prouver mille et mille fois son mépris de la vie ? Le martyr ne meurt qu’une fois ; ce bienheureux, dans son corps, dans son âme, a souffert tant et tant de dangers que c’était plus qu’il n’en fallait pour bouleverser une âme de diamant ; et ce que tous les saints ensemble ont enduré, dans tant de corps différents, l’apôtre l’a supporté dans un seul et même corps ; on eût dit que son stade, c’était la terre entière, qu’il défiait au combat tous les hommes, telle était la fierté de son inébranlable valeur. C’est qu’il savait bien quels étaient ces démons qui luttaient contre lui. Aussi sa gloire a-t-elle brillé dès le début ; dès le premier pas hors de la barrière, jusqu’au dernier terme du stade, il est resté toujours semblable ; ou plutôt il s’élançait avec d’autant plus d’ardeur qu’il approchait plus de l’heure des récompenses. Et ce qui est vraiment admirable, c’est que l’homme qui souffrait et faisait de si grandes choses était la modestie même. Contraint à parler de ses vertus, il parcourait tout cela rapidement et sans s’arrêter ; il aurait pourtant rempli des milliers et des milliers de volumes, à expliquer une à une toutes ses paroles ; à dire de quelles Églises il prenait un si grand soin ; à énumérer ses prisons et les œuvres qu’il y accomplit ; à raconter une à une ses autres tribulations, les assauts qu’il essuya. Mais il ne l’a pas voulu.
Instruits de cette conduite, sachons donc, nous aussi, pratiquer la modestie ; ne nous glorifions plus ni de notre fortune, ni des autres biens de ce monde, ne' nous glorifions que des outrages endurés pour Jésus-Christ, et n’en parlons encore que quand nous y sommes forcés ; s’il n’y a aucune nécessité pressante, n’en faisons pas mention, ne disons rien pour nous exalter, ne rappelons que les péchés que nous avons commis. C’est ainsi qu’il nous sera facile d’en être délivrés, c’est ainsi que nous nous rendrons Dieu propice, et que nous obtiendrons la vie à venir. Fuissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVI. modifier


IL NE M’EST PAS AVANTAGEUX DE ME GLORIFIER, CEPENDANT JE VIENDRAI MAINTENANT AUX VISIONS ET AUX RÉVÉLATIONS DU SEIGNEUR. (XII, 1, JUSQU’À 10)

Analyse. modifier


  • 1 et 2. Visions et révélations de Paul.— Pourquoi il en parle, et pourquoi il ne le fait qu’a mots couverts.
  • 3. Sur cet aiguillon que Paul ressentait dans sa chair, et qu’il appelait un ange de Satan, chargé de lui donner des soufflets. – Sens du mot Satan dans l’Écriture. – Humilité de Paul ; de la confession qu’il fait de ses faiblesses ; pourquoi il s’y complaît.— Les souffrances endurées pour Jésus-Christ sont pleines de consolations.
  • 4. Sur la divinité ridiculement et honteusement attribuée à Alexandre-le-Grand, à un infâme comme Antinoüs.— L’empire d’Alexandre après sa mort, et l’empire du Christ, après sa mort. — Vive opposition.
  • 5. Des apôtres, des martyrs. — Les sépulcres des martyrs, plus triomphants que les palais des rois. — Texte éloquent.


1. Qu’est-ce que cela veut dire ? Après tout ce qu’il vient de dire, pourquoi une réflexion de ce genre : « Il ne m’est pas avantageux de me glorifier », comme s’il n’avait rien dit ? Ce n’est pas qu’il trouve qu’il n’a rien dit, mais c’est qu’il va passer à une autre espèce de glorification ; ce n’est pas que ce dont il veut parler lui donne des droits à une glorieuse récompense, mais c’est que les faits qu’il va dire rendraient, aux yeux du grand nombre, sa gloire encore plus éclatante, quoique les sages ne soient pas de cet avis ; voilà pourquoi l’apôtre dit : « Il ne m’est pas avantageux de me glorifier ». En effet les grands titres de gloire étaient ceux qu’il a énumérés, ceux qui étaient fondés sur ses épreuves ; mais maintenant il va en produire d’autres ; ce sont des révélations, d’ineffables mystères. Pourquoi dit-il : « Il ne m’est pas avantageux », sinon parce qu’il craint que ce souvenir ne lui donne de l’orgueil ? Que dites-vous?quand vous ne parleriez pas de ces insignes faveurs, n’en avez-vous pas conscience ? Mais c’est que nous ne sommes pas aussi portés à nous enorgueillir de ce dont nous avons conscience, que de la communication que nous en faisons aux autres. Ce n’est pas la vertu des bonnes œuvres qui provoque l’orgueil, mais le grand nombre des témoins qui connaissent nos mérites. Voilà donc pourquoi il dit : « Il ne m’est pas avantageux », c’est-à-dire, je ne veux pas donner une trop haute idée de moi, à ceux qui m’écoutent. En effet, – les faux apôtres parlaient même des vertus qu’ils n’avaient pas ; Paul, au contraire, cache même les vertus qu’il a, et cela ; quand une nécessité si impérieuse devrait le faire parler, et il dit : « Il ne m’est pas avantageux », ce qui démontre éloquemment combien tous doivent flair l’ostentation. Il n’y a aucun profit à y céder, elle est funeste ; il faut pour parler de soi, une nécessité de nature à déterminer la volonté.
L’apôtre donc, après avoir rappelé ses dangers, ses épreuves, les pièges qui lui ont été tendus, ses chagrins, ses naufrages, passe à un tout autre ordre de faits à sa gloire, il dit : « Je connais un homme, il y a quatorze ans, (fut-ce avec son corps ? je ne le sais ; fut-ce sans son corps ? je ne le sais ; Dieu le sait) qui fut ravi jusqu’au troisième ciel. Et je sais qu’il fut ravi dans le paradis ; (fut-ce avec son corps ? je ne le sais ; fut-ce sans son corps ? je ne le sais) ; et il y entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de rapporter. Je pourrais me glorifier en « parlant d’un tel homme, mais je ne me glorifierai pas de moi-même (2, 3, 4, 5) ». Ce fut là une grande révélation, mais ce ne fut pas la seule qu’il eut, il en reçut beaucoup d’autres encore ; mais il n’en dit qu’une dans le grand nombre. Ce qui prouve combien il en reçut, c’est ce qu’il dit : « De peur que la grandeur de mes révélations ne me donne de l’orgueil ». Mais, dira-t-on, s’il tenait à les cacher, il ne devait pas en parler à mots couverts, il n’avait qu’à ne rien dire de pareil ; s’il tenait à en parler, il devait en parler clairement. Pourquoi donc n’a-t-il ni parlé clairement, ni gardé le silence ? C’est pour montrer que, même en parlant, il ne le fait qu’à contre-cœur. Voilà pourquoi il a fait la réflexion qu’il y avait, de ce fait, quatorze ans. Il ne l’a pas mentionné sans montrer qu’après avoir gardé le silence si longtemps, il n’en parle présentement, que parce qu’une impérieuse nécessité l’y oblige, qu’il continuerait encore à n’en rien dire, s’il ne voyait ses frères qui se perdent. Or si Paul, dès le début de sa carrière, méritait d’être honoré d’une telle révélation, lui qui n’avait pas encore fait paraître de si éminentes vertus, considérez ce qu’il dut devenir quatorze ans après. Et voyez sa modestie à raconter certaines choses, à reconnaître qu’il en ignore d’autres. Qu’il a été ravi, c’est ce qu’il dit ; fut-ce en corps ? fut-ce sans son corps ? c’est ce qu’il' reconnaît ignorer. Il pouvait se contenter de parler de ce ravissement, et de ne rien dire ensuite ; mais il n’écoute que sa modestie et il ajoute son observation.
Quoi donc ? est-ce son esprit qui a été ravi avec son âme, et son corps serait resté mort ? ou est-ce le contraire ? Son corps a-t-il été ravi ? Impossible de le dire. Si Paul n’en sait rien, lui qui a été ravi, lui qui s’est vu révéler de si grands mystères, à bien plus forte raison devons-nous l’ignorer. Il était dans le paradis, voilà ce qu’il – sait ; il était dans le troisième ciel, voilà ce qu’il n’ignorait pas ; mais la manière, voilà ce qu’il ne distinguait pas clairement. Considérez une autre marque de sa modestie. Quand il parle de la ville des Damascéniens, il pense à garantir la véracité de son discours ; ici, au contraire, il ne s’en inquiète plus ; c’est qu’en effet, il n’attachait pas une extrême importance à être cru, il parle seulement à mots couverts. Ainsi ajoute-t-il : « Je pourrais me glorifier, en parlant d’un tel Homme » ; il n’entend pas dire par là que ce soit un autre que lui qui ait été ravi, mais, autant qu’il lui est perchis et possible, il évite de parler de lui ouvertement ; de là, la tournure de ses paroles. D’ailleurs à quoi bon, puisqu’il parlait de lui, recourir à un intermédiaire ? Pourquoi donc cette composition, cet arrangement ? C’est que ce n’était pas la même chose de dire : J’ai été ravi, et je connais un homme qui a été ravi ; ni : Je me glorifie en parlant de moi-même, et : Je pourrais me glorifier en parlant d’un tel homme. Que si l’on objecte : Mais comment pouvait-il être ravi sans son corps ? Je demanderai à l’auteur de l’objection : Mais comment pouvait-il être ravi avec son corps ? car le second fait est encore plus incompréhensible que le premier, si l’on ramène tout au raisonnement, si l’on rie veut pas s’incliner devant la foi. Maintenant pourquoi a-t-il été ravi ? C’est, je pense, afin qu’il ne parût pas inférieur aux autres apôtres. Ils avaient vécu avec le Christ, Paul ne l’avait pas approché, voilà pourquoi il fut élevé, dans un ravissement, à la gloire, au paradis. Le paradis ! le nom en était fameux, partout célébré.
2. Voilà pourquoi le Christ disait : « Aujourd’hui, vous serez avec moi dans le paradis ». (Luc ; XXIII, 43) « Je pourrais me glorifier en parlant d’un tel homme ». Qu’est-ce à dire ? Si c’est un autre qui a été ravi, de quoi pouvez-vous vous glorifier ? Il est donc évident que c’est de lui qu’il parlait. S’il a ajouté : « Mais je ne me glorifierai pas pour moi-même », ces paroles se réduisent à ceci : en l’absence de toute nécessité, je ne veux rien dire de pareil à la légère, ou certainement il voulait autant que possible, rejeter dans l’ombre ce qu’il avait dit. La suite démontre parfaitement que dans toutes ces paroles, il n’est question que de lui ; car il ajoute : « Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un imprudent, car je dirais la vérité (6) ». Comment donc avez-vous pu dire d’abord : « Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence », et, « ce que je dis, je ne le dis pas selon, Dieu, mais je fais paraître de l’imprudence » (2Cor. 11,1-17) ; tandis que vous dites maintenant : « Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un imprudent ? » C’est qu’en ce moment il ne se préoccupe pas du fait de se glorifier, mais du fait de mentir ; si se glorifier est de l’imprudence, à combien plus forte raison y a-t-il de l’imprudence à mentir ? C’est donc dans cette pensée qu’il dit : « Je ne serais pas un imprudent ». Voilà pourquoi il ajoute : « Car je dirais la vérité ; mais je me retire de peur qu’on ne m’estime au-dessus de ce qu’on voit en moi, ou de ce qu’on entend dire de moi ».
Cette raison est véritable, on prenait les apôtres pour des dieux, à cause des miracles qu’ils faisaient. (Act. 4,10) De même qu’en créant les éléments, Dieu a fait deux choses, il les a créés à la fois faibles et éclatants ; éclatants, afin qu’ils publiassent sa puissance ; faibles, afin de prévenir l’égarement des hommes ; de même, les apôtres étaient à la fois admirables et faibles, de manière à instruire, par leurs œuvres mêmes, les infidèles. Si on ne les eût jamais vus qu’admirables, ne montrant aucun signe de faiblesse, c’est en vain qu’ils auraient voulu empêcher le peuple de soupçonner en eux une nature supérieure à la nature humaine ; non seulement ils n’y seraient pas parvenus, mais ils auraient produit un effet tout opposé. Les refus qu’ils auraient opposé aux louanges, auraient été regardés comme des preuves de leur modestie, et n’auraient fait qu’ajouter à l’admiration pour eux. C’est ce qui explique pourquoi leur conduite, leurs actions révélaient leur faiblesse. Témoin, les personnages de l’Ancien Testament. Élie, cet homme admirable, donna parfois des marques de timidité ; de même ce grand Moïse, qui, lui aussi, par la même faiblesse, prit la fuite. Ce qui leur arrivait parce que Dieu se retirait d’eux, afin que la nature humaine fût confondue en leur personne. Car si l’on entend les Israélites demander, après leur sortie d’Égypte, où donc est Moïse, supposez qu’il les eût encore introduits dans la Palestine, que n’eussent-ils pas dit ? Voilà donc pourquoi Paul dit : « Je me retiens de peur « qu’on ne m’estime… » Il ne dit pas, de peur qu’on ne dise, mais, de peur qu’on ne s’imagine que ma valeur est plus considérable. De sorte que, par là encore, il est évident que c’est de lui-même qu’il parle dans tout ce passage. Voilà pourquoi il disait en commençant « Il ne m’est pas avantageux de me glorifier ». Ce qu’il n’aurait pas dit s’il se fût proposé de parler d’un autre, car quel inconvénient y a-t-il à se glorifier au sujet d’un autre ? C’était bien lui qui avait été honoré de ces révélations. De là, les paroles qu’il ajoute : « Aussi, de peur que la grandeur de mes révélations ne m’inspirât de la hauteur, j’ai ressenti dans ma chair un aiguillon, qui est un ange de Satan, pour me souffleter (7) ».
Que dites-vous ? Celui qui regardait la royauté comme un pur néant, qui ne tenait aucun compte de la géhenne pour l’amour de Jésus-Christ, il attachait à la gloire que donne la foule assez de prix pour s’enorgueillir, pour avoir besoin d’un frein continuel ? Il ne dit pas, un ange qui me soufflettera, mais, « qui est un ange de Satan, pour me souffleter ». Actuellement, qu’est-ce que cela veut dire ? Que signifie donc cette parole ? Il nous faut d’abord découvrir ce que peut être cet aiguillon, et ce que peut être cet ange de Satan, et alors nous comprendrons. Quelques interprètes ont été d’avis qu’il fallait entendre par là une certaine douleur de la tête,.que le démon lui communiquait ; mais n’en croyons rien. Le corps de Paul n’aurait pas pu être livré aux mains du démon, puisque le démon lui-même cédait à un simple commandement de Paul ; puisque l’apôtre lui dictait des lois, lui fixait des limites, lui livrait le fornicateur pour mortifier sa chair (1Cor. 5,5), et que Satan n’aurait pas osé s’attaquer à d’autres. Que signifie donc cette parole de Paul ? Satan, dans la langue des Hébreux, veut dire adversaire, et c’est le nom que l’Écriture donne, dans le troisième livre des R. à ceux qui se portent comme adversaires, et, à propos de Salomon, elle dit : « Il n’y avait pas de satan dans les jours de ce roi » (1R. 5,4), c’est-à-dire, d’adversaires faisant la guerre, ou suscitant des troubles. Ce que dit l’apôtre signifie donc : Dieu n’a pas permis que la prédication se répandît sans obstacles ; pour rabaisser notre orgueil, il a laissé nos adversaires nous attaquer. Car c’est là ce qui pouvait abattre l’orgueil, beaucoup plus que ce qui n’eût rien fait, à savoir une douleur de tête. Par ange de Satan, l’apôtre entend donc Alexandre, l’ouvrier en bronze, Hyménée, Philète, et enfin tous les adversaires de la parole, qui disputaient contre lui, qui lui faisaient la guerre, qui le jetaient en prison, qui le meurtrissaient, qui l’emportaient pour lui faire subir leurs violences, qui accomplissaient contre lui les œuvres de Satan. Donc, de même qu’il appelle fils du démon, les Juifs ardents à produire les œuvres du démon, de même, il appelle ange de Satan, tout homme qui faisait obstacle à la prédication. Voilà donc pourquoi il dit : « J’ai ressenti un aiguillon… pour me « souffleter » ; ce n’est pas Dieu qui donnait des armes à de tels ennemis, loin de nous cette pensée, mais Dieu ne les châtiait pas, ne les punissait pas, il les laissait faire, il les laissait libres pour un temps : « C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur (8)». Ce qui veut dire, bien souvent.
3. Il y a une grande humilité à ne pas dissimuler son abattement devant les persécutions, ses fatigues, le besoin de prier pour se voir affranchi dé ses épreuves. Exemple que Paul nous donne : « Et il m’a répondu : Ma grâce vous suffit, car ma puissance éclate dans la faiblesse (9) ». Ce qui veut dire : Il vous suffit de ressusciter les morts, de guérir les aveugles, de purifier les lépreux, des autres miracles que vous opérez ; ne cherchez pas à fuir les dangers, les craintes, les embarras des affaires en publiant l’Évangile. Mais vous souffrez, vous éprouvez de l’abattement ? N’allez pas regarder comme une preuve de mon impuissance le grand nombre de ceux qui veulent vous nuire, qui vous meurtrissent, qui vous persécutent, qui vous frappent de verges : cela même est une marque de ma puissance : « Car ma puissance », dit Dieu, « éclate, dans la faiblesse » ; on vous verra vous, les persécutés, triomphant de vos persécuteurs ; vous chassés, victorieux de ceux qui vous chassent, vous enchaînés, convertissant ceux qui vous enchaînent. Ne demandez donc pas le superflu. Voyez-vous comme l’explication que donne l’apôtre diffère de celle qui est donnée par Dieu ? L’apôtre dit : « De peur que la grandeur de mes révélations ne m’inspirât de la hauteur, j’ai ressenti, dans ma chair, un aiguillon » ; quant à Dieu, il lui fait dire, que c’est pour manifester sa puissance, qu’il permet tout. Donc, ce n’est pas seulement le superflu que vous demandez, mais ce qui jetterait une ombre sur la gloire de ma puissance. Car le, « Il vous suffit », a pour but de montrer que l’apôtre n’a besoin de rien davantage, que tout' s’accomplit sans que rien ne manque. D’où ressort encore la preuve que Paul ne parle pas d’une douleur de tête. Assurément ils n’étaient pas malades, ceux qui prêchaient l’Évangile (comment auraient-ils pu prêcher s’ils n’avaient eu la force du corps) ce qui est vrai ; c’est que ce furent des bannis, des persécutés, qui triomphèrent de tous leurs ennemis.
Donc, dit-il, après avoir entendu de telles paroles, « je prendrai plaisir à me glorifier de mes faiblesses ». Il veut prévenir le découragement des fidèles ; ces faux apôtres fondaient leur gloire sur des titres tout opposés ; les vrais apôtres étaient en proie aux persécutions ; Paul tient à montrer que ces persécutions mêmes rehaussent sa gloire, ne servent qu’à rendre plus éclatante la puissance de Dieu, et qu’il fait bien de se glorifier de ce qui arrive. Voilà pourquoi il dit : « Je prendrai donc plaisir à me glorifier ». Ce n’est pas avec chagrin que j’ai fait l’énumération que vous avez entendue, ni que je vous ai dit : « J’ai ressenti un aiguillon », mais avec fierté, mais avec un sentiment de ma force qui grandit. Aussi ajoute-t-il : « Afin que la puissance de Jésus-Christ habite en moi ». Il y a ici une pensée nouvelle, qui n’est qu’indiquée à mots couverts, c’est que, plus les épreuves devenaient rigoureuses, plus la grâce acquérait d’intensité et de persistance : « Et ainsi je me complais dans toutes mes faiblesses (10) ». Quelles faiblesses, dites-moi ? « Dans les outrages, dans les persécutions, dans les nécessités, dans les angoisses ». Voyez-vous comme ici l’explication est des plus claires ? Dans ces diverses espèces de faiblesses, il ne parle ni de fièvres, ni d’autre mal périodique de ce genre, ni de toute autre maladie du corps, mais d’outrages, de persécutions, d’angoisses. Comprenez-vous ce qu’il montre de sagesse ? Il désirait d’être affranchi de ses tribulations ; mais du moment que Dieu lui a dit que cette délivrance ne doit pas avoir lieu, non seulement il ne se décourage pas en n’obtenant pas l’effet de sa prière, mais il se réjouit. De là, cette parole : « Je me complais », c’est-à-dire, je me réjouis d’être, je désire d’être outragé, persécuté, dans les angoisses, pour Jésus-Christ. Et ex tenant ce langage, il rabaissait les orgueilleux, et il relevait les courages, il empêchait les fidèles de rougir à la pensée de ses souffrances. Ces choses suffisent pour nous rendre les plus illustres de tous les hommes. Il ajoute ensuite une autre explication encore de sa joie : « Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis puissant ». Qu’avez-vous à vous étonner que la puissance de Dieu se révèle alors ? C’est alors que je suis puissant, moi aussi ; c’est alors surtout que la grâce vient en moi.
A mesure que ses souffrances abondent, pour nous abonde la consolation. Où est l’affliction, là se rencontre la consolation ; où est la consolation, là est la grâce. C’est quand il était en prison, qu’il faisait ces œuvres admirables ; c’est quand il essuyait des naufrages, quand il était transporté sur une terre barbare, c’est alors surtout que sa gloire éclatait. Quand il entrait, chargé de fers, au tribunal, c’est alors qu’il triomphait du jugé même. L’Ancien Testament nous montre des faits du même genre ; les épreuves montraient dans sa fleur la vertu des justes ; ainsi les trois jeunes hommes, ainsi Daniel, et Moïse, et Joseph, ainsi tous ont vu briller leur gloire, ont mérité d’insignes couronnes. Ce qui purifie Pâme, c’est l’affliction qui lui vient de Dieu ; c’est alors qu’elle en reçoit plus d’assistance ; comme elle a besoin de plus de secours, elle obtient plus de grâces. Même avant de jouir de la récompense que Dieu lui tient en réserve, elle recueille déjà de grands biens pour fruit de sa sagesse. Car l’affliction déracine l’orgueil, fait disparaître la lâcheté de l’indolence, elle répand sur vous l’huile de la patience ; elle met à découvert la bassesse, des choses humaines, c’est une grande leçon de sagesse, Toutes les passions lui cèdent, la jalousie, l’envie, les désirs déréglés, le faste de la puissance, la cupidité, la luxure, la vanité, l’orgueil, la colère, toute la cohorte des maladies dé ce genre. Voulez-vous considérer, dans la réalité de la vie, les hommes en particulier, les peuples dans leur ensemble, je pourrai vous les montrer dans l’affliction, vous les montrer au sein du repos, et vous faire comprendre tout le profit de l’une, toute la lâcheté qui provient de l’autre.
4. Quand les Hébreux étaient dans le malheur, quand on les poursuivait, ils gémissaient alors, ils invoquaient Dieu, ils obtenaient d’en haut un puissant, secours ; au contraire, quand ils s’engraissaient de leur prospérité, ils regimbaient. Les Ninivites, de leur côté, ne profitèrent de leur félicité que, pour irriter Dieu, qui dut menacer de détruire leur ville jusque dans ses fondements ; une fois humiliés par la prédication de Jonas, ils montrèrent une parfaite sagesse. Voulez-vous considérer un homme en particulier, voyez Salomon. Quand il était dans les inquiétudes et dans le trouble que lui inspirait le gouvernement de son peuple, il mérita d’avoir une sublime vision ; mais, dès qu’il se fut livré aux délices, il plongea jusqu’au fond dans l’abîme de la corruption. Et son père ? Quand mérita-t-il l’admiration et la gloire ? N’est-ce pas quand il fut dans l’adversité ? Absalon, maintenant, ne pratiqua-t-il pas la sagesse, tant qu’il mena la vie d’un fugitif ; mais, à son retour, ne se montra-t-il pas un tyran et un parricide ? Et Job ? Sa vertu brilla au sein de la tranquillité, mais elle partit plus brillante encore après son affliction.
Mais à quoi bon ces vieilles histoires des temps anciens ? Il suffit de considérer ce qui se passe aujourd’hui chez nous, pour comprendre tout le profit de l’affliction. Aujourd’hui, nous jouissons de la paix, et nous sommes tombés, nous languissons, nous avons rempli l’Église de mille maux ; quand nous étions tourmentés, nous avions plus de sagesse, plus de dignité, plus de zèle, plus d’ardeur, pour rechercher les pieuses réunions, pour entendre la parole. Ce que le feu est pour l’or, l’affliction l’est pour l’âme ; elle en fait disparaître les souillures, elle lui rend sa pureté, elle rehausse l’éclat de sa gloire. L’affliction mène au royaume du ciel ; la prospérité tranquille, à la géhenne. C’est ce qui fait que l’une est la voie étroite ; l’autre, la voie large. De là, ce que disait le Christ lui-même : « Dans le monde, vous aurez l’affliction » (Jn. 16,33), nous annonçant par là un grand bien. C’est pourquoi, si vous êtes un disciple, cheminez par la voie étroite de l’affliction ; ne vous attristez pas, ne vous laissez point abattre. Si vous ne consentez pas à cette affliction, il vous en faudra subir une autre dont vous ne retirerez aucun profit. L’envie, l’amour des richesses, le feu de la fornication, la vaine gloire, toutes les autres passions perverses, tourmentent et affligent l’âme ; non moins que la douleur et les larmes. Si vous ne voyez ni les larmes ni les chagrins du méchant, c’est la honte qui le retient, ou l’engourdissement de son mal ; pénétrez dans son âme, vous y verrez régner la tempête. Donc, puisque quelle que soit la voie que l’on suive, l’affliction est inévitable, pourquoi ne pas, embrasser de préférence le genre de vie où l’affliction mérite d’innombrables couronnes ? Aussi, c’est par la voie étroite des afflictions que Dieu a conduit ses saints. Il procurait ainsi leur bien, et en même temps celui des autres, de peur qu’ils ne conçussent d’eux une idée trop haute.
Ce quia fait dans les premiers temps prévaloir l’idolâtrie, c’est qu’on a exagéré l’admiration que méritaient les hommes ; c’est ainsi qu’Alexandre a été considéré comme un treizième Dieu par le sénat romain. Car ce sénat avait le pouvoir de créer des dieux par ses décrets. A la nouvelle de tout ce que le Christ avait fait, le gouverneur de la Judée envoya demander à Rome s’il plaisait aux sénateurs de décréter que le Christ aussi était un Dieu. Ils n’en voulurent pas entendre parler dans leur colère et dans leur indignation de ce que, devançant leur suffrage et leur décret, la vertu du Crucifié avait, par son propre éclat, conquis toute la terre. Cette conduite du sénat de Rome était, contre l’intention même des sénateurs, un effet dé la suprême sagesse qui ne voulait pas faire proclamer la divinité du Christ comme fondée sûr dés suffrages humains ; qui ne voulait pas que l’on pût le confondre avec un de ces dieux sortis de leurs votes. Ces hommes-là mirent jusqu’à des athlètes au rang des dieux, ainsi que les infâmes qui servaient à Adrien ; on sait d’où vient le nom de la ville d’Antinoüs. Comme la mort accuse notre nature mortelle, le démon a trouvé, dans l’immortalité de l’âme, combinée avec tous les excès de la flatterie, un moyen de précipiter les peuples dans l’impiété. Voyez sa scélératesse : quand nous faisons de cette considération un usage convenable, le démon détruit l’édifice qu’élèvent nos paroles ; veut-il au contraire faire servir à notre perte l’immortalité, il affermit l’édifice avec le plus grand soin. Si l’on dit : Et d’où vient ce dieu Alexandre ? n’est-il pas mort, et misérablement ? Mais son âme est immortelle, répond-on. Vous affirmez l’immortalité maintenant, et vous faites profession de sagesse pour nous séparer du Dieu maître de toutes choses ; mais quand c’est nous qui l’appelons le plus grand don de Dieu, nous sommes des esprits bas et terre à terre, en rien supérieurs aux êtres sans raison, victimes de l’erreur, et vous nous détrompez. Si nous nous avisons de dire que le Crucifié vit encore, on nous répond par le rire, malgré le cri de l’univers qui l’attesta jadis, qui l’atteste aujourd’hui ; jadis, par les miracles ; aujourd’hui, par ceux qui se sont convertis ; un mort certes ne fait pas de si belles choses. Qu’on vous dise qu’Alexandre est vivant, vous le croyez, sans pouvoir cependant fournir aucun signe. Comment ! répondra-t-on ; mais que d’admirables choses n’a-t-il pas faites de son vivant ! que de nations, que de villes par lui soumises, quelles guerres n’a-t-il pas faites, quelles victoires, quels trophées !
5. Eh bien, que direz-vous si je vous montre en Jésus-Christ ce à quoi n’a jamais pensé ni ce fameux Alexandre, de son vivant, ni aucun autre, quel qu’il soit, des hommes qui ont jamais existé ? quelle autre preuve de la résurrection vous faudra-t-il encore ? Qu’on livre de son vivant d’heureux combats, que l’on remporte des victoires, quand on est roi, que l’on a des armées sous sa main, il n’y a là rien de merveilleux, rien d’étonnant, rien de bien nouveau ; mais qu’après avoir été crucifié, enseveli, on opère de si grandes œuvres partout, sur la terre et sur la mer, voilà ce qui est fait surtout pour frapper de stupeur, pour proclamer une divine et ineffable puissance. Alexandre, après sa mort, n’a pas recomposé son empire déchiré, détruit : comment aurait-il eu ce pouvoir, ce mort ? Le Christ, au contraire, c’est après sa mort qu’il a surtout affermi son empire. Et à quoi bon parler du Christ quand ses disciples mêmes ont reçu de lui le don de voir, après leur trépas, leur gloire plus brillante ? Où est-il, répondez-moi, le tombeau d’Alexandre ? montrez-le-moi, et dites-moi quel jour il a cessé de vivre ? Mais, pour les serviteurs mêmes du Christ, leurs tombeaux sont glorieux, ils ont pris possession de la capitale du monde. Les jours de leur mort sont illustres, ce sont des jours de fête pour l’univers. Le tombeau d’Alexandre, les siens mêmes ne sauraient où le trouver ; le tombeau du Christ, les barbares mêmes le connaissent.
Les sépultures des serviteurs du Crucifié sont plus splendides que les palais des souverains, et ce n’est pas seulement par la grandeur et la beauté des constructions, supérieures, on le sait, à tous les bâtiments impériaux ; mais, ce qui est bien plus glorieux, par l’empressement des peuples qui s’y réunissent. Celui qui porte la pourpre se rend à ces tombeaux pour les baiser ; il dépose son faste, il supplie les saints de lui servir d’appui auprès de Dieu ; c’est pour se faire d’un fabricant de tentes, d’un pêcheur, et encore sont-ils morts, des protecteurs, qu’il est là en prières, ce souverain portant diadème. Oserez-vous donc, répondez-moi, regarder comme mort le Maître de ces hommes, celui dont les serviteurs, même quand ils ont cessé de vivre, sont les protecteurs des rois de la terre ? Ces spectacles, on ne les voit pas seulement dans Rome, on les voit aussi à Constantinople. Car le fils de Constantin-le-Grand n’a pas cru pouvoir faire un plus grand honneur à son père que de le déposer sous les portiques du pêcheur ; ce que sont les portiers des souverains dans leurs palais, les souverains le sont, pour les pêcheurs, dans leurs sépultures. Les pêcheurs, comme maîtres de la résidence, occupent l’intérieur ; les empereurs se trouvent trop honorés d’avoir leur place près de la porte et de servir ainsi à montrer, même à des infidèles, que des pêcheurs au jour de la résurrection obtiendront sur eux la supériorité. S’il en est ainsi maintenant dans les sépultures, à bien plus forte raison en sera-t-il de même, dans la résurrection ; bouleversement complet ; les empereurs sont devenus des domestiques, des serviteurs ; les sujets sont élevés à la dignité de souverains ou plutôt à une dignité bien plus haute encore. La vérité elle-même fait foi que ce n’est point par flatterie que les choses se passent ainsi, car le voisinage des saints profite à la gloire des empereurs. Car bien plus augustes que toutes les sépultures impériales sont ces tombeaux des saints : d’une part, complète solitude, d’autre part, la foule qui se presse.
Voulez-vous faire la comparaison entre les cours des empereurs et ces tombeaux ? Nouvelle preuve de la même victoire. D’un côté, beaucoup de gens pour écarter le peuple ; d’un autre côté, beaucoup d’amis qui invitent, qui attirent à eux les riches, les pauvres, les hommes, les femmes, les esclaves, les hommes libres ; d’un côté, un appareil terrible ; d’un autre côté, une joie ineffable. Mais pourtant c’est un plaisir que de voir l’empereur, dans son manteau d’or, la couronne en tête, et, à ses côtés, généraux, magistrats, préfets, tribuns, centurions, prêteurs ? Oui, mais nos spectacles à nous sont tellement plus augustes, tellement plus redoutables, que les autres, en comparaison, n’ont plus l’air que d’un jeu de théâtre et d’une puérilité. Il vous suffit de franchir nos seuils pour que le seul aspect du lieu transporte votre pensée vers le ciel, vers le Roi d’en haut, vers l’armée des anges, vers le trône sublime, vers la gloire inaccessible. Il ne s’agit plus d’un préfet quia pouvoir de mettre l’un en liberté, de charger l’autre de fers ; les ossements de nos saints n’ont pas cette pauvre et misérable puissance ; ils en ont une autre, et celle-là est bien plus considérable. Ils arrêtent les démons, ils les torturent ; ils affranchissent des plus tristes liens ceux qui étaient enchaînés. Quoi de plus redoutable, que ce tribunal ? On ne voit personne ; personne n’est là déchirant visiblement les flancs du démon, et cependant ce sont des voix, des cris déchirants, des coups de fouet, des gémissements arrachés par les tortures, des langues de feu, le démon ne pouvant pas résister à cette merveilleuse puissance. Ceux qui ont été revêtus, de corps triomphent de puissances incorporelles ; de la poussière, des os, de la cendre causent les déchirements de ces natures invisibles. Voilà pourquoi on ne fait pas de voyages pour voir des palais d’empereurs ; mais une foule d’empereurs ont fait des voyages pour assister à un pareil spectacle. C’est que les signes, les symboles du jugement à venir apparaissent dans les temples de nos saints ; les ossements des martyrs nous annoncent les démons frappés de verges, les hommes purifiés, affranchis. Voyez-vous la puissance des saints même après leur mort ? Voyez-vous la faiblesse dés pécheurs même encore vivants ? Donc fuyez le vice afin de triompher des méchants, et attachez-vous, de toutes vos forces, à la vertu. Car si, même ici-bas, telle est sa puissance, considérez ce que fera paraître la vie à venir. Possédé sans cesse de cet amour, attachez-vous à l’éternelle vie ; puissions-nous tous en jouir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVII. modifier


J’AI ÉTÉ IMPRUDENT EN ME GLORIFIANT ; C’EST VOUS QUI M’Y AVEZ CONTRAINT, CAR C’ÉTAIT A VOUS DE PARLER AVANTAGEUSEMENT DE MOI. (XII, 11, JUSQU’À 16)

Analyse. modifier


  • 1. Des raisons qui portent saint Paul à se glorifier.— Des meilleures preuves du véritable apostolat. — De la patience. — Grandeur des œuvres de saint Paul ; sa modestie se borne à les indiquer en très-peu de mots.
  • 2. Reproche à la fois sévère, doux et délicat, à l’adresse des fidèles dont il ne veut rien recevoir.— Belle pensée, que ce n’est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants.— Dévouement paternel de saint Paul, son désintéressement porté jusqu’au plus grand sacrifice.— Exemple qu’il nous donne.
  • 3. Il est odieux, il est monstrueux de ne pas aimer qui, nous aime.— Autre pensée : rien n’est plus inutile au public, aux particuliers, qu’un homme incapable d’affection. – Contre la haine jalouse.— Image énergique : mieux vaut un serpent dans les entrailles, que l’envie dans l’âme.— Texte des plus éloquents.
  • 4. L’Église, actuellement divisée, comparée à un corps qui vient de mourir.


1. Après avoir terminé son éloge personnel, il ne s’en tient pas là, il s’excuse encore, il demande qu’on lui pardonne le langage qu’il a tenu, qu’il attribue à la nécessité, non à sa libre détermination. Quelle qu’ait été cependant la nécessité, il se traite d’imprudent. Il a commencé par dire : « Souffrez-moi comme imprudent », et : « Je fais paraître de l’imprudence » ; maintenant il supprime le « Comme », le « Je fais paraître », il se traite purement et simplement d’imprudent. Après avoir produit, par ses paroles, le fruit qu’il se proposait, il ne se gêne plus, il ne garde plus de ménagement pour flétrir les fautes de ce genre ; il tient à bien démontrer à tous qu’on ne doit jamais, sans nécessité, se louer soi-même, puisque lui, Paul, nonobstant une nécessité réelle, se traite d’imprudent. Il fait ensuite retomber la responsabilité de ce qu’il a dit, non sur les faux apôtres, mais uniquement sur les disciples. « C’est vous », dit-il, « qui m’y avez contraint ». Car si ces faux apôtres ne faisaient que se glorifier, mais sans vous jeter dans l’erreur, sans vous perdre, je ne me serais pas risqué jusqu’au point de m’abaisser à de pareils discours ; mais ils corrompaient toute l’Église, et moi, ne considérant que votre intérêt, j’ai été contraint d’être un imprudent.
Et il ne dit pas : j’ai craint qu’après avoir usurpé la primauté auprès de vous, ils n’en vinssent à répandre leurs doctrines ; quant à cette pensée, il l’a exprimée plus haut par ces paroles : « J’appréhende qu’ainsi que le serpent a séduit Eve, vos esprits aussi ne se corrompent » ; dans le passage qui nous occupe en ce moment, l’apôtre parle d’une autre manière, avec plus d’autorité et de puissance ; ce qu’il vient de dire lui donne plus de liberté : « Car c’était à vous de parler avantageusement de moi ». Il en dit ensuite la raison et il ne reparle plus de ses révélations ; il ne raconte pas seulement les miracles qu’il a opérés, il parle aussi de ses épreuves. « Puisque je n’ai été en rien inférieur aux plus éminents d’entre les apôtres ». Voyez encore ici, comme il parle avec plus d’autorité. Auparavant, il disait : « Je ne pense pas avoir été inférieur en rien » ; ici, affirmation absolue, avec la confiance, comme je l’ai déjà dit, que lui donnent les preuves qu’il vient d’énumérer ; toutefois, même dans cette circonstance, il ne se départ pas de la modestie qui le caractérise. En effet, on l’entend, comme s’il avait parlé avec orgueil, comme s’il avait exagéré le jugement en sa faveur pour s’être mis au nombre des apôtres, reprendre de nouveau un ton d’humilité : « Encore que je ne sois rien, les marques de mon apostolat ont paru parmi vous (12) ».
Ne regardez pas, dit-il, si je suis misérable et petit, mais seulement si vous n’avez pas trouvé en moi tout ce que vous deviez attendre d’un apôtre. Et il ne dit pas : encore que je sois misérable, mais, ce qui exprime plus d’abaissement encore : « quoique je ne sois rien ». En effet, qu’importé que vous soyez grand, si vous n’êtes utile à personne ? Il ne sert absolument de rien qu’un médecin, par exemple, ait de l’habileté, s’il ne guérit jamais ses malades. Ne recherchez donc pas, dit-il, s’il est vrai que je ne suis rien ; mais considérez donc, en ce qui concerne le bien à vous faire, que je n’ai été inférieur en rien à personne, mais que je vous ai donné la preuve de mon apostolat. Je n’aurais donc pas dû être obligé de parler de moi. Ce n’est pas qu’il sentît le besoin d’être recommandé auprès des hommes ; comment aurait-il pu tenir à de pareils titres, lui qui ne comptait pour rien le ciel même pour l’amour de Jésus-Christ ? Mais c’est qu’il était possédé du désir de les sauver. Ensuite, comme on aurait pu lui dire : Et que nous fait à nous que vous n’ayez en rien été inférieur aux plus éminents d’entre les apôtres, il ajoute : « Les marques de mon apostolat ont paru parmi vous, dans toute sorte de patience, et dans les miracles et dans les prodiges ». Ah ! quelle mer d’œuvres magnifiques franchie d’un bond par lui en ces courtes paroles ? Or, voyez ce qu’il met en premier lieu : la patience. Voilà, en effet, la marque de l’apôtre : tout souffrir avec un noble courage. Voilà ce qu’indique une expression si courte ; quant aux miracles ; qui n’étaient pas des fruits de sa vertu propre, il en parle en plus de mots. Considérez combien de prisons, combien de coups, combien de dangers, combien de pièges perfides, combien d’épreuves il fait entendre ici, combien de guerres intestines, combien de guerres avec les étrangers, combien de douleurs, combien d’assauts renferme ce simple mot de patience ! Et maintenant, par ce mot de miracle, comprenez combien de morts ressuscités, combien d’aveugles guéris, combien de lépreux purifiés, combien de démons chassés ! En entendant ces paroles, apprenons, nous aussi, quand la nécessité nous contraint à parler de nous à notre avantage, à couper court le chapitre de nos perfections, à imiter l’apôtre.
2. Ensuite, comme on aurait pu lui dire : si vous êtes grand, si vous avez beaucoup fait, toutefois vous n’avez pas tant fait que les apôtres des autres Églises, il ajoute : « Car en quoi avez-vous été inférieurs aux autres Églises (13) ? » Vous n’avez pas eu, en fait de grâces, une moindre part que les autres. Mais, dira-t-on peut-être, pourquoi se tourne-t-il maintenant vers les apôtres ; après avoir engagé le combat contre les faux apôtres, pourquoi le cesse-t-il ? C’est pour relever tout à fait les courages, c’est pour montrer, non seulement qu’il vaut mieux que ces faux docteurs, mais qu’il ne le cède en rien aux grands apôtres. Voilà pourquoi, quand il parle des prétendus ministres de Jésus-Christ, il dit : « Je le suis plus qu’eux » ; mais quand c’est aux apôtres qu’il se compare, il se contente de ne leur être pas inférieur, quoiqu’il ait travaillé plus qu’eux. Et par là il montre aux fidèles qu’ils outragent les apôtres, en le mettant, lui leur égal, au-dessous des faux docteurs. « Si ce n’est en ce que je n’ai point voulu vous être à charge ». Ici le reproche est sévère ; il y a plus de sévérité encore dans ce qui suit : « Pardonnez-moi ce tort que je vous ai fait ». Toutefois cette sévérité n’exclut ni l’affection ni l’éloge, puisque Paul suppose que les Corinthiens tenaient pour une injure son refus de rien accepter d’eux, ainsi que le manque de confiance qu’il leur témoignait en ne voulant pas qu’ils le nourrissent. Si vous m’accusez, (il ne dit pas : vous faites mal de m’accuser ; son expression est pleine de douceur), je demande mon pardon, accordez-moi ma grâce. Voyez sa sagesse : aussitôt qu’il leur a adressé ce reproche, aussitôt il les en veut consoler. Plus haut, après leur avoir dit : « La vérité de Jésus-Christ est en moi, on n’arrêtera point le cours de ma gloire », il ajoutait : « Est-ce que je ne vous aime pas ? Dieu le sait ; mais je veux retrancher une occasion de se glorifier, à ceux qui veulent trouver cette occasion en paraissant semblables à nous ». (Il Cor. 11,10-12) Et, dans la première épître : « En quoi trouverai-je donc ma récompense ? En prêchant gratuitement l’Évangile que je prêche ». (1Cor. 9,18) Ici, même précaution : « Pardonnez-moi ce tort que je vous ai fait ». Car il tient toujours à dissimuler que c’est leur faiblesse qui est cause qu’il ne veut rien recevoir d’eux ; voilà pourquoi, ici encore, il tient ce langage : Si j’ai fait une faute, selon vous, pardonnez-la-moi. Ce qu’il disait, c’était à la fois pour les exciter et les adoucir. Et qu’on n’objecte pas. Si vous voulez réprimander, pourquoi vous défendre ? Si vous voulez adoucir, pourquoi réprimander ? Voilà précisément la marque de l’habileté faire une incision et refermer la plaie. Ensuite, je l’ai déjà dit, aussi souvent qu’il leur fait ce reproche, il l’adoucit, afin qu’on ne s’imagine pas qu’il espère recevoir d’eux quelque chose. Dans la première épître, il leur disait : « Je ne vous écris point ceci, afin qu’on me traite de même ; car mieux vaudrait pour moi mourir, que de souffrir qu’on me fît perdre cette gloire ». (1Cor. 9,15) Ici, ses paroles sont plus douces et plus caressantes. Comment s’y prend-il ? « Voici la troisième fois que je me prépare pour vous aller voir, et je ne vous serai pas à charge ; car ce ne sont pas vos biens que je cherche, mais vous ; car ce n’est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants (14) ».
Voici ce qu’il veut dire : Ce n’est pas parce que je ne reçois rien de vous que je ne vais pas vous trouver ; j’ai été vous voir deux fois, et je me prépare à vous aller voir une troisième, et je ne vous – serai pas à charge. Son explication sur ce point est grave. Il ne dit pas : parce que vous êtes mesquins, parce que vous vous blessez vite, parce que vous êtes faibles ; mais que dit-il ? « Car ce ne sont pas vos biens que je cherche, mais vous ». Je cherche plus que de l’argent, je cherche des âmes et non des fortunes, votre salut et non votre bourse. Ensuite, comme on pouvait encore le soupçonner de parler ainsi par dépit, il ajoute encore une réflexion. Il pouvait croire qu’on lui dirait : Ne sommes-nous pas libres de conserver ce qui est à nous ? Par ce motif il a l’air de prendre leur défense, et il dit avec beaucoup de suavité : « Car ce n’est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères, mais aux pères pour leurs enfants » ; au lieu de maîtres et de disciples, il met parents et enfants ; il présente comme étant simplement l’accomplissement d’un devoir une conduite d’une perfection plus haute, car Jésus-Christ n’a point commandé à ses apôtres de ne rien accepter de leurs disciples ; c’est par ménagement pour eux que l’apôtre s’exprime ainsi, et voilà pourquoi il ne recule pas devant une certaine exagération. En effet, il ne se contente pas de dire : Ce n’est pas aux enfants à thésauriser pour leurs pères ; mais il ajoute que c’est pour les pères un devoir d’agir ainsi. Eh bien ! donc, puisque c’est un devoir : « Je donnerai très-volontiers tout ce que j’ai, et je me donnerai encore moi-même, pour le salut de vos âmes (15) ». C’est la loi de la nature qui ordonne aux pères de thésauriser pour leurs enfants, mais moi je fais plus, je m’ajoute moi-même à ce que je donne ; l’excès de sa générosité se manifeste non seulement en ce qu’il ne reçoit rien, mais en ce qu’il fait plus, il donne ; et il ne donne pas simplement, mais il donne avec une générosité sans borne, il donne ce qui lui manque à lui-même ; car c’est là ce qu’indique cette parole : « Je me donnerai encore moi-même ». S’il vous fallait ma chair même, je ne la ménagerais pas pour votre salut. Il y a, dans ce qui suit, un reproche et en même temps une, parole d’affection « Quoique moi qui vous aime tant, je me voie si peu aimé de vous ». Ce que je fais, dit-il, pour ceux que j’aime, et qui ne m’aiment pas autant. Considérez maintenant la gradation dans tous ces mérites de l’apôtre. Il était autorisé à recevoir,-mais il ne recevait rien premier mérite. Cependant il avait besoin second mérite ; cependant il leur prêchait l’Évangile : troisième mérite ; et il fait plus, il donne : quatrième mérite ; et non seulement il donne, mais son présent est considérable cinquième mérite ; et il ne donne pas seulement de l’argent, il se donne lui-même sixième mérite ; et à des gens qui n’ont pas pour lui un vif amour : septième mérite ; et pour qui il éprouve, lui, un vif amour : huitième mérite.
3. Sachons donc, nous aussi, suivre cet exemple. C’est une faute grave que de ne pas aimer son prochain ; c’en est une plus grave de ne pas répondre à l’amour qu’on nous porte. Si, en aimant celui qui nous aime, nous ne faisons rien de plus que les publicains, ne l’aimer pas, c’est être inférieur aux bêtes sauvages. Que dis-tu, ô homme ? Tu n’aimes pas celui qui t’aime ? alors pourquoi vis-tu ? à quoi pourras-tu jamais être utile ? dans quelles affaires ? dans celles qui intéressent l’État ? dans celles qui intéressent les particuliers ? Nullement, en aucune manière : rien de plus inutile qu’un homme qui ne sait pas aimer. La loi d’amour souvent a touché même des brigands, des assassins, des violateurs de sépulture ; pour avoir seulement mangé le sel ensemble, ils ont changé de mœurs, la table les a convertis ; et vous qui n’avez pas seulement même table, mais mêmes conversations, mêmes occupations, mêmes entrées, mêmes sorties avec d’autres hommes, vous ne les aimez pas ? Ceux qui se livrent à de coupables amours, dépensent leurs fortunes entières pour des femmes perdues, et vous qui avez au cœur un amour honnête, vous êtes froid, vous êtes lâche, vous êtes dépourvu de cœur au point de ne pouvoir aimer même quand il ne vous en coûte rien ? Mais qui donc, dira-t-on, peut être assez malheureux, assez semblable aux bêtes sauvages pour se détourner de celui qui l’aime, et pour le haïr ? Vous avez raison de regarder comme incroyable unetelle dépravation ; mais si je vous montre une foule de dépravés de ce genre, comment pourrons-nous supporter cette honte ? Tenir des discours méchants sur celui qu’on aime, entendre les discours méchants d’un autre sur lui, et ne pas le défendre, le voir honoré et lui porter une haine jalouse, que faut-il penser d’un tel amour ? Certes ce serait pourtant une bien faible preuve d’amitié que de ne pas être jaloux, de ne pas haïr, de ne pas susciter de combats contre celui qu’on aime ; il faudrait encore applaudir à sa prospérité, travailler à l’accroître ; mais quand toutes vos actions, toutes vos paroles tendent à sa ruine, quelle âme pourrait être plus misérable que la vôtre ?
Hier, avant-hier, vous étiez son ami, vous partagiez ses entretiens et sa table ; puis, tout à coup, à la vue de la prospérité de celui qui est votre membre, jetant le masque de l’amitié, vous ne respirez plus que la haine, ou plutôt une fureur insensée. Cette fureur insensée se manifeste par le chagrin que vous cause la prospérité du prochain ; cette démente est le propre des furieux, des chiens possédés de la rage. Semblables à ces animaux, les envieux qu’irrite l’aiguillon sinistre, se jettent aussi sur tous. Mieux vaut un serpent replié dans les entrailles que l’envie qui rampe dans l’âme. Le reptile, souvent il suffit d’un remède pour le vomir ; la nourriture en adoucit l’effet ; ce n’est pas dans les entrailles que l’envie se replie, elle se roule au sein de l’âme, il est difficile de l’en faire sortir. Le reptile, dans l’intérieur du corps, n’en attaque pas les organes, si on lui donne sa nourriture ; mais l’envie, quelque abondante que pussent être les aliments que vous lui serviriez, s’en prend à l’âme même, qu’elle mord de toutes parts, qu’elle ronge, qu’elle déchire ; et rien ne saurait l’adoucir, rien ne saurait mettre un terme à sa fureur, rien qu’une chose, une seule : le malheur fondant sur celui qui prospérait ; voilà le seul remède qui la puisse guérir, ou plutôt ce remède ne fait rien. Car si tel subit l’adversité, elle en voit un autre qui est heureux, et les mêmes tortures la reprennent, et partout elle reçoit des blessures, et partout elle se sent frappée de nouveaux coups. Car il est impossible de se retourner sur la terre sans y voir des heureux. Et tel est l’excès de ce mal, que, même renfermé dans sa maison, l’envieux éprouve de la haine pour les hommes d’autrefois qui ont cessé de vivre. Or, que ceux qui vivent dans la société, au milieu de la foule, souffrent de cette maladie, c’est triste, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus affligeant ;-mais que ceux mêmes qui sont affranchis de tous les troubles de la vie publique, soient possédés du même mal, voilà ce qui est affreux, au-delà de tout ce qui se pourrait penser. Je voudrais garder le silence sur ce que j’ai à dire ; mais il faudrait que mon silence suffît pour effacer la honte de la réalité ; il y aurait alors de l’utilité dans le silence ; mais quand je pourrais me taire, les choses crieraient plus haut que ma langue, et mes paroles ne sauraient produire autant de mal que la notoriété de nos malheurs qui s’étalent à tous les yeux, et mon discours, sans danger, ne sera peut-être pas sans profit et sans utilité. Ce mal s’est attaqué à l’Église, et voilà ce qui a tout bouleversé, ce qui a détruit l’harmonie des membres ; voilà pourquoi nous nous élevons les uns contre les autres ; l’envie nous donne nos armes. De là l’excès de la dépravation. Lorsque tous conspirent à édifier, il faudrait encore s’estimer heureux que tous les fidèles demeurassent ; si, au contraire, nous conspirons tous à détruire, à quel terme aboutirons-nous ?
4. Que fais-tu, ô homme ? Tu penses qu’il t’est avantageux de ruiner ton prochain, et tu commences parte ruiner toi-même. Tu ne vois pas les jardiniers, les agriculteurs conspirant tous à un seul et même but ? L’un creuse, l’autre sème, un autre recouvre la racine, un autre arrose ce qui a été planté, un autre élève une baie, un mur, un autre encore écarte les bêtes nuisibles ; tous n’ont qu’un seul et même but : le salut de la plante. Ici, il n’en est pas de même ; moi, de mon côté, je plante, mais un autre remue et bouleverse tout. Laisse donc au moins à la plante le temps de pousser des racines, de se fortifier contre toute atteinte. Ce n’est pas mon ouvrage que tu détruis, c’est le tien que tu réduis à néant ; moi, j’ai planté ; toi, tu devais arroser. Donc si tu viens tout remuer, tu arraches la racine, et tu ne pourras plus prouver que tu as bien arrosé. Mais c’est la gloire de celui qui plante que vous ne pouvez souffrir ? Rassurez-vous, je ne suis rien, ni vous non plus. « Ni celui qui plante, ni celui qui arrose, n’est rien » (1Cor. III. 7) ; c’est Dieu seul qui fait tout. De sorte que c’est lui que vous combattez, que, c’est a lui que vous faites la guerre en arrachant les plantations. Revenons donc enfin à la sagesse et à la vigilance. Je ne crains pas tant la guerre du dehors que le combat du dedans ; car une fois la racine bien enfoncée dans la terre, elle peut défier les vents ; mais si on l’ébranle, si, à l’intérieur, un ver la ronge, sans même qu’on attaque extérieurement la plante, tout s’en va. Jusques à quand rongerons-nous la racine de l’Église comme des vers ? C’est de la terre que s’engendrent de pareilles passions ; ou plutôt elles ne naissent pas de la terre, mais – du fumier ; leur mère, c’est la corruption. Soyons donc enfin des hommes fiers et forts, soyons donc des athlètes de la sagesse, chassons loin de nous toute cette hideuse portée de maux. Je vois tout le corps de l’Église étendu par terre en ce moment comme un corps mort. Comme dans un corps qui vient d’être privé de vie, je vois des yeux, des mains, des pieds, un cou, une tête, ruais ce que je ne vois pas, c’est un membre remplissant ses fonctions ; de même ici, tous ceux qui sont présents, ont la foi en partage, mais ce n’est pas la foi agissante ; nous avons éteint la chaleur vitale, nous avons fait, du corps de Jésus-Christ, un corps mort. Si cette parole est effrayante, bien plus effrayante encore est la réalité qui se montre par les œuvres. Nous nous donnons les noms de frères, mais nos actions révèlent des ennemis ; nous sommes tous, par le nom, membres les uns des autres ; nous sommes de fait divisés comme des bêtes féroces. Je ne tiens pas à étaler nos fautes, mais ce que j’en dis, c’est pour vous faire honte, c’est pour vous ramener. Un tel est entré dans une maison ; il a été reçu avec honneur : il fallait bénir Dieu en voyant traiter avec honneur celui qui est votre membre ; car cette conduite glorifie Dieu ; eh bien, c’est le contraire que vous faites ; vous dites du mal de votre frère auprès de celui qui l’a honoré, de manière à nuire à tous les deux, et en outre, à vous déshonorer vous-même. Pourquoi, ô malheureux, ô infortuné Vous entendez faire l’éloge de votre frère, par des hommes ou par des femmes, et c’est pour vous un sujet d’affliction ? Mais ajoutez donc plutôt à cet éloge, et c’est ainsi que vous ferez votre éloge à vous-même. Si, au contraire, vous ruinez l’éloge, d’abord vous dites du mal de vous-même, vous donnez de vous-même une mauvaise opinion, et vous ne faites que grandir celui que vous vouliez rabaisser. Quand vous entendez des louanges, associez-vous à ces louanges ; si ce n’est par la sainteté de votre vie, et par vos vertus, que ce soit au moins par la joie que, vous ressentez des belles actions. Une personne a fait entendre un éloge ; admirez, de votre côté ; c’est ainsi que cette personne vous louera, vous aussi, pour votre vertu, pour votre bonté. Ne craignez pas de rabaisser vos actions par l’éloge d’autrui ; car ce malheur n’arrive qu’à celui qui accuse. Car la, nature de l’homme c’est de tenir à ses opinions, et celui qui vous entend dire du mal d’une personne qu’il vient de louer s’obstine à rendre son éloge plus éclatant, afin de vous mortifier, afin de faire justice des détracteurs, et il les flétrit en lui-même, et il les accuse auprès des autres. Comprenez-vous quelle honte nous nous attirons par cette conduite, et comme nous dissipons, comme nous perdons le troupeau ? Ne soyons donc enfin que les membres les uns des autres, ne formons donc enfin qu’un seul corps. Que celui qui s’entend louer, repousse loin de lui les éloges, et les fasse retomber sur son frère ; que col ni qui entend louer son frère, se réjouisse de pareils discours. Si nous savons nous unir ainsi les uns aux autres, nous sentirons le bonheur de tenir à celui qui est la tête du corps entier ; si, au contraire, nous nous divisons contre nous-mêmes, nous écarterons loin de nous, pour surcroît de malheur, le secours de Dieu ; or, privés de cette assistance, nous verrons périr notre corps, que ne conservera plus la vertu d’en haut. Prévenons ce danger, chassons loin de nous la haine jalouse, méprisons la gloire qui vient des hommes, attachons-nous à l’amour et à la concorde. C’est ainsi que nous obtiendrons les biens présents et les biens à venir ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la honte de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVIII. modifier


SOIT, JE NE VOUS AI POINT ÉTÉ A CHARGE MOI-MÊME, MAIS ÉTANT ARTIFICIEUX, J’AI USÉ D’ADRESSE POUR VOUS SURPRENDRE. MAIS ME SUIS-JE SERVI DE CEUX QUE JE VOUS AI ENVOYÉS POUR BÉNÉFICIER SUR VOUS ? J’AI PRIÉ TITE DE VOUS ALLER TROUVER, ET J’AI ENVOYÉ AVEC LUI UN DE NOS FRÈRES. TITE S’EST-IL ENRICHI À VOS DÉPENS ? N’AVONS-NOUS PAS SUIVI LIT MÈNE ESPRIT ? N’AVONS-NOUS PAS MARCHÉ SUR LES MÊMES TRACES ? (XII, 16, 17, 18, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier

  • 1. Réponse de saint Paul à ceux qui pourraient lui objecter que, s’il n’a rien voulu recevoir par lui-même, il a reçu par l’entremise de ses disciples.— Il en appelle, en ce qui concerne ses envoyés, au témoignage des Corinthiens eux-mêmes.— Du zèle parfaitement désintéressé de l’Apôtre pour l’édification des fidèles.— Comment il les réprimande ; plus ses paroles sont sévères, plus, en môme temps, elles sont tempérées par l’affection.
  • 2. L’orgueil envieux, cause principale de tous les dérèglements.— La fornication n’est pas la seule impureté ; toute espèce de péché souille l’âme.— De là, la faiblesse des pécheurs qui perdent facilement contenance devant les hommes irréprochables.— Achab, devant Elie ; Hérode, devant saint 1Jn.
  • 3 et 4. Le vice ne peut soutenir l’aspect de la vertu, il la redoute.


1. Il y a certes une grande obscurité dans ces paroles, mais ce n’est pas sans dessein ni raison que l’apôtre s’exprime ainsi. II s’agissait d’argent, de justification dans des questions de ce genre, et Paul enveloppe d’une certaine ombre ce qu’il veut dire à ce sujet. Qu’entend-il par ces paroles ? Il vient de dire : Je n’ai rien voulu recevoir, et je suis prêt en outre à donner, à faire des dépenses ; il y a beaucoup de protestations de cette nature, et dans sa première lettre, et dans celle-ci. Maintenant, il dit quelque chose de plus ; il a l’air de prévenir une objection « et de la résoudre. Ce qu’il dit revient à ceci. Je n’ai fait aucun bénéfice sur vous. Mais peut-être me dira-t-on que si je n’ai rien reçu par moi-même, comme je suis artificieux, je me suis arrangé de manière que ceux que j’ai envoyés, vous ont de mandé en leur propre nom quelque chose, que j’ai fort bien reçu par leur entremise, que j’ai sauvé les apparences, que je n’ai rien reçu par moi-même, mais que j’ai reçu par le moyen des autres. Eh bien ! non ; personne ne saurait tenir ce langage ; et vous êtes mes témoins.—Voilà pourquoi il présente sa pensée sous forme d’interrogation : « J’ai prié Tite de vous aller trouver, et j’ai envoyé avec lui un de nos frères. Tite s’est-il enrichi à vos dépens ? » N’a-t-il pas marché comme moi ? C’est-à-dire, Tite lui aussi, n’a rien reçu. Vous voyez jusqu’où s’étendent les preuves de sa rigidité ; non seulement il s’est conservé personnellement sans reproche, il n’a rien reçu ; mais il a discipliné ses envoyés de manière à ne pas donner, par eux, la moindre prise à ceux qui voulaient le trouver en défaut. Il y a bien plus de grandeur encore dans cette conduite que dans celle du patriarche. De retour après sa victoire, le roi lui offrant des dépouilles, Abraham refusa de rien recevoir, (Gen. 14,23-24) ; excepté ce que ses gens auraient pris pour leur nourriture ; mais Paul n’accepta pas même la nourriture qui lui était nécessaire, et, de plus, il ne permit pas à ses compagnons de l’accepter, et il ferma victorieusement la bouche à ses détracteurs effrontés. Aussi ne se borne-t-il pas à une simple affirmation, il ne dit pas que ses envoyés n’ont rien reçu ; mais, ce qui est bien plus significatif, il invoque le témoignage des Corinthiens eux-mêmes, comme quoi ils, n’ont rien reçu ; ce n’est pas lui qui décide la question de sa propre autorité, ce sont les Corinthiens eux-mêmes qui prononcent ; c’est la conduite que nous tenons d’ordinaire dans les faits qui sont incontestés, et qui nous laissent toute notre confiance. Répondez donc, leur dit-il, y en a-t-il un seul de ceux que nous vous avons envoyés qui ait fait un bénéfice sur vous ? Il ne dit pas qui ait reçu de vous quelque chose ; il se sert de l’expression « Faire d’injustes profits », s’enrichir aux dépens de quelqu’un ; l’expression est vive, mordante, c’est pour montrer que recevoir de celui qui ne veut pas donner, c’est chercher, avant tout, à faire un injuste profit. Et il ne dit pas, dans sa première interrogation : Tite a-t-il, mais : « Me suis-je servi de ceux que je vous ai envoyés ? » Vous ne pouvez pas dire qu’un tel n’a pas reçu, mais que tel autre a reçu. Personne n’a rien reçu.
« J’ai prié Tite ». L’expression est éloquente. Il ne dit pas : J’ai envoyé Tite, mais : « Je l’ai prié », montrant par là que, même s’il avait reçu quelque chose, il aurait usé de son droit ; toutefois il a montré une grande rigidité. Voilà pourquoi, dans sa seconde interrogation, il dit : « Tite a-t-il fait quelque bénéfice sur vous ? N’avons-nous pas suivi le même esprit ? » Qu’est-ce à dire, « Le même esprit ? » Il attribue le tout à la grâce, il montre que tout ce qu’il y a de glorieux dans cette conduite ne vient pas de son énergie, de son courage, que c’est un pur don de l’Esprit, un bienfait de la grâce. En effet, c’était une grâce insigne que de supporter l’indigence, la faim, et de ne rien recevoir afin d’édifier les disciples. « N’avons-nous pas marché sur les mêmes traces ? » Ce qui veut dire : ils n’ont pas bronché, ils ont toujours montré la même rigidité.
« Pensez-vous que ce soit encore ici notre dessein de nous justifier devant vous (19) ? » Voyez-vous cette peur qui ne le quitte pas de passer pour un flatteur ? Voyez-vous avec quelle sagesse apostolique il reprend sans cesse la même pensée ? Il a commencé par dire : « Nous ne prétendons point nous relever encore ici nous-même, mais vous donner une occasion de vous glorifier » (2Cor. 5,12) ; et, au commencement de l’épître : « Avons-nous besoin de lettres de recommandation ? » (2Cor. 3,1) « Tout ce que nous vous disons ici, est pour votre édification ». Il y a un changement de ton dans ces dernières paroles de notre texte ; elles sont caressantes. L’apôtre ne dit pas ouvertement aux fidèles : c’est pour ménager votre faiblesse que nous ne voulons rien recevoir de vous ; mais nous voulons vous édifier ; il parle d’une manière plus explicite qu’auparavant, il découvre la pensée dont il est pressé de se délivrer, il le fait toutefois sans les heurter. Il ne dit pas : c’est à cause de votre faiblesse, mais : c’est afin que vous soyez édifiés.
« Car j’appréhende qu’arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous voudriez (20) ». Au moment de faire entendre une parole sévère, pénible, il s’excuse ; il vient de dire : « Tout ce que nous vous disons ici, est pour votre édification » ; il ajoute : « Car j’appréhende », afin d’adoucir l’amertume de ce qu’il prépare. Il n’y a là ni orgueil insolent, ni cette confiance que donne à un maître son autorité ; Paul montre ici la sollicitude d’un père, il éprouve plus de crainte que tes pécheurs mêmes, il tremble au moment de les corriger. Ce n’est pas tout, il rie tombe pas sur eux sans hésitation, il ne s’exprime pas de manière à tout dire, il est incertain : « J’appréhende qu’arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais » ; il ne dit pas : attachés à toutes les vertus, mais : « Tels que je voudrais » ; toutes ses expressions respirent l’amitié. Ces mots : « Que je ne vous trouve pas », marquent une attente trompée, il en est de même de : « Et que vous ne me trouviez pas non plus ». Car ce ne peut être un effet assuré de aria volonté, mais le résultat d’une nécessité dont la cause est en vous ; de là cette expression. « Que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous voudriez ». Il ne dit pas, tel que je voudrais, mais, d’une manière plus efficace pour les piquer : « Tel que vous voudriez ». En effet, il entendait suivre, dès ce moment, sa volonté à lui ; non pas sans doute une volonté absolue, mais peu importe, une volonté décidée enfin à la sévérité. L’apôtre pouvait dire : « Tel que je ne veux pas être », et manifester ainsi son affection ; mais il ne veut pas flatter le relâchement de ceux qui l’écoutent : Ou plutôt, en parlant ainsi, son discours eût été plus difficile à supporter ; au contraire, sa manière présente est plus forte pour frapper et montre en même temps un esprit plus doux. C’est le caractère propre de la sagesse de Paul d’être d’autant plus caressant qu’il fait des blessures plus profondes. Ensuite, comme il y avait de l’obscurité dans son langage, il s’explique : « Je crains de rencontrer parmi vous des dissensions, des jalousies, des animosités, des médisances, des faux rapports, des esprits enflés ». Ce qu’il aurait dû dire en premier lieu, il le met à la fin ; en effet, c’était l’orgueil qui les soulevait contre lui. Mais l’apôtre ne veut pas avoir l’air de combattre d’abord ce qui gêne son action sur eux ; voilà pourquoi il parle d’abord de ce qu’il y a de général dans leurs égarements.
2. C’était l’envie qui les produisait, ces calomnies, ces accusations, ces dissensions. Comme une racine funeste, l’envie produisait la colère, l’esprit de dénigrement, la démence de l’orgueil et tous les autres fléaux qui, à leur tour, envenimaient cette haine jalouse. « Et qu’ainsi Dieu ne m’humilie encore, lorsque je serai retourné chez vous (29) ». Cet « Encore » est à lui seul un reproche. C’est bien assez, dit-il, de vos premiers égarements. Aussi disait-il au commencement : « C’est pour vous épargner que je ne suis pas allé à Corinthe ». (2Cor. 1,23) Voyez-vous comme il s’entend à montrer à la fois ce qui indigne son cœur, et l’affection qu’il ressent ? Mais maintenant que veut dire « Ne m’humilie ? » Il est pourtant glorieux d’avoir le droit d’accuser, de punir, de demander des comptes, de siéger comme juge, et c’est ce qu’il appelle une humiliation. Il était si loin de rougir de l’Humilité, de ce qu’on trouvait de bas dans sa personne, de méprisable en son discours (2Cor. 10,10), qu’il souhaitait de rester toujours en cet état, que ses prières tendaient à n’en pas sortir. Il explique bientôt sa pensée, et ce qu’il appelle humiliation c’est, avant tout ; la nécessité de châtier et de punir. Mais pourquoi, au lieu de dire : qu’en retournant chez vous je ne sois humilié, dit-il. « Que Dieu ne m’humilie lorsque je serai retourné chez vous ? » C’est que si ce n’était pour Dieu, je n’aurais aucun souci, tout me serait fort indifférent. Ce n’est pas par une usurpation orgueilleuse de pouvoir que je recherche ; lorsque je châtie, je ne veux qu’exécuter les ordres de Dieu. Il dit plus haut : « Que vous ne me trouviez pas tel que vous voudriez » : ici avec plus de ménagement, d’une manière plus douce, : plus affectueuse, il dit : « Et que je n’aie à en pleurer plusieurs qui ont péché ». Il ne se contente pas de dire : « Qui ont péché » ; il ajoute : « Et qui n’ont pas fait pénitence ». Il ne dit pas tous, mais « Plusieurs » ; et les pécheurs mêmes, il ne les désigne pas, il leur laisse un moyen facile de retourner à la pénitence ; il montre clairement que la pénitence peut effacer les fautes, et qu’enfin il ne pleurera que ceux qui sont incapables de faire pénitence, que les incurables, qui conservent leur plaie. Méditez donc sur la vertu apostolique de l’homme à qui sa conscience ne fait aucun reproche, qui gémit des fautes d’autrui, qui s’humilie parce que les autres ont péché. C’est là en effet ce qui doit surtout distinguer le maître, la compassion pour les malheurs de ses disciples, les chagrins, la douleur pour les blessures de ceux qu’il conduit.
Il montre ensuite la nature du péché : « De leurs dérèglements et de leur impureté ». Ce qu’il désigne par là, à mots couverts, c’est la fornication ; mais si l’on tient à se rendre un compte exact des péchés de toute nature, ce nom leur convient à tous. Car quoique le fornicateur, l’adultère soient surtout ceux qu’on traite d’impurs, les autres péchés aussi mettent l', impureté dans l’âme. Voilà pourquoi, n’en doutez pas, le Christ traite d’impurs les Juifs ; ce ne sont pas seulement leurs fornications qu’il accuse, mais leur dépravation à d’autres égards. Aussi fait-il observer qu’ils n’ont pris soin de purifier que le dehors (Mat. 23, 25) ; aussi dit-il ailleurs : « Ce n’est pas ce qui entre : qui souille l’homme, mais ce qui sort ». (Mt. 15,11) L’Écriture dit ailleurs encore : « Tout homme au cœur insolent est impur devant le Seigneur ». (Prov. 16,5) Et c’est avec raison. Rien de plus pur que la vertu, rien de plus impur que le péché ; car la vertu est plus éclatante que le soleil ; le péché est plus infect que la fange. C’est ce que peuvent prouver, par leur propre témoignage, ceux qui se roulent dans le bourbier, qui passent leur vie dans les ténèbres ; il suffit qu’on leur fasse ouvrir un moment les yeux. Tant qu’ils restent abandonnés à eux-mêmes, enivrés de leurs passions, ils continuent, comme dans l’obscurité, à croupir dans l’opprobre, dans l’ignominie ; ils ne sentent pas leur état, ils ne s’en rendent pas un compte exact ; mais s’ils se voient convaincus d’infamie par un homme vertueux, ne feraient-ils que l’apercevoir, c’est alors qu’ils reconnaissent combien leur état est misérable ; c’est comme un rayon qui tombe sur eux ; ils veulent alors cacher leur honte ; ils rougissent devant, ceux qui connaissent leur conduite, quand le témoin serait un esclave, et le coupable un homme libre ; quand le premier serait un sujet, et l’autre un souverain.
C’est ainsi que l’aspect seul d’Élie couvrait Achab de confusion, avant même que le prophète eût parlé, rien que sa vue saisissait le roi ; l’accusateur gardait le silence, et le roi prononçait lui-même la sentence de sa propre condamnation ; ses paroles étaient celles du coupable convaincu : « Vous m’avez trouvé ; vous, mon ennemi ». (1R. 21,20) Voilà comment Élie parlait à ce tyran avec une pleine liberté. Voilà comment Hérode, incapable de supporter la honte et les remords, (tel était l’éclat que donnait à son crime le cri retentissant de la : voix du prophète), fit jeter Jean en prison ; ce roi ressemblait à un homme qui se trouve en état de nudité, qui veut éteindre un flambeau, pour rentrer dans les ténèbres. Ou plutôt il n’osa pas l’éteindre lui-même, mais il le plaça comme sous un boisseau, dans l’intérieur de sa maison ; cette malheureuse et misérable femme le força enfin à l’éteindre. Eh bien, ils ne purent pas même par ce moyen faire disparaître leur crime ; ils le rendirent encore plus éclatant. Ceux qui demandaient pourquoi Jean était en prison, en apprenaient la cause, elle fut connue ensuite de tous ceux qui habitaient la terre et la mer, de tous sans exception, des hommes d’alors, des hommes d’aujourd’hui ; et ceux qui doivent naître apprendront à leur tour ce drame de forfaits, d’impuretés, d’infamie, joué par ces deux grands pécheurs, et il n’est pas de siècle qui puisse jamais en abolir la mémoire.
3. Le pouvoir de la vertu est si grand, si impérissable est le souvenir que la vertu laisse après elle, qu’elle n’a qu’à parler pour confondre ses contradicteurs. Pourquoi ce tyran jette-t-il en prison le prophète ? Pourquoi ne se contente-t-il pas de le mépriser ? Est-ce que Jean allait le traîner devant un tribunal ? Est-ce qu’il parlait de le punir de son adultère ? Est-ce que l’action de Jean ne se réduisait pas à des paroles ? Que craint-il donc et qu’a-t-il à trembler ? Quoi de plus, ici, que des paroles, que des discours ? C’est que ces paroles frappaient plus durement qu’un châtiment réel. Il ne le conduisait pas devant un tribunal, il le traînait devant sa conscience, il lui donnait pour juges toutes les consciences libres. Voilà pourquoi tremblait ce tyran, incapable de supporter la lumière de la vertu. Comprenez-vous la grandeur de la sagesse et de la vertu ? C’est elle qui fait qu’un prisonnier resplendit de plus de gloire qu’un tyran, et que ce tyran a peur et qu’il tremble. Celui-ci toutefois se contenta de le charger, de fers, mais cette femme criminelle provoqua le tyran à un meurtre. Cependant c’était lui plus qu’elle, qui était accusé. En effet, le prophète n’avait pas été trouver cette femme pour lui dire : Que faites-vous ? vous cohabitez avec le tyran ? Ce n’est pas qu’elle ne pût être accusée ; qui en doute ? mais c’est par lui que le prophète voulait que le scandale cessât : Voilà pourquoi c’est lui qu’il réprimande, et sa parole ne gronde pas d’une manière terrible. Il ne lui dit pas : O scélérat, ô le plus scélérat de tous les hommes, violateur des lois, impie, tu as foulé sous tes pieds la loi de Dieu, tu as tourné ses commandements en dérision, tu n’as reconnu pour loi que ta brutalité. Il ne lui dit rien de pareil ; dans ses reproches respire une modération, une douceur parfaite : « Il ne vous est pas permis d’avoir la femme de Philippe, votre frère ». (Mc. 6,18) C’était plutôt le ton de l’enseignement que de l’accusation, c’était plutôt une leçon qu’un châtiment, une réprimande qu’une poursuite, un avertissement qu’une attaque. Mais, je l’ai déjà dit, le voleur déteste la lumière, et les pécheurs détestent l’homme juste, rien que son aspect : « Il nous importune », dit l’Écriture, « rien que quand il paraît ». (Sag. 2,14)
En effet, ils n’en peuvent supporter les rayons ; les yeux malades ne soutiennent pas les rayons du soleil. Pour la foule des méchants ce n’est pas seulement la présence de l’homme juste, qui est insupportable, mais rien que le son de sa voix. Voilà pourquoi cette femme criminelle, cette femme la plus criminelle de toutes, cette infâme qui prostituait sa fille, ou plutôt qui en était le bourreau, cette misérable, qui pourtant n’avait ni vu le prophète, ni entendu sa voix, s’élança pour obtenir son meurtre, et elle s’associa, pour cette œuvré de sang, l’impudique qu’elle avait formée, qu’elle avait nourrie, tant elle redoutait le terrible prophète. Et que dit-elle ? « Donnez-moi ici, sur un plat, la tête de Jean ». Et pourtant, s’il est en prison, c’est pour toi, c’est à cause de toi qu’il est dans les fers, et cependant tu peux flatter ton amour insensé en te disant : J’ai triomphé du roi, il a repoussé une accusation publique, il n’a pas rejeté son amour, il n’a pas rompu nos liens adultères ; il s’en faut bien ; celui par qui il a été repris, il l’a chargé de chaînes. Quel est ton délire, quelle est ta rage, ô femme ; même après la réprimande tu jouis de ton amour ? Qu’as-tu à demander une table de furies, à préparer un banquet pour les démons tes bourreaux ? Voyez-vous le néant, la misère, la terreur, la lâcheté du vice ; voyez-vous que, plus il triomphe, plus il est frappé de faiblesse ? Cette femme avait moins le vertige avant que le prophète eût été jeté en prison ; c’est maintenant qu’elle se trouble surtout, maintenant qu’il est dans les fers ; c’est maintenant qu’elle dit : « Donnez-moi ici, sur un plat, la tête de Jean ».
Et pourquoi « ici ? » Je crains, dit-elle, que le meurtre ne reste dans l’ombre, qu’il n’y ait des gens pour le soustraire au danger. Et pourquoi ne veux-tu pas tout son corps privé de vie, mais seulement sa tête ? C’est cette langue, dit-elle, qui m’a affligée, que je désire voir silencieuse. Eh bien, c’est tout le contraire qui aura lieu, ô malheureuse, ô misérable, cette langue fera entendre une voix encore plus éclatante dans cette tête tranchée, après ton crime. Jusqu’à ce jour, on n’entendait ses cris que dans la Judée, mais maintenant ils vont retentir jusqu’aux extrémités de la terre, et quelle que soit l’Église où vous entriez, chez les Maures, chez les Perses, dans les îles mêmes des Bretons, vous entendrez la voix éclatante de Jean : « Il ne vous est pas permis d’avoir la femme de Philippe, votre frère ». Mais cette femme, qui ne comprend rien, qui ne voit rien, pousse au meurtre, elle obsède, elle y précipite ce tyran insensé ; elle n’a qu’une peur, c’est qu’il ne change de volonté. Eh bien, remarquez encore cette nouvelle preuve de la puissance de la vertu. Le prophète est en prison, il est enchaîné, il est dans le silence, et cependant ce roi ne soutient pas l’aspect de l’homme juste. Comprenez-vous toute la faiblesse, toute l’impureté du vice ? Au lieu de mets, c’est une tête humaine qu’il fait apporter sur un plat. Quoi de plus exécrable, de plus abominable, de plus infâme que cette jeune fille ? Quelle voix a-t-elle fait entendre sur le théâtre de Satan, au banquet des démons ? Vous voyez une langue et une langue ; l’une portant des remèdes salutaires, l’autre, la perdition ; l’autre, dressant pour les festins de l’enfer, la table empoisonnée. Mais pourquoi l’ordre n’a-t-il pas été donné d’exécuter le meurtre dans la salle du banquet ? elle y aurait trouvé un plaisir plus exquis. Mais elle a eu peur, qu’à sa présence, qu’à sa vue, rien qu’en l’apercevant, rien qu’en entendant sa libre parole, toutes les dispositions ne fussent changées. Voilà pourquoi elle demanda sa tête, jalouse de dresser, de son infamie, ce trophée éclatant, qu’elle donna à sa mère.
4. Avez-vous bien compris ce salaire de la danse ? Avez-vous bien compris ces dépouilles conquises par l’artifice du démon ? Ce n’est pas de la tête de Jean que je parle, mais de l’adultère. Il suffit de se rendre un compte exact de ce qui se passe, pour voir que ce trophée est dressé contre lé roi ; et maintenant celle qui a triomphé – a été vaincue, le décapité a obtenu la couronne, et son nom a été proclamé ; après sa mort, il n’en u que plus vivement secoué la conscience des criminels. Nos paroles ne sont pas un vain bruit. Interrogez Hérode lui-même ; à peine eût-il appris les miracles de Jésus-Christ : « C’est Jean c’est lui-même qui est ressuscité », dit-il, « d’entre les morts ; et c’est pour cela qu’il se fait, par lui, des miracles ». (Mt. 14,2) Ce qui prouve combien la terreur était vive et persistante en lui, et combien il ressentait d’angoisses ; et, nul n’était assez fort pour l’affranchir des terreurs de sa conscience ; le juge incorruptible continuait à le suffoquer, à lui demander chaque jour l’expiation du meurtre. Donc, instruits de ces vérités, craignons, non pas de souffrir du mal, mais de commettre le mal : d’une part, c’est la victoire ; de l’autre, la défaite. Voilà pourquoi Paul aussi disait « Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu’on vous fasse du tort ? Mais vous faites du tort aux autres, vous les frustrez, et vous faites cela à vos frères ». (1Cor. 6,7, 8) C’est la patience dans les maux qui mérite les couronnes, les récompenses, la gloire. C’est une vérité que manifeste la vie de tous les saints. Donc, puisque c’est ainsi que tous ont conquis leur couronne, ont conquis leur gloire, marchons, nous aussi, dans le même chemin ; demandons, par nos prières, à ne pas entrer en tentation ; si la tentation nous arrive, luttons avec énergie, avec courage, déployons l’ardeur qui convient à la vertu, afin d’obtenir les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XXIX. modifier


VOICI LA TROISIÈME FOIS QUE JE ME DISPOSE A VOUS ALLER VOIR. TOUT SE JUGERA SUR LE TÉMOIGNAGE DE DEUX OU TROIS TÉMOINS. (XIII, 1, JUSQU’À XIII, 9)

Analyse. modifier

  • 1. De la répugnance de saint Paul à punir ; de la sainte chaleur avec laquelle il multiplie les avertissements.
  • 2. Sur le Christ crucifié, selon la faiblesse, et vivant par la vertu de Dieu.— De la faiblesse et de ses diverses espèces ; différents sens du mot grec qui l’exprime.
  • 3. Les apôtres, à l’imitation de Jésus-Christ, acceptent les souffrances, non par faiblesse, mais par la grâce et par la force d’en haut.— De la puissance qui se manifeste en supportant les traitements mimes qui semblent témoigner de la faiblesse.
  • 4 et 5. La foi ne suffit pas pour mériter les dons de l’Esprit ; il faut y joindre les bonnes mœurs.— Admirable patience et charité de saint Paul ; ses prières à Dieu, non seulement pour être dispensé de punir, mais pour que la conduite des fidèles soi pure de tout péché ; affection paternelle de l’apôtre pour ses disciples. — Combien il était exempt de vaine gloire.— De la véritable gloire ; moyens de l’acquérir.


1. Les passages abondent où Paul montre, et sa sagesse, et l’ardeur de sa charité ; c’est surtout ici que son cœur se révèle, que se fait voir sa chaleur dans les avertissements, son hésitation, sa répugnance à punir. Ce n’est pas du premier coup qu’il châtie les coupables, il les a avertis une fois, deux fois ; et maintenant il ne se décide pas encore à, punir les désobéissances, il les avertit une fois de plus par ces paroles, il leur dit : « Voici la troisième fois que je me dispose à vous aller voir » ; avant de me rendre auprès de vous, je vous écris encore. Ensuite ne voulant pas que cette hésitation de sa part produise le relâchement, il trouve encore, voyez, le moyen d’ajouter à la correction ; il continue ses menaces, il frappe de nouveaux coups, il dit « Si je viens encore une fois, je ne pardonnerai pas ; et j’appréhende que je ne sois obligé d’en pleurer plusieurs ». Cette conduite, ce langage, c’est pour imiter Notre-Seigneur, le Maître de toutes les créatures ; car Dieu ne se lasse pas de menacer, souvent il avertit ; mais on le voit bien moins souvent châtier et punir. C’est ce que fait Paul : voilà pourquoi il disait auparavant : « C’est pour vous épargner que je n’ai point voulu retourner à Corinthe ». (2Cor. 1,23) Qu’est-ce que cela veut dire : « C’est pour vous épargner ? » C’est-à-dire : J’avais peur de trouver en vous de pécheurs incorrigibles, j’avais peur d’être obligé de châtier, de punir. Ici, il exprime 1a même pensée de cette manière : « Voici la troisième fois que je me dispose à vous aller voir. Tout se jugera sur le témoignage de deux ou trois témoins ». L’apôtre rapproche une parole qui est dans l’Écriture d’une autre (lui n’y est pas ; c’est ainsi qu’il dit ailleurs : « Celui qui s’unit à une prostituée, est un même corps avec elle ; car ceux qui étaient deux, dit l’Écriture, ne seront plus qu’une chair ». (1Cor. 6,16) II est certain pourtant qu’il n’est question dans l’Écriture, que du mariage légitime ; mais l’apôtre, tout en détournant ces paroles de leur véritable, objet, les emploie d’une manière utile, afin d’inspirer à l’adultère plus de terreur. Il fait de même ici ; ces témoins dont il parle ne sont autre chose que les visites et les menaces qu’il a faites aux Corinthiens. Voici ce qu’il veut dire : Ce que je vous ai dit une fois, deux fois, quand j’étais auprès de vous, je vous le répète en ce moment par lettres. Si vous m’écoutez, je n’ai plus rien à désirer ; si vous ne m’écoutez pas, je serai forcé de tenir ma parole, et d’en venir aux châtiments. Aussi dit-il : « Je vous ai prévenus, et je vous préviens encore, au moment de vous aller voir ; j’ai beau être loin de vous, je vous écris, à ceux qui ont péché auparavant, et à tous les autres, que, si je retourne auprès de vous, je ne pardonnerai pas (2) ». Car si tout doit dépendre de deux ou trois témoins, si je vous ai visités à deux reprises, si je vous ai parlé, ce que je vous ai dit, je vous le répète encore maintenant dans ma lettre ; je serai donc désormais forcé de prouver la vérité de mes paroles. N’allez pas croire que mes lettres ne vaillent pas ma présente ; ce que je vous disais, moi présent, je vous l’écris en ce moment, avec tout autant d’autorité, loin de vous. Comprenez-vous cette sollicitude paternelle ? Comprenez-vous la sagesse, la prévoyance de, l’apôtre ? Il ne garde pas le silence, il n’inflige pas non plus de punition, il accumule les avertissements, il se borne à menacer d’une manière constante, et il diffère le châtiment : ce n’est que, s’ils demeurent incorrigibles qu’il les menace d’en venir à la punition réelle. Mais quel avertissement avez-vous donné de vive voix, et qu’écrivez-vous de loin ? « Si je retourne, je ne pardonnerai pas ». il a commencé par montrer, qu’à moins d’être forcé, il ne peut se résoudre à cette rigueur ; il a parlé des pleurs qu’il serait obligé de verser ; il a parlé de son humiliation : « Et qu’ainsi Dieu ne m’humilie, lorsque je serai revenu chez vous, et que je ne sois obligé d’en pleurer plusieurs, qui ont déjà péché, et qui n’ont pas fait pénitence » ; pour se justifier devant eux, il leur rappelle qu’il les a avertis une, fois, deux fois, trois fois, qu’il fait tout, qu’il emploie tous les moyens, pour repousser la nécessité dés châtiments, pour les rendre meilleurs en les effrayant par ses paroles ; ce n’est qu’à la fin qu’il se sert de ces dures et menaçantes expressions : « Si je retourne, je ne pardonnerai pas ». Il ne dit point : Je châtierai, je punirai, j’exigerai une réparation ; il exprime encore d’une manière paternelle même la punition, il montre que ses entrailles se troublent, que son âme s’afflige avec leur âme, que c’est pour cette bonté dont ils sont l’objet qu’il a toujours différé de les punir. Mais il ne veut plus laisser croire qu’il se bornera encore à attendre, à menacer en paroles ; voilà pourquoi il a dit d’abord : « Tout se jugera sur le témoignage de deux ou trois témoins », et pourquoi il a ajouté : « Si je retourne, je ne pardonnerai pas ». Ce qui revient à dire : Je n’hésiterai pas plus longtemps, si je vous trouve incorrigibles ; (puisse ce malheur ne pas arriver !) je punirai, n’en doutez pas, et je tiendrai ma parole. Ensuite, il s’emporte, il s’irrite, il s’indigne contre ceux qui le représentent comme un homme faible, qui tournaient en dérision l’effet produit par sa personne, et qui disaient : « Lorsqu’il est présent, il paraît bas en sa personne, et méprisable en son discours » (2Cor. 10,10) ; c’est à eux qu’il adresse cette apostrophe : « Est-ce que vous voulez éprouver le Christ qui parle en moi (3) ? » C’est un coup donné à ses détracteurs, et en même temps, pour, les fidèles, un avertissement. Ce qui revient à dire:. Puisque vous tenez à éprouver si le Christ habite en moi, et que vous me demandez dés comptes, et que vous me tournez en ridicule comme un homme vil et méprisable, entièrement dépourvu de la force d’en haut, vous saurez que nous n’en sommes pas dépourvu, à la première occasion que vous nous donnerez de vous la faire sentir, (puisse ce malheur ne pas arriver !) Eh quoi ? Répondez-moi. Tenez-vous à les châtier, parce qu’ils veulent faire une expérience ? Nullement, répond l’apôtre ; car si j’y eusse tenu, je les aurais châtiés à la première faute, je n’aurais pas attendu. Évidemment, ce n’est, pas là ce qu’il cherche, et ce qu’il dit plus loin le montré avec une suffisante clarté : « Je prie Dieu, que vous ne commettiez aucun mal, non afin que nous ne soyons pas mis à l’épreuve, mais afin que vous soyez vous-mêmes éprouvés, vous, et que nous n’ayons pas nous-même l’occasion de nous montrer à l’épreuve ».
2. Donc ce qu’il dit ne signifie pas qu’il tienne à en venir aux effets ; c’est un cri de colère contre ceux qui le méprisaient. Quant à moi, dit-il, je ne désire pas vous faire faire : cette expérience ; mais si vous êtes cause que l’expérience se fait, si vous me provoquez, la réalité des faits vous instruira. Voyez encore ce qu’il y a de gravité dans, sa parole. Il ne dit pas : puisque vous voulez m’éprouver, mais, éprouver « Le Christ qui parle en moi » : il montre ainsi que c’est envers le Christ qu’ils ont péché. Il ne dit pas : le Christ qui habite en moi, mais, « Qui parle en, moi », montrant par là que ses paroles sont inspirées par l’Esprit. S’il n’en montre pas a force, s’il ne châtie pas encore, c’est qu’en cessant de parler de lui-même pour montrer le Christ, il rend ses menaces plus terribles ; il ne fait pas preuve de faiblesse, il a – la force pour lui, mais il prouve sa longanimité. Qu’on se garde bien d’imputer sa patience à, faiblesse. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’il ne fonde pas sur les pécheurs, à ce qu’il ne les réduise pas sur-le-champ à lui faire réparation, à ce qu’il montre sa patience, sa longanimité-, lorsque le Christ a supporté qu’on le mît en croix, et crucifié, n’a pas envoyé le châtiment ? Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Qui n’est point faible devant vous, mais puissant parmi vous. Car encore qu’il ait été crucifié selon la faiblesse, il vit néanmoins par là vertu de Dieu (4) ». Ces paroles sont fort-obscures, et peuvent troubler les faibles. C’est pourquoi il est nécessaire de les expliquer, de préciser le sens es expressions qui présentent le plus d’obscurité, pour prévenir les scandales des esprits trop peu avancés.
Que signifie donc le mot « Faiblesse », et quel sens l’apôtre y a-t-il attaché ? Voilà ce qu’il faut nécessairement comprendre. Un seul mot, eu effet, peut avoir bien des sens. On entend, par le mot grec dont le premier sens est faiblesse, ἀσθένεια, les maladies du corps : de là, dans l’Évangile : « Voyez, celui que vous aimez, ἀσθενεῖ, est faible, est malade, à propos de Lazare » (Jn. 11,3-4) ; et Notre-Seigneur disait : « Cette maladie, ἀσθένεια, n’est pas mortelle » ; et Paul, au sujet d’Epaphrodite : « Car il a été en effet malade, ἠσθένησε jusqu’à la mort, mais Dieu a eu pitié de lui » (Phil. 2,27) ; et à propos de Timothée : « Usez d’un peu de vin à cause de votre estomac et de vos fréquentes indispositions, ἀσθένείας, faiblesses, maladies ». (1Tim. 5,23) Toutes ces expressions marquent des maladies du corps. Maintenant le même mot indique le manque de solidité dans la foi, l’imperfection, ce que la foi a d’incomplet. C’est ce que Paul marquait par ces paroles : « Recevez avec charité celui qui est faible dans la foi, sans contester avec lui » et encore : « L’un croit qu’il lui est permis de manger de toutes choses, celui qui est faible ne mange que des légumes » (Rom. 14,1-2) ; faible, ici, veut dire faible dans la foi. Voilà donc déjà deux sens du mot grec signifiant faiblesse, du mot ἀσθένεια ; il a encore un troisième sens. Quel est-il ? Les persécutions, les menées insidieuses, les attaques, les tentations, les dangers mortels. C’est ce que l’apôtre montré en disant : « C’est pourquoi j’ai prié trois fois le Seigneur, et il m’a répondu : Ma grâce vous suffit, car ma puissance éclate dans la faiblesse ». (2Cor. 12,8-9) Qu’est-ce que cela veut dire : « Dans la faiblesse ? » Dans les persécutions, dans les dangers, dans les tentations, dans les trames perfides, dans les périls où la mort menace. C’est encore en ce sens que l’apôtre disait : « Ainsi je me complais dans la faiblesse ». (Id. 10) Et ensuite, expliquant de quelle faiblesse il parlait, il ne dit pas qu’il voulût faire entendre par là, soit quelque fièvre, soit quelque incertitude en ce qui concerne la foi ; mais que dit-il ? « Dans les outrages, dans les persécutions, dans les nécessités, dans les angoisses, dans les coups, dans les prisons, afin que la puissance de Jésus-Christ habite en moi. Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort », C’est-à-dire, c’est quand on me persécute, quand on me chasse, quand on veut me faire du mal, c’est alors que je suis fort, c’est alors que je triomphe le plus, que j’ai la victoire sur ceux qui veulent me nuire, et je la dois à l’abondance de la grâce qui réside en moi.
C’est dans le troisième sens que Paul emploie ici le mot faiblesse, et ce qu’il dit revient à ceci : Il veut, comme je l’ai déjà dit, ruiner ce qu’on affirmait de sa personne qui paraissait vile et méprisable à ces gens-là. Ce n’est pas assurément qu’il voulût se faire valoir, ni paraître ce qu’il était réellement, ni étaler la puissance qu’il avait de châtier et de punir ; ce qui est si vrai, que c’était précisément pour cette raison qu’il passait pour méprisable. Donc comme ces pensées où l’on était, produisaient un grand relâchement, l’engourdissement des esprits, empêchaient les repentirs, l’apôtre saisit une occasion favorable, s’exprime vigoureusement à ce sujet, et montre que ce n’est pas par faiblesse qu’il s’abstient, mais par longanimité. Ensuite, jé l’ai déjà dit, cessant de parler de lui, il fait intervenir le Christ pour augmenter la terreur et grandir l’effet de la menace. Ce qu’il dit revient à ceci : Eh bien, supposez que j’agisse que je soumette les pécheurs à des punitions, à des châtiments, est-ce que c’est moi qui inflige la punition, le châtiment ? C’est celui qui habite en moi, le Christ lui-même. Si vous n’avez pas la foi sur ce point, si vous tenez à faire l’expérience, les œuvres réelles de celui qui habite en moi, vous apprendront vite la vérité : car il n’est point faible devant vous, mais-il est puissant. Pourquoi l’apôtre a-t-il ajouté « Devant vous », car le Christ est puissant partout ? Il n’a qu’à vouloir pour châtier les infidèles, les démons, tout ce qu’il lui plaît. Pourquoi donc cette addition ? C’est une parole très-incisive pour rappeler aux gens une expérience qu’ils ont déjà faite ; ou peut-être Paul entend-il leur dire que la puissance de Jésus-Christ s’est, assez montrée à eux pour qu’ils doivent se corriger. C’est ce qu’il exprimait ailleurs : « Qu’ai-je à faire de juger ceux qui sont dehors ? » (1Cor. 5,12)
3. Pour ceux qui sent dehors, dit l’apôtre, c’est au jour du jugement qu’ils s’entendront demander la réparation de leurs péchés ; mais pour vous, c’est maintenant que vous la subirez, afin d’être affranchis de l’autre. Eh bien, cette pensée pleine d’une sollicitude qu’inspire l’affection paternelle, voyez comme il l’exprime d’une manière terrible et avec quelle passion : « Qui n’est peint faible devant vous, mais puissant parmi vous. Car encore qu’il ait, été crucifié, selon la faiblesse, il vit néanmoins par la vertu de Dieu ». Qu’est-ce à dire : « Encore qu’il ait été crucifié selon la faiblesse ? » Quoiqu’il ait consenti, dit l’apôtre, à subir un supplice qui semble autoriser des soupçons de faiblesse, il n’y a rien en cela qui diminue sa puissance ; elle subsiste inexpugnable, et ce qui semble une preuve réelle de faiblesse, ne lui a porté aucune atteinte ; au contraire, c’est la preuve la plus éclatante de la force qui est en lui, qu’il ait pu supporter un pareil traitement sans que sa puissance en ait été amoindrie. Donc il ne faut pas que le mot de faiblesse vous trouble en effet, ailleurs encore, il dit : La folie de « Dieu est plus sage que l’homme, et la faiblesse de Dieu est plus forte que l’homme » (1Cor. 1,25) ; évidemment il n’y a en Dieu ni folie ni faiblesse, mais c’est une allusion qu’il fait à la croix pour exprimer les idées des incrédules à ce sujet. Écoutez donc l’apôtre s’expliquant lui-même : « La parole, de la croix est une folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, c’est la puissance de Dieu et encore : « Nous prêchons, nous, un Dieu crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Grecs, le Christ qui est, pour ceux qui sont appelés ou Juifs ou Grecs, la puissance et la sagesse de Dieu » (1Cor. 1,18, 23-24) ; et encore « L’homme animal ne reçoit pas les choses de l’esprit ; car, pour lui, c’est folie ». (1Cor. 2,14) Voyez-le partout exprimant les idées, des infidèles qui regardent comme une folie, comme une faiblesse, l’acte de ta croix. C’est de cette manière qu’ici encore il ne parle pas d’une faiblesse réelle, mais de Ce qui était regardé comme une faiblesse par les infidèles. Il ne dit donc pas que celui qui fut mis en croix était un être faible ; loin de nous cette pensée. Qu’il lui fut possible d’échapper à là croix, c’est ce qu’il a montré par tous les moyens, tantôt renversant ceux qui veulent le saisir, tantôt détournant les rayons du soleil, desséchant le figuier, aveuglant ceux qui l’approchent, opérant d’autres actes innombrables de sa1puissance ; que signifie donc ce que dit l’apôtre, « Selon la faiblesse ? » C’est que si le Christ a été crucifié, s’il a supporté d’être victime des dangers et des haines (nous avons montré qu’aux dangers, aux attaques de la haine l’apôtre donne le nom d’astheneia, de « faiblesse »), sa force pourtant n’en a reçu nulle atteinte. Mais l’apôtre parlait ainsi pour s’approprier ce qui ressort de cet exemple. Comme on voyait que les apôtres persécutés ; chassés, méprisés, ne songeaient ni à se défendre, ni à attaquer, Paul enseigne que ce n’est ni par faiblesse qu’ils supportent de pareils traitements, ni par impuissance de les écarter, et il s’élève jusqu’au souverain Maître du monde pour en déduire sa démonstration ; lui-même, dit-il, a été mis en croix, chargé de fers, a souffert d’innombrables douleurs, et il ne repoussait pas ses ennemis, il endurait tout, il supportait tous les traitements qui semblent des preuves de faiblesse, et par là il manifestait la force qui est en lui, puisque, tout en s’abstenant de repousser les attaques et de se venger, il n’a reçu absolument aucune atteinte. La croix n’a donc pas supprimé la vie, n’a pas mis obstacle à la résurrection, le Christ est ressuscité et il vit. Lorsqu’on vous parle de croix et de vie, entendez cela de l’humanité de Jésus-Christ, car c’est le sujet de tout ce discours. Si l’apôtre dit : « Par la vertu de Dieu » (ce n’est pas que Jésus-Christ ne fut pas assez puissant pour revenir de lui-même à la vie quant à la chair ; il n’aurait pas refusé de dire par la vertu du Père et élu Fils. En disant : « Par la vertu de Dieu »), c’est de la vertu de Jésus-Christ qu’il parle. Ce qui preuve que c’est le Christ lui-même qui a ressuscité, (lui a le pouvoir de ressusciter sa chair, écoutez : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours ». (Jn. 2,19) S’il dit que tout ce qui lui appartient, appartient à son Père, ne vous troublez pas : « Car tout ce qui appartient à mon a Père est à moi », dit-il (Jn. 16,15) ; et encore : « Tout ce qui est à moi est à vous, et a tout ce qui est à vous est à moi ». (Id. 17,10) Donc, dit l’apôtre, de même que ce Dieu crucifié n’a reçu aucune atteinte, de même ne souffrons-nous aucun mal, nous que l’on persécute, nous à qui l’on fait la guerre. Voilà pourquoi Paul ajoute : « Nous sommes faibles aussi avec lui, mais nous vivrons avec lui par la vertu de Dieu ». Que veut dire : « Nous sommes faibles avec lui ? » Nous sommes persécutés, chassés, nous souffrons les maux les plus rigoureux. Mais que signifie « Avec lui ? » Par la prédication ; dit-il, et par la foi en lui. Que si nous endurons des choses sinistres, des afflictions à cause de lui, il est évident que nous devons aussi être heureux avec lui ; voilà pourquoi Paul a ajouté « Mais nous sommes sauvés avec lui par la vertu de Dieu. Examinez-vous vous-mêmes pour voir si vous êtes dans la foi ; éprouvez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas vous-mêmes que Jésus-Christ est en vous, si ce n’est que vous soyez déchus ? Mais j’espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus (5, 6) ». En effet, après leur avoir dit que, s’il ne les traite pas sévèrement, ce n’est pas qu’il ne porte pas le Christ en lui, mais c’est qu’il veut imiter la longanimité du Christ crucifié, du Dieu qui ne se défend point ; il s’y prend encore d’une autre manière pour arriver au même but ; il trouve dans les disciples une preuve encore plus forte à l’appui de son discours. Mais est-il nécessaire de vous parler de moi, d’un maître chargé, dit-il, de tant de soins, à qui la terre entière a été confiée, et qui a donné tant de signes de sa mission ? Vous n’avez, sous, simples disciples, qu’à vous examiner vous-mêmes, vous verrez que même en vous réside le Christ ; s’il réside en vous, à bien plus forte raison réside-t-il dans le maître. Oui, si vous avez la foi, le Christ est aussi en vous. Car ceux qui avaient la foi faisaient des miracles alors. Voilà pourquoi Paul ajoute. « Examinez-vous vous-mêmes, éprouvez-vous vous-mêmes, pour voir si vous êtes dans la foi. Ne reconnaissez-vous pas vous-mêmes que Jésus-Christ est en vous, si ce n’est que vous soyez déchus ? » Or, s’il est en vous, à bien plus forte raison est-il dans le Maître. Quant à moi, il me semble parler ici de la foi qui fait des miracles. Car, dit-il, si vous avez cette foi, le Christ est en vous, « si ce n’est que vous soyez déchus ».
4. Voyez-vous comme il prend de nouveau un accent terrible, comme il leur montre victorieusement que le Christ est en lui ? L’apôtre me semble ici faire allusion à leur conduite. En effet, la foi ne suffisant pas pour attirer la vertu active de l’Esprit, et lui leur disant, si vous êtes dans la foi, vous avez le Christ en vous, comme il arrivait que plusieurs n’avaient pas cette vertu active, quoiqu’ils eussent la foi, il leur dit résolument : « Si ce n’est que vous soyez déchus », si ce n’est que vos mœurs soient corrompues. « Mais j’espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus ». La suite naturelle des idées était, si vous êtes déchus, nous ne le sommes pas, nous ; ce n’est pas ainsi que Paul s’exprime ; il ne veut pas les frapper durement ; il s’enveloppe d’obscurité ; il ne veut ni découvrir au grand jour sa pensée, en disant, vous êtes déchus ; ni procéder par interrogation, en disant : seriez-vous déchus ? il glisse tout en indiquant sa pensée d’une manière obscure : « Mais j’espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus ». Il y a encore ici une menace sévère, un accent terrible. Puisque vous tenez maintenant, dit-il, à ce que le châtiment exercé contre vous, vous serve de preuve, nous ne serons pas embarrassés pour vous faire la démonstration. Mais l’apôtre s’exprime avec plus d’autorité et d’une manière plus menaçante : « Mais j’espère que vous reconnaîtrez que nous, nous ne sommes pas déchus ». Vous ne devriez pas, dit-il, avoir besoin de cette expérience pour savoir ce que nous sommes, pour savoir que nous portons le Christ parlant et agissant en nous ; mais puisque vous tenez à faire une expérience par lw réalité des faits, vous apprendrez que nous ne sommes pas déchus. Ensuite, quand il a bien proféré la menace, montré que le châtiment est à leurs portes, quand il les a réduits à trembler, à attendre la punition, voyez-le, suivant un autre sentiment, adoucir son discours, tempérer la crainte ; montrer combien il est éloigné d’ambition, plein de sollicitude pour ses disciples, sage, élevé d’esprit et de cœur, étranger à la vaine gloire. Ce sont là toutes les qualités qu’il fait paraître, dans les paroles qu’il ajoute : « Je prie Dieu, que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous soyons considérés ; que vous fassiez ce qui est de votre devoir, quand même nous devrions paraître déchus de ce que nous sommes. Car nous ne pouvons rien contre la vérité, mais seulement pour la vérité. Et nous nous réjouissons, lorsqu’il arrive que nous sommes faibles, et que vous êtes forts. Car nous prions afin que vous soyez parfaits (7, 8, 9) ».
Où trouver une âme qui égale cette âme ? On le méprisait, on l’abreuvait d’outrages, on lui prodiguait les moqueries, les railleries, on le traitait de personnage vil, misérable, de fanfaron, d’homme superbe dans ses paroles, mais incapable de rien produire, dans la réalité, qui fût de nature à montrer tant soit peu sa force à lui ; eh bien, non seulement il diffère de punir, non seulement il éprouve de la répugnance à frapper, mais il prie pour n’être pas réduit à cette nécessité. « Je prie Dieu », dit-il, « que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous soyons considérés ; que vous fassiez votre devoir, quand même nous devrions paraître déchus de ce que nous sommes ». Que veut-il dire ? Je conjure Dieu, dit-il, je le supplie pour que je ne trouve personne d’incorrigible, personne qui soit incapable de repentir ; ou plutôt, je ne lui demande pas cela seulement, mais qu’il n’y ait pas même en vous un commencement de péché : « Afin que vous ne commettiez », dit-il, « aucun mal » ; afin que, si vous tombez dans le péché, vous vous bâtiez de vous repentir, de vous corriger, de désarmer la colère. Et ce que je désire de toute mon âme, ce n’est pas que nous soyons considérés, c’est tout le contraire, c’est que notre gloire, à nous, ne se montre pas. Car si vous vous obstinez, si votre repentir ne suit pas vos péchés, nous sommes dans la nécessité de vous châtier, de vous punir, de frapper vos corps : ce qui s’est fait pour Sapphira et pour le magicien, nous avons prouvé alors notre force et notre puissance. Mais ce n’est pas là que vont nos prières, bien au contraire, nous ne voulons pas que notre gloire se montre ; c’est-à-dire, nous ne voulons pas prouver la puissance qui est en nous, par votre châtiment, par la punition de pécheurs atteints de maladie incurable, mais que voulons-nous ? « Que vous fassiez ce qui est bien » ; voilà ce que demandent nos prières, que vous soyez toujours vertueux, toujours sans reproche, et que nous soyons comme sans gloire, n’ayant pas à montrer notre puissance pour punir. Et il ne dit pas, sans gloire : car il ne devait pas être sans gloire, en supposant même qu’il n’eût pas châtié ; il était, par cela même, couvert de gloire ; s’il en est qui soupçonnent, dit-il, qu’en ne montrant pas notre force nous nous rendons méprisables, abjects, peu nous importe cette opinion. Mieux vaut pour nous de passer pour tels auprès de ces personnes que d’être forcés, en frappant des coups sévères, en punissant des incorrigibles, de manifester la puissance que Dieu nous a donnée. « Car nous ne pouvons rien contre la vérité, mais seulement pour la vérité ». Il prouve, par ces paroles, que ce n’est pas uniquement pour leur être agréable qu’il tient ce discours (car sa pensée n’a rien qui respire la vaine gloire), qu’il ne fait que ce qu’exigent les circonstances, voilà pourquoi il ajoute : « Car a nous ne pouvons rien contre la vérité ». Si nous vous trouvons, dit-il, exhalant les parfums de la vertu, effaçant vos péchés par le repentir, fondés à vous adresser à Dieu avec une entière confiance, nous ne pourrons pas, quand même ce serait notre volonté, vous infliger de punition ; si nous entreprenions de le faire, Dieu ne serait pas – avec nous. Car s’il nous a donné sa puissance, c’est pour là vérité, c’est pour la justice,-ce n’est pas pour agir contre la vérité. Voyez-vous comme il a recours à tous les moyens pour adoucir son langage, pour corriger ce que ses menaces auraient de trop rude ? Toutefois ce désir de son cœur est aussi une raison pour lui de montrer qu’il leur – est, du fond de l’âme, étroitement uni : voilà pourquoi il ajoute : « Et nous nous réjouissons, lorsqu’il arrive que nous sommes faibles et que vous êtes forts. Car nous prions afin que vous soyez parfaits ». Voilà certes, dit-il, où il est surtout vrai de dire que nous ne pouvons rien contre la vérité, ce qui revient à ceci, que nous ne pouvons pas vous punir quand vous êtes agréables à Dieu ; car, outre que ce n’est pas en notre pouvoir, nous ne le voulons pas, précisément parce que vous êtes agréables à Dieu ; c’est tout le contraire que nous désirons. En vérité, ce qui nous réjouit surtout, c’est de ne pas trouver en vous l’occasion pour nous, de vous montrer la puissance que nous avons pour le châtiment. Si notre sévérité nous permet de montrer notre gloire, de faire briller notre autorité, notre force, ce que nous voulons, c’est, au contraire, vous trouver dans votre devoir, vous, et irréprochables, sans rencontrer jamais, en ce qui nous concerne, l’occasion de nous glorifier par votre faute. Voilà pourquoi il dit : « Nous nous réjouissons lorsque nous sommes faibles ». Qu’est-ce à dire, « lorsque nous sommes faibles ? » Lorsque nous paraissons faibles ; non pas lorsque nous sommes réellement faibles, mais lorsqu’il arrive qu’on nous regarde comme faibles ; c’était l’effet produit par les apôtres sur leurs ennemis, quand ils n’avaient pas encore prouvé leur pouvoir de punir. Eh bien, peu importe, nous nous réjouissons lorsque vous vous conduisez de manière à ne pas nous donner la moindre prise pour vous punir. Oui, c’est un plaisir pour nous d’être regardés comme faibles, uniquement afin que vous soyez irréprochables ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Et que vous êtes forts », c’est-à-dire, en possession de la gloire que donne la vertu. Et ce n’est pas là seulement ce que nous voulons, mais nous prions pour obtenir ce bonheur, que vous soyez irréprochables, accomplis, exempts de tout péché qui nous donne prise sur vous.
5. Voilà bien le caractère de l’affection paternelle, préférer à sa gloire personnelle le salut de ses disciples ; voilà le propre d’une âme au-dessus de la vaine gloire ; voilà ce qui rompt surtout les attaches du corps, et vous élève de la terre au ciel, n’être pas souillé des atteintes de la vaine gloire ; tandis que, au contraire, cette vanité accumule les péchés dans, l’âme. Il n’est pas possible à l’homme entaché de cette vanité superbe, d’avoir des pensées élevées, grandes et généreuses ; il faut nécessairement qu’il se traîne contre la terre, qu’il répande la destruction tout autour de lui, asservi qu’il est à la passion impure dont la tyrannie défie tout ce qu’il y a de plus barbare. Pouvez-vous concevoir une passion plus monstrueuse que celle qui s’exaspère en raison même du culte qu’on lui rend ? Les bêtes féroces elles-mêmes sont moins emportées par la rage, on les apprivoise à force de soins. Pour la vaine gloire, c’est tout le contraire : méprisez cette passion, elle s’apaise ; honorez-la ; elle s’aigrit, elle s’arme contre celui qui l’honore. C’est pour l’avoir honorée que les Juifs ont subi de rigoureux châtiments ; c’est pour l’avoir méprisée que les disciples ont mérité leurs couronnes. Mais à quoi bon parler, de châtiments et de couronnes ? Ce qui donne là gloire, c’est surtout le mépris qu’on fait d’un frivole éclat. Vous verrez que, même ici-bas, ceux qui honorent la vaine gloire, se perdent ; que ceux qui la méprisent, s’élèvent. Ceux qui l’ont méprisée, les disciples, (rien n’empêche de reprendre cet exemple), ceux qui ont honoré Dieu avant tout, brillent d’un éclat plus resplendissant que le soleil, l’immortel souvenir qu’ils ont attaché à leur nom les accompagne alors même qu’ils ont cessé de vivre ; ceux qui, au contraire, se sont inclinés devant cette vanité, les Juifs, privés de leurs cités, de leurs foyers, déshonorés, fugitifs, sont terrassés, abjects, méprisés.
Eh bien donc, vous aussi, si vous voulez conquérir la gloire, répudiez la gloire ; si vous poursuivez la gloire, vous serez précipités de la gloire. Tenez, si vous voulez bien, appliquons nos réflexions aux choses du siècle. Quels hommes poursuivons-nous de nos paroles malignes ? Ne sont-ce pas ceux qui recherchent la gloire ? Donc ce sont eux qui en sont les plus privés : ils ont des milliers de détracteurs, ils sont méprisés de tous. Quels hommes admirons-nous ? répondez-moi. Ne sont ce pas ceux qui la dédaignent ? Donc c’est à eux que la gloire appartient. De même que le riche n’est pas celui qui a beaucoup de besoins, mais celui à qui rien ne manque ; de même, l’homme couvert de gloire, ce n’est pas celui qui l’aime, mais celui qui la méprise ; car cette gloire n’est qu’une ombre de gloire. Jamais un homme, devant une image qui représente un pain, quelle que soit la faim qui le tourmente, ne portera la main à cette figure d’un pain. N’allez donc pas, vous non plus, poursuivre des ombres ; ce n’est qu’une ombre de gloire que vous voyez là, ce n’est pas la gloire. Et pour vous convaincre qu’il en est ainsi, voyez l’unanimité des accusations, des discours qui s’accordent à dire qu’il faut fuir ce mal, que ceux qui la désirent doivent être les premiers à s’en écarter ; voyez la confusion de l’homme convaincu de s’y être laissé prendre, ou de la rechercher. D’où vient donc, dira-t-on, ce désir funeste ? comment existe-t-il en nous ? C’est un effet de la faiblesse de l’âme, (car il ne suffit pas d’accuser les passions, il faut, de plus, les corriger), c’est un effet de l’imperfection de l’intelligence ; c’est un effet de la puérilité. Cessons donc enfin d’être des enfants, soyons des hommes ; ne recherchons plus partout que la vérité, au lieu de poursuivre les ombres, les ombres de la richesse, les ombres du plaisir, les ombres du bonheur vraiment exquis, de la gloire, de la puissance ; et nous verrons cesser, en même temps que ce mat funeste, une foule d’autres maux. Poursuivre des ombres, c’est être possédé. De là ce que disait Paul : « Tenez-vous dans la vigilance ; de la justice, et ne péchez pas ». (1Cor. 15,34) Il y a, en effet, une espèce de possession plus funeste que celle qu’opère le malin esprit, que le transport démoniaque. Cette possession par le démon n’enlève pas toute excuse, l’autre ne peut pas se justifier ; c’est dans l’âme même que réside la corruption ; l’âme a perdu la rectitude du jugement ; son sens est mort ; l’organe de la possession démoniaque, c’est le corps ; l’autre a pour siège et pour canne l’esprit. Et de même que les fièvres les plus pernicieuses, les fièvres incurables sont celles qui s’attaquent aux corps les plus robustes, qui se retirent au plus profond des nerfs, qui se cachent dans les veines ; de même cette démence, quand elle s’est retirée au plus profond de la pensée, la bouleverse et s’applique à la détruire. Eh ! n’est-ce pas, en fait de démence, ce qu’il y a de pies manifeste, de plus éclatant ; D’est-ce pas le plus funeste de tous les délires que, de mépriser ce qui subsiste d’une éternelle durée, pour s’attacher à ce qui est méprisable, pour s’y consacrer avec tant d’amour ? Répondez-moi : vous verriez un homme poursuivre, essayer de saisir le vent, ne diriez-vous pas que c’est un insensé ? Vous verriez un homme s’attacher à des ombres, négliger lit réalité, prendre en haine celle qui est réellement sa femme pour embrasser l’ombre de cette femme ; vous verriez un homme repousser son fils pour faire des caresses à l’ombre de ce fils, iriez-vous chercher une autre preuve qui montrât mieux ce que c’est que la démence ? Tels sont les insensés dont je parle, ceux qui ne sont épris que des choses présentes. Toutes ces choses ne sont rien que des ombres, et la gloire, et la puissance, et l’estime des hommes, et la richesse, et les plaisirs les plus raffinés, et tout ce que vous pourrez m’énumérer des biens de ce monde. Voilà pourquoi le prophète disait : « Oui, l’homme passe comme une image, et néanmoins il se trouble, quoique inutilement » ; et encore : « Nos jours ont décliné comme l’ombre ». Et ailleurs il appelle fumée, fleurs des champs, les choses humaines. (Ps. 38,7 ; Ps. 101,11 ; Ps. 102, 15) Et ce ne sont pas nos joies seulement qui ne sont que des ombres ; il en est de même et des afflictions, et de la mort, et de la pauvreté, et de la maladie, et de quoi que ce soit. Quelles sont, au contraire, les choses qui durent, et les biens, et les douleurs ? La royauté éternelle et la géhenne sans fin. Car le ver ne finira pas, car le feu ne s’éteindra pas ; les uns ressusciteront pour la vie éternelle, les autres pour le châtiment éternel. Donc si nous voulons échapper au châtiment, jouir de la vie, abandonnons ce qui n’est qu’une ombre, attachons-nous à la vérité de tout notre cœur ; c’est ainsi que nous obtiendrons la royauté des cieux ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXX. modifier


JE VOUS ÉCRIS CECI, ÉTANT ABSENT, AFIN DE N’AVOIR PAS LIEU, LORSQUE JE SERAI PRÉSENT, D’USER AVEC RIGUEUR DE LA PUISSANCE QUE LE SEIGNEUR M’A DONNÉE POUR ÉDIFIER ET NON POUR DÉTRUIRE. (XIII, 10)

Analyse. modifier

  • 1. Saint Paul cherche, dans ses lettres, à inspirer la terreur, pour être dispensé de punir en réalité. – Qu’est-ce que se réjouir. – De la joie d’une bonne conscience.— Du saint baiser.
  • 2. Apostrophe aux impudiques profanant les temples de Jésus-Christ.— Sur la grâce, l’amour, la communication du Père, du Fils et du Saint-Esprit.— Le Saint-Esprit est de la même essence que le Père et le Fils.
  • 3. Dieu nous prouve son amour, surtout lorsqu’il nous commande de l’aimer. – Passages de l’Écriture qui témoignent de l’amour d’un Dieu attentif à tous nos intérêts, jusqu’à s’oublier lui-même pour nous.


1. Il s’est aperçu qu’il a parlé rudement, surtout à la fin dl sa lettre. En effet, il avait commencé par dire : « Moi, Paul, moi-même, je vous conjure par la douceur, et par la modestie de Jésus-Christ, moi qui étant présent parais bas parmi vous, au lieu qu’étant absent, j’agis envers vous avec hardiesse. Je vous prie, afin que, lorsque je serai présent, je ne sois point obligé d’user avec confiance de cette hardiesse qu’on m’attribue envers quelques-uns qui s’imaginent que nous nous conduisons selon la chair. Ayant en notre main le pouvoir de punir toute désobéissance lorsque vous aurez satisfait à tout ce que l’obéissance demande de vous ». Et encore : « J’appréhende qu’en arrivant auprès de vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas tel que vous voudriez » ; et encore : « Qu’ainsi Dieu ne m’humilie lorsque je serai arrivé auprès de vous, et que je ne sois obligé d’en pleurer a plusieurs qui, ayant déjà péché, n’ont pas fait pénitence de leur fornication et de leur impureté ». (2Cor. 10,1-2.6 ; 12, 20-21) Ensuite il avait ajouté : « Je vous ai prévenus et je vous préviens encore, au moment de vous aller voir, j’ai beau être loin de vous, je vous écris maintenant que, si je reviens, je ne pardonnerai pas. Est-ce que vous voulez éprouver le Christ qui parle en moi ? » (2Cor. 13,2-3) Après ces paroles et beaucoup d’autres, sévères, incisives, amères, où il les harcèle, il sent le besoin de justifier tout ce qu’il a dit : « Je vous écris ceci, étant absent, afin de n’avoir pas lieu, lorsque je serai présent, d’user avec rigueur… » Je veux que ma rigueur soit tout entière dans mes lettres, je ne tiens pas à la mettre dans mes actions ; je veux que mes épîtres soient violentes, afin que les menaces y restent, sans aboutir à l’effet. Toutefois il donne, en se justifiant, une explication faite pour inspirer la terreur ; il montre que ce n’est pas lui qui doit punir, que c’est Dieu lui-même, car il ajoute : « De la puissance que le Seigneur m’a donnée » ; et maintenant il montre que son désir n’est pas du tout de faire servir sa puissance à leur châtiment, car il ajoute : « Pour édifier et non a pour détruire ». Cette pensée, il ne l’indique qu’à mots couverts, comme je l’ai remarqué ; mais voici une autre pensée, qu’il a livrée à leurs réflexions : c’est que, s’ils demeurent incorrigibles, c’est faire une œuvre d’édification que de châtier de pareilles dispositions. C’est la vérité, l’apôtre ne l’ignore pas, et il a donné des preuves réelles de cette vérité. « Enfin, mes frères, soyez dans la joie, travaillez à être parfaits, consolez-vous, soyez unis d’esprit, vivez en paix ; et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous (44) ». Qu’est-ce à dire : « Enfin, mes frères, réjouissez-vous ? » Vous nous avez affligés, remplis de craintes, d’angoisses, vous nous avez dit d’avoir peur, de trembler, comment pouvez-vous nous inviter à nous réjouir ? C’est précisément pour cette raison que je vous invite à vous réjouir. Si, en effet, votre conduite répond à mes avertissements, rien ne viendra troubler la joie. J’ai fait tout ce qui dépendait de moi j’ai montré de la patience, j’ai attendu, je n’ai rien brusqué, j’ai exhorté, conseillé, inspiré la crainte, menacé, employé tous les moyens pour vous porter à cueillir le fruit du repentir. Ce qu’il faut maintenant, c’est que vous fassiez ce qui dépend de vous, et, de cette manière, votre joie ne se flétrira pas, « Travaillez à être parfaits ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Travaillez à être parfaits ? » Devenez des hommes complets, remplissez-vous de ce qui vous manque.— Consolez-vous.— Comme les épreuves étaient grandes, comme les dangers étaient considérables, « Consolez-vous », leur dit-il, les uns les autres, et auprès de nous, et en vous corrigeant, en vous améliorant. Si la joie vient de la conscience, si vous êtes parfaits, rien ne manque à votre tranquillité, à votre consolation. Rien, en effet, ne console tant' qu’une conscience pure, quand les épreuves tomberaient sur nous par milliers. « Soyez unis d’esprit, vivez en paix » ; ce qu’il demandait dans la première épître, dès les premiers mots. Il peut se faire qu’il y ait accord dans les esprits, et qu’on ne vive pas en paix, comme dans le cas où l’on est d’accord sur l’enseignement de la foi, mais divisé par les affaires. Paul tient à l’union des esprits et à la paix tout ensemble. « Et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous ». L’apôtre ne se contente pas d’exhortations, d’avertissements, il y joint encore ses vœux. Ou il exprime les vœux qu’il forme, ou il prédit ce qui arrivera ; croyons plutôt qu’il fait, à la fois, les deux choses. Si vous tenez cette conduite, dit-il, ce qui signifie, si vous êtes unis d’esprit, si vous vivez en paix, Dieu sera avec vous ; car c’est le Dieu d’amour et de paix, ce sont là les biens qui le réjouissent et qui lui plaisent. Par là aussi vous aurez la paix qui vient de son amour ; par là, vous serez délivrés de tous les maux. C’est l’amour, de Dieu qui a sauvé la terre, quia terminé la guerre commencée depuis si longtemps, qui a mêlé la terre et le ciel, qui a fait que les hommes sont devenus des anges. Donc aimons-le, cet amour, nous aussi ; car d’innombrables biens sont les fruits de cet amour. C’est par lui que nous avons été sauvés, c’est par lui que nous viennent tous les présents d’un ineffable prix. Ensuite, pour provoquer cet amour au milieu des fidèles « Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser (43) ». Qu’est-ce à dire « Saint ? » Non pas un baiser trompeur, perfide, comme celui de Judas à Jésus-Christ. Si le baiser nous a été donné, c’est pour être le foyer où s’embrase l’amour, pour enflammer l’affection, pour que nous nous aimions les uns les autres, comme les frères aiment leurs frères ; comme les enfants aiment leurs – pères ; comme les pères aiment leurs enfants ; ou plutôt d’un amour bien plus vif ; ces sentiments-là viennent de la nature ; les autres de la grâce. Voilà comment les âmes se lient entre elles, et voilà pourquoi, au retour d’un voyage, nous nous donnons le baiser mutuel, les âmes s’empressent de se réunir. La bouche est de tous nos organes, celui qui se plait le plus naturellement à déclarer l’amour.
2. On peut encore, à propos de ce saint baiser, faire une autre réflexion. Quelle est-elle ? Nous sommes le temple de Jésus-Christ, (2Cor. 6,16) ; ce sont donc les vestibules, le portique du temple que nous baisons, quand nous nous donnons les uns aux autres le baiser mutuel. Ne voyez-vous pas combien de personnes baisent les vestibules mêmes de cette église, les uns abaissant leur tête, les autres y appuyant leur main, et approchant leur main de leur bouche ? C’est par ces issues, par ces portes qu’est entre le Christ, qu’il entre pour venir à nous dans la communion. Vous qui participez aux mystères, vous savez ce que je dis. Ce n’est pas un honneur vulgaire qui est fait à notre bouche, lorsqu’elle reçoit le corps du souverain Maître. Voilà surtout pourquoi nous donnons le baiser. Écoutez nos paroles, vous qui faites entendre des choses honteuses, vous qui proférez des outrages, et frémissez d’horreur en pensant quelle est cette bouche que vous déshonorez ; écoutez, vous qui donnez de honteux baisers ; écoutez les oracles que Dieu a prononcés par une bouche comme la vôtre, et sachez donc conserver votre bouche pure de toute souillure. Il a parlé de la vie à venir, de la résurrection, de l’immortalité, de la mort qui n’est pas une mort, de mille autres vérités ineffables. C’est comme un sanctuaire d’où partent des oracles, que la bouche du prêtre, pour celui qui doit être initié.
Écoutons tout ce qui est rempli de redoutables mystères. Cet homme, depuis les temps de ses premiers parents, a perdu ce qui fait la vie, il s’approche pour redemander sa vie, il interroge pour savoir quels sont les moyens de la retrouver, de la reconquérir. Alors Dieu lui fait entendre, par ses oracles, comment on trouve la vie, et la bouche du prêtre est plus saintement redoutable que le propitiatoire même. Car ce propitiatoire antique ne faisait jamais entendre une voix pareille ; il ne s’agissait pour lui que d’intérêts bien moindres, des guerres et de la paix d’ici-bas ; mais chez nous, on ne parle que du ciel, et de la vie future, et de choses nouvelles, et qui dépassent les esprits. Après avoir dit : « Saluez-vous les uns les autres, par un saint baiser », l’apôtre ajoute : « Tous les saints vous saluent », voulant encore, par ces paroles, leur donner de bonnes espérances. C’est pour leur tenir lieu du saint baiser ; il se sert de la formule de la salutation, pour les réunir tous ensemble ; c’est la même bouche qui donne le baiser et qui fait entendre ces paroles. Voyez-vous comment l’apôtre les réunit tous, aussi bien ceux que séparent de longues distances, que ceux qui vivent les uns auprès des autres, et cela, soit par le baiser, soit par ses lettres ? « Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et l’amour de Dieu le Père, et la communication du Saint-Esprit soit avec vous tous. Amen (13) ». Après les salutations, les baisers, dont le but est d’opérer l’union des fidèles, vient, pour terminer, une prière pour cimenter l’union des fidèles avec Dieu.
Où sont maintenant ceux qui disent que le Saint-Esprit n’ayant pas été nommé au commencement des épîtres n’est pas de la même substance ? Le voilà nommé maintenant avec le Père et le Fils. Indépendamment de cette réflexion, on peut en faire une autre, c’est que l’apôtre dit, dans son épître aux Colossiens : « Que la grâce et la paix vous soient données par Dieu notre Père » (Col. 1,3) ; et il passe le Fils sous silence, et il n’ajoute pas, comme dans toutes les épîtres, et par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Sera-ce donc une raison pour que le Fils ne soit pas non plus de la même substance ? Mais c’est le comble de la démence. Car ce qui prouve le plus que le Fils est de la même substance, c’est la diversité même des phrases de Paul. Nous n’exprimons pas ici une simple conjecture ; voyez dans quelles circonstances il nomme le Fils et l’Esprit, en passant le Père sous silence. Il écrit aux Corinthiens et leur dit : « Mais vous avez été lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et dans l’Esprit de notre Dieu ». (1Cor. 6,11) Eh quoi donc, répondez-moi, n’avaient ils pas été baptisés au nom du Père ? Donc ils n’avaient été ni lavés ni sanctifiés. Mais ils avaient été baptisés, baptisés, par conséquent, comme le sont ceux qu’on baptise. Comment donc se fait-il que l’apôtre n’ait pas ajouté : vous avez été lavés au nom du Père ? C’est qu’il lui est indifférent de mentionner tantôt telle personne, tantôt telle autre, et vous trouverez la preuve du peu d’importance que l’apôtre y attache dans un grand nombre de passages des épîtres. En effet, il écrit aux Romains : « Je vous conjure donc, par la miséricorde de Dieu » (Rom. 12,1) ; assurément la miséricorde appartient également au Fils ; et : « Je vous conjure ; par la charité du Saint-Esprit » (Rom. 15,30) ; assurément la charité appartient également au Père. Pourquoi donc ne parle-t-il pas de la miséricorde du Fils, ni de la charité du Père ? Parce que ce sont des vérités évidentes, reconnues de tous. De là son silence. On trouvera aussi, à propos des dons divins, la même indifférence dans les paroles. Car en disant : « Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et l’amour de Dieu le Père, et la communication du Saint-Esprit », il n’en dit pas moins ailleurs la communication du Fils et l’amour de l’Esprit. Car « Je vous conjure », dit-il, par l’amour de l’Esprit. Et dans l’épître aux Corinthiens : « Il est fidèle, ce Dieu par qui vous avez été appelés à la communication de son Fils ». (1Cor. 1,9) Ainsi, la Trinité est indivisible, et où se trouve la communication de l’Esprit, se trouve aussi celle du Fils ; et où se trouve la grâce du Fils, se trouve aussi celle du Père et du Saint-Esprit : « Car la grâce », dit-il, « vous vient de Dieu le Père ». Et, dans un autre passage, après avoir énuméré les nombreuses espèces de grâces, il ajoute : « Or, ce qui opère toutes ces choses, c’est un seul et même Esprit, distribuant ces dons en particulier à chacun, selon qu’il lui plaît ». (1Cor. 12,11) Ce que je dis, ce n’est pas pour confondre les personnes, loin de moi cette erreur, mais pour reconnaître, tout à la fois, la propriété qui les distingue, et l’unité de leur essence.
3. Demeurons donc attachés à ces dogmes, maintenons-en la pureté, et emparons-nous de l’amour de Dieu. D’abord, nous n’avions pour lui que de la haine, et il a commencé par nous aimer ; nous étions ses ennemis, et il nous a communiqué ses faveurs ; maintenant nous l’aimons et il veut nous aimer. Demeurons donc attachés à son amour, de manière à être aimés de lui. Si, quand nous sommes aimés des hommes puissants, nous devenons redoutables pour tous, à plus forte raison, quand c’est Dieu qui nous aime. Nos biens, nos corps, notre vie même, quoi qu’il faille donner ; livrons tout pour son amour, ne ménageons rien. Il ne suffit pas des paroles qui disent que nous ressentons cet amour, il faut des actions qui le prouvent ; ce n’est pas seulement par des paroles, c’est aussi par des actions qu’il a prouvé son amour pour nous. Montrez donc, vous aussi, montrez, par vos actions, que vous l’aimez, que vous cherchez son plaisir ; car vous profiterez ainsi doublement. Il n’a aucun besoin de nous ; et que c’est bien là la plus belle preuve de la pureté de son amour, que de n’avoir aucun besoin, et de ne pas cesser de tout faire pour être aimé de nous ! Aussi Moïse disait-il : « Que demande de vous le Seigneur votre Dieu, sinon que vous l’aimiez, que vous soyez prêts à marcher dans ses voies ? » (Deut. 10,12) De sorte que c’est surtout en vous invitant à l’aimer, qu’il montre son amour pour vous. Rien n’assure aussi solidement notre salut que de l’aimer. Voyez donc comme tous ses commandements tendent à notre repos, à notre salut et à notre gloire. Quand il dit : « Bienheureux les miséricordieux ; bienheureux ceux qui ont le cœur pur ; bienheureux ceux qui sont doux ; bienheureux les pauvres d’esprit ; bienheureux les pacifiques » (Mt. 5,7, 8, 4, 3, 9), lui-même n’en retire aucun fruit, c’est pour nous embellir de la sagesse des vertus qu’il nous donne ces commandements ; quand il dit : « J’ai eu faim », ce n’est pas qu’il ait besoin de nous, c’est pour répandre sur vous l’onction de la bonté. Car il pouvait, même en se passant de vous, nourrir le pauvre, mais il a voulu réserver en votre faveur le plus précieux de tous les trésors ; de là ces commandements. Si le soleil, qui n’est qu’une créature, n’a ancien besoin de nos yeux, (car il subsiste, gardant l’éclat qui lui est propre, alors même que nul ne le contemple), si c’est nous qui recevons de lui des bienfaits, en jouissant de ses rayons, à combien plus forte raison faut-il appliquer de telles paroles à Dieu. Mais encore une autre preuve, écoutez : Quelle idée vous faites-vous de la distance entre Dieu et nous ? est-ce comme entre les moucherons et nous ? faut-il concevoir un intervalle beaucoup plus grand encore ? Évidemment, la distance est bien plus considérable, distance infinie. Si donc nous, gale la vaine gloire gonfle, nous n’avons besoin ni du secours des moucherons, ni de la gloire qu’ils donnent, à bien plus forte raison faut-il appliquer cette réflexion à Dieu, si fort au-dessus de toutes les passions de l’homme et de tous les besoins. Il ne jouit de nous qu’en raison des bienfaits que nous recevons dé lui, du plaisir qu’il prend à notre salut. Voilà pourquoi, si souvent, il s’oublie pour vous. « Si un fidèle », dit l’apôtre, a une femme infidèle, « et si elle consent à demeurer avec lui, qu’il ne la renvoie pas. Celui qui renvoie sa femme, si ce n’est en cas d’adultère, la rend adultère ». (1Cor. 7,12 ; Mt. 5,32) Comprenez-vous l’ineffable bonté ? Si la femme est adultère, dit-il, je ne vous force pas à la cohabitation ; et si elle est infidèle, je ne l’interdis pas. Voyez encore ; dans le cas d’une offense, voici ce que j’ordonne : C’est qu’avant de m’apporter son offrande, celui qui a quelque chose contre quelqu’un, coure à qui l’a offensé : « Si, lorsque, vous présenterez votre offrande, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez là votre don ; au pied de l’autel, et allez vous réconcilier auparavant avec votre frère, et puis vous reviendrez offrir votre don ». (Id. 5,23,24) Et la parabole de l’enfant prodigue ? n’est-ce pas encore la preuve de la même bonté ? Quand il eut mangé tant d’argent, son père eut pitié de lui, et lui pardonna ; quand l’homme sans entrailles réclame cent deniers à son compagnon d’esclavage, le maître appelle le méchant et le livre au châtiment ; c’est ainsi que les preuves abondent de cette bonté qui veut votre soulagement et votre repos. Le roi barbare allait pécher contre là femme de l’homme juste, et Dieu lui dit : « Je vous ai préservé d’un péché contre moi ». (Gen. 20,6) Paul persécutait les apôtres, et Dieu lui dit : « Pourquoi me persécutez-vous ? » (Act. 9,4) D’autres ont faim, et il dit lui-même qu’il a faim, qu’il est nu, errant, étranger, voulant par là fléchir votre cœur et vous porter à la miséricorde. Donc, considérant l’étendue de l’amour qu’il a toujours montré et qu’il continue de montrer, lui qui veut bien se faire connaître à nous, ce qui est la source la plus abondante de tous les biens, la lumière de l’intelligence, l’enseignement de la vertu ; lui, qui nous fait une loi de la vie la plus aimable, qui a tout fait à cause de nous, qui nous a donné son Fils, qui nous a promis sa royauté, qui nous a préparé les biens inénarrables et la vie la plus heureuse, faisons de notre côté, par nos actions, par nos discours, faisons tout pour nous rendre dignes de son amour et pour mériter les biens à venir ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit pur M. C. PORTELETTE. =FIN DES HOMÉLIES SUR LA SECONDE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS.=

  1. N’oublions pas que saint Chrysostome cite toujours les Septante.
  2. Il y a dans le grec un jeu de mots intraduisible sur τροφὴν et τρυφὴν