Commentaire sur l’Épître de saint Paul aux Romains

Œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome (éd. M. Jeannin, 1866)

PROLOGUE POUR LES HOMÉLIES SUR L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS. modifier

(Voir, pour l’avertissement, tome 1, page 247)

1. En entendant lire fréquemment les épîtres du bienheureux Paul, deux fois et souvent même trois et quatre fois la semaine, quand nous célébrons la mémoire des saints martyrs, d’une part je jouis de cette trompette spirituelle, je suis transporté et enflammé d’ardeur aux sons de cette voix si chère ; il me semble qu’il est là, que je le vois parler ; d’autre part, je souffre et je m’attriste en songeant que non seulement tous ne connaissent pas ce grand homme comme ils devraient le connaître, mais que quelques-uns mêmes ignorent jusqu’au nombre de ses épîtres ; et cela, non par incapacité, mais parce qu’ils ne veulent pas entretenir commerce avec ce bienheureux. Car, nous-même, ce n’est point à la pénétration de notre esprit que nous devons ce que nous en savons, si tant est que nous en sachions quelque chose, mais à l’étude assidue que nous en faisons et, à l’extrême affection que nous lui portons. En effet, ceux qui aiment connaissent mieux que les autres l’objet aimé, parce qu’ils en ont souci ; comme le Bienheureux l’indique lui-même quand il écrit aux Philippiens : « Et il est juste que j’aie ce sentiment pour  vous tous, parce que je sens que, soit dans mes liens, soit dans la défense et l’affermissement de l’Évangile, je vous porte dans mon cœur ». (Phi. 1, 7) Vous n’avez donc besoin que de vous appliquer sérieusement à la lecture ; car la parole du Christ est vraie : « Cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira ». (Mat. 7,7) Mais comme la plupart des membres de cette assemblée ont des enfants à nourrir, une femme à soigner, une maison à entretenir, et par là même ne pourraient s’adonner entièrement à ce travail ; au moins attachez-vous à profiter de ce que d’autres ont recueilli, et mettez-y autant d’empressement qu’à amasser de l’argent. Que si nous sommes honteux de vous demander si peu, qu’il vous plaise au moins de nous l’accorder.

En effet, l’ignorance des Écritures est la source de maux innombrables. De là l’affreuse peste des hérésies, de là le relâchement de la conduite, de là les travaux stériles. Car de même que des aveugles ne sauraient marcher droit, ainsi ceux qui ne jouissent pas de la lumière des

divines Écritures, sont condamnés à pécher et à s’égarer souvent, puisqu’ils marchent au milieu des plus éparses ténèbres. Pour éviter ce malheur, ouvrons les yeux à l’éclat des paroles de l’Apôtre ; car la langue de Paul surpasse le soleil en splendeur, et son enseignement brille par-dessus tous les autres. Parce qu’il a plus travaillé que les autres, il s’est attiré de grandes grâces du Saint-Esprit, et je le prouverais, non seulement par ses épîtres, mais encore par ses actes. En effet, s’il s’agissait de parler, chacun lui cédait la place ; aussi les infidèles le prenaient-ils pour Mercure (Act. 14,11), parce que son éloquence était sans rivale. Mais avant d’aborder cette épître, il est nécessaire d’assigner l’époque où elle fut écrite. Elle n’a point précédé toutes les autres, comme beaucoup le pensent ; mais elle est la première de celles qui ont été envoyées de Rome, et postérieure à plusieurs des autres, si, ce n’est à toutes : car les deux aux Corinthiens lui sont antérieures. Cela est démontré par les paroles qu’on lit vers la fin : « Maintenant je vais à Jérusalem pour servir les saints. Car la Macédoine et l’Achaïe ont trouvé bon de faire quelques collectes en faveur des pauvres, des saints qui sont à Jérusalem ». (Rom. 15,25-26) Il écrit encore aux Corinthiens : « Que si la chose mérite que j’y aille, ils viendront avec moi » (1Co. 16,4), en parlant de ceux qui devaient porter cet argent. D’où il résulte clairement que quand il écrivait aux Corinthiens, son voyage était encore incertain ; tandis qu’il était certain et arrêté, quand il écrivait aux Romains. Or ce point, une fois établi, il est évident que la lettre aux Romains a été écrite après celle aux Corinthiens.

L’épître aux Thessaloniciens me paraît également avoir précédé celle aux Corinthiens. Car c’est après avoir écrit à ceux-là et parlé de l’aumône en ces termes : « Quant à la charité fraternelle, nous n’avons pas besoin de vous en écrire, puisque vous avez appris de Dieu à vous aimer les uns les autres, et c’est aussi ce que vous faites à l’égard de tous les frères » (1Th. 4,9-10), qu’il écrit ensuite à ceux-ci, comme le prouvent ces paroles : « Car je connais votre bon vouloir, pour lequel je me glorifie de vous près des Macédoniens, leur disant que l’Achaïe est préparée dès l’année passée, et que votre zèle a provoqué celui du plus grand nombre ». (2Co. 9,2) Ce qui prouve qu’il avait d’abord traité ce sujet avec eux. Mais si cette épître aux Romains est postérieure à celle-là, elle est antérieure à toutes celles que l’Apôtre a écrites de Rome ; car il n’était pas encore venu à Rome quand il l’écrivit, comme il l’indique lui-même, en disant : « Car je désire vous voir pour vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle ». (Rom. 1,11) Or, c’est de Rome qu’a écrit aux Philippiens, aussi leur dit-il : « Tous les saints vous saluent, principalement ceux qui sont de la maison de César ». (Phi. 4,22) C’est aussi de là qu’a écrit aux Hébreux, puisqu’il leur dit : « Les frères d’Italie vous saluent tous ». (Heb. 13,24) C’est également de Rome, quand il était dans les fers, qu’il envoie sa lettre à Timothée, et celle-ci me semble la dernière de toutes, comme on le voit par la fin : « Car pour moi je suis comme une victime qui a déjà reçu l’aspersion pour être immolée, et le temps de ma délivrance approche ». (2Ti. 4,6) Or, personne n’ignore que c’est là qu’il a fini sa vie. L’épître à Philémon est aussi parmi les dernières ; car il l’a écrite dans son extrême vieillesse, ainsi qu’on le voit par ces mots : « Comme le vieux Paul, maintenant prisonnier de Jésus-Christ ». (Phm. 9) Or, elle a précédé celle aux Colossiens, ainsi qu’on le voit à la fin de celle-ci, où il dit : « Tychique, que j’ai envoyé avec Onésime, mon serviteur fidèle et bien-aimé, vous racontera tout ». (Col. 4,7) Or, cet Onésime, est celui en faveur de qui il a écrit sa lettre à Philémon. Que c’était celui-là, et non quelque autre du même nom, on le voit par cet Archippe dont il invoque l’appui près de Philémon, pour obtenir ce qu’il demande pour Onésime, et dont il excite le zèle en ces termes, dans son épître aux Colossiens : « Dites à Archippe : Voyez le ministère que vous avez reçu dans le Seigneur, afin de le remplir ». (Id. 17) Il me semble aussi que l’épître aux Galates est encore antérieure à celle aux Romains. Que si elles ont un autre ordre dans la Bible, il ne faut pas s’en étonner : car quoique les douze prophètes ne se soient point succédé immédiatement dans l’ordre des temps, qu’ils aient même été séparés par de grands intervalles, ils se trouvent cependant dans la Bible à la suite les uns des autres. En effet, Aggée, Zacharie, et d’autres encore, ont prophétisé après Ézéchiel et Daniel ; beaucoup ont prophétisé après Jonas, Sophonie et tous les autres, et pourtant ils sont rattachés à tous ceux-là malgré la distance des temps.

2. Que personne ne croie en ceci notre peine inutile, et ne regarde cette question comme oiseuse et de pure curiosité : la date de chaque épître a un grand, intérêt pour le but que nous nous proposons. Car, quand je vois Paul écrire aux, Romains et aux Colossiens sur les mêmes objets, mais non de la même manière : à ceux-là avec une grande condescendance, comme quand il leur dit : « Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans disputer sur les opinions, car l’un croit qu’il peut manger de tout, et l’autre qui est faible ne mange que des légumes » (Rom. 14,1-2) ; et aux Colossiens, sur le thème sujet, mais avec plus de liberté : « Si donc vous êtes morts avec le Christ aux éléments de ce monde, pourquoi vous laissez-vous imposer des lois comme si vous viviez dans ce premier état du monde ? Ne mangez pas, vous dit-on, ne goûtez pas, ne touchez pas. Toutes choses qui périssent par l’usage qu’on en fait, ne sont point en honneur, mais pour le rassasiement de la chair » (Col. 2,20-23) ; quand je vois, dis-je, cette différence, je n’en trouve pas d’autre raison que la diversité même des temps. En effet, au commencement il fallait user de condescendance ; dans la suite, cela n’était plus nécessaire. On le voit encore souvent agir de même dans d’autres circonstances. Telle est la conduite que tiennent un médecin et un maître : ni médecin ne traite de la même façon ceux qui commencent à être malades et ceux qui entrent en convalescence ; ni le maître n’en use de la même manière avec les petits enfants et ceux qui demandent un enseignement plus avancé. Ainsi Paul écrit sur un ton différent aux uns et aux autres selon le sujet et l’occasion (et il le fait voir en disant aux Corinthiens : « Quant aux choses dont vous m’avez écrit » (1Co. 7,1) ; et en déclarant la même chose aux Galates dès le début et tout le long de sa lettre).

Mais aux Romains, pour quel motif et à quelle occasion leur a-t-il écrit ? On le voit leur rendre témoignage qu’ils sont abondamment pourvus en vertu et en tout genre de connaissance, au point d’être capables de corriger les autres. Pourquoi donc leur a-t-il écrit ? Il le dit lui-même : « À cause de la grâce que Dieu m’a donnée pour être le ministre de Jésus-Christ ». (Rom. 15,15-16) C’est ce qui lui fait dire dès le commencement : « Je suis redevable, et (autant qu’il est en moi), je suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome ». (Id. 1,14, 15) Et ce qu’il dit d’eux, par exemple, qu’ils sont capables de corriger les autres, ou autres choses semblables, il le dit surtout par manière d’éloge et d’exhortation ; néanmoins il était besoin de les corriger aussi par lettres. Comme il n’était point encore venu à Rome, il emploie un double moyen pour les mettre en règle : l’utilité de ses lettres et l’attente de son arrivée. Car telle était cette sainte âme ; elle embrassait l’univers entier, elle portait tout le monde avec elle, estimant comme la plus précieuse parenté celle qui est selon Dieu ; il les aimait tous comme s’il les eût enfantés ; bien plus, jamais amour paternel n’égala le sien. Telle est en effet la grâce de l’Esprit ; elle fait sentir des douleurs plus vives que celles de l’enfantement charnel, et manifeste un amour bien plus ardent. On peut le remarquer surtout dans l’âme de Paul : la charité semble lui donner des ailes, il est continuellement en mouvement, il ne s’arrête, il ne se fixe nulle part. Ayant appris que le Christ avait dit : « Pierre ; m’aimes-tu ? Pais mes brebis » (Jn. 21,15), et avait fixé là le terme extrême de l’amour, il a donné de cet amour des preuves prodigieuses. Imitons donc son zèle : Si nous ne pouvons convertir l’univers, des villes, des nations entières, qu’au moins chacun règle sa maison, sa femme, ses enfants, ses amis, ses voisins. Et que l’on ne dise pas : Je suis sans expérience et sans instruction. Personne n’était plus ignorant que Pierre, ni plus expérimenté que Paul. C’est lui-même qui l’avoue, et sans rougir « À la vérité, je suis inhabile pour la parole, mais non pour la science ». (2Cor. 11,6) Et pourtant cet ignorant et cet inhabile ont vaincu des milliers de philosophes, ont fermé la bouche à une foule de rhéteurs, uniquement en vertu de leur zèle et de la grâce de Dieu. Quelle excuse aurons-nous donc, nous qui ne pouvons pas même suffire à vingt personnes, qui ne sommes pas même utiles aux membres de notre famille ? Ce sont là d’inutiles objections et de vains prétextes : ce n’est pas le défaut de science ou d’habileté qui empêche d’instruire, mais la paresse et le sommeil de l’indifférence. Secouons donc ce sommeil, exerçons tout notre zèle sur les membres de notre maison, afin qu’après les avoir solidement établis dans la crainte de Dieu, nous jouissions ici-bas d’un repos parfait et que nous méritions les biens innombrables de l’autre vie, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et en qui la gloire soit rendue au Père et en même temps au Saint-Esprit ; maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

COMMENTAIRESUR L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS. modifier

HOMÉLIE I. modifier


PAUL, SERVITEUR DE JÉSUS-CHRIST, APPELÉ À L’APOSTOLAT, CHOISI POUR L’ÉVANGILE DE DIEU, QU’IL AVAIT PROMIS AUPARAVANT PAR DES PROPHÈTES DANS LES SAINTES ÉCRITURES. (CHAP. 1, VERS. JUSQU’À 7)

Analyse. modifier

  • 1. Explication très-intéressante et très-profonde des mots : Paul, serviteur, Jésus-Christ, appelé, apôtre, choisi, Évangile de Dieu.
  • 2. L’Évangile que quelques-uns considèrent comme une nouveauté, a été annoncé et figuré longtemps d’avance, de sorte qu’il est plus ancien que les Gentils. – Saint Paul parle de deux générations de Jésus-Christ en commençant par la génération selon la chair, pourquoi ? Cinq preuves de la divinité de Jésus-Christ indiquées en passant par l’Apôtre.
  • 3. Pour faire obéir à la foi… C’est de foi et non de raisonnement que les chrétiens ont besoin. – Toutes les nations. – L’Évangile doit être prêché à toutes les nations de la terre, sinon par Paul et les autres apôtres ses contemporains, du moins par ceux qui leur succéderont dans l’apostolat. – Les Romains, quoique maîtres du monde, n’ont devant l’Évangile aucun privilège.
  • 4. Que la sanctification vient de la charité. - Que les dignités qui s’achètent à prix d’argent ne sont pas proprement des dignités.


1. Moïse a composé cinq livres et n’y a écrit son nom nulle part, non plus que ceux qui ont raconté ce qui s’est passé après lui ; il en est de même de Matthieu, de Jean de Marc et de Luc ; mais le bienheureux Paul place toujours le sien en tête de ses lettres. Pourquoi cela ? Parce que ces autres auteurs écrivaient pour des personnes présentes et qu’il leur était inutile de se nommer eux-mêmes ; tandis que Paul, écrivant au loin et sous forme de lettres, devait nécessairement mettre son nom. S’il ne le fait pas dans son Épître aux Hébreux, c’est à dessein et par prudence. Car comme il leur était odieux et qu’il craignait qu’en entendant son nom ils ne se refusassent tout d’abord à l’écouter, il le supprime afin de les attirer. Mais si les prophètes et Salomon ont écrit leurs noms, je vous laisse le soin de chercher pourquoi les uns l’ont fait et les autres non ; car ce n’est point à moi de tout vous apprendre, mais à vous de travailler et de chercher, pour ne pas devenir trop paresseux.
« Paul, serviteur de Jésus-Christ. » Pourquoi Dieu a-t-il changé son nom, en l’appelant Paul au lieu de Saul ? Pour qu’en cela il ne fût point inférieur aux autres apôtres, mais qu’il jouît du même privilège que le chef des disciples et fût plus intimement uni à la famille. Et ce n’est pas sans raison qu’il se nomme serviteur du Christ, car il y a bien des espèces de servitude : l’une découle de la création, comme il est dit : « Toutes choses vous servent » (Ps. 118) ; et ailleurs : « Mon serviteur Nabuchodonosor (Jer. 25,9) : tout ouvrage étant au service de l’ouvrier ; une autre dérive de la foi, dont Paul dit : « Mais grâces soient rendues à Dieu de ce qu’ayant été esclaves du péché, vous avez obéi du fond du cœur à ce modèle de doctrine sur lequel vous avez été formés, et de ce qu’affranchis du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice ». (Rom. 6,17, 18) ; une autre encore tirée de la conduite, de laquelle on lit : « Moïse mon serviteur est mort » (Job. 1, 2) ; car bien que tous les Juifs fussent serviteurs de Dieu, Moïse l’était par excellence, à raison de sa conduite. Mais comme Paul était serviteur de Dieu dans tous les sens, il s’en glorifie comme d’une très-haute dignité par ces mots : « Serviteur de Jésus-Christ ». Il prononce les noms de l’incarnation, en remontant de bas en haut ; car le nom de Jésus fut apporté du ciel par un ange, le jour où le Sauveur prit naissance dans le sein d’une vierge ; et le mot Christ vient de l’onction, qui appartient à la chair. Et de quelle huile, direz-vous, le Christ a-t-il été oint ? D’aucune, mais bien de l’Esprit ; or l’Écriture a coutume d’appeler Christs ceux qui ont reçu cette onction. Car le principal, dans, l’onction, c’est l’Esprit ; l’huile n’est que l’accessoire : Mais où appelle-t-on Christs ceux qui n’ont pas été oints avec l’huile ? Dans le passage où il est dit : « Ne touchez point à mes Christs, et ne maltraitez point mes prophètes ». (Ps. 104) Car là il n’était pas question d’onction par l’huile.
« Appelé à l’apostolat ». Partout il se donne le titre d’appelé, pour témoigner sa reconnaissance et faire voir que s’il a trouvé, ce n’est point pour avoir cherché ; mais parce qu’il a été appelé et qu’il a obéi. C’est aussi le nom qu’il donne aux fidèles appelés ainsi. Mais les fidèles ont été simplement appelés à la foi ; tandis qu’à lui on a confié autre chose, l’apostolat ; fonction pleine de biens sans nombre qui l’emporte sur toutes les grâces et les renferme toutes. Et qu’est-il besoin de dire autre chose, sinon que ce que le Christ a fait lui-même sur la terre, il a chargé les apôtres de le faire après son départ ? C’est ce que Paul nous crie lui-même, quand il exalte en ces termes la dignité des apôtres : « Nous faisons les fonctions d’ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche » (2Cor. 5,20), c’est-à-dire, nous remplaçons le Christ.
« Choisi pour l’Évangile de Dieu ». De même que, dans une maison, chacun est destiné à un emploi différent, ainsi les divers ministères sont distribués dans l’Église. Ici il me semble moins désigner son lot particulier, qu’insinuer qu’il y a été appelé depuis longtemps, et d’en haut. C’est ainsi que Jérémie affirme que Dieu a dit, en parlant de lui : « Avant que tu sortisses du sein de ta mère, je t’ai sanctifié et établi prophète parmi les nations ». (Jer. 1,5) Comme Paul écrivait à un peuple fier et orgueilleux, il veut prouver que l’élection vient de Dieu : c’est Dieu qui a appelé, c’est Dieu qui a choisi. Son but est de rendre sa lettre digne de foi et de la faire agréer. « Pour l’Évangile de Dieu ». Matthieu et Marc ne sont donc pas les seuls évangélistes, pas plus qu’il n’est, lui-même le seul apôtre ; bien que ce nom lui soit donné par excellence, comme à ceux-là celui d’évangéliste. Il l’appelle Évangile, non seulement à cause des biens déjà accordés, mais à cause des biens à venir. Et comment dit-il qu’il apporte la bonne nouvelle de Dieu ? Voici en effet ses paroles : « Choisi pour l’Évangile de Dieu ». Or le Père était connu avant les Évangiles. Mais s’il était connu, ce n’était que des Juifs, et pas de tous encore, comme il l’aurait fallu : car ils ne le connaissaient point comme Père, et s’en formaient beaucoup d’idées indignes de lui : aussi le Christ disait-il : « Les vrais adorateurs viendront ; ce sont de tels adorateurs que le Père cherche ». (Jn. 4,23) Enfin il s’est manifesté au monde entier avec le Fils : comme le Christ lui-même l’avait prédit, en disant : « Afin qu’ils vous connaissent, vous seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ ». (Id. 17,3) Il l’appelle Évangile de Dieu, pour exciter dès l’abord l’attention de l’auditeur. Car il ne vient pas apporter de tristes nouvelles, des injures, des accusations, des reproches, comme le prophète ; mais annoncer de bonnes nouvelles, les bonnes nouvelles de Dieu, des trésors infinis de biens permanents et immuables. – « Qu’il avait promis auparavant par des prophètes dans les saintes Écritures ». Car il est écrit : « Le Seigneur mettra la parole dans la bouche de ceux qui évangélisent avec beaucoup de force ». (Ps. 67) Et encore : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui, évangélisent la paix ! » (Is. 52,7)
2. Voyez-vous comme le nom et le mode de l’Évangile sont clairement énoncés dans l’Ancien Testament ? Car, dit-il, nous n’évangélisons pas seulement en paroles, mais en action ; vu que ce n’est point une œuvre humaine, mais divine, mystérieuse, et élevée au-dessus de toute la nature. Et comme on traitait la chose de nouveauté, il démontre qu’elle est plus ancienne que les Grecs et déjà décrite d’avance par les prophètes. Que si elle n’a pas été donnée dès le commencement, la faute en est à ceux qui n’ont pas voulu la recevoir ; car ceux qui l’ont voulu, ont entendu. « Abraham votre père », dit le Christ, « a tressailli pour voir mon jour ; il a vu et il s’en est réjoui ». (Jn. 8,56) Comment donc le Sauveur dit-il ailleurs : « Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu ? » (Mt. 13,17) C’est-à-dire, voir comme vous voyez et entendez, la chair même, les signes visibles. Mais considérez combien de temps à l’avance cela avait été prédit : car quand Dieu prépare de grandes choses, il les annonce longtemps d’avance, afin de disposer nos oreilles à les accueillir quand elles arriveront. – « Dans les Saintes Écritures ». Les prophètes ne parlaient pas seulement, mais ils écrivaient ce qu’ils disaient ; non seulement ils l’écrivaient, mais ils le représentaient en figures, comme Abraham conduisant Isaac, Moïse élevant le serpent, ou étendant les mains contre Amalec, ou immolant l’agneau de la Pâque.
« Touchant son Fils qui lui est né de David « selon la chair (3) ». Que faites-vous, Paul ? Après avoir élevé nos esprits, nous avoir fait pressentir des choses sublimes et mystérieuses, avoir parlé d’Évangile et d’Évangile de Dieu, introduit le chœur des prophètes et avoir démontré que tous ont prédit longtemps d’avance ces événements futurs ; après tout cela, dis-je, comment nous ramenez-vous à David ? De grâce, quel est l’homme dont vous parlez, et à qui vous donnez pour père le fils de Jessé ? Comment cela répond-il à ce que vous venez de dire ? – Cela y répond parfaitement ; car, nous dit-il, il ne s’agit pas ici d’un pur mortel. Aussi ajoute-t-il : « Selon la chair », insinuant par là qu’il a aussi une génération selon l’Esprit.
Et pourquoi a-t-il commencé par là, et non par le côté le plus élevé ? Parce que Matthieu, Luc et Marc l’ont fait aussi. Car celui qui veut conduire au ciel, doit nécessairement commencer par ce qu’il y a de plus bas pour élever à ce qu’il y a de plus haut : c’est l’ordre suivi par le Verbe incarné. On l’a d’abord vu comme homme sur la terre, puis on a compris le Dieu. Ainsi la manière dont le Maître a réglé son enseignement, est celle que le disciple adopte pour tracer la voie qui conduit au ciel. Il parlera donc d’abord de la génération selon la chair, non parce qu’elle est la première, mais parce qu’il veut élever l’esprit de son auditeur de celle-là à l’autre.
« Qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance selon l’Esprit de sanctification, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts (4) ». La complication des termes rend ici le sens obscur ; aussi devons-nous distinguer. Que dit-il donc ? Nous prêchons Celui qui est né de David : voilà qui est clair. Mais qu’est-ce qui montre que celui-là est aussi le Fils de Dieu qui s’est incarné ? La première preuve est tirée des prophètes ; c’est pourquoi il dit : « Qu’il avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes Écritures ». Ce genre de démonstration n’est pas sans valeur. La seconde ressort du mode de génération exprimée par ces mots : « De la race de David selon la chair », car cette naissance a été une dérogation à la loi de la nature. La troisième se tire des miracles qu’il a opérés, donnant ainsi une preuve de sa grande puissance, ainsi que l’indique ce mot : « En puissance ». La quatrième est tirée de l’Esprit-Saint qu’il a donné à ceux qui croient en lui, et par lequel il les fait tous saints ; ce que veulent dire ces paroles : « Selon l’Esprit de sanctification » car Dieu seul pouvait faire de tels dons. La cinquième est la résurrection du Seigneur : Car le Christ est le premier et le seul qui soit ressuscité par sa propre vertu : signe que le Sauveur lui-même donne comme le plus propre à fermer la bouche aux plus impudents. « Détruisez ce temple » ; leur dit-il, « et je le relèverai en trois jours » (Jn. 2,19) ; « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, c’est alors que vous connaîtrez ce que je suis ». (Id. 8,28) Et encore : « Cette génération demande un miracle ; et il ne lui en sera point donné d’autre que celui de Jonas ». (Mt. 12,39) Que veut donc dire « Prédestiné ? » Montré, déclaré, jugé, confessé par le suffrage de tous, par les prophètes, par sa naissance inouïe selon la chair, par la puissance des miracles, par l’Esprit en qui il a donné la sanctification, par la résurrection qui a brisé la puissance de la mort.

« Par qui nous avons reçu la grâce et l’apostolat pour faire obéir à la foi (5) ». Voyez la reconnaissance du serviteur : il ne s’attribue rien, mais renvoie tout au Maître. Or le Seigneur lui-même a donné cet Esprit. Aussi disait-il : « J’ai encore bien des choses à vous dire, mais vous ne les pouvez porter à présent. Mais quand cet Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité ». (Jn. 16,12) Et encore : « Séparez-moi Paul et Barnabé ». (Act. 13,2) Et Paul nous dit dans l’Épître aux Corinthiens : « À l’un est donné par l’Esprit la parole de sagesse, à un autre la parole de science ». (1Co. 12,8) Et encore : « Lui-même distribue tout comme il veut ». (1Co. 12,11) Prêchant aux Milésiens, il leur dit : « Dans lequel l’Esprit-Saint vous a établis pasteurs et évêques ». Voyez-vous comme il attribue au Fils ce qui est à l’Esprit, et à l’Esprit ce qui est au Fils ? « La grâce et l’apostolat » ; c’est-à-dire, ce n’est pas nous qui avons mérité d’être apôtres. Ce n’est point par nos travaux et nos peines que nous avons obtenu cette dignité ; mais nous avons reçu la grâce, et ce ministère est un don d’en-haut. « Pour faire obéir à la foi ».

3. Ce n’était donc point là l’œuvre des apôtres, mais de la grâce qui les prévenait. Les voyages et la prédication étaient bien leur fait, mais la persuasion venait de Dieu qui agissait mieux ; comme saint Luc nous le dit : « Il a ouvert leur cœur » ; et encore : « Ceux à qui il avait été donné d’entendre la parole de Dieu. – Pour faire obéir ». Il ne dit point : Pour chercher, pour démontrer ; mais « Pour faire obéir ». Ce qui signifie : Nous n’avons pas été envoyés pour faire des raisonnements, mais pour rendre ce que nous avons reçu. Car quand le Maître prononce quelque chose, les auditeurs n’ont point à scruter et à s’enquérir curieusement, mais seulement à accepter. Les apôtres ont été envoyés pour dire ce qu’ils avaient entendu, et non pour y rien ajouter du leur ; et nous, nous n’avons qu’à croire. Et quoi croire ? « À son nom » (Act. 3,6) ; non pour nous livrer à des recherches curieuses sur sa substance, mais pour croire à son nom : car c’est ce nom qui opérait les miracles : comme il est écrit : « Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche ». (Id) Ici il faut la foi, et nous ne pouvons rien comprendre par le raisonnement.

« Toutes les nations parmi lesquelles vous avez été, vous aussi, appelés par Jésus-Christ ». Quoi donc ? Paul a-t-il prêché à toutes les nations ? On voit clairement par ce qu’il écrit aux Romains, qu’il est allé de Jérusalem en Illyrie, et de là aux extrémités de la terre. Mais quand il ne serait pas allé partout, sa parole n’en serait pas moins vraie : car il ne parle pas seulement de lui, mais des douze apôtres et de tous ceux qui ont évangélisé après eux. D’ailleurs quand vous prouveriez qu’il parle de lui seul, vous ne pourriez encore le contredire, si vous tenez compte de son ardeur, et si vous considérez qu’il ne cesse de prêcher par toute la terre même après sa mort. Voyez comme il exalte la grâce de l’Évangile, et fait voir qu’il est grand et bien au-dessus de la première, car l’ancien ordre de choses ne regardait qu’un seul peuple, tandis que le nouveau a conquis la terre et la mer ! Voyez encore comme l’âme de Paul est éloignée de toute flatterie ! Il parle aux Romains qui se trouvaient comme placés à la tête de l’univers entier, et pourtant il ne leur accorde pas plus qu’aux autres nations ; bien qu’ils régnassent sur les autres, il ne leur attribue rien de plus dans l’ordre spirituel : nous vous prêchons, leur dit-il, comme à toutes les autres nations ; il les met au rang des Scythes et des Thraces ; sinon, il eût été inutile de dire : « Parmi lesquelles vous avez été, vous aussi ». Il fait cela pour détruire leur orgueil, corriger leur vanité, et leur apprendre qu’ils ne sont point au-dessus des autres. Aussi ajoute-t-il : « Parmi lesquelles vous avez été, vous aussi, appelés par Jésus-Christ (6) ». C’est-à-dire, avec lesquelles vous avez été. Il ne dit point : a appelé les autres avec vous, mais vous a appelés avec les autres. Car, si dans le Christ Jésus il n’y a ni esclave ni libre, à plus forte raison ni roi ni particulier : aussi avez-vous été appelés et vous n’êtes point venus de vous-mêmes.

« À tous ceux qui sont à Rome, aux bien-aimés de Dieu, appelés saints, grâce à vous et paix de la part de Dieu notre Père et de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Voyez comme il répète continuellement le mot d’appelé : « Appelé à l’apostolat ; parmi lesquelles vous êtes, vous aussi, appelés ; à tous ceux qui sont à Rome, aux appelés ». Et ce n’est point ici une superfluité, mais il veut leur rappeler le bienfait. Car comme vraisemblablement il y avait, parmi les croyants, des chefs et des consuls, ainsi que des pauvres et de simples particuliers, il efface toute distinction de dignités, en leur donnant le même nom. Que si dans les choses les plus nécessaires, dans l’ordre spirituel, tout est commun aux esclaves et aux hommes libres ; l’amour de Dieu, la vocation, l’Évangile, l’adoption, la grâce, la paix, la sanctification et tout le reste : comment ne serait-il pas souverainement déraisonnable d’établir des distinctions temporelles entre ceux que Dieu a réunis et rendus égaux dans des choses plus importantes ? Aussi, détruisant dès le début cette funeste maladie, le bienheureux les introduit-il tous dans la source de tous les biens, l’humilité. C’était le moyen de rendre meilleurs les serviteurs, en leur apprenant que leur condition ne leur faisait aucun tort, puisqu’ils possédaient la vraie liberté ; cela inspirait aussi la modération aux maîtres, en leur faisant voir que la liberté ne sert à rien, si elle n’est précédée par la foi. Et ce qui vous prouve que Paul n’agit point ici au hasard et sans discernement, mais qu’il sait parfaitement faire la distinction vraie, c’est qu’à ces mots : « À tous ceux qui sont à Rome », il ajoute ceux-ci : « Aux bien-aimés de Dieu ». Excellente distinction en effet et qui nous apprend d’où vient la sanctification.
D’où vient donc la sanctification ? de l’amour. Après avoir dit : Aux bien-aimés », il ajoute : « appelés saints », indiquant que là est la source de tous les biens : or, ce nom de saints, il le donne à tous les fidèles. « Grâce à vous et paix ». O salutation pleine de bénédictions sans nombre! C’est celle que le Christ a ordonné à ses apôtres de prononcer d’abord quand ils entrent dans les maisons. C’est pourquoi Paul débute ainsi partout, c’est-à-dire en souhaitant grâce et paix. Car ce n’est pas à une guerre médiocre, mais à une guerre variée, universelle, prolongée que le Christ a mis fin, non par nos travaux, mais par sa grâce. Donc, puisque l’amour nous a donné la grâce, et la grâce la paix, Paul en employant ces mots par forme de salut, demande que ces biens soient durables et permanents, pour empêcher la guerre de se rallumer ; et il prie l’Auteur de ces dons de les consolider, en disant : « Grâce à vous et paix par Dieu, notre Père et par Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Ici le mot « par » est commun au Père et au Fils et a le même sens que « de la part de ». Il n’a pas dit : Grâce à vous et paix de la part de Dieu le Père, par l’intermédiaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; mais : « Par le Père et par Notre-Seigneur Jésus-Christ ».
O ciel ! que l’amour de Dieu est puissant ! Des ennemis, des hommes déshonorés sont devenus tout à coup des saints et des fils ! car, en nommant Dieu le Père, il indique qu’il y a des enfants, et en parlant d’enfants, il révèle le trésor de tous les biens. Persévérons donc dans une conduite digne d’un si grand bienfait, et conservons la paix et la sainteté. Les autres dignités sont passagères ; elles s’évanouissent avec la vie présente et s’achètent à prix d’argent ; aussi pourrait-on dire qu’elles ne sont point des dignités, mais des noms de dignités, puisqu’elles ne consistent que dans l’éclat des vêtements et dans les adulations des courtisans. Mais le don de la sanctification et de l’adoption venant de Dieu, ne disparaît point à la mort ; c’est même alors qu’il nous fait briller et il nous accompagne jusqu’à la vie éternelle. Car celui qui conserve l’adoption et la sanctification avec fidélité, est beaucoup plus éclatant et plus heureux que celui qui porte le diadème et revêt la pourpre ; il possède ici-bas une tranquillité parfaite, entretient les meilleures espérances, n’a aucun sujet d’agitation ni de trouble, mais jouit d’un bonheur perpétuel. Car ce n’est point l’étendue du commandement, ni l’abondance des richesses, ni l’orgueil du pouvoir, ni la vigueur du corps, ni le luxe de la table, ni l’éclat des vêtements, ni rien de mortel, qui donne la joie et la sérénité ; mais les œuvres spirituelles bien faites et une bonne conscience. Celui qui a la conscience pure, fût-il couvert de haillons et en lutte avec la faim, est plus joyeux que ceux qui nagent dans les délices ; de même que celui qui a une conscience coupable, possédât-il toutes les richesses, est le plus malheureux des hommes. C’est pourquoi Paul, vivant toujours dans la faim et dans la nudité, flagellé tous les jours, était plus heureux et plus content que les rois d’alors ; tandis qu’Achab, assis sur le trône, plongé dans les délices, mais coupable d’un crime, gémissait, était inquiet, avait les traits abattus et avant et après son péché. Si donc nous voulons être heureux, avant tout fuyons le vice, et recherchons la vertu : convaincus qu’il n’y a pas d’autre moyen de parvenir au bonheur, fussions-nous même assis sur le trône. Aussi Paul disait-il : « Les fruits de l’Esprit sont la charité, la joie, la paix ». (Gal. 5,22) Entretenons donc ces fruits en nous, afin de posséder la joie ici-bas, et d’obtenir le royaume éternel, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire est au Père en même temps qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE II. modifier


PREMIÈREMENT, JE RENDS GRÂCES À MON DIEU PAR JÉSUS-CHRIST, POUR VOUS TOUS, DE CE QUE VOTRE FOI EST ANNONCÉE DANS TOUT L’UNIVERS. (8 JUSQU’A 17)

Analyse. modifier

  • 1. Comment l’on doit rendre grâces à Dieu.
  • 2. L’Apôtre exprime aux Romains les sentiments de tendresse qui l’animent envers eux. – Le culte évangélique, culte spirituel opposé à celui des païens et supérieur à celui des Juifs.
  • 2. Ménagements pleins de délicatesse auxquels l’Apôtre a recours pour ne blesser personne. – Le secours de la grâce ne doit pas empêcher la volonté d’agir.
  • 4. La foi déjà prêchée par tout l’univers.
  • 5. Modestie de saint Paul.
  • 6. Ne pas rougir de l’Évangile. – Le juste vit de foi. – Ne pas demander compte à Dieu de ses commandements.


1. Début bien digne de cette âme bienheureuse, et propre à nous apprendre à tous à offrir à Dieu les prémices de nos paroles et de nos bonnes œuvres, à lui rendre grâces non seulement pour nos succès, mais pour ceux des autres : ce qui est le moyen de purifier l’âme de l’envie et de la jalousie, et ce qui attire particulièrement la bienveillance de Dieu aux cœurs reconnaissants. Aussi dit-il encore ailleurs : « Béni le Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle ». (Gal. 1,3)
La reconnaissance est un devoir non seulement pour les riches, pour ceux qui jouissent de la santé, pour ceux qui vivent dans la prospérité, mais encore pour les pauvres, pour les malades, pour ceux que l’adversité afflige. En effet rien d’étonnant à ce que nous rendions grâces à Dieu quand le vent favorable enfle nos voiles ; mais le remercier quand la tempête soulève les flots, quand le vaisseau est ballotté et menacé de périr, c’est là une grande preuve de patience et de reconnaissance. C’est pour cela que Job fut couronné, qu’il ferma la bouche insolente de Satan, et fit voir clairement que sa reconnaissance au sein de la prospérité n’avait point la fortune pour mobile, mais bien un grand amour de Dieu. Et voyez de quoi Paul est reconnaissant : non pas de biens terrestres et périssables, comme seraient l’autorité, la puissance, la gloire (car tout cela est sans valeur), mais des biens réels, de la foi, de la liberté. Voyez aussi avec quelle affection il rend grâces ! Il ne dit pas : à Dieu, mais « à mon Dieu », suivant en cela l’usage des prophètes qui s’approprient Dieu, le bien commun. Et peut-on s’en étonner dans les prophètes ? Dieu lui-même en agit ainsi souvent à l’égard de ses serviteurs, en s’appelant particulièrement le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
« De ce que votre foi est annoncée dans tout l’univers ». Quoi ! le monde entier avait ouï parler de la foi des Romains ? Oui, d’après lui ; et il n’y a rien d’invraisemblable ; car ce n’était point une ville obscure, mais placée comme sur un faîte et visible partout. Considérez ici la puissance de la prédication, comment en peu de temps, par le moyen de publicains et de pêcheurs elle a envahi la reine même des cités, comment des Syriens sont devenus les maîtres et les guides des Romains. Il leur rend ici un double témoignage : c’est qu’ils ont cru, et qu’ils ont cru avec pleine liberté, au point que le bruit s’en était répandu dans le monde entier. « Car », leur dit-il, « votre foi est annoncée dans tout l’univers ». La foi, et non des disputes de mots, des questions, des raisonnements. Et pourtant la doctrine trouvait là de nombreux obstacles. Car, en possession depuis quelque temps de l’empire du monde, ils avaient une haute opinion d’eux-mêmes et passaient leur vie au sein des richesses et des plaisirs ; et ceux qui leur apportaient la prédication étaient des Juifs, des descendants des Juifs, de cette race odieuse et exécrée de tous ; et ils ordonnaient d’adorer le Crucifié, un homme élevé dans la Judée ; et, avec cet enseignement, ces maîtres prescrivaient une vie austère à des hommes livrés aux voluptés et épris des biens d’ici-bas. Et ces prédicateurs étaient pauvres, ignorants, sans naissance. Mais rien de cela n’a empêché le cours de la parole ; telle était la puissance du Crucifié, qu’il la répandait partout.
« Est annoncée », dit Paul, « dans l’univers entier ». Il ne dit pas : est manifestée, mais « est annoncée », comme si tout le monde parlait d’eux. En attestant le même fait aux Thessaloniciens, il y ajoute autre chose : car après avoir dit : « Par où la parole de Dieu s’est répandue », il ajoute : « En sorte que nous n’avons pas besoin d’en rien dire ». (1Thes. 1, 3) En effet les disciples avaient pris rang parmi les maîtres, ils instruisaient avec liberté et attiraient tout le monde à eux. Car la prédication ne s’arrêtait nulle part et s’étendait à l’univers entier avec plus de violence que le feu. Ici il se contente de dire qu’ « elle est annoncée », et il a raison de dire qu’ « elle est annoncée » ; par là il fait comprendre qu’il n’y a rien à ajouter à ce qui a été dit, rien à en retrancher : car c’est le devoir d’un messager de répéter simplement ce qu’on lui a dit. C’est pour cela que le prêtre est appelé messager, parce qu’il ne parle point en son nom, mais au nom de celui qui l’envoie. Pourtant Pierre a aussi prêché là. Mais Paul qui brûlait du feu de cette charité qui, comme il dit, n’est point envieuse, regardait ce que faisait Pierre comme s’il l’eût fait lui-même. « Car le Dieu que je sers en mon esprit, dans l’Évangile de son Fils, m’est témoin que je me souviens sans cesse de vous (9) ».
2. Ces paroles sortent des entrailles d’un apôtre, elles démontrent une sollicitude paternelle. Que veut-il donc dire, et pour quelle raison appelle-t-il Dieu en témoignage ? Il s’agissait de son affection. Comme il ne les avait pas encore vus, il invoque pour témoin, non un homme, mais Celui qui pénètre les cœurs. Après leur avoir dit : Je vous aime, et leur en avoir donné pour signe ses prières continuelles et le désir d’aller les voir, comme il n’y avait rien là de manifeste, il recourt à un témoin digne de foi. Quelqu’un de nous peut-il se vanter de se souvenir de l’Église dans laquelle il est, lorsqu’il prie dans sa maison ? Je ne le pense pas. Et Paul priait Dieu non seulement pour une ville, mais pour tout l’univers, et cela, non pas une fois, deux fois ni trois fois, mais toujours. Si porter quelqu’un continuellement dans ses souvenirs est une preuve de grand attachement ; pensez quelle affection, quel amour il faut pour prier et prier continuellement. Quand il dit : « Que je sers en mon esprit, dans l’Évangile de son Fils », il montre tout à la fois et la grâce de Dieu et sa propre humilité : la grâce de Dieu, qui lui a confié une mission aussi importante, et son humilité en ce qu’il n’attribue rien à son zèle, mais rapporte tout à l’action du Saint-Esprit. En ajoutant ce mot « Évangile », il indique l’espèce de son ministère. Car il y a plus d’une sorte de ministère et aussi de culte. Car de même que, chez les rois, tous, quoique subordonnés à un souverain unique, ne remplissent cependant point les mêmes fonctions, mais que l’un a mission de commander aux armées, l’autre d’administrer les villes, un troisième de veiller à la garde des trésors ; ainsi, dans l’ordre spirituel, l’un sert et honore Dieu par sa foi et sa conduite régulière, l’autre est chargé de donner l’hospitalité aux étrangers, un troisième du soin des pauvres : comme on le voit au temps des apôtres même, où Étienne servait Dieu dans le soin des veuves, un autre par l’enseignement de la parole. Paul, par exemple, servait par la prédication de l’Évangile, c’était son genre de ministère, celui qui lui avait été confié, c’est pourquoi il ne se contente pas d’invoquer Dieu comme témoin, mais il parle de la mission qu’il a reçue, faisant voir que, chargé d’une si haute fonction, il ne voudrait point appeler en témoignage d’un mensonge celui qui la lui a confiée. De plus, il veut aussi leur faire comprendre son amour et la nécessité où il est de se préoccuper d’eux. De peur qu’ils ne disent : Qui êtes-vous, pourquoi vous dites-vous en souci de cette grande et royale cité ? Il leur prouve que ce souci est nécessaire, puisque c’est là le genre de service qui lui est assigné, la prédication de l’Évangile. En effet, celui qui est chargé de cette mission doit nécessairement avoir toujours dans l’esprit ceux qui doivent recevoir la parole.
Il indique encore autre chose par ces mots « En mon esprit » : à savoir que ce culte est bien au-dessus de celui des Grecs et de celui des Juifs : car le culte des Grecs était faux et charnel, celui des Juifs vrai, mais charnel aussi ; tandis que celui de l’Église, opposé à celui des gentils, était bien au-dessus de celui des Juifs. En effet, il ne s’exerce plus par l’immolation des brebis, des veaux, par la fumée et la graisse des victimes, mais par l’âme spirituelle, selon la parole du Christ « Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité ». (Jn. 4,24) – « Dans l’Évangile de son Fils ». Plus haut il disait l’Évangile du Père, ici il dit l’Évangile du Fils : tant c’est chose indifférente de nommer le Père ou le Fils. Car il a appris de cette voix bienheureuse que ce qui est au Père appartient au Fils et que ce qui est au Fils appartient au Père. « Car », dit le Christ, « tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi ». (Jn. 17,10)
« Que je fais sans cesse mémoire de vous dans mes prières ». C’est là le véritable amour. Il semble ne dire qu’une chose et il en dit quatre : qu’il se souvient d’eux, qu’il s’en souvient sans cesse, et dans ses prières et pour des objets importants. « Demandant que, par la volonté de Dieu, quelque heureuse voie me soit ouverte pour aller vers vous. Car je désire vous voir (10,11) ». Voyez-vous comme il désire ardemment les voir, et comment, ne voulant rien faire que sous le bon plaisir de Dieu, son amour est mêlé de crainte ? Il les aimait en effet, il était pressé d’aller à eux ; mais, bien qu’il les aimât, il ne voulait les voir que quand il plairait à Dieu. Voilà le véritable amour. Il n’en est pas ainsi de nous qui nous écartons dans les deux sens des lois de la charité ; car, ou nous n’aimons personne, ou quand nous aimons, ce n’est point selon la volonté de Dieu ; double transgression de la loi divine. Si nos paroles sont blessantes, votre conduite l’est davantage.
3. Mais, direz-vous, comment aimons-nous contre la volonté de Dieu ? – Quand nous dédaignons le Christ mourant de faim et que nous donnons à nos amis et à nos proches au-delà du nécessaire. À quoi bon, du reste, en dire davantage ? Chacun n’a qu’à examiner sa conscience pour se trouver coupable là-dessus en plus d’un point. Il n’en était pas ainsi de notre bienheureux ; il savait aimer, et aimer comme il faut, et surpasser tout le monde en charité, sans dépasser en rien les bornes de la charité. Et voyez comme il porte ces deux sentiments au plus haut degré : la crainte de Dieu et l’amour des Romains. En effet, prier sans cesse, et ne point se désister d’un vœu qui n’est pas rempli, c’est une preuve d’ardente affection ; mais ne tenir à l’objet de ses désirs que sous le bon plaisir de Dieu, c’est la marque d’une grande piété. Ailleurs même après avoir prié trois fois le Seigneur sans obtenir, en présence même du résultat contraire, il rend de grandes actions de grâces de n’avoir point été exaucé (2Cor. 12,8) : tant il avait Dieu en vue en toutes choses ! Ici, il obtint, il est vrai, mais tardivement et non quand il demandait, et il ne s’en affligea point. Je dis cela pour que nous ne nous attristions pas, quand nous ne sommes point exaucés ou que nous ne le sommes que tard. Nous ne sommes pas meilleurs que Paul qui rendit grâces dans les deux cas et eut raison de le faire. Comme il s’était livré une bonne fois à la main qui gouverne tout, avec autant de docilité que l’argile à la main du potier, il allait partout où Dieu le conduisait.
Après avoir exprimé son désir de les voir, il en donne la raison. Quelle est-elle ? « Pour vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle, afin de vous fortifier ». Ce n’était pas sans motif qu’il voulait aller là, comme font tant de gens qui entreprennent des voyages inutiles et sans profit, mais pour des affaires nécessaires et pressantes ; ce qu’il n’exprime pas clairement, mais par énigmes. Car il ne dit point : Pour vous instruire, pour vous prêcher, pour vous donner ce qui vous manque ; mais « pour vous communiquer quelque chose », indiquant qu’il ne donne rien de lui-même, mais fait part de ce qu’il a reçu. Et encore parle-t-il ici avec modestie : « Quelque chose » ; peu de chose, veut-il dire, et en proportion avec ma mesure. Et qu’est-ce donc que ce peu que vous allez leur communiquer ? – Quelque chose « pour vous fortifier », répond-il.
C’est donc un effet de la grâce, de ne pas chanceler, de se tenir ferme. Et quand on vous parle de grâce, gardez-vous de croire que ce soit à l’exclusion du mérite de la volonté ; car si Paul tient ce langage, ce n’est pas qu’il ne tienne aucun compte de la volonté, mais c’est pour détruire l’enflure de l’orgueil. Ne vous découragez donc point, parce qu’il appelle cela grâce. Dans l’excès de sa reconnaissance, il donne le nom de grâces à toutes les bonnes actions, parce qu’en toutes, le secours d’en haut nous est bien nécessaire. Après avoir dit « Pour vous fortifier », il leur insinue qu’ils ont grand besoin d’être corrigés. Car voici ce qu’il veut dire : Depuis longtemps je désirais et souhaitais de vous voir, dans le seul but de vous fortifier, de vous affermir et de vous consolider dans la crainte de Dieu, afin que vous ne soyez pas toujours chancelants. Il ne s’exprime pourtant pas ainsi, car il les aurait blessés ; il se contente d’insinuer sa pensée doucement et sous une autre forme, en se servant de ces mots. « Pour vous fortifier ». Ensuite, comme ce langage était très-pénible, voyez comme il l’adoucit par la suite. En effet de peur qu’ils ne disent : Quoi donc ! est-ce que nous chancelons ? est-ce que nous sommes ballottés ? avons-nous besoin de votre parole pour être fermes ? Il prévient l’objection en ces termes : « C’est-à-dire, pour me consoler avec vous par cette foi, qui est tout ensemble votre foi et la mienne ». Comme s’il disait Ne supposez point que je vous ai dit cela par manière de reproche ; ce n’était point là mon intention : qu’ai-je donc voulu vous dire ? Vous avez beaucoup souffert de la part de vos persécuteurs, j’ai donc désiré vous voir pour vous consoler, et non seulement pour vous consoler, mais encore pour recevoir moi-même de la consolation.
4. Voyez la sagesse de ce maître ! « Pour vous fortifier », dit-il. Il sentait que son langage était désagréable et pénible pour ses disciples, et il ajoute : « Pour vous consoler ». Quoique ces expressions soient plus douces que les premières, elles contiennent cependant encore quelque chose de désagréable. Aussi leur ôte-t-il encore ce caractère, en mitigeant absolument son langage, de manière à le rendre tout à fait acceptable. Car il ne dit pas simplement : Pour vous consoler, mais : « Pour me consoler avec vous », et non content de cela, il apporte encore un nouvel adoucissement en disant : « Par cette foi qui est tout ensemble votre foi et la mienne ». O ciel ! quelle humilité ! Il laisse entendre qu’ils n’ont pas seulement besoin de lui, mais qu’il a aussi besoin d’eux : il place les disciples au rang de maître, et abdique tout privilège pour être l’égal de tous. Le profit, leur dit-il, nous sera commun : j’ai besoin de votre consolation, et vous de la mienne. Et comment cela ? « Par « cette foi, qui est tout ensemble votre foi et la « mienne ». Car comme en allumant beaucoup de lampes, on produit une grande clarté, ainsi en est-il parmi les fidèles. En effet, quand nous sommes séparés les uns des autres, nous avons moins de courage ; mais quand nous nous voyons mutuellement, et que nous sommes rapprochés comme les membres d’un même corps, nous sommes singulièrement consolés. Toutefois, ne comparez point ce temps-là au temps présent où, par la grâce de Dieu, les fidèles sont nombreux dans les bourgades, dans les villes, et même dans les déserts, où l’impiété se trouve refoulée ; mais reportez-vous à cette époque et songez combien il était doux au maître de voir ses disciples, et aux frères de voir des frères venus d’autres cités. Éclaircissons cela par un exemple.
Si par hasard (et que le ciel nous en garde !) nous nous trouvions transportés chez les Perses, chez les Scythes ou d’autres barbares, et dispersés par deux ou trois, dans leurs villes, imaginez quelle consolation nous éprouverions à voir tout à coup arriver d’autres endroits quelques-uns des nôtres. Ne voyez-vous pas les prisonniers se lever et s’élancer par l’effet de la joie, quand ils reçoivent la visite d’un ami ? Et ne vous étonnez pas que je compare ces temps-là à la captivité et à la prison ; car les fidèles souffraient encore bien davantage, dispersés qu’ils étaient, repoussés, en proie aux horreurs de la faim et de la guerre, craignant la mort tous les jours, obligés de se défier de leurs amis, de leurs parents, de leurs proches, étrangers au milieu du monde, et plus malheureux même que des exilés. Voilà pourquoi Paul dit : « Pour vous fortifier et me consoler avec vous, par notre foi commune ». Non pas qu’il ait besoin de leur secours, loin de là ; comment en aurait-il besoin, lui, la colonne de l’Église, lui plus solide que le fer et la pierre, lui, le diamant spirituel, lui, qui suffit à d’innombrables cités ? Mais pour ne pas les blesser, pour adoucir la correction, il leur dit que leur consolation lui est nécessaire. Du reste on ne se tromperait pas en disant qu’il y avait un sujet de consolation et de joie dans la foi et les progrès des fidèles, et que Paul en avait besoin. – Mais, pouvait-on lui dire, si vous désirez si vivement recevoir et donner cette consolation, qui vous empêche d’aller là ?
Pour répondre à cette objection, il ajoute « Aussi je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que je me suis souvent proposé d’aller vers vous, mais j’en ai été empêché jusqu’à « présent (13) ». Voyez là une preuve de sa parfaite obéissance et de sa profonde gratitude. Il dit bien qu’il a été empêché, mais il ne dit pas par quoi. Il ne discute point les ordres du Maître, il se contente d’y obéir. Il y avait cependant lieu de demander pourquoi Dieu privait si longtemps d’un pareil docteur une ville si illustre, si grande, et sur laquelle le monde entier avait les yeux fixés. En effet, en s’emparant d’une capitale on se rend maître de tout l’empire ; mais la laisser pour s’attaquer aux lieux qui en dépendent, c’est négliger le point essentiel. Cependant Paul ne se livre point à ces inutiles recherches ; il obéit à un ordre de la Providence, sans le comprendre, nous faisant voir par là sa modération et nous apprenant à ne jamais demander à Dieu raison des événements, quand bien même beaucoup en paraîtraient troublés. Car c’est au maître à commander, et aux serviteurs à obéir. Voilà pourquoi Paul dit qu’il a été empêché, sans dire pour quelle raison. Je n’en sais rien, leur dit-il, ne me demandez pas quel est le dessein, quelle est la volonté de Dieu. Ce n’est point au vase à dire au potier : « Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? » (Rom. 9,20) Pourquoi, je vous le demande, voudriez-vous savoir cela ? Ne savez-vous pas que Dieu a soin de tout, qu’il est sage, qu’il ne fait rien sans raison et au hasard ? qu’il vous aime plus que vos parents ? que son amour pour vous surpasse celui d’un père, sa tendresse celle d’une mère ? Ne demandez donc rien de plus, n’allez pas plus loin ; en voilà assez pour votre consolation ; puisque alors tout était en règle à Rome. Si vous ignorez comment, ne vous en inquiétez point. C’est là surtout le propre de la foi, d’accepter la conduite de la Providence sans en connaître les raisons.
5. Après avoir ainsi atteint le but que son zèle se proposait, (et quel était-il, sinon de leur montrer que s’il n’allait pas les voir, ce n’était point par mépris, mais parce qu’il en était empêché ?) après s’être justifié du reproche de négligence, et leur avoir prouvé qu’il n’est pas moins désireux de les voir qu’ils ne le sont eux-mêmes, il donne encore d’autres preuves de son amour. Pour avoir été empêché, leur dit-il, je n’ai point cessé mes efforts ; toujours j’essayais, toujours les obstacles survenaient, et je ne me désistais point ; sans m’opposer à la volonté de Dieu, je restais fidèle à l’amour. En se proposant toujours, en ne se désistant jamais, il prouvait sa charité ; en rencontrant des obstacles et en s’y soumettant, il prouvait son extrême amour pour Dieu. « Pour obtenir « quelque fruit parmi vous ». Bien qu’il ait donné plus haut le motif de son désir, motif bien digne de lui, il y revient cependant encore ici, pour dissiper entièrement leur soupçon. Car comme leur ville était remarquable, sans rivale pour la beauté sur terre et sur mer, et que beaucoup d’étrangers s’y rendaient uniquement pour la voir, de peur qu’on ne lui supposât quelque motif de ce genre, qu’on ne soupçonnât que Paul désirait faire connaissance avec eux pour s’en glorifier, il rappelle constamment la raison de son désir. Plus haut il a dit : « Je désirais vous voir pour vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle » ; ici il dit plus clairement : « Pour obtenir quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations ». Il met au même rang ceux qui commandent et ceux qui obéissent ; après des milliers de trophées et de victoires, malgré la gloire de tant de consuls, il les place avec les barbares, et avec raison ; car où règne la noblesse de la foi, il n’y a plus ni barbare, ni grec, ni étranger, ni citoyen, mais tous sont élevés à la même dignité.
Voyez encore ici sa modestie. Il ne dit pas Pour vous instruire, pour vous catéchiser. Que dit-il donc ? « Pour obtenir quelque fruit », non pas des fruits simplement, mais « quelque fruit », restreignant en quelque sorte son rôle, comme plus haut quand il disait : « Pour vous communiquer quelque chose ». Puis, comme je l’ai déjà dit, il comprime leur orgueil, en ajoutant : « Comme parmi les autres nations » ; c’est-à-dire, je n’en serai pas moins zélé pour les autres, parce que vous êtes puissants et que vous l’emportez sur eux ; ce ne sont pas des puissants mais des fidèles que nous cherchons.
Où sont maintenant ces sages si réputés chez les Grecs, ces philosophes à longue barbe, portant manteau et si pleins d’eux-mêmes ? Un fabricant de tentes a converti la Grèce et toutes les contrées barbares. Et ce Platon, si vanté, si célébré chez eux, après s’être rendu trois fois en Sicile, avec un grand fracas de mots, malgré la haute estime qu’on avait de lui, n’a pas même triomphé d’un tyran ; bien plus, il a si mal réussi qu’il a perdu sa liberté. Et ce fabricant de tentes a parcouru, non seulement la Sicile, non seulement l’Italie, mais le monde entier ; et tout en prêchant il a continué son métier, cousu des peaux, présidé à son atelier ; et les personnages consulaires ne s’en sont point scandalisés, ce qui était juste. Car ce ne sont point les métiers ni les occupations, mais bien le mensonge et les doctrines controuvées qui rendent ordinairement les maîtres méprisables. Voilà pourquoi même les Athéniens se moquent des uns, tandis que l’autre attire l’attention des barbares, des simples et des ignorants. Car la doctrine est pour tous ; elle ne connaît ni distinction de dignité, ni prééminence nationale, ni rien de semblable ; elle n’a besoin que de foi et non de raisonnements. Ce qu’il faut donc surtout admirer en elle, ce n’est pas qu’elle soit utile et salutaire, mais facile, très-aisée et accessible à tout le monde : ce qui est proprement l’œuvre de la Providence de Dieu, mettant ses biens à la portée de tous. Car ce qu’il a fait pour le soleil, pour la lune, la terre, la mer et les autres parties de la nature, n’en distribuant rien de plus aux riches et aux sages, rien de moins aux pauvres, mais donnant à tous la part égale ; il l’a fait aussi pour la prédication, et d’une manière plus marquée encore parce que c’est une chose plus nécessaire. Aussi Paul répète-t-il souvent : « A toutes les nations ». Ensuite, pour leur faire voir qu’il ne leur accorde aucune faveur, mais qu’il accomplit l’ordre du Maître, et pour les rappeler à la reconnaissance due à celui qui est le Dieu de tous, il ajoute : « Je suis redevable aux Grecs et aux barbares, aux sages et aux simples » ; expression qu’il employait déjà en écrivant aux Corinthiens. Par là, il rapporte tout à Dieu. « Ainsi, autant qu’il est en moi, je suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome (15) ».
6. O âme généreuse ! qui accepte une mission si pleine de périls, un voyage d’outremer, des tentations, des embûches, des séditions, (car en prêchant dans une si grande ville t dominée par l’impiété, il fallait s’attendre à d’innombrables épreuves : aussi y a-t-il fini sa vie, décapité par le tyran qui y régnait alors). Et cependant la prévision de tant de maux n’a nullement ralenti son zèle ; il est pressé, il souffre les douleurs de l’enfantement, il est plein d’ardeur. Aussi leur dit-il : « Autant qu’il est en moi, le suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome. Car je ne rougis point de l’Évangile… (16) ». Que dites-vous, Paul ? Quand il faudrait dire : Je me félicite, je me glorifie, je suis fier, vous ne le dites pas ; vous vous contentez de cette expression bien plus faible : « Je ne rougis point », dont nous n’avons pas coutume de nous servir dans des cas aussi glorieux. Que dit-il donc ? Pourquoi tient-il ce langage, bien qu’il se glorifie de l’Évangile plus que de la possession du ciel ? ; Car il écrit aux Galates : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». (Gal. 6,14)
Pourquoi ne dit-il pas ici : Je me glorifie, mais « Je ne rougis pas ? » Les Romains étaient fort épris des choses de ce monde à cause de leurs richesses, de leur puissance, de leurs victoires, de leurs souverains qu’ils estimaient à l’égal des dieux, à qui même ils en donnaient le nom, jusque-là qu’ils les honoraient par des temples, des autels et des sacrifices. Comme c’était à des hommes ainsi enflés d’eux-mêmes que Paul devait prêcher Jésus, celui qui était réputé le fils d’un artisan, qui avait été élevé en Judée dans la maison d’une humble femme, qui n’avait point de gardes, point de fortune, qui était mort comme un criminel entre des voleurs, et avait souffert beaucoup d’autres ignominies, et que vraisemblablement ils en rougiraient, eux qui ne savaient encore rien des grands mystères voilà pourquoi il se sert de ce terme : « Je ne « rougis pas », leur apprenant en même temps à ne point rougir eux-mêmes : bien convaincu que s’ils en venaient là, ils ne tarderaient pas à aller plus loin et à se glorifier aussi. Si donc jamais vous entendez quelqu’un vous dire : Tu adores le Crucifié ? N’en rougissez pas, ne baissez pas les yeux, mais soyez-en glorieux et fier, et recevez le reproche, l’œil serein et le front haut. Et s’il vous répète encore : Tu adores le Crucifié ? Répondez-lui : Oui, et non un adultère, ni un parricide, ni un meurtrier de ses enfants, (car tels sont tous les dieux des païens) ; mais celui qui par sa croix a fermé la bouche aux démons et détruit leurs innombrables artifices. Car la croix est l’œuvre d’un ineffable amour pour nous, la preuve d’une immense tendresse. De plus, comme ils se vantaient de leur éloquence, et s’enorgueillissaient de la sagesse profane : pour moi, leur dit Paul, ayant dit un éternel adieu à tous les raisonnements, je viens prêcher la croix, et n’en rougis point. « Parce qu’il est la vertu de Dieu pour sauver ». Parce qu’il est aussi la vertu de Dieu pour punir (en effet, quand Dieu punissait les Égyptiens, il disait Voilà l’effet de ma grande puissance), et encore la vertu pour détruire, (car il est écrit « Craignez celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer »). (Mt. 10,28) C’est pourquoi Paul dit : Ce que j’apporte n’est point pour la punition ni pour le supplice, mais pour le salut.
Quoi donc ? L’Évangile n’annonçait-il pas aussi tout cela, l’enfer, les ténèbres extérieures, le ver empoisonneur ? Nous ne connaissons ces vérités que par l’Évangile. Pourquoi donc dit-il : « La vertu de Dieu pour sauver ? » Mais écoutez ce qui suit : « Pour sauver tout croyant, le Juif d’abord, et puis le Grec » ; non pas tout le monde, mais seulement ceux qui croient. Fussiez-vous Grec, coupable de toute espèce de crimes, Scythe, Barbare, un monstre sauvage, chargé d’un poids de mille iniquités ; dès l’instant que vous acceptez la doctrine de la croix et que vous êtes baptisé, tout est effacé. Mais pourquoi dit-il : « Le Juif d’abord et puis le Grec ? » D’où vient cette différence ? Il a pourtant dit souvent que la circoncision et l’incirconcision ne servent de rien ; pourquoi donc distingue-t-il ici et place-t-il le Juif avant le Grec ? Oui, pourquoi cela ? Car enfin pour être le premier, on ne reçoit pas une plus grande abondance de grâce : le même don est fait à l’un et à l’autre : le rang n’est ici qu’une simple affaire de préséance. L’avantage ne consiste donc pas dans une justice plus parfaite, mais dans l’honneur de la recevoir le premier. Lorsqu’on initie les catéchumènes à la lumière spirituelle, ils vont tous au baptême, mais non à la même heure : l’un est le premier, l’autre le second ; cependant le premier ne reçoit pas plus que le second, ni celui-ci que le suivant ; tous jouissent du même avantage. Ainsi ce mot de premier est seulement un terme honorifique et n’implique point une grâce plus abondante. Ensuite après avoir dit « Pour sauver », il relève encore le don, en faisant voir qu’il ne se borne pas au temps présent, mais s’étend au-delà : ce qu’il exprime par ces mots : « La justice de Dieu, en effet, y est révélée par la foi et pour la foi, ainsi qu’il est écrit : Le juste vivra de la foi (17) ». Donc celui qui est devenu juste ne vivra pas seulement dans le siècle présent, mais aussi dans le siècle à venir.
Ce n’est pas tout : l’apôtre fait encore allusion à autre chose, à l’éclat et à la splendeur de cette autre vie. Et comme on peut être sauvé avec déshonneur, (ainsi qu’il arrive à ceux que la clémence royale exempte du châtiment), pour qu’on ne soupçonne rien de pareil, il ajoute : « Et la justice », non pas la vôtre, mais celle de Dieu : laissant entrevoir l’abondance de cette justice et la facilité avec laquelle elle s’obtient, car ce n’est point par vos sueurs ni par vos travaux que vous l’obtenez, mais par un don d’en haut, sans y rien apporter de votre côté que de croire. Puis, comme il semblait incroyable qu’un adultère, un libertin, un profanateur de tombeaux, un magicien, non seulement fussent tout à coup exempts de punition, mais encore devinssent justes, et justes de la justice d’en haut, il prouve sa proposition par l’Ancien Testament. Et d’abord il ouvre en peu de mots, à qui sait voir, le vaste océan de l’histoire. Après avoir dit : « Par la foi et pour la foi », il renvoie son auditeur aux traits de Providence consignés dans l’Ancien Testament, qu’il a exposés avec beaucoup de sagesse dans son Épître aux Hébreux, et démontre que déjà alors les justes et les pécheurs étaient justifiés ; c’est pourquoi il cite l’exemple de Rahab et d’Abraham. Ensuite, après cette simple indication, (car il est pressé de courir à un autre sujet), il prouve sa thèse par les prophètes, en produisant le témoignage d’Habacuc, qui s’écrie et dit que celui qui doit vivre ne peut vivre que par la foi. Car « le juste », dit-il en parlant de la vie à venir, « vivra de la foi ». En effet, puisque les dons de Dieu surpassent toute intelligence, la foi nous est évidemment nécessaire. Par conséquent l’incrédule, le dédaigneux et l’orgueilleux n’aboutiront à rien.
Que les hérétiques écoutent la voix de l’Esprit. Car telle est la nature des raisonnements c’est une sorte de labyrinthe, d’énigme, qui n’a point d’issue, ne permet point à la raison de s’établir sur la pierre, et prend son origine dans l’orgueil. Rougissant de se soumettre à la foi et de paraître ignorer les choses du ciel, ils se perdent dans le brouillard de mille pensées. Ensuite, ô mortel infortuné, misérable et digne d’une extrême pitié ! si l’on te demande comment le ciel et la terre ont été faits ; que dis-je, le ciel et la terre ? comment tu as été engendré, comment tu as été nourri, comment tu as grandi, tu ne rougis pas de ton ignorance ; mais si on parle du Fils unique, tu te jettes dans un abîme de perdition, par honte, parce que tu crois indigne de toi de ne pas tout savoir ? Ce qui est indigne, c’est de discuter et de raisonner hors de propos. Mais pourquoi parler de dogmes ? Nous ne pouvons même échapper aux misères de la vie présente que par la foi. Car c’est par elle qu’ont brillé tous ces hommes illustres, Abraham, Isaac, Jacob ; par elle la prostituée a été sauvée et dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. « C’est par la foi », est-il écrit, « que Rahab, femme de mauvaise vie, ne périt point avec les incrédules, ayant reçu pacifiquement les espions ». (Héb. 11,31) Elle ne s’est point dit : Comment ces prisonniers, ces fuyards, ces émigrants, ces vagabonds, triompheront-ils de nous qui avons une ville, des remparts et des tours ? Si elle se fût tenu ce langage, elle se serait perdue avec les autres, comme avaient fait les ancêtres des espions qui étaient sauvés ce jour-là. Car voyant des hommes de haute taille, ils désespérèrent et périrent sans combat, sans coup férir. Voyez-vous quel abîme c’est que l’impiété, et quel rempart c’est que la foi ? L’une a détruit d’innombrables multitudes, et l’autre a non seulement sauvé une femme de mauvaise vie, mais en a fait la protectrice d’un grand peuple.
Instruits de ces choses et de beaucoup d’autres, ne demandons jamais compte à Dieu des événements, mais acceptons tout ce qu’il ordonne, et ne raisonnons jamais, ne discutons jamais, quand même ses ordres sembleraient absurdes à la sagesse humaine. Qu’y a-t-il, dites-moi, de plus absurde en apparence que de commander à un père d’immoler son fils unique ? Et pourtant le juste qui recevait cet ordre, ne le discuta point, mais l’accepta et le remplit, par égard pour celui qui l’avait donné. Un autre qui avait reçu de Dieu l’ordre de frapper un prophète, trouva le commandement absurde et fut frappé de mort pour ne l’avoir point accompli, tandis que celui qui l’exécuta fut agréé de Dieu. Et Saül, pour avoir épargné des hommes contre l’ordre de Dieu, perdit la couronne et souffrit des douleurs insupportables. On pourrait citer bien d’autres exemples qui nous apprendraient qu’il ne faut jamais demander à Dieu raison de ses ordres, mais y céder et obéir. Que s’il est dangereux de discuter ce que Dieu commande, et si le dernier supplice en est la punition, comment s’excuseront un jour ceux qui essaient de scruter des mystères beaucoup plus profonds, beaucoup plus terribles, par exemple, comment et par quel procédé Dieu engendre son Fils, quelle est sa substance ? Convaincus de ces vérités, accueillons avec la meilleure volonté possible la foi, source de tous les biens, afin que, naviguant comme en un port tranquille, nous conservions les saines croyances, et que, réglant notre vie en toute sécurité, nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartiennent au Père la gloire, la puissance, l’honneur et l’adoration, en même temps qu’au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE III. modifier


PUISQU’ON Y DÉCOUVRE LA JUSTICE DE DIEU ÉCLATANT DU CIEL CONTRE TOUTE L’IMPIÉTÉ, ET L’INJUSTICE DE CES HOMMES QUI RETIENNENT LA VÉRITÉ DANS L’INJUSTICE. (18 JUSQU’À 25)

Analyse. modifier

  • 1. La colère de Dieu se montre dès cette vie même pour châtier les péchés soit des particuliers, soit des peuples, mais au dernier jour cette colère éclatera plus manifestement, et d’une manière plus terrible.
  • 2. Les philosophes, instruits par le spectacle de la création, ont connu le Dieu créateur.
  • 3. Les philosophes ont rendu aux idoles ce qu’ils devaient rendre à Dieu.
  • 4. Dieu, pour les punir, les â laissés s’enfoncer dans les vices les plus abominables.


1. Voyez la prudence de Paul ; comment, après avoir traité des questions agréables, il passe ensuite à des sujets plus terribles. Après avoir dit que l’Évangile est le principe du salut et de la vie, qu’il est la vertu de Dieu, qu’il a opéré le salut et la justice, il énonce ensuite des vérités capables d’épouvanter ceux qui ne le pratiquent point. Et comme la plupart des hommes sont plutôt poussés à la vertu par la crainte du mal, qu’ils n’y sont attirés par la promesse du bien, l’apôtre emploie ici l’un et l’autre motifs. C’est pourquoi Dieu a non seulement promis le royaume, mais aussi menacé de l’enfer ; et les prophètes en usaient de même avec les Juifs, entremêlant toujours dans leurs discours la crainte des maux et la promesse des biens. Paul varie ainsi son sujet, mais non au hasard ; il commence par les choses agréables, puis passe aux choses tristes, en montrant que les premières sont l’effet de la volonté divine et les autres le résultat de la malice humaine. Le prophète avait procédé de cette façon : « Si vous le voulez et que vous m’écoutiez, vous mangerez les biens de la terre ; si vous refusez et que vous ne m’écoutiez pas, le glaive vous dévorera ». (Is. 19,20) Paul débute ici de la même manière. Voyez en effet. Le Christ, dit-il, est venu apporter le pardon, la justice, la vie ; et non sans peine, mais par la croix ; et le plus étonnant n’est pas qu’il ait fait de tels dons, mais qu’il ait souffert de tels supplices. Si donc vous méprisez ces dons, un triste sort vous est réservé. Et voyez comme il élève le ton. « Puisqu’on y découvre », dit-il, « la colère de Dieu éclatant du ciel ». Et comment le voit-on ? Si c’est un fidèle qui fait cette question, nous lui répondrons par les paroles mêmes du Christ ; si c’est un infidèle ou un grec, Paul va lui fermer la bouche par ce qui suit, où il traite des jugements de Dieu, et tire de leur conduite un argument irréfragable : chose on ne peut plus étonnante, puisqu’il prétend apporter en preuves de la vérité ce qu’en disent et font tous les jours les adversaires mêmes de la vérité. Mais nous verrons cela plus tard ; en attendant attachons-nous à notre sujet.
« Puisqu’on y découvre la colère de Dieu a éclatant du ciel ». Mais, dira-t-on, cela arrive souvent même dès cette vie, parla faim, par la peste, par la guerre : car en général comme en particulier, tous sont punis. Qu’y a-t-il donc là d’extraordinaire ? C’est que le supplice futur sera plus grand, qu’il sera commun et n’aura pas le même but ; car ici-bas, il sert à corriger, là il ne servira qu’à punir. C’est ce que Paul indique ailleurs par ces mots. « Nous sommes repris maintenant, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde ». (1Cor 11,32) Ici-bas même, beaucoup pensent que ces accidents proviennent de la malice des hommes et non de la colère divine ; mais là-bas, la vengeance de Dieu se manifestera clairement, lorsque, assis en qualité de juge, sur son redoutable tribunal, il ordonnera de traîner ceux-ci dans les fournaises, ceux-là dans les ténèbres extérieures, d’autres à d’autres supplices inévitables et intolérables tout à la fois. Et pourquoi l’apôtre ne dit-il pas ouvertement que le Fils de Dieu viendra, entouré d’une multitude d’anges, faire rendre compte à chacun, mais, « qu’on y découvre la colère de Dieu ? » C’est que ses auditeurs étaient encore néophytes ; voilà pourquoi il les attire d’abord par des raisons admises chez eux sans difficulté. D’ailleurs il me semble s’adresser aussi aux Grecs, et c’est ce qui explique son début ; puis il arrive enfin à parler du jugement du Christ.
« Contre l’impiété et la justice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l’injustice ». Ici il indique que l’impiété a bien des voies et que la vérité n’en a qu’une : car l’erreur est variée, multiforme et pleine de confusion, tandis que la vérité est une. Après avoir parlé des dogmes, il parle de la conduite et mentionne l’injustice des hommes. Les injustices en effet, sont bien diverses : celle-ci a rapport à l’argent, quand quelqu’un vole son prochain ; celle-là aux femmes, quand on quitte la sienne pour abuser de celle d’un autre. C’est ce que Paul appelle une fraude, quand il dit : « Que personne n’opprime et ne trompe en cela son frère » (1Thes. 4,6) ; d’autres, tout en respectant la femme et l’argent du prochain, nuisent à sa réputation, ce qui est encore une injustice : « Car une bonne renommée est préférable à de grandes richesses ». (Prov. 22,1) Quelques-uns disent que Paul traite encore ici la question dogmatique : rien n’empêche d’admettre qu’il s’agit de l’un et de l’autre. Quant au sens de ces paroles : « Retienne la vérité dans l’injustice », vous l’apprendrez par la suite. « Car ils ont connu ce qui se peut découvrir de Dieu (19) ». Mais ils ont attribué cette gloire au bois et à la pierre.
2. De même que celui qui a la garde des trésors du roi et commission de les dépenser pour sa gloire, est puni comme coupable de lèse-majesté, s’il les distribue à des voleurs, à des prostituées et à des magiciens, de manière à les faire briller aux dépens du souverain ; ainsi en est-il de ceux qui ayant connu Dieu et sa gloire, ont prostitué cette gloire aux idoles, ont retenu la vérité dans l’injustice, outrageant leurs propres connaissances, autant qu’il était en eux, par l’abus qu’ils en faisaient. Comprenez-vous maintenant, ou faut-il vous expliquer cela plus clairement ? Peut-être faudrait-il aller plus loin. Quel est donc le sens de ces paroles ? Dieu s’est fait connaître aux hommes dès le commencement ; mais les Gentils appliquant cette connaissance à du bois, à de la pierre, ont outragé la vérité, autant qu’il était en eux ; car la vérité est immuable, et sa gloire ne saurait changer. Mais comment savons-nous, ô Paul, que Dieu s’est révélé à eux ? « Parce que », nous répond-il, « ils ont connu ce qui se peut découvrir de Dieu ». Mais c’est là une affirmation, et non une preuve ; démontrez-moi, faites-moi voir que la connaissance de Dieu leur a été donnée et qu’ils l’ont volontairement négligée. Comment donc était-elle manifeste ? Leur avait-il parlé d’en haut ? Nullement : mais il avait fait ce qui devait les attirer mieux qu’une voix : il avait créé l’univers, de manière à ce que le savant et l’ignorant, le scythe et le barbare, devinant la beauté de Dieu parle seul aspect des choses visibles, pussent remonter jusqu’à lui. Voilà pourquoi Paul dit : « En effet, ses perfections invisibles sont rendues compréhensibles depuis la création du monde, par les choses qui ont été faites… (20) » ; ce que le prophète disait déjà : « Les cieux racontent la gloire de Dieu ».
Que disent alors les Grecs ? Nous vous avons ignoré. Eh ! n’avez-vous pas entendu le ciel parler par son seul aspect ; cette magnifique harmonie de l’ensemble, plus éclatante qu’un son de trompette ? Ne voyez-vous pas cette régularité constante de la nuit et du jour ? cette ordonnance fixe, invariable, de l’hiver, du printemps et des autres saisons ? la docilité de la mer au milieu du trouble et des tempêtes ? tout l’ensemble soumis aux lois de l’ordre, et, par sa beauté et par sa grandeur, proclamant l’ouvrier ? Résumant cela et bien d’autres choses encore, Paul dit : « Car ses perfections invisibles, rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité, de sorte qu’ils sont inexcusables ». Ce n’était point dans ce but que Dieu avait fait ces choses, bien que le résultat ait eu lieu. Ce n’était pas pour les rendre inexcusables qu’il avait créé de tels enseignements ; mais pour qu’ils le connussent, et, par leur ingratitude, ils se sont ôté toute excuse. Et pour faire voir comment ils sont inexcusables, l’apôtre ajoute : « Parce que ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces… (21) ».
Voilà un premier crime, et il est énorme. Un second, c’est qu’ils ont adoré les idoles, comme Jérémie les en accusait en disant « Ce peuple a commis deux iniquités ; ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes percées ». (Jer. 2,13) Ensuite pour preuve que, connaissant Dieu, ils n’ont point usé de cette connaissance comme ils le devaient, Paul donne ce signe qu’ils ont reconnu des dieux ; ce qui lui fait dire : « Parce qu’ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu ». Et il donne la raison de cette immense folie. Quelle est-elle ? Ils ont tout remis aux raisonnements. Il ne dit pas cela aussi simplement, mais avec beaucoup plus de force : « Mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur cœur insensé a été obscurci ». Car de même que celui qui s’engage dans un chemin inconnu, ou se met en mer par une nuit obscure, périt bientôt, bien loin d’atteindre son but : ainsi ces hommes, en essayant de suivre la voie qui mène au ciel, en s’ôtant la lumière pour lui substituer leurs propres raisonnements, en cherchant dans les corps celui qui n’a pas de corps, dans les figures celui qui n’a pas de figure, ont fait le plus misérable naufrage. Outre cela, Paul donne encore une autre raison de leur erreur, quand il dit : « En disant qu’ils étaient sages, ils sont devenus fous (22) ». Ayant une haute idée d’eux-mêmes, et dédaignant de suivre la voie que Dieu leur avait tracée, ils se sont noyés dans leurs folles pensées. Ensuite dépeignant ce naufrage et faisant voir combien il était triste et inexcusable, il ajoute : « Et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles (23) ».
3. Voilà le premier chef d’accusation, ils n’ont pas trouvé Dieu ; le second, ils en ont eu de grandes et évidentes occasions ; le troisième, ils se sont dits sages ; le quatrième, non seulement ils n’ont pas trouvé Dieu, mais ils ont prostitué leur culte aux démons, à la pierre et au bois. Il combat aussi cet orgueil dans, son épître aux Corinthiens, mais non de la même manière qu’ici. Là il les condamne par la croix, en disant : « Car ce qui est folie en Dieu est plus sage que les hommes » (1Cor. 1,25) ; ici, sans établir de comparaison, il raille cette sagesse en elle-même, démontrant qu’elle est une folie et une preuve d’orgueil. Et pour vous bien faire comprendre qu’ils avaient la connaissance de Dieu et qu’ils l’ont trahi, il se sert de cette expression : « Ils ont changé ». Or celui qui change a quelque chose à donner en place. Ils voulaient trouver davantage et dépasser les bornes fixées ; par là ils ont perdu ce qu’ils avaient, car ils étaient avides de nouveauté. Tels ont été les Grecs en tout. Voilà pourquoi ils né s’accordaient point entre eux ; Aristote combattit Platon, puis les Stoïciens déblatérèrent contre lui, et d’autres guerres se déclarèrent ; en sorte qu’ils sont moins admirables pour leur sagesse que dignes d’aversion et de haine pour la folie qui en est résultée. Car ils n’eussent point éprouvé un tel sort, s’ils n’avaient tout confié à leurs propres raisonnements, à leurs argumentations et à leurs sophismes. Ensuite, poursuivant ses accusations, Paul se raille de toutes leurs idolâtries. C’est surtout l’échange qui est ridicule ; avoir échangé Dieu contre de tels objets, c’est absolument inexcusable. Voyez en effet contre quoi ils ont échangé et à quels êtres ils ont conféré la gloire. Il a fallu imaginer que tel être était Dieu, maître de toutes choses, créateur capable de pourvoir et d’administrer : car c’est là la gloire de Dieu. Et à qui l’ont-ils attribuée, cette gloire ? Non à des hommes, mais à une image représentant un homme corruptible.
Et ils ne s’en sont pas tenus là, mais ils sont descendus jusqu’à des animaux stupides, voire même aux images de ces animaux. Et voyez la sagesse de Paul : comme il pose les deux extrêmes, Dieu, l’être suprême et les reptiles les plus vils, et non seulement les reptiles, mais leurs images, pour mieux faire ressortir leur folie. Car la notion qu’il fallait avoir de l’Être incomparablement le plus grand, ils l’ont appliquée à ce qu’il y a incomparablement de plus vil. Eh ! qu’est-ce que cela fait aux philosophes, direz-vous ? Ce sont eux surtout que cela regarde. Car ils ont pour maîtres les Égyptiens, inventeurs de ces choses : Platon, qui passe pour le plus digne d’entre eux, s’en glorifie, et son maître lui-même honore les idoles, lui qui ordonne de sacrifier un coq à Esculape. Là on voit des images d’animaux et de reptiles, et parmi elles Apollon et Bacchus qui partagent le même culte. Quelques-uns de ces philosophes ont introduit dans le ciel des taureaux, des scorpions, des dragons et d’autres êtres non moins ridicules : car partout le démon s’est efforcé de rabaisser les hommes devant des images de reptiles, et de soumettre aux plus stupides des animaux ceux que Dieu voulait élever au-dessus du ciel. Et ce n’est pas en cela seulement, mais encore sur d’autres points, que vous verrez leur chef encourir les reproches dont nous venons de parler. Car quand il réunit les poètes et affirme qu’il faut admettre ce qu’ils disent de la divinité, il ne produit qu’un amas de niaiseries, il veut néanmoins qu’on croie comme vraies toutes ces absurdités.
« C’est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leurs cœurs, à l’impureté, en sorte qu’ils ont déshonoré leurs propres corps en eux-mêmes (24) ». Paul fait voir par là que l’impiété est le principe de la violation des lois. Ici « livrer » veut dire laisser aller. Car de même qu’un général d’armée en se retirant au fort de la mêlée, livre ses soldats, non pas précisément en les poussant vers l’ennemi, mais en les privant de son secours ; ainsi Dieu, après avoir fait tout ce qu’il devait faire, a abandonné ceux qui refusaient ses dons et s’éloignaient de lui les premiers. Et voyez pour enseignement il avait créé le monde, il avait donné à l’homme l’intelligence et une âme capable de comprendre le devoir. Les hommes de ce temps-là n’ont point usé de ces dons pour leur salut, mais les ont détournés à une fin toute contraire. Que fallait-il donc faire ? user de force et de violence ? Mais ce n’est plus faire des hommes vertueux. Il n’y avait donc plus qu’à laisser faire, et c’est le parti que Dieu a pris, afin que, ayant connu par expérience les objets de leurs désirs, ils se dérobassent à la honte. En effet, si le fils d’un roi, méprisant son père, aime mieux vivre parmi des brigands, des assassins ou des voleurs sacrilèges ; et préfère leur compagnie au séjour de la maison paternelle, le père l’abandonne jusqu’à ce que l’expérience lui ait fait sentir l’excès de sa folie.
4. Mais pourquoi l’apôtre ne mentionne-t-il pas d’autres péchés, comme par exemple l’homicide, l’avarice, et ne parle-t-il que de l’impureté ? Il me semble faire ici allusion à ceux qui l’écoutaient alors, et à ceux à qui s’adressaient sa lettre. « À l’impureté, en sorte qu’ils ont déshonoré leurs propres corps en eux-mêmes ». Voyez la force de ces expressions. Ils n’ont pas eu besoin, dit-il, que d’autres les déshonorassent ; ils se sont traités eux-mêmes comme les eussent traités des ennemis. Puis remontant encore à la cause, il ajoute : « Eux qui ont transformé la vérité de Dieu en mensonge, adoré et servi la créature plutôt que le Créateur (25) ». Il parle en particulier de ce qu’il y avait de plus ridicule, et en général de ce qui semblait plus sérieux, mais par l’un et par l’autre il montre que le culte de la créature était le propre des Grecs. Et voyez comme il explique sa pensée. Il ne dit pas simplement : ils ont adoré la créature, mais il ajoute : « Au lieu du créateur » ; faisant ressortir par là la gravité du crime et leur ôtant par ce rapprochement tout espoir de pardon.
« Qui est béni dans les siècles. Ainsi soit-il ». Mais Dieu n’en a point souffert, ajoute-t-il ; car il est béni dans les siècles. Il montre ici que si Dieu les a abandonnés, ce n’est point pour se venger, puisqu’il n’a éprouvé aucun dommage. S’ils lui ont fait injure, leur injure ne l’a point atteint ; sa gloire n’en a point été diminuée, mais il demeure toujours béni. Car si souvent un philosophe ne souffre point des injures qu’on lui adresse, à bien plus forte raison Dieu, nature indestructible et immuable, gloire invariable et immortelle. Et c’est en cela que les hommes ressemblent à Dieu, quand ils ne souffrent point des outrages, des injures, des coups, des railleries dont on les poursuit. Et comment cela se peut-il, direz-vous ? Cela est possible, très-possible : c’est en ne s’affligeant point de ces accidents. Et comment, dites-vous encore, ne pas s’en affliger ? Eh ! comment peut-on s’en affliger au contraire ? Dites-moi : si votre petit enfant vous injuriait, prendriez-vous ses injures pour des injures ? Vous en affligeriez-vous ? Pas le moins du monde ; autrement, ne seriez-vous pas ridicule au dernier point ? Soyons dans les mêmes dispositions à l’égard du prochain, et nous n’éprouverons rien de fâcheux, (ceux qui injurient ont moins de raison que des enfants) ; ne cherchons point à éviter les injures, supportons courageusement celles qu’on nous adresse, car c’est là le véritable honneur. Pourquoi ? parce que vous êtes le maître de souffrir l’injure, et un autre est maître de vous l’infliger. Ne voyez-vous pas le diamant renvoyer les coups dont on le frappe ? mais, direz-vous, c’est sa nature. Vous pouvez par volonté devenir ce qu’il est par nature. Quoi, n’avez-vous pas vu les trois enfants rester sains et saufs dans la fournaise ? Daniel ne rien souffrir dans la fosse aux lions ? Cela peut se reproduire encore aujourd’hui, car nous avons encore des lions, la colère, la concupiscence, armés de dents terribles et prêts à déchirer leurs victimes. Soyez donc semblable à Daniel, et ne souffrez point que les passions portent la dent sur votre âme. Mais, direz-vous, la grâce faisait tout chez Daniel. C’est vrai, mais soit parce que sa volonté la dirigeait. En sorte que si nous voulons lui ressembler, la grâce est encore là pour nous aider ; et quoique tourmentées par la faim les bêtes féroces ne vous toucheront pas. Si elles ont respecté le corps d’un esclave, comment ne s’apaiseraient-elles pas à la vue des membres du Christ ? (Car, en qualité de fidèles, nous sommes les membres du Christ). Si donc elles ne s’apaisent pas, la faute en est à ceux qui deviennent leur proie. Il en est, en effet, beaucoup qui fournissent une abondante pâture à un lion, en entretenant des femmes perdues, en commettant l’adultère, en se vengeant de leurs ennemis ; en sorte qu’ils sont déjà déchirés avant de toucher le sol. Cela n’arriva point à Daniel, et ne nous arrivera point non plus si nous le voulons ; nous serons même encore plus favorisés que lui.
En effet les lions se sont contentés de ne point lui nuire ; mais nos ennemis nous seront utiles, si nous veillons sur nous. Ainsi Paul sortit glorieux des injustices et des embûches qu’on lui tendait ; ainsi Job accablé de coups, Jérémie jeté dans une fosse pleine de boue, Noé au milieu du déluge, ainsi Abel attiré dans un piège, ainsi Moïse parmi les Juifs altérés de sang, ainsi Élisée, ainsi, dis-je, tous ces grands hommes ont gagné leur brillante couronne, non au sein du repos et du plaisir, mais parmi les afflictions et les épreuves. Aussi le Christ connaissant ce principe de gloire, disait-il à ses disciples : « Dans le a monde vous aurez des tribulations ; mais ayez confiance : j’ai vaincu le monde ». (Jn. 16,33) Quoi donc ? direz-vous, un grand nombre n’ont-ils pas succombé à l’adversité ? Oui, mais par leur lâcheté, et non par la nature même des épreuves. Que celui donc qui nous fait tirer profit de la tentation en sorte que nous puissions y résister, nous assiste tous et nous tende la main afin que, glorieusement proclamés, nous obtenions les couronnes éternelles, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui appartiennent au Père et au Saint-Esprit la gloire, l’honneur, la force, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IV. modifier


C’EST POURQUOI DIEU LES A LIVRÉS A DES PASSIONS D’IGNOMINIE. CAR LEURS FEMMES ONT CHANGÉ L’USAGE NATUREL EN UN AUTRE QUI EST CONTRE NATURE. ET PAREILLEMENT LES HOMMES, L’USAGE NATUREL DE LA FEMME, ABANDONNÉ, ONT BRÛLÉ DE DÉSIRS L’UN POUR L’AUTRE. (26, 27)

Analyse. modifier

  • 1. Parce que les païens ont abandonné Dieu pour les idoles, Dieu à son tour les a abandonnés, et leur sagesse humaine ne les a pas empêchés de tomber dans les désordres les plus abominables. – Des œuvres sataniques sont la conséquence nécessaire de croyances sataniques. —. Malheur à l’homme qui oublie et abandonne Dieu !
  • 2. Le vice contre nature devenu, en vertu d’une loi de Solon, un privilège des hommes libres chez les Athéniens ! – Que les livres des philosophes sont pleins de cette peste.
  • 3 et 4. Quel enfer serait assez dévorant pour de telles abominations. – A ceux qui ne croient pas à l’enfer, l’orateur cite l’embrasement de Sodome, image et preuve permanente de l’enfer. – Ne point perdre la crainte de Dieu. – Vanité des grands du monde.


1. Toutes les passions sont ignominieuses, mais surtout la sodomie : car l’âme souffre plus, est plus déshonorée par les péchés que le corps par Les infirmités. Et voyez comment l’apôtre ici, comme à propos des dogmes ; leur ôte tout espoir de pardon, en disant d’abord des femmes : « Elles ont changé l’usage naturel ». Personne, dit-il, ne peut prétendre ici que, privées de l’usage naturel du mariage, elles ont passé à l’autre ; ni que ne pouvant satisfaire leur désir, elles soient tombées dans ce désordre contre nature : car échanger suppose que l’on possède, ainsi qu’il le disait déjà en parlant des croyances : « Ils ont transformé la vérité de Dieu en mensonge ».. Il en dit autant des hommes, mais d’une autre manière : « L’usage naturel de la femme étant abandonné ».A ceux-ci comme à celles-là, il ne laisse aucun moyen de défense ; il les accuse, non seulement d’avoir eu le moyen de jouir et de l’avoir abandonné pour un autre, mais d’avoir abandonné celui qui était naturel pour recourir à celui qui est contre, nature. Or ce qui est contre nature est plus pénible et plus désagréable ; car le vrai plaisir est conforme à la nature ; mais quand Dieu se retire, tout se renverse sens dessus dessous. Ainsi non seulement leur croyance était diabolique, mais aussi leur conduite.
Quand Paul, raisonnait sur les croyances, il mettait en scène le monde et l’âme humaine, en disant qu’à l’aide de l’intelligence donnée par Dieu, les hommes auraient pu, par l’aspect des choses visibles, remonter jusqu’au Créateur ; mais que, ne l’ayant pas voulu, ils étaient restés sans excuse. Ici, au lieu du monde visible, il invoque le plaisir naturel, dont ils pouvaient jouir avec plus de liberté et de satisfaction, en se soustrayant à l’ignominie ; niais ils ne l’ont pas voulu ; et déshonorant la nature elle-même, ils se sont rendus inexcusables ; et pour comble d’horreur, les femmes elles-mêmes recherchaient ces commerces, elles qui devaient avoir plus de pudeur que l’homme. Ici encore il faut admirer la prudence de Paul : Comment se trouvant entre deux points opposés, il les traite tous les deux avec une parfaite mesure. Il voulait tout à la fois parler chastement et faire impression sur l’auditeur : deux choses inconciliables et dont l’une nuit à l’autre. Car si votre langage est chaste, vous ne frapperez point ceux qui vous écoutent ; et si vous voulez être violent, vous serez obligé de parler en termes nus et sans voile. Mais cette âme prudente et sainte a su résoudre le problème, en aggravant l’accusation au nom de la nature, et en se servant de cette même nature, comme d’un voile pour sauver la décence de son langage. Après avoir d’abord parlé des femmes, il en vient aux hommes, et dit : « Et pareillement les hommes, l’usage naturel de la femme abandonnée » : ce qui est l’indice d’une extrême dépravation, parce que les deux sexes sont corrompus, et que celui qui est établi comme le maître de la femme, et celle qui a été créée comme aide de l’homme, se traitent mutuellement comme dès ennemis. Et voyez comme les expressions de l’apôtre sont énergiques ! Il ne dit pas qu’ils se sont aimés, désirés mutuellement ; mais : « Ils ont brûlé de désirs l’un pour l’autre ». Remarquez-vous que tout vient de l’excès de la passion, qui ne peut plus se contenir dans les bornes de la nature ? Car tout ce qui transgresse les lois de Dieu, porte à l’excès, et ne se tient point dans les limites prescrites. Car comme on voit souvent des hommes ayant perdu le goût des aliments, manger de la terre et de petites pierres, et d’autres brûlés par la soif, être avides d’une eau boueuse ; ainsi ils brûlaient d’un amour contraire à la loi. Et si vous demandez : D’où venait cet excès de la passion ? De ce que Dieu les avait abandonnés. Et pourquoi Dieu les avait-il abandonnés ? A cause de l’iniquité de ceux qui l’avaient abandonné les premiers. « L’homme commettant l’infamie avec l’homme ».
2. Pour avoir entendu ce mot : « Ils ont brûlé de désirs », n’allez pas vous imaginer, dit l’apôtre, que la maladie se bornait à la seule concupiscence : car le plus souvent cette concupiscence empruntait son feu de leur lâcheté. Aussi ne dit-il point entraînés ou préoccupés ; expressions qu’il emploie ailleurs. Que dit-il donc ? « Commettant ». Ils ont mis le péché à effet, et non seulement à effet, mais avec ardeur. Il ne dit pas le désir, mais proprement « l’infamie » ; car ils ont outragé la nature et foulé les lois aux pieds. Et voyez un peu la confusion qui s’ensuit des deux côtés. Tout est bouleversé et mis sens dessus dessous, ils sont devenus ennemis d’eux-mêmes et entre eux, en allumant une guerre terrible, multipliée, variée, plus cruelle qu’aucune guerre civile. En effet, ils lui ont donné quatre formes aussi vaines que contraires aux lois : car elle n’était pas seulement double ou triple, mais quadruple. Examinez un peu : l’homme et la femme de deux ne devaient faire qu’un : « Ils seront les deux en une seule chair », est-il écrit. (Gen. 2,24) Le désir de l’union conjugale produisait en effet, et réunissait les deux sexes. Le démon, en détruisant ce désir et lui en substituant un autre, a brisé le rapport d’un sexe à l’autre, a fait deux de ce qui n’était qu’un, contrairement à la loi de Dieu qui avait dit : « Ils seront les deux en une seule chair », tandis que lui partage une seule chair en deux. Voilà une première guerre.
Ensuite il a armé ces deux parties contre elles-mêmes et entre elles : car les femmes n’outrageaient pas seulement les hommes, mais aussi les femmes ; et les hommes à leur tour, non contents de se faire la guerre, la faisaient aussi au sexe féminin, comme dans un combat de nuit. Voyez-vous une seconde et une troisième guerre, et même une quatrième et une cinquième ? Il y en a encore une autre outre ce que nous avons dit, ils outrageaient encore les lois de la nature elle-même. Car le démon s’apercevant que le désir portait surtout un sexe vers l’autre, s’est attaché à briser ce lien ; en sorte que le genre humain tendait à sa destruction, non seulement par le défaut de génération, mais aussi par suite de la division et de la guerre qui régnaient entre les sexes.
« Et recevant ainsi en eux-mêmes la récompense qui était due à leur égarement ». Voyez comme il revient encore à la source du mal, l’impiété dogmatique, et fait voir que d’elle dérivaient ces désordres. Comme en parlant de l’enfer et de ses supplices, il ne paraissait point digne de foi aux impies et à ceux qui avaient adopté ce genre de conduite, qu’il leur semblait même ridicule, il leur prouve que la volupté renferme, en elle-même son châtiment. S’ils ne le sentent pas, s’ils jouissent même, ne vous en étonnez pas : les furieux, les frénétiques, tout en se blessant et en se maltraitant misérablement, tout en excitant la pitié chez les autres, rient et sont heureux de ce qu’ils font. Nous ne les disons pas pour cela exempts du châtiment ; nous les disons au contraire d’autant plus punis qu’ils ignorent leur état. Car ce ne sont pas les malades, mais ceux qui se portent bien qu’il faut consulter ; d’ailleurs c’était anciennement chez eux une loi, un ordre de leur législateur que la friction sèche[1] et la pédérastie fussent interdites aux esclaves ; ces privilèges, ou plutôt ces turpitudes, étaient réservées aux hommes libres. Cependant ils ne voyaient point là d’infamie ; c’étaient une chose honnête, mais trop relevée pour un esclave et digne seulement d’un homme libre : telle était l’opinion des Athéniens, le plus sage des peuples, et de leur illustre Solon. Et l’on retrouverait cette maladie dans beaucoup de livres de philosophes. Nous ne disons cependant pas pour cela que ce fût une loi pour tous, mais que ceux qui la subissaient, étaient misérables et dignes d’une grande pitié. Car ils éprouvaient ce qu’éprouvent les prostituées, et pire encore. En effet, chez celles-ci, le commerce est illégitime, mais non contre nature ; tandis que là il est tout à la fois illégitime et contre nature.
Et quand il n’y aurait pas d’enfer, ni aucune menace de supplice, le mal lui-même serait pire que – tout supplice. En parlant du plaisir qu’ils éprouvent, vous indiquez une aggravation de châtiment. Si je voyais un homme courir nu, tout couvert de boue, et se pavanant au lieu de rougir, bien loin de partager sa satisfaction, je le plaindrais, d’autant plus qu’il ne sentirait pas l’indécence de sa conduite. Pour mieux faire ressortir cette ignominie, souffrez que je donne un autre exemple. Si on condamnait une jeune fille à admettre de stupides animaux dans son lit virginal, à avoir commerce avec eux, et qu’elle y trouvât du plaisir, ne serait-elle pas d’autant plus à plaindre que l’absence de la honte rendrait sa maladie incurable ? Cela est évident pour tout le monde. Or si le mal serait grand ici, il ne l’est pas moins là : car il est plus triste d’être outragé par ses semblables que par des étrangers. J’affirme que ces hommes sont plus coupables que des homicides. Car il vaut mieux mourir que de vivre dans un tel opprobre. L’homicide ne fait que séparer l’âme du corps, tandis que celui-ci perd le corps et l’âme. Ce crime dépasse tous ceux que vous pouvez nommer ; et si ceux qui souffrent de tels outrages en sentaient la gravité, ils aimeraient mieux mourir mille fois que de les subir.
3. En vérité il n’y a rien, non rien de plus déraisonnable ni de plus affreux. Si en parlant de la fornication Paul disait : « Tout péché, quel qu’il soit, que fait l’homme, est hors de son corps ; mais celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps » (1Cor. 6,18) ; que dirons-nous de ce désordre qui l’emporte sur la fornication plus qu’on ne saurait l’exprimer ? Car je ne dirai pas seulement que vous êtes devenu femme ; mais j’ajouterai que vous avez cessé d’être homme, que vous avez perdu votre nature sans prendre l’autre, que vous les avez trahies toutes les deux, et que vous méritez d’être chassé, lapidé par les hommes et par les femmes, puisque vous avez déshonoré l’un et l’autre sexe. Et pour vous faire bien comprendre l’énormité de votre crime : Si quelqu’un vous proposait de vous changer d’homme en chien, ne le fuiriez-vous pas comme un malfaiteur ? Et voilà que vous vous êtes vous-même changé, non pas en chien, mais en un animal bien plus vil : car un chien est utile, tandis que l’infâme n’est bon à rien. Dites-moi, je vous prie, si quelqu’un menaçait de faire enfanter les hommes, ne serions-nous pas enflammés de colère ? Mais ceux qui poussent la rage jusque-là, s’infligent un bien plus grave outrage : car ce n’est pas la même chose d’être changé en femme, ou de devenir femme tout en restant homme, ou plutôt de n’être ni l’un ni l’autre. Pour vous convaincre mieux encore de l’énormité de ce crime, demandez pourquoi les législateurs punissent ceux qui font des eunuques, et vous apprendrez que leur seule raison est que c’est là un amoindrissement de la nature. Or cette dernière injure est moins grave que l’autre ; car les eunuques, même après la castration, sont encore utiles ; tandis que rien n’est plus inutile que l’homme changé en prostituée ; puisque non seulement son âme, mais aussi son corps est plein d’ignominie et ne mérite que l’expulsion.
Combien faudrait-il d’enfers pour eux ? Si ce mot d’enfer vous fait rire, si vous y êtes incrédule, rappelez-vous le feu qui consuma Sodome ; car nous avons vu, oui, nous avons vu en ce monde une image de l’enfer. Car comme beaucoup devaient être incrédules à ce qui suivra la résurrection, en entendant parler d’un feu qui même ici-bas ne pouvait s’éteindre, ils sont revenus à la sainte doctrine, Dieu leur en donnant une preuve actuelle. Tel est en effet le résultat du feu et de l’incendie de Sodome ; ceux-là le savent qui ont été sur les lieux et ont vu de leurs yeux les suites de la colère céleste et les traces de la foudre. Considérez l’énormité de ce crime, qui a rendu nécessaire une image anticipée de l’enfer. Comme beaucoup méprisaient les avertissements, Dieu a voulu donner, sous une forme nouvelle, une figure de la géhenne. Et au fait cette pluie était extraordinaire, parce que le crime était contre nature, et elle a inondé la terre parce que la passion avait envahi les âmes. Voilà pourquoi la pluie était extraordinaire : car non seulement elle ne féconda point la terre pour la production des fruits, mais elle la rendit incapable de recevoir les semences. Tel était le commerce charnel des Sodomites, qu’il frappait même ce grand corps de stérilité. Qu’y a-t-il de plus abominable que l’homme métamorphosé en prostituée ? Qu’y a-t-il de plus infâme ? O fureur ! O délire ! Comment cette passion s’est-elle répandue, elle qui a traité la nature humaine en ennemie, elle Plus cruelle même qu’un ennemi, d’autant que l’âme l’emporte sur le corps ? O êtres plus déraisonnables que les brutes, plus impudents que les chiens ! Car nulle part chez les animaux on ne voit de telles unions ; là, la nature reconnaît ses limites ; mais vous, en déshonorant ainsi votre espèce, vous la placez au-dessous de celle des brutes. Encore une fois, quelle est la source de ces maux ? La volupté, l’oubli de Dieu ; car dès qu’on a perdu la crainte de Dieu, tous les biens s’envolent à la fin.
4. Pour éviter ces maux, ayons toujours devant les yeux la crainte de Dieu. Car rien, rien n’est funeste à l’homme comme d’abandonner cette ancre ; rien ne lui est salutaire comme d’avoir toujours les yeux de ce côté-là. Si la présence d’un homme nous retient sur la pente du péché ; si, souvent par égard pour le plus humble domestique, nous nous abstenons d’une action déplacée, pensez quelle sécurité nous puiserions dans le souvenir continuel de la présence de Dieu. Jamais alors le démon ne nous attaquerait, persuadé de l’inutilité de ses efforts ; mais s’il nous voit errant au-dehors, courant çà et là sans frein, profitant de nos avances, il pourra nous jeter hors du bercail. Si nous nous écartons des commandements de Dieu, il nous arrivera ce qui arrive sur les places publiques aux serviteurs négligents qui, oubliant leurs commissions principales, celles mêmes pour lesquelles on les a envoyés, s’accrochent sans but et au hasard aux premiers venus et perdent leur temps.
Nous restons debout à admirer les richesses, la beauté du corps et d’autres choses qui ne nous concernent en rien. Semblables à ces serviteurs qui s’amusent à voir les tours de passe-passe de quelques mendiants, et au retour expient leur retard par les plus durs traitements. Beaucoup quittent la voie ouverte devant eux pour suivre ceux qui s’abandonnent à ces désordres. Ne les imitons point car nous sommes envoyés pour des œuvres pressantes ; et si nous les négligeons pour rester bouche béante devant des objets inutiles, nous perdrons notre temps et nous serons punis du dernier supplice. Que si vous voulez exercer votre attention, vous avez de quoi admirer, de quoi rester toujours en contemplation et ce ne seront plus des sujets ridicules, mais merveilleux et tout à fait estimables ; tandis que celui qui admire des objets ridicules, devient lui-même ridicule et plus que le baladin même. Hâtez-vous d’échapper à ce malheur.
Car enfin pourquoi, dites-le-moi, êtes-vous en admiration, en extase devant la richesse ? Qu’y voyez-vous de si merveilleux, de si digne de captiver vos regards ? Dès chevaux aux harnais dorés ; des domestiques, les uns étrangers, les autres eunuques ; de splendides vêtements par-dessous une âme amollie, un front altier, des mouvements, du bruit ? Qu’y a-t-il d’admirable là-dedans ? Quelle différence voyez-vous entre ces riches et les mendiants qui dansent ou sifflent sur les places publiques ? Car eux aussi, dans une extrême indigence de toute vertu, ces riches dansent d’une manière encore plus ridicule, courent çà et là, tantôt à des tables somptueuses, tantôt au logis de femmes perdues, tantôt vers la foule de leurs flatteurs et de leurs parasites. S’ils portent de l’or, ils n’en sont que plus misérables d’attacher tant d’intérêt à ce qui ne les regarde pas. Ne vous arrêtez pas aux vêtements, mais pénétrez jusqu’à leur âme, et voyez les mille blessures dont elle souffre, les haillons qui la couvrent, sa solitude, son délaissement. À quoi lui sert la folie du dehors ? Il vaut bien mieux être pauvre avec la vertu que roi avec le vice. Le pauvre jouit au dedans de toutes les délices de l’âme, sa richesse intérieure lui fait oublier sa pauvreté extérieure ; tandis que le roi, vivant au sein de voluptés qui lui sont étrangères, est puni dans ce qui le touche de près, dans son âme, dans ses pensées, dans sa conscience, qui l’accompagneront au-delà de cette vie. Persuadés de ces vérités, dépouillons donc ces riches vêtements dorés, embrassons la vertu et les joies qu’elle procure. Par là nous goûterons de grands plaisirs en ce monde et en l’autre, et nous obtiendrons les biens promis par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père et au Saint-Esprit la gloire, l’honneur, la force, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE V. modifier


ET COMME ILS N’ONT PAS MONTRÉ QU’ILS AVAIENT LA CONNAISSANCE DE DIEU, DIEU LES A LIVRÉS À UN SENS RÉPROUVÉ, DE SORTE QU’ILS ONT FAIT LES CHOSES QUI NE CONVIENNENT PAS. (I, 28, JUSQU’À II, 16)

Analyse. modifier

1 Autres péchés qui sont la conséquence de l’oubli de Dieu. – Ceux qui les commettent sont inexcusables, et Dieu les punira.

  • 2. Malheur à l’homme qui abuse de la longanimité de Dieu.
  • 3. Dieu rendra à chacun selon ses œuvres : aux bons, la récompense, la gloire et la vie éternelle ; aux méchants, à ceux qui auront acquiescé, consenti au mal, le supplice éternel.
  • 4. Dieu ne fait pas acception des personnes. – Tous les hommes seront jugés, les Gentils suivant la loi naturelle, et les Juifs suivant-leur propre loi.
  • 5. Ce qui justifie devant Dieu, ce n’est pas d’entendre la loi, c’est de la pratiquer.
  • 6 et 7. Crainte du jugement dernier : avoir plus d’horreur du péché que de l’enfer. – Quel est l’amour de Dieu pour les hommes. – Ingratitude des hommes.


1. Pour ne pas avoir l’air de faire allusion aux Romains ; après avoir longtemps insisté sur le crime contre nature, il passe à d’autres espèces de péchés, et s’adresse à d’autres personnages. Et comme toujours, en s’adressant aux fidèles pour leur parler du péché, et les exhorter à le fuir, il met en scène les païens, disant : « Non dans la passion de la convoitise comme les autres nations qui ignorent Dieu » (1Thes. 4,5) ; et encore : « Afin que vous ne vous attristiez pas comme font les autres qui n’ont point d’espérance » (Id. 13) ; de même ici il expose les crimes de ces philosophes et leur ôte toute espèce d’excuse : car ces crimes sont les fruits audacieux de la réflexion et non de l’ignorance. Aussi ne dit-il pas : Et comme ils n’ont pas connu, mais « Et comme ils n’ont pas montré qu’ils avaient « la connaissance de Dieu n : attribuant le péché plutôt à un jugement perverti et à l’esprit d’opposition qu’à l’entraînement, et montrant que ce n’est pas de la chair, comme le disent certains hérétiques, mais de l’âme que naissent les désordres d’une coupable concupiscence, et que là est la source de tous les maux. Car dès que l’âme est réprouvée, le cocher étant corrompu, tout est renversé, tout est sens dessus dessous.
« Remplis de toute iniquité, malice, avarice, méchanceté… (29) ». Voyez tout à la fois : « Remplis », dit-il, et : « De toute ». Après avoir nommé la malice en général, il en désigne les espèces en particulier et avec hyperbole. « Pleins d’envie, de meurtre ». Car l’un naît de l’autre, comme on l’a vu pour Abel et pour Joseph. Puis, après avoir ajouté : « De l’esprit de contention, de fraude, de malignité, délateurs, détracteurs, haïs de Dieu, « insolents… (30) », et avoir rangé parmi les crimes des choses qui passent pour indifférentes aux yeux d’un grand nombre, il aggrave encore son accusation et porte, pour ainsi dire, le mal au faîte en disant : « Arrogants ». En effet, l’orgueil dans le péché est plus grave que le péché lui-même ; c’est pourquoi il fait ce reproche aux Corinthiens : « Et vous êtes gonflés d’orgueil ? » (1Cor. 5,2) En effet, si l’homme qui s’enorgueillit d’une bonne action, en perd tout le mérite, quel ne sera pas le châtiment de celui qui s’enorgueillit dans le péché ? Car la résipiscence lui devient impossible. Il continue : « Inventeurs de nouveaux crimes » ; faisant voir que non contents des maux qui existaient, ils en inventaient d’autres : preuve qu’ils agissaient avec préméditation et par calcul, et non par surprise et par entraînement. Après avoir détaillé les genres de malice et montré que là encore ils résistaient à la nature, « Désobéissants à « leurs parents », dit-il, il attaque le mal même à sa racine, en les appelant « Sans « affection, sans fidélité ». Le Christ avait aussi assigné cette origine au vice, en disant « Et parce que l’iniquité aura abondé, la charité d’un grand nombre se refroidira ». (Mt. 24,12) C’est ce que Paul dit ici, en les appelant : « Dissolus, sans affection, sans fidélité, sans miséricorde… (31) », et montrant qu’ils ont trahi les dons mêmes de la nature. Car nous avons un penchant naturel les uns pour les autres, lequel se retrouve même chez les animaux. « Tout animal aime son semblable et l’homme aime son prochain ». (Sir. 13,15) Mais ils ont été plus sauvages que les animaux.
Par là l’apôtre nous fait comprendre la maladie que de fausses croyances ont introduite dans le monde, et nous montre clairement que ce double mal est le fruit de la négligence des malades. Du reste il les déclare encore inexcusables ici, comme il l’a déjà fait à propos des croyances : ce qui lui fait dire : « Qui, ayant connu la justice de Dieu, n’ont pas compris que ceux qui font ces choses sont dignes de mort, et non seulement ceux qui les font, mais quiconque aussi approuve ceux qui les font… (32) ». Il pose ici deux objections et les détruit victorieusement. Pourquoi, leur dit-il, objecter que vous ne saviez pas ce qu’il fallait faire ? Quand cela serait, vous seriez encore coupables d’avoir abandonné le Dieu qui vous l’aurait fait connaître. Mais maintenant nous vous prouvons de plus d’une manière que vous lé saviez et que vous péchiez volontairement. Vous étiez, dites-vous, entraînés par la passion. Pourquoi alors coopérer au mal et l’approuver ? « Non seulement ceux qui les font, mais quiconque approuve aussi ceux qui les font ». Après avoir d’abord établi pour la détruire la supposition la plus grave, celle où le pardon ne peut s’admettre, (car celui qui approuve le péché est bien plus coupable que celui qui le commet) : après avoir, dis-je, d’abord établi ce point, il l’attaque encore plus vivement dans ce qui suit : « C’est pourquoi, ô homme, qui que tu sois, tu es inexcusable de juger. « Car en jugeant autrui, tu te condamnes toi-même (2, 1) ». Il parle ici comme à des princes : car Rome était alors chargée du gouvernement de l’univers. Il débute donc ainsi : Qui que vous soyez, vous vous ôtez tout moyen de défense : car en condamnant l’adultère, quand vous êtes vous-même adultère, bien que personne ne vous juge et ne vous condamne, vous avez porté contre vous la sentence dont vous frappez le coupable. « Nous savons, en effet, que Dieu juge selon la vérité ceux qui font ces choses (2) ». Pour que personne ne dise. J’ai cependant échappé, il les épouvante en disant qu’il n’en est pas devant Dieu comme devant les hommes. Ici l’un est puni, et l’autre, aussi coupable, échappe au châtiment ; là, il n’en est pas de même ; ce juge connaît la justice, nous dit l’apôtre ; il n’ajoute pas comment il la connaît : ce serait inutile. Il démontre donc ces deux points touchant l’impiété : Que l’impie faisait le mal quoiqu’il connût Dieu, et qu’il connaissait Dieu par la création. Mais comme cela n’était pas évident pour tout le monde, il en a donné la raison : ici il l’omet comme étant chose convenue. Toutefois quand il dit:.« Quiconque juge », il ne parlé pas seulement aux princes, mais aux particuliers et aux sujets.
2. Car tous les hommes, bien qu’ils ne soient pas sur le trône et n’aient à leur disposition ni bourreaux ni potence, jugent cependant les coupables, dans leurs entretiens, dans les assemblées, dans leur propre conscience ; et personne n’oserait dire qu’un adultère ne mérite pas de châtiment. Mais, dira-t-on, on condamne les autres et non soi-même. Et c’est contre cela que l’apôtre s’élève avec violence : « Penses-tu donc, ô homme qui juges ceux qui font ces choses et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu (3) ? » Après avoir montré le grand crime de la terre et dans la croyance et dans les actes ; prouvé que quand ils étaient sages et que la nature les guidait en quelque sorte par la main, ils ont non seulement abandonné Dieu, mais adoré des images de reptiles, méprisé la vertu, embrassé le vice librement malgré la résistance de la nature, et même agi contre la nature ; après cela, dis-je, il s’attache à démontrer que ceux qui font ces choses seront punis : Déjà il a mentionné le supplice en parlant du crime, quand il disait : « Recevant ainsi en eux-mêmes la récompense qui était due à leur égarement » ; mais comme ils ne sentent point cette peine, il en signale une autre qu’ils redoutaient extrêmement. Et déjà il l’avait clairement indiquée ; car c’était là le sens de ces paroles ; « Dieu juge selon la vérité ». Toutefois il le répète ici plus au long, en disant : « Penses-tu, ô homme qui juges ceux qui font ces choses et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu ? ». Tu échappes à ton propre jugement, échapperas-tu à celui de Dieu ? qui voudrait le dire ? Or tu t’es jugé toi-même. Mais puisque l’autorité de ce tribunal est si grande, et que tu n’as pas su t’épargner toi-même, à combien plus forte raison Dieu, qui, est infaillible ; qui est la souveraine justice, ne t’épargnera-t-il pas. Quoi ! tu t’es condamné toi-même, et Dieu t’approuvera, te louera ? Peut-on le dire raisonnablement ? Vous êtes certainement digne d’un plus grand châtiment que celui que vous avez condamné. Car ce n’est pas la même chose de pécher simplement, ou de punir le coupable et de tomber dans son péché. Voyez-vous comme la culpabilité s’aggrave ? Si vous punissez un pécheur moins coupable que vous au moment même de vous déshonorer, comment Dieu qui ne peut se déshonorer, ne vous jugera-t-il pas, ni vous condamnera-t-il plus sévèrement, vous qui commettez une faute plus grande et êtes déjà condamné par votre propre conscience ? Si vous me dites : Je sais que je mérite d’être puni ; et qu’ensuite la patience, divine vous porte à ne tenir aucun compte de votre état, que le délai de la punition vous inspire une fausse confiance : c’est là une juste raison de craindre et de trembler. Ce n’est point pour vous exempter du supplice que Dieu le diffère, mais pour le rendre plus terrible, si vous restez incorrigible. Que le Ciel vous en préserve ! aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Est-ce que tu méprises les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimté ? Ignores-tu que la bonté de Dieu t’invite à la pénitence (4) ? »
Après avoir loué la longanimité de Dieu, et montré le très-grand profit qu’on en peut tirer (c’était une manière d’attirer les pécheurs au repentir), il augmente leur terreur. Car comme elle est un principe de salut pour ceux qui en usent convenablement, ainsi elle prépare un châtiment plus terrible à ceux qui la méprisent. C’est une opinion vulgaire que Dieu, étant bon et patient, ne punit pas ; mais dire cela c’est annoncer un plus grand supplice. Si Dieu montre de la bonté, c’est pour que vous vous débarrassiez de vos péchés et non pour que vous en augmentiez le nombre ; sinon, la vengeance sera plus terrible. C’est surtout parce que Dieu est patient qu’il ne faut plus pécher, et ne pas faire de sa bonté un motif d’ingratitude. Bien qu’il soit patient, il punit à la fin. Comment le voyons-nous ? Par ce qui va suivre. Si en effet le mal est grand et que les coupables n’aient pas été punis, nécessairement ils le seront. Car si les hommes tiennent compte de cela, comment Dieu ne le tiendrait-il pas ? Aussi est-ce de là que l’apôtre prend occasion de parler du jugement. Après avoir montré que beaucoup ont encouru le châtiment à moins qu’ils n’aient fait pénitence, et qu’ils ne le subissent cependant point en ce monde, il établit qu’un jugement, et un jugement très-sévère, aura certainement lieu, et dit : « Cependant, par la dureté de ton cœur impénitent, tu t’amasses un trésor de colère (5) ».
Quoi de plus dur en effet que celui qui ne se laisse ni toucher par la douceur, ni fléchir par la crainte ? Après avoir parlé de la bonté de Dieu, l’apôtre en vient au châtiment qui sera intolérable pour celui que de tels moyens n’ont pas converti. Et voyez quelle énergie dans ses expressions : « Tu t’amasses un trésor de colère ! » Trésor certainement tenu en réserve, par la faute du coupable, et non par celle du juge. « Tu t’amasses un trésor », toi, et non Dieu. Car il a fait tout ce qu’il fallait faire, il t’a donné la connaissance du bien et du mal, il s’est montré patient, il t’a invité à la pénitence, il t’a menacé d’un avenir terrible, il a employé tous les moyens pour t’amener à résipiscence ; si tu t’obstines à résister « tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation et du juste jugement de Dieu ». Et pour que ce mot de colère n’éveille pas en vous l’idée de la passion, il a soin d’ajouter : « Du juste jugement de Dieu ». Et il a raison de dire : « De la manifestation » ; car la révélation aura lieu quand chacun sera traité selon ses mérites. Ici-bas souvent un grand nombre commettent des, injustices ou tendent des pièges contre les lois de l’équité ; là il n’en sera pas ainsi. « Qui rendra à chacun selon ses œuvres ; à ceux qui par leur persévérance dans les bonnes œuvres, etc. (6,7) ».
3. Après s’être montré terrible et sévère, en parlant du jugement et des peines futures, contre toute attente, au lieu d’insister sur le supplice, il revient tout à coup à un sujet plus doux, à la récompense des bons, et dit : « A ceux qui par la persévérance dans les bonnes œuvres cherchent la gloire, l’honneur, et l’immortalité ; la vie éternelle ». Ici il relève ceux qui avaient failli dans les tentations et leur montre qu’il ne faut pas se fier à la foi seule ; car, devant ce tribunal, les actions aussi sont examinées. Et voyez comment, en parlant de l’avenir, il ne peut expliquer clairement en quoi consistent ces biens, mais parle de gloire et d’honneur. En effet, comme ces biens surpassent tous les biens terrestres, il ne trouve rien qui puisse en donner l’image ; mais il leur applique comme il peut le nom des choses qui brillent le plus à nos yeux, la gloire, l’honneur, la vie : car voilà surtout ce que les hommes recherchent. Mais tels ne sont pas les biens du ciel, qui l’emportent d’autant plus sur ceux-ci qu’ils sont incorruptibles et immortels.
Voyez-vous comme, en parlant d’incorruptibilité, il nous ouvre la porte pour traiter de la résurrection du corps ? Car cette incorruptibilité concerne ce corps de corruption. Et comme ce n’était pas assez, il y ajoute la gloire et l’honneur. Car tous nous ressusciterons incorruptibles, mais non tous pour la gloire-: les uns pour le supplice, les autres pour la gloire. « Mais », continue-t-il, « à ceux qui ont l’esprit de contention (8) » ; il refuse de nouveau le pardon à ceux qui vivent dans le vice, et montre qu’ils y sont tombés par un certain esprit de contention et par lâcheté. « Qui ne se rendent pas à la vérité, mais qui acquiescent à l’iniquité ». Autre accusation. Quelle sera en effet l’excuse de celui qui fuit la lumière et préfère les ténèbres ? Il ne dit pas : qui sont contraints par violence ou par tyrannie, mais « qui acquiescent à l’iniquité » ; pour vous apprendre que la chute est volontaire, et non l’effet de la nécessité. « Tribulation et angoisse à l’âme de tout homme qui fait le mal (9) » ; c’est-à-dire qu’on soit riche, consul, roi, le jugement n’en tiendra aucun compte ; là les dignités ne tiendront point de place.
Après avoir décrit l’excès de la maladie, en avoir signalé la source, à savoir la lâcheté de ceux qui en sont atteints ; puis indiqué le terme, qui est la perdition, et la facilité de s’en guérir, il fait retomber principalement sur le Juif le poids du châtiment. « Du Juif d’abord, puis du Grec ». Car celui qui a en la plus grande part à la doctrine, doit, s’il prévarique, avoir aussi la plus grande part au châtiment. Ainsi plus nous sommes éclairés ou puissants, plus nos fautes seront punies. En effet si vous êtes riche, on exigera de vous plus d’aumônes que d’un pauvre ; si vous êtes plus intelligent, plus de soumission ; si vous êtes revêtu de la puissance, des œuvres plus éclatantes ; en tout et partout, vous devez produire selon vos forces et votre capacité.
« Mais gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d’abord, puis au Grec (10) ». De quel Juif, de quels grecs parle-t-il ici ? De ceux qui ont existé avant le Christ ; car il ne parle point encore du temps de grâce, mais des temps qui ont précédé, faisant disparaître d’avance et de loin la différence entre le Grec et le Juif, afin que la chose ne paraisse plus nouvelle ni pénible, quand il s’agira du temps de grâce. En effet si dans les âges antérieurs, quand la grâce n’avait point encore brillé d’un tel éclat, quand la nation juive était honorable, illustre et glorieuse entre toutes, si déjà il n’y avait pas de différence, qu’aura-t-on à dire après qu’une si grande grâce se sera manifestée ? Aussi met-il le plus grand intérêt à prouver ce point. Et l’auditeur informé qu’il en était déjà ainsi dans les temps précédents, sera beaucoup plus disposé à l’admettre pour l’époque de la foi. Or il appelle ici Grecs, non les idolâtres, mais ceux qui honoraient Dieu, qui obéissaient à la loi naturelle, ceux qui, placés en dehors du judaïsme, observaient tout ce qui porte à la piété : tels que Melchisédech, Job, les Ninivites, Corneille. Déjà il commence à, saper par la base la différence entre la circoncision et l’incirconcision, et attaque de loin cette distinction, de manière à n’exciter aucun soupçon et paraître y être amené forcément par une autre raison ; ce qui est le propre de la prudence apostolique. Car s’il eût avancé qu’il en était ainsi au temps de grâce, son langage eût paru fort suspect ; mais en entrant dans ce sujet à la suite d’autres raisonnements, à l’occasion du vice et de la corruption qui régnaient autrefois dans le monde, il n’éveillait aucun soupçon contre son enseignement.
4. Voici la preuve que c’était là son intention et qu’il disposait son discours dans ce but. S’il n’avait pas voulu prouver ce point, il lui suffisait de dire : « Par ta dureté et ton cœur impénitent tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère », puis de couper court sur ce sujet, comme étant épuisé. Mais comme il n’avait pas seulement en vue de traiter du jugement dernier, mais de montrer que le Juif n’avait rien de plus que le Grec ; pour que le Juif ne s’enorgueillisse pas, il va plus loin et procède par ordre. Voyez : il a épouvanté l’auditeur, il a fait retentir le terrible jugement, il a dit quel mal c’est de vivre dans le vice ; il a démontré que personne ne pèche par ignorance ni ne restera impuni, et que, pour être différée, la punition n’en viendra pas moins ; maintenant il veut prouver que la doctrine de la toi n’était pas chose absolument indispensable ; que la peine et la récompense dépendent des œuvres, et non de la circoncision ou de l’incirconcision. Donc après avoir dit que le Grec sera certainement puni, et avoir posé ce principe comme avoué, et prouvé par là même qu’il sera aussi récompensé, il démontre que la loi et la circoncision étaient choses superflues.
Ici il combat surtout les Juifs. Cap comme les Juifs étaient trop enclins à discuter, d’abord par orgueil et parce qu’ils ne voulaient point être comptés parmi les gentils, ensuite parce qu’ils se moquaient de ceux qui disaient que la foi efface tous les péchés : L’apôtre attaque d’abord les Grecs, dont il s’agissait en ce moment, afin d’attaquer ensuite les Juifs librement et sans exciter de soupçon ; puis quand il en vient à parler du jugement, il fait voir que non seulement la loi ne sera d’aucune utilité au Juif, mais qu’elle lui sera à charge, et il en a déjà la preuve plus haut. En effet si le Grec est inexcusable de ne s’être pas corrigé sur l’invitation de la nature et de la raison, à plus forte raison le Juif qui a reçu en outre l’enseignement de la loi. Après lui avoir donc fait accepter ce raisonnement pour ce qui regarde les péchés des autres, il le force à l’admettre aussi pour ce qui concerne les siens. Et pour mieux faire agréer son langage, il l’adoucit en disant : « Gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d’abord, puis au Grec ». Ici-bas en effet, quelques biens que l’on possède, ils sont accompagnés dé beaucoup de troubles, fût un riche, puissant ou roi ; si l’on n’est point en guerre avec d’autres, on y est au moins avec soi-même, avec ses propres pensées ; mais dans l’autre vie, rien de pareil ; tout est tranquille, exempt de trouble, rempli de la véritable paix.
Après avoir donc prouvé plus haut que ceux qui n’ont pas la loi jouiront des mêmes avantages, il continue son raisonnement en disant « Car Dieu ne fait point acception des personnes (11) ». Quand il dit que le Juif et le Grec seront punis pour avoir péché, il n’a pas besoin de recourir au raisonnement ; mais pour établir que le Grec sera récompensé, il lui faut une preuve. Cela semblait en effet quelque chose d’étonnant, de paradoxal, de dire que celui qui n’avait ni la loi ni les prophètes, serait récompensé pour ses bonnes actions. Aussi, comme je l’ai déjà dit, habitue-t-il d’abord, leurs oreilles à entendre parler des temps qui ont précédé la grâce, afin de les amener plus facilement à sa pensée, à l’aide de la foi. Ici surtout il n’est plus suspect puisqu’il ne parle plus d’après lui-même. Donc, après avoir dit : « Gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d’abord, puis au Grec », il ajoute : « Car Dieu ne fait point acception des personnes ».
O ciel ! quelle surabondance d’arguments ! Il prouve d’abord par l’absurde que si la chose n’était pas ainsi, elle ne serait pas selon Dieu, puisqu’il y aurait acception, de personnes ; ce qui ne peut convenir à Dieu. Il ne dit pas : S’il n’en était ainsi, Dieu ferait acception de personnes, mais, avec plus de dignité : « Dieu ne fait point acception des personnes », c’est-à-dire, Dieu ne regarde point à la qualité des personnes, mais à la différence des choses. Il montre ensuite qu’entre le Juif et le Grec il n’y a de différence que dans la personne, et non dans la chose. Par conséquent il fallait dire : Ce n’est pas parce que l’un est Juif et l’autre Grec que le premier est honoré et le second méprisé ; mais les œuvres seules déterminent la différence. Cependant ce n’est pas ainsi qu’il parle ; il eût irrité le Juif ; mais il fait quelque chose de plus en abattant et comprimant leur orgueil, pour leur faire admettre sa proposition. Et comment cela ? La suite va nous le dire.
« Car quiconque a péché sans la loi, périra sans la loi ; et quiconque a péché sous la loi, sera jugé par la loi ». Ici, comme je le disais plus haut, non seulement il établit l’égalité entre le Juif et le Grec, mais il démontre que la concession de la loi aggrave beaucoup la condition du Juif, car le Grec est jugé sans la loi, et ce mot, « Sans la loi » indique une circonstance plutôt atténuante qu’aggravante, c’est-à-dire, n’a pas la loi pour l’accuser. Car c’est là le sens de cette expression, « Sans la loi » ; c’est-à-dire, il 'sera condamné en dehors de l’accusation légale, d’après les seules données de la nature. Mais le Juif sera jugé d’après la Loi : C’est-à-dire sur la double accusation de la nature et de la Loi ; et il sera puni d’autant plus sévèrement qu’il aura été l’objet de plus de soins.
5. Voyez-vous comme il fait sentir aux Juifs un plus grand besoin de recourir à la grâce ? Car comme ils prétendaient être justifiés par la Loi seule et n’avoir pas besoin de la grâce, il leur prouve qu’ils en ont plus besoin que les Grecs, puisqu’ils doivent être punis plus sévèrement. Ensuite il fait un autre raisonnement pour appuyer ce qu’il vient de dire : « Car ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu (13) ». Il a raison de dire « Devant Dieu » ; car ils peuvent paraître honorables devant les hommes, et beaucoup se vanter, tandis que devant Dieu c’est tout le contraire. « Mais ce sont les observateurs de la loi qui seront justifiés ». Voyez-vous avec quelle vigueur il retourne son raisonnement dans le sens opposé ? Si vous demandez, dit-il, à être sauvé par la loi, le Grec sera sauvé avant vous, lui qui paraît avoir, observé ce qui est écrit. Et comment, direz-vous, a-t-il pu observer sans avoir entendu ? Cela est possible, répond l’apôtre, et même plus encore, car non seulement on peut accomplir sans avoir entendu, mais on peut avoir entendu et ne pas accomplir ; ce qu’il exprime dans la suite plus clairement et plus énergiquement, en disant : « Toi qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ? » En attendant il prouve ici son premier point : « En effet lorsque les gentils, qui n’ont pas la loi, font naturellement ce qui est selon la loi ; n’ayant pas la loi, ils sont à eux-mêmes la loi (14) ».
Je ne rejette pas la loi, dit-il, mais par elle je justifie les gentils. Voyez-vous comment, en minant par la base la gloire du Judaïsme, il évite de donner prise à une accusation de mépris pour la loi, puisqu’il l’exalte au contraire, la glorifie, et prouve ainsi toute sa thèse ? Quand il dit : « Naturellement », il entend à l’aide des raisonnements naturels. Il leur fait voir qu’il y en a d’autres, meilleurs qu’eux, et, qui plus est, meilleurs précisément parce qu’ils n’ont pas reçu et ne possèdent point la loi, dont les Juifs semblent se prévaloir. Et voilà, ajoute-t-il, en quoi ils sont admirables ; c’est qu’ils n’ont pas eu besoin de loi et qu’ils ont néanmoins observé la loi, gravant dans leurs âmes, non des paroles, mais des œuvres. Car il dit : « Montrant l’œuvre de la loi écrite dans leurs œuvres, leur conscience leur rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant et se défendant l’une l’autre, au jour où Dieu jugera par. Jésus-Christ, selon mon Évangile, ce qu’il y a de caché dans les hommes (15, 16) ».
Voyez-vous comme il rappelle encore ce jour et le rend en quelque sorte présent, jetant le trouble dans leur âme, et leur montrant que ceux-là seront surtout honorés qui auront fait sans la loi, les œuvres de la loi ? Il est juste de dire maintenant, ce qu’il y a de plus admirable dans la prudence de l’apôtre. Après avoir donné la preuve que le Grec l’emporte sur le Juif, il omet ce point dans le résumé et la conclusion de ses raisonnements, pour ne pas exaspérer les Juifs. Afin de rendre ma pensée plus claire, je rapporterai ses paroles mêmes. Car après avoir dit : « Ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui seront justifiés, mais ceux qui l’observent », il devait logiquement dire : « En effet, lorsque les gentils qui n’ont pas la loi font naturellement ce qui est selon la loi », ils valent mieux que ceux qui ont reçu l’enseignement de la loi. Il ne le dit pourtant pas ; mais il s’arrête à l’éloge des Grecs, et ne pousse pas plus loin la comparaison, afin de faire accepter son langage aux Juifs. Il ne dit donc point cela ; mais que dit-il ? « En effet lorsque les gentils qui n’ont pas la loi font naturellement ce qui est selon la loi ; n’ayant pas la loi, ils sont à eux-mêmes la loi ; montrant ainsi l’œuvre de la loi écrite dans leurs cœurs, leur conscience leur rendant témoignage ».
Ainsi la conscience et la raison tiennent lieu de la loi. Par là il fait voir encore que Dieu a donné à l’homme des forces suffisantes pour embrasser la vertu et fuir le vice. Et ne vous étonnez point s’il le prouve une fois, deux fois, bien des fois. Ce point était capital pour lui, à cause de ceux qui – disaient : Pourquoi le Christ est-il venu si tard ? Où était donc autrefois cette grande Providence ? Après avoir réfuté cette objection en passant, il montre que dans les anciens temps, même avant la concession de la loi, la nature humaine était l’objet de tous les soins de la Providence. Car « ce qui est connu de Dieu était manifeste en eux » ; ils savaient ce qui était bien, ce.. qui était mal, par quoi ils jugeaient les autres, et c’est ce qu’il leur reprochait en disant « En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même ».
Quant aux Juifs, outre ce que nous avons dit, la raison et la conscience, ils avaient la loi. Mais pourquoi ces expressions : « S’accusant ou se défendant ? » S’ils ont la loi écrite dans leurs cœurs et qu’ils en fassent voir les œuvres, comment la raison peut-elle les accuser ? Mais ce n’est pas seulement à cela que s’applique le mot « Accusant », mais à la nature entière. Ici-bas nos raisonnements sont là, tantôt pour nous accuser, tantôt pour nous défendre, et devant cet autre tribunal, l’homme n’a pas besoin d’autre accusateur. Ensuite, pour augmenter la crainte, il ne dit pas : les péchés des hommes, mais : « Ce qu’il y a de caché dans les hommes ». Après avoir dit : « Penses-tu donc, ô homme qui juges ceux qui font ces choses et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu ? » Pour que vous ne subissiez point la sentence que vous portez vous-même, et que vous compreniez que celle de Dieu est bien plus juste que la vôtre, il ajoute : « Ce qu’il y a de caché dans les hommes », et encore : « Par Jésus-Christ, selon mon Évangile ». En effet, les hommes ne jugent que les apparences. Or, plus haut il ne parlait que du Père, mais après les avoir abattus par la crainte, il parle maintenant du Christ, non d’une manière simple, mais après avoir fait mention du Père ; et par là il relève la dignité de sa prédication. La prédication, dit-il, annonce ce que la nature avait déjà fait voir d’avance.
6. Voyez-vous avec quelle prudence il les attire et les attache au Christ et à l’Évangile et leur démontre que notre destinée ne se borne pas à la vie présente, mais qu’elle s’étend au delà ? C’est ce qu’il avait déjà indiqué plus haut, en disant : « Tu t’amasses un trésor de colère pour le jour de la colère », et tout à l’heure »encore : « Dieu juge ce qu’il y a de caché dans les hommes ». Que chacun donc descende dans sa conscience, recherche ses fautes et s’en demande à lui-même un compte sévère, afin de n’être pas condamné avec le monde. Car ce jugement sera terrible ; ce tribunal, effrayant ; ce compte, plein de terreur ; là couleront des torrents de feu. « Là où un frère ne rachètera pas, un homme rachètera-t-il ? » (Ps. 14) Rappelez-vous ce qui est dit dans l’Évangile : les anges volant çà et là, la salle des noces fermée, les flammes qui ne s’éteignent pas, les puissances qui entraînent dans la fournaise. Songez que si l’un de nous voyait son crime secret révélé dans cette église seulement, il aimerait mieux mourir et voir la terre s’entr’ouvrir sous ses pieds que d’avoir tant de témoins de sa faute. Qu’éprouverons-nous donc, quand tout sera manifesté à la face du monde entier, sur ce théâtre éclatant, resplendissant de lumière, sous les regards de tous, connus et inconnus ? O malheur ! de quoi donc suis-je forcé de vous épouvanter ? de l’opinion des hommes, quand vous devriez craindre Dieu et son redoutable arrêt ? que deviendrons-nous, dites-moi donc, quand, enchaînés, grinçant les dents, nous serons entraînés dans les ténèbres extérieures ? Et, ce qui est plus terrible encore, que ferons-nous, quand nous serons face à face avec Dieu ?
Pour quiconque a du sentiment et de la raison, c’est déjà un enfer que d’être privé de la vue de Dieu ; mais comme ce motif ne fait pas d’impression sur l’homme, Dieu le menace du feu. Ce n’est pas le châtiment, mais la faute qui devrait nous causer de la douleur. Écoutez Paul gémissant et pleurant des péchés dont il ne devait pas être puni : « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église ». (1Cor. 15,9) Écoutez David qui, bien que dispensé du châtiment, appelle sur lui la vengeance parce qu’il croit avoir offensé Dieu : « Que votre main s’appesantisse sur moi et sur la maison de mon a père ». (2Sa. 24,17) Car il est plus malheureux d’offenser Dieu que d’en être puni. Mais maintenant nous sommes si misérables, que, sans la crainte de l’enfer, nous ferions à peine quelque chose de bien. Aussi, à part toute autre raison, nous mériterions déjà l’enfer pour l’avoir craint plutôt que le Christ. Il n’en était pas ainsi du bienheureux Paul ; c’était chez lui tout le contraire. Mais parce que nos dispositions sont différentes, nous sommes condamnés à l’enfer. Si nous aimions le Christ comme nous devrions l’aimer, nous saurions, qu’offenser son amour est un malheur plus horrible que l’enfer même ; mais comme nous ne l’aimons pas, nous ne comprenons pas l’étendue de ce supplice. Et voilà ce qui fait le principal sujet de mes gémissements et de mes larmes.
Pourtant que n’a pas fait Dieu, pour s’attirer notre amour ? Quel moyen n’a-t-il pas employé ? Qu’a-t-il négligé ? Et nous l’avons offensé, lui qui ne nous avait point fait de mal, qui nous avait même combles de bienfaits ; quand il nous appelait et nous invitait de toutes manières, nous nous sommes détournés ; il rie s’est point vengé pourtant, mais il est accouru, il a cherché à nous retenir, et nous nous sommes dégagés de ses mains pour courir au démon ; il ne s’est point découragé encore, il nous a envoyés des milliers de prophètes ; de messagers, de patriarches pour nous rappeler ; et non seulement nous ne les avons point accueillis, mais nous les avons injuriés. Malgré tout cela, il ne nous a point rejetés ; comme ces amants passionnés dont les mépris ne sauraient éteindre l’affection, il s’en allait çà et là, s’adressant à tous : au ciel, à la terre, à Jérémie, à Michée, non pour nous accuser, mais pour se justifier ; et par l’entremise des prophètes, il allait lui-même à ceux qui se détournaient, prêt à leur rendre compte, les priant d’entrer en pourparlers avec lui, et invitant à des entretiens ceux qui lui fermaient absolument l’oreille. « Mon peuple », lui disait-il, « que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? réponds-moi ». (Mic. 6,3) Après tout cela, nous avons tué les prophètes, nous les avons lapidés, nous leur avons fait tous les maux possibles. Comment s’en est-il vengé ? Il ne nous a plus envoyé de prophètes, ni d’anges, ni de patriarches, mais son propre Fils ; son Fils est venu et a été mis à mort ; son amour, loin de s’éteindre, s’en est enflammé davantage ; même après la mort de son Fils, il persiste à nous inviter et ne néglige rien pour nous ramener à lui. Et Paul s’écrie : « Nous faisons les fonctions d’ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche. Réconciliez-vous avec Dieu ». (2Cor. 5,20)
7. Mais rien de tout cela ne nous a réconciliés. Et il ne nous abandonne pas encore ; il insiste,'nous menace de l’enfer, nous promet son royaume, afin de nous attirer ; mais nous restons toujours insensibles. Qu’y a-t-il de pire que cette dureté ? Si un homme en avait autant fait, ne nous serions-nous pas mis cent fois à son service ? O lâcheté ! O ingratitude ! Nous vivons toujours dans le péché et dans le crime ; et si nous faisons quelque peu de bien, à l’exemple des serviteurs ingrats, nous l’examinons scrupuleusement, nous exigeons rigoureusement la récompense, s’il en mérite une. Et pourtant la récompense sera plus grande, si vous agissez sans espoir de récompense : car en parler, en tenir un compte exact, est le propre d’un mercenaire plutôt que d’un serviteur reconnaissant. Il faut tout faire pour le Christ, et non pour la récompense ; car c’est pour s’attirer notre amour, qu’il nous a menacés de l’enfer, qu’il nous a promis son royaume. Aimons-le donc, comme il faut l’aimer : car c’est là la grande récompense, le royaume, le plaisir, la volupté, la gloire, l’honneur, c’est là cette félicité infinie que la langue ne peut exprimer ni l’esprit comprendre. Mais je ne sais comment j’ai été entraîné à dire ces choses, à exhorter des hommes qui ne dédaignent ni le pouvoir, ni la gloire présente, à les mépriser cependant pour l’amour du Christ ; quoique, du reste, ces grands et généreux personnages aient porté l’amour jusque-là. Écoutez comme Pierre brûle de charité pour lui et le préfère à son âme, à sa vie, à tout ; et après qu’il l’eut renié, il pleura, non à cause du châtiment, mais parce qu’il avait renié son bien-aimé : tourment plus cruel que les plus durs supplices. Et tout cela se passait avant la grâce du Saint-Esprit ; souvent il insistait et disait : « Où « allez-vous ? » Et auparavant : « À qui irons-nous ? » Et encore : « Je vous suivrai partout où vous irez ». (Jn. 13,36, et VI, 69 ; Mt. 8,19) Car le Christ était tout pour eux ; ils ne préféraient ni le ciel ni le royaume des cieux à leur bien-aimé. Vous êtes tout pour moi, lui disaient-ils.
Et pourquoi s’étonner que Pierre fût dans ces sentiments ? Écoutez ce que le prophète avait dit : Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel ? « et que désiré-je de vous sur la terre ? » (Ps. 72) C’est-à-dire, de tout ce qui est en haut, de tout ce qui est en bas, je ne désire rien que vous. Voilà l’amour, voilà l’affection, si nous aimons ainsi, le présent ni l’avenir ne seront rien pour nous au prix de cet attachement, et nous obtiendrons le royaume dans les délices de son amour. Et comment cela, direz-vous ? En réfléchissant combien de fois nous l’avons outragé après tant de bienfaits, sans qu’il cessât de nous exhorter ; combien de fois nous l’avons négligé, tandis que lui ne nous néglige point, lui, mais qu’il accourt, qu’il nous invite et nous attire à lui. Ces pensées et d’autres semblables pourront allumer en nous cet amour. Si celui qui aime ainsi était un homme de basse condition, et que l’objet de cet amour fui un roi ; ce roi ne serait-il pas enchanté d’une si grande affection ? Certainement il le serait.
Mais quand c’est le contraire qui a lieu ; quand la beauté, la gloire, les richesses de celui qui nous aime sont ineffables, et que nous sommes absolument sans valeur, comment ne mériterions-nous pas mille châtiments, nous, êtres vils et abjects, si, étant aimé à l’excès par un être si grand, si admirable, nous répudiions son amour ? Il n’a besoin de rien de ce qui nous appartient, et il ne laisse pas de nous aimer ; nous avons le plus grand besoin de ses dons, et nous ne répondons point à son amour, nous lui préférons la richesse, l’amitié des hommes, le repos, les aides du corps, le pouvoir et la gloire, tandis qu’il nous estime au-dessus de tout. Il avait un Fils, légitime et unique ; il l’a sacrifié pour nous ; et nous lui préférons mille choses ! Ne méritons-nous pas l’enfer et le supplice, fût-il deux fois, trois fois, mille fois plus grand ? Qu’aurons-nous à dire, quand nous préférons les ordres de Satan aux lois du Christ, quand nous sacrifions notre salut, quand nous préférons les œuvres du vice à celui qui a tout souffert pour nous ? Quel pardon espérer pour une telle conduite ? Comment là justifier ? C’est impossible. Tenons-nous donc fermes pour ne pas courir au précipice ; venons à résipiscence ; réfléchissons à tout cela et rendons-lui gloire par nos œuvres (car il ne suffit pas de le glorifier en paroles), afin de jouir de sa gloire. Puissions-nous l’obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui, la gloire, la force, l’honneur appartiennent au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VI. modifier


MAIS TOI QUI PORTES LE NOM DE JUIF, QUI TE REPOSES SUR LA LOI ET TE GLORIFIES EN DIEU, QUI CONNAIS SA VOLONTÉ, ET QUI, INSTRUIT PAR LA LOI, SAIS DISCERNER CE QUI EST LE PLUS UTILE. (II, 17, 18, JUSQU’À III, 8)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. La simple connaissance extérieure de la loi sans l’application à s’y conformer, ne servira de rien au Juif, et il en est de même de la circoncision.
  • 3. Ce n’est qu’à l’homme vertueux qu’elle donne un avantage particulier.
  • 4. Objection : quel avantage reste-t-il donc au Juif ? – Réponse.
  • 5. Autre objection : Mais si nos prévarications ont servi à faire paraître la justice de Dieu, Dieu n’est-il pas injuste de faire tomber sur nous sa colère ? – Réponse.
  • 6. C’est par la pureté de leur vie que les chrétiens convertiront les infidèles. – Que l’avarice est une véritable idolâtrie.


1. Après avoir dit que rien ne manque au Gentil pour se sauver, s’il observe la loi, et avoir établi son admirable comparaison, il expose les avantages des Juifs et ce qui leur inspirait de l’orgueil par rapport aux Grecs. Et d’abord leur nom, qui était très-respectable, comme l’est maintenant celui du christianisme, et qui à lui seul formait une grande différence : aussi commence-t-il par là. Et voyez comme il montre le néant de cet avantage. Il ne dit pas : Toi qui es Juif, mais, « toi qui portes le nom de Juif et te glorifies en Dieu », c’est-à-dire, comme objet de son amour et son privilégié entre tous les hommes. Il me semble ici les railler légèrement de leur orgueil et de leur grande vanité, en ce qu’ils ne profitaient point du don pour leur salut, mais en abusaient pour s’élever au-dessus des autres et les mépriser. « Et qui connaît la volonté de Dieu et discerne ce qui est le plus utile ». Sans les œuvres, c’est là un défaut. Et pourtant cela semblait un avantage : Aussi fait-il soigneusement là distinction. Il ne dit pas : qui fais, mais, « Qui connais et discernes », sans pratiquer, sans agir. « Tu te flattes d’être le guide des aveugles ». Ici encore il ne dit pas : Qui es le guide des aveugles, mais. « Qui te flattes », qui te vantes de l’être : car la présomption des Juifs était grande. Aussi emploie-t-il à peu près les expressions dont les Juifs se servaient eux-mêmes dans leur jactance. Voyez dans les Évangiles ce qu’ils disent : « Tu es né tout entier dans le péché et tu nous enseignes ? ». (Jn. 9,34). Et ils se montraient fiers à l’égard de tout le monde. C’est ce que Paul continue à leur reprocher, en élevant les Gentils et en les abaissant eux-mêmes, afin de mieux les atteindre et de donner plus de poids à son accusation.
Aussi va-t-il encore plus loin en variant ses expressions. « Tu te flattes d’être le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des enfants, ayant la règle de la science et de la vérité dans la loi ». Il ne dit pas : Dans la conscience, dans les actions, dans les bonnes œuvres, mais : « Dans la loi ». Et après avoir dit cela, il fait ce qu’il a fait pour les Gentils. En effet, comme il a dit plus haut. « En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même », de même il dit ici : « Toi donc qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ? » Mais là il a été plus sévère, ici il est plus doux. Il ne dit point : Et pour cela tu mérites un plus grand châtiment, parce que tu n’uses convenablement d’aucun des grands biens qui t’ont été confiés ; mais il procède par interrogation pour les faire rougir et dit : « Toi donc qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ? » D’autre part voyez encore la prudence de Paul ! Il rappelle ceux des privilèges des Juifs qui n’étaient point le résultat de leur zèle, mais des dons d’en haut, et fait voir que non seulement ils sont inutiles à ceux qui les négligent, mais qu’ils entraînent une aggravation dans le châtiment. Car ce n’est point à cause de leurs mérites qu’ils sont appelés Juifs, qu’ils ont reçu la loi, et tous, les autres bienfaits énumérés plus haut ; mais c’est un effet de la grâce divine. Dès l’abord il avait dit qu’il ne sert à rien d’avoir écouté la loi, si on ne la pratique : « Ce ne sont que ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu ».
Maintenant allant beaucoup plus loin, il fait voir que non seulement l’audition, mais (ce qui est bien plus que l’auditions) l’enseignement même de la loi ne sert de rien au maître, s’il ne pratique ce qu’il enseigne ; que non seulement cet enseignement ne servira à rien, mais attirera un plus grand châtiment. Et il choisit à propos ses expressions, il ne dit pas : « Tu as reçu la loi, mais : « Tu te reposes sur la loi », car le Juif n’était point obligé de courir çà et là et de chercher ce qu1l avait à faire, il trouvait sans peine dans la loi le chemin qui conduit à la vertu. Si les Gentils ont le raisonnement naturel, par où ils l’emportent sur les Juifs ; puisqu’ils accomplissent tout sans avoir entendu aucun précepte positif, il n’en est pas moins vrai que ceux-ci ont plus de facilité. Si vous dites. Je n’écoute pas seulement, mais j’enseigne, vous ne faites qu’ajouter une raison de plus pour être puni. Et comme leur orgueil s’en gonflait, il leur montre qu’il n’en sont que ridicules. En effet, quand il dit : « Guide des aveugles, docteur des ignorants, maître des enfants », il fait allusion à leur orgueil, car ils abusaient étrangement de leurs prosélytes (c’était le nom qu’ils leur donnaient).
2. Aussi parle-t-il sous toutes les formes de ce qui semblait leurs gloires ; parce qu’il sait que ce sont autant de motifs de plus pour l’accusation. « Ayant la règle de la science et de la vérité dans la loi ». C’est comme si quelqu’un ayant l’image du roi n’en reproduisait aucun trait, tandis que ceux à qui elle n’aurait point été confiée la copieraient fidèlement, Après avoir rappelé les avantages qu’ils ont reçus de Dieu, il mentionne les vices que leur reprochaient les prophètes : « Toi qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ? toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes ? toi qui dis qu’il ne faut pas être adultère, tu es adultère ? toi qui as en horreur les idoles, tu commets le sacrilège ? » Il était sévèrement défendu de toucher à rien de ce qui appartenait aux idoles, comme étant abominable ; mais, dit l’apôtre, la tyrannie de l’avarice vous a fait fouler cette loi aux pieds. Ensuite il réserve pour la fin le reproche le plus grave, disant : « Toi qui te glorifies dans la loi, tu déshonores Dieu par la violation de la loi ? »
Il y a ici deux reproches, ou plutôt trois ils déshonorent, ils déshonorent par ce qui leur a été accordé à titre d’honneur, ils déshonorent celui qui les a honorés : ce qui est le comble de l’ingratitude. Et pour ne pas avoir l’air de faire ces reproches dé son chef, il cite le prophète qui les accuse ici en abrégé, sommairement et comme en gros, mais plus tard en détail ; ici encore Isaïe, puis ensuite David, après qu’il aura produit plusieurs réfutations. Pour preuve, leur dit-il, que ce n’est pas moi qui vous accuse, écoutez Isaïe : « À cause de vous le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations ». (Is. 52,5) Voici encore deux autres accusations. Non seulement, dit-il, ils outragent Dieu, mais ils le font encore outrager par les autres. À quoi vous sert donc d’instruire, si vous ne vous instruisez pas vous-mêmes ? Plus haut il s’était contenté de dire cela, maintenant il le tourne dans le sens contraire ; car non seulement vous ne vous instruisez point vous-mêmes, mais vous n’apprenez pas aux autres ce qu’ils doivent faire, chose bien pire encore, non seulement vous ne leur apprenez pas la loi, mais vous leur enseignez tout le contraire, à blasphémer Dieu, ce qui est l’opposé de la loi.
Mais, direz – vous, la circoncision est une grande chose. J’en conviens, pourvu cependant qu’elle soit accompagnée dé la circoncision intérieure. Et voyez la prudence de Paul, avec quel à propos il amène la question de la circoncision. Il n’a point commencé par là, parce qu’on en avait une haute idée ; mais après leur avoir prouvé qu’ils ont péché en matière plus grave et qu’ils ont fait blasphémer Dieu ; assuré que l’auditeur les condamne et leur ayant ôté leur privilège, il parle de la circoncision, dans la confiance que personne n’osera plus la soutenir, et il dit « A la vérité la circoncision est utile si tu observes la loi ». Il avait pourtant un autre moyen de la rejeter ; il pouvait dire : Qu’est-ce que la circoncision ? Est-elle un mérite pour celui qui l’a reçue ? est-elle une preuve de bonne volonté ? On la donne avant l’âge de raison ; ceux qui étaient dans le désert, sont restés longtemps incirconcis ; on voit d’ailleurs en plus d’un endroit qu’elle n’est pas très-nécessaire. Ce n’est cependant point par ce côté qu’il la rejette, mais par où il fallait surtout l’attaquer, par Abraham. C’était là le plus beau triomphe, de la montrer méprisable là où elle leur paraissait respectable. Il aurait pu dire que les prophètes ont souvent appelé les Juifs incirconcis, mais c’étaient là la faute de ceux qui la recevaient et non celle de la circoncision elle-même. La question était de prouver qu’elle était sans vertu dans une vie parfaite, et c’est ce qu’il va faire. Jusqu’ici il n’a point parlé du patriarche, mais après avoir d’abord déconsidéré la circoncision par d’autres motifs, il porte plus tard son attention sur Abraham, à l’occasion de la foi, et dit : « Quand la foi a-t-elle été imputée à Abraham ? Dans la circoncision, ou avant la circoncision ? » (Rom. 4,10)
Tant que la circoncision combat le païen et l’incirconcis, il ne veut pas tenir ce langage, pour ne pas blesser trop vivement ; mais quand elle est opposée à la foi, alors il l’attaque résolument. En attendant, la lutte est contre l’incirconcision ; c’est pourquoi il est moins vif et dit : « A la vérité la circoncision est utile, si tu observes la loi ; mais si tu la violes, la circoncision devient incirconcision (18, 25) ». Il suppose ici deux circoncisions et deux incirconcisions, comme il y a deux lois. Car il y a la loi naturelle et la loi civile, et un intermédiaire entre elles, la loi dans les, œuvres. Et voyez comme il indique et met en avant ces trois lois. « En effet. », dit-il, « quand les Gentils qui n’ont pas la loi » : De quelle loi s’agit-il ? de la loi écrite. « Font naturellement ce qui est selon la loi ». Selon quelle loi ? selon la loi parles œuvres. « N’ayant pas la loi ». Laquelle ? la loi écrite. « Ils sont à eux-mêmes la loi ». Comment cela ? en suivant la loi naturelle. « Montrant ainsi l’œuvre de la loi » : De quelle loi ? de la loi par les couvres. La loi écrite est extérieure, la loi naturelle est intérieure ; mais la troisième est dans les actes. Ainsi l’une est exprimée par l’Écriture, l’autre par la nature, et la troisième par les œuvres. C’est cette dernière qui est nécessaire, puisque c’est pour elle qu’existent les deux autres, la loi écrite et la loi naturelle ; et sans elle, celles-ci sont inutiles et même très-nuisibles. Et c’est ce que l’apôtre indique en parlant de la loi naturelle : « En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même » ; puis de la loi écrite : « Toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes ? » De même il y a deux incirconcisions, l’une de la nature et l’autre des œuvres ; et deux circoncisions : l’une dans la chair et l’autre dans la volonté. Par exemple, quelqu’un est circoncis le huitième jour, voilà la circoncision de la chair ; quelqu’un accomplit toutes les prescriptions légales, voilà la circoncision, du cœur, celle que Paul demande surtout, aussi bien que la loi elle-même.
3. Voyez donc comme après l’avoir d’abord admise en parole, il la supprime en effet. Il ne dit point : la circoncision est superflue, inutile, stérile ; que dit-il donc ? « À la vérité la circoncision est utile si tu observes la loi ». Il l’avait admise, en disant : J’en conviens, je ne dis pas le contraire, la circoncision est bonne ; mais quand ? quand elle est jointe à l’observation de la loi. « Mais si tu la violes, ta circoncision devient incirconcision ». Il ne dit pas : Elle est inutile, pour ne pas avoir l’air de la déshonorer ; mais en en dépouillant le Juif, il l’attaque par le fait. L’injure alors ne s’adresse plus à la circoncision, mais à celui qui l’a perdue par sa lâcheté. Paul agit dans cette circonstance comme les juges qui privent d’abord de leurs honneurs et punissent ensuite les hommes constitués en dignités, lorsqu’ils sont convaincus de quelques grands méfaits. Car après avoir dit : « Si tu la violes », il ajoute : « La circoncision devient incirconcision » ; et après avoir déclaré le Juif incirconcis, il n’hésite plus à le condamner. « Si donc l’incirconcis garde les préceptes de la loi, son incirconcision ne devient-elle pas circoncision (26) ? »
Voyez ce qu’il fait : il ne dit point que l’incirconcision l’emporte sur la circoncision : ce langage eût vivement déplu à ses auditeurs, mais il dit que l’incirconcision devient circoncision. Ensuite il demande ce que c’est que la circoncision, ce que c’est que l’incirconcision ; il répond que la circoncision ce sont les bonnes œuvres, l’incirconcision, les mauvaises ; et comme il a d’abord fait passer à la circoncision l’incirconcis qui fait le bien, et à l’incirconcision le circoncis qui vit dans le mal ; il donne ainsi naturellement la victoire à l’incirconcis. Il ne dit cependant pas : à l’incirconcis, mais il exprimé la chose même, en disant : « Son incirconcision ne devient-elle pas circoncision ? » Il ne dit pas ; est imputée, mais « devient », ce qui est plus expressif ; de même que plus haut il n’a pas dit : La circoncision est imputée à incirconcision, mais « devient » incirconcision. « Et celui qui est naturellement circoncis condamnera ». Voyez-vous qu’il reconnaît deux incirconcisions, l’une de la nature et l’autre de la volonté ? Ici cependant il parle de celle de 1à nature, mais il ne s’en tient pas, là, car il ajoute : « Celui qui accomplit la loi te condamnera, toi qui, avec la lettre et la circoncision, es prévaricateur de la loi (27) ». Voyez la délicatesse de sa prudence. Il ne dit pas que l’incirconcision naturelle, jugera la circoncision, mais il l’amène sur le point même où elle est victorieuse. Puis quand il y a défaite ; ce n’est pas la circoncision elle-même qu’il déclare vaincue, mais le Juif circoncis, évitant les expressions qui pourraient blesser son auditeur. Et il ne dit pas : toi qui as la loi et la circoncision, mais en termes plus doux : « Toi qui, par la lettre et la circoncision, es prévaricateur de la lettre », c’est-à-dire cette incirconcision venge la circoncision, car celle-ci a été outragée ; elle vient au secours de, la loi, car la loi a été violée ; et il dresse ainsi un glorieux trophée. C’est en effet un – éclatant triomphe que de faire juger le Juif non par le Juif, mais par l’incirconcis, comme il a été dit : « Les Ninivites se lèveront et condamneront cette génération » (Mt. 12,41). Il ne déshonore donc point la loi qu’il respecte beaucoup au contraire, mais le transgresseur de la loi.
Ensuite, après avoir démontré tout cela, il définit hardiment ce que c’est que le Juif : et fait voir que ce n’est point le Juif, mais celui quine l’est pas ; que ce n’est pas la circoncision, mais l’incirconcis, qu’il repousse. Il semble prendre en mains la cause de la circoncision, mais en jugeant d’après le fait, il la déprécie. non seulement il démontre qu’il n’y a pas de différence entre le Juif et l’incirconcis, mais que celui-ci l’emporte, s’il veille attentivement sur lui-même, et qu’il est le vrai Juif ; c’est pourquoi il ajoute : « Car le Juif n’est pas celui qui le paraît au-dehors, ni la circoncision celle qui se voit à l’extérieur sur la chair ». Ici il s’adresse à ceux qui font tout pour l’apparence. « Mais le Juif est celui qui l’est intérieurement, et la circoncision est celle du cœur, faite en esprit et non selon la lettre… (28, 29) ».
4. Par ces paroles il exclut tout ce qui est corporel. La circoncision, les sabbats, les sacrifices, les purifications étaient extérieurs toutes choses qu’il a en vue, quand il dit : « Car le Juif n’est pas celui qui le paraît au-dehors ». Mais comme la circoncision avait une grande importance, au point que le sabbat même lui cédait la place, c’est avec raison qu’il s’étend davantage sur elle. En disant « Celle du cœur », il ouvre la voie aux institutions de l’Église et prépare à la foi : car c’est celle qui est dans le cœur et dans l’esprit que Dieu approuve. Et pourquoi n’a-t-il pas démontré que le gentil qui fait le bien n’est pas au-dessous du Juif qui fait le bien, mais seulement que le gentil qui fait le bien l’emporte sur le Juif prévaricateur ? Pour rendre sa victoire incontestable. Car, ce point une fois admis, la circoncision de la chair est nécessairement mise de côté, et la nécessité des œuvres devient évidente. En effet si le Grec se sauve sans cela, et si le Juif se perd avec cela, c’en est fait du judaïsme. Or pour Paul le gentil n’est point l’idolâtre, mais l’homme pieux, vertueux, non assujetti aux observances légales. « Qu’est-ce, donc que le Juif a de plus ? » (3, 1)
Après qu’il a tout rejeté, la connaissance de la loi, l’enseignement, le nom de Juif, la circoncision, et tout le reste, en disant : « Le Juif n’est pas celui qui le paraît au-dehors, mais celui qui l’est intérieurement », il voit se dresser une objection et il se met en devoir de lui faire face. Quelle est-elle ? Si tout cela, dira-t-on, ne sert à rien, pourquoi la nation a-t-elle été appelée et la circoncision a-t-elle été donnée ? Que fait Paul, et comment la réfute-t-il ? Comme il a réfuté les autres. Car comme plus haut il ne fait point l’éloge des Juif, ne vante point leurs mérites, mais seulement les bienfaits de Dieu, puisque le nom de Juif, la connaissance de la volonté divine, l’appréciation des choses utiles, n’étaient point l’effet de leur volonté, mais un don de la grâce ce que le prophète leur reprochait déjà quand il disait : « il n’a point traité ainsi toutes les nations, et ne leur a point manifesté ses jugements » (Ps. 147) ; et Moïse : « Demandez si rien de semblable s’est jamais passé, si une nation a jamais entendu, sans mourir, la voix du Dieu vivant sortir du milieu des flammes » (Deut. 5,26) ; ce que Paul, dis-je, a déjà fait alors, il le fait encore ici. En effet, comme quand il parlait de la circoncision, il ne disait pas qu’elle était inutile sans les œuvres, mais qu’elle était utile, avec les œuvres, rendant ainsi la même idée en termes plus doux ; et encore comme après avoir dit : « Si tu violes la loi », il n’a pas ajouté ; ta circoncision ne te sert à rien, mais : « Ta circoncision devient une incirconcision » ; puis plus bas : « L’incirconcis ne jugera pas la circoncision, mais te jugera toi, prévaricateur de la loi » ; ménageant ainsi la loi, et accusant les hommes : de même fait-il encore ici.
Car s’étant posé à lui-même l’objection, en disant : « Qu’est-ce donc que le Juif a de plus ? » Il ne répond pas ; Rien, mais il effleure le sujet et détruit par la suite l’objection en démontrant que cette prééminence même a été pour eux une source de châtiments. Comment cela ? Je vais vous le dire, après avoir reproduit l’objection : « Qu’est-ce donc que le Juif a de plus, et à quoi sert la circoncision ? Beaucoup de toute manière. Premièrement, parce que c’est aux Juifs que les oracles de Dieu ont été confiés… (2) ». Le voyez-vous, comme je vous l’ai déjà dit, rappelant les bienfaits de Dieu sans faire aucune mention de leurs mérites. Qu’est-ce à dire : « Ont été confiés ? » Parce qu’on leur avait confié la loi, parce que Dieu les avait estimés au point de les rendre dépositaires de ses oracles. Je sais que quelques-uns appliquent ces mots : « Ont été confiés » aux oracles mêmes et non aux Juifs, ce qui voudrait dire la loi a été confiée : mais la suite ne permet pas cette interprétation. D’abord Paul parle ici par manière d’accusation, et montre aux Juifs qu’ils ont reçu de Dieu de grands bienfaits et se sont montrés extrêmement ingrats. D’ailleurs ce qui suit en donne la preuve, puisqu’il ajoute : « Car qu’importe si quelques-uns d’entre eux n’ont pas cru ? » S’ils n’ont pas cru, dira-t-on, comment les oracles leur ont-ils été confiés ? Que veut donc ; dire l’apôtre ? Que Dieu leur a confié sa parole, mais non qu’ils y ont cru : autrement quel sens aurait la suite ? Car il ajoute : « Qu’importe si quelques-uns d’entre eux n’ont pas cru ? » Ce qui vient après prouve encore le même sens : « Leur infidélité rendra-t-elle vaine la fidélité de Dieu ? Non, sans doute (3) ». Il affirme donc que ce qui leur a été confié est un don de Dieu. Voyez encore ici sa prudence. Il ne leur adresse toujours pas de reproche de lui-même, mais sous forme d’objection, comme s’il disait : Peut-être direz-vous : À quoi bon cette circoncision ? Car ils n’en ont point usé convenablement ; la loi leur a été confiée et ils n’y ont pas cru. Cependant l’accusateur n’est pas violent : c’est en paraissant chercher à justifier Dieu, qu’il fait tomber sur eux tout le reproche. Pourquoi, dit-il, objectez-vous qu’ils n’ont pas cru ? Qu’importe à Dieu ? L’ingratitude de ceux qui ont reçu ses bienfaits détruit-elle ces bienfaits ? Fait-elle que d’honneur ne soit pas un honneur ? Car c’est le sens de ces mots : « Leur infidélité rendra-t-elle vaine la fidélité de Dieu ? Non sans doute ». C’est comme si on disait : J’ai accordé un honneur à un tel ; s’il ne, l’a point accepté, on ne saurait m’en faire un reproche ; cela ne détruit point ma bienveillance, mais prouve son insensibilité. Et Paul ne se contente pas e cela, il dit beaucoup plus, à savoir que non seulement l’incrédulité des Juifs n’est point un motif de reproche envers Dieu, mais qu’elle fait mieux ressortir sa bonté et d’honneur qu’il leur a fait, puisqu’il a honoré un peuple qui devait le déshonorer.
5. Voyez-vous comme il transforme en sujets d’accusation les choses mêmes dont ils se glorifiaient. En effet Dieu les a tellement honorés, que la prévision même de l’avenir n’a point empêché sa bienveillance, et ils se sont servis pour l’outrager de l’honneur même qu’il leur accordait. D’après ces mots : « Qu’importe, si quelques-uns n’ont pas cru ? » Il paraît que tous – ont été incrédules. Pour ne pas emprunter le langage de l’histoire et paraître leur ennemi par la violence du reproche, il prend la forme du raisonnement et du syllogisme pour exprimer la réalité des faits, disant : « Dieu est vrai et tout homme est menteur (4) ». C’est-à-dire. Je ne nie pas que quelques-uns aient été incrédules ; mais supposez, si vous le voulez, que tous l’ont été ; faisant ainsi une concession en passant, pour ne pas paraître blessant ni suspect. Mais cela même, ajoute-t-il, justifie Dieu. Qu’est-ce à dire, justifie ? Si l’on établissait un jugement et une enquête sur les bienfaits que Dieu a accordés aux Juifs et sur le retour dont ils l’ont payé, la victoire serait à Dieu et il apparaîtrait juste en tout. Après avoir démontré cela par tout ce qu’il vient de dire, il invoque le témoignage du prophète qui dit : « Afin que vous soyez reconnu fidèle dans vos paroles et victorieux quand on vous juge ». (Ps. 50) Il a fait pour eux tout ce qui était en lui et ils n’en sont pas devenus meilleurs. L’apôtre présente ensuite une autre objection qui naît du sujet : « Que si notre iniquité relève la justice de Dieu, que dirons-nous ? Dieu n’est-il pas injuste d’envoyer sa colère ? (Je parle humainement) Point du tout… (5,6) » : Il réfute l’absurde par l’absurde.
Mais comme ceci est obscur, il est nécessaire de l’éclaircir. Que dit-il donc ? Dieu a honoré les Juifs, et les Juifs l’ont déshonoré. Cela lui donne la victoire et fait voir combien il a été bon d’honorer un tel peuple. Mais, dira-t-on, si en l’outrageant et en le déshonorant, nous lui avons assuré la victoire et fait éclater sa justice. Pourquoi sommes-nous punis, nous qui lui avons prouvé le triomphe par nos propres injures ? Comment l’apôtre répond-il ? Je l’ai déjà dit : Par une autre absurdité : Si, dit-il, tu as été la cause de sa victoire et que tu sois néanmoins puni, c’est une injustice ; mais s’il n’est pas injuste et que tu sois puni, c’est que tu n’es pas la cause de sa victoire. Et voyez cette prudence apostolique ! Après avoir dit : « Dieu n’est-il pas injuste d’envoyer sa colère ? » Il ajoute : « Je parle, humainement », c’est-à-dire pour employer le raisonnement humain : car le juste jugement de Dieu surpasse de beaucoup ce qui nous paraît juste, et renferme d’autres motifs mystérieux. Et comme ce langage était obscur, il répète encore la même chose : « Car si par mon infidélité, la vérité de Dieu a éclaté davantage pour sa gloire, pourquoi suis-je encore jugé comme pécheur ? (7) ».
C’est-à-dire : Si par vos désobéissances vous avez fait ressortir la bienveillance, la justice et la bonté de Dieu, non seulement vous ne méritez pas d’être puni, mais vous avez droit à une récompense. Or s’il en est ainsi, voici l’absurdité qui en découlera, absurdité qui a cours chez un grand nombre : à savoir, que le bien naît du mal et que le mal est la source du bien, en sorte qu’il faudrait nécessairement de deux choses l’une : ou qu’en punissant, Dieu se montrât injuste, ou qu’en ne punissant pas, il triomphât par le fait de nos iniquités : deux conséquences souverainement absurdes. En le démontrant, Paul attribue aux Grecs l’invention de ces croyances, et pense que pour réfuter de telles assertions il suffit d’en nommer les auteurs. Car alors ils disaient pour se moquer de nous : Que nous faisons le mal pour que le bien en résulte. Ce que Paul établit clairement par ces paroles : « Et ne ferons-nous pas le mal pour qu’il en arrive du bien, conformément au blasphème qu’on nous impute, et à ce que quelques-uns nous font dire ? La condamnation de ceux-là est juste… (8) ». En effet, comme il avait dit : « Où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». (Rom. 5,20), ils le tournaient en dérision et donnant à sa parole un autre sens, ils prétendaient qu’il faut s’attacher au mal pour en faire sortir le bien. Ce n’était point là ce que Paul entendait ; et pour corriger cette fausse interprétation, il dit : « Quoi donc ? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde ? A Dieu ne plaise ! » (Rom. 6,1-2) Car j’ai parlé des temps passés, dit-il, et non dans le but de faire admettre et pratiquer cette doctrine. Et pour écarter tout soupçon là-dessus, il déclare la chose impossible. « Car », dit-il, « comment nous qui sommes morts au péché, vivrions-nous encore dans le péché ? »
6. Il attaque donc volontiers les Grecs, parce que leur vie était horriblement corrompue ; quant aux Juifs, si leur conduite semblait négligée, ils avaient de puissantes garanties, la loi, la circoncision, leur commerce familier avec Dieu, le titre de docteurs universels. Aussi Paul les dépouille-t-il de ces privilèges, leur démontre-t-il qu’ils n’en seront que plus punis pour les avoir possédés, et c’est par là qu’il conclut ici son discours. En effet, s’ils ne sont pas punis pour avoir fait ce qu’ils ont fait, il faut nécessairement admettre cette parole blasphématoire : « Faisons le mal pour qu’il en arrive du bien ». Or, si c’est là une impiété, si ceux qui la profèrent seront punis (et c’est ce qu’il a établi en disant : « La condamnation de ceux – là est juste »), il est évident qu’ils seront punis. Mais si ceux qui tiennent ce langage méritent un châtiment, à bien plus forte raison ceux qui le mettent en pratique ; et s’ils méritent un châtiment, c’est qu’ils ont péché. Car ce n’est pas un homme qui punit, un homme dont le jugement pourrait être suspect ; mais Dieu qui agit toujours avec justice. Or, s’ils sont justement punis, c’est que les reproches qu’ils nous adressaient en plaisantant étaient injustes ; car Dieu a tout fait et fait encore tout pour rendre éclatantes et droites nos institutions. Ne nous relâchons donc pas ; et par là nous pourrons arracher les Grecs à leur erreur.
Mais si nous sommes sages en paroles et déréglés dans notre conduite, de quel œil les verrons-nous ? Quel langage leur tiendrons-nous sur les dogmes ? Ils diront à chacun de nous : Toi qui ne fais pas le moindre bien, comment oses-tu prêcher la perfection ? Toi qui ne sais pas encore que l’avarice est un mal, que viens-tu raisonner sur les choses célestes ? Mais tu sais que c’est un mal ? Tu n’en es que plus coupable alors, puisque tu ne pèches pas par ignorance. Mais pourquoi parler des Gentils ? Nos propres lois nous ôtent le droit d’élever la voix, quand notre conduite est déréglée. « Car », il est écrit : « Dieu a dit au pécheur : Pourquoi parles-tu de ma loi ? » (Ps. 49) Les Juifs avaient été emmenés en captivité, et quand les Perses les suppliaient et les pressaient de chanter leurs divins cantiques, ils répondaient : « Comment chanterons-nous les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère ? » (Ps. 136) Que s’il n’était pas convenable de chanter les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère, combien cela est-il moins permis à une âme étrangère ? Or, telle est l’âme sans pitié. Car si la loi commandait le silence à des captifs, devenus esclaves des hommes sur une terre étrangère ; à combien plus forte raison doivent se taire les esclaves du péché, assujettis à une autre règle de vie ? Pourtant ces Juifs avaient leurs instruments : « Nous avons », disaient-ils, « suspendu nos instruments aux branches des saules (16) », et il ne leur était point permis de s’en servir. Donc, bien que nous ayons une bouche et une langue, qui sont les instruments de la parole, nous ne devons point nous en servir, tant que nous sommes esclaves du péché, le plus impérieux des maîtres étrangers.
Eneffet, dites-moi un peu, vous qui êtes voleur et avare, que pouvez-vous dire au Grec ? Renonce à l’idolâtrie ? Apprends à connaître Dieu ? Ne cherche point l’or et l’argent ? Mais ne se mettra-t-il pas à rire et à vous dire Commence par t’appliquer ce langage ? Car qu’un gentil ou un chrétien soit idolâtre, ce n’est pas la même chose. Comment pourrons-nous détourner un païen de cette idolâtrie, quand nous y sommes livrés nous-mêmes ? Nous sommes plus près de nous que le prochain. Comment persuaderons-nous les autres, si nous ne nous persuadons pas nous-mêmes ? Si celui qui ne sait pas gouverner sa maison, ne sera point chargé de gouverner l’Église, celui qui ne sait pas régler son âme, pourra-t-il corriger celle des autres ? Ne me dites pas que vous ne vous prosternez point devant une statue d’or ; mais prouvez-moi que vous ne faites pas ce que l’or vous commande. Car il y a bien des espèces d’idolâtrie : l’un sert Mammon comme son maître, l’autre son ventre, un troisième quelque passion plus coupable encore. Mais vous ne leur immolez point de bœufs à la manière des gentils ? Vous faites bien pire : vous leur sacrifiez votre âme. Mais vous ne fléchissez pas le genou, vous n’adorez pas ? Sans doute, mais vous faites avec bien plus de docilité tout ce que vous commandent votre. ventre, l’or ou toute autre passion tyrannique ; et c’est en cela même que les Grecs sont abominables, parce qu’ils ont divinisé les passions : l’amour sous le nom de Vénus, la colère sous celui de Mars, l’ivrognerie sous celui de Bacchus.
Si vous ne leur taillez point de statues comme eux, vous ne vous inclinez pas avec moins d’ardeur devant ces mêmes passions, faisant ainsi, des membres du Christ, des membres de prostituée et vous plongeant encore dans d’autres iniquités. C’est pourquoi je vous exhorte, à comprendre l’excès de cette démence et à fuir l’idolâtrie, puisque c’est le nom que Paul donne à l’avarice (Col. 3,5). Et ce n’est pas seulement la cupidité qui s’attache à l’orgueil qu’il faut fuir, mais aussi celle qui a pour objet le désir impur, les vêtements, la table, ou toute autre chose. Car nous serons bien plus sévèrement punis, si nous n’obéissons pas aux lois du Christ. En effet, il est écrit : « Le serviteur qui a connu la volonté de son maître, et ne l’a pas exécutée, recevra un grand nombre de coups ». (Lc. 12,47) Afin donc d’éviter ce châtiment et d’être utiles à nous-mêmes et aux autres, chassons de notre âme tous les vices et embrassons la vertu. Par là nous obtiendrons les biens futurs. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui la gloire, l’honneur, la force appartiennent an Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII. modifier


QUOI DONC ? SOMMES-NOUS AU-DESSUS D’EUX ? NULLEMENT. CAR NOUS AVONS CONVAINCU LES JUIFS ET LES GRECS D’ÊTRE TOUS SOUS LE PÉCHÉ SELON QU’IL EST ÉCRIT : PAS UN SEUL N’EST JUSTE ; IL N’Y A PERSONNE QUI COMPRENNE, IL N’Y A PERSONNE QUI CHERCHE DIEU. TOUS ONT DÉCLINÉ, TOUS SONT DEVENUS INUTILES ; IL N’EN EST PAS UN QUI FASSE LE BIEN, IL N’EN EST PAS MÊME UN SEUL. LEUR BOUCHE EST UN SÉPULCRE OUVERT, LEUR LANGUE UN INSTRUMENT DE FRAUDE ; UN VENIN D’ASPIC EST SOUS LEURS LÈVRES ; LEUR BOUCHE EST REMPLIE DE MALÉDICTION ET D’AMERTUME ; LEURS PIEDS SONT VITES POUR RÉPANDRE LE SANG ; LA DESTRUCTION ET LE MALHEUR SONT DANS LEURS VOIES, ET LA VOIE DE LA PAIX, ILS NE L’ONT PAS CONNUE ; LA CRAINTE DE DIEU N’EST PAS DEVANT LEURS YEUX (III, 9-18, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier

  • 1. Tous les hommes ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu.
  • 2. La justice de Dieu s’est manifestée sans la loi et par la foi dans tous ceux qui ont cru.
  • 3. Ne rejetons pas cette justice, nous y trouverons deux avantages : le premier, qu’un si grand bien nous coûte fort peu, puisque nous n’avons qu’à croire ; le second, que c’est un bien que Dieu nous offre à tous dans sa munificence. – Les Juifs ne peuvent plus se glorifier d’aucun avantage sur les autres nations.
  • 4. L’homme est justifié sans les œuvres de la loi mosaïque, il est raisonnable qu’il en soit ainsi, car Dieu n’est pas seulement le Dieu des Juifs, mais le Dieu de tous les hommes. – La foi néanmoins ne détruit pas la loi, au contraire, elle la complète. – La loi a préparé la voie à la foi, et la foi a rempli le but de la loi.
  • 5-8. Mais puisque nous savons qu’outre la foi qui nous justifie, nous avons encore besoin d’une bonne vie, rendons-nous dignes d’un don si précieux en conservant entre nous une charité naturelle. – Éviter l’envie, fléau de l’Église. – Faire l’aumône.


1. Il a accusé les Gentils, il a accusé les Juifs ; il était naturel qu’il parlât ensuite de la justice par la foi. En effet, si la loi dé nature n’a servi à rien, si la loi écrite n’a, pas servi davantage, si toutes les deux ont tourné au détriment de ceux qui n’ont point su en user et sont devenues pour eux la cause de plus grands châtiments : le salut par la grâce était donc nécessaire. Parlez-en donc, Paul, et faites-le nous voir. Mais il n’ose pas encore, se défiant de la violence des Juifs ; il en revient alors à les accuser, et en premier lieu introduit pour accusateur David, qui expose longuement ce qu’Isaïe, a exprimé en peu, de mots. Par là il leur met un frein puissant qui les empêchera de regimber ; en sorte que, déjà contenus vigoureusement par les accusations des prophètes, pas un de ses auditeurs ne puisse se soustraire à ce qu’il va dire sur la foi. Le prophète pose d’abord trois points extrêmement graves : tous ont fait le mal ; ils l’ont fait d’une manière absolue, sans mélange de bien, ils l’ont fait de toute l’étendue de leur pouvoir. Et pour qu’ils ne disent pas : Que nous importe, si cela s’adresse à d’autres ? Il ajoute : « Or, nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi… (19) ». C’est pourquoi après Isaïe, qui, de l’avis de tous, s’adressait à eux, il introduit David pour leur montrer que l’un se rattache à l’autre. Quelle nécessité, leur dit-il, à ce que le prophète en accusât d’autres que vous, lui qui avait été envoyé pour vous corriger ? Car la loi n’avait été donnée qu’à vous. Mais pourquoi Paul ne dit-il pas : Nous savons que tout ce que le prophète dit ; mais : « Que tout ce que la loi dit ? » Parce qu’il a l’usage de donner à tout l’Ancien Testament le nom de loi. En effet il dit ailleurs : « N’entendez-vous pas la loi ? Abraham eut deux fils ». (Sal. 4,21-22) De même ici il appelle les Psaumes la loi, en disant : « Nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi ».
Ensuite il montre que cela n’a pas été dit simplement en manière de reproche, mais afin que la loi préparât les voies à la foi. Tel est l’accord entre l’Ancien et le Nouveau Testament que les « reproches et les louanges avaient certainement pour but d’ouvrir aux auditeurs, d’une manière éclatante, la porte de la foi. En effet, comme la principale cause de la perte des Juifs a été la haute idée qu’ils avaient d’eux-mêmes (ce que l’apôtre leur reproche plus bas en ces termes : « Ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu) ». (Rom. 10,3) La loi et les prophètes combattaient d’avance leur présomption, comprimaient leur orgueil, afin que, réfléchissant sur leurs fautes, dépouillant toute arrogance, et se voyant exposés aux derniers périls, ils courussent avec grand empressement à celui qui leur offrait la rémission de leurs péchés et accueillissent la grâce par la foi. C’est à quoi Paul fait allusion ici, quand il dit : « Nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi, en sorte que toute bouche soit fermée et que tout le monde soit jugé digne des vengeances de Dieu ».
Ici il fait voir qu’ils n’ont point cette solide gloire que procurent les bonnes œuvres, et qu’ils sont seulement fiers et insolents en paroles. Aussi emploie-t-il ce mot propre : « En sorte que toute bouche soit fermée ». Signalant par là leur imprudente et intolérable jactance, et indiquant en même temps que leur langue est enfin refrénée ; car elle avait la violence d’un torrent, mais le prophète lui a mis le frein. Et par ces mots : « En sorte que toute bouche soit fermée », il ne veut pas dire qu’ils ont péché exprès pour qu’on leur fermât la bouche ; mais il veut seulement les convaincre de péché, afin qu’ils n’ignorent pas qu’ils sont pécheurs. « Et que tout le monde soit jugé digne des vengeances de Dieu ». Il ne dit pas, tout Juif, mais toute la nature ». D’un côté, ces expressions : « En sorte que toute bouche soit fermée », est une allusion aux Juifs, mais une allusion voilée, pour ne pas paraître trop rude ; de l’autre, celles-ci : « Et que tout le monde soit jugé digne des vengeances de Dieu », s’adressant tout à la fois aux Juifs et aux Gentils. Et ce n’est pas là un faible moyen de rabattre leur orgueil, que de leur montrer que sur ce point ils n’ont rien de plus que les gentils, et qu’ils sont livrés à la même perdition à l’égard du salut, car on appelle proprement υποδιχος; celui qui étant accusé ne peut se défendre lui-même, mais a besoin des secours d’autrui, comme nous étions nous-mêmes après avoir perdu tous les moyens de salut : « Car par la loi on « a la connaissance du péché ». De nouveau il revient à la loi, mais avec ménagement ; car ce n’est point elle qu’il accuse, mais la lâcheté des Juifs ; et comme il va parler de 1a foi, il tient à prouver ici que la loi était très-affaiblie. Si vous vous glorifiez de la loi, leur dit-il, elle vous couvre de honte : car elle accuse vos péchés. Cependant, il ne parle pas si rudement, mais avec plus d’indulgence : « Car par la loi on a la connaissance du péché (20) ». Donc, le châtiment en sera plus grand, mais pour les Juifs. La loi a eu pour effet de vous faire connaître le péché ; c’était à vous à l’éviter ; pour ne l’avoir pas fait, vous vous êtes attiré une punition plus sévère, en sorte que le secours même que vous offrait la loi est devenu pour vous l’origine d’un châtiment plus dur.
2. Après avoir ainsi augmenté leurs craintes il revient à parler de la grâce, pour leur inspirer un vif désir de la rémission de leurs péchés, et il dit : « Tandis que maintenant, dans la loi, la justice de Dieu a été manifestée (21) ». Il énonce là une grande chose et qui a bien besoin d’être prouvée. Si en effet ceux qui vivaient sous la loi non seulement n’ont point échappé au châtiment, mais se le sont attiré plus sévère, comment pourra-t-on, en dehors de la loi, non seulement éviter la punition, mais même être justifié ? Voilà les deux points principaux qu’il établit : être justifié et obtenir tous ces biens sans la loi. Aussi ne dit-il pas simplement la justice, mais « La justice de Dieu », relevant, par la dignité du personnage, la grandeur du don et la certitude de l’accomplissement de la promesse, puisque tout est possible à Dieu. Il ne dit point non plus : a été donnée mais : « A été manifestée », pour échapper au reproche d’innovation ; car la manifestation est comme la révélation d’une chose ancienne et cachée. Et non seulement ici, mais plus bas encore, il montrera que ce n’est point là une nouveauté. En effet, après ce mot : « A été manifestée », il ajoute : « Étant confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes ».
Ne vous troublez pas, leur dit-il, parce qu’elle est donnée maintenant, comme si c’était une chose nouvelle et inouïe ; car elle a déjà été prédite autrefois par la loi et par les prophètes. Il s’est déjà servi de cette preuve pour d’autres sujets ; il s’en servira encore. Plus haut il a produit ce texte d’Habacuc : « Le juste vit de foi ». (Rom. 1,17) Puis il a parlé d’Abraham et de David, à propos d’autres questions. Ces personnages jouissaient d’une grande autorité chez les Juifs ; car l’un était patriarche et prophète, et l’autre roi et prophète, et c’était à eux qu’avaient été faites les promesses relatives à ce sujet. Aussi Matthieu, au début de son Évangile, les mentionne-t-il d’abord tous les deux, et donne ensuite les générations par ordre. En effet, après avoir dit : « Livre de la généalogie de Jésus-Christ », il ne fait point suivre le nom d’Abraham, de ceux d’Isaac et de Jacob ; mais il nomme David avec Abraham, et même, chose étonnante ! avant Abraham, puisqu’il dit : « Fils de David, fils d’Abraham » ; après quoi il énumère Isaac, Jacob et tous leurs descendants. C’est aussi pour cela que l’apôtre les cite souvent et dit ici : « La justice de Dieu étant confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes ». Et pour qu’on ne dise pas : Comment serons-nous sauvés, nous qui ne contribuons en rien à ce dont il s’agit ? il montre que ce que nous y apportons n’est pas peu de chose, à savoir la foi. Aussi après avoir dit : « La justice de Dieu », il ajoute : « Par la foi, pour tous ceux et sur tous ceux qui croient… (22) ».
Ici encore le Juif se trouble, en voyant qu’il n’a rien de plus que les autres et qu’il est compris dans le dénombrement de toute la terre. Pour y obvier, l’apôtre le comprime par la crainte, en ajoutant : « Car il n’y a point de distinction, parce que tous ont péché (23) ». Ne me dites pas qu’un tel est Grec, qu’un tel est Scythe, qu’un tel est Thrace ; car tous sont de même condition. Si vous avec reçu la loi, vous n’y avez appris qu’une chose : à connaître le péché, et non à le fuir. Ensuite, pour qu’on n’objecte point : Si nous avons péché, ce n’est pas comme eux, il continue : « Et sont privés de la gloire de Dieu ». Ainsi, bien que tu n’aies point commis les mêmes péchés que les autres, tu es également privé de la gloire : car tu es de ceux qui ont péché ; or celui qui a péché ne compte point parmi les glorifiés, mais parmi ceux qui sont couverts de confusion. Pourtant ne crains pas : Si je dis cela, ce n’est pas pour te jeter dans le désespoir, mais pour te faire comprendre la bonté du Maître. Aussi ajoute-t-il : « Étant justifiés gratuitement par la grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus, que Dieu a établi propitiation par la foi en son sang pour montrer sa justice (24, 25) ». Voyez que de preuves à l’appui de sa proposition ! D’abord la dignité de la personne ; ce n’est point l’œuvre d’un homme qui serait sujet à défaillir, mais celle de Dieu qui peut tout : « C’est la justice de Dieu », dit-il. En second lieu la loi et les prophètes. Ne t’effraies donc point de ce mot : « Sans la loi », car la loi y consent. En troisième lieu, les sacrifices de l’Ancien Testament ; ce qui lui fait dire : « En son sang », leur rappelant par là les brebis et les veaux qu’on immolait. Si le sang des animaux, leur dit-il, purifiait du péché, à bien plus forte raison celui-ci. Il ne dit pas simplement délivrance, mais « Rédemption », afin que nous ne retournions jamais à l’ancienne servitude ; et pour cela il l’appelle « Propitiation », afin de montrer que si la figure avait déjà tant de puissance, la réalité en aura bien davantage. Et pour prouver encore qu’il n’y a là rien de nouveau, rien de récent, il dit : « A établi ». Après avoir par ces expressions : « Dieu a établi », indiqué que c’est l’œuvre du Père, il montre quelle est aussi celle du Fils ; le Père a proposé, mais le Christ a tout opéré dans son sang « Pour montrer sa justice ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Montrer sa justice ? » Comme la richesse se prouve non seulement par ce qu’on est riche soi-même, mais parce qu’on enrichit les autres ; comme la vie se manifeste non seulement en ce que l’on vit soi-même, mais en ressuscitant les morts ; de, même la puissance se démontre non seulement parce que l’on peut soi-même, mais parce que l’on rend la force aux faibles. Ainsi la justice se fait voir non seulement en ce que l’on est juste soi-même, mais en ce que l’on rend justes immédiatement des hommes consommés dans l’iniquité. Du reste, Paul interprète lui-même le mot « montrer », quand il ajoute : « Afin qu’il soit juste lui-même et qu’il justifie celui qui a la foi en Jésus (26) ».
3. Soyez sans défiance ; c’est de la foi non des œuvres que procède la justice. Ne fuyez point la justice de Dieu ; elle a un double avantage : elle coûte peu et elle est offerte à à tout le monde. Ne soyez point honteux, ne rougissez pas : car si Dieu montre ici son action, si, pour ainsi dire, il s’en félicite et s’en vante, pourquoi seriez-vous honteux, pourquoi rougiriez-vous de ce, dont Dieu se glorifie ? Après avoir donc relevé son auditeur en lui disant que ce qui s’est fait est la manifestation de la justice de Dieu, il presse d’autre part le lâche, le timide, d’approcher, en disant : « Par la rémission ou l’anéantissement des péchés précédents ». Voyez-vous comme il leur rappelle souvent leurs fautes ? Plus haut, il a dit : « Car par la loi, on a la connaissance du péché », puis : « Tous ont péché » ; et ici son langage est plus énergique.: En effet il ne dit pas : par les, péchés, mais : « Par l’anéantissement », c’est-à-dire par la mortification, la destruction. Car il n’y avait plus d’espoir de guérison ; comme un corps paralysé, l’âme morte avait besoin d’une main supérieure. Et ce qui est plus grave, et qu’il donne comme une circonstance aggravante, c’est que la rémission a eu lieu dans la tolérance de Dieu. Vous ne pouvez pas, leur dit-il, nier que vous ayez rencontré une grande patience et une grande bonté. Ces mots : « En ce temps », indiquent précisément cette patience et cette bonté. C’est, leur dit-il, quand nous étions désespérés, quand le moment de la sentence était venu, quand le mal était augmenté et que la mesure des péchés était comble, c’est alors que Dieu a fait éclater sa puissance pour nous apprendre à quel point la justice surabonde en lui. Si la chose eût eu lieu au commencement, elle eût paru moins étonnante, moins prodigieuse que maintenant, où tous les remèdes ont été démontrés impuissants.
« Où est donc le sujet de la gloire ? Il est exclu », dit-il. « Par quelle loi ? Des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi (27} ». Paul fait de grands efforts pour montrer que la foi a une vertu que la loi n’eût pu même imaginer. Après avoir dit que Dieu justifie l’homme par la foi, il prend encore la loi à partie. Il ne dit pas : Où sont les bonnes actions des Juifs ? Où Sont leurs œuvres de justice ? mais : « Où est donc le sujet de gloire ? » Leur démontrant de toute manière qu’ils ne font que se vanter comme s’ils avaient plus que les autres, mais qu’ils ne produisent aucune œuvre. Et après avoir dit : « Où est donc le sujet de la gloire ? » il ne répond pas : il a disparu, il est ; détruit, mais : « Il est exclu », ce qui marque surtout l’inopportunité ; une chose qui a fait son temps. Car de même que quand l’heure du jugement arrive, il n’est plus temps de se repentir, ainsi, l’arrêt une fois prononcé, tout étant sur le point de périr, et celui qui devait guérir tous les maux par la grâce étant arrivé, ils ne pouvaient plus prétexter qu’ils se corrigeraient par le moyen de la loi. S’ils l’avaient pu, ils auraient dû le faire avant la venue du Christ ; mais celui qui sauve par la loi étant arrivé, le temps des combats était passé ; et comme tout était convaincu d’impuissance, il procure le salut par la grâce. Il est venu maintenant pour qu’on ne dise pas comme, on l’aurait dit s’if était venu dès le commencement, qu’on aurait pu se sauver au moyen de la loi par ses propres efforts et ses propres mérites. Pour ôter ce prétexte à ces bouches impudentes, il a tardé longtemps, de manière à sauver par sa grâce, quand il a été démontré clairement et de toutes les manières que les hommes ne pouvaient se suffire à eux-mêmes. Aussi après avoir dit plus haut : « Pour montrer sa justice. », il a ajouté : « En ce temps », s’il en est qui disent le contraire, ils ressemblent à un grand criminel qui, n’ayant pu se justifier devant le tribunal, aurait été condamné et sur le point de subir son supplice, et qui après avoir été gracié par la bonté du roi, devenu libre, se vanterait impudemment de n’être pas coupable. Il fallait démontrer son innocence, avant d’être gracié ; plus tard, il n’est plus temps de se glorifier. C’est le cas des Juifs. Comme ils s’étaient perdus eux-mêmes, le Christ est venu pour réprimer leur insolence. Celui, qui se dit : « Le maître des enfants », qui se glorifie dans sa loi, qui s’appelle « Le docteur des ignorants » et qui a aussi besoin qu’eux de maître et de Sauveur, celui-là n’a pas de raison de se glorifier. Car si déjà auparavant la circoncision était devenue incirconcision, à plus forte raison maintenant : les deux époques la rejettent. Après avoir dit : « Est exclu », il dit comment. Et comment ? « Par quelle loi ? Des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi ».
4. Voilà qu’il appelle la foi une loi, adoptant volontiers ces dénominations, pour écarter toute apparence de nouveauté. Or, quelle est la loi de la foi ? Le salut par la grâce Ici il fait voir la puissance de Dieu, qui non seulement a sauvé, mais justifié, mais procuré des motifs de gloire, et cela sans les œuvres et en ne demandant que la foi. L’apôtre parle ainsi pour inspirer la modestie au Juif croyant, et contenir, et attirer celui qui ne croit pas. En effet celui qui est sauvé, s’il est tenté de se glorifier de la loi, apprendra qu’elle lui ferme la bouche, qu’elle l’accuse, qu’elle était un obstacle à son salut, qu’elle lui ôtait out sujet dé gloire ; et celui qui ne croit pas, devenu humble par les mêmes motifs, pourra arriver à la foi. Voyez-vous comme la foi est puissante ? comme elle détache du passé, en ne souffrant pas qu’on s’en glorifie ?
« Nous reconnaissons donc que l’homme est a justifié par la foi, sans les œuvres de la loi (18) ». Après avoir montré que ceux qui croient s’ont supérieurs aux Juifs, il parle de la foi avec une grande liberté et calme le trouble qui semblait en résulter. En effet deux choses troublaient ici les Juifs : l’une que ceux qui n’avaient pu, être sauvés par les œuvres, le fussent sans les œuvres ; l’autre que les incirconcis jouissent à juste titre des mêmes avantages que ceux qui avaient si longtemps vécu sous la loi : et ce dernier point les révoltait bien plus que l’autre. C’est pourquoi Paul, après avoir prouvé le premier, passe au second, qui troublait tellement les Juifs que, même après avoir reçu la foi, ils en firent une matière de reproche à Pierre, à l’occasion de Corneille et de ce qui le concernait lui-même. Que dit-il donc ? « Nous reconnaissons que l’homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi ». Il ne dit pas le Juif, l’homme qui était sous la loi, mais « L’homme », en terme générique, étendant ainsi son langage, et ouvrant au monde entier les portes du salut.
Puis, à ce propos, il résout une objection qui n’avait pas encore été posée Car comme il était vraisemblable que les Juifs, entendant dire que tout homme est justifié par la foi, en seraient blessés et scandalisés, il ajoute : « Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? » Comme s’il disait : Pourquoi trouves-tu absurde que tout homme soit sauvé ? Dieu est-il partial ? Par là il leur fait sentir qu’en voulant faire tort aux gentils, c’est la gloire de Dieu même qu’ils attaquent, puisqu’ils ne veulent pas qu’il soit le Dieu de tous. Or s’il est le Dieu de tous, il pourvoit à tous ; et s’il pourvoit à tous, il les sauve tous également par la foi. C’est ce qui lui fait dire : « Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? Ne l’est-il pas aussi des Gentils ? Oui, certes, des Gentils aussi (29) », Car il n’est pas Dieu en partie, comme les divinités fabuleuses des Grecs, mais le Dieu universel et unique. C’est pourquoi, Paul ajoute : « Puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu » : c’est-à-dire un seul Maître des uns et des autres. Que si vous me parlez de l’ancien ordre des choses, je vous dirai que, même alors, la Providence était pour tout le monde, quoique d’une autre manière : en effet la loi écrite vous avait été donnée, à eux la loi naturelle ; et ils n’étaient pas moins bien partagés que vous. Ils pouvaient même l’emporter, s’ils l’eussent voulu. C’est à quoi il fait allusion quand il ajoute « Qui justifiera les circoncis par la foi et les incirconcis parla foi (30) », leur rappelant ainsi ce qu’il leur a dit plus haut sur la circoncision et sur l’incirconcision, quand il leur a prouvé qu’entre ces deux choses il n’y avait point de différence. Or s’il n’y avait point de différence alors, à plus forte raison maintenant ; et pour le prouver plus clairement, il fait voir, que l’un et l’autre ont besoin de la foi. « Nous détruisons donc la loi par la foi ? Loin de là : au contraire, nous établissons la loi ». Voyez-vous cette prudence habile et vraiment admirable ? Par le fait même de cette expression : « Nous établissons », il indique que la loi n’existe plus, qu’elle est détruite.
Voyez aussi quel puissant génie que celui de Paul, et avec quelle facilité il prouve ce qu’il veut ! Il démontre ici non seulement que la foi ne ruine pas la loi, mais qu’elle lui vient en aide au contraire, de même que la loi a préparé les voies à la foi. Car comme la loi rendait d’avance témoignage à la foi (il a dit plus haut : « Étant confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes) » : ainsi la foi a raffermi la loi chancelante. Et comment, direz-vous, l’a-t-elle raffermie ? Quel était le but de la loi, et à quoi tendaient toutes ses prescriptions ? A rendre l’homme juste. Or, elle ne l’a pas pu : « Car », dit l’apôtre, « Tous ont péché ». Or la foi est venue et l’a pu ; puisqu’en croyant on devient juste. Donc elle a réalisé l’intention de la loi et atteint le but que celle-ci se proposait en tout. Elle ne l’a donc pas abrogée, mais complétée. Paul démontre ici trois choses : qu’on peut être justifié sans la loi, que la loi n’a pas pu justifier et que la foi n’est point en opposition avec la loi. Comme ce qui troublait le plus les Juifs était que la foi parût contraire à la loi, il prouve plus que le Juif ne demande, à savoir que la foi, loin de contrarier la loi, est son auxiliaire et sa coopératrice ; ce que le Juif désirait surtout entendre.
5. Mais puisque après cette grâce par laquelle nous avons été justifiés, il est nécessaire de bien vivre, montrons un zèle digne d’un si grand don, et nous le montrerons si nous cultivons avec soin la charité, source de tous les biens. Or ; la charité ne consiste pas simplement en paroles ni en salutations, mais en assistance et en œuvres. Comme soulager la pauvreté, secourir les malades, délivrer du danger, tendre la main à ceux qui sont dans l’embarras, pleurer avec ceux qui pleurent, se réjouir avec ceux qui se réjouissent : car ceci est encore l’effet de la charité ; bien qu’il semble que ce soit peu de chose de se réjouir avec ceux qui se réjouissent, c’est cependant quelque chose de grand et qui demande de la philosophie. Vous trouverez bien des gens capables de supporter des épreuves amères, et qui ici se montreront faibles ; beaucoup pleureront avec ceux qui pleurent, et ne sauront pas se réjouir avec ceux qui se réjouissent, s’attristeront même de la joie des autres : ce qui est proprement l’effet de la jalousie et de l’envie. Ce n’est donc pas un petit mérite de se réjouir avec un frère qui se réjouit ; il est même plus grand que l’autre. Plus grand non seulement que celui de pleurer avec ceux qui pleurent, mais même que de tendre la main à celui qui est dans le péril.
Beaucoup en effet partageront le danger avec ceux qui y sont, qui souffriront de la prospérité d’autrui : tant l’envie est tyrannique ! Pourtant l’un exige de la peine et de la fatigue, tandis que l’autre est un simple effet de la volonté et du bon désir. Mais beaucoup supportent ce qui est plus pénible et faiblissent devant ce qui est plus facile, sèchent même de dépit et se consument lorsqu’ils en voient d’autres s’attirer la considération publique et servir l’Église par la prédication ou autrement. Y a-t-il quelque chose de pire ? Ici ce n’est pas seulement à un frère, mais à la volonté de Dieu qu’on s’en prend. Songez-y bien et guérissez-vous de cette maladie, sinon par égard pour le prochain, au moins pour vous délivrer de maux sans nombre. Pourquoi introduire la guerre dans votre esprit ? Pourquoi remplir votre âme de trouble ? Pourquoi soulever des tempêtes ? Pourquoi tout bouleverser de fond en comble ? Comment, avec de telles dispositions, obtenir le pardon de vos péchés ? Car si Dieu ne remet point les péchés à ceux qui ne pardonnent pas les offenses qu’on leur a faites, comment vous les remettra-t-il à vous qui cherchez à nuire à ceux qui ne vous ont point fait de mal ? En effet, c’est là le comble de la méchanceté : de tels hommes combattent contre l’Église avec le démon. Peut-être font-ils bien pis encore : car il est possible de se garantir du démon, tandis qu’eux, prenant le masque de l’amitié, mettent en secret le feu au bûcher, se jettent les premiers dans la fournaise et sont atteints d’une maladie qui non seulement ne saurait être prise en pitié, mais ne peut exciter que le mépris.
Car pourquoi, je vous prie, êtes-vous pâle, tremblant, saisi de crainte ? quel malheur vous est donc arrivé ? Votre frère est devenu illustre, éclatant, glorieux ? Il fallait mettre une couronne, vous réjouir, et rendre grâces à Dieu de ce qu’un membre de la famille avait acquis tant de lustre et de célébrité ; et vous vous affligez de ce que Dieu est glorifié ! Voyez-vous où tend cette guerre ? Mais, dites-vous, ce n’est pas de la gloire de Dieu, mais de celle d’un frère que je m’afflige. Mais, par ce frère, la gloire remonte à Dieu ; c’est donc à Dieu que vous déclarez la guerre. Ce n’est point 1à, dites-vous encore, ce qui me fait de la peine seulement c’est par moi que je voudrais voir Dieu glorifié. Alors réjouissez-vous du bonheur de votre frère, et Dieu sera glorifié par vous, et tous diront : Béni soit le Maître qui a de tels serviteurs, exempts de tout sentiment d’envie et jouissant mutuellement de leur bonheur. Et que parlé-je d’un frère ? Quand même celui par qui Dieu se glorifie serait votre ennemi, vous devriez, à cause de cela même, vous en faire un ami : et, au contraire, d’un ami vous vous faites un ennemi, parce que Dieu tire sa gloire de ses bonnes actions. Si quelqu’un guérissait votre corps d’une maladie, cet homme fût-il votre ennemi, prendrait dès lors le premier rang parmi vos amis ; et si quelqu’un embellit le corps du Christ, c’est-à-dire l’Église, d’ami qu’il était vous vous en faites un ennemi ? Et de quelle autre manière pourriez-vous déclarer la guerre, au Christ ? C’est pourquoi, tout homme entaché de ce vice, fît-il d’ailleurs des miracles, fût-il vierge, jeûnât-il, couchât-il sur la dure, et par là égalât-il la vertu des anges, est le plus scélérat des hommes, est plus criminel que l’adultère, que le fornicateur, que le voleur, que le violateur des tombeaux.
6. Et pour que personne ne m’accuse d’exagération, je vous poserai volontiers une question. Si quelqu’un prenant une torche et un hoyau, venait brûler ce temple et miner cet autel ; chacun de ceux qui sont ici ne le lapiderait-il pas comme sacrilège et criminel ? Quel pardon méritera donc celui qui porte une flamme bien plus dévorante, l’envie veux-je dire, une flamme qui ne consume pas un édifice de pierre, un autel d’or, mais qui renverse et détruit quelque chose de bien plus précieux que des murailles et qu’un autel, l’édification, fruit de l’enseignement des maîtres ? Et qu’on ne me dise pas que les efforts de l’envieux sont souvent sans résultat. On doit juger d’après l’intention, et bien que Saül n’ait pas tué David, il n’en est pas moins homicide. Vous ne pensez donc pas, dites-moi, que quand vous combattez contre le pasteur, vous tendez des pièges aux brebis : à ces brebis pour lesquelles le Christ a versé son sang, pour lesquelles il nous ordonne de tout faire et de tout souffrir ? Vous ne vous rappelez donc pas que votre maître a cherché votre gloire et non la sienne, tandis que vous ne cherchez point la sienne, mais la vôtre ? Et pourtant vous trouveriez la vôtre en cherchant la sienne ; et en cherchant la vôtre avant la sienne, vous ne la trouverez point.
Quel sera donc le remède à ce mal ? Prions tous ensemble, prions tous d’une voix pour ces malheureux, comme pour des énergumènes. Ils sont même plus à plaindre que des énergumènes, parce que leur mal est volontaire. Il faut, pour le guérir, des prières, beaucoup de supplications. Si celui qui n’aime pas son frère, ne peut acquérir aucun mérite, donnât-il tout ce qu’il possède, souffrit-il le martyre ; songez quel sera le – châtiment de celui qui déclare la guerre à un homme qui ne lui a point fait de mal. Il est pire que les païens. Car si, en aimant ceux qui nous aiment, nous ne faisons rien de plus que les païens, où placer, je vous le demande, celui qui porte envie à ses amis ? La jalousie est même pire que la guerre. En effet, dès que le motif de la guerre a cessé, celui qui la faisait, dépose ses sentiments d’hostilité ; mais l’envieux ne devient jamais ami. Le premier fait une guerre ouverte, le second une guerre cachée ; celui-là a souvent de justes motifs, celui-ci n’en a pas d’autre que sa fureur et sa volonté diabolique. A quoi comparer une telle âme ? A quelle vipère ? à quel aspic ? à quel ver ? à quelle mouche venimeuse ? Rien de plus scélérat, rien de plus méchant qu’elle. Voilà ce qui détruit les Églises, voilà la source des hérésies ; voilà ce qui arma la main d’un frère, le détermina à se baigner dans le sang du juste, viola les lois de la nature, ouvrit la porte à la mort, consomma la malédiction première, fit perdre de vue à cet infortuné sa propre naissance, le souvenir de ses parents et de tout le reste, et poussa sa fureur et sa folie au point qu’il ne cédât pas même à la voix de Dieu qui lui disait : « Son recours sera en toi et tu le domineras[2] ». (Gen. 4,7) Pourtant Dieu lui remettait son péché et lui soumettait son frère ; mais cette maladie est si difficile à guérir, que, malgré l’application de mille remèdes, elle jette encore son venin.
De quoi donc souffres-tu, ô le plus misérable des hommes ? De ce que Dieu est honoré ? Mais c’est une disposition satanique. De ce que ton frère est considéré ? Mais tu peux le dépasser. Que si tu veux l’emporter sur lui, ne le tue pas, ne le fais pas disparaître ; laisse-le vivre, pour avoir un motif d’émulation et triompher d’un être vivant ; par là la couronne sera brillante un jour ; mais en lui donnant la mort aujourd’hui, tu te prépares une sentence pire que si tu avais été vaincu. Mais la jalousie ne voit rien de cela. Comment peux-tu aimer la gloire au milieu d’une si grande solitude ? Car ils étaient seuls alors sur la terre. Mais cela même n’a pu le retenir ; rejetant tout de son âme, il s’est rangé avec le démon et s’est mis en devoir de combattre : car c’était le démon qui commandait à Caïn. Ce n’était pas assez pour lui que l’homme fût devenu mortel, il voulait un genre de mort plus tragique, et il a persuadé à Caïn de tuer son frère. Insatiable de nos maux, il était impatient, il avait hâte de voir la sentence exécutée. Comme si quelqu’un tenant son ennemi dans les chaînes et voyant l’arrêt porté contre lui, était pressé de le voir égorgé, dans l’intérieur de la prison, avant la sortie de la ville, avant même le moment fixé ; tel était le démon. Ayant appris que l’homme devait retourner en terre, il brûlait de voir, quelque chose de plus : le fils mourant avant le père, un frère meurtrier de son frère, une mort prématurée et violente.
7. Voyez-vous à combien de choses s’est prêtée l’envie ? Comme elle a assouvi l’insatiable avidité du démon, comme elle lui a servi un festin tel qu’il le désirait ? Pourquoi donc cette maladie ? Car à moins d’être débarrassés de cette faiblesse, il est, impossible d’échapper au feu qui a été préparé pour le démon. Or, nous nous, en débarrasserons en songeant combien le Christ nous a aimés et nous a recommandé de nous aimer les uns les autres. Comment nous a-t-il aimés ? Il a donné son précieux sang pour nous qui étions ses ennemis et lui avions fait les plus grandes injures. Faites-en autant à l’égard de votre frère : car le Christ lui-même nous a dit : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés ». (Jn. 13,34) Bien plus, la mesure ne se borne pas là : car il a fait cela pour ses ennemis. Vous ne voulez pas verser votre sang, pour votre frère ? Mais pourquoi verser le sien, diamétralement à l’opposé du précepte ? Pourtant le Christ n’était point obligé de faire ce qu’il a fait, et vous, en le faisant, vous n’accomplissiez qu’un devoir. Celui à qui on avait remis dix mille talents, et qui exigeait cent deniers, n’a pas été puni seulement pour cette exigeante, mais parce que le bienfait ne l’avait pas rendu meilleur, parce qu’il n’avait point suivi l’exemple du maître, en remettant, lui aussi, sa dette, car c’était une dette contractée par un serviteur, si dette il y avait. En effet, tout ce que nous faisons est fait en acquit de dettes. Aussi le Christ a-t-il dit « Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ; nous avons fait ce que nous devions faire ». (Lc. 17, 10) Donc en donnant des preuves de charité, en distribuant de l’argent aux pauvres, nous acquittons une dette, non seulement parce que Dieu nous a le premier fait du bien, mais parce que, quand nous donnons, nous ne donnons que ce qui vient de lui. Pourquoi donc vous priver de ce qu’il veut que vous possédiez ? Car c’est pour que vous conserviez ces biens qu’il vous ordonne de les distribuer à d’autres, tant que vous les possédez seul, ils ne sont point à vous vous n’en êtes vraiment propriétaire que quand vous les donnez à d’autres.
Est-il rien qui égale l’amour de Jésus-Christ. Il a versé son sang pour dés ennemis, et nous refusons de donner de l’argent pour notre bienfaiteur, le sang qu’il a verse était le sien, et l’argent que nous refusons n’est pas le nôtre : il a donné avant nous, nous refusons après lui, il a agi pour notre salut, nous n’agissons pas même dans notre propre intérêt car, lui, il ne profite en aucune façon de notre charité et c’est à nous qu’en revient tout l’avantage. Si donc nous recevons l’ordre de donner ces biens, c’est afin de ne pas les perdre nous-mêmes. Dieu agit avec nous comme on agirait avec un petit enfant en lui donnant une pièce d’argent, avec recommandation de la garder soigneusement ou de la confier à un domestique pour qu’elle ne soit pas volée. Donnez vos biens aux pauvres, nous dit-il, de peur que quelqu’un ne vous les enlève, un calomniateur, le diable, un voleur, et en dernier lieu, la mort. Tant que vous les conservez, ils ne sont pas sûrs ; si vous me les donnez dans la personne des pauvres, je vous les garderai tous soigneusement et vous les rendrai avec usure en temps convenable, Ce n’est pas pour Vous en priver que je les reçois, mais pour les augmenter, pour les conserver plus soigneusement, et vous les réserver pour le temps où il n’y aura plus personne qui veuille prêter ni se laisser toucher de compassion.
Y aurait-il une dureté plus grande que la nôtre, si, après de telles promesses, nous refusions de lui prêter ? Voilà pourquoi nous nous en allons vers lui, délaissés, nus et pauvres, n’ayant plus ce qu’on nous avait confié parce que nous ne l’avons pas remis au meilleur des gardiens. Voilà ce qui nous attirera le dernier châtiment. Que pourrons-nous répondre, quand on nous accusera de nous être perdus nous-mêmes ? Quelle excuse présenterons-nous ? Quelle justification ? Pourquoi n’avoir pas donné ? Vous n’êtes pas sûr de recouvrer ? Est-ce raisonnable ? Celui qui donne à qui n’a rien donné, ne peut-il pas à plus forte raison rendre à qui lui a donné ?
Mais vous jouissez de la vue de votre argent. Raison de plus pour le donner, afin d’en jouir davantage, là où personne, ne pourra plus vous l’enlever tandis qu’en le gardant maintenant, vous êtes exposé à mille dangers. Le démon, semblable à un chien, s’élance contre les riches, comme s’il voulait arracher un gâteau de la main d’un enfant. Donnons donc au Père. Quand le démon verra cela, il prendra aussitôt la fuite : et dès qu’il sera retiré, le Père vous donnera tout en sécurité, puisque le démon ne peut plus mettre le trouble dans le siècle à venir. Les riches sont absolument comme les petits enfants incommodés par les chiens : tout le monde aboie autour d’eux, les déchire, les tiraille, et non seulement les hommes, mais encore les passions ignobles, la gourmandise, l’ivrognerie, la flatterie, tous les genres de débauche. Quand nous voulons prêtera intérêt, nous recherchons soigneusement ceux qui donneront le plus et se montreront reconnaissants. Ici nous faisons tout le contraire : nous laissons de côté Dieu qui est plein de reconnaissance, qui ne donne pas seulement le douze, mais le cent pour cent, pour recourir à des gens qui ne nous rendront pas même le capital.
8. Que nous rendra en effet notre ventre, quand il aura consommé la plus grande partie de nos biens ? Du fumier, de l’ordure. Que nous rendra la vaine gloire ? De l’envie et de la jalousie. Que nous rendra la parcimonie ? Le souci et l’inquiétude : Que nous rendra la débauche ? L’enfer et le ver empoisonneur. Car voilà les débiteurs des riches et voilà les intérêts qu’ils rendront pour le capital : les maux présents et les maux à venir. Est-ce à eux que nous prêterons, je vous le demande, au prix d’un tel châtiment ? Et nous ne confierons rien au Christ qui nous offre le ciel, la vie immortelle, des biens ineffables ? Quelle sera notre excuse ? Pourquoi ne donnez-vous pas à celui qui rendra tout et avec usure ? C’est peut-être parce qu’il ne rendra que dans longtemps ? Mais il rend déjà en cette vie ; car il ne ment pas celui qui a dit : « Cherchez le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît ». (Mt. 7,33) Voyez-vous cet excès de libéralité ? Les biens à venir vous sont réservés, nous dit-il, et ne diminueront point ; et je vous donne encore ceux d’ici-bas par addition et par surcroît, de plus ce long délai augmente la somme de vos richesses : car l’intérêt se multiplie. Nous voyons les prêteurs d’argent se conduire ainsi ils préfèrent ceux qui empruntent à long terme. En effet celui gui rembourse immédiatement, intercepte le cours de l’intérêt tandis que celui qui conserve longtemps le capital, grossit le profit.
Ainsi à l’égard des hommes nous supportons les délais, nous prenons même à tâche de les prolonger ; et avec Dieu nous sommes pusillanimes jusqu’à être insouciants, jusqu’à tergiverser ? Et pourtant, comme je l’ai dit, il nous rend déjà ici-bas, puis nous réserve encore, dans l’autre vie, le tout et quelque chose de plus, pour la raison que j’ai donnée. En effet, la grandeur et la beauté, du don surpasse de beaucoup cette pauvre vie terrestre. Car il n’est pas possible de recevoir, dans un corps corruptible et mortel, les couronnes que rien ne saurait flétrir, ni de posséder ce repos immuable, imperturbable, dans la vie présente si pleine de trouble, de tumulte, et sujette à tant de changements. Si un débiteur s’engageait à vous rembourser sur la terre étrangère, là où vous n’auriez point de domestique ni aucun moyen de transport pour votre pays, vous le prieriez instamment de vous payer à votre retour chez vous, et non sur la terre étrangère ; et vous voudriez recevoir ici les biens spirituels, des trésors infinis ? Quelle est donc votre folie ? Si on vous paye ici-bas, ce ne sera qu’en choses corruptibles ; mais si vous attendez le temps convenable, vous recevrez des biens incorruptibles et sans mélange. Ici-bas vous recevrez du plomb, et là, de l’or éprouvé. De plus Dieu ne vous prive pas des biens présents. Car à la promesse des biens à venir, il en a ajouté une autre, en disant : Quiconque aime les choses célestes, recevra le centuple en ce monde et possédera la vie éternelle. (Mt. 19,29)
Si donc nous ne recevons pas le centuple, la faute en est à nous qui ne prêtons pas à celui qui peut nous le donner ; car tous ceux qui lui prêtent, si peu que ce soit, le reçoivent. Dites-moi un peu, qu’est-ce que Pierre avait donné de si grand ? N’était-ce pas seulement un filet brisé, une ligne, un hameçon ? Et pourtant Dieu lui a ouvert les maisons du monde entier, lui a aplani la terre et la mer, en sorte que tous l’appelaient chez eux ; bien plus, on vendait tout ce qu’on avait et on en déposait le prix, non pas en ses mains (on ne l’eût osé) mais à ses pieds : tant on avait de générosité et de respect pour lui ! Mais c’était Pierre, direz-vous. Qu’importe, ô homme ? Ce n’est pas seulement à Pierre que le Christ a fait ces promesses ; il n’a pas dit : Toi seul, Pierre, recevras le centuple, mais : « Quiconque aura quitté sa maison ou ses frères, recevra le centuple ». Car il n’y a point chez lui d’acception de personne, mais différence de mérites.
Mais, direz-vous, j’ai une multitude d’enfants, et je désire les laisser riches. Pourquoi donc les appauvrissez-vous ? En leur laissant tout, vous confiez votre fortune à une garde peu sûre ; mais si vous leur donnez Dieu pour cohéritier et pour tuteur, vous leur laissez d’immenses trésors. De même que quand nous nous vengeons, Dieu ne prend pas notre causé en main, tandis que si nous nous abandonnons à lui, notre attente est dépassée ; ainsi, en fait de richesses, si nous nous livrons à l’inquiétude, sa Providence se retire de nous ; et si nous nous abandonnons à lui sans réserve, il mettra en parfaite sécurité et nos biens et nos enfants. Et qu’est-ce que cette conduite a d’étonnant en Dieu, quand nous la voyons même chez les hommes ? Si, à l’heure de la mort, vous ne donnez aucun de vos proches pour tuteur à vos enfants, celui qui serait le mieux disposé à demander cette charge en est retenu par la crainte et par la honte ; mais si vous vous déchargez sur lui de ce souci, il s’estimera très-honoré et répondra dignement à votre confiance.
9. Si donc vous voulez laisser de grandes richesses à vos enfants, laissez-leur la Providence de Dieu. Lui qui a créé votre âme, qui a formé votre corps, qui vous a donné la vie sans vous, quand il vous verra déployer une si grande libéralité, et lui confier vos biens et vos enfants, pourrait-il ne pas leur ouvrir tous ses trésors ? Si Élie, pour avoir été nourri d’un peu de farine, et voyant qu’une femme le préférait à ses enfants, fit voir des aires et des pressoirs dans la chaumière d’une veuve, songez quelle sera pour vous la générosité du maître d’Élie ! Ne nous inquiétons pas de laisser nos enfants riches, mais vertueux. Car s’ils mettent leur confiance dans les richesses, ils négligeront tout le reste, ne s’étudiant qu’à cacher des mœurs corrompues à l’abri de l’opulence ; mais s’ils se voient privés de cette consolation, ils mettront tous leurs soins à demander à la vertu une compensation à la pauvreté. Ne' leur laissez donc pas la richesse, afin de leur laisser la vertu. Car ce serait le comble de la déraison de ne rien laisser à leur disposition pendant notre vie, et de procurer à leur jeunesse après notre mort les moyens de vivre dans la licence. Du moins, pendant que nous vivons, nous pouvons leur faire rendre des comptes, réprimer leurs excès, et leur mettre le frein ; mais si, après notre mort, avec l’abandon où nous les laissons, et malgré leur jeunesse, nous leur fournissons les ressources de la richesse, nous poussons ces infortunés sur la voie de nombreux précipices ; nous jetons le feu sur le feu, nous versons l’huile dans une fournaise embrasée.
Donc, si vous voulez leur laisser une fortune assurée, faites que Dieu soit leur débiteur et confiez-lui leurs créances. Si ce sont eux qui touchent votre argent, ils ne sauront à qui le donner, ils tomberont souvent entre les mains des calomniateurs et des ingrats ; mais si par précaution vous le prêtez à Dieu, le trésor demeurera en sûreté et le remboursement se fera sans aucune difficulté. Car Dieu nous est reconnaissant, même quand il nous paye sa dette ; il voit de meilleur œil ceux qui lui prêtent que ceux qui ne lui prêtent pas, et plus il doit, plus il aime. Si donc vous voulez l’avoir toujours pour ami, prêtez-lui beaucoup. Un prêteur à moins dé plaisir à avoir des débiteurs, que le Christ n’en a à avoir des créanciers ; il fuit ceux à qui il ne doit rien et court à ceux à qui il doit. Faisons donc tout au monde pour le constituer notre débiteur voici le moment favorable pour lui prêter, puisqu’il est dans le besoin. Si vous ne lui donnez pas maintenant, il n’aura pas besoin de vous après cette vie. C’est ici qu’il a soif, c’est ici qu’il a faim : il a soif de votre salut ; c’est pour cela qu’il mendie, qu’il est nu et errant, dans le but de vous procurer la vie éternelle.

Ne le dédaignez donc pas : il ne demande pas à être nourri, mais à nourrir ; à être vêtu, mais à vêtir, à vous préparer un manteau d’or, un vêtement royal. Ne voyez-vous pas les médecins les plus dévoués, quand ils font prendre un bain aux malades, le prendre eux-mêmes, bien qu’ils n’en aient pas besoin ? Ainsi le Christ fait tout pour vous qui souffrez. Voilà pourquoi il n’exige rien de vous par force, afin de vous rendre davantage, pour vous apprendre que, s’il demande, ce n’est pas pour ses besoins, mais pour les vôtres. Voilà pourquoi, il vient à vous en haillons et vous tend la main ; si vous lui donnez une obole, il ne se détourne pas ; si vous le méprisez, il ne s’éloigne pas, mais se rapproche encore ; car il désire, il désire, vivement notre salut. Méprisons donc les richesses pour n’être point méprisés par le Christ ; méprisons les richesses, pour les posséder elles-mêmes. Car si nous les conservons ici-bas, nous les perdrons entièrement, et pour cette vie et pour l’autre ; mais si nous les distribuons généreusement, nous jouirons dans les deux vies d’une grande abondance. Que celui donc qui veut devenir riche, s’appauvrisse pour s’enrichir ; qu’il dépense pour amasser ; qu’il disperse pour recueillir. Que si cette doctrine vous semble nouvelle et étrange, voyez l’homme qui sème, et dites-vous à vous-même que le seul moyen qu’il ait de multiplier son grain est de disperser celui qu’il a, de répandre ce qui est sous sa main. Semons donc, nous aussi, et cultivons le champ du ciel, afin de nous procurer une moisson abondante et d’obtenir les biens éternels par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui la gloire, l’empire, l’honneur, appartiennent au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




HOMÉLIE VIII.


QUEL AVANTAGE DIRONS-NOUS DONC QU’ABRAHAM, NOTRE PÈRE, A EU SELON LA CHAIR ? CERTES, SI ABRAHAM A ÉTÉ JUSTIFIÉ PAR LES ŒUVRES, IL A DE QUOI SE GLORIFIER, MAIS NON DEVANT DIEU. (IV, JUSQU’À 22)



Analyse.
  • 1 et 2. La doctrine de la justification par la foi peut être prouvée même par l’Ancien Testament : en effet, Abraham et David ne furent pas justifiés en vertu des seules œuvres de la loi, mais à cause de leur foi.
  • 3. C’est à raison de cette foi qu’Abraham avait, même avant qu’il fût circoncis, qu’il est devenu le père des croyants circoncis et incirconcis.
  • 4. C’est la foi qui lui a valu, ainsi qu’à ses descendants, d’être l’héritier des promesses divines. 5. Étonnante foi d’Abraham.
  • 6-8. Bonheur de l’homme qui peut en quelque chose procurer la gloire de Dieu. – Que l’incrédulité est une marque de bassesse. – Procurer la gloire de Dieu est notre souverain bien ; le faire blasphémer est le pire mal. – C’est dans les biens de ce monde que le démon s’embusque pour nous tendre des pièges. – Un sûr moyen de faire fuir cet ennemi c’est d’invoquer le nom de Jésus. – C’est surtout parle manque de foi que nous différons des grands saints. – Dieu parle par la bouche d’un chrétien fidèle. – L’Orateur déplore éloquemment les divisions qu’il voit parmi les chrétiens. – Que nous devons pleurer le mal que se font nos ennemis et non celui qu’ils nous font. – Relever celui qui tombe.

1. Après avoir dit que le monde était coupable devant Dieu, parce que tous avaient péché et qu’on ne peut être sauvé que par la foi, il s’attache ensuite à démontrer que le salut par la foi n’a rien de déshonorant, qu’il est très-glorieux au contraire, et plus grand que par les œuvres. Comme le salut accompagné de déshonneur pourrait être un sujet de tristesse, il veut en éloigner jusqu’au soupçon : ce qu’il avait d’ailleurs déjà insinué quand il l’appelait, non seulement salut, mais justice : « La justice de Dieu », disait-il ; « y est en effet révélée », Car celui qui est sauvé de la sorte, est assuré de son salut en qualité de juste. Il l’appelle non seulement justice, mais manifestation de Dieu : car Dieu se manifeste dans les choses glorieuses, éclatantes, magnifiques. Du reste, la preuve est dans ce qu’il vient de dire et il continue par forme d’interrogation, comme il a coutume de faire pour plus de clarté, et pour montrer qu’il parle avec assurance. C’est ce qu’il a déjà fait plus haut en disant : « Qu’est-ce donc que le Juif a de plus ? » Et encore : « Qu’avons-nous de plus ? » Puis : « Où est le sujet de ta gloire ? Il est exclu » ; enfin ici : « Quel avantage dirons-nous qu’Abraham, notre père a eu ? » Comme les Juifs ne cessaient de répéter à tout propos que le patriarche et l’ami de Dieu avait reçu le, premier la circoncision, il veut leur prouver qu’Abraham lui-même a été justifié par la foi ; argument victorieux et triomphant. En effet que celui Oui n’a pas les œuvres soit justifié par la foi, cela n’a rien d’invraisemblable ; mais que celui qui a excellé dans les œuvres ne soit pas justifié par elles, mais seulement par la foi, voilà ce qui est étonnant et ce qui montre la puissance de la foi. Aussi laissant de côté tous les autres, s’attache-t-il à celui-ci. Il l’appelle « Père selon la chair ». Pour exclure les Juifs d’une autre parenté plus haute et pour faire espérer aux gentils de devenir ses enfants selon la foi, il dit : « Car si Abraham a été justifié par les œuvres, il a de quoi se glorifier ».

Après avoir donc affirmé que Dieu justifie la circoncision par la foi, aussi bien que l’incirconcision, et l’avoir suffisamment prouvé dans ce qui précède, au moyen d’Abraham ; il pousse sa démonstration plus loin qu’il ne l’avait promis, met la foi aux prises avec les œuvres et concentre toute la bataille sur le juste lui-même, et non sans raison. Voilà pourquoi il l’entoure de respect, en l’appelant père, et leur imposant la nécessité de l’imiter en tout : Ne me parlez pas d’un Juif, leur dit-il ne me nommez ni un tel, ni un tel ; moi, je remonte au sommet au point où la circoncision a pris naissance : « Si Abraham a été justifié par les œuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu ». Ces paroles sont obscures ; et il est besoin de les éclaircir. Il y a deux manières de se glorifier : ou par les œuvres ou par la foi. En disant : « S’il a été justifié par les œuvres, il a de quoi se « glorifier, mais non devant Dieu », il indique qu’Abraham attrait pu aussi se glorifier de la foi, et à bien plus juste titre. C’est ici surtout que Paul montre sa force, en ce qu’il retourne, le sujet en sens contraire, et fait voir que les avantages attachés au salut par les œuvres, à savoir le droit de se glorifier et d’agir avec sécurité, le salut par la foi les revendique à bien plus forte raison. En effet, celui qui se glorifie dans les œuvres, peut présenter ses travaux personnels ; mais celui qui se glorifie de croire à Dieu, a de meilleurs motifs de se féliciter ; puisque c’est le Seigneur qu’il honore et qu’il glorifie. Apprenant par la foi en Dieu ce que ne lui enseignait pas la nature visible, il fait, preuve d’un véritable amour pour lui et a proclamé solennellement sa puissance. Or c’est là le propre d’une âme très-généreuse, d’une intelligence sage et d’un esprit élevé : Ne pas tuer, ne pas voler, c’est chose vulgaire ; mais croire que Dieu peut l’impossible, est le fait d’une âme magnanime et parfaitement disposée à son égard ; et là est le cachet du véritable amour. Sans doute celui qui accomplit les commandements honore Dieu ; mais celui qui a la sagesse de la foi l’honore beaucoup plus ; le premier, lui obéit, mais le second a de lui une idée convenable et lui prouve, mieux que par les œuvres qu’il l’honore et l’admire. Dans le premier cas on se glorifie du bien que l’on a fait, dans le second on glorifie, Dieu lui-même, à qui alors tout appartient ; car on se glorifie de concevoir de lui de hautes idées, ce qui tourne entièrement à sa gloire. Voilà pourquoi Paul dit qu’Abraham se glorifiait, devant Dieu, et pour une autre raison encore, outre celle-là. En effet le croyant ne se glorifie pas seulement d’aimer Dieu véritablement, mais aussi d’en être grandement aimé et honoré. Car comme en concevant de lui des idées sublimes, il lui donne une preuve, d’amour, puisque c’est ainsi que l’amour se prouve ; de même Dieu l’aime à son tour, quoique mille fois coupable ; et non content de le dispenser du châtiment, il le fait encore juste. Le croyant peut donc se glorifier, comme étant l’objet d’un grand amour : « En effet, que dit l’Écriture ? Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice. Or, à celui qui travaille, le salaire n’est point imputé comme une grâce, mais comme une dette (3, 4) ». Mais c’est quelque chose de plus grand, direz-vous. Nullement : car l’imputation est faite au croyant, ce qui n’aurait pas lieu, s’il y mettait quelque chose du sien.
2. Ainsi celui-ci aussi a Dieu pour débiteur, et débiteur non de choses vulgaires, mais de choses grandes et sublimes. En effet, après avoir montré la hauteur de cette intelligence, cette pensée toute spirituelle, Paul ne dit pas simplement : « A celui qui croit, mais à celui « qui croit en celui qui justifie le pécheur (5) ». A celui-là, la foi est imputée à justice. Songez en effet quelle grande chose c’est de croire, d’être pleinement convaincu que Dieu peut immédiatement, non seulement dispenser du châtiment celui qui a vécu dans l’impiété, mais encore le rendre juste et digne des honneurs immortels. Ne vous imaginez donc pas que celui-ci soit inférieur à l’autre, puisqu’à cet autre l’imputation ne se fait pas selon la grâce. Car c’est précisément là ce qui fait surtout la gloire du croyant, de recevoir une telle grâce, de montrer une si grande foi. Et voyez combien la récompense est plus grande ! À celui-là on donne un salaire, à celui-ci, la justice ; or, la justice est bien au-dessus d’un salaire, car elle renferme une multitude de salaires.
Après avoir démontré cela par Abraham, Paul produit ensuite le témoignage de David à l’appui de ce qu’il vient de dire. Que dit donc David, et qui appelle-t-il heureux ? Celui qui se glorifie de ses œuvres, ou celui qui a reçu la grâce et obtenu la rémission et le don ? Or, en nommant le bonheur, j’exprime le comble de tous les biens. De même que la justice est plus que le salaire, ainsi la béatitude est plus que la justice. Après avoir montré l’excellence de la justice, non seulement parce qu’Abraham l’a reçue, niais à l’aide du raisonnement : « Il a », a-t-il dit, « de quoi se glorifier, mais « non devant Dieu) » ; Paul emploie un autre genre de preuve pour la relever encore, et produit le témoignage de David, lequel déclare heureux celui, qui a été ainsi justifié : « Bienheureux ceux dont les iniquités ont été remises ». (Ps.- 31) Cependant il semble apporter là, un témoignage peu convenable ; car le prophète ne dit pas : Heureux ceux dont la foi est imputée à justice, mais il fait cela à bon escient, et non par ignorance, pour augmenter encore la force de l’argument. En effet, si celui dont les iniquités ont été remises par la grâce est heureux, à bien plus forte raison celui qui est justifié et qui a prouvé sa foi. Or là où il y a béatitude, tout opprobre disparaît et la gloire est grande ; car la béatitude est le surcroît de la récompense et de la gloire. C’est pourquoi Paul ne recourt point à l’Écriture pour établir l’avantage du premier, il se contente de dire. « A celui qui travaille, le salaire n’est point imputé comme une grâce » ; mais pour prouver la prééminence du croyant, il emploie la parole écrite, comme l’a dit David : « Bienheureux ceux dont les iniquités sont « remises et dont les péchés sont couverts (7) ». Mais pourquoi, dira-t-on, affirmez-vous que la rémission ne s’accorde pas comme une dette, mais par grâce ? Eh ! c’est précisément pour cela que le croyant est déclaré heureux. Paul ne l’eût pas béatifié, s’il ne l’avait vu en possession d’une grande gloire. Il ne dit pas la rémission est pour la circoncision, mais que dit-il ? « Or cette béatitude », (ce qui est bien plus) « est-elle pour la circoncision ou pour l’incirconcision (9) ? » Il s’agit désormais de savoir à qui ce grand don appartient, si c’est aux circoncis ou aux incirconcis. Et voyez la force de l’argument ! Paul fait voir que non seulement ce don n’a point d’aversion pour l’in circoncision ; mais comme David qui proclame cette béatitude était circoncis et parlait à des circoncis, voyez comme Paul s’empresse d’appliquer ses paroles aux incirconcis ? Car après avoir rattaché cette béatitude à la justice et montré que les deux ne font qu’un, il demande comment Abraham a été justifié ; si la béatitude appartient au juste et qu’Abraham ait été justifié, voyons comment il l’a été, si c’est – comme incirconcis ou comme circoncis. C’est, nous dit-il, comme incirconcis. « Comment donc lui a-t-elle été imputée ? Est-ce dans la circoncision ou dans l’incirconcision ? Ce n’est point dans la circoncision, mais dans l’incirconcision. Car nous disons que la foi a été imputée à justice à Abraham (10) ».
Plus haut il parlait d’après l’Écriture, (il nous disait en effet : « Que dit l’Écriture ? Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice) » ; ici il invoque le jugement de ceux qui parlent, et montre que la justification a eu lieu dans l’incirconcision. Puis il résout une autre objection qui s’élève : Si Abraham, dit-on, a été justifié quand il était incirconcis, pourquoi la circoncision a-t-elle été établie ? « Il a reçu », répond-il, « la marque de la circoncision) comme sceau de la justice par « la foi, qu’il avait déjà quand il était encore « incirconcis (11) ». Voyez-vous comme il fait voir que les Juifs sont en quelque sorte des parasites ? qu’ils ont été adjoints aux incirconcis ? Car si Abraham, encore incirconcis, a été justifié et couronné, s’il a reçu la circoncision plus tard et que les Juifs ne soient venus qu’après lui, il est donc d’abord le père des incirconcis qui se rattachent à lui par la foi, puis des circoncis ; car il est la tête d’une double génération. Voyez-vous briller la foi ? Tant qu’elle ne vient pas, le patriarche n’est point justifié. Voyez-vous que l’incirconcision n’est point un obstacle ? Il était incirconcis et n’en a pas moins été justifié. Donc la circoncision est postérieure à la foi.
3. Et pourquoi vous étonner que la circoncision soit postérieure à la foi, quand l’incirconcision elle-même l’est ? non seulement la circoncision est postérieure à la loi, mais elle lui est très-inférieure, aussi inférieure que le signe l’est à la chose signifiée, comme par exemple le drapeau au soldat. Et pourquoi, dira-t-on, Abraham avait-il besoin de signe ? Il n’en avait lui-même pas besoin. Pourquoi donc l’a-t-il reçu ? Afin de devenir le père commun des croyants incirconcis et circoncis, mais point uniquement de ces derniers ; aussi Paul ajoute-t-il : « Non-seulement des circoncis ». Si donc il est le père des incirconcis, ce n’est pas parce qu’il est incirconcis, bien qu’il ait été justifié dans l’incirconcision, mais parce que les incirconcis ont imité sa foi. A bien plus forte raison n’est-il point le père des circoncis à cause de la circoncision, à moins que la foi ne vienne s’y ajouter. Il a reçu la circoncision, dit Paul, afin d’être le père des uns et des autres, et pour que les incirconcis ne repoussent point les circoncis. Voyez-vous comme il a été d’abord le père des incirconcis ? Que si la circoncision est respectable parce qu’elle proclame la foi, le privilège de l’incirconcision n’est pas mince d’avoir la première reçue la foi. Vous pourrez donc avoir Abraham pour père, si vous marchez sur les traces de la foi, et que vous ne disputiez pas et n’apportiez point de trouble en introduisant la loi. De quelle foi, s’il vous plaît, parlez-vous ? « De celle qui est dans l’incirconcision (12) ».
De nouveau encore il réprime l’orgueil des Juifs, en leur rappelant le temps de la justice. Et il a raison de dire : « Sur les traces », afin que vous croyiez, comme Abraham, – à la résurrection des morts. Car celui-ci a montré sa foi là-dessus ; en sorte que si vous rejetez l’incirconcision, vous pouvez être certain que la circoncision ne vous sera d’aucun profit. Si vous ne, suivez pas les traces de la foi, fussiez-vous mille fois circoncis, vous n’êtes point un descendant d’Abraham ; car il a reçu la circoncision, afin que vous ne fussiez point exclus par l’incirconcis. N’exigez donc point la circoncision de l’incirconcis ; car elle vous a été utile, mais non à lui. Pourtant, dit-on, c’était un signe de justice. Oui, mais à cause de vous, bien que ce ne soit plus maintenant ; mais alors vous aviez besoin de signes corporels, qui sont inutiles aujourd’hui. Mais, direz-vous, même par la foi ne pouvait-on pas connaître la vertu de l’âme d’Abraham ? On le pouvait ; mais vous aviez besoin de cette addition. Comme vous n’imitiez point sa vertu, que vous ne pouviez pas la voir, on vous a donné la circoncision sensible pour qu’à l’aide de ce signe corporel vous fussiez peu à peu amené à la sagesse de l’âme et qu’après l’avoir accueillie avec un grand empressement confine une très-haute dignité, vous apprissiez à imiter et à respecter votre père. Et ce n’était pas seulement la circoncision que Dieu instituait dans ce but, mais toutes les autres prescriptions, telles que les sacrifices, les sabbats et les fêtes. Pour vous convaincre que c’est à cause de vous qu’Abraham a reçu la circoncision, écoutez la suite : Après avoir dit qu’il reçut le signe et la marque, Paul en donne la raison, en disant : « Pour être le père de la circoncision », chez ceux qui la reçoivent spirituellement ; en sorte que si vous n’avez qu’elle, elle ne vous est d’aucune utilité. Car elle est seulement un signe, quand on voit en vous ce dont elle est le signe, à savoir la foi ; en sorte que si vous n’avez pas la foi, le signe ne peut plus être un signe. Signe de quoi, marque de quoi, quand la chose signifiée n’existe pas ? C’est comme si vous nous montriez une bourse portant un cachet, mais ne contenant rien ; en sorte que la circoncision est ridicule, quand la foi intérieure manque. En effet, si elle est le signe de la justice et que vous n’ayez pas la justice, vous n’avez pas même le signe. Car vous avez reçu le signe pour chercher la chose dont vous avez le signe ; en sorte que si vous cherchez la chose signifiée sans le signe, le signe ne vous est pas nécessaire, non seulement la circoncision annonce la justice, mais la justice des incirconcis. La circoncision n’annonce donc pas autre chose que l’inutilité de la circoncision.
« Et si ceux qui ont reçu la loi sont héritiers, la foi devient vaine, et la promesse est « abolie (14) ». Il a montré que la foi est nécessaire, qu’elle est antérieure à la circoncision, qu’elle est plus puissante que la loi, qu’elle affermit la loi. En effet si tous ont péché, elle est nécessaire ; si Abraham encore incirconcis a été justifié, elle est antérieure à la circoncision ; si par la loi on a la connaissance du péché, et si elle a été manifestée dans la loi, elle est plus puissante que la loi ; si elle a reçu le témoignage de la loi et qu’elle l’affermisse, elle n’est point son ennemie, mais son amie et son auxiliaire dans le combat. Il prouve d’autre part qu’il n’était pas possible d’obtenir l’héritage par là loi ; après avoir comparé la foi à la circoncision et remporté la victoire, il revient encore à la comparaison en disant : « Et si ceux qui ont reçu la loi sont héritiers, la foi devient vaine ». Et pour qu’on ne dise pas qu’il est possible d’avoir la foi et d’observer la loi, il montre que cela est impossible. Car celui qui tient à la loi comme à un moyen de salut méconnaît la puissance de la foi. Voilà pourquoi il dit : « La foi devient vaine », c’est-à-dire, il n’y a plus besoin du salut par la foi, puisqu’elle ne peut plus faire preuve de sa vertu, et la promesse est réduite à néant. En effet, le Juif aurait pu dire : Qu’ai-je besoin de la foi ? Donc s’il en était ainsi, tout ce qui regarde la promesse disparaîtrait avec la foi.
4. Voyez comme il démontre qu’ils ont eu tous et depuis le commencement, le patriarche pour adversaire. En effet, après avoir montré que la justice partage le sort de la foi, il prouve qu’il en est de même de la promesse. Et de peur que le Juif ne dise : Que m’importe qu’Abraham ait été justifié par la foi ? Paul répond : Même ce qui te touche le plus, la promesse de l’héritage, ne peut être réalisé sans elle. Et c’était ce qui, les effrayait le plus. Quelle promesse, direz-vous ? La promesse d’hériter du monde entier, et de voir toutes les nations bénies en sa personne. Puis Paul explique comment cette promesse a été abolie « Attendu que la loi opère la colère : car là où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de prévarication (15) ».
Si donc elle opère la colère et rend sujet à la prévarication, il est clair qu’elle rend aussi sujet à là malédiction. Or, ceux qui sont sujets à là malédiction, au châtiment et à la prévarication ne sont pas dignes de l’héritage ; ils ne méritent que le supplice et l’expulsion. Qu’arrive-t-il alors ? La foi vient, attirée par la grâce, de manière à ce que la promesse soit accomplie. Car où est la grâce, là est le pardon ; là où est le pardon, il n’y a plus de châtiment ; et dire que le châtiment a disparu et que la justice est venue par la foi, rien n’empêche qu’on hérite de la promesse de la foi. « Aussi », dit-il, « c’est à la foi qu’est attachée la promesse, afin qu’elle soit gratuite et assurée à toute la postérité d’Abraham, non seulement à celle qui a reçu la loi, mais encore à celle qui suit la foi d’Abraham, qui est le père de nous tous (16) ». Voyez-vous que non seulement la foi affermit la loi, mais qu’elle ne laisse pas la promesse de Dieu tomber à vide ; tandis qu’au contraire la loi, observée au-delà de son terme, annule la foi, et empêche l’accomplissement de la promesse ?
Par tout cela il fait voir non seulement que la foi n’est pas superflue, mais qu’elle est tellement nécessaire que sans elle on ne peut se sauver, d’un côté la loi opère la colère, car tous l’ont transgressée ; de l’autre la foi rend dès l’abord la colère impossible. « Là où il n’y a pas de loi », nous dit-il, « il n’y a point « de prévarication ». Voyez-vous comme non seulement elle efface le péché, mais l’empêche même de naître ? Aussi dit-il : « Gratuite ». Pourquoi ? Ce n’est pas pour nous faire rougir, mais : « Afin qu’elle soit assurée à toute la postérité d’Abraham ». Il établit ici deux avantages : les dons sont assurés et ils le sont à toute la postérité ; comprenant les Gentils sous ces expressions, et indiquant que les Juifs seront exclus, s’ils disputent contre la foi. Car la foi est plus solide que la loi ; elle ne nous fait point de tort (ne le contestez pas), elle vous sauve même des périls où la loi vous expose. Après avoir dit : « À toute la postérité », il détermine quelle espèce de postérité. « À celle qui suit la foi », dit-il : établissant la parenté avec les nations, et montrant que ceux-là ne peuvent avoir de rapport avec Abraham, qui n’ont pas la même foi que lui. Voilà un troisième effet de la foi : elle a resserré les liens de parenté avec le juste et l’a fait père d’une famille plus nombreuse. Aussi Paul ne dit-il pas simplement Abraham, mais « Abraham, le père de nous, les croyants ». Puis donnant un sceau à ce témoignage, il ajoute : « Comme il est écrit : Je t’ai établi père d’une multitude de nations (17) ».
Voyez-vous que tout est réglé depuis longtemps ? Mais, direz-vous, n’est-il pas ici question des Ismaélites, des Amalécites, des Agarépiens ? Il montrera clairement plus bas que ce n’est point de ceux-là qu’il s’agit. En attendant il passe à une autre preuve, en déterminant le mode de cette parenté et la prouvant avec beaucoup d’habileté. Que dit-il donc ? « Devant Dieu à qui il a cru », c’est-à-dire Comme Dieu n’est point le Dieu de quelques-uns, mais le Dieu de tous, ainsi en est-il d’Abraham. Et encore : Comme Dieu n’est point père selon la nature, mais par le lien de la foi, ainsi en est-il d’Abraham : car c’est l’obéissance qui l’a fait le père de nous tous. Et comme, les Juifs ne tenaient aucun compte de cette parenté, pour s’attacher à l’autre plus grossière, il montre que la première est plus importante, en les faisant remonter à Dieu. De plus il déclare qu’Abraham a reçu en elle la récompense de sa foi ; sans quoi, fût-il le père de tous les habitants de, la terre, ce mot « devant », n’aurait plus de sens et le don de Dieu serait amoindri : car « devant » veut dire de la même manière. Qu’y aurait-il d’étonnant, je vous le demande, à ce qu’il fût le père de ceux de sa race ? C’est là le propre de tous les hommes. Le merveilleux est qu’il ait reçu, par le don de Dieu, ceux que la nature ne lui avait pas donnés.
5. Si donc vous croyez que le patriarche a été honoré, croyez qu’il est le père de tous. Après avoir dit Devant Dieu à qui il a « cru », il ajoute : « Qui vivifie les morts et appelle les choses qui ne sont pas, comme celles qui sont », proclamant déjà la doctrine de la résurrection ; ce qui lui était utile pour le but qu’il se proposait. Car s’il est possible à Dieu de vivifier les morts, d’appeler les choses qui ne sont pas comme celles qui sont, il peut aussi donner pour fils à Abraham ceux qui ne sont pas nés de lui. Aussi l’apôtre ne dit-il pas : Qui produit les choses qui ne sont pas comme celles qui sont, mais « qui « appelle », pour mieux indiquer un pouvoir à qui tout est facile. En effet, comme il nous est facile d’appeler des choses qui sont, ainsi il est facile, et bien plus facile encore, à Dieu de produire les choses qui ne sont pas. Après avoir rappelé le grand, l’ineffable don de Dieu et parlé de sa puissance, il montre que la foi d’Abraham était digne de ce don, pour, qu’on ne croie pas qu’il a été honoré sans raison. Après avoir éveillé l’attention de l’auditeur, de peur qu’il ne se trouble et que le Juif ne soulève une difficulté et ne dise : Comment ceux qui ne sont pas fils peuvent-ils devenir fils ? Il revient au patriarche et dit : « Qui ayant espéré contre l’espérance a cru qu’il deviendrait le père d’un grand nombre de nations, selon ce qui lui fut dit : Ainsi sera, ta postérité (18) ».
Comment a-t-il cru à l’espérance contre l’espérance ? Il a cru à l’espérance de Dieu contre l’espérance de l’homme. Paul fait voir la grandeur de la chose et ne permet pas qu’on mette sa parole en doute : Ce qui paraît contradictoire est concilié par la foi. S’il eût parlé des descendants d’Ismaël, ce langage serait inutile ; car c’étaient des enfants selon la nature et non selon la foi. Mais il introduit aussi Isaac : car ce n’était pas pour ces nations qu’Abraham avait cru, mais pour l’enfant qui devait naître d’une femme stérile. Si donc c’est une récompense d’être père d’un grand nombre de nations, cela s’entend évidemment des nations pour lesquelles il a cru. Et pour vous convaincre que c’est bien d’elles qu’il est question, écoutez la suite : « Et sa foi ne faiblit point, et il ne considère ni son corps éteint, puisqu’il avait déjà environ cent ans, ni l’impuissance de Sara (19) ».
Voyez-vous comme il fait ressortir les obstacles, et aussi la grandeur d’âme du juste qui les surmonte tous ? « Contre l’espérance », nous dit-il, en parlant de la promesse. Voilà le premier obstacle : car le patriarche n’avait point sous les yeux l’exemple d’un autre Abraham qui eût eu ainsi un fils. Ceux qui sont venus après lui ont fixé les yeux sur lui ; niais lui n’a pu les fixer sur personne, si ce n’est sur Dieu seul ; aussi nous dit-on : « Contre l’espérance ». Ensuite, un corps éteint, second obstacle ; puis l’impuissance de Sara, troisième et quatrième obstacle. – « Il n’hésita point en défiance de la promesse de Dieu (20) ». Dieu ne lui donna point de preuve, point de signe, mais de simples paroles, des promesses qui ne s’accordaient point avec la nature. Et pourtant « Il n’hésita « pas », nous dit l’apôtre. Il ne dit pas : Il ne refusa pas de croire, mais « Il n’hésita pas », c’est-à-dire, il ne douta pas, il ne chancela pas, malgré tant d’obstacles. Nous apprenons par là que quand Dieu nous promettrait mille choses impossibles, si celui qui les entendrait refusait d’y croire, cette faiblesse serait un effet de sa folie et non un résultat de la nature des choses. « Mais il se fortifia par la « foi ». Voyez la sagesse de Paul ! Comme il était question de ceux qui font les œuvres et de ceux qui traient, il montre que les derniers font plus que les premiers ; qu’ils ont besoin d’une plus grande grâce et de beaucoup de force et que leurs travaux ne sont pas des travaux vulgaires. En effet, on cherchait à déprécier la foi par la raison qu’elle n’avait point de travaux à supporter. Repoussant cette assertion, il fait voir que non seulement celui qui pratique la chasteté ou quelqu’autre vertu de ce genre, a besoin de force ; mais qu’il en faut une plus grande encore à celui qui a fait preuve de foi. Car comme le premier a besoin de vigueur pour repousser les suggestions de l’impureté, ainsi le second doit avoir une âme forte pour écarter les raisonnements de l’incrédulité. Comment donc Abraham est-il devenu fort ? Par la foi, nous dit Paul, et non en s’abandonnant aux raisonnements ; autrement il eût failli. Et comment a-t-il pratiqué la foi ? « En rendant gloire à Dieu, pleinement assuré que tout ce qu’il a promis, il est puissant pour le faire (21) »
Donc s’abstenir de toute recherche curieuse c’est glorifier Dieu, et s’y livrer c’est se rendre coupable. Si nous ne glorifions pas Dieu quand nous discutons et scrutons minutieusement des choses d’un ordre inférieur, nous le glorifions encore bien moins en sondant avec curiosité la génération du Maître ; c’est une injure que nous expierons par les derniers supplices. Car si nous ne devons pas même chercher la forme propre de la résurrection, beaucoup moins nous est-il permis de scruter ces profonds et terribles mystères. L’apôtre ne dit pas simplement croyant, mais « pleinement assuré ». Telle est la foi : beaucoup plus claire, plus persuasive que la démonstration par les raisonnements : car aucun raisonnement ne saurait plus l’ébranler. Celui que le raisonnement a convaincu, peut changer d’opinion ; mais celui que la foi a affermi, ferme ensuite l’oreille aux arguments qui pourraient la détruire. Après avoir dit qu’Abraham fut justifié par la foi, Paul fait voir que, par cette même foi, il a rendu gloire à Dieu : ce qui est le propre d’une vie vertueuse ; car il est écrit « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 5,16) Voilà qui parait être le résultat de la foi. Mais comme les couvres demandent de la force, aussi en demande la foi. Ici souvent le corps partage lui-même le travail, là l’âme seule suffit. En sorte que la difficulté est plus grande, parce que l’âme n’a pas toujours le corps pour auxiliaire.
6. Voyez-vous comme il démontre que tout ce qui tient aux œuvres, comme par exemple se glorifier devant Dieu, avoir besoin de force et de travail, rendre gloire à Dieu, existe à un bien plus haut degré dans la foi ? En disant que Dieu peut faire ce qu’il a promis, il rue semble prédire l’avenir : car ce ne sont pas seulement des biens présents, mais des biens futurs, que Dieu a promis : ceux-ci sont le type de ceux-là. Ainsi l’incrédulité est le propre d’une âme faible, étroite et misérable. Donc quand certains hommes nous font un crime de notre foi, en retour reprochons-leur leur incrédulité, les traitant de misérables, de pusillanimes, d’insensés, de faibles, qui n’ont rien de plus que les ânes. Car comme la foi est le signe d’une âme grande et sublime, ainsi l’incrédulité est le propre d’une âme tout à fait déraisonnable, très-vile et rabaissée au rang des animaux stupides.
Laissant donc de tels hommes de côté, imitons le patriarche, et glorifions Dieu, comme il l’a glorifié lui-même. Qu’est-ce que cela veut dire : Il a rendu gloire à Dieu ? Il a pensé à sa justice, à sa puissance infinie ; et ayant conçu de lui une idée juste, il a été pleinement assuré de l’exécution des promesses. Glorifions donc Dieu, nous aussi, par la foi et par les œuvres, afin d’obtenir pour récompense d’être glorifiés par lui : car il a dit : Je glorifierai ceux qui me glorifient. Du reste, quand même il n’y aurait pas de récompense, ce serait déjà une gloire d’être jugé digne de glorifier Dieu. Si en effet ceux qui célèbrent les louanges des rois, s’en estiment honorés, n’en recueillissent-ils d’ailleurs aucun autre avantage ; songez quelle gloire ce serait pour nous que notre Maître fût glorifié en nous, et aussi de quel châtiment nous serions dignes, si nous étions cause qu’il fût blasphémé ? Toutefois c’est pour notre propre avantage qu’il veut être glorifié par nous, puisqu’il n’en a lui-même aucun besoin. Car quelle est, pensez-vous, la distance entre Dieu et l’homme ? Est-ce la même qu’entre l’homme et le ver de terre ? Mais dire cela, ce n’est rien dire ; cette distance ne saurait s’exprimer. Voudriez-vous donc être glorifié, célébré, par des vers de terre ? Non, sans doute. Eh bien ! si, malgré votre passion pour la gloire, vous n’y tenez pas ; comment Dieu, qui est exempt de cette passion et si élevé au-dessus de vous, aurait-il besoin de la gloire que vous pouvez lui rendre ? Et pourtant, bien qu’il n’en ait pas besoin, il déclare la désirer à cause de vous. S’il a daigné se faire esclave pour vous, pourquoi vous étonner de tout ce qu’il a pu faire encore dans le même but ? Il ne regarde comme indigne de lui rien de ce qui peut contribuer à notre salut.
Pénétrés de ces vérités, évitons tout péché qui pourrait le faire blasphémer. « Fuyez le péché », est-il écrit, « comme vous fuiriez à la vue d’un serpent ». Si vous en approchez, il vous mordra ; car ce n’est pas lui qui vient à nous, mais nous qui allons à lui. Dieu l’a ainsi réglé pour que le démon n’établisse point son empire tyrannique : autrement personne ne pourrait lui résister. Voilà pourquoi il l’a repoussé à l’écart comme un voleur et un tyran ; et à moins qu’il ne trouve quelqu’un seul et sans défense dans ses propres retraites, il n’ose pas attaquer ; à moins qu’il ne nous voie traverser le désert, il craint d’approcher or, le désert pour lui n’est pas autre chose que le péché. Nous avons donc besoin du bouclier de la foi, du casque du salut, du glaive de l’esprit ; non seulement pour nous garantir, mais encore pour lui trancher la tête, s’il veut s’élancer contre nous : nous avons besoin de prier continuellement, afin de le fouler sous nos pieds. Car il est impudent et détestable ; et quoiqu’il combatte d’en bas, il remporte cependant la victoire. La raison en est que nous ne nous mettons pas en peine de nous tenir au-dessus de ses coups ; car il ne saurait s’élever bien haut ; mais il se traîne à terre. Aussi le serpent est-il sa figure. Si Dieu lui a assigné cet état dès le commencement, à plus forte raison maintenant.
Mais si vous ne savez pas ce que c’est que de combattre d’en bas, j’essayerai de, vous expliquer cette manière de faire la guerre. Qu’est-ce donc que combattre d’en bas ? C’est lutter à l’aide des objets inférieurs, la volupté, la richesse, toutes les choses mondaines. Voilà pourquoi si le démon voit quelqu’un voler vers le ciel, il ne pourra d’abord s’élancer à sa poursuite ; en second lieu, s’il l’essayait, il retomberait bien vite : car il n’a pas de pieds, ne craignez rien ; il n’a pas d’ailes, n’ayez pas peur ; il rampe à terre et dans les choses terrestres. N’ayez donc rien de commun avec la terre et vous n’aurez pas besoin de combattre. Car il ne connaît pas la lutte corps à corps ; il trompe souvent par l’appât des richesses. Si vous coupez les épines, comme le serpent, il se cache dans les épines, il fuira au plus vite comme un lâche, et si vous savez employer contre lui les divins enchantements, il sera bientôt blessé. Car nous avons, oui, nous avons des enchantements spirituels : le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et la vertu de la croix. non seulement ces enchantements débusquent le dragon de ses retraites et le précipitent dans le feu, niais encore ils guérissent les blessures.
7. Que si beaucoup de ceux qui ont prononcé ce nom n’ont pas été guéris, cela ne vient pas de son impuissance, mais de leur peu de foi ; car les uns se pressaient autour de Jésus et le poussaient, sans y rien gagner ; et l’hémorroïsse, sans toucher son corps, par le seul contact de ses vêtements, fut guérie d’un flux de sang invétéré. Ce nom est terrible aux démons, aux passions et aux maladies. Faisons-nous en donc un ornement et un rempart. C’est ainsi que Paul est devenu grand, bien qu’il fût de même nature que nous ; mais la foi le transforma, et telle était sa puissance que ses vêtements mêmes avaient une grande vertu. Quelle sera donc notre excuse, si l’ombre, si les vêtements des apôtres chassaient les maladies et que nos prières ne puissent réprimer nos passions ? Et quelle en est la cause ? La grande différence des dispositions de l’âme, puisque tout ce qui tient à la nature est égal et commun entre lui et nous : car Paul a été engendré et nourri de la même manière que nous, il a habité la terre, il a respiré l’air comme nous ; mais du reste il était bien plus grand, bien meilleur que nous en zèle, en foi, en charité.
Imitons-le donc, faisons en sorte que le Christ parle par notre bouche ; car il le souhaite plus vivement que nous et c’est pour cela qu’il nous a donné cet organe, qu’il ne veut pas voir inutile et oisif, mais qu’il désire avoir sans cesse en mains. Pourquoi donc ne le tenez-vous pas toujours à la disposition de l’artiste ? Pourquoi en relâchez-vous les cordes et les amollissez-vous par la volupté, de manière à rendre la lyre entière inutile pour lui, quand il faudrait tendre ces cordes, les rendre sonores et les resserrer par le sel spirituel ? Si le Christ la voyait d’accord, en cet état, lui-même en toucherait dans notre âme. Et alors, vous verriez danser les anges, les archanges et les chérubins. Soyons donc dignes de ces mains sans tache ; invitons-le à venir jouer dans notre cœur ; il n’a même pas besoin d’être invité : rendez-le digne de ce contact ; et lui-même accourra le premier. S’il, vient au-devant des retardataires (il faisait déjà l’éloge de Paul avant sa conversion), que ne fera-t-il pas quand il verra un instrument préparé ? Et si le Christ fait entendre des sons, l’Esprit arrivera infailliblement, et nous serons au-dessus du ciel, puisque nous n’aurons plus seulement l’impression glu soleil et de la lune sur notre corps, mais que le maître du soleil, de la lune et des anges habitera et agira en nous.
Je dis cela, non pour que nous ressuscitions les morts, ni que nous guérissions les lépreux ; mais pour que nous montrions un signe bien au-dessus de tous les autres, la charité. Car partout où – est ce bien, le Fils vient immédiatement avec le Père et la grâce de l’Esprit descend, En effet il est écrit : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». (Mt. 18,22) C’est une preuve de grande affection et d’un vif amour, quand des deux côtés les amants sont ensemble. Mais, direz-vous, qui est assez malheureux pour ne pas désirer d’avoir le Christ au milieu de soi ? Nous-mêmes, qui sommes en guerre les uns, avec les autres. Peut-être quelqu’un rira-t-il de moi, et dira-t-il : Que dites-vous là ? Vous nous voyez tous réunis dans le même lieu, dans l’enceinte de la même église, formant en parfait accord le même bercail, sans aucune contradiction, acclamant ensemble le même pasteur, écoutant ensemble ce qui se dit, priant ensemble : et vous venez parler de guerre et de discorde ? Oui, et je ne suis pas foi, et je ne déraisonne pas. Je vois en effet ce que je vois, et je sais que nous sommes dans le même bercail et sous le même pasteur. Et c’est ce qui fait surtout couler mes larmes : qu’ayant tant de raisons de nous unir, nous soyons cependant divisés. Quelle division voyez-vous donc ici, me direz-vous ? Ici, aucune ; mais dès que le sermon sera fini, un tel accusera un tel ; l’un insultera publiquement, l’autre sera jaloux, ou avare, ou voleur, un autre usera de violence, un autre se livrera à de coupables amours, un autre combinera mille fraudes. Et si toutes nos âmes pouvaient être mises à nu, vous verriez tout cela en détail et vous reconnaîtriez que je ne suis pas fou.
8. Ne voyez-vous pas dans les armées, en temps de paix, les soldats déposer les armes, et passer ainsi sans défense et sans précaution, dans le camp ennemi ? Mais dès qu’ils se sont munis de leurs armes, ce sont des gardes, des postes avancés, des nuits sans sommeil, des feux continuels : toutes choses qui n’indiquent plus la paix ; mais la guerre. Voilà précisément ce qu’on peut voir chez nous, nous nous observons et nous nous craignons les uns les autres, nous parlons à l’oreille du voisin, puis, si un tiers survient, nous nous taisons, nous supprimons le sujet de la conversation : ce qui n’est pas une preuve de confiance, mais bien d’une extrême défiance. Mais, direz-vous, nous cherchons seulement à nous garantir, et non à faire tort. Voilà encore ce qui me fait gémir : que, vivant parmi des frères, nous ayons besoin de nous tenir en garde pour ne point éprouver d’injustice, d’allumer tant de feux, d’avoir tant de sentinelles et de postes « dansés. Et la cause de tout cela c’est l’habitude du mensonge et de la fraude, le défaut de charité, une guerre implacable. Aussi trouve-t-on une foule de personnes qui ont plus de confiance dans les païens que dans les chrétiens. Pourtant quel sujet de honte, de larmes, de gémissements ! Eh ! comment faire, direz-vous ? un tel est d’un mauvais caractère et de relation difficile. Mais où est votre sagesse ? Où sont les lois apostoliques, qui nous ordonnent de porter les fardeaux les uns des autres ? Si vous ne pouvez vivre en paix avec votre frère, comment vivrez-vous avec un étranger ? Si vous ne savez pas manier votre propre membre, comment pourrez-vous en attirer d’autres et vous les adapter ?
Que faire, dites-vous ? Oh ! en voyant dans notre camp tant de guerres plus désastreuses que des guerres étrangères, j’ai bien de la peine à empêcher mes yeux de verser des torrents de larmes, à l’exemple de ce prophète, qui s’écriait, en présence d’une irruption d’étrangers : « Je souffre des entrailles ». (Jer. 4,19) Et moi à l’aspect de ces soldats rangés sous le même général, puis se tournant les uns contre les autres, se mordant, se déchirant les membres, les uns pour de l’argent, les autres pour de la gloire, ceux-là se raillant et se tournant en ridicule sans motif et sans but, se portant mille blessures ; en voyant ces morts plus maltraités que ceux qui tombent sur les champs de bataille, en voyant le titre de chrétiens réduit à une pure dénomination, je ne saurais trouver de lamentations en proportion du sujet.
Respectez donc, respectez cette table, à laquelle nous participons tous, le Christ-immolé pour nous, la victime que l’on nous y sert. Des brigands assis au même banquet, cessent d’être brigands pour leurs convives ; la table transforme leurs mœurs et rend plus doux que des brebis, des hommes plus féroces que les bêtes sauvages ; et nous qui participons à un tel festin, qui prenons ensemble une telle nourriture, nous nous armons les uns contre les autres, quand nous devrions nous armer contre le démon, notre ennemi commun ! Voilà pourquoi nous nous affaiblissons, tandis. qu’il se fortifie tous les jours. Nous ne nous défendons point les uns les autres contre lui, mais nous combattons avec lui contre nos frères, et nous le prenons pour général dans ces expéditions, au lieu de tourner tous nos armes contre lui seul. Nous le laissons de côté, et nous dirigeons nos traits contre nos frères. Quels traits ? Ceux de la langue et de la bouche. Ce ne sont pas seulement les traits et les flèches qui font des blessures ; la langue en fait de plus terribles. Mais, direz-vous, comment mettre fin à cette guerre ? En pensant que quand vous parlez contre votre frère, vous jetez de la boue, par la bouche ; en pensant que vous calomniez un membre du Christ ; que vous dévorez votre propre chair ; que vous vous rendez plus redoutable que l’effrayant, l’inflexible tribunal ; que le trait ne tue pas celui qui le reçoit, mais celui qui le décoche. Mais, dites-vous, on m’a fait tort, on m’a maltraité. – Gémissez et ne dites point de mal ; déplorez, non le tort qu’on vous a fait, mais la perte de votre ennemi, comme votre Maître a pleuré Judas, non parce qu’il a été lui-même crucifié, mais parce que Judas l’avait trahi. On vous a accablé d’injures et d’outrages ? Priez le Seigneur de faire éclater sans retard sa miséricorde sur le coupable. Il est votre frère, il a été enfanté comme vous ; c’est votre membre, il a été convié à la même table. Mais, dites-vous, il redouble ses injures. Votre récompense en sera plus grande et plus abondante. Il est d’autant plus juste que vous lui pardonniez, qu’il a reçu un coup mortel, puisque le démon l’a blessé.
9. Ne vous blessez donc point vous-même, ne vous perdez pas avec lui. Tant que vous êtes debout, vous pouvez le sauver ; mais si vous vous tuez avec lui en lui rendant injure pour injure, qui vous remettra sur pied tous les deux ? Est-ce lui, qui est blessé ? Mais il ne le peut ; il est à terre. Est-ce vous, qui êtes tombé avec lui ? Eh ! comment ? Vous qui ne pouvez vous tendre la main à vous-même, la tendrez-vous à un autre ? Tenez-vous donc généreusement debout, présentez votre bouclier, et, par votre patience, retirez du combat votre frère mort. La colère l’a blessé ? N’ajoutez pas blessure à blessure, mais arrachez plutôt le trait. Si nous noua traitons ainsi mutuellement, nous serons bientôt tous en bonne santé ; mais si nous nous armons les uns contre les autres, il n’y aura plus besoin du démon pour nous perdre. Toute guerre est désastreuse, mais surtout la guerre civile. Et celle dont je parle l’emporte d’autant sur la guerre civile, que nos liens de gouvernement, ou plutôt de parenté sont plus étroits.
Jadis Caïn tua Abel, et versa le sang fraternel ; mais le meurtre dont nous parlons l’emporte sur celui-là en injustice, et parce que la proximité est plus grande, et parce que le genre de mort est plus terrible.. Car Caïn ne perça qu’un corps, et vous aiguisez votre glaive contre une âme. Mais vous avez souffert le premier ? Souffrir ce n’est pas recevoir le mal, mais le faire. Examinez un peu : Caïn a tué, Abel a été tué : où est le mort ? Est-ce celui qui criait après sa mort, selon ce qui est écrit « La voix du sang de ton frère, crie vers moi » ; (Gen. 4,20) ou celui qui, vivant, tremblait et craignait ? Celui-ci sans contredit était plus malheureux que quelque mort que ce soit. Voyez-vous que le meilleur est encore de souffrir l’injustice, quand elle devrait aller jusqu’au meurtre ? Apprenez que le pire est de la commettre, quand même on serait assez fort pour donner la mort. Caïn a frappé et abattu son frère, mais Abel a été couronné et Caïn a été puni ; Abel a été tué et immolé contre toute justice, mais, en mourant il accusait son frère, il le tuait, il s’en emparait ; et Caïn vivant gardait le silence, rougissait, était surpris en flagrant délit, et atteignait un résultat opposé à celui qu’il avait envié. En effet, il tuait son frère parce qu’il le voyait aimé ; et il se proposait de le priver de cet amour ; et au contraire, il n’a fait que l’augmenter, puisque Dieu s’attachait davantage à la victime, jusqu’à dire : « Où est ton frère Abel ? » (Id. 9) Bien loin d’avoir éteint l’amour par la jalousie, tu n’as fait que l’enflammer ; loin de diminuer son honneur par le meurtre, tu n’as fait que l’augmenter. Dieu l’avait d’abord fait ton inférieur ; mais puisque tu lui as donné la mort, du fond de son tombeau il se vengera contre toi : tant est grand l’amour que je lui porte. Quel est donc le condamné, de celui qui a puni, ou de celui qui a été puni ? De celui que Dieu honore jusqu’à ce point, ou de celui qui est livré à un supplice nouveau ? Tu ne l’as pas craint vivant, dis-tu ; crains-le donc mort ; tu n’as pas frémi en lui enfonçant le glaive, après avoir versé son sang, tu seras sous le poids d’une terreur continuelle ; vivant, il était ton serviteur et tu n’as pu le supporter : mort, il est devenu pour toi un maître redoutable. Pensons à cela, mes bien-aimés, et fuyons l’envie, éteignons la malice, aimons-nous mutuellement, afin de recueillir les fruits de la charité dans cette vie et dans l’autre, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la force, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE IX. modifier


OR, CE N’EST PAS POUR LUI SEUL QU’IL A ÉTÉ ÉCRIT QUE CELA LUI FUT IMPUTÉ A JUSTICE, MAIS POUR NOUS AUSSI, A QUI IL SERA IMPUTÉ, SI NOUS CROYONS EN CELUI QUI A RESSUSCITÉ D’ENTRE LES MORTS JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR. (IV, 23, 24, JUSQU’À V, 11)

Analyse. modifier

  • 1. Justifiés par la foi, ayons désormais la pais avec Dieu par la sainteté de notre vie.
  • 2. Glorifions-nous non seulement dans l’espérance des biens qui nous sont promis, parce que les promesses divines ne sont pas trompeuses, mais glorifions-nous même des maux apparents de la vie présente.
  • 3. Qu’est-ce que Dieu nous peut refuser après qu’il nous a donné son Fils unique et le Saint-Esprit ?
  • 4. Aimer Dieu. – Peines et afflictions de la vie utiles à l’âme, et avantageuses pour le salut. – Avis pour bien supporter une affliction. – Bénir Dieu dans les maux. – Avis pour les malades.


1. Après avoir beaucoup parlé et dit de grandes choses d’Abraham, de sa foi, de sa justice, de l’honneur que Dieu lui a fait, de peur que l’auditeur ne dise. Qu’est-ce que cela nous fait ? C’est lui qui a été justifié ; il nous rapproche du patriarche. Telle est la vertu des paroles spirituelles. Le Gentil, le nouveau-venu, celui qui n’a rien fait, non seulement l’apôtre a affirmé qu’il n’est point au-dessous du Juif fidèle, mais pas même au-dessous du patriarche ; bien plus, chose étonnante ! il le place fort au-dessus. Telle est, en effet, notre noblesse, que la foi d’Abraham est devenue la figure de la nôtre. Paul ne dit pas : Si cela lui a été imputé à justice, il est probable qu’il nous sera aussi imputé ; il ne s’appuie pas sur un raisonnement humain ; mais il parle d’après l’autorité des lois divines et réduit tout à une sentence de l’Écriture. Pourquoi, nous dit-il, cela est-il écrit, sinon pour nous apprendre que nous avons été justifiés de la même manière ? Car nous croyons au même Dieu, pour les mêmes objets, quoique non dans les mêmes personnes. Mais en parlant de notre foi, il parle aussi de l’immense bonté de Dieu, qu’il nous remet sans cesse sous les yeux, en rappelant le souvenir de la croix : ce qu’il fait ici en ces termes : « Qui a été livré pour nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification ».
Voyez comment après avoir marqué la cause de la mort du Sauveur, il en tire une démonstration de sa résurrection. Pourquoi, dit-il, Jésus a-t-il été crucifié ? Ce n’est pas peur ses péchés, comme sa résurrection le prouvé. Car s’il eût été pécheur, comment serait-il ressuscité ? Sa résurrection prouve donc clairement qu’il n’était point pécheur. Mais s’il ne l’était point, comment a-t-il raté crucifié ? Pour d’autres. Si c’est pour d’autres, il est nécessairement ressuscité. Et pour que vous ne disiez pas : Comment, nous qui sommes si coupables, pouvons-nous être justifiés ? Paul nous montre celui qui a effacé tous les péchés ; afin de prouver ce qu’il avance et par la foi d’Abraham, en vertu de laquelle il a été justifié ; et par la passion du Sauveur, qui nous a délivrés de nos péchés. Après avoir donc parlé de sa mort, il parle aussi de sa résurrection. Il n’est pas mort pour nous laisser exposés au châtiment et condamnés, mais pour nous faire du bien ; c’est pour nous rendre justes qu’il est mort et ressuscité.
« Étant donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu par. Notre-Seigneur Jésus-Christ (1) ». Que veulent dire ces mots : « Ayons la paix ? » C’est-à-dire, selon quelques-uns, ne causons point de discordes, en cherchant à introduire la loi. Quant à moi, je pense qu’il s’agit ici de notre conduite. Après avoir beaucoup parlé de la foi et de la justice par les œuvres, il traite cette autre question ; et de peur qu’on ne s’autorise de ce qu’il a dit : pour se négliger, il ajoute : « Ayons la paix », c’est-à-dire ne péchons plus, ne revenons pas au passé ; car ce serait lutter contre Dieu. Et comment, direz-vous, est-il possible de ne plus pécher ? Et d’abord comment tout ceci a-t-il été possible ? Si, coupables de tant de péchés, nous en avons été délivrés par le Christ, à bien plus forte raison pouvons-nous, avec son aide, persévérer dans l’état où nous sommes. Ce n’est pas la même chose d’obtenir une paix qu’on n’avait pas, ou de la garder quand on l’a reçue : car il est plus difficile d’acquérir que de conserver ; et cependant le plus difficile est devenu facile et s’est réalisé. Donc le plus facile nous viendra aisément, si nous nous attachons à celui qui a accompli pour nous le plus difficile. Mais ici Paul ne semble pas seulement indiquer que la chose est facile ; mais aussi qu’elle est raisonnable. Si en effet le Christ nous a réconciliés quand nous étions vaincus, il est juste de nous maintenir dans cet état de réconciliation et de lui témoigner par là notre reconnaissance, pour qu’il ne paraisse pas n’avoir réconcilié avec son père que des méchants et des ingrats. « Par lui », nous dit l’apôtre, « nous avons eu accès par la foi ». Si donc il nous a ramenés quand nous étions loin, à, bien plus forte raison nous retiendrait-il depuis que nous sommes près.
2. Considérez un peu, je vous prie, comme Paul met partout en opposition, et ce que Dieu fait de son côté, et ce que nous faisons du nôtre. Ce que Dieu a fait est varié, multiple, divers : car il est mort, il nous a délivrés, il nous a amenés, il nous a accordé une grâce ineffable ; et nous, nous n’avons apporté que 1a foi. Aussi l’apôtre dit-il : « Par la foi en cette grâce en laquelle nous sommes établis ». Quelle grâce, je vous demande ? Celle d’être jugés dignes de la connaissance de Dieu, d’être délivrés de l’erreur, de connaître la vérité, d’obtenir tous les biens par le baptême ; il nous a donné accès, afin de nous communiquer tous ces dons ; non pas seulement pour que nous soyons délivrés de nos péchés, mais aussi pour que nous jouissions de mille honneurs. Et il ne s’est pas borné à cela ; il nous a encore promis d’autres biens, des biens ineffables, qui surpassent notre intelligence et notre raison. C’est pourquoi Paul parle des uns et des autres. En effet, par ce mot : « Grâce », il désigne les biens présents que nous avons reçus, et par ceux-ci : « Nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu », il nous découvre tous les biens à venir. Il dit avec raison : « En laquelle nous sommes établis ». Car telle est la grâce de Dieu ; elle n’a pas de fin, elle n’a pas de terme, mais elle croît toujours : ce qui n’est point le propre des choses humaines. Par exemple, quelqu’un est en possession d’une dignité, d’un honneur, d’un pouvoir ; il ne les conserve pas toujours, mais il en déchoit promptement, car s’ils ne lui sont pas enlevés par un homme, du moins la mort l’en dépouillera complètement. Il n’en est pas ainsi du don de Dieu : ni l’homme, ni le temps, ni les évènements, ni le démon même, ni la mort ne peuvent nous en priver ; c’est quand nous mourons, que nous sommes le plus assurés de les posséder, et nos jouissances ne font que s’accroître de plus en plus. Si donc vous n’avez pas de foi aux biens à venir, croyez-y du moins d’après les biens présents et d’après ce que vous avez déjà reçu. C’est ce qui fait dire à Paul : « Et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu », afin que vous sachiez dans quelle disposition doit être l’âme du fidèle. Car il faut être pleinement assuré, non seulement des biens accordés, mais encore des biens futurs, comme s’ils étaient déjà donnés. On se glorifie des biens qu’on a reçus ; mais, nous dit-il, puisque l’espérance des biens à venir est aussi ferme, aussi certaine, que la possession même de ceux que l’on a reçus, il faut donc également s’en glorifier ; et pour cela il leur donne le nom de gloire. Si en effet ils contribuent à la gloire de Dieu, ils arriveront certainement, sinon à cause de nous, du moins à cause de lui : Mais à quoi bon, répond-il, dire que les biens à venir méritent qu’on s’en glorifie ? Nous pouvons nous glorifier même des maux présents et en être tiers ; aussi ajoute-t-il : « Mais outre cela, nous nous glorifions encore dans les tribulations (3) ». Songez quels seront les biens futurs, puisque nous nous glorifions même de ce qui paraît un mal. Tel est le don de Dieu ; il n’y a rien en lui de désagréable.
Dans l’ordre des choses humaines, les combats entraînent des peines, des douleurs, dés misères ; seules les couronnes et les récompenses procurent de la joie ; ici, il n’en est pas de, même, car la lutte est aussi agréable que le prix. Comme alors les épreuves étaient nombreuses, que le royaume n’existait qu’en espérance ; que les maux étaient présents, les biens en expectative, et que cela brisait le courage des plus faibles ; l’apôtre leur distribue des encouragements avant l’heure des couronnes, en leur disant qu’il faut se glorifier dans les tribulations. Il ne dit même pas : Il faut se glorifier, mais : « Nous nous glorifions », en les encourageant par son propre exemple. Et comme, il pouvait paraître étrange, incroyable, qu’on dût se glorifier dans la faim, dans les chaînes, dans les tourments dans les injures et les opprobres, il en donne la preuve ; et ce qu’il y a de plus fort, c’est qu’il affirme qu’on doit s’en glorifier, non seulement en vue de l’avenir, mais même dans le présent ; parce que les tribulations sont par elles-mêmes un bien. Pourquoi ? Parce qu’elles exercent à la patience. C’est pourquoi, après avoir dit : « Nous nous réjouissons dans les tribulations », il en donne la raison en ces termes : « Sachant que la tribulation produit la patience ». Voyez encore une fois la ténacité de Paul, et comme il retourne le sujet en sens contraire. Comme les tribulations décourageaient des biens à venir et jetaient dans le désespoir, il leur dit qu’elles doivent par elles-mêmes inspirer du courage et qu’il ne faut point désespérer de l’avenir. « Car la tribulation produit la patience ; la patience, l’épreuve ; et l’épreuve, l’espérance. Or l’espérance ne confond point (4, 5) ». non seulement les tribulations ne détruisent point ces espérances, mais elles-en sont le fondement. Même avant les biens à venir, la tribulation produit un très-grand fruit, la patience, et elle éprouve celui qui est tenté. D’ailleurs elle contribue aussi aux biens futurs ; car elle fortifie en nous l’espérance. Rien en effet ne dispose à bien espérer comme une bonne conscience.
3. C’est pourquoi personne de ceux qui ont bien vécu, 'ne doute de l’avenir, tandis que beaucoup de ceux qui négligent de bien vivre, tourmentés par une mauvaise conscience, voudraient qu’il n’y eût ni jugement, ni punition. Quoi donc ? nos biens sont-ils en espérances ? Oui ; mais non en espérances humaines, qui sont souvent frustrées ; qui confondent souvent, soit parce que celui sur qui on les fondait meurt, soit parce qu’il change de sentiment. Il n’en est pas ainsi des nôtres ; elles sont fermes, elles sont immuables. Celui qui a promis vit toujours ; et nous, qui devons jouir de ces biens, nous ressusciterons après notre mort ; rien, absolument rien ne pourra nous confondre, comme si nous eussions nourri un vain et futile espoir. Après nous avoir ainsi délivrés de toute incertitude, l’apôtre ne s’en tient pas là, mais il revient encore aux biens à venir, sachant que les faibles s’attachent aux biens présents et ne se contentent pas des autres. Or il appuie la foi aux biens à venir sur la considération des bienfaits déjà reçus, de peur qu’on ne dise : Et si Dieu ne voulait rien donner ? Nous savons tous qu’il est puissant, immuable, vivant ; mais comment connaissons-nous sa volonté ? Par ce qui existe déjà. Qu’est-ce donc ? L’amour qu’il nous a témoigné.
Qu’a-t-il fait ? direz-vous. Il a donné le Saint-Esprit. Aussi après avoir dit : « L’espérance ne confond point », il en donne la preuve en disant : « Parce que la charité de Dieu est répandue en nos cœurs ». Et il ne dit pas : a été donnée, mais : « A été répandue en nos « cœurs », pour en faire voir l’abondance, car il nous a donné ce qu’il y a de plus grand non pas le ciel, la terre et la mer, mais quelque chose de plus précieux que tout cela : il nous a transformés d’hommes en anges et faits enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ. Et qu’est-ce que ce don ? L’Esprit-Saint. Or, s’il ne nous réservait pas de glorieuses couronnes après le combat, il ne nous aurait pas fait de si grands dons avant le combat ; et ce qui démontre l’ardeur de son amour, c’est qu’il ne nous a pas accordé ces honneurs peu à peu, et avec mesure, mais qu’il nous a ouvert sans réserve la source des biens, et cela même avant la lutte. En sorte que, ne fussiez-vous pas très-digne, vous ne devez point désespérer, puisque vous avez un puissant avocat, l’amour du juge. Voilà pourquoi Paul après avoir dit : « L’espérance ne confond point », rapporte tout à l’amour de Dieu, et non à nos mérites. Puis après avoir parlé du don de l’Esprit, il revient encore à la croix et dit : « En effet, le Christ, lorsque nous étions encore infirmes, est mort, au temps marqué, pour des impies. Certes à peine quelqu’un mourrait-il pour un juste ; peut-être cependant que quelqu’un aurait le courage de mourir pour un homme de bien. Ainsi Dieu témoigne son amour pour nous (6-8) ». C’est-à-dire : si personne peut-être ne voudrait mourir pour un homme vertueux, comprenez l’amour de votre Maître, qui a été crucifié, non pour des hommes vertueux, mais pour des pécheurs et des ennemis, ce que Paul dit ensuite : « En ce que, dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. Maintenant donc, justifiés par son sang, nous serons à plus forte raison délivrés par lui de la colère. Car si lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils ; à plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie (9, 10) ». .
Tout cela a l’air d’une répétition et n’en est cependant pas une pour quiconque examine attentivement. Voyez un peu : il veut les confirmer dans la foi aux biens futurs : et d’abord il les confond par la croyance du juste Abraham, en disant « qu’il était pleinement assuré que ce que Dieu a promis, il est puissant pour le faire » ; ensuite il prouve sa proposition par la grâce qui a été donnée, puis par les tribulations, qui sont propres à nous faire espérer ; puis par l’Esprit que nous avons reçu, et enfin par la mort du Christ et notre méchanceté première. Tout cela, comme je l’ai déjà dit, semble, n’être qu’une seule et même chose, et pourtant on y en trouve deux, trois et bien davantage : d’abord que le Christ est mort ; secondement, qu’il est mort pour des impies ; troisièmement, qu’il nous a délivrés, sauvés, justifiés, qu’il nous a rendus immortels, qu’il nous a faits enfants de Dieu et héritiers. Ce n’est pas seulement sa mort qui doit nous fortifier, dit Paul, mais encore le don qui nous a été fait par sa mort. Fût-il simplement mort pour nous tels que nous sommes, t’eût déjà été une très-grande preuve d’amour ; mais qu’en mourant, il nous ait encore fait des dons, et des dons si grands, et quand nous étions pécheurs : voilà ce qui surpasse toute idée, et amène à la foi l’homme le plus insensible. Car personne ne nous sauvera que celui qui nous a aimés, nous pécheurs, jusqu’à se livrer lui-même. Voyez-vous combien ce passage fournit de preuves pour établir la foi aux biens futurs ? Avant cela, il y avait deux obstacles à notre salut : nous étions pécheurs et nous devions être sauvés par la mort du Maître : ce qui semblait incroyable avant, d’exister, et exigeait, pour se réaliser, un grand amour ; mats maintenant que cela est fait, le reste est plus facile, car nous sommes devenus amis, et la mort n’est plus nécessaire. Et Celui qui a épargné des ennemis jusqu’au point de ne pas épargner son Fils, ne protégerait pas des amis, quand il n’est plus nécessaire que son Fils se livre ? Si l’on ne sauve pas quelqu’un, c’est qu’ors ne le veut pas, ou souvent encore parce qu’on ne le peut pas, quand même on le voudrait. Or, ni Puis ni l’autre ne peut, se dire de Dieu ; qu’il, l’ait voulu, cela est clair puisqu’il a donné son Fils ; qu’il le puisse, il l’a fait voir en justifiant des pécheurs. Qu’est-ce qui nous empêche donc de jouir des biens à venir ? Rien. Et pour que vous ne soyez pas couvert de confusion et de honte en entendant ces mots de pécheurs, d’ennemis, d’infirmes et d’impies, écoutez ce que dit l’apôtre : « Mais outre cela, nous nous glorifions en Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant nous avons reçu la réconciliation (11) ».
Qu’est-ce que signifie outre cela ? » non seulement, dit-il, nous avons été sauvés, mais nous nous glorifions de ce dont on voudrait nous faire un sujet de honte. En effet que nous ayons été sauvés quand nous vivions ainsi dans une telle malice, c’est la preuve d’une grande charité de la part de celui qui nous a sauvés. Et ce n’est point par des anges ou des archanges, mais par son Fils unique qu’il a opéré notre salut. Ainsi il nous a sauvés ; il nous a sauvés quand nous étions pécheurs, il nous a sauvés par son Fils unique, et non seulement par son Fils, mais par le sang même de ce Fils : voilà de quoi nous tresser mille couronnes de gloire. Car rien ne procure autant de gloire et n’excite autant la confiance que d’être aimé de Dieu et de le payer de retour. Voilà ce qui fait la splendeur des anges, des principautés et des puissances ; voilà ce qui l’emporte sur la royauté. Aussi Paul met-il cela au-dessus du pouvoir royal ; c’est ce qui me fait proclamer bienheureux les purs esprits, parce qu’ils aiment Dieu et qu’ils lui obéissent en tout. Voilà pourquoi le prophète les admirait en disant : « Puissants en vertu, exécutant sa parole » (Ps. 102) ; voilà pourquoi Isaïe exaltait les séraphins et indiquait leur grande vertu en ce qu’ils étaient, rapprochés de cette gloire : ce qui était le signe d’un très-grand amour.
4. Imitons donc, rions aussi, les puissances célestes, et efforçons-nous, non seulement de nous tenir près, du trône, mais de loger en nous Celui qui est assis sur le trône. Il a aimé ceux-mêmes qui le haïssaient et il continue à les aimer : car « Il fait lever le soleil sur les méchants et sur les bons et pleuvoir sur les justes et les injustes ». (Mt. 5,45) Rendez-lui donc amour punir amour ; car il vous aime. Mais s’il nous aime, direz-vous, comment sa fait-il qu’il nous menace de l’enfer, du châtiment et de la vengeance ? Précisément parce qu’il vous aime : pour couper en vous la racine du vice, pour refréner par la crainte votre penchant au mal, il met tout en œuvre, il ne néglige rien ; par les biens comme par les maux, il cherche à retenir votre inclination vers les choses de la terre, à vous ramener à lui, et – vous arracher à toute espèce de péché, qui est un mal pire que l’enfer. Que si vous riez de ce qu’on vous dit, si vous aimez mille fois mieux vivre dans le vice que d’être affligé un seul jour, il n’y a rien d’étonnant : c’est la preuve d’une âme basse, un signe d’ivresse et de maladie incurable.
Quand les petits enfants voient le médecin prêt à employer le feu et le fer, ils s’enfuient en poussant des cris de terreur et en se déchirant eux-mêmes ; ils aiment mieux périr de consomption que de subir une douleur momentanée pour jouir ensuite d’une bonne santé. Mais ceux qui sont intelligents savent que la maladie est pire qu’une opération, et une vie coupable plus triste que la punition car l’un, c’est le remède suivi de la bonne santé, et l’autre c’est la `mort et la souffrance prolongée. Or il est de toute évidence que la santé est préférable à la maladie ; ce n’est pas quand le brigand reçoit le coup mortel qu’il est juste de verser sur lui des larmes, mais quand il perce lui-même les murs et devient meurtrier. Si en, effet l’âme vaut mieux que le corps, comme elle vaut mieux réellement, sa perte est plus digne de pleurs et de gémissements ; et si elle ne la sent pas, elle n’en mérite que mieux les larmes. Il faut donc plaindre ceux qui sont brûlés de l’amour impur, bien plus que ceux que la fièvre travaille, et les ivrognes plus que ceux que l’on applique à la torture. Mais, dira-t-on, pourquoi préférons-nous l’un à l’autre ? Parce que, comme dit le proverbe, la plupart des hommes préfèrent le pire et le choisissent, au détriment du meilleur. C’est ce qui se voit en fait de nourriture, de conduite, de rivalité, de plaisir, de femmes, de maisons, d’esclaves, de champs, et dans tout le reste. Lequel, je vous le demande, est le plus doux d’avoir commerce avec un homme ou avec une femme, avec une femme ou avec une mule ? Et pourtant nous en voyons beaucoup négliger le commerce des femmes pour Celai des brutes, ou déshonorer le corps d’un homme : quoique les jouissances conformes aux lois de la nature soient plus agréables.
Pourtant le nombre est grand de ceux qui poursuivent comme pleines d’attraits des jouissances ridicules, désagréables, pénibles. Mais, dira-t-on, ils y trouvent du charme. Et c’est là précisément leur malheur, de croire agréable ce qui ne l’est point du tout. Par là ils se persuadent que le châtiment est pire que le péché ; et c’est tout le contraire. Car si le châtiment était un mal pour les pécheurs, Dieu n’eût point ajouté mal à mal, et n’aurait pas voulu les rendre pires ; lui qui fait tout pour éteindre le vice, ne l’aurait pas augmenté. Ce n’est donc pas le châtiment qui est un mal pour le coupable, mais la faute sans la punition, comme la maladie sang le remède. Car rien n’est mauvais comme une passion déplacée : et quand je dis déplacée, j’entends parler de la passion de la volupté, de celle de la vaine gloire, du pouvoir, en un mot de tout ce qui dépasse le besoin. Un homme de ce genre, qui mène une vie molle et relâchée, semble le plus heureux des mortels et il en est le plus malheureux, introduisant dans son âme des maîtresses incommodes et tyranniques. Voilà pourquoi Dieu nous a rendu cette vie pénible, afin de nous arracher à cet esclavage et de nous conduire à la liberté pure ; voilà pourquoi il nous menace du châtiment et associe les travaux à notre existence, afin de contenir notre mollesse.
Ainsi quand les Juifs étaient assujettis à travailler l’argile, à façonner la brique, ils étaient raisonnables et recouraient souvent à Dieu ; mais dès qu’ils furent en liberté, ils murmurèrent, ils excitèrent le courroux du Maître et s’attirèrent des maux sans nombre. Mais, objecte-t-on, que direz-vous de ceux que l’affliction a pervertis ? que c’est là l’effet de leur faiblesse, et non de l’adversité. Si quelqu’un a un estomac faible qu’un remède amer trouble, tandis qu’il – devrait le purger, ce n’est point le remède que nous accusons, mais la faiblesse de l’organe. Autant-en dirons-nous de l’infirmité de l’âme. Celui en effet qui est perverti par l’affliction, le serait encore bien plutôt par la prospérité : s’il tombe quand il est retenu par une chaîne (car l’affliction est une chaîne), à plus forte raison tomberait-il s’il était libre ; s’il est culbuté quoique lié fortement, bien plutôt le serait-il s’il était desserré. – Et comment, direz-vous, pourrais-je ne pas être renversé par l’affliction ? En songeant que, bon gré malgré, il faudra que vous la supportiez ; que si c’est avec reconnaissance, vous en retirerez de très grands profits ; si c’est avec répugnance, avec désespoir et en blasphémant, non seulement vous n’allégerez pas le fardeau du malheur, mais vous augmenterez la force de la tempête.
Dans ces pensées, acceptons de bon cœur ce qui' est l’effet de la nécessité. Par exemple quelqu’un a perdu un enfant légitime, un autre toute sa fortune ; s’il considère qu’il n’était pas possible d’éviter le coup, qu’il y a quelque profit à tirer d’un malheur irréparable, en le supportant généreusement, en renvoyant au Maître des actions de grâces au lieu de blasphèmes, il arrivera que la volonté se fera un mérite d’un mal arrivé contre son gré. Voyez-vous votre fils enlevé par une mort prématurée ? Dites : « Le Seigneur me l’avait donné, le Seigneur me l’a ôté ». (Job. 1,21) Voyez-vous votre fortune disparaître ? Dites : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, je m’en retournerai nu ». (Id) Voyez-vous les méchants prospérer, les justes tomber dans l’adversité et subir mille afflictions, sans que vous puissiez en connaître la cause ? Dites : « Je suis devenu comme une bête de charge devant vous, et pourtant je suis toujours avec vous ». (Ps. 72) Si vous m’en demandez la raison, je vous dirai de vous figurer comme présent le jour où Dieu doit juger l’univers, et tous vos doutes se dissiperont : car chacun alors sera traité selon ses mérites, comme Lazare et le mauvais riche. Souvenez-vous des apôtres déchirés de coups de fouet, chassés, accablés de mauvais traitements, ils se réjouissaient d’avoir été jugés dignes de souffrir injure pour le nom du Christ. Si vous êtes malades, souffrez avec patience, rendez grâces à Dieu, et vous recevrez la même récompense qu’eux.
Mais comment pourrez-vous rendre grâces au Maître, au sein de la maladie et des souffrances ? Si vous l’aimez véritablement. Si les trois enfants dans la fournaise, si d’autres au milieu des chaînes ou de maux sans nombre, ne cessaient pas de rendre grâces à Dieu, à plus forte raison ceux qui sont affligés de maladies ou d’infirmités pénibles peuvent-ils le faire. Car il n’est rien, non rien, dont l’amour ne triomphe ; et quand c’est l’amour de Dieu, il l’emporte sur tous les autres, et ni le feu, ni le fer, ni la maladie, ni la pauvreté, ni l’infirmité, ni la mort, ni rien de semblable ne paraît pénible à celui qui le possède ; il rit de tout, il prend son vol vers le ciel, et n’éprouve pas d’autres sentiments que ceux qui y habitent, ne voit pas autre chose qu’eux : non pas le ciel, ni la terre, ni la mer, mais l’iniquement la beauté de cette gloire ; les misères de la vie présente ne sauraient l’abattre, ni ses biens et ses plaisirs l’enorgueillir et l’enfler. Aimons donc cet amour (car rien ne l’égale) et pour le présent et pour l’avenir ; mais surtout, pour lui-même ; nous serons ainsi délivrés des châtiments de cette vie et de l’autre, et nous obtiendrons le royaume. Du reste, être délivré de l’enfer et en possession du royaume, c’est peu de chose en comparaison de ce que je vais dire : « Aimer le Christ et en être aimé est bien au-dessus de tout cela. Si en effet l’amour mutuel chez les hommes mêmes est la plus grande des voluptés, quand il s’agit de Dieu, quelle parole, quelle pensée pourrait exprimer le bonheur de l’âme ? Il n’y a que l’expérience qui le puisse. Afin donc de connaître par expérience cette joie spirituelle, cette vie heureuse, ce trésor inépuisable de biens, quittons tout, attachons-nous à cet amour, et pour notre propre bonheur et pour la gloire du Dieu qui en est l’objet ; car la gloire et l’empire sont à lui, comme au Fils unique et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE X. modifier


C’EST POURQUOI, COMME LE PÉCHÉ EST ENTRÉ DANS LE MONDE PAR UN SEUL HOMME, ET LA MORT PAR LE PÉCHÉ, AINSI LA MORT A PASSÉ DANS TOUS LES HOMMES PAR CELUI EN QUI TOUS ONT PÉCHÉ. (V, 12, JUSQU’À VI, 4)

Analyse. modifier

  • 1. Par Adam, le péché et la mort entrèrent dans le monde ; par Jésus-Christ ; nous obtenons le pardon de nos péchés et la félicité éternelle.
  • 2. Avec le péché originel la grâce efface encore tous les autres. – La justice est la racine de la vie.
  • 3 et 4. La loi de Moise ne pouvait remédier à la ruine qui était une suite du péché d’Adam ; bien plus, depuis cette loi le péché régna avec encore plus de force ; mais par Jésus-Christ, le règne de la grâce est devenu plus étendu et plus fort que celui du péché.
  • 5 et 6. État d’une âme qui se néglige et qui retourne après sa conversion, à sa première vie. – Bonté et charité de Dieu envers ceux qui se convertissent. – Artifices du démon pour perdre les âmes.


1. Comme les bons médecins s’attachent toujours à trouver la racine des maladies et remontent à fa source même du mal, ainsi fait le bienheureux Paul. Après avoir dit que nous sommes justifiés et l’avoir prouvé par le patriarche, par l’Esprit, par la mort du Christ (car il ne serait pas mort, si ce n’eût été pour nous justifier), il confirme encore ces preuves par des démonstrations prises à une autre source ; et prenant le sujet en sens contraire, c’est-à-dire au point de vue de la mort et du péché, il se demande comment et par où la mort est entrée et comment elle a établi sols empire. Comment donc la mort est-elle entrée, et comment a-t-elle établi son empire ? Par le péché d’un seul homme. Mais que veulent dire ces mots : « En qui tous ont péché ? » Adam étant tombé, ceux mêmes qui n’avaient pas mangé du fruit de l’arbre sont tous devenus mortels à cause de lui. « Car le péché a été dans le monde jusqu’à la loi ; mais le péché n’était pas imputé, lorsque la loi n’existait pas (13) ».
Par ces expressions : « Jusqu’à la, loi », quelques-uns pensent que l’apôtre désigne le temps qui a précédé la promulgation de la loi : soit l’époque d’Abel, de Noé, d’Abraham, jusqu’à la naissance de Moïse. Quel était donc alors le péché ? Quelques-uns pensent qu’il s’agit ici du péché commis dans le paradis. car alors, dit-on, il n’était pas encore développé, mais son fruit apparaissait seulement dans sa fleur, et c’est lui qui a introduit la mort, laquelle exerçait sur tous, son empire tyrannique. Pourquoi donc l’apôtre ajoute-t-il : « Mais le péché n’était pas imputé, lorsque la loi n’existait pas ? » D’après l’objection des Juifs (dit-il), ceux qui partagent notre sentiment prétendent que l’apôtre a voulu dire : S’il n’y avait pas de péché avant la loi, comment la mort a-t-elle frappé ceux qui vivaient avant la loi ? Mais ce que je vais dire me semble plus raisonnable, et plus conforme à la pensée de l’apôtre. Qu’est-ce donc ? Après avoir dit que le péché a été dans le monde jusqu’à la loi, il me semble dire que, la loi une fois donnée, le péché né de la transgression, a établi son empire et l’a conservé tant que la loi a existé : car, selon lui, le péché ne pourrait subsister, si la loi n’était plus. Mais, dira-t-on, si c’est le péché né de la transgression qui a engendré la mort, pourquoi ceux qui vivaient avant la loi sont-ils tous morts ? Si la mort a sa racine dans le péché, si le péché n’est pas imputé quand il n’y a pas de foi, comment la mort a-t-elle établi son empire ? Évidemment parce que ce n’est pas le péché né de la transgression de la loi, mais celui de la désobéissance d’Adam, qui a tout perdu. Et quelle en est la preuve ? C’est que tous ceux qui ont vécu avant la loi sont morts. « Mais la mort », nous dit-il, « a régné depuis Adam jusqu’à Moïse, même sur ceux qui n’avaient point péché ». Comment a-t-elle régné ? « Par une prévarication semblable à celle d’Adam qui est la figure de celui qui doit venir (14) ».
Voilà pourquoi Adam est le type du Christ. Comment cela, direz-vous ? Parce que, comme Adam, en mangeant du fruit défendu, est devenu la cause de la mort de ses descendants, bien qu’ils n’eussent point goûté du fruit de l’arbre ; ainsi le Christ est devenu pour ses fils, même prévaricateurs, l’auteur de la justice qu’il nous a procurée à tous par sa croix. C’est pourquoi Paul insiste partout et toujours sur ce point et le ramène sans cesse sous les yeux, en disant : « Comme le péché est entré dans le monde par un seul homme » ; et encore : « Beaucoup sont morts par le péché d’un seul homme » ; puis : « Il n’en est pas de la grâce comme du péché » ; puis : « Le jugement de condamnation vient d’un seul » ; et encore : « Car si par le péché d’un seul la mort a régné par un seul ». Et : « Ainsi donc, comme par le péché d’un seul » ; puis derechef : « De même que par la désobéissance d’un seul homme beaucoup ont été constitués pécheurs ». Il ne perd point de vue ce seul homme ; afin que quand le Juif vous dira : Comment, le Christ seul ayant mérité, le monde entier est-il sauvé ? vous puissiez lui répondre : Comment, Adam seul ayant désobéi, le monde entier a-t-il été condamné ?
Quoique du reste le péché ne soit point l’égal de la grâce, ni la mort de la vie, ni le démon de Dieu, mais qu’il y ait entre eux une distance infinie ; quand donc c’est de la nature des choses, et de la puissance de celui qui entreprend, et de la convenance (car il convient mieux à Dieu de sauver que de punir) ; quand c’est de tout cela, dis-je, que le triomphe et la victoire prennent naissance : quelle raison, dites-moi, quand il dit : « Mais il n’en est pas de la grâce comme du péché. Car si par le péché d’un seul beaucoup sont morts, bien plus abondamment la grâce et le don de Dieu, par la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, se sont répandus sur un grand nombre (15) ». C’est-à-dire : Si le péché, et le péché d’un seul homme, a au tant de pouvoir ; comment la grâce, et la grâce de Dieu, et non seulement du Père, mais aussi du Fils, ne serait-elle pas de beaucoup plus puissante ? Car cela est bien plus raisonnable. En effet, que l’on soit puni pour un autre, cela ne semble pas juste ; mais que l’on soit sauvé par un autre, c’est bien plus convenable et bien plus raisonnable. Or si l’un a eu lieu, à plus forte raison l’autre.
2. C’est ainsi que Paul prouve que c’est convenable et raisonnable, et, cela prouvé, il n’y a plus de difficulté à l’admettre. Il s’attache ensuite à prouver que cela, était nécessaire : Comment cela ? « Il n’en est pas », dit-il, « du don comme du péché : car le jugement de condamnation vient d’un seul ; tandis que la grâce de la justification délivre d’un grand nombre de péchés (16) ». Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’un seul péché a pu amener la mort et la condamnation ; tandis que la grâce a effacé non seulement ce péché, mais tous ceux qui ont été commis dans la suite. Et pour que, les mots « comme » et « tandis que » ne semblent pas établir une parité entre les biens et les maux, et que vous ne pensez pas, en entendant parler d’Adam, que, son péché seul a été effacé, il dit que beaucoup de péchés ont – été remis. Quelle en est la preuve ? C’est qu’après les innombrables péchés commis à la suite de celui du paradis, tout a abouti à la justification. Or, partout où est la justice, la vie et les biens infinis se trouvent nécessairement, comme partout où est le péché, la est la mort.
En effet la justice est plus que la vie ; puisqu’elle est la racine de la vie. Mais que beaucoup de biens aient été procurés, et que, outre le péché d’Adam, tous les autres aient été effacés, l’apôtre le prouve en disant : « La grâce de la justification délivre d’un grand nombre de péchés ». D’où suit cette conséquence nécessaire, que la mort a été radicalement détruite. Mais comme il a affirmé que la justice est plus que la vie, il faut encore qu’il le prouve. D’abord il a dit : Si le péché d’un seul nous a donné la mort à tous, à bien plus forte oraison la grâce d’un seul pourra-t-elle nous sauver ; ensuite il a fait voir que la grâce n’a pas seulement effacé le péché d’Adam, mais encore tous les autres : que non seulement les péchés ont été effacés, mais que la justice a été donnée ; que non seulement le Christ a fait autant de bien qu’Adam avait fait de mal, mais qu’il en a fait beaucoup plus. Après de telles affirmations, il a besoin ici l’une preuve plus forte. Comment la donne-t-il ? « Si par le péché d’un seul » ; dit-il, « la mort a régné par un seul, à plus forte raison a ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice régneront dans la vie par un seul, Jésus-Christ (17) ».
Ce qui veut dire : Qu’est-ce qui a armé la mort contre le monde entier ? La faute commise par un seul homme en mangeant du fruit défendu. Si donc la mort a acquis une telle puissance par suite d’une seule faute, lorsqu’on en voit quelques-uns recevoir une grâce et une justice bien plus grande que ce péché, comment pourront-ils encore être sujets à la mort ? Voilà pourquoi il ne dit pas ici : La grâce, mais « L’abondance de la grâce » car nous n’avons pas seulement reçu la mesure de grâce nécessaire pour l’abolition du péché, mais beaucoup plus. En effet nous avons été délivrés du châtiment, nous avons dépouillé toute matière, nous avons été régénérés d’en haut, nous sommes ressuscités après avoir enseveli le vieil homme, nous avons été rachetés et sanctifiés, nous avons été amenés à l’adoption et justifiés, nous sommes devenus les frères du Fils unique, nous avons été établis ses cohéritiers, les membres de son corps, nous lui avons été unis comme le corps l’est à la tête. Tout cela forme ce que Paul appelle l’abondance de la grâce : indiquant que nous n’avons pas seulement reçu le remède capable de guérir notre blessure ; mais aussi la santé, la beauté, l’honneur, la gloire, des dignités bien au-dessus de notre nature. Et chacune de ces choses suffisait par elle-même à détruire la mort ; mais quand toutes sont réunies, on n’aperçoit pas même la trace, pas même l’ombre de la mort, qui a complètement disparu. Si quelqu’un jetait en prison un homme qui lui devrait dix oboles, et, avec lui et à cause de lui, sa femme, ses enfants et ses domestiques ; puis qu’un autre survint et payât non seulement les dix oboles, mais y ajoutât en pardon dix mille talents d’or, conduisit ensuite le prisonnier dans un palais, le plaçât sur un trône élevé, le fit participer aux honneurs suprêmes et l’environnât d’éclat : celui qui aurait prêté les dix oboles n’oserait plus y penser. Ainsi en est-il de nous. Le Christ a payé beaucoup plus que nous ne devions ; c’est un immense océan vis-à-vis d’une goutte d’eau.
Ne doutez donc plus, ô homme, à l’aspect de tant de trésors, et ne demandez plus comment l’étincelle de la mort et du péché s’est éteinte au milieu de cette mer de grâces. C’est à cela que Paul faisait allusion quand il disait : « Ceux qui ont reçu l’abondance de la grâce et de la justice, régneront dans la vie » ; et après l’avoir clairement démontré, il revient à son premier raisonnement et le comme par répétition en disant que : si d’une part tous ont été punis pour le péché d’un seul, de l’autre, tous ont pu être aussi justifiés par un seul. C’est pourquoi il ajoute : « Comme c’est donc par le péché d’un seul que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi c’est par la justice d’un seul que tous les hommes reçoivent la justification de la vie ». Et il insiste encore là-dessus en ces termes : « Car de même que par la désobéissance d’un seul homme beaucoup ont été constitués pécheurs, de même aussi par l’obéissance d’un seul, beaucoup sont constitués justes (19, 19) ». Ces paroles semblent soulever une question assez grave ; mais avec un peu d’attention, on la résoudra sans peine. Quelle est donc cette question ? C’est que l’apôtre affirme que beaucoup sont devenus pécheurs par la désobéissance d’un seul. Qu’un homme ayant péché et étant devenu mortel, ses descendants le soient aussi, il n’y a rien là d’invraisemblable : mais qu’on détienne pécheur par la désobéissance d’un autre, est-ce logique ? Il semble que personne ne peut être puni que pour une faute personnelle.
3. Que signifie donc ici ce mot « pécheurs ? » c’est-à-dire, ce me semble, sujets au : châtiment et condamnés à mort. Qu’après la mort d’Adam nous soyons tous devenus mortels, l’apôtre l’a prouvé clairement et de plus d’une façon ; mais la question est de savoir pourquoi il en est ainsi. Il ne le dit pas encore, parce que le sujet actuel ne le comporte pas : il combat ici le Juif qui élève des doutes et se moque de la justice obtenue par un seul. C’est pourquoi, après avoir montré que le châtiment s’est, transmis d’un seul homme à tous, il n’en donne point encore la raison : car il n’aime pas les paroles inutiles et ne s’attache qu’au nécessaire. La loi de la discussion ne l’obligeait pas plus que le Juif à résoudre cette difficulté ; aussi la laisse-t-il sans solution que si quelqu’un de vous désire Dette solution, nous lui répondrons que bien loin de souffrir de la mort et de la condamnation, nous gagnons beaucoup, si nous sommes sages, à être devenus mortels : d’abord de ne pas pécher dans un corps immortel ; secondement, de trouver là mille motifs d’être sages. – En effet, la mort toujours présentée, toujours attendue, nous engage à être modérés, à être chastes, à nous contenir, à nous dégager de tous les vices. En outre, elle nous procure d’autres biens en grand nombre et plus considérables que ceux-là. Delà, en effet, les couronnes des martyrs, les palmes des apôtres ; par là Abel fut justifié et aussi Abraham après avoir immolé son fils ; par là Jean fut tué pour le christ ; par là les trois enfants et Daniel triomphèrent. Si nous le voulons, non seulement la mort, mais pas même le démon ne pourra nous nuire : Outre cela il faut encore dire que l’immortalité nous attend ; qu’après quelque temps d’épreuve, nous jouirons, en sécurité des biens à venir ; qu’exercés dans cette vie, comme à une école, par la maladie, l’affliction, la tentation, là pauvreté et fout ce qui semble être un mal, nous deviendrons aptes à posséder ces biens futurs.
« Mais la loi est survenue pour que le péché abondât (20) ». Après avoir montré que le monde a été condamné à cause d’Adam, puis sauvé et délivré de la condamnation par le Christ, il s’occupe très-à-propos de la loi et réfute l’opinion qu’ils en avaient non seulement, leur dit-il, elle n’a servi à rien, non seulement elle n’a été d’aucun secours, mais en survivant elle n’a fait qu’augmenter la maladie. – Le mot « Pour que » ne désigne point ici là cause, mais le résultat. Car elle n’a point été donnée pour augmenter le péché, mais pour le diminuer, et le détruire ; cependant le contraire est arrivé, non par la nature même de la loi, mais parla lâcheté de ceux qui l’ont reçue. Pourquoi ne dit-il pas : La loi a été donnée, mais « La loi est survenue ? » Pour indiquer que son utilité n’était que momentanée, et non majeure ni de première importance ; ce qu’il exprime déjà, mais d’une autre manière, dans son épître aux Galates : « Car avant que la foi vînt, nous étions sous la garde de la loi, réservés pour cette foi qui devait être révélée ». (Gal. 3,23) Ainsi ce n’était point pour elle-même, mais pour un autre, que la loi gardait le troupeau. En effet, comme les Juifs étaient grossiers, dissolus, attachés aux seuls dons qu’ils recevaient, la loi leur a été donnée pour les convaincre de leurs péchés, pour leur faire voir clairement en quel état, ils se trouvaient, pour renforcer l’accusation et resserrer encore leur lien. Toutefois ne craignez pas : ce n’est pas pour aggraver le châtiment que ceci a lieu, mais pour mieux faire apparaître la grâce. Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Où, le péché abonde ; la grâce a surabondé ». Il ne dit pas : A abondé, mais : « A surabondé ». Car non seulement elle nous a délivrés du châtiment, mais elle nous a procuré la rémission des péchés et la vie, et tant d’autres avantages dont nous avons souvent parlé ; absolument comme si quelqu’un, non content de débarrasser un fiévreux de sa maladie, le rétablissait encore dans la fleur de l’âge, de la force et dès honneurs, ou comme si quelqu’un, non seulement donnait à manger à un affamé ; mais encore le comblait de richesse : et l’élevait au pouvoir suprême. Et comment, direz-vous, le péché a-t-il abondé ? La loi renfermait des préceptes sans nombre ; et comme il les ont tous violés, le péché a abondé. Voyez-vous quelle distance sépare la grâce de la loi ? Celle-ci fut une aggravation de condamnation ; celle-là est une surabondance de dons.
4. Après avoir parlé de l’ineffable amour de Dieu pour nous, il cherche le principe et la racine de la mort et de la vie. Quelle est la racine de la mort ? Le péché. C’est pour cela qu’il dit : « Afin que, comme le péché à régné par la mort, ainsi la grâce règne par la justice pour la vie éternelle par Jésus-Christ Notre-Seigneur (21) ». Il parle ainsi pour faire voir que le péché exerçait en quelque sorte le rôle de souverain, et que la, mort se tenait à ses ordres comme un soldat armé de par lui. Or, si le péché, armé la mort, il est clair que la justice qui efface le péché et qui est produite par la grâce, non seulement désarme la mort, mais la détruit ; et anéantit son empire, en ce que le sien est plus grand, elle qui a été introduite, non par un homme ni par le démon, mais par Dieu et par la grâce, qui dirige notre vie vers une fin meilleure et des biens infinis, et qui enfin, pour dire davantage encore ; n’aura pas de terme. La mort nous avait chassés de la vie présente : la grâce survenant ne nous l’a point rendue, mais nous en a donné une immortelle et éternelle, et le Christ est l’auteur. Ne doutez donc pas de la vie, puisque vous avez la justice : car la justice est plus grande que la vie, puisqu’elle en est la mère.
« Que dirons-nous donc ? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde ? A Dieu ne plaise. (6,12) Il revient ici à un sujet moral, sans dessein prémédité, pour lie pas paraître à charge et fatigant à un grand nombre, mais comme à une conséquence du dogme. S’il varie ainsi ses sujets pour les ménager, pour ne pas les irriter ; (c’était ce qui lui faisait dire : « Cependant j’ai écrit ceci avec quelque hardiesse » (Rom. 15,15), c’est qu’il leur eût semblé bien plus dur saris cette précaution. Après leur avoir donc fait voir la puissance de la grâce en ce qu’elle remet de grands péchés, il semblait avoir fourni aux insensés un motif pour pécher. En effet, ils auraient pu se dire : Si la gravité de nos péchés fait paraître la grâce plus grande, continuons à pécher afin que sa puissance éclate encore mieux. Pour empêcher qu’on ne parle ou qu’on ne pense ainsi, voyez comme il détruit l’objection, d’abord par cette négation : « A Dieu ne plaise ! » expression qui s’applique ordinairement aux choses évidemment absurdes ; ensuite en faisant un raisonnement auquel il n’a rien à répondre. Quel est-il ? « Nous qui sommes morts au péché, comment y vivons-nous encore ? » Que signifient ces mots : « Nous sommes morts ? » Ou que nous avions reçu notre arrêt, autant que, cela dépendait du péché ; ou que, croyants et éclairés, nous sommes morts pour lui : ce dernier sens paraît préférable, comme la suite le fait voir. Et qu’est-ce que c’est qu’être mort au péché ? C’est ne lui obéir en rien désormais, c’est ce que le baptême a, fait une fois : il nous a fait mourir au péché ; mais il faut que notre zèle nous maintienne toujours dans cet état, en sorte que, quand le péché nous commanderait mille choses nous n’en exécuterions aucune, mais que nous demeurions immobiles comme un mort.
Du reste, ailleurs il dit que c’est le péché qui est mort, mais son but est alors de prouver que la vertu est facile ; ici, afin d’éveiller l’auditeur, c’est lui qu’il veut faire mourir. Puis comme ses paroles étaient obscures, il les explique avec plus de vivacité. « Ignorez-vous, mes frères », leur dit-il, « que nous qui avons été baptisés dans le Christ, nous avons été baptisés en sa mort ? Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir (3, 4) ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Nous avons été baptisés en sa mort ? » Pour mourir comme il est mort lui-même : car le baptême est une croix. Ainsi ce que la croix et le sépulcre ont été pour le. Christ, le baptême l’est pour nous ; quoique d’une manière différente ; car le Christ est mort et a été enseveli dans sa chair, et nous devons être l’un et l’autre pour le péché, aussi. Paul ne dit-il point : « Entés » sur sa mort, mais « En la ressemblance de sa mort (5) ». En effet il y a mort ici et là, quoique sur des sujets différents : pour le Christ, mort dans sa chair ; pour nous morts au péché ; mais celle-ci vraie comme celle-là ; néanmoins nous devons donner quelque chose de notre côté : aussi ajoute-t-il : « Afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi nous marchions dans une nouveauté de vie ».
Ici, en parlant d’une vie régulière, il insinue le dogme de la résurrection. Comment cela ? Vous croyez, dit-il, que le Christ est mort et ressuscité ; croyez donc aussi pour ce qui vous regarde : car il doit y avoir entre Jésus-Christ et vous une entière ressemblance aussi bien dans la résurrection et dans la vie, que dans la croix et dans la sépulture. Si vous avez participé à la mort et à la sépulture, à bien plus forte raison aurez-vous part à la résurrection et à la vie : la question principale, celle du péché, étant résolue, il n’y a plus de doutes à élever sur la question secondaire, celle de la destruction de la mort. Mais Paul abandonne cela pour le moment aux réflexions et à la conscience de ses auditeurs ; pour lui, en présence de la résurrection future, il en demande de nous une autre : une nouvelle vie en ce monde, par le changement de nos mœurs. Quand l’impudique devient chaste, l’avare généreux, le violent pacifique : alors il y a résurrection, prélude de la résurrection future. Et comment y a-t-il résurrection ? En ce que le péché est mort, la justice ressuscitée, l’ancienne vie anéantie, la nouvelle vie, la vie des anges, en vigueur. Sous cette expression de vie nouvelle, il y a bien des changements, bien des conversions à chercher.
5. Pour moi je fonds en larmes et j’éclate en gémissements, quand je pense à la sagesse que Paul exige de nous, et à la lâcheté à laquelle nous nous abandonnons, revenant au vieil homme après, le baptême, retournant du côté de l’Égypte, nous rappelant les oignons après avoir mangé la manne. Dix jours, vingt jours après le baptême, nous voilà changés, nous revenons au passé. Ce n’est pas pendant un nombre de jours limités, même, pendant la vie et entière, que Paul exige de nous la régularité, et nous revenons à nos vomissements ; après avoir été rajeunis par la grâce, nous redevenons vieillards par l’effet du péché. Car l’amour des richesses, le joug des passions déréglées, en un mot toute espèce de péché vieillit ordinairement celui qui le commet ; or de l’âge avancé, de la, vieillesse à la mort, il n’y a qu’un pas. Car, aucun corps miné par le temps, non, aucun, ne saurait offrir l’image d’une âme corrompue, accablée par la multitude de ses péchés. Du reste elle est amenée au dernier degré de l’idiotisme, ne disant plus que des choses insignifiantes, à la manière des vieillards et des personnes en délire ; sujette à la pituite, à la stupidité, à l’oubli, à la chassie, odieuse aux hommes, facile à vaincre pour le démon : tel est l’état de l’âme des pécheurs. Il en est tout autrement des âmes des justes.
Pleines de jeunesse et de vigueur, elles sont toujours à la fleur de l’âge, prêtes, au combat et à la lutte ; tandis que celles des pécheurs tombent au premier choc et périssent. C’est ce que déclare le prophète, quand il dit : « Comme la poussière que le vent soulève de la surface de la terre ». (Ps. 1) Ainsi ils sont mobiles et livrés aux insultés du, premier venu, ceux qui vivent dans le péché. Car leur vue n’est pas saine, ils n’entendent pas clair, ils ne parlent, pas distinctement, ils sanglotent et bavent beaucoup. Et plût au ciel qu’ils ne fissent que rejeter de la salive et point d’inconvenances ! mais ils profèrent des paroles plus puantes que la boue ; et, ce qu’il y a de pire, ils ne peuvent pas même en rejeter l’écume ; mais, chose horrible ! ils la reçoivent dans leurs mains, la pétrissent de nouveau quand elle est épaissie et dure. Peut-être ce tableau excite-t-il votre dégoût ; que serait-ce donc de la réalité ! Si tout cela est désagréable dans le corps, à bien plus forte raison dans l’âme.
Tel était ce jeune homme qui avait dépensé tout son bien, et était descendu si bas dans le vice, qu’il était plus faible qu’un homme malade ou en délire. Mais, dès qu’il le voulut, il redevint jeune, par le seul fait de sa volonté et de son changement. Sitôt qu’il eut dit « Je retournerai chez mon père » (Lc. 15,13), ce mot fut pour lui la source de tous les biens ; ou plutôt ce ne fut pas ce mot seulement, mais aussi l’acte qui l’accompagna. En effet il ne se contenta pas de dire : « Je retournerai », et de rester en place : niais il dit : « Je retournerai », et il retourna, et il fit la route tout entière. Agissons de même ; fussions-nous sur la terre étrangère, revenons à la maison paternelle et ne nous rebutons pas de la longueur du chemin. Si nous le voulons, le retour sera facile et très prompt ; seulement sortons de la terre d’exil, de la terre étrangère ; or, cette terre c’est le péché, qui nous emmène loin de la maison de notre père ; quittons donc le péché, pour rentrer vite ad domicile paternel. Car notre père est plein de tendresse, et si nous sommes changés, il ne nous aimera pas moins que ceux qui sont restés sages, il nous aimera même davantage ; puisque le père de l’Enfant prodigue lui fit plus d’honneur qu’à son aîné, et éprouva une joie plus vive pour l’avoir recouvré.
Mais comment retourner, direz-vous ? Commencez seulement, et tout sera fait ; arrêtez-vous dans le vice, n’allez pas plus loin, et vous aurez tout recouvré. Comme, chez les malades, c’est commencer à mieux aller que de ne pas aller plus mal, ainsi en est-il, dans le vice ; n’allez i)as plus loin et votre malice aura son terme. Si vous faites' cela pendant deux jours, le troisième vous aurez plus de facilité à vous abstenir du mal ; puis, à ces trois jours, vous en ajouterez dix, puis vingt, puis cent, puis toute votre vie. Car plus vous, avancerez, plus vous trouverez le chemin facile, et parvenu au faîte, vous jouirez d’une grande abondance de biens : Lorsque le prodigue revint, ce fut un concert de flûtes et de lyres, il y eut des chœurs, des danses et des fêtes ; celui qui avait le droit de demander compte à son fils de sa folle prodigalité et d’une si longue absence, n’en fit rien, le regarda même d’aussi bon œil que s’il se fût bien conduit ; non seulement ne lui fit aucun reproche en paroles, mais ne souffrit pas même qu’il rappelât le passé ; l’embrassa, le combla de caresses, tua le veau gras, le revêtit de la robe et de toute sorte d’ornements.
Nous qui avons ces exemples sous les yeux, prenons donc courage et ne désespérons pas. Car Dieu n’a pas autant de plaisir a être appelé Maître que Père, ni à avoir un serviteur qu’à avoir un fils ; il aime mieux l’un que l’autre. Pour cela il atout fait, il n’a point épargné son fils unique, afin que nous recevions l’adoption et que nous l’aimions, non seulement comme un maître, mais comme un Père. Et s’il obtient cela de nous, il en est comme glorieux et fier, il s’en vante à tout le monde, lui qui n’a nul besoin de ce qui nous appartient.
C’est ce qu’il faisait à l’égard d’Abraham, répétant partout : « Moi, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » ; c’était aux serviteurs à s’en féliciter ; et c’est le Maître lui-même qui s’en glorifie. C’est pour cela qu’il dit à Pierre : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? » (Jn. 21,17) ; indiquant par là qu’il n’est rien qu’il désire davantage de notre part. Pour cela aussi, il ordonne à Abraham d’immoler son, fils, pour faire voir à tout le monde qu,'il est grandement aimé du patriarche. Or, le désir d’être vivement aimé provient lui-même d’un vif amour. Pour cela encore il disait à ses apôtres : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi ; n’est pas digne de moi ». (Mt. 10,37)
6. C’est pour cela qu’il exige que ce que nous avons de plus cher ; notre âme, ne tienne que le second rang après son amour, parce qu’il veut être souverainement aimé de nous. Quand nous n’aimons pas vivement quelqu’un, nous ne nous soucions pas beaucoup de son amitié, fût-il d’ailleurs grand et glorieux ; mais quand nous aimons véritablement, vivement, ne fût-ce qu’un homme de basse condition ; de peu de valeur, nous tenons à grand honneur d’être payés de retour. C’est pourquoi le Christ donnait le nom de gloire, non seulement à : l’amour que nous lui portons mais aux opprobres qu’il a soufferts à cause de nous. Or, l’amour seul leur donnait ce caractère ; tandis que ce que nous souffrons pour lui mérite d’être appelé glorieux, et l’est réellement ; non seulement à cause de l’amour qui l’inspire, mais à cause de la grandeur, et de la dignité de celui que nous aimons.
Pour lui, courons donc aux périls comme à de magnifiques couronnes, et ne regardons point comme choses pénibles et désagréables ; la pauvreté, la maladie, les injures, la calomnie, dès que nous les supportons à cause de lui. Si nous sommes sages, nous tirerons de tout cela de très-grands profits ; et si nous ne le sommes pas, nous ne recueillerons aucun avantage de la situation contraire. Examinez un peu : quelqu’un vous injurie et vous fait la guerre ? Il vous oblige par là à vous tenir sur vos gardes, et vous donne l’occasion de ressembler à Dieu. Si vous aimez l’homme qui vous tend des pièges, vous serez semblable à celui « qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons ». (Mt. 5,45) Un autre vous enlève votre fortune ? Si vous le supportez avec courage, vous recevrez la même récompense que ceux qui ont tout donné aux pauvres. « Car », nous dit Paul ; « vous avez supporté avec joie l’enlèvement de vos biens, sachant que vous avez une richesse meilleure et permanente ». (Héb. 10,34)
Quelqu’un a mal parlé de vous et vous a déshonoré ? Que cela soit vrai, que cela soit faux, si vous supportez l’injure avec douceur, on vous a tressé une magnifique couronne. D’une part, le calomniateur nous procure une grande récompense. [« Réjouissez-vous », est-il écrit, « et tressaillez de joie, quand on a dit faussement toute sorte de mal de vous, parce que votre récompense est grande dans les cieux] » (Mt. 5,12) ; de l’autre, celui qui dit la vérité nous est aussi très-utile, pourvu, que nous la supportions avec patience. En effet, le pharisien était dans le vrai en parlant mal du publicain, et pourtant, du publicain il a fait un juste. Qu’est-il besoin d’entrer dans plus de détails ? On peut tout apprendre là-dessus, en étudiant attentivement l’histoire de Job. C’est ce qui fait dire à Paul : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rom. 8,31.} Comme, avec du zèle, nous tirons parti de ceux mêmes qui nous affligent ; ainsi, par, notre lâcheté, nous ne profitons pas de ceux qui veulent nous être utiles. En quoi, je vous prie, a servi à Judas la compagnie du Christ ? En quoi la loi a-t-elle été utile aux Juifs ? À Adam, le paradis ? Moïse, à ceux qui étaient dans le désert ?
C’est pourquoi, laissant de côté tout le reste nous ne devons nous attacher qu’à une chose ; à bien régler notre vie ; et alors, le démon lui-même ne pourra bous vaincre ; il nous deviendra au contraire très-utile, en nous obligeant à veiller sur nous. C’était en dépeignant sa cruauté, que Paul réveillait les Éphésiens. Mais nous, nous dormons, nous ronflons, quoiqu’en présence d’un si méchant ennemi. Si nous savions qu’un serpent est caché près de notre lit, nous mettrions tout en œuvre pour le tuer ; le démon est caché dans nos âmes, et nous ne croyons pas nous en trouver mal, et nous succombons. La raison en est que nous ne le voyons pas des yeux du corps ; et pourtant ce devrait être un motif de plus pour veiller et nous tenir sur nos gardes il est facile en effet de se précautionner contre un ennemi visible ; mais nous échappons difficilement à l’ennemi invisible, à moins que nous ne soyons armés de toutes pièces, surtout parce qu’il n’attaque jamais directement, (autrement il serait bientôt pris), et qu’il ingère souvent son cruel poison sous le masque de l’amitié. Ainsi il détermina la femme de Job à donner son pernicieux conseil, sous l’apparence d’une vive affection ; ainsi, en s’adressant à Adam, il feint de vouloir lui être utile et de prendre à cœur ses intérêts : « Vos yeux s’ouvriront du jour où vous aurez mangé du fruit de cet arbre ». (Gen. 3,5) Ainsi, sous prétexte de piété, il persuada à Jephté d’immoler sa fille, d’offrir un sacrifice criminel. Voyez-vous ces pièges ? Voyez-vous des aises de guerre ? Tenez-vous donc en garde, revêtez-vous de pied en cap des armes spirituelles, étudiez soigneusement ses machines de guerre, afin qu’il ne puisse vous surprendre et que vous puissiez facilement le déjouer. C’est ainsi que Paul, savant dans cet art, a su le vaincre. Aussi disait-il : « Car nous n’ignorons pas ses desseins ». (2Cor. 2,11) Tâchons donc, nous aussi, de connaître et d’éviter ses embûches, afin qu’après en avoir triomphé, nous soyons proclamés vainqueurs dans ce monde et dans l’autre, et que nous obtenions les biens immortels par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l’empire, l’honneur, appartiennent au Père comme au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XI. modifier


SI, EN EFFET, NOUS AVONS ÉTÉ ENTÉS[3] EN LA RESSEMBLANCE DE SA MORT, NOUS LE SERONS AUSSI EN CELLE DE SA RÉSURRECTION. (VI, 5, JUSQU’À 18)

Analyse. modifier

  • 1. Quoique par Jésus-Christ la grâce ait pris un empire d’autant plus grand que le péché était plus puissant, il ne s’ensuit pas que celui qui a été justifié par la vraie foi, doive continuer de pécher ; loin de là, la justification par la foi implique une vie sainte.
  • 2. C’est ce que signifie le baptisme, qui est une figure de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, et qui ainsi nous engage à nous défaire du péché, et à commencer une vie nouvelle et sainte. Jésus-Christ est venu redresser la volonté et non changer la nature.
  • 3. Le corps est comme une arme dans la main de la volonté qui peut en faire un usage bon ou mauvais.
  • 4. Et cette vie de sainteté doit être durable, parce que Jésus-Christ vit désormais d’une vie immortelle, et elle peut l’être, parce que le péché ne domine plus sur nous, attendu que nous ne sommes plus sous la loi pure, mais que nous sommes devenus participants aux trésors de grâces de Jésus-Christ.
  • 5. Qu’il y a divers genres, de mort.
  • 6. Le pécheur ne comprend pas sa misère. – Contre la superfluité des ameublements.


1. Je l’ai déjà dit plus haut et je le répète encore aujourd’hui : l’apôtre fait souvent des digressions dans la morale, non cependant comme dans ses autres épîtres ; qu’il divise en deux parties : l’une destinée aux dogmes ; et l’autre à la direction des mœurs. Ici il ne procède point de même ; mais il passe alternativement de l’un à l’autre genre, afin de faire accepter facilement ses paroles. Il déclare donc qu’il y a deux espèces de mort : lune opérée par le Christ dans le baptême, et l’autre qui doit être le résultat de nos propres efforts. En effet, que nos anciens péchés aient été ensevelis, c’est là le don de Dieu ; mais qu’après le baptême nous restions morts au péché, ce doit être l’œuvre, de notre zèle, quoique nous y voyions encore en très-grande partie le secours divin, non seulement le baptême a la vertu d’effacer les péchés passés, mais il nous prémunit encore contre les péchés à venir. Comme donc vous avez apporté la foi pour effacer les premiers, ainsi montrez dans la suite un changement de volonté, afin de ne pas vous souiller de nouveau. Ce sont ces conseils et d’autres semblables que l’apôtre donne, en disant : « Si, en effet, nous avons été entés en la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi en celle de sa résurrection ». Voyez-vous comme il relève son auditeur, en l’amenant tout d’abord à son maître et en s’efforçant de faire voir entre eux, beaucoup de traits de ressemblance ? C’est pour cela qu’il ne dit point : En sa mort, de peur qu’on ne le contredise : « Mais en la ressemblance de sa mort » ; car, notre substance n’est pas morte, mais bien l’homme né du péché, c’est-à-dire le vice. Il ne dit point non plus : Si nous avons participé à la ressemblance de sa mort ; que dit-il donc ? « Si en effet nous avons été entés », indiquant par ce mot « Entés », les fruits que cette mort a produits en nous. Car comme le corps du Christ enseveli en terre a produit pour fruit le salut du monde, ainsi le nôtre, enseveli dans le baptême a produit pour fruit la justice, la sanctification, l’adoption, des biens sans nombre, et produira en dernier lieu le don de la résurrection.
Mais comme nous avons été ensevelis dans l’eau et lui dans la terre, nous par rapport au péché, et lui par rapport à son corps, l’apôtre ne dit pas : Entés en sa mort ; mais « Entés en la ressemblance de sa mort » : car il y a mort ici et là, mais non dans le même sens. Si donc, nous dit-il, nous avons été entés en sa mort, nous le serons aussi en sa résurrection ; il parle ici de sa résurrection future. Plus haut, quand il parlait de la mort et qu’il disait : « Ignorez-vous, mes frères, que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ, nous avons été baptisés en sa mort ? » il ne s’est point expliqué clairement sur la résurrection, mais seulement sur le genre de conduite à tenir après le baptême, prescrivant de marcher dans une vie nouvelle ; c’est pourquoi reprenant ici le même sujet, il nous annonce enfin la résurrection future. Et pour vous convaincre que c’est bien de cette résurrection qu’il s’agit, et non de celle par le baptême, après avoir dit : « Si en effet nous avons été entés en la ressemblance de sa mort », il n’ajoute point : Nous le serons en la ressemblance de sa résurrection, mais bien : « En sa résurrection » ; de peur que vous ne disiez « Comment ressusciterons-nous comme lui, si nous ne sommes pas morts comme lui ? Quand il a parlé de la mort, il n’a pas dit : Entés en sa mort, mais : « En la ressemblance de sa mort » ; puis quand il parle de la résurrection, il ne dit pas : En la ressemblance de sa résurrection : mais, nous le serons en sa résurrection même. Il ne dit pas non plus : Nous avons été, mais : « Nous serons », indiquant encore une fois par cette expression qu’il s’agit de la résurrection future, de celle qui n’a pas encore eu lieu. Et voulant rendre sa parole digne de foi ; il parle ici de la résurrection qui précède la dernière, afin de vous faire croire à celle-ci par celle-là. Car après avoir dit que nous serons entés en sa résurrection, il ajoute : « Sachant bien que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché soit, détruit », indiquant en même temps la résurrection future et sa cause, il ne dit pas : A été crucifié, mais : « A été crucifié avec lui », rapprochant ainsi le baptême de la croix. Aussi disait-il plus haut : « Nous avons été entés en la ressemblance de sa mort, afin que le corps du péché soit détruit », appliquant cette expression, non à notre corps, mais à toute espèce de vice. En effet comme il donne le nom de vieil homme à toute espèce de vice (Cor. 3,9), ainsi appelle-t-il corps du vieil homme cet ensemble de malice formé des diverses formes du péché. Et pour que vous ne preniez point ceci pour une conjecture, écoutez Paul s’expliquant lui-même dans ce qui suit. Car après avoir dit « Afin que le corps du péché soit détruit », il ajoute : « Et que désormais nous ne soyons plus esclaves du péché ». Je veux que l’homme soit mort au péché, non en ce sens qu’il cesse de vivre et meure réellement, mais en ce sens qu’il ne pèche plus, Et allant plus loin, il dit encore plus clairement : « Attendu que celui qui est mort, est justifié du péché (6, 7) ». Et il dit de tout homme : Que comme celui qui est mort, cesse enfin de pécher puisqu’il est étendu sans vie, ainsi en doit-il être de celui qui sort du baptême, parce que, étant mort là une fois ; il doit rester mort au péché boute sa vie.
2. Si donc vous êtes mort dans le baptême, restez mort : car quiconque est mort, ne peut plus pécher ; et si vous péchez encore, vous gâtez le don de Dieu. Après avoir exigé de nous une si ; grande sagesse, il nous montre aussitôt la couronne ; en, disant : « Si donc nous sommes morts avec le Christ ». Avant le dernier couronnement, c’est déjà une très-belle couronné d’étre en communauté avec le maître. Et pourtant, nous dit-il, je vous propose une autre récompense, laquelle ? La vie éternelle : « Nous croyons que nous vivrons aussi avec lui ». Et quelle en est la preuve ? « Sachant bien que le Christ, ressuscité des morts, ne meurt plus ». Voyez encore la ténacité de Paul et comme il prouve ceci par les contraires ! Comme il était probable que ces doctrines de croix et de mort jetteraient le trouble chez quelques-uns, il démontre que c’est là même, qu’il faut puiser des motifs de confiance. N’allez pas vous imaginer, leur dit-il, que parce qu’il est mort une fois, le Christ soit mortel ; c’est pour cela même qu’il reste immortel ; car sa mort est devenue la mort de la mort : c’est parce qu’il est mort qu’il ne meurt plus ; puisque, par cette mort : « Il est mort pour le péché (8-10) ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Pour le péché ? » Cela veut dire que, n’ayant pas commis le péché, il est mort pour les nôtres. Il est mort pour détruire le péché, pour briser ses nerfs et toute sa puissance.
Voyez-vous comme il les épouvante ? Car si le Christ e meurt pas une seconde fuis, il n’y pas de second baptême ; et s’il n’y a pas de second baptême, ne vous laissez plus aller au péché. Il dit tout cela pour combattre cette erreur. « Faisons le mal pour qu’il en arrive du bien » ; et encore : « Nous persévérerons dans le péché pour que la grâce abonde ». Son but ici est donc de détruire radicalement cette opinion. « S’il vit », dit-il, « il vit pour Dieu » : c’est-à-dire, il est indissolublement uni à la vie, en sorte que la mort ne peut plus exercer sur lui son empire. Car si, quoique innocent, il est mort une première fois pour les péchés d’autrui, à bien plus forte raison ne mourra-t-il plus, puisqu’il a détruit le péché. C’est ce que dit encore l’apôtre dans son épître aux Hébreux : « Car il a paru une seule fois à la consommation des siècles, pour détruire le péché, en se faisant lui-même victime. Et comme il est décrété que tous les hommes doivent mourir une fois, le Christ offert une fois pour effacer les péchés d’un grand nombre, apparaîtra une seconde fois, sans avoir plus rien du péché, aux yeux de ceux qui l’attendent pour leur salut ». (Héb. 9,26-28) Il montre tout à la fois la valeur d’une vie selon Dieu, et, la puissance du péché : la valeur d’une vie selon Dieu, en ce qu’elle n’est plus sujette à la mort ; la puissance du péché, puisque, s’il a pu faire mourir celui qui était innocent, comment ne perdrait-il pas les coupables ? Ensuite, comme il a parlé de la vie du Christ, de peur qu’on ne dise ; Que nous importe ce qu’on dit la ? Il ajoute : « Ainsi pour vous, estimez que vous êtes morts au péché, mais vivants à Dieu dans le Christ Jésus Notre-Seigneur ». Il a raison de dire : « Estimez », parce qu’il n’est pas encore possible de rendre ce qu’il vient de dire, visible aux yeux. Et qu’estimerons-nous, demande-t-il ? Que « Nous sommes morts au péché, mais vivants à Dieu dans le Christ Jésus Notre-Seigneur ». En effet celui qui vit de la sorte, possédera toutes les vertus ; ayant Jésus pour auxiliaire dans le combat : c’est le sens de ces mots « dans le Christ ». Si en effet le Christ nous a ressuscités quand nous étions morts, à plus forte raison pourra-t-il nous conserver en vie.
« Que le péché donc ne règne point dans a votre corps mortel, en sorte que vous obéissiez à ses convoitises (11, 12) ». Il ne dit pas : Que la chair ne vive pas, qu’elle n’agisse pas ; mais : « Que le péché ne règne pas » ; car le Christ n’est pas venu détruire la nature, mais régler la volonté. Ensuite pour montrer que ce n’est point nécessairement ni par force, mais volontairement, que nous sommes esclaves du péché, il ne dit pas : Que le péché ne vous tyrannise point, ce qui emporterait l’idée de la violence, mais « qu’il ne règne « point ». En effet il est absurde d’avoir le péché pour roi, quand on est destiné au royaume du ciel, de préférer l’esclavage du péché, quand on est appelé à régner avec le Christ ; c’est comme si un roi, jetant bas son diadème, se faisait l’esclave d’une femme furieuse, mendiante et couverte de haillons. Ensuite comme il est difficile de vaincre le péché, voyez comme il s’efforce de faire disparaître cette difficulté et d’adoucir la peine, en disant : « Dans votre corps mortel ». Ce mot indique en effet que les combats sont passagers et auront bientôt leur fin ; et en même temps, il nous rappelle les maux passés, et la racine de la mort : car c’est par le péché que le corps est devenu mortel dès le commencement. Mais il est possible de ne point pécher, même quand on a un corps mortel. Voyez-vous comme la grâce du Christ est puissante ? Adam, avec un corps qui n’était pas encore mortel, a failli ; et vous qui avez reçu un corps mortel, vous pouvez, être couronné. Mais comment, direz-vous, le péché règne-t-il ? Ce n’est point par sa propre vertu, mais par l’effet de votre lâcheté. Aussi, après avoir dit : « Qu’il ne règne point », Paul nous fait-il voir en quoi consiste cette royauté, quand il ajoute « En sorte que vous obéissiez à ses convoitises ». Car ce n’est point un honneur de tout céder au corps librement ; c’est au contraire le dernier degré de l’esclavage et du déshonneur. En effet, quand il fait ce qu’il veut, il perd toute liberté ; lorsqu’on le contient, il conserve sa dignité propre : « N’abandonnez point vos membres au péché, comme des instruments d’iniquité, mais comme des instruments de justice (13) ».
3. Le corps est donc mitoyen entre le vice et la vertu, comme les armes elles-mêmes ; il peut faire les œuvres de l’un ou de l’autre, au gré de celui qui l’emploie. C’est ainsi que le soldat qui combat pour la patrie et le voleur qui attaque les habitants d’une maison, usent des mêmes armes : ce n’est pas la faute des armes elles-mêmes, mais de ceux qui en font un mauvais usage. C’est ce qu’on voit aussi dans la chair, qui devient ceci ou cela, selon la volonté de l’âme, et non par sa propre nature. Si vous considérez avec trop de curiosité une beauté étrangère, votre œil devient un instrument d’iniquité, non par une opération qui lui soit propre (car l’œil est fait pour voir, et non pour voir diane manière criminelle), mais par la malice de la pensée qui lui commande ; si vous le retenez au contraire, il devient un instrument de justice. Ainsi en est-il de la langue, ainsi des mains et de tous les autres organes. C’est avec raison que l’apôtre appelle le péché, injustice ; car celui qui pèche est injuste envers lui-même ou envers le prochain, et plus encore envers lui-même qu’envers le prochain. Puis nous ramenant du vice à la vertu, il nous dit : « Mais offrez-vous à Dieu, comme devenus vivants, de morts que vous étiez ». Voyez comme il emploie les termes simples pour exhorter, nommant là, le péché, ici Dieu. Après avoir montré la distance qui sépare ces deux souverains, il déclare indigne de tout pardon le soldat qui abandonne Dieu et désire être assujetti à l’empire du péché. Non content de cette preuve, il en donne encore une autre dans les paroles suivantes : « Comme devenus vivants, de morts que vous étiez ». Par là il fait voir le tort causé par le péché et la grandeur du don de Dieu. Songez, leur dit-il, à ce que vous étiez et à ce que volts êtes devenus. Qu’étiez-vous ? Morts, irrémédiablement perdus : car personne ne pouvait vous venir en aide. Et de morts que vous étiez, qu’êtes-vous devenus ? Vivants d’une vie immortelle. Et par qui ? Par Dieu qui peut tout. Il est donc juste que vous vous mettiez à ses ordres avec toute l’ardeur qu’on peut attendre de morts redevenus vivants. « Et vos membres à Dieu comme des instruments de justice ». Le corps n’est donc pas mauvais, puisqu’il peut devenir un instrument de justice. Il emploie le mot d’instrument (d’arme) pour indiquer qu’il s’agit d’une guerre terrible. Aussi avons-nous besoin d’une forte armure, d’une volonté généreuse parfaitement au courant de ce genre de combat, et surtout d’un chef. Or le chef est là, toujours prêt à nous seconder, à l’abri lui-même de toute atteinte ; et il nous a préparé des armes puissantes ; mais il est besoin d’une volonté qui sache les manier convenablement, obéir au chef et combattre pour la patrie.
Après nous avoir exhorté à de si grandes choses, nous avoir parlé d’armes, de combat et de guerre, voyez comme il encourage encore le soldat et excite son ardeur, en disant : « Car le péché ne vous dominera plus, parce « que vous n’êtes plus sous la loi, mais sous la grâce (14) ». Or, si le péché ne doit plus nous dominer, pourquoi donc nous faire tant de recommandation et nous dire : « Que le péché ne règne plus dans votre corps mortel » ; et encore : « N’abandonnez point vos membres au péché comme des instruments d’iniquité ? » Que signifie ce qu’il vient de dire ? Ici il répand pour ainsi dire sa parole comme une semence ; il l’expliquera plus tard et l’appuiera de preuves nombreuses. Que dit-il donc ? Avant la venue du Christ, notre corps tombait facilement sous le joug du péché. À la suite de la mort, un essaim de passions s’y était introduit ; en sorte qu’il était peu apte à entrer dans la carrière de la vertu. L’Esprit n’était point encore là pour lui prêter secours, ni le baptême pour le mortifier ; mais comme un cheval impatient du frein, il courait et s’égarait souvent ; bien que la loi indiquât ce qu’il fallait faire et ce qu’il fallait éviter, elle n’aidait guère qu’en paroles ceux qui soutenaient la lutte. Mais depuis que le Christ a paru, le combat est devenu plus facile ? Toutefois le secours étant plus abondant, les luttes proposées sont plus importantes. Aussi le Christ nous dit-il : « Si votre justice n’est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux ». (Mt. 5,20) Mais l’apôtre s’explique là-dessus plus clairement dans la suite ; en attendant il y fait ici allusion en peu de mots, en montrant que le péché ne saurait nous vaincre, à moins que nous ne nous abandonnions entièrement nous-mêmes. Car nous ne sommes plus seulement sous l’empire de la loi, mais sous celui de la grâce, laquelle remet le passé et fortifie pour l’avenir. La loi ne promettait la couronne qu’après le travail ; la grâce couronne d’abord, puis mène au combat : Ici l’apôtre ne me semble pas faire allusion à la vie entière du fidèle, mais seulement établir la différence entre le baptême et la loi ; ce qu’il exprime ailleurs en ces termes : « Or la lettre tue, tandis que l’Esprit vivifie ». (2Cor. 3,6) Car la loi prouve la prévarication, mais la grâce l’efface. La loi donne lieu au péché en le condamnant, la grâce en le pardonnant, le détruit ; en sorte que vous êtes doublement dégagé de ce joug tyrannique, en ce que vous n’êtes plus assujetti à la loi et que vous jouissez de la grâce.
4. Après avoir ainsi fait respirer son auditeur, Paul le fortifie encore, en tirant un avertissement, d’une objection, dans les termes suivants : « Quoi donc ? Pécherons-nous parce que nous ne sommes pas sous la loi, mais sous la grâce ? À Dieu ne plaise ! » Il commence par une négation, à raison de l’absurdité de la chose ; puis il en vient à une exhortation et montre que le combat est très-facile, en disant : « Ne savez-vous pas que, lorsque vous vous rendez esclaves de quelqu’un pour lui obéir, vous êtes esclaves de celui à qui vous obéissez, soit du péché pour la mort, soit de l’obéissance pour la justice (15,16) ? » Je ne parle pas encore de l’enfer, leur dit-il, ni de ses affreux supplices ; mais de la honte qui vous couvre quand vous êtes esclaves, et esclaves volontaires, et esclaves du péché, et sans espoir d’une autre récompense que de mourir une seconde fois. Car si avant le baptême, le péché avait produit la mort corporelle ; si la blessure a exigé un tel remède que le Maître de toutes choses a dû descendre pour mourir, et guérir ainsi le mal : quels effets le péché ne produira-t-il pas en vous, si, après un tel bienfait, après que vous avez recouvré la liberté, vous vous abandonnez de nouveau et volontairement à sa domination ? Ne vous précipitez donc pas dans un tel abîme, ne vous livrez pas vous-mêmes. Dans les combats, souvent les soldats sont livrés malgré eux ; mais ici personne ne vous vaincra, si vous ne passez vous-mêmes à l’ennemi. Après les avoir fait rougir par un sentiment de décence, il les épouvante par les résultats du combat, qu’if met en face l’un de l’autre, la justice et la mort ; non pas, la mort ordinaire, mais une autre mort bien plus terrible. Car si le Christ ne meurt plus, qui rachètera de cette mort ? Personne. Il faudra donc de toute nécessité subir le supplice ; et ce ne sera, plus, comme ici, la mort sensible, qui sépare l’âme du corps et donne à celui-ci le repos : « Or le dernier ennemi détruit sera la mort ». (1Cor. 15,26) D’où il suit que le châtiment sera immortel, mais non pour ceux qui auront écouté la voix de Dieu : car pour eux la récompense sera la justice et tous les biens qui en dérivent.
« Mais grâces soient rendues à Dieu de ce qu’ayant été esclaves du péché, vous avez obéi du fond du cœur à ce modèle de doctrine sur lequel vous avez été formés (17) ». Après les avoir fait rougir de leur ancien esclavage, puis effrayés et exhortés par l’aspect des récompenses, il les relève de nouveau par le souvenir des bienfaits qu’ils ont reçus. Par là il leur fait voir qu’ils ont été délivrés de grands maux, mais non par leurs propres efforts, et que désormais ils rencontreront moins de difficultés. Comme un homme qui, ayant arraché un captif aux mains d’un cruel tyran, l’exhorterait à n’y plus retomber, et lui rappellerait son horrible esclavage ; ainsi Paul, tout en rendant grâces à Dieu, leur dépeint avec énergie les maux passés. Il n’était, leur dit-il, au pouvoir d’aucun être humain de nous délivrer de tous ces maux ; mais grâces soient rendues au Dieu qui l’a voulu et qui l’a pu ! Il a raison de dire : « Votes avez obéi du fond du cœur » ; car vous n’y étiez pas forcés, on ne vous a point fait violence, mais vous, avez rompu avec le mal librement, de bonne volonté. Il y a ici tout à la fois un éloge et un avertissement. En effet, puisque vous êtes venus spontanément, sans avoir subi aucune contrainte, quelle serait votre excuse, si vous retourniez à votre ancien état ? Et pour vous faire comprendre que le résultat n’est point seulement dû à leurs bonnes dispositions, mais qu’il est entièrement l’œuvre de la grâce, après avoir dit : « Vous avez obéi du fond du cœur », il ajoute : « A ce modèle de doctrine sur lequel vous avez été formés ». L’obéissance du fond du cœur indique le libre arbitre ; mais ce mot « être formés n insinue l’idée du secours de Dieu. Quelle est la marque de la doctrine ? Une vie réglée et parfaite.
« Ainsi affranchis du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice (18) ». Il indique ici doux bienfaits de Dieu : il nous a délivrés du péché et soumis à la, justice ; ce qui est préférable à toute espèce – de liberté. Dieu a fait ce que ferait celui qui, adoptant un enfant orphelin, emmené par des barbares sur la terre étrangère, non seulement le délivrerait de la captivité, mais se constituerait son père et son tuteur et l’élèverait au faîte des honneurs. Voilà ce qui nous est arrivé. Car non seulement Dieu nous a affranchis des maux passés ; mais il nous a initiés à la vie des anges ; il nous a tracé une excellente règle de conduite, en nous confiant à la garde assurée de la justice, en faisant disparaître les maux d’autrefois, en faisant mourir le vieil homme, en nous menant comme par la main à une vie immortelle. Continuons donc à vivre die cette vie ; car beaucoup semblent respirer et se mouvoir, qui sont dans un état plus misérable que les morts.
5. Il y a en effet différentes espèces île morts l’une est la mort du corps, selon laquelle Abraham était mort, et ne l’était point.: car il est écrit : « Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants » (Mt. 22,32) ; l’autre est la mort de l’âme, à laquelle le Christ fait allusion quand il dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts ». (id. 8,22) Il y en a une troisième qu’il faut louer, et qui est le fruit de la sagesse ; celle dont Paul a dit : « Faites mourir vos membres qui sont sur la terre ». (Col. 3,5) Une autre encore, principe de celle-ci, s’opère dans le baptême : « Notre vieil homme », dit l’apôtre, « à été crucifié ».(Rom. 6,6) Instruits de tout cela, fuyons donc l’espèce de mort par laquelle on meurt, quoique en vie ; et ne craignons point celle qui est commune à tout le monde. Mais choisissons et embrassons les deux autres, dont l’une, donnée par Dieu, est le comble, du bonheur, et dont l’autre, produit de notre volonté et de la grâce de Dieu, est digne de tout éloge. L’une d’elles a été déclarée heureuse par David en ces termes : « Heureux ceux dont les iniquités sont effacées » (Ps. 31,11) ; l’autre est l’objet de l’admiration de Paul, qui écrit aux Galates : « Ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair ». (Gal. 5,24) Quant aux deux autres, l’une d’elles a été proclamée méprisable par le Christ, qui a dit : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l’âme » (Mt. 10,28) ; et l’autre effrayante : « Mais craignez celui qui peut précipiter l’âme et le corps dans l’enfer ». (Id) Évitons donc celle-ci, et choisissons celle qui est déclarée heureuse et admirable, pour éviter encore et craindre chacune des deux autres.
Il n’y a aucun profit pour nous à voir le soleil, à manger et à boire, si nous n’avons pas la vie des bonnes œuvres. De grâce, de quoi sert à un roi d’être revêtu de la pourpre, de parier des armes, s’il n’a point de sujets, et si le premier venu peut impunément l’insulter et l’injurier ? De même il n’y a aucun avantage pour le chrétien à avoir reçu la foi et le bienfait du baptême, s’il est soumis à toutes les passions ; au contraire l’injure deviendra plus sensible et la honte plus grande. Comme ce roi orné du diadème et de la pourpre, non seulement ne retire aucune gloire personnelle de l’éclat de son manteau, mais fait rejaillir sur lui son propre déshonneur ; ainsi le fidèle qui mène une vie déréglée, ne retire aucun honneur de sa foi, mais n’en devient que plus méprisable. « Car », dit l’apôtre, « tous ceux a qui ont péché sans la loi, périront sans la loi ; et tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi ». (Rom. 2,12) Il disait encore, en écrivant aux Hébreux : « Celui qui a violé la loi de Moïse meurt sans aucune miséricorde sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu ? » (Héb. 10,28-29) Et c’est très-juste : car, nous dit le Christ, par le baptême je t’avais soumis toutes les passions. Qu’est-il donc arrivé, pour que tu aies profané un si grand don, et sois devenu tout autre que tu ne devais être ? J’ai détruit, j’ai enseveli, comme des vers, tes premières prévarications : pourquoi en as-tu engendré d’autres ? Et encore les péchés sont pires que les vers : car ceux-ci ne nuisent qu’au corps, et ceux-là nuisent à l’âme, en exhalent une odeur plus fétide. Mais nous ne la sentons pas : voilà pourquoi nous ne nous empressons pas de la faire disparaître. L’homme ivre ne connaît pas non plus la puanteur du vin corrompu : mais celui qui n’est pas ivre la connaît parfaitement. Ainsi en est-il des péchés : L’homme sage couinait très-bien cette boue ; cette tache ; mais celui qui s’est livré au vice, assoupi par une sorte d’ivresse, ne sait pas même qu’il, est malade.
Et c’est là ce qu’il y a de plus terrible dans le vice, c’est qu’il ne permet pas à ceux qui y sont tombés de voir la profondeur de leur mal ; ils sont couchés dans la boue, et croient. respirer l’odeur des parfums ; aussi ne peuvent-ils point sortir de leur état, et pendant qu’ils fourmillent de vers, ils en sont fiers comme s’ils étaient ornés de pierres précieuses. Voilà pourquoi ils ne veulent point les tuer, mais ils les nourrissent ; ils en augmentent le nombre, jusqu’à ce que ceux-ci les fassent passer aux vers du siècle à venir. Car les uns ne sont que les courtiers des autres, non seulement les courtiers, mais les pères des vers gui ne doivent pas mourir. Car il est écrit : « Leur ver ne meurt pas ». (Mc. 9,24) Ce sont eux qui allument la géhenne qui ne doit plus s’éteindre : Pour que cela n’arrive pas, détruisons la source du mal, éteignons la fournaise, et extirpons entièrement la racine de l’iniquité. Si vous coupez un mauvais arbre par le sommet, vous n’avez rien gagné, puisque la racine reste en terre, et qu’elle peut repousser des rejets. Quelle est donc la racine des maux ? Apprenez-le du bon agriculteur, de celui qui est si expert dans ces matières, qui cultive la vigne spirituelle, qui est le laboureur du monde entier. Quelle est donc, selon lui, la racine de tous les maux ? L’ambition des richesses. « La racine de tous les maux », nous dit-il, « est la cupidité ». (1Tim. 6,10) De là les combats, les inimitiés et les guerres ; de là les contestations, les injures, les soupçons, les outrages ; de là les meurtres, les larcins, les vols sacrilèges ; par là, non seulement les villes et les contrées, mais, les routes, les lieux habités ou inhabités, les montagnes, les vallées, les collines, en nu mot toute la terre regorge de sang et de carnage. La mer même n’échappe point à ce fléau ; sur elle aussi, il exerce en plein sa fureur, les pirates l’assiégeant, pour ainsi dire, de toutes parts et s’étudiant à trouver toujours de nouveaux modes de brigandage. Par elle, les lois, de la nature sont renversées, les relations de parenté ébranlées, les droits de ta chair même violés.
6. En effet ce n’est pas seulement contre les vivants, mais aussi contre les morts, que cette passion tyrannique arme des mains criminelles ; la mort elle-même n’est point respectée on brisé les tombeaux ; d’odieux scélérats s’en prennent aux cadavres, et le sépulcre n’est point un abri contre leurs embûches. Tous les maux que vous rencontrerez dans les maisons, sur les places publiques, dans les tribunaux, dans les, assemblées délibérantes, dans les palais, en quelque lieu que ce soit, vous vous apercevrez qu’ils ont pris là leur origine. C’est ce vine, c’est lui, qui a tout rempli de sang et de meurtres, c’est lui qui a allumé les flammes de l’enfer, c’est lui qui a rendu la situation des villes aussi triste, pire peut-être que celle des déserts. Ilest en effet plus facile de se garantir des voleurs de grands chemins, parce qu’ils n’attaquent pas toujours mais leurs imitateurs du milieu des villes sont d’autant plus à craindre qu’il est plus difficile de se tenir en garde contre eux et qu’ils osent faire ouvertement ce que les autres ne font qu’en secret. Se faisant un point d’appui des lois mêmes qui sont portées contre eux, ils ont rempli les villes de meurtres et de crimes. N’est-ce pas un meurtre, dites-moi, et quelque chose de pire qu’un meurtre, de livrer un pauvre aux horreurs de la faire, de le jeter en prison, et de lui infliger, outre la faim, mille tortures et mille mauvais traitements ? Et bien que vous ne fassiez pas cela vous-même, dès que vous êtes cause que cela se fait, vous en êtes plutôt l’auteur que ceux qui vous servent d’instruments. En effet l’homicide enfonce le glaive, il est vrai, mais ne cause qu’une douleur passagère et ne pousse pas plus loin sa cruauté ; et vous, en changeant pour vos victimes la lumière en ténèbres par vos calomnies, par vos injures, par vos embûches, en les mettant dans le cas de se souhaiter mille fois la mort, songez combien de morts vous leur faites souffrir au lieu d’une !
Et ce qu’il y a de plus grave en tout cela c’est que vous volez, vous dépouillez, sans y être poussé par la pauvreté, ni forcé par la faim, mais pour couvrir d’or le frein de votre cheval, le toit de votre maison, les chapiteaux de vos colonnes. – Plonger dans un abîme de malheur un frère, un homme qui participe avec nous aux saints mystères, et est honoré jusqu’à ce point par votre Maître, et cela pour orner des pierres, un pavé, le corps d’animaux stupides qui ne sentent pas même l’honneur qu’on leur fait : quel enfer ne mérite pas un tel crime ? On entoure un chien de soins et d’égards ; et pour ce chien, ou pour ce que nous venons de dire, on réduit un homme, que dis-je ? le Christ lui-même, aux extrémités de la faim ! Qu’y a-t-il de pire qu’un tel renversement ? Qu’y a-t-il de plus affreux qu’une telle iniquité ? Quels torrents de feu suffiront à punir une telle âme ? Un homme fait à l’image de Dieu, est devenu méconnaissable par votre inhumanité ; mais la tête des mules qui portent votre femme est chargée d’or, aussi bien que les cuirs et les bois qui forment la charpente de votre toit ; s’il s’agit d’orner un siège, un escabeau, on y emploie l’or et l’argent ; mais le membre du Christ, celui pour qui il est descendu du ciel et a versé son précieux sang, est privé de la nourriture nécessaire par le fait de votre ambition. Vos lits resplendissent partout de l’éclat de l’argent, et les corps des saints n’ont pas les vêtements nécessaires ; le Christ est pour vous le plus méprisable des êtres, au-dessous de vos serviteurs, de vos mulets, d’un lit, d’un siège, d’un escabeau. Je passe sous silence des meubles plus vils encore, et vous les laisse à penser. Mais si cela vous fait frissonner, abstenez-vous de le faire, et mes paroles ne tomberont point sur vous ; abstenez-vous, renoncez à cette folie : car il y a, dans cette passion, une folie évidente.
La rejetant donc, élevons, quoique tard, nos yeux vers le ciel, rappelons-nous le jour, qui approche : songeons au terrible tribunal, au compte sévère, au jugement impartial ; pensons que Dieu, qui voit tout cela, ne lance point sa foudre, quoique cette conduite mérite encore un plus grand châtiment. Il ne le fait cependant pas, il ne jette point contre nous les flots de la mer, il n’entr’ouvre pas la terre parle milieu, il n'éteint pas le soleil, il ne précipite point en bas le ciel avec ses astres, en un mot il ne fait pas tout disparaître ; mais il laisse chaque chose en son ordre, et permet que toute la création soit à notre service. En pensant à cela, redoutons l’étendue même de cette bonté ; revenons à notre noblesse propre car, maintenant, nous ne valons pas mieux que les brutes, nous sommes même bien au-dessous d’elles : en effet elles aiment les animaux de leur espèce, et la communauté de nature suffit à créer en elles un attachement réciproque.
Et vous, qui outre la communauté de nature, avez mille raisons de vous unir étroitement à vos propres membres : l’honneur d’être doué de raison, le lien d’une même religion, la participation à des biens sans nombre, vous êtes plus cruels que les bêtes sauvages, quand vous mettez le plus grand soin à des choses inutiles, dédaignez les temples de Dieu en proie à la faim et à la nudité, et souvent même les précipitez dans un abîme, de maux. Si vous agissez par amour de la gloire, encore devriez-vous bien plutôt soigner un frère qu’un cheval. Plus celui à qui vos bienfaits s’adressent est grand, plus sera brillante la couronne que ces bienfaits mêmes vous tresseront ; tandis qu’en tenant une conduite toute contraire, vous vous attirez, sans vous en apercevoir, des milliers d’accusateurs. Qui ne dira pas de mal de vous ? Qui ne vous accusera pas d’extrême barbarie et d’inhumanité, en vous voyant mépriser l’espèce humaine, préférer à des hommes des animaux, puis une maison, puis des meubles ? N’avez-vous pas entendu les apôtres dire que ceux qui reçurent la parole les premiers vendaient leurs maisons et leurs champs, pour nourrir leurs frères ? Et vous, vous volez des maisons et des champs, pour orner un cheval, du bois, des peaux, des murs, un pavé !
Et ce qu’il y a de plus grave, c’est que ce ne sont pas seulement des hommes, mais, des femmes, qui sont en proie à cette folie, qui poussent les hommes à ces futilités, et les forcent à dépenser pour tout plutôt que pour les choses nécessaires ; et si on leur en fait un reproche, elles s’excusent d’une manière tout à fait blâmable. On fait l’un et l’autre, dit-on. Quoi ! vous n’avez pas honte de dire cela ? de mettre le Christ, mourant de faim, au, des chevaux, des mulets, des lits, des escabeaux ? et pas même à ce niveau, puisque vous faites à ces objets la plus grande part, tandis que vous lui en réservez à peine une petite ? Ne savez-vous pas que tout est à lui, et vous, et ce qui vous appartient ? Ne savez-vous pas qu’il a formé votre corps, qu’il vous a donné une âme, et arrangé pour vous le monde entier ? Et vous ne le payez pas du moindre retour ! Si vous avez loti une petite maison, vous exigez sévèrement le prix convenu ; et quand vous jouissez de la création entière ; quand vous habitez un si vaste univers, vous refusez de payer à Dieu le moindre prix, vous vous livrez, vous et tout ce qui vous appartient, à la vaine gloire : car la vaine gloire est la source d’où tout cela dérive. Un cheval n’en est ni meilleur ni plus vigoureux pour être paré de ces ornements ; on en peut dire autant de celui qui le monte, quelques fois même il en est moins honoré. Car beaucoup de gens perdent de vue le cavalier pour fixer leurs yeux sur les harnais du cheval, sur les domestiques qui vont en avant et en arrière et écartent la foule ; quant au maître, ils le prennent en aversion et s’en détournent comme d’un ennemi commun.
Il n’en est pas ainsi quand vous prenez soin d’orner votre âme ; alors les hommes, les anges, le Maître même des anges, vous, tressent tous ensemble une couronne. Donc, si vous aimez la gloire, cessez de faire ce que vous faites ; embellissez votre âme, et non votre maison, afin de devenir illustre et glorieux ; car il n’y a rien de plus misérable que vous, si, ayant l’âme nue et désolée, vous vous glorifiez de la beauté de votre maison. Que si mes paroles vous déplaisent, écoutez ce qu’a fait certain païen, et que là sagesse profane vous couvre de honte. On raconte qu’un de ces philosophes entrant dans une magnifique demeure, où l’or brillait de tout côté, toute resplendissante de l’éclat des marbres et de la beauté des colonnes, et voyant le parquet couvert partout de somptueux tapis, cracha sur le visage du maître de la maison, et répondit, au reproche qu’on lui en faisait, que n’ayant pas trouvé à le faire ailleurs, il s’était vu dans la nécessité de jeter cet affront à la face du propriétaire[4]. Voyez-vous combien est ridicule celui qui ne s’attache qu’à orner l’extérieur, et comme il est méprisable aux yeux des hommes de sens ? Et ce n’est que juste. Si quelqu’un, laissant votre femme couverte de haillons, habillait magnifiquement vos servantes, vous ne le supporteriez pas patiemment, vous en seriez outré de colère et regarderiez cela comme le plus grand des affronts. Faites à votre âme l’application de ce raisonnement. Quand vous embellissez des murs, des pavés, des meubles ou d’autres objets de ce genre, et que vous ne faites point d’abondantes aumônes, que vous né pratiquez point la vraie sagesse, vous ne faites pas autre chose que ce que nous venons de dire, vous faites même bien pis. Car entre une maîtresse et une servante, il n’y a pas de différence ; mais, entre l’âme et la chair, il y en a une très-grande, et une bien plus grande encore entre l’âme et une maison, entre l’âme et un lit ou un escabeau. Comment donc seriez-vous excusable de revêtir d’argent tous les objets, et de laisser votre âme couverte de haillons, malpropre, mourant de faim, percée de blessures, déchirée par des chiens sans nombre, puis de vous croire après cela, fort honoré de ces embellissements extérieurs ? C’est certainement là le comble de la folie, d’être un objet de dérision, d’injure et d’opprobre, d’encourir les derniers châtiments, et de se complaire encore dans ces futilités. C’est pourquoi, je vous en prie, réfléchissons à tout cela, redevenons sages quoique bien tard, rentrons en nous-mêmes, et reportons sur notre âme ces ornements extérieurs. Par là ils ne pourront plus se flétrir, ils nous rendront semblables aux anges et nous procureront les biens immuables. Puissions-nous tous avoir ce bonheur, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire appartient dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XII. modifier


JE PARLE HUMAINEMENT, À CAUSE DE LA FAIBLESSE DE VOTRE CHAIR ; COMME DONC VOUS AVEZ FAIT SERVIR VOS MEMBRES A L’IMPURETÉ ET A L’INIQUITÉ POUR L’INIQUITÉ ; AINSI MAINTENANT FAITES SERVIR VOS MEMBRES A LA JUSTICE POUR VOTRE SANCTIFICATION. (VI, 19, JUSQU’À VII, 13)

Analyse. modifier

  • 1. La conduite et le genre de vie exigé des chrétiens pour recueillir les fruits de la grâce et en jouir, ne dépasse pas les forces de l’humanité : humanum dico . – Saint Paul ne leur demande que de se soumettre à la justice comme avant leur conversion ils étaient soumis au péché.
  • 2. Afin de demeurer fidèle à la justice, il ne faut que considérer la fin du péché et la fin de la sanctification. – La loi de Moïse n’a plus d’empire sur les chrétiens, pas plus que le mari défunt n’en conserve sur sa femme,
  • 3. L’Apôtre insiste sur cette abrogation de la loi mosaïque, point capital de son enseignement dans cette épure, mais il use de toutes sortes de précautions pour ne pas blesser les Juifs. – Nous sommes morts à la lettre de la loi ancienne, et nous devons servir Dieu dans un nouvel esprit.
  • 4 et 5. La loi de grâce exige une plus haute perfection que la loi ancienne. – Pour être devenue inutile, la loi mosaïque n’est cependant pas en soi quelque chose de mauvais : – La malice humaine est seule coupable des péchés dont la loi a été l’occasion.
  • 6. C’est bien la loi de Moïse que saint Paul a en vue dans tout ceci, et nullement la loi naturelle ni la défense faite au premier homme dans le paradis.

7-9 : Que la volupté a pour fin la mort, et la vertu la vie. – Qu’il ne faut point négliger les péchés, ni dire qu’ils sont légers. – De la patience dans les calomnies et dans les affronts.
1. Comme il a exigé une conduite parfaitement régulière, ordonné qu’on soit mort au monde et à la malice, qu’on reste inébranlable aux attaques du péché ; et qu’il a semblé dire quelque chose de grand, de difficile, quelque chose qui dépasse la nature humaine ; pour montrer qu’il ne demande rien d’extraordinaire, pas même ce que devrait donner celui qui a reçu tant de bienfaits, qu’il n’exige que quelque chose de modéré et de facile, il a recours à l’argument des contraires et dit : « Je parle humainement », c’est-à-dire, d’après le raisonnement humain, d’après l’usage ordinaire : car c’est l’idée de modération qu’il attache à ce mot « Humainement » ; comme il dit ailleurs : « Il ne vous survient que des tentations qui tiennent à l’humanité » (1Cor. 10,13), c’est-à-dire, modérées et faibles. « Comme donc vous avez fait servir vos membres à l’impureté et à l’iniquité pour l’iniquité ; ainsi maintenant faites servir vos membres à la justice pour votre sanctification ». Bien que la distance qui sépare les deux maîtres soit immense, cependant je demande la même mesure dans leur service. Certainement il faudrait apporter beaucoup plus, et d’autant plus que ce nouveau service est plus grand et meilleur que l’autre ; pourtant, à cause de votre faiblesse, je n’exige pas davantage. Il ne dit point : De votre volonté, ni de votre ardeur, mais « de votre chair », pour rendre sa parole moins onéreuse. L’un de ces services était l’impureté, l’autre est la sanctification ;: l’un était l’iniquité, l’autre est la justice. Et quel est l’homme assez malheureux, assez Misérable, pour ne pas apporter au service du Christ autant de zèle qu’il en a mis, au service du péché et du démon ? Écoutez donc ce qui suit, et vous verrez clairement que nous n’y en apportons pas même un peu. Car comme cette parole dite simplement semblait n’être pas croyable ni admissible, et que personne ne supportait d’entendre dire qu’il ne servait pas le Christ aussi bien qu’il avait servile démon, Paul démontre son assertion et la rend croyable par ce qu’il dit ensuite, en rappelant ce genre d’esclavage, et comment ils l’ont subi : « Car », leur dit-il, « lorsque vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres à l’égard de la justice (20) ».
C’est-à-dire, quand vous viviez dans la malice, dans l’impiété, dans des maux extrêmes, vous montriez une telle docilité que vous ne faisiez absolument rien de bien : car c’est ce que signifient ces mots : « Vous étiez libres à l’égard de la justice » ; c’est-à-dire : vous ne lui étiez point soumis, vous lui étiez totalement étrangers. Vous ne partagiez point votre service entre la justice et le péché, mais vous vous livriez entièrement au mal. Donc maintenant que vous êtes passés à la justice, donnez-vous tout entiers à la vertu, ne faites absolument plus de mal, afin que la mesure soit égale de part et d’autre. Or non seulement il y a une grande différence entre les deux maîtres ; mais il y en a aussi une grande entre les deux services : ce que l’apôtre démontre jusqu’à l’évidence, en faisant voir en quoi ils obéissaient alors, et en quoi ils obéissent maintenant il ne parle point encore du dommage qui en est résulté ; il ne mentionne que la honte. « Quel fruit avez-vous donc tiré alors des choses dont vous rougissez maintenant (21) ? »
Tel était cet esclavage que son seul souvenir fait encore monter la honte au front. Or, si le souvenir fait rougir, à plus forte raison la pratique. Vous avez donc obtenu un double avantage ; vous êtes affranchis de la honte et vous savez en quel état vous étiez ; tout comme vous éprouviez alors un double dommage vous commettiez des actions honteuses et (chose pire encore) vous ne saviez pas même en rougir ; ainsi vous restiez dans l’esclavage. Après avoir prouvé surabondamment, par la honte même qui leur en revient, le dommage que leur a causé leur conduite passée, il en vient au fond même de la question. Quel est-il ? « Car leur fin, c’était la mort ». Comme la honte ne paraît pas être un poids insupportable, il aborde le côté terrible, la mort, veux-je dire ; quoique ce qu’il a dit plus haut, eût dû suffire. Songez à quel point le mal était porté ; puisque, affranchis du châtiment, ils ne l’étaient point de la honte. Quelle récompense, leur dit-il, attendez-vous donc d’une conduite dont le seul souvenir, même quand vous êtes délivrés du châtiment, vous couvre encore de confusion et de honte, bien que vous soyez établis dans urne telle abondance de grâces ? Il n’en est pas ainsi du service du Dieu. « Mais maintenant, affranchis du péché et faits esclaves de Dieu, vous en avez pour fruit la sanctification, et pour fin la vie éternelle ». Le fruit de votre premier état est la honte, même après la délivrance ; le fruit du second est la sanctification ; or, où est la sanctification, là règne une grande liberté. La fin de l’un est la mort ; celle de l’autre, la vie éternelle.
2. Voyez-vous comme il montre les biens déjà accordés et les biens à espérer ? Par ceux-là il confirme ceux-ci ; par la sanctification, la vie. Et pour que vous ne disiez pas que tout est en espérance, il vous fait voir que vous avez déjà recueilli des fruits : d’abord d’être délivrés de ta malice et de tant d’autres maux dont le seul souvenir vous cause encore de la honte ; secondement d’être devenus esclaves de la justice ; troisièmement de jouir de la sanctification ; quatrièmement de posséder la vie, non pas une vie passagère, mais éternelle. Les choses étant ainsi, leur dit-il, fournissez au moins un service égal au premier. Bien que le maître soit infiniment supérieur, malgré la différence qui sépare les deux services et leurs résultats, je ne vous en demande cependant pas davantage. Puis comme il leur a parlé d’armes et de roi, il insiste sur la métaphore, en disant : « Car la solde du péché c’est la mort, mais la grâce de Dieu est la vie éternelle, dans le Christ Jésus Notre-Seigneur (23) ». Après avoir dit la solde du péché, il sort de cet ordre d’idées pour parler du bien. En effet, il ne dit pas : La récompense de vos bonnes œuvres, mais : « La grâce de Dieu », pour leur faire voir qu’ils n’ont point été délivrés par eux-mêmes, ni en acquit de dettes, ni pour récompense ou pour salaire de leurs travaux, mais que tout cela a été l’effet de la grâce. Ainsi ce qui fait l’excellence du don, ce n’est pas seulement que Dieu les ait délivrés, les ait fait passer à une situation meilleure, mais c’est que cela ait eu lieu sans aucune peine, sans aucun mérite de leur part ; c’est que non seulement il les ait délivrés et leur ait accordé des avantages bien plus considérables, mais qu’il les ait accordés par son Fils. Il introduit toutes ces considérations parce qu’il a parlé de la grâce, et qu’il se propose de détruire la loi. De peur que ces deux points ne leur fussent une occasion de se négliger, il y a intercalé tout ce qu’il avait à dire de la vie régulière, excitant sans cesse l’auditeur à la pratique de la vertu. Après avoir appelé la mort solde du péché, il les effraie de nouveau et les fortifie contre l’avenir. Car par là même qu’il leur rappelle le passé, il les porte à la reconnaissance et les rend plus forts contre tes événements qui peuvent survenir. Après avoir traité ce point de morale, il revient ensuite à la question dogmatique, en disant : « Ignorez-vous, mes frères (je parle à ceux qui connaissent la loi), que la loi ne domine sur l’homme que pour autant de temps qu’elle vit ? » (7,1)
Après leur avoir dit que nous sommes morts au péché, il leur fait voir ici que non seulement ils ne sont plus sous l’empire du péché, mais pas même sous celui de la loi. Or si la loi ne les domine plus, à bien plus forte raison le péché. Mais adoucissant le torr, il rend cela sensible par un exemple tiré de l’ordre des choses humaines. Il semble bien ne dire qu’une chose, mais il donne deux preuves à l’appui : l’une, qu’après la mort de l’époux, la femme n’est plus soumise à son : autorité et que rien ne l’empêche de passer à un autre ; l’autre, qu’ici, non seulement l’époux est mort, mais aussi la femme ; en sorte qu’il y a une double liberté. Si en effet, après la mort du mari, la femme est affranchie de sa domination, à bien plus forte raison en est-elle affranchie si elle meurt elle-même. Car si l’une des deux suppositions lui rend la liberté, à bien plus, forte raison les deux réunies. Sur le point d’aborder cette démonstration, il commence par un éloge adressé à ses auditeurs en disant : « Ignorez-vous, mes frères ? je parle à ceux qui connaissent la foi… », c’est-à-dire, je parle d’une chose évidente, reconnue par tout le monde, et à des gens qui connaissent tout cela parfaitement. Ignorez-vous « Que la loi domine sur l’homme pendant le temps qu’elle vit ? » Il ne dit pas : Sur le mari, ni sur la femme, mais : « Sur l’homme », expression qui renferme les deux sexes. « Car celui qui est mort », dit-il, « est justifié du péché ». Donc la loi est faite pour les vivants, et non pour les morts. Voyez-vous comme il fait voir que la liberté est double ? Après avoir fait allusion à cela dès le début, il en vient à la preuve tirée de la femme, et dit : « Car la femme qui est soumise à un mari, le mari vivant, est liée par la loi ; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari. Donc son mari vivant, elle sera appelée adultère, si elle s’unit à un autre homme ; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari, de sorte qu’elle n’est point adultère, si elle s’unit à un autre homme (2, 3) » :
Il revient souvent et avec jan soin particulier à cette comparaison, parce qu’il a grande confiance dans son argumentation. Il compare la loi au mari, et les sujets de la loi à la femme. Mais sa conclusion n’est point en rapport avec sa proposition : car il eût été logique de dire : Donc, mes frères, la loi ne dominera plus sur vous, car elle est morte. Il ne dit pas cela seulement, il le fait entendre dans sa proposition ; mais enfin dans sa déduction, pour ne pas être trop désagréable, il introduit la comparaison de la femme-morte, en disant : « Ainsi, mes frères, vous aussi, vous êtes morts à la loi », Puisque l’un et l’autre événement procuraient la même liberté, qu’est-ce qui empêchait de faire à la loi une concession qui ne nuisait pas à la preuve ? « Car la femme qui est soumise à un mari ; le mari vivant ; est, liée par la loi ». Où sont maintenant ceux qui calomnient la foi ? qu’ils apprennent comment Paul, forcé d’en parler, ne lui ôte point sa dignité, mais parle magnifiquement de son autorité, puisque tant qu’elle a vécu, le Juif était lié, et qu’on appelait adultère ceux qui la transgressaient ou l’abandonnaient ; et si Paul l’abandonne lui-même depuis qu’elle est morte, il n’y a rien d’étonnant, puisque chez les hommes une telle conduite n’est point blâmée. « Mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari ».
3. Voyez-vous comme il montre par cet exemple que la loi est morte ? Mais il ne le dit point dans sa conclusion. « Donc, son mari vivant, elle sera appelée adultère ». Voyez comme il persiste à accuser ceux qui transgressaient la loi, quand – elle était vivante. Mais comme il l’a déclarée abrogée, il peut en toute sécurité et sans aucun préjudice lui rendre foi et hommage. « Car », dit-il, « son mari vivant, la femme sera appelée adultère, si elle s’unit à un autre homme ».
« Ainsi, mes frères, vous aussi… (4) ». La conséquence était : La loi étant morte, vous ne serez plus accusé d’adultère, si vous vous unissez à un autre homme. Mais il ne dit pas cela. Que dit-il donc ? « Vous êtes morts à la loi ». Si vous êtes morts, vous n’êtes plus sous le pouvoir de la loi. Si, après la mort de son mari, une femme n’est plus sous la loi, à bien plus forte raison en est-elle affranchie quand elle est morte elle-même. Voyez-vous la sagesse de Paul, comment il prouve que la loi elle-même veut qu’on l’abandonne et qu’on s’unisse à un autre homme ? Elle n’empêche pas, leur dit-il, de s’unir à un autre homme, quand le premier est mort. Comment l’empêcherait-elle, puisqu’elle autorisait un acte de divorce, même du vivant du mari ? Mais l’apôtre ne dit pas cela ; t’eût été un reproche à l’adresse des femmes, car si le divorce était permis, il n’était pourtant pas innocent. Quand Paul a triomphé par des arguments tirés de la nécessité ou de l’évidence, il n’en cherche point de superflus ; car ce n’est point un parleur obstiné. L’étonnant en ceci est que la loi elle-même nous absout du péché quand nous la quittons, en sorte qu’elle-même exige que nous appartenions au Christ. Car elle est morte, et nous aussi ; double raison pour que son autorité soit détruite : Non content de cela, Paul en donne la cause : ce n’est pas sans motif qu’il a parlé de mort ; il met en scène la croix qui a opéré tout cela, et par là il nous rend responsables. Il ne se contente, pas de dire : Vous avez été délivrés ; mais il ajoute : « Par la mort du Seigneur. Vous êtes morts à la loi », dit-il, « par le corps du Christ ». Et ce n’est pas seulement pour ce motif qu’il les exhorte, mais, encore à raison de l’excellence de ce second époux ; c’est pourquoi il ajoute : « Pour être à un autre qui est ressuscité d’entre les morts ». Ensuite pour qu’on ne dise pas : Quoi ! et si nous ne voulons pas nous unir à un autre homme ? la loi sans doute ne traite point d’adultère la veuve qui passe à de secondes noces, mais elle ne l’oblige point à le faire ; de peur, dis-je, qu’on ne : fasse cette objection, il montre que nous sommes obligés de le vouloir d’après les bienfaits que nous avons reçus, ce qu’il exprime ailleurs plus clairement, quand il dit : « Vous n’êtes plus à vous-mêmes ». (1Cor. 6,19) Et encore : « Vous avez été achetés à prix » (Id. 20) ; puis : « Un seul est mort pour nous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux, mais pour celui qui est mort pour eux ». (2Cor. 5,15) Mais déjà ici il l’insinue en disant : « Par le corps ». Ensuite il leur propose de plus hautes espérances, dans le but de les encourager : « Afin que nous portions des fruits pour Dieu ». Car alors, leur dit-il, vous portiez des fruits pour la mort, et maintenant c’est pour Dieu.
« Car lorsque nous étions dans la chair, les passions du péché qui étaient occasionnées par la loi agissaient dans nos membres, en sorte qu’elles faisaient produire des fruits pour la mort (5) ». Voyez-vous le peu de profit du premier mari, c’est-à-dire de la loi ? II ne dit pas : Quand nous étions sous la loi, craignant toujours de donner prise aux hérétiques, mais : « Lorsque nous étions dans la chair », c’est-à-dire, dans les œuvres mauvaises, dans la vie charnelle. Il ne dit pas que ci-devant ils étaient dans la chair, et que maintenant ils sont tout spirituels. En tenant le langage qu’il tient, il n’accuse point la loi d’être la cause des péchés, mais il ne l’exempte point de tout reproche : il joue le rôle d’un accusateur sévère, en mettant les fautes à découvert : en effet celui qui multiplie ses ordres à quelqu’un qui ne veut pas obéir, multiplie par là même les chutes. Aussi ne dit-il point : Les passions des péchés qui se sont commis sous la loi, mais : « Occasionnées par la loi », et il n’ajoute point : Se sont commis, mais simplement : « Par la loi », c’est-à-dire, manifestés, déclarés par la loi. Ensuite peur ne pas accuser la chair, il ne dit pas : Que les membres commettaient, mais : « Qui agissaient dans nos membres » ; montrant d’autre part que le principe du mal était dans l’action de la volonté, et non dans les opérations des membres. Car l’âme ici jouait le rôle d’artiste, et la chair celui de lyre, qui rend les sons que l’artiste lui fait rendre. Si donc la chair rendait un son discordant, ce n’est pas à elle, mais à l’âme qu’il faut s’en prendre.
« Maintenant », dit-il, « nous sommes affranchis de la loi… (6) ». Voyez-vous comme il ménage ici et la chair et la loi ? Il ne dit pas : La loi est détruite, ni : La chair est détruite, mais : « Nous sommes affranchis », Et comment sommes-nous affranchis ? En ce que le vieil homme, esclave du péché, est mort et enseveli ; et c’est le sens de ces mots : « Morts à la loi dans laquelle nous étions retenus » ; comme s’il disait : Le lien par lequel nous étions retenus, est mort, est brisé, en sorte que ce qui nous retenait, à savoir 1e péché, ne nous retiens, plus désormais. Toutefois ne vous laissez pas tomber, ne vous relâchez pas : vous avez été affranchis pour reprendre du service, quoique d’une manière différente : « Afin que nous servions dans la nouveauté de l’esprit, et non dans la vétusté de la lettre ». Que dit-il là ? Il est nécessaire de l’expliquer dès ce moment, pour que nous ne nous troublions pas quand nous tomberons sur ce passage. Lorsque Adam eut péché, nous dit l’apôtre, son corps devint mortel et passible, il subit bien des pertes dans sa nature, le cheval devint plus lourd et difficile à manier ; mais quand le Christ est venu, il l’a rendu plus, léger par le baptême en lui donnant les ailes de l’esprit.
4. La carrière n’est donc plus la même pour nous que pour ceux qui vivaient autrefois, parce que la course n’était pas alors aussi facile. Aussi le Christ ne se contente-t-il plus d’exiger de nous, comme des anciens, que nous ne commettions pas le meurtre, mais que nous ne nous laissions point aller à la colère ; il ne nous ordonne pas seulement d’éviter l’adultère, mais même de nous abstenir d’un regard impudique ; il ne veut pas seulement qu’on ne se parjure point, mais il défend même de jurer ; il ordonne d’aimer ses ennemis comme ses amis ; pour tout enfin, il a étendu le stade devant nous ; et si nous n’obéissons pas, il nous, menace de l’enfer, nous faisant voir par là que ce n’est point ici une affaire de surérogation qui dépende de la bonne volonté des combattants ; comme par exemple la virginité et le détachement absolu, mais qu’il s’agit d’obligations absolument indispensables. En effet elles sont du nombre des choses nécessaires et urgentes, et celui qui ne les accomplit pas, sera puni du dernier supplice. Aussi le Christ disait-il : « Si votre justice n’est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux ». (Mt. 5,20) Or celui qui n’entre pas dans ce royaume, : tombera certainement dans l’enfer. C’est pourquoi Paul disait : « Le péché ne domine plus sur vous ; car vous n’êtes plus sous la loi, mais sous la grâce » ; et ici encore : « Afin que nous servions dans la nouveauté de l’esprit, et non dans la vétusté de la loi ». La lettre, c’est-à-dire la loi ancienne, ne condamne plus, mais l’esprit aide. Voilà pourquoi si quelqu’un pratiquait la virginité chez les anciens, cela passait pour un prodige ; maintenant c’est chose commune dans tout l’univers ; alors, ceux qui méprisaient la mort étaient en très-petit nombre ; aujourd’hui le nombre des martyrs est infini dans les villages comme dans les villes, et non seulement parmi les hommes, mais aussi parmi les femmes.
Après avoir dit cela, il réfute une objection qui se présentait de nouveau, et se sert de la solution pour prouver sa thèse. Aussi ne donne-t-il pas d’abord cette solution, mais il l’amène sous forme de contradiction ; afin que, devenue nécessaire, elle lui fournisse l’occasion de dire ce qu’il veut dire et rendre l’accusation moins pénible. Après avoir dit « Dans la nouveauté de l’esprit et non dans la vétusté de la lettre », il ajoute : « Que dirons-nous donc ? La loi est-elle péché ? Point du tout ». Il avait d’abord dit : « Les passions des péchés qui étaient occasionnées par la loi agissaient dans nos membres » ; et encore : « Le péché ne vous dominera plus ; car vous n’êtes pas sous la loi, mais sous la grâce » ; puis : « Où il n’y a pas de loi, il n’y a pas de transgression » ; et encore : « La loi est survenue pour que le péché abondât », et enfin : « La loi opère la colère ». Comme dore tout cela semblait condamner la loi, pour écarter ce soupçon, il pose l’objection et dit : « Quoi donc ? La loi est-elle péché ? Point du tout ». Avant d’en venir à la preuve, il nie, pour se concilier l’auditeur et guérir la blessure qu’il lui a faite. Après l’avoir écouté, et étant bien assuré de ses dispositions, il cherche avec lui à résoudre ce qu’il peut y avoir de douteux, sans provoquer aucun soupçon contrer lui ; aussi fait-il tout d’abord l’objection.
Il ne dit donc pas : Que dirai-je ? Mais : « Que dirons-nous ? » Comme s’il y avait là un sénat, une consultation, comme si toute l’Église était assemblée, et aussi comme si l’objection ne venait pas de lui, mais résultait de l’enchaînement du discours et de la vérité des faits. Que la lettre tue, dit-il, personne ne le niera ; que l’esprit vivifie, cela n’est pas moins évident, pas moins incontestable. Or, si c’est là chose convenue, que dirons-nous de la loi ? Qu’elle est péché ? Point du tout. Résolvez donc l’objection. Voyez-vous comme il met l’adversaire de son côté, et somme, prenant l’autorité de docteur, il arrive à la solution ? Quelle est donc cette solution ? Certainement, dit-il, elle n’est point péché. – « Car je ne connaîtrais pas la concupiscence sans la loi ». Voyez cette grande sagesse. Il établit par objection ce que la loi n’est pas, afin que l’objection étant détruite, et cela pour faire plaisir au Juif, il le détermine à admettre un point moins important. Quel est ce point moins important ? Celui-ci : « Je ne connaîtrais point le péché sans la loi. Je ne connaîtrais pas la concupiscence », dit-il ; « si la loi n’eût dit : Tu ne convoiteras pas ». Voyez-vous comme il dit peu à peu, non seulement que la loi accusait le péché, mais qu’elle le préparait insensiblement ? Du reste, il démontre que ce n’était point par sa faute, mais à cause de l’ingratitude des Juifs. Il avait aussi en vue de fermer la bouche aux Manichéens qui accusaient la loi. Car après avoir dit : « Je ne connaîtrais pas le péché saris la loi, et je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi a n’eût dit : Tu ne convoiteras pas », il ajoute : « Prenant occasion du commandement, le péché a opéré en moi toute concupiscence (7, 8) ».
5. Voyez-vous comme il dégage la loi de tout reproche ? « Prenant occasion », dit-il, « le péché », et non la loi a augmenté la concupiscence, et le contraire de ce que voulait la loi est arrivé : ce qui était l’effet de sa faiblesse et non de sa malice. Car quand nous désirons quelque chose et que nous rencontrons un obstacle, la flamme du désir s’accroît ; mais ce n’était point la faute de la loi : car elle empêchait que vous ne fussiez entraîné, mais le péché, c’est-à-dire ; votre lâcheté et votre mauvaise volonté ont tourné ; le bien en mal. Il ne faut point accuser le médecin, mais le malade qui ne sait point user du remède. Dieu n’a point donné la loi pour allumer la concupiscence, mais pour l’éteindre, et le contraire est arrivé ; mais c’est nous, et non pas lui, qu’il faut en accuser. En effet, si quelqu’un refusait de donner à un fiévreux la boisson froide qu’il désire mal à propos, et augmentait ainsi sa funeste ardeur, on ne pourrait raisonnablement l’en blâmer ; car le devoir du médecin est de défendre et celui du malade de s’abstenir. Et que dire si le péché a pris occasion de la loi ? Beaucoup de gens multiplient leurs iniquités à l’occasion de bons commandements ; puisque le démon à perdu Judas, en lui inspirant l’amour des richesses et lui faisant voler l’argent des pauvres ; non par la faute de la bourse qui lui était confiée, mais par l’effet de sa mauvaise volonté. Et Eve en engageant Adam à manger du fruit de l’arbre, l’a chassé du paradis ; mais l’arbre n’en fut point la cause, bien qu’il en ait été l’occasion.
Si Paul parle de la loi avec quelque vivacité, ne vous en étonnez pas ; il insiste toujours sur le point le plus urgent, sans donner prise à ceux qui ont une opinion différente, mais s’attachant soigneusement à éclaircir la question présente. Ne pesez donc point ses paroles trop minutieusement ; mais rappelez-vous le motif qui le fait parler ; songez à la manie des Juifs et à leur constante obstination à discuter, qu’il s’efforce de détruire. Il semble ici jeter feu et flamme contré la loi, non pour la calomnier, mais pour triompher de leur pertinacité[5]. Si, en effet, il faut faire un crime à la loi de ce qu’elle a été l’occasion du péché, on en pourra dire autant du Nouveau Testament. Il renferme un grand nombre de lois sur beaucoup de sujets, et sur des sujets plus importants ; et pourtant on verra le même résultat que sous l’ancienne loi, non seulement en ce qui regarde la concupiscence, mais pour tous les vices. « Si je n’étais pas venu », dit Jésus-Christ, « et que je ne leur eusse point parlé, ils n’auraient point de péché ». (Jn. 15,22) Donc le péché a pris de là occasion, et, par suite, le châtiment est devenu plus grand. Paul parlant de la grâce, dit encore « Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices, ce lui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu ? » (Héb. 10,29) Donc un, plus sévère châtiment a pris de là occasion, à raison d’un plus grand bienfait. Et il déclare les Gentils inexcusables, parce que, honorés du don de la raison, témoins de la beauté de la création et pouvant par là être attirés au Créateur, ils n’ont point usé, convenablement de la sagesse de Dieu. Voyez comment partout les méchants prennent occasion des meilleures choses pour s’exposer à de plus grands supplices. Certes, nous n’accuserons pas pour cela les bienfaits – de Dieu, nous les en admirerons au contraire davantage ; mais nous incriminerons la volonté de ceux qui tournent le bien en mal. Agissons eu ami avec la loi. Cela est facile ; mais voici la difficulté : Comment Paul a-t-il dit : « Je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi n’eût dit : Tu ne convoiteras point ? »
Si l’homme ne connaissait point la concupiscence avant d’avoir reçu la loi, pourquoi le déluge ? Pourquoi l’incendie de Sodome ? Qu’entend-il donc ? L’accroissement de la concupiscence. Aussi ne dit-il pas : A opéré en moi la concupiscence, mais : « Toute concupiscence », indiquant par là sa violence. Alors, dira-t-on, quelle a été l’utilité de la loi, si elle a augmenté la concupiscence ? Le profit a été nul, mais la perte a été grande, non de la faute de la loi, mais à cause de la lâcheté de ceux qui l’ont reçue. C’est le péché qui a fait cela par la loi ; mais celle-ci s’y opposait, loin d’y consentir. Le péché est donc devenu le plus fort, et de beaucoup ; mais encore une fois, ce n’est point la loi, mais l’ingratitude des Juifs, qu’il faut accuser. « Car sans la loi le péché était mort », c’est-à-dire, n’était pas si connu. Ceux qui ont vécu avant la loi, savaient déjà qu’ils péchaient ; mais ceux qui ont vécu après la loi le savaient bien plus exactement. Ainsi étaient-ils plus coupables. Ce n’est pas la même chose d’être simplement accusé par la nature, ou d’être accusé, par la nature et par la loi qui précise tout.
« Et moi je vivais autrefois sans la loi… (9) ». Quand, dites-moi ? Avant Moïse. Voyez comme il s’attache à prouver que la loi, et parce qu’elle a fait, et par ce qu’elle n’a pas fait, était à charge à la nature humaine. Quand je vivais sans la loi, dit-il, je n’étais pas ainsi condamné. « Mais quand est venu le commandement, le péché a revécu : et moi je suis a mort (10) ». Ceci semble une accusation contre la loi ; mais, si on y regarde de près, on verra que c’en est l’éloge. Car la loi n’a pas produit le péché non existant, mais a seulement révélé son existence ; et c’est là son éloge, puisqu’avant elle, on péchait sans s’en apercevoir, tandis qu’avec elle, à défaut – d’autre avantage, on avait au moins celui de savoir exactement qu’on péchait : ce quine contribuait pas peu à corriger du vice. Que si les Juifs ne se corrigeaient pas, ce n’était point l’affaire de la loi, qui ne négligeait rien pour cela ; tout le reproche en retombe sur leur mauvaise volonté, dépravée au-delà de tout ce qu’on pouvait attendre.
6. Il était en effet contraire à la raison que ce qui devait être utile, devînt nuisible. Aussi Paul disait-il : « Et il s’est trouvé que le commandement qui devait me donner la vie a causé ma mort ». Il ne dit pas : Est devenu la mort, ni : A engendré la mort ; mais : « Il s’est trouvé », interprétant ainsi ce qu’il y avait de nouveau, d’étrange dans cette absurdité, et faisant tout retomber sur leur tête. Si en effet, dit-il, vous considérez le but du commandement, il conduisait à la vie et avait été donné pour cela ; et si la mort en est résultée, c’est la faute de celui qui a reçu le commandement, et non du commandement lui-même, qui conduisait à la vie. Il exprime cela plus clairement encore par ce qu’il dit ensuite : « Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, m’a séduit et par lui m’a tué (11) ». Voyez-vous comme partout il poursuit le péché, et justifie la loi de toute accusation ? Aussi ajoute-t-il : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon (12)».
Du reste, si vous le voulez, produisons l’opinion de ceux qui altèrent ces interprétations, et nous rendrons encore plus clair ce que nous avons dit. Il en est donc qui prétendent qu’il ne s’agit a)oint ici de la loi de Moïse, mais de la loi naturelle, selon les uns ; des commandements donnés dans le paradis terrestre, selon les autres. Or, partout Paul a en vue d’abroger la loi mosaïque, et ne parle jamais contre les deux autres, et avec raison : car c’était par crainte, par terreur de celle-là, que les Juifs combattaient la grâce. Quant au précepte donné dans le paradis, on ne voit pas que Paul ni aucun autre lui ait jamais donné le nom de loi. Pour prouver cela plus clairement par ses propres paroles, reprenons-les, en remontant un peu plus haut. Après leur avoir parlé en détail de la manière de se conduire, il ajoutait : « Ignorez-vous, mes frères, que la loi domine sur, l’homme tant qu’elle vit ? Ainsi, vous aussi, vous êtes morts à la loi ». Donc, s’il parle ici de la loi naturelle, il arriverait que nous, ne l’aurions pas, et, dans ce cas, nous serions plus stupides que les brutes. Mais il n’en est pas, il n’en est certainement pas ainsi. Quant au commandement donné dans le paradis, il n’y a pas lieu à discuter là-dessus ; ce serait peine perdue que de prouver ce dont tout le monde convient. Comment Paul dit-il donc : « Je n’aurais pas connu le péché sans la loi ? » Il n’entend pas parler ici d’une ignorance absolue ; il veut seulement dire que par la loi, la connaissance était plus exacte. Et s’il s’agissait ici de la loi naturelle, quel sens raisonnable aurait ce qui suit : « Et moi je vivais autrefois sans loi ? » Il ne parait pas que ni Adam ni qui 'que ce soit ait jamais vécu sans la loi naturelle ; car en même temps qu’il formait l’homme, Dieu lui donnait cette loi et en faisait la compagne prudente de tout le genre humain. De plus, nulle part on ne voit Paul donner à la loi naturelle le nom de commandement ; or ; il déclare la loi de Moïse et le commandement justes et : saints-; et il appelle, la loi, spirituelle : Mais la loi naturelle ne nous a pas été donnée par l’Esprit ; car les barbares, les gentils, tous les hommes la possèdent. D’où il suit évidemment qu’ici et là, et partout, c’est de la loi mosaïque qu’il parle. Aussi l’appelle-t-il sainte, en disant : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement est saint, reste et bon ». Car bien que les Juifs aient été impurs, injustes et avares, après avoir recula loi, cela ne détruit point sa vertu, pas plus que leur incrédulité ne détruit la foi de Dieu. Tout cela démontre donc clairement que Paul parle ici de la loi mosaïque.
« Ce qui est bon », dit-il, « est donc devenu a pour moi la mort ? Loin de là : mais le péché, pour paraître péché… (13) » ; c’est-à-dire, pour qu’on voie quel mal c’est que le péché, une volonté sans énergie, le penchant au mal, une conduite et une intention perverties car là est la cause de tous les maux. Ici il use d’exagération pour faire ressortir l’excellence de la grâce du Christ, et nous apprendre de quel mal elle a délivré le genre humain : mal que les remèdes, des médecins ne faisaient qu’aggraver : et qui grandissait par les obstacles mêmes qu’on lui opposait. Aussi ajoute-t-il : « De sorte qu’il est devenu par le commandement une source extrêmement abondante de péché ». Voyez-vous comme il poursuit le péché à outrance ? Et par les accusations mêmes qu’il dresse contre lui, il fait mieux éclater la vertu de la grâce. Car ce n’est pas petite chose d’avoir montré quel mal c’est que le péché, d’avoir découvert et mis à nu son venin : ce que fait Paul, quand il dit : « De sorte qu’il est devenu par le commandement une source extrêmement abondante de péché » ; c’est-à-dire, de sorte que l’on voie quel mal c’est que le péché, combien il est pernicieux ; et tel a été l’effet du commandement. Par là même, il fait voir la supériorité de la grâce sur la loi ; supériorité, mais non opposition. Ne considérez donc point que ceux qui ont reçu la loi en sont devenus pires mais considérez que la loi s’efforçait de couper le mal pansa racine, bien loin de favoriser son accroissement. Si elle ne l’a pas pu, rendez au moins hommage à sa bonne volonté ; mais surtout adorez la vertu du Christ, de ce qu’elle a radicalement détruit et extirpé un mal si varié dans ses formes, si difficile à vaincre. Quand donc vous entendez parler du péché, ne vous figurez pas une puissance subsistant par elle-même ; mais une mauvaise action, qui a soli commencement et sa fin, qui n’existait point avant d’être produite, et qui peut s’effacer quand elle a cessé d’être. Voilà pourquoi la loi a été donnée ; car le but de la loi n’est pas de détruire la nature, mais de corriger les actes d’une volonté perverse.
7. Les législateurs païens eux-mêmes le savaient aussi bien que tous les hommes. En effet, ils se contentent de réprimer le mal produit par la faiblesse de la volonté, et ne se promettent point de déraciner – ce qui est inhérent à la nature : car cela n’est pas possible. Comme je vous l’ai souvent dit dans d’autres entretiens, la nature reste immuable. Laissant donc de côté toutes ces discussions, rattachons-nous à la question morale : aussi bien est-ce là le point principal dans ces controverses : Si nous repoussons le vice et pratiquons la vertu, nous prouverons clairement quelle vice n’est point dans la nature, et nous pourrons réduire au silence, non seulement par notre langage, mais encore par notre conduite, ceux qui recherchent l’origine du mal, puisque, étant de même nature qu’eux, nous nous montrerons exempts de leur malice. Ne considérons pas que la vertu est laborieuse, mais que nous pouvons la pratiquer ; et si nous y mettons de la bonne volonté, elle nous deviendra très facile. Si vous me parlez du plaisir attaché au vice, dites-moi aussi quelle en sera la fin ; il conduit a la mort, comme la vertu mène à la vie. Ou, si vous voulez encore, examinons-les l’un et l’autre avant leur terme ; nous verrons que le vice entraîné avec lui bien des douleurs, et la vertu bien des joies. Qu’y a-t-il, dites-moi, de plus douloureux qu’une mauvaise conscience ?. Qu’y a-t-il de plus doux que l’espérance du bonheur ? Rien, non rien ne nous afflige, rien ne cous accable comme l’attente des maux ; rien ne nous élève, rien ne nous donne des ailes comme une bonne conscience. Nous pouvons le voir par ce qui se passe au milieu de nous. Ceux qui sont enfermés en prison en attendant leur condamnation, quelque bien nourris qu’ils puissent être, sont plus malheureux que les mendiants qui errent dans les carrefours, mais qui n’ont rien à se reprocher : car l’attente du mal empêche de goûter le plaisir du moment.
Et à quoi bon parler de prisonniers ? Les ouvriers qui gagnent péniblement leur subsistance quotidienne, sont beaucoup plus heureux que ceux qui vivent libres et au sein de la richesse, mais avec une mauvaise conscience chargée. Voilà pourquoi nous regardons comme les plus malheureux des hommes, les gladiateurs que nous voyons dans les cabarets livrés aux vapeurs de l’ivresse et aux plaisirs de la table, parce que l’attente de la mort produit sine sensation beaucoup plus vive que celle de ces plaisirs. Que si cette vie-là leur paraît douce, souvenez-vous de ce que je vous répète si souvent : il n’y a rien d’étonnant à ce que celui qui vit dans le vice n’en fuie pas l’amertume et la douleur. En effet, une situation détestable peut paraître aimable à ceux qui s’y trouvent ; mais c’est précisément pour cela que, loin de les appeler heureux, nous les appelons malheureux ; parce qu’ils ne comprennent pas même leur malheur. Que direz-vous des adultères qui, pour un modique plaisir, se soumettent à un honteux esclavage, à des dépenses d’argent, à des craintes, continuelles, à une vie aussi misérable ; plus misérable même que celle de Caïn ; redoutant le présent, et s’épouvantant de l’avenir, se défiant de leurs amis et de leurs ennemis, de ceux, qui savent et de ceux qui ne savent pas ? Mène dans leur sommeil, ils ne peuvent se débarrasser de leurs angoisses ; leur conscience coupable leur forge des songes terribles, et les remplit de frayeur. Il n’en est pas ainsi, de l’homme chaste ; il passe la vie présente dans la tranquillité et la liberté. Comparez maintenant à une volupté passagère cette mer de terreurs, aux courts sacrifices de la continence cette paix perpétuelle, et vous verrez que cette dernière condition est plus douce que l’autre.
Et celui qui veut voler, qui veut s’emparer de l’argent d’autrui, ne supporte-t-il pas, dites-moi, des peines sans, nombre ; rôdant çà et là, flattant les esclaves, les hommes libres, les portiers ; craignant, menaçant, usant d’insolence, se privant de sommeil, tremblant, en proie à l’inquiétude, se défiant de tout ? Il n’en est pas de même de celui qui méprise les richesses ; il nage au sein de la joie, il passe ses jours dans la confiance et la sécurité. En parcourant ainsi toute l’échelle des vices, vous rencontrerez partout de grands troubles, beaucoup d’écueils. Mais l’essentiel est que, si dans la vertu tout est d’abord pénible, le charme vient ensuite, de manière à alléger la peine ; tandis que dans le vice c’est tout le contraire : après le plaisir, viennent les douleurs et les châtiments, en sorte que le plaisir lui-même disparaît. Car, de même que celui qui attend la couronne, ne sent plus les peines présentes ; ainsi celui qui attend les supplices après le plaisir, ne saurait goûter une joie pure, parce que la crainte trouble tout. Bien plus, à y regarder de près, on verrait que dans le vice, en dehors même du châtiment redouté, la tentative seule renferme déjà sa douleur.
8. Examinons encore, si vous le voulez, ce qu’il en est des voleurs ou de ceux qui s’enrichissent de toutes manières ; laissons de côté les craintes, les périls, la terreur, l’angoisse, le souci et autres choses semblables ; supposons qu’un homme est riche tranquillement, qu’il est assuré de conserver ses biens, ce qui est impossible, mais, supposons-le : quelle joie cet homme goûtera-t-il ? Celle de posséder beaucoup ? Mais il n’y a pas là de quoi le rendre heureux : car tant qu’il convoitera davantage, son tourment ne fera qu’augmenter. C’est quand le désir cesse, qu’il procure du plaisir ; en effet, si nous avons soif, c’est en buvant à notre gré que nous, éprouvons de la satisfaction ; mais si notre soif persiste, quand nous épuiserions toutes les sources, quand nous boirions tous les fleuves, notre malaise n’en serait que plus grand. De même, possédassiez-vous le monde entier, si vous convoitez encore, plus vous acquerrez, plus vous serez tourmenté. Ne vous imaginez donc pas qu’une grande fortune puisse vous procurer quelque joie ; vous n’en trouverez qu’en renonçant à vous enrichir ; mais si vous continuez à convoiter les richesses, vos tourments n’auront point de fin. Car cette passion est insatiable plus vous avancerez, plus vous verrez le terme se reculer. N’est-ce pas là une chose inexplicable, une folie, le comble de la démence ? Fuyons donc ce premier de tous les vices ; garantissons-nous du moindre contact avec lui, et s’il y en a eu, reculons dès l’abord ; comme l’auteur des Proverbes engage à le faire à l’égard de la courtisane : « Éloignez-vous, point de retard, n’approchez pas de la porte de sa maison ». (Prov. 5,8) Je vous en dirai autant de l’amour des richesses. Car si vous entrez peu à peu dans cet océan de folies, vous aurez de la peine à en sortir ; plongé comme en un gouffre, malgré des efforts réitérés, vous vous en tirerez difficilement ; et, ce qu’il. y a de plus triste ; une fois englouti dans les abîmes de cette convoitise, vous vous perdrez avec tous vos biens.: Ainsi donc ; je vous en prie, veillons sur nous dès le commencement, fuyons le mal le plus léger : car ce sont les petites fautes qui engendrent les grandes. En effet, celui qui, à chaque péché, à coutume de dire : Il n’en arrivera rien, perdra tout insensiblement. Voilà ce qui a introduit le mal, voilà ce qui a ouvert les portes au larron, voilà ce qui a abattu les remparts de la ville, parce qu’on disait : Il n’en arrivera rien. De même dans le corps, c’est en négligeant les petites maladies qu’on augmente les grandes : Si Esaü n’eût pas vendu son droit d’aînesse, il n’aurait pas été indigne des bénédictions ; et s’il ne s’était pas rendu indigne des bénédictions, il n’eût pas conçu le désir d’aller tuer son frère ; si Caïn n’avait pas ambitionné le premier rang et qu’il eût tout remis à la volonté de Dieu, il ne fût pas tombé au second rang ; et une fois descendu au second rang, s’il s’était montré docile aux remontrances, il n’eût point commis le meurtre ; et si après l’avoir commis, il fût entré dans des sentiments de pénitence comme Dieu l’y invitait, et n’eût point répondu avec insolence, il n’eût point subi tous les maux qui lui sont venus à la suite.
Or, si ceux qui ont vécu avant la loi sont tombés peu à peu, par lâcheté, au dernier degré du vice ; songez quel sera notre sort, à nous, qui sommes appelés à de plus grands combats, si nous ne veillons pas sévèrement sur nous-mêmes, si nous ne nous hâtons d’éteindre les premières étincelles du mal avant qu’elles aient mis le feu au bûcher. Par exemple : Vous vous, parjurez fréquemment ? Ne vous contentez pas de vous en corriger, mais cessez même de jurer, et le reste vous sera facile. Il est en effet beaucoup plus difficile de jurer sans se parjurer, que de ne pas jurer du tout. Vous avez l’habitude d’injurier, d’insulter, de frapper même ? Faites-vous une loi de ne jamais vous fâcher, de ne jamais crier, et le fruit périra avec la racine. Vous êtes libertin et porté à la luxure ? Faites-vous une loi de ne pas jeter les yeux sur une femme, bien loin de monter au théâtre, de ne pas porter des regards curieux sur des beautés étrangères, quand vous êtes dans les rues. Il est beaucoup plus facile de ne point regarder du tout une belle, femme que de la considérer ; de la convoiter et de calmer ensuite le trouble qui en résulte. Les luttes sont, en effet plus faciles au début ; bien plus, nous n’avons pas même besoin de lutter, si nous n’ouvrons pas la porte à l’ennemi, si nous ne recevons pas les semences du mal. Aussi le Christ punit-il celui qui jette sur une femme un regard impudique, afin de nous épargner une plus grande difficulté : nous ordonnant de chasser l’ennemi de la maison, avant qu’il soit devenu fort et pendant qu’il est possible de l’expulser. Quelle nécessité y a-t-il en effet à se livrer à des opérations inutiles et à en venir aux mains avec des adversaires, quand on peut triompher sans combat et gagner la palme avant la lutte ? Il est moins coûteux de s’abstenir de voir de belles femmes, que de se contenir quand on les a vues ; dans le premier cas, la peine n’est pas grande, dans le second, ce sont des luttes fatigantes et pénibles.
9. Puis donc que la peine est moins grande, ou plutôt qu’il n’y a ni fatigue ni peine, mais un plus grand profit, pourquoi nous précipiter volontairement dans un abîme de maux ? Car non seulement celui qui s’abstient de voir une femme, résiste plus facilement à la passion, mais il en devient même plus pur ; tandis que celui qui fixe – sur elle ses regards, échappe plus difficilement et non sans quelque blessure, si tant est qu’il échappe. En effet, celui qui ne voit pas une belle ligure, n’éprouve point la passion qu’elle peut inspirer ; mais celui qui a désiré la voir, qui a accueilli d’abord cette pensée, qui a contracté mille souillures, songe seulement après cela à repousser la passion, si même il la repousse. C’est pour nous garantir de tels dangers que le Christ nous défendons seulement le meurtre, mais la colère ; non seulement l’adultère ; mais un regard impudique ; non seulement le parjure, mais même le serment. Et ce n’est même pas là qu’il fixe la borne de la vertu : car, après tous ces commandements, il va plus loin. Après avoir défendu le meurtre, interdit la colère, il nous ordonne d’être prêts à souffrir les mauvais traitements ; non seulement d’en supporter autant qu’il plaira à notre ennemi de nous en infliger, mais d’aller plus loin encore, jusqu’à dépasser par notre sagesse les excès même de sa fureur. En effet, il n’a pas dit : Si votre ennemi vous frappe sur la joue droite, supportez-le généreusement et avec calme ; mais il ordonne de lui tendre encore l’autre joue ; « Présentez-lui encore l’autre », nous dit-il. (Mt. 5,39) En effet, c’est là une éclatante victoire de donner à son ennemi plus qu’il ne demande, de dépasser par longanimité les bornes mêmes de sa mauvaise volonté. C’est ainsi que vous apaiserez sa fureur, que le second sacrifice vous récompensera du premier et que vous éteindrez la colère chez lui.
Voyez-vous que nous sommes toujours les maîtres de ne point souffrir du mal : avantage que n’ont point ceux qui nous le font ? Et non seulement nous pouvons ne pas souffrir du mal, mais il nous est même donné d’en tirer profit : et c’est ce qu’il y a de plus admirable, que non seulement nous ne souffrions pas des injustices que l’on commet contre nous, mais que nous en tirions avantage, si nous veillons sur nous. Examinez un peu : Quelqu’un vous injurie ? Vous pouvez transformer ses injures en éloges. En lui rendant la pareille, vous augmenteriez votre honte : en lui rendant des bénédictions pour ses malédictions, vous verrez tout le monde vous décerner la couronne et vous proclamer vainqueur. Voyez-vous comment nous pouvons, si nous le voulons, tirer profit d’une injustice ? Il en est de même de l’argent, il en est de même des coups et de tous les accidents qui peuvent nous survenir. Si nous employons à l’égard de nos ennemis des procédés contraires aux leurs, nous nous tresserons une double couronne, et par le mal qu’ils nous font et par le bien que nous leur rendons. Quand donc on vient vous dire : Un tel vous a injurié et ne cesse de dire du mal de vous à tout le monde, faites son éloge à celui qui vous parle ; c’est ainsi que vous le punirez, si vous avez intention de vous venger. Les auditeurs vous loueront, quelque dénués de sens qu’ils puissent être, et ils regarderont celui qui vous injurie : comme plus méchant qu’une bête fauve, puisqu’il vous fait du mal sans en avoir reçu de vous, tandis que vous lui faites du bien en retour de ses injures. Par là aussi vous pourrez réduire toutes ses paroles à rien. En effet, si celui qu’on attaque en manifeste de la douleur, c’est une preuve qu’il a conscience du mal qu’on lui reproche ; si au contraire il en rit, il détruit jusqu’au moindre soupçon chez ceux qui en sont témoins.
Voyez donc que de profits vous recueillez par là ! D’abord vous vous exemptez vous-même de trouble et d’émotion ; ensuite (et c’est bien l’avantage qu’il faut placer au premier rang), si vous êtes coupable de péchés, vous les expiez, comme le publicain qui supporta avec patience les reproches du pharisien. De plus ; vous exercez ainsi votre âme à la sagesse, vous obtiendrez mille louanges de tout le monde, et vous effacerez jusqu’au soupçon que ces paroles injurieuses auraient pu produire contre vous. Que si vous désirez une vengeance, elle viendra surabondamment, puisque Dieu punira votre ennemi de ce qu’il aura dit, et que, même avant ce châtiment, votre sagesse lui portera déjà un coup mortel. Car rien ne blesse aussi vivement ceux qui nous injurient que de nous voir rire des injures qu’ils nous adressent. Mais autant nous recueillerons de fruits de notre sagesse, autant nous souffrirons de notre pusillanimité. En effet, nous nous déshonorons nous-mêmes, nous paraissons mériter les reproches qu’on nous fait ; nous remplissons notre âme de trouble, nous réjouissons notre ennemi, nous irritons Dieu, et nous ajoutons un nouveau péché à ceux qui nous souillent déjà. Pensons à tout cela, fuyons l’abîme de la rancune et recourons au port de la patience, afin d’y trouver le repos pour nos âmes, comme le Christ nous l’a dit, et d’obtenir les biens futurs par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, la force, l’honneur appartiennent au Père en même temps qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIII. modifier


AH NOUS SAVONS QUE LA LOI EST SPIRITUELLE, ET MOI JE SUIS CHARNEL, VENDU COMME ESCLAVE AU PÉCHÉ. (VII, 14, JUSQU’À VIII, 11)

Analyse. modifier

  • 1. La loi est spirituelle et elle a l’approbation de notre raison.
  • 2. Mais la convoitise qui est en nous obscurcit notre raison et ébranle notre bonne volonté.
  • 3. Il en résulte une lutte intérieure entre ce que saint Paul appelle la chair et l’esprit. – Ce n’est pas que la chair soit mauvaise par sa nature et qu’elle soit la cause du mal, non, elle n’en est que l’occasion. – Qui nous délivrera de cette concupiscence dont la victoire fait notre malheur ? Ce sera Jésus-Christ.
  • 4. L’homme qui a parc à la vraie foi en Jésus-Christ est soustrait par l’esprit de Jésus-Christ au péché et à la condamnation. – Il a la vie de l’esprit. – C’est ainsi que Jésus-Christ a fait ce que la loi de Moïse n’avait pu faire.
  • 5. Il n’y a donc lias antagonisme entre Moïse et Jésus-Christ, puisque la loi de Jésus-Christ, ou la loi de grâce est venue en aide à la loi de Moïse. – Moïse avait enseigné à discerner le bien du mal, Jésus-Christ a donné le moyen de faire le bleu. – Enseigner était chose facile, donner la force de pratiquer, voilà ce qui est digne d’admiration. – Comment Jésus-Christ a rendu notre chair victorieuse du péché. – Cette victoire de Jésus-Christ a procuré à ceux qui n’obéissent pas à la convoitise charnelle la justification qui est le but de la loi.
  • 6. Ne perdons pas ce trésor, et pour cela ne vivons plus selon la chair, mais selon l’Esprit. – Le sens charnel a pour conséquence et pour effet la mort, la mortification de la chair par l’Esprit produit la vie.
  • 7. Comment la grâce de l’Esprit a tout renouvelé.
  • 8. Effets de la présence de Jésus-Christ et du Saint-Esprit dans l’âme. – Le Saint-Esprit, source de la résurrection.

9-11. Avantages de la mortification. – Contre les excès du vin et contre l’avarice.
1. Après avoir dit que le mal a été grand, que le péché est devenu plus puissant à l’occasion de la loi, que le contraire de ce que la loi avait en vue est arrivé, et avoir jeté l’auditeur dans un grand embarras, il donne enfin la raison de toutes ces choses, mais sans avoir d’abord dégagé la loi de tout soupçon injuste. De peur qu’en entendant dire que le péché a pris occasion de la loi, que la présence du commandement l’a fait revivre, que c’est par son entremise qu’il a trompé et donné la mort ; de peur, dis-je, qu’en entendant dire cela, quelqu’un ne s’imaginât due la loi était responsable de tous ces maux, il l’a d’abord justifiée surabondamment, et l’a non seulement purgée de toute accusation, mais encore comblée d’éloges. Et il ne parle pas comme faisant ici une concession personnelle, mais comme exprimant le sentiment de t’out le monde. « Nous savons », dit-il, « que la loi est spirituelle » ; comme s’il disait : C’est chose convenue, évidente, qu’elle est spirituelle ; tant il, s’en faut qu’elle soit la cause du péché et responsable des maux survenus. Et voyez comment, non content de la laver de tout reproche, il fait d’elle le plus grand éloge. En effet, en l’appelant spirituelle, il fait voir qu’elle enseignait la vertu et combattait le vice : car être spirituel, c’est éloigner de tolus les péchés : ce que la loi faisait réellement, en effrayant, en avertissant, en punissant, en corrigeant, en donnant tous les conseils qui conduisent à la vertu. Pourquoi donc, demande-t-il, le péché a-t-il existé, puisque le maître était si merveilleux ? Par la lâcheté des disciples. Aussi ajoute-t-il : « Et moi je suis charnel », par où il désigne l’homme qui a vécu sous la loi et avant la loi.
« Vendu comme esclave au péché ». Avec la mort, dit-il, les passions sont arrivées en foule. Le corps, une fois devenu mortel,.a nécessairement subi la concupiscence, la colère, la tristesse et toutes les autres affections ; et il fallait beaucoup de sagesse pour les empêcher de déborder et de plonger la raison dans l’abîme du, péché. Car elles n’étaient point elles-mêmes le péché, mais elles le produisaient si on ne jetait pas le frein à leur intempérance. Ainsi, par exemple, pour en citer une en particulier, la concupiscence n’est pas un péché ; mais quand elle ne garde pas la mesure, qu’elle ne se contient pas dans les lois du mariage, qu’elle convoite même des femmes étrangères, alors elle devient l’adultère, non précisément par sa nature de concupiscence, mais par l’abus et le défaut de mesure. Et voyez la sagesse de Paul. Après avoir fait l’éloge de la loi, il remonte aussitôt aux temps anciens, afin de montrer où en était notre race avant et après avoir reçu la loi, et faire comprendre que la grâce était absolument nécessaire : ce qu’il a soin de démontrer partout. Car en disant : « Vendu au péché comme esclave », il n’entend pas seulement parler de ceux qui ont vécu sous la loi, mais de ceux qui ont vécu avant la loi et dès le commencement. Ensuite il indique comment il a été vendu et livré.
« Aussi ce que je fais, je ne le comprends pas (15) ». Qu’est-ce à dire : « Je ne le comprends pas ? » C’est-à-dire : Je l’ignore. Et quand donc cela est-il arrivé ? Car personne n’a jamais péché par ignorance. Voyez-vous que si nous ne choisissons pas les expressions avec les précautions convenables, et si nous ne faisons pas attention au but de l’apôtre, une foule d’absurdités vont s’ensuivre ? Si en effet les hommes péchaient par ignorance, ils ne méritaient aucun châtiment. De même que plus haut il disait : « Sans la loi, le péché est mort », non pour faire entendre qu’on péchait sans le savoir, mais pour indiquer qu’on le savait imparfaitement ; ce qui occasionnait des punitions, quoique moins sévères ; et de même qu’il a dit encore : « Je ne connaîtrais pas la concupiscence », désignant ici non une ignorance absolue, mais le défaut d’une parfaite connaissance : de même enfin qu’il a dit : « A opéré en moi toute concupiscence », non pour rendre le commandement responsable de la concupiscence, mats pour faire voir que le péché a augmenté la concupiscence à l’occasion du commandement : ainsi il n’entend point exprimer une ignorance complète par ces mots : « Ce que je fais, je ne le comprends pas ». Autrement, comment se complairait-il dans la loi de Dieu selon l’homme intérieur ? Que signifient donc ces paroles : « Je ne le comprends pas ? » C’est-à-dire : Je suis dans les ténèbres, je suis entraîné, je souffre violence, je suis supplanté sans savoir comment. Nous avons nous-mêmes l’habitude de dire : Je ne sais comment un tel est venu et m’a entraîné ; par quoi nous n’entendons pas prétexter d’ignorance, mais indiquer que nous avons été en quelque façon trompés, circonvenus, pris au piège.
« Car ce que je veux, je ne le fais pas : mais ce que je hais, je le fais ». Comment donc ne savez-vous pas ce que vous faites ? Si vous voulez le bien et haïssez le mal, c’est la preuve d’une parfaite connaissance. Par où l’on voit clairement que, par ces expressions : « Ce que je ne veux pas », il ne prétend point supprimer le libre arbitre ni introduire l’idée d’une nécessité quelconque. Car si nous ne péchons pas librement, mais par forcé, les châtiments qui ont été infligés autrefois n’auraient plus de raison d’être. Mais comme par ces expressions : « Je ne le comprends pas », il n’entend point parler d’une ignorance absolue ; et qu’il faut les interpréter dans le sens que nous avons dit ; ainsi, en ajoutant ces mots : « Ce que je ne veux pas », il n’exprime pas l’idée de la nécessité, mais veut seulement dire qu’il n’approuve pas ce qu’il a fait. Et si ce n’était pas là le sens de ces expressions : « Ce que je ne veux pas, je le fais », comment n’aurait-il pas ajouté : Mais ce que je suis forcé de faire, je le fais ? Car c’est là l’opposé de la volonté et de la faculté d’agir. Mais ce n’est point ce qu’il dit ; au lieu de cela, il emploie ces expressions : « Ce que je hais », pour nous apprendre qu’en disant : « Ce que je ne veux pas », il ne détruit point la liberté. Que signifient donc ces mots : « Ce que je ne veux pas ? » C’est-à-dire, ce que je ne loue pas, ce que je n’approuve pas, ce que je n’aime pas ; et par antithèse il ajoute : « Mais ce que je hais, je le fais. Or, si je fais ce que je ne veux pas, j’acquiesce à la loi comme bonne (16) ».
2. Voyez-vous que l’âme n’est point perverse, mais qu’elle conserve dans l’action sa noblesse originelle ? Si elle commet le mal, c’est en le haïssant : ce qui forme le plus bel éloge de la loi naturelle et de la loi écrite. La preuve, dit-il, que la loi est bonne, c’est que je m’accuse moi-même de ne l’avoir pas écoutée, et que je hais le mal que j’ai fait. Or, si la loi était la cause du péché, comment celui qui se complaît en elle, haïrait-il ce qu’elle aurait commandé ? Car « J’acquiesce à la loi, comme étant bonne. Maintenant ce n’est plus moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi. Car je sais que le bien n’habite pas en a moi, c’est-à-dire dans ma chair (17, 18) ». C’est sur ce texte qu’insistent ceux qui calomnient la chair et nient qu’elle soit l’ouvrage de Dieu. Que dirons-nous donc ? Ce que nous disions hier à propos de la loi ; qu’ici, comme là, Paul attribue tout au péché. En effet il ne dit point : C’est la chair qui fait cela, mais il dit au contraire : « Maintenant ce n’est plus a moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi ». Que s’il dit que le bien n’habite « pas dans la chair, ce n’est point encore une accusation contre elle : car de ce que le bien n’habite pas en elle, ce n’est pas une preuve qu’elle ne soit pas bonne. Nous convenons que la chair est inférieure à l’âme, qu’elle est plus défectueuse, sans cependant être son ennemie, ni son adversaire, ni mauvaise en elle-même ; mais nous disons qu’elle est soumise à l’âme comme la lyre au musicien, comme le navire au pilote : instruments qui ne sont point ennemis de ceux qui les dirigent ou les manient, mais s’accordent parfaitement avec eux, sans être leurs égaux en dignité. Comme donc en disant que l’art n’est pas dans la lyre ni dans le vaisseau, mais dans le pilote et dans le musicien, on ne calomnie pas ces instruments, on indique seulement la distance qui les sépare de ceux qui les emploient ; ainsi Paul en disant : « Le bien n’habite pas dans ma chair », ne calomnie pas le corps, mais marque la supériorité de l’âme sur lui, car c’est à l’âme que sont confiées les fonctions de pilote et de musicien ; et c’est ce que Paul veut exprimer, en lui attribuant l’autorité. Partageant l’homme en deux parties, l’âme et le corps, il dit que la chair est dénuée de raison, privée d’intelligence, qu’elle doit âtre conduite et ne saurait conduire ; tandis que l’âme plus sage, pouvant discerner ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter, ne peut cependant modérer le cheval à son gré : reproche qui ne s’adresse pas seulement au corps, mais aussi à l’âme, qui sachant ce qu’il faut faire, n’exécute cependant pas ce qu’elle approuve. « En effet, le vouloir réside en moi », nous dit-il, « mais pour ce qui est d’accomplir le bien, je ne l’y trouve pas ». Ici encore en disant ; « Je ne l’y trouve pas », il n’entend pas parler de l’ignorance ou du doute, mais du tort causé par le péché et des pièges qu’il tend ; ce qu’il exprime plus clairement en ajoutant : « Ainsi le bien que je veux, je ne le fais point ; mais le mal que je ne veux pas, je le fais. Si donc je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi (19, 20) ». Voyez-vous comment, justifiant la substance de l’âme et celle du corps, il rejette tout sur la mauvaise action ? En effet, s’il ne veut pas le mal, l’âme n’est pas coupable ; s’il ne le fait pas, le corps est exempt de faute : tout est l’effet de la mauvaise volonté. Car il faut distinguer avec soin l’âme, le corps et la volonté : ces deux premiers sont les œuvres de Dieu, et l’autre est un mouvement qui part de nous et tend où nous le dirigeons. La faculté de vouloir est naturelle et vient de Dieu ; mais telle ou telle volonté vient de nous et est l’œuvre de notre choix.
« Je trouve donc, quand je veux faire le bien, cette loi, que le mal réside en moi ». Ces paroles sont obscures : quel en est le sens ? J’approuve la loi dans ma conscience, nous dit-il ; je la trouve d’accord avec moi quand je veux faire le bien, elle fortifie ma volonté ; et comme je me complais en elle, aussi agrée telle mon intention. Voyez-vous comme il démontre que la distinction du bien et du mal nous a été donnée dès le principe, que la loi de Moïse l’approuve et en est approuvée ? En effet, plus haut il n’a pas dit : J’apprends de la loi, mais : « J’acquiesce à la loi » ; il n’a pas dit : La loi m’instruit, mais : « Je me complais en elle ». Qu’est-ce que cela : « Je me complais ? » Je conviens qu’elle est bonne, puisqu’elle est d’accord avec moi quand je veux faire le bien. Ainsi vouloir le bien et ne pas vouloir le mal date du commencement ; mais la loi survenant a accusé davantage chez les méchants et approuvé davantage chez les bons. Le voyez-vous attester partout l’extension et l’augmentation de la loi, mais rien de plus ? Car bien que la loi m’approuve, que je me complaise en elle et que je veuille le bien, le mal est pourtant là et son action n’est pas détruite. Ainsi la loi ne vient en aide à celui qui se propose de faire le bien, qu’autant qu’il veut ce qu’elle veut. Mais comme il n’avait dit cela qu’obscurément, il l’explique ensuite et l’exprime, plus clairement, en faisant voir comment le mal est présent et comment la loi aide celui qui veut faire le bien. « Je me complais », dit-il, « dans la loi de Dieu, selon l’homme intérieur », c’est-à-dire : Je connaissais déjà le bien auparavant, mais je l’approuve quand je le trouve dans la loi écrite. « Mais je vois dans mes membres une autre loi, qui combat la loi de mon esprit (22, 23) ».
3. Sous le nom de loi qui combat, il désigne ici le péché, fion par honneur, mais à cause de la facilité avec laquelle on lui obéit. Car comme on donne à Mammon le nom de Seigneur, au ventre celui de Dieu, non qu’ils aient une dignité Propre, mais à raison de la soumission de leurs esclaves : ainsi l’apôtre appelle le péché loi, parce que ses partisans lui obéissent servilement et craignent de le quitter, comme ceux qui ont reçu la loi craignent de la perdre. Or le péché, dit Paul, est opposé à la loi naturelle ; car c’est là ce que signifient ces mots : « La loi de mon esprit ». Puis il parle d’armée et de combat, et reporte le poids de la lutte sur la loi naturelle. En effet, la loi de Moïse a été donnée par surcroît. Et pourtant toutes les deux, l’une en enseignant, l’autre en approuvant ce qu’il fallait faire, n’ont pas obtenu grand succès dans la bataille : tant est grande la violence du péché, à qui reste le triomphe et la victoire ! C’est ce que Paul déclare, et en constatant la défaite, il dit : « Mais je vois dans moi une autre loi qui combat la loi de mon esprit et me captive » ; il ne dit pas simplement : Qui remporte la victoire, mais : « Qui me captive « sous la loi du péché ». Il ne dit pas : Sous l’impulsion de la chair, ni : Sous la nature de la chair ; mais : « Sous la loi du péché », c’est-à-dire sous la tyrannie, sous la puissance.
Comment dit-il donc. « Laquelle est dans mes membres ? » Et qu’est-ce que cela ? Il n’en résulte pas que les membres soient péché, il les distingué au contraire du péché : car autre chose est le contenu, autre chose le contenant. De même donc que le commandement n’est pas mauvais, parce que le péché en a pris occasion ; ainsi en est-il de la nature de la chair, quoique le péché nous attaque par elle ; autrement l’âme aussi serait mauvaise, et à bien plus forte raison, puisque c’est à elle qu’appartient l’autorité pour agir. Mais cela n’est pas, cela n’est pas du tout. Si un tyran ou un voleur s’emparait d’une magnifique maison et d’un palais royal, ce n’est point à la maison qu’en reviendrait le blâme, mais l’accusation retomberait tout entière sur les auteurs d’une telle surprise. Mais les ennemis de la vérité, outre leur impiété, tombent ici dans une grande folie sans s’en apercevoir. En effet, ils n’accusent pas seulement la chair, mais ils calomnient la loi ; et pourtant si la chair est mauvaise, la loi est bonne, car elle est opposée à la chair et la combat ; et si la loi est mauvaise, la chair est bonne ; car, selon eux, elle lutte et combat contre la loi. Or, si ces deux choses sont opposées, comment les attribuent-ils toutes les deux au démon ? Voyez-vous comme la folie se mêle ici à l’impiété ? Elle n’est point la doctrine de l’Église : elle ne condamne que le péché ; mais elle affirme que les deux lois données par Dieu, la loi naturelle et la loi mosaïque, sont les ennemies du péché et non de la chair ; que la chair n’est point péché, mais œuvre de Dieu, apte à la pratique de la vertu, si nous veillons sur nous.
« Malheureux homme que je suis ! qui me a délivrera de ce corps de mort (21) ? » Voyez-vous jusqu’où va la tyrannie du péché, puisqu’il triomphe même de l’âme qui se complaît dans la loi ? Personne, nous dit Paul, ne peut affirmer que le péché me domine parce que je hais et repousse la loi, car je me complais en elle, j’y acquiesce ; j’y cherche mon refuge ; et pourtant elle ne peut sauver celui qui recourt à elle, tandis que le Christ a sauvé même celui qui s’éloignait de lui. Voyez-vous quelle est la supériorité de la grâce ? Ce n’est cependant pas ainsi que parlait l’apôtre mais gémissant et versant d’abondantes larmes, comme s’il était privé de tout secours, il nous fait voir, par son inquiétude même, la puissance du Christ, et s’écrie : « Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? » La loi ne l’a pas pu, la conscience n’y a pas suffi ; et pourtant j’approuvais le bien, et non seulement je l’approuvais, mais, je luttais contre le mal. Car en disant : « Qui combat », il indique qu’il résistait lui-même. Où est donc l’espérance du salut ?
« Je rends grâces à Dieu », dit-il, « par Notre-Seigneur Jésus-Christ (25) ». Voyez-vous comme il fait voir que la présence de la grâce est nécessaire et que les bienfaits sont communs au Père et au Fils ? Si, en effet, il rend grâces au Père, c’est le Fils même qui en est la cause. Et quand vous l’entendez dire : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » ne vous imaginez pas qu’il accuse la chair. Car il ne dit pas : Ce corps de péché, mais : « Ce corps de mort », c’est-à-dire, ce corps mortel, sujet à la mort, mais qui n’a pas engendré la mort : ce qui est un indice, non de la malice de la chair, mais du dommage qu’elle a souffert. De même que si quelqu’un était pris par les barbares, on dirait de lui qu’il leur appartient, non parée qu’i[serait lui-même barbare ; mais parce qu’il serait en leur pouvoir ; ainsi le corps est dit corps de mort, non parce qu’il a causé la mort, mais parce qu’il est sous sa domination. C’est pourquoi Paul ne demande pas à être délivré du corps, mais du corps mortel : insinuant ce que j’ai répété bien des fois, que le corps est très-accessible au péché, précisément parce qu’il est passible.
4. Mais, direz-vous, puisque avant la grâce la tyrannie du péché était si grande, pourquoi les pécheurs étaient-ils punis ? Parce qu’on ne leur commandait que ce qu’ils pouvaient faire sous l’empire même du péché. En effet, Dieu n’exigeait pas d’eux une grande perfection ; il leur permettait l’usage des richesses, ne leur défendait pas d’avoir plusieurs femmes, tolérait la colère dans les limites de la justice, la jouissance des plaisirs modérés ; sa condescendance allait jusqu’au point que la loi écrite était moins exigeante que la loi naturelle. En effet, la loi naturelle voulait qu’un homme n’eût jamais qu’une femme, ce que le Christ rappelle quand il dit : « Celui qui les créa au commencement, les fit mâle et femelle ». (Mt. 19,4) Mais la loi de Moïse n’exigeait pas même qu’on renvoyât une première femme pour en prendre une seconde ; elle ne défendait point de les garder toutes les deux. Outre cela, nous voyons les anciens, instruits par la loi naturelle, faire encore, en d’autres points, beaucoup plus que ceux qui ont vécu sous la loi. On n’a donc pas eu de tort envers ceux-ci, puisque leur législation était si modérée. Donc s’ils n’ont pas pu vaincre, la faute en est à leur lâcheté. C’est pourquoi Paul rend grâces de ce que le Christ, laissant de côté toute enquête minutieuse, non seulement n’a pas demandé compte des péchés passés, mais nous a rendus capables de courir dans une voie plus parfaite. Ce qui lui fait dire : « Je rends grâces à Dieu par Jésus-Christ ». Sans parler du salut, bienfait dont tout le monde convient, il passe de la question qu’il vient de traiter à une autre plus élevée, à savoir : que non seulement nous sommes délivrés de nos péchés passés, mais que nous en sommes garantis pour l’avenir.
« Il n’y a donc pas maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, qui ne marchent pas selon la chair ».(VIII, 1) Il n’a dit cela qu’après avoir rappelé le premier état de choses. En effet, après avoir d’abord dit ; « Ainsi j’obéis moi-même par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché », il ajoute : « Il n’y a donc pas de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ». Puis, comme on pouvait objecter que beaucoup pèchent même après le baptême, il se hâte d’aborder ce point. Et il ne dit pas simplement : « A ceux qui sont en. « Jésus-Christ » ; mais : « A ceux qui ne marchent pas selon la chair », indiquant par là que tout le mal qui se fait est l’effet de notre lâcheté ; car il est possible maintenant de ne pas marcher selon la chair, mais alors c’était difficile. Il donne encore une autre preuve dans ce qui suit, quand il dit : « Car la loi de l’esprit de vie qui est dans le Christ Jésus m’a délivré… (2) » : donnant ici à l’esprit le nom de loi de l’Esprit : Comme il a appelé le péché loi de péché, ainsi il appelle l’esprit loi de l’Esprit. Or, il a aussi donné ce nom à la loi de Moïse, en disant : « Nous savons en effet que la loi est spirituelle ». Où est donc la différence ? Elle est grande, elle est immense : l’une était spirituelle, et l’autre est la loi de l’Esprit. Et en quoi consiste cette différence ? C’est que la première a été simplement donnée par l’Esprit, et que la seconde donne abondamment l’Esprit à ceux qui la reçoivent. Aussi l’appelle-t-il loi de vie, par opposition non à la loi mosaïque, mais à la loi du péché. En effet quand il dit : « M’a délivré de la loi du péché et de la mort », il n’entend point parler de la loi de Moïse, vu que nulle part il ne l’a appelée loi de péché ; et comment pourrait-il lui donner ce nom, puisqu’il l’a déclarée juste, sainte, destructive du péché ? Celle qu’il désigne est donc celle qui combat la loi de l’Esprit. C’est la grâce de l’Esprit qui a mis fin à cette guerre terrible, en tuant le péché, en nous rendant le combat facile, en nous couronnant d’abord, et en nous provoquant à la lutte par des secours abondants.
Et ce qu’il fait toujours, eu passant du Fils à l’Esprit, de l’Esprit au Fils et au Père, et en attribuant tout ce que nous avons à la Trinité, il le fait encore ici. Car, après avoir dit : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » il a montré que c’est le Père par le Fils, puis l’Esprit-Saint avec le Fils : « Car », dit-il, « la loi de l’Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus, m’a affranchi » ; puis le Père et le Fils : « Car », dit-il encore, « ce qui était impossible à la loi, parce qu’elle était affaiblie par la chair, Dieu, envoyant son Fils dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair à cause du péché même (3) ». Une fois encore, il semble accuser la loi ; mais, si on y fait attention, il en fait un grand éloge, en montrant qu’elle est d’accord avec le Christ et impose les mêmes commandements. Il ne dit pas : Ce qui était mauvais dans la loi, mais : « Ce qui était impossible sous la, loi » ; et encore : «. Parce qu’elle était affaiblie », mais non : Parce qu’elle faisait le mal, ni. Parce qu’elle tendait des pièges. Encore ce n’est pas même à elle qu’il impute sa faiblesse, mais à la chair, disant : « Parce qu’elle était affaiblie par la chair » ; et par chair ici il n’entend point la substance même et le sujet, mais le sens trop charnel ; ainsi il justifie de toute accusation et le corps et la loi ; non seulement par ce qu’il vient de dire, mais encore par ce qui suit.
5. En effet, si la loi était contraire, comment le Christ serait-il venu à son aide, aurait-il complété sa justification, lui aurait-il tendu la main, en condamnant le péché dans la chair ? C’était tout ce qui restait à faire, puisque depuis longtemps la loi condamnait le péché dans l’âme. Quoi donc ? La loi a-t-elle fait le principal, et le Fils unique de Dieu l’accessoire ? Nullement. Ce principal, Dieu l’avait fait avant tout, en donnant la loi naturelle, et en y ajoutant la loi écrite ; mais, du reste, il eût été inutile, si l’accessoire n’était venu s’y joindre. Car à quoi sert de connaître ses devoirs, si on ne les remplit pas ? À rien, la condamnation n’en est que plus forte. Celui donc qui a sauvé l’âme est précisément celui qui a refréné la chair. Enseigner est facile ; mais montrer le chemin par où tout devient facile ; voilà le merveilleux. C’est pour cela que le Fils unique est venu, et il ne s’en est pas allé avant de nous avoir dégagés de cette difficulté. Et ce qu’il y a de plus grand encore, c’est la manière dont il a remporté la victoire ; car il n’a pas pris d’autre chair que celle que les maux accablaient ; comme si quelqu’un voyant une femme de vile condition, une vagabonde, maltraitée sur une place publique, se déclarait son fils, étant lui-même fils du roi, afin de l’arracher ainsi aux mains de ceux qui l’outragent. C’est ce que le Christ a fait, se déclarant fils de l’homme, prêtant secours à la chair, et condamnant le péché. Et le péché n’osa plus frapper la chair, ou plutôt il l’a frappée du coup de la mort ; mais par là même, a été condamné et détruit, non la chair qui avait reçu le coup, mais le péché qui l’a donné : chose prodigieuse entre toutes. Car si la victoire n’eût pas été remportée dans la chair, ce serait moins étonnant, puisque la loi en faisait autant ; mais la merveille c’est que le trophée ait été élevé avec la chair, et que celle qui avait reçu du péché d’innombrables blessures, ait elle-même remporté contre le péché une éclatante victoire.
Et voyez que de choses incroyables la première, c’est que le péché n’a pas vaincu la chair ; la seconde, c’est qu’il a été vaincu et vaincu par la chair ; car ce n’est pas la même chose de n’être pas vaincu ou de vaincre celui dont on a toujours été vaincu. La troisième, c’est que non seulement la chair a vaincu, mais qu’elle a, infligé un châtiment ; car, n’ayant ; pas péché, le Christ n’a pas été vaincu ; et en mourant il a vaincu et condamné le péché, en lui rendant terrible la chair qui lui avait, paru jusque-là méprisable. Il a donc ainsi détruit sa puissance et aussi la mort qui était venue à sa suite. En effet, tant que le péché avait rencontré des coupables, il avait eu le droit de leur donner la mort ; mais ayant trouvé un corps innocent et l’ayant aussi livré à la mort, il a été condamné comme coupable d’injustice. Voyez-vous combien de victoires ? La chair n’a pas été vaincue par le péché ; elle l’a elle-même vaincu et condamné, et non simplement condamné, mais condamné comme coupable d’injustice : En effet, elle l’a d’abord convaincu d’injustice, puis elle l’a condamné, non seulement parsa force et par sa puissance, mais encore en vertu du droit. C’est ce que l’apôtre entend, en disant du péché : « Il a condamné le péché dans la chair », comme s’il disait : Il l’a convaincu d’une extrême injustice et l’a ensuite condamné. Voyez-vous que le péché est partout condamné, mais non la chair ; que la chair même est couronnée et qu’elle prononce la sentence contre le péché ? Que si l’apôtre nous dit que Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable,'n’allez pas vous imaginer que la chair de Jésus-Christ ait été autre que la nôtre : comme il avait parlé de chair de péché, il a dû se servir de cette expression : « Semblable ». Car le, Christ n’a pas une chair coupable ; il l’a eue semblable à notre chair coupable, de même nature qu’elle, mais impeccable. D’où il résulte clairement que la nature de la chair n’est pas mauvaise. Le Christ n’a point pris une autre chair que la chair primitive, il n’en a point changé la Substance pour la rendre capable de combattre le péché ; mais la laissant subsister dans sa nature propre, il lui a fait remporter la victoire contre le péché, et, après cette victoire, il l’a ressuscitée et rendue immortelle.
Mais, direz-vous, que m’importe que tout cela se soit passé date la chair du Christ ? Cela vous importe beaucoup ; car l’apôtre ajoute « Afin que la justification de la loi s’accomplît en nous, qui ne marchons point selon la chair (14) ». Qu’est-ce à dire, « La justification ? » Le terme, le but, le succès. Car que demandait la loi, que prescrivait-elle ? D’être sans péché. Or le Christ nous a obtenu cette faveur ; résister et vaincre, ç’a été son affaire ; profiter de sa victoire, voilà la nôtre. Désormais donc nous ne pécherons plus ; non, nous ne pécherons plus, à moins d’être absolument dénués de force et de courage. Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Nous qui ne marchons pas selon la chair ». Et de peur qu’en entendant dire que le Christ vous a délivré des assauts du péché, que la justification de la loi est accomplie en vous, que le péché a été condamné dans la chair, vous ne détruisiez toute l’économie de l’œuvre, l’apôtre, après avoir dit : « Il n’y a donc pas de condamnation », a ajouté : « Pour ceux qui ne marchent pas selon la chair ». Et ici, tout en disant : « Afin que la justification de la loi s’accomplisse en nous », il répète la même chose et dit même beaucoup plus. Car, après ces mots : « Qui ne marchons point selon la chair », il ajouté : « Mais selon l’Esprit » ; nous montrant par là qu’il faut non seulement s’abstenir du mal, mais aussi faire le bien. En effet, c’est au Christ de vous donner la couronne, mais c’est à vous de la conserver. Ce qui était le but de la loi, à savoir d’être exempt de la malédiction, le Christ vous l’a accordé.
6. Ne perdez donc pas un si grand bienfait ; mais conservez toujours ce précieux trésor. L’apôtre nous fait voir ici que le baptême ne suffit pas pour, le salut, si nous ne menons ensuite une vie digne d’un si grand don. Ce langage plaidé encore en faveur de la loi. Car dès que nous croyons au Christ, il faut tout faire, tout mettre en œuvre, pour que la justification qu’il a accomplie, persévère en nous et ne soit pas perdue. « En effet, ceux qui sont selon la chair goûtent les choses de la chair ; mais ceux qui sont selon l’esprit, ont le sentiment des choses de l’esprit. Or, la prudence de la chair est mort ; mais la prudence de l’esprit, est vie et paix. Parce que la sagesse de la chair est ennemie de Dieu ; car elle n’est point soumise à la loi de Dieu, et elle ne le peut (5-7) ». Ceci encore n’est point une calomnie contre la chair. Car, tant qu’elle garde son rang, il ne se fait rien de déplacé ; mais quand nous lui permettons tout ; quand, dépassant ses limites, elle se révolte contre l’âme alors elle perd tout, elle gâte tout, non par l’effet de sa propre nature, mais par son intempérance et le désordre qui en est la suite. « Mais ceux qui sont selon l’esprit, ont le sentiment des choses de l’esprit. Or, la prudence de la chair est mort ». Il ne dit pas : La nature de la chair ; ni : La substance du corps ; mais : « La prudence », qui peut se corriger et se détruire. Et s’il parle ainsi, ce n’est pas qu’il attribue à la chair une pensée propre : à Dieu ne plaise ! mais il veut désigner l’instinct de l’âme le plus grossier et lui donne le nom de la partie la plus imparfaite, comme souvent il appelle chair l’homme tout entier quoique doué d’une âme.
« Mais la prudence de l’esprit ». Ici il revient à l’âme spirituelle, comme plus bas, quand il dit : « Mais celui qui scrute les cœurs sait ce que désire l’esprit », et il fait voir que beaucoup de biens en résultent pour le présent, et pour l’avenir. En effet : la prudence spirituelle produit beaucoup plus de biens que la prudence charnelle ne cause de maux ; c’est ce que Paul indique en disant : « Vie et paix » ; l’un, par opposition à ce qu’il a dit : « La prudence de la chair est mort » ; l’autre, par opposition à ce qui suit, puisqu’après avoir dit : « Paix », il ajoute : « Parce que la prudence de la chair est ennemie de Dieu », ce qui est encore pire que la mort. Puis, pour prouver qu’il y a mort et inimitié de Dieu, il ajoute : « Car elle n’est point soumise à la loi de Dieu et ne peut l’être ». Toutefois ne vous troublez pas en entendant dire « Qu’elle ne le peut » ; c’est une difficulté qui se résout aisément. Par prudence de la chair il entend ici la pensée terrestre, la pensée grossière, qui soupire après les jouissances de la vie et les mauvaises actions : celle-là, il déclare qu’elle ne peut être soumise à Dieu. Quelle espérance de salut reste-t-il donc, si le méchant ne peut devenir bon ? Ce n’est point là ce qu’il dit autrement, comment Paul le serait-il devenu ? Et le larron ? Et Manassès ? Et les Ninivites ? Comment David s’est-il relevé après sa chute ? Comment Pierre, après avoir renié son Maître, est-il rentré en lui-même ? Comment le fornicateur a-t-il été reçu dans le troupeau du Christ ? Comment les Galates, qui avaient perdu la grâce, ont-ils recouvré leur première noblesse ? Paul ne dit donc pas que le méchant ne peut devenir bon, mais qu’en restant méchant il ne peut être soumis à Dieu ; une fois changé, il lui est facile de devenir bon et d’être soumis. Il ne dit pas en effet que l’homme ne peut pas être soumis à Dieu, mais qu’une mauvaise action ne saurait être bonne ; comme s’il disait : La fornication ne peut être la chasteté, ni le vice la vertu. Le Christ dit aussi dans l’Évangile : « Un arbre mauvais ne peut produire de bons fruits » (Mt. 7,18) ; n’empêchant point le passage du vice à la vertu, mais déclarant que celui qui persévère dans le mal ne peut produire dé bons fruits. En effet, il ne dit pas : Un arbre mauvais ne peut devenir bon ; mais seulement : En demeurant mauvais il ne peut produire de bons fruits. Du reste, qu’un changement soit possible, il le fait voir ici par cette autre parabole, où il parle de la zizanie devenue froment.
Aussi défend-il de l’arracher : « De peur », dit-il, « que vous n’arrachiez aussi le froment avec elle » (Mt. 13,29) ; c’est-à-dire, le froment qui en doit sortir. Paul appelle la malice, prudence de la chair ; et prudence de l’esprit ; la grâce qui a été donnée et l’énergie qui se manifeste par la bonne volonté ; il ne parle nullement de nature et de substance, mais de vertu et de vice. Ce que vous n’avez pas pu sous la loi, nous dit-il, vous le pouvez maintenant : marcher droit et sans trébucher, pourvu que vous obteniez le secours de l’Esprit. Car il ne suffit pas de ne pas marcher selon la chair, mais il faut marcher selon l’esprit ; puisqu’il ne suffit pas pour le salut d’éviter le mal, mais qu’il faut encore faire le bien. Or il en sera ainsi, si nous livrons notre âme à l’Esprit, et si nous persuadons à la chair de rester à sa place. Par là nous la rendrons spirituelle ; comme, parla lâcheté, nous rendrons notre âme charnelle.
7. Or, comme le don n’est pas imposé par la nature, mais qu’il est le produit de la libre volonté, il dépend de vous de choisir l’un ou l’autre. Tout ce qui vient de lui est parfait ; car le péché ne combat plus la loi de notre esprit, il ne la captive plus comme auparavant ; c’est est fait, tout est détruit, les passions craintives et tremblantes redoutent la grâce de l’Esprit. Mais si vous éteignez la lumière, si vous jetez le clicher en bas de son siège, si vous chassez le pilote, ne vous en prenez qu’à vous de la tempête. De ce que la vertu est maintenant plus facile, de ce que la sagesse est plus solidement appuyée, apprenez quelle était la situation de l’homme sous l’empire de la loi, et quelle elle est maintenant, depuis que la grâce a brillé. Ce qu’on ne croyait alors possible pour personne, comme la virginité, le mépris de la mort, et tant d’autres sentiments généreux, se pratique aujourd’hui par toute la terre. Ce n’est pas seulement chez nous, mais chez les Scythes, chez les Thraces, chez les Indiens, chez les Perses, chez beaucoup d’autres peuples barbares, que les chœurs de vierges, les troupes de martyrs, les communautés de moines sont plus nombreux que les unions conjugales ; que les jeûnes y sont rigoureux, le détachement parfait : ce qu’aucun de ceux qui vivaient sous la loi, excepté un ou deux, n’eût osé imaginer même en songe. En voyant donc la réalité des faits plus éclatants que le son de la trompette, ne vous laissez point aller à la mollesse, ne trahissez pas une si grande grâce. Quand on a reçu la foi, il n’est plus possible de se sauver avec le relâchement. Si le combat est facile, c’est, pour que vous luttiez et remportiez la victoire ; et non pour que vous vous endormiez, pour que votre lâcheté s’autorise de la grandeur même du bienfait, et que vous vous replongiez dans l’ancien bourbier.
Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Mais ceux qui sont dans là chair ne peuvent plaire à Dieu (8) ». Quoi donc ? direz-vous ; nous tuerons notre corps pour plaire à Dieu ? Vous voulez que nous sortions de notre chair, que nous nous suicidions, pour nous conduire à la vertu ? Voyez-vous que d’absurdités s’ensuivraient, si nous prenions les expressions à la lettre ? Ici, par chair, l’apôtre n’entend pas le corps, ni la substance du corps, mais la vie charnelle et mondaine, livrée complètement à la volupté et à la débauche et qui transforme en chair l’homme tout entier. Car, de même que ceux à qui l’esprit donne des ailes, rendent leur corps spirituel ; ainsi ceux qui repoussent l’esprit et sont esclaves de leur ventre et de la volupté, transforment leur âme en chair, non pas en changeant sa substance, mais en détruisant sa noblesse. Souvent cette métaphore est employée même dans l’Ancien Testament, où le nom de chair désigne une vie grossière, fangeuse, plongée dans des voluptés coupables. Dieu dit à Noé : « Mon esprit ne demeurera pas dans ces hommes, parce qu’ils sont chair ». (Gen. 6,3) Pourtant Noé aussi était revêtu de chair ; mais là n’était point le crime, puisque c’est dans la nature ; le mal, c’était d’avoir embrassé la vie charnelle.
Aussi Paul dit-il : « Ceux qui vivent dans la chair ne peuvent plaire à Dieu », et il ajoute : « Pour vous, vous n’êtes point dans la chair, mais dans l’esprit… (9) » ; entendant ici non simplement la chair, mais la chair entraînée, tyrannisée par les passions. Mais, dira-t-on, pourquoi ne s’est-il pas exprimé ainsi et n’a-t-il pas fait1a différence ? Pour élever l’auditeur, et faire voir que celui qui vit bien n’est, pour ainsi parler, plus dans son corps. En effet, puisqu’il est évident pour tout le monde que celui qui est dans le péché n’est pas spirituel, l’apôtre établit quelque chose de plus, à savoir que l’homme spirituel non seulement n’est pas dans le péché, mais pas même dans la chair, et par là même est devenu un ange, s’élevant vers le ciel et portant, simplement une enveloppe de chair. Que si vous accusez là chair, parce que Paul donne son nom à la 'vie charnelle, vous accuserez aussi le monde, parce que souvent on désigne le vice sous son nom, comme quand le Christ dit à ses disciples : « Vous n’êtes point de ce monde » (Jn. 15,19) ; et encore, à ses frères : « Le monde ne peut pas vous haïr ; pour moi il me hait ». (Id. 7,7) Et il faudra dire aussi que l’âme est étrangère à Dieu, parce que Paul a appelé animaux ceux qui vivent dans l’égarement. Non, non, il n’en est pas ainsi. Ce n’est pas simplement aux expressions qu’il faut s’en tenir, mais à l’intention de celui qui parle ; il faut saisir exactement la différence des termes. Il y a des choses bonnes, des choses mauvaises et des choses indifférentes ; au nombre de ces dernières sont l’âme et le corps, qui peuvent devenir bons ou mauvais ; mais l’esprit est toujours bon et ne peut jamais cesser de l’être. D’un autre côté, la prudence de la chair, c’est-à-dire, une action mauvaise, est toujours mauvaise : car elle n’est point soumise à la loi de Dieu. Si donc vous livrez votre âme et votre corps au bien, vous partagerez le sort du bien, si vous les livrez au mal, vous aurez part à sa ruine, non par la nature de l’âme et de la chair, mais à raison de votre propre volonté qui était libre de choisir l’un ou l’autre. Qu’il en est ainsi, et que Paul n’a point calomnié la chair, nous en aurons une, preuve plus sensible, en reprenant le texte : « Pour vous, vous n’êtes point dans la chair, mais dans l’esprit ».
8. Quoi donc ! Ils n’étaient point dans la chair ? Ils marchaient sans corps ? Est-ce possible ? Voyez-vous que l’apôtre fait ici allusion à la vie charnelle ? Et pourquoi n’a-t-il pas dit : Vous n’êtes pas dans le péché ? Pour vous apprendre que le Christ a non seulement détruit la tyrannie du péché, mais aussi rendu l’âme plus légère et plus spirituelle, non en changeant sa nature, mais plutôt en lui donnant des ailes. Comme le fer, au milieu du feu, devient feu, tout en gardant sa nature propre ; ainsi la chair des fidèles et de ceux qui ont l’esprit, prend l’énergie même de l’esprit et devient toute spirituelle, étant entièrement crucifiée et s’élevant comme l’âme, sur des ailes. Tel était le corps de celui qui tenait ce langage. Aussi prenait-il en pitié toutes les voluptés et toutes les délices ; il mettait son bonheur dans la faim, dans la flagellation, dans la captivité, et n’en ressentait aucune souffrance. C’était ce qu’il entendait quand il disait : « Nos courtes et légères tribulations ». (2Cor. 4,17) Il avait si bien maté sa chair qu’elle allait du même pas que l’esprit. « Si toutefois l’Esprit de Dieu habite en vous ». Souvent ce terme de « Si toutefois », n’est pas chez lui une expression de doute, mais de foi ferme, et signifie « Puisque » ; comme quand il dit : « Si toutefois il est juste devant Dieu qu’il rende l’affliction à ceux qui vous affligent » (2Thes. 1,6) ; et encore : « Vous avez tant souffert en vain, si toutefois c’est en vain ». (Gal. 6,4) « Or, si quelqu’un n’a pas l’esprit du Christ, celui-là n’est point à lui ». Il ne dit pas : Si vous n’avez pas, mais transporte sur d’autres une supposition pénible.
« Mais si le Christ est en vous… (10) ». De nouveau il suppose que le Christ est en eux. Ce qui pouvait attrister, il l’a dit brièvement et au milieu de son discours ; mais ce qui réjouit, il l’a dit avant et après et dans beaucoup de paroles, ale manière à tenir le reste dans l’ombre. Non qu’il confonde le Christ avec l’esprit : bien loin de là ; mais il montre que celui qui a l’esprit, non seulement est dit appartenir au Christ, mais le possède lui-même. Car il n’est pas possible que le Christ ne soit pas là où est l’esprit. En effet, là où est une, seule personne de là Trinité, se trouve la Trinité tout entière, vu qu’elle est indivisible en elle-même et forme une unité parfaite : Et qu’arrivera-t-il, si le Christ est en vous ? « Le corps, il est vrai, est mort à cause du péché ; mais l’esprit est vie par la justice ». Voyez-vous combien de maux résultent de l’absence du Saint-Esprit : la mort, la haine de Dieu, l’impossibilité d’obéir à ses lois, ne point appartenir au Christ comme on le doit, ne pas le posséder au dedans de soi ? Voyez au contraire que de biens découlent de la présence de l’esprit : appartenir au Christ, le posséder lui-même, être l’égal des anges, c’est-à-dire, avoir mortifié sa chair, vivre de la vie immortelle, posséder un gage de la résurrection, courir sans obstacle dans la voie de la vertu. Il ne dit pas que le corps cesse de pécher, mais qu’il est mort, pour indiquer une plus grande facilité à 'courir. Et on est enfin couronné sans combats et sans, peines. Voilà pourquoi il ajoute : « Au péché », pour vous apprendre que le Christ a détruit une fois la malice, mais non tir nature du corps. Si en effet le corps était détruit, beaucoup de choses qui peuvent être utiles à l’âme, disparaîtraient. Ce n’est point là ce que dit l’apôtre, mais bien que le corps vivant et subsistant doit être mort. Car c’est là le signe que nous possédons le Fils, que l’Esprit habite en nous, lorsque nos corps ne diffèrent point, quant à leur action propre, de ceux qui sont couchés dans le cercueil. Cependant ne vous épouvantez pas en entendant parler de mortification : car vous avez une vie qu’aucune mort ne peut atteindre. Telle est la vie de l’esprit ; elle ne cède plus à la mort, mais elle l’absorbe et la consume, et rend immortel tout ce qui la reçoit. Aussi après avoir dit que le corps est mort, il n’ajoute pas : L’esprit est vivant, mais : « Est vie », pour montrer qu’il peut aussi procurer la vie à d’autres.
Puis, serrant de près l’auditeur, il dit quel est le principe de la vie et quelle en est la preuve : c’est la justice. En effet, une fois le péché détruit, la mort disparaît ; et la mort disparaissant, la vie est indestructible. « Que si l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité le Seigneur, vivifiera aussi vos « corps mortels, par son esprit qui habite en vous (11) ». Il revient encore à la résurrection, percé que cette espérance tenait surtout l’auditeur en haleine et l’affermissait par la pensée de ce qui est arrivé au Christ. Ne vous effrayez – pas, leur dit-il, d’être revêtu d’un corps mortel ; ayez l’esprit, et ce corps ressuscitera certainement. Quoi donc ! Est-ce que les corps qui n’ont pas l’esprit ne ressusciteront pas ? Comment donc tous les hommes doivent-ils paraître devant le tribunal du Christ ? Comment croire alors à tout ce qu’on dit de l’enfer ? Si ceux qui n’ont pas l’esprit ne ressusciteront pas, il n’y aura point d’enfer. Que signifient donc ces paroles ? Tous ressusciteront mais non pas tous pour la vie ; les uns pour le châtiment, les autres pour la vie. Aussi l’apôtre ne dit-il pas : Ressuscitera, mais : « Vivifiera » : ce qui est plus que de ressusciter et n’est réservé qu’aux justes. Puis, pour donner la raison d’un si grand honneur, il ajoute : « Par son esprit qui habite en vous ». En sorte que si, étant sur la terre, vous repoussez la grâce de l’esprit, que vous ne la possédiez pas saine et sauve au moment du départ, vous serez perdre sans ressource, quoique vous ressuscitiez. De même que si le Christ voit briller en vous son esprit, il ne souffrira pas que vous soyez livré au supplice ; ainsi, s’il le voit éteint, il ne permettra pas que vous entriez, dans la chambre nuptiale, non plus que les vierges folles. Ne laissez donc pas vivre votre corps maintenant, afin qu’il vive alors ; faites-le mourir, pour qu’il ne meure pas ; s’il continue à vivre, il ne vivra pas ; s’il meurt, il vivra. Il en sera ainsi dans la résurrection universelle ; il faut d’abord que le corps meure et soit enseveli, puis qu’il devienne immortel. C’est aussi ce qui a eu lieu dans le baptême : le corps y a d’abord été crucifié et enseveli, puis il est ressuscité. Ainsi en a-t-il été du corps du Seigneur : il a été crucifié, puis enseveli, et il est ressuscité.
9. Faisons-en autant : mortifions sans cesse notre corps dans nos actions. Je ne parle pas ici de sa substance, à Dieu ne plaise ! mais de ses penchants aux actions coupables. Ne rien supporter d’humain en soi, n’être point l’esclave des voluptés ; là, et là seulement est la vie. Du reste celui qui se soumet à leur joug, ne peut même plus vivre, à raison des chagrins, des craintes, des périls, des maux sans nombre qu’elles engendrent. Dans l’attente de la mort ; il meurt de peur, avant de mourir ; dans la prévision de la maladie, des injures, de la pauvreté, de quelque autre malheur inopiné, il dépérit, il se consume. Qu’y a-t-il de plus misérable qu’une telle vie ? Il n’en est pas ainsi de celui qui vit par l’esprit ; il est au-dessus de la crainte, du chagrin, des périls, de toute espèce de revers, non parce qu’il ne les éprouve pas, mais, ce qui est bien mieux, parce qu’il méprise leurs assauts. Mais comment cela peut-il être ? Si l’esprit habite toujours en nous. Car l’apôtre n’entend pas parler d’un passage, rapide, mais d’un séjour perpétuel. Aussi ne dit-il pas : Qui a habité, mais : « Qui habite », pour indiquer une demeure permanente. Ainsi celui qui est mort à cette vie est donc le plus rivant. C’est pourquoi Paul dit : « L’esprit est vie par la justice ».
Pour rendre cela plus sensible, supposons deux hommes, dont l’un est livré aux folles dépenses, aux plaisirs, aux séductions de la vie ; et l’autre y est mort, et voyons quel est celui qui vit le plus. Que de ces deux hommes, l’un très-riche, illustre, nourrissant des parasites et des flatteurs, passe toutes ses journées dans les jeux et la débauche ; que l’autre, en proie à la faim, aux privations, à toutes les nécessités de la vie, soit sage, ne prenne que le soir la nourriture strictement nécessaire, ou même, si vous le voulez, passe deux et trois jours sans manger : lequel des deux nous semble le plus vivre ? Je sais que le plus grand nombre répondront que c’est le premier, celui qui danse et dissipe son bien ; mais nous, nous pensons que c’est celui qui garde les bornes de la modération. Mais puisqu’il y a ici matière à débat et à discussion, entrons chez l’un et l’autre, au moment précis où le riche vous semble surtout vivre, dans l’instant même où il se livre aux plaisirs ; entrons, dis-je, et voyons où ils en sont tous les deux : car c’est par les faits qu’on juge d’un vivant et d’un mort. Nous trouverons donc l’un au milieu des livres, ou vaquant à la prière et au jeûne, ou appliqué à quelque autre œuvre nécessaire, veillant dans la sobriété, et conversant avec Dieu ; et nous verrons l’autre plongé dans l’ivresse, et dans un état semblable à celui d’un mort ; et si nous attendons jusqu’au soir, nous verrons la mort l’envahir encore davantage, jusqu’à ce que le sommeil lui succède ; tandis que le premier passera la nuit dans la sobriété et les veilles. Lequel donc appellerons-nous vivant ; de celui qui est étendu insensible, et objet de dérision pour tout le monde, ou de celui qui est plein de vigueur et s’entretient avec Dieu ?
Si vous vous approchez de l’un et que vous soyez obligé de lui parler, il ne vous répondra pas plus que s’il était mort ; si vous allez trouver l’autre, soit de jour, soit de nuit, vous verrez un ange plutôt qu’un homme, appliqué aux choses du ciel. Voyez-vous donc que l’un est le plus vivant des vivants, et que l’autre est dans un état plus pitoyable que les morts ? Que si on le voit agir, il prend un objet pour un autre, il ressemble aux insensés, il est même plus misérable qu’eux. Si en effet quelqu’un insulte ceux-ci, nous avons tous pitié d’eux et nous blâmons l’auteur de l’outrage ; si au contraire nous voyons quelqu’un injurier celui-là, non seulement nous n’éprouvons aucun sentiment de compassion, mais nous le condamnons pour être en pareil état. Est-ce là vivre, dites-moi ? Cette vie n’est-elle pas pire que, mille morts ? Voyez-vous que non seulement l’homme livré aux plaisirs est mort, mais qu’il est dans un état pire que la mort, qu’il est plus misérable que le possédé du démon ? Car celui-ci excite la pitié, et lui l’aversion ; l’un rencontre l’indulgence, et l’autre est puni de sa maladie. Et s’il est ridicule extérieurement, quand il laisse tomber une bave puante, et exhale une fétide odeur de vin, songez à l’état malheureux de son âme, ensevelie dans son corps comme dans un sépulcre. C’est absolument comme si on commandait à une servante barbare, laide, immonde, d’insulter et d’outrager en toute liberté une jeune fille parée, chaste, libre, de noble origine et belle : Voilà l’image de l’ivresse.
10. Quel homme sensé ne préférerait mille fois la mort à un seul jour ainsi passé ? Si le lendemain, au sortir d’une telle orgie, il semble être sage, il ne jouit pas encore des avantages de la tempérance, parce qu’il a devant les yeux le nuage soulevé par la tempête de l’ivresse. Accordons cependant qu’il est vraiment sain, quel profit en retire-t-il ? Sa sobriété ne sert qu’à lui mettre ses accusateurs sous les yeux. Dans sa honteuse situation il gagnait au moins de ne pas s’apercevoir qu’on se moquait de lui ; mais le lendemain, il n’a plus cette consolation, quand il s’aperçoit que ses domestiques murmurent, que sa femme est couverte de confusion, que ses amis le blâment, que ses ennemis le tournent en dérision. Quoi de plus misérable qu’une telle vie : être pendant le jour un objet de mépris, et retomber, le soir, dans les mêmes turpitudes ? Quoi encore ? Voulez-vous que – nous mettions en scène les avares ? C’est encore une autre ivresse, plus grave même que la première ; or si c’est une ivresse, c’est aussi une mort pire, puisque c’est une pire ivresse.
Il n’est pas en effet aussi terrible d’être ivre de vin, qu’ivre de cupidité ; car, là, la punition se borne à la souffrance, et tout se termine à l’insensibilité et à la ruine de celui qui s’enivre ; mais ici le mal passe à des milliers d’âmes et allume des guerres de tout genre. Comparons-les donc l’un à l’autre, et voyons-en quoi l’avare se rapproche de l’ivrogne, en quoi il le surpasse, et faisons aujourd’hui la part de chacun d’eux. Ne les mettons plus en comparaison avec ce bienheureux qui vit de l’Esprit, mais mettons-les en face l’un de l’autre et examinons-les. Mettons au milieu une table, ensanglantée de mille meurtres. Qu’ont-ils donc de commun et en quoi se ressemblent-ils ? Dans la nature même de leur maladie, l’apparence de l’ivresse diffère, puisque l’une est le produit du vin, et l’autre celui des richesses ; mais la maladie est la même : car tous les deux sont tourmentés d’un désir désordonné. Plus celui qui est ivre de vin avale dé coupes, plus il désire en boire ; plus celui – qui est avide de richesses en amasse, plus il attise le feu de la cupidité et augmente sa soif. En ce point ils se ressemblent ; mais, sous un autre rapport, l’avare va plus loin. Comment cela ? C’est que l’ivrogne souffre selon les lois de la nature : car le vin étant chaud et augmentant ainsi la sécheresse naturelle, procure la suif à ceux qui le boivent ; mais l’avare, pourquoi désire-t-il avoir plus ? Pourquoi, puisque plus il est riche, plus il est pauvre ? En vérité c’est un mal étrange, et qui tient de l’énigme. Mais voyons-les, s’il vous plaît, après l’ivresse ; ou plutôt, on ne peut jamais, voir l’avare après l’ivresse, puis qu’il est toujours ivre.
Prenons-les donc dans l’ivresse même, examinons lequel des deux est le plus ridicule, et faisons exactement leur portrait. Nous verrons l’homme ivre de vin déraisonner sur le soir, ouvrir les yeux et ne voir personne, aller çà et là sang but et au hasard, heurter les passants, vomir, se déchirer et se déshabiller honteusement ; et si sa femme est là, ou sa fille, ou sa servante, ou toute autre personne, on rira de lui à gorge déployée. Produisons maintenant l’avare. Ici, ce qui se passe n’est pas seulement visible, mais excite l’horreur, la plus vive indignation, et mérite mille fois la foudre ; voyons pourtant le côté ridicule. Aussi bien que l’autre, celui-ci méconnaît tout le monde, amis et ennemis ; il ouvre aussi les yeux et ne voit pas ; et comme le premier ne voit partout que du vin, lui ne voit partout que de l’argent. Ses vomissements sont bien plus pénibles. Ce n’est point de la nourriture qu’il rejette ; mais des paroles d’injure, d’outrage, de guerre, de mort, qui attirent sur sa tête la foudre du ciel ; comme le corps de l’ivrogne est livide et chancelant, ainsi est l’âme de l’avare. Bien plus, son corps même n’est point exempt de la maladie, il dépérit même davantage : car le souci, la colère, l’insomnie, le minent plus que le vin ne le ferait et le rongent en peu de temps. L’ivrogne peut du moins être sobre pendant la nuit ; mais l’avare est continuellement ivre, le jour et la nuit, qu’il veille ou qu’il dorme, subissant un châtiment plus grand que le prisonnier, que le malheureux condamné aux mines, ou tout autre plus misérable encore.
11. Est-ce donc là une vie, dites-moi ? N’est-ce pas plutôt la mort, et même quelque chose de plus pitoyable que quelle mort que ce soit ? Du moins la mort donne le repos au corps, le soustrait au ridicule, à l’indécence, au péché ; mais ces ivresses précipitent dans tous ces maux, bouchent les oreilles, crèvent les yeux, environnent l’esprit de ténèbres. Car l’avare ne peut entendre parler, ni parler lui-même que d’intérêts et d’intérêts d’intérêts, de profits odieux, de gains ignobles et vils ; aboyant comme un chien contre tout le monde ; haïssant et repoussant tout le monde, faisant sans raison la guerre à tout le monde, ennemi du pauvre, jaloux du riche, désagréable à tous. S’il a une femme, des enfants, des amis, il les regarde comme plus ennemis que des ennemis naturels, s’il n’a pas la liberté de gagner à tout prix, Quoi de pire qu’une pareille folie ? Quoi de plus misérable, puisque, n’ayant qu’un corps, ne servant qu’un ventre, il se crée à lui-même des rochers, des écueils cachés, des précipices, des fossés, des abîmes sans nombre ? Si on vous appelle aux charges publiques, vous vous enfuyez, de peur de la dépense ; mais en sacrifiant à Mammon, vous vous imposez un service bien plus pénible, et non seulement plus coûteux, mais encore plus dangereux ; car vous ne livrez pas seulement à ce tyran cruel de l’argent, des fatigues de corps, des tourments et des peines d’esprit, mais encore votre corps lui-même, pour tirer, misérable que vous êtes, quelque profit de ce barbare esclavage. Ne voyez-vous pas tous les jours ceux qu’on porte au tombeau ; comme ils s’en vont nus, dépouillés de tout, ne pouvant rien emporter de chez eux, mais abandonnant aux vers le linceul même qui les enveloppe ? Contemplez-les chaque jour, et peut-être votre maladie se guérira-t-elle, à moins que l’aspect de somptueuses funérailles n’augmente encore votre folie, car c’est un mal bien grave, c’est une maladie terrible. Voilà pourquoi à chaque réunion nous eu parlons, pourquoi nous en, rebattons si souvent vos oreilles, afin d’obtenir quelque chose à force d’instances.
Du reste ne contestez pas : ce n’est pas seulement au jour du jugement, mais déjà ici-bas que ce mal, si varié dans ses formes, attire de grands châtiments. Car, lorsque je parlerais des prisonniers condamnés à perpétuité, de l’homme cloué sur sa couche par une longue maladie, de celui qui lutte avec la faim, ou de tout autre infortuné, je ne nommerais personne qui souffre autant que les avares. Quoi de plus affreux en effet que de haïr tout le monde, et d’en être haï, de ne vivre en paix avec personne, de n’être jamais rassasié ; d’avoir toujours soif, de lutter continuellement avec la faim, et une faim plus terrible que la faim ordinaire, d’être accablé de soucis quotidiens, de n’être jamais dans son bon sens, d’être toujours dans l’agitation et dans le trouble ? Or les avares subissent ces tourments et bien d’autres encore ; car, même quand ils gagnent, serait-ce la fortune de tout le monde, ils n’en éprouvent aucune satisfaction, à cause du désir de gagner davantage ; et s’ils font une perte, ne serait-ce que d’une obole, ils s’estiment les plus malheureux des hommes, et s’imaginent avoir perdu la vie. Quelles paroles pourraient décrire ces souffrances ? Or, s’il en est ainsi dès ce monde, songez aux maux qui doivent suivre, à la perte du royaume ; aux supplices de l’enfer, aux chaînes éternelles, aux ténèbres extérieures, au ver empoisonneur, au grincement de dents, aux tourments, aux angoisses, aux fleuves de feu, aux fournaises qui ne s’éteignent jamais ; et recueillant tout cela et le comparant aux plaisirs que procurent les richesses, détruisez radicalement cette maladie, afin que, possédant la vraie richesse et délivré de cette affreuse pauvreté, vous obteniez les biens présents et à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, gloire soit rendue au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIV. modifier


AINSI, MES FRÈRES, NOUS NE SOMMES POINT REDEVABLES A LA CHAIR. CAR SI C’EST SELON LA CHAIR QUE VOUS VIVEZ, VOUS MOURREZ ; MAIS SI, PAR L’ESPRIT, VOUS MORTIFIEZ LES ŒUVRES DE LA CHAIR, VOUS VIVREZ. (VIII, 12, 13, JUSQU’À 27)

Analyse. modifier

  • 1. Il faut mortifier la chair, mais seulement dans ses inclinations mauvaises, et non dans ses fonctions utiles.
  • 2. L’Esprit de Dieu doit tout conduire en nous, l’âme et le corps, c’est à cette condition que nous devenons enfants de Dieu, non simplement comme les Juifs, mais d’une manière plus haute.
  • 3. Commencement de la prière des catéchumènes. – Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils, et c’est lui qui nous fait dire à Dieu : Notre Père. – Nous sommes donc les fils de Dieu, et non seulement ses fils, mais ses héritiers, et non seulement ses héritiers, mais les cohéritiers de Jésus-Christ.
  • 4. Cet héritage de la gloire future est tel que les peines de cette vie présente sont sans proportion avec lui.
  • 5. Cette gloire sera telle encore que toute la création soupire après elle de concert avec l’homme. – Car la création faite pour l’homme sera elle-même transformée et délivrée de l’asservissement à la corruption.
  • 6. Nous avons déjà reçu les prémices de cette gloire, les prémices de l’Esprit, comment le reste pourrait-il nous manquer ? – Vivons donc en espérance, attendons dans la patience. – L’espérance a pour objet, non ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas encore.
  • 7. A la patience qui est notre fait se joint le don de l’Esprit-Saint qui nous excite à l’espérance, et par elle adoucit nos peines. Ce n’est pas seulement dans les moments difficiles que la grâce nous assiste, c’est encore dans les circonstances ordinaires de la vie, par exemple elle nous apprend ce qu’il est utile que mous demandions à Dieu. – Explication de cette parole un peu obscure : Mais l’Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements inénarrables.
  • 8. Bonté de Dieu envers les hommes, démontrée par celle dont il a usé envers les Juifs.
  • 9-11. Longue et pathétique exhortation à la pratique de l’aumône.


1. Après avoir montré combien est grande la récompense de la vie spirituelle, qu’elle fait habiter le Christ en nous, qu’elle vivifie les corps morts, qu’elle donne des ailes pour s’élever vers le ciel, qu’elle rend plus facile le chemin de la vertu, il en déduit nécessairement un avertissement, et dit : Donc nous ne devons pas vivre selon la chair. Ce n’est cependant point ainsi qu’il s’exprime : son langage est plus vif et plus ferme : bous sommes redevables à l’Esprit ; car c’est là évidemment le sens de ces mots : « Nous ne sommes point redevables à la chair ». C’est ce qu’il démontre partout, en faisant voir que les dons de Dieu n’étaient point dus, mais sont de purs effets de la grâce ; et que ce que nous avons fait ensuite n’est point libéralité, mais simple dette. Car c’est là ce qu’il entend, quand il dit « Vous avez été achetés chèrement ; ne vous faites point esclaves des hommes ».(1Cor. 7,23) ; et : « Vous n’êtes plus à vous-mêmes ». (1Cor. 6,19). Ailleurs il s’exprime encore là-dessus en ces termes : « Parce que si un seul est mort pour tous, donc lotis sont morts ; « et le Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux ». (2Cor. 5,14-15) Ici il rend la même pensée par ces expressions : « Nous sommes redevables ». Après avoir dit : « Nous ne sommes point redevables à la chair », de peur que vous ne l’entendiez de la Rature même de la chair, il ne se fait point là-dessus, et ajoute : « Pour vivre selon la chair ». Au fait nous devons à la chair bien des choses : la nourriture, l’entretien, le repos, les remèdes dans ses maladies, le vêtement et mille autres soins encore. De peur donc que vous ne vous imaginiez que son intention est de supprimer ces devoirs, quand il dit : « Nous ne sommes point redevables à la chair », il interprète lui-même sa pensée en disant : « Pour vivre selon la chair ». Je retranche, nous dit-il, tous les soins qui conduisent au péché, mais je veux tout ce qui est nécessaire à l’entretien : et c’est ce qu’il exprime plus bas. En effet, après avoir dit qu’il ne faut point avoir souci de la chair, il ne s’en tient pas là, mais il ajoute : « Pour les passions », ce qui signifie encore ici Qu’on lui donne des soins, nous les lui devons : mais ne vivons pas selon la chair, c’est-à-dire, ne lui abandonnons pas l’empire sur notre vie. C’est à elle de suivre, et non de commander ; elle ne doit point régler notre vie, mais recevoir les lois de l’Esprit.
Après avoir fixé ce point, et prouvé que nous sommes redevables à l’Esprit, voulant montrer de quels bienfaits, il ne mentionne pas (et c’est ici surtout qu’il faut admirer sa prudence), il ne mentionnera, dis-je, les biens passés, mais les biens à venir. Pourtant les premiers en valaient bien la peine ; néanmoins il n’en dit rien, il ne rappelle point ces ineffables bienfaits, et ne parle que de l’avenir. C’est que d’ordinaire un bienfait passé fait moins d’impression sur la foule qu’un bien à venir et qu’un bien en expectative. Après avoir ainsi complété sa pensée, il lés attriste d’abord et les effraie, en leur rappelant les maux qu’engendre la vie selon la chair : « Car si c’est selon la chair que vous vivez, vous mourrez », faisant allusion à la mort éternelle, au châtiment et au supplice de l’enfer. Et même à y regarder de près, l’homme qui vit selon la chair est mort déjà dès cette vie, comme nous vous l’avons démontré dans le discours précédent. « Mais si, par l’esprit, vous mortifiez les œuvres de la chair, vous vivrez ». Voyez-vous qu’il ne parle pas de la nature du corps, mais des œuvres de la chair ? En effet, il ne dit pas : Si par l’esprit vous mortifiez la nature du corps, vous vivrez ; niais « Les œuvres » ; non pas même toutes les œuvres, mais les mauvaises, comme la suite le fait voir : Si vous faites cela, dit-il, vous vivrez. Et comment cela pourrait-il se faire, s’il s’agissait de tous les actes ? Car voir, entendre, marcher, sont des actions du corps, et si nous devions les mortifier, nous éteindrions en bous la vie jusqu’à nous rendre coupables d’homicide. Quelles sont donc les actions qu’il nous dit de mortifier ? Celles qui nous portent au mal, celles qui tendent au vice et qui ne peuvent se mortifier que par l’Esprit. Mortifier les autres ce serait vous suicider, ce qui n’est point permis ; mais celles-ci seulement doivent être mortifiées par l’Esprit : quand l’Esprit est là, tous les flots sont apaisés, les passions sont comprimées, plus rien ne se révolte en nous. Voyez-vous, ainsi que je le disais tout à l’heure, comme il nous excite par l’espoir des biens à venir, et montre que nous ne sommes pas seulement redevables pour les bienfaits passés ? La rémission des fautes passées, nous dit-il, n’est pas le seul bienfait de l’Esprit, mais il nous assure encore la possession des biens futurs et nous rend dignes de la vie éternelle. Il y ajoute encore une autre récompense, en disant : « Car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. (4) ».
2. Cette nouvelle couronne est bien plus précieuse que la première. Aussi ne dit-il pas simplement : Ceux qui vivent par l’Esprit de Dieu, mais : « Ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu », indiquant ainsi que cet Esprit veut être le maître de notre vie, le pilote de la nacelle, le conducteur du char à deux chevaux. Car ce n’est pas seulement le corps, mais aussi l’âme que l’apôtre assujettit à ses rênes. Il ne veut point que l’âme agisse de sa propre autorité, mais il soumet ses facultés à la puissance de l’Esprit. Et de peur que, se fiant à la grâce du baptême, on ne se néglige dans sa conduite, il affirme que, si étant baptisé, vous ne vous laissez point conduire par l’Esprit, vous perdez la dignité dont vous étiez honoré et le privilège de l’adoption. Aussi ne dit-il point : Ceux qui ont reçu l’Esprit, mais : « Ceux qui sont conduits par l’Esprit ». C’est-à-dire, ceux qui sont ainsi gouvernés pendant toute leur vie, ceux-là sont fils de Dieu. Puis, comme cette dignité avait été accordée aux Juifs, (car il est écrit : « J’ai dit : Vous êtes des dieux et tous fils du Très-Haut. » (Ps. 71) ; et encore : « J’ai engendré des fils et je les ai élevés » (Ps. 2) ; et encore : « Israël mon premier-né » (Ex. 4,22) ; et dans Paul lui-même : « Auxquels appartient l’adoption » (Rom. 9,4) ; il démontre quelle grande différence, il y a entre ces deux honneurs. Si les noms sont les mêmes, nous dit-il, il n’en est pas ainsi des choses. Et il en donne la démonstration, en établissant une comparaison entre les justes, entre les dons eux-mêmes, et en parlant de l’avenir ; et d’abord il rappelle ce qu’on leur avait donné. Qu’était-ce donc ? L’esprit de servitude ; c’est pourquoi il ajoute : « Aussi vous n’avez point reçu de nouveau l’esprit de servitude qui inspire la crainte ». Puis, sans parler de ce qui est opposé à l’esprit de servitude, c’est-à-dire de l’esprit de liberté, il exprime quelque chose de bien préférable : « L’Esprit d’adoption », qui donnait aussi la liberté : « Mais vous avez reçu l’esprit d’adoption des fils ». Voilà qui est évident ; mais qu’est-ce que l’esprit de servitude ? Ceci n’est pas aussi clair. Il est donc nécessaire de l’expliquer : car ce n’est pas seulement une obscurité, mais une grande difficulté.
En effet, le peuple juif n’avait point reçu l’Esprit ; que veut donc dire l’apôtre ? Il donne ce nom à la lettre parce qu’elle était spirituelle, comme il l’a donné à la loi, à l’eau qui sortit du rocher, à la manne. Il a dit en effet : « Ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et ils ont bu le même breuvage spirituel ». (1Cor. 10,3-4) Il en a dit autant de la pierre : « Car ils buvaient de la pierre spirituelle qui les suivait ». (Id) Comme tout cela était au-dessus de la nature, il lui donnait le nom de spirituel, mais non parce que ceux qui y participaient avaient reçu l’Esprit. Et comment la lettre était-elle une lettre de servitude ? Passez en revue toutes leurs institutions, et vous le verrez clairement. Le châtiment leur venait immédiatement, la récompense ne se faisait point attendre ; réglée dans sa mesure et comparable au salaire quotidien d’un domestique ; de tous côtés ils avaient devant les yeux des sujets de crainte, des purifications corporelles, une modération qui ne s’étendait qu’aux actes.
Chez nous il n’en est pas de même : car l’esprit et la conscience doivent être purs. En effet le Christ ne nous dit pas : Tu ne tueras point, mais : Tu ne te mettras point en colère ; il ne dit pas : Tu ne commettras point l’adultère, mais : Tu ne jetteras point de regard impudique ; afin que la vertu et les bonnes œuvres ne soient plus le résultat de la crainte, mais les fruits de notre amour pour lui. Il ne nous promet plus une terre où coulent des ruisseaux de miel et de lait, mais que nous serons les cohéritiers de son Fils unique : pour nous détacher entièrement des biens présents, il nous en promet qui seront vraiment dignes d’enfants de Dieu, où il n’y aura plus rien de sensible ni de corporel, mais où tout sera spirituel. En sorte que si les Juifs avaient le nom de fils, ils étaient pourtant esclaves ; tandis que, devenus libres, nous avons reçu l’adoption et nous attendons le ciel ; à eux, Dieu parlait par d’autres ; à nous, il parle par lui-même ; ils n’agissaient que par un motif de crainte, tandis que les spirituels agissent par le désir et par l’amour, comme ils le font assez voir en dépassant les préceptes. Les Juifs, comme des mercenaires et des ingrats, ne cessaient jamais de murmurer ; les spirituels ne cherchent que le bon plaisir du Père ; les Juifs, une fois les bienfaits reçus, blasphémaient ; nous, nous rendons grâces même au sein des périls. S’il s’agit de la punition des pécheurs, la différence est grande encore. Nous ne nous convertissons point comme eux, par crainte d’être lapidés, brûlés, mutilés par les prêtres ; il suffit que nous soyons exclus de la table paternelle et condamnés à une absence d’un nombre de jours déterminés. Chez les Juifs, l’adoption était un titre purement honorifique ; chez nous les effets suivent, la purification parle baptême, le don de l’Esprit, tous les autres biens en abondance. Il y aurait bien d’autres choses à dire pour montrer la noblesse de notre condition et la bassesse de la leur ; l’apôtre se contente de les indiquer par ces mots d’esprit, de crainte, d’adoption ; puis il passe à une autre preuve, pour démontrer que nous avons l’esprit d’adoption. Quelle est cette preuve ? « Dans lequel nous crions : Abba, le Père (15) ».
3. Or, ce que cela vaut, les initiés le savent, eux qui reçoivent l’ordre de prononcer ce mot pour la première fois dans la prière mystique. Mais quoi ! direz-vous, est-ce que les Juifs ne donnaient pas aussi à Dieu le noie de Père ? N’entendez-vous pas Moïse dire : « Tu as abandonné le Dieu qui t’a engendré ? » (Deut. 32,18) N’entendez-vous pas Malachie dire en forme de reproche : « Un seul Dieu nous a créés, nous n’avons tous qu’un Père ? » (Mal. 2,10) Malgré ces textes et bien d’autres encore, nous ne voyons nulle part que les Juifs appelassent Dieu leur père et l’invoquassent sous ce nom. Et nous tous, prêtres et simples fidèles, princes et sujets, nous avons ordre de prier ainsi. Ce mot, nous l’avons prononcé pour la première fois après l’enfantement merveilleux, après cette naissance étonnante et extraordinaire. D’ailleurs, si les Juifs appelaient ainsi Dieu, ce n’était point par une inspiration propre ; tandis que ceux qui vivent sous la loi de grâce, le font par le mouvement et l’action de l’esprit. Car, comme il y a un, esprit de sagesse, par lequel les insensés deviennent sages, ainsi que l’enseignement le fait voir ; un esprit de force, par lequel les faibles ressuscitaient les morts et chassaient les démons ; un esprit de grâce de guérisons, un esprit de prophétie, un esprit de langues ainsi il y a un esprit d’adoption. Et comme nous reconnaissons l’esprit de prophétie, lorsque celui qui le possède prédit l’avenir, non par son inspiration personnelle, mais par le mouvement de la grâce ; ainsi reconnaissons-nous l’esprit d’adoption quand celui qui l’a reçu donne à Dieu le nom de Père, mû en cela par l’Esprit. Et voulant montrer que c’est bien d’enfants légitimes qu’il s’agit, l’apôtre emploie la langue hébraïque. En effet, il ne dit pas seulement : « Père », mais : « Abba, le père » : expression que les enfants légitimes emploient à l’égard de leur père.
Quand il a ainsi donné la différence d’après les institutions, la grâce accordée, la liberté, il produit encore une autre preuve de l’excellence de cette adoption. Qu’elle est cette preuve ?
« L’Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit, que nous sommet enfants de Dieu (16) ». Je ne m’appuie pas seulement sui ce mot, dit-il, mais sur la raison même de ce mot ; je dis tout cela sous l’inspiration même de l’Esprit. C’est ce qu’il explique ailleurs plus clairement en disant : « Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, criant : Abba, le Père ». (Gal. 4,6) Qu’est-ce que cela veut dire : « Rend témoignage à notre esprit ? » c’est-à-dire : Le Paraclet rend témoignage au don qui nous a été fait. Ce n’est pas seulement la voix du don, mais aussi celle du Paraclet qui nous a fait le don ; car c’est lui-même qui par sa grâce nous a appris à parler ainsi. Or, quand l’Esprit rend témoignage, quel moyen de douter ? Si c’était un homme, un ange, un archange, ou quelque autre puissance de ce genre, qui nous fît cette promesse, on aurait peut-être raison de se défier ; mais quand c’est la puissance suprême, celle qui nous a fait le don, qui nous rend témoignage par la prière même qu’elle nous ordonne de lui adresser, comment élever un doute sur notre dignité ? Si un roi élisait quelqu’un et proclamait devant tout le monde l’honneur qu’il lui fait, aucun de ses sujets n’oserait le contredire.
« Mais si nous sommes enfants, nous, sommes aussi héritiers (17) ». Voyez-vous comme il augmente le don peu à peu ? Car, comme on peut être enfant sans être héritier, (en effet tous les enfants ne sont pas héritiers), il a soin d’ajouter que nous sommes aussi héritiers. Or les Juifs, outre qu’ils n’ont point joui d’une telle adoption, ont été exclus de l’héritage. « Car il fera mourir misérablement ces misérables, et il donnera sa vigne à d’autres vignerons ». (Mt. 21,41) Auparavant le Christ avait déjà dit : « Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident et auront place avec Abraham ; tandis que les enfants du royaume seront jetés dehors ». (Id. 8,41, 12) Mais Paul ne s’arrête pas là ; il dit encore quelque chose de plus, savoir que nous sommes « Héritiers de Dieu » ; c’est pourquoi il ajoute : « Nous sommes aussi héritiers de Dieu » ; et non simplement héritiers, mais, ce qui est plus encore : « Cohéritiers du Christ ». Voyez-vous comme il s’efforce de nous amener jusqu’auprès du Seigneur ? Comme tous les enfants ne sont pas héritiers, il montre que nous sommes tout à la fois enfants et héritiers. Puis, comme tous les héritiers n’héritent lias de grands biens, il fait voir que les héritiers de Dieu possèdent cet avantage. Enfin, comme on peut être héritier de Dieu, et cependant n’être pas cohéritier du Fils unique, il déclare que cet honneur nous appartient encore. Et voyez sa sagesse quand il traite un sujet triste, qu’il parle du châtiment réservé à ceux qui vivent selon la chair, et dit, par exemple, qu’ils mourront, il est bref ; mais quand il aborde une question plus agréable, il s’étend, il devient prolixe, il entre dans le détail des récompenses et mentionne des dons aussi grands que variés. Si c’est une grâce ineffable d’être enfant, pensez ce que c’est que d’être héritier. Et si c’est une grande chose d’être héritier, c’est beaucoup plus encore d’être cohéritier. Puis, pour montrer que ce n’est pas seulement un don de la grâce, et pour rendre croyable ce qu’il vient de dire, il ajoute : « Pourvu que nous souffrions avec lui, afin d’être glorifiés avec lui ». C’est-à-dire, si nous avons partagé les tristesses, à bien plus forte raison aurons-nous part aux joies. Comment, en effet, celui qui nous a comblés de bienfaits quand nous n’avions rien mérité, ne nous en accorderait-il pas encore bien davantage, quand il nous aura vus travailler et tant souffrir ?
4. Après avoir donc montré qu’il y a ici rétribution et récompense, pour rendre croyable ce qu’il a dit et dissiper tous les doutes, il fait voir que cette rétribution a cependant le caractère de la grâce ; d’une part, son but est de faire accepter ce qu’il avance par ceux mêmes qui hésitent, et empêcher de rougir ceux qui ont reçu le don, comme s’ils étaient toujours sauvés gratuitement ; de l’autre, il veut nous apprendre que Dieu rétribue toujours le travail bien au-delà du mérite : Aussi, d’un côté il a dit : « Pourvu que nous souffrions avec lui, afin d’être glorifiés avec lui » ; et de l’autre, il ajoute : « Les souffrances du temps présent n’ont point de proportion avec la gloire future qui sera révélée en nous (18) ». Plus haut il demandait de l’homme spirituel la réforme de ses mœurs, en disant : Vous ne devez pas vivre selon la chair ; par exemple, il faut que celui qui est sujet à la concupiscence, à la colère, à l’amour des richesses, à la vaine gloire, triomphe de ces passions ; ici, après lui avoir rappelé le don tout entier, le passé et le futur ; l’avoir exalté par l’espérance ; l’avoir placé près du Christ, et déclaré cohéritier du Fils unique, il l’exhorte à prendre courage et l’appelle enfin aux dangers. Eu effet, ce n’est pas la même chose de surmonter nos passions ou de supporter les épreuves extérieures, la flagellation, la faim, l’exil, la prison, les chaînés, le supplice, car tout ceci demande une âme plus généreuse et plus ardente.
Et voyez comme il contient et exalte tout à la fois l’esprit des combattants ! Après avoir : montré que la rétribution sera plus grande que le travail, il exhorte plus vivement, mais ne souffre pas qu’on s’enorgueillisse, puisque les peines sont bien au-dessous des récompenses. Il a même dit ailleurs : « Car les tribulations si courtes et si légères de la vie présente produisent en nous le poids éternel d’une gloire sublime et incomparable ». (2Cor. 4,17) Là il parlait à des hommes plut sages ; ici, il ne veut pas que les tribulations soient légères, mais il console par l’espoir de la récompense future, en disant : « Pour moi, j’estime que les souffrances du temps présent n’ont point de proportion… » Il n’ajoute pas : Du repos futur, mais ce qui est beaucoup plus : « De la gloire future ». En effet, là où il y a repos, il n’y a pas nécessairement gloire ; mais là où il y a gloire, il y a certainement repos. Ensuite, tout en disant gloire future, il indique qu’elle est déjà présente, puisqu’il ne dit pas : De la gloire qui sera, mais : De la gloire future qui sera révélée en nous, c’est-à-dire qui existe déjà, quoique cachée ; ce qu’il exprime ailleurs plus clairement, quand il dit « Notre vie est cachée avec le Christ en Dieu ». (Col. 3,3) Comptez donc sur cette gloire ; car elle est déjà prête, elle attend votre travail. Que si le délai vous attriste, faites-vous-en, au contraire, un sujet de joie : c’est parce qu’elle est grande, ineffable, bien au-dessus de l’état présent, qu’on vous la tient en réserve pour l’autre vie. Car ce n’est pas sans raison que Paul dit : « Les souffrances du temps présent » ; c’est pour noirs faire voir que la gloire les surpasse, non seulement en qualité, mais aussi en quantité. En effet nos souffrances, quelles qu’elles puissent être, se terminent avec la vie présente ; mais les biens futurs s’étendent aux siècles infinis. Et comme il ne peut tout expliquer, tout dire en détail, il résume tout sous le nom de la gloire, la chose qui nous paraît la plus désirable : on la regarde en effet comme le sommaire, comme le comble de tous les biens.
Relevant encore son auditeur d’une autre manière, il parle pompeusement de la création, voulant établir deux points par ce qu’il va dire : le mépris des biens présents, le désir des biens à venir, et un troisième encore qui l’emporte sur les deux premiers : il veut prouver combien Dieu a à cœur les intérêts du genre humain, et en quel honneur il tient notre nature. Ensuite, au moyen de ce seul dogme, il détruit, comme des toiles d’araignée, comme de purs jeux d’enfants, tous les systèmes que les philosophes ont forgés sur ce monde. Mais pour mieux éclaircir ceci, écoutons-le parler : « Aussi la créature attend d’une vive attente la manifestation du Fils de Dieu. Car elle est assujettie à la vanité, non point volontairement, mais à cause de celui qui l’y a assujettie dans l’espérance (19, 20) ». C’est-à-dire : la créature éprouve de vives souffrances, dans l’attente des biens dont nous avons parlé, car le terme grec dont se sert l’apôtre[6] signifie une attente impatiente. Et pour rendre la figure plus vive, il personnifie le monde entier : comme faisaient aussi les prophètes, qui nous représentent les fleuves battant des mains, les rochers bondissant et les montagnes tressaillant d’allégresse, non pour nous faire croire que ce soient des êtres animés, ou capables de penser, mais pour nous faire comprendre l’excellence des biens, comme si les êtres inanimés eux-mêmes en sentaient le prix.
5. Ils en font souvent autant dans les sujets tristes, nous dépeignant la vigne versant des larmes, le vin ; les montagnes, les lambris du temple poussant des gémissements, afin de nous faire comprendre l’excès des maux. A leur exemple, l’apôtre personnifie ici la création, et nous dit qu’elle gémit, qu’elle enfante ; non qu’il ait entendu quelques gémissements sortir de la terre ou du ciel, mais pour nous indiquer l’étendue des biens à venir et nous faire soupirer après le terme des maux qui nous enchaînent. « Car la créature est assujettie à la vanité, non point volontairement ; mais à cause de celui qui l’y a assujettie ». Qu’est-ce que cela signifie : « La créature est assujettie à la vanité ? » C’est-à-dire : Elle est devenue corruptible. Pour qui et pourquoi ? À cause de vous, ô homme ! Dès que votre corps est devenu mortel et passible, la terre a été maudite et a produit des épines et des chardons. Or, que le ciel aussi, vieillissant comme la terre, doive subir une transformation en un état meilleur, écoutez-en la preuve tirée du ; prophète : « Au commencement, Seigneur, vous avez fondé la a terre, et les cieux sont les œuvres de vos a mains. Ils périront, mais vous subsisterez ; ils vieilliront tops comme un vêtement ; vous les replierez comme un manteau et ils seront changés ».(Ps. 101,26) Isaïe disait aussi dans le même sens : « Regardez le ciel en haut et la terre en bas ; le ciel a la solidité de la fumée, la terre vieillira comme un manteau, et ceux qui l’habitent périront a comme eux ». (Is. 51,6) Voyez-vous comment la créature est assujettie à la vanité, et comment elle est délivrée de la corruption ? En effet le prophète dit : « Vous les replierez comme un manteau et ils seront changés », et Isaïe : « Ceux qui l’habitent, périront comme eux ». Mais il ne veut point parler d’une destruction complète ; car les habitants de la terre, c’est-à-dire les hommes, ne subiront point une telle destruction, mais une destruction temporelle, et par laquelle ils passeront à l’incorruptibilité, aussi bien que la création. Le prophète désigne en effet tous les êtres créés en disant : « Comme eux » ; et c’est aussi ce que Paul dit plus bas. En attendant, il parle de cette servitude, montre pourquoi elle est telle et déclare que nous en sommes cause. Quoi donc ? Est-ce pour un autre que la création a subi ce dommage ? Nullement : car elle a été faite pour moi. Comment donc, si elle a été faite pour moi, a-t-elle été traitée injustement en souffrant pour mon amendement ? D’ailleurs il ne faut parler ni de juste ni d’injuste, à propos d’êtres inanimés et insensibles.
Mais Paul, après l’avoir personnifiée, ne donne aucune des raisons que je viens de dire ; c’est d’une autre façon qu’il se hâte de consoler L’auditeur. Et comment ? Que dites-vous là ? reprend-il. Elle a été maltraitée à cause de vous, et elle est devenue corruptible ? Mais on né lui a fait aucun tort ; car par vous elle redeviendra incorruptible ; c’est ce qu’indiquent ces expressions : « Dans l’espérance ». Et quand il dit : « Elle est assujettie, non point volontairement », il n’entend pas qu’elle soit capable de volonté ; il veut seulement vous apprendre que tout est le fruit de la providence du Christ, et non l’œuvre de la nature elle-même. Dites-moi : de quelle espérance parle-t-il ? « Parce que la créature elle-même sera aussi affranchie ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Elle-même aussi ? » Ce ne sera pas vous seulement qui jouirez de ces biens ; mais ce qui vous est inférieur, ce qui n’est point doué de raison ni de sentiment, les partagera aussi avec vous.
« Sera aussi affranchie de la servitude de la corruption » : c’est-à-dire ne sera plus corruptible, mais participera à la beauté de votre corps. Car, comme elle est devenue corruptible, dès que vous l’avez été vous-même ; ainsi, dès que vous serez incorruptible, elle vous accompagnera, elle vous suivra : c’est ce que l’apôtre indique par ces mots : « Pour passer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu (21) ». C’est-à-dire, à cause de la liberté. Il en est de la création, nous dit-il, comme d’une nourrice qui, ayant élevé le fils d’un roi, jouit de ses biens, quand il est parvenu au trône paternel. Voyez-vous partout l’homme au premier rang, et tout se faisant à cause de lui ? Voyez-vous comme Paul console celui qui combat, et fait voir l’infinie bonté de Dieu ? Pourquoi, nous dit-il, nous affliger des épreuves ? Vous souffrez pour vous, et la nature souffre à cause de vous. Il ne console pas seulement, mais il montre que ce qu’il a dit est digne de foi. Car si la créature, faite uniquement pour vous, espère, à bien plus forte raison devez-vous espérer, vous par qui elle doit jouir de ces biens. Ainsi, chez les hommes, quand un fils doit paraître revêtu de quelque dignité, le père donne à ses serviteurs des vêtements plus dignes, en l’honneur même de son fils : comme Dieu revêtira la nature d’incorruptibilité pour la faire passer à la liberté de la gloire de ses enfants. « Car nous savons que toutes les créatures gémissent et sont dans le travail de l’enfantement, jusqu’à cette heure (22) ».
6. Voyez-vous comme il fait rougir l’auditeur ? Par là il semble lui dire : Ne soyez pas au-dessous de la nature, ne vous attachez pas aux choses présentes, non seulement il ne faut pas s’y attacher, mais il faut gémir de ce que le départ est retardé. Car si la nature le fait, à bien plus forte raison devez-vous le faire, vous qui êtes doué de raison. Mais ce n’était point là un motif suffisant pour faire rougir : c’est pourquoi il ajoute : « Et non seulement elles, mais aussi nous-mêmes qui avons les prémices de l’Esprit ; oui, nous-mêmes nous gémissons au dedans de nous (23) » ; c’est-à-dire, nous qui avons déjà goûté les biens à venir. Un homme fût-il dur comme la pierre, les dons qu’il a reçus sont bien propres à exciter son ardeur, à le détacher du présent, à le faire voler au-devant des biens à venir, et cela pour deux motifs : et parce qu’il a déjà reçu de si grands bienfaits, et parce que les prémices sont si nombreuses et si considérables. Si en effet ces prémices sont déjà telles que, par elles, on soit délivré du péché, en possession de la justice et de la sanctification, que ceux de ce temps-là aient pu chasser les démons, ressusciter les morts par leur ombre et leurs vêtements ; songez à ce que sera le don dans son entier. Et si la nature, quoique privée d’intelligence et de raison, quoique ne sachant rien de tout cela, gémit cependant ; à bien plus forte raison nous-mêmes devons-nous gémir. Ensuite pour ne point donner prise aux hérétiques et n’avoir pas l’air de calomnier le présent, il dit : « Nous gémissons », non parce que nous accusons le présent, mais parce que nous soupirons pour de plus grands biens ; car c’est ce que signifient ces mots : « Attendant l’adoption ».
Que dites-vous donc, Paul, je vous prie ? vous ne cessez de redire et de crier que déjà nous sommes devenus fils de Dieu, et maintenant vous ne nous offrez plus cet avantage qu’en espérance, et vous écrivez qu’il faut l’attendre ? Pour corriger donc son expression, il ajoute : « La rédemption de notre corps », c’est-à-dire, la gloire complète. Maintenant nous sommes encore dans l’obscurité, en attendant notre dernier soupir : car beaucoup, qui étaient des enfants, sont devenus des chiens et des captifs. Si nous mourons dans cette douce espérance, alors le don sera immuable, plus évident, plus grand, et n’aura plus à craindre de changement de la part de la mort et du péché. Alors le bienfait sera solide, quand notre corps sera délivré de la mort et de ses mille souffrances. Car ce sera la rédemption, et non un simple affranchissement ; en sorte que nous ne pourrons plus retourner à notre ancien esclavage. Et pour que vous ne doutiez pas, quand vous entendez tant parler de gloire sans bien comprendre, il vous découvre l’avenir en partie, en transformant votre corps et avec lui toute la nature : ce qu’il exprime ailleurs plus clairement, en disant : « Qui réformera le corps de notre humilité en le conformant à son corps glorieux ». (Phil. 3,21) En un autre endroit il écrit encore : « Et quand ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, alors sera accomplie cette parole qui est écrite : La mort a été absorbée dans sa victoire ». (1Cor. 15,54) Et pour montrer que l’état des choses présentes disparaîtra avec la corruption du corps, il écrit encore ailleurs : « Car la figure de ce monde passe ». (1Cor. 7,31)
« Car », dit-il, « c’est en espérance que nous avons été sauvés (24) ». Comme il a beaucoup insisté sur la promesse des biens à venir, et qu’il semblait avoir attristé l’auditeur, encore trop faible, en lui montrant les biens seulement en espérance ; après avoir prouvé qu’ils sont bien plus évidents que les biens présents et visibles ; après avoir disserté sur les dons déjà reçus et montré que nous avons aussi reçu les prémices des autres : de peur que nous ne cherchions qu’ici-bas, que nous ne soyons infidèles à la noblesse provenant de la foi, il dit : « Car c’est en espérance que nous sommes sauvés ». Il ne faut pas tout chercher ici-bas, mais aussi espérer. C’est, là le seul don que nous ayons fait à Dieu : la foi à l’avenir qu’il nous promet, et nous n’avons été sauvés que par cette voie-là : si nous perdons cette voie, nous perdons aussi toute notre offrande. Je vous le demande, nous dit l’apôtre, n’étiez-vous pas sujet à teille maux ? N’étiez-vous pas désespéré ? N’étiez-vous pas sous le poids de la sentence ? Tous les efforts qu’on faisait pour vous sauver n’étaient-ils pas impuissants ? Qu’est-ce qui vous a donc sauvé ? L’espoir en Dieu seulement, la foi à ses promesses et à ses dons ; vous n’avez rien apporté de plus. Or, si cette foi vous a sauvé, gardez-la donc maintenant. Car si elle vous a déjà procuré de si grands biens, évidemment ses promesses d’avenir ne vous failliront pas. Après volis avoir recueilli quand vous étiez mort, perdu, prisonnier, ennemi, et vous avoir fait ami, fils, libre, juste, cohéritier ; après vous avoir accordé des avantages que personne n’eût jamais osé espérer : comment, après une telle libéralité, une telle bienveillance, ne vous assisterait-elle pas dans la suite ? Ne me dites donc pas : encore des espérances, encore l’attente, encore la foi. Car c’est par là que vous avez été sauvé, et c’est la seule dot que vous ayez apportée à l’Époux. Tenez-y donc et conservez-la ; si vous demandez tout à la vie présente, vous perdez votre mérite, le principe de votre gloire.
C’est pourquoi l’apôtre ajoute : « Or, l’espérance qui se voit n’est pas de l’espérance ; car ce que quelqu’un voit, comment l’espérerait-il ? Et si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience… (25) ». C’est-à-dire : Si vous cherchez tout ici – bas, qu’avez-vous besoin d’espérer ? Qu’est-ce donc que l’espérance ? La confiance dans l’avenir. Qu’est-ce que Dieu vous demande donc de si coûteux, lui qui vous a donné tous les biens de son fond ? Il ne vous demande qu’une seule chose, l’espérance, afin que vous puissiez ainsi contribuer en quelque chose à votre salut ; et c’est à cela que Paul fait allusion, quand il ajoute : « Et si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience ». En effet, Dieu récompense celui qui espère, comme un homme qui travaille, qui est malheureux et accablé de misère : car le mot de patience est synonyme de fatigue et de courage à souffrir. Cependant il accorde cette consolation à celui qui espère, pour soulager son âme pliant sous le fardeau.
7. Ensuite pour montrer que, dans ces légères tribulations nous avons un puissant secours, Paul ajoute : « De même l’esprit aussi aide nos faiblesses ». A vous la patience ; à l’esprit, d’exciter eu vous l’espérance et par elle d’alléger vos travaux. Puis, pour vous faire comprendre que la grâce ne vous assiste pas seulement dans les travaux et dans les dangers, mais qu’elle agit avec vous, même dans les opérations les plus faciles et qu’en tout elle vous prête son aide, il ajoute : « Car nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière ». Et il dit cela, soit pour montrer la providence de l’Esprit à notre égard, soit pour leur apprendre à ne pas croire nécessairement utile tout ce qui paraît tel à la raison humaine. »En effet, comme il était probable que, flagellés, chassés, maltraités de mille manières, ils chercheraient le repos et croiraient utile de demander, cette grâce à Dieu, il leur dit : ne vous figurez pas que tout ce qui vous semble utile, le soit réellement. Car, en cela encore « nous avons besoin du secours de Dieu : tant l’homme est faible, tant il est néant par lui-même ! Voilà pourquoi il disait : « Nous ne savons ce que nous de vous demander dans la prière ». Et pour que le disciple ne rougisse plus désormais de son ignorance, il fait voir que les maîtres se trouvent dans le même cas. En effet, il ne dit point : « Vous ne savez pas » ; mais : « Nous ne savons pas ». Il indique d’ailleurs qu’il ne parle pas ainsi par modestie. Car sans cesse il demandait dans ses prières de voir Rome, et néanmoins sa prière était sans résultat ; il priait aussi souvent à l’occasion de l’aiguillon qui lui avait été donné dans sa chair, c’est-à-dire à raison des dangers qu’il courait, et il n’était nullement exaucé non plus que, dans l’Ancien Testament, Moïse demandant à voir la Palestine, Jérémie priant pour les Juifs et Abraham pour les habitants de Sodome.
« Mais l’Esprit lui-même demande pour nous par des gémissements inénarrables ». Cette parole est obscure, parce que beaucoup des prodiges de ce temps-là, ont cessé aujourd’hui. Il est donc nécessaire de vous exposer quel était alors l’état des choses, et par là tout s’éclaircira. Quelle était donc alors la situation ? Dieu accordait des dons différents à ceux qui étaient baptisés, et ces dons s’appelaient esprits. « Les esprits des prophètes », nous dit-il, « sont soumis aux prophètes ». L’un avait le don de prophétie et prédisait l’avenir, l’autre, le don de sagesse et enseignait la foule ; celui-ci, le don des guérisons, et guérissait les malades ; celui-là, le don des vertus et ressuscitait les morts ; un autre, celui des langues, et parlait différents dialectes. En outre il y avait le don de prière, qu’on appelait aussi esprit ; et celui qui l’avait, priait pour tout le peuple. Car, comme dans l’ignorance où nous sommes de beaucoup de choses utiles, nous en demandons qui ne le sont point, le don de prière venait en l’un d’eux, et celui-ci, se tenant debout, demandait ce qui était avantageux pour toute.1 'Enlise et instruisait les autres à en faire autant. Or ici l’apôtre appelle esprit ce don même, et l’âme qui, l’avant reçu, priait Dieu et gémissait. Celui qui avait été honoré de cette grâce, debout dans des sentiments de vive componction, se prosternant ensuite devant Dieu avec de grands gémissements intérieurs, demandait des choses utiles à tous. Nous en avons encore une figure dans le diacre qui prie pour le peuple. Et c’est ce que Paul entend quand il dit : « L’Esprit lui-même demande pour nous par des gémissements inénarrables. Mais celui qui scrute les cœurs… (26, 27) ».
Voyez-vous qu’il ne s’agit pas ici du Paraclet, mais du cœur inspiré par l’Esprit-Saint ? Autrement il aurait fallu dire : Celui qui scrute l’Esprit. Et pour vous faire comprendre qu’il parle de l’homme spirituel et de celui qui a le don de prière, il ajoute : « Celui qui scrute les cœurs sait ce que désire l’Esprit », c’est-à-dire, ce que désire l’homme spirituel. « Qui demande selon Dieu pour les saints ». Non pas, nous dit Paul, qu’il apprenne à Dieu quelque chose que Dieu ignore ; mais c’est pour nous apprendre à demander à Dieu ce qui est conforme à sa volonté : car c’est là le sens de ces mots : « Selon Dieu ». En sorte que cela avait lieu pour la consolation des assistants et pour enseigner la perfection : en effet, celui qui distribuait ces dons et ces biens sans nombre, c’était le Paraclet. Or, nous dit Paul, « tous ces dons, c’est le seul et même Esprit qui les opère » (1Cor. 12,11). Et tout cela a pour but de nous instruire et de nous prouver combien l’Esprit nous aime, puisqu’il porte jusque-là la condescendance. Aussi celui qui priait était-il exaucé, parce qu’il priait selon Dieu. Voyez-vous par combien de preuves l’apôtre démontre l’amour de Dieu pour eux et l’honneur qu’il leur fait ?
8. En effet, qu’est-ce que Dieu n’a pas fait pour nous ? Il a fait le monde corruptible à cause de nous, puis incorruptible encore à cause de nous ; pour nous il a permis que tes prophètes fussent maltraités ; pour nous il les a envoyés en captivité, lassé jeter dans la fournaise, subir des maux sans nombre. Pour nous il a fait les prophètes, pour nous il a fait les apôtres ; pour nous il a livré son Fils unique ; pour nous il punit le démon ; il nous a fait asseoir à sa droite ; pour nous il a été couvert d’opprobre : car il est écrit : « Les injures de ceux qui vous injuriaient sont retombées sur moi ». (Ps. 68) Et quand, après tant de bienfaits, nous nous éloignons de lui, il ne nous abandonne pas ; il nous rappelle, il nous procure des intercesseurs, afin de pouvoir nous rendre sa grâce : comme on le voit par l’exemple de Moïse, à qui il disait : « Laisse-moi agir et je les détruirai » (Ex. 32,10), afin de l’exciter à prier pour les coupables ; et c’est ce qu’il fait, encore aujourd’hui. C’est pour cela qu’il a accordé le don de la prière ; non pas qu’il ait besoin de supplications, mais de peur que, une fois sauvés, nous ne retombions dans un état pire : C’est pour cela que souvent il se déclare réconcilié avec les pécheurs à causé de David, à cause d’un tel ou d’un tel, dans l’intention de donner un modèle d’intercession ; bien que sa bonté éclaterait davantage s’il déposait sa colère de lui-même et non par l’entremise d’un tel et d’un tel. Mais il ne l’a pas voulu, de peur que ce mode de réconciliation ne servît de prétexte à notre lâcheté. Voilà pourquoi il disait à Jérémie : « Ne prie point pour ce peuple, car je ne t’exaucerai pas » (Jer. 11,14) ; non pour l’empêcher de prier, (il désire vivement notre salut), mais pour les épouvanter : ce que le prophète savait bien, car il ne cessait pas de prier. Et pour preuve que Dieu ne voulait point l’empêcher de prier, mais seulement le faire rougir, écoutez ce qu’il dit : « Ne vois-tu pas ce qu’ils font ? » Et s’il dit, en parlant de Jérusalem : « Quand même tu te laverais avec du nitre et amoncellerais l’herbe sur toi, tu es souillée devant mes yeux » (Id. 11,22), ce n’est point pour la jeter dans le désespoir, mais pour l’exciter au repentir.
En effet, comme il frappa les Ninivites d’une plus grande épouvante et les amena à la pénitence en lançant contre eux un arrêt qui n’exceptait personne et ne laissait aucune espérance ; de même fait-il ici, pour tirer les Juifs de leur sommeil et entourer le prophète d’une plus grande considération, afin qu’ils lui prêtent au moins l’oreille. Mais comme leur maladie était incurable, que tant de désastres éprouvés ne les avaient pas rendus sages, il les engagea d’abord à rester où ils étaient ; ils ne le voulurent point et passèrent en Égypte ; il y consentit, en leur demandant seulement de ne point participer à l’impiété de ce peuple. Ils ne l’écoutèrent point encore ; alors il leur envoya le prophète, pour les sauver d’une ruine totale. Et comme le prophète les appelait en vain, Dieu lui-même les suit pour les corriger, pour les empêcher de descendre plus bas dans la voie du vice, ainsi que fait un père tendre qui conduit et accompagne partout un fils accablé par l’infortune. Pour cela il envoie non seulement Jérémie en Égypte, mais aussi Ézéchiel à Babylone. Et les deux prophètes ne résistèrent point. Voyant que leur maître aimait tendrement son peuple, ils l’aimaient aussi, pareils à un serviteur reconnaissant qui prend pitié d’un enfant indocile, parce qu’il voit le père affligé et abattu.
Et que n’ont-ils pas souffert pour eux ? On les sciait, on les chassait, on les injuriait, on les lapidait, on leur faisait subir mille mauvais traitements ; et après tout cela, ils revenaient encore. Samuel ne cessa point de pleurer Saül, malgré les graves injures et les tourments insupportables que ce prince lui avait infligés ; niais il avait tout oublié. Jérémie a écrit ses lamentations pour le peuple Juif ; et quand le général des Perses lui permettait d’habiter en sécurité et en toute liberté où il lui plairait, il préféra partager l’infortune, de son peuple et supporter les misères de l’exil. Ainsi Moïse quitta le palais et la vie qu’il y menait, pour courir partager le malheur des Hébreux. Ainsi Daniel jeûna vingt-six jours, s’infligeant cette rude abstinence pour apaiser Dieu irrité contre son peuple ; et les trois enfants, au milieu de la fournaise embrasée, priaient aussi dans le même but. Ils ne s’affligeaient point pour eux-mêmes, puisqu’ils restaient sains et saufs ; mais comme ils se croyaient là plus en liberté, ils intercédaient pour leur peuple. Aussi disaient-ils : « Puissions-nous être agréés dans un cœur contrit et un esprit d’humilité ». (Dan. 3,39) Pour eux Josué déchira ses vêtements ; pour eux Ézéchiel pleurait et se lamentait, en les voyant mis en pièces ; et Jérémie[7] disait : « Laissez-moi, je pleurerai amèrement ». (Is. 22,4) Et auparavant, n’osant demander pardon de leurs crimes, il demandait quel serait le terme, en s’écriant : « Jusqu’à quand, Seigneur ? » (Id. 6,11) Car toute la race des saints est remplie de charité. Voilà pourquoi Paul disait : « Revêtez-vous, comme élus de Dieu, et saints, d’entrailles de miséricorde, de bonté, d’humilité ». (Col. 3,12)
9. Voyez-vous l’exactitude du terme, et comme il veut que nous soyons toujours miséricordieux ? Il ne dit pas simplement : Ayez pitié, mais : « Revêtez-vous », afin que la miséricorde soit toujours avec nous, comme un manteau. Il ne dit pas non plus simplement De miséricorde, mais : « D’entrailles de miséricorde », afin que nous imitions l’amour naturel. Mais nous faisons le contraire : Si quelqu’un s’approche pour nous demander une obole, nous l’injurions, nous lui disons des sottises, nous le traitons d’imposteur. Vous ne craignez pas, ô homme, vous ne rougissez pas de traiter quelqu’un d’imposteur, à propos d’un morceau de pain ? Et quand il le serait, il faudrait encore en avoir pitié, puisque c’est la faim qui le pousse à jouer ce rôle. Cela même accuse notre dureté. Comme nous ne savons pas donner facilement, les mendiants sont forcés d’inventer mille moyens pour tromper notre inhumanité et amollir notre dureté. Du reste, s’il vous demandait de l’argent ou de l’or, vous auriez peut-être quelque raison de le suspecter ; mais quand il ne s’adresse à vous que pour avoir la nourriture qui lui est nécessaire, pourquoi philosopher hors de propos, discuter inutilement, et lui lancer les reproches d’oisiveté et de paresse ? S’il faut adresser ces reproches, c’est à nous, et non à d’autres. Quand donc vous vous approchez de Dieu pour lui demander pardon de vos péchés, souvenez-vous de ces paroles et vous comprendrez que vous méritez plutôt de les entendre de la part de Dieu, que le pauvre de votre part. Cependant jamais Dieu ne vous les a adressées ; jamais, par exemple, il ne vous a dit : Retire-toi, car tu es un imposteur, toi qui viens souvent à l’église, y apprends nos lois, et, une fois sorti, préfère l’or, la passion, l’amitié, tout en un mot, à mes commandements ; qui es humble dans la prière, puis, quand elle est achevée, te montres audacieux, cruel, inhumain ; va-t’en et cesse de me prier. Nous méritons ces reproches et bien d’autres encore ; et pourtant jamais Dieu ne nous a rien dit de semblable ; il est patient, au contraire, il fait tout de son côté et nous accorde plus que nous ne demandons.
Songeant à cela, soulageons les besoins des pauvres, et ne nous inquiétons pas trop de savoir s’ils nous mentent. Car nous avons besoin d’être sauvés avec indulgence, avec bonté, avec une grande pitié. Et si l’on entre en un compte sévère avec nous, il n’y a pas moyen, non, il n’y a pas moyen d’être sauvés ; nous devrons tous être punis, tous être perdus. Ne soyons donc point juges impitoyables des autres, de peur d’être nous-mêmes examinés sévèrement : car nous avons tous des péchés qui ne méritent point de pardon. Ayons surtout pitié de ceux qui en sont indignes, afin de nous attirer aussi une pareille indulgence ; et néanmoins, quoi que nous fassions, jamais nous ne pourrons montrer autant de bienveillance qu’il nous en faut de la part du bon Dieu. Quelle absurdité, quand on est si indigent, d’être si sévère à l’égard de ses compagnons de pauvreté, et de tout faire contre eux ! Jamais vous ne prouverez que cet homme est aussi indigne de vos bienfaits que vous l’êtes de ceux de Dieu. Celui qui est exigeant à l’égard de son père sera traité par Dieu bien plus rigoureusement. Ne crions donc pas contre nous ; donnons, même à l’insolent, même au paresseux. Car, nous aussi, nous péchons souvent, et même toujours, par lâcheté, et Dieu ne nous en punit pas immédiatement ; mais il nous donne le temps de nous repentir, il nous nourrit chaque jour, il nous élève, nous instruit, ne nous refuse rien, afin que nous imitions ainsi sa miséricorde.
Dépouillons donc notre dureté, rejetons notre cruauté, et, en cela, nous nous rendrons service plus qu’aux autres. Aux pauvres, en effet, nous donnons de l’argent, du pain, des vêtements ; mais nous nous préparons une gloire immense, une gloire qu’il n’est pas possible d’exprimer. Car, reprenant des corps incorruptibles, nous serons glorifiés avec le Christ et nous régnerons avec lui ; par là nous voyons ce que ce sera, ou plutôt nous ne le comprendrons jamais clairement ici-bas ; néanmoins je ferai mots possible pour vous en donner une faible idée, d’après les biens mêmes de cette vie présente. Dites-moi : Si quelqu’un vous promettait, à vous vieux et pauvre, de vous rajeunir tout à coup, de vous ramener à la fleur de l’âge, de vous donner une force et une beauté sans égales, puis de vous faire régner sur le monde entier pendant mille ans, au sein de la paix la plus profonde que ne feriez-vous pas, que ne souffririez-vous pas, pour la réalisation d’une telle promesse ? Et voilà que le Christ vous promet, non pas cela, mais beaucoup plus. Car la distance entre la vieillesse et la jeunesse, entre l’empire et la pauvreté, est loin d’égaler celle qui sépare la corruptibilité et l’incorruptibilité, la gloire présente de la gloire future : c’est la différence des songes à la réalité.
10. Jusqu’ici, je n’ai encore rien dit : car il n’est pas possible d’exprimer en paroles l’immense distance qu’il y a entre les choses à venir et les choses présentes ; et quant à ce qui regarde la durée, il est absolument impossible de la concevoir.. Comment en effet comparer à la vie présente une vie sans fin ? Il y a autant de différence entre cette paix et celle-ci qu’il y en a entre la paix et la guerre ; autant de différence entre la corruptibilité et l’incorruptibilité qu’entre urne motte de terre et une perle précieuse ; ou plutôt ; personne ne peut expliquer cette différence. Si je compare la beauté de ces corps à l’éclat du rayon de lumière ou au plus brillant éclair, je n’ai rien dit qui approche de cette splendeur.
Est-il des richesses, est-il des corps et même des âmes qu’on ne doive sacrifier pour de tels avantages ? Si maintenant quelqu’un vous introduisait dans un palais, vous procurait un entretien avec le roi en présence de tout le monde, et l’honneur de vous asseoir à sa table, vous vous estimeriez le plus heureux des hommes ; et quand il s’agit de monter au ciel, d’habiter chez le Roi de l’univers, de le disputer en éclat aux anges et de jouir d’une gloire ineffable, vous hésitez à sacrifier des richesses ; quand, fallût-il même sacrifier votre vie, vous devriez tressaillir de joie, être transporté de bonheur et avoir des ailes ! Pour obtenir une charge, qui vous devient une occasion de vol (car je ne saurais appeler cela un gain), vous prodiguez vos biens, vous empruntez l’argent d’autrui, vous n’hésitez pas même, au besoin, à donner en gage votre femme et vos enfants ; et quand vous avez devant les yeux le royaume du ciel, un empire où personne ne peut prendre votre place ; quand Dieu vous invite à entrer en possession, non pas d’un coin de terre, mais du ciel entier, vous balancez, vous reculez ; vous ambitionnez de l’argent, sans vous dire à vous-même : Si les parties du ciel que nous découvrons sont déjà si belles et si agréables, que doit-ce être des régions supérieures et du ciel des cieux ?
Mais puisqu’il n’est pas possible de les voir des yeux du corps, montez-y par la pensée, et debout sur le ciel visible, contemplez le ciel supérieur, cette hauteur immense, cette lumière éblouissante, ces multitudes d’anges, ces innombrables légions d’archanges, et les autres puissances incorporelles. Puis, redescendant de ces hauteurs, reprenez l’image des choses d’ici-bas, figurez-vous un roi terrestre, c’est-à-dire, des hommes chamarrés d’or, des attelages de mules blanches caparaçonnées d’or, des chars incrustés de pierres précieuses ; des tapis blancs comme neige, des lames s’agitant sur les chars, des dragons figurés sur des manteaux de soie, des boucliers dorés, des baudriers couverts de pierres précieuses se rattachant du centre au pourtour, des chevaux ornés d’or, des freins d’or. Mais dès que le roi paraît, nous ne voyons plus rien de tout cela ; lui seul attire nos regards, avec son manteau de pourpre, son diadème, son siège, ses agrafes, ses chaussures, la distinction de ses traits.
Après vous être exactement représenté tout ce tableau, remontez ensuite par là pensée vers la sphère supérieure, reportez-vous à ce jour terrible, où le Christ apparaîtra. Vous ne verrez point alors d’attelages de mules, ni de chars dorés, ni de dragons, ni de boucliers mais des choses pleines d’épouvante et qui causeront un tel effroi que les puissances incorporelles elles-mêmes en seront frappées de stupeur. « Car », est-il écrit, « les vertus des cieux seront ébranlées ». (Mt. 24,29) Alors, en effet, le ciel entier sera à découvert, les portes de ce temple s’ouvriront, le Fils unique de Dieu descendra, accompagné, non pas de vingt ou de cent satellites, mais dé milliers et de millions d’anges, d’archanges ; de chérubins, de séraphins et d’autres puissances : tout sera saisi de craint ; et de tremblement, quand la terre se brisera, quand tous les hommes qui auront existé depuis Adam jusqu’à ce jour, sortiront du tombeau et seront enlevés ; quand le Christ paraîtra environné d’une telle gloire que la lune, le soleil ? toute lumière disparaîtront dans sa splendeur. Quelle langue pourrait dire cette félicité, cet éclat, cette gloire ?
O mon âme ! je sens naître mes larmes et mes soupirs, quand je songe quels biens nous perdons, de quel bonheur nous nous privons ; et nous nous en privons (je parle ici pour moi), si nous ne faisons quelque chose de grand et de merveilleux. Que personne ne vienne ici me parler de l’enfer ; la perte d’une telle gloire est plus terrible que tous les enfers, la privation de ce bonheur est pire que mille et mille supplices, Et pourtant nous soupirons encore après les choses du temps, et nous ne songeons pas à la malice du démon, qui nous enlève de grandes choses pour de petites ; qui nous donne de la boue pour nous prendre de l’or, que dis-je de l’or ? le ciel même ; qui nous montre l’ombre pour nous séparer de la réalité, et joue notre imagination par des songes (car la richesse de ce monde n’est qu’un songe), pour nous faire paraître nus et dépouillés, quand le jour viendra.
11. En songeant à tout cela, évitons ses pièges, quoiqu’il soit peut-être bien tard, et reportons-nous vers l’avenir. Il ne nous est pas possible de dire que nous ignorons la condition des choses présentes, quand chaque jour la voix des événements, plus éclatante que le son de la trompette, nous en proclame la vanité, le ridicule, fa honte, les périls, les abîmes. Comment nous excuserons-nous d’avoir poursuivi avec tant d’ardeur des objets dangereux ou honteux, au détriment de biens sûrs, qui pouvaient nous procurer la gloire et l’éclat, et de nous être entièrement livrés à la tyrannie des richesses ? Car cet esclavage est la pire des tyrannies ; ceux-là le savent, qui ont mérité d’en être délivrés. Et pour connaître, vous aussi, cette belle liberté, brisez vos liens, arrachez-vous au filet ; qu’il n’y ait pas d’or chez-vous, mais qu’un trésor plus précieux que toutes les richesses, la miséricorde et la bonté, en tienne place. Voilà ce qui nous permettra de paraître avec confiance devant. Dieu, tandis que l’or nous couvre de honte et rendre démon audacieux contre nous. Pourquoi donner des armes à votre ennemi, et le rendre plus fort ? Armez votre droite contre lui, reportez sur votre âme toute la richesse de votre maison, mettez toute votre fortune dans votre intérieur ; que le ciel garde votre or ; au lieu de votre coffre-fort ou de votre domicile ; portons en nous-mêmes toute notre fortune, car nous valons beaucoup mieux que des murs, et nous sommes plus respectables que des parquets.
Pourquoi donc nous négliger nous-mêmes, épuiser notre sollicitude sur de tels objets, que nous ne pourrons point emporter avec nous, que nous perdons souvent même dès ce monde, quand nous avons la faculté de nous enrichir de manière à être opulents, non seulement en ce monde, mais encore en l’autre ? En effet, celui qui porte dans son âme ses terres, ses maisons, son or, se montre avec sa fortune partout où il paraît. Comment cela ? direz-vous ; c’est bien facile. Si, en effet, vous transportez tout cela dans le ciel, par les mains des pauvres, vous le faites aussi tout passer dans votre âme, en sorte que quand la mort arrivera, personne ne pourra vous en dépouiller, et que vous emporterez votre richesse dans l’autre vie. Tel était le trésor de Tubithe ; voilà pourquoi ce ne sont point une maison, des murs, des pierres, des colonnes qui l’ont rendue célèbre ; mais les vêtements donnés aux veuves, les larmes répandues, la mort qui s’est enfuie, la vie qui est revenue. Amassons-nous donc de semblables trésors, bâtissons-nous de telles demeures. Ainsi Dieu travaillera avec nous, et nous avec lui. En effet, il a tiré les pauvres du néant ; et vous, vous n’aurez point laissé ses créatures périr de faim et de misère, vous les aurez soignées, restaurées, vous aurez soutenu le temple de Dieu : y a-t-il une œuvre aussi utile, aussi glorieuse ? Si vous n’avez pas encore compris quel ornement Dieu vous a ménagé, en vous confiant le soulagement des pauvres, faites cette réflexion : Si Dieu vous avait donné le pouvoir de soutenir le ciel prêt à tomber, ne regarderiez-vous pas cela comme un honneur bien au-dessus de vous ? Or, l’honneur qu’il vous, accorde ici est bien plus grand. Il vous confie le soin de relever un ouvrage bien plus précieux que le ciel : car Dieu ne voit rien qui égale l’homme. En effet, c’est pour l’homme qu’il a fait le ciel, la terre et la mer et il a plus de plaisir à habiter en lui que dans le ciel.
Et cependant, nous qui savons cela, nous n’avons ni soins ni attentions pour les temples de Dieu ; mais, les laissant dans l’abandon, nous nous construisons de vastes et splendides demeures. Voilà pourquoi nous sommes dénués de tout bien, plus pauvres que les plus pauvres, parce que nous ornons des maisons que nous ne pouvons pas emporter avec nous, et que nous négligeons celles qui nous suivraient dans l’autre vie. Car les corps des pauvres ressusciteront après avoir été réduits en poussière ; et alors Dieu, l’auteur de ces commandements, les fera paraître, louera ceux qui en auront eu soin, et les comblera d’éloges pour avoir soutenu de toutes manières ceux qui allaient succomber à la faim, à la nudité, au froid. Et cependant, malgré la perspective de ces éloges, nous hésitons encore, et nous reculons devant ces glorieuses sollicitudes. Et le Christ ne sait où loger ; il erre çà et là, étranger, nu, mourant de faim ; et vous construisez des maisons de campagne, des bains, des promenades, des lits sans nombre, au hasard et sans but, et tandis que vous ornez des appartements pour des corbeaux et des vautours, vous n’avez pas un coin de toit pour le Christ.
Qu’y a-t-il de pire qu’une pareille folie ? Qu’y a-t-il de plus coupable qu’une telle démence ? car c’est bien là l’excès de la démence, et tout ce qu’on en pourrait dire serait au-dessous du sujet. Cependant, si nous le voulons, nous pouvons encore chasser cette maladie, quelque affreuse qu’elle soit ; il est non seulement possible, mais facile, non seulement facile, mais beaucoup plus facile de la guérir que les maladies du corps ; d’autant que le médecin est plus habile. Attirons-le donc à nous, prions-le de mettre la main à l’œuvre, et fournissons ce qui est en notre pouvoir : la bonne volonté et le zèle. Il n’a pas besoin d’autre, chose ; qu’il trouve en nous ces dispositions, et il se chargera du reste. Donnons donc ce que nous avons, afin de jouir d’une parfaite santé et d’obtenir les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire soit au Père et aussi au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XV. modifier


OR, NOUS SAVONS QUE TOUT COOPÈRE AU BIEN POUR CEUX QUI AIMENT DIEU. (VIII, 28, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier

  • 1. Tout, sans aucune exception, et les afflictions même de la vie, et le retard même de la vocation, contribue au bien de ceux qui aiment Dieu et qui sont appelés à être saints ?
  • 2. Si Dieu est pour nous qu’est-ce que les hommes pourront contre nous ? – Et que nous refusera Dieu qui nous a donné son Fils ?
  • 3. Comment saint Paul, après avoir énuméré les preuves d’amour que Dieu nous a données, se laisse aller à ce mouvement sublime : qui donc nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? – Que l’élection est un signe de vertu.
  • 4. Que nous pouvons mourir tous les jours et gagner autant de couronnes.
  • 5. Amour de l’apôtre saint Paul pour Notre-Seigneur Jésus-Christ.
  • 6. L’orateur condamne l’amour des choses de la terre, il fait parler Notre-Seigneur qui nous exhorte à la pratique de l’aumône.


1. Il me semble que tout ce passage est destiné à ceux qui sont dans les dangers ; et non seulement ce passage, mais encore ceux qu’on a lus un peu plus haut. En effet cette phrase : « Les souffrances du temps présent n’ont point de proportion avec la gloire future qui sera révélée » ; et celle-ci : « Toutes les créatures gémissent » ; puis : « C’est en espérance que nous avons été sauvés » ; et encore : « Nous attendons par la patience » ; et enfin : « Nous ne savons ce que nous devons demander, dans la prière a : tous ces textes, dis-je, semblent aller à la même adresse. Paul leur apprend en effet que ce n’est point ce qu’ils jugent utile qui l’est réellement et qu’ils doivent toujours choisir, mais bien ce que l’Esprit leur inspire. Car beaucoup de choses qui leur paraissent avantageuses, leur sont quelques fois très nuisibles. Le repos, par exemple, l’éloignement du danger, la sécurité de la vie, leur semblaient des avantages. Et comment s’étonner qu’ils jugeassent ainsi, quand le bienheureux Paul lui-même partageait cette opinion ? Et cependant il apprit plus tard que la situation contraire est celle qui procure les vrais avantages, et dès qu’il le sut, il s’y attacha. Ainsi, lui qui avait trois fois prié le Seigneur de le délivrer des périls, lui ayant entendu dire : « Ma grâce te suffit ; car ma puissance se montre tout entière dans la faiblesse », triomphait de joie plus tard quand il était persécuté, injurié, accablé de maux intolérables. « Je me complais », disait-il, « dans les persécutions, dans les outrages, dans les nécessités ». (2Cor. 12,9-10) C’est pour cela qu’il disait : « Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière », et il les exhortait tous à s’en remettre là-dessus à l’Esprit. Car l’Esprit-Saint a grand soin de nous, et c’est le bon plaisir de Dieu.
A ces continuelles exhortations, il ajoute ce que nous venons de dire : un raisonnement propre à leur rendre le courage. « Nous savons », dit-il, « que tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu ». Or, ce mot : « Tout » renferme aussi les choses pénibles. Que ce soit l’affliction qui survienne, ou la pauvreté, ou la prison, ou la faim, ou la mort, ou toute autre chose, Dieu peut tourner tout cela en sens contraire, puisque son infinie puissance sait nous alléger et changer en moyen de salut tout ce qui nous semble pénible. Aussi l’apôtre ne dit-il, point : l’adversité n’atteint pas ceux qui aiment Dieu, mais : « Coopère au bien » ; c’est-à-dire, Dieu fait tourner les périls à la gloire de ceux à qui on tend des embûches ; ce qui est bien plus que d’écarter le danger, ou d’en délivrer quand il survient. C’est ce qu’il a fait dans la fournaise de Babylone. Il n’a pas empêché qu’on y jetât les trois saints, et quand ils y furent, il n’éteignit point la flamme ; mais il la laissa brûler pour les rendre par là même plus glorieux. A l’occasion des apôtres, il a fait constamment d’autres prodiges du même genre. S’il suffit à l’homme d’être sage pour savoir tourner en sens contraire la nature des choses, paraître au sein de la pauvreté plus a l’aise que les riches, et tirer de la gloire du mépris même dont ils sont l’objet ; à bien plus forte raison Dieu peut-il en faire autant, et beaucoup plus encore, à l’égard de ceux qui l’aiment. Une seule chose est nécessaire : l’aimer sincèrement, et tout le reste vient à la suite. Et de même que les choses qui semblent nuisibles sont profitables à ceux qui l’aiment ; ainsi, celles qui sont utiles deviennent nuisibles à ceux qui ne l’aiment pas. Les miracles, la pureté des dogmes, la sagesse de la doctrine ont fait tort aux Juifs ; à cause des miracles, ils appelaient le Christ démoniaque, à cause de sa doctrine ils le traitaient d’impie ; ils essayaient même de le faire mourir à raison de ses prodiges. D’autre part, le larron crucifié, percé de clous, accablé d’injures, souffrant des douleurs sans nombre ; non seulement n’en éprouva aucun dommage, mais en tira le plus grand profit. – Voyez-vous comme tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu ?
Après avoir établi que c’est là un grand bien, un avantage qui surpasse de beaucoup la nature humaine, comme cela semblait incroyable à un grand nombre, il le confirme par le passé, en disant : « Pour ceux qui, selon son décret, sont appelés ». Considérez qu’il parle ainsi en présupposant la vocation. Pourquoi Dieu n’a-t-il pas dès l’abord appelé tous les hommes, ou pourquoi n’a-t-il pas appelé Paul avec les autres apôtres, puisque ce délai semblait désavantageux ? Et pourtant l’événement a prouvé que ce délai était utile. Il parle ici de décret, pour ne pas tout attribuer à la vocation, parce que les Gentils et les Juifs auraient pu le contre-dire. Si en effet la vocation avait suffi, pourquoi tous n’étaient-ils pas sauvés ? Voilà pourquoi il dit que ce n’est pas la vocation seule, mais le décret, qui a opéré le salut des élus : car la vocation n’imposait aucune nécessité, ne faisait point de violence. Tous donc étaient appelés, mais tous n’ont pas obéi. « Car ceux qu’il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés à être cou« formes à l’image de son Fils ». Voyez-vous ce comble d’honneur ? Ce que le Fils unique était par nature, ceux-ci le deviennent par grâce. Et cependant il ne se contente pas de dire « Conforme » ; il y ajoute encore autre chose : « Afin qu’il fût lui-même le premier né (29) ». Et il ne se borne encore pas là, car il ajoute : « Entre beaucoup de frères », voulant en tout montrer le lien de parenté. Mais comprenez bien que tout ceci s’entend de l’Incarnation ; car, selon la divinité, le Christ est Fils unique.
2. Voyez-vous que de grâces il nous a accordées ? Ne doutez donc point de l’avenir ; car l’apôtre nous fait assez voir la Providence quand il nous parle de préfiguration. En effet, les hommes changent d’opinion d’après les événements ; mais les pensées de Dieu et ses dispositions à notre égard sont anciennes. L’apôtre dit donc : « Et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ». Il les a justifiés par la régénération du baptême. « Et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés (30) ». Il les a glorifiés par la grâce, par l’adoption. « Que dirons-nous donc après cela ? » C’est comme s’il disait : Ne me parlez donc plus de périls, ni d’embûches dressées de toutes parts. Si quelques-uns doutent encore de l’avenir, au moins ne peuvent-ils nier les bienfaits déjà accordés, par exemple l’amour de Dieu pour nous, la justification, la gloire. Or il a accordé tout cela par des moyens qui semblaient fâcheux ; ce que vous regardiez comme un opprobre, la croix ; la flagellation, les chaînes, c’est ce qui a restauré l’univers entier. Comme donc c’est par ses souffrances, en apparence si tristes, qu’il a procuré la liberté et le salut à tout le genre humain ; ainsi en agit-il avec vos propres souffrances, en les faisant tourner à votre gloire et à votre honneur. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous (31) ? »
Et qui n’est pas contre nous ? dira-t-on. Nous axons contre nous le monde entier, les tyrans, les peuples, nos parents, nos concitoyens ; et pourtant tous ces ennemis sont si loin de nous nuire qu’ils nous tressent malgré eux des couronnes, qu’ils nous procurent des biens infinis : la sagesse de Dieu tournant leurs embûches à notre gloire et à notre salut. Voyez-vous comme personne n’est contre nous ? Ce qui a augmenté la gloire de Job c’est que le démon s’est armé contre lui. Le démon a en effet tout mis en œuvre pour lui nuire : ses amis, sa femme, ses plaies, ses serviteurs ; et rien de cela ne lui a fait de mal. Ce n’était pas encore beaucoup pour lui, bien que cela eût déjà une grande importance ; mais ce qui était bien plus, c’est que tout a tourné à son profit. Car comme Dieu était pour lui, tout ce qui semblait être contre lui, lui est devenu avantageux. Ainsi en a-t-il été pour les apôtres. En effet les Juifs, les gentils, les faux frères, les princes, les peuples, la faim, la pauvreté, mille autres choses encore étaient contre eux, et pourtant rien n’était contre eux. C’est même 1à ce qui les a rendus glorieux, illustres et louables devant Dieu et devant l’es hommes. Pensez donc quelle grande parole Paul a prononcée en faveur des fidèles, de ceux qui sont vraiment crucifiés, parole que ne sauraient s’appliquer ceux mêmes qui sont ceints du diadème. En effet, contre un prince les barbares prennent les armes, les ennemis font irruption, les gardes du corps tendent des embûches, les sujets se révoltent souvent, mille autres dangers se présentent ; mais contre le fidèle, attentif à observer exactement les lois de Dieu, l’homme ni le démon ne peuvent rien. En lui enlevant ses richesses, vous lui préparez une récompense ; en disant du mal de lui, vous le rendez par là même plus glorieux devant Dieu ; en le réduisant à la faim, vous augmentez sa gloire et sa récompense ; en le livrant à la mort, ce qui semble être le pire, vous lui tressez la couronne du martyre. Qu’y a-t-il donc de comparable à cette vie où rien ne peut nuire ; où ceux mêmes qui tendent des pièges ne sont pas moins utiles que des bienfaiteurs ? Aussi Paul dit-il : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? »
Ensuite, non content de ce qu’il vient de dire, il rappelle encore le plus grand signe de l’amour de Dieu pour nous, celui qu’il ne perd jamais de vue : l’immolation du Fils. non seulement, nous dit-il, Dieu les a justifiés, glorifiés, rendus conformes à l’image de son Fils ; mais il n’a pas même épargné ce Fils pour vous. Aussi ajoute-t-il-: « Lui qui n’a pas épargné même son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui (32) ? » L’apôtre emploie ici des expressions énergiques et brûlantes, pour faire comprendre l’amour divin. Comment donc Dieu nous abandonnerait-il, lui qui n’a pas ménagé son propre Fils, mais l’a livré pour nous tous ? Et songez quelle bonté c’est de ne pas ménager son propre Fils, mais de le livrer, et de le livrer pour tous, pour des êtres sans valeur, pour des ingrats, des ennemis, des blasphémateurs : « Comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui ? » L’apôtre veut dire : S’il nous a donné son Fils, non pas simplement donné, mais donné pour être immolé, comment mettrez-vous le reste en doute, quand vous avez reçu le Maître lui-même ? Comment douterez-vous de la propriété, quand vous avez le propriétaire ? Comment celui qui a donné le plus à des ennemis, refusera-t-il le moins à des amis ? « Qui accusera les élus de Dieu ? (33) ».
3. Ici Paul s’adresse à ceux qui disaient que la foi ne sert à rien, et qui ne croyaient pas à un changement soudain. Et voyez comme il leur ferme promptement la bouche en parlant de la dignité de celui qui a élu. Il ne dit pas Qui accusera les serviteurs de Dieu, ni : Les fidèles de Dieu, mais : « Les élus de Dieu » car l’élection est un signe de vertu. Si, en effet, quand un dompteur de chevaux choisit les poulains propres à la course, personne ne peut l’en blâmer à moins d’encourir le ridicule : à bien plus forte raison, quand Dieu choisit les âmes, serait-on ridicule de lui en faire un reproche. « C’est Dieu qui les justifie ; qui est celui qui les condamnerait ? » Il ne dit pas : C’est Dieu qui remet les péchés ; mais, ce qui est beaucoup plus : « C’est Dieu qui les justifie ». Quand le suffrage du juge, et d’un tel juge, proclame quelqu’un juste ; quelle sera la peine de l’accusateur ? Donc il ne faut pas craindre les épreuves, car Dieu est pour nous, et il l’a assez prouvé par les faits ; ni les niaiseries judaïques, car Dieu nous a Choisis et justifiés, et justifiés, chose étonnante ! par la mort de son Fils. Qui donc nous condamnera quand Dieu nous couronne, quand le Christ a été immolé pour nous, et non seulement a été immolé, mais intercède encore en notre faveur ? « C’est le Christ Jésus », nous dit-il, « qui est mort pour eux, qui de plus est ressuscité des morts, est à la droite du Père et qui même intercède pour nous (34) ».
Bien qu’en possession de sa dignité propre, il n’a point cessé de s’occuper de nous, mais il intercède en notre faveur, et nous conserve toujours la même affection. Car il ne s’est pas contenté d’être mis à mort ; pour nous donner une plus grande preuve de son amour, il n’a pas seulement payé de sa personne, il en engage encore un autre à agir dans le même but. C’est là uniquement ce que Paul entend par le mot intercéder ; employant une expression plus humaine, plus humble, pour désigner cet amour. Si on ne le prenait pas dans ce sens, le terme : « N’a pas épargné », entraînerait beaucoup d’absurdité. Et la preuve que c’est là ce qu’il veut dire, c’est qu’après avoir d’abord dit : « Est à la droite », il ajoute : « Il intercède pour nous » ; montrant par là tout à la fois que lé Fils est égal au Père, et que son intercession n’est point un indice d’infériorité, mais uniquement une preuve de son amour. Car comment celui qui est la vie et la source de tous les biens, qui a la même puissance que le Père, qui ressuscite les morts, qui vivifie, et qui fait tout le reste, comment, dis-je, aurait-il besoin d’intercéder pour nous être utile ? Comment celui qui, par sa propre puissance, a sauvé, de la condamnation ceux qui étaient désespérés et condamnés, qui les a faits justes et enfants de Dieu, qui les a conduits aux suprêmes honneurs, qui a réalisé ce qu’on n’eût jamais osé espérer ; comment, après avoir accompli tout cela et avoir fait asseoir notre nature sur le trône royal, aurait-il eu besoin de prier pour des œuvres plus faciles ?
Voyez-vous comme il est démontré de toutes manières que Paul ne parle ici d’intercession que pour faire comprendre l’ardeur, la vivacité de l’amour du Christ pour nous ? En effet, il est dit aussi que le Père exhorte les hommes à se réconcilier avec lui. « Nous faisons donc les fonctions d’ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche ». (2Cor. 5,20) Et pourtant quand – Dieu nous exhorte, quand des hommes font les fonctions d’ambassadeurs pour le Christ vis-à-vis d’autres hommes, nous ne voyons rien là qui soit indigne de la majesté divine ; tout ce que nous en pouvons conclure, c’est l’étendue de l’amour de Dieu. Faisons de même ici. Si donc l’Esprit demande avec des gémissements inénarrables, si le Christ est mort, s’il intercède pour nous, si le Père n’a point ménagé pour vous son propre Fils, s’il vous a élu et justifié, que craignez-vous encore ? Quand vous êtes l’objet d’un tel amour, d’une telle Providence, pourquoi tremblez-vous ? Aussi, après avoir montré cette Providence, l’apôtre continue en toute liberté, et ne se contente plus de dire : Donc vous devez aussi l’aimer ; mais, comme saisi d’enthousiasme à l’aspect de cette bonté infinie, il s’écrie : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? » Il ne dit pas : De Dieu ; tant il lui est indifférent de nommer le Christ ou Dieu. « Est-ce la tribulation ? Est-ce l’angoisse ? Est-ce la persécution ? Est-ce la faim ? Est-ce la nudité ? « Est-ce le péril ? Est-ce le glaive (35) ? »
Voyez la prudence de Paul : Il ne parle point des pièges où nous tombons tous les jours, de l’amour des richesses, de la passion de la gloire, de la tyrannie de la colère ; mais de choses bien plus tyranniques, qui font violence à la nature elle-même, qui ébranlent souvent malgré nous la fermeté du caractère, à savoir les tribulations et les angoisses. Bien que l’on puisse compter toutes ses expressions, néanmoins chacune d’elle renferme des milliers d’épreuves ; ainsi quand il parle d’affliction, il entend la prison, les chaînes, la calomnie, l’exil, toutes les misères ; d’un mot il parcourt un vaste océan de périls, d’une seule expression il indique tout ce qu’il y a de pénible pour l’homme. Et cependant il brave tout cela. Aussi procède-t-il par interrogation, comme si la contradiction était impossible, puisque rien ne peut séparer de l’objet de son amour celui qui est aimé à ce point et qui jouit du soin d’une telle Providence.
4. Ensuite, pour que ces épreuves ne soient pas considérées comme un signe de délaissement, il cite le prophète qui les a prédites longtemps d’avance en ces termes : « A cause de vous nous sommes mis à mort tout le jour, on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie (36) », c’est-à-dire Nous sommes exposés à subir des mauvais traitements de la part de tout le monde, néanmoins contre tant et de si grands périls, contre tant de nouvelles et sanglantes cruautés, une consolation nous suffit : la raison même de ces combats, non seulement elle nous suffit, mais elle dépasse de beaucoup nos besoins. Car, ce n’est pas pour les hommes ni pour rien de terrestre que nous souffrons tout cela, mais pour le Roi de l’univers. Et ce n’est point là la seule couronne que Dieu réserve à ses élus, mais il leur en prépare une autre multiple et variée. Car comme, en qualité d’hommes, ils ne sauraient souffrir mille morts, il leur montre que la récompense n’en sera pas moindre pour autant : Bien que ce soit une loi de notre nature que nous ne mourions qu’une fois, Dieu cependant nous donne la faculté de mourir tous les jours, si nous le voulons. D’où il suit clairement que nous aurons, à l’heure du départ, autant de couronnes que nous aurons vécu de jours, et même beaucoup plus : car on peut mourir une fois, deux fois, bien des fois par jour. Et celui qui est prêt à cela, reçoit toujours la récompense entière.
C’est à quoi font allusion ces mots du prophète : « Tout le jour ». Aussi l’apôtre invoque-t-il son témoignage, pour mieux exciter leur ardeur. Si en effet, leur dit-il, ceux qui vivaient sous l’Ancien Testament, qui n’avaient pour prix de leurs travaux que la terre et ce qui passe avec la vie, ont pu ainsi dédaigner la vie présente, les épreuves, les périls comment serions-nous excusables de tomber dans le relâchement, de ne pas même atteindre à leur mesure, quand on nous a promis le royaume du ciel et des biens ineffables ? L’apôtre n’exprime pas cette pensée, mais, l’abandonnant à la conscience de ses auditeurs, il se contente du témoignage du prophète, il leur montre que leurs corps sont une victime, et qu’ils ne doivent point s’en troubler, ni s’en effrayer, puisque Dieu l’a ainsi réglé. Il les anime encore d’une autre manière. Pour qu’on ne dise pas qu’il fait là simplement de la spéculation avant l’expérience des faits, il ajoute : « On nous regarde comme des brebis de tuerie », indiquant par là que les apôtres mouraient tous les jours. Voyez-vous sa force et sa modestie ? Comme, dit-il, les brebis qu’on égorge n’opposent aucune résistance, ainsi en est-il de nous. Mais comme la faiblesse de l’esprit humain redoutait encore, même après tant et de si grandes choses, la multitude des épreuves, voyez comme il relève l’auditeur, comme il le rend haut et fier, en disant : « Mais en tout cela nous triomphons par celui qui nous a aimés (37) ».
Ce qu’il y a d’étonnant, ce n’est pas seulement que nous triomphions, mais que nous triomphions par les pièges même qu’on nous tend. Et non seulement nous triomphons, mais nous faisons plus que triompher, c’est-à-dire que nous remportons la victoire avec une extrême facilité, sans fatigues et sans peines. Et ce n’est pas en souffrant réellement, mais par la simple disposition à souffrir, que nous dressons des trophées contre nos ennemis. Et cela est juste : car c’est Dieu qui combat avec nous. Ne faites donc aucune difficulté de croire que, flagellés, nous sommes vainqueurs de ceux qui nous flagellent ; que, proscrits, nous dominons ceux qui nous proscrivent ; que, mourants, nous supplantons ceux qui vivent. Une fois supposé la puissance de Dieu et son amour pour nous, rien ne s’oppose à ce que ces choses étonnantes, incroyables, aient lieu, et que, le triomphe soit éclatant. Et ils ne remportaient pas une simple victoire, mais une victoire miraculeuse, en sorte que leurs ennemis comprissent qu’ils faisaient la guerre non plus à des hommes, mais à la puissance invincible. Voyez-vous les Juifs les tenir au milieu d’eux, puis hésiter et dire : « Que ferons-nous à ces hommes ? » (Act. 4,16) Et voilà la merveille : c’est que, les retenant, les regardant comme coupables, les jetant dans les fers, les frappant, ils étaient dans l’embarras et dans l’incertitude, et se trouvaient vaincus par ceux mêmes par qui ils espéraient vaincre. Ni le tyran, ni les bourreaux, ni les légions infernales, ni le démon lui-même ne purent triompher d’eux ; la défaite fut complète ; on vit tourner à leur profit les moyens mêmes qu’on employait contre eux. Aussi l’apôtre dit-il : « Nous sommes plus que vainqueurs ». C’était la nouvelle loi de la guerre, de vaincre par les contraires, de n’être jamais défait et d’aller au combat comme si on était assuré du succès. « Car je suis certain que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni choses présentes, ni choses futures, ni ce qu’il y a de plus haut, ni ce qu’il y a de plus bas, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus (38, 39) ».
5. Voilà de grandes paroles, mais nous ne les comprenons pas, parce que nous ne savons pas aimer ainsi. Cependant bien qu’elles soient grandes, pour montrer que son amour n’est rien en comparaison de l’amour de Dieu pour lui, il n’en parle qu’en second lieu, de peur de paraître se vanter. Voici ce qu’il veut dire A quoi bon parler du présent, et des maux attachés à cette vie ? Quand même on parlerait de choses à venir et de puissances, de choses comme la mort et la vie, de puissances comme les anges et les archanges, de tout ce qu’il y a de plus élevé dans la création : tout cela me paraîtrait petit, en comparaison de l’amour du Christ. Quand on me menacerait d’une mort éternelle, quand on me promettrait une vie sans terme pour me séparer du Christ, je n’accepterais pas. A quoi bon me parler de tel ou tel roi terrestre, de tel ou tel consul ? Quand vous me parleriez des anges et de toutes les puissances célestes, de tout ce qui est, de tout ce qui sera, de tout ce qui est sur la terre ou dans les cieux, de tout ce qui est sous la terre ou au-dessus des cieux, tout me semblerait peu de chose en comparaison de cet amour. Et comme si cela ne suffisait pas encore à exprimer son amour, il y ajoute autre chose, en disant : « Ni aucune autre créature », c’est-à-dire : aucune autre création aussi grande que celle que nous voyons, aussi grande qu’on puisse l’imaginer, rien ne me détachera de cet amour.
S’il parle ainsi, ce n’est pas que quelque ange ou quelque autre puissance ait essayé de lui enlever cet amour, à Dieu ne plaise ! mais il emploie ces hyperboles pour montrer l’amour qu’il porte au Christ. Car il n’aime pas le Christ à cause de ses dons, mais, les dons à cause du Christ ; c’est lui seul qu’il a en vue, et il ne craint qu’une chose : perdre cet amour. Le perdre serait pouf' lui plus terrible qui l’enfer, comme y persévérer lui est plus cher qu’un empire. Comment donc, quand Paul n’estime pas même les choses du ciel en comparaison de l’amour du Christ, comment serions-nous excusables de mettre de la boue et de l’argile au-dessus du Christ ? Paul est prêt, sil le faut, à tomber en enfer et à être privé du ciel plutôt que de perdre l’amour du Christ ; et nous ne méprisons pas même la vie présente ! Sommes-nous seulement dignes de délier les cordons de ses souliers, nous qui sommes à une telle distance de cette âme magnanime ? A cause du Christ il dédaigne même le royaume du ciel, et nous, nous méprisons le Christ et estimons beaucoup ses dons.
Et plût au ciel que nous estimassions ses dons ! mais ce n’est pas même cela : le royaume du ciel est devant nous, et nous le laissons pour courir chaque jour après des ombres et des songes. Pourtant Dieu qui est bon et miséricordieux fait comme un père tendre qui, voyant son fils dégoûté de vivre toujours avec lui, invente d’autres moyens de le retenir. En effet comme son amour n’est pas pour nous un lien assez puissant, il met en couvre beaucoup d’autres moyens pour nous rattacher à lui. Mais cela ne nous retient pas encore, et nous courons à des jeux d’enfants. Il n’en était pas ainsi de Paul ; comme un fils bien né, généreux et plein de piété filiale, il ne recherche que la compagnie de son père, et se soucie bien moins du reste ; que dis-je ? il est plus qu’un fils ; car il n’unit pas dans son estime son père et ses dons ; mais quand il voit son père, il dédaigne tout le reste, et aimerait mieux être puni et flagellé en restant avec lui, que de vivre dans les délices loin de lui.
6. Tremblons donc, nous qui ne méprisons pas même les richesses pour Dieu, bien plus, qui ne les méprisons pas pour nous-mêmes. Paul seul souffrait tout pour le Christ, non en vue 'du royaume, non en vue de l’honneur, mais par pure affection pour lui. Et nous, ni le Christ, ni les biens du Christ, ne sauraient nous détacher des choses terrestres ; mais comme les serpents, comme les vipères, comme les pourceaux ou d’autres animaux de ce genre, nous nous traînons dans la fange. En quoi, en effet, différons-nous de ces animaux, nous qui, après tant et de si beaux exemples, avons encore les yeux fixés sur la terre et ne supportons pas même de les diriger un instant vers le Ciel ? Et pourtant Dieu nous a donné son Fils ; et vous, vous 'ne donnez pas même un morceau de pain à celui qui a été livré et immolé pour vous ! Pour vous, le Père n’a pas même ménagé son Fils, son Fils légitime ; et vous, vous le dédaignez, ce Fils, quand il meurt de faim, quand vous ne dépenseriez que ce qui vient de lui et que vous le dépenseriez pour vous. Qu’y a-t-il de pire qu’une telle iniquité ? Il a été livré pour vous, il a été immolé pour vous, il erre çà et là dévoré par la faim ; vous donneriez de ce qu’il vous a donné lui-même, et vous le donneriez pour votre profit, et vous ne donnez cependant rien ! Ceux qui, malgré tant de motifs propres à les toucher, persévèrent dans cette inhumanité diabolique ne sont-ils pas plus insensibles que les pierres ?
Il ne s’est pas contenté de la mort et de la croix ; mais il a voulu être pauvre, étranger, errant, nu, prisonnier, malade, afin de vous attirer à lui. Si vous ne me rendez rien, nous dit-il, pour tout ce que j’ai souffert pour vous, ayez pitié de ma pauvreté ; et si la pauvreté ne vous touche pas, que ce soit au moins la maladie, la captivité ; et si rien de tout cela ne vous inspire un sentiment de bonté, faites attention au peu que je demande. Je ne demande rien de coûteux ; mais dû pain, tin abri, une parole de consolation. Que si votre dureté persiste, eh bien ! songez au royaume céleste, aux récompenses que je vous ai promises, et devenez meilleur. Vous ne tenez encore aucun compte de cela ? Cédez au moins à la nature, et en voyant cet homme nu, songez à la nudité que j’ai supportée pour vous sur la croix. Si cette nudité-là ne vous émeut pas, souvenez-vous de celle que je subis maintenant dans la personne des pauvres. J’ai été alors dans le besoin à cause de vous, j’y suis encore aujourd’hui à cause de vous, afin que, pour l’une ou l’autre de ces raisons, vous me fassiez quelque aumône ; j’ai jeûné à cause de vous, j’ai encore faim à cause de vous ; j’ai eu soif sur la croix, j’ai encore soif dans la personne des pauvres, afin que par tous ces motifs je puisse vous attirer à moi et vous rendre humain dans votre propre intérêt. Et pour les services sans nombre que je vous ai rendus, je vous demande un retour, non comme dette, mais comme grâce, et, pour le peu que je demande, je vous couronne, je vous donne un royaume. Je ne vous dis pas : Délivrez-moi de la pauvreté, ni : Donnez-moi la richesse, bien que j’aie été pauvre pour vous ; je vous demande simplement du pain, un vêtement, un faible soulagement à ma faim. Et si je suis en prison, je ne vous oblige pas à briser mes chaînes ni à me tirer delà ; je vous demande seulement de jeter un regard sur un homme enchaîné à cause de vous, et cette grâce me suffit, et pour ce simple fait je vous donne le ciel. Pourtant je vous ai délivré d’une captivité bien plus dure ; mais je suis content, si vous venez me voir comme prisonnier. Je pourrais vous couronner sans cela ; mais je veux être votre débiteur, afin que vous ayez quelque confiance à saisir la couronne. Voilà pourquoi, pouvant me nourrir moi-même, je vais mendier de tous côtés, je me tiens à votre porte et vous tends la main. C’est de vous que je désire recevoir ma nourriture ; car je vous aime beaucoup ; je désire m’asseoir à votre table, comme c’est le propre des amis, et j’en suis fier ; en présence du monde entier, je proclame vos louanges, et, devant l’auditoire attentif, je montre celui qui m’a nourri.
Pourtant, nous autres hommes, quand quelqu’un nous nourrit, nous en rougissons, nous le tenons dans l’ombre ; mais lui, parce qu’il nous aime beaucoup, proclame le fait, même quand nous gardons le silence, le relève par de grands éloges et ne rougit point de dire que nous l’avons vêtu quand il était nu et nourri quand il avait faim. Pensons donc à tout cela, et ne nous en tenons pas aux éloges, mais accomplissons tout ce qui a été dit. À quoi bon ces applaudissements et ce bruit ? Je ne vous demande qu’une chose : la démonstration parles faits, l’obéissance par les œuvres ; voilà mon éloge, voilà votre profit, voilà qui brillera plus qu’un diadème à mes yeux. Donc, au sortir d’ici, tressez cette couronne pour vous et pour moi par les mains des pauvres, afin de vivre tous ensemble ici-bas, dans une douce espérance, et d’obtenir des biens sans nombre, lors du départ pour l’autre vie. Puissions-nous tous avoir ce bonheur, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l’empire, l’honneur appartiennent au Père en même temps qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVI. modifier


JE DIS LA VÉRITÉ DANS LE CHRIST, JE NE MENS PAS, MA CONSCIENCE ME RENDANT TÉMOIGNAGE PAR L’ESPRIT-SAINT. (IX, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier

  • 1. Nouvelle et plus grande preuve encore de l’amour que saint Paul avait pour Jésus-Christ. – Comment il désirait d’être anathème pour ses frères ou plutôt pour Jésus-Christ lui-même.
  • 2. C’était par ce désir de faire cesser les blasphèmes des Juifs contre Dieu, et par conséquent par amour pour Dieu que saint Paul souhaitait d’être anathème.
  • 3. Les Juifs reprochaient à Dieu de ne pas accomplir les promesses faites à leurs pères ; saint Paul leur répond que les promesses de Dieu se sont au contraire parfaitement accomplies.
  • 4. Ce ne sont pas ceux qui descendent d’Abraham selon la chair, qui sont ses enfants et lis enfants de Dieu, mais ceux qui naissent en vertu de la promesse.
  • 5. Pourquoi Dieu a-t-il fait aux Juifs des promesses quand il prévoyait qu’ils se rendraient indignes d’en recevoir l’accomplissement ? – Saint Paul répond à cette objection non pas en expliquant ce mystère, mais en proposant à son tour des questions dont ses adversaires ne peuvent donner la solution.
  • 6. Dieu seul connaît ceux qui sont dignes, lui seul choisit et connaît les motifs de son élection. 7. Qu’il ne faut pas demander de comptes à Dieu.
  • 8. Que Dieu ne détruit pas le libre arbitre.
  • 9. Mystère de la vocation des Gentils conforme à la gloire de Dieu et prédit par les prophètes.

10. C’est parce que les Juifs avaient l’attention tournée vous les prescriptions de Moisa, qu’ils se sont heurtés contre la pierre, parce qu’ils se sont obstinés à chercher leur salut dans leur loi, au lieu de le demander à la foi en Jésus-Christ.
1. N’avez-vous pas trouvé magnifique, au-dessus de la nature, ce que je vous ai dit, dans la dernière instruction, sur l’amour de Paul envers le Christ ? C’est en effet quelque chose de grand en soi et qui surpasse toute expression ; et cependant ce qu’il dit aujourd’hui le dépasse encore autant que ce que nous disions hier est au-dessus de nos pensées. Je ne croyais pas qu’on pût rien dire de plus, et néanmoins ce qu’on vient de lire aujourd’hui m’a semblé bien plus éclatant que tout le reste ; et l’apôtre, en ayant la conscience, l’a déclaré dès le début, comme devant aborder un sujet plus élevé et exciter l’incrédulité chez un grand nombre. Il commence donc par attester ce qu’il va dire ; c’est l’usage ordinaire de ceux qui ont à communiquer des choses incroyables pour la multitude, et dont ils sont eux-mêmes pleinement convaincus. « Je dis la vérité et je ne mens pas ; et ma conscience me rend témoignage, qu’il y a une grande tristesse en moi et une douleur continuelle dans mon cœur. Car je désirais ardemment d’être moi-même anathème à l’égard du Christ ». (1-3)
Que dites-vous, Paul ? Ce Christ que vous aimez, dont ni le ciel, ni l’enfer, ni les choses visibles, ni les choses invisibles, ni tant d’autres choses, ne pourraient vous séparer, vous voudriez être anathème à son égard ? Qu’est-il donc arrivé ? Êtes-vous changé ? Avez-vous perdu cet amour ? Non, répond-il, ne craignez rien ; je l’ai plutôt augmenté. Comment donc désirez-vous être anathème, et demandez – vous un éloignement, une séparation après laquelle il n’y en a plus de possible ? Parce que je l’aime ardemment, dit-il. Comment ? de quelle manière ? dites-le-moi ; car cela ressemble fort à une énigme. Mais d’abord, s’il vous plaît, apprenons ce que c’est que l’anathème, puis nous l’interrogerons là-dessus, et nous comprendrons ce mystérieux, ce prodigieux amour.
Qu’est-ce donc que l’anathème ? Écoutons-le dire : « Si quelqu’un n’aime pas le Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème ! » (1Cor. 16,22), c’est-à-dire qu’il soit séparé de tous, étranger à tous. Car comme personne n’oserait porter la main sur un objet consacré à Dieu, ni même s’en approcher de trop près ; ainsi l’apôtre retranchant, repoussant au loin celui qui est séparé de l’Église, lui donne ce nom d’anathème par antithèse, et ordonne que chacun s’en écarte et le fuie avec horreur. Personne n’osait, par respect, s’approcher d’un objet consacré ; par un sentiment contraire, tout le monde s’éloignait de celui qui était retranché de l’Église. En sorte qu’il n’y avait bien qu’une seule et même séparation pour l’un et l’autre cas, mais le genre n’était pas le même ; l’un était le contraire de l’autre. Dans le premier cas, on respectait un objet parce qu’il était consacré à Dieu ; dans le second, on s’éloignait d’un homme séparé de Dieu et retranché de l’Église. Voilà donc ce que Paul entend quand il dit : « Je désirais ardemment être anathème à l’égard du Christ ». Il ne dit pas simplement : Je voulais, mais en termes plus énergiques : « Je désirais ardemment ».
Que si vous vous troublez de ces expressions comme trop faibles, considérez la chose en elle-même : Voyez non seulement ce désir d’être séparé, mais la raison même de ce désir, et vous comprendrez l’excès de cet amour. En effet, il a circoncis Timothée ; néanmoins nous ne nous occupons pas de l’acte, mais de son intention et du motif qui l’animait, et nous ne faisons que l’en admirer davantage.
non seulement il a circoncis, mais il s’est rasé et il a sacrifié ; pour cela nous ne l’avons certes pas appelé Juif ; c’est par là même, au contraire, que nous avons vu qu’il s’éloignait davantage du Judaïsme, qu’il était sincère et véritable disciple du Christ. Si donc en le voyant circoncire et sacrifier, nous ne le condamnons point comme judaïsant, si nous le glorifions au contraire pour s’être par là même séparé du Judaïsme ; ainsi en le voyant désirer ardemment d’être anathème, ne vous troublez pas, mais exaltez-le davantage quand vous saurez la raison de son désir. Si en effet nous ne remontons pas aux causes, nous appellerons Élie homicide, et Abraham non seulement homicide, mais homicide de son fils ; nous accuserons Phinéès et Pierre de meurtres ; et ce n’est pas seulement à l’égard des saints, mais à l’égard de Dieu même, qu’on sera entraîné à beaucoup d’absurdités, faute d’observer cette règle. Pour éviter cet inconvénient, dans tous les cas de ce genre, rapprochons d’abord la cause, l’instruction, le temps ét toutes les circonstances propres à justifier l’action, puis examinons la question. Et c’est précisément ce que nous devons faire ici pour cette âme bienheureuse. Quelle est donc la cause ? Jésus lui-même, l’objet aimé. Or, Paul ne dit pas que ce soit pour luit : je désirerais ardemment, dit-il, être anathème pour mes frères. C’est là un effet de son humilité ; il ne veut pas avoir l’air de faire pour le Christ la grande chose qu’il exprime, aussi dit-il : « Qui sont mes proches », afin de dissimuler la grandeur de la chose ; mais, pour vous convaincre que c’est le Christ qu’il a en vue, écoutez la suite. Après avoir dit : « Qui sont mes proches », il ajoute : « Auxquels appartient l’adoption ; la gloire, l’alliance, la loi, le culte et les promesses ; dont les pères sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles. Amen (4, 5) ».
2. Mais quoi ? direz-vous, s’il désirait être anathème afin que d’autres eussent la foi, il devait aussi faire le même vœu pour les gentils ; et s’il ne prie que pour les Juifs, c’est une preuve qu’il n’agit pas par amour pour le Christ, mais en vertu du lien de parenté. Je réponds que s’il n’eût prié que pour les gentils, on n’aurait pas si bien reconnu que c’était Jésus-Christ qu’il avait en vue ; mais en priant pour les Juifs seuls, il fait voir qu’il n’a absolument en vue que la gloire du Christ. Je sais que vous verrez, là, un paradoxe ; cependant, si vous restez calmes, je vais essayer de vous le démontrer. Ce n’est pas sans raison qu’il a parlé ainsi : car comme, tous les Juifs accusaient Dieu en disant : qu’ayant eu l’honneur d’être appelés fils de Dieu, ayant reçu la loi, ayant connu Dieu avant tout le monde, ayant joui d’une si grande gloire, ayant servi Dieu en face de tout l’univers, ayant reçu les promesses, étant les pères des mêmes tribus, et (ce qui était bien plus encore) étant les ancêtres du Christ (comme l’apôtre le dit : « De qui est sorti selon la chair, le Christ même ») que malgré tout cela, ils avaient été rejetés, déshonorés, et qu’à leur place ou avait substitué des gentils qui n’avaient jamais connu Dieu comme, dis-je, ils tenaient ce langage et qu’ils blasphémaient contre Dieu, Paul qui entendait tout cela, qui s’en trouvait blessé et pleurait sur l’outrage fait à la gloire de Dieu, désirait ardemment être anathème, si cela eût été possible, pour les sauver, pour faire cesser les blasphèmes et empêcher que Dieu ne parût avoir trompé les descendants de ceux à qui il avait promis les dons.
Et pour vous faire comprendre que c’est là ce qui l’afflige et que son désir est bien qu’on ne croie pas Dieu infidèle à la promesse faite à Abraham en ces termes : « Je te donnerai cette terre, à toi et à ta race » (Gen. 12,7) ; à ce qu’il vient de dire, il ajoute : « Non que la parole de Dieu soit restée sans effet » montrant par là qu’il se résigne à souffrir tout cela à cause de la parole de Dieu, c’est-à-dire pour la promesse faite à Abraham. Car comme Moïse semblait intercéder pour les Juifs, et en réalité, n’avait en vue que la gloire de Dieu : « Déposez », disait-il, « votre colère, pour qu’on ne dise pas que leur Dieu les a fait sortir pour les détruire dans le désert, parce qu’il ne pouvait pas les sauver » (Deut. 9,28) ; ainsi fait Paul. Je voudrais, dit-il, être anathème, pour qu’on ne dise pas que la parole de Dieu est restée sans effet, que ses promesses étaient menteuses, que ce qu’il a dit ne s’est pas accompli. Il ne parle donc pas pour les Gentils (car la promesse n’était pas pour eux, et ils n’avaient point servi Dieu, aussi Dieu n’était-il point blasphémé à cause d’eux) ; mais il formait ce vœu en faveur des Juifs, qui avaient reçu la promesse et auxquels il était lié par des nœuds plus étroits. Voyez-vous donc que s’il eût désiré être anathème pour les Gentils, il eût moins évidemment cherché la gloire du Christ ; tandis qu’en désirant l’être pour les Juifs, il fait parfaitement voir que c’est pour le Christ qu’il forme ce vœu.
Aussi dit-il : « Auxquels appartiennent l’adoption, la gloire, le culte et la promesse ». En effet, dit-il, ils ont reçu la loi qui parle du Christ ; ils ont reçu les promesses, qui toutes se rapportent à lui ; lui-même en est sorti, aussi bien que les pères qui ont reçu les promesses ; et pourtant tout le contraire est arrivé, et ils ont perdu tous leurs biens. Voilà pourquoi, ajoute-t-il, je suis affligé, et s’il était possible d’être séparé de la compagnie du Christ, d’être privé, non pas de son amour (loin de là, puisqu’il faisait tout pour l’amour), mais de la jouissance du ciel, mais de la gloire, j’y consentirais pour que Dieu ne fût plus blasphémé, pour ne plus entendre dire que c’est une comédie, qu’autres ont été les promesses, autres les événements ; qu’il est né des uns et qu’il a sauvé les autres ; qu’il avait fait des promesses aux ancêtres des Juifs, puis qu’il a abandonné leurs enfants et appelé à la possession des biens des hommes qui ne l’avaient, jamais connu ; que cependant les Juifs se fatiguaient à méditer la loi et à lire les prophéties, tandis que les païens, ramenés hier de leurs autels et de leurs idoles, leur ont été préférés, que ce n’est point là une Providence. Afin donc, dit-il, que tout cela ne se répète plus de mon Maître, bien que cela soit injuste, je renoncerais volontiers au royaume du ciel, à cette gloire ineffable, je supporterais tous les maux, et je regarderais comme une très-grande compensation de toutes mes peines de ne plus entendre ainsi blasphémer mon bien-aimé. Si vous ne comprenez pas encore la pensée de l’apôtre, songez que souvent bien des pères en font autant pour leurs enfants, se résignant à se séparer d’eux pour les voir glorieux, et préférant cette gloire même à leur compagnie. Mais comme nous sommes à une grande distance de cet amour, nous ne pouvons pas même comprendre ce qui s’en dit.
Il en est qui sont si peu dignes d’entendre le langage de Paul, et qui sont si loin de son ardent amour, qu’ils s’imaginent que ses paroles s’appliquent à la mort temporelle. De ceux-là je dirai qu’ils ne connaissent pas plus Paul que les aveugles la lumière du soleil, et bien moins encore. Comment celui qui mourait tous les jours, qui courait des périls sans nombre, qui s’écriait : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? Est-ce la tribulation ? Est-ce l’angoisse ? Est-ce la faim ? Est-ce la persécution ? » (Rom. 8,35) ; qui, non content de cela, montait au-dessus du ciel et du ciel des cieux, au-dessus des anges et des archanges ; qui parcourait toutes les sphères célestes, et embrassait le présent et l’avenir, le visible et l’invisible, la tristesse et la joie et tout ce qui s’y rattache ; qui n’oubliait rien de ce qui existe, n’en était point satisfait, et supposait encore une autre création qui n’existe pas, pour tout sacrifier à son amour pour Jésus-Christ ; comment, dis-je, après tout cela, viendra-t-il parler de la mort temporelle comme de quelque chose d’important ?
3. Non, non, ce n’est pas cela ; une telle pensée vient de vers de terre rampant dans le fumier. Si c’était là ce qu’il a voulu dire, comment aurait-il désiré d’être anathème à l’égard du Christ ? Car cette mort l’eût réuni plus tôt à la compagnie du Christ et mis en possession de la gloire éternelle. Il en est d’autres qui osent encore avancer des choses plus ridicules. Ce n’est pas de mourir qu’il souhaitait, disent-ils, mais d’être la possession, le bien propre du Christ. Et quel homme si vil, si déchu, qui n’en souhaite autant ? Comment aurait-il pu l’être pour ses proches ? Laissons donc de côté ces fables et ces niaiseries (car elles ne valent pas la peine d’être réfutées, pas plus que les puérilités que bégayent les enfants) ; revenons au discours de l’apôtre, pour nous délecter dans cet océan d’amour, y nager au large et en toute liberté ; pour contempler cette flamme immense, car tout ce qu’on en peut dire est au-dessous du sujet. En effet, cet amour est plus vaste qu’aucun océan, plus violent que quelque flamme que ce soit, et aucun langage ne saurait l’exprimer dignement ; celui-là seul l’a connu qui l’a si bien éprouvé.
Répétons donc encore ces paroles : « Car je désirais ardemment d’être moi-même anathème ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Moi-même ? » Moi qui suis le docteur universel, qui ai obtenu des succès sans nombre, qui attends mille couronnes, qui ai aimé le Christ jusqu’à préférer son amour à tout le reste, qui brûle pour lui chaque jour, et mets cet amour au-dessus de tout. Car il n’avait pas seulement à cœur d’être aimé du Christ, mais de l’aimer ardemment ; et c’était là son principal souci. Aussi n’avait-il point d’autre vue, et supportait-il tout facilement ; en toutes choses il ne visait qu’à ce point : assouvir ce bel amour. Voilà quels sont ses vœux ; mais comme cela ne devait pas être, comme il ne devait pas être anathème, il s’efforce de repousser les reproches, de reproduire les objections qui courent de bouche en bouche et de les réfuter. Mais avant d’entreprendre cette justification, il en pose d’abord les fondements. En effet, quand il dit : « Auxquels appartiennent l’adoption, la gloire, la loi, le culte et les promesses », il n’entend pas autre chose, sinon que Dieu voulait les sauver (c’est ce que Dieu lui-même a prouvé par tout ce qu’il a fait autrefois, par l’origine du Christ né d’eux, et par les promesses faites à leurs pères) ; mais eux, par leur ingratitude propre, on a rejeté les bienfaits. Voilà pourquoi Paul établit des faits, qui prouvent uniquement la bonté de Dieu, mais ne font point leur éloge : en effet, l’adoption était un don gratuit, aussi bien que la gloire, les promesses et la loi. En pensant à tout cela,.et considérant quel immense intérêt Dieu et son Fils attachaient à leur salut, il pousse un grand cri et dit : « Qui est béni dans les siècles, Amen » ; rendant ainsi grâces de tout au Fils unique de Dieu. Qu’importe, nous dit-il, que les autres blasphèment ? Nous qui connaissons ses secrets, sa sagesse infinie, sa grande providence, nous savons parfaitement qu’il mérite d’être glorifié, et non blasphémé.
Non content du témoignage de sa conscience, il essaye encore du raisonnement, et les attaque en termes énergiques, mais non avant d’avoir détruit leur soupçon. Pour ne pas avoir l’air de parler à des ennemis, il dit plus bas : « Mes frères, le désir de mon cœur et mes supplications à Dieu ont pour objet leur salut » (Rom. 10,1) ; et ici même, entre autres choses qu’il dit contre eux, il prend soin d’éviter de paraître agir par un sentiment hostile ; c’est pourquoi il ne dédaigne pas de les appeler ses proches et ses frères. Car bien que, dans tout ce qu’il dit, il n’ait en vue que le Christ, cependant il cherche à se concilier leur esprit, il prépare la voie à ce qu’il va dire, éloigne de lui tout soupçon à l’occasion des reproches qu’il doit leur adresser, et enfin il aborde la question controversée dans la foule.
Beaucoup, en effet, comme je l’ai déjà dit, demandaient pourquoi ceux qui avaient reçu la promesse étaient déchus, et comment ceux qui n’en avaient jamais ouï parler, étaient sauvés avant eux. Pour détruire cette difficulté, il donne la solution avant l’objection. De peur qu’on ne dise : Quoi ! vous vous inquiétez plus de la gloire de Dieu que Dieu lui-même ! Ou encore : A-t-il besoin de votre aide pour que sa parole ne reste pas sans effet ? Pour prévenir ces questions, il dit : Si j’ai affirmé cela, « Ce n’est pas que la parole de Dieu soit restée sans effet », mais j’ai voulu montrer mon amour pour le Christ même. Après tout ce qui s’est passé, nous ne sommes pas embarrassés de justifier Dieu, et de montrer que sa promesse est restée debout. Dieu a dit à Abraham : « Je te donnerai cette terre, pour toi et pour ta race » (Gen. 12,7) ; et encore : « En ta race seront bénies toutes les nations (Id. 3) » ; voyons maintenant, ajoute l’apôtre, quelle est cette race : car tous ceux qui sont sortis d’Abraham ne sont pas de sa race ; c’est pourquoi il dit : « Mais tous ceux qui descendent d’Israël ne sont pas israélites ; ni ceux qui appartiennent à la race d’Abraham ne sont pas tous ses enfants… (7) ».
4. Or, quand vous saurez quelle est la race d’Abraham, vous verrez que c’est à elle qu’a été faite la promesse, et que cette promesse n’est point tombée à vide. Dites-moi donc quelle est cette race ? Ce n’est pas moi qui me charge de répondre, mais l’Ancien Testament lui-même, qui nous dit : « En Isaac sera ta postérité ». (Gen. 21,12) Qu’est-ce que cela veut dire : « En Isaac ? » Interprétez : « C’est-à-dire, ce ne sont pas les enfants selon la chair, qui sont enfants de Dieu ; mais ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés dans la postérité (18) ». Et voyez la prudence de Paul et sa haute sagesse ! Dans son explication il ne dit pas : Ce ne sont point les enfants de la chair qui sont enfants d’Abraham, mais : « Enfants de Dieu » ; rattachant ainsi le passé au présent, et montrant qu’Isaac n’était pas simplement l’enfant d’Abraham. Voici donc ce qu’il veut dire : Ceux qui sont engendrés à la manière d’Isaac, ceux-là sont les enfants de Dieu et la postérité d’Abraham. Aussi Dieu a-t-il dit : « En Isaac sera ta postérité », pour nous apprendre que ceux qui sont engendrés à la manière d’Isaac, sont principalement la postérité d’Abraham. Comment donc Isaac a-t-il été engendré ? Non selon la loi de nature, non selon la puissance de la chair, mais en vertu de la promesse. Qu’est-ce à dire : en vertu de la promesse ? « En ce temps, je viendrai à toi, et Sara aura un Fils ».
C’est donc la promesse et la parole de Dieu qui a formé et engendré Isaac. Qu’importe qu’il y ait eu les entrailles et le sein d’une femme ? Ce n’est pas la vertu des entrailles, mais celle de la promesse qui a enfanté Isaac. Ainsi sommes-nous aussi enfantés par la parole de Dieu : car, dans la piscine des eaux, ce sont les paroles de Dieu qui nous engendrent et nous forment : nous sommes engendrés, quand on nous baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Cette génération n’est point l’effet de la nature, mais de la promesse de Dieu. En effet, comme Dieu a accompli la génération d’Isaac, après l’avoir annoncée d’avance ; ainsi a-t-il réalisé la nôtre, après l’avoir fait prédire longtemps d’avance par tous les prophètes. Voyez-vous quelle grande chose Dieu a révélée, et avec quelle facilité il a accompli la magnifique promesse qu’il avait faite ? Si les Juifs objectent que ces paroles : « En Isaac sera ta postérité », signifient que tous ceux qui sont nés d’Isaac sont cette postérité, il faudrait alors y comprendre les Iduméens et tous ceux qui sont nés d’Esaü ; car leur père Esaü était fils d’Isaac. Or, non seulement on ne les compte point pour enfants de celui-ci, mais on les considère comme tout à fait étrangers. Voyez-vous que ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, et que déjà autrefois, dans l’ordre même de la nature, était figurée la régénération par le baptême ? Si vous me parlez de sein maternel, moi je vous parlerai de l’eau. Mais comme ici tout est l’œuvre de l’Esprit, ainsi là tout était l’effet de la promesse car le sein maternel était plus glacé que l’eau à cause de la stérilité et de la vieillesse. Comprenons donc bien notre noblesse et montrons-nous en dignes par notre conduite ; car il n’y a rien, là, de charnel ni de terrestre. Ne le soyons donc point nous-mêmes. Ce n’est point le sommeil, ni la volonté de la chair, ni l’union charnelle, ni l’aiguillon de la passion, mais la bonté de Dieu qui a tout fait. Et comme là, dans un âge qui ôtait tout espoir, de même ici, dans la vétusté du péché, est tout-à-coup survenu l’homme nouveau, et nous sommes tous devenus enfants de Dieu et descendants d’Abraham. « Et non seulement elle, mais aussi Rebecca « qui eut deux fils à la fois d’Isaac, notre père ». La question était importante ; aussi emploie-t-il beaucoup de raisonnements, et cherche-t-il par tous les moyens à résoudre la difficulté. Si c’était chose inouïe, étrange, qu’après tant de promesses, les Juifs fussent privés des résultats, il est bien plus extraordinaire que noirs prenions possession de leurs biens, nous qui n’avions rien de pareil à attendre. C’est comme si le fils d’un roi, à qui la succession au trône aurait été promise, se voyait rejeté parmi les hommes obscurs, tandis que l’empire qui lui était dû, passerait aux mains d’un condamné, d’un homme rempli de vices et sorti de prison. Que pourriez-vous dire à cela ? demande Paul. Que le fils était indigne ? Mais ce criminel l’est aussi, et beaucoup plus. Il fallait donc qu’ils fussent ou punis ou honorés tous les deux. C’est quelque chose de ce genre, de plus étonnant même, qui a eu lieu à l’occasion des Gentils et des Juifs. Que tous étaient indignes, l’apôtre l’a fait voir plus haut, en disant : « Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu » (Rom. 3,23) ; mais l’étrange c’est que, tous étant indignes, les Gentils seuls soient sauvés. Après tout cela, on peut encore faire une objection et dire : Si Dieu ne devait pas accomplir ses promesses, pourquoi les a-t-il faites ? Les hommes, ignorant l’avenir, sujets à beaucoup de déceptions, peuvent promettre à des sujets indignes ; mais pourquoi Dieu, qui connaît le présent et l’avenir, et qui savait parfaitement qu’on se rendrait indigne de ses promesses et qu’on n’en recueillerait point les fruits, pourquoi les a-t-il faites ?
5. Comment Paul résout-il cette objection ? En faisant voir quel est l’Israël, à qui les promesses ont été faites. Une fois cette explication donnée, il devient évident que les promesses ont été toutes accomplies. C’est ce qu’il déclare quand il dit : « Tous ceux qui descendent d’Israël ne sont pas Israélites ». C’est pourquoi il ne donne pas le nom de Jacob, mais celui d’Israël, qui était le symbole de la vertu du juste, nom qui lui avait été donné d’en haut, et était la preuve que Dieu lui était apparu. Et cependant, direz-vous, tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. Si tous ont péché, comment les uns sont-ils sauvés et les autres perdus ? Parce que tous n’ont pas voulu venir. En ce qui regarde Dieu, tous ont été sauvés, puisque tous ont été appelés. Cependant ce n’est point là ce que dit l’apôtre ; mais il résout la difficulté par d’autres exemples ; comme plus haut il introduit une autre question, et détruit une très-grave objection par une autre objection.
En effet, quand il s’agissait de savoir comment, le Christ étant justifié, tous les hommes ont obtenu la même justification, il produit le fait d’Adam, en disant : « Si par le péché d’un seul, la mort a régné, à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce, régneront-ils dans la vie ». (Rom. 5,10). Il ne résout point la difficulté en ce qui regarde Adam, mais il répond et il se place à son propre point de vue, et montre qu’il est bien plus raisonnable que le Christ, qui est mort pour eux, exerce sur eux librement son empire. En effet beaucoup pensent qu’il n’est guère juste que tous soient punis pour le péché d’un seul ; mais que tous soient justifiés par le mérite d’un seul, voilà qui est bien plus conforme à la raison et bien plus digne de Dieu. Cependant Paul ne résout pas la première question ; car plus elle est obscure, mieux le Juif est réduit au silence ; son embarras se reporte sur le, fait d’Adam, et l’autre point qui regarde le Christ en devient plus clair. De même ici, l’apôtre tire sa solution d’autres objections : car c’est aux Juifs qu’il a affaire. Il ne rend donc point raison des exemples qu’il produit ; il n’y est point obligé, puisqu’il combat les Juifs ; mais il s’en sert pour faire ressortir l’évidence de ce qu’il affirme. Pourquoi vous étonner, leur dit-il, que, parmi les Juifs, les uns soient sauvés et que les autres ne le soient pas ? Vous pouvez en voir autant chez les anciens patriarches. Pourquoi Isaac seul porte-t-il le nom de descendant, bien qu’Abraham fût aussi père d’Ismaël et de beaucoup d’autres enfants ? Est-ce parce qu’Ismaël était né d’une servante ? Mais qu’est-ce que cela fait par rapport au père ? Du reste je ne discute pas là-dessus ; qu’on chasse Ismaël à cause de sa mère, soit ; mais que dirons-nous de ceux qui sont nés de Cétura ? n’étaient-ils pas libres et nés de femme libre ? Pourquoi n’ont-ils point partagé les privilèges d’Isaac ? Mais pourquoi parler de ceux-là ? Rébecca fut la seule femme d’Isaac ; elle eut deux fils, et les eut de lui ; et cependant ces deux enfants, engendrés du même – père, de la même mère, d’une même couche, ayant le même père, la même mère, et, de plus, jumeaux, n’eurent point le même sort. Ici, on ne peut pas, comme pour Ismaël, objecter que la mère était servante ; ni que l’un est né d’une mère et l’autre d’une autre, comme pour Sara et Cétura, puisqu’ils sont sortis du même sein, à la même heure. C’est pourquoi Paul, comme passant à un exemple plus évident, dit : « Non seulement » cela est arrivé pour Isaac, « mais aussi Rébecca qui eut deux fils à la fois d’Isaac, notre père. Car avant qu’ils fussent nés ou qu’ils eussent fait ni aucun bien ni aucun mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, non à cause de leurs œuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il lui fut dit : L’aîné servira sous le plus jeune, selon qu’il est écrit : J’ai aimé. et j’ai haï « Esaü (10-13) ».
Pourquoi donc l’un était-il aimé et l’autre haï ? Pourquoi l’un servait-il et l’autre commandait-il ? Était-ce parce que l’un était méchant et l’autre bon ? Mais, avant qu’ils fussent nés, l’un était honoré et l’autre condamné ; avant qu’ils fussent nés, Dieu avait dit : « L’aîné servira sous le plus jeune ». Pourquoi Dieu a-t-il dit cela ? Parée qu’il n’a pas besoin, comme l’homme, d’attendre les faits pour savoir qui sera bon ou méchant, mais qu’il le sait d’avance. Et c’est là ce qui est arrivé pour les Juifs, d’une manière plus étonnante encore. À quoi bon en effet parler d’Esaü et de Jacob, dont l’un était méchant et l’autre, bon ? Le péché était commun à tous les Israélites car tous avaient adoré le veau d’or. Et pourtant les uns obtiennent grâce, les autres non. « Car », dit le Seigneur, « j’aurai pitié de qui j’aurai pitié, et je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde (15) ». On en voit autant pour les punitions. Par exemple, que direz-vous de Pharaon, qui fut puni, et si sévèrement puni ? Qu’il était cruel et indocile ? Était-il donc le seul ? N’y en avait-il point d’autres ? Comment donc a-t-il été si sévèrement puni ? Et pourquoi Dieu a-t-il appelé à la place des Juifs un peuple qui n’était pas un peuple, et encore, n’a-t-il point accordé à tous le même honneur ? Il est écrit : « Quand ils seraient aussi nombreux que les grains de sable de la mer, ce sont leurs restes qui seront sauvés ». (Id. 10,22) Et pourquoi les restes seulement ? Voyez-vous comme il fait surgir les difficultés du sujet ? Et il a raison ; ne vous pressez pas de donner une solution, quand vous pouvez jeter votre adversaire dans l’embarras. S’il est lui-même convaincu d’être aussi incapable de répondre, pourquoi vous exposeriez-vous à des dangers inutiles ? Pourquoi l’enhardiriez-vous, en assumant sur vous tout le poids de la question ?
6. Dites-moi en effet, ô Juif ! qui avez tant de questions embarrassantes, et n’en pouvez résoudre aucune, comment pouvez-vous nous faire des difficultés à l’occasion de la vocation des Gentils ? Cependant je puis vous donner, moi, la raison légitime pour laquelle les Gentils ont été appelés et pour laquelle vous êtes déchus. Quelle est cette raison ? Parce qu’ils sont nés de la foi et vous, pour ainsi dire, des œuvres de la loi. Ces discussions vous trahissent donc de toute manière. « Car ignorant la justice de Dieu, et cherchant à établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu ». (Rom. 10,8) C’est ainsi, pour tout dire en un mot, que cette âme bienheureuse, donne la solution de tout le passage ; et pour le faire mieux voir, examinons chaque point en détail, sans perdre de vue que le but du bienheureux est de démontrer par tout ce qu’il à dit que Dieu seul connaît ceux qui sont dignes ; qu’aucun homme n’en est capable, et que celui qui semble le plus éclairé sur ce point se trompe souvent dans ses jugements. Celui qui pénètre lés pensées les plus secrètes, sait parfaitement qui sont ceux qui méritent la couronne et ceux qui sont dignes du châtiment et du supplice. Aussi souvent en a-t-il condamné sur preuves qui passaient pour justes aux yeux des hommes, et en a-t-il couronné qui étaient réputés méchants, après avoir démontré qu’ils ne litaient point ; décidant, non d’après l’opinion de ses serviteurs, mais d’après son juste et impartial jugement, et n’attendant point le résultat des œuvres pour distinguer le méchant et celui qui ne l’est pas : Mais pour ne pas obscurcir la question, revenons aux paroles de l’apôtre.
« Non seulement elle, mais aussi Rébecca, « qui eut deux fils à la fois ». Je pourrais, dit-il, parler aussi des fils de Cétura, mais je les passe sous silence ; et pour triompher pleinement, je mets en scène deux fils nés d’un même père et d’une même mère. En effet, tous les deux étaient enfants de Rébecca et d’Isaac, le fils légitime, le juste éprouvé, l’homme honoré entre tous, dont Dieu a dit : « C’est en Isaac que sera ta postérité » ; celui qui est devenu le père de nous tous. Or, s’il était notre père, nécessairement ses enfants devaient aussi être nos pères ; et cependant ils ne l’ont pas été. Voyez-vous comme le fait n’a pas seulement eu lieu pour Abraham, mais aussi pour son fils, et comment toujours la foi et la vertu éclatent et restent le caractère de la vraie parenté ? Par là nous apprenons que les enfants d’Abraham ne portent pas ce nom seulement pour être nés de lui, mais encore parce qu’ils se sont rendus dignes de la vertu de leur père. Si en effet la génération eût suffi, Esaü aurait dû partager le sort de Jacob, car lui aussi, était sorti d’un sein desséché, et sa mère était stérile. Mais une autre condition encore était exigée, la bonne conduite, et ceci n’est pas sans dessein, mais a pour but le règlement de notre vie. L’apôtre ne dit pas : L’un a été préféré, parce qu’il était bon et que l’autre était méchant ; autrement on lui aurait aussitôt objecté : Quoi ! les gentils étaient-ils bons et les circoncis ne l’étaient-ils point ? C’était la vérité ; cependant il ne le dit point encore, de peur de trop déplaire ; mais il rejette tout sur la prescience de Dieu, que l’homme le plus insensé n’oserait contester. « Car », dit-il, « avant qu’ils fussent nés ou qu’ils eussent fait ni aucun bien ni aucun mal, il lui, fut dit : L’aîné servira sous le plus jeune ». C’était là l’effet de la prescience, de choisir dès la naissance ; afin, dit l’apôtre, qu’on vît clairement que l’élection a été faite par décret et par prescience ; dès le premier jour, Dieu a su et déclaré que l’un serait bon et que l’autre ne le serait pas. Ne me dites donc point, continue-t-il, que vous avez lu la loi et les prophètes, et que, depuis tant de temps, vous êtes les serviteurs de Dieu. Celui qui sait éprouver l’âme, sait quel est celui qui mérite d’être sauvé. Laissez donc l’élection à l’Incompréhensible ; car lui seul sait récompenser avec justice. Combien, à en juger par les œuvres apparentes, eussent semblé préférables à Matthieu ? Mais celui qui connaît les secrets, qui sait apprécier les dispositions de l’âme, découvrit la perle enfouie dans – la boue ; et, laissant là les autres, et admirant la beauté de celui-ci, il le choisit et aidant du secours de sa grâce sa généreuse volonté, il fit voir en, lui un juste éprouvé. En effet si, dans les arts futiles ou en toute autre matière, ceux qui sont capables de juger, ne règlent pas leurs choix sur l’opinion des ignorants, mais d’après leurs propres connaissances, souvent méprisent ce que ceux-là estiment et estiment ce que ceux-là méprisent ; comme les dompteurs de chevaux, par exemple, en agissent ainsi avec les chevaux ; et aussi les experts en fait de pierres précieuses ou tout autre ouvrier dans ce qui concerne son métier à plus forte raison Dieu, qui est bon, qui est la sagesse infinie, qui seul sait tout parfaitement, ne cédera point à l’opinion des hommes, mais décidera en tout d’après sa propre sagesse, toujours exacte, toujours infaillible. Voilà pourquoi il a choisi un publicain, un larron, une prostituée, et dédaigné et rejeté des prêtres, des anciens et des magistrats.
7. On en peut voir autant à l’égard des martyrs. Un grand nombre de ceux qui étaient descendus au dernier degré de l’abjection, ont été couronnés à l’heure des combats ; et d’autres, au contraire, que l’on tenait en grande estime, ont été supplantés et sont tombés. N’en demandez donc point compte au Créateur et ne dites pas : Pourquoi l’un est-il couronné et l’autre puni ? Dieu sait tout faire avec justice ; c’est pourquoi il disait : « J’ai aimé Jacob et j’ai haï Esaü ». Le résultat vous a fait voir qu’il agissait en toute justice ; mais lui voyait tout clairement avant le résultat. Dieu ne cherche pas seulement la démonstration par les œuvres, mais aussi la générosité de la volonté et le sentiment de la reconnaissance. Celui qui les a, peut tomber par l’effet des circonstances, mais il se relèvera bientôt ; et quand il persévérerait dans le mal, Dieu qui sait tout, ne le dédaignera pas et le ramènera promptement à lui ; tandis que celui qui est gâté en lui-même, semblât-il faire quelque chose de bien, périra, parce qu’il le fait avec une intention mauvaise. Ainsi David coupable de meurtre et d’adultère, s’est bientôt lavé de ces crimes, parce qu’il les avait commis par l’entraînement des circonstances et sans préméditation ; tandis que le Pharisien, qui n’est ni adultère ni meurtrier, mais qui se glorifie du bien qu’il a fait, en perd tout le fruit par sa mauvaise volonté.
Que dirons-nous donc ? Y a-t-il en Dieu de a l’injustice ? Nullement (14) ». Par conséquent il n’y en a ni à notre égard, ni à l’égard des Juifs. Puis l’apôtre ajoute quelque chose de plus obscur : « Car Dieu dit à Moïse : J’aurai pitié de qui j’ai pitié et je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde ». Puis il fortifie l’objection en la coupant par le milieu et en la résolvant, puis en soulevant une autre difficulté. Or, pour éclaircit sa pensée, il faut nécessairement l’expliquer. Dieu, dit-il, l’a déclaré avant l’enfantement : « L’aîné servira sous le plus jeune ». Quoi donc ? Dieu est-il injuste ? nullement. Écoutez la suite : dans l’exemple précédent la vertu et le vice faisaient la différence : mais dans celui-ci le péché est commun à tous les Juifs, à savoir la fabrication du veau d’or, et pourtant les uns ont été punis et les autres ne l’ont pas été ; voilà pourquoi Dieu dit : « J’aurai pitié de qui j’ai pitié et je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde ». (Ex. 33,18) Ce n’est point à vous, ô Moïse, de savoir ceux qui sont dignes de pitié ; laissez-moi ce soin. Or, si cette connaissance n’appartenait point à Moïse, beaucoup moins nous appartient-elle. Voilà pourquoi Paul ne se contente pas de citer simplement ces paroles, mais rappelle celui à qui elles ont été adressées : « Dieu dit à Moïse » ; pour faire rougir son contradicteur par la dignité du personnage. Après avoir donné la solution des difficultés, il coupe au court, en produisant une autre objection en ces termes : « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Car l’Écriture dit à Pharaon : Voilà pourquoi je t’ai suscité : c’est pour faire éclater en toi ma puissance, et pour que mon nom soit annoncé par toute la terre (16,17) ». Comme là, nous dit l’apôtre, les uns furent sauvés et les autres punis ; de même ici Pharaon était réservé pour le but qu’on vient de dire. Puis il ramène encore l’objection : « Donc il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut. Certainement vous me direz : De quoi se plaint-il encore ? Car qui résiste à sa volonté (18, 19) ? » Voyez-vous comme il s’efforce de toutes manières de faire ressortir la difficulté ? Et il n’en donne pas d’abord là solution, et cela fort à propos ; mais il ferme d’abord la bouche à celui qui fait la question, en disant : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu ? »
Son but en ceci est de réprimer sa curiosité déplacée et excessive, de lui mettre le frein, de lui apprendre ce que c’est que Dieu, ce que c’est que l’homme, que la Providence est incompréhensible, qu’elle surpasse l’intelligence humaine et qu’il faut que tout lui obéisse ; afin qu’après en avoir convaincu l’auditeur, et avoir contenu et calmé son esprit, il amène la solution sans difficulté et fasse accepter sa parole. Il ne dit pas que ces questions sont insolubles. Que dit-il donc ? qu’il est injuste de les soulever ; qu’il faut se soumettre à la parole de Dieu, ne point la scruter avec curiosité, quand même nous n’en comprendrions pas la raison. Voilà pourquoi il dit : « Qui es-tu, pour contester avec Dieu ? » Voyez-vous comme il comprime, comme il abat l’orgueil ? « Qui es-tu ? » Partages-tu la puissance ? Es-tu juge avec Dieu ? En comparaison de lui, tu ne peux pas être quelque chose, ni ceci ni cela, mais rien. Cette expression : « Qui es-tu ? » est bien plus humiliante que celle-ci : tu n’es rien. D’ailleurs par la forme interrogative il montre une plus grande indignation. Il ne dit pas non plus : Qui es-tu pour répondre à Dieu ? mais : « Pour contester », c’est-à-dire pour contredire, pour tenir tête. Car dire : Il fallait ceci, ou il ne fallait pas cela, est le propre d’un contradicteur. Voyez-vous comme il épouvante, comme il frappe de terreur, et dispose ses auditeurs à trembler plutôt qu’à soulever des questions ou à scruter trop curieusement ? C’est là le talent d’un excellent maître, de ne pas toujours céder au désir de ses disciples, mais de les amener à sa propre manière de voir, d’arracher d’abord les épines, puis de jeter sa semence, et de ne pas répondre immédiatement aux questions qu’on propose. « Le vase dit-il au potier : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? N’a-t-il pas le pouvoir, le potier, de faire de la même massé d’argile un vase d’honneur et un autre d’ignominie ? (20, 21) ».
8. Il ne dit point ceci pour supprimer le libre arbitre, mais pour montrer jusqu’à quel point il faut obéir à Dieu. En fait de comptes à demander a Dieu, il faut être dans la disposition du vase d’argile. non seulement il ne faut pas contredire ; pas soulever de questions, mais pas même dire un mot, pas même avoir une pensée, et ressembler à cet objet inanimé, qui obéit aux mains du potier et se laisse porter où il lui plaît. C’est uniquement pour cela, c’est-à-dire pour nous apprendre à obéir et à nous taire, et non pour nous tracer une règle de conduite partout applicable, que l’apôtre a choisi cet exemple. C’est dureste une observation générale : qu’il ne faut pas tout prendre dans un exemple, mais choisir ce qu’il y a d’utile, ce qui forme proprement le but, et laisser le reste. Ainsi quand l’Écriture dit : « Il s’est couché et a dormi comme un lion » {Nom. 24,9) ; nous ne voyons là que l’idée d’une force indomptable, le côté terrible, et non le caractère sauvage ou toute autre face de la nature du lion. Dans cet autre passage : « J’irai au-devant d’eux comme une ourse qui hésite » (Os. 13,9) ; nous ne devons voir que l’idée de vengeance ; et dans ces expressions « Notre Dieu est un feu dévorant » (Deut. 4,24), il ne faut chercher que la pensée d’un supplice qui consume. De même ici faut-il interpréter les idées d’argile, de potier et de vase.
Et quand l’apôtre ajoute : « N’a-t-il pas le pouvoir, le potier, de faire de la même masse d’argile un vase d’honneur et un vase d’ignominie ? » Gardez-vous d’entendre cela d’un travail d’ouvrier ni d’une nécessité imposée à la volonté, mais du pouvoir de la Providence et de ses différentes manières d’agir. Et si nous ne l’entendions pas ainsi, il s’ensuivrait plus d’une absurdité. En effet, si cela voulait dire que la volonté est forcée, Dieu serait l’auteur du bien et du mal, et l’homme ne pourrait jamais être coupable : en quoi Paul se contredirait, lui qui partout attribue du mérite à la bonne volonté. L’apôtre n’a donc point d’autre but ici que de convaincre l’auditeur qu’il faut en tout céder à Dieu, et ne jamais lui demander compte de rien. De même, nous dit-il, que 1e potier fait de la même masse ce qu’il lui plaît, sans que personne y trouve à redire : ainsi ne jugez point témérairement ne scrutez point, quand, dans la même race d’hommes, Dieu punit les uns et honore les autres ; mais adorez simplement et imitez l’argile ; et comme l’argile obéit à la main du potier, ainsi soumettez-vous à la volonté de Celui qui règle tout cela. Car il ne fait rien au hasard, rien sans but, bien que vous ne pénétriez pas les secrets de sa sagesse. Vous permettez au potier de faire des vases différents avec la même masse et vous ne l’en blâmez point ; et vous demandez compte à Dieu de ses punitions et de ses récompenses vous ne lui permettez pas de discerner qui est digne ou indigne, et parce que la niasse est composée d’une même substance, vous voulez que les volontés soient toutes les mêmes ? Quelle folie que celle-là ! Or, dans le vase à potier, l’honneur ou l’ignominie ne sont pas le résultat de la masser mais de l’usage auquel le vase est employé ; ainsi en est-il en fait de volontés. Du, reste, comme je l’ai dit, le seul point à saisir dans cet exemple est celui-ci qu’il ne faut pas disputer avec Dieu, mais tout abandonner à son incompréhensible sagesse. D’ailleurs il faut que les exemples dépassent le but que l’on se propose et pour lequel on les produit, afin de frapper davantage l’auditeur ; car s’il en était autrement, s’ils n’étaient pas hyperboliques, ils ne pourraient pas frapper le contradicteur et le couvrir de confusion. C’est donc par une habile exagération que Paul a réfuté une objection déplacée ; après quoi il aborde la solution. Quelle est cette solution ?
« Que si Dieu voulant manifester sa colère et signaler sa puissance, a supporté avec une patience extrême les vases de colère propres à être détruits ; afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu’il a préparés pour la gloire, en nous qu’il a de plus appelés, non seulement d’entre les Juifs, mais aussi d’entre les gentils (22-24 »). Voici ce que cela veut dire : Pharaon était un vase de colère, c’est-à-dire un homme qui excitait la colère de Dieu par sa dureté personnelle ; car après avoir été l’objet d’une longue patience, il n’en était pas devenu meilleur et était resté incorrigible, voilà pourquoi Paul l’appelle non seulement vase de colère mais propre à être détruit, c’est-à-dire préparé pour la destruction, par lui-même, cependant, et de sa faute. Car Dieu n’avait rien négligé de ce qui pouvait le corriger, et lui n’avait rien, négligé de ce qui pouvait le perdre et lui ôter tout espoir de pardon. Bien que Dieu sût cela, il déploya néanmoins une grande patience à son égard, dans le désir de l’amener à pénitence ; en effet sans ce désir, il n’eût pas montré tant de longanimité. Mais comme Pharaon ne voulut point user de cette patience pour venir à résipiscence, qu’il se prépara lui-même à être un vase de colère, Dieu se servit de lui pour l’instruction des autres, pour les rendre plus vigilants par le châtiment qu’il lui infligea ; et faire ainsi éclater sa puissance. Que Dieu n’aime point à manifester ainsi sa puissance, mais qu’il préfère la signaler par des bienfaits, par des actes de libéralité, c’est ce que Paul a fait voir plus haut de toutes les manières. Car si Paul lui-même n’aime pas à être puissant de cette façon ; « Non pas », dit-il quelque, part, « pour que nous paraissions nous-mêmes approuvés, mais que vous fassiez-vous, ce qui est bon » (2Cor. 13,7) ; à bien plus forte raison Dieu. Mais Dieu ayant montré une grande patience pour amener Pharaon au repentir, et Pharaon ne s’étant point converti, Dieu le supporte encore longtemps, pour faire éclater tout à la fois sa bonté et sa puissance, puisque ce prince ne voulait pas profiter de tant de longanimité. De même donc que Dieu a prouvé sa puissance en punissant un incorrigible ; ainsi a-t-il fait voir sa bonté en prenant pitié de ceux qui avaient grandement péché, mais qui s’étaient repentis.
9. L’apôtre ne dit pas : La bonté, mais « La gloire », pour montrer que c’est là qu’éclate principalement la gloire de Dieu et que Dieu y tient plus qu’à tout le reste. Mais quand il dit : « Qu’il a préparés pour la gloire », il n’entend point tout attribuer à Dieu ; car, si cela était, rien n’empêcherait que tous fussent sauvés ; mais il veut encore une fois indiquer la prescience, et effacer la distance entre les Juifs et les gentils. Il tire aussi de là un moyen de défense qui n’est pas sans valeur. En effet, ce n’est pas seulement chez les Juifs, mais aussi chez les gentils que les uns sont perdus et les autres sauvés. Aussi ne dit-il pas : Tous les gentils, mais : « D’entre les gentils » ; ni Tous les Juifs, mais : « D’entre les Juifs ». Comme donc Pharaon est devenu vase de colère par sa propre iniquité ; ainsi les autres sont devenus des vases de miséricorde par leurs bonnes dispositions. Si le principal appartient à Dieu, nous avons cependant aussi fourni quelque petite chose. Voilà pourquoi Paul ne dit pas : Des vases de mérites, ni : Des vases de confiance ; mais : « Des vases de miséricorde », pour montrer que tout doit être rapporté à Dieu. Quant à ces mots : « Cela ne dépend ni de celui qui vent, ni de celui qui court », bien qu’ils soient là en forme d’objection, ils ne nous causeraient aucun embarras, même quand Paul les aurait dits pour son propre compte. En disant : « Cela ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court », il ne détruit point la liberté ; mais il indique que tout ne dépend pas d’elle et qu’elle a besoin de la grâce d’en haut, il faut en effet vouloir et courir, mais ne point compter sur ses propres efforts, et seulement sur la bonté de Dieu : ce qu’il exprime ailleurs en ces termes : « Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu avec moi ». (1Cor. 15,10) Il a aussi raison de dire : « Qu’il a préparés pour la gloire ». Car, comme on leur faisait un crime d’avoir été sauvés par la grâce, et qu’on croyait par là les couvrir de honte, il combat victorieusement cette opinion. En effet, si Dieu en a retiré de la gloire, à bien plus forte raison eux-mêmes par qui Dieu a été glorifié.
Et voyez la reconnaissance de Paul et sa grande sagesse ! Il pouvait ne pas choisir Pharaon comme exemple de punition, mais ceux des Juifs qui avaient été punis, et par là se mieux faire comprendre, en montrant que chez les mêmes ancêtres, pour les mêmes péchés, les uns ont été détruits et les autres ont obtenu miséricorde ; il aurait ainsi prouvé qu’il n’y a pas lieu de s’étonner si quelques gentils se sauvent, quand des Juifs périssent.
Mais pour ne pas les blesser, il fait voir la punition chez un étranger, pour se dispenser de les appeler vases de colère, et il leur montre dans leur propre nation ceux qui ont obtenu miséricorde. Pourtant il justifie Dieu suffisamment, puisque connaissant parfaitement Pharaon et le voyant se faire lui-même vase de colère, Dieu a cependant fait tout ce qui était en lui, usé de tolérance, de longue patience, non seulement de longue, mais de grande patience, tandis qu’il n’en a point agi de même à l’égard des Juifs. Pourquoi donc les uns ont-ils été des vases de colère, et les autres des vases de miséricorde ? À cause de leur propre volonté. Mais Dieu étant infiniment bon, s’est montré tel à l’égard des uns et des autres. Il n’a pas eu seulement pitié de ceux qui ont été sauvés, mais, autant qu’il était en lui, de Pharaon lui-même ; car il a déployé la même patience avec les uns et les autres ; que si ce prince n’a pas été sauvé, la faute en est à sa volonté ; car, de la part de Dieu, il n’a rien eu de moins que ceux qui ont été sauvés.
Après avoir ainsi résolu la question par des faits, et pour s’appuyer encore sur d’autres preuves, Paul cite le témoignage des prophètes qui ont exprimé cela d’avance. En, effet Os. dit-il, a écrit depuis longtemps : « J’appellerai celui qui n’est pas mon peuple, mon peuple ; celle qui n’est pas bien-aimée, bien-aimée (25) ». Pour qu’on ne lui dise pas : Vous nous trompez en parlant ainsi, il appelle en témoignage Osée, qui s’écrie : « J’appellerai celui qui n’est pas mon peuple, mon peuple ». Quel est donc ce peuple qui n’est pas son peuple ? Les gentils, évidemment. Qui est celle-là qui n’est pas bien-aimée ? Les gentils encore. Et pourtant il les appelle « Mon peuple, bien-aimée », et déclare qu’ils seront fils de Dieu « Car ils seront appelés enfants du Dieu vivant (26) ». Si on objecte que ces textes doivent s’appliquer aux Juifs qui auront cru, l’argument subsiste encore. Car s’il s’est opéré un tel changement chez les ingrats qui ont abusé de tant de bienfaits, chez les rebelles, chez ceux qui ont, perdu le titre de peuple de Dieu, qui empêche que ceux qui sont étrangers, non après avoir été adoptés, mais dès le commencement, soient appelés, répondent à l’appel et jouissent des mêmes avantages ? Après avoir cité Osée, il ne s’en tient pas là, mais il invoque encore le témoignage d’Isaïe qui parle tout à fait dans le même sens : Et « Isaïe », nous dit-il, « s’écrie à l’égard d’Israël », c’est-à-dire déclare en toute confiance et sans crainte d’être démenti. Pourquoi donc nous accusez-vous, quand ces prophètes élèvent la voix d’avance plus haut que le son de la trompette ? Or que crie Isaïe ? « Le nombre des enfants d’Israël fût-il comme le sable de la mer, il n’y aura qu’un reste de sauvé (27) ».
Voyez-vous qu’Isaïe non plus ne dit pas que tous seront sauvés, mais seulement ceux qui seront dignes de l’être ? Je n’ai point égard à la multitude, je n’a point de respect pour une race si répandue ; je ne sauve que ceux qui s’en seront rendus dignes. Il ne parle pas seulement du sable de la mer, mais il leur rappelle l’ancienne promesse, dont ils se sont montrés indignes. Pourquoi vous troubler comme si les promesses étaient sans effet, quand tous les prophètes déclarent que tous, ne seront pas sauvés ? Ensuite il explique comment le salut aura lieu. Voyez-vous l’exactitude du prophète, et la prudence de l’apôtre, quel témoignage il produit et avec quel à-propos ? non seulement il nous montre que quelques-uns seront sauvés et non tous, mais encore il nous fait voir comment ils le seront. Comment donc seront-ils sauvés ? Et comment Dieu les jugera-t-il dignes de ce bienfait ? « Or », nous dit l’apôtre, citant toujours le prophète, « Le Seigneur accomplira cette parole et l’abrégera avec équité ; oui, le Seigneur abrégera cette parole sur la terre ». Voici ce qu’il veut dire : Il n’y a pas besoin des circuits, des travaux, des fatigues imposées par les prescriptions de la loi ; le salut s’opérera par une voie très-abrégée. Telle est la foi ; elle sauve en peu de mots. « Si vous confessez de bouche le Seigneur Jésus, et si en votre cœur vous croyez que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, vous serez sauvé ». (Rom. 10,9)
10. Comprenez-vous le sens de ces mots : « Le Seigneur abrégera cette parole sur la terre ? » Et l’étonnant, c’est que ce peu de paroles a non seulement procuré le salut, mais apporté la justification. « Et comme Isaïe l’avait dit d’avance : Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome et semblables à Gomorrhe (29) ». Ici, il indique autre chose, à, savoir que le petit nombre qui est sauvé ne l’est point par lui-même. Ceux-là aussi auraient été perdus et auraient subi le sort de Sodome, c’est-à-dire une destruction complète. En effet ceux de Sodome ont tous radicalement péri, ils n’ont pas laissé le moindre rejeton ; et les autres auraient éprouvé leur sort, si Dieu n’avait usé d’une grande bonté et ne les eût sauvés par la foi. C’est aussi ce qui est arrivé pour la captivité de Babylone ; ceux qui ont été emmenés et qui ont péri, formaient l’immense majorité ; bien peu ont été sauvés.
« Que dirons-nous donc », continue l’apôtre. « Que les gentils qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice, mais la justice qui vient de la foi ; et qu’Israël, au contraire, en suivant la loi de justice, n’est point parvenu à la justice (30, 31) » : Ici la solution est parfaitement claire. Après avoir montré, par les faits mêmes, que « tous ceux qui descendent d’Israël, ne sont pas Israélites » ; après l’avoir aussi démontré par les pères de Jacob et d’Esaü, puis par les prophètes, il fortifie l’objection et lui donne une vigoureuse solution par Osée et Isaïe. En effet, il y a deux points dans la question : les Gentils ont embrassé la justice, et ils l’ont embrassée sans l’avoir cherchée, c’est-à-dire sans effort de leur part. D’un autre côté, en ce qui concerne les Juifs, il y avait deux difficultés Israël n’est point parvenu à la loi de justice, et il n’y est point parvenu bien qu’il la cherchât. Aussi l’apôtre emploie-t-il ici des expressions plus énergiques ; car il ne dit pas : Ont obtenu la justice, mais': « Ont embrassé ». Et c’est là l’étrange, l’extraordinaire : que celui qui cherchait ne soit pas parvenu et que celui qui ne cherchait pas ait embrassé. En disant « Qui suivait », il leur fait une concession ; mais plus tard il leur porte un coup mortel. Comme il a une victorieuse solution à donner, il ne craint pas de fortifier l’objection. C’est pourquoi il ne parle pas de la foi ni de la justice qui en dérive, mais il leur montre que même avant la foi, même dans leur propre domaine, ils étaient déjà vaincus et condamnés. Oui, dit-il, oui, ô Juif, tu n’as pas même rencontré la justice de la loi, car tu l’as violée, cette loi, et tu as encouru la malédiction ; et ceux-là, qui ne sont point venus par la loi, mais par une autre voie, ont trouvé une justice bien plus grande, celle de la foi : ce qu’il avait déjà exprimé plus haut, eu disant : « Car si Abraham a été justifié par les œuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu » (Rom. 2,4) ; indiquant par là que la justice par la foi l’emporte sur l’autre.
Je disais donc plus haut qu’il y avait deux difficultés ; maintenant voilà trois questions les gentils ont trouvé la justice, ils l’ont trouvée sans la chercher, ils l’ont trouvée plus grande que celle de la loi. Dans le sens contraire, les mêmes difficultés se reproduisent pour les Juifs : Israël n’a pas trouvé, il n’a pas trouvé bien qu’il cherchât, il n’a pas même trouvé la moindre de ces justices. Après avoir ainsi jeté l’auditeur dans l’embarras, il donne enfin une solution abrégée, et rend raison de tout ce qu’il a dit. Quelle est cette raison ? « Parce que ce n’est point par la foi, mais comme par les œuvres (32) ».
Voilà la solution la plus claire de tout le passage ; s’il l’eût donnée dès le début, elle n’eût point été si facilement acceptée ; mais comme il la présente après beaucoup d’hésitations, de doutes, de preuves et de démonstrations, qu’il a usé de mille correctifs, il l’a rendue bien plus intelligible et plus acceptable. Voilà, dit-il ; la cause de leur perte : « Parce qu’ils ont voulu être justifiés, non par la foi, mais comme par les œuvres de la loi ». Il ne dit point : Par les œuvres, mais « Comme par les œuvres de la loi », pour montrer qu’ils n’ont pas même eu cette espèce de justice. « Car ils se sont heurtés contre la pierre de l’achoppement, comme il est écrit : « Voici que je mets en Sion une pierre d’achoppement et une pierre de scandale ; et quiconque croit en lui ne sera point confondu (33) ».
Voyez-vous comme la confiance et le don universel sont les fruits de la foi ? Car ces paroles ne s’appliquent pas seulement aux Juifs, mais à tout le genre humain. Tout homme, dit l’apôtre, citant toujours Isaïe, fût-il Juif, Grec, Scythe, Thrace, ou tout ce que l’on voudra, s’il croit, jouira d’une grande sécurité. Ce qu’il y a d’étonnant dans le prophète, c’est qu’il ne dit pas seulement qu’on croira, mais aussi qu’on refusera de croire ; car c’est là le sens de ce mot : se heurter. De même donc que plus haut, il a indiqué que les uns seraient perdus et les autres sauvés, en disant : « Le nombre des enfants d’Israël fût-il comme le sable de la mer, il n’y aura qu’un reste de sauvé », et encore : « Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome, et semblables à Gomorrhe », puis : « Il a appelé, non seulement d’entre les Juifs, mais aussi d’entre les Gentils » : De même, ici, il parle de ceux qui croiront et de ceux qui se heurteront ; or, on ne se heurte que parce qu’on ne fait pas attention et qu’on a l’esprit à autre chose. C’est donc parce que les Juifs avaient l’attention tournée vers la loi, qu’ils se sont heurtés contre la pierre. Il parle de pierre d’achoppement et de pierre de scandale, à raison de la volonté et de la fin de ceux qui n’ont pas cru.
Tout ce que nous venons de dire est-il clair, ou a-t-il encore besoin de beaucoup d’explications ? Il me semble, à moi, que tout cela est aisé à comprendre pour ceux qui ont fait attention ; et s’il en est qui n’aient pas compris, ils peuvent venir en particulier interroger et s’instruire. J’ai prolongé ces explications pour ne pas être obligé d’interrompre le discours et de nuire, par là, à sa clarté. C’est pourquoi je termine ici, sans traiter aucun point de morale comme c’est mon habitude, ne voulant pas affaiblir en vous le souvenir de ce que j’ai dit. Il est donc temps de conclure et de rendre gloire à Dieu, le maître de tout. Rendons-la-lui, moi en finissant de parler, vous en cessant d’écouter, parce que l’empire, la force et la gloire sont à lui, dans les siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVII. modifier


ASSURÉMENT, MES FRÈRES, LA VOLONTÉ DE MON CŒUR ET MES SUPPLICATIONS A DIEU ONT POUR OBJET LEUR SALUT. (X, 1, JUSQU’À 13)

Analyse. modifier

  • 1. Oui, les Juifs (je fais des veaux et des prières pour qu’ils puissent se sauver) sont eux-mêmes, avec leur zèle, dépourvus de sagesse ; la cause de leur réprobation, parce qu’ils veulent faire valoir leur justice propre, et qu’ils refusent de se soumettre à l’ordre établi par Dieu pour conduire l’homme à la justice.—L’ordre que Dieu a établi consiste dans la foi en Jésus-Christ, qui est le terme et la tin de la loi.
  • 2. Qu’il y a beaucoup de mérite dans la foi. – Bien qu’ils soient déjà accomplis, les faits qui sont l’objet de la foi sont si grands, qu’ils exigent encore la foi pour être crus. – Cependant la foi n’est pas difficile, car si l’incarnation et la résurrection sont difficiles à croire par elles-mêmes, la difficulté disparaît quand on fait réflexion que c’est Dieu qui agit.
  • 3. Les Juifs qui repoussent la foi n’ont donc plus aucune excuse. – Quiconque croira en Jésus-Christ et professera ce qu’il croit, sera sauvé, sans distinction de Juif ni de Gentil, car Dieu est assez riche pour les sauver tous.
  • 4.5. Contre la vaine gloire. – Combien cette passion est tyrannique et impérieuse. – Des maux qu’elle fait souffrir dès cette vie à ceux qui en sont possédés.


1. Il va les blâmer plus vivement qu’il ne l’a fait jusqu’ici ; voilà pourquoi il leur ôte tout motif de le soupçonner d’inimitié, et prend de grandes précautions. Ne vous blessez pas de mes paroles ni de mes reproches, leur dit-il ; car ils ne proviennent pas d’une pensée hostile. En effet il est impossible au même homme de désirer leur salut, non seulement de le désirer, mais de le demander avec instance, et en même temps de les haïr et d’avoir pour eux de l’aversion. Volonté, ici, signifie ardent désir. Et voyez comme sa prière part du cœur ! Ce qu’il désire, ce qu’il demande avec instance, ce n’est pas seulement qu’ils soient délivrés du châtiment, mais qu’ils soient sauvés. Et ce n’est pas en cela seulement, mais dans ce qui va suivre, qu’il manifeste la bienveillance qu’il leur porte ; car il insiste, autant que possible, sur ce qui peut s’excuser, il s’efforce d’en tirer une ombre de défense en leur faveur, et il n’y réussit pas, vaincu par la nature même des choses. « Car », dit-il, « je leur rends ce témoignage qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais non selon la science (2) ». II y a donc là matière à excuse, et non à reproche. Si, en effet, ils ne sont pas séparés pour des motifs humains, mais par zèle, ils sont plus dignes de pitié que de châtiment. Mais voyez avec quelle sagesse il ménage les termes, et démontre que leur obstination est déplacée ! « Parce que, ignorant la justice de Dieu ». Encore une expression indulgente ; mais ce qui suit renferme un vif reproche et ôte toute excuse. « Et cherchant », ajoute-t-il, « à établir la leur, ils ne sont pas soumis à la justice de Dieu (3) ».
L’apôtre dit cela pour faire voir qu’ils se sont égarés par esprit de contention et de domination plutôt que par ignorance, et qu’ils ne sont pas même parvenus à établir la justice légale : car c’est là ce qu’il veut dire par ces mots : « Cherchant à établir ». Il ne l’exprime pas clairement ; il ne dit point qu’ils ont perdu l’une et l’autre justices, mais il l’insinue avec la prudence et la sagesse qui lui sont propres. Si, en effet, ils cherchent encore à établir la justice selon la loi, il est clair qu’ils ne l’ont pas établie. S’ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu, ils ont aussi perdu la justice selon la loi. Or il appelle celle-ci leur justice propre, ou parce que la loi n’a plus de force, ou parce qu’elle exige des travaux et des fatigues ; et il appelle justice de Dieu celle qui vient de la foi, parce qu’elle est entièrement l’œuvre de la grâce d’en haut, qu’elle n’est point le fruit du travail, mais un don de Dieu. Mais ceux qui résistent toujours au Saint-Esprit, en s’obstinant à être justifiés par la loi, ne sont point parvenus à la foi ; or, ne venant point à la foi, ne recevant pas la justice qui en provient, et ne pouvant être justifiés par la loi, ils sont complètement déchus. « Car la fin de la loi est le Christ, pour justifier tout croyant (4) ». Voyez la prudence de Paul ! Il avait parlé d’une double justice, de celle de la loi et de celle de la foi. Ceux d’entre les Juifs qui avaient cru et embrassé la justice de la foi, pouvaient craindre comme étant encore néophytes, d’être condamnables, s’ils étaient munis d’une de ces deux justices et dépourvus de l’autre. De plus ils pouvaient encore se promettre d’accomplir la justice de la loi, et dire : Si nous ne l’avons pas accomplie jusqu’ici, nous l’accomplirons certainement à l’avenir. Pour prévenir ces pensées, Paul montre qu’il n’y a qu’une justice, que l’une est absorbée dans l’autre, que celui qui choisit celle de la foi, accomplit aussi celle de la loi, et qu’en rejetant celle-là, on déchoit aussi de celle-ci.
En effet, si le Christ est la fin de la loi, celui qui n’a pas le Christ n’a pas la loi, même quand il paraîtrait l’avoir ; mais celui qui a le Christ a tout, quand même il n’accomplirait pas la loi. La fin de la médecine, c’est la santé. Celui qui peut la rendre est bon médecin, quand même il n’exercerait pas l’art de la médecine ; et celui qui ne, sait pas guérir, n’est pas médecin, parût-il d’ailleurs en exercer l’art : ainsi en est-il pour la loi et la foi ; celui qui a celle-ci, a la fin de celle-là ; mais celui qui n’a pas la foi, est privé de l’une et de l’autre. En effet, que voulait la loi ? Rendre l’homme juste ; mais elle ne le pouvait pas, car personne ne l’a accomplie. Justifier l’homme : tel était le but de la loi, tout tendait là : fêtes, commandements, sacrifices, et le reste. Or le Christ a bien mieux atteint ce but par la foi. Ne craignez donc point, dit l’apôtre, d’être transgresseur de la loi, après avoir embrassé la foi ; vous la transgressez quand, à cause d’elle, vous ne croyez pas au Christ ; et, au contraire, si vous croyez au Christ, vous accomplissez la loi au-delà même de ce qu’elle exige ; car vous recevez une justice beaucoup plus grande. Mais comme ceci était une assertion, l’apôtre la confirme par l’Écriture. « Aussi », dit-il, « Moïse écrit que la justice qui vient de la loi… (5) ». Voici ce qu’il veut dire : Moïse nous indique ce que c’est que la justice qui vient de la : loi et – en quoi elle consiste. Quelle est-elle donc, et en quoi consiste-t-elle ? Dans l’accomplissement des commandements. « Celui qui les accomplira », est-il dit, « vivra en eux » : On ne peut être justifié dans la loi qu’en les accomplissant tous ; or personne ne l’a pu.
2. Cette justice est, donc tombée. Parlez-nous de l’autre, ô Paul ! de celle qui vient de la grâce. Quelle est-elle, et en quoi consiste-t-elle ? Écoutez la description exacte qu’il en fait. Après avoir convaincu la première d’impuissance, il en vient enfin à celle-ci. « Mais pour la justice qui vient de la foi, elle parle ainsi : Ne dis point en ton cœur : Qui montera an ciel ? c’est-à-dire, pour en faire descendre le Christ : ou, qui descendra dans l’abîme ? c’est-à-dire, pour rappeler le Christ d’entre les morts. Mais que dit l’Écriture : « Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton cœur ; c’est la parole de foi que nous annonçons. Parce que si tu confesses de bouche le Seigneur Jésus, et si en ton cœur tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé (6-8) ». Pour que les Juifs ne disent pas : Comment ceux qui n’ont pas trouvé la moindre des deux justices, ont-ils trouvé la plus grande ? Il donne un argument irréfutable : c’est que celle-ci est une voie plus facile que celle-là. La justice de la loi exige l’accomplissement de toutes les prescriptions : « Quand tu auras tout accompli, c’est alors que tu vivras ». Mais la justice qui vient de la foi ne dit pas cela. Que dit-elle donc ? « Si tu confesses de bouche le Seigneur Jésus et si en ton cœur tu crois que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé ». Ensuite, pour ne pas la rendre méprisable en la montrant si facile et si simple, voyez comme il s’étend sur ce chapitre. Il n’en vient pas immédiatement à ce que nous avons dit : que dit-il donc ? « Mais pour la justice qui vient de la foi, elle parle ainsi : Ne dis point en ton cœur : Qui montera au ciel ? c’est-à-dire, pour en faire descendre le Christ ; ou, qui descendra dans l’abîme ? c’est-à-dire pour rappeler le Christ d’entre les morts ».
En effet, comme la vertu pratique a pour obstacles la lâcheté et la mollesse, ennemie du travail, et que l’âme a besoin d’une grande vigilance pour ne pas succomber ; ainsi, quand il s’agit de croire, les raisonnements viennent jeter le trouble et le désordre dans l’esprit d’un grand nombre, et il faut une volonté énergique pour les écarter. C’est pourquoi il les produit lui-même, ces raisonnements, et fait encore ici ce qu’il a fait à l’occasion d’Abraham. En effet, après avoir prouvé qu’Abraham a été justifié par la foi, pour ne pas laisser croire que le patriarche a été récompensé sans raison et au hasard, comme si sa foi eût été chose sans valeur, il relève la qualité même de cette foi, en disant : « Qui ayant espéré contre l’espérance même, a cru qu’il deviendrait le père d’un grand nombre de nations, et sa foi ne faiblit point ; il ne considéra ni son corps éteint, ni l’impuissance de Sara ; il n’hésita point en défiance de la promesse de Dieu ; mais il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu, a pleinement assuré que tout ce qu’il a promis, il est puissant pour le faire ». (Rom. 4,18-21) Et il a prouvé qu’il faut de la force et une âme élevée, qui espère contre l’espérance et ne se heurte point contre les choses visibles. Ici il en fait autant, et montre qu’il faut un esprit sage, une âme grande et capable de s’élever jusqu’au ciel. Il ne dit pas simplement : Ne dis point, mais : « Ne dis point en ton cœur », c’est-à-dire, ne t’avise pas d’hésiter et de dire en toi-même : Comment cela se peut-il ? Voyez-vous comme c’est là surtout le propre de la foi de laisser toutes les conséquences terrestres pour s’attacher à ce qui est au-dessus de la nature, de rejeter tous les vains raisonnements pour tout attendre de la puissance de Dieu ?
Cependant les Juifs ne se contentaient pas de dire cela, ils prétendaient qu’on ne peut pas être justifié par la foi. Mais Paul, pour établir le contraire, cite un fait accompli, afin de démontrer que : ce fait était tellement élevé que même, depuis qu’il est accompli, il exige encore de la foi, et de – prouver par là que la foi mérite récompense. Il emploie pour cela les paroles de l’Ancien Testament, toujours pour écarter de lui l’accusation d’innovation et d’hostilité contre la loi. Car ce qu’il dit ici de la foi, Moïse le leur avait dit de la loi, pour leur montrer que Dieu leur avait fait une grande grâce. Vous ne pouvez, leur dit-il, objecter qu’il faut monter au ciel ou traverser l’étendue de la mer pour recevoir les commandements ; ces commandements si grands, si sublimes, Dieu nous les a rendus faciles. Que signifient ces mots : « Près de toi « est la parole ? » c’est-à-dire, elle est facile : car ton salut est dans ton esprit et sur ta langue. Il n’est pas nécessaire de faire une longue route, de traverser la mer ou de passer les montagnes, pour être sauvé ; si vous ne voulez pas franchir le seuil de votre maison, vous pouvez rester assis chez vous et vous sauver : car le principe du salut est dans votre bouche et dans votre cœur.
Ensuite Paul, pour faciliter encore la foi, dit : « Dieu l’a ressuscité d’entre les morts ». Considérez la dignité de celui qui agit, et vous ne verrez plus de difficulté dans les choses. La résurrection prouve donc clairement que le Christ est le Seigneur : ce que Paul avait dit au commencement de son épître : « Qui a été désigné Fils de Dieu par la résurrection d’entre les morts ». Or que la résurrection soit facile, la puissance de celui qui l’opère, le démontre aux plus incrédules. Donc puisque la justice de la foi est plus grande, qu’elle est facile, aisée à embrasser, et qu’on ne peut d’ailleurs être justifié autrement, n’est-ce pas un excès d’obstination de laisser ce qui est facile pour s’attacher à l’impossible ? Car ils ne sauraient dire qu’ils rejettent la justice de la foi à cause de ses difficultés.
3. Voyez-vous comme Paul leur ôte tout motif d’excuse ? Comment, en effet, seraient-ils pardonnables de laisser ce qui est facile pour s’attacher à ce qui est difficile, de négliger ce qui procure le salut pour embrasser ce qui ne peut sauver ? Ce ne peut être autre chose que l’effet d’un esprit de, contention et en révolte contre Dieu. Car la loi est pénible et la grâce facile ; malgré des efforts infinis, la loi ne sauve pas ; la grâce procure sa justice propre et celle de la loi. Comment donc les excuser de repousser la grâce pour s’attacher inutilement et sans résultat à la loi. Puis, comme il a avancé une chose importante, il l’appuie sur le témoignage de l’Écriture. « En effet, l’Écriture dit : Quiconque croit en lui, ne sera point confondu. Car il n’y a point de distinction de Juif et de Grec ; parce que c’est le même Seigneur de tous, riche pour tous ceux qui l’invoquent. Car quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé (11-13) ». Le voyez-vous produire des témoignages en faveur de la foi et de la confession ? En effet, ces mots : « Quiconque croit », désignent la foi ; et ceux-ci : « Quiconque invoquera », se rapportent à la confession. Ensuite, pour indiquer que la foi est commune à tous, et pour réprimer leur orgueil, il rappelle brièvement ce qu’il a longuement expliqué plus haut, à savoir qu’il n’y a point de différence entre le Juif et l’incirconcis. « Car », dit-il, « il n’y a point de distinction de Juif et de Grec ». Et ce qu’il avait dit du Père ; en en donnant la preuve, il le répète ici du Fils. En effet, comme il avait dit plus haut dans sa démonstration : « Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? Ne l’est-il pas aussi des Gentils ? Oui certes, des Gentils aussi, puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu » ; de même il dit ici : « Parce que c’est le même Seigneur de tous, riche pour tous ceux qui l’invoquent ». Voyez-vous comme il nous montre le désir ardent que Dieu a de notre salut, puisqu’il le regarde comme sa richesse propre ; en sorte qu’ils ne doivent ni désespérer, ni se regarder comme exclus du pardon, pourvu qu’ils veuillent se repentir ? En effet, celui qui regarde notre salut comme sa propre richesse, ne cessera pas d’être riche, puisque cette richesse consiste précisément à répandre ces dons sur tous. Et comme ce qui les troublait le plus, c’était, après avoir occupé le premier rang sur la terre, de descendre de ce trône de gloire, en vertu de la foi, et de n’avoir rien de plus que les autres, souvent il leur cite les prophètes qui célèbrent cette égalité d’honneur. « Quiconque croit en lui », dit-il, « ne sera point confondu » ; et encore : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ». Toujours : « Quiconque », afin qu’ils ne puissent rien objecter.
Mais il n’y a rien de pire que la vaine gloire ; c’est là, c’est là surtout ce qui les a perdus. C’est pourquoi le Christ leur disait : « Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez la gloire l’un de l’autre, et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? » (Jn. 5,44) Outre la ruine, cette passion entraîne encore un immense ridicule, et, même avant le châtiment à venir, elle nous jette ici-bas dans une multitude de maux. Pour vous en convaincre, laissons un moment de côté le ciel dont elle nous exclut, l’enfer où elle nous précipite, et examinons, si vous le voulez, la question au point de vue terrestre. Qu’y a-t-il de plus coûteux ? Qu’y a-t-il de plus honteux et de plus difficile ? Que cette maladie soit coûteuse, on le voit par les dépenses inutiles et stériles qui se font pour les théâtres, les hippodromes et autres largesses déplacées, par la construction de maisons splendides et magnifiques, et tant d’autres prodigalités superflues qu’il n’est pas possible d’énumérer. Il est évident pour tout le monde qu’un malade aussi dépensier, aussi ami du luxe, doit nécessairement être voleur et ambitieux. Pour nourrir le monstre, il jette la main sur le bien d’autrui. Que dis-je, sur le bien ? Ce feu ne dévore pas seulement les biens, mais aussi les âmes ; il ne tue pas seulement pour le temps, mais aussi pour l’éternité. La vaine gloire est la mère de l’enfer ; c’est elle qui allume cette flamme violente et crée te ver empoisonneur. Ne la voit-on pas étendre son empire jusque chez les morts ? Et y a-t-il quelque chose de pire ? Toutes les autres passions s’éteignent à la mort ; celle-là exerce encore des violences même après la mort, et s’efforce de montrer sa nature jusque dans un cadavre. Quand des mourants ordonnent qu’on leur dresse des tombeaux magnifiques où toute leur fortune doit s’absorber, quand ils veillent à ce qu’on déploie à leurs funérailles un luxe extravagant, tandis que pendant leur vie ils répondent par des injures aux pauvres qui leur demandent une obole ou un morceau de pain, pour fournir après leur mort une curée abondante aux vers du sépulcre : est-il besoin de chercher d’autres traits pour peindre cette tyrannique maladie ? C’est d’elle que naissent les amours illicites : car ce n’est pas la beauté de la figure, ni la jouissance de l’union charnelle qui en entraîne un grand nombre dans l’adultère, mais le désir de pouvoir dire : J’ai séduit une telle.
4. A quoi bon passer en revue les autres maux qui pullulent de cette racine ? J’aimerais mieux être l’esclave de mille barbares que de la vaine gloire : car les barbares n’exigent pas de leurs prisonniers ce qu’elle exige de ses sujets. Sois, dit-elle, l’esclave de tous, qu’ils soient au-dessus ou au-dessous de toi ; méprise ton âme, néglige la vertu, ris de la liberté, sacrifie ton salut ; si tu fais quelque bien, que ce ne soit pas pour plaire à Dieu, mais par ostentation, afin d’en perdre la récompense ; que tu fasses l’aumône ou que tu jeûnes, portes-en la peine, mais aie soin d’en perdre le profit. Quoi de plus cruel que ces ordres ? De là vient la jalousie, de là l’orgueil, de là l’avarice, mère de tous les maux. Car ces essaims de domestiques, ces satellites étrangers, les parasites, les flatteurs, les chars revêtus d’argent, et tant d’autres choses encore plus ridicules ne sont pas pour le plaisir ou pour le besoin, mais uniquement pour la vaine gloire. Soit, direz-vous ; il est évident pour tout le monde que cette passion est mauvaise ; mais ce qu’il faut nous dire, c’est le moyen de l’éviter. Le meilleur moyen, c’est de vous bien convaincre que c’est une maladie terrible ; ce sera un excellent commencement de conversion ; car dès que le malade est convaincu de sa maladie, il s’empresse de chercher un médecin. Si vous cherchez un autre moyen d’échapper, tenez sans cesse vos yeux vers Dieu et contentez-vous de sa gloire. Si le mal vous chatouille encore et vous porte à vous vanter de vos mérites devant vos frères, songez qu’il n’y a là aucun profit, étouffez ce désir coupable et dites à votre âme : Tu as mis tarit de temps à enfanter tes bonnes actions, et tu n’a pas eu la force de les tenir sous le voile du silence, mais tu les a divulguées ; quel avantage en as-tu retiré ? Aucun : pas autre chose qu’une perte complète, que la perte de ce que tu avais si laborieusement recueilli.
Songez de plus que le suffrage et l’opinion populaire sont viciés, non seulement viciés, mais bientôt flétris. On peut vous admirer une heure ; puis, le moment passé, on oublie tout ; on vous a enlevé la couronne que Dieu vous préparait et on vous retire celle que l’ou vous offrait. Si celle-là nous fût restée, t’eût été chose misérable de l’échanger contre l’autre ; mais comme elle nous a échappé, comment nous excuserons-nous d’avoir sacrifié celle qui ne passe pas à celle qui passe, d’avoir perdu tant d’avantages pour obtenir les éloges de quelques hommes ? Et quand le nombre des approbateurs serait considérable, on n’en serait pas moins malheureux ; on le serait même d’autant plus qu’ils seraient plus nombreux. Si ce que je dis vous étonne, écoutez le témoignage du Christ : « Malheur à vous, quand tous les hommes diront du bien de vous ». (Lc. 6,26) Et c’est juste. Si, dans tous les arts, il faut s’en rapporter au jugement des artistes eux-mêmes, comment, en fait de vertu, s’en rapporter à la foule, et non avant tout à celui qui sait tout, et qui peut vous applaudir et vous couronner ? Écrivons donc sur nos murs, sur nos portes, dans nos cœurs, et répétons-nous souvent à nous-mêmes cette parole : Malheur à nous, quand tous les hommes disent du bien de nous ! Car ceux-là mêmes qui vous louent, vous accusent de vaine gloire, d’ambition, d’amour de la – renommée. Il n’en est pas ainsi de Dieu ; s’il vous voit épris de sa gloire il vous approuve, il vous admire, il fait votre éloge. Et l’homme, au contraire, vous faisant son esclave, de libre que vous étiez, vous donnant d’un seul mot une louange menteuse, vous enlève votre vraie récompense et vous met à ses ordres, au-dessous de l’esclave qu’on achète. En effet, celui-ci n’obéit que sur l’ordre de son maître ; et vous, vous obéissez sans ordre. Car vous n’attendez pas qu’on vous commande ; dès que vous savez comment plaire aux autres, vous faites tout, bien qu’on ne vous ordonne rien. Quel enfer ne méritons-nous pas, nous qui faisons plaisir à des méchants, qui leur obéissons sans qu’ils nous commandent, et quine montrons point la même docilité à l’égard de Dieu, quoique chaque jour il nous donne des ordres et nous adresse des exhortations.
Du reste, si vous aimez la gloire et la louange, fuyez celles qui viennent des hommes, et vous obtiendrez la gloire ; détournez-vous de la renommée, et vous recevrez mille louanges et de Dieu et des hommes. Car nous avons coutume de ne glorifier personne autant que celui qui méprise la gloire, de ne louer, de n’admirer personne autant que celui qui dédaigne d’être admiré et loué. Or, si nous agissons ainsi, à bien plus forte raison le Dieu de l’univers. Or, s’il vous glorifie et vous loue, n’êtes-vous pas le plus heureux des hommes ? Autant il y a de distance entre la gloire et le déshonneur, autant il y a de différence entre la gloire d’en haut et la gloire humaine ; que dis-je ? La différence est bien plus grande, elle est infinie. Car si la gloire humaine, prise en elle-même et sans comparaison avec d’autre, est déjà honteuse et hideuse à voir, combien paraîtra-t-elle plus laide encore, comparée à celle d’en haut ? Les esclaves de la vaine gloire sont comparables à une prostituée qui se livre à tout venant ; ils sont même plus ignobles qu’elle. En effet, quelquefois les femmes perdues dédaignent certains de leurs amants ; mais vous, vous vous prostituez à tout le monde, aux esclaves fugitifs, aux voleurs, aux coupeurs de bourse. Car ce sont ces gens et d’autres du même genre qui composent les théâtres où on vous loue ; des êtres qui sont, chacun en particulier, l’objet de vos mépris, vous les préférez à votre propre salut, quand ils sont réunis, et vous vous ravalez bien au-dessous d’eux.
5. Et comment ne seriez-vous pas plus ignobles qu’eux, vous qui avez besoin de leurs éloges, et qui n’êtes pas satisfait si vous ne recevez de la gloire des autres ? Outre ce que nous avons dit, vous ne songez donc pas qu’étant ainsi en évidence et exposé à tous les regards, vous aurez des milliers d’accusateurs quand vous commettrez une faute ; tandis qu’étant inconnu, vous seriez au moins en sécurité ? Oui, dites-vous, mais aussi quand je fais le bien, j’ai des milliers d’admirateurs. Eh ! c’est là le danger que la maladie de vaine gloire vous nuise, non seulement quand vous faites le mal, mais aussi quand vous faites le bien ; dans le premier cas, en scandalisant une foule de personnes, dans le second, en vous privant de votre récompense. Dans l’ordre social, c’est une chose déplorable et ignominieuse que d’aimer la gloire ; mais quand vous portez cette maladie dans l’ordre spirituel, quel pardon pouvez-vous espérer, vous qui ne voulez pas même rendre à Dieu l’honneur que vous recevez dé vos serviteurs ? En effet, le serviteur a l’œil fixé sur les yeux de son maître, le mercenaire sur celui de qui il attend son salaire, le disciple sur celui qui lui fait la leçon ; et vous, au contraire, laissant de côté Dieu, le maître qui vous a pris à gage, vous avez l’œil fixé sur vos compagnons de service, bien que vous sachiez que Dieu se souviendra de vos bonnes actions après cette vie, tandis que l’homme ne s’en occupe que dans le temps ; et quand vous avez des spectateurs assis dans le ciel, vous en cherchez sur la terre.
Un athlète désire être couronné là où il a combattu ; et vous qui combattez en haut, vous voulez être couronné en bas. Y a-t-il une folie pire que celle-là ? Maintenant examinons, s’il vous plaît, les couronnes : l’une est formée par l’orgueil, l’autre par la jalousie, celle-ci par la fausseté et l’adulation, celle-là par l’argent, une autre par l’esprit de servilité. Comme les enfants dans leurs jeux se mettent réciproquement des couronnes d’herbe sèche ; puis rient, par-derrière, de celui qui est ainsi couronné sans s’en apercevoir ; ainsi ceux qui vous louent, vous mettent une couronne d’herbe sèche, puis se moquent de vous entre eux ; et plût au ciel que ce ne fût que de l’herbe sèche, mais cette couronne est extrêmement nuisible et détruit tous nos mérites. Considérez donc son peu de valeur et évitez la perte qu’elle entraîne. A combien pensez-vous que se montent vos approbateurs ? A cent, à deux cents, à trois cents, à quatre cents ? Mettons plus encore, et si vous le voulez, dix fois, vingt fois autant ; qu’ils soient deux mille, quatre mille ; que dix mille même, si cela vous plaît, fassent retentir des applaudissements à votre honneur ; ils ne ressembleront qu’à une troupe de geais qui crient ; bien plus, si vous songez au théâtre des anges, ils vous paraîtront plus vils que des vers de terre, et leurs applaudissements plus faibles que des toiles d’araignées, que de la fumée, que des songes.
Écoutez comment Paul, qui l’avait si bien compris, les repousse, bien loin de les rechercher : « Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est dans la croix du à Christ ! » (Gal. 6,14) Et vous aussi, cherchez cette gloire, pour ne pas irriter le Maître. Car ce n’est pas seulement vous, mais Dieu aussi que vous outragez par cette conduite. Si vous étiez peintre, que vous eussiez un élève et que cet élève, dédaignant de vous montrer son tableau, allât simplement l’exposer aux regards des observateurs, vous en seriez indigné. Or si c’est là une injure entre serviteurs, à bien plus forte raison envers le Maître. Si vous voulez apprendre un autre moyen de mépriser la vaine gloire, élevez-vous en esprit, riez du monde visible, augmentez en vous l’amour de la vraie gloire. Emplissez-vous de sagesse spirituelle, dites à votre âme comme Paul : « Ne sais-tu pas que nous jugerons les anges ? » Et après l’avoir ainsi relevée, grondez-la et dites-lui : Toi qui dois juger les anges, tu veux être jugée par des hommes impurs, être applaudie des danseurs, des comédiens, des gladiateurs, des cochers ? Car voilà la célébrité qu’on poursuit.
Mais vous, prenez un vol qui vous élève au-dessus de ces clameurs, imitez Jean, l’habitant du désert, voyez comme il méprise la foule ; comme l’aspect des flatteurs ne l’émeut pas ; comme, en voyant tous les habitants de la Palestine l’entourer saisis d’admiration et d’étonnement, il ne s’enorgueillissait point de tant d’honneurs, comme, au contraire, il s’élevait contre eux, et traitant ce peuple comme un enfant, il les réprimandait en disant : « Serpents, race de vipère ». (Mt. 3,7) Cependant c’était à cause de lui qu’ils accouraient, c’était pour voir cette tête sacrée qu’ils abandonnaient les villes ; mais rien de tout cela ne l’amollissait : tant il était ennemi de la gloire et exempt d’orgueil.
Ainsi encore Étienne voyant ce même peuple, non plus l’entourant de respect, mais saisi de fureur et grinçant les dents, s’élevait au-dessus de cette tempête et disait : « Hommes à tête dure et aux cœurs incirconcis ». (Act. 7) Ainsi Élie, en présence de deux armées, du roi et de tout le peuple, disait : « Jusqu’à quand boiterez-vous des deux côtés ? » (1R. 18,21) Mais nous, nous flattons tout le monde, nous nous mettons au service de tout le monde, afin d’acheter l’honneur au prix de notre servilité. Voilà pourquoi tout est sens dessus dessous, nous perdons la grâce, le christianisme est trahi, et on néglige tout pour acquérir l’estime de la foule. Chassons donc ce vice, et nous saurons alors ce que c’est que la liberté, le port, le calme. Car l’ami de la vaine gloire ressemble aux gens battus de la tempête ; toujours il tremble, toujours il craint, ayant mille maîtres à servir ; tandis que celui qui est exempt de cette tyrannie, ressemble à ceux qui sont au port et jouissent d’une sécurité parfaite. Tout autre est la situation de celui-là ; plus il est connu, plus il a de maîtres, obligé qu’il est de les servir tous. Comment donc nous débarrasserons-nous de ce terrible esclavage ? En aimant l’autre gloire, la véritable gloire. Car comme ceux qui aiment les corps sont détachés d’une figure moins belle par une figure plus belle ; ainsi, par son éclat, la gloire céleste pourra détacher les amants de la gloire terrestre. Contemplons-la donc, apprenons à la bien connaître, afin que, saisis d’admiration pour sa beauté, nous ayons horreur de la difformité de l’autre, et que nous goûtions en elle une grande et perpétuelle volupté. Puissions-nous tous l’obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire, l’empire, l’honneur appartiennent au Père et en même temps au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVIII. modifier


COMMENT DONC INVOQUERONT-ILS CELUI EN QUI ILS N’ONT POINT CRU ? COMMENT CROIRONT-ILS EN CELUI QU’ILS N’ONT PAS ENTENDU ? ET COMMENT ENTENDRONT-ILS SI PERSONNE NE LES PRÊCHE ? ET COMMENT PRÊCHERA-T-ON SI ON N’EST PAS ENVOYÉ ? COMME IL EST ÉCRIT. (X, 14, 15, JUSQU’A XI, 6)

Analyse. modifier

  • 1. Comment saint Paul continue à résoudre toutes les difficultés que les Juifs soulevaient contre la foi en Jésus-Christ. – Le salut dépend de l’invocation du nom du Seigneur Jésus ; l’invocation dépend de la foi ; la foi, de l’audition ; l’audition, de la prédication ; et la prédication, de la mission : or, les apôtres ont reçu cette mission. – Il ne faut pas vouloir ne s’en rapporter qu’aux miracles, ta foi vient de l’audition de la parole de Dieu.
  • 2. Les Juifs ne peuvent dire qu’ils n’ont pas entendu la prédication, puisqu’elle a éclaté dans tout l’univers ; ni qu’ils ne l’ont pas comprise, puisque les prophéties d’Isaïe et de Moise touchant la vocation et la conversion des Gentils, ont dû leur ouvrir les yeux. – Ce qui aggrave encore la faute des Juifs, c’est que Dieu n’a pas cessé de les appeler et qu’ils se sont obstinés dans une incrédulité et une contradiction également prédites par les prophètes.
  • 3. Les expressions : Je me suis montré, j’ai été trouvé, marquent l’action de la grâce, sans exclure le mérite de ceux qui ont su voir et trouver.— Cependant Dieu n’a pas rejeté absolument son peuple.
  • 4. Celui dont Dieu a prévu qu’il croirait en Jésus-Christ, il ne l’a point rejeté. – Il en est de lui comme de ceux qui demeurèrent fidèles au temps d’Élie. – Quoique la promesse regarde tout le peuple, il n’y a cependant de sauvés que ceux qui en sont dignes, et que ceux que Dieu s’est réservés selon l’élection de sa grâce.
  • 5-7. De la reconnaissance des grâces de Dieu. – En quoi consiste la véritable action de grâces. – De l’excellence d’une âme chrétienne.


1. Encore une fois, il leur ôte tout espoir de pardon. Après avoir dit : « Je leur rends ce témoignage qu’ils ont du zèle pour Dieu, mais non selon la science » ; et encore : « Ignorant la justice de Dieu, ils ne se sont pas soumis », il montre qu’ils doivent être punis de Dieu pour cette ignorance. Il ne le dit cependant pas aussi expressément ; mais il le prouve en procédant par interrogation, et en tissant tout ce passage d’objections et de réponses, pour rendre sa proposition plus évidente. Examinez un peu. « Autrefois », dit-il, « le prophète a dit : Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ». Mais quelqu’un objectera peut-être : Comment invoqueront-ils celui en qui ils n’ont point cru ? Après quoi, une question de sa part, après l’objection : Et pourquoi n’ont-ils pas cru ? Puis une objection encore : Car on pourrait évidemment dire : Comment croiront-ils sans avoir entendu ? Or, répond-il, ils ont entendu. Puis encore une autre objection : Et comment ont-ils pu entendre, si personne ne les prêchait ? Ensuite la solution : Or, beaucoup ont prêché et ont été envoyés pour cela. Et comment voit-on que ces prédicateurs ont été envoyés ? Alors Paul invoque le témoignage du prophète qui dit : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent le bonheur ! (Is. 52,7) Voyez-vous comme il désigne les prédicateurs par le genre même de la prédication ? Ils ne prêchaient pas autre chose que le bonheur ineffable et la paix qui s’était faite entre Dieu et les hommes. Ainsi, dit-il, en ne croyant pas, ce n’est pas à notre parole que vous êtes incrédules, mais à celle d’Isaïe, qui a annoncé, depuis bien des années, que nous serions envoyés, que nous prêcherions et que nous dirions ce que nous avons dit. Si donc le salut dépend de l’invocation ; l’invocation, de la foi ; la foi, de l’audition ; l’audition, de la prédication, et la prédication, de la mission ; les apôtres ont reçu la mission et ils ont prêché, et le prophète s’en allait avec eux, pour les montrer, les proclamer et dire : Voilà ceux que j’ai annoncés dès les anciens temps, ceux dont j’ai chanté les pieds à cause de l’objet de leur prédication. Il est donc clair que s’ils n’ont pas cru, c’est de leur faute : car Dieu a tout fait de son côté.
« Mais tous n’ont pas obéi à l’Évangile. Car Isaïe dit : Seigneur, qui a cru à ce qu’il a ouï de nous ? Donc la foi vient par l’audition et l’addition par la parole de Dieu » (16, 17) On faisait une autre objection en disant : Si ceux-là étaient les envoyés, et les envoyés de Dieu, comment n’ont-ils pas persuadé tout le monde ? Or, voyez la prudence de Paul, et comme il démontre que ce qui causait le trouble des incrédules était précisément ce qui devait l’empêcher. Qu’est-ce qui vous scandalise ? ô Juif, leur dit-il. Vous vous étonnez de ce que tous n’ont pas cru à l’Évangile, après un témoignage d’une telle nature, d’une telle autorité, après la démonstration par les faits ? C’est précisément ce fait que tous n’ont pas obéi, qui, joint aux autres preuves, doit vous faire ajouter foi à ce que nous disons. Car le prophète l’avait prédit dès les temps anciens. Voyez – cette admirable sagesse, comme il démontre plus qu’on ne s’y attendait, plus qu’on n’en pouvait réfuter. Qu’objectez-vous ? leur dit-il. Que tous n’ont pas obéi à l’Évangile ? Mais Isaïe l’avait annoncé d’avance ; il avait non seulement annoncé cela, mais beaucoup plus encore. En effet, vous objectez que tous n’ont pas obéi à l’Évangile ; or, Isaïe en a prédit davantage. Que dit-il donc ? « Seigneur, qui a cru à ce qu’il a ouï de nous ? »
Ensuite, après avoir détruit cette cause de trouble en citant le témoignage du prophète, Paul revient à son premier sujet. En effet, après avoir dit qu’il faut pour se sauver invoquer le nom de Jésus-Christ, que, pour l’invoquer, il faut croire, que pour croire, il faut entendre, que pour entendre, il faut des prédicateurs à qui on prête l’oreille ; que pour prêcher il faut être envoyé, et avoir démontré que des prédicateurs ont été envoyés et que la prédication a eu lieu ; sur le point de présenter une autre objection, il prend occasion de l’autre témoignage du prophète, qui lui a servi à résoudre l’objection qu’il vient dé rapporter, et il rattache et entrelace ainsi la seconde objection à la première. En effet, comme il a cité cette parole du prophète : « Seigneur, qui a cru à ce qu’il a ouï de nous ? » Saisissant à propos ce témoignage, il dit : « La foi vient donc par l’audition ». Il ne se contente pas de dire cela ; mais comme en tout temps les Juifs demandaient continuellement des miracles, et voulaient tous les jours voir ressusciter des morts, il leur dit que le prophète a annoncé que la foi doit nous venir par l’audition. Voilà pourquoi il commence par là et dit : « La foi vient donc par l’audition ». Ensuite, comme ce point paraissait de peu d’importance, voyez comme il le relève : Je ne prétends pas simplement, dit-il, qu’il faut écouter, ni qu’il faut écouter des paroles humaines et y croire, mais je parle d’une audition de grande importance : L’audition de la parole de Dieu. Car les apôtres ne parlaient pas d’eux-mêmes, mais ils annonçaient ce qu’ils avaient appris de Dieu : ce qui est le plus grand des miracles. Car il faut également croire et obéir à Dieu, soit qu’il parle, soit qu’il fasse des prodiges. Car les œuvres et les miracles sont les fruits de sa parole, puisque c’est ainsi que le ciel et la terre ont été créés.
2. Après avoir démontré qu’il faut croire aux prophètes qui annoncent toujours la parole de Dieu et qu’il ne faut rien demander de plus que l’audition, il produit l’objection dont j’ai parlé et dit : « Cependant, je le demande : est-ce qu’ils n’ont pas entendu ? » – Mais, dira-t-on, si les prédicateurs ont été envoyés, et s’ils ont prêché ce qu’ils avaient reçu l’ordre de prêcher, et qu’on n’ait point entendu ? – Voici la solution complète de l’objection. « Certes, leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde (18) ». Que dites-vous ? Demande-t-il. Ils n’ont pas entendu ? Le monde entier et les extrémités de la terre out entendu et vous chez qui les prédicateurs ont passé si longtemps, de la race desquels ils étaient, vous n’avez pas entendu ? Est-ce possible ? Si les extrémités de la terre ont entendu, à plus forte raison vous.
Puis vient une autre objection. « Je demande encore : Est-ce qu’Israël n’a point connu (19) ?  » Et que direz-vous s’ils ont entendu et qu’ils n’aient point compris ce qu’on disait ni su que les prédicateurs étaient envoyés de Dieu ? Cette ignorance ne les excuse-t-elle pas ? Nullement. Car Isaïe a caractérisé les prédicateurs en disant : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix ! » Et, avant lui, le législateur lui-même en avait parlé. Aussi Paul ajoute-t-il « Moïse le premier a dit : Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un ; je vous mettrai en colère contre une nation insensée ». (Deut. 32,21) Ainsi il fallait reconnaître les prédicateurs, non seulement parce qu’on n’ajoutait pas foi à leur parole, non seulement parce qu’ils prêchaient la paix, non seulement parce qu’ils annonçaient le bonheur et que leur parole se répandait dans le monde entier, mais encore parce que les Juifs voyaient les nations, jusqu’alors inférieures à eux, plus honorées qu’eux. En effet, les gentils admettaient tout à coup une philosophie dont ni eux ni leurs pères n’avaient ouï parler : ce qui était un insigne honneur, ce qui les irritait, provoquait leur jalousie et rappelait la parole de Moïse : « Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un ». Et ce n’était pas seulement un si grand honneur qui excitait leur jalousie, mais encore de voir que le peuple appelé à jouir de ces biens avait été si misérable jusque-là qu’il ne méritait même pas d’être regardé comme un peuple. « Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un, je vous mettrai en colère contre une nation insensée ». En effet, qu’y avait-il de plus insensé que les gentils ? Quoi de plus méprisable ? Voyez comme Dieu leur donnait de toutes façons des indices et des signes évidents de ces temps, de manière à ouvrir les yeux des aveugles. Car tout cela ne s’est pas passé dans un lieu obscur, mais sur toutes les terres et les mers, mais dans le monde entier ; ils ont vu jouir de bienfaits sans nombre ceux-là même qu’ils méprisaient auparavant. Il fallait donc reconnaître que c’était là le peuple dont Moïse parlait : « Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un, je vous mettrai en colère contre une nation insensée ».
Mais Moïse était-il le seul qui l’eût dit ? Non : Isaïe l’avait répété après lui. Aussi Paul dit-il : « Moïse le premier » pour montrer qu’il en viendra un second qui dira les mêmes choses plus ouvertement et plus clairement. Comme donc il avait dit plus haut : « Isaïe s’écrie », il dit ici : « Isaïe ne craint pas de dire… (20) ». Voici la pensée de l’apôtre : Le prophète dit hautement et résolument, il n’a point voulu laisser d’ombre, il a osé mettre les choses à nu devant nos yeux ; il a mieux aimé s’exposer au danger en parlant clairement, que de pourvoir à sa propre sûreté en laissant un prétexte à votre ingratitude, quoique le propre de la prophétie né soit pas de parler si clairement. Cependant pour vous fermer absolument la bouche, il a tout prédit avec clarté, avec précision. Tout ! dites-, vous : mais quoi, enfin ? Votre déchéance et l’initiation des gentils, quand il disait : « J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas ». (Is. 65,1) Quels étaient donc ceux qui ne le cherchaient pas ? quels étaient ceux qui ne le demandaient pas ? Évidemment ce n’étaient pas les Juifs, mais bien les nations qui ne l’avaient pas connu. Ainsi comme Moïse les avait caractérisées, en disant : « Un peuple qui n’en est pas un », et encore : « Une nation insensée » ; de même ici le prophète les désigne par le même indice, à savoir leur extrême ignorance. Et c’était là le plus grave reproche à l’adresse des Juifs : que ceux qui ne cherchaient pas avaient trouvé, tandis qu’eux s’étaient perdus en cherchant.
Et à Israël il dit : « Tout le jour j’ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant ». Voyez comme la difficulté, comme le doute proposé par un grand nombre, est démontré avoir sa solution, dès les temps anciens, dans les paroles des prophètes ? Quelle était cette difficulté ? Vous avez entendu Paul dire plus haut : « Que dirons-nous donc ? Que les gentils qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice ; et qu’Israël, au contraire, en recherchant la justice, n’est point parvenu à la loi de justice ». C’est aussi ce que dit Isaïe ; car ces paroles : « J’ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas », ont le même sens que celle-ci : « Les gentils, qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice ». Ensuite, pour nous montrer que la conversion des gentils n’est pas seulement l’effet de la grâce, mais aussi de leur bonne volonté, écoutez ce qu’il ajoute : « Et à Israël il dit : « Tout le jour j’ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant » ; désignant ici par le mot jour tout le temps passé, et par ces expressions : « J’ai tendu les mains », la vocation, l’attrait et les invitations. Ensuite, pour indiquer tout le crime des Juifs, il dit : « A ce peuple incrédule et contredisant ».
3. Voyez-vous quelle grave accusation ? Ils n’ont point obéi à l’appel de Dieu, mais ils l’ont contredit non pas une fois, ni deux, ni trois, mais tant qu’ils ont vu Dieu le faire ; et d’autres qui ne connaissaient point – e Dieu ont pu se l’attirer. Paul ne dit pas qu’ils ont pu se l’attirer, mais pour ne pas donner d’orgueil aux gentils, et montrer que la grâce divine a tout fait, il dit : « Je me suis montré », et : « J’ai été trouvé ». Donc, direz-vous, les gentils sont donc sans mérite ? Erreur ; ils ont su saisir ce qu’ils ont trouvé, reconnaître ce qui s’est montré, voilà leur part. Et pour que les Juifs ne disent pas Pourquoi ne s’est-il pas montré à nous ? Dieu leur répond par quelque chose de plus : non seulement je me suis montré, mais j’ai attendu, les mains tendues, exhortant, déployant la sollicitude d’un père aimant, d’gne mère tendre. Voyez quelle solution claire et nette Paul a donné à toutes les difficultés proposées plus haut, en montrant aux Juifs que leur perte est le résultat de leur volonté et qu’ils sont absolument indignes de pardon. En effet, bien qu’ils eussent entendu et compris ce qui leur avait été dit, ils ne voulurent point se rendre. Bien plus : non seulement Dieu avait eu soin de leur faire tout entendre et tout comprendre ; mais il y avait ajouté ce qui était le plus propre à les exciter, à attirer des hommes amis de la contention et de la contradiction. Qu’était-ce donc ? Il les avait piqués au vif, il avait éveillé leur jalousie. Vous connaissez la force de cette passion, la vertu de la jalousie pour terminer toute discussion et relever les défaillances. Et à quoi bon parler des hommes, quand nous en voyons l’effet même chez les animaux et chez les enfants de l’âge le plus tendre ? En effet, souvent le petit enfant ne cède pas aux invitations de son père et montre de l’obstination ; mais quand il en voit caresser un autre, il revient, sans être invité, au sein paternel, et la jalousie produit ce que n’avait pu faire une simple exhortation. Ainsi Dieu a agi non seulement il a exhorté, tendu les mains ; mais il a aussi éveillé en eux le sentiment de la jalousie, en appelant des peuples qui leur étaient bien inférieurs (ce qui est le plus sûr moyen de rendre jaloux), en les appelant, dis-je, non à jouir de leurs avantages, mais chose plus grave et plus irritante, à posséder des biens beaucoup plus considérables et plus nécessaires, et tels que les Juifs eux-mêmes n’eussent jamais osé les rêver. Et pourtant ils ne se sont pas rendus. Comment donc seraient-ils excusables d’avoir montré une telle obstination ? C’est impossible. Toutefois Paul ne dit pas cela expressément ; mais il laisse à la conscience de ses auditeurs le soin de tirer cette conséquence de tout ce qu’il vient de dire, et il continue à donner la preuve avec sa sagesse accoutumée.
En effet, comme précédemment, il a présenté des objections sur la loi et sur le peuple, objections renfermant l’accusation la plus grave ; et qu’ensuite dans la solution destinée à réfuter cette accusation, il a fait toutes les concessions qu’il a voulu et que le sujet comportait, de peur que son langage ne parût blessant ; ainsi fait-il encore ici, en écrivant : « Je dis donc : Est-ce que Dieu a rejeté son peuple, qu’il a connu dans sa prescience ? « Loin de là (9, 1) ». Il a l’air d’un homme embarrassé ; comme s’il prenait son début dans ce qu’il vient de dire, il pose une question effrayante ; puis il la détruit et dispose par là â accepter ce qui va suivre, et prouve encore ici ce qu’il avait pour but de démontrer dans tout ce qui précède. Qu’est-ce donc ? Que la promesse subsiste, malgré le petit nombre de ceux qui sont sauvés. C’est pourquoi il ne dit pas simplement « Son peuple », mais il ajoute « Qu’il a connu dans sa prescience ». Ensuite il donne la preuve que Dieu n’avait point rejeté son peuple. « Car », dit-il, « moi-même je suis israélite, de la race d’Abraham, de la tribu de Benjamin ». Moi, le docteur, moi le prédicateur. Et comme cela semblait contredire ce qui a été dit plus haut, à savoir : « Qui a cru à ce qu’il a ouï de nous ? » et encore : « Tous les jours j’ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant » ; et aussi : « Je vous rendrai jaloux d’un peuple qui n’en est pas un » : il ne se contente pas de nier et de dire : « Loin de là » ; mais il y revient une seconde fois en disant : « Dieu n’a pas rejeté son peuple (2) ». Mais direz-vous, c’est là une affirmation et non une preuve. Voyez donc la première preuve et celle qui suit. La première, c’est qu’il était juif ; or, si Dieu eût rejeté son peuple, ce n’est pas chez lui qu’il aurait choisi l’homme à qui confier toute la prédication, les intérêts du monde entier, tous les mystères, toute l’administration. Voilà d’abord une preuve ; la seconde est dans ces mots : « Son peuple qu’il a connu dans sa prescience », c’est-à-dire qu’il connaissait parfaitement comme propre à recevoir la foi et comme devant la recevoir. Car trois mille, cinq mille et une foule d’autres avaient cru.
4. Et pour qu’on ne dise pas : Êtes-vous donc le peuple ? Parce que vous avez été appelé, le peuple l’a-t-il été ? il ajoute : « Il n’a pas repoussé son peuple qu’il a connu par sa prescience. » C’est comme s’il disait : Il y en a avec moi trois mille, cinq mille, dix mille. Quoi donc ? c’est à trois mille, à cinq mille, à dix mille que se réduit cette race qui devait égaler en nombre les astres du ciel et les grains de sables de la mer ? Et vous nous trompez, vous vous jouez de nous, jusqu’à vous donner pour tout un peuple, vous et quelques autres avec vous ? Et vous nous avez nourris de vaines espérances en nous disant que la promesse s’accomplirait, tandis que tous périssent et qu’un petit nombre seulement sont sauvés ? C’est là de la jactance et de l’orgueil, et nous ne pouvons supporter ces sophismes. Pour prévenir ce langage, voyez comme il amène la solution dans ce qui va suivre, sans poser l’objection, mais en la résolvant d’avance par un argument tiré de l’histoire ancienne. Quelle est donc cette solution ? « Ne savez-vous pas », leur dit-il « ce que l’Écriture dit d’Élie, comment il interpelle Dieu contre Israël en disant : Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels ; et moi, je suis resté seul, et ils recherchent mon âme. Mais que lui dit la réponse divine ? Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont point fléchi le genou devant Baal. De même donc, en ce temps aussi, un reste a été sauvé selon l’élection de la grâce (3-5)».
Ce qui veut dire : Dieu n’a point rejeté son peuple ; car s’il l’eût rejeté, il n’aurait reçu personne ; et s’il en a reçu quelques-uns, c’est qu’il ne l’a point rejeté. Mais, dira-t-on, s’il ne l’avait point rejeté, il aurait reçu tout le monde. Point du tout, car si, dans le temps d’Elfe, il n’y en eut que sept mille de sauvés, on ne peut nier qu’aujourd’hui un grand nombre croient. Si vous ignorez ce nombre, cela n’est pas étonnant, puisque Élie, cet homme si grand, si distingué, ne le savait pas lui-même : mais Dieu réglait, ses affaires, à l’insu même du prophète. Et voyez la prudence de Paul ; comme, en prouvant sa proposition, il aggrave implicitement l’accusation contre les Juifs. Car il ne cite ce témoignage que pour faire éclater leur ingratitude et montrer qu’elle date de loin. Si ce n’eût été là son but et qu’il eût seulement voulu prouver que le peuple se réduisait à un petit nombre, il se serait contenté de dire que, au temps d’Élie, sept mille hommes étaient réservés ; tandis qu’au contraire il cite le passage en entier. Partout en effet il s’attache à leur démontrer qu’ils n’ont rien fait de nouveau à l’égard du Christ et des apôtres, mais qu’ils se sont conformés à leurs habitudes et à leurs traditions. Et pour qu’ils ne disent pas : nous avons fait mourir le Christ comme séducteur et les apôtres comme imposteurs, il produit le témoignage qui dit : « Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels ».
Mais pour ne pas les blesser, il donne à cette citation un autre motif : car ce n’est pas une accusation qu’il à principalement en vue, mais il semble se proposer autre chose, et il leur ôte ainsi toute excuse même d’après l’histoire du passé. Et voyez comme l’accusation prend du poids d’après l’autorité du personnage ! En effet ce n’est ni Paul, ni Pierre, ni Jacques ni Jean qui les accusent ; mais l’homme qu’ils admiraient le plus, le chef des prophètes, l’ami de Dieu, celui qui brûlait de zèle pour eux jusqu’à endurer la faim, celui qui n’est pas encore mort aujourd’hui. Que dit-il donc ? « Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels ; et moi, je suis resté seul, et ils me cherchent pour m’ôter la vie ». Quoi de plus cruel, de plus barbare que cette conduite ? Au lieu de prier pour leurs crimes passés, ils voulaient encore mettre à mort Élie : ce qui les rendait absolument indignes de pardon. Car ce n’était pas sous l’empire de la faim, mais au milieu de l’abondance, quand l’opprobre d’Israël était levé, les démons confondus, la puissance de Dieu manifestée, le roi humilié, qu’ils osaient méditer de tels crimes, passant du meurtre au meurtre, et mettant à mort leurs maîtres, ceux qui s’attachaient à corriger leurs mœurs.
Qu’avaient-ils à dire ? Ceux-là étaient-ils aussi des séducteurs ? Ne savaient-ils pas d’où ils étaient ? – Mais ils vous attristaient, dites-vous ? – Oui, mais ils vous disaient des choses utiles. Et ces autels ? Vous avaient-ils aussi contristés ? Vous avaient-ils irrités ? Voyez quelles preuves d’obstination, d’insolence, ils ont toujours données ! Voilà pourquoi Paul dit ailleurs, en écrivant aux Thessaloniciens « Vous avez souffert, vous aussi, ce qu’elles » (les Églises de Dieu) « ont souffert elles-mêmes des Juifs qui ont tué même le Seigneur et leurs propres prophètes, qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu et qui sont ennemis de tous les hommes ». (1Thes. 2,14, 15) C’est ce qu’Élie leur dit ici, en leur reprochant d’avoir démoli les autels et tué les prophètes. Mais que lui répond l’oracle divin ? « Je me suis réservé sept mille hommes qui « n’ont point fléchi le genou devant Baal ». Mais, direz-vous, quel rapport cela a-t-il avec le présent ? Un très-grand. Car cela prouve que Dieu ne sauve que ceux qui en sont dignes, bien que la promesse s’adresse à tout le peuple. Déjà Isaïe l’avait indiqué en disant : « Le nombre d’Israël fût-il comme le sable de la mer, il n’y aura qu’un reste de sauvé », et encore : « Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome ». (Rom. 9,27-29) C’est sur ces textes que Paul appuie ses preuves ; puis il ajoute : « De même donc, en ce temps aussi, un reste a été sauvé, selon l’élection de la grâce ».
5. Voyez comme chaque expression a sa valeur propre, et montre la grâce de Dieu et la bonne volonté de ceux qui sont sauvés. En effet, en disant : « L’élection », il indique leur mérite, et en ajoutant : « De la grâce », il fait voir le don de Dieu. « Mais si c’est par la grâce, ce n’est donc point par les œuvres ; autrement la grâce ne serait plus grâce (6)». Or si c’est par les œuvres ce n’est plus une grâce, autrement l’œuvre ne serait plus une œuvre. Après avoir dit cela, il revient encore sur l’obstination des Juifs, la combat et leur ôte par là toute excuse. Vous ne pouvez pas, leur dit-il, objecter que, si les prophètes vous appelaient, si Dieu vous exhortait, si les faits mêmes élevaient la voix, alors que la jalousie aurait suffi, à elle seule, à vous attirer : objecter, dis-je, que les commandements étaient difficiles, que vous ne pouviez pas avancer parce qu’on exigeait de vous des actes, des efforts pénibles : non, vous ne pouvez pas employer ce prétexte. Comment Dieu aurait-il pu exiger de vous ce qui eût atténué l’effet de sa grâce ? En disant cela, il veut leur montrer que Dieu désirait vivement leur salut. En effet non seulement leur salut eût été facile, mais Dieu en eût retiré une très-grande gloire, en faisant ainsi éclater sa bonté. Pourquoi donc craigniez-vous d’avancer, quand on n’exigeait point de vous les œuvres ? Pourquoi vous soulever et discuter, quand la grâce vous est offerte, et parler de loi au hasard et sans fruit ? Cela ne vous sauvera pas, et vous perdrez le don. En rejetant obstinément cette voie de salut, vous détruisez la grâce de Dieu. Et pour qu’on ne trouve pas ce langage étrange, il affirme que les sept mille dont il a parlé, ont été sauvés par la grâce. En effet, en disant que, dans ce temps aussi ; un reste a été sauvé selon l’élection de la grâce, il indique que ces sept mille ont été sauvés par la grâce. Et il ne dit pas cela seulement ; car par ces expressions : « Je me suis réservé », Dieu fait entendre que c’est à lui qu’appartient en cela le rôle principal.
Mais, dira-t-on, si on est sauvé par la grâce, pourquoi ne le sommes-nous pas tous ? Parce que vous ne le voulez pas : car la grâce, toute grâce qu’elle est, sauve ceux qui veulent être sauvés, et non ceux qui ne veulent pas l’être, ceux qui la repoussent, et sont continuellement en guerre et en opposition avec elle. Le voyez-vous s’attacher sans cesse à prouver : « Que la parole de Dieu n’est pas restée sans effet » (Rom. 9,6), et faisant voir que la promesse s’est réalisée pour ceux qui en étaient dignes, et qu’ils ont pu, quoiqu’en petit nombre, former le peuple de Dieu ? Du 'reste, au commencement de son épître, il exprime cette vérité avec plus de force, quand il dit : « Car qu’importe, si quelques-uns n’ont pas cru ? » (Rom. 3,3), et, ne s’en tenant pas là, il ajoutait : « Dieu est véritable, mais tout homme est menteur ». Maintenant il donne une autre preuve de cette vérité, montre la force de la grâce, et affirme encore que les uns sont sauvés et les autres perdus.
Rendons donc grâces d’être du nombre des sauvés, et de l’avoir été par le don de Dieu, puisque nous ne pouvions pas l’être par nos œuvres. Et ne soyons pas seulement reconnaissants en paroles, mais en actions et en pratique. Car la véritable reconnaissance c’est de faire ce qui doit procurer de la gloire à Dieu, c’est de fuir les maux dont nous avons été délivrés. Si après avoir injurié un roi, nous étions récompensés au lieu d’être punis, et que nous l’insultassions de nouveau ; convaincus par là d’une ingratitude extrême, nous serions justement punis du dernier supplice, bien plus sévèrement que nous ne l’eussions été la première fois. En effet, le premier outrage aurait moins fait voir notre ingratitude que le second, infligé après le pardon, après l’honneur reçu. Fuyons donc les maux dont nous avons été délivrés, ne soyons pas reconnaissants seulement en paroles, et qu’on ne dise pas de nous : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais par le cœur, il est loin de moi ». (Ps. 29,13) Comment ne serait-il pas absurde que, pendant que les cieux racontent la gloire de Dieu, vous, pour qui ont été faits ces cieux qui glorifient Dieu, vous fissiez blasphémer par votre conduite celui qui vous a créés ? Aussi ce n’est pas seulement le blasphémateur qui sera puni, mais vous subirez aussi le châtiment. Car ce ne sont pas les cieux qui élèvent la voix pour glorifier Dieu, mais ils y excitent les hommes par leur aspect, et voilà pourquoi on dit qu’ils racontent la gloire de Dieu. Ainsi ceux qui mènent une vie édifiante, glorifient Dieu, même en gardant le silence, parce qu’ils le font glorifier par d’autres. Car le ciel n’excite pas autant l’admiration qu’une vie pure. Aussi quand nous parlons aux gentils, ce n’est pas le ciel que nous leur montrons, mais ces hommes qui étaient pires que des animaux et que Dieu a faits les émules des anges. C’est en leur parlant de ce changement que nous leur fermons la bouche.
6. Car l’homme vaut mieux que le ciel, et il peut donner à son âme une beauté, que le ciel n’a point. Depuis longtemps on voyait le ciel, et cet aspect n’a guère converti ; Paul n’a prêché que peu de temps et il a attiré à lui le monde entier. C’est qu’il possédait une âme qui n’était point inférieure au ciel et capable de tout attirer à elle. Notre âme n’est pas même digne de la terre, et la sienne était comparable aux cieux. En effet, le ciel reste dans ses limites propres, et observe des lois fixes ; mais l’âme de Paul surpassait en hauteur tous les cieux et vivait familièrement avec le Christ même ; et sa beauté était telle que Dieu lui-même la proclamait. Les anges admirèrent les astres au moment de leur création ; mais Dieu lui-même admira Paul, en disant : « Il est pour moi un vase d’élection ». (Act. 9,15) Souvent les nues voilent le ciel ; jamais la tentation n’obscurcit l’âme de Paul ; mais au milieu des tempêtes il paraissait plus brillant que les feux du midi et ne perdait rien de l’éclat qu’il avait avant l’orage. Car le soleil qui brillait en lui lançait des rayons que toutes les tentations réunies ne pouvaient obscurcir, qui en devenaient au contraire plus resplendissants. Aussi Dieu lui disait-il : « Ma grâce te suffit : car ma puissance se fait mieux sentir dans la faiblesse ». (2Cor. 12,9)
Imitons-le donc, et ni ce ciel visible, ni le soleil, ni le monde entier ne seront rien en comparaison de nous, si nous le voulons ; car ils ont été faits pour nous, et non pas nous pour eux. Montrons que nous sommes dignes qu’ils aient été faits pour nous. Si nous nous en montrons indignes, comment serons-nous dignes du royaume ? Et si ceux qui vivent pour blasphémer Dieu sont indignes de voir le soleil, ceux qui blasphèment sont également indignes de jouir des créatures qui glorifient Dieu, comme un fils qui outrage son père ne mérite pas d’être servi par des domestiques fidèles. C’est pourquoi les œuvres de Dieu seront revêtues d’une grande gloire, tandis que nous subirons le châtiment et la vengeance. Combien donc il serait misérable que des créatures formées pour nous, fussent conformes à la liberté de la gloire des enfants de Dieu ; et que nous, devenus enfants de Dieu, nous fussions, par notre extrême lâcheté, perdus et précipités en enfer : nous pour qui ces créatures jouiront d’une si grande félicité !
Pour que cela n’arrive pas, que ceux qui ont l’âme pure, la conservent en cet état ; qu’ils augmentent même son éclat ; mais que ceux qui ont l’âme souillée, ne désespèrent pas pour autant : car il est écrit : « Quand vos péchés seraient couleur de pourpre, je les rendrai blancs comme la neige ; et quand ils seraient comme du safran, je les rendrai blancs comme la laine ». (Is. 1,18) Or, quand Dieu promet, n’hésitez pas, mais faites tout ce qu’il faut pour mériter l’exécution de ses promesses. Vous avez commis une multitude d’iniquités ? qu’importe ? Vous n’êtes pas encore tombé en enfer, où personne ne se confesse plus ; votre rôle n’est pas encore terminé, vous êtes encore dans l’arène, et vous pouvez, par une lutte énergique, réparer toutes vos défaites. Vous n’êtes pas encore descendu où est le mauvais riche, pour vous entendre dire : « Entre vous et nous il y a un abîme » (Lc. 16,26) ; l’époux n’est pas encore arrivé, pour qu’on craigne de vous donner de l’huile ; vous pouvez encore en acheter et en verser dans votre lampe. Personne ne vous dit encore : « De peur qu’il n’y en ait pas assez pour nous et pour vous » (Mt. 25,9) ; mais le nombre des vendeurs est grand, ceux qui sont nus, ceux qui ont faim, les malades, les prisonniers. Nourrissez les uns, revêtez les autres, visitez ceux qui sont sur le lit de douleur, et l’huile vous viendra en surabondance. Le jour des comptes n’est pas encore venu. Usez du temps comme il faut ; remettez les dettes, dites à celui qui doit cent mesures d’huile : « Prenez votre obligation et écrivez cinquante ». (Lc. 16, 6) Faites-en autant pour l’argent, pour les paroles, pour tout, à l’exemple de cet économe ; excitez-vous à tenir cette conduite et exhortez-y vos proches. Car vous pouvez encore dire tout cela ; vous n’êtes pas encore dans la nécessité de recourir à un intercesseur ; vous pouvez user de ces conseils et les donner aux autres ; mais quand vous serez sorti de ce monde, vous ne pourrez plus faire ni l’un ni l’autre. Vous qui avez eu de si longs termes, et qui n’avez été utile ni à vous-même ni aux autres, quelle grâce aurez-vous à attendre, quand vous serez aux mains de votre juge ?
Faisant donc ces réflexions, travaillons avec ardeur à notre salut, et ne laissons point échapper les occasions que le temps présent nous offre. On peut, oui, on peut jusqu’au dernier souffle se réconcilier avec Dieu ; on le peut encore même par son testament, non pas cependant autant que pendant sa vie, mais enfin on le peut. Et comment cela ? En inscrivant le Christ parmi vos héritiers, en lui attribuant une part de votre succession. Vous ne l’avez pas nourri pendant que vous viviez ? Au moment du départ, quand vous n’êtes plus en état de jouir, donnez-lui une partie de votre fortune ; il est bon, il ne sera point trop sévère avec vous. Sans doute il eût été plus généreux et plus méritoire de le nourrir pendant votre vie ; mais si vous ne l’avez pas fait, usez au moins de ce second moyen : donnez-le pour cohéritier à vos enfants.. Et si vous hésitez encore, songez que le Père vous a fait cohéritier de son Fils, et dépouillez votre inhumanité. Quelle excuse aurez-vous, si vous refusez de faire entrer en partage avec vos enfants celui qui vous a donné part à son ciel, et qui a été immolé pour vous ? D’autre part, tout ce qu’il a fait, il l’a fait par grâce, et non en acquit de dette, tandis qu’après tant de bienfaits vous êtes devenu son débiteur. Et néanmoins, les choses étant ce qu’elles sont, il vous récompense comme s’il avait reçu un don et non comme ayant recouvré une créance, bien que tout ce qu’il réclame soit à lui.
7. Donnez-lui donc un argent qui désormais vous est inutile, dont vous n’êtes plus le maître, et il vous donnera un royaume dont vous jouirez à perpétuité, et, avec ce royaume, encore tous les biens d’ici-bas. S’il est héritier avec vos enfants, il allégera leur situation d’orphelins, il les garantira de l’injustice, écartera d’eux les embûches, fermera la bouche aux calomniateurs ; et s’ils ne peuvent eux-mêmes pourvoir à l’exécution du testament, il s’en chargera et ne permettra pas qu’on en viole les dispositions, et s’il le permet, il n’en sera que plus empressé à les remplir lui-même avec plus de générosité, dès qu’une fois il y aura été inscrit. Constituez-le donc héritier ; car c’est vers lui que vous devez aller : c’est lui qui doit porter le jugement sur tout ce que vous aurez fait ici-bas. Mais il y a des hommes tellement misérables, tellement aveugles, que, quoique sans enfants, ils refusent de prendre ce parti et aiment mieux distribuer leur fortune à des parasites et à des flatteurs, à un tel ou un tel, qu’au Christ même qui leur a fait tant de bien. Peut-il y avoir quelque chose de plus déraisonnable ? En comparant ces gens-là à des ânes, à des pierres, on n’exprimerait pas encore suffisamment leur stupidité, leur insensibilité ; il est impossible de trouver une image qui peigne leur folie et leur déraison. Comment seraient-ils pardonnables de n’avoir pas nourri le Christ pendant leur vie, quand, sur le point d’aller à lui, ils ne veulent pas même lui laisser une petite partie d’une fortune dont ils ne sont plus les maîtres ; quand ils sont à son égard dans des dispositions tellement malveillantes, tellement hostiles, qu’ils ne lui donnaient aucune part de leurs biens désormais inutiles pour eux ?
Ne voyez-vous pas combien d’hommes ne sont pas même jugés dignes de mourir ainsi, mais sont enlevés par une mort subite ? Mais Dieu vous a laissé la faculté de pourvoir à vos intérêts, de disposer de votre fortune et de mettre ordre à tout dans votre maison. Quelle sera donc votre excuse, si malgré la grâce qu’il vous accorde, vous abusez des bienfaits et adoptez une conduite diamétralement opposée à celle de vos pères dans la foi ? Car ils vendaient, de leur vivant, tout ce qu’ils possédaient et en apportaient le prix aux pieds des apôtres ; et vous, vous ne donnez pas même en mourant la moindre portion de votre bien aux indigents. Certes il serait bien meilleur, bien plus rassurant, de soulager les pauvres pendant sa vie ; mais si vous ne le voulez pas, faites au moins, en mourant, quelque acte de générosité. Ce n’est pas là une preuve de grand amour pour le Christ : c’est de l’amour pourtant. Vous ne seriez pas sans doute au premier rang parmi les agneaux ; mais ce n’est pas peu de chose d’être avec eux, et non à gauche, au milieu des boucs. Si vous ne faites pas cela, quel salut pouvez-vous espérer, quand la crainte de la mort, l’inutilité de votre fortune, l’intérêt de vos enfants, l’espoir d’obtenir vous-même une grande indulgence dans l’autre vie, n’ont pu vous inspirer des sentiments d’humanité ?
C’est pourquoi je vous exhorte à donner, pendant que vous vivez, la plus grande partie de votre bien aux pauvres. S’il en est qui aient l’âme assez étroite pour s’y refuser, qu’ils deviennent au moins humains par nécessité. Pendant votre vie, vous vous attachiez à votre fortune comme si vous eussiez été immortel mais maintenant que vous savez que vous êtes mortel, renoncez à vos desseins, et disposez de vos biens comme un homme qui doit mourir, ou plutôt comme un homme qui doit jouir d’une vie immortelle. Bien que ce que je vais vous dire soit désagréable et même enrayant, il faut cependant que je vous le dise : Comptez le Seigneur parmi vos esclaves. Vous affranchissez des esclaves ? Affranchissez le Christ de la faim, du besoin, de la prison, de la nudité. Ces mots vous font frissonner ? Ce sera bien plus terrible, si vous ne le faites pas. Ce langage vous frappe aujourd’hui de stupeur ; mais quand vous serez sorti de ce monde, quand vous entendrez des choses bien autrement terribles, quand vous verrez des supplices que rien ne peut adoucir, que direz-vous ? A qui recourrez-vous ? Quel aide, quel défenseur invoquerez-vous ? Sera-ce Abraham ? Il ne vous écoutera pas. Sera-ce les vierges sages ? Elles ne vous donneront point d’huile. Sera-ce votre père, votre aïeul ? Mais aucun d’eux, quelque saint qu’il soit, n’aura le pouvoir de faire révoquer cette sentence. Par toutes ces considérations, priez, suppliez, rendez-vous propice Celui qui peut seul effacer votre cédule et éteindre les flammes ; dès ce moment nourrissez-le, revêtez-le sans relâche ; afin de sortir de ce monde avec de bonnes espérances et de jouir dans le ciel des biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIX. modifier


QU’EST-IL DONC ARRIVÉ ? CE QUE CHERCHAIT ISRAËL, IL NE L’A POINT TROUVÉ ; MAIS CEUX QUI ONT ÉTÉ CHOISIS L’ONT TROUVÉ ; LES AUTRES ONT ÉTÉ AVEUGLÉS. (XI, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier

  • 1. Réprobation de la masse de la nation juive.
  • 2. Cause de cette réprobation. – Que leur déchéance n’est pas irréparable.
  • 3. L’Évangile devait être et a été annoncé premièrement aux Juifs, mais les juifs ayant refusé de le recevoir, les Gentils sont venus les premiers, pour donner de l’émulation aux Juifs.
  • 4. Que si la déchéance des Juifs a été si utile au monde, de quelle utilité ne sera pas le retour de cette nation qui à la consommation des siècles, rentrera tout entière dans le sein de l’Église ?
  • 5. Les Juifs peuvent recouvrer la position qu’ils ont perdue, ils ne doivent donc pas désespérer ; les Gentils pourraient perdre celle qu’ils ont acquise, qu’ils ne soient donc pas trop présomptueux.
  • 6. Les Juifs entreront tous un jour dans le sein de l’Église.
  • 7. Primitivement les Juifs durent leur vocation à l’incrédulité des nations, de même aujourd’hui les nations doivent leur vocation à l’incrédulité des Juifs. – Cri sublime que pousse saint Paul à la vue des merveilles de la providence de Dieu.
  • 8. Quelles sont les vraies richesses. – Ni la vertu ni le vice des parents n’ont aucune suite pour les enfants, si ceux-ci le veulent. Éloge de l’aumône.


1. Il a affirmé que Dieu n’avait point rejeté son peuple, et pour le prouver, ils eu recours aux prophètes ; et après avoir démontré par leur témoignage que la plus grande partie d’Israël a péri, ne voulant pas les accuser encore de lui-même, les blesser par son langage et paraître animé envers eux de dispositions hostiles, il revient à David et à Isaïe, en disant : « Selon qu’il est écrit : Dieu leur a donné un « esprit de torpeur (8) ». Mais il nous faut reprendre les choses de plus haut. Après avoir parlé d’Élie, et montré ce que c’est que la grâce, il ajoute : « Qu’est-il donc arrivé ? Ce que, cherchait Israël, il ne l’a point trouvé. C’est autant une accusation qu’une interrogation. Le Juif, nous dit-il, est en contradiction avec lui-même, en cherchant la justice et en ne voulant pas la recevoir. Puis par l’exemple de ceux qui l’ont reçue, il leur ôte toute excuse et démontre leur ingratitude, en disant : « Mais « ceux qui ont été choisis l’ont trouvé ». Et ceux-là les condamneront. C’est aussi ce que disait le Christ : « Si je chasse les démons par Béelzébub, vos fils, par qui les chassent-ils ? « C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges ». (Luc. 11,19) Pour que personne ne s’en prenne à la nature des choses, et qu’on n’accuse que leur volonté, il fait voir qui sont ceux qui ont trouvé. Aussi parle-t-il en termes énergiques pour signaler la grâce d’en haut et le zèle de ceux-ci. Car ce n’est pas pour détruire le libre arbitre qu’il affirme qu’ils ont trouvé ; mais pour indiquer la grandeur du bienfait, et faire voir que la grâce y a eu la part principale, mais non pas tout. Nous avons aussi l’habitude de dire : Un tel a rencontré, un tel a trouvé, quand il s’agit d’un gain considérable. En effet, ce n’est pas aux efforts de l’homme, mais à la grâce de Dieu que le principal appartient.
« Les autres ont été aveuglés ». Voyez comme il ne craint pas de dire en son propre nom que les autres ont été rejetés. Il l’avait déjà dit, mais en produisant l’accusation des prophètes ; ici il le déclare lui-même. Cependant il ne se contente pas de son jugement personnel, et il invoque encore une fois le prophète Isaïe. En effet, après avoir dit : « Ont été aveuglés », il ajoute : « Selon qu’il est écrit : Dieu leur a donné un esprit de torpeur ». Et d’où est venu cet aveuglement ? Il en a dit les causes plus haut et a tout fait retomber sur leur tête, en montrant que leur obstination déplacée leur a attiré ce malheur. Il le répète encore ici. Car après avoir dit : « Des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour, ne pas entendre », il n’accuse plus que leur esprit de contention. En effet, ayant des yeux pour voir les miracles, et des oreilles pour entendre la merveilleuse doctrine, ils n’ont pu en faire l’usage convenable. Par ce mot : « A donné », n’entendez pas une action directe, mais la permission. Par l’expression : « Torpeur », Paul veut dire une disposition de l’âme pour le mal, laquelle n’est pas susceptible de guérison ni de, changement. David a dit ailleurs : « Afin que ma gloire soit un hymne a votre honneur et que je ne tombe pas dans la torpeur » (Ps. 29), c’est-à-dire : pour que je ne change pas. Car de même que celui qui est fixé dans la piété, ne change pas aisément ; ainsi celui qui est fixé dans le mal, ne change pas non plus avec facilité : car être fixé n’est pas autre chose que d’être attaché et comme cloué. C’est donc pour indiquer leur volonté incorrigible, difficile à changer, qu’il emploie cette expression : « Esprit de torpeur ».
Ensuite pour prouver que leur incrédulité sera punie du dernier supplice, il ramène encore le prophète qui fait les mêmes menaces, mais menaces qui ont eu leur exécution. « Que leur table », dit David, « devienne pour eux lacet, piège et scandale (9) ». C’est-à-dire que la volupté, que tous les biens changent et disparaissent, et qu’ils deviennent – eux-mêmes faciles à vaincre pour tous. Et pour montrer que ces maux sont la punition de leurs péchés, il ajoute : « Et rétribution. Que leurs yeux s’obscurcissent pour qu’ils ne voient point, et faites que leur dos soit toujours courbé (10) ». Tout cela a-t-il encore besoin d’interprétation ? N’est-ce pas clair pour les moins intelligents ? Mais avant toutes nos paroles, l’événement même a prouvé la vérité de ce que nous venons de dire. Quand en effet sont-ils devenus si faciles à vaincre ? Quand donc ont-ils été si aisément pris ? Quand Dieu leur a-t-il fait courber le dos ? Quand ont-ils subi un tel esclavage ? Et le pire c’est que ces malheurs sont irréparables ; ce à quoi le prophète fait aussi allusion. Car il ne dit pas simplement : « Faites que leur dos soit courbé », mais : « Toujours courbé ». Et si vous disputez sur le résultat final, ô Juif, que le passé vous éclaire sur le présent. Vous êtes descendu en Égypte ; mais après deux cents ans, Dieu s’est empressé de vous délivrer de cet esclavage, malgré votre impiété et votre horrible fornication ; vous avez été tiré de l’Égypte, et vous avez adoré le veau d’or, vous avez immolé vos fils à Béelphégor ; vous avez profané le temple ; vous avez commis toute espèce de crimes ; vous avez méconnu la nature elle-même ; vous avez rempli de vos sacrifices impies les montagnes, les vallées, les collines, les fontaines, les fleuves, les jardins ; vous avez tué les prophètes, vous avez démoli les autels, vous avez porté au plus haut degré le vice et l’impiété ; et cependant après vous avoir livré aux Babyloniens pendant soixante-dix ans, il vous a rendu votre première liberté, le temple, la patrie, et même l’antique forme de la prophétie ; et les prophètes sont revenus et aussi la grâce de l’Esprit. Bien plus vous n’avez pas même été délaissé pendant le temps de la captivité, mais vous avez vu, là, Daniel et Ezéchiel, Jérémie en Égypte, et Moïse dans le désert.
2. Et, après tout cela, vous êtes retourné à votre première malice, vous avez été saisi de vertige, vous avez adopté les lois des gentils sous l’impie Antiochus ; puis, livrés pendant un peu plus de trois ans à ce même Antiochus, vous avez remporté sous les Macchabées de glorieuses victoires. Maintenant plus rien de semblable, mais tout le contraire : et ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que la malice a cessé et que la punition s’est aggravée et qu’il n’y a plus d’espérance de changement. Voilà, non pas soixante-dix, ni cent, ni deux cents, mais bien plus de trois cents ans passés, et il n’y a pas une lueur d’espoir, et cela quand vous ne commettez plus l’idolâtrie ni les autres crimes dont vous vous souilliez autrefois.
Quelle en est donc la cause ? La vérité a succédé à la figure, la grâce a exclu la loi ; ce que le prophète avait prédit autrefois en disant : « Et faites que leur dos soit toujours courbé ». Voyez-vous l’exactitude de la prophétie, comme elle a annoncé d’avance l’incrédulité, signalé l’esprit de contention, désigné le jugement qui devait suivre, et prédit une punition sans terme ? Comme beaucoup de Juifs des plus grossiers ne croyaient point à l’avenir et voulaient en juger d’après le présent, le Christ leur a donné, à ces deux points de vue, une preuve de sa puissance, en exaltant, d’une part, au-dessus des cieux ceux des gentils qui avaient cru, et de l’autre, en réduisant à la dernière désolation et en livrant à des malheurs irréparables ceux des Juifs qui n’avaient pas voulu croire.
Après cette vive attaque, à l’occasion de leur incrédulité et des maux qu’ils souffraient et devaient encore souffrir, Paul mêle quelque consolation à ses paroles, et leur écrit : « Je « dis donc : Ont-ils trébuché de telle sorte « qu’ils soient tombés ? Point du tout (11) ». Après leur avoir montré qu’ils sont accablés de maux sans nombre, il songe enfin à les consoler. Et voyez sa prudence ! Il accuse au nom des prophètes, mais il console en son propre nom. Personne, dit-il, ne peut nier qu’ils aient grandement péché ; mais voyons si leur chute est telle qu’elle soit irréparable et qu’il n’y ait pas moyen d’y remédier. Or il n’en est pas ainsi. Voyez-vous comme il frappe encore sur eux, et comment, tout en leur faisant espérer une consolation, il les tient sous le poids des péchés qu’ils ont commis et dont tout le monde convient ? Mais voyons, nous aussi, quelle est la consolation qu’il leur réserve. Quelle est-elle donc ? Quand la plénitude des nations sera entrée, dit-il, alors tout Israël sera sauvé, au temps du second avènement et de la consommation. Il ne dit cependant pas cela immédiatement : après les avoir attaqués vigoureusement, avoir entassé accusations sur accusations, invoqué prophètes sur prophètes, fait retentir les cris d’Isaïe, d’Élie, de David, de Moïse, d’Os. une fois, deux fois, bien des fois : pour ne pas les jeter dans le désespoir, pour ne pas leur fermer la voie du retour, de peur aussi que les gentils qui avaient cru n’en conçussent de l’orgueil, et ne souffrissent par là même préjudice en leur foi, il en vient enfin à les consoler et leur dit : « Mais par leur péché le salut est venu aux gentils ».
Il ne nous suffit pas d’entendre ces paroles ; nous devons connaître l’intention et le but dé celui qui les prononce, 'savoir à quelle fin il tend : ce que je demande toujours de votre charité. Si, en effet, nous étudions ce texte dans cet' esprit, nous verrons qu’il ne renferme aucune difficulté. Or, le but que Paul se propose maintenant, c’est de détruire l’orgueil que ses paroles auraient pu inspirer aux gentils ; en apprenant à être modestes, ils devaient être plus solides dans leur foi, et les Juifs, sauvés du désespoir, venir à là grâce avec plus de confiance. Ayant donc – cette intention présente à la pensée, écoulons maintenant ce que renferme ce passage. Que dit donc l’apôtre ? Comment prouve-t-il que la chute n’est pas irréparable, qu’ils ne sont point rejetés à jamais ? Il le prouve par les gentils eux-mêmes, en disant : « Par leur péché, le salut est venu aux gentils, qui devaient ainsi leur donner de l’émulation ». Et ce n’est pas seulement Paul qui parle ainsi, mais c’est aussi le sens des paraboles de l’Évangile. En effet le roi qui avait préparé la noce de son fils, voyant que ceux qui étaient invités ne voulaient pas venir, envoya chercher ceux qui étaient dans les carrefours. Et celui qui avait planté une vigne, voyant son fils tué par l’es vignerons, la confia à d’autres. En dehors des paraboles, le Christ disait encore : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ». (Mt. 15,24) Il a même dit quelque chose de plus à la syro-phénicienne qui lui faisait instance : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens ». (Id. 26) Et Paul disait aux Juifs qui se soulevaient : « C’était à vous qu’il fallait d’abord annoncer la parole de Dieu ; mais puisque vous vous jugez indignes, voilà que nous nous tournons vers les gentils ».
3. Tout démontre que l’ordre des choses exigeait que les Juifs vinssent les premiers et les gentils après eux ; mais comme les Juifs ne voulurent pas croire, l’ordre fut renversé, et leur incrédulité et leur chute ont fait passer les gentils les premiers. Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Par leur péché, le salut est venu aux gentils, qui devaient ainsi leur donner à de l’émulation ». Que s’il placé en premier lieu ce qui ne doit venir qu’au second rang, ne vous en étonnez pas ; il veut consoler leurs âmes affligées. Or, voici ce qu’il veut dire Jésus est venu chez les Juifs ; ils ne l’ont point reçu malgré ses nombreux prodiges ; mais ils l’ont crucifié ; alors il a attiré à lui les nations, pour faire ressortir, par l’honneur qu’il leur accordait, l’insensibilité des Juifs et les déterminer à venir, en excitant leur jalousie contre les gentils. Il fallait en effet qu’ils reçussent la foi les premiers, et nous ensuite ; c’est pourquoi Paul disait : « Car il » (l’Évangile) « est la vertu de Dieu pour sauver tout croyant, le Juif d’abord, et puis le Grec » (Rom. 1,16) ; mais comme ils ont résisté, nous qui étions les seconds, nous sommes devenus les premiers. Voyez-vous quel honneur il sait tirer de là pour eux ; d’abord en disant que nous n’avons été appelés que parce qu’ils ont refusé : ensuite en affirmant que nous n’avons pas été appelés seulement pour être sauvés, mais afin qu’excités à l’émulation par notre salut, ils en devinssent meilleurs. Quoi donc ? direz-vous : Sans les Juifs, n’eussions-nous été ni appelés, ni sauvés ? Certainement nous ne l’aurions pas été avant eux, mais dans l’ordre convenable. Aussi quand le Christ parlait à ses disciples, il ne leur disait pas : Allez vers les brebis perdues de la maison d’Israël ; mais plutôt : « Allez » ; indiquant par là qu’ils ne devaient aller chez les nations qu’après s’être adressés aux Juifs. Et, à son tour, Paul ne dit pas : il fallait vous annoncer la parole, mais : « C’était d’abord à vous qu’il fallait annoncer », pour montrer que nous ne devions venir qu’en second lieu. Tout cela s’est fait, tout cela s’est dit pour qu’ils n’eussent pas l’impudence de prétexter qu’ils avaient été dédaignés et qu’à cause de cela ils n’avaient pas cru. Aussi le Christ, qui prévoyait tout, est-il d’abord venu chez eux. « Que si leur péché est la richesse du monde, et leur diminution, la richesse des gentils, combien plus encore leur plénitude (12) ? » Ici il parle en leur faveur. Car, fussent-ils tombés dix mille fois, les nations n’eussent pas été sauvées, si elles n’avaient reçu la foi ; comme les Juifs eux-mêmes n’eussent point péri, s’ils n’avaient été incrédules et obstinés. Mais, comme je l’ai dit, il les console dans leur chute, et met tout en œuvre pour leur faire espérer leur salut, s’ils veulent se convertir. En effet, dit-il, si, quand ils sont tombés, tant d’autres ont été sauvés, si, quand ils ont été rejetés, tant d’autres ont été appelés songez à ce que ce sera quand ils se convertiront. Et il ne dit pas : Combien leur conversion, ni Combien plus leur changement, ni : Combien plus leur correction ; mais : « Combien plus leur plénitude ? » C’est-à-dire quand ils entreront tous. Or il dit cela pour indiquer qu’alors la grâce sera plus abondante, ainsi que le don de Dieu, et qu’on aura à peu près tout.
« Car je le dis à vous, gentils : Tant que je serai apôtre des gentils, j’honorerai mon ministère : m’efforçant d’exciter l’émulation de ceux de mon sang et d’en sauver quelques-uns ». Encore une fois il cherche à se soustraire à d’injustes soupçons ; d’un côté il semble ; attaquer les gentils et prévenir leur orgueil, et de l’autre, il blesse légèrement les Juifs, et use de détours en cherchant à les soulager et à les consoler d’une si grande ruine, et n’en trouve aucun moyen dans la nature même des choses. En effet, ce qu’il vient de dire les accuse encore plus haut, puisque d’autres, qui leur étaient bien inférieurs, ont profité de tous les biens qui leur étaient préparés. C’est pourquoi il passe des Juifs aux gentils et insère un mot sur ceux-ci, pour leur faire voir qu’en tout ce qu’il dit, son intention est de leur apprendre à être humbles. Je vous loue, leur dit-il, pour deux raisons : la première c’est que j’y suis obligé, vu que votre administration m’a été confiée ; la seconde, c’est afin d’en sauver d’autres par vous. Et il ne dit pas : Mes frères, mes proches, mais : « Ceux de mon sang ». Ensuite : « Et de sauver », non pas tous, mais « Quelques-uns d’eux » : tant ils étaient durs. Mais tout en leur adressant ce reproche, il fait voir que la situation des gentils est brillante ; et s’ils sont les uns pour les autres une occasion de salut, ce n’est pas parle même moyen : car c’est par leur incrédulité que les Juifs procurent des avantages aux gentils, et c’est par leur foi que les gentils deviennent utiles aux Juifs, d’où il ressort que la condition des gentils est égale et même supérieure.
4. En effet, que pouvez-vous dire, ô Juif ? Ceci peut-être : Si nous n’avions pas été rejetés, vous n’auriez pas été appelés immédiatement ? Mais le gentil vous répond : Si je n’avais pas été sauvé, vous ne vous seriez pas piqué d’émulation. Et si voulez savoir en quoi je l’emporte sur vous, c’est que je vous sauve parce que j’ai cru ; tandis que c’est parce que vous êtes tombé que nous sommes passés au premier rang. Puis sentant qu’il les a blessés, Paul revient à son premier sujet et dit : « Car si leur perte est la réconciliation du monde, que sera leur rappel, sinon une résurrection (15) ? » Mais ceci les condamne encore, puisque les autres ont profité de leurs fautes et qu’ils n’ont pas su eux-mêmes tirer parti des bonnes actions des autres. Que s’il leur attribue ce qui est le résultat de la nécessité, ne vous en étonnez pas ; il donne souvent cette forme à son langage pour contenir les uns et exciter les autres, comme je l’ai déjà dit bien des fois. Et, comme je l’ai dit encore, les Juifs eussent-ils été mille fois rejetés, les gentils n’auraient pas été sauvés s’ils n’avaient reçu la foi. Mais l’apôtre soutient le côté faible et vient en aide à ceux qui sont dans la peine. Mais voyez jusqu’à quel point il condescend en faveur des Juifs, comme il les console par ses paroles. « Car », dit-il, « si leur perte est la réconciliation du monde ». Qu’est-ce que cela fait aux Juifs, dira-t-on ? « Que sera leur rappel, sinon la résurrection ? » Mais, s’ils n’avaient pas été rappelés, ceci ne serait rien encore pour eux. Voici ce que l’apôtre veut dire : Si Dieu, irrité contre les Juifs, a fait à d’autres tant et de si grands dons, que ne leur accordera-t-il pas quand il sera réconcilié avec eux ? Mais comme ce n’est pas à cause de leur rappel qu’a lieu la résurrection des morts, de même ce n’est pas à cause d’eux que nous est venu le salut ; ils ont été rejetés à cause de leur folie, et nous avons été sauvés par la foi et la grâce d’en haut. Or, rien de cela ne peut leur être utile, s’ils ne montrent une foi suffisante.
Du reste, selon son habitude, l’apôtre passe à un autre éloge, éloge apparent seulement et non réel : imitant en cela les bons médecins qui donnent aux malades toutes les consolations que comporte la nature de la maladie. Que dit-il donc ? « Que si les prémices sont saintes, la masse l’est aussi, et si la racine est sainte, les rameaux aussi (16) » ; appelant ici prémices et racine Abraham, Isaac, les prophètes, les patriarches, tous les hommes illustres de l’Ancien Testament, et rameaux, ceux de leurs descendants qui ont cru. Puis comme on lui objectait qu’un grand nombre n’avaient pas cru, voyez comme il coupe court à l’objection en disant : « Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus… 17) ». Pourtant vous disiez plus haut que le plus grand nombre avaient péri, que bien peu avaient été sauvés ; comment donc, en parlant ici de ceux qui ont péri, dites-vous : « Quelques-uns », ce qui désigne clairement un petit nombre ? Je ne suis point, répond-il, en contradiction avec moi-même ; mais j’ai hâte de guérir et de relever ceux qui souffrent. Voyez-vous comme dans tout le passage percent ses efforts et son désir de les consoler ?
Autrement, on y trouverait bien des contradictions. Mais considérez sa sagesse, comment, tout en paraissant plaider en leur faveur et à chercher à les consoler, il les accuse implicitement et leur démontre, par leur racine, par leurs prémices, qu’ils n’ont aucun moyen de se justifier ? Songez à la malice des rameaux, qui, sortis d’une racine douce, n’ont pas su être doux comme elle : et à la méchanceté de la masse, que les prémices mêmes n’ont pas la vertu de changer.
« Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus ». Et c’est le plus grand nombre qui ont été rompus, mais, comme je l’ai dit, son but est de les consoler. C’est pourquoi il ne parle pas de sa seule autorité, mais d’après les patriarches, et, faisant ainsi un reproche implicite, il montre qu’ils sont déchus de la race d’Abraham ; car c’était là ce qu’il tenait à leur dire : qu’ils n’ont plus rien de commun avec lui. En effet, si la racine est sainte et qu’ils ne soient pas saints, ils sont donc loin de la racine : Puis, en paraissant consoler les Juifs, il accuse encore une fois les gentils. Après avoir dit : « Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus », il ajoute : « Et si toi, qui n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été enté ». Plus le gentil était méprisable, plus le Juif souffrait de le voir jouir de son propre bonheur. et le gentil à son tour est moins humilié de sa bassesse qu’honoré du changement qui s’est opéré en lui. Et voyez la sagesse de Paul ! Il ne dit pas : Qui as été planté, mais : « Qui as été enté » ; pour blesser encore ici le Juif, en lui faisant voir que c’est sur son tronc que le gentil est placé, tandis qu’il est lui-même gisant à terre. Aussi ne s’en tient-il pas là, ne se borne-t-il pas à dire : « Tu as été enté », quoique ce mot renferme tout ; mais il insiste sur le bonheur du gentil et proclame sa gloire en disant : « Et participant de la racine et de la graine de l’olivier ». Il semble, il est vrai, présenter le gentil comme une adjonction ; mais il prouve aussi qu’il n’en éprouve aucun dommage et qu’il a eu tout ce qu’a eu le rameau sorti de la racine. Et de peur qu’en entendant ces mots. « Tu as été enté », vous ne vous imaginiez que le gentil, comparé au rameau naturel, lui est inférieur, voyez comme Paul le place au même rang, en disant. « Tu as été fait participant de la racine et de la graisse d’olivier » ; c’est-à-dire, tu partages la même noblesse, la même nature. Ensuite en avertissant sévèrement le gentil et en disant : « Ne te glorifie point aux dépens des rameaux », il semble consoler le Juif, et néanmoins fait voir sa bassesse et l’excès de son ignominie. Aussi ne dit-il pas. Ne te glorifie pas, mais : « Mais ne te glorifie pas aux dépens », ne te glorifie pas de manière à les briser entièrement : car tu occupes leur place, tu jouis de leurs avantages.
5. Voyez-vous comme, tout en gourmandant les gentils, il pique vivement les Juifs ? « Que si tu te glorifies », dit-il, « sache que tu ne portes point la racine, mais que c’est la racine qui te porte (18) ». Et qu’est-ce que cela fait aux rameaux qui ont été retranchés ? Rien. Comme je l’ai déjà dit, tout en paraissant apporter aux Juifs une faible consolation et attaquer les gentils, il porte à ceux-là un coup mortel. Car en disant : « Ne te glorifies pas », et : « Que si tu te glorifies, sache que tu ne portes pas la racine », il fait voir au Juif qu’on pouvait se glorifier du passé, bien qu’on ne le dût pas : il l’excite, il l’anime à embrasser sa foi, il joue le rôle dé défenseur, en lui montrant la perte qu’il a subie et comment d’autres ont recueilli ses avantages. « Tu diras sans doute, les rameaux ont été brisés « pour que je fusse enté (19) ». Sous forme d’objection, il établit le contraire de ce qui précède, et fait voir que ce qu’il vient de dire tout à l’heure n’avait pas d’autre but que d’attirer les Juifs. 'Ce n’est plus par leur péché que le salut est venu aux gentils, leur péché m’est plus la richesse du monde. Nous n’avons plus été sauvés parce qu’ils sont tombés ; c’est tout le contraire qui a lieu. Il indique que les gentils ont eu la part principale dans cette action de la Providence, bien que ses paroles précédentes semblent présenter un autre sens ; il enchaîne tout ce passage sous forme d’objection, pour écarter tout soupçon d’hostilité de sa part et se faire accepter de l’auditeur.
« Fort bien ». Il approuve ce qui vient d’être dit : puis il excite l’épouvante en disant « C’est à cause de leur incrédulité qu’ils ont été rompus. Pour toi, tu as été enté par la foi ». Voici encore un éloge des gentils et une accusation contre les Juifs. Mais de nouveau il réprime l’orgueil des gentils, en ajoutant. « Ne cherche pas à t’élever ; mais crains (20) ». Car ceci n’est point chose naturelle, mais affaire de foi et d’incrédulité. Encore une fois, il a l’air de fermer la bouche au gentil et d’apprendre au Juif qu’il ne faut faire aucune attention à la parenté naturelle ; c’est pourquoi il ajoute : « Ne cherche pas à t’élever ». Il ne dit pas : Sois humble, mais « Crains » : Car l’orgueil produit le mépris et la lâcheté. Puis voulant peindre leur infortune avec de vives couleurs, pour ne pas leur être trop odieux, il a l’air de gourmander les gentils et dit : « Car si Dieu n’a pas épargné les rameaux naturels » ; il n’ajoute pas : Il ne t’épargnera pas, mais : « Il pourra bien ne pas t’épargner toi-même (21) ». Il ôte aussi à sa parole ce qu’elle avait de désagréable, en même temps qu’il excite la vigilance du fidèle, attire les Juifs et contient les gentils.
« Vois donc la bonté et la sévérité de Dieu ; sa sévérité envers ceux qui sont tombés, et sa bonté envers toi, si toutefois tes demeures ferme dans cette bonté ; autrement tu seras aussi retranché (22) ». Il ne dit pas : Vois tes bonnes œuvres, vois tes travaux, mais Vois la bonté de Dieu ; indiquant par la que tout est l’œuvre de la grâce d’en haut et leur inspirant des sentiments de terreur. Car c’est parce que tu as sujet de te glorifier, que tu dois trembler. Crains, précisément parce que Dieu s’est montré bon envers toi : car ces biens-là né sont pas immuables, si tu te relâches, pas plus que les maux pour les Juifs, s’ils se convertissent. Et toi aussi, dit-il, tu seras retranché, si tu ne persévères pas dans la joie.
« Mais eux-mêmes, s’ils ne demeurent point dans l’incrédulité, seront entés (23) ». Car Dieu ne les a pas retranchés, mais ils se sont brisés eux-mêmes et sont tombés. Et il a raison de dire : « Se sont brisés » ; car jamais Dieu ne les a ainsi rejetés, bien qu’ils aient grandement et souvent péché. Voyez-vous quelle est la puissance du libre arbitre ? Quel est le pouvoir de la volonté ? Car rien n’est immuable, ni ton bonheur ni leur malheur. Voyez-vous comme il relève celui qui désespère et abat celui qui a trop de confiance ? Toi qui entends parler de sévérité, ne désespère point ; toi qui entends parler de bonté, ne t’enfle point. Il t’a retranché avec – sévérité, afin que tu désires revenir ; il t’a montré de la bonté, afin que tu persévères. Il ne dit pas Dans la foi, mais : « Dans cette bonté », c’est-à-dire, si tu te conduis d’une manière digne de la bonté de Dieu : Car la foi ne suffit pas. Voyez-vous comme il ne permet pas que le Juif reste à terre, ni que le gentil s’enorgueillisse, et comme il pique le premier d’émulation, en indiquant par ce qu’il vient de dire que le Juif pourrait reprendre la place du gentil, comme le gentil a d’abord pris la place du Juif ? II épouvante les gentils par l’exemple des Juifs, afin qu’ils ne se glorifient pas aux dépens de ceux-ci ; et il encourage les Juifs par l’exemple des faveurs faites aux gentils. Et toi aussi, dit-il au gentil, tu seras retranché, si tu te relâches : car le Juif l’a été ; et le Juif sera enté, s’il montre du zèle : car tu as été enté toi-même. Il s’adresse uniquement aux gentils, suivant sa prudente habitude de fortifier les faibles en gourmandant les forts. Il en fait autant à la fin de son épître, quand il s’agit ces observances relatives à la nourriture. Et il se fonde, non seulement sur l’avenir, mais aussi sur le passé : ce qui fait plus d’impression sur l’auditeur. Et comme il doit présenter une série de raisonnements irréfutables, il commence sa démonstration par la puissance de Dieu. En effet, quoique les Juifs aient été retranchés et rejetés, cependant ne désespérez pas : « Car Dieu est puissant pour les enter de nouveau », lui qui peut faire au-delà de toute espérance.
6. Que si vous faites attention à la suite des faits et des raisonnements, vous trouverez chez vous-même une preuve de la plus grande force. « En effet », dit-il, « si tu as été coupé de l’olivier sauvage, ta tige naturelle, et enté contre ta nature sur l’olivier franc, à combien plus forte raison ceux qui sont les rameaux naturels seront-ils entés sur leur propre olivier (24) ? » Si la foi a pu ce qui est contraire à la nature, à bien plus forte raison pourra-t-elle ce qui est conforme à la nature. Si celui qui a été retranché de la race de ses pères naturels, en devient, contre sa nature, enfant d’Abraham ; à bien plus forte raison pourras-tu rentrer dans ta famille propre. Chez le gentil le mal est naturel, car il est, de sa nature, olivier sauvage ; et le bien est contre nature, puisque c’est contre sa nature qu’il a été enté sur Abraham. Chez toi, au contraire, le bien est naturel ; et si tu veux revenir, tu ne seras pas, comme le gentil, enté sur une racine étrangère, mais sur ta racine propre. Quelle serait donc ton excuse, de ne pouvoir selon la nature ce que le gentil a pu contre la nature, et de renoncer à tes avantages ? Ensuite, après avoir dit : « Contre nature », et : « Tu as été enté », pour qu’on ne croie pas que le Juif a quelque chose de plus, il met lui-même le correctif, en disant que le Juif aussi est enté. « A combien plus forte raison ceux qui sont les rameaux naturels seront-ils entés sur leur propre olivier ? » Et encore : « Dieu est assez puissant pour les enter de nouveau ». Plus haut il avait dit qu’ils seraient entés, s’ils ne demeuraient pas dans l’incrédulité. Et si vous l’entendez sans cesse dire : « Contre la nature et selon la nature », ne vous imaginez pas qu’il parle de la nature immuable ; ces expressions signifient simplement chez lui ce qui convient, ce qui résulte, et ce qui ne convient pas. Car le bien et le mal ne sont pas le produit de la nature, mais de la volonté et du libre arbitre. Et voyez comme il évite tout ce qui peut blesser ! Après avoir dit : Tu seras aussi retranché, si tu ne demeures pas ferme dans la foi, et les Juifs seront entés de nouveau, s’ils ne demeurent point dans l’incrédulité : quittant ce langage sévère, il en prend un plus doux, et finit par inspirer aux Juifs de grandes espérances, s’ils montrent de la bonne volonté. C’est pourquoi il ajoute : « Car je neveux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux (26) ».
Ici « mystère » veut dire chose inconnue, cachée, renfermant tout à la fois quelque chose de prodigieux et d’incroyable : Comme quand il dit ailleurs : « Voici que je vais vous dire un mystère : Nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés ». (1Cor. 15,5) [8] Quel est donc ce mystère ? « Qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement ». Ici encore, il frappe sur les Juifs, en paraissant donner une leçon aux gentils. II veut dire ce qu’il a déjà établi plus haut, que l’incrédulité n’a pas été universelle, mais partielle ; comme quand il dit ailleurs : « Que si l’un de vous m’a contristé, il ne m’a contristé qu’en partie, pour ne pas vous charger tous ». Et encore : « Après que j’aurai un peu joui de vous ». (Rom. 15,24) De même il répète ici ce qu’il a dit plus haut : « Dieu n’a point rejeté son peuple, qu’il a connu dans sa prescience » ; et encore : « Quoi donc ! Ont-ils trébuché de telle sorte « qu’ils soient tombés ? Point du tout ». C’est ce qu’il dit encore ici : Toute la race des gentils n’a pas été attirée, mais beaucoup ont déjà cru et croiront encore. Puis comme il annonce une chose importante, il la prouve par le témoignage du prophète. Quand à ce qui regarde l’aveuglement, il ne produit pas de témoignage, puisque c’est un fait évident pour tous : mais pour prouver qu’ils croiront et qu’ils seront sauvés, il cite une seconde fois Isaïe qui s’écrie : « Il viendra de Sion, celui qui doit délivrer et qui doit bannir l’impiété de Jacob (26) ». Ensuite, après avoir indiqué le signe de la délivrance, pour que personne ne revienne au passé et ne s’y rattache, il ajoute : « Et ce sera là mon alliance avec eux quand j’aurai effacé leurs péchés « (27) » ; non pas quand ils seront circoncis, ni quand ils auront sacrifié, ni quand ils auront rempli les autres prescriptions légales, mais quand ils auront reçu la rémission de leurs péchés. Si donc cette promesse a été faite, si elle n’est bras encore accomplie sur eux, s’ils n’ont pas encore obtenu la rémission par le baptême, certainement cela aura lieu. Aussi ajoute-t-il : « Parce que les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir (29) ». Ce n’est pas seulement par ce motif qu’il les console, mais aussi par le souvenir du passé ; et il pose comme principe ce qui n’était que conséquence, en disant : « Il est vrai que, selon l’Évangile, ils sont ennemis à cause de vous ; mais, selon l’élection, ils sont très-aimés à cause de leurs pères (28) ». De peur que le gentil ne s’enfle et ne dise : Je suis debout, ne me parlez pas de ce qui a pu être, mais de ce qui est : Il le comprime encore par ce motif, en disant : « Selon l’Évangile ils sont ennemis à cause de vous ». En effet, par ce que vous avez été appelés, ils sont devenus plus obstinés.
7. Pourtant Dieu n’a pas renoncé à vous appeler, mais il attend que tous les gentils qui doivent croire, soient entrés, et alors les Juifs viendront aussi. Ensuite il leur fait encore une autre concession, en disant : « Mais, « selon l’élection, ils sont très-aimés à cause « de leurs pères ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Ennemis, ils rencontrent le supplice ; bien-aimés à cause de leurs pères, la vertu de leurs ancêtres leur est inutile, à moins qu’ils ne croient. Cependant, comme je l’ai dit, il ne cesse de les consoler en paroles, afin de les attirer. C’est pourquoi, appuyant d’une autre preuve qu’il a affirmé plus haut, il dit : « Comme donc autrefois vous-mêmes n’avez pas cru à Dieu, et que maintenant vous avez obtenu miséricorde, à cause de leur incrédulité ; ainsi eux maintenant n’ont pas cru, pour que miséricorde vous fût faite. Car Dieu a renfermé tous les hommes[9] dans l’incrédulité, pour faire miséricorde à tous (30-32) ».
Ici il fait voir que les gentils ont été appelés les premiers. Mais que, sur leur refus, les Juifs ont été élus ; et que, dans le sens inverse, les Juifs n’ayant pas voulu croire, les nations ont été de nouveau introduites. Mais il ne s’en tient pas là et ne se borne pas uniquement à proclamer leur expulsion ; il leur laisse aussi espérer un retour de miséricorde. Voyez combien il accorde aux gentils ! Autant qu’il accordait en premier lieu aux Juifs. Quand vous, gentils, leur dit-il, vous avez été indociles, les Juifs sont venus ; puis, quand ils ont été indociles à leur tour, vous êtes revenus à leur place. Cependant ils ne sont pas perdus à jamais. « Car Dieu a renfermé tous les hommes dans l’incrédulité », c’est-à-dire, a convaincu, les a fait paraître incrédules, non pour qu’ils demeurent tels, mais pour sauver les uns par émulation à l’égard des autres, ceux-ci par ceux-là et ceux-là par ceux-ci. Examinez un peu : Vous, gentils, vous avez cessé de croire et les Juifs ont été sauvés ; puis les Juifs ont cessé de croire, et vous avez été sauvés à votre tour ; vous n’avez cependant pas été sauvés de manière à sortir encore une fois, comme les Juifs, mais pour persévérer et les attirer par l’émulation.
« O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles (33) ! » Ici, après avoir fait un retour sur les premiers temps, contemplant l’action de la Providence divine depuis la création du monde jusqu’au moment présent, et considérant la variété de ses voies, il est frappé de stupeur et pousse une exclamation, pour attester à l’auditeur que tout ce qu’il a dit s’accomplira certainement. S’il en eût dû être autrement, il n’aurait pas été saisi d’étonnement, il n’eût pas poussé cette exclamation. Que la profondeur existe, il le sait ; quelle elle est, il ne le sait pas ; car c’est le cri de l’étonnement et non d’une parfaite connaissance. Ravi d’admiration et frappé de stupeur à la vue de la bonté de Dieu, il la proclame, autant qu’il le peut, par deux expressions énergiques : la richesse et la profondeur ; et il reste saisi d’étonnement que Dieu ait voulu et pu ces choses, et qu’il ait tramé les contraires par les contraires. « Que ses jugements sont incompréhensibles ! » non seulement on ne peut les comprendre, mais pas même les scruter. « Et ses voies impénétrables ! » c’est-à-dire les desseins de sa Providence, car non seulement on ne peut pas les connaître, mais pas même s’en enquérir. Je n’ai pas pu, dit-il, découvrir tout ; mais seulement une faible partie : car Dieu seul connaît parfaitement ses œuvres. Aussi ajoute-t-il : « Car qui a connu la pensée du Seigneur ? Ou qui a été son conseiller ? Ou qui, le premier, lui a donné, et sera rétribué ? (34-35) » Voici ce qu’il veut dire : Dieu si sage n’emprunte point sa sagesse à un autre, mais est lui-même la source des biens ; tout ce qu’il a fait pour nous, tout ce qu’il nous a accordé, il nous l’a donné de sa propre abondance sans l’emprunter à personne ; il ne doit point de retour comme ayant reçu de quelqu’un, mais il est lui-même toujours le premier auteur de ses bienfaits.
Or c’est là surtout le propre de la richesse ; de surabonder et de n’avoir besoin de personne. Voilà pourquoi Paul ajoute : « Puisque c’est de lui, et par lui, et en lui que sont toutes choses ». C’est lui qui a inventé, c’est lui qui a fait, c’est lui qui conserve : car il est riche et n’a pas besoin de recevoir ; car il est sage et n’a pas besoin de conseiller. Que dis-je, de conseiller ? Personne ne peut rien savoir de lui, si ce n’est lui, le seul riche, et le seul sage. Il faut être en effet bien riche, pour procurer aux gentils une telle abondance de biens ; et il faut être bien sage pour donner aux Juifs, comme maîtres, les gentils qui leur sont si inférieurs Ensuite, après le mouvement de son admiration, l’apôtre exprime un sentiment de reconnaissance, en disant : « A lui la gloire dans les siècles ! Amen ». Quand il a énoncé quelque chose de grand et de mystérieux. Son admiration se termine par la louange. Il en fait autant quand il parle du Fils ; ainsi, plus haut, après avoir exprimé son admiration, il ajoute comme ici. « De qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles. Amen. »
Imitons-le, nous aussi, et glorifions Dieu partout par la régularité de notre vie ; instruits par l’exemple des Juifs, ne nous reposons point sur les vertus de nos ancêtres. Car il n’y a point, non, il n’y a point d’autre parenté chez les chrétiens que l’union par l’Esprit. C’est ainsi que le scythe devient fils d’Abraham, et que le fils d’Abraham lui est plus étranger que le scythe. Ne nous confions donc point sur les mérites de nos pères ; fussiez-vous né d’un homme admirable, ne pensez pas que ce soit assez pour être sauvé, honoré, glorifié, si vous n’êtes pas son fils par vos mœurs ; comme, si vous avez pour père un homme vicieux, ne croyez pas que ce soit pour vous un motif de condamnation et de honte, pourvu que vous teniez une bonne conduite. En effet qu’y avait-il de moins honorable que les gentils ? Et cependant ils sont devenus subitement par la foi les enfants des saints qui étaient membres de la famille plus que les Juifs ? Et cependant, par leur incrédulité, ils lui sont devenus étrangers. En effet la parenté qui nous lie tous est fondée sur la nature et sur la nécessité ; car nous sommes tous nés d’Adam, et tous au même degré, par rapport à Adam, à Noé, ou à la terre, notre mère commune ; mais la parenté qui mérite les couronnes est celle qui nous distingue des méchants ici tous ne sont pas parents, mais seulement ceux qui tiennent la même conduite ; nous ne donnons pas le nom de frères à ceux qui sont sortis du même sein que nous, mais à ceux qui montrent le même zèle.
C’est en ce sens que le Christ dit enfants de Dieu, enfants du diable, enfants de l’incrédulité, de l’enfer, de la perdition. C’est ainsi que Timothée était fils de Paul par ses vertus et s’appelait son enfant légitime, tandis que nous ne savons pas même le nom du fils de la sueur de l’apôtre ; cependant celui-ci lui appartenait selon la nature ; mais cela n’y faisait rien : le plus rapproché de lui était celui-là même que la nature et la patrie (il était citoyen de Lystres) avaient jeté à une plus grande distance de lui. Soyons donc, nous aussi, enfants des saints ; bien plus encore, soyons enfants de Dieu. Que nous puissions le devenir, la preuve en est dans ce que dit le Christ : « Soyez donc parfaits, comme votre Père, qui est dans les cieux ». (Mt. 5,48) Voilà pourquoi nous lui donnons le nom de Père quand nous prions ; nous remettant ainsi en mémoire, non seulement la grâce, mais encore la vertu, afin de ne faire rien d’indigne d’une si noble origine. Et comment, direz-vous, peut-on être fils de Dieu ? En vous débarrassant de vos passions, en vous montrant bon à l’égard de ceux qui vous injurient et vous font tort ; car c’est ainsi que fait votre Père à l’égard de ceux qui le blasphèment. C’est pourquoi, bien qu’il ait dit ailleurs beaucoup d’autres choses, le Christ n’a dit nulle part : Afin que vous soyez semblables à votre Père ; et c’est seulement quand il dit : « Priez pour ceux qui vous persécutent, faites du bien à ceux qui vous haïssent », qu’il ajoute cette récompense. Car rien ne nous rapproche de Dieu, rien ne nous rend semblables, à lui, comme cette bonne œuvre. Aussi quand Paul dit. « Soyez les imitateurs de Dieu » (Eph. 5,1), c’est dans ce sens qu’il parle.
Sans doute nous avons besoin de toutes les vertus, mais surtout de bonté et de douceur, car il en faut beaucoup à notre égard. En effet, nous commettons bien des fautes tous les jours ; aussi avons-nous grand besoin de miséricorde. Or le plus et le moins ne se mesurent pas sur la quantité du don, mais sur les ressources de ceux qui donnent. Que le riche ne s’enorgueillisse donc pas, et que le pauvre ne se décourage pas, parce qu’il donne peu car souvent il donne plus que le riche. Il ne faut donc pas se tourmenter à raison de sa pauvreté, car elle rend l’aumône plus facile. En effet celui qui possède beaucoup est dominé par l’orgueil et l’ambition ; tandis que celui qui n’a que peu, est exempt de cette double tyrannie, et trouve par là même plus d’occasions de faire le bien. Ainsi il ira sans peine en prison, et visitera les malades, il donnera un verre d’eau froide ; tandis que le riche, fier de sa fortune, ne se prêtera à aucune de ces démarches. Ne vous découragez donc pas à cause de votre pauvreté ; elle nous rend plus facile le commerce avec le ciel, ne possédassiez-vous rien, si vous avez une âme compatissante, vous en recevrez encore la récompense. Voilà pourquoi Paul veut qu’on pleure avec ceux qui pleurent, et qu’on soit comme prisonnier avec les prisonniers. non seulement ceux qui pleurent, mais encore ceux qui éprouvent d’autres infortunes, sont consolés quand beaucoup de personnes leur compatissent ; il est même des cas où la parole n’a pas moins de puissance que l’argent pour rendre le courage à celui qui souffre. C’est même pour cela que Dieu ordonne qu’on fasse l’aumône aux indigents, non pas seulement pour soulager leur pauvreté, mais pour nous apprendre à compatir aux maux du prochain.
C’est aussi pourquoi l’avare est odieux, non seulement par ce qu’il méprise le pauvre, mais parce qu’il se rend lui-même dur et inhumain ; comme celui qui méprise l’argent en faveur des pauvres est aimable, parce qu’il est miséricordieux et humain. Quand le Christ appelle heureux ceux qui sont miséricordieux, il n’entend pas seulement parler de ceux qui donnent de l’argent, mais aussi de ceux qui en ont la bonne volonté. Ayons donc cette disposition à la pitié, et tous les biens nous viendront à la suite. En effet celui qui est doué d’un cœur humain et compatissant donne de l’argent s’il en a ; il pleure et gémit avec celui qu’il voit dans l’affliction ; il prête appui à celui qui est victime de l’injustice ; et s’il voit quelqu’un exposé aux outrages, il lui tend la main. Possédant au dedans de lui-même le trésor des biens, une âme bonne et compatissante, il en verse l’abondance sur ses frères et il recevra toutes les récompenses que Dieu tient en réserve. Et nous aussi, pour les obtenir, faisons-nous avant tout une âme pleine de mansuétude. C’est ainsi que nous ferons beaucoup de bonnes œuvres ici-bas et que nous jouirons des récompenses à venir. Puissions-nous tous avoir ce bonheur par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père et au Saint-Esprit la gloire, l’honneur, la force, maintenant et toujours, dans les siècles – des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XX. modifier


JE VOUS CONJURE DONC, MES FRÈRES, PAR LA MISÉRICORDE DE DIEU, D’OFFRIR VOS CORPS EN HOSTIE VIVANTE, SAINTE, AGRÉABLE A DIEU, POUR QUE VOTRE CULTE SOIT RAISONNABLE. (XII, 1, JUSQU’À 3)

Analyse. modifier

  • 1. offrir à Dieu son corps comme une hostie vivante et de quelle manière.
  • 2. Ne pas se conformer à ce siècle dont la figure ne fait que passer. – Se transformer par le renouvellement de l’Esprit. – En quoi consiste ce renouvellement, saint Chrysostome fait remarquer que saint Paul ne dit pas transfigurez-vous ; mais transformez-vous, indiquant ainsi que la vertu n’est pas seulement une figure qui passe, mais une forme vraie qui demeure.
  • 3. Partout l’apôtre parle un langage humble et bienveillant, s’effaçant toujours pour laisser paraître le Maître souverain, rappelant les bienfaits de Dieu plutôt que ses lois et ses prescriptions. – Que l’humilité est la source de tous les biens.
  • 4. Contre la vaine gloire. – Que l’orgueil est une véritable folie.


1. Après avoir beaucoup parlé de la libéralité de Dieu, montré son ineffable Providence, sa bonté infinie, que personne ne peut sonder, il la met de nouveau en avant pour déterminer ceux qui ont reçu tant de dons et tant de bienfaits à s’en rendre dignes par leur conduite. Si grand, si élevé qu’il soit, il veut bien condescendre à la suppléer, et cela, non à son profit personnel, mais en vue de leurs propres avantages. Et comment vous étonner qu’il descende à des prières, quand il parle des miséricordes de Dieu ? Puisque, dit-il, les miséricordes de Dieu ont été pour vous la source d’une multitude de biens, respectez-les, recourez-y humblement : car elles-mêmes prient pour que vous ne fassiez rien qui soit indigne d’elles. C’est donc, ajoute-t-il, par elles que je vous supplie, par elles qui vous ont sauvés ; comme si, pour faire honte à quelqu’un qui aurait reçu de grands bienfaits, on lui amenait en qualité de suppliant, ce bienfaiteur lui-même. Mais que demandez-vous, dites-moi ? « Que vous offriez vos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, pour que votre culte soit raisonnable ». Après qu’il a dit « Hostie », pour qu’on ne s’imagine pas qu’il s’agisse d’immoler le corps, il ajoute : « Vivante ». Puis pour distinguer cette hostie de l’hostie judaïque, il dit « Sainte, agréable à Dieu, pour que votre culte soit raisonnable » ; car celle des Juifs était matérielle et peu agréable à Dieu. « Car », disait le Seigneur, « qui a demandé ces victimes de vos mains ? » (Is. 1,42) Et souvent ailleurs Dieu semble repousser les victimes de ce genre. Mais il ne demandait point encore celle-ci, ou plutôt il la demandait, même quand les autres lui étaient offertes. C’est pourquoi il est écrit : « Je serai honoré par un sacrifice de louange ». (Ps. 49) Et encore : « Je célébrerai le nom de mon Dieu par un cantique, qui sera plus agréable à Dieu que le sacrifice d’un veau, dont les cornes et les ongles commencent à paraître ». (Ps. 63) Ailleurs encore Dieu rejette ce genre d’hosties en disant : « Est-ce que je mange la chair des taureaux ? Est-ce que je bois le sang des boucs ? » Et il ajoute : « Offrez à Dieu un sacrifice de louange et acquittez les vœux que vous avez faits au Très-Haut », (Ps. 49) C’est aussi ce que Paul demande ici : « Offrez vos corps en hostie vivante ».
Mais comment, direz-vous, le corps peut-il être une hostie ? Que votre œil ne se fixe sur rien de mauvais, et il devient une hostie ; que votre langue ne profère rien de coupable, et elle devient une offrande ; que votre main ne fasse rien contre la loi, et elle devient un holocauste. Ou plutôt cela ne suffit pas, mais il faut y ajouter la pratique des bonnes œuvres, afin que la main fasse l’aumône, que la bouche rende bénédictions pour malédictions, que l’oreille s’applique avec assiduité à entendre la parole de Dieu. Car l’hostie ne doit rien avoir d’immonde, elle forme les prémices de tout le reste. Offrons donc à Dieu les prémices de nos mains, de nos pieds, de notre bouche et de tout le reste ; cette hostie plaira à Dieu, autant que celle des Juifs était impure à ses yeux. « Car », est-il écrit, « leurs hosties sont pour eux le pain de l’affliction ». (Os. 9,4) Il n’en est pas ainsi de la nôtre. L’hostie judaïque présentait un corps mort ; la nôtre rend vivant ce qui est immolé. Car c’est en mortifiant nos membres que nous pouvons vivre ; c’est la nouvelle loi du sacrifice ; c’est pourquoi l’espèce de feu qu’on y emploie paraît extraordinaire Il n’y a plus besoin die bois ni de matière inflammable ; notre feu consume de lui-même, il ne dévore pas la victime ; il la fait vivre. C’était le genre de sacrifice que Dieu demandait autrefois ; aussi le prophète disait-il : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un cœur contrit ». (Ps. 50) C’était aussi celui qu’offraient les trois enfants dans la fournaise : « Il n’y a ni prince, ni prophète, ni lieu propres à demander et à obtenir miséricorde ; mais recevez de nous un cœur contrit et un esprit humilié ». (Dan. 3,38-39)
Et voyez quelle exactitude dans chacun des termes de Paul ! Il ne dit pas : Faites de vos corps une hostie, mais : « Offrez », comme s’il, disait : Vous n’avez plus rien de commun avec vos corps ; vous les avez livrés à un autre. Ceux qui livrent des chevaux de bataille, n’ont plus rien de commun avec eux. Vous avez livré vos membres pour la guerre qui se fait au démon, pour cette lutte terrible ; ne les retirez donc plus pour vos usages personnels. Par là, Paul nous enseigne encore une autre chose c’est que, si on veut les offrir, il faut les offrir éprouvés. Car ce n’est pas à un homme que nous les offrons, mais à Dieu, le Roi de l’univers ; ni pour un simple combat, mais pour être montés par Dieu même. En effet, Dieu ne dédaigne pas d’avoir nos membres pour monture, il le désire même vivement ; ce que ne voudrait pas un roi, serviteur comme nous, le Maître des anges s’y résout volontiers. Mais puisque vous devez les lui présenter, et qu’ils sont une hostie, enlevez-en toute tache ; car s’ils en gardent, ils ne sont plus une hostie. Ainsi l’œil qui s’est fixé sur une prostituée, ne peut plus être immolé ; on ne peut plus offrir une main souillée par le vol ou l’avarice, des pieds qui boitent et montent au théâtre, un ventre esclave du plaisir et qui allume la flamme des passions et des voluptés, un cœur livré à la colère ou aux amours impudiques, un langage qui profère des paroles honteuses.
2. Il faut donc veiller soigneusement à ce que notre corps soit sans tache. Car si l’on exigeait de ceux qui offraient les anciennes hosties les précautions les plus minutieuses, et ils ne pouvaient offrir aucune victime qui eût les oreilles coupées, la queue mutilée, qui fût atteinte de gale ou de dartre ; à bien plus forte raison nous qui n’offrons pas des animaux stupides, mais nos propres personnes, devons-nous être attentifs, et nous présenter parfaitement purs, pour pouvoir dire aussi comme Paul : « Car, pour ce qui me regarde, on a déjà fait des libations sur moi, et le temps de ma dissolution approche ». (2Tim. 4,6) Il était en effet plus pur que quelque hostie que ce fût ; voilà pourquoi il se donnait à lui-même le nom de libation. Or, il en sera ainsi de nous, si nous détruisons le vieil homme, si nous mortifions nos membres terrestres, si nous crucifions le monde en nous. Pour cela nous n’avons besoin ni de glaive, ni d’autel, ni de feu ; ou plutôt il noua les faut, mais non faits de main d’homme. Tout nous viendra d’en haut, le feu et l’épée ; et l’autel, ce sera l’étendue du firmament. Si, quand Élie offrait une hostie visible, une flamme descendue du ciel consuma tout, l’eau, le bois, les pierres mêmes ; à bien plus forte raison vous en arrivera-t-il autant. Si vous avez encore quelque chose de mou et de charnel, mais que vous présentiez l’hostie avec un cœur droit, le feu de l’Esprit descendra, consumera tout cela et achèvera le sacrifice. Mais qu’est-ce qu’un culte raisonnable ? Le ministère spirituel, une vie selon le Christ. De même que celui qui exerce une fonction dans la maison du Seigneur et y sacrifie, quel qu’il soit d’ailleurs, se contient et prend une attitude plus grave ; ainsi devons-nous être toute notre vie, nous qui servons Dieu et lui offrons des sacrifices. Et c’est ce qui arrivera si vous lui immolez chaque jour des victimes ; si, en qualité de prêtre, vous lui présentez l’offrande de votre corps et de la vertu de votre âme : par exemple, si vous lui offrez la chasteté, l’aumône ; la douceur, la patience à supporter le mal. Par là vous offrirez un culte raisonnable, c’est-à-dire qui n’aura rien de matériel, rien de grossier, rien de sensible. Après avoir relevé, par ces expressions, l’esprit de l’auditeur, avoir montré que chacun exerce le sacerdoce par sa propre chair, par sa conduite, il indique ensuite la manière de tout faire en règle. Quelle est cette, manière ? « Ne « vous conformez point à ce siècle », dit-il, « mais transformez-vous par le renouvellement de votre esprit (2) ». Car la figure de ce siècle est basse, vile, passagère ; elle n’a rien d’élevé, rien de durable, rien de droit : c’est un renversement complet de toutes choses. Si donc vous voulez marcher droit, ne vous conformez pas à la figure de la vie présente ; car rien n’y est permanent, rien n’y est solide. Voilà pourquoi il l’appelle figure ; expression qu’il répète ailleurs, quand il dit : « Car la figure de ce monde passe ». (1Cor. 7,31) En effet, elle n’a rien de stable, ni de fixe ; tout y est passager ; voilà pourquoi il dit : « A ce siècle », pour en indiquer le peu de solidité, le défaut de consistance. Parlez-vous de richesses, de gloire, de beauté de corps, de plaisir, de tout ce qui paraît grand : ce n’est là qu’une figure, un mensonge, une apparence, un masque ; et non une substance solide. Ne vous y conformez donc pas, dit l’apôtre, mais transformez-vous dans le renouvellement de l’esprit. Il ne dit pas : Transfigurez-vous, mais : « Transformez-vous », pour montrer que le monde est une figure, et que la vertu n’en est pas une ; mais une forme vraie, possédant une beauté naturelle, et n’ayant pas besoin d’apprêts artificiels ni de figures qui paraissent et disparaissent aussitôt : car tout cela est déjà détruit avant de paraître. Si donc vous rejetez la figure, vous aurez bientôt la forme vraie.
En effet, il n’y a rien de plus faible que le vice, rien qui vieillisse si promptement. Mais comme l’homme est exposé à pécher chaque jour, l’apôtre console son auditeur, en disant Renouvelez-vous vous-même chaque jour. Faites sur vous-même ce que nous faisons continuellement pour nos maisons, en réparant les ravages faits par le temps. Vous avez péché aujourd’hui ? vous avez fait vieillir votre âme ? Ne désespérez pas, ne vous laissez pas abattre, mais renouvelez-la par le repentir, par les larmes, par la confession, par la pratique du bien ; et, en cela, ne vous relâchez jamais. Mais comment le pourrons-nous, dites-vous ? « Si vous choisissez les meilleures choses, si vous reconnaissez, combien la volonté de Dieu est bonne, agréable et parfaite ». Ou il veut dire : Renouvelez-vous pour apprendre ce qui est utile à connaître la volonté de Dieu ; ou bien : Vous pouvez vous renouveler si vous apprenez ce qui est utile et quelle est la volonté de Dieu. En effet, si vous connaissez cette volonté et si vous apprenez à distinguer la nature dés choses, vous avez trouvé le chemin de toutes les vertus. Mais, dira-t-on, qui est-ce qui ignore les choses utiles et la volonté de Dieu ? Ceux qui ne soupirent qu’après les biens de ce monde ; ceux qui regardent la richesse comme digne d’envie ; ceux qui méprisent la pauvreté ; ceux qui poursuivent les charges ; ceux qui ambitionnent la gloire extérieure ; ceux qui se croient grands, parce qu’ils bâtissent des maisons magnifiques, qu’ils se procurent de somptueux tombeaux, qu’ils ont des troupeaux d’esclaves et qu’ils sont entourés d’une multitude d’eunuques. Ceux-là ignorent ce qui leur est utile, ne connaissent point la volonté de Dieu : deux choses qui n’en font qu’une.
3. Dieu, en effet, veut ce qui nous est utile ; et ce qui nous est utile, c’est ce que Dieu veut. Or, que veut Dieu ? Que nous vivions dans la pauvreté, dans l’humilité, dans le mépris de la gloire, dans la tempérance, et non dans les délices ; dans l’affliction, et non dans le repos ; dans le deuil, et non dans la dissipation et dans la joie ; enfin dans la pratique de toutes les vertus qu’il nous a commandées. Mais là plupart les repoussent comme des choses odieuses, tant ils sont éloignés de les considérer comme utiles et comme expression de la volonté de Dieu ! Voilà pourquoi ils ne peuvent, pas même de loin, aborder les travaux qu’exige la vertu. Comment ceux qui ne savent pas même ce que c’est que la vertu ; qui, au lieu de l’admirer, admirent le vice ; qui préfèrent une prostituée à une femme chaste ; comment, dis-je, ceux-là peuvent-ils se détacher du temps présent ? Il nous faut donc, avant tout, une connaissance exacte et distincte des choses ; louer la vertu, même quand nous ne la pratiquons pas ; condamner le vice, même quand nous ne l’évitons pas ; afin de conserver un jugement impartial et sain. C’est ainsi que plus tard nous pourrons marcher et entreprendre enfin les bonnes œuvres. C’est pour cela que Paul veut qu’on se renouvelle : « Afin de connaître quelle est la volonté de Dieu ».
Il me semble ici s’adresser encore aux Juifs qui restaient attachés à la loi. Sans doute l’ancienne institution était la volonté de Dieu, mais d’une manière transitoire, et comme concession faite à leur faiblesse ; tandis que la nouvelle était parfaite et agréable en tout point. Et quand il l’appelle culte raisonnable, c’est par opposition à l’autre.
« Car je dis, en vertu de la grâce qui m’a été donnée, à tous ceux qui sont parmi vous, de ne paraître sages plus qu’il ne faut, mais de l’être avec modération, et selon la mesure de la foi que Dieu a départie à chacun (3) ». Plus haut il disait : « Je vous conjure par la miséricorde de Dieu » ; ici il dit : « En vertu de la grâce ». Voyez l’humilité, la modestie de l’apôtre ! Nulle part il ne prétend qu’on doive ajouter foi à sa parole, quand il donne des avis et des conseils aussi importants ; mais tantôt il s’appuie sur la miséricorde de Dieu, tantôt sur la grâce. Ce n’est point ma parole que j’annonce, leur dit-il, mais celle de Dieu. Et il ne dit point : Je dis en vertu de la sagesse de Dieu, ni : Je dis en vertu de la loi de Dieu, mais : « En vertu de la grâce » ; rappelant sans cesse le souvenir des bienfaits reçus, pour les rendre plus reconnaissants et leur faire comprendre qu’ils doivent obéir à ce qu’on leur dit. « À tous ceux qui sont parmi vous ». non seulement à un tel et à un tel, mais au prince et au sujet, à l’homme libre et à l’esclave, à l’ignorant et au savant, à la femme et à l’homme, au jeune homme et au vieillard, car la loi est pour tous, puisqu’elle vient du Maître. C’est ainsi qu’il ôte à son langage ce qu’il pourrait avoir de pénible, en proposant ses enseignements à tout le monde, même aux innocents, afin que les coupables acceptent ses reproches et se corrigent plus facilement.
Mais, de grâce, Paul, que dites-vous ? « De ne pas être sages plus qu’il ne faut ». À l’exemple de son Maître, il présente l’humilité comme la source des biens. De même que le Christ sur la montagne, avant de commencer son instruction morale, en pose le fondement, en débutant par ces mots : « Heureux les pauvres d’esprit » (Mt. 5,3) ; ainsi Paul, en passant du dogme à la morale, établit le principe général de la vertu, en demandant de nous une merveilleuse hostie ; et sur le point d’entrer dans les détails, il part de l’humilité comme du point capital, en disant : « De ne pas être sages plus qu’il ne faut », car c’est la volonté de Dieu, « Mais de l’être avec modération ». Ce qui veut dire : nous avons reçu la prudence pour en user sobrement, et non pour la mettre au service de l’orgueil. Il ne dit pas : d’être humbles, mais : « D’être sages » ; et ici la sagesse, peur lui, n’est pas la vertu opposée à la débauche, ni l’exemption de l’impureté, mais la vigilance et la bonne santé de l’âme : laquelle s’appelle sagesse parce qu’elle maintient l’esprit sain. Pour montrer donc que sans la modération on ne peut être sage, c’est-à-dire ferme et sain, mais qu’on extravague et qu’on est insensé, plus insensé même que le fou furieux, il donne à l’humilité le nom de sagesse. « Et selon la mesure de la foi que Dieu a départie à chacun ». Comme la concession des grâces inspirait de l’orgueil à beaucoup, soit chez les Romains, soit chez les Corinthiens, voyez comme il met à nu la cause de la maladie et la détruit peu à peu ? En effet, après avoir dit qu’il faut être sage avec sobriété, il ajoute : « Selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun », donnant ici à la grâce le nom de foi. Puis, par ces mots « A départie », il console celui qui a moins reçu et contient celui qui a reçu davantage. Car si c’est Dieu qui a départi, et non point votre mérite, de quoi vous enorgueillissez-vous ?
4. Si on prétend que ce n’est pas à la foi que l’apôtre donne le nom de grâce, cela prouverait encore mieux qu’il veut humilier les orgueilleux. Car si la foi, par laquelle on fait les miracles, est le principe du don, et que le don vienne de Dieu, de quoi êtes-vous fier ? Si le Christ n’était pas venu, s’il ne s’était pas incarné, la foi n’eût pas exercé un tel empire. Ainsi donc c’est de là que découlent tous les biens. Or si c’est Dieu qui donne, il sait comment il distribue ; car il a créé tous les hommes et il en prend également soin. Aussi bien que le don, la quantité du don provient de sa bonté. Celui qui a fait preuve de sa bonté dans l’ensemble, c’est-à-dire en accordant les dons, ne faillira pas dans la mesure. S’il avait voulu vous témoigner son mépris, il ne vous eût point accordé le principe de ces dons ; et s’il veut vous sauver et vous honorer (c’est pour cela qu’il est venu et qu’il vous a distribué tant de biens) pourquoi vous agiter et vous troubler, pourquoi tourner votre sagesse en folie, jusqu’à vous ravaler au-dessous même de celui qui est naturellement fou ? Être fou naturellement, n’est pas un crime ; mais devenir fou au moyen de la sagesse, c’est s’ôter tout espoir de pardon, c’est s’exposer à de plus grands châtiments. Tels sont ceux qui s’enorgueillissent de la sagesse et tombent ainsi dans une extrême folie.
Car rien ne rend insensé comme l’orgueil. Aussi le prophète donnait-il ce nom à un roi barbare, en disant : « Mais l’insensé dira des choses insensées ». (Is. 32,6) Or, pour connaître sa folie à son propre langage, écoutez ce qu’il dit : « J’établirai mon trône au-dessus des astres du ciel, et je serai semblable au Très-Haut ». (Id. 14,14) « Je placerai dans ma main le monde comme un nid, et je l’enlèverai comme des œufs abandonnés ». (Id. 10,4) Y a-t-il rien de plus insensé que ce langage ? Et voilà la honte que s’attirent toutes les paroles de jactance. Si je produisais ici toutes celles de l’orgueilleux, il vous serait impossible de discerner si elles sont d’un orgueilleux ou d’un fou : tant il est vrai que ces deux défauts n’en font qu’un ! Un autre barbare dit : « Je suis un Dieu et non un homme » ; un autre encore : « Dieu pourra-t-il vous sauver et vous arracher de mes mains ? » (Dan. 3,15) Et l’Égyptien : « Je ne connais point le Seigneur, et je ne laisserai point partir Israël ». (Ex. 5,2) Le prophète parle aussi d’un insensé de ce genre, qui dit en son cœur « Il n’y a point de Dieu ». (Ps. 13) Et Caïn : « Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? » (Gen. 4,9) Pouvez-vous distinguer si ce sont des orgueilleux ou des fous qui parlent ? L’orgueil, perdant toute mesure et toute intelligence (d’où lui vient le nom de démence[10]) fait les insensés et les présomptueux. Si la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, ne pas connaître le Seigneur est le commencement de la folie. Donc si la sagesse consiste à connaître Dieu, la folie à ne pas le connaître, et si ce défaut de connaissance provient de l’orgueil, (en effet, ne pas connaître Dieu est le commencement de l’orgueil), donc, dis-je, l’orgueil est une extrême folie.
Tel était Nabal, devenu insensé par orgueil, non vis-à-vis de Dieu, mais à l’égard de l’homme, et qui finit par mourir de peur. Car, quand on a perdu la mesure de l’intelligence, l’âme s’affaiblit et on devient tout à la fois lâche et audacieux. En effet, de même que le corps est sujet à toutes les maladies, dès qu’une fois il a perdu son tempérament normal ; ainsi l’âme, quand elle a perdit sa grandeur propre et l’humilité, affaiblie dans sa constitution, devient timide en même temps qu’audacieuse et insensée, et finit par s’ignorer elle-même. Or, comment celui qui ne se connaît pas lui-même, connaîtra-t-il ce qui est au-dessus de lui ? Comme le frénétique, n’ayant plus conscience de lui-même, ne voit pas ce qui est devant ses pieds ; ou comme l’œil aveuglé plonge tous les membres dans l’obscurité ainsi arrive-t-il dans l’orgueil. Voilà pourquoi les orgueilleux sont plus à plaindre que les fous furieux, que ceux qui sont naturellement insensés. Comme eux ils sont ridicules, comme eux ils sont désagréables ils extravaguent comme eux, mais ils n’excitent point la même compassion ; comme eux ils ont perdu le sens, mais ils ne rencontrent pas la même indulgence ; on se contente de les haïr ; ayant les défauts des furieux et des insensés, ils ne sont point excusés comme eux ; on rit, non seulement de leurs paroles, mais de leurs façons. Pourquoi, dites-moi ; levez-vous la tête ? Pourquoi marchez-vous sur la pointe des pieds ? Pourquoi froncez-vous les sourcils ? Pourquoi renflez-vous votre poitrine ? Vous ne pouvez pas faire blanc ou noir un de vos cheveux, et vous marchez en l’air, comme si vous étiez le maître du monde. Peut-être voudriez-vous avoir des ailes pour ne plus toucher terre ; peut-être voudriez-vous être une merveille ? Eh ! n’en êtes-vous déjà pas, une, vous qui êtes homme et essayez de voler ? ou plutôt vous qui volez en désir, et qui vous gonflez en tout sens ?
Quel nom vous donnerai-je, pour détruire en vous cet orgueil ? Si je vous appelle cendre, poussière, fumée, tourbillon de poussière, j’ai exprimé votre peu de valeur, mais je n’ai pas encore trouvé l’image exacte que je voudrais ; car je voudrais peindre tout à la fois la bouffissure et le vide. Quelle image trouverai-je donc qui convienne aux orgueilleux ? Ils me paraissent ressembler à de l’étoupe brûlée. En effet, l’étoupe semble s’enfler quand elle est brûlée, elle prend un volume extraordinaire, mais au moindre contact de la main, elle s’affaisse entièrement et ne vaut pas même de la cendre. Telles sont les âmes, des orgueilleux ; leur enflure est vide ; le premier choc peut les abaisser et les réduire à rien. Car l’orgueilleux est nécessairement un homme très-faible ; sa hauteur n’a rien de solide ; semblable aux bulles d’eau qui crèvent si aisément, il est facilement détruit. Si vous ne me croyez pas, amenez-moi un homme plein d’audace et d’orgueil, et vous le verrez, au premier accident, lâche et sans courage. De même que le menu bois prend vite feu et est aussitôt réduit en cendre, tandis que le bois solide ne s’allume pas aussi facilement, mais conserve longtemps sa flamme ; ainsi les âmes fermes, solides, ne s’enflamment ni ne s’éteignent aisément, tandis que les orgueilleux font l’un et l’autre dans le même moment.
Convaincus de ces vérités, pratiquons donc l’humilité. Rien n’égale sa force ; elle est plus ferme que le rocher, plus dure que le diamant ; elle est pour nous un rempart plus sûr que les tours, que les villes, que les murailles ; elle est au-dessus de toutes les ruses du démon ; tandis que l’orgueil nous livre au premier venu ; crève, comme je l’ai dit, plus facilement qu’une bulle d’eau ; se déchire plus vite qu’une toile d’araignée et s’évapore plus promptement que la fumée. Afin donc d’être établis sur la pierre ferme, renonçons à l’orgueil, embrassons l’humilité. C’est ainsi que nous trouverons le repos dans la vie présente, et que nous jouirons de tous les biens dans le siècle à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire, la force, l’honneur appartiennent au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. l’abbé DEVOILLE.

HOMÉLIE XXI. modifier


CAR, COMME DANS UN SEUL CORPS NOUS AVONS PLUSIEURS MEMBRES, ET QUE TOUS CES MEMBRES N’ONT PAS LA MÊME FONCTION ; DE MÊME, QUOIQUE NOUS SOYONS PLUSIEURS, NOUS NE SOMMES NÉANMOINS QU’UN SEUL CORPS EN JÉSUS-CHRIST, ÉTANT TOUS RÉCIPROQUEMENT MEMBRES LES UNS DES AUTRES (XII, 4, 5, JUSQU’À 13)

Analyse. modifier

  • 1. De l’union des membres de l’Église. – De la diversité des dons, tous accordés par Dieu, différents de nature, mais tous également considérables.
  • 2. De la sincérité de la charité.
  • 3. De l’horreur du mal. – De la patience et de la persévérance dans la prière.
  • 4. De l’hospitalité. – De la douceur de Jésus envers Juda.
  • 5. Admirable développement sur la compassion envers les pauvres.


1. Il reprend la comparaison qui lui a déjà servi, auprès des Corinthiens, à combattre le même vice. En effet, grande est la force de ce remède, et cette comparaison est d’une éloquence énergique pour corriger notre arrogance. D’où vous vient la haute idée que vous avez de vous-même ? ou bien, pourquoi un autre se méprise-t-il ? ne formons-nous pas tous un seul et même corps, aussi bien les grands que les petits ? Si nous n’avons tous qu’une même tête, si nous sommes les membres les uns des autres, d’où vous vient cette arrogance qui vous sépare ? pourquoi rougissez-vous de votre frère ? S’il est votre membre, vous êtes le sien : ce qui constitue une grande égalité d’honneur. L’apôtre emploie deux arguments de nature à rabaisser les arrogants d’une part, nous sommes les membres les uns des autres, et ce n’est pas seulement le plus petit qui est membre du plus grand, mais 1e plus grand aussi est 'membre du plus petit ; d’autre part, nous ne sommes tous qu’un seul corps. Disons mieux, l’apôtre a employé trois arguments : car il montre que tous ont reçu un seul et même don. Loin de vous donc d’avoir de vous-même une haute idée : en effet, c’est de Dieu que tout vous est venu ; et vous n’avez fait que recevoir, ce n’est pas vous qui avez rien trouvé. Aussi, en traitant des dons et des grâces, l’apôtre ne dit pas. Celui-ci a reçu un don plus grand, celui-là un doit moindre ; mais que dit-il ? Chacun son don différent. En effet, il dit : « Ayant des dons », non pas, plus ou moins considérables, mais « différents ». (1Cor. 7,7) En effet, qu’importe qu’on ne vous ait pas confié les mêmes biens, si le corps est le même ? De plus, il commence par un don, et il termine en désignant une vertu. En effet, après avoir parlé de l’esprit de prophétie, du ministère, de privilèges semblables, il termine par l’aumône, par le soin et la protection qu’on déploie pour les autres. Il était vraisemblable que certains fidèles fussent doués de, vertus, sans avoir le don de prophétie ; pour les consoler, l’apôtre montre que le premier don est de beaucoup plus considérable, ce qu’il fait également dans la lettre aux Corinthiens, et d’autant plus considérable, qu’il est accompagné de récompense, tandis que le don de prophétie n’est pas accompagné de récompense, étant un pur don, une pure grâce. Aussi dit-il : « Or, comme nous avons tous des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon la règle de la foi (6) ». Il les a suffisamment consolés, il fait plus maintenant ; il veut les exciter, les stimuler, en leur montrant qu’ils fournissent eux-mêmes les occasions qui leur valent des dons plus ou moins considérables. Or il prétend que le don vient de Dieu ; ainsi, quand il dit : « Selon que Dieu a mesuré à chacun la foi » ; et encore : « Selon la grâce qui nous a été donnée », ces paroles sont pour rabaisser les orgueilleux. Et maintenant, s’il leur dit que les commencements sont en leur pouvoir, c’est pour exciter les indolents, ce qu’il fait aussi dans l’épître aux Corinthiens, où il se propose ce double but. En effet, lorsqu’il dit : « Recherchez les grâces » (1Cor. 12,31), il leur montre qu’ils sont eux-mêmes la cause de la diversité des dons ; et au contraire, lorsqu’il dit : « C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant, à chacun ces dons, selon qu’il lui plaît » (Id. 11), ce qu’il veut prouver, c’est que l’orgueil ne convient pas à ceux qui les ont reçus : il se fait des armes de tout pour les guérir de leur mal ; c’est encore ce qu’il fait ici. Et maintenant, pour relever ceux qui sont tombés, il dit : « Que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon la règle de la foi ». En effet, quoique ce soit une grâce, toutefois elle ne se répand pas au hasard ; ceux qui la reçoivent, en déterminent la mesure ; la grâce coule dans les âmes selon la capacité que lui présente la foi.
« Que celui qui a reçu le ministère, s’attache au ministère (7) ». Il parle ici d’une manière générale ; l’apostolat est un ministère, toute bonne œuvre spirituelle est un ministère. L’administration domestique et particulière est aussi appelée de ce nom, mais l’apôtre l’emploie ici d’une manière générale. « Que celui qui a reçu le don d’enseigner, s’applique à enseigner ». Voyez l’indifférence avec laquelle il indique une petite fonction d’abord, une grande ensuite : c’est encore une leçon, toujours sur le même sujet, ne pas s’enfler, ne pas s’enorgueillir. – « Que celui qui a reçu « le don d’exhorter, exhorte les autres (8) ». L’exhortation est aussi un mode d’enseignement. « Si vous avez quelque exhortation », dit-il, « à faire au peuple, parlez-lui ». (Act. 13,15) Ensuite, pour montrer qu’il y a peu d’utilité dans la vertu, si on ne la pratique pas comme il convient, il ajoute : « Que celui « qui fait l’aumône, la fasse avec simplicité ». Car il ne suffit pas de donner, mais il faut le faire avec libéralité. Car pour l’apôtre, simplicité signifie toujours libéralité. En effet, les vierges avaient de l’huile, mais, pour n’en avoir pas eu en quantité suffisante, elles perdirent tout. « Que celui qui conduit, le fasse avec vigilance ». Car, il ne suffit pas d’être à la tête, si l’on n’est vigilant et plein de zèle. « Que celui qui exerce la miséricorde, le fasse avec joie ». Car la miséricorde ne suffit pas, il y faut joindre la générosité de l’âme qui exerce la miséricorde sans chagrin ; ce n’est pas assez dire, sans chagrin, mais avec une joie qui éclate et qui brille : ce n’est pas la même chose que l’absence du chagrin et la joie. Ce conseil, il l’a aussi donné avec beaucoup de soin dans ce qu’il écrit aux Corinthiens ; pour les exciter à la libéralité, il leur disait : « Celui qui sème peu, moissonnera peu ; celui qui sème avec abondance, moissonnera aussi avec abondance » (2Cor. 9,6, 7) ; et il ajoutait, pour diriger l’âme : « Donner, non avec tristesse, ni comme par force ». Car il faut à la miséricorde ces deux caractères, et qu’elle soit abondante, et qu’elle se fasse avec plaisir. Pourquoi vos gémissements en faisant l’aumône ? Pourquoi la peine que vous cause la miséricorde, pourquoi perdre le fruit de votre bonne action ? Si vous trouvez la miséricorde pénible, vous n’êtes pas miséricordieux, mais dur et sans humanité. Si c’est vous que vous plaignez, comment pourrez-vous soulager le malheureux qui est dans la douleur ? Ce qu’il faut désirer c’est que l’infortune ne conçoive aucun mauvais soupçon, même alors que votre don est fait avec joie. Rien en effet ne semble aussi honteux à l’homme que de recevoir, à moins que la joie manifeste de celui qui donne nepré vienne tout soupçon ; si vous ne montrez pas que vous recevez plus que vous ne donnez, vous accablerez plus que vous ne soulagerez celui à qui votre don s’adresse. Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Que celui qui exerce la miséricorde, le fasse avec joie ».
2. Quel roi monte sur le trône avec un visage morne ? quel pécheur recevant la rémission de ses péchés, demeure dans l’abattement ? Ne faites donc pas attention à votre dépense, mais à ce qui vous ménage cette dépense, au revenu. Si le semeur se réjouit, quelque incertaine que soit la moisson qu’il sème, à bien plus forte raison celui qui ensemence le ciel. Soyez joyeux, et si peu que vous donniez vous donnerez beaucoup ; de même, soyez triste et donnez beaucoup, de ce beaucoup vous aurez fait peu de chose. La veuve avec ses deux oboles fit plus que d’autres qui avaient peut-être donné des talents : tant son cœur était généreux. Mais comment, direz-vous, le pauvre réduit à là dernière indigence, peut-il tout dépenser avec joie ? Interrogez la veuve, et vous verrez que l’étroitesse du cœur vient de la volonté qui l’anime et non de la pauvreté, et qu’il en est de même pour la vertu, contraire : le pauvre peut avoir le cœur grand, le riche peut l’avoir petit. Voilà pourquoi l’apôtre demande dans l’aumône, la simplicité ; dans la miséricorde, la joie ; dans la conduite de ses frères, le zèle. Car il ne veut pas que nous nous contentions de soulager les pauvres de notre argent, il veut que nous les servions de nos paroles, de nos actions, de nos personnes, de tout ce que nous avons encore outre tout cela, sans rien excepter. Après avoir parlé de l’assistance la plus importante, de celle qui s’exerce par l’enseignement, de celle qui s’exerce par l’exhortation, (car c’est là la plus nécessaire, d’autant plus qu’elle donne à l’âme sa nourriture), l’apôtre arrive à l’assistance avec de l’argent et par tous les autres moyens.
Ensuite, pour éclairer la pratique de toutes ces vertus, il en montre la mère, qui est la charité. Car il dit : « Que votre charité soit sincère (9) ». Si vous avez cette sincérité, vous ne sentirez pas la dépense, la fatigue du corps, l’ennui de parler ; vous supporterez les sueurs, les peines du ministère ; vous accorderez tout généreusement, quelle que soit la nature du secours qu’il faille porter, soit de votre personne, soit de votre argent, soit par vos paroles, soit par tout autre moyen, à votre prochain. Et maintenant, de même que l’aumône ne suffit pas à l’apôtre, sans la simplicité ; ni l’assistance sans le zèle ; ni la miséricorde, sans la joie, de même il ne lui suffit pas de la charité ; il veut qu’elle soit sincère, car c’est en cela que consiste la charité ; et, si elle se présente, tout le reste l’accompagne. En effet le miséricordieux l’est avec joie, car c’est à lui-même qu’il fait miséricorde ; celui qui conduit les autres, les conduit avec vigilance, car c’est lui-même qu’il conduit ; et celui qui fait l’aumône, la fait avec libéralité, car c’est à lui-même qu’il donne. Ensuite, comme il y a, même pour mal faire, des amitiés comme celles des libertins ou de ceux qui s’accordent dans les commerces d’argent et dans les rapines, ou de ceux qui s’enivrent ensemble dans les festins ; l’apôtre, pour préserver les fidèles de ces souillures, dit : « Abhorrant le mal ». Il ne dit pas : Vous détournant du mal, mais : Haïssant, et, plus que haïssant ; l’apôtre dit. Haïssant d’une haine violente, « Abhorrant ». C’est là le sens fréquent de la préposition grecque, d’où vient ab et qui marque l’abstention, la séparation, l’éloignement, l’horreur, l’affranchissement. Souvent, sans faire le mal, on sent le désir de mal faire ; l’apôtre chasse ce désir par ce mot « Abhorrant ». Car il veut purifier jusqu’à la pensée, nous inspirer l’aversion profonde pour le mal, la haine qui le combat. N’allez pas croire, s’écrie-t-il, parce que je vous ai dit : « Aimez-vous les uns les autres », que vous deviez pousser cette affection jusqu’à vous entendre les uns avec les autres pour faire le mal. C’est tout le contraire que je vous recommande. Vous devez être étrangers non seulement à l’action, mais à la disposition mauvaise, et non seulement y être étrangers, mais vous en détourner avec horreur et la détester. Et cette recommandation ne suffit pas encore à l’apôtre, il y joint la pratique de la vertu, en disant : « Vous attachant fortement au bien ». Il ne se contente pas de dire, faisant le bien, mais le faisant avec amour ; car c’est là le sens du précepte exprimé par le verbe qu’il emploie. C’est ainsi que le Seigneur, en unissant l’homme à la femme, a dit : « L’homme s’attachera fortement à sa femme ». (Gen. 2,24)
L’apôtre donne ensuite les raisons de l’affection qui doit être réciproque entre nous. « Que chacun ait pour son prochain la tendresse fraternelle (10) ». Vous êtes frères, dit-il, sortis des mêmes entrailles, il est donc juste que vous vous aimiez les uns les autres. C’est ce que disait Moïse, à ceux qui disputaient en Égypte. Vous êtes frères, pourquoi vous faites-vous du mal les uns aux autres ? (Ex. 2,13) En parlant de la conduite avec les étrangers, l’apôtre dit : « S’il est possible, autant qu’il dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes » ; mais en parlant des fidèles entre eux : « Que chacun ait pour son prochain », dit-il, « la tendresse fraternelle ». Ce qu’il veut, par ces paroles, c’est qu’il n’y ait entre les étrangers et nous, ni querelles, ni haines, ni aversion ; c’est que l’affection règne entre nous, et, plus que la simple affection, la tendresse. Car non seulement, dit-il, la charité doit être sincère, mais intense, chaleureuse, ardente. Car qu’importe que votre affection soit exempte de perfidie, si elle n’a aucune chaleur ? Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Que chacun ait pour son prochain la tendresse », ce qui veut dire, une affection chaleureuse. N’attendez pas que le commencement de l’affection vienne d’un autre, soyez le premier à prendre votre élan, à commencer, car c’est ainsi que vous recueillerez la récompense de l’amitié de cet autre frère.
3. Ayant donc donné la raison de l’affection mutuelle qui doit nous unir les uns aux autres, il dit aussi ce qui rend l’amitié solide. « Prévenez-vous les uns les autres par des témoignages d’honneur ». Car c’est là ce qui engendre et conserve la charité. Rien ne la provoque plus que le désir de surpasser le prochain par des déférences et des marques d’estime. Et ce n’est pas seulement l’amitié, mais la considération qui grandit par ce moyen. Car les biens dont nous avons déjà parlé naissent de la charité, la charité naît de l’estime, de même que par réciprocité l’estime naît de la charité. Ce n’est pas tout ; l’apôtre ne veut pas que nous nous contentions de nous honorer, il veut quelque chose de plus : « Ne soyez point lâches dans l’intérêt que vous portez (11) ». C’est cet intérêt qui engendre l’affection, quand nous l’unissons aux témoignages d’honneur et de déférence ; car rien ne provoque l’amitié autant que l’honneur que l’on rend à celui que l’on assiste. Il ne suffit pas d’aimer, il faut encore joindre à l’affection la sollicitude : ou plutôt, la sollicitude vient de ce que l’on aime, et l’amour est réchauffé par la sollicitude, et les deux se provoquent réciproquement. Beaucoup de personnes se contentent d’aimer en idée, et ne tendent pas la main. Voilà pourquoi l’apôtre rassemble de toutes parts tout ce qui édifie la charité.
Et comment ne serons-nous point lâches dans l’intérêt que nous portons ? « Ayez la ferveur de l’Esprit ». Voyez-vous l’apôtre demandant en toute chose, l’intensité et l’abondance ? Il n’a pas dit seulement : donnez ; mais avec libéralité ; il n’a pas dit seulement : conduisez ; mais il a ajouté : avec vigilance ; ni exercez la miséricorde ; mais il a dit : avec joie ; ni : honorez vos frères, mais il y joint : prenez du souci pour eux ; il ne se contente pas de dire : aimez ; mais : sincèrement ; ni : abstenez-vous du mal ; mais : détestez le mal ; ni : attachez-vous au bien ; mais : attachez-vous fortement ; ni : ayez de l’affection ; mais : une affection pleine de tendresse ; ni prenez intérêt ; mais : ne soyez point lâches dans votre intérêt ; ni : avec l’Esprit ; mais : la ferveur de l’Esprit, c’est-à-dire, soyez ardents et pleins de vigilance. Car si vous possédez toutes ces vertus, vous attirerez l’Esprit ; s’il demeure en vous, il vous inspirera le zèle pour ces vertus, et l’Esprit et la charité vous rendront toutes choses faciles, vous serez embrasé des deux côtés à la fois. Ne voyez-vous pas comme il est impossible d’arrêter les taureaux qui ont le feu sur le corps ? Et vous aussi, le démon ne pourra pas vous dompter quand vous brûlerez d’une double flamme. – « Souvenez-vous que c’est le Seigneur que vous servez ». Car, par toutes ces vertus, c’est Dieu que vous pouvez servir. En effet, tout ce que vous faites pour votre frère, s’élève jusqu’au Seigneur, et c’est le Seigneur lui-même, comme s’il était lui-même votre obligé, qui vous récompensera. Voyez-vous jusqu’où l’apôtre conduit la pensée de celui opère ces bonnes œuvres ?
Ensuite, pour montrer comment s’allume la flamme de l’Esprit, il dit : « Réjouissez-vous dans l’espérance, soyez patients dans les maux, persévérants dans la prière (12) ». Car ce sont là tous les foyers de cette flamme. En effet, après avoir réclamé la dépense d’argent, les fatigues du corps, la conduite vigilante, la sollicitude, l’enseignement, et les autres labeurs, l’apôtre fait bien de répandre sur l’athlète l’huile de la charité, de l’esprit, de l’espérance. Car il n’est rien qui rende l’âme de l’homme aussi virile et prompte à tout qu’une bonne espérance. Ensuite, avant les biens qu’on espère, il accorde une autre récompense. C’est en effet l’espérance des biens à venir qui lui fait dire : « Soyez patients dans les maux ». Avant de goûter ces biens que réserve l’avenir, vous recueillerez des maux présents, un grand fruit, la constance et une vertu éprouvée. L’apôtre indique encore un autre secours : « Persévérants dans la prière ». Ainsi l’amour rend la vertu facile, l’Esprit vient en aide, l’espérance allège le travail, l’affliction donne la constance qui supporte tout avec une généreuse fermeté, et vous avez, outre ces secours, une autre arme, et c’est la plus puissante, la prière et l’assistance qu’obtiennent les humbles supplications : que trouvera-t-on désormais dé pénible dans les préceptes ? Rien. Voyez-vous comme l’apôtre a pris soin de fortifier son athlète de toutes les manières, et comme il a réussi à rendre les préceptes tout à fait légers ?
Considérez maintenant comme il s’y prend pour recommander l’aumône, non pas simplement l’aumône, mais celle qui se fait aux saints. Il a dit plus haut : « Que celui qui exerce la miséricorde, le fasse avec joie » ; il a ouvert la main de la charité pour tous. Mais ici, il s’agit des fidèles, voilà pourquoi il ajoute : « Vous associant aux nécessités des « saints (13) ». Il ne dit pas : Fournissez à leurs nécessités, mais : Associez-vous à leurs nécessités, pour montrer que l’on reçoit plus qu’on ne donne, qu’il y a là un marché, car c’est une association. Vous apportez votre argent, mais ils vous communiquent leur crédit auprès de Dieu. « Prompts à exercer l’hospitalité ». Il ne dit pas : Opérant l’hospitalité, mais littéralement : Poursuivant l’hospitalité ; il nous enseigne que nous ne devons pas attendre que ceux qui ont besoin de nous viennent nous trouver ; c’est nous qui devons courir après eux et les poursuivre. Ce que fit Loth, ce que fit Abraham : Abraham passait le jour à cette chasse généreuse, et à la vue de l’étranger, il s’élançait, il courait à sa rencontre, se prosternait devant lui en s’abaissant jusqu’à terre, et il lui disait : « Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant vos yeux, ne passez pas la maison de votre serviteur. (Gen. 18,3) Nous ne faisons pas de même, nous, à la vue d’un étranger ou d’un pauvre, nous fronçons les sourcils, nous ne le croyons même pas digne de notre entretien, et si des milliers de supplications sont parvenues à nous attendrir, nous ordonnons à nos serviteurs de donner un peu d’argent, et nous pensons avoir accompli le devoir dans sa perfection. Il n’en était pas de même d’Abraham ; c’était lui qui prenait la figure d’un suppliant et d’un serviteur, sans savoir pourtant quels hôtes il allait recevoir.
4. Nous, au contraire, qui savons parfaitement que c’est le Christ que nous recevons, nous ne trouvons pas dans cette pensée une raison de nous adoucir. Abraham engage, supplie, se prosterne ; nous insultons ceux qui viennent à nous ; Abraham remplit le devoir de l’hospitalité faisant tout de sa personne et avec sa femme ; nous ne faisons pas notre devoir, nous, même par le moyen de nos serviteurs. Si vous vouliez contempler la table qu’il dressait, vous y verriez la générosité pleine de déférence ; non le luxe de la richesse, mais la richesse d’une belle âme. Qu’il y avait de riches alors ! Mais aucun d’eux ne faisait rien de semblable. Qu’il y avait de veuves en Israël ! Mais aucune d’elles ne donna l’hospitalité à Élie. Qu’il y avait encore de riches au temps d’Élisée ! Mais la Sunamite seule cueillit le fruit de l’hospitalité, comme le fit Abraham, en son temps, par l’abondance et l’ardeur (le son âme généreuse. Et ce qui rend surtout Abraham admirable, c’est que sans savoir quels étaient ses hôtes, il exerçait les devoirs de l’hospitalité. Cessez donc, à votre tour, de montrer une curiosité inquiète, puisque c’est le Christ que vous recevez. Si vous voulez toujours vous enquérir curieusement au sujet du nouveau venu, il vous arrivera souvent de négliger un homme estimable, et vous perdrez votre récompense. Or, celui qui reçoit même un homme vil et misérable, n’est pas blâmé pour cela ; au contraire, il reçoit également sa récompense. « Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense du prophète ». (Mt. 10,41) Au contraire, celui qui, par une inquiétude intempestive, aura négligé un homme remarquable par sa vertu, sera puni. Gardez-vous donc de vous enquérir curieusement de la vie, et des actions : c’est le comble de la maladresse d’aller, pour un morceau de pain, scruter curieusement toute une vie. Car, est-ce que cet homme, quand ce serait un meurtrier, un brigand, tout ce que vous voudrez, ne vous paraît pas mériter un morceau de pain, un peu d’argent ? Mais le Seigneur votre Dieu fait même lever son soleil pour lui ; et vous, vous ne le jugez pas digne de la nourriture d’un jour ?
Je veux ajouter ici encore une autre réflexion qui va beaucoup plus loin : quand vous auriez la preuve que cet homme est souillé de crimes sans nombre, même alors vous seriez inexcusable de lui refuser la nourriture d’un jour. Car vous êtes le serviteur de celui qui dit : « Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez ». (Lc. 9,55) Vous êtes le serviteur de celui qui prenait soin de ses ennemis quand ils lui lançaient des pierres, ou plutôt de celui qui s’est laissé mettre pour eux en croix. Ne me dites pas que cet homme en a tué un autre, car quand même il devrait vous tuer, vous ne devez pas abandonner celui qui a faim. Vous êtes le disciple de celui qui, suspendu à la croix, voulait le salut de ses bourreaux ; qui disait, sur la croix même : « Mon Père, pardonnez-leur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ». (Lc. 23,34) Vous êtes le serviteur de celui qui guérit l’homme par qui il avait été frappé ; qui, sur la croix même, couronna son insulteur. A cette clémence, quelle clémence pourrait se comparer ? En effet, les voleurs crucifiés à ses côtés l’avaient d’abord injurié tous les deux ; cependant il ouvrit le paradis à l’un d’eux. Il verse des larmes sur ceux qui vont le mettre à mort ; il se trouble, il est bouleversé à la vue du traître, non parce que lui-même va être crucifié, mais parce que ce traître va se perdre. Ce qui troublait le Christ, c’est qu’il prévoyait, et la pendaison du traître, et, après la pendaison, le châtiment éternel. Quoiqu’il connût son crime, jusqu’au dernier moment il supporta le misérable, il ne le repoussa pas, il embrassa le traître. Votre Seigneur embrasse, votre Seigneur touche de ses lèvres celui qui va aussitôt répandre son sang précieux, et vous, vous ne croirez pas que le pauvre mérite même un morceau de pain ? Et vous ne respecterez pas la loi établie par le Christ ? Ses exemples nous montrent que ce ne sont pas les pauvres seulement que nous devons accueillir, mais même ceux qui nous traînent à la mort. Ne me dites donc pas qu’un tel a commis des crimes, mais méditez ce qu’a fait le Christ, cherchant, si près de la croix, à purifier par son baiser le traître qui allait le livrer. Et voyez ce que ses paroles ont d’incisif : « Judas », lui dit-il, « vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser ! » (Lc. 22,48) Quelle dureté n’aurait pas attendrie, fléchie une telle parole ? Quel monstre, quel diamant y aurait résisté ? Ce misérable y fut insensible. Ne me dites donc pas : Un tel a tué un tel, voilà pourquoi je me détourne de lui. Quand cet homme devrait plonger son épée dans votre poitrine, sa main dans votre gorge, baisez-lui la main, puisque le Christ baisa la bouche qui causa son supplice et sa mort.
5. Vous aussi, cessez donc de haïr celui qui veut vous perdre ; pleurez sur lui, ayez pitié de lui : ce malheureux mérite toute notre pitié et nos larmes. Nous sommes les serviteurs de celui qui baisa le traître par qui il fut livré (je ne me lasserai pas de le répéter), de celui qui adressa à ce misérable des paroles plus douces que le baiser même. Il ne lui dit pas : O infâme, ô scélérat, traître, est-ce donc là le retour dont tu nous paies pour de si grands bienfaits ? Mais que lui dit-il ? « Judas », il l’appelle de son propre nom, ce qui marquait plus de compassion, de désir de le ramener que de colère. Et il ne lui dit pas : Tu trahis ton Maître, ton Seigneur, ton bienfaiteur, mais : « Le Fils de l’homme ». Quand même ce ne serait ni ton Maître, ni ton Seigneur, celui qui était si doux, si sincère avec toi, jusqu’à te donner un baiser au moment même de ta trahison, quand ce baiser était précisément la marque de ta trahison, est-ce celui-là que tu trahis ? Soyez béni, Seigneur, pour cet exemple d’humilité, de patience admirable que vous nous avez donné. Oui, dira-t-on, tel s’est montré le Seigneur envers Judas ; mais, envers ceux qui s’élancèrent sur lui avec des bâtons et des épées, il ne s’est pas montré de même. Eh ! quoi de plus doux que les paroles qu’il leur adressa ? Il pouvait les exterminer tous à la fois : il n’en fait rien ; mais il leur dit, de manière à les toucher Pourquoi êtes-vous venus ici, comme si j’étais un voleur, pour me prendre avec des épées et des bâtons ? Il les avait renversés ; ils demeuraient comme privés de sentiment ; il se livra lui-même volontairement ; il supporta la vue des fers dont ses mains sacrées étaient entourées, et cela, quand il pouvait tout ébranler, tout jeter par terre.
Et vous, après de tels exemples, vous êtes durs envers le pauvre. Fût-il même, ce pauvre, souillé de mille forfaits, son indigence et la faim qui le presse, devraient, si vous n’étiez tout à fait endurcis, fléchir vos cœurs. Au contraire, vous êtes là, debout, hérissé comme une bête fauve, comme le lion en colère : il faut dire pourtant que les lions n’ont jamais goûté des cadavres ; mais vous, à, la vue du malheureux accablé de tant de maux, gisant à vos pieds, vous vous jetez sur lui, vos injures lui déchirent le corps, à la tourmente vous ajoutez la tourmente ; le malheureux qui cherche un refuge dans le port, vous le poussez contre l’écueil, et vous opérez un naufrage plus sinistre que les naufrages dans les mers. Et comment direz-vous à Dieu : Ayez pitié de moi ? Vous demandez le pardon de vos péchés, vous qui insultez, non pas le pécheur, mais celui qui a faim ; qui voulez le punir des tortures qu’il est forcé de souffrir, et qui, par votre cruauté, surpassez les bêtes féroces ? C’est parce que la faim les presse, que ces monstres se saisissent de la nourriture qui leur est propre ; mais vous, rien ne vous presse ni ne vous contraint, et vous dévorez votre frère, vous le mordez, vous le déchirez, sinon avec les dents, au moins avec des discours plus cruels que des morsures. Comment pourrez-vous recevoir l’oblation sainte, après avoir teint votre langue du sang humain ? Donner le baiser de paix d’une bouche qui ne sait que faire la guerre aux pauvres ? Comment pouvez-vous jouir de la nourriture sensible, quand vous amassez en vous un tel poison ? Vous ne redressez pas le pauvre ; qui vous force à le broyer sous vos pieds ? Vous ne relevez pas le malheureux abattu : qui vous force à le rabaisser plus encore ! Vous ne consolez pas sa tristesse : pourquoi la rendre plus amère ? Vous rie lui donnez pas d’argent ; pourquoi vos injures vont-elles l’outrager ? Ne savez-vous pas quels châtiments redoutables attendent ceux qui refusent de nourrir les pauvres ? A quels supplices ils sont condamnés ? « Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges ». (Mt. 25,41) Si le refus de les nourrir appelle une pareille condamnation, quels supplices subiront ceux qui, non seulement refusent de les nourrir, mais vont jusqu’à les outrager ? Quelle torture, quelle gêne ! Gardons-nous donc de nous préparer de si affreux malheurs, il en est temps encore ; corrigeons ce vice, cette maladie ; mettons un frein à notre langue ; qu’il ne nous suffise pas de ne pas outrager, sachons encore consoler les pauvres, et par nos paroles, et par nos actions, afin de nous ménager par avance une grande miséricorde, et d’obtenir les biens qui nous sont annoncés ; puissions-nous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté, etc.

HOMÉLIE XXII. modifier


BÉNISSEZ CEUX QUI VOUS PERSÉCUTENT ; BÉNISSEZ-LES, ET NE FAITES POINT D’IMPRÉCATION CONTRE EUX. (XII, 14, JUSQU’A LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier

  • 1. Bénir ses persécuteurs. – Avantages de la persécution, et surtout de la patience dans les injures.
  • 2. Contre l’orgueil, la rancune ; la haine avide de vengeance.
  • 3. S’en remettre à Dieu du soin de punir les méchants. – Vaincre le mal par le bien.
  • 4. Exhortation chaleureuse à la patience contre les injures.


1. Après leur avoir enseigné les dispositions dans lesquelles ils doivent être à l’égard les uns des autres, après avoir cimenté avec soin l’union entre les membres de l’Église, il les range en bataille devant les ennemis du dehors, et leur discipline est devenue plus facile. Car de même que celui qui ne sait pas bien administrer les gens de sa maison, sera plus embarrassé dans sa conduite avec les étrangers, de même celui qui a su mettre le bon ordre dans son intérieur, arrangera sans peine sa manière de vivre avec les gens du dehors. Voilà pourquoi l’apôtre, marchant en avant, ajoute aux conseils qu’il a précédemment donnés ; cette exhortation nouvelle : « Bénissez ceux qui vous persécutent ». Il ne dit pas Oubliez les injures, ne vous vengez pas ; il exige une vertu bien plus haute : l’oubli des injures est le propre d’un philosophe, mais ce que demande l’apôtre n’appartient qu’aux anges. Et après avoir dit : « Bénissez », il ajoute : « Et ne faites point d’imprécation », de peur qu’après avoir béni nous ne maudissions, et afin que nous bénissions sans maudire. Car ceux qui nous persécutent, nous procurent des récompenses. Et maintenant, si vous êtes vigilant, vous gagnerez, outre la récompense de la de la persécution, une autre récompense encore. Votre persécuteur vous procure la première, c’est vous qui vous attirez la seconde, en bénissant, et en montrant ainsi le plus grand signe de l’amour envers le Christ. En effet, de même que maudire son persécuteur, c’est prouver qu’on ressent peu de joie à souffrir la persécution pour le Christ, de même bénir son ennemi, c’est faire preuve d’un grand amour. Gardez-vous donc de l’injurier, afin de vous ménager à vous-même un plus grand salaire, et de lui prouver, à lui, que votre conduite est l’effet de la vertu, et non de la nécessité, que la persécution est pour vous une pompe et une fête, et non un malheur, un sujet de découragement. Voilà pourquoi le Christ disait : « Réjouissez-vous lorsqu’on dira toute espèce de mal contre vous en mentant ». (Mt. 5,11) Voilà pourquoi les apôtres aussi se réjouissaient non seulement d’avoir été injuriés, mais battus de verges. Outre tous les fruits que nous avons énumérés, il en est encore un qui n’est pas à dédaigner, c’est que par là vous frappez d’étonnement vos adversaires, vous leur faites la leçon par vos œuvres, vous leur montrez que vous suivez la route qui mène à une autre vie. S’ils vous voient vous réjouir, s’ils voient que les souffrances vous donnent des ailes, à la lumière de vos œuvres ils reconnaîtront que vous avez d’autres espérances, plus grandes que la vie présente ; si, au contraire, vous gémissez, vous vous lamentez, comment voulez-vous qu’ils apprennent que vous attendez une autre vie ? Ce n’est pas tout, vous produirez encore un autre bien : Si l’on voit que les outrages, loin de vous causer de la douleur, ne provoquent que vos bénédictions, on cessera de vous persécuter. Voyez donc que de biens naissent de cette conduite : récompense plus grande ; persécution moindre ; le persécuteur cessera de vous tourmenter, Dieu sera glorifié, et votre sagesse aura été pour l’homme égaré un enseignement pieux. Voilà pourquoi ce ne sont pas seulement ceux qui nous outragent, mais aussi ceux qui nous persécutent, ceux qui nous nuisent par des actions à qui l’apôtre nous commande de rendre le bien pour le mal.
Il ne se contente pas de nous commander de les bénir, mais il va plus loin encore et nous exhorte à leur faire du bien par nos œuvres. « Soyez dans la joie avec ceux qui sont dans la joie, et pleurez avec ceux qui pleurent (15) ». Comme on peut prononcer des paroles de bénédiction, et s’abstenir d’imprécations, sans que l’amour inspire notre conduite, l’apôtre veut voir en nous l’ardente charité. Voilà pourquoi il ajoute un conseil qui dépasse celui de bénir, le conseil de partager lés chagrins, les souffrances de ceux que nous voyons dans l’affliction. Soit, dira-t-on ; l’apôtre a eu raison de nous prescrire de nous affliger avec ceux qui gémissent ; mais l’autre prescription à quoi bon ? où est la difficulté ? – Je réponds qu’il faut en effet plus de sagesse pour se réjouir avec ceux qui se réjouissent que pour se lamenter avec ceux qui se lamentent. La seule nature suffit pour provoquer la sympathie des douleurs, nul n’a le cœur dur comme la pierre, pour ne pas verser de larmes sur les infortunés ; mais ce qui demande toute la générosité d’une grande âme, c’est non seulement de ne pas porter envie à celui qui prospère, mais encore de s’associer à sa joie. Voilà pourquoi l’apôtre a mis cette action la première. Rien ne concilie l’affection autant que cette communauté de sentiments dans la joie et dans la douleur. Gardez-vous donc, quand vous êtes sans afflictions, de rester également sans compassion ; quand votre prochain est dans la douleur, vous devez prendre votre part d’une tristesse qui doit être commune. Entrez donc avec ceux qui souffrent en communauté de larmes, afin de rendre leur affliction plus légère ; entrez en communauté de joie avec les heureux, afin que le bonheur prenne racine dans le monde, afin de cimenter la charité, et ce sera moins à votre prochain qu’à vous-même que profitera votre conduite ; vos larmes vous rendent miséricordieux, cette joie que vous partagez vous délivre de la basse envie. Je voudrais maintenant vous faire remarquer combien Paul est peu exigeant : il ne dit pas : faites cesser le malheur du prochain ; souvent vous pourriez répondre : C’est impossible ; il vous demande un service plus facile à rendre, et qui dépend de vous. Si vous ne pouvez pas supprimer le malheur, pleurez, et vous repoussez la plus grande partie des chagrins qui l’escortent ; quoique vous ne puissiez pas rendre la prospérité plus grande, réjouissez-vous, et vous y ajoutez un appoint considérable. Voilà pourquoi l’apôtre ne se borne pas à dire qu’il ne faut pas porter envie ; voilà pourquoi il ordonne, ce qui est bien plus édifiant, de se conjouir, car il y a bien plus de mérite qu’à se montrer exempt d’envie.
2. « Tenez-vous toujours unis dans les mêmes sentiments, n’aspirez point à ce qui est élevé, mais accommodez-vous à ceux qui sont humbles (16) ». Il revient, pour y insister, sur l’humilité, qui lui a inspiré les premiers mouvements de son discours. Il est vraisemblable que les fidèles de Rome étaient fort orgueilleux, et à cause du grand nom de leur ville, et par une foule d’autres causes. C’est ce qui fait que l’apôtre ne cesse pas de s’attaquer à cette maladie et de rabattre l’enflure. Rien ne contribue tant à déchirer le corps de l’Église que l’insolente vanité. Mais que signifie : « Tenez-vous unis dans les mêmes sentiments ? » Un pauvre vient-il chez vous ? Accommodez-vous à sa condition par vos sentiments ; ne vous enorgueillissez pas de votre richesse ; il n’y a pas de distinction de riche et de pauvre dans le Christ. Gardez-vous donc de l’enveloppe extérieure, recevez le pauvre en considération de la foi qu’il porte en lui ; si vous voyez quelqu’un pleurer, ne le jugez pas indigne de vos consolations ; si vous voyez un homme dans la prospérité, ne rougissez pas de prendre votre part de son allégresse et de sa joie ; les sentiments que vous éprouvez pour vous-même, éprouvez-les pour lui. L’apôtre dit, en effet : « Tenez-vous unis dans les mêmes sentiments ». Exemple : Vous avez, de vous, une grande idée ? Avez, du prochain aussi, une grande idée. Vous le trouvez bas et petit ? prononcez sur vous-même le même jugement, et supprimez toute inégalité. Mais le moyen ? Rejetez l’orgueil insensé. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « N’aspirez point à ce qui est élevé, mais accommodezvous à ceux qui sont humbles », c’est-à-dire : Descendez jusqu’à l’humilité du pauvre, allez avec lui, souffrez qu’il vous accompagne. Et qu’il ne vous suffise pas de vous abaisser, par les sentiments, jusqu’à lui, faites plus, secourez-le, tendez-lui la main, sans avoir recours à un intermédiaire ; faites par vous-même, comme le père qui a souci de son enfant, comme la tête qui ne se sépare pas du corps ; c’est une pensée que l’apôtre exprime ailleurs : « Comme si vous étiez vous-mêmes enchaînés avec eux ». (Héb. 13,3) Maintenant, par ceux qui sont humbles, l’apôtre n’entend pas seulement les humbles d’esprit, mais ceux qui sont vils et méprisables.
« Ne soyez point sages à vos propres yeux » ; c’est-à-dire ne pensez pas vous suffire à vous-mêmes. L’Écriture, ailleurs, dit encore : « Malheur à vous qui êtes sages selon vous et qui êtes prudents à vos propres yeux ». (Is. 5,21) L’apôtre entreprend donc encore une fois de saper l’orgueil, de rabattre l’enflure, de corriger l’arrogance. Il n’est pas de principe de séparation, de déchirement dans le corps de l’Église aussi tristement, puissant que la pensée qu’on se suffit à soi-même voilà pourquoi Dieu a voulu que nous eussions besoin les uns des autres. Tout sage que vous êtes, vous aurez besoin d’un autre, et s’il vous arrive de penser que vous n’en avez pas besoin, vous êtes tout à fait dépourvu et d’intelligence et de sens. L’homme ainsi disposé se privera de tout secours ; dans les péchés qu’il pourra commettre, il ne rencontrera ni la correction ni le pardon ; il ne fera qu’irriter Dieu par son arrogance et accumuler ses péchés. Car on peut voir, on voit souvent même le sage ignorer ce qu’il faut faire, et celui qui a moins d’intelligence, trouver la conduite à tenir ; c’est ce qu’on voit dans Moïse et son beau-père ; dans Saül et son serviteur, dans Isaac et Rébecca. Ne pensez donc pas qu’il soit humiliant pour vous d’avoir besoin d’un autre : c’est, au contraire, ce qui vous élève, vous fortifie, rehausse votre éclat, fait votre plus grande sûreté.
« Ne rendez à personne le mal pour le mal (17) ». Si vous reprochez à un autre de vouloir vous faire du mal, pourquoi vous exposer vous-même à cette accusation ? S’il a mal fait, pourquoi ne craignez-vous pas de l’imiter ? Maintenant voyez que l’apôtre ne fait ici aucune distinction, c’est une loi absolue qu’il établit. Il ne dit pas : Ne rendez pas le mal au fidèle ; mais : « Ne rendez à personne le mal pour le mal », ni au gentil, ni au scélérat, à personne, à qui que ce soit. – « Ayez soin de faire le bien, devant tous les hommes ; vivez en paix, si cela se peut, autant qu’il est en vous, avec toutes sortes de a personnes (18) ». C’est-à-dire : « Que votre lumière luise devant les hommes ». (Mt. 5,16) Non pas pour vivre en vue de la vaine gloire, mais de manière à ne pas donner prise à nos ennemis. Ce qui fait que l’apôtre dit ailleurs aussi : « Ne donnez pas occasion de scandale ni aux Juifs, ni aux Gentils, ni à l’Église de Dieu ». (1Cor. 10,32) Ce précepte est expliqué à propos par ces paroles : « Si cela se peut, autant qu’il est en vous ». Car il est des circonstances où c’est impossible, par exemple, lorsqu’il est question de religion, lorsqu’il s’agit de défendre des opprimés. Et qu’y a-t-il d’étonnant qu’entre les hommes la paix ne soit pas toujours possible, lorsque l’apôtre reconnaît, entre le mari et la femme, la rupture possible : « Si la partie infidèle se sépare, qu’elle se sépare ? » (1Cor. 7,15) Ce que dit l’apôtre revient à ceci : Faites ce qui dépend de vous et ne fournissez de sujet de querelles et de discordes à personne, ni au Juif, ni au Grec ; mais si vous voyez la religion attaquée, ne sacrifiez pas la vérité à la concorde, mais luttez généreusement jusqu’à la mort, et, même en cette circonstance, ne portez pas la guerre dans votre âme, ne concevez pas d’aversion ni de haine, combattez par vos œuvres seules, car c’est là ce que veut dire : « Autant qu’il est en vous, vivez en paix avec toutes sortes de personnes ». Et si votre adversaire ne conserve pas la paix, n’allez pas remplir votre âme de tempêtes, mais d’intention, comme je l’ai dit ; restez l’ami de celui que vous combattez, et ne trahissez en aucun lieu la vérité. « Ne vous vengez point vous-mêmes, mes bien-aimés, mais donnez lieu à la colère, car il est écrit : C’est à moi que la vengeance est réservée, et c’est moi qui la ferai, dit le Seigneur (19) ». A quelle colère ? à celle de Dieu. Ce que l’opprimé désire surtout, c’est de jouir de la vengeance ; Dieu satisfait abondamment la victime ; si vous ne vous vengez pas vous-même, vous aurez Dieu pour vengeur. Laissez-lui donc ce soin, dit l’apôtre : voilà ce que signifie cette expression : « Donnez lieu à la colère ».
3. Ensuite, pour plus grande consolation, il ajoute le témoignage de l’Écriture, et, après avoir ainsi rétabli l’âme ébranlée, il lui demande une sagesse encore plus haute : « Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger ; s’il a soif, donnez-lui à boire ; car, agissant de la sorte, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête (20). Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais travaillez à vaincre le mal par le bien (21) ». Que dis-je, s’écrie-t-il, qu’il faut vivre en paix ? Ce n’est pas assez, je veux qu’on réponde à l’ennemi par des bienfaits. « Donnez-lui à manger et donnez-lui à boire », dit-il. Ensuite, comme ce qu’il demande est œuvre pénible et difficile, il ajoute : « Car, agissant de la sorte, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête ».. Ces paroles, c’est pour intimider l’ennemi d’une part, d’autre part pour rendre l’opprimé plus ardent au bien, par l’espérance de la rémunération. Car celui qui a subi l’injustice n’est pas aussi préoccupé des biens qu’il a perdus que de la vengeance à exercer contre celui qui lui a fait du tort. Rien n’est si doux que de voir la vengeance exercée contre un ennemi. L’apôtre commence donc à donner à l’opprimé ce qu’il désire, et ensuite, quand la haine a jeté son venin, il élève l’âme à de plus hautes pensées : « Ne vous laissez point vaincre par le mal ». L’apôtre sait bien, en effet, que l’ennemi, fût-il une bête féroce, ne restera pas ennemi, après avoir reçu à manger ; et si infirme, si étroite que soit l’âme de l’opprimé, après avoir donné à manger, donné à boire, il ne ressentira plus le désir de la vengeance. Aussi, parfaitement assuré du résultat final, l’apôtre ne se borne pas à une simple menace, il s’étend sur la vengeance. Il ne dit pas : Vous vous vengerez ; mais : « Vous amasserez des charbons de feu sur sa tête ». Ensuite il s’adresse d’une voix retentissante aux opprimés : « Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais travaillez à vaincre le mal par le bien » ; c’est-à-dire que l’apôtre insinue doucement qu’il faut dépouiller l’esprit de haine ; car la rancune c’est une défaite où l’on est vaincu par le mal. Ce n’est pas par là qu’il a commencé, ce n’était pas à propos ; mais quand il a fait le vide dans le cœur, quand la colère l’a évacué, alors il ajoute : « Travaillez à vaincre le mal par le bien ».
Voilà en quoi consiste la victoire. En effet, la plus grande victoire pour l’athlète, ce n’est pas quand il s’expose lui-même à recevoir les coups, mais lorsque, se tenant bien droit, il force son adversaire à répandre dans l’air toute sa force. Car, de cette manière, il échappera à tous les coups et il paralysera toute l’énergie de l’autre. Et c’est ce qui a lieu pour les injures. Quand vous y répondez par des injures, vous êtes vaincu, non par un homme, ruais, ce qui est plus honteux, par la passion servile, par la colère qui vous agite ; au contraire, si vous gardez le silence, vous avez remporté la victoire, vous vous êtes élevé sans peine un trophée, vous aurez des foules empressées à vous donner des couronnes, à condamner l’outrage qu’on vous, a fait.
Celui qui répond aux outrages ne paraît y répondre que parce qu’il a senti la morsure, et celui qui sent la morsure, donne à penser qu’il reconnaît là justesse des discours injurieux ; riez-en, et, par votre rire, vous vous mettrez en dehors de tout soupçon. Si vous tenez à une démonstration qui vous fasse voir clairement la portée de ces paroles, demandez à votre ennemi lui-même, ce qui le fait le plus souffrir ; est-ce lorsqu’échauffé par la colère vous lui répondez des injures ? est-ce lorsque ces injures ne font que provoquer votre rire ? il – vous dira que c’est quand vous prenez ce dernier parti. L’ennemi ne se réjouit pas tant de vous voir lui épargner une réplique outra géante, qu’il ne se sent piqué au vif par son impuissance à vous émouvoir. Ne voyez-vous pas les furieux, insensibles à la grêle des coups, s’élancer, plus violents que des sangliers, pour faire des blessures au prochain, ne viser qu’à cela, n’avoir de souci que celui-là, sans s’inquiéter des blessures qui peuvent les atteindre ? Donc, lorsque, sur toute chose vous privez votre ennemi de ce qu’il désire avant tout, c’en est fait, vous l’avez avili, vous l’avez rendu méprisable, c’est moins qu’un enfant, bien loin d’être un homme ; vous avez conquis le titre de sage, vous avez infligé à votre ennemi la réputation d’un être brutal et méchant. Pratiquons cette conduite quand on nous frappe ; si nous sentons le désir de rendre des coups, gardons-nous de les rendre. Voulez-vous porter à votre ennemi un coup mortel ? Présentez-lui votre autre joue, vous le percerez ainsi de mille blessures. Ceux qui vous applaudissent, ceux qui vous admirent, lui sont plus à charge que s’ils lui jetaient des pierres ; et, prévenant leur jugement, la conscience du coupable le condamnera, lui infligera les châtiments les plus terribles, vous le verrez, comme s’il subissait ce que la honte a de plus accablant, se retirer confondu. Que si vous recherchez la gloire auprès du grand nombre, cette gloire aussi, vous la verrez grandir. Nous sommes toujours émus en faveur de ceux que nous voyons maltraités ; mais c’est surtout quand ils ne répondent pas par des coups à ceux qui les frappent, c’est quand ils se lèvent eux-mêmes que notre émotion cesse d’être une simple pitié pour devenir de l’admiration.
4. Aussi je me surprends à gémir quand je pense que nous pourrions posséder – les biens présents, si nous faisions notre devoir, si nous obéissions à la loi du Christ, et obtenir les biens futurs, et que nous perdons à la fois tous ces biens par notre désobéissance, par la vanité de notre sagesse. C’est dans notre intérêt que le Seigneur a institué toutes ces lois, et nous a montré en quoi réside la gloire, en quoi la honte. Si ses préceptes avaient dû rendre ses disciples ridicules, il ne les aurait pas donnés ; mais ce qui leur donne un éclat incomparable, c’est de ne pas répondre aux injures, quand on les injurie, c’est de ne pas faire du mal quand on leur fait du mal, et voilà pourquoi le Christ a donné ces préceptes. S’il en est ainsi, il sera bien plus glorieux encore de répondre par des bénédictions aux malédictions, par des éloges aux insultes, par des bienfaits aux trames perfides. Et voilà pourquoi le Christ a donné aussi ce commandement. Il ménage ses disciples, il connaît parfaitement ce qui est petit et ce qui est grand. Si donc il ménage et connaît, pourquoi disputez-vous avec lui, pour suivre une route différente ? Vaincre par des actions mauvaises, c’est obéir aux lois du démon : c’est ainsi que triomphent, dans les jeux à lui consacrés, tous les athlètes qui s’y montrent. Mais dans le stade ouvert par le Christ, ce n’est pas ainsi que se gagnent les couronnes ; c’est tout le contraire : c’est à celui qu’on frappe que revient la couronne, et non à celui qui frappe, telle est la loi. Le stade du Christ a tous ses règlements au rebours des autres ; ce n’est pas seulement la victoire, mais le mode de victoire qui offre un sujet d’admiration. Ce qui s’appelle défaite ailleurs, prend ici le nom de victoire : telle est la puissance de notre Dieu, tel est le stade du ciel, tel est le théâtre des anges.
Je vois bien que vous êtes touchés, et que l’émotion vous rend plus flexibles que la cire, mais, quand vous vous serez retirés, vous ne retiendrez plus rien. Aussi je m’afflige que nous ne pratiquions pas ce que l’on nous enseigne, et cela, quand il y aurait pour nous les plus grands profits. Car si nous pratiquions la douceur, nous serions invincibles : personne ; ni petit, ni grand, ne nous pourrait faire le moindre mal. Supposez qu’une personne vous poursuive de mauvaises paroles, elle ne vous fait à vous aucun mal, c’est à, elle-même qu’elle se fait le plus grand dommage. Supposez qu’on vous fasse une injustice, c’est l’auteur de l’injustice qui en est la première victime. Ne voyez-vous pas ; dans les tribunaux, que ceux que l’injustice a frappés sont tout rayonnants de confiance, parlant en toute liberté, tandis que les coupables baissent la tête, couverts de honte et remplis de crainte ? Et que parlé-je d’accusation et d’injustice ? Quand même votre ennemi aiguiserait le glaive contre vous, plongerait sa main dans votre gorge, ce n’est pas à vous qu’il ferait le moindre mal, c’est lui seul qu’il égorgerait. Témoin à l’appui de mon discours le premier qui fut ainsi exterminé par la main d’un frère. Celui-là, en effet, s’en est allé dans le port de l’éternelle tranquillité, ayant acquis une gloire immortelle : le meurtrier a vécu d’une vie plus affreuse que toutes les morts, gémissant, tremblant, promenant partout avec lui l’accusation de son crime. Ne recherchons pas cet exemple, mais l’autre. Celui qui est victime du mal ne garde pas en soi le mal ; ce n’est pas lui qui a produit le mal, il l’a reçu venant d’ailleurs, il l’a changé en bien par sa patience ; au contraire, celui qui a mal fait conserve intérieurement la plaie de la méchanceté ! N’est-il pas vrai que Joseph était dans une prison, et la courtisane qui avait voulu sa perte demeurait dans une maison splendide et somptueuse ? Lequel des deux voudriez-vous être ? Et ne vous préoccupez pas encore de la rémunération, examinez les actions en elles-mêmes : Si vous réfléchissez ainsi, vous préférerez de beaucoup la prison avec Joseph à ce palais qui renferme la courtisane. Pénétrez dans l’une et dans l’autre de ces deux âmes ; vous verrez l’une au large, et dans une entière confiance, l’autre, celle de l’Égyptienne, à l’étroit et dans la honte, l’abaissement, le trouble et le découragement ; cependant on pouvait croire qu’elle triomphait ; mais non, ce n’était pas là un triomphe. Pénétrés de ces vérités, préparons-nous à supporter les mauvais traitements, afin d’être affranchis des maux réels, et d’obtenir les biens à venir ; puissions-nous les acquérir tous tant que nous sommes, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la force, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIII. modifier


QUE TOUTE PERSONNE SOIT SOUMISE AUX PUISSANCES SUPÉRIEURES. (XIII, 1, JUSQU’À 11)

Analyse. modifier

  • 1. De la soumission aux puissances. – 2. Raisons et avantages de cette soumission.
  • 3. Les princes ne sont à craindre que pour les méchants ; ils sont favorables aux bons. – Services rendus par les puissances. Il faut les honorer, les craindre.
  • 4 et 5. De la charité. – Comment Dieu nous aime ; comment nous devons aimer Dieu.


1. C’est un sujet qu’il développe encore dans d’autres lettres ; comme il veut que les serviteurs soient soumis à leurs maîtres, de même il veut que les sujets obéissent aux princes. Or son but est de montrer que le Christ n’est pas venu renverser les gouvernements établis au milieu des hommes, que ses lois ne vont qu’à les améliorer, qu’à enseigner à ne pas entreprendre des guerres inutiles et sans aucun avantage. Il doit suffire des hostilités qui se font contre nous à cause de la vérité, et nous ne devons pas y ajouter des épreuves inutiles et sans aucun avantage. Or voyez comme la suite des idées l’amène naturellement à ce sujet. Après avoir demandé aux fidèles cette grande sagesse par laquelle ou s’accommode à ses amis, à ses ennemis, par laquelle on entre en communion de sentiments avec ceux qui sont dans la prospérité, avec ceux qui souffrent, par laquelle on est utile aux indigents et à tous les hommes, après avoir planté les germes d’une société angélique, purgé les cœurs en y exterminant la colère et rabattant l’orgueil, ce n’est qu’après avoir, par toutes ces réflexions, adouci les âmes, qu’il commence les exhortations nouvelles sur le sujet d’aujourd’hui. En effet, s’il convient de répondre aux injures par un traitement contraire, à bien plus forte raison convient-il d’obtempérer à nos bienfaiteurs. Mais, pour cette réflexion, l’apôtre ne la place qu’à la fin de son exhortation ; jusque-là il ne propose pas cette vérité, ce qu’il montre c’est le devoir de l’obéissance. Pour montrer que ce devoir s’impose à tous, aux prêtres mêmes et aux moines, et non aux séculiers seulement, il commence par déclarer : « Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures » ; apôtre, évangéliste, prophète, qui que ce soit encore, n’importe : en effet, cette soumission n’est en rien opposée à la piété. Et l’apôtre ne se borne pas à dire : obéisse, mais « soit soumise ». La première raison de cette loi, est appropriée à la foi des chrétiens c’est Dieu qui l’a voulu. « Car il n’y a point de puissance », dit l’apôtre, « qui ne vienne de Dieu ».
Que dites-vous ? Tout prince a été ordonné prince par Dieu ? Ce n’est pas là ce que je dis, répond l’apôtre ; car je ne parle pas des princes individuellement, je ne m’occupe que de l’institution en elle-même. Qu’il y ait des principautés, que les uns commandent, que les autres soient commandés, que toutes choses ne soient pas livrées au hasard, à la débandade, que les peuples ne soient pas comme les flots, emportés de côté et d’autre, c’est là ce que j’appelle une œuvre de la sagesse de Dieu. Aussi l’apôtre ne dit pas : car il n’y a pas de prince qui ne vienne de Dieu, mais c’est de l’institution elle-même qu’il parle, et il dit : « Qu’il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et les puissances qui existent ont été ordonnées par Dieu ». De même quand le Sage dit : « C’est par le Seigneur que la femme est appropriée à l’homme » (Proverbes, 19,14), il affirme que le mariage est institué par Dieu, et non pas que c’est Dieu lui-même qui marie tel homme à telle femme ; car nous voyons souvent de mauvais mariages, qui ne sont pas conformes à la loi du mariage, et nous ne devons pas les attribuer à Dieu. Il ne dit pas autre chose que ce que le Christ a dit lui-même : « Celui qui créa les hommes, dès le commencement, les créa mâle et femelle ; et il dit : Pour cette raison, l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme ». (Mt. 19,4-5 ; Gen. 2,24) Comme l’égalité est souvent une cause de guerre, Dieu a établi un grand nombre de suprématies et de positions subordonnées, comme les rapports de l’homme et de la femme, du fils et du père, du vieillard et du jeune homme, de l’esclave et de l’homme libre, du prince et du sujet, du maître et du disciple. Et qu’y a-t-il d’étonnant qu’il en soit ainsi parmi les hommes, puisque dans le corps même, Dieu a établi le même ordre ? En effet, il n’en a pas fait toutes les parties également considérables, il a voulu que telle fût moindre, telle, plus importante que telle eût le commandement des autres membres, que telle autre n’eût qu’à obéir. Même loi chez les animaux, tels que les abeilles, les grues, les troupeaux de brebis sauvages. Et la mer, à son tour, n’est pas privée de ce bienfait de l’ordre ; là aussi grand nombre de familles de poissons se rangent, combattent sous un commandement qui les unit, et peuvent ainsi accomplir de longues pérégrinations. Car où il n’y a pas de commande ment, il n’y a que malheurs et confusion. Aussi, après avoir dit d’où vient l’autorité, l’apôtre ajoute : « Celui donc qui résiste à la puissance, résiste à l’ordre de Dieu (2) ».
Voyez jusqu’où l’apôtre fait monter la question, par quel moyen il inspire la crainte, comment il établit que l’obéissance est une dette. En effet, les fidèles auraient pu dire vous nous avilissez, vous nous rendez méprisables, ceux qui doivent posséder le royaume des cieux, vous les soumettez à des princes ; l’apôtre montre que ce n’est pas à des princes mais à Dieu qu’il les soumet, car c’est à Dieu qu’obéit celui qui se soumet aux puissances. Mais il ne présente pas sa pensée de cette manière il ne dit pas que c’est à Dieu qu’obéit celui qui reçoit les ordres des princes ; il prend l’exemple du contraire ; afin d’inspirer la crainte, afin de rendre l’obéissance plus stricte, il dit que celui qui rejette les ordres du prince, fait la guerre à Dieu qui a institué l’autorité. Et c’est une vérité que l’apôtre prend soin d’enseigner partout, à savoir que notre obéissance n’est pas une faveur que nous faisons aux princes, mais une dette que nous leur payons. Car en agissant ainsi, l’apôtre attirait à la religion les princes infidèles, et il attachait les fidèles à l’obéissance. On répétait alors partout que les apôtres étaient des séditieux, des instruments de révolutions, n’agissant, ne parlant que pour arriver au renversement de toutes les lois. Montrez le précepte que notre commun Seigneur impose à tous ceux qui le servent, vous fermerez la bouche de ceux qui accusaient les apôtres d’être des fauteurs de nouveautés, et vous aurez plus de liberté pour prêcher la vérité et ses dogmes.
2. Donc ne rougissez pas, dit l’apôtre, de cette soumission. Car c’est Dieu qui a institué les puissances, et sa vengeance est terrible contre ceux qui les méprisent. Ce n’est pas une réparation telle quelle qu’il exigera de celui qui aura désobéi, ce sera la plus redoutable des expiations, et quoique vous puissiez dire, rien ne vous en affranchira ; vous subirez, de la part des hommes, les supplices les plus rigoureux, nul ne vous couvrira de sa protection, et vous ne ferez qu’allumer contre vous la colère de Dieu. Toutes ces vérités, l’apôtre les fait entendre, par ces paroles : « Et ceux qui y résistent, s’attireront eux-mêmes leur condamnation ». Il continue, et une fois la crainte inspirée, il raisonne pour montrer l’utilité des puissances : « Car les princes ne sont point à craindre, lorsqu’on ne fait que de bonnes actions, mais lorsqu’on en fait de mauvaises (3) ». Après un rude coup, après avoir fortement frappé les esprits, il se relâche de sa sévérité, comme un médecin adroit qui emploie de doux remèdes, il console, il dit : De quoi avez-vous peur ? Pourquoi frissonner ? Est-ce que l’autorité a des rigueurs pour celui qui fait le bien ? Celui qui pratique la vertu a-t-il lieu de la craindre ? Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Voulez-vous ne point craindre les puissances ? Faites bien, et elles vous en loueront ». Voyez-vous comme l’apôtre, pour attacher l’homme à celui qui commande, lui montre le prince même prêt à le louer ? Voyez-vous comme il fait sortir la colère du cœur ? « Car le prince est le ministre de Dieu, pour vous favoriser dans le bien (4) ».
Il est si loin d’être à craindre, dit l’apôtre, qu’au contraire il vous loue ; il est si loin de vous faire obstacle, qu’au contraire il vous favorise. Donc, puisque vous trouvez en lui la louange et le secours, pourquoi ne pas vous soumettre ? Il vous rend la vertu plus facile, il châtie les méchants, il fait du bien aux bons et les honore, il coopère à la volonté de Dieu ; de là vient que l’apôtre l’a nommé le ministre de Dieu. Voyez : je vous conseille la sagesse, et lui vous donne les mêmes avis par le moyen des lois ; mes exhortations vous disent qu’il est défendu de s’enrichir par la rapine, par la violence, et lui siège pour juger ces fautes. Il travaille avec nous, il vient à notre secours, c’est Dieu qui lui a confié cette mission. Il est donc, à double titre, digne de nos respects, et parce qu’il a été envoyé par Dieu, et envoyé pour une telle mission. « Si vous faites mal, vous avez raison de craindre » ; ce n’est pas la puissance qui est à craindre, mais notre perversité. « Car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée ». Voyez-vous l’apôtre armant le prince, comme on équipe un soldat, et le rendant redoutable aux pécheurs ? « Car il est le ministre de Dieu, pour exécuter sa vengeance, en punissant celui qui fait de mauvaises actions ». L’apôtre ne veut pas que le châtiment, la vengeance, l’épée vous fassent reculer d’épouvante, et il répète que le prince remplit la loi de Dieu. – Mais si le prince lui-même l’ignore ? Le prince n’en est pas moins institué par Dieu. Si donc, soit qu’il châtie, soit qu’il honore, il est le ministre de Dieu, défendant la vertu, exterminant le crime, c’est-à-dire, exécutant la volonté de Dieu, pourquoi disputer contre celui qui vous procure de si grands biens, et vous aplanit les voies ? Un grand nombre ont commencé par pratiquer la vertu par la crainte des princes ; ensuite, c’est la crainte de Dieu qui les y a attachés. Car les esprits épais ne sont pas aussi sensibles aux biens à venir qu’aux biens présents. Celui donc qui gouverne tant d’âmes par la crainte, et par les récompenses, et qui les prédispose à recevoir la doctrine, celui-là, on a raison de l’appeler ministre de Dieu. « Il est donc nécessaire de nous y soumettre, non seulement par la crainte du châtiment, mais aussi par un devoir de conscience (5) ».
Que veut dire : «, non seulement par la crainte du châtiment ? » non seulement, dit l’apôtre, vous vous élevez contre Dieu en refusant de vous soumettre ; non seulement vous vous attirez de grands maux, et de la part de Dieu et de la part des hommes, mis encore vous oubliez que le prince est pour vous la source des plus grands biens, puisqu’il vous assure la paix et fait régner l’ordre dans l’État. Ces puissances sont pour les États des sources inépuisables de bienfaits, et, si vous les supprimez, tout s’en ira ; plus de villes, plus de bourgs, plus de maisons, plus dé place publique ; il ne subsistera plus rien, ce sera un bouleversement universel, les plus forts dévorant les plus faibles. De telle sorte que, dans le cas même où aucun châtiment ne frapperait la désobéissance, vous devriez encore votre soumission, par conscience, pour ne pas paraître ingrat envers votre bienfaiteur. « C’est pour cette raison », dit-il, « que vous payez le tribut aux princes, parce qu’ils sont les ministres de Dieu, toujours appliqués aux fonctions de leur ministère (6) ». L’apôtre n’entre pas dans le détail des bienfaits dont les États sont redevables aux puissances, tels que le bon ordre, la paix, les autres services, tout ce qui concerne l’armée, les diverses fonctions publiques, il résume tout dans un mot. Que vous recevez des bienfaits du prince, dit l’apôtre, vous le témoignez vous-même en lui payant un tribut. Voyez la sagesse, l’intelligence du bienheureux Paul ! Il montre dans ce qui paraissait un pesant fardeau, des exactions mêmes, un témoignage rendu à l’autorité qui pourvoit au bien de tous. Car enfin, dit l’apôtre, pourquoi lui payons-nous des tributs ? N’est-ce pas parce qu’il pourvoit à nos besoins ? N’est-ce pas pour récompenser le chef de toute sa sollicitude ? Évidemment nous ne paierions aucun tribut, si nous ne savions pas tout d’abord que nous profitons d’un tel gouvernement ; ce qui fait que, dès l’origine, il a été décrété par tous que ceux qui nous commandent, seraient nourris par nous, c’est que négligeant leurs propres affaires, ils ne s’occupent que des affaires publiques, et qu’ils consacrent tous leurs loisirs à conserver nos intérêts.
3. Après les considérations extérieures, il reprend ses premières réflexions : en effet, c’est de cette manière qu’il lui était plus facile de persuader le fidèle : il montre de nouveau que c’est là ce qui plaît à Dieu, et il conclut en disant : « Parce qu’ils sont les ministres de Dieu ». Il montre ensuite le travail qu’ils entreprennent, la peine qu’ils se donnent : « Toujours appliqués aux fonctions de leur ministère ». Voilà leur vie, voilà leur passion, faire en sorte que vous jouissiez de la paix. Par cette raison, dans une autre épître encore, il ne se contente pas d’ordonner qu’on leur soit soumis, il prescrit encore de prier pour eux, et ; à ce propos, il montre l’utilité qui en résulte pour tous : « Afin que nous menions une vie paisible et tranquille ». (1Tim. 2,1-2) En effet, nous ne retirons pas un mince avantage, pour la vie présente, de ces princes qui mettent des armées en branle, repoussent les ennemis du dehors, répriment dans les villes les séditieux et tranchent tous les différends. Ne me dites donc pas que souvent tel prince abuse de ce pouvoir, ne considérez que le bien de l’institution, et vous y trouverez une preuve de la parfaite sagesse de Celui qui l’a établie dès le principe. « Rendez donc à chacun ce qui lui est dû ; le tribut, à qui vous devez le tribut ; les impôts, à qui vous devez les impôts ; la crainte, à qui vous devez de la crainte ; l’honneur, à qui vous devez de l’honneur. Acquittez-vous envers tous de tout ce que vous leur devez, ne demeurant redevables que de l’amour qu’on se doit toujours les uns pour les autres (7, 8) ».
Il insiste encore et toujours sur les mêmes devoirs ; ce n’est pas de l’argent seulement que l’apôtre réclame pour les princes, mais de l’honneur et de la crainte. Et, comment, lorsqu’il dit plus haut : « Voulez-vous ne point « craindre les puissances ? Faites bien v, dit-il ici : « Rendez ce que vous devez, la crainte ? » C’est qu’il veut parler de la crainte respectueuse et non de l’effroi qui vient d’une mauvaise conscience, et qu’il a indiqué plus haut. Et il ne dit pas : Donnez, mais, « Rendez » et il ajoute : « Ce que vous devez » : en effet, ce n’est pas là une faveur de votre part, c’est une dette, et si vous ne la payez pas, vous serez puni de votre ingratitude. Et gardez-vous de croire que ce devoir vous rabaisse, que votre dignité particulière subisse une atteinte d’avoir à vous lever, à vous découvrir devant le prince. Si ce précepte a été donné quand les princes étaient païens, à bien plus forte raison doit-il être pratiqué aujourd’hui qu’ils sont fidèles. Que si vous me répondez que des grâces plus relevées vous ont été accordées, sachez que votre heure n’est pas encore venue ; vous êtes encore étranger et voyageur. Viendra le temps où votre splendeur éclipsera tout ; en ce moment, votre vie est cachée avec le Christ dans le sein de Dieu. Quand le Christ apparaîtra, vous aussi alors vous apparaîtrez avec lui dans sa gloire. Ne cherchez donc pas, dès cette vie qui s’écoule, votre rétribution, et, s’il faut vous tenir avec crainte en la présence du prince, ne voyez rien dans ce devoir qui soit indigne de votre noblesse. Car c’est la volonté de Dieu, afin que le prince institué par lui, possède la force qui convient au prince. Car lorsque celui à qui sa conscience ne reproche rien de mal, se tiendra avec crainte devant le souverain juge, à bien plus forte raison tremblera celui qui commet des actions mauvaises. Quant à vous, vous y gagnerez un éclat plus brillant ; ce n’est pas l’honneur par vous rendu qui peut vous avilir, mais l’honneur par vous refusé ; et le prince ne fera que vous admirer davantage, et fût-il infidèle, il en prendra occasion de glorifier le Seigneur.
« Acquittez-vous envers tous de tout ce que vous leur devez, ne demeurant redevables que de l’amour qu’on se doit toujours les uns aux autres ». Nouveau retour de l’apôtre à la mer de tous les biens, à la maîtresse qui inspire toutes ses paroles, à la cause de toutes les vertus, et la charité, elle aussi, est une dette, non temporaire comme un tribut, comme un impôt, mais à payer continuellement. Cette dette, l’apôtre ne veut pas qu’elle soit jamais payée ; ou plutôt il veut qu’on la paye toujours, sans qu’on soit jamais quitte, sans qu’on cesse de la devoir. Telle est la nature de cette dette, on donne toujours, on doit toujours. Après avoir dit comment il faut aimer, il montre l’avantage de la charité par ces paroles : « Car celui qui aime le prochain accomplit la loi ». Ne regardez donc pas comme une faveur ce qui est une dette ; vous devez l’amour à votre frère, à cause de la parenté spirituelle, et ce n’est pas là la seule cause ; considérez de plus, que nous sommes membrés les uns des autres ; si cet amour nous manque, tout est déchiré. Donc, aimez votre frère. Si vous retirez de cet amour l’immense avantage d’accomplir la loi tout entière, vous devez l’amour à votre frère, en retour du bienfait que vous recevez de lui. « Parce que ces commandements de Dieu. Vous ne commettrez point d’adultère ; vous ne tuerez point ; vous ne déroberez point ; vous ne porterez point de faux témoignage, et s’il y a quelque autre commandement semblable, tous sont compris en abrégé dans cette parole : Vous aimerez le prochain comme vous-même (9) ». – (Mt. 22,39) L’apôtre ne dit pas : Sont accomplis, mais : « Sont compris en abrégé », c’est-à-dire que cette parole renferme dans une brièveté concise l’ensemble complet des commandements. Car le principe et la fin de la vertu, c’est l’amour ; voilà la racine, voilà le fondement, voilà le faîte. Si donc c’est le principe et le parfait accomplissement, où rien trouver qui l’égale ?
4. Mais ce n’est pas simplement l’amour que le précepte demande, c’est l’intensité de l’amour. Il n’est pas dit seulement : Aimez votre prochain, mais « comme vous-même ». Aussi le Christ disait-il que ce précepte contient la loi et les prophètes. Et voyez, après avoir établi deux sortes d’amour, jusqu’où il élève l’amour du prochain. Après avoir dit : « Voici le premier commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu », il continue : « Voici le second », et il n’oublie pas d’ajouter : « Semblable au premier, et ton prochain comme toi-même ». Où rien trouver qui égale cette bonté du Sauveur ? Malgré l’immense distance qui nous sépare de lui, il range l’amour que les hommes doivent aux hommes tout près de l’amour qui lui est dû à lui-même, il déclare que ces deux amours sont semblables. Les mesures qu’il assigne des deux côtés sont presque égales ; pour le premier amour, il disait : « De tout ton cœur, et de toute ton âme » ; pour l’amour du prochain, « comme toi-même ». Maintenant Paul enseigne que, sans l’amour du prochain on ne recueille pas une grande utilité de l’amour de Dieu. De même que nous, quand nous avons de l’amour pour quelqu’un, nous disons : si vous l’aimez, c’est moi que vous aimerez, ainsi faisait le Christ, quand il disait : « Semblable au premier » ; quand il disait à Pierre : « Si vous m’aimez, paissez mes agneaux ». (Jn. 21,16)
« L’amour qu’on a pour le prochain, ne souffre point qu’on lui fasse du mal ; aussi l’amour est l’accomplissement de la loi (10) ». Voyez les deux mérites de l’amour : il empêche de faire le mal, (car, dit l’apôtre : « Il ne souffre point qu’on lui fasse du mal »), et il « opère le bien : « Aussi l’amour est l’accomplissement de la loi », dit-il ; non seulement c’est l’abrégé de la doctrine des bonnes œuvres, mais il en rend la pratique facile. L’amour ne nous apprend pas seulement ce que nous devons savoir, (ce qui est l’office de la loi), mais il nous donne pour l’exécution un puissant secours qui ne nous aide pas seulement à pratiquer une partie des préceptes, mais parfait en nous la vertu tout entière. Aimons-nous donc les uns les autres, puisque c’est là le moyen d’aimer ce Dieu qui nous a tant aimés. Chez les hommes, si vous aimez une personne qui est aimée d’une autre, cette autre personne s’en offense. Dieu, au contraire, veut que vous partagiez votre amour entre lui et vos frères, et Dieu déteste celui qui ne fait pas ce partage. C’est que l’amour humain est rempli de jalousie et de haines envieuses, tandis que l’amour divin est au-dessus de toutes ces passions. Voilà pourquoi Dieu demande que nous partagions son amour. Aimez, dit-il, avec moi, et je vous en aimerai davantage. Voyez-vous l’ardent amour que ces paroles respirent ? Si vous aimez ceux que j’aime, je croirai alors à la sincérité de votre amour pour moi. En effet, il désire vivement notre salut, et il y a longtemps qu’il nous l’a fait savoir. Quand il créa l’homme, que dit-il ? écoutez : « Faisons l’homme à notre image » (Gen. 1,26) ; et encore : « Faisons-lui une aide, il n’est pas bon que l’homme soit seul ». (Gen. 2,18) Et, lorsqu’après la prévarication il le réprimanda, voyez avec quelle mansuétude il lui parle ! Il ne lui dit pas : Misérable, infâme, après tant de bienfaits reçus, c’est au démon que tu t’es abandonné, tu as quitté ton bienfaiteur pour t’attacher au démon pervers. Que lui dit-il, au contraire ? « D’où avez-vous su que vous étiez nu, sinon de ce que vous avez mangé du fruit de l’arbre dont je vous avais défendu de manger ? » (Gen. 3,11) On dirait un père qui a défendu à son fils de toucher un glaive ; le fils a désobéi, s’est blessé ; le père lui dit : D’où vient que tu es blessé ? Cela vient de ce que tu ne m’as pas écouté. Entendez-vous cette manière de parler, qui marque plutôt l’ami que le Seigneur ? je dis l’ami méprisé, qui pourtant ne cesse pas d’aimer.
Sachons donc l’imiter ; et quand nous adressons des reproches, gardons aussi cette mansuétude. Les reproches qu’il fait à la femme sont empreints de la même douceur. Ou plutôt ce ne sont pas des reproches, c’est un avertissement, c’est une exhortation pour ramener au devoir, ce sont des précautions pour l’avenir. Voilà pourquoi il n’a rien à dire au serpent : c’était lui qui était l’artisan de ces malheurs, et le serpent ne pouvait rejeter la faute sur aucun autre. Aussi le Seigneur lui infligea-t-il un châtiment terrible.. Et il ne s’en tint pas là ; il enveloppa la terre dans la malédiction. S’il chassa l’homme du paradis, et le condamna au travail, c’est pour cette raison surtout qu’il convient d’adorer et d’admirer. Les délices du paradis avaient provoqué le relâchement ; le Seigneur retranche le plaisir, il élève la douleur comme un mur destiné à préserver de l’indolence, afin que l’homme retourne à son amour. Et maintenant comment a-t-il traité Caïn ? Ne lui a-t-il pas montré la même mansuétude ? Outragé par lui, Dieu ne l’outrage pas en retour, mais il l’exhorte, il lui dit : « Pourquoi cet abattement sur votre visage ? » (Gen. 4,6) Son action pourtant n’admettait nulle excuse. Mais ce n’est pas une telle réprimande que Dieu lui adresse ; que lui dit-il ? « Vous avez péché ? Restez-en là, n’ajoutez pas un nouveau crime à celui que vous avez commis : il se tournera vers vous, et vous lui commanderez » ; il lui parle de son frère. Car, dit-il, si vous craignez qu’à cause de son sacrifice qui m’a plu, je ne vous enlève votre droit d’aînesse, rassurez-vous, je vous donne autorité sur lui ; amendez-vous, aimez celui qui ne vous a fait aucun tort ; car je prends un soin égal de vous deux. Mon plus grand plaisir, c’est qu’il n’y ait entre vous aucun dissentiment. Comme une mère qui aime ses enfants, Dieu fait et dispose tout pour prévenir leur division.
5. Mais je veux un exemple pour éclaircir mon discours. Représentez-vous Rebecca, troublée, cherchant de toutes parts un moyen de sauver son plus jeune fils des mauvais desseins de l’aîné. Elle aimait, mais elle n’avait pas d’aversion pour Esaü. D’où vient qu’elle disait : « Que je ne perde pas mes deux fils en un seul jour ». (Gen. 27,45) C’est avec la même affection que Dieu disait alors : « Vous avez péché ? Restez-en là : il se tournera vers vous » (Gen. 4,7) ; le Seigneur voulait ainsi prévenir le fratricide, établir la paix entre les deux frères. Maintenant, même après que Caïn eut commis le meurtre, même alors, Dieu ne cesse pas de le couvrir de sa providence, c’est encore avec douceur qu’il parle à celui qui vient de tuer son frère. « Où est Abel, votre frère ? » Question faite pour amener un aveu. L’autre continue la résistance avec un surcroît d’impudence effrontée. Même alors, Dieu ne s’éloigne pas de lui ; au contraire, les paroles du Seigneur sont celles d’un ami outragé, méprisé. « La voix du sang de votre frère crie vers moi ». Et c’est encore ici, avec l’homicide, la terre qui subit la colère de Dieu, c’est elle qu’il maudit : « Maudite soit la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir le sang de votre frère ». Dieu fait ce que font les hommes qui déplorent des malheurs, ce que faisait David, après la mort de Saül. Il maudissait les montagnes qui avaient bu son sang : « Montagnes de Gelboé, que la rosée et la pluie ne tombent jamais sur vous, parce que c’est là qu’ont été jetés et les boucliers des vaillants ». (2Sa. 1,21) On dirait que Dieu aussi fait entendre un chant funèbre. La voix du sang de votre frère crie vers moi : « Vous serez donc maintenant maudit sur la terre, qui a ouvert sa bouche, pour recevoir le sang de votre frère répandu par votre main ».
Il parlait ainsi pour apaiser les bouillons de sa colère, pour le porter à aimer son frère au moins après sa mort. Tu as éteint sa vie, lui dit-il, et tu n’éteins pas encore ta haine ? Voyez ce que fait Dieu ? Il aimait ces deux frères, parce qu’il les avait créés. Eh quoi ? Laissera-t-il le meurtrier impuni ? Mais ce serait le rendre pire qu’il n’est. Il le punira donc ? Mais Dieu est le plus tendre des pères. Voyez donc comment il s’y prend, pour punir et montrer en même temps son amour ; ou plutôt il ne punit pas, il se borne à redresser. Le Seigneur, en effet, ne le tue pas, il l’assujettit à trembler, pour se purifier de son crime, pour revenir ainsi à l’amour de Dieu, pour se réconcilier avec son frère mort, car Dieu ne voulait pas que le meurtrier quittant la vie fût encore l’ennemi de celui qui était mort. Voilà comment font ceux qui aiment, quand on ne répond pas à leurs bienfaits par de l’amour ; ils deviennent alors malgré eux, violents, menaçants ; ils ne le sont pas de gaieté de cœur, mais (amour les y porte parce qu’ils veulent attirer à eux ceux qui les méprisent. Quelle que soit la contrainte qui se mêle à une telle affection, ceux qui aiment beaucoup y trouvent cependant une consolation ; c’est ainsi que le châtiment même vient de l’affection. Ceux qui se soucient peu d’être haïs, ne tiennent pas non plus à punir. Voyez Paul, de son côté, disant aux Corinthiens : « Quel est celui qui peut me réjouir, si ce n’est celui qui s’attriste à cause de moi ? » (2Cor. 2,2) Ainsi c’est quand il menace du châtiment qu’il montre son amour. De même c’est parce que l’Égyptienne avait pour Joseph un violent amour, qu’elle le livra à la peine. Mais celle-ci ne voulait que le mal, parce que son amour était impudique ; Dieu, au contraire, ne veut que le bien, car son amour est digne de lui. Voilà pourquoi il ne dédaigne pas de s’abaisser aux lourdes expressions de la parole humaine, et de se donner la qualification de jaloux : « Je suis », dit-il « un Dieu jaloux » ; c’est pour vous apprendre l’intensité de son amour. (Ex. 20,5)
Aimons-le donc comme il veut être aimé ; Dieu attache un grand prix à notre amour. Si nous nous détournons de lui, il reste, il nous provoque ; et si nous refusons de nous retourner vers lui, il nous punit, parce qu’il nous aime, et non parce qu’il veut se venger. Voyez donc ce qu’il dit dans Ézéchiel, à la ville qu’il aimait, et qui lui répondait par des mépris « Je susciterai contre vous ceux que vous aimiez, et je vous livrerai entre leurs mains, et ils vous lapideront, et ils vous égorgeront, et mon zèle pour vous vous sera retiré, et je me reposerai et je ne m’occuperai plus de « vous ». (Ez. 23,22) Que dirait de plus un amant passionné, méprisé par celle qu’il aime, et ensuite embrasé de nouveau de son amour ? Il n’est rien que Dieu ne fasse pour être aimé de nous ; il n’a pas même épargné son Fils. Mais nous sommes intraitables et cruels. Devenons enfin sensibles, aimons Dieu comme il faut l’aimer, faisons-nous une volupté de la vertu. Avec une femme qu’on aime on ne sent rien des douleurs qui attristent la vie chaque jour ; avec cet amour divin, ce pur amour, songez quels sont les délices et les plaisirs. Voilà, oui, voilà le royaume des cieux, voilà les vraies jouissances, voilà la volupté, voilà la sérénité, la joie, la béatitude. Mais quoi que je dise, je ne dirai rien qui soit digne d’un tel sujet, l’expérience seule peut révéler ce qu’est en soi un tel bien. Aussi le prophète disait-il : « Mettez vos délices dans le Seigneur ; et goûtez et voyez combien le Seigneur est doux ». (Ps. 36,4, et 33,9) Obéissons donc, et plongeons-nous dans les délices du divin amour. Car, par ce moyen, même d’ici-bas nous verrons peut – être le royaume des cieux, et nous commencerons à vivre de la vie des anges ; quoique séjournant sur la terre, nous n’aurons rien à envier aux habitants du ciel, et, après notre départ, nous nous tiendrons rayonnants de splendeur devant le tribunal du Christ, et nous jouirons d’une gloire ineffable ; puissions-nous tous l’obtenir par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIV. modifier

SACHANT DE PLUS, QUE LE TEMPS PRESSE, ET QUE C’EST L’HEURE DE NOUS RÉVEILLER DE NOTRE ASSOUPISSEMENT. (XIII, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

Analyse. modifier

  • 1. De la nécessité de se réveiller, parce que le jour approche.
  • 2. Sur les œuvres de ténèbres et sur les armes de lumière. — Se revêtir de Jésus-Christ. —. Contre les débauches, l’ivresse, l’impudicité.
  • 3. Contre ceux qui se croient éveillés et qui dorment ; le démon, voleur de nuit, perçant les murs, égorgeant ceux qui sont couchés, dévastant toute la maison.
  • 4. Des festins : contre les orgies, tableaux divers ; qu’est-ce que se revêtir de Jésus-Christ ?

1. Après leur avoir donné tous les préceptes convenables, il les excite à la pratique du bien par la considération de l’urgence. Le jugement, dit-il, est à nos portes ; c’est ainsi qu’il écrivait aux Corinthiens : « Le temps est court » (1Co. 7,29), et aux Hébreux : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir, viendra et ne tardera pas ». (Heb. 10,37) Mais, dans ces lettres, il ranimait les fidèles au milieu de leurs épreuves ; ses paroles avaient pour but de rafraîchir les combattants inondés de sueur, de les consoler des persécutions qu’ils subissaient coup sur coup ; ici, au contraire, l’apôtre réveille des endormis ; car voilà la double utilité que nous pouvons retirer de ses réflexions. Mais que signifie ce qu’il dit : « Que c’est l’heure de nous réveiller de notre assoupissement ? » Cela veut dire, la résurrection approche ; le jugement redoutable approche ; le jour approche qui sera comme un four embrasé, il faut enfin secouer notre engourdissement. « Puisque nous sommes plus proches de notre salut que lorsque nous avons reçu la foi ». Voyez-vous comme il leur montre déjà la résurrection ? Le temps marche, dit-il, la vie présente se consume, la vie à venir se rapproche de nous. Si donc vous êtes prêt, si vous avez accompli toutes les prescriptions, voici le jour du salut ; si vous n’en avez rien fait, il n’en est pas de même. Mais, jusqu’à ce moment, ce ne sont pas les pensées tristes, mais les pensées riantes qui lui fournissent ses exhortations ; et, par ce moyen, il les affranchit de tout regret des choses présentes. Ensuite, comme il était à croire qu’ils avaient été plus ardents au commencement, quand leur ferveur était dans toute sa force ; qu’à la longue leur zèle s’était refroidi, l’apôtre leur dit que c’est une disposition toute contraire qu’ils doivent faire paraître ; qu’ils ne doivent pas se relâcher au fur et à mesure que le temps avance, mais bien plutôt montrer plus d’ardeur que jamais. C’est en effet quand le roi est sur le point d’arriver qu’il convient de faire de plus grands préparatifs ; c’est quand l’heure des prix approche, qu’il convient de s’animer le plus aux combats ; ainsi font les coureurs ; c’est vers la fin de la course, au moment de recevoir les prix, qu’ils s’animent le plus. Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Puisque nous sommes plus proches de notre salut que lorsque nous avons reçu la foi. La nuit est déjà fort avancée, et le jour s’approche (12) ».

Donc si la nuit s’en va, si le jour approche, faisons désormais les œuvres du jour, non celles de la nuit. C’est la conduite que nous tenons dans la vie ordinaire ; quand nous voyons venir le point du jour qui hâte le départ de la nuit, quand nous entendons chanter l’hirondelle, chacun de nous réveille son voisin, quoique la nuit n’ait pas encore disparu ; quand elle a tout à fait cédé la place au jour, alors nous nous excitons tous, les uns les autres, en répétant : Il est jour, et nous entreprenons toutes les œuvres qui se font le jour, nous passons nos vêtements, nous secouons nos songes, nous chassons le sommeil, pour que le jour nous trouve préparés, nous voulons avant que les rayons du soleil aient brillé, être sur pied et à l’ouvrage. Ce que nous faisons dans ces circonstances, faisons-le ici : rejetons nos visions, débarrassons-nous des songes de la vie présente, secouons l’assoupissement profond ; en guise de vêtements, revêtons-nous de vertu, c’est tout ce que veulent dire ces paroles : « Quittons donc les œuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumière ». Car c’est à la mêlée, à la bataille que le jour nous appelle. Mais ne vous troublez pas à ces mots d’armes et de mêlée. Les armes matérielles sont pesantes et pénibles à porter, nos armes à nous sont désirables et dignes d’envie, ce sont des armes de lumière ; elles vous rendent plus éclatant que le soleil, elles vous font resplendir au loin d’une éblouissante clarté ; elles sont pour vous un solide rempart : car ce sont des armes, et elles vous font rayonner, parce que ce sont des armes de lumière. Quoi donc ? Ne faut-il pas combattre ? Sans doute il faut combattre, c’est une nécessité ; mais il n’y a ni fatigue ni peine à supporter ; car notre guerre à nous c’est une danse, c’est une fête. Telles sont nos armes, telle est la puissance de Celui qui commande nos légions. Beau comme l’époux qui sort de la chambre nuptiale, tel est celui qui se munit de ces armes ; car c’est tout ensemble un soldat, un époux. Maintenant, quand l’apôtre dit que « le jour approche », il n’entend pas dire seulement qu’il va venir, mais qu’il reluit déjà ; en effet, il ajoute : « Marchons avec honnêteté comme on marche pendant le jour (13) ». Car il fait jour déjà. Le motif qui ordinairement a le plus de puissance auprès du grand nombre, lui sert ici à entraîner les fidèles, la bienséance : attendu qu’ils sont fort jaloux de bonne renommée. L’apôtre ne dit pas : Marchez, mais : « Marchons », afin de mieux faire accepter d’exhortation et d’adoucir la réprimande. « Point de débauches, d’ivresses ». Il ne défend pas de boire, mais de dépasser la mesure ; il ne proscrit pas l’usage, mais l’abus du vin ; c’est avec la même modération de langage qu’il continue. « Point d’impudicités, de dissolutions ». Il ne supprime pas le commerce avec les femmes, mais la fornication. « Point de querelles, ni d’envie ». Il veut éteindre les foyers où s’allument les passions mauvaises, étouffer la concupiscence et la colère. Il ne suffit pas à l’apôtre de combattre ces passions en elles-mêmes, il en tarit les sources.
2. Rien n’embrase la concupiscence, rien n’enflamme la colère comme le vin et l’ivresse. Aussi, est-ce après « Point de débauches, d’ivresses », qu’il dit : « Point d’impudicités, de dissolutions, point de querelles ni d’envie ». Et il ne s’arrête pas là ; mais, quand il nous a débarrassés de nos mauvais vêtements, écoutez de quelle parure il nous embellit par ces paroles : « Mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ (14) ». II ne parle plus d’œuvres à faire, mais il s’exprime d’une manière plus propre à encourager. Quand il s’agissait du vice, il parlait d’œuvres ; mais maintenant qu’il s’agit de la vertu, il ne parle plus d’œuvres, mais d’armes, afin de montrer par cette expression que la vertu orne en même temps qu’elle protège celui qui la possède. Et l’apôtre ne s’arrête pas là ; il élève beaucoup plus haut son discours, il conçoit une image d’une redoutable grandeur ; c’est le Seigneur même qu’il nous donne pour vêtement, le Roi des rois. Celui qui en est revêtu possède la vertu parfaite dans son intégrité. Ces paroles : « Revêtez-vous », nous prescrivent de nous en envelopper complètement. C’est la même pensée que l’apôtre exprime ailleurs : « Si Jésus-Christ est en vous » (Rom. 8,10) ; et encore : « Que dans l’homme intérieur habite le Christ ». (Eph. 3,16-17) Ce qu’il veut en effet, c’est que notre âme soit son domicile, c’est que le Christ soit pour nous comme un vêtement, c’est qu’il soit tout pour nous, et au dedans, et au-dehors. Car le Christ est notre plénitude : « La plénitude de celui qui remplit tout en tous » (Eph. 1,23) ; il est la voie, il est l’homme, il est l’époux : « Car je vous ai fiancés à cet unique époux, comme une vierge pure ». (2Co. 11,2) Il est la racine, le breuvage, la nourriture, la vie : « Et je vis », dit Paul lui-même ailleurs, « ou plutôt, ce n’est plus moi qui vis, mais Jésus-Christ qui vit en moi ». (Gal. 2,20) II est l’apôtre, le pontife suprême, le docteur, le père, le frère, le cohéritier, le compagnon du sépulcre et de la croix : « Car nous avons été ensevelis » nous-mêmes, dit encore l’apôtre, « et nous avons été entés en lui, par la ressemblance de sa mort ». (Rom. 6,4-5) Il est aussi un suppléant : « Nous faisons donc la fonction d’ambassadeurs pour Jésus-Christ ». (2Cor. 5,20) Il est encore notre avocat auprès du Père, car « Il intercède pour nous ». (Rom. 8,34) Il est et l’habitation et l’habitant. Celui-là « demeure en moi et moi en lui ». (Jn. 6,57) C’est, en outre, un ami : « Car vous êtes mes amis ». (Jn. 15,14) C’est le fondement, la pierre de l’angle ; quant à nous, nous sommes ses membres, le champ qu’il cultive, l’édifice qu’il construit, sa vigne, les ouvriers qui y travaillent avec lui. Que ne veut-il pas être pour nous ? quel moyen ne prend-il pas pour nous appliquer, nous attacher à lui ? ce qui est la preuve de son ardent amour. Cédez-lui donc, en secouant votre sommeil ; revêtez-vous de lui, et, vous en étant revêtu, donnez-lui votre chair à façonner à son gré. C’est ce que l’apôtre a fait entendre par ces paroles : « Et ne cherchez pas à contenter votre sensualité ».
De même qu’il ne défend pas de boire, mais de s’enivrer ; ni de se marier, mais de s’adonner au libertinage ; de même il ne réprouve pas les soins qu’on prend du corps, mais seulement la concupiscence, il ne veut pas que nous franchissions les limites de la nécessité. La preuve qu’il ne proscrit pas les soins pour le corps, c’est ce qu’il écrit à Timothée : « Usez d’un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies ». (1Tim. 5,23) Oui, soignez votre corps, mais pour la santé, non pour la luxure. Il n’y aurait pas d’ailleurs prévoyance et soin pour le corps si vous ne faisiez qu’allumer en lui une flamme ardente ; que d’en faire une fournaise insupportable. Voulez-vous bien comprendre ce que c’est que soigner le corps ; pour la concupiscence ? Voulez-vous qu’on ne vous voie jamais préoccupés de tels soins ? Regardez ceux qui s’abandonnent à l’ivresse, à la gourmandise, qui recherchent le luxe des vêtements, la délicatesse, la mollesse, les dissolutions, et vous comprendrez les paroles de l’apôtre. Tous ces débauchés recherchent, non la santé, mais la luxure, ce qui attise le feu des passions. Mais vous, qui avez revêtu le Christ, qui avez rejeté toutes ces souillures, ne recherchez, pour le corps, que la santé ; prenez soin de votre corps uniquement dans cette vue ; rien au-delà ; employez toute votre ardeur pour les biens spirituels. C’est ainsi que vous pourrez secouer ce sommeil, toutes ces concupiscences ne pèseront pas sur vous. Qu’est-ce que la vie présente ? un sommeil, et les affaires qui s’y rapportent, ne diffèrent en rien des songes. Et, de même que ceux qui dorment, font entendre des paroles insensées, et la plupart du temps n’ont que des visions malsaines, de même, en est-il de nous, ou plutôt notre condition est bien pire. Car celui qui commet, en songe, des actions coupables, ou prononce des paroles honteuses, une fois délivré du sommeil, l’est aussi de la honte, et n’a pas d’expiation à subir ; ici, au contraire, et la honte, et le châtiment subsistent pour l’éternité. Autre différence encore : ceux qui sont riches en songe, une fois le jour arrivé ; comprennent le néant de leurs richesses ; ici, au contraire, c’est ce que l’on comprend même avant que le jour arrive ; avant notre départ d’ici-bas, ces songes sont déjà loin. Secouons donc ce sommeil funeste. Car si ce jour nous surprend dormant encore, ce qui nous saisira, c’est une mort immortelle ; et avant que ce jour arrive, nous serons la proie facile de tous nos ennemis, et des hommes et des démons ; s’ils veulent notre mort, nul ne les empêchera de nous frapper. Si le grand nombre était éveillé ; le danger ne serait pas si grand ; mais à peine un ou deux tiennent leur flambeau allumé, les autres dorment comme au sein de la nuit la plus profonde, voilà pourquoi nous ne pouvons trop veiller nous-mêmes, prendre trop de précautions, si nous voulons éviter d’insupportables malheurs.
3. Ne croirait-on pas que nous sommes à présent en pleine lumière ? Ne croyons-nous pas être tous bien éveillés et sur nos gardes ? Et pourtant (mes paroles vont provoquer peut-être votre rire, je parlerai toutefois) nous dormons tous, nous ronflons dans une nuit profonde tous tant que nous sommes. Si nos yeux pouvaient voir les substances incorporelles, je vous montrerais comment pendant que la plupart de nous ronflent, le démon perce les murs, égorge les malheureux couchés, dévalise l’intérieur de la maison, comme un malfaiteur que rien ne gêne dans l’obscurité épaisse. Mais si nos yeux ne peuvent saisir l’insensible, servons-nous de la parole pour le décrire, représentons-nous parla pensée combien sont appesantis par les passions coupables, combien sont tenus dans les chaînes d’un lourd assoupissement, combien éteignent la, lumière de l’esprit. Aussi voient-ils une chose pour une autre, entendent-ils une chose pour une autre, et aucune des paroles prononcées ici ne frappe leur attention. Si je mens, si vous êtes éveillé, alors dites-moi ce qui s’est passé ici aujourd’hui, si tout ce que vous avez entendu n’a pas été pour vous comme un songe. Oh ! je sais bien que quelques-uns réclameront ; ce que je dis ne s’adresse pas à tous ; mais vous, à qui mes paroles s’adressent, vous qui n’avez rien gagné à venir ici, répondez-moi, quel est le prophète, quel est l’apôtre qui s’est entretenu aujourd’hui avec nous, et de quoi ? Vous ne sauriez répondre : le plus grand nombre des paroles prononcées ici, l’ont été pour vous comme dans un songe, vous n’avez rien entendu réellement. Ce que je dis s’adresse aussi aux femmes ; elles dorment, elles aussi, d’un profond sommeil, et plût au ciel que ce fût un sommeil ! Car celui qui dort, ne dit rien, soit en mal, soit en bien ; mais celui qui veille comme vous veillez, lance beaucoup de paroles qui retomberont sur sa tête, supputant ses usures, roulant des pensées de gros intérêts, n’ayant dans sa tête qu’un négoce de scélératesse et d’effronterie, remplissant son âme des épines qu’il y plante, y étouffant la bonne semence jusque dans la racine. Relevez-vous ; toutes ces épines, extirpez-les ; secouez votre ivresse ; car de cette ivresse, vient votre sommeil. Quand je parle d’ivresse, je ne dis pas seulement l’ivresse du vin, mais celle qu’excitent en vous les soucis de la vie présente, et à cette ivresse j’ajoute celle que te vin provoque. Mon discours ne s’adresse pas aux riches seulement, mais aux pauvres, et surtout à ceux qui chargent les tables pour des repas d’amis. Il n’y a là ni plaisir, ni récréation, mais supplice et châtiment ; le plaisir ne consiste pas à dire des paroles honteuses, mais à faire entendre des discours honnêtes, le plaisir consiste à se rassasier, non pas à se crever les entrailles. Si vous prenez cela pour de la volupté, montrez-la-moi le soir, votre volupté. Je ne veux pas encore vous parler des conséquences funestes de ces débauches, je ne vous entretiens quant à présent que de la brièveté de cette volupté sitôt altérée ; à peine le repas terminé, la joie a déjà disparu. Si je rappelais les vomissements, les pesanteurs de tête, les maladies impossibles à compter, l’âme prisonnière, captive, que pourriez-vous me répondre ? Est-ce parce que nous sommes pauvres, que nous devons nous couvrir de honte ?
Ce que j’en dis, ce n’est pas pour empêcher les réunions, les festins, mais pour prévenir une conduite honteuse ; et puis je voudrais que les plaisirs fussent vraiment des plaisirs, et non un supplice, un châtiment, de l’ivresse, des indigestions. Apprenons aux gentils que les Chrétiens savent goûter les plaisirs, mais les plaisirs honnêtes. Car c’est l’Écriture qui dit : « Réjouissez-vous dans le Seigneur avec tremblement ». (Ps. 2,11) Comment se réjouir ? En récitant des hymnes, en priant, en faisant entendre des psaumes, au lieu de tous ces chants ignobles. Voulez-vous que le Christ prenne place à votre table, que sa bénédiction se répande sur tous vos convives ? Priez, faites entendre des chants spirituels, appelez les pauvres à partager le repas, faites y régner le bon ordre et la tempérance ; voulez-vous convertir en église la salle du festin ? Au lieu de vociférations indécentes et d’applaudissements, et de trépignements, faites entendre les hymnes en l’honneur du souverain maître de toutes choses. Ne me dites pas : Qu’une autre coutume a prévalu ; corrigez ce qui est mauvais. « Soit que vous mangiez », dit ailleurs l’apôtre, « soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu ». (1Cor. 10,31) De vos impurs festins viennent les mauvais désirs, les impuretés, le mépris pour les épouses, les courtisanes en honneur ; de là, la ruine des familles, des maux innombrables ; tout est bouleversé ; abandonnant la source pure, vous courez au cloaque immonde. Car que le corps de la courtisane ne soit qu’un cloaque immonde, je ne le demande à nul autre qu’à vous, qui vous vautrez dans ces immondices. Est-ce que vous ne rougissez pas, est-ce que vous ne vous regardez pas comme impur, quand vous avez péché ? Aussi, je vous en conjure, fuyez la fornication et la mère de la fornication, l’ivresse. Pourquoi jetez-vous la semence où il n’y a pas d’espoir de moisson ? Je me trompe, quand vous moissonneriez, le fruit vous couvrirait de honte. Quand il en naîtrait un enfant, ce serait une honte pour vous, et cet enfant vous doit son malheur à vous qui l’avez fait bâtard et déshonoré par sa naissance. Et quand vous lui laisseriez des monceaux d’or, méprisé dans la famille, méprisé dans la cité, méprisé devant les tribunaux, ce ne sera jamais que le fils de la courtisane, le fils de la femme esclave ; et vous êtes méprisé à votre tour, soit vivant, soit mort ; vous n’êtes plus de ce monde, mais ce monde garde le monument de votre déshonneur. Pourquoi donc jetez-vous ainsi la honte à pleines mains ?
4. Pourquoi jeter la semence dans une terre qui ne tient qu’à corrompre son fruit ? Où tant de germes sont voués à la stérilité ? Où le meurtre a lieu avant la naissance ? Car par vous la courtisane n’est pas seulement la courtisane, vous en faites de plus une homicide. Voyez-vous la filiation ? Après l’ivresse, la fornication ; après la fornication, l’adultère ; après l’adultère, le meurtre ? ou plutôt un 'crime, plus détestable encore que le meurtre ; je ne sais quel terme employer. En effet, on ne tue pas ce qui est né, on empêche de naître. Pourquoi outragez-vous le don de Dieu ? Pourquoi violez-vous les lois de la nature ? Pourquoi une œuvre maudite vous attire-t-elle, comme si c’était une bénédiction ? Pourquoi faites-vous que les hommes trouvent la mort là où ils devraient trouver la vie ? La femme qui vous a été accordée pour vous donner des enfants, vous en faites un instrument de meurtre ? Pour être toujours belle aux yeux de ses amants, toujours un objet de désir, pour extorquer plus d’argent, cette femme ne recule devant rien, et par là, c’est sur votre tête qu’elle amasse un ardent brasier, car si ces attentats sont commis par elle, c’est vous aussi qui en êtes cause. De là encore les idolâtries. Car que de femmes, pour se faire aimer de vous, ont recours aux enchantements, aux libations, aux breuvages, à mille autres machinations ! Eh bien ! en dépit de cet excès d’infamie, malgré ces meurtres, malgré ces idolâtries, le grand nombre regarde encore ces passions comme une chose indifférente, même ceux qui ont des épouses, et c’est de là que découlent les plus grands maux. Car tous ces poisons ne s’attaquent plus aux flancs de la courtisane, mais à l’épouse outragée, machinations sans nombre, appels aux démons, évocations des morts, guerres de chaque jour, combats sans trêve ni merci, querelles sans fin et sans relâche. Aussi Paul, après avoir dit : « Point d’impudicités, de dissolutions », ajoute-t-il : « Point de querelles, ni d’envies », parce qu’il sait bien que les désordres de ce genre enfantent les bouleversements des familles, les outrages faits aux enfants légitimes, des malheurs qu’on ne peut compter.
Donc, pour éviter tous ces maux, revêtons-nous du Christ, ne le quittons jamais : se revêtir du Christ, c’est ne jamais en être séparé, c’est le manifester en nous de tous côtés par la sainteté, par la douceur de nos mœurs. Cette expression, nous l’employons en parlant des amis : Il ne le quitte non plus que son habit, disons-nous[11], pour marquer un commerce inséparable. En effet, on parait selon ce qu’on a revêtu. Donc il faut que le Christ paraisse de tous côtés en nous. Et comment paraîtra-t-il ? Si vous faites les actions du Christ. « Le Fils de l’Homme », dit le Sauveur, « n’a pas où reposer sa tête ». (Lc. 9,58) Imitez-le. Quand il lui fallait prendre sa nourriture, il mangeait du pain d’orge ; quand il voyageait, il n’avait ni chevaux ni attelages, mais il marchait à pied au point de souffrir de la fatigue ; le sommeil nécessaire, il le prenait sur la proue d’une barque qui lui servait d’oreiller ; le repos dont on avait besoin, il disait de le prendre sur l’herbe. Ses vêtements étaient grossiers, et souvent il était seul, ne menant personne à sa suite. Ce n’est pas tout ; l’exemple qu’il a donné sur la croix et au milieu des outrages, méditez-le, imitez-le ; vous vous serez revêtu du Christ, si vous prenez soin de votre chair, non pour la concupiscence ; car il n’y a là aucun vrai plaisir. Les désirs déréglés engendrent d’autres désirs plus tyranniques encore, et vous ne serez jamais rassasié, vous ne ferez que vous préparer une grande torture. De même que celui qui a toujours soif, eût-il à sa disposition mille sources, n’en retire aucun profit, parce qu’il lui est impossible d’éteindre en lui le mal qui le brûle, de même en est-il pour celui qui est toujours en proie à la concupiscence. Si, au contraire, vous savez vous contenir dans les limites du nécessaire, vous ne serez jamais saisi d’une telle fièvre, toutes ces impuretés s’enfuiront loin dé vous, les ivresses comme les passions lascives. Donc, mangez dans la mesure qui convient pour chasser la faim, habillez-vous comme il faut pour couvrir votre corps, ne cherchez pas dans vos vêtements une parure pour votre chair, de peur de perdre ce que vous voulez embellir ; vous ne faites ainsi que rendre la chair plus faible, que compromettre une santé que la mollesse énerve. Pour qu’elle soit l’heureux véhicule de votre âme, pour que le pilote tienne ferme le gouvernail, pour que le soldat manie facilement ses armes, sachez bien disposer toutes choses. Ce n’est pas la richesse, c’est le petit nombre des besoins, qui met l’homme hors d’atteinte. Le riche, même quand il n’éprouve aucune perte, a peur d’en éprouver ; le pauvre, même quand il subit l’injustice, est mieux disposé que ceux qu’on n’a pas lésés, et grâce à son esprit, il ressent mieux l’allégresse et la joie. Donc ne cherchons pas à nous préserver des outrages, mais à rendre impossibles les outrages que l’on voudrait nous faire. Or nous n’y réussirons qu’à la condition de nous contenir dans les limites du nécessaire, sans rien désirer par de là. C’est ainsi qu’il nous sera donné de goûter même ici-bas les plaisirs, et d’obtenir les biens futurs, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXV. modifier


CELUI QUI EST ENCORE FAIBLE DANS LA FOI, RECEVEZ-LE AVEC CHARITÉ SANS CONTESTER AVEC LUI. CAR L’UN CROIT QU’IL LUI EST PERMIS DE MANGER DE TOUTES CHOSES ; ET L’AUTRE, AU CONTRAIRE, QUI EST FAIBLE DANS LA FOI, NE MANGE QUE DES LÉGUMES. (XIV, 1, JUSQU’À 13)

Analyse. modifier

  • 1-3. Des chrétiens judaïsants ; conduite à tenir avec eux. – Des effets de la réprimande indirecte ; exemple donné par saint Paul. – Ne pas prendre les intérêts de Dieu plus qu’il ne fait lui-même. – De la diversité de conduite chez ceux qui veulent tous également plaire au Seigneur. – Ne point se juger les uns les autres.
  • 4-6. Éviter, sur toute chose, d’être un sujet de scandale. – Pourquoi Dieu, dans ce monde, punit les uns et non les autres. – De l’enfer ; qu’il existe.


1. Je sais que le grand nombre trouvent ce passage difficile. Aussi est-il nécessaire d’exposer d’abord tout ce qui fait le sujet de ce texte, tout ce que l’apôtre s’est proposé, par ces paroles, de corriger et de redresser. Que veut-il donc corriger ? On comptait, parmi les fidèles, un grand nombre de Juifs qui, retenus par l’ancienne loi, même après avoir reçu l’Évangile, gardaient encore les observances relatives aux aliments, parce qu’ils n’osaient pas rompre entièrement avec la loi. En outre, pour ne pouvoir pas être convaincus de ne s’abstenir que de la viande du porc, ils s’abstenaient de toute espèce de viandes, ne mangeaient que des légumes, afin qu’on pût croire qu’ils pratiquaient un jeûne plutôt qu’une observance légale. D’autres, au contraire, plus avancés, ne pratiquaient aucune abstinence, et attaquaient, outrageaient, querellaient, tourmentaient ceux qu’ils voyaient s’abstenir des viandes, et ils leur rendaient la vie insupportable. Le bienheureux Paul eut donc peur que, pour vouloir corriger un petit travers, on n’arrivât à tout bouleverser, et que ceux qu’on prétendait amener à l’indifférence en fait d’aliments ne finissent par abandonner la foi, que, par un zèle inconsidéré qui cherche à tout corriger avant le temps, on ne portât un préjudice mortel aux nouveaux croyants ; ces reproches continuels pouvaient les rejeter loin de la confession du Christ, de telle sorte qu’ils seraient demeurés doublement incorrigibles. Voyez la prudence de Paul, voyez comme il fait éclater ici la sagesse qui lui est ordinaire, dans ce qu’il dit à propos des deux classes de fidèles : Il n’ose pais dire à ceux qui reprennent les autres : Vous faites mal ; il ne veut pas que les Juifs s’obstinent dans leurs observances ; il ne dit pas non plus, vous faites bien, pour ne pas les exciter encore davantage, mais il compose une réprimande pleine de mesure : il semble d’abord reprendre les forts ; mais, en parlant ensuite aux faibles, il retire ce qu’il avait dit contre les premiers. En effet, la réprimande la moins incommode est celle qui se pratique de telle sorte qu’en adressant la parole à une personne, c’en est une autre que l’on attaque. Car, de cette manière, il n’y a rien d’irritant pour celui que l’on blâme, et le remède de la correction s’administre sans qu’on l’aperçoive.
Voyez donc avec quelle intelligence, quel à propos l’apôtre se conduit dans cette circonstance. En effet, c’est après avoir dit : « N’ayez pas soin de la chair pour satisfaire ses mauvais désirs », qu’il aborde cet autre sujet, parce qu’il ne veut pas avoir l’air de plaider pour ceux qui blâmaient les Juifs, et voulaient que l’on mangeât de toute espèce d’aliments. Les plus faibles sont toujours ceux qui réclament le plus de soins. Aussi s’adressant bien vite aux plus forts, il leur dit : « Celui qui est encore faible dans la foi ». Voyez-vous le coup déjà porté à celui qui avait égard à la différence des viandes ? Dire de quelqu’un qu’il est « Encore faible », c’est montrer qu’il est malade. Second coup ensuite : « Recevez-le avec charité. C’est montrer de nouveau qu’il a besoin de beaucoup de soins, et c’est une preuve que la maladie est grave. « Sans vous amuser à contester avec lui ». Le troisième coup vient d’être porté. Ces paroles montrent en effet que le chrétien judaïsant pèche assez pour que ceux qui ne partagent pas sa faute, qui restent pourtant unis d’amitié avec lui, et s’inquiètent de sa guérison, soient séparés d’opinion avec lui. Voyez-vous comme l’apôtre, tout en paraissant n’avoir affaire qu’aux uns, adresse aux autres une réprimande détournée qui n’a rien de pénible ? L’apôtre les compare ensuite, louant les uns, faisant le procès aux autres. En effet, il ajoute : « Car l’un croit qu’il lui est permis de manger de toutes choses », celui-là croit, et l’apôtre l’exalte à cause de sa foi ; « Et l’autre, au contraire, qui est faible dans la foi, ne mange que des légumes » ; celui-ci, l’apôtre le blâme, puisqu’il parle de sa faiblesse. Ensuite, après avoir donné à propos un coup sensible, l’apôtre apporte au blessé la consolation : « Que celui qui mange de tout, ne méprise point celui qui n’ose manger de tout (3) ».
L’apôtre ne dit pas : Laisse libre ; il ne dit pas : Se garde d’accuser ; il ne dit pas : Renonce à corriger ; mais : Ne blâme pas, ne tourne pas en dérision ; et le bienheureux Paul montre par là que ces chrétiens judaïsants pratiquent des observances ridicules. Ce n’est pas du même ton que l’apôtre parle du vrai fidèle : « Que celui qui ne mange pas de tout, ne juge pas celui qui mange de tout ». De même que les plus avancés se moquaient des autres qu’ils appelaient des hommes de peu de foi, des chrétiens suspects et bâtards, continuant à judaïser ; de même ces derniers jugeaient leurs accusateurs, auxquels ils reprochaient d’enfreindre la loi, d’être adonnés à leur ventre, ce qui était vrai pour un bon nombre de gentils. Voilà pourquoi l’apôtre a ajouté : « Puisque Dieu l’a pris à son service ». Il ne parle pas ainsi du chrétien judaïsant : il pouvait sembler juste de mépriser la gourmandise de celui qui mangeait de tout ; de juger, de condamner le peu de foi de celui qui ne mangeait pas de tout. Mais l’apôtre a brouillé les rôles en montrant que non seulement le plus faible ne mérite pas d’être méprisé, mais qu’il peut concevoir certains mépris. Toutefois, dit l’apôtre, ai-je la pensée de condamner celui mange de tout ? Nullement. De là ce qu’il a ajouté : « Dieu l’a pris à son service ». Pourquoi donc lui reprochez-vous d’enfreindre la loi ? « Puisque Dieu l’a pris à sors service » ; c’est-à-dire lui a communiqué sa grâce ineffable, et l’a absous de toute accusation. L’apôtre se retourne ensuite vers le plus fort : « Qui êtes-vous, pour juger le serviteur d’autrui ? » D’où il est manifeste que les forts jugeaient leurs frères, et ne se bornaient pas à mépriser les moins avancés. « S’il demeure ferme ou s’il tombe, cela regarde son maître ».
2. Encore un autre coup frappé par l’apôtre. Son indignation semble s’attaquer au fort ; en réalité, c’est à l’autre qu’il s’adresse. Quand il dit : « Mais il demeurera ferme », l’apôtre le montre chancelant, ayant besoin qu’on s’occupe de lui, qu’on en prenne beaucoup de soin, un soin tel que c’est Dieu lui-même que l’apôtre appelle pour le guérir : « Parce que Dieu est tout-puissant pour l’affermir ». C’est le langage que nous tenons quand les malades sont à peu près désespérés. Pour prévenir le désespoir, ce malade, il l’appelle serviteur : « Qui êtes-vous, pour juger le serviteur d’autrui ? » Et il y a encore là une réprimande détournée. Ce n’est pas parce que sa conduite ne mérite point d’être jugée que je vous défends de le juger, mais parce qu’il est le serviteur d’autrui ; ce qui veut dire qu’il n’est pas le vôtre, mais celui de Dieu. Ensuite vient encore une consolation : l’apôtre ne dit pas : Il tombe ; mais que dit-il ? « S’il demeure ferme ou s’il tombe ». Soit l’un, soit l’autre de ces deux états, dans les deux cas, c’est l’affaire du Seigneur ; car c’est lui qui souffre le dommage quand le serviteur tombe, et, quand il tient ferme, le gain est pour le Seigneur. Sans doute, si nous ne considérons pas le but de Paul, qui veut prévenir des accusations intempestives, ces paroles sont réprouvées par le zèle que les chrétiens doivent montrer les uns pour les autres. Mais je ne veux pas me lasser de le redire, il faut considérer la pensée qui les dicte, le sujet que traite l’apôtre, les fautes qu’il tient à corriger. Il ne pouvait réprimander plus fortement ce zèle indiscret. Dieu, dit-il, qui éprouve le dommage, Dieu souffre sans réclamer ; quel zèle intempestif, quel excès d’inquiétude ne montrez-vous donc pas, en tourmentant, en troublant celui qui ne fait pas comme vous ? « Celui-ci distingue les jours, celui-là juge que tous les jours sont égaux (5) ».
Ici, l’apôtre me semble indiquer doucement, à mots couverts, le temps du jeûne. Ils est à croire que ceux qui jeûnaient s’obstinaient à juger la conduite de ceux qui ne jeûnaient pas ; on peut croire encore que quelques-uns pratiquaient certaines observances, certaines abstinences à des jours marqués, qu’ils cessaient à d’autres jours marqués : de là ces paroles : « Que chacun agisse selon qu’il est pleinement persuadé dans son esprit ». Pour dissiper les scrupules de ceux qui observaient les jours, il leur dit que la chose est indifférente ; et, pour couper court aux accusations qui leur sont intentées, il montre qu’il ne faut pas tant s’obstiner à les inquiéter. Il est bien entendu que, s’il ne fallait pas tant les inquiéter, ce n’est pas eu égard à la chose en elle-même, mais à cause des circonstances de temps, parce qu’ils étaient des convertis de fraîche date. Car, en écrivant aux Colossiens, l’apôtre met un grand zèle à formuler la défense : « Prenez garde que personne ne vous surprenne par la philosophie et par des raisonnements vains et trompeurs, selon une doctrine toute humaine, ou selon des observances qui étaient les éléments du monde et non selon Jésus-Christ ». (Col. 2,8) Et encore : « Que personne donc ne vous condamne pour le manger et pour le boire ; que nul ne vous ravisse le prix de votre course ». (Id. 16, 18) En écrivant aux Galates, il a grand soin d’exiger d’eux la perfection de la sagesse sur ce point. Mais ici, ce n’est pas la même sévérité, parce que la foi était jeune encore. Donc gardons-nous d’appliquer à tout le : « Que chacun agisse selon qu’il est pleinement persuadé dans son esprit ». Quand il s’agit des dogmes, entendez ce que dit l’apôtre : « Si quelqu’un vous annonce un Évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ». (Gal. 1,9) Et encore : « J’appréhende qu’ainsi que « le serpent séduisit Eve, vos esprits aussi ne « se corrompent ». (2Cor. 11,3) Et il écrivait aux Philippiens : « Gardez-vous des chiens, gardez-vous des mauvais ouvriers, gardez-vous des faux circoncis ». (Phil. 3,2) Mais, en s’adressant aux Romains, comme le temps n’était pas encore arrivé d’établir la perfection de la vie chrétienne, il se borne à dire : « Que chacun agisse selon qu’il est pleinement persuadé dans son esprit ». Car il s’agissait du jeûne, et ce que l’apôtre voulait, c’était réprimer l’arrogance des uns, dissiper les scrupules timorés des autres.
« Celui qui distingue les jours, les distingue pour plaire au Seigneur, et celui qui ne distingue pas les jours, agit ainsi pour plaire au Seigneur ; celui qui mange de tout, mange de tout pour plaire au Seigneur, car il en rend grâces à Dieu ; et celui qui ne mange pas de tout, c’est pour plaire au Seigneur qu’il ne mange pas de tout, et il rend aussi grâces à Dieu (6) ». Ce sont encore les mêmes idées qu’il exprime. Or voici ce qu’il veut dire : Il ne s’agit pas ici d’actions capitales : ce qu’il faut savoir, en effet, c’est si l’un aussi bien que l’autre se conduisent en vue de Dieu, si, des deux côtés, on finit par rendre des actions de grâces à Dieu. Eh bien ! l’un comme l’autre ils bénissent Dieu. Donc, puisque des deux côtés on bénit Dieu, il n’y a pas grande différence. Quant à vous, remarquez comment, ici encore, il frappe, d’une manière détournée, le chrétien qui judaïse. En effet, si l’important est de bénir Dieu, il est bien évident que c’est celui qui mange de tout qui bénit de Dieu, et non celui qui ne mange pas de tout. Comment pourrait-il le bénir en restant toujours attaché à la loi ancienne ? C’est la pensée qu’exprime l’apôtre dans sa lettre aux Galates : « Vous qui voulez être justifiés par la loi, vous êtes déchus de la grâce ». (Gal. 5,4) Dans cette lettre aux Romains, il se contente de l’indiquer à mots couverts, le temps n’était pas venu de parler ouvertement. En attendant, il tolère ; mais bientôt il énonce plus clairement sa pensée. Il ajoute en effet : « Car aucun de nous ne vit pour soi-même, et aucun de nous ne meurt pour soi-même. Soit que nous vivions, c’est pour le Seigneur que nous vivons ; soit que nous mourions, c’est pour le Seigneur que nous mourons (7, 8) ». Ces paroles marquent plus expressément sa pensée. Car comment celui qui vit pour la loi peut-il vivre pour le Christ ? Mais en même temps que l’apôtre établit cette vérité, les mêmes paroles lui servent à retenir ceux qui étaient trop pressés ale les corriger, elles recommandent la patience, elles montrent que Dieu ne peut pas mépriser les chrétiens encore judaïsants, mais qu’il se chargera lui-même de les corriger quand le temps sera venu.
3. Que signifient donc ces paroles : « Aucun de nous ne vit pour soi-même ? » Nous ne sommes pas libres : nous avons un Seigneur qui veut notre vie, et non notre mort ; qui prend, à notre mort, à notre vie, plus d’intérêt que nous. Car il montre par là qu’il prend de nous plus de soin que nous rien prenons nous-mêmes, qu’il regarde notre vie comme un trésor pour lui, et comme une perte notre mort. Car ce n’est pas seulement pour nous que nous mourons, mais aussi pour notre Maître, s’il nous arrive de mourir. La mort, ici, c’est la mort selon la foi. Il suffit, certes, pour prouver que Dieu s’inquiète de nous, de dire que c’est pour lui que nous vivons, que c’est pour lui que nous mourons. Toutefois, l’apôtre ne se contente pas de ces paroles ; il ajoute : « Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons au Seigneur ». Et, en passant de cette mort à la mort naturelle, afin de ne pas trop assombrir son discours, il donne une autre preuve, un signe éclatant de la providence de Dieu. Quel est ce signe ? « Car c’est pour cela même que Jésus-Christ est mort et qu’il est ressuscité, afin d’avoir un empire souverain sur les morts et sur les vivants (9) ».
Soyez donc persuadés par là qu’il s’inquiète toujours de notre salut et de notre perfectionnement. Car si sa providence n’était pas à un si haut degré occupée de nous, quelle nécessité y avait-il pour lui à s’incarner parmi nous ? Eh quoi ! son zèle à faire de nous ses membres l’a porté jusqu’à prendre la forme d’un esclave, jusqu’à mourir, et, après de telles preuves, il nous mépriserait ! Non, non ; il ne voudrait pas perdre ce qui lui a coûté si cher. « Car », dit l’apôtre, « c’est pour cela même qu’il est mort » : C’est comme si l’on disait : Tel homme ne peut pas ne pas s’inquiéter de son esclave, car il se soucie fort de sa bourse. Et encore ne tenons-nous pas à notre argent autant que son amour l’attache à notre salut. Ce n’est pas de l’argent, c’est son propre sang qu’il a versé pour nous, et il ne pourrait pas abandonner ceux pour qui il a payé un si grand prix. Voyez maintenant comme l’apôtre nous montre la puissance ineffable du Seigneur : « Car c’est pour cela même », dit-il, « que Jésus-Christ est mort, et qu’il est ressuscité, afin d’avoir un empire souverain sur les morts et sur les vivants » ; et plus haut : « Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons au Seigneur ». Voyez-vous l’étendue de la domination ? Voyez-vous la force invincible ? Voyez-vous la Providence à qui rien n’échappe ? Ne me parlez pas, dit-il, des vivants seuls, sa providence s’étend aussi aux morts. Mais si elle s’étend aux morts, il est bien évident qu’elle embrasse aussi les vivants ; car le Seigneur n’a rien négligé de ce qui relève de cette souveraineté, et il s’est attribué la plus grande part de juridiction sur les hommes, et plus que de tout le reste, sans rien excepter, c’est de noua qu’il prend soin. Un homme achète un esclave à prix d’argent et s’attache à celui qui est devenu son esclave à lui ; c’est au prix de sa mort que Dieu nous a rachetés, et, après avoir tant dépensé, tant travaillé pour faire de nous sa propriété ; il n’est pas possible qu’il ne fasse aucun cas de notre salut. Toutes ces réflexions de l’apôtre, c’est pour toucher le chrétien judaïsant, c’est pour l’empêcher d’oublier la grandeur du bienfait, c’est pour lui rappeler qu’il était mort et qu’il a recouvré la vie, qu’il n’a retiré de la loi aucun avantage, et qu’il ne peut, sans un excès d’ingratitude, abandonner celui dont il a tant reçu, pour retourner à la loi. Après l’avoir ainsi fortement averti, l’apôtre continue sur un ton plus doux : « Vous donc, pourquoi condamnez-vous votre frère ? Et vous, pourquoi méprisez-vous le vôtre (10) ? » Il semble parler des uns et des autres en les mettant au même rang ; pourtant ses paroles laissent voir entre eux une grande différence. D’abord le titre de frère qu’il emploie, met un terme à la querelle ; pour en finir, il rappelle ensuite le jour terrible du jugement. Après avoir dit : « Et vous, pourquoi méprisez-vous le vôtre ? » il ajoute : « Car nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ ». En parlant ainsi, il a l’air de faire des reproches aux plus avancés dans la foi, mais c’est au judaïsant qu’il porte un coup, car non seulement il lui rappelle pour le toucher le bienfait reçu, mais il lui inspire l’épouvante par la considération du châtiment à venir. « Car nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ. Car il a été écrit », dit l’apôtre « Je jure par moi-même, dit le Seigneur, que tout genou fléchira devant moi, et que toute langue confessera que c’est moi qui suis Dieu. Ainsi chacun de nous rendra compte à Dieu de soi-même (11, 12) ». Voyez-vous comme il frappe sur le chrétien judaïsant, tout en ayant l’air de ne s’attaquer qu’aux autres ? Ses paroles, en effet, reviennent à ceci : De quoi vous occupez-vous ? Est-ce vous qu’on punira pour eux ? Il ne parle pas expressément de cette manière, mais c’est là ce qu’il fait entendre avec plus de ménagement en disant : « Car nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ. Ainsi chacun de nous rendra compte à Dieu de soi-même ». Et il invoque le témoignage du prophète constatant la sujétion à Jésus-Christ de tous les hommes sans exception, la sujétion de tous les hommes de l’Ancien Testament et de tous ceux qui ont reçu l’existence quels qu’ils soient. Et il ne dit pas simplement : Chacun adorera, mais : « Toute langue confessera », c’est-à-dire, qu’on aura des comptes à rendre de ses actions.
4. Tremblez à l’aspect du Maître de toutes les créatures siégeant sur son tribunal, et ne partagez pas, ne déchirez pas l’Église en rejetant la grâce pour retourner à la loi. La loi a pour origine le même auteur que la grâce. Et que parlé-je de la loi ?. C’est lui qui a fait les hommes et sous la loi, et avant la loi. Et ce n’est pas la loi qui vous redemandera des comptes, mais le Christ, qui en fera rendre et à vous et à toute la race des hommes. Voyez-vous comme l’apôtre a dissipé la crainte de la loi ? Ensuite, ne voulant pas avoir l’air de s’être spécialement proposé d’inspirer l’épouvante, aimant mieux paraître, au contraire, avoir été conduit à cette réflexion par la suite naturelle des idées, il reprend son raisonnement : « Ne nous jugeons donc plus les uns les autres ; mais jugez plutôt que vous ne devez pas donner à votre frère une occasion « de chute et de scandale (15) ». Ces exhortations s’adressent également aux uns et aux autres, elles conviennent également aux deux partis, à ceux qui s’offensent des observances concernant les aliments et aux moins avancés qui s’irritent de la vivacité des réprimandes.
Quant à vous, ne considérez que les châtiments qui nous seront infligés si, sans aucun motif, nous scandalisons quelqu’un. En effet, si la réprimande intempestive, au sujet d’une action non permise, est défendue par l’apôtre, afin que nous ne soyons pas pour notre frère un sujet de scandale, si nous le scandalisons sans avoir en vue sa correction, quel châtiment ne subirons-nous pas ? En effet, si c’est une faute que de ne pas sauver son frère, ce que prouve la parabole du talent enfoui, que sera-ce si on lui devient une occasion de chute ? – Mais si le scandale vient de l’infirmité même de celui qui se scandalise ? – Eh bien ! c’est précisément pour cette raison que vous méritez tous les châtiments. Si votre frère était fort, il n’aurait pas besoin de tant de soins ; c’est parce qu’il est faible qu’il faut l’entourer d’une grande sollicitude. Sachons donc la lui montrer, et, par tous les moyens, soutenons-le. Car nous n’aurons pas à rendre compte seulement de nos fautes particulières, mais de celles qu’auront commises les autres, scandalisés par nous. En ce qui concerne nousmêmes, les comptes seront sévères ; si nous y ajoutons encore ces autres comptes, par quel moyen pourrons-nous nous sauver ? Gardons-nous de croire que si nous trouvons des compagnons de nos fautes, ce sera pour nous une excuse ; au contraire, ce sera pour nous un surcroît de châtiments ; le serpent a été plus châtié que la femme ; la femme, plus que l’homme ; Achab avait ravi la vigne, Jézabel a été plus sévèrement punie, parce que c’était elle qui avait ourdi cette trame perfide et scandalisé le roi.
Il en sera de même pour vous, quand vous aurez causé la perte des autres, vous subirez des châtiments plus rigoureux que ceux dont vous aurez provoqué la chute. Car ce n’est pas tant le péché qui perd, que le scandale qui précipite les autres dans les péchés. Aussi l’apôtre dit-il : « Non seulement ceux qui les font, mais aussi ceux qui approuvent ceux qui les font ». (Rom. 1,32) Aussi, quand nous voyons des pécheurs, non seulement gardons-nous de les précipiter dans le gouffre, mais sachons encore les retirer de l’abîme d’iniquité ; ne nous exposons pas à porter nous-mêmes les peines de la perdition d’autrui ; rappelons-nous sans cesse le tribunal terrible, le fleuve de feu, les liens qu’il est impossible de briser, les ténèbres où il n’y a plus une étincelle de lumière, le grincement de dents, le ver empoisonneur. Mais, direz-vous, Dieu est bon. Ainsi nous ne faisons en réalité que des phrases, et ce riche n’est pas châtié de ses froids mépris pour Lazare ? et ces vierges folles ne sont pas chassées de la chambre de l’époux ? et ceux qui ont refusé de nourrir Jésus-Christ, ne s’en vont pas dans le feu préparé pour le démon et pour ses anges ? et celui qui était revêtu de vêtements souillés ne sera pas, pieds et poings liés, livré à la mort ? et celui qui a exigé les cent deniers, n’a pas été livré aux bourreaux ? et il n’y a pas de vérité dans cette parole prononcée contre les adultères : « Leur ver rie mourra « point, leur feu ne s’éteindra point ? » (Mc. 9,43) Ce ne sont là que des paroles de menaces ? – Oui, direz-vous. Et comment, je vous en prie, osez-vous proférer un tel blasphème ; décider ainsi par vous-même ? Je puis, moi, et par ce qu’a dit le Christ, et par ce qu’il a fait, vous démontrer le contraire. Si vous ne croyez pas aux châtiments à venir, croyez du moins aux faits accomplis ; les faits accomplis, les faits qui ont paru dans leur réalité, sont plus que des menaces et des phrases. Qui donc a englouti toute la terre, du temps de Noé, qui donc a opéré ce sinistre naufrage et toute la destruction de notre race ? Qui donc ensuite a envoyé ces foudres et ces incendies sur la terre de. Sodome ? Qui donc a noyé toute l’armée d’Égypte dans la mer ? qui donc a fait périr six cent mille Israélites dans le désert ? qui donc a brûlé la faction d’Abiron (Ps. 105,17) ? qui donc a commandé à la terre d’ouvrir l’abîme qui a dévoré Coré, Dathan et ses complices ? qui donc, en un instant, sous David, a exterminé soixante-dix milliers d’hommes (2Sa. 24,15) ? Dirai-je tous ceux qui ont été frappés un à un ? Caïn livré à un supplice sans fin ? Charmen lapidé avec toute sa race (Jos. 7, 24) ? celui qui avait ramassé du bois le jour du sabbat, également lapidé (Nb. 15,36) ? ces quarante-deux enfants, sous Élisée, dévorés par les bêtes féroces, et que leur jeune âge n’a pas sauvés des rigueurs du châtiment ? (2R. 2,24)
5. Si, même après la grâce, vous tenez à voir de pareils exemples, considérez tout ce qu’ont souffert les Juifs, comment les femmes ont mangé leurs propres enfants ; les unes, les faisant cuire ; les autres usant d’autres moyens. Voyez-les livrés à une famine insupportable, à des guerres terribles et multiples, dépassant, par l’excès des douleurs, toutes les anciennes tragédies. Et c’est le Christ qui a envoyé ces malheurs ; entendez la prédiction qu’il en fait d’abord en paraboles, puis ensuite en termes clairs et exprès. Prédiction en paraboles : « Ceux qu’ils n’ont pas voulu m’avoir pour roi, qu’on les amène ici, et qu’on les tue en ma, présence ». (Lc. 19,27) La parabole de la vigne, la parabole des noces, même sens. Prédiction maintenant parfaitement claire, en termes exprès : ainsi cette menace : « Ils passeront par le fil de l’épée ; ils seront emmenés captifs dans toutes les nations ; les nations sur la terre seront dans la consternation, la mer faisant un bruit effroyable par l’agitation de ses flots, et les hommes sécheront de frayeur ». (Lc. 21,24-26) Et encore : « Car l’affliction de ce temps-là sera si grande, qu’il n’y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde ». (Mt. 24,21) Quant à Ananie et à Saphire pour le vol de quelques pièces d’argent, quel châtiment n’ont-ils pas subi, vous le savez tous ». (Act. 5,1) Ne voyez-vous pas tous le : jours des calamités publiques ? Ne sont-ce pas là des réalités ? Ne voyez-vous pas même encore maintenant des malheureux que la faim consume ? Ne voyez-vous pas des lèpres, d’autres maladies encore ? Des vies qu’afflige une indigence perpétuelle ? Et ceux qui souffrent mille maux insupportables ?
Comment serait-il juste que les uns fussent frappés, que les autres ne fussent pas frappés ? Si Dieu n’est pas injuste, et il est certain que Dieu n’est pas injuste, il est absolument nécessaire que vous soyez puni de vos péchés ; si son amour pour les hommes lui défend de les punir, selon vous, tels et tels ne devaient donc pas être punis. C’est donc pour confondre cette fausse espérance des pécheurs que Dieu punit dès ici-bas tant de monde. C’est afin que si vous ne croyez pas aux menaces, vous croyiez au moins aux supplices réellement infligés ; il y a une autre raison encore : comme les anciennes vengeances nous inspirent moins de terreur, Dieu les renouvelle de siècle en siècle pour réveiller les lâches. Mais pourquoi, dira-t-on, ne pas châtier ici-bas tous les hommes ? C’est pour donner aux autres le temps du repentir. Pourquoi n’attend-il pas l’autre vie pour les, punir tous ? C’est afin qu’on ne doute pas, de sa providence. Que de brigands ont été pris, et combien sont partis d’ici-bas, sans avoir été punis ? Où est donc la bonté de Dieu, où est la justice de son jugement ? Car à présent, c’est moi qui ai le droit de vous interroger. Si personne absolument n’avait été puni, vous pourriez vous prévaloir de cette observation ; mais s’il est vrai que les uns sont punis, que les autres ne le sont pas, même pour des péchés plus graves, peut-il être raisonnable que les mêmes fautes n’entraînent pas les mêmes expiations ? Peut-on soutenir que ceux qui ont été punis ne l’ont pas été injustement ? Pourquoi donc tous ne sont-ils pas châtiés ici-bas ? Écoutez la justification que vous fait entendre le Christ, à ce sujet.
Quelques hommes ayant été tués par la chute d’une tour, certaines personnes ne savaient que penser, Jésus leur dit : « Pensez-vous que ce fussent les plus grands pécheurs ? Non, je vous en assure ; mais si vous ne faites pas pénitence, vous tous, vous périrez semblablement » (Lc. 13,3) ; exhortation pour nous à ne pas prendre confiance lorsque les autres étant punis, nous qui sommes de si grands coupables, nous ne subissons pas de punition. Car, si nous ne changeons pas, nous serons punis sans aucun doute. – Et pourquoi, dira-t-on, une punition éternelle pour si peu de temps qu’ici-bas nous avons péché ? – Et pourquoi l’homme qui a mis si peu de temps ici-bas à commettre un meurtre, et qui n’en a commis qu’un, est-il condamné pour toujours à la peine des mines ? – Mais Dieu n’agit pas de même, répond-on. Comment donc se fait-il qu’il – ait retenu, pendant trente-huit ans, le paralytique sous le coup d’un châtiment si rigoureux ? La preuve qu’il le punissait de ses péchés, écoutez, le Christ l’a donnée lui-même : « Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus à l’avenir, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pis ». (Jn. 5,14), Toutefois, direz-vous, le châtiment a eu un terme. Mais, dans l’autre monde, les choses ne se passeront pas de même : châtiment sans fin ; écoutez le Christ : « Leur ver ne mourra point, leur feu ne s’éteindra point ». (Mc. 9,44) Et encore : « Ils iront, ceux-ci dans la vie éternelle, ceux-là dans l’éternel supplice ». (Mt. 25,46) Si la vie est éternelle, le supplice aussi est éternel. Voyez les menaces qu’il a faites aux Juifs ? N’ont-elles pas eu leur effet ? N’ont-elles été que vaines paroles ? « Il n’en restera pas pierre sur pierre ». (Mt. 24,2) En est-il resté ? Et encore, quand le Christ a dit : « L’affliction de ce temps-là sera si grande qu’il n’y en a pas eu de pareille ? » (Id. 5,21) L’événement a-t-il eu lieu ? Lisez l’histoire de Josèphe, et vous pourrez à peine respirer, rien qu’au récit de ce qu’ils ont souffert pour leurs fautes. Ce que j’en dis, ce n’est pas pour vous affliger, c’est pour vous rendre plus fermes dans votre marche ; je ne veux pas par d’inutiles caresses vous conduire à d’affreux malheurs. Car enfin, je vous le demande, ne méritez-vous pas un châtiment si vous péchez ? Ne vous a-t-il pas tout prédit ? Ne vous a-t-il pas menacé ? Ne vous a-t-il pas inspiré des craintes ? N’a-t-il pas tout fait pour votre salut à vous ? Ne vous a-t-il pas donné l’eau qui régénère, ne vous a-t-il pas remis tout ce que vous aviez fait auparavant ? Après cette rémission, après cette ablution, ne vous a-t-il pas encore donné, à vous pécheur, le secours de la pénitence ? Ne vous a-t-il pas encore, même après tous ces dons, rendu facile la voie de la rémission des péchés ?
6. Écoutez donc ce qu’il a commandé : Si vous pardonnez à votre prochain, je vous pardonne moi aussi, dit-il. (Mt. 6,14) Où est la difficulté ? « Assistez l’orphelin, faites justice à la veuve, et venez, et soutenez votre cause contre moi », dit-il ; « et quand vos péchés seraient comme l’écarlate, je vous rendrai blanc comme neige ». (Is. 1,17, 18) Qu’y a-t-il de pénible là-dedans ? « Dites vous-même vos péchés, afin que vous soyez justifié ». (Id. 43,26) Où est la difficulté ? « Rachetez vos péchés par des aumônes ». (Dan. 4,24) Faut-il verser beaucoup de sueur pour cela ? Le publicain dit : « Ayez pitié de moi qui suis un pécheur » (Lc. 18,13), et il descendit purifié. Faut-il tant se fatiguer pour imiter le publicain ? Mais en dépit de si grands exemples, vous ne voulez pas encore croire à la punition, au châtiment ? Vous ne croyez donc pas que le démon même soit châtié ! « Allez », dit-il, « au feu préparé pour le démon et pour ses anges ». (Mt. 25,41) S’il n’y avait pas de géhenne, il ne serait pas puni ; s’il est puni, évidemment nous aussi, qui faisons ses œuvres, nous devons être punis ; car nous aussi nous avons désobéi, quoique nous n’ayons pas désobéi – de la même manière. Comment donc osez-vous tenir un pareil langage ? Quand vous dites : Dieu est bon, et il ne punira pas, il en résulte que s’il punit, à vous entendre, il n’a plus de bonté. Ne voyez-vous pas quels discours le démon seul vous inspire ? Eh quoi ! les moines qui ont pris pour eux les montagnes, qui exercent la piété sous mille formes, seront-ils frustrés de leur couronne ? Car enfin, si les méchants ne sont pas châtiés, si toute rétribution est supprimée, on pourra bien dire aussi qu’il n’y a pas de couronnes pour les bons. Nullement, me répondez-vous, car ce qui est digne de Dieu, c’est qu’il y existe un paradis et point d’enfer. Donc et le fornicateur, et l’adultère, et celui qui a commis un nombre considérable d’actions mauvaises, jouiront des mêmes biens que ceux qui ont pratiqué la chasteté, la sainteté ; Néron se tiendra à côté de Paul, ou plutôt ce sera le démon qui sera en compagnie de l’apôtre. Car s’il n’y a pas d’enfer, et qu’il y ait une résurrection, les méchants jouiront des mêmes biens que les justes. Où est l’homme assez en démence pour le soutenir ? Ou plutôt quel démon tiendrait ce langage ? Les démons confessent qu’il y a un enfer : de là vient qu’ils s’écriaient : « Êtes-vous venu ici pour nous torturer avant le temps ? » (Mt. 8,29)
Comment n’êtes-vous pas saisi de crainte et d’horreur ? Les démons confessent, et vous niez ? Et comment ne voyez-vous pas quel est l’auteur de ces opinions perverses ? Celui qui, au commencement, a trompé l’homme, qui, en lui présentant l’espoir de biens plus considérables, lui a fait perdre ceux qu’il avait dans ses mains, le démon, c’est lui qui lui suggère maintenant encore de pareils discours, de pareilles pensées ; et s’il tient à persuader à quelques-uns qu’il n’y a pas d’enfer, c’est précisément pour les précipiter dans l’enfer ; et au contraire, Dieu menace de l’enfer, et a préparé l’enfer, afin que vous viviez de manière à ne pas tomber dans l’enfer. Mais voyons, raisonnons : si, quoique l’enfer existe, le diable vous persuade du contraire, comment se fait-il que les démons l’aient avoué cet enfer qui n’existe pas, ces démons qui tiennent avant tout à ce que nous n’en soupçonnions pas l’existence, afin que la sécurité entretenant notre nonchalance, nous tombions avec eux dans ce feu éternel ? Mais comment donc, me dira-t-on, l’ont-ils avoué ? En subissant la contrainte exercée sur eux.
Il faut donc méditer toutes ces réflexions, et renoncer à se tromper soi-même et à tromper les autres en répétant de funestes discours. Ceux qui les tiennent seront punis de prononcer des paroles qui tournent en dérision des choses terribles, qui détournent du salut un grand nombre de personnes disposées à faire leur salut. Des barbares, des Ninivites ont donné un meilleur exemple. C’étaient, en toutes choses, des ignorants ; mais quand on leur dit que leur ville allait être bouleversée, non seulement ils crurent, mais ils poussèrent des gémissements, et ils se couvrirent de sacs, et ils furent dans la consternation, et ils ne cessèrent de donner tous ces signes de douleur que quand ils eurent apaisé la colère de Dieu. Et vous, qui savez tant de choses, vous tournez en dérision la parole de Dieu ? Il vous arrivera donc le contraire de ce qui est arrivé aux Ninivites. De même que, pour avoir reçu les menaces de Dieu avec crainte, ils n’ont pas subi le supplice, de même, vous, pour avoir méprisé la menace, vous éprouverez le châtiment. Aujourd’hui vous traitez notre parole de chimère, il n’en sera pas de même quand l’expérience sera là pour vous persuader. Eh ! ne voyez-vous pas, même sur cette terre, ce que Dieu a fait ? Comment il n’a pas admis les deux larrons au même partage ; ne voyez-vous pas qu’il a introduit l’un dans son royaume, qu’il a rejeté l’autre dans l’enfer ? Et que parlé-je du larron et du meurtrier ? Il n’a pas épargné son apôtre devenu traître ; il voyait bien qu’il allait se pendre, qu’il allait s’étrangler, il le voyait crevé par le milieu du corps [car : « Il a crevé par le milieu du ventre, et toutes ses entrailles se sont répandues] » (Act. 1,48) ; le Christ voyait toute cette tragédie d’avance, et il a laissé le misérable à son sort, afin de vous apprendre par un spectacle présent à croire à toutes les vérités de l’avenir.
Gardez-vous donc de vous tromper vous-mêmes en obéissant au démon ; car ce sont ses inspirations que vous écoutez. Si des juges, des maîtres, des précepteurs, quoique barbares, honorent les bons et punissent les méchants, comment serait-il conforme à la nature de Dieu de faire le contraire, et de décerner le même traitement au bon et à celui qui ne l’est pas ? Et d’où viendra la délivrance qui nous affranchira de la perversité ? Aujourd’hui, dans l’attente des supplices, au milieu de tant de terreurs inspirées par les juges, par les lois, les méchants ne renoncent pas encore au crime ; quand ils en seront venus à n’avoir plus de crainte, non seulement parce qu’ils croiront ne pouvoir pas tomber dans l’enfer, mais encore parce qu’ils espéreront d’entrer dans le royaume des cieux, quel terme mettront-ils à leur perversité ? Est-ce de la bonté, je vous en prie, d’encourager le mal, d’établir un prix pour la corruption, d’admettre au même traitement le sage et le déréglé, le fidèle et l’impie, Paul et le démon ? Jusqu’à quand nous repaîtrons-nous de frivolités ? Je vous en conjure, guérissez-vous de ce délire, rentrez en vous-mêmes, persuadez-vous qu’il faut craindre, qu’il faut trembler, afin d’être affranchis de l’enfer, afin d’obtenir, après cette vie passée dans la sagesse, les biens de l’autre vie, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. PORTELETTE.

HOMÉLIE XXVI. modifier


JE SAIS ET JE SUIS PERSUADÉ, DANS LE SEIGNEUR JÉSUS, QUE RIEN N’EST IMPUR DE SOI-MÊME, ET QU’IL N’EST IMPUR QU’A CELUI QUI LE CROIT IMPUR. (XIV, 14, JUSQU’À 24)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. II n’y a rien d’impur dans la nourriture ; toute l’impureté consiste à en faire usage lorsqu’on croit que la nourriture est impure. – Éviter de faire, de cette question, nu sujet de scandale. – Avant tout, la paix, la joie, la concorde dans le Seigneur. – Il vaut mieux même s’abstenir des aliments purs, que de forcer le prochain à manger des aliments qu’il a tort de regarder comme impurs.
  • 3 et 4. Laisser Dieu agir. – Jamais la vraie religion n’a été plus facile à découvrir. – Éloge de la piété d’Abraham, en dépit des profondes ténèbres de son temps. – Tous connaîtront Dieu, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. – De la conduite que les chrétiens doivent tenir pour amener, par l’exemple de leur vie, les païens à la religion.


1. Après avoir réprimandé d’abord celui qui jugeait son frère, et l’avoir ainsi détourné de l’habitude d’adresser au prochain des paroles amères, il prononce sur le dogme, et instruit paisiblement le moins avancé ; et il montre, dans l’accomplissement de cette tâche, une grande douceur. Il ne parle point de punition, ni de rien de pareil ; mais il écarte seulement toute espèce de crainte en cette affaire, afin que l’on écoute plus facilement ses paroles. Il dit donc : « Je sais, et je suis persuadé ». Ensuite, pour qu’un de ceux qui ne croyaient pas encore, ne lui dise pas : Et que nous importe que vous soyez persuadé ? Vous n’avez pas assez d’autorité pour vous opposer à, une loi si digne de nos respects, à des oracles appointés d’en haut ; l’apôtre ajoute : « Dans le Seigneur » : C’est-à-dire, c’est d’en haut que me vient ce que je sais, c’est du Seigneur que je tiens ma persuasion ; n’y voyez pas l’opinion d’un homme. Eh bien donc, de quoi êtes-vous persuadé, et que savez-vous ? Parlez. « Que rien n’est impur de soi-même ». Par le fait de la nature, dit-il, rien n’est souillé ; ce qui produit la souillure, c’est l’intention de celui qui use des choses ; c’est pour celui-là seul qu’il y a souillure, et non pour tous. « Rien n’est impur », dit l’apôtre, « qu’à celui qui le croit impur ». Pourquoi donc ne pas corriger son frère, pour qu’il ne croie pas la chose impure ? Pourquoi ne pas détourner de la croyance qui lui est habituelle, pourquoi ne pas user d’autorité afin qu’il ne rende pas, par sa manière de penser, la chose impure ? Je crains, dit l’apôtre, de l’affliger : aussi ajoute-t-il : « Mais si, en mangeant de quelque chose, vous attristez votre frère, dès lors vous ne vous conduisez plus par la charité (15) ».
Voyez-vous comme l’apôtre se concilie les cœurs ? Il montre au chrétien faible qu’il a pour lui tant de considération que, pour ne pas l’affliger, il n’ose pas même lui prescrire ce qui est cependant très-nécessaire, qu’il aime mieux l’attirer par une condescendance pleine de charité. Et, après avoir écarté de lui la crainte, il ne lui fait pas violence, mais il le laisse entièrement maître de sa conduite. Car l’avantage de faire renoncer à un genre de nourriture, ne vaut pas l’inconvénient d’attrister son frère. Voyez-vous jusqu’où il porte le zèle de la charité ? L’apôtre sait bien que la charité peut tout redresser. Voilà pourquoi il réclame, ici, une plus grande vertu des fidèles. non seulement, dit-il, vous ne devez pas user de contrainte à l’égard de ceux qui sont faibles, mais s’il faut même user de condescendance, vous ne devez pas hésiter. Voilà pourquoi il ajoute ces paroles. « Ne faites pas périr par votre manger celui pour qui Jésus-Christ est mort ». N’estimez-vous pas assez votre frère, pour acheter, même au prix de l’abstinence, le salut de son âme ? Comment ! le Christ n’a refusé pour lui, ni d’être esclave, ni de mourir ; et vous ne mépriserez pas assez la nourriture pour sauver votre prochain ? Le Christ ne devait pas conquérir tous les hommes, par son sacrifice, il ne l’en a pas moins accompli ; mourant pour tous, il a fait tout ce qui était de lui. Et vous, quand vous savez qu’à propos de cette nourriture vous jetez votre frère dans des maux terribles, vous disputez encore ; celui que le Christ juge d’un si grand prix, vous le méprisez à ce point ; celui que le Christ a aimé paraît vil à vos yeux ? Et ce n’est pas seulement pour les infirmes que le Christ est mort, mais pour ses ennemis ; et vous, dans l’intérêt des infirmes, vous ne pourrez pas pratiquer l’abstinence ? Le Christ a fait le plus grand sacrifice, et vous ne ferez pas le plus petit ? Et cependant il est le Seigneur, et vous, vous êtes un frère. Assurément ces paroles suffisaient pour couper court au mal ; car elles montrent quelle est la petitesse d’une âme qui, après avoir reçu de Dieu de grands bienfaits, ne le paye pas du moindre retour.
« Que votre bien donc ne soit point blasphémé. Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire ni dans le manger (16, 47) ». Le bien, c’est ici, ou la foi, ou l’espérance des récompenses à venir, ou la parfaite piété. non seulement, dit l’apôtre, vous ne rendez aucun service à votre frère, mais vous exposez et l’Évangile même, et la grâce de Dieu, et le don du ciel aux mauvais discours des hommes. Vos combats, vos disputes, les ennuis que vous causez, les scissions que vous provoquez dans l’Église, vos outrages à votre frère, votre haine contre lui, excitent les mauvais discours du dehors : de sorte que non seulement, par là, vous ne corrigez rien, mais vous produisez un effet tout contraire. Votre bien c’est la charité, c’est l’amour fraternel, c’est l’union, c’est la concorde, c’est la paix, la vie douce et clémente. Ensuite, nouvelle raison pour mettre un terme aux scrupules timorés de l’un, à l’esprit disputeur de l’autre, il dit : « Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire ni dans le manger ». Est-ce que c’est par là que nous pouvons être justifiés ? C’est ce qu’il dit ailleurs encore : « Si nous mangeons, nous n’en aurons rien davantage devant Dieu, et si nous ne mangeons pas, nous n’en aurons rien de moins ». (1Cor. 8,8) Il n’y a pas de preuve à faire ici, une simple assertion suffit. Ce que dit l’apôtre revient à ceci : croyez-vous que c’est le manger qui vous donne le royaume du ciel ? Aussi l’apôtre, se moquant de l’importance qu’ils attachent aux aliments, ne dit pas seulement que ce royaume ne consiste pas dans le manger, il dit, en même temps, ni dans le boire. Quels sont donc les titres qui nous donnent l’entrée au ciel. La justice, la paix, la joie, la pratique de la vertu, la concorde fraternelle, que contrarient de pareilles contestations ; la joie de l’harmonie que ruinent de semblables reproches. Ces réflexions, l’apôtre les adressait, non pas à un seul des deux partis, ais à l’un et à l’autre à la fois, parce qu’il y a ait opportunité de les faire entendre aux uns et aux autres.
2. Ensuite, après avoir parlé de paix et de joie (comme on peut trouver la paix et la joie même en faisant le mal), l’apôtre, après avoir dit : « Mais dans la justice, dans la paix et dans la joie », ajoute : « Que donne le Saint-Esprit ». Ainsi, celui qui cause la perte de son frère, trouble la paix et la joie, et il lui fait plus de tort que le malfaiteur qui ravirait de l’argent. Et ce qu’il y a de plus détestable, c’est qu’un autre a sauvé celui à qui vous faites tant de mal, et que vous perdez. Maintenant, comme ces pratiques, à savoir le genre des aliments, et cette apparence de vie parfaite ne conduisent pas dans le royaume de Dieu, et ne font que conduire à tous les désordres, comment ne pas mépriser des choses sans valeur, pour s’assurer des plus considérables ? Ensuite, comme c’était la vaine gloire qui inspirait secrètement ces reproches adressés aux chrétiens judaïsants, l’apôtre ajoute : « Celui qui sert Jésus-Christ en cette manière, est agréable à Dieu et approuvé des hommes (18) ». On n’admirera pas autant votre perfection de vie, que votre paix et votre concorde. Ce sont là, en effet, des biens dont tous pourront jouir, mais votre perfection de vie ne sert à personne. « Appliquons-nous donc à rechercher ce qui peut entretenir la paix parmi nous, et observons tout ce qui peut nous édifier les uns les autres (19) ». La première partie de ce conseil regarde le faible qui ne doit pas troubler la paix ; la seconde concerne le plus fort, qui ne doit pas mépriser son frère. Toutefois l’apôtre en fait un conseil qui s’adresse à tous, quand il dit : « Les uns les autres » ; il montre par là que, sans la paix, l’édification n’est pas facile.
« Que le manger ne soit pas cause que vous détruisiez l’ouvrage de Dieu (20) » ; ce qui veut dire, le salut de votre frère, réflexion qui doit inspirer de la crainte, en montrant que celui qui réprimande agit au rebours de – ce qu’il désire. En effet, non seulement, dit 'apôtre, vous n’édifiez pas ce que vous croyez édifier, mais vous détruisez, non l’édifice d’un homme, mais l’édifice de Dieu, et cela sans une grande raison, en ne poursuivant qu’un but chétif ; « Que le manger ne soit pas cause », dit-il. Ensuite, pour empêcher que ces concessions n’affermissent le plus faible dans ses erreurs, l’apôtre se retourne vers lui, et lui fait la leçon : « Ce n’est pas que toutes les viandes ne soient pures, mais un homme fait mal d’en manger, lorsqu’il le fait par le scandale, c’est-à-dire avec une conscience mauvaise. Ainsi quand vous auriez contraint votre frère, et que, de force, il aurait mangé, il n’y aurait là aucun profit ; ce n’est pas la nourriture qui souille, mais l’intention de celui qui mange. Si donc vous ne corrigez pas cette intention, tous vos efforts sont vains, et vous n’avez fait que nuire ; car il y a bien de la différence entre croire simplement qu’une viande est impure, ou d’en manger lorsqu’on la croit telle. Lors donc que vous violentez cette âme faible, vous péchez doublement : vous augmentez son préjugé en le combattant, vous l’obligez de manger d’une chose qu’elle croit impure. Par conséquent, tant que vous n’avez pas opéré la persuasion, n’exercez pas de contrainte. « Et il vaut mieux ne point manger de chairs, et ne point boire de vin, ni rien faire de ce qui est, à votre frère, une occasion de chute et de scandale, ou qui le blesse, parce qu’il est faible (21) ».
Voilà donc maintenant l’apôtre plus exigeant ; il ne lui suffit pas qu’on s’abstienne de la contrainte, il veut encore que l’on ait de la condescendance pour le chrétien judaïsant. Car lui-même en a souvent donné l’exemple, comme quand il circoncit son disciple, quand il se rasa les cheveux, quand il fit les oblations légales. Il n’eu fait pas ici, néanmoins, une règle expresse, il se contente de parler sous forme de sentence, il ne veut pas tomber dans l’inconvénient d’encourager la nonchalance des moins avancés. Que dit-il ? « Et il vaut mieux ne point manger de chairs ». Et que dis-je, de chairs ? Quand ce serait du vin, quand ce serait tout ce que vous voudrez qui serait une occasion de scandale, abstenez-vous ; rien ne peut entrer en comparaison avec le salut de votre frère. Et c’est ce que le Christ nous fait assez voir, lui qui est descendu du ciel, et qui a tout souffert pour nous. Il y a un reproche sensible pour les plus forts dans ces trois mots : « Une occasion de chute et de scandale, ou qui le blesse, parce qu’il est faible ». Ne m’objectez pas, dit l’apôtre, que votre frère agit sans raison, mais que vous pouvez le corriger. Sa faiblesse est une raison suffisante pour que vous lui veniez en aide, d’autant plus qu’il n’en résulte pour vous aucun tort. Car cotre condescendance ne sera point une hypocrisie, mais une indulgence édifiante et sage. Si vous usez de contrainte à son égard, il vous résiste, il vous condamne, et il s’opiniâtre dans son préjugé et dans son scrupule ; si, au contraire, il vous trouve indulgent, il se prend d’affection pour vous ; votre enseignement ne lui paraît pas suspect, et il vous met à même de répandre insensiblement en lui les semences de la vérité. Mais du moment qu’il aura conçu de la haine contre vous, vous aurez fermé vous-même tout accès dans son âme à vos paroles. Donc n’usez pas contre lui de contrainte, mais vous-même abstenez-vous, à cause de lui ; non pas parce que vous regardez les aliments comme impurs, mais parce que vous seriez pour lui un sujet de scandale ; par ce moyen vous accroîtrez son affection pour vous. Voilà dans quelle pensée Paul a dit : « Il vaut mieux ne point manger de chairs » ; ce n’est pas que la nourriture soit Impure, mais c’est que votre frère serait scandalisé et blessé. « Avez-vous une foi éclairée ? Contentez-vous de l’avoir dans le cœur (22) ». Ici l’apôtre me semble faire doucement allusion à la vanité des fidèles plus avancés. Voici ce qu’il entend dire : Voulez-vous me montrer votre perfection dans la sagesse ? ne me la montrez pas, qu’il vous suffise de votre conscience.
3. Quant à la foi dont parle ici l’apôtre, ce n’est pas la foi relative aux dogmes, mais celle qui est en rapport direct avec la question dont il s’agit. De la foi proprement dite, l’apôtre est le premier à dire : « Il faut confesser sa foi par ses paroles, pour être sauvé » (Rom.10,10) ; et ailleurs il est écrit : « Celui qui m’aura nié devant les hommes, je le renierai moi aussi ». (Lc. 9,26) Renier sa foi, c’est se perdre ; quant à la foi qui nous occupe ici, ce qui est funeste, c’est de la confesser à contre-temps. « Heureux celui que sa conscience ne condamne point en ce qu’il veut faire ». Ici l’apôtre s’attaque encore au plus faible, et il lui montre que la seule conscience suffit à l’autre. Quand même on ne vous verrait pas, vous vous suffisez à vous-même, pour votre félicité. En effet, après avoir dit qu’on doit se contenter d’avoir la foi dans le cœur, Paul, qui ne veut pas que ce tribunal de la conscience paraisse peu respectable, dit que vous devez le mettre au-dessus de toute la terre. Quand tous les hommes vous accuseraient, si vous ne vous condamnez pas vous-mêmes, si votre conscience ne vous fait pas de reproches, vous êtes heureux. L’apôtre ne parle pas ici de tous les hommes absolument. Il en est un grand nombre qui ne se condamnent pas, et qui commettent des fautes très-graves ; ce sont là les plus malheureux de tous les hommes ; mais la pensée de Paul ne dépasse pas les bornes du sujet tout particulier qu’il traite ici.
« Mais celui qui, étant en doute s’il peut manger d’une viande, ne laisse pas d’en manger, est condamné (23) ». Encore une réflexion pour que l’on traite avec ménagement les moins avancés. Quel avantage en effet qu’ils mangent sans être sûrs de pouvoir le faire, et qu’ils se condamnent eux-mêmes ? Celui que j’estime, moi, c’est celui qui mange de tout, à la condition qu’il n’éprouve aucune hésitation à le faire. Voyez coin me il les invite non seulement à manger, mais à manger en toute pureté de conscience. Ensuite il dit pourquoi tel est condamné, « Parce qu’il n’agit pas selon sa foi » ; ce n’est pas parce que la nourriture est impure, mais parce qu’on n’agit pas selon sa foi : celui qui a mangé, ne croyait pas que la nourriture était pure, c’est quoiqu’il la crût impure qu’il y a goûté. Par ces paroles, l’apôtre montre aux plus avancés toute l’étendue du mal qu’ils font, en ayant recours à la violence, et non à la persuasion, pour faire goûter à des viandes que l’on croit impures ; il veut, par ces réflexions, faire cesser les reproches adressés aux chrétiens judaïsants. « Or, tout ce qui ne se fait point selon la foi, est péché ». Voilà un homme qui n’a pas la certitude, dit l’apôtre, il n’a pas la foi que la chair est pure, comment ne ferait-il pas un péché ? Toutes ces paroles ne s’appliquent, dans la pensée de Paul, qu’au sujet en question, et non à tous les sujets. Et considérez combien l’apôtre s’occupe d’éviter les occasions de scandale. Plus haut, il disait : « Si en mangeant de quelque chose vous attristez votre frère, dès lors vous ne vous conduisez plus par la charité ». Il ne faut pas chagriner son frère ; à bien plus forte raison convient-il de n’être pas pour lui un sujet de scandale. Et encore : « Que le manger ne soit pas cause que vous détruisiez l’ouvrage de Dieu ». C’est un crime, c’est un sacrilège de détruire l’église matérielle ; à bien plus forte raison, le temple spirituel, car l’homme est plus auguste, plus précieux qu’un édifice de pierre. Ce n’est pas pour les murailles que le Christ est mort, mais pour ces temples dont je parle.
Soyons donc circonspects, mes frères, et ne donnons à personne la moindre prise contre nous. La vie présente est un stade, il faut savoir regarder de tous les côtés à la fois, et ne pensons pas qu’il suffise d’ignorer pour être excusé. Il y a, n’en doutez pas, il y a un châtiment pour l’ignorance, quand l’ignorance est impardonnable. Les Juifs étaient dans l’ignorance, mais leur ignorance ne méritait pas le pardon ; les Grecs étaient aussi dans l’ignorance, mais ils ne peuvent invoquer d’excuse. Quand vous ignorez ce qu’il vous est impossible de connaître, vous êtes excusables ; mais quand ce que vous ne savez pas est facile à connaître, quand vous pouvez l’apprendre, vous devez vous attendre à la plus rigoureuse des réparations. D’ailleurs, si nous ne nous enfonçons pas à plaisir dans nos ténèbres, si nous faisons tout ce qui dépend de nous pour nous en retirer, Dieu, pour nous aider à en sortir, nous tendra la main ; c’est ce que Paul disait aux Philippiens : « Si en quelque point vous pensez autrement, Dieu vous découvrira ce que vous devez croire ». (Phil. 3,15) Mais quand nous ne voulons pas faire même ce qui ne dépend que de nous, nous ne devons pas nous attendre à son secours : c’est ce qui est arrivé aux Juifs. « C’est pourquoi je « leur parle en paraboles », dit le Christ, « parce qu’en voyant ils ne voient point ». (Mt. 13,13) Comment se faisait-il qu’en voyant ils ne vissent point ? Ils voyaient les démons chassés, et ils disaient : « Il est possédé du démon » ; ils voyaient les morts ressuscités, et ils ne l’adoraient pas, au contraire, ils s’efforçaient de le tuer. Corneille ne se montrait pas ainsi. II faisait avec soin tout ce qui dépendait de lui, et voilà pourquoi Dieu fit le reste. Ne dites donc pas : Comment Dieu a-t-il pu abandonner, un tel, cet homme plein de sincérité, d’honnêteté, tel païen ? D’abord, en fait de sincérité, les hommes ne peuvent pas porter de jugement ; le jugement n’appartient qu’à celui qui a fait les cœurs : ensuite on peut encore dire que bien souvent tel homme n’a montré ni aucun souci, ni aucun zèle pour la vérité. – Et comment le pouvait-il, direz-vous, avec sa simplicité et sa bonne foi ? En vérité considérez-le donc, je vous en prie, cet homme simple et sincère, examinez-le en ce qui concerne les affaires du siècle, vous verrez qu’il y a montré une très-grande application s’il en eût montré autant pour les choses spirituelles, Dieu ne l’aurait pas négligé ; car la vérité est plus claire que le soleil. En quelque pays qu’on soit, le salut est facile, avec un – peu d’attention, pour peu qu’on attache de l’importance à cette affaire. Est-ce que cette histoire de notre salut n’a pas dépassé la Palestine ? est-elle renfermée dans ce petit coin de la terre ? N’avez-vous pas entendu cette voix du prophète : « Tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu’au plus grand ». (Jer. 31,34) Ne voyez-vous pas l’accomplissement de la vérité ? Quel pardon peuvent-ils donc espérer, ceux qui voient la vraie croyance propagée, et qui ne se meuvent pas, qui ne s’inquiètent pas, qui ne font rien pour s’instruire ?
4. Mais prétendez-vous, dit-on, exiger cet empressement d’un paysan, d’un barbare ? Oui, et non seulement d’un paysan, d’un barbare, mais encore de l’homme le plus enfoncé de tous dans la barbarie. Car enfin, je vous le demande, comment se fait-il que dans la vie ordinaire il sache repousser une injure, résister à la violence, user de tous les moyens pour se préserver de la moindre atteinte, et qu’au contraire, dans les choses spirituelles, il ne montre pas la même prudence ? Quand il s’agit d’adorer une pierre qu’il prend pour un Dieu, de célébrer des fêtes, il dépense son argent et manifeste beaucoup de scrupule, il ne se montre jamais négligent par simplicité ; ce n’est que quand il faut reconnaître quel est le vrai Dieu, que vous venez me parler de sincérité, de simplicité ! Non, non, la vérité n’est pas là, votre simplicité n’est qu’un engourdissement coupable. Car enfin où est la simplicité, la rusticité, où la trouvons-nous ? chez les contemporains d’Abraham, ou chez les nôtres ? Elle fut, n’en doutons pas, chez les hommes des anciens temps. Et à quelle époque a-t-il été plus facile de trouver la religion sainte, aujourd’hui ou autrefois ? De nos jours, évidemment. De nos jours, chez tous les hommes, le nom de Dieu a été proclamé, la voix des prophètes a retenti, les événements se sont accomplis, les païens ont été confondus ; dans les anciens temps, la plus grande partie de la race humaine, sans doctrine, était sous la domination du péché ; ni loi, ni enseignement, ni prophète, ni miracles, ni préceptes, ni foule plus instruite, ni secours pour l’esprit ; obscurité profonde, nuit sans lune, nuit d’hiver, où toutes choses gisaient dans l’engourdissement. Et pourtant cet homme admirable, ce patriarche généreux, en dépit de tant d’obstacles, reconnut Dieu, pratiqua la vertu, remplit un grand nombre d’hommes du zèle qui l’animait, et fit tout cela sans rien connaître de la sagesse du dehors. Où l’aurait-il trouvée, les lettres n’existant pas encore ? Qu’importe ? Comme il fit tout ce qui dépendait de lui, Dieu, de son côté, fit le reste. Vous ne pouvez pas dire qu’Abraham hérita de la piété de ses pères : il était idolâtre. Eh bien, quoique sorti de tels ancêtres, quoique barbare, élevé au milieu de barbares, sans maître pour lui apprendre la religion, il connut Dieu, et chez tous ses petits enfants, qui ont pu jouir de la loi et des prophètes, son nom est entouré d’une gloire, d’une vénération que rien ne saurait exprimer. L’explication de cette histoire ? C’est que les affaires de la vie du siècle l’inquiétaient peu, c’est qu’il était entièrement adonné aux choses spirituelles. Et Melchisédech ? N’était-ce pas un homme des mêmes temps, et sa gloire ne lui a-t-elle pas mérité le titre de prêtre du Seigneur ? C’est qu’il est impossible, absolument impossible que celui dont l’esprit est vigilant soit négligé de Dieu. Ne vous troublez pas à mes paroles ; mais tous parfaitement convaincus que tout dépend de la bonne volonté, regardons, considérons bien où nous en sommes, afin de devenir meilleurs. Ne demandons pas à Dieu des comptes, ne cherchons pas à savoir pourquoi il a négligé un tel, appelé, au contraire, un tel. Ce serait faire comme un serviteur en faute qui perdrait le temps à censurer l’administration de son maître. Malheureux, infortuné, au lieu de t’inquiéter de tes propres comptes, des moyens d’apaiser ton maître, tu t’avises de demander des comptes à celui à qui tu en dois rendre ! tu négliges ce qui doit te faire punir un jour !
Que dirai-je donc au païen, me demande-t-on ? Précisément ce qui vient d’être dit. Et considérez non seulement ce que vous pouvez dire au païen, mais la manière de le corriger. Quand l’examen qu’il fait de votre vie, est pour lui une occasion de scandale, pensez alors à ce que vous lui direz. Vous ne payerez pas pour lui-même, s’il est scandalisé ; toutefois si votre manière de vivre le blesse, vous courez les plus affreux dangers. Il vous entend disserter sur le royaume de Dieu, et il vous voit épris des choses présentes ; il vous voit craindre l’enfer, et en même temps redouter les malheurs d’ici-bas ; voilà ce qui doit vous donner des inquiétudes. Le païen vous accuse, et vous dit : Si vous aspirez au royaume du ciel, pourquoi ne méprisez – vous pas les choses présentes ? Si vous êtes dans l’attente du redoutable tribunal, pourquoi ne méprisez-vous pas les malheurs présents ? Si vous espérez l’immortalité, pourquoi ne vous moquez-vous pas de la mort ? A de tels discours, méditez votre défense. On vous voit trembler pour une perte d’argent, vous qui attendez le bonheur du ciel ; pour une obole de profit, la joie vous inonde ; vous trahissez votre âme pour un peu d’argent, voilà ce qui doit vous donner des inquiétudes ; car voilà, voilà ce qui scandalise le païen. Donc, si vous avez souci de votre salut, préparez votre défense à cette occasion, votre défense, non par des paroles, mais par vos actions. Jamais la question dont nous parlions tout à l’heure n’a été pour personne un sujet de blasphémer Dieu, mais une mauvaise conduite provoque des milliers de blasphèmes.
Corrigez-vous donc de ces désordres. Le païen, d’ailleurs, ne manquera pas de vous dire encore : et comment pais-je savoir que Dieu n’a commandé que ce qu’il est possible de pratiquer ? Vous êtes chrétien de père en fils, élevé dans cette bonne religion, et pourtant vous ne faites rien de digne de cette religion. Que lui répondrez-vous ? Il faudra vous borner pour toute réponse à lui dire : Je vous montrerai d’autres personnes qui pratiquent les vertus chrétiennes, à savoir les moines des déserts. Ne rougissez-vous pas, vous qui vous confessez chrétien, de vous en remettre aux autres parce que vous ne pouvez pas montrer en vous-même la pratique des devoirs d’un chrétien ? Le païen vous répondra sur-le-champ : Quelle est donc la nécessité de se transporter sur les montagnes et dans les déserts ? Si la sagesse n’est pas possible au milieu des villes, vous attaquez gravement cette religion qui fait un devoir de sortir des cités pour courir aux déserts. Montrez-moi un homme ayant femme et enfants, une maison à lui, et pratiquant la vertu chrétienne. Eh bien ! que répondrons-nous ? n’y a-t-il pas là à baisser la tête et rougir ? Le Christ, en effet, n’a pas commandé d’aller vivre au désert, mais qu’a-t-il dit ? « Que votre lumière brille devant les hommes » (Mt. 5,16) ; il ne dit pas Devant les montagnes, ni les déserts ou les lieux inaccessibles. Ce que je dis maintenant, ce n’est pas pour dénigrer ceux qui ont occupé les montagnes, mais pour déplorer le malheur de ceux qui habitent les villes, et qui en ont banni la vertu. C’est pourquoi, je vous en conjure, rappelons cette sagesse qui est sur les montagnes, faisons-la rentrer dans nos murs, afin que les cités deviennent réellement des cités : voilà la manière de corriger le païen, voilà la manière d’éviter mille scandales. Voulez-vous à la fois, et le délivrer de tout scandale, et vous assurer à vous-même le bonheur de jouir d’innombrables récompenses ? Corrigez votre propre vie, rendez-vous de tous les côtés, resplendissant. « Afin que les hommes voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre père qui est dans les cieux ». C’est ainsi que nous pourrons jouir de cette gloire, nous aussi, gloire éclatante, ineffable ; puissions-nous tous l’obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVII. modifier


A CELUI QUI EST TOUT-PUISSANT, POUR VOUS AFFERMIR DANS LA FOI DE L’ÉVANGILE ET DE LA DOCTRINE DE JÉSUS-CHRIST, QUE JE PRÊCHE SUIVANT LA RÉVÉLATION DU MYSTÈRE QUI, ÉTANT DEMEURÉ CACHÉ DANS TOUS LES SIÈCLES PASSÉS, A ÉTÉ DÉCOUVERT MAINTENANT PAR LES ORACLES DES PROPHÈTES, SELON L’ORDRE DE DIEU ÉTERNEL, POUR OPÉRER L’OBÉISSANCE A LA FOI, ET EST VENU A LA CONNAISSANCE DE TOUTES LES NATIONS ; A DIEU QUI EST LE SEUL SAGE, GLOIRE, PAR JÉSUS-CHRIST, DANS LES SIÈCLES DES SIÈCLES. AINSI SOIT-IL. (XIV, 24, 25, 26, POUR SAINT JEAN CHRYSOSTOME, ET 25, 26, 27, DU CHAP. XVI DE LA VULGATE)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. De la puissance et de la sagesse de Dieu, dans la manifestation de l’Évangile. – Supporter les faiblesses, rechercher la satisfaction et l’édification du prochain. – Jésus-Christ, divin modèle d’abnégation et de parfait détachement.
  • 3 et 4. Fruit précieux de la concorde. – Il faut aimer ses ennemis mêmes. – Rien de plus honteux que la haine implacable. Chaleureuse exhortation à la concorde et à la paix.


1. C’est l’habitude de Paul de toujours terminer ses exhortations par des prières et des paroles à la gloire de Dieu. L’apôtre comprenait bien toute l’efficacité de cette pratique que son amour pour Dieu, que la piété lui avait rendue familière. En effet, il convient à celui qui aime ses enfants, au maître, au docteur qui aime Dieu, de ne pas réduire son enseignement à de simples discours, mais d’attirer aussi, par des prières sur ses disciples, le secours qui vient de Dieu. C’est ce que Paul fait en ce moment. Voici la suite des pensées : A celui qui est tout puissant pour vous affermir, gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. L’apôtre, ici encore, s’attache aux faibles, c’est à eux que son discours s’adresse. Quand il réprimandait, sa réprimande était pour tout le monde ; mais maintenant qu’il prie, c’est pour les faibles qu’il supplie le Seigneur. Il dit : « Pour vous affermir », non sans ajouter, en quoi : « Dans la foi de l’Évangile ». Ce qui montre qu’ils n’étaient pas encore bien assurés ; ils étaient debout, mais chancelants. Ensuite, pour donner de l’autorité à son discours, il ajoute : « Et de la doctrine de Jésus-Christ », ce qui veut dire que Jésus-Christ a prêché lui-même. Or, si c’est lui qui l’a prêchée, cette doctrine n’est pas la nôtre, nous vous donnons les lois de Dieu. Il considère ensuite cette doctrine, il montre que c’est un grand bienfait, que c’est le présent d’un Dieu qui nous comble d’honneur. Ce qui résulte d’abord de la personne même qui nous a annoncé cette doctrine, ensuite des vérités annoncées, des vérités de l’Évangile. Ajoutez à cela ce fait, que personne ne les a connues avant nous. C’est là ce que l’apôtre a insinué par ces paroles : « Suivant la révélation du mystère » : Assurément c’est une preuve d’amitié singulière de nous avoir communiqué des mystères que personne n’a connus avant nous. « Qui étant demeuré caché dans tous les siècles passés, a été découvert maintenant ». Autrefois, ce mystère a été déterminé d’avance, mais c’est maintenant qu’il a éclaté. Comment a-t-il éclaté ? « Par les oracles des prophètes ». Ici encore, il rassure l’infirme. Que craignez-vous ? De manquer à la loi ? Mais la loi ne veut pas autre chose ; mais c’est ce que la loi dès les anciens temps a prédit.
Que si vous recherchez, de plus, pourquoi le mystère s’est révélé maintenant, vous êtes un imprudent de poursuivre de vos investigations curieuses les mystères de Dieu, et de lui demander des comptes. Ce n’est pas une vaine curiosité qui convient ici, mais l’affection, l’amour. Voilà pourquoi l’apôtre ferme la bouche aux curieux et dit : « Selon l’ordre du Dieu éternel, pour opérer l’obéissance à la foi ». La foi réclame l’obéissance, et non une activité inquiète ; quand Dieu commande, il faut obéir, et non se livrer à une vaine curiosité. Ensuite l’apôtre trouve encore d’autres raisons pour raffermir la confiance des fidèles « Le mystère est venu à la connaissance de toutes les nations ». Vous n’êtes pas le seul qui ayez cette croyance, c’est la foi de la terre tout entière ; ce n’est pas un homme, c’est Dieu qui l’a enseignée. De là ces paroles : « Par Jésus-Christ ». Et non seulement le mystère a été découvert, mais la connaissance en a été affermie, et tout cela est l’ouvrage de Jésus-Christ. De sorte que toute cette suite doit se lire ainsi : « A celui qui est tout puissant pour vous affermir par Jésus-Christ ». Car, comme je l’ai dit, c’est à Jésus-Christ que l’apôtre attribue et la révélation et la connaissance bien établie du mystère ; ou plutôt, non seulement ces deux bienfaits, mais aussi la glorification du Père. De là ces paroles : « A lui, gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ». Il le glorifie encore à cause de ce qu’il y a d’incompréhensible dans ces mystères, et cet incompréhensible le jette dans la stupeur. Même aujourd’hui, après la révélation, la pensée ne saurait les comprendre ; il faut la foi ; les saisir autrement, c’est impossible.
L’apôtre a bien raison de dire, en parlant de Dieu : « Qui est le seul sage ». Considérez les nations amenées à la religion ; les mélanges des infidèles avec les hommes qui furent les anciens justes ; le salut de ceux qui étaient désespérés ; les pécheurs, indignes de la terre, introduits dans le ciel, ceux qui étaient déchus de la vie présente, appelés à l’ineffable immortalité ; les victimes, foulées aux pieds par les démons, devenues des anges, ayant tous les droits des anges, le paradis ouvert, tous les anciens malheurs effacés, et cela eu un temps si court, et par des moyens si faciles et si rapides, vous comprendrez alors la sagesse divine ; ce que ne connaissaient ni les anges, ni les archanges, les gentils l’ont appris en un instant par le moyeu de Jésus. Ainsi quand il faudrait admirer sa sagesse, le glorifier, vous vous attardez dans des réflexions sans portée, vous restez encore assis dans l’ombre, ce qui certes n’est pas glorifier le Christ. Celui qui n’a pas en lui de confiance, et que la foi n’a pas touché, celui-là ne rend pas témoignage à la grandeur de ses œuvres. Mais Paul, à leur place, glorifie le Seigneur, et les incite à montrer le même zèle que lui. Donc quand vous l’entendez dire : à Dieu, « qui est le seul sage », n’allez pas croire qu’il y ait là rien qui rabaisse le Fils. Si tous les faits qui manifestent la sagesse de Dieu se sont accomplis par le Christ ; si, sans lui, rien n’a été accompli, évidemment leur sagesse est égale. Pourquoi donc l’apôtre a-t-il dit : « Le seul ? » C’est par opposition avec toute la nature créée. Donc, après avoir rendu gloire à Dieu, il reprend son discours, et, s’adressant aux plus forts, il dit : « Nous devons donc, nous qui sommes plus forts » (15,1) ; nous devons, ce n’est pas une faveur que nous faisons ; eh bien, que devons-nous ? « Supporter les faiblesses des infirmes ».
2. Voyez-vous comme il les élève par ces paroles flatteuses, où non seulement il les appelle des forts, mais en outre il les met au même rang que lui ? Et il fait plus encore, il les prend par l’idée de l’utilité, sans rien leur dire de pénible. Vous êtes forts, leur dit-il, et si vous usez de condescendance vous ne vous faites aucun tort ; mais l’infirme court les plus grands dangers s’il n’est soutenu. Maintenant, il ne dit pas les infirmes, mais « les faiblesses des infirmes », afin d’exciter la compassion des fidèles. C’est ainsi qu’ailleurs il dit : « Vous qui êtes spirituels, fortifiez celui qui… » (Gal. 6,1) Vous êtes devenus forts ? Payez de retour le Dieu qui vous a rendus tels ; or, vous vous acquitterez envers lui, si vous aidez le malade à se relever. Nous aussi, nous étions faibles, mais la grâce nous a rendus forts. Et maintenant, cette conduite, il ne faut pas la tenir seulement quand il s’agit des faiblesses de la foi, mais encore quand il s’agit de toute autre faiblesse. Par exemple, un homme est sujet à la colère, ou il est porté à proférer des paroles violentes, il a quelque autre défaut, supportez-le. Mais comment ? écoutez la suite. Après avoir dit : « Nous devons supporter », il ajoute : « Et non pas chercher notre propre satisfaction. Que chacun de vous tâche de satisfaire son prochain dans ce qui est bon, et qui peut l’édifier ( 2) ». C’est-à-dire : Vous êtes fort ? Faites sentir votre force à l’infirme ; faites qu’il sache par expérience quelle est votre vigueur, pensez à le satisfaire. Et il ne dit pas seulement à le satisfaire, mais :« Dans ce qui est bon » ; et il ne se borne pas à dire : Dans ce qui est bon ; le parfait aurait pu répondre : Voyez, je l’attire vers ce qui est bon ; mais l’apôtre ajoute : « Et qui peut l’édifier ». Si donc vous avez en partage la richesse, en partage la force, ce n’est pas pour votre satisfaction à vous, mais pour satisfaire le pauvre et celui qui est dans le besoin ; c’est ainsi que vous jouirez de la véritable gloire, et que vous serez d’une très-grande utilité. La gloire terrestre est prompte à s’envoler ; la gloire spirituelle subsiste, si vous ne vous proposez que l’édification. Voilà pourquoi l’apôtre réclame de tous ce zèle pour le prochain : il ne dit pas seulement, que tel ou tel, mais : « Que chacun de vous ».
Ensuite, comme il a donné un précepte d’une grande portée, comme il a prescrit de se relâcher de sa perfection propre afin de corriger les faiblesses du prochain, il fait encore intervenir le Christ. « Puisque Jésus-Christ n’a pas cherché à se satisfaire lui-même (3) ». C’est ce que l’apôtre ne manque jamais de faire. Quand il parle de l’aumône, il montre le Christ, en disant : « Vous connaissez la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, étant riche, s’est rendu pauvre pour nous » (2Cor. 8,9) ; pour persuader la charité, c’est encore du Christ qu’il s’appuie, disant : « Comme le Christ nous a aimés » (Eph. 5,25) ; et quand il conseille de supporter la honte et d’affronter les dangers, il a encore recours au Christ, disant : « Qui, au lieu de la vie heureuse, dont il pouvait jouir, a souffert la croix et méprisé la honte ». (Héb. 12,2) De même ici, l’apôtre propose Jésus-Christ pour modèle en le priant de supporter les faiblesses des autres, et il cite un oracle es prophètes : « Selon qu’il a été écrit : Les injures qu’on vous a faites sont retombées sur moi ». Mais maintenant, que signifient ces paroles : « N’a pas cherché à se satisfaire lui-même ? » Il pouvait ne pas supporter les opprobres, il pouvait ne pas souffrir ce qu’il a enduré, s’il n’eût voulu considérer que son intérêt. Mais il ne l’a pas voulu ; ne considérant que nous, il n’a plus pensé à lui-même. Et pourquoi l’apôtre n’a-t-il pas dit : Il s’est renoncé lui-même ? C’est qu’il ne voulait pas montrer uniquement le Dieu fait homme, mais rappeler qu’il a été outragé, couvert d’infamie aux yeux de la foule, qu’il a passé pour un être plein de faiblesses. On lui disait : « Si tu es le Fils de a Dieu, descends de la croix » ; et encore : « Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même ». (Mt. 27,40 et 42) L’apôtre rappelle donc ici une preuve qui est considérable dans le sujet qu’il traite, et il prouve beaucoup plus qu’il n’a promis. Car ce n’est pas seulement le Christ qu’il montre couvert d’opprobres, mais le Père en outre ; car il dit : « Les injures qu’on vous a faites, sont retombées sur moi » ; c’est-à-dire, il n’y a rien là de nouveau, rien d’étrange. Ceux qui, sous l’ancienne loi, outrageaient Dieu, ont aussi dans leur fureur outragé son Fils. Or, toutes ces choses ont été écrites afin que nous sachions ce que nous devons imiter.
L’apôtre fortifie ensuite les fidèles contre les tentations qu’ils auront à souffrir, il dit : « Car « tout ce qui est écrit, a été écrit pour notre « instruction, afin que nous ayons espérance « par la patience et par la consolation que les « Écritures nous donnent (4) », c’est-à-dire, afin que nous ne fassions pas de chute. En effet, les combats sont de mille espèces, au dedans, au-dehors, et l’apôtre veut que, fortifiés, consolés par les Écritures, nous montrions notre patience ; que la persévérance dans la patience soit pour nous la persévérance dans la foi. Elles s’engendrent l’une l’autre, l’espérance produit la patience, la patience produit l’espérance, et toutes deux naissent des Écritures. L’apôtre convertit encore ici ses exhortations en prières : « Que le Dieu de patience et de consolation vous fasse la grâce d’être toujours unis de sentiment les uns avec les autres, selon l’esprit de Jésus-Christ (5) ». Après avoir dit ses pensées à lui, l’apôtre a tenu à les appuyer des exemples de Jésus-Christ, et du témoignage des Écritures, pour montrer que c’est d’après les Écritures qu’il recommande la patience. « Que le Dieu de patience et de consolation vous fasse la grâce d’être toujours unis de sentiment les uns avec les autres, selon l’esprit de Jésus-Christ ». Car c’est le propre de la charité d’avoir pour les autres les mêmes sentiments que pour soi-même.
3. Ensuite, pour montrer que ce n’est pas un amour quelconque qu’il recommande, il ajoute : « Selon l’esprit de Jésus-Christ ». C’est l’habitude constante de Paul ; il y a en effet un autre amour que celui-là. Et quel est le fruit de la concorde ? « Afin que vous puissiez, d’un même cœur et d’une même bouche, glorifier Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ (6) ». Il ne dit pas seulement : « D’une même bouche », c’est la communion des âmes qu’il prescrit. Voyez-vous comme il cimente encore l’union du corps entier de l’Église, et comme il conclut encore en glorifiant Dieu ? C’est la raison qu’il emploie de préférence pour exciter à la concorde et à l’harmonie. Il reprend ensuite la même exhortation, en disant « C’est pourquoi unissez-vous les uns aux autres, pour vous soutenir mutuellement, comme Jésus-Christ vous a unis avec lui pour la gloire de Dieu (7) ». Encore le modèle d’en haut, et l’avantage ineffable ; car il n’est rien qui glorifie Dieu autant que cette communion de sentiments qui fait notre force. Aussi quel que soit le ressentiment personnel que vous éprouviez contre votre frère, considérez que, si vous apaisez votre colère, vous glorifiez le Seigneur ; faites-le ; et, si ce n’est pas pour votre frère, du moins pour Dieu, réconciliez-vous ; ou plutôt que ce soit pour Dieu principalement que vous pardonniez. Car le Christ ne fait que répéter sans cesse ce commandement, et il disait à son Père : « Ce qui fera connaître à tous que c’est vous qui m’avez envoyé, c’est qu’ils soient un. ». (Jn. 17,21)
Rendons-nous donc à ce désir de Jésus-Christ, unissons-nous étroitement les uns aux autres. Car ici l’apôtre ne s’adresse pas seulement aux faibles, il exhorte tous les hommes. Si l’on veut se séparer de vous, ne vous séparez pas, ne faites pas entendre cette, froide parole : qui m’aime, je l’aime ; si mon œil droit ne m’aimait pas, je l’arracherais : ce sont là des paroles de Satan, dignes des publicains, et qui respirent les haines des païens. Vous êtes appelés à une vie plus haute, vous êtes inscrits au ciel, vous êtes soumis à des lois plus nobles. Ne tenez donc pas de pareils discours. Celui qui ne veut, pas vous aimer, entourez-le d’une affection plus vive, pour l’attirer à vous ; c’est un de vos membres ; quand un de nos membres vient à être séparé du reste de notre corps, nous faisons tout pour l’y réunir, nous l’entourons alors de plus de soins et d’attention. Plus grande sera votre récompense si vous attirez à vous celui qui ne veut pas vous aimer. Si le Seigneur nous prescrit d’inviter à notre table ceux qui né peuvent pas nous rendre la pareille, et cela, afin que notre récompense soit augmentée, à bien plus forte raison faut-il se conduire de même en amitié. Car celui que vous aimez, et qui vous aime,.vous a payé ce qui vous est dû, tandis que celui que vous aimez et qui ne vous aime pas, a substitué en sa place Dieu pour débiteur auprès de vous ; et en outre, celui qui vous aime, n’a pas besoin de toute votre sollicitude ; au contraire, celui qui ne vous aime pas, c’est celui-là qui a besoin de votre secours. Que ce qui doit vous rendre plus vigilants, ne vous rende pas plus négligents, ne dites pas. voilà un malade, donc je ne m’en occupe pas ; car c’est la froideur de sa charité qui le rend malade : au contraire, attachez-vous à réchauffer cette charité refroidie. Mais, m’objecterez-vous, si je ne parviens pas à la réchauffer ? Persévérez, faites toujours ce qui dépend de vous. Mais s’il ne fait que se détourner de moi davantage ? Il vous assure alors une plus grande récompense, il sert d’autant plus à montrer que vous êtes un imitateur du Christ. Si l’affection mutuelle est la marque distinctive des disciples : « C’est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn. 13,35), jugez de l’affection portée à celui qui vous hait. Votre Seigneur répondait à, ceux qui le haïssaient, en les aimant, en leur adressant ses exhortations ; plus ils étaient faibles, plus il prenait soin d’eux ; il disait d’une voix retentissante : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais ceux qui sont malades » (Mt. 9,12) ; et ceux qu’il admettait à sa table, c’étaient des publicains et des pécheurs ; et plus les Juifs avaient d’outrages pour lui, et plus il avait d’égards pour eux, plus il leur prodiguait ses soins ; on ne peut dire jusqu’à quel point son zèle pour eux croissait de plus en plus.
Faites comme le Seigneur. Cette vertu n’est pas de peu d’importance, sans elle, un martyr même ne peut être agréable à Dieu, comme le dit Paul. (1Cor. 13,3) Gardez-vous donc, de dire : On me liait, voilà pourquoi je n’aime pas ; voilà pourquoi, au contraire, vous devez surtout montrer de l’amour. D’ailleurs il est impossible que celui qui aime devienne si facilement un objet de haine ; une bête sauvage répond à l’affection qu’on lui porte par de l’affection ; c’est ce que font, dit le Seigneur, les païens et les publicains. (Mat. 5,46-47) S’il est naturel d’aimer ceux par qui l’on est aimé, le moyen de ne pas aimer ceux qui répondent à la haine par de l’amour ? Pratiquez donc cette charité ; ne vous lassez pas de redire : Plus vous me haïrez ; plus je vous aimerai ; voilà une parole qui apaise toutes les querelles, qui attendrit tous les cœurs. Cette maladie de la haine c’est ou une inflammation, ou un refroidissement ; dans les deux cas la douce chaleur de la charité opère la guérison. Ne voyez-vous pas comme ces honteux amants supportent les soufflets, les mépris, les outrages, tout ce que leur font endurer ces misérables courtisanes ? Qui pourrait éteindre cet amour ? les affronts ? Nullement, ils ne font que le raviver : qu’importe que ces malheureuses, outre que ce sont des prostituées, appartiennent à une race obscure et vile ; qu’importe que leurs victimes puissent souvent citer de glorieux ancêtres, et soient illustres à d’autres titres, rien n’y fait, l’indignité même du traitement qu’ils subissent ne les rebute pas, ne les éloigne pas de la femme qu’ils aiment.
4. Ne rougirons-nous pas quand Satan, quand les démons inspirent des amours d’une telle force, de ne pouvoir montrer la même énergie dans un amour, selon le cœur de Dieu ? ne comprenez-vous pas que c’est là, pour frapper le démon, Parme la plus redoutable ? ne voyez-vous pas quelle est l’insistance de ce démon pervers pour attirer à lui l’objet de votre haine, et que c’est un de vos membres dont il veut s’enrichir ? et vous, vous n’y faites pas attention, et vous abandonnez le prix du combat ? Le prix du combat, c’est votre frère, placé au milieu du champ de bataille ; soyez vainqueur ; à vous la couronne ; cédez à votre négligence, et la couronne est perdue, et vous vous retirez honteusement. Cessez donc de faire entendre ce cri satanique : Si mon frère me hait, je ne veux même plus le voir. Rien de plus honteux ; laissez dire la foule qui trouve là une marque de grandeur d’âme ; rien de plus bas, de plus insensé, de plus cruel. Et ce qui m’afflige plus que tout, c’est la confusion que fait le grand nombre, prenant le mal pour de la vertu ; l’humeur dédaigneuse et méprisante pour de la générosité, de (honnêteté. Voilà par où le démon nous prend surtout dans ses filets : nous faisons une bonne renommée à la perversité, ce qui la rend si difficile à détruire. Je n’entends que des gens qui se glorifient de n’avoir aucun commerce avec leurs ennemis : eh bien, votre Seigneur met sa gloire précisément dans le contraire. Que de fois les hommes l’ont conspué ! que de fois ils se sont détournés de lui ! Mais lui ne se lasse pas de courir à eux.
Ne dites donc plus : Je ne peux avoir aucun commerce avec ceux qui me détestent ; dites au contraire : Je ne puis rejeter ceux qui me rejettent. Voilà le langage d’un disciple du Christ ; l’autre langage est celui du démon ; l’un donne une gloire éclatante ; l’autre, la honte et le ridicule. Voilà pourquoi nous admirons Moïse ; quand le Seigneur lui dit : « Laissez-moi faire, dans ma colère je les exterminerai » ; Moïse ne put se résoudre à détester ceux qui s’étaient si souvent détournés de lui, et il répondit à Dieu : « Je vous conjure de leur pardonner leurs péchés ; si vous ne le faites pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit ». (Ex. 32,10, 31, 32) C’est que Moïse était l’ami et l’imitateur de Dieu. Ne nous glorifions donc pas de ce dont nous avons lieu de rougir ; ne répétons pas avec complaisance ces banalités grossières : je sais rendre haine pour haine ; si nous entendons ce langage, tournons celui qui le tient, en ridicule, et fermons-lui la bouche parce qu’il se glorifie dé ce qui doit exciter la honte. Que dites-vous ; répondez-moi ? Vous détestez un fidèle que le Christ n’a pas détesté quand il était encore infidèle ? Et que dis-je, que le Christ n’a pas détesté ? Le Christ l’a aimé, cet homme, cet ennemi, ce misérable, il l’a aimé jusqu’à mourir pour lui. Cet homme, entendez-vous, cet homme ainsi fait, le Christ l’a aimé de cet amour ; et vous, aujourd’hui, dites-moi, quand cet homme a recouvré sa beauté, vous le détestez, un membre du Christ, une partie du corps du Seigneur ? Ne comprenez-vous pas ce que vous dites ? ne sentez-vous pas jusqu’où va votre audace ? Cet homme a pour tête le Christ, le Christ est sa table, son vêtement, sa vie, sa lumière, son fiancé ; il est tout pour lui, et vous osez dire. Je le déteste ! et non seulement lui, mais une infinité d’autres avec lui ? Arrête, ô homme ! apaise ton délire, reconnais ton frère, reconnais la démence de tes paroles, paroles d’un insensé en fureur ; habitue-toi à dire tout le contraire ; dût-il mille fois me rejeter, me repousser, je ne le quitte pas. C’est ainsi que vous saurez conquérir votre frère, que vous vivrez pour la gloire de Dieu, que vous aurez votre part des biens de la vie à venir ; et puissiez-vous tous les obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XXVIII. modifier


CAR JE VOUS DÉCLARE QUE JÉSUS-CHRIST A ÉTÉ LE MINISTRE DE L’ÉVANGILE, A L’ÉGARD DES JUIFS CIRCONCIS, AFIN QUE DIEU FUT RECONNU POUR VÉRITABLE, PAR L’ACCOMPLISSEMENT DES PROMESSES FAITES A LEURS PÈRES. (XV, 8, JUSQU’À 13)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. Condescendance et charité mutuelle. – Jésus-Christ promis aux Juifs et annoncé par grâce aux gentils. – Le Christ subi la circoncision pour abolir la circoncision.
  • 2 et 3. Des moyens d’attirer en soi le Saint-Esprit. – Les bonnes œuvres, et les psaumes. – Nombreuses citations des psaumes. – Le livre des psaumes est le trésor de l’Église.


1. Il parle encore de la sollicitude du Christ, insistant sur le même sujet, pour montrer tout ce que le Christ a fait dans notre intérêt, sans penser au sien. En même temps, l’apôtre démontre que ce sont les gentils qui sont les plus redevables à Dieu. Or, s’ils sont les plus redevables, il est juste qu’ils supportent les faiblesses des Juifs. Après avoir vivement réprimandé les faibles, pour que cette réprimande ne donne pas de l’orgueil aux forts, pour réprimer leur arrogance, il montre les biens accordés aux Juifs, en vertu des promesses faites à leurs pères ; quant aux gentils, ils ne doivent ces biens qu’à la miséricorde, qu’à la bonté de Dieu ; de là ces paroles : « Et quant aux gentils, ils doivent glorifier Dieu à cause de sa miséricorde ». Voulez-vous mieux comprendre toute la pensée de l’apôtre ? Écoutez encore une fois le texte, pour bien saisir ce que signifie : « Afin que Dieu fût reconnu pour véritable, Jésus-Christ a été le ministre de l’Évangile à l’égard des Juifs circoncis », afin d’accomplir les promesses faites à leurs pères. Que veut dire ce texte ? Une promesse avait été faite à Abraham : « Je vous donnerai ce pays, à vous et à votre postérité » ; et : « Toutes les nations de la terre seront bénies dans celui qui sortira de vous ». (Gen. 12,7 ; 22, 18) Mais ensuite toute la postérité d’Abraham tomba sous le coup du châtiment. La violation de la loi leur attira la colère de Dieu, et ils furent déchus de cette promesse faite à leurs ancêtres. Toutefois, à son avènement, le Fils de Dieu, coopérant avec son Père, fit en sorte que ces promesses fussent accomplies et eussent leur effet. Après avoir donné pleine et entière satisfaction à la loi, subi la circoncision, et par ce moyen, et par sa croix, levé les malédictions qu’avait attirées l’infraction de la loi, il ne laissa pas tomber la promesse. Donc ces paroles : « Le ministre de l’Évangile à l’égard des Juifs circoncis », expriment ce fait que le Fils de Dieu, à son avènement, ayant accompli toute la loi, avant été circoncis, étant devenu de la race d’Abraham, a effacé la malédiction, apaisé la colère de Dieu, a rendu capables désormais de recevoir les effets de la promesse ceux qui devaient les recevoir après avoir été affranchis de leurs offenses. L’apôtre ne veut pas que les judaïsants puissent dire : Comment se fait-il que le Christ ait été circoncis, ait observé toute la loi ? Il tourne cette objection contre ceux qui la font. Ce n’est pas, dit l’apôtre, pour affermir la loi, c’est pour en finir avec la loi, que le Christ s’est soumis à la circoncision ; c’est pour vous arracher à la malédiction qui pesait sur vous, c’est pour vous affranchir tout à fait de la domination de cette loi. C’est parce que vous l’aviez transgressée, qu’il a voulu l’accomplir tout entière ; ce n’est pas pour vous la faire accomplir vous-mêmes, c’est, au contraire, pour assurer l’accomplissement des promesses faites à vos pères, et dont vous étiez déchus, votre infraction à la loi vous ayant rendus indignes de cet héritage ; d’où il résulte que, vous aussi, vous avez été sauvés par grâce, car vous étiez rejetés. Donc cessez de faire des divisions, des disputes, de vous tenir si mal à propos attachés à la loi qui vous aurait fait déchoir de la promesse, si le Christ n’avait pas, pour vous, tant souffert. Ces souffrances, le Christ les a endurées, non que vous eussiez mérité d’être sauvés, mais pour faire reconnaître la véracité de Dieu.
Maintenant, l’apôtre ne veut pas que ces réflexions donnent de l’orgueil aux gentils : « Quant aux gentils ils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde (9) ». Ce qui veut dire Les Juifs ont reçu, quoiqu’ils fussent indignes, les effets de la promesse ; mais vous, vous n’aviez pas même reçu de promesse, et c’est un pur effet de la bonté de Dieu qui vous a sauvés. Sans doute les Juifs n’auraient rien eu de plus que les autres, quelle que fût la promesse, si le Christ n’était venu sur la terre : toutefois l’apôtre veut modérer l’orgueil des gentils ; il ne veut pas qu’ils s’élèvent contre les faibles, c’est pourquoi il rappelle les promesses : pour les gentils, il leur dit que c est à la seule miséricorde qu’ils doivent leur salut ; de là, pour eux, une raison plus forte de glorifier Dieu. Or, la gloire de Dieu, c’est l’union qui nous rassemble, qui fait que nous le célébrons tous d’un seul et même cœur, que nous soutenons le faible, que nous ne méprisons pas le membre brisé, séparé de nous. L’apôtre montre ensuite les témoignages qui prouvent que les Juifs fidèles doivent s’unir aux fidèles d’entre les gentils : « Selon qu’il est écrit : « C’est pour cela que je vous louerai, Seigneur, parmi les nations, et que je chanterai un cantique à la gloire de votre nom. (Ps. 17,49) Et l’Écriture d ! t encore : Réjouissez-vous, nations, avec son peuple ; et ailleurs : Nations, louez le Seigneur ; peuples, glorifiez-le tous. (10, 11 ; Ps. 116,1) Et « Il sortira de la tige de Jessé un rejeton, qui s’élèvera pour régner sur les nations, et les nations espéreront en lui ». (12 ; Is. 11,10) Tous ces témoignages, l’apôtre les produit, pour montrer qu’il faut s’unir et glorifier Dieu, et en même temps pour rabaisser le Juif et l’empêcher de s’élever contre le gentil, appelé par tous les prophètes ; et l’apôtre, du même coup, exhorte le gentil à une foi modeste, en lui montrant qu’il doit à Dieu une plus grande reconnaissance.
2. Vient ensuite encore une prière : « Que le Dieu d’espérance vous comble de joie et de paix, dans votre foi, afin que votre espérance abonde par la vertu du Saint-Esprit (13) » ; c’est-à-dire, afin que vous soyez affranchis de vos discordes, et que les tentations ne vous abattent jamais ; vous en triompherez, si l’espérance abonde en vous. Voilà la cause de tous les biens. Voilà ce qui nous viendra du Saint-Esprit, non sans condition de la part du Saint-Esprit, mais à la condition que nous ferons tout ce qui dépend de nous ; voilà pourquoi l’apôtre dit aussi : « Dans votre foi » : voulez-vous être remplis de joie, montrez votre foi, montrez votre espérance. L’apôtre ne dit pas : afin que vous espériez, mais : « Afin que votre espérance abonde » : c’est-à-dire, de manière que vous trouviez, non seulement la consolation de vos maux, mais la joie que procure l’abondance de la foi et de l’espérance. Car c’est par là que vous attirerez l’Esprit sur vous ; c’est par là qu’avec son assistance, vous conserverez tous les biens. De même que la nourriture soutient notre vie, et que c’est la vie qui distribue la nourriture, de même si nous avons les bonnes œuvres, nous aurons l’Esprit ; et si nous avons l’Esprit, nous aurons les bonnes œuvres : et de même, l’inverse est également vrai, si nous n’avons pas les œuvres, l’Esprit nous échappe aussi. Que nous perdions l’appui de l’Esprit, aussitôt nous clochons dans les œuvres : une fois en effet que l’Esprit se retire, l’impur arrive. Saül en est un exemple évident. Qu’importe que l’esprit immonde ne nous suffoque pas comme ce roi ? Il nous étreint d’une autre manière, par les œuvres mauvaises. Nous avons donc besoin de la harpe de David pour chanter à notre âme les divins cantiques, et la gloire de Dieu et la gloire des bonnes œuvres. Car si nous nous bornons à louer Dieu, à entendre des chants, si nos œuvres les démentent, si nous faisons ce que faisait Saül, le remède se changera pour nous en damnation, et notre folie deviendra plus monstrueuse. Avant que nous ayons entendu les cantiques, le démon maudit tremble, il a peur de nous voir nous corriger ; mais, si malgré ce qu’entendent nos oreilles, nous demeurons les mêmes, sa crainte se dissipe alors.
Chantons donc le cantique des œuvres, afin de chasser loin de nous le péché, plus affreux encore que le démon. Le démon en effet ne nous prive pas nécessairement du royaume des cieux, et même parfois il sert les intérêts de celui qui veille ; le péché nous bannit tout à fait du ciel. Car le péché est un démon volontaire, un délire spontané ; aussi ne rencontre-t-il ni miséricorde, ni pardon. Chantons donc dans ces dispositions, et tout ce que chante l’Écriture, et ce que chante le bienheureux David ; que la bouche fasse entendre les psaumes et que l’esprit s’instruise. Il n’y a pas là un secours à dédaigner ; une fois que nous aurons appris à notre langue à chanter, notre âme rougira, pendant que celle-ci chante, de céder à des pensées contraires. Et ce n’est pas là le seul fruit que nous recueillerons, mais nous recueillerons grand nombre de connaissances qui nous seront utiles. Car David vous entretient et des choses présentes et des choses à venir, et des créatures visibles, et de la création invisible. Voulez-vous savoir si le ciel demeure tel qu’il est, ou subit des changements ? sa réponse est claire : « Les cieux vieilliront tous comme un vêtement ; vous les roulerez comme un habit dont on se couvre », ô Dieu, « et ils seront changés ». (Ps. 101,27) Voulez-vous connaître la forme du ciel : « Étendant le ciel comme une tente ». (Ps. 103,2) Et si vous tenez à en savoir un peu plus sur la voûte extérieure, David vous dira encore : « Vous qui couvrez d’eau sa partie la plus élevée ». (Ps. 103,3) Et le chantre sacré ne s’arrête pas là, mais il vous parle encore et de la largeur et de la hauteur, dont il vous montre l’égalité : « Autant l’orient est éloigné du couchant, autant il a éloigné de nous nos iniquités Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant a-t-il affermi, sa miséricorde sur ceux qui le « craignent ». (Ps. 102,12, 11) Si vous voulez scruter les fondements de la terre, il ne vous les tiendra pas cachés, vous l’entendrez chanter et vous dire : « Car c’est lui qui l’a fondée sur les mers ». (Ps. 23,2) Désirez-vous apprendre la cause des tremblements de terre, il ne vous laissera aucune incertitude : « Lui qui regarde la terre et la fait trembler ». (Ps. 103,32) Vous cherchez à quoi sert la nuit, vous l’allez apprendre de lui : « C’est durant la nuit que toutes les bêtes de la forêt se répondent sur la terre ». (Ps. 103,20) Et les montagnes, à quoi bon ? il vous répond « Les hautes montagnes servent de retraite aux cerfs ». Et les rochers ? « Et les rochers aux hérissons, et aux lièvres ». Pourquoi les arbres stériles ? apprenez-le : « Les petits oiseaux y feront leurs nids ». (Ps. 103,18, 17) Pourquoi les sources dans les déserts ? « Sur leurs bords habiteront les oiseaux du ciel, et les bêtes des champs ». (Id. 12,11) Et pour quel usage ; le vin ? non seulement pour boire, car l’eau suffisait, mais pour y trouver le contentement et la joie : « Le vin réjouit le cœur de l’homme ». (Id. 15) Vous saurez ainsi quelle mesure vous devez garder.
D’où vient, aux oiseaux du ciel, aux bêtes des champs, leur nourriture ? Écoutez la réponse : « Toutes les créatures attendent de vous que vous leur donniez leur nourriture, lorsque le temps en est venu ». (Id. 27) Si vous dites : A quoi bon les bêtes de somme ? il vous répond qu’elles sont pour votre usage. « Qui produit le foin pour les bêtes de somme, et l’herbe pour les esclaves de l’homme ? » (Id. 14) Quel besoin avez-vous de la lune ? Écoutez le psalmiste : « Il a fait la lune pour les temps ». (Id. 19) Et que Dieu a tout fait, toutes les choses, soit visibles, soit invisibles, c’est ce qu’il enseigne avec clarté, en disant : « Il a parlé, et toutes choses ont été faites ; il a commandé, et toutes choses ont été créées ». (Ps. 32,9) Quant à ce que la mort même sera détruite, c’est ce que le psalmiste vous apprend, en disant : « Dieu rachètera et délivrera mon âme de la puissance de l’enfer, lorsqu’il m’aura pris en sa protection ». (Ps. 48,16) D’où nous vient notre corps ? Le psalmiste le dit aussi. « Il s’est souvenu que nous ne sommes que poussière ». (Ps. 102,14) Où retourne-t-il ? « Il rentrera dans sa poussière ». (Ps. 103,29) En vue de quoi toutes ces choses ? Pour vous. « Vous l’avez couronné de gloire et d’honneur, et vous l’avez établi sur les ouvrages de vos mains » : (Ps. 8,6) Avons-nous quelque chose de commun, nous autres hommes, avec les anges ? C’est ce que le psalmiste dit encore, de cette manière : « Vous ne l’avez qu’un peu abaissé au-dessous des anges ». (Id. 5) Sur l’amour de Dieu : « De même qu’un père a une tendre compassion pour ses fils, le Seigneur a une tendre compassion pour ceux qui le craignent ». (Ps. 102,13) Sur la vie qui nous attend après celle-ci, sur le tranquille repos qui sera la fin des choses : « Rentre », dit-il, « ô mon âme, dans ton repos ». (Ps. 114,7) Pourquoi le ciel est-il si grand ? Le psalmiste répondra aussi : « Les cieux racontent la gloire de Dieu ». (Ps. 18,2) Dans quel but le jour et la nuit ? Ce n’est pas seulement pour que le jour brille et que la nuit nous procure le repos, c’est aussi pour nous instruire : « Il n’y a point de langue, ni de différent langage, au milieu de qui leur voix ne soit entendue ». (Id. 4) Comment la mer entoure-t-elle la terre ? « L’abîme l’environne comme un vêtement » (Ps. 103,6) ; c’est là ce que dit le texte, hébreu.
3. Suivant le même principe, vous pourrez de même apprendre tout le reste, sur le Christ, sur la résurrection, sur la vie à venir, sur le repos final, sur le grand châtiment, sur tout ce qui concerne les mœurs, sur les dogmes ; et vous trouverez dans ce livre des Psaumes des richesses incalculables. Si vous tombez dans des tentations, vous en retirerez une consolation tout à fait efficace ; si vous commettez des péchés, vous y rencontrerez un nombre infini de remèdes pour votre âme ; s’il vous arrive d’essuyer la tempête de la pauvreté, de l’affliction, vous apercevrez une foule de ports à l’horizon ; et si vous êtes un homme juste vous en recueillerez de quoi vous affermir ; et si vous êtes un pécheur, de quoi vous consoler. Vous pratiquez la justice, et vous souffrez des malheurs, écoutez la voix qui vous dit : « A cause de vous nous sommes tous les jours livrés à la mort, nous avons été regardés comme des brebis destinées à la boucherie ». (Ps. 43,22) – « Tous ces maux sont venus fondre sur nous, et nous ne vous avons point oublié (17) ». Si vos bonnes œuvres vous donnent, de vous-mêmes, de hautes pensées, écoutez la voix qui vous dit « N’entrez point en jugement avec votre serviteur, parce que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous » (Ps. 142,9) ; voilà qui tout de suite vous rendra humble. Si vous êtes pécheur, et si vous désespérez de vous-même, vous l’entendrez souvent chanter : « Si vous entendez aujourd’hui sa voix, gardez-vous bien d’endurcir vos cœurs, comme il arriva au temps du murmure qui excita ma colère » (Ps. 94,8, 9) ; voilà qui vous relèvera aussitôt. Si vous portez un diadème sur la tête, si l’orgueil vous tient, vous apprendrez que : « Ce n’est point dans sa grande puissance qu’un roi trouve son salut, et le géant ne se sauvera point par sa force extraordinaire » (Ps. 32,16), et vous pourrez vous contenir. Si vous êtes riche et glorieux, vous l’entendrez encore chanter : « Malheur à ceux qui se confient dans leur force, et qui se glorifient dans l’abondance de leurs richesses » (Ps. 48,7) ; et encore « Le jour de l’homme passe comme l’herbe ; il est comme la fleur des champs qui passe vite » (Ps. 102,15) ; et « Sa gloire ne descendra pas en même temps que lui, derrière lui » (Ps. 48,18) ; alors vous jugerez qu’il n’y a rien de grand sur la terre. Car tout ce qu’il y a de plus éclatant, la gloire, la puissance, étant si méprisable, que pouvez-vous encore estimer sur la terre ? Si vous êtes dans le chagrin, écoutez le Psalmiste : « Pourquoi, mon âme, êtes-vous triste, et pourquoi me remplissez-vous de trouble ? Espérez en Dieu, parce que le dois encore le louer ». (Ps. 41,12) Voyez-vous certains hommes qui ne méritent pas leur gloire ? Dites alors : « Gardez-vous de porter envie aux méchants, et ne soyez point jaloux de ceux qui commettent l’iniquité, car ils sécheront aussi vite que le foin, et se faneront comme les herbes et les légumes ». (Ps. 36,1, 2) Voyez-vous des justes et des injustes qui sont frappés ? Écoutez, ce n’est pas pour la même cause : « Il y a un grand nombre de fouets pour le pécheur ». (Ps. 31,10) S’il est question des justes, le Psalmiste ne dit pas, des fouets, mais : « Il y a un grand nombre d’afflictions pour les justes, et le Seigneur les délivrera de toutes ces peines » (Ps. 33,20) ; et encore : « La mort des pécheurs est détestable » ; et : « C’est une chose précieuse devant le Seigneur que la mort de ses saints ». (Ps. 115,15)
Lisez sans cesse ce livre, voilà comment vous vous instruirez ; chacune de ces paroles contient un océan, un abîme sans fond de pensées. Mais nous ne faisons que les traverser en courant ; si vous vouliez fixer votre attention star ses paroles, vous y trouveriez de riches trésors. Elles peuvent réprimer les œuvres coupables. En condamnant l’envie, la douleur, l’abattement hors de propos, en recommandant de regarder comme rien : richesses, tribulations, pauvreté, vie même, elles vous affranchissent de toutes les passions. Pour tous ces bienfaits, rendons grâces à Dieu et mettons la main sur ce trésor : « Pour posséder l’espérance, par la patience et la consolation des Écritures », pour jouir des biens à venir ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIX. modifier


POUR MOI, MES FRÈRES, JE SUIS PERSUADÉ QUE VOUS ÊTES PLEINS DE CHARITÉ, QUE VOUS ÊTES REMPLIS DE TOUTES CONNAISSANCES, ET QU’AINSI VOUS POUVEZ VOUS INSTRUIRE LES UNS LES AUTRES. (XV, 14, JUSQU’A 24)

Analyse. modifier

  • 1. De l’édification des fidèles les uns par les autres ; de l’instruction qu’ils peuvent se donner mutuellement. – Des grands ménagements que prend saint Paul, en réprimandant les fidèles.
  • 2. Du sacerdoce, de l’oblation ; comment l’oblation peut-elle devenir agréable à Dieu ? – Attention de saint Paul à ne pas prêcher où d’autres apôtres l’avaient devancé.
  • 3. Raisons qui ont retardé son voyage à Rome. – Amour paternel de l’apôtre polir les fidèles.
  • 4 et 5. De la bonté chez les pasteurs. – Exemples tirés des Écritures. – De l’obéissance due aux conducteurs des peuples.


1. Il avait dit : « Tant que je serai l’apôtre des gentils, je glorifierai mon ministère » ; il avait dit : « Vous devez craindre que Dieu ne vous épargne pas non plus » (Rom. 11,13, 21) ; il avait dit : « Ne soyez point sages à vos propres yeux » (Id. 12,16) ; il avait encore dit : « Vous donc, pourquoi condamnez-vous votre frère ? » et : « Qui êtes-vous pour « oser condamner le serviteur d’autrui ? » (Id. 14,10, 4) et il avait fait entendre bien d’autres paroles semblables. Donc il ne pense plus qu’à adoucir la rudesse qu’il a souvent montrée, et ce qu’il a dit en commençant il le reprend pour finir. En commençant, il avait dit : « Je rends grâces à mon Dieu pour vous tous, de ce qu’on parle de votre foi dans tout le monde » (Id. 1,8) ; ici : « Je suis persuadé que vous êtes pleins de charité, et qu’ainsi vous pouvez vous instruire les uns les autres », et ce compliment dit plus que l’autre. Il n’y a pas : J’ai appris, mais : « Je suis persuadé », ce qui veut dire, je n’ai pas besoin d’apprendre de la bouche d’un autre ; mais : « Pour moi, je suis persuadé », moi qui réprimande, moi qui accuse, « Que vous êtes pleins de charité ». Cet éloge répond à l’observation qu’il vient de leur faire, c’est comme s’il leur disait : Ce n’est pas parce que je vous regarde comme dépourvus de douceur, comme capables de haïr vos frères, que je vous ai exhortés à les soutenir, à ne pas laisser périr l’ouvrage de Dieu : je sais parfaitement que vous êtes pleins de charité. L’apôtre me semble marquer ici par ce mot la vertu en général. Et l’apôtre ne dit pas : Vous êtes pourvus de, mais : « Vous êtes pleins de charité ». La même force d’expressions se remarque dans ce qui suit : « Vous êtes remplis de toutes sortes « de connaissances ». Et en effet, que serait-il résulté de leur amour s’ils n’avaient pas su la manière de se conduire avec ceux qu’ils aimaient ? Aussi Paul a-t-il ajouté : « De toutes sortes de connaissances, et qu’ainsi vous pouvez vous instruire les uns les autres » ; non seulement être des disciples, mais des docteurs.
« Néanmoins je vous ai écrit ceci avec un peu de liberté (15) ». Voyez l’humilité de Paul, voyez sa prudence ; il a d’abord un discours profondément incisif ; ensuite, après avoir fait l’opération salutaire qu’il se proposait, il a recours à tous les adoucissants. Indépendamment de tout ce qu’il a dit, il suffisait d’avouer qu’il avait parlé avec une certaine liberté, cette confession devait adoucir l’esprit des fidèles. C’est la conduite que tient l’apôtre en écrivant aux Hébreux : « Nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut, mes chers frères, quoique nous parlions de cette sorte » (Héb. 6,9) ; même langage aux Corinthiens : « Je vous loue, mes frères, de ce que vous vous souvenez de moi en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données ». (1Cor. 11,9) Il écrivait aux Galates : « J’ai la confiance que vous n’aurez point d’autres sentiments que les miens ». (Gal. 5,10) Partout, dans ses lettres, vous verrez la répétition fréquente de cette pensée, mais mille part plus fréquente qu’ici. Car les Romains étaient les plus relevés dans l’estime des peuples, et il était nécessaire de réprimer leur orgueil, non seulement en leur parlant avec fermeté, mais aussi en les caressant. L’apôtre arrive à son but par des moyens différents. Voilà pourquoi il dit dans ce passage : « Je vous ai écrit ceci avec liberté » ; remarquez, cette expression ne lui aurait pas suffi ; il dit « avec un peu de liberté », c’est-à-dire, avec une liberté douce. Et il ne s’arrête pas là ; mais que dit-il ? « Comme pour vous faire ressouvenir ». Il ne dit pas : Pour vous apprendre ; il ire dit pas non plus : Vous rappelant, mais : « Vous faisant ressouvenir », c’est-à-dire, vous rappelant tout doucement. Voyez-vous comme la fin de la lettre et le commencement se répondent ? De même qu’il disait, en commençant : « On parle de votre foi dans tout le monde », de même à la fin de la lettre : « Votre obéissance est connue de tous ». Et comme il disait au début. « J’ai grand désir de vous voir, pour vous faire part de quelque grâce spirituelle, afin de vous fortifier » (Rom. 1,8, 11) ; c’est-à-dire, pour notre mutuelle consolation ; de même ici, « comme pour vous faire ressouvenir », dit-il. Il descend de temps à autre de la chaire du maître, et il leur parle comme à des frères, à des amis, à des égaux ; il entend fort bien ce qui est le premier talent d’un maître, et qui consiste à varier son discours pour l’utilité des auditeurs.
Voyez donc comme, après avoir dit ; « Je vous ai écrit ceci », non avec liberté, mais avec un peu de liberté », et, « comme pour vous faire ressouvenir », il ne s’en tient pas encore à cette modestie de louange, mais il ajoute avec plus d’humilité encore : « Selon la grâce que Dieu m’a donnée » : c’est aussi ce qu’il disait, en commençant : « Je suis débiteur ». Ce qui veut dire : je n’ai pas ravi cet honneur pour me l’arroger, je ne m’en suis pas emparé moi-même, c’est Dieu qui m’a donné cet ordre, et en cela il m’a fait une grâce dont je n’étais pas digne. Donc ne vous irritez pas ; ce n’est pas moi qui m’élève contre vous, c’est Dieu qui commande. Et, de même qu’il dit au commencement, Dieu « que je sers dans l’Évangile de son Fils » ; de même ici après avoir dit : « Selon la grâce que Dieu m’a donnée », il ajoute : « d’être le ministre de Jésus-Christ parmi les gentils, en exerçant la sacrificature de l’Évangile de Dieu (16) ». Après un grand nombre de preuves à l’appui de ses réflexions précédentes, il passe à un sujet plus grave, il ne parle plus du culte seulement, comme au début, mais de la liturgie et du saint ministère : mon sacerdoce à moi, c’est la proclamation, c’est la prédication de l’Évangile, voilà le sacrifice que j’offre. Jamais on n’a fait un reproche au prêtre de prendre soin que son offrande soit pure. Voilà ce que disait Paul, pour donner des ailes à leurs pensées, pour leur montrer qu’ils étaient eux-mêmes l’offrande, et pour se justifier en se fondant sur l’ordre qu’il avait reçu d’en haut. Mon glaive, à moi, dit-il, c’est l’Évangile, c’est la parole de la prédication ; et ce qui me fait agir, ce n’est pas un désir de gloire, un amour de briller, mais je veux, écoutez la suite : « Que « l’oblation des gentils lui soit agréable, étant « sanctifiée par le Saint-Esprit ». C’est-à-dire, il faut que les âmes des disciples soient agréables à Dieu. Car ce n’est pas tant pour me faire honneur que Dieu m’a appelé à ce ministère, que pour assurer votre salut.
2. Or, comment l’oblation pourra-t-elle devenir agréable ? Par l’Esprit-Saint. C’est qu’en effet la foi ne suffit pas, il faut de plus la vie spirituelle, si nous voulons conserver l’Esprit-Saint, une fois que nous l’aurons reçu. Car ni le bois, ni le feu, ni l’autel, ni le glaive ne sont rien, c’est l’Esprit qui est toutes choses en nous. Aussi je fais tout, pour empêcher ce feu de s’éteindre : c’est là la mission qui m’a été donnée. Pourquoi donc vous adressez-vous à ceux qui n’ont pas besoin d’être instruits ? C’est précisément pour cela, dit-il ; je n’instruis pas, je ne fais qu’avertir : comme le prêtre allume le feu, ainsi je réveille votre ardeur. Et voyez, il ne dit pas : afin que votre oblation, mais : « afin que l’oblation des gentils lui soit agréable ». – « Des gentils », cela veut dire, le monde habité, la terre, toutes les mers ; c’est pour rabaisser leur orgueil ; on ne doit pas dédaigner le maître, qui veut faire entendre sa voix aux extrémités de la terre. C’est encore ce qu’il disait au commencement : « Je suis redevable aux Grecs et aux barbares, aux savants et aux simples. Je mets donc ma gloire en Jésus-Christ, pour le service de Dieu ». Après s’être fort humilié, il se relève, il reprend sa fierté, et cela même dans leur intérêt, afin de ne pas paraître un objet de mépris. Mais tout en paraissant s’élever, il n’oublie pas son caractère propre, il dit : « Je mets donc ma gloire ». Je me glorifie, dit-il, non de moi-même, non de l’ardeur qui est en moi, mais de la grâce de Dieu.
« Car je n’oserais vous parler de ce que Jésus-Christ a fait pour moi, pour amener les gentils à l’obéissance de la foi, par la parole et par les œuvres (18) ; par la vertu des miracles et des prodiges, et par la puissance du Saint-Esprit (19) ». Vous ne m’objecterez pas, dit l’apôtre, que la vanité inspire mes paroles ; je ne vous parle que des marques de mon sacerdoce, et je ne suis pas en peine pour vous fournir les signes de la mission qui m’est conférée ; ce ne sont pas des robes traînantes, ni une mitre ou une tiare, ni une parure pour le front, mais des signes beaucoup plus redoutables, des miracles. Et l’on ne peut pas dire non – plus que j’ai reçu une mission, mais que je n’ai rien fait : je me trompe, ce n’est pas moi qui ai fait quelque chose, mais le Christ. Voilà pourquoi je me glorifie en lui, non pour des œuvres vulgaires, mais pour des œuvres spirituelles. Car c’est là ce que signifie : « pour le service de Dieu ». Ce qui prouve que j’ai exécuté ma mission, et que mes paroles ne sont pas de la jactance, ce sont les miracles accomplis et la soumission des nations. « Car je n’oserais vous parler de ce que Jésus-Christ a fait par moi, pour amener les gentils à l’obéissance de la foi, par la parole et par les œuvres ; par la vertu des miracles et des prodiges, et par la puissance du Saint-Esprit ». Voyez ses efforts, son insistance pour montrer que tout est l’œuvre de Dieu, que lui, Paul, n’y est pour rien. Soit que je dise, soit que je fasse, soit que j’opère des miracles, c’est Dieu qui fait tout, l’auteur de tout, c’est l’Esprit-Saint. Ces paroles ont pour but de montrer aussi la vertu de l’Esprit. Comprenez-vous combien ce sacrifice, cette oblation, ces marques sont bien plus admirables, redoutables que ce qui avait paru anciennement ? Quand l’apôtre dit : « Par la parole « et par les œuvres, par la vertu des miracles « et des prodiges », il entend par là, la doctrine, la sagesse du royaume de Dieu, l’établissement d’une vie et d’une conduite toute nouvelle, les morts ressuscités, les démons chassés, les aveugles guéris, les boiteux se mettant à marcher, tous les autres prodiges accomplis en nous par le Saint-Esprit.
Mais ceci n’est encore qu’une assertion dont voici la preuve : le grand nombre des disciples. Voilà pourquoi il ajoute : de sorte que, « depuis Jérusalem, en faisant le tour, jusqu’en Illyrie, j’ai tout rempli de l’Évangile du Christ ». Il fait donc l’énumération, et des villes, et des contrées, et des nations, et des peuples, non seulement de ceux qui obéissent aux Romains, mais encore des tribus soumises aux barbares. Ne vous bornez donc pas, dit-il, à la Phénicie, à la Syrie, à la Cilicie, à la Cappadoce, considérez encore tous les pays plus éloignés, ceux des Sarrasins, des Perses, des Arméniens, de tous les autres barbares. Voilà pourquoi il dit : « En faisant le tour ». Ne vous contentez pas de suivre tout droit le chemin battu, mais parcourez, par la pensée, toute l’Asie méridionale. De même qu’une courte expression lui suffit pour résumer une infinité de miracles, « Par la vertu des miracles et des prodiges », de même, pour embrasser une foule innombrable de villes, de nations, de peuples, de contrées, c’est assez pour lui, de ces mots : « En faisant le tour » ; l’apôtre n’avait aucun orgueil ; son discours n’avait pour but que de les empêcher d’avoir trop bonne opinion d’eux-mêmes. Il commence sa lettre en leur disant : « Pour faire quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations » (Rom. 1,13) ; maintenant dans le passage qui nous occupe, il établit la nécessité où il est d’accomplir son sacerdoce. Comme il avait parlé avec une certaine rudesse, il tenait à leur bien montrer son pouvoir. Voilà pourquoi, dans le commencement de la lettre, il s’est borné à dire : « Comme parmi les autres nations » ; mais ici il développe, il insiste, afin de réprimer par tous les moyens leur orgueil. Et il ne dit pas seulement : De sorte que j’ai prêché l’Évangile, mais : « J’ai tout rempli de l’Évangile du Christ. Et je me suis tellement acquitté de ce ministère, que j’ai eu soin de ne pas prêcher l’Évangile dans les lieux où Jésus-Christ avait déjà été prêché (20) ».
3. Autre excès d’attention, maintenant ; non seulement tant de peuples évangélisés et convertis, mais il a eu soin de ne pas se rendre au milieu des peuples qui avaient déjà reçu la doctrine. 11 est si éloigné de la prétention d’aller se jeter au milieu des disciples des autres, si éloigné de toute poursuite d’une vaine gloire, qu’il n’a de souci que pour instruire ceux qui n’ont encore rien appris. Il ne dit pas : Les lieux où il y avait des fidèles, mais : « Les lieux où Jésus-Christ avait déjà été prêché » ; il y a dans cette expression, une preuve de circonspection poussée plus loin. Et pourquoi tant de précautions ? « Pour ne point bâtir sur le fondement d’autrui ». Ce qu’il dit, pour montrer combien il recherche peu la vaine gloire, et il leur fait entendre par là que s’il s’applique à les instruire, que s’il leur écrit, ce n’est pas pour faire parler de lui, ce n’est pas pour s’attirer leur considération, mais parce qu’il doit remplir son ministère, s’acquitter de son sacerdoce, parce qu’il désire leur salut. Quant à ce qu’il dit de « Ne point bâtir sur le fondement d’autrui », sur un fondement étranger, il n’a point en vue la personne des autres apôtres, ni la nature de leur prédication, mais la considération de la récompense. En effet, les prédications étaient toujours les mêmes, mais ce n’étaient pas les mêmes personnes qui avaient mérité la récompense ; la récompense due au labeur des autres, ce n’était pas à lui à la recevoir.
L’apôtre parle ensuite de l’accomplissement de la prophétie : « Comme il a été écrit : « Ceux à qui il n’avait point été annoncé, verront sa lumière ; et ceux qui n’avaient point encore entendu parler de lui, auront l’intelligence de la doctrine (21) ». Le voyez-vous accourir où il y a plus de labeurs à supporter, de sueurs à répandre ? « C’est ce qui m’a souvent empêché d’aller vers vous (22) » ; réflexion, vous le voyez, qui rappelle, pour finir, le commencement de sa lettre. Il disait en commençant : « J’avais souvent proposé de vous aller voir, mais j’en ai été empêché jusqu’à cette heure » (Rom. 1,13) ; il donne ici la raison qui l’a empêché, et il ne se contente pas de la donner une fois, mais il la répète à plusieurs reprises. De même qu’il disait plus haut : « J’avais souvent proposé de vous aller voir », de même ici : « C’est ce qui m’a souvent empêché d’aller vers vous ». La vivacité de son désir se révèle par ces efforts tentés plus d’une fois. « Mais n’ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer dans ce pays-ci… (23) ». Voyez-vous comme il montre bien que ce n’est pas pour se faire, valoir auprès d’eux qu’il leur écrit, et qu’il veut les aller trouver ? « Et désirant, depuis plusieurs années de vous aller voir, lorsque je ferai le voyage d’Espagne, j’espère vous voir en passant, afin que vous me conduisiez en ce pays-là, lorsque j’aurai un peu joui de votre présence (24) ». Il aurait eu l’air de les mépriser, s’il leur eût dit : c’est parce que je n’ai rien à faire que je me rends auprès de vous ; voilà pourquoi il reprend le langage de l’affection : « Et désirant, depuis plusieurs années, de vous aller voir ». Si j’ai désiré d’aller auprès de vous, ce n’est pas seulement pour occuper mon loisir, mais voilà longtemps que je ressens ce désir, c’est un enfantement de mon cœur, et mon cœur veut être délivré. Maintenant, il ne veut pas, en leur parlant ainsi, exciter leur orgueil ; voyez comme il les rappelle à la modestie : « Lorsque je ferai le voyage d’Espagne, j’espère vous voir en passant ». Ces paroles ont pour objet de les empêcher de s’enorgueillir ; il veut leur montrer de l’affection, mais il ne veut pas enfler leur vanité. Voilà pourquoi il exprime sans cesse la même pensée, avec tout ce qui peut, de part et d’autre, confirmer la charité, ruiner l’orgueil. Voilà pourquoi il fait un second effort afin de prévenir cette pensée qu’il ne les verra qu’en passant, il leur dit : « Afin que vous me conduisiez » ; ce qui signifie : je veux que vous voyiez par vous-mêmes, que je ne vous méprise pas, que c’est la nécessité qui m’entraîne loin de vous. Toutefois ces paroles mêmes pouvaient leur causer quelque tristesse, il adoucit son discours, il ajoute : « Lorsque j’aurai un peu joui de votre présence ». L’expression : « En passant », montre assez qu’il ne tient pas à se faire valoir auprès d’eux ; mais : « Lorsque j’aurai un peu joui », montre le prix qu’il attache à leur affection ; ces paroles prouvent qu’il ne les aime pas d’un amour vulgaire, mais vif et passionné. Voilà pourquoi il ne dit pas seulement : « Joui », mais « un peu joui ». Je ne pourrais jamais jouir assez de manière à me rassasier de votre présence. Voyez-vous comme il prouve son affection ? Quelque pressé qu’il soit, il ne les quittera pas avant d’avoir pu jouir de leur présence. La vivacité de son affection pour eux éclate dans la chaleur de ses expressions. Il ne dit pas : Lorsque je vous aurai vus, mais : « Lorsque j’aurai joui » ; il se sert des mêmes paroles que les pères. Et, au commencement de la lettre, il disait : « Pour faire quelque fruit » ; ici, il se propose de jouir de leur présence ; deux manières de parler qui rendent ce qui l’attire auprès d’eux. La première est, pour eux, un grand éloge, puisque l’apôtre espérait des fruits de leur docilité ; la seconde marque l’affection que Paul ressent personnellement pour les fidèles de Rome. Il écrivait aux Corinthiens : « Afin que vous me conduisiez où je pourrai aller (1Cor. 16,6) ; en toute circonstance, il montre à ses disciples une affection sans égale. C’est toujours de cette manière qu’il commence ses lettres, et il les termine par l’expression du même sentiment.
4. Comme un bon père chérit son fils unique, son enfant à lui, c’est ainsi que Paul chérissait tous les fidèles : Aussi disait-il « Qui est malade sans que je sois malade avec lui ? Qui est scandalisé sans que je brûle ? » (2Cor. 11,29) Ce doit être la, dans celui qui enseigne, la première de toutes les vertus. Voilà pourquoi le Christ disait à Pierre : « Si vous m’aimez, paissez mes brebis ». (Jn. 21,17) Qui aime le Christ, aime aussi son troupeau. Ce qui valut à Moïse d’être mis à la tête des Juifs, c’est la bouté qu’il montra pour eux ; ce qui éleva David à la royauté, ce fut d’abord l’amour qu’il montra pour le peuple. Jeune encore, il s’affligeait de ses douleurs, au point d’exposer sa vie, lorsqu’il abattit ce géant barbare. Quoiqu’il ait dit : « Que donnera-t-on a celui qui tuera cet étranger ? » (1Sa. 17,26), ce qu’il demandait, ce n’était pas la récompense, mais la confiance qui s’en reposerait sur lui, qui le chargerait du combat. Aussi, après la victoire, retourné près du roi, il ne dit pas un mot du salaire. Samuel aussi était plein d’amour pour le peuple, et il disait : « Dieu me garde de commettre ce péché, que je cesse jamais de prier pour vous le Seigneur » ; (1Sa. 12,23) C’est ainsi que se montra le bienheureux Paul ; ou plutôt il surpassait de beaucoup tous les autres par l’ardeur de son amour pour ceux qu’il gouvernait. Aussi les sentiments qu’il inspira pour lui à ses disciples, furent tels qu’il disait d’eux : « S’il eût été, possible, vous vous seriez arraché les yeux, pour me les donner ». (Gal. 4,15) Voilà pourquoi Dieu adresse aux pasteurs des Juifs, des accusations plus sévères qu’à tous les autres, il leur dit : « O pasteurs d’Israël, est-ce que les pasteurs se paissent eux – mêmes ? Est-ce qu’ils ne paissent pas leurs brebis ? » Ces pasteurs faisaient tout le contraire. « Vous mangez le lait », dit-il, « et vous vous couvrez de la laine ; ce qu’il y a de plus gras, vous l’égorgez, et vous ne paissez pas les brebis ». (Ez. 34,2, 3)
Et le Christ formulant la règle du bon pasteur : « Le bon pasteur », disait-il, « donne sa vie pour ses brebis ». (Jn. 10,11) C’est ce que David montra en beaucoup de circonstances, et surtout lorsque la colère du ciel, colère terrible, menaçait tout le peuple ; les voyant tous périr, il disait : « C’est moi qui ai péché ; c’est moi qui suis coupable ; qu’ont fait ceux-ci qui ne sont que des brebis ? » (2Sa. 24,__PAGESEPARATOR__17) Aussi, dans le choix des châtiments suspendus alors sur les têtes, il ne demanda pas la famine, l’épée des ennemis, mais la mort envoyée par Dieu ; il s’attendait à voir ainsi les autres en sûreté, tandis que lui serait frappé le premier de tous. Cette prévision ne se réalisant pas, il pleure, il s’écrie : « Que votre main se tourne contre moi », et si cela ne suffit pas, « et contre la maison de mon père ». Car « c’est moi, dit-il, moi, le pasteur, qui ai péché ». C’est comme s’il disait : Quand même ceux-ci auraient péché, c’est moi qui suis responsable, pour ne les avoir pas redressés ; mais puisque c’est moi qui ai commis le péché, c’est moi qui dois être puni. Pour exagérer sa faute, il prend le nom de pasteur. Voilà comment il apaisa la colère divine, voilà comment il fit révoquer la sentence : tant est grand le pouvoir de la confession : « Le juste s’accuse lui-même le premier (Prov. 18,17) ; voilà jusqu’où s’étend la sollicitude, l’affection compatissante d’un pasteur excellent. Ses entrailles étaient déchirées, quand il voyait tomber ceux en qui il croyait voir mourir ses propres enfants ; voilà pourquoi il demandait que la colère se déchargeât sur sa tête. Dès le commencement de l’extermination, il aurait montré le même cœur, s’il n’avait pas espéré que le fléau viendrait jusqu’à lui. Quand il se vit épargné, quand il vit que le désastre ravageait son peuple, alors il n’y tint plus, il se sentit plus dévoré par la douleur que par la perte d’Ambon son premier-né. En effet, il ne demanda pas pour lui la mort en ce moment, mais maintenant, il veut succomber avant les autres. Voilà ce que doit être le chef, il doit montrer plus d’affliction pour les malheurs des autres que pour ses propres souffrances. Ce qu’il ressentit à l’égard de son fils, c’est pour vous apprendre que ce fils ne lui était pas plus cher que le peuple qui lui était soumis. C’était un libertin, un parricide ; cependant David s’écriait : « Qui me donnera de mourir pour toi ? » (2Sa. 18,33) Que dites-vous, ô bienheureux, ô vous, de tous les hommes le plus clément ? Ce fils a voulu vous tuer, il vous a réduit aux dernières extrémités, et c’est parce qu’il n’est plus, et c’est quand vous triomphez, que vous appelez la mort ? Oui, répond-il ; ce n’est pas pour moi que mon armée a vaincu, je soutiens de plus violents combats qu’auparavant, mes entrailles n’ont jamais été plus déchirées. Autrefois les chefs avaient à cœur les intérêts de ceux qui leur étaient confiés.
5. Le bienheureux Abraham pourvoyait aux intérêts, même de ceux dont il n’était pas chargé, et, dans cette sollicitude, il allait jusqu’à s’exposer à de graves dangers. Il ne s’inquiéta pas seulement des affaires de son neveu, mais, en faveur du peuple de Sodome, il ne cessa de poursuivre les Perses jusqu’à ce qu’il eût arraché d’entre leurs mains ceux qu’ils emmenaient captifs. Il pouvait bien cependant, après avoir retrouvé le fils de son frère, se retirer du pays : ce qu’il ne fit pas, car sa sollicitude pour tous était égale, et la suite de ses actions l’a bien prouvé. Eu effet, quand vint le moment où ce n’étaient plus des armées barbares qui envahissaient le pays, quand la colère divine s’apprêta à détruire de fond en comble les villes coupables, quand le temps des batailles rangées et des combats fit place à la nécessité de la supplication et de la prière, on vit alors Abraham aussi inquiet que si lui-même eût été sur le point de périr. C’est pourquoi, une fois, deux fois, trois fois, plus souvent encore, il supplia le Seigneur, il eut recours à l’humilité, il confessa son néant, il dit : « Je ne suis que poudre et que cendre » (Gen. 18,27) ; et parce qu’il savait que ces hommes se livraient d’eux-mêmes à la colère de Dieu, c’est par la considération des autres qu’il fit effort pour les sauver. Voilà pourquoi Dieu disait : « Pourrais-je cacher à mon serviteur Abraham, ce que je dois faire ? » pour noms apprendre combien le juste a d’amour pour les hommes. Et Abraham n’eût – pas cessé de prier, si Dieu n’eût cessé de parler. Or, il semble qu’Abraham ne prie que pour les justes, mais, en réalité, tous ses efforts étaient pour ces coupables. C’est que les âmes des saints sont toutes remplies de douceur et d’amour, d’amour pour ceux qui leur sont proches, d’amour pour les étrangers, et c’est jusque sur les animaux qu’ils étendent cet amour. Aussi un sage disait-il : « Le juste se met en peine de la vie des bêtes qui sont à lui ». (Prov. 12,10) S’il s’inquiète des animaux, à bien plus forte raison prend-il soin des hommes.
Mais puisque j’ai fait mention des animaux, considérons les pasteurs de brebis de la Cappadoce, que de fatigues ne supportent-ils pas en veillant sur ces animaux ? Souvent, ensevelis sous la neige, ils y restent trois jours de suite. On dit que ceux de l’Afrique ne supportent pas moins de rudes épreuves, parcourant des mois entiers ce triste désert, rempli des monstres les plus sinistres. Si tel est le zèle qu’on montre pour des êtres sans raison, quelle excuse pourrions-nous avoir, nous à qui des âmes raisonnables ont été confiées, de dormir d’un si profond sommeil ? devrions-nous seulement respirer ? devrions-nous prendre le moindre repos ? ne devrions-nous pas, au contraire, courir de tous les côtés, nous exposer à mille morts pour de semblables brebis ? Pouvez-vous ignorer le prix de ce troupeau ? n’est-ce pas pour lui que votre Seigneur a enduré tant et tant de souffrances et a fini par répandre son propre sang ? mais vous, vous cherchez du repos ? eh ! que pourrait-on concevoir de plus indigne que de pareils pasteurs ? Ne savez-vous pas qu’autour de ces brebis rôdent des loups bien plus terribles, bien plus cruels que les loups vulgaires ? ne considérez-vous pas toutes les vertus de l’âme, toutes les qualités nécessaires à qui se charge d’un tel gouvernement ? Les hommes qui sont à la tête des peuples, à qui sont commis des intérêts vulgaires, ajoutent au travail des jours les nuits passées sans sommeil ; et nous, qui luttons pour conquérir le ciel, nous passons le jour même à dormir ! et qui donc saura nous soustraire au juste châtiment d’une pareille conduite ? quand nous devrions nous briser le corps, quand nous devrions mille fois mourir, ne serait-il pas de toute justice à nous de courir comme pour une fête ?
Écoutez mes paroles, non seulement vous, ô pasteurs, mais vous aussi, ô brebis ; les uns, pour devenir plus zélés, plus habiles à embraser les cœurs de bonne volonté, les autres pour devenir plus dociles dans l’obéissance parfaite. C’était là ce que prescrivait Paul : « Obéissez à vos conducteurs, et soyez soumis à leur autorité, car ce sont eux qui veillent pour vos âmes, comme devant en rendre compte ». (Héb. 13,17) Ce mot « veillent » exprime des milliers de fatigues, de soucis, de dangers. Le bon pasteur, tel que le Christ le demande, rivalise avec tous les martyrs. Un martyr ne meurt qu’une fois, mais le pasteur, s’il est du moins ce qu’il doit être, meurt mille fois pour son troupeau ; il n’est pas de jour où la mort ne puisse le frapper. Eh bien donc, vous qui savez ces choses, qui reconnaissez les fatigues qu’il se donne, coopérez avec lui, par vos prières, par votre zèle, par votre ardeur, par votre, affection, afin que nous soyons votre glorification, et que vous deveniez la nôtre. Si Notre-Seigneur a confié son troupeau à ce chef des apôtres qui avait pour lui plus d’amour que tous les autres ensemble, si d’abord le Christ a demandé à Pierre : « M’aimez-vous ? » (Jn. 21,15), c’est pour vous faire comprendre que la sollicitude apostolique est regardée par lui comme le meilleur signe de l’amour qu’on lui porte, car c’est ce qui demande une âme virile. Et maintenant j’ai parlé de ceux qui sont, par excellence, des pasteurs, je n’ai parlé ni de moi, ni de ceux qui nous ressemblent, mais des pasteurs comme Paul, ou Pierre, ou Moïse. Qu’ils soient donc nos modèles à nous qui exerçons ou qui subissons l’autorité ; car le simple fidèle lui-même est comme le pasteur de sa maison, de ses amis, de ses serviteurs, de sa femme, de ses enfants : et, si nous entendons de cette manière l’administration des intérêts qui nous sont confiés, nous obtiendrons tous les biens : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l’empire, l’honneur, appartiennent au Père comme au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXX.

MAINTENANT JE M’EN VAIS A JÉRUSALEM POUR SERVIR AUX SAINTS QUELQUES AUMÔNES, CAR LA MACÉDOINE ET L’ACHAÏE ONT RÉSOLU AFFECTUEUSEMENT DE FAIRE QUELQUE PART DE LEURS BIENS A CEUX D’ENTRE LES SAINTS DE JÉRUSALEM QUI SONT PAUVRES. ILS L’ONT RÉSOLU AFFECTUEUSEMENT, ET, EN EFFET, ILS LEUR SONT REDEVABLES. (XV, 25, 26, 27, JUSQU’À XVI, 4)

Analyse. modifier

  • 1-3. Sur les aumônes que saint Paul allait porter à Jérusalem. – S’il en parle aux Romains, c’est pour les exhorter, avec ménagement, à la charité. – Le mot bénédiction, synonyme d’aumône.- Des saints personnages particulièrement recommandables à cette époque par leur' charité ; de la diaconesse Phébé, de Priscilla et d’Aquilas, faiseurs de tentes, chez qui saint Paul avait logé et travaillé de ses mains.
  • 4. Èloge de Priscilla. – De la lecture des épîtres de saint Paul, et des autres livres de l’Écriture. – Contre le faste, l’orgueil, l’attachement aux richesses.


1. Il a dit, plus haut : « N’ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer davantage dans ce pays-ci, et désirant, depuis plusieurs années, de vous aller voir », et cependant il ne peut pas encore se rendre auprès d’eux ; pour éviter d’avoir l’air de s’être joué d’eux, il leur dit la cause de son retard, et de là ces mots : « Je m’en vais à Jérusalem ». On pourrait croire qu’il ne fait qu’expliquer son retard, mais il a encore un autre but, c’est de les disposer à l’aumône, c’est d’exciter leur charité. Si son zèle ne l’eût pas porté à les exciter à cette vertu, il lui suffisait de leur dire : « Je m’en vais à Jérusalem » ; il fait plus, il leur dit maintenant la cause de son voyage « Je m’en vais », dit-il, « pour servir aux saints quelques aumônes ». Et il insiste, et il raisonne : « Ils leur sont redevables », dit-il, et encore : « Car, si les gentils ont participé aux richesses spirituelles des Juifs, ils doivent aussi faire part de leurs biens temporels ». C’est pour apprendre aux Romains à imiter ceux de la Macédoine et de l’Achaïe. Aussi ne peut-on trop admirer cette habileté de l’apôtre, dans sa minière de conseiller ; il se faisait bien mieux écouter que s’il leur eût donné un conseil direct. Les Romains auraient pu regarder comme un outrage qu’on se fût servi de Corinthiens et de Macédoniens, comme de modèles à leur adresse. L’apôtre ne fait aucune difficulté d’écrire aux Corinthiens : « Il faut que je vous fasse savoir la grâce que Dieu a faite aux Églises de la Macédoine » (2Cor. 8,1) ; d’exciter les Macédoniens, par l’exemple des Corinthiens : « Votre zèle en a excité plusieurs autres ». (Id. 9,2) Les Galates lui servent aussi de terme de comparaison : « Ce que j’ai ordonné aux Églises de Galatie, faites-le de votre côté » (1Cor. 16,1) ; mais, quand il s’adresse aux Romains, ce n’est pas du tout le même style ; l’apôtre a beaucoup plus de ménagements. En ce qui concerne la prédication, même manière de procéder, comme lorsqu’il lui arrive de dire : « Est-ce de vous que la parole de Dieu est sortie ? ou n’est-elle venue qu’à vous seuls ? » (Id. 14,36) C’est que rien n’a autant de force que le zèle de l’émulation. Voilà pourquoi il y revient souvent ; ailleurs encore il dit : « C’est ce que j’ordonne dans toutes les Églises » ; et encore : « C’est ce que j’enseigne dans toute Église ». (Id. 7,17 ; 4, 17) Aux Colossiens, il disait : « L’Évangile de Dieu fructifie et grandit dans le monde entier ». (Col. 1,6) C’est toujours le même système qu’il suit en ce moment, à propos de l’aumône.
Et considérez la grandeur des expressions qu’il emploie ; il ne dit pas : Je m’en vais, emportant des aumônes, mais : « Pour servir aux saints quelques aumônes ». Si Paul se faisait serviteur de l’aumône, considérez la grandeur de cette vertu, voyez le maître, le docteur de toutes les nations, qui veut bien transporter des aumônes, qui, au moment d’aller à Rome, quel que soit son désir de voir les Romains, fait passer ce service avant son plaisir. « Car la Macédoine et l’Achaïe ont résolu affectueusement », c’est-à-dire, ont trouvé bon, ont éprouvé le désir « de faire quelque part… » Il ne dit pas de faire quelque aumône, mais « de faire quelque part… » Ce « quelque » n’est pas mis là sans intention ; l’apôtre ne veut pas avoir l’air de les censurer. Et il ne dit pas simplement : Aux pauvres ; mais : « À ceux d’entre les saints qui sont pauvres » ; deux titres de recommandation, la vertu et la pauvreté. Maintenant, ce n’est pas encore assez, il ajoute : « Ils leur sont redevables ». Ensuite, Paul fait voir comment redevables. « Car, si les gentils ont participé », dit-il, « aux richesses spirituelles des Juifs, ils doivent aussi, dans les biens temporels leur servir leur part ». Voilà ce qu’il veut dire C’est pour les Juifs que le Christ est venu, c’est aux Juifs que toutes les promesses ont été faites, c’est d’eux qu’est sorti le Christ ; aussi disait-il : « C’est des Juifs que vient le salut » (Jn. 4,22), c’est d’eux que sortent les apôtres, c’est d’eux que sortent les prophètes, c’est d’eux que sortent tous les biens. La terre a donc partagé avec eux toutes ces richesses. Donc, si vous avez participé aux biens les plus considérables, dit-il, si vous avez pris votre part des festins préparés pour eux, selon la parabole de l’Évangile, vous devez aussi leur communiquer les biens temporels, et leur réserver aussi une part de ces biens. Et il ne dit pas leur faire leur part, mais « leur servir » ; il en fait des diacres, il en fait des tributaires s’acquittant envers des rois. Et il ne dit pas Dans vos biens temporels, comme il a dit dans leurs richesses spirituelles ; car les richesses spirituelles appartenaient réellement aux Juifs, tandis que les biens temporels n’appartiennent pas seulement aux gentils ; la possession en est commune à tous : en effet l’ordre de Dieu c’est que les richesses soient pour tous, et non seulement pour ceux qui les tiennent en leur pouvoir.
« Lors donc que je me serai acquitté de ce devoir, et que je leur aurai consigné ce fruit (28) », c’est-à-dire, que je l’aurai déposé comme on verse une somme dans les coffres du souverain, comme on met une somme à l’abri des coups de main, dans un lieu sûr ; et il ne dit pas : L’aumône, mais, voyez, encore : « Ce fruit », afin de montrer le profit que font par là ceux qui le donnent : « Je passerai par chez vous pour aller en Espagne ». S’il parle ici de l’Espagne, c’est pour montrer l’empressement de son zèle ardent pour les Espagnols. « Or je sais que mon arrivée auprès de vous sera accompagnée d’une abondante bénédiction de l’Évangile de Jésus-Christ ». Qu’est-ce à dire « d’une abondante bénédiction ? (29) ». Ou il parle d’argent versé en aumônes, ou il n’entend parler simplement que de toutes les bonnes œuvres. L’habitude de l’apôtre est d’exprimer souvent l’aumône par le mot de bénédiction ; exemple que ce soit un don « de la bénédiction, et non de l’avarice ». (2Cor. 9,5) C’était anciennement le terme usité pour dire l’aumône. Mais comme il ajoute : « De l’Évangile », nous croyons qu’il n’entend pas ici parler uniquement d’argent, mais, en même temps, de tous les autres biens, comme s’il disait : Je sais qu’en arrivant je vous verrai riches de tous les biens, parés de toutes les vertus, dignes de louanges sans nombre selon l’Évangile. Et c’est une admirable manière de conseiller que de débuter avec eux par des éloges anticipés. Ne voulant pas user à leur égard d’une exhortation directe, il a recours à ce moyeu insinuant pour les avertir : « Je vous conjure donc, par Notre Seigneur Jésus-Christ, et par la charité du Saint-Esprit (30) ».
2. Ici maintenant, il met en avant le Christ et le Saint-Esprit, sans faire aucune mention du Père. Ce que je vous fais observer, afin que quand vous le verrez nommer le Père et le Fils, ou le Père seulement, vous ne vous imaginiez pas qu’il exclut ni le Fils, ni l’Esprit. Et il ne dit pas : Par le Saint-Esprit, mais : « Par la charité du Saint-Esprit ». Car de même que le Christ, de même que le Père a aimé le monde, ainsi fait le Saint-Esprit. Mais de quoi nous conjurez-vous, répondez ? « De combattre avec moi par les prières que vous ferez à Dieu pour moi, afin que je sois délivré des incrédules qui sont en Judée (31) ». Il avait donc, il faut le croire, une grande lutte à soutenir ; voilà pourquoi il a recours à leurs prières. Et il ne dit pas. Afin que je me mesure avec les incrédules, mais : « Afin que je sois délivré » ; c’est conforme au précepte du Christ : « Priez, pour ne pas entrer en tentation ». (Mt. 20,41) Ces paroles avaient pour but de montrer que des loups cruels, que des êtres qui ressemblaient plus à des bêtes féroces qu’à des hommes, voulaient se jeter sur lui. Paul avait encore une autre pensée ; il veut prouver que c’est avec raison qu’il s’est fait de cette manière le serviteur des saints, si le nombre des incrédules était si grand que des prières fussent nécessaires pour l’en délivrer. Au milieu de tant d’ennemis, les saints étaient exposés à mourir de faim ; de là, la nécessité de leur procurer des vivres venant d’ailleurs. « Et que les saints de Jérusalem reçoivent favorablement mon service et mes soins » ; c’est-à-dire, et que mon sacrifice soit bien accueilli, que mes dons leur soient agréables. Voyez-vous comme il relève maintenant la dignité de ceux qui reçoivent, puisqu’il réclame les prières d’un si grand peuple, pour que ses dons soient reçus ? Il montre en outre, par ces paroles, une autre pensée, à savoir que l’aumône toute seule ne suffit pas. Quand ou ne donne due parce que l’on y est forcé, quand on donne ce qui est mal acquis, quand on se propose une vaine gloire, le fruit est perdu.
« Et que je sois plein de joie, quand j’irai auprès de vous, si c’est la volonté de Dieu (32) ». De même qu’il disait eu commençant : « Que je trouve enfin quelque voie favorable, si c’est la volonté de Dieu, pour aller vers vous » (Rom. 1,10) ; de même ici, c’est sous la même volonté qu’il s’abrite, et il dit : Je me hâte, je prie pour être délivré des dangers de Jérusalem, afin de vous voir au plus vite, et de vous voir remplis de joie, sans y trouver aucun motif d’affliction. « Et que je goûte le repos avec vous ». Voyez encore ici quelle modestie il montre. Il ne dit pas : Et que je vous instruise, que je vous donne des règles de vie, mais : « Et que je goûte le repos avec vous ». Or c’était un athlète infatigable ; comment donc peut-il dire : « Que je goûte le repos ? » Il fait entendre des paroles qui leur soient agréables, qui relèvent leurs courages, qui les associent à ses couronnes, qui les montrent, eux aussi, prenant leur part des combats et des sueurs. Ensuite, selon son habitude, il joint la prière à l’exhortation, il dit : « Que le Dieu de paix soit avec vous tous ». Amen. « Je vous recommande notre sœur Phébé, diaconesse de l’Église de Cenchrée ». (16,1) Voyez quel honneur il lui fait ; il la nomme avant tous les autres, et il l’appelle sueur ; ce n’est pas un honneur vulgaire, que d’être appelée sœur de Paul. Et il joint encore à ce titre une dignité ; il l’appelle diaconesse. « Afin que vous là receviez dans le Seigneur, comme il est digne de recevoir les saints (2) ». Ce qui veut dire : afin qu’en considération du Seigneur, elle soit honorée auprès de vous. En effet, celui qui reçoit, en considération du Seigneur, supposé même qu’il ne reçoive pas un personnage considérable, le reçoit avec empressement ; or, quand il arrive que c’est une sainte, considérez de quels soins il convient de l’entourer. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute « Comme il est digne de recevoir les saints », comme le devoir commande d’accueillir de telles personnes. Or, vous devez l’honorer pour deux raisons, et à cause du Seigneur, et parce que c’est une sainte. « Et que vous l’assistiez dans toutes les choses où elle pourrait avoir besoin de vous ». Voyez-vous comme il tient à ne pas être importun ? Il ne dit pas : Et que vous la mettiez à son aise, mais : Et que vous fassiez ce qui dépend de vous, et que vous lui tendiez la main, et cela, dans les circonstances où elle pourrait avoir besoin de vous, non pas absolument dans tous ses embarras, mais seulement lorsque votre aide lui serait nécessaire ; or elle n’aura besoin de vous qu’autant que vous pourrez l’obliger. Ensuite vient un éloge incomparable : « Car elle en a assisté elle-même plusieurs, et moi en particulier ». Comprenez-vous la prudence de l’apôtre ? Pour commencer, des éloges ; ensuite, au milieu, l’exhortation ; ensuite, de nouveaux éloges ; il enferme, des deux côtés, les services auxquels a droit cette bienheureuse femme dans les louanges qu’il fait d’elle. Comment refuser le nom rte bienheureuse à celle femme qui a mérité de la part de Paul un si beau témoignage, qui a été à même d’assister celui qui a instruit la terre ? Car voilà ce qui a mis le comble à sa gloire ; aussi l’apôtre n’énonce-t-il ce litre qu’en dernier lieu : « Et moi, en particulier ». Qu’est-ce à dire : « Et moi en particulier ? » Moi, le héraut des nations, moi qui ai souffert tant d’épreuves, moi qui suffis à tant de milliers d’hommes. Imitons donc cette sainte, imitons-la, hommes et femmes, et imitons, après elle, cette autre sainte que nous allons voir avec sou mari. Quel est ce couple ? « Saluez », dit-il, « de ma part, Priscilla et Aquilas, qui ont travaillé avec moi, en Jésus-Christ (3) ». Luc aussi témoigne de leur vertu, par ces paroles : « Paul demeura auprès d’eux, parce que leur métier était de faire des tentes » ; c’est dans le chapitre où Luc montre cette sainte femme retirant chez elle Apollon et l’instruisant de la voie du Seigneur. (Act. 18,2, 3)
3. Voilà de grands titres, mais Paul leur en décerne de bien plus grands encore. Car que dit-il ? D’abord, ils ont, dit-il, travaillé avec lui ; ses fatigues inouïes, ses dangers, l’apôtre montre qu’ils les ont partagés. Ensuite il ajoute : « Qui ont exposé leur tête, pour me sauver la vie (4) ». Voyez-vous les martyrs prêts à tout ? Évidemment, sous Néron, les fidèles couraient mille dangers, il avait donné l’ordre d’expulser de Rome tous les Juifs. « Et à qui je ne suis pas le seul qui soit obligé, mais encore toutes les Églises des gentils ». Il fait entendre ici l’hospitalité reçue avec des secours en argent, et il les exalte parce qu’ils lui auraient donné tout leur sang, tout ce qu’ils avaient. Voyez-vous ces femmes généreuses, dont le sexe n’embarrasse nullement l’essor qui les transporte à la plus haute vertu ? Et il n’y a là rien de surprenant : « Car, en Jésus-Christ, il n’y a ni homme ni femme ». (Gal. 3,28) Et maintenant, ce que Paul a dit de Phébé, il le dit également de celle-ci : ses paroles, à propos de la première, étaient : Elle en a assisté plusieurs, et moi, « en particulier » ; à propos de la seconde, écoutez : « À qui je ne suis pas le seul qui soit obligé, mais encore toutes les Églises des gentils ». Et pour ne pas paraître faire entendre une flatterie, il produit d’autres témoins qui sont bien plus considérables en nombre que ces femmes. « Saluez aussi l’Église qui est dans leur maison ».
C’étaient de si saintes personnes, qu’elles faisaient, de leur maison, une Église, et parce qu’elles rendaient fidèles tous ceux qui la fréquentaient, et parce qu’elles l’ouvraient à tous les étrangers. L’apôtre ne prodigue pas aux demeures particulières le nom d’Églises, il veut que la piété, il veut que la crainte de Dieu y soit profonde, enracinée. Voilà pourquoi il disait aussi aux Corinthiens, « Saluez Aquilas et Priscilla, avec l’Église qui est dans leur maison » (1Cor. 16,19) ; et, dans la lettre où il recommande Onésime : « Paul à Philémon et à notre bien-aimée Appie, et à l’Église qui est dans votre maison ». (Phm. 1,1, 2) On peut être marié, et montrer de grandes vertus. Voyez, ces personnes étaient mariées, leurs vertus les faisaient briller, quoique leur profession fût peu brillante, ce n’étaient que des faiseurs de tentes ; leur vertu relève l’humilité de leur condition, et les a rendus plus éclatants que le soleil ; ni leur profession, ni le joug du mariage ne leur a porté de préjudice, ils ont montré cette charité que Jésus-Christ a réclamée de nous : « Personne en effet », dit-il, « ne peut avoir un plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis ». (Jn. 15,13) Ce qui est le caractère distinctif du disciple, ils l’ont glorieusement montré ; ils ont pris la croix et ont suivi la route. Ceux qui ont fait cela pour Paul ont bien plus encore montré leur courage pour Jésus-Christ.
Écoutez ces paroles, riches et pauvres. Si les ouvriers qui vivent de leurs mains, qui ont à conduire un atelier, ont montré une générosité si large, qu’ils, ont été utiles à un grand nombre d’Églises, quelle pourrait être l’excuse des riches qui méprisent les pauvres ? Ces fidèles n’ont pas même épargné leur sang dans leur désir de se rendre agréables à Dieu ; et vous, vous épargnez des biens sans valeur qui souvent vous font négliger votre âme. Mais, peut-être, ils se sont ainsi conduits envers le maître, mais, envers les disciples, ils n’agissaient pas de même ? Il est impossible de tenir un pareil discours : les Églises des gentils, dit l’apôtre, leur rendent des actions de grâces. Sans doute, c’étaient des Juifs ; pourtant leur foi était si sincère qu’ils se mettaient avec un zèle ardent au service des gentils. Tel doit être l’exemple des femmes : « Ni frisures, ni or, ni habits somptueux » (1Tim. 2,9) ; qu’elles se parent de semblables vertus.
Quelle reine, répondez-moi, a jamais brillé d’un si vif éclat, a mérité un si bel éloge que cette femme d’un faiseur de tentes ? Elle est dans toutes les bouches, non seulement pour dix ou vingt ans, mais jusqu’à l’avènement du Christ, et tous les discours qui la glorifient lui font une parure plus belle qu’un diadème impérial. Quelle gloire supérieure, quelle gloire égale à la gloire d’avoir assisté Paul, d’avoir, en s’exposant aux périls, sauvé le maître de la terre ? Réfléchissez, voyez de combien de reines les noms sont passés sous silence ; mais partout on célèbre l’épouse de l’artisan ; tous les lieux que le soleil éclaire entendent l’éloge de cette femme : les Perses, les Scythes, les Thraces, les peuples qui habitent aux extrémités du monde, célèbrent la vertu de cette femme, et là proclament bienheureuse. Quelles richesses, combien de diadèmes et de manteaux de pourpre ne jetteriez-vous pas volontiers sous vos pieds pour attacher à votre nom un pareil témoignage ? Et impossible de dire qu’ils ont tenu cette conduite alors, au milieu des dangers, qu’ils ont été généreux parce qu’ils étaient riches, mais qu’ils étaient indifférents à la prédication ; c’est précisément à cause de leur zèle pour l’Évangile que l’apôtre dit : Ils ont coopéré, ils ont travaillé avec moi. Et Paul ne craint pas de dire qu’une femme a travaillé à son œuvre ; Paul, ce vase d’élection va jusqu’à se glorifier de son assistance ; il ne regarde pas le sexe, c’est la volonté généreuse qu’il couronne. Quelle parure égalerait cette parure ? Parlez-moi maintenant de vos richesses fragiles, fugitives, de votre beauté, de vos ornements, de votre gloire frivole ! Apprenez donc que la beauté d’une femme, ce n’est pas son corps qui la lui donne, c’est l’âme qui s’embellit d’une beauté impérissable, qu’on ne dépose pas dans un coffre, qui s’épanouit pour toujours dans le ciel.
4. Voyez les labeurs qu’ils acceptent pour la prédication, la couronne qu’ils conquièrent parle martyre, leur générosité quant à l’argent, leur charité à l’égard de Paul, leur amour pour le Christ ; comparez, femme chrétienne, cette conduite à la vôtre, à votre – passion pour l’argent, à votre émulation pour les femmes perdues, à cette idolâtrie d’une chair qui n’est qu’un peu d’herbe ; vous verrez mieux alors quels étaient ces personnages, et qui vous êtes. Ou plutôt, ne vous contentez pas de comparaisons, imitez cette femme, jetez bas cette charge d’herbes sans valeur (c’est ainsi qu’il faut appeler votre magnificence dans vos ajustements), revêtez-vous des parures du ciel, et apprenez ce qui a fait Priscilla ce qu’elle était, ainsi que son mari. Donc, qui les a faits ce qu’ils ont été ? L’hospitalité de deux ans qu’ils ont donnée à Paul ; cette durée de deux ans, quel travail n’a-t-elle pas opéré dans leur âme ? Mais, dira-t-on, que puis-je faire moi qui n’ai pas ce même Paul ? Il ne tient qu’à vous de le posséder mieux encore ; ce n’est pas la vue de Paul qui les a ainsi façonnés, ce sont ses discours. Il ne tient qu’à vous d’entendre et Paul, et Pierre, et Jean et tout le chœur des prophètes, sans qu’aucun y manque, avec les apôtres, de vous en faire une société qui ne vous quitte jamais. Prenez les livres de ces bienheureux, conversez toujours avec leurs écrits, ils pourront vous édifier à la ressemblance de cette femme du faiseur de tentes. Mais à quoi bon vous parler de Paul ? Si vous voulez, vous posséderez le Maître lui-même, le Maître de Paul ; par la langue de Paul, c’est lui-même qui conversera avec vous. Et vous avez encore un autre moyen de le recevoir, c’est de recevoir les saints, c’est de mettre vos soins au service de ceux qui croient en lui ; c’est ainsi que, même après leur départ, vous posséderez des souvenirs de piété. Car il suffit d’une table où le saint a mangé, d’une chaise où il s’est assis, d’un lit où il a couché, pour toucher le cœur de celui qui l’a reçu, même après le départ de l’homme saint.
Vous faites-vous bien l’idée de ce qui touchait le cœur de l’antique Sunamite, entrant dans cette chambre d’en haut, où logeait Élisée, à la vue de la table, à la vue du lit où dormait cet illustre saint ? Quels sentiments de piété ne retirait-elle pas d’un pareil spectacle ? Non, elle n’y aurait pas jeté le corps de son fils sans vie, s’il en eût été autrement, si elle n’en eût recueilli une grande utilité. Si nous-mêmes, lorsque nous pénétrons, après un si long espace de temps, dans les lieux ou Paul séjournait, où il était chargé de fers, où il s’asseyait et discourait, nous nous sentons transportés, comme sur des ailes, perdant de vue ces lieux mêmes vers la mémoire de ces jours si glorieux, représentez-vous les faits encore récents, quelle émotion ne devaient pas éprouver les pieux fidèles qui lui donnaient l’hospitalité ? Donc, sous l’empire de ces pensées, recevons les saints, afin que notre demeure devienne resplendissante, que toutes les épines en disparaissent, que notre maison soit un port de salut ; recevons-les, et lavons leurs pieds. Tu n’es pas, qui que tu sois, ô femme, tu n’es pas supérieure à Sara, ni de plus haute naissance, ni plus riche, quand tu serais une reine. Elle avait trois cent dix-huit serviteurs, Sara, dans un temps où deux domestiques faisaient dire d’un homme : il est riche. Et à quoi bon vous parler de ces trois cent dix-huit serviteurs ? La terre entière appartenait à sa race, en vertu des promesses, elle avait pour époux, l’ami de Dieu, elle avait Dieu lui-même pour protecteur, honneur qui surpasse toutes les royautés. Eh bien ! à ce faîte resplendissant de gloire, elle-même mélangeait la farine ; rendait de ses propres mains tous les autres services, et envers les hôtes assis à sa table, elle remplissait l’office d’une servante. Tu n’es pas, ô homme, de meilleure noblesse qu’Abraham, qui faisait les fonctions des serviteurs, après ses glorieux trophées, après ses victoires, après avoir reçu tant d’honneurs du roi d’Égypte, après avoir, chassé devant lui les rois de Perse, après avoir dressé les trophées de ses faits d’armes éclatants. Et ne considérez pas l’aspect mi>érable des saints qui sont portés vers vous, des mendiants, des malheureux en haillons, pour la plupart ; rappelez-vous la parole qui vous dit : « Autant de fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi-même que vous l’avez fait » ; et : « Ne méprisez aucun de ces petits, parce que leurs anges voient sans cesse la face de notre Père qui est dans les cieux » (Mt. 25,40 ; 18, 10) ; recevez-les avec joie. ; leurs saluts de paix vous apportent des biens en foule.
En même temps que vous méditez sur Sara, voyez aussi Rébecca ; elle puisait de l’eau, elle donnait à boire, elle invitait l’étranger à entrer dans sa demeure, elle foulait tout orgueil à ses pieds ; aussi a-t-elle reçu les grandes récompenses de son hospitalité. Il ne tient qu’à vous d’en recevoir de plus grandes encore. Car ce n’est pas seulement un fils que Dieu vous donnera pour récompense, mais le ciel, et tous les biens qu’il renferme, et plus de géhenne à redouter, plus de péchés à expier ! Il est grand, n’en doutez pas, il est d’une grandeur incomparable, le fruit de l’hospitalité.
C’est ainsi que Jéthro ; tout barbare qu’il était, eut pour gendre celui qui commandait à la mer avec tant d’autorité ; ses filles, dans leurs filets, prirent cette proie si digne d’être enviée. Réfléchis, ô femme, à ces vieilles histoires, médite sur lés vertus viriles des femmes d’autrefois, et foule donc aux pieds le faste présent, et les parures, et la toilette, et toutes les dorures, avec tous tes parfums ; loin de toi la nonchalance, la lâche délicatesse, le calcul dans les allures du corps et dans la démarche, toutes ces préoccupations de la chair, applique-les à ton âme, et allume dans ton âme le désir du ciel. Une fois brûlante de cet amour, tu reconnaîtras ce qui n’est que boue et fumier, tu tourneras en dérision ce que tu admires maintenant ; il n’est pas possible qu’une femme embellie des perfections spirituelles recherche ce qui ne mérite que les rires du mépris. Rejetant donc, ô femme, loin de toi, ce qui ne charme que les femmes des places publiques, ce qui fait la joie des sauteuses et des joueuses de flûte, fais ta vie de l’hospitalité, des services à rendre aux saints, de la componction du cœur, de l’assiduité dans les prières. Voilà ce qui vaut mieux que des vêtements d’or, voilà ce qui est plus digne de nos respects que des pierreries et que des colliers ; voilà ce qui fait la considération auprès des hommes, et ce qui assure de la part de Dieu, une magnifique récompense. Voilà la parure de l’Église, l’autre est pour les théâtres ; voilà ce qui convient au ciel ; l’autre est bonne pour des chevaux et pour des mulets ; cette autre, on la met jusque sur des corps morts, la parure dont je parle, elle brille, mais seulement dans l’âme juste, de tout l’éclat du Christ qui réside en elle. Sachons donc mettre la main sur cette parure, afin d’être partout, nous aussi, célébrés et glorieux, afin d’être agréables à Jésus-Christ, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXI. modifier


SALUEZ MON CHER ÉPÉNÉTE, QUI A ÉTÉ LES PRÉMICES DE L’ASIE, POUR JÉSUS-CHRIST. (XVI, 5, JUSQU’À 16)

Analyse. modifier

  • 1.3. De l’utilité de l’étude des noms propres dans l’Écriture Sainte. – Sur Epénéte, Marie et les saintes femmes des temps apostoliques ; Andronigne et Junie, parents de saint Paul et captifs avec lui ; Amplias, Urbain, Slachys, Apelle, la famille d’Aristobule, Hérodion, la maison de Narcisse, Tryphène et Tryphose, Perside, Rufus et sa mère, et autres saints personnages, hommes et femmes ; détails divers.
  • 4 et 5. Réflexions sur la considération dont saint Paul était entouré. – De l’inégalité des rangs dans le ciel. – De l’inégalité dans les mérites des hommes dont parle l’Écriture. – De l’inégalité des châtiments. – Dans quel lieu et la géhenne. – Il est bien moins important de le savoir que d’éviter d’y tomber. – Contre l’indifférence à ce sujet. – Pourquoi résister à la bonté du Dieu qui veut notre salut ?


1. Un grand nombre, même des personnes jalouses de bien faire, passeront, j’imagine, cette partie de l’épître, comme inutile, et sans grand intérêt ; c’est précisément ce qu’elles font, je pense, de la généalogie qui se trouve dans l’Évangile ; en effet, comme il n’y a là qu’un catalogue de noms propres, elles ne croient pas y trouver grand profit. Cependant ceux qui cherchent l’or, en ramassent minutieusement les plus petites parcelles, et les personnes dont je parle négligent des lingots d’un or si précieux. Il suffira de ces quelques paroles pour prévenir cette indifférence, et les corriger. La grande utilité que présente ici l’épître, est manifeste par ce que nous avons dit plus haut ; ces divers saluts ont déjà élevé vos âmes ; et, aujourd’hui encore, nous allons essayer d’extraire l’or de ce passage. Des noms qui ne sont rien en apparence, renferment quelquefois un trésor. Si vous comprenez pourquoi Abraham a reçu ce nom, et, de même pour Sara, pour Israël, pour Samuel, vous apprendrez, du même coup, un grand nombre de faits de l’histoire. Ces circonstances de temps et de lieu vous fourniront aussi leurs enseignements. Avec de la bonne volonté, on trouve là des moyens de s’enrichir ; le négligent ne tire aucun profit même des leçons les plus claires. Ainsi le goal d’Adam est tout un enseignement de haute sagesse, et il en faut dire autant, du nom de son fils, du nom de sa femme, et de beaucoup d’autres. En effet, les noms sont des monuments d’une grande éloquence ; ils témoignent des bienfaits de Dieu et de la reconnaissance des femmes ; elles conçoivent par la grâce de Dieu répandue sur elles, et ensuite elles donnent, elles donnaient ainsi autrefois des noms à leurs enfants.
Mais à quoi bort discourir en ce moment sur des noms, lorsque nous négligeons tant et de si précieuses pensées, lorsque tant de personnes ne connaissent même pas les noms des livres saints ? Toutefois, ce n’est pas pour nous une raison d’abandonner cette étude : « Vous « deviez », dit la parabole, « mettre votre argent entre les mains des banquiers ». (Mt. 25,27). Aussi, quand personne ne devrait nous entendre, voulons-nous faire notre devoir, montrer qu’il n’y a rien d’inutile, rien de livré au hasard dans les Écritures. Si les détails où il entre n’avaient pas leur utilité, l’apôtre ne les aurait pas ajoutés à sa lettre, Paul n’aurait pas écrit ce qu’il a écrit. Mais il y a des hommes tellement engourdis, lâches, indignes du ciel, que ce ne sont pas seulement des noms, mais des livres tout entiers qu’ils regardent comme superflus, ainsi le Lévitique, le livre de Josué et plusieurs autres. C’est ainsi que l’Ancien Testament a été rejeté par un grand nombre d’insensés, et, s’avançant plus encore dans cette voie détestable, des hommes en délire ont été jusqu’à mutiler, en grande partie, le Nouveau Testament. Mais ce sont des malheureux adonnés à l’ivresse, vivant dans la chair ; nous n’avons pas à en tenir compte ; s’il est des amis de la vraie sagesse, des âmes amoureuses des choses spirituelles, écoutez ; ce qui semble le moins relevé dans l’Écriture n’y est pas jeté au hasard et sans utilité, les plus vieux récits ont une importance considérable. « Toutes ces choses sont des figures », dit l’Apôtre, « et elles ont été écrites pour notre instruction ». (1Cor. 10,11) Aussi disait-il à Timothée : « Appliquez-vous à la lecture, et à l’instruction » (1Tim. 4,13), pour le porter à la lecture de l’Ancien Testament, parce qu’il voyait d’ailleurs en lui, un homme que l’Esprit vivifiait, qui ressuscitait les morts. Appliquons-nous donc à notre sujet. « Saluez mon cher Epénète ». On peut voir ici, la diversité des éloges que Paul fait de chacun. Ce n’est pas un mince éloge, au contraire, c’est le plus glorieux, c’est celui qui montre le mieux la vertu d’un fidèle que d’être aimé de ce Paul, qui n’aimait pas par entraînement, mais par choix. Autre éloge maintenant : « Qui a été les prémices de l’Achaïe ». Paul entend par là qu’avant tous les autres Epénète s’est élancé dans la voie nouvelle, acceptant la foi, ce qui n’est pas un mince éloge, ou il veut dire que sa piété surpasse celle de tous les autres. Aussi, après avoir dit : « Qui a été les prémices de l’Achaïe », Paul ne s’arrête-t-il pas là ; mais pour empêcher qu’on ne soupçonnât une gloire selon le monde, il ajoute : « Pour Jésus-Christ ». En effet si, dans le gouvernement des États, celui qui entreprend te premier une grande affaire, a pour lui le mérite, la gloire, à bien plus forte raison en est-il de même en ce qui concerne les affaires du Seigneur. On peut croire qu’Epénète était d’une basse naissance, et Paul marque de lui, ce qui constitue vraiment la naissance, la prééminence, et c’est par là qu’il le décore. Et ce n’est pas de Corinthe seulement, mais de la province tout entière qu’il le nomme les prémices, il a été comme la porte, le vestibule par où les autres sont entrés. La récompense des hommes qui lui ressemblent, n’est pas à dédaigner ; un pareil homme récoltera un fruit précieux, même des vertus des autres, juste récompense du grand service par lui rendu aux premiers jours.
« Saluez Marie, qui a beaucoup travaillé a pour vous (6) ». Qu’est-ce à dire ? Encore une femme couronnée, célébrée, encore un motif de confusion pour nous, qui nous nommons des hommes. Je me trompe, ne nous contentons pas de rougir ; rougissons, et soyons fiers ; soyons fiers d’avoir auprès de nous de telles femmes ; rougissons d’être si loin de les égaler, nous, qui nous nommons des hommes. Mais, du moment que nous aurons compris d’où leur vient cet éclat de beauté, nous aussi nous ne serons pas longtemps à les dépasser. D’où leur vient donc l’éclat dont elles brillent ? Écoutez, hommes et femmes ; les bracelets, les colliers, les eunuques, les servantes, les vêtements d’or n’y sont pour rien ; elles ne doivent rien, ces femmes, qu’aux sueurs qu’elles ont répandues pour la vérité. « Qui a », dit-il, « beaucoup travaillé pour nous » ; non seulement pour elle, pour perfectionner sa propre vertu, ce que font beaucoup de femmes, jeûnant, couchant sur la dure, mais, de plus, travaillant pour les autres, courant par le monde comme les apôtres, comme les évangélistes. Mais alors d’où vient que Paul dit « Je ne permets point à la femme d’enseigner ? » (1Tim. 2,12) Il ne veut pas qu’elle préside au milieu des docteurs, il ne veut pas qu’elle monte en chaire, mais il ne lui interdit pas d’enseigner. Autrement, comment aurait-il dit à la femme dont le mari est infidèle : « Que sais-tu, ô femme, si tu ne sauveras pas ton mari ? ». (1Cor. 7,16) Comment lui aurait-il permis de former l’esprit de ses enfants ? comment aurait-il dit : « Elle se sauvera néanmoins par les enfants qu’elle aura mis au monde, s’ils persévèrent dans la foi, dans la charité, dans la sainteté de la sagesse ? » (1Tim. 2,15) Comment Priscille a-t-elle instruit Apollon ? (Act. 18,26) L’apôtre n’a donc pas voulu supprimer les entretiens secrets, les conversations particulières utiles, niais les discours publics, les harangues, sur un théâtre, l’enseignement qui ne sied qu’aux maîtres et aux docteurs. Et quand le mari est fidèle, solide dans la foi, capable d’instruire sa femme, de lui communiquer la sagesse, il ne lui interdit pas, à lui non plus, d’instruire sa femme et de la redresser. Remarquez d’ailleurs que Paul n’a pas dit : Qui a beaucoup enseigné, mais : « Qui a beaucoup travaillé » ; ces paroles montrent que Marie, outre ses bonnes paroles, rendait une foule d’autres services, par les dangers qu’elle courait, par ses secours en argent, par ses voyages.
2. C’est qu’il y avait, à cette époque, des femmes, des lions, plus ardentes encore, qui prenaient, avec les apôtres, leur part des fatigues de la prédication ; pour ce motif, elles voyageaient avec eux, et elles leur rendaient toute espèce de services. Le Christ aussi était suivi de femmes qui pourvoyaient à ses besoins, par leurs ressources, et qui étaient au service du Maître. « Saluez Andronique et Junte, mes parents (7) ». Ces paroles aussi paraissent un éloge, mais ce qui suit l’est bien plus encore. Qu’ajoute-t-il donc ? « Qui ont été compagnons de mes liens » ; voilà la plus insigne des couronnes, la gloire qu’on ne peut trop célébrer.
Mais où donc Paul a-t-il été prisonnier, de manière à pouvoir dire : « Qui ont été compagnons dé mes liens ? » Il n’avait pas été prisonnier, mais il avait souffert des traitements bien plus rigoureux que dans les prisons, non seulement loin de sa patrie et de sa famille, mais luttant contre la faim, contre une mort qui le menaçait toujours, contre d’autres périls innombrables. Il n’y a d’affreux pour le prisonnier que d’être loin des siens, et souvent esclave, au lieu de vivre en liberté ; mais les épreuves tombaient comme les eaux du ciel sur ce bienheureux Paul, entraîné, violemment promené en tout lieu, fouetté, mis aux fers, lapidé, englouti dans les flots, assailli de milliers d’ennemis. Les prisonniers, une fois qu’on les a emmenés, n’ont plus à redouter la haine ; ceux qui les ont saisis, pourvoient à leurs besoins : mais Paul était sans relâche tourmenté par tous les ennemis qui l’environnaient de toutes parts ; de toutes parts il voyait les lances dirigées contre lui, les épées aiguisées, partout des combats tout prêts, des batailles. Donc il faut croire que ces saints personnages avaient partagé ses périls, et voilà pourquoi l’apôtre les appelle compagnons de ses liens ; c’est ainsi qu’il dit, dans un autre passage : « Aristarque, compagnon de mes liens ». (Col. 4,10) Autre éloge maintenant : « Qui sont considérables entre les apôtres ». Or c’était certes déjà une assez grande gloire que d’être au rang des apôtres ; mais être ; parmi eux, considérables, essayez de comprendre tout ce qu’il y a là de glorieux ! Considérables, par leurs œuvres, par leurs vertus. Ah ! quelle ne dut pas être la sagesse de cette femme, si elle fut jugée digne d’être mise au rang des apôtres ! Et Paul ne s’arrête pas encore là, il ajoute encore un autre titre : « Et qui ont été avant moi en Jésus-Christ ». C’était, en effet, là encore un éloge insigne, d’avoir pris son élan le premier, d’être arrivé avant les autres. Voyez cette âme sainte, comme elle est pure de toute vaine gloire ! Ce Paul qui a conquis une gloire si éclatante, et quelle espèce de gloire ! il met les autres au-dessus de lui-même, il ne veut pas qu’on ignore qu’il n’est venu qu’après eux, il ne rougit pas de cette confession. Et à quoi bon admirer ici sa confession, lorsqu’on le voit flétrir sans hésiter sa vie première, se donner les noms de blasphémateur, de persécuteur du Christ ? Donc, dans l’impossibilité où il se trouve de produire des titres qui leur donnent d’ailleurs la supériorité sur lui, il s’en prend à ce fait qu’il est venu après eux, il y voit un moyen de leur composer un éloge, et il dit : « Et qui ont été avant moi, en Jésus-Christ. Saluez mon cher Amplias (8) ».
Encore un personnage pour qui l’affection de Paul est un éloge ; car l’affection de Paul, toute en Dieu, suppose des vertus sans nombre. S’il est glorieux d’être aimé d’un roi, quel titre que d’être aimé de Paul ! Assurément ce n’est pas sans avoir prouvé une grande vertu, qu’Amplias s’est concilié un tel attachement. L’apôtre n’hésite pas non seulement à priver de son amour, mais à frapper d’anathème ceux dont la vie est mauvaise ; c’est ainsi qu’il s’écrie : « Si quelqu’un n’aime point Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème » (1Cor. 16,12) ; et encore : « Si quelqu’un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ». (Gal. 1,8) – « Saluez Urbain, qui a travaillé avec moi, en Jésus-Christ (9) ». Cet éloge est plus éloquent que l’éloge qui précède, le dernier, en effet, comprend l’autre. « Et mon cher Stachys », encore la même couronne. « Saluez Apelle, éprouvé en Jésus-Christ (10) ». Éloge que rien n’égale ; voilà un homme irréprochable, ne laissant aucune prise à la réprimande, en ce qui concerne le service de Dieu. « Éprouvé en Jésus-Christ », c’est tout dire, c’est toute la vertu, en résumé. Et pourquoi l’apôtre ne dit-il nulle part, mon seigneur un tel, mon maître ? C’est que les éloges qu’il donne sont bien autrement expressifs ; ces termes qu’il n’emploie pas, n’expriment que la considération ; les paroles de l’apôtre rendent témoignage de la vertu. Et, dans ces pensées, Paul ne prodigue pas indifféremment ses marques d’honneur, il a soin de mêler un grand nombre de personnes, d’un rang inférieur, aux personnages élevés et puissants. En les nommant, en les saluant tous ensemble, et cela dans la même épître, il les associe tous également à l’honneur qu’il leur fait ; d’ou autre côté en décernant à chacun les éloges qu’il mérite spécialement, il nous montre la vertu propre de chacun d’eux ; de cette manière il n’excite pas l’envie qui résulterait de l’honneur fait aux uns, refusé aux autres, et en même temps il n’autorise pas le relâchement des mœurs, et il évite la confusion qui s’ensuivrait, s’il eût décerné à tous des éloges qui ne seraient pas tous mérités.
3. Voyez donc maintenant comment il arrive aux femmes d’une admirable vertu. Après avoir dit, en continuant : « Saluez la famille d’Aristobule, et Hérodion, mon cousin, et ceux de la famille de Narcisse (11) », (peut-être n’y trouvait-on pas tout ce qu’on voyait dans les précédents, aussi Paul ne donne-t-il pas les noms propres de tous ceux de la famille, tout en leur rendant l’hommage qui leur est dû, à savoir qu’ils sont fidèles ; car c’est là ce que veut dire, ce qu’il ajoute : « Qui sont dans le Seigneur) » ; eh bien ! maintenant, c’est aux femmes qu’il arrive : « Saluez Tryphène et Tryphose, qui travaillent dans le Seigneur (12) ». Il a déjà dit, à propos de Marie, qu’elle a beaucoup travaillé pour nous ; il dit maintenant, de celles-ci, qu’elles travaillent encore. Ce n’est pas un mince éloge que de savoir s’occuper tout à fait, et non seulement s’occuper, mais travailler, se fatiguer. Quant à Perside, c’est sa chère Perside qu’il l’appelle, montrant par là qu’elle est supérieure aux autres. « Saluez », dit-il, « ma chère Perside », et il témoigne de ses labeurs considérables en disant : « Qui a beaucoup travaillé dans le Seigneur ». C’est ainsi qu’il s’entend à les nommer individuellement selon leurs mérites, il veut ranimer leurs courages, en leur payant tout ce qu’il leur doit, en publiant, même leur moindre titre de distinction ; il provoque, en même temps, un zèle plus ardent de la part des autres, il les invite à mériter les éloges : qu’il distribue. « Saluez Rufus, l’élu du Seigneur, et sa mère, qui est aussi la mienne (13) ». Ici, rien ne manque, c’est la plénitude de tous les biens ; avec un tel fils, avec une telle mère, la maison est remplie de bénédictions, racine et fruit conformes. L’apôtre n’aurait pas dit à la légère : « Sa mère, qui est aussi la mienne », s’il ne voulait pas rendre témoignage de la grande vertu de cette femme. « Saluez Asyncrite, Phlégon, Hermas, Patrobe, Hermes, et nos frères qui sont avec eux (14) ». Ici, ne faites pas la remarque qu’il en parle sans ajouter à leurs noms des paroles d’éloges ; mais remarquez plutôt, qu’il ne dédaigne pas de nommer, même les moins importants de tous ; ou plutôt il leur décerne un grand éloge, en les appelant du nom de frères, comme les saints qui viennent ensuite : « Saluez », dit-il, « Philologue, et Julie, et Nérée, et sa sueur, et Olympiade, et tous les saints qui sont avec eux (13) ». C’était là la marque de la plus grande dignité, l’honneur d’une grandeur inexprimable.
Ensuite, pour prévenir toute jalousie querelleuse qui proviendrait de ce qu’il parle des uns, d’âne manière, des autres, d’une manière différente ; de ce qu’il y en a qu’il nomme, tandis qu’il ne distingue pas les autres, de ce qu’il fait plus d’éloges des uns, moins d’éloges des autres, il se met à les confondre tous ensemble dans l’égalité de la charité, il les rapproche par le saint baiser : « Saluez-vous, les uns les autres, par un saint baiser (16) » ; baiser pacifique, qui lui sert à bannir toute pensée qui les troublerait ; il ne laisse ainsi aucune prise aux sentiments de rivalité ; il s’arrange de telle sorte que le plus grand ne méprise pas te plus petit, que le petit ne soit pas envieux du plus grand, que l’orgueil et la jalousie disparaissent, sous ce baiser qui égale et adoucit tout. Aussi ne leur conseille-t-il pas seulement de se saluer, mais il leur envoie de même le salut de toutes les Églises. « Recevez », dit-il, « le salut », non pas de tel ou tel en particulier, mais le salut commun, de tous, « de toutes les Églises de Jésus-Christ ». Comprenez-vous quels fruits qui ne sont pas à dédaigner, nous avons recueillis de ces salutations ? Que de trésors nous aurions négligés, si nous n’avions pas étudié cette partie de la lettre avec toute la sagacité dont nous sommes capables ? Qu’un homme habile, et pénétré de l’Esprit, s’y applique, la pénètre avec plus de profondeur, il y trouvera bien d’autres perles encore. Mais quelques personnes nous avant souvent demandé pourquoi l’apôtre adresse tant de salutations dans cette lettre, ce qu’il ne fait dans aucune autre, nous répondrons que c’est par la raison qu’il n’avait pas encore vu les Romains. Fort bien, dira-t-on, mais il n’avait pas encore vu les Colossiens, et cependant il ne leur écrit rien de pareil. C’est que les Romains avaient plus de célébrité que les autres peuples, c’est que, des autres villes, on se transportait à Rome, comme dans une ville plus sûre et qui était une résidence impériale. Donc les fidèles étant dans une ville étrangère, comme il était important qu’ils y trouvassent toute espèce de sûreté, comme quelques-uns d’entre eux étaient personnellement connus de Paul, que certains d’entre eux avaient rendu en son nom de nombreux et signalés services, il était naturel que l’apôtre les recommandât dans sa lettre. C’est qu’en effet la gloire de Paul était éclatante alors, et à ce point que ses lettres seules étaient des titres sérieux de recommandation : non seulement on avait pour lui de la vénération, mais on le craignait. Autrement, il n’aurait pas dit : « Car elle en a assisté elle-même plusieurs, et moi en particulier » ; ni : « J’aurais voulu moi-même être anathème ». (Rom. 9,3) Il écrivait à Philémon : « Quoique je sois Paul, vieux, et de plus, maintenant prisonnier pour Jésus-Christ » (Phm. 1,9) ; et aux Galates : « Je vous dis, moi, Paul » ; et : « Vous m’avez reçu comme Jésus-Christ ». (Gal. 5,2 ; 9, 14) II écrivait aux Corinthiens : « Il y en a, parmi vous, qui s’enflent de présomption, comme si je ne devais plus vous aller voir » ; et encore : « J’ai proposé ces choses sous mon nom, et sous celui d’Apollon, afin de vous « apprendre à ne pas avoir de vous d’autres sentiments que ceux que je viens de marquer ». (1Cor. 4,18 et 6)
Il ressort de toutes ces paroles, que sa gloire éclatait partout. Donc voulant procurer aux fidèles et sûreté et considération, il les salue individuellement avec les éloges convenables. L’un, il l’appelle, mon cher ; l’autre, mon parent ; un autre est à la fois son ami et son parent ; un autre est le compagnon de ses liens ; un autre, il le traite de fidèle éprouvé dans le Seigneur ; un autre, d’élu du Seigneur. Il y a une femme qu’il a nommée en marquant sa dignité ; car ce n’est pas au hasard qu’il dit de Phébé : « La diaconesse » ; si l’expression eût été indifférente, il l’eût appliquée à Triphène et à Perside ; mais il dit, de l’une, qu’elle a le titre de diaconesse ; d’une autre, qu’elle travaille avec lui, et qu’elle l’assiste ; celle-ci, il l’appelle sa mère ; celle-là, il la glorifie, Four les fatigues qu’elle a supportées ; pour les hommes, ou il cite la famille à laquelle ils appartiennent, ou il leur donne le nom de frères, le nom de saints, ou il se borne à dire leur nom propre ; il en est qu’il appelle prémices, il en est qu’il honore, parce qu’ils ont embrassé la foi les premiers ; les plus distingués sont Priscilla et Aquilas. C’est que, si tous ces saints personnages étaient des fidèles, ils ne l’étaient pas tous également, ils n’avaient pas des titres égaux aux récompenses. Voilà, pourquoi l’apôtre, jaloux de les animer tous d’un zèle toujours plus ardent, ne cache aucun des titres qui donnent des droits à un juste éloge. Si les plus méritants ne devaient pas être plus récompensés, on verrait le relâchement chez le grand nombre.
4. Voilà pourquoi il n’y aura pas égalité d’honneur dans le royaume de Dieu ; voilà pourquoi il n’y a pas égalité entre tous les disciples ; trois, parmi eux, avaient la prééminence sur tous les autres, et, entre ces trois, il y avait encore une grande inégalité. C’est que Dieu apprécie tout avec l’exactitude la plus rigoureuse, jusque dans les rangs les plus reculés. « L’étoile », dit l’apôtre, « diffère de l’étoile, en éclat ». (1Cor. 15,41) Sans doute, les apôtres t’étaient tous, et tous devaient siéger sur douze trônes, et tous avaient quitté ce qui leur appartenait, et tous s’étaient attachés à Jésus-Christ ; cependant le Christ en choisit trois parmi eux. Et ce n’est pas tout ; parmi ceux-là, il en est dont il constata l’excellence qui les distinguait, qui les rendait supérieurs ; car il dit : « Pour ce qui est d’être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n’est point à moi à vous le donner, mais ce sera pour ceux à qui il a été préparé » (Mc. 10,40) ; et il met Pierre au-dessus d’eux, par ces paroles : « M’aimez-vous plus que ne font ceux-ci ? » (Jn. 21,15) Et Jean était chéri par-dessus tous. Il sera tenu de toutes choses un compte exact, et si faible que soit votre supériorité sur votre prochain, si mince, si insignifiante qu’elle vous semble, elle n’échappera pas au jugement de Dieu. L’histoire des anciens jours le démontre. Loth était juste, mais non autant qu’Abraham ; Ezéchias aussi, mais non autant que David ; et de même, pour tous les prophètes, mais ils ne l’étaient pas comme Jean.
Où sont-ils, quand la justice de Dieu est si exacte, ceux qui ne veulent pas qu’il existe une géhenne ? S’il est vrai que tous les justes ne doivent pas jouir des mêmes récompenses, si faible que soit la supériorité des uns sur les autres (car l’étoile, dit l’apôtre, diffère de l’étoile, en éclat), comment les pécheurs jouiront-ils des mêmes biens que les justes ? Un homme ne donnerait pas les mains à cette confusion, et Dieu la ferait ? Voulez-vous que je vous montre, à propos des pécheurs qui ont paru dans le monde, par les faits accomplis, la diversité des traitements, l’exactitude rigoureuse de la justice ? Voyez : Adam a péché ; Eve aussi a péché ; tous les deux ont enfreint la loi, mais il n’y a pas eu d’égalité dans leurs péchés ; et, par conséquent, il n’y a pas eu d’égalité dans leurs châtiments. La différence a été si grande que Paul a pu dire : « Adam n’a point été séduit, mais la femme ayant été séduite, est tombée dans la désobéissance ». (1Tim. 2,14) Assurément ils ont été tous les deux égarés par le fait d’une seule et même séduction, toutefois l’exactitude du jugement de Dieu a fait voir toute cette différence que Paul a exprimée. Autre exemple : le châtiment de Caïn ; après lui, Lamech fut aussi un meurtrier, et cependant il n’a pas eu le sort de Caïn ; pourtant il y avait bien, d’une part, un meurtre, et d’autre part, un meurtre ; et Lamech était de beaucoup plus coupable, puisque l’exemple n’avait pas servi à l’amender ; mais, comme il n’avait ni méprisé les avertissements, ni tué son frère, ni attendu qu’on l’accusât, ni répondu avec impudence aux questions de Dieu, comme il avait prévenu toute accusation, pour se dénoncer lui-même, pour se condamner, il obtint son pardon ; la conduite tout opposée de Caïn lui attira son châtiment. Voyez avec quelle exactitude rigoureuse Dieu pèse les actions. De là encore la diversité des vengeances ; dans le déluge et dans l’incendie de Sodome, la diversité des châtiments contre les Israélites, dans la captivité de Babylone, et sous la domination d’Antiochus ; preuve de l’exactitude des jugements de Dieu sur nous. D’une part, servitude de soixante-dix ans ; d’autre part, servitude de quatre cents ans ; ils mangèrent leurs enfants, ils furent enveloppés dans mille autres innombrables calamités, qui ne suffirent pas cependant à les affranchir envers Dieu, ni ce peuple, ni ceux qui furent brûlés vifs à Sodome. Car, dit le Seigneur : « Au jour du jugement Sodome et Gomorrhe seront traités moins rigoureusement que cette ville ». (Mt. 10,15) Si Dieu ne prenait aucun souci ni de nos fautes, ni de nos bonnes œuvres, il y aurait peut-être quelque raison de dire que le châtiment n’existe pas ; mais quand on le voit, d’un soin si jaloux, prévenir nos péchés, tout faire et de si grandes choses pour nous porter aux bonnes œuvres, il est manifeste qu’il punit les pécheurs et qu’il couronne ceux qui font le bien. Mais voyez donc un peu jusqu’où va la contradiction dans les jugements des hommes. Ils accusent tant de preuves qu’il donne de sa patience ; ou répète que Dieu ne frit pas attention à la foule des pervers, des fornicateurs, des hommes de violence qu’il laisse impunis ; et maintenant, Dieu fait-il des menaces, les mêmes voix s’emportent en accusations amères, acharnées. Cependant, si vous détestez les forfaits, vous devriez approuver, glorifier l’expiation. Mais, ô délire, ô raison à rebours, et digne des ânes ! O cœur ami du péché, ami de la volupté, ô pensée qui n’a de regards que pour la corruption ! Oui, c’est l’amour de la volupté qui engendre toutes ces opinions, et cela est si vrai qu’il suffirait à ceux qui tiennent ces discours, d’embrasser la vertu, pour être bien vite persuadés de la réalité de la géhenne, pour n’en pas douter.
Mais où donc, dira-t-on, en quel lieu se trouvera-t-elle, cette géhenne ? Que vous importe ? La question c’est : il y a une géhenne, et la question n’est pas : où est-elle, dans quel lieu. Quelques-uns content qu’elle sera dans la vallée de Josaphat ; des indications de lieux ont été données au sujet d’une guerre des temps passés ; on les applique bon gré mal gré à la géhenne. Mais dans quel lieu, réplique-t-on, sera-t-elle ? En dehors, je ne sais où ; en dehors, j’imagine, de tout cet univers. De même que les cachots et les mines des rois sont loin de tous les regards, de même, c’est en dehors de cette terre habitée que sera la géhenne.
5. Donc ne nous occupons pas de chercher oui elle est, mais comment nous pourrons l’éviter : Si Dieu ne punit pas ici-bas tous les coupables, ce n’est pas une raison pour refuser de croire aux choses à venir ; Dieu nous aime et il est patient. Voilà pourquoi il menace, et ne précipite pas tout de suite dans le lieu des tourments : « Je ne veux point », dit-il, « la mort du pécheur ». (Ez. 18,32) Mais s’il n’y a pas de mort pour le pécheur, ces paroles sont inutiles. Je sais bien que rien n’est plus désagréable, pour vous, que de pareils discours ; mais, pour moi, il n’est rien de plus doux. Et plût au ciel que nous eussions l’habitude, quand nous dînons, quand nous soupons, quand nous sommes aux bains, et partout, de nous entretenir de l’enfer ! car nous cesserions de nous affliger des maux que nous redoutons ici-bas, et de nous tant réjouir des biens présents. Car enfin de quel mai prétendez-vous me parler ? De la pauvreté, de la maladie, de la captivité, de la mutilation de nos corps ? Mais tous ces maux ne sont que risibles, comparés à l’autre châtiment. Et quand vous me parleriez de ceux que la faim torture sans cesse, et de ceux qui, dès l’enfance, sont privés de leurs membres, et des mendiants, ils vivent dans les délices, si on les compare à ceux qui subissent d’autres tortures. Ne nous lassons donc pas de ces réflexions ; on ne tombe pas dans l’enfer, quand on a toujours la pensée de l’enfer. N’entendez-vous pas la voix de Paul ? « Qui souffriront l’éternelle justice, confondus par la face du Seigneur ». (2Thes. 1,9) N’entendez-vous pas dire ce qu’est devenu Néron, que Paul appelle un mystère de l’Antéchrist ? « Car le mystère d’iniquité se forme », dit-il, « dès à présent ». (Id. 2,7) Eh quoi donc ? Il n’y aura aucun châtiment pour Néron ? aucun pour l’Antéchrist, aucun pour le démon ? Donc il y aura toujours l’Antéchrist, et toujours le démon : car ils ne se départiront pas de leur perversité, s’ils ne subissent pas de châtiment.
Eh bien ! oui, dira-t-on : Il y a un châtiment, il y a un enfer, ce sont des vérités manifestes, mais les infidèles seuls y tomberont. Pourquoi, je vous prie ? Parce que les fidèles, direz-vous, ont reconnu leur Maître et Seigneur. Que signifie cette raison ? Si leur vie est impure, ils subiront, par cette raison même, de plus sévères châtiments : « Tous ceux qui ont péché sans la foi, périront aussi sans la loi ; et tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi » (Rom. 11,12) ; et : « Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, ne l’aura pis accomplie, sera frappé de mille coups ». (Lc. 12,47) Si nous ne devons rendre aucun compte de notre vie, si ces paroles ont été dites au hasard, le démon ne subira pas de châtiment ; car il connaît le vrai Dieu, il est même mieux instruit, sur ce point, que beaucoup d’hommes : et tous les anges de l’enfer connaissent Dieu aussi, et ils frémissent à cause de lui, et ils le proclament leur juge. Donc s’il n’est exigé aucun compte de la vie qu’on a menée, des actions perverses, voilà que les démons seront sauvés, eux aussi. Non, non ; ne vous abusez pas, mes bien-aimés. S’il n’y a pas de géhenne, comment les apôtres jugeront-ils les douze tribus d’Israël ? Comment Paul dit-il : « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? Avec combien plus de raison jugeons-nous les choses de ce monde ? » (1Cor. 6,3) Comment le Christ a-t-il pu dire : « Les Ninivites s’élèveront au jour du jugement, et condamneront cette race ? » et : « Au jour du jugement, Sodome sera traitée moins rigoureusement ? » (Mt. 12,41 ; 11,24) Qu’avez-vous donc à plaisanter où il y a si peu matière à plaisanterie ? Pourquoi vous trompez ; vous vous-mêmes ; pourquoi, ô homme, cherches-tu à en imposer à ton âme ? Pourquoi cette lutte contre la bonté de Dieu ? S’il a fait un enfer, s’il menace de nous y précipiter, c’est pour nous empêcher d’y tomber, c’est pour que la crainte nous rende meilleurs. De sorte que celui qui ne veut pas qu’on en parle, ne fait pas autre chose, sans le savoir, qu’entretenir l’erreur qui nous y pousse et nous y précipite. Gardez-vous donc de paralyser les mains de ceux qui se fatiguent pour la vertu, n’encouragez pas la nonchalance des endormis. Si la plus grande partie des hommes venait à être persuadée qu’il n’y a pas d’enfer, quand les verrait-on renoncer à la corruption ? Et où donc se montrerait la justice ? Je ne dis pas pour faire la distinction des pécheurs et des justes, mais pour séparer les pécheurs des pécheurs. Pourquoi tel a-t-il été puni ici-bas, pourquoi tel autre n’a-t-il pas été puni, quoiqu’il ait commis les mêmes péchés, ou des péchés beaucoup plus graves ? Comprenez bien que, s’il n’y a pas d’enfer, il est impossible de répondre aux accusations contre Dieu.
Aussi, je vous en conjure, mettez un terme à des discours qui ne méritent que la dérision, fermons la bouche à nos contradicteurs. Oui, des plus petits péchés, comme des plus petites vertus le compte sera produit avec exactitude. Nous aurons à expier des regards impudiques, des paroles inutiles, des rires, des querelles, des mouvements de colère, la honteuse ivresse ; et nous recevrons aussi notre récompense pour nos bonnes actions, pour un verre d’eau froide, pour une bonne parole, pour un simple gémissement. Écoutez le prophète : « Mettez le signe sur le visage de « ceux qui gémissent, et qui sont dans l’affliction ». (Ez. 9,4) Comment donc osez-vous dire que le Dieu qui tient un compte si exact de tout ce qui nous regarde, n’a pas réfléchi, a parlé au hasard, en nous menaçant de la géhenne ? N’allez pas, je vous en conjure, sur de si vaines espérances, vous perdre vous-mêmes, et, avec vous, ceux qui ont foi en vos discours. Si vous vous déliez de nos paroles, interrogez avec soin les Juifs, les Grecs, tous les hérétiques sans exception, et tous, d’une seule voix, vous répondront : Il y aura un jugement et une rétribution. Les hommes ne vous suffisent-ils pas ? Interrogez les démons eux-mêmes, et vous entendrez leurs cris : « Pourquoi venez-vous ici nous tourmenter avant le temps ? » (Mt. 8,29) Rassemblez toutes ces preuves, et décidez-vous à renoncer aux vains propos, afin de ne pas faire l’expérience qui prouve la réalité de l’enfer ; retirez de ces preuves la sagesse qui vous permettra d’échapper à ces tourments, et d’obtenir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXII. modifier


JE VOUS EXHORTE, MES FRÈRES, A PRENDRE GARDE A CEUX QUI CAUSENT LES DISSENSIONS ET LES SCANDALES, CONTRE LA DOCTRINE QUE VOUS AVEZ APPRISE, ET DE VOUS DÉTOURNER D’EUX. CAR DE TELLES GENS NE SERVENT POINT NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, MAIS LEUR VENTRE ; ET, PAR DES PAROLES DOUCES ET FLATTEUSES, ILS SÉDUISENT LES ÂMES SIMPLES. (XVI, 17, 18, JUSQU’À LA FIN DE L’ÉPÎTRE)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. Il faut fuir ceux qui causent des divisions et des scandales. – Douceur de Paul dans ses exhortations. – Douceur funeste des hommes sensuels qui égarent les fidèles par leurs flatteries. – Dans les paroles de saint Paul, la prière et les prophéties s’unissent aux exhortations. – II ne faut ni la prière sans les œuvres, ni les œuvres sans la prière. – Saluts envoyés par divers personnages de la compagnie de saint Paul.
  • 3 et 4. Eloge éloquent de saint Paul. – Rome glorifiée parce qu’elle possède les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul. – Qui me donnera d’embrasser le corps de Paul ? – Je voudrais voir la poussière de ses mains qui furent chargées de chaînes et imposaient l’Esprit ! – Saint Paul, vainqueur des démons et des sages de la terre. – Et cependant ce n’était qu’un homme comme nous.


1. Encore une exhortation, et une prière après l’exhortation. En effet, après avoir dit de prendre garde à ceux qui causent les dissensions, et de ne pas les écouter, il ajoute : « Que le Dieu de paix brise bientôt Satan sous vos pieds » ; et : « Que la grâce de Notre-Seigneur soit avec vous (20) ». Voyez quelle douceur dans cette exhortation ; il ne conseille pas, il supplie Dieu, et ses paroles sont remplies d’égards pour les fidèles ; il les appelle d’abord ses frères, et ensuite il adresse pour eux au ciel ses supplications. « Je vous exhorte », dit-il, « mes frères ». Ensuite, pour exciter leurs inquiétudes, il leur montre la ruse des ennemis qui les menacent. Comme la perfidie se cache, il l’indique par ces paroles : « Je vous exhorte à prendre garde », c’est-à-dire, à scruter avec un soin rigoureux, à bien vous rendre compte, à vous renseigner exactement. A quel sujet, je vous prie ? Au sujet de ces hommes, « Qui causent les dissensions et les scandales contre la doctrine que vous avez apprise ». C’est que rien ne bouleverse plus l’Église que les divisions : ce sont là les armes du démon, c’est là ce qui met tout sens dessus dessous. Tant que le corps reste uni, impossible à lui d’y pénétrer, mais la division produit le scandale. Maintenant, d’où vient la division ? des doctrines contraires à l’enseignement des apôtres. Et ces doctrines, d’où viennent-elles ? de la sensualité asservie au ventre, et des autres passions. « Car de telles gens », dit-il, « ne servent point Notre-Seigneur, mais leur a ventre ». De telle sorte qu’on ne verrait ni scandales, ni division, si l’on ne concevait pas des doctrines contraires à l’enseignement apostolique ; ce que montrent ici ces paroles : « Contre la doctrine ». Et Paul ne dit pas Que nous vous avons enseignée, mais : « Que « vous avez apprise », il les prévient, il leur montre qu’ils ont été persuadés, qu’ils l’ont entendue, qu’ils l’ont acceptée ! Or, maintenant que ferons-nous à ceux qui mutilent de tels enseignements ? L’apôtre ne dit pas Marchez coutre eux, combattez, mais : « Et de vous détourner d’eux ». En effet, si leur conduite était un effet de l’ignorance ou de l’erreur, il faudrait les redresser ; mais ils savent ce qu’ils font, écartez-vous.
Ailleurs encore, il tient le même langage « Retirez-vous », dit-il, « loin de tout frère, qui va et vient, d’une manière déréglée ». (2Thes. 3,6) Au sujet de l’ouvrier en cuivre, il exhorte Timothée en ces termes « Gardez-vous de lui ». (2Tim. 4,15) Ensuite il tourne en dérision les fauteurs de ces désordres, il explique leur conduite, pourquoi ils suscitent la division : « Car de telles gens », dit-il, « ne servent point Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais leur ventre ». C’est ce qu’il écrivait aux Philippiens : « Qui font leur Dieu de leur ventre ». (Phil. 3,19) Il me parait ici vouloir désigner les Juifs, qu’il accuse surtout ordinairement d’être asservis à leur ventre. En effet, il écrit à Tite à leur sujet : « Mauvaises bêtes, qui n’ont d’énergie que pour leur ventre ». (Tit. 1,12) Et le Christ, les accusant pour la même raison, disait : « Vous dévorez les maisons des veuves ». (Mt. 23,14) Les prophètes dirigent contre eux les mêmes accusations : « Il s’est engraissé », dit le texte, « il s’est rempli d’embonpoint, et il s’est révolté, le bien-aimé ». De là les exhortations de Moïse : « Après avoir mangé, après avoir bu, après vous être rempli, souvenez-vous du Seigneur votre Dieu ». (Deut. 32,15 ; 6,12-13) Dans l’Évangile, on les entend dire au Christ : « Quel signe nous montrez-vous ? » (Jn. 2,18) Et alors, oubliant tous les miracles qu’ils ont vus, ils ne se souviennent que de la manne ; partout ils se montrent possédés de ce vice. Comment ne pas rougir de reconnaître pour ses maîtres des hommes esclaves de leur ventre, quand on est le frère du Christ ? Voilà, d’une part, la cause, l’occasion de ces désordres ; quant à la manière dont cette dépravation se propage, c’est encore une autre maladie ; il faut, d’autre part, reconnaître la flatterie. « Par des paroles douces et flatteuses ils séduisent les âmes simples ». C’est avec raison que l’apôtre dit : « Par des paroles douces et flatteuses », car leur flatterie ne va pas plus loin que les paroles, leur pensée n’a rien qui respire la douceur, elle est pleine de ruse. Et la lettre ne dit pas. Ils vous séduisent, mais : « Ils séduisent les âmes simples ».
Paul ne s’arrête pas là ; pour ne pas offenser ceux à qui il s’adresse, il ajoute : « Votre obéissance est parvenue à la connaissance « de tous (t9) ». Ce qu’il dit, c’est pour les empêcher de se déshonorer, il les prévient par ses éloges, il les retient par le grand nombre des témoins qui les regardent. Je ne suis pas le seul, en effet, qui rende de vous ce témoignage, le monde entier en fait autant. Et il ne dit pas : Votre sagesse, mais : « Votre obéissance », c’est-à-dire, votre foi, ce qui est un témoignage de la douceur de leur esprit. « Je m’en réjouis pour vous ». Il n’y a pas là un éloge à dédaigner vient ensuite, après la louange, un avertissement. Il ne veut pas, en les mettant hors d’accusation, vu leur ignorance, autoriser leur relâchement ; de là ce qu’il leur fait entendre par ces paroles : « Mais je désire que vous soyez sages dans le bien, et simples dans le mal ». Voyez-vous maintenant comme il les attaque, quoiqu’il le fasse sans qu’on puisse lui répondre ? Il veut faire entendre que quelques uns parmi eux se sont laissé séduire. « Que le Dieu de paix brise bientôt Satan sous vos pieds (20) ». Après avoir parlé de ceux qui causent les dissensions et les scandales, il les entretient du Dieu de paix pour leur donner la confiance de se voir délivrer des hommes dangereux. Car celui qui aime la paix, fera disparaître ce qui peut la troubler. Et il ne dit pas : Que Dieu soumette ; l’expression est plus énergique : que Dieu « Brise », et non seulement ces pervers, mais leur chef, l’auteur de tous ces désordres, « Satan ». Et non seulement brise, mais : « Sous vos pieds » ; c’est vous qui remporterez la victoire, c’est vous que rendra illustres un glorieux trophée. Autre consolation encore, prise du temps : « Bientôt ». Et il y a là tout ensemble urge prière et une prophétie. « Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous ». C’est l’arme la plus puissante, le mur indestructible, la tour inébranlable ; c’est pour raviver leur ardeur qu’il rappelle la grâce à leurs pensées. Si vous avez été délivrés des maux les plus redoutables, et cela uniquement par la grâce, à bien-plus fore raison vous sauvera-t-elle de ceux (lui le sont moins, parce que vous serez devenus les amis de Dieu, parce que vous aurez contribué de tout ce qui dépend de vous.
2. Voyez-vous comme il ne veut ni de la prière sans les œuvres, ni des œuvres sans la prière ? Ce n’est qu’après avoir rendu témoignage de leur obéissance qu’il prie pour eux, montrant par là le double besoin que nous avons, et d’agir par nous-mêmes, et d’être assistés de Dieu, si nous devons assurer notre salut à force de soins. Nous n’avons pas eu, autrefois seulement, besoin de la grâce, si forts que nous soyons, quelques preuves que nous ayons données, maintenant encore ce secours nous est nécessaire. « Recevez-le salut « de Timothée, compagnon de mes travaux (2l) ». Voyez-vous encore les éloges accoutumés ? « Comme aussi de Lucius, de Jason et de Sosipatre, mes parents ? » Luc fait mention de ce Jason, et nous donne une haute idée de son courage, en le montrant traîné, au milieu des cris du peuple, devant les magistrats de la ville ». (Act. 17,5-9) Il est à croire que les autres étaient aussi des personnages remarquables ; car l’apôtre ne les nommerait pas pour la seule raison de la parenté, si leur piété ne les rendait semblables à lui-même. « Je vous salue, moi, Tertius qui ai écrit cette lettre (22) ». Voilà encore un titre qui a bien son prix, être le secrétaire de Paul, mais il ne l’a pas dit pour se louer, mais pour se concilier vivement leur affection par son ministère. « Recevez aussi le salut de Caïus, mon hôte, et l’hôte de toute l’Église (23) ».
Voyez quelle couronne il tresse en son honneur, lorsqu’il constate cette hospitalité si large, qui réunit toute l’Église dans sa maison ! Hôte, en effet, ici, veut dire, qui donne l’hospitalité. Maintenant, quand on vous dit qu’il donnait l’hospitalité à Paul, ce n’est pas cette hospitalité seulement qui mérite d’être célébrée par vous, mais la régularité d’une vie parfaite ; si ce saint personnage n’avait pas été digne de recevoir Paul, certes l’apôtre n’aurait pas séjourné chez lui. Car celui dont le zèle ardent voulait dépasser la rigidité d’un grand nombre de préceptes du Christ, n’aurait pas, à coup sûr, enfreint la loi qui ordonne de s’enquérir avec le plus grand soin des hôtes qui vous reçoivent, et de ne demeurer que chez des personnes recommandées par leur vertu. « Recevez le salut d’Eraste, trésorier de la ville, et de notre frère Quartus ». Ce n’est pas sans raison qu’il ajoute : « Trésorier de la ville » ; il écrivait aux Philippiens : « Ceux de la maison de César vous saluent » (Phil. 4,22), pour montrer que la prédication touchait de grands personnages ; de même ici, il a son but quand il mentionne la charge importante d’Eraste, il montre que celui qui prête son attention à la parole, ne trouve d’obstacles ni dans sa fortune, ni dans les soucis de l’autorité, ni dans rien de ce qui y ressemble. « Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous. Amen (24) ». Comprenez-vous quel doit être le point de départ et le point d’arrivée pour toutes choses ? Ce qui a fait la première base de sa lettre, lui sert à en faire le couronnement ; les mêmes expressions sont une invocation à cette mère de tous les biens désirés par lui pour eux, et en même temps elles rappellent tout ce qu’il y a en lui d’active bonté. Car ce qui distingue un maître généreux, ce n’est pas seulement la parole, c’est, avant tout, la prière qu’il fait pour l’utilité de ceux qui s’instruisent auprès de lui. Aussi le livre des Actes dit-il : « Pour nous, nous nous appliquerons surtout à la prière, et à la dispensation de la parole ». (Act. 6,4)
Qui donc priera aussi pour nous, puisque Paul est parti ? Ce sont les imitateurs d e Paul que je vois ici ; montrons-nous seulement dignes d’un tel patronage, afin que tout ne se borne pas, pour nous, à entendre ici la voix de Paul, mais qu’après notre départ d’ici, nous soyons jugés dignes de voir là-haut l’athlète de Jésus-Christ : je me trompe, si nous l’écoutons ici-bas, là-haut, il n’en faut pas douter, nous le verrons ; quand même nous ne serions pas tout près de lui, nous le verrons, il n’en faut pas douter, resplendissant, près du trône royal, où les Chérubins font entendre leurs hymnes de gloire, où planent les Séraphins. Là, nous verrons Paul avec Pierre, nous verrons, dans le chœur des saints, le chef et le prince, et là nous jouirons du vrai et pur amour. Car si Paul sur la terre a tant aimé les hommes qu’au lieu de voir rompre ses liens, de vivre auprès du Christ, il a préféré de rester parmi nous ; bien autrement brûlant sera l’amour qu’il nous montrera dans le ciel. Je veux vous dire pourquoi j’aime Rome, quoiqu’il y ait tant de raisons pour la célébrer, quoiqu’on puisse exalter sa grandeur, son origine antique, sa beauté, sa population si nombreuse, sa puissance, ses richesses, sa gloire dans les combats ; mais je veux tout oublier, et je dis que Rome est bien heureuse, parce que c’est à elle qu’écrivait Paul vivant, parce que Paul avait tant d’amour pour elle, parce que Paul fut présent et fit entendre ses discours au sein de ses murailles, parce que c’est dans Rome qu’il termina sa carrière. Oui, voilà pourquoi c’est une illustre cité, et cette gloire efface toutes ses autres gloires ; Rome, c’est un corps de grande taille et vigoureux, qui a deux yeux étincelants, les corps de ces deux saints. Moins resplendissant est le ciel illuminé des rayons du soleil, que Rome avec ces deux flambeaux qui rayonnent sur tous les points de l’univers. C’est de Rome que Paul sera ravi au ciel, c’est de Rome que Pierre prendra son essor. Concevez, frissonnez en concevant le spectacle réservé aux regards de Rome ; Paul tout à coup se relève de cet illustre tombeau, il s’enlève avec Pierre, ils vont à la rencontre du Seigneur ; quelle rose le Christ reçoit de la part de Rome, quelles couronnes ceignent le front de la ville sainte, quelles ceintures d’or l’embellissent, quelles sources elle épanche ! Voilà pourquoi je l’admire ; ni ses trésors, ni les colonnes de ses palais ne m’occupent, non plus que tout son faste, c’est elle qui les possède ces deux colonnes de l’Église.
3. Qui me donnera donc d’embrasser le corps du glorieux Paul, de demeurer attaché à son tombeau, de voir les cendres de ce corps qui suppléait dans sa chair à ce qui manquait aux souffrances de Jésus-Christ, qui portait les stigmates du Sauveur, qui répandait partout la prédication ? la poussière de ce corps qui rendait l’Évangile partout présent ; la poussière de cette bouche qui faisait parler le Christ ; dont l’éloquence brillait plus que l’éclair ; dont la voix tombait, plus terrible que le tonnerre, sur les démons ; de cette bouche qui prononçait cette grande et bienheureuse parole : « J’eusse désiré être anathème pour mes frères » (Rom. 9,3) ; par qui l’apôtre parlait aux rois en face et sans rien craindre ; par qui nous avons appris à connaître Paul, par qui nous avons connu le Maître de Paul ? Non, le tonnerre n’est pas pour nous aussi formidable que l’était cette voix pour les démons. S’ils frissonnaient à l’aspect de ses vêtements, à bien plus forte raison, au bruit de sa voix. Cette voix les emmenait captifs, cette voix purifiait la terre, cette voix guérissait les maladies, exterminait la malignité, ramenait la vérité, proclamait le Christ qui l’inspirait, qu’elle accompagnait en tout lieu ; on entendait les Chérubins eux-mêmes, lorsqu’on entendait la voix de Paul. Le Christ qui réside en ces vertus, résidait de même dans sa langue. Car elle s’était rendue digne de recevoir le Christ, cette langue qui ne parlait que pour dire les vérités chères au Christ, et dont les accents s’élevaient comme le vol des Séraphins. Car quoi de plus élevé que ces paroles : « Je suis assuré que ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les futures, ni tout ce qu’il y a de plus haut, ni tout ce qu’il y a de plus profond, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu en Jésus-Christ ? » (Rom. 8,38) Ne sont-ce pas là des paroles qui ont des ailes, qui ont des yeux ? Aussi disait-il de Satan : « Nous n’ignorons pas ses desseins » (2Cor. 2,11) ; aussi les démons le fuyaient-ils, non seulement au bruit de sa voix, mais d’aussi loin qu’ils apercevaient ses vêtements.
Je voudrais voir la poussière de cette bouche dont s’est servi le Christ pour publier de grands mystères, des mystères plus grands que ceux qu’il révéla par lui-même ; comme le Christ a fait de plus grandes œuvres par ses disciples que par lui-même, ainsi a-t-il fait entendre de plus grandes choses ; je voudrais la voir la poussière de cette bouche dont l’Esprit s’est servi pour communiquer à la terre ces admirables oracles. Quel bien n’a-t-elle pas opéré cette bouche ? Elle exterminait les démons, elle effaçait les péchés, elle réduisait les tyrans au silence, elle enchaînait les langues des philosophes, elle faisait à Dieu l’oblation du monde, elle inspirait la sagesse aux barbares, elle réglait toutes choses sur la terre ; les choses mêmes du ciel, elle les disposait à son gré, liant ceux qu’elle voulait, ou déliant, dans l’autre vie, selon la puissance qui lui avait été donnée. Non, ce n’est pas de cette bouche seulement, mais de ce grand cœur aussi que je voudrais voir la poussière ; on dirait, la vérité, en appelant ce cœur, le cœur de toute la race humaine, la source inépuisable des biens, le principe et l’élément de notre vie. Car c’était l’esprit de vie qui s’en épanchait sur toutes choses, qui, de là, se communiquait aux membres du Christ ; ce n’était pas le jeu des artères qui le distribuait, mais l’impulsion d’une volonté généreuse. Ce cœur était si large qu’il renfermait des cités tout entières, des peuples, des nations ; car, dit-il : « Mon cœur s’est dilaté ». (2Cor. 6,11). Cependant, ce cœur si large, s’est resserré, bien souvent contracté par cet amour même qui le dilatait : « C’était dans une grande affliction », dit-il, « avec un serrement de cœur que je vous écrivais alors ». (Id. 2,4) Je voudrais voir la cendre de ce cœur embrasé d’amour pour chacun des malheureux qui se perdent ; de ce cœur qui ressentait, pour les enfants avortés, toutes les douleurs d’un enfantement nouveau ; de ce cœur qui voit Dieu, car, dit l’Écriture :« Les cœurs purs verront Dieu » (Mt. 5,8) ; de ce cœur devenu victime : « C’est une victime pour Dieu, qu’un esprit contrit » (Ps. 50,15) ; de ce cœur plus élevé que le plus haut des cieux, plus large que la terre, plus resplendissant que les rayons du soleil, plus ardent que le feu, plus solide que le diamant, de ce cœur qui versait des eaux vives : Car, dit l’Écriture : « De son cœur jailliront des fleuves d’eau vive » (Jn. 7,38) ; de ce cœur d’où jaillissait une source qui n’arrosait pas seulement la face de la terre, mais les âmes ; d’où ne sortaient pas des fleuves seulement, mais aussi des larmes coulant jour et nuit ; de ce cœur où palpitait la vie nouvelle, non la vie que nous menons : « Et je vis, ou plutôt ce n’est plus moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ », dit-il, « qui vit en moi » (Gal. 2,20) ; oui, le cœur de ce grand Paul, table du Saint-Esprit et livre de la grâce, ce cœur qui tremblait pour les péchés des autres ; en effet, « J’appréhende », dit-il, « que je n’aie peut-être travaillé en vain pour vous ». (Gal. 4,11) « Qu’ainsi que le serpent séduisit Eve. Qu’arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais » (2Cor. 11,3 ; 12,20). Maintenant, pour lui-même, ce cœur éprouvait la crainte et la confiance : Je crains, dit-il, « qu’ayant prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même » (1Cor. 11,27) ; et : « Je suis assuré que ni les anges, ni les principautés ne pourront nous séparer ». (Rom. 8,38) Je voudrais le voir ce cœur qui mérita d’aimer Jésus-Christ plus que nul antre ne l’aima jamais ; qui méprisait la mort et la géhenne ; qui se fondait dans les larmes répandues sur ses frères. « Que faites-vous », disait-il, « de pleurer ainsi et de broyer mon cœur ? » (Act. 21,13), ce cœur si patient, et qui trouvait le temps si long quand il craignait les défaillances des Thessaloniciens.
4. Je voudrais voir la poussière de ces mains chargées de fers, dont l’imposition donnait l’Esprit ; de ces mains qui écrivaient ces lettres « Voyez quelle lettre je vous ai écrite de ma propre main » (Gal. 6,11) ; et encore : « J’écris cette salutation de ma main, moi Paul » (1Cor. 16,21) ; la poussière de ces mains dont le seul aspect a précipité la vipère dans le feu. Je voudrais voir la poussière de ces yeux frappés d’une cécité bienfaisante, dont les regards embrassèrent ensuite le salut du monde, de ces yeux qui ont eu la gloire de contempler le corps du Christ, de ces yeux qui voyaient les choses de la terre et étui ne les voyaient pas, qui apercevaient ce qu’on ne peut apercevoir, qui ne connaissaient pas le sommeil, qui veillaient au milieu des nuits, qui défiaient les poisons dont nous infectent nos yeux. Je voudrais voir la poussière de ces pieds qui ont parcouru la terre, sans ressentir la fatigue, qu’on a liés contre le bois de la prison, quand il secoua et fit trembler les murailles ; la poussière de ces pieds qui franchissaient et les lieux habités et les déserts, de ces pieds toujours en voyage. Mais à quoi bon ces détails ajoutés l’un à l’autre ? Je voudrais voir la tombe où reposent les armes de la justice, les armes de la lumière, les membres maintenant vivants, et qui étaient morts lorsque l’homme était plein de vie, qui tous ne vivaient que dans le Christ, et qui étaient, comme lui, crucifiés pour le monde ; membres du Christ, revêtus du Christ, temple de l’Esprit, demeure sainte, où tout était cimenté par l’Esprit, cloué, rivé par la crainte de Dieu, empreint des stigmates de Jésus-Christ. C’est ce corps qui sert de rempart à la ville éternelle, plus invincible, plus inexpugnable que tous les forts, que tous les retranchements.
N’oublions pas le corps de Pierre ; Pierre vivant reçut les hommages de Paul : « Je retournai », dit-il, « pour visiter Pierre ». (Gal. 1,18) Et la grâce de Dieu permit, qu’avant de repartir, Paul demeurât avec lui. Je voudrais voir le lion de l’Esprit-Saint. Comme un lion ardent fondant sur des troupeaux de renards, ainsi s’élançait Paul sur les phalanges des démons et des philosophes, c’était la foudre qui exterminait les troupes de Satan. Et le maudit ne cherchait pas à lutter contre lui en bataille rangée, il en avait peur, il tremblait rien qu’à voir son ombre, rien qu’au bruit de sa voix, et s’enfuyait au loin. Voilà donc comment l’apôtre lui livra le fornicateur, pour le lui arracher ; voilà pourquoi il fit de même pour, d’autres pécheurs, afin d’apprendre aux hommes à détester le blasphème. Voyez, considérez de quelle manière il mène au combat ceux qu’il commande, quelle est son adresse à les animer, à les fortifier. Tantôt il dit aux Éphésiens : « Nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances » ; et il montre ensuite le prix réservé dans le ciel : « Car nous ne combattons pas pour les choses de la terre », dit-il, « mais pour le ciel, et pour tout ce qui est renfermé dans le ciel ». (Eph. 6,12 ; Heb. 12,4) Tantôt il dit à d’autres : « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ; avec combien plus de raison jugeons-nous les choses de ce monde ? » (1Co. 6,3)
Méditons donc ces pensées, et tenons-nous fièrement debout. Paul était un homme de la même nature que nous, par tous les autres côtés, semblable à nous, mais parce qu’il a montré la perfection de son amour pour le Christ, il s’est élevé au-dessus du ciel, et il a mérité de se tenir avec les anges. Nous n’avons donc nous aussi qu’à vouloir un peu nous relever, allumer en nous la même flamme, et nous pourrons rivaliser avec le glorieux saint. Si ce désir était impossible à satisfaire, il ne nous aurait pas crié : « Soyez mes imitateurs comme je le suis de Jésus-Christ ». (1Co. 4,16, et 11,1) Ne nous bornons donc pas à le contempler dans la stupeur de l’admiration ; mais imitons-le, afin de mériter, à notre départ d’ici-bas, le bonheur de le voir, et de participer à la gloire ineffable : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. C. PORTELETTE
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FIN DES HOMÉLIES SUR L’ÉPÎTRE AUX ROMAINS.
  1. La friction sèche était prise par les athlètes au sortir du bain.
  2. C’est ainsi que saint Chrysostome entend ce passage ; voir la XVIIIe homélie sur la Genèse.
  3. Vieux français pour greffer
  4. Il s’agit d’Aristippe. Voyez Diogène Laërce, via d’Aristippe.
  5. Mot qui veut persévérance
  6. Άποχαρηδοχία.
  7. Le texte est d’Isaïe.
  8. Le texte de la Vulgate est tout différent. – Voir tome IX, page 594.
  9. Dans la Vulgate : tout, omnia.
  10. άπονοία signifie orgueil et démence
  11. Il en est coiffé.