Commentaire sur l’Épître de saint Paul aux Éphésiens

Œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome (éd. M. Jeannin, 1866)

INTRODUCTION AUX HOMÉLIES DE SAINT J. CHRYSOSTOME SUR L’ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX ÉPHÉSIENS modifier

Parmi les plus distingués des écrits de notre Père qui concernent saint Paul, il faut compter les Homélies sur l’épître aux Éphésiens : tant à cause de l’abondance et de l’exactitude du commentaire qu’à cause de l’importance des matières qui y sont traitées.

En tête, se trouve un préambule concernant la ville d’Éphèse, illustrée précédemment par le séjour de saint Jean l’évangéliste et par celui de Timothée. — Éphèse était renommée dans l’antiquité païenne pour le culte qu’elle rendait à Diane, et aussi pour ses écoles de philosophie, dont quelques-unes paraissent avoir subsisté encore au temps de saint Jean Chrysostome.

Ces Homélies ont-elles été prononcées à Antioche ou à Constantinople ? Tillemont penche pour Antioche : en effet, dans sa onzième Homélie, le saint Orateur s’élève avec chaleur contre les auteurs d’un schisme qui divisait alors son église : or, cela ne peut s’appliquer à l’église de Constantinople. Sans doute il est question ici du schisme Eustathien, qui subsistait encore à Antioche : il sera bon d’en toucher, ici même, quelques mots.

Eustathe, évêque d’Antioche, homme d’une conduite et d’une orthodoxie irréprochables, et par là même en horreur aux Ariens, fut exilé, par leur influence, vers l’an 330, et remplacé par un évêque arien, auquel succédèrent plusieurs hérétiques de la même secte : les Eustathiens, de leur côté, continuant à pratiquer le culte séparément. Enfin, les Ariens nommèrent évêque, Mélèce, qu’ils croyaient de leur secte. Bientôt ils reconnurent qu’ils s’étaient trompés. Ils exilèrent alors cet évêque, et le remplacèrent par un arien, Euzoïus. Il y eut alors trois partis dans Antioche : celui d’Eustathe, celui de Mélèce, et celui des Ariens. Bientôt, malgré les réclamations d’Athanase et d’autres évêques, Paulin, du parti d’Eustathe, fut ordonné évêque : de sorte qu’Antioche compta dans son sein jusqu’à trois évêques, Mélèce, Paulin et Euzoïus. Par la suite les Ariens s’affaiblissent ; Mélèce et Paulin conservent seuls le titre d’évêques ; mais le schisme n’en continua pas moins au milieu de divisions et de querelles sans nombre. Voilà les désordres auxquels saint Jean Chrysostome fait évidemment allusion : et l’on ne peut douter qu’il n’ait en vue l’église d’Antioche.

Autre indice non moins significatif : il célèbre en plusieurs endroits les vertus des anachorètes retirés sur les montagnes. On ne trouve rien de pareil dans les Homélies prononcées à Constantinople. Loin de là, elles sont pleines de censures dirigées contre les vices des moines qui habitaient aux environs de Constantinople, et contre leur oubli des anciennes maximes : sans compter que saint Jean Chrysostome n’indique nulle part, sauf erreur, que ces moines aient habité les montagnes. Ici, au contraire, son langage est tout différent : il suffira de rappeler la vingt-et-unième Homélie, et l’éloge qu’il y fait d’un certain moine Julien, qualifié par lui d’admirable, et dont la sainteté paraît avoir été populaire dans la ville où parlait notre Orateur.

De plus, nous retrouvons ici les mêmes censures que dans beaucoup d’Homélies prononcées à Antioche, concernant certains vestiges subsistants d’idolâtrie : comme enchantements, croyance à la fatalité, à la métempsycose, négation de la Providence ; anthropomorphisme ; foi aux augures et aux présages.

Dans la vingtième Homélie, il s’élève avec force contre le faste et le luxe des habitants d’Antioche dont plusieurs misérables parvenus sortaient avec leurs femmes en grand équipage et entourés d’un imposant cortège. Il blâme aussi sévèrement ceux qui mêlent aux mariages des réjouissances indignes de chrétiens ; comme des danses ou des chansons obscènes. Les femmes ne sont pas davantage épargnées ; leur conduite envers leurs servantes est l’objet de vives censures. Enfin, à côté du luxe, l’avarice est aussi traitée comme elle mérite de l’être.

Dans la huitième Homélie, qui est la plus longue de toutes, se trouve une mention intéressante du cachot et des chaînes de saint Paul, ainsi que des miracles opérés par les reliques de ce saint. Dans l’Homélie suivante il est question du martyre de saint Babylas, qui voulut être enseveli avec ses chaînes. Dans la dixième, on rencontre une allusion importante aux images qui se trouvaient alors dans les églises. Joignons à cela plusieurs discussions contre divers hérétiques, nommément, Marcion, Manès, Valentin, les Cathares, les Ariens ; et nous aurons indiqué les principaux renseignements contenus, dans ces Homélies touchant l’histoire de l’Église. Les sommaires feront connaître les points de doctrine qui y sont traités.

EXPLICATION DE L’ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS. modifier

PRÉAMBULE. modifier

Éphèse est la métropole de l’Asie : elle était consacrée à Artémis, à qui ses habitants rendaient un culte particulier comme à une divinité du premier ordre. Les adorateurs de cette prétendue déesse poussaient la superstition à ce point que, son temple ayant été brûlé, ils tinrent secret le nom de l’incendiaire. Saint Jean l’Évangéliste passa dans ce pays la plus grande partie de sa vie ; c’est là qu’il fut relégué et qu’il mourut. Paul y laissa Timothée, témoin ces mots de son épître : « Selon que je t’ai recommandé de rester à Éphèse ». Beaucoup de philosophes, et les plus célèbres de ceux qui ont fleuri en Asie, étaient de cette contrée. On dit que Pythagore même en était : le fait est que Samos, sa patrie, était une île Ionienne. On pourrait citer encore d’autres philosophes de ce pays comme Parménide, Zénon, Démocrite, et d’autres qui vivent de nos jours. Ce qui précède n’est point inutile, mais a pour but de montrer que Paul avait besoin de réfléchir beaucoup, lorsqu’il écrivait aux Éphésiens. On dit aussi que s’il n’a pas craint de leur confier des idées profondes, c’est qu’ils étaient déjà catéchisés. Son épître est pleine de pensées et de dogmes sublimes. Il écrivait de Rome où il était prisonnier, comme il le dit lui-même : « Priez pour moi, afin que, lorsque j’ouvrirai ma bouche, des paroles me soient données pour annoncer avec assurance le mystère de l’Évangile, dont j’exerce la légation dans les chaînes ». (Eph. 6,19) Elle est toute remplie de pensées élevées et sublimes. En effet, il dit ici des choses qu’il n’a pour ainsi dire jamais dites ailleurs, par exemple : « Afin que les principautés et les puissances qui sont dans les cieux connussent par l’Église la sagesse multiforme de Dieu », et encore : « Il nous a ressuscités avec lui et nous a fait asseoir dans les cieux en Jésus-Christ » ; et ailleurs : « Mystère qui, dans les autres générations, n’a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé par l’Esprit aux saints apôtres et aux prophètes, que les gentils sont cohéritiers, membres d’un même corps, et participants avec eux de son héritage dans le Christ ». (Eph. 3,10 ; 2, 6 ; 3, 5, 6)[1]

COMMENTAIRE SUR L’ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS. modifier

HOMÉLIE I. modifier

PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST PAR LA VOLONTÉ DE DIEU, AUX SAINTS QUI SONT A ÉPHÈSE ET AUX FIDÈLES EN JÉSUS-CHRIST. GRACE A VOUS ET PAIX PAR DIEU NOTRE PÈRE, PAR LE SEIGNEUR.[2] (CHAP. 1, VERS. 1-10)

  • 1 et 2. Que la grâce et les œuvres sont pareillement nécessaires pour le salut.
  • 3 et 4. Que le Fils n’est point simplement le ministre du Père[3].

Analyse. modifier

1. Voilà le mot « Par » employé en parlant du Père. Eh bien ! dirons-nous qu’il est inférieur ? Nullement. « Aux saints qui sont à Éphèse et aux fidèles en Jésus-Christ ». Voici qu’il appelle saints des hommes qui ont enfants, femmes, serviteurs. Qu’il leur applique, en effet, ce nom, c’est ce qui résulte de la fin de l’épître, par exemple quand il dit : « Femmes, soyez soumises à vos maris » ; et encore : « Enfants, obéissez à vos pères » ; et aussi : « Serviteurs, obéissez à vos maîtres ». Considérons quel relâchement est le nôtre, combien la vertu est devenue chose rare de nos jours, et combien alors elle était commune, puisque les mondains mêmes étaient appelés saints et fidèles. « Grâce à vous et paix par Dieu notre père, et par le Seigneur Jésus-Christ ». Il a dit « Grâce » et il a nommé Dieu « Père » c’est, en effet, le gage de la grâce dont il parle. Comment cela ? Écoutez ce qu’il dit ailleurs « Parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, criant : Abba, Père ! » (Gal. 4, 6) « Et par le Seigneur Jésus-Christ ». C’est pour nous que le Christ est né, pour nous qu’il s’est fait voir en chair.

« Béni le Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ (3) ». Oui, Père de l’Incarné ; ou si vous ne le voulez pas, Père, au moins, du Dieu Verbe. « Qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle, des dons célestes dans le Christ ». Il fait allusion ici à la bénédiction judaïque, qui était bien une bénédiction, mais non une bénédiction spirituelle. Quels en étaient les termes, en effet ? « Que Dieu te bénisse ; il bénira les fruits de tes entrailles ; il bénira ton entrée et ta sortie ». (Nb. 6 ; Deut. 7,13) Ici ce n’est pas la même chose : de quoi s’agit-il ? de toute bénédiction spirituelle. En effet, que vous manque-t-il encore ? Vous êtes désormais immortel, libre, fils, juste, frère, cohéritier ; vous avez part à la royauté et aux hommages ; tout vous a été octroyé. « Comment, avec lui », est-il écrit, « ne nous donnerait-il pas aussi toutes choses ? » (Rom. 8,32) Vos prémices sont adorées par des anges, des chérubins, des séraphins. Que vous manque-t-il encore ? « De toute bénédiction spirituelle ». Rien de charnel ici. S’il nous a ôté les choses de ce genre par ces paroles. « Vous aurez tribulation dans le monde » (Jn. 16,33), c’est parce qu’il nous a conviés à d’autres. Car ainsi que ceux qui possédaient les biens de la chair, étaient incapables d’entendre le langage de l’Esprit ; de même ceux qui possèdent les dons de l’Esprit, n’ont pu les recevoir avant de s’être détachés des choses charnelles. Qu’est-ce à dire : « Des dons célestes ? » Entendez qu’il ne s’agit pas de biens terrestres, comme chez les Juifs : « Vous mangerez les biens de la terre. Sur une terre où coulent le lait et le miel. Dieu bénira ta terre ». (Is. 1,19 ; Ex. 33,3 ; Ps. 84,13) Ici, rien de pareil : mais quoi donc ? « Celui qui m’aime gardera mes commandements, et moi et le Père nous viendrons vers lui, et nous ferons notre demeure en lui. (Jn. 14,23) Celui qui entend les paroles que je dis, et les accomplit, sera assimilé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre ; et les vents ont soufflé, et les fleuves sont venus, et ils ont fondu sur cette maison ; et elle n’est pas tombée : car elle était fondée sur la pierre ». Qu’est-ce que cette pierre, sinon les choses célestes, qui sont supérieures à tous les changements ? « Celui qui m’aura confessé devant les hommes, moi aussi, je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux ; mais celui qui me reniera je le renierai » ; et encore : « Bienheureux ceux dont le cœur est pur, parce qu’ils verront Dieu » ; et encore : « Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient » ; et aussi : « Bienheureux vous êtes, vous qui avez été persécutés pour la justice, parce que votre salaire est grand dans les cieux ». Voyez-vous les cieux partout, la terre nulle part, pas plus que les choses terrestres ? Et ailleurs : « Pour nous, notre vie est dans les cieux : c’est de là aussi que nous attendons le Sauveur, notre Seigneur Jésus ». (Phil. 3,20) Enfin : « Ne songeant pas aux choses de la terre, mais à celles du ciel ».

« En Jésus-Christ ». C’est par Jésus-Christ et non par Moïse que s’est opérée cette bénédiction. Ce n’est pas seulement la nature de la bénédiction qui fait notre supériorité, c’est encore le médiateur qui nous l’a procurée. C’est ainsi qu’on lit dans l’épître aux Hébreux : « Moïse, à la vérité, a été fidèle dans toute la maison de Dieu comme serviteur, pour rendre témoignage de tout ce qu’il devait dire ; mais le Christ est comme fils dans sa maison ; et cette maison, c’est nous ». (Héb. 3,5-6) « Comme il nous a élus en lui avant la fondation du monde, afin que nous fussions saints et sans tache en sa présence (4) ». Voici le sens de cette parole : « Il nous a élus par le médiateur, par lequel il nous a bénis ». C’est donc lui qui nous donnera toutes ces choses, lui qui est le juge, lui qui dira : « Venez, les bénis de mon père ; possédez le royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde ». (Mt. 25,34) Et encore : « Là où je suis, je veux que ceux-ci soient également ». (Jn. 17,24)

2. De même, dans presque toutes ses épîtres, il s’attache à montrer qu’il n’y a pas d’innovation en ce qui nous touche, que tout cela provient d’un antique dessein, et non d’un repentir, que la Providence en avait statué et décidé ainsi : et c’est la marque d’une grande sollicitude. Qu’est-ce à dire : « À élus en lui ? » Par sa foi en lui le Christ a opéré ce bienfait avant notre naissance ou plutôt avant la fondation du monde. Ce mot de fondation, qui suppose abaissement, est bien placé ici. En effet, la sublimité de Dieu est grande, ineffable, non par la distance, mais par la supériorité de nature ; et l’intervalle est immense entre la créature et le créateur. Rougissez, hérétiques ; en entendant ces mots. Mais pourquoi nous a-t-il élus ? « Afin que nous fussions saints et sans tache en sa présence ». Pour que ce mot « Élus » ne vous fasse pas croire que la foi suffit à elle seule, il ajoute à cela les œuvres : S’il nous a choisis, dit-il, c’est pour cela, c’est dans cette vue, que nous soyons saints et sans tache. Il a élu aussi les Juifs autrefois. Comment ? « Il a élu », est-il écrit, « ce peuple entre les nations ». (Deut. 7,6, et 14, 2) Mais si les hommes, admis à choisir, choisissent ce qu’il y a de meilleur, à plus forte raison Dieu.

Avoir été élus, c’est à la fois une marque de la bonté de Dieu et de leur mérite à eux : car certainement il ne les a choisis qu’après les avoir éprouvés. Il nous a fait saints, mais il faut rester saints. Saint est celui qui a part à la foi ; sans tache, celui dont la vie est irréprochable. Cependant la sainteté et l’innocence ne sont pas les seules choses requises : il faut encore se montrer saints et sans tache en sa présence. Il y a des hommes prétendus saints et sans tache, que les hommes jugent tels, ceux qui ressemblent à des sépulcres blanchis, ceux qui sont ; pour ainsi dire, couverts de peaux de brebis. Ce ne sont pas ceux-là que Dieu cherche, mais ceux que définit le prophète, en disant : « Et selon la pureté de mes mains ». — Quelle pureté ? Il s’agit de la sainteté qui est telle en présence de Dieu, de celle que l’œil de Dieu voit. Il a dit les bonnes œuvres ; il revient maintenant à la grâce, en ajoutant : « Dans la charité, nous ayant prédestinés ». En effet, ce n’est pas là un effet des bonnes œuvres ni de l’effort, mais de la charité ; et pas seulement de la charité, mais encore de notre vertu. Si c’était un simple effet de la charité, il faudrait que tous fussent sauvés : si c’était, au contraire, un effet de notre seule vertu, la venue du Christ et toutes les circonstances de l’incarnation seraient choses inutiles. Mais ce n’est ni l’effet de la charité seule, ni celui de notre vertu seule, c’est un effet de ces deux choses réunies. Il nous a élus : mais celui qui élit sait ce qu’il élit. « Dans la charité, nous ayant prédestinés (5) ». La vérité n’aurait sauvé personne, si la charité n’existait pas. Car, dites-moi, qu’est-ce que Paul aurait fait ou gagné, si Dieu ne l’avait appelé d’en haut, et attiré à lui par amour ? D’ailleurs, la magnificence des rétributions ne s’explique que par la charité et non par notre vertu, à nous. Avoir été vertueux, avoir cru, être venu à Dieu, cela vient de celui qui nous a appelés et aussi de nous : mais récompenser si magnifiquement ceux qui sont venus à lui, que l’ennemi devienne aussitôt fils adoptif, c’est vraiment la marque d’une ineffable charité. « Dans la charité, nous ayant prédestinés à l’adoption par Jésus-Christ en lui ». Voyez-vous comment rien sans le Christ, rien sans le Père ? L’un a prédestiné, l’autre a amené. Et il met cela pour exalter ce qui s’est passé, de même qu’il dit ailleurs : « Non-seulement cela, mais nous nous glorifions encore par Notre-Seigneur Jésus-Christ ». (Rom. 5,11) Grands sont les présents, mais ce qui les rend plus grands encore, c’est qu’ils sont dus à la médiation du Christ : Dieu n’a pas envoyé à ses serviteurs un de ses serviteurs, mais son Fils unique lui-même. « Selon le dessein de sa volonté ». C’est-à-dire, à cause de sa volonté bien arrêtée. Voilà son désir, si l’on peut ainsi parler : car partout le dessein est la volonté primitive. Il y a, en effet, une autre volonté. La volonté première est que nous ne nous perdions pas en péchant ; la volonté seconde est que ceux qui sont devenus méchants périssent : car ce n’est pas une nécessité qui les châtie, mais une volonté. On peut retrouver la même chose chez Paul lui-même, lorsqu’il dit, par exemple : « Je désire que tous les hommes soient comme moi-même » ; et ailleurs : « Je désire que les jeunes se marient, aient des enfants ». Par « Dessein », il faut donc entendre la première volonté, la volonté forte, la volonté accompagnée de désirs, la persuasion : je n’hésite pas à me servir de cette expression vulgaire, afin de rendre la chose plus claire pour les simples ; puisque, quand nous voulons marquer une volonté forte, nous employons ce terme : « Persuasion ». Le sens du texte, le voici : il désire vivement, fortement notre salut. Pourquoi donc nous aime-t-il à ce point, et quelle est la raison de cette tendresse ? C’est sa bonté seule, car la grâce procède de la bonté. De là cette expression : « Nous ayant prédestinés à l’adoption » ; le voulant d’une volonté forte, afin de faire éclater la gloire de sa grâce. « Selon le dessein de sa volonté, pour la louange de la gloire de sa grâce dont il nous a gratifiés par son bien-aimé (6) » ; pour faire éclater la gloire de sa grâce, dont il nous a gratifiés par son bien-aimé.

3. Donc, si c’est pour cela qu’il nous a gratifiés, à savoir pour la louange de la gloire de sa grâce, et pour montrer sa grâce, restons dans la grâce. « Pour la louange de sa gloire ». Qu’est-ce à dire ? Pour qu’on le loue ? pour qu’on le glorifie ? nous, les anges, les archanges, toutes les créatures ? Et à quoi bon ? À rien, car rien ne manque à Dieu. Pourquoi donc veut-il être loué et glorifié par nous ? C’est afin que notre amour pour lui devienne plus ardent. Il ne désire rien de nous, si ce n’est notre salut ; ni service, ni gloire, ni quoi que ce soit ; en toutes choses, c’est notre salut seul qu’il a en vue. Celui qui loue et admire la grâce qui lui a été faite, celui-là deviendra plus fervent, plus zélé. « Dont il nous a gratifiés », et non pas : Qu’il nous a octroyée ; c’est-à-dire, que non seulement il nous a déchargés de nos péchés, mais qu’il nous a encore rendus aimables. Supposez que, trouvant un lépreux affaibli par la maladie, la vieillesse, la misère, la faim, on en fasse aussitôt un charmant jeune homme, qui éclipse tout le monde par sa beauté, dont les joues brillent d’un vif incarnat, dont les regards effacent l’éclat des rayons du soleil ; qu’on le ramène à la fleur de l’âge, qu’on le pare d’une robe de pourpre, d’un diadème et de tous les ornements royaux. Eh bien ! c’est ainsi que Dieu a embelli notre âme, qu’il l’a rendue charmante, séduisante, aimable. Elle est telle que les anges, les archanges, toutes les autres puissances aiment à la contempler, tant il nous a faits charmants et dignes de son amour. « Le roi », est-il écrit, « désirera ta beauté ». (Psa. 44,12) Notre langage, autrefois funeste, est devenu plein de grâce. Nous n’admirons pas la richesse, les biens d’ici-bas, mais seulement les trésors d’en haut, les choses du ciel. N’appelons-nous pas gracieux le jeune homme qui, aux avantages du corps joint un grand charme de paroles ? Tels sont les fidèles. Voyez comment parlent les initiés. Quoi de plus gracieux qu’une bouche qui profère des paroles sublimes, qui prend part, dans la pureté du cœur et des lèvres, à cet admirable banquet mystique, avec gloire, avec confiance ? Quoi de plus gracieux que les paroles par lesquelles nous renonçons au diable, par lesquelles nous nous rangeons sous l’étendard du Christ ? que cette confession qui précède le baptême, que celle qui la suit ? Songeons combien nous sommes qui avons perdu la grâce du baptême, et gémissons afin de pouvoir la reconquérir.

« Par son bien-aimé, en qui nous avons la rédemption par son sang (7) ». Comment cela ? Ce qu’il y a d’admirable, ce n’est pas seulement que Dieu ait donné son Fils, c’est encore qu’il l’ait donné de telle sorte que ce bien-aimé fût égorgé. Étrange excès : il donne le bien-aimé pour ceux qui étaient haïs. Voyez pour combien il nous compte. S’il a été jusqu’à nous donner son bien-aimé quand nous le haïssions et que nous étions ses ennemis, que ne fera-t-il pas, quand la grâce nous aura réconciliés avec lui ? « Et la rémission des péchés ». Il redescend du ciel sur la terre. Il a commencé par parler d’adoption, de sanctification, d’hommes sans tache, et voici qu’il arrive à nos infirmités ; ce n’est pas à dire qu’il s’abaisse, ni qu’il passe du grand au petit, il remonte au contraire du petit au grand. Car il n’est rien d’aussi grand que l’effusion du sang de Dieu pour nous ; l’adoption et les autres bienfaits n’égalent pas ce sacrifice de son propre fils. C’est une grande chose que d’être déchargé de ses péchés ; mais que cela s’opère par le sang du Seigneur, voilà ce qui est grand surtout. La preuve que ceci surpasse de beaucoup tout le reste, elle est dans ce que Paul proclame ici même : « Selon les richesses de sa grâce qui a surabondé en nous (8) ». Il y a d’autres richesses, mais les plus véritables sont celles-ci : « Qui a surabondé en nous ». C’est une richesse, et elle a surabondé, c’est-à-dire a été prodiguée à un degré ineffable. On ne saurait exprimer par des paroles ces choses que l’expérience nous a fait connaître. C’est bien une richesse, une richesse qui surabonde, une richesse non des hommes, mais de Dieu, de sorte qu’on ne saurait l’exprimer par aucune parole. Puis montrant comment Dieu nous a fait ce don avec surabondance, il ajoute : « En toute sagesse et toute intelligence, pour nous faire connaître le mystère de sa volonté (9) », c’est-à-dire, pour nous rendre sages et intelligents de la vraie sagesse, de la vraie intelligence.

4. Quelle amitié ! il nous dit ses mystères. « De sa volonté », dit-il ; il nous révèle, pour ainsi dire, ce qui est dans son cœur. Voilà le grand mystère de sagesse et d’intelligence. Que pourriez-vous égaler à une pareille sagesse ? D’indignes créatures, il trouve moyen de les élever à la richesse. Quelle industrie pareille ? L’ennemi, celui qui était haï, le voilà tout à coup porté là-haut. Et ce n’est pas seulement cela, c’est le temps aussi, c’est l’instrument, à savoir la croix, qui marque la sagesse divine. Il serait trop long de montrer ici comment la sagesse éclate en cela, et par là nous fut inspirée. De là ce qui suit : « Selon le bienveillant dessein qu’il avait préconçu en lui-même ». En d’autres termes, ce qu’il désirait, ce dont il brûlait, c’était de pouvoir nous révéler le mystère. Quel mystère ? qu’il veut faire siéger l’homme là-haut. Or cela arriva : « Pour la dispensation de la plénitude des temps, pour restaurer dans le Christ tout ce qui est dans les cieux, et tout ce qui est sur la terre en lui-même (10) ». Les choses célestes étaient séparées des choses terrestres, elles n’avaient point le même chef. Au point de vue de la création il n’y avait qu’un seul Dieu : mais au point de vue du culte il n’en était pas encore de même, attendu la diffusion de l’erreur païenne, qui avait écarté les gentils de l’obéissance à Dieu. « Pour la dispensation et la plénitude des temps ». C’est ce qu’il veut faire entendre par « La plénitude des temps ». Remarquez la justesse des expressions : il a rapporté au Père l’origine, le projet, la volonté, le premier mouvement ; à la médiation du Fils, l’accomplissement, la réalisation, mais nulle part il n’appelle ministre le Fils. « Il nous a élus », dit-il, « en lui. Nous ayant prédestinés à l’adoption par Jésus-Christ pour lui et pour la louange et la gloire de sa grâce. En qui nous avons la rédemption par son sang. Laquelle il avait préconçue en lui pour la dispensation de la plénitude des temps, afin de restaurer tout dans le Christ ». Et nulle part il n’appelle le Fils ministre. Que si ces mots « Dans » et « Par » indiquent un ministre, voyez la conséquence. Tout au commencement de son épître, il nous dit : « Par la volonté du Père ». Le Père a voulu, le Fils a opéré. Mais il ne faut pas dire que parce que le Père a voulu, le Fils est exclu de l’opération ; ni que, parce que le Fils a opéré, la volonté a été retirée au Père : tout est commun entre le Père et le Fils : « Tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi[4] ». (Jn. 17,10) La plénitude des temps, c’était sa venue.

Comme il avait tout fait au moyen des anges, des prophètes de la loi, et que cela n’avait servi de rien, et qu’il était à craindre que l’homme ne fût né, n’eût été produit en vain, ou plutôt, pour son malheur, dans cette ruine générale, plus épouvantable que celle du déluge, Dieu trouva cette dispensation au moyen de la grâce, pour que l’homme ne fût pas inutilement venu au monde. Voilà ce qu’il appelle « Plénitude des temps », et « Sagesse ». Comment ? Parce que c’est justement quand les hommes devaient périr, qu’ils furent sauvés. « Pour restaurer ». Qu’est-ce à dire, « Restaurer ? » Cela signifie réunir. Mais hâtons-nous d’approcher de la vérité même. Chez nous et dans l’usage, le mot employé par Paul signifie abréger, résumer de longs développements[5]. Ici, c’est la même chose : il a résumé, abrégé en lui tous les actes de sa Providence durant un long temps. Consommant la parole, et la résumant en justice, il a tout embrassé, et y a encore ajouté. Voilà le sens de cette expression : mais elle indique encore autre chose. Quoi donc ? C’est que Dieu a imposé un même chef[6] à tous, anges et hommes, le Christ incarné : il a soumis anges et hommes au même Christ ; il lui a soumis ceux-là, parce qu’il est le Dieu Verbe, ceux-ci, parce qu’il est le Verbe incarné. Ainsi qu’on peut dire en parlant d’une maison en partie solide, en partie délabrée : un tel a réparé sa, maison, c’est-à-dire l’a rendue plus solide, l’a assise sur un fondement plus ferme : de même ici Dieu a tout soumis à un même chef. Ainsi donc, comblé de tant de dons, d’honneurs, de bontés, ne faisons point honte à notre bienfaiteur, ne rendons pas tant de grâces inutiles, montrons une vie, une vertu, une conduite digne des anges : oui, je vous en prie, je vous en conjure, afin que toutes ces choses ne deviennent point des griefs ni des motifs de condamnation contre nous, mais nous procurent la jouissance des biens auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE II. modifier

EN QUI NOUS AUSSI NOUS AVONS ÉTÉ APPELÉS PAR LE SORT AYANT ÉTÉ PRÉDESTINÉS SELON LE DÉCRET DE CELUI QUI FAIT TOUTES CHOSES SUIVANT LE CONSEIL DE SA VOLONTÉ ; AFIN QUE NOUS SOYONS A LA LOUANGE DE SA GLOIRE, NOUS QUI LES PREMIERS AVONS ESPÉRÉ EN JÉSUS-CHRIST ; EN QUI VOUS AUSSI, APRÈS AVOIR ENTENDU LA PAROLE DE VÉRITÉ, L’ÉVANGILE DE VOTRE SALUT ; EN QUI, AYANT CRU, VOUS AVEZ ÉTÉ MARQUÉS DU SCEAU DE L’ESPRIT DE LA PROMESSE, QUI EST L’ESPRIT-SAINT, QUI EST LE GAGE DE NOTRE HÉRITAGE POUR LE RACHAT DE SON ACQUISITION, POUR LA LOUANGE DE SA GLOIRE. (I, 11-14)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. De la prédestination.
  • 3 et 4. Que nous ne sommes jamais contraints de pécher.

1. Partout Paul s’est efforcé de montrer l’ineffable bonté de Dieu pour nous, autant qu’il lui a été possible. En effet, qu’il était impossible d’en tracer une parfaite image, c’est ce qu’il reconnaît lui-même en disant : « O profondeur du trésor et de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont impénétrables, et ses voies impossibles à suivre ! » Du moins il la fait éclater autant qu’il est possible. Que signifie donc ceci : « En qui nous aussi nous avons été appelés par le sort ». Il a dit plus haut : « Il nous a élus ». Il dit ici : Nous avons été appelés par le sort. Mais le sort est l’effet du hasard, non du choix ni du mérite : c’est chose aveugle et fortuite qui souvent laisse de côte les hommes vertueux pour mettre en lumière ceux qui ne valent rien. Aussi voyez comment il se reprend : « Ayant été prédestinés selon le décret de celui qui fait toutes choses ». C’est-à-dire : Ce n’est pas au hasard que nous avons été tirés au sort ni élus : car c’est Dieu qui nous a élus, et c’est Dieu qui nous a tirés au sort. Il y a eu un dessein. C’est ainsi qu’il dit encore dans l’épître aux Romains : « À ceux qui sont appelés selon le dessein ». Ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. Après avoir commencé par dire : « À ceux qui sont appelés selon le dessein », voulant montrer en même temps quelle est leur supériorité sur les autres, il parle de tirage au sort, afin de ne pas supprimer le libre arbitre. Il fait donc figurer ce qui caractérise plus particulièrement le bonheur. En effet, les faveurs du sort ne sont pas dues au mérite, mais, pour ainsi parler, à une simple rencontre. C’est comme s’il disait : Après un tirage au sort il nous a élus. En somme, après que nous avons été prédestinés par son libre arbitre, en d’autres termes, après qu’il nous eut élus pour lui-même, il nous a mis à part : par exemple, il nous voyait avant que le sort nous eût désignés. Car la prescience de Dieu est merveilleuse, et connaît toutes choses avant leur naissance.

Mais vous, considérez comment partout il s’applique à montrer que ce n’est pas par suite d’un repentir, mais dès l’origine, que les choses avaient été disposées de la sorte, de façon que vous n’ayez en cela aucun désavantage à l’égard des Juifs, et par cette raison il fait tout pour cela. Comment donc le Christ lui-même dit-il : « Je n’ai pas été envoyé, sinon vers les brebis perdues de la maison d’Israël ? » (Mat. 15,24) Et ailleurs il dit à ses disciples : « N’allez pas sur le chemin des nations, et n’entrez pas dans la ville des Samaritains ». (Mat. 10, 5) Et le même Paul dit encore : « Il était nécessaire que la parole de Dieu vous fût dite en premier lieu ; mais puisque vous l’avez repoussée et que vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, voici que nous nous tournons vers les gentils ». (Act. 3,46) Si l’Écriture s’exprime ainsi, c’est pour qu’on ne croie pas que cela n’était pas dans les desseins de Dieu. « Selon le décret de celui qui fait toutes choses suivant le conseil de sa volonté ». C’est-à-dire qu’il n’a rien fait postérieurement, qu’il avait tout disposé dès l’origine. C’est ainsi qu’il conduit les choses à terme suivant le dessein de sa volonté. De sorte que s’il a appelé les gentils, ce n’est point parce que les Juifs ne l’écoutaient pas ; c’est sans y être forcé, sans y être poussé par ce motif. « Afin que nous soyons à la louange de sa gloire, nous qui les premiers avons espéré dans le Christ : en qui, vous aussi, ayant entendu la parole de vérité, l’Évangile de votre salut ». — « En qui », c’est-à-dire, par qui. Observez que partout le Christ est auteur de toutes choses et ne reçoit jamais le nom de ministre ni celui de serviteur. De même ailleurs, dans l’épître aux Hébreux, il dit : « Celui qui autrefois avait parlé à vos pères dans les prophètes, aux derniers jours vous a parlé dans le Fils » c’est-à-dire, par le Fils. « Le discours de vérité », et non plus le discours d’image ou de figure.

« L’Évangile de votre salut ». C’est avec raison qu’il emploie cette expression, faisant allusion d’une part à la loi, de l’autre à la punition future. Tel est en effet le caractère de la bonne nouvelle qui empêche la perte de ceux qui méritaient de périr. « En qui ayant cru ; vous avez été marqués du sceau dans l’Esprit de la promesse, qui est saint, qui est le gage de notre héritage ». Encore une marque d’infinie Providence que ce sceau : nous n’avons pas été seulement mis à part, désignés par le sort, mais encore scellés. Comme si quelqu’un lui avait révélé ceux qui devaient tomber au sort, Dieu les a mis à part pour la foi, les a scellés pour qu’ils fussent admis à l’héritage futur.

2. Voyez-vous comment, avec le progrès du temps, il les rend admirables ? Tant qu’ils étaient dans la prescience, ils n’étaient manifestes pour personne ; mais lorsqu’ils eurent été scellés, ils devinrent manifestes, non pas comme nous, toutefois : car ils seront manifestes, à part un petit nombre. Les Israélites aussi furent scellés, mais par la circoncision, comme les bêtes de somme et les brutes : nous aussi, nous avons été scellés, mais comme des fils, par l’Esprit. Qu’est-ce à dire : « l’Esprit de promesse ? » C’est-à-dire que nous l’avons reçu suivant une promesse. Car il y a deux promesses, l’une transmise par les prophètes, l’autre venant du Fils. L’une, ai-je dit, transmise par les prophètes. Écoutez Joël : « Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards, des songes ». Écoutez maintenant le Christ : « Et vous recevrez la vertu du Saint-Esprit venant vers vous, et vous serez témoins pour moi et dans Jérusalem, et dans toute la Judée et dans Samarie, et jusqu’aux confins de la terre ». (Act. 1,8) Cependant il fallait, dira-t-on, qu’il fût cru comme Dieu. Mais il ne se fonde pas là-dessus, il parle comme s’il s’agissait d’un homme, ainsi que dans l’épître aux Hébreux : « Afin que par deux choses immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu trompe, nous ayons une forte consolation ».

De même ici il allègue les dons faits précédemment à l’appui de la promesse. De là aussi cette expression, Gage (ou arrhes) : car les arrhes sont une partie de la somme totale. Il a acheté notre salut, et il a commencé par nous donner des arrhes. Et pourquoi ne nous avoir pas donné sur-le-champ toute la somme ? Parce que nous n’avions pas non plus livré le tout. Nous avons cru : c’est le commencement ; et lui, il nous a donné des arrhes : quand nous aurons manifesté notre foi par des œuvres, c’est alors qu’il complétera la somme. Ou plutôt il nous a donné une rétribution, son sang, et il nous en a promis encore une autre. De même que dans une guerre, les nations se donnent mutuellement des otages : ainsi Dieu a donné son Fils, comme un gage de trêve et de paix, et l’Esprit-Saint qui procède de lui car ceux qui participent véritablement à l’Esprit, savent qu’il est le gage de notre héritage.

Tel était Paul, qui dès lors avait goûté au festin d’en haut. Aussi se hâtait-il, brûlait-il de quitter notre séjour, et gémissait-il : car il voyait avec d’autres yeux, ayant transporté là-haut toute sa pensée. Tu ne participes point aux choses : voilà pourquoi tu es exclu aussi des paroles. Si nous participions tous à l’Esprit, comme il le faudrait, nous verrions les cieux et l’état des choses de là-haut. Maintenant, gage de quoi ? De la rédemption, de l’acquisition : car c’est alors qu’il y a rédemption parfaite. Maintenant, nous errons au milieu du monde, les accidents humains fondent sur nous en foule, nous sommes avec des impies mais la rédemption parfaite, celle qui n’admet ni péchés, ni troubles humains, c’est alors que nous la trouverons. Maintenant nous tenons un gage : car, maintenant même, nous avons renoncé à ces choses ; notre vie n’est pas sur la terre ; maintenant même nous sommes en dehors des choses d’ici-bas ; maintenant même nous ne sommes ici que des étrangers. « À la louange de sa gloire ». Il répète souvent cela. Pourquoi ? Parce que cela suffit pour inspirer la foi aux auditeurs. S’il faisait cela à cause de nous, il y aurait doute ; mais s’il l’a fait pour lui-même et pour manifester sa bonté, c’est un motif dont Paul se sert comme d’un témoignage, pour prouver qu’il n’aurait pu advenir autrement. De même, quand il est question des Israélites, les expressions suivantes reviennent souvent « Faites-nous à cause de votre nom ». Dieu lui-même dit : « Je fais à cause de moi ». Et Moïse : « Faites-moi à cause de votre nom », sinon pour un autre motif. Cela convainc les auditeurs, et les met en repos, en leur enseignant que Dieu ne peut manquer, à raison de sa propre bonté, de tenir ses promesses. Mais que ces paroles ne nous inspirent point le relâchement. Quand bien-même il agit pour lui, cela n’empêche pas qu’il n’exige de nous l’accomplissement de notre devoir. « Je glorifierai », dit-il, « ceux qui me glorifient, et ceux qui me comptent pour rien seront comptés pour rien » : Apprenons par là qu’il exige de nous que nous fassions notre devoir. La louange de sa gloire, c’est de sauver ses ennemis, mais ceux-là qui, une fois réconciliés, restent ses amis : car s’ils reviennent à leur première hostilité, tout est perdu, il n’y a rien de fait.

3. En effet, il n’y a pas de second baptême, pas de seconde réconciliation ; il ne reste plus que la redoutable attente du jugement, que l’avidité du feu qui doit dévorer les ennemis. Si nous devions, tout en restant perpétuellement les ennemis de Dieu, obtenir son indulgence, nous ne cesserions pas de lui faire la guerre, de nous abandonner aux voluptés, de nous corrompre, de nous rendre incapable de voir le soleil de justice qui a lui. Voulez-vous recevoir le rayon qui dessillera vos yeux ? Rendez-les beaux, sains, perçants. Dieu vous a fait voir le soleil de vérité. Si vous vous en détournez pour courir vous replonger dans les ténèbres, quelle sera votre excuse, votre justification ? Vous n’en aurez point : car vous aurez fait preuve d’une haine indicible. Quand vous ne connaissiez pas Dieu, vous étiez jusqu’à un certain point excusable de le haïr ; mais lorsque vous avez goûté à sa bonté, à son miel, si vous laissiez tout cela pour retourner à votre vomissement, vous donneriez les signes les plus manifestes de mépris et de dédain. Non, dira-t-on, je ne ferais que céder à la contrainte de la nature : j’aime le Christ, mais la nature me fait violence. S’il y a violence et contrainte, vous aurez une excuse ; si la faute provient de négligence, vous n’en aurez pas.

Examinons donc ce point, si les péchés sont causés par une contrainte, une violence, ou par un excès de négligence et de relâchement. « Tu ne tueras point », est-il écrit. Où est ici la contrainte, la violence ? La violence, c’est de tuer. Qui de nous, en effet, voudrait plonger le glaive dans la gorge du prochain, et ensanglanter sa droite ? Personne. Voyez-vous que c’est tout au contraire dans le péché que résident la contrainte et la violence ? Dieu a mis la tendresse dans notre nature, de façon que nous nous aimions les uns les autres. Il est écrit : « Tout animal aime son semblable, et tout homme son prochain ». Voyez-vous que nous devons à la nature les germes de la vertu ? C’est le vice qui est contre nature que s’il l’emporte en nous, c’est un signe d’extrême paresse de notre part. Prenons l’adultère : quelle est la contrainte qui y pousse ? La tyrannie du désir, répondra-t-on. Comment cela, dites-moi ? Est-ce qu’il n’est pas possible d’user de sa femme et de vaincre cette tyrannie ? Mais je suis épris d’amour pour la femme du prochain. — Ce n’est plus là de la contrainte : l’amour n’est pas du domaine de la contrainte. Ce n’est point par nécessité qu’on aime, mais par choix et par volonté. L’union des sexes, c’est peut-être une nécessité ; mais aimer celle-ci ou celle-là ce n’en est pas une. Ce n’est plus instinct sexuel, mais vanité, dérèglement, débauche. Où est la raison, dites-moi ? À posséder la femme qu’on a épousée, qu’on a prise pour en avoir des enfants, ou celle qu’on ne connaît pas ? Ne savez-vous pas que l’affection est fille de l’habitude ? De sorte que la nature n’est ici pour rien. N’accusez point le désir : le désir a été donné pour le mariage, inspiré pour la procréation des enfants, non pour l’adultère, ni pour la séduction. Les lois elles-mêmes pardonnent les fautes que la nécessité a fait commettre : ou plutôt il n’y a pas de fautes commises par nécessité, toutes viennent de la dépravation. Dieu n’a pas organisé la nature de telle sorte que le péché fût nécessaire : autrement, le châtiment n’existerait pas. Car nous-mêmes, nous ne demandons pas compte des actions forcées, à plus forte raison Dieu qui est si bon et si charitable.

Voyons encore : voler, est-ce un fait de nécessité ? Oui, dira-t-on : car c’est la pauvreté qui y conduit. C’est plutôt à travailler que la pauvreté conduit, ce n’est pas à voler. La pauvreté a donc un effet tout contraire : car le vol est un fruit de la paresse : et la pauvreté ne rend point paresseux, mais laborieux… Ainsi donc, voilà encore un péché imputable à la négligence… Écoutez encore : lequel est le plus difficile, dites-moi, le plus désagréable, de passer les nuits à veiller et à courir, de percer des murs, de marcher dans l’obscurité, de tenir sa vie dans ses mains, d’être prêt au meurtre, de trembler, de mourir de peur, ou de s’appliquer durant le jour au travail, et de jouir du calme et de la sécurité ? Voilà ce qui est facile : et parce que c’est facile, un plus grand nombre de gens font ce métier, que l’autre.

4. Voyez-vous que la vertu est selon la nature, et le vice contre nature, tout comme la santé et la maladie ? Mais mentir et se parjurer, cela peut-il être une nécessité ? Aucunement : c’est volontairement et sans y être forcés que nous commettons ces fautes. — On se défie de nous, dira-t-on. — On se défie de nous, parce que nous le voulons bien ; car nous pourrions inspirer plus de confiance par notre caractère, que nous ne faisons par nos serments. En effet, pour quelle raison, dites-moi, ne croyons-nous pas à certaines personnes en dépit de leurs serments, tandis que nous croyons à d’autres sans qu’elles jurent ? Voyez-vous qu’il n’y a nul besoin de serments ? Si un tel parle, je le crois, même sans serments ; vous, vous avez beau jurer, je ne vous crois pas. Donc le serment est chose superflue et plutôt une marque de défiance que de foi. La facilité à jurer fait obstacle à la réputation de piété. Aussi celui qui jure souvent n’a nullement un besoin impérieux de jurer ; et celui qui n’use pas de serment en a tout le profit. Dira-t-on maintenant que le serment est utile pour se faire croire ? Aucunement : car nous voyons que ceux qui ne jurent pas sont justement ceux à qui l’on croit de préférence.

Autre chose : être insolent, est-ce un effet de force majeure ? Oui, dira-t-on, car la colère nous jette hors de nous, nous enflamme, ne permet pas le repos à notre âme… L’insolence, mon cher auditeur, n’est pas un effet de la colère, mais un effet de la petitesse d’âme. Si elle venait de la colère, tous les hommes irrités ne cesseraient pas de se montrer insolents. La colère nous a été donnée, non pour insulter le prochain, mais pour convertir les pécheurs, pour que nous nous réveillions, pour que nous ne tombions pas dans l’indolence. La colère est en nous comme un aiguillon, afin que nous grincions des dents contre le diable, afin que nous soyons violents contre lui, et non pour que nous nous fassions mutuellement la guerre. Nous avons des armes, non pour nous attaquer nous-mêmes, mais pour nous défendre contre l’ennemi. Vous êtes emporté ? Montrez-vous tel contre vos péchés, frappez votre âme, flagellez votre conscience, soyez un juge irrité et impitoyable de vos propres péchés. Voilà l’avantage de la colère, voilà pourquoi Dieu nous l’a donnée.

Et l’usurpation, est-ce un effet de la nécessité ? Nullement : quelle nécessité d’usurper, dites-moi ? Qu’est-ce qui vous y force ? La pauvreté, dira-t-on, et la crainte du besoin. C’est justement une raison pour ne pas usurper ; car une richesse acquise ainsi est mal assurée. — Mais vous ressemblez à un homme à qui l’on demanderait pourquoi il fonde sa maison sur le sable, et qui répondrait : C’est à cause du froid, à cause de la pluie. C’est justement pour cela qu’il ne fallait pas bâtir sur le sable, car la pluie et les vents ont bientôt renversé de pareilles fondations. Si donc vous voulez être riche, respectez le bien d’autrui. Si vous voulez laisser une fortune à vos enfants, faites fortune honnêtement, à supposer que cela soit possible ; voilà la richesse qui dure et subsiste inébranlable ; toute autre est vite perdue et dissipée.

Vous voulez être riche, dites-moi, et vous prenez le bien des autres ? Cependant la richesse ne consiste pas en cela, mais à conserver ce qu’on a en propriété ; pour celui qui a le bien d’autrui, ce ne saurait être un riche ; autrement, ceux qui revendent de riches étoffes qu’ils ont achetées d’autrui, devraient être appelés les plus riches des hommes ; ces choses sont à eux pour un temps ; néanmoins nous ne les appelons pas riches. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont en main que le bien d’autrui. À supposer que les étoffes soient à eux, ils n’en ont pas le prix ; et quand bien même ils en auraient le prix, ce n’est pas là une richesse. Que si les choses qui s’échangent ne constituent pas une richesse, à cause de la promptitude avec laquelle nous nous en séparons, comment des biens usurpés feraient-ils un riche ? Mais tu désires t’enrichir à tout prix (tu désires, car la nécessité n’y est pour rien) ; quel bien veux-tu donc avoir en plus grande abondance ? Est-ce une vie plus longue ? Mais les hommes de cette espèce ne vivent pas longtemps. Souvent ils sont punis de leurs rapines et de leur convoitise par une fin prématurée qui les empêche de jouir longtemps de leurs acquisitions, et les conduit dans l’enfer, seul bien qu’ils aient gagné ; souvent encore le luxe, les fatigues, les inquiétudes, leur causent des maladies qui les emportent.

Je voudrais savoir pourquoi la richesse excite l’ambition des hommes. Cependant si Dieu a prescrit des limites et des bornes à la nature, c’est pour que nous ne soyons nullement contraints de rechercher la richesse ; par exemple, il a voulu que nous eussions un vêtement ou deux pour nous couvrir ; en avoir plus ne sert de rien pour cet usage. À quoi bon tant d’habillements qui ne servent qu’à nourrir les teignes ? L’estomac de même n’a qu’une capacité bornée : le charger au-delà d’une certaine mesure est chose funeste à tout animal. À quoi bon tant de bétail, de bergeries, et tous ces massacres de viandes ? Nous n’avons besoin que d’un toit pour nous abriter. À quoi bon les péristyles et les constructions dispendieuses ? Pour loger les vautours et les corbeaux, vous dépouillez les pauvres. Quels tourments de l’enfer sont assez rigoureux pour une telle conduite ? Combien de gens font bâtir dans des endroits qu’ils n’ont pas même vus des édifices tout resplendissants de colonnes et de marbres précieux (que ne vont-ils pas imaginer !) Et ils n’en jouissent pas, ni eux, ni personne : car l’isolement les retient ; néanmoins ils continuent. Voyez-vous que l’amour du gain même n’est pour rien là dedans ? Tout cela a sa source dans la démence, la déraison, la vanité : fuyons ces vices, je vous en conjure, afin d’échapper aux autres maux, et d’obtenir les biens promis, à ceux qui l’aiment en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

HOMÉLIE III. modifier

C’EST POURQUOI, MOI AUSSI, APPRENANT QUELLE EST VOTRE FOI DANS LE SEIGNEUR JÉSUS, ET VOTRE AMOUR POUR TOUS LES SAINTS, JE NE CESSE DE RENDRE GRÂCES POUR VOUS, FAISANT MÉMOIRE DE VOUS DANS MES PRIÈRES ; AFIN QUE LE DIEU DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, LE PÈRE DE LA GLOIRE, VOUS DONNE L’ESPRIT DE SAGESSE ET DE RÉVÉLATION, POUR LE CONNAÎTRE ; QU’IL ÉCLAIRE LES YEUX DE VOTRE CŒUR, POUR QUE VOUS SACHIEZ QUELLE EST L’ESPÉRANCE A LAQUELLE IL VOUS A APPELÉS, QUELLES SONT LES RICHESSES DE GLOIRE DE L’HÉRITAGE DESTINÉ AUX SAINTS ; ET QUELLE EST LA GRANDEUR SURÉMINENTE DE SA VERTU EN NOUS, QUI CROYONS, SELON L’OPÉRATION DE LA PUISSANCE DE SA VERTU, QU’IL A EXERCÉE DANS LE CHRIST, LE RESSUSCITANT D’ENTRE LES MORTS. — (I, 15, 20, JUSQU’À LA FIN DU CHAP)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. Le chef et le corps de l’Église. — Que l’assistance de l’Esprit-Saint nous est nécessaire pour croire les mystères.
  • 3-5. De la sainte Communion. — Contre l’habitude de communier à jour fixe.

1. Il n’y a jamais rien eu de comparable au cœur des apôtres, rien de pareil à la charité, à la tendresse du bienheureux Paul qui priait pour des villes et des nations entières. C’est à tous qu’il s’adresse en disant : « Je rends grâces à Dieu pour vous, faisant mémoire de vous dans mes prières ». Songez combien de personnes il avait dans l’esprit, desquelles il était difficile même de se souvenir : de combien de personnes il faisait mention dans ses prières, rendant grâces pour toutes à Dieu, comme s’il était lui-même le principal obligé. « C’est pourquoi », dit-il : à savoir, à cause de l’avenir et des biens réservés à ceux qui ont la vraie foi et une bonne conduite. On doit sans doute remercier Dieu de tout ce qu’il a fait pour l’espèce humaine, et auparavant, et après ; mais on doit lui rendre grâces aussi pour la foi de ceux qui croient. « Apprenant quelle est votre foi par le Christ, et votre amour pour tous les saints ». Partout il associe et réunit la foi et la charité, couple merveilleux. Ce ne sont pas seulement les fidèles de la contrée qu’il a en vue, mais tous. « Je ne cesse de rendre grâces pour vous, faisant mémoire de vous dans mes prières ». Pourquoi pries-tu, que demandes-tu ? « Afin que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne l’esprit de sagesse et, de révélation ». Il prie pour qu’ils apprennent ce qu’ils doivent apprendre, pourquoi ils ont été appelés, et comment ils ont été affranchis de leur premier état. — Il compte trois choses auxquelles ils ont été appelés Pourquoi, trois ? La considération des choses futures nous le révélera. Les biens que Dieu nous réserve, nous feront connaître son ineffable et suprême richesse : en nous rappelant ce que nous étions et comment nous sommes arrivés à croire, nous nous convaincrons de la puissance du Dieu qui a pu convertir des hommes éloignés de lui depuis si longtemps : « Car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort « que les hommes ». (1Co. 1, 25) Enfin par la même puissance avec laquelle il avait suscité le Christ, il nous a attirés à lui ; et ce pouvoir n’est point borné à la résurrection : il s’étend beaucoup plus loin. « Et il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux, au-dessus de toute principauté, de toute puissance, de toute vertu, de toute domination, et de tout nom qui est nommé. Et il a mis toutes choses sous ses pieds, et il l’a établi chef sur toute l’Église, qui est son corps, et le complément de celui qui se complète entièrement dans tous ses membres (21, 23) ».

Voilà de grands mystères, de redoutables secrets auxquels nous sommes associés. Pour les connaître, il faut participer à l’Esprit-Saint, et jouir de grâces abondantes. Voilà pourquoi Saint Paul dit dans sa prière : « Le Père de la gloire » : c’est-à-dire, celui qui nous a donné de grands biens. Car partout il désigne Dieu par un nom approprié à la chose dont il parle, par exemple lorsqu’il dit : « Le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation ». (2Co. 1, 3) Le prophète dit de même : « Le Seigneur, ma force et mon appui ». (Psa. 17,2-3) — « Le Père de la gloire ». Il ne peut représenter toutes ces choses par les noms qui leur conviennent, et partout il se sert du mot « Gloire », qui désigne chez nous toute espèce d’illustration. Voilà, dit-il, le Père de la gloire et le Dieu du Christ. Qu’est-ce à dire ? Le Fils est donc au-dessous de la gloire ? Personne, fût-il insensé, n’oserait le prétendre. « Qu’il vous donne », c’est-à-dire, qu’il élève votre pensée et lui donne des ailes. Car il n’y a pas d’autre moyen d’être instruit sur ce sujet. « L’homme animal ne reçoit pas les choses de l’esprit : car elles sont folie pour « lui ». (1Co. 2,14)

2. Mais pour ce qui est d’embrasser la foi, il n’en est pas de même. Que se passe-t-il donc ? Écoutez cette autre parole : « Combien de fois j’ai voulu réunir vos enfants, et vous ne l’avez pas voulu ! » (Luc. 13,43) Voyez-vous que c’est plus difficile ? Il part donc de là pour établir le tout. C’est qu’il était bien plus difficile de persuader le libre arbitre par des raisons humaines, que de créer la nature. La raison, c’est qu’il veut lui-même que nous devenions bons ainsi et de notre plein gré. Paul dit justement : Quelle est la grandeur suréminente de sa vertu en nous, qui croyons. Lorsqu’eurent été employés en pure perte les prophètes, les anges et les archanges, toute la création, tant visible qu’invisible, la création visible exposée aux regards des hommes, sans avoir pu les gagner, la création invisible qui est si multiple, alors Dieu décida l’Incarnation, montrant par là que l’intervention divine était nécessaire. « Les richesses de gloire », c’est-à-dire, la gloire ineffable. Quel discours pourrait représenter la gloire à laquelle les saints participeront alors ? Personne. La grâce est vraiment nécessaire pour que l’intelligence la connaisse, ou en aperçoive du moins quelque rayon. Précédemment déjà, on en savait quelque chose ; mais Dieu voulait que cette connaissance fût plus complète et plus distincte. Voyez-vous tout ce qu’il a fait ? Il a ressuscité le Christ ; c’est peu. Voyez encore : Il l’a fait asseoir à sa droite. Quel discours peut représenter cela ? Celui qui était né de la terre, plus muet que le poisson ; qui avait été le jouet des démons, il l’élève aussitôt dans les cieux. En effet, la grandeur de sa puissance est suréminente.

Et considérez où il l’a élevé ? Dans les cieux, au-dessus de toute nature créée, par-delà toute puissance et toute principauté. « Encore au-dessus de toute principauté ». Vraiment il est besoin de l’Esprit, il est besoin d’une pensée sage pour le connaître ; vraiment il est besoin d’une révélation. Songez quel intervalle il y a entre l’homme et la nature de Dieu : De cette bassesse il l’a fait monter à ces honneurs ; il ne s’est pas borné à lui faire franchir un, deux ou trois degrés. Mais quoi ! il ne dit pas seulement : « Au-dessus », mais : « Encore au-dessus ». Car Dieu est plus haut que les puissances d’en haut. C’est donc là qu’il a élevé celui qui sortait du milieu de nous. Du dernier degré, il l’a porté à la suprême puissance, après laquelle il n’y a plus de dignité. « De toute principauté », dit-il, non de telle ou telle, mais de toutes. « De toute principauté, de toute puissance, de toute vertu, de toute domination et de tout nom qui est nommé ». Tout ce qui est dans le ciel est au-dessous de lui. Ceci est dit de celui qui fut ressuscité d’entre les morts : ce qui doit exciter la surprise. Du Dieu Verbe, aucunement. Ce que sont les moucherons à l’égard des hommes, toute la création l’est à l’égard de Dieu. Et que dis-je, les moucherons ? Si tous les hommes seront comptés comme de la salive, s’ils ont été comptés comme le plus petit des poids qu’on met dans la balance, ce sont les puissances invisibles qu’il faut assimiler à des moucherons. Paul n’a donc pas parlé ainsi du Dieu Verbe, mais de celui qui est sorti d’entre nous : chose vraiment grande et merveilleuse. Il l’a pris au dernier étage de la terre pour l’élever. Si toutes les nations sont comme une goutte, quelle fraction de goutte sera donc un seul homme ? Néanmoins Dieu l’a élevé au-dessus de tous, non seulement dans ce siècle, mais encore dans le siècle futur. — Il y a donc des puissances qui portent des noms obscurs pour nous et inconnus.

« Et il a mis toutes choses sous ses pieds ». Il ne l’a pas seulement mis plus haut, afin qu’il jouît de la prééminence ; il n’a pas procédé par comparaison, il a voulu qu’il les dominât comme le maître domine ses serviteurs. Ah ! Quelles choses redoutables ! Toute puissance créée est devenue servante de l’homme, à cause de l’incarnation du Dieu Verbe. On peut se figurer quelqu’un qui ait seulement des inférieurs, mais non des sujets. Ici il n’en est pas de même, tout a été mis sous ses pieds ; c’est-à-dire au plus bas degré au-dessous duquel il n’y a rien. « Sous ses pieds, et il l’a établi chef sur tout dans l’Église ». À quelle hauteur il porte maintenant l’Église ! Comme s’il la tirait au moyen d’une machine, il l’élève à la plus grande hauteur, et la fait asseoir sur ce trône sublime ; car où est le chef, là est aussi, le corps, puisque la tête et le corps sont immédiatement unis. « Sur tout ». Ou bien cela signifie que le Christ est au-dessus de toutes choses, visibles ou invisibles ; ou bien que par-dessus tous ses bienfaits il a donné son Fils pour chef. Ce n’est pas un ange, ce n’est pas un archange, ni une puissance plus élevée qu’il a envoyée ici-bas. — Et ce n’est pas seulement en élevant ce qui sortait d’entre nous qu’il nous a honorés ; c’est encore en faisant que toute l’espèce le suivît, s’attachât à lui, l’accompagnât : « Qui est son corps ».

Afin qu’en entendant ce mot chef, vous ne songiez pas seulement à la primauté, mais encore à la solidité et à l’union ; afin que cette expression ne vous représente pas seulement un dominateur, mais encore la tête d’un corps, il parle ensuite du « Complément de celui qui se complète entièrement dans tous ses membres ». Comme si ce qui précède ne suffisait pas pour montrer le rapport et la parenté, que dit-il ? Que l’Église est le complément du Christ. En effet, le corps est le complément de la tête, et la tête le complément du corps. Voyez quel ordre exact suit Paul, et comment il n’épargne aucune parole pour exprimer la gloire de Dieu. « Complément », dit-il, complément pareil à celui que forme le corps par rapport à la tête. En effet, la réunion des membres forme le corps, et il n’en est pas qui ne lui soit nécessaire. Voyez comment il montre cette nécessité de tous les membres. Si nous n’étions pas nombreux, si l’un n’était pas la main, l’autre le pied, l’autre tel autre organe, le corps ne serait pas complet. Il faut donc que rien ne manque pour que son corps à lui, soit complet. La tête a son complément, le corps est parfait, lorsque nous sommes réunis et assemblés tous ensemble.

3. Voyez-vous les richesses de gloire de l’héritage ? Voyez-vous la grandeur suréminente de la vertu de Dieu envers ceux qui croient ? Voyez-vous l’espérance à laquelle vous êtes appelés ? Respectons notre chef, songeons de quel chef nous sommes le corps, chef auquel tout est soumis. D’après cela, il faut que nous soyons meilleurs que les anges, et plus grands que les archanges, puisque nous sommes plus élevés qu’eux tous en dignité. « Dieu n’a pas pris les anges, mais il a pris la race d’Abraham ». (Héb. 2,16) Il n’a pris ni principauté, ni vertu, ni domination, ni aucune autre puissance : c’est notre nature qu’il a prise et qu’il a établie là-haut. Et que dis-je, établie ? Il en a fait son vêtement, et il ne s’en est pas tenu là, il a tout mis sous ses pieds. Combien voulez-vous mettre de morts ? Combien de vies ? mille, des milliers ? Vous n’arriverez pas au niveau. Il a fait les deux plus grandes choses qui se pussent faire ; il est descendu lui-même au dernier degré d’abaissement, et il a porté l’homme au comble de l’élévation. Paul a parlé en premier lieu de l’abaissement : il arrive maintenant à ce qui est plus sublime encore, au grand, au principal mystère. Cependant, quand bien même nous n’aurions rien reçu que le premier bienfait, il suffisait ; et si nous étions jugés dignes d’un tel honneur, du moins l’immolation n’était pas nécessaire. Quel langage, quelle hyperbole pourrait donc égaler ces deux bienfaits réunis ? C’est peu que la résurrection, quand je songe à cela. Ce n’est pas le Dieu Verbe qu’il a en vue lorsqu’il dit : Le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Respectons cette étroite parenté, craignons que quelqu’un ne vienne à être retranché de ce corps, que quelqu’un ne soit rejeté, que quelqu’un ne se montre indigne. Si l’on avait ceint notre front d’un diadème, d’une couronne d’or, est-ce que nous ne ferions pas tous nos efforts pour nous montrer dignes de notre vaine parure de pierres précieuses ? Mais ce n’est pas un diadème qui ceint aujourd’hui notre front : c’est Jésus qui est devenu notre tête, notre chef, ce qui est bien autre chose, et nous n’en tenons nul compte. Ce chef, les anges, les archanges et toutes les puissances d’en haut le vénèrent ; mais nous, qui sommes son corps, ni ce motif ni l’autre ne nous le font vénérer ? Et quel espoir de salut y aura-t-il pour nous ?

Songez au trône royal, songez à cet excès d’honneur : il ne tient qu’à nous que cela ne soit pour nous un plus grand sujet d’effroi que l’enfer même. S’il n’y avait pas d’enfer, ne serait-ce pas un affreux supplice, un affreux châtiment, que d’être reconnus indignes par notre méchanceté de la glorieuse prérogative dont nous avons été honorés. Songe auprès de qui siège ton chef ; il n’en faut pas davantage : songe à la droite de qui il est assis. Eh quoi ! le chef plane au-dessus de toutes les principautés, les puissances et les vertus ; et le corps est foulé aux pieds par les démons ! À Dieu ne plaise ! Si cela arrivait, ce ne serait plus le corps désormais. Devant ton chef tremblent les serviteurs glorieux, et tu mets le corps sous les pieds de ceux qui ont offensé le maître ! Quel châtiment n’encours-tu point par là ? Si quelqu’un mettait des fers et des entraves aux pieds d’un roi, ne s’exposerait-il pas au dernier supplice ? Toi, tu jettes le corps tout entier aux bêtes féroces, et tu ne trembles pas ?

Mais puisqu’il est question du corps du Seigneur, parlons aussi de celui qui fut mis en croix, cloué, de la victime du sacrifice. Si tu es corps du Christ, porte la croix, car il l’a portée ; supporte les crachats, supporte les soufflets, supporte les clous ! Tel était ce corps. Ce corps était sans péché. « Il ne fit pas de péché », est-il écrit, « et la ruse ne fut pas trouvée dans sa bouche ». (Isa. 53,9) Ses mains faisaient tout pour obliger ceux qui avaient besoin ; sa bouche ne proféra jamais aucune parole déplacée. On lui dit : « Tu as un démon » (Jn. 7,28) ; et il ne répondit rien. Puisque nous parlons du corps, nous qui participons au corps, nous qui goûtons à ce sang, songeons que nous participons, que nous goûtons à celui qui ne diffère en rien de celui-là, à celui qui siège là-haut, qui est adoré par les anges, qui est auprès de l’incorruptible Vertu. Hélas ! que de routes nous sont ouvertes pour le salut ! Il a fait de nous son corps, il nous a communiqué son corps, et rien de tout cela ne nous détourne du mal ! O ténèbres et abîme ! ô stupidité ! « Songez », est-il écrit, « aux choses du ciel, où est le Christ assis à la droite de Dieu ». (Col. 3,1, 2) Et après cela on trouve encore des hommes qui songent à l’argent, d’autres qui se laissent séduire par les passions !

4. Ne voyez-vous pas que dans notre corps aussi, tout ce qui est inutile et hors de service est coupé, retranché ; avoir fait partie du corps, cela ne sert de rien au membre perclus, paralysé, gangrené, dont le mal peut se communiquer aux autres. Ne nous rassurons donc point par cette pensée que nous faisons partie du corps une fois pour toutes. Si un corps formé par la nature n’en est pas moins amputé, quelle terrible opération ne subira pas le corps formé par le libre arbitre, s’il ne reste pas en santé ? Le corps, ouvrage de la nature, est paralysé quand il ne participe plus à la nourriture matérielle, quand les pores en sont obstrués ; il est perclus, quand les vaisseaux ne font plus leur office. De même quand nous nous bouchons les oreilles, notre âme devient percluse ; quand nous cessons de participer à la nourriture spirituelle, quand certains vices attaquent notre tempérament à la manière d’humeurs corrompues, toutes ces causes engendrent la maladie funeste, une maladie qui produit la gangrène : désormais, le fer, le feu seront nécessaires, car le Christ ne consent pas à entrer dans la chambre nuptiale avec un corps pareil. Il a renvoyé, chassé celui qui était revêtu d’habits sordides, que ne fera-t-il pas a l’homme qui a souillé son corps ? Quel traitement ne lui infligera-t-il pas ?

Je vois beaucoup de personnes, qui participent étourdiment et sans réflexion au corps du Christ, plutôt par habitude et pour obéir à la loi, que par raison et par réflexion. Voient-elles arriver le temps du saint Carême ou celui de l’Épiphanie, en quelque état qu’elles se trouvent, elles prennent part aux sacrements. Cependant ce n’est pas l’époque de l’année qui fait, en cela, l’opportunité ; car ni l’Épiphanie, ni le Carême ne rendent digne d’approcher des sacrements, mais seulement la pureté parfaite de l’âme. Quand vous l’avez, approchez-en toujours ; jamais, quand elle vous manque. Car il est écrit : « Toutes les fois que vous faites cela, vous annoncez la mort du Seigneur » (1Co. 11,26) ; c’est-à-dire, vous faites une commémoration de votre salut, ale mon bienfait. Songez à la prudence dont usaient ceux qui prenaient part à l’ancien sacrifice. Que ne faisaient-ils pas ? Ils ne manquaient jamais de se purifier. Mais vous, pour approcher du sacrifice devant lequel tremblent les anges mêmes, vous obéissez au cours du temps ? Et comment vous présenterez-vous au tribunal du Christ, vous qui avec des mains et des lèvres souillées, osez profaner son corps ? Vous n’oseriez pas embrasser un roi, si vous aviez la bouche puante ; et vous osez embrasser le roi du ciel avec une âme puante ! Quel excès d’insolence !

Dites-moi : Voudriez-vous approcher du sacrifice avec des mains sales ? Je ne le pense pas : vous aimeriez mieux vous abstenir que d’en approcher en cet état. Eh bien ! vous qui êtes circonspect à ce point dans les petites choses, vous en approchez, vous osez y toucher avec une âme souillée ? Cependant la victime ne séjourne qu’un moment entre vos mains, et elle se résout tout entière dans votre âme. Voyez-vous ces vases si bien lavés, si brillants ? eh bien ! il faut que nos âmes soient encore plus pures, encore plus immaculées et plus brillantes. Pourquoi ? Parce que c’est en vue de nous qu’on nettoie ainsi ces vases. Ils ne participent pas, eux, à leur contenu, ils ne le sentent pas ; nous, c’est autre chose. Or, vous ne voudriez pas vous servir d’un vase malpropre, et vous apportez vous-même une âme malpropre : je vois là une singulière disparate. Aux autres époques, même quand vous êtes purs, vous n’approchez pas des sacrements, et à Pâques, fussiez-vous chargés d’un crime, vous vous en approchez ? O habitude ! ô préjugé ! en vain le sacrifice est quotidien, en vain nous nous tenons auprès de l’autel, personne ne prend place au banquet. Si je parle ainsi, ce n’est pas pour que vous communiiez à la légère, mais pour que vous vous mettiez en état. Vous n’êtes pas digne du sacrifice de la communion ? Alors vous n’êtes pas digne non plus de la prière. Vous entendez le héraut qui se tient debout et dit : « Vous tous, qui êtes en pénitence, retirez-vous ». Tous ceux qui ne communient pas sont en pénitence. Si vous êtes au nombre de ceux qui sont en pénitence, vous ne devez pas communier : car celui qui ne communie pas est au nombre de ceux qui sont en pénitence. Pourquoi donc dit-il : « Retirez-vous, vous qui ne pouvez pas prier », et vous, restez-vous effrontément en place ? Mais vous n’êtes pas de ce nombre ; vous êtes de ceux qui peuvent communier, et vous ne vous en inquiétez pas ? Vous regardez cela comme rien ?

5. Songez-y, je vous en prie ; voilà un banquet royal : les anges le desservent, le monarque même y assiste, et vous restez là bouche béante ? Vos vêtements sont souillés, et vous ne vous en inquiétez pas ? — Mais non : ils sont propres ? Mettez-vous donc à table, et communiez. Il vient chaque jour visiter les convives, il parle à tous ; il dira donc à votre conscience : Amis, comment êtes-vous ici sans habit de noce ? Il ne dit pas : Pourquoi avez-vous pris place à la table ? C’est avant l’installation, avant l’entrée qu’il déclare qu’on est indigne. En effet, il ne dit pas : Pourquoi avez-vous pris place ? mais bien : Pourquoi êtes-vous entré ? Voilà ce qu’il dit maintenant même à nous tous qui nous tenons ici debout, sans pudeur et sans honte. En effet, quiconque ne participe pas aux sacrements, celui-là est un impudent, un effronté. Voilà, pourquoi on commence par exclure ceux qui sont en état de péché. Ainsi que, lorsque le maître prend place à table, il ne faut pas que les serviteurs qui l’ont offensé soient présents, et que l’on a soin de les écarter : de même ici, quand on offre le sacrifice, et que la victime est le Christ, l’Agneau du Seigneur, en entendant ces mots : « Prions tous en commun », en voyant les vestibules s’ouvrir, vous devez croire que le ciel s’ouvre, et que les anges descendent de là-haut. Si donc aucune des personnes étrangères à nos mystères ne doit rester dans l’assistance, il en est de même des initiés qui sont souillés.

Dites-moi : supposez qu’une personne invitée à un festin se lave les mains, s’attable, soit toute prête à goûter aux mets, et que néanmoins elle n’y touche pas, ne sera-ce pas faire injure à celui qui l’a invitée ? ne vaudrait-il pas mieux n’être pas venu ? De même pour vous : vous êtes présent, vous avez chanté l’hymne : vous vous êtes mis au nombre de ceux qui sont dignes en ne vous retirant pas avec les indignes ; comment êtes-vous resté, si vous ne prenez point part au banquet ? Je suis indigne, dites-vous… Vous êtes donc indigne aussi de la communion des prières. En effet, ce n’est pas seulement le sacrifice, ce sont encore les cantiques qui font descendre de toutes parts le Saint-Esprit. Ne voyez-vous pas que nos serviteurs lavent la table avec une éponge, et nettoient la maison avant de mettre la table ? Cela se fait par les prières, par la voix du diacre. Nous lavons l’église comme avec une éponge, afin qu’elle soit pure pour l’offrande, qu’il n’y ait ni tache ni souillure… Les yeux mêmes des indignes, leurs oreilles sont ici de trop. « Si une bête touche la montagne, elle sera lapidée ». (Exo. 19,13) Ainsi les Juifs n’étaient pas même dignes de monter sur la montagne : du reste, ils s’approuvèrent ensuite, et virent la place où avait été Dieu. Eh bien ! quand tout sera fini, vous pourrez vous approcher et regarder : mais tant que Dieu est là, retirez-vous : cela ne vous est pas plus permis qu’au catéchumène. Car il n’y a pas égalité entre celui qui n’a jamais touché aux sacrements, et celui qui, après les avoir reçus, les brave par des offenses, et se rend indigne de son privilège. Je pourrais ajouter d’autres considérations encore plus effrayantes : mais de crainte de charger votre mémoire, j’en reste là : ceux qui ne seront point corrigés par ce que j’ai dit, ne le seraient point par de plus longs développements. Si donc nous ne voulons pas rendre notre jugement plus rigoureux, je vous supplie, non de vous présenter, mais de vous rendre dignes du lieu où vous êtes et du sacrement.

Dites-moi : si un roi vous donnait cet ordre impérieux : Si quelqu’un fait telle chose, qu’il ne paraisse pas à ma table ; est-ce que vous ne feriez pas tous vos efforts pour être admis ? Eh bien ! nous sommes conviés au ciel, à la table du grand, du sublime monarque, et nous hésitons, et nous tergiversons, et nous ne nous hâtons point d’accourir ? Et quel espoir de salut nous reste-t-il ? Nous ne pouvons alléguer notre faiblesse, nous ne pouvons mettre en cause la nature : la négligence, voilà le seul principe de notre indignité. Nous avons dit ce que nous avions à vous dire. Que celui qui produit la componction dans les cœurs, qui donne l’esprit de componction, produise un pareil effet dans vos âmes et y enfouisse profondément sa semence, afin que vous conceviez de sa crainte, que vous enfantiez un esprit de salut, et que vous approchiez avec confiance. « Tes fils », est-il écrit, « sont comme de jeunes pousses d’olivier autour de ta table ». (Psa. 127,3) Ainsi donc, point de vieilles pensées ; rien de farouche, d’aigre, de sauvage. Car telles sont les jeunes pousses propres à donner du fruit, ce fruit merveilleux de l’olivier ; assez fortes pour que tous soient autour de la table, et ne se réunissent pas ici étourdiment ni à la légère, mais avec crainte et tremblement. Ainsi vous verrez là-haut le Christ lui-même avec confiance, et vous serez jugés dignes du royaume céleste, auquel puissions-nous tous parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IV. modifier

ET VOUS, LORSQUE VOUS ÉTIEZ MORTS PAR VOS OFFENSES ET PAR VOS PÉCHÉS, DANS LESQUELS AUTREFOIS VOUS AVEZ MARCHÉ, SELON LA COUTUME DE CE MONDE, SELON LE PRINCE DES PUISSANCES DE L’AIR, DE L’ESPRIT QUI AGIT EFFICACEMENT A CETTE HEURE SUR LES FILS DE LA DÉFIANCE, PARMI LESQUELS NOUS TOUS AUSSI NOUS AVONS VÉCU, SELON NOS DÉSIRS CHARNELS, FAISANT LA VOLONTÉ DE LA CHAIR ET DE NOS PENSÉES ; ET NOUS ÉTIONS PAR NATURE ENFANTS DE COLÈRE COMME TOUS LES AUTRES. (II, 1-3 JUSQU’À 10)

Analyse. modifier

  • 1. La foi et les œuvres.
  • 2. Degrés dans les châtiments de l’autre vie.
  • 3. Que l’idée de la bonté divine ne doit pas rassurer les pécheurs.
  • 4. Que toute consolation sera bannie de l’enfer.

1. Il y a une mort corporelle : il y a aussi une mort de l’âme. La première ne nous met point en faute, ni en danger : car elle est le fait de la nature, non de la volonté. Elle résulte de la transgression du premier homme : après quoi elle a passé dans notre nature. D’ailleurs elle ne doit avoir qu’une courte durée. Quant à la mort spirituelle qui procède de la volonté, elle nous est imputable et n’aura point de fin. Considérez donc comment Paul qui a déjà établi cette vérité sublime, que ressusciter les morts est une moins grande tâche que de guérir la mort de l’âme, comment Paul, dis-je, y revient ici, comme sur une grande chose : « Et vous, lorsque vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels autrefois vous avez marché selon la coutume de ce monde, selon le prince des puissances de l’air, de l’Esprit qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance ». Voyez-vous la douceur de Paul, et comment partout il console son auditeur, et évite de l’accabler ? Après avoir dit : Vous êtes arrivé au dernier degré de perversité (car c’est ce que veut dire « Être morts ») : craignant de les trop accabler (car les hommes éprouvent de la honte à voir étaler leurs anciennes fautes, même effacées et sans danger désormais), il leur attribue un complice, afin que tout ne parût pas être leur ouvrage, et un puissant complice. Lequel donc ? le diable. Il se comporte de même encore dans l’épître aux Corinthiens. (1Co. 6,9 et suiv) Car après avoir dit : « Ne vous laissez pas égarer : ni fornicateurs ni idolâtres », (et le reste), n’entreront dans le royaume des cieux, il ajoute : C’est environ ce que vous étiez. Il ne dit pas seulement : « Vous étiez », mais : « Vous étiez environ », c’est-à-dire, à peu près[7]. Ici les hérétiques nous pressent : ils prétendent qu’il est ici question de Dieu, et dans l’intempérance effrénée de leur langage, ils appliquent à Dieu des expressions qui ne désignent que le diable. Comment leur fermer la bouche ? Au moyen du texte même : Si Dieu est juste, comme vous le reconnaissez vous-même, et qu’il ait fait cela, ce n’est plus le fait d’un être juste, mais d’un être injuste et méchant : or Dieu ne saurait jamais être méchant. Pourquoi donc appeler le diable prince de ce siècle ? Parce que presque toute la nature humaine s’est donnée à lui, et que tous le servent librement et volontairement. Le Christ qui promet des biens innombrables n’obtient nulle attention. Le diable ne promet rien de pareil, il nous pousse en enfer : et tous lui cèdent. Son empire est sur ce siècle, il compte plus de sujets que Dieu, et bien plus dociles, sauf un petit nombre, par un effet de notre relâchement : « Selon la puissance de l’esprit de l’air ». C’est-à-dire qu’il habite sous le ciel quant aux esprits de l’air, ce sont les puissances incorporelles qui dépendent de lui. Maintenant, pour vous faire entendre que sa domination est une domination du siècle, c’est-à-dire bornée à la durée du siècle présent, voici ce que Paul dit à la fin de l’épître : « Nous n’avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce siècle de ténèbres ». (VI, 12) Pour que cette expression : « Dominateur du monde » ne vous fasse pas croire que le diable est incréé, il ajoute : « De ce siècle de ténèbres ». Et ailleurs par « Siècle mauvais » (Gal. 2,4), il désigne un temps bouleversé, sans parler des créatures. Car il me paraît que devenu prince sous le ciel, il n’est pas déchu de son pouvoir même après la transgression.

« Qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance ». Voyez-vous que le démon ne se sert point de la violence ni de la tyrannie, mais de la persuasion pour nous gagner. Ce mot « Défiance » est employé ici pour faire entendre que la séduction et la persuasion sont mises seules en usage. Et Paul ne console pas seulement les fidèles en leur donnant un complice, mais encore en se rangeant lui-même parmi eux : « Parmi lesquels nous tous aussi nous avons vécu ». — « Tous » : on ne peut dire que quelqu’un fût excepté. « Selon nos désirs charnels, faisant la volonté de la chair et de nos pensées ; et nous étions par nature enfants de colère comme tous les autres », c’est-à-dire : « N’ayant aucune pensée spirituelle ». Mais pour que l’on ne soupçonne pas, qu’il s’exprime ainsi pour attaquer la chair et qu’on ne voie là une grande faute, voyez comme il se met sur ses gardes : « Faisant la volonté de la chair et de nos pensées » : il désigne par là les affections de la volupté. Nous avons irrité Dieu, dit-il, nous l’avons mis en colère ; en d’autres termes Nous étions colère et rien autre chose. Car de même que l’enfant d’un homme est homme de sa nature, de même nous aussi ; nous étions enfants de colère comme les autres. C’est-à-dire : Personne n’était libre, nous nous conduisions tous de manière à mériter la colère.

« Mais Dieu qui est riche en miséricorde (4) ». Il ne dit pas seulement : « Miséricordieux » mais : « Riche en miséricorde ». Comme il dit ailleurs : « Dans l’abondance de votre miséricorde », et encore : « Ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde ». (Ps. 68,1.7, et 50, 1) — « Par le grand amour dont il nous a aimés ». Il montre l’origine de cet amour. Car ce n’est pas l’amour que nous méritions, mais la colère et le dernier châtiment… C’est donc l’effet d’une miséricorde infinie. « Et lorsque nous étions morts par les péchés, il nous a vivifiés dans le Christ (5) ». Encore la médiation du Christ, et la chose est digne de foi. En effet, si nos prémices vivent, nous vivons aussi : il a vivifié et lui et nous.

2. Voyez-vous que tout cela est dit de Jésus-Christ comme homme ? Voyez-vous la grandeur suréminente de sa vertu en nous qui croyons ? Les morts, les fils de colère, il les a vivifiés. Voyez-vous l’espérance à laquelle nous sommes appelés ? « Il nous a ressuscités et fait asseoir avec lui (6) ». Voyez-vous la gloire de l’héritage ? Oui, dira-t-on : « Il nous a ressuscités » c’est clair ; mais ceci : « Il nous a fait asseoir avec lui dans les cieux en Jésus-Christ », comment l’établir ? Comme : « Il nous a ressuscités ». Car personne n’est encore ressuscité, sinon que par la résurrection du chef, nous aussi sommes ressuscités : ainsi que Jacob ayant adoré, sa femme par là même aussi adora Joseph. C’est de la même manière que nous sommes assis : car le corps est assis lorsque la tête est assise. Voilà pourquoi Paul ajoute : En Jésus-Christ. Ou si ce n’est pas cela, s’il nous a ressuscités par le baptême, comment donc nous a-t-il fait asseoir ? C’est que « Si nous partageons les souffrances du Christ, nous partagerons aussi sa royauté ». (2Tim. 2,12) Si nous mourons, nous partagerons la vie. Il est vraiment besoin de l’Esprit et de la révélation pour sonder la profondeur de ces mystères.

Ensuite pour vous convaincre, il ajoute : « Pour manifester dans les siècles à venir les richesses abondantes de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus (7) ». Car après avoir dit ce qui concerne le Christ, comme on pouvait demander : En quoi cela nous concerne-t-il, que le Christ soit ressuscité ? il montre que cela nous concerne, en effet, puisque le Christ est uni à nous : outre qu’il fait voir ce qui nous touche en particulier, lorsqu’il dit : « Lorsque nous étions morts par nos offenses il nous a ressuscités et fait asseoir avec lui ». Ainsi donc, comme je le disais, ne conservez plus de doute, puisque vous avez pour preuves et les choses précédentes, et le chef, et la volonté que Dieu a eue de faire éclater sa bonté. En effet, comment la montrera-t-il, si cela ne se réalise point ? Et il fera voir dans les âges futurs, quoi ? que c’étaient de grands biens, et les plus sûrs de tous. Car maintenant les incrédules considèrent ce qu’on leur en dit comme des sottises : mais alors tous seront instruits. Voulez-vous savoir encore comment il nous a fait asseoir avec lui ? Écoutez le Christ qui dit à ses disciples : « Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël » ; et encore : « Mais d’être assis à ma droite et à ma gauche, il ne m’appartient pas de vous l’accorder à vous, mais à ceux à qui mon Père l’a préparé ». (Mt. 19,28 ; 20, 23) C’est donc préparé. Et Paul dit bien : « Par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus ». En effet, être assis à droite, est le signe d’une dignité qui surpasse toutes les autres, et au-dessus de laquelle il n’y a rien. Il dit donc que nous serons assis nous-mêmes. C’est vraiment une richesse suréminente, une suréminente grandeur de vertu, que de nous faire asseoir avec le Christ. Quand vous auriez des milliers de vies, ne les sacrifieriez-vous pas pour cela ? S’il fallait entrer dans le feu, ne devriez-vous pas y courir ?

Jésus lui-même dit encore : « Je veux, partout où je serai, que mes serviteurs y soient également ». (Jn. 12,26) Quand on devrait se frapper la poitrine chaque jour pour obtenir un pareil bonheur, ne faudrait-il, pas se hâter d’accepter ? Songez où il nous a fait asseoir : « Au-dessus de toute principauté et de toute puissance ». Et à côté de qui ? À côté du Maître. Qui es-tu donc ? Un mort, de sa nature enfant de colère. Et pour quelle bonne œuvre ? Aucune. En vérité, voici bien le moment de s’écrier : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! » (Rom. 11,33)

« Car c’est la grâce qui vous a sauvés (8) ». De peur que la grandeur des bienfaits ne vous enfle le cœur, voyez comme il vous rabaisse : « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi ». Ensuite, de peur de porter atteinte au libre arbitre, il fait mention de ce qui nous appartient. Mais aussitôt il revient sur ses pas et dit : « Et cela ne vient pas de vous ». Pas même la foi ne vient de nous : car si Dieu n’était pas venu, s’il ne nous avait pas appelés, comment aurions-nous pu croire ? « Comment croiront-ils, s’ils n’entendent pas ? » (Rom. 10,14) De sorte que notre foi même ne vient pas de nous. « C’est un don de Dieu : ni des œuvres (9) ». Est-ce que la foi suffirait pour sauver ? — Afin de ne sauver ni les vaniteux, ni les nonchalants, Dieu a requis une foi agissante. Il dit que la foi sauve, mais par Dieu ; car si la foi a sauvé, c’est que Dieu a voulu. En effet, comment, dites-moi, la foi sauverait-elle sans les œuvres ? Cela même est un don de Dieu, « Afin que nul ne se glorifie », afin de nous inspirer de la reconnaissance au sujet de la grâce. Quoi donc ! dira-t-on, est-ce que Dieu a prohibé la justification par les œuvres ? Nullement : mais Paul dit : « Personne n’a été justifié par ses œuvres », afin de montrer la grâce et la bonté de Dieu. Dieu n’a pas repoussé ceux qui ont les œuvres ; mais il a sauvé par la grâce ceux qui étaient abandonnés des œuvres, afin que personne ne pût plus se glorifier.

3. Ensuite, de peur qu’en entendant dire que tout est l’effet de la foi et non des œuvres, vous ne vous abandonniez à la nonchalance, voyez ce qu’il ajoute : « Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions (10) ». Entendez bien ces paroles : il fait allusion ici à la régénération. En réalité, c’est une création nouvelle qui nous a fait passer du néant à l’être. Nous sommes morts à ce que nous étions autrefois, je veux dire au vieil homme : ce que nous n’étions pas, nous le sommes devenus. C’est donc une création, et une création plus précieuse que l’autre : car à la première, nous devons de vivre ; à la seconde, de bien vivre : « Pour les bonnes œuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions ». Non afin que nous commencions, mais afin que nous y marchions : car nous avons besoin d’une vertu constante et soutenue jusqu’à notre fin. S’il nous fallait suivre une route conduisant à une capitale, et si, après avoir fait la plus grande partie du chemin, nous nous arrêtions lassés, au moment de toucher au but, il ne nous servirait de rien de nous être mis en marche : de même l’espérance à laquelle nous sommes appelés resterait inutile à ceux qui la possèdent, si nous ne marchions pas comme l’exige la dignité de celui qui nous a appelés.

Ainsi donc, appelés pour les bonnes œuvres, remplissons notre tâche avec persévérance. Car si nous avons été appelés, ce n’est pas pour en faire une, mais pour les faire toutes. De même qu’il y a en nous cinq sens, et que nous devons les employer tous à propos, nous devons agir de même à l’égard des vertus. Être chaste et sans charité, être charitable et injuste, s’abstenir du bien d’autrui, mais ne pas faire l’aumône avec le sien, tout cela est inutile. Il ne suffit pas d’une seule vertu pour nous faire comparaître avec confiance au tribunal du Christ : il en faut beaucoup et de toute espèce, il nous les faut toutes. Écoutez le Christ disant à ses disciples : « Allez et instruisez toutes les nations ; enseignez-leur à garder tous mes commandements » ; et encore : « Celui qui violera l’un de ces moindres commandements, sera appelé très petit dans le royaume des cieux » (Mat. 28,19 et 5, 19) ; c’est-à-dire, à la résurrection : Car cet homme-là n’entrera pas dans le royaume : l’Évangile appelle souvent royaume le temps même de la résurrection : « Celui qui en violera un sera appelé très-petit »… Nous sommes donc tenus de les observer tous.

Et voyez comment, sans l’aumône, il est impossible d’entrer dans le royaume : Comment, ne nous manquât-il que ce seul titre, nous irons au feu : « Allez-vous-en, maudits », est-il écrit, « au feu éternel préparé pour le diable et ses anges ». Pourquoi, pour quelle raison ? Parce que j’ai eu faim, et que vous ne m’avez pas donné à manger : parce que j’ai eu soif et que vous ne m’avez pas donné à boire (Mat. 25,41) Voyez-vous comment ce seul grief cause leur perte ? Pour cette seule raison les vierges furent chassées de la chambre nuptiale, quoiqu’elles possédassent la chasteté ; mais comme l’appui de l’aumône leur faisait défaut, elles n’entrèrent pas avec l’époux : « Recherchez la paix avec tous, et la sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur ». (Heb. 12,14) Songez donc que si, sans la chasteté, il est impossible de voir le Seigneur, ce n’est pas à dire qu’avec la chasteté on doive nécessairement le voir : car souvent il y a un autre empêchement. Quand nous ferions toutes les autres bonnes œuvres, si nous n’aidons pas le prochain, nous n’entrerons pas pour cela dans le royaume. Qu’est-ce qui le prouve ? L’exemple des serviteurs auxquels avaient été confiés les talents. Un homme dont la vertu était sans reproche, à qui il ne manquait rien d’ailleurs, fut rejeté justement, parce qu’il avait montré de la mollesse à faire fructifier l’argent.

Pour une simple injure on peut tomber dans l’enfer : Celui qui dit à son frère : « Fou » sera soumis à la géhenne du feu… Eût-on toutes les vertus, si l’on est porté à l’injure, on n’entrera pas dans le royaume. Et qu’on n’aille pas accuser Dieu de cruauté parce qu’il en exclut ceux qui sont tombés dans cette faute : Parmi les hommes mêmes, l’homme qui a commis la plus légère prévarication, enfreint une seule des lois, est banni des regards du monarque. Celui qui a porté une accusation calomnieuse, perd sa charge ; celui qui a été surpris en adultère, devient indigne ; il périt, quelles qu’aient pu être ses bonnes œuvres ; s’il a commis un meurtre et qu’il soit dénoncé, cela suffit pour le perdre. Que si les lois des hommes sont protégées avec tant de sollicitude, à combien plus forte raison celles de Dieu ! Mais il est bon, direz-vous. Jusques à quand proférerons-nous cet absurde propos ? Je dis absurde, non que Dieu ne soit pas bon, mais parce que nous croyons que sa bonté peut nous être en cela utile a quelque chose, malgré tout ce que nous avons pu dire à mille reprises sur ce sujet. Écoutez ces mots de l’Écriture : « Ne dites pas : Son infinie miséricorde pardonnera la multitude de mes péchés ». (Sir. 5,6) Il ne nous est pas défendu de dire : « Sa miséricorde est infinie » : à Dieu ne plaise ! Ce n’est pas cela qui nous est recommandé, bien au contraire : nous devons le dire et le répéter sans cesse, et Paul fait tous ses efforts pour cela. L’Écriture a en vue ce qui sait : Ne vous confiez pas, dit-elle, à la bonté de Dieu pour pécher, et pour dire : « Sa miséricorde pardonnera la multitude de mes péchés ».

4. En effet, si nous vous entretenons si souvent nous-mêmes de la bonté divine, ce n’est pas pour que nous y comptions au point de tout nous permettre, car alors cette bonté deviendrait le fléau de notre salut, c’est pour que nous ne désespérions pas dans nos péchés, et que nous fassions pénitence. C’est au repentir que vous pousse la bonté de Dieu, et non à des fautes nouvelles. Si la bonté divine vous déprave, vous ne faites que la compromettre aux yeux des hommes : tant on rencontre de gens qui accusent la longanimité de Dieu. Vous serez donc punis, si vous en usez autrement qu’il ne faut. Dieu est bon ? Oui, mais il est équitable dans ses jugements. Il pardonne les péchés ? Oui, mais il rend à chacun selon ses œuvres. Il passe par-dessus les iniquités, il efface les fautes ? Oui, mais il les compte. Mais n’y a-t-il pas contradiction ? Non, seulement il s’agit de distinguer les temps. Dieu efface les iniquités ici-bas par le baptême et la pénitence, il pèse là-haut nos actions avec le feu et les tortures. Mais, dira-t-on, si peu de péchés, si un seul suffit pour me faire rejeter et exclure du royaume, pourquoi ne pas m’abandonner à tous les vices ? C’est le langage d’un serviteur ingrat : néanmoins nous ne le laisserons point sans réponse. Ne faites pas le mal, dans votre propre intérêt : car si nous devons être tous également exclus du royaume, nous ne serons pas tous également punis dans la géhenne ; il y aura des degrés dans le châtiment. Si vous et lui, vous avez bravé l’un et l’autre les commandements, vous serez exclus pareillement du royaume à quelque degré que vous vous soyez rendus coupables : mais si votre témérité n’a pas été égale, si elle a été plus grande chez l’un, moindre chez l’autre, cette différence se retrouvera dans les tourments de la géhenne.

Pourquoi donc, dira-t-on, ceux qui ne font pas l’aumône sont-ils menacés de s’en aller dans le feu, et non seulement dans le feu, mais dans le feu préparé pour le diable et pour ses anges ? Pourquoi, pour quelle raison ? Parce que rien n’irrite Dieu, comme l’injustice commise envers des amis. En effet, s’il faut aimer ses ennemis, celui qui se détourne même de ceux qui l’aiment, et qui en cela se montre pire que les païens eux-mêmes, quel châtiment ne méritera-t-il point ? De sorte que c’est justement qu’un péché pareil envoie son auteur rejoindre le diable. Car il est écrit : Malheur à qui ne fait pas l’aumône ! S’il en était ainsi au temps de l’ancienne loi, à plus forte raison en est-il de même dans celui du Nouveau Testament. Si à une époque où il était permis de posséder de l’argent, d’en jouir, d’y veiller, la Providence tenait tellement à ce que les pauvres fussent assistés, à combien plus forte raison doit-il en être ainsi, depuis qu’il nous est ordonné de renoncer à tout ! Que ne faisait-on point alors ! On payait des dîmes, et de doubles dîmes : on venait en aide aux orphelins, aux veuves, aux étrangers… Et l’on vient me dire avec admiration : Un tel donne la dîme. N’est-ce pas un grand sujet de honte que ce qui n’excitait point d’admiration chez les Juifs, en cause, quand il s’agit de chrétiens ? S’il y avait danger alors à ne pas acquitter la dîme, songez quel doit être aujourd’hui le péril. L’ivrognerie également, est exclue du royaume. Mais quel est le langage de la multitude ? Eh bien ! dit-on, si un tel a le même sort que moi, ce ne sera pas pour moi une faible consolation. Que répondre à cela ? D’abord que votre châtiment ne sera pas le même, à tous deux et que d’ailleurs, il n’y a pas là de consolation. C’est une consolation que de souffrir en compagnie, quand les épreuves sont modérées : mais quand elles sont extrêmes et nous mettent hors de nous, la douleur ne nous permet plus de goûter cette consolation. Dites à celui qu’on torture et qu’on a fait monter sur le bûcher : Un tel endure le même supplice : cette consolation le trouvera insensible. Est-ce que tous les Israélites n’ont pas péri en même temps ? En quoi s’en trouvèrent-ils consolés ? et au contraire, ne fut-ce point pour eux un surcroît de douleur ? Aussi disaient-ils : Nous sommes perdus, exterminés, anéantis. Où voyez-vous une consolation ? C’est en vain que nous recourons pour nous consoler à ces suppositions. Il n’y a qu’une consolation : C’est de ne pas tomber au feu inextinguible : une fois qu’on y est, plus de consolation : partout les grincements de dents, les pleurs, le ver qui ne meurt point, le feu inextinguible. Sentirez-vous, je vous le demande, aucun soulagement, au milieu d’une telle détresse et de pareilles angoisses ? Ah ! vous aurez sans doute alors tout votre sang-froid !

Je vous en prie et vous en conjure, ne nous faisons point à nous-mêmes ces illusions, ne nous consolons point par de tels discours, mais faisons les choses qui peuvent nous sauver. Il vous est offert d’aller vous asseoir auprès du Christ, et voilà de quoi vous vous occupez ! Quand bien même vous n’auriez pas commis d’autre péché, à quel châtiment ne vous exposeriez-vous pas en proférant de telles paroles, en vous montrant nonchalants, insensés et négligents, au point de tenir ce langage quand une récompense pareille vous est proposée ? Oh ! quels ne seront pas vos gémissements, quand vous entendrez alors appeler au royaume et aux honneurs ceux qui auront fait le bien ! quand vous verrez d’anciens esclaves, des hommes de basse naissance, appelés à partager éternellement le trône royal, pour prix de quelques épreuves endurées ici-bas ! Ce spectacle ne sera-t-il pas pour vous pire que le supplice ? Si dans ce monde l’élévation de certains hommes vous semble plus douloureux que le plus cruel châtiment, bien que vous n’ayez rien à souffrir, si ce spectacle suffit pour vous torturer, vous arracher des gémissements et des larmes, et vous faire trouver mille morts douces en comparaison, quelle ne sera pas alors votre souffrance ? S’il n’y avait pas d’enfer, l’idée même du royaume ne serait-elle pas suffisante pour faire votre supplice ? Et qu’il en sera ainsi, c’est ce que l’expérience nous révèle assez. Cessons donc de nous abuser nous-mêmes avec de telles paroles, veillons, songeons à notre salut, pratiquons la vertu, et excitons-nous nous-mêmes aux bonnes œuvres, afin que nous soyons jugés dignes d’obtenir cette gloire incomparable en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

HOMÉLIE V. modifier

C’EST POURQUOI SOUVENEZ-VOUS QU’AUTREFOIS, VOUS GENTILS SELON LA CHAIR, VOUS ÉTIEZ APPELÉS INCIRCONCISION, À CAUSE DE LA CIRCONCISION FAITE DE MAIN D’HOMME DANS LA CHAIR ; PARCE QUE VOUS ÉTIEZ EN CE TEMPS-LÀ SANS CHRIST, SÉPARÉS DE LA SOCIÉTÉ D’ISRAËL, ÉTRANGERS AUX ALLIANCES DE LA PROMESSE, N’AYANT PAS D’ESPÉRANCE, ET SANS DIEU EN CE MONDE. (II, 11, 12 JUSQU’À 16)

Analyse. modifier

1 et 2. De la vocation des gentils et de la constitution de l’Église.

3 et 4. Des rapports de l’âme et du corps.

1. Bien des choses montrent la bonté de Dieu à notre égard : la première, c’est de nous avoir sauvés par lui-même, et cela, de la manière qu’on sait ; la seconde c’est l’état où nous nous trouvions quand il nous a sauvés ; la troisième, c’est le degré auquel il nous a élevés. Toutes ces choses, par elles-mêmes, sont la meilleure preuve de sa bonté. Et Paul les aborde toutes dans l’épître que nous lisons. Il a dit que nous étions morts par nos fautes, enfants de colère quand Dieu nous sauva : il dit maintenant à quel niveau Dieu nous a portés. « C’est pourquoi, souvenez-vous », dit-il. C’est notre coutume à tous, lorsque nous avons été relevés d’un abaissement profond, ou promus encore plus haut, de perdre jusqu’au souvenir de notre état précédent, à mesure que nous nous habituons à notre gloire présente. De là ces mots : « C’est pourquoi souvenez-vous ». — « C’est pourquoi », entendez puisque nous avons été créés pour les bonnes œuvres. Il n’en faut pas davantage pour nous persuader de pratiquer la vertu. « Souvenez-vous ». C’est assez de ce souvenir pour nous inspirer de la reconnaissance à l’égard de notre bienfaiteur. « Qu’autrefois vous, gentils ». Voyez comment il rabaisse les avantages des Juifs, et relève les gentils de leur infériorité, laquelle n’était qu’apparente : c’est sur la conduite et les mœurs qu’il s’appuie pour convaincre les uns et les autres. « Vous étiez appelés incirconcision ». Le privilège était nominal, la supériorité charnelle : incirconcision, circoncision, peu importe. « À cause de la circoncision faite de main d’homme dans la chair ; parce que vous étiez dans ce temps-là sans Christ, séparés de la société d’Israël, étrangers aux alliances de la promesse, n’ayant pas d’espérance, et sans Dieu en ce monde ».

C’est vous, dit-il, que les Juifs appellent ainsi. Mais pourquoi donc, voulant montrer le bienfait par lequel ils ont été réunis à Israël, au lieu de rabaisser la dignité d’Israël, l’exalte-t-il au contraire en cela ? Il l’exalte là où il est nécessaire, mais il la rabaisse dans les choses qui ne devinrent pas communes aux gentils. Car il dit plus loin : « Vous êtes concitoyens des saints, et de la maison de Dieu (19) ». — Considérez comment il ne la rabaisse pas là. Mais ici il dit : Ces choses sont indifférentes. Ne croyez pas qu’il y ait une différence, parce que vous n’avez pas reçu la circoncision. Ce qui était dur, c’était d’être sans Christ, d’être séparés de la société d’Israël (et cette séparation ne provenait point de l’incirconcision) ; c’était d’être étrangers aux alliances de la promesse, de ne pas avoir l’espérance, d’être sans Dieu en ce monde : ces avantages étaient particuliers au peuple juif.

Il a parlé des choses du ciel : il parle aussi de celles de la terre, qui étaient un grand sujet de gloire pour les Juifs. De même le Christ, consolant ses disciples, après leur avoir dit : « Bienheureux ceux qui ont été persécutés à cause de la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient », ajoute cette considération d’un ordre inférieur : car c’est ainsi « qu’ils ont persécuté les prophètes qui ont existé avant vous ». (Mat. 5,10, 12) À ne considérer que l’élévation, c’est moins important : mais si l’on regarde à la proximité de l’exemple et à la conviction, cet argument paraît fort, persuasif et puissant. On sait donc ce qu’il faut entendre ici par « Société ». Paul ne dit pas : En dehors, mais : « Séparés de la société » ; il ne dit pas : Indifférents, mais : Non participants, « Étrangers ». Les expressions sont très fortes : elles indiquent une séparation complète. En effet, il y avait même des Israélites en dehors de la société d’Israël, mais à cause de leur négligence, comme exclus de l’alliance et non comme étrangers. Qu’étaient-ce maintenant que les alliances de la promesse ? On se rappelle la promesse divine. — « Je te donnerai cette terre à toi et à ta race », et le reste. « N’ayant pas l’espérance, et sans Dieu ». Ils adoraient bien des dieux, mais c’étaient des dieux sans réalité : une idole n’est rien.

« Mais maintenant que vous êtes dans le Christ Jésus, vous qui étiez autrefois éloignés, vous avez été rapprochés par le sang de ce même Christ. Car c’est lui qui est notre paix, lui qui a des deux choses en a fait une seule détruisant dans sa chair le mur de séparation, leurs inimitiés (13,14) ». Voilà donc cette grande chose, dira-t-on ? C’est notre entrée dans la société des Juifs ? Que dis-tu ? Tout ce qui est au ciel et sur la terre a été restauré et tu viens maintenant nous parler des Israélites ? Oui, dit Paul, car les premières choses ont besoin de la foi pour être admises ; celles-ci se voient par les « faits eux-mêmes. Mais maintenant que vous êtes en Jésus-Christ, vous qui étiez autrefois éloignés, vous avez été rapprochés de la société ». — « Éloignés, rapprochés » : c’est le fait du seul libre arbitre. « Car c’est lui qui est notre paix, lui qui des deux choses en a fait une seule ».

2. Qu’est-ce à dire : « Des deux choses une seule ? » Il ne veut pas dire qu’il nous ait conféré la même noblesse, mais bien qu’il nous a promus avec ceux qui en étaient revêtus déjà, à une noblesse plus haute… D’ailleurs, le bienfait a été plus grand en ce qui nous touche. Les Juifs avaient reçu des promesses, ils étaient tout près : nous, rien ne nous avait été promis, et nous étions plus éloignés. C’est pourquoi il dit : « Et les gentils, à glorifier Dieu pour sa miséricorde ». (Rom. 15,19) Dieu avait promis aux Israélites, mais ils se montrèrent indignes : à nous, il n’avait rien promis, nous étions même étrangers ; nous n’avions rien de commun avec eux, et il nous a réunis, non pas en nous rapprochant des Juifs, mais en formant d’eux et de nous un seul corps. Je recourrai à un exemple : Supposons deux statues, l’une d’argent, l’autre de plomb ; on les fond toutes deux ; et deux statues d’or sortent du moule. C’est ainsi que Dieu a fait de deux choses une seule. Autre exemple : Soit un esclave et un fils adoptif, l’un et l’autre coupables d’offenses ; l’un proclamé enfant par le héraut, l’autre fugitif et ne connaissant pas même son père. Qu’après cela tous deux deviennent héritiers et enfants légitimes. Les voilà portés à la même dignité : ils sont devenus une même chose, l’un venant de plus loin, l’autre de plus près, et promu seulement à la qualité de légitime qui lui manquait avant l’offense.

« Détruisant le mur de séparation ». Ce que c’est que ce mur de séparation, il l’explique en disant : « Leurs inimitiés dans sa chair ». — « Abolissant par sa doctrine la loi des préceptes (15) ». Selon quelques-uns, le mur de séparation, c’est la loi : alors Paul aurait appelé la loi ainsi parce qu’elle ne permettait pas aux Juifs d’avoir des rapports avec les païens… Quant à moi, je ne le pense pas : je pense qu’il appelle ainsi la haine qui est comme une cloison mitoyenne qui nous sépare de Dieu, ainsi que le prophète dit : « Est-ce que vos péchés ne s’élèvent pas entre vous et moi ? » Et c’est à bon droit ; car c’était bien une sorte de mur, en effet, que la haine qui séparait Dieu des Juifs et des païens. Tant que la loi subsista, cette haine, loin de diminuer, ne faisait que s’accroître. « La loi », est-il écrit, « produit la colère ». (Rom. 4,15) Comme dans cet endroit, en disant : La loi produit la colère, il n’entend pas la loi absolument, mais la loi, quand nous la transgressons : de même ici il l’appelle mur de séparation, à cause de la haine produite par les infractions. La loi était une cloison ; mais une cloison de sûreté, comme un rempart. Écoutez encore ces paroles du prophète : « J’ai mis un rempart autour de lui ». (Isa. 5,2) Et ailleurs : « Tu as détruit son rempart, et tous ceux qui passent sur la route la vendangent ». (Psa. 79,13)

C’est donc bien une cloison de sûreté. Ailleurs « Je renverserai son rempart, et il sera foulé aux pieds ». Et encore : « Il a donné la loi pour protection ». (Isa. 5,5, et 8, 20) Et enfin : « Faisant miséricorde et justice, le Seigneur a fait connaître ses jugements à Israël ». (Psa. 102,6, 7) Mais ce mur de séparation, au lieu de rester une défense ; devint un obstacle qui les séparait de Dieu. Tel fut ce mur de séparation qui avait commencé par être un rempart. Comment fut détruit ce mur, Paul l’indique lorsqu’il ajoute : « La haine dans sa chair ». — « Abolissant la loi des préceptes ». Comment ? En y mettant son cachet, et en détruisant ainsi la haine. Mais ce n’est pas seulement par là qu’il fit cesser la haine, c’est encore par l’observation de la loi. — Eh quoi ! acquittés de notre précédente infraction, nous voilà donc obligés de nouveau à l’observation ? — C’eût été remettre les choses dans leur état ; mais la loi même, il l’abolit : « Abolissant par sa doctrine la loi des préceptes ». O charité ! il nous a donné une loi, afin que nous l’observions ; puis, comme nous ne l’avons pas observée, au lieu de nous punir, il a été jusqu’à abroger la loi : c’est comme si quelqu’un, après avoir confié un enfant à un gouverneur, le voyant refuser d’obéir, le délivrait de son gouverneur et l’emmenait. Quelle bonté dans ce bienfait ! Et que signifie : « Abolissant par sa doctrine ? » Il montre ici la grande différence qui sépare le précepte des doctrines. Ou c’est de la foi qu’il parle, en employant ce mot doctrine : car c’est par la foi seule que la doctrine peut nous sauver ; ou c’est du précepte évangélique ; par exemple, le Christ a dit : « Je vous le dis, ne vous irritez nullement ». Tout cela revient à dire : Si vous croyez que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, vous serez sauvés. Et encore : « Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton cœur ». (Rom. 10,8)

3. Ne dites pas : Qui montera dans le ciel, ou qui descendra dans l’abîme, ou qui l’a tiré du milieu des morts ? Pour vie il a introduit la foi. Car afin de ne pas nous sauver au hasard, d’une part, il s’est soumis de lui-même au supplice, et de l’autre, il a exigé la foi par la doctrine. « Pour former des deux en lui-même un seul homme nouveau ». Voyez-vous comment le païen n’est pas devenu Juif, mais comment l’un et l’autre ont passé à un troisième état ? Si Jésus a aboli la loi, ce n’a pas été pour rendre le païen Juif, mais pour créer de tous deux le nouvel homme. Et c’est justement que partout il emploie cette expression : « Créer », il ne dit pas transformer, afin de montrer la puissance déployée dans cette opération, et que, si la création est une chose visible, cette autre création n’est pas moindre pour cela, et que nous ne devons pas plus nous y dérober qu’aux sujétions de la nature. « Pour former en lui-même », c’est-à-dire par lui-même. — Il n’a pas confié ce soin à un autre : c’est lui-même qui ayant fondu ensemble, de lui-même, ces deux métaux, a mis au jour un nouveau métal miraculeux, auquel il avait commencé par s’identifier lui-même. Voilà ce que signifie : « En lui-même » ; c’est que lui-même, tout le premier, avait fourni le type et le modèle. D’un côté ayant pris le Juif, de l’autre le païen, et s’étant placé entre eux, il les a mêlés, en effaçant tout ce qui les distinguait, et les a refondus d’en haut, au moyen du feu et de l’eau, non plus de l’eau et de la terre, mais de l’eau et du feu. Il est devenu Juif circoncis, il est devenu anathème, il est devenu païen infidèle, et quelque chose de plus que les païens et les Juifs.

« Dans un seul homme nouveau ». — « En faisant la paix », en les mettant en paix avec Dieu et les uns avec les autres. S’ils étaient restés Juifs et païens, ils ne se seraient pas réconciliés ; et si chacun d’eux n’avait pas dépouillé son état propre, comment auraient-ils passé à un état supérieur ? Le Juif ne s’unit au païen que du moment où il devient fidèle. Supposez en bas, deux appartements séparés, et en haut un seul grand et admirable ; les habitants des deux premiers ne commenceront à se voir, qu’une fois réunis dans le troisième. « Faisant la paix », surtout à l’égard de Dieu ; c’est ce qui résulte de la suite. Que dit-il, en effet ? « Et pour réconcilier à Dieu par la croix, les deux réunis en un seul corps (16) ».

Il ne dit pas concilier, mais « Réconcilier », pour montrer qu’auparavant la nature humaine se prêtait facilement à la conciliation, comme au temps des saints et avant la loi. « En un seul corps » (le sien) « à Dieu ». Comment ? En subissant lui-même sur la croix le châtiment encouru. « Tuant en lui-même l’inimitié ». Rien de plus juste ni de plus solennel que ces expressions. Sa mort, veut dire Paul, a tué, meurtri, exterminé la haine ; cette mort qu’il n’a pas prescrite à un autre, dont il n’a pas été seulement l’auteur, mais encore la victime. Il ne dit pas : « Détruisant », ni « Supprimant », mais, ce qui est plus fort que tout : « Tuant », de sorte qu’elle ne pût se relever. Qu’est-ce donc qui la ressuscite ? L’excès de notre perversité. Tant que nous restons dans le corps du Christ, tant que nous demeurons unis, elle ne ressuscite pas, elle reste morte ; ou plutôt, celle-là ne ressuscite jamais. Mais si nous en enfantons une autre, ce n’est plus la faute de celui qui a tué et anéanti la première ; c’est vous qui donnez le jour à une autre haine. Car la pensée de la chair est inimitié contre Dieu. Si nous n’avons point de pensées charnelles, il n’y aura pas de nouvelle haine engendrée, et la paix subsistera.

4. Songez combien il est affreux, quand Dieu a fait tant de choses pour procurer notre réconciliation, et qu’il l’a opérée, de revenir à l’inimitié. Cette inimitié-là, ce n’est plus le baptême, mais l’enfer qui l’attend, ce n’est plus la rémission, mais le jugement. Pensée de la chair, délice, mollesse ; pensée de la chair, convoitise et tous les péchés. Pourquoi cette expression : Pensée de la chair ? Cependant sans l’âme la chair ne peut rien. Paul ne dit pas cela pour accuser la chair ; de même quand il dit : « L’homme animal », il ne parle pas ainsi pour accuser l’âme, il veut faire entendre que l’âme pas plus que le corps ne sont suffisants par eux-mêmes, en l’absence de la grâce d’en haut, à rien faire de grand ni de généreux. Voilà pourquoi il appelle animales les choses que l’âme produit par elle-même ; et charnels, les actes du corps livré à lui-même ; non parce que ces actes sont naturels, mais parce que, faute de l’appui divin, ils se pervertissent. C’est une excellente chose que les yeux ; mais, en l’absence de la lumière, ils causent des maux innombrables : il n’en faut accuser que leur faiblesse, et non la nature. Si ces maux provenaient de la nature, jamais les yeux ne nous seraient bons à rien. Il n’y a pas de maux naturels. Qu’est-ce donc que les pensées charnelles ? Les péchés. Quand la chair prend le dessus sur celui qui la mène, elle engendre des maux innombrables. Car le mérite de la chair, c’est de rester soumise à l’âme ; son vice, c’est de dominer l’âme. Un cheval beau et agile ne peut déployer ses qualités sans un écuyer ; de même la chair n’est bonne que lorsque nous savons réprimer ses élans désordonnés. — Mais un écuyer ne saurait pas davantage se signaler si l’art lui fait défaut ; dans ce cas il est plus nuisible qu’utile. De toute manière donc, il faut veiller. L’esprit, ce principe vigilant, rend l’écuyer plus vigoureux : il embellit et le corps et l’âme. De même que l’âme embellit le corps qu’elle anime, et ne peut le déserter, lui retirer son action intérieure, sans le rendre repoussant, à la manière d’un peintre qui confondrait toutes les couleurs ; car alors chaque partie tombe promptement en dissolution et en pourriture : de même quand l’esprit a abandonné à eux-mêmes le corps et l’âme, ils font voir une laideur encore plus affreuse.

Ne vous déchaînez donc point contre le corps comme inférieur à l’âme. Et je ne veux pas non plus accuser l’âme en tant qu’impuissante sans le concours de l’esprit. Mais s’il faut le dire, l’âme mérite plus de sévérité. En effet, le corps est incapable sans l’âme, de faire aucun mal ; l’âme au contraire, en fait beaucoup sans le concours du corps ; elle en fait encore beaucoup dans un corps paralysé et réduit à l’immobilité, par exemple, par les sortilèges des magiciens, des envieux, des sorciers. D’ailleurs, les débauches du corps ne proviennent point des nécessités auxquelles il est soumis, mais de la négligence de l’âme le corps exige de la nourriture, et non des excès. Au moyen d’un frein solide, je peux arrêter la course d’un cheval ; mais le corps ne saurait réprimer l’âme dans ses écarts. Pourquoi donc parler des pensées de la chair ? Parce qu’alors la chair devient responsable. Elle pèche, quand elle prend le dessus, quand elle dépouille l’esprit, et ôte à l’âme le gouvernement. Le mérite du corps consiste donc à céder à l’âme ; car par lui-même il n’est ni bon ni mauvais. Que pourrait faire le corps livré à lui-même ? C’est donc par son union, par sa soumission que le corps est bon : par lui-même il n’est ni bon ni mauvais ; mais il est capable de se porter au bien ou au mal. Le corps a des appétits, mais ce n’est pas de fornication ni d’adultère, c’est de commerce sexuel : le corps a des appétits, non de débauche, mais de nourriture ; non d’ivresse, mais de boisson. Comment le corps n’aspire point à l’ivresse, vous allez vous en convaincre : dès que vous dépassez la mesure et ses forces, il cesse de résister. Tout le reste est le fait de l’âme, par exemple, lorsqu’elle se plonge dans les plaisirs charnels, lorsqu’elle s’appesantit. En effet, si le corps est beau, l’âme est plus belle encore… Or, ainsi que l’or est plus précieux que le plomb, et néanmoins exige du plomb pour la soudure ; de même l’âme a besoin du corps : ou si l’on veut, comme un enfant de bonne famille a besoin d’un gouverneur. Et ne vous étonnez pas des exemples que je cite. Quand nous parlons de choses puériles, ce n’est pas l’âge que nous blâmons, mais les choses qui en ont le caractère : de même pour le corps. Mais il est possible de quitter la chair, si nous le voulons, comme aussi la terre, pour les cieux et pour l’Esprit. Car être quelque part, cela s’entend moins du lieu que de la disposition d’âme. Souvent nous disons de personnes présentes en un lieu : Vous n’y étiez pas. Que dis-je ? Souvent nous disons : Vous n’êtes pas en vous-même, je ne suis pas en moi-même ; et cependant quoi de plus sensible que cette présence en soi-même ? Néanmoins nous employons ce terme : soyons donc en nous-mêmes, dans les cieux, dans l’Esprit. Restons dans la paix et dans la grâce de Dieu, afin que, débarrassés de toutes les choses charnelles, nous puissions obtenir les biens promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VI. modifier

ET, VENANT, IL A ANNONCÉ LA PAIX, ET A VOUS QUI ÉTIEZ LOIN, ET A CEUX QUI ÉTAIENT PRÉS ; PARCE QUE C’EST PAR LUI QUE NOUS AVONS INTRODUCTION LES UNS ET LES AUTRES, DANS UN SEUL ESPRIT, AUPRÈS DU PÈRE. VOUS N’ÊTES DONC PLUS DES HÔTES ET DES ÉTRANGERS, MAIS DES CONCITOYENS DE SAINTS, ET DE LA MAISON DE DIEU, BÂTIS SUR LE FONDEMENT DES APÔTRES ET DES PROPHÈTES, LE CHRIST JÉSUS ÉTANT LUI-MÊME PIERRE ANGULAIRE ; SUR LEQUEL TOUT L’ÉDIFICE CONSTRUIT S’ÉLÈVE COMME UN TEMPLE SACRÉ DANS LE SEIGNEUR ; SANS LEQUEL VOUS ÊTES BÂTIS VOUS-MÊMES POUR ÊTRE UNE DEMEURE DE DIEU PAR L’ESPRIT. (11, 17-22 JUSQU’A III, 8)

Analyse. modifier

  • 1-3. Éloge de saint Paul. — Qualités requises pour l’apostolat.
  • 4. Tableau des malheurs de l’Église et de l’empire au temps de saint Jean Chrysostome.

1. Il n’a pas eu recours, dit Paul, à l’intermédiaire d’un messager ni d’un interprète c’est lui-même qui nous a tout révélé par lui-même. Il ne nous a dépêché ni ange ni archange, attendu qu’il n’appartenait de guérir de si grands maux et d’annoncer ce qui était arrivé qu’à lui-même, descendant ici-bas. Le Maître a pris le rôle d’un ministre et presque d’un serviteur : il est venu, il a annoncé la paix : « À vous », dit-il, « qui étiez loin et à ceux qui étaient près ». — « Près », ceci est pour les Juifs considérés par rapport à nous. « Loin », par là il, fait allusion aux gentils, comme étrangers aux alliances. « Parce que c’est par lui que nous avons introduction les uns et les autres, dans un seul Esprit, auprès du Père ». Il parle de la paix avec Dieu, de notre réconciliation. D’ailleurs Jésus dit lui-même : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix » ; et encore : « Ayez confiance, j’ai vaincu le monde » ; et aussi : « Tout ce que vous aurez demandé en mon nom, vous l’obtiendrez » ; et enfin : « Parce que le Père vous aime ». Voilà des signes de la paix conclue avec les uns et les autres. Avec les premiers, comment ? « Parce que c’est par lui que nous avons accès les uns et les autres dans un seul Esprit ». Non pas vous à un moindre degré, ni eux à un degré supérieur : la grâce a été uniforme. Il a détruit la colère par la mort, il nous a rendus aimables à Dieu par l’Esprit. Voilà encore le mot « Dans » pris dans le sens de « Par » c’est par lui et par l’Esprit qu’il nous a donné accès.

« Vous n’êtes donc plus des hôtes et des étrangers, mais des concitoyens, des saints ». Voyez-vous ? ce n’est pas seulement dans la cité des Juifs, c’est dans celle de ces grands et saints personnages, les Abraham, les Moïse, les Élie que nous voilà enrôlés et publiquement admis ? Car ceux qui parlent de la sorte ; dit Paul, font voir qu’ils cherchent une patrie. « Vous n’êtes donc plus des hôtes et des étrangers ». Ceux qui ne doivent pas obtenir les biens célestes sont des étrangers : car le Fils est éternel. « Et de la maison de Dieu ». Ce que les Juifs avaient eu dès l’origine et gardé à travers tant d’épreuves, la grâce de Dieu vous l’a procuré. « Bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes ». Voilà l’espoir de la vocation. Voyez comment il mêle tout. Les païens, les Juifs, les apôtres, les prophètes, le Christ ; et tantôt il emploie l’image d’un corps, tantôt celle d’un édifice pour exprimer la cohésion. « Bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes ». En d’autres termes, le fondement, ce sont les apôtres et les prophètes. Et en première ligne il place les apôtres, venus les derniers : sans doute pour indiquer que le fondement est formé des uns et des autres, que le tout forme un édifice unique reposant sur une base unique. Représentez-vous les païens ayant pour base les patriarches. Ici l’expression est encore plus propre que celle de greffe qu’on trouve ailleurs, et qui est plus frappante.

Ensuite il poursuit : « Le Christ Jésus étant pierre angulaire », montrant que c’est le Christ qui retient tout dans l’union. Car c’est la pierre angulaire qui retient assemblés et les murs et les fondations. « Sur lequel tout l’édifice construit s’élève ». Voyez comment le Christ relie le tout. Il montre Jésus tantôt rassemblant d’en haut et retenant dans l’union toutes les parties de l’ensemble, tantôt supportant d’en-bas tout l’édifice, et lui servant de base. Cette parole : « Il a créé en lui pour former un seul homme nouveau », fait voir aussi que la réunion des deux parois s’est opérée par son intermédiaire, et encore que la création a été faite en lui. « Premier-né de toute créature », est-il écrit (Col. 1,15) ; c’est-à-dire, qu’à lui seul il soutient tout. « Sur lequel tout l’édifice construit s’élève ». Nommez le toit, les murs, tout ce que vous voudrez : c’est lui qui supporte tout. Ailleurs il est nommé fondement : « Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est posé, lequel est Jésus-Christ ». (1Co. 3,11) « Sur lequel tout l’édifice construit »… Ici il indique et montre une vie irréprochable, comme la condition indispensable, à défaut de laquelle on ne peut être posé là. « S’élève comme un temple sacré dans lequel vous êtes bâtis vous-mêmes ». Il répète souvent cela : « Dans le temple sacré pour être une demeure de Dieu dans l’Esprit ». À quoi bon cette construction ? À ce que Dieu habite en ce temple. Car chacun de vous est un temple, et vous tous pris ensemble, et il habite comme dans le corps du Christ, et il habite comme en un temple spirituel. Voilà pourquoi il ne dit pas « Accès », mais « Introduction » : c’est que nous ne sommes pas venus de nous-mêmes : c’est lui qui nous a introduits ; car il est écrit : « Personne ne vient vers le Père, sinon par moi » ; et encore : « Je suis la voie, et la vérité et la vie ». — « Un temple sacré dans lequel vous êtes bâtis vous-mêmes ».

2. Il revient à son premier exemple, et il les joint aux saints, ne permettant jamais qu’ils soient détachés du Christ. Ce saint édifice durera donc jusqu’à son avènement, et c’est pour cela que Paul a dit : « Comme un habile architecte j’ai posé le fondement ». Et encore au même endroit : « Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est posé, lequel est le Christ ». (1Co. 3,10-11) Voyez-vous qu’il faut prendre les exemples non dans le sens absolu, mais dans le sens relatif au sujet en question ? Il use d’exemples en cet endroit, comme lorsque le Christ dit que le Père est un laboureur, et que lui-même est une racine.

« C’est pour cela que moi, Paul, je suis le prisonnier du Christ Jésus, pour vous, gentils. (Eph. 3,1) » Il a dit l’infinie sollicitude du Christ : il passe maintenant à la science, petite sans doute, nulle en comparaison de la première, mais suffisante elle-même à gagner les âmes. Voilà pourquoi moi-même, dit-il, je suis enchaîné. Car si mon Maître a été crucifié pour vous, à bien plus forte raison suis-je enchaîné. non seulement il a été lié, mais il permet encore que ses serviteurs le soient pour vous, les gentils. Voilà qui donne à penser : non seulement nous ne vous détestons point, mais nous sommes enchaînés à cause de vous, et moi j’ai obtenu cette grâce inestimable. « Car vous avez appris sans doute que Dieu m’a confié la dispensation de sa grâce en votre faveur (2) ». Il fait allusion à la prédiction que Dieu avait faite à Damas touchant lui-même à Ananie : « Va, car cet homme m’est un vase d’élection pour porter mon nom devant les gentils et les rois ». Par « Dispensation de sa grâce », il entend la révélation. C’est comme s’il disait : Ce ne sont pas les hommes qui m’ont instruit, Dieu a daigné me faire une révélation particulière à cause de vous. « Il m’a dit : Va, parce que je t’enverrai loin chez les gentils ». (Act. 22,21) C’est justement qu’il emploie ce mot de « Dispensation ». En effet, c’était une grande marque de providence que d’appeler d’en haut celui que rien ne pouvait convaincre, de lui dire : « Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? » et de l’aveugler de cette lumière ineffable.

« Car vous avez appris sans doute que Dieu m’a confié la dispensation de sa grâce en votre faveur, puisque, par révélation, il m’a fait connaître ce mystère, comme je vous l’ai écrit plus haut en peu de mots (3) ». Sans doute il les en avait informés par quelques personnes, ou il leur avait écrit peu de temps auparavant. Il montre ici que tout vient de Dieu, que nous n’avons contribué pour rien. En effet, dites-moi, ce grand, cet admirable Paul, qui avait étudié la loi, qui avait reçu une instruction si parfaite aux pieds de Gamaliel, n’est-ce point la grâce qui le sauva ? C’est à bon droit qu’il nomme cela mystère : c’est bien un mystère que d’avoir élevé subitement les gentils à une noblesse supérieure à celle des Juifs. — « Comme je, vous l’ai écrit plus haut en peu de mots ». — « De sorte que, lisant, vous pouvez comprendre (4) ». Ah ! ainsi il n’écrivait pas tout, ni tout ce qu’il fallait écrire. Mais ici c’était la nature de la chose qui le voulait : ailleurs, c’était la perversité, comme chez les Hébreux, comme chez les Corinthiens. « De sorte que, lisant, vous pouvez comprendre l’intelligence que j’ai du mystère du Christ… ». En d’autres termes, comment j’ai compris ou que Jésus est assis à droite, ou de semblables paroles de Dieu. Ensuite, il fait valoir leur privilège ; comment « Dieu n’a pas fait ainsi à toute nation » ; et il poursuit en montrant, quel est ce peuple à qui Dieu a fait ainsi. « Mystère qui, dans les autres générations, n’a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé par l’Esprit à ses saints apôtres et aux prophètes (5) ».

Qu’est-ce donc, dites-moi, que les prophètes ne savaient pas ? Comment donc le Christ peut-il dire que Moïse et les prophètes avaient voulu parler de lui ; et encore : « Si vous aviez cru en Moïse, vous auriez cru en moi » ; et ailleurs : « Scrutez les Écritures, puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle, car ce sont elles qui rendent témoignage de « moi ». (Jn. 5,46, 39) Il veut dire, ou que tous les hommes n’ont pas reçu cette révélation ; car il ajoute : « Mystère qui, dans les autres générations, n’a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé » ; ou que la chose n’a pas été révélée aussi clairement par les faits, quelle est maintenant révélée à ses saints apôtres et aux prophètes par l’Esprit. Voyez en effet : Pierre, s’il n’avait pas été averti par l’Esprit, ne serait point allé chez les gentils. Écoutez en effet ses paroles : « Ainsi Dieu leur a donné l’Esprit-Saint comme à nous », S’il dit : « Par l’Esprit », c’est que Dieu a voulu qu’ils reçussent la grâce par l’Esprit. Les prophètes parlaient, mais ils ne se rendaient point de ces merveilles un compte précis ; puisque les apôtres eux-mêmes ne les comprenaient pas parfaitement après en avoir été instruits : car cela dépassait de beaucoup la raison humaine et la commune espérance. « Que les gentils sont cohéritiers, membres d’un même corps et participant avec eux de la promesse (6) ».

3. Qu’est-ce à dire : « Cohéritiers, participant avec eux de la promesse, et membres d’un même corps ? » Voilà la grande chose, cette réunion en un seul corps, ce complet rapprochement. On savait que les gentils seraient appelés ; mais que ce devait être à ces conditions, on l’ignorait. De là cette expression : « Mystère de promesse ». Les Israélites avaient part, les gentils avaient part également à la promesse de Dieu. « Dans le Christ par l’Évangile ». En d’autres termes, par son envoi vers eux, et par leur conversion : car il ne dit pas seulement : « Dans le Christ », mais ajoute : « Par l’Évangile ». Mais c’est peu : Paul nous révèle quelque chose de plus grand ; à savoir que cela était ignoré non seulement des hommes, mais des anges, des archanges eux-mêmes, de toute puissance créée : c’était un mystère, et personne n’en avait eu la révélation. « Comprendre l’intelligence que j’ai ». Sans doute il fait allusion à ce qu’il leur a dit dans les actes, que s’il invite les gentils eux-mêmes, c’est en lui l’effet d’une certaine intelligence. Il veut parler de l’intelligence du mystère dont il a parlé, à savoir que Jésus créera en lui-même et formera un seul homme nouveau. Il a appris par révélation, ainsi que Pierre, qu’il ne faut pas avoir les gentils en abomination, et saint Pierre le déclare lorsqu’il se justifie d’avoir été chez les gentils. « Dont j’ai été fait le ministre en vertu du don de la grâce de Dieu, qui m’a été donnée par l’opération de sa vertu (7) ». Il a dit qu’il est prisonnier, ce qui ne l’empêche pas ici de faire honneur de tout au Seigneur, en disant : « En, vertu du don de la grâce de Dieu » ; car c’est par la vertu de ce don que cet honneur lui a été fait. Mais le don ne suffisait pas, si la force ne lui avait été communiquée en même temps. Car c’était vraiment le fait d’une grande force ; et un zèle humain n’aurait pu y suffire. Paul apporta trois choses à la prédication : un zèle bouillant et intrépide, une âme prête à tout supporter, et enfin l’intelligence et la sagesse ; car ce n’eût pas été assez du courage, d’une vie irréprochable, s’il n’avait reçu en outre la vertu de l’esprit. Voyez-en la preuve chez lui-même d’abord, ou plutôt, écoutez ce qu’il écrit : « Afin que notre ministère ne soit pas censuré » (2Co. 6,3) ; et encore : « En effet, notre prédication a été exempte d’erreur, d’impureté, de paroles de flatterie, de prétexte d’avarice ». (1Th. 2,3-5) Voyez-vous qu’elle était irréprochable. Et ailleurs : « Ayant soin de faire le bien, non seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes ». (Rom. 12,17) Ensuite : « Chaque jour je meurs, oui, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ Notre-Seigneur ». (1Co. 15,31) Et encore : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, la détresse ou la persécution ? » (Rom. 8,35) Et ailleurs : « Par une grande patience dans les tribulations, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons ». (2Co. 6,4-5) Puis sa conduite pleine de sagesse : « Je me suis fait Juif avec les Juifs, avec ceux qui sont sous la loi comme si j’eusse été sous la loi ». (1Co. 9,20-21) Il se rase et se soumet à mille pratiques. Mais ce qui passe avant tout, c’est qu’il agissait par la vertu de l’Esprit-Saint. « Car je n’oserai parler d’aucune des choses que le Christ n’a pas faites par moi ». (Rom. 15,18) Car en quoi avez-vous été inférieurs aux autres Églises ? enfin : « Car je n’ai été inférieur en rien aux plus éminents apôtres, quoique je ne sois rien. ». (2Co. 12,13,11) Sans cela la chose eût été impossible. Ce n’est point par des miracles qu’il convertit : les miracles n’y faisaient rien : Ce n’est pas, de cela qu’il croyait devoir se prévaloir, mais d’autres choses. Il faut être irrépréhensible, sage, hardi, persuasif. C’est par là qu’il réussit en général : et dès qu’il avait cela, les miracles devenaient superflus. Nous voyons du moins que, même avant d’avoir opéré aucun miracle, il avait fait mille choses de ce genre.

Et nous, sans avoir rien de tout cela, nous voulons réussir en tout. Or, ôtez l’une de ces choses, le reste devient inutile. Car à quoi bon être hardi, si l’on est sujet aux reproches dans sa conduite ? « Si la lumière qui est en toi est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes, que seront-elles ? » Et que sert d’avoir une vie irréprochable, si l’on est paresseux et nonchalant ? « Si quelqu’un ne porte pas sa croix, et ne marche pas à ma suite, il n’est pas digne de moi ». Et encore : « Si quelqu’un ne donne pas sa vie pour les brebis », et la suite. Et que sert de réunir ces deux conditions, si l’on manque d’adresse pour répondre à chacun comme il convient ? Or, si les signes ne dépendent pas de nous, ces deux choses sont en notre pouvoir. Paul, tout en s’attribuant toutes ces qualités, en reportait néanmoins tout l’honneur à la grâce. C’est le fait d’un serviteur reconnaissant. Et nous ne connaîtrions pas même ses grandes actions, s’il n’eût été forcé de nous en instruire. Est-ce que nous sommes dignes, même de nous souvenir de Paul ? Bien qu’il eût la grâce avec lui, il ne se tenait pas néanmoins pour content, et affrontait pour sa part mille dangers. Et nous, qui n’avons point le même crédit, sur quoi compter, dites-moi, ou pour garder ceux qui nous sont confiés, ou pour gagner ceux qui se tiennent encore à l’écart, nous, hommes adonnés à la mollesse, avides de repos à tout prix, incapables de résister, même en songe, à un péril, ou plutôt, incapables de le vouloir, nous, aussi éloignés de la sagesse de Paul que le ciel est éloigné de la terre ? Si ceux qui sont sous notre direction restent si loin des hommes d’alors, c’est que les disciples d’alors valaient mieux que les docteurs d’aujourd’hui : ils étaient circonvenus de tous côtés par les peuples et les tyrans ; la guerre les assiégeait de toutes parts : et rien ne pouvait les abattre ni les fléchir.

4. Écoutez du moins ce que dit Paul aux Philippiens : « Puisqu’il vous a été donné touchant le Christ, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui ». Aux Thessaloniciens : « Vous êtes devenus imitateurs des Églises de Dieu qui sont en Judée ». Aux Hébreux : « Vous avez supporté avec joie l’enlèvement de vos biens ». Aux Colossiens : « Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus en Dieu » : et il témoigne en même temps de beaucoup de périls courus par le même peuple. Aux Galates : « Vous avez souffert tant de maux sans motifs, si toutefois c’est sans motif ». Et vous les voyez tous appliqués à faire le bien. Voilà pourquoi la grâce agissait alors, pourquoi ils vivaient dans les bonnes œuvres. Écoutez encore ce qu’il écrit aux Corinthiens, auxquels il adresse mille reproches : ne leur rend-il pas également témoignage en disant : « Mais votre zèle, mais votre désir ? » (2Co. 7,11) Tous les témoignages qu’il leur rend à ce sujet, on ne trouverait plus aujourd’hui lieu de les appliquer, même aux maîtres : de sorte que tout a fui, tout est perdu. La raison en est dans le refroidissement de la charité, dans ce que les pécheurs ne sont plus châtiés (« Reprends les pécheurs devant tous », écrit Paul à Timothée), dans la corruption des chefs : car, dès que la tête n’est point saine, comment le reste du corps demeurerait-il en bonne santé ? Voyez l’étrange renversement ! Ceux à qui une vie pure pourrait donner plus de confiance, ont gagné le sommet des montagnes ; ils se sont éloignés de la ville comme d’un pays ennemi, ils se sont arrachés à leur propre corps comme s’il leur était étranger. Au contraire, des hommes pervers, souillés de tous les vices, se sont jetés sur les Églises : les dignités sont devenues vénales. De là, des maux infinis. Personne ne réprime les abus, personne ne punit les coupables, mais on a mis un certain ordre dans le désir. Quelqu’un a-t-il péché, est-il accusé, il ne cherche pas à établir son innocence, mais à trouver des complices de son crime. Et pourtant il y a un enfer ! Croyez-moi, si Dieu n’avait réservé ses vengeances à la vie future, vous verriez tous les jours au milieu de nous des châtiments plus tragiques que toutes les calamités qui ont écrasé la nation juive. Que personne ne se fâche, je ne désigne personne. Si quelqu’un avait reçu le don de lire clairement dans la vie des autres, et qu’entré dans l’église, il eût à se prononcer sur ceux qui la remplissent en ce moment avec vous ; que dis-je, en ce moment ? sur tous ceux qui, le jour de Pâques, reçoivent le baptême, il y trouverait des crimes plus grands que ceux des Juifs ; des gens qui croient aux augures, aux charmes, aux sortilèges, qui emploient les maléfices, des fornicateurs, des adultères, des ivrognes, des médisants. Je passe sous silence les spoliateurs, de peur de blesser quelqu’un ici. Si l’homme dont je parle scrutait les cœurs de tous ceux qui approchent de nos autels dans le monde entier, quelles horreurs ne verrait-il pas ? Et, pour ne parler que des chefs, il les trouverait avides de gain, trafiquant des charges publiques, jaloux ; vaniteux, fourbes, esclaves de leur ventre ou de l’argent.

L’impiété étant si grande, quels châtiments n’avons-nous pas à redouter ? Pour vous faire une idée de la terrible punition encourue par ces pécheurs, rappelez-vous l’Ancien Testament : un soldat vola une propriété sacrée, et tous périrent ; vous savez l’histoire ? Je parle de ce Charmi qui déroba l’anathème. Alors, dit le prophète : Leur pays fut rempli d’augures, comme celui des étrangers. (Isa. 2,6) Maintenant les maux abondent, et nul ne s’en effraie. Tremblons : car Dieu confond les justes mêmes dans le châtiment des impies, comme il est arrivé pour Daniel, pour les trois enfants, pour des milliers d’autres, comme il arrive encore dans les guerres présentes. Car les uns se déchargent par là de tous leurs péchés, les autres en demeurent chargés. Pour tous ces motifs, veillons sur nous-mêmes. Ne voyez-vous pas la guerre multiplier ses ravages ? N’entendez-vous pas le cri des malheurs publics ? N’est-ce pas assez pour vous instruire ? Des cités, des nations entières disparaissent du monde ; des milliers d’hommes libres sont esclaves chez les barbares. Si ce n’est la crainte de l’enfer, que ces cruels fléaux, du moins, nous avertissent et nous corrigent. Sont-ce de pures menaces ? ne sont-ce pas des faits réels ? D’autres ont été gravement punis ; nous le serons plus qu’eux, nous à qui leurs malheurs n’ont pas servi de leçon… Ce langage est importun, je le sais : mais il est utile, si l’on sait y faire attention… Nos discours ne sont pas faits pour plaire, mais pour faire rentrer l’âme en elle-même, et lui inspirer la sagesse. Car c’est ainsi qu’on obtient les biens éternels : auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire, l’empire, l’honneur appartiennent au Père et en même temps au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII. modifier

À MOI, LE MOINDRE DES SAINTS, A ÉTÉ DONNÉE CETTE GRACE D’ANNONCER PARMI LES GENTILS LES RICHESSES INCOMPRÉHENSIBLES DU CHRIST, ET D’ÉCLAIRER TOUS LES HOMMES TOUCHANT LA DISPENSATION DU MYSTÈRE CACHÉ, DÈS L’ORIGINE DES SIÈCLES, EN DIEU QUI A CRÉÉ TOUTES CHOSES PAR JÉSUS-CHRIST ; AFIN QUE LES PRINCIPAUTÉS ET LES PUISSANCES, QUI SONT DANS LES CIEUX CONNUSSENT PAR L’ÉGLISE LA SAGESSE MULTIFORME DE DIEU, SELON LE DÉCRET ÉTERNEL QU’IL A ACCOMPLI DANS LE CHRIST JÉSUS NOTRE-SEIGNEUR. (III, 8-11 JUSQU’À LA FIN DU CHAP)

Analyse modifier

  • 1 et 2. De la charité.
  • 3 et 4. Du précepte : Aimez vos ennemis.

1. Quand on entre chez un médecin, ce n’est pas sans but, c’est pour apprendre à se soigner et à employer les remèdes… Et nous, de même, parvenus à cet endroit, il ne faut pas perdre notre temps, mais étudier l’admirable humilité de Paul. Écoutez en effet de quelles paroles il se sert pour montrer la grandeur de la grâce divine : « À moi, le moindre des saints, a été donnée cette grâce ». C’était déjà de l’humilité, que de gémir sur ses péchés précédents, bien qu’effacés, d’en faire mention, de se montrer modeste, comme lorsqu’il s’appelle blasphémateur, persécuteur, téméraire ; mais rien n’égale ceci. Voilà ce que j’étais d’abord, dit-il, et il s’appelle avorton. Mais, après tant de bonnes œuvres, rester encore fidèle à la modestie, se proclamer inférieur à tous, c’est le fait d’une rare et extrême humilité. « À moi, le moindre des saints ». Il ne dit pas : Des apôtres ; donc, « Saint » est une expression qui dit moins. Car il dit ailleurs : « Je ne suis pas digne d’être nommé apôtre ». (1Co. 15,9), Ici c’est à tous les saints qu’il se déclare inférieur : « À moi, le moindre des saints, a été donnée cette grâce ». Laquelle ? Celle d’annoncer parmi les gentils les richesses incompréhensibles du Christ, et d’éclairer tous les hommes touchant la dispensation du mystère caché, dès l’origine des siècles en Dieu, qui a créé toutes choses par Jésus-Christ, afin que les principautés et les puissances qui sont dans les cieux, connussent par l’Église, la sagesse multiforme de Dieu. Soit ; cela n’a pas été révélé aux hommes ; mais tu éclaires aussi les anges et les archanges, les principautés et les puissances ? Oui, répond-il, car cela était caché en Dieu, dans le Dieu qui a tout créé par Jésus. Et tu oses tenir ce langage ? Oui, dit-il. — Mais par où la chose est-elle devenue manifeste pour les anges ? Par l’Église. Et il ne dit pas seulement : La sagesse fertile de Dieu, mais : « La sagesse multiforme ». Qu’est-ce à dire ? Les anges n’étaient pas instruits ? Nullement : si les principautés ne l’étaient pas, à bien plus forte raison les anges. Quoi donc ? Les archanges eux-mêmes étaient dans l’ignorance ? Oui, eux-mêmes ; qu’est-ce qui aurait pu les instruire ? Qui aurait été le révélateur ? C’est quand nous avons été instruits, qu’eux-mêmes ils l’ont été. Écoutez les paroles de l’ange à Joseph : « Tu appelleras son nom Jésus : car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». (Mat. 1,21)

Il fut envoyé, lui, chez les gentils ; et les autres, aux hommes de la circoncision. De sorte que la tâche la plus admirable et la plus merveilleuse, elle a été donnée à moi, dit-il, qui suis le moindre. Et c’était encore un effet de la grâce, que cette grande mission confiée à un petit, je veux dire le soin d’évangéliser les gentils. En effet, celui à qui revint la plus grande tâche dans la prédication de l’Évangile, celui-là est grand par ce côté. — « D’annoncer parmi les gentils les richesses incompréhensibles du Christ ». Si ces richesses sont incompréhensibles, même après sa venue, à plus forte raison son essence. Si c’est encore un mystère, à bien plus forte raison en était-ce un avant la révélation. S’il emploie ce mot « Mystère », c’est que les anges mêmes étaient dans l’ignorance, et que personne ne connaissait le secret. « Et d’éclairer tous les hommes touchant la dispensation du mystère caché, dès l’origine des siècles, en Dieu qui a créé toutes choses par Jésus-Christ ». Les anges savaient seulement « Que son peuple était devenu la portion du Seigneur ». (Deu. 32,9) Un ange dit encore : « Le chef des Perses m’a résisté ». (Dan. 10,13) Ainsi, rien d’étonnant que cela leur fût inconnu également. S’ils ignoraient le retour de la captivité, à plus forte raison ces choses, qui sont l’Évangile même. Il est écrit : « Celui qui sauvera son peuple, Israël ». Rien des gentils ; mais ce qui concerne ceux-ci, c’est l’Esprit qui le révèle. Ils savaient que les gentils avaient été appelés ; mais que c’était au même partage, et pour s’asseoir sur le trône de Dieu ; qui aurait pu s’y attendre ? qui aurait pu y ajouter foi ? — « Caché en Dieu ». Il explique plus clairement ce conseil de la Providence dans l’épître aux Romains. « En Dieu qui a créé toutes choses par Jésus-Christ ». C’est à propos qu’il dit, en parlant de la création : « Par Jésus-Christ ». Celui qui a tout créé par lui, révèle par lui ce mystère : car, il n’a rien fait sans lui. « Sans lui », est-il écrit, « rien n’est arrivé ». En nommant les principautés et les puissances, il a nommé, les supérieurs et les inférieurs. « Selon le décret éternel ». C’est maintenant qu’il est accompli ; mais il ne date pas d’aujourd’hui : il était rendu à l’avance. « Selon le décret éternel qu’il a accompli dans « le Christ Jésus Notre-Seigneur », c’est-à-dire, selon sa prescience des siècles, sa connaissance de l’avenir ; il savait les événements futurs, et il les régla ainsi : « Selon le décret éternel », le décret concernant les choses qu’il a accomplies en Jésus-Christ, puisque tout se fait par Jésus-Christ. « En qui nous avons le crédit et l’accès, avec confiance par la foi en lui (12) ».

Ce n’est pas comme des prisonniers, veut-il dire, que nous avons été amenés, ni comme des graciés, ni comme des pécheurs. « Nous avons le crédit avec confiance », ou assurance. D’où vient cela ? De la foi en lui. — « Aussi je vous demande de ne point vous laisser abattre à cause de mes tribulations pour vous, car c’est votre gloire (13) ». Comment, pour eux ? Comment, leur gloire ? Parce que Dieu les a chéris au point de donner pour eux jusqu’à son Fils, et de faire souffrir ses serviteurs. C’est pour leur procurer tant de biens, que Paul était dans les fers. C’est donc une grande preuve de l’amour de Dieu pour eux. Dieu dit pareillement des prophètes : « Je les tuais avec une parole de ma bouche ». (Ose. 6,5) Mais comment les tribulations d’autrui pouvaient-elles les abattre ? C’est qu’ils étaient émus, troublés. Paul écrit la même chose aux Thessaloniciens : « Afin que personne ne fût ébranlé dans ces tribulations ». (1Th. 3,3) Car il ne suffit pas de ne point se plaindre ; il faut encore se réjouir. En effet, si cette prédiction doit vous consoler, nous vous prédisons que nous devons être en butte aux tribulations ici-bas. Pourquoi cela ? Parce que le Maître l’a ordonné ainsi. — C’est pour cela « que je fléchis les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui toute tribu tire son nom au ciel et sur la terre (14) ». Il montre la ferveur de la prière qu’il adresse pour eux. Il ne se borne pas à dire : « Je prie » ; il indique encore la componction qui a inspiré sa prière, par cette expression : « Fléchir les genoux » — « De qui toute paternité… (15) ». Je ne parle plus, dit l’apôtre, seulement des anges, ni du peuple d’Israël, mais de toutes les tribus créées, soit célestes, soit terrestres. — « Afin qu’il vous accorde, selon les richesses de sa gloire, que vous soyez puissamment fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur ; que le Christ habite par la foi dans vos cœurs (16, 17) ». Voyez avec quel zèle insatiable il leur souhaite toutes sortes de biens, afin qu’ils ne s’égarent pas. Et comment ce vœu peut-il être réalisé ? « Par le Saint-Esprit, dans l’homme intérieur, afin que le Christ habite par la foi dans vos cœurs ». Comment ? « Afin qu’enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur, et connaître aussi la charité du Christ qui surpasse toute science (18-19) ».

2. La prière qu’il a faite en commençant, il la répète en cet endroit. Que disait-il au commencement ? « Afin que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne l’esprit de sagesse et de révélation « pour le connaître ; qu’il éclaire les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle est l’espérance à laquelle il vous a appelés, quelles sont les richesses de gloire de l’héritage destiné aux saints ; et quelle est la grandeur suréminente de sa vertu en nous, qui croyons, selon l’opération de la puissance de sa vertu ». Ici, il dit la même chose : « Afin que vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur » ; c’est-à-dire, être instruits exactement du mystère accompli en notre faveur ; voilà ce qu’il appelle largeur et longueur, hauteur et profondeur : en d’autres termes, connaître la grandeur de la charité divine, et comment elle s’étend dans tous les sens : il emploie pour cela des images matérielles et appropriées à l’humanité ; il embrasse le haut, le bas, les côtés. C’est comme s’il disait : J’ai parlé, mais il n’appartient pas à ma langue, il n’appartient qu’à l’Esprit-Saint d’enseigner ces choses. « Puissamment fortifiés » ; à savoir contre les tentations, contre les égarements : de sorte qu’il n’y a pas d’autre moyen d’être fortifié que l’Esprit et les tentations. Si vous voulez savoir maintenant comment le Christ habite dans les cœurs, écoutez ses propres paroles : « Nous viendrons, moi et mon Père, et nous ferons séjour chez lui ». (Jn. 14,23) Ce n’est point dans tous les cœurs qu’il habite, mais dans les cœurs fidèles, ceux qui sont enracinés dans son amour, et non égarés. « Pour que vous puissiez ». Donc beaucoup de force est nécessaire. Pour quel usage, c’est ce qu’il nous fait voir en ajoutant : « Comprendre avec tous les saints quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur, et connaître aussi la charité du Christ, qui surpasse toute science, afin que nous soyons remplis de toute la plénitude de Dieu ». Voici le sens de ces paroles : Quoique la charité du Christ soit au-dessus de toute connaissance humaine, cependant vous connaîtrez, si vous avez le Christ en vous ; et non seulement vous gagnerez à cela cette connaissance, mais encore vous serez remplis de toute la plénitude de Dieu. Ou bien par plénitude de Dieu, il entend connaître que Dieu est adoré dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou bien il les exhorte à s’efforcer d’être remplis de toutes les vertus qui sont toutes réunies en Dieu.

« Mais à celui qui est puissant pour tout faire, bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons, selon la vertu qui opère en nous (20) ». — « Selon la vertu » est dit ici fort à propos ; car c’est grâce à elle que nous pouvons obtenir ce que nous n’avions jamais espéré. Quant à ceci, que Dieu fait bien au-delà de ce que nous demandons et concevons, cela résulte clairement des propres paroles de Paul. Moi, je prie, dit-il ; mais de lui-même, et indépendamment de ma prière il fera plus que nous ne pouvons demander, et non seulement plus, ni au-delà, mais « Bien au-delà » ; ce mot indique la grandeur du présent. Et qu’est-ce qui prouve cela ? La vertu qui opère en nous. Jamais nous n’avons demandé ces choses, jamais nous ne les avons espérées. — « À lui la gloire dans l’Église et dans le Christ Jésus, dans toutes les générations du siècle des siècles (21). Ainsi soit-il. » C’est bien à propos qu’il conclut ainsi son discours par une prière et une glorification. Car il fallait glorifier et bénir celui qui a tant fait pour nous. C’est donc encore une sorte d’hommage, que de glorifier Dieu à cause de ce qu’il a fait pour nous par Jésus-Christ. « À lui la gloire dans l’Église ». Ceci est encore très bien dit ; car l’Église seule demeure éternellement. Considérant donc cette perpétuité, il veut que nous glorifiions Dieu jusqu’à la consommation ; car c’est ce qu’il indique en disant : « Dans toutes les générations du siècle ». Qu’est-ce que les tribus ? Il est nécessaire de le dire. Ici-bas, on entend par tribus les familles, mais comment dire la même chose au ciel, où il n’y a pas de génération ? Ou bien veut-il parler des associations célestes. De même on trouve dans l’Écriture une certaine tribu « Amattarei », d’où vient le nom de pères. Mais Paul ne demande pas tout à Dieu : il demande aussi aux fidèles la foi et la charité, et non seulement la charité, mais une charité enracinée et fondée, de sorte que ni les vents ne puissent l’ébranler, ni aucune autre chose l’abattre.

3. Paul vient de dire que les afflictions sont un sujet de gloire, les siennes ; et à plus forte raison celles de ceux à qui il s’adresse. Les tribulations ne sont donc pas une marque de délaissement : autrement, celui qui nous a comblés de ses bienfaits nous les aurait épargnés. Mais si, pour connaître la charité de Dieu, Paul a besoin de prière et du séjour intérieur de l’Esprit, qui pourra connaître par des raisonnements l’essence du Christ ? Eh quoi ! est-il si difficile de se convaincre que Dieu nous aime ? Très difficile, mon cher frère. Il y a des gens qui l’ignorent, et partent de là pour expliquer l’origine de maux innombrables déchaînés sur le monde ; d’autres méconnaissent le degré de cet amour. Paul ne s’inquiète pas de déterminer ce degré : comment le pourrait-il ? Il se borne à dire qu’il est grand et sublime de le connaître, et se fait fort de le prouver au moyen de la connaissance même dont nous avons été jugés dignes. Mais qu’y a-t-il au-dessus de ceci : être fortifiés ? C’est d’être fortifiés puissamment ; de même qu’avoir le Christ est moins qu’avoir le Christ en soi. Je sollicite de grands bienfaits, dit Paul. Néanmoins Dieu saura bien dépasser mes vœux ; non seulement il nous inspirera l’amour, mais encore un amour brûlant. Appliquons-nous donc, mes chers frères, à apprendre l’amour de Dieu. C’est une grande chose, rien ne nous est aussi utile, rien ne nous inspire autant de componction : la crainte de l’enfer est moins propre à subjuguer nos âmes. Mais qu’est-ce qui nous donnera cette connaissance ? Les paroles de l’Écriture, et aussi les événements de chaque jour. Pourquoi ces choses sont-elles arrivées ? Dieu en avait-il besoin ? Nullement. Partout c’est à la charité que l’Écriture recourt pour tout expliquer. Et la charité n’éclate nulle part aussi visiblement que dans le bienfait aux hommes sans qu’ils l’aient mérité.

Imitons Dieu, nous aussi : faisons du bien à nos ennemis, à ceux qui nous haïssent, allons à ceux qui se détournent de nous. Voilà ce qui nous rend semblables à Dieu. Vous aimez vos amis, dites-vous : quel avantage vous en revient-il ? Les païens en font autant. Qu’est-ce qui prouve la charité ? C’est d’aimer qui nous hait. Je veux vous donner un exemple : pardonnez-moi, si, n’en trouvant point dans les choses spirituelles, je le tire des choses mondaines. Voyez ceux qu’on appelle amants : tout ce que peuvent leur faire endurer les objets de leur amour, d’outrages, de perfidies, de dommages, ne les empêche pas de leur rester attachés, de brûler d’ardeur pour eux, de les aimer plus que leur âme, de passer les nuits devant leur porte. Si je recours à cet exemple, ce n’est pas pour vous inspirer l’amour de pareilles créatures, je veux dire des courtisanes, c’est afin que vous aimiez vos ennemis. Dites-moi, est-ce que ces femmes ne traitent pas ceux qui les aiment plus insolemment que ne feraient des ennemis ? ne dissipent-elles pas leur fortune ? ne défigurent-elles point leur visage ? ne les traitent-elles point avec plus de dureté que des esclaves ? Mais ils ne peuvent s’en détacher. Et pourtant, il n’est pas d’ennemi plus cruel qu’une courtisane n’est pour son amant. Elle se joue de lui, elle l’outrage, elle ne cesse d’abuser de lui ; et ses dédains sont proportionnés à l’amour qu’elle inspire. Quoi de plus féroce qu’une âme ainsi faite ? Et pourtant on persiste à aimer. Mais peut-être trouverons-nous aussi chez les hommes spirituels des exemples d’une pareille tendresse : non parmi ceux d’aujourd’hui, car la ferveur s’est refroidie ; mais parmi les grands et admirables personnages d’autrefois.

4. Le bienheureux Moïse surpassa ceux mêmes que l’amour possède. Comment et de quelle façon ? D’abord il quitta le palais du roi, le luxe qui y régnait, les égards, les hommages qui lui étaient prodigués pour aller vivre avec les Israélites. Tout autre non seulement n’en eût pas fait autant, mais eût encore rougi, si quelqu’un l’eût convaincu d’appartenir à la même race que des esclaves, et des esclaves réputés impurs. Loin de rougir de cette parenté, Moïse se voua de tout cœur à la défense des Israélites, et se mit en péril pour eux. Comment cela ? Voyant un homme maltraiter un d’entre eux, dit l’Écriture, il prit la défense de celui-ci, et tua l’agresseur. Mais en cela il n’agissait pas encore dans l’intérêt de ses ennemis. Cette action est belle sans doute, mais ce qui suit la surpasse. Le lendemain, il vit la même chose se répéter : l’agresseur était celui dont il avait pris la défense : il l’engagea à cesser ses violences. L’autre lui répondit, sans rougir d’une telle ingratitude : « Qui t’a établi chef et juge sur nous ? » Qui n’eût été enflammé de courroux à cette réponse ? Si dans la première occasion il n’avait fait que céder à la colère, à la fureur, cette fois encore, il eût frappé et tué le coupable. Car il n’eût pas été dénoncé par celui dont il prenait la défense. S’il parlait ainsi, c’était par respect pour les liens du sang. Cet homme, quand on le provoquait, ne disait point : « Qui t’a établi chef et juge sur nous ? » ni rien de pareil. Et pourquoi n’avoir point tenu ce langage hier ? C’est ton injustice et ton inhumanité qui m’a fait ton juge et ton chef. Mais considérez maintenant qu’il ne manque pas de gens pour tenir ce langage à Dieu même. Sont-ils offensés, ils souhaitent qu’il se montre sévère, ils l’accusent d’un excès de patience : sont-ils offenseurs, c’est autre chose. Quoi de plus amer qu’un tel langage ? Et pourtant, cela n’a point empêché Moïse de remplir sa mission auprès de ces ingrats, de ces oublieux. Et même alors, après des signes si manifestes, après les prodiges opérés par lui, ils essayèrent à plusieurs reprises de le lapider, et il fallut qu’il s’échappât de leurs mains ; ils ne cessaient de murmurer, et néanmoins il les chérissait si tendrement, qu’il disait à Dieu, à la suite de leur horrible péché : « Si vous leur remettez leur péché, remettez : sinon, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit ». J’aime mieux périr avec eux, disait-il, que d’être sauvé sans eux.

Passion véritable, véritable excès d’amour. Que dis-tu ? tu dédaignes le ciel ? Oui, répondit, car j’aime les coupables. Tu demandes d’être effacé ? Et comment faire, répond-il ? J’aime. Et qu’arriva-t-il ensuite ? Écoutez ce que l’Écriture dit dans un autre endroit : « Et Moïse fut maltraité à cause d’eux ». Combien de fois ne l’avaient-ils pas outragé ? Combien de fois déposé, lui et son frère ? Combien de fois n’avaient-ils pas tenté de retourner en Égypte ? Et après tout cela il était encore tout passion, tout amour, tout prêt à souffrir pour eux. C’est ainsi qu’il faut aimer ses ennemis ; en dépit des coups, des mauvais traitements, des difficultés, du délaissement, il faut travailler à leur salut. Et Paul, dites-moi, est-ce qu’il n’a pas demandé l’enfer pour en racheter le peuple ? Mais c’est au Maître qu’il faut emprunter un exemple. En effet, il ne fait pas autrement lui-même en disant : « Il a fait lever son soleil sur les méchants et les bons ». (Mat. 5,45) Il emprunte ses exemples au Père : c’est au Christ que nous devons emprunter les nôtres. Il vint vers les Juifs, j’entends selon l’Incarnation, il se fit serviteur pour eux, il s’abaissa, sortit de lui-même, prit la forme d’un esclave : et, descendu ici-bas, il ne voulut pas aller en personne visiter les gentils, et confia ce soin à ses disciples : non content de cela, il allait partout, guérissant toute maladie et toute infirmité.

Eh bien ! tandis que tous les autres étaient saisis d’étonnement, d’admiration, et disaient : « D’où lui viennent donc toutes ces choses » (Mat. 13,56), ceux qu’il comblait de biens disaient : Il a un démon ; il blasphème ; il est fou ; c’est un charlatan. Eh bien ! est-ce qu’il les repoussa ? Aucunement : il répondit à ces injures par des bienfaits plus grands ; il s’en alla vers ceux qui devaient le crucifier, dans le seul but de les sauver. Et après le crucifiement, que dit-il ? « Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Maltraité par eux, sur le point de l’être encore, jusqu’au dernier soupir il s’occupait d’eux, il priait pour eux. Et encore après le crucifiement que ne fit-il pas en leur faveur ? N’envoya-t-il pas les apôtres ? Ne fit-il pas des prodiges ? N’employa-t-il pas tous les moyens ? C’est ainsi qu’il faut aimer ses ennemis, ainsi que nous devons imiter le Christ. Paul agit de la sorte : assailli de pierres, en butte à mille mauvais traitements, il ne cessait de s’occuper de ses persécuteurs. Écoutez-le plutôt : « Ma bonne volonté et ma prière ont pour objet leur salut » ; et encore : « Je leur rends ce témoignage, qu’ils ont du zèle pour Dieu » ; et ailleurs. « Si toi, qui n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été enté sur eux, à combien plus forte raison seront-ils entés sur leur propre olivier ». (Rom. 10,1-2 ; 11, 17) Combien de charité, de tendresse dans ces paroles ! On ne saurait, non, on ne saurait le dire. C’est ainsi qu’il faut aimer ses ennemis : ainsi l’on aime Dieu qui nous a prescrit cet amour, qui nous en a fait une loi : l’imiter, c’est aimer son ennemi. Songez que ce n’est pas à votre ennemi, mais à vous-même que vous faites du bien ; songez que ce n’est pas là aimer votre ennemi, mais obéir à Dieu. Instruits de ces vérités, pratiquons la charité mutuelle, afin qu’après avoir exactement rempli ce devoir, nous obtenions les biens qui nous sont promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles de siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VIII. modifier

JE VOUS CONJURE DONC, MOI CHARGÉ DE LIENS POUR LE SEIGNEUR, DE MARCHER D’UNE MANIÈRE DIGNE DE LA VOCATION À LAQUELLE VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS AVEC TOUTE HUMILITÉ ET TOUTE MANSUÉTUDE. (IV, 1)

Analyse. modifier

  • 1-5. Éloge des chaînes. — Captivité de saint Paul.
  • 6-9. Exemples analogues empruntés à l’histoire de saint Pierre, à celle des trois jeunes gens de Babylone.

1. C’est une vertu chez les docteurs de ne rechercher ni les hommages ni les éloges de leurs subordonnés, mais uniquement le salut de ceux-ci, et de tout faire dans ce but : celui qui agirait autrement ne serait pas un docteur, mais un tyran. Car si Dieu vous a préposé à eux, ce n’est pas pour que vous obteniez plus de respect ; mais pour que, négligeant ce qui vous concerne, vous ne songiez qu’à les édifier. Tel est l’office d’un docteur : et tel se montrait le bienheureux Paul, qui, exempt de tout orgueil, se considérait comme un homme vulgaire, pour ne pas dire comme le dernier des hommes. Voilà pourquoi il s’appelle leur serviteur, et parle ordinairement en suppliant. Ici même, voyez comment son langage, loin d’être impérieux ou despotique, est humble et modeste : « Je vous conjure donc, moi chargé de liens pour le Seigneur, de marcher d’une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés ». Pourquoi cette exhortation, dis-moi ? Est-ce que tu désires quelque chose pour toi-même ? Nullement, répond-il, je ne veux que sauver autrui. Cependant, quand on conjure, c’est généralement dans son propre intérêt. — C’est justement que cela m’intéresse, répondra Paul voyez ce qu’il écrit ailleurs : « Maintenant nous vivons, si vous restez fermes dans le Seigneur ». Il ne cessait de souhaiter ardemment le salut de ses disciples. « Moi, chargé de liens pour le Seigneur ». Haute et sublime dignité, qui éclipse la royauté, le consulat et tous les autres honneurs.

De même il écrit à Philémon : Comme moi, le vieux Paul, qui de plus suis maintenant prisonnier de Jésus-Christ (9)… C’est que rien n’est beau comme les chaînes portées pour Jésus-Christ, les chaînes qui ont étreint des mains si saintes. Être enchaîné pour Jésus-Christ, c’est plus glorieux que d’être apôtre, que d’être docteur, que d’être évangéliste. Qui aime Jésus-Christ, me comprend. Oui, il sait le prix des chaînes, celui qui brûle, qui est fou de l’amour du Seigneur, et il aimerait mieux être enchaîné pour Jésus-Christ que d’habiter les cieux. Plus resplendissantes que l’or, plus qu’aucun diadème ; étaient les mains de Paul : ce bandeau couvert de pierreries qui ceint la tête des rois, ne leur donne pas tant de majesté que cette chaîne de fer subie pour Jésus-Christ. La prison de l’apôtre l’emportait en magnificence sur la demeure impériale ; que dis-je ? sur le ciel lui-même : car elle possédait en ce moment le prisonnier de Jésus-Christ. Et, si vous aimez Jésus-Christ, vous comprenez cette dignité, vous comprenez cette vertu, cette grâce accordée à la nature humaine de porter des chaînes pour Jésus-Christ. C’est peut-être plus glorieux que d’être assis à sa droite, plus auguste que d’occuper un des douze trônes qui entourent le sien. Et que dirai-je des choses humaines ? Je rougirais de comparer à l’éclat de ces chaînes les plus riches parures d’or. Quand on n’aurait d’ailleurs aucune rémunération à attendre, n’est-ce pas une récompense suffisante et très grande, de souffrir beaucoup pour celui qu’on aime ? Ils me comprennent sans effort, ceux dont le cœur est plein d’une affection profonde, sinon pour Dieu, au moins pour la créature. Ne leur est-il pas plus doux de s’immoler pour l’objet aimé que d’en recevoir les hommages ? Mais il faut appartenir au chœur des saints apôtres pour avoir l’intelligence de cela. Entendez ce que raconte Saint Luc : « Ils sortaient du sanhédrin, pleins de joie, parce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir un affront pour le nom de Jésus-Christ ». (Act. 5,41) Que d’autres nous regardent comme ridicules, quand nous disons que c’est une gloire d’être outragé, une joie d’être couvert d’opprobre ; ceux qui soupirent après Jésus-Christ regardent cela comme très-heureux. Si l’on me donnait à opter entre le ciel tout entier et la chaîne de saint Paul, je préférerais cette chaîne. J’aimerais mieux être en prison avec saint Paul, que d’être au ciel avec les anges. Si j’avais à me déterminer entre l’honneur de vivre au milieu des trônes et des puissances célestes, et celui d’être enchaîné avec saint Paul, je demanderais à être enchaîné, et j’aurais raison. Nul bonheur, en effet, ne vaut une telle captivité. Je voudrais être dans ces lieux où l’on garde encore, dit-on, ces fers qui ont pressé les mains de l’apôtre ; je voudrais les voir, et admirer ces hommes enflammés de l’amour du Christ ; je voudrais voir ces chaînes que les démons redoutent, que les anges révèrent. Rien n’est doux comme de souffrir pour Jésus-Christ. Ce que j’envie, ce que j’admire dans saint Paul, c’est moins son ravissement au paradis que son cachot, moins les mystères qui lui furent révélés, que ses chaînes et ses souffrances. Et lui-même ; il pensait ainsi ; car il ne dit pas : Je vous prie, moi, à qui Dieu « A fait entendre des paroles que l’homme ne saurait redire », mais : « Moi qui suis dans les chaînes pour le Seigneur ».

2. Que s’il ne redit pas la même chose dans toutes ses épîtres, c’est qu’il n’était pas toujours prisonnier. Oui, j’aime mieux souffrir pour Jésus-Christ, que d’être glorifié par Jésus-Christ. Souffrir pour Jésus-Christ, c’est un honneur immense, c’est une gloire qui surpasse tout. Si Jésus lui-même, devenu esclave pour moi, et dépouillé volontairement de sa gloire, ne se trouva jamais glorieux comme au jour où il fut crucifié pour moi, que ne dois-je pas souffrir moi-même ? Écoutez plutôt ses propres paroles : « Glorifiez-moi, mon Père ». Que dites-vous ? On vous conduit à la croix avec des brigands et des voleurs sacrilèges ; vous allez subir le supplice des scélérats, être en butte aux crachats, aux soufflets, et vous appelez cela de la gloire ? Oui, répond-il : car je souffre pour ceux que j’aime, et c’est là que je mets ma gloire. Si Jésus, dans son amour pour des malheureux, des misérables, mettait sa gloire en cela, et non à siéger sur le trône paternel, s’il trouvait sa gloire, non dans la gloire même, mais dans les humiliations, et en faisait l’objet de sa préférence, à plus forte raison dois-je, moi, mettre là ma gloire. O heureuses chaînes ! Heureuses mains que ces chaînes ont décorées ! Les mains de saint Paul, quand elles guérissaient, en le touchant, le perclus de Listres, étaient moins digues de vénération que serrées et meurtries de fers. Si j’avais vécu au temps de l’apôtre, j’aurais aimé à les embrasser, à les approcher de mes yeux, à les couvrir de baisers, ces mains jugées dignes d’être enchaînées pour le Seigneur. Vous vous étonnez qu’une vipère attachée à la main de Saint Paul ne lui fit aucun mal ? La bête venimeuse respectait les chaînes qui enveloppaient cette main : la mer aussi révérait en elle la captivité passée de l’apôtre. Le pouvoir de ressusciter les morts me fût-il donné, je l’estimerais moins que celui de porter ces fers. Et maintenant, si j’étais affranchi des sollicitudes du saint ministère, si j’avais une santé plus valide, rien ne m’empêcherait d’entreprendre un long voyage pour voir les chaînes de saint Paul, pour visiter la prison où il fut captif. Bien qu’en plusieurs endroits il y ait des monuments de ses grandes actions, je ne trouve rien de si aimable que les stigmates de ses souffrances ; et, dans les saintes Écritures, il me plaît moins quand il opère des miracles que lorsqu’il est maltraité, battu de verges, emprisonné. Sans doute, ils sont merveilleux, ces suaires, ces tabliers qui font des prodiges après l’avoir revêtu ; mais voici qui est plus merveilleux encore. « Après l’avoir meurtri et l’avoir chargé de coups, ils le jetèrent dans un cachot », et encore : « Enchaînés, ils louaient Dieu », enfin : « Après l’avoir lapidé, ils le traînaient hors de la ville, croyant qu’il était mort ». (Act. 16)

Voulez-vous savoir ce que c’est que de porter des fers pour Jésus-Christ ? Écoutez le Sauveur lui-même : « Vous êtes heureux », dit-il. Et en quoi, Seigneur, sommes-nous heureux ? Serait-ce de rappeler les morts à la vie ? Non. Serait-ce de rendre la vue aux aveugles ? Non. En quoi donc sommes-nous heureux ? « Quand les hommes vous persécutent, qu’ils vous chargent d’outrages, qu’ils vous calomnient à cause de moi ». Eh bien ! si des invectives suffisent pour nous rendre si heureux, que sera-ce des mauvais traitements ? Écoutez le même saint, qui nous dit ailleurs : « Désormais la couronne de justice m’attend ». (2Ti. 4,8) Mais cette couronne ne brille pas autant que ces fers. Dieu me jugera digne de cette récompense, dit-il, et je m’inquiète peu du reste. Pour toute rétribution, il me suffit d’avoir souffert pour le Christ. Qu’il me donne le droit de dire : « Je consomme ce qui manque aux « tribulations du Christ dans ma chair ». (Col. 1,24) C’est tout ce que je demande… Pierre aussi fut jugé digne de porter ces chaînes : il était enchaîné, est-il écrit, livré aux soldats, et il dormait. Il était si content, si peu chagrin, qu’il dormait. Il ne serait pas tombé dans un profond sommeil, s’il avait été en proie aux inquiétudes. Il dormait, bien qu’environné de soldats : un ange vint vers lui, et lui frappant le flanc, l’éveilla. Si maintenant l’on venait me dire : Lequel voudriez-vous être, de l’ange qui éveilla Pierre, ou de Pierre qu’il fit échapper ? J’aimerais mieux être Pierre, en faveur de qui l’ange descendit… Puissé-je jouir de pareilles chaînes ! Et pourquoi donc, dira-t-on, Pierre prie-t-il alors, comme un homme échappé à un grand malheur ? Ne vous en étonnez point : il prie, parce qu’il craint la mort ; et s’il craignait la mort, c’est parce qu’il espérait trouver dans la vie de nouvelles occasions de souffrance. Écoutez du moins ce que dit encore le bienheureux Paul lui-même : « Partir et être avec le Christ, cela est bien préférable ; mais rester dans la chair est plus nécessaire à cause de vous ». (Phi. 1,23-24) Il appelle même cela une grâce dans ce passage « Le Christ vous a fait la grâce, non seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui ». Ceci est donc préférable à cela, comme venant de la grâce. Oui, c’est une grâce que de souffrir pour Jésus-Christ, une grâce plus haute que d’arrêter le soleil et la lune, de remuer le monde. Je la préfère au pouvoir de vaincre et de chasser les démons. Ceux-ci sont moins vexés quand notre foi les chasse, que lorsqu’ils nous voient enchaînés pour Jésus-Christ. Ce qui fait le bonheur d’être enchaîné pour Jésus-Christ, c’est moins l’espérance de régner un jour avec lui que la pensée de souffrir pour lui.

3. Je proclame les chaînes heureuses, non parce qu’elles ouvrent le ciel, mais parce qu’elles sont portées pour le Maître élu ciel. Quel plaisir, quel honneur, quelle gloire de se dire qu’on est prisonnier pour Jésus-Christ ! Ce sont là des choses dont je voudrais sans cesse parler. Je voudrais tenir cette chaîne, y être attaché, et, privé en réalité de cet avantage, je veux que du moins ; par la pensée, par le désir, mon âme en soit enlacée. « Le cachot fut ébranlé », est-il écrit, « quand Paul était enchaîné, et les chaînes de tous tombèrent ». (Act. 16,26) Voyez-vous ces chaînes qui font tomber d’autres chaînes ? Car, ainsi que la mort du Seigneur tua la mort, ainsi les chaînes de Paul délivrèrent ceux qui étaient enchaînés, ébranlèrent la prison, en ouvrirent les portes : et cependant le propre des chaînes est de produire un effet tout contraire, de tenir-le prisonnier solidement attaché, et non de lui ouvrir un passage dans les murailles. Mais si la nature des chaînés n’est point telle en soi, telle est celle des chaînes portées pour le Christ. Le geôlier tomba aux pieds de Paul et de Silas. Ce n’est pas non plus un effet propre à toutes les chaînes, que de faire tomber aux pieds des prisonniers les auteurs de leur captivité, ruais tout au contraire de mettre les premiers à la disposition des seconds. Ici, c’est l’homme en liberté qui tombe aux pieds du captif ; c’est celui qui avait rivé les fers, qui conjure le prisonnier de calmer son épouvante. N’est-ce donc pas toi, dis-moi, qui as formé ces nœuds ? n’est-ce pas toi qui as jeté ces hommes au fond de ce cachot ? qui as serré leurs pieds dans des entraves ? D’où te vient ce tremblement ? ce trouble, ces larmes ? Pourquoi tirer ton glaive ? Jamais je n’ai enchaîné rien de pareil, répond-il : je ne savais pas quel était le pouvoir des prisonniers du Christ. Que dis-tu ? Ils ont reçu la permission d’ouvrir les cieux, et ils ne pourraient ouvrir un cachot ? Ils ont délié ceux qui étaient au pouvoir des démons, et les fers auraient eu raison d’eux-mêmes ? Tu ne les connaissais pas : voilà ton excuse. Ce prisonnier, c’est Paul, que tous les anges ont en vénération ; c’est Paul, dont les suaires et les tabliers ont mis les démons en fuite, chassé les maladies ; et pourtant les chaînes du démon sont bien plus dures et bien plus difficiles à briser que le fer, car elles enchaînent l’âme, tandis que le fer ne lie que le corps. Comment donc celui qui délie les âmes, n’aurait-il pas eu la force de délier son corps ? Comment celui qui brise les liens des démons, n’aurait-il pas brisé des attaches de fer ? Comment celui dont les vêtements, d’eux-mêmes, délivrent les captifs que j’ai dit, et éloigne d’eux les démons, comment ne se serait-il pas mis lui-même en liberté ? S’il a été enchaîné, pour remettre ensuite les captifs en liberté, c’est pour que tu voies combien les serviteurs du Christ, dans les fers, ont plus de force que des hommes en liberté. S’il avait fait la même chose étant en liberté, la merveille serait moins grande : de sorte que ses chaînes témoignent non de sa faiblesse, mais de son pouvoir. En effet, rien n’est plus propre à faire éclater la puissance du saint, que de le voir triompher, dans les fers, de ceux qui n’en portent pas, que de le voir, dans les fers, délivrer en même temps que lui-même ses compagnons de captivité. À quoi bon ces murailles ? à quoi bon l’avoir précipité dans la partie la plus reculée de la prison, puisqu’il a su ouvrir jusqu’à la partie extérieure ? Mais pourquoi ce miracle s’opéra-t-il de nuit, et fut-il accompagné d’un tremblement de terre ? Pardonnez-moi si je m’écarte un peu des paroles des apôtres pour m’arrêter avec complaisance sur leurs actions ; laissez-moi m’enivrer de cette captivité de Paul, et souffrez que j’en parle encore. J’ai saisi la chaîne, personne ne me l’arrachera ; me voilà mieux retenu par l’amour que Paul lui-même par ses entraves. Cette chaîne-ci, personne ne la brise : car elle vient de l’amour du Christ ; ni les anges, ni le royaume des cieux ne sauraient la rompre écoutez plutôt ce que dit Paul lui-même : « Ni les anges ni les principautés, ni les choses présentes ni les choses futures, ni la hauteur ni la profondeur, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Jésus-Christ ». (Rom. 8,39)

Pourquoi donc ce miracle advint-il au milieu de la nuit ? et pourquoi ce tremblement de terre ? Écoutez le dessein de Dieu, et reste confondus. Les chaînes de tous furent brisées, et les portes s’ouvrirent. Mais ce prodige arriva uniquement à cause du geôlier, non pour l’éblouir, mais pour le sauver. La preuve que les prisonniers ignoraient leur délivrance, elle résulte des paroles de Paul. En effet, il cria à haute voix : « Ne te fais aucun mal, car nous sommes tous ici ». (Act. 16,28) Ils n’auraient pas été tous là, s’ils avaient vu les portes ouvertes, et leurs chaînes à leurs pieds. Des hommes habitués à percer les cloisons, à monter sur les toits et les corniches, et prêts à tout tenter en dépit de leurs chaînes, une fois leurs chaînes tombées et tes portes ouvertes ; n’auraient pu se résigner à rester dans la prison, surtout lorsque le geôlier était lui-même endormi. Mais s’ils n’étaient plus retenus par des chaînes de fer, ils l’étaient par celles du sommeil… Les choses avaient été ainsi disposées afin que le miracle pût avoir lieu sans causer aucun préjudice au gardien qui devait être sauvé ; sans compter que les prisonniers sont attachés la nuit avec un soin particulier. On peut donc les voir de nouveau très solidement enchaînés et dormant. Si cela était arrivé de jour, le désordre eût été grand. Mais pourquoi donc la maison fut-elle ébranlée ? Afin que le geôlier se réveillât pour voir ce qui se passait car il méritait seul d’être sauvé.

4. Veuillez considérer maintenant l’infinie bonté du Christ. Car il ne faut pas que la captivité de Paul nous fasse oublier la grâce du Sauveur ; ou plutôt n’en est-elle pas, elle-même, une preuve. Quelques-uns trouvent mauvais que le geôlier ait été sauvé, et au lieu d’un sujet d’admirer la bonté divine, ne voient là qu’une occasion de critiques : il ne faut pas s’en étonner. Telle est l’humeur des faibles : ils s’en prennent à l’aliment même dont ils se nourrissent, au lieu de leTexte complet non-formaté vanter, et proclament que le miel est amer. Les aveugles ne reçoivent que ténèbres du foyer qui devrait les éclairer : ce n’est point la faute de la nature, mais celle de leurs organes incapables d’user des choses comme il faudrait. Que disais-je donc ? Au lieu d’admirer que Dieu ait relevé et rendu meilleur un homme tombé dans un abîme de méchanceté, ils disent : Et comment ne vit-il pas là une supercherie, un sortilège ? Comment, plutôt, ne resserra-t-il pas leur captivité, n’appela-t-il point au secours ? Pour bien des raisons : d’abord il les avait entendus louer Dieu ; et des enchanteurs n’auraient jamais chanté de tels hymnes. Il est écrit : « Il les entendit louer Dieu ». En second lieu, loin de s’enfuir, ils l’empêchèrent de se donner la mort : s’ils avaient agi dans leur intérêt, ils ne seraient pas restés dans le cachot, et auraient commencé par se tirer d’affaire eux-mêmes. Mais ils firent preuve d’une grande bonté : ils l’empêchèrent de se tuer, lui qui les avait chargés de fers : c’est comme s’ils lui avaient dit : Tu nous as mis en lieu sûr, en nous enfermant dans la partie la plus reculée du cachot ; tu nous as durement enchaînés : c’est pour que tu sois affranchi toi-même de la plus rigoureuse des captivités. Chacun, en effet, est étreint dans les chaînes de ses propres péchés : chaînes maudites ; celles-ci, au contraire, sont des chaînes de félicité, qu’il faut souhaiter de tous ses vœux… Que ces dernières brisent les autres, Dieu te l’a fait voir par un exemple sensible. As-tu vu tomber les chaînes de fer qui chargeaient les prisonniers ? Eh bien ! tu te verras toi-même déchargé d’autres chaînes pesantes. Ces chaînes, j’entends celles des prisonniers, non celles de Paul, représentent celles du péché. Ces prisonniers l’étaient doublement. Le geôlier était prisonnier lui-même. Les prisonniers étaient enchaînés dans leurs fers et dans leurs péchés ; le geôlier était captif de ses seuls péchés. Paul délivra les premiers pour éclairer l’autre : car ces chaînes étaient visibles.

Jésus tint une conduite pareille, ou plutôt inverse. Il avait affaire à une double paralysie, celle des péchés et celle du corps. Que fit-il en cette occurrence ? « Aie confiance, dit-il, mon enfant, tes péchés te sont remis ». (Mat. 9,2) Il commence par la vraie paralysie, avant d’arriver à l’autre… « Quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes : Celui-ci blasphème. Mais comme Jésus avait vu leurs pensées, il dit : Pourquoi pensez-vous mal en vos cœurs ? Lequel est le plus facile de dire : tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Lève-toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit et retourne en ta maison ». (Mat. 9,3-6) Il prouvait ainsi la vérité impalpable par le fait sensible, il partait du corps pour arriver à l’âme. Et pourquoi agit-il ainsi ? Afin d’accomplir la parole : « Mauvais serviteur, c’est par ta propre bouche que je te jugerai ». (Luc. 19,22) Que disaient les scribes ? Nul ne peut remettre les péchés, si ce n’est, Dieu seul : ni ange, ni archange, ni aucune autre puissance créée n’a cette faculté. Vous en êtes tombés d’accord. Que fallait-il donc dire ? Si je montre que je remets les péchés, il est évident que je suis Dieu… Il ne dit pas cela : que dit-il donc ? « Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Lève-toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit, et retourne en ta maison ». C’est comme s’il disait : Quand j’aurai fait le plus difficile, il est clair qu’en ce qui regarde le plus facile il ne vous restera plus de refuge ni de prétexte à m’opposer. S’il commence par ce miracle impalpable, c’est parce que ses adversaires étaient en grand nombre. Après cela, il passa à un prodige sensible. Donc le geôlier pouvait croire sans faiblesse d’esprit : il avait vu les prisonniers : il ne les avait ni vus ni entendus faire ou dire rien de coupable ; il n’avait été témoin d’aucun sortilège : ils louaient Dieu ; il les avait vus déployer en toutes choses une bonté parfaite : car ils ne s’étaient pas vengés de lui, le pouvant. Ils auraient pu s’échapper et délivrer en même temps les prisonniers : ou tout au moins s’évader eux-mêmes. Ils n’en firent rien : de sorte qu’ils le pénétrèrent de respect, non seulement par le miracle, mais encore par leur manière d’agir. Écoutez plutôt Paul crier d’une voix, forte : « Ne te fais aucun mal ; car nous sommes tous ici ». Voyez-vous cette simplicité, cette modestie, cette charité. Il ne dit pas : Cela est arrivé à cause de nous : il dit comme s’il était le premier venu des prisonniers : « Car nous sommes tous ici ». Cependant s’ils n’avaient pas pris les devants et profité du miracle pour s’évader, ils pouvaient au moins se taire, et délivrer tous les prisonniers : car s’ils avaient gardé le silence, au lieu de retenir le geôlier par un grand cri, cet homme se serait percé la gorge de son épée. Si Paul cria, c’est encore parce qu’on l’avait relégué au fond de la prison. C’est comme s’il avait dit : Tu as agi contre toi-même, en jetant au fond du cachot ceux qui devaient te sauver. Mais ils n’imitèrent pas sa conduite à leur égard. S’il était mort, tous se seraient enfuis.

5. Vous le voyez : ils aimèrent mieux rester captifs, que de laisser périr leur gardien. Aussi raisonna-t-il ainsi en lui-même : Si c’étaient des sorciers, ils n’auraient pas manqué de s’évader et de délivrer les autres : car sans doute il avait vu entrer dans le cachot bien des hommes de cette espèce. D’ailleurs il avait bien des fois eu des sorciers sous sa garde, jamais rien de pareil n’était arrivé. Il reste donc étonné. Un sorcier n’aurait pas ébranlé les fondations pour réveiller le geôlier, et rendre sa fuite à lui plus difficile. Mais considérons maintenant la foi de cet homme : « Ayant demandé de la lumière, il entra : et, tout tremblant, il tomba aux pieds de Paul et de Silas ; et, les faisant sortir, il demanda : Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » Il tenait du feu, une épée : et il dit : « Seigneur, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » Ils lui répondirent. « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta maison ». (Act. chap. 16) Ce ne sont pas des enchanteurs, pensa-t-il, qui pourraient m’enseigner cette doctrine : il n’est pas question ici du démon. Voyez-vous combien il méritait d’être sauvé ? — Témoin du prodige, délivré de sa frayeur, il n’oublie pas les choses importantes : dans un tel péril il se préoccupe du salut de son âme, il aborde les docteurs comme il convenait de le faire ; il tombe à leurs pieds : « Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, à lui et à tous ceux qui étaient dans sa maison. Et lui, les prenant à cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies, et il fut baptisé, lui et toute sa maison aussitôt après ». Voyez-vous la ferveur de cet homme ? Il ne diffère point, il ne dit pas : Attendons le jour, nous verrons, nous examinerons : pleins de ferveur, lui, toute sa maison courent au baptême.

Ce n’est pas comme de nos jours, où tant de personnes souffrent que leurs serviteurs, leurs femmes, leurs enfants, restent étrangers à nos mystères. Devenez, je vous en conjure, pareils à ce geôlier, je ne dis point par le rang, mais par la volonté. Et quelle est l’utilité du rang, quand, la volonté est impuissante ? Chose admirable ! Ce cruel, ce barbare, ce pervers, occupé sans cesse à faire le mal, devient tout à coup la bonté, la charité même. « Il lava leurs blessures ». Considérez de nouveau la ferveur de Paul ; c’est dans les chaînes, c’est tout meurtri de coups, qu’il évangélisait. O bienheureuse chaîne ! quel enfantement fut le sien dans cette nuit ! quelle progéniture elle mit au monde ! Voilà ceux dont on peut dire : « Ceux que j’ai engendrés, dans mes fers ». Voyez-vous comment il se vante de son sort, afin qu’il en rejaillisse un peu d’éclat jusque sur ses enfants ? Voyez-vous quelle est cette gloire des chaînes, qui illustre non seulement celui qui les porte, mais encore ceux qu’il engendre durant sa captivité ? Ceux que Paul a engendrés étant captifs ont un avantage sur les autres, je ne dis pas selon la grâce, qui est la même pour tous, ni selon la rémission qui est commune à tous, mais à cause de cet enseignement qui leur est donné tout d’abord afin qu’ils trouvent un sujet de joie et d’allégresse dans les contre-temps de ce genre. « Les prenant à cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies, et il fut baptisé ». Voyez-en maintenant le fruit : sur-le-champ il reconnaît ce bienfait par des présents charnels : « Les ayant conduits chez lui, il leur servit aussitôt à manger ; et il se réjouit avec toute sa maison de ce qu’il avait cru en Dieu ». Que ne devait-il pas faire en effet, quand le ciel venait de lui être ouvert, en même temps que s’était ouvert le cachot. Il lave son maître, lui sert à manger, et se livre à l’allégresse. En pénétrant dans le cachot, la chaîne de Paul en avait fait une église, avait transformé tout le monde en un corps, celui du Christ, servi le banquet spirituel, et enfanté les fruits qui font la joie des anges. Avais-je tort de dire que cette maison était plus glorieuse que le ciel ? En effet, si le ciel se réjouit, ce fut grâce à cet événement terrestre. Que si c’est fête au ciel pour un seul pécheur repentant, si deux personnes réunies au nom du Christ ont le Christ même au milieu d’elles, à combien plus forte raison devait-il être ainsi de cette réunion où figuraient Silas, Paul, le geôlier et toute sa maison, avec une foi pareille. Voyez l’ardeur de cette foi. Mais cette prison m’en rappelle une autre. Laquelle donc ? Celle de Pierre. Mais là rien de pareil.

Pierre avait été mis sous la garde de quatre bandes de quatre soldats : il ne chantait, ni ne veillait ; il était endormi. Il n’avait pas été non plus flagellé : mais le péril était plus grand. Tout était accompli pour Paul et Silas ; ils avaient été punis : Pierre n’avait pas encore subi sa peine. De sorte que s’il ne ressentait pas la douleur des coups, il était en proie aux tourments de l’attente. Mais voici un nouveau prodige : « Un ange du Seigneur se présenta et une lumière brilla dans la prison ; alors l’ange, frappant Pierre au côté, le réveilla, disant : Lève-toi promptement. Et les chaînes tombèrent de ses mains ». (Act. 12) Afin que Pierre ne croie pas n’avoir devant lui qu’une lueur, il le réveille. Personne ne voyait la lumière, excepté lui, et il croyait à une vision : ceux qui dorment ne s’aperçoivent pas des bienfaits de Dieu. « Alors l’ange lui dit : Ceins-toi, et mets ta chaussure à tes pieds. Et il fit ainsi. Et l’ange dit : Prends ton vêtement autour de toi, et suis-moi. Et sortant, il le suivait, et il ne savait pas que ce qui se faisait par l’ange fût véritable, car il croyait avoir une vision. Or, ayant passé la première et la seconde garde, ils vinrent à la porte de fer qui mène à la ville ; elle s’ouvrit d’elle-même à eux. Et sortant, ils s’avancèrent dans la rue ; et aussitôt l’ange le quitta ».

6. Pourquoi les choses ne se passèrent-elles pas ici comme pour Paul et Silas ? Parce qu’on devait relâcher ceux-ci ; voilà pourquoi Dieu ne voulut pas qu’ils fussent délivrés de leurs chaînes. Saint Pierre, au contraire, devait être conduit au supplice. Mais quoi, dira-t-on, n’aurait-il pas été plus merveilleux qu’il fût traîné au supplice, remis entre les mains du roi, et alors seulement arraché sain et sauf du milieu des périls ? de cette façon les soldats aussi auraient échappé à la mort. C’est soulever une grande question. On dit que Dieu, pour sauver son serviteur, a frappé, exterminé d’autres personnes. Que répondre à cela ? D’abord, que Dieu n’a frappé personne ; et en second lieu, que si ces gens périrent, leur mort n’est imputable qu’à la barbarie de leur juge et non au plan de la Providence. Comment cela ? Dieu avait arrangé les choses de telle sorte qu’Hérode, loin de perdre autrui, fût sauvé lui-même, comme le geôlier de Paul : mais il ne sut pas profiter de ce bienfait. « Quand il fit jour, est-il écrit, il n’y eut pas peu de trouble parmi les soldats, au sujet de ce que Pierre était devenu ». Après ? Hérode fait une enquête, interroge les gardiens, les fait conduire au supplice. On pourrait l’excuser, s’il ne les avait point interrogés. Mais il les avait mandés, questionnés ; il avait appris que Pierre était enchaîné, que la prison était bien fermée, que les gardes veillaient aux portes : il n’y avait ni cloison percée, ni porte ouverte, ni aucun autre indice de fraude.

Hérode, alors, aurait dû admirer la puissance de Dieu qui avait su arracher Pierre, du milieu des périls, et adorer ce Dieu puissant ; loin de là, il fit emmener les soldats au supplice. Comment donc Dieu serait-il responsable en ceci ? S’il avait fait percer une cloison, et qu’il eût sauvé Pierre par cette voie, l’évasion aurait pu être imputée à la négligence des soldats : mais s’il avait tout disposé pour qu’il fût démontré que la ruse humaine n’était pour rien dans l’affaire, et que la puissance divine avait seule opéré le prodige, pourquoi Hérode agit-il de la sorte ? Si Pierre avait voulu fuir, il se serait enfui avec ses chaînes ; s’il avait dû fuir tout alarmé, il n’aurait pas eu la présence d’esprit de prendre ses sandales. Si l’ange lui dit : Chausse tes sandales, c’est afin que l’on vît bien qu’il était parti non en fugitif, mais tout à son aise. Enchaîné entre deux soldats, il n’aurait pas eu le temps de rompre ses chaînes, et cela, quand il était dans l’endroit le plus retiré du cachot. C’est donc à l’iniquité du juge qu’il faut imputer le supplice des gardes. Sinon, pourquoi les Juifs ont-ils agi autrement ? En effet cette captivité m’en rappelle encore une autre : la première avait Rome pour théâtre, la seconde Césarée, celle-ci Jérusalem. Les princes des prêtres et les pharisiens reçoivent de ceux qu’ils avaient envoyé chercher Pierre dans sa prison, la nouvelle suivante : Nous n’avons trouvé personne ; les portes étaient fermées pourtant, et les gardes en sentinelle devant les portes. Pourquoi ne firent-ils pas alors périr les gardes, au lieu de se demander les uns aux autres dans leur incertitude : Qu’est-ce que cela peut être ? Que si malgré la soif de sang qui les dévorait, ils n’imaginèrent rien de pareil, à plus forte raison devais-tu faire comme eux, toi qui ne songeais qu’à leur plaire. Aussi le châtiment d’Hérode ne se fit-il pas longtemps attendre.

Si vous accusez Dieu de ces exécutions, il faut l’accuser aussi des meurtres qui se commettent sur les routes, et de tant d’autres homicides, et de la mort des enfants tués à cause du Christ : car c’est, dites-vous, le Christ qui causa leur mort ; mais c’est bien plutôt la fureur et la tyrannie du père d’Hérode. Direz-vous : Pourquoi Dieu ne les a-t-il pas arrachés des mains d’Hérode ? Il pouvait le faire. Mais cela n’eût servi de rien. Combien de fois le Christ n’est-il pas échappé des mains de ses ennemis ? Et quel profit en revint-il à ces ingrats ? Dans l’histoire qui nous occupe, le profit que les fidèles ont retiré des événements est manifeste : le récit qui en a été fait, le témoignage rendu par les ennemis eux-mêmes, ont rendu les faits avérés. Si dans l’autre histoire, ce qui ferma la bouche aux Juifs, ce fut de venir sur le théâtre des événements, et d’en reconnaître la vérité, il en était de même ici. Pourquoi le geôlier ne fit-il rien de pareil ? Cependant, ce qui était arrivé à Hérode n’était pas moins miraculeux. — Voir les portes ouvertes, n’était pas une chose plus merveilleuse que d’apprendre une évasion consommée, portes closes. Et même dans le premier cas on pouvait croire à une illusion : tandis qu’ici un récit exact ne laissait nulle place à un pareil soupçon. — En conséquence, si cet homme avait été aussi méchant qu’Hérode, il aurait égorgé Paul, comme Hérode, les soldats. Mais il était meilleur. Quant à ceux qui demandent pourquoi Dieu a permis le meurtre des petits enfants, leur répondre, ce serait nous engager dans un discours plus long que celui que nous nous proposions de vous tenir en commençant…

7. Nous venons de rendre grâces aux chaînes de Paul, de montrer combien nous leur sommes redevables : arrêtons ici ce discours, après vous avoir exhortés non seulement à ne pas gémir des épreuves que vous pouvez avoir à endurer pour le Christ, mais encore à vous en réjouir comme les apôtres, et à vous en glorifier, suivant le mot de Paul : « Je me glorifierai avec délices dans mes infirmités ». Voilà pourquoi il lui fut dit : « Ma grâce te suffit ». (2Co. 12,9) Paul se glorifie de ses fers, et vous êtes fiers, vous, de vos richesses. Les apôtres se réjouissaient d’avoir été jugés dignes de la flagellation, et vous, vous recherchez le repos, la mollesse ? Comment donc voulez-vous être récompensés comme eux, si vous suivez une voie tout opposée ? « Et maintenant, dit Paul, lié par l’Esprit, je m’en vais à Jérusalem, ignorant ce qui doit m’y arriver ; si ce n’est que, dans toutes les villes, l’Esprit-Saint m’atteste que des chaînes et des tribulations m’attendent à Jérusalem ». (Act. 20,22-23) Pourquoi donc y aller, si des chaînes et des tribulations t’attendent ? C’est justement pour cela que j’y vais, répond-il, afin d’être enchaîné pour le Christ, afin de mourir pour lui. Car je suis prêt, non seulement à porter des fers, mais encore à mourir pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Rien de plus fortuné qu’une âme pareille. Où trouve-t-elle sa gloire ? Dans les chaînes, les tribulations, les liens, les stigmates… « Je porte dans ma bouche les stigmates du Seigneur Jésus-Christ », dit-il, comme si c’était un glorieux trophée ; et encore : « À cause d’Israël, je suis enveloppé de cette chaîne » ; et ailleurs : « Dont j’exerce la légation dans les chaînes ». Qu’est-ce à dire ? tu ne rougis point ? Tu n’as pas peur de ce monde que tu traverses en prisonnier ? Tu ne crains pas que quelqu’un n’accuse ton Dieu de faiblesse ? que cela n’empêche quelqu’un de venir à lui ? Telles ne sont pas mes chaînes, répond-il elles brillent jusque dans les palais. « En sorte que mes liens sont devenus célèbres dans tout le prétoire ; et que plusieurs de nos frères dans le Seigneur, encouragés par mes liens, ont beaucoup plus osé annoncer sans crainte la parole de Dieu ». (Phi. 1, 13,14) Voyez-vous le pouvoir des liens, supérieur à celui des résurrections : ils m’ont vu enchaîné, et n’en sont que plus confiants. Car où il y a des liens, il se passe nécessairement quelque grande chose ; où il y a tribulation, il y a nécessairement salut, nécessairement repos, nécessairement œuvres de grande vertu. C’est quand le diable regimbe, qu’il est frappé ; c’est quand il enchaîne les serviteurs de Dieu, que la parole fait le plus de progrès. Et voyez comment partout la même chose arrive. Il est emprisonné, et dans sa prison, voilà ce qui l’occupe : « Dans mes fers », écrit-il. Il est emprisonné à Rome, et convertit beaucoup de personnes : car il n’était pas le seul qui eût confiance : beaucoup d’autres étaient en sécurité grâce à lui. Il est emprisonné à Jérusalem ; chargé de chaînes, il harangue le roi, l’épouvante, effraye son juge qui, dans sa terreur, dit-il, le mit en liberté, et ne rougit pas d’être instruit au sujet de l’avenir par celui qu’il avait enchaîné… Enchaîné sur un vaisseau, il empêche un naufrage et réprime une tempête. Chargé de chaînes, il est assailli par une bête dangereuse qui ne réussit pas à lui faire aucun mal. Il est lié à Rome, et, tout lié qu’il est, il harangue le peuple, il convertit des milliers de personnes ; pour toute arme, n’ayant qu’une simple chaîne.

Mais on ne peut plus aujourd’hui se faire enchaîner. On le peut d’une autre manière, pour peu qu’on le veuille. Comment cela ? Il suffit de commander à ses mains de ne point s’abandonner à la convoitise. C’est de cette chaîne qu’il faut nous lier nous-mêmes : que la crainte de Dieu nous tienne lieu de fers. Délions ceux qui sont enchaînés par la pauvreté, par la tribulation. Ouvrir les portes d’une prison, c’est moins méritoire que de mettre en liberté une âme captive ; ôter à des prisonniers leurs liens, c’est moins que de délivrer ceux qui souffrent. Dans le premier cas, il n’y a point de récompense promise ; dans le second, il y en a d’innombrables. Longue est la chaîne de Paul, car elle a pu nous envelopper tous ; oui, longue, et plus magnifique que la première venue des chaînes d’or. Elle attire au ciel, comme au moyen d’une machine, ceux qui en sont enlacés ; comme une chaîne d’or suspendue, elle nous élève jusque dans les cieux ; et ce qu’il y a de merveilleux, c’est qu’elle attire en haut ceux qu’elle enlace ici-bas. Cela répugne à la nature. Mais ne cherchez pas à retrouver l’ordre de la nature dans les événements que Dieu conduit : tout y surpasse l’ordre naturel. Apprenons à ne pas nous décourager, à ne pas nous irriter dans les tribulations. Voyez ce bienheureux : il avait été flagellé, et flagellé cruellement : « Leur ayant donné nombre de coups », est-il écrit. Il avait été enchaîné, et enchaîné avec rigueur : car on l’avait jeté dans la partie la plus reculée du cachot, et mis sous bonne garde. Eh bien ! au milieu de toutes ces épreuves, au fort de la nuit, quand les plus éveillés succombent au sommeil, comme au poids d’une chaîne plus lourde encore, ces hommes chantaient, louaient le Seigneur. Quel bronze ne paraîtrait faible auprès d’âmes pareilles ! Ils songeaient aux trois enfants qui, eux aussi, chantaient dans le feu de la fournaise : peut-être se disaient-ils Jamais nous n’avons été soumis à une aussi rude épreuve. Mais sachons gré au discours de nous avoir amenés devant ces autres chaînes et cet autre cachot.

8. Que faire ? Je voudrais me taire, et cela m’est impossible. Me voici en présence d’une autre captivité encore bien plus merveilleuse et plus étonnante. Veuillez m’écouter, comme si je commençais à parler, et me prêter une attention toute fraîche. Je voudrais couper court et le sujet m’en empêche. Quoi qu’on vienne dire à un buveur, on ne lui persuadera pas de déposer la coupe qu’il porte à ses lèvres : et moi, à présent que j’ai saisi cette coupe miraculeuse des captivités souffertes pour le Christ, je ne puis m’arrêter, je ne puis me taire. Si Paul lui-même ne se tut point quand il était en prison, quand il faisait nuit, et pas même quand on le flagellait, irai-je me taire, moi, quand il est jour, que je suis tranquillement assis, que je parle tout à mon aise, au rebours de ces prisonniers, de ces flagellés, que la nuit même ne pouvait réduire au silence ?

Les enfants ne se taisaient point dans le feu de la fournaise : et nous ne rougirions pas de nous taire ? Considérons donc encore cette nouvelle captivité. Paul aussi était lié ; mais dès le principe il avait été signifié qu’il n’était pas destiné au feu, mais à la prison. Car à quoi bon lier des hommes qui doivent être brûlés ? Les trois enfants avaient les pieds et les mains liés, ainsi que Paul ; leur bourreau n’avait pas moins de fureur. En effet, si l’autre fit jeter Paul au fond de la prison, celui-ci fit chauffer fortement la fournaise. Mais voyons ce qui suivit. Nos chrétiens louaient Dieu : leur prison fut ébranlée, et les portes s’ouvrirent. Les enfants louaient Dieu : les chaînes tombèrent de leurs pieds et de leurs mains ; leur prison s’ouvrit, les portes de la fournaise cédèrent car la rosée de l’Esprit y pénétrait. Mais je me sens déborder. Je ne sais par où commencer, par quoi continuer. Je vous prie donc de n’exiger de moi aucun ordre : tout ici se tient. Ceux qui étaient avec Paul et Silas furent déliés, bien qu’endormis. Ici, ce fut autre chose qui arriva : ceux qui avaient jeté les enfants dans la fournaise furent brûlés. Mais voici ce que je voulais dire. Le roi vit les enfants délivrés, et il tomba à leurs pieds ; il les entendit chanter, il vit quatre personnes marcher, et il les appela. Ainsi que Paul n’avait pas voulu sortir, bien qu’il le pût, jusqu’à ce qu’il eût été mandé et mis en liberté par celui qui l’avait jeté en prison, les trois enfants ne sortirent pas non plus, avant qu’ils en eussent reçu l’ordre de celui qui les avait condamnés. Quel enseignement lirons-nous de la ? De ne pas nous hâter dans les supplices, de ne pas nous presser dans les tribulations, et de n’y pas rester non plus, quand on nous en délivre. Le roi donc tomba à genoux ; il pouvait entrer dans l’endroit où étaient les saints ; mais il se tint à la porte : car il n’osait pénétrer dans l’intérieur du cachot brûlant qu’il leur avait préparé. Veuillez considérer maintenant ces paroles : « Seigneurs, dit le geôlier, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » Le roi parle avec moins d’humilité, mais non pas moins de douceur : « Sedrach, Misac, Abdénago, serviteurs du Dieu très-haut, sortez et venez ici ». (Dan. 3,93) Quel honneur ! « Serviteurs du Dieu très-haut, sortez et venez ici ». Et comment pourraient-ils sortir, ô roi ? Tu les as enchaînés et jetés dans la fournaise, où ils sont depuis longtemps. Quand ils seraient de bronze, de métal, n’auraient-ils pas péri depuis qu’ils ont commencé à chanter leur hymne ?

Mais c’est ce chant même qui les a sauvés. Le feu respecta leur ferveur, leur chant, leurs hymnes admirables. Quel nom leur donnes-tu ? Je l’ai déjà dit : « Serviteurs du Dieu très-haut ». Tout est possible aux serviteurs de Dieu. S’il y a des serviteurs de maîtres mortels qui partagent leur autorité et la gestion de leurs biens, à plus forte raison en est-il ainsi des serviteurs de Dieu. Le roi donne aux enfants le nom le plus doux : il savait les flatter par là. En effet, s’ils étaient entrés dans les flammes pour rester serviteurs de Dieu, aucune autre appellation ne pouvait leur être plus agréable ; en les appelant des rois maîtres du monde, il ne les aurait pas tant réjouis qu’en leur disant : « Serviteurs du Dieu très-haut ». Faut-il vous en étonner ? Écrivant à cette grande cité qui était la maîtresse du monde, à cette grande cité si fière de sa gloire, Paul se désigne par le titre suivant, comme s’il eût équivalu à ceux de consul, de roi, de maître du monde, ou plutôt, parce qu’il les surpasse incomparablement : « Paul, serviteur de Jésus-Christ… » — « Serviteurs du Dieu très-haut ». S’ils déploient tant de zèle pour être serviteurs, pensait-il, nous ne manquerons point de les gagner par là…

Observez, en conséquence, la piété des enfants. Ils ne s’irritent point, ne s’indignent point, ne répondent point : ils sortent. S’ils avaient considéré comme un supplice d’être précipités dans la fournaise, ils auraient pu avoir du ressentiment contre celui qui les y avait enfermés : mais rien de pareil ; on eût dit, à les voir, qu’ils sortaient du ciel. Et l’on aurait pu leur appliquer ce que le Prophète dit du soleil. « Comme un fiancé sortant de la chambre nuptiale » ; car leur sérénité était plus grande encore. Le soleil paraît pour répandre sur le monde la lumière sensible eux, ils y répandaient une autre lumière, la lumière immatérielle. Car aussitôt le roi envoya en leur faveur un ordre ainsi conçu : Je me suis complu dans les signes et dans les prodiges que Dieu a faits de manière à nous en révéler la grandeur et la puissance. Ils sortirent donc ; et la lumière qu’ils répandaient, éclatante en ces lieux-mêmes, devint capable, grâce au message royal, de se propager au loin, et de dissiper partout les ténèbres. « Sortez et venez ici ». Il ne fit pas éteindre la fournaise : mais c’était encore un hommage qu’il leur rendait que de les croire capables, non seulement de marcher à l’intérieur, mais encore de sortir malgré le feu.

9. Considérons maintenant, s’il vous plaît, les paroles du geôlier : « Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? » (Act. 16,30) Quoi de plus agréable qu’une telle parole ? Elle fait tressaillir de joie les anges eux-mêmes ; afin de l’entendre, le Fils unique de Dieu alla jusqu’à se faire serviteur. C’est ce que disaient à Pierre ceux qui crurent au commencement : « Que ferons-nous pour être sauvés ? » Et que répond-il ? « Croyez, et faites-vous baptiser ». (Id. 2,37-38) Paul aussi se serait volontiers jeté dans l’enfer pour entendre ce langage sortir de la bouche des Juifs, tant il désirait les voir sauvés et dociles. Voyez pourtant : il se remet à eux de toutes choses, il ne les importune point. Mais passons à la suite. Le roi ne dit pas : Pour que je sois sauvé ; mais l’enseignement qu’il avait reçu était plus convaincant que ne pouvait l’être aucun langage car aussitôt il proclame la vérité. Il n’a pas besoin d’être catéchisé comme le geôlier ; il rend hommage à Dieu et confesse sa puissance : Je sais en vérité que votre Dieu est le Dieu des Dieux et le Seigneur des Seigneurs ; qu’il a dépêché son ange et vous a tirés de la fournaise. Et la suite ? Ce n’est pas un seul homme, un geôlier, c’est un grand nombre de personnes qui sont catéchisées par le message royal et par la vue des événements. Il était clair pour tous que le roi n’avait pas menti ; il n’aurait pas voulu rendre un pareil témoignage à des captifs, ni s’abaisser lui-même ; il n’aurait pas voulu donner une telle preuve de démence. Ainsi donc, si la vérité n’avait pas été très manifeste, il n’aurait rien écrit de pareil, surtout devant tant de témoins.

Voyez-vous quel est le pouvoir des chaînes ? quelle est la puissance des louanges chantées dans la tribulation ? Les trois enfants ne se découragèrent pas, ne s’abandonnèrent pas au désespoir : jamais ils n’avaient déployé tant de zèle et de ferveur ils avaient bien raison. Un point reste à éclaircir. Pourquoi dans la prison les prisonniers furent-ils déliés, et dans la fournaise la flamme dévora-t-elle ceux qui l’avaient allumée ? C’était le roi qui devait souffrir ce supplice : car ni ceux qui avaient enchaîné les enfants, ni ceux qui les avaient précipités dans la fournaise, n’étaient aussi coupables que celui qui avait donné l’ordre. Pourquoi donc périrent-ils ? Ici il n’y a pas besoin d’un long examen. Ces hommes étaient des impies : Dieu voulut manifester le pouvoir de la flamme et rendre le prodige plus merveilleux ; car si le feu dévora ceux qui étaient dehors, comment put-il épargner ceux qui étaient à l’intérieur ? Ce fut afin de révéler la puissance de Dieu. Et qu’on ne s’étonne pas de me voir mettre le roi sur la même ligne que le geôlier ; leur conduite fut la même l’un n’est pas au-dessus de l’autre, et tous deux ont été également favorisés. Mais ce que je disais, c’est que les justes ne sont jamais plus fervents que dans les tribulations, que dans les chaînes. Souffrir pour le Christ, voilà qui surpasse toutes les consolations.

Voulez-vous que je vous entretienne encore d’une autre captivité ? Il faut quitter ces chaînes pour d’autres. Lesquelles choisissez-vous ? celles de Jérémie ? celles de Joseph, celles de Jean ? Grâces soient rendues aux chaînes de Paul ! que de prisons elles ouvrent à notre discours ! Voulez-vous celles de Jean ? Il fut enchaîné, lui aussi, pour le Christ et pour la loi de Dieu. Eh bien ! est-ce qu’il restait oisif dans son cachot ? Est ce que du fond de sa prison il n’envoyait pas dire à ses disciples : Allez dire au Christ : « Es-tu celui qui vient, ou en attendons-nous un autre ? » (Mat. 11,3) Jusque dans les fers, il s’occupait d’enseigner. Et Jérémie, n’a-t-il pas prophétisé au sujet du Babylonien, là même fidèle à sa mission ? Et Joseph ? Ne demeura-t-il pas enchaîné treize ans ? Néanmoins il n’oublia pas la vertu. Citons encore un dernier, captif pour finir. Notre-Seigneur aussi fut enchaîné, lui qui a délié la terre de ses fautes ; des nœuds serrèrent ces mains fécondes en bienfaits… « L’ayant attaché », est-il écrit, « ils le menèrent devant Caïphe ». Il fut enchaîné, cet auteur de tant de miracles. Pleins de ces pensées, ne perdons jamais courage, et réjouissons-nous jusque dans les fers : que dis-je ? même en liberté, pensons comme si nous étions captifs. Voyez-vous quel bien c’est que la captivité ? En conséquence, rendons grâces de tout à Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

HOMÉLIE IX[8]. modifier

JE VOUS CONJURE DONC, MOI, CHARGÉ DE LIENS POUR LE SEIGNEUR, DE MARCHER D’UNE MANIÈRE DIGNE DE LA VOCATION A LAQUELLE VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS, AVEC TOUTE HUMILITÉ ET TOUTE MANSUÉTUDE, AVEC TOUTE PATIENCE, VOUS SUPPORTANT MUTUELLEMENT EN CHARITÉ ; APPLIQUÉS A CONSERVER L’UNITÉ D’ESPRIT PAR LE LIEN DE LA PAIX. (IV, 1-3)

Analyse modifier

  • 1-3. Éloge des tribulations. — De l’humilité.
  • 4. De la charité.

1. On a vu le pouvoir de la chaîne de Paul pouvoir immense, supérieur en éclat aux miracles. Ce n’est donc pas sans raison qu’il en parle en cet endroit : il ne voit pas de meilleur moyen pour faire rentrer en eux-mêmes ceux à qui il s’adresse. Que dit-il donc ? « Je vous conjure, moi, chargé de liens pour le Seigneur, de marcher d’une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés ». Comment cela ? « Avec toute humilité et toute mansuétude, vous supportant mutuellement en charité ». Ce qui est beau, ce n’est pas d’être chargé de liens, c’est d’être chargé de liens pour le Christ. Voilà pourquoi il dit : « Chargé de liens pour le Seigneur, c’est-à-dire pour le Christ ». Rien n’égale un tel sort. Mais voilà que cette chaîne nous écarte de plus en plus de notre sujet, nous entraîne, sans que nous ayons la force de résister ; mais nous nous laissons entraîner librement, volontairement ; et plût à Dieu que toujours il nous fût permis de parler de la chaîne de Paul ! Mais n’allez pas vous endormir : une nouvelle question surgit. Paul, faisant son apologie, dit à Agrippa : « Plaise à Dieu qu’il ne s’en faille ni peu ni beaucoup ; que non seulement vous, mais encore tous ceux qui m’écoutent, deveniez aujourd’hui tels que je suis moi-même, à l’exception de ces liens ! » (Act. 26,29) S’il parle ainsi, ce n’est pas qu’il regarde ses liens comme un juste objet d’effroi : à Dieu ne plaise ! En effet, s’il en jugeait ainsi, il ne se glorifierait point de ses chaînes, de ses captivités, de ses autres tribulations ; il n’écrirait point : « Je me glorifierai avec délices dans mes infirmités ». (2Cor. 12,9) Mais encore ? Ceci même est une preuve du cas qu’il faisait des chaînes. Ainsi que dans son épître aux Corinthiens, il disait : « Je vous ai donné du lait à boire, et non des aliments, car vous n’étiez pas encore en état » (1Cor. 3,2) ; de même ici il s’adresse à des gens incapables de comprendre la beauté, la magnificence, l’utilité des chaînes. Voilà pourquoi il dit : « À l’exception de ces liens ». Ce n’est pas ainsi qu’il parle aux Hébreux : loin de là, il les exhorte à se faire enchaîner avec ceux qui sont dans les fers. — Aussi lui-même se complaisait-il dans ses liens ; aussi se faisait-il enchaîner et conduire en prison avec les autres captifs. Grand est le pouvoir de la chaîne de Paul : c’est un spectacle qui vaut tous les autres, que de voir Paul enchaîné et tiré de sa prison. Le voir enchaîné et assis dans son cachot, n’est-ce pas une incomparable joie, un avantage inappréciable ?

Vous voyez, n’est-ce pas ? les monarques, les consuls, traînés sur des chars, tout couverts d’or, et comme eux, leurs satellites, avec des lances d’or, des boucliers d’or, des rênes dorées, des chevaux enharnachés d’or. Combien le spectacle qui est sous nos yeux n’est-il pas plus attrayant ! J’aimerais mieux avoir vu une fois Paul sortir du cachot, avec les prisonniers, que de voir mille fois ces grands personnages au milieu de leur cortège. Combien d’anges devaient le précéder dans cette glorieuse sortie ? La preuve que je ne vous en impose pas, je l’emprunterai à une antique histoire. Élisée, le prophète (sans doute il ne vous est pas inconnu), à l’époque où le roi de Syrie était en guerre avec le roi d’Israël, révélait, sans sortir de chez lui, tout ce que le premier de ces princes méditait de concert avec ses confidents, et déjouait ainsi ses desseins, en divulguant ses secrets, et en empêchant les Juifs de tomber dans ses filets. Cela tourmentait le roi ; il était chagrin, et dans un grand embarras, ne pouvant deviner celui qui le trahissait et paralysait tous ses efforts. Comme il ne savait que penser, et cherchait l’origine de ces indiscrétions, un de ses gardes lui dit qu’il y avait, à Samarie, un prophète du nom d’Élisée, lequel, sans laisser au roi le temps de mûrir un projet, se hâtait de tout divulguer. L’autre pensa tenir son affaire mais voyez quelle était sa scélératesse ! Au lieu d’honorer cet homme, d’admirer ce pouvoir étrange qui le rendait capable de pénétrer de si loin, par la seule force de son esprit, tout ce qui se passait dans le conseil du roi ; saisi de colère, et tout entier à sa fureur, il forme un corps de cavaliers et de fantassins, qu’il charge de lui amener le prophète. Élisée avait un disciple qui n’était point encore admis à prophétiser, parce qu’il ne paraissait point digne encore de prêter sa bouche à de telles révélations. Les soldats du roi parurent tout à coup devant lui, dans l’intention de le charger de liens, lui, ou plutôt le prophète. Voilà que nous retombons sur le sujet des chaînes. Que faire ? C’est comme le tissu même de tout ce discours. Le disciple, en apercevant tant de soldats, accourt tout ému, tout tremblant, auprès de son maître, lui annonce le péril inévitable qu’il court, et ce qu’il regarde, lui, comme un grand malheur. Le prophète se mit à rire, en le voyant s’effrayer de si peu, et l’exhorta à la confiance. Mais l’autre, encore novice, ne se laissa pas convaincre ; toujours troublé de ce qu’il avait vu, il persistait à donner l’alarme. Que dit alors le prophète ? « Seigneur, dit-il, ouvrez les yeux de ce petit enfant, et qu’il voie » (2R. 6,17) que nous avons plus d’alliés que ces hommes. Et aussitôt le disciple voit toute la montagne où le prophète habitait alors se couvrir de chars et de chevaux de feu. Ce n’était autre chose qu’une armée d’anges.
2. Que si Élisée, pour cela seul, fut secondé par une si nombreuse escorte d’anges, que dut-ce être pour Paul ? De là encore ce mot du prophète David : « L’ange du Seigneur environnera ceux qui le craignent » ; et encore : « Ils te soulèveront dans leurs mains, de peur que ton pied ne vienne à heurter contre les pierres ». (Psa. 33,8, et 90, 12) Que dis-je, les anges ? Le Seigneur lui-même lui faisait cortège à sa sortie. Car s’il se montrait à Abraham, comment n’aurait-il pas été avec Paul ? Écoutez plutôt sa promesse : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle ». (Mat. 28,20) Puis, après lui avoir apparu, il lui dit : « Ne crains pas, mais parle, parce que je suis avec toi, et que personne ne t’attaquera pour te maltraiter ». ([[Bible_Crampon_1923/Actes#Bible_Crampon_1923/ActesCH18|Act. 18,9]18]) En songe, encore, il lui apparaît, et lui dit : « Aie confiance ; car de même que tu as témoigné sur moi, à Jérusalem, il faut aussi que tu témoignes pareillement à Rome ». (Act. 23,11) Toujours les saints sont dignes d’admiration et riches de grâces, mais jamais autant que lorsqu’ils sont en péril pour le Christ, lorsqu’ils sont prisonniers. De même qu’un brave soldat est toujours un spectacle agréable pour ceux qui le considèrent, mais principalement quand il est à son poste et combat à côté de son roi : de même, représentez-vous quelle était la grandeur de Paul, enseignant tout chargé de fers. Dirai-je la pensée qui me vient chemin faisant ? Le bienheureux martyr Babylas fut chargé de liens, et cela pour le même motif que Jean pour avoir repris un roi pécheur. En mourant, il recommanda qu’on l’ensevelît avec ses liens et que son cadavre demeurât enchaîné dans le tombeau : encore aujourd’hui, ses entraves reposent avec sa cendre. Tel était son amour pour les chaînes du Christ. « Son âme traversa le fer », dit le prophète, en parlant de Joseph. (Psa. 104,18) Que dis-je ? des femmes mêmes ont porté ces chaînes ; mais nous, l’on ne nous enchaîne pas. Je ne vous y pousse donc point, puisque le temps ne le comporte pas : mais si vous ne liez point vos mains, liez votre cœur. Il y a des chaînes d’un autre genre ; ceux qui ne portent point celles des martyrs peuvent en porter d’autres. Écoutez ce que dit le Christ : « Liez ses mains et ses pieds ». (Mat. 22,13) Renonçons donc à faire l’expérience des premières chaînes, et souhaitons seulement d’être tout chargé de celles-ci. De là ces mots : « Moi, chargé de liens pour le Seigneur, je vous conjure de marcher d’une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés ». Et encore : « Nous avons pour chef le Christ » Car le Christ nous a ressuscités et fait asseoir avec lui dans les cieux, bien que nous fassions ses ennemis et lui ayons fait mille maux. – Grande et précieuse est cette vocation, non seulement à cause de notre bassesse antérieure, mais encore à cause du rang où elle nous élève, et de la manière dont elle a eu lieu.
Mais comment marcherons-nous d’une manière digne ? Si nous marchons « en toute humilité ». Celui qui marche ainsi, marche dignement : voilà le principe de toute vertu. Si tu es humble, et que tu songes à la manière dont a été, opéré ton salut, ce souvenir est pour toi une excitation à la vertu : tu ne songes plus à tirer vanité des chaînes, ni des choses mêmes que j’ai dites ; mais, instruit que tout vient de la grâce, tu sais rentrer en toi-même. Celui qui est humble, est capable de devenir un serviteur plein de reconnaissance et de gratitude… « Qu’as-tu, dit Paul, que tu n’aies reçu ? » Et écoutez-le dire encore : « Plus qu’eux tous, j’ai travaillé, non pas moi, toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi ». (1Co. 4,7 ; 15, 10) « Avec toute humilité », non pas seulement en paroles, ni en actions seulement, mais tout à la fois dans les démarches et dans : les discours ; et pas davantage, humble vis-à-vis de l’un, confiant avec l’autre : sois humble avec tous, amis ou ennemis, petits ou grands : voilà l’humilité. Jusque dans les bonnes œuvres, sois humble ; n’est-ce pas le Christ qui nous dit : « Bienheureux les pauvres d’esprit » (Mat. 5,3), et met cela en première ligne ? Voilà pourquoi Paul écrit : « Avec toute humilité, toute mansuétude, toute patience ».. En effet, on peut être humble, et tout ensemble, prompt ou emporté ; alors c’est en vain car souvent la colère nous fait tout perdre. « Nous supportant, les uns les autres en charité ». Et comment supporter autrui, si l’on est emporté et prompt à l’injure ? De quelle façon maintenant ? « En charité », ajoute Paul. Si vous ne supportez pas le prochain, comment Dieu vous supportera-t-il ? Si vous ne savez pas supporter votre compagnon de servitude, comment le Maître pourra-t-il vous supporter ? Où il y a charité, tout devient tolérable. « Appliqués à conserver l’unité d’esprit par le lien de la paix ». Liez-vous donc les mains par la douceur. Encore ce beau nom, les liens ; nous lui avons dit adieu, et voici qu’il revient de lui-même. Ils sont beaux, les liens dont nous parlions : ceux-ci le sont de même, et les uns proviennent des autres. Unissez-vous à votre frère : une telle union fait tout supporter sans peine, grâce à la charité. Unissez-vous à lui, et lui à vous ; ces deux choses sont entre vos mains : je fais mon ami de celui que je désire avoir pour ami. « Vous appliquant ». Il montre que ce n’est pas une chose toute simple, ni le fait du premier venu. « Vous appliquant à conserver l’unité d’esprit ».
3. Qu’est-ce que l’unité d’esprit ? De même que dans le corps il y a un souffle qui maintient l’union du tout, et fait un corps avec des membres disparates, c’est la même chose ici. Si l’esprit nous a été donné, c’est afin d’unir ceux que séparait la différence d’origine ou d’habitudes : Vieillard et jeune homme, pauvre et riche, enfant et adolescent, homme et femme, tous enfin, deviennent un seul tout, quelque chose ; de plus qu’un corps unique. Car cette harmonie spirituelle est plus parfaite que l’autre, cette union est plus étroite encore. La fusion des âmes est d’autant plus complète, qu’elle n’admet ni division ni distinction de parties. Et comment se maintient-elle ? « Par le lien de la paix ». Elle ne saurait subsister dans l’inimitié, dans la discorde. « Là où il y a des querelles parmi vous », est-il écrit, « des jalousies et des dissensions, n’êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l’homme ? » (1Co. 3,3) Ainsi que le feu, s’il a affaire à du bois sec, fait de tout un immense bûcher, tandis que l’humidité s’oppose à ses progrès et à cette réunion ; rien de froid ne peut contribuer à l’unité dont je parle ; c’est en général le propre de ce qui est ardent. Voilà d’où naît le feu de la charité : c’est par le lien de la paix que Paul veut nous unir tous. Si vous vouliez vous attacher à une autre personne, vous ne pourriez vous y prendre autrement, qu’en la rapprochant de vous ; si vous vouliez qu’un même lien vous unit, il faudrait commencer par vous l’attacher : c’est ainsi qu’il veut que nous soyons unis les uns aux autres ; il ne nous demande pas seulement de vivre en paix, de nous aimer, mais de n’avoir pour tous qu’une seule âme. Noble lien ! servons-nous en pour nous unir et à Dieu et au prochain. Il n’y a point de gêne, de tourment pour les bras qui en sont chargés ; tout au contraire, on se sent alors en repos, au large, et plus content que ceux qui sont en liberté. Le fort, uni au faible, le soutient et empêche sa perte ; uni avec le nonchalant, il le ranime. « Le frère, secouru par son frère, est comme une ville forte ». (Pro. 18,19) Cette chaîne-là, l’éloignement n’y est pas un obstacle, ni le ciel, ni la terre, ni la mort, ni quoi que ce soit ; elle est plus forte que tout, elle triomphe de tous. Enfantée par une âme, elle est capable d’en embrasser mille. Écoutez ce que dit Paul : « Vous n’êtes pas à l’étroit dans notre cœur ». (2Co. 6,12) Élargissez-vous de même.
Maintenant, qu’est-ce qui peut rompre ce lien ? L’amour des richesses, du pouvoir, de la gloire et autres choses pareilles : voilà ce qui le détend et le rompt. Comment donc faire, afin qu’il ne se brise point ? Il faut éloigner ces passions, et écarter tout ce qui peut mettre obstacle à la charité ou l’altérer. N’est-ce pas le Christ qui dit : « Quand l’iniquité se sera multipliée, la charité du grand nombre se refroidira ». (Mat. 24,12) Rien n’est si contraire à la charité que le péché : je ne dis pas seulement à la charité envers Dieu, mais même à celle qui a pour objet le prochain. Comment donc la paix peut-elle régner entre des voleurs, dira-t-on ? Quand ? dites-moi. C’est lorsqu’ils ne font pas leur métier de voleurs. En effet, si dans les partages qu’ils font entre eux, ils cessent d’observer les lois de la justice, et de rendre à chacun ce qui lui appartient, vous retrouvez aussitôt parmi eux la discorde et la guerre. – Il n’y a donc pas de paix possible entre les méchants : au contraire, on la trouve partout où règnent la justice et la vertu : Voyons encore : La paix peut-elle régner entre amants qui sont rivaux ? Nullement. Quel exemple voulez-vous encore ? Entre usurpateurs point de paix possible : s’ils n’étaient pas justes et modérés les uns à l’égard des autres, s’ils se faisaient torts mutuellement, leur race serait anéantie. Voyez deux bêtes féroces que la faim tourmente : s’il n’y a pas d’autre aliment offert à leur avidité, elles se dévorent mutuellement : il en serait de même pour les avares et les méchant… Ainsi donc, pour que la paix règne, il faut que la vertu règne d’abord. Composons une cité, si vous le voulez, exclusivement d’hommes injustes, tous égaux en dignité : qu’il n’y ait point de juge pour punir l’iniquité, et que tous la commettent également : est-ce qu’une ville semblable pourrait subsister ? Aucunement. Et entre adultères, la paix est-elle possible ? Vous n’en trouverez pas deux qui soient unis. La désunion n’a donc pas d’autre cause que le refroidissement de la charité : et la cause du refroidissement de la charité, c’est la multiplication des fautes. Car le péché engendre l’amour-propre ; il divise, il déchire le corps ; il relâche, il brise le lien… La vertu, au contraire, là où elle se trouve, a des effets tout opposés : car l’homme vertueux est invincible, par exemple, à la cupidité. De sorte que mille pauvres peuvent vivre en paix, et que cela est impossible à deux hommes cupides.
4. En conséquence, si nous sommes vertueux, la charité ne périra point : car la charité engendre la vertu ; et la vertu, la charité. Comment cela, je vais le dire. L’homme vertueux ne fait point passer l’argent avant l’amitié ; il n’est point enclin au ressentiment, il ne fait pas tort au prochain : il n’est point insolent, il est courageux dans l’adversité. Tout cela engendre la charité ; et, d’autre part, celui qui aime prend toutes ces qualités. Ainsi ces deux choses se produisent mutuellement. Nous trouvons la preuve que la vertu donne naissance à la charité dans ce que dit l’Écriture : « Quand l’iniquité se sera multipliée, la charité se refroidira ». Et en cet autre passage : « Celui qui aime le prochain a accompli la loi » (Rom. 13,8), nous avons la preuve que la vertu vient de la charité. De sorte qu’il suffit d’être une de ces deux choses : ou très-aimant et aimé, ou très-vertueux. En effet, celui en qui se trouve une de ces choses possède l’autre nécessairement : et, au contraire, celui qui ne sait pas aimer ne fera que le mal : celui qui fait le mal, est incapable d’aimer. Recherchons donc la charité : c’est un rempart qui nous préserve de tout mal ; unissons-nous, qu’il n’y ait nulle ruse, nulle dissimulation entre nous. On ne trouve rien de pareil, là où règne l’amitié. Un autre sage l’a dit : « Quand vous aurez tiré l’épée contre un ami, ne désespérez pas ; car il y a encore du retour. Quand vous aurez ouvert la bouche contre votre ami, ne vous découragez pas : car il y a encore une réconciliation possible, pourvu qu’il n’y ait ni injures, ni révélation de secret, ni coup porté en trahison ». (Sir. 22,20) Voilà ce qui met en fuite l’amitié : la révélation d’un secret, dit le texte. Mais si nous sommes tous amis, il n’y a pas même besoin de secrets ; si l’on n’a pas de secrets avec soi-même, s’il est impossible de se rien cacher, il doit en être ainsi avec les amis. Or, s’il n’y a pas de secrets, voilà un motif de rupture supprimé. Si nous avons des secrets, c’est faute de nous fier à tout le monde : c’est donc le refroidissement de la charité qui a fait les secrets. Pourquoi un secret ? Veux-tu faire tort au prochain, ou l’empêcher de faire quelque profit, et te caches-tu de lui pour cette raison ? Mais il n’y a rien de pareil : et tu rougis ? C’est donc un signe que tu manques de confiance.
S’il y a charité, il n’y aura donc pas de révélation de secret : il n’y aura pas davantage d’injures. Dites-moi, en effet, qui pourrait injurier son âme ? On ne pourrait agir ainsi que pour lui être utile : c’est ainsi que nous faisons des reproches aux enfants, afin de les humilier. Et si le Christ autrefois éleva la voix contre certaines villes, en disant : « Malheur à toi, Chorazin, malheur à toi, Bethasaïda ! » (Lc. 10,13), c’était afin de les tirer de l’opprobre. En effet, rien n’est plus capable de toucher un cœur, de le réveiller, de le ranimer. Abstenons-nous donc de reproches inutiles. Quoi donc ! irez-vous vous plaindre pour une somme d’argent ? Nullement, si vous n’avez, à vous tous, qu’une fortune. Ou encore pour des fautes ? pas même pour ce motif vous, corrigerez plutôt… Le texte ajoute : « Ni coup porté en trahison ». Quoi donc ! on se tuera soi-même ? Qui frappera ? Personne. Recherchons donc la charité. L’Écriture ne dit pas simplement : Pratiquons, mais : Recherchons. Il faut beaucoup de zèle : la charité avait disparu, elle est prompte à la retraite. Il y a tant de choses en ce monde qui lui font la guerre. Si nous courons à sa poursuite, elle ne pourra nous échapper, nous l’attraperons sur-le-champ. La charité de Dieu a uni le ciel et la terre ; la charité de Dieu a fait asseoir l’homme sur le trône royal ; la charité de Dieu a montré Dieu sur la terre ; la charité de Dieu a converti le maître en serviteur ; la charité de Dieu a fait que le Bien-Aimé a été livré pour les ennemis, le Fils pour les rebelles, le Maître pour les serviteurs, Dieu pour les hommes, celui qui est libre pour les esclaves : et elle ne s’est pas arrêtée là ; elle nous a encore conviés plus haut. non seulement elle nous a délivrés de nos maux, niais elle nous a fait des promesses encore bien plus magnifiques. Remercions Dieu de tous ces bienfaits, et mettons-nous à la poursuite de toutes les vertus : avant tout soyons exactement fidèles au précepte de la charité, afin d’être jugés dignes des biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE X. modifier


SOYEZ UN SEUL CORPS ET UN SEUL ESPRIT COMME VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS A UNE SEULE ESPÉRANCE DANS VOTRE VOCATION. (IV, 4)

Analyse. modifier


  • 1. Sur l’unité de l’Église.
  • 2 et 3. Tableau pathétique de ses maux actuels : exhortation à la pénitence.

1. Lorsque le bienheureux Paul arrive à une exhortation d’importance majeure, cet homme si sage, si favorisé des dons de l’Esprit, prend son point de départ dans les cieux, fidèle en cela aux leçons données par le Seigneur. C’est ainsi qu’il dit dans un autre endroit : « Marchez dans l’amour comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous » (Eph. 5,2) ; et ailleurs encore : « Ayez en vous les sentiments qu’avait en lui le Christ Jésus, qui, étant dans la forme de Dieu, n’a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu ». (Phi. 2,5-6) Il fait la même chose ici. Devant les grands exemples exposés à sa vue, son zèle, son ardeur redoublent. Que dit-il, pour nous exhorter à l’unité ? « Soyez un seul corps et un seul esprit, comme vous avez été appelés à une seule espérance dans votre vocation. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ». Qu’est-ce que ce corps unique ? Les fidèles du monde entier, ceux qui le sont devenus, ceux qui le deviendront. De même pour ceux qui ont été agréés, même avait la venue du Christ. Comment cela ? parce qu’ils connaissaient, eux aussi, le Christ. En voici la preuve : « Abraham, votre père, a tressailli pour voir mon jour ; il a vu et il s’est réjoui ». (Jn. 8,56) Et encore : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez sans doute à moi aussi, parce que c’est de moi qu’il a écrit » (Id. 5,39) ; et les prophètes pareillement. Ils n’auraient pas écrit de lui, sans savoir ce qu’ils disaient : ils le connaissaient, partout ils l’adoraient. Ceux-ci donc aussi forment un seul corps. Le corps n’est point séparé de l’esprit, sans quoi ce ne serait pas un corps. Pareillement, nous avons coutume de dire en parlant des choses qui forment une unité, un enchaînement parfait : C’est un seul corps. C’est ainsi que dans l’union nous ne formons qu’un corps pour une tête. S’il n’y a qu’un corps, qu’une tête, le corps est composé de membres nobles et d’autres qui ne le sont pas. Ce n’est pas à dire que le meilleur essaie d’opprimer le moindre, ni que le moindre porte envie au meilleur. D’ailleurs tout ne contribue point pour une part égale, mais seulement à proportion de la nécessité. Et parce que tout est nécessaire et sert à divers usages, tout est égal en dignité. Néanmoins l’importance varie : ainsi la tête domine tout le corps, attendu qu’en elle est le siège de toutes les sensations et du gouvernement de l’âme : sans tête on ne peut vivre : au contraire bien des hommes ont vécu longtemps après qu’on leur avait coupé les pieds. Ce n’est donc pas seulement par sa position que la tête est supérieure, c’est encore par ses fonctions et son rôle.

Où veux-je en venir ? Il y a dans l’Église bon nombre d’hommes qui s’élèvent en haut comme la tête, et contemplent les choses célestes comme les yeux de la tête, qu’un vaste intervalle sépare de la terre, qui n’ont rien de commun avec elle : d’autres jouent le rôle des pieds, de pieds saints toutefois, et foulent le sol. Ce qui est honteux pour les pieds, ce n’est pas de fouler la terre, mais bien de courir au vice : « Ses pieds courent vers le vice » (Isa. 59,7), est-il écrit. C’est-à-dire : que les yeux ne dédaignent point les pieds, que les pieds ne soient pas jaloux des yeux. Autrement chacun compromettrait la beauté qui lui est propre, et mettrait obstacle à l’accomplissement de sa fonction particulière ; et ce serait à bon droit : car vouloir nuire au prochain, c’est vouloir se nuire à soi-même. Si donc les pieds ne voulaient point porter la tête à l’endroit où elle doit se rendre, ils se nuiraient à eux-mêmes par leur paresse et leur fainéantise ; et si la tête refusait de s’occuper des pieds, elle serait la première atteinte.

Mais ces organes, dira-t-on, ne se font pas mutuellement la guerre pour une bonne raison : la nature le veut ainsi. Maintenant, comment est-il possible qu’un homme ne fasse pas la guerre à un homme ? Cela ne se voit pas d’hommes à anges, ni d’anges à archanges : les brutes, d’autre part, sont incapables de me traiter avec dédain. Mais la où la nature met des prérogatives égales, où le privilège est unique, et la répartition parfaite, comment n’y aurait-il pas de discorde ? C’est justement pour cela que vous ne devez pas faire la guerre au prochain. Si tout est commun, si l’égalité est parfaite, d’où viendrait l’orgueil ? Nous participons de la même nature, corps et âme tout à la fois, nous respirons le même air, nous mangeons les mêmes aliments. Pourquoi nous ferions-nous la guerre ? Peut-être la pensée que nous pouvons, par la vertu, triompher des puissances incorporelles, est-elle propre à nous inspirer de l’orgueil ? Non, ce n’est pas là de l’orgueil. Quant à moi, je brave, comme de juste, le démon, je le brave et le méprise. Considérez à quel point Paul méprisait le démon. Quand le démon parlait de lui en termes magnifiques, il lui ferma la bouche, incapable de tolérer même ses flatteries. La jeune fille qui avait un esprit de python, disait : « Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut, qui vous annoncent la voie du salut ». Paul, par une réprimande sévère, ferme cette bouche impudente. (Act. 16,17) Ailleurs encore il écrit : « Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement ». La différence de nature y lit-elle quelque chose ?

2. Voyez-vous bien que la différence de nature est sans effet, que la volonté seule est efficace ? Or, par la volonté, les démons sont inférieurs à tout. Mais un ange ? dira-t-on, je ne saurais lui tenir tête : trop grande est la distance qui nous sépare. Eh bien ! vous ne devez pas plus tenir tête à un homme qu’à un ange. Ce qui distingue l’ange de vous, c’est sa nature, laquelle ne saurait créer ni un mérite, ni un sujet de reproche : entre homme et homme au contraire, il n’y a pas de différence de nature ; toute différence vient de la volonté. Par conséquent, si vous ne vous révoltez pas contre les anges, à plus forte raison ne devez-vous pas vous révolter contre les hommes qui sont devenus anges en dépit de leur nature. Supposez, en effet, qu’il y ait un homme aussi vertueux que sont les anges, il sera à une plus grande distance au-dessus de vous que l’ange lui-même. Pour quelle raison ? Parce que ce qui chez l’un est un simple don de la nature est chez l’autre une conquête du libre arbitre. De plus, l’ange est séparé de vous par les cieux, il habite le ciel ; tandis que l’autre vit avec vous et vous donne un sujet d’émulation. Mais que dis-je ? un tel homme est placé plus loin de vous que les anges eux-mêmes. Il est écrit en effet : « Notre séjour est dans les cieux ». (Phi. 3,20) Maintenant, pour vous convaincre que la distance est plus grande, écoutez où le chef est assis : Sur le trône royal, dit l’Évangile. Donc un tel homme est séparé de nous par toute la distance qui nous sépare du trône royal. Mais la dignité à laquelle je le vois élevé n’est propre, direz-vous, qu’à exciter ma jalousie. Voilà ce qui a tout bouleversé, ce qui a enfanté mille troubles, non seulement dans le monde, mais encore dans l’Église. Et comme des vents furieux déchaînés contre un port tranquille, y causent plus de désastres que tous les écueils et tous les passages difficiles : ainsi l’amour de la gloire n’a qu’à pénétrer quelque part pour tout confondre et tout bouleverser.

Vous avez vu plus d’une fois l’incendie dévorer de grands édifices : vous avez vu la fumée monter au ciel, et le feu tout embraser, tandis que chacun ne songe qu’à soi, au lieu de courir éteindre les flammes : souvent le désastre a pour spectatrice la ville tout entière, une foule de curieux qui ne s’inquiètent point de prêter main-forte, et n’ont d’autre occupation que de montrer du doigt à tous ceux qui surviennent le théâtre du fléau, les flammes qui s’échappent par les fenêtres, les poutres qui tombent, l’enceinte tout entière arrachée de ses fondations et s’écroulant sur le sol. Un bon nombre, plus hardis, plus téméraires que les autres, ne craignent pas de s’approcher des bâtiments qui brûlent, non pour tendre la main aux habitants ou pour éteindre le feu, mais pour jouir du spectacle mieux à leur aise, pour être à portée de ne rien perdre des incidents qui échappent souvent aux curieux du dehors. Si par hasard il s’agit d’une maison grande et magnifique, on voit là un spectacle attendrissant, et qui arrache des larmes. Et c’est en effet un spectacle attendrissant que ces chapiteaux réduits en cendres, que ces colonnes brisées, les unes par l’action du feu, les autres par les mains de ceux qui les ont élevées, pour que l’incendie n’étende pas plus loin ses ravages. On voit alors ces statues qui naguère se dressaient avec tant de majesté, découvertes par la chute des lambris qui les protégeaient, et tristement exposées aux injures de l’air. Que dire des trésors renfermés dans la maison, des étoffes brochées d’or, des vases d’argent ? Les appartements où le maître pénétrait seul avec sa femme, le dépôt où était mis en réserve étoffes et parfums, les écrins de pierres précieuses ; tant de serviteurs chargés d’offices différents ; tout ce que cette demeure contenait de richesses et d’habitants n’est plus qu’eau, feu, boue, poussière et poutres à demi brûlées.

Pourquoi me suis-je étendu sur ce tableau ? Ce n’est pas que j’aie voulu perdre mon temps à vous décrire un incendie : à quoi bon ? Mais j’ai tâché de vous mettre sous les yeux, autant qu’il est en moi, les malheurs de l’Église. Pareils à un incendie véritable, ou à un carreau de foudre, ils atteignent le faîte même de l’Église, sans réveiller personne. La maison de nos pères est en feu : et nous dormons d’un sommeil profond, et nous ne nous apercevons de rien. Qui, en effet, n’a pas été atteint par ce feu ? Quelle image est restée debout dans l’Église ? Car l’Église n’est pas autre chose qu’un palais bâti avec nos âmes. Mais ce palais n’est point également précieux dans toutes ses parties : parmi les pierres qui le constituent, il en est de belles et de brillantes, il en est de moins éclatantes et de moins précieuses, bien que supérieures encore à toute autre. Les uns, en bon nombre, jouent le rôle de l’or qui décore les lambris ; d’autres figurent les statues qui embellissent l’enceinte ; d’autres sont comparables à des colonnes. On peut, en effet, appeler de ce nom ces hommes dont le mérite ne gît pas seulement dans la constance, mais encore dans l’éclat que projette, pour ainsi dire, l’or de leurs chapiteaux. La foule enfin, est ce qui constitue toute cette vaste enceinte : elle est comme les pierres dont les murs sont formés.

3. Mais il vaut mieux passer à une image plus belle. Notre Église n’est pas faite de pierres ordinaires, mais d’or, d’argent, de pierres précieuses : et l’or y est disséminé partout. Mais (ô larmes amères !) la tyrannie de la vanité a consumé tout cela, comme une flamme dévorante, et rien n’a pu résister au fléau : nous restons là à regarder l’incendie, et nous ne sommes plus capables de l’éteindre. Et quand bien même nous l’éteignons pour un instant, au bout de deux ou trois jours, une étincelle sortie de la cendre ruine tout, sans excepter ce qui avait été épargné jusque-là. La même chose se retrouve dans l’exemple que nous avons choisi : car ces accidents sont fréquents dans les incendies. L’origine du mal c’est que les colonnes mêmes de l’Église ont manqué par leurs fondements : ainsi ceux qui soutenaient le toit, et avaient assuré jusque-là la solidité de tout l’édifice, sont devenus la proie des flammes. Dès lors le feu a pu étendre rapidement ses ravages sur le reste des parois. Dans les incendies de maisons, la flamme une fois maîtresse des poutres, est plus forte contre les pierres ; et une fois les piliers abattus, jetés par terre, ce n’est plus une affaire que d’avoir raison de tout l’édifice… Quand les appuis, les soutiens des parties supérieures succombent, le reste les suit aussitôt et spontanément. Il en est de même aujourd’hui pour l’Église : le feu est partout. Nous recherchons les distinctions humaines, nous brûlons pour la gloire, et nous n’entendons pas Job qui nous dit : « Si, quand j’ai péché même involontairement, j’ai craint la multitude ». (Job. 31,34) Voyez-vous cette âme vertueuse ? Je n’ai pas rougi, nous dit Job, de déclarer devant la multitude mes péchés involontaires. Que s’il n’en rougissait pas, à plus forte raison devrions-nous faire comme lui. Car il est écrit : « Dis le premier tes iniquités, afin que tu sois justifié ». (Isa. 43,26)

Terrible est désormais la violence du fléau, tout est bouleversé, anéanti. Nous avons abandonné le service de Dieu pour celui de la gloire ; nous ne pouvons plus réprimander nos subordonnés, atteints que nous sommes de la même maladie : nous-mêmes, nous avons besoin de remèdes, nous que Dieu a chargés de guérir les autres. Quel espoir de salut reste-t-il encore, quand les médecins eux-mêmes ont besoin des soins d’autrui ? Ce ne sont pas ici de vaines plaintes, ni des paroles en l’air : mon but est que nous tous, hommes, femmes, enfants, nous répandions de la cendre sur nos têtes, revêtions le cilice, jeûnions sans relâche, et que nous priions Dieu de nous tendre la main et d’éteindre l’incendie. Car nous en avons bien besoin de cette main puissante, de cette main miraculeuse. De notre côté, il faut que notre pénitence surpasse celle des Ninivites… « Encore trois jours et Ninive sera détruite ». (Jon. 3,4) Terrible annonce, formidable menace ! Quelle attente que de se voir ensevelis au bout de trois jours sous les ruines de sa patrie, et enveloppés tous dans le même châtiment. Si la mort de deux enfants arrivant à la fois dans une maison paraît un malheur intolérable, si de tous les maux de Job aucun ne lui parut plus insupportable que cette chute d’un toit qui lui ravit d’un même coup tous ses enfants : que devait-ce être de se représenter, non pas une famille ni deux enfants, mais un peuple de cent vingt mille âmes écrasé sous les ruines de sa ville ? Vous comprenez l’horreur d’un tel désastre : il n’y a pas si longtemps que nous avons entendu, non les menaces d’un prophète (nous ne sommes pas dignes d’entendre une voix si sainte), mais d’autres menaces qui nous venaient du ciel avec un bruit plus retentissant que le son de la trompette. « Encore trois jours et Ninive sera détruite ». Épouvantable menace ! Mais rien de pareil aujourd’hui. Il n’est plus question de trois jours, ni de la prochaine destruction de Ninive voilà bien des jours que l’Église universelle est abattue et gît sur le sol : tous sont également en proie au mal, et les chefs mêmes n’en sont pas exempts ; et cette infirmité des membres les plus indispensables est ce qui redouble l’intensité du mal.

Ne vous étonnez donc point, si je vous demande de faire plus que n’ont fait les Ninivites : ou plutôt, ce n’est pas seulement le jeûne que je vous prescris, je vous indique encore le remède qui a relevé cette ville au moment où elle succombait. Quel est ce remède ? « Le Seigneur vit que chacun s’était détourné de ses voies d’iniquité, et il se repentit au sujet du mal qu’il avait menacé de leur faire ». Suivons cet exemple les uns et les autres ; détournons-nous de l’avarice, de l’ambition, en priant Dieu de nous tendre la main et de redresser les membres qui ont défailli. Le sujet de crainte n’est plus le même aujourd’hui. Alors c’étaient des pierres, des poutres qui allaient tomber, des corps qui allaient périr : il ne s’agit plus de cela, mais des âmes menacées du feu vengeur de l’enfer. Prions, confessons-nous, remercions Dieu pour les choses passées, prions-le pour l’avenir, afin que, délivrés du monstre terrible déchaîné parmi nous, il nous soit donné d’offrir nos actions de grâces au Dieu de bonté, au Dieu Père, avec qui gloire, puissance, honneur au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XI. modifier


SOYEZ UN SEUL CORPS ET UN SEUL ESPRIT, COMME VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS A UNE SEULE ESPÉRANCE DANS VOTRE VOCATION. IL Y A UN SEUL SEIGNEUR, UNE SEULE FOI, UN SEUL BAPTÊME, UN SEUL DIEU ET PÈRE DE TOUS, QUI EST AU-DESSUS DE TOUS, ET AU MILIEU DE TOUTES CHOSES, ET EN NOUS TOUS. OR, A CHACUN DE NOUS A ÉTÉ DONNÉE LA GRACE, SELON LA MESURE DU DON DE JÉSUS-CHRIST. (IV, 4-7, JUSQU’À 16)

Analyse. modifier


  • 1-3. Grâces communes à tous et grâces spéciales.
  • 4-6. De l’humilité et de l’unité. – Tableau d’un schisme. – Que le schisme est aussi abominable que l’hérésie. – Renseignements précieux pour l’histoire de l’Église et la biographie de saint Jean Chrysostome.

1. La charité que Paul exige de nous n’est point une charité vulgaire, mais une charité capable de nous unir, de nous attacher indissolublement les uns aux autres, et de mettre entre nous une harmonie comparable à celle qui existe entre les membres d’un même corps. Voilà quelle est cette charité féconde en grandes choses. De là cette expression : Un seul corps, pour marquer la sympathie, l’absence de toute jalousie mutuelle, la part prise par chacun au bonheur d’autrui. Après avoir indiqué par là toutes ces choses à la fois, il ajoute fort à propos : « Et un seul esprit », marquant que de ce corps unique résultera un seul esprit, ou bien que le corps peut être un sans que l’esprit le soit : ce qui arrive par exemple, pour les amis des hérétiques. Ou encore il part de là pour ramener par la honte les fidèles à la concorde ; c’est à peu près comme s’il disait : Vous qui avez reçu un seul esprit, qui avez été abreuvés à la même source, vous ne devez point être en dissension. Ou bien enfin par esprit, il entend ici le zèle. Il ajoute : « Comme vous avez été appelés à une seule espérance dans votre vocation ». En d’autres termes Dieu vous a appelés tous aux mêmes conditions ; il n’a donné à l’un aucun avantage sur l’autre ; à tous il a octroyé l’immortalité, à tous la vie éternelle, à tous une gloire impérissable, à tous la fraternité, à tous l’héritage. Il est devenu notre chef commun, il nous a tous ressuscités et fait asseoir avec lui. Vous donc qui participez si également aux biens spirituels, d’où vous vient votre orgueil ? A l’un, de sa fortune, à l’autre de sa puissance ? Quelle dérision ! Dites-moi, si l’empereur faisant choix de dix personnes, les revêtait toutes de la pourpre, les faisait asseoir sur son trône, et leur décernait à toutes les mêmes honneurs, qui d’entre elles oserait reprocher à telle autre l’infériorité de sa fortune ou de son nom ? Aucune assurément. Et je n’ai pas tout dit : car la distance n’est pas si grande. Ainsi donc, égaux dans les cieux, nous serons distingués ici-bas ?

« Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ». Voilà l’espérance de la vocation. « Un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et au milieu de toutes choses et en nous tous ». Est-ce que vous invoquez un plus grand Dieu, tel autre un Dieu plus petit ? Est-ce que vous êtes sauvé par la foi, et cet autre par les œuvres ? Est-ce que le baptême vous a purifié, et lui a laissé sa souillure ? Qu’osé-je dire ! « Il y a un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et au milieu de toutes choses, et en vous tous ». – « Au-dessus de toutes closes », c’est-à-dire, supérieur à tout. « Au milieu de toutes choses » pour les diriger, les gouverner. « En vous tous » : Il habite chez tous. On a dit pourtant que ceci était propre au Fils ; si c’était l’effet d’un abaissement, Paul ne dirait point la même chose du Père. – « Or, à chacun de nous a été donnée la grâce ». Comment se fait-il donc, dira-t-on, que les grâces soient diverses ? Cette pensée ne cessait d’inspirer aux Éphésiens, comme aux Corinthiens et à beaucoup d’autres, soit l’orgueil, soit le découragement et l’envie. Voilà pourquoi il recourt partout à cet exemple du corps et ici même, sur le point de faire mention de la diversité des grâces. Il insiste en plus grand détail sur cette question dans son épître aux Corinthiens, parce que la maladie faisait chez eux plus de ravages que partout ailleurs. Ici il se borne à une allusion, et considérez comment il s’exprime. Il ne dit pas : Selon la foi de chacun : ç’eût été jeter dans le désespoir ceux à qui les grandes prérogatives avaient été refusées. Il dit : « Selon la mesure du don de Jésus-Christ ». Les choses les plus importantes, veut-il dire, sont communes à tous : le baptême, le salut par la foi, le titre de fils par rapport à Dieu, la participation à l’Esprit. Si tel ou tel est mieux partagé que toi en quelque chose, ne te plains pas : car sa tâche aussi est plus grande. Celui qui avait reçu cinq talents, eut à rendre compte de cinq ; celui qui en avait reçu deux, en rapporta deux seulement ; et ne fut pas moins bien rétribué que l’autre. Aussi en cet endroit emploie-t-il justement cette raison pour consoler son auditeur. « Pour la perfection des saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ ». De là encore cette parole du même : « Malheur à moi, si je n’évangélise pas ! » (1Co. 9,16) Par exemple, quelqu’un a reçu le don d’apostolat. C’est donc à lui qu’il faut crier : Malheur à lui qui a reçu cette grâce : pour vous, vous êtes hors de danger. « Selon la mesure ». Qu’est-ce à dire : « Selon la mesure ? » Entendez, non pas en proportion de notre mérite : autrement personne n’aurait obtenu ce qui lui a été donné. Nous ne possédons rien que par un don.
2. Mais pourquoi l’un a-t-il plus, l’autre moins ? Cela n’y fait rien, répond Paul ; la chose est indifférente – car chacun contribue à l’édification. — Paul fait voir par là que ce n’est point en vertu de son mérite que l’un a eu plus, l’autre moins ; mais en considération des autres, et selon la répartition faite par Dieu même ; car le même Paul dit dans un autre passage : « Dieu a placé dans le corps chacun des membres comme il l’a voulu ». (1Co. 12,18) Il ne donne point d’autre raison pour ne pas abattre la confiance de ses auditeurs. C’est pourquoi l’Écriture dit : « Montant au ciel, il a conduit une captivité captive ; il a donné des dons aux hommes (8)… » C’est comme s’il disait : Pourquoi t’enorgueillir ? Tout te vient de Dieu. Le Prophète dit dans un psaume : « Tu as reçu des dons parmi les hommes ».(Psa. 67,19) Paul dit : « Il a donné des dons aux hommes ». C’est la même chose. Interprétez pareillement ceci : « Mais qu’est-ce : Il est monté, sinon qu’il est descendu auparavant dans les parties inférieures de la terre ? Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin qu’il remplît toutes choses (9, 10) »
En entendant cela, ne vous figurez point un déplacement. Il établit ici le même point que dans son épître aux Philippiens. Dans cette épître, il cite le Christ à l’appui d’une exhortation concernant l’humilité : il procède ici de la même manière, en disant : « Il est descendu dans les parties inférieures de la terre ». Autrement, c’est en vain qu’il dirait : « Ayant été obéissant jusqu’à la mort ». (Phi. 2,7-8) L’ascension suppose la descente. Par les parties inférieures de la terre, il faut entendre la mort : C’est une expression appropriée à l’opinion commune, et qui rappelle celle de Jacob : « Vous ferez descendre ma vieillesse avec douleur aux enfers ». (Gen. 44,29) De même on lit dans un psaume : « Je serai rendu semblable à ceux qui descendent dans la fosse » (Ps. 142, 7), c’est-à-dire aux morts. Pourquoi Paul traite-t-il ici ce sujet ? et quelle captivité a-t-il en vue ? Celle du diable. Jésus-Christ a fait prisonnier le tyran, je veux dire le diable, et avec lui la mort, la malédiction, le péché. Voyez-vous ce butin, ces dépouilles ? « Mais qu’est-ce : il est monté, sinon qu’il est descendu auparavant ? » Ceci est pour les sectateurs de Paul de Samosate. « Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin qu’il remplît toutes choses ». Il est descendu dans les parties inférieures de la terre, dans celles au-dessous desquelles il n’y a rien ; et il est monté au-dessus de tout, à un degré après lequel il n’y a rien. Ceci regarde sa puissance et sa domination : car depuis longtemps tout était accompli. « Et c’est lui qui a fait les uns apôtres, les autres prophètes, d’autres évangélistes, d’autres pasteurs et docteurs pour la perfection des saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ (11, 12) ». Il dit ailleurs : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté ». C’est la même chose ici : « Celui qui est descendu est le même qui est monté ». Être descendu dans les parties inférieures de la terre, cela ne l’a pas empêché de monter au-dessus des cieux. Ainsi, plus on a été abaissé, plus on est élevé. Plus on fait descendre l’eau, plus elle s’élève ; plus on est éloigné pour lancer un trait, plus on est sûr de son coup : il en est de même pour l’humilité. Mais quand nous parlons d’ascension divine, nous songeons nécessairement à une descente : quand il s’agit d’un homme, cela n’est plus nécessaire… Paul fait voir ensuite la providence et la sagesse de Dieu en disant : « Celui qui a opéré de telles choses, qui a manifesté un si grand pouvoir, celui qui n’a pas refusé de descendre à cause de nous jusque dans les parties inférieures de la terre, celui-là ne peut avoir distribué les grâces à la légère ». Ailleurs il attribue cet acte à l’Esprit : « Sur lequel l’Esprit-Saint vous a établis évêques pour gouverner l’Église du Seigneur ». Ici il nomme le Fils, ailleurs Dieu. Il dit encore : « C’est lui qui a donné à l’Église les uns pour apôtres, les autres pour prophètes ». Dans l’épître aux Corinthiens il dit : « J’ai planté, Apollo a arrosé : mais Dieu a donné la croissance (3, 6) ». Et encore : « Celui qui plante et celui qui arrose sont une seule chose : mais chacun recevra son propre salaire selon son propre travail ». De même ici… Qu’importe que vous donniez moins, si vous avez moins reçu ?

D’abord, « Les apôtres ». Rien ne leur manquait, à eux. Secondement, « Les prophètes » quelques-uns étaient en effet prophètes, sans être apôtres, comme Agabus. Troisièmement, « Les évangélistes ». Ceux qui évangélisaient sans voyager partout, comme Priscille et Aquila. Enfin, « Les pasteurs et les docteurs », ceux à qui tout le peuple est confié. Qu’est-ce à dire : Les pasteurs et les docteurs sont au-dessous des autres ? Oui, ceux qui voyagent et qui évangélisent, sont supérieurs à ceux qui sont sédentaires et occupés dans un seul endroit, comme Timothée et Tite… D’ailleurs, les éléments de cette hiérarchie ne se trouvent pas ici, mais dans une autre épître. « C’est lui qui les a donnés ». Ainsi, point d’objections. Ou bien encore Paul entend par évangélistes, ceux qui ont écrit l’Évangile. « Pour la perfection des saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps du Christ ».

3. Voyez-vous notre dignité ? Chacun édifie, chacun perfectionne, chacun sert. « Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’un homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ (13) ». Par âge il entend ici la connaissance parfaite. Il en est des fidèles comme de l’homme fait, dont l’esprit a de la consistance, tandis que celui des enfants voltige au hasard. « Dans l’unité de la foi ». En d’autres termes, jusqu’à ce que nous paraissions tous animés d’une seule foi. En cela consiste en effet l’unité de foi, que nous ne formions qu’un corps à nous tous, que nous nous reconnaissions tous comme unis ensemble. Jusque-là il faut travailler, si vous avez reçu le don d’édifier les autres. Prenez garde de vous jeter à bas vous-mêmes, en portant envie à autrui. Dieu vous a honoré du privilège, il vous a confié la charge de perfectionner autrui. Tel était aussi l’objet de l’apôtre, celui du prophète lorsqu’il prédisait l’avenir et prêchait, celui de l’évangéliste lorsqu’il évangélisait, celui du pasteur, celui du docteur : tous étaient investis de la même tâche. Ne venez pas m’alléguer la diversité des dons : tous n’avaient qu’une fonction. Car l’unité règne quand nous croyons tous la même chose : Il est clair que tel est le sens, de ces mots : « L’état d’un homme parfait ». Ailleurs il nous appelle petits enfants et parle du temps où nous serons hommes faits : mais le sens est différent. En nous appelant petits enfants, il songe à la connaissance future en effet, après avoir dit : « Nous connaissons partiellement », il ajoute : « Par énigmes » et le reste (1Co. 13,9-12) Ici il songe à autre chose, à la facilité des chutes : de même qu’il dit ailleurs : « La nourriture solide des hommes faits ». (Heb. 5,14) Voyez-vous en quel sens, dans ce passage encore, il nous traite d’hommes faits. Voyez maintenant quelle signification il attache à ce terme dans notre passage, au moyen de ce qui suit : « Afin que nous ne soyons plus petits enfants (14) ». Voilà cette petite mesure que nous avons reçue : conservons-la avec grand soin, avec une persévérance inébranlable. « Plus » : ce mot marque que nous sommes depuis longtemps dans cet état. « Il se met lui-même au nombre de ceux qui ont besoin de la correction, il s’y soumet ». Il dit donc : S’il y a tant d’ouvriers, c’est pour que l’édifice ne soit pas ébranlé, ne vacille pas, pour que les pierres demeurent bien jointes : car c’est à elles que conviennent ces expressions qui marquent un ébranlement. « Afin que nous ne soyons plus comme de petits enfants qui chancellent et vacillent à tout vent de doctrine, par la méchanceté des hommes, par l’astuce qui entraîne dans le piège de l’erreur ». – « Qui vacillent à tout vent de doctrine », est une métaphore continuée qui montre bien à quel danger sont exposées les âmes désunies et séparées. Il désigne la méchanceté par une expression qui signifie action de jouer aux dés. Ainsi se comportent en effet les pervers à l’égard des simples : ils brouillent et bouleversent tout. Maintenant il passe à la conduite : « Mais afin que, pratiquant la vérité dans la charité, nous croissions en toutes choses dans celui qui est le chef, le Christ, en vertu duquel tout le corps uni et lié par toutes les jointures qui se prêtent un mutuel secours, d’après une opération proportionnée à chaque membre, reçoit son accroissement, pour être édifié dans la charité (15, 46) ».

Son langage est très-obscur, parce qu’il a voulu tout dire à la fois. En voici le sens. Le Christ ressemble à l’esprit qui, descendant du cerveau, ne communique pas à tous les nerfs une pareille aptitude à sentir, mais seulement une aptitude appropriée à la fonction de chaque membre, plus grande chez celui qui comporte un plus haut degré de sensibilité, moins grande chez celui qui en comporte un moindre : mais le principe, c’est toujours l’esprit. Les âmes sont comme les membres qui dépendent du Christ : sa providence dispense les grâces, et mesure l’accroissement de chaque membre proportionnellement à son rôle. Qu’est-ce à dire : « Par toutes les jointures qui se prêtent un mutuel secours. » C’est de la sensibilité qu’il s’agit ici. Cet esprit qui se répand de la tête dans tous les membres, opère ainsi dans chaque membre qu’il parcourt. C’est comme si l’on disait : Le corps qui reçoit ce secours croît à proportion de ses membres ; ou encore : Les membres participent à ce secours proportionnellement, et croissent dans cette mesure ; ou encore : L’esprit libéralement répandu d’en haut, et communiqué à tous les membres à proportion de leur capacité, croît dans cette même proportion. Mais pourquoi avoir ajouté « en charité ? » C’est que autrement l’esprit dont il est question ne saurait descendre. Supposons une main détachée du corps : l’esprit qui vient du cerveau trouvant la route interceptée ne quitte point pour cela le corps afin de rejoindre la main : s’il ne la trouve pas à portée, il ne se communique point à elle… La même chose arrive pour nous, quand la charité ne nous unit point.

4. Dans tout ce qui précède, Paul a eu en vue l’humilité. Qu’importe-t-il que tel ou tel ait reçu davantage ? Il a reçu le même esprit qui vient de la tête, esprit qui agit également, se communique également. « Uni et lié » : en d’autres termes, objet d’une vive sollicitude. Pour que le corps subsiste, il faut que la liaison entre les membres soit très-étroite : car la moindre déviation l’empêche de subsister. Il ne suffit donc pas d’être uni au corps, il faut encore demeurer à sa place : sans quoi l’union n’existe pas, et l’esprit n’arrive plus. Dans les luxations que causent certains accidents, le dérangement d’un seul os qui empiète sur le domaine d’un autre suffit pour endolorir tout le corps et quelquefois pour le tuer : d’autres fois, on juge cet os indigne d’être conservé ; on l’enlève, on laisse vide la place qu’il occupait. Car l’usurpation est partout un mal. De même pour les éléments qu’ils viennent à rompre leur harmonie pour empiéter les uns sur les autres, tout l’univers en souffre. Voilà ce que signifie « Uni et lié ». Songez donc combien il importe que chacun reste dans son domaine et s’abstienne d’entreprendre sur le terrain d’autrui. Vous arrangez les membres : un autre de là-haut leur fournit ce dont ils ont besoin. Il en est de l’esprit comme du corps : il a également des organes susceptibles de recevoir ce qui lui vient de là-haut. Le cœur, par exemple, est le réceptacle de l’air ; le foie, du sang ; la rate, de la bile, et ainsi de suite : néanmoins toutes ces choses ont leur principe dans le cerveau.
Dieu a fait de même, voulant honorer l’homme et veiller sur lui sans cesse : il a rattaché le principe à lui-même, mais il s’est donné des collaborateurs, entre lesquels il a réparti les fonctions. Par exemple, dans ce corps le vaisseau par excellence est l’apôtre qui reçoit tout de ses mains. De cette façon, comme par des artères et des veines (c’est la parole que j’ai en vue) il fait circuler en tous la vie éternelle. Le prophète prédit l’avenir, et Dieu le prépare. Le prophète assemble les os : Dieu y infuse la vie, « pour la perfection des saints, pour l’œuvre du ministère ». La charité édifie, et fait que toutes les parties s’assemblent, se joignent, s’unissent. Ainsi donc, si nous voulons jouir de l’esprit qui vient de la tête, attachons-nous les uns aux autres. Il y a deux manières de se séparer du corps de l’Église : l’une consiste dans le refroidissement de la charité ; l’autre dans une conduite qui nous rend indignes de faire partie de ce corps : des deux façons nous rompons avec l’assemblée des fidèles. S’il nous est prescrit même d’édifier les autres, qu’adviendra-t-il de ceux qui, au lieu d’édifier, donnent l’exemple de la désunion. Rien ne divise l’Église comme l’amour de la domination ; rien n’irrite Dieu comme la division de l’Église. Aurions-nous pratiqué les œuvres les plus parfaites, si nous déchirons l’unité, nous serons punis comme si nous avions déchiré le corps du Seigneur. Ce dernier meurtre a été commis au profit de l’univers, bien que cette intention fût étrangère à ses auteurs : l’autre ne saurait produire que des désastres.

Je parle, non seulement à ceux qui sont constitués en dignité, mais encore à ceux qui sont placés sous leur direction. Un saint homme a dit un mot qui semble très-hardi, savoir : Que le martyre même n’efface pas un tel péché : quoi qu’il en soit, il l’a dit. Dis moi, en effet : Pourquoi souffres-tu le martyre ? N’est-ce pas pour la gloire de Jésus-Christ ? tu livres ta vie pour Jésus-Christ, et tu ravages l’Église, pour laquelle Jésus-Christ est mort. Écoutez plutôt ces mots de Paul : « Je ne suis pas digne d’être nommé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu » (1Co. 15,9), parce que je la ravageais. Les attaques de nos ennemis nous font bien moins de mal que ces déchirements intestins : les unes ajoutent à la gloire de l’Église ; les autres l’exposent aux moqueries de ses ennemis mêmes, heureux de la voir attaquée par ses propres enfants. Car à leurs yeux, c’est un signe manifeste de la fausseté de nos doctrines que les enfants, les nourrissons de l’Église, ceux qu’elle a pleinement initiés à ses mystères, changent tout à coup au point de prendre à son égard les sentiments de ses ennemis.

5. Voilà pour ceux qui se livrent sans discernement aux fauteurs de nos divisions. Si leurs doctrines sont opposées aux nôtres, c’est une raison de ne pas les fréquenter ; s’ils pensent comme nous, raison de plus. Pourquoi ? Parce que l’ambition est alors la cause du fléau. Ignorez-vous le supplice infligé à Coré, Dathon et Abiron, et non seulement à eux, mais encore à leurs complices ? Que dites-vous ? leur foi est la nôtre, ils sont orthodoxes. Eh bien ! pourquoi alors ne sont-ils pas avec nous ? « Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ». Si le bon droit est avec eux, nous sommes en tort ; si nous avons raison, ils sont en faute. « De petits enfants qui chancellent et vacillent à tout vent ». Pensez-vous qu’il suffise de dire : « Ils sont orthodoxes ? » Et l’élection, pour quoi la comptez-vous ? Quel est le fruit de tout le reste, si l’on n’est pas fidèle sur ce point ? On doit défendre l’élection aussi bien que la foi. En effet, s’il est permis à chacun de remplir ses mains, comme disaient les anciens, et de se faire prêtres, que tous accourent : c’est en vain qu’a été érigé cet autel, en vain qu’a été formée l’Église, en vain que le nombre des prêtres a été fixé : détruisons, abolissons tout. A Dieu ne plaise ! dira-t-on. Cette conduite est la vôtre, et vous venez dire : A Dieu ne plaise ! La chose est faite, il n’est plus temps. Je vous le dis et vous le répète, non dans mon intérêt, mais dans celui de votre salut : s’il y a des indifférents, que leur conscience les juge ; s’il y a quelqu’un que cela n’intéresse pas, nous y sommes intéressés, nous : « J’ai planté, Apollo a arrosé, mais c’est Dieu qui a donné l’accroissement ». (1Cor. 3,6),

De quel front endurerons-nous les sarcasmes des païens ? S’ils nous cherchent querelle au sujet des hérésies, que ne diront-ils pas de ces autres divisions ? S’ils ont les mêmes dogmes, s’ils croient les mêmes mystères, pourquoi un pasteur envahit-il l’Église de l’autre ? Tout est donc vaine gloire dans le christianisme ; on y trouve partout l’ambition, la fraude, l’astuce. Ôtez aux chrétiens leur nombre qui est la cause de la corruption, et ils ne sont plus rien. Voulez-vous savoir ce que les païens disent de notre cité ? comment ils diffament notre complaisance ? Le premier venu, disent-ils, n’a qu’à vouloir pour se faire écouter, et les partisans ne lui manquent jamais. O dérision ! ô ignominie ! Mais voici un autre sujet de risée et d’opprobre. Quelqu’un, par une faute grave, a-t-il mérité d’être puni, aussitôt grande rumeur, grandes alarmes : Prenez garde, il va vous quitter et passer à vos rivaux. Eh ! qu’il y passe, qu’il se donne à eux. Fût-il sans reproche, dès qu’il médite la défection, qu’il l’exécute ; sans doute, je le regrette je le déplore, j’en souffre, comme si l’on m’arrachait un de mes membres ; mais cette douleur ne va pas jusqu’à m’inspirer, pour la fuir, des choses indignes.

Nous ne dominons pas sur votre foi, mes bien-aimés ; nous ne commandons pas en maîtres. Chargés de la mission de vous instruire, nous ne pesons pas sur vous avec l’autorité des magistrats. Nous donnons des conseils, nous ne contraignons personne, et chacun reste libre de faire ou de ne pas faire ce qu’on lui dit. Nous ne serions coupables qu’en taisant ce qu’il nous est ordonné d’enseigner. Or, je ne veux pas qu’au jour du jugement vous puissiez dire : Personne ne nous a rien dit, rien expliqué ; nous étions dans l’ignorance, nous ne croyions pas commettre un péché. Je dis donc et je répète que faire schisme dans l’Église, c’est un aussi grand péché que d’embrasser l’hérésie. Dites-moi, si le sujet d’un roi s’abstenait à la vérité, de se donner à un autre roi, mais prenait la pourpre de son maître entre ses mains, la fendait jusqu’en bas à partir de l’agrafe, et la déchirait en mille lambeaux, serait-il puni moins sévèrement que s’il était transfuge ? Et s’il osait en outre égorger le roi lui-même, et mettre tout son corps en pièces, quel châtiment serait à la hauteur d’un pareil attentat ? Le roi, dont le meurtre lui aurait valu le plus terrible supplice, ne serait pourtant que son compagnon d’esclavage. Quel enfer ne serait donc pas trop doux pour celui qui égorge le Christ et dépèce son corps ? Celui dont nous sommes menacés suffira-t-il ? Non, sans doute, à beaucoup près. Apprenez cela, vous toutes qui êtes ici présentes, et rapportez-le à celles qui ne sont pas ici : car le mal vient en grande partie des femmes. Si quelqu’un de ces déserteurs croit se venger en agissant ainsi, il se trompe beaucoup. Si tu veux assouvir ta vengeance, voici un moyen que je t’offre : moyen je ne dis pas sans dommage pour toi (il n’en est pas de tel), mais moins pernicieux : donne-moi des soufflets, crache-moi au visage devant tout le monde, accable-moi de coups.

6. Quoi ! tu frémis à ces mots, et tu déchires le Seigneur sans frémir ! Tu mets en pièces le corps de ton maître, et tu n’es pas saisi d’horreur ! L’Église est notre maison paternelle ; nous n’y sommes qu’un corps et qu’une âme. Si c’est à moi que tu en veux, que ta colère s’arrête à moi. Pourquoi t’en prendre à Jésus-Christ ? Ou plutôt, pourquoi te meurtrir à regimber contre l’aiguillon ? Il n’est jamais bon de se venger. Mais punir en quelqu’un les fautes d’autrui, c’est un bien autre crime. Est-ce nous qui t’avons offensé ? Pourquoi sévir contre un innocent ? C’est le comble de la frénésie. Je ne parle ni à la légère ni par ironie ; j’exprime ce que je sens. Je voudrais que tous ceux qui ont contre moi de la rancune, et qui, par ressentiment, se font tort à eux-mêmes et passent dans l’autre camp, je voudrais qu’ils vinssent me frapper au visage, et, après m’avoir mis à nu, me déchirer à coups de fouet : que leurs reproches soient justes ou iniques, j’aimerais mieux les voir ainsi décharger sur moi leur colère, que persister dans leurs attentats. Qu’importe qu’un homme de rien subisse quelques outrages ? Sous le poids de l’humiliation, je prierais Dieu pour vous, et il vous ferait grâce. Non que j’aie confiance en moi, mais parce que je suis persuadé que Dieu accueille favorablement celui qui, étant offensé, prie pour ceux qui l’ont offensé. « Si quelqu’un a péché contre un homme, est-il écrit, on priera pour lui ». (1Sa. 2,25) Si mes prières étaient trop faibles, je m’adresserais à d’autres saints, et ils fléchiraient le Seigneur. Mais quand c’est à Dieu lui-même que remonte votre affront, à qui aurons-nous recours ?

Voyez quel choquant contraste ! Parmi les membres de cette Église, il en est qui n’approchent jamais des autels, ou une fois seulement par an, et encore est-ce étourdiment et sans préparation : d’autres sont, à la vérité, plus assidus, mais leur légèreté est lu même, ils ne font que causer et s’occuper de bagatelles : et ceux qui se montrent sérieux sont justement les auteurs du fléau. Si c’est de ce côté que votre zèle se porte, il vaut mieux que vous preniez place parmi les indifférents ; ou plutôt il vaut mieux, et que ceux-ci se corrigent, et que vous vous corrigiez vous-mêmes je ne parle point pour ceux qui sont ici, mais pour les transfuges. C’est un véritable adultère. Si vous ne souffrez pas que je parle ainsi de ces hommes, ne souffrez pas non plus qu’on parle ainsi de moi. L’illégalité est d’un côté ou de l’autre. Si vous pensez qu’elle est du nôtre, nous sommes prêts à céder le pouvoir à qui vous voudrez, pourvu que l’unité de l’Église soit assurée. Si nous avons été légitimement institués, persuadez de quitter leurs sièges à ceux qui les ont occupés contrairement à la loi. Je parle ainsi, non pour imposer un commandement, mais pour vous prémunir par de bons avis. Chacun de vous a l’âge de raison, et sera jugé sur ses œuvres. Ne pensez pas qu’il vous suffise de rejeter sur nous le fardeau pour être déchargés vous-mêmes de toute responsabilité : ce serait vous tromper cruellement. Sans doute nous avons à rendre compte pour vos âmes, mais tout autant que nous aurons négligé d’avertir, de supplier, de protester. Ce devoir accompli, souffrez que je le dise ; moi aussi : « Je suis pur du sang de tous, Dieu sauvera mon âme ». (Act. 20,26 et 2Ti. 4,18) Dites ce que vous voudrez, dites le vrai motif pour lequel vous rompez avec nous, et je vous répondrai. Mais vous ne le direz pas. Vous donc qui êtes fidèles, je vous en conjure, faites tous vos efforts désormais et pour vous affermir vous-mêmes, et pour ramener les transfuges, afin que, réunis et unanimes, nous rendions grâces à Dieu, à qui gloire dans les siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XII. modifier


JE VOUS DIS DONC ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR, DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L’INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES. (IV, 17)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. Vanité des vanités : ce qu’il faut entendre par là.
  • 3. Vanité du paganisme et de la philosophie païenne. – Superstitions ridicules des païens.

1. Le maître, pour instruire pleinement ses disciples et les mettre dans la bonne voie, ne doit pas se borner à des conseils et à des leçons : il faut encore qu’il effraie ses auditeurs, qu’il les cite devant Dieu. Quand les paroles humaines sont insuffisantes, comme venant de simples compagnons d’esclavage, à toucher les âmes, il faut alors faire intervenir le Seigneur. Ainsi fait Paul. Il a parlé précédemment de l’humilité, de l’unité, du devoir d’éviter les discordes mutuelles. Écoutez comment il parle maintenant : « Je vous dis donc et vous conjure par le Seigneur, de ne plus marcher comme les gentils ». Il ne dit pas : De ne plus marcher comme vous marchez : le reproche serait trop dur ; il dit la même chose, en se servant d’un exemple étranger. C’est ce qu’il fait encore dans ce passage de son épître aux Thessaloniciens, où il dit : « Et non dans la passion de la convoitise, comme les autres nations ». (1Th. 4,5) Votre religion vous distingue des gentils : mais cela ne vient que de Dieu : moi, je vous demande ce qui dépend de vous, une conduite, une vie selon Dieu : cela, c’est votre affaire. Je prends Dieu à témoin de mes paroles : je ne vous ai rien caché, je vous ai dit comment vous devez vous conduire. « Dans la vanité de leur esprit ». En quoi consiste la vanité de l’esprit ? Dans la vanité des occupations. Mais quelles sont les choses vaines, sinon toutes celles du monde, dont l’Ecclésiaste dit : « Vanité des vanités, tout est vanité ». (Ecc. 1,2) Mais on dira : si tout est vanité, d’où vient qu’il existe quelque chose ? Si tout est l’ouvrage de Dieu, comment tout peut-il être vanité ? On ne tarit point là-dessus. Mais écoute, mon cher auditeur : En disant vanité, le Sage n’entend pas parler des ouvrages de Dieu, à Dieu ne plaise ! le ciel n’est point vanité, la terre non plus, loin de nous cette pensée : pas plus que le soleil, la lune et les astres, pas plus que notre corps : toutes ces choses sont excellentes. Où est donc la vanité ? Écoutons les propres paroles de l’Ecclésiaste : « Je me suis planté des vignes, je me suis fait des chanteurs et des chanteuses, je me suis fait des piscines d’eau, j’ai eu des bergeries et des étables, j’ai amassé de l’or et de l’argent ; et j’ai vu que tout est vanité ». (Ecc. 2,5 et suivants) Et encore : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Écoutez encore le Prophète : « Il thésaurise et ne sait pas pour qui il amassera ces choses ». ([[Bible_Crampon_1923/Psaumes#Psa. 38,7) Ainsi, vanité des vanités que les palais magnifiques, que l’abondance des richesses, que les troupeaux d’esclaves marchant fièrement sur la place publique, que l’orgueil et la jactance, que l’outrecuidance et la présomption. Toutes ces choses sont vaines ; car elles ne sont pas l’ouvrage de Dieu, mais le notre. Mais pourquoi sont-elles vaines ? Parce qu’elles n’ont pas une bonne fin.

Les richesses sont vaines, quand on les dépense en luxe ; elles ne sont pas vaines, quand on les prodigue aux pauvres. Quand on les dépense en luxe, voyons quelle en est la fin : de la graisse, des vents, des excréments, des migraines, le ramollissement, l’échauffement, la langueur du corps. Le voluptueux ressemble à un homme qui s’évertuerait à remplir un tonneau percé. On appelle encore vaine une chose qu’on a crue honorable et qui ne l’est point c’est le sens où l’on prend quelquefois le mot « vide » et le mot « frivole », par exemple en parlant des espérances. Et en général on dit d’une chose qu’elle est vaine quand elle n’est bonne à rien. Voyons donc si les choses humaines n’ont pas ce caractère. « Mangeons et buvons : car nous mourrons demain ». (1Cor. 15,32) Quelle est donc la fin, dites-moi ? Le trépas. Habillons-nous, parons-nous, quelle sera la fin ? Le néant. Quelques-uns des païens ont touché à cela dans leur philosophie, mais sans succès : ils ont enseigné une vie de privations, mais sans viser par là à rien d’utile, et dans le seul intérêt de leur gloire et de leur vanité. Or qu’est-ce que la gloire humaine ? Rien. Si ceux qui la donnent périssent, à plus forte raison en est-il ainsi de la gloire elle-même. Celui qui procure à autrui de la gloire, devrait commencer par s’en procurer à lui-même : sinon, comment pourrait-il en donner à autrui ? Et pourtant nous recherchons les suffrages d’hommes vils, méprisables, déshonorés. Que peut être une gloire pareille ?

2. Voyez-vous que tout est vanité des vanités ? De là cette parole : « Dans la vanité de « leur esprit ». N’est-ce pas ainsi qu’il faut caractériser leur religion ? Les objets de leur culte ne sont-ils pas des pierres et du bois ? Dieu a fait le soleil comme un flambeau pour nous éclairer : qui est-ce qui se prosterne devant son flambeau ? Le soleil nous fournit sa lumière : mais, en son absence, une lampe fait le même office : pourquoi donc n’adorez-vous pas votre lampe ? Je le fais, diront-ils, j’adore le feu. O dérision ! et vous ne rougissez point d’un pareil sacrilège ! Considérez encore ceci : Pourquoi éteindre ce que vous adorez ? Pourquoi l’anéantir ? Pourquoi tuer votre Dieu ? Pourquoi lui défendre d’envahir toute votre maison ? Si le feu est Dieu, qu’il dévore votre corps, et ne posez pas sur votre Dieu le fond d’une marmite : introduisez-le plutôt dans la chambre où sont vos trésors, vos étoffes précieuses. Mais loin de là : qu’il vienne à se glisser chez vous par l’imprudence de quelqu’un, vous le chassez de toutes ses retraites, vous appelez tout le monde à votre secours ; vous gémissez, vous pleurez comme s’il s’agissait d’une bête féroce, et vous traitez de calamité la venue de votre Dieu dans votre maison. Moi, j’ai un Dieu, et je fais tout mon possible pour le garder dans mon cœur, et je mets ma béatitude non à recevoir sa visite dans ma maison, mais à l’attirer dans mon cœur. Attirez donc, vous aussi, le feu dans votre cœur. Dérision, vanité que tout cela. Le feu est bon pour qu’on s’en serve et non pour qu’on l’adore ; c’est un esclave, un serviteur, un ministre, et non pas un maître : il est fait pour moi, et non pas moi pour lui. Si vous adorez le feu, pourquoi rester étendu sur votre lit de parade, tandis que votre cuisinier a ordre de rester auprès de votre Dieu ? Chargez-vous en personne de ces soins ; faites-vous boulanger, ou forgeron, si vous aimez mieux. Ces arts sont les plus nobles de tous, puisque votre Dieu les visite. Pourquoi mépriser des industries qui vous rapprocheraient de votre Dieu et les confier dédaigneusement à des esclaves. Le feu est une excellente chose, car il est l’ouvrage d’un artiste excellent : mais il n’est pas Dieu : il est seulement l’œuvre de Dieu. Ne voyez-vous pas combien il est indiscipliné ? Une fois qu’il a pris à une maison, il ne s’arrête plus. Il détruit sans relâche tout ce qu’il trouve à sa portée ; et, à défaut d’ouvriers ou de toute autre main pour réprimer ses fureurs, il ne connaît ni amis, ni ennemis : tout lui est bon. Voilà votre Dieu, et vous ne rougissez pas ! Ah ! elle est bien vraie, cette parole : « Dans la vanité de leur esprit ».

Mais le soleil, du moins, est un Dieu, dira-t-on. Pourquoi cela, et comment, dites-moi ? Est-ce à cause de la vive lumière qu’il projette ? Mais ne voyez-vous pas que les nuages en triomphent, que les lois de la nature l’asservissent, qu’il s’éclipse, que la lune et les nues amortissent son éclat ? D’ailleurs les nuages lui sont inférieurs en puissance : néanmoins ils prévalent souvent sur lui, et c’est une marque de la sagesse divine. Dieu doit se suffire à lui-même : or le soleil a besoin de mille choses, ce qui n’est pas d’un Dieu. Pour luire il lui faut de l’air, un air subtil : car un air épais ne laisserait point passer les rayons : il lui faut de l’eau, et un obstacle qui l’empêche de tout consumer. Si les sources, les lacs, les fleuves et les mers ne formaient une certaine humidité par l’exhalaison de leurs vapeurs, rien ne saurait préserver l’univers d’une conflagration. Vous voyez donc, dira-t-on, que c’est un Dieu. O délire ! ô dérision ! C’est un Dieu, attendu qu’il est capable de nuire ! C’est un Dieu parce qu’il n’a besoin d’aucun secours pour faire le mal, et de beaucoup de secours pour opérer le bien ! La nature divine n’admet point le mal dans son essence : les bienfaits, voilà ce qui la caractérise. Si donc ces choses répugnent entre elles, comment le soleil serait-il Dieu ? ne voyez-vous pas que les plantes vénéneuses sont nuisibles d’elles-mêmes, et ont besoin de beaucoup de choses pour devenir des remèdes ? C’est à cause de vous que le soleil est ce qu’il est, à savoir beau et infirme : beau, afin que vous reconnaissiez le Seigneur par son moyen ; infirme, afin que vous ne le confondiez pas avec le Seigneur.

Mais, dira-t-on, il nourrit les plantes et les graines. A ce compte, le fumier aussi devrait être Dieu, car il nourrit également. Et pourquoi ne pas réputer telles aussi, et la faux, et les mains du laboureur. Montrez-moi que le soleil nourrisse de lui-même et sans le secours de la terre, de l’eau ; du labourage ; qu’il suffise de répandre la semence pour que ses rayons fassent naître les épis. Que si ce n’est pas uniquement son œuvre, mais encore celle des pluies, pourquoi ne pas faire pareillement de l’eau une divinité ? Mais laissons ce point pour le présent. Pourquoi ne pas diviniser la terre ? et le fumier ? et le hoyau ? Nous allons donc tout adorer ! Quelle sottise ! Et pourtant l’épi naîtrait plus aisément sans soleil, que sans terre et sans eau : de même pour les plantes et pour tout le reste. Si la terre n’existait point, rien de tout cela ne verrait le jour. Mettez de la terre dans un pot, comme font quelquefois les femmes et les enfants, et répandez là-dessus une épaisse couche de fumier ; vous pourrez garder ce pot sous votre toit, des plantes, faibles à la vérité, pourront encore y pousser. La terre et le fumier jouent donc un plus grand rôle dans la végétation, et, par conséquent, seraient plus dignes d’adoration que le soleil. Celui-ci a besoin du ciel, besoin de l’air, besoin des eaux, comme d’un frein pour réprimer les ravages que sa force pourrait causer, et l’empêcher de déchaîner partout ses rayons comme des coursiers fougueux. Et dites-moi, ou est-il durant la nuit ? Où émigre ce Dieu ? La nature divine ne comporte point ces limites : elles sont le propre des corps. Mais on dira : il y a une force en lui, il se meut. Et cette force est un Dieu, dites-moi ? Mais alors d’où vient qu’elle a besoin de quelque chose et ne peut contenir le feu des rayons ? Je ne puis que répéter ce que j’ai dit. Qu’est-ce maintenant que cette force ? Le pouvoir d’éclairer réside-t-il en elle, ou éclaire-t-elle par le moyen du soleil, sans participer en rien de la lumière ? Alors elle est inférieure au soleil. Jusques à quand nous perdrons-nous dans ce labyrinthe ?

3. Mais l’eau ? n’est-elle pas aussi une divinité ? disent-ils. Quelle ridicule obstination ! Comment ne verrions-nous pas un Dieu dans ce qui nous sert à tant d’usages ? Voilà ce qu’on dit, et l’on répète la même chose pour la terre. Quelle vérité dans ces paroles : « Dans la vanité de leur esprit, ayant l’intelligence obscurcie de ténèbres ». Mais voici qui s’applique à la conduite. Les païens sont fornicateurs et adultères. Rien de plus naturel. Se forgeant des dieux pareils, ils ont une vie conforme à leurs croyances, et s’ils peuvent échapper aux yeux des hommes, personne n’est désormais capable de les retenir. – L’idée de la résurrection est impuissante ; ils la traitent de fable. De même pour l’enfer. Et contemplez cette aberration satanique. Quand on leur parle de dieux fornicateurs, ils ne voient pas là de fable, ils croient tout ; et quand on leur parle du châtiment, ils répondent : Inventions de poètes, afin de renverser toutes les bases de la vie bienheureuse.

Mais les philosophes, dira-t-on, ont inventé de belles doctrines, supérieures à celles-là de tout point. Comment ? Sont-ce ceux qui font jouer un rôle à la fatalité, excluent la Providence du monde, et attribuent tout, non à quelque dessein concerté, mais à une pure combinaison d’atomes ? Sont-ce ceux qui nous proposent un Dieu corporel ? Lesquels donc, dites-moi ? Ceux qui supposent que les hommes ressemblent par l’âme aux chiens, et veulent nous faire croire que l’on a été précédemment chien, lion, poisson[9] ? – Quand aurez-vous fini de déraisonner, de penser dans les ténèbres ? Tout prouve en effet qu’ils sont dans les ténèbres, leurs paroles, leurs actions, leurs doctrines, leurs démarches. Celui qui est dans les ténèbres ne voit rien de ce qui est sous ses yeux ; et souvent il prend une corde pour un serpent. S’il vient à s’accrocher à une palissade, il s’imagine qu’un homme ou un démon le retient : de là mille frayeurs, mille alarmes… Tels sont les objets de leur crainte : « Ils craindront où il n’y aura pas sujet de crainte ». Au contraire, ce qui devrait les effrayer ne les effraie point. Il en est des païens comme de ces enfants qui approchent leurs mains du feu sans précaution, s’élancent témérairement des bras de leurs nourrices vers la lumière des lampes, et qui tremblent à la vue d’un homme revêtu d’un sac. De même ces païens, à qui un des leurs[10] a dit justement : Grecs, vous êtes toujours enfants ; les païens, dis-je, craignent certaines choses qui ne sont point des péchés, comme la malpropreté, le deuil, le lit, l’attente, que sais-je encore ? Mais, quant aux péchés véritables, comme la sodomie, l’adultère, la fornication, ils n’en tiennent aucun compte. Ils se lavent quand ils ont touché un mort, mais non pas quand ils ont fait des œuvres de mort. Ils se donnent beaucoup de peine pour l’argent, et suspendent toute affaire, s’ils viennent à entendre le chant d’un coq, tant ils ont l’esprit aveuglé. Mille terreurs assiègent leur âme ; par exemple : Un tel est le premier qui m’ait rencontré, au moment où je sortais de chez moi ; nécessairement il va m’arriver malheur sur malheur. Mon coquin d’esclave, en me donnant mes chaussures, m’a présenté d’abord celle de droite : accidents fâcheux, injures. Moi-même, en sortant, j’ai avancé d’abord le pied gauche : présage de malheur. Voilà pour les mauvais présages de la maison ; dehors, un mouvement de mon œil droit m’annonce des larmes[11].

Les femmes tirent de même des pronostics des bruits que la navette et le peigne font rendre aux baguettes du métier ; si le peigne, promené avec trop de force sur la trame cause un cliquetis de baguettes, c’est pour elles encore un signe ; et on en citerait mille autres aussi ridicules. Qu’un âne vienne à braire, un coq à chanter, quelqu’un à éternuer, qu’il arrive quelque chose d’imprévu, aussitôt, comme je le disais, ces captifs, ces aveugles entrent en défiance, et montrent plus de craintes serviles qu’un millier d’esclaves. Ne les imitons pas ; sachons rire de tout cela, comme des hommes pour qui luit la lumière, comme des citoyens du ciel, qui n’ont rien de commun avec la terre, et ne craignons qu’une chose : pécher, offenser Dieu… Excepté cela, bravons tout avec le diable, auteur de ces chimères. En conséquence, rendons grâces à Dieu ; efforçons-nous et d’éviter nous-mêmes un pareil esclavage, et d’en arracher ceux de nos amis qui peuvent y être tombés, tirons-les de cette affreuse, de cette ridicule captivité, rendons-les plus dispos pour monter au ciel, ranimons leurs ailes engourdies, enseignons-leur la morale et la doctrine de la sagesse. Rendons grâces à Dieu en toute occurrence. Prions-le de ne pas nous déclarer indignes du présent qui nous a été fait ; et en outre, faisons de notre côté, notre devoir, afin de ne pas enseigner seulement par nos discours, mais encore par notre exemple. Par là, nous pourrons obtenir la félicité sans mesure ; à laquelle puissions-nous tous parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIII. modifier


JE VOUS DIS DONC, ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR, DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L’INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES, ENTIÈREMENT ÉLOIGNÉS DE LA VIE DE DIEU, PAR L’IGNORANCE QUI EST EN EUX, A CAUSE DE L’AVEUGLEMENT DE LEUR CŒUR, QUI, AYANT PERDU TOUT ESPOIR, SE SONT LIVRÉS A L’IMPUDICITÉ, A TOUTES SORTES DE DISSOLUTIONS, A L’AVARICE. (IV, 17-19, JUSQU’À 24)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. De l’aveuglement volontaire. – Le vieil homme et l’homme nouveau.
  • 3 et 4. Les moines et les religieuses au temps de saint Jean Chrysostome. – Règles moins rigoureuses à l’usage des faibles. – Vertus des femmes, proposées en exemple aux hommes.

1. Cela ne s’adresse point seulement aux Éphésiens ; c’est encore à vous que ce langage est tenu, non par nous, mais par Paul lui-même, ou plutôt, ni par nous, ni par Paul, mais par la grâce de l’Esprit. Soyez donc dans les dispositions qui conviennent pour écouter une pareille voix. Et d’abord, écoutez ce qu’elle vous dit : « Je vous dis donc, et je vous conjure par le Seigneur, de ne plus marcher comme les gentils, qui marchent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l’intelligence obscurcie de ténèbres, entièrement éloignés de la vie de Dieu, par l’ignorance qui est en eux, à cause de l’aveuglement de leur cœur ». Mais si c’est ignorance, aveuglement, que leur reprochez-vous ? Quiconque ignore ne doit point être puni, ni réprimandé, mais instruit des choses qu’il ignore. Mais considérez comment aussitôt il leur enlève cette excuse : « Qui, ayant perdu tout espoir, se sont livrés à l’impudicité, à toutes sortes de dissolutions, à l’avarice. Pour vous, ce n’est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ ». Il montre ici que leur aveuglement provient de leur conduite ; et que leur conduite est un fruit de leur propre négligence et de leur apathie. « Qui, ayant perdu tout espoir, se sont livrés ». Ainsi donc, quand vous entendrez dire que Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rom. 1,23), souvenez-vous de cette parole, qu’ils se sont livrés eux-mêmes. S’ils se sont livrés eux-mêmes, comment Dieu les a-t-il livrés ? Ou si c’est Dieu, comment eux-mêmes se sont-ils livrés ? Vous voyez cette apparente contradiction ? Mais « Dieu les a livrés », signifie ici : Dieu les a laissés aller. Voyez-vous qu’en l’absence d’une vie pure, de pareilles doctrines prennent facilement naissance ? « Quiconque fait le mal », est-il écrit, « hait la lumière, et ne vient pas à la lumière ». (Jn. 3,20)

Comment concevoir qu’un pervers, un homme prostitué à toutes les femmes, à l’image de ces pourceaux qui se vautrent dans les bourbiers, qu’un avare, qu’un homme sans souci de la tempérance, puisse adopter un genre de vie comme le nôtre ? Voilà les occupations dont ils font métier, dit l’apôtre. De là leur aveuglement, de là le crépuscule répandu sur leur esprit. La plus brillante lumière pâlit, quand on a les yeux faibles ; or, les yeux s’affaiblissent, soit par suite d’un afflux d’humeurs malignes, soit par l’abondance trop grande du liquide qu’ils recèlent. C’est la même chose ici : quand le flux des choses mondaines vient à submerger notre intelligence, elle se trouve dans l’obscurité ; et comme si nous étions au fond de l’eau, nous devenons hors d’état de voir le soleil, à cause de la barrière que l’eau dont nous sommes couverts oppose à nos regards. C’est ainsi que s’aveuglent également les yeux de notre raison, quand nulle crainte n’ébranle notre âme. « La crainte de Dieu n’est pas devant ses yeux », est-il écrit ; et encore : « L’insensé a dit dans son cœur : il n’y a pas de Dieu ». (Psa. 13,3,1) Cet aveuglement provient d’une seule cause, l’apathie : voilà ce qui obstrue nos organes. Quand une humeur vient à se concentrer et à se condenser dans un endroit, le membre devient insensible et comme mort ; brûlez-le, coupez-le, faites ce que vous voudrez, il ne sent plus rien. De même, une fois que les hommes dont je parle se sont abandonnés à la débauche, employez le discours pour les guérir, à la façon du fer ou du feu, rien ne les touche, rien ne pénètre jusqu’à eux ; le membre est paralysé ; si vous ne guérissez pas cette insensibilité, si vous n’attendez pas que le membre soit sain, vous perdez votre peine. « A l’avarice ». C’est ici particulièrement qu’il leur ôte toute excuse. Il ne tiendrait qu’à eux, s’ils le voulaient, d’éviter l’avarice, l’incontinence, la gourmandise, les voluptés ; ils pourraient ne toucher à l’argent, au plaisir, au luxe, qu’avec modération ; mais une fois qu’ils ont abusé, tout est perdu. « A toutes sortes de dissolutions ». Voyez-vous comment par là il leur ôte tout recours ? Il montre qu’ils n’ont point péché par accident, mais par coutume, et, pour ainsi dire, par métier : « A toutes sortes de dissolutions ».

Par dissolutions, entendez l’adultère, la fornication, la sodomie, l’envie, tous les genres d’intempérance et de débauche. « Pour vous, ce n’est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ, si toutefois vous l’avez écouté, et si vous avez appris de lui, selon la vérité de sa doctrine (20, 21) ». Ces mots : « Si toutefois vous l’avez écouté », ne marquent point ici un doute, mais une affirmation expresse ; c’est ainsi qu’on lit ailleurs « Si pourtant il est juste devant Dieu, qu’il rende l’affliction à ceux qui vous affligent ». (2Th. 1,6) En d’autres termes : Ce n’est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ. « Si toutefois vous l’avez écouté, et si vous avez appris de lui, selon la vérité de sa doctrine, à dépouiller, par rapport à votre première vie, le vieil homme (22) ». Ainsi, c’est encore être instruit touchant le Christ, que de bien vivre. Celui qui vit mal, méconnaît Dieu, et il est méconnu de lui. Écoutez plutôt ce que dit ailleurs le même Paul : « Ils confessent qu’ils connaissent Dieu, et ils le nient par leurs œuvres ». (Tit. 1,16) « Selon la vérité de sa doctrine, à dépouiller, par rapport à votre première vie, le vieil homme ». En d’autres termes : Ce ne sont pas là vos conventions. Parmi nous, ce n’est pas la vanité qui règne, mais la vérité ; si les dogmes sont vrais, la vie ne l’est pas moins. C’est le péché et le mensonge qui sont vanité ; quant à la bonne conduite, c’est vérité ; car la fin en est sublime : la débauche, au contraire, aboutit au néant. « Qui se corrompt par les désirs de son erreur ». Si ses désirs sont corrompus, il l’est également lui-même.

2. Comment donc ses désirs sont-ils corrompus ? Tout se dissout par la mort : écoutez le prophète qui nous dit : « En ce jour périront toutes ses pensées ». (Psa. 114,4) Et ce n’est pas seulement par la mort, c’est de mille autres manières : par exemple, la beauté s’enfuit devant la maladie et la vieillesse, elle meurt, elle se flétrit. La force du corps succombe aux mêmes atteintes : la mollesse elle-même ne goûte plus les mêmes plaisirs, la vieillesse venue. C’est ce que nous fait voir l’histoire de Berzellaï, qui vous est certainement connue (2Sa. 19) Ou enfin, c’est la passion elle-même qui détruit celui qu’elle dévore. Le vieil homme est comparable à la laine qui vient des bêtes et périt par les bêtes. On peut être victime, et beaucoup l’ont été de l’avarice, des plaisirs, et dupe de la passion. Car à vrai dire, ce n’est point volupté, mais amertume et illusion, leurre et comédie : l’extérieur a bonne apparence, mais au fond, on ne trouve que misère, détresse, dégoûts, pénurie complète : ôtez le masque, mettez le visage à nu : la déception vous apparaîtra. Car il y a déception, quand une chose semble différente de ce qu’elle est réellement. Ainsi naît l’erreur.

Paul nous décrit quatre hommes : je vais vous les montrer si vous le voulez. D’abord, en voici deux, dans ces paroles : « Ayant dépouillé le vieil homme, renouvelez-vous dans l’esprit de votre âme, et revêtez-vous de l’homme nouveau ». Il fait mention de deux autres dans l’épître aux Romains : « Mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit, et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres ». (Rom. 7,23) Ceux-ci ont du rapport avec les autres, l’homme intérieur avec l’homme nouveau, l’homme extérieur avec le vieil homme : Néanmoins il y en a trois qui ont succombé. Mais que dis-je ? Ils sont trois encore aujourd’hui, le nouveau, l’ancien, et l’homme essentiel ou naturel. – « Renouvelez-vous dans l’esprit de votre âme (23) ». Pour qu’on n’aille pas croire qu’après avoir nommé l’ancien homme et le nouveau, il en introduit ici un troisième, considérez comment il parle : « Renouvelez-vous ». Il y a renouvellement, quand ce qui était vieux rajeunit, en vertu d’une transformation. De sorte que le sujet reste le même, et que le changement n’intéresse que les accidents. Car il en est de ceci comme du corps qui reste le même, en dépit des changements qui peuvent survenir dans ses phénomènes. Mais comment doit s’opérer ce renouvellement ? « Dans l’esprit de votre âme ». Quiconque gardera en soi quelque chose d’ancien n’arrivera à rien : car l’esprit répugne à tout ce qui est ancien, « L’esprit de votre âme », c’est-à-dire : l’esprit qui est dans votre âme. « Et revêtez-vous de l’homme nouveau (24) ». Voyez-vous que le personnage reste le même, et qu’il se dépouille seulement d’un habit pour en revêtir un autre ? « De l’homme nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité ». Pourquoi appelle-t-il homme la vertu, et homme encore le vice ? Parce que sans opération l’homme ne serait pas manifesté. En sorte que cela contribue non moins que la nature à manifester l’homme, soit bon, soit mauvais. Mais s’il est facile de se dépouiller d’un vêtement, il en est de même pour le vice et la vertu. L’homme jeune est fort : de même soyons forts, nous aussi, pour la pratique du bien. L’homme jeune n’a point de rides : n’en ayons pas davantage. L’homme jeune marche droit, et résiste aux atteintes de la maladie : résistons-y pareillement. « Qui a été créé ». Voyez comment il appelle ici création la réalisation de la vertu, son passage du néant à l’être. Mais quoi ! cette autre création n’est-elle pas selon Dieu ? Nullement, mais selon le diable : c’est le diable qui est l’auteur du péché. Comment cela ? Parce que l’homme n’a pas été créé seulement avec de la terre et de l’eau, mais encore dans la justice et la sainteté de la vérité. Qu’est-ce à dire ? c’est-à-dire que Dieu l’a créé fils du premier coup : car ce titre remonte au baptême : voilà notre essence… Remarquez ces mots : « Dans la justice et la sainteté de la vérité ». Il y avait autrefois de la justice et de la sainteté chez les Juifs ; mais ce n’était pas une sainteté, une justice de vérité ; c’étaient de simples images. La pureté du corps, en effet, n’était qu’une figure de la pureté, et n’en était point la réalité ; de même la justice existait, non en réalité, mais en figure. « Dans la sainteté et la justice de la vérité ». Peut-être aussi a-t-il ici en vue le mensonge de ces infidèles, qui se font passer faussement pour justes.

Par justice, entendez la vertu en général. Le Christ a dit : « Si votre justice n’abonde pas plus que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux ». (Mat. 5,20) Il est encore écrit : « Celui qui est sans reproche est appelé juste ». (1Jn. 3,9) De même, dans les jugements, nous appelons juste celui qui a été offensé et n’a point rendu la pareille. Si donc au terrible jugement nous pouvons paraître justes les uns à l’égard des autres, nous pourrons obtenir quelque miséricorde. Car à l’égard de Dieu, la chose est impossible, quelle qu’ait pu être notre conduite : l’avantage de la justice est, en effet, toujours de son côté, comme dit le prophète : « Et tu triompheras dans les jugements ». (Psa. 50,6) Mais si nous n’avons pas enfreint la justice à l’égard de notre prochain, si nous pouvons montrer que nous avons subi l’iniquité, alors nous serons justifiés. Mais puisque nous sommes déjà vêtus, pourquoi nous dire encore : « Revêtez-vous ? » C’est qu’il parle maintenant de la conduite et des actions. Notre premier vêtement nous est venu du baptême : celui-ci, nous le devrons à nos œuvres, non plus selon les désirs de l’erreur, mais selon Dieu. – Mais la sainteté en quoi consiste-t-elle ? Dans la pureté, dans l’acquittement de notre dette. Nous employons une expression tirée de là pour désigner les derniers devoirs rendus aux morts : c’est comme si nous disions : Je ne leur dois plus rien, ils n’ont plus rien à réclamer de moi. Nous nous servons encore de termes de ce genre pour dire : « J’ai payé mon tribut, je suis quitte[12] »

3. C’est donc à nous qu’il appartient de ne pas quitter ce vêtement de justice que le prophète appelle encore vêtement de salut, afin de nous rendre semblables à Dieu, qui, lui aussi, est vêtu de justice. Tel doit être notre vêtement. Quant à cette expression revêtir, elle revient à celle-ci : Ne jamais quitter. Écoutez plutôt le langage du prophète : « Il a revêtu la malédiction comme un vêtement, et elle viendra à lui » ; et encore : « Celui qui se revêt de lumière comme d’un manteau ». (Ps. 108,18 et 103, 2) Nous employons de même cette expression en parlant des hommes ; nous disons : « Un tel s’est revêtu d’un tel ». Ainsi donc ce n’est pas un jour, ni deux, ni trois, c’est toujours que nous devons rester dans la vertu, sans jamais nous dépouiller de ce vêtement. En effet, il y a moins d’indécence pour l’homme à avoir le corps nu, qu’à se montrer dépouillé de vertu. Dans le premier cas, son indécence n’a pour témoins que les compagnons de son esclavage ; dans le second les témoins sont le Maître et les anges. Ne seriez-vous pas choqué, dites-moi, si vous voyiez un homme paraître tout nu sur la place publique ? Que dirons-nous donc de vous, qui courez sans le vêtement dont je parle ? Ne voyez-vous pas en quel état circulent ces mendiants que nous appelons « Lotages », et quelle pitié ils nous inspirent ? Néanmoins ils sont sans excuse : nous ne pardonnons point à des gens qui ont perdu leurs habits en jouant aux dés. Comment donc Dieu pourrait-il nous pardonner, si nous perdons le vêtement de la vertu ? Dès que le diable voit un homme dépouillé de vertu, aussitôt il lui noircit le visage, le souille, le meurtrit, et le soumet à toutes sortes de violences. Dépouillons-nous des richesses pour n’être point dépouillés de la justice : les richesses ne font que gâter ce vêtement : elles sont comme un manteau d’épines ; plus nous porterons sur nous de ces épines, plus notre nudité augmentera. L’incontinence nous dépouille aussi de notre vêtement : car c’est un feu, un feu qui le consume. L’argent est une teigne : comme la teigne, il ronge tout et n’épargne pas même les étoffes précieuses. Jetons donc bas toutes ces choses, afin que nous devenions justes, afin que nous revêtions l’homme nouveau. Ne conservons rien d’ancien, rien d’apparent, rien de corruptible. La vertu n’est pas si difficile à acquérir ni à pratiquer.

Considérez ceux qui vivent sur les montagnes : ils quittent maison, femmes, enfants, affaires : isolés du monde, revêtus d’un cilice, couverts de cendres, le cou emprisonné, ils s’enferment dans un humble réduit, et, non contents de cela, ils s’épuisent de jeûnes prolongés. Si je vous prescrivais d’en faire autant, ne vous enfuiriez-vous pas tous au loin ? Ne déclareriez-vous pas mes exigences intolérables ? Je ne réclame rien de pareil : je me borne à souhaiter, sans imposer rien. Prenez des bains, soignez votre corps, allez sur la place publique, gardez votre maison, vos serviteurs, buvez et mangez ; mais bannissez impitoyablement la cupidité. Voilà l’origine du péché : tout excès devient péché : ainsi la cupidité n’est pas autre chose. Voyez plutôt quand la colère outrepasse ses justes bornes, alors elle déborde en injures, elle s’emporte à toutes les iniquités de même pour l’amour sensuel, pour l’amour des richesses, de la gloire, que sais-je encore ? Et ne venez pas me dire que les hommes dont je parle ont pu ce qui vous est impossible : beaucoup étaient plus malades que vous, plus riches, plus voluptueux, qui ont embrassé cette sévère et rigoureuse règle de vie. Que dis-je, des hommes ? des vierges parvenues à peine à la vingtième année, qui n’étaient jamais sorties de l’ombre de la maison où elles vivaient, au milieu des parfums et des suaves odeurs, couchées sur des lits moelleux, des filles délicates, gâtées encore par mille recherches, sans autre occupation que la toilette, le luxe, et les raffinement, du bien-être, incapables de se servir elles-mêmes, et entourées pour cet usage d’une foule de suivantes, des filles revêtues d’habits trop moelleux même pour leur mollesse, de souples et fines étoffes de lin, des filles qui ne cessaient de respirer l’odeur des roses et mille autres aussi délicieuses : les voilà qui tout à coup, embrasées de l’amour du Christ, se dépouillent de tout ce faste, de toute cette indolence, oublient le luxe et les plaisirs de leur âge, et pareilles à des athlètes généreux, renoncent à toutes ces douceurs pour se jeter au milieu des combats. Peut-être accuserez-vous mes paroles d’invraisemblance : mais je ne dis que la vérité. Je sais, oui, je sais que des filles délicates en sont venues à ce point d’austérité, de revêtir leur nudité des plus durs cilices, de laisser sans chaussures leurs pieds délicats, de dormir sur un lit de feuillage : que dis-je ? elles passent à veiller la plus grande partie des nuits. Loin de penser aux parfums ou à mille autres de leurs frivolités passées, elles vont jusqu’à négliger cette tête, jadis objet de tant de soins, et se bornent à rattacher leurs cheveux au hasard, afin d’éviter l’indécence. Elles ne font qu’un repas le soir ; et à ce repas elles ne mangent ni légumes ni pain, mais seulement de la farine, des fèves, des pois chiches, des olives et des figues ; elles ne cessent de filer, et s’imposent des tâches bien plus rudes que ne sont celles des servantes. Elles se sont prescrit de soigner les femmes malades ; elles portent leurs lits ; elles leur lavent les pieds ; beaucoup vont jusqu’à faire la cuisine : tant est puissante la flamme du Christ ; tant le zèle peut prévaloir sur la nature. D’ailleurs je n’exige de vous rien de pareil, puisque vous voulez vous laisser dépasser par des femmes.

4. Faites du moins ce qui n’a rien de pénible : maîtrisez vos mains et le dérèglement de vos regards. Que voyez-vous là de difficile ou de malaisé ? Pratiquez la justice, ne faites tort à personne, que vous soyez riche ou pauvre, marchand ou mercenaire : car l’injustice peut pénétrer jusque chez les pauvres. Ne voyez-vous pas combien de batailles ils livrent, combien de bouleversements ils provoquent ? Mariez-vous, ayez des enfants : Paul écrivait aussi pour les gens mariés, et leur adressait aussi ses instructions. La lutte dont je vous ai parlé est une lutte sublime ; le rocher est trop haut, la cime trop voisine du ciel ; vous ne pouvez monter jusque-là : visez donc plus bas. Vous ne pouvez renoncer aux richesses au moins, ne dépouillez pas autrui, ne commettez pas l’injustice. Vous ne pouvez pas jeûner : au moins, ne vous plongez pas dans la mollesse. Vous ne pouvez pas dormir sur un lit de feuillage ? Que l’argent, du moins, n’enrichisse pas votre couche ; ayez un lit, des couvertures qui ne soient point faites pour la montre, mais pour le repos : point de lits d’ivoire, point d’ostentation. Pourquoi charger votre radeau de tant de marchandises ? Si vous savez vous modérer, vous ne, craindrez rien, ni l’envie, ni les voleurs, ni les rapines. Vous êtes moins riches d’argent que de soucis ; moins bien pourvus de trésors que d’angoisses et de dangers : « Ceux qui veulent être riches, introduisent chez eux les tentations et les convoitises funestes ». (1Ti. 6,9) Voilà à quoi s’exposent ceux qui veulent posséder beaucoup de biens. Je ne vous dis pas : Donnez vos soins aux malades : du moins chargez de cela votre serviteur.

Voyez-vous que mes recommandations n’ont rien de bien rigoureux ? Songez plutôt à ces filles délicates qui nous devancent de si loin. Ah ! rougissons de voir que dans les choses du monde, comme la guerre et la lutte, nous sommes si loin de céder l’avantage à leur sexe ; et qu’au contraire elle nous surpassent dans les combats spirituels, nous préviennent quand il s’agit de ravir la palme, et s’élèvent, dans leur vol sublime, aussi haut que l’aigle, tandis que nous, pareils à des corbeaux, nous ne pouvons nous élever au-dessus de la fumée d’ici-bas : oui, à des corbeaux, ou à des chiens gloutons, nous qui ne rêvons que de table et de cuisine. Rappelez-vous les femmes de l’ancien temps : car il y en eut de grandes, d’admirables, comme Sara, Rébecca, Rachel, Débora, Anne ; le temps du Christ aussi en a vu de pareilles ; néanmoins elles ne surpassaient pas les hommes et n’occupaient que le second rang. Aujourd’hui c’est tout le contraire : des femmes nous surpassent, nous éclipsent. Quelle dérision ! quelle ignominie ! Nous occupons la place de la tête, et nous nous laissons surpasser par le corps ? Si nous avons été investis de l’autorité sur les femmes, ce n’est pas seulement pour les gouverner, c’est encore pour les gouverner selon la vertu. Car c’est par la supériorité de vertu que celui qui domine doit principalement dominer : s’il reste inférieur par ce côté, il cesse d’être le maître.

Voyez-vous quels miraculeux effets a produits la venue du Christ ? comment elle a levé la malédiction ? Les vierges sont plus nombreuses parmi les femmes, la chasteté est moins rare chez elles ainsi que la fidélité au veuvage ; les femmes sont moins promptes à proférer des paroles grossières. Pourquoi donc en proférez-vous, dites-moi ? Car ne venez pas me parler des femmes perdues. Ce sexe aime la parure, c’est son défaut. Mais en ce point encore les hommes les dépassent, eux qui se parent de leurs femmes comme d’objets de luxe. Je ne pense pas qu’une femme soit aussi fière des ajustements qu’elle porte que son mari l’est lui-même ; la femme n’est pas si fière de sa ceinture dorée, que son mari n’est fier de la voir portée par sa femme. Les vrais coupables, c’est donc nous-mêmes, qui soufflons sur cette étincelle, qui attisons cette flamme. D’ailleurs, la faute ne saurait être imputée aussi sévèrement à la femme qu’à l’homme. Vous avez été chargé de la conduire ; en tout, vous réclamez le premier rang ; montrez donc par votre exemple que vous ne tenez nullement à ce faste. La parure sied mieux à la femme qu’à l’homme. Si donc vous ne l’évitez pas, comment l’évitera-t-elle ? Les femmes ont de la vanité, mais ce défaut leur est commun avec les hommes ; elles sont sujettes à la colère, et nous pareillement. Mais leurs qualités leur appartiennent, au contraire, en propre : je veux dire la chasteté, la ferveur, la religion, l’amour du Christ. Pourquoi donc, dira-t-on, ont-elles été exclues de la chaire de prédication ? C’est encore une preuve de la grande distance qui existe entre elles et nous, et de la grandeur des femmes de ce temps. Quand Paul, Pierre, et maint autre saint prêchait, fallait-il, dites-moi, qu’une femme envahît cette fonction ? Mais aujourd’hui nous sommes arrivés à un point de corruption tel, qu’il y a lieu de s’enquérir pourquoi les femmes n’enseignent pas, quand nous sommes devenus aussi faibles qu’elles. Si je parle ainsi, ce n’est point pour leur inspirer de l’orgueil, mais pour nous instruire, nous avertir nous-mêmes, et nous engager à ressaisir l’autorité qui nous appartient, non à titre de domination, mais à titre de gouvernement, de direction et de supériorité morale. Le corps ne sera dans l’état où il doit être, que lorsque l’autorité appartiendra au meilleur. Puissions-nous tous, hommes et femmes, vivre selon la volonté de Dieu, afin d’obtenir tous, au jour redoutable du jugement, la miséricorde du Seigneur, et d’entrer en possession des biens qui nous sont promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

HOMÉLIE XIV. modifier


C’EST POURQUOI, QUITTANT LE MENSONGE, QUE CHACUN DISE LA VÉRITÉ AVEC SON PROCHAIN, PARCE QUE NOUS SOMMES MEMBRES LES UNS DES AUTRES. IRRITEZ-VOUS ET NE PÉCHEZ POINT ; QUE LE SOLEIL NE SE COUCHE POINT SUR VOTRE COLÈRE. NE DONNEZ POINT LIEU AU DIABLE. (IV, 25-27, JUSQU’A 30)

Analyse. modifier

  • 1. Contre le mensonge.
  • 2. Nécessité de l’union.
  • 3 et 4. Contre les mauvaises paroles.

1. Après avoir parlé du vieil homme en général, voici qu’il le décrit en détail. L’enseignement le plus facile à comprendre est celui qui procède ainsi. Que dit-il donc ? « C’est pourquoi, quittant le mensonge ». Quel mensonge ? les idoles ? Nullement : elles sont bien, elles-mêmes, un mensonge : mais il ne s’agit pas d’elles ici ; car les Éphésiens n’avaient rien de commun avec elles : il s’agit du mensonge dans leurs relations mutuelles, de l’astuce, de la fourberie. « Que chacun dise la vérité avec son prochain ». Puis vient ceci, qui est plus persuasif : « Parce que nous sommes membres les uns des autres : en conséquence, que personne ne trompe son prochain » : c’est ainsi qu’on lit çà et là chez le psalmiste : « Des lèvres perfides sont dans son cœur, et dans son cœur il a dit le mal ». (Psa. 11,43) Il n’est rien, non rien, d’aussi propre à engendrer la haine que la tromperie et l’astuce. Voyez comme partout l’Écriture se sert, pour nous faire rentrer en nous-mêmes, d’exemples empruntés au corps. Que l’œil ne trompe pas le pied ; ni le pied, l’œil. Supposez une fosse profonde, recouverte par en haut de chaume que recouvre lui-même une couche de terre : les yeux à qui ce piège offrira l’apparence d’un terrain solide ne recourront-ils pas au pied pour s’assurer s’il n’y a par-dessous que du vide, ou bien un sol ferme et résistant ; le pied, alors, mentira-t-il, déclarera-t-il autre chose que la vérité ? Ou bien encore, si l’œil vient à apercevoir un serpent ou une bêle féroce, trompera-t-il le pied ? ne se hâtera-t-il pas de l’avertir, de telle sorte que le pied, instruit du péril, suspende sa marche ? Ou encore, quand le discernement n’est plus l’affaire de l’œil ni du pied, mais uniquement de l’odorat, quand il s’agit, par exemple, de reconnaître si un breuvage est, ou non, un poison, l’odorat en impose-t-il à la bouche ? Nullement. Pourquoi ? parce qu’il se perdrait lui-même : voilà pourquoi il communique son impression. Et la langue ? Est-ce qu’elle trompe l’estomac ? ne rejette-t-elle point ce qui est amer ? ne laisse-t-elle point passer ce qui est doux ? Considérez cet échange de services et de bons offices ; considérez cette sollicitude, cet empressement de sincérité. C’est ainsi que nous devons éviter le mensonge, si nous sommes membres les uns des autres. C’est un gage d’amitié, c’est tout le contraire de la haine. Et si l’on veut me tromper ? direz-vous. Écoutez la vérité : si l’on voulait vous tromper, on ne serait plus un de vos membres. II est dit : Ne mentez pas à vos membres.

« Irritez-vous, et ne péchez point ». Considérez sa sagesse. Il nous enseigne à éviter le péché, et, d’autre part, il n’abandonne point les indociles : il ne renonce point à ses entrailles spirituelles. C’est ainsi qu’un médecin indique au malade tout ce qu’il doit faire, et ne le néglige point, lors même qu’il résiste, recommence, au contraire, à mettre en œuvre auprès de lui la persuasion afin de le guérir… Celui qui s’éloignerait dans ce cas, montrerait qu’il ne recherche que la gloire, et qu’un pareil mépris l’humilie : mais l’autre s’inquiétant seulement de la santé du malade, ne vise qu’à une chose, à son rétablissement. Ainsi fait Paul. Il dit : Ne mentez point : que si à la suite d’un mensonge, il s’est produit de la colère, il s’empresse d’apporter remède à ce nouveau mal. Que dit-il, en effet ? Irritez-vous, et ne péchez point. C’est une bonne chose que de ne point s’irriter : si cependant on se laisse emporter à cette passion, que ce ne soit pas, du moins, jusqu’à cet excès : « Que le soleil », dit-il, « ne se couche point sur votre colère ». Vous voulez vous rassasier de colère : une heure, deux, trois, vous suffisent : que le soleil en disparaissant ne vous laisse point en état d’inimitié. Il s’est levé par un effet de bonté : qu’il ne s’éloigne pas après avoir lui sur des indignes. Si c’est le Seigneur qui l’a envoyé dans sa bonté infinie, s’il vous a pardonné vos fautes et que vous ne les remettiez pas à votre prochain, voyez quel crime sera le vôtre. Autre chose : Saint Paul a eu peur de la nuit : il a craint que, trouvant dans la solitude l’offensé, encore dévoré de colère, elle n’attise l’incendie. Tant que le jour est là pour vous distraire par mille objets, vous pouvez vous rassasier de courroux : mais quand le soir va venir, réconciliez-vous, éteignez le naissant incendie. Car si vous vous laissez surprendre par la nuit, le jour suivant ne suffira pas lui-même à éteindre les colères amoncelées pendant la nuit : quand bien même vous vous seriez déchargé d’une partie de votre fardeau, si vous en conservez quelque chose, ce qui reste suffit pour rendre la flamme plus ardente à la faveur de la nuit. Quand le soleil n’a pas réussi à éclaircir, à dissiper par son ardeur, pendant le jour, les nuages et les brouillards amassés durant la nuit, ce qu’il en reste, bientôt augmenté d’autres, devient l’origine d’une tempête nocturne. « Ne donnez point lieu au diable ». Ainsi se faire mutuellement la guerre, c’est donner lieu au diable. Car alors, au lieu de nous unir et de nous serrer pour lui tenir tête, nous renonçons à lui faire la guerre pour nous exciter les uns contre les autres. Car le diable n’est nulle part à sa place comme au milieu des discordes.

2. De là naissent d’innombrables maux. Tant que les pierres demeurent unies et ne laissent point de vide entre elles, le mur est inébranlable : mais il suffit d’un trou de l’épaisseur d’une aiguille, d’une fente où puisse passer un cheveu, pour tout détruire et tout ruiner. Il en est de même pour le diable. Tant que nous restons bien unis, bien serrés, aucune de ses armes ne trouve passage : mais pour peu qu’une mince ouverture se montre, il se précipite par là comme un torrent. En toute chose, il n’a besoin que d’un commencement ; et la difficulté pour lui est de le trouver ; mais ce point une fois obtenu, il s’est bientôt mis au large. Dès lors les oreilles sont ouvertes à la calomnie ; les menteurs trouvent crédit car c’est la haine qui juge, et elle se soucie peu de la vérité. Et si, entre amis, les accusations fondées sont elles-mêmes réputées fausses, là où règne l’inimitié, le mensonge même est censé vérité : c’est un esprit tout autre, un tout autre jugement ; à l’impartialité succède la prévention. De même qu’il suffit d’un morceau de plomb jeté dans une balance pour l’entraîner, de même ici il suffit de la haine, poids bien plus lourd que le plomb. Je vous en conjure donc : faisons tous nos efforts pour étouffer nos ressentiments avant le coucher du soleil. Si vous n’avez pas su les vaincre le premier jour ou le jour suivant, souvent ils durent une année entière l’inimitié croît alors d’elle-même et sans nul secours étranger. Elle nous fait interpréter faussement les paroles, les gestes, les plus simples démarches ; par là, elle nous aigrit, nous rend farouches et pires que des insensés ; un nom même lui coûte à dire ou à entendre, elle ne sait plus que vociférer des injures. Comment donc faire pour dompter notre colère, pour éteindre notre rancune ? Il faut songer à nos propres péchés, au compte que nous devons à Dieu ; songer que la vengeance dirigée contre notre ennemi retombe sur nous-mêmes ; songez que nous faisons plaisir au diable, à notre véritable ennemi, en persécutant pour lui un de nos membres. Vous voulez être rancunier et vindicatif : soyez-le donc, mais contre le diable, et non contre un de vos membres. Si Dieu nous a armés de colère, ce n’est pas pour que nous nous frappions nous-mêmes de cette épée, c’est pour que nous la plongions dans la poitrine du diable. Là vous pouvez, si vous le voulez, l’enfoncer jusqu’à la garde, et plus haut que la garde, et ne jamais la retirer, que dis-je ? redoubler avec un autre glaive. C’est ce qui arrivera, si nous nous faisons grâce à nous-mêmes, si nous vivons en paix les uns avec les autres. Fi des richesses, fi de la gloire et de la renommée ! mes membres sont à mes yeux plus précieux que tout le reste. – Disons-nous cela à nous-mêmes : N’allons pas nous attaquer à notre propre substance, pour acquérir des richesses, pour obtenir de la gloire.

« Que celui qui dérobait ne dérobe plus (23) ». Voyez-vous les membres du vieil homme ? Mensonge, rancune, rapine. Pourquoi ne dit-il pas : « Que le voleur soit puni, mis à la question, à la torture », mais : « Qu’il ne dérobe plus, mais plutôt qu’il s’occupe en travaillant de ses mains à ce qui est bon, pour avoir de quoi donner à qui souffre du besoin ? » Où sont ceux qui s’appellent Cathares[13], ces hommes souillés qui osent se parer d’un tel nom ? On peut, oui, l’on peut se décharger de ses iniquités, à condition qu’on ne se borne pas à ne plus pécher, mais qu’on s’applique encore à quelque bonne œuvre. Voyez-vous comment il faut se purifier de ses fautes ? Ces hommes ont volé : c’est pécher ; ils n’ont pas volé : ce n’est pas là se décharger de ses péchés. Que faut-il pour cela ? Travailler, et donner aux autres : c’est par là qu’ils peuvent s’acquitter. Il ne nous est pas prescrit seulement de travailler, mais de travailler de manière à nous fatiguer, et à faire du bien aux autres : le voleur aussi fait un métier, mais un mauvais métier.

« Qu’aucun discours mauvais ne sorte de votre bouche (29) ». Qu’est-ce qu’un discours mauvais ? Ce qui est nommé ailleurs : Discours inutile, à savoir dénigrement, propos obscènes, bouffonneries, sottises. Voyez comment Paul extirpe les racines de la colère : le mensonge, le vol, les conversations déplacées ! Quant à cette expression : « Qu’il ne dérobe plus », elle est mise là moins par indulgence pour les coupables, que pour adoucir les victimes, et les engager à se contenter de n’avoir pas à craindre une récidive. Il a raison de parler aussi des paroles. Car nous ne répondons pas seulement de nos actions, mais encore de nos propos. « Mais seulement ceux qui peuvent être bons pour édifier la foi, et donner la grâce à ceux qui les écoutent ». En d’autres termes : dites seulement ce qui peut édifier le prochain, et rien de superflu.

3. En effet, si Dieu vous a donné une bouche et une langue, c’est pour lui rendre grâces, c’est pour édifier le prochain : si donc vous ne pouvez que ruiner l’édifice, il vaut mieux vous taire et ne jamais parler. Si les mains d’un maçon n’étaient propres qu’à détruire et non à bâtir, elles mériteraient d’être coupées. Le Psalmiste le dit : « Le Seigneur exterminera toutes les lèvres perfides ». (Psa. 11,4) Voilà l’origine de tous les maux, la bouche : ou plutôt ce n’est pas la bouche, mais l’abus qu’on en fait quelquefois. De là les injures, les invectives, les blasphèmes, les excitations à la volupté, les meurtres, les adultères, les vols, enfin tous les crimes. Les meurtres ? direz-vous ; et comment cela ? L’injure produit la colère ; la colère, les coups ; les coups, l’homicide. Et les adultères ? Une telle vous aime, elle a dit du bien de vous ; votre sévérité se relâche ; et, à votre tour, la convoitise s’allume chez vous. De là ces mots de Paul : « Mais seulement ceux qui peuvent être bons ». Il y a tant d’espèces de paroles, qu’il est bien forcé de désigner vaguement celles qu’il nous recommande de proférer, et le genre d’entretien qu’il nous prescrit. Comment le désigne-t-il ? En disant : « Pour édifier ». Ou bien il parle ainsi, afin que celui qui vous écoute vous sache gré. Par exemple, votre frère a commis un adultère : ne divulguez pas sa faute. Ne lui parlez pas non plus avec hauteur : loin de lui être utile, ce serait lui nuire, en provoquant son ressentiment. Mais vous lui rendrez un grand service, si vous lui indiquez la conduite à tenir ; si vous lui enseignez à veiller sur sa langue, à ne médire de personne, vous l’aurez instruit et obligé grandement : si vous l’entretenez de la componction, de la piété, de l’aumône, tout cela est bon pour adoucir son âme, et il vous en saura gré. Au contraire, si vous lui tenez des propos bouffons ou obscènes, vous ne faites qu’envenimer son mal ; si vous lui faites l’éloge du vice, vous le perdez, vous le tuez. Voilà ce qu’on peut dire : ou bien Paul a parlé ainsi pour nous rendre aimables : car les bonnes paroles sont comme un parfum : elles charment tous ceux qui y ont part. De là cette parole : « Votre nom est un parfum répandu ». (Can. 1,2) Paul veut que nous exhalions cette bonne odeur. Voyez-vous comment il revient ici encore sur un précepte qui lui est familier, en prescrivant à chacun d’édifier son prochain selon son pouvoir ? Si vous donnez ce conseil aux autres, avant tout, donnez-le à vous-même.

« Et ne contristez point l’Esprit-Saint ». Nouveau et plus grand sujet de crainte et d’effroi. Paul en parle aussi dans son épître aux Thessaloniciens, lorsqu’il dit (1Th. 4,8) « Celui qui dédaigne, ne dédaigne pas un « homme, mais Dieu ». C’est la même chose ici. Si vous proférez une parole outrageante, si vous frappez votre frère, ce n’est pas lui que vous frappez ; c’est l’Esprit que vous contristez. Suit la mention d’un bienfait qui rend le reproche plus sévère : « Et ne contristez point l’Esprit-Saint, dont vous avez reçu le sceau pour le jour de la rédemption ». Voilà celui qui a fait de nous un troupeau royal, celui qui nous a séparés de tout le passé, qui nous a tirés du milieu de ceux qui sont sous le coup de la colère divine : et vous le contristez ? Voyez quelle menace dans ces paroles : « Celui qui dédaigne, ne dédaigne pas un homme, mais Dieu » ; et quelle persuasion dans celles-ci : « Ne contristez pas l’Esprit-Saint, dont vous avez reçu le sceau ». Ce sceau doit rester sur votre bouche ; ne brisez pas le cachet. Une bouche spirituelle ne profère point de semblables paroles. Ne dites pas : Ce n’est rien que d’avoir dit une obscénité, que d’avoir injurié quelqu’un, C’est justement parce que ce n’est rien à vos yeux, que c’est un grand mal. On est prompt à négliger ce qu’on regarde comme rien : or, ce qu’on néglige s’accroît, et en s’accroissant devient incurable. – Vous avez une bouche spirituelle ? Songez à la première parole que vous avez prononcée, et voyez quelle est la dignité de votre bouche. Vous nommez Dieu votre Père, et voici que vous injuriez votre frère ? Demandez-vous à quel titre vous donnez à Dieu ce nom de : Père. Qui vous en donne le droit ? La nature ? Vous ne sauriez le prétendre. La vertu ? Pas davantage. Quoi donc ? Une bonté, une charité, une miséricorde infinie. Au moment donc où vous appelez Dieu votre Père, ne vous dites pas seulement qu’un langage injurieux ne sied pas à la noblesse d’une telle origine, mais encore que cette noblesse, vous la devez à la bonté. Ne la déshonorez donc point, en usant de dureté avec vos frères, vous que la bonté a favorisés. Vous appelez Dieu votre Père, et vous lancez l’outrage ? Cela n’est point d’un fils de Dieu… Le propre d’un fils de Dieu, c’est de pardonner à ses ennemis, de prier pour qui le crucifie, de verser son sang pour qui le hait. Ce qui sied à un fils de Dieu, c’est de prendre pour frères et pour héritiers ceux qui le haïssent, ceux qui le payent d’ingratitude, ceux qui le volent, l’outragent ou conspirent contre lui, et non d’injurier comme des esclaves ceux qui sont devenus ses frères.

4. Rappelez-vous les paroles que votre bouche a proférées ; de quels aliments se nourrit-elle, quel est le festin qui l’attire, le mets qui calme sa faim ? Vous croyez ne faire aucun mal en accusant votre frère ? Comment donc le nommez-vous votre frère ? Et s’il ne l’est pas, comment dites-vous : « Notre Père » ; car ce mot « Notre » atteste qu’il s’agit de plusieurs personnes. Songez auprès de qui vous vous trouvez au temps des mystères : avec les chérubins, avec les séraphins. Les séraphins ne disent point d’injures : leur bouche ne remplit qu’une seule fonction : glorifier, louer Dieu. Comment donc pouvez-vous dire avec eux : « Saint, saint, saint », après avoir abusé de votre bouche pour l’injure ? Dites-moi, supposez un vase royal, toujours plein d’aliments royaux, et mis en réserve pour cet usage ; qu’ensuite un des serviteurs s’en serve pour y déposer des immondices : osera-t-il ensuite replacer avec les autres vases mis en réserve celui qu’il aura profané de la sorte ? Nullement. Eh bien ! voilà la médisance, voilà l’insulte.

« Notre Père ». Eh bien ! est-ce tout ? Écoutez la suite : « Qui êtes aux cieux ». A peine avez-vous dit : « Notre Père qui êtes aux cieux » : cette parole vous a relevés, vous a donné des ailes, vous a fait voir que vous avez un Père dans les cieux. Que vos actions, vos discours, ne soient plus de la terre. Vous voilà établis là-haut, agrégés au chœur céleste, pourquoi redescendre volontairement ? Vous êtes debout auprès du trône royal, et vous injuriez, et vous ne craignez pas que le roi ne s’en trouve offensé. Si pourtant un de nos serviteurs, en notre présence, s’avise de frapper ou d’injurier, même justement, son compagnon, nous le réprimandons aussi, nous trouvant nous-mêmes offensés : et vous qui êtes debout avec les chérubins auprès du trône royal, vous insultez votre frère ? Vous voyez ces vases sacrés ? n’ont-ils pas toujours le même usage ? Qui oserait les faire servir à autre chose ? Vous, vous êtes plus sacrés, bien plus sacrés que ces vases : pourquoi donc vous souiller, vous avilir ? Vous êtes dans les cieux, et vous injuriez ? Vous vivez avec les anges, et vous injuriez ? Vous avez été jugés dignes du baiser du Seigneur, et vous injuriez ? Dieu a donné à votre bouche une magnifique parure : des hymnes angéliques, une nourriture plus qu’angélique, le baiser de ses propres lèvres, ses propres embrassements, et vous injuriez ? Ne faites pas cela, je vous en conjure. C’est la source de grands maux, c’est un objet d’aversion pour une âme chrétienne.

Nos paroles ne vous persuadent pas, ne vous font pas rentrer en vous-mêmes ? Il faut donc vous effrayer : écoutez ce que dit le Christ : « Celui qui aura dit à son frère, fou, sera soumis à la géhenne du feu ». Si une simple étourderie a pour conséquence la géhenne, quel tourment n’encourra pas l’insolence ? Habituons notre bouche à la retenue : la retenue nous attire de grands bénéfices, l’emportement de grands dommages : et il n’est pas ici besoin de dépense. Fermons la porte, tirons le verrou ; soyons pénétrés de componction, si jamais une parole violente s’est échappée de nos lèvres ; prions Dieu, prions l’offensé ; ne croyons pas en cela nous abaisser : c’est nous que nous avons frappés, et non pas autrui. Comme remède, usons de la prière et de la réconciliation avec l’offensé. Si nous veillons ainsi sur nos paroles, à plus forte raison devrons-nous régler pareillement nos actions. Entendons-nous nos amis ou quelque autre personne médire du prochain, ou l’insulter, demandons-leur compte et raison de leurs paroles. En résumé convainquons-nous que c’est pécher : car il nous sera alors aisé de nous corriger. Puisse le Dieu veiller sur votre esprit, sur votre langue, et les protéger par l’inexpugnable rempart de sa crainte, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit.

HOMÉLIE XV. modifier


QUE TOUTE AMERTUME, TOUTE COLÈRE, TOUT EMPORTEMENT, TOUTE CLAMEUR ET TOUTE DIFFAMATION SOIENT BANNIS DU MILIEU DE VOUS AVEC TOUTE MALICE. (IV, 31)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. Contre l’amertume. – Faiblesse des méchants. – Qu’il faut éviter les clameurs comme attisant la colère et pouvant l’allumer.
  • 3 et 4. Réprimandes sévères aux femmes qui maltraitaient leurs servantes : détails intéressants sur ce sujet. – Exhortation à la douceur.

1. Jamais les abeilles ne se résigneraient à entrer dans une ruche malpropre : aussi les éleveurs habiles ont-ils recours à des fumigations, à des odeurs, à des parfums, à des vins embaumés, pour purifier, pour nettoyer l’abri où doivent venir se fixer les essaims à leur sortie : autrement la mauvaise odeur les en chasserait : il en est de même pour l’Esprit-Saint. Notre âme est un vase, une ruche, susceptible de recevoir les essaims des grâces spirituelles : mais si elle renferme du fiel, de l’amertume, du ressentiment, les essaims s’envolent. Voilà pourquoi notre saint et sage cultivateur a bien soin de nettoyer notre ruche, sans avoir besoin de serpe, ni de tout autre instrument de fer : il nous invite à recevoir l’essaim spirituel, et pour le rassembler en nous, il nous purifie par la prière, le travail, et autres moyens. Voyez comment il nettoie notre cœur : il en a banni le mensonge, il en a banni la colère. Après cela, il nous indique un moyen de déraciner plus efficacement le mal : c’est d’avoir l’âme sans amertume. Quand notre bile est peu abondante, la rupture même de son réservoir n’occasionne que peu de désordres. Mais devient-elle plus abondante et plus âcre, alors le réceptacle qui la contenait devient insuffisant ; comme si un feu rongeur le consumait, il ne peut plus conserver son dépôt, le maintenir dans les bornes prescrites ; cédant enfin à l’insupportable âcreté qui le mine, il s’ouvre et laisse échapper son contenu dans tout le corps qui en est bientôt infecté. De même une bête farouche et cruelle peut parcourir une ville sans danger pour les habitants, quels que puissent être et sa rage et ses cris, tant qu’elle reste emprisonnée dans sa cage : mais si, dans un accès de fureur, elle réussit à briser les barreaux qui la retiennent et à s’échapper, elle remplit toute la cité de tumulte et de confusion, et fait fuir tout le monde. Il en est ainsi du fiel : tant qu’il reste dans les limites qui lui sont assignées, il ne nous fait pas grand mal ; mais vient-il à rompre la membrane qui l’enferme, et à se délivrer du seul obstacle qui l’empêchait de se répandre dans tout notre être, alors, quelque faible qu’en soit la quantité, la force propre à ce venin communique à tous nos organes sa malignité. Bientôt, rencontrant le sang, son voisin et presque son semblable, il en aigrit l’ardeur, et transforme ainsi, grâce à l’analogie qui lui permet de s’y confondre, en nouveaux fiels tous les liquides environnants : ensuite, muni de ce renfort, il marche à l’attaque des autres parties du corps ; et après avoir ainsi tout corrompu à son image, il ôte au malade la parole et le souffle avec la vie. Mais où veux-je en venir avec cette longue description ?

Je veux que cette peinture des effets de l’amertume matérielle nous fasse comprendre ce qu’a de pernicieux l’amertume morale, comment sa première influence consiste à infecter complètement l’âme où elle prend naissance, à la bouleverser de fond en comble ; et que nous apprenions par là à craindre d’en faire l’expérience. Si l’une irrite le corps entier, l’autre enflamme toutes nos pensées, et finit par précipiter dans l’enfer celui qui en est atteint. Si donc nous voulons éviter ce fléau, bien instruits désormais, si nous voulons brider cette bête féroce, ou plutôt l’exterminer, croyons-en Paul qui nous dit : « Toute amertume », non pas : soit nettoyée, mais « soit bannie du milieu de vous ». Qu’ai-je besoin de peines et de précautions ? Pourquoi garder cette bête quand je peux la chasser de mon âme, l’exiler, la déporter au-delà de mes frontières ? Croyons-en donc Paul qui nous dit : « Que toute amertume soit bannie d’au milieu de vous ». Mais, hélas ! quelle perversité est la nôtre ! quand nous ne devrions rien négliger pour cela, il y a des gens assez fous pour triompher de cet état, pour s’y complaire, s’en faire honneur ; et les autres lui portent envie… Un tel a du fiel, dit-on ; c’est un scorpion, un serpent, une vipère ; on le juge redoutable… Pourquoi craindre ce fiel, mon ami ? Il peut me nuire, dit-on, me faire du mal ; je ne sais point de quoi est capable la méchanceté de cet homme : je crains que trouvant en moi un homme simple, mal prémuni contre ses artifices, il ne me fasse tomber dans ses pièges, et ne me prenne dans les filets qu’il a tendus pour m’envelopper. Il y a de quoi rire. Comment donc ? Oui, c’est ainsi que parlent les enfants, prompts à s’alarmer de ce qui n’a rien de terrible. Il n’est rien qui mérite le dédain et la risée comme un homme qui a du fiel, comme un méchant. Car il n’y a rien d’impuissant comme l’amertume : elle ne fait que des sots et des insensés. 2. Ne voyez-vous pas que la méchanceté est chose aveugle ? n’avez-vous pas entendu parler de l’homme qui tombe dans la fosse creusée par lui pour le prochain ? Mais comment ne pas craindre une âme agitée de telles passions ? Si vous entendez que les hommes qui ont du fiel doivent inspirer la même crainte que les fous, les démoniaques, les insensés, qui tous agissent également au hasard, j’en tombe d’accord avec vous : mais si vous voyez en eux d’habiles gens, c’est ce que je ne puis admettre. En effet, rien n’est aussi indispensable pour la conduite des affaires, que l’intelligence : et l’intelligence ne connaît pas d’obstacle aussi grand que la méchanceté, le vice et la fourberie. Considérez le corps des bilieux : voyez comme il est laid, comme toute fraîcheur y est flétrie ; comme il est faible, grêle, inhabile à toutes choses. Il en est de même des âmes bilieuses. La jaunisse de l’âme, c’est proprement la méchanceté. Non, non, la méchanceté n’a pas de force. Voulez-vous que je vous rende la chose sensible par de nouveaux exemples, celui d’un fourbe et celui d’un homme simple et sans artifice ?

Absalon était un fourbe ; il gagnait tout le monde à son parti. Voyez jusqu’où était portée son astuce. Il allait disant : Est-ce que vous avez un juge ? afin de se concilier chacun… David, au contraire, était sans artifice. Eh bien ! voyez comment ils finirent tous deux ; considérez le prodigieux délire d’Absalon. Uniquement préoccupé de faire du mal à son père, dans tout le reste il était aveugle. Mais il n’en était pas ainsi de David. Car « Celui qui marche avec simplicité marche avec confiance ». (Pro. 10,9) Entendez : celui qui ne prend point de peine superflue, qui ne machine aucune entreprise criminelle. Croyons-en donc saint Paul, ayons pitié des hommes qui ont du fiel, pleurons sur leur sort, et faisons tous nos efforts pour extirper la méchanceté de leur âme. Quand nous avons de la bile (cette humeur est d’ailleurs utile en soi, et indispensable à la vie de l’homme ; j’entends la bile naturelle), quand nous avons, dis-je, un excès de bile, nous faisons tous nos efforts pour l’évacuer, malgré les services que nous rend cette humeur : dès lors n’est-il pas absurde de ne prendre aucune peine pour évacuer la bile qui est dans notre âme, bile qui n’est pas seulement inutile, mais pernicieuse ? « Que celui qui veut être sage parmi vous, devienne fou, afin de devenir sage ». (1Cor. 3,18) Écoutez maintenant les paroles de saint Luc : « Ils prenaient leur nourriture en allégresse et simplicité de cœur, louant Dieu, et ils trouvaient grâce aux yeux de tout le peuple ». (Act. 2, 43.47) Encore aujourd’hui, ne voyons-nous pas les hommes simples et droits universellement honorés ? Personne ne leur porte envie, quand ils prospèrent, personne n’insulte à leurs infortunes : tous s’associent à leurs joies, à leurs peines. Au contraire, qu’un méchant vienne à prospérer, on dirait qu’il vient d’arriver un malheur, tout le monde gémit qu’il éprouve un contre-temps, c’est fête pour tout le monde.

Plaignons donc ces hommes : ils trouvent tous et partout les mêmes ennemis autour d’eux. Jacob était sans malice : néanmoins il triompha de l’astucieux Esaü. « La sagesse n’entrera pas dans une âme artificieuse ». (Sag. 1, 4) – « Que toute amertume soit bannie du milieu de vous » : qu’il n’en subsiste aucun vestige. Car il suffirait de remuer ce reste, cette étincelle, pour mettre en feu toute votre âme. Sachons donc nous représenter ce qu’est au juste l’amertume : figurons-nous un homme hypocrite, astucieux, toujours prêt au mal, soupçonneux. En voilà assez pour causer des colères et des ressentiments sans fin. Car il est impossible qu’une pareille âme demeure en repos : l’amertume est un principe de courroux et de fureur. Un tel homme est emporté, toujours renfermé en lui-même, sombre, et ne connaît pas le repos. Comme je le disais, ces gens sont les premiers à récolter le fruit de leur malignité. « Toute clameur ». Qu’est-ce à dire ? Est-ce qu’il nous est défendu même de crier ? Oui, la douceur doit se l’interdire. La clameur porte la colère, comme un cheval son écuyer : arrêtez le cheval, et vous avez raison du cavalier… Je dis cela surtout pour les femmes, toujours prêtes à pousser des cris et des clameurs. Le cri n’est utile que pour proclamer, pour enseigner : partout ailleurs il est déplacé, même dans la prière. Voulez-vous une preuve d’expérience ? Ne criez jamais, et jamais vous ne vous emporterez : voilà un moyen pour vous corriger de la colère. S’il est impossible qu’on s’irrite, quand on ne crie pas, il est impossible aussi de ne pas s’irriter, quand on crie. Ne venez donc point me parler de tempéraments indomptables, rancuniers, tout fiel et tout bile : nous vous enseignons maintenant à en finir d’un coup avec cette passion.

3. Il n’est donc pas médiocrement important pour l’éducation de l’âme de s’abstenir de tout cri, de toute clameur. En vous interdisant les cris, vous coupez les ailes à la colère, vous réprimez l’enflure de votre cœur. Car autant il est impossible de lutter sans élever les mains, autant il est impossible d’être pris dans le filet, quand on ne crie pas. Liez les mains d’un athlète, et ordonnez-lui de disputer le prix du ceste : il ne pourra le faire. Il en est de même pour le courroux. Le cri a jusqu’au pouvoir de le faire naître ; et c’est par là surtout que les femmes tombent dans ces emportements. Viennent-elles à gronder leurs servantes, toute la maison retentit de leurs clameurs : souvent leur habitation est construite sur la rue, et alors tous les passants entendent et leurs vociférations et les lamentations de ta servante. Quoi de plus indécent ? Aussitôt toutes les curieuses s’empressent, et se demandent : que se passe-t-il donc là-bas ? On répond : C’est une telle qui frappe son esclave. N’est-ce pas le comble de l’effronterie ? Quoi donc ! est-il défendu de frapper ? Je ne dis pas cela il le faut, mais seulement de temps à autre et avec modération : et non pour des griefs personnels, comme je ne cesse de le répéter, ni pour quelque manquement, dans le service, mais seulement quand la servante nuit à sa propre âme : frappez-la pour ce motif, tout le monde vous approuvera, nul n’y trouvera à redire : mais s’il ne s’agit que de vous, alors tout le monde vous accusera de cruauté, de barbarie. Mais ce qui dépasse toutes les infamies, c’est qu’il y ait des femmes assez dures, assez féroces, pour fouetter avec une telle force que la journée ne suffise pas pour guérir les meurtrissures. Elles déshabillent ces jeunes filles, et souvent, en présence de leurs maris conviés à ce spectacle, les attachent sur un lit. Quoi donc ! la pensée de l’enfer ne te vient pas à l’esprit pendant ce temps-là ? Tu mets à nu cette jeune enfant, tu la livres dans cet état aux regards de ton mari, et tu ne crains pas qu’il te condamne ? Au contraire, tu te plais à l’exciter en menaçant d’enchaîner la pauvre malheureuse, en l’accablant de mille injures, en l’appelant sorcière, fugitive, prostituée, car la colère ne te permet pas de respecter ta propre bouche et tu ne songes qu’à te venger, même en te déshonorant.

Puis, comme un tyran, tu présides au supplice entouré de tous tes esclaves, et ton stupide mari, debout à tes côtés, remplit les fonctions de licteur. De telles scènes devraient-elles se passer chez des chrétiens ? Mais, dis-tu, c’est une mauvaise race, insolente, effrontée, incorrigible. Je le sais : néanmoins on peut la réformer et la corriger par des moyens plus efficaces et moins honteux. En disant de sales mots, toi, femme libre, tu flétris moins ta servante que toi-même. Ensuite, s’il faut aller au bain, les meurtrissures qui sont sur son dos, témoignent à tous les yeux de ta barbarie. Mais, répliques-tu, ces gens-là sont intolérables dès qu’on est indulgent. Je le sais aussi : emploie donc, pour les changer, non la crainte et les coups, mais la douceur et les bienfaits. Cette jeune fille est ta sœur, si elle est chrétienne. Songe que tu es la maîtresse et qu’elle te sert. Si elle est adonnée au vin, écarte d’elle les occasions d’ivresse, appelle ton mari, use d’exhortations. Ne vois-tu pas qu’il est honteux de battre une femme ? Les législateurs les plus sévères à l’égard des hommes, ceux qui ont institué la torture et le supplice du feu, sont rarement allés jusqu’au gibet pour ce qui regarde les femmes, et même ils ne souffrent pas qu’on les soufflette dans la colère. On a tant d’égards pour ce sexe, que la nécessité même ne les fait point condamner au gibet, surtout lorsqu’elles sont enceintes. C’est qu’il est honteux à un homme de frapper une femme à plus forte raison une personne du même sexe ne le pourrait-elle sans honte. Ce sont ces excès qui rendent les femmes odieuses à leurs maris.

Mais elle se conduit mal. Marie-la, ôte-lui les occasions de pécher, corrige l’exubérance de sa nature. Mais elle vole. Garde-la, surveille-la. O exagération ! je serai la gardienne de mon esclave ! O folie ! Pourquoi ne le serais-tu pas ? N’a-t-elle pas la même âme que toi ? N’a-t-elle pas reçu de Dieu les mêmes grâces ? N’est-elle pas admise à la même table ? N’a-t-elle pas la même noblesse d’origine ? Mais elle est médisante, querelleuse, bavarde, ivrogne. Que de femmes libres le sont aussi ! Dieu ordonne à leurs maris de les supporter avec leurs vices et leurs fautes ; pourvu que la femme ne soit pas adultère, a-t-il dit, résigne-toi. Fût-elle ivrogne, médisante, bavarde, jalouse, orgueilleuse, prodigue, c’est la compagne de ta vie. Tu es forcé de la diriger : c’est pour cela que tu es son chef. Corrige-la donc, fais ton devoir. – Quand bien même elle ne voudrait pas s’amender, quand bien même elle volerait, sois fidèle à ta mission : ne la punis point si sévèrement : si elle est bavarde, ferme-lui la bouche. Voilà la vraie, la parfaite sagesse. Et maintenant, des femmes en viennent à ce degré de cruauté et de folie, qu’elles découvrent la tête de leurs servantes et les traînent par les cheveux.

4. Pourquoi rougissez-vous toutes ? Ceci ne s’adresse pas à toutes, mais seulement à celles qui se portent à de pareilles horreurs… Que la femme ne soit jamais découverte, dit Paul : et vous dépouillez complètement cette fille de son voile ? Voyez-vous quel outrage vous vous faites à vous-même ? Si elle paraissait à vos yeux avec cette tête nue, vous ; vous tiendriez pour offensée. C’est vous maintenant qui la découvrez ainsi, et vous ne voyez là aucun mal ? Mais on dira : Et si elle ne se corrige pas ? Châtiez-la au moyen de la verge et des coups. Combien n’avez-vous pas vous-même de défauts dont vous ne vous corrigez pas ? Ce n’est pas dans l’intérêt des servantes que je parle ainsi, mais dans celui des femmes libres comme vous, afin qu’elles renoncent à ces pratiques indécentes et honteuses, et qu’elles cessent de se nuire à elles-mêmes. Si vous faites votre apprentissage chez vous sur la personne de votre servante, si vous êtes bonne et douce pour elle, à plus forte raison serez-vous telle à l’égard de votre mari. Car si vous vous abstenez de toute violence, quand vous pourriez vous y laisser aller, à plus forte raison vous en abstiendrez-vous, lorsque quelqu’un vous contiendra. Ainsi, rien n’est plus propre à vous concilier l’affection de vos maris qu’une conduite patiente vis-à-vis de vos esclaves. « Avec la mesure qui vous sert pour mesurer, il vous sera mesuré à vous-mêmes ». (Mat. 7,2) Mettez un frein à votre langue. Si vous vous êtes exercée à supporter patiemment la mauvaise humeur d’une servante, vous entendrez sans colère jusqu’aux injures de votre égale : or, si vous êtes sans colère, vous avez atteint la cime de la sagesse.

On voit aussi des femmes qui vont jusqu’à jurer : rien de plus honteux qu’un pareil emportement. Mais quoi, dira-t-on, si elle se farde ? Empêchez-la de le faire, je vous approuve : mais empêchez-la d’abord en vous abstenant vous-même, et moins par la crainte que par l’exemple : en tout, soyez son modèle. « Que toute diffamation soit bannie du milieu de vous ». Voyez-vous les progrès du mal ? L’amertume a engendré le ressentiment ; le ressentiment, la colère ; la colère, les clameurs ; les clameurs, la diffamation, autrement dit, les invectives ; maintenant la diffamation engendre les coups ; les coups, les blessures ; les blessures, la mort. Mais Paul n’a voulu faire mention d’aucune de ces choses : il s’est borné à dire : « Soit bannie du milieu de vous, avec toute malice ». Qu’est-ce à dire, « Avec toute malice ? » C’est que toute malice aboutit là. Il y a des gens qui, pareils à des chiens sournois, n’aboient pas, ne témoignent pas de colère contre ceux qui les approchent : ils les flattent au contraire, se montrent caressants, puis, quand ils les voient sans défiance, les mordent : ceux-là sont plus dangereux que ceux qui manifestent ouvertement leur inimitié. C’est parce qu’il est des hommes qui sont chiens en ce point, qui sans crier, sans montrer de colère, de dépit, sans proférer de menaces, trament sourdement la trahison, machinent mille noirs complots, et se vengent, que Paul a fait aussi allusion à eux. « Soit bannie du milieu de vous, avec toute malice ». Ne soyez pas clément en paroles, vindicatif en actions. Si j’ai maltraité la langue, si je lui ai interdit les clameurs, c’est pour qu’elle n’attise pas l’incendie. Que si vous n’avez pas besoin de crier pour agir de la sorte, si vous nourrissez dans votre âme la flamme et le brasier, que gagnerez-vous à vous taire ? Ne savez-vous pas que les incendies les plus dangereux sont ceux qui, alimentés à l’intérieur, échappent aux regards des personnes du dehors ? Les blessures les plus graves, celles qui se dérobent à la vue ; les fièvres les plus malignes, celles qui dévorent les parties intérieures ? De même la colère la plus funeste est celle qui ronge l’âme sourdement. Mais Paul nous dit : Qu’elle soit bannie avec toute malice grande ou petite.

Croyons en sa parole, chassons du milieu de nous toute amertume, toute malice, afin de ne pas contrister l’Esprit-Saint. Extirpons l’amertume, déracinons-la : rien de bon, rien de pur ne peut sortir d’une âme où elle règne : ce ne sont que malheur, larmes, gémissements, lamentations. Ne voyez-vous pas comme nous fuyons les bêtes qui poussent des cris, par exemple, le lion, l’ours, mais non pas la brebis : car sa douce voix ne saurait être comparée à un cri. Parmi les instruments de musique, les plus bruyants comme les tambours, les trompettes, sont les moins agréables : tout au contraire, ceux qui rendent un son faible, comme la flûte et la cithare, plaisent à notre oreille. Arrangeons donc notre âme de manière à ne point crier : ainsi nous pourrons triompher de la colère ; et la colère ôtée, nous serons les premiers à jouir du calme, et nous voguerons vers le port paisible : auquel puissions-nous tous arriver par Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVI. modifier

QUI TOUTE AMERTUME, TOUTE COLÈRE, TOUT EMPORTEMENT, TOUTE CLAMEUR, ET TOUTE DIFFAMATION SOIENT BANNIS DU MILIEU DE VOUS AVEC TOUTE MALICE. MAIS SOYEZ BONS LES UNS ENVERS LES AUTRES, MISÉRICORDIEUX, VOUS FAISANT GRACE MUTUELLEMENT, COMME DIEU LUI-MÊME VOUS A FAIT GRÂCE. (IV, 31, 32)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. Qu’il ne suffit pas d’éviter le mal pour être sauvé.
  • 3. Du pardon des injures.

1. Il ne suffit pas d’être exempt de vices, pour arriver au royaume des cieux, il faut encore s’appliquer avec ardeur à la pratique de la vertu. On échappe à la géhenne en s’abstenant du vice : mais on n’obtient pas le royaume si l’on n’a été vertueux. Ne savez-vous pas qu’il en est de même dans les jugements du monde, lorsqu’on examine les actions en présence de toute la ville assemblée ? C’était autrefois un usage de décerner une couronne d’or, non pas à celui qui n’avait fait aucun mal à ses concitoyens (car cela n’est qu’un titre à n’être point puni), mais à celui qui leur avait rendu de grands services. Telle était la route qui menait à cet honneur. Mais je ne sais comment j’ai presque omis ce qu’il importait surtout de vous dire. Je reviens sur le premier des points que j’ai distingués, en ajoutant une légère correction. Quand je vous disais qu’il suffit pour échapper à l’enfer d’avoir évité le péché, je me suis rappelé, tout en parlant, une menace terrible dirigée non pas contre ceux qui auront commis telle ou telle faute, mais contre ceux qui auront négligé les bonnes œuvres. Quelle est cette menace ? Au jour terrible marqué pour le jugement, le Juge assis à son tribunal, place les brebis à droite, les boucs à gauche, et dit aux brebis : « Venez, les bénis de mon Père, héritez du royaume qui vous est préparé depuis la fondation du monde : car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ». (Mat. 25,34-35) Cela se conçoit : car tant de charité devait avoir sa récompense ; mais comment expliquer que ceux qui n’ont pas fait part de leurs biens aux indigents, ne soient pas punis simplement par la privation de récompense, mais encore envoyés au feu, de l’enfer ? D’abord cela s’explique aussi facilement que le reste. Par là nous sommes instruits que si ceux qui auront fait le bien doivent jouir des biens célestes, ceux à qui l’on ne pourra reprocher aucun mal, et qui auront seulement négligé les bonnes œuvres, seront précipités dans le feu de la géhenne avec les coupables.

Ensuite, on pourrait dire aussi que l’absence de bonnes œuvres constitue un vice : car c’est le fait de la nonchalance, et la paresse est une espèce de vice : que dis-je ? c’en est le principe et la racine maudite : car la paresse enseigne tous les vices. Abstenons-nous donc des sottes questions comme celle-ci, par exemple : Celui qui n’aura fait ni bien ni mal, quel séjour occupera-t-il ? Ne pas avoir fait de bien, c’est avoir fait du mal. Dites-moi : si vous aviez un serviteur qui ne fût ni voleur, ni insolent, ni enclin à répondre, d’ailleurs exempt d’ivrognerie et de tout vice du même genre, mais qui restât tout le jour sans rien faire, et n’accomplit aucun des devoirs de son service, est-ce que vous ne le fouetteriez pas ? est-ce que vous ne le mettriez pas à la torture ? Je le ferais, me répondra-t-on. Et pourtant quel mal vous aurait-il fait ? Le mal, le voilà justement. Mais si vous le voulez, prenons un autre exemple. Supposez un cultivateur qui ne fasse point de mal à nos propriétés, qui s’abstienne de toute rapine, de toute entreprise injuste, qui seulement se lie les mains et reste tranquille à la maison, sans s’occuper ni de semer, ni de creuser des sillons, ni d’atteler des bœufs, ni ne soigner les vignes, ni de travailler d’aucune façon à la terre. Est-ce que nous ne le châtierons pas ? Cependant il n’a pas fait de mal, nous n’avons rien à lui reprocher : mais n’avoir rien fait, c’est là son tort : et l’opinion commune le déclare coupable, pour n’avoir pas accompli sa tâche.

Dites-moi, en effet : si chaque manœuvre, chaque artisan, se contentait de ne faire aucun tort, ni aux gens d’une autre profession, ni à ses confrères, et vivait d’ailleurs dans l’oisiveté, ne serait – ce pas notre perte, notre ruine à tous ? Voulez-vous maintenant que nous considérions le corps ? La main aura beau ne pas frapper la tête, ne pas couper la langue, ne pas crever l’œil, s’abstenir, en un mot, de tous sévices de ce genre : si elle demeure oisive, et qu’elle ne rende pas au corps les services qu’elle lui doit, ne faudra-t-il pas la couper plutôt que de promener avec soi un membre dont l’inaction sera funeste au corps tout entier ? Et la bouche ? c’est en vain qu’elle ne mangera pas la main, ne mordra pas la poitrine : si elle manque à sa tâche, ne vaut-il pas mieux qu’elle soit fermée ? En conséquence, s’il est vrai également des serviteurs, des artisans et du corps, qu’on peut se mettre en faute non seulement en faisant le mal, mais encore en négligeant de faire le bien, à plus forte raison est-ce vrai pour le corps du Christ.

2. Aussi le bienheureux Paul nous prêche-t-il la vertu tout en nous détournant du vice. Qu’importe, en effet, dites-moi, que toutes les épines soient extirpées, si l’on ne sème pas le bon grain ? Notre labeur aboutira au même résultat fâcheux, si nous nous arrêtons à moitié chemin. Voilà pourquoi Paul, dans sa vive sollicitude pour nous, ne se borne pas à nous recommander l’extirpation des vices, mais nous invite aussitôt à nous occuper de planter le bien. En effet, après avoir dit : « Que toute amertume, toute colère, tout emportement, toute clameur et toute diffamation soient bannis du milieu de vous, avec toute malice », il ajoute : « Mais soyez bons les uns envers les autres, miséricordieux, vous faisant grâce ». Voilà les dispositions, les sentiments requis. Et il ne suffit pas d’être sorti du premier état pour arriver au second : il faut un nouveau mouvement, un élan non moins grand que pour fuir le mal, si l’on veut entrer en possession de ces mérites. De même un corps noir peut perdre cette qualité, sans devenir blanc du premier coup. Mais plutôt laissons là les exemples physiques, et prenons-en de moraux. Celui qui n’est pas ennemi n’est pas ami pour cela : il est dans un état intermédiaire qui n’est ni la haine ni l’amitié c’est celui où sont la plupart des hommes relativement à nous. Parce qu’on ne pleure pas, ce n’est pas à dire que l’on rie : on est dans un état mixte. De même ici : n’être pas méchant, ce n’est pas forcément être bon : on peut n’être pas courroucé, sans être nécessairement miséricordieux : il faut un nouvel effort pour conquérir ce nouveau titre.

Et considérez comment, fidèle aux règles d’une bonne agriculture, saint Paul nettoie et travaille la terre que lui a confiée le Cultivateur. Il a arraché les mauvaises herbes ; il nous exhorte maintenant à veiller sur les bons plants. « Soyez bons », dit-il. Car si, après l’extirpation des ronces, on laisse la terre sans culture, une végétation inutile s’y élèvera de nouveau. Il faut donc prévenir cette inaction, cette oisiveté de la terre en y faisant des plantations et des semailles. Paul extirpe la colère, il plante la bonté ; il arrache l’amertume, il sème la miséricorde ; il retranche la méchanceté et la diffamation, il plante le pardon : car c’est ce que signifie : « Vous faisant grâce mutuellement ». Soyez prompts à pardonner, nous dit-il. C’est là un bienfait qui vaut mieux qu’un cadeau d’argent. Celui qui remet une dette à son débiteur, fait sans doute une action rare et admirable : mais c’est un bienfait qui intéresse le corps seul, quoiqu’il soit rémunéré par des avantages spirituels et selon l’âme. Mais celui qui pardonne des offenses, rend service à la fois à son âme, et à celle de l’homme à qui il pardonne : car ce n’est pas seulement lui-même, c’est encore le coupable qu’il améliore de cette façon. C’est moins en cherchant à nous venger de nos persécuteurs qu’en leur pardonnant, que nous chagrinons leur âme tant nous leur causons alors de remords et de honte. Autrement nous ne rendons service ni à eux ni à nous-mêmes : tout au contraire, c’est à notre dommage comme au leur, que nous recherchons le talion à la façon des princes des Juifs, et que nous attisons ainsi le courroux de nos ennemis. Mais si nous répondons par la douceur à l’injustice, nous apaisons toute leur colère, et nous établissons dans leur âme un tribunal qui juge en notre faveur et les condamne plus sévèrement que nous ne ferions nous-mêmes. Alors ils prononcent contre eux-mêmes un arrêt rigoureux ; et ils cherchent tous les moyens de payer notre patience avec usure, sachant que s’ils se bornent à rendre exactement la pareille, l’initiative prise par nous et l’exemple que nous leur aurons donné nous assurera l’avantage. Ils voudront, en conséquence, outrepasser la juste mesure, afin de compenser par la supériorité du bienfait l’infériorité qui vient de ce que nous les avons devancés, et de racheter par un surcroît de bonté, l’inégalité que le temps met entre eux et celui qu’ils ont offensé les premiers.

En effet, quand on est reconnaissant, on éprouve moins de peine à être maltraité, qu’à se voir obligé par ceux envers qui l’on a eu des torts. Car c’est une faute, et même une honte, un ridicule, que de ne pas répondre à un bienfait. Pour ce qui est, au contraire, de ne pas se venger d’une offense, on n’a pas assez d’éloges, d’applaudissements, de bénédictions pour une telle conduite. De là le vif chagrin dont je parle. Si donc vous voulez user de représailles, ayez recours à ce moyen : rendez le bien pour le mal, afin de changer votre ennemi en débiteur, et de remporter une éclatante victoire. On vous a fait du mal ? Faites du bien : c’est ainsi qu’il faut vous venger. Si vous vous y preniez autrement, tout le monde vous blâmerait aussi bien que votre ennemi au contraire, si vous montrez de la patience, on vous applaudira, on vous admirera, et on condamnera l’offenseur.

3. Quel spectacle pour un ennemi, que de voir son ennemi devenu l’objet d’une admiration, d’un enthousiasme unanimes ? Quoi de plus cruel que de se voir lui-même injurié sous les yeux de son ennemi ? Si vous vous vengez, on vous condamnera sans doute ; et vous serez votre seul vengeur ; si vous pardonnez, tout le monde se chargera de votre vengeance : et voir tant de personnes prendre en main la vengeance de son ennemi, c’est un supplice pire que tous les châtiments. Si vous ouvrez la bouche, les autres se tairont ; si vous vous taisez, ce n’est pas une bouche, mais mille que vous déchaînez contre l’offenseur, et votre vengeance n’en est que plus terrible. Si vous l’attaquez en paroles, plus d’un vous en fera un crime, et attribuera vos paroles à la passion ; mais la vengeance s’exécute sans donner lieu à aucun soupçon, quand l’accusateur n’est pas un offensé.

Quand des gens qui n’ont à se plaindre de rien sont touchés de votre mansuétude, au point de s’intéresser à votre injure et d’y compatir, comme si elle les atteignait, aucun soupçon ne peut tomber sur une vengeance de cette espèce. Et si personne ne prend votre défense ? dira-t-on. Les hommes ne sont pas de pierre ; il est impossible que la vue d’une telle sagesse n’excite pas leur admiration ; et quand bien même ils ne se chargeraient pas de votre vengeance sur-le-champ, une fois ou l’autre, quand l’occasion se présentera, ils n’y manqueront point, ils poursuivront le coupable de leurs reproches et de leurs sarcasmes. Que si vous n’avez pas d’autres admirateurs, vous en aurez un du moins, en votre ennemi, qu’il l’avoue ou non. Le sentiment du bien reste incorruptible et inflexible en nous, fussions-nous plongés dans un abîme de perversité. Pourquoi, selon vous, Notre-Seigneur Jésus-Christ dit-il : « Si quelqu’un vous donne un soufflet sur la joue droite, présentez-lui l’autre joue ». (Mat. 5,39) N’est-ce point parce que, plus on montre de patience, plus on rend service et à soi-même et à l’agresseur ? Voilà pourquoi il nous est prescrit de tendre l’autre joue, afin d’assouvir la rage des furieux. – Quelle bête féroce ne rentrerait aussitôt en elle-même ? Les chiens, dit-on, éprouvent ce sentiment : si la personne contre qui ils aboient, sur laquelle ils s’élancent, se jette à la renverse sans essayer de se défendre, leur colère s’apaise aussitôt. Or, si ces animaux respectent ceux qui s’abandonnent à leur discrétion, à plus forte raison doit-il en être ainsi de l’espèce humaine, qui est douée de la raison.

Mais il ne faut pas négliger un petit fait qui s’est offert précédemment à notre mémoire, et que nous avons produit en témoignage. De quoi s’agit-il ? Nous disions que les Juifs et leurs princes étaient accusés de rechercher le talion ; cependant la loi les y autorisait : « Œil pour œil, dent pour dent ». (Lev. 24,10) Mais cette loi n’avait pas pour but de les exciter à se crever mutuellement les yeux, mais bien de les contenir par la crainte, de les empêcher de faire du mal à autrui, ou d’être eux-mêmes maltraités. Si l’Écriture dit : « Œil pour œil », c’est pour lier les mains à votre ennemi, ce n’est pas pour armer les vôtres ; ce n’est pas seulement pour protéger vos yeux, c’est encore avec l’intention de préserver ceux de cet homme. Mais ce que je cherchais, c’est pourquoi cette vengeance permise exposait aux reproches ceux qui en faisaient usage. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est du ressentiment qu’il s’agit ici. La loi autorise l’offensé à rendre sur-le-champ la pareille, afin d’empêcher, comme je l’ai dit, les provocations. Quant au ressentiment, il est interdit ; car ce n’est plus le propre de la colère ni d’un courroux bouillant, mais d’une froide méchanceté ; tandis que Dieu pardonne à ceux que la provocation a pu jeter hors d’eux-mêmes et pousser aux représailles… De là : « Œil pour œil », et dans un autre endroit : « Les voies des rancuniers mènent à la mort ». (Pro. 12,29) Mais si à une époque où il était permis d’arracher œil pour œil, le ressentiment était puni si sévèrement, que sera-ce aujourd’hui, qu’il nous est ordonné de nous offrir spontanément aux injures. Fuyons donc la rancune, triomphons de la colère, afin de mériter la miséricorde divine. « Avec la mesure dont vous vous servez pour mesurer, il vous sera mesuré à vous-mêmes ; et d’après le jugement selon lequel vous aurez jugé, vous serez jugés ». Montrons-nous donc charitables et miséricordieux envers nos compagnons de servitude, afin d’échapper aux pièges qui nous sont tendus en ce monde, et d’obtenir, au jour du jugement, le pardon de Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, gloire soit rendue au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVII. modifier


MAIS SOYEZ BONS LES UNS ENVERS LES AUTRES, MISÉRICORDIEUX, VOUS PARDONNANT MUTUELLEMENT, COMME DIEU LUI-MÊME VOUS A PARDONNÉ EN JÉSUS-CHRIST. SOYEZ DONC LES IMITATEURS DE DIEU, COMME ENFANTS BIEN-AIMÉS ; ET MARCHEZ DANS L’AMOUR COMME LE CHRIST NOUS A AIMÉS ET S’EST LIVRÉ LUI-MÊME POUR NOUS EN OBLATION A DIEU ET EN HOSTIE DE SUAVE ODEUR. (IV, 32 ; V, 1, 2, JUSQU’À 4)

Analyse. modifier

  • 1. De l’imitation de Jésus-Christ.
  • 2. De la plaisanterie.
  • 3. Abus de la plaisanterie au temps de saint Jean Chrysostome.

1. Les faits passés ont plus de pouvoir que les choses futures ; ils inspirent plus d’admiration et de confiance. Voilà pourquoi Paul appuie son exhortation sur les événements accomplis ; c’est que, grâce au Christ, ils sont les plus propres à persuader. Dire : remets, et il te sera remis ; si Nous ne remettez pas, il ne vous sera pas remis : ce langage a une grande force quand il s’adresse à des philosophes, à des hommes qui croient à l’autre vie. Mais Paul, pour nous faire rentrer en nous-mêmes, ne s’en tient pas là : il emprunte au passé de nouveaux arguments. On a vu le moyen d’échapper aux supplices : voici maintenant celui d’être récompensé. Imitez le Christ, nous dit Paul. Imiter Dieu, c’est un motif suffisant pour nous exhorter à la vertu ; c’est une raison qui surpasse celle-ci : « Il fait lever le soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes ». (Mat. 5,45) Paul ne nous dit pas seulement d’imiter ; il nous dit encore d’avoir les uns pour les autres ce cœur de père, auquel nous devons tant de bienfaits : car le mot cœur signifie ici charité, miséricorde. Comme il n’est pas possible à des hommes de vivre ensemble sans se causer quelque ennui, voici un nouveau remède, se faire grâce mutuellement : « Vous faisant grâce mutuellement ». D’ailleurs il n’y a point parité : car si vous faites grâce à un homme, il vous rendra la pareille, tandis que Dieu ne l’a pas reçue de vous. De plus, vous avez affaire à un compagnon de servitude, tandis que Dieu a obligé son serviteur, son ennemi, celui qui le haïssait. « Comme Dieu lui-même vous a fait grâce en Jésus-Christ ». Encore une allusion sublime voici le sens. Ce n’est pas une simple grâce qu’il nous a faite, une grâce sans péril ; pour cela il a mis son Fils en danger. Pour vous pardonner, il a immolé son Fils ; et vous, à qui le pardon souvent ne coûte ni danger ni dépense, vous ne pardonnez pas.

« Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme enfants bien-aimés ; et marchez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même pour nous, en oblation à Dieu, et en hostie de suave odeur ». Afin que vous n’alliez pas attribuer cela à la nécessité, écoutez comment il a soin de préciser en disant : « Il s’est livré lui-même ». C’est comme s’il disait : Tu étais l’ennemi du Seigneur, et le Seigneur t’a aimé : aime en lui ton ami ; ou plutôt tu ne pourras jamais lui rendre assez d’amour ; aime-le, du moins, de tout ton pouvoir. Ah ! quelle parole fortunée ! En vain vous parleriez du royaume, ou de quoi que ce soit, vous n’atteindrez jamais si haut. C’est imiter Dieu, c’est lui ressembler, que de pardonner à un ennemi. Ce sont les offenses, encore plus que les dettes, qui doivent être remises. Car en remettant une dette, vous n’imitez pas Dieu, et vous l’imitez en remettant une offense. D’ailleurs comment pourrez-vous dire : Je suis pauvre, je ne puis remettre, si vous ne remettez pas les choses mêmes que vous pouvez remettre, et si vous considérez cela comme un sacrifice, au lieu d’y voir une richesse, un profit, un bénéfice ? « Soyez donc les imitateurs de Dieu ». Voici maintenant un autre motif encore plus noble : « Comme enfants bien-aimés ». Ce qui vous oblige à l’imiter, ce ne sont pas seulement ces bienfaits, c’est encore que vous êtes ses enfants. « Comme enfants bien-aimés ». S’il parle ainsi, c’est que tous les fils n’imitent point leurs pères, mais ceux-là seulement qui sont bien-aimés.

« Marchez dans l’amour ». Voilà le principe de tout : avec l’amour, plus de colère, de fureur, de clameurs, de diffamation ; tout disparaît. Voilà pourquoi il place en dernier lieu la chose essentielle. Pourquoi êtes-vous devenu enfant ? Parce qu’il vous a été pardonné… Pardonnez à votre prochain pour le même motif qui vous a valu à vous-même votre pardon. Dites-moi, supposez que vous soyez captif, réservé à mille tourments, et que quelqu’un vous introduise tout à coup dans la résidence du roi ; ou plutôt, prenons un autre exemple. Supposez que vous ayez la fièvre, que vous soyez à l’agonie, et que quelqu’un vous rende la santé au moyen d’un remède ; n’auriez-vous pas pour cette personne, et pour le nom même du remède, une vénération particulière ? Si les lieux et les temps où nous avons reçu quelque service nous deviennent aussi précieux que la vie, à plus forte raison doit-il en être ainsi pour les choses mêmes qui nous ont rendu service. Aimez la charité : car c’est par elle que vous avez été sauvés, par elle que vous êtes devenus fils ; s’il vous est donné, à votre tour, de sauver autrui, n’userez-vous pas du même remède, et ne prêcherez-vous pas à tous le précepte : Remettez, afin qu’il vous soit remis ? C’est le fait d’une âme reconnaissante, noble et généreuse qu’une pareille exhortation. « Comme le Christ nous a aimés ». Vous pardonnez à vous amis ; lui, il a pardonné à ses ennemis ; combien est plus admirable la conduite du Seigneur ! Comment donc observer le précepte renfermé dans ce mot : « Comme ? » N’est-il pas manifeste que ce sera en faisant du bien à nos ennemis ? « Et s’est livré lui-même pour nous, en oblation à Dieu, et en hostie de suave odeur ». Voyez-vous combien, c’est une offrande agréable et parfumée, que de souffrir pour ses ennemis ? Si vous mourez, vous serez une hostie ; c’est ainsi qu’on imite Dieu. « Que la fornication et toute impureté, ou l’avarice, ne soient pas même nommées parmi vous, comme il convient à des saints ».

Il a parlé de la colère, cette passion cruelle il arrive à un mal moindre. La preuve que la concupiscence est un mal moindre en effet, elle se trouve dans la loi de Moïse, laquelle dit d’abord : « Tu ne tueras point », ce qui est dirigé contre la colère, et passe ensuite à ceci, qui regarde la concupiscence : « Tu ne commettras point l’adultère ». En effet, si l’amertume, les clameurs, si la méchanceté, si la diffamation, et les autres choses de ce genre procèdent de la colère : c’est la concupiscence qui engendre la fornication, l’impureté, l’avarice ; c’est un même instinct qui nous fait aimer les richesses et la chair. Et de même qu’il a interdit le cri, comme étant le véhicule de la colère, de même ici il défend les propos légers ou obscènes, véhicule de la fornication. « Point de turpitudes, de folles paroles, de bouffonneries, ce qui ne convient point ; mais plutôt des actions de grâces ». Point de paroles, point d’actions galantes ou libertines, et vous éteindrez la flamme. « Qu’elles ne soient pas même nommées parmi vous » ; en d’autres termes : qu’elles soient complètement exclues. Il dit de même, en écrivant aux Corinthiens : « Il n’est bruit que de fornication parmi vous ». (1Co. 5,1) Il veut dire : Soyez tous purs ; car les discours acheminent aux actions. Ensuite, pour ne point paraître un censeur trop rigoureux, qui proscrit la gaieté même, il ajoute aussitôt la raison en ces termes : « Ce qui ne convient pas ; mais plutôt des actions de grâces ».

2. A quoi servent les propos joyeux ? À faire rire un moment. Dites-moi : est-ce qu’un cordonnier s’avisera de faire quelque chose qui ne concerne point son métier ? Achètera-t-il des instruments pour cet usage ? Nullement ce qui ne nous sert point est nul à nos yeux. Point de paroles inutiles, car nous tombons de là dans les propos coupables… Ce monde n’est point fait pour la joie, mais pour le deuil, les tribulations, les gémissements ; et vous faites le bel esprit ? Voit-on un athlète, au milieu du stade, oublier son adversaire et la lutte, pour dire des bons mots ? Le diable est là, il rôde autour de vous en rugissant, pour vous emporter ; il met tout en œuvre et en mouvement pour vous perdre, il complote de vous jeter à bas du nid, il grince des dents, rugit, souffle le feu contre votre salut ; et vous restez là tranquille à plaisanter, à dire des folies, des indécences ; vous êtes donc bien sûr de la victoire. Nous perdons notre temps, mes chers frères. Voulez-vous savoir comment vivent les saints ? Écoutez Paul, qui vous dit : Durant trois ans, nuit et jour, je n’ai pas cessé avec des larmes, d’admonester chacun de vous. (Act. 20,31) Que s’il se donnait tant de peine pour les Milésiens et les Éphésiens, si au lieu de plaisanter il ne cessait de les admonester avec larmes, que dira-t-on des autres ? Écoutez encore ce qu’il dit aux Corinthiens : « Je vous ai écrit dans l’affliction et l’angoisse du cœur, avec beaucoup de larmes ». (2Co. 2,4) Et encore : « Qui est faible, sans que je sois faible ? Qui est scandalisé, sans que je brûle ? » (Id. 11,29)

Écoutez encore comment il parle ailleurs et se dépeint aspirant, pour ainsi dire, chaque jour, à sortir du monde : « Car nous qui sommes dans la tente, nous gémissons ». (Id. 5,4) Et vous, vous riez ; vous badinez ? C’est le temps de combattre, et vos occupations sont celles des danseurs ? Ne voyez-vous pas les visages de vos ennemis, comme ils sont menaçants, renfrognés, comme ils froncent le sourcil d’un air formidable. Considérez une armée qui va combattre : les visages sont sévères ; les cœurs, en éveil, bondissent et palpitent ; l’esprit est attentif, inquiet, frémissant : partout règnent l’ordre, la discipline, le silence : je ne dirai pas qu’on ne profère point de paroles obscènes ; personne ne dit rien. Si les combattants qui n’ont affaire qu’à des ennemis charnels, gardent un si profond silence, quand ils pourraient parler sans péril, vous qui avez à combattre, à soutenir le fort de la guerre, sur le terrain des paroles, vous ne songez pas à vous fortifier de ce côté ? Ignorez-vous que c’est par là surtout qu’on essaiera de nous surprendre ? Vous badinez, vous vous amusez, vous dites des bons mots, vous faites rire, et vous ne voyez pas de mal à cela ? Combien de parjures, de malheurs, d’obscénités, sont nés de la plaisanterie ! Mais ce n’est pas là ce qu’on nomme bons mots, direz-vous. Eh quoi ! ne voyez-vous pas que Paul bannit toute facétie ? C’est aujourd’hui un temps de guerre, de combat, de veille, de précaution, d’armement, de lutte : le rire n’a point de place ici ; car il est du monde.

Écoutez ce que dit le Christ : « Le monde se réjouira, mais vous, vous serez affligés ». (Jn. 16,20) Le Christ a été crucifié pour vos fautes, et vous riez ? Il a été souffleté, il a subi mille tourments pour vous arracher au malheur et à la tempête : et vous prenez vos aises ? N’est-ce pas là plutôt l’irriter ? Mais puisque quelques personnes regardent cela comme une chose indifférente, et que d’ailleurs il est difficile de s’en défendre, parlons-en un peu, et montrons-en tout le danger. En effet, ce mépris des choses indifférentes vient d’une inspiration du diable. D’abord, si la chose était réellement indifférente, elle ne serait pas à mépriser pour cela, à cause des grands maux qu’elle engendre ou dont elle facilite les progrès, à cause de la fornication qui en est souvent le résultat ; mais vous allez voir qu’elle n’est pas indifférente. Considérons quelle en est l’origine, ou plutôt représentons-nous le saint tel qu’il doit être, doux, calme, triste, gémissant, affligé. Donc le diseur de bons mots n’est pas saint : que dis-je ? fût-il païen, il est un objet de mépris : pareille licence n’est accordée qu’aux histrions. Qui dit obscénité, dit plaisanterie. Qui dit rire indécent, dit plaisanterie. Écoutez la parole du prophète : « Servez Dieu en crainte, et exprimez-lui votre allégresse avec tremblement ». (Psa. 2,11) La plaisanterie énerve l’âme, la rend molle et nonchalante : souvent elle enfante l’invective, et allume des guerres.

3. Mais quoi ! ne comptez-vous point parmi les hommes ? Abjurez donc les occupations de l’enfance. Vous ne souffrez pas que votre serviteur laisse échapper sur la place une parole inconvenante ; et vous, qui prétendez être serviteur de Dieu, vous y proférez des facéties ? Il faut s’estimer heureux de n’être pas surpris quand on est de sang-froid : mais comment échapper quand on s’abandonne ? On s’enferrera soi-même, et les artifices du diable, ses attaques deviendront superflues. Voulez-vous encore une preuve ? Considérez ce que c’est qu’un homme plaisant : on appelle ainsi un homme léger, mobile, dont l’esprit souple revêt toutes les formes ; nous voilà bien loin des serviteurs de la pierre[14]. Rien ne tourne, ne change aussi vite ; tout chez lui est d’emprunt, gestes, paroles, rire, démarche ; il faut qu’il s’applique à imaginer des quolibets c’est dans son rôle. Une pareille comédie ne sied guère à un chrétien. L’homme plaisant ne peut manquer de s’attirer gratuitement beaucoup de haines, en tournant en ridicule, à tout propos, des personnes présentes ou des absents qui en sont informés. Si c’est là un noble emploi, pourquoi l’abandonne-t-on aux mimes ? Vous voilà mime, et vous ne rougissez pas ? Pourquoi ne permettez-vous point la même chose aux filles de bonne maison ? n’est-ce pas que vous y voyez une occupation indigne de la réserve et de la pudeur. De grands maux font leur séjour dans l’âme de l’homme plaisant, le relâchement, le vide plus d’harmonie, plus de solidité, plus de crainte, plus de religion.

Si vous avez une langue, ce n’est pas pour railler autrui, c’est pour rendre grâces à Dieu. Regardez ceux qu’on appelle farceurs, saltimbanques : voilà les hommes plaisants. Bannissez de vos âmes, je vous en supplie, ce funeste divertissement : c’est l’occupation des parasites, des mimes, des danseurs, des prostituées : non pas d’une âme libre, non pas d’une âme noble, non pas des serviteurs. Tout ce qu’il y a de vil, de déshonoré, possède ce talent. Beaucoup même y voient un mérite : ce qui est désolant. Ainsi que la concupiscence mène insensiblement à la fornication : ainsi la plaisanterie passe pour une grâce, mais rien n’est plus éloigné de la grâce. Écoutez ce que dit l’Écriture : « L’éclair devance le tonnerre, et la grâce précédera l’homme réservé ». (Sir. 32,10) Or, rien de moins réservé que l’homme plaisant. Ce n’est donc pas de grâce, c’est de malheur que sa bouche est pleine. Bannissons ce divertissement de nos tables. On voit des hommes qui vont jusqu’à dresser les pauvres à cet emploi. O dépravation ! ils changent en bouffons les affligés. On n’a pas pénétré aujourd’hui le fléau dont je parle. Il s’est glissé jusque dans l’Église ; il a profané jusqu’aux Écritures. En dirai-je davantage, afin de montrer l’excès du mal ? J’ai honte : je parlerai néanmoins : car je veux vous faire mesurer les ravages du mal, afin de me justifier du reproche de m’arrêter à des minuties dans mes entretiens avec vous, afin de guérir votre égarement à tout le moins par ce remède extrême. Et n’allez pas croire que j’invente : je redirai ce que j’ai entendu.

Quelqu’un se trouvait chez une personne très-fière de son savoir : je vais exciter le rire, je le sais ; je parlerai néanmoins. La table servie, notre homme dit : « Servez, enfants, de peur que le ventre ne se fâche ». Il en est d’autres qui disent : « Malheur à toi, Mammon, et à celui qui ne te possède pas ! » Et tant d’autres sottises inventées par le bel esprit, par exemple : « N’est-ce pas le moment de la génération ? » Je dis cela pour vous montrer le scandale de cette honteuse manière d’agir : de telles paroles dénotent une âme sans religion. Est-ce trop du tonnerre pour punir de tels écarts ? Et ce n’est qu’un échantillon des propos tenus par ces hommes. Ainsi donc, je vous en conjure, ne laissons à cette mode aucun asile parmi nous ; parlons comme il nous sied : que nos bouches fidèles n’empruntent jamais le langage des bouches avilies et déshonorées. « Quel partage entre la justice et l’iniquité ? Quelle communauté entre la lumière et les ténèbres ? » (2Co. 6,14) Il faut s’estimer heureux si l’on réussit, en se corrigeant de tous ces honteux écarts, à obtenir les biens promis : que serait-ce donc si nous nous chargions d’un pareil fardeau, et corrompions ainsi la pureté de notre cœur ? Un plaisant devient bien vite un médisant or, un médisant accumule sur sa tête bien d’autres maux encore. Sachons donc refréner ces deux instincts de notre âme, je veux dire la concupiscence et la colère ; sachons les soumettre au joug de l’intelligence, comme des chevaux dociles, et leur donner pour guide la raison, si nous voulons obtenir la palme qui nous est proposée là-haut ; puisse-t-elle nous être décernée à tous en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVIII. modifier


CAR SACHEZ COMPRENDRE QU’AUCUN FORNICATEUR, OU IMPUDIQUE, OU AVARE, CE QUI EST UNE IDOLÂTRIE, N’A D’HÉRITAGE DANS LE ROYAUME DU CHRIST ET DE DIEU. QUE PERSONNE NE VOUS SÉDUISE PAR DE VAINS DISCOURS : CAR C’EST POUR CES CHOSES QUE VIENT LA COLÈRE DE DIEU SUR LES FILS DE LA DÉFIANCE. (V, 5, 6-14)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. Contre la méthode des interprétations larges appliquée à l’Écriture.
  • 3 et 4. Que l’avarice est proprement une idolâtrie. – Comparaison avec les objets du culte et les sacrifices chez les païens. – origine de l’idolâtrie. – Histoire de la concupiscence. – Conseil d’instituer pour héritier Jésus-Christ. – Que les fidèles doivent se reprendre mutuellement.

1. Il y avait déjà, paraît-il, au temps de nos pères, des hommes qui paralysaient les mains du peuple, qui réalisaient la parole d’Ézéchiel, ou plutôt faisaient œuvre de faux prophètes, qui, pour une poignée d’orge, dénigraient Dieu devant son peuple, comme le font encore, à ce que je crois, certains hommes d’aujourd’hui : Nous arrive-t-il de dire que celui qui aura appelé son frère fou ira dans l’enfer : vraiment, disent les uns, celui qui aura appelé son frère fou ira en enfer ? Non, répond-on. Venons-nous à dire que l’avare est idolâtre, ils dénigrent encore cette parole, en la taxant d’exagération : et de la même manière, ils font bon marché de tous les préceptes. C’est à ces hommes que saint Paul fait allusion dans ce passage de son épître aux Éphésiens, lorsqu’il dit : « Car sachez comprendre qu’aucun fornicateur, ou impudique, ou avare, ce qui est une idolâtrie, n’a d’héritage dans le royaume du Christ et de Dieu » ; et qu’il ajoute : « Que personne ne vous séduise par de vains discours ». Les vains discours dont il parle sont ceux qui plaisent sur le moment, et que les faits démentent : car c’est en cela que consiste la séduction. « Car c’est pour ces choses que vient la colère de Dieu sur les « fils de la défiance ». Pour ces choses, c’est-à-dire, la fornication, l’avarice, l’impudicité, ou pour ces vices et en même temps pour la séduction, puisqu’il y a des séducteurs. En disant « Fils de la défiance » : il désigne les incrédules déclarés, ceux qui ne croient pas en lui.

« N’ayez donc point de commerce avec eux. Car autrefois vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur (7, 8) ». Voyez quelle sagesse dans ses exhortations : d’abord il a fait intervenir le Christ pour prêcher l’amour mutuel, et le respect de la justice : il a recours maintenant aux supplices de l’enfer. « Car autrefois vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ». Il dit de même, dans l’épître aux Romains : « Quel fruit avez-vous donc tiré alors des choses dont vous rougissez maintenant (6, 21) » ?.. Et il leur rappelle leur ancienne perversité. Cela revient à dire : Songez à ce que vous étiez jadis, à ce que vous êtes devenus, ne retournez pas à vos anciens vices, ne manquez pas de respect à la grâce de Dieu. « Vous étiez autrefois ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur » : ce n’est pas votre vertu, c’est la grâce de Dieu qui a opéré ce changement ; en d’autres termes : Autrefois vous méritiez le sort commun, mais il n’en est plus ainsi. « Marchez donc comme des enfants de lumière ». Qu’est-ce à dire : « Enfants de lumière ? » La suite le montre : « Car le fruit de l’Esprit consiste en toute bonté, justice et vérité ; examinant ce qui est agréable à Dieu (9, 10) ».

« En toute bonté ». Ceci s’adresse aux violents, aux emportés. « Justice » ; ceci regarde les avares. « Vérité » ; voilà pour les faux plaisirs. Évitez les pratiques dont j’ai parlé, veut-il dire, et suivez une conduite tout opposée. « En toute ». Autrement dit, il faut en toute chose produire des fruits spirituels. « Examinant ce qui est agréable à Dieu ». Donc les pratiques dont il a été question ne conviennent qu’à des esprits puérils, sans maturité. « Ne vous associez point aux œuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt réprouvez-les ; car ce qu’ils font en secret est, honteux même à dire. Or tout ce qui est répréhensible se découvre par la lumière (2, 13) ». Il a dit : « Vous êtes lumière ». Or, la lumière découvre les choses accomplies dans les ténèbres. Ainsi donc, « si vous êtes vertueux et irréprochables, les méchants ne pourront rester cachés. De même que la lumière d’une lampe se projette sur toutes les personnes présentes et empêche les voleurs d’entrer : de même, si votre lumière brille, les méchants seront confondus. Il faut donc confondre les coupables. Mais alors, pourquoi est-il écrit : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez pas jugés ? » (Mat. 7,1) Paul ne dit pas condamner, mais confondre, c’est-à-dire corriger. Quant au précepte « Ne jugez point », il concerne les petits péchés. Voyez ce qui suit : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? » Voici le sens de ces paroles : Ainsi qu’une plaie, tant qu’elle reste invisible et cachée, et exerce ses ravages à l’intérieur, n’est l’objet d’aucun soin, de même le péché, tant qu’il demeure ignoré, se commet hardiment à la faveur de cette espèce de ténèbres ; mais quand il est découvrit, la lumière paraît : la lumière n’est pas le péché (comment cela se pourrait-il ?), mais le pécheur. En effet, quand il s’est vu dénoncé, réprimandé, qu’il s’est repenti, qu’il a obtenu rémission, est-ce que ses ténèbres ne sont pas dissipées par vos soins ? N’avez-vous pas guéri sa blessure ? N’avez-vous pas converti en production sa stérilité ? Voilà ce que veut dire Paul, ou encore : Votre vie, se passant au grand jour, est lumière ; car nul ne cache sa vie, quand elle est irréprochable : cacher une chose, c’est vouloir l’ensevelir dans les ténèbres. « De là ces paroles : Réveille-toi, toi qui dors, lève-toi du milieu des morts, et le Christ répandra sur toi sa lumière (14) ». Ces expressions : Mort et endormi, désignent le pécheur : car il sent mauvais comme les morts ; il est impuissant comme l’homme endormi : comme lui, il ne voit rien, il rêve, il fait des songes. Les uns lisent : « Tu toucheras le Christ » ; les autres : « Le Christ répandra sur toi sa lumière ». C’est plutôt ceci : Renoncez au péché, et vous pourrez voir le Christ : « Car celui qui fait le mal, hait la lumière, et ne va pas vers la lumière ». (Jn. 3,20) Donc, celui qui ne fait pas le mal, va vers elle.

2. Mais Paul ne dit pas cela seulement pour les incrédules : beaucoup de croyants ne sont pas moins attachés à leurs vices que les incrédules ; quelques-uns mêmes, beaucoup plus. À eux aussi, il est donc nécessaire de leur dire : « Éveille-toi, toi qui dors : lève-toi du milieu des morts, et le Christ répandra sur toi sa lumière ». À eux aussi s’applique la parole : « Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants ». (Mat. 22,32) Vivons donc, s’il n’est pas le Dieu des morts. – Mais il y a des gens qui voient une hyperbole dans ce passage : « Avare, ce qui est une idolâtrie ». Ce n’est pas une hyperbole, mais l’expression de la vérité. Comment ? de quelle façon ? Parce que l’avare s’éloigne de Dieu, tout comme l’idolâtre. Et pour vous convaincre que ce ne sont point ici des paroles en l’air, rappelez-vous cette sentence du Christ : « Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon ». (Mat. 6,24) Servir Mammon, c’est renoncer au service de Dieu : ceux qui renient son autorité pour se faire les esclaves d’un métal inanimé, sont manifestement idolâtres. Mais je n’ai pas façonné d’idole, diront-ils, je n’ai pas érigé d’autel, sacrifié de victimes, répandu de vin en forme de libations : loin de là, je suis venu à l’Église, j’ai élevé les mains vers le Fils unique de Dieu ; je participe aux sacrements, je m’associe aux prières, je remplis pour ma part tous les devoirs du chrétien. Comment donc peut-on dire que j’adore les idoles ? Et voilà justement ce qu’il y a de plus étonnant : c’est que connaissant par expérience et pour y avoir goûté la bonté divine, instruit de la charité du Seigneur, vous ayez quitté ce maître charitable pour un cruel tyran, et que, tout en feignant de rester son serviteur, vous vous soyez, en réalité, soumis au joug pesant et intolérable de l’avarice. Jusqu’ici vous ne m’avez rien dit de vos bonnes œuvres, vous ne m’avez parlé, que des présents du Seigneur. Dites-moi, je vous en prie, à quoi reconnaissons-nous quelqu’un pour soldat ? Est-ce en le voyant faire partie du cortège du roi, recevoir de lui sa subsistance et compter parmi ses gens ; ou bien, en le voyant faire preuve d’un vrai zèle pour sa personne ? Que si, tout en feignant de lui rester attaché, il travaille en réalité pour l’ennemi, c’est, à nos yeux, une plus mauvaise action que de déserter ouvertement le service du monarque pour passer dans le camp ennemi.

Et vous, vous manquez de respect à Dieu tout comme un idolâtre, non pas seulement par vos paroles à vous, mais par celles de vos innombrables victimes : cependant ; on prétend que ce n’est pas de l’idolâtrie. Quand les païens disent : Ce chrétien qui est avare, ce chrétien-là n’offense pas seulement Dieu par ses actions, mais encore par les paroles que sa conduite inspire fréquemment à ses victimes ; que si elles se taisent, il ne faut en faire honneur qu’à leur piété. Les faits ne confirment-ils pas ce que je vous dis ? Qu’est-ce, en effet, qu’un idolâtre, sinon un homme qui a coutume d’adorer ses passions ; au lieu de les dominer ? Par exemple, quand nous accusons les païens d’adorer des idoles : Non, répondent-ils, nous adorons Vénus, nous adorons Mars. Et quand nous demandons : Qu’est-ce que cette Vénus ? les plus graves d’entre eux répondent : La volupté. Et Mars ? La colère. Eh bien ! vous, vous adorez Mammon ; et qu’est-ce que Mammon ? L’avarice. Et vous l’adorez ? Nous ne l’adorons pas, répondez-vous. Comment ? Est-ce à dire que vous ne vous prosternez point ? Mais vous lui rendez de bien autres hommages par vos actions et vos démarches : c’est là une adoration bien plus réelle. Voulez-vous en être sûrs ? Demandez-vous quels sont les plus zélés adorateurs de Dieu, ceux qui se bornent à prendre part aux prières, ou ceux qui font sa volonté ? Il est clair que ce sont ces derniers. Il en est de même pour Mammon : ceux qui font sa volonté sont ses plus zélés adorateurs.

D’ailleurs, les païens qui adorent les passions, peuvent être eux-mêmes exempts de passions ; on peut trouver des serviteurs de Mars qui sachent réprimer en eux la colère il n’en est pas de même pour vous, la passion vous subjugue. Vous ne lui sacrifiez pas de brebis ? Non, mais vous lui immolez des hommes, des âmes raisonnables ; vous faites mourir les uns de faim, vous poussez les autres à blasphémer. Nulle frénésie ne saurait atteindre à une pareille immolation. Qui jamais a vu sacrifier des âmes ? L’autel de l’avarice est abominable. Approchez de ceux des idoles : vous les trouverez imprégnés du sang des chevreaux et des bœufs. Venez à l’autel de l’avarice, vous sentirez une forte odeur de sang humain. On n’y brûle pas des ailes d’oiseaux ; il n’en sort ni vapeur ni fumée : ce sont des êtres humains qui y périssent. Les uns, en effet, se précipitent dans des gouffres ; d’autres se pendent, d’autres se coupent la gorge. Voyez-vous quelles inhumaines et barbares immolations ? C’est peu encore : il faut à l’autel de l’avarice, outre le corps, l’âme de l’homme. Car il est aussi pour l’âme un genre d’immolation approprié à sa nature ; il y a une mort de l’âme, comme une mort du corps. « L’âme qui pèche, mourra », est-il écrit. (Eze 1,8, 4) La mort de l’âme n’est point comparable à celle du corps, elle est autrement affreuse. L’une, en séparant l’âme du corps, délivre celui-ci de beaucoup de tracas et de fatigues, et envoie l’autre dans un séjour de lumière ; à la longue, le corps lui-même, dissous et réduit en poussière, se recompose pour une existence impérissable, et rejoint l’âme qui l’a quitté.

3. Voilà pour la mort corporelle. Celle de l’âme est faite pour exciter l’horreur et le frisson. Ce n’est pas, comme celle du corps, une dissolution suivie d’un passage dans un autre séjour : rattachée à un corps impérissable, l’âme est précipitée dans le feu inextinguible. Telle est la mort de l’âme. S’il y a une mort de l’âme, il y a aussi une immolation de l’âme. En quoi consiste l’immolation du corps ? À être frappé de mort, et soustrait à l’opération de l’âme. Et l’immolation de l’âme ? c’est encore une mort qui en résulte. De même que le corps périt, quand l’âme le sèvre de son opération : ainsi l’âme périt, quand elle reste privée de l’opération de l’Esprit-Saint. Telles sont surtout les immolations qui ont lieu sur l’autel de l’avarice : il ne lui suffit pas d’être arrosé du sang des hommes ; il faut, pour étancher sa soif, que l’âme aussi soit sacrifiée ; il faut qu’il reçoive deux âmes en offrande, celle du sacrificateur et celle de la victime. Car le sacrificateur est le premier sacrifié ; il est mort au moment où il tue ; et sous les coups de ce mort tombe un vivant : car les blasphèmes que celui-ci profère, ses invectives, ses récriminations, n’est-ce point pour une âme autant de plaies incurables ? Voyez-vous que ce n’était pas une hyperbole ?

Voulez-vous encore une autre preuve pour vous convaincre que l’avarice est bien une idolâtrie, et quelque chose de pire que l’idolâtrie ? Les idolâtres adorent les créatures de Dieu : « Ils vénérèrent et servirent la créature plus que le Créateur ». (Rom. 1,25) Vous, vous adorez votre propre créature. Car ce n’est pas Dieu qui a créé l’avarice : c’est votre cupidité insatiable qui l’a imaginée. Et voyez quelle folie, quelle dérision ! Ceux qui adorent les idoles, respectent ce qu’ils adorent ; si quelqu’un en médit, les injurie, ils prennent leur défense ; mais vous, je ne sais quelle ivresse vous pousse à adorer une, chose, qui, loin d’être à l’abri du reproche, est pleine d’impiété. Vous êtes donc pires que les idolâtres : car vous ne pouvez prétendre pour votre justification que l’objet de votre culte n’est pas mauvais. Sans doute ils sont inexcusables : mais vous l’êtes encore bien davantage, vous qui ne cessez d’accuser l’avarice, de vous déchaîner contre ses adorateurs, ses serviteurs, ses fidèles. Si vous le voulez, nous examinerons ensemble l’origine de l’idolâtrie. Un sage raconte qu’un homme riche, désolé de la mort prématurée de son fils, et inconsolable dans sa douleur, fit faire, pour soulager son deuil, une image de celui qu’il avait perdu ; et qu’à force de contempler ce portrait inanimé, il s’imaginait voir revivre son enfant dans cette figure. Des complaisants, qui se faisaient un Dieu de leur ventre, honorant cette image pour flatter le père, poussèrent cette pratique jusqu’à l’idolâtrie. L’idolâtrie eut donc pour principes la faiblesse d’âme, une habitude déraisonnable, et l’avidité.

Il n’en est pas ainsi de l’avarice : elle provient aussi de la faiblesse, mais d’une faiblesse pire ; il ne s’agit point ici d’un fils perdu, d’un deuil à consoler, de flatteries décevantes. De quoi donc ? Je vais vous le dire. Caïn frustra Dieu, gardant pour lui-même ce qui était dû au Seigneur, il lui offrit ce qu’il devait conserver, et le mal commença au préjudice de Dieu. En effet, si nous lui appartenons nous-mêmes, à plus forte raison faut-il en dire autant des prémices de nos biens. La concupiscence se porta ensuite sur les femmes : « Ils virent les femmes des hommes, et ils tombèrent dans la concupiscence » (Gen. 6,2) ; après quoi, elle se tourna vers les richesses. En effet, vouloir l’emporter sur autrui dans la possession des biens charnels, cela n’a pas d’autre principe que le refroidissement de la charité ; la cupidité n’a pas d’autre source que l’orgueil, la haine des hommes et le mépris. Ne voyez-vous pas combien la terre est grande ? comment l’air et le ciel occupent bien plus d’espace qu’il ne serait nécessaire ? C’est pour éteindre en vous la cupidité, que Dieu a donné tant d’extension à des choses créées : néanmoins, vous persistez dans vos rapines ; on vous dit que l’avarice est une idolâtrie, et vous ne frissonnez pas ? Voulez-vous devenir maître de la terre entière ? Mais l’héritage du ciel ne vous est-il pas promis, à condition que vous vous priverez ?

4. Dites-moi, si l’on vous donnait la faculté de tout posséder, refuseriez-vous ? Eh bien ! il ne tient qu’à vous maintenant, si vous le voulez. On voit des gens qui gémissent, quand il faut faire l’abandon de leur fortune, et qui préféreraient l’avoir mangée, plutôt que de la voir passer entre les mains d’autrui. Je ne puis vous guérir de cette faiblesse, car c’en est une : mais, tout au moins, par votre testament, instituez le Christ pour votre héritier. Vous auriez dû lui donner de votre vivant, c’eût été la marque d’une volonté droite : du moins que la nécessité vous rende généreux. Si le Christ nous a prescrit de donner aux pauvres, c’est pour que nous vivions en sages, pour que nous apprenions à mépriser les richesses, à dédaigner les choses terrestres. Ce n’est plus mépriser les richesses que d’en faire l’abandon à tel ou tel quand on meurt et qu’on cesse d’en être maître ; ce n’est point par libéralité que vous donnez alors, mais par nécessité : le bienfaiteur, c’est la mort, et non pas vous. Une telle conduite n’est pas celle de l’affection, mais celle de la haine. Mais, tout au moins, cédez à cette extrémité, corrigez-vous à cette heure suprême. Comptez vos usurpations, vos rapines, et rendez le tout au quadruple ; c’est ainsi que vous vous justifierez devant Dieu. Mais il en est qui poussent la démence et l’aveuglement au point de ne pas comprendre, même alors, quel est leur devoir : ils agissent en tout comme s’ils se proposaient de rendre le jugement de Dieu plus sévère à leur égard. Voilà pourquoi notre bienheureux dit : « Marchez comme des enfants de lumière ». Or, c’est l’avare surtout qui vit dans les ténèbres, qui répand une nuit épaisse sur tout le monde. Et encore : « Ne vous associez point aux œuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt réprouvez-les ; car ce qu’ils font en secret est honteux même à dire. Or tout ce qui est répréhensible se découvre par la lumière ».

Écoutez, je vous prie, vous tous qui craignez de vous exposer gratuitement à la haine ! Cet homme dépouille son prochain, et vous ne le confondez pas, de peur de vous attirer sa haine ? Mais ce n’est pas là s’exposer gratuitement à la haine : c’est justement que vous reprendriez le coupable, et vous craignez d’en être haï ? Reprenez votre frère, encourez l’inimitié du prochain, pour l’amour du Christ, pour l’amour du prochain lui-même : arrêtez-le dans sa course vers l’abîme. Le faire asseoir à notre table, le combler de bonnes paroles, de salutations, de plaisirs, ce n’est pas l’amitié. Voilà les dons que nous devons faire à nos amis, pour dérober leur âme à la colère de Dieu : quand nous les voyons plongés dans la fournaise de l’iniquité, relevons-les. Mais il est incorrigible, dira-t-on. Eh bien ! vous, faites ce qui est en votre pouvoir, et vous voilà justifié devant Dieu. Ne cachez pas le talent : si la parole, si une langue, une bouche vous ont été données, c’est pour que vous corrigiez le prochain. Les brutes seules ne songent pas au prochain, ne s’occupent que d’elles-mêmes : mais vous, qui nommez Dieu votre père, et frère votre prochain, quand vous voyez ce frère commettre péché sur péché, vous faites passer avant son intérêt le désir de lui complaire ? N’en faites rien, de grâce. Rien ne prouve mieux l’amitié, que de ne pas laisser faillir ses frères. Vous les voyez haïr ? réconciliez-les. Vous les voyez commettre l’injustice ? arrêtez-les. Vous les voyez opprimés ? défendez-les : ce n’est pas à eux, c’est à vous-même que vous rendez service. Si nous sommes amis, c’est pour nous entraider. Les paroles d’un ami ne seront pas reçues comme celles du premier venu : un inconnu, on s’en défiera peut-être, et d’un prédicateur pareillement ; mais non d’un ami.

« Car ce qu’ils font en secret est honteux même à dire. Or, tout ce qui est répréhensible se découvre par la lumière ». Que veut-il dire ici ? Il veut dire que parmi les péchés, les uns sont secrets, les autres publics ; mais il en sera autrement dans l’état dont il parle, car il n’y a personne qui n’ait conscience de ses péchés. Voilà pourquoi il dit : « Or tout ce qui est répréhensible se découvre par la lumière ». Mais quoi ! dira-t-on, est-ce que ceci ne regarde point également l’idolâtrie ? Non, c’est de la conduite et des péchés qu’il est question. « Car tout ce qui se découvre est lumière ». Je vous en conjure donc, n’hésitez point à reprendre, et ne vous fâchez pas quand on vous reprend. Car tout ce qui s’accomplit dans l’ombre se fait avec plus de sécurité : or, la présence de beaucoup de témoins produit l’effet de la lumière. Faisons donc tous nos efforts pour écarter les causes de mort qui menacent nos frères, pour dissiper les ténèbres, pour faire luire ici-bas le soleil de la justice. S’il y a beaucoup de flambeaux, le chemin de la vertu nous sera plus aisé ; et ceux qui sont dans les ténèbres seront plus facilement surpris, grâce à cette lumière qui dissipera l’obscurité. Sinon, il est à craindre que nous ne soyons nous-mêmes plongés dans la nuit, le voile épais des ténèbres et des péchés venant à triompher de la lumière et à en chasser la clarté. Croyons donc qu’en obligeant aujourd’hui nous nous rendons service à nous-mêmes ; et ainsi nous louerons dans toute notre conduite le Dieu de bonté, par la grâce et la charité de son fils unique, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIX. modifier


AYEZ DONC SOIN, MES FRÈRES, DE MARCHER AVEC CIRCONSPECTION, NON COMME DES INSENSÉS, MAIS COMME DES HOMMES SAGES, RACHETANT LE TEMPS, PARCE QUE LES JOURS SONT MAUVAIS. NE SOYEZ DONC PAS IMPUDENTS, MAIS COMPRENEZ QU’ELLE EST LA VOLONTÉ DE DIEU. (V, 15-21)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. Qu’il faut rendre grâces en toute occurrence.
  • 3. Preuves de la Providence.
  • 4 et 5. De la curiosité indiscrète. – De l’incompréhensibilité divine. – De la servitude mutuelle.

1. Ici encore il extirpe la racine d’amertume, il retranche le principe de la colère. Que dit-il, en effet ? « Ayez donc soin de marcher avec circonspection ». Il savait que son Maître, en envoyant ses disciples comme des brebis au milieu des loups, leur recommandait encore d’être comme des colombes : « Et vous serez simples comme des colombes ». (Mat. 10,16) Étant au milieu des loups, et ayant ordre de ne pas se venger et de souffrir, ils avaient, par conséquent, besoin de cette exhortation. La première comparaison pouvait suffire, à la vérité, pour les rendre patients : mesurez ce que la seconde ajoute à la force du précepte. Et voyez comment Paul s’attache à prémunir ses auditeurs en leur disant : « Ayez « soin de marcher avec circonspection ». Des cités entières étaient en guerre avec eux ; cette guerre avait pénétré jusque dans les maisons ; la division régnait entre le père et le fils, la fille et la mère. Pourquoi ? Quelle était l’origine de ces divisions ? C’est qu’on avait entendu dire au Christ : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi ». (Mat. 10,16, 37) Paul ne voulait pas qu’on crût qu’il existait des guerres et des combats sans but : car si les chrétiens, de leur côté, étaient devenus agresseurs, ç’aurait été le signal de grandes colères. Voilà pourquoi il dit : « Ayez donc soin de marcher avec circonspection ». En d’autres termes : La prédication mise à part, ne donnez pas d’autre sujet, d’autre motif de haine contre vous. Que personne n’ait autre chose à vous imputer : soyez respectueux et soumis dans toutes les choses qui n’intéressent pas la prédication, qui ne gênent point la piété : « Rendez à tous ce qui leur est dû : à qui le tribut, le tribut ; à qui l’impôt, l’impôt ». (Rom. 13,7) Car les incrédules rentreront en eux-mêmes, quand ils nous verront irréprochables dans le reste. « Non comme des insensés, mais comme des hommes sages, rachetant le temps ». Il ne dit pas cela pour nous conseiller d’être souples et de prendre toutes les formes. Voici ce qu’il veut dire : Le temps n’est pas à vous ; vous n’êtes en ce monde que des étrangers, des voyageurs de passage : ne cherchez pas les honneurs, ne cherchez pas la gloire, ne cherchez pas la puissance, ne cherchez pas la vengeance ; subissez tout, et par ce moyen rachetez le temps ; ne craignez pas de payer, payez tout ce que l’on exigera… Il y a ici quelque obscurité : tâchons de l’éclaircir au moyen d’un exemple : Supposez qu’un homme possède une maison magnifique et que des gens y pénètrent pour le tuer ; qu’alors pour se sauver il donne une forte somme à ces scélérats : nous dirons qu’il se rachète… Eh bien ! vous aussi vous êtes possesseur d’une superbe maison, vous avez la vraie foi : on vous poursuit pour vous dépouiller : donnez tout ce qu’on vous demandera, gardez seulement le principal, à savoir la foi. « Parce que les jours sont mauvais ».

Qu’est-ce que des jours mauvais ? Il s’agit ici d’une manière d’être particulière du jour. Demandez-vous ce qui est mauvais dans chacune des choses qui nous touchent, et vous saurez ce que c’est que des jours mauvais. Qu’est-ce que le mal du corps ? la maladie. Le mal de l’âme ? la malignité. Le mal de l’eau ? l’amertume. Le mal pour chaque chose, est une imperfection qui affecte sa nature. Si donc il y a des jours mauvais, le mal doit être dans le jour lui-même, dans les heures, dans la lumière. C’est ainsi que le Christ a dit : « À chaque jour suffit son mal ». (Mat. 6,34) Ce texte nous aidera à comprendre l’autre. Qu’est-ce que ces mauvais jours dont Paul nous parle ? que ce temps mauvais ? Il n’a pas en vue ces œuvres de Dieu prises dans leur essence, mais les événements qui s’y passent nous disons de même : J’ai passé une pénible, une mauvaise journée : mais comment a-t-elle pu être pénible, sinon par les événements qui l’ont signalée ? Ces événements sont en partie heureux, comme venant de Dieu ; en partie mauvais, comme venant de la perversité humaine. Les hommes sont donc les auteurs de ce qui arrive de mauvais dans le temps, et de là certaines époques sont appelées mauvaises expression qui est aussi en usage parmi nous. « Ne soyez donc pas imprudents, mais comprenez quelle est la volonté de Dieu, et ne vous enivrez pas de vin, qui renferme la licence (18) ».

En effet, l’excès de vin nous rend irritables, effrontés, prompts à faillir et à nous emporter. C’est pour la joie que le vin nous a été donné, et non pour l’ivresse : mais aujourd’hui on paraît une femme, on est ridicule, quand on ne s’enivre pas. Quel espoir de salut reste-t-il désormais ? C’est un ridicule, dites-moi, de ne pas s’enivrer ? mais n’est-ce pas l’ivresse, au contraire, qui devrait être le plus grand des ridicules ? Tout le monde, sans doute, doit la fuir : personne autant que le soldat qui vit au milieu des glaives et des massacres ; personne autant que le soldat qui est en butte à bien d’autres excitations, celles de la liberté, du pouvoir, des dangers et des combats au milieu desquels sa vie se passe. Voulez-vous apprendre dans quelles circonstances le vin est une bonne chose ? Écoutez ce que dit l’Écriture : « Donnez le vin à ceux qui sont dans la peine, et l’ivresse à ceux qui sont dans la douleur ». (Pro. 31,6) Rien de mieux : car le vin sait adoucir les afflictions et dissiper les nuages de la tristesse. « Le vin réjouit le cœur de l’homme ». (Psa. 103,15) Comment donc le vin produit-il l’ivresse ? car la même cause ne peut produire des effets contraires. La cause de l’ivresse n’est pas le vin, mais l’abus du vin. Le vin ne nous a pas été donné pour une autre fin que la santé du corps : or l’abus y est un obstacle. Écoutez encore ce que le même saint écrit à Timothée : « Use d’un peu de vin à cause de ton estomac et de tes fréquentes infirmités ». (1Ti. 5,23)

2. Si Dieu a établi dans nos corps un juste équilibre, et les a mis en état de se contenter de peu, c’est pour nous enseigner dès ce monde qu’il nous a faits aptes à une autre vie. Cette vie, il voulait nous l’octroyer tout d’abord mais, comme nous nous en sommes rendus indignes, il a remis ce présent à une autre époque d’ici là, il ne nous permet pas l’abus : une mesure de vin et un pain suffisent à l’appétit d’un homme… Il a voulu que le dominateur des animaux eût des besoins, à proportion, moins nombreux, et un corps plus faible, afin de nous faire voir que nous sommes en marche vers une autre vie. « Ne vous enivrez pas de vin, qui renferme la licence ». L’ivresse, loin de conserver, détruit, non seulement le corps, mais l’âme. « Mais soyez remplis de l’Esprit-Saint ; vous entretenant entre vous de psaumes, d’hymnes et de cantiques spirituels, chantant et psalmodiant du fond de vos cœurs à la gloire du Seigneur ; rendant grâces toujours et pour toutes choses, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Dieu et Père ; soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ (19-21) ». Voulez-vous vous réjouir, nous dit-il ? Voulez-vous passer la journée ? Je vous donne une boisson spirituelle : car l’ivresse nous ôte jusqu’aux inflexions distinctes de la voix, elle nous fait bégayer, elle trouble nos yeux et tout le reste. Apprenez à louer Dieu, et vous verrez combien cette occupation a de charmes ceux qui le louent sont remplis de l’Esprit-Saint, comme sont remplis de l’esprit impur, ceux qui chantent des chansons sataniques. Qu’est-ce à dire : « Du fond de vos cœurs à la « gloire du Seigneur ? » C’est-à-dire, avec attention. Car, si l’attention fait défaut, on chante au hasard, on ne profère que des mots, tandis que le cœur s’égare ailleurs : « Rendant grâces toujours et pour toutes choses, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Dieu et Père, soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ ». En d’autres termes : Faites parvenir à Dieu vos demandes avec des actions de grâces : car rien ne contente Dieu comme la reconnaissance. Or, nous ne pouvons mieux lui témoigner notre reconnaissance, qu’en arrachant notre âme aux vices dont il a été question plus haut, en la purifiant par les moyens indiqués. « Mais soyez remplis de l’Esprit-Saint ». Cela dépend-il de nous ? Oui, quand nous avons chassé de notre âme le mensonge, l’amertume, la fornication, l’impureté, l’avarice, quand nous sommes devenus bons, miséricordieux, cléments les uns pour les autres, quand nous évitons les plaisanteries indécentes, quand enfin nous nous sommes rendus dignes de recevoir le Saint-Esprit, qu’est-ce qui l’empêche encore d’accourir, de voler vers nous ? non seulement il accourra, mais encore il remplira notre cœur. Or, avec le secours intérieur d’une pareille lumière, la vérité ne nous sera plus pénible, elle nous deviendra aisée et facile.

« Rendant grâces toujours et pour toutes choses ». Quoi donc ! faut-il rendre grâces pour tout ce qui nous arrive ? Oui : fût-ce la maladie, fût-ce la misère. En effet, si dans l’Ancien Testament nous trouvons ce conseil d’un sage : « Tout ce qui vous arrivera, recevez-le de bonne grâce, et soyez patients dans les vicissitudes de votre humiliation » (Sir. 2,14), à plus forte raison faut-il se conduire ainsi sous le régime de la nouvelle loi. Quand bien même la raison des faits vous échappe, rendez grâces : voilà les vraies actions de grâces. Que vous rendiez grâces après un bienfait, dans la félicité, dans le bonheur, au milieu des prospérités, il n’y a rien là de grand ni de merveilleux : ce qu’on vous demande, c’est de rendre grâces dans les épreuves, dans les tribulations. Votre première parole doit être : Je vous rends grâces, Seigneur. Et pourquoi parler des afflictions d’ici-bas ? Il faut remercier Dieu de l’enfer, des supplices, des châtiments de l’autre vie. Car c’est un bien pour nous tous que préoccupe cette pensée : La crainte est comme un frein mis à nos cœurs. Ce n’est donc pas seulement pour les bienfaits évidents, c’est encore pour ceux qui ne sont pas apparents et que nous recevons malgré nous, que nous devons rendre grâces en effet, Dieu nous oblige souvent malgré nous et à notre insu. Si vous en doutez, je vais vous rendre la chose claire. Veuillez réfléchir à ceci : Est-ce que les abominables et incrédules païens n’attribuent pas tout au soleil et à ses idoles ? Eh bien ! est-ce que Dieu n’est pas aussi leur bienfaiteur, à eux ? N’est-ce pas à leur providence qu’ils doivent la vie, la santé, leurs enfants, que sais-je encore ? Et ceux qu’on appelle Marcionites ? Et les Manichéens ? Ne le blasphèment-ils pas également ? Et pourtant, Dieu ne les comble-t-il pas de biens chaque jour ? Mais s’il fait du bien à ces hommes qui ne le connaissent pas, à plus forte raison nous en fait-il, à nous. Car à quoi s’occupe la divinité, sinon à faire du bien à l’espèce humaine, et par châtiments et par indulgences ?

Ce n’est donc pas seulement dans les prospérités que nous devons rendre grâces : le devoir serait trop facile à remplir. Le diable la sait : voilà pourquoi il disait : « Est-ce gratuitement que Job craint Dieu ? n’avez-vous pas abrité d’un rempart ce qui est en lui et ce qui est hors de lui ? Mais enlevez-lui tous ses biens, et vous verrez s’il vous bénira en face ». (Job. 1,9-10) Mais le scélérat n’y gagna rien. Dieu soit loué, et puisse-t-il en être de même quand il s’agira de nous ! C’est dans la pauvreté, dans la maladie, dans la persécution, que nos actions de grâces doivent être le plus vives. Je ne parle point d’actions de grâces en paroles, et proférées du bout des lèvres, mais d’actions de grâces réelles, effectives, sorties du fond du cœur. C’est du fond de l’âme que nous devons remercier ; car Dieu nous aime d’un amour plus que paternel : et autant il y a de distance entre la méchanceté et la bonté, autant il en existe entre l’amour de Dieu pour nous et celui que nous portent nos parents.

3. Et ce n’est pas moi qui parle ainsi, c’est celui même qui nous aime, le Christ. Écoutez plutôt : « Quel est d’entre vous l’homme qui, si son fils lui demande du pain, lui présentera une pierre ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent ? » (Mat. 7,9-11) Écoutez encore cet autre passage : « Est-ce que la femme oubliera d’avoir pitié des rejetons de son sein ? Mais, quand bien même la femme oublierait ces choses, je ne vous oublierai pas, dit le Seigneur ». (Isa. 49,45) Si Dieu ne vous aimait pas, pourquoi vous aurait-il créé ? Est-ce qu’il y était contraint ? Est-ce qu’il a besoin de nous, de notre ministère ? Est-ce que nous pouvons quelque chose pour lui ? Écoutez le prophète qui vous dit : « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Seigneur, parce que vous n’avez pas besoin de mes biens ». (Psa. 15,2) Mais les ingrats, les insensés, nous disent : La bonté de Dieu n’exigerait-elle pas que tous fussent égaux ?

Dis-moi, homme ingrat, qu’est-ce qui te paraît démentir la bonté de Dieu, et de quelle égalité parles-tu ? Un tel, répond-il, est estropié de naissance, un autre est fou et possédé ; un autre, parvenu à l’extrême vieillesse, se trouve avoir passé toute sa vie dans la pauvreté, un autre dans les infirmités les plus cruelles : tout cela est-il l’œuvre d’une providence ? L’un est sourd, l’autre muet ; un troisième pauvre ; un quatrième, qui n’est qu’un scélérat tout chargé de crimes, jouit de l’opulence, entretient des prostituées et des parasites, possède une magnifique demeure, mène une vie que rien ne trouble. On rassemble beaucoup d’autres exemples de ce genre, et l’on en forme un long réquisitoire contre la Providence divine. Quoi donc ? la Providence n’est pour rien là-dedans ? Que leur répondre ? Si nous avions affaire à des païens, convaincus néanmoins que le monde obéit à une direction, nous pourrions rétorquer leur objection, et leur dire : Ah ! la Providence n’y est pour rien : et pourquoi donc adorez-vous des dieux ? pourquoi vous prosternez-vous devant des démons et des héros : car s’il y a une providence, il y a quelqu’un qui préside à tout. Mais si nous avons devant nous des hommes, soit chrétiens, soit païens, dont les croyances soient ébranlées et chancelantes, que leur dire ? Eh quoi ! dirons-nous ; le hasard aurait-il pu enfanter tant de biens ? cette lumière quotidienne, cet ordre qui règne parmi les êtres, cette marche régulière des astres, ce retour périodique des nuits et des jours, cette harmonie de nature dans les plantes, les animaux, les hommes ? Qui donc est-ce, dites-moi, qui régit tout cela ? S’il n’y avait pas de chef, si le hasard avait tout formé, qui aurait arrondi par-dessus la terre et les eaux cette belle et grande voûte du ciel ? Qui ferait revenir les saisons propres à la production des fruits ? qui aurait mis tant de vigueur dans les graines et dans les plantes ? Ce qui vient du hasard a nécessairement les caractères du désordre ; ce qui est bien ordonné est l’ouvrage de l’art.

En effet, dites-moi, quel est, sous nos yeux, le produit du hasard où ne dominent pas le désordre et la confusion ? Et non seulement du hasard, mais de toute main malhabile ? Par exemple, soient données des poutres, des pierres et de la chaux : que maintenant un homme inexpérimenté dans l’art de bâtir essaie d’en former un édifice : est-ce qu’il ne va pas tout perdre, tout gâter ? Ou bien encore, supposez un esquif sans pilote, muni d’ailleurs de tout ce que peut avoir un esquif, sauf un pilote : notez bien qu’il s’agit d’un navire complètement équipé : pourra-t-il naviguer ? Et cette immense terre suspendue au-dessus des flots, si une force ne la retenait, pourrait-elle, je vous le demande, tenir bon si longtemps ? Est-ce admissible ? Y a-t-il assez de moqueries pour une pareille hypothèse ? Si maintenant la terre porte en outre le ciel, voilà un nouveau fardeau : si au contraire le ciel est porté par l’eau, une autre question surgit. Mais tout est l’œuvre de la Providence. En effet, ce qui repose sur l’eau, ne doit pas être convexe, mais concave. Pourquoi ? parce que les corps concaves plongent complètement ; par exemple les vaisseaux : au contraire, les corps convexes demeurent tout entiers en l’air, et ne baignent que par leurs extrémités. Il est donc besoin d’un corps solide, dur et résistant, pour supporter le fardeau. Est-ce l’air, maintenant, qui porte le ciel ? Mais l’air est un corps encore bien plus mou et moins dense que l’eau, incapable de rien supporter, à plus forte raison une masse aussi énorme. Enfin, si nous voulions épuiser ce sujet de la Providence, l’embrasser dans son ensemble et dans ses détails, l’éternité ne nous suffirait pas. Je vais maintenant demander à celui qui s’occupe de ces recherches : ces choses proviennent-elles, oui ou non, d’une providence ? S’il répond négativement, alors je lui ferai cette autre question : D’où proviennent-elles donc ? Il ne saura que répondre. A plus forte raison doit-on s’abstenir de toute vaine curiosité de ce genre au sujet des choses humaines. Pourquoi ? Parce que l’homme est supérieur à tout le reste, et que les choses dont j’ai parlé sont faites pour lui, et non pas lui pour elles.

4. Si donc vous ne savez pas comprendre combien est sage et habile la Providence, comment pourrez-vous pénétrer ses desseins ? Dites-moi pourquoi elle a fait l’homme si petit, et l’a placé si bas au-dessous du ciel, au point qu’il peut douter des phénomènes qui s’y passent ? Pour quelle raison les régions du Nord et celles du Midi sont-elles inhabitables ? Dites-moi pourquoi les nuits sont plus longues en hiver et plus courtes en été ? D’où, viennent les froids rigoureux, les chaleurs excessives, pourquoi nous avons un corps périssable ? Je vous ferai mille autres questions pareilles, et, si vous le voulez, je ne cesserai de vous interroger et de vous embarrasser. Ainsi ce qui distingue particulièrement la Providence, c’est ce qu’il y a d’ineffable dans ses desseins. Car sans doute quelqu’un se serait avisé d’attribuer à un homme la création de l’univers, si ces obstacles n’arrêtaient pas notre intelligence. Mais un tel est pauvre, dira-t-on, et la pauvreté est un mal. Et la maladie ? et la cécité ? Tout cela n’est rien, mon cher auditeur ; il n’y a qu’un mal, le péché : et c’est la seule chose que nous devions examiner. Mais nous omettons de rechercher les principes des maux réels, pour nous jeter dans de vaines spéculations. Pourquoi nul de vous ne se demande-t-il jamais pourquoi il a péché ; s’il était en lui de pécher ou de ne pas pécher ? Qu’ai-je besoin de longs discours ? Je n’ai qu’à regarder en moi-même : ai-je maîtrisé enfin mon emportement ? ai-je dompté ma colère, ou par honte, ou par respect humain ? Quand j’aurai trouvé ce que je cherche, alors je saurai que le péché dépend de moi.

De cela nul ne s’inquiète, nul ne s’occupe, et, comme dit le livre de Job : « L’homme au hasard nage dans ses discours ». (Job. 11,12) Que vous importe la cécité de l’un, la pauvreté de l’autre ? Ce n’est pas cela que Dieu vous a prescrit de considérer, mais bien votre conduite, à vous. Si vous doutez que le monde soit dirigé par une puissance, vous êtes le plus insensé des hommes : si, au contraire, vous êtes convaincu de ce point, pourquoi doutez-vous qu’il faille plaire à Dieu ? « Rendant grâces toujours et pour toutes choses à Dieu ». Entrez chez un médecin, et vous le verrez, dès qu’on lui présente un blessé, le traiter par le fer et le feu. Je ne dis pas cela pour vous : mais entrez chez un artisan : vous ne demandez pas compte de ce qui se fait dans son atelier, bien que vous n’y compreniez rien, et que beaucoup de choses vous étonnent ; comme, par exemple, quand vous voyez tourner un morceau de bois et en changer la forme. Mais plutôt je mettrai sous vos yeux un art plus facile, comme celui des peintres : vous ne saurez que penser. Dites-moi, en effet, l’artiste ne paraît-il pas perdre son temps ? À quoi bon ces lignes et ces contours ? mais attendez qu’il applique les couleurs : alors vous trouverez cet art merveilleux, sans être plus éclairé pour cela.

Mais pourquoi parler des artisans, des peintres, nos compagnons de servitude ? Dites-moi comment l’abeille fait ses rayons, et alors vous me parlerez de Dieu. Tâchez de comprendre l’industrie des fourmis, de l’araignée, de l’hirondelle, et vous pourrez alors me parler de Dieu. Si vous êtes savant, instruisez-moi : mais vous ne le pourriez pas. Ne cesseras-tu donc pas, mon cher auditeur, de perdre ton temps à des choses inutiles ? Car ce sont là vraiment des inutilités ; ne cesseras-tu pas de t’abandonner à une vaine curiosité ? Ici, la vraie science, c’est l’ignorance, attendu que les plus habiles sont ceux qui font profession de ne rien savoir, et les plus fous ceux qui s’occupent de pareilles recherches. Ainsi une profession de savoir n’atteste pas toujours la science : quelquefois aussi elle est une marque de déraison. Dites-moi, en effet : si de deux hommes l’un se piquait de mesurer le volume, d’air qui s’étend de la terre au ciel au moyen de câbles tendus, et que l’autre se moquât d’une telle prétention et confessât sa propre ignorance, de qui ririons-nous, dites-moi ? de celui qui prétendrait savoir ou de l’ignorant : du premier assurément. L’ignorant serait donc le plus sage des deux. Et si l’un se vantait de pouvoir dire combien il y a de mesures d’eau dans la mer, que l’autre au contraire, avouât son ignorance, ne serait-ce pas encore la même chose ? Assurément. Pourquoi ? Parce que la prétendue science du premier ne serait qu’une ignorance renforcée. Celui qui avoue ne pas savoir, sait en réalité quelque chose. Quoi donc ? Que de tels calculs sont impossibles à l’homme : et ce n’est pas peu de chose. Au contraire, celui qui prétend savoir est ignorant, entre tous, de ce qu’il croit savoir, et c’est cela même qui le rend ridicule.

Hélas ! combien nous recevons de leçons propres à brider cette curiosité intempestive et immodérée ! et pourtant nous ne les écoutons pas ; nous nous enquérons de la vie les uns des autres, de la raison pour laquelle un tel est aveugle, tel autre pauvre. Voilà des propos qui nous mènent tout droit à d’autres questions aussi absurdes, par exemple, pourquoi une telle est femme : pourquoi nous ne sommes pas tous du sexe masculin, pourquoi il y a des ânes, des bœufs, des chiens, des loups ; pourquoi des pierres, pourquoi du bois : on n’en finirait pas. C’est pour cela que Dieu a prescrit à notre savoir des bornes qu’il a mises dans la nature même. Et considérez quel excès de curiosité : nous pouvons contempler sans péril l’immense intervalle qui sépare le ciel de la terre ; mais si nous montons au sommet d’une tour et que nous nous penchions un peu pour regarder à nos pieds, un vertige s’empare de nous aussitôt. Dites-moi la raison de ceci : mais vous ne sauriez la trouver : Pourquoi l’œil porte-t-il plus loin que nos autres organes et embrasse-t-il un plus vaste horizon ?

5. Et l’on peut dire la même chose de l’ouïe. La voix d’un homme ne saurait remplir l’espace que son œil mesure, qui transmet le bruit à son oreille. Pourquoi nos membres ne jouissent-ils pas d’égales prérogatives ? Pourquoi n’ont-ils pas un seul usage, une seule place : Paul aussi a scruté ce mystère, ou plutôt il ne l’a pas scruté, il était trop sage pour cela ; mais arrivé à ce point, il se borne à dire « Il a placé chaque chose selon qu’il a voulu » : la volonté de Dieu, voilà pour lui la clé de l’énigme. Renonçons donc, nous aussi, à ce genre de recherches, et bornons-nous à rendre grâces à Dieu en toute occurrence, selon l’avis qu’il nous donne. Telle est la conduite d’un bon serviteur, d’un homme sage et intelligent : l’autre conduite est celle d’un bavard, d’un oisif, d’un curieux. Considérez comme, parmi les serviteurs, les plus mauvais, ceux qui ne sont bons à rien, sont bavards, badauds, occupés des affaires, des secrets de leurs maîtres : tandis que ceux qui sont intelligents et honnêtes ne songent qu’à une chose, à faire leur service. Qui parle tant ne fait rien ; qui fait beaucoup ne parle pas hors de propos. Voilà pourquoi Paul écrivait au sujet des veuves : « Non-seulement oisives, mais encore causeuses et curieuses ». (1Ti. 5,13)

Dites-moi, quelle est la distance la plus grande, celle qui sépare des enfants les hommes de notre âge, ou celle qui sépare Dieu des hommes ? Des moucherons à nous, et de nous à Dieu, quel est le plus grand intervalle ? Il est clair que c’est le dernier. Pourquoi donc vous creuser ainsi l’esprit ? « Rendez grâces pour toutes choses ». Mais, dira-t-on, si un païen m’interroge, que lui répondrai-je ? Il voudra savoir de moi s’il y a une Providence ; car, pour son compte, il le nie. Intervertis donc les rôles, interroge-le à ton tour. Eh bien ! il n’admet pas qu’il y ait une Providence. Qu’il y en a une, c’est ce qui résulte évidemment de ce qui a été dit : mais il résulte en même temps de notre impuissance à nous en rendre compte, qu’elle est incompréhensible. Si, dans la conduite même des hommes, beaucoup de procédés demeurent obscurs pour nous, et que nous nous rendions néanmoins, quelque étranges qu’ils nous paraissent, à combien plus forte raison la même chose doit-elle être vraie de Dieu ! Mais en Dieu il n’y a rien de déraisonnable, rien qui paraisse tel aux fidèles. Remercions-le donc de toutes choses, glorifions-le en toute occurrence. « Soumis les uns aux autres dans la crainte de Dieu »… Si vous vous soumettez à cause d’un magistrat, ou pour de l’argent, ou par respect, à plus forte raison devez-vous le faire par crainte de Dieu. Qu’il y ait échange de servitude, de soumission ; de la sorte, il n’y aura plus de servitude… Que personne n’ait rang d’esclave ; personne, rang d’homme libre ; il vaut mieux être à la fois maîtres et esclaves, et se servir mutuellement ; et un pareil esclavage est préférable à la liberté dans d’autres conditions. En voici la preuve : Supposez qu’une personne ait cent serviteurs dont aucun ne fasse son office ; mettez d’un autre côté cent amis qui se servent mutuellement. Quels seront les plus heureux, les plus joyeux, les plus contents ? Ici point de colère, point de querelles, point de courroux, rien de pareil : là, crainte et abjection ; contrainte d’une part, liberté de l’autre. Les uns servent parce qu’on les y force, les autres pour se rendre mutuellement la pareille. Telle est la volonté de Dieu : voilà pourquoi il a lavé les pieds des disciples. Que dis-je ? si vous voulez y bien regarder, entre les maîtres mêmes il y a échange de servitude. Qu’importe que l’orgueil masque cet échange ? Quand cet homme vous prête le ministère de ses bras, et que vous, vous le nourrissez, le chaussez, l’habillez, c’est encore une espèce de servitude ; car, à supposer que vous vous refusiez mutuellement votre ministère, cette personne est libre, et aucune loi ne le contraindra de vous rendre service, si vous ne le nourrissez pas. Faut-il donc s’étonner qu’il en soit ainsi pour les esclaves, quand il en est de même pour les hommes libres ? « Soumis dans la crainte du Christ ». Où est le mérite, puisque nous sommes rémunérés ? Mais un tel ne veut pas se soumettre. Vous, du moins, soumettez-vous : il ne suffit pas d’obéir, il faut vous soumettre ; il faut regarder chacun comme votre maître : c’est le moyen de vous assujettir promptement tout le monde par le plus fort, des esclavages. Car vous les conquerrez bien plus sûrement, si vous payez fidèlement votre dette, sans qu’ils s’acquittent de leur côté. Voilà ce que veut dire : « Soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ ». Ainsi nous triompherons de toutes les passions, nous servirons Dieu, nous ferons régner parmi nous une constante charité ; et ensuite nous pourrons être jugés dignes des bontés divines, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XX. modifier

FEMMES, SOYEZ SOUMISES A VOS MARIS COMME AU SEIGNEUR ; PARCE QUE L’HOMME EST LE CHEF DE LA FEMME, COMME LE CHRIST EST LE CHEF DE L’ÉGLISE, ET IL EST AUSSI LE SAUVEUR DE SON CORPS COMME DONC L’ÉGLISE EST SOUMISE AU CHRIST, AINSI LE SOIENT EN TOUTES CHOSES LES FEMMES À LEURS MARIS. (V, 22-24, JUSQU’À LA FIN DU CHAP)

Analyse. modifier

  • 1. Institution du mariage : son but.
  • 2. Le Christ, modèle des époux.
  • 3 et 4. L’amour, devoir du mari : la crainte, devoir de la femme.
  • 5-9. Moyens d’entretenir la concorde entre époux. – Du désintéressement. – De l’éducation de la femme par le mari. – Que le mari assure son empire en témoignant de la tendresse à sa femme.

1. Un sage, en énumérant diverses béatitudes, comprend dans le nombre le sort de « La femme qui s’accorde avec son mari ». (Sir. 25,1) Ailleurs encore il met au rang des félicités la concorde parfaite de la femme et du mari. Dès l’origine, Dieu a montré pour l’union conjugale une sollicitude particulière : il désigne l’homme et la femme comme ne faisant qu’un, par ces mots : « Il les fit mâle et femelle » ; de même ailleurs « Il n’y a ni homme ni femme ». (Gal. 3,28) En effet, il y a moins de rapport d’homme à homme qu’il n’y en a entre un homme et une femme associés par une union légitime. Voilà pourquoi, encore, un bienheureux voulant exprimer une extrême affection, et le chagrin que lui causait la mort d’un de ses amis les plus intimes, au lieu d’employer les mots de père, de mère, d’enfant, de frère, d’ami, dit : « Ton affection est tombée sur moi comme l’amour des femmes ». (1Sa. 1,26) C’est qu’il n’est pas, non, il n’est pas de sentiment plus impérieux que celui-là. Il y a d’autres affections vives : mais cette passion réunit la durée à la vivacité. Au fond de notre nature est un amour caché qui, par un secret instinct, opère cette union des sexes. C’est pour cela que, à l’origine, de l’homme est sortie la femme, et que, depuis, homme et femme procèdent de l’homme et de la femme. Voyez-vous cette association parfaite, cet entrelacement, par où Dieu a pourvu à ce qu’aucune essence étrangère ne pénétrât dans la nôtre ? Et voyez combien de soins il a pris. Il a permis que l’homme épousât sa propre sœur, ou plutôt sa fille, ou plutôt encore sa propre chair. Pour consommer entre eux une union parfaite, il a pris les choses à l’origine, comme lorsqu’il s’agit de bâtir. Il n’a pas fait la femme d’une autre substance, afin que l’homme ne vît pas en elle une étrangère ; et il n’a pas borné l’institution du mariage à ce premier couple, de peur que l’homme ne s’enfermât dans la solitude et ne vécût séparé de ses semblables. Et de même que les plantes les plus belles sont celles qui, s’élevant d’une souche unique, se développent en une quantité de rameaux, et s’il y avait beaucoup de racines, l’arbre n’aurait plus rien de remarquable ; de même, Dieu voulut que du seul Adam sortît toute notre espèce, nous contraignant par là de rester unis et associés. Et afin de resserrer davantage nos liens, il n’a plus voulu que l’on épousât sa sœur ni sa fille : car alors notre affection aurait été concentrée sur un objet unique, et ç’eût été parmi nous une autre cause de désunion. De là ces paroles : « Celui qui les a faits au commencement, les a faits mâle et femelle ».

C’est l’origine de grands maux, de grands biens aussi, pour les familles, pour les cités. En effet, la société humaine n’a pas de lien aussi fort que l’amour entre l’homme et la femme : c’est aussi la cause de bien des batailles et de bien des damnations. Ce n’est pas sans raison ni sans motif que Paul attache à cette union une si grande importance, et dit : « Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur ». Pourquoi ? Parce que si les époux sont unis, les enfants sont bien élevés ; les serviteurs, obéissants : voisins, amis, parents, profitent de la bonne odeur que répand ce ménage. S’ils sont désunis, tout est dans le désordre et la confusion : ainsi que tout est dans l’ordre quand les chefs vivent en paix, et que leurs dissensions provoquent une perturbation générale. D’où ces paroles : « Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur ». Mais quoi ! d’où vient donc qu’il est écrit ailleurs : Si quelqu’un ne renonce pas à sa femme, à son mari, il ne peut me suivre ? S’il faut être soumis comme au Seigneur, comment peut-il être dit qu’il faut renoncer pour le Seigneur ? Oui, il faut être soumis : mais le mot « Comme » n’indique point nécessairement parité. Ou Paul veut dire : Comme sachant que vous servez le Seigneur ; c’est ce qu’il indique ailleurs en disant que si l’on ne fait pas une chose pour son mari, il faut la faire pour le Seigneur ; ou bien encore : Quand vous cédez à votre mari, croyez que vous lui obéissez comme servante du Seigneur. En effet, si « Celui qui résiste à la puissance extérieure et civile, résiste à l’ordre de Dieu » (Rom. 13,2), à plus forte raison est-ce vrai de l’épouse insoumise. C’est ainsi que Dieu a statué dès l’origine. Représentons-nous donc le mari comme tenant le rang de chef ; la femme, comme occupant la place du corps. Ensuite il a recours au raisonnement : « Parce que l’homme est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’Église, et il est aussi le sauveur de son corps. Comme donc l’Église est soumise au Christ, ainsi le soient en toutes choses les femmes à leurs maris ». Après avoir dit : « L’homme est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’Église, et il est aussi le sauveur », il ajoute : « De son corps ». Car la tête est le salut du corps. Voilà le précepte de l’amour et celui de la protection établie pour l’homme et pour la femme : Paul assigne à chacun sa place, à l’un l’autorité et la protection ; à l’autre, la soumission.

2. « Comme donc l’Église est soumise au Christ » : l’Église, hommes et femmes ; « Ainsi le soient les femmes à leurs maris », comme à Dieu. « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église (25) ». Vous avez entendu quelle complète soumission il prescrit : vous avez approuvé et admiré Paul comme un homme supérieur et spirituel, pour avoir resserré ainsi notre société. Écoutez maintenant, hommes, ce qu’il exige de vous ; il recourt encore au même exemple : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église ». Vous avez vu jusqu’où doit aller l’obéissance : écoutez maintenant jusqu’où doit aller la tendresse. Tu veux que ta femme t’obéisse, comme l’Église au Christ ? Veille donc sur elle comme le Christ sur l’Église : Fallût-il donner ta vie pour elle, être déchiré mille fois, tout souffrir, tout endurer, ne recule devant rien : quand tu aurais fait tout cela, tu n’aurais encore rien fait de comparable à ce qu’a fait le Christ… Car avant de te dévouer pour ta femme, tu es uni à elle : tandis que le Christ s’est immolé pour ceux qui le haïssaient et l’avaient en aversion. Fais donc pour ta femme ce qu’il a fait pour ce peuple qui le haïssait, l’abhorrait, le méprisait, l’insultait ; sans menaces, sans injures, sans terreur, par l’unique instrument de son infinie sollicitude, il a amené son Église à ses pieds. De même, quand bien même ta femme ne te témoignerait que dédain, mépris, insolence, il ne tient qu’à toi de la ramener à tes pieds à force de bonté, d’amour, de tendresse. Car il n’y a pas d’attache plus forte, principalement entre homme et femme. Par la crainte on peut lier les mains à un serviteur, et encore ne tardera-t-il pas à s’échapper : mais la compagne de ta vie, la mère de tes enfants, la source de tout ton bonheur, ce n’est point par la crainte, par les menaces qu’il faut l’enchaîner, mais par l’amour et l’affection. Qu’est-ce qu’un ménage où la femme tremble devant le mari ? Quelle joie y a-t-il pour l’époux, quand il vit avec son épouse comme avec une esclave, et non comme avec une femme libre ? Quand bien même vous auriez souffert quelque chose pour elle, ne le lui reprochez pas : suivez en cela même l’exemple du Christ…

« Il s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant (26) ». Elle était donc impure, laide, vile, repoussante. Quelque femme que vous épousiez, elle ne ressemblera jamais à ce qu’était l’Église quand le Christ l’épousa ; il n’y aura jamais entre vous la distance qui séparait le Christ de l’Église : néanmoins le Christ ne prit point en horreur, en aversion cette effrayante laideur. Voulez-vous savoir jusqu’où allait cette difformité ? Écoutez Paul qui vous dit : « Vous étiez autrefois ténèbres ». (Eph. 5,8) Vous voyez si elle était noire : quoi de plus noir que les ténèbres ? Voyez maintenant son impudence : « Vivant dans la méchanceté et l’envie ». (Tit. 3,3) Et encore son impureté : « Indociles, insensés ». Que dis-je ? Elle était folle, elle blasphémait : néanmoins le Christ s’est livré pour cette épouse difforme comme si elle avait été la plus belle, la plus chérie, la plus admirable des femmes. C’est ce qui faisait dire à Paul étonné : « Certes, à peine quelqu’un mourrait-il pour un juste ». (Rom. 5,7) Et encore : « Si, lorsque nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous ». (Id. 8, 9) Le mariage accompli, il la pare, il la lave, il ne répugne pas à de pareils soins. « Afin de la sanctifier, en la purifiant par le baptême d’eau, par la parole ; pour la faire paraître devant lui une église glorieuse, n’ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable, mais pour qu’elle soit sainte et immaculée (27) ». Par le baptême, il lave son impureté. « Par la parole », ajoute-t-il : quelle parole ? Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Et il ne se borne pas à la parer, il la rend glorieuse : « N’ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable ». Recherchons donc, nous aussi, cette beauté, et nous pourrons en devenir les créateurs. Ne demandez pas à votre femme ce qui n’est point son fait. Ne voyez-vous pas que l’Église doit tout au Seigneur : c’est par lui qu’elle est devenue glorieuse, par lui qu’elle a été faite immaculée. Que la laideur de votre femme ne soit pas pour vous un motif d’aversion. Écoutez plutôt l’Écriture : « Petite est l’abeille parmi les êtres ailés, et son miel surpasse toutes les douceurs ». (Sir. 11,3) Votre femme est un ouvrage de Dieu ; lui manquer, c’est manquer à son auteur : l’injure n’est pas pour elle.

Ne la louez pas de sa beauté : louer, haïr, aimer pour ce motif, tout cela part d’une âme déréglée. Recherchez la beauté de l’âme imitez l’époux de l’Église. La beauté physique est une source intarissable d’orgueil et de vanité : elle provoque la jalousie, les soupçons outrageants. Mais elle a des attraits ? Oui, pour un mois ou deux, pour un an tout au plus : après quoi c’est fini, et l’admiration s’émousse par l’habitude, tandis que les maux engendrés par la beauté subsistent, je veux dire, l’orgueil, la vanité, la hauteur. Mais il n’en est pas de même pour les attraits d’un autre genre : l’amour légitime qu’ils inspirent subsiste dans sa vivacité, comme attaché à la beauté de l’âme, et non à celle du corps.

3. Qu’y a-t-il de comparable au ciel, dites-moi, de comparable aux astres ? Quelque corps que vous me citiez, il a moins de blancheur : vous ne me montrerez pas d’yeux qui aient un pareil éclat. Quand ces objets parurent, les anges furent saisis d’admiration ; cette admiration, nous l’éprouvons aussi maintenant, mais non pas comme à l’origine. Tel est l’effet de l’habitude : elle émousse l’admiration : à plus forte raison, quand il s’agit d’une femme. De plus, survient-il une maladie, voilà tout le charme envolé. Cherchons dans une femme la bonté, la modération, la douceur : tels sont les signes de la vraie beauté ; quant aux attraits du corps, ne nous en inquiétons pas, et ne cherchons pas querelle à notre femme à propos de choses qui ne dépendent point d’elle : lui chercher querelle, ce, serait de l’impudence ; mais de plus n’éprouvons ni peine ni chagrin à ce propos. Combien d’hommes unis à de belles femmes ont péri misérablement ! Combien, dans d’autres conditions, ont poussé jusqu’à l’extrême vieillesse une vie constamment heureuse ! Nettoyons les taches de l’âme, effaçons les rides intérieures, guérissons les imperfections morales. C’est ce genre de beauté que Dieu recherche : rendons notre femme belle au gré de Dieu, et non pas au nôtre… Soyons indifférents à la fortune, à la noblesse mondaine, ne nous soucions que de la noblesse de l’âme : Que nul ne compte sur sa femme pour l’enrichir : ce sont là des richesses honteuses et mal acquises ; ne songez point à la fortune en vous mariant. Il est écrit : « Ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans les convoitises insensées et funestes, dans les pièges, la perte et la ruine ». (1Ti. 6,9) Ne demandez donc point une grande fortune, et vous trouverez tout le reste facilement. Qui est-ce, dites-moi, qui laissera l’essentiel pour s’occuper de choses d’un moindre intérêt ? Hélas ! combien de fois cela nous arrive ! Avons-nous un fils ? nous ne nous occupons pas d’en faire un honnête homme ; mais de lui procurer un riche mariage : nous ne tenons pas à le bien élever, mais à le bien pourvoir ; si nous faisons un métier, nous ne songeons point à le faire honnêtement, mais à le rendre lucratif ; l’argent est tout : et si la corruption est partout, la faute en est à cette passion qui nous possède. « Les maris doivent aimer leurs femmes comme leur propre corps (28) ». Qu’est-ce à dire ? Paul recourt ici à une image plus forte, à un exemple plus frappant : et non seulement plus frappant, mais encore plus rapproché de nous, plus sensible, et équivalent à une nouvelle preuve. Le premier argument était moins pressant, on pouvait y répondre : c’est le Christ, c’est un Dieu qui s’est livré lui-même. Paul recourt alors à une autre méthode, en disant : « Ils doivent ainsi », Ce n’est plus une grâce, c’est une dette. Après avoir dit : « Leurs corps », il ajoute : « Car personne n’a jamais haï sa chair ; mais il la nourrit et la soigne (29) » : en d’autres termes, s’en occupe avec une grande sollicitude. Et comment est-ce sa chair ? Écoutez plutôt : « C’est maintenant l’os de mes os, et la chair de ma chair ». (Gen. 2,23) Et bien plus « Ils seront dans une seule chair ». (Eph. 5,31) « Comme le Christ a aimé l’Église ». Il revient à son premier exemple. « Parce que nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et de ses os (30) ». Comment cela ? C’est qu’il participe de la même matière que nous, comme la chair d’Eve, de la chair d’Adam. C’est à bon droit qu’il nomme les os et la chair : car c’est ce qu’il y a d’essentiel en nous : les os sont comme le fondement, et la chair comme le reste de l’édifice.

Pour Adam et Eve la chose est claire, mais elle ne l’est pas autant pour le Christ et l’Église. – Paul veut dire que l’union doit être la même ici. Qu’est-ce à dire : « De sa chair ? » C’est-à-dire, légitimement issus de lui : Et comment sommes-nous ainsi membres du Christ ? Parce que nous avons été faits selon lui. Et pourquoi « De sa chair ? » Vous le savez, vous qui participez à nos mystères : car voilà ce qui nous régénère. Et comment ? Écoutez encore notre saint : « Parce que les enfants ont part à la chair et au sang, semblablement il a participé, lui aussi, des mêmes choses ». Mais ici c’est lui qui s’est associé à nous, ce n’est pas nous qui nous associons à lui : comment donc pouvons-nous être de sa chair et de son sang ? Quelques-uns parlent du sang et de l’eau : mais non : ce qu’il veut montrer, c’est que, comme le Christ a été engendré sans commerce par l’opération du Saint-Esprit, ainsi nous sommes, nous, engendrés dans le baptême. Voyez que d’exemples, pour nous convaincre de cette génération. O démence des hérétiques ! Ils tombent d’accord de la véritable génération, par l’eau, d’une chose déjà engendrée : et ils n’admettent pas que nous soyons le corps du Christ. Mais, si nous ne le sommes pas, comment accorder avec le reste ces paroles : « De sa chair et de ses os ? » Réfléchissez : Adam a été formé, le Christ a été enfanté : du flanc d’Adam est sorti le trépas ; du flanc du Christ est issue la vie dans le paradis a germé la mort ; sur la croix a été consommée la destruction de la mort.

4. Ainsi, de même que le Fils de Dieu participe de notre nature, nous participons, nous, de sa substance : et de même qu’il nous a en lui, nous l’avons en nous. « A cause de cela, l’homme laissera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme ; et ils seront deux dans une seule chair (31) ». Troisième argument : il montre que l’on quitte ses parents, les auteurs de ses jours, pour s’attacher à sa femme : et dès lors le père, la mère et l’enfant forment une chair unique résultant de l’union conjugale : car c’est la combinaison des semences qui produit l’enfant : de sorte que tous trois ne forment qu’une chair. De même, nous devenons une seule chair avec le Christ par la participation : et cela, encore bien plus effectivement que l’enfant. Pourquoi ? Parce qu’il en a été ainsi dès l’origine. Ne venez pas me dire que votre femme est comme ceci ou comme cela. Ne voyons-nous pas que dans la chair aussi nous sommes sujets à beaucoup d’imperfections ? L’un est boiteux, l’autre pied bot, un autre perclus des mains, un autre faible dans quelque autre membre : néanmoins, il ne se plaint pas de ce membre imparfait, il ne le retranche pas : souvent même il le préfère à tout autre : rien de plus naturel, il est le sien. – Paul veut donc que nous ayons pour notre femme autant d’affection que chacun en a pour soi-même : non comme participant de la même nature ; notre rapport légitime avec notre femme est plus étroit : il consiste en ce que nous ne formons plus deux corps, mais un seul, dont l’un forme la tête, l’autre le corps. – Et comment dit-il ailleurs que « Dieu est la tête du Christ ? » – Oui, de même que nous formons un seul corps, de même le Christ et le Père ne font qu’un. Il en résulte que le Père aussi est notre tête. Paul allègue deux exemples, celui du corps et celui du Christ : de là ce qu’il ajoute : « Ce mystère est grand : je le dis dans le Christ et dans l’Église (32) ». Qu’entend-il par là ? Il appelle ce mystère grand parce que le bienheureux Moïse, ou plutôt Dieu avait fait allusion à quelque chose de grand et de merveilleux. Il ajoute : « Je le dis dans le Christ », parce que le Christ aussi a quitté son Père pour descendre, pour venir vers l’épouse, et former un seul esprit : « Car celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui ». (1Co. 6,17) C’est fort à propos qu’il dit : « Ce mystère est grand » ; cela revient à dire : D’ailleurs l’allégorie ne détruit pas le précepte d’amour.

« Que chacun de vous donc aime sa femme comme lui-même ; mais que la femme craigne son mari (33) ». Oui, c’est un mystère, un grand mystère, qu’on oublie son père, l’auteur de ses jours, celui par qui on a été élevé, celle par qui on a été enfanté dans la souffrance, ceux a qui l’on doit tant, et à qui l’on est attaché par un commerce journalier, pour s’unir à une femme que l’on n’a jamais vue, avec laquelle on n’a rien de commun, et de la préférer à tout. Oui, c’est bien un mystère. Et cela ne cause aucune peine aux parents c’est le contraire qui leur en cause : il faut qu’ils se mettent en frais, en dépense, et néanmoins ils se réjouissent. Oui, c’est un grand mystère, qui enveloppe une sagesse ineffable. Dès longtemps Moïse l’avait prophétisé : et voici que Paul, à son tour, s’écrie : « Dans le Christ et dans l’Église ». D’ailleurs, cela n’est pas dit seulement en vue du Christ, mais encore en vue de la femme, afin que le mari en ait soin comme de sa propre chair, comme le Christ a soin de l’Église. « Mais que la femme craigne son mari ». Ce n’est pas seulement la tendresse qu’il recommande : il veut encore « Que la femme craigne son mari ». La femme est une puissance subordonnée. Qu’elle ne réclame donc point l’égalité : elle est au-dessous du chef. Et que d’autre part le mari ne méprise point en elle sa sujette : elle est le corps ; et si le chef vient à mépriser le corps, il se perd lui-même. Qu’il fasse donc de la tendresse un contre-poids à l’obéissance. Que tous deux soient, en effet, comme le chef et le corps ; celui-ci prêtant à l’autre, pour son service, les mains, les pieds, tous les autres membres : celui-là veillant sur le précédent, et concentrant en soi tout le sentiment. Rien de supérieur à une pareille union. Mais comment, dira-t-on, y aurait-il affection, s’il y a crainte ? Rien, au contraire, n’est plus propre à l’entretenir. La femme craint, mais elle aime ; elle craint son mari, en l’aimant, comme son chef ; elle l’aime comme un membre de son corps, attendu que la tête fait partie du corps entier. Si Dieu a donné l’autorité à l’un, prescrit à l’autre la soumission, c’est afin de faire régner la paix. C’est en vain qu’on chercherait la paix, là où règne l’égalité, soit que la famille reste sans maître, ou que tous y soient maîtres ; il y faut un pouvoir unique. Du moins cela est vrai des hommes charnels : car entre hommes spirituels, la paix régnera toujours. On a vu cinq mille âmes réunies, sans que personne réclamât aucun bien comme sa propriété, ni sortît de la dépendance commune : grande preuve de sagesse et de crainte de Dieu. Ainsi Paul a dit en quoi, consiste la tendresse, mais non en quoi consiste la crainte.

5. Et voyez comme il s’étend sur l’amour, et en rappelant l’exemple du Christ, et en insistant sur l’identité de chair, en disant : « A cause de cela, l’homme laissera son père et sa mère » ; sur la crainte, plus de détails. Pourquoi ? Parce que, ce qu’il veut voir régner surtout, c’est la tendresse. Qu’elle existe, tout le reste s’ensuit : en son absence, tout fait défaut. Celui qui aime sa femme, la trouvât-il médiocrement docile, saura tout supporter : pareillement, la concorde sera la chose du monde la plus difficile, si la liaison n’est pas resserrée par l’instinct impérieux de l’amour : quant à la crainte, elle ne saurait jamais produire un tel effet. Voilà pourquoi il insiste davantage sur ce point, qui est capital. Et en réalité l’avantage est pour la femme, à qui pourtant la crainte est ordonnée : l’obligation la plus essentielle est celle de l’homme qui doit aimer. Et si ma femme ne me craint pas ? dira-t-on. Aimez-la, payez votre contingent… Peu importe que les autres ne nous secondent pas : il faut obéir de notre côté. Par exemple, il est écrit : « Soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ ». Mais si les autres ne pratiquent pas cette soumission ? Eh bien ! obéissez, vous, à la loi de Dieu. Il en est de même ici : La femme doit craindre, ne fût-elle pas aimée, afin qu’aucun obstacle ne vienne d’elle : et l’homme doit aimer sa femme, n’en fût-il pas craint, afin de ne pas se mettre lui-même en faute : car chacun a son devoir particulier. Voilà le mariage selon le Christ, le mariage spirituel, la génération spirituelle, qui ne procède pas du sang, que n’accompagne point la douleur. De ce genre fut la génération d’Isaac : écoutez plutôt ce que dit l’Écriture : « Et les pertes de Sara avaient cessé ». (Gen. 18,11) Voilà le mariage qui ne procède ni de la passion ni du corps, le mariage tout spirituel que contracte une âme jointe à Dieu par des liens ineffables que lui seul connaît. De là ces paroles : « Celui qui est uni au Seigneur est un seul esprit avec lui ». (1Co. 6,17)

Voyez-vous comme Paul s’applique à unir chair à chair, esprit à esprit ? Où sont les hérétiques ? Si le mariage était blâmé, l’Écriture n’emploierait point ces noms d’épouse et d’époux : elle ne dirait point en forme d’exhortation : « L’homme laissera son père et sa mère » ; elle n’ajouterait point : « Je le dis dans le Christ et dans l’Église ». En effet, c’est de l’Église que parle le psalmiste, en disant : « Écoute, ma fille, vois, penche ton oreille oublie ton peuple et la maison de ton père et le roi désirera ta beauté ». De là ces paroles du Christ : « J’ai quitté mon père, et je suis venu ». Mais ces mots par lesquels il annonce qu’il a quitté son Père, ne doivent pas vous représenter un déplacement pareil à ceux des hommes. On lit ailleurs qu’il est sorti, pour indiquer, non une véritable sortie, mais l’incarnation : c’est ainsi que doit être ici entendue cette expression, qu’il a quitté son Père. Pourquoi maintenant Paul n’a-t-il pas dit également de la femme. Elle s’attachera à son mari ? Pourquoi ? Parce qu’il parle de l’amour, et qu’il s’adresse à l’homme. Quant à elle, il lui parle de la crainte, et lui dit : « L’homme est le chef de la femme », et de plus : « Comme le Christ est le chef de l’Église » ; à l’homme, il parle de l’amour, il remet le sort de sa femme entre ses mains, il l’entretient du devoir d’aimer, afin de resserrer les liens de son attachement. Comment serait-il excusable, celui qui, après avoir quitté son père pour sa femme, délaisserait ensuite sa femme elle-même ? Ne voyez-vous pas de quel honneur Dieu a voulu faire jouir votre épouse, puisqu’il vous détache de votre père, pour vous enchaîner à elle ? Mais, dira-t-on, si je remplis mes devoirs, et que de son côté elle n’en fasse pas autant ? « Si l’infidèle se sépare, qu’il se sépare, car notre frère ou notre sœur n’est plus asservie en ce cas ».

Mais quand vous entendez dire. La crainte, c’est la crainte qui convient à une femme libre : n’exigez pas une crainte servile. Votre femme est votre corps : lui manquer, c’est vous insulter vous-même, c’est profaner votre corps : De quelle crainte s’agit-il ? De la crainte qui prévient les contradictions, les révoltes, l’ambition du premier rang : c’est entre ces limites que la crainte doit se tenir. Si vous aimez comme il vous est prescrit, vous la renforcerez : ou plutôt, ce n’est plus par la crainte que vous agirez : car la tendresse elle-même a son efficacité. Ce sexe est un peu faible ; il a besoin de beaucoup d’aide, de beaucoup de condescendance. Mais que vont dire ceux qui convolent en secondes noces ? Je ne dis pas cela pour les condamner : A Dieu ne plaise ! puisque l’apôtre les absout : je condescends au contraire à leur faiblesse. Pourvoyez à tous les besoins de votre femme, ne négligez rien pour ses intérêts, n’épargnez pas votre peine : c’est un devoir impérieux. Paul, ici, ne juge pas à propos d’invoquer des exemples mondains, comme il fait souvent. Celui du Christ est assez grand, assez frappant pour lui suffire surtout en ce qui concerne la soumission. « Il laissera son père et sa mère ». Voilà qui est emprunté au monde. Mais il ne dit pas : Et habitera avec elle, il dit : « S’attachera à elle », marquant par là une complète union, une vive tendresse. Et il ne s’en tient pas là par ce qu’il ajoute, il représente la soumission sous de telles couleurs, que les deux ne paraissent plus qu’un. Il ne dit pas : En esprit ; il ne dit pas : En âme. C’est chose évidente, et possible à chacun ; il dit : De telle façon qu’ils ne forment qu’une chair.

6. La femme est elle-même une puissance investie d’autorité et d’égalité en beaucoup de choses ; néanmoins, l’homme a toujours une supériorité. Voilà la principale sauvegarde du ménage. Car si l’homme a reçu le rôle du Christ, ce n’est pas seulement pour aimer, mais encore pour instruire : « Afin qu’elle soit sainte et immaculée » ; tandis que ces mots : « Chair », « Il s’attachera », regardent l’obligation d’aimer. En effet, si vous savez rendre votre femme sainte et immaculée, tout le reste s’ensuit. Cherchez les choses de Dieu, et les choses humaines vous viendront d’elles-mêmes. Faites l’éducation de votre femme ; c’est par là que l’union s’établit dans le ménage. Écoutez plutôt ce que dit Paul : « Si elles veulent savoir quelque chose, qu’elles interrogent à la maison leurs propres maris ». (1Co. 14,35) Si nous administrons ainsi nos maisons, nous nous rendrons aptes à diriger aussi l’Église : car le ménage est une petite Église. C’est par là que maris et femmes peuvent surpasser tout le monde en vertu. Songez à Abraham, à Sara, à Isaac, à leurs trois cent dix-huit serviteurs ; rappelez-vous quelle union quelle piété régnaient dans toute leur maison. Sara sut remplir le précepte de l’apôtre, et craindre son mari ; c’est elle-même qui dit : « Il ne m’est pas arrivé jusqu’ici, et monseigneur est vieux ». (Gen. 18,12) Quant à Abraham, il l’aimait au point de céder à toutes ses prières. Leur fils était vertueux, leurs serviteurs eux-mêmes, dignes d’admiration ; eux, qui ne craignirent point de partager les périls de leur maître, qui s’y associèrent sans hésitation, sans vaine excuse : que dis-je, l’un d’eux, le principal, était si accompli, qu’Abraham lui confia le soin de marier son fils unique, et le fit voyager à l’étranger. Quand un général a fortement organisé son armée, aucun ennemi n’ose l’attaquer : il en est de même ici ; lorsque femme, enfants, serviteurs, concourent au même but, une parfaite concorde règne dans le ménage ; au contraire, s’il n’en est pas ainsi, un mauvais serviteur suffit souvent pour tout ruiner, tout perdre ; et ce désastre général est l’œuvre d’un seul homme. Veillons donc avec grand soin sur nos femmes, nos enfants, nos serviteurs, bien convaincus que nous faciliterons par là l’exercice de notre autorité, et que nos comptes en deviendront plus légers, plus faciles à rendre, que nous pourrons dire : « Me voici avec les enfants que Dieu m’a donnés ». (Isa. 8,18) Si l’homme est accompli, si le chef est irréprochable, le reste du corps résistera à toutes les atteintes.

Ainsi donc, Paul nous instruit à merveille des obligations de la femme et de celles du mari : à la femme, il prescrit de craindre son mari, comme son chef ; à l’homme, d’aimer sa femme, parce qu’elle est sa femme. – Mais comment arriver là ? dira-t-on. – Paul a dit quel est le devoir : les moyens d’accomplir ce devoir, je vais vous les indiquer. Il faut mépriser les richesses, ne songer qu’à une chose, la vertu, et avoir la crainte de Dieu devant les yeux. – Ici s’applique tout aussi bien ce qui est dit au sujet des serviteurs : « Ce que chacun leur aura fait de mal ou de bien, il le recevra du Seigneur. S’il faut aimer sa femme, c’est moins en vue d’elle-même, qu’en vue du Christ. C’est ce que l’apôtre indique par ces mots : « Comme au Seigneur ». Que votre conduite soit donc en tout celle d’un homme qui obéit au Seigneur et fait tout en vue de lui : Voilà le moyen de gagner le cœur, de persuader, d’empêcher toute querelle et toute discorde. Que la femme n’ajoute foi à aucune dénonciation contre son mari. Que le mari ne croie pas inconsidérément et à la légère ce qu’on lui dit contre sa femme ; que celle-ci ne scrute pas avec curiosité les allées et venues de son mari, qui, de son côté, ne doit donner matière à aucun soupçon. Dis-moi, crois-tu qu’en te livrant tout le jour à tes amis, et ne paraissant que le soir auprès de ta femme ; tu pourras contenter son affection, écarter de son esprit la défiance ? Si elle se plaint, ne t’en fâche pas ; car ses plaintes prouvent sa tendresse, non son exigence : ce sont les cris d’un amour ardent qui craint qu’on ne lui ait ravi son bonheur, le premier de ses biens ; qu’on ne lui ait enlevé son chef, qu’on n’ait attenté à ses droits.

Ces craintes pusillanimes peuvent aussi avoir une autre raison ; il ne faut pas montrer une affection excessive pour ses serviteurs, pour les femmes en ce qui concerne le mari, pour les hommes en ce qui concerne la femme ; car c’est souvent un motif de défiance. Veuillez vous représenter la conduite des justes. Sara, elle-même, invitait le patriarche à prendre Agar ; Sara l’en pressait, personne ne pouvait vaincre la résistance d’Abraham ; bien que parvenu à l’extrême vieillesse sans avoir d’enfants, il aimait mieux ne devenir jamais père que de chagriner sa femme. Néanmoins, quand tout fut accompli, que dit Sara ? « Que Dieu juge entre moi et toi ». Est-ce que, si Abraham avait été un homme comme un autre, il ne se serait pas mis en colère ? Est-ce qu’il n’aurait pas levé la main en disant, ou à peu près : Que dis-tu ? Je ne voulais pas avoir commerce avec cette femme : c’est toi qui l’as voulu, et voici que tu me fais des reproches ? Mais il ne dit rien de pareil ; il dit seulement : « Voici cette servante entre tes mains, fais-en ce que tu jugeras à propos ». Il livra la compagne de sa couche, pour ne pas affliger Sara. Et pourtant il n’est pas d’union qui crée un lien aussi fort. En effet, s’il suffit d’une réunion à table pour réconcilier des brigands mêmes avec leurs ennemis (le Psalmiste dit « Toi qui goûtais avec moi les douceurs du repas »), à plus forte raison l’union de deux personnes en une seule chair (car c’est ce qui arrive pour celles dont la couche est commune), est-elle propre à faire naître l’affection. Aucune de ces considérations, néanmoins, ne triompha du juste : il céda à sa femme, montrant ainsi qu’il n’était pour rien dans ce qui s’était passé ; et, qui plus est, il renvoya Agar, enceinte. Qui n’aurait pitié d’une femme enceinte de ses œuvres ? Néanmoins, le juste ne faiblit pas ; car il faisait passer avant tout l’amour qu’il portait à sa femme.

7. Sachons l’imiter. Que l’un des époux, s’il est plus riche, ne reproche pas à l’autre sa pauvreté. L’amour de l’argent perd tout. Que la femme ne dise pas à son mari : Homme timide et lâche, esprit paresseux et somnolent, tel autre à côté de toi, malgré la bassesse de sa naissance et de sa position, à force de périls bravés et de voyages entrepris, est parvenu à ramasser de grandes richesses ; sa femme, couverte d’or, parcourt la ville dans un beau char attelé de mules blanches, traînant après elle une troupe d’esclaves et d’eunuques ; et toi, tu n’es qu’un poltron, et ta vie est complètement inutile. Non, qu’une femme n’aille pas tenir ce langage, ni un langage pareil ; car elle est le corps, non pour commander au chef, mais pour lui céder et lui obéir. Et comment donc, dira-t-on, supportera-t-elle la pauvreté ? Où trouvera-t-elle des consolations ? Qu’elle se représente celles qui sont plus pauvres qu’elle ; qu’elle compte combien de filles nobles, loin de rien recevoir de leurs maris, les ont enrichis et se sont ruinés ; qu’elle songe aux périls qui accompagnent la richesse : et une vie libre d’affaires lui paraîtra le bonheur même. Mais à tout prendre, si elle aime son mari, elle ne lui dira rien de pareil ; elle aimera mieux l’avoir auprès d’elle, pauvre comme il est, que de posséder dix mille talents d’or, au prix des soucis, des inquiétudes, que les voyages causent toujours aux femmes. D’autre part, que le mari, importuné de ces reproches, ne se prévale pas de son autorité pour en venir aux injures et aux coups : qu’il exhorte, qu’il conseille, qu’il raisonne avec elle comme avec un esprit plus faible que le sien, que jamais il ne lève la main ; cela répugne à une âme libre : pas même d’injures ni d’invectives, qu’il corrige sa femme, comme un être inférieur à lui-même en raison. Comment y parvenir ? Si l’on sait en quoi consiste la vraie richesse, si l’on est initié à la philosophie céleste, on se gardera de pareils reproches… Que, le mari enseigne à sa femme que la pauvreté n’est pas un mal ; qu’il le lui enseigne, non seulement par ses paroles, mais encore par sa conduite ; qu’il lui inspire le mépris de la vaine gloire, et la femme ne dira, ne désirera rien de semblable. Que, l’entourant d’un pieux respect dès le premier soir qu’elle a mis le pied chez lui ; il lui enseigne la tempérance, la modestie, la douceur, à mener toujours une vie honnête, à ne pas aimer l’argent, à pratiquer la philosophie chrétienne, à ne pas charger d’or ses oreilles, son visage, son cou, à ne pas thésauriser en secret, à préférer une simplicité élégante aux vêtements somptueux et dorés, au luxe insolent. Loin de toi cet étalage théâtral ! Orne ta maison avec décence et bon goût, et qu’on y respire, en entrant, au lieu de parfums, la modération et la sagesse. Deux avantages, ou plutôt trois résulteront de là : d’abord la jeune femme ne sera pas affligée, la noce finie, de voir renvoyer à ceux qui les ont fournis vêtements, objets d’or, vases d’argent : en second lieu, l’époux n’aura pas à veiller à ce que ces objets ne se perdent point et soient tenus sous bonne garde. Le troisième avantage, et le plus essentiel, c’est que par là même il montrera ses sentiments, le peu de prix qu’il attache à tout cela, le soin qu’il prendra d’interdire tout ce qui y ressemble, ainsi que les danses, les chants licencieux.

Je ne me dissimule pas que je me rends peut-être ridicule aux yeux de quelques-uns en légiférant de la sorte mais si vous suivez mes conseils, avec le temps, quand vous en aurez profité, vous en saurez le prix : vous ne rirez plus, ou plutôt vous rirez de la mode actuelle ; vous verrez que des pratiques pareilles ne sauraient convenir qu’à des enfants sans raison ou à des hommes ivres : qu’au contraire, la conduite que je vous trace est celle de la décence, de la sagesse et du christianisme… Qu’est-ce donc que je prescris ? De bannir du mariage toute chanson licencieuse, satanique, tout refrain indécent, toute affluence de jeunes débauchés : voilà le moyen d’inspirer la pudeur à votre femme. Elle se dira aussitôt : Quel homme est mon mari ! il est philosophe, il compte pour rien la vie présente, il m’a épousée pour avoir des enfants, pour les élever, pour que sa maison soit gardée. Mais ces pensées déplaisent à une jeune femme : oui, le premier, le second jour : plus tard, c’est différent : elle trouvera un grand bonheur à jouir d’une sécurité parfaite. En effet, un homme qui ne supporte ni le son de la flûte, ni la vue des danses, ni la licence des chansons, et cela, au jour de son mariage, celui-là ne consentira jamais, certes, à rien faire, à rien dire de honteux. Ensuite, après avoir pris soin d’écarter du mariage tout cet appareil, commencez l’éducation de votre femme : laissez-lui longtemps ses craintes pudiques, ne les chassez pas d’un coup. Car la jeune fille la plus hardie reste un temps silencieuse, par réserve à l’égard de son mari, et par ignorance. Respectez donc d’abord cette réserve ; n’imitez pas l’empressement déréglé de certains hommes ; sachez attendre longtemps vous vous en trouverez bien… Pendant ce temps elle ne vous fera pas de reproches ; elle ne trouvera pas à redire à vos décisions.

8. Profitez, pour lui tracer des règles de conduite, du temps où la honte, semblable à un frein, l’empêche de se plaindre, de réclamer car elle n’aura pas plutôt son franc-parler, qu’elle sera libre de tout bouleverser. Quel temps pourrait être mieux choisi pour l’éducation d’une femme, que celui où elle rougit encore devant son mari, et n’a pas cessé de le craindre ? Usez de l’occasion pour lui tracer son devoir, et de toute manière, de bon gré ou à contre-cœur, elle vous obéira. Mais comment ne pas lui enlever cette pudeur ? En vous en montrant pénétré comme elle, en lui parlant brièvement, avec retenue et gravité alors vous pourrez lui parler de sagesse ; elle vous écoutera : inspirez-lui cette précieuse disposition, la pudeur. Si vous le voulez, je vous dirai en manière d’exemple, de quelle façon vous devez vous entretenir avec elle. Car, si Paul n’a pas craint de dire : « Ne vous frustrez pas mutuellement » (1Co. 7,5), s’il a tenu le langage d’un paranymphe, parlons mieux, d’une âme spirituelle : à plus forte raison ne refuserons-nous pas, nous, de tenir ce langage. Que faut-il donc dire à votre femme ? Dites-lui avec la grâce la plus parfaite : Chère petite fille, je t’ai choisie pour la compagne de ma vie, j’ai associé mon existence à la tienne, dans les choses les plus importantes et les plus nécessaires d’ici-bas l’éducation des enfants et le gouvernement de la famille. Qu’est-ce donc que je te demande ? Mais non : avant tout, entretenez-la de votre amour : car rien n’est plus propre à disposer celui qui nous écoute à agréer nos paroles, que la conviction qu’elles nous sont inspirées par une vive tendresse. Comment donc montrer votre tendresse ? En disant : Je pouvais épouser une femme plus riche, d’une naissance plus illustre ; je ne l’ai pas voulu, j’ai aimé tes vertus, ta douceur, ta pudeur ; ta modestie. Puis, arrivez aux discours de morale, dépréciez la richesse en prenant un certain détour. Car si vous vous étendiez sans précaution sur ce sujet, vous seriez importun : si vous saisissez une occasion, vous arriverez à vos fins. Votre discours semblera alors une apologie ; vous ne paraîtrez plus un homme dur, farouche, à vues étroites : et même, en vous entendant la prendre elle-même pour point de départ, votre femme sera charmée. Vous lui direz donc (puisqu’il faut revenir sur ce que j’ai dit) que, pouvant épouser une femme riche, vous ne l’avez pas voulu. Pourquoi ? ce n’est point par caprice, ni sans raison, direz-vous : c’est parce que je savais que la fortune n’est pas un bien, mais une chose méprisable, et qui échoit souvent aux voleurs, aux courtisanes, aux profanateurs de tombeaux.

Aussi ai-je tout dédaigné pour ne voir que les qualités de ton âme, que j’estime au-dessus de tous les trésors ; car une fille sage, de sentiments élevés, et pieuse, vaut le monde entier. Voilà pourquoi je me suis attaché à toi ; voilà pourquoi je t’aime et te préfère à ma propre vie, car la vie présente n’est rien ; mais je t’adresse mes prières, mes recommandations, et je fais tout pour qu’il nous soit donné, après avoir passé la vie actuelle dans un mutuel amour, d’être encore réunis et heureux dans la vie future. Tout ce qui est d’ici-bas est court et fragile : mais si nous avons su nous rendre dignes de la bonté de Dieu, au sortir de ce monde, nous serons éternellement avec Jésus-Christ, éternellement l’un avec l’autre, au sein d’une félicité parfaite. Ton affection me plaît par-dessus tout, et rien ne me serait aussi pénible que d’avoir en quoi que ce soit une autre pensée que là tienne. Quand il me faudrait tout perdre, devenir plus pauvre qu’Irus, encourir les plus extrêmes périls, tout souffrir, rien ne me coûtera, rien ne m’effraie pourvu que je possède ton amour, et je souhaiterai des enfants quand tu auras de la tendresse pour moi.

En outre, il faudra conformer votre conduite à ces paroles. Mêlez à cela les paroles apostoliques, dites : Ainsi Dieu veut que notre affection mutuelle soit resserrée. « À cause de cela, dit l’Écriture, l’homme laissera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme ». Loin de nous toute occasion de querelles : fi des richesses, des troupes d’esclaves, des honneurs du monde ! Voici pour moi le bien suprême. Quelles richesses, quels trésors auraient la même valeur, aux yeux d’une femme, que de telles paroles ? Ne crains point que ton amour n’inspire de l’orgueil à ta femme : n’hésite pas à le lui avouer. Une de ces courtisanes qui s’abandonnent tantôt à l’un, tantôt à l’autre, pourrait se prévaloir de ces paroles tendres pour opprimer ses amants ; mais une femme bien née, une fille de bonne maison, loin de se laisser enorgueillir par un tel langage, n’en sera au contraire que plus soumise. Montre-lui que tu attaches un grand prix à sa société, et que tu aimes mieux, à cause d’elle, être à la maison, que sur la place : préfère-la à tous tes amis, aux enfants mêmes que tu as d’elle, et que tu dois aimer pour elle. Si elle fait quelque chose de bien, il faut la louer, la féliciter ; si elle fait quelque sottise comme s’en permettent les jeunes femmes, avertis-la, rappelle-lui ses devoirs. Ne laisse pas échapper une seule occasion de t’élever contre la richesse et le luxe, de faire valoir la parure qui consiste dans la décence et la pudeur, de donner en un mot tous les conseils opportuns.

9. Faites vos prières en commun : allez chacun de votre côté à l’église : et qu’au retour le mari demande compte à sa femme, la femme à son mari de ce qui a été dit et lu… Éprouvez-vous quelque gêne ? Cite l’exemple de ces saints, comme Paul et Pierre, dont la gloire surpasse celle de tous les riches et de tous les monarques, et rappelle comment ils ont vécu en proie à la soif, à la faim : enseigne qu’il n’y a rien à craindre en ce monde, si ce n’est d’offenser Dieu. Un pareil mariage ne sera guère inférieur à la vie monastique ; de tels époux auront peu de chose à envier aux célibataires. Veux-tu donner un repas, un festin ? Au lieu d’inviter quelque libertin sans vergogne, va chercher un saint pauvre en état de bénir votre maison, d’y apporter, en entrant, la bénédiction de Dieu, et invite-le. Faut-il ajouter encore quelque chose ? qu’aucun de vous, mes bien-aimés, n’ambitionne de se marier avec une femme plus riche que lui : mieux vaudrait la choisir plus pauvre. Une femme riche vous apportera moins de jouissances par sa fortune que d’ennui par ses exigences, ses prétentions, ses grandes dépenses, ses paroles hautaines et méprisantes. Elle dira peut-être Je n’use rien qui soit à toi, je m’habille à mes dépens et sur les revenus qui me viennent de ma famille. Que dis-tu là ? Tu t’habilles à tes dépens ? quelle folie ! Ton corps ne t’appartient plus : et tu t’appropries les biens ! Une fois mariés, l’homme et la femme ne font plus qu’un, et vous auriez non pas une fortune commune, mais deux fortunes distinctes ! O fatal amour de l’argent ! Vous n’êtes qu’un même être, une même vie, et vous parlez encore du tien et du mien ! Parole exécrable et criminelle, inventée par l’enfer ! Dieu nous a rendu communes des choses plus nécessaires que les richesses ; il n’est pas permis de dire : La lumière est à moi ; le soleil est à moi ; l’eau est à moi ; les biens les plus importants nous sont communs ; l’argent seul ne le serait pas entre deux époux ! Périsse mille fois l’argent, ou plutôt, non : mais périsse cet attachement à l’argent, qui ne sait pas en user, et qui l’estime au-dessus de tout !

Apprends ces choses-là, avec le reste, à ta femme : mais avec une grande bonté. L’exhortation à la vertu a par elle-même quelque chose de trop sévère, surtout si elle s’adresse à une jeune personne délicate et timide. Quand donc tu t’entretiendras avec elle de notre philosophie, mets-y beaucoup de grâces, et cherche principalement à arracher de son âme le tien et le mien. Si elle dit : Ceci est à moi, réponds aussitôt : que réclames-tu comme étant à toi ? Je l’ignore : car, pour moi, je n’ai rien en propre ; et ce n’est pas telle ou telle chose, c’est tout ce qui t’appartient. Passe-lui donc cette parole. Ne vois-tu pas comme on fait avec les petits enfants ? Quand un enfant nous a pris un objet de la main, et veut en avoir encore un autre, nous les lui abandonnons tous les deux, et nous disons. Oui, cela est à toi, et cela aussi. Faisons de même pour la femme, car c’est une âme d’enfant. Si elle dit : Ceci est à moi, dis-lui : Oui, tout est à toi, et moi aussi, tout le premier, je suis à toi. Et ce ne sera pas flatterie, mais sagesse. Ainsi, tu pourras tour à tour apaiser sa fougue, et guérir son abattement. Il y a flatterie, quand on s’abaisse dans une intention coupable : ici au contraire, il n’y a qu’une grande sagesse. Dis donc à ta femme : Et moi aussi, je suis à toi, ma chère fille ; c’est le précepte que m’adresse Paul en disant : « Le mari n’est pas maître de son propre corps, mais c’est l’épouse ». (1Co. 7,4) Si je ne suis plus maître de mon corps, s’il t’appartient, à plus forte raison en est-il ainsi de l’argent. Par un tel langage vous la calmez, vous éteignez son courroux, vous faites honte au diable : enchaînée par ces paroles, votre femme devient plus soumise qu’une esclave achetée à prix d’argent. Apprenez-lui donc par vos discours à ne plus employer ces mots de Tien et de Mien. Jamais ne l’appelez par son nom tout court : flattez-la, marquez-lui des égards, une affection profonde. Honorez-la, et elle ne désirera pas d’autres hommages : la gloire extérieure aura peu de prix à ses yeux, si vous la glorifiez vous-même. Mettez-la au-dessus de tout en toute chose, en beauté, en intelligence ; et vantez-la. Par là vous l’amènerez à ne faire aucune attention aux étrangers, à dédaigner tout ce qui n’est pas vous-même. Enseignez-lui la crainte de Dieu : tout le reste s’ensuivra en abondance, et les prospérités rempliront votre demeure. Si nous cherchons les biens éternels, les biens périssables ne nous feront pas défaut : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît ». (Mat. 6,33) Que devront être les enfants issus de parents aussi vertueux ; les esclaves attachés au service de tels maîtres ; enfin, tout ce qui les approche ! Toutes ces personnes ne seront-elles pas, elles aussi, comblées de prospérités de tout genre ? En général, les serviteurs se modèlent sur leurs maîtres, affectent leurs passions, aiment ce qu’ils leur ont appris à aimer, parlent comme eux, vivent comme eux. Si nous travaillons à nous modeler ainsi nous-mêmes, les yeux fixés sur les Écritures, elles nous donneront les leçons les plus instructives : par là, nous pourrons plaire au Seigneur, passer vertueusement toute la vie présente, et obtenir enfin les biens promis à ceux qui aiment Dieu desquels puissions-nous tous être jugés dignes, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXI. modifier

ENFANTS, OBÉISSEZ A VOS PARENTS DANS LE SEIGNEUR ; CAR CELA EST JUSTE. HONORE TON PÈRE ET TA MÈRE (C’EST LE PREMIER COMMANDEMENT FAIT AVEC UNE PROMESSE), AFIN QUE BIEN T’ARRIVE, ET QUE TU VIVES LONGTEMPS SUR LA TERRE. (VI, 1-3, 4)

Analyse. modifier

  • 1 et 2. De l’obéissance et du respect filial.
  • 3. De l’éducation.— Danger des études profanes quand on n’y allie point celle des saintes Écritures.
  • 4. Réfutation de l’objection tirée de ce que l’enfant est destiné à vivre dans le monde. – Exemples divers : le saint solitaire Julien. – Que les parents peuvent être responsables de l’indocilité de leurs enfants.

1. Celui qui façonne une statue, donne la première place à la tête ; puis vient le cou ; enfin les pieds. Saint Paul ne procède pas autrement dans ce discours. Il a parlé de l’homme, il a parlé de la femme, puissance subordonnée : il passe au troisième degré de la hiérarchie, les enfants. Car si la femme a pour maître le mari, les enfants sont soumis à la fois au mari et à la femme. Considérez donc ce que dit l’apôtre : « Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur. C’est le premier commandement fait avec une promesse ». Il ne parle plus ici du Christ ni des choses d’en haut : car il s’adresse à des esprits faibles encore ; par la même raison, il ne prolonge pas son exhortation : il sait que les enfants sont incapables de suivre un long discours. De même, il ne dit rien du royaume de Dieu : car, à cet âge, on n’est pas apte à entendre ce langage. Il se borne à la promesse la plus flatteuse pour une âme enfantine, celle d’une longue vie. En effet, si l’on venait à s’enquérir de la raison pour laquelle il a passé le royaume de Dieu sous silence, et s’est borné à répéter le précepte contenu dans la loi, nous répondrions que c’est à cause de l’âge de ceux à qui il s’adresse, et parce que, à supposer que le père et la mère soient dans des dispositions conformes à la loi qu’il leur donne, la soumission des enfants ne sera pas bien difficile à obtenir. Car, partout où la base est solide, le début heureux, le reste marche aisément et régulièrement. Le difficile, c’est de jeter les bases, de poser les fondements. « Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur », c’est-à-dire, selon le Seigneur ; ou encore : C’est Dieu qui vous l’ordonne. Mais s’ils ordonnent des actions criminelles ? D’abord il n’arrive jamais qu’un père, fût-il criminel lui-même, donne des ordres semblables ; de plus, Paul a prévenu cette objection en disant : « Dans le Seigneur », c’est-à-dire, dans les choses qui n’offensent pas Dieu ; en sorte que, si le père est païen ou hérétique, il ne faut plus lui obéir : car l’obéissance ne serait plus selon le Seigneur.

Mais comment Paul peut-il dire : « C’est le premier commandement ». Le premier commandement, n’est-ce pas : Tu ne commettras point l’adultère, tu ne tueras point ? En disant : « Le premier », Paul ne pense point au rang de ce précepte, mais à la promesse qu’il renferme. Les précédents ne proposent aucune récompense, attendu qu’ils ne regardent que des fautes à éviter ; mais une récompense est attachée à celui-ci, comme prescrivant de bonnes œuvres. Et voyez quel merveilleux fondement assigné à la vertu, que le respect des parents ! Rien de plus naturel. Quand le législateur nous a détournés des mauvaises actions, il commence par nous acheminer aux bonnes, par ce précepte du respect filial, attendu qu’après Dieu c’est à nos parents que nous devons la vie. C’est donc à bon droit qu’ils recueilleront les prémices de nos vertus : les autres hommes ne doivent venir qu’après. Quiconque manque à ce premier devoir, ne saura jamais se bien conduire vis-à-vis des étrangers. Après avoir ainsi indiqué aux enfants leurs obligations, Paul arrive aux parents, et dit : « Et vous, pères, ne provoquez point vos enfants à la colère, mais élevez-les dans la discipline et la correction du Seigneur (4) ».

Il ne dit pas : Aimez-les : cette prescription serait superflue ; la nature parle assez haut, quelle que soit d’ailleurs la volonté. Que dit-il donc ? « Ne provoquez point vos enfants à la colère », comme font tant d’hommes qui déshéritent les leurs, les renient, les oppriment, les traitent enfin en esclaves, et non en hommes libres. De là ce précepte : « Ne provoquez point vos enfants à la colère ». Ensuite, ce qui est l’essentiel, il montre à quelles conditions ils seront obéissants, faisant tout dépendre de leurs chefs, de leurs maîtres. Tout à l’heure il montrait que la soumission de la femme est l’œuvre du mari ; et c’est même pour cela qu’il s’adresse surtout au mari, l’exhortant à se concilier sa femme par l’empire de la tendresse. De même ici il ramène tout encore au même principe, en disant : « Mais élevez-les dans la discipline et dans la correction du Seigneur ». Voyez-vous comme les biens charnels viennent s’ajouter aux biens spirituels une fois acquis ? Vous voulez rendre votre fils obéissant ? Commencez par l’élever dans la discipline et la correction du Seigneur : ne croyez pas inutile de lui faire entendre les saintes Écritures ; car voici tout d’abord l’enseignement qu’il en recevra : « Honore ton père et ta mère ». Vous ne ferez donc qu’agir dans votre intérêt. Ne dites pas : C’est bon pour des moines ; est-ce que j’en veux faire un moine ? Il n’est pas nécessaire qu’il devienne moine. Pourquoi craindre ce qui est si profitable ? Faites-en un chrétien. C’est surtout aux mondains qu’il importe de se pénétrer de ces leçons, surtout aux enfants : car l’étourderie est grande à cet âge, et cette étourderie est renforcée encore par l’influence des écrits profanes ; lorsqu’ils y voient ceux que les païens vénèrent comme des héros, esclaves de leurs passions ou tremblants devant la mort ; par exemple, un Achille repentant, mourant pour sa concubine[15]; tel autre qui s’enivre ; que sais-je encore ? Ce n’est donc pas trop des remèdes dont je parle.

2. N’est-il pas absurde, quand nous avons soin d’envoyer nos enfants à l’école, de les mettre en apprentissage, quand nous ne négligeons rien pour cela, de ne pas les élever dans la discipline et la correction du Seigneur ? Aussi sommes-nous les premiers à recueillir les fruits de cette éducation, et nous avons des fils présomptueux, intempérants, indociles, grossiers. Croyez-moi, procédons autrement, et, suivant l’avis de l’apôtre, instruisons-les dans la science du Seigneur. Donnons-leur l’exemple, et que, dès l’âge le plus tendre, ils lisent, ils étudient les divines Écritures. Hélas ! à force de vous répéter cela, je vous parais radoter. N’importe, je ne cesserai d’accomplir mon œuvre. Pour quelle raison, dites-moi, n’imitez-vous pas les anciens ? Vous surtout, femmes, imitez les femmes admirables de ce temps. Vous avez mis au jour un enfant ? Suivez l’exemple d’Anne : Voyez ce qu’elle fit tout d’abord : elle le conduisit au temple. Qui de vous ne préférerait pas mille fois à une domination exercée sur le monde entier le bonheur d’avoir en son fils un second Samuel ? Et comment faire, dira-t-on, pour le rendre tel ? Pourquoi serait-ce impossible ? Le seul obstacle, c’est que vous ne le voulez pas, que vous ne le remettez pas en des mains capables d’en faire un autre Samuel. Et qui le pourrait ? direz-vous. Dieu : c’est à Dieu qu’Anne confia son fils. Car Héli lui-même n’était pas des plus aptes à cette éducation, puisqu’il ne put pas la donner à ses propres fils ; mais ce qu’il n’avait pu faire, la foi d’une femme, son zèle, l’opéra. C’était son premier, son unique enfant, elle ignorait si elle en aurait d’autres. Pourtant, elle ne dit pas : J’attendrai que mon fils ait grandi, afin qu’il voie le monde ; je le laisserai jouir des années de son enfance. Anne écarta toutes ces pensées, et ne songea qu’à une chose, à consacrer tout d’abord à Dieu cette offrande spirituelle.

Hommes, rougissons de trouver chez une femme tant de sagesse : elle offre son fils à Dieu, et le laisse dans le temple. Si son mariage lui valut tant de gloire, c’est qu’elle avait commencé par chercher les biens spirituels, c’est qu’elle avait offert ses prémices : voilà pourquoi son sein devint fécond, et lui donna d’autres enfants encore : voilà pourquoi elle vit Samuel illustre dans le monde même. Car si les hommes reconnaissent les hommages qu’on leur rend, ne doit-il pas en être ainsi de Dieu, à plus forte raison, lui qui fait du bien même à ceux qui le négligent ? Jusques à quand serons-nous chair ? jusques à quand vivrons-nous penchés vers la terre ? Faisons tout passer après les soins que nous devons à nos enfants, après l’éducation qu’il faut leur donner dans la discipline et la correction du Seigneur. Si nous leur apprenons tout d’abord la vraie sagesse, ce sera pour eux une fortune, une gloire qui effaceront les plus brillantes. Vous leur rendrez un moindre service en leur enseignant un métier ou les sciences profanes, qui les mettront en état de s’enrichir, qu’en leur enseignant l’art de mépriser les richesses. Si vous voulez qu’ils soient riches, prenez-vous-y de cette manière. Car le riche n’est pas celui qui a beaucoup de besoins et beaucoup de ressources, mais celui qui n’a besoin de rien. Voilà ce que vous devez enseigner à votre fils : nul trésor n’égale celui-là.

Ne visez pas à ce qu’il se signale dans les études profanes, mais occupez-vous de lui apprendre à mépriser la gloire du monde vous le rendrez ainsi capable de s’illustrer. Riche ou pauvre, tout le monde peut en faire autant : ce n’est pas affaire d’école ni de doctrine, mais œuvre de la divine parole. Ne visez pas à ce que votre fils vive longuement ici-bas, mais à ce que là-haut il vive éternellement. Assurez-lui les grands biens, sans vous inquiéter des petits. Écoutez Paul qui vous dit : « Élevez-les dans la discipline et la correction du Seigneur ». Ne vous inquiétez pas d’en faire un orateur, mais faites-en un sage. On peut, sans inconvénient, n’être pas un orateur mais si l’on n’est pas un sage, à quoi bon toute la rhétorique du monde ? On a besoin de bonnes mœurs, et non de beau langage ; de vertu, non d’éloquence ; d’œuvres, non de paroles. Voilà ce qui procure le royaume, voilà ce qui assure la possession des biens véritables. Au lieu d’aiguiser votre langue, purifiez votre âme. Ce n’est pas que je proscrive absolument ce genre d’études, mais il ne faut pas qu’on s’y adonne exclusivement. Ne vous figurez pas que les moines seuls aient besoin des leçons des Écritures : il n’est rien qui soit plus nécessaire aux enfants qui vont entrer dans le monde. Si un vaisseau bien équipé, un bon pilote, des matelots sont utiles non à celui qui ne s’éloigne pas du port, mais à celui qui est toujours en mer : il en est de même à l’égard du moine et du mondain. L’un est, pour ainsi dire, dans un port tranquille ; il vit exempt des soucis de la vie, à l’abri de toutes les tempêtes. L’autre est constamment en mer, il passe son existence au milieu des flots, en lutte avec les vagues : il faut qu’il soit prémuni quand bien même il n’aurait pas besoin de défense, ne fût-ce que pour fermer la bouche à autrui.

3. Ainsi donc, plus on sera haut placé dans ce monde, plus on aura besoin de cette éducation. Né dans le palais des rois, on s’y verra entouré de païens, de philosophes, hommes enflés de gloire mondaine, comme dans un lieu rempli d’hydropiques. Tels sont les cours : on n’y trouve qu’orgueil et vanité ; qui n’a pas ces vices, s’efforce de les acquérir. Représentez-vous votre fils entrant dans ce séjour, muni, comme un excellent médecin, de tous les instruments propres à guérir la fièvre générale, s’approchant de chacun, s’entretenant avec lui, et guérissant sa maladie au moyen du contre-poison des Écritures, et du langage de la vraie sagesse. Car, en ce qui regarde le moine, à qui parlera-t-il ? Aux murs, aux toits ? au désert, aux forêts ? aux oiseaux, aux arbres ? Une telle éducation n’est donc pas absolument indispensable au solitaire : néanmoins il tâche de se la donner, non pour la communiquer aux autres, mais dans son propre intérêt. Ce sont donc les gens du monde qui en ont particulièrement besoin : en effet, ce sont eux qui sont le plus exposés au péché. De plus, si vous voulez le savoir, dans le monde même, une telle science sera très-avantageuse à votre enfant. Car tous le respecteront après l’avoir entendu parler de la sorte, lorsqu’ils le verront traverser le feu sans se brûler, et rester insensible à l’ambition : alors cette autorité qu’il ne désire point viendra le trouver, et le roi aura une grande déférence pour lui. Un homme pareil ne peut échapper aux regards. Parmi des gens en santé, l’homme sain peut demeurer caché aux yeux ; mais qu’il soit entouré de malades, la renommée ne peut manquer de porter son nom jusqu’aux oreilles du roi, qui chargera cet homme rare d’un vaste gouvernement.

Instruits de ces vérités, élevez vos enfants dans la discipline et la correction du Seigneur. Mais un tel est pauvre ? Eh bien ! qu’il reste pauvre : il ne sera pas inférieur pour cela aux habitants des palais : on l’admirera, sans qu’il soit le convive des rois, et bientôt il parviendra à cette dignité que le libre arbitre confère, et non l’élection. Si des hommes qui ne valent pas trois oboles, des cyniques, professant une philosophie qui ne vaut pas davantage (je parle de la philosophie des païens), ou plutôt en affichant le nom, font rentrer bien des gens en eux-mêmes, avec leur grossier manteau, et leur chevelure inculte, que sera-ce du philosophe véritable ? Si une vaine apparence, si une ombre de philosophie possède un tel pouvoir, qu’adviendra-t-il, du moment que nous aurons embrassé la vraie, la pure philosophie ? Ne serons-nous pas les objets du respect général ? Ne nous confiera-t-on pas avec pleine sécurité biens, femmes, enfants ? Mais il n’y a pas, non, il n’y a pas aujourd’hui de philosophe pareil : c’est donc en vain que nous chercherions quelque part un exemple. Il en est parmi les moines, il n’en est pas dans le monde. Qu’il y en a parmi les solitaires, j’en pourrais produire de nombreuses preuves : je me bornerai à vous en fournir une.

Vous connaissez sans doute, ou de vue, ou, tout au moins, par ouï-dire, l’homme dont je veux parler : l’admirable Julien. C’était un paysan, de basse naissance, de basse condition ; absolument étranger aux études profanes, mais tout rempli de la philosophie véritable. Quand il entrait dans les villes, ce qui arrivait rarement, l’affluence était plus grande que s’il se fût agi d’un rhéteur, d’un sophiste, de quelque personnage que ce fût. Mais que dis-je ? son nom même n’est-il pas encore aujourd’hui plus glorieux que celui du plus illustre monarque ? Eh bien ! si l’on voit de pareilles choses dans ce monde, dans ce monde où le Seigneur ne nous a promis aucun bien, où il nous a proclamés étrangers, songeons quelles sont aux cieux les récompenses réservées à de pareils hommes. S’ils obtiennent tant d’honneurs dans un séjour qu’ils ne font que traverser, de quelle gloire ne jouiront-ils pas dans leur patrie ? S’ils rencontrent tant de vénération aux lieux où la tribulation leur est promise, quel repos ne goûteront-ils pas là où les vrais honneurs leur sont promis ? Vous voulez maintenant que je vous cite des mondains ? Mais, à l’heure qu’il est, les exemples nous font défaut : non qu’il manque absolument de mondains vivant honnêtement ; mais aucun n’a atteint le faîte de la sagesse. Je vous renverrai donc aux exemples donnés par les saints de l’ancien temps. Combien d’hommes ayant femmes et enfants ont égalé ceux que je vous cite ! Mais il n’en est plus ainsi « à cause de la détresse présente », comme dit notre saint. Qui voulez-vous donc que je vous nomme ? Noé, ou Abraham ? le fils du premier, ou celui du second ? ou encore Joseph ? Ou bien voulez-vous que je passe aux prophètes ? à Moïse ? à Isaïe ?

4. Si vous le trouvez bon, nous nous porterons du côté d’Abraham, que l’on nous cite toujours entre tous. N’avait-il pas une femme ? N’avait-il pas des enfants ? Je ne fais que vous renvoyer ce que vous nous dites à nous-mêmes, Il avait une femme, mais ce n’est pas en cela qu’il était admirable : il était riche, mais ce n’est pas pour cela qu’il plut à Dieu ; il eut des enfants, mais ce n’est pas comme père qu’il a mérité le nom de bienheureux ; il avait trois cent dix-huit esclaves, mais ce n’est pas pour cette raison qu’on l’admirait. Pour quelle raison, alors ? Pour son hospitalité, son dédain des richesses, sa modération. Quel est en effet, dites-moi, le propre d’un sage ? n’est-ce pas de mépriser l’argent et la gloire ? de s’élever au-dessus de l’envie, de toutes les passions ? Eh bien ! faisons comparaître Abraham au milieu de nous, examinons-le, et montrons quel philosophe c’était. D’abord il comptait pour rien sa patrie : « Sors de ton pays, et de ta famille », lui fut-il ordonné ; et aussitôt il s’en alla. Il n’était pas attaché à sa maison, ni par habitude, ni autrement : sans quoi il ne l’eût pas quittée. Plus que personne il faisait bon marché de la gloire et des richesses ; vainqueur dans une guerre, pressé de recueillir les dépouilles de l’ennemi, il dédaigna de le faire. Son fils, de même, ne dut pas sa gloire à ses richesses, mais à son hospitalité ; à ses enfants, mais à son obéissance ; à sa femme, mais à la stérilité de sa femme. Ils comptaient pour rien la vie présente, ne thésaurisaient point, dédaignaient tout. Dites-moi, quelles sont les plus précieuses des plantes ? ne sont-ce pas celles qui tirent leur force d’elles-mêmes, qui ne redoutent ni la pluie, ni la grêle, ni les vents, ni aucune intempérie de ce genre, et qui, debout, bravent tous ces assauts, sans avoir besoin de rempart ni d’échalas ? Voilà le sage, voilà la richesse dont je parle : le sage ne possède rien, et possède tout : il a tout, et n’a rien. Un mur est une chose extérieure, une haie n’est pas un rempart naturel, mais une défense d’emprunt. Mais, dites-moi, qu’est-ce qu’un corps vigoureux ? n’est-ce pas celui qui jouit d’une santé parfaite, qui peut résister et à la faim, et à la réplétion, et à la chaleur, et au froid ? ou bien celui qui est exposé à toutes ces influences, et a besoin de cuisiniers, de tisserands ; de chasseurs, de médecins, pour se maintenir en santé ? Le riche, le vrai sage, c’est l’homme qui sait se passer de toutes ces choses. Voilà pourquoi notre saint a dit : « Élevez-les dans la discipline et la correction du Seigneur ». Ne vous environnez donc point de remparts : la gloire, la richesse, les voilà… Que l’échalas vienne à tomber, ce qui ne manque pas, la plante reste nue et sans défense ; et ces précautions passées, loin de lui rendre aucun service, lui ont été, au contraire, nuisibles. Car ce sont précisément ces remparts qui, en l’empêchant de s’accoutumer à braver les assauts des vents, sont cause qu’elle succombe maintenant.

Ainsi donc la richesse nous est plus nuisible que profitable, en ce qu’elle nous empêche de nous exercer à braver les vicissitudes de la vie. Mettons donc nos enfants en état de résister à tout, de ne pas se laisser déconcerter par les accidents ; élevons-les dans la discipline et la correction du Seigneur : nous en serons amplement récompensés. Si l’on voit combler d’honneurs les hommes qui font la statue des rois ou peignent leur image : nous, qui parons en nous-mêmes l’image de Dieu, ne jouirons-nous pas de mille biens, si nous atteignons à la ressemblance ? Cette ressemblance, c’est la vertu, à laquelle nous parviendrons si nous enseignons à nos enfants à être hommes de bien, exempts de colère et de ressentiment ; comme Dieu lui-même, bienfaisants, charitables, indifférents aux biens du monde. Appliquons-nous de toutes nos forces à les façonner ainsi que nous-mêmes, à les régler sur le devoir : songeons, en effet, avec quelle assurance nous pourrons alors comparaître au tribunal du Christ. Si celui qui a des enfants indociles est indigne de l’épiscopat, à bien plus forte raison l’est-il du céleste royaume. Eh quoi ! dira-t-on : si notre femme, si nos enfants sont insoumis, nous aurons à en rendre compte ? Oui, si nous n’avons pas fait scrupuleusement tout ce qui était en nous ; car il ne suffit pas pour notre salut que nous ayons été vertueux nous-mêmes. Si celui qui n’avait pas placé l’unique talent fut puni par cela même, il est clair qu’il ne suffit pas pour notre salut que nous ayons été vertueux de notre côté. Occupons-nous donc de nos femmes, veillons avec le plus grand soin sur nos enfants, sur nos serviteurs, sur nous-mêmes, et dans nos efforts pour régler notre conduite et la leur, prions Dieu afin qu’il nous vienne en aide. S’il nous voit occupés, empressés à cette œuvre, il nous secondera : s’il nous trouve indifférents, il ne nous tendra pas la main. Car Dieu ne nous porte pas secours quand nous dormons : il ne nous assiste que lorsque nous faisons effort nous-mêmes. On n’aide pas une personne qui se repose. Mais c’est au bon Dieu qu’appartient le pouvoir d’assurer le succès de notre œuvre, afin que nous soyons tous jugés dignes d’obtenir les biens promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXII. modifier

SERVITEURS, OBÉISSEZ A VOS MAÎTRES SELON LA CHAIR, AVEC CRAINTE ET TREMBLEMENT, DANS LA SIMPLICITÉ DE VOTRE CŒUR, COMME AU CHRIST MÊME, LES SERVANT NON A L’ŒIL, COMME POUR PLAIRE AUX HOMMES, MAIS COMME DES SERVITEURS DU CHRIST, ACCOMPLISSANT DE CŒUR LA VOLONTÉ DE DIEU ; FAISANT VOTRE SERVICE DE BON GRÉ, COMME POUR LE SEIGNEUR, ET NON POUR LES HOMMES, SACHANT QUE CHACUN RECEVRA DU SEIGNEUR LA RÉCOMPENSE DE TOUT LE BIEN QU’IL AURA FAIT, QU’IL SOIT ESCLAVE OU LIBRE. (VI, 5-8, JUSQU’À 13)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. De la servitude. – Devoirs des serviteurs. – Origine de la servitude.
  • 4-5. De la lutte contre le diable.

1. Ainsi donc ce n’est pas seulement le mari, la femme, les enfants, ce sont encore les serviteurs dont les vertus importent à l’harmonie et à la bonne direction du ménage. Aussi le bienheureux Paul n’a-t-il eu garde de négliger cette partie : s’il n’y arrive qu’en dernier lieu, il ne fait que suivre l’ordre de la hiérarchie. Son discours aux serviteurs est long, et non plus sommaire, comme son exhortation aux enfants ; il est aussi d’un ordre beaucoup plus élevé : car ce n’est pas ici-bas, mais dans la vie future que Paul leur promet leur bonheur : « Sachant », dit-il, « que chacun recevra du Seigneur la récompense de tout le bien qu’il aura fait ». C’est la sagesse même qu’il enseigne à ces hommes inférieurs, à la vérité, aux enfants en ce qui regarde la condition, mais supérieurs en intelligence. « Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair ». Tout d’abord il relève l’âme affligée, tout d’abord il la console. Ne gémis pas, dit-il, de te voir au-dessous de la femme et des enfants : ta servitude est purement nominale : la domination à laquelle tu es soumis est une domination selon la chair, éphémère, de courte durée, comme tout ce qui est charnel. « Avec crainte et tremblement ». Voyez-vous la différence entre la crainte qu’il requiert chez la femme, et celle qu’il exige des serviteurs ? Pour ce qui est des femmes, il se borne à dire : « Que la femme craigne son mari » ; mais ici il insiste : « Avec crainte et tremblement ». – « Dans la simplicité de votre cœur, comme au Christ-même ». Toujours la même expression. Qu’est-ce à dire, ô bienheureux Paul ? C’est notre frère, il a été comblé des mêmes biens, il fait partie du même corps que nous ; ou plutôt, il est le frère, non de son maître, mais du Fils même de Dieu ; il a sa part de tous les bienfaits et vous dites : « Obéissez à vos maîtres selon la chair avec crainte et tremblement ? » C’est justement pour cela que je le dis, répondra-t-il. Si je prescris aux hommes libres de se soumettre les uns aux autres en vue de la crainte de Dieu (« Soumis les uns aux autres dans la crainte de Dieu », dit-il plus haut) ; si je prescris à la femme de craindre son mari, bien qu’elle soit son égale en dignité ; à plus forte raison dois-je imposer la même obligation au serviteur. Ce n’est pas là une humiliation, c’est au contraire la première des noblesses, celle qui consiste à savoir s’abaisser, à rester fidèle à la modération, à céder au prochain. On a vu même des hommes libres servir leurs égaux avec crainte et tremblement. « Dans la simplicité de votre cœur ». Fort bien : car on peut servir avec crainte et tremblement, non par bienveillance, mais pour se soumettre à la nécessité. Beaucoup, quand ils le peuvent sans se trahir, font du tort à leurs maîtres.

C’est ce genre de fraude que Paul prévient en disant : « Dans la simplicité de votre cœur, comme au Seigneur ; les servant non à l’œil a comme pour plaire aux hommes, mais comme des serviteurs du Christ, accomplissant de cœur la volonté de Dieu, faisant votre service de bon gré, comme pour le Seigneur et non pour les hommes ». Voyez combien de mots il lui a fallu pour inspirer ces bons sentiments : « De bon gré, de cœur ». En ce qui regarde la crainte et le tremblement, on trouve bon nombre de serviteurs qui n’en manquent pas vis-à-vis de leurs maîtres : les menaces du maître suffisent pour amener ce résultat. Mais Paul dit en outre : Montre que tu sers en serviteur, non d’un homme, mais du Christ ; fais que le mérite soit le tien, et non celui de la nécessité. C’est ainsi qu’il est recommandé à celui qui est maltraité, de se conduire ensuite de manière que cette épreuve tourne à son profit et à l’honneur de sa volonté. En effet, comme celui qui donne un soufflet n’est pas incité à cela par la volonté de celui qu’il outrage, mais par sa propre méchanceté, il nous est conseillé de tendre l’autre joue, afin de montrer que nous n’avons pas reçu l’offense à contre-cœur. Car celui qui ajoute volontairement à son affront, s’approprie ce qui n’était pas d’abord son ouvrage, en tendant l’autre joue, non content d’endurer le premier soufflet. La patience pourra, à la rigueur, être attribuée à la crainte : mais ceci ne pourra l’être qu’à une admirable sagesse ; et par là on fera voir que c’est aussi par sagesse qu’on a patienté. En ce qui concerne les esclaves, eux aussi doivent faire voir que leur résignation à la servitude est volontaire et non inspirée par une pure complaisance. Un complaisant n’est pas serviteur du Christ ; un serviteur du Christ ne songe pas à plaire aux hommes. Quel serviteur de Dieu pourrait s’inquiéter de cela ? Qui, s’en inquiétant, pourrait être serviteur de Dieu ? « De cœur, servant de bon gré ». Remarquez ces paroles : car on peut servir même en simplicité de cœur, et ne pas manquer à ses devoirs, sans pour cela faire tout son possible : on peut se borner à remplir strictement ses obligations : voilà pourquoi Paul demande qu’on serve de bon cœur, non par nécessité, volontairement, et non parce qu’on y est contraint. Si vous servez ainsi de bon gré, avec zèle, de cœur, à cause du Christ, vous n’êtes plus en servitude : cette servitude-là n’est autre que celle de Paul, qui s’écrie quelque part, tout libre qu’il était : « Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ Notre-Seigneur ; nous déclarant nous-mêmes vos serviteurs par Jésus ».

2. Voyez comme il vous relève de l’humiliation attachée à la servitude. Celui à qui l’on prend ses biens, s’il ajoute encore par des présents à ce qu’on lui a pris, ne passe plus pour la victime d’un vol, mais pour un homme généreux ; on cesse de le plaindre pour l’admirer : et son bienfait fait plus de honte au voleur, que n’a pu lui en faire, à lui, le larcin dont il a été dupe. De même pour le serviteur : s’il prodigue son activité, il fera voir sa grandeur d’âme ; et en montrant qu’il n’a pas senti sa perte, il fera rentrer en lui-même le détenteur de son bien. Servons donc nos maîtres en vue du Christ. « Sachant que chacun recevra du Seigneur la récompense de tout le bien qu’il aura fait, qu’il soit esclave ou libre ». Comme il était vraisemblable que beaucoup de maîtres, en qualité d’infidèles, ne seraient point touchés ni reconnaissants de la soumission de leurs esclaves, voyez comme il console ceux-ci et les empêche de douter de la rémunération, de désespérer de la récompense. De même que les obligés qui ne rémunèrent point leurs bienfaiteurs, les rendent créanciers de Dieu : ainsi les maîtres ne récompensent jamais mieux vos services que s’ils les laissent sans récompense : car alors c’est Dieu qui devient débiteur.

« Et vous, maîtres, faites de même envers eux (9) ». Qu’est-ce à dire : De même ? C’est-à-dire, servez-les avec zèle. Il est vrai qu’il n’emploie pas le mot, « Servir », mais par cette expression, « De même », il indique la même chose : le maître est lui-même un serviteur. Et que ce ne soit point par respect humain, mais avec crainte et tremblement, entendez, vis-à-vis de Dieu, redoutant qu’il ne vous reproche un jour votre dureté envers vos serviteurs. « Leur épargnant les menaces ». Ne soyez pas durs, veut-il dire, ni inhumains : « Sachant que le même Seigneur, le leur et le vôtre est dans le ciel ». Ah ! quelle idée cela suggère ! quelle crainte cela réveille ! En d’autres termes, il vous sera mesuré avec la mesure dont vous vous serez servi vous-même. Craignez de vous entendre dire : « Mauvais serviteur, je t’ai remis toute cette dette ». – « Et qu’il n’y a pas chez lui acception de personnes ». C’est comme s’il disait : N’allez pas croire qu’il vous pardonne ce que vous aurez fait à votre esclave, à cause de cette qualité d’esclave. Car si les lois du monde, si les lois humaines mettent une différence entre la classe des hommes libres et celle des esclaves, la loi du Maître commun ignore ces distinctions, bienfaisante qu’elle est pour tous également, et assurant à tous part égale.

Que si l’on demande maintenant d’où vient la servitude, et comment elle s’est introduite dans la société humaine (questions fort goûtées de certaines personnes, et qui piquent vivement leur curiosité), je vous dirai : c’est l’avarice, la cupidité insatiable, ce sont les passions basses qui ont engendré la servitude. Noé n’avait pas de serviteur, ni Abel, ni Seth, ni les patriarches suivants. – L’origine de ce fait est un péché, l’irrévérence à l’égard des parents. Écoutez, enfants, comme quoi vous méritez de devenir esclaves, dès que vous êtes fils ingrats. Vous perdez alors tous tes privilèges de votre naissance : car on cesse d’être fils, du moment où l’on manque à son père. Mais si l’on cesse, dans ce cas, d’être fils, comment restera-t-il fils, celui qui offense notre Père véritable ? Il perd les droits de sa naissance, il est coupable envers la nature. Ensuite la guerre et les combats ont fait des prisonniers. Mais Abraham avait des serviteurs ? dira-t-on. Oui, mais il ne les traitait pas en serviteurs. Voyez comme Paul fait tout dépendre du chef : la femme, il faut qu’il l’aime ; les enfants, il faut qu’il les élève dans la discipline et la correction du Seigneur ; les serviteurs : « Sachant que le même Seigneur, le leur et le vôtre est dans le ciel ». Soyez donc bons et cléments, comme étant vous-mêmes des serviteurs. Maintenant, si vous le permettez, je vous répéterai au sujet des serviteurs, ce que j’ai dit précédemment des enfants : enseignez-leur la piété, et le reste ne manquera pas de venir à la suite.

Mais aujourd’hui, si l’on va au théâtre ou au bain, on traîne après soi tous ses serviteurs ; si l’on va à l’Église, il n’en est pas de même ; on ne les force pas de venir ici, d’écouter la parole. Et comment l’esclave écouterait-il, quand le maître lui-même a l’esprit tourné ailleurs ? Vous venez d’acheter un esclave ? prescrivez-lui d’abord ce que Dieu même commande, la douceur envers ses compagnons de servitude, le zèle pour la vertu. Chaque maison est une cité : chacun est roi dans sa maison. Qu’il en est ainsi de la maison des riches qui ont domaines, intendants, gérants sur gérants, c’est chose manifeste : mais je prétends que la maison du pauvre est elle-même une cité. Là aussi, il y a plusieurs autorités : par exemple, le mari a pouvoir sur la femme, la femme sur les serviteurs, les serviteurs sur leurs femmes ; les femmes et les maris sur leurs enfants. Ne vous semble-t-il pas qu’il est comme un roi, cet homme qui compte toute une hiérarchie de magistrats sous ses ordres, et n’a-t-il pas plus besoin que personne de savoir administrer et gouverner ? Celui qui connaît à fond cet art, sait aussi choisir des magistrats capables, et il ne manquera pas de faire de bons choix. Or, il y a dans la maison, comme un autre roi sans diadème, la femme ; et celui qui saura choisir ce roi, n’aura pas de peine à bien gouverner tout le reste. « Du reste, mes frères, fortifiez-vous dans le Seigneur (10) ». Il parle toujours ainsi, quand

3. N’avais-je pas raison de vous dire tout d’abord que la maison de chacun est une armée au complet ? Voyez plutôt ; chaque officier mis à son rang, voici maintenant que Paul arme les troupes, et les mène au combat. Si personne n’empiète sur le commandement d’autrui, si chacun reste à sa place, tout sera pour le mieux. « Fortifiez-vous dans le Seigneur, et dans la puissance de sa vertu » ; c’est-à-dire dans l’espoir en lui, grâce à son assistance. Après toutes ces prescriptions : ne craignez point, ajoute Paul, mettez votre espérance dans le Seigneur, et il vous rendra tout aisé. « Et revêtez-vous de l’armure de Dieu, afin de pouvoir tenir contre les embûches du diable (11) ». Il ne dit pas : Contre les attaques, contre les assauts, mais : « Contre les embûches ». C’est que cet ennemi ne nous fait pas une guerre ouverte, mais une guerre de surprises. Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire qu’il nous trompe, qu’il nous prend au piège, soit des paroles, soit des manœuvres, soit des feintes comme à la lutte. Par exemple, ce n’est jamais ouvertement qu’il nous propose de pécher : il ne prononce pas le nom d’idolâtrie, il déguise la chose autrement, la dore, la masque par de belles paroles. Ainsi Paul anime les soldats, leur inspire le sang-froid, en nous persuadant que nous avons affaire à un adversaire habile, à un ennemi qui ne procède point par guerre ouverte, mais par surprise. Et tout d’abord il rappelle à ses disciples la nature et le nombre de leurs ennemis, afin d’exciter leur courage. S’il décrit ces ruses, s’il inspire le sang-froid aux soldats placés sous ses ordres, ce n’est pas pour les décourager, mais au contraire pour les enflammer d’ardeur. S’il se bornait à faire ressortir la puissance de l’ennemi, il pourrait provoquer le découragement : mais comme il a soin, avant et après, de montrer la possibilité de la victoire, il ne fait par là qu’exciter davantage le zèle. Car plus nous rendrons sensible aux yeux des nôtres la puissance de l’ennemi, plus nous animerons leur courage.

« Parce que nous n’avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice au sujet des biens célestes (12) ». Après nous avoir excités par la description du combat qui nous attend ; il nous enflamme par la peinture des récompenses promises à la victoire. En effet, après avoir dit que les ennemis sont redoutables, il ajoute qu’ils essaient de nous ravir un bien inestimable. Lequel ? C’est des récompenses célestes qu’il s’agit, non d’argent, ni de gloire : nos ennemis veulent nous asservir : de là une haine irréconciliable entre nous. Plus vive est l’ardeur guerrière, plus vive est la lutte, quand on combat pour de grands objets. En effet, par ces mots : « Au sujet des biens célestes », entendez : Pour les biens célestes ; non que nos adversaires se proposent de les conquérir, mais ils veulent nous en priver. C’est comme si l’on disait, en parlant d’un contrat : Contrat passé « au sujet » de telle chose. Voyez combien la puissance de l’adversaire nous anime, nous rend vigilants : nous savons qu’il s’agit pour nous d’un grand trésor que la victoire peut nous assurer : c’est du ciel que l’ennemi travaille à nous chasser. Quels sont maintenant ces princes, ces puissances, ces dominateurs de ce monde de ténèbres ? Quelles ténèbres ? celles de la nuit ? Nullement, mais celles du vice… Nous étions ténèbres autrefois, dit l’Écriture, pour désigner la perversité qui règne en ce monde : car là se borne son empire ; elle n’a point accès au ciel, ni dans la vie future.

S’il appelle nos ennemis : « Maîtres du monde », ce n’est pas comme régnant sur le monde, mais comme auteurs du mal qui s’y commet. L’Écriture désigne habituellement par « Monde » les mauvaises actions par exemple le Christ dit : « Vous n’êtes pas de ce monde, comme moi je ne suis pas du monde ». Est-ce à dire qu’ils n’étaient pas du monde ? qu’ils n’étaient pas revêtus de chair ? qu’ils n’habitaient pas le monde ? Et ailleurs : « Le monde me hait, mais vous, il ne peut vous haïr ». (Jn. 17,14, et 7,7) Ici encore il désigne les mauvaises actions. Ou bien, par monde, il entend ici les méchants, particulièrement soumis au pouvoir des démons… « Contre les princes et les puissances, contre les esprits de malice, au sujet des biens célestes ». Il dit : Princes et puissances, par analogie avec les trônes, les dominations, les princes, les puissances d’en haut. « A cause de cela, revêtez-vous de l’armure de Dieu, afin que vous puissiez, en jour mauvais, résister, et rester vainqueurs de tout (13) ». – « Jour mauvais », c’est-à-dire la vie présente ; il appelle ce temps mauvais, à cause du mal qui s’y fait. Il veut dire : Soyez toujours en armes. « Et rester vainqueurs de tout » ; c’est-à-dire, vainqueurs des passions, des appétits déréglés, de tout ce qui nous tourmente… Il ne dit pas seulement vaincre, mais : « Rester vainqueurs » : il ne suffit pas de triompher, il faut rester debout après le triomphe, et ne pas retomber comme il est arrivé souvent en pareil cas. « Rester vainqueurs de tout », et non d’une chose, sans l’être du reste : car après la victoire il faut encore tenir bon. Ce qu’on a abattu peut revivre, et se relever si nous ne restons pas fermes. L’ennemi est à terre, tant que nous sommes debout : tant que nous restons à notre poste, il ne se relève pas. « Revêtons l’armure de Dieu ».

4. Voyez-vous comme il nous rassure ? En effet, s’il est possible d’abattre l’adversaire et de tenir bon, pourquoi se dérober au combat ? Tiens bon après avoir renversé l’ennemi, et te voilà victorieux. Et ne vous étonnez pas de le voir s’étendre si longuement sur la puissance des ennemis : cette énumération n’est pas faite pour inspirer la crainte ou la pusillanimité, mais plutôt pour réveiller la nonchalance. « Afin que vous puissiez, en jour mauvais, résister ». C’est maintenant au temps qu’il a recours pour nous rassurer… C’est l’affaire d’un moment, dit-il : ainsi il faut tenir bon ; ne cédez pas à la fatigue après le carnage. Si la guerre est déclarée, si telles sont les phalanges ennemies, si ce sont des êtres incorporels que ces princes, ces maîtres du monde, ces esprits de malice, comment, dites-moi, vous abandonnez-vous à la mollesse, au relâchement ? comment, désarmés, pourrons-nous vaincre ? que chacun se répète cela chaque jour, dès que la colère ou la concupiscence le domineront, dès qu’il soupirera après les douceurs d’une existence frivole. Écoutez saint Paul : « Nous n’avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances… Guerre plus terrible, lutte plus acharnée que les combats visibles. Songez depuis combien de temps votre ennemi lutte, dans quel but il combat, et tenez-vous sur vos gardes plus que jamais. Oui, dira-t-on : mais il faudrait bien que le diable n’existât pas tout le monde serait sauvé. Ainsi parlent quelques âmes faibles en quête d’excuses. Vous devriez remercier Dieu, mon ami, d’être à même de triompher, si vous le voulez, d’un pareil adversaire : et loin de là, vous vous plaignez, vous parlez comme un soldat lâche et fainéant. Il ne tient qu’à vous de connaître les endroits faibles ; regardez partout, fortifiez-vous. Ce n’est pas seulement contre le diable, c’est encore contre ses puissances que vous avez à combattre. Et comment lutter contre les ténèbres ? dira-t-on. En devenant lumière. Comment résister aux esprits de malice ? En devenant bons. Car la bonté s’oppose à la malice, et la lumière chasse les ténèbres : si nous sommes ténèbres nous-mêmes, nous serons pris infailliblement. Comment donc assurerons-nous notre triomphe ? En devenant, par la force de notre libre arbitre, ce qu’ils sont naturellement, je veux dire exempts de sang et de chair : c’est ainsi que nous les vaincrons.

Comme probablement ceux à qui il écrivait comptaient beaucoup de persécuteurs, il leur dit : N’allez pas croire que ce sont ces hommes qui vous font la guerre. Les démons qui opèrent en eux, voilà nos ennemis, voilà ceux que nous avons à combattre. Par là, il produit deux effets : d’abord de les rendre plus ardents au combat, puis d’exciter leur colère contre l’ennemi. Et pourquoi avons-nous à combattre des ennemis pareils ? Parce que nous avons de notre côté un auxiliaire invincible, la grâce de l’Esprit, et que nous avons été instruits dans l’art de combattre non les hommes, mais les démons. Mais si nous le voulons, nous n’aurons pas même besoin de lutter : il n’y a lutte que quand nous le voulons ; car telle est la vertu de celui qui habite en nous, qu’il a pu dire : « Je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l’ennemi ». (Luc. 10,19) II nous a donné toute liberté de lutter ou de ne pas lutter. Mais notre nonchalance est cause que nous avons à lutter. Car en ce qui concerne Paul, il n’avait pas à lutter, c’est lui-même qui nous l’apprend. « Qui nous séparera de l’amour de Jésus-Christ ? la tribulation, ou la détresse, ou la faim, ou la persécution, ou la nudité, ou le péril, ou le glaive ? » (Rom. 8,35) Ailleurs il dit : « Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement ». (Rom. 16,20) Il avait le diable sous ses ordres ; de là ces paroles : « Je te prescris au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de sortir d’elle ». (Act. 16,18) Ce langage n’est pas celui d’un homme qui lutte. Car celui qui lutte n’est pas, encore vainqueur, celui qui est vainqueur ne lutte plus. Il l’a dompté, asservi. Pierre ne luttait pas non plus contre le diable : il faisait mieux que lutter. Des fidèles, des catéchumènes n’avaient pas de peine, non plus, à en triompher. Aussi saint Paul dit-il : « Car nous n’ignorons pas ses pensées ». (2Co. 2,11) C’est pourquoi il lui fut si supérieur en puissance. Il dit encore : « Il n’est pas étonnant que ses ministres se transfigurent comme des ministres de justice ». (Id. 11,15) Ainsi il connaissait tous ses stratagèmes ; rien ne pouvait le surprendre. « Déjà s’accomplit, dit-il encore, le mystère d’iniquité ». Mais c’est contre nous-mêmes qu’il faut lutter. En effet, écoutez ces autres paroles : « Je suis convaincu que ni anges, ni princes, ni puissances, ni vertus, ni choses présentes, ni choses futures, ne pourront nous séparer de l’amour du Christ ». Il ne dit pas simplement : « Du Christ », mais bien : « De l’amour du Christ ». Car bien des gens passent pour être unis au Christ, qui ne l’aiment point. non seulement, dit-il, tu ne me persuaderas pas, tu ne me persuaderas pas même de l’aimer moins. Mais si les puissances d’en haut n’avaient pas ce pouvoir, qui donc aurait pu l’ébranler ? Il ne dit pas qu’elles l’entreprennent, il parle par supposition : voilà pourquoi il lit : « Je suis convaincu ». Il ne luttait pas, néanmoins il redoutait les pièges du malin. Écoutez plutôt : « Je crains que, comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité qui est dans le Christ ». (2Co. 11,3) Oui, dira-t-on : mais, de plus, il emploie le même langage en parlant de lui-même : « Je crains qu’après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même réprouvé ». Comment donc êtes-vous convaincu que personne ne vous séparera ?

5. Voyez-vous que ce langage est celui de l’humilité, de la retenue ? Déjà, en effet, il habitait le ciel : « Ma conscience ne me reproche rien » (1Co. 4,4), disait-il ; et encore : « J’ai terminé ma carrière ». (2Ti. 4,7) Ce n’est donc pas en cela que le diable l’entravait, mais en ce qui regardait ses disciples. Pourquoi ? Parce que la domination du diable avait un complice dans leur propre libre arbitre. Sur ce terrain le diable était quelquefois vainqueur mais plutôt ce n’est pas de Paul qu’il était vainqueur, c’est de l’apathie des tièdes. En effet, si Paul n’avait pas fait son devoir, par nonchalance où par toute autre raison, c’est lui qui aurait été vaincu : mais s’il ne négligeait rien et que seulement ses disciples fussent indociles, alors le diable triomphait non de Paul, mais de l’indocilité de ses disciples : ce n’est pas du médecin que la maladie avait raison, mais de la désobéissance du malade. Car, dès que le médecin a pourvu à tout, si le malade bouleverse tous ses arrangements ; c’est lui qui est le vaincu, et non pas le médecin. Ainsi le diable n’a jamais triomphé de Paul. D’ailleurs nous devons nous tenir heureux même de pouvoir lutter. A la vérité, tel n’est pas le souhait qu’il forme pour les Romains : il leur dit : « Il écrasera Satan sous vos pieds promptement ». (Rom. 16,20) Quant aux Éphésiens, c’est le vœu qu’il exprime en leur faveur : « A celui qui est puissant pour tout a faire bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons. ». (Eph. 3,20) Celui qui lutte est encore en danger : d’ailleurs il doit se trouver heureux, s’il ne tombe pas. C’est quand nous aurons quitté ce monde, que nous jouirons du triomphe. Soit, par exemple, une passion mauvaise : la repousser loin de soi, l’éteindre, voilà qui est admirable mais si c’est une chose impossible, du moins luttons, résistons sans relâche : si nous sortons du monde, luttant encore, nous sommes vainqueurs. Car il n’en est pas de même ici que dans l’arène : là, si vous ne renversez pas votre adversaire, vous n’êtes pas vainqueur : ici, vous êtes vainqueur, si vous n’êtes pas renversé ; si vous n’êtes pas jeté à bas, vous avez terrassé l’ennemi. Cela se conçoit deux athlètes aux prises luttent également pour la victoire ; et si l’un est renversé, l’autre est couronné. Il n’en est pas de même ici : le diable n’a en vue que notre défaite. Si donc je déjoue son projet, je triomphe : il ne vise pas à me renverser, mais à m’entraîner dans sa chute. Il est déjà vaincu, lui : car il a reçu le coup, il est perdu. Quant à sa victoire, elle ne consiste pas à gagner une couronne, mais à causer ma perte : de sorte que pour être victorieux il me suffit de rester debout sans le jeter à bas. Maintenant, la victoire sera éclatante, si, comme Paul, je le foule aux pieds tout à mon aise, comptant pour rien les choses présentes. Imitons ce saint : appliquons-nous à triompher du diable, et à ne lui donner aucune prise.

La richesse, l’argent, la vanité lui donnent prise : souvent elles le relèvent, souvent elles redoublent son impétuosité. Mais qu’est-il besoin de lutte et de combat ? Celui qui lutte est dans l’incertitude du résultat : il ignore s’il ne sera pas vaincu et pris lui-même ; mais celui qui foule aux pieds est assuré de la victoire. Foulons donc aux pieds la puissance du diable, foulons aux pieds les péchés, j’entends toutes les passions mondaines, colère, concupiscence, orgueil et le reste : afin que parvenus là-haut, nous ne soyons pas convaincus d’avoir laissé sans usage le pouvoir que Dieu nous a octroyé. Car c’est ainsi que nous obtiendrons les biens futurs. Mais si nous nous montrons indignes de cette prérogative, comment de plus grandes pourraient-elles nous être conférées ? Si nous n’avons pas su fouler aux pieds l’ange rebelle, le déshonoré, le méprisé, comment notre Père nous mettrait-il en possession du patrimoine ? Si nous n’avons pas su triompher d’un être placé si bas, quel titre aurons-nous à entrer dans la maison paternelle ? Dites-moi : Si vous aviez un fils, et que ce fils négligeât ceux de vos serviteurs qui font leur devoir, pour se lier avec ceux qui font votre tourment, qui sont exclus de la maison paternelle, qui ne songent qu’à jouer aux dés, et qu’il se conduisît ainsi jusqu’au bout, ne le déshériteriez-vous pas ? Vous le feriez sans nul doute. Eh bien ! nous aussi, si nous négligeons les anges agréables à Dieu et préposés à notre direction pour vivre avec le diable, nous ne pouvons manquer d’être déshérités.
Puisse-t-il ne nous arriver rien de pareil ! Puissions-nous, après avoir engagé la lutte avec lui et être demeurés vainqueurs avec l’assistance d’en haut, hériter du royaume des cieux. Si quelqu’un de vous a un ennemi, si on lui a fait tort, s’il est emporté, qu’il ramasse toute cette colère, tout ce mécontentement pour le déverser sur la tête du diable. Voilà un noble courroux, une colère utile, un louable ressentiment ! Si la rancune est un mal quand elle provient d’une cause mondaine, ici elle est un mérite. Si donc vous avez des défauts et que vous ne puissiez vous en débarrasser autrement qu’avec vos membres, il faut les faire servir à cet usage. On vous a frappé ? Gardez-en rancune au diable, et ne vous réconciliez jamais avec lui. Mais il ne vous a pas frappé ? N’importe : gardez-lui rancune, parce qu’il a offensé votre Maître, parce qu’il l’a outragé, parce qu’il persécute vos frères et leur fait la guerre… Soyez toujours plein de haine, d’amertume, de fiel : par là vous le rendrez humble, facile à braver, facile à vaincre. – Si nous nous déchaînons contre lui, il nous ménagera ; si nous sommes indulgents, il sera féroce : n’allons pas le traiter comme nous devons traiter nos frères. C’est un adversaire, un ennemi acharné de notre vie, de notre salut et du sien. S’il ne s’aime pas lui-même, comment nous aimerait-il ? Tenez-lui donc tête, et harcelons-le, avec l’assistance toute puissante de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui saura bien nous garantir de ses pièges et nous admettre au partage des biens futur, desquels puissions-nous tous être investis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIII. modifier

SOYEZ DONC FERMES, CEIGNANT VOS REINS DE LA VÉRITÉ. (VI, 14)

Analyse. modifier

  • 1. De la ceinture de vérité.
  • 2 et 3. Réfutation de quelques erreurs manichéennes, marcionites, ariennes. – De la pâque, sous l’ancienne et la nouvelle Loi.

1. Quand Paul a ainsi rangé son armée et réveillé son zèle (car il fallait à la fois la mettre en bon ordre et l’enflammer de courroux), quand il l’a rassurée (ce qui n’était pas moins nécessaire), il s’occupe de l’armer. – C’eût été un soin superflu, si d’abord la discipline n’y avait régné, si l’âme du soldat n’avait été remplie d’une ardeur belliqueuse… Car il faut être armé intérieurement, avant de l’être au-dehors. S’il en est ainsi des soldats proprement dits, à plus forte raison doit-il en être de même des soldats spirituels : ou plutôt, les défenses extérieures sont inutiles à ceux-ci, l’armure intérieure leur suffit. Paul donc a réveillé, enflammé leur courage, leur a rendu l’assurance, les a mis en bon ordre : maintenant il les arme : mais voyez comme il s’y prend. « Soyez donc fermes », dit-il. C’est le premier principe de l’art militaire : beaucoup de choses en dépendent. Aussi revient-il souvent sur ce point. Il dit ailleurs : « Debout, veillez » ; et encore : « Tenez-vous fermes ainsi dans le Seigneur » (1Co. 16,13) ; et encore : « Celui qui croit se bien tenir, qu’il prenne garde de ne pas tomber » (Phi. 4,1) ; et enfin : « Pour que vous puissiez, étant venus à bout de toutes choses, rester debout ». (1Co. 10,12) Il n’a donc pas en vue seulement une certaine attitude ; mais la fermeté dans cette attitude : quiconque est versé dans l’art de la guerre sait combien il est important de savoir se bien tenir. Si le maître qui instruit des athlètes leur recommande ce point avant tout autre, à plus forte raison est-ce une chose importante dans les combats et dans l’art militaire. Se tenir droit, c’est rester bien d’aplomb, sans s’appuyer sur personne ; c’est dans cette attitude qu’on discerne ce qui est réellement droit. Ceux qui sont vraiment droits se tiennent fermes : ceux qui ne se tiennent pas fermes, ne sauraient être droits : leur posture est nonchalante, abandonnée. Le voluptueux ne se tient pas droit ; il penche d’un côté, ainsi que le libertin, l’avare. Quiconque sait se tenir debout, est comme établi sur un fondement solide : et la lutte sera désormais sans difficultés pour lui. « Soyez donc fermes, ceignant vos reins de vérité ». Il ne parle pas ici d’une ceinture matérielle : tout, dans ce passage, se rapporte à l’ordre spirituel.

Et considérez comment il procède. Il commence par mettre la ceinture au soldat. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il le voit abandonné au relâchement des passions, et ses pensées traînant à terre ; an moyen de la ceinture, il relève son vêtement, afin qu’il n’en soit pas embarrassé dans sa marche, et qu’il puisse courir sans être gêné. « Soyez donc fermes ; ceignant vos reins de vérité ». Il nomme ici les reins qui sont, pour ainsi dire, la base du corps, comme la carène est celle du vaisseau : c’est le fondement ; tout est bâti dessus, à ce que disent les médecins. C’est donc notre âme qu’il rend alerte, en ceignant nos reins : car ce mot est pris ici au sens figuré. Et si les reins sont à la fois la base de ce qui est au-dessous et de ce qui est au dessus, il faut dire la même chose de ces autres reins dont parle l’apôtre. Souvent, quand on est las, on pose ses mains à cette place comme sur un support solide, et l’on se soutient de la sorte ; et, à la guerre, la ceinture est destinée à maintenir, à consolider cette base de notre corps. Voilà pourquoi encore on se ceint pour courir : la ceinture consolide l’assiette sur laquelle nous reposons… Faisons donc ainsi pour notre âme, nous dit Paul : et quoi que nous fassions, nous serons fermes, ce qui est nécessaire aux soldats particulièrement. Oui, dira-t-on, mais on se ceint les reins avec une lanière de cuir. Quelle sera donc notre ceinture à nous ? Ce sera ce qui préside à nos pensées, je veux dire la vérité. « Ceignant nos reins de vérité ». Ainsi donc n’aimons aucun mensonge, conformons-nous dans toutes nos démarches à la vérité, ne nous trompons pas mutuellement : s’il s’agit de gloire, cherchons la vérité ; en fait de conduite, encore la vérité. Si nous savons nous entourer de ce rempart, nous ceindre de vérité, nous n’avons personne à craindre. Celui qui cherche la doctrine de vérité ne tombera pas à terre. Car ce qui n’est pas vrai procède de la terre : la preuve en est la servitude où vivent, à l’égard de leurs passions, tous les infidèles, qui se laissent conduire par leurs propres pensées. En conséquence, si nous sommes sages, nous ne désirerons point nous instruire dans les écrits des païens. Ne voyez-vous pas comme ces hommes sont lâches et indolents, incapables de comprendre au sujet de Dieu une idée un peu sévère, un peu relevée ? C’est qu’ils ne sont pas ceints de vérité. C’est pour cela qu’il n’y a pas de force dans leurs reins, ces réservoirs de la génération, ce fondement, solide des pensées. Aussi, rien de plus faible qu’eux.

2. Voyez-vous maintenant comment les Manichéens ne reculent devant aucune affirmation dans leur confiance en leurs propres lumières ? Dieu dit-on, n’aurait pu créer le monde sans matière. Qu’est-ce qui le prouve ? Des arguments puisés ici-bas, sur la terre, en nous-mêmes. En effet, dit-on, l’homme ne peut rien faire qu’à cette condition. Et Marcion, voyez-vous comment il parle : Dieu ne pouvait conserver sa pureté en se revêtant de chair. Qu’est ce qui le prouve ? C’est que les hommes ne le peuvent pas, répond-il : or, cela même est une fausseté. Valentin aussi rampe sur la terre, en parle le langage : de même Paul de Samosate et Arius. Que prétend celui-ci ? Que Dieu ne pouvait engendrer en restant impassible. Qu’est-ce qui t’autorise à tenir ce langage, ô Arius ? Ce qui se passe ici-bas. Voyez-vous comme les pensées de tous ces hommes sont basses, rampantes, inspirées de la terre ? Voilà pour les dogmes. En ce qui regarde la vie maintenant, les fornicateurs, les avares, les amants de la gloire, que sais-je encore ? portent également une robe qui traîne à terre : ils n’ont pas cette solidité de reins qui permet de se reposer quand on est las : dès qu’ils sont fatigués, au lieu d’appuyer les mains sur leurs reins pour se raffermir, ils succombent à la lassitude. C’est le contraire pour celui qui est ceint de vérité ; d’abord, il ne se lassera jamais : en second lieu, même s’il se lasse, il trouvera dans la vérité même un point d’appui pour se reposer. Dites-moi, en effet : est-ce la pauvreté qui le fatiguera ? nullement. Car il se repose sur la vraie richesse, et par la pauvreté il connaîtra la pauvreté véritable. La servitude le fatiguera-t-elle davantage ? Nullement : car il connaît la vraie servitude. Sera-ce la maladie ? Pus davantage : « Ceignez vos reins, dit le Christ, et ayez dans vos mains les lampes allumées » (Luc. 12,35) ; de sorte qu’ils jouissent de la lumière inextinguible. Les Israélites reçurent le même ordre à la sortie d’Égypte, et ils étaient ceints en mangeant la pâque.

Et pourquoi, dira-t-on, mangèrent-ils ainsi ? Voulez-vous en savoir la raison historique ou la raison anagogique ? Je vous les dirai l’une et l’autre : retenez-les : car je ne me propose pas seulement de vous expliquer l’énigme, je veux encore que mes paroles profitent à votre conduite. « Ils étaient ceints, dit l’Écriture, le bâton à la main, les chaussures aux pieds, et c’est ainsi qu’ils mangeaient la pâque ». (Exo. 12,11) Mystère redoutable, profond, sublime. Que s’il était tel en figure, à plus forte raison l’est-il en vérité. Ils sortent d’Égypte : ils mangent la pâque. Voyez, leur costume est un habit de voyage, des chaussures, le bâton à la main, manger debout : tout cela n’a pas d’autre sens. Voulez-vous que je commence par l’histoire ou par l’anagogie ? Par l’histoire, cela vaut mieux. Que signifie donc l’histoire ?

Les Juifs étaient ingrats, ils ne cessaient d’oublier les bienfaits de Dieu. Voulant donc leur rendre la mémoire en dépit d’eux-mêmes, il institue ce rite pour le banquet de la pâque. Pourquoi ? Afin qu’obligés chaque année d’observer cette loi, ils se souvinssent nécessairement du Dieu qui les avait délivrés. Ce n’est donc pas seulement par un anniversaire que Dieu a voulu perpétuer le souvenir de ses bienfaits, mais encore par le costume prescrit aux convives. Car s’ils sont chaussés et ceints pour manger, c’est afin qu’ils puissent répondre, si on les interroge : Nous étions prêts pour le départ ; nous allions quitter l’Égypte pour la Terre promise. Voilà l’histoire : voici maintenant la vérité. Nous aussi nous mangeons une pâque, laquelle est le Christ « Notre pâque, le Christ a été immolé » (1Co. 5,7) Ainsi donc nous mangeons une pâque, nous aussi, et une pâque bien supérieure à celle dont parlait la Loi. Donc nous devons aussi être chaussés, et ceints pour manger. Pourquoi ? afin que nous soyons prêts, nous aussi pour le départ, pour la sortie d’ici-bas. Ce n’est pas à l’Égypte qu’il faut songer quand on mange cette pâque, c’est au ciel, à la Jérusalem d’en haut. Si vous êtes ceint et chaussé pour manger, c’est afin que vous sachiez qu’au moment où vous commencez à manger la pâque, vous êtes destiné à une émigration, à un voyage. Deux choses sont indiquées par là : la première, c’est qu’il faut sortir d’Égypte ; la seconde ; c’est que ceux qui restent, y sont désormais comme en pays étrangers : « Notre cité est dans les cieux, est-il écrit ». (Phi. 3,20). C’est que nous devons toujours être préparés, de sorte que, si l’on nous appelle, nous ne cherchions pas à gagner du temps, et que nous disions : « Notre cœur est prêt ». (Psa. 107,2) Mais si Paul pouvait dire cela, lui à qui sa conscience ne reprochait rien, moi qui ai besoin de bien du temps pour me repentir, je ne saurais le dire. Néanmoins, la preuve qu’il est d’une âme vigilante de rester ceinte, elle se trouve dans les paroles de Dieu à un juste fameux : « Non, mais ceins tes reins comme un homme : je t’interrogerai ; toi, réponds-moi ». (Job. 38,3)

Il dit la même chose à tous les saints, la même chose à Moïse : et lui-même se montre ceint dans Ézéchiel. Que dis-je ? les anges mêmes nous apparaissent ceints comme étant des soldats… Quand on est ceint, on se tient ferme ; et ceux qui sont fermes se ceignent. Ceignons-nous donc : car, nous aussi, nous devons faire un voyage, et la route est hérissée d’obstacles. – Quand nous traversons cette plaine, le diable accourt aussitôt ; il ne néglige aucun moyen, aucune ruse, pour surprendre, pour exterminer ceux qui sont sortis d’Égypte, ceux qui ont traversé la mer Rouge, ceux qui viennent d’échapper à la fois aux démons et au déchaînement de mille fléaux. Mais, si nous sommes sages, nous avons, nous aussi, une colombe de feu dans la grâce de l’Esprit le même foyer nous donne la lumière et l’ombre. Nous avons une manne, ou plutôt, quelque chose de bien plus précieux que la manne : ce n’est pas de l’eau, c’est une boisson spirituelle qui jaillit pour nous du rocher. Nous avons de même un camp, dans ce nouveau désert que nous habitons. Car c’est vraiment un désert que la terre ; l’absence de vertu en fait une solitude bien plus affreuse que l’autre. Pourquoi cette autre était-elle un objet de crainte ? n’est-ce point parce qu’elle renfermait des scorpions et des vipères ? « L’homme n’y avait point passé ». Mais plus stérile encore est la nature humaine.

3. Combien de scorpions, de vipères, de serpents dans notre désert ? Combien de reptiles venimeux dans cette foule que nous traversons ! Mais ne craignons rien : notre guide, dans cette sortie, ce n’est pas Moïse, mais Jésus. Comment donc échapperons-nous aux maux qui accablèrent les Juifs ? En agissant autrement. Ils murmuraient, ils étaient ingrats. Gardons-nous des mêmes écarts. D’où vint leur chute à tous ? Ils comptèrent pour rien la terre désirée. Comment, ils la comptèrent pour rien ? Ils l’appréciaient pourtant. Oui, mais ils faiblirent, ils ne voulurent pas souffrir ce qu’il fallait endurer pour l’obtenir. N’allons donc pas, nous, compter pour rien le ciel : car cela s’appelle compter pour rien. Nous aussi, nous avons reçu un échantillon des fruits du ciel, non pas une grappe de raisin portée par deux hommes, mais des arrhes de l’Esprit, cette discipline céleste que nous ont révélée Paul, tout le chœur des apôtres, tant de merveilleux laboureurs. Ce n’est pas Chaleb, fils de Jéphoné, ce n’est pas Jésus, fils de Navé, qui nous a apporté ces fruits : c’est Jésus, le fils du Père des miséricordes, le Fils du vrai Dieu, qui nous a apporté toutes les vertus et tous les fruits, j’entends toutes les hymnes, de là-haut. Car ce que disent les chérubins dans les cieux, il nous a prescrit de le dire ici-bas : « Saint, saint, saint ». Il a introduit parmi nous la vie angélique. Les anges ne se marient pas : il a pris ici-bas le même mérite. Ils ne sont pas épris des richesses ni d’aucune chose de ce genre : il a implanté parmi nous le même désintéressement. Ils ne meurent pas : il nous a octroyé la même faveur ; car la mort n’est plus une mort, mais un sommeil. Écoutez plutôt ce qu’il nous dit lui-même : « Notre ami Lazare est endormi ». (Jn. 11,11) Voyez-vous les fruits de la Jérusalem d’en haut ? Et ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que la guerre n’est pas encore terminée, c’est que tout cela nous est donné avant que nous soyons dans la Terre promise. Les Israélites avaient encore à lutter jusque dans la Terre de promesse : ou plutôt, non ils ne luttaient pas, car il leur suffisait de vouloir obéir à Dieu, pour prendre toutes les villes sans siège et sans combat : c’est ainsi du moins qu’ils prirent Jéricho : on les aurait crus à une fête plutôt qu’à la guerre. Mais nous, une fois entrés dans la Terre promise, c’est-à-dire dans le ciel, nous n’avons plus de guerre à soutenir : nous ne combattons que dans le désert, entendez, dans la vie présente. « Car celui qui est entré dans son repos, lui aussi s’est reposé de ses œuvres, comme Dieu des siennes ». (Heb. 4,10) « Ne nous lassons donc pas de faire le bien ». (Gal. 6,9) Car nous moissonnerons, la saison venue, si nous ne nous fatiguons pas. Voyez-vous comment Dieu nous guide ainsi que les Juifs ? Au sujet de la manne du désert, il est écrit : « Celui qui eut beaucoup n’eut pas davantage ; et celui qui eut peu n’eut pas moins ». Et à nous aussi, il nous est recommandé de ne pas thésauriser sur la terre.

Que si nous thésaurisons, ce n’est plus, comme au temps de la manne, le ver d’ici-bas que nous avons à redouter, mais lever éternel de l’éternel enfer. Faisons donc tout ce qu’il faut pour ne pas lui préparer d’aliment : car il est écrit : « Celui qui eut beaucoup n’eut pas davantage ». Cela se vérifie pour nous tous les jours. Notre estomac, à tous, n’a qu’une capacité déterminée ; passer cette mesure, c’est folie. Dès lors Dieu enseignait aux Juifs ce qu’il devait nous apprendre plus tard par ces paroles : « À chaque jour suffit son mal ». Préservons-nous donc de la cupidité, de l’ingratitude ; ne nous inquiétons point d’habiter des maisons superbes : car nous sommes des voyageurs, et non des habitants stationnaires. Si donc on est bien persuadé que la vie est un voyage, une expédition militaire, que nous vivons ici dans ce que les soldats appellent une tranchée, on se souciera peu de constructions magnifiques. Qui s’aviserait, dites-moi, quelle que puisse être son opulence, d’élever sur une tranchée de superbes bâtiments ? Personne : ce serait encourir la risée, bâtir pour l’ennemi, travailler à l’attirer : ainsi nous ne ferons rien de semblable, si nous sommes sages. Une campagne, une tranchée, voilà la vie actuelle. Je vous en conjure donc, ayons bien soin de ne pas thésauriser ici-bas : car si le voleur vient, notre fuite sera plus prompte. « Veillez, parce que vous ne savez pas à quelle heure vient le voleur » : le voleur, c’est-à-dire la mort. En conséquence, avant qu’il ne vienne, envoyons tout dans notre patrie. Et portons ici-bas une ceinture qui nous permette de triompher de nos ennemis : puissions-nous, vainqueurs, au jour des couronnes, être jugés dignes de la gloire immortelle, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIV. modifier

SOYEZ DONC FERMES, CEIGNANT VOS REINS DE LA VÉRITÉ, ET REVÊTANT LA CUIRASSE DE LA JUSTICE, ET CHAUSSANT VOS PIEDS POUR VOUS PRÉPARER À L’ÉVANGILE DE LA PAIX ; PRENANT SURTOUT LE BOUCLIER DE LA FOI, DANS LEQUEL VOUS PUISSIEZ ÉTEINDRE TOUS LES TRAITS ENFLAMMÉS DU MALIN. PRENEZ AUSSI LE CASQUE DU SALUT, ET LE GLAIVE DE L’ESPRIT, QUI EST LA PAROLE DE DIEU. (VI, 14-17, JUSQU’À LA FIN)

ANALYSE. modifier

  • 1-3. De la lutte contre le démon. – De la prière.
  • 4 et 5. Exemple d’Anne. – De la corruption de l’âme.

1. « Ceignant vos reins de la vérité ». Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie, nous l’avons dit dans notre précédent entretien, qu’il faut nous tenir dispos et en état de courir sans obstacle. « Et revêtant la cuirasse de la justice ». La justice est comme une cuirasse elle est invulnérable. Par justice, il faut entendre ici la vie vertueuse, en général. L’homme ainsi muni, nul ne pourra le terrasser : Si on le blesse souvent, le diable lui-même ne saurait le mettre en pièces. Cela revient à dire : La justice dans le cœur. C’est de ces hommes que parle le Christ, en disant : « Bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la justice, parce qu’ils seront rassasiés ». (Mat. 5,6) L’homme qui a la justice dans le cœur est fort comme une cuirasse. Il ne se laissera jamais aller à la colère. « Et chaussant vos pieds pour vous préparer à l’Évangile de paix ». Il y a ici quelque obscurité. Qu’est-ce que cela signifie ? Voilà une glorieuse chaussure, qui nous prépare à l’Évangile. Ou il veut dire qu’ils doivent être prêts pour l’Évangile, user de leurs pieds pour cela, lui préparer, lui frayer la voie : ou bien qu’il faut nous préparer à la sortie. Dès lors, la préparation à l’Évangile, n’est pas autre chose qu’une vie irréprochable. Comme dit le prophète : « Votre oreille a entendu la préparation de leur cœur ». (Psa. 10,19) « A l’Évangile de paix », dit-il. En voici la raison. Il a parlé de guerre et de combats : il montre maintenant que c’est aux démons qu’il faut faire la guerre : car l’Évangile est un Évangile de paix. Cette guerre-là met fin à une autre guerre, la guerre contre Dieu : quand nous combattons le diable, nous sommes en paix avec Dieu. Ne craignez donc rien, mon cher auditeur ; voici l’Évangile : la victoire est assurée. « Prenant surtout le bouclier de la foi ». Par foi il entend ici, non la doctrine, car il ne l’aurait pas mise au second rang, mais la grâce, par laquelle se font les signes. Et c’est à bon droit qu’il nomme la foi un bouclier : car, si un bouclier forme une sorte de rempart autour du corps tout entier, la même chose est vraie de la foi ; tout lui cède : « Dans lequel vous puissiez éteindre tous les traits enflammés du malin ». En effet, rien ne peut briser ce bouclier. Écoutez ce que le Christ dit à ses disciples : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Passe d’ici là, et elle y passerait ». (Mat. 17,19) Mais comment faire pour avoir la foi ? Il faut accomplir ces prescriptions. Par ces mots : Traits du malin, il entend les tentations, les passions déréglées. C’est à propos qu’il ajoute : « Enflammés ». Car telles sont les passions. Si la foi a pu commander aux démons, à plus forte raison peut-elle se faire obéir des passions. « Prenez aussi le casque du salut » : entendez : « Pour votre salut ». Il les revêt d’une armure, comme s’il les menait au combat. « Et le glaive de l’Esprit qui est la parole de Dieu ». Ceci doit être entendu soit de l’Esprit, soit du glaive de l’Esprit, glaive au moyen duquel on peut tout fendre, tout couper, et décapiter le dragon.

« Priant en esprit en tout temps, par toute sorte de prières et de supplications, et dans le même esprit, veillant en toute instance et supplication pour tous les saints ; et pour moi, afin que, lorsque j’ouvrirai la bouche, des paroles me soient données pour annoncer avec assurance le mystère de l’Évangile, dont j’exerce la légation dans les chaînes, et qu’ainsi j’ose en parler comme je dois (18-20) ». Si là parole de Dieu peut tout, il en est de même de celui qui a le don de l’Esprit. « Car la parole de Dieu est vivante, efficace, et plus pénétrante que tout glaive à deux tranchants ». (Heb. 4,12) Voyez la sagesse de ce saint. Il les a armés avec le plus grand soin ; maintenant il montre comment ils doivent invoquer le roi, pour qu’il leur tende la main : « Priant en esprit, en tout temps, par toutes sortes de prières et de supplications ». On peut, en effet, marmotter des prières, et ne pas prier en esprit. « Et dans le même esprit veillant ». C’est-à-dire, restant sages : tel doit être l’homme armé, l’homme debout auprès du roi : vigilant, de sang-froid. « En toute instance et supplication pour tous les saints, et pour moi, afin que, lorsque j’ouvrirai la bouche, des paroles me soient données ». Que dis-tu, ô bienheureux Paul ? tu as besoin des disciples ? Il a bien soin de dire : « Quand j’ouvrirai la bouche ». Il ne méditait donc pas ses paroles : Le Christ l’a dit : « Lorsque l’on vous livrera, ne pensez ni comment ni ce que vous devrez dire ; il vous sera donné en effet à l’heure même ce que vous devrez dire ». (Mat. 10,19) Ainsi Paul faisait tout par foi, tout par grâce. « Pour annoncer avec assurance le mystère de l’Évangile ». En d’autres termes, afin que je plaide ma cause comme il faut. Tu es dans les fers, et tu as besoin d’autrui ? Oui, répond-il. Car Pierre aussi était chargé de chaînes ; et néanmoins on priait pour lui sans relâche. « Dont j’exerce la légation dans les chaînes, et qu’ainsi j’ose en parler comme je dois » : c’est-à-dire, afin que je réponde avec assurance, courage, intelligence. « Et pour que vous sachiez les circonstances où je me trouve, et ce que je fais, Tychique, notre frère et fidèle ministre du Seigneur, vous apprendra toutes choses (21) ».

2. Après avoir fait mention de sa captivité, il s’en remet à Tychique du soin d’en dire davantage de sa part. Pour ce qui était des dogmes et de l’exhortation, il s’expliquait dans son épître : mais il laissait au porteur de sa lettre tout ce qui était pur message. Voilà pourquoi il ajoute : « Pour que vous sachiez ce qui nous concerne ». Par là il fait voir et son affection pour eux, et leur affection pour lui. « Lequel j’ai envoyé vers vous exprès pour que vous sachiez ce qui nous concerne, qu’il console vos cœurs (22) ». Ceci est motivé par ce qui précède : « Vous étant revêtus et ceints », ce qui indique une prière continuelle et ininterrompue. Écoutez plutôt le prophète : « Qu’il soit pour lui comme un manteau dont il se revêt, comme une ceinture dont il est ceint perpétuellement ». (Psa. 108,19) Et le prophète dit de Dieu même qu’il porte une cuirasse de justice, nous avertissant par là que c’est toujours et non pour un moment que nous devons être munis de la sorte : toujours il faut combattre. Et un autre dit ailleurs : « Le juste est confiant comme un lion ». (Pro. 28,1) En effet, un homme ainsi cuirassé ne saurait avoir peur d’une armée ; il s’élance au milieu des ennemis. Isaïe dit aussi : « Beaux sont les pieds de ceux qui annoncent la paix ». (Isa. 52,7) Qui n’accourrait, qui ne s’empresserait de contribuer à cette œuvre, d’annoncer aux hommes la paix, la paix de Dieu, une paix qui ne coûte aux hommes aucune peine, qui est l’œuvre de Dieu seul ? Ce que c’est maintenant que la préparation de l’Évangile, Jean va nous l’apprendre : « Préparez la voie du Seigneur, rendez droits ses chemins ». Mais en disant cela, il a en vue le baptême : or, après le baptême il faut encore une autre préparation c’est à celle-là que l’apôtre songe en disant « Pour vous préparer à l’Évangile de paix » ; conseil indirect d’éviter tout ce qui nous rendrait indigne de la paix. Les pieds étant pris souvent comme image de la vie, il répète souvent, pour ce motif, dans ses exhortations « Songez à bien marcher », c’est-à-dire à vous bien conduire.

Sachons donc rendre notre vie digne de l’Évangile, et, durant toute notre existence, rester irréprochables dans notre conduite et nos actions. La paix a été annoncée, frayez la voie à cette bonne nouvelle ; car si vous redevenez ennemis, plus de préparation à la paix. Soyez prêts, ne différez pas le moment de la paix… Restez ce que vous êtes devenus : prêts à la paix et à la foi. La foi est un bouclier, qui arrête au passage les atteintes de l’ennemi, et préserve nos armes. Si donc la foi reste droite et la vie également, les armes demeurent intactes. En bien d’autres endroits, il revient sur ce sujet de la foi, mais principalement dans son épître aux Hébreux ; et aussi sur le sujet de l’espérance. Croyez, dit-il, aux biens futurs, et tout cela sera hors d’atteinte. Si dans les dangers, dans les épreuves, vous vous faites un rempart de l’espérance et de la foi, vos armes n’éprouveront aucun choc funeste. « Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il est, et qu’il récompensera ceux qui le cherchent ». La foi est un bouclier qui abrite ceux qui croient avec simplicité ; si au contraire, on y mêle des raisonnements, des discussions, de vaines recherches, ce n’est plus un bouclier, mais un embarras. La foi doit être telle qu’elle nous couvre, qu’elle nous protège entièrement… Qu’elle ne soit donc pas courte de manière à laisser sans défense ou les pieds ou quelque autre partie : le bouclier doit avoir les dimensions du corps. « Enflammés ». Nombreuses sont les pensées qui consument notre âme, nombreux les doutes, nombreuses les hésitations : mais la foi, en réalité, apaise tout cela. Le diable nous décoche bien des traits propres à enflammer notre âme, et à la jeter dans le doute, comme lorsque quelques-uns demandent : Y a-t-il une résurrection ? y a-t-il un jugement ? y a-t-il une rétribution ? Mais si vous avez le bouclier de la foi, vous éteindrez les traits du diable. Une passion déréglée a pénétré en vous, le feu des mauvaises pensées vous consume entièrement ? Couvrez-vous de la croyance aux biens futurs ; et rien ne paraîtra, tout sera anéanti. « Tous les traits » : non pas une partie seulement. Écoutez ce que nous dit Paul : « J’estime que les souffrances du temps présent ne sont pas proportionnées à la gloire qui doit être révélée en nous ». (Rom. 8,18)

Voyez-vous combien de traits ont éteints les justes d’autrefois ? Ou n’était-ce pas à vos yeux un trait enflammé que la douleur qui consuma le cœur du patriarche au moment d’offrir son fils… Et ce n’est pas le seul juste qui ait éteint tous les traits du diable. Si donc les mauvaises pensées nous font la guerre, couvrons-nous de ce bouclier ; armons-nous en contre les passions déréglées : dans la souffrance et la peine, servons-nous-en comme d’un appui. C’est un rempart pour notre armure toute entière : sans cela, elle serait bientôt percée. « En tout prenant le bouclier de la foi ». Qu’est-ce à dire, « En tout ? » c’est-à-dire, en vérité, en justice, en préparation de l’Évangile. En d’autres termes, toutes ces choses en ont besoin. C’est pourquoi il ajoute : « Prenez aussi le casque du salut » ; en d’autres termes, par là vous pourrez vivre désormais en sûreté, et échapper à tous les périls. De même que le casque qui enveloppe exactement la tête de tous côtés, la préserve de tout accident : de même la foi tient lieu de bouclier, de casque de salut. Si nous éteignons les traits du diable, bientôt nous recevrons en nous les pensées salutaires qui préserveront de toute atteinte notre faculté souveraine. Les pensées contraires une fois éteintes, bientôt les pensées salutaires, les pensées d’espérance naîtront en nous, et se fixeront dans notre raison comme un casque sur notre tête.

3. C’est peu : nous recevrons encore le glaive de l’Esprit, en sorte que non seulement nous serons à l’abri des traits lancés contre nous, mais que nous pourrons encore frapper le diable lui-même. Si l’âme ne désespère point d’elle-même, si elle ne reçoit pas les traits enflammés, elle résistera énergiquement à l’ennemi, elle brisera sa cuirasse avec ce même glaive au moyen duquel Paul la brisa et asservit les pensées de celui qui en était revêtu : On mutilera, on décapitera le dragon. « Qui est la parole de Dieu ». En disant : Parole de Dieu, il entend ses ordres ou ses préceptes. Quand les apôtres faisaient des miracles, ils s’autorisaient toujours du nom de Jésus-Christ. Et nous aussi, en toutes choses, songeons seulement à nous conformer aux ordres de Dieu si nous le faisons, nous tuerons, nous exterminerons par là le dragon, le serpent aux replis tortueux. Veuillez considérer ici la sagesse de Paul. Après avoir dit : « Vous pourrez éteindre les traits enflammés du diable », afin de ne pas enfler d’orgueil ceux à qui il s’adresse, il leur montre qu’ils ont, pour cela, le plus grand besoin du secours de Dieu. Que dit-il, en effet ? « Par toute sorte de prières et de supplications ». C’est comme s’il disait : Cela sera, et vous réussirez à tout en priant ; mais ne priez jamais pour vous seul, et ainsi vous aurez Dieu propice. « Par toute sorte de prières et de supplications, et dans le même esprit veillant en toute instance et supplication pour tous les saints ». Ne distinguez point entre les moments de la journée : écoutez ce qu’il vous prescrit : Priez « En tout « temps », ou sans cesse. N’avez-vous pas entendu parler de cette veuve qui triompha à force d’assiduité ? N’avez-vous pas entendu parler de cet ami qui fléchit Dieu par sa persévérance nocturne ? N’avez-vous pas entendu parler de cette Syro-Phénicienne qui gagna Dieu par la fréquence de ses visites ? Tous réussirent par l’assiduité. « Priant en esprit en tout temps ». En d’autres termes : Cherchons ce qui est selon Dieu, rien de mondain, rien qui regarde cette vie. Il ne faut donc pas seulement que la prière soit assidue, il faut encore qu’elle soit vigilante : « Et dans le même esprit veillant ». Peut-être veut-il parler des veilles, peut-être de l’état d’une âme vigilante : j’accepte les deux interprétations. Elle veillait, cette Chananéenne, quand, repoussée par le Seigneur qui refusait de lui répondre et la traitait de chienne, elle lui dit : « Il est vrai, Seigneur ; mais les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres » (Mat. 15,20) ; et elle ne s’éloigna pas, avant d’être exaucée. Vous savez comment criait cette veuve, et comment elle persista, jusqu’à ce qu’elle eût fléchi un magistrat sans crainte de Dieu ni de l’opinion des hommes. Vous savez comment persévéra cet ami qui priait jusqu’à une heure avancée de la nuit, jusqu’à ce qu’il eût fléchi son ami par son assiduité et obtenu le réveil désiré. Voilà ce qui s’appelle veiller.

Voulez-vous savoir en quoi consiste la vigilance de l’âme ? Approchez-vous d’Anne, écoutez ses paroles : « Adonaï, Eloï Sabaoth ». (1Sa. 1,11) Ou plutôt écoutez ce qui précéda ses paroles. Tous, est-il écrit, se levèrent de table : mais elle, alors, ne songea point au sommeil ni au repos. Ainsi, même à table, elle restait légère, elle ne se chargeait point d’aliments : autrement, elle n’aurait pas versé tant de larmes. Si nous, même à jeûn, nous avons peine à prier aussi bien, ou plutôt, si nous ne prions jamais de la sorte, à plus forte raison n’aurait-elle pas prié ainsi en sortant de table, si même à table elle n’avait été comme une personne à jeûn. Hommes, rougissons à la vue de cette femme ; rougissons, nous qui ne pouvons, sans bailler, prier pour obtenir le royaume, en la voyant pleurer tandis qu’elle prie pour avoir un enfant… « Et elle s’arrêta devant le Seigneur », ajoute l’Écriture : Et que dit-elle ? « Adonaï Seigneur, Eloï Sabaoth » ; ce qui se traduit par ces mots : Seigneur Dieu des armées. Ses larmes, précédaient ses paroles : c’est là-dessus qu’elle comptait pour fléchir Dieu. Où il y a des larmes, il y a nécessairement affliction : où il y a affliction, il y a sagesse et ferveur. « Si vous exaucez en l’entendant, dit-elle, la prière de votre servante, et que vous me donniez un fils, je le donnerai en offrande au Seigneur pour toujours ». Elle ne dit pas, une année ou deux, comme nous : elle ne dit pas : Si vous me donnez un enfant, je vous ferai une offrande d’argent. Elle dit : Ce don que vous m’aurez fait, je vous le rends tout entier : à vous, ce premier-né ; à vous, cet enfant de ma prière. Vraie fille d’Abraham ! Abraham donna ce qui lui avait été demandé : Anne prévient la demande, et donne. Et voyez eu ceci encore paraître sa piété. « Sa voix n’était pas entendue, dit l’Écriture, et ses lèvres ne remuaient point ». Ainsi s’approche de Dieu celui qui veut être exaucé : on ne le voit point s’abandonner, bailler, s’endormir, se gratter, paraître ennuyé. Est-ce que Dieu ne pouvait pas donner sans cette prière ? Est-ce qu’il ne connaissait pas déjà auparavant le désir de cette femme ? Mais s’il avait prévenu la sollicitation d’Anne, le zèle de celle-ci n’aurait pas éclaté, sa vertu n’aurait point paru dans tout son jour, elle n’aurait pas été récompensée si magnifiquement. De sorte que ce délai n’est point une marque d’avarice ni de jalousie, mais de sollicitude.

4. Quand donc vous trouverez dans l’Écriture « Qu’il avait fermé son sein ; et que sa rivale la persécutait », songez que Dieu voulait par là montrer la sagesse d’Anne. Voyez plutôt, son mari lui était attaché, il lui disait : « Ne suis-je pas bon pour toi plus que dix enfants ? Et sa rivale la persécutait » ; elle l’injuriait, l’insultait. Et jamais Anne ne répondit aux mauvais procédés de cette femme, jamais elle ne proféra d’imprécation contre elle, jamais elle ne dit : Ma rivale m’outrage, venge-moi. Cette rivale avait des enfants mais elle avait, elle, pour compensation l’amour de son mari. C’est par là qu’il la consolait, disant : « Ne suis-je pas bon pour toi plus que dix enfants ? » Mais considérons encore la sagesse d’Anne. « Et Héli crut qu’elle était ivre ». Voyez maintenant sa réponse : « Ne croyez pas que votre servante soit comme une fille de Bélial ; car il n’y a que l’excès de ma douleur et de mon affliction qui m’ait fait parler jusqu’à cette heure ». Voilà qui marque véritablement un cœur contrit : ne pas s’irriter ou s’offenser des injures, se justifier seulement. Rien n’affermit un cœur dans la sagesse, comme l’affliction ; rien n’est doux comme la douleur selon Dieu. « Il n’y a que l’excès de ma douleur et de mon affliction qui m’ait fait parler jusqu’à cette heure ». Imitons-la, tous tant que nous sommes. Écoutez, vous toutes qui êtes stériles, vous toutes qui désirez des enfants, écoutez, hommes et femmes. Car souvent les hommes se joignent à ces supplications. Écoutez ce que dit l’Écriture : « Et Isaac priait au sujet de Rébecca, sa femme, parce qu’elle était stérile ». (Gen. 25,21) Grand est le pouvoir de la prière.

« En toute instance et supplication pour tous les saints, et pour moi ». Il se nomme en dernier lieu. Que fais-tu, bienheureux Paul ? Tu te places au dernier rang ? Oui, dit-il : « Afin que, lorsque j’ouvrirai la bouche, des paroles me soient données pour annoncer avec assurance le mystère de l’Évangile, dont j’exerce la légation dans les chaînes ». Auprès de qui exerces-tu cette légation ? Auprès des hommes. O bonté de Dieu ! Il a envoyé du ciel des ambassadeurs en son nom, au nom de la paix : et les hommes les ont pris et enchaînés, sans même observer cette loi du droit des gens ; que la personne d’un ambassadeur est inviolable : Néanmoins j’exerce ma légation dans les chaînes. La captivité m’empêche de parler librement : mais votre prière m’ouvrira la bouche, afin que je puisse dire avec assurance ce que je dois dire : en d’autres termes, afin que je dise tout ce que j’ai été chargé de dire. « Et pour que vous sachiez les circonstances où je me trouve, et ce que je fais, Tychique, notre frère, et fidèle ministre du Seigneur, vous apprendra toutes choses ». S’il est fidèle, il ne mentira pas, il ne dira que la vérité. « Lequel j’ai envoyé vers nous exprès pour que vous sachiez ce qui nous concerne, et qu’il console vos cœurs ». Ah ! quel amour ! Il veut dire : afin que ceux qui voudraient vous effrayer ne le puissent pas : les Éphésiens devaient être en effet dans les angoisses : cela résulte de ces mots : « Afin qu’il console vos cœurs » : Afin qu’il vous empêche de tomber dans le découragement. « Paix à nos frères et charité avec la foi, par Dieu le Père et par le Seigneur Jésus-Christ ». Il leur souhaite la paix et la charité avec la foi. Sage précaution : car il ne veut pas que leur charité soit sans discernement, qu’ils se mêlent aux infidèles. Voilà ce qu’il veut dire ou bien il s’exprime ainsi pour qu’ils aient foi, pour qu’ils aient bonne espérance au sujet des biens futurs. La paix vis-à-vis de Dieu est en même temps la charité. En effet, s’il y a paix, il y aura charité ; s’il y a charité, il y aura paix. « Avec la foi ». La charité n’est bonne à rien, sans la foi : ou plutôt, sans la foi, la charité est impossible. « Et que la grâce soit avec tous ceux qui aiment Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l’incorruptibilité. Ainsi soit-il ». Ici il distingue et met à part ces deux choses, la paix et la grâce. « Dans l’incorruptibilité. Ainsi soit-il ». Qu’est-ce à dire, « Dans l’incorruptibilité ? » Cela signifie ou avec sagesse, ou encore pour les choses incorruptibles : et non pour l’argent et la gloire. « Dans », c’est, par. « Par incorruptibilité », c’est-à-dire par vertu. Car tout péché est une corruption : et si l’on emploie ce mot en parlant d’une vierge séduite, on peut aussi l’appliquer à l’âme. C’est pour cela que Paul a dit : « Que vos pensées ne soient jamais corrompues », et ailleurs : « L’incorruptibilité dans la doctrine ».

5. Qu’est-ce, en effet, dites-moi, que la corruption du corps ? N’est-ce pas une dissolution générale qui en atteint jusqu’à la charpente ? La même chose arrive pour l’âme, une fois que le péché s’y est introduit. La beauté de l’âme, c’est la chasteté, la justice ; la santé de l’âme, c’est le courage, la sagesse. La laideur est le partage du débauché, de l’avare, de celui qui fait le mal : le pusillanime, le lâche, sont des infirmes, des malades. On voit donc clairement par là que les péchés engendrent la corruption, puisqu’ils nous rendent laids, infirmes, et ébranlent notre santé. Si nous employons justement le même mot en parlant d’une vierge séduite, ce n’est pas seulement en vue de l’atteinte qu’a reçue sa personne, c’est encore en vue de la faute commise : car il ne s’agit que d’une union charnelle : et si ce fait constituait une corruption, il faudrait voir une corruption dans le mariage. Ce n’est donc pas le rapprochement des sexes qui fait la corruption, mais bien le péché : car, en péchant, la fille s’est déshonorée. Considérons encore les choses par un autre côté : Pour une maison, la corruption, la perte, qu’est-ce autre chose que la ruine ? En toutes choses la corruption consiste dans le passage à un état pire qui se substitue à l’état précédent et n’en laisse subsister aucune trace. Écoutez plutôt ce que dit l’Écriture : « Toute chair a corrompu sa voie » (Gen. 6,12) ; et ailleurs : « Dans une corruption insupportable » ; et encore : « Des hommes d’un esprit corrompu ». (2Ti. 3,8) Notre corps est périssable, mais notre âme est immortelle de sa nature. N’allons donc pas la corrompre, elle aussi. La mort du corps est l’effet de l’ancien péché : mais les péchés commis après le baptême ont le pouvoir de gâter l’âme elle-même, et de la mettre à la merci du ver immortel, qui ne la toucherait point, si elle n’était tombée en corruption. Le ver ne s’attaque point au diamant : quand bien même il y toucherait, ce serait en pure perte. Gardez-vous donc de corrompre votre âme : car la corruption produit l’infection. Écoutez plutôt le prophète : « Mes plaies ont été remplies d’infection et de pourriture, à cause de ma folie ». (Psa. 37,6) Or une de ces corruptions revêtira l’incorruptibilité, l’autre, non (car l’incorruptibilité ne sera que l’incorruptibilité d’une corruption). Il y a donc une corruption incorruptible, c’est-à-dire sans fin, il y a une mort immortelle ; ce qui serait le cas, si le corps demeurait immortel. Si donc, quand nous quittons la terre, nous portons en nous la corruption, cette corruption sera incorruptible et sans fin. En effet, brûler et n’être point consumé, être dévoré éternellement par un ver, c’est une corruption incorruptible. Une chose analogue arriva pour le bienheureux Job : il était en corruption et ne périssait pas : quand il se grattait, il sortait de la poussière avec du pus de son corps, et cela pendant longtemps. C’est un supplice analogue que l’âme endurera alors, assaillie et rongée par les vers, non pendant deux années, ni trois, ni dix, ni cent, ni dix mille, mais durant un temps infini. « Leur ver ne périra point, est-il écrit ». (Mrc. 9,45)

Craignons, redoutons ces paroles, je vous en conjure, afin de ne pas les voir se réaliser pour notre malheur. C’est une corruption que l’avarice, une corruption pire que toute autre, qui conduit à l’idolâtrie. Fuyons la corruption, visons à l’incorruptibilité. Vous avez fait tort à un tel ? Ce tort est passager, mais l’avarice demeure ; la corruption devient un principe d’incorruptibilité ; la jouissance passe, mais le péché reste incorruptible. C’est un terrible malheur que de ne pas se purifier complètement dans la vie présente : c’est une grande infortune que de partir pour l’autre vie tout chargé de péchés. « Dans l’enfer, qui vous confessera ? » (Psa. 6,6) Au jour du jugement, il n’est plus temps de se repentir. Quels gémissements n’a point poussés le mauvais riche ? mais ce fut en vain. Que ne disent pas ceux qui n’ont pas nourri Jésus-Christ ? Néanmoins ils sont précipités dans le feu éternel. Que ne disent point alors ceux qui ont commis l’iniquité ? « Seigneur, n’avons-nous point prophétisé en votre nom ? n’avons-nous pas en votre nom chassé les démons ? » Néanmoins ils ne sont pas reconnus. Toutes ces choses sont alors inutiles, si l’on n’a point fait ici-bas ce qu’il fallait faire. Craignons donc d’avoir à dire alors : « Seigneur, quand vous avons-nous vu affamé, et ne vous avons-nous pas, nourri ? » Nourrissons-le maintenant, non pas un jour, ni deux, ni trois ; car il est écrit : « Que la miséricorde et la vérité ne vous abandonnent point ». L’Écriture ne dit pas : Agissez ainsi une fois ou deux car les vierges aussi : avaient eu de l’huile, mais elles ne surent pas la conserver. Ainsi donc nous avons besoin de beaucoup d’huile, et il faut que nous soyons comme un olivier fertile dans la maison de Dieu. Que chacun de nous songe aux péchés dont il est chargé, et les compense par des charités, ou plutôt fasse bien plus que les compenser, afin que non seulement nos péchés soient effacés, mais que de plus nos bonnes œuvres nous soient imputées à justification. Car si nos bonnes actions ne sont pas assez nombreuses pour nous décharger, d’une part, de nos fautes, et de l’autre, offrir un excédant qui nous soit compté à justification, personne ne nous préservera du supplice : auquel puissions-nous tous échapper par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. X…

FIN DE L’ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS[16].
  1. Ce préambule renferme plusieurs inexactitudes qu’il serait assez inutile de relever, attendu que le texte est ici visiblement altéré et interpolé en plusieurs endroits, si l’ensemble est authentique : et nous sommes très porté, pour notre part, à croire qu’il ne l’est pas.
  2. Pour la traduction des textes de cette difficile Épître nous avons suivi presque partout l’excellente traduction de M. l’abbé Glaire (Paris ; Jouby, 1861).
  3. Saint Jean Chrysostome touche nécessairement à une foule de points dans ce commentaire continu : nous nous bornerons pour celles de ces homélies qui n’offrent pas une véritable unité, à faire connaître dans le sommaire les plus intéressants des points traités par l’orateur, ou ceux sur lesquels il insiste particulièrement.
  4. Cette discussion est dirigée contre les Ariens et autres hérétiques.
  5. Nous n’avons pas de mot équivalent en français au grec άναχεφαλαιωσαθαι que nous avons rendu par un mot emprunté aux traductions les plus autorisées de l’Évangile.
  6. Κεφαλέ. — Même observation que plus haut.
  7. Ce texte est généralement interprété d’une manière un peu différente.
  8. L’édition d’Oxford nous a été utile pour la solution de plusieurs difficultés dans la traduction de cette homélie et des suivantes.
  9. Les pythagoriciens.
  10. Platon.
  11. Le texte parait altéré ici.
  12. Ce passage ne peut être rendu qu’approximativement en français, vu l’impossibilité de trouver parmi les dérivés de notre mot saint, des équivalents propres à exprimer toutes ces idées.
  13. Ou les Purs : autre nom des Novatiens.
  14. Jésus-Christ.
  15. Ce qu’il y a d’obscur ou d’inexact dans ces allusions peut provenir d’une altération de texte, tout aussi bien que d’une ignorance réelle ou feinte.
  16. Les difficultés que Savilius et les récents éditeurs d’Oxford ont rencontré dans la constitution du texte souvent si difficile et si défiguré de ce commentaire, nous les avons éprouvées, nous aussi, et à plus forte raison, en le traduisant. Nous ne nous flattons nullement d’avoir éclairci partout ce que l’état actuel du texte rend incompréhensible en plusieurs endroits, indépendamment de la difficulté de la matière : et nous sommes forcés, en finissant ce pénible travail, de répéter, pour notre compte, l’aveu de Savilius, dont les derniers éditeurs disent dans leur préface (page 3) : Neque tamenposuit, ut ipse fatetur, in libro tam mendoso, quod voluit, praestore. ( Sancti Joannis Chrysostomi Interpretatio omnium Epistolarum Paulinarum, tom. IV ; Oxonii, apud J. H. Parker). La traduction latine d’Hervet à laquelle nous avons souvent recouru, est d’ailleurs très éloignée de la perfection : mais la perfection, en pareil cas, c’est l’impossible.