Commentaire sur la première Épître de saint Paul aux Corinthiens


PRÉFACE POUR LES HOMÉLIES DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME SUR LES DEUX ÉPÎTRES AUX CORINTHIENS

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– 1° Du mérite de ces Homélies. – 2° Du prologue de ces mêmes Homélies. – 3° Quelques savants ne veulent pas qu’il soit de saint Chrysostome.

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1° Parmi les œuvres de saint Chrysostome les plus estimées et les meilleures, on compte les homélies sur les deux épîtres aux Corinthiens. Ces homélies sont au premier rang pour l’élégance de la forme aussi bien que pour l’importance de la matière. On peut le dire surtout des homélies sur la première épître, que l’on préfère généralement aux homélies sur la seconde épître, à cause du style qui en est plus figuré et plus soigné. On remarque en effet dans les premières une diction plus abondante, un grand nombre de mots piquants et de détails intéressants. Il serait difficile de trouver rien qui soit travaillé avec plus de soin que ces homélies : c’est au point que plus d’un parmi les lecteurs modernes trouvera que l’auteur va trop loin en ce genre et qu’il excède les justes bornes. Mais en cela le saint Docteur n’a fait que remplir le premier et principal devoir d’un orateur qui est de connaître à fond le goût et l’esprit de son auditoire, pour s’y conformer rigoureusement. Il ne se trompait pas puisqu’il plaisait, et il plaisait tellement, qu’il était souvent interrompu soit par des frémissements approbateurs, soit même par des applaudissements bruyants qui éclataient malgré tous les efforts du prédicateur pour empêcher ces sortes de manifestations. Les controverses fréquentes et les luttes pour ainsi dire corps à corps avec les philosophes profanes, avec les adorateurs des faux dieux, avec certains hérétiques, des détails concernant les mœurs du siècle, viennent encore ajouter un nouvel intérêt à ces homélies sur la première épître.
2° Ces homélies sont précédées d’une préface que nul ne ferait difficulté d’attribuer à saint Chrysostome, si l’on n’y lisait le passage suivant : « Paul a beaucoup souffert dans cette ville ; le Christ s’y montra à lui et lui dit : Ne te tais point, mais parle : parce qu’un peuple nombreux m’appartient dans cette ville. Et il y demeura deux ans. C’est là que le démon maltraita les exorcistes juifs, là que certaines personnes touchées de repentir brûlèrent des livres de magie, et il y en eut pour cinquante mille deniers de brûlés ; là enfin que Paul fut battu en présence de Gallion, le proconsul, siégeant sur son tribunal ».
3° il y a tant de grosses erreurs dans ce passage, qu’il est difficile de croire qu’un homme aussi versé dans les saintes Écritures que l’était saint Chrysostome, en soit l’auteur. Est-ce l’un des hommes qui a le mieux possédé la sainte Écriture ? est-ce surtout le commentateur des Actes, l’homme qui avait si bien étudié toutes les démarches comme toutes les paroles de l’apôtre saint Paul ? est-ce bien celui – là qui a pu transposer d’Éphèse à Corinthe deux faits aussi importants que celui du démon maltraitant les fils du juif Scéva qui tentaient de l’exorciser, et que celui des livres de magie brûlés en si grande quantité ? C’est là, encore une fois, quelque chose qu’on a de la peine à croire. Ce n’est pas non plus Paul, mais Sosthène qui fut battu. Il est bien vrai que l’on rencontre quelques lapsus memoriae dans saint Chrysostome ; il cite quelquefois un livre de l’Écriture pour un autre ; mais celui-ci serait bien fort. Toutefois, si l’on retranche cet endroit, le reste de la pièce est si bien fait, si bien tourné, qu’il me semble y reconnaître saint Chrysostome ; et ce qui m’empêche surtout d’adopter pleinement l’avis des hommes doctes qui nient l’authenticité de cette préface, c’est qu’elle se termine de telle manière que l’auteur de la première homélie semble prendre de là son point de départ comme s’il reprenait le fil de son discours. Pour preuve que la mémoire fait quelquefois défaut à saint Chrysostome, voyez le commentaire sur l’épître aux Galates, chap. 1,1, où le saint Docteur met Milésiens au lieu d’Éphésiens.

– 1° Que les Homélies sur la première Épître aux Corinthiens furent prononcées à Antioche, selon le témoignage de saint Chrysostome lui-même. – 2° Qu’elles contiennent beaucoup de choses d’un grand intérêt touchant les philosophes profanes : – 3° Touchant les hérétiques Manichéens et Marcionites. – 4° Rite ridicule des Marcionites. – 5° Que les mœurs des chrétiens d’Antioche y sont censurées avec énergie. – 6° Diverses autres observations.

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1° C’est dans la vingtième homélie que saint Chrysostome nous apprend qu’il prêchait à Antioche, et voici à quelle occasion : Il y avait dans cette ville beaucoup de riches avares, très peu portés à la pratique de l’aumône ; ils ne savaient que repousser durement, sans leur donner même une obole, les pauvres qui se présentaient sur leur passage. De leur côté, les pauvres usaient des moyens les plus barbares pour émouvoir la pitié ; les uns crevaient les yeux à leurs enfants ; les autres, pour attirer l’attention de la foule, mangeaient des cuirs de vieux souliers ; ceux-ci se plantaient des clous dans la tête, ceux-là demeuraient assis jusqu’au ventre dans de l’eau glacée ; d’autres avaient recours à des moyens encore plus singuliers et plus douloureux. La vue de ces horreurs émouvait ces citoyens opulents qui donnaient alors l’argent à pleines mains à ceux dont ils venaient de repousser les prières. Pour flétrir une pareille conduite, comme c’était son devoir, le saint Docteur ne trouve pas de termes assez forts ; et afin de les corriger par un exemple, il leur rappelle en la mémoire ces anciens habitants d’Antioche qui florissaient dans les temps apostoliques, qui furent les premiers appelés chrétiens, et qui prodiguaient si généreusement leurs biens pour subvenir aux besoins des pauvres et des églises. Mais parce que ces riches avaient coutume de renvoyer les indigents et les mendiants à l’église d’Antioche, qui jouissait de gros revenus, le savant Docteur leur répond que l’aumône faite par l’Église ne leur conférera aucun mérite s’ils ne donnent eux-mêmes largement pour le soulagement des pauvres. Saint Chrysostome nous dit dans une autre homélie que l’église d’Antioche pouvait, avec son seul revenu, pourvoir à l’entretien journalier de trois mille veuves et vierges. Il est donc constant, par le témoignage de saint Chrysostome lui-même, que ces Homélies furent prononcées à Antioche.
2° Les paroles de l’apôtre fournissent à l’orateur l’occasion de sorties fréquentes contre les philosophes profanes, contre les adorateurs des idoles. Il rapporte (troisième homélie) une dispute d’un platonicien avec un chrétien, dans laquelle un raisonne de part et d’autre avec tant d’irréflexion, que les deux adversaires en viennent jusqu’à parler contre leur propre cause et à plaider le contre-pied sans s’en apercevoir. Il n’est pas rare qu’il attaque Platon : il l’accuse d’avoir honoré des lieux auxquels il ne croyait pas (Hom. 29) ; il parle de son voyage en Sicile (Hom. 4) ; il dit que ce philosophe se fatigua longtemps autour du point de la ligne et des angles. Il cite des vers d’un poète inconnu, et raconte une histoire honteuse de la Pythie (Hom. 29). Il cite l’exemple de Socrate qui supportait sans se plaindre l’humeur fâcheuse et satirique de sa femme. À ce trait, les auditeurs ayant poussé de bruyants éclats de rire, l’orateur les réprimanda par ces paroles : « Vous riez aux éclats, et moi je gémis profondément lorsque je vois des païens se montrer plus sages que nous, à qui notre loi commande d’imiter les anges ; que dis-je de chercher à ressembler à Dieu lui-même par la mansuétude et la patience (Hom. 27) ». il parle aussi des athées Diagoras et Théodore (Hom. 4). Il dit çà et là quelques mots de Pythagore (Hom. 7). Il dit que c’était par vanité que Diogène, le cynique, habitait dans un tonneau et étalait à tous les yeux les haillons dont il était couvert (Hom. 35). Il critique de même divers autres philosophes grecs.
3° Il combat souvent le : manichéisme (Hom. 7, 28, 29) ; hérésie dont le venin était répandu par tout l’Orient. Le saint Docteur parle encore au commencement de l’homélie quarante-et-unième de certains hérétiques qui soutenaient que nous ressusciterions avec un autre corps que celui avec lequel nous vivons sur cette terre. Je crois que ces hérétiques n’étaient autres que les manichéens. En effet, comme les manichéens attribuaient au démon la création de notre corps, et qu’ils le considéraient comme essentiellement mauvais, l’opinion que nous ressusciterions avec un autre corps, devait nécessairement être la leur. Cette opinion, saint Chrysostome la rappelle encore dans la dixième homélie sur la seconde aux Corinthiens.
4° Ce sont encore les marcionites qui sont en butte à ses attaques, particulièrement lorsqu’il en vient à ce passage difficile à expliquer : « Autrement, que feront ceux qui sont baptisés pour les morts ? « (1Cor. 15,29) Voulez-vous », dit-il, « que je vous rapporte comment les malheureux qui sont infectés du venin de l’hérétique Marcion, abusent de cette parole ? Je n’ignore pas que je vais vous exciter à rire : je parlerai néanmoins afin de mieux vous détourner de cette peste. Lorsqu’un catéchumène meurt parmi eux, ils font cacher sous le lit du mort un homme vivant, puis s’approchant du mort, ils lui adressent la parole, et lui demandent s’il veut recevoir le baptême. Le mort, bien entendu, ne répond pas, mais la personne qui est cachée sous le lit répond pour lui et dit qu’il veut être baptisé ; et alors on le baptise au lieu de celui qui est mort. Voilà quelle espèce de comédie ils jouent ; tel est l’empire que le diable exerce dans l’esprit des ignorants. Et lorsqu’on leur reproche cette absurde et criminelle pratique, ils répondent en citant cette parole de l’apôtre : ceux qui sont baptisés pour les morts ». Saint Chrysostome combat aussi les pneumatomaques, qui niaient la divinité du Saint-Esprit, dans l’homélie vingt-neuvième. Mais il n’insiste pas beaucoup sur ce sujet.
5° La correction des mœurs occupe aussi une large place dans ces homélies. Les mœurs, à Antioche, étaient fort dissolues ; le paganisme chassé des doctrines s’était retranché dans les mœurs et dans les coutumes. Ainsi, la célébration des mariages se faisait au milieu d’un grand vacarme de cymbales, de fêtes, de danses, de chansons et de quolibets obscènes, en un mot d’un grand déploiement de pompes diaboliques. À la tombée de la nuit, la nouvelle mariée était conduite sur la place, au milieu d’une troupe de vauriens et d’hommes perdus de vices qui vomissaient toutes sortes de propos déshonnêtes entendus des jeunes filles qui faisaient partie de l’escorte. On croyait tout permis ces jours-là. Si, plus tard, d’un tel mariage il naissait un enfant, il donnait lieu à, une multitude de pratiques superstitieuses. Par exemple, on allumait plusieurs lampes auxquelles on appliquait des noms, et l’on donnait ensuite à l’enfant le nom de celle dont la lumière avait duré le plus longtemps. On lui faisait porter en guise d’amulettes, des sistres et un fil de pourpre. Il y avait encore beaucoup d’autres superstitions à propos des naissances, et surtout des décès et des funérailles où l’on voyait des troupes de pleureuses comme chez les anciens païens.
6° Dans l’homélie dix-neuvième, saint Chrysostome, après avoir parlé de la virginité assez au long, renvoie encore à son livre de la Virginité. Dans l’homélie vingt-quatrième, il s’exprime si nettement, si clairement au sujet de la présence de Jésus-Christ dans l’Eucharistie, il l’affirme si énergiquement et tant de fois, qu’à moins d’être aveuglé par une opinion préconçue sur cette matière, il est impossible de ne pas reconnaître que telle était la croyance de l’Église dans ce siècle. Dans l’homélie quarante-troisième, il dit que nul chrétien ne se mettait en prière avant de s’être lavé les mains, préparation extérieure qui était le signe de la préparation intérieure que demande la prière.

§ III.

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– Des homélies sur la seconde aux Corinthiens.

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Ces homélies n’ont pas été travaillées avec le même soin que les homélies sur la première. Le style en est moins abondant, moins ample ; le ton en est plus calme et se trouve du reste en rapport avec celui de cette seconde épître, beaucoup moins véhémente que la première. En sorte que dans l’un comme dans l’autre cas l’apôtre a, pour ainsi dire, donné le ton à son commentateur. Savile penchait à croire que les homélies sur la seconde épître auraient été prononcées à Constantinople, mais il est réfuté par Montfaucon, qui, d’accord avec Tillemont, se déclare pour Antioche.

L’orateur poursuit encore ici les Marcionites (Hom. 8) qui reconnaissaient la justice, mais non la bonté du Créateur, et les Manichéens, impies qui attribuaient la création de cet univers au démon. Il attaque encore d’autres hérétiques qui disaient que le monde était Dieu.

Entre autres choses dignes de remarque, saint Chrysostome applique à saint Barnabé ces paroles de saint Paul : cujus laus est in Evangelio, opinion contraire au sentiment le plus commun qui les applique à saint Luc. Il rapporte aussi (Hom. 26) qu’Alexandre-le-Grand fut déclaré par le sénat romain le treizième grand dieu, ce que dit Montfaucon, je ne me souviens pas d’avoir lu nulle part ailleurs. Il mentionne un rite singulier et d’un usage fréquent, c’est que ceux qui entraient dans l’église baisaient le vestibule de l’église.



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ARGUMENT DE LA PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS

Corinthe, qui est aujourd’hui la première ville de la Grèce, était déjà, dans les temps antiques, comblée de tous les avantages qui font l’agrément de la vie ; elle avait surtout plus de richesses qu’aucune autre cité : aussi un auteur profane lui a-t-il donné l’épithète d’ άφνειὸν, c’est-à-dire riche[1]. Elle est située sur l’isthme du Péloponèse, position qui lui assura toujours une grande prospérité commerciale. Cette ville était aussi remplie de rhéteurs et de philosophes, et l’un des sept sages en était citoyen[2]. Je ne dis point ces choses par ostentation, ni pour faire montre d’érudition (que sert-il de savoir ces choses ?) ; je les dis parce qu’elles se rapportent à mon sujet. Paul souffrit beaucoup dans cette ville ; Jésus-Christ s’y montra à lui, et lui dit « Ne te tais point, mais parle, parce qu’un peuple nombreux m’appartient dans cette ville ». (Act. 18,9-10) L’apôtre y demeura deux ans. C’est là qu’un démon maltraita les exorcistes juifs ; c’est là que furent brûlés ces livres de magie, en si grand nombre qu’on en évalua le prix à cinquante mille deniers. C’est là que Paul fut frappé devant le tribunal du proconsul Gallion[3].
Lorsque le démon vit que la vérité pénétrait dans cette grande et populeuse cité, dans cette ville également célèbre et par son opulence et par sa sagesse, et qui était la capitale de la Grèce, depuis que la puissance de Sparte et d’Athènes était tombée, dès que le démon, dis-je, vit que les Corinthiens recevaient la parole de Dieu avec un grand empressement, que fit-il ? Il divisa les esprits. Il n’ignorait pas qu’un royaume, même le plus fort, ne peut se soutenir s’il est divisé contre lui-même. Il avait pour l’aider dans ce piège qu’il s’agissait pour lui de dresser, l’opulence et la sagesse mondaine des habitants. Ceux-ci se divisèrent donc en factions, et quelques individus, s’érigeant eux-mêmes comme chefs, se mirent à la tête de la multitude. Les uns se rangeaient derrière celui-ci, les autres derrière celui-là ; la fortune donnait des disciples à l’un, le savoir en donnait à l’autre. Les nouveaux docteurs se vantaient même à leurs adeptes d’avoir à leur enseigner quelque chose de plus que l’Apôtre. C’est à cette prétention que l’Apôtre fait allusion, lorsqu’il dit : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels ». (1Cor. 3,1) Évidemment, si l’enseignement n’a pas été plus complet, c’est la faute de la faiblesse des Corinthiens et non de l’impuissance de Paul ; c’est ce qu’il veut donner à entendre par cette parole : « Vous vous êtes enrichis sans nous ». (1Cor. 4,8)
Ce n’était pas peu de chose que de déchirer l’Église ; rien ne pouvait être plus funeste. Ce n’était pas tout, un autre crime se commettait encore en cette ville : quelqu’un d’entre les frères entretenait un commerce criminel avec sa belle-mère, et, loin d’en être humilié par la réprobation universelle, il faisait secte et savait inspirer à ses adeptes des sentiments d’orgueil. C’est ce qui fait dire à l’apôtre : « Et vous êtes encore enflés d’orgueil, et vous n’avez pas au contraire été dans les pleurs ». (1Cor. 5,2)
Quelques-uns, et c’étaient les moins mauvais, se laissaient entraîner par la gourmandise, jusqu’à manger des viandes offertes aux idoles, allaient s’attabler dans les temples des faux dieux, et perdaient tout. D’autres avaient entre eux des contestations et des querelles d’argent qu’ils portaient devant les tribunaux du dehors. Il y en avait aussi qui se promenaient pour se faire admirer parmi eux avec de longues chevelures : saint Paul veut qu’ils coupent cette parure qui ne convient qu’aux femmes.
Un autre abus grave existait : dans les églises, les riches mangeaient à part et ne partageaient point avec les pauvres. Les chrétiens de Corinthe avaient aussi le tort de tirer vanité des grâces qu’ils recevaient du Saint-Esprit ; il en résultait des jalousies très pernicieuses à la concorde de l’Église.
La doctrine touchant la résurrection était parmi eux assez chancelante. Quelques-uns ne croyaient que très faiblement à la résurrection des corps, n’étant pas complètement affranchis de la folie hellénique. La philosophie grecque produisait cette incrédulité ainsi que tous les autres maux. Les sectes entre lesquelles ils se partageaient, étaient elles-mêmes un emprunt fait à la philosophie. Car les philosophes étaient continuellement opposés, les uns aux autres ; chacun d’eux, par un vain désir de réputation et de domination, combattait les opinions des autres, et s’efforçait d’ajouter quelque chose aux découvertes antérieures.
Tels étaient aussi les chrétiens de Corinthe, parce qu’ils voulaient tout décider par la raison. Ils écrivirent à l’apôtre par l’intermédiaire de Fortrinat, de Stephanas et d’Achaïque, et ce fut aussi par le ministère de ceux-ci que Paul leur adressa son épître. Il le dit expressément à la fin de cette épître, à propos de la question du mariage et de la virginité sur laquelle il avait été consulté par eux : « Quant aux choses dont vous m’avez écrit… » (1Cor. 7,1). Pour lui il ne traite pas seulement dans sa lettre les sujets sur lesquels on lui avait écrit) mais d’autres encore qui concernaient leurs défauts dont il était parfaitement instruit.
Il charge Timothée de porter son épître, parce qu’il sait bien que quelque poids que sa lettre aurait, la présence de son disciple ne laisserait pas que d’y ajouter un appoint considérable. Comme ceux qui divisaient l’Église avaient honte de passer pour des gens que l’ambition faisait agir, ils imaginaient divers prétextes pour cacher la passion qui les travaillait ; ainsi ils prétendaient que leur enseignement était plus parfait, et leur sagesse plus relevée que celle des autres. C’est contre cette présomption que Paul s’élève tout d’abord ; il la regarde comme la racine d’où sortent les maux et les divisions qu’il veut détruire, et il use d’une très grande franchise. Les Corinthiens étaient ses disciples plus que tous les autres ; aussi leur dit-il : « Si je ne suis pas l’apôtre des autres, je suis du moins le vôtre ; vous êtes le sceau de mon apostolat ». (1Cor. 9,2) Cependant ils étaient plus faibles que les autres. C’est pourquoi il dit : « Je ne vous ai pas parlé comme à des hommes spirituels… je ne vous ai nourris que de lait et non de viandes solides, parce que vous n’en étiez pas alors capables ; et à présent même vous ne l’êtes pas encore ». (1Cor. 3,1, 2) Il ajoutait ces derniers mots pour qu’ils ne crussent pas que le reproche ne concernait que le passé. Au reste, il est vraisemblable qu’ils n’étaient pas tous corrompus, et même il y avait parmi eux des saints. Paul le donne à entendre, en disant : « Je me mets peu en peine d’être jugé par vous », et en ajoutant : « J’ai proposé ces choses en ma personne ». (1Cor. 4,3, 6) Comme donc tout le mal venait de l’orgueil et de la présomption de savoir plus que les autres, il commence par couper cette racine, et débute ainsi.

Traduit par M. JEANNIN.
COMMENTAIRE
SUR LA PREMIÈRE ÉPÎTRE AUX CORINTHIENS


HOMÉLIE I.

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PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST, PAR LA VOCATION ET LA VOLONTÉ DE DIEU, ET SOSTHÈNE, NOTRE FRÈRE, À L’ÉGLISE DE DIEU QUI EST À CORINTHE, À CEUX QUI SONT SANCTIFIÉS EN JÉSUS-CHRIST, ET QUI SONT APPELÉS À LA SAINTETÉ, ET À TOUS CEUX QUI, EN QUELQUE LIEU QUE CE SOIT, INVOQUENT LE NOM DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, QUI EST LEUR SEIGNEUR COMME LE NÔTRE, GRÂCE ET PAIX, DE LA PART DE DIEU NOTRE PÈRE ET DE LA PART DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. (CHAP. 1, VERS. 1-3)

ANALYSE.

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  1. Paul appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre de Jésus-Christ, et Sosthène, son frère. – De l’unité de l’Église qui existe malgré la diversité des lieux.
  2. Qu’il faut tendre à avoir la paix avec Dieu. – Qu’on ne craint rien alors de la part des hommes.
  3. De l’humilité. – Combien Moïse fut humble. – Le vrai humble est magnanime.

1. Voyez comme, dès le début, il abat l’orgueil et détruit par la base toute l’estime qu’ils avaient d’eux-mêmes, en se disant « appelé ». Ce que je sais, dit-il, je ne l’ai pas inventé ; je ne l’ai pas acquis par ma propre sagesse ; mais c’est quand je persécutais et ravageais l’Église, que j’ai été appelé. D’où il suit que tout appartient à l’appelant, et que l’appelé n’a d’autre mérite, pour ainsi dire, que d’avoir obéi. « Du Christ Jésus ». Votre maître, c’est le Christ ; et vous donnez à des hommes le nom de maîtres de la science ? « Par la volonté de Dieu ». Car c’est Dieu qui a voulu que vous fussiez ainsi sauvés. En effet, nous n’avons rien fait, nous ; mais nous avons été sauvés par la volonté de Dieu ; il nous a appelés parce qu’il l’a voulu, et non parce que nous en étions dignes.
Il donne ensuite une nouvelle preuve de modestie, en mettant à son propre niveau un homme qui lui est bien inférieur : car il y a une grande distance entre Paul et Sosthène. Mais si, malgré cette grande distance, il égale à lui Sosthène, que pourront dire ceux qui méprisent leurs égaux ? « À l’Église de Dieu ». Non pas à l’Église d’un tel ou d’un tel, mais à celle de Dieu. « Qui est à Corinthe ». Vous voyez comme à chaque expression il abat leur enflure, en ramenant sans cesse leur pensée vers le ciel. Il appelle l’Église, Église de Dieu, pour montrer qu’elle doit être unie. En effet, si elle est de Dieu, elle est unie, elle est une, non seulement à Corinthe, mais par toute la terre. Car le nom de l’Église n’est pas un nom de division, mais d’union et d’harmonie. « Aux sanctifiés dans le Christ Jésus ». Encore le nom de Jésus, nulle part celui des hommes. Mais qu’est-ce que la sanctification ? Le bain, la purification. Il leur rappelle leur propre impureté, dont il les a délivrés, et les engage à avoir d’humbles sentiments d’eux-mêmes ; car ce n’est point par leurs propres mérites, mais par la bonté de Dieu qu’ils ont été sanctifiés. « Qui sont appelés saints ». Être sauvés par la foi, leur dit-il ; cela ne vient pas de vous : vous n’êtes point venus les premiers, mais vous avez été appelés ; en sorte que ce peu même n’est point à vous tout entier. Et quand bien même vous seriez venus, étant sujets à d’innombrables misères, ce n’est point à vous qu’il faudrait en attribuer le mérite, mais à Dieu.
Voilà pourquoi, écrivant aux Éphésiens, il disait : « Vous avez été sauvés par la grâce, au moyen de la foi, et cela ne vient pas de vous ». (Eph. 2,8) Votre foi ne, vous appartient pas tout entière ; car vous n’avez point prévenu, lorsque vous avez cru, mais vous avez été appelés et vous avez obéi. « Avec tous ceux qui invoquent le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Non pas le nom d’un tel ou d’un tel, mais « le nom de Jésus-Christ. En quelque lieu que ce soit, de Jésus-Christ, leur Seigneur comme le nôtre ». En effet, bien que cette lettre ne s’adresse qu’aux Corinthiens, il mentionne pourtant tous les fidèles qui sont sur la terre, indiquant par là que sur toute la terre l’Église, quoique séparée par les distances, doit être une ; à plus forte raison celle de Corinthe. Que si le lieu les sépare, le Seigneur, leur maître commun, les réunit ; aussi, pour exprimer cette union, ajoute-t-il : « En quelque lieu que ce soit, et leur Seigneur comme le nôtre ». En effet, l’unité de maître est bien plus efficace que l’unité de lieu pour faire exister l’union. Car, comme ceux qui sont dans un même lieu sont cependant divisés, s’ils ont plusieurs maîtres opposés entre eux, et ne gagnent rien pour la concorde à être réunis dans le même endroit, vu que leurs maîtres leur prescrivent des choses différentes et les attirent à eux, « vous ne pouvez », est-il dit, « servir Dieu et Mammon » ; de même ceux qui sont dans des lieux différents, s’ils n’ont pas des maîtres différents, mais un seul et même maître, ne perdent rien pour la concorde à la diversité des lieux, puisqu’un même maître les réunit. Je ne dis donc pas, insinue-t-il, que, vous Corinthiens, vous ne devez être unis qu’aux Corinthiens, mais à tous les fidèles qui sont sur toute la terre, puisque, vous avez un maître commun. Voilà pourquoi il répète : « Notre ». Car après avoir dit : « Le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ » ; pour ne pas avoir l’air de séparer, aux yeux des insensés, il ajoute : « Notre maître et le leur ». Et pour rendre plus clair ce que j’avance, je lirai le texte comme le sens l’exige : Paul et Sosthène, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, et à tous ceux qui invoquent le nom du Seigneur notre maître et le leur en tout lieu, soit à Rome, soit partout ailleurs : « Grâce et paix soit avec vous de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ ». Ou, encore une fois, comme je crois plus exact : Paul et Sosthène à ceux qui sont sanctifiés à Corinthe, qui sont appelés saints, avec tous ceux qui invoquent en tout lieu le nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur d’eux et de nous. C’est-à-dire Grâce à vous, et paix à vous qui avez été sanctifiés et appelés à Corinthe ; et non seulement à vous, mais avec tous ceux qui en tout lieu invoquent le nom de Jésus-Christ notre maître et le leur. Que si la paix vient de la grâce, pourquoi vous enorgueillissez-vous ? pourquoi vous enflez-vous, puisque vous êtes sauvés par la grâce ? Si vous êtes en paix avec Dieu, pourquoi vous livrez-vous à d’autres ? C’est créer la dissidence. Qu’est-ce, en effet, d’être en paix et en grâce avec celui-ci et avec celui-là ? Moi, je demande que ces deux choses vous viennent de Dieu, et de lui et pour lui ; car elles ne seraient pas solides, si elles ne recevaient l’influence céleste : et si elles ne sont pas pour lui, elles sont sans profit pour nous. En effet, il ne nous sert de rien d’être en paix avec tout le mondé, si nous sommes en guerre avec Dieu ; comme nous ne souffrirons point d’avoir tout le monde contre nous, si nous sommes en paix avec Dieu. Et encore, il ne nous servira de rien d’être célébrés par tous les hommes, si nous offensons Dieu ; comme il sera sans danger pour nous d’être repoussés et haïs de tous, si Dieu nous accueille et nous aime : car la vraie grâce, la vraie paix, vient de Dieu. En effet, celui qui possède la grâce qui vient de Dieu, fût-il accablé de maux, ne craint personne, non seulement aucun homme, mais pas même le diable ; celui, au contraire, qui offense Dieu, parût-il-être en sécurité, se défie de tout le monde. Car la nature humaine est inconstante : non seulement des amis et des frères, mais souvent des pères, changeant de sentiments pour le plus léger motif, ont rejeté celui qu’ils avaient engendré, qu’ils avaient procréé, et cela plus cruellement que ne l’eut fait tout ennemi ; de même des fils ont rejeté leurs pères. Songez-y bien.
2. David trouva grâce devant Dieu, Absalon trouva grâce devant les hommes : vous savez quelle fut la fin de l’un et de l’autre, et lequel fut le plus glorieux. Abraham trouva grâce devant Dieu, et Pharaon devant les hommes car pour plaire à celui-ci, ils lui livrèrent la femme du juste. Chacun sait lequel fut le plus illustre, lequel fut heureux. Mais pourquoi parler des justes ? Les Israélites trouvèrent grâce devant Dieu, et étaient haïs des Égyptiens ; et cependant ils triomphèrent de ceux qui les haïssaient, et cela de la manière éclatante que vous connaissez. Portons donc tous nos soins sur ce point : que l’esclave même désire trouver grâce devant Dieu plutôt que devant son maître ; que la femme cherche à plaire à son Sauveur plutôt qu’à son époux ; que le soldat recherche la bienveillance d’en haut avant celle de son roi et de son chef ; c’est le moyen de devenir aimable, même aux yeux des hommes. Mais comment trouvera-t-on grâce devant Dieu ? Par quel moyen, sinon par l’humilité ? « Dieu », est-il dit, « résiste aux superbes et accorde sa grâce aux « humbles » (Prov. 3,34) ; et encore : « Un esprit contrit est un sacrifice au Seigneur, et à Dieu ne rejettera point un cœur humilié ». (Ps. 50,19) Si l’humilité est si agréable aux yeux des hommes, beaucoup plus l’est-elle devant Dieu. C’est par là que les gentils ont trouvé grâce, c’est par là que les Juifs sont déchus de la grâce « Car ils ne se sont point soumis à la justice de Dieu ». (Rom. 10,3) L’homme humble est doux et gracieux pour tous : il vit dans une paix continuelle et n’a aucune guerre à soutenir. Qu’on l’injurie, qu’on l’outrage, qu’on lui dise ce qu’on voudra, il se taira, il supportera tout avec douceur, et se tiendra devant les hommes et devant Dieu dans une paix qu’on ne saurait exprimer. Au fond, les commandements de Dieu se résument en un seul mot : avoir la paix avec les hommes, et notre vie est réglée si nous vivons en paix les uns avec les autres. Pour Dieu, personne ne peut lui faire tort ; sa nature est indestructible et bien au-dessus de toute atteinte.
Rien ne rend un chrétien admirable comme l’humilité. Écoutez Abraham dire : « Je suis terre et cendre » (Gen. 18,27), et Dieu déclare que « Moïse fut le plus doux des hommes ». En effet, rien de plus humble que Moïse qui, placé à la tête d’un si grand peuple, après avoir submergé dans la mer, comme un essaim de mouches, le roi et toute l’armée des Égyptiens, après avoir fait tant de prodiges en Égypte, sur la Mer Rouge et dans le désert, et avoir obtenu un si grand témoignage, ne se regardait cependant que comme un homme du commun. Le gendre était plus humble que le beau-père, et il reçut son conseil. Il ne s’offensa pas, il ne dit point : Qu’est-ce que ceci ? Après tant et de si glorieuses choses, tu viens nous donner des conseils ? Ce que font pourtant bien des gens qui dédaignent même le meilleur avis, à raison de l’humble apparence de celui qui le donne. Ainsi n’agit point Moïse, qui se réglait en tout par l’humilité. C’est parce qu’il était réellement humble qu’il méprisa la cour des rois, car l’humilité purifie et élève l’âme. Quelle grandeur d’esprit et de cœur ne fallait-il pas pour mépriser le palais et la table d’un roi ? Chez les Égyptiens, les rois étaient honorés comme des dieux, et jouissaient de trésors immenses. Et cependant quittant tout cela, rejetant même le sceptre de l’Égypte, il court aux captifs, aux opprimés, à ceux qui se consument dans le travail de l’argile et de la brique, que les esclaves du roi avaient en horreur [il nous le dit lui-même : les Égyptiens les avaient en abomination] (Ex. 1,13) ; il accourt à eux et les préfère à leurs maîtres. Il est donc évident que cet homme humble est grand et magnanime. Car l’arrogance est le propre (est le produit) d’un esprit bas et d’un cœur sans générosité, tandis que la douceur provient d’une grande intelligence et d’une âme élevée.
3. Éclaircissons, si vous le voulez, ces deux points par des exemples. Dites-moi : Qui fut plus grand qu’Abraham ? Et c’est cependant lui qui disait : « Je suis terre et cendre » (Gen. 18,27) ; c’est lui qui disait : « Qu’il n’y ait pas de débat entre vous et moi ». (Gen. 13,8) Néanmoins cet homme si humble dédaigna le butin fait sur les Perses et les trophées remportés sur les barbares, et cela, par élévation et grandeur d’âme. Car l’homme sincèrement humble est seul grand, et non le flatteur, ni celui qui parle par ironie. Autre chose est la grandeur d’âme, autre chose l’orgueil insensé ; et ceci en est la preuve.

En effet, si quelqu’un prenant l’argile pour de l’argile, la méprise ; et si un autre l’admire et l’estime comme de l’or, lequel des deux sera grand ? N’est-ce pas celui qui refuse son estime à de l’argile ? Lequel sera bas et vil ? N’est-ce pas celui qui l’admire et y attache un grand prix ? De là concluez que celui qui se dit terre et poussière est grand, bien qu’il parle par humilité ; et que celui qui ne se croit pas terre et poussière, mais s’estime et a une haute opinion de lui-même, est abject, puisqu’il attache un grand prix à des choses viles. D’où il suit que c’était par un sentiment très élevé que le patriarche prononçait cette parole : « Je suis terre et poussière » ; par grandeur, et non par orgueil. Car de même que pour le corps autre chose est la santé et l’embonpoint, autre chose l’inflammation, bien que l’une et l’autre produisent une certaine proéminence dans la chair, mais maladive dans un cas et saine dans l’autre : ainsi autre chose est l’orgueil qui est une inflammation, autre chose est l’élévation qui est la bonne santé.

De plus, un homme peut être grand par la taille de son corps ; un autre, petit de stature, peut se rehausser au moyen de cothurnes ; dites-moi, lequel des deux appellerons-nous grand ? N’est-il pas évident que ce sera celui qui est grand par lui-même ? Car l’autre a recours à des moyens artificiels, et n’est devenu grand qu’en montant sur des objets bas : ressource de bien des hommes, qui se hissent sur les richesses et sur la gloire, ce qui ne fait point l’élévation. L’homme vraiment grand est celui qui n’a pas besoin de ces choses, mais les méprise toutes, parce qu’il a en lui-même sa propre grandeur. Soyons donc humbles, pour devenir grands : « Car celui qui s’humilie, sera exalté ». (Mat. 23,12) Et ce ne sera pas l’orgueilleux, qui est le plus vil des hommes ; la bulle s’enfle, mais cette enflure n’a rien de solide. Voilà pourquoi nous appelons les orgueilleux, enflés. L’homme modeste, même au sein des grandeurs, n’a point haute opinion de lui-même, parce qu’il connaît son néant ; mais l’homme bas s’enorgueillit, même dans les petites choses. Acquérons donc la grandeur par l’humilité ; considérons la nature des choses humaines, afin d’allumer en nous le désir des choses à venir. Car l’humilité ne peut s’obtenir que par l’amour des choses divines et le mépris des choses présentes. De même que celui qui doit un jour monter sur le trône, dédaigne les honneurs vulgaires qu’on peut lui offrir en échange de la pourpre ; ainsi nous devons prendre en pitié tous les biens présents, si nous aspirons à la royauté céleste. Ne voyez-vous pas que les enfants, quand ils jouent au soldat, quand ils se rangent en bataille, se font précéder de hérauts et de licteurs, et que l’un d’eux, placé au centre, remplit le rôle de général ? Et tout cela ne vous semble-t-il pas bien puéril ? Telles, et plus misérables encore, sont les choses humaines, qui sont aujourd’hui et demain ne seront plus. Élevons-nous donc au-dessus d’elles, et, non contents de ne pas les désirer, rougissons quand on nous les offre. Ainsi, en dépouillant toute affection terrestre, nous acquerrons l’amour divin et nous jouirons de la gloire immortelle. Puissions-nous tous l’obtenir par la grâce et la bonté de Notre Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l’empire, l’honneur, appartiennent au Père en union avec le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE II.
JE RENDS GRÂCES SANS CESSE À MON DIEU POUR VOUS, À RAISON DE LA GRÂCE DE DIEU QUI VOUS À ÉTÉ ACCORDÉE DANS LE CHRIST JÉSUS, PARCE QUE VOUS AVEZ ÉTÉ ENRICHIS EN LUI EN TOUTES CHOSES. (CHAP. 1,4, JUSQU’AU VERS. 9)
ANALYSE.
  1. Il faut rendre à Dieu des actions de grâce.
  2. L’apôtre ne se lasse pas de nommer Jésus-Christ au commencement de cette Épître pour mieux inculquer aux Corinthiens cette vérité que pour ce qui concerne le salut et la vie éternelle tout procède de Jésus-Christ et rien des hommes.
  3. Que les pécheurs n’ont aucune excuse devant Dieu pour pallier leurs désordres. – Que Dieu de sa part a tout fait pour nous exciter à bien vivre. – Réfutation des vains raisonnements des impies.

Ce qu’il engage les autres à faire, en disant « Que vos prières montent vers Dieu en actions de grâce », il le faisait lui-même, nous apprenant à commencer toujours par des paroles de ce genre, et à rendre grâces à Dieu avant tout. Car rien n’est plus agréable à Dieu que de nous voir reconnaissants pour nous-mêmes et pour les autres ; Aussi est-ce la première pensée qu’il met en tête de presque toutes ses lettres ; mais ici c’était encore plus nécessaire qu’ailleurs. En effet, celui qui remercie sent le bienfait qu’il a reçu, et rend grâce pour grâce. Mais la grâce n’est point une dette, ni un retour, ni une récompense : ce qu’il fallait dire partout, mais surtout aux Corinthiens, qui s’attachaient avidement à ceux qui déchiraient l’Église. « À mon Dieu ». Dans l’abondance de son amour, il s’empare, pour ainsi dire, du bien commun, et se l’approprie : Ainsi avaient coutume de faire les prophètes : « Dieu, mon Dieu » ; et il les exhorte à adopter ce langage. En effet, celui qui le tient se dégage de toutes les choses humaines, et va vers celui qu’il invoque avec une grande affection : C’est proprement le langage de l’homme qui s’élève des choses d’ici-bas vers Dieu, le préfère à tout et partout, le remercie perpétuellement non seulement de la grâce qui lui a déjà été donnée, mais encore du bien qui a pu s’ensuivre, et lui en rend également gloire. Voilà pourquoi il ne dit pas simplement : « Je rends grâces », mais : « Je rends grâces toujours pour vous », leur apprenant par là à toujours rendre grâces, mais à Dieu seul.
« À raison de la grâce de Dieu ». Voyez-vous comme il les redresse en tout sens ? Car qui dit grâce ne parle pas d’œuvres, et qui dit œuvres ne parle pas de grâce. Si donc c’est de grâce qu’il s’agit, pourquoi vous enorgueillissez-vous ? De quoi vous enflez vous ? « Qui vous a été donnée ». Et par qui ? Est-ce par moi ou par un autre apôtre ? Nullement, mais par Jésus-Christ ; car c’est là le sens de ces mots : « Dans le Christ Jésus ». Voyez comme il dit trouvent « dans » au lieu de « par » ; l’un n’a donc pas moins de force que l’autre. « Parce que vous avez été enrichis en tout ». Encore une fois, par qui ? « En lui », ajoute-t-il. Et vous n’avez pas simplement été enrichis, mais enrichis « en tout ». Si donc il y a richesse, et richesse de Dieu, et en tout, et par le Fils unique, voyez quel ineffable trésor ! « En toute parole et en toute science » ; en toute parole non du dehors, mais de Dieu. Car il y a une science sans parole et une parole sans science ; beaucoup en effet ont la connaissance, mais n’ont point la parole, comme les hommes sans lettres, par exemple, qui ne peuvent exprimer clairement ce qu’ils ont dans l’esprit. Vous n’êtes point de ce nombre, dit-il, car vous pouvez penser et parler.
« Comme le témoignage du Christ a été confirmé en vous ». Tout en ne paraissant occupé que de louanges et d’actions de grâces, il ne laisse pas que de leur adresser d’assez vives remontrances. Ce n’est point, leur dit-il, par la philosophie du dehors, ni par la science du dehors, mais par la grâce de Dieu, par ses richesses, sa science, et la parole qui vous a été donnée de sa part, que vous avez pu recevoir les enseignements de la vérité et être confirmés dans le témoignage du Seigneur, c’est-à-dire, dans la prédication. Car vous avez eu beaucoup de signes, beaucoup de miracles, une grâce ineffable pour recevoir la prédication. Si donc vous avez été confirmés par les signes et par la grâce, pourquoi chancelez-vous ? Ce langage est tout à la fois celui du reproche et de la prévenance. « En sorte que rien ne vous manque en aucune grâce ». Ici une grave question se présente : À savoir comment des hommes enrichis en toute parole, en sorte que rien ne leur manque en aucune grâce, peuvent être charnels ? Car s’ils étaient tels au commencement, ils le sont beaucoup plus maintenant. Comment donc les appelle-t-il charnels ? « Je n’ai pas pu », leur dit-il, « vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels ». (1Cor. 3,1) Que répondre à cela ? C’est qu’ayant cru dès le commencement, et ayant reçu des grâces de toutes sortes, pour lesquelles ils avaient d’abord un grand zèle, ils sont ensuite relâchés ; ou, si ce n’est pas cela, il faut dire que ces divers passages ne s’adressent pas à tous, mais qu’il y en a pour ceux qui étaient dignes de blâme, et d’autres pour ceux qui étaient dignes de louanges. La preuve qu’ils avaient encore des grâces, est dans ces mots : « L’un a le don de la louange, l’autre celui de la révélation, l’autre celui des langues, l’autre celui de l’interprétation ; que tout soit pour l’édification » (1Cor. 14,26) ; et encore : « Que deux ou trois prophètes parlent ». On peut aussi répondre que l’apôtre a suivi l’usage commun qui consiste à donner le nom du tout à la plus grande partie. De plus, je pense qu’il fait ici allusion à lui-même, aux signes qu’il leur a fait voir. Selon ce qu’il leur dit dans sa seconde épître : « Les signes de l’apôtre se sont produits au milieu de vous en toute patience » ; et encore : « Qu’avez-vous eu de moins que les autres églises ? » (2Cor. 12,12, 13) Ou, comme je le disais, il rappelle ses propres actions, ou il s’adresse à ceux qui étaient encore dignes de louange. Car il y avait encore à Corinthe beaucoup de saints qui s’étaient voués au ministère des saints, et devinrent les premiers de l’Achaïe, comme il l’indique à la fin de sa lettre[4].
Au reste les éloges, quand même ils ne seraient pas entièrement conformes à la vérité, s’emploient cependant avec prudence, pour préparer la voie au discours. Car, dire dès l’abord des choses désagréables, c’est se fermer pour le reste l’oreille des faibles, si en effet les auditeurs sont des égaux, ils s’irriteront ; s’ils sont de beaucoup inférieurs, ils s’attristeront. Pour éviter ces inconvénients, l’apôtre place au début une sorte d’éloges. Au fond ce n’est point leur éloge, mais celui de la grâce de Dieu ; car si leurs péchés ont été remis, s’ils ont été justifiés, c’est l’effet du don d’en haut. C’est pourquoi il insiste sur les preuves de la bonté de Dieu, afin de mieux guérir leur maladie.
« Attendant la révélation de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Pourquoi vous agiter, leur dit-il, pourquoi vous troubler, parce que Jésus-Christ n’est pas là ? Il y est, et son jour est proche. Voyez comme il est sage ! Comment, après les avoir détachés des choses humaines, il les épouvante en leur rappelant le terrible tribunal, et en leur montrant qu’il ne suffit pas de bien commencer, mais qu’il faut aussi bien finir. Car après tant de grâces et tant de vertus, il est besoin de se souvenir de ce jour suprême, et pour arriver heureusement au terme, bien des travaux sont nécessaires.
2. Il emploie le mot de révélation pour montrer que, quoique encore invisible, elle existe pourtant, qu’elle est présente, et qu’elle aura lieu un jour. Il faut donc de la patience ; et c’est pour vous affermir que vous avez reçu des prodiges. « Qui vous conservera fermes et irréprochables jusques à la fin ». Ici il semble les flatter ; en réalité cependant, ce n’est point une flatterie ; car il sait bien les toucher sensiblement, comme quand il leur dit : « Quelques-uns se sont enflés, comme si je ne devais point venir parmi vous ». Et encore, « Que voulez-vous ? Que j’aille à vous avec la verge, ou en esprit de charité et de mansuétude ? » (1Cor. 4,18-21) Et encore « Cherchez-vous à mettre à l’épreuve le Christ qui parle en moi ? » (2Cor. 13,3) Du reste, il les accuse implicitement quand il emploie ces termes : « Il vous confirmera », et celui-ci : « Irréprochables », puisqu’il fait voir par là qu’ils sont encore flottants et non exempts de péché. Mais considérez comme il les rattache sans cesse au nom du Christ, ne faisant mention d’aucun homme, d’aucun apôtre, d’aucun maître, mais toujours de ce bien-aimé, dans le but, dirait-on ; de les guérir d’une sorte d’ivresse. En effet, dans aucune autre de ses épîtres, on ne voit tant de fois paraître le nom du Christ ; ici on le lit plusieurs fois en quelques versets, et il forme en quelque sorte tout le préambule. Relisez en effet dès le commencement : « Paul, appelé apôtre de Jésus-Christ, à ceux qui sont sanctifiés en Jésus-Christ, qui invoquent le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; grâce et paix à vous de la part de Dieu le Père et de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je remercie mon Dieu de la grâce qui vous a été accordée dans le Christ Jésus comme le témoignage de Jésus-Christ a été confirmé en vous : attendant la révélation de Notre-Seigneur Jésus-Christ : qui vous rendra fermes et irrépréhensibles au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés en société de Jésus-Christ son Fils, Notre-Seigneur. Je vous supplie par le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Voyez-vous cette insistance à répéter le nom de Jésus-Christ ? Les moins intelligents peuvent comprendre clairement qu’il n’agit point ici sans raison et au hasard, mais que, par la répétition de ce beau nom, il cherche à guérir leur enflure et à les purger du poison de la maladie.
« Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés en société de son Fils ». Oh ! quelle grande chose il exprime là ! Quel don magnifique ! Vous avez été appelés en société du Fils unique, et vous vous livrez à des hommes ! Quelle misère est plus grande que la vôtre ! Et comment avez-vous été appelés ? Par le Père. Comme souvent, en parlant du Fils, il avait dit « par lui » et « en lui », de peur qu’ils ne crussent que le Père lui était inférieur, c’est le Père qu’il mentionne ici. Ce n’est point, dit-il, par un tel ou par un tel, mais par le Père que vous avez été appelés, par lui que vous avez été enrichis. Encore une fois, vous avez été appelés, vous n’êtes point venus de vous-mêmes. Mais que veut dire ceci : « En société de son Fils ? » Écoutez-le s’expliquant plus clairement ailleurs : « Si nous persévérons, nous régnerons ensemble ; « si nous mourons ensemble, nous vivrons ensemble ». (2Tim. 2,12) Ensuite comme il a avancé une grande chose, il en donne une preuve certaine, irréfragable, en disant : « Dieu est fidèle », c’est-à-dire vrai. Or, si Dieu est vrai, il tiendra sa promesse, et il nous a promis de nous associer à son Fils unique ; c’est même pour cela qu’il nous a appelés ; et ses dons et ses grâces sont sans repentir, aussi bien que sa vocation. Et il place tout cela au début de son discours, de peur que des reproches trop vifs ne les jettent dans le désespoir. Car tout ce que Dieu a dit s’accomplira, à moins que nous ne soyons absolument rebelles, comme les Juifs qui, étant appelés, refusèrent les biens offerts.
Et ceci n’était point imputable à Celui qui les avait appelés, mais à leur ingratitude : car lui voulait réellement donner ; eux, en ne voulant point accepter, se perdirent eux-mêmes. S’il les eût appelés à quelque chose de difficile et de pénible, encore qu’ils eussent été inexcusables de s’y refuser, du moins auraient-ils eu quelque prétexte. Mais quand ils sont appelés à la purification, à la justice, à la sanctification, à la rédemption, à la grâce, au don, à des biens tout prêts que l’œil n’a pas vus, que l’oreille n’a pas entendus, et que c’est un Dieu qui les appelle et qui les appelle par lui : Quel pardon peuvent-ils espérer, s’ils n’accourent avec empressement ? Qu’on se garde donc d’accuser Dieu. L’infidélité ne vient pas de lui, mais de ceux qui résistent. On dira peut-être : Il fallait les amener malgré eux. Non certes : Dieu ne force personne, il n’impose aucune nécessité. Amène-t-on, malgré eux et enchaînés, ceux qu’on invite aux honneurs, aux couronnes, aux festins, aux solennités ? Jamais ; ce serait leur faire injure. Il envoie malgré eux les réprouvés en enfer ; il n’appelle au royaume que des hommes de bonne volonté ; il précipite dans le feu les victimes liées et hurlant de désespoir ; mais il agit autrement avec ceux qu’il appelle à ses biens infinis ; car il rendrait ces biens odieux, s’ils n’étaient de telle nature qu’on coure à eux avec un empressement volontaire et une vive reconnaissance.
3. Mais pourquoi, direz-vous, tous ne les acceptent-ils pas ? À cause de leur infirmité propre. Mais pourquoi ne guérit-il pas cette infirmité ? Eh ! quel moyen fallait-il employer, dites-moi ? N’a-t-il pas fait la création pour manifester sa bonté et sa puissance ? « Les cieux », est-il dit, « racontent la gloire de Dieu ». (Ps. 18,2) N’a-t-il pas envoyé des prophètes ? N’a-t-il pas appelé, prodigué les hommes ? N’a-t-il pas fait des prodiges ? N’a-t-il pas donné la loi écrite et naturelle ? N’a-t-il pas envoyé son Fils ? N’a-t-il pas envoyé des apôtres ? N’a-t-il pas opéré des signes ? N’a-t-il pas menacé de l’enfer ? N’a-t-il pas promis son royaume ? Ne fait-il pas chaque jour lever son soleil ? N’a-t-il pas rendu ses commandements si doux, si faciles, qu’un grand nombre les dépassent par la force de leur sagesse ? « Qu’ai-je dû faire à ma vigne, que je n’aie pas fait ? » (Is. 5,4)
Mais pourquoi, ajoutera-t-on, ne pas nous rendre la science et la vertu naturelles ? Qui dit cela ? Est-ce le grec où le chrétien ? Tous les deux, mais sans porter sur le même point : car l’un réclame pour la science ; l’autre pour la conduite de la vie. Répondons d’abord à celui qui est des nôtres : car je m’intéresse moins à ceux du dehors qu’aux membres de notre famille. Que dit donc le chrétien ? Qu’il fallait nous donner la science de la vertu. Il nous l’a donnée : autrement, comment connaîtrions-nous ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter ? D’où viennent les lois et les tribunaux ? – Mais c’est la pratique même, et pas seulement la science, qu’il devait nous donner. – Auriez-vous mérité une récompense, si Dieu avait tout fait ? Dites-moi : si le grec et vous commettez le même péché, serez-vous punis de la même manière ? Non certainement : Car vous avez la liberté qui procède de la science. Dites-moi encore : Si quelqu’un vous disait que le grec et vous recueillerez le même fruit de votre science, ne vous fâcherez-vous pas ? J’en suis convaincu : Car vous direz que le grec pouvant trouver la science de lui-même, ne l’a pas voulu. Et s’il s’avisait de dire que Dieu devait nous donner la science naturellement, ne ririez-vous pas et ne lui diriez-vous pas : Pourquoi n’as-tu pas cherché ? Pourquoi n’as-tu pas fait les mêmes efforts que moi ? Plein d’une grande confiance, vous ajouteriez : Qu’il est d’une extrême folie d’accuser Dieu de n’avoir pas rendu la science naturelle. Et vous diriez cela, parce que chez vous la science est saine et en bon état. Si votre vie eût été aussi bien réglée, vous n’auriez pas posé la question. Mais parce que vous êtes sans énergie pour la vertu, vous tenez ce langage insensé. Pourquoi fallait-il que le bien se fit nécessairement ? Les animaux privés de raison auraient donc été nos émules en vertu ? Car quelques-uns même l’emportent sur nous en tempérance.
J’aimerais mieux, dirait-on, être bon par nécessité et ne recevoir aucune récompense, que d’être méchant par volonté et être condamné à des châtiments et à des supplices. – Être, vertueux par nécessité, est chose impossible. Si vous ignorez ce qu’il faut faire, dites-le, et nous vous répondrons ce qu’il faudra ; mais si vous savez que le libertinage est mauvais, pourquoi n’évitez-vous pas le mal ? – Je ne puis pas, dites-vous. Mais d’autres qui ont fait de bien plus grandes choses vous accuseront, et vous réduiront au silence par la surabondance de leur vertu. Peut-être ayant une femme, vous n’êtes pas chaste ; et d’autres n’ayant pas de femmes, gardent une chasteté parfaite. Comment vous justifierez vous de ne remplir point la stricte mesure, quand d’autres s’élancent bien au-delà ? – Mon tempérament n’est pas le même, direz-vous, ni ma volonté non plus. C’est parce que vous ne le voulez pas, et non parce que vous ne le pouvez pas ; car je vous démontre que tous sont capables de vertu. En effet, ce que quelqu’un ne peut pas faire, il ne le fera pas même sous l’influence de la nécessité ; et si celui qui n’agit pas peut agir sous la pression de la nécessité, ce n’est plus par volonté qu’il agit. Par exemple : voler et s’élever vers le ciel est chose absolument impossible à quiconque a un corps. Eh bien ! si un roi ordonnait de voler sous peine de mort, en disant : L’homme qui ne volera pas sera massacré, ou jeté au feu, ou subira tout autre supplice de ce genre ; pourrait-on obéir ? Évidemment non ; car notre nature ne saurait s’y prêter. Mais si le prince faisait les mêmes ordonnances à propos de la chasteté, en décrétant, et avec justice, que tout libertin sera puni, brûlé, flagellé, torturé de mille manières ; n’y en aurait-il pas un grand nombre qui se soumettraient à l’édit ? – Non, direz-vous peut-être ; car il y a déjà une loi qui défend l’adultère, et tous ne s’y soumettent pas. Mais c’est parce qu’ils espèrent n’être pas connus, et non parce qu’ils n’ont que de faibles raisons de craindre ; car si le législateur et le juge étaient présents au moment où ils vont commettre le mal, la crainte pourrait bien leur en ôter jusqu’au désir. Supposons même un châtiment moins grave, par exemple, la séparation d’une femme aimée et la prison : le libertin saurait bien se résigner sans trop de peine.

Gardons-nous donc de dire que l’homme est bon ou mauvais par nature : Car si cela était, le bon ne pourrait jamais devenir méchant, ni le méchant devenir bon. Et pourtant nous voyons des changements rapides, soit du bien au mal, soit du mal au bien. Et nous ne voyons pas seulement cela dans les Écritures où, par exemple, les publicains deviennent apôtres et les disciples traîtres, où les femmes publiques deviennent chastes, où les larrons se convertissent, où les mages se prosternent en adoration, où les impies passent à des sentiments de piété, et cela tant dans le Nouveau que dans l’Ancien Testament ; mais chaque jour de tels faits arrivent sous nos yeux. Or si tout cela était naturel, aucun changement n’aurait lieu. Étant passibles par nature, pouvons-nous par aucun effort devenir impassibles ? Ce qui est par nature, ne cessera jamais d’être tel. Jamais personne n’a pu passer du besoin de dormir à la faculté de ne pas dormir, ni de la corruption à l’incorruptibilité, ni s’affranchir du besoin de manger au point de n’avoir plus faim. Aussi ces nécessités ne sont point des crimes, et nous ne nous les reprochons jamais. Jamais personne n’a dit, en manière de blâme : Ô être passible ! ô être sujet à la corruption ! Mais nous reprochons l’adultère, la fornication ou d’autres semblables actions à ceux qui les commettent, et nous les traduisons devant les juges pour être accusés et punis, ou honorés pour des faits contraires.

Quand donc, d’après la conduite que nous tenons les uns envers les autres, d’après les jugements que nous subissons, les lois que nous établissons, les reproches que notre conscience nous adresse même quand personne ne nous accuse, d’après ce fait que la négligence nous rend pires et la crainte meilleurs, et que nous en voyons d’autres se corriger et parvenir au faîte de la sagesse ; quand, dis-je, d’après tout cela, il nous est démontré qu’il dépend de nous de faire le bien, pourquoi nous tromper nous-mêmes par de vaines excuses et de misérables prétextes, qui non seulement ne nous obtiennent pas le pardon, mais nous préparent d’intolérables supplices, tandis que nous devrions avoir sans cesse devant les yeux le jour terrible, pratiquer la vertu et en récompense de légers travaux, recevoir des couronnes immortelles ? Car ces raisonnements ne nous serviront à rien ; ceux de nos frères qui auront mené une conduite opposée, condamneront tous les pécheurs : le miséricordieux, l’homme dur ; le bon, le méchant ; l’humble, l’orgueilleux ; le bienveillant, l’envieux ; le sage, l’ambitieux de vaine gloire ; le fervent, le lâche ; le chaste, le libertin. C’est ainsi que Dieu portera son jugement et formera deux ordres, dont l’un recevra des éloges et l’autre sera livré au supplice. Ah ! qu’aucun de ceux qui sont ici présents ne se trouve parmi ceux qu’attendent le châtiment et l’ignominie ; mais bien au nombre des couronnés, destinés au royaume céleste ! Puissions-nous tous avoir ce bonheur par la, grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE III.
OR, JE VOUS SUPPLIE, MES FRÈRES, PAR LE NOM DE JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR, D’AVOIR TOUS UN MÊME LANGAGE, ET DE NE POINT SOUFFRIR DE SCHISMES PARMI VOUS, MAIS D’ÊTRE TOUS UNIS PARFAITEMENT DANS UN MÊME ESPRIT ET UN MÊME SENTIMENT. (VERS. 10, JUSQU’À 17)
ANALYSE.
  1. Que les réprimandes doivent être préparées et amenées doucement et peu à peu.
  2. Que saint Paul ne se préfère pas à saint Pierre.
  3. Baptiser n’est pas une œuvre dont on doive s’enorgueillir puisque tout le monde en est capable. – Prêcher est plus difficile.
  4. et 5. Ne pas rougir de l’ignorance des apôtres puisque c’est leur gloire. – De quelle manière nous devons travailler à convertir les infidèles. – Zèle pour le salut des âmes. – Quel bonheur c’est d’en convertir une seule.

1. Les reproches, comme je vous l’ai toujours dit, doivent venir doucement, peu à peu ; et c’est ce que Paul fait ici. Sur le point d’aborder un sujet plein de périls et capable de renverser l’Église de fond en comble, il adoucit son langage. Il dit qu’il les supplie, mais qu’il les supplie par le Christ : comme s’il ne se sentait pas capable de les prier et de les persuader par lui-même. Qu’est-ce que cela : « Je vous supplie par le Christ ? » Je prends le Christ pour auxiliaire, j’invoque le secours de son nom, de ce nom injurié et déshonoré. Paroles pleines d’à-propos, pour ne pas les pousser à l’insolence : car le péché rend insolent. Si, en effet, vous commencez par de violents reproches, vous ferez des rebelles et des impudents ; si vous grondez doucement, vous verrez le coupable incliner la tête. Garder le silence et baisser les yeux, c’est ce que Paul va faire, et, en attendant, il exhorte au nom du Christ. Et à quoi exhorte-t-il ? « À avoir tous le même langage et à ne pas souffrir de schismes parmi vous ». Le sens énergique du mot schisme et le blâme qu’implique ce terme, étaient bien propres à les blesser au vif. Car il n’y avait pas beaucoup de parties entières ; mais l’unité même avait péri. En effet, si c’étaient des Églises saines et entières, il y avait au moins beaucoup d’assemblées ; mais si c’étaient des schismes, l’unité même avait disparu. Car l’unité divisée en beaucoup de parties, non seulement ne se multiplie pas, mais est détruite elle-même. Telle est la nature des schismes. Ensuite, après les avoir blessés au vif par le mot de schisme, il se radoucit et mitige ainsi son langage : « Mais d’être tous unis dans le même esprit et dans le même « sentiment ». Après avoir dit : « D’avoir tous le même langage », il ajoute : Ne pensez pas que je parle seulement de l’accord du langage, je demande aussi l’accord de pensée. Et comme il peut arriver que cet accord existe, mais non sur tous les points, il ajoute : « Mais d’être unis d’une manière parfaite ». Car celui qui est d’accord sur un point et en désaccord sur d’autres, n’est point uni en perfection, n’est point parfait sous le rapport de l’union. On peut encore être uni par la pensée et ne l’être point par le sentiment : ce qui arrive par exemple quand nous avons la même foi et que nous ne sommes pas liés par la charité. En ce cas nous sommes unis par la pensée (puisque nous pensons les mêmes choses), mais nous ne le sommes point par le sentiment : ce qui avait lieu alors, où les uns s’attachaient à un maître, les autres à un autre. C’est pourquoi il exige qu’on soit uni d’esprit et de sentiment. Car les schismes ne provenaient pas de la différence de foi, mais de la diversité des sentiments, effet des rivalités humaines. Et comme un accusé se montre insolent, tant qu’il n’a pas de témoins contre lui, voyez comment il en produit, pour les mettre hors d’état de nier. « J’ai été averti sur votre compte, mes frères, par ceux de la maison de Chloé ». II n’avait d’abord pas dit cela, mais il avait en premier lieu établi l’accusation, ce qui prouve qu’il avait cru aux informations ; sans cela il n’eût point accusé ; car Paul n’était pas homme à croire sans raison. Il n’avait donc d’abord pas parlé de renseignements, pour ne pas paraître accuser à l’instigation de ceux qui les lui avaient donnés ; mais il ne les passe pas sous silence, pour ne pas paraître agir de lui seul. Il leur donne encore le nom de frères : bien que leur péché fût évident, cela n’empêchait pas de les appeler ainsi. Et voyez sa prudence : il ne désigne point une personne en particulier, mais toute une maison, pour ne point les irriter contre l’auteur des révélations ; par là il a mis celui-ci à couvert et a pu librement formuler son accusation. Il ne songe pas seulement aux intérêts des uns, mais aussi à ceux des autres. Voilà pourquoi il ne dit pas : J’ai appris de certaines personnes ; mais il indique une maison tout entière, pour ne pas avoir l’air d’inventer. Que m’a-t-on appris ? « Qu’il y a des contestations parmi vous ». Quand il leur adresse directement ses reproches, il leur dit. « Qu’il n’y ait pas de schismes parmi vous » ; mais quand il leur parle, d’après le témoignage des autres, il adoucit ses termes : « On m’a appris qu’il y a des contestations parmi vous », afin de ménager ceux de qui il tient ses informations.
Il précise ensuite le genre de contestation : « Chacun de vous dit : Pour moi je suis à Paul, et moi à Apollon, et moi à Céphas ». Ce ne sont pas, dit-il, des disputes pour des intérêts privés, mais d’autres beaucoup plus fâcheuses. « Chacun de vous dit ». Ce n’est pas une partie de l’Église, mais l’Église entière que le fléau ravage. Pourtant on ne parlait ni de lui, ni d’Apollon, ni de Céphas ; mais il fait voir que si l’on ne peut s’attacher à ceux-là, encore bien moins le peut-on à d’autres. La preuve qu’on ne parlait pas d’eux, est dans ce qu’il dit plus bas : « J’ai proposé ces choses en ma personne et en celle d’Apollon, afin que vous appreniez, à notre exemple, à n’avoir pas d’autres sentiments que ceux que je vous ai marqués ». (1Cor. 4,6) Car si l’on ne peut se dire partisan de Paul, d’Apollon et de Céphas, encore bien moins de tout autre. Si l’on ne doit point s’enrôler sous le drapeau d’un docteur, du premier des apôtres, de l’instituteur d’un si grand peuple, à plus forte raison sous le drapeau de ceux qui ne sont rien. Désirant ardemment les guérir de leur maladie, il met ces noms en avant ; mais pour moins blesser il tait les noms de ceux qui déchiraient l’Église, et les abrite en quelque sorte sous ceux des apôtres : « Moi je suis à Paul, moi à Apollon, moi à Céphas ».
2. Ce n’est point parce qu’il se préfère à Pierre qu’il le nomme le dernier ; mais, au contraire, parce qu’il se met fort au-dessous de Pierre. Il parle par gradation, pour ne pas avoir l’air d’agir par envie, ni de vouloir priver ceux-ci de l’honneur qui leur est dû. Voilà pourquoi il se nomme le premier. Car celui qui se réprouve le premier, n’agit point par le désir de l’honneur, mais par un profond mépris pour la vaine gloire.
Il reçoit d’abord tout le premier choc, ensuite il nomme Apollon et Céphas. Il n’agit donc point par orgueil ; mais, désirant corriger une chose défectueuse, il met d’abord en avant sa propre personne. Évidemment c’était un tort de prendre le parti d’un tel ou d’un tel ; et il a raison de le leur reprocher, en disant : Vous ne faites pas bien de dire : « Moi je suis à Paul, moi à Apollon, moi à Céphas ». Mais pourquoi ajoute-t-il : « Et moi au Christ ? » Si c’était une faute de s’attacher à des hommes, ce n’en était certainement pas une de tenir pour Jésus-Christ. Aussi ne leur reproche-t-il point de le faire, mais de ne pas le faire tous. Je pense aussi qu’il a ajouté ce nom de lui-même, afin de donner plus de poids à l’accusation et de faire entendre que le Christ est resté le lot de quelques-uns, mais non de tous. Que telle ait été sa pensée, la suite le fait voir. « Le Christ est-il divisé ? » C’est-à-dire, vous avez scindé le Christ et divisé son corps. Voyez-vous le courroux, voyez-vous le reproche, voyez-vous le langage de l’indignation ? Il ne prouve pas, il interroge, supposant cette absurdité confessée.
Quelques-uns lui prêtent une autre intention dans ces paroles : « Le Christ est-il divisé ? » Cela voudrait dire : Le Christ a disséminé et partagé son Église entre les hommes, il en a gardé une portion pour lui et leur a distribué le reste. Absurdité qu’il détruit ensuite par ces mots : « Paul a-t-il été crucifié pour vous, ou avez-vous été baptisés au nom de Paul ! » Voyez son amour pour le Christ, voyez comme il ramène tout à son propre nom ; démontrant surabondamment que cet honneur n’appartient à personne. Pour ne pas paraître céder à un mouvement de jalousie, il se met lui-même continuellement en scène. Mais voyez aussi sa prudence ; il ne dit pas : Est-ce que Paul a créé le monde ? Est-ce que Paul vous a tirés du néant ? Mais il choisit ce qu’il y a de plus précieux aux yeux des fidèles, les preuves les plus sensibles de la Providence, la croix et le baptême, et les biens qui en découlent. Sans doute la création du monde prouve la bonté de Dieu, mais l’abaissement de la croix la prouve bien davantage. Et il ne dit pas : Est-ce que Paul est mort pour vous ; mais : « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? » Désignant ainsi le genre de mort. « Où est-ce que vous avez été baptisés au nom de Paul ? » Il ne dit pas : Est-ce que Paul vous a baptisés ? Car il en avait baptisé beaucoup : mais il s’agissait de savoir au nom de qui, et non par qui ils avaient été baptisés. Et comme c’était précisément là l’origine du schisme, que chacun se rattachait à celui qui l’avait baptisé, il redresse cette erreur, en disant : « Est-ce que vous avez été baptisés au nom de Paul ? » Ne me dites point par qui, mais au nom de qui, vous avez été baptisés. Car il ne s’agit point de savoir qui baptise, mais quel est celui dont le nom est invoqué dans le baptême puisque celui-là seul remet les péchés. Il s’arrête là et ne va pas plus loin. Il ne dit pas : Est-ce que Paul vous a promis les biens à venir ? Est-ce que Paul vous a promis le royaume des cieux ? Pourquoi n’ajoute-t-il rien de cela ? Parce que autre chose est d’annoncer le royaume, autre chose d’être crucifié ; l’un est sans danger et n’entraîne point d’ignominie, l’autre renferme tous les deux. D’ailleurs, il conclut des uns aux autres, quand, après avoir dit : « Qui n’a pas épargné son propre fils », il ajoute : « Comment avec lui ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses ! » (Rom. 8,32) Et encore : « Si, quand nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son fils, à bien plus forte raison, une fois réconciliés, serons-nous sauvés ». (Id. 5,10) C’est pour cela qu’il n’a pas parlé de ces biens ; on ne jouissait point encore des uns, on avait déjà fait l’expérience des autres ; les uns n’étaient encore qu’en promesses, les autres étaient une réalité.
« Je rends grâce à Dieu de ce que je n’ai baptisé aucun de vous, si ce n’est Crispus et Caïus ». Pourquoi êtes-vous si fiers de baptiser, quand je remercie Dieu de n’avoir pas baptisé ? Par ces paroles, il guérit prudemment leur enflure, non en niant la force du baptême (ce qu’à Dieu ne plaise), mais en réprimant l’orgueil de ceux qui se vantaient d’avoir baptisé ; et pour cela il leur fait voir d’abord que ce don ne vient pas d’eux, et en second lieu il remercie Dieu à cette occasion. Sans doute le baptême est une grande chose, mais à cause de Celui qu’on y invoque, et non à cause de celui qui le donne. Baptiser n’est rien, quant à l’effort exigé de la part de l’homme ; évangéliser est beaucoup plus. Je le répète : le baptême est une grande chose, puisque sans lui on ne peut parvenir au royaume ; mais l’homme le plus vulgaire peut le donner, tandis que prêcher l’Évangile est une œuvre très laborieuse.
3. Il expose la raison pour laquelle il rend grâces à Dieu de n’avoir baptisé personne. Quelle est-elle ? « Pour que personne ne dise que vous avez été baptisés en mon nom ». Quoi donc ? Parlait-on de cela ? Non ; mais je crains, dit-il, que le mal n’aille jusque-là. Si, en effet, quand des hommes vils et sans valeur baptisent, il s’élève une hérésie ; si j’avais baptisé beaucoup de monde, moi qui ai annoncé le baptême, il est vraisemblable qu’un parti se formerait, lequel non content d’adopter mon nom, m’attribuerait aussi le baptême. Puisque le mal partant de si bas est déjà si grand, il le serait peut-être bien plus encore s’il avait pris sa source plus haut. Après avoir ainsi réprimandé ceux qui étaient déjà gâtés, et avoir dit : « Moi j’ai baptisé ceux de la maison de Stéphanas », il rabat de nouveau leur orgueil, en disant : « Du reste, je ne sais si j’en ai baptisé d’autres ». Par là il fait voir qu’il se soucie peu de se procurer cet honneur aux yeux du vulgaire, et qu’il n’est point venu pour cela. Et ce n’est pas seulement par ces paroles, mais encore par les suivantes qu’il refoule leur orgueil, quand il dit : « Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais prêcher l’Évangile ». Œuvre bien plus laborieuse, qui exigeait beaucoup de sueur et une âme de fer, et qui renfermait tout ; voilà pourquoi on l’avait confiée à Paul. Et pourquoi n’étant pas envoyé pour baptiser, baptisait-il ? Ce n’était point par opposition à Celui qui l’avait envoyé, mais par surérogation. En effet il n’a pas dit : On m’a défendu de le faire, mais : Je n’ai pas été envoyé pour cela, mais pour une chose plus nécessaire. Évangéliser était l’œuvre d’un ou deux ; baptiser était au pouvoir de tout homme revêtu du sacerdoce.
En effet, baptiser un catéchumène, un homme convaincu, cela est donné à tout le monde ; car la volonté de celui qui approche fait tout, conjointement avec la grâce de Dieu. Mais amener des infidèles à la foi, c’est une fonction qui demande beaucoup de peines, beaucoup de sagesse, outre le danger qui s’y attachait alors. Dans le baptême, tout est fait, celui qui doit être admis au mystère est convaincu, et ce n’est pas merveille que de baptiser un homme convaincu. Ici il faut prendre beaucoup de peines pour changer la volonté et les dispositions, pour déraciner l’erreur et planter la vérité. Mais il ne dit point cela de la sorte, il ne le prouve pas, il n’affirme pas qu’il n’y a point de peine à baptiser et beaucoup à évangéliser, car il sait toujours être modeste ; mais quand il traite de la sagesse profane, il devient véhément et emploie, dès qu’il le peut, les termes les plus violents. Ce n’était donc point contre l’ordre de Celui qui l’avait envoyé qu’il baptisait, mais il en était ici comme quand les apôtres dirent à l’occasion des veuves : « Il n’est pas juste que nous abandonnions le ministère de la parole pour le service des tables ». (Act. 6,2) Il servait alors, non par esprit d’opposition, mais par surabondance de zèle. En effet, maintenant encore nous confions le soin de baptiser aux prêtres les moins capables, et la prédication aux plus instruits, parce qu’ici sont les labeurs et les difficultés. Voilà pourquoi l’apôtre dit lui-même : « Que les prêtres qui gouvernent bien soient doublement honorés, surtout ceux qui travaillent à la prédication de la parole et à l’instruction ». (1Tim. 5,17) Car comme c’est l’affaire d’un maître habile et sage de former les athlètes qui doivent lutter dans l’arène, tandis que décerner la couronne au vainqueur est au pouvoir de celui même qui ne sait pas combattre, bien que la couronne fasse ressortir l’éclat de la victoire ; de même, pour ce qui regarde le baptême, quoi qu’il soit nécessaire au salut, celui qui l’administre fait une chose toute simple, puisqu’il trouve une volonté préparée.
« Non pas dans la sagesse de la parole, pour « ne pas réduire à rien la croix de Jésus-Christ ». Après avoir rabattu l’orgueil de ceux qui s’estimaient pour avoir baptisé, il passe à ceux qui se glorifiaient de la sagesse mondaine, et les attaque avec vivacité. En effet à ceux qui s’enflaient pour avoir baptisé, il s’est contenté de dire : « Je rends grâce à Dieu de n’avoir baptisé personne », et de ce que le Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser ; il n’emploie point de preuves, point d’expressions violentes, il insinue sa pensée en peu de mots et passe outre. Mais ici tout d’abord il frappe un grand coup en disant : « Pour ne pas réduire à rien la croix de Jésus-Christ ». Pourquoi vous glorifier d’une chose qui doit vous couvrir de honte ? Car si cette sagesse est l’ennemie de la croix et de l’Évangile, loin de s’en vanter, il faut en rougir. Voilà pourquoi les apôtres ne l’ont point eue, non que la grâce leur fît défaut, mais pour ne point nuire à la prédication. Ces sages selon le monde ébranlaient donc la doctrine, au lieu de l’affermir ; et les simples la consolidaient. Voilà de quoi confondre l’orgueil, détruire l’enflure et inspirer des sentiments de modestie. Mais, direz-vous, s’il en était ainsi, pourquoi donner mission à Apollon, qui était un savant ? Ce n’était pas qu’ils eussent confiance dans son talent pour la parole ; mais ils l’avaient choisi parce qu’il était instruit dans les Écritures et qu’il confondait les Juifs. Du reste on recherchait des hommes sans science pour occuper les premiers rangs et commencer à répandre la semence de la parole : car il fallait une grande vertu afin de repousser l’erreur dès l’abord ; il fallait un grand courage au début de la carrière. Si donc celui qui, dans les commencements, n’avait pas eu besoin de savants pour repousser l’erreur, les a ensuite admis, ce n’était pas par nécessité ni par défaut de discernement. Comme il n’avait pas eu besoin d’eux pour exécuter sa volonté, il ne les a cependant point rejetés quand ils se rencontrèrent plus tard. Dites-moi un peu : Pierre et Paul étaient-ils savants ? Vous ne pourriez le dire ; car ils étaient simples et sans lettres. Le Christ a agi ici, comme quand, envoyant ses disciples par toute la terre, après leur avoir d’abord montré sa puissance en Palestine, il leur disait : « Lorsque je vous ai envoyés sans argent, sans provisions, sans chaussure, avez-vous manqué de rien ? » (Lc. 22,35) Et qu’ensuite il leur permit d’avoir de l’argent et des provisions. Ce dont il s’agissait, c’était que la puissance du Christ fût manifestée, et non de repousser de la foi ceux qui venaient à cause de leur sagesse mondaine. Quand donc les Grecs accuseront les disciples d’ignorance, accusons-les-en aussi, et plus haut que les Grecs. Que personne ne dise que Paul était savant ; tout en exaltant ceux d’entre eux que leur science et leur éloquence ont rendus célèbres, affirmons que les nôtres ont tous été des ignorants. Et par là nous ne les rabaisserons nullement ; car la victoire n’en sera que plus éclatante.
Je dis tout cela pour avoir entendu un chrétien disputer avec un Grec de la manière la plus ridicule : tous les deux renversaient leur propre thèse et se réfutaient eux-mêmes. Le Grec disait ce qu’aurait dû dire le chrétien ; et le chrétien faisait les objections qu’aurait dû faire le Grec:. Il était question de Paul et de Platon : or, le Grec s’efforçait de démontrer que Paul était un ignorant, un homme sans instruction ; et le chrétien par trop simple cherchait à prouver que Paul était plus savant que Platon. Si cette dernière proposition eût triomphé, la victoire appartenait au Grec. Car si Paul était plus savant que Platon, on aura raison de dire que, s’il l’emporta, ce fut par l’éloquence et non par le secours de la grâce. En sorte que le chrétien parlait pour le Grec, et le Grec pour le chrétien. Si en effet Paul, quoique ignorant, a vaincu Platon, c’est, comme je le disais, une victoire éclatante car cet ignorant a pris tous les disciples de Platon, les a convaincus et amenés à lui. D’où il suit que sa prédication a triomphé par la grâce de Dieu, et non par la sagesse humaine. Pour éviter cet inconvénient et ne pas devenir ridicules en disputant de cette façon avec les Grecs, qui sont ici nos adversaires, accusons les apôtres d’ignorance ; car cette accusation est un éloge. Et quand les Grecs les traiteront de gens grossiers, enchérissons, nous ; et ajoutons qu’ils étaient ignorants, sans lettres, pauvres, sans naissance, dépourvus d’intelligence et obscurs. Ce n’est point là blasphémer les apôtres ; toute leur gloire, au contraire, est d’avoir, étant tels, triomphé du monde entier. Oui, ces hommes simples, grossiers et ignorants, ont abattu les sages, les puissants, les tyrans, ceux qui jouissaient et se pavanaient des richesses, de la gloire, de tous les avantages extérieurs ; ils les ont abattus comme s’ils n’eussent pas été des hommes.
Il est donc évident que la puissance de la croix est grande, et que rien de tout cela n’est l’effet du pouvoir humain ; car ces succès n’ont rien de naturel ; tout y est surnaturel. Or quand il se passe un événement supérieur, très supérieur à la nature, et en même temps convenable et utile, il est manifeste qu’on doit l’attribuer à quelque vertu, à quelque opération divine. Eh bien ! voyez : le pêcheur, le fabricant de tentes, le publicain, l’homme simple, l’homme sans lettres, venus d’une terre lointaine, de la Palestine, ont chassé de leur propre patrie les philosophes, les rhéteurs, tous les maîtres dans l’art de la parole ; ils les ont vaincus en un instant, à travers mille périls, malgré l’opposition des peuples et des rois, malgré les résistances de la nature, malgré l’ancienneté du temps, la force d’habitudes invétérées, malgré les efforts des démons armés contre eux, et bien que le diable, debout lui-même au centre de la bataille, mît tout en mouvement, les rois, les princes, les peuples, les nations, les villes, les barbares, les Grecs, les philosophes, les orateurs, les sophistes, les écrivains, les lois, les tribunaux, les supplices les plus variés et mille et mille genres de mort. Et tout cela a été repoussé, a cédé à la voix des pêcheurs, absolument comme la poussière légère qui ne peut résister au souffle du vent. Apprenons donc à disputer ainsi avec les Grecs, pour ne pas ressembler à des animaux stupides et sans raison, mais être toujours prêts à défendre l’objet de nos espérances. En attendant, méditons bien ce point qui n’est pas d’une médiocre importance, et disons-leur : Comment les faibles ont-ils vaincu les forts : douze hommes, l’univers entier, sans se servir des mêmes armes, mais en combattant sans armes des hommes armés ?
5. Dites-moi de grâce : Si douze hommes, étrangers à l’art de la guerre, non seulement sans armes, mais même faibles de constitution, s’élançant tout à coup sur une innombrable armée, n’en éprouvaient aucun mal, restaient sains et saufs au milieu d’une grêle de traits, et, conservant leurs javelots suspendus à leurs corps nus, abattaient tous leurs ennemis sans user de leurs armes, mais en les frappant seulement de la main, tuaient les uns et faisaient les autres prisonniers sans recevoir la moindre blessure ; dites-moi, attribuerait-on cela à la puissance humaine ? Et pourtant le triomphe des apôtres est beaucoup plus étonnant que celui-là. Car, qu’un ignorant, qu’un homme sans lettres, qu’un pêcheur aient triomphé de tant d’éloquence, n’aient été arrêtés ni par leur petit nombre, ni par la pauvreté, ni par les dangers, ni par la puissance de l’habitude, ni par la sévérité des préceptes qu’ils imposaient, ni par des morts quotidiennes, ni par la multitude de ceux qui professaient l’erreur, ni par l’autorité de ceux qui l’enseignaient : Voilà qui est bien plus incroyable que de voir un homme nu n’être pas blessé.
Abattons-les donc de la même manière ; combattons-les ainsi, réfutons-les par notre conduite plutôt que par notre langage. Les œuvres, voilà le vrai combat, le raisonnement sans réplique. Quand nous argumenterions sans fin, ce serait peine perdue si nous ne tenions une conduite meilleure que la leur. Ce ne sont pas nos paroles, mais nos actions qu’ils étudient ; ils nous disent : Sois d’abord fidèle à ta doctrine, et prêche-la ensuite aux autres. Si tu parles de biens infinis réservés à l’avenir, et que tu paraisses attaché aux biens présents comme si ceux-là n’existaient pas, je crois à tes actions plutôt qu’à tes paroles. Quand je te vois ravir le bien d’autrui, pleurer outre mesure ceux qui ne sont plus, commettre une foule d’autres péchés, comment te croirai-je lorsque tu parles de résurrection ? S’ils ne vous disent pas cela, ils le pensent et s’en préoccupent. Et là est l’obstacle qui empêche les infidèles de devenir chrétiens. Convertissons-les donc par notre propre conduite. Beaucoup d’hommes illettrés ont ainsi frappé des philosophes, en leur montrant la vraie philosophie ; la philosophie des œuvres, et faisant entendre par leur sage conduite une voix plus éclatante que celle de la trompette : sorte d’éloquence bien au-dessus de celle du langage. Si je prêche l’oubli des injures, et qu’ensuite je nuise à un Grec en mille manières, comment mes paroles l’attireront-elles alors que mes actions le repoussent ? Prenons-les donc dans les filets d’une bonne conduite, édifions et enrichissons l’Église en lui gagnant ces âmes.
Rien, pas même le monde entier, n’égale le prix d’une âme. Donnassiez-vous une immense fortune aux pauvres, vous avez moins fait que de convertir une seule âme. Il est écrit « Celui qui sépare un objet précieux d’une vile matière, sera comme ma bouche ». (Jer. 15,19) Sans doute, c’est une chose excellente d’avoir pitié des pauvres, mais rien n’est aussi grand que d’arracher une âme à l’erreur : car c’est ressembler à Paul et à Pierre. Il nous est donné de succéder à leur prédication, non plus pour braver comme eux les dangers, endurer la faim, la peste et les autres maux (car nous vivons en un temps de paix) ; mais pour déployer l’ardeur de notre zèle. Sans sortir de chez nous, nous pouvons nous livrer à cette pêche. Que quiconque a un ami, un parent, une connaissance, tienne cette conduite, adopte ce langage, et il ressemblera à Pierre et à Paul. Que dis-je, à Pierre et à Paul ? Il sera la bouche du Christ. « Car celui qui sépare une chose précieuse d’une matière vile, sera comme ma bouche ». Si vous ne persuadez pas aujourd’hui, vous persuaderez demain ; si vous ne persuadez jamais, vous aurez cependant toute la récompense ; si vous ne persuadez pas tout le monde, vous en sauverez au moins quelques-uns de la foule. Les apôtres eux-mêmes n’ont pas convaincu tous les hommes, bien qu’ils s’adressassent à tous, et ils sont récompensés comme s’ils les avaient tous gagnés. Car Dieu a coutume de proportionner la récompense aux intentions et non aux succès. Offrez-lui deux oboles, il les accepte ; ce qu’il a fait pour la veuve, il le fait pour ceux qui enseignent la loi. Gardez-vous donc de dédaigner un petit nombre, parce que vous ne pouvez pas convertir le monde entier, et ne négligez point les petits succès, parce que vous ambitionnez les grands. Si vous ne pouvez pour cent, tâchez pour dix ; si vous ne pouvez pour dix, contentez-vous de cinq ; si cinq dépassent vos forces, ne laissez pas que de vous occuper d’un, et si cet un même vous échappe, ne vous découragez pas pour autant, et ne suspendez pas les efforts de votre zèle. Ne voyez-vous pas que, dans les contrats, les marchands n’opèrent pas seulement avec de l’or, mais aussi avec de l’argent ? Si nous ne dédaignons pas les petites choses, nous atteindrons aussi les grandes ; mais si nous négligeons celles-là, nous parviendrons difficilement à celles-ci. C’est en recueillant les unes et les autres qu’on devient riche. Que ce soit donc là notre règle de conduite, afin qu’enrichis en tout, nous obtenions le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire, empire, honneur, appartiennent au Père en même temps qu’au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IV.

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CAR LA PAROLE DE LA CROIX EST UNE FOLIE POUR CEUX QUI SE PERDENT ; MAIS POUR CEUX QUI SE SAUVENT, C’EST-À-DIRE POUR NOUS, ELLE EST LA VERTU DE DIEU. CAR IL EST ÉCRIT : « JE PERDRAI LA SAGESSE DES SAGES, JE REJETTERAI LA SCIENCE DES SAVANTS ». QUE SONT DEVENUS LES SAGES ? QUE SONT DEVENUS. LES DOCTEURS DE LA LOI ? QUE SONT DEVENUS LES ESPRITS CURIEUX DE CE SIÈCLE ? (VERS. 18, 19, 20, JUSQU’A 25)

ANALYSE.

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  • 1. Que l’on se perd par le raisonnement, et que l’on se sauve par la foi.
  • 2. Comment Dieu a confondu la sagesse humaine.
  • 3. Que le Christ persuade par les contraires, et comment.
  • 4-6. Que Socrate n’aurait pas bu la ciguë s’il n’y eût été contraint. – Le paganisme n’a produit qu’un Socrate, et la religion de Jésus, des milliers de martyrs, tous plus grands, plus admirables que Socrate. – Que l’établissement de la foi est un ouvrage tout divin. – Convertir les âmes par le bon exemple.


1. Pour l’homme malade et agonisant, les mets les plus sains n’ont pas de saveur, les amis et les proches deviennent importuns, souvent il ne les reconnaît pas et semble incommodé de leur présence. Il en est de même de ceux qui perdent leurs âmes : ils ignorent ce qui mène au salut, et trouvent importuns ceux qui s’occupent d’eux. C’est là l’effet de leur maladie et non de la nature des choses. Il en est des infidèles comme des fous, qui haïssent ceux qui les soignent, et les accablent d’injures. Mais comme ceux-ci ; à raison même des injures qu’ils reçoivent, sentent croître leur pitié et couler leurs larmes, parce que méconnaître ses meilleurs amis leur semble être l’indice du paroxysme de la maladie : ainsi devons-nous faire à l’égard des Grecs, et pleurer sur eux plus qu’on ne pleure sur une épouse, parce qu’ils ignorent le salut offert à tous. Car un époux ne doit pas aimer son épouse autant que nous devons aimer tous les hommes, Grecs ou autres, et les attirer au salut. Pleurons-les donc, parce que la parole de la croix, qui est la sagesse et la force, est pour eux une folie, suivant ce qui est écrit : « La parole de la croix est une folie pour ceux qui se perdent ». Et comme il était vraisemblable que, voyant la croix tournée en dérision par les Grecs, les Corinthiens résisteraient dans la mesure de leur propre sagesse, et se donneraient beaucoup de trouble pour réfuter les discours des païens, Paul les console en leur disant : Ne pensez pas que ce soit là une chose étrange et insolite. Il en est dans la nature même des choses, que la vertu de la croix soit méconnue de ceux qui se perdent ; car ils n’ont plus le sens ; ils sont fous. Voilà pourquoi ils profèrent des injures et ne supportent pas les remèdes du salut. Ô homme, que dis-tu ? Pour toi le Christ a pris la forme d’un esclave, a été crucifié et est ressuscité ; ce ressuscité, il faut donc l’adorer et adorer sa bonté, puisque ce qu’un père, un ami, un fils n’a pas fait pour toi, le Maître de l’univers l’a fait, bien que tu l’eusses offensé et fusses devenu son ennemi ; et quand il mérite ton admiration pour de si grandes choses, tu appelles folie le chef-d’œuvre de sa sagesse ? Mais il n’y a rien d’étonnant là-dedans ; car le propre de ceux qui se perdent est de ne pas connaître ce qui procure le salut.
Ne vous troublez donc pas : il n’y a rien d’étrange, rien de surprenant à ce que des insensés tournent de grandes choses en dérision. Or la sagesse humaine ne saurait changer une telle disposition ; en essayant de le faire, vous atteindriez un but opposé : car tout ce qui dépasse la raison n’a besoin que de la foi. Si nous tâchons de démontrer par le raisonnement et sans recourir à la foi, comment un Dieu s’est fait homme et est entré dans le sein d’une vierge, nous ne ferons que provoquer davantage leurs railleries. Ceux qui usent ici du raisonnement, sont précisément ceux qui se perdent. Et pourquoi parler de Dieu ? Nous soulèverions d’immenses éclats de rire, si nous, suivions cette méthode en ce qui concerne les créatures. Supposons, par exemple, un homme qui veut tout apprendre par le raisonnement et vous prie de lui démontrer comment nous voyons la lumière : essayez de le faire : vous n’en viendrez pas à bout ; car si vous dites qu’il suffit d’ouvrir l’œil pour voir, vous exprimez le fait, et non la raison du fait. Pourquoi, vous dira-t-il, ne voyons-nous pas par les oreilles et n’entendons-nous pas par les yeux ? Pourquoi n’entendons-nous pas par les narines et ne flairons-nous pas par les oreilles ? Si nous ne pouvons le tirer d’embarras et répondre à ses questions, et qu’il se mette à rire, ne rirons-nous pas encore plus fort que lui ? Si en effet deux organes ont leur principe dans le même cerveau, et sont voisins l’un de l’autre, pourquoi ne peuvent-ils pas remplir les mêmes fonctions ? Nous ne pouvons expliquer la cause ni le mode de ces opérations mystérieuses et diverses, et nous serions ridicules de l’essayer.
Taisons-nous donc, et rendons hommage à la puissance et à la sagesse infinie de Dieu. De même, vouloir expliquer par la sagesse humaine les choses de Dieu, c’est provoquer des éclats de rire, non à raison de la faiblesse du sujet, mais à cause de la folie des hommes ; car aucun langage ne peut expliquer les grandes choses. Examinez bien ; quand je dis : Il a été crucifié ; le Grec demande : Comment cela s’accorde-t-il avec la raison ? Il ne s’est pas aidé lui-même quand il subissait l’épreuve et le supplice de la croix : Comment donc est-il ensuite ressuscité et a-t-il sauvé les autres ? S’il le pouvait, il aurait dû le faire avant de mourir, ainsi que le disaient les Juifs : Comment celui qui ne s’est pas sauvé, a-t-il pu sauver les autres ? C’est là, dira-t-on, une chose que la raison ne saurait admettre. Et c’est vrai : la croix, ô homme, est une chose au-dessus de la raison, et d’une vertu ineffable. Car subir de grands maux, leur paraître supérieur et en sortir triomphant, c’est le propre d’une puissance infinie. Comme il eût été moins étonnant que les trois jeunes hébreux ne fussent pas jetés dans la fournaise que d’y être jetés et de fouler la flamme aux pieds : comme il eût été beaucoup moins merveilleux pour Jonas de n’être pas englouti par la baleine que d’en être englouti sans en souffrir ; ainsi il est bien plus admirable dans le Christ d’avoir vaincu la mort en mourant que de ne l’avoir pas subie. Ne dites donc point : Pourquoi ne s’est-il pas sauvé lui-même sur la croix ? Car son intention était de lutter avec la mort. Il n’est point descendu de la croix, non parce qu’il ne le pouvait pas, mais parce qu’il ne le voulait pas. Comment les clous de la croix auraient-ils retenu Celui que la puissance de la mort n’a pu enchaîner ?
2. Toutes ces choses nous sont connues, mais les infidèles les ignorent. Voilà pourquoi Paul dit que la parole de la croix est une folie pour ceux qui se perdent, mais que pour ceux qui se sauvent, c’est-à-dire pour nous, elle est la vertu de Dieu. « Car il est écrit : Je perdrai la sagesse des sages ; je rejetterai la science des savants ». Jusqu’ici il n’a rien dit de désagréable ; il a d’abord invoqué le témoignage de l’Écriture ; puis s’enhardissant, il emploie des termes plus violents et dit : « Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ? Que sont devenus les sages ? Que sont devenus les docteurs de la loi ? Que sont devenus les esprits curieux de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ? Car Dieu voyant que le monde, aveuglé par sa propre sagesse, ne l’avait point connu dans les œuvres de la sagesse divine, a jugé à propos de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient en lui ». Après avoir dit qu’il est écrit : « Je perdrai la sagesse des sages », il en donne une preuve de fait en ajoutant : « Que sont devenus les sages ? que sont devenus les docteurs de la loi ? » frappant ainsi du même coup les Grecs et les Juifs. Car, quel philosophe ; quel habile logicien, quel homme instruit dans le judaïsme a procuré le salut et enseigné la vérité ? Pas un d’eux : les pêcheurs ont tout fait. Après avoir tiré sa conclusion, abattu leur enflure, et dit : « Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ? » il donne la raison de tout cela. Parce que, dit-il, aveuglé par sa propre sagesse, le monde n’a pas connu Dieu dans la sagesse divine, la croix a paru. Qu’est-ce que cela : « Dans la sagesse divine ? » C’est-à-dire, dans la sagesse qui s’est manifestée dans les œuvres par lesquelles il a voulu se faire connaître. Car il a produit ces œuvres et d’autres semblables afin que leur aspect fit admirer le Créateur ; le ciel est grand, la terre est immense ; admirez donc celui qui les a faits. Et ce ciel si grand, non seulement il l’a créé, mais il l’a créé sans peine ; cette vaste terre, il l’a produite sans effort. Voilà pourquoi il est dit de l’un : « Les cieux sont les ouvrages de vos mains » (Ps. 101) ; et de l’autre : « Il a fait la terre comme rien ». Mais comme le monde n’a pas voulu connaître Dieu au moyen de cette sagesse, Dieu l’a convaincu par la folie apparente de la croix, non à l’aide du raisonnement, mais de la foi. Du reste, là où est la sagesse de Dieu, il n’y a plus besoin de celle de l’homme. Dire que le Créateur de ce monde si grand et si vaste doit posséder une puissance ineffable et infinie, c’était là un raisonnement de la sagesse humaine, un moyen de comprendre l’auteur par son ouvrage ; mais maintenant on n’a plus besoin que de foi, et non de raisonnements. Car croire à un homme crucifié et enseveli, et tenir pour certain que ce même homme est ressuscité et assis au ciel, c’est l’effet de la foi et non du raisonnement. Ce n’est point avec la sagesse, mais avec la foi, que les apôtres ont paru, et ils sont devenus plus sublimes et plus sages que les sages, d’autant que la foi qui accepte les choses de Dieu l’emporte sur l’art de raisonner ; car ceci surpasse l’esprit humain. Comment Dieu a-t-il perdu la sagesse ? En se révélant à nous par Paul et ses semblables, il nous a fait voir qu’elle était inutile. En effet, pour recevoir la prédication évangélique, le sage ne tire aucun avantage de sa sagesse, ni l’ignorant ne souffre de son ignorance. Bien plus, chose prodigieuse à dire ! l’ignorance est ici une meilleure disposition que la sagesse. Oui, le berger, le paysan, mettant de côté les raisonnements et s’abandonnant à Dieu, recevront plutôt la prédication évangélique. Voilà comment Dieu a perdu la sagesse. Après s’être d’abord détruite elle-même, elle est devenue ensuite inutile. Car quand elle devait faire son œuvre propre et voir le Maître par ses œuvres, elle ne l’a pas voulu ; maintenant quand elle voudrait se produire, elle ne le pourrait plus ; car l’état des choses n’est plus le même, et l’autre voie pour parvenir à la connaissance de Dieu est bien préférable. C’est pourquoi il faut une foi simple, que nous devons chercher à tout prix, et préférer à la sagesse du dehors, puisque l’apôtre dit : « Dieu a convaincu de folie la sagesse ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Il a convaincu de folie ? » Il a prouvé qu’elle est une folie quand il s’agit de parvenir à la foi. Et comme on avait d’elle une haute estime, il s’est hâté de la confondre.
En effet, qu’est-ce que cette sagesse, qui ne peut trouver le premier des biens ? Il l’a fait paraître folle, parce qu’elle s’était d’abord démontrée telle elle-même. Si, quand il était possible de trouver la vérité à l’aide du raisonnement, elle n’a pu le faire, comment en sera-t-elle capable, maintenant qu’il s’agit de choses plus importantes, et qu’on n’a plus besoin de talent, mais de foi ? Dieu l’a donc convaincue de folie ; et il a jugé à propos de sauver le monde par la folie, non réelle, mais apparente de la croix. Et c’est là ce qu’il y a de plus grand : que Dieu ait vaincu cette sagesse, non par une sagesse plus excellente, mais par une sagesse qui a une apparence de folie. Il a abattu Platon, non par un autre philosophe plus sage, mais par un pêcheur ignorant. Ainsi la défaite est devenue plus humiliante et le triomphe plus éclatant. Puis, démontrant la puissance de la croix, l’apôtre dit : « Les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse ; pour nous, nous prêchons le Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs, et une folie pour les Grecs, mais qui est la force de Dieu et la sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, soit parmi les Juifs soit parmi les Grecs ».
3. Il y a un grand sens dans ces paroles, car il veut dire que Dieu a vaincu à l’aide des contraires, et que la prédication n’est pas de l’homme. Voici ce qu’il entend : quand nous disons aux Juifs : Croyez ; ils nous répondent Ressuscitez les morts, guérissez les possédés du démon, montrez-nous des prodiges. Et que répliquons-nous à cela ? Celui que nous vous prêchons a été crucifié, et il est mort. Cette parole est peu propre à attirer ceux qui ne veulent pas venir, car elle devrait repousser ceux mêmes qui en seraient tentés : et pourtant elle ne repousse pas, elle attire, elle subjugue, elle triomphe. À leur tour, les Grecs nous demandent l’éloquence des discours, l’habileté dés sophismes ; nous leur prêchons encore la croix, et ce qui paraît faiblesse aux Juifs, les Grecs l’appellent folie. Quand donc, bien loin de leur accorder ce qu’ils demandent, nous leur offrons tout le contraire (car non seulement la croix n’est point un miracle, mais, au point de vue de la raison, elle est l’opposé du miracle ; non seulement elle n’est point un signe de force, ni une preuve de sagesse, mais plutôt un indice de faiblesse et une apparence de folie) ; quand, dis-je, non seulement ils n’obtiennent ni les miracles ni la sagesse qu’ils demandent, mais entendent ce qu’il y a de plus opposé à leur désir, et qu’ils s’en laissent persuader : comment ne pas voir là la puissance infinie de Celui qui est prêché ?
Comme si quelqu’un montrait à un homme battu par les flots et soupirant après le port, non le port lui-même, mais un autre endroit de la mer encore plus agité, et le déterminait à le suivre avec des sentiments de reconnaissance ; ou comme si un médecin promettait de guérir un blessé, non au moyen des remèdes qu’il désire, mais en le brûlant de nouveau, et néanmoins l’attirait à lui (ce qui serait certainement la preuve d’une grande puissance) ; ainsi les apôtres ont remporté la victoire, non par un miracle, mais par la chose qui semblait le contraire du miracle. C’est aussi ce que le Christ a fait pour l’aveugle ; car voulant le guérir de sa cécité, il a employé un moyen qui devait l’augmenter : il l’a frotté avec de la boue. Et comme il a guéri un aveugle avec de la boue, de même il s’est attiré le monde entier par la croix : par la croix qui ajoutait au scandale, au lieu de le faire disparaître. Ainsi avait-il déjà procédé dans la création, en opposant les contraires aux contraires. Il a donné le sable pour borne à la mer, la faiblesse à la force ; il a établi la terre sur l’eau, le solide et le dense sur le mou et le liquide. Par le moyen des prophètes, il a ramené le fer du fond de l’eau avec un peu de bois. Ainsi il s’est attiré le monde entier à l’aide de la croix. Comme l’eau porte la terre, la croix porte le monde. C’est la preuve d’une grande puissance et d’une grande sagesse que de persuader par les contraires. La croix semble être un objet de scandale, et, loin de scandaliser, elle attire.
À cette pensée, Paul émerveillé s’écrie que « ce qui paraît en Dieu une folie est plus sage que les hommes, et que ce qui paraît en Dieu une faiblesse est plus fort que les hommes ». Cette folie, cette faiblesse, non réelle mais apparente, dont il parle ici, c’est la croix, et il répond dans leur sens. Car ce que les philosophes n’ont pu faire avec leurs raisonnements, cette prétendue folie l’a fait. Lequel est le plus sage de celui qui convainc la multitude, ou de celui qui ne persuade que quelques hommes, ou plutôt personne ? de celui qui persuade sur les sujets les plus importants, ou de celui qui persuade sur des questions inutiles ? Combien Platon ne s’est-il pas donné de peine sur la ligne, sur l’angle, sur le point, sur les nombres pairs et impairs, sur les quantités égales et inégales, et autres toiles d’araignées semblables (car tout cela est plus inutile pour la vie que des toiles d’araignées) ? Et il est mort sans en avoir tiré aucun profit, ni petit ni grand. Combien n’a-t-il pas pris de peine pour prouver que l’âme est immortelle ? Et il est mort sans avoir rien dit de clair là-dessus, sans avoir convaincu un seul de ses auditeurs ! Et la croix prêchée par des ignorants a convaincu, a attiré à elle le monde entier, non en traitant des questions insignifiantes, mais en parlant de Dieu, de la vraie religion, de la règle évangélique, du jugement futur ; et elle a transformé en philosophes tous les hommes, des paysans, des ignorants. Voyez donc comme ce qui paraît folie et faiblesse en Dieu, est plus sage et plus fort que les hommes. Comment plus fort ? Parce que la croix a parcouru tout l’univers, dominé tous les hommes par la force, et que quand des milliers s’efforçaient d’éteindre le nom du Crucifié, c’est le contraire qui est arrivé ; car ce nom a fleuri, a grandi de plus en plus, et ses ennemis se sont perdus, ont couru à leur ruine ; les vivants combattaient le mort, et n’ont rien pu contre lui. Donc, quand le Grec m’accuse de folie, il prouve lui-même son extrême folie ; quand je passe pour un insensé à ses yeux, je suis réellement plus sage que les sages ; quand il me reproche ma faiblesse, il fait preuve lui-même d’une plus grande faiblesse. Car les succès qu’ont obtenu, par la grâce de Dieu, des publicains, des pêcheurs ; les philosophes, les rhéteurs, les tyrans, le monde entier, malgré des peines infinies, n’ont pu même les rêver. Que n’a pas amené la croix ? La doctrine de l’immortalité de l’âme, de la résurrection du corps, du mépris des choses présentes, du désir des choses à venir. Des hommes, elle a fait des anges ; de toutes parts on voit des philosophes, et qui donnent des preuves de toute espèce de courage.
4. Mais, dira-t-on, beaucoup d’entre eux ont aussi méprisé la mort. Lesquels ? je vous prie. Est-ce celui qui a bu la ciguë ? Mais, si vous le voulez, je vous en trouverai des milliers de ce genre dans l’Église. Si, au sein de la persécution, il était permis de mourir en buvant la ciguë, tous seraient bien supérieurs à ce philosophe. Du reste, quand Socrate but la ciguë, il n’était pas libre de la boire ou de ne la pas boire : de gré ou de force, il devait la boire ; c’était donc un acte de nécessité et non de courage ; les brigands et les assassins, condamnés par les justes, subissent de plus grands supplices. Chez nous, c’est tout le contraire c’est de plein gré, librement, et non par force, que gros martyrs ont souffert et, montré une vertu à toute épreuve. Rien d’étonnant à ce que ce philosophe ait bu la ciguë, étant forcé de la boire, et étant parvenu à l’extrême vieillesse ; car il déclara lui-même qu’il avait soixante-dix ans quand il méprisait ainsi la vie, si tant est que ce soit là du mépris ; ce que je n’admets pas, ni moi, ni personne. Mais montrez-m’en un qui ait soutenu courageusement les tortures pour la religion, comme je vous en montrerai des milliers sur tous les points du globe. Qui est-ce qui a supporté généreusement de se voir arracher les ongles ? fouiller les articulations ? déchirer le corps pièce à pièce ? arracher les os de la tête ? étendre sur le gril ? jeter dans la chaudière ? Ceux-là, montrez-les-moi. Mourir par la ciguë, c’est à peu près s’endormir ; on dit même que ce genre de mort est plus doux que le sommeil. Et quand même quelques-uns auraient subi de véritables épreuves, ils n’auraient encore aucun droit à nos louanges, car ils sont morts pour des motifs peu honorables : les uns pour avoir trahi des secrets, les autres pour avoir aspiré à la tyrannie, d’autres pour avoir été surpris dans des actions honteuses ; d’autres enfin, se sont livrés d’eux-mêmes sans but, sans motif, et comme au hasard.
Il n’en est pas ainsi chez nous. Aussi garde-t-on le silence sur le compte de ceux-là, tandis que la gloire de ceux-ci est dans tout son éclat et croît de jour en jour. C’est à cela que pensait Paul, quand il disait : Ce qui paraît en Dieu une faiblesse est plus fort que les hommes. Car c’est là la preuve que la prédication est divine. Comment douze hommes ignorants, qui avaient passé leur vie sur les étangs, sur les fleuves, dans les déserts, qui n’avaient peut-être jamais mis les pieds dans une ville ou sur une place publique, auraient-ils osé former une si grande entreprise ? Comment leur serait venue la pensée de lutter contre le monde entier ? Car, qu’ils fussent timides et lâches, c’est leur historien qui le dit, sans rien nier, sans chercher à dissimuler leurs défauts : ce qui est la plus grande preuve de véracité. Que dit-il donc ? Que dès que le Christ fut pris, ils s’enfuirent, malgré les nombreux miracles dont ils avaient été témoins, et que leur chef, qui était resté, renia son Maître. Comment donc ceux qui, du vivant du Christ, n’avaient pu soutenir l’assaut des Juifs, défieront-ils tout l’univers au combat, quand ce même Christ est mort, a été enseveli, n’est point ressuscité, selon vous, ne leur a point parlé, ne leur a point inspiré de courage ? Ne se seraient-ils pas dit à eux-mêmes : Qu’est-ce que ceci ? Il n’a pu se sauver lui-même, et il nous défendrait ? Vivant, il ne s’est pas aidé ; et mort, il nous tendrait la main ? Vivant, il n’a pas soumis un seul peuple, et nous, à son nom seul, nous soumettrions le monde entier ? Quoi de plus déraisonnable, je ne dis pas qu’une telle entreprise, mais qu’une telle pensée ? Il est donc évident que s’ils ne l’avaient pas vu ressuscité, s’ils n’avaient pas eu la preuve la plus manifeste de sa puissance, ils n’eussent point joué un tel jeu. À supposer qu’ils eussent eu de nombreux amis, n’en auraient-ils pas fait aussitôt autant d’ennemis, en attaquant les anciennes coutumes, en déplaçant les bornes antiques ? Dès ce moment, ils se seraient attiré l’inimitié de tous, celle de leurs concitoyens comme celle des étrangers. Eussent-ils eu tous les droits possibles au respect par les avantages extérieurs, n’auraient-ils pas été pris en haine pour vouloir introduire de nouvelles mœurs ? Et au contraire, ils sont dénués de tout, et par cela seul, déjà exposés à la haine et au mépris universels.
Car de qui voulez-vous parler ? Des Juifs ? Ils en étaient profondément haïs, à cause de ce qui s’était passé à l’égard de leur Maître. Des Grecs ? Ils n’en étaient pas moins détestés, et les Grecs le savent mieux que qui que ce soit. Pour avoir voulu instituer un nouveau gouvernement, ou plutôt réformer en quelque point celui qui existait, sans rien changer au culte des dieux, mais en substituant certaines pratiques à d’autres, Platon fut chassé de Sicile et courut le danger de mort. S’il a conservé la vie, il perdit du moins la liberté. Et si un barbare ne se fût montré meilleur que le tyran de Sicile, rien n’empêchait que le philosophe restât esclave toute sa vie sur une terre étrangère. Et pourtant les changements qui touchent au pouvoir royal n’ont pas l’importance de ceux qui touchent à l’ordre religieux ; ceux-ci troublent et agitent bien plus les hommes. En effet, dire qu’un tel ou un tel épousera une telle, ou que les gardes veilleront de telle ou telle façon, il n’y a pas là de quoi causer grande émotion, surtout quand la loi reste sur le papier et que le législateur se met peu en peine de l’appliquer. Mais dire que les objets du culte sont des démons et non des dieux, que le vrai Dieu c’est le Crucifié, vous savez assez quelle fureur, quelle accusation, quelle guerre cela a soulevées.
5. Chez les Grecs, Protagoras, pour avoir osé dire : « Je ne reconnais point de dieux », et cela, non en parcourant et endoctrinant tout l’univers, mais dans une seule cité, courut les plus grands dangers. Diagoras de Milet[5] et Théodore, surnommé l’athée, avaient de nombreux amis, étaient éloquents et admirés comme philosophes ; cependant tout cela ne leur servit à rien. Et le grand Socrate lui-même, qui les surpassait tous en philosophie, a bu la ciguë parce qu’il était soupçonné d’avoir quelque peu innové en matière de religion. Or, si un simple soupçon d’innovation a créé un tel danger à des philosophes, à des sages, à des hommes qui jouissaient d’ailleurs de la plus grande considération, au point que, loin de pouvoir établir leurs doctrines, ils ont été condamnés à la mort ou à l’exil : comment ne pas être frappé d’étonnement et d’admiration, en voyant le pêcheur opérer de tels prodiges dans le monde entier, réaliser ses projets et triompher des barbares et de tous les Grecs ?
Mais ceux-ci, direz-vous, n’introduisaient pas, comme ceux-là, des dieux étrangers. Et c’est précisément là le prodige à mes yeux ; une double, innovation : détruire les dieux qui existaient et prêcher le Crucifié. D’où leur est venue l’idée d’une telle prédication ? Où ont-ils puisé cette confiance dans le succès ? Quel précédent les y encourageait ? Tout le monde n’adorait-il pas les démons ? N’avait-on pas divinisé les éléments ? L’impiété n’avait-elle pas introduit des mœurs bien différentes ? Cependant ils ont attaqué et détruit tout cela ; en peu de temps, ils ont parcouru le monde entier, comme s’ils eussent eu des ailes, ne tenant compte ni des périls, ni de la mort, ni de la difficulté de l’entreprise, ni de leur petit nombre, ni de la multitude de leurs adversaires, ni de la richesse, ni de la puissance, ni de la science de leurs ennemis. Mais ils avaient un auxiliaire plus puissant que tout cela : la vertu du crucifié et du ressuscité. Il eût été moins étonnant qu’ils déclarassent au monde entier une guerre matérielle, au lieu de celle qu’ils lui ont réellement déclarée. Car, d’après les lois de la guerre, il est permis de se placer en face de l’ennemi, de s’emparer de ses terres, de se ranger en bataille, de saisir l’occasion d’attaquer et d’en venir aux mains. Ici, il n’en était pas de même : Les apôtres n’avaient point d’armée à eux ; ils étaient mêlés à leurs ennemis, et c’est ainsi qu’ils en triomphaient ; c’est dans cette situation qu’ils esquivaient leurs coups, qu’ils les domptaient et remportaient sur eux une éclatante victoire, suivant cette parole du prophète : « Tu régneras au milieu de tes ennemi ». (Ps. 109,2) Car c’était là le prodige : Que leurs ennemis les tenant en leur pouvoir, et les jetant dans les prisons et dans les fers, non seulement ne pouvaient les vaincre, mais tombaient eux-mêmes à leurs pieds ; ceux qui flagellaient devant ceux qui étaient flagellés, ceux qui enchaînaient devant ceux qui étaient enchaînés, ceux qui persécutaient devant ceux qui étaient persécutés. Nous disons tout cela aux Grecs et plus que cela encore : car ici la vérité surabonde. Si tous vous suivez dans ce sujet, nous vous apprendrons tous les détails de la lutte ; mais, en attendant, tenons bien à ces deux points capitaux : Comment les faibles ont-ils vaincu les forts ? Et comment ces faibles, étant ce qu’ils étaient, auraient-ils formé une telle entreprise, s’ils n’avaient eu le secours divin ?
6. Et maintenant, faisons ce qui dépend de nous : Que notre vie porte les fruits qu’elle doit porter des bonnes œuvres, et allumons autour de nous une grande ardeur pour la vertu. Il est écrit : « Vous êtes des flambeaux qui brillez au milieu du monde ». (Phil. 2,15) Et Dieu nous destine à un plus noble usage que le soleil lui-même, que le ciel, que la terre et la mer ; à un usage d’autant plus grand que les choses spirituelles l’emportent davantage, sur les choses sensibles. Quand donc nous considérons le globe du soleil, et que nous admirons la beauté, le volume et l’éclat de cet astre, pensons qu’il y a en nous une lumière plus grande et meilleure, comme aussi de plus profondes ténèbres, si nous n’y veillons : car toute la terre est dans une nuit épaisse. Dissipons donc cette nuit, et mettons-y fin. Elle règne non seulement chez les hérétiques et chez les Grecs, mais aussi dans les croyances et dans la conduite d’un grand nombre d’entre nous. Car beaucoup ne croient pas à la résurrection, beaucoup s’appuient sur des horoscopes, beaucoup s’attachent à des observances superstitieuses, à des divinations, à des augures, à des présages ; d’autres recourent aux amulettes et aux enchantements. Nous combattrons ceux-là plus tard, quand nous en aurons fini avec les Grecs. En attendant, retenez bien ce que je vous ai dit : Combattez avec moi, attirons-les à nous et transformons-les par notre conduite. Je le répète toujours : Celui qui enseigne la philosophie doit d’abord en offrir le modèle en lui-même et se faire rechercher de ses auditeurs.
Faisons-nous donc rechercher des Grecs et concilions-nous leur bienveillance. Et cela arrivera, si nous sommes toujours prêts, non seulement à faire le bien, mais encore à souffrir le mal. Ne voyons-nous pas les enfants portés sur les bras de leurs pères, les frapper à la joue, et le père se prêter volontiers à satisfaire la colère de son fils, et se réjouir quand elle est satisfaite ? Eh bien ! suivons cet exemple : parlons aux Grecs comme des pères à leurs enfants. Et vraiment tous les Grecs sont des enfants ; quelques-uns des leurs l’ont dit : Ce sont des enfants, il n’y a point de vieillard chez les Grecs. En effet, les enfants ne supportent de s’occuper de rien d’utile ; de même les Grecs veulent toujours jouer ; ils sont à terre, ils y rampent et ne songent qu’aux choses terrestres. Quand nous parlons aux enfants des choses nécessaires, ils ne comprennent pas notre langage et rient toujours ; ainsi les Grecs rient, quand nous leur parlons du royaume des cieux. Et comme souvent la salive, découlant de la bouche de l’enfant, souille sa nourriture et sa boisson ; ainsi les paroles qui tombent de la bouche des Grecs sont inutiles et impures ; si vous leur présentez la nourriture qui leur est nécessaire, ils vous accablent de malédictions ; ils ont besoin qu’on les porte. Si un enfant voit un voleur entrer et enlever ce qui est à la maison, bien loin de le repousser, il sourit au malfaiteur ; mais si vous lui prenez son petit panier, son sistre ou tout autre joujou, il en est vivement affecté, il s’irrite, il se déchire et frappe le sol du pied. Ainsi quand les Grecs voient le démon piller leur patrimoine, les biens nécessaires à leur subsistance, ils sourient et courent au-devant de lui comme au-devant d’un ami. Mais si on leur enlève une possession, la richesse ou quelque autre futilité de ce genre, ils se lamentent, ils se déchirent. Et comme l’enfant reste nu sans s’en douter et sans en rougir ; ainsi les Grecs se vautrant avec les fornicateurs et les adultères, outragent les lois de la nature, entretiennent de honteux commerces et ne songent pas à se convertir. Vous avez vivement approuvé, vous avez applaudi ; mais tout en applaudissant, prenez garde qu’on n’en dise autant de vous. Soyez donc tous des hommes, je vous en prie ; car, si nous sommes des enfants, comment leur apprendrons-nous à devenir des hommes ? Comment les retirerons-nous de leur puérile folie ? Soyons des hommes, pour parvenir à la mesure de l’âge déterminée par le Christ et obtenir les biens à venir par la grâce et la bonté, etc.

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HOMÉLIE V.


EN EFFET, CONSIDÉREZ, MES FRÈRES, QUI SONT CEUX, D’ENTRE VOUS QUI ONT ÉTÉ APPELÉS. IL Y EN À PEU DE SAGES SELON LA CHAIR, PEU DE PUISSANTS, PEU DE NOBLES. MAIS DIEU À CHOISI LES MOINS SAGES SELON LE MONDE, POUR CONFONDRE LES SAGES. (VERS. 26, 27, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)



ANALYSE.
  • 1. Les simples se sont convertis en plus grand nombre que les savants.
  • 2. Toute gloire appartient à Dieu ; les hommes ne doivent donc pas se l’attribuer.
  • 3-6. De la difficulté que les apôtres devaient naturellement rencontrer dans l’établissement de la foi, si Jésus-Christ ne les eût aidés. – Des avantages d’une vie laborieuse et occupée comme celle des artisans. – Que les militaires ne doivent point se dispenser à cause de leur profession de servir Dieu et de s’appliquer aux lectures saintes.

1. Après avoir, dit que ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes, il a démontré, par le témoignage des Écritures et par la marche des événements, que la sagesse humaine a été rejetée ; d’après le témoignage des Écritures, puisqu’il est dit : « Je perdrai la sagesse des sages » ; d’après la marche des événements, quand il pose cette interrogation : « Que sont devenus les sages ? Que sont devenus les docteurs de la loi ? » De plus il a fait voir que ce n’était point une chose nouvelle, mais ancienne, désignée d’avance et prédite : « Car il est écrit : Je perdrai la sagesse des sages ». Ensuite il a démontré que tout cela était utile et raisonnable : « Le monde, n’ayant point connu Dieu au moyen de la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient en lui » ; puisque la croix est une preuve de puissance et de sagesse infinie, et que ce qui paraît folie en Dieu surpasse de beaucoup la sagesse humaine. Il le prouve de nouveau, non plus par les maîtres, mais par les disciples : « Considérez », dit-il, « qui sont ceux d’entre vous qui ont été appelés ». Car Dieu n’a pas seulement choisi des ignorants pour maîtres, mais aussi pour disciples : « Il y en a peu de sages selon la chair ». Il y a donc dans cette prédication plus de force et plus de sagesse, puisqu’elle entraîne la multitude et persuade même les ignorants. Il est en effet très difficile de convaincre un ignorant, surtout quand il s’agit de choses importantes et nécessaires. Et cependant les apôtres l’ont fait, et il appelle les Corinthiens eux-mêmes en témoignage : « Considérez, mes frères, qui « sont ceux d’entre vous qui ont été appelés » ; examinez, écoutez. Car la plus grande preuve de la sagesse du maître, c’est que des ignorants aient accepté des enseignements si sages, plus sages que tous les autres. Que veut dire : « Selon la chair ? » C’est-à-dire, d’après les apparences, au point de vue de la vie présente et de la doctrine du dehors. Ensuite pour ne pas se contredire lui-même (car il a convaincu le proconsul, l’aréopagite, ainsi qu’Apollon ; et nous savons que d’autres sages ont assisté à sa prédication), il ne dit pas : Il n’y en a point de sages, mais : « Il y en a peu de sages ». Car il n’appelait point exclusivement les ignorants et ne renvoyait pas les sages ; il admettait ceux-ci, mais en bien plus grand nombre ceux-là. Pourquoi ? – Parce que celui qui, est sage selon la chair est rempli de beaucoup de folie, et qu’il est surtout insensé en ce qu’il ne veut pas rejeter une doctrine corrompue.
Si un médecin voulait enseigner son art, ceux de ses auditeurs qui en auraient déjà quelque notion fausse, contraire aux principes, et qui tiendraient à la conserver, n’accueilleraient pas facilement ses leçons, tandis que ceux qui ne sauraient rien les recevraient volontiers. Il en a été de même ici : les ignorants ont été persuadés les premiers, parce qu’ils n’avaient pas l’extrême folie de se croire sages. Car c’est le comble de la folie de chercher par le raisonnement ce qui ne peut se découvrir que par la foi. Si un forgeron, retirant le fer rouge du feu, s’avisait d’y employer ses mains au lieu de tenailles, il serait certainement regardé comme un fou. Ainsi en est-il des philosophes qui veulent découvrir ces choses par eux-mêmes, au mépris de la foi. Aussi n’ont-ils rien trouvé de ce qu’ils cherchaient. « Peu de puissants, peu de nobles ». Les puissants et les nobles sont remplis d’orgueil. Or, rien n’est aussi inutile pour arriver à la connaissance de Dieu que l’arrogance et l’attachement aux richesses. De là vient qu’on admire les choses présentes, qu’on ne tient aucun compte des choses à venir, et que la multitude des soucis bouche les oreilles. « Mais Dieu a choisi les moins sages selon le monde ». Car c’est là le plus grand signe de supériorité : vaincre par des ignorants.
2. En effet, les Grecs ne rougissent pas autant d’être vaincus par des sages ; mais ce qui les couvre de honte, c’est de se voir dépassés en philosophie par un artisan, par un homme du peuple. Aussi l’apôtre dit-il : « Pour confondre les sages ». Et ce n’est pas en ce point seulement, mais aussi en ce qui touche les autres avantages de la vie, que Dieu a ainsi procédé. Car « il a choisi les faibles selon le monde, pour confondre les forts ». Ce ne sont pas seulement des ignorants, mais des pauvres, des hommes méprisés et obscurs, qu’il a appelés pour humilier ceux qui étaient constitués en puissance. « Et les plus vils et les plus méprisés selon le monde, et ce qui n’était rien pour confondre ce qui est ». Et qu’appelle-t-il ici : « ce qui n’est rien ? » Ceux qui sont considérés comme rien, parce qu’ils n’ont aucune valeur. Dieu a fait preuve d’une grande puissance en renversant les grands par ceux qui semblent n’être rien. C’est ce qu’il exprime ailleurs, quand il dit : « Ma puissance éclate davantage dans la faiblesse ». (2Cor. 12,9) C’est en effet une marque de grand pouvoir que des hommes sans valeur, dépourvus de toute instruction, aient subitement appris à raisonner sur des questions plus élevées que le ciel. Nous admirons surtout le médecin, le rhéteur, ou tout autre maître, quand ils instruisent et forment parfaitement des ignorants. En cela, Dieu n’a pas seulement voulu faire un miracle et prouver sa puissance, mais réprimer la vaine gloire. Ce qui faisait dire d’abord à Paul : « Pour confondre les sages, pour détruire ce qui est » ; et ensuite : « Afin qu’aucun homme ne se glorifie devant Dieu ». Car Dieu fait tout pour réprimer l’orgueil et la présomption, pour abattre la vaine jactance, et vous y persévérez ? Il fait tout pour que nous ne nous attribuions rien et que nous lui rapportions tout, et vous vous êtes livrés à un tel et à un tel ? Quel pardon obtiendrez-vous ? Dieu nous a prouvé, et cela dès le commencement, que nous ne pouvons pas nous sauver par nous-mêmes. Car déjà alors les hommes ne pouvaient pas se sauver par eux-mêmes, mais ils avaient besoin de considérer la beauté du ciel, l’étendue de la terre et les autres corps créés, pour pouvoir s’élever jusqu’à l’auteur de ces ouvrages. Son but était déjà de réprimer d’avance la vaine estime de la sagesse.
De même qu’un maître qui invite un élève à le suivre, et le voit rempli de préjugé et résolu à tout apprendre par lui-même, l’abandonne à son erreur, puis lui prouvant qu’il ne saurait suffire à sa propre instruction, en prend occasion de lui exposer sa doctrine : ainsi Dieu dès le commencement a invité les hommes à le suivre par le moyen de la création ; puis comme ils s’y refusaient, il leur a d’abord prouvé qu’ils ne pouvaient pas se suffire à eux-mêmes, et il les a appelés à lui par une autre voie : pour livre, il leur a donné le monde. Les philosophes n’ont pas su le méditer, ils n’ont point voulu obéir à Dieu, ni aller à lui par le chemin qu’il leur indiquait. Il a employé un autre moyen plus clair que le premier, pour convaincre l’homme qu’il ne peut se suffire à lui-même. Car alors il était permis d’employer le raisonnement, de tirer parti de la sagesse extérieure en se laissant guider par les choses créées ; mais maintenant, à moins d’être fou, c’est-à-dire, à moins de se dégager de tout raisonnement et de toute sagesse, et de s’abandonner à la foi, il est impossible d’être sauvé. Et ce n’est pas peu de chose d’avoir, en facilitant ainsi la voie, extirpé l’ancienne maladie, en sorte que les hommes ne se glorifient plus et soient sans orgueil « Afin qu’aucun homme ne se glorifie ». Car le mal venait de là : de ce que les hommes prétendaient être plus sages que les lois de Dieu et ne voulaient point s’instruire selon ses ordres. Aussi n’ont-ils absolument rien appris.
Et il en a été ainsi dès le commencement. Dieu avait dit à Adam : Fais ceci, et évite cela. Mais Adam voulant trouver quelque chose de plus, n’obéit pas et perdit ce qu’il avait. Dieu dit ensuite aux hommes : Ne vous arrêtez pas à la créature, mais par elle contemplez le Créateur. Et les hommes, comme s’ils eussent trouvé quelque chose de plus sage que ce qu’on leur avait dit, s’engagèrent dans mille labyrinthes. De là des contradictions sans fin et avec eux-mêmes et avec les autres ; et ils ne trouvèrent point Dieu, ne surent rien de clair sur la création, n’en eurent pas même une idée raisonnable et vraie. De nouveau pour ébranler vivement leur présomption, il suscita d’abord des ignorants, afin de montrer que tous ont besoin de la sagesse d’en haut. Et ce n’est pas seulement en matière de connaissance, mais pour toute autre chose qu’il a voulu faire sentir le besoin que les hommes et toutes les créatures ont de lui, afin que les liens de l’obéissance et de la soumission étant plus forts, on ne courût point à sa perte par la résistance. Voilà pourquoi il n’a pas voulu que les hommes se suffisent. Car si beaucoup le dédaignent malgré le besoin qu’ils ont de lui, à quel degré d’orgueil ne seraient-ils pas montés, s’il en eût été autrement ?
Ce n’est donc point par jalousie que l’apôtre combat leur vaine ostentation, mais pour les préserver de la ruine qu’elle engendre. « C’est de lui que vous avez été établis en Jésus-Christ, qui nous a été donné de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption ». Ces mots : « De lui », ne se rapportent point ici, ce me semble, à là production, à l’existence, mais à la foi ; il veut dire que les enfants de Dieu ne sont point formés du sang et de la volonté de la chair. Ne pensez donc pas qu’après nous avoir guéris de la vaine gloire, il nous laisse là : non ; il nous fournit une raison plus haute de nous glorifier. Il ne faut pas se glorifier devant lui. Vous êtes ses enfants, et vous l’êtes devenus par le Christ. En disant : « Il a choisi les moins sages selon le monde, les plus méprisables selon le monde », il fait voir que la plus grande noblesse est d’avoir Dieu pour Père. Or cette noblesse, nous ne la devons point à un tel ou à un tel, mais au Christ qui nous a rendus sages, justes et saints : car c’est le sens de ces paroles : « Qui est devenu notre sagesse ».
3. Qui donc est plus sage que nous qui possédons, non la sagesse de Platon, mais le Christ lui-même, par la volonté de Dieu ? Que veulent dire ces mots : « Qui nous a été donné de Dieu ? » Après avoir dit de grandes choses du Fils unique, il ajoute le nom du Père, pour que personne ne pense que le Fils ne soit pas engendré. Après avoir dit qu’il a pu de si grandes choses, et lui avoir tout attribué en disant qu’il est devenu notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, il ramène de nouveau tout au Père par le Fils, en disant : « Qui nous a été donné de Dieu ». Pourquoi n’a-t-il pas dit : qui nous a rendu sages, mais « qui est devenu notre sagesse ? » C’est pour nous faire sentir l’excellence du don ; car c’est comme s’il disait : Qui s’est donné lui-même à nous. Et voyez comme il procède. D’abord le Christ nous a rendus sages en nous délivrant de l’erreur ; ensuite il nous a rendus justes et saints en nous donnant l’Esprit, et nous a délivrés de tous les maux, de manière que nous soyons à lui, non par l’essence, mais par la foi. En effet, ailleurs l’apôtre dit : Que nous sommes justes de la justice de Dieu, dans ce passage : « Pour l’amour de nous il a traité celui qui ne connaissait point le péché, comme s’il eût été le péché, afin qu’en lui nous devinssions justes de la justice de Dieu ». (2Cor. 5,21) Maintenant il dit qu’il est devenu notre justice, en sorte que chacun peut à volonté y participer abondamment. Car ce n’est pas un tel ou un tel qui nous a rendus justes, mais le Christ. Que celui qui se glorifie se glorifie donc en lui, et non dans un tel ou un tel. Tout est l’œuvre du Christ. C’est pourquoi, après avoir dit : « Qui est devenu notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption », il ajoute : « Afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur ». (Jer. 9,23)
Voilà pourquoi encore il se déchaîne vivement contre la sagesse des Grecs, afin de persuader par là même aux hommes de se glorifier en Dieu, comme cela est juste. Rien n’est plus fou, rien n’est plus faible que nous, quand nous voulons chercher par nous-mêmes ce qui est au-dessus de nous. Nous pouvons avoir une langue exercée, mais non des croyances solides ; par eux-mêmes nos raisonnements ressemblent à des toiles d’araignées. Quelques-uns ont poussé la folie jusqu’à soutenir qu’il n’y a rien de vrai, et que tout est contraire aux apparences. Ne vous attribuez donc rien, mais pour tout glorifiez-vous en Dieu ; n’attribuez jamais rien à personne. Car si l’on ne peut rien attribuer à Paul, encore bien moins à tout autre. « J’ai planté », dit-il, « Apollon a arrosé, mais Dieu a fait croître ». (1Cor. 3,6) Celui qui a appris à se glorifier en Dieu, ne s’enorgueillira jamais, mais il sera toujours modeste et reconnaissant. Tels ne sont pas les Grecs qui s’attribuent tout à eux-mêmes. Aussi élèvent-ils les hommes au rang des dieux, tant leur orgueil les a égarés ! C’est maintenant l’heure d’entrer en lutte avec eux. Où en sommes-nous restés hier ? Nous disions qu’humainement il n’était pas possible que des pêcheurs l’emportassent sur des philosophes ; et pourtant cela est devenu possible ; donc c’est évidemment l’effet de la grâce. Nous disions qu’il n’était pas possible qu’ils imaginassent de tels succès ; et nous avons montré qu’ils ne les ont pas seulement conçus, mais réalisés entièrement et avec une grande facilité.
Aujourd’hui nous traiterons ce point capital de la question, à savoir : d’où leur serait venu l’espoir de triompher du monde entier, s’ils n’avaient pas vu le Christ ressuscité. Dans quel accès de folie auraient-ils rêvé une chose si absurde, si téméraire ? Car espérer une telle victoire sans la grâce de Dieu, c’est assurément le comble de la démence. Et comment, dans le délire de la folie, en seraient-ils venus à bout ? Mais s’ils jouissaient de leur bon sens, comme l’événement l’a prouvé, comment douze hommes auraient-ils osé provoquer de tels combats, braver la terre et la mer, songer à réformer les mœurs du monde entier, si affermies par le temps, et soutenir l’assaut avec tant de courage, s’ils n’eussent reçu d’en haut des gages assurés, et n’eussent obtenu la grâce divine ? Bien plus encore : comment, en promettant le ciel et les demeures suprêmes, auraient-ils espéré convaincre leurs auditeurs ? Eussent-ils été élevés dans la gloire, dans la richesse, dans la puissance, dans l’instruction, ils n’auraient sans doute pas osé aspirer à une œuvre aussi hardie ; cependant leur espoir aurait eu quelque apparence de raison. Mais ce sont des pêcheurs, des fabricants de tentes, des publicains ; tous métiers les moins propres à la philosophie, les moins capables d’inspirer de grands projets, surtout quand il n’y a pas de précédents. Or, non seulement ils n’avaient pas d’exemples qui leur promissent la victoire, mais il y en avait, et de tout récents, qui leur présageaient la défaite. Plusieurs, je ne dis pas parmi les Grecs (il ne s’agissait pas encore d’eux alors), mais parmi les Juifs contemporains, pour avoir essayé d’innover, avaient péri ; et ce n’était pas à la tête de douze hommes, mais avec une multitude de partisans, qu’ils avaient mis la main à l’œuvre. En effet, Theudas et Judas, appuyés de nombreux partisans, avaient succombé avec eux. De tels exemples étaient bien propres à effrayer les apôtres, s’ils n’eussent été parfaitement convaincus qu’on ne peut triompher sans la puissance de Dieu. Et, même avec la confiance dans la victoire, quelle espérance les eût soutenus au milieu de tant de périls, s’ils n’avaient eu les yeux fixés sur l’avenir ? Supposons qu’ils comptaient triompher ! Mais à quels profits aspiraient-ils en menant le monde entier aux pieds d’un homme qui, selon vous, n’était point ressuscité ?
4. Si maintenant des hommes qui croient au royaume du ciel et à des biens infinis, ont tant de peine à soutenir les épreuves, comment les apôtres auraient-ils supporté tant de travaux sans espoir d’en rien recueillir, sinon des maux ? Car si rien de ce qui s’était réellement passé n’avait eu lieu, si le Christ n’était point monté au ciel, ceux qui forgeaient ces contes et cherchaient à les persuader aux autres, offensaient Dieu et devaient s’attendre à être mille fois frappés de la foudre. Que s’ils eussent eu un tel zèle du vivant du Christ, ils l’eussent perdu après sa mort ; car, n’étant pas ressuscité, il n’eût plus été à leurs yeux qu’un imposteur et un fourbe. Ne savez-vous pas qu’une armée, même faible, tient ferme tant que le général et le prince vivent ; et que, bien que forte, elle se dissout dès qu’ils sont morts ?
Quels motifs plausibles, dites-le-moi, les auraient déterminés à entreprendre la prédication et à parcourir le monde entier ? Quels obstacles ne les auraient pas retenus ? S’ils étaient fous (je ne cesserai de le répéter), rien, absolument rien, ne leur eût réussi : car personne ne croit à des fous. Mais s’ils ont réussi, comme le fait l’a prouvé, c’est donc une preuve qu’ils étaient les plus sages des hommes. Mais s’ils étaient les plus sages des hommes, il est évident qu’ils n’avaient point entrepris la prédication au hasard. Et s’ils n’avaient pas vu le Christ ressuscité, à quoi bon commencer une telle guerre ? Tout ne les en eût-il pas détournés ? Il leur a dit : Je ressusciterai dans trois jours : il leur a promis le royaume des cieux ; il leur a annoncé qu’après avoir reçu le Saint-Esprit ils soumettront la terre entière ; il leur a dit mille autres choses encore, infiniment élevées au-dessus de la nature. En sorte que, si rien de cela n’était arrivé, eussent-ils cru en lui pendant qu’il vivait, ils auraient cessé d’y croire après sa mort, s’ils ne l’avaient vu ressuscité. Ils auraient dit : Il avait annoncé qu’il ressusciterait après trois jours, et il n’est pas ressuscité ; il avait promis d’envoyer l’Esprit et il ne l’a pas envoyé ; comment croirons-nous à ce qu’il a dit de l’avenir, quand ce qu’il a dit du présent est convaincu de fausseté ? Comment auraient-ils prêché la résurrection d’un homme qui ne serait pas ressuscité ? Parce qu’ils l’aimaient, dira-t-on. Mais ils l’eussent dès lors pris en haine, lui qui les avait trompés, et trahis ; lui qui, par mille menteuses promesses, les avait arrachés à leurs maisons, à leurs parents, à tout ce qu’ils possédaient, lui qui, après avoir excité contre eux tout le peuple juif, les avait enfin abandonnés. Si c’eût été là un simple effet de faiblesse, ils l’eussent peut-être pardonné ; mais il fallait maintenant y voir une grande scélératesse. Car il devait dire la vérité, et ne pas promettre le ciel, puisque, selon vous, il n’était qu’un homme. C’était donc une conduite tout opposée qu’ils auraient dû tenir, c’est-à-dire proclamer qu’ils avaient été trompés et le dénoncer comme un fourbe et un charlatan ; par là ils eussent échappé aux dangers et mis fin à la guerre.
Si les Juifs ont payé des soldats pour dire que le corps avait été enlevé, quel honneur n’eussent pas obtenu les disciples s’ils avaient dit en passant : C’est nous qui l’avons enlevé, il n’est point ressuscité ? Ils pouvaient donc recevoir des honneurs et des couronnes. Pourquoi alors auraient-ils préféré les injures et les périls, si une force divine, plus puissante que tout le reste, ne les y eût déterminés ? Et si ce raisonnement ne vous convainc pas encore, faites celui-ci : Si les choses n’eussent pas été ainsi, quelque décidés qu’ils y fussent d’abord, ils ne l’auraient point pris pour sujet de leur prédication ; ils l’auraient au contraire pris en aversion : car vous savez bien que nous ne voulons pas même entendre prononcer le nom de ceux qui nous ont ainsi trompés. Et pourquoi l’auraient-ils prêché, ce nom ? Dans l’espoir de vaincre par lui ? C’était tout le contraire qu’ils devaient attendre puisque, même après la victoire, ils seraient morts en prêchant le nom d’un imposteur. Que s’ils voulaient jeter un voile sur le passé, il fallait se taire : car engager le combat, c’était donner un nouvel aliment à la guerre et au ridicule. D’où leur serait venue la pensée de forger de telles inventions ? Ils avaient perdu le souvenir de tout ce qu’ils avaient entendu. Et si, au rapport de l’évangéliste, ils avaient oublié bien des choses et n’en avaient pas compris d’autres, alors même qu’ils n’avaient rien à craindre ; comment tout ne leur aurait-il pas échappé, au milieu d’un si grand péril ? Mais à quoi bon dire cela, quand leur affection pour le maître était déjà affaiblie par la crainte de l’avenir, ainsi qu’il le leur reprocha lui-même un jour. Car comme suspendus à sa bouche, ils lui avaient souvent demandé auparavant : Où allez-vous ? et qu’ensuite après l’avoir entendu longuement exposer les maux qu’il devait subir dans le temps de sa passion, ils restaient bouche béante et muette de terreur, écoutez comme il le leur fait sentir, en disant : « Aucun de vous ne me demande : Où allez-vous ? mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cœur ». (Jn. 16,6, 6) Si donc ils étaient déjà tristes quand ils s’attendaient à sa mort et à sa résurrection ; comment, ne le voyant pas ressuscité, auraient-ils pu vivre ? Comment, découragés par la déception et épouvantés des maux à venir, n’auraient-ils pas désiré rentrer dans le sein de la terre ?
5. Mais d’où leur sont venus ces dogmes sublimes ? Et il leur avait annoncé qu’ils en entendraient de plus sublimes encore. « J’ai encore bien des choses à vous dire », leur disait-il, « mais vous ne pouvez les porter présentement ». Ce qu’il ne disait pas était donc encore plus élevé. Mais un des disciples, entendant parler de dangers, ne voulait pas même aller en Judée avec lui. « Allons-y aussi nous », disait-il, « afin de mourir avec lui ». (Idem, 11,16) L’attente de la mort lui était pénible. Mais si, étant avec lui, il s’attendait à mourir et s’en effrayait pourtant, à quoi, séparé de lui et des autres disciples, n’aurait-il pas dû s’attendre ? Et c’eût été d’ailleurs une grande preuve d’impudence. Qu’auraient-ils eu à dire ? Le monde entier connaissait la Passion ; le Christ avait été suspendu au gibet en plein jour, dans une capitale, pendant la fête principale, celle dont il était le moins permis de s’absenter ; mais aucun étranger ne connaissait la résurrection : ce qui n’était pas un petit obstacle au succès de leur prédication. La rumeur disait partout qu’il avait été enseveli ; les soldats et tous les Juifs affirmaient que son corps avait été enlevé par ses disciples ; mais aucun étranger ne savait qu’il fût ressuscité. Comment auraient-ils espéré en convaincre l’univers ? Si on avait pu déterminer des soldats, malgré des miracles, à attester le contraire, comment sans miracle auraient-ils eu la confiance de prêcher, et pu croire, eux qui n’avaient pas une obole, qu’ils persuaderaient le monde entier de la résurrection ?
S’ils agissaient par ambition de la gloire, ils se seraient attribué leur doctrine bien plutôt qu’à un mort. Mais on ne l’aurait point acceptée, dit-on. Et de qui l’eût-on plutôt acceptée ou d’un homme qui avait été pris et crucifié, ou d’eux qui avaient échappé aux mains des Juifs ? Et pourquoi, de grâce, s’ils devaient prêcher, ne pas quitter aussitôt la Judée, et se rendre dans les villes étrangères, au lieu de rester dans le pays ? Et comment auraient-ils fait des disciples, s’ils n’eussent opéré des miracles ? Or, s’ils faisaient des miracles (et ils en faisaient), ce ne pouvait, être que par la puissance de Dieu ; et s’ils eussent triomphé sans en faire, c’eût été bien plus étonnant encore. Ne connaissaient-ils pas, dites-moi, le peuple juif, ses mauvaises dispositions, son esprit de jalousie ?
Ils avaient lapidé Moïse après le passage de la mer à pied sec, après cette victoire, après ce trophée remporté contre les Égyptiens, leurs oppresseurs, par les mains de ce grand homme sans effusion d’une goutte de sang ; après avoir mangé la manne ; après avoir vu des torrents d’eau couler du rocher ; après les mille prodiges de l’Égypte, de la mer Rouge et du désert, ils avaient jeté Jérémie dans la citerne et mis à mort beaucoup de prophètes.
Écoutez ce que dit Élie, quand il est forcé de s’éloigner du pays, après la terrible famine et la pluie miraculeuse, et la flamme qu’il a fait descendre du ciel, et le merveilleux holocauste : « Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont détruit vos autels ; je suis demeuré seul, et ils en veulent encore à ma vie ». (1R. 19,10) Et pourtant ceux-là ne touchaient point à la loi. Comment donc, dites-le-moi, aurait-on écouté les apôtres ? Car ils étaient les plus misérables des hommes, et ils prêchaient les nouveautés qui avaient valu la croix à leur maître.
Du reste, ce n’était pas une grande preuve d’habileté chez eux que de répéter ce que le Christ avait dit. On avait pu croire que le Christ agissait par amour de la gloire ; on n’en aurait que plus haï ses disciples qui reprenaient la guerre au profit d’un autre. Mais, objectera-t-on, la loi romaine les favorisait. Ils y trouvaient, au contraire, un nouvel obstacle : car les Juifs avaient dit : « Quiconque se fait roi, n’est pas l’ami de César ». (Jn. 19,12) Ainsi cela seul eût suffi à les entraver, d’être les disciples d’un homme qui était censé avoir voulu se faire roi et de soutenir son parti. Où donc auraient-ils puisé le courage de se jeter dans de tels dangers ? Que pouvaient-ils dire de lui qui fût propre à leur attirer la confiance ? Qu’il avait été crucifié ? qu’il était né d’une pauvre mère juive, mariée à un charpentier juif ? qu’il appartenait à une nation haïe du monde entier ? Mais tout cela était plus propre à irriter qu’à persuader et qu’à attirer des auditeurs, surtout dans la bouche d’un fabricant de tentes et d’un pêcheur. Et les disciples n’avaient-ils pas songé à tout cela ? Les natures timides (et telles étaient les leurs) savent s’exagérer les choses. D’où auraient-ils pu espérer le succès ? Ils en auraient désespéré au contraire, quand tant de raisons les détournaient de l’entreprise, si le Christ n’était pas ressuscité.
6. Les moins intelligents ne comprennent-ils pas que si les apôtres n’avaient reçu une grâce abondante et n’avaient eu des preuves certaines de la résurrection, non seulement ils n’eussent pas formé et entrepris un tel dessein, mais qu’ils n’en auraient pas même eu la pensée ? Et si, malgré tant d’obstacles, je ne dis pas à la réussite, mais à l’idée même de l’entreprise, ils l’ont cependant formée et réalisée au-delà, de toute espérance, n’est-il pas évident pour tout le monde que ce n’est point là l’effet de la puissance humaine, mais de la grâce divine ?
Méditons donc ces sujets, non seulement avec nous-mêmes, mais aussi avec les autres ; ce sera le moyen d’arriver plus facilement à ce qui doit suivre. Et ne dites pas que vous n’êtes qu’un artisan, et que ces études vous sont étrangères. Paul était fabricant de tentes, et pourtant (il nous le dit lui-même) il fut rempli d’une grâce abondante, et ne parlait que par son inspiration. Avant de l’avoir reçue, il était aux pieds de Gamaliel, et il ne la reçut que parce qu’il s’en était montré digne ; puis après, il reprit son métier. Que personne ne rougisse donc d’être ouvrier ; mais que ceux-là rougissent qui vivent dans l’inutilité et la paresse, qui ont besoin de beaucoup de soins et de nombreux serviteurs. Car il y a une sorte de philosophie à ne gagner sa nourriture que par son travail ; l’âme en devient plus pure, le caractère plus ferme. L’homme oisif parle bien plus au hasard, agit souvent sans but, passe des journées entières à ne rien faire, engourdi par la paresse ; chez l’ouvrier, au contraire, il y a peu d’actions, de paroles ou de pensées inutiles : car une vie laborieuse tend tous les ressorts de l’âme. Ne méprisons donc point ceux qui gagnent leur vie par leur travail ; félicitons-les plutôt. Quel mérite avez-vous, dites-moi, à passer votre vie à ne rien faire et à dépenser inutilement l’héritage que vous avez reçu de votre père ? Ne savez-vous pas que nous ne rendrons pas tous le même compte ? que ceux qui auront joui d’une plus grande abondance seront jugés plus sévèrement, tandis qu’on traitera avec plus d’indulgence ceux qui auront supporté les travaux, la pauvreté ou d’autres incommodités de ce genre ? La parabole de Lazare et du mauvais riche est là pour le prouver. Vous serez justement accusé, vous qui n’employez vos loisirs à la pratique d’aucun devoir ; mais le pauvre qui consacrait au devoir le temps que le travail lui laissait libre, recevra une riche couronne.
M’objecterez-vous que vous êtes soldat et que cet état ne vous laisse pas de loisir ? Mais cette excuse n’est pas raisonnable. Corneille était centurion, et cela ne l’empêchait point de remplir exactement ses devoirs. Quand il s’agit de fréquenter les danses et les comédies, de passer toute votre vie au théâtre, vous n’objectez plus l’état militaire ni la crainte des magistrats ; mais quand nous vous appelons à l’église, mille obstacles se lèvent. Et que direz-vous en ce jour terrible où vous verrez les torrents de flamme, les chaînes qui ne se brisent plus, où vous entendrez les grincements de dents ? Qui est-ce qui prendra votre défense, quand vous verrez l’ouvrier qui aura bien vécu, nager au sein de la gloire ; tandis que vous, jadis si mollement vêtu et respirant l’odeur des parfums, vous subirez des supplices sans fin ? À quoi vous serviront vos richesses et votre opulence ? En quoi la pauvreté nuira-t-elle à l’artisan ? Afin donc d’éviter ces malheurs, méditons ces paroles en tremblant, et employons tous nos loisirs aux œuvres nécessaires. Ainsi, après avoir obtenu de Dieu le pardon de nos fautes passées, et au moyen de nos bonnes œuvres à venir, nous pourrons obtenir le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

==HOMÉLIE VI.==
POUR MOI, MES FRÈRES, LORSQUE JE SUIS VENU VERS VOUS POUR VOUS ANNONCER LE TÉMOIGNAGE DE DIEU, JE N’Y SUIS POINT VENU AVEC LE LANGAGE ÉLEVÉ DE L’ÉLOQUENCE OU DE LA SAGESSE. CAR JE N’AI POINT FAIT PROFESSION DE SAVOIR AUTRE CHOSE PARMI VOUS QUE JÉSUS-CHRIST, ET JÉSUS-CHRIST CRUCIFIÉ. (CHAP. 2, VERS. 1, 2, JUSQU’AU VERS. 5)

ANALYSE.

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  • 1. Que saint Paul n’a point usé de l’éloquence humaine dans sa prédication.
  • 2 et 3. Réponse à cette objection : Mais si la prédication doit l’emporter sans le secours de la sagesse humaine, pourquoi ne voit-on plus maintenant de miracles. – Au lieu des miracles, il y a maintenant des prophéties qui s’accomplissent. – On remarquera combien cet argument de saint Chrysostome s’est encore fortifié depuis lui jusqu’à nous, car les prophéties dont il parle s’accomplissent encore.
  • 4. Que c’est la corruption des mœurs des chrétiens qui empêche les infidèles de se convertir.


1. Rien de plus ardent au combat que l’âme de Paul ; non pas que l’âme de Paul (car ce n’est pas lui qui a inventé ceci), mais que la grâce sans égale qui opère en lui et triomphe de tout. Ce qu’il a dit plus haut suffirait à abattre l’orgueil de ceux qui se glorifiaient de leur sagesse ; une partie même aurait suffi. Mais pour faire ressortir l’éclat de la victoire, il entreprend, de nouvelles luttes, en foulant aux pieds les adversaires qu’il a terrassés. Examinez, en effet : il a rappelé la prophétie qui dit : « Je détruirai la sagesse des sages » ; il a montré la sagesse de Dieu qui a abattu, au moyen d’une folie apparente, la philosophie profane ; il a fait voir que la folie en Dieu est plus sage que les hommes ; il a démontré que Dieu n’a pas seulement enseigné par des ignorants, mais encore appelé des ignorants ; maintenant il prouve que le sujet même et le mode de la prédication étaient propres à causer du trouble, et n’en ont cependant point causé, non seulement, dit-il, les disciples étaient ignorants ; mais, moi qui prêche, je le suis aussi. De là ces paroles : « Pour moi, mes frères » (il leur donne de nouveau le nom de frères, pour adoucir la rudesse de son langage), « je ne suis point venu avec le langage élevé de l’éloquence pour vous annoncer le témoignage de Dieu ». Eh ! dis-nous, Paul, que serait-il arrivé si tu avais voulu venir avec le langage élevé de l’éloquence ? L’aurais-tu pu ? Non : quand je l’aurais voulu, je ne l’aurais pas pu ; mais le Christ l’aurait pu, s’il l’avait voulu. Et il ne l’a pas voulu, pour rendre la victoire plus éclatante. C’est pour cela qu’indiquant plus haut que le Christ avait agi en cela et avait voulu que la parole fût prêchée par des ignorants, il disait : « Le Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour évangéliser, non toutefois par la sagesse de la parole ». Or, que ce soit là la volonté du Christ et non celle de Paul, c’est beaucoup plus grand, c’est infiniment plus grand. Par conséquent, dit-il, ce n’est pas pour faire parade d’éloquence, ni armé de discours profanes, que je viens annoncer le témoignage de Dieu. Il ne dit pas : la prédication ; mais : « Le témoignage de Dieu » : ce qui était encore bien propre à inspirer de l’éloignement ; car c’était la mort qu’il prêchait partout. Aussi ajoute-t-il : « Je n’ai point fait profession de savoir autre chose parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ». Et il disait cela parce qu’il n’y avait absolument rien en lui de la sagesse du monde, comme il l’exprimait plus haut : « Je ne suis pas venu avec le langage élevé de l’éloquence ».
Il est cependant évident qu’il aurait pu l’avoir : car si ses vêtements ressuscitaient les morts, si l’ombre de son corps chassait les maladies, à bien plus forte raison son âme aurait-elle pu recevoir le don de l’éloquence mais l’un s’obtient par l’étude ; l’autre est au-dessus de toute industrie humaine. Or celui qui savait le plus, pouvait encore mieux savoir le moins. Mais le Christ ne le permit pas, car c’était inutile. Il a donc raison de dire : « Je n’ai pas fait profession de savoir quelque chose » ; car je veux ce que veut le Christ. Il me semble que, pour réprimer leur orgueil, il leur parle avec plus d’humilité qu’aux autres. Ces mots : « Je n’ai pas fait profession de rien savoir », sont dits par opposition à la sagesse profane. Je ne suis pas venu pour enchaîner des raisonnements ou des sophismes ; je n’ai qu’une chose à vous dire, à savoir que Jésus-Christ a été crucifié. Ceux-là vous disent mille choses, vous font de nombreux et longs discours, construisent des raisonnements et des syllogismes, combinent des sophismes sans fin ; pour moi je suis venu simplement vous dire que le Christ a été crucifié, et je les ai tous dépassés : preuve incontestable de la puissance de Celui que je prêche. « Et tant que j’ai été parmi vous, j’y ai été dans un état infirmité, de crainte et de tremblement ». Autre point capital, non seulement ceux qui croient sont des ignorants, non seulement celui qui parle est ignorant lui-même, non seulement le genre de prédication est dépourvu de toute science, non seulement le sujet de la prédication est propre à jeter le trouble : car c’est la croix et la mort qu’on annonce ; mais à ces obstacles d’autres s’ajoutaient encore : les périls, les embûches, la crainte de tous les jours, l’expulsion. Souvent il appelle la persécution infirmité, comme en cet autre endroit « Vous ne m’avez point méprisé à cause de l’infirmité que j’ai éprouvée dans ma chair ». (Gal. 4,13-14) Et encore : « S’il faut se glorifier, je me glorifierai de mon infirmité ». (2Cor. 11,30) De quelle infirmité ? « Celui qui était gouverneur de la province pour le roi Arétus faisait faire garde dans la ville de Damas pour m’arrêter prisonnier ». (Id) Et encore : « C’est pourquoi je me complais dans mes infirmités ». Et pour en désigner quelques-unes, il ajoute : « Dans les outrages, dans les nécessités, dans les détresses ». Et c’est là ce qu’il entend ici ; car après avoir dit : « J’ai été dans un état d’infirmité », il ne s’arrête pas là ; mais pour faire voir que par infirmité, il entend les périls, il ajoute : « J’ai été parmi vous dans un état de crainte et de grand tremblement ».
Que dites-vous ? Quoi ! Paul craignait les dangers ? Oui, il les craignait et il tremblait fort : car tout Paul qu’il était, il était homme. Et ce n’était point sa faute, mais l’infirmité de la nature ; bien plus, c’est là l’éloge de sa bonne volonté, d’avoir craint la mort et les coups, et de n’avoir rien fait d’indigne à cause de cette crainte : en sorte que prétendre qu’il n’a pas craint les coups, ce n’est point l’honorer, mais lui ravir une grande partie de l’honneur qui lui est dû. Car s’il n’avait pas craint, quelle gloire, quelle philosophie aurait-il eu à supporter les périls ? Quant à moi, c’est en cela que je l’admire : que craignant, et non seulement craignant, mais tremblant en présence des dangers, il ait néanmoins parcouru sa carrière en recueillant des couronnes ; et que, sans reculer devant aucun danger, il ait purifié le monde et semé la parole sur terre et sur mer. « Et je n’ai point employé, en vous parlant et en vous prêchant, les discours persuasifs de la sagesse humaine » ; c’est-à-dire, je n’avais point la sagesse profane. Si donc la prédication n’avait rien de sophistique, si ceux qui étaient appelés étaient des ignorants, si celui qui prêchait l’était lui-même, si la persécution était là, s’il y avait crainte et tremblement ; dites-le-moi, comment ont-ils vaincu ? Par la puissance de Dieu. Aussi, après avoir dit : « Je n’ai point employé, en vous parlant et en vous prêchant, les discours persuasifs de la sagesse humaine », ajoute-t-il : « Mais les effets sensibles de l’Esprit et de la vertu ».
2. Voyez-vous comment ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes ? Comment la faiblesse l’emporte sur la force ? Les ignorants qui prêchaient ces choses, étaient jetés dans les chaînes et proscrits, et ils triomphaient de ceux qui les repoussaient. Comment cela ? N’était-ce point parce qu’ils inspiraient la foi par l’Esprit ? Et ceci même en est une démonstration évidente. Qui donc, je vous prie, en voyant les morts ressuscités et les démons chassés, ne se serait pas rendu ? Mais comme il y a des vertus trompeuses, celles des enchanteurs par exemple, l’apôtre veut en détruire jusqu’au soupçon. Il ne dit donc pas simplement « de la vertu », mais d’abord « de l’Esprit », et ensuite « de la vertu » ; indiquant par là que ce qui se passait était l’œuvre de l’Esprit. Ainsi, pour n’être point faite à l’aide de la sagesse profane, la prédication gagnait beaucoup de prix, au lieu d’en perdre ; cela prouve donc qu’elle est divine et qu’elle prend ses racines dans le ciel. C’est pourquoi l’apôtre ajoute : « Afin que votre foi ne soit point appuyée sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu ». Voyez-vous clairement comme il démontre par tout moyen que l’ignorance est très utile et la sagesse très nuisible ? L’une prêchait la croix de Jésus-Christ, l’autre la puissance de Dieu ; mais celle-ci faisait qu’on ne trouvait rien de ce qu’il fallait et qu’on se glorifiait en soi-même ; celle-là, au contraire, déterminait à accepter la vérité et à se glorifier en Dieu. En second lieu, la sagesse eût persuadé à un grand nombre que la vérité était humaine, tandis que l’autre démontrait clairement qu’elle est divine et descendue du ciel. En effet, lorsque la démonstration se fait par l’art des discours, souvent les pires l’emportent sur les meilleurs, parce qu’ils sont plus habiles dans l’art de parler, et le mensonge l’emporte sur la vérité. Ici il n’en est pas de même : car l’Esprit n’entre pas dans l’âme impure, et quand il entre quelque part, il ne saurait jamais avoir le dessous, quelle que soit l’habileté du langage. Car la démonstration par les œuvres et par les signes est beaucoup plus évidente que celle qui se fait par la parole.
Mais, dira peut-être quelqu’un de nos adversaires, si la prédication doit l’emporter sans le secours de l’éloquence, de peur que la croix ne soit rendue inutile, pourquoi les signes ont-ils cessé maintenant ? Pourquoi ? Parlez-vous ici comme un incrédule qui n’admet point ce qui s’est passé du temps des apôtres, ou cherchez-vous réellement à apprendre la vérité ? Dans le premier cas, je m’en tiendrai à cette seule réponse : S’il n’y a pas eu de signes alors, comment, chassés, persécutés, tremblants, enchaînés, devenus les ennemis communs du genre humain, exposés aux mauvais traitements de la part de tous, n’ayant d’ailleurs rien d’attrayant par eux-mêmes, ni éloquence, ni éclat, ni richesse, ni ville, ni peuple, ni origine, ni science, ni gloire, ni rien de semblable, mais le contraire de tout cela, l’ignorance, l’obscurité, la pauvreté, la haine, l’inimitié, et tenant tête à des peuples entiers, et annonçant de telles doctrines ; comment, dis-je, persuadaient-ils ? Car leurs préceptes étaient très pénibles, leurs enseignements pleins de périls ; et ceux qui les écoutaient, ceux qu’il fallait convaincre, avaient été élevés dans la mollesse, dans l’ivrognerie, dans toutes sortes de vices. Comment ont-ils convaincu, dites-moi ? Quels titres avaient-ils à la confiance ? Si, comme je vous l’ai déjà dit, ils ont convaincu sans les signes, c’est évidemment un bien plus grand prodige.

Donc, de ce qu’il n’y a plus de signes maintenant, ne concluez pas qu’il n’y en eut point alors. Alors ils étaient utiles, aujourd’hui ils ne le seraient plus. De ce qu’on persuade aujourd’hui seulement par la parole, il ne suit pas nécessairement que la prédication se fasse par la sagesse humaine. Car ceux qui semèrent la parole dans le commencement étaient des gens simples et sans instruction, mais ils ne disaient rien d’eux-mêmes et communiquaient au monde ce qu’ils avaient reçu de Dieu ; et nous aussi aujourd’hui nous ne donnons rien de nous-mêmes, mais nous prêchons à tous ce que nous avons reçu des apôtres. Et ce n’est point non plus par le raisonnement que nous persuadons ; mais, par les divines Écritures et par les signes d’alors, nous faisons accepter ce que nous disons. Et les apôtres ne convainquaient pas seulement par des signes, mais aussi par la parole ; et leur parole était fortifiée par les signes et par les témoignages de l’Ancien Testament, et non par l’habileté du langage. Mais pourquoi, direz-vous, les signes étaient-ils alors utiles et ne le sont-ils plus aujourd’hui ? Supposons (jusqu’ici je discute avec le gentil, et voilà pourquoi je parle comme d’une hypothèse de ce qui arrivera certainement : que l’infidèle veuille bien admettre cette hypothèse pour le cours de la discussion) ; supposons, dis-je, que le Christ viendra : quand il sera venu et tous ses anges avec lui, quand Dieu aura prouvé son existence et son empire universel, le gentil lui-même ne croira-t-il pas ? Évidemment il croira, et il adorera, et il confessera que Dieu existe, fût-il d’ailleurs le plus obstiné des hommes.

3. En effet, qui donc en voyant les cieux ouverts, le Christ descendant sur les nués, environné de toutes les puissances célestes, et les torrents de flamme, et tous les hommes réunis et tremblants ; qui, dis-je, n’adorera pas et ne reconnaîtra pas qu’il y a un Dieu ? Mais, dites-moi, cette adoration et cette connaissance seront-elles comptées au gentil comme un acte de foi ? Pas le moins du monde. Pourquoi ? Parce que ce n’est point là de la foi : c’est l’effet de la nécessité, de l’évidence ; la volonté n’y est pour rien ; la grandeur du spectacle a forcé l’assentiment de l’esprit. Donc, plus les faits sont éclatants et s’imposent nécessairement à l’esprit, plus la foi est diminuée. Voilà pourquoi il n’y a plus de signes. Et, pour preuves, écoutez ce que Jésus dit à Thomas : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ». Donc, plus le signe est évident, plus le prix de la foi diminue ; et c’est ce qui arriverait maintenant, s’il y avait encore des signes. Paul nous apprend qu’un jour nous ne connaîtrons plus Dieu par la foi, quand il nous dit : « Car maintenant nous marchons « par la foi, et non encore par une claire vue ». (2Cor. 5,7) Comme donc alors l’évidence éclatante empêchera que votre foi ne vous soit imputée, ainsi en serait-il maintenant s’il y avait des signes comme autrefois. C’est quand nous admettons ce qu’il est absolument impossible de trouver par le raisonnement, que la foi existe. Voilà pourquoi Dieu nous menace de l’enfer, mais l’enfer n’est pas visible ; s’il l’était, il arriverait ce que nous disions tout à l’heure.
Du reste, si vous voulez des signes, vous en verrez, bien que d’un autre genre : de nombreuses prédictions et sur une foule de sujets, la conversion du monde entier, les barbares devenus philosophes, les mœurs sauvages adoucies, la religion propagée. – Quelles prédictions, direz-vous ? Toutes ont été faites après coup. – Mais quand, dites-moi ? Où ? Par qui ? Combien y a-t-il d’années ? Cinquante, ou cent ? Donc, auparavant, il n’y avait absolument rien d’écrit. Comment donc le monde a-t-il retenu ces dogmes et tant d’autres choses auxquelles la mémoire ne suffit pas ? Comment a-t-on su que Pierre a été attaché à la croix ? D’où est venue l’idée de prédire par exemple que l’Évangile serait prêché par toute la terre, que la loi juive cesserait, et ne se rétablirait jamais ? Et comment ceux qui livraient leur vie pour la prédication, auraient-ils souffert qu’elle fût dénaturée ? Comment, les signes ayant cessé, aurait-on ajouté foi aux écrivains ? Comment, si ces écrivains n’eussent pas été dignes de foi, leurs écrits auraient-ils pénétré chez les barbares, dans les Indes, jusqu’aux extrémités de l’Océan ? D’autre part, quels étaient ces écrivains ? Quand et où écrivaient-ils ? Pourquoi écrivaient-ils ? Était-ce pour se procurer de la gloire ? Mais alors pourquoi publier leurs livres sous d’autres noms ? Pour recommander leur enseignement, dira-t-on. Un enseignement vrai, ou un enseignement faux ? Dans le premier cas, il était peu probable qu’on vînt à eux ; dans le second, ils n’avaient pas besoin de mentir, comme vous le dites. Du reste, ces prophéties sont telles, que jusqu’à présent il n’a pas été possible de les démentir.
Il y a bien des années que Jérusalem est détruite. Il y a d’autres prophéties qui s’étendent depuis ce temps-là jusqu’à l’avènement du Christ, discutez-les comme il vous plaira ; celle-ci, par exemple : « Je suis toujours avec vous jusqu’à la consommation des siècles ». (Mt. 27,20) Et cette autre : « Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle ». (Mt. 16,18) Et encore : « Cet Évangile sera prêché dans toutes les nations » (Mt. 24,14) ; et : « Partout où cet Évangile sera prêché on dira ce qu’a fait cette femme ». (Mt. 26,13) Et beaucoup d’autres encore. Comment cette prophétie s’est-elle réalisée, si c’était une invention ? Comment les portes de l’enfer n’ont-elles pas prévalu contre l’Église ? Comment le Christ est-il toujours avec nous ? Car s’il n’y était pas, l’Église n’aurait pas triomphé. Comment l’Évangile s’est-il propagé par toute la terre ? Nos propres adversaires, Celse, et après lui Porphyre, suffisent à prouver l’ancienneté de nos livres : assurément ils n’ont pas combattu des écrits qui leur fussent postérieurs. D’autre part, le monde entier qui les a reçus unanimement, en porte aussi témoignage. Sans la grâce de l’Esprit-Saint, jamais un tel accord n’aurait eu lieu d’une extrémité du monde à l’autre ; les auteurs eussent été vite convaincus d’imposture, et des inventions et des mensonges n’auraient pas obtenu de tels succès. Ne voyez-vous pas accourir la terre entière ? l’erreur éteinte ? la philosophie des moines surpassant l’éclat du soleil ? les chœurs des vierges ? la religion répandue chez les barbares ? tous les hommes assujettis au même joug ? Et tout cela n’a pas été seulement prédit par nous, mais dès les anciens temps, par les prophètes. Et vous ne détruirez pas davantage ces antiques prophéties ; car les livres qui les contiennent sont aux mains de nos ennemis, aux mains mêmes des Grecs, qui ont eu soin de les faire traduire dans leur langue. Ces prophètes ont beaucoup prédit sur ces matières, en annonçant que c’était un Dieu qui devait venir.
4. Pourquoi donc tous ne croient-ils pas aujourd’hui ? Parce que les choses se sont détériorées, et par notre faute : car c’est de nous qu’il s’agit maintenant. Alors on ne croyait pas seulement à cause des signes ; mais l’exemple des fidèles en attirait beaucoup. « Que votre lumière », a dit Jésus-Christ, « brille aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 5,16) Alors « ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme, et nul ne considérait ce qu’il possédait comme lui appartenant en propre ; mais tout était commun entre eux et on distribuait à chacun selon ses besoins » (Act. 4,32) ; et ils menaient une vie angélique. S’il en était encore ainsi, nous convertirions le monde entier sans signes. En attendant, que ceux qui veulent être sauvés, fassent attention aux Écritures ; ils y trouveront toutes ces belles choses et de bien plus grandes encore. Car les maîtres eux-mêmes surpassaient de beaucoup les disciples, en vivant dans la faim, dans la soif et dans la nudité. Nous voulons vivre au milieu des délices, de l’oisiveté et de la licence ; il n’en était pas ainsi d’eux, qui criaient : « Jusqu’à cette heure nous souffrons la faim et la soif, la nudité et les mauvais traitements, et nous n’avons point de demeure fixe ». (1Cor. 4,11) L’un courait de Jérusalem en Illyrie ; celui-ci chez les Indiens, celui-là chez les Maures ; d’autres dans d’autres parties de l’univers ; nous, nous n’osons pas sortir de notre patrie, nous recherchons les délices, les demeures splendides, l’abondance de toutes choses. Qui de nous a enduré la faim pour la parole de Dieu ? qui a vécu dans la solitude ? qui a entrepris de longs voyages ? quel maître, vivant du travail de ses mains, est venu en aide aux autres ? qui a souffert une mort de tous les jours ? Aussi ceux qui vivent au milieu de nous, en deviennent plus lâches. En effet, si l’on voyait des soldats et des généraux, luttant avec la faim, la soif, la mort et tous les maux ; supportant le froid, les périls et tout autre inconvénient avec le courage des lions, combattre néanmoins et remporter la victoire ; puis ces mêmes soldats, changeant de conduite, devenir plus mous, s’attacher aux richesses ; s’adonner au commerce, fréquenter les cabarets et être battus par les ennemis, il serait de la dernière folie d’en demander la raison.
Appliquons ce raisonnement à nous et à nos ancêtres, car nous sommes parvenus à la plus extrême faiblesse, et en quelque sorte cloués à la vie présente. Et s’il se trouve quelqu’un parmi nous qui ait conservé des restes de l’ancienne sagesse, il quitte les villes, les places publiques, la société des hommes, se dispense du soin de régler les autres et s’en va dans les montagnes ; et si on lui demande pourquoi il se retire ainsi, il en donne une raison qui n’est pas excusable. C’est, dit-il, pour ne pas périr que je m’en vais, c’est de peur de devenir moins vertueux. Eh ! ne vaudrait-il pas bien mieux être moins vertueux et sauver les autres, que de demeurer sur les hauteurs et de laisser périr ses frères ? Si les uns négligent la vertu, et que ceux qui la pratiquent fuient loin du champ de bataille, comment vaincrons-nous les ennemis ? À supposer qu’il y eût encore des signes aujourd’hui, qui s’en laisserait convaincre ? Quel étranger s’attacherait à nous au milieu de ce débordement de malice ? Car, une vie irréprochable est aux yeux de la foule le plus puissant des arguments. Des signes mêmes seraient suspects de la part d’hommes impudents et pervers ; mais une vie pure fermera la bouche au démon même. Je parle ici aux supérieurs comme aux inférieurs, et surtout à moi-même, afin que nous présentions le modèle d’une vie admirable, et qu’après nous être mis nous-mêmes en règle, nous méprisions toutes les choses présentes. Méprisons les richesses, mais non l’enfer ; négligeons la gloire, mais non le salut ; supportons ici-bas la peine et le travail, pour ne pas encourir les supplices de l’autre vie. Combattons ainsi les gentils, réduisons-les ainsi en captivité, mais à une captivité bien préférable à la liberté. Voilà ce que nous vous répétons souvent, continuellement, mais qui ne se pratique guère. Du reste, qu’on le pratique ou non, c’est un devoir de vous le rappeler sans cesse. Car s’il est des hommes qui vous trompent par de belles paroles, il est bien plus juste que ceux qui sont chargés de conduire à la vérité, ne se lassent point de répéter des choses utiles. Si des imposteurs emploient tant de moyens, dépensent de l’argent, prodiguent les paroles, s’exposent aux dangers, font parade de leur pouvoir ; à plus forte raison nous, qui sommes chargés de vous arracher à la séduction, devons-nous supporter les périls, la mort, tout au monde, pour nous sauver nous-mêmes et sauver les autres, pour nous rendre invulnérables aux traits de l’ennemi et acquérir ainsi les biens promis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.

HOMÉLIE VII.

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CEPENDANT NOUS PRÊCHONS LA SAGESSE PARMI LES PARFAITS : NON LA SAGESSE DE CE SIÈCLE NI DES PRINCES DE CE SIÈCLE, QUI PÉRISSENT ; MAIS NOUS PRÊCHONS LA SAGESSE DE DIEU DANS LE MYSTÈRE, SAGESSE QUI À ÉTÉ CACHÉE, QUE DIEU À PRÉDESTINÉE AVANT LES SIÈCLES POUR NOTRE GLOIRE. (CHAP. 2, VERS. 6, 7, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE.

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  • 1. Que la sagesse des philosophes n’est qu’une folie. – Que les mystères ont besoin de foi. – Par la foi nous croyons autre chose que ce que nous voyons.

2 Voici que je vous dis un mystère : Tous nous ne dormirons pas, mais tous nous serons changés.

  • 3. Que plusieurs livres de la sainte Écriture se sont perdus. – Que la sagesse humaine n’est qu’une servante.
  • 4. Que certains mystères n’ont été connus des anges qu’après la révélation qui en a été faite aux hommes. – Ce que signifie cette parole : comparant les choses spirituelles. – Que l’homme animal ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit.
  • 5. Unanimes dans l’enseignement de l’erreur, par exemple dans la négation de la création ex nihilo, les philosophes se sont partagés dans l’enseignement de la vérité, par exemple, ils sont bien loin d’avoir été d’accord sur la question de l’immortalité de l’âme.
  • 6. Pour nous ; nous avons la pensée de Jésus-Christ.
  • 7. Combien étaient nombreux et difficiles les obstacles qui s’opposaient à la prédication de l’Évangile.
  • 8. Qu’il fallait la vertu de Dieu pour triompher de tant de difficultés.
  • 9. Les miracles que faisait Jésus-Christ prouvaient alors la vérité de ses prédictions, et aujourd’hui l’accomplissement des prédictions prouve la vérité des miracles. – Résumé.


1. Ceux qui ont la vue malade semblent mieux s’accommoder des ténèbres que de la lumière ; aussi cherchent-ils de préférence les appartements où il n’y a qu’un demi-jour. C’est, ce qui arrive aussi en fait de sagesse spirituelle. La sagesse de Dieu passe pour une folie aux yeux des profanes ; et ils regardent la leur propre, qui est une véritable folie, comme la vraie sagesse. C’est absolument comme si un homme habile et pilote expérimenté, promettait de traverser une mer immense sans navire, et sans voiles, et essayait de prouver par des raisonnements que la chose est possible ; tandis qu’un autre, absolument ignorant, se confierait à un vaisseau, à un pilote et à des matelots, et opérerait ainsi son passage en sécurité. La prétendue ignorance de celui-ci serait plus sage que la sagesse du premier. C’est quelque chose de beau que l’art du pilote ! mais quand il promet trop, il devient une sorte de folie, aussi bien que tout art qui ne sait pas se tenir dans ses limites.
Ainsi la sagesse profane eût été une sagesse, si elle se fût guidée par l’Esprit ; mais comme elle ne s’est fiée qu’à elle-même, et n’a pas cru avoir besoin de ce secours, elle est devenue folie tout en passant pour sagesse. C’est pourquoi, après l’avoir confondue par les faits mêmes, l’apôtre l’appelle une folie ; et après avoir appelé, d’après eux, folie la sagesse de Dieu, il démontre qu’elle est la sagesse (après les preuves il était plus facile de faire rougir les contradicteurs) ; et il dit : « Cependant nous prêchons la sagesse parmi les parfaits ». Si, en effet, moi qui passe pour un insensé, pour un homme prêchant des folies j’ai triomphé des sages, ce n’est pas au moyen de la folie, mais bien par une sagesse plus sage et d’autant supérieure à l’autre qu’elle la fait passer pour folie. Aussi, après avoir d’abord appelé cette sagesse folie, pour se conformer à leur langage, avoir démontré son triomphe par les faits, et prouvé qu’eux-mêmes étaient atteints d’une folie extrême, il en vient enfin à lui donner son véritable nom, en disant : « Nous prêchons la sagesse parmi les parfaits ». Or il appelle sagesse la prédication et le mode de salut par la croix ; et il appelle parfaits ceux qui ont cru. En effet, ceux-là sont parfaits qui, voyant l’extrême faiblesse des choses humaines, et pleins de mépris pour elles, sont convaincus qu’elles leur sont inutiles, dès l’instant qu’ils sont devenus croyants.
« Non la sagesse de ce siècle ». À quoi sert, en effet, la sagesse humaine qui s’arrête à ce monde et ne va pas plus loin, et qui, même ici en ce monde, est inutile à ceux qui la possèdent ? Et par princes du siècle il n’entend pas ici, comme quelques-uns le pensent, certains démons ; mais bien ceux qui occupent les dignités et les magistratures ; ceux qui y attachent un grand prix, les philosophes, les rhéteurs, les écrivains : car ils dominaient alors et exerçaient souvent un grand empire sur la foule. Et il les appelle princes de ce siècle, parce que leur pouvoir ne s’étend pas au-delà du siècle présent ; c’est pourquoi il ajoute : « Qui périssent » ; réfutant ainsi cette sagesse, et par elle-même et par ceux qui en usent. Car après avoir montré qu’elle est menteuse, qu’elle est insensée, qu’elle ne peut rien découvrir, qu’elle est faible, il démontre encore qu’elle est d’une courte durée. « Mais nous prêchons la sagesse de Dieu dans le mystère ». Quel mystère ? Le Christ a dit : « Ce qui vous est dit à l’oreille, prêchez-le sur les toits ». (Mt. 10,27) Comment donc l’apôtre appelle-t-il cette sagesse mystère ? Parce que ni ange, ni archange, ni aucune autre puissance créée ne la connaissait avant qu’elle vînt au monde. Aussi dit-il : « Afin que les principautés et les puissances qui sont dans les cieux connussent par l’Église la sagesse multiforme de Dieu ». (Eph. 3,10) Par honneur pour nous, Dieu a voulu qu’elles apprissent ces mystères avec nous. Car nous-mêmes nous donnons à nos amis, comme une grande preuve d’affection, de leur révéler nos secrets avant tout autre.
Écoutez bien cela, vous tous qui vous pavanez de la prédication, qui jetez à tout venant les perles et l’enseignement, et livrez les choses saintes aux chiens, aux pourceaux et aux raisonnements superflus. Car le mystère n’a pas besoin de preuves ; on l’annonce simplement tel qu’il est ; et si vous y ajoutez quelque chose de vous-même, ce n’est plus un mystère entièrement divin. Du reste, on l’appelle mystère parce que nous ne croyons pas ce que nous voyons, mais autre chose que ce que nous voyons. Telle est, en effet, la nature de nos mystères. À ce point de vue, autres sont mes dispositions, autres celles de l’infidèle. J’apprends que le Christ a été crucifié ; aussitôt j’admire sa bonté pour l’homme ; l’infidèle l’apprend et y voit une preuve de faiblesse. J’apprends qu’il est devenu esclave, et j’admire la Providence ; l’infidèle l’apprend aussi et y voit un signe de déshonneur. J’apprends qu’il est mort, et j’admire cette puissance qui n’est point dominée par la mort, niais qui en triomphe ; l’infidèle l’apprend comme moi et y soupçonne de l’impuissance. En entendant parler de la résurrection, il la qualifie de fable ; et moi acceptant les preuves de fait, j’adore la divine providence. Quand on lui parle du baptême, il n’y voit que de l’eau ; et moi je n’y vois pas seulement ce qui frappe mes yeux, mais la purification de l’âme par l’Esprit. L’infidèle croit que mon corps seul a été lavé ; mais moi je crois que mon âme aussi est devenue pure et sainte, et je pense au sépulcre, à la résurrection, à la sanctification, à la justice, à la rédemption, à l’adoption, à l’héritage, au royaume des cieux, au don du Saint-Esprit. Ce n’est point par les yeux du corps que je juge, mais par ceux de l’âme. J’entends parler du corps du Christ ; mais dans un tout autre sens que l’infidèle.
2. Et comme les enfants qui voient des livres ne connaissent point la valeur des lettres, ne savent même pas ce qu’ils voient (ce qui peut aussi s’appliquer à l’homme qui ne connaît pas les lettres) ; tandis que celui qui sait lire trouvera dans les lettres une grande signification, des vies entières, des histoires ; et comme l’ignorant, tenant une lettre, n’y voit que du papier et de l’encre, tandis que l’homme instruit entend la voix de celui qui lui écrit, converse avec lui quoique absent, et lui répond par lettre tout ce qu’il lui plaît ; ainsi en est-il par rapport au mystère ; les infidèles tout en entendant paraissent ne pas entendre ; tandis que les fidèles, instruits par l’Esprit, en saisissent le sens caché. C’est ce que Paul exprime quand il dit : « Que si notre Évangile est aussi voilé, c’est pour ceux qui périssent qu’il est voilé ». (2Cor. 4,3) Ailleurs il fait voir ce que la prédication renferme de paradoxal ; c’est le nom que l’Écriture donne ordinairement à ce qui arrive contre toute espérance, ou dépasse l’esprit humain. Aussi est-il écrit quelque part : « Mon mystère est à moi et aux miens ». (Is. 24,7) Et Paul dit à son tour : « Voici que je vais vous dire un mystère : tous nous ne nous endormirons pas, mais nous serons tous changés[6] ».
Bien qu’on prêche cela partout, c’est encore un mystère. En effet, pendant qu’on nous ordonne de prêcher sur les toits ce que l’on nous a dit à l’oreille, on nous défend de donner les choses saintes aux chiens et de jeter les perles devant les pourceaux. Les uns sont charnels et ne comprennent pas ; les autres ont un voile sur le cœur et ne voient pas. Or il y a là un très grand mystère qui est prêché partout, et n’est compris que de ceux qui ont le cœur droit ; et ce n’est pas la sagesse humaine, mais l’Esprit-Saint qui nous le révèle, autant que nous en sommes capables. On ne se tromperait donc pas en appelant ce second mystère, secret ; car nous-mêmes, les fidèles, nous n’en avons pas une entière perception ni une parfaite connaissance. Aussi Paul dit-il : « C’est imparfaitement que nous connaissons, et imparfaitement que nous prophétisons. Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme ; mais alors nous verrons face à face ». (1Cor. 13,9-12) Et encore : « Nous prêchons la sagesse de Dieu dans le mystère ; sagesse qui a été cachée, que Dieu a prédestinée avant les siècles pour notre gloire ». « Qui a été cachée », c’est-à-dire qu’aucune des puissances célestes n’a apprise avant nous ; ou encore, que beaucoup ignorent, même aujourd’hui. Car c’est ce que signifient ces mots « Que Dieu a prédestinée pour notre gloire », bien qu’ailleurs il dise : « pour sa gloire ». (Eph. 1, 12) Mais Dieu regarde notre salut comme sa propre gloire, comme il l’appelle encore des richesses, quoiqu’il soit lui-même la richesse des bons et n’ait besoin de personne pour être riche. « Qu’il a prédestinée » ; indiquant par là la conduite de la Providence à notre égard. Car ceux-là sont surtout censés nous honorer et nous aimer, qui sont depuis longtemps disposés à nous faire du bien, comme font les pères avec leurs enfants ; par exemple, s’ils ne leur transfèrent que plus tard leur fortune, ils en ont cependant eu la volonté depuis longtemps et dès le commencement.
C’est ce que Paul s’efforce de prouver, à savoir que Dieu nous a aimés depuis longtemps, avant même que nous fussions nés. Car s’il ne nous eût pas aimés, il ne nous aurait point prédestiné la richesse. N’objectez donc pas l’inimitié qui est survenue depuis ; l’amitié l’avait précédée. En effet, ces mots : « Avant les siècles », signifient l’éternité, puisqu’il est dit ailleurs : « Celui qui est avant les siècles ». Ainsi le Fils même est déclaré éternel. Car on dit de lui : « Par qui il a fait même les siècles ». (Héb. 1,2) Ce qui veut dire qu’il était avant les siècles, puisque l’ouvrier existe avant son ouvrage. « Qu’aucun prince de ce siècle n’a connu ; car s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient crucifié le Seigneur de la gloire ». – On ne pouvait donc les accuser, puisqu’ils avaient crucifié le Christ sans le connaître. – Mais s’ils ne l’ont pas connu, comment le Christ a-t-il pu dire : « Vous me connaissez et vous savez d’où je suis ? » (Jn. 7,28) Car l’Écriture dit de Pilate qu’il ne le connaissait pas ; et il est probable qu’il en était de même d’Hérode : On pourrait les appeler des princes du siècle. Et celui qui prétendrait que ce passage s’applique aux Juifs et aux prêtres, ne se tromperait pas, puisque le Christ leur dit : « Vous ne connaissez ni moi, ni mon père ». (Jn. 8,19) Comment donc a-t-il dit plus haut : et Vous me connaissez, et vous savez « d’où je suis ? » Mais nous avons déjà expliqué ces deux modes de langage à propos des évangiles ; pour ne pas nous répéter, nous y renvoyons nos auditeurs.
3. Quoi ! dira-t-on, le péché qu’ils ont commis par le crucifiement leur est-il pardonné ? Le Christ lui-même a dit : « Pardonnez-leur ». Oui, il leur a été pardonné, s’ils se sont repentis. Paul, qui a frappé Étienne par des milliers de mains, qui a persécuté l’Église, est cependant devenu un chef de l’Église. De même le péché a été remis à ceux d’entre eux qui ont voulu faire pénitence. C’est ce que Paul criait, en disant : « Ont-ils trébuché de telle sorte qu’ils soient tombés ? « Point du tout ». (Rom. 11,11) Et encore : « Est-ce que Dieu a rejeté son peuple, le peuple qu’il a connu dans sa prescience ? Nullement ». (Rom. 1) Et pour prouver que la voie du repentir ne leur a point été fermée, il cite son propre exemple : « Car, moi aussi, je suis israélite ». Mais ces mots : « Ils ne l’ont pas connue », me semblent ne devoir point s’entendre du Christ même, mais des suites de l’événement ; comme qui dirait : Ils n’ont pas su ce que signifiaient cette mort et cette croix. Et – au fait, le Christ ne dit pas alors : Ils ne me connaissent, pas, mais ; « Ils ne savent ce qu’ils font » (Lc. 23,34) ; c’est-à-dire, ils ne connaissent pas l’œuvre de la Providence, ni le mystère. En effet, ils ne savaient pas, de quel éclat la croix devait briller, ni que le salut du monde s’opérait, ni que Dieu se réconciliait avec les hommes, ni que leur ville serait détruite et eux-mêmes réduits aux dernières extrémités. Or Paul appelle sagesse, le Christ, la croix et la prédication. C’est à propos qu’il donna au Christ le nom de Seigneur de la gloire. Car pendant que la croix semble ignominieuse, il démontre qu’elle est une grande, gloire. Mais il fallait une grande sagesse ; non seulement pour connaître Dieu, mais pour comprendre ici le but de la Providence ; et la sagesse profane était un obstacle à l’un comme à l’autre. « Mais, comme il est écrit, l’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu, le cœur de l’homme n’a point compris ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment ».
Mais où cela est-il écrit[7] ? On emploie cette manière de parler : « Cela est écrit même quand les choses ne sont pas exprimées en paroles, mais seulement par les faits, comme il arrive dans les histoires ; ou quand on a le sens, sinon les termes exprès, comme en ce cas-ci. Car ces mots : « Ceux à qui on ne l’avait point annoncé, verront ; et ceux qui ne l’ont point entendu, comprendront » (Rom. 15,21), signifient la même chose que : « L’œil n’a point vu et l’oreille n’a point entendu ». Ou voilà ce que veut dire l’apôtre, ou les livres qui contenaient ce texte ont probablement disparu. Car beaucoup de livres ont péri, un petit nombre ont été sauvés, déjà même du temps de la première captivité. On le voit clairement dans les Paralipomènes ; car l’apôtre dit : « Depuis Samuel et les prophètes qui ont suivi, tous en ont parlé ». (Act. 3,24) Cela n’est pas absolument exact ; et cependant il est vraisemblable que Paul, instruit de la loi et inspiré par l’Esprit, connaissait tout avec exactitude. Mais que parlé-je de la captivité ? Déjà avant cette époque, les Juifs étant tombés dans une extrême impiété, beaucoup de livres avaient disparu, ainsi qu’on le voit clairement par la fin du quatrième livre des Rois car on eut peine à trouver un, exemplaire du Deutéronome, enfoui dans du fumier. D’ailleurs il y a souvent des prophéties doubles, facilement aperçues, des plus sages, et qui donnent l’intelligence de bien des choses cachées.
Quoi donc ! l’œil n’a pas vu ce que Dieu a préparé ? Non. Quel mortel a jamais pénétré les desseins de la Providence pour l’avenir ? Et l’oreille n’a pas entendu ? Et le cœur n’a pas compris ? Comment cela se peut-il ? Si les prophètes ont parlé, direz-vous, comment l’oreille n’a-t-elle pas entendu ? Comment le cœur n’a-t-il pas compris ? Eh bien ! il n’a pas compris : car l’apôtre ne parle pas seulement des prophètes, mais de l’humanité en général. Quoi ! les prophètes n’ont pas entendu ? Ils ont entendu, mais avec l’oreille du prophète et non-avec celle de l’homme : C’est comme prophètes, et non comme hommes, qu’ils ont entendu. Aussi est-il dit : « Il m’a ajouté une oreille pour entendre » (Is. 50,4) ; ce que le prophète entend d’une addition faite par l’Esprit. D’où il résulte clairement qu’avant d’entendre, son cœur d’homme n’avait pas compris. Car, après le don de l’Esprit, ce n’est pas un cœur d’homme, mais un cœur spirituel qu’ont les prophètes, comme l’exprime l’apôtre lui-même : « Nous avons l’esprit du Christ ». (1Cor. 2,16) Ce qui signifie avant d’avoir reçu l’Esprit et appris les secrets, ni nous ni aucun des prophètes n’avions compris ces choses. Cela eût-il été possible, puisque les anges mêmes ne les connaissaient pas ? Et que dire, ajoute-t-il, des princes de ce siècle, quand ni homme, ni puissances célestes n’en avaient connaissance ? Or quelles sont ces choses ? Que, par la prétendue folie de la prédication, les nations seront attirées, que Dieu se réconciliera avec les hommes, et que d’immenses bienfaits en résulteront pour nous. Comment l’avons-nous su ? « Mais Dieu nous l’a révélé par son Esprit » ; non par la sagesse extérieure ; car, dédaignée comme une espèce de servante, elle n’a point eu permission d’entrer et de pénétrer les secrets du Seigneur.
4. Voyez-vous quelle distance il y a entre ces deux sagesses ? L’une d’elles nous a appris ce que les anges mêmes ne savaient, pas. Celle du dehors a fait tout le contraire : non seulement elle n’a point enseigné, mais elle a empêché, elle a formé obstacle ; et après même que les faits étaient accomplis, elle les a obscurcis, elle a rendu vaine la croix. L’honneur qui nous est fait ne consiste donc pas à avoir appris, ni même à avoir appris avec les anges, mais à avoir appris par son Esprit. Et pour faire voir la grandeur du don, il ajoute : Si l’Esprit, qui connaît les secrets de Dieu, ne nous les eût révélés, nous ne les aurions pas connus : tant Dieu mettait de soin à rester dans le mystère ! C’est pourquoi nous avions besoin d’un Maître qui sût tout cela parfaitement. « Car l’Esprit pénètre toutes choses, même les profondeurs de Dieu. En effet, qui des hommes sait ce qui est de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? Ainsi ce qui est en Dieu, personne ne le connaît que l’Esprit de Dieu. Pour nous, nous n’avons point reçu l’esprit de ce monde, mais l’Esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les dons qui nous ont été faits par Dieu ». – « Pénétrer » ne signifie évidemment pas l’ignorance, mais une connaissance exacte. C’est le terme que l’apôtre emploie encore, quand il dit en parlant de Dieu « Celui qui scrute les cœurs sait la pensée de l’esprit ». (Rom. 8,27) Ensuite, après avoir parlé avec précision de la connaissance de l’Esprit, nous avoir montré qu’elle est identique avec celle de Dieu même, comme celle de l’homme l’est avec lui-même, et que c’est de là que nous avons appris, et nécessairement appris tout ce que nous savons, il ajoute : « Et que nous annonçons, non avec les doctes paroles de la sagesse humaine, mais selon la doctrine de l’Esprit, traitant spirituellement les choses spirituelles ». Voyez-vous jusqu’où il nous conduit en vertu de l’autorité du Maître ? Il y a, entre notre sagesse et la leur, toute la distance qui sépare. Platon de l’Esprit-Saint. Ils ont pour maîtres les rhéteurs profanes, et nous l’Esprit-Saint. Mais que veulent dire ces mots : « Comparant les choses spirituelles aux choses spirituelles ? » Cela veut dire que quand il s’agit de choses spirituelles et douteuses, nous en cherchons l’explication dans les choses spirituelles : par exemple, le Christ est ressuscité parce qu’il est né d’une vierge. Je produis des témoignages, des figures et des démonstrations ; le séjour de Jonas dans le ventre de la baleine, puis sa délivrance ; l’enfantement de femmes jusqu’alors stériles, Sara, Rébecca et autres ; les arbres croissant au milieu du paradis, sans germe, sans pluie, sans labour. Les événements à venir étaient ainsi figurés et tracés en énigme par les événements antérieurs, afin qu’on y crût quand ils arriveraient. Je fais voir encore comment l’homme est né de la terre, et la femme de l’homme seul, sans mélange de sexes ; comment la terre a été faite de rien, la puissance du Créateur suffisant à tout et partout.
Ainsi je compare le spirituel au spirituel, et n’ai nul besoin de la sagesse du dehors, ni de raisonnements, ni de preuves. Eux agitent et troublent l’âme faible ; ils ne peuvent rien démontrer de ce qu’ils avancent ; tout au contraire, ils augmentent le trouble et remplissent tout d’obscurité et de doute. Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Comparant les choses spirituelles aux choses spirituelles ». Voyez-vous comme il démontre que cette sagesse est inutile ? Et non seulement inutile, mais contraire et nuisible ? Car c’est là le sens de ces mots : « Afin de ne pas rendre vaine la croix du Christ » ; et de ceux-ci : « Afin que notre foi ne soit pas établie sur la sagesse des hommes ». Ici il fait voir que ceux qui ont confiance en cette sagesse et qui s’en rapportent à elle en tout, ne peuvent rien apprendre d’utile. « Car », nous dit-il, « l’homme animal ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu ». Il faut donc d’abord la rejeter. Quoi ! direz-vous, la sagesse profane est-elle réprouvée Elle est pourtant l’œuvre de Dieu. Comment le prouvez-vous ? Ce n’est pas Dieu, mais vous, qui en êtes L’inventeur ; car Dieu l’appelle recherche stérile et éloquence inutile. Et si par ce mot de sagesse on entend la prudence humaine, vous êtes encore en tort : puisque vous la déshonorez eu en abusant et en exigeant d’elle ce qu’elle ne peut donner, contre la volonté et au détriment de la gloire de Dieu. Et parce que vous vous en glorifiez et faites la guerre à Dieu, Paul la convainc de faiblesse. La vigueur du corps est une bonne chose ; mais parce due Caïn n’en a point fait l’usage convenable, Dieu l’a brisée en lui, et l’a condamné à trembler. Le vin est une bonne chose ; mais parce que les Juifs en avaient abusé, Dieu l’interdit absolument aux prêtres.
Puis donc que vous avez fait tourner la sagesse au mépris de Dieu, et que vous avez exigé d’elle plus qu’elle ne pouvait donner, en vous enlevant toute espérance humaine, Paul vous en montre la faiblesse. Car celui-là est homme animal qui livre tout aux froids raisonnements, et croit n’avoir aucun besoin du secours d’en haut ; ce qui est certainement une folie. Et Dieu a donné cette sagesse, pour qu’elle apprenne de lui et reçoive ses leçons, et non pour qu’elle s’imagine pouvoir se suffire à elle-même. Les yeux sont beaux et utiles ; mais s’ils veulent voir sans le secours de la lumière, leur beauté et leur force propre leur sont inutiles et même nuisibles. De même l’âme, si elle veut voir sans le secours de l’Esprit, devient un obstacle pour elle-même. Comment donc, dira-t-on, voyait-elle tout primitivement par elle-même ? Par elle-même, jamais ; mais par le livre de la création ouvert devant elle. Mais dès que, abandonnant la voie où Dieu a ordonné aux hommes de marcher, pour connaître le Créateur à travers la beauté des choses visibles, ils ont remis au raisonnement le sceptre de la science, ils sont devenus faibles ; ils se sont noyés dans une mer d’impiété, en s’attirant des maux sans nombre, et disant que rien n’est sorti du néant, mais bien d’une matière incréée : doctrine qui a enfanté une multitude d’hérésies ; ils sont tombés d’accord sur les plus grandes absurdités, et partout où ils semblaient avoir conservé comme une ombre de raison, ils se sont séparés et contredits de façon à devenir des deux côtés un objet de ridicule. En effet, que rien ne puisse sortir du néant, tous à peu près l’ont affirmé, l’ont écrit, avec le plus grand sérieux. Le diable les – a poussés à l’absurde ; mais dans les questions utiles, là où ils semblaient avoir obtenu, comme en énigme, quelque résultat de leurs recherches, ils se sont fait la guerre les uns aux – autres. Sur ces points par exemple : l’âme est-elle immortelle ? La vertu a-t-elle besoin de quelque chose d’extérieur ? Sommes-nous, nécessairement et fatalement bons ou mauvais ?
5. Voyez-vous la malice du démon ? Partout où il s’est aperçu de la perversité de leurs doctrines, il les a fait tomber d’accord ; partout où il a remarqué qu’elles renfermaient quelque chose de sain, il les a brouillés les uns avec les autres ; en sorte que les absurdités subsistaient, appuyées sur leur consentement unanime, et que les notions utiles disparaissaient dans le conflit des opinions. Vous voyez donc comme l’intelligence est faible et ne saurait se suffire ; – et il est juste qu’il en soit ainsi. Car si, en prétendant qu’elle n’a besoin de personne, et en s’éloignant de Dieu, elle n’était devenue ce qu’elle est, dans quel abîme de folie ne serait-elle pas descendue ? En effet, si avec un cors mortel, elle a pu, sur une promesse menteuse du démon, s’attendre à une bien plus haute destinée ; « Vous serez comme des dieux » ; jusqu’où ne serait-elle pas tombée, si ce même corps eût, été dès l’abord immortel ? Car même après la chute, elle a osé, par la bouche impure des manichéens, se dire incréée et d’essence divine ; et à la suite de cette maladie, le démon a forgé des dieux chez les païens.
Voilà, pourquoi, ce me semble, Dieu a rendu la vertu pénible, en forçant l’âme à se courber et à se tenir dans les règles de la modération. Et pour vous convaincre de cette vérité, étudions-la chez les Israélites, en comparant les petites choses aux grandes. Quand leur vie était douce et paisible, ils ne pouvaient porter le poids de la prospérité et tombaient dans l’impiété. Que fit Dieu alors ? Il leur imposa une multitude de lois, pour mettre un frein à leur licence. Et pour bien comprendre que ces pratiques légales ne contribuaient point à la vertu, mais n’avaient d’autre but que de servir de frein et de faire disparaître l’oisiveté, écoutez ce qu’en dit le prophète : « Je leur ai donné des préceptes qui ne sont pas bons ». (Ez. 20,__PAGESEPARATOR__25) Qu’est-ce que cela veut dire : « Qui ne sont pas bons ? » C’est-à-dire ; qui ne contribuent guère à la vertu ; aussi ajoute-t-il « Des préceptes qui ne les feront pas vivre. Mais l’homme animal ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit ». Et à bon droit : car comme personne ne peut, avec le seul secours de ses yeux, savoir ce qui se passe dans le ciel, ainsi l’âme ne peut, par elle-même, connaître ce qui est de l’Esprit. Et pourquoi parler du ciel ? On ne peut même connaître tout ce qui se passe sur la terre. En effet, en voyant de loin une tour carrée, nous la croyons ronde ; ce qui est une illusion d’optique. Ainsi c’est le comble du ridicule de vouloir étudier, par les seules forces de l’esprit, les choses qui sont bien au-dessus de sa portée non seulement il ne les verra point telles qu’elles sont, mais il les jugera dans un sens tout opposé ; aussi l’apôtre ajoute-t-il. « Car c’est folie, pour lui ».
Et ce n’est point la faute des objets, mais de sa faiblesse, qui ne saurait atteindre leur grandeur par les yeux de l’âme. L’apôtre en donne la raison en disant : « Et il ne le peut comprendre, parce que c’est par l’esprit qu’on doit en juger ». C’est-à-dire : les choses qu’on annonce demandent la foi et ne peuvent se comprendre par le raisonnement : car leur grandeur dépasse de beaucoup notre faible intelligence. C’est pourquoi il ajoute : « Mais l’homme spirituel juge de toutes choses, et n’est jugé par, personne ». En effet, celui qui voit, voit tout, même ce qui appartient à celui qui ne voit pas ; mais aucun de ceux qui ne voient pas, ne voient ce qui appartient à celui qui voit. De même nous savons maintenant ce qui nous regarde et ce qui regarde les infidèles ; mais eux lie savent pas ce qui nous concerne. Ainsi nous connaissons la nature des choses présentes, le prix des choses à venir, ce que deviendra le monde un jour, ce que les pécheurs souffriront, ce dont les justes jouiront ; nous savons que le présent n’est rien et nous le démontrons (car juger c’est prouver), et que l’avenir est immortel et immuable. Le spirituel sait tout cela : ce que l’homme charnel souffrira, ce que le fidèle possédera au sortir de cette vie ; et l’homme animal n’en sait rien. Et pour rendre plus évident ce qu’il vient de dire, l’apôtre ajoute : « Car qui a connu la pensée du Seigneur pour pouvoir l’instruire ? Mais nous, nous avons la pensée du Christ ». C’est-à-dire, nous savons ce qu’il y a dans la pensée du Christ, ce qu’il veut et ce qu’il a révélé. Après avoir dit que l’Esprit a révélé, pour qu’on n’écarte pas le Fils, il ajoute que le Fils nous a aussi fait voix les choses ; ce qui ne veut pas dire que nous savons tout ce que sait le Christ, mais que tout ce que nous savons ne vient pas de l’homme, ne peut être suspect, et est spirituel et dans la pensée du Christ.
6. Car la pensée que nous avons sur tout cela, nous la tenons pour la pensée du Christ ; c’est-à-dire, nous regardons comme spirituelle la connaissance que nous avons des choses de la foi ; en sorte que nous ne pussions en toute justice être jugés par personne. En effet, l’homme animal ne peut connaître les choses de Dieu ; ce qui fait dire à Paul : « Qui a connu la pensée du Seigneur ? » Entendant par là que notre pensée sui ces objets est celle même du Christ. Et ces paroles : « Pour l’instruire », ne sont pas mises là au hasard, mais se rapportent à ce qu’il a dit plus haut : « Le spirituel n’est jugé par personne ». Car si personne ne peut connaître la pensée du Seigneur, à plus forte raison l’enseigner et la corriger. Et c’est le sens de ces mots : « Pour l’instruire ». Voyez-vous comme il poursuit à outrance la sagesse profane, et montre que l’homme spirituel sait plus de choses et de plus grandes choses ? Car comme les raisons données plus haut (par exemple : « Afin que nulle chair ne se glorifie », ou : « Il a choisi ce qui est insensé pour confondre les sages » ; ou : « Afin de ne pas rendre vaine la croix du Christ ») ; comme ces raisons, dis-je, n’étaient pas très dignes de foi aux yeux des païens ni très propres à les attirer, et ne paraissaient ni nécessaires ni utiles : il produit enfin la raison principale, à savoir, que la meilleure manière de voir est pour nous celle par laquelle nous pouvons apprendre des secrets sublimes qui sont au-dessus de notre portée : En effet, la raison était réduite à rien, puisque nous ne pouvons, au moyen de la sagesse profane, comprendre ce qui est au-dessus de nous. Ne voyez-vous pas qu’il valait beaucoup mieux apprendre de l’Esprit ? C’est le mode d’enseignement le plus facile et le plus clair. « Mais nous avons la pensée du Christ » ; c’est-à-dire, la pensée spirituelle, divine, qui n’a rien d’humain. Car ce ne sont pas les pensées de Platon, ni de Pythagore, mais les siennes propres que le Christ nous a données.
Rougissons donc de honte, chers auditeurs, et présentons le spectacle d’une vie meilleure ; puisque le Christ nous donne lui-même comme un signe dune grande amitié, de nous avoir révélé ses secrets, quand il dit : « Désormais je ne vous appellerai plus serviteurs ; car vous êtes tous mes amis, puisque je vous ai annoncé tout ce que j’ai appris de mon Père » (Jn. 15,15), c’est-à-dire, je vous l’ai livré en toute confiance. Or, se livrer en confiance est la seule preuve d’amitié ; combien la preuve n’est-elle pas plus forte quand le Christ nous a confié les mystères non seulement de ses paroles, mais de ses actions ? Rougissons donc là-dessus ; et si nous ne tenons pas grand compte de l’enfer, que ce soit pour nous une chose plus terrible que l’enfer, de nous montrer injustes et ingrats envers un tel ami, envers un tel bienfaiteur ; agissons en tout, non comme de serviles mercenaires, mais comme des enfants, comme des hommes libres, par amour pour le Père ; cessons d’être attachés au monde, afin de faire rougir les gentils. Chaque fois, en effet, que je suis tenté de discuter avec eux, je recule, de peur que, pendant que nous les battons par les raisonnements et la vérité de nos dogmes, nous ne soulevions chez eux un immense éclat de rire par le contraste de notre conduite ; vu que s’ils sont livrés à l’erreur et ne croient rien de ce que nous croyons, ils s’appliquent du moins à la philosophie, tandis que chez nous c’est tout le contraire. Cependant j’ajouterai : Peut-être, peut-être en cherchant à les combattre, nous efforcerons-nous de devenir meilleurs qu’eux, même pendant cette vie. Je disais naguère que les apôtres n’eussent jamais prêché ce qu’ils ont prêché, s’ils n’eussent eu le secours de la grâce de Lieu ; et que non seulement ils n’auraient pas réussi, mais qu’ils n’en auraient pas même formé le projet. Eh bien ! discutons encore ce point aujourd’hui et montrons qu’ils n’auraient pu exécuter, pas même former cette entreprise, s’ils n’avaient eu le Christ avec eux ; non parce que, faibles, ils combattaient les forts, qu’ils étaient un petit nombre contre un grand nombre, pauvres contre des riches, ignorants contre des savants ; mais parce que la force des préjugés était grande.
Vous savez qu’il n’y a rien de puissant chez les hommes comme la tyrannie d’une ancienne habitude. En sorte que quand même ils n’eussent pas été seulement douze, et aussi vils et tels qu’ils étaient ; quand même ils auraient eu avec eux un autre monde pareil à celui-ci, une autre multitude égale et même supérieure à celle qu’ils combattaient : alors même encore l’œuvre eût été difficile. Car, d’un côté, on avait pour soi la coutume ; de l’autre, on avait contre soi la nouveauté. Rien, en effet, ne trouble l’âme, même quand il s’agit de choses utiles, comme l’introduction d’usages nouveaux et étrangers, surtout en matière de culte et d’honneurs dus à Dieu. Je ferai ressortir la puissance de cet obstacle, et je dirai d’abord qu’il s’y ajoutait une difficulté spéciale du côté des Juifs. En effet, avec les païens ils renversaient tout, et les dieux et les croyances ; avec les Juifs il n’en était pas de même : ils se contentaient d’abroger plusieurs de leurs dogmes, mais ils voulaient que l’on adorât le Dieu qui leur avait donné des lois ; et tout en ordonnant qu’on adorât le Législateur, ils ajoutaient : N’obéissez point en tout à la loi qu’il vous a imposée, par exemple, pour l’observation du sabbat, pour la circoncision, les sacrifices et autres prescriptions de ce genre. Ainsi, non seulement le sacrifice devenait un obstacle, mais il y avait encore aine autre difficulté dans l’abrogation de beaucoup de lois de ce même Dieu qu’on ordonnait d’adorer. D’autre part, chez les gentils, la tyrannie de l’habitude était grande.
7. En effet, en attaquant une coutume, je ne dis pas aussi ancienne, mais seulement de dix ans, je ne dis pas d’une si grande multitude, mais seulement de quelques hommes, la conversion eût déjà été difficile. Mais les sophistes, les orateurs, les pères, les aïeux, les bisaïeux, d’autres générations plus reculées, avaient été envahis par l’erreur ; cette erreur s’étendait à la terre, à la mer, aux montagnes, aux forêts, aux races barbares, à tous les peuples de la gentilité, aux savants ; aux ignorants, aux princes aux sujets, aux femmes, aux hommes aux jeunes gens, aux vieillards, aux maîtres, aux serviteurs, aux laboureurs, aux artisans, à tous les habitants des villes et des campagnes. Vraisemblablement, ceux qu’on catéchisait, devaient dire : Qu’est-ce que ceci ? Quoi ! tous les habitants de la terre ont donc été trompés : les sophistes, les rhéteurs, les philosophes, les écrivains, ceux qui vivent maintenant, ceux qui ont vécu autrefois, Pythagore, Platon, les généraux, les consuls, les rois, les, fondateurs et les premiers habitants des villes, les barbares et les Grecs ? Et douze hommes, pêcheurs, fabricants de tentes, publicains, sont plus savants qu’eux tous ? Est-ce supportable ? Et pourtant on n’a pas dit cela, on n’y a pas même songé ; mais on a écouté et reconnu que ces prédicateurs étaient réellement plus sages que tout le monde ; ce qui a procuré à ceux-ci un triomphe universel.
Et pour bien comprendre la force de l’habitude, considérez qu’elle a souvent prévalu sur les commandements de Dieu même. Que dis-je, sur ses commandements ? même sur ses bienfaits. Les Juifs avaient la manne et regrettaient les oignons ; ils jouissaient de la liberté et redemandaient l’esclavage ; sans cesse, par l’effet de l’habitude, ils réclamaient l’Égypte tant c’est chose tyrannique que l’habitude ! Et si vous en voulez une preuve prise chez les païens, on dit que Platon, quoique convaincu que ce qu’on disait des dieux était faux, consentait cependant, par impuissance à combattre la coutume, à célébrer les jours de fêtes et les autres cérémonies du culte, et cela d’après l’enseignement positif de son maître. Et celui-ci, soupçonné d’avoir introduit quelque nouveauté sur ce point, fut si loin d’atteindre son but, qu’il perdit même la vie, bien qu’il se fût pleinement justifié. Et combien ne voyons-nous pas d’hommes retenus dans l’impiété par la force du préjugé, et qui n’ont rien de raisonnable à répondre quand on les accuse d’être païens, si ce n’est qu’ils se couvrent des noms de leurs pères, de leurs aïeux et de leurs bisaïeux ? Aussi quelques païens ont-ils appelé l’habitude une seconde nature. Et s’il s’agit de dogmes, l’habitude est encore plus forte, car il n’est rien dont on ne change plus facilement que de culte.
Et à l’habitude se joignait un nouvel obstacle, la honte, la nécessité de paraître désapprendre dans son extrême vieillesse, sur la parole des hommes les moins intelligents. Et quoi d’étonnant à ce qu’il en soit ainsi de l’âme, quand l’habitude a tant d’empire sur le corps lui-même ? Or, au temps des apôtres, outre la nécessité de changer une habitude si invétérée, il y avait un autre obstacle, plus grand encore, dans les dangers qui s’attachaient à ce changement. Car il ne s’agissait pas de passer simplement d’une habitude à une autre, mais d’une habitude pleine de sécurité à une habitude pleine de périls. En effet, le croyant devait s’attendre à être immédiatement dépouillé de ses biens, chassé, expatrié, réduit aux dernières extrémités, haï de tous, à être regardé comme l’ennemi commun des particuliers et du public. Ainsi l’entreprise eût été difficile quand même les apôtres auraient appelé de la nouveauté aux anciennes habitudes ; mais comme ils appelaient des anciennes habitudes à la nouveauté et à une nouveauté pleine de périls, jugez vous-même combien l’obstacle était grand. Autre empêchement non moins grand : à la difficulté de rompre les habitudes, aux dangers qui s’y rattachaient, ajoutez encore que les préceptes qu’on imposait étaient bien plus onéreux, et que ceux dont on détournait, étaient légers et faciles. Car on appelait de la fornication à la chasteté, de l’ivrognerie à la sobriété, du rire aux larmes et à la componction, de l’avarice au désintéressement, à la pauvreté, de l’amour de la vie à la mort, de la sécurité au péril : on exigeait en tout une extrême vigilance, puisqu’il est écrit : « Qu’il ne sorte de votre bouche ni turpitudes, ni folles paroles, ni bouffonneries ». (Eph. 5,4) Et on tenait ce langage à des hommes qui ne savaient pas autre chose que s’enivrer, s’adonner aux plaisirs de la table, qui ne comprenaient un jour de fête que sous la forme de passe-temps honteux, de rire et de comédie. En sorte que, ces préceptes n’étaient pas seulement onéreux parce qu’ils étaient le produit de la sagesse, mais encore parce qu’ils s’adressaient à des hommes nourris dans la licence, dans l’impudeur, dans les discours insensés, dans les ris et les jeux scéniques. Et qui donc, après avoir mené une telle vie, n’eût pas été frappé de stupeur, en entendant des paroles comme celles-ci : « Celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas, n’est pas digne de moi » (Mt. 10,33) ; et encore : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive, et séparer l’homme de son père et la fille de sa mère ». Qui donc, en entendant dire : « Celui qui ne renonce pas à sa maison, à sa patrie, à ses richesses, n’est pas digne de moi » (Lc. 14,33), qui, dis-je, entendant cela, n’aurait pas hésité, n’aurait pas reculé ? Et cependant on n’a pas hésité, on n’a pas reculé devant ce langage ; mais on est accouru, on s’est élancé vers les difficultés, on a saisi avidement les ordres. Dans ces mots : « Nous rendrons compte de toute parole inutile (Mt. 12,36) ; celui qui regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis l’adultère ». (Id. 5,28) Celui qui se fâche sans raison, tombera dans l’enfer : dans ces paroles, dis-je, n’y avait-il pas de quoi repousser ceux qui vivaient alors ? Et cependant tous accouraient, beaucoup même franchissaient tous les obstacles. Qu’est-ce donc qui les attirait ? N’était-ce pas évidemment la vertu de Celui qu’on prêchait ? Si ce n’eût été cela, si le contraire avait eu lieu, si ceux-là avaient été ceux-ci, et ceux-ci ceux-là, eût-il été facile de vaincre les répugnances ? il est impossible de le dire. Tout prouve donc que la vertu divine a agi en cela.
8. Comment ; dites-moi, a-t-on pu décider à une vie rude et austère, des hommes habitués à la mollesse et à la licence ? Car telle était la nature des commandements ; voyons si les dogmes étaient attrayants. Mais non : les dogmes n’étaient pas moins propres : à repousser les infidèles. Que prêchait-on, en effet ? Qu’il fallait adorer un crucifié, et regarder comme Dieu le fils d’une vierge juive. Et qui aurait cru cela, sans l’action dé la grâce divine ? Tous savaient qu’il avait été crucifié et enseveli ; mais, à part les apôtres, personne ne l’avait vu ressuscité et montant au ciel. Mais, dira-t-on, les apôtres exaltaient leurs auditeurs par des promesses, et les séduisaient par le bruit de la parole. Cela même, outre tout ce que nous avons dit, est une preuve évidente que notre doctrine n’est point une déception. Car il en résultait toutes sortes de choses difficiles, et il fallait remettre après la résurrection la jouissance des avantages promis. Je le répète : cela même prouve que notre prédication est divine. Pourquoi, en effet, aucun des croyants n’a-t-il dit : Je n’avancerai pas, je ne puis supporter cela ; vous me menacez de choses difficiles pour cette vie, et différez les biens après la résurrection ? Et qui me prouve qu’il y aura une résurrection ? Qui est revenu d’entre les morts ? Quel mort a jamais ressuscité ? Qui, parmi ceux qui ne sont plus, est venu dire ce qui se passe après le départ ? Non : ils n’ont pas même pensé à dire cela ; mais ils ont donné leur vie pour le crucifié. En sorte que c’est là la preuve d’une grande vertu : que des gens qui n’avaient jamais entendu parler de ces choses, en aient été immédiatement convaincus malgré leur importance, et aient consenti à accepter les maux ici-bas comme épreuve, en se contentant de l’espoir de la récompense.
Si les apôtres avaient voulu tromper, ils auraient dû faire le contraire ; promettre des biens pour la vie présente, et passer sous silence les maux présents et à venir. Ainsi agissent ceux qui trompent et qui flattent ; ils ne proposent rien de dur, de pénible ou d’onéreux, tout au contraire ; et en cela consiste la tromperie. Mais, dira-t-on, c’est par stupidité que la foule a ajouté foi à leur parole. Quoi ! on n’était pas insensé tant qu’on vivait dans le paganisme, et on l’est devenu en embrassant notre foi ? Pourtant les hommes que les apôtres ont persuadés n’étaient pas d’une autre nature, ni d’un autre monde. Ils étaient simplement attachés au culte païen, et ils ont adopté le nôtre malgré les dangers qui s’y attachaient ; en sorte que si le premier leur eût paru plus raisonnable, ils ne l’auraient pas quitté, surtout après y avoir si longtemps vécu, et quand ils ne pouvaient l’abandonner impunément. Mais dès qu’ils furent convaincus, par la nature même des choses, qu’il ne contenait que des croyances ridicules et des erreurs, ils renoncèrent à leurs habitudes malgré les menacés de mort, et passèrent au culte nouveau, parce que celui-ci était conforme aux lois naturelles, tandis que, l’autre y était opposé, Mais, dira-t-on, ceux qui crurent étaient des domestiques, des femmes, des nourrices, des sages-femmes, des eunuques. Chacun sait que ce ne furent pas là les seuls éléments de l’Église ; mais quand cela serait, la prédication n’en paraîtrait que plus admirable, puisque de simples pêcheurs (l’espèce d’hommes la plus ignorante) auraient pu faire accepter sur-le-champ des dogmes que Platon ou les philosophes de son temps n’avaient pas même pu imaginer. En effet, s’ils n’avaient convaincu que des sages, le fait serait moins étonnant ; mais en élevant des domestiques, des nourrices et des eunuques à untel degré de philosophie qu’ils en ont fait les émules des anges, ils ont donné la plus grande preuve de l’inspiration divine. S’ils n’avaient commandé que des choses faciles, il serait peut-être raisonnable de rabaisser leur prédication en faisant valoir le rang infime de leurs partisans ; mais si, au contraire, ils enseignaient des chopes grandes, élevées, presque au-dessus de la nature humaine, et qui exigeaient une haute intelligence, en nous montrant des insensés dans leurs disciples, vous ne faites que mieux ressortir la sagesse des prédications et la grâce divine qui les remplissait. Mais, ajoute-t-on, ils persuadaient à, l’aide de promesses exagérées. N’admirez-vous pas, dites-moi, qu’ils aient pu décider leurs disciples à ne recevoir des prix et des récompenses qu’après la mort ? Pour moi, j’en suis frappé d’étonnement. C’était le résultat de la folie, dites-vous. Quelle folie y a-t-il, s’il vous plaît, à dire que l’âme est immortelle ; qu’après cette vie nous subirons un jugement impartial ; que nous rendrons compte de nos paroles, de nos actions, de nos pensées à un Dieu qui pénètre les secrets ; que nous verrons les méchants punis, et les bons couronnés ? Ce n’est point là de la folie, mais une très haute philosophie.
9. N’y a-t-il pas, je le demande, une grande sagesse à mépriser le présent, à estimer la vertu, à ne point chercher de récompense ici-bas, mais à placer plus loin ses espérances ; à tenir son âme tellement ferme, tellement fidèle, que les maux de la vie n’ébranlent pas sa confiance dans l’avenir ? Mais voulez-vous connaître la force des promesses et des prédictions, et la vérité de ce qui a précédé et de ce qui a suivi ? Voyez cette chaîne d’or dont les divers anneaux se rattachent les uns aux autres dès le principe. Il leur a dit un mot de lui, des églises, de l’avenir ; et en disant cela, il faisait des miracles.
Ainsi l’accomplissement des prédictions prouve la vérité des miracles rapportés et des promesses – à venir. Polir rendre ce point plus clair, je le démontrerai par les faits. D’un seul mot le Christ a ressuscité Lazare et l’a fait voir vivant ; mais il a dit aussi : « Les portes de l’enfer ne prévaudront point contre l’Église » (Mt. 16,18) ; et aussi : « Quiconque quittera son père et sa mère, recevra le centuple en ce monde, et la vie éternelle ». (Idem, 19,29) Ainsi, d’une part un miracle, la résurrection de Lazare ; de l’autre deux prédictions, dont l’une se réalise dans le temps, et l’autre dans l’éternité. Voyez maintenant comme ces deux choses s’appuient mutuellement. Celui qui ne croirait pas à la résurrection de Lazare, sera obligé d’y ajouter foi, à raison de la prédiction faite sur l’Église puisque cette prédiction faite depuis tant d’années s’est accomplie, vu que les portes de l’enfer n’ont pas prévalu contre l’Église. Évidemment donc celui qui a fait la prédiction, a opéré le prodige ; et celui qui a opéré le prodige et réalisé ce qu’il avait prédit, ne trompe pas quand, parlant de l’avenir et dédaignant le présent, il dit : « Recevra le centuple et possédera la vie éternelle ». Car il a donné ses paroles et ses actions passées comme un gage certain des événements à venir.
Recueillant donc dans les Évangiles toutes ces choses et d’autres semblables, parlons-leur et fermons-leur la bouche. Si quelqu’un nous dit : Pourquoi l’erreur n’a-t-elle pas été complètement détruite ? Répondez : C’est vous qui en êtes cause, vous qui vous révoltez contre votre propre salut : car Dieu avait tout disposé pour qu’il ne restât pas de vestige d’impiété. Résumons en peu de mots ce que nous avons dit. Quelle est la nature des choses ? Est-ce que les forts triomphent des faibles, ou les faibles des forts ? Que la victoire appartienne à ceux qui demandent des choses faciles, ou à ceux qui en exigent de difficiles ? À ceux qui attirent au milieu des périls, ou à ceux qui offrent la sécurité ? À ceux qui prêchent des nouveautés, ou à ceux qui fortifient les habitudes ? À ceux qui entraînent dans des sentiers rudes, ou dans des sentiers unis ? À ceux qui vous détournent des usages paternels, ou à ceux qui ne vous imposent aucune loi étrangère ? À ceux qui vous promettent des biens après le départ de cette vie, ou à ceux qui vous offrent des jouissances pour la vie présente ? Enfin est-ce le petit nombre qui l’emporte sur la multitude, ou la multitude sur le petit nombre ? Mais, direz-vous, vous promettez aussi pour le temps présent. Que promettons-nous ? La rémission des péchés et le baptême de la régénération. Et en vérité, les avantages du baptême sont surtout dans l’avenir. Paul s’écrie : « Vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. « Quand le Christ, qui est votre vie, apparaîtra, alors vous apparaîtrez aussi avec lui dans la gloire ». (Col. 3,3-4) Mais quand même le baptême aurait des avantages ici-bas (et il en a réellement), c’est encore une chose merveilleuse que les apôtres aient convaincu des hommes souillés de crimes innombrables, tels qu’on n’en avait jamais commis, qu’ils en seraient entièrement purifiés et n’en rendraient aucun compte. Aussi faut-il grandement s’étonner qu’ils aient pu persuader à des barbares d’accepter une telle foi, de placer leurs espérances dans l’avenir, de déposer le fardeau de leurs anciens péchés pour embrasser ensuite avec joie les difficultés de la vertu, de ne point désirer les choses sensibles, de s’élever au-dessus du monde matériel et de recevoir les dons spirituels ; en sorte que le Perse, le Sarmate, le Maure, l’Indien, connaissent la purification de l’âme, la puissance et l’ineffable bonté de Dieu, la philosophie de la foi, la descente du Saint-Esprit, la résurrection des corps, et le dogme de l’immortalité. Car des pêcheurs initiant aux mystères, dans le baptême, ces peuples barbares et bien d’autres encore, leur ont appris cette philosophie. Fidèles donc à ces principes, tenons-leur ce langage et donnons-leur par notre propre vie une preuve de fait, afin que d’une part nous soyons sauvés et que, de l’autre, nous les attirions à la gloire de Dieu : car la gloire lui appartient dans les siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VIII.

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AUSSI, MES FRÈRES, JE N’AI PU MOI-MÊME VOUS PARLER COMME À DES HOMMES SPIRITUELS, MAIS COMME À DES HOMMES CHARNELS, COMME À DE PETITS ENFANTS EN JÉSUS-CHRIST. JE VOUS AI NOURRIS DE LAIT, ET NON DE VIANDES SOLIDES, PARCE QUE VOUS N’EN ÉTIEZ PAS CAPABLES ; ET À PRÉSENT MÊME VOUS NE L’ÊTES PAS ENCORE, PARCE QUE VOUS ÊTES ENCORE CHARNELS. (CHAP. 3, VERS. 1, 2, JUSQU’AU VERS. 11)

ANALYSE.

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  • 1. Que l’on peut encore n’être qu’un homme charnel tout en faisant des miracles.
  • 2. Qu’une vie vicieuse empêche de voir la vérité.
  • 3. Dans l’œuvre du salut les hommes ne sont rien, Dieu est tout.
  • 4. Nécessité de l’union immédiate avec Jésus-Christ. – Danger du désespoir qui est le propre de l’impie.
  • 5. Éviter avec soin les petites fautes, parce qu’elles conduisent aux grandes. – Combien la pénitence est rare.


1. Après avoir détruit la sagesse profane et abattu tout son orgueil, il passe à un autre sujet. Sans doute on lui aurait dit : Si nous prêchions la doctrine de Platon, de Pythagore ou de quelque autre philosophe, vous auriez raison de nous parler si longuement : mais comme nous annonçons celle de l’Esprit, pourquoi ces attaques acharnées contre la sagesse du dehors ? Écoutez comme il répond à ce reproche : « Aussi, mes frères, je n’ai pu moi-même vous parler comme à des hommes spirituels ». C’est-à-dire : quand vous seriez parfaits, même dans les choses spirituelles, il ne faudrait pas ainsi vous enorgueillir : car ce que vous annoncez n’est pas à vous, ni de votre invention ; vous ne le savez même pas comme il faut ; vous êtes des disciples et les derniers de tous. Si donc vous vous enflez de la sagesse profane, il est démontré qu’elle n’est rien, qu’elle nous est même contraire dans les choses spirituelles ; si vous vous enorgueillissez des choses spirituelles, vous n’en avez que la moindre partie et vous êtes au dernier rang. Aussi leur dit-il : « Je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels ». Il ne dit pas : Je ne vous ai pas parlé de peur de paraître agir par jalousie ; mais il détruit de deux façons leur manière de penser : d’abord en leur prouvant qu’ils ne connaissent pas la perfection ; en second lieu, en leur montrant que c’est par leur faute ; et troisièmement, en leur faisant voir qu’ils n’en sont pas encore capables. Qu’ils ne l’aient d’abord pas pu, c’était peut-être dans la nature des choses ; quoique il ne leur laisse pas même ce moyen de défense. Car il ne leur dit pas qu’ils n’ont pas reçu ces enseignements sublimes parce qu’ils ne le pouvaient pas, mais parce qu’ils étaient charnels. Du reste, s’il s’agissait du commencement, il n’y aurait pas eu matière à grand reproche ; maïs après un si long espace de temps,.n’être pas encore arrivé à un état plus parfait, c’était l’indice d’une extrême lâcheté.
Il fait aussi ce même reproche aux Hébreux, mais non avec autant de force ; car il attribue chez eux le mal à la tribulation, et chez les autres au désir du mal ; deux choses fort différentes. Évidemment, il veut blâmer les Corinthiens, tandis qu’il ne cherche qu’à exciter les Hébreux en parlant selon la vérité. Aussi dit-il aux premiers : « À présent même vous n’en êtes pas capables » ; et aux seconds : « Laissant l’enseignement élémentaire sur le Christ, passons à ce qui est plus parfait » ; et encore : « Nous nous promettons de vous des choses meilleures et plus étroitement liées à votre salut, quoique nous vous parlions ainsi ». (Héb. 6,1, 9) Et comment appelle-t-il charnels ceux qui avaient reçu un si grand Esprit, et qu’il avait d’abord comblés d’éloges ? Parce qu’ils étaient charnels aussi, ceux à qui le Seigneur disait : « Retirez-vous de moi ! Je ne vous connais pas, vous qui opérez l’iniquité » (Mt. 7,23) ; et pourtant ils chassaient les démons, ressuscitaient les morts et démontraient les prophéties.
Ainsi on peut faire des miracles et être charnel. Ainsi Dieu a fait de Balaam son instrument, a révélé l’avenir à Pharaon et à Nabuchodonosor ; Caïphe a prophétisé, sans savoir ce qu’il disait ; quelques-uns ont même chassé les démons au nom du Christ, bien qu’ils ne fussent pas avec lui ; parce que ces prodiges se font pour les autres, et non pourl eurs auteurs. Souvent même ils se sont opérés par des instruments indignes. Et pourquoi s’étonner qu’ils s’opèrent pour les autres par des instruments indignes, quand ils se font aussi pour les autres par le moyen des saints ? « Tout est à vous », dit l’apôtre, « soit Paul, soit Apollon, soit Céphas, soit la vie, soit la mort ». (1Cor. 3,22) Et encore : « C’est lui qui a fait les uns apôtres, les autres prophètes, les autres pasteurs et docteurs pour la perfection des saints, pour l’œuvre du ministère ». (Eph. 4,11-12) Autrement tous seraient perdus sans ressource. Car il arrive que les chefs sont mauvais et pervers, tandis que les sujets sont bons et sages ; que les laïques vivent dans la piété, tandis que les prêtres vivent dans la corruption ; et il n’y aurait eu ni baptême, ni corps du Christ, ni oblation par les mains de ceux-ci, si la grâce eût toujours dû les trouver, dignes. Mais maintenant encore Dieu agit par le moyen des indignes, et la grâce du baptême ne souffre point de la conduite du prêtre : autrement celui qui la reçoit, ne l’aurait pas tout entière. Bien que cela soit rare, cela arrive pourtant.
Je dis ces choses de peur que quelqu’un de ceux qui sont ici, s’informant trop curieusement de la vie d’un prêtre, ne se scandalise à l’occasion des mystères. Car l’homme n’y met rien ; tout est l’effet de la vertu de Dieu, et c’est lui qui vous initie. « Aussi, mes frères, je n’ai pas pu moi-même vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels. Je vous ai nourris de lait ; mais non de viandes solides, car vous n’en étiez pas capables ». Pour ne pas paraître avoir parlé par ambition, quand il disait : « L’homme spirituel juge de toutes choses », et : « Il n’est jugé par personne », et encore : « Nous avons la pensée du Christ », comme aussi pour abattre leur orgueil, voyez ce qu’il dit : « Je ne me suis pas tu parce que je n’avais plus rien à vous dire, mais parce que vous êtes charnels. À présent même vous ne le pouvez pas encore ».
2. Pourquoi n’a-t-il pas dit : Vous ne voulez pas, mais : « Vous ne pouvez pas ? » C’est qu’il a mis l’un pour l’autre. En effet, on ne peut pas parce qu’on ne veut pas : c’est ce qui les accuse et excuse leur maître. Car si par nature ils n’eussent pas pu, peut-être auraient-ils été excusables ; mais ils agissent volontairement, ils sont donc inexcusables. Il indique ensuite de quelle manière ils sont charnels : « Car, puisqu’il y a parmi vous jalousie et esprit de contention, n’êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l’homme ? » Bien qu’il eût pu leur parler de fornication et de libertinage, c’est cependant cet autre péché qu’il met en avant, celui qu’il a jusqu’alors cherché à corriger. Que si la jalousie rend charnel, nous n’avons tous qu’à pousser des cris, à revêtir le sac et à nous rouler dans la cendre. Car, si je juge des autres par moi-même ; qui est exempt de ce vice ? Si la jalousie rend charnel et ne permet pas d’être spirituel, quand même on prophétiserait où qu’on ferait d’autres miracles : que penser de nous qui ne sommes point honorés de telles grâces, alors que nous sommes convaincus d’avoir ce défaut et de plus grands encore ? Nous apprenons par là combien le Christ avait raison de dire : que celui qui fait le mal ne vient pas à la lumière (Jn. 3,20) ; qu’une vie impure est un obstacle à la connaissance des vérités élevées, et obscurcit la vue de l’âme. De même qu’il n’est pas possible que celui qui est dans l’erreur et mène une conduite régulière, reste dans cette erreur ; ainsi celui qui vit dans le mal ne peut pas facilement s’élever à la hauteur de nos dogmes, et celui qui est à la recherche de la vérité doit être exempt de tout vice. En effet, celui qui est délivré de ses vices, le sera aussi de l’erreur et parviendra à la vérité. Ne vous imaginez pas qu’il suffise pour cela de n’être pas avare ou fornicateur ; il faut que tout se réunisse dans celui qui cherche la vérité. Aussi Pierre dit : « En vérité, je vois que Dieu n’a point fait acception de personne, mais qu’en toute nation celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable » (Act. 10,34-35). C’est-à-dire, que Dieu l’appelle et l’attire à la vérité. Ne voyez-vous pas Paul, le plus ardent des ennemis, le plus violent des persécuteurs ? Et pourtant comme il menait une vie irréprochable et qu’il n’agissait point par un motif humain, il a trouvé grâce et il a surpassé tous les autres.
Mais, dira-t-on, pourquoi tel et tel païen qui est bon, bienfaisant, plein d’humanité, reste-t-il dans l’erreur ? Je réponds : C’est qu’il a quelque autre vice, la passion de la vaine gloire, la lâcheté, ou qu’il ne s’inquiète point de son salut, mais se figure que toute sa destinée est1ivrée au hasard. Paul appelle irréprochable en tout, celui qui opère la justice ; « qui est conforme à la justice selon la loi » (Phil. 3,6) ; et encore : « Je rends grâce à Dieu qu’à l’exemple de mes ancêtres, je le sers avec une conscience pure. ». (2Tim. 1,3) Mais comment, direz-vous, ceux qui étaient impurs ont-ils été jugés dignes de la prédication ? Parce qu’ils ont voulu, parce qu’ils ont désiré. Dieu attire ceux qui sont dans l’erreur quand ils sont exempts de passions ; il ne repousse point ceux qui viennent d’eux-mêmes ; et beaucoup ont reçu de leurs ancêtres des traditions de piété. « Puisqu’il y a parmi vous jalousie et esprit de contention ». Il commence enfin à attaquer les inférieurs. Plus haut il a abattu les chefs en disant que la sagesse du langage n’a aucun prix ; maintenant il gourmande les inférieurs en disant : « Puisque l’un dit Moi je suis à Paul ; et l’autre : Moi je suis à Apollon, n’êtes-vous pas charnels ? » Il leur fait voir que par là, non seulement ils n’ont fait aucun profit, n’ont retiré aucun avantage, mais qu’ils ont au contraire retardé leurs progrès.
Et c’est là la source de la jalousie ; or, la jalousie les a rendus charnels ; et en devenant charnels, ils n’ont pu entendre de plus hautes vérités. « Qu’est donc Paul ? – Qu’est donc Apollon ? » Après les preuves et les démonstrations, ses reproches deviennent plus clairs et plus formels ; il se nomme lui-même, pour prévenir toute aigreur et les empêcher de se fâcher de ses paroles. Car si Paul n’est rien et ne se fâche pas, beaucoup moins doivent-ils s’irriter. Il les console de deux manières d’abord en se mettant lui-même en scène, ensuite en ne les dépouillant point absolument comme s’ils n’eussent contribué en rien ; il leur donne peu, mais enfin il leur donne quelque chose ; car après avoir dit : « Qu’est donc Paul ? Qu’est donc Apollon ? » il ajoute : « Des ministres par qui vous avez reçu la foi ». En soi, c’est quelque chose de grand, et qui mérite une grande récompense ; mais par rapport à l’archétype, à la racine de tout bien, ce n’est rien… Car le véritable bienfaiteur est celui qui accorde le bienfait, et non le ministre par qui il arrive. Il ne dit pas ; « Des évangélistes », mais : « Des ministres », ce qui dit davantage. Car ils ne nous ont pas seulement évangélisés, mais servis ; l’un consiste en paroles et l’autre en action. Or, si le Christ n’est simplement que le ministre du bien, et non sa racine et sa source, en qualité de Fils, voyez jusqu’où cela nous conduit.
3. Comment donc, direz-vous, Paul le nomme-t-il ministre de la circoncision ? (Rom. 15,8) Il parle là, de dispensation selon la chair[8], et non dans le sens que nous venons d’exposer ; par ministre, il entend celui qui a complété le bienfait, et non celui qui l’a accordé de son fonds. Il ne dit pas : « Qui vous amènent à la foi, mais : « Par qui vous avez reçu la foi » ; leur accordant par là davantage, et faisant voir que les prédicateurs sont des ministres. Mais s’ils n’ont été que des ministres, comment s’attribuent-ils l’autorité ? Considérez qu’il ne les accuse point d’avoir usurpé l’autorité, mais de l’avoir cédée ; car la cause de la faute était dans le peuple ; si les uns se fussent tenus à l’écart, les autres se seraient désistés. Il prend donc, deux sages mesures pénètre là où il fallait détruire le mal, et il agit sans animosité, sans exciter davantage leur jalousie. « Selon le don que le Seigneur a départi à chacun ». Car ce faible avantage ne vient pas d’eux ; mais c’est un don de Dieu. De peur qu’ils ne disent : Quoi ! nous n’aimerons pas ceux qui nous servent ? vous les aimerez, répond-il, mais il faut savoir jusqu’à quel point : car ils n’ont rien d’eux-mêmes, tout leur vient de Dieu. « Moi, j’ai planté, Apollon a arrosé, mais Dieu a donné la croissance ». C’est-à-dire : J’ai le premier semé la parole ; de peur que la semence ne fût desséchée par les tentations, Apollon y a mis du sien, mais le tout a été l’œuvre de Dieu.
« C’est pourquoi ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose ; mais « celui qui donne la croissance, Dieu ». Voyez comme il les console, de peur qu’ils ne s’aigrissent, en entendant dire : Qui est celui-ci ? qui est celui-là ? Car il ne leur était pas moins pénible d’entendre dire : Ni celui qui plante, ni celui qui arrose n’est quelque chose, que d’entendre dire : Qui est celui-ci ? qui est celui-là ? Mais comment les console-t-il ? En ce qu’il attire le mépris sur sa propre personne, quand il dit : « En effet, qu’est-ce que Paul ? qu’est-ce qu’Apollon ? » et aussi en ce qu’il rapporte tout au don de Dieu. Car après avoir dit qu’un tel a planté, et que celui qui plante n’est rien, il ajoute : « Mais celui qui donné la croissance, Dieu ». Il ne s’arrête même pas là ; il applique encore un autre remède en disant : « Or, celui qui planté et celui qui arrose sont une seule chose ». Son but est d’empêcher que l’un se glorifie vis-à-vis de l’autre. Il dit qu’ils sont une même chose, en ce sens qu’ils ne peuvent rien sans Dieu qui donne la croissance : Après avoir dit cela ; il ne permet pas même que ceux qui ont beaucoup travaillé se pavanent devant ceux qui ont moins travaillé, ni qu’ils aient de la jalousie les uns envers les autres. Et comme cette conviction que ceux qui avaient beaucoup travaillé ire faisaient qu’une seule chose avec ceux qui avaient moins travaillé, pouvait amener le relâchement, voyez quel correctif il y met, en disant : « Mais chacun recevra sa propre récompense selon son travail ». Comme s’il disait : Ne craignez point parce que j’ai dit qu’ils sont une seule chose : cela est vrai, si on les compare à l’œuvre de Dieu ; cela ne l’est plus, si on les juge d’après leurs travaux mais chacun d’eux recevra son propre salaire. Il prend même encore un largage plus doux, dès l’instant qu’il a atteint son but ; il est généreux là où il est permis de l’être : « Car nous sommes les coopérateurs de Dieu ; vous êtes le champ que Dieu cultive, l’édifice que Dieu bâtit ».
Voyez-vous quelle œuvre considérable il leur attribue, après avoir d’abord établi que tout appartient à Dieu ? Comme il recommande toujours d’obéir aux chefs, il ne les rabaisse pas trop. « Vous êtes le champ que Dieu cultive ». Ayant d’abord dit : « J’ai planté », il persiste dans sa métaphore. Or, si vous êtes le champ de Dieu, il est juste que vous portiez son nom, et non celui des laboureurs. En effet, un champ porte le nom de son propriétaire et non de celui qui le laboure. « Vous êtes l’édifice que Dieu bâtit ». La maison appartient au propriétaire, et non à l’ouvrier. Que si vous êtes un édifice, il ne faut pas vous diviser, mais vous faire un rempart de la concorde. « Selon la grâce que Dieu m’a donnée, j’ai, comme un sage architecte, posé le fondement ». Ici il s’appelle sage, non par vaine gloire, mais pour leur donner un modèle et leur montrer qu’il est d’un sage de ne poser qu’un seul fondement. Du reste, voyez sa modestie. S’il se dit sage, il ne permet pas qu’on le lui attribue ; il ne se donne ce nom qu’après s’être rapporté à Dieu tout entier : « Selon là grâce que Dieu m’a donnée, j’ai, comme un sage architecte, posé le fondement ». Il fait voir en même temps que tout appartient à Dieu, et que la grâce consiste surtout en ce qu’il n’y a pas de division, mais que tout reposé sur un seul fondement. « Un autre a bâti dessus ; que chacun donc regarde comment il y bâtira encore » Ici il me semble les engager à combattre pour régler leur conduite, puisqu’il les a unis en un seul corps. « Car personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, lequel est le Christ Jésus ». On ne peut poser le fondement qu’il n’y ait un architecte ; une fois le fondement posé, l’architecte disparaît.
4. Voyez comme il emploie des notions vulgaires pour démontrer son sujet. Voici ce qu’il veut dire : J’ai annoncé le Christ, je vous ai donné 1e fondement : voyez comment vous bâtissez dessus, si c’est pour la vaine gloire, pour attirer des disciples à des hommes. Ne faisons donc aucune attention aux hérésies car personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé. Bâtissons donc sur lui, attachons-nous-y comme à un fondement, comme le sarment à la vigne, et qu’il n’y ait point d’intermédiaire entre le Christ et nous car, s’il s’en trouve un, notre ruine est immédiate. Le sarment tire de la sève parce qu’il tient au tronc ; un bâtiment reste debout parce que ses parties sont unies ; si elles viennent à se disjoindre, il tombe, faute d’appui. Ne tenons pas seulement au Christ, mais collons-nous à lui, en quelque sorte ; si une fois nous nous en, séparons, nous sommes perdus. Il est écrit : « En vérité, ceux qui s’éloignent de vous, périront ». (Ps. 72,27) Collons-nous donc au Christ, mais par les œuvres : il nous dit lui-même : « Celui qui garde mes commandements, demeure en moi ». (Jn. 14,21) Il emploie une foule de comparaisons peur nous prouver la nécessité de l’union. Voyez : il est la tête, et nous les membres ; or, peut-il y avoir un espace vide entre la tête et le reste du corps ? Il est le fondement, et nous l’édifice ; il est la vigne et nous les sarments ; il est l’époux, et nous l’épouse ; il est le berger, et nous les brebis ; il est la route, et nous les voyageurs ; nous sommes le temple, il en est l’habitant ; il est le premier-né, nous sommes les frères ; il est l’héritier, nous sommes les cohéritiers ; il est la vie, et c’est nous qui vivons ; il est la résurrection, et c’est nous qui ressuscitons ; il est la lumière, et c’est nous qui sommes éclairés.
Tout cela nous représente l’unité et n’admet aucun intermédiaire, aucun vide, si petit qu’il soit. Car celui qui est quelque peu séparé, le sera bientôt beaucoup. Si peu que le corps soit divisé par le glaive, il périt ; si peu que l’édifice se crevasse, il tombe en ruine : si peu que le sarment soit séparé de la racine, il devient inutile. Ainsi, ce peu n’est pas peu, mais presque tout. Donc, quand nous avons un peu péché, ou été un peu lâches, ne négligeons pas ce peu ; autrement il deviendra beaucoup. Ainsi, un manteau qui commence à se déchirer et qu’on néglige de réparer, se déchire en entier ; ainsi un toit dont quelques tuiles sont tombées sans qu’on se donne la peine de les remettre, détruit toute, la maison. Songeons à tout cela et ne négligeons jamais les petites fautes, pour ne pas tomber dans les grandes ; mais si nous les avons négligées et que nous soyons tombés au fond de l’abîme, ne désespérons cependant pas encore, de peur que notre tête ne s’appesantisse. Car, à moins d’une extrême vigilance, il sera bien difficile de remonter de là, non seulement à cause de la longueur de l’espace, mais à raison de la situation même. En effet, le péché est un abîme profond, où l’on est entraîné et brisé dans la chute. Comme ceux qui tombent dans un puits ont de la peine à en sortir et ont besoin que d’autres les retirent, ainsi en est-il de ceux qui s’enfoncent dans l’abîme du péché.
Jetons-leur donc des cordes et retirons-les ; non seulement il en faut pour les autres, mais aussi pour nous-mêmes, afin de nous lier et de remonter, non seulement de tout ce que nous sommes descendus, mais de beaucoup plus si nous voulons. Dieu nous aide ; lui « qui ne veut pas 1a mort du pécheur, mais qu’il se convertisse ». (Ez. 23,3) Que personne donc ne désespère, que personne ne se laisse atteindre par le vice des impies : car, « quand l’impie est descendu au fond de l’abîme, il méprise ». (Prov. 18,3) Ainsi ce n’est pas la multitude des péchés ; mais le sentiment de l’impiété, qui produit le désespoir. Eussiez-vous commis tous les crimes possibles, dites-vous à vous-mêmes : Dieu est bon et il désire notre salut. « Car quand vos péchés seraient rouges comme l’écarlate », nous dit-il, « je les rendrai blancs comme la neige » (Is. 1,13) ; je les changerai en un état contraire. Donc ne désespérons pas ; car tomber n’est pas aussi grave que de persévérer dans sa chute ; être blessé est moins terrible que de ne pas vouloir laisser guérir sa blessure. Et « qui se vantera d’avoir le cœur pur ? Qui osera se dire exempt de péchés ? » (Prov. 20,9) Je dis cela, non pour favoriser votre négligence, mais pour vous empêcher de tomber dans le désespoir.
5. Voulez-vous savoir combien notre maître, est bon ? Un publicain chargé d’iniquités, monte au temple, et pour avoir dit ces simples mots : « Ayez pitié de moi ! » (Lc. 18,13), il en sort justifié. Et Dieu nous dit, par la bouche du prophète : « Je l’ai un peu contristé à cause de son péché, et voyant qu’il s’en allait affligé et triste, j’ai corrigé ses voies ». (Is. 57,17-18) Quelle charité égale celle-là ? Parce qu’il était triste, nous dit-il, j’ai remis son péché. Pour nous, nous n’agissons pas ainsi ; et c’est par là que nous provoquons surtout la colère de Dieu. Celui que la moindre chose rend propice, a raison de s’irriter quand il ne rencontre pas cette disposition, et de tirer de nous la plus dure vengeance : car c’est le signe d’un extrême mépris. Mais qui s’attriste du péché ? qui en gémit ? Qui s’en frappe la poitrine ? qui s’en inquiète ? Personne, ce me semble. On pleure très longtemps la mort d’un serviteur, une perte d’argent ; et quand tous les jours nous donnons la mort à notre âme, nous n’en avons pas le moindre souci. Comment vous rendrez-vous Dieu propice, si vous ne savez pas même que vous avez péché ? Mais, dites-vous ; j’en conviens, j’ai péché. Oui, c’est un aveu de votre bouche ; mais faites-le aussi de cœur, et après l’avoir fait, gémissez, afin d’avoir toujours bon courage. En effet, si nous nous affligions de nos péchés, si nous gémissions de nos fautes, nous n’éprouverions aucune autre douleur, car celle-là écarterait toutes les autres. En sorte que nous retirerions encore de la confession ce nouvel avantage de n’être jamais absorbés par les calamités de la vie présente, ni enflés par le succès et la prospérité : et par là nous nous rendrions Dieu plus propice, au lieu de l’irriter par notre conduite, comme nous le faisons maintenant.
Dites-moi : si vous aviez un serviteur qui eût éprouvé beaucoup de mauvais traitements de la part de ses compagnons et n’en tînt aucun compte, uniquement occupé à ne pas irriter son maître, cela ne suffirait-il pas à apaiser votre colère ? Mais si, au contraire, sans s’inquiéter de ses torts à votre égard, il ne s’occupait que de ceux qu’il a eus envers ses compagnons, ne le puniriez-vous pas avec plus de sévérité ? C’est ainsi que Dieu se conduit quand nous nous soucions peu de son courroux, nous l’augmentons ; quand nous nous en inquiétons, nous l’adoucissons. Nous l’apaisons même entièrement : car il veut que nous nous punissions nous-mêmes de nos péchés, et, dans ce cas, il renonce à nous en punir lui-même. C’est dans cette vue qu’il nous menace, afin que la crainte nous empêche de le mépriser. Quand la menace suffit à nous détourner du mal, il ne permet pas qu’elle s’accomplisse. Voyez ce qu’il dit à Jérémie : « Ne voyez-vous pas ce qu’ils font ? « Leurs pères allument le feu ; leurs fils apportent du bois ; leurs femmes pétrissent la farine ». (Jer. 7,17-18) Il est fort à craindre qu’on n’en dise autant de nous. Personne ne cherche les intérêts de Jésus-Christ ; chacun cherche les siens propres. (Phil. 2,21) Leurs fils courent au libertinage ; leurs pères à l’avarice et à la rapine ; leurs femmes aux caprices du siècle ; elles excitent leurs époux, bien loin de les retenir. Tenez-vous sur la place publique ; interrogez les allants et les venants, vous n’en verrez pas un montrer de l’empressement pour des choses spirituelles, mais tous s’agitent pour des intérêts matériels.
Quand deviendrons-nous sages ? Combien de temps resterons-nous dans notre sommeil léthargique ? Ne sommes-nous pas rassasiés de maux ? À défaut de paroles, l’expérience nous apprend assez que tout est vanité et affliction ici-bas. Des hommes qui n’avaient que la sagesse du dehors et ne savaient rien de l’avenir, ont pu se convaincre du peu de valeur des choses présentes et par cela seul s’en détacher. Quel pardon pouvez-vous espérer, vous qui rampez à terre, qui n’avez pas la force de mépriser des biens futiles et passagers, et de les abandonner pour un bonheur immense et éternel ; vous qui êtes instruit et éclairé là-dessus par Dieu lui-même et avez reçu de lui de si grandes promesses ? Ceux qui, en dehors de ces promesses, ont su s’abstenir des biens de ce monde, nous prouvent assez par leurs exemples qu’il n’y a pas là de quoi enchaîner nos affections. En effet, quelles richesses espéraient-ils, en embrassant la pauvreté ? Aucune. Ils savaient seulement que la pauvreté est préférable aux richesses. Quelle vie espéraient-ils en renonçant aux plaisirs, en menant une existence austère ? Aucune. Mais pénétrant la nature des choses, ils sentaient que cela rendait l’âme plus sage et le corps plus sain. Animés donc des mêmes pensées ; et portant toujours en nous l’espérance des biens futurs, détachons-nous du présent, afin d’obtenir ces biens à venir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE IX.

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QUE SI ON ÉLÈVE SUR CE FONDEMENT UN ÉDIFICE D’OR, D’ARGENT, DE PIERRES PRÉCIEUSES, DE BOIS, DE FOIN, DE CHAUME, L’OUVRAGE DE CHACUN SERA MANIFESTÉ. CAR LE JOUR DU SEIGNEUR LE METTRA EN LUMIÈRE, ET IL SERA RÉVÉLÉ PAR LE FEU ; AINSI LE FEU ÉPROUVERA L’ŒUVRE DE CHACUN. SI L’OUVRAGE DE CELUI QUI À BÂTI SUR LE FONDEMENT DEMEURE, CELUI-CI RECEVRA SA RÉCOMPENSE. SI L’ŒUVRE DE QUELQU’UN BRÛLE, IL EN SOUFFRIRA LA PERTE ; CEPENDANT IL SERA SAUVÉ, MAIS COMME PAR LE FEU. (IBID. 12, 13, 14, 15, JUSQU’À 17)

ANALYSE.

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  • 1. Le supplice qui attend les pécheurs, c’est le feu éternel.
  • 2. Que les préceptes de Dieu sont faciles à pratiquer ; qu’il est plus pénible de faire le mal que de s’en abstenir.
  • 3. Si quelqu’un, possédant la vraie foi, mène une vie coupable, il ne sera point sauvé du supplice par sa foi, puisque ses œuvres seront livrées au feu.
  • 4. Exhortation pour inspirer l’horreur du péché. – Contre les avares. – Qu’ils sont pires que les bêtes et que les démons.


1. La question qui nous est ici proposée n’est pas d’une mince importance ; elle touche, aux intérêts les plus graves, à ce qui préoccupe tous les hommes, à savoir si le feu de l’enfer doit avoir une fin. Le Christ a déclaré que non, en disant : « Leur feu ne s’éteindra point ; leur ver ne mourra point ». (Mc. 9,45) Je sais que vous écoutez cela avec indifférence : qu’en faire ? Dieu nous ordonne de faire souvent retentir cette vérité quand il nous dit : « Fais entendre à ce peuple ». Nous avons été ordonnés pour le ministère de la parole ; et je dois, bien malgré moi ; être importun à mes auditeurs. Du reste, si vous le voulez ; nous ne serons pas importuns ; car il est écrit : « Si tu fais le bien, ne crains pas ». (Rom. 13,3) Il dépend donc de vous de nous écouter, non seulement sans peine, mais avec plaisir. Le Christ lui-même a déclaré que ce feu n’aura point de fin ; Paul, à son tour, affirme que le supplice sera immortel, et que les pécheurs subiront des tourments affreux et éternels. (2Thes. 1,9) Il dit encore : « Ne vous abusez point : ni les fornicateurs, ni les adultères, ni les efféminés ne posséderont le royaume de Dieu ». (1Cor. 6,9, 10) Il disait aussi aux Hébreux : « Recherchez la paix avec tous et la sainteté, sans laquelle nul ne verra Dieu ». (Héb. 12,14) Et à ceux qui disaient ; « Nous avons fait beaucoup de miracles », le Christ a répondu : « Retirez-vous de moi, vous qui opérez l’iniquité ; je ne vous ai pas connus ». (Mt. 7,22, 23) Et les vierges ont été exclues, elles ne sont point entrées ; et de ceux qui ne l’auront point nourri, il dit : « Et ceux-ci s’en iront au supplice éternel ». (Id. 25,46)
Ne me dites pas : Si le supplice n’a pas de fin, où est l’iniquité ? Quand Dieu fait quelque chose, soumettez-vous à son autorité, et ne soumettez point sa parole aux raisonnements humains. Et d’ailleurs comment ne serait-il pas juste que celui qui a d’abord été comblé de bienfaits, qui a ensuite commis des fautes dignes de punition et n’a été corrigé ni par les menaces ni par les bienfaits, que celui-là, dis-je, subisse le châtiment ? Si vous voulez consulter la justice et l’équité, c’était tout d’abord que nous devions être perdus ; et ce n’était pas seulement la justice, mais la charité envers nous qui le demandait. Celui qui injurie quelqu’un qui ne lui a point fait de mal, est puni selon toute justice, mais quand on injurie un bienfaiteur qui a accordé mille faveurs sans en avoir reçu aucune, à qui seul on doit l’existence, qui est Dieu ; qui a donné la vie, qui a comblé de bienfaits, qui veut mener au ciel, et que non seulement on l’injurie, mais qu’on répète chaque jour l’outrage par ses œuvres, quel pardon méritera-t-on ? Ne voyez-vous pas comme Adam, a été puni pour un seul péché ? Oui, direz-vous ; mais Dieu lui avait donné le paradis, et lui avait montré une extrême bienveillance. Or ce n’est pas la même chose de pécher quand on vit dans la sécurité et l’abondance, ou de pécher quand on est au milieu des afflictions. Eh ! c’est précisément là qu’est le mal : vous ne péchez pas au paradis, mais au sein des mille misères de cette vie, et ces misères ne vous rendent pas plus sages ; n’est comme si un homme enchaîné se montrait méchant. Mais Dieu vous a promis bien plus que le paradis terrestre ; S’il n’a pas encore réalisé sa promesse, c’est pour ne pas vous amollir au milieu des combats, et s’il vous l’a faite, c’est pour ne pas vous décourager au sein des épreuves. Pour un seul péché, Adam a attiré sur lui toute mort : et nous, nous péchons mille fois tous les jours. Mais si, pour une seule faute, Adam s’est attiré tant de maux et a introduit la mort dans le monde, quel sera notre châtiment, à nous, qui attendant le ciel au lieu du paradis terrestre, vivons constamment dans le péché ?
Ce langage est pénible et affligeant pour l’auditeur ; j’en juge par ce que j’éprouve moi-même ; mais mon cœur est troublé et palpitant ; et plus ce que l’on dit de l’enfer m’est démontré, plus je tremble et recule de frayeur. Mais il faut en parler, de peur que nous n’y tombions. Ce n’est pas le paradis, ni des arbres, ni des plantes qu’on, vous a promis ; mais le ciel et tous ses biens. Si donc celui qui a moins reçu, a été condamné sans rémission, à plus forte raison nous, qui avons commis bien plus de péchés et sommes appelés à de plus, grands biens, serons-nous punis sans remède. Songez depuis combien de temps notre race est sujette à la mort à cause d’un seul péché. Cinq mille ans et plus se sont passés, et la mort, fruit d’un seul péché, n’est pas encore détruite. Et nous ne pouvons pas dire qu’Adam avait entendu les prophètes, qu’il avait vu d’autres hommes punis pour leurs péchés, en sorte qu’il eût pu en concevoir de la terreur et devenir sage par leur exemple ; il était le premier homme, il était seul, et pourtant il fut puni. Or vous n’avez aucune de ces excuses à présenter, vous qui, après tant d’exemples, êtes devenu pire, vous qui avez reçu un Esprit si, grand et qui pourtant avez commis, non un ou deux péchés, mais des péchés sans nombre. Et parce qu’il ne faut qu’un instant pour commettre le péché, n’allez pas vous imaginer que la punition sera passagère. Ne voyez-vous, pas des hommes qui souvent ne sont coupables que d’un seul vol ou d’un seul adultère commis en un instant, passer toute leur vie dans les prisons ou dans les mines, et lutter perpétuellement avec la faire ou mille genres de mort ? Et personne ne les en tire, personne ne dit que la faute n’ayant duré qu’un instant, la punition ne, doit pas durer davantage.
2. Mais, dira-t-on, ce sont les hommes qui se conduisent ainsi, et Dieu est bon. D’abord ce n’est point par cruauté, mais par charité, que les hommes agissent ainsi ; et Dieu se venge aussi, précisément parce qu’il est bon ; sa vengeance même est la preuve de sa miséricorde. Quand donc vous dites que Dieu est bon, vous me fournissez un argument plus puissant en faveur de la punition, puisque nous offensons un être si parfait. Aussi Paul nous dit-il : « Il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant ». (Héb. 10,31) Supportez, je vous en prie, us paroles brûlantes ; peut-être, oui peut-être, y trouverez-vous quelque consolation. Quel mortel peut punir comme Dieu qui a perdu par un déluge toute la race humaine déjà si nombreuse, et qui ; peu après, a fait descendre une pluie de feu et opéré une destruction complète ? Quelle punition humaine égalera jamais celles-là ? Ne voyez-vous pas que c’est – là, en un sens, un supplice immortel ? Quatre mille ans se sont écoulés, et la punition des habitants de Sodome subsiste encore dans son intégrité. Ainsi le supplice se trouve proportionné à la bonté de Dieu. S’il eût commandé des choses difficiles, impossibles, peut-être pourrait-on objecter la difficulté de ces lois ; mais quand il ne commande que des choses très faciles, que pouvons-nous dire, nous qui n’en tenons pas même compte ?
Vous ne pouvez pas jeûner, ni garder la virginité ? Vous le pourriez si vous le vouliez, et ceux qui le peuvent sont une accusation contre nous, Mais Dieu n’a point usé envers nous d’une si grande sévérité, il n’a pas exigé ces choses, il n’en a point fait une loi ; il les a laissées au libre arbitré, à la bonne volonté de chacun ; mais tout au moins vous pouvez être chaste dans le mariage, vous pouvez ne pas vous livrer à l’ivrognerie. Vous ne pouvez pas vous dépouiller de toutes vos richesses ? Vous le pourriez certainement, comme le prouvent ceux qui le font ; mais Dieu ne vous en a point fait un commandement : il vous a seulement ordonné de vous abstenir du vol et de soulager les pauvres. Que si quelqu’un dit qu’il ne peut se contenter de sa femme, il se trompe lui-même et se fait illusion, comme le prouvent ceux qui pratiquent, la continence en dehors du mariage. Quoi donc ! je vous prie, vous ne pouvez vous dispenser d’injurier et, de maudire ? Mais le pénible, c’est de faire ces choses, ce n’est pas de s’en abstenir. Quelle sera notre excuse, à nous qui n’observons pas des commandements si faciles et si légers ? Nous n’en aurons aucune. De tout cela il résulte évidemment que le châtiment n’aura pas de fin. Et comme quelques-uns pensent que le texte de l’apôtre dit le contraire, reproduisons-le et étudions-le. Après avoir dit : « Si l’ouvrage de celui qui a bâti sur le fondement, demeure, celui-ci recevra sa récompense ; si l’œuvre de quelqu’un brûle, il en souffrira la perte » il ajoute : « Cependant il sera sauvé, mais comme par le feu ». Que répondre à cela ?
Examinons d’abord ce que c’est que le fondement, puis ce que c’est que l’or, les pierres précieuses, le foin et la paille. – Par le fondement il entend évidemment le Christ, puisqu’il dit : « Car personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, lequel est le Christ Jésus ». L’édifice, ce sont, d’après moi, nos actions. Quelques-uns pensent que cela se rapporte aux maîtres, aux disciples et aux perverses hérésies ; mais le sujet ne s’accommode pas de cette interprétation. Dans ce cas, en effet, comment l’œuvre serait-elle détruite, et l’ouvrier sauvé, même parle feu ? Car c’est surtout l’auteur qui devrait périr, et ici ce serait celui qui aurait été construit qui subirait le principal châtiment. En effet, si le maître est l’auteur du mal, il doit être le plus puni ; comment donc serait-il sauvé ? D’autre part, s’il n’est pas coupable, et que ses disciples se soient pervertis par leur propre malice, il n’est pas juste que celui qui a construit selon les règles, soit puni et subisse un dommage. Comment donc Paul dit-il : « Il en souffrira la perte ? » Évidemment cela s’applique aux actions : Comme l’apôtre doit bientôt s’attaquer au fornicateur, il pose ici longtemps d’avance la base de son argumentation. Car son usage est, quand il se dispose à traiter une question, d’en donner les prémisses et les preuves dans un autre sujet, avant d’arriver à son but. En effet, quand il voulait les blâmer de ce qu’ils ne s’attendaient pas les unis les autres dans les festins, il leur a d’abord parlé des mystères : Pressé donc d’en venir au fornicateur, il parle d’abord du fondement de l’édifice, et ajoute : «. Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si donc quelqu’un profane le temple de Dieu, Dieu le perdra ». Déjà, en disant cela, il ébranle par la crainte l’esprit du fornicateur. « Que si on élève sur ce fondement un édifice d’or, d’argent, de pierres précieuses, de bois, de foin, de paille ». Après avoir reçu la foi, il faut bâtir ; c’est pourquoi il dit ailleurs : « Édifiez-vous les uns les autres par ces paroles ». (1Thes. 5,11) En effet, le maître et le disciple concourent à la formation de l’édifice ; ce qui fait dire à Paul : « Que chacun donc regarde comment il bâtira dessus ».
3. Or, s’il s’agissait ici de la foi, le langage ne serait pas juste. Car tous doivent être égaux dans la foi, puisque elle est une ; mais dans la vertu tous ne peuvent pas l’être. La foi n’est pis ici plus petite, là plus grande ; elle est la même chez tous les vrais croyants ; dans la conduite, au contraire, les uns sont plus diligents, les autres plus lâches ; les uns plus exacts, les autres moins ; les uns font de plus grands progrès, les autres de plus petits ; les uns commettent des fautes plus graves, les autres de plus légères. Voilà pourquoi Paul parle d’or, d’argent, de pierres précieuses, de bois, de foin, de paille. « L’ouvrage de chacun sera manifesté ». Il s’agit ici d’actions. « Si l’ouvrage de celui qui a bâti sur le fondement, demeure, celui-ci recevra sa récompense ; si l’œuvre de quelqu’un brûle, il en souffrira la perte ». S’il était question de disciples et de maîtres, ceux-ci ne devraient pas être punis parce que les autres n’auraient pas écouté. Aussi dit-il : « Chacun recevra son propre salaire selon son travail » ; non pas selon le résultat, mais selon le travail. Et si les auditeurs ne prêtaient aucune attention ? Il est donc clair qu’il s’agit ici des œuvres. Voici ce qu’il veut dire : Si quelqu’un, possédant la vraie foi, mène une vie coupable, il ne sera point sauvé du supplice par sa foi, puisque ses œuvres seront livrées au feu. Ce mot : « Brûle », signifie : Qui ne résistera pas au feu. Mais si un homme qui a des armes d’or doit traverser un fleuve de feu, il n’en sortira que plus éclatant ; s’il n’est revêtu que de foin, non seulement il n’opérera pas son trajet, mais il périra. Ainsi en est-il des œuvres. Paul ne parle pas de personnages réels et vraiment brûlés ; mais il veut simplement inspirer de la terreur et montrer qu’il n’y a pas de sécurité pour celui qui vit dans le péché. Aussi dit-il : « En souffrira la perte ». Voilà le premier supplice. « Cependant il sera sauvé, mais comme par le feu[9] ». Voilà le second. Et le sens est : Il ne périra pas comme ses œuvres, il ne sera pas anéanti ; mais il subsistera dans le feu.
Il appelle cela « être sauvé », direz-vous ; cela est vrai, mais non dans la signification ordinaire du mot, puisqu’il ajoute : « Comme par le feu ». Nous aussi nous avons l’habitude de dire : Il est sauvé du feu, en parlant des objets qui n’ont pas été immédiatement brûlés et réduits en cendre. Mais à ce mot de feu n’allez pas vous imaginer que ceux qui y brûlent sont anéantis. Ne vous étonnez pas non plus de ce que l’apôtre appelle ce châtiment être sauvé, car c’est son habitude d’user d’expressions adoucies dans les sujets pénibles, et vice versa. Par exemple le mot de servitude présente une idée désagréable ; mais Paul s’en sert dans un bon sens, quand il dit : « Réduisant en servitude toute intelligence sous l’obéissance du Christ ». (2Cor. 10,5) Et en retour il se sert d’un terme honorable pour un sujet odieux, en disant : « Le péché a régné » (Rom. 5,21), bien que le mot régner s’applique mieux à un objet plus digne. De même ici le mot : « Sera sauvé » ne signifie pas autre chose que l’intensité et la durée du supplice, comme s’il disait : Il sera tourmenté à jamais.
Il continue et dit : « Ne savez-vous pas que à vous êtes le temple de Dieu ? » Après avoir d’abord parlé de ceux qui déchirent l’Église, il s’adresse maintenant à l’incestueux, non ouvertement, mais vaguement, en faisant allusion à sa coupable conduite et faisant ressortir sa faute par le don qu’il a reçu. Il fait également rougir les autres, en rappelant ce qu’ils ont reçu. C’est ce qu’il ne manque jamais de faire, en tirant ses motifs, ou de l’avenir, ou du passé, ou du mal ou du bien ; de l’avenir, en disant : « Le jour du Seigneur mettra en lumière ce qui sera révélé par le feu » ; du passé : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un pro« fane le temple de Dieu, Dieu le perdra ». Voyez-vous la force de ces paroles ? Cependant tant que la personne est inconnue, le langage est moins pénible à supporter, parce que la crainte du blâme est partagée entre tous. « Dieu le perdra », c’est-à-dire, le fera périr. Ce n’est point une malédiction, mais une prédiction. « Car le temple de Dieu est saint ». Or le fornicateur est souillé. Après avoir dit, pour éviter une allusion personnelle : « Car le temple de Dieu est saint », il ajoute : « Et vous êtes ce temple. Que personne ne s’abuse ». Ceci s’adresse encore au coupable, qui se croyait quelque chose et se glorifiait de sa sagesse. Mais pour ne pas paraître l’attaquer hors ale propos et trop longtemps, après l’avoir jeté clans l’angoisse et dans l’épouvante, il revient à l’accusation générale, en disant : « Si quelqu’un d’entre vous paraît sage selon ce siècle, qu’il devienne fou pour être sage ». Du reste, il use ensuite d’une grande liberté de langage, vu qu’il les a assez vivement attaqués. Quelqu’un fût-il riche, fût-il noble, il est le plus vil de tous, s’il est esclave du péché. Il en est du pécheur comme d’un roi qui serait prisonnier des barbares et se trouverait par là le plus misérable des hommes. Car le péché est un véritable barbare qui n’épargne point l’âme assujettie à son joug et exerce sa tyrannie envers ses victimes.
4. En effet, rien n’est aussi déraisonnable, aussi insensé, aussi fou, aussi violent que le péché ; partout où il entre, il renverse, il confond, il perd tout ; il est hideux à voir, odieux et lourd à porter. Si un peintre le représentait, il ne serait, je crois, pas loin de la vérité, en lui donnant les traits d’une femme, ayant la forme d’une bête sauvage, barbare, respirant le feu, laide, noire, telle que les poètes païens nous dépeignent Scylla. Car il saisit nos pensées par des mains sans nombre, attaque à l’improviste et déchire tout, comme les chiens qui mordent à la dérobée. Mais à quoi bon le peindre lui-même, quand nous pouvons faire paraître ses victimes ? Laquelle décrions-nous d’abord ? L’avare ? Qu’y a-t-il de plus impudent que ce regard ? Qu’y a-t-il de plus déshonnête et de plus cynique ? Un chien n’est pas aussi insolent que ce ravisseur du bien d’autrui. Quoi de plus abominable que ses mains ? Quoi de plus avide que, cette bouche qui avale tout sans se rassasier ? Ne prenez pas ses traits, ses yeux pour ceux d’un homme ; ce n’est pas là un regard humain. Pour lui, les hommes ne sont pas des hommes, le ciel n’est pas le ciel ; il n’a pas un signe de respect pour le Maître : l’argent est tout pour lui. Les yeux de l’homme ont l’habitude de se fixer sur ceux que la pauvreté afflige, et d’exprimer des sentiments de pitié ; ceux du voleur voient les pauvres et prennent une expression sauvage. Les yeux de l’homme ne considèrent pas le bien d’autrui comme le leur propre, mais leur bien propre comme celui d’autrui ; ils ne convoitent pas ce qui est donné aux autres, mais se dépouillent plutôt en leur faveur de ce qu’ils ont eux-mêmes ; ceux de l’avare, au contraire, ne sont point satisfaits qu’ils n’aient enlevé le bien de tout le monde ; car ils n’ont pas le regard de l’homme, mais celui de la bête fauve.
Les yeux de l’homme ne peuvent supporter de voir un pauvre nu, car le corps humain est le leur, bien qu’il appartienne à d’autres personnes ; mais ceux des avares ne sont jamais rassasiés, jamais assouvis, s’ils n’ont tout dépouillé et tout caché dans leur domicile. En sorte qu’on peut dire de leurs mains qu’elles n’appartiennent pas seulement à des bêtes fauves, mais aux bêtes fauves les plus féroces et les plus cruelles. En effet ; les ours et les loups laissent leur proie quand – ils sont rassasiés ; mais eux ne se rassasient jamais. Cependant Dieu nous a donné des mains pour secourir notre prochain, et non pour lui tendre des embûches. Il vaudrait mieux les couper et en être privé, que d’en faire un pareil usage. Vous souffririez de voir un loup déchirer une brebis ; et vous ne pensez pas commettre un grand crime en en faisant autant à votre frère ? Comment seriez-vous encore un homme ? Ne voyez-vous pas que nous appelons humaine, toute action qui respire la compassion et la bonté ? et que nous appelons inhumain, tout homme qui commet un acte de dureté et de cruauté ? La pitié est donc pour nous le cachet de la nature humaine, le défaut de pitié celui de l’animal sauvage. Aussi disons-nous : Est-ce un homme, ou un animal, ou un chien ? Les hommes, en effet, soulagent la pauvreté, au lieu de l’aggraver. La bouche des avares est une gueule de bêtes sauvages ; elle est même plus féroce : car elle prononce des paroles dont le venin, plus terrible que la dent des animaux, donne la mort. En poussant le tableau jusqu’au bout, on verrait clairement comment l’inhumanité rend les hommes qu’elle domine, semblables aux bêtes sauvages. À examiner même le fond de leur pensée, on les nommera moins des bêtes que des démons. Car ils sont pleins de cruauté et de haine pour leurs semblables ; on ne trouvera chez eux ni désir du ciel, ni crainte de l’enfer, ni respect pour les hommes, ni pitié, ni sympathie ; mais impudence, audace, mépris de l’avenir ; les paroles de Dieu relatives au châtiment leur semblent une fable, et ses menaces les font rire.. Telle est la pensée de l’avare.
Mais puisqu’au dedans ce sont des démons, au-dehors des bêtes sauvages, et pires que des bêtes sauvages, dites-moi : où les placerons-nous ? Or, qu’ils soient pires que des bêtes féroces, cela est évident : car celles-ci sont féroces par nature ; tandis qu’eux, naturellement portés à la douceur, ont forcé les lois dé la nature pour se transformer en bêtes fauves. Les démons ont pour auxiliaires les hommes qui se tendent à eux-mêmes des pièges ; et les démons verraient échouer tous leurs pièges, si les hommes ne secondaient leurs desseins. Les avares s’irritent même contre ceux qui veulent les aider à repousser les insultes des démons. De plus, le démon combat contre l’homme, mais non contre les autres démons ; l’avare vexe en tout sens ses parents, ses proches, et ne respecte point les lois de la nature. Je sais que mes paroles en blessent un grand nombre d’entre vous ; pour moi, je ne les hais pas, mais j’ai pitié de ceux qui sont dans ces dispositions, et je verse sur eux des larmes ; voulussent-ils m’accabler de coups, je le supporterais volontiers, pourvu qu’ils se corrigeassent de leur inhumanité. Je ne suis pas le seul à retrancher de tels hommes de l’espèce humaine ; le prophète le fait avec moi, quand il dit : « L’homme étant en honneur, n’a pas compris, mais il s’est ravalé au niveau des animaux sans raison ». (Ps. 38) Soyons donc enfin des hommes, levons les yeux vers le ciel, et recevons de là ce qui nous renouvellera selon l’image de Dieu (Col. 3,10), et recouvrons-nous nous-mêmes, afin d’obtenir les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE X.

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QUE PERSONNE NE S’ABUSE. SI QUELQU’UN D’ENTRE VOUS PARAÎT SAGE SELON CE SIÈCLE, QU’IL DEVIENNE FOU POUR ÊTRE SAGE ; VU QUE LA SAGESSE. DE CE SIÈCLE EST FOLIE DEVANT DIEU. (I COR. 3,18, 19, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE.

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  • 1. L’Apôtre reprend t’attaque Contre la sagesse profane.
  • 2. Paul, après avoir foulé aux pieds la sagesse humaine, s’adresse aux Corinthiens qui divisaient l’Église en se disant disciples et sectateurs de tel et tel maître et docteur.
  • 3 et 4. Que (homme doit tout à Dieu ; et qu’il lui doit rendre tout. – Qu’il faut être prêt à quitter la vie de bon cœur quand il y a quelque engagement de le faire. – Avis aux dignitaires ecclésiastiques, qu’ils ne sont que des dispensateurs. – Sentiments que doivent avoir les pères et, mères à qui Dieu reprend les enfants qu’il leur avait donnés. – Du bon usage des biens. – Que la société civile est prospère, ainsi que le corps humain, lorsque chaque membre donne de ce qu’il a aux autres.


1. Comme je l’ai déjà dit : Ayant été amené à accuser le fornicateur avant le moment favorable, après l’avoir attaqué en peu de mots par des allusions voilées et avoir troublé sa conscience, il recommence le combat contre la sagesse du dehors et s’en prend à ceux qui s’en glorifient et déchirent l’Église, afin qu’ayant épuisé ce sujet et traité dans tous ses détails ce point capital, il porte ensuite tolite la vivacité de son langage sur le coupable contre lequel il n’a encore fait qu’escarmoucher jusque-là. Car c’est à celui-ci surtout que s’adressent ces paroles : « Que personne ne s’abuse ». Il le frappe d’épouvante tout en usant de douceur ; il l’a encore principalement en vue quand il parle de « paille », et quand il dit : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de « Dieu habite en vous ? » En effet, les deux motifs qui.. nous retirent ordinairement du péché sont le souvenir du supplice qui lui est réservé, et la considération de notre propre dignité. En parlant de foin et de paille, il a jeté la terreur ; en rappelant notre dignité et notre noblesse, il a fait rougir ; par le premier de ces motifs, il corrige les plus insensibles, par le second il excite les plus sages à devenir meilleurs. « Que personne ne s’abuse. Si quelqu’un d’entre vous paraît sage selon ce siècle, qu’il devienne fou ». Il veut que l’on meure au monde ; et cette mort n’est point nuisible, mais utile, puisqu’elle est le principe de la vie. De même, il veut qu’on devienne fou selon ce siècle, afin de se procurer la vraie sagesse. Or, devenir fou selon le monde, c’est mépriser la sagesse du dehors, et se convaincre qu’elle ne sert à rien pour acquérir la foi. Comme donc la pauvreté selon Dieu est la source de la richesse, l’humilité de l’élévation, le mépris de la gloire le principe même de la gloire ; ainsi, devenir fou c’est se procurer la plus haute sagesse. En effet, tout chez nous repose sur les contraires.
Et pourquoi l’apôtre ne dit-il pas : Qu’il dépouille la sagesse, mais : « Qu’il devienne fou ? » Afin de déshonorer au dernier point l’enseignement profane. Car dire. Déposez votre sagesse, et dire. Devenez fou, ce n’est point la même chose, quant à l’énergie de l’expression. D’autre part, il nous apprend à ne point rougir de notre simplicité ; car il se moque absolument des choses profanes. C’est pourquoi il ne recule pas devant les mots, parce qu’il compte sur la force des choses. De même donc que la croix, qui semble un objet méprisable, est devenue pour nous la source de biens sans nombre, le sujet et la racine d’une gloire ineffable ; ainsi, une folie apparente devient pour nous le principe de la sagesse. Et comme celui quia mal appris ne saura jamais rien de clair et de sain, à moins qu’il ne se dépouille de tout et ne présente une intelligence pure et nette au maître qui veut y imprimer quelque chose ; ainsi, en fait de sagesse extérieure, vous ne saurez rien de bon, rien d’exact, à moins que vous n’enleviez tout, que vous ne balayiez tout, et ne vous présentiez comme un homme complètement ignorant pour recevoir la foi. Ainsi, ceux qui voient de travers s’égareront beaucoup plus que les aveugles mêmes, s’ils veulent s’en rapporter à leur vue défectueuse, au lieu de se livrer à un guide, les yeux fermés.
Et comment, direz-vous, peut-on dépouiller cette sagesse ? En n’usant pas de ses enseignements. Après avoir insisté si vivement pour qu’on l’abandonne, l’apôtre en donne la raison : « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu ». non seulement elle ne sert à rien, mais elle est un obstacle. Il faut donc s’en détacher, puisqu’elle nuit. Voyez-vous comme son triomphe est complet, puisqu’il démontre qu’elle est non seulement inutile, mais-nuisible ? Et il ne se contente pas de ses propres arguments, mais il invoque des témoignages, en disant : « Car il est écrit : qui enlace les sages dans leurs propres ruses ». – « Dans leurs ruses », c’est-à-dire, les prend par leurs propres armes. En effet, comme ils s’étaient servis de cette philosophie – pour se passer de Dieu, il s’en est servi pour leur prouver, qu’ils avaient besoin de Dieu. Comment ? de quelle manière ? En – ce que devenus insensés par elle, ils ont été justement pris dans ses filets ; s’imaginant qu’ils n’avaient pas besoin de Dieu, ils ont été réduits à une telle pauvreté, qu’ils ont paru inférieurs à des pêcheurs, à des illettrés, et qu’ils ont fini par en avoir besoin. Voilà ce qui fait dire à Paul qu’il les a pris dans leurs propres ruses. Ces paroles : « Je perdrai la sagesse » (1Cor. 1,19), signifient que cette sagesse ne mène à rien d’utile ; et celles-ci : « Qui enlace les sages dans leurs propres ruses », ont pour but de montrer la puissance de Dieu.
2. Il indique ensuite comment cela s’est fait, en invoquant un autre témoignage : « Le Seigneur sait que les pensées des sages sont vaines ». Mais quand la sagesse infinie a prononcé sur eux cet arrêt et les a montrés tels, quelle autre preuve de leur extrême folie demanderez-vous encore ? Les jugements des hommes sont souvent erronés ; mais les arrêts de Dieu sont irréprochables et impartiaux. Après cette victoire brillante qu’il a remportée sur la sagesse profane avec le secours de la sagesse de Dieu, l’apôtre prend un langage violent à l’égard de ceux qui se soumettaient à ces chefs illégitimes, et leur dit : « Que personne donc ne se glorifie dans les hommes ; car tout est à vous ». Il revient à son premier sujet, en leur faisant voir qu’ils ne doivent point s’enorgueillir même dès choses spirituelles, puisqu’ils n’ont rien d’eux-mêmes. Si donc la sagesse du dehors est nuisible, et s’ils n’ont point d’eux-mêmes les avantages spirituels, de quoi peuvent-ils se glorifier ? À propos de la sagesse du dehors, il dit : « Que personne ne s’abuse », parce qu’on se glorifiait d’une chose nuisible ; mais, à propos des dons spirituels, il dit : « Que personne ne se glorifie », parce que ces dons étaient avantageux. Puis son langage s’adoucit : « Car tout est à vous, soit Paul, soit Apollon, soit Céphas, soit monde, soit vie, soit mort, soit choses présentes, soit choses futures, tout est à vous ; et vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu ».
Après les avoir vivement blessés, il leur rend du courage. Plus haut il avait dit : « Nous sommes les coopérateurs de Dieu. », et les avait longuement consolés ; ici il leur dit : « Tout est à vous », afin de détruire l’orgueil des maîtres, en montrant que non seulement ils ne donnent rien à leurs disciples, mais qu’ils leur doivent au contraire de la reconnaissance, puisque c’est pour eux qu’ils ont été faits docteurs et qu’ils ont reçu la grâce. Et parce qu’ils pouvaient se glorifier, il prévient le mal, en disant : « À chacun suivant le don de Dieu », et encore : « Dieu a donné la croissance », afin que les maîtres ne s’enflent pas, comme s’ils donnaient quelque chose de grand ; ni les disciples, parce qu’on leur a dit : « Tout est à vous ». Car bien que tout soit pour vous, tout cependant a été fait par Dieu. Remarquez comme il persiste jusqu’à la fin à prononcer son nom et celui de Pierre. Que veulent dire ces mots : « Sois mort ? » Cela veut dire : quand même ils mourraient, ils mourraient pour vous, c’est pour votre ; salut qu’ils s’exposent aux dangers. Voyez-vous maintenant comment il rabat l’orgueil des disciples et relève les maîtres ? Il leur parle comme à des enfants nobles qui ont des précepteurs, et doivent un jour hériter de tout. On peut aussi interpréter en ce, sens qu’Adam est mort pour nous, afin de nous rendre sages, et le Christ afin de nous sauver.
« Mais vous au Christ, et le Christ à Dieu ». Ce n’est pas de la même manière que nous sommes au Christ, que le Christ est à Dieu, et que le monde est à nous. Nous sommes au Christ, comme son ouvrage ; le Christ est à Dieu comme son Fils légitime, non comme son ouvrage ; et, dans le même sens, le monde n’est pas à nous. En sorte que si l’expression est une, la signification est différente. En effet, le monde est à nous, en ce sens qu’il a été fait peur nous ; mais le Christ est à Dieu, en tant qu’il l’a pour auteur et pour Père ; et nous sommes au Christ parce qu’il nous a créés. Que si ces maîtres sont à vous, pourquoi agissez-vous en sens contraire, en adoptant leur nom, et non celui du Christ et de Dieu ?
« Que les hommes nous regardent, comme ministres du Christ et dispensateurs des mystères de Dieu ». (1Co. 4,1) Après avoir abattu leur présomption, voyez comme il les console, en disant :. « Comme ministres du Christ ». Ne rejetez donc pas le nom du maître, pour prendre celui des ministres et des serviteurs. « Les dispensateurs », ajoute-t-il, pour montrer qu’on ne doit point donner les mystères à tout le monde, mais à ceux à qui ils sont nécessaires, et à ceux à qui ils doivent être dispensés. « Or, ce qu’on demande dans les dispensateurs, c’est que chacun soit trouvé fidèle » (1Co. 4,2), c’est-à-dire, qu’il ne s’attribue point les droits du Seigneur, qu’il ne dispose pas en maître, mais en simple dispensateur. Car le devoir du dispensateur est de bien administrer les biens qui lui sont confiés, et de ne pas s’approprier ce qui appartient au maître, mais au contraire d’attribuer à son maître ce qu’il a lui-même en propre.
Que chacun, réfléchissant à cela, ne se réserve donc point, ne s’attribue point ce qu’il peut avoir, soit l’éloquence, soit la richesse, avantages que le maître lui a confiés, et qui ne sont point à lui ; mais qu’il les rapporte à Dieu, l’auteur de tout don. Voulez-vous voir des dispensateurs fidèles ? Écoutez ce que dit Pierre : « Pourquoi nous regardez-vous comme si c’était par notre propre vertu » ou par notre piété « que nous avons fait marcher cet homme ? » Le même disait à Corneille[10] : « Et nous aussi nous sommes des hommes sujets aux mêmes passions » (Act. 14,15) ; et au Christ : « Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre ». (Mt. 19,27) Et Paul, après avoir dit : « J’ai travaillé plus qu’eux tous », ajoute : « Non pas moi cependant, mais la grâce de Dieu avec moi ». (1Cor. 15,10) Et ailleurs, s’adressant aux mêmes Corinthiens, il leur disait : « Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? » Vous n’avez rien à vous, ni l’argent, ni l’éloquence, ni la vie même : car elle est à Dieu.
3. Au besoin, sachez la perdre. Mais si vous aimez la vie et refusez de la dépouiller quand on vous la demande, vous n’êtes plus un dispensateur fidèle. Comment serait-il permis de résister à l’appel, de Dieu ? Et c’est en cela que je reconnais et admire la bonté de Dieu ; en ce que pouvant prendre malgré vous ce que vous possédez, il ne veut cependant que des dons volontaires, afin que vous méritiez une récompense.
Il pourrait, par exemple, vous enlever la vie malgré vous ; il demande que vous la lui donniez, pour que vous puissiez dire avec Paul : « Je meurs tous les jours ». (1Cor. 15,31) Il pourrait, malgré vous, vous dépouiller de la gloire et vous humilier ; il vous en demande le sacrifice volontaire, pour que vous obteniez la récompense. Il pourrait vous appauvrir malgré vous ; il désire vous voir pauvre volontaire, afin de vous tresser une couronne. Comprenez-vous la bonté de Dieu ? Voyez-vous notre lâcheté ?
Êtes-vous parvenu à une plus grande dignité, honoré d’une haute charge dans l’Église ? Né vous enorgueillissez pas ; ce n’est point vous qui avez acquis cette gloire, c’est Dieu qui vous en a revêtu. Usez-en comme d’une chose étrangère ; n’en abusez pas, ne l’employez pas à des objets peu convenables, ne vous en enflez pas, ne vous l’appropriez pas ; regardez-vous toujours comme un homme pauvre et obscur. Si l’on vous avait confié la garde de la pourpre royale, vous ne devriez pas la revêtir et la souiller, mais la conserver soigneusement pour celui qui vous l’aurait remise. Vous avez reçu le don de la parole ? Ne vous en glorifiez pas, ne vous en vantez pas ; car cette faveur n’est point à vous. Ne vous montrez point ingrat en tout ce qui appartient au maître ; mais faites en part à vos frères, n’en soyez pas fier comme d’un bien propre, et ne le ménagez pas dans la distribution. Si vous avez des enfants, ils sont à Dieu ; dans cette conviction, vous le remercierez tant que vous les posséderez ; quand ils vous seront enlevés, vous ne vous affligerez pas. Tel était job quand il disait :. « Dieu me les avait donnés, Dieu me les a enlevés ». (Job. 1,21) Car nous tenons du Christ tout ce que nous avons ; l’existence même, la vie, la respiration, la lumière, l’air, la terre ; et s’il nous soustrait une seule de ces choses, c’en est fait de nous, nous périssons ; car nous sommes des étrangers et des voyageurs. Le « tien » et le « mien » sont de simples expressions qui n’ont pas d’objet. Si vous dites que cette maison est à vous, vous prononcez un mot vide de sens. En effet, l’air, la terre, la matière, appartiennent au Créateur, aussi bien que vous qui l’avez construite, et que tout ce qui existe. Que si vous en avez l’usufruit, il est bien précaire, non seulement, à cause de la mort, mais à raison de l’instabilité des choses.
Gravons ces vérités en nous, et devenons sages ; par là nous ferons double profit : nous serons reconnaissants dans la jouissance et dans la privation, et nous ne serons pas esclaves de biens passagers qui ne sont point à nous. En vous enlevant la richesse, l’honneur, la gloire, votre corps, votre vie même, Dieu a repris son bien ; en vous enlevant votre fils, ce n’est point votre fils, mais son serviteur qu’il reprend. Ce n’était point vous qui l’aviez formé, mais lui ; vous n’aviez été qu’un moyen, qu’un instrument ; Dieu a tout fait. Soyons donc reconnaissants d’avoir été jugés dignes d’être ministres de l’œuvre. Quoi ! vous auriez voulu le conserver toujours ? Mais c’est le fait d’un homme ingrat et qui ne comprend pas que le bien qu’il possède est à un autre et non à lui. Ceux qui sont toujours prêts à la séparation, sentent qu’ils ne sont point propriétaires ; mais ceux qui s’affligent, usurpent tes droits du roi. Si nous ne nous appartenons pas même, comment les autres nous appartiendraient-ils ? Nous sommes doublement à Dieu : et par la création et par la foi. C’est ce qui fait dire à David : « Ma substance est en vous » (Ps. 38) ; et à Paul : « C’est en lui que nous vivons, que nous nous mouvons ; et que nous sommes » (Act. 18,28) ; et encore, à propos de la foi : « Vous n’êtes plus à vous-mêmes ; et vous avez été achetés à un grand prix ». (1Cor. 6,19, 20) Car tout est à Dieu.
Quand donc il nous appelle, quand il veut reprendre, ne raisonnons pas à la façon des serviteurs ingrats, n’usurpons pas les droits du maître. Votre vie n’est pas à vous : comment vos biens y seraient-ils ? Pourquoi donc abusez-vous de ce qui ne vous appartient pas ? Ne savez-vous pas que cet abus vous sera un jour reproché ? Donc, puisqu’ils ne sont pas à nous, mais au maître, nous devions en faire des largesses à nos frères. C’est pour ne l’avoir pas fait que le mauvais riche fut accusé ; il en sera ainsi de ceux qui n’auront pas nourri te Seigneur. Ne dites donc pas : Je ne dépense que le mien, je jouis de mes biens propres ; non, ils ne sont pas à vous, mais aux autres ; et je dis aux autres, parce que vous le voulez : parce que Dieu veut que ce qu’il vous a donné pour vos frères soit à vous. Or, le bien d’autrui devient le vôtre, si vous l’employez au service du prochain ; mais si vous le dépensez pour vous avec profusion, de propre qu’il vous était, il vous devient étranger. Oui ; si vous en usez avec inhumanité ; si vous dites : Il est juste que je me serve de ce que j’ai ; je dis que votre bien vous devient étranger. Car il est commun entre vous et votre frère, comme le soleil, l’air, la terre et tout le reste. Et comme dans le corps humain, le service est commun au corps entier et à chaque membre, et quand il se concentre sur un seul membre, il n’y atteint pas même son effet : ainsi en est-il de l’argent.
4. Rendons cela plus sensible par un exemple. Si la nourriture corporelle destinée à tous les membres se dirige vers un seul, elle lui devient étrangère, puisqu’elle ne peut être digérée, ni le nourrir ; si, au contraire, elle se répartit entre tous les membres, elle lui devient propre comme à tous les autres. De même, si vous jouissez seul de vos richesses, vous les perdrez : car vous n’en recevrez pas la récompense ; mais si vous les partagez avec les autres, alors elles seront vraiment à vous, et vous en retirerez du profit ! Ne voyez-vous pas que les mains présentent la nourriture, que la bouche la triture, que l’estomac la reçoit ? L’estomac dit-il : Comme je l’ai reçue, je dois la retenir toute ? Ne le dites donc pas non plus de vos richesses ; c’est à celui qui les a reçues de les partager. De même que c’est un vice dans l’estomac de retenir toute la nourriture et de ne pas la distribuer, car par là il détruit le corps entier ; ainsi c’est un vice chez les riches de retenir ce qu’ils possèdent : car par là ils font leur malheur et celui des autres. L’œil aussi reçoit toute la lumière ; mais il ne la retient pas pour lui seul, et éclaire le corps entier. Tant qu’il est œil, il n’est pas dans sa nature de la retenir. Les narines respirent aussi les bonnes odeurs ; mais elles ne les conservent pas ; elles les transmettent au cerveau, les communiquent à l’estomac et réjouissent par elles l’homme tout entier. Les pieds seuls marchent ; mais ils ne se transportent pas seuls ; car ils mettent en mouvement le corps entier.
De même ne gardez point pour vous seul ce qui vous a été confié ; autrement vous nuiriez, à tous, à vous surtout. Cette observation ne s’applique pas seulement aux membres. Un ouvrier en fer, par exemple, en refusant de travailler pour les autres, se ruine lui-même et rend les autres arts impossibles. Semblablement, si un cordonnier, un laboureur, un boulanger, tout homme exerçant un métier nécessaire, refuse d’en faire jouir les autres, il les perd et se perd lui-même. Et que parlé-je des riches ? Les pauvres eux-mêmes, s’ils imitaient la méchanceté des riches et des avares, vous uniraient considérablement, vous appauvriraient, vous détruiraient même bientôt, s’ils refusaient de se prêter quand vous avez besoin d’eux : comme si, par exemple, un laboureur refusait le travail de ses mains, un pilote la faculté de commercer, sur mer, un soldat son habileté dans les combats. N’y eût-il pas d’autre raison, rougissez et imitez leur bienveillance. Vous ne faites part de vos richesses à personne ? Alors ne recevez rien de personne, et tout sera renversé de fond en comble. Car donner et recevoir est partout la source de beaucoup d’avantages, en agriculture, dans l’instruction, dans les arts. Quiconque garde son art pour lui seul, se perd et met le monde sens dessus dessous. En enfouissant la semence chez toi, le laboureur causera une affreuse disette ; ainsi le riche en enfouissant son argent, se nuit plus qu’aux pauvres, puisqu’il appelle sur sa tête la flamme terrible de l’enfer.
De même que les martres communiquent leurs connaissances à tous leurs élèves, quel qu’en soit le nombre ; ainsi faites-vous beaucoup d’obligés par vos bienfaits. Que tous disent : Il a délivré celui-ci de ta pauvreté, celui-là du péril ; un tel eût péri, si, avec la grâce de Dieu, vous ne l’aviez sauvé par votre patronage ; vous avez arraché celui-ci à la maladie, cet autre à la calomnie ; l’un était étranger, vous l’avez accueilli ; l’autre était nu, vous l’avez revêtu. De telles paroles valent mieux qu’une immense richesse et que de nombreux trésors ; elles attirent plutôt l’attention du public que des vêtements d’or, des chevaux et des esclaves. Par ceci on paraît ennuyeux, à charge, on est haï, comme l’ennemi de tous ; par cela, on est proclamé le père et le bienfaiteur universel, et, ce qui est bien au-dessus de tout le reste, on est accompagné dans toutes ses actions par la bienveillance de Dieu. Que l’un dise donc : Il a marié et doté ma fille ; l’autre : Il a fait prendre placé à mon fils parmi les hommes ; celui-ci : Il m’a tiré du malheur ; celui-là : Il m’a sauvé du péril. Ces paroles sont préférables à des couronnes d’or ; ce sont des milliers de hérauts qui proclament dans la ville les fruits de votre charité ; voix bien plus agréables, bien plus douces que celles des hérauts qui précèdent les magistrats, elles vous appellent sauveur, bienfaiteur, protecteur (les noms de Dieu même), et non avare, orgueilleux, insatiable, mesquin. Je vous en prie, n’ambitionnez pas de telles dénominations, mais celles qui leur sont contraires. Et si ces éloges, proférés sur la terre, rendent déjà si illustre et si glorieux, pensez de quel éclat, de quelle gloire vous jouirez quand ils auront été écrits dans le ciel, et que Dieu les proclamera au jour à venir. Puissions-nous obtenir tous ce bonheur, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XI.

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POUR MOI, JE ME METS FORT PEU EN PEINE D’ÊTRE JUGÉ PAR VOUS OU PAR UN TRIBUNAL HUMAIN ; BIEN PLUS, JE NE ME JUGE PAS MOI-MÊME. À LA VÉRITÉ, MA CONSCIENCE NE ME REPROCHE RIEN, MAIS JE NE SUIS PAS POUR CELA JUSTIFIÉ ; CELUI QUI ME JUGE, C’EST LE SEIGNEUR. (CH. 4,3, 4, JUSQU’AU VERS. 5)

ANALYSE.

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  • 1. Saint Paul se tient également éloigné de l’orgueil et de la bassesse.
  • 2. Il se peut que notre conscience ae nous reproche rien, et que cependant nous ne soyons pas pour cela, justifiés.
  • 3. Combien les hommes se trompent dans leurs jugements, et qu’ils sont téméraires. – Que l’homme ne se connaît pas, et ne peut se juger lui-même.
  • 4-6. Contre les avares et les impudiques. – Compassion pour les pauvres honteux. – Contre ceux qui insultent aux pauvres. – Sage ménagement pour guérir un avare.


1. Parmi bien d’autres maux, je ne sais comment s’est introduite dans la nature humaine la maladie d’une vaine et inopportune curiosité ; maladie que le Christ a condamnée, en disant : « Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés » (Mt. 7,1) ; maladie qui n’emporte pas même le plaisir qui peut s’attacher aux autres péchés, mais n’attire que peine et châtiment. En effet, quoique accablés nous-mêmes de maux sans nombre, quoique portant des poutres dans nos yeux, nous examinons avec sévérité les fautes de notre prochain, n’eussent-elles que la grosseur d’un fétu ; comme cela arrivait à Corinthe. En effet, les Corinthiens livraient à la risée, expulsaient même des hommes pieux, amis de Dieu, à cause de leur ignorance, et ils entouraient de leur estime des hommes chargés de vices, à cause de leur éloquence. Ensuite assumant le rôle de juges, ils prononçaient inconsidérément leurs arrêts : Un tel a de la valeur ; celui-ci est préférable à celui-là ; l’un vaut moins que l’autre ; un tel est au-dessus d’un tel ; ils jugeaient les autres, sans songer à pleurer sur leurs propres misères, et soulevaient ainsi de dangereux débats. Voyez-vous avec quelle prudence Paul les corrige de cette maladie ? Après avoir dit : « Ce qu’on demande dans les dispensateurs. C’est que chacun soit trouvé fidèle », et avoir paru leur donner un motif d’examiner et de juger la conduite de chacun (ce qui devenait une occasion de trouble) ; afin de les garantir de ce vice, il les détourne d’un sujet si irritant, en disant : « Pour moi, je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous », se remettant ainsi lui-même en scène. Mais qu’est-ce que cela veut dire : « Je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ? » Cela signifie Je me juge indigne d’être jugé par vous ; que dis-je, par vous ? et même par tout autre. Mais que personne n’accuse Paul d’orgueil, s’il déclare que personne n’est digne de prononcer un jugement sur lui. D’abord il ne parle pas ? ici dans son intérêt, mais pour protéger ceux que les Corinthiens importunaient ; ensuite ce n’est pas seulement aux Corinthiens, mais à lui-même, qu’il refuse le droit de juger, eh affirmant que ce droit dépasse ses forcés : en effet, il ajoute : « Bien plus, je ne me juge pas moi-même ». Là-dessus, il faut rechercher le motif qui le fait parler ainsi : car souvent il prend un langage magnifique, non par orgueil ou par présomption, mais dans des vues excellentes. Ici son but n’est pas de s’élever, mais d’abaisser les autres, et de relever la dignité des saints. Et, pour preuve de sa profonde humilité, écoutez ce qu’il dit, en produisant le témoignage même de ses ennemis : « Mais, quand il est présent, il paraît chétif de corps et vulgaire de langage » (2Cor. 10,10) ; et encore : « Et enfin, après tous les autres, il s’est fait voir aussi à moi comme à l’avorton ». (1Cor. 15,8) Mais cet homme si humble, voyez comme il sait, dans l’occasion, relever ses disciples, non en leur inspirant l’orgueil, mais le sentiment de la vérité, alors qu’il leur dit : « Or si le monde doit être jugé par vous, êtes-vous indignes de juger des moindres choses ? » (1Cor. 6,2) Comme il convient que le chrétien se tienne à une grande distance de la forfanterie, ainsi doit-il être étranger à la flatterie et à tout sentiment ignoble.
Si quelqu’un dit : Je regarde l’argent comme rien ; pour moi le présent est une ombre, un songe, un jouet d’enfant ; ne l’accusons pas pour cela de vanterie ; car il faudrait adresser ce reproche à Salomon qui, traitant ce même sujet, s’écrie : « Vanité des vanités ! Tout est vanité ! » Mais à Dieu ne plaise que nous donnions à cette sagesse le nom de vanterie ! Mépriser ces choses n’est donc point folie, mais grandeur d’âme, bien que nous voyions les rois et les princes les revendiquer pour eux. Mais le pauvre vraiment sage, les dédaigne souvent ; et nous ne l’appelons pas orgueilleux pour autant, mais magnanime ; comme nous n’appelons pas humble et modeste celui qui les recherche avec ardeur, mais faible ; pusillanime et servile. Si un fils dédaignant ce qui appartient à son père, se prenait d’admiration pour la condition des esclaves, nous ne le louerions pas comme un homme humble, mais nous le blâmerions comme un être bas et ignoble, et nous l’admirerions dans le cas contraire. En effet, se croire meilleur que ses frères, c’est arrogance ; mais porter sur les choses un jugement vrai, ce n’est plus arrogance, mais sagesse.
2. Ce n’est donc point pour se vanter, mais pour humilier les autres, abattre leur enflure et les porter à la modestie, que Paul dit : « Pour moi je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ». Voyez-vous comme il les guérit ? Quiconque l’aura entendu dire qu’il n’a souci de personne et qu’il n’accepte point de juge ne pourra plus se plaindre d’être seul mis de côté. S’il eût dit seulement : « Par vous », et rien de plus, cela aurait pu les blesser comme signe de mépris. Mais en ajoutant : « Ou par un tribunal humain », il applique le remède à la plaie, en leur faisant voir qu’ils ne sont pas seuls l’objet de son dédain. Il guérit encore la blessure, en disant : « Bien plus, je ne me juge pas moi-même ». Vous voyez donc qu’il ne parle point par arrogance, puisqu’il ne se croit pas lui-même capable d’un jugement exact. Et comme son langage paraissait cependant dicté par un extrême orgueil, il y met un correctif, en disant : « Mais je ne suis pas pour cela justifié ». Quoi donc ! Il ne faut pas le juger soi-même, ni ses fautes ? Cela est nécessaire, au contraire ; et grandement nécessaire, quand nous avons péché : Mais ce n’est pas là ce qu’entend Paul ; il dit : « À la vérité ma conscience ne me reproche rien ». Quel péché pouvait-il juger, puisqu’il n’en avait point à se reprocher ? Et cependant il ne se dit pas justifié. Que dirons-nous donc ; nous qui avons l’âme couverte de mille plaies, qui avons la conscience, de toute sorte de mal, et d’aucun bien ? Et comment, n’ayant conscience d’aucun mal, n’est-il pas justifié ? Parce qu’il lui arrivait de commettre des fautes, qu’il ne connaissait point comme telles. Jugez par là de la sévérité du futur jugement. S’il déclare donc se mettre peu en peine d’être jugé par eux, ce n’est pas parce qu’il se croit irréprochable, mais pour fermer la bouche à ceux qui le jugeaient au hasard. Ailleurs, en effet, il a permis à d’autres de juger de fautes même secrètes, parce que la circonstance l’exigeait.
« Toi donc », dit-il, « pourquoi juges-tu ton frère ? Ou pourquoi méprises-tu ton frère ? » Tu n’es point chargé, ô homme, de juger les autres, mais de t’examiner toi-même. Pourquoi usurpes-tu le rôle du Maître, C’est à lui, et non à toi, à juger. Aussi ajoute-t-il : « C’est pourquoi ne jugez pas avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les pensées secrètes des cœurs ; et alors chacun recevra de Dieu sa louange ». Quoi donc ! les maîtres ne doivent-ils pas faire cela ? Oui, ils le doivent, pour les péchés connus et avoués, et dans le moment opportun, quand les coupables éprouvent la douleur et le remords ; et non par vaine-gloire et par présomption, comme on le faisait alors. Ici Paul ne parle pas des fautes publiques et avouées, mais de la préférence accordée à l’un sur l’autre, et de la comparaison que l’on établit entre leur conduite. Car Celui-là seul peut en juger exactement, qui jugera un jour nos fautes cachées, assignera à chacun le degré de supplice ou d’honneur qu’il aura mérité : ce que nous ne faisons, nous, que sur les apparences. Si je ne vois pas clairement en quoi j’ai péché, dit-il, comment serais-je capable de porter une sentence sur les autres ? Moi qui ne me connais pas exactement, comment pourrais-je juger autrui ? Or si Paul agissait ainsi, à combien plus forte raison le devons-nous nous-mêmes. Il ne disait point cela pour se faire croire irrépréhensible, mais pour leur montrer que quand même il s’en trouverait un parmi eux qui n’eût point péché, il ne serait cependant pas autorisé à juger les autres ; et que si lui, à qui sa conscience ne reproche rien, n’est pourtant point justifié, ils le sont beaucoup moins encore, eux qui se sentent coupables de mille péchés.
Après avoir ainsi fermé la bouche à ceux qui hasardent de tels jugements, il lui tarde de faire éclater son indignation contre les incestueux ; comme, à l’approche de l’orage, apparaissent d’abord certains nuages noirs ; ensuite, quand le tonnerre fait entendre son fracas, et que le ciel entier ne forme plus qu’une nuée, alors la pluie se précipite à torrents sur la terre ; ainsi en est-il dans ce moment. En effet, pouvant tout d’abord décharger son courroux sur le coupable, il ne le fait pas ; mais il réprime d’abord son orgueil par des paroles effrayantes. C’est qu’il y avait là double mal : la fornication, et quelque chose de pire que la fornication : le défaut de repentir d’un si grand péché. Car ce n’est pas tant sur le pécheur que sur le pécheur impénitent que l’apôtre pleure : « Je pleurerai », dit-il ; « non seulement beaucoup de ceux qui ont d’abord péché, mais encore de ceux qui n’ont pas fait pénitence des impudicités et des impuretés qu’ils ont commises ». (2Cor. 12,21) Car il ne faut pas pleurer celui qui fait pénitence après soit péché, mais plutôt le féliciter, puisqu’il est passé dans l’assemblée des justes. « Confessez d’abord vos iniquités », dit le prophète, « afin d’en être lavé ». (Is. 43,26) Mais si, après sa faute, il ne sait pas rougir, il est digne de compassion, moins pour être tombé que pour persévérer dans sa chute.
3. Que si c’est un grand mal de ne pas se repentir quand on est coupable, quel châtiment méritera-t-on pour s’enorgueillir des fautes commises ? En effet, si l’homme qui se glorifie du bien qu’il a fait est impur, comment excuser celui qui se vante de ses péchés ? Et comme c’était là l’état du fornicateur, et qu’il devait au péché même son impudence et son obstination, l’apôtre a nécessairement dû d’abord abattre son orgueil. Ce n’est point son crime qu’il dénonce le premier, de peur qu’il ne dépouille toute pudeur, en se voyant accusé avant les autres ; ce n’est point non plus celui qu’il accuse le dernier, pour ne pas lui laisser croire que c’est une chose de peu d’importance à ne traiter qu’en passant ; mais après l’avoir d’abord effrayé par la liberté de langage dont il use envers les autres, et avoir ébranlé, troublé son orgueil par le reproche adressé à tous, il va enfin droit à lui. Car ces paroles : « Ma conscience ne me reproche rien » ; et ces autres : « Celui qui me juge, c’est le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les pensées secrètes des cœurs » ; ces paroles, dis-je, ne le ménagent guère, ni lui ni ceux qui lui applaudissaient et méprisaient les saints. À quoi sert, dit-il, à quelques-uns de paraître extérieurement vertueux et dignes d’admiration ? Le juge ne juge pas seulement les apparences, mais traduit les secrets au grand jour. Pour deux, et même pour trois raisons, nous ne pouvons juger exactement des choses : d’abord parce que quand même nous n’avons conscience d’aucun péché, nous avons cependant besoin de Dieu pour nous faire voir nos fautes avec exactitude ; ensuite parce que la plupart des choses qui se passent, nous échappent et nous restent cachées ; en troisième lieu, parce que souvent les actions des autres nous paraissent bonnes, et ne procèdent pas d’une intention droite.
Pourquoi dites-vous donc qu’un tel ou un tel n’a point fait de mal, ou que celui-ci vaut mieux que celui-là ? Il n’est pas permis de parler ainsi, pas même de celui qui n’a rien à se reprocher ; Celui qui connaît les choses secrètes, peut seul porter des jugements exacts. Donc : Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour cela ; c’est-à-dire, je ne suis pas dispensé de rendre compte, ni à l’abri de toute accusation. Il ne dit pas : Je ne suis point rangé parmi les justes ; mais Je ne suis pas exempt de péché. Car il dit ailleurs. : « Mais celui qui est mort est justifié du péché » (Rom. 6,7) ; c’est-à-dire, en est délivré. Or nous faisons bien des choses qui sont bonnes, mais ne partent pas d’une intention droite. Et nous louons, bien des gens, non dans le but de leur procurer de la gloire, mais pour en blesser d’autres à leur occasion. En soi, cela est bien, puisqu’on loge celui qui a bien fait : mais l’intention de celui qui loue est gâtée ; elle est une inspiration de Satan, Souvent, en effet, on ne se propose pas de féliciter un de ses frères, mais d’en frapper un autre dans sa personne. En revanche, quelqu’un a commis une grosse fauté ; un autre qui a envie de le supplanter, prétend qu’il n’a rien fait, le console d’avoir péché, l’excuse par le penchant commun, le la nature ; mais souvent en cela il se propose moins d’être indulgent, que de rendre le coupable plus relâché. Ou encore on reprend souvent, non pour convaincre et avertir, mais pour rendre la faute publique et notoire. Les hommes ne pénètrent pas les intentions ; mais Celui qui scrute le fond des cœurs les connaît parfaitement, et un jour il les mettra en lumière. C’est ce qui fait dire à Paul : « Qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les pensées secrètes des cœurs ».
Si donc on n’est pas innocent pour n’avoir rien à se reprocher ; et si, même eu faisant le bien, ou s’expose au châtiment, quand l’intention n’est pas droite : songez avec quelle facilité les hommes se trompent dans leurs jugements. Car l’homme ne saurait tout atteindre ; cela n’est possible qu’à l’œil qui ne, dort pas ; si nous pouvons tromper les hommes, nous ne le tromperons jamais. Ne dites donc pas : Les ténèbres m’environnent et sont pour moi un rempart ; qui me voit ? Celui qui a formé chaque cœur en particulier, sait tout, et les ténèbres n’ont pour lui rien d’obscur. Cependant le pécheur a raison de dire. Les ténèbres m’environnent et sont pour moi un rempart ; car s’il ne faisait pas nuit dans son âme, il n’eût pas ainsi secoué la crainte de Dieu pour agir en liberté. Si le conducteur n’avait pas d’abord été aveuglé, le péché ne serait pas entré si facilement. Ne dites donc pas : Qui me voit ? Car il y a quelqu’un qui pénètre le cœur et l’esprit, les jointures et la moelle des os ; mais vous, vous ne vous voyez pas, vous ne pouvez fendre la nue ; environné d’un mur de tops côtés, vous ne pouvez regarder le ciel.
4. Quel péché voulez-vous que nous examinions d’abord ? Vous vous convaincrez que c’est ainsi qu’il se commet. Quand les voleurs de nuit veulent enlever quelque chose de précieux, ils éteignent d’abord la lanterne, et se mettent ensuite à l’œuvre ; ainsi chez les pécheurs procède la raison égarée.: La raison est, en effet, chez nous une lampe toujours allumée. Mais si l’esprit de fornication, dans une irruption violente, a éteint cette flamme, aussitôt il met l’âme dans les ténèbres, l’attaque et dévaste tout en elle. Car comme les nuages et le brouillard enveloppent les yeux du corps ; ainsi, quand la passion impure s’est emparée de l’âme, elle lui ôte la faculté de prévoir, ne lui permet pas de rien voir au-delà de l’objet présent, ni le précipice, ni l’enfer, ni tant de choses effrayantes ; mais tyrannisée par ces tentations, l’âme est aisément subjuguée par le péché ; il y a comme un mur sans fenêtres, élevé devant elle qui ne lui laisse point parvenir le rayon de la justice, parce que les raisonnements absurdes de la passion l’assiègent de tous, côtés ; elle n’a plus qu’un objet devant les yeux, dans l’esprit, dans la pensée, la femme publique. Et comme des aveugles, debout, en plein air et à midi, ne reçoivent point la lumière du soleil, puisque leurs yeux sont fumés ; ainsi les malheureux, en proie à cette maladie ; ferment leurs oreilles aux nombreux ; et salutaires enseignements qui retentissent autour d’eux. Ceux-là le savent qui en ont fait l’expérience. Et à Dieu ne plaise qu’aucun (le vous l’ait faite ! Et ce que nous disons ici ne s’applique pas seulement à ce genre de péché, mais à toute affection désordonnée. – Transportons, si vous le voulez, la question de la femme publique à l’argent, et nous retrouverons encore d’épaisses ténèbres. – Là, comme l’amour se concentre sur une seule personne et sur un seul lieu, la passion est moins violente ; mais ici, comme l’argent se fait voir de toutes parts, dans les hôtels de monnaie, dans les hôtelleries, dans les boutiques d’orfèvres, dans les maisons des riches, le souffle de la passion est violent. Quand l’homme atteint de cette maladie voit des domestiques écarter la foule sur les places publiques, des chevaux aux harnais dorés, des hommes magnifiquement vêtus, il se trouve enveloppé de profondes ténèbres. Mais à quoi bon parler de palais et d’hôtels de monnaie ? Pour moi, je suis convaincu qu’à voir seulement la richesse en peinture ou en image, ces hommes sont déchirés, saisis de fureur et de rage ; en sorte que la nuit les assiège partout. S’ils jettent les yeux sur la statue d’un roi, ils n’admirent pas la beauté des pierres précieuses, ni l’or, ni le manteau de pourpre, mais ils sèchent d’envie. Et gomme ce malheureux amant, en présence du portrait de sa maîtresse, reste cloué à cet objet inanimé ; ainsi l’homme dont nous parlons, devant le tableau inanimé de la richesse, éprouve un tourment semblable, plus grand même, parce que sa maladie est plus tyrannique ; et il est réduit ou à rester chez lui, ou, s’il paraît en public, à rentrer percé de mille coups, à raison de la multitude des objets qui ont blessé ses yeux.
Et comme l’impudique ne voit rien autre chose que la femme objet de sa passion, ainsi l’ami des richesses perd de vue les pauvres et toute autre chose, même ce qui pourrait le soulager : mais son regard, sans cesse fixé sur les riches, puisé dans ce spectacle un grand feu qui s’introduit dans son âme. Car c’est un Véritable feu qui l’envahit et le consume ; et quand même il ne serait pas arénacé de l’enfer et de supplice, son état présent lui serait un supplice, à savoir ces tortures continuelles et cette maladie sans fin. Cela seul devrait guérir d’un tel mal ; mais il n’y a rien de pire que la folie qui s’attache à des objets qui font souffrir sans apporter aucun profit. C’est pourquoi je vous exhorte à couper ce mal dès le début. Comme la fièvre qui commence ne procure pas d’abord une soif bien brûlante, mais quand elle a grandi et allumé le feu, elle en cause une qui ne peut plus s’éteindre, en sorte que la boisson la plus abondante ne saurait l’étancher, et ne fait qu’attiser la fournaise ; ainsi arrive-t-il dans cette passion : si nous ne l’arrêtons pas dès le principe, si nous ne lui fermons pas la porte de notre âme, une fois entrée, elle nous donnera une maladie qui ne pourra plus se guérir. Car le bien et le mal se fortifient en nous par la durée.
5. Il en est de même en toutes choses. Ainsi une jeune plante s’arrache facilement ; mais quand elle a jeté des racines par l’effet du temps, on ne l’extirpe qu’avec de puissants leviers. Un édifice récent se renverse sans peine ; mais quand il est affermi, il demande des efforts à ceux qui essaient de le détruire. Une bête sauvage qui a longtemps habité un lieu, en est difficilement expulsée. Je supplie donc ceux qui ne connaissent pas encore cette maladie, de s’en garantir ; il est plus aisé d’éviter la chute que de s’en relever. Quant à ceux qui en sont atteints, s’ils veulent prendre la raison pour médecin, je leur promets de grandes chances de salut par la grâce de Dieu. En songeant à ceux qui sont tombés dans de mal et s’en sont guéris, ils concevront l’espoir d’en être délivrés eux-mêmes. Qui donc a souffert de dette passion et s’en est facilement débarrassé ? Zachée. Qui fut jamais plus avide d’argent que ce publicain ? Mais il devint sage subitement, et éteignit l’incendie. Il en fut de même de Matthieu : car lui aussi était publicain, et continuellement occupé à la rapine. Mais lui aussi se dépouilla immédiatement du mal, éteignit sa soif et s’adonna au commerce spirituel. En vous rappelant ces exemples et d’autres semblables, ne perdez pas courage. Si vous le voulez, nous vous prescrirons une règle détaillée, suivant l’usage des médecins. Avant tout il faut d’abord ne pas perdre courage ni désespérer de son salut ; ensuite ne pas seulement songer à ceux qui se sont guéris du mal, mais encore aux souffrances de ceux qui y ont persévéré. Comme nous avons parlé de Zachée et de Matthieu, il faut aussi se souvenir de Judas, de Giezi, d’Achar, d’Achab, d’Avanie et de Saphire. Par les premiers, nous apprendrons à ne pas désespérer ; par les seconds à secouer notre paresse, à ne pas négliger les avertissements qu’on nous donne ; nous nous habituerons à nous dire à nous-mêmes ce que les Juifs disaient à saint Pierre : « Que faut-il faire pour être sauvés ? » (Act. 2,37) Puis nous écouterons. Et que faut-il donc faire ? Comprendre le néant des choses, savoir que – la richesse est un esclave fugitif et ingrat, qui plonge ses possesseurs dans une multitude de maux ; et répéter sans cesse des vérités de ce genre. Et comme les médecins consolent les malades qui demandent de l’eau froide en leur permettant de leur en donner, puis prétextent l’éloignement de la source, l’absence de vase, l’inopportunité de la circonstance, et d’autres raisons de cette nature (car s’ils refusaient positivement, ils les mettraient en fureur) ; ainsi devons-nous faire avec ceux qui ont la soif des richesses ; quand ils disent qu’ils veulent être riches, gardons-nous de condamner d’abord les richesses comme un mal ; mais entrons dans leur pensée, et affirmons que nous aussi nous voulons acquérir des richesses, mais en temps opportun, et des richesses véritables, celles qui procurent une jouissance immortelle, celles qu’on amasse pour soi, et non pour d’autres, et souvent pour des ennemis ; parlons suivant les principes de la sagesse, et disons : Nous ne vous défendons pas d’être riches, mais mauvais riches ; car il est permis de s’enrichir, mais sans avarice, sans rapine, sans violence, sans se faire une mauvaise réputation chez tous.
Après les avoir adoucis par ces raisons, ne parlons pas encore de l’enfer : un malade ne saurait d’abord supporter ce langage. Raisonnons donc sur le présent, et disons : Pourquoi voulez-vous vous enrichir par l’avarice, entasser de l’or et de l’argent pour d’autres, et vous attirer des malédictions et des accusations sans nombre ; tandis que le pauvre est tourmenté par la privation du nécessaire, gémit, excite contre vous mille accusateurs, parcourt le soir les places publiques, arrête tout le monde aux coins des rues, inquiet de la manière dont il passera la nuit ? Comment, en effet, goûterait-il le sommeil, pendant que son estomac le déchire, qu’il ne peut fermer les yeux, que la faim l’assiège, et qu’il est souvent exposé au froid et à la pluie ? Et vous, vous revenez du bain, lavé et couvert de moelleux vêtements, plein de satisfaction et de bonne humeur ; vous allez en hâte prendre place à un splendide festin qui vous attend ; tandis que lui, poursuivi par le froid, par la faim, erre sur la place publique, baissant la tête, tendant la main, n’osant pas même demander le morceau de pain dont, il a besoin à un homme repu et livré au repos, et se retire souvent accablé d’injures. Quand donc vous rentrez chez vous, quand vous reposez sur votre lit, quand votre demeure est splendidement éclairée ; quand un magnifique repas vous attend, souvenez-vous alors de ce pauvre, de cet infortuné errant, comme un chien, dans les rues, dans les ténèbres, dans la boue, et s’en allant souvent, non pour rentrer chez lui, pour rejoindre sa femme, pour se mettre au lit, mais pour s’étendre sur un peu de paille, comme nous le voyons faire aux chiens furieux qui aboient toute la nuit. Et vous, si vous voyez une seule goutte de pluie passer à travers votre toit, vous renversez tout dans la maison, vous appelez vos serviteurs, vous mettez tout en mouvement ; tandis que ce malheureux en haillons, couché sur de la paille et dans la boue, supporte toute la rigueur du froid.
6. Quelle bête sauvage y était insensible ? Quel homme serait assez dur, assez inhumain pour n’en être pas touché ? Et pourtant il y en a qui sont parvenus à ce degré de barbarie, de dire que ces pauvres méritent leur sort. Il faudrait plaindre, pleurer, soulager ces infortunés, et on les accuse avec inhumanité. Je demanderais volontiers : Pourquoi méritent-ils leur sort ? Est-ce parce qu’ils veulent manger et ne pas mourir de faim ? Non, répond-on, mais parce qu’ils sont paresseux. Et vous, ne vivez-vous pas dans l’oisiveté et dans les délices ? Bien plus, ne faites-vous pas pire que d’être oisif, en vous livrant à la rapine, à la violence, à l’avarice ? Il vaudrait mieux que vous fussiez oisif sur ce point ; car la paresse est moins coupable que l’avarice. Et maintenant vous insultez aux malheurs d’autrui, non seulement par votre oisiveté et par des opérations pires que l’oisiveté, mais en accusant ceux qui sont-en proie à la misère.
Racontons-leur ensuite les malheurs d’autrui, parlons des orphelins en bas âge, des prisonniers, des victimes des tribunaux, de ceux qui craignent pour leur vie, des femmes condamnées subitement au veuvage, des changements soudains qui frappent les riches, et adoucissons-les par la crainte de ces maux. Car, par le tableau de malheurs étrangers, nous leur ferons comprendre qu’ils y sont exposés eux-mêmes. En effet, quand ils apprendront que le fils d’un tel qui fut avare et voleur, que la femme d’un tel qui s’est rendu coupable de nombreuses injustices, après la mort de son époux a souffert beaucoup de mauvais traitements ; que ceux qui avaient été lésés se sont rués sur la femme et les enfants du défunt ; qu’une guerre générale a été déclarée à sa maison : le plus insensible d’entre eux, s’attendant à subir un sort pareil, et le redoutant pour les siens, deviendra plus sage. Le monde est rempli d’exemples de cette nature, et ce genre de correction ne nous fera pas défaut. Seulement quand nous disons cela, que ce ne soit pas par manière d’exhortation ou de conseil, de peur d’être importuns, mais en façon de récit ; passons d’un autre sujet à celui-là ; ramenons continuellement ces exemples sous leurs yeux, en sorte qu’ils ne cessent de dire : Comment la maison d’un tel, si brillante, si magnifique, est-elle tombée ? Comment s’est-elle trouvée si délaissée, que tout ce qu’elle contenait soit passé en d’autres mains ? Combien de jugements, combien de négociations ont eu lieu au sujet de cette fortune ! Combien de serviteurs de ce propriétaire mendient aujourd’hui, ou sont morts en prison ? Et disons tout cela comme par un sentiment de compassion pour celui qui est mort, et de mépris pour les biens de ce monde, afin de toucher un cœur inhumain et par la crainte et par la pitié.
Puis quand nous les verrons devenus sérieux à ces récits, alors parlons-leur de l’enfer, non pour paraître vouloir les effrayer, mais pour déplorer le sort des autres, et disons : À quoi bon parler du présent ? Notre destinée n’est pas limitée à ce terme ; mais un châtiment plus terrible attend des hommes comme ceux-là : à savoir, un fleuve de feu, un ver empoisonné, des ténèbres immenses, des supplices sans fin. Si nous les gagnons par ces récits, nous les corrigerons en nous corrigeant nous-mêmes, nous les guérirons promptement de leur maladie, et, en ce jour-là, nous recevrons des éloges de la bouche de Dieu même, selon ce que dit Paul : « Et alors chacun recevra de Dieu sa louange ». Car la louange qui vient des hommes, a peu de solidité et souvent ne procède pas d’un cœur bien disposé ; mais celle qui vient de Dieu est permanente et brille d’un vif éclat. Quand celui qui sait chaque chose avant qu’elle existe et qui juge sans passion, décerne un éloge, c’est une preuve incontestable de vertu. Convaincu de ces vérités, faisons en sorte de mériter les louanges de Dieu et d’obtenir les biens infinis. Puissions-nous tous y parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles : Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XII.


AU RESTE, MES FRÈRES, J’AI PERSONNIFIÉ CES CHOSES EN MOI ET EN APOLLON À CAUSE DE VOUS, AFIN QUE VOUS APPRENIEZ EN NOUS À NE PAS AVOIR DES SENTIMENTS CONTRAIRES À CE QUI EST ÉCRIT. – (CHAP. 4, VERS. 6, JUSQU’AU VERS. 9)

ANALYSE.

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  • 1. Ici saint Paul déclare aux docteurs de Corinthe qu’il a fait leur procès sous les noms de Paul et d’Apollon ; et s’adressant tantôt aux maîtres et tantôt aux disciples, il cherche à leur inspirer aux uns et aux autres des sentiments d’humilité,
  • 2. Saint Paul emploie l’ironie pour faire rentrer les Corinthiens en eux-mêmes.
  • 3. Prudence de saint Paul ; son habileté à manier les esprits.
  • 4-7. Contre la passion d’être estimé dans le monde. – Vanité dei louanges des hommes. – Mal que fait la fréquentation des théâtres, des hippodromes et des combats de bêtes. – Que les noces se célèbrent à Antioche d’une manière toute païenne et très condamnable. – Description de ces noces. – Superstitions diverses, telles que les ligatures, les sistres, etc. – Usage des pleureuses de pompes funèbres.


1. Tant qu’il a dû employer un langage sévère, il n’a pas levé le rideau ; mais il parlait comme s’il eût été lui-même un des accusés, afin que la dignité des personnes mises en jeu, faisant contre-poids aux accusations, empêchât tout mouvement de colère. Mais quand il a fallu se relâcher de sa rigueur, alors déchirant le voile et déposant le masque, il met en scène, en prononçant les noms de Paul et d’apollon, les personnages jusqu’alors tenus dans l’ombre. Voilà pourquoi il dit : « Au reste, mes frères, j’ai personnifié ces choses en moi et en Apollon », Et comme quand un enfant malade donne des coups de pied et refuse la nourriture qu’on lui présente de la part des médecins, ceux qui le soignent font venir son père ou son précepteur, et les prient d’offrir eux-mêmes l’aliment reçu de la main des médecins, afin que l’enfant, contenu par la crainte, le prenne et se tienne en repos ; ainsi Paul, se proposant d’intenter des accusations qui regardaient d’autres personnes, dont les unes ont été trop abaissées, les autres trop honorées, ne met d’abord point ces personnes en scène, mais parle en son nom et en celui d’Apollon, afin de faire accepter le remède qu’il veut appliquer, à la faveur du respect que ces deux noms inspirent ; puis le remède une fois accepté, il découvre enfin son but. Or, tout cela n’était point hypocrisie, mais condescendance et ménagement. S’il eût dit ouvertement : Vous jugez des saints, des hommes dignes d’admiration, il les eût irrités et repoussés ; mais en disant : « Pour moi, je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous » ; et encore : « Qu’est-ce que Paul ? Qu’est-ce qu’Apollon ? » Il fait accepter sa parole.
C’est pourquoi il dit : « J’ai personnifié ces choses en moi et en Apollon à cause de vous, afin que vous appreniez par notre exemple à ne pas avoir des sentiments contraires à ce qui est écrit », faisant voir par là que s’i leur avait parlé directement, ils n’auraient point appris ce qu’il fallait apprendre, ils ne se seraient point corrigés, mais blessés de son langage. Et maintenant, par respect polir Paul, ils acceptent le reproche sans difficulté. Mais que signifient ces mots : « Contraires à ce qui est écrit ? » Il est écrit : « Pourquoi voyez-vous la paille qui est dans l’œil de votre frère, et ne voyez-vous point la poutre qui est dans le vôtre ? Ne jugez pas, afin que vous ne soyez point jugés ». (Mt. 7,3, 1) Car si nous sommes liés de manière à ne former qu’un corps, nous ne devons point nous élever les uns contre les autres. « Quiconque s’humiliera sera exalté » (Mt. 23,12), dit Jésus-Christ. Et encore : « Que celui qui veut devenir le plus grand de tous, soit le serviteur de tous ». (Mc. 10,43) Voilà ce qui est écrit : « Afin que nul par attachement pour quelqu’un ne s’élève contre un autre ». Laissant de nouveau les maîtres de côté, il se tourne contre les disciples ; car c’étaient eux qui exaltaient les maîtres. D’ailleurs les chefs n’eussent pas facilement accueilli ce langage, parce qu’ils ambitionnaient la gloire du dehors, aveuglés qu’ils étaient par cette maladie ; mais les disciples étrangers à cette gloire, et se contentant de la procurer aux autres, étaient mieux disposés que leurs chefs à recevoir la réprimande et à se guérir. C’est donc encore de l’enflure de se glorifier pour un autre, même en dehors de ses propres intérêts. Car comme celui qui est fier des richesses des autres, cède à un sentiment d’orgueil ; ainsi en est-il de celui qui se pavane de la gloire d’autrui. Et c’est ce que Paul appelle avec raison enflure.
Quand donc un membre s’élève, c’est qu’il y a inflammation et maladie ; car il resterait au niveau des autres, s’il n’était enflé. Ainsi dans le corps de l’Église, celui qui s’enflamme et s’enfle, est malade ; il dépasse la mesure commune. C’est en cela que consiste l’enflure. Il en arrive ainsi dans le corps, quand quelque humeur étrangère et maligne s’y introduit, et non la nourriture ordinaire. De même, l’orgueil naît quand des pensées étrangères nous envahissent. Et voyez avec quelle justesse il dit : « Ne vous enflez pas ! » En effet, l’homme enflé a comme une tumeur d’esprit, remplie d’une humeur corrompue. Il dit cela non pour empêcher la guérison, mais une guérison qui pourrait tourner à mal. Vous voulez guérir un tel ? Je le veux bien ; mais que ce ne soit pas au détriment d’un autre. Car ce n’est pas pour nous exciter les uns contre les autres qu’on nous a donné des maîtres, mais pour nous unir mutuellement. On donne un général à une armée, pour qu’il réunisse en un seul corps des membrés divisés ; s’il y apportait la division, il serait moins un général qu’un ennemi. « Car qui vous distingue ? et qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? » Laissant de côté les disciples, il s’adresse aux docteurs. Voici ce qu’il veut dire : Comment savez-vous que vous êtes dignes d’éloges ? Le jugement a-t-il eu lieu ? A-t-on fait l’examen ? Y a-t-il eu épreuve, enquête sévère ? Vous ne sauriez le dire. Et quand même les hommes donneraient leur suffrage, leur jugement n’est pas droit, Mais supposons que vous êtes dignes de louange, que vous avez réellement la grâce, que le jugement des hommes est sain ; eh bien ! ce n’est pas encore le cas de vous enorgueillir. Car vous n’avez rien de vous-mêmes, mais vous avez tout reçu de Dieu. Pourquoi faites-vous semblant d’avoir ce que vous n’avez pas ? Que si vous l’avez, les autres l’ont avec vous. Vous n’avez donc qu’après avoir reçu, non pas seulement ceci ou cela, mais tout ce que vous avez.
2. En effet ; vos bonnes actions ne sont pas à vous, mais viennent de la grâce de Dieu. Si vous parlez de la foi, elle est le fruit de la vocation ; si vous parlez de la rémission des péchés, des dons de la grâce, de l’enseignement de la parole, des vertus ; tout vous est venu de la même source. Qu’avez-vous donc, dites-moi, que vous n’ayez pas reçu et que vous ayez acquis par vous-mêmes ? Vous ne pouvez répondre. Quoi l vous l’avez reçu, et vous vous en enorgueillissez ? Il fallait au contraire vous en humilier ; puisque le don n’est pas à vous, mais à celui qui vous l’a fait. Si vous avez reçu, c’est donc de lui ; si vous avez reçu de lui, ce que vous avez reçu n’est donc pas à vous ; si ce que vous avez reçu n’est pas à vous, pourquoi vous en glorifiez-vous ; comme si c’était à vous ? Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Que si vous l’avez reçu, pourquoi vous en glorifiez-vous, comme si vous ne l’aviez pas reçu ? » Après avoir prouvé son sujet en passant, il fait voir qu’il leur manque bien des choses ; et il ajoute : Certainement quand même vous auriez tout reçu, vous ne devriez point vous en glorifier, car rien ne serait à vous ; mais il vous manque encore bien des choses. Il l’avait déjà insinué dès le commencement en disant : « Je n’ai vous parler comme à des hommes spirituels » ; et encore : « Je n’ai pas jugé que je fusse parmi vous autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ».
Mais ici il le fait en les couvrant de honte : « Déjà vous êtes rassasiés, déjà vous êtes riches », c’est-à-dire, vous n’avez plus besoin de rien, vous êtes parfaits, vous êtes parvenus au faîte, vous croyez n’avoir plus besoin de personne, ni d’apôtres, ni de maîtres. « Déjà vous êtes rassasiés ». C’est à propos qu’il emploie ce mot : « Déjà », montrant par cet adverbe de temps combien leur opinion est peu admissible et déraisonnable. Il leur dit donc ironiquement : Vous êtes arrivés si vite à la perfection, et pourtant l’espace de temps ne le permettait pas. La perfection est l’œuvre de l’avenir ; être rassasié de peu indique une âme faible ; se croire riche de peu, est le propre d’une âme dégoûtée et misérable ; car la piété est insatiable ; c’est unie puérilité de croire tout posséder dès l’abord et de s’enorgueillir comme si l’on était arrivé au terme, quand on n’est encore qu’au début. Mais ce qui suit est encore plus propre à les couvrir de confusion. Après avoir dit : « Déjà vous êtes rassasiés », il ajoute : « Déjà vous êtes riches ; vous régnez sans nous, et plaise à Dieu que vous régiriez en effet, afin que nous régnions avec vous ». Ces paroles sont pleines de gravité : aussi ne les emploie-t-il qu’en dernier lieu et après une vive réprimande. C’est ainsi qu’une exhortation se fait respecter et accepter, quand après des accusations, on s’exprime de manière à faire rougir. Par là on contient même l’insolence de l’âme, et on la frappe plus sûrement que par des accusations manifestes, et on modère la douleur et l’audace qui doivent résulter de l’accusation. Car c’est là le merveilleux des paroles propres à donner la confusion, qu’elles produisent deux effets contraires : en faisant, une incision plus profonde, qu’une récrimination ouverte, et en rendant plus patient celui qui la reçoit.
« Vous régnez sans nous ». Grande emphase, et à l’adresse des docteurs et à l’adresse des disciples. Il fait voir ici leur peu de conscience et leur extrême folie. Car voici ce qu’il veut dire : Dans les travaux tout est commun entre nous et vous, mais dans les récompenses et les couronnes vous êtes les premiers ; mais je dis cela sans douleur. Aussi ajoute-t-il : « Et plaise à Dieu que vous régniez en effet ! » Puis, pour ne pas avoir l’air de faire unie ironie, il continue : « Afin que nous régnions avec vous ». Ce qui veut dire : Car alors, nous aussi, nous aurions obtenir ces biens. Voyez-vous comme il montre tout à la fois sa gravité, sa sollicitude et sa sagesse ? Voyez comme il corrige leur orgueil par ce qui suit : « Car il me semble que Dieu nous traite, nous les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des condamnés à mort ». Il y a une grande signification et beaucoup de gravité dans ce mot : « Nous ». Et ce n’est point assez pour lui : il y ajoute le nom de la dignité, les blessant ici vivement : « Nous les apôtres » ; nous qui endurons tant de maux, qui semons la prédication religieuse, qui vous amenions à cette grande philosophie. Et ces derniers des apôtres il les montre comme destinés à la mort, c’est-à-dire condamnés. Car après avoir dit : « Afin que nous régnions avec vous », il adoucit un peu le ton, et pour ne pas les décourager, il reprend son sujet avec plus de gravité, et dit : « Car il me semble que Dieu nous traite, nous les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des condamnés à mort ». Ce qui signifie : À ce que je vois et d’après ce que vous dites, nous sommes les plus abjects de tous, nous sommes condamnés, nous qui sommes toujours exposés à souffrir ; mais vous, vous vous figurez déjà le royaume, les honneurs et les récompenses. Et voulant tousser encore davantage les choses à l’absurde, et en faire ressortir l’invraisemblance en usant d’hyperbole, il ne se contente pas de dire : Nous sommes certainement les derniers ; mais : Dieu nous a faits les derniers et non seulement : Les derniers ; mais « Comme des condamnés à mort » ; afin que l’homme le moins sensé comprît l’absurdité de sa parole, et y vît l’expression de sa douleur et son intention de les couvrir de honte.
3. Et voyez la prudence de Paul. Par les mêmes paroles qu’il dit pour se glorifier lui-même dans l’occasion, et se montrer grand et honorable, il les couvre maintenant de confusion en s’appelant condamné : tant c’est une grande chose de savoir tout faire à propos ! Il appelle ici « destinés à la mort » des condamnés, des hommes dignes, de mille morts. « Puisque nous sommes donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes ». Qu’est-ce que cela signifie : « Nous sommes donnés en spectacle au monde ? » Ce n’est pas dans un coin obscur, veut-il dire, ni dans quelque petite partie de la terre que nous éprouvons cela, mais en tout lieu et chez tous. Que veut dire : « Et aux anges ? » Ceci : Quand il s’agit d’œuvres sans importance, on peut attirer l’attention des hommes, mais non celle des anges ; or nos combats sont tels qu’ils méritent d’avoir pour spectateurs les anges eux-mêmes. Voyez : il se relève par là même où il se rabaissait, et comme il fait ressortir leur bassesse du sujet même de leur orgueil. Car comme il, semblait plus déshonorant d’être fou que de paraître sage, d’être faible que d’être fort, d’être obscur que glorieux et illustre, il leur laisse cependant ce dernier rôle pour prendre le premier ; mais en leur montrant que celui-ci est le meilleur, puisqu’il attire non seulement l’attention des hommes, mais celle de l’assemblée des anges. Car nous n’avons point à lutter contre les hommes, mais contre les puissances spirituelles. (Eph. 6,12) Aussi le spectacle est-il imposant.
« Nous sommes, nous, insensés pour le Christ ; mais vous, vous êtes sages dans le Christ ». II veut encore les faire rougir, en leur montrant qu’il est impossible de réunir les contraires et de rapprocher des choses si éloignées. Comment, en effet, serait-il possible que vous fussiez sages ; et nous insensés, en ce qui regarde le Christ ? Puisque, en effet, les uns étaient battus de verges, méprisés, injuriés, regardés comme rien, tandis que les autres étaient honorés, passaient pour sages et prudents aux yeux de la foule, l’apôtre demande : Comment ceux qui prêchent comme ils font, peuvent-ils être soupçonnés en sens contraire de leur prédication ? « Nous sommes faibles et vous êtes forts », c’est-à-dire, nous sommes chassés, persécutés ; et vous, vous vivez dans l’abondance et êtes servis à souhait. Mais ceci ne s’accommode point au genre de notre prédication.
« Nous sommes méprisés, mais vous êtes glorieux ». Ici il s’adresse aux nobles, qui se pavanaient de la pompe extérieure. « Jusqu’à cette heure nous souffrons et la faim et la soif, la nudité, les mauvais traitements. Nous n’avons pas de demeure stable, et nous nous fatiguons, en travaillant de nos mains ». C’est-à-dire, je ne vous raconte pas des faits anciens, mais des choses dont le temps présent est témoin. Car nous n’avons aucun souci des choses humaines ni de l’éclat du dehors ; nos yeux ne sont fixés que sur Dieu ; ce que nous devons faire en tout temps. Nous n’avons pas seulement les anges pour spectateurs, mais le juge même du combat. Nous n’avons pas besoin d’autres éloges. Ce serait injurier Dieu que de ne pas se contenter de son approbation et de rechercher celle de nos semblables. Ceux qui combattent sur un petit théâtre, peuvent en chercher un plus grand, parce que le premier ne suffit pas au déploiement de leurs forces ; mais ceux qui combattent sous les veux de Dieu et recherchent ensuite le suffrage des hommes, abandonnant ainsi le plus pour avoir le moins, s’attirent de grands châtiments. Car c’est là ce qui a tout bouleversé, ce qui a troublé le monde entier : dans toutes nos actions nous avons les yeux fixés sur les hommes ; dans le bien nous dédaignons l’approbation de Dieu pour capter la renommée et la gloire humaine et dans le mal nous n’avons aucun souci de Dieu et ne redoutons que les hommes.
Mais les hommes, eux aussi, comparaîtront avec nous devant le tribunal, de Dieu, et ne nous serviront de rien ; et c’est le Dieu que nous méprisons qui portera la sentence contre nous. Nous savons cela, et néanmoins nous ne nous occupons que des hommes : voilà notre première faute. Personne ne voudrait commettre la fornication sons le regard de l’homme ; quelle que soif l’ardeur de la passion, elle cède au respect qu’inspire la présence d’un de nos semblables mais sous l’œil de Dieu, non seulement on commet l’adultère et la fornication, mais beaucoup ont osé et osent des crimes bien plus graves. Cela seul ne Suffit-il pas à attirer mille fois la foudre ? Et que parlé-je d’adultère et de fornication ? Nous rougirions de commettre des fautes bien moindres en présence des hommes : nous n’en rougissons pas en présence de Dieu. Voilà l’origine, de tous les maux : c’est que dans ce qui est réellement mal, nous ne craignons pas Dieu ; mais seulement les hommes. Voilà pourquoi nous fuyons les vrais biens, ceux que le vulgaire n’estime point tels, parce que nous n’examinons pas la nature des choses et que nous n’avons en vue que l’opinion humaine.
4. Il en est de même pour le mal. Par l’effet de cette même habitude, nous poursuivons des biens qui n’en sont pas réellement, mais qui paraissent tels à la multitude ; en sorte que nous nous perdons de deux manières. Comme ceci peut paraître obscur à beaucoup d’entre vous, il est nécessaire de l’expliquer plus clairement. Quand il s’agit de commettre la fornication (nous reprenons ici notre sujet), nous craignons plus les hommes que Dieu. Et comme nous nous plaçons sous leur dépendance, que nous les constituons nos maîtres, nous évitons bien des choses qui leur semblent mauvaises et qui ne le sont pas. Ainsi beaucoup regardent la pauvreté comme honteuse ; nous fuyons la pauvreté, non parce qu’elle nous paraît réellement déshonorante, mais parce quo nos maîtres la jugent telle et que nous les craignons. Ainsi encore beaucoup regardent comme une chose ignominieuse et détestable d’être déshonoré, d’être méprisé, de n’exercer aucune charge, de n’avoir pas de puissance. Nous évitons donc cela, non par conviction, mais par égard pour l’opinion de nos maîtres. Dans le sens opposé, nous subissons le même inconvénient : on regarde comme un bien la richesse, le faste, les honneurs, l’éclat ; nous les poursuivons, non parce que ces choses nous paraissent bonnes par nature, mais pour obéir à l’opinion de nos maîtres.
Or notre maître s’est le peuple ; et la foule est un maître cruel et un dur tyran. Car elle n’a pas besoin de commander pour que nous lui obéissions ; il nous suffit de savoir ce qu’elle veut, et nous cédons sans ordre : tant nous avons de déférence pour elle. Chaque jour Dieu avertit et menace, et n’est point écouté ; et une multitude confuse, la lie du peuple, n’a pas besoin de commander ; c’est assez qu’elle manifeste sa volonté, on lui obéit immédiatement en tout. Et comment, direz-vous, échapper à ces maîtres ? En élevant plus haut ses pensées ; en considérant la nature des choses ; en dédaignant les suffrages du vulgaire ; en se réglant avant tout de manière à éviter ce qui est réellement mal, non par peur des hommes, mais par crainte de l’œil qui ne dort jamais ; en ne cherchant dans le bien que les récompenses qui viennent de Dieu. Et il arrivera que dans les autres choses nous ne rechercherons pas davantage la faveur populaire. Car l’homme qui se contente des suffrages de Dieu et n’estime pas même la foule digne de le juger quand il fait le bien, ne tiendra pas plus compte de celle-ci, quand il s’agira d’éviter le mal. Comment cela peut-il se faire ? direz-vous.
Considérez ce que c’est que l’homme, ce que c’est que Dieu, à qui vous aurez recours si vous abandonnez Dieu, et vous serez bientôt parfaitement en règle. L’homme est sujet aux mêmes fautes, au même jugement, au même châtiment que vous ; il est devenu semblable à la vanité ; son jugement n’est pas droit, il a besoin d’être dirigé d’en haut ; terre et cendre, l’homme, quand il loue, loue souvent au hasard, ou par faveur, ou par haine ; et s’il calomnie ou accuse, c’est encore par le même principe. Il n’en est pas ainsi de Dieu : son suffrage est impartial, son Jugement pur. C’est pourquoi il faut toujours recourir à lui ; non seulement pour cette raison, mais encore parce qu’il vous a créé, parce qu’il vous ménage plus que qui que ce soit et qu’il vous aime plus que vous-même. Pourquoi dons, délaissant un si glorieux suffrage, recourons-nous à l’homme qui n’est rien, qui fait tout sans raison et au hasard ? il vous appelle méchant, scélérat, quand vous ne l’êtes pas ? Plaignez-le plutôt et pleurez sur lui, parce qu’il est perverti et que son âme est aveuglée ; parce que les apôtres ont subi ces calomnies et ont ri de ceux qui les avaient forgées. Il vous appelle vertueux et homme de bien ? Si vous êtes tel, ne vous enflez pas de cette bonne opinion ; si vous ne l’êtes pas, méprisez-la encore davantage et regardez-la comme une moquerie. Voulez-vous savoir jusqu’à quel point les jugements de la multitude sont faux, inutiles, ridicules, tantôt dictés par la fureur et la folie ; tantôt puérils comme ceux de l’enfant au berceau ?
Écoutez ce qu’ils ont été jadis : Je ne parle pas seulement ici des jugements de la multitude, mais d’hommes estimés comme très sages, d’anciens législateurs. Qui passa jamais dans l’opinion du vulgaire pour plus sage que celui qui fut jugé capable de donner des lois aux cités et aux peuples ? Et pourtant aux yeux de ces sages la fornication n’était point un mal, ne méritait aucun châtiment. Aucune de ces législations païennes ne la punissait, ne, livrait le coupable à un tribunal ; et aujourd’hui encore, si une action est intentée pour ce crime, elle devient pour la foule un objet de risée et le juge l’écarte. Le jeu de hasard, est également innocent chez eux, et personne n’a jamais été puni pour s’y être livré. L’excès dans le boire et dans le manger, non seulement n’est point un crime, mais passe pour un haut fait aux yeux d’un grand nombre ; dans les repas militaires, il y a émulation sur ce point ; ceux qui ont le plus besoin d’un esprit sain, d’un corps robuste, sont précisément ceux qui s’adonnent le plus à la passion de l’ivrognerie, brisant ainsi leurs forces physiques, obscurcissant leur intelligence. Or aucun législateur n’a décerné de peines contre ce désordre.
5. Qu’y a-t-il de pire que cette folie ? Sont-ce les suffrages de tels hommes que vous ambitionnez, sans scruter votre propre conscience ? Quand même toits vous admireraient, ne devriez-vous pas encore rougir, vous voiler la face de honte, en recueillant leurs applaudissements, puisque leurs Jugements partent d’une source si impure ? De plus, le blasphème n’est point une chose horrible pour un législateur ; aucun blasphémateur n’est traduit devant un tribunal ni puni. Mais celui qui vole un habit ou coupe une, bourse, est torturé et souvent condamné à mort ; tandis que l’homme qui outrage Dieu est innocent aux yeux de ces législateurs. Si un homme marié déshonore sa servante, ni les lois profanes, ni l’opinion publique n’y attachent la moindre in portance.
Voulez-vous d’autres preuves de leur folie ? Ils ne punissent point ces crimes, mais ils font dès lors pour d’autres sujets. Quels sujets ? Ils établissent des théâtres ; ils y introduisent des chœurs de prostituées, de jeunes débauchés, l’opprobre de la nature ; ils y convoquent un peuple entier, y attirent toute une ville comme à une récréation, et y couronnent ces grands souverains dont les trophées et les victoires sont le constant objet de leurs louanges. Quoi de plus froid que de pareils honneurs ? Quoi de plus désagréable que de tels plaisirs ? Et c’est là que vous chercherez des approbateurs de votre conduite ? Vous voulez, dites-moi, partager des éloges avec des danseurs, des débauchés, des mimes et des femmes publiques ? Et ce ne serait pas là le comble de la folie ? Volontiers je demanderais à ces gens-là : N’est-ce pas une indignité de renverser les lois de la nature, de se livrer à des commerces monstrueux ? Certainement, répondront-ils paraissant ainsi condamner ce genre de crime. Pourquoi alors mettez-vous en scène ces impudents libertins ; et, ce qui est pire encore, les comblez-vous de mille précieux présents ? Ailleurs vous les puniriez comme des coupables, et ici vous les traitez comme des bienfaiteurs de la ville, et les entretenez aux dépens du trésor public. Oui, dites-vous, mais ils sont déshonorés. Pourquoi donc les formez-vous ? Pourquoi les employez-vous pour honorer les rois ? Pourquoi épuisez-vous les villes ? Pourquoi tant dépenser pour eux ? S’ils sont déshonorés, il faudrait les chasser comme tels : Pourquoi les avez-vous rendus infâmes ? Est-ce pour les estimer ou pour les mépriser ? Pour les mépriser, évidemment. Vous les rendez donc infâmes pour les mépriser, et vous accourez pour les voir, et vous les admirez, et vous les louez, et vous les applaudissez comme s’ils étaient honorables.
Et que dire des séductions offertes dans les hippodromes et les combats d’animaux ? On est stupéfait en songeant qu’on apprend là, au peuple, à être barbare, cruel, inhumain ; qu’on l’habitue à voir des hommes mis en pièces, le sang couler, les bêtes sauvages exercer toute leur cruauté. Et les sages législateurs ont introduit, dès le commencement des épidémies, et des villes entières admirent et applaudissent. Mais laissons cela de côté, si vous le voulez, puisque l’absurdité en est évidente et avouée de tous, bien que les législateurs l’aient jugé autrement, et passons à des lois honorables, où vous verrez que l’opinion du vulgaire a encore apporté la corruption.
Le mariage, est regardé comme une chose honorable chez nous et cirez les gentils, et il l’est en effet ; mais il se passe dans sa célébration les choses ridicules que vous allez entendre. Car la coutume a si bien trompé, égaré les esprits, que beaucoup n’en comprennent pas l’absurdité et ont besoin qu’on la leur découvre. On a donc introduit pour cette occasion des danses, des cymbales ; des flûtes, des chants obscènes, des excès de table, des débauches, tous les désordres que Satan peut inspirer. Et je sais qu’en attaquant ces abus je paraîtrai ridicule ; et que la foule m’accusera de stupidité pour avoir essayé de détruire les anciennes coutumes : tant est grand, comme je l’ai dit, entraînement de l’habitude ; mais je ne cesserai pas pour autant. Si la masse repousse ma parole, peut-être, oui, peut-être quelques-uns l’accueilleront-ils, et aimeront-ils mieux être ridicules avec nous que de prendre part aux railleries contre nous : railleries vraiment déplorables et dignes des plus grands châtiments. N’est-ce pas une chose absolument condamnable qu’une jeune fille, restée vierge jusque-là ; élevée dès le bas âge dans le sentiment de la pudeur, soit tout à coup forcée de le déposer, reçoive dès le moment de son mariage, des leçons d’impudicité, et soit produite en public par des libertins, des fornicateurs et des débauchés ? quels germes de vice ne seront pas, dès ce moment, déposés dans l’âme de la jeune mariée ? L’impudence, l’audace, l’immodestie, l’amour de la vaine gloire ; car elle désirera voir tous les jours ressembler à celui-ci. Voilà ce qui engendre chez les femmes le goût du luxe et de la dépense, l’indécence, et mille autres vices. Ne m’objectez pas la coutume. Si c’est un mal, il ne faut pas le faire une seule fois ; si c’est un bien, il ne faut jamais le discontinuer. Dites-moi : la fornication est-elle un crime ? Si elle est un crime ; la permettrons-nous une seule fois ? Certainement non. Quand on ne la commettrait qu’une fois, elle serait toujours un crime. Donc, si c’est un mal de procurer à une jeune femme de tels plaisirs, on ne doit pas même le faire une fois ; si ce n’est pas un mal, qu’on le fasse toujours.
6. Mais quoi ! direz-vous, blâmez-vous le mariage ? À Dieu ne plaise que je le blâme je ne suis pas assez fou pour cela. Ce que je blâme, c’est ce qui vient à sa suite, les parfums, le fard, et les autres superfluités de ce genre. Dès ce jour, la jeune mariée s’attirera de nombreux amants, avant même de cohabiter avec son époux. Mais beaucoup admireront sa beauté. Qu’arrivera-t-il alors ? Quand même elle serait chaste, elle aura peiné à échapper aux mauvais soupçons ; si au contraire elle se néglige, elle tombera vite dans le piège, initiée dès ce moment aux pensées de libertinage. Nonobstant ces suites fatales, quand le fait n’a pas lieu, des hommes qui ne sont guère au-dessus des animaux, prennent cela pour un affront, et proclament que c’est une indignité, qu’une femme ne soit pas produite en ce jour et exposée aux regards de nombreux spectateurs.
Et c’est ce fait lui-même qu’il fallait envisager comme injurieux ; ridicule et comique. Et je sais que c’est nous que beaucoup traiteront d’insensé et de ridicule ; mais je consentirai à être tourné en dérision, s’il en résulte quelque profit. Je serais seulement ridicule si, en vous exhortant à mépriser l’opinion populaire, j’étais moi-même atteint de cette maladie. Voyez maintenant ce qui suit : non seulement pendant le jour, mais pendant la nuit, ce sont des hommes ivres, a moitié endormis, enflammés par la volupté, qui se disposent à contempler la beauté du visage de la jeune femme. Et ce n’est pas à la maison, mais à travers les rues qu’ils la présentent en spectacle, l’accompagnant jusqu’à une heure très avancée ; avec des flambeaux, afin que chacun puisse la voir ce qui ne tend qu’à lui faire dépouiller pour l’avenir un reste de pudeur. Et on ne s’en tient pas là : on la conduit au milieu de paroles obscènes, usage qui est passé en loi dans la foule. Et des milliers d’esclaves fugitifs, de vauriens, d’hommes perdus, profèrent librement tout ce que le caprice Mur inspire, et contre elle et contre l’époux qui doit habiter avec elle ; en tout cela il n’y a rien d’honnête, mais tout y sent l’obscénité. La mariée qui voit et entend tout cela, ne reçoit-elle pas une belle leçon de chasteté ? Et il y a une émulation diabolique entre les acteurs ; c’est à qui l’emportera sur les autres en paroles injurieuses et impudiques, propres à faire rougir les spectateurs ; et en fin de compte, la victoire appartient à celui qui a vomi le plus de turpitudes et d’impudicités.
Je sais que je suis ennuyeux, odieux et importun pour vouloir retrancher ce plaisir de la vie. Aussi je m’attriste en voyant que des choses aussi désagréables puissent passer pour un plaisir. Comment, en effet, ne serait-il pas désagréable d’êtres accablé d’injures et d’affronts, d’être insulté par la foule en compagnie d’une jeune femme ? Quoi ! si quelqu’un injurie votre épouse sur la place publique, vous mettez tout en mouvement, vous croyez ne pouvoir plus jouir de la vie ; et quand vous vous conduisez honteusement avec elle sous les yeux de toute une ville, vous vous en réjouissez, ions en êtes fier ? Quelle folie ! Affaire d’habitude, direz-vous. Eh ! voilà justement ce qui doit faire verser des larmes, que le démon ait fait passer cela en habitude. Comme le mariage est une chose honorable, destinée à là propagation de notre espèce, et une source de, grands biens, ce méchant esprit en ressent un vif chagrin, et sachant qu’il est un remède contre la fornication, il prend d’autres moyens pour introduire toute espèce d’impudicités. Beaucoup de jeunes filles ont été déshonorées dans ces assemblées. Si cela n’arrive pas toujours, le démon se contente, en attendant, que des paroles et des chants obscènes aient déshonoré l’épouse à travers les rues et les places publiques. Et comme tout se passe le soir, de peur que la nuit ne voile ces turpitudes, on allume de nombreux flambeaux qui les mettent, dans tout leur jour. Car pourquoi cette foule ? pourquoi l’ivresse ? pourquoi des instruments de musique ? N’est-ce pas évidemment pour que ceux qui sont chez eux ensevelis dans le sommeil soient avertis, s’éveillent au son des instruments, et se mettent à la fenêtre pour voir passer la comédie ?
Et que dire des chants mêmes, qui ne respirent que la licence, ne célèbrent que des amours illicites, des unions illégitimes, des familles détruites, mille scènes tragiques, et où l’on n’entend que les mots d’amant et d’amante, de bien-aimé et de bien-aimée ? Et le pire encore, c’est qu’il y a là des jeunes, filles qui, dépouillant toute pudeur, à l’honneur, ou plutôt à la honte de la mariée, sacrifient leur salut, se conduisent avec indécence parmi des jeunes gens, et, par, un satanique accord, prennent part aux chants impurs et aux paroles coupables. Me demanderez-vous encore d’où viennent les adultères ? les fornications ? les profanations du mariage ? Mais, direz-vous, ce ne sont pas, les vierges bien nées et pudiques qui se conduisent ainsi. Eh ! puisque vous savez cela avant moi ; pourquoi riez-vous de moi ? Si ces coutumes sont bonnes, permettez que celles-ci les pratiquent. Quoi donc ? parce que les autres sont pauvres, ne sont-elles pas aussi des vierges ? ne sont-elles pas obligées d’être chastes ? Est-ce qu’une jeune fille qui danse sur le théâtre, au milieu de jeunes libertins, il vous semble pas plus dégradée qu’une femme publique ? Si vous ajoutez qu’il n’y a que des servantes qui le fassent, je ne vous fais pas grâce peur autant : car à pelles-là encore il ne fallait pas permettre de le faire.
7. Et là est la source de tous les maux : On ne tient plus compte des serviteurs. On a donné un assez grand signe de mépris quand on a dit : C’est un domestique, ce sont des servantes. Et pourtant on entend dire chaque jour : « Dans le Christ, il n’y a plus d’esclave, ni d’homme libre ». (Gal. 3,28) Vous ne méprisez ni un cheval, ni un âne, vous mettez tout en œuvre pour qu’ils ne soient pas vicieux ; et, vous dédaignez des serviteurs qui ont une âme comme vous ? Que dis-je, des serviteurs ? Vous négligez même vos fils et vos filles. Qu’arrive-t-il ensuite ? Qu’il faut gémir quand ils sont tous perdus ; et souvent, pour combe de malheur, après qu’ils ont dépensé des sommes considérables au milieu de la foule et du tumulte. Ensuite si un enfant naît du mariage, nous revoyons encore la même folie, et une four d’usages ridicules. En effet, quand il faut lui donner un nom, on ne le cherche pas parmi ceux des saints, comme le faisaient nos ancêtres ; mais on allume des lampes auxquelles on donne des noms, et celle qui dure le plus laisse le sien au nouveau-né ; c’est une probabilité qu’il vivra longtemps. Et s’il arrive (cas assez fréquent), qu’il meure de mort prématurée, le diable a une belle occasion de rire de s’être joué des parents comme d’enfants niais.
Et que dire des bandelettes et oies clochettes attachées à la main, et du cordon rouge, et de cent autres folies de ce genre, quand on devrait uniquement placer l’enfant sous la sauvegarde de la croix ? Mais cette croix qui a converti le monde entier, qui a fait au démon une si cruelle blessure et a ruiné tout son pouvoir, elle est aujourd’hui un objet de mépris ; c’est à une trame, à une chaîne, à des amulettes que l’on confie le salut d’un enfant. Dirai-je quelque chose de plus ridicule encore ? Que personne ne m’accuse d’importunité, si je vais jusque-là. Car celui qui veut retrancher de la pourriture, ne craint pas de salir ses mains : Quelle est donc cette chose ridicule ? Une chose qui n’a l’air de rien (et c’est de quoi je gémis), mais qui est le principe d’une vraie démence, d’une extrême folie. Des femmes, des nourrices, des servantes, mettent de la boue dans de l’eau de bain, y trempent le doigt et en marquent le front de l’enfant ; et si vous le demandez : Pourquoi cette eau ; sale, pourquoi cette boue ? On vous répond : C’est pour détourner les mauvais regards, la jalousie, et l’envie. Vraiment ! quelle vertu a l’eau sale ! quelle puissance a la boue ! Elle renverse tout l’empire de Satan. Et vous ne rougissez pas ? Vous ne devinez pas enfin les ruses du diable ? Vous ne voyez pas comment il amène peu à peu et dès le premier âge, dans ses filets ? Mais si la boue a tant de vertu, pourquoi ne vous en frottez-vous pas le front, vous homme mûr, et qui avez plus d’envieux qu’un enfant ? Pourquoi ne vous en frottez-vous pas tout le corps ? Si une simple onction sur le front produit de si grands effets, pourquoi ne pas l’étendre au corps entier ? Tout cela est une farce, une comédie satanique, qui ne prête pas seulement, à rire, mais précipite en enfer ceux qu’elle séduit.
Rien d’étonnant que de telles choses se passent chez les gentils ; mais qu’elles aient lieu chez les adorateurs de la croix, chez ceux qui participent aux plus hauts mystères secrets, qui possèdent une si haute philosophie : voilà ce qu’on ne saurait assez déplorer. Dieu vous a honoré de l’huile spirituelle, et vous salissez votre fils avec de la boue ? Dieu vous a honoré, et vous vous déshonorez ? C’est de la croix, cette invincible protectrice, qu’il faut se signer le front, et vous la rejetez pour tomber dans un égarement diabolique ? Et s’il en est parmi vous à qui ces choses paraissent de peu d’importance, qu’ils sachent qu’elles sont l’origine de grands maux, et que Paul n’a point cru devoir les négliger comme insignifiantes. Qu’y a-t-il en effet de moins important pour l’homme que de se couvrir la tête ? Et voyez pourtant quel intérêt l’apôtre y attache, avec quelle énergie il le défend, lapant jusqu’à dire, entre autres choses, qu’en se couvrant l’homme déshonore sa tête. Mais si un homme déshonore sa tête en la couvrant, comment celui qui frotte de boue un enfant, ne le rend-il pas abominable ? Comment, je vous le demande, le remettra-t-il aux mains du prêtre ? Comment oserez-vous prier le prêtre de marquer du sceau, un front que vous avez enduit de boue ? Ne faites pas cela, mes frères, ne le faites pas ; mais dès le bas âge ; munissez vos enfants des armes spirituelles ; apprenez-leur à se signer le front avec la main ; et avant qu’ils le puissent, imprimez-leur vous-mêmes le signe de la croix.
Que dire des autres observances sataniques que, pour leur propre malheur, les sages-femmes emploient dans les douleurs de l’enfantement ? Et de celles qui accompagnent la mort et la sépulture : ces gémissements, ces lamentations insensées, ces extravagances sur les tombeaux, ce soin des monuments funèbres, ces troupes inutiles et ridicules de pleureuses, ces jours de remarque, ces entrées, ces sorties ? Et voilà la gloire que vous recherchez ? Et comment ne serait-ce pas le comble de la folie d’ambitionner les suffrages d’hommes aussi pervertis, aussi désordonnés dans leur conduite, au lieu de recourir à Celui dont l’œil ne dort pas, et de ne s’attacher qu’à son approbation dans nos actes et dans nos paroles ? Les louanges de ceux-là ne sauraient nous servir ; mais Celui-ci, si nos actions lui sont agréables, nous rendra glorieux ici-bas et nous communiquera, au jour à venir, ses mystérieux trésors. Puissions-nous tous tels obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIII.

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NOUS SOMMES, NOUS, INSENSÉS À CAUSE DU CHRIST (IL EST NÉCESSAIRE DE REPRENDRE ICI NOTRE DISCOURS), MAIS VOUS, VOUS ÊTES SAGES DANS LE CHRIST ; NOUS SOMMES FAIBLES, ET VOUS ÊTES FORTS ; VOUS ÉTÉS HONORÉS, MAIS NOUS SOMMES MÉPRISÉS. (CHAP. 4,10, JUSQU’AU VERS. 16)

ANALYSE.

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  • 1. Saint Paul fait voir aux Corinthiens combien leur présomption est déplacée.
  • 2. Saint Paul achève de toucher les Corinthiens en leur montrant une charité d’apôtre, et une tendresse de père.
  • 3-5. Que nous pouvons imiter le Christ. – Applaudissement de l’auditoire. – Portrait de saint Paul et de sa vertu.— Qu’il n’est pas besoin qu’il y ait des persécutions pour être vraiment chrétien. – De la guerre continuelle que nous avons à soutenir contre le démon. – Les richesses ne sont pas un mal lorsqu’on en fait un bon usage.


1. Après avoir parlé avec la plus grande gravité (ce qui blessait plus que toutes les accusations possibles), il reprend la parole avec la dignité qui lui convient. Il a dit plus haut : «  Vous régnez sans nous » et : « Dieu nous a traités, nous les apôtres, comme les derniers des hommes, comme des condamnés à « mort » ; il fait voir ensuite comment ils étaient destinés à la mort, en disant : « Nous sommes insensés, faibles, méprisés ; nous souffrons la faim et la soif, nous sommes nus, déchirés à coups de poing, nous n’avons pas de demeure stable, et nous nous fatiguons ; travaillant de nos mains » : Autant de signes qui indiquaient des docteurs et de véritables apôtres. Les Corinthiens au contraire se glorifiaient de choses tout opposées de la sagesse, de la gloire, de la richesse, des honneurs. Voulant donc guérit leur enflure, et leur montrer qu’il faut s’humilier de tout cela, bien loin de s’enorgueillir, il les raille d’abord en disant : « Vous régnez sans nous ». C’est-à-dire : Moi j’affirme que ce n’est pas le moment de jouir de l’honneur et de la gloire, comme vous le faites, mais d’être injuriés et persécutés : comme nous le sommes. S’il n’en est pas ainsi, et que nous soyons à l’heure des récompenses, comme je le vois (il parle ironiquement), vous, les disciples, vous régnez déjà ; et nous les maîtres ? et les apôtres qui devrions les premiers être récompensés, non seulement nous sommes les derniers d’entre vous, mais nous sommes comme destinés à la mort, c’est-à-dire condamnés, Nous vivons continuellement dans l’ignominie, dans les périls, en proie à la faim, injuriés et chassés comme des fous, et souffrant des maux intolérables. Son but est de leur faire comprendre qu’ils doivent envier le sort des apôtres, c’est-à-dire, les périls et les injures, et non les honneurs et la gloire car c’est ainsi que l’exige la prédication. Il ne dit cependant point cela directement, pour ne pas leur paraître importun, mais il exprime ce reproche d’une manière convenable. Si en effet il eût voulu aller droit au but, il aurait dit : Vous vous égarez, vous vous trompez, vous êtes à une grande distance de l’enseignement apostolique ; il faut qu’un apôtre, qu’un ministre du Christ, passe pour insensé, qu’il vive comme nous dans la tribulation et le mépris ; et vous faites précisément le contraire.
Mais ce langage les eût irrités davantage, parce qu’ils y auraient vu l’éloge des apôtres et leur audace s’en fût accrue, à raison des reproches de lâcheté, de vaine gloire et d’amour du plaisir. Aussi n’est-ce pas là son procédé ; mais celui qu’il emploie frappe davantage, en blessant moins. C’est pour cela qu’il fait usage de l’ironie, en disant : « Vous, vous êtes forts et honorés ». En parlant sans ironie, il aurait dit : Il ne peut se faire que l’un passe pour fou, l’autre pour sage ; l’un pour fort, l’autre pour faible, la prédication ne comportant pas les deux. S’il en était autrement, ce que vous dites aurait quelque raison ; mais à cette heure il n’est pas permis de passer pour sage, d’être honoré, de vivre sans périls. Sinon, il faut que Dieu vous ait préférés à nous, vous les disciples à nous les maîtres qui souffrons en mille manières. Si personne n’ose le dire, il ne vous reste qu’à marcher sur nos pas. Et n’allez pas croire, ajoute-t-il, que je ne parle ici que du passé : « Jusqu’à cette heure nous souffrons la faim et la soif, et nous sommes nus ». Voyez-vous que telle doit être la vie du chrétien, non pas un jour ou deux, mais toujours ? L’athlète qui a été couronné : dans un combat, ne l’est plus dans le second s’il vient à succomber. « Et nous souffrons la faim », en face de ceux qui vivent dans les, délices ; « et nous sommes déchirés à coups de poing », en face da ceux qui sont, bouffis d’orgueil ; « nous n’avons pas de demeure stable », en face de ceux qui tombent ; « et nous sommes nus », en face de ceux qui sont riches ; « et nous nous fatiguons », en face des faux apôtres qui ne supportent ni le travail ni le danger, et cependant recueillent le profit. Il n’en est pas ainsi de nous, dit-il ; mais au milieu des dangers du dehors nous nous livrons à un travail continuel. Et ce qui est plus encore : personne ne peut dire que nous en soyons affligés ni que nous accusions ceux qui nous persécutent : nous leur rendons au contraire le bien pour le mal. Et c’est en cela que consiste la grandeur, et non à souffrir injustement (ce qui est commun à tous les hommes), mais à supporter le mal, sans peine et sans aigreur.
2. Et non seulement nous ne nous affligeons pas, mais nous nous réjouissons. Et la preuve c’est que nous rendons le bien pour le mal : Pour vous convaincre que c’était là la conduite des apôtres ; écoutez ce qui suit : « On nous maudit, et nous bénissons ; on nous, persécute, et nous le supportons ; on nous blasphème, et nous prions ; nous sommes devenus jusqu’à présent comme les ordures du monde » ; c’est-à-dire insensés pour le Christ. Car celui qui souffre injustement, sans se venger et sans se plaindre, passe aux yeux de ceux du dehors pour un insensé, pour un homme déshonoré et faible. Mais pour ne pas être trop dur en imputant ces souffrances à la ville de Corinthe, que dit-il ? « Nous sommes devenus les ordures », non de votre ville, mais « du monde » ; et encore : « Les balayures rejetées de tous », non pas seulement de vous, mais de tous. Et comme quand il parle de la bonté providentielle du Christ, il laisse de côté la terre, le ciel, toute la création, pour ne mentionner que la croix ; ainsi voulant attirer à lui les Corinthiens, il passe ses miracles sous silence pour ne parler que de ce qu’il a souffert pour eux. Ainsi d’ordinaire quand nous avons éprouvé des injures ou du mépris de la part de quelqu’un, nous ne rappelons pas autre chose que ce que nous avons souffert pour lui. « Les balayures rejetées de tous, jusqu’à cette heure ». Il frappe un coup violent à la fin. « De tous », non seulement de nos persécuteurs, mais encore de ceux pour qui nous souffrons persécution : ce qui veut dire : Je leur en suis très reconnaissant. C’est un signe de vive indignation ; non qu’il se plaigne, mais il veut les frapper. Car il les caresse, malgré les mille sujets de plaintes qu’il pourrait produire. C’est pour cela que le Christ nous ordonne de supporter patiemment les injures, afin de rester sages nous-mêmes et de mieux confondre nos ennemis : ce qu’on obtient plutôt parle silence qu’en rendant injure pour injure. Ensuite voyant que le coup serait insupportable, il apporte le remède, en disant : « Je n’écris point ceci pour vous donner de la confusion, mais je vous avertis comme mes fils bien-aimés ». Je ne parle pas ici pour vous couvrir de honte. Il dit n’avoir pas fait ce qu’il a réellement fait en paroles ; ou plutôt il dit qu’il l’a fait, mais sans mauvaise intention et sans haine. Car c’est là le meilleur remède : s’excuser d’avoir prononcé une parole, par l’intention que l’on a eue en la prononçant. Il ne lui était pas permis de ne pas parler, parce qu’ils ne se seraient pas corrigés ; mais laisser la plaie sans remède, c’eût été chose pénible : aussi s’excuse-t-il sérieusement. Par là non seulement la blessure ne disparaît pas, mais elle pénètre plus avant, quand on console de la douleur qu’elle Cause. Celui qui la reçoit est plus disposé à se corriger, quand il s’aperçoit qu’elle lui est infligée par charité et non par haine. Ici le langage est très grave et propre à donner de la confusion. En effet ; il ne parle pas comme docteur, comme apôtre, comme un maître ayant des disciples (ce qui eût senti l’autorité), mais il dit : « Je vous avertis comme mes fils bien-aimés » ; non seulement comme des fils, mais comme des fils très chers. C’est leur dire : pardonnez-moi ; s’il y a ici quelque chose de pénible, c’est l’amour qui me l’a dicté. Il ne dit pas : Je vous blâme, mais « Je vous avertis ». Or, qui ne supporterait un père affligé et donnant de sages conseils ? Aussi lie s’exprime-t-il de la sorte qu’après avoir frappé le coup.
Quoi donc ! direz-vous, les autres maîtres nous ménagent-ils ? Je ne dis pas cela ; mais ils ne vous traitent pas de cette façon. L’apôtre ne parle pas ici obscurément ; mais il désigne les fonctions, les noms : il parle de maître et de père. « Car eussiez-vous dix mille maîtres a dans le Christ, vous n’avez cependant pas plusieurs pères ». Ici ce n’est plus sa dignité, mais son immense charité qu’il fait voir ; il ne les blesse plus en ajoutant : « Dans le Christ » ; mais il les console, en appelant maîtres, et non flatteurs, ceux qui supportaient les soucis et les peines, et il leur témoigne sa sollicitude. Aussi ne dit-il pas : Vous n’avez pas plusieurs maîtres mais : « Plusieurs pères ». Il ne voulait donc pas leur rappeler sa dignité, ni les biens sans nombre qu’ils avaient reçu de lui ; mais tout en accordant que leurs maîtres avaient pris beaucoup de peine leur occasion (ce qui est le propre d’un maître), il ne se réserve que l’excès de l’amour. Or ceci est le propre d’un père. Il ne dit pas seulement : Personne ne nous aime ainsi (ce qu’il avait droit de dire) ; mais il en produit la preuve ne fait. Quel fait ? « C’est moi qui, par l’Évangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus ». Dans le Christ Jésus : ce n’est donc pas à moi que je l’attribue. De nouveau il frappe sur ceux qui s’attribuaient la gloire de l’enseignement. « Car », leur dit-il, « vous êtes le sceau de mon apostolat » (1Cor. 9,2) ; et encore : « Je vous ai plantés », et ici : « Je vous ai engendrés ». Il ne dit pas : J’ai annoncé la parole ; mais : « J’ai engendré », en employant les expressions de la nature. Il n’a qu’un soin leur montrer l’amour qu’il leur a porté. Ceux-là vous ont attirés d’après mes instructions ; mais si vous êtes fidèles, c’est à moi que vous le devez. Et de peur que cette expression « Comme mes fils », ne vous semble une flatterie, il en vient au fait même. « Je vous en conjure donc : Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ ». O ciel ! Quelle confiance de maître ! Quel modèle accompli, puisqu’il le propose à l’imitation des autres ! Du reste il ne parle pas ainsi par orgueil, mais pour montrer que la vertu est facile.
3. Ne me dites pas : Je ne peux pas vous imiter ; vous êtes un maître et un homme distingué. Car il y a moins de distance de vous à moi que de moi au Christ ; et pourtant j’imite le Christ. Quand il écrit aux Éphésiens, il ne se propose pas lui-même pour modèle, mais il les mène d’abord droit ail but, en disant : « Soyez les imitateurs de Dieu » (Eph. 5,1) ; ici, comme il parle à des faibles, il s’interpose lui-même. D’autre part il leur fait voir qu’il est possible d’imiter le Christ. En effet, Celui qui imite parfaitement le sceau, reproduit le modèle. Voyons donc comment il a imité le Christ. Cette imitation ne demande ni temps ni art, mais seulement de la bonne volonté. Si nous entrons dans l’atelier d’un peintre, nous ne pouvons imiter un tableau quand même nous le regarderions des milliers de fois ; mais le peintre l’imitera rien qu’à en entendre parler. Voulez-vous que nous vous mettions le tableau sous les yeux et vous tracions la vie de Paul ? Qu’il paraisse donc, ce tableau, beaucoup plus éclatant que les images des rois. Car ce qui est sous mes regards n’est pas un assemblage de pièces de bois ni des toiles étalées, mais l’œuvre de Dieu : une âme et un corps. L’âme est l’ouvrage de Dieu, et non des hommes, et les corps également. Vous avez applaudi ? Ce n’est pas encore le moment ; ce sera dans la suite qu’il faudra applaudir en imiter. Jusqu’ici, ce dont il s’agit est commun à tous les hommes. Une âme, en effet, en tant qu’âme, ne diffère pas d’une autre ; « la volonté seule fait la différence. De même que le corps, en tant que corps, ne diffère pas d’un autre, en sorte que celui de Paul ressemble à celui de tout le monde, et que les épreuves seules l’ont rendu plus glorieux : ainsi en est-il de l’âme.
Mettons donc sous vos yeux un tableau, l’âme de Paul. Le tableau était d’abord chargé de poussière et de toile d’araignées[11]; car il n’y a rien de pire que le blasphème. Mais quand vint Celui qui change tout, il vit que ce n’était, point là l’effet de la lâcheté ni de la mollesse, mais de l’ignorance et du défaut des couleurs de la piété, qu’il y avait du zèle mais pas de couleurs (car Paul n’avait pas le zèle selon la science) : alors il lui donne la couleur de la vérité, c’est-à-dire la grâce, et en fait immédiatement, un tableau royal. Ayant en effet reçu la couleur et appris ce qu’il ignorait, il n’a pas besoin du temps ; sur-le-champ il devient un artiste parfait. D’abord il montre une tête royale, en prêchant le Christ ; ensuite le corps entier, par une règle de vie sévère. Les peintres s’enferment, et travaillent en repos et avec une grande assiduité, sans ouvrir à personne ; ainsi Paul plaçant son tableau au milieu du monde, ne s’inquiète pas des contradicteurs, ni du tumulte, ni du trouble qui règne autour de lui, et travaille sans obstacle au royal portrait. Aussi disait-il : Nous sommes donnés en spectacle au monde, au moment où il peignait, son tableau au milieu de la terre et de la mer, en présence du ciel et du globe entier, du monde sensible et spirituel.
Voulez-vous voir le reste, à partir de la tête ? ou voulez-vous remonter de bas en haut?. Voyez cette statue d’or, bien plus précieuse que l’or, telle qu’elle existe sans doute dans le ciel, non-enchaînée par le poids d’un plomb vil, non fixée en un seul lieu ; mais courant de Jérusalem jusqu’en Illyrie, puis partant pour l’Espagne, et portée comme sur des ailes à travers le monde entier. Quoi de plus beau que ces pieds qui ont parcouru toutes les contrées, éclairées par le soleil ? Le prophète avait prédit cette beauté, quand il disait : « Qu’ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix ! » (Is. 52,7) Voyez-vous comme ces pieds sont beaux ? Voulez-vous aussi voir sa poitrine ? Venez, je vous la montrerai, et vous vous convaincrez qu’elle est beaucoup plus belle que ces pieds déjà si beaux, et plus belle encore que celle de l’ancien Législateur. Moïse, Il est vrai, porta les tables de pierre ; mais celui-ci possédait le Christ en lui-même, et portait l’image du roi et du propitiatoire ; il était donc plus honorable que les chérubins. La voix qui sortait du propitiatoire n’était point comparable à celle-ci ; elle ne parlait guère que des choses sensibles ; celle de Paul exprime des chose plus élevées que les cieux ; l’une ne s’adressait qu’aux Juifs, l’autre s’adresse au monde entier ; la première sortait d’objets inanimés, la seconde d’une âme douée de vertu.
4. Le propitiatoire était plus splendide que le ciel ; ce n’étaient point des astres divers ni des rayons du soleil qui faisaient son éclat, mais il possédait le soleil lui-même qui de là envoyait ses rayons. Quelquefois des nues en passant attristent notre ciel ; cette poitrine n’a point subi de tels orages ; ou plutôt elle en a souvent subi, mais son éclat n’en, a point été obscurci ;.au milieu des épreuves et des périls elle gardait sa splendeur. Aussi, chargé de fers, s’écriait-il : « La parole de Dieu n’est pas enchaînée ». (2Tim. 2,9) Ainsi, par sa langue, il envoyait toujours des rayons ; jamais la crainte, jamais le danger n’ont assombri sa poitrine. Peut-être cette poitrine semble-t-elle laisser les pieds loin derrière elle ; mais ces pieds sont beaux en tant que pieds, et, comme poitrine, cette poitrine est belle. Voulez-vous voir la beauté de son estomac ? Écoutez ce qu’il dit de lui-même : « Si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair ». (I. Cor. 5,13) Il est bon de ne pas manger de chair, de ne pas boire de vin ou quoi que ce soit qui puisse offenser scandaliser ou affaiblir votre frère. « Les aliments sont pour l’estomac, et l’estomac pour les aliments ». (Id. 6,13) Quoi de plus beau que cet estomac ainsi exercé au calme, à toute espèce de tempérance, à souffrir l’abstinence, la faim et la soif ? Comme un cheval bien dressé et portant une bride d’or, ainsi cet estomac allait en mesure après avoir dompté les besoins de la nature : car le Christ marchait en lui. Il est évident que par cette tempérance tous les autres vices étaient détruits. Maintenant voulez-vous voir ses mains, tes mains d’aujourd’hui ? Ou voulez-vous d’abord voir celles d’autrefois ? Naguère entrant dans les maisons, il traînait hommes et femmes, non avec des mains d’homme, mais avec celles de quelque bête fauve. Mais dès qu’il eut reçu les couleurs de la vérité et la science spirituelle, ses mains ne furent plus celles d’un homme, elles furent toutes spirituelles, enchaînées tous les jours ; frappées elles-mêmes mille fois, elles ne frappèrent plus personne. Une vipère les respecta un jour, car ce n’étaient plus des mains d’homme, aussi, n’osa-t-elle les toucher. Voulez-vous aussi connaître ce dos, si semblable aux autres membres ? Écoutez ce qu’il en dit : « Cinq fois j’ai reçu des Juifs quarante coups de fouet, moins un ; j’ai été trois fois battu de verges, j’ai été lapidé une fois, trois fois j’ai fait naufrage ; j’ai été un jour et une nuit dans les profondeurs de la mer ». (2Cor. 11,24-25)
Mais pour ne pas nous jeter dans un abîme saris fond et être ballottés en tout sens, en prenant chacun de ses membres en particulier, quittons son, corps et contemplons une autre beauté, à savoir, celle de ses vêtements que les démons mêmes respectaient au point de s’enfuir, et qui guérissaient les maladies. Partout où Paul apparaissait, tout cédait, tout disparaissait, comme en présence du conquérant de la terre. Et comme ceux qui ont reçu beaucoup de blessures dans le combat, frémissent au seul aspect des armes de leur vainqueur ; ainsi les démons prenaient la fuite, à la seule vue de sa ceinture. Et maintenant où sent les riches, ceux qui s’enorgueillissent de leur fortune ? Où sont ceux qui étalent leurs dignités et leurs somptueux vêtements ? En les comparant à ceux-là, ils verront que tout ce qu’ils possèdent est de l’argile et de la boue. Et que parlé-je de vêtements et de richesses ? On me donnerait l’empire du monde entier, que je croirais l’ongle de Paul plus fort que ma puissance ; sa pauvreté au-dessus de tout plaisir, ses humiliations au-dessus de toute gloire, sa nudité au-dessus, de toute richesse, les soufflets imprimés à sa tête sacrée au-dessus de toute licence, les pierres qu’il a reçues au-dessus de tout diadème. Ambitionnons cette couronne, ô mes bien-aimés, et bien qu’il n’y ait pas de persécution, cependant préparons-nous. Car ce ne sont pas seulement les persécutions qui ont rendu cet homme glorieux ; il disait lui-même : « Je châtie mon corps » (1Cor. 9,27) ; ce qui peut se faire sans persécution. Et il nous exhortait à n’avoir aucun souci de la chair, quant à ses convoitises ; il disait encore : « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en ». (1Tim. 6,8)
Or, pour cela, il n’y a pas besoin de persécutions. Il engageait aussi les riches à la modération, en disant : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation ». (Id. 9) Si nous voulons ainsi nous exercer et entrer en lutte, nous serons couronnés, et bien qu’il n’y ait pas de persécutions, nous recevrons une riche récompense ; mais si nous engraissons notre corps et menons une vie de pourceau, même au sein de la paix nous commettrons bien des fautes, et nous nous attirerons du déshonneur. Ne voyez-vous pas contre qui nous avons à combattre ? Contre des puissances incorporelles. Comment donc, nous qui sommes chair, en triompherons-nous ? S’il faut manger sobrement quand on combat contre des hommes, à plus forte raison pour lutter contre les démons. Mais si nous sommes enchaînés par l’embonpoint et la richesse, comment vaincrons-nous nos ennemis ? Car c’est un lien que la richesse : un lien bien lourd pour ceux qui ne savent pas en user ; un tyran cruel et inhumain qui n’a d’autre but que de perdre ses esclaves. Mais, si nous le voulons, nous détrônerons ce barbare tyran ; nous en ferons notre serviteur ; au lieu de notre maître. Et comment cela ? En distribuant nos richesses à tout le monde. Tant que l’opulence nous trouve seuls à seuls, comme un brigand dans un lieu isolé, elle nous fait tous tes maux possibles ; mais quand nous l’aurons produite en public, elle ne nous dominera plus, parce qu’elle sera enchaînée de tous côtés.
5. Je ne prétends point dire par là que la richesse soit un péché ; mais le péché est de ne la pas distribuer aux pauvres et d’en faire mauvais usage. Dieu n’a rien créé de mauvais ; tout ce qu’il a fait est bon ; les richesses sont donc aussi un bien, à condition qu’elles ne domineront point ceux qui les possèdent, et qu’elles feront disparaître la pauvreté du prochain. La lumière qui ne dissipe pas les ténèbres, mais les augmente, n’est pas bonne ; je n’appellerai pas non plus bonnes les richesses qui augmentent la pauvreté au lieu de la détruire. Le riche ne cherche pas – à recevoir, mais à donner ; s’il demande, il n’est plus riche, mais pauvre. Les richesses ne sont donc point un mal ; mais le mal c’est cette étroitesse d’esprit qui transforme la richesse en pauvreté. Ces sortes de riches sont plus malheureux que ceux qui mendient dans les rues, que les aveugles et les estropiés ; ces hommes somptueusement vêtus de soie sont au-dessous du pauvre couvert de mauvais baillons ; ces mortels qui s’avancent fièrement sur la plage publique sont plus à plaindre que les mendiants qui hantent les carrefours, entrent dans les cours, et crient, et demandent l’aumône d’en bas. Car ceux-ci louent Dieu et profèrent des paroles propres à exciter la pitié et pleines de sagesse ; aussi-en avons-nous compassion et leur tendons-nous la main sans jamais les accuser. Mais les mauvais riches tiennent le langage de la cruauté, de l’inhumanité, de la rapine et d’une convoitise satanique ; aussi sont-ils odieux et ridicules aux yeux de tout le monde. Dites-moi un peu : lequel paraît honteux chez tous les hommes de demander aux riches, ou d8 demander aux pauvres ? Aux pauvres, évidemment. Eh bien ! c’est ce que font les riches ; car ils n’oseraient s’adresser à de plus riches qu’eux. Or ceux qui mendient, demandent aux riches : le mendiant demande au riche et non au mendiant ; mais le riche violente le pauvre.
Autre question : lequel est le plus honnête, de recevoir de personnes gui donnent volontiers et de bonne grâce, ou d’arracher par force et avec importunité ? Évidemment il est plus convenable de ne point forcer les répugnances. Et pourtant les riches les forcent. Car tandis que les pauvres reçoivent de gens qui leur donnent de bon cœur et librement, tout ce que les riches reçoivent leur est donné à contre-cœur et par contrainte : ce qui est l’indice d’une plus grande pauvreté. Si personne ne voulait s’asseoir à une table, où il ne serait pas vu de bon œil par celui qui l’aurait invité, comment serait-il convenable d’extorquer de l’argent par force ? N’écartons-nous pas, ne fuyons-nous pas les chiens qui aboient, parce qu’ils nous fatiguent par leur importunité ? Ainsi font les riches. Mais, dira-t-on, il vaut mieux que la crainte accompagne le don. Et moi je dis qu’il n’y a rien dé plus honteux : c’est le comble du ridicule de tout mettre en mouvement pour obtenir quelque chose. Souvent, par peur, nous avons jeté au chien ce que nous tenions à la main. Lequel, dites-moi, est le plus honteux de mendier en haillons ou en habits de soie ? Quel pardon mérite le riche qui flatte de vieux pauvres pour en obtenir ce qu’ils possèdent, bien qu’ils aient des enfants ? Si vous voulez encore ; examinons les paroles que prononcent les riches et les pauvres quand ils mendient. Que dit le pauvre ? Que celui qui donne l’aumône ne doit pas donner avec parcimonie, parce que ce qu’il donne vient de Dieu, et que Dieu est bon et lui en rendra davantage : langage plein de sagesse et qui renferme une exhortation et un conseil. Il vous prie, en effet, de lever les yeux vers le Seigneur, et il vous ôte la crainte de la pauvreté pour l’avenir : on peut voir un grand enseignement dans les paroles des mendiants.
Que disent les riches, au contraire ? Ils parlent comme des pourceaux, des chiens, des loups et des autres bêtes sauvages. Les uns parlent de tables, de mets, d’assaisonnements, devins de toute espèce, de parfums, de vêtements, de tout ce qui concerne les folies du luxe ; les autres parlent d’usures et de prêts ; et, fabricant des billets où les dettes sont portées à un chiffre monstrueux, et qui sont supposés dater des pères et des grands-pères, ils prennent à l’un sa maison, à l’autre son champ, à cet autre son esclave et tout ce qu’il possède. Et que dire de ces testaments écrits avec du sang plutôt qu’avec de l’encre ? Au moyen de terreurs paniques ou de quelques légères promesses, ils déterminent de petits propriétaires à les choisir pour héritiers, au détriment de proches souvent accablés par la pauvreté. Cette fureur, cette cruauté, ne dépassent-elles pas celles des bêtes féroces ? Je vous en prie donc, fuyons de telles richesses, source de honte et de meurtre ; acquérons les richesses spirituelles, cherchons les trésors qui sont dans le ciel. Ceux qui les possèdent sont certainement riches ; ils vivent dans l’abondance, ils jouissent des biens de la terre et de ceux du ciel. En effet, celui qui veut être pauvre selon Dieu, voit toutes les portes s’ouvrir devant lui. Chacun donne à celui qui, par amour pour Dieu, ne possède rien ; mais celui qui veut acquérir même peu de chose au prix de l’injustice, se ferme toutes les portes. Afin donc d’obtenir les richesses de ce monde et celles de l’autre, choisissons la richesse solide et immortelle. Puissions-nous y parvenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours ; et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIV.

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C’EST POURQUOI JE VOUS AI ENVOYÉ TIMOTHÉE, QUI EST MON FILS BIEN-AIMÉ ET FIDÈLE DANS LE SEIGNEUR ; IL VOUS RAPPELLERA MES VOIES EN JÉSUS-CHRIST. (CHAP. 4,17, JUSQU’À LA FIN DU CHAP)

ANALYSE.

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  • 1. Pourquoi saint Paul fait porter sa lettre par son disciple Timothée.
  • 2. Que les œuvres valent mieux que les paroles.
  • 3. Comment s’acquiert le royaume des cieux. – Ce n’est pas vouloir le bien que de le vouloir faiblement et sans rien faire. – Pourquoi Dieu a donné à l’homme le libre arbitre.
  • 4. Que la vertu est plus aisée que le vice. – Qu’un pauvre qui ne désire rien est préférable à un riche cupide.
  • 5. Insatiabilité des avares ; maux qu’elle cause.


1. Considérez ici, je vous prie, une âme généreuse, plus ardente, plus vive que le feu. Il aurait voulu être, chez les Corinthiens, si malades et Si divisés. Car il savait combien sa présence était utile à ses disciples, combien son absence leur était nuisible. Il indique le premier point dans sa lettre aux Philippiens, quand il leur dit : « Non seulement en ma présence, mais bien plus encore en mon absence, comme en ce moment, opérez votre salut avec crainte et tremblement. » (Phil. 2,12) ; et le second quand il dit encore dans cette lettre-ci : « Quelques-uns s’enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus « venir vous voir ; mais je viendrai (18, 19) ». Il avait donc hâte, il avait le désir de venir ; mais comme cela n’était pas possible pour le moment, il les corrige par la promesse de son arrivée, et aussi par l’envoi de son disciple. « C’est pourquoi », leur dit-il, « je vous ai envoyé Timothée ». – « C’est pourquoi » qu’est-ce à dire ? Parce que j’ai soin de Mous comme de mes enfants, parce que c’est moi qui vous ai engendrés. Et la lettre est accompagnée de la recommandation de la personne : « Qui est mon fils bien-aimé et fidèle dans le Seigneur ». Il dit cela, et pour montrer l’amour qu’il lui porte et pour les préparer à le recevoir honorablement. Il ne dit pas simplement « fidèle », mais « fidèle dans le Seigneur », c’est-à-dire, dans tout ce qui est selon Dieu. Or, si c’est une gloire d’être fidèle dans les choses temporelles, à plus forte raison de l’être dans les choses spirituelles. Et si Timothée est le fils bien-aimé de Paul ; songez à ce que doit être l’amour de Paul pour les Corinthiens, en faveur de qui il s’en sépare ! Mais s’il est fidèle, il réglera tout d’une manière irréprochable. « Qui vous rappellera ». Il ne dit pas : Il vous enseignera, de peur qu’ils ne trouvassent mauvais de recevoir ses leçons. Aussi dit-il à la fin : « Car il travaille comme moi à l’œuvre de Dieu » (16, 10), de peur que quelqu’un ne le méprise. Car il n’y avait pas de jalousie chez les apôtres ils n’avaient qu’une chose en vue, l’édification de l’Église ; et si l’ouvrier était de moindre valeur, ils le soutenaient et l’aidaient avec le plus grand dévouement. C’est pour cela qu’il ne se contente pas de dire ; « Il vous rappellera » ; mais voulant couper court à leur jalousie (car Timothée était jeune) ; il ajoute : « Mes voies » ; non pas les, siennes, mais les miennes, c’est-à-dire, les règlements, les périls, les coutumes, les lois, les prescriptions, les canons des apôtres et tout le reste. Comme il a dit plus haut : « Nous sommes nus, souffletés ; nous n’avons pas de demeure stable », il ajoute : « Il vous rappellera tout cela ainsi que « les lois du Christ », afin de détruire les hérésies.
Puis reprenant son sujet, il continue : « Mes voies en Jésus-Christ » ; rapportant tout au maître, suivant son usage, et voulant rendre digne de foi ce qui doit suivre, car il ajoute : « Selon ce que j’enseigne partout, dans toutes les églises. ». Je ne vous ai rien dit de nouveau : toutes les autres églises m’en rendent témoignage. Il affirme que ses voies sont en Jésus-Christ, pour montrer qu’elles n’ont rien d’humain et qu’avec le secours d’en haut il fait tout en règle. Après avoir dit cela et les avoir guéris, sur le point d’accuser l’incestueux, il reprend le langage de la colère, non qu’il soit réellement fâché, mais dans le but de les corriger ; et laissant de côté le coupable, il s’adresse aux autres, comme s’il jugeait celui-là indigne qu’on lui parlât : procédé dont nous usons nous-mêmes à l’égard de serviteurs qui nous ont grandement offensés. Après avoir dit : « Je vous envoie Timothée », pour prévenir la négligence où ils pourraient tomber, voyez ce qu’il ajoute : « Quelques-uns s’enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus venir vous voir ». Par là, il les attaque, eux et quelques autres, en ébranlant leur orgueil. Car c’est le propre de ceux qui ambitionnent le pouvoir ; d’être arrogants en l’absence du maître. Quand il s’adresse – à la multitude, voyez comme il cherche à inspirer la honte ; mais quand il s’adresse aulx auteurs du mal, son langage est bien plus violent. À ceux-là il dit : « La balayure rejetée de tous », puis, dans le but de les adoucir : « Ce n’est point pour vous donner de la confusion que j’écris ceci ». À ceux-ci il, dit : « Quelques-uns s’enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus venir vous voir », montrant que l’arrogance est le fait d’une âme puérile ; en effet, les enfants se relâchent en l’absence du maître. C’est ce qui est indiqué ici, et aussi, que la présence de ce même maître suffit à faire tout rentrer dans l’ordre.
2. Car comme la présence du lion terrifie les animaux, ainsi celle de Paul épouvante les fléaux de l’Église. Voilà pourquoi il ajoute : « Mais je viendrai vers vous bientôt, si le Seigneur le veut ».S’en tenir à ces paroles n’eût paru qu’une menace ; mais promettre lui-même et exiger d’eux la démonstration par les œuvres, voilà qui est d’une grande âme. Aussi, ajoute-t-il : « Et je connaîtrai non quel est le langage de ceux qui sont pleins d’eux-mêmes, mais quelle est leur vertu ». Car leur arrogance avait pris sa source, non dans leurs succès propres, mais dans l’absence du maître : ce qui était un signe de mépris. C’est pourquoi après avoir dit : « Je vous ai envoyé, Timothée », il n’ajoute pas tout d’abord : « Je viendrai » ; mais il commence par les accuser de s’enfler en eux-mêmes, puis il dit : « Je viendrai ». Si cette parole avait précédé l’accusation, il eût eu l’air de s’excuser comme s’il n’eût pas été abandonné ; ce n’eût pas été une menace, et on n’y aurait pas ajouté foi ; mais comme elle suit l’accusation ; elle le rend digne de foi et terrible. Et voyez sa fermeté et son assurance ! Il ne dit pas seulement : « Je viendrai » ; mais : « Si le Seigneur le veut », et il ne détermine pas le temps. Car comme pouvait réprouver du retard, il veut que l’incertitude les tienne en suspens et en crainte. Mais de peur qu’ils ne tombent dans d’abattement, il ajoute : « Bientôt ».
« Et je connaîtrai non quel est le langage de ceux qui sont pleins d’eux-mêmes, mais quelle est leur vertu ». Il ne dit pas je connaîtrai la sagesse ni les signes ; que dit-il donc ? « Non quel est le langage », abaissant l’un, et relevant l’autre. Et en attendant, il s’adresse à ceux qui prenaient le parti de l’incestueux. Si, en effet, il se fût adressé à celui-ci, il n’aurait pas dit « vertu », mais œuvres lesquelles étaient perverses chez lui. Et pourquoi ne vous inquiétez-vous pas de l’éloquence ? Ce n’est pas que j’en sois dépourvu, mais, pour nous, tout consiste dans la vertu. Comme dans les combats, le succès n’est pas pour ceux qui parlent beaucoup, mais pour ceux qui agissent ; de même ici la victoire n’est point le résultat des paroles, mais des œuvres. C’est leur dire : vous êtes fier de votre éloquence ; s’il s’agissait maintenant d’un combat de rhéteurs ; vous auriez raison d’être content de vous ; mais si c’est une lutte d’apôtres prêchant la vérité et la confirmant par des miracles, pourquoi vous enfler d’une chose superflue qui n’est rien ; qui ne peut servir à rien dans l’état présent ? Qu’est-ce, en effet, qu’une vaine parade de mots pour ressusciter un dort, chasser les démons, ou opérer fout autre prodige ? Or, c’est là ce qu’il faut maintenant, c’est par là que notre œuvre s’accomplit. Aussi ajoute-t-il : « Car ce n’est pas dans les paroles que consiste le royaume de Dieu, mais dans la vertu ». C’est-à-dire : Ce n’est pas par les paroles que nous avons vaincu, mais par les signes ; et parce que notre enseignement est divin, parce que nous annonçons le royaume des cieux, et que nous donnons pour preuve principale les miracles que nous faisons par la vertu de l’Esprit. Si donc ceux qui s’enflent maintenant veulent être grands, qu’ils fassent voir cette vertu ; quand je serai arrivé, qu’ils ne m’offrent pas une vaine pompe de langage : cet art est pour nous sans valeur.
« Que voulez-vous ? que je vienne à vous avec une verge, ou avec charité et mansuétude ? » Ces paroles sont tout à la fois effrayantes et pleines, de douceur. Dire : « Je connaîtrai » ; c’était se contenir ; mais dire : « Que voulez-vous? que je vienne à vous avec une verge ? » c’est monter sur sa chaire de docteur, parler delà et prendre toute l’autorité. Qu’est-ce que cela veut dire : « Avec une verge ? » C’est-à-dire : avec la punition, avec le châtiment ; c’est-à-dire : je tuerai, je frapperai de cécité ; ce que Pierre a déjà fait à Saphire, et lui-même à Elymas le magicien. Maintenant il ne parle plus comme se mettant à leur niveau, mais d’un ton d’autorité. Dans sa seconde lettre, il parle de la même manière quand il dit : « Est-ce que vous voulez éprouver celui qui parle en moi, le Christ ? » (2Cor. 13,3) « Que je vienne avec une verge ou avec charité ». Quoi ! cette verge ne serait-elle pas celle de la charité ? Certainement si ; mais il parle de la sorte parce que la charité ne se résout qu’avec peine à punir. Quand il s’agit de châtiment il ne dit plus : En esprit de douceur, mais : « avec une verge ». Et pourtant tout se faisait dans l’Esprit, qui est tout à la fois un Esprit de douceur et un Esprit de sévérité ; mais il ne l’appelle pas ainsi et préfère lui donner un nom plus doux. C’est pour cela que Dieu, bien qu’il punisse, est appelé souvent miséricordieux, patient, riche en pitié et en miséricordes ; et c’est à peine si, une fois sur deux, rarement au moins, on dit qu’il punit, et encore ne le dit-on que dans l’occasion et par nécessité. Et voyez la sagesse de Paul. Il a l’autorité, et pourtant il leur laisse le choix, disant : « Que voulez-vous ? » La chose est en votre pouvoir. Et en réalité il dépend de nous de tomber en enfer ou d’obtenir le royaume du ciel ; ainsi Dieu l’a voulu. « Voilà l’eau et le feu ; étendez à votre choix la main vers l’un ou l’autre ». (Sir. 15,16) Et encore : « Si vous le voulez, et si vous m’écoutez, vous mangerez les biens de la terre ». (Is. 1,19)
3. Quelqu’un dira peut-être : Je le veux. Au fait, personne n’est assez insensé pour ne pas vouloir ; mais vouloir ne suffit pas. – Vouloir suffit, si, vous voulez comme il faut, si vous faites ce qu’il faut faire quand on veut ; mais votre volonté n’est pas forte. Étudions cela dans d’autres sujets, si vous le voulez. Dites-moi : pour épouser une femme ; est-ce assez de le vouloir ? Non certainement : il faut chercher des entremetteuses, intéresser ses amis à l’affaire, se procurer de l’argent. Il ne suffit pas à un marchand de vouloir et de rester chez lui ; mais il faut louer un navire, se fournir de pilotes et de rameurs, emprunter de l’argent, et s’informer soigneusement des lieux et du prix des marchandises. Comment donc ne serait-il pas absurde de se donner tant de peine pour les choses de la terre et de se contenter de la volonté pour acheter le royaume du ciel ? bien plus, de ne pas même montrer une véritable bonne volonté ? Car celui qui veut comme il faut, fait tout ce qui peul le conduire à son but. En effet, quand la faim vous force à manger, vous n’attendez pas que les aliments viennent d’eux-mêmes à vous, mais vous faites tout pour vous les procurer ; quand vous avez soit ou froid, ou que vous éprouvez tout autre besoin, vous êtes également actif et empressé à soigner votre corps. Faites-en autant pour le royaume des cieux, et vous l’obtiendrez sûrement. Dieu vous a donné le libre arbitre précisément pour que vous ne l’accusiez pas de vous avoir contraint. Et vous vous fâchez de ce qui fait votre honneur ! J’en ai, en effet, entendu beaucoup dire : Pourquoi m’a-t-il rendu maître de ma propre volonté ? Quoi ! devait-il vous amener au ciel pendant que vous dormez ou que vous sommeillez, que vous vous adonnez à tous les vices, Une vous vivez dans la volupté ou dans les plaisirs de la table ? Mais vous ne vous seriez pas abstenu du mal. Car si vous ne vous en abstenez pas nous le coup de ses menaces ; ne seriez-vous pas devenu plus liche et beaucoup plus vicieux,s’il vous avait proposé le ciel pour récompense ? Et vous ne pouvez pas dire : Il m’a fait voir, des biens et né m’a pas aidé à les acquérir, car il vous promet de grands secours : Mais, dites-vous, la vertu est désagréable et pénible, tandis qu’un grand plaisir se mêle au vice ; l’un est large et spacieux, et l’autre étroite et resserrée. Eh dites-moi : en fut-il ainsi dès le commencement ? C’est malgré vous que vous parlez ainsi de la vertu ; tant la vérité a de force !
S’il y avait deux chemins dont l’un conduisît à une fournaise, et l’autre à un jardin, et que le premier fût large et le second étroit, lequel choisiriez-vous ? Vous aurez beau disputer et contredire, même jusqu’à l’impudence, vous ne détruirez pas des vérités acceptées de tous. Je m’efforcerai de vous prouver, par des exemples sensibles, qu’il faut choisir la voie qui est rude au commencement et ne l’est plus à la fin. Si vous le voulez, commençons par les arts ; ils sont très pénibles d’abord et deviennent ensuite lucratifs. Mais, dites-vous, personne ne s’y applique sans y être forcé ; si le jeune homme était maître de lui-même, il aimerait mieux vivre tout d’abord dans les délices, au risque de beaucoup souffrir à la fin, que de commencer par vivre misérablement pour recueillir plus tard les fruits de ses travaux. Donc c’est là une pensée d’enfant, d’orphelin, l’inspiration d’une paresse puérile ; la conduite opposée est celle de la prudence et du courage. Donc si nous ne sommes pas enfants par le caractère, nous n’imiterons pis, l’enfant privé de ses parents eu de sa raison, mais celui qui a son père. Donc il faut dépouiller cet esprit puéril, ne pas accuser les choses, et donner à la conscience un guide qui ne lui permette pas de se livrer à la bonne chère, mais l’oblige à courir et à combattre. Comment ne serait-il pas absurde que des enfants dépensassent leurs peines et leurs sueurs à des métiers dont les débuts sont laborieux et les profits ne viennent qu’à la fin, et que nous tinssions une toute autre conduite dans les affaires spirituelles ?
Et encore, dans les questions matérielles, n’est-on pas toujours sûr d’arriver à un bon résultat. Car une mort prématurée, la pauvreté, la calomnie, les vicissitudes des événements, et beaucoup d’autres causes semblables, peuvent nous priver des fruits de nos longs travaux. Et quand on atteint le but, on n’en retire pas grand avantage, puisque tout disparaît avec la vie présente. Mais ici nous ne courons pas pour des objets stériles et passagers, nous n’avons rien à craindre pour le résultat ; nous espérons, après le départ de cette vie, des biens plus grands et plus solides. Quel pardon, quelle excuse y a-t-il donc peur ceux qui ne, veulent pas travailler à acquérir la vertu ? On demande encore : Pourquoi la voie est-elle étroite ? On ne laisse pas entrer un débauché, un ivrogne, un libertin dans les palais des princes de la terre ; et vous voudriez qu’on entrât dans le ciel avec la licence, la volupté, l’ivrognerie, l’avarice et tous les autres vices ! Cela est-il acceptable ?
4. Ce n’est pas cela que je veux dire, reprend-on ; mais pourquoi le chemin de la vertu n’est-il pas large ? Si nous le voulons, il est très facile. Lequel est le plus facile, dites-moi, de percer les murailles, pour voler le bien d’autrui et être Ensuite jeté en prison ; ou de se contenter de ce que l’on a et de vivre sans crainte ? Et je n’ai pas tout dit. Lequel est le plus facile, dites-moi encore, de voler tout le monde, de jouir un moment d’une partie de ses vols, puis d’être torturé et flagellé éternellement ; ou de vivre quelque temps dans une honnête pauvreté, pour jouir ensuite d’un bonheur sans fin ? Ne parlons pas encore de profit, mais de facilité.
Lequel est le plus doux d’avoir eu un songe agréable et d’être réellement puni, ou d’avoir eu un songe pénible et de jouir du bonheur ? N’est-ce pas évidemment ce dernier cas ? Comment donc appelez-vous la vertu âpre et difficile ? Elle l’est en effet, eu égard à notre indolence. Mais le Christ nous dit qu’elle est facile et douce. Écoutez-le : « Mon joug est doux et mon fardeau léger ». (Mt. 11,30) Et st vous ne sentez pas qu’il est léger, c’est que vous n’avez pas l’âme forte. Car comme tout ce qui est lourd lui devient léger quand elle est forte, ainsi tout ce qui est léger lui devient lourd quand elle ne l’est pas. Qu’y avait-il de plus agréable que la manne, de plus facile à préparer ? Pourtant les Juifs se dégoûtaient de cette délicieuse nourriture. Quoi de plus cruel que la faim et due toutes les souffrances endurées par Paul ? Et i1 tressaillait de joie, et il se réjouissait, et il disait « Maintenant je me réjouis dans mes souffrances ». (Col. 1,24) À quoi cela tient-il ? À la différence des âmes. Si votre âme est ce qu’elle doit être, vous verrez la facilité de la vertu. Quoi, direz-vous, la vertu devient facile parla disposition de l’âme ? Pas uniquement pour cela, mais aussi par sa nature. – En effet, si elle était toujours difficile et le vice toujours facile, ceux qui sont tombés auraient raison de dire que le vice est plus facile que la vertu ; mais si l’une est difficile et l’autre facile au commencement, et qu’à la fin ce soit tout le contraire, et que cette fin, heureuse ou malheureuse, doive durer éternellement, lequel, dites-moi, est le plus facile à choisir ? Pourquoi donc un grand nombre d’hommes ne choisissent-ils pas le plus facile ? Parce que les uns ne croient pas, et que tes autres, tout en croyant, ont le jugement perverti, et préfèrent une jouissance éphémère à un bonheur éternel. – Donc c’est plus facile. – Cela n’est pas plus facile, mais c’est l’effet de la faiblesse de l’âme. Comme les fiévreux aiment à boire de l’eau froide, non parce qu’une jouissance d’un moment est préférable à une longue souffrance, mais parce qu’ils ne peuvent contenir un désir déraisonnable ; ainsi en est-il ici, tellement que si on les conduisait au supplice au milieu du plaisir, ils n’y voudraient point consentir. Voyez-vous combien le vice est plus facile ? Si vous le voulez, examinons encore ici la nature des choses. Quoi de plus doux, dites-moi, quoi de plus facile ? Mais ne jugeons point d’après là passion de la multitude ; car ce ne sont pas les malades, mais ceux qui se portent bien qu’on doit consulter. Quand vous me montreriez des milliers de fiévreux, recherchant ce qui est contraire à leur santé, au risque de souffrir ensuite ; je n’accepterais pas leur manière de voir. Lequel est le plus facile, dites-moi, d’ambitionner de grandes richesses, ou d’être au-dessus de cette ambition ? C’est ce dernier point, ce me semble ; et si vous n’êtes pas de mon avis, allons au fond des choses. Supposons un homme qui désire beaucoup et un homme qui ne désire rien : lequel de ces deux états vaut le mieux, lequel est le plus honorable ?
5. Mais laissons cela de côté : il est incontestable que le dernier est plus honorable que l’autre ; mais ce n’est point là la question ; il s’agit de savoir lequel des deux vit le plus facilement, le plus agréablement. Or l’avare ne jouit pas même de ce qu’il a ; il ne voudrait pas dépenser ce qu’il aime ; il couperait lui-même sa chair et en jetterait su loin les morceaux plutôt que de jeter son or ; tandis que celui qui méprise les richesses a au moins cet avantage qu’il jouit en toute liberté et sécurité de ce qu’il possède, et s’estime plus que ses biens Maintenant, lequel est le plus agréable, de jouir tranquillement de ce qu’on a, ou d’être esclave de la richesse jusqu’à n’oser toucher à ce que l’on possède ? C’est à peu près, ce me semble, comme si deux hommes avaient chacun une femme qu’ils aimassent beaucoup, et que l’un eût la faculté de jouir de la sienne, tandis que ce pouvoir serait refusé à l’autre. Je dirai encore autre chose pour faire voir combien la vertu procure de joie et le vice de tristesse. Jamais l’avare ne modérera sa passion, ni par la considération qu’il ne peut pas s’emparer du bien de tout le monde, ni parce qu’il regarde comme rien tout ce qu’il possède ; au contraire, celui qui méprise l’argent, regarde tout comme superflu, et n’est point tourmenté par des désirs insatiables. Car il n’est pas de supplice pareil à celui d’un désir inassouvi ; ce qui est l’indice d’un sens étrangement perverti.
Voyez en effet : Celui qui désire de l’argent et en possède déjà beaucoup, est aussi tourmenté que s’il n’avait rien. Or, quoi de plus compliqué qu’une telle maladie ? non seulement elle est grave par elle-même, mais encore parce que, tout en possédant, on ne semble rien posséder, et qu’on est tourmenté comme si l’on n’avait réellement rien ; possédât-on les biens de tout le monde, on n’en serait que plus malheureux ; si l’on a cent talents, on s’afflige de n’en pas avoir mille ; si on en a mille, on souffre de n’en avoir pas dix mille ; si on en a dix mille, on est tourmenté de n’en avoir pas dix fois plus ; en sorte qu’un surcroît de fortune devient un surcroît de pauvreté, et que plus on a, plus on désire avoir. Donc, plus on possède, plus on est pauvre : car celui qui désire le plus, est celui à qui il manque davantage. Avec cent talents, il n’est pas très pauvre, car il n’en désire que mille ; quand il en a mille, il devient plus pauvre ; car il ne, se contente pas de mille, comme auparavant, mais il prétend qu’il lui en faut dix mille. Que si vous prétendez que ce soit un plaisir de désirer sans obtenir, il me semble que vous ignorez absolument la nature du plaisir. Prouvons, dans un autre ordre de choses, que c’est là, non une jouissance, mais un supplice.
Pourquoi, quand nous avons soif, goûtons-nous du plaisir à boire ? N’est-ce pas parce qu’en buvant, nous nous délivrons d’un grand tourment, qui est le désir de boire ? Évidemment. Or, si ce désir devait toujours durer, notre sort ne serait pas meilleur que celui du riche qui n’eut pas pitié de Lazare, notre tourment ne serait pas moindre : car sa punition était de désirer ardemment une goutte d’eau sang pouvoir l’obtenir. C’est là, ce me semble, le perpétuel supplice des avares : ils ressemblent à ce riche qui demandait une goutte d’eau et ne l’obtenait pas ; leur âme est même encore plus tourmentée que la sienne. Aussi a-t-on eu raison de les comparer aux hydropiques. Car comme ceux-ci, en portant beaucoup d’eau dans leur corps, n’en sont que plus brûlés parla soif ; ainsi ceux-là, quoique chargés d’une grande quantité d’argent, tan désirent encore davantage. Et la raison en est que les uns ne portent pas leur eau dans les endroits convenables, ni les autres leur désir d’une manière raisonnable. Fuyons donc cette étrange ; cette stérile maladie ; fuyons la racine des maux ; fuyons l’enfer de ce monde : car la passion de l’avare est un enfer. Pénétrez dans l’âme de celui qui méprise l’argent, et dans celle de celui qui ne le méprise pas ; et vous verrez que le premier, semblable aux fous furieux, ne veut rien voir, rien entendre ; et que le second ressemble à un port à l’abri des flots, et qu’il est aimé de tout le monde matant que l’autre en est haï, En effet, si on lui prend, il ne s’attriste pas ; si on lui donne, il ne s’enfle pas ; il règne en lui une certaine indépendance pleine de sécurité ; il n’est pas obligé, comme l’avare, de flatter tout le monde et de faire l’hypocrite. Si donc l’avare est pauvre, lâche ; dissimulé, rempli de terreur, livré aux châtiments et aux tortures, tandis que celui qui méprise l’argent jouit de tous les biens opposés ; n’est-il pas évident que la vertu est : plus douce que le vice ? Nous pourrions prouver encore par les autres défauts que le mal ne procure jamais la joie, si déjà nous n’avions longtemps parlé. Éclaircis sur ce point, choisissons donc la vertu, afin d’être heureux ici-bas et d’obtenir les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XV.

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IL N’EST BRUIT QUE D’UNE FORNICATION COMMISE PARMI VOUS, D’UNE FORNICATION TELLE QU’IL N’EN EXISTE PAS CHEZ LES GENTILS MÊMES ; JUSQUE-LÀ QUE QUELQU’UN À LA FEMME DE SON PÈRE. ET VOUS ÊTES GONFLÉS D’ORGUEIL ! ET VOUS N’ÊTES PAS PLUTÔT DANS LES PLEURS, POUR FAIRE DISPARAÎTRE DU MILIEU DE. VOUS CELUI QUI À COMMIS CETTE ACTION ! (CHAP. 5,1, 2, JUSQU’AU VERS. 8)

ANALYSE.

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  • 1. Saint Paul en vient enfin à l’incestueux, et il ne l’attaque pas seul, mais avec lui toute l’Église de Corinthe que souillait la présence d’un tel coupable.
  • 2. Il faut châtier le coupable, le châtier dans son corps pour sauver son âme.
  • 3. Pour les chrétiens, tous les jours sont jours de fête.
  • 4. Prudence de saint Paul. – Que l’avarice est un vieux levain, et comment. – Des héritiers d’un bien mal acquis.


1. Quand il s’agissait de leurs divisions, il n’employait pas dès le début des termes aussi violents ; trais il leur parlait d’abord doucement, et finissait par les accuser en disant : « Car j’ai été averti, mes frères, par ceux de la maison de Chloé, qu’il y a des contestations parmi vous ». (1Cor. 1,11) Ici, il ne procède pas de la, même manière ; mais il frappe tout d’abord ; et fait, autant que possible, peser sur tous l’accusation. En effet, il ne dit pas Pourquoi un tel a-t-il commis une fornication ? Mais : « Il n’est bruit que d’une fornication commise parmi vous » ; il ne veut pas que, se croyant à l’abri du reproche, ils agissent avec négligence ; mais que, le coup tombant sur la communauté et l’accusation sur l’Église, leur sollicitude s’éveille. Il veut leur dire : On ne dira pas, un tel a commis une fornication, mais tel péché s’est commis dans l’Église de Corinthe. Il ne dit pas : On commet la fornication, mais : « Il n’est bruit… telle qu’il n’en existe pas chez les gentils mêmes. C’est toujours par comparaison aux gentils qu’il fait rougir les fidèles. Ainsi il écrivait aux Thessaloniciens : « Que chacun de vous sache posséder son corps saintement, et non dans la passion de la convoitise comme les autres nations » (1Thes. 4,4-5) ; et aux Colossiens et aux Éphésiens : « Ne marchez plus comme les autres nations ». (Eph. 4,17) Mais si ces fautes sont impardonnables chez les gentils, à quel rang, dites-moi, placerons-nous les fidèles qui les dépassent ? Citez les gentils, non seulement on ne commet ; pas ce crime, mais il n’a même pas de nom. Voyez-vous jusqu’où il porte l’accusation ? Car inventer un genre de luxure que les infidèles, non seulement ne commettent pas, mais ne connaissent même pas, c’est porter le péché à son comble.
« Parmi vous », ces mots sont emphatiques ; c’est-à-dire, parmi vous, les fidèles, qui participent à de si grands mystères, à qui on a communiqué les secrets divins, qui êtes appelés au ciel. Voyez-vous quelle indignation ce langage respire ? Comme il est irrité contre eux tous ? S’il n’eût pas été enflammé de courroux, il ne se serait pas ainsi adressé à tous ; il eût dit : J’ai appris qu’un tel a commis le péché de fornication, punissez-le. Mais ce n’est pas ainsi qu’il parte : il s’adresse à tout le monde. Si on lui eût écrit pour le prévenir, il aurait pu employer ce langage. Or, non seulement on ne lui a pas écrit, mais on cherche à tenir la faute dans l’ombre, voilà pourquoi il emploie des tertres plus violents. « Jusque-là que quelqu’un a la femme de son père ». Pourquoi ne dit-il pas. À commis la fornication avec une femme ? Il repousse ce terme trop honteux ; par pudeur il le passe sous silence, comme déjà contenu dans ce qu’il vient de dire. Et par là même il fortifie l’accusation en montrant qu’on commet chez eux un crime que Paul ne peut prendre sur lui de nommer ouvertement. C’est pourquoi il adopte encore plus bas la même formule : « Celui qui a commis cette action » ; puis il rougit de nouveau et se refuse encore à employer le terme propre : ce que nous avons coutume de faire dans les matières par trop honteuses. Il ne dit point non plus : Sa belle-mère, mais « la femme de son père », afin de frapper plus fort. En effet, quand les mots suffisent pour l’accusation, il les emploie et n’y ajoute rien. Ne m’objectez pas, leur dit-il, qu’il n’y a qu’un fornicateur ; car le crime est commun à tous. Aussi ajoute-t-il : « Et vous êtes gonflés d’orgueil ». Il ne dit pas : À cause de ce péché (ce qui eût été absurde), mais à cause de l’enseignement de cet homme. Il ne s’exprime pas ainsi, il laisse de côté ce moyen, pour frapper plus fort.
Et voyez la prudence de Paul.. Après avoir d’abord détruit la sagesse du dehors et fait voir qu’elle n’est rien, même quand le péché – ne s’y ajoute pas, il parle enfin du péché. Si, à propos du fornicateur, qui était peut-être un sage, il eût dit que le don spirituel avait beaucoup de valeur, il n’eût pas fait grand-chose ; mais abattre la sagesse humaine, abstraction faite du péché, et démontrer qu’elle n’est rien, c’est la réduire au moindre prix possible. C’est donc après avilir d’abord établi la comparaison, qu’il mentionne le péché. Et, il ne daigne pas même parler au coupable, (en quoi il fait ressortir son extrême infamie) ; mais il dit à tous z Vous devriez pleurer, gémir, vous couvrir la face de honte, et vous faites tout le contraire. Aussi ajoute-t-il : « Et vous êtes gonflés d’orgueil ! Et vous n’êtes pas plutôt dans les pleurs ! » Qu’est-il donc arrivé, objecte-t-on, pour que nous soyons dans les pleurs ? Parce que l’accusation retombe sur toute l’Église. Et que gagnerons-nous à pleurer ? « De faire disparaître un tel coupable du milieu de vous ». Il ne prononce pas son nom, ni ici, ni ailleurs ; comme nous avons coutume de faire quand il s’agit de choses monstrueuses. Il ne dit pas : Et vous ne l’avez pas plutôt chassé ; mais, comme c’est de deuil et d’instantes prières qu’il est besoin, ainsi que dans les cas de maladie et de peste, il dit : « Pour le faire disparaître » ; et dans ce but il faut employer la prière et tout mettre en œuvre pour le retrancher. Il ne leur reproche pas de ne pas l’avoir prévenu, lui, niais de n’avoir pas pleuré pour faire disparaître le coupable ; indiquant par là qu’ils auraient dû le faire même en l’absence de leur maître, à cause de l’évidence du crime. « Pour moi, absent de corps, il est vrai, mais présent d’esprit ».
2. Voyez soir indignation : il ne veut pas même qu’on attende son arrivée pour lier le coupable ; mais voulant expulser le venin avant qu’il ait envahi tout le corps, il se hâte de le contenir, en disant. « J’ai déjà jugé comme si j’étais présent ». Or, il disait cela, non seulement pour les presser de rendre l’arrêt et les détourner de toute autre résolution, mais encore pour les effrayer en leur montrant qu’il savait ce qui devait se passer, et le jugement qui devait se rendre. C’est ce qui s’appelle être présent d’esprit ; comme Élisée l’était à Giézi, à qui il disait : « Est-ce que mon esprit n’était pas avec toi ? » (2R. 5,26) Oh ! qu’elle est grande, la vertu de la grâce, puisqu’elle fait de tous les membres un seul corps, et révèle ce qui se passe au loin ! « J’ai déjà jugé comme si j’étais présent ». Il ne leur permet pas de penser autrement : J’ai porté la sentence comme si j’étais là ; pas de retards, point de délais : tout autre parti est impossible. Ensuite, pour ne pas trop paraître agir d’autorité, et pouf que son langage ne respire pas l’arrogance, voyez comme il les associe eux-mêmes au jugement qu’il porte ! Après avoir dit : « J’ai jugé », il continue : « Que celui qui a commis un tel attentat, vous et mon esprit étant réunis au nom « de Notre-Seigneur Jésus-Christ, soit, par la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ, livré à Satan ». Et pourquoi : « Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? » C’est-à-dire, selon Dieu ; sans être retenu par aucune considération humaine. Quelques-uns lisent : « Celui qui a ainsi agi au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ », et plaçant là un point ou une virgule, ils continuent ainsi le texte : « Vous et mon esprit étant réunis, de livrer cet homme à Satan ». Et voici, selon eux, le sens de ce passage : « Livrez à Satan l’homme qui a fait cela au nom de Jésus-Christ ; c’est-à-dire, livrez à Satan celui qui a outragé le nom du Christ, celui qui, devenu fidèle, et empruntant son surnom au Christ, a osé commettre un tel crime. Mais la première leçon me paraît plus vraie.
Et quelle est-elle ? « Vous étant réunis au nom du Christ », c’est-à-dire : le nom de celui qui est votre point de ralliement, vous réunissant. « Et mon esprit ». De nouveau il se place au milieu d’eux, afin que, jugeant comme s’il était présent, ils retranchent le coupable, et que personne n’ose le croire digue de pardon, dans la conviction, que Paul saura ce qui s’est passé. Ensuite ; pour augmenter la terreur, il dit : « Par la puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Ce qui signifie : ou que le Christ vous donnera la grâce, afin que vous puissiez livrer le coupable au démon, ou que le Christ portera la sentence avec vous contre lui. Il ne dit pas : Le donner, mais n le livrer » à Satan, pour lui ouvrir la porte du repentir et le livrer au démon comme à soir maître. « Un tel », encore une fois, il ne veut absolument pas prononcer son nom. « Pour la mort de sa chair ». Comme il arriva au bienheureux Job, mais non pour la même raison. Là ç’était pour mériter de plus glorieuses couronnes ; ici, c’est en expiation des péchés, pour frapper le coupable de quelque ulcère pernicieux ou d’une autre maladie. Ailleurs il dit : Dans ces souffrances « nous sommes jugés par le Seigneur » ; mais ici, pour blesser plus vivement, il le livre à Satan. Et c’était certainement l’avis de Dieu que le coupable fût châtié dans sa chair ; et la chair est châtiée parce que ses convoitises sont les fruits de la débauche et des voluptés sensuelles.
« Afin que son esprit soit sauvé au jour du Seigneur Jésus ». C’est-à-dire, son âme : non que l’âme soit seule sauvée, mais parce qu’il est reconnu que quand elle l’est, le corps l’est certainement aussi avec elle. Il est devenu mortel à cause d’elle ; si donc elle agit conformément à la justice ; il jouira, lui aussi, d’une grande gloire. Quelques-uns prétendent que par esprit on entend ici une grâce, qui s’éteint en nous quand nous péchons. Et pour que cela n’arrive pas, qu’il soit puni, dit l’apôtre, afin que, devenu meilleur, il s’attire la grâce et puisse là montrer saine et entière au dernier jour. Ainsi Paul ne tranche pas au hasard, ne punit pas inconsidérément, mais fait plutôt l’office de tuteur et de médecin. Car le profit de la peine est plus grand que la peine ; celle-ci est passagère, celui-là dure toujours. Et il ne dit pas simplement : « Afin que son esprit soit sauvé », mais « en ce jour-là ». Et c’est justement et à propos qu’il leur rappelle ce jour, afin qu’ils appliquent plus promptement le remède, et que le coupable l’accepte mieux, convaincu que ce n’est point là le langage de la colère, mais celui d’un père indulgent et prévoyant. Aussi dit-il : « Pour la mort de sa chair » ; faisant ici une loi au démon et circonscrivant son pouvoir ; comme Dieu avait dit autrefois à l’occasion de Job : « Du reste ne touche point à son âme ».
3. Après avoir ainsi réglé la sentence, brièvement et sans retard, il reprend ses reproches, et s’adresse aux Corinthiens : « C’est bien à tort que vous vous glorifiez ». Il leur fait entendre que jusqu’à ce moment ce sont eux qui ont empêché le coupable de se repentir, en se glorifiant de lui. Ensuite il fait voir qu’il n’agit pas seulement par ménagement pour ce pécheur, mais aussi pour eux, et il ajoute : « Ne savez-vous pas qu’un peu de levain corrompt toute la pâte ? » C’est-à-dire : bien que la faute lui soit propre, cependant, si vous la négligez, elle peut gâter toute l’Église. Car quand le premier coupable n’est pas puni, d’autres suivent bientôt son exemple. Il parle ainsi pour leur faire vair qu’ils ont à lutter et à courir des dangers, non pas seulement pour un seul homme, mais pour l’Église entière ; c’est pourquoi il se sert de la comparaison du levain. De même, leur dit-il, que le levain, hie n que d’un mince volume, s’assimile toute la pâte ; ainsi ce pécheur perdra tout le reste, si son péché reste impuni. « Purifiez-vous du vieux levain », c’est-à-dire de ce criminel. Du reste il ne parle pas seulement de celui-là, mais il fait allusion à d’autres. En effet, ce n’est pas la seule fornication, mais tout vice qui est du vieux levain. Il ne dit pas : Purifiez-vous, mais : « Purifiez-vous complètement[12] », purifiez-vous avec soin, en sorte qu’il né reste rien,-pas même l’ombre d’un tel mal. En disant donc : « Purifiez-vous », il indique que le mal subsiste encore chez eux ; mais quand il ajoute : « Afin que vous soyez d’une pâte nouvelle, comme vous êtes des azymes », il donne à entendre que le vice ne domine pas chez beaucoup d’entre eux. Et s’il dit : « Comme vous êtes des azymes », ce n’est pas qu’ils soient tous purs, mais il veut dire : Comme il convient que vous soyez. « Car notre agneau pascal, le Christ, a été immolé. C’est pourquoi mangeons la pâque, non avec un vieux levain, ni avec un levain de malice et de méchanceté, mais avec des azymes de sincérité et de vérité ». C’est ainsi que le Christ a appelé la doctrine, levain. Et Paul continue la métaphore ; en leur rappelant l’histoire ancienne, la pâque, tes azymes, les bienfaits anciens et nouveaux, les punitions et les châtiments.
C’est donc un temps de fête que le temps de cette vie. Quand il dit : « Faisons festin » ; ce n’est pas parce que c’était alors la pâque ou la Pentecôte ; mais il veut faire entendre que la vie est pour les chrétiens une fête continuelle, à cause de l’abondance des biens qu’ils reçoivent. Et quel bien en effet vous fait défaut ? Le Fils de Dieu s’est fait homme pour vous ; il vous a délivrés de la mort et appelés au royaume du ciel. Vous donc qui avez reçu et recevez de tels bienfaits, comment ne seriez-vous pas toujours en fête ? Que personne donc ne s’attriste parce qu’il est pauvre ou malade, ou qu’on lui tend des embûches : car notre vie est une fête perpétuelle. « Réjouissez-vous dans le Seigneur, réjouissez-vous, je vous le dis encore une fois, réjouissez-vous ». (Phil. 4,4) Or, dais les jours de fête, personne ne met de sales habits ; n’en mettons donc point : car ce sont des noces, des noces spirituelles. Il est écrit : « Le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire les noces de son fils ». (Mt. 22,2) Or, quand un roi fait des noces et les noces de son fils, peut-il y avoir une plus grande fête ? Que personne donc n’y paraisse en haillons. Nous ne parlons pas ici de vêtements, mais d’actions impures. Si en effet un des convives de la noce, trouvé salement vêtu quand les autres l’étaient magnifiquement, fut expulsé avec ignominie ; songez quelle sévérité, quelle pureté il faut pour prendre part à cet autre festin nuptial. Et ce n’est pas seulement pour cela que l’apôtre leur parle des azymes ; mais, indiquant le rapport de l’Ancien Testament avec le Nouveau, il fait voir qu’après les azymes, il n’est plus permis de retourner en Égypte, sous peine de sabir le même châtiment que ceux qui voulurent y retourner ; vu que ce n’étaient là que des figures, quoi qu’en dise le Juif impudent. En effet, interrogez-le là-dessus, il ne vous dira rien qui vaille ; ou s’il répond quelque chose, ce ne sera pas dans le même sens que nous, puisqu’il ne connaît pas la vérité. Il vous dira, par exemple, que Dieu a changé les dispositions des Égyptiens au point qu’ils ont chassé eux-mêmes ceux qu’ils retenaient naguère, de force et à qui ils n’avaient pas même permis de faire fermenter là pâte. Mais si quelqu’un m’interroge, je ne lui parlerai pas de l’Égypte, ni de Pharaon, mais de l’affranchissement de l’esclavage des démons et des ténèbres du diable ; je ne parlerai pas de Moïse, mais du Fils de Dieu ; ni de la mer Rouge, mais du baptême si fécond en bons résultats, et qui est la mort du vieil homme. De plus, si vous demandez au Juif pourquoi il fait absolument disparaître le levain, il gardera le silence, il ne vous en dira pas la raison. C’est que, parmi ces prescriptions, les unes étaient des figures de l’avenir et contenaient la raison de ce qui se fait aujourd’hui ; les autres avaient pour but d’éloigner les Juifs du mal et de les empêcher de ; rester dans les ombres. Que signifient, de grâce, ces mots « Mâle, sans tache et âgé d’un an ? » Et ceux-ci : « On ne lui brisera pas les os ? » Pourquoi appeler les voisins ? Pourquoi manger « debout », et le soir ? Pourquoi le bang sur les maisons, comme sauvegarde ? À ces questions le Juif ne répondra qu’en parlant de l’Égypte, toujours de l’Égypte ; et moi j’expliquerai ce que signifie ce sang, pourquoi la circonstance du soir, pourquoi tous devaient manger ensemble et debout.
4. En premier lieu, disons pourquoi le levain devait entièrement disparaître. Quel est le sens de l’énigme ? Le fidèle doit être exempt de tout vice. Comme celui chez qui en avait trouvé du vieux levain était condamné à mort, ainsi en est-il de nous, si nous sommes trouvés entachés de mal. Il ne peut se faire qu’une punition si grande dans le temps des figures, ne le soit encore beaucoup plus dans le nôtre.
En effet, si les Juifs sont si soigneux à faire disparaître le levain, jusqu’à faire des recherches dans les trous de souris ; combien ne devons-nous pas l’être davantage pour sonder notre âme et la purifier de toute pensée impure. Mais cet usage, pratiqué hier par les Juifs, n’existe plus : car partout où il y a un Juif, on trouve du levain. Au milieu des villes, il est vrai, on fabrique des azymes ; mais c’est un jeu d’enfant plutôt qu’une loi. Partout où la vérité pénètre, les figures disparaissent. Aussi c’est au moyen de cette comparaison que Paul repousse surtout le fornicateur non seulement, dit-il, sa présence ne sert plus à rien, mais elle devient nuisible, en gâtant le corps entier. On ne sait en effet d’où émane la mauvaise odeur quand le nombre pourri est invisible, et on l’attribue au corps entier. Aussi les presse-t-il vivement de faire disparaître le levain : « Afin », dit-il ; « que vous soyez une pâte nouvelle, comme vous êtes des azymes : Car notre agneau pascal, le Christ, a été immolé pour nous ». Il ne dit pas : Est mort ; mais : « À été immolé », pour mieux rendre sa pensée. Ne cherchez clone plus des azymes de ce genre, car vous n’avez plus le même agneau ; ne cherchez plus de ce levain, car vos azymes ne sont pas les mêmes. Il est vrai qu’avec le levain matériel, l’azyme peut fermenter ; et que ce qui est fermenté ne peut plus devenir azyme mais ici c’est le contraire. Cependant il n’exprime pas cette pensée.
Et voyez sa prudence : dans sa première épître, il ne donne point art fornicateur espérance de retour ; il veut que sa vie entière soit consacrée à la pénitence ; il aurait craint de le rendre plus lâche en lui faisant cette promesse. En effet, il ne dit pas : Livrez-le à Satan, afin qu’après avoir fait pénitence, il rentre dans l’Église ; mais : « Afin qu’il soit sauvé au dernier jour ». Il le renvoie à ce temps, pour exciter sa sollicitude ; et, à l’imitation de son maître, il ne lui révèle pas ce qu’il lui accordera après sa pénitence. De même que Dieu avait dit : « Encore trois jours et Ninive sera détruite ».(Jon. 3,4), sans ajouter : Et elle sera sauvée, si elle fait pénitence ; ainsi Paul ne dit pas : S’il fait une digne pénitence, nous lui donnerons des preuves d’amour ; mais il attend qu’il ait accompli son œuvre pour le faire rentrer en grâce. En s’expliquant ainsi dès le commencement, il l’eût affranchi de la crainte ; non seulement donc il ne le fait pas, mais par la comparaison du levain, il lui ôte jusqu’à l’espoir de retour, et le réserve pour le dernier jour, en disant : « Purifiez-vous du vieux levain » ; et encore : « Ne célébrons point la pâque avec du vieux levain ». Quand après la pénitence, il mit le plus grand empressement à le faire rentrer dans l’Église. Pourquoi dit-il le « vieux » levain ? Ou pour désigner notre vie ancienne ; ou parce que la vétusté est voisine de la mort, et fétide et honteuse, comme l’est le péché ; car ce n’est pas sans raison, mais en vue de son sujet, qu’il rejette la vétusté et loue la nouveauté. Car il est dit ailleurs : « Un ami nouveau est du vin nouveau ; il vieillira et vous le boirez avec plaisir » (Sir. 9,15) ; l’écrivain approuvant ainsi l’ancienneté plutôt que la nouveauté dans l’amitié. Et ailleurs : « L’ancien des jours était assis », ce qui présente l’ancienneté comme le titre le plus glorieux. En d’autres endroits l’Écriture en fait un titre de blâme. Comme en effet les diverses choses sont composées de nombreux éléments, les mêmes termes sont employés dans le bon ou le mauvais sens, et non avec la même signification. Voici encore un texte où l’ancienneté est blâmée : « Ils ont vieilli et ont trébuché dans leurs voies » (Ps. 17) ; et cet autre : « J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis » (Ps. 6) ; ou encore : « Homme vieilli dans le mal ». (Dan. 13,52) Le levain lui-même, quoique pris ici dans une mauvaise acception, est souvent employé pour désigner le royaume des cieux ; mais dans ces deux cas, le mot se rapporte à des objets différents.
5. Ce qu’on dit ici du levain, me paraît surtout un reproche à l’adresse des prêtres, qui tolèrent beaucoup de vieux levain à l’intérieur, n’ayant pas soin de rejeter au-dehors, c’est-à-dire, hors de l’Église, les avares, les voleurs, tout ce qui exclut du royaume des cieux. En effet, l’avarice est un vieux levain ; partout où elle tombe, en quelque maison qu’elle entre, elle la rend impure. Si faible que soit le profit injuste, il fait fermenter toute votre fortune. Aussi, souvent un peu de bien mal acquis suffit à renverser une grande fortune honorablement amassée. Car rien de putride comme l’avarice ; vous aurez beau fermer votre coffre-fort de clé, de porte et de verrou, si vous y avez renfermé l’avarice, le plus redoutable des voleurs, qui peut tout vous enlever. Pourtant, dira-t-on, il y a bien des avares qui n’éprouvent pas cela. Ils l’éprouveront, bien que ce ne soit pas sur l’heure ; s’ils y échappent même maintenant, ce n’est qu’une raison de, plus pour vous de craindre ; car ils sont réservés pour un plus grand châtiment. Ou encore, leurs héritiers le subiront peut-être à leur place. Est-ce juste, direz-vous ? Très juste, certainement. Celui qui hérite d’un bien injustement acquis, s’il n’est pas voleur, retient au moins le bien d’autrui ; il en est parfaitement convaincu, et par conséquent il est juste qu’il en porte la peine. .
Si, en effet, vous aviez accepté le fruit d’un vol et que le propriétaire vînt le réclamer, seriez-vous justifié en disant que ce n’est pas vous qui avez volé ? Nullement. Car enfin que répondriez-vous à l’accusation ? Qu’un autre a commis le vol ? Mais c’est vous qui détenez l’objet volé. Un tel a pris ? mais c’est vous qui jouissez. Les lois des infidèles le savent bien elles qui ordonnent de réclamer, les objets volés, non à ceux qui les ont arrachés de force ou soustraits furtivement, mais à ceux en possession de qui on les trouve tous. Si donc vous connaissez les victimes de l’injustice, restituez-leur et imitez Zachée qui rendit avec usure ; si vous ne les connaissez pas, je vous ouvre une autre voie, pour ne pas vous laisser sans remède : distribuez le tout aux pauvres et vous écarterez le péril. S’il en est qui aient transmis de tels héritages à leurs enfants et à leurs petits-enfants, ils ont subi d’autres châtiments. Mais à quoi bon parler de ce qui se passe ici-bas ? Il n’en sera plus question au jour où les uns et les autres apparaîtront dépouillés, et les volés et les voleurs ; dépouillés de leur argent, mais non pourtant de la même manière : car ceux-ci seront remplis des vices nés de la richesse.
Que ferons-nous donc en ce jour quand paraîtra devant ce terrible tribunal celui qui, victime de l’injustice, a perdu tous ses biens, et que vous serez là, sans avocat pour vous défendre ? Que répondrez-vous au juge ? Ici vous pouvez corrompre le jugement des hommes ; là, la corruption est impossible ; et, encore l’est-elle même ici, puisque ce juge est déjà présent. Car Dieu voit ce qui se passe, il est près de ceux qui souffrent l’injustice, même quand ils ne l’invoquent pas. Oui, quand même celui dont les droits sont violés ne mériterait pas d’être vengé, il a pourtant un vengeur dans Dieu à qui l’injustice déplaît. Mais, dira-t-on, pourquoi ce méchant prospère-t-il ? Cela ne durera pas toujours. Écoutez ce que dit le prophète : « Que ceux qui font le mal n’excitent point votre envie, car bientôt ils se dessécheront comme l’herbe ». (Ps. 36) Où va, dites-moi, le voleur après cette vie ? Où sont ses brillantes espérances ? Qu’est devenue sa réputation honorable ? Tout ne s’est-il pas évanoui ? Tout ce qui composait son existence n’a-t-il pas passé comme un songe, comme une ombre ? N’attendez pas autre chose de tous ses pareils, ni de leurs héritiers. Mais il n’en est pas de même des saints ; vous ne pouvez en dire autant d’eux ; que ce qu’ils possèdent est une ombre, un songe, une fable. Prenons, si vous le voulez, pour exemple celui même qui nous dit tout cela, ce fabricant de tentes, ce Cilicien, dont le père même ne nous est pas connu d’une manière certaine. Mais, direz-vous, comment lui ressembler ? Le voulez-vous sérieusement ? Désirez-vous vraiment être comme lui ? Oui, répondez-vous. Eh bien ! entrez dans la voie où il est entré, lui et ceux qui étaient avec lui. Et quelle voie ?. Écoutez-le : « Dans la faim, la soif et la nudité ». (2Cor. 11,27). Et Pierre : « Je n’ai ni or ni argent ». (Act. 3,6) Ainsi ils n’avaient rien, et cependant ils possédaient tout.
6. Quoi de plus honorable que cette parole ? Quoi de plus heureux et de plus riche ? D’autres plaçaient leur gloire dans des objets bien différents : J’ai tant et tant de talents d’or, d’immenses pièces de terre, des maisons, des esclaves. Paul, au contraire, se vante de n’avoir rien ; il ne cache pas sa pauvreté, comme font les insensés, il n’en rougit pas ; il s’en glorifie. Où sont maintenant les riches, qui comptent leurs intérêts et les intérêts des intérêts, s’emparent des biens de tout le monde et ne sont jamais rassasiés ? Avez-vous entendu la voix de Pierre qui vous apprend que la pauvreté est la mère de la richesse ? Sans rien avoir, elle est plus opulente que ceux qui ceignent le diadème. Cette voix est celle d’un homme qui n’a rien, et elle ressuscite-les morts, redresse les boiteux, chasse les démons et accorde des bienfaits que n’ont jamais pu accorder ceux qui revêtent la pourpre et commandent à de nombreuses et formidables armées ; c’est la voix de ceux qui sont déjà montés au ciel et s’ils trouvent au faîte de la gloire. Ainsi celui qui n’a rien, peut avoir ce qui est à tout le monde ; celui qui ne possède rien, peut posséder ce qui est à tout le monde. Mais nous, si nous avons ce qui est à tout le monde, nous sommes privés de tout. Peut-être verra-t-on là une énigme, et pourtant il n’y en a pas. Comment, dira-t-on, celui qui n’a rien, a-t-il ce qui est à tout le monde ? N’est-ce pas bien plutôt celui qui a ce qui est à tout le monde ? Non : c’est tout le contraire. Celui qui n’a rien, commande à tout le monde, comme le faisaient les apôtres ; par toute la terre, les maisons leur étaient ouvertes ; ceux qui les recevaient leur en étaient reconnaissants ; ils entraient partout comme chez des parents et des amis. Ils entrèrent chez la marchande de pourpre et elle les servit à table comme une servante ; ils allèrent chez le geôlier et il leur ouvrit toute sa maison ; et ainsi d’une foule d’autres.
Ils avaient donc tout et n’avaient rien. Sans doute ils ne regardaient rien comme leur bien propre, et c’est pour cela qu’ils avaient tout. Car celui qui pense que tout est en commun, use du bien d’autrui comme si c’était le sien ; mais celui qui s’isole et s’approprie ce qu’il a, n’en est pas même le maître. Un exemple rendra cela sensible. Celui qui ne possède absolument rien, ni maison, ni table, ni vêtement inutile, et qui s’est privé de tout pour Dieu, celui-là use du bien commun comme du sien propre, et reçoit de chacun tout ce qu’il veut ; et ainsi, sans rien avoir, il a le bien de tous. Celui, au contraire, qui possède quelque chose n’en est pas le maître ; car personne ne lui donnera rien, et ce qu’il possède est moins à lui qu’aux larrons, aux flous, aux calomniateurs, aux revers de la fortune, etc. Paul a parcouru le monde entier, n’ayant rien sur lui, n’allant ni chez des amis, ni chez des connaissances ; bien plus, il était d’abord l’ennemi de tous ; et pourtant partout où il entrait, il jouissait du bien de tous. Et Ananie et Saphire, pour avoir voulu garder une petite portion de leur fortune, l’ont toute perdue et la vie aussi. Renoncez donc à ce que vous possédez, pour jouir comme d’un bien propre de tout ce que possèdent les autres. Mais je ne sais comment j’ai pu porter l’exagération jusqu’à ce point, en parlant à des hommes qui, hélas ! ne sacrifient pas même la plus mince partie de ce qu’ils ont.
Que ce langage ne s’adresse donc qu’aux parfaits. Aux autres nous dirons : Donnez aux pauvres pour augmenter votre fortune : car il est écrit-: « Celui qui donne au pauvre, prête à Dieu ». (Prov. 19,17) Que si vous êtes pressés et ne voulez pas attendre le temps de la récompense, songez à ceux qui prêtent aux hommes ; ils n’exigent pas immédiatement l’intérêt, mais ils souhaitent que le capital reste longtemps aux mains de l’emprunteur, pourvu que le recouvrement soit sûr et le débiteur solide. Agissez de même : remettez tout à Dieu, pour qu’il vous récompense abondamment. Ne demandez pas tout pour cette vie autrement, qu’auriez-vous à attendre dans l’autre ? Et Dieu met, précisément en réserve dans l’autre monde, parce que cette vie est courte. Mais il donne aussi en ce monde : « Cherchez », nous dit-il, « le royaume des cieux, et toutes ces choses vous seront données par surcroît ». (Mt. 6,33) Ayons donc les yeux fixés de ce côté-là, ne nous pressons pas de recueillir tout le profit, de peur d’amoindrir la récompense, mais attendons le temps convenable. Les intérêts alors ne seront pas comme ceux d’ici-bas, mais tels que Dieu sait les donner. Laissons-les ainsi s’accumuler en grande quantité, puis allons-nous-en d’ici, afin d’obtenir les biens présents et les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père ; en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVI.

JE VOUS AI ÉCRIT DANS LA LETTRE : N’AYEZ POINT DE COMMERCE AVEC LES FORNICATEURS ; CE QUI NE S’ENTEND PAS DES FORNICATEURS DE CE MONDE, NON PLUS QUE DES AVARES, DES RAVISSEURS, DES IDOLÂTRES ; AUTREMENT VOUS DEVRIEZ SORTIR DE CE MONDE. MAIS JE VOUS AI ÉCRIT DE NE POINT AVOIR DE COMMERCE AVEC CELUI QUI, PORTANT LE NOM DE FRÈRE PARMI VOUS, EST FORNICATEUR, OU AVARE OU IDOLÂTRE, OU IVROGNE, OU MÉDISANT, OU RAPACE, ET MÊME DE NE PAS MANGER AVEC LUI. (CHAP. 5, VERS. 9, 10, 11, JUSQU’AU VERS. 11 DU CHAP. VI)

ANALYSE.

  • 1. Saint Paul fait mention d’une autre lettre aux Corinthiens, écrite avant celle-ci et qui s’est perdue. — Purifiez-vous, leur dit-il, de tous ces vices au sujet desquels je vous ai donné des avis dans une première lettre. — Séparez-vous de tous ces hommes corrompus qui sont parmi vous. — Quant à ceux qui ne sont pas chrétiens, ne les jugez pas.
  • 2. Le retranchement des coupables avait lieu aussi dans l’ancienne Loi, mais d’une manière plus sévère puisqu’on les lapidait. Saint Paul défend aux chrétiens de se faire juger par les tribunaux païens.
  • 3. Les derniers d’entre vous peuvent juger des affaires de ce monde : ne savez-vous pas que vous êtes appelés à juger les anges ?
  • 4. Contre la médisance.
  • 5 et 6. Que la passion des richesses renverse tout. — Combien il faut qu’un chrétien évite les procès. — De la patience dans les injures. — Conduite que doit tenir un chrétien quand on lui fait quelque tort. — Contre ceux qui oppriment les pauvres.

1. Comme il avait dit : « Et vous n’êtes pas plutôt dans les pleurs, pour faire disparaître du milieu de vous celui qui a commis cette action ? » et encore : « Purifiez-vous du vieux levain », il était vraisemblable que les Corinthiens se croiraient obligés de fuir tous les fornicateurs. En effet, si le coupable communique son mal aux innocents ; ce sont surtout les infidèles qu’il faut éloigner ; puisqu’on ne doit pas même épargner un frère de peur qu’il ne répande la contagion, à plus forte raison ne doit-on pas ménager les étrangers. Dans cette hypothèse, il aurait donc fallu rompre avec tous les fornicateurs qui se trouvaient chez les Grecs : chose impossible ; et que les Corinthiens eussent difficilement accepté. Voilà pourquoi l’apôtre met un correctif, en disant : « Je vous ai écrit : n’ayez point de commerce avec les fornicateurs ; ce qui ne s’entend pas des fornicateurs de ce monde » ; et donnant, ces mots : « Ce qui ne s’entend pas », comme chose convenue. De peur qu’ils ne s’imaginent qu’il n’exige point cette séparation parce qu’ils sont trop imparfaits et pour qu’ils ne s’avisent pas de l’opérer en qualité de parfaits, il leur fait voir qu’ils ne le pourraient pas avec la meilleure volonté possible : autrement il faudrait chercher un autre monde. Aussi ajoute-t-il : « Autrement vous devriez sortie du monde ».

Voyez-vous comme il est peu exigeât, comme il cherche en tout à rendre l’exécution de la loi, non seulement possible, mais facile ? Comment, leur dit-il, serait-il possible à un chef de maison, à un père de famille, à un magistrat, à un artisan, à un soldat, au milieu de tant de grecs, d’éviter les fornicateurs qui se trouvent partout ? Car c’est aux grecs qu’il applique cette expression : « Les fornicateurs de ce monde. Mais je vous ai écrit de ne point avoir de commerce avec celui qui, portant le nom de frère, est fornicateur, et même de ne pas manger avec lui ». Ici il indique d’autres personnes vivant dans l’iniquité. Mais comment un frère peut-il être idolâtre ? Cela arrivait autrefois chez les samaritains, qui n’avaient embrassé la religion qu’à demi. D’ailleurs il pose ici la base de ce qu’il va dire tout à l’heure sur les idolâtres. « Ou avare ». Il va combattre ce vice ; aussi dit-il : « Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d’être lésés ? Pourquoi ne soutirez-vous pas d’être dépouillés ? Mais vous-mêmes vous lésez, vous dépouillez ». – « Ou ivrogne ». Plus bas il accuse aussi ce vice quand il dit : « L’un a faim, et l’autre est ivre » (Ch. 11,21) ; et encore « Les aliments sont pour l’estomac et l’estomac a pour les aliments (Ch. 6,13). Ou médisant ou rapace ». Il en a déjà parlé plus haut avec blâme. Ensuite il donne la raison pour laquelle il n’empêche point d’avoir des rapports avec les étrangers entachés de ces vices : C’est que non seulement cela n’est pas possible, mais que ce serait inutile. « En effet, m’appartient-il de juger ceux qui sont dehors ? »
Il appelle chrétiens ceux qui sont dedans, et grecs ceux qui sont dehors. C’est ainsi qu’il dit ailleurs : « Il faut aussi qu’il ait un bon témoignage de ceux qui sont, dehors ». Et dans l’épître aux Thessaloniciens, il répète dans les mêmes termes : « N’ayez point de commerce avec lui, afin qu’il soit couvert de confusion. Cependant ne le regardez pas a comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère ». Cette fois il ne donne pas de motif. Pourquoi ? Parce que là il voulait consoler, et ici, non. Là, la faute n’était pas la même, elle était moindre ; il n’accusait que d’oisiveté ; ici il s’agit de fornication et d’autres fautes plus graves. Si on veut passer chez les grecs, il ne défend pas d’y manger, et pour la même raison. Nous agissons encore de même, faisant tout pour nos fils et nos frères, et tenant peu de compte des étrangers. Quoi donc ? Paul avait-il aucun souci de ceux du dehors ? Il en avait, mais il ne leur donnait des lois qu’après qu’ils avaient reçu la prédication et s’étaient soumis à la doctrine du Christ ; mais tant qu’ils la méprisaient, il était inutile de donner des ordres à des hommes qui ne connaissaient pas même le Christ. « Et ceux qui sont dedans, n’est-ce pas vous qui les jugez ? Mais ceux qui sont dehors, c’est Dieu qui les jugera ». Après avoir dit : « M’appartient-il de juger ceux qui sont dehors, ? » De peur qu’on ne s’imaginât qu’ils resteraient impunis, il les livre à un autre tribunal terrible. Son but, en disant cela, est d’effrayer les uns et de consoler les autres, et de montrer que cette punition temporelle délivre du châtiment éternel ; ce qu’il affirme encore ailleurs, quand il dit : « Nous sommes jugés et châtiés maintenant, afin de ne pas être condamnés avec ce monde » (Id. 11,32) ; et encore : « Faites disparaître le coupable du milieu de vous ». (Deut. 17,7)
2. Il rappelle ce qui était dit dans l’Ancien Testament, et en même temps il leur fait voir qu’ils gagneront beaucoup à se délivrer, pour ainsi dire, d’un terrible fléau ; et encore que ceci n’est point une innovation, puisque déjà autrefois le législateur avait prescrit de retrancher ces coupables ; mais alors on procédait avec plus de sévérité, aujourd’hui on agit avec plus de douceur. On pourrait demander en effet pourquoi il était permis de punir et de lapider celui qui avait commis la faute, tandis qu’ici on l’invite seulement à faire pénitence. Pourquoi des procédés si différents ? Il y a à cela deux raisons : la première, c’est que les chrétiens étaient conduits à des combats plus grands, et qu’ils avaient besoin de plus de patience et de courage ; la seconde et la plus vraie, c’est que l’impunité les corrigeait plus facilement en les amenant à la pénitence ; tandis qu’elle rendait les Juifs plus méchants. Si en effet après avoir vu le châtiment des premiers coupables, ceux-ci n’en persévéraient pas moins dans les mêmes péchés ; à combien plus forte raisonne l’eussent-ils pas fait, si personne n’eût été puni ? Aussi, sous la loi ancienne, l’adultère et l’homicide étaient-ils immédiatement frappés de mort ; mais sous la nouvelle, s’ils se lavent par la pénitence, ils échappent au châtiment. Toutefois on peut voir des peines plus sévères dans la nouvelle loi et de plus douces dans l’ancienne ; ce, qui prouve qu’un lien de parenté unit les deux Testaments, et qu’ils sont tous les deux l’œuvre d’un seul et même législateur ; que dans l’un et l’autre le supplice suit, qu’il tarde souvent beaucoup, souvent aussi très peu, mais que toujours Dieu se contente du repentir. En effet, dans l’Ancien Testament, David, adultère et homicide, est épargné ; et, dans le Nouveau, Ananie, pour avoir soustrait une partie du prix de son champ, est frappé de mort avec sa femme. Que si ces derniers exemples abondent dans l’Ancien Testament et sont rares dans le Nouveau, la différence des personnes explique la différence de conduite.
« Quelqu’un de vous, ayant avec un autre un différend, ose l’appeler en jugement devant les injustes ; et non devant les saints ? » Encore une fois il intente accusation comme sur une chose avouée. Là il dit : « Il n’est bruit que d’une fornication commise parmi vous » ; et ici : « Quelqu’un de vous ose » ; manifestant ainsi dès l’abord son courroux, et faisant voir l’audace et la monstruosité de la faute. Et pourquoi en vint-il à l’avarice et au devoir de ne point en appeler au jugement des infidèles ? Pour se conformer à son propre usage. Il a en effet coutume de tout rectifier en passant ; comme quand, à propos des repas communs, il fait une digression sur les mystères. Ici donc, après avoir parlé des frères coupables d’avarice, dans sa vive sollicitude pour l’amendement des pécheurs, il sort de son sujet, corrige une espèce de péché amené là par voie de conséquence, puis revient à son premier objet. Écoutons donc ce qu’il en dit : « Quelqu’un de vous ayant avec un autre un différend, ose l’appeler en jugement avant les injustes, et non devant les saints ? » En attendant il s’exprime avec précision, en termes propres, il détourne, il accuse. Tout d’abord il n’infirme pas le jugement qui se rend devant les fidèles ; il ne te fait entièrement disparaître, qu’après les avoir d’abord épouvantés de bien des manières. Surtout, leur dit-il, s’il, faut un jugement,-qu’il n’ait pas lieu devant les injustes ; mais il n’en faut absolument point.
Toutefois ceci ne vient qu’en dernier lieu ; en attendant il défend absolument de se faire juger au-dehors. N’est-ce pas une absurdité, dit-il, que dans un différend avec un ami on prenne un ennemi pour arbitre ? Comment n’êtes-vous pas honteux, comment ne rougissez-vous pas, quand un Grec siège pour juger un chrétien ? Et s’il ne faut pas être jugé par les Grecs dans des questions d’intérêts privés, comment leur confier des affaires plus importantes ? Remarquez son expression : il ne dit pas : devant les infidèles, mais : « Devant les injustes », employant le terme qui peut le mieux servir son but, afin d’inspirer de l’aversion. Car comme il est question de Jugement, et que ceux qui sont jugés exigent surtout dans les juges un grand respect pour l’équité, il part de là pour les éloigner des tribunaux profanes, en leur disant à peu près : où allez-vous ? que faites-vous, ô homme ? Tout le contraire de ce que vous désirez ; car vous recourez à des hommes injustes pour obtenir justice. Et comme il eût été dur de s’entendre tous d’abord interdire le recours aux tribunaux, il n’en vient pas là du premier coup ; il se contente de changer les juges, et d’amener dans l’Église ceux qui devaient être jugés au-dehors. Ensuite, comme la mesure pouvait n’inspirer que peu de confiance ; surtout alors, parce que les juges, pour la plupart simples particuliers et ignorants, n’étaient probablement pas en état de bien comprendre et ne possédaient pas, comme les juges extérieurs, la connaissance des lois et l’art de parler ; voyez comme il relève leur crédit, en les appelant tout d’abord des saints ! Mais comme ce mot n’indiquait que la pureté de leur vie et non les connaissances nécessaires pour instruire une cause, voyez comme il y supplée ; en disant : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde ? »
3. Mais vous qui devez un jour les juger, comment souffrez-vous maintenant d’être jugés par eux ? Orles saints ne jugeront pas assis sur un tribunal et en demandent compte aux coupables, mais ils condamneront. C’est ce qu’il indique par ces mots : « Or, si le monde doit être jugé eu vous, êtes-vous indignes de juger des moindres choses ? » Il ne dit pas : Par vous, mais « en vous » ;.comme quand Jésus-Christ dit : « La reine du Midi se lèvera et condamnera cette génération » (Mt. 12,42) ; et encore : « Les Ninivites se lèveront et condamneront cette génération ». (Id. 41) Quand en effet voyant le même soleil, jouissant des mêmes avantages, nous serons trouvés croyants et eux incrédules, ils ne pourront prétexter d’ignorance : car notre propre conduite les condamnera. On trouvera encore bien d’autres motifs de condamnation. Et pour qu’on ne croie pas qu’il a d’autres personnes en vue, voyez comme il parle pour tous : « Et si le monde est jugé parmi vous, êtes-vous indignes de juger les moindres choses ? ». Voilà, leur dit-il, qui vous couvre de honte et vous imprime un immense déshonneur. Vous avez honte, à ce qu’il paraît, d’être jugés par vos frères, et la honte consiste au contraire à être jugé par ceux du dehors : car les jugements des premiers ont peu d’importance, et non ceux des seconds.
« Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? Combien plus les choses du siècle ? » Quelques-uns voient ici une allusion aux prêtres, Mais loin, loin cette interprétation ! Car il s’agit des démons. S’il eût en intention de parler des mauvais prêtres, ce serait donc eux déjà qu’il aurait eus en vue plus haut, quand il disait : « Le monde est jugé par vous » ; puisque l’Écriture donne souvent le nom de monde aux méchants ; ensuite il n’eût point répété la même chose ; et surtout ne l’eût point répétée sous forme de gradation. Mais il parle de ces anges dont le Christ a dit : « Allez au feu qui a été préparé au diable et à ses anges » (Mt. 25,41), et Paul : « Ses anges se transforment en ministres de justice ». (2Cor. 11,45) En effet si les puissances incorporelles nous sont trouvées inférieures, à nous qui sommes revêtus de chair, elles seront plus sévèrement punies. Que si on persiste à dire qu’il s’agit des prêtres, nous demanderons lesquels ? Sans doute ceux qui ont vécu entièrement à la façon des séculiers. Alors comment expliquer ces paroles : « Nous jugerons les anges : combien plus les choses du siècle ? » où il distingue les anges des séculiers, et avec raison : puisque l’excellence de leur nature les place en dehors des besoins de cette vie.
« Si donc vous avez des différends touchant des choses de cette vie, établissez, pour les juger, ceux qui tiennent le dernier rang dans l’Église ». Par cette hyperbole, il veut nous apprendre qu’en aucun cas nous ne devons nous confier à ceux du dehors ; et il a déjà répondu d’avance à l’objection qu’il soulève.
Voici, en effet, ce qu’il entend : Quelqu’un dira peut-être qu’il n’y a personne parmi vous qui soit instruit et capable de juger, que vous êtes tous des hommes sans valeur. Qu’importe ? Quand même vous n’auriez personne de savant, répond-il, confiez vos affaires aux plus petits. « Je le dis pour votre honte ». Ici il réfute l’objection, comme un prétexte inutile. Aussi ajoute-t-il : « N’y a-t-il donc parmi vous aucun sage ? » Êtes-vous si pauvres ? Y a-t-il chez-vous si grande rareté d’hommes intelligents ? Ce qui suit frappé encore plus fort ; car, après avoir dit : n’y a-t-il parmi vous aucun sage ? il ajoute : « Qui puisse être juge entée ses frères ? » Quand le litige est de frère à frère, l’arbitre n’a pas besoin d’une grande intelligence ni d’une grande habileté : l’affection, les relations de parenté aident singulièrement à la solution de telles difficultés : « Mais un frère plaide contre son frère, et cela devant des infidèles ! » Voyez-vous comme d’abord, dans un but d’utilité, il accusait les juges d’être injustes, et maintenant pour exciter la honte, il les appelle infidèles ? C’est quelque chose de bien honteux qu’un prêtre même ne puisse pas rétablir l’accord entre des frères et qu’il faille recourir à des étrangers. En disant donc : « Ceux qui tiennent le dernier rang », il a plutôt voulu les piquer que prétendre élever au rang de juges des hommes sans valeur. Et la preuve qu’on doit confier cette fonction à des hommes capables, c’est qu’il dit : « N’y a-t-il donc parmi vous aucun sage ? » Mais pour mieux fermer la bouche, il ajoute que, quand il n’y en aurait pas, il vaudrait mieux s’en remettre aux frères les moins intelligents qu’à des étrangers. Comment ne serait-il pas absurde que, dans une discussion domestique, on n’appelle aucun étranger, qu’on rougisse même d’est rien laisser transpirer dans le public ; et que dans l’Église, où est le trésor des mystères secrets ; tout soit livré à des étrangers ! « Mais un frère plaide contre son frère, et cela devant des infidèles ! » Double accusation : on plaide, et on plaide devant des infidèles. Si c’est déjà un mal en soi de plaider contre un frère, comment excuser celui qui le fait devant des étrangers ? « C’est déjà certainement pour vous une faute que vous ayez des procès entre vous ». Voyez-vous comme il a réservé jusqu’ici de parler de ce mal et avec quel à propos il le guérit ! C’est leur dire : Je ne dis pas encore que l’un fait tort et que l’autre le subit ; par le seul fait qu’il y a procès, je les désapprouve tous deux, et en cela l’un ne vaut pas mieux que l’autre.
4. Quant à la justice ou à l’injustice de l’action judiciaire, on en traitera ailleurs. Ne dites donc pas : On m’a fait tort ; dès que vous plaidez, je vous condamne. Mais si c’est un crime de ne pouvoir supporter une injure, à plus forte raison en est-ce un de la commettre. « Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d’être lésés ? Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt la fraude ? Mais vous-mêmes vous lésez, vous fraudez, et cela à l’égard de vos frères ». Encore une fois double accusation, peut-être même triple, quadruple. La première : de ne pouvoir supporter celui qui vous fait tort ; la seconde, de faire tort vous-même ; la troisième, de remettre le jugement à des hommes injustes ; la quatrième, de faire cela à l’égard d’un frère. Car ce n’est pas la même chose de commettre un péché contre le premier venu ou contre un membre de sa famille. Car en ce dernier cas, l’audace est bien plus grande : Là, on n’outrage que la nature des choses ; ici, on manque à la dignité même de la personne. Après les avoir ainsi fait rougir par les motifs ordinaires et, plus haut déjà, enl eur mettant les récompenses sous les yeux, il conclut son exhortation par la menace, et prenant un ton plus violent : « Ne savez-vous pas », leur dit-il, « que les injustes ne posséderont pas le royaume de Dieu ? ne vous abusez point ni les fornicateurs, ni les idolâtres ; ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les avares, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs ne posséderont le royaume de Dieu ».
Que dites-vous, Paul ? à propos des avares, vous faites passer devant nous cette longue chine de prévaricateurs ? Oui, répond-il, mais je ne confonds rien et je procède par ordre. Comme à propos des fornicateurs, il a fait mention de tous les autres ; ainsi fait-il encore à l’occasion des avares, pour accoutumer aux reproches ceux qui se sentent coupables de telles iniquités. À force d’avoir entendu parler du châtiment réservé aux autres, on est plus disposé à s’entendre adresser des reproches, quand il faudra travailler à combattre son défaut personnel. Et s’il menace, ce n’est point parce qu’il sait qu’ils le méritent, ni pour leur faire des reproches : mais rien n’est plus propre à retenir et à contenir l’auditeur qu’un discours qui ne s’adresse point à lui directement, n’a pas de but déterminé et remue secrètement sa conscience. « Ne vous abusez point ». Ceci insinue que certaines personnes disaient alors ce que beaucoup disent aujourd’hui Dieu est clément et bon, il ne se venge pas des péchés : ne craignons rien ; il ne punira personne de quoi que ce soit. Voilà pourquoi il dit : « Ne vous abusez pas ». Car c’est une erreur extrême et une illusion d’espérer le bien et d’obtenir le mal, et de supposer en Dieu ce qu’on n’oserait pas même penser d’un homme. Aussi le prophète nous dit-il en son propre nom. « Tu as songé à mal, t’imaginant que je te ressemble : je te confondrai et je te mettrai tes iniquités sous les yeux ». (Ps. 49) Et Paul dit ici : « Ne vous abusez point : ni les fornicateurs (il place au premier rang celui qui avait déjà été condamné), ni les adultères, ni les efféminés, ni, les ivrognes ; ni les médisants ne posséderont le royaume de Dieu ». Beaucoup ont blâmé ce passage comme trop dur, parce qu’il met l’ivrogne et le médisant au même niveau que l’adultère, le libertin et le sodomite. Or ces crimes ne sont pas égaux : comment leur châtiment peut-il l’être ? À cela que répondrons-nous ? que l’ivrognerie et la médisance ne sont pas choses de peu d’importance : puisque le Christ a jugé digne de l’enfer celui qui traite son frère de fou. Souvent la mort en a été la suite, et l’ivresse a fait commettre de très graves péchés aux Juifs. Ensuite nous dirons que l’apôtre ne parle pas ici de châtiment, mais d’exclusion du royaume. L’un et l’autre sont donc également exclus. Mais qu’il y ait une différence dans le supplice de l’enfer, ce n’est pas ici le lieu de traiter cette question, car ce n’est point là notre sujet. « C’est ce que quelques-uns de vous ont été ; mais vous avez été lavés, mais de quels maux Dieu vous a délivrés, quelle bonté il vous a témoignée et prouvée par des faits ; il ne s’est pas contenté de vous délivrer, il a poussé la bienfaisance beaucoup plus loin, il vous a purifiés. Est-ce tout ? non : il vous a sanctifiés, et non seulement sanctifiés ; mais justifiés. Cependant vous délivrer de vos péchés, c’était déjà un grand don ; et il y a ajouté d’innombrables bienfaits. Et tout cela s’est fait « au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ », non en celui-ci ou en celui-là, mais « dans l’esprit de notre Dieu ». Instruits de ces vérités, songeons, mes bien-aimés, à la grandeur du bienfait que nous avons reçu, persévérons dans une vie sage et régulière, restons exempts de tous les vices que nous avons énumérés,.fuyons les tribunaux profanes et conservons soigneusement la noblesse que nous tenons de la libéralité de Dieu. Comprenez quelle honte c’est pour vous d’être jugés par un grec.
5. Mais, direz-vous, si le fidèle est un juge inique ? Pourquoi le serait-il, je vous le demande ? Selon quelles lois juge le grec ? selon quelles lois juge le chrétien ? N’est-il pas clair que le premier juge selon les lois des hommes ; et le second selon les lois de Dieu ? C’est donc ici qu’on trouvera plutôt la justice, puisque ces lois sont descendues du ciel. Devant les tribunaux profanes, outre ce que nous avons dit, il y a bien d’autres motifs de défiance : l’habileté des avocats, la corruption des juges et beaucoup d’autres choses qui détruisent la justice ; mais ici rien de pareil. Mais, dira-t-on, si l’adversaire est puissant ? Et c’est surtout alors qu’il faut chercher des juges chez nous : car ce puissant l’emportera nécessairement sur vous devant les tribunaux étrangers. Mais s’il n’y consent pas, s’il dédaigne nos propres jugements et nous traîne de force devant les infidèles ? Le meilleur alors pour vous est de supporter avec patience ce que la nécessité vous impose et de récuser le tribunal, pour obtenir la récompense. Car Jésus-Christ a dit : « À celui qui veut vous appeler en justice pour vous enlever votre tunique, abandonnez-lui encore votre manteau » (Mt. 5,40) ; et encore : « Accordez-vous au plus tôt avec votre adversaire, pendant que vous êtes en chemin avec lui ». (Id. 21) Et pourquoi chercher des témoignages chez nous ? Les chefs des tribunaux étrangers disent très souvent qu’il vaut mieux s’arranger que plaider.
Mais, ô richesses ! ou plutôt, ô absurde attachement aux richesses ! tu détruis tout, tu renverses tout ; pour toi, tout le reste n’est que bagatelle et fable aux yeux de la foule. Que des séculiers assiègent les tribunaux, à cela rien d’étonnant ; mais que beaucoup de ceux qui ont renoncé au monde en fassent autant, voilà qui n’est pas pardonnable. Si vous voulez savoir combien l’Écriture condamne chez vous cet abus, et pour qui les lois sont faites, écoutez ce que dit Paul : « La loi n’est pas établie pour le juste, mais pour les injustes et les insoumis ». (1Tim. 1,9) Or s’il a dit cela de la loi de Moïse, à plus forte raison des lois païennes. Si donc vous faites tort, vous êtes évidemment injuste : si vous êtes lésé et que vous le supportiez (ce qui est le caractère propre du juste), vous n’avez pas besoin des lois étrangères. Mais, dites-vous, comment puis-je supporter l’injustice ? Le Christ vous demande plus encore, non seulement, il veut que celui qui est lésé le supporte, mais encore qu’il se montre généreux à l’égard de son ennemi et triomphe de son mauvais vouloir par sa patience et sa libéralité. En effet, il ne dit pas : Donnez votre tunique à celui qui vous la dispute en justice ; mais : Donnez-lui encore votre manteau. Remportez la victoire sur lui, en supportant l’injustice, et non en rendant le mal pour le mal : voilà le vrai, le glorieux triomphe. C’est pourquoi Paul dit à son tour : « C’est déjà certainement pour vous une faute que vous ayez des procès entre vous ; pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d’être lésés ? »
Je vous ferai voir que celui qui supporte l’injure est plutôt vainqueur que celui qui ne la supporte pas. Ce dernier, en effet, est surtout battu quand il traîne son adversaire au tribunal et qu’il gagne son procès : car il a éprouvé ce qu’il voulait éviter : son adversaire l’a forcé à souffrir et à intenter une action. Après cela, qu’importe la victoire ? qu’importe que vous ayez tout l’argent ? En attendant vous avez subi ce qui vous déplaisait : on vous a forcé à faire un procès. Si au contraire vous supportez l’injustice, même en perdant votre argent vous remportez la victoire, mais non une victoire selon leur sagesse : car votre adversaire n’a pu vous forcer à faire ce que vous ne vouliez pas. Et pour preuve de la vérité de ce que j’avance, dites-moi : lequel fut le vainqueur du jaloux ou de l’homme assis sur son fumier ? Lequel fut vaincu, de Job qui avait tout perdu, ou du démon qui avait tout pris ? Évidemment ce fut le démon, qui avait tout pris. A. qui accordons-nous l’admiration due au triomphe, du démon qui frappait, ou de Job qui était frappé ? Évidemment à Job. Cependant il n’avait pu conserver sa fortune, ni sauver ses enfants. Et que parlé-je de fortune et d’enfants ? Il ne peut pas même garantir son propre corps. Et pourtant il resta le vainqueur, lui qui avait tout perdu. Il ne put conserver sa fortune, mais il conserva toute sa piété. – Il ne vint point au secours de ses enfants mourants. – Qu’importe ? leur malheur les a rendus plus glorieux, et il s’est aidé lui-même dans ses souffrances. S’il n’eût été maltraité et outragé par le démon, il n’aurait pas remporté cette magnifique victoire. Si c’était un mal de souffrir l’injustice, Dieu ne nous en eût pas donné l’ordre : car Dieu ne commande jamais le mal ; et ne savez-vous pas qu’il est le Dieu de la gloire ? qu’il n’a pas voulu nous livrer à la honte, à la dérision et à l’injustice, mais rapprocher les contraires ? Voilà pourquoi il veut que nous supportions l’injustice, et met tout en œuvre pour nous détacher des choses du monde, et nous montrer où est la gloire et le déshonneur, la perte et le profit.
6. Mais, dit-on, il est dur d’être injurié et lésé. Non, ô homme, cela n’est pas dur. Jusqu’à quand serez-vous avide des biens présents ? Dieu ne vous eût pas commandé cela, si c’était un mal. Voyez un peu : Celui qui a commis l’injustice s’en va avec son argent, mais aussi avec une conscience coupable ; celui qui a été lésé est privé de son argent, mais il a la confiance en Dieu, trésor mille fois plus précieux. Puisque nous savons cela, soyons sages par volonté et ne nous exposons point au sort des insensés qu’ils croient n’être pas lésés, quand ils le sont réellement par un tribunal. Tout au contraire, c’est là un très grand dommage ; comme en général, quand nous ne sommes pas juges de nous-mêmes, mais par force et à la suite d’une défaite. Car il n’y a pas de profit à supporter la condamnation d’un tribunal, puisqu’on ne le fait que par force. Mais où est l’honneur de la victoire ? À dédaigner cette démarche, à ne point plaider. Quoi ! direz-vous, on m’a tout pris, et vous voulez que je me taise ? On m’a fait tort, et vous m’exhortez à le supporter patiemment ? Comment le pourrais-je ? Vous le pourrez très facilement, si vous levez les yeux vers le ciel, si vous contemplez sa beauté, vous souvenant que Dieu a promis de vous y recevoir, dans le cas où vous supporteriez généreusement l’injustice. Faites-le donc, et en levant les yeux au ciel, songez que vous êtes devenu semblable à celui qui y est assis sur des chérubins. Car lui aussi a été accablé, d’injures et il les a supportées ; il a été outragé et ne s’est point vengé ; il a été couvert de crachats et ne s’est point défendu ; mais il a fait tout le contraire, en comblant de bienfaits ceux qui l’avaient ainsi traité, et il nous a ordonné de l’imiter. Songez que vous êtes sorti nu du sein de votre mère ; que vous vous en retournerez nu, vous et celui qui vous a fait tort, ou plutôt qu’il s’en ira, lui, avec mille blessures engendrant les vers. Songez que les choses présentes sont passagères, comptez les tombeaux de vos aïeux, examinez bien ce qui s’est passé, et vous verrez que votre ennemi vous a rendu plus fort ; car il a augmenté sa passion, l’amour de l’argent, et il affaiblit la vôtre en lui ôtant son aliment de bête fauve.
De plus il vous a débarrassé des soucis, des angoisses, de la jalousie des sycophantes, de l’agitation, du trouble, des craintes continuelles ; et il a entassé tous les maux sur sa tête ; Mais, direz-vous, si je lutte avec la faim ? Alors vous partagez le sort de Paul qui nous dit : « Jusqu’à cette heure nous souffrons la « faim et la soif, et nous sommes nus ». (1Cor. 4,2) Il souffrait pour Dieu, ajoutez-vous. Et vous aussi, car dès que vous ne vous vengez pas, vous agissez en vue de Dieu. – Mais celui qui m’a fait tort, vit avec les riches au sein des plaisirs. – Dites plutôt avec le démon ; et vous vous êtes couronné avec Paul. Ne craignez donc pas la faim ; « car Dieu ne laissera pas périr de faim les âmes des justes ». (Prov. 10,3) Et le psalmiste nous dit encore : « Jetez vos soucis dans le sein du Seigneur, et lui-même vous nourrira ». (Ps. 54) Car s’il nourrit les oiseaux des champs, comment ne vous nourrirait-il pas ? Ne soyons donc pas, mes bien-aimés, des gens de peu de foi, des hommes pusillanimes. Comment celui qui nous a promis le royaume des cieux et de si grands avantages, ne nous donnerait-il pas les biens présents ? Ne désirons pas le superflu, contentons-nous du nécessaire, et nous serons toujours riches ; cherchons le vêtement et la nourriture ; et nous la recevrons et même beaucoup plus. Et si vous êtes encore affligé et baissant la tête, je voudrais vous faire voir l’âme de votre ennemi après sa victoire, comme elle est devenue poussière. Car voilà ce que c’est que le péché : pendant qu’on le commet, il procure un certain plaisir ; une fois qu’il est commis, le plaisir disparaît et le chagrin succède. Voilà ce que nous éprouvons quand nous faisons injure à notre prochain : nous finissons par nous condamner nous-mêmes. Ainsi quand nous prenons le bien d’autrui, nous goûtons de la satisfaction ; mais viennent ensuite les remords de conscience.
Vous voyez un tel posséder la maison des pauvres ? Pleurez, non sur la victime, mais sur le voleur ; le, voleur n’a pas donné le coup, il l’a reçu. Il a privé l’autre des biens présents ; il s’est privé lui-même des biens éternels. Car si celui qui ne donné pas aux pauvres va en enfer, que sera-ce de celui qui les dépouille ? Et que gagné-je, dites-vous, à souffrir l’injustice ? Beaucoup. Ce n’est pas en punissant votre ennemi que Dieu vous dédommage : cela n’en vaudrait guère la peine. Que gagnerais-je, en effet, à ce que mon ennemi fût malheureux comme moi ? J’en connais pourtant beaucoup qui trouvent là une très grande consolation, et se croient assez riches quand ils voient punir ceux qui leur ont fait tort. Mais ce n’est pas là que Dieu place votre récompense. Voulez-vous savoir les biens qui vous attendent ? II vous ouvre le ciel tout entier, il vous fait concitoyen des saints, il vous introduit dans leur assemblée, il vous absout de vos péchés, il vous ceint de la couronne de justice. Si en effet ceux qui pardonnent sont pardonnés, quelle, bénédiction n’est pas réservée à ceux qui non seulement pardonnent, mais comblent leurs ennemis de bienfaits ? Ne vous irritez donc point de l’injure, mais priez pour celui qui vous l’a faite ; vous travaillerez ainsi à votre profit. On vous a pris votre argent ? Mais on a pris aussi vos péchés ; comme il arriva dans l’affaire de Naaman et de Giézi. Combien d’argent n’auriez-vous pas donné pour obtenir le pardon dé vos fautes ? Eh bien ! cette faveur vous est accordée ; si vous supportez courageusement l’injustice, si vous ne maudissez pas, vous êtes ceint d’une couronne magnifique. Ce n’est pas moi qui vous parle : vous avez entendu le Christ dire « Priez pour ceux qui vous font du mal ». Puis songez à la grandeur de la récompense : « Afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans le ciel ». (Mt. 5,46) Vous n’avez donc rien perdu, mais vous avez gagné ; vous n’êtes point lésé, mais couronné ; vous êtes devenu plus sage ; vous voilà semblable à Dieu, débarrassé des soucis qui, s’attachent à l’argent, en possession du royaume des cieux. Par toutes ces considérations, ô mes bien-aimés, acceptons les injures en philosophes, afin de, nous délivrer du trouble de la vie présente, de secouer une tristesse inutile et d’obtenir le bonheur futur par la grâce et la bonté, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVII.

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TOUT M’EST PERMIS, MAIS TOUT NE M’EST PAS AVANTAGEUX. TOUT M’EST PERMIS, MAIS JE NE SERAI L’ESCLAVE D’AUCUNE CHOSE. (CHAP. 6,12, JUSQU’AU VERS. 14)

ANALYSE.

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  • 1. Saint Paul conseille la tempérance. – Il annonce la résurrection générale.
  • 2. Preuve de la résurrection. – Elle est plus facile à Dieu que la création du monde.
  • 3 et 4. Il ne faut pas vouloir trop pénétrer la sagesse de Dieu. – Ne pas croire la résurrection est la ruine des vertus.


1. Ici il fait allusion aux gourmands. Devant revenir au fornicateur, et la fornication étant le fruit de la volupté et des excès de table, il blâme amèrement ce vice. Il ne parle pas des choses défendues (celles-ci, sont permises), mais des choses qui semblent indifférentes. Exemple : il est permis, leur dit-il, de manger et de boire ; mais il n’est pas avantageux de le faire avec excès. Manière étonnante et inouïe, qui cependant lui est habituelle et qu’il emploie encore, ici : il tourne la chose dans le sens contraire, et montre que le pouvoir de faire, non seulement n’est pas avantageux, mais est moins un acte de liberté qu’un signe d’esclavage. D’abord il dissuade par la raison du désavantage, en disant : « Ne m’est pas avantageux » ; et en second lieu, par celle du contraire, en disant : « Je ne serai l’esclave d’aucune chose ». Ce qui signifie : Il est en votre pouvoir de manger ; conservez donc ce pouvoir ; mais prenez garde d’en devenir esclave. Celui qui en usé dans la mesure du besoin, en est le maître ; celui qui va jusqu’à l’excès n’en est plus le maître, mais l’esclave ; la gourmandise exerce sur lui sa tyrannie. Voyez-vous comme il démontre que celui qui croit être le maître est réellement assujetti ? C’est l’usage de Paul, je l’ai déjà dit, de tourner les objections en sens contraire, et c’est ce qu’il fait ici. Examinez un peu, chacun d’eux disait : Il n’est permis de me livrer au plaisir ; lui répond : En le faisant, vous n’exercez pas un pouvoir, vous subissez une servitude. Car vous n’êtes pas le maître de votre estomac, quand vous vous livrez à l’intempérance, mais c’est lui qui vous domine. On en peut dire autant des richesses et d’autres choses encore.
« Les aliments sont pour le ventre ». Par ventre il entend ici non le ventre proprement dit, mais la gourmandise ; comme quand il dit : « Dont le Dieu est le ventre » (Phil. 3,19) ; ce n’est pas de l’organe qu’il parle, mais de la gloutonnerie. Pour preuve, écoutez la suite : « Et le ventre pour les aliments. Or le « corps n’est point pour la fornication, mais pour le Seigneur ». Or le ventre est aussi le corps. Mais il a fait ici deux rapprochements les aliments et l’intempérance qu’il appelle le ventre, le Christ et le corps. Que signifient ces paroles : « Les aliments sont pour le ventre ? » Cela veut dire : Les aliments ont de l’affinité avec l’intempérance, et celle-ci en a avec l’estomac. Elle ne vaut donc nous amener au Christ, mais elle nous entraîne vers les aliments. C’est une passion mauvaise, animale, qui nous rend esclaves et se fait servir. Pourquoi donc, ô homme, vous inquiétez-vous, soupirez-vous pour des aliments ? Car voilà à quoi aboutit ce service, et pas à autre chose. C’est une maîtresse qu’on sert, c’est un esclave permanent, et cela ne va pas au-delà ; il n’y a rien de plus que ce vain ministère. Et les deux sont unis entre eux et périssent ensemble, le ventre et les aliments, les aliments et le ventre ; c’est un cercle qui ne finit pas, comme si les vers naissaient d’un corps putréfié et le dévoraient à leur tour, ou comme le flot qui ; se gonfle et disparaît ensuite sans autre résultat. Or ce n’est pas précisément des aliments et du corps que l’apôtre parle ; mais il veut blâmer, le vice de la gourmandise et l’excès dans la nourriture, comme la suite le prouve : Car il ajoute : « Mais Dieu détruira l’un et l’autre ». Ce n’est pas de l’estomac qu’il dit cela, mais de l’intempérance ; ni des aliments, mais de la volupté. Ce n’est point aux besoins du corps qu’il en veut, puisqu’il les règle, en disant : « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en » (1Tim. 6,8) ; mais par, là même il désapprouve le vice, et après avoir donné un conseil, il confie le succès à la prière. Quelques-uns disent que c’est ici fine prophétie relative ait siècle futur où l’on né sera plus obligé de manger et de boire. Alors si l’usage modéré doit avoir un terme, c’est une raison de plus pour ne pas abuser. Ensuite pour qu’on ne dise pas que c’est le corps même qui est en cause, que dans la partie le tout est condamné, et encore que le corps est la cause de la fornication, écoutez la suite : Je n’accuse point la nature du corps, dit-il, mais l’intempérance de l’âme. C’est pourquoi il ajoute : « Or le corps n’est point pour la fornication mais pour le Seigneur ». Il n’a point été créé ; pour servir d’instrument à la débauche et à la fornication, pas plus que le ventre pour la gourmandise ; mais pour suivre le Christ, son chef, en sorte que le Seigneur soit la tête du corps entier. Craignons donc, tremblons donc d’être souillés de tant de vices, nous qui avons reçu l’insigne honneur d’être les membres d’un chef assis au ciel ; après avoir ainsi suffisamment blâmé les intempérances, il les détourne encore de ce vice, en disant : « Car Dieu a ressuscité le Seigneur et nous ressuscitera aussi par sa puissance. »
2. Voyez-vous encore une fois la sagesse de l’apôtre ? Toujours, et surtout en ce cas-ci, il prouve par l’exemple du Christ qu’il faut croire à la résurrection. En effet, si notre corps est un membre du Christ, et si le Christ est ressuscité, il faut, que le corps suive la tête : « Par sa puissance ». Comme ce qu’il vient d’affirmer est incroyable et ne peut se saisir par le raisonnement, il attribue à la puissance infinie la résurrection du Christ et en tire une forte démonstration contre les incrédules. Il n’emploie pas cet argument pour la résurrection du Christ ; il ne dit pas : Dieu ressuscitera le Seigneur ; car le fait a déjà eu lieu : que dit-il donc ? « Dieu a ressuscité le Seigneur », et il n’a pas besoin de preuve. Mais il ne parle pas ainsi de notre résurrection, qui n’a pas encore eu lien : qu’en dit-il ? « Et nous ressuscitera aussi par sa puissance », fermant ainsi la bouche à ses adversaires, puisque la puissance du Dieu qui ressuscite est déjà démontrée. Et s’il attribue au Père la résurrection du Fils, que cela ne vous trouble pas. Ce n’est pas parce que le Christ n’a pas pu se ressusciter lui-même ; puisqu’il a dit : « Détruisez ce temple et je le relèverai en trois jours ». (Jn. 2,19) Et encore : « J’ai le pouvoir de donner ma vie et j’ai le pouvoir de la reprendre ». (Id. 10,13) Et il dit aussi dans les Actes : « Auxquels il se montra vivant ». (Act. 1,3) Pourquoi donc Paul parle-t-il ainsi ? Parce qu’il attribue au Père les actions du Fils et au Fils les actions du Père. « Car tout ce que le Père fait », dit le Christ lui-même, « le Fils le fait pareillement ». (Jn. 5,19) Et c’est tout à fait à propos qu’il rappelle ici la résurrection, pour contenir par cette espérance la tyrannie de la gourmandise, disant presque en propres termes : Vous avez mangé et bu sans mesure : à quoi cela aboutira-t-il ? À rien qu’à la corruption. Vous avez été uni au Christ ; quel en sera le résultat ? Un résultat magnifique, admirable ; cette future résurrection, pleine de gloire et au-dessus de tout ce qu’on en peut dire.
Que personne donc ne refuse de croire à la résurrection ; et si quelqu’un n’y croit pas, qu’il songe combien Dieu a produit de rien, et qu’il eu tire une preuve en faveur de ce dogme. En effet, ce qui existe est beaucoup plus merveilleux et contient un grand miracle. Dieu prend de la terre (et la terre n’existait pas auparavant), il la pétrit et il en fait l’homme. Comment la terre est-elle devenue un homme ? comment a-t-elle été produite, quand elle n’existait pas ? Et comment produit-elle elle-même ces innombrables espèces d’animaux, de semences, de plantes, sans douleurs d’enfantement, sans être arrosée par les pluies, sans culture, sacs bœufs, sans charrue, sans rien qui l’aide en ce travail ? C’est pour vous enseigner tout d’abord le dogme de la résurrection, que tant de variétés de plantes et d’animaux sont sortis d’une terre inanimée et insensible. C’est en effet quelque chose de plus incompréhensible que la résurrection.
Rallumer un flambeau éteint, ou produire un feu qui n’existe pas, ce n’est pas la même chose ; ce n’est pas non plus la même chose de rebâtir une maison détruite ou d’en élever une qui n’existe pas. Dans le premier cas, il y a au moins des matériaux, s’il n’y a pas autre chose ; mais dans le second, on n’aperçoit aucune substance. C’est pourquoi Dieu a d’abord fait ce qui semble le plus difficile, pour vous faire admettre ce qui est le plus facile. Et si je dis plus difficile, ce n’est pas pour Dieu, mais par rapport à nos propres idées ; car rien n’est difficile à Dieu ; mais comme le peintre qui peut tracer une image, en fera facilement dix mille, ainsi Dieu peut créer des mondes par milliers, des mondes innombrables ; ou plutôt, comme il vous est facile d’imaginer une ville et des mondes sans nombre, ainsi, et bien plus aisément encore, Dieu peut les créer. Car enfin cette pensée exige encore de vous un petit espace de temps ; mais il n’en est pas ainsi de Dieu ; autant les pierres sont plus lourdes que les objets les plus légers et que notre propre pensée, autant notre pensée elle-même est au-dessous de la rapidité avec laquelle Dieu crée.
Vous admirez son pouvoir sur la terre ? Songez aussi comment le ciel qui n’existait pas a été fait, et des étoiles innombrables, et le soleil et la lune ; car rien de cela n’était. Ensuite, dites-moi comment et sur quoi tout cela, une fois créé, se maintient ? Quel est leur point d’appui, quel est celui de la terre ? Ce qu’il y a au-delà de la terre ? Et après cela, quoi encore ? Voyez-vous dans quel abîme se perd l’œil de votre intelligence, si vous ne recourez aussitôt à la foi et à la puissance incompréhensible du Créateur ? Que si vous voulez juger d’après les opérations humaines, vous pourrez peu à peu donner des ailes à votre pensée. Quelles opérations, dites-vous ? Ne voyez-vous pas comment les potiers forment un vase d’une matière brisée et informe ? comment ceux qui coupent les métaux font voir que la terre est de l’or, du fer, de l’airain ? comment les verriers transforment du sable en un corps solide et transparent ? Parlerai-je des corroyeurs, dé ceux qui teignent les vêtements en pourpre, comme ils métamorphosent l’objet qui prend la teinture ? Parlerai-je de notre génération ? comment un peu de semence, informe, sans figure, entre dans la matrice qui la reçoit ? D’où vient donc la formation animale ? Qu’est-ce que le blé ? Ne jette-t-on pas simplement le grain dans la terre ? Une fois jeté, n’y pourrit-il pas ? D’où viennent les épis, les barbes, les chaumes et tout le reste ? Un petit pépin de figue tombant en terre ne produit-il pas souvent des racines, des branches et des fruits ? Vous admettez tout cela sans en rechercher curieusement la cause, et vous ne demandez compte à Dieu que de la transformation de nos corps ? Est-ce pardonnable ?
3. C’est aux Grecs que nous faisons ces raisonnements et d’autres de ce genre ; quant à ceux qui suivent les Écritures, ils n’ont pas même besoin qu’on en parle. Si, en effet, vous voulez soumettre toutes les œuvres de Dieu à une enquête, en quoi Dieu est-il au-dessus de l’homme ? Et encore y a-t-il peu d’hommes avec qui nous agissions ainsi. Si donc il est des hommes avec qui nous nous dispensons de ces recherches curieuses, à bien plus forte raison ne devons-nous point scruter la sagesse de Dieu ni lui demander de compte : d’abord parce que celui qui a parlé est digne de foi ; ensuite parce que le sujet même n’admet pas l’action du raisonnement. Car Dieu n’est pas tellement pauvre qu’il ne puisse faire que des choses accessibles à votre faible intelligence. Si vous ne comprenez pas même l’œuvre d’un artisan, beaucoup moins comprendrez-vous celle de l’Ouvrier par excellence. Ne rejetez donc point le dogme de la résurrection, autrement vous serez bien loin des espérances à venir. Mais où est donc la sagesse, ou plutôt l’immense folie de nos contradicteurs ? Ils demandent : Comment un, corps peut-il ressusciter quand il a été mêlé à la terre, qu’il est devenu terré et que cette terre elle-même a été déplacée ? Cela vous semble impossible, mais non à celui dont l’œil ne dort pas ; car tout est à découvert devant lui. Vous ne voyez pas la distinction qui subsiste dans la confusion ; mais lui voit tout ; vous ne savez pas ce qui se passe dans le cœur de votre prochain, et lui le sait.
Si vous ne croyez pas que Dieu ressuscite, parce que vous ne comprenez pas comment il ressuscite, vous ne croirez pas non plus qu’il lit dans les cœurs, car ce sont dès choses cachées. Et encore même dans un corps dissous reste-t-il une matière visible, tandis que les pensées sont invisibles. Et celui qui voit parfaitement les choses invisibles, ne verra pas les choses visibles et ne pourra facilement discerner un corps ? Chacun sent qu’il le peut. Ne rejetez donc point la résurrection : car c’est une suggestion diabolique. Et le démon n’a pas seulement en vue de détruire la foi à la résurrection, mais encore de détruire et d’anéantir les œuvres de la vertu. En effet, l’homme qui ne s’attend pas à ressusciter et à rendre compte de ces actions, ne se pressera guère de pratiquer la vertu ; et, en retour, celui qui ne pratique pas la vertu, ne croira pas à la résurrection : car ce sont deux choses qui s’engendrent mutuellement : le vice par l’incrédulité, et l’incrédulité par le vice. Une conscience chargée de nombreuses iniquités, inquiète, redoutant la vengeance future et ne voulant pas se rassurer elle-même par le changement de vie, cherche le repos dans l’incrédulité. Et quand vous niez la résurrection et le jugement, ce pécheur dira : Je ne rendrai donc pas compte de mes crimes ? Que dit cependant le Christ ? « Vous êtes dans l’erreur, ne connaissant ni les Écritures ni la puissance de Dieu ». (Mt. 22,29) Dieu n’aurait pas tant fait s’il n’avait dû nous ressusciter, mais seulement nous détruire et nous réduire à néant ; il n’eût point étendu cette vaste voûte du ciel sur nos têtes, ni étalé la terre comme un tapis sous nos pieds, il n’eût point créé tant de choses pour une si courte vie que la nôtre. Et s’il a l’ait tout cela pour la vie présente, que ne fera-t-il pas pour la vie future ?
Mais si la vie future n’existe pas, nous sommés bien au-dessous des objets créés pour nous. En effet, le ciel, la terre, la mer, les fleuves, certains animaux mêmes, durent plus que nous ; car la corneille, la race des éléphants et beaucoup d’autres encore, jouissent plus longtemps de la vie présente. Pour nous l’existence est courte et pénible, pour eux elle, est longue et bien plus exempte de chagrin et de soucis. Comment, de grâce, le Créateur a-t-il plus favorisé le serviteur que le maître ? Je vous en conjure, ne raisonnez pas ainsi : ne soyez pas, ô homme ! dénué d’intelligence, et puisque vous avez un tel Maître, ne méconnaissez pas ses richesses. Au commencement Dieu a voulu vous faire immortel, et vous ne l’avez pas voulu. Car c’étaient des indices d’immortalité, ces entretiens familiers avec Dieu, cette vie paisible, cette exemption de chagrin, de soucis, de travaux et des autres accidents du temps. Adam n’avait pas besoin de vêtement, ni de maison, ni de rien de semblable ; il était plus rapproché des anges ; prévoyait beaucoup de choses à venir et était rempli d’une grande sagesse Ce que Dieu faisait en cachette, en formant la femme, il en eut connaissance. Aussi dit-il : « Maintenant voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ». (Gen. 2,23) Puis est venu le travail, puis la sueur, ensuite la honte, la crainte, la timidité à parler ; car auparavant il n’y avait ni chagrin, ni douleur, ni gémissement. Mais il ne demeure pas longtemps dans cette situation honorable.
4. Que faire donc ? direz-vous. Dois-je périr à cause de lui ? Non précisément à cause de lui, car vous n’êtes pas non plus resté sans péché ; etsi vous n’avez pas commis le même, vous en avez certainement commis un autre. D’ailleurs, vous n’avez rien perdu au châtiment ; vous y avez gagné, agi contraire. Si vous eussiez dû rester toujours mortel, peut-être auriez-vous raison de dire ce que vous dites ; mais maintenant vous êtes immortel, et si vous le voulez, vous pouvez surpasser le soleil même en éclat. Si je n’avais pas eu un corps mortel, dites-vous, je n’aurais pas péché. Eh ! de grâce, Adam avait-il un corps mortel, quand il a péché ? Non : car si son corps eût été mortel, la mort ne lui eût pas été infligée par forme de punition. C’est ce qui prouve qu’un corps mortel n’est point un obstacle à la vertu, qu’il rend sage, au contraire, et procure les plus grands avantages. Si, en effet, l’attente seule de l’immortalité a inspiré un si grand orgueil à Adam, à quel point aurait-il porté l’arrogance, s’il eût été réellement immortel ? Maintenant, depuis la, chute, vous pouvez expier Nos péchés, puisque votre corps est vil, abject, sujet à la décomposition : car ces considérations sont propres à rendre sage mais si vous aviez péché dans un corps immortel, peut-être vos péchés eussent-ils duré davantage. N’accusez donc point la mortalité d’être la cause du péché ; c’est la mauvaise volonté qui est la racine de tous les maux. Pourquoi le corps d’Abel ne lui a-t-il porté aucun préjudice ? Pourquoi n’a-t-il servi de rien aux démons de n’avoir pas de corps ? Voulez-vous savoir comment un corps mortel n’est pas nuisible, mais est même utile ? Voyez ce que vous gagnez par lui si vous êtes sobre. Il vous retire du vice, il vous en arrache par les douleurs, les chagrins, les travaux et autres moyens semblables.
Mais, dites-vous, il m’entraîne à la fornication. Ce n’est pas lui, mais l’incontinence ; tandis que les choses que je vous indiquais tout à l’heure lui appartiennent en entier. Aussi n’est-il pas donné à l’homme qui entre dans cette vie de se soustraire à la maladie, à la douleur, à la tristesse ; mais il peut ne pas commettre la fornication. Si les vices étaient naturels au corps, ils seraient universels : car tout ce qui est naturel est universel. Or, la fornication ne l’est pas : elle provient de la volonté, tandis que la souffrance vient de la nature. N’accusez pas votre corps, ne vous laissez pas ravir par le démon l’honneur que Dieu vous a fait. Si nous le voulons, le corps sera un frein excellent pour contenir les mouvements de l’âme, réprimer l’orgueil, empêcher la jactance et nous aider dans des œuvres très importantes. Ne me parlez pas de certains fous furieux ; nous voyons souvent des chevaux secouer frein et cocher et se jeter dans les précipices ; nous ne nous en prenons pas au frein pour cela ; il a été jeté de côté ; ce n’est pas lui qui est cause du mal, mais le cocher qui n’a rien su retenir. Croyez qu’il en est de même ici : Si vous voyez un jeune orphelin commettre mille sottises, n’accusez pas son corps, mais le cocher, c’est-à-dire, la raison qui se laisse entraîner. Les rênes n’embarrassent pas le cocher, mais lui seul est coupable s’il ne sait pas les tenir convenablement ; aussi est-ce lui qu’elles accusent quand elles sont enchevêtrées, qu’elles l’entraînent à terre et le forcent à partager leur propre infortune.
De même en est-il ici : Tant que tu tenais les rênes, dit le frein, je dirigeais la bouche du cheval ; mais parce que tu as tout lâché, je te punis de ta négligence, je m’embarrasse et je t’entraîne, pour ne plus éprouver le même sort. Que personne ne s’en prenne donc aux rênes, mais à lui-même et à sa volonté corrompue. Car chez nous la raison est le cocher ; et le corps joue le rôle des rênes qui établissent le rapport entre les chevaux et le cocher. Si les rênes sont tenues régulièrement, remplissent bien leur fonction, vous n’éprouverez rien de fâcheux ; si vous les lâchez, tout disparaît, tout est perdu. Soyons donc sages, et n’accusons pas notre corps, mais notre mauvaise volonté. C’est là l’œuvre du démon d’exciter les insensés à accuser leur corps, Dieu, le prochain, tout plutôt que leur propre perversité, de peur qu’ils ne coupent la racine de leurs maux, s’ils venaient à la connaître. Mais vous qui connaissez ses embûches, tournez votre colère contre lui, mettez le cocher sur le siège et tournez, vos yeux vers Dieu. Partout ailleurs, celui qui propose un combat ne s’en mêle pas et attend la fin : mais ici c’est Dieu même qui règle et établit la lutte.
Rendons-le-nous donc propice, et nous obtiendrons certainement les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XVIII.

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NE SAVEZ-VOUS PAS QUE VOS CORPS SONT LES MEMBRES DU CHRIST ? ENLÈVERAI-JE DONC LES MEMBRES DU CHRIST POUR EN FAIRE DES MEMBRES DE PROSTITUÉE ? À DIEU NE PLAISE ! (CHAP. 6, VERS. 15, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE)

ANALYSE.

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  • 1. Contre la fornication
  • 2. Nos corps comme nos rimes appartiennent au Christ qui les a rachetés au prix de son sang ; nous n’avons donc pas le droit de les livrer de nouveau à Satan.
  • 3 et 4. Combien ceux qui parent leurs corps ont sujet de craindre. – Comment nous devons glorifier le nom de Dieu. – Contre l’avarice. – Que la pauvreté est comme une fournaise. – Qu’il faut joindre l’humilité aux souffrances.


1. Après avoir passé du fornicateur à l’avare, il revient de l’avare au fornicateur, non en s’adressant à lui, mais à ceux qui n’ont pas commis ce péché ; et pour les en garantir, il frappe encore sur le coupable. En effet, bien qu’on s’adresse à d’autres, celui qui a péché est néanmoins atteint, parce que sa conscience s’éveille et lui fait sentir le remords. La crainte de la : punition suffirait, il est vrai, à les maintenir dans la continence ; mais comme il ne voulait pas que la crainte fût leur seul mobile cri : cela, il y ajoute des menaces et des raisonnements. Après avoir donc déterminé le genre de péché, fixé le châtiment, démontré le tort que le crime du fornicateur causait à tout le monde, il a quitté ce sujet pour passer à l’avare, et a conclu son discours en menaçant celui-ci de l’exclusion du royaume des cieux, lui et tous ceux dont il a fait l’énumération ; maintenant il formule un avertissement plus terrible. En effet, celui qui se contente de punir une faute sans en faire voir la gravité, n’obtient pas grand résultat par le châtiment ; et celui qui se contente de faire rougir sans épouvanter par la punition, ne touche pas fort les hommes insensibles. C’est pourquoi Paul fait l’un et l’autre ; il fait rougir en disant : « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? » Et il épouvante en disant : « Ne savez-vous pas que les avares n’entreront « pas dans le royaume des cieux ? » Il emploie le même procédé à l’égard du fornicateur car après l’avoir d’abord effrayé par ce qu’il vient de dire, après l’avoir retranché et livré à Satan, après avoir rappelé le dernier jour, il le fait de nouveau rougir par ces paroles : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ ? » Comme s’il s’adressait désormais à des enfants de bonne naissance : C’est une explication plus claire de ce qu’il a dit plus haut : « Le corps est pour le Seigneur ».
Ailleurs il en fait autant quand il dit : « Vous êtes le corps du Christ et les membres d’un membre ». (1Cor. 12,27) II emploie souvent cette comparaison, non pas toujours pour le même sujet, mais tantôt pour montrer l’amour, tantôt pour augmenter la crainte ici pour intimider et effrayer : « Enlèverai-je donc les membres du Christ, pour en faire des membres de prostituée ? À Dieu ne plaise ! » Rien de plus effrayant que cette parole. Il ne dit pas : Enlèverai-je donc les membres du Christ pour les unir à une prostituée ? mais : « En ferai-je les membres d’une prostituée ? » ce qui est plus énergique. Ensuite il fait voir ce qui arrive au fornicateur, en disant : « Ne savez-vous pas que celui qui s’unit à une prostituée devient un même corps avec elle ? » Et la preuve ? « Car », dit-il, «. ils seront deux en une seule chair. Mais celui qui s’attache au Seigneur est un seul esprit avec lui ». Le commerce charnel ne permet plus en effet d’être deux, mais de deux il ne fait qu’un. Et voyez comme il emploie ces mots propres et simples, en prenant pour termes de son accusation une prostituée et le Christ. « Fuyez la fornication ». Il ne dit pas : abstenez-vous de la fornication ; mais : « Fuyez », c’est-à-dire, empressez-vous de vous débarrasser, de ce vice. « Tout péché que l’homme commet est hors de son corps ; mais celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps ». Ceci est moins fort. Mais comme il s’agit de la fornication, il la combat à outrance et en fait ressortir la gravité par le plus et par le moins. Le premier argument s’adressait aux plus pieux, le second est pour les plus faibles.
C’est le propre de la sagesse de Paul de faire rougir, non seulement par les motifs les plus puissants, mais encore par de plus petits, par la laideur, par l’indécence. Quoi donc ? Direz-vous : est-ce que le meurtrier ne souille pas sa main ? et aussi l’avare et le voleur ? Personne n’en doute ; mais comme on ne pouvait pas dire qu’il n’y a rien de pire que le fornicateur, il fait paraître d’une autre façon l’énormité de ce crime, en disant qu’il fait du corps entier un objet d’exécration. Il est souillé, en effet, comme s’il était tombé dans une cuve d’immondices, et plongé dans l’ordure. Et c’est ainsi que nous en jugeons encore aujourd’hui. En effet, personne de nous, après s’être rendu coupable d’avarice ou de vol, ne songe à aller au bain : on revient tout simplement chez soi ; tandis qu’après avoir péché avec une prostituée, on va se baigner comme si on était devenu tout à fait impur : tant la conscience sent que ce péché la souille davantage ! Sans doute l’avarice et la fornication sont des fautes graves et précipitent en enfer ; mais comme. Paul agit toujours avec prudence:, il emploie tous les moyens en son pouvoir pour faire ressortir le crime de la fornication. « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l’Esprit-Saint qui est en vous ? »
2. Il ne dit pas simplement de l’Esprit : mais « de l’Esprit qui est en vous », afin de consoler ; et pour s’expliquer encore, il ajoute « Que vous avez reçu de Dieu ». Il nomme l’auteur du don, pour relever son auditeur et en même temps l’effrayer par la grandeur du dépôt et la libéralité de celui qui l’a fait. « Et qu’ainsi vous n’êtes plus à vous-mêmes ». Il n’a pas seulement pour but de les faire rougir, mais aussi de les forcer à pratiquer la vertu. Quoi ! vous faites ce que vous voulez, dites-vous ; mais vous n’êtes pas votre maître. En parlant ainsi, il ne prétend pas nous ôter notre libre arbitre ; car après avoir dit : « Tout m’est permis, mais tout ne m’est pas avantageux », il ne nous enlève pas notre liberté ; et en écrivant ici : « Vous n’êtes plus à vous-mêmes », il n’entend point nuire à notre volonté, mais éloigner du vice et faire voir la providence du Maître. Aussi ajoute-t-il : « Car vous avez été achetés à haut prix ». Mais si je ne suis pas à moi, comment m’imposez-vous le devoir d’agir ? Comment dites-vous ensuite : « Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit qui sont à Dieu ? »
Que signifient donc ces paroles : « Vous n’êtes plus à vous-mêmes ? » Et que veut-il prouver par là ? Nous mettre en sécurité pour que nous ne péchions plus et ne nous livrions pas – aux passions désordonnées de notre âme. Nous avons en effet beaucoup de penchants déréglés qu’il faut réprimer ; et nous le pouvons, autrement il serait inutile de nous y exhorter. Voyez maintenant comme il nous affermit ! Après avoir dit : « Vous n’êtes pas à vous-mêmes », il n’ajoute pas : Mais vous êtes sous l’empire de la nécessité. Non, il dit : « Vous avez été achetés à haut prix ». Paul, pourquoi parlez-vous ainsi ? On pourrait vous dire qu’il fallait nous proposer un autre motif, en nous montrant que nous avons un maître. Mais ce motif nous serait commun avec les gentils, tandis que celui-ci : « Vous avez été achetés à haut prix », nous est particulier. Ici l’apôtre nous rappelle la grandeur du bienfait et la manière dont nous avons été sauvés ; il nous fait voir que nous étions en mains étrangères et que nous avons été achetés, non pas pour rien, mais à haut prix. « Glorifiez et portez donc Dieu dans votre corps et dans « votre esprit ». Par là il nous exhorte non seulement à éviter la fornication dans notre corps, mais à n’admettre aucune mauvaise pensée dans notre esprit et à ne point éloigner la grâce. « Qui sont à Dieu ». Après avoir dit : « Vôtre », il ajoute : « Qui sont à Dieu », nous rappelant continuellement que tout appartient au Maître, corps, âme, esprit.
Quelques-uns disent que ce mot « en Esprit » signifie en grâce. En effet, si la grâce est en nous, Dieu sera glorifié, et elle y sera, si nous avons le cœur pur. Il affirme que toutes ces choses sont à Dieu, non seulement parce qu’il les a produites, mais encore parce que,.quand elles appartenaient à d’autres, il les a recouvrées au prix du sang de son Fils.
Voyez comme il rattache tout au Christ, comme il nous mène au ciel. Vous êtes les membres du Christ, nous dit-il, vous êtes le temple de l’Esprit ; ne devenez donc pas membres d’une prostituée, car ce n’est pas votre corps que vous déshonorez, mais celui du Christ. Par là il nous fait voir la bonté du Christ, puisque notre corps est le sien, et en même temps il veut nous arracher à un funeste esclavage. En effet, si votre corps appartient à un autre, vous n’avez pas le droit de le déshonorer, surtout s’il appartient au Maître, ni de souiller le temple de l’Esprit. On punirait du dernier supplice celui qui entrerait dans un domicile étranger et s’y livrerait à la débauche ; quel ne sera donc pas le châtiment de celui qui aura fait du temple du roi une maison de voleurs ? Dans cette pensée, respectez l’habitant, qui n’est autre que le Paraclet ; craignez celui qui est lié, adhérent à vous-même, et qui est le Christ. Est-ce vous qui vous êtes fait membre du Christ ? Songez à cela, à qui étaient les membres, à qui ils sont aujourd’hui, et restez chaste. C’étaient auparavant des membres de prostituée, le Christ en a fait les membres de son propre corps. Vous n’en êtes donc plus le maître ; servez celui qui vous a affranchi.
Si vous aviez une fille, et que, par un excès de démence vous l’eussiez livrée à prix d’argent pour en faire une prostituée ; puis que le fils du roi, passant par là, l’arrachât à son esclavage et en fît son épouse ; vous ne seriez plus libre de la reconduire à la maison de débauche, car vous l’auriez livrée, vous l’auriez vendue une fois. Voilà notre cas : nous avions vendu notre chair au démon, à un vil corrupteur ; ce que voyant, le Christ l’a sauvée, l’a délivrée de cette affreuse tyrannie ; elle n’est donc plus à nous, mais à celui qui l’a sauvée. Si vous voulez la traiter comme l’épouse du roi, rien ne vous en empêche ; mais si vous voulez la ramener à son premier état, vous subirez le supplice réservé à ceux qui commettent de tels outrages. Vous devez donc plutôt l’orner que la déshonorer. Car vous n’êtes plus maître d’elle en fait de passions coupables, mais seulement pour l’exécution des ordres de Dieu. Songez de quel déshonneur Dieu l’a délivrée ; il n’est pas de prostituée aussi dégradée que l’était alors notre nature. Les brigandages, les homicides, toute espèce de mauvaises pensées entraient chez elle, et corrompaient l’âme à vil prix, au prix d’un moment de plaisir. Car c’était là tout ce qu’elle gagnait à son honteux commerce avec les mauvaises pensées et les mauvaises actions.
3. Sans doute cette conduite était déjà coupable alors ; mais quel pardon espérer, si l’on se souille maintenant, quand le ciel est ouvert, quand le royaume est promis, après qu’on a participé aux redoutables mystères ? Ne pensez-vous pas que le diable lui-même entretient commerce avec les avares et avec tous ceux que l’apôtre a énumérés ? Et que ces femmes qui se parent pour séduire ont avec lui des rapports impurs ? Qui pourrait dire le contraire ? Que celui qui le nie mette à nu l’âme de ces indécentes créatures, et il verra que le méchant esprit leur est étroitement uni. Car il est difficile, chers auditeurs, oui, il est difficile, et peut-être impossible, que quand le corps est ainsi paré, l’âme le soit aussi ; quand on soigne l’un, il faut qu’on néglige l’autre d’après la nature des choses, le contraire ne peut avoir lieu. Aussi l’apôtre dit-il : « Celui qui s’unit à une prostituée devient un même corps avec elle ; mais celui qui s’attache au Seigneur est un seul esprit avec lui ». Il devient tout esprit à la fin, quoique enveloppé d’un corps. Quand il n’a rien de corporel, d’épais, de terrestre, son corps n’est qu’un simple vêtement ; quand toute l’autorité appartient à l’âme et à l’esprit, Dieu est alors glorifié. Aussi avons-nous l’ordre de dire dans la prière : « Que votre nom soit sanctifié » ; et le Christ nous dit : « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Mt. 5,16) Ainsi le glorifient les cieux, non en parlant, mais en excitant l’admiration par leur aspect et en faisant remonter leur gloire au créateur.
Glorifions-le, nous aussi, comme eux et même plus qu’eux ; nous le pouvons, si nous le voulons. Car ni le ciel, ni le jour, ni la nuit ne glorifient Dieu comme une âme sainte. De même qu’à l’aspect de la beauté du ciel, on s’écrie : Gloire à vous, ô Dieu ! qui avez fait un si bel ouvrage ! Ainsi fait-on, et bien mieux encore, en voyant un homme vertueux. Car tout le monde ne glorifie pas Dieu dans ses créatures ; un grand nombre disent qu’elles se sont faites d’elles-mêmes ; d’autres, par une erreur tout à fait impardonnable, attribuent aux démons la création du monde et la providence ; mais à propos de la vertu de l’homme, personne n’ose porter jusque-là l’impudence chacun glorifie D : eu en voyant son serviteur vivre saintement. Et qui ne serait frappé d’étonnement, quand un homme qui n’a que la nature commune aux mortels, et qui vit au sein de l’humanité, résiste comme le métal le plus dur aux, assauts des passions ? Quant à travers le feu, le fer, les bêtes féroces, il se montre plus fort que l’acier et triomphe de tout par le langage de la piété ? bénit quand on le maudit ? répond par des paroles bienveillantes aux injures ? prie pour ceux qui lui font tort ? fait du bien à ses ennemis et à ceux qui lui tendent des embûches ? Oui, ces choses et d’autres de ce genre glorifient Dieu plus que les cieux. Car, en voyant le ciel, les Grecs ne rougirent pas ; mais à l’aspect d’un homme saint, pratiquant la sagesse dans sa perfection, ils sont couverts de Confusion et se condamnent eux-mêmes. En effet, quand un homme qui n’est point d’une autre nature qu’eux l’emporte sur eux autant, et plus même que le ciel ne l’emporte sur la terre, ils sont bien forcés de croire que c’est là l’effet de quelque puissance divine. Aussi le Christ dit-il : « Et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ».
Voulez-vous savoir d’ailleurs comment Dieu est glorifié par la vie de ses serviteurs, et comment il l’est par ses prodiges ? Un jour Nabuchodonosor jeta les trois enfants dans la fournaise. Ensuite, voyant que le feu ne les consumait point, il dit : « Béni soit Dieu qui a envoyé son ange et sauvé ses enfants de la fournaise, parce qu’ils ont eu confiance en lui et n’ont point obéi à la parole du roi ». (Dan. 3,95) Que dites-vous, ô roi ? Vous avez été méprisé, et vous admirez ceux qui ont rejeté vos ordres ? Oui : je les admire par cela même qu’ils m’ont méprisé. Il donne la raison même du prodige. Ainsi Dieu est glorifié, non seulement par le miracle, mais par la résolution des trois enfants. Et si on veut y regarder de près, ce dernier point n’est pas au-dessous de l’autre. Au point de vue du prodige, délivrer ces jeunes gens, de la fournaise n’est pas plus que de les avoir décidés à y entrer. Comment, en effet, ne pas être frappé d’étonnement en voyant le roi du monde, environné de tant d’armes et d’armées, de généraux, de satrapes, de préfets, maître de la terre et de la mer, en le voyant, dis-je, méprisé par des enfants prisonniers ; en volant ces prisonniers vaincre celui qui les a mis aux fers et triompher de toutes ses troupes ? Car le roi et sa cour n’ont pu ce qu’ils voulaient, eux qui avaient toutes ces ressources, et de plus celle de la fournaise ; mais des enfants dénués de tout, esclaves, étrangers, en petit nombre (trois ! que peut-on de moins?) et enchaînés, ont vaincu une immense armée. Car déjà la mort était méprisée, parce que le Christ devait venir ; et comme, au lever du soleil, le jour brille avant que ses rayons aient paru, ainsi la mort reculait déjà à la seule approche du soleil de justice. Quoi de plus éclatant que ce spectacle ? quoi de plus glorieux que cette victoire ? quoi de plus insigne que ces trophées ?
4. Et cela se voit encore de nos jours. Il y a encore maintenant un roi de Babylone avec sa fournaise, et qui y allume un feu bien plus ardent ; il est encore là pour faire adorer sa statue ; autour de lui sont encore des satrapes, des soldats, une musique enchanteresse ; et beaucoup adorent cette image, aux aspects variés, de hauteur colossale. L’avarice est une statue de ce genre, ne dédaignant pas même le fer, composée d’éléments dissemblables, obligeant à tout admirer, l’airain, le fer et des matières beaucoup plus viles encore. Mais si fout cela est, il y a aussi des imitateurs de ces enfants, qui disent : Nous ne servons pas les dieux, nous n’adorons pas ton image ; mais nous supportons la fournaise de la pauvreté et toutes les autres misères, pour les lois de Dieu. Ceux qui possèdent beaucoup, l’adorent souvent cette image, comme ces courtisans du roi, et ils sont dévorés par les flammes ; mais ceux qui n’ont rien, la méprisent, vivent dans la pauvreté et sont plus dans la rosée que ceux qui nagent au sein de l’abondance : absolument comme ceux qui avaient jeté les trois enfants dans la fournaise furent consumés, tandis que les enfants eux-mêmes étaient comme rafraîchis par la pluie et la rosée. Et le tyran lui-même souffrait plus qu’eux de la flamme : car la colère le brûlait intérieurement ; le feu ne put pas même atteindre l’extrémité de leurs cheveux ; tandis que son âme était dévorée par l’ardeur de son courroux. Songez un peu à ce que c’était que d’être méprisé devant tant de témoins par des enfants prisonniers. Il a fait voir, du reste, que s’il avait pris leur ville, ce n’était pas par sa vertu propre, mais à cause des péchés de ses habitants.
Si, en effet, il n’a pu vaincre trois enfants enchaînés et jetés dans une fournaise, comment serait-il venu à bout, par la loi de la guerre, de tant d’hommes, s’ils eussent tous été tels que ceux-ci ? Il est donc évident que ce sont les péchés du peuple qui ont livré la ville. Mais voyez comme ces jeunes gens sont étrangers à la vaine gloire ! Ils ne s’élancèrent point dans la fournaise, mais ils pratiquèrent d’avance l’ordre du Christ qui dit : « Priez afin que vous n’entriez point en tentation ». (Mt. 26,41) Ils ne se sauvèrent point quand on les y conduisit ; mais ils gardèrent courageusement le milieu ; ne s’empressant point quand on ne les appelait pas, ne montrant ni faiblesse ni lâcheté quand on les appelait, prêts à tout, intrépides et remplis de confiance. Et pour bien comprendre leur sagesse, écoutons ce qu’ils disent : « Il y a dans le ciel un Dieu qui peut nous délivrer ». (Dan. 3,17) Ils ne s’inquiètent point d’eux-mêmes ; au moment d’être brûlés, ils ne s’occupent que de la gloire de Dieu. Afin, disent-ils, que vous n’accusiez pas Dieu d’impuissance, quand nous serons consumés par le feu, nous vous ex primons nettement toute notre croyance : « Il y a un Dieu dans le ciel », non un Dieu semblable à cette statue terrestre, inanimée et muette, mais un Dieu qui peut nous tirer du milieu de cette fournaise ardente. Ne l’accusez donc pas de faiblesse, s’il nous y laisse jeter. Il est si puissant qu’il peut nous sauver de la flamme, même quand nous y serons : « Et s’il ne le fait pas, sachez néanmoins, ô roi ; que nous ne servons pas vos dieux et que nous n’adorerons pas la statue d’or que vous avez fait dresser ». (Dan. 3,18) Vous voyez que, par un dessein providentiel, ils ignorent l’avenir. S’ils l’avaient connu, leur action serait moins admirable ; quoi d’étonnant, en effet, à ce qu’ils eussent audacieusement affronté le danger s’ils avaient eu un gage certain de leur salut ?
Sans doute Dieu eût été également glorifié, puisqu’il aurait pu les sauver de la fournaise : mais ils eussent été moins dignes d’admiration, puisque au fait ils ne se seraient pas précipités, dans le danger. Dieu leur a donc laissé ignorer l’avenir, pour les glorifier davantage. Et comme ils assuraient au roi que Dieu ne devait pas être accusé d’impuissance, quand même le feu les consumerait ; ainsi Dieu a tout à la fois montré sa puissance et mieux fait briller leur courage. Et pourquoi, dites-vous, ce doute de leur part, cette incertitude de leur délivrance ? Parce qu’ils se croyaient trop peu de chose, trop indignes d’un si grand bienfait. Et la preuve que ce n’est pas ici une simple conjecture, ce sont les plaintes qu’ils font entendre dans la fournaise, quand ils disent : « Nous avons péché, nous avons commis l’iniquité ; il ne nous est pas permis d’ouvrir la bouche ». (Dan. 3,29) Voilà pourquoi ils ont d’abord dit : « Et s’il ne le fait pas ». Ne soyez pas surpris qu’ils ne disent pas clairement : Dieu peut nous sauver, et s’il ne nous sauve pas, c’est à cause de nos péchés ; car alors ils auraient eu l’air, aux yeux de barbares, de voiler l’impuissance de Dieu sous le prétexte de leurs propres péchés. Ne parlant donc que de soin pouvoir, ils n’ont rien dit de la cause. Ils étaient d’ailleurs parfaitement habitués à ne point scruter témérairement les jugements de Dieu. Après avoir prononcé ces paroles ; ils sont entrés dans le feu, sans injurier le roi, sans renverser sa statue.
Tel doit être l’homme courageux, modéré et doux, surtout dans les dangers, pour ne pas paraître aller à ces combats par colère et par vaine gloire, mais par courage et avec modération. C’est à celui qui commet l’injustice à supporter le soupçon de ces coupables motifs ; quant à celui qui les subit, qui souffre violence et combat avec douceur, non seulement on l’admire comme un homme de cœur, mais on ne le vante pas moins pour sa modération et sa douceur : ce que firent alors les trois enfants, en montrant tout le courage et toute la douceur possibles, et n’agissant point en vue d’un prix ou d’une récompense. Et quand même il ne voudrait pas nous sauver, ajoutent-ils, nous n’adorerons pas vos dieux ; car nous sommes déjà récompensés par cela seul que nous sommes jugés dignes d’être délivrés de l’impiété et brûlés pour cette fin. Et nous aussi qui avons déjà notre récompense (et nous l’avons, puisque nous avons été jugés dignes de connaître le Christ et de devenir ses membres), n’en faisons pas les membres d’une prostituée. C’est par ce mot terrible qu’il faut finir ce discours ; afin que, sous l’impression de la plus vive frayeur, nous devenions plus purs que l’or et persévérions dans cet état. C’est ainsi que délivrés de la fornication nous pourrons voir le Christ. Puissions-nous le voir tous avec confiance au dernier jour, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XIX.

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QUANT AUX CHOSES DONT VOUS M’AVEZ ÉCRIT : IL EST AVANTAGEUX À L’HOMME DE NE TOUCHER AUCUNE FEMME ; MAIS, À CAUSE DE LA FORNICATION, QUE CHAQUE HOMME AIT SA FEMME ET CHAQUE FEMME SON MARI. (CHAP. 7, VERS. 1, 2, JUSQU’À LA FIN DU CHAP)

ANALYSE.

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  • 1. Du devoir conjugal : exhortation indirecte à la virginité plus parfaite que le mariage.
  • 2 et 3. Ne s’abstenir du mariage que pour vaquer à des devoirs religieux importants. – Conduite que doivent tenir les veuves. – Que l’adultère est un motif suffisant pour dissoudre le mariage. – Que les mariages mixtes, c’est-à-dire, dans lesquels l’un des époux est chrétien et l’autre non, ne doivent pas être dissous.
  • 4 et 5. Devant le Christ, l’esclave et l’homme libre sont égaux.
  • 6. Avis important aux personnes mariées et aux vierges.


1. Après avoir corrigé trois vices : le schisme dans l’Église, la fornication et l’avarice, il adoucit son langage ; et pour reposer son auditoire de ces sujets pénibles, il donne des avis et des conseils sur le mariage et la virginité. Dans la seconde épître, il prend la marche contraire ; après avoir commencé par des sujets plus doux, il finit par de plus désagréables. Ici, après avoir parlé de la virginité, il en revient encore à frapper, non d’une manière continue, mais en alternant dans les deux sens, selon que la circonstance et l’état des choses l’exigeaient. Aussi dit-il : « Quant aux choses dont vous m’avez écrit ». En effet on lui avait écrit pour savoir s’il fallait s’abstenir du mariage ou non. Répondant à cette question et avant d’établir la loi du mariage, il commence par parler de la virginité : « Il est avantageux à l’homme de ne toucher aucune femme ». C’est-à-dire : Si vous cherchez le bien, l’excellent, il est meilleur de n’avoir aucun commerce avec une femme ; si vous cherchez la sécurité et un appui à votre faiblesse, usez du mariage. Mais comme probablement, alors ainsi qu’aujourd’hui, l’un des époux voulait et l’autre ne voulait pas, voyez comme il parle de l’un et de l’autre. Quelques-uns prétendent qu’il s’adresse ici aux prêtres ; pour moi, d’après ce qui suit, je ne le pense pas : car il n’eût point donné son avis d’une manière aussi générale. S’il se fût agi seulement des prêtres, il aurait dit : Il est avantageux au ministre de la parole de ne toucher aucune femme ; mais son expression est générale : « Il est avantageux à l’homme » et non pas seulement au prêtre ; et encore : « N’êtes-vous point lié à une femme ? Ne cherchez point de femme ». Il ne dit pas : Vous prêtre et docteur, mais il parle d’une manière indéfinie, et ainsi dans toute la suite du discours.
Et quand il dit : « Mais à cause de la fornication que chaque homme ait sa femme », par la nature même de cette concession il exhorte à la continence. « Que le mari rende à la femme ce qu’il lui doit, et pareillement la femme à son mari ». Or, quel est ce bonheur dû ? La femme n’est pas maîtresse de son propre corps, mais elle est la servante et la maîtresse de son époux. En vous soustrayant au service convenable, vous offensez Dieu ; si vous voulez vous abstenir de concert avec votre mari, que ce soit pour peu de temps. Aussi appelle-t-il cela une dette, pour montrer qu’aucun des deux n’est maître de lui-même, mais que l’un est le serviteur de l’autre. Quand donc une prostituée vous tente, dites-lui : Mon corps n’est pas à moi, mais à ma femme. Que la femme en dise autant à ceux qui voudraient attenter à sa chasteté : Mon corps n’est pas à moi, mais à mon époux. Que si l’homme et la femme ne sont pas maîtres de leur corps, encore moins le sont-ils de leur fortune. Écoutez, vous qui avez des femmes, et vous qui avez des maris. Si l’on ne peut pas avoir son corps en propre, encore moins peut-on avoir ses biens. Ailleurs, sans doute, une grande prérogative est accordée au mari, dans le Nouveau et dans l’Ancien Testaments. Dans celui-ci on lit : « Tu te tourneras vers ton mari ; c’est lui qui te dominera ». (Gen. 3,16) Et Paul, établissant une distinction, écrit : « Maris, aimez vos femmes…, mais que la femme craigne son mari ». (Eph. 5,25, 33) Mais ici il ne distingue pas le plus ou le moins : le droit est le même. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de la chasteté. Que partout ailleurs, dit-il, l’homme ait l’avantage ; mais en fait de continence, non. « L’homme n’a pas puissance sur son « corps, ni la femme non plus ». L’égalité est complète ; point de prérogative.
« Ne vous refusez point l’un à l’autre ce devoir, si ce n’est de concert ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Que la femme ne se contienne pas, malgré son époux ; ni l’époux, malgré sa femme. Pourquoi cela ? Parce que de grands maux naissent de cette continence : souvent les adultères, les fornications ; les troubles domestiques en sont les suites. Si en effet il est des hommes qui commettent la fornication quoiqu’ils aient leurs femmes, à plus forte raison la commettront-ils si vous les privez de cette consolation. C’est avec raison qu’il dit : « Ne vous fraudez point », employant ici le mot fraude comme plus haut le mot dette, pour mieux constituer le droit. En effet, se contenir malgré son conjoint, c’est commettre une fraude ; mais non plus, s’il y consent. Vous ne me volez pas, si je consens à ce que vous pm niez un objet qui m’appartient. Mais prendre par force à quelqu’un qui n’y consent pas, c’est voler : et c’est ce que font beaucoup de femmes, qui blessent ainsi gravement la justice, deviennent responsables des désordres de leurs maris et mettent tout sens dessus dessous. Or il faut placer la bonne harmonie avant tout, parce que c’est en effet un bien préférable à tous les autres. Entrons, si vous le voulez, dans la nature même des choses. Supposez un homme et une femme, et la femme se contenant malgré son mari. Qu’arrivera-t-il, si celui-ci se livre à la fornication, ou tout au moins s’afflige, se trouble, éprouve l’ardeur de la concupiscence, soulève des querelles et cause mille ennuis à sa femme, que gagne-t-elle au jeûne et à la continence, si le lien de la charité est brisé ? Rien. Que d’injures, que de débats, que de guerres s’ensuivront nécessairement !
2. Car quand le mari et la femme sont en désaccord chez eux, la maison ressemble tout à fait à un vaisseau battu par la tempête, on le pilote et le timonier ne s’entendent pas. C’est pourquoi l’apôtre dit : « Ne vous refusez point l’un à l’autre ce devoir, si ce n’est de « concert pour un temps, afin de vaquer au jeûne et à la prière » ; mais il entend une prière faite avec plus de soin. En effet, s’il défendait la prière à ceux qui usent du mariage, quand et comment pourrait-on prier sans relâche ? Il est donc possible d’user de sa femme et de prier ; mais la continence donne à la prière une plus grande perfection. Aussi ne dit-il pas simplement : Pour prier, mais : « Afin que vous vaquiez à la prière », puisque par là on se procure du loisir, sans contracter de souillure. « Et revenez ensuite comme vous étiez, de peur que Satan ne vous tente ». Il donne la raison de ce conseil, de peur qu’on ne le prenne pour une loi. Quelle est cette raison ? « De peur que Satan ne vous tente ». Et pour que vous sachiez que le diable n’est pas seul l’auteur de l’adultère, il ajoute : « Par votre incontinence. Or, je dis ceci par condescendance et non par commandement. Car je voudrais que tous les hommes vécussent comme moi, dans la continence ». C’est son usage habituel de se proposer lui-même pour exemple, quand il s’agit de choses difficiles et de dire : « Soyez mes imitateurs. Mais « chacun reçoit de Dieu son on particulier, l’un d’une manière et l’autre d’une autre ». Comme il les a vivement accusés en disant « Par votre incontinence », il les console en ajoutant : « Chacun reçoit de Dieu son don particulier », non pour faire entendre qu’une bonne œuvre n’a pas besoin de notre concours, mais pour les consoler, comme je viens de le dire. Car si c’est un pur don et que l’homme n’y contribue en rien, comment ajoute-t-il : « Mais je dis à ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves, qu’il leur est avantageux de rester ainsi, comme moi-même ; que s’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient ? »
Voyez-vous la prudence de Paul, comment il démontre que la continence est l’état le plus avantageux, sans cependant forcer celui qui ne l’embrasse pas, de peur qu’il n’arrive une chute ? « Car il vaut mieux se marier que de brûler ». Il a fait voir la force tyrannique de la concupiscence. Voici ce qu’il veut dire : Si vous éprouvez de violents assauts, une vive ardeur, débarrassez-vous de ces luttes et de ces pénibles efforts, de peur d’être vaincu. « Pour ceux qui sont mariés, ce n’est pas moi, mais le Seigneur qui commande ». Sur le point de lire la loi portée en termes positifs par le Christ ; pour défendre de renvoyer sa femme, sauf le cas de fornication, il dit : « Ce n’est pas moi » ; car ce qui a été dit plus haut, quoique non en des termes exprès, lui semble la même chose. Mais ici ses termes sont formels. Et c’est la différence entre ces mots : « C’est moi », et : « Ce n’est pas moi ». Et pour que vous ne croyiez point qu’il parle par inspiration humaine, il ajoute : « Car je pense que j’ai l’Esprit de Dieu ». Que commande donc le Seigneur aux personnes mariées ? « Que la femme ne se sépare point de son mari. Que si elle en est séparée, qu’elle demeure sans se marier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari ; que le mari de même ne quitte point sa femme ».
Comme à propos de la continence ou pour d’autres prétextes, et pour des futilités, il s’élevait des divisions, il eût mieux valu, dit l’apôtre, que cela n’eût pas lieu ; mais puisque cela est, que la femme reste avec son mari, si ce n’est pour user du mariage, au moins pour n’introduire aucun autre homme. « Mais aux autres je dis moi, et non le Seigneur : si l’un de nos frères a une femme infidèle et qu’elle consente à demeurer avec lui, qu’il ne se sépare point d’elle. Et si une femme a un époux infidèle et qu’il consente à demeurer avec elle, qu’elle ne s’en sépare point ». Comme en parlant de la nécessité de se séparer des fornicateurs, pour atténuer la difficulté, il a dit : « Ce qui ne s’entend pas des fornicateurs de ce monde » ; ainsi il s’attache ici à rendre la chose très facile : si une femme a un mari infidèle, qu’elle ne s’en sépare pas ; si un homme a une femme infidèle, qu’il ne la renvoie pas. Que dites-vous, Paul ? si l’époux est infidèle, il doit demeurer avec sa femme, et non s’il est fornicateur ? Cependant, la fornication est un péché moindre que l’infidélité ; mais Dieu a pour vous de grands ménagements. C’est aussi ce qu’il fait à propos du sacrifice, lorsqu’il dit : « Laissez là le sacrifice et allez vous réconcilier avec votre frère ». (Mt. 5,24) Et encore à propos de celui qui devait dix mille talents ; car il ne l’a point puni, tandis qu’il a condamné au supplice celui qui exigeait cent deniers de son compagnon. Ensuite, de peur que la femme ne se crût immonde pour avoir usé du mariage, il dit : « Car le mari infidèle, est sanctifié par la femme fidèle et la femme infidèle est sanctifiée par le mari ». Pourtant, si celui qui s’unit à une prostituée devient un même corps avec elle, il est évident que celle qui s’unit à un idolâtre, devient aussi un même corps avec lui. Oui, elle devient un même corps, mais elle ne se souille point ; la pureté de la femme l’emporte sur l’impureté du mari, comme la pureté de l’homme fidèle sur l’impureté de la femme infidèle.
3. Pourquoi donc l’impureté est-elle ici vaincue et l’usage du mariage est-il permis, tandis que l’homme n’est point blâmable quand il chasse sa femme adultère ? Parce que là il y a espoir que la partie infidèle sera sauvée par le mariage, et qu’ici le mariage est déjà dissous ; qu’ici encore les deux parties sont viciées, tandis que dans l’autre cas il n’y en a qu’une. Expliquons-nous : la femme qui commet la fornication est certainement impure. Or, si celui qui s’unit à une prostituée devient un seul corps avec elle, celui qui s’unit à une prostituée devient donc impur ; par conséquent, toute pureté a disparu. Mais ici il n’en est pas de même : comment cela ? L’idolâtre est impur, mais la femme ne l’est pas. Si celle-ci communiquait avec lui dans ce qu’il a d’impur, c’est-à-dire, dans son impiété, elle deviendrait impure comme lui ; mais, d’une part, l’idolâtre est impur, et d’autre part, la femme communique avec lui en une chose qui n’est pas impure, car le mariage est l’union des corps et il y a société. Or, il y a lieu d’espérer que la femme, à laquelle il s’unit, le ramènera : mais pour l’autre cas cela ne serait pas très facile. Comment une femme qui l’a d’abord déshonoré, qui s’est livrée à un autre, qui a enfreint les lois du mariage, pourra-t-elle ramener l’époux qu’elle a outragé et qui n’est plus là que comme un étranger ? D’ailleurs, après la fornication l’époux n’est plus époux ; mais ici la femme, quoique idolâtre, ne détruit point la justice dans son mari. Et elle n’habite pas sans raison avec son mari, mais du consentement de celui-ci : c’est pourquoi l’apôtre dit : « Et qu’il consente à demeurer avec elle ».
Quel mal y a-t-il, je vous le demande, si, tout ce qui tient à la religion restant sain et sauf, et la conversion de la partie infidèle offrant quelque espérance, ils continuent à demeurer ensemble dans l’état du mariage, et n’introduisent point chez eux de sujets de querelles inutiles ? Car il ne s’agit pas ici de personnes libres, mais de personnes mariées. L’apôtre ne dit pas : Si quelqu’un veut prendra un infidèle, mais : « Si quelqu’un a une femme infidèle » ; c’est-à-dire, si quelqu’un déjà marié, reçoit l’enseignement de la vraie religion, et que l’autre partie tout en restant infidèle consente néanmoins à rester dans le mariage, qu’il ne s’en sépare point : « Car le mari infidèle est sanctifié par la femme ». Telle est l’excellence de votre pureté. Quoi donc ! Un gentil est saint ? Point du tout. Paul n’a pas dit : Est saint, mais : « Est sanctifié par sa femme ». Et il parle ainsi non pour montrer un saint dans un époux infidèle, mais pour mieux dissiper les craintes de la femme et inspirer à l’époux le désir de la vérité. Car ce n’est pas dans les corps des époux qu’est l’impureté, mais dans la volonté et dans les pensées. Puis vient la preuve. Si vous engendrez étant impure, l’enfant n’est pas de vous seule ; il est donc impur ou pur par moitié ; il n’est donc pas impur. Aussi ajoute-t-il : « Autrement vos enfants seraient impurs, tandis que maintenant ils sont saints », c’est-à-dire, ils ne sont pas impurs. Il les appelle saints, pour écarter toute crainte et tout soupçon par l’énergie de ses expressions. « Que si l’infidèle se sépare, qu’il se sépare ». Ici, il n’y a pas de fornication. Que signifient ces mots : « Si l’infidèle se sépare ? » Par exemple, s’il vous ordonne de sacrifier et de partager son impiété parce que vous êtes sa femme, ou de vous retirer, il vaut mieux rompre le mariage que de renoncer à la vraie foi. Voilà pourquoi il ajoute : « Notre frère ou notre sœur ne sont plus asservis en pareil cas ». Si chaque jour il faut subir des discussions et des combats là-dessus, le meilleur est de se séparer. Et c’est ce qu’il insinue quand il dit : « Dieu nous a appelés à la paix ». D’ailleurs l’infidèle, comme le fornicateur, a donné lieu à la séparation.
« Car que savez-vous, ô femme, si vous sauverez votre mari ? » Ceci se rapporte à ce qu’il a dit plus haut : « Qu’elle ne se sépare point de lui ». C’est-à-dire, s’il ne vous cause aucun trouble, restez, car il y a profit : restez exhortez, conseillez, persuadez : aucun maître n’a autant d’influence qu’une femme. Il ne lui impose point d’obligation, il n’exige rien d’elle, pour ne pas rendre le fardeau trop lourd, et il ne veut pas qu’elle désespère ; mais il laisse là question de l’avenir incertaine et comme suspendue, en disant : « Que savez-vous, ô femme, si vous sauverez votre mari ? Et que savez-vous, ô homme, si vous sauverez votre femme ? » Et encore : « Seulement que chacun marche comme Dieu le lui a départi et selon que Dieu l’a appelé. Un circoncis a-t-il été appelé ? qu’il ne se donne point pour incirconcis. Un circoncis a-t-il été appelé ? qu’il ne se fasse point, circoncire. La circoncision n’est rien, et l’incirconcision n’est rien, mais l’observation des commandements de Dieu est tout. Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé. Avez-vous été appelé « étant esclave ? Ne vous en inquiétez pas ». Tout cela n’a point de rapport avec la foi ; point de discussions donc, point de troubles ; la foi a tout fait disparaître. « Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé ». Vous aviez une femme infidèle quand vous avez été appelé ? Demeurez avec elle ; que la foi ne soit point un motif pour la renvoyer. Vous étiez esclave quand vous avez été appelé ? Ne vous en inquiétez pas, restez esclave. Vous étiez incirconcis quand vous avez été appelé ? Restez incirconcis. Vous étiez circoncis quand vous avez cru ? Restez circoncis. C’est-à-dire : « Que chacun marche comme Dieu le lui a départi ». Rien de tout cela n’est un obstacle à la religion. Vous avez été appelé étant esclave ; un autre, ayant une femme infidèle ; un troisième ; étant circoncis.
44. O ciel ! Où va-t-il placer l’esclavage ? Comme la circoncision ne sert à rien et que l’incirconcision ne nuit pas, ainsi en est-il de l’esclavage et de la liberté. Et pour le prouver plus clairement, il ajoute : « Et même si vous pouvez devenir libre, profitez-en plutôt » ; c’est-à-dire, restez plutôt esclave. Et pourquoi engage-t-il celui qui peut devenir libre à rester esclave ? Pour montrer que l’esclavage est plutôt utile que nuisible. Je sais que quelques-uns pensent que ces mots : « Profitez-en plutôt » doivent s’entendre de la liberté ; ce qui voudrait dire : Si vous le pouvez, devenez libre. Mais cette interprétation serait tout à fait contraire au but que Paul se propose. En effet, il ne conseillerait point à l’esclave de se procurer la liberté, au moment où il le console et affirme que l’esclavage ne lui est nullement désavantageux. Car alors on pourrait peut-être dire : mais enfin, si je ne puis devenir libre, je subis donc une injure et un dommage ?
Ce n’est donc point là sa pensée ; mais, comme je l’ai expliqué plus haut, voulant montrer que la liberté ne serait d’aucun profit, il dit : quand vous pourriez devenir libre, restez plutôt esclave. Et il en donne aussitôt la raison : « Car celui qui a été appelé au Seigneur quand il était esclave, devient affranchi du Seigneur ; de même celui qui a été appelé étant libre, devient esclave du Christ ». En ce qui regarde le Christ, dit-il, les deux sont égaux : vous êtes également l’esclave du Christ, le Christ est égaiement votre maître. Comment donc l’esclave est-il affranchi ? Parce que le Christ vous a délivré non seulement du péché, mais encore de la servitude extérieure, bien que vous restiez esclave. Car il ne permet pas que l’esclave, ni que l’homme demeurant dans la servitude, soit esclave : et c’est là la merveille. Mais comment un esclave est-il libre, tout en restant esclave ? Quand il est délivré des passions et des maladies spirituelles, quand il méprise les richesses, qu’il est au-dessus de la colère et des autres mouvements de l’âme. « Vous avez été achetés chèrement ; ne vous faites point esclaves des hommes ». Ces paroles ne s’adressent pas seulement aux serviteurs, mais aussi aux hommes libres. Car l’esclave peut être libre ; et l’homme libre, esclave. Et comment – an esclave peut-il être libre ? Quand il fait tout pour Dieu, quand il agit sans dissimulation et non pour plaire aux hommes : alors tout en servant les hommes, il est libre. Et comment, d’autre part, l’homme libre peut-il être esclave ? quand il remplit un rôle coupable parmi les hommes, ou par gourmandise, ou par l’ambition des richesses, ou par l’abus de la puissance. En ce cas, bien que libre, il est le plus esclave des hommes.
Considérez ces deux faits : Joseph était esclave, mais non esclave des hommes : c’est pourquoi il était le plus libre des hommes, même au sein de l’esclavage. Ainsi il ne cède point au désir de la femme de son maître, qui coulait le plier au gré de sa passion. Elle, au contraire, quoique libre, était esclave entre tous les esclaves, elle qui flattait son serviteur et le provoquait au mal ; mais elle ne put décider l’homme libre à faire ce qu’elle voulait. L’esclavage de Joseph n’était donc point un esclavage, mais la plus haute liberté ; car en quoi a-t-il gêné sa vertu ? Écoutez, esclaves et hommes libres : lequel était l’esclave de celui qui était sollicité, ou de celle qui sollicitait ? de celle qui suppliait, ou de celui qui méprisait ses supplications ? Car Dieu a fixé des bornes aux esclaves : les lois déterminent le point jusqu’où ils peuvent aller et qu’ils ne doivent point dépasser. Tant que le maître n’exige rien qui déplaise à Dieu, il faut l’écouter et lui obéir ; mais non, s’il demande rien au-delà ; c’est ainsi que l’esclave devient libre. Et si vous allez vous-même au-delà, fussiez-vous libre, vous devenez esclave. C’est à quoi Paul fait allusion, quand il dit : « Ne vous faites point esclaves des hommes ». S’il en était autrement, s’il conseillait aux esclaves de quitter leurs maîtres et de s’efforcer de devenir libres, comment aurait-il donné cet avis : « Que chacun persévère dans la vocation où il était quand il a été appelé ? » Et ailleurs : « Que tous les serviteurs qui sont sous le joug estiment leurs maîtres dignes de tout honneur, et que ceux qui ont des maîtres fidèles ne les méprisent point, parce que ce sont des frères qui participent au même bienfait ». (1Tim. 6,1-2) Écrivant aux Éphésiens et aux Colossiens il donne encore les mêmes règles et les mêmes lois. D’où il suit clairement qu’il ne combat point ce genre d’esclavage, mais celui que les hommes libres contractent par le vice et qui est le plus fâcheux, même quand celui qui le subit est libre. À quoi en effet a servi aux frères de Joseph d’être libres ? N’étaient-ils pas les plus esclaves des hommes, quand ils mentaient à leur père, faisaient aux marchands de faux récits ainsi qu’à leur frère ? Mais bien autre était Joseph, homme véritablement libre, véridique partout et en tout, que rien n’a pu assujettir, ni les fers, ni l’esclavage, ni l’amour de sa maîtresse, ni l’exil, mais qui est demeuré libre partout. Car c’est là la vraie liberté, celle qui éclate même dans l’esclavage.
5. Voilà le christianisme : il donne la liberté dans la servitude. Et comme un corps naturellement invulnérable se montre tel quand il reçoit un trait sans en souffrir, ainsi celui qui est vraiment libre, le démontre surtout quand ses maîtres ne peuvent le rendre esclave. Voilà pourquoi Paul engage à rester esclave. S’il n’était pas possible d’être esclave et vrai chrétien, les gentils pourraient accuser la religion d’une grande faiblesse ; mais s’ils savent que l’esclavage ne lui est point un obstacle, ils admireront la doctrine. Car si la mort, la flagellation, les chaînes ne nous font point de mal, beaucoup moins l’esclavage, le feu, le fer, tous les genres de tyrannie, les maladies, la pauvreté, les animaux sauvages et mille autres tourments plus graves encore peuvent-ils nuire aux fidèles ; ils n’ont fait que les rendre plus puissants. Et comment l’esclavage pourrait-il nuire ? Ce n’est pas l’esclavage même qui nuit, cher auditeur, mais celui du péché qui est le seul véritable. Si vous ne subissez pus celui-là, ayez confiance et réjouissez-vous ; personne ne pourra vous nuire dès que votre âme est libre ; mais si vous êtes esclaves du péché, eussiez-vous toute liberté d’ailleurs, la liberté ne vous sert à rien. Que sert, en effet, dites-moi, dé n’être pas esclave d’un homme et de l’être de ses passions ? Souvent les hommes usent encore de ménagement, mais les passions sont insatiables de ruine. Vous êtes l’esclave d’un homme ? Mais votre propre maître est votre serviteur ; lui qui pourvoit à votre nourriture, qui soigne votre santé, qui a le souci de votre habillement, de vos chaussures et de tant d’autres choses. Vous avez moins peur de l’offenser que lui de vous laisser manquer du nécessaire.
Mais il est couché, et vous êtes debout. – Qu’importe ? On peut faire cette observation pour vous comme pour lui. Souvent quand vous êtes couché et livré à un doux sommeil, il est non seulement debout, mais en proie à mille désagréments sur la place publique, et veille d’une manière bien plus pénible que vous. Quoi donc ! Joseph a-t-il autant souffert de la part de sa maîtresse, que celle-ci par l’effet de sa passion ? Joseph n’a point fait ce que voulait cette femme ; et elle-même a fait tout ce que voulait la passion, sa maîtresse ; et la passion ne s’est arrêtée qu’après l’avoir couverte de honte. Quel maître est aussi exigeant ? Quel tyran est aussi cruel ? Prie ton esclave, dit la passion, supplie ton prisonnier, flatte l’homme que tu as acheté ; s’il refuse, insiste ; si malgré tes sollicitations réitérées il ne cède point, observe le moment où il sera seul, et use de violence, et rends-toi ridicule. Quoi de plus déshonorant, quoi de plus, honteux que ce langage ? Mais si tu ne viens pas à bout de ton dessein, recours à la calomnie et trompe ton époux. Voyez comme ces ordres sont indignes d’une âme libre, honteux, inhumains, cruels et insensés ! Quel maître exige jamais ce que la passion impure a exigé de cette princesse ? Et pourtant elle n’eut pas le courage de résister à sa voix. Joseph n’a rien subi de pareil : il a tenu une conduite toute contraire qui l’a comblé de gloire et d’honneur. Voulez-vous encore voir un autre homme, à qui une cruelle maîtresse adonné des ordres qu’il n’a pas osé repousser ?
Rappelez-vous Caïn et les ordres que lui a donnés la jalousie. Elle lui a commandé de tuer son frère, de mentir à Dieu, d’affliger son père, d’être impudent ; et il a tout exécuté de point en point. Pourquoi vous étonnez-vous que cette maîtresse ait tant d’empire sur un seul homme, elle qui a souvent perdu des peuples entiers ? Les femmes madianites ont pour ainsi dire emmené les Juifs enchaînés et prisonniers en les captivant tous par l’attrait de leurs charmes. C’était ce genre d’esclavage que Paul repoussait quand il disait : « Ne vous faites point esclaves des hommes » ; c’est-à-dire N’obéissez point aux hommes quand ils vous donnent des ordres injustes, pas même à vous. Ensuite élevant son esprit jusqu’à un point sublime, il dit : « Quant aux vierges, je n’ai point reçu de commandement du Seigneur ; mais je donnerai un conseil comme ayant obtenu de la miséricorde du Seigneur d’être fidèle ». Procédant avec ordre, il parle ensuite de la virginité. Après les avoir entretenus et instruits sur la continence, il passe maintenant à ce qui est plus parfait. « Je n’ai pas de commandement », dit-il ; mais je pense que c’est une bonne chose. Pourquoi ? Pour la même raison qu’il a donnée à propos de la continence. « Êtes-vous lié à une femme ? Ne cherchez pas à vous délier ». Ceci ne contredit point ce qu’il a d’abord dit, mais le confirme parfaitement. En effet, plus haut il disait : « Si ce n’est d’un commun accord » ; ici il dit : « Êtes-vous lié à une femme ? Ne cherchez pas à vous délier ». Il n’y a point là de contradiction : car quand on agit contre sa volonté, le lien se brise ; quand on agit de concert, le lien subsiste.
6. Ensuite, pour qu’on ne croie pas que c’est là une loi, il ajoute : « Cependant, si vous prenez une femme, vous ne péchez pas ». Puis il accuse l’état des choses, la nécessité présente, la brièveté du temps, l’affliction. Car le mariage entraîne bien des suites qu’il indique comme il l’a déjà fait en parlant de la continence, quand il disait que la femme n’a pas de puissance sur son corps, et ici quand il dit : « Êtes-vous lié… Cependant si vous prenez une femme, vous ne péchez pas ». Ceci ne s’applique point à celle qui a choisi la virginité, car celle-là pécherait. En effet, si les veuves sont incriminées pour avoir contracté un second mariage quand elles ont promis de rester veuves, à plus forte raison blâmera-t-on les vierges. « Toutefois ces personnes auront les tribulations de la chair ». – Et aussi ses plaisirs, dites-vous. – Mais voyez comme l’apôtre les restreint par la brièveté du temps, en disant : « Le temps est court » ; c’est-à-dire, nous avons ordre de passer comme des voyageurs et de sortir ensuite ; mais vous vous agitez dans l’intérieur. Quand même le mariage n’aurait rien de pénible, il faudrait encore hâter sa marche vers l’avenir ; mais quand il entraîne des suites fâcheuses, à quoi bon se charger du fardeau ? Pourquoi s’imposer une telle charge, puisqu’une fois que vous l’avez prise, il faut en user comme n’en usant pas ? En effet, l’apôtre nous dit : « Il faut que ceux mêmes qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas ». Après avoir ainsi dit un mot de l’avenir, il revient au temps présent. Car il y a des intérêts spirituels : l’une s’occupe du service de son époux, l’autre du service de Dieu ; mais il y a aussi les intérêts de la vie présente : « Je voudrais que vous fussiez exempts de soucis ». Pourtant il laisse cela à leur liberté. Car celui qui, après avoir montré ce qu’il faut choisir, impose le choix, semble n’avoir pas confiance en ses propres paroles. C’est pourquoi il use surtout de condescendance pour les déterminer et les maintenir : « Or je vous parle ainsi pour votre avantage, non pour vous tendre un piège ; mais parce que c’est une chose bienséante et qui donne la facilité de prier ». Que les vierges entendent bien : ce n’est pas à cela que se borne la virginité ; celle qui s’occupe du monde n’est ni vierge, ni honnête. Après avoir dit : « La femme mariée et la vierge sont partagées », il établit la différence, le point qui les sépare l’une de l’autre. Pour limite entre la vierge et celle qui ne l’est plus, il ne donne pas le mariage, ni la continence, mais l’exemption de soucis et de grands soucis. Car ce n’est pas l’acte du mariage qui est un mal, mais l’obstacle à la sagesse. «  Si donc quelqu’un pense que ce lui soit un déshonneur que sa fille reste vierge ». Ici il semble parler en faveur du mariage ; néanmoins tout se rapporte à la virginité ; car il permet même un second mariage, mais seulement « dans le Seigneur ». Que veut dire : « dans le Seigneur ? » C’est-à-dire, avec chasteté, avec honnêteté ; car il en faut partout : c’est là ce que nous devons chercher ; autrement il n’est pas possible de voir Dieu. Si nous avons passé sous silence ce qu’il y a à dire sur la virginité, qu’on ne nous accuse pas de négligence. Car nous avons composé un livre entier sur ce passage ; et après y avoir traité ce sujet avec autant de soin qu’il nous a été possible, nous avons cru inutile d’y revenir aujourd’hui. Nous y renvoyons donc nos auditeurs, et nous nous contentons de dire ici qu’il faut garder la continence, puisque l’apôtre nous dit : « Cherchez à tout prix la paix et la sainteté, sans laquelle personne ne verra le Seigneur ». (Héb. 12,14) Cherchons-la donc, soit que, nous vivions dans la virginité, soit que nous vivions dans un premier ou dans un second mariage, afin de mériter de voir Dieu et d’obtenir le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XX.

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QUANT À CE QU’ON OFFRE EN SACRIFICE AUX IDOLES, NOUS SAVONS QUE NOUS AVONS TOUS UNE SCIENCE. LA SCIENCE ENFLE, LA CHARITÉ ÉDIFIE. (CHAP. 8, VERS. 1, JUSQU’A LA FIN DU CHAP)

ANALYSE.

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  • 1. La science inutile sans la charité.
  • 2. L’homme ne peut connaître Dieu parfaitement.
  • 3. Saint Paul enseigne le néant des idoles et l’unité de Dieu, il ne parle de la Trinité qu’avec beaucoup de ménagement, à cause de la faiblesse de ceux à qui il avait affaire, et de peur qu’ils ne s’imaginent qu’il admet plusieurs dieux.
  • 4. Une action a beau être indifférente par elle-même, si on la commet en la croyant mauvaise, on pèche. – Notre conscience est la mesure de nos actes.
  • 5. s’abstenir d’une chose en soi indifférente, s’il en doit résulter un scandale.
  • 6. Contre le faste et la vanité du monde et des riches.


1. Il faut d’abord expliquer le sens de ce passage ; cela facilitera l’intelligence de ce que nous devons dire. Celui qui voit accuser quelqu’un et ne connaît pas la nature de sa faute, ne comprendra rien à ce que l’on dira. Que reproche donc ici Paul aux Corinthiens ? Un grand crime, source de bien des maux. Lequel ? Un grand nombre d’entre eux sachant que ce n’est pas ce qui entre dans l’homme qui le souille, mais ce qui en sort ; que les idoles, le bois, la pierre, les démons ne peuvent ni aider, ni nuire, abusaient outre mesure de cette parfaite connaissance, à leur détriment et à celui des autres. En effet, ils allaient aux idoles, y prenaient place à table, et causaient par là un grand mal. Car ceux qui craignaient encore les idoles, qui ne savaient point encore les mépriser, participaient à ces repas, parce qu’ils voyaient de plus parfaits qu’eux s’y asseoir, et ils en éprouvaient un très grand dommage (vu qu’ils ne touchaient pas dans les mêmes dispositions que ceux-ci à ces mets qui leur étaient présentés, mais qu’ils les regardaient comme offerts aux idoles : ce qui était le chemin de l’idolâtrie) ; et ceux mêmes qui étaient plus parfaits n’en souffraient pas médiocrement, puisqu’ils assistaient à des repas diaboliques. Tel était le crime. Or le bienheureux, pour porter remède au mal, né débute point par des termes violents, car c’était plutôt un acte de folie qu’un acte de malice. C’est pourquoi il n’est pas besoin d’abord de vifs reproches et d’indignation, mais plutôt d’exhortation. Remarquez donc la prudence avec laquelle il procède : « Quant à ce qu’on offre en sacrifice aux idoles, nous savons que nous avons tous la science ». Laissant de côté les faibles, suivant son constant usage, il s’adresse en premier lieu aux forts. C’est ce qu’il a déjà fait dans son épître aux Romains : « Mais vous qui jugez votre frère ». (Rom. 11,10). Le fort, en effet, est plus capable de porter un reproche.
Il agit de même ici : il commence par crever leur orgueil en leur faisant voir que cette parfaite connaissance, qu’ils regardaient comme leur privilège propre, était chose vulgaire : « Nous savons que tous ont la connaissance ». Si, les laissant dans leur orgueil, il eût d’abord montré que cette connaissance était nuisible aux autres, il eût fait plus de mal que de bien. En effet, quand l’âme ambitieuse se croit parée de quelque chose, cette chose fût-elle nuisible aux autres, elle s’y attache de toutes ses forces, parce qu’elle est tyrannisée par la vaine gloire. Voilà pourquoi Paul examine d’abord l’objet en lui-même, comme il l’a fait plus haut à propos de la sagesse profane qu’il a complètement détruite. Mais là il avait raison : car cette sagesse est absolument mauvaise et la détruire était facile ; aussi a-t-il prouvé qu’elle était non seulement inutile, mais opposée à la prédication. Ici il ne pouvait agir de même : car il est question de science, et de science parfaite. Il n’était donc pas sans danger de la rejeter, et cependant on ne pouvait autrement réprimer l’orgueil qu’elle inspirait. Que fait-il alors ? D’abord en montrant qu’elle est vulgaire, il comprime l’enflure de ceux qui s’en glorifiaient. En effet, on s’enorgueillit d’une chose grande et belle quand on la possède seul ; mais quand on s’aperçoit qu’elle appartient à tout le monde, on n’éprouve plus le même sentiment. Donc en premier lieu il établit que ce qu’ils croyaient posséder seuls était un bien commun à tous ; puis, cela posé, il ne prétend pas être le seul qui en jouisse avec eux : il eût encore par là flatté leur orgueil. Car si on est fier de posséder seul un avantage, on ne l’est pas moins de le partager avec un ou deux hommes placés au-dessus du vulgaire. Il ne parle donc pas de lui, mais de tous ; il ne dit pas : Et moi aussi j’ai la science, mais : « Nous savons que tous ont connaissance ».
De cette première manière il abat d’abord leur orgueil, et plus vivement encore, de la seconde. Laquelle ? En montrant que cette connaissance non seulement n’est pas parfaite, mais est très imparfaite ; et non seulement imparfaite, mais nuisible, si on ne lui adjoint quelque autre chose. En effet, après avoir dit : « Que tous ont connaissance », il ajoute : « La science enfle, mais la charité « édifie ». Ainsi la science, sans la charité, porte à l’orgueil. – Mais, direz-vous, la charité aussi sans la science est inutile. – L’apôtre ne le dit pas ; mais laissant cela comme une chose convenue, il fait voir que la science a très grand besoin de la charité. En effet, celui qui aime, accomplissant le plus important des commandements, manquât-il de quelque autre chose, obtiendra bientôt la science par la charité, comme Corneille et beaucoup d’autres ; tandis que celui qui a la science sans la charité, non seulement ne fera pas de progrès, mais la perdra même souvent, en tombant dans l’orgueil. En sorte que la science n’engendre pas la charité, mais en sépare plutôt, si l’on n’y prend garde, en produisant l’enflure et l’orgueil. Car la jactance a coutume de diviser, et la charité d’unir et de mener à la science. C’est ce que l’apôtre exprime par ces mots : « Mais si quelqu’un aime Dieu, celui-là est connu de lui ». Il veut donc dire : Je ne m’oppose pas à ce qu’on ait la science parfaite, mais je veux qu’elle soit jointe à la charité ; autrement elle sera inutile, et même nuisible.
2. Voyez-vous comme il prélude déjà à ce qu’il va dire de la charité ? Comme tous les maux des Corinthiens provenaient, non de la science parfaite, mais de ce qu’ils n’avaient pas assez de charité ni de ménagement les uns pour les autres, ce qui produisait les divisions, l’orgueil et toutes les fautes qu’il leur a reprochées et celles qu’il leur reprochera encore : voilà pourquoi il insiste souvent sur la charité, pourvoyant ainsi à la source de tous les biens. Pourquoi, leur dit-il, la science vous enfle-t-elle ? Elle vous nuira, si vous n’avez pas la charité. Qu’y a-t-il de pire que la jactance ? Mais avec la charité, la science est en sûreté. Si vous savez quelque chose de plus que votre prochain et que vous l’aimiez, vous ne vous enorgueillirez pas, mais vous lui communiquerez ce que vous savez. C’est pourquoi, après avoir dit : « La science enfle », il ajoute : « Mais la charité édifie ». Il ne dit pas : est modeste, mais il dit quelque chose de plus grand et de plus utile : car la science n’enflait pas seulement, elle divisait. Voilà pourquoi il oppose un terme à l’autre. Il donne ensuite un troisième motif pour les humilier. Lequel ? c’est que, même unie à la charité, la science n’est pas encore parfaite ; aussi ajoute-t-il : « Si quelqu’un se persuade savoir quelque chose, il ne sait encore rien comme il faut le savoir ». Voilà le coup mortel. Je n’affirme pas seulement, dit-il, que la science est commune à tout le monde ; qu’en haïssant votre prochain et vous enflant d’orgueil, vous vous faites un très grand tort ; mais eussiez-vous seul la science, fussiez-vous modeste et charitable envers vos frères, vous êtes encore imparfait, même au point de vue de la science : vous ne savez encore rien comme il faut le savoir. Que si nous n’avons aucune connaissance complète, comment quelques-uns ont-ils poussé la folie jusqu’à prétendre connaître Dieu parfaitement ? Eussions-nous la science parfaite de toute autre chose, il nous est impossible d’avoir celle-là. Car il n’est pas possible de dire la distance qui sépare Dieu de tout le reste.
Et voyez comme il abat leur orgueil ! Il ne dit pas : Vous n’avez pas une connaissance suffisante du sujet en question, mais : de quoi que ce soit. Il ne dit pas : vous, mais : qui que ce soit, même Pierre, Paul, ou tout autre. Par là il les console et les réprime tout à la fois. « Mais si quelqu’un aime Dieu, il est connu de lui ». Il ne dit pas : le connaît, mais : « Est connu de lui ». Car nous ne connaissons pas Dieu, mais Dieu nous connaît. Aussi le Christ disait-il : Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis. (Jn. 15,16) Et Paul, dans un autre endroit : « Mais alors je connaîtrai comme je suis connu moi-même ». (1Cor. 13, 12) Considérez donc comment il rabat leur orgueil. D’abord il leur fait voir qu’ils ne sont pas seuls à savoir ce qu’ils savent : « Nous avons tous la science » ; ensuite que cette science est chose nuisible sans la charité : « La science enfle » ; puisque, même jointe à la charité, elle n’est point une chose complète et parfaite : « Si quelqu’un se persuade savoir quelque chose, il ne sait encore rien comme il faut le savoir » ; ensuite qu’ils ne tiennent point cette science d’eux-mêmes, mais qu’elle est un don de Dieu : car il ne dit pas : connaît Dieu, mais : « Est connu de Dieu » ; enfin, que c’est là l’effet de la charité qu’ils n’ont pas encore comme il faut : « Mais si quelqu’un aime Dieu, celui-là est connu de lui ». Après avoir par tous ces moyens guéris leur enflure, il commence à établir la doctrine, en disant : « À l’égard des viandes qui sont immolées aux idoles, nous savons qu’une idole n’est rien dans le monde et qu’il n’y a pas d’autre Dieu que le Dieu unique ».
Voyez dans quel embarras il est tombé ! Il veut prouver qu’il faut s’abstenir de ces tables, et que d’ailleurs elles ne sauraient nuire à ceux qui s’y assoient : deux choses qui ne semblent guère s’accorder entre elles. Car sachant que ces tables ne pouvaient nuire, les Corinthiens devaient y courir comme à des choses indifférentes ; et les en empêcher, c’était les porter à croire que c’était parce qu’elles avaient le pouvoir de nuire. Après avoir donc détruit l’opinion qu’on pouvait avoir des idoles, il donne pour première raison de s’en éloigner, ce scandale des frères, en disant : « À l’égard des viandes immolées aux idoles, nous savons qu’une idole n’est rien dans le monde ». Il fait encore de cette connaissance une chose commune, il ne veut pas qu’ils l’aient seuls, mais il l’étend à toute la terre. Ce n’est pas seulement chez vous, dit-il, mais c’est dans le monde entier que cette croyance est admise. Quelle croyance ? « Qu’une idole n’est rien dans le monde, et qu’il n’y a pas d’autre Dieu que le Dieu unique ». Il n’y a donc pas d’idoles ? point de statues ? Il y en a, mais elles sont absolument impuissantes ; ce sont des pierres et des démons, et non des dieux. Il s’adresse maintenant aux uns et aux autres, et à ceux qui sont plus grossiers et à ceux qui paraissent sages. Car, comme les uns ne voient rien au-delà de la pierre, et que les autres croient qu’il y réside certaines vertus qu’ils appellent dieux : l’apôtre dit aux premiers qu’une idole n’est rien dans le monde, et aux seconds qu’il n’y a pas d’autre Dieu que le Dieu unique.
3. Voyez-vous qu’il n’écrit pas cela simplement pour établir un dogme, mais aussi pour constater une différence avec les gentils ? Et c’est ce qu’il faut toujours observer chez lui, soit qu’il parle d’une manière absolue, soit qu’il s’adresse à des adversaires. Et cela ne contribue pas peu à rendre son enseignement précis et à nous donner l’intelligence de ses paroles. « Car, quoiqu’il y ait ce qu’on appelle des dieux, soit dans le ciel, soit sur la terre (or il y a ainsi beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs), pour nous cependant il n’est qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses, et nous qu’il a faits pour lui ; et qu’un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes choses sont et nous aussi par lui ». Comme il a dit qu’une idole n’est rien, qu’il n’y a pas d’autre Dieu, et que cependant il existait des idoles et ce qu’on appelait des dieux ; pour ne pas paraître aller contre l’évidence, il ajoute (si on les appelle dieux tels qu’ils sont, ils ne sont pas dieux, mais on leur donne ce nom : ils sont dieux de nom et non d’effet), il ajoute, dis-je : « Soit dans le ciel, soit sur la terre ». Dans le ciel il veut dire le soleil, la lune, et tout le chœur des astres, car les Grecs les adoraient ; sur la terre, il entend les démons et les hommes mis au rang des dieux. « Mais pour nous il n’est qu’un Dieu, le Père ». Après avoir d’abord dit, sans nommer le Père : « Il n’y a pas d’autre Dieu que le Dieu unique », et avoir rejeté tout le reste, il ajoute le mot Père. Ensuite, comme preuve très forte de divinité, il ajoute « De qui viennent toutes choses ». C’est en effet une preuve que les autres dieux ne sont pas dieux. Mort aux dieux qui n’ont pas fait le ciel et la terre ! Et ce qui suit n’est pas moins important : « Et nous qu’il a faits pour lui ».
En disant : « De qui viennent toutes choses », il veut parler de la création, de l’acte qui a donné l’existence à ce qui n’était pas ; mais quand il dit : « Et nous qu’il a faits pour lui », il tient le langage de la foi et exprime le lien propre qui nous unit à Dieu : vérité qu’il a déjà énoncée plus haut, en disant : « Et c’est de lui que vous êtes dans le Christ Jésus ». (1Cor. 1,30) Car nous sommes à lui doublement : par la création et par la vocation à la foi, qui est aussi une création : ce qu’il exprime ailleurs en ces termes : « Pour des deux former en lui-même un seul homme nouveau (Eph. 2,15), et un seul Seigneur, « Jésus-Christ, par qui toutes choses sont, et nous aussi, par lui ». Il faut penser la même chose du Christ. Car c’est par lui que le genre humain a été tiré du néant, et ramené de l’erreur à la vérité. En sorte que ces mots : « De lui », ne veulent pas dire dans le Christ puisque nous avons été faits de lui par le Christ. Il n’a donc pas attribué, comme par lot, au Fils le nom de Seigneur, au Père celui de Dieu. Car l’Écriture prend souvent ces termes l’un pour l’autre, comme quand elle dit : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur », et encore : « C’est pour cela que Dieu, votre Dieu, vous a oint » (Ps.109 et 44) ; et ailleurs : « Auxquels appartient selon la chair, le Christ, qui est Dieu au-dessus de toutes choses ». (Rom. 9,5) Souvent vous verrez ces mots pris l’un pour l’autre. S’ils étaient ici attribués comme lot propre à chaque nature, le Fils, en tant que Fils, ne serait pas Dieu, Dieu comme le Père. Après avoir dit : « Nous n’avons qu’un Dieu », il eût été inutile d’ajouter « le Père », pour indiquer celui qui n’a pas été engendré ; il eût suffi de dire « Dieu », si Paul n’avait pas eu d’autre but. On peut encore donner une autre raison.
Si vous prétendez que quand on parle d’un seul Dieu, ce mot « Dieu » ne s’applique pas au Fils, faites attention qu’on peut en dire autant à propos du Fils. En effet, il est appelé « un seul Seigneur » ; cependant nous ne disons pas que ce mot ne convient qu’à lui seul. En sorte que cette expression « un seul » a la même valeur pour le Fils que pour le Père ; et comme, en disant que le Fils est le seul Seigneur, l’apôtre n’entend pas empêcher que le Père soit Seigneur comme le Fils ; de même en disant que le Père est le seul Dieu, il n’entend pas que le Fils n’est pas Dieu comme le Père. Que si quelques-uns disaient : Pourquoi ne fait-il aucune mention de l’Esprit, nous répondrions qu’il s’adressait aux idolâtres et qu’il s’agissait de savoir s’il y a plusieurs dieux et plusieurs seigneurs. Voilà pourquoi il a appelé le Père Dieu, et le Fils Seigneur. Si donc il n a pas osé appeler le Père Seigneur en même temps que le Fils, pour ne pas être soupçonné par eux d’admettre deux seigneurs, ni appeler le Fils Dieu en même temps que le Père, pour ne pas paraître croire à deux dieux : pourquoi vous étonnez-vous qu’il n’ait pas fait mention de l’Esprit ? En ce moment il avait affaire aux païens, et devait leur faire voir que nous n’admettons pas la pluralité des dieux. Aussi répète-t-il sans cesse : « Un seul. Il n’y a pas d’autre dieu que « le seul Dieu » ; et encore : « Nous n’avons qu’un Dieu et qu’un Seigneur ». II est donc clair que c’est par ménagement pour la faiblesse de ses auditeurs qu’il emploie ces manières de parler, et pour cela aussi qu’il ne mentionne pas l’Esprit ; autrement il n’eût point dû en parler ailleurs, et le joindre au Père et au Fils. Car si l’Esprit est séparé du Père et du Fils, il fallait encore bien moins le nommer au baptême avec le Père et le Fils ; là où la majesté divine apparaît surtout et où l’on reçoit des dons qu’il n’appartient qu’à Dieu d’accorder.
4. Je viens de dire la raison pour laquelle le Saint-Esprit est ici passé sous silence ; dites-nous, si cela n’est pas, pourquoi, dans le baptême, on le joint au Père et au Fils ? Vous n’avez pas d’autre raison à donner, si ce n’est qu’il est leur égal en honneur. Mais quand Paul n’a plus le même motif, voyez comme il joint son nom aux deux autres : « Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ et la charité de Dieu le Père et la communication du Saint-Esprit soit avec vous tous ». (2Cor. 13,13) Et encore : « Il y a des grâces diverses, mais c’est le même Esprit ; il y a diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; et il y a des opérations diverses, mais c’est le même Dieu ». (1Cor. 12,4-6) Mais comme il s’adressait aux gentils et à d’autres plus faibles encore que les gentils, il use de réserve et passe le mot sous silence ; comme font les prophètes à propos du Fils qu’ils ne nomment nulle part ouvertement, à cause de la faiblesse de ceux qui les écoutent. « Mais cette science n’est pas en tous ». Quelle science ? Celle de Dieu, ou celle qui regarde les viandes immolées aux idoles ? Il fait ici allusion ou aux gentils qui reconnaissaient plusieurs dieux et seigneurs et ne connaissaient pas le véritable, ou à d’autres qui, plus faibles que les grecs, ne savaient pas encore clairement que les idoles ne sont pas à craindre et qu’une idole n’est rien dans ce monde. Après avoir dit cela, il les console et les rassure peu à peu. Il n’était pas à propos de toucher à tous les points, surtout quand il avait à les attaquer encore plus vivement.
« Car même jusqu’à cette heure, quelques-uns, dans la persuasion de la réalité de l’idole, mangent des viandes comme ayant été offertes à l’idole ; ainsi leur conscience, qui est faible, s’en trouve souillée ». Ils ont, dit-il, encore peur des idoles. Ne me parlez pas de l’état présent des choses, ne me dites pas que vous avez reçu de vos ancêtres la vraie religion ; mais reportez votre pensée à ces temps, songez que la, prédication était récemment établie, que l’impiété dominait encore, que les autels fumaient toujours, que les sacrifices et les libations se pratiquaient encore, que les gentils étaient en majorité, qu’ils avaient reçu leur culte impie de leurs ancêtres, qu’ils descendaient de pères, d’aïeux, de bisaïeux païens, qu’ils avaient beaucoup souffert de la part des démons, qu’ils n’étaient changés que depuis peu : et figurez-vous dans quelle situation ils devaient être, comme ils devaient craindre et redouter les pièges des démons. C’est à eux que l’apôtre fait allusion, quand il dit : « Mais quelques-uns, dans la persuasion que les viandes ont été immolées aux idoles ». Il ne les indique pas ouvertement de peur de les blesser, il ne néglige cependant pas d’en parler, mais d’une manière indéfinie, en disant : « Car même jusqu’à cette heure, quelques-uns, dans la persuasion que la viande a été immolée aux idoles ; la mangent comme telle ». C’est-à-dire, dans le même esprit qu’autrefois. « Et leur conscience ; qui est faible, s’en trouve souillée », parce qu’elle n’a pas encore la force de mépriser les idoles et d’en rire, mais qu’elle reste dans le doute. Ils éprouvent ce qu’éprouverait quelqu’un qui, en touchant un mort, croirait se souiller à la manière des Juifs ; puis voyant les autres le toucher avec une conscience pure, se souillerait néanmoins parce qu’il ne serait pas dans les mêmes dispositions. « Jusqu’à cette heure, quelques-uns dans la persuasion de la réalité de l’idole ». Ce n’est pas sans raison qu’il dit : « Jusqu’à cette heure », mais pour prouver qu’on n’a rien gagné à ne pas user de condescendance. Car ce n’était pas ainsi qu’il fallait les amener, mais d’une autre manière, par la persuasion de la parole et de l’enseignement. « Et leur conscience, qui est faible, s’en trouve souillée ».
Il ne parle nulle part de la nature de la chose, mais toujours et partout de la conscience de celui qui y prend part. Il craint de blesser et d’affaiblir le fort, en voulant corriger le faible. C’est pourquoi il ménage autant l’un que l’autre. Il ne veut pas qu’on croie rien de semblable, mais il s’étend longuement pour enlever jusqu’au moindre soupçon là-dessus. « Ce ne sont point les aliments qui nous recommandent à Dieu. Car si nous mangeons nous n’aurons rien de plus ; et si nous ne mangeons pas, nous n’aurons rien de moins ». Voyez-vous comme il rabat encore leur orgueil ? Après avoir dit qu’ils ne sont pas seuls à avoir la science, mais que tous l’ont ; que personne ne sait rien comme il faut le savoir, puis que la science enfle ; ensuite, après les avoir consolés, en disant que tous n’ont pas la science, qu’il en est qui se trouvent souillés, par suite de leur faiblesse, de peur qu’on ne dise : que nous importe si tous n’ont pas la science ? pourquoi un tel ne l’a-t-il pas ? pourquoi est-il faible ? de peur, dis-je, qu’on ne lui fasse ces objections, il n’en vient pas immédiatement à prouver qu’il faut s’abstenir pour ne pas scandaliser le faible ; mais, préludant de loin à cette idée, il en traite d’abord une plus importante. Laquelle ? qu’il ne faut pas faire cela, quand même personne n’en souffrirait, quand même le prochain n’en serait pas entraîné à sa ruine ; car ce serait faire une chose inutile. En effet, celui qui sait que son action est nuisible à un autre mais profitable pour lui, n’est pas très disposé à s’en abstenir ; mais il n’y a pas de peine, quand il s’aperçoit qu’il n’a aucun avantage à en retirer. Voilà pourquoi Paul dit tout d’abord : « Ce ne sont point « les aliments qui nous recommandent à Dieu ». Voyez-vous comme il réduit à rien ce qui semblait le fruit d’une science parfaite ? « Car si nous mangeons, nous n’aurons rien de plus » ; c’est-à-dire, nous n’en serons pas plus agréables à Dieu, comme si nous avions fait quelque chose de bon et dé grand. « Et si nous ne mangeons pas, nous n’aurons rien de moins », c’est-à-dire, nous n’aurons rien perdu. Il prouve ainsi d’abord que c’est une chose superflue, que ce n’est rien : car ce qui ne sert à rien quand on le fait, et ne nuit pas quand on l’omet, est évidemment superflu.
5. Ensuite il va plus loin et montre que la chose est nuisible. Il parle du tort qui en résulte pour les frères. « Mais prenez garde que cette liberté que vous avez ne soit une occasion de chute pour ceux de vos frères qui sont faibles ». Il ne dit pas : La liberté que vous avez est une occasion de chute, il ne le décide même pas, pour ne pas les rendre plus audacieux. Que dit-il donc ? « Prenez garde », pour les épouvanter et en même temps les faire rougir et les amener à s’abstenir. Il ne dit point non plus : Votre science, ce qui semblerait un éloge ; ni : votre perfection, mais : « La liberté que vous avez » : ce qui indique mieux la témérité, l’orgueil et la présomption. Il ne dit point : À vos frères, mais : « À ceux de vos frères qui sont faibles » ; aggravant ainsi l’accusation, puisqu’ils n’ont point d’égards pour les faibles, même d’entre leurs frères. Vous ne corrigez pas, vous n’excitez pas au bien, soit ! mais pourquoi supplantez-vous, pourquoi faites-vous tomber, quand vous devriez tendre la main ? Vous ne voulez pas aider, du moins ne renversez pas. Si votre frère était méchant, il aurait besoin de punition ; il est faible, il n’a besoin que de remèdes. Et il n’est pas seulement faible, il est encore votre frère. « Car si quelqu’un vous voit, vous qui avez la science, assis à table dans un temple d’idoles, sa conscience, qui est faible, ne le portera-t-elle pas à manger des viandes sacrifiées ? » Après avoir dit : « Prenez garde que cette liberté que vous avez ne soit une occasion de chute », il fait voir comment cela peut arriver. Partout il parle de faiblesse pour qu’on ne croie pas que la chose est nuisible par elle-même et que les démons sont à craindre. Votre frère, dit-il, est sur le point de renoncer complètement aux idoles ; mais, en voyant que vous vous plaisez dans leurs temples, il prend cela pour une leçon et continue à y aller. Ainsi donc le piège ne vient pas seulement de sa faiblesse, mais aussi de votre conduite déplacée ; vous le rendez plus faible.
« Ainsi, par vos aliments, périra un faible, votre frère, pour qui le Christ est mort ». Deux choses, là, rendent votre faute inexcusable : il est faible et c’est votre frère. L’apôtre en ajoute une troisième, la plus terrible de toutes. Laquelle ? C’est que le. Christ a daigné mourir pour lui, et que vous, vous n’avez point d’égards pour sa faiblesse. Par là Paul rappelle à celui qui est parfait ce qu’il était autrefois, et que le Christ est aussi mort pour lui. Il ne dit pas : Pour qui vous devriez mourir, mais, ce qui est bien plus : « Pour qui le Christ est mort ». Et, quand votre Maître a consenti à mourir pour lui, vous n’en tenez aucun compte, au point de ne pas même vous abstenir, à cause de lui, d’un repas criminel ; au point de le laisser périr, après qu’il a été racheté à ce prix ; et cela (ce qu’il y a de pire), pour des aliments ? Il ne dit pas : À cause de votre perfection, ni : à cause de votre science, mais : pour des aliments. Voilà donc quatre chefs d’accusation, et des plus graves : C’est votre frère, il est faible, le Christ l’a estimé jusqu’à mourir pour lui, et, après tout, des aliments sont l’occasion de sa perte. « Or, péchant de la sorte contre vos frères et blessant leur conscience faible, vous péchez contre le Christ ». Voyez-vous comme il a amené, insensiblement et peu à peu, ce péché à sa plus haute expression ? Il revient encore sur la faiblesse. Il fait retomber sur leur tête tout ce qu’ils croyaient être à leur avantage. Il ne dit pas : Scandalisant, mais : « Blessant », pour faire ressortir leur cruauté par l’énergie du terme. Car quoi de plus cruel qu’un homme qui frappe un malade ? Or le scandale est la plus grave des blessures : souvent il entraîne la mort.
Et comment pèchent-ils contre le Christ ? D’abord parce que le Christ regarde comme siens les intérêts de ses serviteurs ; secondement, parce que ceux qu’on blesse, appartiennent à son corps et à ses membres ; en troisième lieu, parce qu’ils détruisent, par ambition personnelle, son ouvrage, ce qu’il a édifié au prix de sa propre mort. « C’est pourquoi, si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair ». Il parle ici comme un maître excellent qui pratique lui-même ce qu’il enseigne. Il ne dit pas : à raison ou à tort, mais : de quelque manière que ce soit. Je ne parle pas, leur dit-il, de la viande immolée aux idoles, qui est interdite pour d’autres raisons : mais si quelque autre chose, d’ailleurs permise et en mon pouvoir, devient un sujet de scandale, je m’en abstiendrai, non pas un jour ou deux, mais pendant toute ma vie : « Je ne mangerai jamais de chair ». Il ne dit pas : de peur de donner la mort à mon frère, mais simplement pour ne pas le scandaliser. Car c’est le comble de la démence de mépriser des êtres si chers au Christ, pour lesquels il a voulu mourir, de les mépriser, dis-je, jusqu’au point de ne pas vouloir s’abstenir d’aliments à cause d’eux. Et ceci ne s’adresse pas seulement aux Corinthiens, mais aussi à nous, qui dédaignons le salut de notre prochain et tenons ce langage diabolique. Car dire : que m’importe, si un tel se scandalise et se perd ? C’est montrer l’inhumanité et la cruauté de Satan. Alors le scandale provenait de la faiblesse de quelques-uns ; chez nous, il n’en est pas de même. Car nous commettons des fautes qui scandalisent même les forts. En effet, quand nous frappons, quand nous volons, quand nous nous livrons à l’avarice, que nous traitons des hommes libres comme des esclaves, qui n’en est pas scandalisé ? Ne me dites pas que l’un est savetier, l’autre teinturier, un troisième maréchal ; souvenez-vous que ce sont des fidèles et vos frères. Nous sommes les disciples de pêcheurs, de publicains, de fabricants de tentes : de celui qui fut nourri dans la maison d’un artisan, et daigna avoir son épouse pour mère ; qui, enveloppé de langes, fut couché dans une crèche ; qui n’eut pas où reposer sa tête, qui marcha jusqu’à se fatiguer, et fut nourri par des étrangers.
6. Pensez à cela et croyez que le faste humain n’est rien ; que le fabricant de tentes est votre frère, comme celui qui est monté sur un char, a ses domestiques et se fait faire place dans les rues, et l’est même plus que lui. Car il semble que celui-là est plus justement appelé frère, qui se rapproche de vous davantage. Et qui ressemble le plus aux pêcheurs ? Est-ce celui qui vit de son travail quotidien, qui n’a ni domestique ni domicile, mais est de tout côté accablé par la croix ; ou celui qui est environné d’un si grand faste, et agit contrairement aux lois de Dieu ? Ne méprisez donc pas celui qui est le plus votre frère : car il est le plus rapproché du modèle des apôtres. – Ce n’est pas volontairement, dites – vous, mais malgré lui ; car il travaille bien à contre-cœur. – Pourquoi dites-vous cela ? N’avez-vous pas entendu l’ordre : « Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés ! » (Mt. 7,1) Et pour convaincre qu’il ne travaille pas malgré lui, approchez et offrez-lui dix mille talents d’or ; vous verrez qu’il les refusera. Si donc, bien qu’il n’ait point reçu les richesses de ses ancêtres, il les refuse néanmoins quand on les lut offre, et n’ajoute rien à ce qu’il possède, il donne une grande preuve de son mépris pour la fortune. Jean était fils du pauvre Zébédée ; nous ne dirons cependant pas que sa pauvreté n’était point volontaire. Ainsi, quand vous voyez un homme couper du bois, manier le marteau, tout couvert de suie, ne le méprisez pas pour cela ; admirez-le plutôt : car Pierre avait repris sa ceinture, ses filets et son métier de pêcheur, après la résurrection du Seigneur. Et que parlé-je de Pierre ? Paul, après avoir parcouru tant de contrées, opéré tant de miracles, se tenait dans son atelier de fabricant de tentes et cousait des peaux ; et les anges le vénéraient et les démons le redoutaient ; et il n’avait pas honte de dire : « Ces mains ont pourvu à mes besoins, et aux besoins de ceux qui étaient avec moi ». Que dis-je ? il n’avait pas de honte ! Il s’en glorifiait.
Mais, direz-vous, qui est aujourd’hui vertueux comme Paul ? – Personne, je le sais ; mais ce n’est pas une raison pour mépriser les vertus d’aujourd’hui. Un fidèle que vous honorez en vue du Christ, fût-il au dernier rang, est digne d’être honoré. En effet, si deux hommes, l’un général et l’autre simple soldat, tous les deux aimés du roi, venaient chez vous et que vous leur ouvrissiez votre porte, dans lequel des deux penseriez-vous le plus honorer le prince ? Évidemment c’est dans le soldat. Car le général, en dehors de l’amitié du roi, se recommande par d’autres titres à vos égards ; tandis que le simple soldat n’en a pas d’autre que l’amitié du roi. Aussi Dieu nous ordonne-t-il d’inviter à nos festins les boiteux, les estropiés, ceux qui ne peuvent rien donner en – retour, parce que ce sont là des bienfaits accordés uniquement en vue de Dieu. Mais si vous accordez l’hospitalité à un grand, à un homme illustre, l’aumône n’est pas aussi pure ; souvent la vaine gloire, l’avantage qui vous en revient, l’éclat qui en rejaillit sur vous aux yeux de la foule, y entrent pour quelque chose. J’en pourrais nommer beaucoup qui courtisent les plus illustres des saints, afin d’obtenir par leur intermédiaire plus de crédit chez les princes, et servir ainsi leurs propres intérêts et ceux de leurs maisons : ils sollicitent de ces saints beaucoup de services ; et par là ils perdent le mérite de leur hospitalité. Mais à quoi bon parler ici des saints ? Celui qui attend de Dieu même ici-bas la récompense de ses travaux et pratique la vertu en vue d’avantages présents, diminue sa récompense. Celui au contraire qui ne désire sa couronne que dans l’autre vie, est bien plus digne d’éloges : comme Lazare, qui y jouit de tous les biens ; comme les trois enfants qui, sur le point d’être jetés dans la fournaise ; disaient : « Il y a dans le ciel un Dieu qui peut nous sauver ; que s’il ne le fait pas, sachez, ô roi, que nous n’honorons pas vos dieux, et que nous n’adorons pas la statue d’or que vous avez dressée ». (Dan. 3,17) Comme Abraham qui amena et immola son fils, et cela sans espoir de récompense, ou plutôt en regardant comme une très grande récompense d’obéir à Dieu. Imitons-les. En agissant dans ce but, nous recevrons de grands biens en échange et de plus brillantes couronnes. Puissions-nous les obtenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la grâce, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXI.

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NE SUIS-JE PAS APÔTRE ? NE SUIS-JE PAS LIBRE ? N’AI-JE PAS VU JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR ? N’ÊTES-VOUS PAS MON ŒUVRE DANS LE SEIGNEUR ? (CHAP. 9, VERS. 1, JUSQU’AU VERS. 12)

ANALYSE.

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  • 1. Paul confirme, par son propre exemple, la doctrine exposée dans le chapitre précédent, savoir qu’il de ce qui est permis en soi par charité pour ses frères.
  • 2. Saint Paul a les mêmes droits que les autres apôtres«: s’il n’en use pas, c’est qu’il le veut bien.
  • 3. Que l’apôtre a le droit de recevoir le pain matériel de ceux qu’il nourrit du pain spirituel.
  • 4. Si Paul n’a rien voulu recevoir, ç’a été pour ne pas mettre d’obstacle à l’Évangile.
  • 5. Contre les avares.
  • 6. Qu’on doit faire l’aumône généreusement. – Revenus de l’Église d’Antioche distribués aux pauvres.
  • 7. Les fautes de nos pasteurs ne nous excuseront pas.


1. Il avait dit : « Si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais de chair » ; ce qu’il ne faisait pas, mais ce qu’il promettait de faire, s’il en était besoin ; et de peur qu’on ne dît : – Vous vous vantez mal à propos, vous êtes sage en paroles et de bouche seulement, ce qui n’est difficile ni à moi ni à personne ; si vous êtes sincère, faites-nous voir en fait ce que vous rejetez pour ne pas scandaliser un frère ; pour éviter, dis-je, cette objection, il est obligé d’en venir à la preuve et de dire à quelles choses permises il a renoncé, sans qu’aucune loi l’exigeât. Jusque-là rien de merveilleux peut-être ; quoiqu’on doive admirer qu’il se soit abstenu de choses licites, non seulement pour éviter le scandale, mais encore avec beaucoup de difficultés et de périls. Que faut-il dire des viandes immolées aux idoles ? demande-t-il. Quoique le Christ ait établi que ceux qui prêchent l’Évangile doivent vivre de leur ministère, je ne l’ai cependant pas fait ; j’ai préféré mourir de faim, s’il était nécessaire, subir la mort la plus cruelle, plutôt que de rien recevoir de ceux que j’instruisais. Non que les fidèles se fussent scandalisés, s’il eût accepté quelque chose de leur part ; mais il fallait les édifier, ce qui était beaucoup plus important. Et il appelle en témoignage ceux chez qui il a travaillé et souffert de la faim : nourri chez des étrangers, il a vécu dans la pénurie, pour ne pas scandaliser, bien que le scandale eût été sans fondement, puisqu’il n’aurait fait qu’accomplir la loi du Christ ; mais il avait pour eux des ménagements à l’excès. Or, s’il agissait ainsi sans que la loi l’y obligeât, afin d’éviter le scandale ; s’il s’abstenait de choses permises, pour l’édification des autres : quels châtiments mériteront ceux qui ne s’abstiennent pas de viandes immolées aux idoles, quand c’est une occasion de ruine pour un grand nombre, et qu’ils devraient le faire même en dehors de tout scandale, puisque c’est la table des démons ? C’est là le point principal et qu’il traite en bien des versets. Mais il faut reprendre les choses de plus haut. Comme je l’ai déjà dit : il ne s’explique point clairement là-dessus, il n’entre point immédiatement en matière ; mais il commence d’une autre façon, et par ces mots : « Ne suis-je pas apôtre ? » Après tout ce qui a été dit, ce n’est pas une chose indifférente que ce soit Paul qui ait fait cela. De peur qu’on ne dise Il est permis d’en manger après s’être signé, il n’insiste pas là-dessus d’abord, mais il dit quand cela serait permis, il ne faudrait pas le faire à cause du mal que cela cause à vos frères, et ensuite il prouve que cela n’est pas permis : d’abord par son propre exemple ; comme il va dire qu’il n’a rien reçu d’eux, il ne commence pas par là, mais il parle d’abord de sa dignité : « Ne suis-je pas apôtre ? ne suis-je pas libre ? » Pour qu’on ne dise pas : Si vous n’avez rien reçu, c’est que vous n’aviez pas droit de rien recevoir, il expose d’abord les raisons pour lesquelles il aurait eu le droit de recevoir, s’il l’avait voulu.
Ensuite pour ne pas paraître, en disant cela, incriminer Pierre et ceux qui l’entouraient (car eux recevaient), il prouve d’abord qu’ils avaient droit de recevoir ; puis, pour qu’on ne dise pas que Pierre avait ce droit et que lui ne l’avait pas, il prévient l’esprit de l’auditeur par ses propres louanges. Et considérant qu’il était nécessaire de faire son éloge (c’était le moyen de corriger les Corinthiens) et ne voulant d’ailleurs rien dire de trop, mais simplement ce qui suffisait à son but, voyez comme il sait ménager ce double point, en se louant lui-même, non autant qu’il l’aurait pu en conscience, mais dans la mesure que la circonstance demandait. Il pouvait dire en effet J’avais le droit de recevoir plus que tous les autres, parce que j’ai travaillé plus qu’eux ; mais il ne tient pas ce langage qui serait trop haut ; il se contente de poser les principes qui faisaient la grandeur des apôtres et leur droit à recevoir, en disant : « Ne suis-je pas apôtre ? ne suis-je pas libre ? » C’est-à-dire : Ne suis-je pas maître de moi-même ? suis-je sous la dépendance de quelqu’un qui me fasse violence et m’empêche de recevoir ? – Mais eux ont quelque chose de plus que vous : ils ont été avec le Christ. – Mais cet avantage, je l’ai eu aussi. C’est ce qui lui fait dire : « N’ai-je pas vu Jésus-Christ Notre-Seigneur ? Après tous les autres, il s’est fait voir aussi à moi comme à l’avorton ». (1Cor. 15,8) Ce n’était pas là un mince honneur. « Car beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu ». (Mt. 13,17) « Des jours viendront où vous désirerez voir un seul de ces jours ». (Lc. 17,22) – Mais quoi ! quand vous seriez apôtre et libre et que vous auriez vu le Christ, quel droit auriez-vous de recevoir si vous ne pouvez montrer l’ouvrage d’un apôtre ? Voilà pourquoi il ajoute : « N’êtes-vous pas mon œuvre dans le Seigneur ? » Voilà le grand point sans cela le reste est inutile. Car Judas était apôtre, était libre et avait vu le Christ : mais comme il ne fit pas œuvre d’apôtre, tout cela ne lui servit à rien. Voilà pourquoi Paul ajoute ces mots, et appelle les Corinthiens eux-mêmes en témoignage. Et comme il venait d’exprimer une grande chose, voyez quel correctif il y met, en disant : « Dans le Seigneur » ; c’est-à-dire, vous êtes l’œuvre de Dieu et non la mienne. « Si pour d’autres je ne suis pas apôtre, je le suis cependant pour vous ».
2. Voyez-vous comme il ne dit rien de trop ? Pourtant il pouvait parler du monde entier, des nations barbares, de la terre, de la mer ; il n’en dit pas un mot, et prouve sa thèse victorieusement, surabondamment et comme en passant. À quoi bon, dit-il, produire des arguments superflus, quand ceci suffit pour le sujet actuel ? Je ne cite point des succès obtenus chez d’autres ; vous avez été témoins de ceux dont je parle. En sorte que n’eusse-je eu ailleurs aucun droit de recevoir, du moins je l’aurais eu chez vous. Et pourtant je n’ai rien reçu de ceux chez qui j’avais le plus droit de recevoir (car j’ai été votre maître). « Si pour d’autres je ne suis pas apôtre, je le suis cependant pour vous ». De nouveau il parle en abrégé ; car il était l’apôtre du monde entier. Et pourtant, dit-il, je n’en parle pas, je ne conteste pas, je ne réclame pas : je parle de ce qui vous concerne. « Vous êtes le sceau de mon apostolat », c’est-à-dire la preuve. Si quelqu’un veut savoir mon titre à l’apostolat, je vous nomme ; chez vous j’ai donné tous les signes de l’apostolat, sans en omettre aucun c’est ce qu’il répète dans sa seconde épître « Quoique je ne sois rien, les marques de mon apostolat ont été empreintes sur vous par une patience à l’épreuve de tout, par des miracles, des prodiges et des vertus ». (2Cor. 12,11-12) Qu’avez-vous eu de moins que les autres églises ? Aussi dit-il : « Vous êtes le sceau de mon apostolat ». Car je vous ai fait voir des signes, je vous ai instruits par la parole, j’ai couru des dangers, j’ai mené une vie irréprochable. On peut voir tout cela dans ces deux épîtres, où il leur explique ces choses dans le plus grand détail.
« Ma défense contre ceux qui m’interrogent, la voici ». Qu’est-ce que cela veut dire : « Ma défense contre ceux qui m’interrogent, la voici ? » À ceux qui veulent savoir comment je suis apôtre, ou à ceux qui m’accusent d’avoir reçu de l’argent, ou à ceux qui rue demandent pourquoi je n’en reçois pas, ou à ceux qui veulent prouver que je ne suis point apôtre à tous ceux-là je donne pour preuve et pour justification l’instruction que vous avez reçue et les choses que je vais dire. Et quelles sont ces choses ? « N’avons-nous pas le pouvoir de manger et de boire ? N’avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme sœur ? » Et comment est-ce là une apologie ? Parce que quand on me voit m’abstenir de choses permises, il n’est pas juste de me soupçonner d’être un imposteur ou de travailler pour le lucre. Donc ce que j’ai dit plus haut, et l’instruction que vous avez reçue, et ce que je viens de dire tout à l’heure, suffisent à me justifier à vos yeux ; voilà mon point d’appui contre ceux qui m’interrogent ; je leur dis cela et ceci encore : « N’avons-nous pas le pouvoir de manger et de boire ? N’avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme sœur ? » Et quoique j’en aie le pouvoir, je m’en abstiens. Quoi donc ! Ne mangeait-il pas ? Ne buvait-il pas ? Souvent certes il ne mangeait ni ne buvait ; car il dit : « Nous étions dans la faim et la soif, dans le froid et la nudité ». (2Cor. 11,27) Ici pourtant il ne le dit pas. Mais que dit-il ? Ce que nous mangeons et ce que nous buvons, nous ne le recevons pas de nos disciples, bien que nous en ayons le pouvoir. « N’avons-nous pas le pouvoir de mener partout avec nous une femme sœur, comme les autres apôtres et les frères du Seigneur et Céphas ? »
Voyez sa sagesse ! il place en dernier lieu le coryphée, le chef fort entre tous les chefs. II était en effet moins étonnant de voir faire cela aux autres, qu’au premier de tous, à celui à qui ont été confiées les clefs du royaume des cieux. Du reste il ne le cite pas seul, mais tous les autres avec lui, comme pour dire : Cherchez en haut, cherchez en bas, vous trouverez que tous en donnent l’exemple. Car les frères du Seigneur, une fois délivrés de leur incrédulité, avaient pris rang parmi les plus illustres, quoiqu’ils ne fussent point parvenus au rang des apôtres. Aussi les place-t-il au milieu, entre les deux extrêmes. « Ou moi seul et Barnabé n’avons-nous pas le pouvoir de le faire ? » Voyez son humilité ! Voyez comme son âme est exempte de jalousie ! Comme il ne passe point sous silence celui qu’il savait partager son zèle ! Sien effet tout le reste nous est commun, pourquoi non ceci encore ? Comme eux nous sommes apôtres, nous sommes libres, nous avons vu le Christ, nous avons donné des preuves d’apostolat. Nous avons donc aussi le pouvoir de vivre dans le repos, et d’être nourris par les disciples. « Qui jamais fait la guerre à ses frais ? » Après avoir donné, par-la conduite des apôtres, la plus forte preuve qu’il lui est permis d’agir ainsi, il en vint aux exemples, à l’usage commun, comme il a l’habitude de le faire. « Qui jamais fait la guerre à ses frais ? » Considérez comme les exemples qu’il choisit sont bien en rapport avec son sujet ; comme il cite d’abord une carrière pleine de périls, la milice, les armes, la guerre. Car voilà ce qu’est l’apostolat et bien plus que cela encore. En effet, ils n’avaient pas seulement à combattre contre les hommes, mais contre les démons et le prince des démons. Son sens est donc : Ce que les rois du monde, bien que cruels et injustes, n’exigent pas, à savoir, que leurs soldats fassent la guerre, courent les dangers et néanmoins subsistent à leurs frais : comment le Christ l’exigerait-il ? Et il ne se borne pas à un seul exemple. Car l’esprit le plus simple et le plus épais est particulièrement satisfait quand il voit la coutume générale s’accorder avec les lois de Dieu.
3. Il passe donc à une autre comparaison et dit : « Qui plante une vigne et ne mange pas de son fruit ? » Ici il désigne les dangers, les travaux, les misères de toute sorte, les sollicitudes. Il ajoute un troisième exemple, en disant : « Qui paît un troupeau et ne mange point du lait du troupeau ? » Il indique le soin extrême que met un maître à instruire ses disciples. Et en effet les apôtres étaient soldats, laboureurs et pasteurs, non laboureurs de terre, ni pasteurs d’animaux, ni soldats se battant contre des ennemis sensibles ; mais pasteurs d’âmes raisonnables et soldats luttant contre les démons. Observons encore quelle mesure il garde en toute chose : se bornant à ce qui est utile et laissant le superflu. Il ne dit pas en effet : Qui fait la guerre et ne s’enrichit pas ? mais : « Qui jamais fait la guerre à ses frais ? » Il ne dit pas : Qui plante une vigne et n’en recueille pas de l’or ou n’en mange pas tout le fruit ? mais : « Et ne mange pas de son fruit ? » Il ne dit pas : Qui paît un troupeau et n’en vend pas les agneaux ? mais que dit-il ? « Et ne mange point de son lait ? » Non pas de ses agneaux, mais de son lait : pour montrer que le maître doit se contenter d’une légère consolation et du strict nécessaire en fait de nourriture. Ceci s’adresse à ceux qui veulent tout manger et recueillir tous les fruits. Telle est la loi posée par le Seigneur, quand il a dit : « L’ouvrier mérite sa nourriture ». (Mt. 10,10) non seulement il le prouve par des exemples, mais il fait aussi voir ce que doit être un prêtre. Le prêtre doit avoir le courage du soldat, l’assiduité du laboureur, la vigilance du berger, et, après cela, se contenter du nécessaire.
Après avoir montré par l’exemple des apôtres, puis par des comparaisons tirées de la vie commune, qu’il n’est pas défendu à un maître de recevoir de ses disciples, il passe à un troisième point et dit : « N’est-ce pas selon l’homme que je dis ces choses ? La loi même ne les dit-elle pas ? » Jusqu’ici en effet il n’a point parlé d’après les Écritures, et s’est contenté de s’appuyer sur l’usage commun. Mais ne pensez pas, dit-il, que ce soient là mes seules raisons, ni que je me règle d’après la coutume des hommes, je puis vous montrer que c’est là aussi la volonté de Dieu, et je lis ce commandement dans l’ancienne loi. Voilà pourquoi il procède par interrogation, ce qui a lieu quand la chose est connue et avouée de tous : « N’est-ce pas selon l’homme que je dis ces choses ? » C’est-à-dire : Est-ce que je m’appuie uniquement sur des principes humains ? « La loi même ne le dit-elle pas ? Car il est écrit dans la loi de Moïse : Tu ne lieras pas la bouche au bœuf qui foule les grains ». Et pourquoi rappelle-t-il cela, puisqu’il a l’exemple des prêtres ? C’est pour prouver surabondamment sors sujet. Ensuite pour qu’on ne dise pas : Que nous importe ce qu’on a pu dire des bœufs ? Il entre dans le détail en disant : « Est-ce que Dieu a soin des bœufs ? » Eh quoi ? Dieu n’aurait pas soin des bœufs ? Certainement et il en a soin, mais non au point de faire une loi pour eux. Aussi, s’il n’avait eu quelque chose d’important en vue, à savoir, de porter les Juifs à la bienfaisance et de leur parler de leurs prêtres à l’occasion des animaux, il n’eût pas pris la peine de faire une loi pour empêcher de lier la bouche aux bœufs.
Paul fait encore voir par là autre chose, les grands travaux auxquels les maîtres se livrent et doivent se livrer ; puis une autre chose encore. Laquelle ? Que tout ce qui est écrit dans l’Ancien Testament sur les soins à donner aux animaux, tend surtout à l’instruction des hommes, aussi bien que tout le reste, par exemple ce qu’on dit des divers vêtements, des vignes, des semences, de la terre dont il ne faut point changer la semence[13], de la lèpre, et de toute autre chose. Comme il s’adresse à des esprits encore trop grossiers, il cherche à les élever peu à peu. Et voyez comme il ne donne plus d’autre preuve, vu que la chose est évidente et claire par elle-même. Après avoir dit : « Est-ce que Dieu a soin des bœufs ? » Il ajoute : « N’est-ce pas plutôt uniquement pour nous qu’il dit cela ? » Ce n’est pas sans raison qu’il dit : « Uniquement », pour ne pas laisser chez l’auditeur la moindre place, à la contradiction. Et continuant sa métaphore il dit : « Car c’est pour nous qu’il a été écrit : Que celui qui laboure doit labourer dans l’espérance », c’est-à-dire, que le maître doit recevoir le salaire de ses travaux. « Et celui qui bat le grain dans l’espérance d’y avoir part ». Et voyez sa prudence ! De la semaille il passe à l’aire, pour rappeler encore les travaux des maîtres, qui sèment aussi et battent le grain. Au labour, qui n’offre que le travail et point de fruit, il rattache seulement l’espérance ; mais au battage dans l’aire il accorde un profit, en disant : « Et celui qui bat le grain a l’espérance d’y avoir part ».
4. Puis pour qu’on ne dise pas : Est-ce là le prix de si grands travaux ? il ajoute : « Dans l’espérance », à savoir l’espérance du bien à venir. Car la bouche de ce bœuf qui n’est pas liée ne crie pas autre chose sinon que les maîtres qui travaillent ont droit à une récompense. « Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous moissonnions de vos biens temporels ? » Voilà encore un quatrième argument pour prouver qu’il faut fournir des aliments. Car après avoir dit : « Qui jamais fait la guerre à ses frais ? » et : « Qui plante une vigne ? » et : « Quel berger paît ? » et parlé du bœuf qui foule le grain dans l’aire ; il produit une autre raison très juste pour prouver qu’ils ont droit à recevoir : c’est que non seulement ils ont travaillé, mais procuré des biens beaucoup plus considérables. Quelle est donc cette raison ? « Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous moissonnions de vos biens temporels ? » Voyez-vous ce motif plus juste encore et plus raisonnable que les premiers ? Là, dit-il, la semence est matérielle, et le fruit matériel ; ici, au contraire, la semence est spirituelle et la récompense matérielle. Pour que ceux qui fournissent des aliments à leurs maîtres n’en soient pas trop fiers, il leur prouve qu’ils reçoivent plus qu’ils ne donnent. Car ce que les laboureurs recueillent est de la même nature que ce qu’ils sèment ; mais nous, nous semons de la semence spirituelle dans vos âmes et nous recueillons du matériel : car tel est l’aliment que l’on fournit. Ensuite, pour les faire encore mieux rougir : « Si d’autres », leur dit-il, « usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi pas plutôt nous-mêmes ? » Nouvelle raison encore, empruntée aussi à des exemples, mais d’une nature différente. Car ici il ne parle plus de Pierre, ni des apôtres, mais de certains prédicateurs illégitimes, qu’il combattra plus tard et dont il dira : « Si on vous dévore, si on prend votre bien, si on vous traite avec hauteur, si on vous déchire le visage » (2Cor. 11,20) ; et contre lesquels il escarmouche déjà. Aussi ne dit-il pas : Si d’autres reçoivent de vous ; mais pour montrer leur orgueil, leur esprit tyrannique, leurs vues intéressées, il dit : « Si d’autres usent de « ce pouvoir à votre égard », c’est-à-dire, vous dominent, exercent le pouvoir, vous traitent comme des serviteurs, et ne se contentent pas de recevoir, mais y mettent une grande ardeur et agissent d’autorité. C’est pourquoi il ajoute : « Pourquoi pas plutôt nous-mêmes ? » Ce qu’il n’aurait pas dit s’il se fût agi des apôtres. Il est évident qu’il a en vue certains personnages dangereux et imposteurs. Ainsi donc, indépendamment de la loi de Moïse, vous avez vous-mêmes prescrit par une loi de fournir des aliments.
Mais après avoir dit : « Pourquoi pas plutôt nous-mêmes ? » il ne s’attache point à en donner ta raison ; il se contente de s ; en remettre pour la preuve à leur propre conscience, voulant tout à la fois les effrayer et les faire rougir davantage. « Cependant nous n’avons point usé de ce pouvoir », c’est-à-dire, nous n’avons rien reçu. Voyez-vous comment, après avoir d’abord prouvé par tant de raisons qu’il n’est point contraire à la loi de recevoir, il dit à la fin : Nous n’avons rien reçu, pour ne pas paraître s’en être abstenu par nécessité ? En effet, il ne dit pas : Je ne reçois rien, parce que cela est défendis ; car cela est permis, comme je l’ai démontré par bien des preuves : par l’exemple des apôtres ; par le cours ordinaire de la vie ; par le fait du soldat, du laboureur, du berger ; par la loi de Moïse ; par la nature même des choses, puisque nous avons jeté en vous des semences spirituelles ; par ce que vous avez fait à l’égard des autres. Mais comme il a dit tout cela pour ne pas avoir l’air de jeter du blâme sur la conduite des apôtres qui recevaient, et pour les faire rougir et leur montrer qu’il ne s’abstient pas de la chose parce qu’elle est défendue : de même, pour ne pas paraître n’avoir donné ces preuves détaillées et ces nombreux exemples pour démontrer qu’il est permis de recevoir, qu’afin de demander à recevoir lui-même, il apporte aussitôt un correctif. Plus bas il dit en termes plus clairs : « Je n’écris donc pas ceci pour qu’on en use ainsi envers moi » ; mais ici, il se contente de dire : « Cependant nous n’avons pas usé de ce pouvoir ».
Et ce qu’il y a de plus important, c’est que personne ne peut dire que nous n’en avons pas usé parce que nous étions dans l’abondance, puisque nous n’avons pas même cédé à la nécessité quand elle nous pressait ; ce qu’il exprime encore dans la seconde épître, en ces termes : « J’ai dépouillé les autres églises en recevant ma subsistance pour vous servir ; et quand j’étais près de vous et que je me trouvais dans le besoin, je n’ai été à charge à personne ». (2Cor. 11,8- 9) Et dans celle-ci : « Nous avons faim, nous avons soif, nous sommes nus, nous sommes souffletés ». (1Cor. 4,11) Et encore cette allusion : « Mais nous souffrons tout » ; car en disant : « Nous souffrons tout », il entend parler de la faim, d’une grande pénurie et de toutes les autres misères. Et pourtant, veut-il dire, rien de cela ne nous a fait violer la loi que nous nous sommes imposée. Pourquoi ? « Pour ne pas mettre d’obstacle à l’Évangile du Christ ». Comme les Corinthiens étaient encore trop faibles Pour ne pas vous choquer en recevant de vous, leur dit-il, nous avons mieux aimé faire plus qu’il n’est commandé, que de mettre un obstacle quelconque à l’Évangile, c’est-à-dire, à votre instruction. Si donc, malgré le pouvoir que nous en avions, malgré la pressante nécessité où nous étions placés, et l’exemple des apôtres, nous ne l’avons pas fait. « Pour ne pas mettre d’obstacle » (il ne parle pas de ruine, mais « d’obstacle », et non pas simplement d’obstacle, mais « d’un obstacle quelconque », ce qui veut dire pour ne pas apporter le moindre retard au cours de la parole) ; si nous avons déployé un tel zèle, à combien plus forte raison vous qui êtes à une si grande distance des apôtres, qui n’êtes autorisés par aucune loi, et qui touchez à des choses non seulement défendues, mais très nuisibles à l’Évangile, à combien plus forte raison devez-vous vous en abstenir, non seulement à cause de l’obstacle qui en résulte, mais parce que vous n’y voyez vous-mêmes aucune nécessité ? Car dans tout ce discours il s’adresse à ceux qui scandalisaient leurs frères trop faibles en mangeant des viandes immolées aux idoles.
5. Écoutons aussi ce langage, mes bien-aimés ; ne méprisons pas ceux qui se scandalisent, ne mettons point d’obstacle à l’Évangile du Christ, ne manquons pas notre propre salut. Quand un frère est scandalisé, ne venez pas me dire : Telle et telle chose dont on se scandalise, n’est pas défendue ; elle est permise. Je vais plus loin, moi : Quand même le Christ en personne vous l’aurait permise, si vous voyez que quelqu’un en souffre, abstenez-vous-en, n’usez pas de la permission. C’est ce que Paul a fait en ne recevant rien, quand le Christ lui permettait de recevoir. Car notre Maître est bon : il a mêlé beaucoup de douceur à ses commandements, afin que nous n’agissions seulement par ordre, mais beaucoup par notre propre volonté. Si telle n’eût pas été son intention, il aurait pu insister davantage sur ses commandements et dire : Qu’on punisse celui qui ne jeûne pas, qu’on inflige un châtiment à celui qui ne garde pas la virginité ; que celui qui ne se dépouille pas de tout ce qu’il possède soit livré au dernier supplice. Il ne l’a point fait, pour vous laisser la faculté de tendre au plus parfait, si vous en avez le désir. Voilà pourquoi il disait, en parlant de la virginité : « Que celui qui peut comprendre, comprenne » (Mt. 19,12) ; et pourquoi aussi il a commandé au riche certaines choses, en laissant le reste à son libre arbitre. En effet, il n’a pas dit : Vendez ce que vous avez ; mais « Si vous voulez être parfait, vendez ».(Id. 21) Mais nous, bien loin d’aspirer à la perfection et de dépasser les commandements, nous restons bien au-dessous de ce qui est exigé. Et Paul souffrait la faim pour ne pas mettre d’obstacle à l’Évangile ; et nous n’osons pas même toucher aux objets que nous avons mis de côté, bien que nous voyons beaucoup d’âmes se perdre. Que la teigne les ronge, dit-on, mais non le pauvre ; qu’ils soient la proie des vers plutôt que de revêtir celui qui est nu ; que le temps détruise tout, mais que le Christ meure de faim.
Et qui tient ce langage ? direz-vous. C’est une chose bien terrible que l’on parle ainsi, non de bouche, mais par les faits. On serait moins coupable de le dire que de le faire. Est-ce que ce n’est pas là ce que l’avarice, ce tyran cruel et inhumain, crie chaque jour à ses victimes ? Donnez à manger aux calomniateurs, aux voleurs, aux amateurs de plaisir, mais non à ceux qui ont faim et vivent dans l’indigence. N’est-ce pas vous qui faites les voleurs ? N’est-ce pas vous qui alimentez le feu de la jalousie ? N’est-ce pas vous qui êtes cause que l’esclave s’enfuit de chez son maître, que l’on vous tend des embûches, vous qui offrez vos richesses comme un appât ? Quelle folie est celle-là ? Car c’est une vraie folie, une démence manifeste de remplir des coffres de vêtements et de mépriser un homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, nu, grelottant de froid et pouvant à peine se tenir debout. – Mais, dites-vous, il feint de grelotter et d’être faible. – Ne craignez-vous pas que ce mot n’attire la foudre sur votre tête ? En vérité, l’indignation m’étouffe : pardonnez-moi. Quoi ! vous, adonné à la bonne chère, chargé d’embonpoint, prolongeant vos repas jusque bien avant dans la nuit, mollement vêtu, vous pensez que vous ne serez point puni d’avoir ainsi abusé des dons de Dieu ? (Car enfin, le vin n’a pas été donné pour qu’on s’enivre, ni la nourriture pour qu’on en use avec excès, ni les mets pour qu’on s’en charge outre mesure) Et vous demandez des comptes sévères à un pauvre, à un misérable, à une espèce de cadavre ; et vous ne craignez pas le terrible, le formidable tribunal du Christ ? S’il simule, c’est parce que la nécessité et l’indigence l’y forcent, c’est à cause de votre cruauté, de votre inhumanité, qui exige ces sortes de feintes et ne se laisse point toucher par la pitié. Car quel est l’homme assez malheureux, assez infortuné, pour tenir une conduite aussi inconvenante, si la nécessité ne l’y poussait ; pour subir des coups et tant de mauvais traitements, et cela pour un morceau de pain ?
Ainsi cette hypocrisie de sa part proclame partout votre inhumanité. En effet, c’est peut-être après avoir prié, supplié, déploré sa misère, après avoir couru tout le jour en gémissant et en pleurant, sans trouver ce qui lui est nécessaire, qu’il a imaginé ce moyen, qui vous déshonore et vous accuse plutôt que lui. Réduit à une telle nécessité, il est au moins digne de notre compassion ; et nous qui y poussons le pauvre, nous méritons mille châtiments. Il n’aurait pas adopté ce parti, si nous étions faciles à émouvoir. Et pourquoi parler de nudité et de froid ? J’ai à dire quelque chose de bien plus terrible : quelques-uns en sont venus à priver de la vue leurs petits enfants, pour vous exciter à la pitié. Comme leur dénuement, leur âge, leur infortune nous laissaient insensibles tant qu’ils jouissaient de la vue, ils ont ajouté cette nouvelle et plus grande calamité à tant d’autres, pour trouver un remède à leur faim : pensant qu’il valait mieux être privés de la lumière du soleil, ce bien commun à tous, que de lutter continuellement avec la faim et de subir la mort la plus triste. Parce que vous n’avez pas su avoir pitié de leur pauvreté, que vous vous en êtes amusés, au contraire, ils ont satisfait votre insatiable avidité, et allument pour eux comme pour vous une flamme plus terrible que celle de l’enfer. Et pour que vous compreniez bien que la cause en est là, je vous donnerai une preuve évidente et que personne ne pourra contredire. Il y a d’autres pauvres légers et superficiels qui ne savent pas supporter la faim et se résoudront à tout plutôt qu’à la subir. Souvent, après avoir cherché à exciter votre pitié par leurs paroles et leurs gestes, voyant qu’ils n’y gagnaient rien, ils ont quitté un rôle de suppliants, et se sont mis à imiter, à surpasser même les baladins, en mangeant des cuirs de vieux souliers, en s’enfonçant des clous aigus dans la tête, en se plongeant nus dans l’eau gelée ; d’autres ont poussé plus loin encore l’absurdité, afin d’offrir un spectacle misérable.
6. Et vous y assistez, riant et admirant, vous glorifiant pour ainsi dire des maux des autres, d’une conduite déshonorante pour la nature. Que ferait de plus le cruel démon ? Ensuite, pour les encourager à en faire davantage encore, vous leur donnez plus d’argent. Mais quand un homme prie, invoque Dieu, s’approche avec calme, vous ne daignez pas lui répondre ni le regarder ; vous lui adressez même des paroles désagréables, s’il vous presse avec importunité : faut-il que cet homme-là vive ? qu’est-il besoin qu’il respire, qu’il voie le soleil ? – Mais pour les autres vous vous montrez gai, libéral, comme si vous étiez constitué juge de ces ridicules et diaboliques turpitudes. C’est à ceux qui provoquent de tels combats et qui ne négligent rien pour faire maltraiter les autres, qu’il faudrait plutôt adresser ces paroles : Faut-il que ces gens-là vivent ? qu’ils respirent ? qu’ils voient le soleil ? eux qui violent les lois de la nature et outragent Dieu ? Dieu vous dit : Fais l’aumône et je te donnerai le royaume des cieux, et vous ne l’écoutez pas. Le démon vous montre une tête percée de clous, et vous devenez libéral. Une, ruse, et une ruse pernicieuse du méchant esprit, vous fait agir plutôt que la promesse divine, source de biens sans nombre. Quand vous devriez, même à prix d’or, empêcher ces spectacles et éviter d’en être témoin, tout souffrir, tout mettre en œuvre pour faire cesser ces folies ; vous faites tout, vous ne négligez rien, au contraire, pour qu’elles aient lieu et qu’elles se passent sous vos yeux. Demanderez-vous encore, dites-moi, pourquoi il y a un enfer ? Demandez plutôt pourquoi il n’y en a qu’un. Car quels châtiments ne méritent pas ceux qui établissent ces cruels et barbares spectacles, qui rient de choses qui devraient les faire pleurer et vous aussi, vous surtout qui forcez ces malheureux à des actions aussi indécentes ?
Mais, dites-vous, je ne les force pas. – Comment ne les forcez-vous pas, quand vous ne daignez pas même prêter l’oreille aux pauvres plus modestes, qui pleurent et invoquent Dieu, et que vous prodiguez l’argent à ceux-ci et leur attirez des admirateurs ? – Nous les quittons, dites-vous, avec la compassion dans le cœur. – Et vous exigez tout cela ! O homme, exiger tant de peines pour deux oboles, leur ordonner de se déchirer pour gagner leur nourriture, de se couper la peau de la tête si cruellement, si misérablement ; non, ce n’est pas là de la pitié. – Paix ! dites-vous, ce n’est pas nous qui perçons de clous ces têtes. – Plût au ciel que ce fût vous ! le mal ne serait pas aussi grand. Car celui qui tue quelqu’un est beaucoup plus coupable que celui qui ordonne qu’on le tue lui-même ; et c’est ce qui arrive ici. En effet, ils souffrent des douleurs plus vives quand on leur commande d’exécuter eux-mêmes ces ordres cruels, et cela à Antioche, dans la ville où les chrétiens ont pris leur nom, où se trouvaient les plus doux des hommes, où l’aumône produisait jadis des fruits si abondants. Car on n’y donnait pas seulement à ceux qui étaient présents, mais on envoyait aux absents, à de grandes distances, et cela quand on était menacé de famine. – Que faut-il donc faire ? direz-vous. – Dépouiller cette cruauté, signifier à tous les pauvres qu’ils ne recevront rien de vous tant qu’ils se conduiront ainsi ; que vous serez généreux envers eux, au contraire, s’ils se présentent avec modestie. Quand ils sauront cela, tant misérables soient-ils, je vous réponds qu’ils ne seront pas tentés de se maltraiter ainsi ; mais ils vous sauront gré de les avoir délivrés de la dérision et de la douleur.
Maintenant vous livreriez vos fils pour des cochers, vous sacrifieriez vos âmes pour des danseurs, mais pour le Christ souffrant de faim vous ne sacrifieriez pas la plus minime partie de votre fortune ; si peu que vous donniez d’argent, vous croyez avoir tout donné, sans songer que l’aumône ne consiste pas simplement à donner, mais à donner avec largesse. Aussi ce ne sont pas ceux qui donnent, mais ceux qui donnent abondamment que le prophète exalte et appelle heureux. Il ne dit pas seulement : Il a donné. Que dit-il donc ? « Il a répandu, il a donné aux pauvres ». (Ps. 3) À quoi vous sert de donner de vos richesses la valeur d’un verre d’eau puisé dans la mer, de ne pas imiter la générosité de la veuve ? Comment oserez-vous dire : Seigneur, ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde, et suivant l’étendue de votre compassion, effacez mon iniquité (Ps. 50), quand vous n’aurez point eu pitié vous-même selon la grande miséricorde, que vous n’en aurez peut-être même eu aucune ? Car je suis couvert de honte quand je vois beaucoup de riches montés sur des chevaux à frein d’or, traînant à leur suite des serviteurs chargés d’or, ayant des lits d’argent et une quantité d’autres meubles de luxe, et qui se trouvent beaucoup plus pauvres que les pauvres quand il faut donner à un mendiant.
Et quelle raison en donnent-ils souvent ? – Cet homme, disent-ils, a les ressources communes de l’Église. – Eh ! que vous importe ? Si je donne, vous n’êtes pas sauvés pour cela ; si l’Église donne, vos péchés ne sont pas effacés pour autant. Si vous vous dispensez de donner parce que l’Église doit donner aux pauvres ; vous vous dispenserez donc de prier, parce que les prêtres prient ? Vous serez toujours à table, parce que d’autres jeûnent ? Vous ne savez donc pas que Dieu a fait une loi de l’aumône moins en faveur de celui qui la reçoit qu’en faveur de celui qui la donne ? Le prêtre vous est-il suspect ? Ce serait une faute très grave ; mais je ne discute pas là-dessus ; faites tout par vous-mêmes, et vous recueillerez une double récompense. Ce que nous disons de l’aumône, nous ne le disons pas pour nous attirer vos dons, mais pour que vous les distribuiez vous-mêmes. En m’apportant vos aumônes, vous céderiez peut-être à un sentiment de vaine gloire, souvent même vous vous retireriez scandalisés et pleins de mauvais soupçons, mais en faisant tout par vous-mêmes, vous êtes à l’abri de ces inconvénients et votre récompense sera plus grande.
7. Je ne dis point ceci pour vous obliger à apporter ici votre argent, ni pour me plaindre du mal qu’on dit des prêtres. S’il faut s’indigner, s’il faut gémir, c’est sur vous qui dites ce mal. Car les victimes de la calomnie n’en seront que mieux récompensées, mais les calomniateurs doivent s’attendre au jugement et à un supplice plus terrible. Ce n’est donc pas par inquiétude et par intérêt pour les prêtres, mais pour vous, que je parle. Et quoi d’étonnant à ce que de tels soupçons envahissent certaines âmes dans notre siècle, quand au temps même de ces saints qui prenaient les anges pour modèles, de ces Hommes dépouillés de tout, des apôtres, veux-je dire, il y avait déjà des murmures à l’occasion du service des veuves, parce qu’on négligeait les pauvres ; alors que personne ne possédait rien en propre, mais que tout était en commun ? Laissons donc là ces vains prétextes, et ne pensons pas nous excuser en disant que l’Église possède beaucoup. Quand vous pensez à ces grandes ressources, rappelez-vous aussi cette foule de pauvres inscrits, cette multitude de malades, ces innombrables occasions de dépenses ; examinez, étudiez, personne ne vous en empêche, nous sommes tout prêts à vous rendre compte. Mais je veux aller plus loin. Après que nous vous aurons rendu nos comptes et démontré que nos dépenses ne sont pas moindres que nos revenus, qu’elles les dépassent même quelquefois, nous vous adresserions volontiers une question : Au sortir de cette vie, lorsque nous entendrons le Christ nous dire : « Vous m’avez vu avoir faim et vous ne m’avez pas donné à manger ; vous m’avez vu nu et vous ne m’avez pas vêtu » (Mt. 25,42), que dirons-nous ? Comment nous justifierons-nous ? Produirons-nous tel ou tel qui n’aura point obéi aux ordres, ou quelques prêtres suspects ? Est-ce que cela vous regarde ? nous dira le Christ. Je vous accuse des fautes que vous avez commises. Vous avez à vous laver de vos propres péchés, et non à me faire voir que d’autres les ont commis. C’est à cause de votre parcimonie que l’Église est obligée de conserver ce qu’elle a ; et si tout se passait selon les lois apostoliques, c’est votre bonne volonté qui devrait former ses revenus : ce qui lui serait un sûr coffre-fort, un trésor inépuisable. Mais comme vous thésaurisez pour la terre, que vous renfermez tout dans vos coffres, et qu’elle est forcée de dépenser pour les assemblées de veuves, pour les chœurs de vierges, pour les besoins étrangers, pour les malheureux voyageurs, pour les infortunés prisonniers, pour les malades et les estropiés, ou pour toutes les autres nécessités de ce genre, que faut-il faire ? Les repousser tous et fermer tous les ports ? Mais qui viendra au secours de tant de naufragés ? Qui répondra aux pleurs, aux lamentations, aux gémissements qui se font entendre de tous côtés ?
Ne parlons donc pas au hasard. À l’heure qu’il est, comme je l’ai déjà dit, nous sommes prêts à vous rendre des comptes : et quand cela ne serait pas, quand vous auriez des maîtres pervers, rapaces, avares, leur conduite coupable ne serait pas encore une excuse pour vous. Car le bon et très sage Fils unique de Dieu, qui voit tout et qui sait que dans la longue série des siècles et sur la vaste étendue du globe, il y a beaucoup de mauvais prêtres, de peur que leur négligence n’augmente la lâcheté de leurs subordonnés, et afin d’ôter tout prétexte qui en pourrait naître, a dit : « Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; ainsi faites tout ce qu’ils vous disent de faire, mais n’agissez pas selon leurs œuvres » (Mt. 23,2-3), montrant par là que, quand même vous auriez un mauvais maître, cela ne vous excuserait point de ne pas faire attention à ce qu’il dit. Car vous ne serez pas jugés d’après les actions de votre maître, mais d’après sa doctrine que vous n’avez pas suivie. Si donc vous accomplissez les commandements, vous pourrez vous présenter en toute assurance ; mais si vous dédaignez la doctrine, il ne vous servirait à rien de montrer une multitude de prêtres corrompus. Judas était apôtre, et cela n’excusera jamais les voleurs sacrilèges et les avares. Un accusé ne pourra pas dire : Il y a eu un apôtre voleur, sacrilège et traître ; ce sera au contraire une raison de plus pour nous faire condamner et livrer au supplice, de n’être pas devenus sages aux dépens des autres. Car tout cela a été écrit pour nous détourner de les imiter. Laissons donc de côté un tel et un tel, et occupons-nous de nous ; chacun rendra compte à Dieu pour lui-même. Afin que ce compte présente une vraie justification, réglons notre vie, tendons aux pauvres une main généreuse, bien convaincus que l’accomplissement des préceptes est notre seule apologie et qu’il n’y en a point d’autre. Si nous pouvons l’offrir, nous éviterons les intolérables supplices de l’enfer, et nous obtiendrons les biens futurs. Puissions-nous y parvenir tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXII.

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NE SAVEZ-VOUS PAS QUE CEUX QUI EXERCENT LES FONCTIONS SAINTES, VIVENT DU SANCTUAIRE, ET QUE CEUX QUI SERVENT À L’AUTEL ONT PART À L’AUTEL ? AINSI, LE SEIGNEUR À PRESCRIT LUI-MÊME À CEUX QUI ANNONCENT L’ÉVANGILE, DE VIVRE DE L’ÉVANGILE. (CHAP. 9, VERS. 13, 14, JUSQU’AU VERS. 23)

ANALYSE.

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  • 1. Saint Paul cite une loi positive pour mieux prouver encore son droit de vivre de l’Évangile.
  • 2. Excellence des œuvres de surérogation : qu’elles méritent une récompense à part.
  • 3. Je me suis fait tout à tous.
  • 4 et 5. Qu’il faut éviter l’hypocrisie. De la condescendance qui convient aux pasteurs. — Aimer ardemment Jésus-Christ. — Il y a plus de peine à faire le mal que le bien. — Contre les impudiques et les avares.

1. Il met un grand soin à prouver qu’il n’est pas défendu de recevoir. Non content de tout ce qu’il a déjà dit plus haut, il aborde maintenant la loi, pour offrir une démonstration plus concluante que la première. Car ce n’est pas la même chose de tirer une analogie des bœufs, ou de présenter une loi positive concernant les prêtres. Et voyez encore ici la prudence de Paul, et avec quelle dignité il traite son sujet ! Il ne dit pas : Ceux qui exercent les fonctions saintes reçoivent des offrandes. Que dit-il donc ? « Vivent du sanctuaire » ; afin que ceux qui reçoivent n’en soient point blâmés, et que ceux qui donnent ne s’en glorifient pas. De là ce qui suit. Car il ne dit pas ensuite : Ceux qui assistent à l’autel reçoivent de ceux qui livrent la victime, mais : « Ont part à l’autel ». En effet, les victimes une fois offertes n’appartenaient plus à ceux qui les avaient offertes, mais au sanctuaire et à l’autel. Il ne dit pas non plus : Reçoivent les choses consacrées, mais : « Vivent du sanctuaire », en quoi il donne une nouvelle leçon de modération, et montre qu’il ne faut pas recueillir d’argent ni s’enrichir. Et s’il dit : « Ont part à l’autel », il n’entend point parler de distribution à part égale, mais donner une consolation à qui de droit. Pourtant la condition des apôtres était bien plus élevée. Dans l’ancienne loi, le sacerdoce était un honneur ; ici, ce sont des périls, des égorgements, des meurtres. Aussi tous les autres exemples sont-ils bien au-dessous de ces paroles : « Si nous avons semé en vous des biens spirituels ».

Et par ce mot : « Nous avons semé », il entend les orages, les dangers, les embûches, les maux sans nombre qu’enduraient les prédicateurs de l’Évangile. Cependant malgré la supériorité de sa condition, il n’entend point déprimer l’ancienne loi, ni s’exalter lui-même ; mais il s’efface lui-même, et puise, non dans les périls, mais dans la grandeur du don, la raison de cette prééminence. Car il ne dit pas : Si nous avons couru des dangers, si on nous a tendu des embûches ; mais : « Si nous avons semé en vous des biens spirituels », et il relève, autant que possible, la condition des prêtres en disant. « Ceux qui exercent les fonctions saintes, et ceux qui assistent à l’autel » ; voulant rappeler leur servitude perpétuelle et leur persévérance. Après avoir parlé des prêtres juifs, des lévites et des pontifes, il indique ensuite les deux rangs, les inférieurs et les supérieurs, quand il dit, en parlant des uns : « Ceux qui exercent les fonctions saintes », et des autres : « Ceux qui assistent à l’autel ». Car tous ne remplissaient point le même office ; aux uns les services plus vulgaires, aux autres les fonctions plus relevées. Puis, les enveloppant tous ensemble, pour qu’on ne dise pas : À quoi bon rappeler l’Ancien Testament ? Ne savez-vous pas que nous avons une loi plus parfaite ? Il pose quelque chose de plus fort que tout le reste, en disant : « Ainsi le Seigneur a prescrit lui-même à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile ». Il ne dit point : D’être nourris par les hommes ; mais comme pour les prêtres de l’ancienne loi, il a dit : « Du sanctuaire et de l’autel » ; de même ici il dit : « De « l’Évangile » ; et comme là il s’est servi du mot « manger », il se sert ici du mot « vivre » ; mais non trafiquer et thésauriser. « Car l’ouvrier mérite son salaire ». (Mt. 10,10) « Pour moi, je n’ai usé d’aucun de ces droits ». — Eh quoi ! dira-t-on, si vous n’en avez pas usé jusqu’à présent, vous voulez en user à l’avenir, et c’est pour cela que vous en parlez. — À Dieu ne plaise ! Car aussitôt il apporte le correctif, en disant : « Mais je n’écris pas ceci pour qu’on en use ainsi avec moi ».

Et voyez avec quelle force il refuse et repousse ce droit ! « Car j’aimerais mieux mourir que de laisser quelqu’un m’enlever cette gloire ». Et ce n’est pas une fois ou deux qu’il emploie cette expression, mais souvent. Il avait déjà dit plus haut : « Nous n’avons pas usé de ce pouvoir » ; et y revenant encore plus bas, il dit : « Pour ne pas abuser de mon pouvoir » ; et ici : « Je n’ai usé d’aucun de ces droits ». De quels droits ? De ceux indiqués par les exemples cités : le soldat, le laboureur, le berger, les apôtres, la loi, ce que j’ai fait chez vous, ce que vous faites chez les autres, les prêtres, les commandements du Christ ; tout cela prouvait mon droit, et rien de cela n’a pu me déterminer à violer la loi que je me suis imposée de ne rien recevoir. Et ne me parlez pas du passé ; sans doute je pourrais dire que j’en ai beaucoup souffert, mais ce n’est pas là-dessus seulement que je m’appuie ; je m’engage pour l’avenir, et j’aime mieux mourir de faim que d’être privé de cette couronne. « J’aimerais mieux mourir de faim que de laisser quelqu’un m’enlever cette gloire ». Il ne dit pas : Que de laisser quelqu’un m’enlever ma loi, mais : « ma gloire ». Et pour qu’on ne dise pas qu’il fait cela sans plaisir, mais avec tristesse et chagrin, il l’appelle sa gloire, voulant montrer par là l’abondance de sa joie et sa grande allégresse. Tant s’en faut qu’il s’en attriste, qu’au contraire il s’en glorifie, et qu’il aime mieux mourir que de se priver de cette gloire. Ainsi la vie même lui était moins chère que cette situation.

2. Aussi l’exalte-t-il encore d’une autre manière, et en fait-il ressortir la grandeur, non pour en recevoir lui-même de l’éclat (on sait combien ce sentiment lui est étranger), mais pour manifester sa joie et écarter jusqu’à l’ombre du soupçon. C’est pour cela, comme je l’ai déjà dit, qu’il l’appelle sa gloire. Que dit-il donc encore ? « Car si j’évangélise, la gloire n’en est pas à moi, ce m’est une nécessité, et malheur à moi si je n’évangélise pas ! Si je le fais de bon cœur, j’en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu’à regret, je dispense seulement ce qui m’a été confié. Quelle est donc ma récompense ? C’est que, prêchant « l’Évangile, je prêche gratuitement l’Évangile du Christ, pour ne pas abuser de mon pouvoir dans l’Évangile ». Que dites-vous, Paul ? Ce n’est pas pour vous une gloire d’évangéliser, mais seulement d’évangéliser gratuitement ? Est-ce donc quelque chose de plus grand ? Non, mais c’est davantage sous un certain rapport : l’un est prescrit, et l’autre est l’effet de ma volonté. Or, ce qui se fait au-delà du commandement a par cela même un grand prix ; ce qui se fait par ordre n’en a pas autant. C’est pour cette raison, et non par la nature des choses que l’un l’emporte sur l’autre. Au fond, qu’est-ce qui égale la prédication ? Par elle on rivalise avec les anges ; cependant comme elle est un commandement et une dette, tandis que dans l’autre cas il y a acte de la bonne volonté, c’est en ce sens que nous établissons une préférence. Et c’est comme je viens de dire que Paul interprète, quand il dit : « Si je le fais de bon cœur, j’en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu’à regret, je dispense seulement ce qui m’a été confié » ; prenant ces mots : « de bon cœur », et : « à regret » dans le sens de ce qui m’a été confié, ou : ne m’a pas été confié. De même ces expressions : « Ce m’est une nécessité », ne veulent pas dire qu’il agisse malgré lui, à Dieu ne plaise ! mais qu’il en est responsable comme d’un devoir à remplir, à la différence de la liberté de recevoir dont il a parlé. Voilà pourquoi le Christ disait à ses disciples : « Quand vous aurez tout fait, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles ». (Lc. 17,10) Quelle est donc ma récompense ? « C’est que, évangélisant, je prêche gratuitement l’Évangile ». Quoi donc ? Et Pierre, dites-moi, n’a pas de récompense ? Qui en a jamais eu une pareille ? Et les autres apôtres ? Comment a-t-il pu dire : « Si je le fais de bon cœur, j’en aurai la récompense, mais si je ne le fais qu’à regret, je dispense seulement ce qui m’a été confié ? »

Voyez-vous encore ici sa prudence ? Il ne dit pas : Si je ne le fais qu’à regret, je n’aurai pas de récompense ; mais : « Je dispense seulement ce qui m’a été confié » ; montrant par là qu’il aura une récompense, mais celle de l’homme qui a exécuté un ordre, et non celle de celui qui agit de son propre mouvement, et plus que n’exige la loi. Quelle est donc la récompense ? « C’est que, prêchant l’Évangile, je prêche gratuitement l’Évangile, pour ne pas abuser de mon pouvoir dans l’Évangile ». Voyez-vous comme il emploie toujours ce mot de pouvoir, pour prouver ce que j’ai dit bien des fois, que ceux qui reçoivent ne sont point blâmables ? Il a ajouté : « Dans l’Évangile », pour spécifier, et en même temps empêcher qu’on ne donne trop d’extension au principe. Car c’est celui qui enseigne, et non celui qui ne fait rien qui doit recevoir. « Aussi, lorsque j’étais libre à l’égard « de tous, je me suis fait l’esclave de tous, pour en gagner un plus grand nombre ». Autre avantage ! C’est beaucoup sans doute de ne rien recevoir, mais ce qu’il va dire est encore beaucoup plus. Qu’est-ce donc ? non seulement, dit-il, je n’ai rien reçu, non seulement je n’ai pas usé de ce pouvoir, mais je me suis fait esclave, et dans tous les genres et dans les sens les plus variés. Et ce n’est pas seulement en argent, mais ce qui est bien plus, en toutes sortes de choses que j’ai donné des preuves de cette servitude volontaire ; je me suis fait esclave, alors que je n’étais soumis en rien à personne, et qu’aucune nécessité ne m’y forçait : car c’est le sens de ces mots : « Lorsque j’étais libre à l’égard de tous ». Je me suis fait l’esclave, non pas d’un homme, mais de l’univers entier ; c’est pourquoi il ajoute : « Je me suis fait l’esclave de tous ». J’avais sans doute reçu l’ordre de prêcher, d’annoncer ce qui m’était confié ; mais ces négociations, ces sollicitudes sans nombre ont été l’effet de mon zèle. J’étais seulement obligé de distribuer l’argent déposé en mes mains ; mais pour en obtenir, je mettais tout en œuvre, et je faisais plus qu’il ne m’était commandé. Comme il agissait en tout librement, avec allégresse et par amour pour le Christ, il avait un insatiable désir du salut des hommes.

C’est pour cela qu’il franchissait les barrières par un généreux excès, et s’élançait à travers tous les obstacles jusqu’au ciel. Après avoir parlé de son esclavage, il en détaille les modes divers. Quels sont-ils ? « Je me suis fait », dit-il, « comme Juif avec les Juifs, pour gagner les Juifs ». Et comment cela ? Quand il donnait la circoncision, pour détruire la circoncision. C’est pourquoi il ne dit pas : Juif », mais : « Comme Juif », par prudence. Que dites-vous ? Le héraut du monde entier, qui a touché le ciel même, en qui la grâce a jeté un tel éclat, daigne s’abaisser jusqu’à ce point ? Oui. Mais s’abaisser ainsi, c’est s’élever. Ne voyez pas seulement ici son abaissement, mais songez qu’il relève celui qui est à terre et qu’il l’attire à lui. « Avec ceux qui sont sous la loi comme si j’eusse été sous la loi, quoique je ne fusse plus assujetti à la loi, pour gagner ceux qui étaient sous la loi ».

3. Ou c’est une explication de ce qu’il a d’abord dit, ou il a quelque autre chose en vue ; appliquant le mot Juifs à ceux qui l’étaient dès le commencement, et entendant par « ceux qui sont sous la loi », les prosélytes ou ceux qui étant devenus fidèles, restaient encore attachés à la loi. Car ils n’étaient plus comme les Juifs, et cependant ils étaient sous la loi. Et comment Paul était-il sous la loi ? Quand il se rasait, quand il sacrifiait. Non qu’il fît cela pour avoir changé de conviction, car c’eût été un mal, mais par condescendance de charité. Pour convertir ceux qui pratiquaient encore sincèrement ces rites, il s’y prête lui-même, non sincèrement, mais par forme, n’étant pas Juif et n’agissant point de cœur. Et comment l’aurait-il pu, lui qui s’efforçait de convertir les autres ? En s’y prêtant, il voulait les délivrer de cet abaissement. « Avec ceux qui étaient sans loi, comme si j’eusse été sans loi ». Ceux-ci n’étaient ni des Juifs, ni des chrétiens, ni des Grecs, mais des gens en dehors de la loi, comme Corneille et autres de ce genre. En venant à eux, il feignait en bien des points de leur ressembler. Quelques-uns pensent qu’il fait ici allusion à la discussion qu’il avait eue avec les Athéniens, à l’occasion de l’inscription d’un autel, et que c’est pour cela qu’il dit : « Avec ceux qui étaient sans loi, comme si j’eusse été sans loi ». Ensuite, pour qu’on ne crût point voir là un changement d’opinion, il ajoute : « Quoique je ne fusse pas sans la loi de Dieu, mais que je fusse sous la loi du Christ » ; c’est-à-dire, quoique je ne fusse pas sans loi, mais que je fusse sous une loi, et une loi plus sublime que la loi ancienne ; sous la loi de l’Esprit et de la grâce ; c’est pourquoi il ajoute : « Du Christ ».

Après les avoir ainsi rassurés sur ses sentiments, il rappelle le fruit de sa condescendance, en disant : « Afin de gagner ceux qui étaient sans loi ». Partout il donne la raison de cette condescendance ; il ne s’en tient même pas là, car il dit : « Je me suis rendu faible avec les faibles, pour gagner les faibles ». Il dit ceci pour eux et en dernier lieu ; et c’est la raison même de tout ce qu’il a dit. Le reste était beaucoup plus important, mais ceci était plus personnel ; c’est pourquoi il le place en dernier lieu. Il en a fait autant avec les Romains, quand il les blâmait à propos d’aliments, et aussi en beaucoup d’autres circonstances. Ensuite pour ne pas perdre le temps en trop longs détails, il dit : « Je me suis fait tout à tous pour en sauver au moins quelques-uns ». Voyez-vous l’hyperbole ? « Je me suis fait tout à tous », non dans l’espoir de les sauver tous, mais pour en sauver au moins un petit nombre. J’ai déployé un zèle, j’ai subi un ministère qui auraient dû suffire à les sauver tous, sans espoir cependant de triompher d’eux tous : grande entreprise d’une âme ardente. En effet, le semeur semait partout et ne sauvait pas toute sa semence, mais il faisait tout son possible. Après avoir parlé du petit nombre de ceux qu’il a sauvés, il ajoute ce mot : « Au moins », pour consoler ceux qui s’affligeraient en pareil cas. Car s’il n’est pas possible de sauver toute la semence, il n’est pas possible non plus qu’elle périsse toute. Aussi ajoute-t-il : « Au moins », parce qu’il faut de toute nécessité qu’un si grand zèle ne soit pas sans résultat. « Ainsi je fais toutes choses pour l’Évangile, afin d’y avoir part », c’est-à-dire, pour paraître y avoir contribué de moi-même et prendre part à la couronne réservée aux fidèles. Comme il disait plus haut : « Vivre de l’Évangile », c’est-à-dire, aux frais de ceux qui croient, ainsi dit-il ici : « Afin d’y avoir part », c’est-à-dire, afin de partager avec ceux qui auront cru à l’Évangile. Voyez-vous son humilité ? Comment, après avoir travaillé plus que tous les autres, il se range parmi la foule pour avoir part à la récompense ? Il est clair que sa part sera plus grande. Pourtant il ne se juge pas digne du premier rang ; il se contente de partager la couronne avec les autres. Et s’il parle ainsi, ce n’est pas qu’il ait agi en vue d’un prix quelconque, mais afin de les attirer et de les déterminer par ces espérances, à tout faire pour leurs frères. Voyez-vous sa prudence ? Voyez-vous l’étendue de son zèle, comment il a fait plus que la loi n’exigeait, en ne recevant rien, quand il lui était permis de recevoir ? Voyez-vous son extrême condescendance ? Comment étant sous la loi du Christ, sous la loi suprême, il a été comme sans loi avec ceux qui étaient sans loi ; comme Juif avec les Juifs, paraissant le premier de tous dans ces deux points et triomphant de tous ? Faites-en autant, et ne croyez pas déchoir de votre haute position quand vous vous résignez à quelque chose de bas en faveur d’un frère ; car ce n’est pas là déchoir, mais condescendre. Celui qui tombe est à terre, et a peine à se relever ; celui qui descend, remontera et avec beaucoup de profit ; comme Paul qui est descendu seul, et est remonté avec le monde entier, non pas pour avoir agi en hypocrite, car s’il eût été hypocrite, il n’aurait pas travaillé au bien de ceux qu’il a sauvés. L’hypocrite cherche la ruine des autres ; il se masque pour recevoir et non pour donner. Il n’en est pas ainsi de Paul mais comme le médecin s’accommode à son malade, le maître à son élève, le père à son fils, pour faire du bien et non pour nuire, ainsi fait-il.

4. Pour preuve que son langage n’était point hypocrisie, et rien ne l’obligeait à parler ou à agir avec dissimulation, mais seulement l’expression de ses dispositions et de sa confiance, entendez-le dire : « Ni vie, ni mort, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni choses présentes, ni choses futures, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu, qui est dans le Christ Jésus Notre-Seigneur ». (Rom. 8,38-39) Voyez-vous cet amour plus brûlant que le feu ? Aimons le Christ ainsi ; et c’est facile, si nous le voulons. Car Paul n’était pas tel par nature. Sa première conduite, si opposée à celle-ci, a été rapportée pour nous apprendre que c’est là l’œuvre du libre arbitre, et que tout est facile à ceux qui veulent. Ne désespérons donc pas. Si vous êtes médisant, avare ou entaché de tout autre vice, songez que Paul a été blasphémateur, persécuteur, insolent en paroles, le plus grand des pécheurs, et que tout à coup il est monté au faîte de la vertu sans que sa conduite antérieure y fît obstacle. Et encore, personne ne met autant d’acharnement à se livrer au vice qu’il en mit à persécuter l’Église. Car alors il sacrifiait son âme, et il s’affligeait de n’avoir pas mille mains pour lapider Étienne. Et encore, il trouva le moyen de se servir de celles des faux témoins, en gardant leurs vêtements. Et quand il entrait dans les maisons, il s’élançait comme une bête fauve, traînant et déchirant hommes et femmes, remplissant tout de tumulte, de trouble, et de combats. Il était si terrible que, même après son admirable conversion, les apôtres n’osaient encore s’attacher à lui. Et néanmoins, après tout cela, il est devenu ce qu’il est devenu ; il n’est pas besoin d’en dire davantage. Où sont donc ceux qui opposent au libre arbitre de notre volonté la nécessité du destin ? Qu’ils écoutent cela et qu’ils se taisent. Rien n’empêche de devenir bon celui qui le veut, eût-il été d’abord des plus méchants. Et nous y sommes d’autant plus aptes, que la vertu est dans notre nature et le vice contre notre nature, de même que la maladie et la santé.
En effet, Dieu nous a donné des yeux, non pour porter des regards impurs, mais pour admirer ses œuvres et adorer leur auteur. L’aspect même des objets nous preuve que telle est la destination de nos yeux. Nous voyons la beauté du soleil et du ciel à travers un espace infini ; personne ne verrait d’aussi loin la beauté d’une femme. Voyez-vous que notre œil est particulièrement destiné au premier usage ? De même, Dieu nous a donné l’ouïe, non pour entendre des blasphèmes, mais des enseignements salutaires. Aussi quand elle est frappée d’un son désagréable, l’âme et le corps même restent dans la torpeur. Il est écrit : « La parole de celui qui jure beaucoup, fait dresser les cheveux sur la tête ». Si nous entendons quelque chose de dur, d’inhumain, nous frissonnons ; si, au contraire, c’est quelque chose d’harmonieux et d’humain, nous en sommes joyeux et satisfaits. Quand notre bouche profère des paroles inconvenantes, elle produit la honte et la rougeur ; si elle dit des choses honnêtes, elle les prononce avec calme et en pleine liberté. Or, personne ne rougit de ce qui est conforme à la nature, mais seulement de ce qui lui est contraire. Et les mains à leur tour se cachent quand elles volent, et cherchent une excuse ; quand elles donnent l’aumône, elles sont fières. Si donc nous le voulions, nous aurions de toutes parts une grande inclination pour la vertu. Si vous me parlez du plaisir que le vice procure, souvenez-vous que la vertu en procure un plus grand. Car avoir une bonne conscience, être admiré de tout le monde, espérer de grands biens, c’est le plus doux de tous les plaisirs pour quiconque connaît la nature du plaisir ; de même le contraire est la plus grande douleur pour qui connaît la nature de la douleur, comme par exemple, d’être déshonoré aux yeux de tout le monde, de devenir son propre accusateur, de trembler et de redouter les maux présents et à venir.
5. Pour rendre tout cela plus clair, supposons un homme marié qui séduit la femme de son voisin, et en jouit clandestinement et injustement ; opposons-lui-en un autre qui aime sa propre femme ; et pour rendre la victoire plus grande et plus évidente, supposons que celui-ci qui ne jouit que de sa femme, aime pourtant la femme adultère, mais contient sa passion et ne fait rien d’illicite. En réalité, cette affection, même contenue, n’est pas exempte de péché ; mais c’est une pure hypothèse que nous faisons pour vous faire sentir le plaisir attaché à la vertu. Rapprochons-les ensuite et interrogeons-les pour savoir lequel mène l’existence la plus douce vous entendrez l’un se glorifier et triompher de la victoire qu’il a remportée sur sa passion ; et l’autre… il n’y a pas même besoin d’attendre de lui aucune réponse : car vous le verrez, à travers ses mille dénégations, plus malheureux que l’homme aux fers. En effet, il craint tout le monde, tout lui est suspect : et sa propre femme, et l’époux de l’adultère, et l’adultère elle-même, et ses proches, et ses amis, et ses parents, et les murs, et les ombres et lui-même ; et, ce qu’il y a de plus terrible encore, sa conscience réclame et aboie chaque jour. Et s’il songe au tribunal de Dieu, il a peine à se tenir debout. Le plaisir est court ; mais la douleur qui le suit est perpétuelle : le soir, la nuit, dans la solitude, dans la ville, partout l’accusateur le suit, lui montre la pointe du glaive, des tourments insupportables, et le fait sécher de frayeur. Mais celui, au contraire, qui a su se contenir, dégagé de tous ces maux, vit en liberté, voit sans crainte sa femme, ses enfants, ses amis, et peut promener partout un regard assuré. Or, si un homme qui aime et pourtant contient sa passion, jouit d’un si grand contentement ; est-il un port plus doux, une mer plus calme, que l’âme de celui qui n’éprouve pas même cette affection et reste dans les limites d’une parfaite chasteté ? Aussi trouverez-vous peu d’adultères et un plus grand nombre de personnes vivant dans la continence. Or, si le crime procurait plus de plaisir, c’est lui que la foule choisirait. Ne me parlez pas de la crainte des lois ; car ce n’est pas là ce qui retient, mais l’extrême inconvenance du fait, une somme de douleurs excédant celle du plaisir et aussi la voix de la conscience.
Voilà l’adultère. Maintenant, si vous le voulez, faisons paraître l’avare ; mettons à nu un autre amour coupable. Nous le verrons encore partageant les mêmes craintes et incapable de jouir d’un plaisir pur. En pensant à ses victimes, à ceux qui en ont pitié, à l’opinion que l’on a de lui, il est comme agité par la tempête. Et ce n’est pas encore tout : il ne peut pas même jouir de ce qu’il aime. Si ceci vous semble une énigme, écoutez quelque chose de pire et de plus embarrassant : non seulement les avares sont privés de la jouissance de ce qu’ils ont, en ce qu’ils n’osent en user à leur volonté, mais encore en ce qu’ils n’en sont jamais rassasiés et qu’ils ont toujours soif. Qu’y a-t-il de plus pénible ? Mais il n’en est pas ainsi de l’homme juste ; il est exempt de terreur, de haine, de crainte, il n’est point tourmenté de cette soif insatiable ; comme l’avare est l’objet de l’exécration universelle, il est béni par tous ; comme l’avare n’a point d’amis, lui n’a point d’ennemis.
Cela posé (et tout le monde en convient) qu’y a-t-il de plus désagréable que le vice et de plus doux que la vertu ? En dissions-nous mille fois davantage, nous ne pourrions exprimer la douleur qui s’attache à l’un et le plaisir qui résulte de l’autre, jusqu’à ce que nous en ayons fait l’épreuve. Nous trouverons que le vice est plus amer que le fiel, quand nous aurons goûté le miel de la vertu. Même ici-bas, il est désagréable, pénible, douloureux, et ceux qui s’y livrent n’en disconviennent pas ; mais c’est quand nous l’avons quitté que nous sentons le mieux l’amertume de ses commandements. Rien d’étonnant toutefois à ce que la foule coure à lui ; puisque les enfants choisissent souvent ce qu’il y a de moins doux, repoussent ce qu’il y a de plus agréable ; puisque les malades pour une jouissance d’un moment se privent d’une satisfaction plus durable et plus sûre. C’est là l’effet de la faiblesse et de la folie des amateurs, et non de la nature des choses. Car l’homme heureux c’est celui qui pratique la vertu, qui est vraiment riche, vraiment libre. Et si quelqu’un accorde tout le reste à la vertu : la liberté, la sécurité, l’exemption des soucis, de toute crainte, de tout soupçon, et lui refuse le plaisir, celui-là est à mes yeux souverainement ridicule. Qu’est-ce donc que le plaisir, sinon l’exemption de la crainte, du chagrin, la parfaite indépendance ? Lequel est heureux, s’il vous plaît, de l’homme furieux, agité, tourmenté par de nombreuses passions, toujours hors de lui-même, ou de celui qui est à l’abri de tous les orages et se tient calme dans sa sagesse comme dans un port ? N’est-ce pas évidemment celui-ci ? Or c’est là le propre de la vertu. En sorte que le vice n’a que le nom de plaisir et non la chose ; avant la jouissance, c’est une fureur et non un plaisir ; et après la jouissance, le plaisir s’éteint aussitôt. Si donc, ni avant ni après, on n’y rencontre le plaisir, où et quand s’y trouve-t-il ? Pour éclaircir le sujet, donnons un exemple, et faites-y attention : quelqu’un aime une femme jeune et belle ; tant qu’il ne l’a pas, il ressemble à un furieux, à un fou ; dès qu’il l’a obtenue, sa passion s’éteint. Or si tout d’abord c’était une fureur, et non un plaisir ; si ensuite l’usage du mariage émousse l’aiguillon, où se trouvera le plaisir ? Mais il n’en est pas ainsi chez nous ; dès l’abord nous sommes sans trouble, et notre satisfaction persévère jusqu’à la fin ; elle n’a point de terme. Réfléchissant à cela, embrassons la vertu si nous aimons le plaisir, afin de jouir des biens présents et des biens futurs. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même temps qu’au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE XXIII.

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NE SAVEZ-VOUS PAS QUE CEUX QUI COURENT DANS LA LICE, COURENT TOUS, MAIS QU’UN SEUL REMPORTE LE PRIX ? (CHAP. 9, VERS. 24, JUSQU’AU VERS. 12 DU CHAP. X)

ANALYSE.

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  • 1. Si saint Paul use de condescendance, s’il se fait tout à tous, il a ses vues, son but à atteindre, il veut gagner des âmes ; mais ceux d’entre les Corinthiens qui vont s’asseoir à la table des idoles, qu’y peuvent-ils gagner pour eux et pour les autres ?
  • 2. De même qu’il n’a servi de rien aux Juifs d’être comblés des bienfaits de Dieu, ainsi les dons du Saint-Esprit seront-ils inutiles aux Corinthiens sans la pureté de la conduite et des mœurs.
  • 3. Que l’intempérance mène à l’impudicité.
  • 4. Que les peines futures seront éternelles.
  • 5. Que le repentir est aussi inutile dans l’autre monde que plein d’efficacité dans celui-ci.
  • 6. Comparaison des avares avec ceux qui cherchent l’or dans les entrailles de la terre.

1. Après avoir montré que la condescendance est très utile, qu’elle est le sommet de la perfection, qu’il en a lui-même usé plus que les autres, parce qu’il a tendu plus que tous à la perfection, et qu’il l’a même dépassée, en ne recevant rien ; après avoir spécifié les occasions favorables pour l’une et pour l’autre, c’est-à-dire, pour la perfection et la condescendance, il les pique plus au vif en insinuant que ce qui se fait chez eux et qu’ils prennent pour de la perfection n’est qu’un travail vain et superflu. Il ne s’exprime cependant pas aussi clairement, pour ne pas les pousser à l’insolence ; mais il fait ressortir sa pensée des preuves qu’il apporte. Après avoir dit qu’ils pèchent contre le Christ, qu’ils perdent leurs frères, que la science parfaite ne leur est d’aucun profit si la charité ne s’y joint, il revient aux exemples vulgaires, et dit : « Ne savez-vous pas que ceux qui courent dans la lice courent tous ; mais qu’un seul remporte le prix ? » Il ne veut pas dire qu’un seul homme entre tous doive être sauvé, loin de là ! mais que nous devons déployer un grand zèle. Car comme dans la multitude de ceux qui descendent dans la lice, il n’y en a pas beaucoup qui soient couronnés, mais un seul, et qu’il ne suffit pas d’entrer en lice, ni de se frotter d’huile et de lutter ; de même ici il ne suffit pas de croire et de combattre d’une façon quelconque, mais si nous ne courons pas de manière à rester irréprochables jusqu’au bout, et si nous n’atteignons pas le prix, nous n’aurons rien fait. Si vous vous imaginez, leur dit-il, être parfaits quant à la science, vous n’avez cependant pas encore tout ; et c’est ce qu’il insinue en disant : « Courez donc de telle sorte que vous le remportiez ». Ils ne l’avaient donc pas encore remporté. Après avoir dit cela, il indique la manière de le remporter : « Quiconque combat dans l’arène, s’abstient de toutes choses ». Qu’est-ce que cela veut dire : « De toutes « choses ? » Il ne s’abstient pas d’une chose, pour faire excès dans un autre ; mais il réprime la gourmandise, l’impudicité, l’ivrognerie, en un mot toutes les passions : Voilà, dit-il, ce qui s’observe dans les combats extérieurs. Il n’est pas permis aux combattants de s’enivrer au moment de la lutte, ni de commettre la fornication, de peur qu’ils n’épuisent leurs forces, ni de se livrer à aucune autre occupation ; mais s’abstenant absolument de tout, ils s’adonnent uniquement aux exercices gymnastiques. Or s’il en est ainsi là où un seul obtient une couronne, à plus forte raison cela doit-il être là où la récompense est plus abondante. Car on n’en couronne pas rien qu’un, et les récompenses sont bien au-dessus des travaux. Aussi les fait-il rougir en disant : « Eux, pour recevoir une couronne corruptible ; nous, une incorruptible. Pour moi je cours aussi, mais non comme au hasard ». Après les avoir fait rougir par des exemples pris au-dehors, il se met lui-même en scène, ce qui est la meilleure manière d’instruire. Aussi le fait-il partout. Que signifient ces mots : « Non au hasard ? » c’est-à-dire, en fixant l’œil sur un but, et non, comme vous, inutilement et sans but. Car à quoi vous sert d’entrer dans les temples des idoles, et de vous vanter de votre perfection ? À rien. Ce n’est pas ainsi que j’agis ; mais tout ce que je fais, je le fais pour le salut du prochain ; si je fais preuve de perfection, c’est pour lui ; si je condescends, c’est pour lui encore ; si je vais plus loin que Pierre en ne recevant rien, c’est pour qu’il ne se scandalise pas ; si je condescends plus que tous les autres, jusqu’à me faire circoncire et à me raser, c’est pour ne pas lui devenir une pierre d’achoppement. Voilà ce que veut dire : « Non au hasard ». Mais vous, dites-moi, pourquoi mangez-vous dans les temples d’idoles ? Vous n’en pouvez donner aucun motif raisonnable. Car ce ne sont point les aliments qui nous recommandent à Dieu : si vous mangez, vous n’avez rien de plus ; si vous ne mangez pas, vous n’avez rien de moins. Vous courez donc sans but et sans réflexion, et c’est ce que veut dire : « Au hasard. Je combats, mais non comme frappant l’air ».

Ceci fait encore allusion à ces mots au hasard et en vain, et veut dire : j’ai quelqu’un sur qui frapper, le diable ; mais vous, vous ne le frappez pas, vous épuisez inutilement vos forces. En attendant il parle comme étant chargé d’eux. Après les avoir précédemment traités avec une grande rudesse, il se modère de nouveau et réserve le grand coup pour la fin de son discours. Ici, en effet, il leur reproche d’agir au hasard et inconsidérément ; mais plus bas il leur démontre qu’ils jouent leur propre tête, et que, outre le tort qu’ils font au prochain, ils ne sont pas innocents dans leur témérité. « Mais je châtie mon corps et le réduis en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même « réprouvé ». Ici il leur fait voir qu’ils sont esclaves de la gourmandise, qu’ils lui lâchent la bride, et que, sous prétexte de perfection, ils satisfont leur goût pour la table ; ce qu’il avait peine à leur insinuer plus haut, quand il disait : « Les aliments sont pour l’estomac, et « l’estomac pour les aliments ». Car, comme la bonne chère amène la fornication et que l’idolâtrie en est le fruit, il a raison d’attaquer souvent cette maladie. En exposant ce qu’il a souffert pour l’Évangile, il le fait aussi entrer en ligne de compte. Car, dit-il, comme j’ai dépassé les commandements, ce qui n’était pas chose facile (« Nous supportons tout », a-t-il dit plus haut) ; de même il m’en coûte beaucoup pour vivre dans la tempérance. Quoique la gourmandise soit un tyran difficile à vaincre, cependant je la bride, je ne me livre point à elle et je supporte tout pour ne pas me laisser entraîner.

2. Mais ne pensez pas que j’y réussisse sans peine. C’est une course, c’est un combat multiple, c’est une tyrannie sans cesse renaissante et demandant sa liberté ; mais je ne la subis point ; je la comprime, au contraire, et je la dompte avec beaucoup de peine. Il dit ceci pour que personne ne se décourage de lutter en faveur de la vertu, à cause des difficultés de la lutte ; c’est ce qui lui fait dire « Je châtie » et : « Je réduis en servitude ». Il ne dit pas : Je tue, ni : Je punis ; car la chair n’est point ennemie ; mais : « Je châtie » et « Je réduis en servitude » : ce qui est le langage d’un maître, et non d’un ennemi ; d’un précepteur, et non d’un homme qui hait ; d’un instituteur, et non d’un adversaire. « De peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé ». Or si Paul a craint, après avoir instruit tant de monde ; s’il a craint, après avoir prêché, mené la vie d’un ange, et dominé l’univers ; que dirons-nous ? Ne pensez pas, leur dit-il, qu’il vous suffise de croire pour être sauvés. Car si la prédication, l’instruction, la conversion d’une multitude d’hommes ne suffisent pas à me sauver, à moins que je ne me montre irréprochable, beaucoup moins pouvez-vous l’espérer. Puis il passe à d’autres exemples ; comme il a parlé plus haut des apôtres, de l’usage commun, des prêtres, de lui-même, il parle ici des combats olympiques, puis de sa personne encore, et revient aux histoires de l’Ancien Testament. Mais comme son langage doit être plus sévère, il donne son avis en général, et ne traite pas seulement de son sujet actuel, mais de toutes les maladies dont souffrent les Corinthiens.
À propos des combats profanes, il a dit : « Ne savez-vous pas ? » Mais ici il dit : « Car je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères ». Il leur fait entendre par là qu’ils ne sont pas très instruits sur ce sujet. Qu’est-ce donc que vous ne voulez pas nous laisser ignorer ? « Que nos pères ont été sous la nuée, et qu’ils ont traversé la mer ; qu’ils ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer ; qu’ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et bu le même breuvage spirituel (car ils buvaient de la pierre spirituelle qui les suivait ; or cette pierre était le « Christ) ; cependant la plupart d’entre eux ne « furent pas agréables à Dieu ». Et pourquoi dit-il cela ? Pour prouver que comme il n’a servi de rien aux Juifs de recevoir un si grand bienfait, ainsi il leur sera inutile d’avoir reçu le baptême et d’avoir participé aux mystères spirituels, s’ils ne mènent une vie digne de la grâce. C’est pourquoi il rappelle les types du baptême et des mystères. Que veut dire : « En Moïse ? » Nous sommes baptisés dans la foi au Christ et à sa résurrection, et comme devant participer aux mêmes mystères ; (nous sommes baptisés pour les morts, dit-il plus bas [I Cor. 15,29], c’est-à-dire, pour nos corps) ; ainsi les Juifs se fiant à Moïse, c’est-à-dire, le voyant entrer le premier dans les eaux, osèrent aussi y entrer après lui. Mais voulant rapprocher le type de la vérité, il ne s’exprime pas ainsi ; il emploie le langage de la réalité, même en parlant de la figure : car le passage de la mer était le symbole du baptême ; et ce qui suivit, le symbole de la Table sainte. En effet, comme vous mangez le corps du Maître, ainsi les Juifs mangeaient la manne ; et comme vous buvez le sang, ainsi buvaient-ils l’eau de la pierre. Car quoique ces faits fussent sensibles, ils avaient cependant un sens spirituel, non par l’effet de la nature, mais par la grâce du don ; et ils nourrissaient l’âme en même temps que le corps, en la conduisant à la joie. Aussi ne parle-t-il point de la nourriture ; là, en effet, il n’y avait pas seulement changement dans la manière de la donner, mais encore dans la nature : c’était de la manne ; quant au breuvage, comme le mode de production était seul extraordinaire, et avait seul besoin de preuve, c’est pour cela qu’il dit : « Ils buvaient le même breuvage spirituel », en ajoutant : « Or cette pierre c’était le Christ ».
Car la nature de la pierre n’était pas de donner de l’eau, autrement l’eau aurait déjà jailli auparavant ; mais il y avait une autre pierre spirituelle qui faisait tout, c’est-à-dire, le Christ toujours présent au milieu d’eux et auteur de tous ces prodiges. Aussi dit-il : « Qui le suivait ». Voyez-vous la sagesse de Paul, comme il montre le Christ agissant des deux côtés et rapproche ainsi la figure de la réalité ? Celui, dit-il, qui faisait ces, dons aux Juifs est le même qui nous a préparé cette table ; celui qui les a conduits à travers la mer Rouge, est celui qui vous a amenés par le baptême ; celui qui leur fournissait de la manne et de l’eau, vous donne son corps et son sang. Voilà ce qui concerne ses dons ; voyons maintenant la suite, et s’il les a épargnés, quand ils se sont montrés indignes de ses dons. Vous ne sauriez le dire. Aussi ajoute-t-il : « Cependant la plupart d’entre eux ne furent pas agréables à Dieu », bien qu’il leur eût fait un tel honneur. Mais cela ne leur servit à rien et la plupart d’entre eux périrent. Au fait tous périrent ; mais pour ne pas avoir l’air de prophétiser un désastre universel, il dit : « La plupart ». Or ils formaient une grande multitude ; mais le nombre ne leur servit à rien ; tous ces bienfaits étaient des signes d’amour ; mais cela encore leur fut inutile, parce qu’ils ne rendirent point amour pour amour. Comme beaucoup ne croient point à ce qu’on dit de l’enfer, il leur prouve par les faits que Dieu punit les pécheurs, même après les avoir comblés de bienfaits. Si vous ne croyez point à l’avenir, leur dit-il, au moins vous ne refuserez pas de croire au passé.
3. Considérez donc que de bienfaits Dieu leur avait accordés : il les avait délivrés de l’Égypte et de la servitude qu’ils y subissaient, il avait ouvert la mer, il avait fait tomber la manne du ciel, il avait fait jaillir dès sources d’une manière étrange et incroyable : il les accompagnait partout, faisant des prodiges et leur servant de défenseur ; et pourtant, quand ils ne surent pas répondre à tant de bonté, il ne les ménagea pas, mais il les fit tous périr. « Car ils succombèrent dans le désert », dit-il : exprimant d’un seul mot leur ruine universelle, les châtiments divins, et la perte pour tous du prix proposé. Car ce ne fut pas dans la terre de promission que Dieu les traita ainsi, mais au-dehors et bien loin : leur infligeant ainsi un double châtiment, celui de ne point voir la terre promise et celui d’être sévèrement punis. Mais, direz-vous, qu’est-ce que cela nous fait ? Cela nous regarde ; aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Or toutes ces choses ont été « des figures de ce qui nous regarde ». Comme les dons étaient des figures, ainsi les châtiments en étaient-ils ; comme le baptême et la table sainte étaient indiqués d’avance, ainsi les punitions qui suivirent ont-elles été écrites pour nous, à l’effet de nous apprendre que ceux qui se rendront indignes du bienfait seront punis, et pour nous rendre plus sages par de tels exemples. Aussi l’apôtre ajoute-t-il « Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises comme eux les convoitèrent ». Car comme, en ce qui regarde les bienfaits, la figure a précédé et la réalité a suivi ; ainsi en sera-t-il pour les châtiments. Voyez-vous comme il nous fait voir que non seulement les coupables seront punis, mais qu’ils le seront plus sévèrement que les Juifs ? Car si d’un côté est la figure et de l’autre la réalité, il faut nécessairement que la punition soit beaucoup plus grande, comme l’a été le bienfait.

Et voyez sur qui il frappe d’abord : Sur ceux qui mangent des viandes immolées aux idoles. Après avoir dit. « Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises », ce qui était général, il en vient à l’espèce, en, montrant que tout péché vient d’un désir coupable, et il dit en premier lieu : « Et que vous ne deveniez point idolâtres, comme quelques-uns d’eux, selon qu’il est écrit : Le peuple s’est assis pour manger et boire, et s’est levé pour se divertir ». Entendez-vous comme il les appelle idolâtres ? Ici il se contente d’affirmer ; plus tard il prouvera. Il donne la raison pour laquelle on courait à ces tables : c’était par gourmandise. C’est pourquoi après avoir dit : « Afin que nous ne convoitions pas les choses mauvaises », en ajoutant : « Et que vous ne deveniez point idolâtres », il indique l’origine de ce crime, à savoir la gourmandise. « Car le peuple s’est assis pour manger et boire » ; puis il donne la fin : « Et s’est levé pour se divertir ». Comme les Juifs, dit-il, passèrent de la bonne chère à l’idolâtrie, il est à craindre qu’il ne vous en arrive autant. Voyez-vous comme il fait voir que ces prétendus parfaits sont plus imparfaits que les Juifs ? Et il les blesse en montrant non seulement qu’ils ne soutiennent pas la faiblesse des faibles, mais encore en faisant voir que ceux-ci pèchent par ignorance et eux par gourmandise ; et il dit que les forts paieront par leur punition la perte des faibles, et il ne leur permet point de se décharger de leur responsabilité, mais les déclare coupables de leur propre perte et de celle des autres. « Ne commettons point la fornication comme quelques-uns d’entre eux la commirent ».

Pourquoi mentionne-t-il encore la fornication, après en avoir déjà tant parlé ? C’est l’usage de Paul, quand il accuse de beaucoup de péchés, de les disposer par ordre et de les suivre en détail ; puis, à propos des derniers, de revenir aux premiers ; comme Dieu lui-même dans l’Ancien Testament, reprochait le veau d’or aux Juifs à l’occasion de toutes leurs fautes et en ramenait sans cesse le souvenir. Ainsi Paul fait ici : il rappelle la fornication, pour montrer qu’elle était aussi l’effet de la bonne chère et de la gourmandise. C’est pourquoi il ajoute : « Ne commettons pas la fornication comme quelques-uns d’entre eux la commirent, et il en tomba vingt-trois mille en un seul jour ». Et pourquoi ne parle-t-il pas de la punition de l’idolâtrie ? On parce qu’elle était claire et connue ; ou parce qu’elle ne fut pas aussi grande alors que du temps de Balaam, quand les Juifs furent initiés aux mystères de Béelphégor et que les femmes madianites se montrèrent sur le champ de bataille pour les provoquer à la débauche, selon le conseil de Balaam. Que ce mauvais conseil provînt de Balaam, Moïse nous l’apprend quand il dit à la fin du livre des Nombres : « Dans la guerre contre Madian, ils tuèrent Balaam fils de Béor parmi les blessés. Et Moïse se fâcha et dit : Pourquoi avez-vous pris les femmes vivantes ? Ce sont elles qui sont devenues une pierre d’achoppement pour les enfants d’Israël selon le conseil de Balaam, de sorte qu’ils firent défection et méprisèrent la parole du Seigneur à cause de Phégor ». (Nom. 31,14-16) « Ne tentons point le Christ comme quelques-uns d’entre eux le tentèrent, et ils périrent par les serpents ».

4. Par ceci il fait allusion à un autre grief dont il parle encore à la fin, les accusant de disputer sur les signes, et de murmurer à l’occasion des épreuves en disant : Quand viendront les biens ? Quand viendront les récompenses ? Et c’est pour les en corriger et les effrayer qu’il dit : « Ne murmurez point comme quelques-uns d’entre eux murmurèrent, et ils périrent par l’exterminateur ». Car on ne nous demande pas seulement de souffrir pour le Christ, mais de supporter les événements avec courage et avec grande joie. C’est là toute la couronne ; en dehors de cela, ceux qui auront souffert à contre-cœur seront punis. Voilà pourquoi les apôtres se réjouissaient d’avoir été battus de verges, et Paul se glorifiait dans les afflictions. « Or toutes ces choses leur arrivaient en figure ; et elles ont été écrites pour nous être un avertissement, à nous pour qui est venue la fin des temps ».
Il les épouvante encore en parlant de la fin, et les prépare à attendre un avenir plus terrible que le passé. De tout ce qui a été exposé, dit-il, il est clair que nous serons punis, cela est évident même pour ceux qui ne croient pas à l’enfer ; et que la punition sera plus grave, cela résulte de ce que nous avons reçu plus de bienfaits et de ce que ces châtiments n’étaient que des figures. Si les dons sont plus grands, nécessairement les punitions le seront aussi. Voilà pourquoi il appelle les anciennes punitions des figures et dit qu’elles ont été écrites pour nous ; puis il rappelle le souvenir de la fin, pour éveiller la pensée de la consommation. Car les châtiments alors ne seront plus comme ceux-là qui avaient une fin et disparaissaient ; mais ils seront éternels. Comme les peines de cette vie passent avec la vie même, ainsi celles de l’autre monde ne finiront jamais. Quand il parle de « la fin des temps », il veut simplement dire que, le terrible jugement est proche. « Que celui donc qui croit être ferme prenne garde de tomber ». Ici il abat encore l’orgueil de ceux qui s’enflaient de leur science. Si ceux qui avaient reçu de tels bienfaits ont été ainsi punis, si d’autres l’ont été pour avoir simplement murmuré, d’autres pour avoir offert des tentations, et parce que le peuple ne craignait plus Dieu, bien qu’il eût été si favorisé ; à bien plus forte raison nous en arrivera-t-il autant, si nous ne veillons sur nous. Il a donc raison de dire : « Que celui qui se croit ferme ». Car avoir confiance en soi, ce n’est pas être ferme comme on doit l’être ; avec cela, on tombe vite ; les Juifs n’auraient pas subi un tel sort, s’ils avaient été humbles, et non orgueilleux et pleins de confiance. Il est donc clair que la source de ces maux sont d’abord la présomption, puis la négligence et la gourmandise.
Si donc vous êtes ferme, prenez garde de tomber. Car être ferme ici-bas ce n’est pas l’être solidement, tant que nous ne serons pas débarrassés des orages de cette vie et que nous n’aurons pas abordé au port : Ne soyez donc pas trop fier d’être ferme, mais prenez garde à la chute. Si Paul, le plus ferme des hommes, a craint, à bien plus forte raison devons-nous craindre nous-mêmes. L’apôtre disait : « Que celui qui croit être ferme prenne garde de tomber » ; et nous, nous ne pouvons pas même dire cela, puisque presque tous sont déjà tombés, abattus, étendus à terre. Car à qui parlerai-je ? Est-ce à celui qui vole tous les jours ? Mais il a fait une lourde chute. Est-ce au fornicateur ? Mais il est couché sur le sol. Est-ce à l’ivrogne ? Mais lui aussi est à bas, et il ne s’en aperçoit pas même. En sorte que ce n’est pas le temps de tenir ce langage, mais bien plutôt celui que le prophète adressait aux Juifs, quand il leur disait : « Est-ce que celui qui tombe ne se relève pas ? » (Ps. 40,4) Car tous sont à terre, et ne veulent pas se relever. Nos exhortations ne tendent donc plus à empocher de tomber, mais à donner à ceux qui sont tombés la force de se relever. Relevons-nous donc, enfin, mes bien-aimés, quoiqu’il soit bien tard, relevons-nous et tenons-nous debout solidement. Jusqu’à quand resterons-nous couchés ? Jusqu’à quand resterons-nous ivres, appesantis par la convoitise des biens temporels ? C’est bien le cas de dire maintenant : À qui parlerai-je ? Qui prendrai-je pour témoin ? Tous sont si bien devenus sourds à l’enseignement de la vérité ! Et ils se sont par là attiré tant de maux ! Si on pouvait voir les âmes à nu, on aurait dans l’Église le spectacle que présente un champ de bataille après le combat : des morts et des blessés.
C’est pourquoi je vous en prie et vous en conjure : tendons-nous la main les uns aux autres et relevons-nous. Car moi aussi je suis du nombre des blessés et de ceux qui ont besoin de la main qui applique les remèdes. Cependant ne désespérez pas pour cela ; si les blessures sont graves, elles ne sont pas incurables. Notre médecin est si puissant ! sondons seulement nos plaies ; et fussions-nous tombés au plus profond du vice, il nous ouvrira bien des voies de salut. D’abord, si vous pardonnez au prochain, vos péchés vous seront remis. « Si vous remettez aux hommes leurs offenses », nous dit Jésus-Christ, « votre Père céleste vous remettra aussi les vôtres ». (Mt. 6,14) Si vous faites l’aumône, il vous pardonnera vos péchés : « Rachetez », est-il écrit, « vos iniquités au moyen de l’aumône ». (Dan. 4,24) Si vous priez avec ferveur, vous serez encore pardonné, comme nous le voyons par l’exemple de la veuve qui fléchit, à force d’instances, un juge inhumain. Si vous accusez vos péchés, vous recevrez de la consolation : « Accusez d’abord vos fautes, afin que vous soyez justifié ». (Is. 43,26) Si vous en êtes triste, ce sera encore un remède très efficace ; car il est écrit : « J’ai vu qu’il était affligé, qu’il s’en allait triste, et j’ai corrigé ses voies ». (Is. 57,17-18) Si vous supportez l’adversité avec patience, vous serez quitte de tout. C’est ce qu’Abraham dit au mauvais riche : « Lazare a reçu les maux et maintenant il est consolé ». (Lc. 16,25) Si vous avez pitié de la veuve, vous vous laverez de vos péchés ; car il est écrit : « Rendez justice à l’orphelin, faites droit à la veuve et venez discuter avec moi : quand vos péchés seraient rouges comme l’écarlate, je les rendrai blancs comme la neige ; fussent-ils de la couleur du safran, je les rendrai blancs comme la laine ». (Is. 1,17-18) Dieu ne laisse pas même paraître la cicatrice.
5. Quand nous serions réduits aux dernières extrémités comme celui qui avait dissipé son patrimoine et qui vivait de glands, pourvu que noua fassions pénitence, nous serons certainement sauvés ; dussions-nous dix mille talents, pourvu que nous demandions grâce et que nous oubliions les injures, tout nous sera remis ; fussions-nous égarés comme la brebis qui s’est écartée du bercail, il saura nous ramener, pourvu que nous le voulions, mes bien-aimés : car Dieu est bon. Aussi s’est-il contenté de voir à ses genoux celui qui lui devait dix mille talents ; de voir le prodigue revenir, et la brebis égarée consentir à être rapportée. Considérant donc l’étendue de sa bonté, rendons-le-nous propice ; prosternons-nous devant sa face en faisant l’aveu de nos fautes, de peur qu’au sortir de ce monde, nous trouvant sans excuse, nous ne soyons livrés au dernier supplice. Si nous montrons de la diligence pendant cette vie, une diligence quelconque, nous en retirerons un très grand profit ; mais si nous nous en allons sans nous être améliorés, l’amer repentir que nous éprouverons dans l’autre vie ne nous servira de rien. C’était dans l’arène qu’il fallait combattre, et non après la lutte finie, se livrer à des lamentations et à des larmes inutiles, à l’exemple de ce mauvais riche qui pleurait et gémissait, mais en pure perte, parce qu’il avait négligé de le faire à temps. Et il n’est pas le seul ; il y a encore aujourd’hui beaucoup de riches de ce genre, qui ne veulent pas mépriser les richesses, mais qui négligent leur âme ; ils sont pour moi un sujet d’étonnement, quand je les vois solliciter continuellement la miséricorde divine et cependant persévérer dans des dispositions qui les rendent incurables, et traiter leur âme comme une ennemie.
Ne nous faisons point d’illusion, mes bien-aimés, ne nous faisons point d’illusion, et ne nous trompons pas nous-mêmes au point de demander à Dieu d’avoir pitié de nous, pendant que nous préférons à cette pitié l’argent, la volupté, tout en un mot. Si quelqu’un vous constituait juge, et disait que celui qu’il accuse, méritant mille fois la mort et pouvant se racheter au moyen d’un léger sacrifice d’argent, aime cependant mieux mourir que de faire ce sacrifice, vous ne jugeriez certainement pas l’accusé digne d’indulgence ni de pardon. Appliquez-vous ce raisonnement : voilà ce que nous faisons réellement, quand nous négligeons notre salut et ménageons notre argent, Comment pouvez-vous prier Dieu de vous épargner, quand vous ne vous épargnez pas vous-même, et préférez l’argent à votre âme ? Aussi je me sens frappé d’un extrême étonnement quand je considère combien il y a de prestige dans l’argent, ou plutôt de déception dans les âmes qui s’y attachent. Il y en a pourtant, oui, il y en a qui rient de bon cœur de cette séduction. Qu’y a-t-il donc là de propre à nous fasciner ? n’est-ce pas de la matière, une matière inanimée, éphémère ? Sa possession n’est-elle pas incertaine ? n’est-elle pas pleine de craintes et de périls ? Une occasion de meurtres et d’embûches ? Une source d’inimitié et de haine ? de paresse et de vices nombreux ? N’est-ce pas de la terre et de la cendre ? Quelle folie que celle-là ! quelle maladie ! Mais, dirait-on, il ne s’agit pas seulement d’accuser ces malades, mais de les guérir de leur passion. Et comment les guérir, sinon en leur montrant que cette passion est ignoble et qu’elle entraîne des maux incalculables ?
Mais il n’est pas aisé de convaincre un homme attaché à ces puérilités. – Il faut donc lui présenter une autre beauté. – Mais étant encore malade, il ne voit pas la beauté incorporelle. – Offrons-lui-en donc une corporelle et disons-lui : Voyez les prairies et les fleurs qui les émaillent, plus éclatantes que l’or, plus gracieuses et plus brillantes que toutes les pierres précieuses ; voyez les ruisseaux limpides, les fleuves sortant de terre sans bruit, comme de l’huile ; montez au ciel et voyez la beauté du soleil, le modeste éclat de la lune, les fleurs des étoiles. – Qu’est-ce que cela ? direz-vous. Nous n’en usons pas comme de l’argent. – Nous en usons bien plus que de l’argent, puisque le besoin en est plus grand et la jouissance plus sûre. Car vous n’avez pas peur qu’on vous les enlève comme l’argent ; vous pouvez compter dessus, et cela – sans souci, sans inquiétude. Que si vous vous affligez d’en jouir avec d’autres, de ne pas les posséder seul comme l’argent : alors ce n’est plus l’argent que vous aimez, ce me semble, mais l’avarice seule ; vous n’aimeriez pas même l’argent, si tout le monde en avait. Puisque nous avons découvert l’objet de votre passion, c’est-à-dire, l’avarice, venez que je vous montre combien elle vous hait et vous déteste, que de glaives elle aiguise contre vous, combien de gouffres elle creuse sous vos pieds, combien de pièges elle vous tend, combien de précipices elle vous ouvre, afin que vous étouffiez votre affection pour elle. Et d’où saurons-nous tout cela ? Des chemins, des guerres, de la mer, des tribunaux. En effet, elle emplit la mer de sang, elle rougit souvent le glaive des juges, elle arme elle-même ceux qui tendent jour et nuit des embûches sur les routes, elle porte à méconnaître les lois de la nature, elle fait les parricides, elle a introduit tous les maux dans le monde.
6. Aussi Paul l’appelle-t-il la racine de tous les maux. Elle réduit des amants à une condition qui n’est guère préférable à celle des condamnés aux mines. En effet, comme ceux-ci travaillent continuellement enfermés dans les ténèbres, chargés de fers et sans profit pour eux ; ainsi les avares,.enfouis dans les cavernes de l’avarice, sans que personne les y oblige, se créent à eux-mêmes leur tourment, se chargent volontairement de chaînes que rien ne peut briser. Encore les condamnés se reposent-ils de leurs travaux, quand vient le soir ; mais les avares creusent leurs misérables mines jour et nuit : ceux-là ont une mesure de travail déterminée ; les avares ne connaissent point de mesure, et sont d’autant plus malheureux qu’ils creusent davantage. Et si vous me dites que les tins travaillent par force et les autres volontairement, vous indiquez par là même ce qu’il y a de terrible dans l’avarice, puisque, ceux qui en souffrent ne peuvent pas s’en débarrasser, vu qu’ils l’aiment. Comme le pourceau dans la fange, ils prennent plaisir à se vautrer dans la bourbe infecte de la cupidité, bien plus malheureux que ces condamnés dont nous parlions tout à l’heure. Pour vous convaincre que leur condition est pire, écoutez ce qu’est celle des uns et des autres. On dit donc que le terrain aurifère renferme dans ses sombres cavernes des coins et des recoins ; on donne au condamné à ces durs travaux une lampe et un hoyau ; puis il entre, portant aussi un vase qui distille l’huile goutte à goutte dans sa lampe, parce que, comme je l’ai déjà dit, les ténèbres pour lui sont continuelles. Le moment de prendre sa misérable nourriture vient et on dit qu’il l’ignore ; mais le gardien frappe violemment sur l’antre, et par le bruit et les éclats de sa voix, avertit les travailleurs que la fin du jour est arrivée. Ne frissonnez-vous pas en entendant tout cela ? Voyons cependant si le sort des avares n’est pas pire encore.
Leur passion est pour eux un gardien bien plus terrible, d’autant plus terrible, qu’elle enchaîne leur âme en même temps que leur corps. Leurs ténèbres sont encore plus affreuses ; car elles ne sont pas sensibles, ils les produisent eux-mêmes et les traînent partout avec eux. Pour eux, la vue de l’âme est éteinte. Aussi le Christ les proclame-t-il malheureux entre tous, en disant : « Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes que seront-elles ? » (Mt. 6,23) Les condamnés ont au moins une lampe qui brille, les avares en sont privés ; aussi tombent-ils chaque jour dans mille gouffres. Les condamnés respirent au moins quand la nuit descend ; ils goûtent le calme commun à tous les malheureux, le calme de la nuit ; mais l’avarice ferme ce port à ses victimes : tant sont nombreux les soucis qui les accablent pendant la nuit. Ils se tourmentent alors avec d’autant plus de liberté que personne ne les gêne. Voilà ce qu’ils souffrent sur la terre ; mais comment peindre ce qu’ils souffriront dans l’autre monde ! Ces fournaises insupportables, ces fleuves de feu, ces grincements de dents, ces chaînes que rien ne peut briser, ce ver empoisonné, ces ténèbres absolues, ces maux qui n’auront point de fin ? Craignons donc, mes bien-aimés, craignons la source de tant de supplices, cette passion insatiable, la ruine de notre salut. Car on ne peut aimer en même temps son âme et l’argent. Comprenons que l’argent n’est que terre et poussière, qu’il nous quitte au sortir de ce monde, souvent même avant le départ, qu’il nous nuit pour l’avenir et pour le présent. Car, même avant l’enfer et ses supplices, il nous enrage dans mille combats, il allume les séditions et les guerres.
Point de brouillon comme l’avarice ; rien de si appauvrissant pour le riche comme pour le pauvre. Car elle prend racine même dans l’âme des pauvres, et rend encore plus lourde leur pauvreté. Si un pauvre est avare, ce n’est plus par la fortune, mais par la faim qu’il est puni. Car il ne peut pas même se résoudre à jouir librement du peu qu’il a ; mais il torture son estomac par la faim, punit son corps par la nudité et le froid, est plus sale et plus crasseux que ceux qui sont dans les fers ; il pleure et se lamente sans cesse, comme étant le plus malheureux des hommes, quand même il y en aurait par milliers de plus pauvres que lui. S’il paraît en public, il n’en sort que chargé de coups ; s’il entre aux bains ou au théâtre, il sera plus maltraité encore, non seulement de la part des spectateurs, mais de la part des acteurs, quand il verra des prostituées toutes brillantes d’or. S’il navigue en mer, en songeant aux marchands, aux navires chargés, à d’immenses profits, il se croira à peine vivant ; s’il voyage sur terre, en pensant aux campagnes, aux domaines voisins des villes, aux hôtelleries, aux établissements de bains, aux revenus que tout cela produit, il ne pourra croire que sa vie soit une véritable vie. Si vous le renfermez chez lui, en grattant les blessures qu’il a reçues sur la place il s’affligera encore davantage ; il ne verra pas d’autre consolation dans les maux qui l’obsèdent, que la mort, le départ de ce monde. Tel sera le sort, non seulement du pauvre, mais aussi du riche affecté de cette maladie, et de celui-ci d’autant plus que le joug tyrannique lui pèse davantage et que son ivresse est plus grande. Aussi se croit-il le plus pauvre de tous et l’est-il réellement. Car la richesse et fa pauvreté ne se mesurent pas sur ce que l’on possède, mais sur les dispositions de l’âme ; et celui-là est le plus pauvre de tous, qui désire toujours davantage et ne peut jamais éteindre ce coupable désir. Pour toutes ces raisons, fuyons donc l’avarice, la mère de la pauvreté, la perte de l’âme, l’amie de l’enfer, l’ennemie du royaume des cieux, ta source de tous les maux à la fois ; et méprisons l’argent, afin de jouir de l’argent lui-même et avec lui des biens qui nous sont promis. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. l’abbé DEVOILE.

HOMÉLIE XXIV.

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AUCUNE TENTATION NE VOUS A ENCORE ÉPROUVÉS, SI CE N’EST UNE TENTATION HUMAINE ; DIEU EST FIDÈLE, ET IL NE SOUFFRIRA PAS QUE VOUS SOYEZ TENTÉS AU-DELÀ DE VOS FORCES, MAIS IL VOUS FERA TIRER AVANTAGE DE LA TENTATION MÊME AFIN QUE VOUS PUISSIEZ PERSÉVÉRER. (CHAP. 10, VERS. 13, JUSQU’AU VERS. 25)

ANALYSE.

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  • 1. Dieu ne nous envoie pas des tentations au-dessus de nos forces. — De l’Eucharistie.
  • 2. De la communion avec Jésus-Christ. — Beau développement sur l’union de la société chrétienne en Jésus-Christ.
  • 3. Sainteté, puissance du corps de Jésus-Christ ; mouvement chaleureux d’éloquence.
  • 4. Images saisissantes qui prouvent avec quel respect on doit s’approcher de Jésus-Christ.

1. Il vient de leur inspirer une sage terreur, il vient de leur rappeler d’anciens exemples ; il les a inquiétés en leur disant : « Que celui qui paraît ferme, prenne garde de tomber » ; on sait d’ailleurs qu’ils avaient supporté un grand nombre d’épreuves, qu’ils y avaient souvent trouvé des sujets d’exercices ; car, dit l’apôtre lui-même, « tant que j’ai été parmi vous, j’y ai toujours été dans un état de faiblesse, de crainte et de tremblement » (1Cor. 11, 3) ; il s’ensuit que les Corinthiens auraient pu dire : pourquoi nous inspirer de la terreur, nous remplir de crainte ? nous ne sommes pas sans expérience des maux ; nous avons été chassés ; nous avons souffert la persécution ; nous avons couru sans trêve ni repos mille et mille dangers ; et l’apôtre leur répond, pour réprimer leur orgueil : « Aucune tentation ne vous a encore éprouvés, si ce n’est une tentation humaine », c’est-à-dire, faible, de peu de durée, proportionnée à vos forces. Il appelle humain ce qui est petit ; c’est ainsi qu’il dit : « Je vous parle humainement, à cause de la faiblesse de votre chair ». (Rom. 6,19) Donc, ne vous exaltez pas, comme si vous aviez triomphé de la tempête ; vous n’avez pas encore vu le péril qui menace de mort, l’épreuve qui nous montre le glaive prêt à nous égorger. C’est ainsi qu’il disait aux Hébreux : « Vous n’avez et pas encore résisté, jusqu’à répandre votre sang, en combattant contre le péché ». (Héb. 12,4) Que fait-il ensuite, après les avoir effrayés ? Voyez comme il les redresse ; il vient de leur persuader la modestie, et il leur dit : « Dieu est fidèle, et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ». Il y a donc des tentations qui ne se peuvent supporter ? Quelles sont-elles ? Toutes les tentations pour ainsi dire, car le pouvoir de supporter est dans la volonté de Dieu, qui se détermine selon nos propres dispositions. Aussi, pour nous prouver, nous montrer qu’il nous est impossible, sans le secours de Dieu, de supporter, non seulement les tentations trop fortes pour nous, mais même les tentations humaines, dont il parle ici, Paul ajoute : « Il vous fera tirer avantage de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer ».

Même les tentations médiocres, je l’ai déjà dit, ce n’est pas par notre vertu propre que nous les supportons ; même dans ces circonstances, nous avons besoin du secours de Dieu, pour les traverser et, avant de les traverser, pour en soutenir le choc ; car c’est Dieu qui donne la patience, et qui procure la prompte délivrance ; ce n’est que par Dieu que la tentation se peut supporter ; c’est ce que l’apôtre a indiqué par ces paroles : « Il fera que vous pourrez persévérer » ; l’apôtre attribue tout à Dieu. « C’est pourquoi, mes très chers frères, fuyez l’idolâtrie (14) ». Il les traite encore une fois avec douceur, en leur donnant le nom de frères ; et il se hâte de les affranchir de l’idolâtrie ; il ne se borne pas à dire : retirez-vous de, mais, « Fuyez » ; et il appelle l’idolâtrie par son nom ; et ce n’est pas seulement à cause du scandale, qu’il ordonne de repousser l’idolâtrie, mais c’est que l’idolâtrie en elle-même est une peste qui fait des ravages. « Je vous parle comme à des personnes sages, jugez vous-mêmes de ce que « je dis (15) ». Il vient de parler d’une faute grave, il a chargé l’accusation de toute la gravité de ce nom, l’idolâtrie ; pour ne pas exaspérer les fidèles par des discours insupportables, il leur livre ses paroles à juger, et c’est d’une manière obligeante qu’il leur dit « Soyez juges ; je vous parle », dit-il, « comme à des personnes sages » ; langage d’un homme qui a toute confiance dans sa cause et dans son droit ; de cette manière il fait l’accusé juge de l’accusation. Voilà qui relève l’auditeur ; on ne lui impose ni ordre ni loi ; on le consulte, on a l’air d’attendre son jugement. Ce n’était pas ainsi que Dieu parlait aux Juifs insensés et frivoles ; il ne leur rendait pas toujours compte de ses prescriptions ; il se contentait de leur dicter ses ordres. Ici, au contraire, parce que nous jouissons d’une liberté supérieure, on nous consulte, on nous parle comme à des amis. Je n’ai pas, dit-il, besoin d’autres juges ; c’est à vous à décider de ce que je dis, c’est vous que je prends pour juges. « N’est-il pas vrai que le calice de bénédictions, que nous bénissons, est la communion du sang de Jésus-Christ (16) ? »

Que dites-vous, ô bienheureux Paul ? C’est pour la confusion de l’auditeur, sans doute, qu’en rappelant les redoutables mystères, vous appelez calice de bénédictions, ce calice terrible, et fait pour inspirer la crainte ? Oui certes, répond l’apôtre, car il ne s’agit pas d’une chose indifférente ; quand je dis « Bénédictions », je déploie tous les trésors de la bonté de Dieu, et je rappelle ses magnifiques présents. Nous aussi, nous passons en revue les ineffables bienfaits de Dieu, et tous les biens dont il nous fait jouir, lorsque nous lui offrons ce calice, lorsque nous communions, lui rendant grâces d’avoir délivré le genre humain de l’erreur, d’avoir rapproché de lui ceux qui en étaient éloignés, d’avoir fait, des désespérés, des athées de ce monde, un peuple de frères, de cohéritiers du Fils de Dieu. C’est pour rendre grâces de ces bienfaits et d’autres bienfaits du même genre, que nous nous approchons de Dieu. Quelle contradiction ne faites-vous pas voir, dit l’apôtre, ô Corinthiens, vous qui bénissez le Seigneur de vous avoir affranchis des idoles, et qui courez de nouveau à leurs festins. « N’est-il pas vrai que le calice de bénédictions, que nous bénissons, est la communion du sang de Jésus-Christ ? » Langage tout à fait conforme à la foi, et en même temps terrible, car voici ce qu’il veut dire : ce qui est dans le calice, c’est précisément ce qui a coulé de son côté, et c’est à cela que nous participons. Et maintenant il l’appelle calice de bénédictions, parce que nous l’avons dans les mains, lorsque nous célébrons le Seigneur avec admiration et pénétrés de crainte en méditant sur ses dons ineffables, en le bénissant d’avoir répandu son sang pour nous tirer de l’erreur, et non seulement de l’avoir répandu, mais de nous l’avoir, ce même sang, distribué à tous, comme s’il nous disait : Si vous désirez m’offrir du sang, n’ensanglantez pas les autels des idoles, en égorgeant des animaux ; ensanglantez mon autel de mon propre sang. Quoi de plus fait que ce langage, pour inspirer la terreur, pour inspirer l’amour ?

2. C’est ce que font ceux qui aiment, quand ils voient l’objet aimé, dédaignant leurs dons, préférer ceux des étrangers. Ils lui offrent ce qu’ils ont, afin de détacher son cœur de tous les autres présents. Mais les amants de ce monde prouvent leur générosité en donnant de l’argent, des vêtements, des objets quelconques, personne ne donne son sang. Le Christ, au contraire, le donne, prouvant ainsi l’intérêt qu’il nous porte et l’ardeur de son amour. Dans l’ancienne loi, les hommes, étant plus loin de la perfection, offraient du sang aux idoles, et Dieu daignait agréer ce même sang pour les écarter des idoles. Cela même était la preuve d’un amour ineffable ; mais il a fait plus, il a rendu l’œuvre sacerdotale plus redoutable, plus auguste. Il a changé l’essence même du sacrifice, et, au lieu d’égorger des animaux, c’est lui-même qu’il a commandé d’offrir. « Le pain que nous rompons n’est-il pas la communion du corps du Christ ? » Pourquoi ne dit-il pas : la participation ? C’est pour exprimer quelque chose de plus, pour indiquer une intime union ; car il n’y a pas seulement participation, partage, il y a union. De même que ce corps est uni au Christ, de même, nous aussi, par ce pain, nous sommes unis à Jésus-Christ même. Pourquoi ajoute-t-il : « Que nous rompons ? » C’est ce qui se pratique dans l’Eucharistie. Il n’en fut pas de même sur la croix ; ou plutôt, ce fut tout le contraire, car, dit l’Écriture : « Pas un seul de ses os ne sera brisé ». (Nb. 9,12 ; Ex. 12,46) Mais ce que le Christ n’a pas souffert sur la croix, il le souffre dans l’oblation à cause de vous. Et il veut bien être rompu, afin de rassasier tous les hommes. Maintenant, après avoir dit : « La communion du corps », comme ce qui se communique, est différent de ce à quoi il se communique, l’apôtre veut encore faire disparaître cette différence, quelque légère qu’elle pût paraître. Il a dit : « La communion du corps » ; il cherche une autre expression pour rendre une union encore plus intime ; c’est pourquoi il ajoute. « Car nous ne sommes tous ensemble qu’un seul pain et un seul corps (17) ».

Que parlé-je, dit-il, de communion ? Nous sommes précisément ce corps même. Qu’est-ce que le pain ? le corps du Christ. Que deviennent les communiants ? le corps du Christ ; non pas une multitude de corps, mais un corps unique. De même que le pain, composé de tant de grains de blé, n’est qu’un pain unique, de telle sorte qu’on n’aperçoit pas du tout les grains, de même que les grains y subsistent, mais impossible d’y voir ce qui les distingue dans la masse si bien unis ; ainsi, nous tous ensemble ; et avec le Christ, nous ne faisons qu’un tout. En effet, ce n’est pas d’un corps que se nourrit celui-ci, d’un autre corps que se nourrit celui-là ; c’est le même corps qui les nourrit tous. Aussi l’apôtre a-t-il ajouté : « Parce que nous participons tous à un même pain ». Eh bien, maintenant, si nous participons tous au même pain ; et si tous nous devenons cette même substance, pourquoi ne montrons-nous pas la même charité ? Pourquoi, par la même raison, ne devenons-nous pas un même tout unique ? C’est ce que l’on voyait du temps de nos pères : « Toute la multitude de ceux qui croyaient, n’avaient qu’un cœur et qu’une âme ». (Act. 4,32) Il n’en est pas de même à présent ; c’est tout le contraire. Des guerres innombrables, et sous toutes les formes, ne montrent que trop que nous sommes plus cruels que les bêtes féroces, pour ceux dont nous sommes les membres, et qui sont les nôtres. Et pourtant, ô homme, c’est le Christ qui est venu te chercher, toi qui étais si loin de lui, pour s’unir à toi ; et toi, tu ne veux pas t’unir à ton frère ? Tu n’y mets pas l’empressement que tu devrais montrer ; tu te sépares violemment de lui, après avoir obtenu du Seigneur une si grande preuve d’amour et la vie ! En effet, il n’a pas seulement donné son corps, mais, attendu que la première chair, tirée de la terre, était morte par le péché, il a introduit, pour ainsi dire, une autre substance, un autre ferment, c’est sa chair à lui, sa chair, de même nature que la nôtre, mais exempte du péché, sa chair pleine de vie, et le Seigneur nous l’a partagée à tous, afin que, nourris de cette chair nouvelle, et nous dépouillant de la première qui était morte, nous pussions entrer, par ce banquet, dans la vie immortelle.

« Considérez les Israélites selon la chair, ceux d’entre eux qui mangent de la victime immolée, ne prennent-ils pas ainsi part à l’autel (18) ? » Encore un effort, pour les amener par l’ancienne loi à l’intelligence de sa parole. En effet, comme ils avaient l’esprit beaucoup trop bas pour comprendre la sublimité de ses paroles, afin de les persuader, il les attaque par leurs vieilles habitudes. C’est avec raison que l’apôtre dit : « Israélites selon la chair », les chrétiens étant devenus israélites selon l’esprit. Voici ce qu’il veut dire aux fidèles ; les esprits, même les plus épais, vous enseignent que ceux qui mangent de la victime immolée, prennent part à l’autel. Voyez-vous comme il leur montre que ceux qui semblaient parfaits, n’avaient pas la science parfaite ? Eux qui ne savaient pas qu’en prenant part à la table des idoles, ils entraient en amitié avec les démons ; leurs relations les entraînant insensiblement. En effet, si, chez les hommes, participer au même sel, à la même table, est une occasion et un symbole d’amitié, c’est précisément ce qui peut arriver avec les démons. Quant à vous, observez qu’en parlant des Juifs, il ne dit pas qu’ils communiquent avec Dieu, mais « qu’ils prennent part à l’autel ». En effet, ce qui s’offrait autrefois sur l’autel devait être consumé par le feu. Pour le corps du Christ, il n’en est pas de même. Qu’arrive-t-il donc ? « C’est la communion du corps du Seigneur ». Ce n’est pas à l’autel, c’est au Christ lui-même que nous participons. Après avoir dit : « Ne prennent-ils pas ainsi part à l’autel ? » il ne veut pas avoir l’air de dire que ces idoles aient un pouvoir quelconque, et soient capables de nuire. Voyez comme il fait justice de cette pensée, en ajoutant. « Est-ce donc que je veuille dire que ce qui a été immolé aux idoles, ait quelque vertu, ou que l’idole soit quelque chose (19) ? »
3. Voici ma pensée, dit l’apôtre : je ne veux que vous en détourner ; je ne dis pas que les idoles puissent nuire en quelque chose, qu’elles aient une vertu, quelle qu’elle soit. Les idoles ne sont rien. Mais je veux que vous les preniez en mépris. Mais, me dira-t-on, si vous voulez que nous les prenions en mépris, pourquoi vous montrez-vous si jaloux de nous détourner des viandes qui leur sont offertes ? C’est qu’on ne les offre pas à votre Dieu. « Ce que les païens immolent », dit l’apôtre, « ils l’immolent au démon, et non pas à Dieu (20) ». Gardez-vous donc de courir chez vos ennemis. Si vous étiez le fils d’un roi, admis à la table de votre père, vous ne l’abandonneriez pas, pour la table des condamnés, de ceux qui sont aux fers dans les prisons ; votre père ne le souffrirait pas ; au contraire, il emploierait la violence pour vous en détourner, non que cette table pût vous nuire, mais parce qu’elle serait indigne, et de votre noblesse et de la table royale. En effet, ceux dont je parle, sont aussi des esclaves, des criminels, des infâmes, des condamnés dans les fers, réservés à un supplice insupportable, à des maux sans nombre. Comment donc ne rougissez-vous pas de ces honteux excès, de ces êtres serviles ? quand des condamnés dressent leurs tables, comment osez-vous y courir, et prendre votre part de leurs festins ? Si je vous en éloigne, c’est que le but des sacrificateurs, c’est que la qualité des gens qui vous reçoivent, souille les mets qu’ils vous présentent. « Je désire que vous n’ayez aucune société avec les démons ». Comprenez-vous la tendresse inquiète d’un père ? Comprenez-vous l’affection qu’exprime si éloquemment sa parole ? Je ne veux pas, dit-il, que vous ayez rien de commun avec eux.
Ensuite, comme il n’a fait jusque-là qu’exhorter, les esprits épais auraient pu se croire en droit de mépriser ses paroles ; voilà pourquoi, après avoir dit. « Je ne veux pas » ; après avoir dit : « Vous, soyez juges » ; il émet une décision, il formule la loi : « Vous ne pouvez pas boire le calice du Seigneur, et le calice des démons. Vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur, et à la table des démons (21) ». Ces seuls noms lui suffisent pour les détourner ; par ce qui suit, il veut leur faire honte : « Est-ce que nous voulons irriter Dieu, en le piquant de jalousie ? Sommes-nous plus forts que lui (22) ? » C’est-à-dire, prétendons-nous essayer si Dieu est assez fort pour nous punir ; voulons-nous l’irriter, en passant du côté contraire, en nous mettant dans les rangs de ses ennemis ? Ces paroles rappellent une ancienne histoire, le péché des anciens parents. Voilà pourquoi il se sert de la parole que Moïse fit entendre autrefois contre les Juifs, quand il les accusait d’idolâtrie, et qu’il faisait ainsi parler Dieu : « Ils m’ont piqué de jalousie », dit le texte, « en adorant ceux qui n’étaient point Dieu, et ils m’ont irrité par leurs idoles ». (Deut. 32,21) Sommes-nous plus forts que lui ? Comprenez-vous ce qu’il y a de terrible, de fait pour épouvanter, dans cette réprimande ? Il les fait tressaillir en les réduisant ainsi à l’absurde ; il les secoue fortement, et il rabaisse leur orgueil. Et pourquoi, me dira-t-on, n’a-t-il pas tout d’abord énoncé les idées qui étaient les plus capables de les écarter des idoles ? C’est que son habitude est d’avoir recours à plusieurs preuves, de réserver les plus fortes pour les dernières, et d’emporter la conviction parla surabondance de ses moyens. Voilà pourquoi il commence par les malheurs moindres, il arrive ensuite à ce qu’il y a de plus funeste. Ajoutez à cela qu’en commençant par les paroles moins sévères, il prépare les esprits à recevoir le reste. « Tout m’est permis, mais tout n’est pas avantageux ; tout m’est permis, mais tout n’édifie pas (23). Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais le bien des autres (24) ».
Comprenez-vous ce qu’il y a là de sagesse achevée ? Il était à croire que plus d’un se disait : Je suis du nombre des parfaits, je suis à moi, je suis maître de mes actions, et je ne me fais aucun tort en goûtant des mets qui me sont servis. Oui, répond l’apôtre, vous êtes parfait, je le veux, vous êtes maître de vous, j’en suis d’accord. Mais ce n’est pas là ce que vous devez considérer ; considérez plutôt si ce qui arrive, n’est pas de nature à vous nuire, de nature à scandaliser. Car il exprime ces deux pensées : « Tout n’est pas avantageux, tout n’édifie pas ». La première expression regarde l’intérêt personnel ; la seconde l’intérêt des frères. L’expression « n’est pas avantageux », marque la perte encourue par celui qui fait mal ; l’expression « n’édifie pas », marque le scandale dont on est l’occasion pour ses frères. Aussi ajoute-t-il : « Que personne ne cherche sa propre satisfaction », pensée qu’il prouve partout, et dans tout le cours de sa lettre, et dans la lettre aux Romains, quand il dit : « Puisque Jésus-Christ n’a pas cherché à se satisfaire lui-même » (Rom. 15,3) ; et ailleurs encore : « Comme je tâche moi-même à plaire à tous en toutes choses, ne cherchant point ce qui m’est avantageux » (1Cor. 10,33) ; et ici encore, sans toutefois insister sur cette pensée. En effet, plus haut, il a prouvé et démontré abondamment qu’il ne cherche nulle part son intérêt, qu’il s’est fait Juif pour les Juifs ; que pour ceux qui sont sans loi, il s’est montré comme s’il n’avait pas de loi ; qu’il ne s’est pas servi au hasard de sa liberté, de son pouvoir, qu’il a cherché l’intérêt de tous, qu’il s’est fait le serviteur de tous. Ici, il s’arrête, après quelques paroles qui lui suffisent pour rappeler tout ce qu’il a déjà dit. Eh bien donc, pénétrés de ces vérités, nous aussi, mes bien-aimés, veillons à l’intérêt de nos frères, conservons-nous dans l’unité avec eux ; car c’est à cela que nous conduit ce sacrifice redoutable, et plein d’épouvante, qui nous commande la concorde, la ferveur de la charité, afin que, devenus comme des aigles, nous prenions notre essor jusque dans le ciel. « Partout où se trouvera le corps mort, les aigles s’assembleront ». (Mt. 24,28) C’est ainsi qu’il appelle son corps à cause de la mort qu’il a endurée : si ce corps ne fût pas mort, nous ne serions pas ressuscités. Quant aux aigles, c’est pour montrer la sublimité qui convient à quiconque s’approche de ce corps ; celui-là ne doit avoir rien de terrestre, il ne doit ni s’abaisser, ni ramper, mais toujours tendre vers les hauteurs, y prendre son vol, fixer les yeux sur le soleil de justice, avoir la vue perçante ; car c’est le festin des aigles et non des geais. Les aigles iront au-devant de lui, lorsqu’il descendra du ciel ; je désigne par là ceux qui reçoivent dignement son corps, et cela est aussi vrai qu’il est assuré, que ceux qui le reçoivent indignement, subiront les derniers supplices.
4. Si on ne reçoit pas un roi comme une autre personne, et que dis-je d’un roi ? s’il est vrai qu’on ne touche pas avec des mains souillées un vêtement de roi, fût-on même dans un lieu solitaire, seul, loin de tout témoin ; et cependant un vêtement n’est autre chose qu’un tissu filé par des vers ; si vous admirez la pourpre, et cependant ce n’est que le sang d’un poisson mort ; toutefois, nul n’oserait y toucher, avec des mains souillées : eh bien, si l’on n’ose pas toucher, sans précaution, un vêtement d’homme, oserons-nous bien, quand c’est le corps du Dieu de l’univers, le corps immaculé, resplendissant de pureté, uni à cette ineffable nature divine, le corps par lequel nous sommes, par lequel nous vivons, par lequel les portes de la mort ont été brisées, les voûtes du ciel nous sont ouvertes, oserons-nous bien le recevoir avec d’indignes outrages ? Non, je vous en prie, ne soyons pas homicides de nous-mêmes par notre impudence ; soyons saisis d’une sainte horreur, soyons purs en nous approchant de ce corps, et quand vous le verrez exposé à vos yeux, dites-vous à vous-même : c’est à ce corps que je dois de ne glus être terre et cendre, de né plus être captif, mais libre ; c’est par lui que j’espère le ciel, et les biens qui sont là-haut, en réserve pour moi, la vie immortelle, la condition des anges, l’intimité avec le Christ. Ce corps a été cloué sur la croix, ce corps a été déchiré par les fouets, la mort n’en a pas triomphé ; ce corps, attaché à la croix, a fait que le soleil a détourné ses rayons ; c’est par ce corps que le voile du temple a été déchiré, que les rochers se sont fendus, que la terre entière a été ébranlée ; le voilà ce corps qui a été ensanglanté, percé d’une lance d’où ont jailli deux sources salutaires pour le monde, une source de sang, une source d’eau. Voulez-vous d’ailleurs en connaître la vertu, demandez-la à la femme, travaillée d’une perte de sang, qui n’a pas touché ce corps, mais rien que le vêtement ; qui n’a pas touché le vêtement, mais rien que la bordure ; demandez-la à la mer, qui a porté ce corps sur ses flots ; demandez-la au démon lui-même, et dites-lui : D’où te vient cette plaie incurable ? d’où vient que te voilà sans pouvoir ? d’où vient que tu es captif ? qui t’a saisi pendant que tu fuyais ? Et le démon ne vous répondra que ces mots : Le corps crucifié. C’est par lui que les aiguillons de l’enfer ont été brisés ; par lui que les membres du démon ont été broyés, par lui que les principautés et les puissances ont été désarmées. « Et ayant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées hautement en triomphe, à la face du monde entier, après les avoir vaincues par sa croix ». (Col. 2,15)
Demandez-la à la mort, la vertu de ce corps, et dites-lui : D’où vient que tu n’as plus aiguillon ? d’où vient que la chaîne de tes victoires est rompue ? d’où vient que tu n’as plus de nerfs ? d’où vient que les jeunes filles et que les enfants te trouvent ridicule, toi qui faisais peur aux tyrans, toi que tous les justes redoutaient jusque-là ? Et la mort dira : C’est à cause de ce corps. Car, lorsqu’on le crucifiait, alors les morts ressuscitèrent, alors la prison infernale fut défoncée, alors les portes d’airain furent brisées, et les morts furent libres, et les geôliers de l’enfer furent tous frappés de stupeur. Si ce supplicié eût été un homme ordinaire, c’est le contraire qui devait arriver ; la mort aurait été plus puissante ; mais non, ce n’était pas un homme ordinaire, et voilà pourquoi la mort fut brisée. Et de même qu’après avoir pris un aliment que l’on ne saurait digérer, il faut rendre, outre cet aliment, tout ce qu’on avait pris, de même a fait la mort. Ce corps qu’elle avait pris elle n’a pu le digérer, elle a dû le rejeter, et avec lui tous ceux qui étaient dans ses entrailles. Ce corps divin, dans le sein de la mort, la déchira douloureusement, jusqu’à ce qu’elle l’eût rendu. De là ce que dit l’apôtre : « En arrêtant les douleurs de l’enfer ». (Act. 11,24) Non, jamais femme dans les douleurs de l’enfantement, n’est tourmentée comme le fut la mort, quand le corps du Seigneur déchirait ses entrailles. Et vous savez ce qui arriva au dragon de Babylone, qui mangea et creva ; c’est ce qui est arrivé à la mort. Car le Christ n’est pas sorti, par la bouche de la mort, mais par le ventre même ; par le milieu du ventre du dragon, crevé et déchiré. C’est ainsi qu’il est sorti de ses entrailles environné de splendeur, rayonnant de toutes parts, et il a pris son essor non seulement jusqu’au ciel que nos yeux contemplent, mais jusque sur les hauteurs de son trône. Car il a enlevé son corps avec lui. Ce même corps, il nous l’a donné pour le posséder, pour nous en nourrir, preuve d’un ardent amour ; car ceux que nous aimons d’un vif amour, nous voudrions les manger. C’est ainsi que Job disait, pour montrer l’amour que lui portaient ses serviteurs, que souvent ils témoignaient l’ardeur de leur affection pour lui, par ces paroles. « Qui nous donnera de sa chair, afin que nous en soyons rassasiés ? » (Job. 31,34) C’est ainsi que le Christ nous a donné ses chairs, pour que nous en soyons rassasiés, pour s’assurer l’ardeur de plus en plus vive de notre amour.
5. Approchons-nous donc de lui avec ferveur, avec une charité brûlante, et fuyons l’éternel supplice. Plus nous aurons reçu de bienfaits, plus nous serons punis, si nous ne savons pas nous montrer dignes de tant de bonté. Ce corps était couché dans une crèche, et les mages lui ont apporté leur vénération. Des hommes sans foi, des barbares ont quitté leur patrie, leur maison ; ils ont fait un long voyage, et ils sont venus, avec crainte et tremblement, l’adorer. Imitons donc, au moins, des barbares, nous, citoyens du ciel. Ces hommes qui ne voyaient qu’une crèche, une cabane, rien qui ressemble à ce que vous voyez aujourd’hui, se sont approchés, tout saisis de respect et de crainte ; et vous, ce n’est pas dans une crèche que vous l’apercevez, mais dans son sanctuaire ; ce n’est pas une femme qui le tient, mais le prêtre, et le Saint-Esprit avec l’abondance de ses dons plane au-dessus du sacrifice. Vous ne voyez pas simplement comme ceux-là ce corps de vos yeux, mais vous en connaissez la puissance, vous n’ignorez rien de l’économie divine, vous n’ignorez rien des mystères accomplis par ce corps : on vous a tout appris avec soin, en vous initiant. Secouons donc notre assoupissement, et frissonnons ; élevons-nous bien au-dessus de ces barbares ; montrons une piété qui les dépasse ; gardons-nous, en nous approchant sans nous recueillir, d’amasser le feu sur notre tête. Ce que je dis, ce n’est pas pour que nous – refusions de nous avancer, mais pour que nous nous gardions bien de nous approcher sans recueillement. De même que l’absence de recueillement est dangereuse ; de même il y a danger à négliger sa part du mystique banquet ; c’est la faim, c’est la mort. Cette table donne à notre âme ses nerfs, à nos pensées le lien de leur union, le fondement de notre confiance ; notre espérance, notre salut, notre lumière, notre vie. 455
Si nous sortons de ce monde après la participation de ce sacrement, nous entrerons avec une confiance entière dans le sanctuaire du ciel, comme si une armure d’or nous rendait invulnérables. Eh ! pourquoi parler de la vie à venir ? La terre même, ici-bas, devient le ciel, par ce mystère. Ouvrez donc, ouvrez les portes du ciel, regardez : du ciel, ce n’est pas assez dire, mais du plus haut du ciel, et vous allez voir ce que je vous ai annoncé. Ce que les trésors du ciel, à sa plus haute cime, ont de plus précieux, je vais vous le montrer, couché sur la terre. Car s’il est vrai que, dans un palais de roi, ce qu’il y a de plus auguste, ce ne sont ni les murs, ni les lambris d’or, mais le roi sur, son trône, ainsi, dans le ciel même, c’est le roi. Eh bien ! vous le pouvez voir ; aujourd’hui, sur la terre. Je ne vous montre ni anges, ni archanges, ni ciel, ni le ciel du ciel c’est, de tout cela le Maître et Seigneur, que je vous montre. Comprenez-vous comment ce qu’il y a dans l’univers de plus précieux, vous le voyez sur la terre ? et non seulement vous le voyez, mais vous le touchez : mais vous faites plus encore, vous vous en nourrissez, vous le recevez, vous l’emportez dans votre demeure ? Purifiez donc votre âme, préparez votre esprit à recevoir ces mystères. Si vous aviez à porter un fils de roi, avec ses riches ornements, sa pourpre, son diadème, vous rejetteriez tout ce qu’il y a sur la terre ; mais maintenant ce n’est pas le fils d’un roi mortel, c’est le Fils unique de Dieu lui-même que vous recevez, et vous ne frissonnez pas, répondez-moi, et vous ne répudiez pas tout amour des choses de ce monde ! Il ne vous suffit pas de cet ineffable ornement ; vous avez encore des regards pour la terre, et vous soupirez après les richesses, et c’est de l’or que vous êtes épris ! Quelle pourrait être votre excuse ? que direz-vous pour vous justifier ? Ne savez-vous pas jusqu’où va, contre la pompe du siècle, l’aversion du Seigneur ? N’est-ce pas pour cela qu’il est né dans une crèche, qu’il a pris pour mère une femme d’humble condition ? n’est-ce pas pour cela qu’il répondit à celui qui lui parlait d’un abri : « Le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête ? » (Mt. 8,20) Et ses disciples ? n’ont-ils pas suivi la même loi, logeant dans les maisons des pauvres ; l’un, chez un cordonnier ; l’autre, chez un couseur de tentes, et une marchande d’étoffes de pourpre ? Ils ne recherchaient pas la magnificence de la maison, mais les vertus des âmes. Eh bien ! nous aussi, rivalisons avec eux, ne nous arrêtant pas devant la beauté des colonnes et des marbres ; recherchons les demeures d’en haut : foulons aux pieds, avec tout le luxe d’ici-bas, l’amour des richesses, concevons de hautes pensées. Si nous avons la sagesse, toute cette beauté n’est pas digne de nous, encore moins ces portiques et ces lieux de promenade. Aussi, je vous en conjure, embellissons notre âne, c’est là l’habitation que nous devons orner, que nous emporterons avec nous en partant, pour obtenir les biens éternels, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉ LIE XXV.


MANGEZ DE TOUT CE QUI SE VEND À LA BOUCHERIE, SANS VOUS ENQUÉRIR D’OÙ CELA VIENT, PAR UN SCRUPULE DE CONSCIENCE. (CHAP. 10, VERS. 25, JUSQU’AU VERS. 1 DU CHAP. XI)

ANALYSE.

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  • 1 et 2. De la conduite à tenir à la table des infidèles, en ce qui concerne les viandes consacrées aux idoles.
  • 3. Paul imitateur de Jésus-Christ. – Excellence de la vertu de Paul. – Rechercher l’intérêt de tous.
  • 4. Perfection de la vertu, la charité.


1. Après leur avoir dit qu’il est impossible de boire à la fois le calice du Seigneur et le calice des démons ; après les avoir écartés des tables sacrilèges par les exemples des Juifs, par des raisonnements humains, par nos redoutables mystères, par les pratiques des idolâtres ; après leur avoir inspiré une profonde terreur, il ne veut pas les jeter, par cette terreur, dans un autre extrême ; il ne veut pas qu’une inquiétude exagérée les force à se demander si par hasard, du marché ou d’ailleurs, il leur vient quelques mets défendus, et, pour les affranchir d’un excès d’angoisses, il leur dit : « Mangez de tout ce qui se vend à la boucherie, sans vous enquérir d’où cela vient, par un scrupule de conscience ». En effet, si vous n’étiez pas avertis, si vous avez mangé à votre insu, vous n’avez pas à redouter le supplice ; la faute en est à l’ignorance, non à la sensualité. Et il ne les affranchit pas seulement de cette angoisse, il dissipe encore d’autres frayeurs, il leur ménage une grande liberté, une grande sécurité ; il ne leur permet pas de discerner, d’examiner, de rechercher si telle viande a été offerte aux idoles, oui ou non ; il leur dit de manger, sans distinction, de tout ce qui vient du marché, de ne pas s’enquérir de ce qu’on leur sert, de telle sorte que mangeant dans l’ignorance ils n’aient rien à craindre. Telles sont, en effet, les fautes qui ne sont pas des fautes par nature, mais qui souillent par l’intention ; de là ces paroles : « Sans vous enquérir ». Car, dit-il, « la terre est au Seigneur avec tout ce qu’elle contient (26) » ; elle n’appartient pas au démon. Si la terre, et ses fruits, et tous ses animaux, appartiennent au Seigneur, il n’y a là rien d’impur. L’impureté provient d’une toute autre cause, à savoir de la pensée, de la désobéissance.
Aussi l’apôtre ne s’est pas borné à la permission qu’il leur donne, mais il ajoute : « Si un infidèle vous prie à manger chez lui, et que vous vouliez y aller, mangez de tout ce qu’on vous servira, sans vous enquérir d’où cela vient, par un scrupule de conscience (27) ». Voyez, encore ici, sa modération : il ne commande pas, il n’ordonne pas, il ne défend pas non plus de se rendre à l’invitation. Quant à ceux qui s’y rendent, il les affranchit de tout scrupule. Pourquoi ? C’est pour prévenir l’excès d’inquiétude où la crainte jetterait les fidèles. Car cette recherche inquiète est une faiblesse et un effet de la crainte : celui qui s’abstient, après qu’on l’a averti, montre suffisamment son mépris, sa haine, son aversion, en s’abstenant. Ainsi Paul remédie à tout ; il dit : « Mangez de tout ce qu’on vous servira. Si quelqu’un vous dit : Ceci a été immolé aux idoles, n’en mangez pas à cause de celui qui vous a donné cet avis (28) ». Ce n’est pas parce que les idoles auraient une puissance quelconque, mais parce qu’il les faut détester. Donc, ne fuyez pas, comme si les idoles pouvaient vous nuire, car elles n’ont aucun pouvoir ; et d’un autre côté, par cette considération qu’elles n’ont aucun pouvoir, ne participez pas étourdiment au festin, car ce sont des tables d’ennemis, des tables déshonorées. Voilà pourquoi l’apôtre disait : « N’en mangez pas à cause de celui qui vous a donné cet avis, et aussi de peur de blesser la conscience. Car la terre est au Seigneur, avec tout ce qu’elle contient ». Voyez-vous de quelle manière, soit qu’il conseille de manger, soit qu’il conseille de s’abstenir, il apporte le même témoignage. Si je vous fais la défense, dit-il, ce n’est pas que ces mets proviennent d’une cause étrangère, car la terre est au Seigneur ; mais c’est pour le motif que je vous disais, pour la conscience, c’est-à-dire, pour éviter le scandale ; mais alors il faut donc s’enquérir avec inquiétude ? Nullement, dit-il, car je ne dis pas : « Votre conscience », mais « sa conscience » ; en effet, j’ai commencé par vous dire : « À cause de celui qui vous a donné cet avis », et encore : « Et aussi de peur de blesser, je ne dis pas votre conscience, mais celle d’un autre (29) ».
Mais peut-être, dira-t-on, vous avez raison de vous occuper de nos frères, de ne, pas nous permettre de goûter de ces mets à cause de nos frères ; il ne faut pas que leur conscience peu affermie soit portée à manger une viande offerte aux idoles ; mais, s’il s’agit d’un gentil, d’un païen, quel souci en prenez-vous ? N’est-ce pas vous qui, disiez : « Car pourquoi entreprendrai-je de juger ceux qui sont hors de l’Église ? » (1Cor. 5,12) Donc pourquoi vous occupez-vous encore des païens ? Je ne m’occupe pas des païens, dit l’apôtre, mais, dans cette circonstance, c’est de vous que je m’inquiète ; voilà pourquoi il ajoute : « Car pourquoi m’exposerai-je à faire condamner, par la conscience d’un autre, cette liberté que j’ai de manger de tout ? » Ce qu’il faut entendre par liberté, ici, c’est l’absence de prescriptions et de défenses : c’est en cela, en effet, que consiste la liberté, affranchie de la servitude des Juifs. Or, voici ce qu’il veut dire : Dieu m’a fait libre et supérieur à toutes souillures de ce genre. Mais les païens ne savent ni discerner la sagesse qui me guide, ni reconnaître la libéralité de mon Dieu. Un païen me condamnera, et dira en lui-même : la religion des chrétiens n’est qu’une fable ; ils s’éloignent des idoles ; ils fuient les démons, et ils s’attachent aux offrandes consacrées aux démons. La gourmandise les domine. – Et encore, dira quelqu’un, que nous fait ce jugement ? Quel mal nous en revient-il ? – Combien il vaudrait mieux ne pas fournir l’occasion d’un pareil jugement ! Si vous vous abstenez, il n’aura rien à dire. Comment, me répondrez-vous, n’aura-t-il rien à dire ? Comment ! Il me verra n’examinant rien, ni à la boucherie, ni dans un festin, recevoir tout indifféremment, et il ne trouvera rien à redire ? et il ne me condamnera pas pour prendre ainsi ma part indifféremment à tous les mets ? Nullement. Et en effet, vous ne mangez pas ces viandes parce qu’elles sont offertes aux idoles, mais parce que vous les croyez pures. Et maintenant, ce que vous gagnez à ne pas vous enquérir curieusement d’où cela vient, c’est de montrer que vous n’avez pas peur de ce que l’on vous sert. Voilà pourquoi, soit que vous entriez chez un païen, soit que vous vous rendiez au marché, je ne vous permets pas d’aller aux renseignements, de redouter les on dit, de vous embarrasser, de vous tourmenter, de vous créer des affaires superflues. « Si je prends avec actions de grâces ce que je mange, pourquoi parle-t-on mal de moi, pour une chose dont je rends grâces à Dieu (30) ? » Que prenez-vous avec actions de grâces ? votre part des présents de Dieu ; sa grâce est si puissante qu’il garde mon âme sans souillure, exempte de toute espèce de tache. De même que le soleil, dardant ses rayons sur mille objets souillés, les retire aussi purs qu’auparavant, de même nous, à bien plus forte raison, demeurons-nous purs au milieu du monde, si telle est notre volonté, et, par là même, nous augmentons notre force.
2. Pourquoi donc, me dit-on, vous abstenez-vous ? Ce n’est pas de crainte de me souiller, loin de moi cette pensée ; c’est à cause de mon frère, c’est pour ne pas entrer dans la société des démons ; c’est pour n’être pas jugé par l’infidèle, car ce n’est pas la nature des mets qui peut me perdre, mais la désobéissance ; l’amitié avec les démons, voilà ce qui me rend impur, voilà d’où me vient la souillure. Mais maintenant que signifie cette parole : « Pourquoi parle-t-on mal de moi, pour une chose dont je rends grâces à Dieu ? » Je rends grâces à Dieu, dit-il, d’avoir élevé mon âme ; de m’avoir mis au-dessus de la bassesse des Juifs, à tel point que rien ne me nuise. Mais les païens, ignorant la sagesse qui me guide, soupçonneront le contraire de la vérité ; ils diront : Ces chrétiens, qui recherchent nos banquets, ne sont que des hypocrites ; ils accusent les démons, ils s’en détournent, et ils courent à leur table. Quoi de plus insensé que cette conduite ? Ce n’est donc pas le zèle de la vérité, c’est l’ambition, l’amour de commander, qui les a faits se ranger à ce dogme. Quelle démence égalerait la mienne, si pour tant de bienfaits, dont je dois rendre à Dieu des actions de grâces, je devenais une cause de blasphèmes ! Mais, me direz-vous, le païen tiendra le même langage, quand il verra que je ne m’inquiète pas, que je ne me renseigne pas. Nullement ; il n’y a pas partout des offrandes consacrées aux idoles, de telle sorte que vous ayez toujours des soupçons, et, si vous goûtez de ces offrandes, ce n’est pas parce qu’on les a consacrées aux idoles. Ne va donc pas, ô chrétien, t’embarrasser d’une enquête inutile ; mais ne va pas non plus, si tu es averti qu’un mets a été consacré aux idoles, en prendre ta part, car la grâce que le Christ t’a communiquée, la nature supérieure qu’il t’a donnée, au-dessus des souillures de ce genre, ce n’est pas pour que tu compromettes ta réputation ; ce n’est pas pour que tu uses des avantages précieux qui excitent tes actions de grâces, pour scandaliser les autres, et les porter à blasphémer.
Mais pourquoi, dira-t-on, ne dirai-je pas aux païens : je mange, et je ne suis en rien souillé, et je ne m’assieds pas à ces tables comme un ami des démons ? c’est que ces paroles ne persuaderaient personne, fussent-elles mille fois prononcées. Le païen est faible, et il est notre ennemi. S’il est impossible de persuader les frères, il sera bien plus impossible de persuader des ennemis et des païens. Si le fidèle s’abstient, par scrupule de conscience, de ce qui est offert aux idoles, à bien plus forte raison, l’infidèle. Quoi donc, dira-t-on encore, qu’avons-nous besoin de nous embarrasser de tant d’affaires ? Comment ! nous connaissons le Christ, nous lui rendons des actions de grâces, et, parce que les autres le blasphèment, sera-ce pour nous une raison de renoncer aussi à Jésus-Christ ? Loin de nous cette pensée, car il n’y a pas parité ; d’un côté, il y a un grand avantage pour nous à supporter le blasphème, mais ici il n’y aura aucun avantage. Aussi l’apôtre disait-il d’abord : « Si nous mangeons, nous n’en aurons rien davantage devant lui ; ni rien de moins, si nous ne mangeons pas ». (1Cor. 8,8) En outre il fonde sa défense sur une autre raison encore, et non seulement sur cette autre raison, mais sur les autres causes qu’il a dites : « Soit donc que vous mangiez, ou que vous buviez, ou quelque chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu (31) ». Voyez-vous, comme du sujet particulier qui l’occupait, il arrive à une exhortation générale, par cette unique mais admirable règle qu’il nous donne, de glorifier Dieu en toutes choses ? « Ne donnez pas occasion de scandale, ni aux Juifs, ni aux gentils, ni à l’Église de Dieu {32) » ; c’est-à-dire, ne fournissez à personne aucun prétexte, car votre frère s’offense, le Juif vous détestera davantage, et vous condamnera ; et le païen, faisant comme lui, vous appellera, en se moquant de vous, un glouton et un hypocrite.
non seulement il ne faut pas offenser les frères, mais, autant que possible, pas même les étrangers. Nous sommes la lumière ; et le ferment, et les flambeaux, et le sel ; nous devons illuminer et non répandre les ténèbres ; nous devons être un principe fortifiant et non dissolvant ; attirer à nous les infidèles, et non les mettre en fuite. Pourquoi donc poursuivre ceux qu’il faut attirer ? Les païens s’offensent de nous voir revenir à de pareilles coutumes, parce qu’ils ne connaissent pas notre pensée ; ils ne comprennent pas l’élévation supérieure de notre âme, au-dessus de toute souillure des sens. Et maintenant, les Juifs, et les plus faibles de nos frères, souffriront comme eux. Comprenez-vous pour quelles graves raisons l’apôtre nous interdit la participation aux viandes consacrées aux idoles ; l’inutilité, la superfluité, le dommage fait à notre frère ; les blasphèmes du Juif ; les mauvaises paroles du païen ; l’inconvenance de communier avec les démons ; l’espèce d’idolâtrie qu’il y a dans cette conduite. Et ensuite, après avoir dit « Ne donnez pas occasion de scandale » ; après avoir rendu les, fidèles responsables du mal fait, et aux païens et aux Juifs ; après les paroles sévères et pénibles, voyez comme il fait accepter son langage, comme il l’adoucit en intervenant lui-même personnellement par ces paroles : « Comme je tâche moi-même de plaire à tous, en toutes choses, ne cherchant point ce qui m’est avantageux en particulier, mais ce qui est avantageux à plusieurs, pour être sauvés (33), soyez mes imitateurs comme je le suis moi-même de Jésus-Christ (11,1) »
3. Voilà la règle du christianisme, dans toute sa perfection ; voilà la définition à laquelle rien ne manque ; voilà la cime la plus haute, rechercher l’intérêt de tous. Ce que l’apôtre déclare, en ajoutant ces paroles : « Comme je le suis moi-même de Jésus-Christ ». En effet, rien ne peut nous rendre des imitateurs de Jésus-Christ, autant que notre zèle pour le bien du prochain. Vous aurez beau jeûner, coucher par terre, vous mortifier, si vous n’avez pas un regard pour votre prochain, vous n’avez rien fait. Quoi que vous ayez pu faire, vous demeurez bien loin de ce grand modèle. Or, ici, c’est une action qui porte en elle-même son utilité, que de savoir s’abstenir des offrandes consacrées aux idoles ; mais, dit l’apôtre ; moi qui vous parle, j’ai fait plus, j’ai fait nombre d’actions inutiles en elles-mêmes, comme quand j’ai subi la circoncision, quand j’ai sacrifié. En effet, ces observances, si on les recherche pour elles-mêmes, perdent ceux qui les pratiquent, et sont cause qu’ils compromettent leur salut. Toutefois je m’y suis soumis, à cause de l’utilité qui en résultait pour les autres. Mais ici rien de semblable : s’il n’y a pas d’utilité, s’il n’y a pas intérêt pour les autres, l’action est funeste ; au, contraire, ici, dans le cas même où personne n’est scandalisé, il convient pourtant de s’abstenir des choses défendues. Je ne me suis pas seulement, dit l’apôtre, assujetti à des choses nuisibles, mais pénibles. « J’ai dépouillé », dit-il, « les autres Églises, j’ai reçu d’elles ma subsistance » (2Cor. 11,8), et, quand il m’était permis de manger sans rien faire, ce n’est pas là ce que j’ai recherché ; mais j’ai mieux aimé mourir de faim que d’être un sujet de scandale. Voilà pourquoi il dit : « Par tous les moyens, je plais à tous ». Soit qu’il faille faire une chose contraire aux lois, soit qu’il faille entreprendre une œuvre laborieuse, une œuvre périlleuse, je supporte tout, pour l’utilité des autres. Et c’est ainsi que, supérieur à tous par la perfection de sa vie exemplaire, il était assujetti à tous par la condescendance de sa charité.
C’est qu’il n’est pas de vertu parfaite, si l’on ne recherche pas l’utilité d’autrui ; et c’est ce qui résulte de l’histoire de celui qui reporta le talent intact, et fut livré au supplice, parce qu’il ne l’avait pas fait fructifier. Eh bien toi, mon frère, supposé même que tu t’abstiennes de nourriture, que tu couches par terre, que tu manges de la cendre, que tu ne cesses de gémir, si tu es inutile au prochain, tu n’as rien fait. C’était là, en effet, autrefois, la première préoccupation des hommes grands et généreux. Considérez attentivement leur vie, et vous verrez, de la manière la plus évidente, qu’aucun d’eux ne considérait son intérêt propre, que chacun d’eux, au contraire, ne voyait que l’intérêt du prochain : ce qui a rehaussé leur gloire. Moïse a fait un grand nombre de grandes choses, de miracles et de prodiges ; mais rien ne l’a rendu si grand que cette bienheureuse parole qu’il adressa au Seigneur, en lui disant : « Si vous voulez leur pardonner cette faute, accordez-leur le pardon ; si vous ne le faites pas, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit ». (Ex. 32,32) Tel était aussi David, et voilà pourquoi il disait : « C’est moi qui ai péché, c’est moi qui suis coupable, qu’ont fait ceux-ci, qui ne sont que des brebis ? Que votre main se tourne contre moi, et contre la maison de mon père ». (2Sa. 24,17) C’est ainsi qu’Abraham ne recherchait pas son utilité propre, mais l’utilité du grand nombre. Aussi s’exposait-il au danger, et il adressait à Dieu des prières pour ceux qui ne lui étaient rien. Et voilà comment ces grands hommes se sont illustrés ; voyez, au contraire, quel tort se sont fait ceux qui ne recherchaient que leur utilité personnelle. Le neveu d’Abraham, après avoir entendu de lui ces paroles : « Si vous allez à la gauche, je prendrai la droite » (Gen. 13,9), ne considéra, ne rechercha que son utilité, et il ne trouva pas son intérêt. La région où il se rendit, devint tout entière la proie des flammes ; au contraire, le pays d’Abraham demeura hors d’atteinte. Jon. à son tour, pour n’avoir pas cherché l’intérêt du grand nombre, mais son utilité particulière, vint en danger de mort ; la ville subsista ; quant à lui, à la merci des flots, il y fut englouti. Et maintenant, quand Jonas rechercha l’utilité du grand nombre, il trouva en même temps son propre intérêt. C’est ainsi que. qui ne recherchait pas dans ses troupeaux un profit particulier, acquit de grandes richesses ; et Joseph, pour avoir recherché l’intérêt de ses frères, trouva aussi son intérêt propre. En effet, Joseph, envoyé par son père, ne dit pas Qu’est-ce que cela signifie ? Ne savez-vous pas qu’à cause de la vision que j’ai eue, et de mes songes, ils ont voulu me déchirer ; qu’à cause de mes songes, ils m’ont accusé ; que l’affection que vous avez pour moi est pour eux un crime qu’ils veulent me faire expier ? Que ne feront-ils pas, s’ils me tiennent entre leurs mains ? Joseph ne dit rien de pareil, ne pensa rien de tel ; il préféra ses frères à toutes choses. Aussi fut-il, par la suite, comblé de toute espèce de biens, qui rendirent son nom illustre et glorieux. C’est ainsi que Moïse (car rien n’empêche de faire mention de lui une seconde fois, rien n’empêche que nous considérions comment il a dédaigné ses intérêts et cherché le bien des autres) ; il était dans le palais du roi ; il préféra l’opprobre de son peuple aux richesses de l’Égypte ; il renonça à tous les biens qu’il avait à sa disposition ; il aima mieux partager les maux des Hébreux ; et, loin d’être réduit lui-même en servitude, au contraire, il affranchit ses frères. Voilà de grandes choses, et dignes des anges.
4. Mais la vertu de Paul atteint un bien plus haut degré d’excellence. En effet, tous les autres ont abandonné leurs biens pour partager les maux du prochain ; mais Paul a fait beaucoup plus il ne lui a pas suffi de partager les malheurs d’autrui, mais il a voulu se réduire lui-même à l’état le plus misérable, pour donner aux autres la félicité. Et ce n’est pas la même chose, quand on est dans les délices, de répudier les délices pour partager l’affliction des autres, ou de choisir les tourments, l’affliction, uniquement pour procurer à d’autres une vie tranquille et honorée. En effet, dans le premier exemple, quoique ce soit une belle œuvre, d’échanger le bien qu’on a, contre des maux qu’on subit en vue du prochain, il y a toutefois une certaine consolation à trouver des compagnons de son infortune ; mais vouloir souffrir seul pour que d’autres jouissent de la félicité, c’est le propre d’une âme singulièrement généreuse, et c’est le caractère de Paul.
Mais ce n’est pas seulement par cette noblesse de sentiments, c’est par un autre caractère de sublime vertu, qu’il surpasse encore, de beaucoup, tous ceux que nous avons nommés. Abraham, et tous les autres, n’ont affronté que les périls de la vie présente ; tous ces personnages n’ont bravé qu’une fois notre mort. Eh bien, Paul demandait à déchoir de la gloire à venir, pour assurer le salut des autres. Je puis encore vous dire un troisième trait de l’excellence supérieure de Paul. Quel est-il ? Quelques-uns de ces personnages s’intéressaient sans doute à ceux qui avaient voulu les perdre eux-mêmes ; toutefois, ils ne s’intéressaient qu’à des hommes confiés à leur autorité. Et il y avait, en cela même, pour eux, un intérêt comme celui que porterait un père à un fils, dépravé sans doute, à un fils criminel, qui, après tout, n’en serait pas moins son fils. Eh bien, Paul voulait être anathème, pour qui ? pour ceux qui ne lui avaient pas été confiés. En effet, il avait été envoyé aux gentils. Avez-vous bien compris cette grandeur d’âme, cette hauteur de pensée qui s’élève au-dessus du ciel même ?
Imitez-le ; si vous ne pouvez pas l’imiter, imitez au moins ceux dont les figures ont brillé dans l’Ancien Testament. Vous trouverez votre utilité, en veillant à l’utilité du prochain. Ainsi, quand vous vous sentirez peu de zèle pour l’intérêt d’un frère, pensez que vous n’avez pas d’autre moyen de vous sauver vous-mêmes, et, par intérêt pour vous au moins, veillez sur votre frère, et sur ce qui le touche. Ces paroles suffisent pour nous persuader que nous n’avons pas d’autre moyen d’assurer nos intérêts propres. Voulez-vous des exemples ordinaires pour confirmer cette vérité ? Je suppose quelque part une maison qui brûle ; des gens du voisinage, ne considérant que leur intérêt, ne se mettent pas en mesure contre le danger ; ils ferment les portes, ils restent chez eux parce qu’ils ont peur qu’on n’entre et qu’on ne les vole. Quel ne sera pas leur châtiment ? Le feu, s’avançant, grandissant toujours, brûlera tout ce qu’ils ont chez eux, et, pour n’avoir pas voulu prendre à cœur l’utilité du prochain, ils perdront même ce qu’ils possèdent. Dieu, en effet, a voulu ne faire de tous les hommes qu’un faisceau, et voilà pourquoi il a disposé toutes choses de telle sorte que l’intérêt de chacun se trouve nécessairement lié à l’intérêt du prochain. Et c’est ainsi que le monde forme un tout si bien agencé. Voilà pourquoi, si, dans un navire, au moment de la tempête, le pilote, négligeant l’intérêt du grand nombre, ne cherche que sa propre utilité, il s’engloutit et lui-même, et les autres bien vite avec lui. Et prenez toutes les conditions de la vie, une à une ; que chaque profession ne recherche que son intérêt propre, c’en est fait de la vie générale, et c’en est fait de la profession qui ne regarde que soi. Voilà pourquoi l’agriculteur ne sème pas seulement la quantité de froment qui lui suffirait à lui ; s’il s’en avisait, il ne serait pas long à se perdre, et les autres avec lui. L’agriculteur recherche l’intérêt du grand nombre. Et ce n’est pas seulement pour se défendre des périls, que le soldat tient bon dans la mêlée, c’est aussi pour garantir la sûreté des villes ; et le marchand ne transporte pas seulement les marchandises nécessaires à lui seul, mais ce qu’il en faut pour le grand nombre. Je sais bien maintenant ce qu’on m’objectera. Ce n’est pas dans mon intérêt, c’est dans son intérêt propre que chacun fait ses affaires. Le désir de l’argent, le désir de la gloire, le besoin de se défendre, expliquent seuls toutes ces actions. En cherchant mon intérêt, c’est le sien que chacun cherche. Je ne dis pas autre chose, et, depuis longtemps, j’attendais ces paroles ; tout ce discours, je l’ai fait uniquement pour vous montrer ceci : Votre prochain ne trouve son utilité, qu’en considérant la vôtre, comme les hommes ne chercheraient pas l’utilité du prochain s’ils ne sentaient pas cette nécessité qui les y conduit. Dieu a ainsi enchaîné tous les hommes d’une manière qui ne permet de trouver l’intérêt propre, qu’en suivant la route où se trouvent les intérêts d’autrui. C’est là, à n’en pas douter, la condition de l’homme ; il est fait pour travailler à l’intérêt du prochain.
Mais ce n’est pas cette considération de l’intérêt propre, c’est la considération du bon plaisir de Dieu qui doit opérer la persuasion. Nul, en effet, ne peut être sauvé qu’à cette condition. Vous aurez beau pratiquer la plus haute sagesse, mépriser toutes les choses périssables, vous n’aurez rien gagné auprès de Dieu. Qui le prouve ? Les paroles que le bienheureux Paul a fait entendre : « Quand j’aurais distribué tout mon bien pour nourrir les pauvres, et que j’aurais livré mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne me sert de rien », dit-il. (1Cor. 13,3) Voyez-vous tout ce que Paul exige de nous ? Remarquez : celui qui distribue des aliments, ne cherche pourtant pas ici son intérêt, mais l’intérêt du prochain ; toutefois, cela ne suffit pas, dit-il ; il veut la générosité, la plénitude de la sympathie. Si Dieu nous a fait ce précepte, c’est pour nous lier par la charité. Eh bien, si telle est l’exigence de Paul, et si nous n’accordons pas même beaucoup moins, quelle pourra être notre excuse ? Mais comment donc, me direz-vous, Dieu a-t-il pu dire à Loth, par ses anges : « Ne pensez « qu’à sauver promptement votre âme ? » (Gen. 19,22) Dites-moi en quelle circonstance, et pourquoi ? C’est quand le châtiment s’infligeait ; c’est quand la correction n’était plus possible ; c’est quand les coupables étaient condamnés comme atteints d’un mal incurable, lorsque vieillards et jeunes gens se précipitaient dans les mêmes amours ; quand il n’y avait plus enfin qu’à les brûler tous ensemble ; c’est dans ce jour terrible où la foudre allait tomber. Ces paroles d’ailleurs n’ont rien de commun avec la vertu et le vice ; il s’agit d’un fléau envoyé de Dieu. Que fallait-il faire, je vous le demande ? S’asseoir ? subir le supplice, et, sans aucune utilité pour les autres, brûler avec eux ? C’eût été le comble de la démence. Et moi, je ne vous dis pas qu’il faille de nécessité absolue, sans réflexion, inutilement, subir, le supplice, quand ce n’est pas la volonté de Dieu ; mais quand un homme est en proie au vice, dans ce cas, je vous le dis, jetez-vous dans le danger pour le corriger et le redresser ; et cela, si vous voulez, dans l’intérêt du prochain ; et si ce n’est pas pour cette raison, que ce soit au moins pour le profit qui vous en reviendra. La première de ces deux raisons est de beaucoup la meilleure ; mais, si vous ne pouvez pas atteindre à cette hauteur agissez au moins en pensant à vous, et que personne ne cherche son intérêt propre, s’il veut être sûr de le trouver. Et concevons bien tous que ni le renoncement aux richesses, ni le martyre, ni quoi que ce soit, ne nous peut protéger, si nous n’avons pas la perfection de la charité. Gardons-la donc avant toutes les autres vertus, afin d’obtenir, par elle, et les biens présents et tous ceux qui nous sont promis, et puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, là gloire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVI.

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JE VOUS LOUE, MES FRÈRES, DE CE QUE VOUS VOUS SOUVENEZ DE MOI EN TOUTES CHOSES, ET QUE VOUS GARDEZ LES TRADITIONS ET LES RÈGLES QUE JE VOUS AI DONNÉES. (CHAP. 11, VERSET 2, JUSQU’AU VERSET 17)

ANALYSE.

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  • 1 et 2. De l’enseignement oral de Paul, et de ses rapports avec les fidèles.
  • 3. Le Christ est la tête et le chef de l’homme. – Dissertation sur la valeur des expressions humaines appliquées à Dieu.
  • 4 et 5. Pourquoi les hommes doivent prier, la tête découverte ; les femmes doivent toujours avoir la tête enveloppée d’un voile. – Développements divers.
  • 6-8. Ne nous occupons pas des devoirs des autres, quand c’est à nous qu’on reproche l’oubli des devoirs. – De la complaisance que les époux se doivent mutuellement. – Généreuse colère contre les misérables qui ne craignent pas de battre une femme. – Détail d’une grâce touchante, le soir où un père, séparant sa fille de toute la famille, la confie à son époux.


1. Après avoir dit sur les offrandes consacrées aux idoles tout ce qu’il lui convenait d’exposer, n’ayant plus rien à ajouter à l’ensemble complet de ses réflexions, il passe à un autre sujet, qui renferme bien aussi une accusation, mais non aussi grave. Je vous ai déjà dit, et maintenant je vous répète encore, que l’apôtre ne formule pas tout de suite et sans interruption les reproches de la plus grande sévérité. Il les dispose dans un ordre convenable ; il intercale au milieu de sa lettre des choses plus agréables, pour adoucir ce qu’aurait d’insupportable pour les auditeurs un discours tout composé de sévères réprimandes. Voilà pourquoi il réserve pour la fin le sujet de la résurrection, sur lequel il doit déployer le plus de véhémence. En attendant il s’arrête à quelque chose de moins grave : « Je vous loue, mes frères, de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses ». Quand le péché est constant, il attaque vivement, il menace ; quand il y a doute, ce n’est qu’après avoir fait la preuve qu’il gronde ; ce qui est avoué, il l’étale ; ce qui est contesté, il l’établit. Par exemple, au sujet de la fornication, le doute n’était pas possible ; il n’y avait donc pas lieu à montrer que c’était un péché ; que fait l’apôtre alors ? Il étale l’énormité de la faute, et il use d’un développement par comparaison. Quant à l’habitude de juger le prochain, c’était un péché, mais non d’une gravité aussi grande ; voilà pourquoi il introduit dans son discours des réflexions et des preuves à ce sujet. Maintenant, pour les offrandes consacrées aux idoles, il y avait doute, mais le péché était grand ; voilà pourquoi il montre que c’est un péché, et ce point il le développe. Et en agissant ainsi, non seulement il détourne les fidèles des péchés qui leur sont reprochés, mais il conduit les âmes à des fins contraires. En effet, il ne se contente pas de dire qu’il ne faut pas commettre de fornication, il ajoute que l’on doit montrer une grande sainteté. De là, ces paroles : « Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit ». (1Cor. 6,20) Et ailleurs, quand il da qu’il ne faut pas être sage de la sagesse extérieure, il ne se, contente pas de cette réflexion, q ajoute qu’il faut devenir fou ; et quand il donne le conseil de ne pas plaider devant les juges païens, le conseil de ne commettre autune injustice, il va plus loin ; il défend tout procès, et il ne recommande pas seulement de ne jamais commettre l’injustice, mais il conseille de s’y résigner:; et, dans ses réflexions sur les offrandes consacrées aux idoles, il n’ordonne pas seulement de s’abstenir de ce qui est défendu, mais, de plus, de ce qui est permis, ce qui vaut mieux que d’être un sujet de scandale. Nous ne devons pas éviter seulement de scandaliser nos frères, mais de scandaliser les gentils et les Juifs. « Ne donnez pas occasion de scandale, ni aux Juifs, ni aux gentils, ni à l’Église de Dieu ».
Eh bien donc ; après avoir achevé toutes ces réflexions, il passe à une accusation d’un autre genre ; de quoi s’agissait-il ? Des femmes découvertes, la tête nue, priaient et prophétisaient. Il faut que vous sachiez qu’alors les femmes prophétisaient. Les hommes laissaient pousser leur chevelure, comme étant versés dans la philosophie ; et ils se couvraient la tête en priant et en prophétisant. Ces deux pratiques étaient d’origine païenne. Il faut croire que l’apôtre avait fait, de vive voix, aux fidèles, sur tous ces points des exhortations, que les uns s’y étaient conformés, que les autres ne l’avaient pas écouté ; voilà pourquoi il les reprend dans sa lettre, et, comme un sage médecin, recommence à les traiter pour les guérir enfin. Qu’il les eût déjà avertis, en séjournant parmi eux ; c’est ce qui résulte des premières paroles que nous venons de lire ; car pourquoi, n’ayant rien dit nulle part, à ce sujet, dans sa lettre, et ne s’étant occupé que des reproches à formuler, leur dit-il, sans préambule : « Je vous loue, mes frères, de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données ». Comprenez-vous que les uns l’avaient écouté, ce dont il les loue ; que les autres ne l’avaient pas écouté, et, à ce propos ; il les redresse par les paroles qu’il ajoute dans la suite : « Si quelqu’un aime à contester, ce n’est point là notre coutume ». (1Cor. 11,16) Je suppose que, les uns se conduisant bien, les autres ne l’écoutant pas, il les eût tous accusés indistinctement ; il n’aurait fait alors qu’enhardir les uns, autoriser la mollesse des autres. Que fait-il au contraire ? Les uns, il les loue, il les approuve ; les autres, il les réprimande ; il encourage ainsi ceux qui font bien, et il fait honte à ceux qui se conduisent mal. La réprimande suffit d’elle-même pour frapper ; mais, quand elle est accompagnée d’une comparaison avec ceux qui se sont bien conduits, auxquels on adresse des éloges, l’aiguillon de la réprimande est plus pénétrant. Ici, ce n’est pas par la réprimande, mais par les compliments que l’apôtre débute, par de grands compliments, en disant : « Je vous loue de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses ».
C’est l’ordinaire de Paul de répondre, même à de petites actions bien faites, par de grandes louanges. Ce n’est pas flatterie, loin de nous cette pensée ; pourrait-on dire cela de Paul, qui ne désirait ni argent, ni gloire, ni rien de pareil, qui faisait toutes choses en vue du salut de ses frères ? Voilà donc pourquoi il loue avec tant de complaisance, en disant : « Je vous loue de ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses ». Que signifie « En toutes choses ? » Il ne parlait que de la chevelure, qu’il ne fallait pas laisser croître, et de la tête, qui ne devait pas être couverte. C’est, comme je vous l’ai dit, qu’il prodigue les éloges, afin d’encourager. Voilà pourquoi il dit : « De ce que vous vous souvenez de moi, en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données ». D’où il résulte qu’il leur communiquait autrement que par écrit beaucoup de préceptes ; c’est ce qu’il indique ailleurs, dans un grand nombre de passages. Mais alors il se contentait de communiquer les préceptes, tandis que, maintenant, il fait plus, il en explique la raison ; par là il raffermissait ceux qui l’écoutaient, et il rabattait l’orgueil des contradicteurs. Ensuite, il ne dit pas : Vous avez obéi, d’autres n’ont pas obéi ; mais, sans marquer aucun soupçon, il le fait assez entendre, par son enseignement même, dans ce qu’il ajoute, en ces termes : « Mais je désire que vous sachiez que Jésus-Christ est le chef et la tête de tout homme, que l’homme est le chef de la femme, et que Dieu est le chef de Jésus-Christ ». Voilà donc le précepte expliqué dans sa cause. Et cette cause il la donne pour rendre les faibles plus appliqués. Celui qui est fidèle, est fort et il n’a pas besoin de raisonnements, d’explications ; pour obéir aux préceptes il lui suffit de les recevoir. Au contraire, celui qui est faible a besoin d’en savoir les raisons, il se rappelle alors avec plus de plaisir ce qu’on lui a dit, il est plus ardent à la pratique.
2. Voilà pourquoi l’apôtre attend, pour donner les raisons du précepte, que le précepte ait été violé. Quelles sont donc ces raisons ? « Jésus-Christ est le chef et la tête de tout homme ». Comment donc ? même du gentil ? Nullement ; car c’est parce que nous sommes le corps de Jésus-Christ, une partie de ses membres, que Jésus-Christ est notre tête. Quant à ceux qui ne sont pas dans le corps, qui ne sont pas réputés des membres, il ne peut pas être leur tête. Aussi, lorsque l’apôtre dit : « De tout », il faut sous-entendre, fidèle. Voyez-vous comme, en toutes circonstances, il prend d’en haut ses inspirations pour faire rentrer en soi-même l’auditeur. Quand il parlait et de la charité, et de l’humilité, et de l’aumône, c’est d’en haut qu’il tirait ses exemples. « L’homme est le chef de la femme et Dieu est le chef de Jésus-Christ ». C’est ici que les hérétiques nous attaquent, s’imaginant qu’il résulte de ces paroles que le Fils est moindre que le Père ; mais ils ne font que s’attaquer eux-mêmes ; car si l’homme est le chef de la femme, si le chef et le corps sont de la même substance, si Dieu est le chef de Jésus-Christ, le Fils est de la même substance que le Père. – Mais, nous répondent-ils, nous ne voulons pas montrer par là qu’il soit d’une autre substance, mais qu’il est commandé par son Père. – Que leur répondrons-nous ? Ceci principalement : La modestie de l’expression appliquée au Dieu incarné, n’a rien qui rabaisse sa divinité, l’incarnation admettant cette expression. – D’ailleurs, parlez, soutenez votre dire. – Eh bien, nous répond-on, l’homme commande à la femme, c’est de la même manière que le Père commande au Christ. Le Christ commande à l’homme, et c’est de la même manière que le Père commande au Fils : car, dit l’apôtre, « Jésus-Christ est le chef et la tête de tout homme ». Qui jamais admettra ces pensées ? En effet, si la supériorité du Christ sur nous est la mesure de la supériorité du Père sur le Fils, comprenez-vous jusqu’à quel infime degré vous le rabaissez ?
Il ne faut donc pas établir une similitude parfaite entre Dieu et nous, quelle que soit la similitude des expressions : il faut reconnaître, à Dieu, une excellence propre, toute l’excellence qui appartient à la nature de Dieu. Sinon, les absurdités se dérouleront en foule. Réfléchissez : Dieu est le chef du Christ, le Christ est le chef de l’homme, l’homme est le chef de la femme. Eh bien, prenons, dans tous les cas, le mot chef, en lui donnant la même valeur ; voilà que le Fils sera au-dessous du Père, juste autant que nous sommes au-dessous du Fils. Mais ce n’est pas tout : la femme, à son tour, sera au-dessous de nous, juste autant que nous sommes au-dessous du Verbe divin ; et ce qu’est le Fils à l’égard du Père, nous le serons à l’égard du Fils ; et la femme le sera à l’égard de l’homme. Qui l’admettra ? Appliqué au Christ relativement à l’homme, le mot chef a une autre valeur qu’appliqué à l’homme par rapport à la femme ; donc aussi il a encore une autre valeur appliqué au Père par rapport au Fils. Et comment, me dira-t-on, déterminerons-nous la différence ? Par l’objet même que l’apôtre a en vue. En effet, si Paul eût voulu dire autorité et sujétion, comme vous le prétendez, il n’aurait pas parlé de la femme, il aurait proposé, comme exemple, l’esclave et le maître. Car si la femme nous est soumise, elle reste toujours femme, elle reste libre, elle reste notre égale en honneur. Et le Fils aussi obéit à son Père, mais il reste le Fils de Dieu, il reste Dieu. De même que le Fils a plus d’obéissance pour son Père, que les hommes n’en ont pour ceux qu’ils ont engendrés, de même, en lui, la liberté est plus grande. Et en effet, si les devoirs du Fils envers le Père sont plus impérieux pour lui, plus conformes à sa nature, que chez les hommes, ainsi en est-il des devoirs du Père envers le Fils. Car si nous admirons le Fils obéissant jusqu’à mourir, et jusqu’à mourir sur la croix, si nous disons qu’il y a là un merveilleux mystère, c’est un mystère également merveilleux que le Père ait engendré un tel fils, non pas un esclave de ses ordres, mais un Fils libre, obéissant, partageant ses conseils ; car le conseiller n’est pas un esclave. Et maintenant ce mot de conseiller ne veut pas dire que le Père ait besoin d’un conseiller, mais que le Fils est en honneur l’égal de son Père.
Il ne faut donc pas étendre trop loin cette comparaison tirée de l’homme et la femme. Chez nous ce n’est pas sans raison que la femme est soumise à l’homme ; car l’égalité d’honneur engendre la lutte ; cette sujétion, d’ailleurs, a une autre cause, la séduction de la première femme. La femme ne fut pas, aussitôt après sa création, assujettie à l’homme ; et, quand Dieu l’amena à son mari, elle n’entendit ni Dieu, ni son mari, lui parler de dépendante ; Adam lui dit seulement qu’elle était « l’os de ses os et la chair de sa chair » (Gen. 2,23) ; de commandement, ou de sujétion, il ne lui dit rien. Mais quand elle eut fait un mauvais usage de son pouvoir, quand celle qui devait aider l’homme, l’eut fait tomber dans un piège, quand tout fut perdu par sa faute, c’est alors qu’elle entendit ce juste arrêt : « Tu dépendras de ton mari ». (Gen. 3,16) Car comme il était vraisemblable que ce péché allait introduire là guerre au milieu des hommes (c’eût été, pour rétablir la paix, une considération peu importante que ce fait que la femme était sortie de lui ; au contraire, cette circonstance même ne pouvait qu’exaspérer son mari, puisque celle qui était sortie de lui, n’avait pas même épargné celui dont elle était le membre) ; Dieu, comprenant la malice du démon, éleva, par cette seule parole, comme un rempart où elle devait se briser ; par cette sentence et aussi par la concupiscence naturelle, il prévint la haine qui n’aurait pas manqué de naître et détruisit, comme un mur de séparation, le ressentiment produit par la première faute. Mais maintenant, dans l’être divin, dans la substance incorruptible, il n’est pas permis de rien soupçonner de pareil ainsi quand on use d’une comparaison, gardez-vous de l’étendre outre mesure, autrement il en résulterait de graves inconvénients. L’apôtre disait, au commencement de sa lettre : « Car tout est à vous, et vous êtes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ est à Dieu ». (1Cor. 3,22-23)
3. Qu’est-ce que cela veut dire : Tout est à nous, et nous sommes à Jésus-Christ, et Jésus-Christ est à Dieu ? Y a-t-il en tout cela une similitude parfaite ? Nullement ; les plus insensés mêmes, comprennent la différence ; cependant c’est du même terme que l’on se sert pour parler de Dieu, de Jésus-Christ et de nous. Et, ailleurs, après avoir dit que l’homme est le chef de la femme, il ajoute : « Comme le Christ est le chef et le Sauveur de l’Église, « et son défenseur ; ainsi le mari doit l’être pour son épouse ». (Eph. 5,23-24) Eh bien donc, trouverons-nous là une similitude parfaite, aussi bien que dans tout ce qu’il écrit encore aux Éphésiens à ce sujet ? Loin de nous cette pensée. En effet, cela ne se peut pas ; on se sert des mêmes mots en parlant de Dieu et des hommes, mais ils doivent être entendus autrement dans un cas que dans l’autre. Et maintenant, n’allons pas, au rebours, chercher partout la diversité, car alors il faudrait dire que toutes ces comparaisons auraient été admises au hasard, et sans réflexion, puisque nous n’en retirerions aucun fruit. Donc, de même qu’il ne faut pas voir la similitude partout, de même il ne faut pas la rejeter partout. J’éclaircis ma pensée, je prends un exemple pour essayer de la faire comprendre. On dit que Jésus-Christ est la tête de l’Église ; si je n’attache aucune idée humaine à cette parole, à quoi sert-elle ? Et maintenant si, au contraire, j’y attache toutes les idées humaines, voilà une série interminable d’absurdités, car la tête est sujette aux mêmes affections que le corps. Donc que faut-il négliger ? que faut-il prendre ? Il faut négliger les conséquences que je viens d’énoncer, il faut prendre l’idée d’union parfaite, l’idée de cause et de premier principe ; il faut même entendre ceci d’une manière plus sublime et plus relevée en Dieu qu’en nous, d’une manière qui soit conforme à la nature divine ; car l’union est plus sûre, le principe plus auguste.
Vous avez encore entendu le mot Fils. Eh bien ! ici encore, il ne faut ni tout prendre ni tout rejeter ; il faut prendre ce qui convient à Dieu, savoir, que le Fils est consubstantiel au Père et qu’il est de lui ; pour ce qui serait déplacé, ce qui n’appartient qu’à l’infirmité humaine, laissez-le à la terre. Autre exemple encore : Dieu a été appelé lumière ; eh bien ! prendrons-nous toutes les idées qui se rapportent à notre lumière ? Nullement, car notre lumière est circonscrite par les ténèbres et par l’espace ; une force étrangère la met en mouvement, et la recouvre d’ombre ; nulle de ces idées n’est permise au sujet de l’essence divine. Mais maintenant ce n’est pas une raison pour tout rejeter ; sachons, au contraire, recueillir, de cet exemple, ce qu’il a d’utile ; l’illumination qui nous inonde et qui vient de Dieu ; notre affranchissement des ténèbres. Toutes ces paroles que je viens de dire, sont à l’adresse des hérétiques ; mais il faut, dès à présent, traiter à fond le texte qui nous occupe.
Peut-être ici soulèvera-t-on la question de savoir quel mal c’était aux femmes de se découvrir la tête, aux hommes de se la couvrir ; écoutez les raisons, et comprenez-les. L’homme et la femme ont reçu un grand nombre de caractères différents : l’un, ceux du commandement ; l’autre, ceux de la sujétion. Une de ces marques, c’est que la femme ait la tête couverte, que l’homme ait la tête nue ; donc, si tels sont leurs signes, ils pèchent tous les deux contre l’ordre, contre le précepte divin ; ils franchissent les limites qui leur ont été fixées ; l’un s’abaisse à la faiblesse de la femme ; l’autre usurpe la dignité du mari. En effet, il ne leur est pas permis de changer de vêtement ; la femme n’a pas le droit de porter la chlamyde ; l’homme ne doit pas prendre le bandeau ni le voile. « Une femme ne prendra point un habit d’homme, et un homme ne prendra point un habit de femme ». (Deut. 22,5) À bien plus forte raison, les caractères de la tête doivent-ils être conservés ; car les formes différentes sont d’institution humaine, quoique Dieu, plus tard, les ait confirmées. C’est une loi naturelle qui ordonne d’avoir ou de n’avoir pas la tête couverte. Il est bien entendu que quand je parle de nature, je parle de Dieu ; car c’est lui qui a fait la nature. Eh bien, voyez quels grands maux résultent de ce que vous bouleversez la nature ; et ne me dites pas que le péché est petit ; il est grand en soi, car c’est la désobéissance. Serait-il petit en soi, il deviendrait grand, parce qu’il y a là un symbole de choses importantes. Que ce soit un grand symbole, c’est ce qui résulte du bel ordre qui se manifeste, par là, au milieu des hommes : d’une part, le commandement, de l’autre la sujétion, marqués dans le costume qui convient à chaque état. La transgression, ici, confond tout, répudie les dons de Dieu, foule aux pieds l’honneur qui vient d’en haut ; et ce n’est pas l’homme seulement qui est coupable, mais la femme aussi ; car, assurément, son plus grand honneur, c’est de se tenir au rang qui lui est propre ; sa honte, c’est de s’en écarter. Aussi, à propos de l’un et de l’autre : « Tout homme qui prie, ou qui prophétise », dit l’apôtre, « ayant quelque chose sur la tête, déshonore sa tête : mais toute femme qui prie, ou qui prophétise, n’ayant point la tête couverte d’un voile, déshonore sa tête (4) ». Il y avait en effet, comme je l’ai dit, et des hommes et des femmes qui prophétisaient ; des femmes ayant reçu le don de prophétie, comme les filles de Philippe, et d’autres encore, soit avant soit après elles, dont parlait le prophète Joël : « Vos fils prophétiseront, et vos filles verront des visions ». (Jol. 2,28) L’apôtre ne veut pas que l’homme ait toujours la tête découverte, mais seulement quand il prie. « Tout homme », dit-il, « qui prie, ou qui prophétise, ayant quelque chose sur la tête, déshonore sa tête ». Quant à la femme, il veut qu’elle ait toujours la tête couverte. Aussi, après avoir dit : « Toute femme qui prie, ou qui prophétise, n’ayant point la tête couverte, déshonore sa tête », il ne s’arrête pas là, mais il ajoute : « Car c’est comme si elle était rasée ». S’il est toujours honteux, pour une femme, d’avoir la tête rasée, il est évident que c’est une honte pour elle que d’avoir toujours la tête découverte.

4. Et l’apôtre ne s’est pas contenté de ces paroles, mais il ajoute encore : « La femme doit porter sur sa tête, à cause des anges, la marque de la puissance que l’homme a sur elle (10) ». Il montre ainsi que ce n’est pas seulement dans le temps de la prière, mais toujours, que la femme doit être voilée. En ce qui concerne l’homme, ce n’est pas du voile qu’il s’occupe, mais de la chevelure ; il ne veut pas qu’il ait la tête couverte, mais cette défense ne regarde que le temps de la prière. Quant à la longue chevelure, elle lui est toujours défendue. Aussi, après avoir dit de la femme : « Si une femme ne se voile point la tête, elle devrait donc avoir aussi les cheveux coupés » ; il dit, en parlant de l’homme : « S’il porte de longs cheveux, il se déshonore » ; il ne dit pas : S’il se couvre la tête, mais : « S’il porte de longs cheveux ». Voilà pourquoi il dit en commençant : « Tout homme qui prie, ou qui prophétise, ayant quelque chose sur la tête » ; il ne dit pas : Ayant la tête couverte, mais : « Ayant quelque chose sur la tête », montrant que, fût-il la tête nue, dans le moment de la prière, s’il a une chevelure trop longue, c’est comme s’il avait la tête couverte. « Car la chevelure », dit-il, « a été donnée à la femme comme un voile ; si une femme ne se voile point la tête, elle devrait donc avoir aussi les cheveux coupés. Mais s’il est honteux à une « femme d’avoir les cheveux coupés, ou d’être « rasée, qu’elle se voile la tête ». D’abord, il demande seulement qu’elle n’ait pas la tête nue ; il va plus loin ensuite, et lui fait entendre qu’elle ne doit jamais l’avoir nue, par ces paroles : « C’est comme si elle était rasée » ; elle doit se tenir toujours couverte et avec le plus grand soin. Il ne veut pas seulement qu’elle soit voilée, mais tout à fait voilée, enveloppée de toutes parts. Après avoir montré tout ce qu’il y a d’indécent dans une tête découverte, il fait honte à la femme, il lui inflige cette réprimande si vive : « Si une femme ne se voile point la tête, elle devrait donc avoir aussi les cheveux coupés ». Si vous rejetez le voile, dit l’apôtre, que Dieu vous a donné, rejetez donc aussi le voile de la nature. On objectera : comment serait-ce une honte pour la femme de s’élever à la gloire de l’homme ? Nous répondrons, nous, qu’elle ne s’élève pas, qu’elle, tombe, qu’elle se dégrade de ses propres honneurs ; car outrepasser ses limites, les lois reçues de Dieu, les transgresser, ce n’est pas ajouter à ses prérogatives, c’est les diminuer. De même que celui qui désire le bien d’autrui, et qui emporte ce qui ne lui appartient pas, ne devient pas plus riche, mais s’appauvrit, et perd ce qu’il possédait, ce qui est arrivé à propos du paradis, de même la femme ne conquiert pas la prérogative de l’homme, elle perd l’honneur de la femme ; et son infamie ne résulte pas, pour elle, seulement de cette conduite, mais encore de sa convoitise. Aussi, quand l’apôtre a bien rappelé ce que tout le monde regarde comme une honte, quand il a dit : « S’il est honteux à une femme, d’avoir les cheveux coupés ou d’être rasée », il exprime sa pensée à lui par ces mois : « Qu’elle se voile la tête ». Il ne dit pas : Qu’elle laisse croître sa chevelure, mais : « Qu’elle se voile ». Ces deux préceptes ; il les fonde sur une seule et même loi ; il les confirme l’un par l’autre, et par ce qui est généralement établi, et, par les contraires. Le voile et la chevelure pour lui, c’est tout un ; et, de même, c’est la même chose pour la femme, d’être rasée et d’avoir la tête nue. « Car c’est, », dit-il, « comme si elle était rasée ». On objectera : comment est-ce la même chose d’avoir, pour se couvrir, ce que la nature donne, et d’être rasée, de ne l’avoir pas ? Nous, répondrons : que, par le fait de sa volonté, la femme a abandonné même le voile naturel par cela même qu’elle a la tête nue ; si elle a encore des cheveux, elle les doit à la nature et non à sa volonté ; c’est pourquoi la femme rasée a la tête nue ; et l’autre, également. Dieu a permis à la nature de couvrir la tête de la femme, afin que la femme instruite par la nature se, couvrît d’un voile.

L’apôtre rend ensuite raison de ses ordonnances comme s’adressant à des hommes libres. Cette explication, quelle est-elle ? « L’homme ne doit point se couvrir la tête, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu. (7) ». Encore une autre raison : ce n’est pas, seulement parce qu’il a pour chef le Christ, qu’il ne doit pas se couvrir la tête ; c’est aussi parce qu’il commande à la femme. Un prince qui s’approche d’un souverain, doit avoir le signe de sa principauté ; aucun prince n’oserait paraître sans ceinture, sans manteau, devant celui qui porte le diadème. Gardez-vous, à votre tour, de négliger le signe de votre principauté, qui consiste à avoir la tête découverte, lorsque vous priez Dieu ; vous vous feriez affront à vous-mêmes, et à celui qui vous a conféré votre honneur. On peut en dire autant de la femme ; car c’est, pour elle aussi, une honte, de ne pas avoir les signes de sa sujétion. « Au lieu que la femme est la gloire de l’homme ». L’autorité, de l’homme est fondée en nature. Après ces raisonnements, ces explications, il en propose encore d’autres ; il vous fait remonter aux premiers jours de la création ; car l’homme n’a point été tiré de la femme, « mais la femme, a été, tirée de l’homme (8) ». Or, si l’extraction est un sujet de gloire pour l’être dont on est tiré, la gloire est encore augmentée si l’être est l’image de celui de qui il est tiré ; « car l’homme n’a point été créé pour la femme, mais la femme, pour l’homme, (9) ». Voilà la seconde raison de l’excellence de l’homme sur la femme, disons mieux, la troisième et la quatrième raison. Première raison : le Christ est notre chef, et nous sommes le chef de la femme ; seconde raison : nous sommes, la gloire de Dieu, et la femme est notre gloire ; troisième raison : ce n’est pas nous qui sommes tirés de la femme, mais c’est elle qui est tirée de nous ; quatrième raison : ce n’est pas nous qui sommes faits pour elle, mais c’est elle qui est faite pour nous. « C’est, pourquoi la femme doit porter sur sa tête, à cause des anges, la marque de la puissance que l’homme a sur elle (10) », « C’est pourquoi » : Pour quelle raison, répondez-moi ? Pour toutes les raisons qui ont été dites, ou plutôt, ce n’est pas seulement pour toutes ces raisons, mais « à cause des anges » ; si vous ne respectez pas votre mari, ô femme, respectez au moins les anges.

5. Ainsi, ce voile que vous mettez sur votre tête est la marque de la sujétion à une autorité, elle vous force à abaisser vos regards, à conserver la vertu qui vous est propre ; la vertu propre, l’honneur d’un sujet, c’est de rester dans l’obéissance. L’homme n’y est pas contraint, car il est, l’image de Dieu même ; la femme y est obligée, et c’est justice ; comprenez donc, ô hommes, l’excès de votre faute, lorsque vous, qui êtes honorés d’un si grand pouvoir, vous vous avilissez vous-mêmes, en usurpant le costume de la femme ; c’est comme si vous rejetiez de votre tête un diadème, pour prendre, au lieu de ce diadème, un vêtement d’esclave. « Toutefois, ni l’homme n’est point sans la femme, ni la femme sans l’homme, en Notre-Seigneur (11) ». Après avoir donné à l’homme une grande supériorité, après avoir dit que la femme a été tirée de lui, pour lui, qu’elle lui a été soumise, il craint d’élever l’homme outre mesure, de trop abaisser la femme ; voyez comme il corrige ses paroles : « Toutefois, ni l’homme n’est point sans la femme, ni la femme sans l’homme, en Notre-Seigneur ». Gardez-vous de ne voir que le commencement, de ne considérer que la première formation ; si vous examinez ce qui a suivi, chacun des deux est l’auteur de l’autre ; disons mieux, aucun des deux n’est l’auteur de l’autre ; Dieu seul est l’auteur de tous les êtres ; de là ces paroles : « Ni l’homme n’est point sans la femme, ni la femme sans l’homme, en Notre-Seigneur. « Car, comme la femme a été tirée de l’homme, « ainsi l’homme est par le moyen de la femme (12) ». II ne dit pas : Est de la femme, tandis qu’il n’a pas craint de dire encore une fois « La femme à été tirée de l’homme ». Cette prérogative reste entière à l’homme ; à vrai dire, ces œuvres magnifiques ne sont pas de l’homme, mais de Dieu. Aussi l’apôtre ajoute-t-il : « Et tout vient de Dieu ».
Donc, si tout vient de Dieu, si c’est lui qui vous donne ces commandements, obéissez sans contredire. « Jugez vous-mêmes, s’il est bienséant à une femme, de prier Dieu, sans avoir un voile (13) ». Ici encore, il les fait juges de ses paroles ; c’est ce qu’on a vu, à propos des viandes consacrées aux idoles. Il disait alors : « Soyez juges de ce que je dis » ; et ici : « Jugez vous-mêmes ». Il insinue ici une pensée faite pour inspirer la terreur c’est que l’insulte remonte jusqu’à Dieu. Toutefois il ne l’exprime pas en ces termes, il ne la dégage pas, il se contente de dire : « S’il est bienséant à une femme de prier Dieu, sans avoir un voile. La seule nature ne vous enseigne-t-elle pas qu’il serait honteux, à un homme, de laisser croître sa chevelure, et qu’il est, au contraire, honorable, à une femme, de la laisser croître, parce qu’elle lui a été donnée comme un voile (14, 15) ? » L’apôtre suit ici son habitude ; il tire ses raisonnements, à la portée de tous, des usages les plus ordinaires, et sa vive réprimande déconcerte les auditeurs, en leur révélant ce que la vie commune aurait dû leur apprendre ; tout ce qu’il leur dit, des barbares mêmes le savent. Remarquez la vivacité de toutes ses expressions : « Tout homme qui prie en s’enveloppant la tête, déshonore sa tête » ; et encore : « S’il est honteux, à une femme, d’avoir les cheveux coupés ou d’être rasée, qu’elle se voile la tête tout à fait » ; et encore, dans le même passage : « Si l’homme laisse croître sa chevelure, il se déshonore ; si la femme laisse croître sa chevelure, elle s’honore, parce qu’elle lui a été donnée comme un voile ».
Eh bien, dira-t-on, si sa chevelure lui a été donnée comme un voile, à quoi bon y ajouter un autre voile ? c’est que la femme ne doit pas confesser sa dépendance uniquement par des signes naturels, elle la doit reconnaître aussi par sa volonté. Tu dois porter un voile que la nature tout d’abord t’a imposé ; joins-y donc l’œuvre de ta volonté, si tu ne veux pas avoir l’air de renvoyer les lois de la nature ; ce serait le comble de l’impudence de prendre à partie, non seulement nous, mais la nature. Aussi Dieu adressait-il ce reproche au peuple Juif : « Tu as égorgé tes fils et tes filles ; c’est là le comble de toutes tes abominations ». (Ez. 16,21) Et Paul, dans son épître aux Romains, réprimandant les abominables, aggrave ses accusations en disant qu’ils ne se sont pas seulement révoltés contre la loi de Dieu, mais contre la nature : « Ils ont changé l’usage qui est selon la nature, en un autre qui est contre la nature ». (Rom. 1,26) L’apôtre use ici du même moyen, il montre qu’il ne révèle ici rien d’inconnu, que les païens ne connaissent que trop ces nouveautés qui sont des révoltes contre la nature. C’est le même genre de preuves qu’employait le Christ, en disant : « Faites donc aux hommes tout ce que vous voulez qu’ils vous fassent » (Mt. 7,12) ; il montrait par là qu’il n’enseignait rien d’étrange. « Si, après cela, quelqu’un aime à contester, ce n’est pas là notre coutume, ni celle de l’Église de Dieu (16) ». C’est aimer les contestations que de résister à ses paroles, ce n’est pas faire preuve de raison : outre la petite réprimande qu’il leur fait ainsi, considérons qu’il les rappelle efficacement à eux-mêmes, et ces paroles ajoutent de la gravité à son discours. Ce n’est pas là, dit-il, notre coutume, nous n’aimons pas à disputer, à quereller, à contredire. Et il ne s’arrête pas là, à ces mots : « Ce n’est pas là notre coutume », il ajoute encore : « Ni celle de l’Église de Dieu », montrant par là que ces contradicteurs sont les adversaires opiniâtres du monde entier ; mais quelles qu’aient été les contestations des Corinthiens, aujourd’hui le monde entier a reçu cette loi et l’a conservée : telle est la puissance du Crucifié.
6. Mais j’ai peur que, tout en conservant la modestie extérieure, certaines femmes ne se laissent aller à des actions honteuses, et ne se découvrent d’une autre manière. Aussi, Paul, écrivant à Timothée, ne s’est pas contenté de ces paroles, il ajoute : « Que les femmes prient, étant vêtues comme l’honnêteté le demande, et non avec des cheveux frisés, ni des ornements d’or ». (1Tim. 2,9) C’est qu’en effet, s’il ne faut pas avoir la tête nue, s’il convient de montrer partout le signe de la sujétion, c’est surtout par les œuvres qu’il faut faire voir ce signe ; c’est ainsi qu’à n’en pas douter les femmes des premiers âges appelaient leurs maris leurs maîtres et leur cédaient l’autorité. C’est qu’aussi, me répondra-t-on, ils aimaient leurs femmes ; je le sais bien, je ne l’ignore pas. Mais lorsque nous vous avertissons de vos devoirs, vous n’avez pas besoin de considérer les devoirs des autres. Quand nous exhortons les enfants, et que nous leur disons d’obéir à leurs parents, attendu qu’il est écrit : « Honorez votre père et votre mère », ils nous répondent : dites-nous donc aussi ce qui vient après : « Et vous, pères, n’irritez point vos enfants ». (Eph. 6,4) Et quand nous disons aux esclaves, qu’il est écrit qu’ils doivent obéir à leurs maîtres, et ne pas se contenter de les servir en leur présence (Col. 3,32) ; les esclaves, à leur tour, exigent de nous la suite du texte, en nous disant de faire des recommandations à leurs maîtres ; car, nous disent-ils, Paul a prescrit aux maîtres de se relâcher de leurs menaces.
N’agissons pas de cette manière, ne recherchons pas les préceptes donnés aux autres, lorsque c’est nous qui sommes accusés. Vous aurez beau prendre un coaccusé, vous n’en serez pas, pour cela, moins coupables. Ne considérez qu’une chose, comment vous saurez vous purger des accusations dirigées contre vous. Adam rejetait la faute sur la femme, et celle-ci, à son tour, sur le serpent. Mais ce moyen n’a en rien servi à les absoudre. Laissons donc là toutes ces raisons ; mais applique-toi, de tout ton cœur, femme, à rendre à ton mari ce que tu lui dois. Aussi bien, quand je m’adresse à ton mari, quand je lui dis de te chérir, de prendre soin de toi, je ne lui permets pas de me produire la loi qui concerne la femme, mais j’exige de lui la pratique de la loi qui le concerne. Par conséquent ménage toute ton activité pour les devoirs qui te regardent, et sois complaisante pour ton mari. Si c’est en vue de Dieu que tu veux plaire à ton mari, tu ne me rappelleras pas ses devoirs à lui, ce sont les devoirs à toi imposés par le législateur, que tu dois surtout pratiquer avec le plus grand soin. Ce qui prouve en effet le mieux l’obéissance à la loi de Dieu, c’est, quelles que soient les contrariétés qu’on éprouve, de ne jamais la transgresser. Aimer qui vous aime, ce n’est pas là une grande vertu ; mais servir celui qui vous hait, voilà ce qui mérite toutes les couronnes. Eh bien, fais ce raisonnement en toi-même, ô femme, si tu supportes un mari incommode, tu recevras une splendide couronne ; si au contraire ton mari est doux et bon, quelle récompense Dieu te donnera-t-il ? Et ce que j’en dis, ce n’est pas pour conseiller aux maris de devenir des êtres hargneux, mais je voudrais persuader aux femmes de supporter même les maris hargneux. Et en effet, que chacun s’applique à bien faire ce qui le regarde, le prochain tout de suite en fera autant. Par exemple : une femme est bien disposée à supporter un mari difficile, un mari ne fait pas affront à une femme importune, alors c’est la parfaite sérénité ; c’est un port sans agitation ; c’est ainsi que vivaient les anciens. Chacun faisait son devoir, sans exiger que le prochain fît le sien.
Abraham prit avec soi le fils de son frère ; sa femme n’y trouva rien à redire ; il ordonna à sa femme de faire un long voyage ; elle n’y contredit en rien, elle le suivit. Ce n’est pas tout : après tant de fatigues, et de labeurs, et de sueurs, quand il fut devenu riche, il fit la plus belle part à Lotit, et Sara, non seulement ne se fâcha pas, mais ne souffla pas le mot ; elle ne dit rien de ce que crient sur tous les tons, tant de femmes d’aujourd’hui, lorsque les moisis bien partagés, dans des affaires de ce genre, ce sont leurs maris à elles, surtout quand elles les voient ainsi traités par des inférieurs, elles leur font des reproches, elles les appellent des niais, des stupides, des sans-cœur, des traîtres, des lourdaux. Sara ne dit rien, ne pensa rien de pareil, elle approuva tout ce qu’il avait fait. Et, ce qui est plus généreux encore, après que Loth eût été mis en mesure de choisir dans le partage, et qu’il eût donné à son oncle la plus petite part, et que ce même Loth courût un grand danger, à cette nouvelle, le patriarche arma tous les siens et s’apprêta à marcher contre toute l’armée des Perses, n’ayant avec lui que les gens de sa maison. Eh bien ! alors elle ne le retint pas, elle ne lui dit pas, ce qu’elle aurait pu lui dire : où allez-vous ? Vous courez aux précipices ; vous allez affronter de si grands dangers pour un homme qui vous a fait outrage, qui vous a ravi tous vos biens ? Vous allez verser votre sang ? Si vous ne pensez pas à vous-même, pensez à moi du moins, qui ai abandonné ma maison, ma patrie, mes amis, mes parents ; qui vous ai suivi dans un si long voyage. Ayez pitié de moi, ne me jetez pas dans le veuvage, dans tous les malheurs dont le veuvage est accompagné. Elle ne dit rien de pareil ; elle ne pensa rien – de pareil, elle souffrit tout en silence. Et, plus tard, lorsqu’elle demeure stérile, elle ne montre aucun des sentiments que font paraître les femmes en ces circonstances ; elle ne pousse pas de lamentations. Il pleure, lui, non pas en présence de son épouse, mais en présence de Dieu, et, voyez, comme l’époux et l’épouse font chacun leur devoir. Abraham ne méprise pas Sara, parce qu’elle est stérile, il ne lui fait, pour cette raison, aucun reproche : celle-ci, de son côté, s’ingénie à consoler Abraham de cette privation, par le moyen de sa servante. Dans ces temps anciens, ces choses-là n’étaient pas défendues, comme elles le sont aujourd’hui. Aujourd’hui, en effet, il n’est pas permis aux femmes de pousser jusque-là la complaisance pour leurs maris, et ceux-ci ne doivent pas au su ou à l’insu de leurs femmes, recourir à de pareils commerces, si grande que soit leur douleur de n’avoir pas d’enfants. Car ils entendraient, à leur tour, ces paroles : « Leur ver ne mourra point, leur feu ne s’éteindra point ». (Mc. 9,45) En effet, ces choses-là, aujourd’hui, ne sont plus permises ; mais alors la défense n’existait pas. Et voilà pourquoi son épouse lui donna ce conseil ; et il lui obéit, et il ne fit rien pour le plaisir. Mais voyez donc, me dira-t-on, comment sur l’ordre de Sara il chassa la servante. C’est justement ce que je veux vous montrer : en toutes choses, il lui obéissait, et elle, à lui.
7. D’ailleurs, ne faites pas seulement attention à ce renvoi, ô femmes, mais considérez donc, puisque vous en parlez, quels outrages la servante faisait à sa maîtresse, avec quelle insolence elle s’élevait contre elle, et que peut-il y avoir de plus insupportable, pour une femme libre et honnête ? Il ne faut pas que la femme attende la vertu de son mari ; pour faire paraître la sienne ; il n’y aurait rien de grand dans cette conduite. Le mari ne doit pas non plus attendre la sagesse de sa femme pour montrer qu’il est sage ; il n’y aurait rien de raisonnable dans cette conduite, mais chacun d’eux, comme je l’ai dit, doit faire ce qui le regarde. Si, en effet, vous devez, aux étrangers qui vous frappent la joue droite, présenter la joue gauche, à bien plus forte raison convient-il qu’une femme supporte la brutalité de son mari. Je ne dis pas, pour cela, que les maris doivent battre leurs femmes, c’est là la dernière ignominie, non pour celle qui est frappée, mais pour celui qui la frappe. Mais si,-par hasard, ô femme, tu as en partage un époux de ce genre, résigne-toi, dans la pensée de la récompense qui t’est réservée, et de l’estime qui t’accompagne en cette vie.- Et maintenant, ô mari, voici ce que je vous dis : Il ne doit jamais y avoir pour vous de faute qui vous force à frapper votre épouse. Et que dis-je, votre épouse ? Frapper une servante, lever la main sur elle, cela n’est pas supportable, de la part d’un homme libre. Si c’est une grande honte pour un homme que de frapper une servante, à bien plus forte raison, de lever la main sur une femme libre. C’est ce que l’on peut voir dans les législateurs du monde : la femme qui a souffert un pareil traitement, n’est pas forcée d’habiter avec celui qui la frappe, qui est indigne de partager son sort. Et, en effet, c’est de la dernière iniquité que de faire subir à la compagne de sa vie, qui depuis longtemps vous sert dans les nécessités de l’existence, l’infâme traitement des esclaves.
Aussi je dirai qu’un tel homme, si toutefois le nom d’homme lui convient, s’il ne faut pas l’appeler une bête sauvage, ressemble an meurtrier d’un père ou d’une mère ; car si la loi nous dit d’abandonner, pour notre femme, et notre père et notre mère, sans faire injure à nos parents, mais en accomplissant la loi divine, tellement chère à ses parents mêmes, que ceux qu’on abandonne, consentent à être abandonnés, trouvent dans cet abandon l’accomplissement de leur vif désir ; qui ne voit que c’est être en démence que de faire affront à la femme, pour qui Dieu nous a ordonné d’abandonner nos parents ? En démence, est-ce assez dire ? Qui pourrait supporter ce déshonneur et cette ignominie ? Quel discours pourrait l’exprimer ? Ce sont des hurlements, des gémissements qui retentissent dans les carrefours ; et c’est un concours de tout le peuple, dans la maison de l’homme qui se conduit d’une manière si honteuse ; et voisins et passants s’y précipitent, comme si une bête féroce abîmait tout, détruisait tout dans l’intérieur. Mieux vaudrait pour ce furieux d’être englouti dans (les entrailles de) la terre, que de se représenter ensuite en public. Mais la femme est acariâtre, dira-t-on ; mais réfléchissez donc que c’est une femme, quelque chose de fragile, et que vous êtes un homme. Et si vous avez été établi pour être son chef, si vous êtes, comme sa tête, c’est afin de supporter la faiblesse de celle qui vous doit l’obéissance ; faites donc en sorte que votre empire soit glorieux, et, pour qu’il soit glorieux, il ne faut pas que vous déshonoriez celle à qui vous commandez. Et de même que le roi a d’autant plus de gloire qu’il revêt de plus de gloire celui qui commande sous lui ; si, au contraire ; il déshonore, s’il flétrit l’homme puissant, il diminue également sa propre gloire de souverain ; de même vous, en déshonorant celle qui commande après vous, vous portez une atteinte non légère à l’honneur de votre principauté. Donc, pénétrés de toutes ces vérités, conduisez-vous avec tempérance, et joignez à ces pensées le souvenir de ce beau soir où le père vous a fait venir, vous a confié sa fille comme un dépôt, la séparant de tout le reste, et de sa mère, et de lui-même et de toute la famille, pour vous la remettre à vous seul, quand votre main a touché sa main ; pensez qu’après Dieu, c’est elle qui vous adonné des enfants, qui vous a rendu père ; soyez donc, par ces raisons, plein de douceur pour elle.
8. Une fois que la terre a reçu les semences, ne voyez-vous pas la culture variée dont l’embellissent les gens de la campagne, quelque difficultés que cette terre leur oppose, quelle que soit son aridité, quoiqu’elle produise de mauvaises plantes ; quoiqu’elle soit dans une position à être inondée par les pluies ? Faites de même : impossible autrement de récolter les fruits ni d’avoir la tranquillité. Une femme, c’est un port ; c’est le remède souverain qui procure la joie. Abritez-le donc, votre port, contre les vents, contre les flots, et vous aurez la paix en revenant du dehors ; si, au contraire, vous y versez les troubles et l’agitation, vous ne faites que vous préparer un lugubre naufrage. Il ne faut pas qu’il en soit ainsi ; faites ce que je vous dis : s’il arrive quelque chose de fâcheux, dans la maison, par la faute de votre femme, consolez-la, n’augmentez pas les chagrins. Car eussiez-vous tout perdu, rien de plus triste que de n’avoir pas une femme qui vive en paix avec vous : et quoi que vous ayez à lui reprocher, rien de plus affligeant que de disputer avec elle. Donc, pour toutes ces raisons, conservez l’amour pour elle comme votre bien le plus précieux. Si nous devons nous supporter mutuellement, à bien plus forte raison, faut-il supporter une épouse ; si elle est pauvre, ne lui reprochez pas sa pauvreté ; si elle a peu d’esprit, ne l’insultez pas ; faites mieux, gouvernez-la ; c’est votre membre, et vous n’êtes tous deux qu’une seule et même chair. Mais c’est une femme bavarde, et adonnée au vin, et qui se met en colère. Eh bien, soyez triste, mais pas d’emportement ; il faut prier Dieu, avertir cette femme, la redresser par vos conseils, et tout faire pour extirper ses vices. Mais la battre, mais la meurtrir, ce n’est pas soigner sa maladie ; la brutalité se corrige par la douceur, non par une autre brutalité. Considérez aussi la récompense que Dieu vous réserve. Quand vous pourriez l’exterminer, cette femme, n’en faites rien, craignez Dieu, supportez tant et tant de défauts, redoutez la loi qui défend de chasser une femme ; quel que soit le mal qui la travaille, c’est une ineffable récompense que vous recevrez, et, avant ces récompenses, vous y gagnerez les biens les plus enviables ici-bas, vous l’aurez rendue plus soumise, et vous serez devenu plus clément pour elle.
On rapporte d’un philosophe païen qu’il avait une méchante femme, et bavarde, et adonnée au vin ; on lui demandait comment il pouvait y tenir : c’est une école, répondait-il, une palestre de philosophie, que j’ai à la maison. Je n’en serai que plus doux avec les personnes du dehors, disait-il, vu l’exercice quotidien qu’elle me fait faire. Vous poussez de grands cris ? Eh bien, moi, je pousse un grand gémissement, à voir que des païens sont plus sages que nous, que nous qui avons l’ordre d’imiter les anges, je me trompe, qui avons l’ordre de rivaliser avec Dieu même pour la douceur et la bonté. Donc ce sage, dit-on, pour cette raison, ne chassa pas cette méchante femme ; quelques-uns même prétendent que ce fut pour cette raison qu’il l’épousa. Quant à moi, vu le grand nombre d’hommes peu susceptibles de raison, je vous conseille de tout faire d’abord, de ne rien négliger pour que les femmes que vous prendrez, soient bien assorties et remplies de toute espèce de vertu : mais s’il vous arrivait de vous tromper, d’introduire une méchante femme, une femme insupportable dans votre maison, je dis qu’alors vous devriez au moins imiter ce sage, et sans maltraiter cette femme, tâcher de la corriger de ses imperfections. Le marchand fait un traité avec son associé, prend toutes ses précautions, pour assurer le bon accord, avant de lancer son vaisseau à la, mer, et il ne se préoccupe d’aucune autre affaire. Eh bien, nous aussi, prenons toutes nos précautions pour que l’associé de notre vie se tienne en paix avec nous pendant toute la durée de la traversée. Voilà comment nous serons sûrs d’avoir, pour tout le reste, la tranquillité ; voilà comment nous traverserons en toute sécurité la mer de la vie présente. Ce qu’il faut préférer à tous les biens, maisons, esclaves, trésors, domaines, fonctions politiques. Regardons comme le bien le plus précieux, que celle qui demeure avec nous, dans la même habitation que nous, ne soit pas en désaccord, en dispute avec nous. Si nous possédons ce bien, tous les autres couleront sur nous d’eux-mêmes, et nous jouirons de l’abondance des biens spirituels, douce récompense de notre concorde sous le même joug ; nous ferons comme il faut tout ce qu’il convient de faire, et nous obtiendrons les biens qui nous sont réservés : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, et maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVII.

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MAIS JE NE PUIS VOUS LOUER EN CE QUE JE VAIS VOUS DIRE, À SAVOIR : QUE VOUS VOUS CONDUISEZ DE TELLE SORTE, DANS VOS ASSEMBLÉES, QU’ELLES VOUS NUISENT, AU LIEU DE VOUS SERVIR. (CHAP. 11, VERS. 17, JUSQU’AU VERS. 27)

ANALYSE.

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  • 1 et 2. Des repas en commun ; ancien usage ; désordres qui en altéraient l’esprit ; reproches de Paul.
  • 3. Réflexions sur la manière dont l’Apôtre exerce la réprimande.
  • 4. De l’institution de la cène.
  • 5. Admirable invective contre ceux qui s’approchent de la table sainte sans préparation, et contre ceux qui courent de la table sainte aux orgies.


1. Il faut d’abord dire la cause du reproche qu’il leur adresse en ce moment ; la suite du discours se comprendra mieux. Quelle est donc la cause de ce reproche ? Les trois mille qui avaient, au commencement, accepté la foi, mangeaient en commun, possédaient tout en commun ; cette communauté subsistait aux temps où écrivait l’apôtre, mais la vie n’était plus aussi exemplaire, c’était comme un faible courant de la communauté des anciens jours, qui était descendu sur les chrétiens d’alors. Comme les uns étaient pauvres, les autres riches, tous ne mettaient plus en commun leurs biens ; mais seulement à certains jours on faisait table commune par convenance ; l’assemblée des fidèles avait lieu, on célébrait en commun les saints mystères, et ensuite on se réunissait pour le repas en commun ; les riches apportaient de quoi manger ; les pauvres et ceux qui n’avaient rien, étaient invités par les riches, et tous mangeaient ensemble. Plus tard, cet usage se perdit encore. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient divisés ; parce que tels disaient appartenir à ceux-ci ; tels autres, à ceux-là : moi, je suis à un tel, et moi à un tel. C’est contre cet abus que l’apôtre s’élève au commencement de sa lettre : « J’ai été averti, mes frères, par ceux de la maison de Chloé, qu’il y a des contestations parmi vous. Ce que je veux dire, c’est que chacun de vous prend parti, en disant : Moi, je suis à Paul ; moi, je suis à Apollon ; moi, je suis à Céphas ». (1Cor. 1,11, 12) Ce n’est pas qu’il y en eût qui prétendissent être à Paul, car il ne l’aurait pas souffert, mais il veut en finir avec ce désordre, et il écrit son nom pour montrer que, dans le cas où l’on s’attacherait à lui, en s’arrachant au corps commun des fidèles, ce serait une faute grossière, une infraction monstrueuse à la loi : que si, même avec Paul, c’était une infraction à la loi, à bien plus forte raison, avec ceux qui ne le valaient pas. Donc l’ancienne coutume ayant péri, cet usage si beau, si conforme à l’utilité (c’était une raison d’affection, une consolation pour les pauvres, une sanctification pour les riches, une occasion de montrer la plus haute sagesse, une leçon d’humilité) ; l’apôtre qui voyait que de si précieux avantages étaient perdus, se sert avec raison de paroles mordantes : « Mais je ne puis vous louer en ce que je vais vous dire ».
Dans les reproches qui précèdent, attendu qu’un grand nombre de fidèles ne les méritaient pas, il débute autrement : « Je vous loue de ce que vous vous souvenez de moi en toutes choses » ; ici, au contraire : « Mais je ne puis vous louer en ce que je vais vous dire ». Aussi n’exprime-t-il pas ce reproche aussitôt après la réprimande contre ceux qui mangeaient des viandes consacrées aux idoles ; comme son langage devait être sévère, l’apôtre intercale ses réflexions sur la chevelure, pour rompre la suite des accusations véhémentes, pour que son discours ne paraisse pas trop violent. Il revient ensuite à la réprimande forte et vive, et il dit : « Mais je ne puis vous louer en ce que je vais vous dire ». Qu’est-ce donc ? c’est ce dont je vais vous parler. Que signifie ce : « Je ne puis vous louer en ce que je vais dire ? » Je ne comprends pas, dit-il, que vous me forciez à vous donner un semblable conseil ; je ne puis vous louer de voir qu’il vous faille une pareille leçon, que vous ayez besoin en cela de mes avertissements. Voyez-vous comme il montre, dès le début, l’inconvenance de ce qui se passe ? En effet, quand le pécheur n’a pas besoin d’avertissement pour éviter le péché, le péché semble indigne de pardon. Et pourquoi ne pouvez-vous pas clous louer ? « Parce que vos assemblées vous nuisent, au lieu de vous servir », dit-il ; c’est-à-dire, parce que vous n’avancez pas dans la vertu. Quand vous devriez vous améliorer, brûler de plus en plus du désir de faire des progrès, vous avez affaibli un usage autrefois en vigueur, et vous l’avez affaibli à tel point que vous avez besoin de mes exhortations pour retourner à l’ancienne règle. Ensuite, ne voulant pas avoir l’air de parler seulement en faveur des pauvres, il ne se presse pas de discourir sur les tables ; sa réprimande pourrait être méprisée ; il cherche l’expression la plus puissante, la plus propre à inspirer une grande terreur : que dit-il ? « Premièrement, j’apprends que, lorsque vous vous assemblez dans l’église, il y a des schismes parmi vous (18) ». Il ne dit pas. J’apprends que vous ne mangez pas en commun, j’apprends que vous mangez en votre particulier, et non pas avec les pauvres ; il dit ce qui devait le plus secouer les esprits ; il prononce le mot de schisme ; le schisme était, en effet, la cause de ce désordre ; et il rappelle encore ce dont il avait parlé au commencement de son épître, et qui lui avait été annoncé par ceux de la maison de Chloé. « Et je le crois en partie ».
2. On aurait pu lui répondre, et si ce sont des menteurs, des calomniateurs ? Il ne dit pas qu’il croit tout, de peur de les jeter dans l’impudence ; il ne dit pas non plus, qu’il ne croit rien, de peur d’avoir l’air de leur adresser une réprimande inutile, mais : « Et je le crois en partie » ; ce qui veut dire, j’en crois quelque petite chose, afin de les tenir dans l’inquiétude et de leur ménager la rentrée dans le bon chemin. « Car il faut qu’il y ait même des hérésies, afin qu’on découvre, par là, ceux d’entre vous qui ont une vertu éprouvée (19) ». Ce qu’il entend ici par hérésies, ce ne sont pas celles des dogmes, mais celles qui résultent des séparations de ce genre. Dans le cas même où il aurait entendu les hérésies dogmatiques, il n’aurait pas donné prise à ses contradicteurs. Car le Christ dit : « Il est nécessaire que les scandales arrivent » (Mt. 18,7) ; parole qui ne porte pas atteinte à la liberté de notre volonté, qui ne suppose pas une contrainte, une violence exercée sur notre esprit, mais annonce par avance un effet de la dépravation des pensées de l’homme ; un effet résultant, non de la prédiction, mais d’une maladie incurable de certains esprits. Ce n’est pas parce que le Christ les a prédites, que les erreurs se sont produites ; mais c’est parce qu’elles devaient se produire, que la prédiction les a annoncées. En effet, si les scandales provenaient de la nécessité, et non de la volonté de ceux qui les font éclater, cette parole n’aurait pas de sens : « Malheur à l’homme par qui le scandale arrive ». (Id) Mais nous avons déjà développé ces réflexions en leur lieu ; arrivons maintenant à notre sujet. L’apôtre parle des hérésies concernant les tables ; des contestations, des divisions qu’on y voyait ; la suite du texte le montre assez. Il commence par dire : « J’apprends qu’il y a des schismes parmi vous ». Il ne s’arrête pas là, il montre quels sont ces schismes ; il ajoute : « Chacun mange son souper particulier » ; et ensuite : « N’avez-vous pas vos maisons pour y boire et pour y manger ? Ou méprisez-vous l’Église de Dieu.(21, 22) ? » Sa pensée est évidente. S’il appelle ces désordres des schismes, n’en soyez pas surpris ; je l’ai déjà dit, il emploie ce mot pour les frapper. S’il se fût agi de schismes dans les dogmes, son langage aurait été bien plus rude.
Entendez-le faire un reproche de ce genre ; quelle véhémence pour confirmer, pour réprimander ! Exemple de confirmation de la vérité : « Quand un ange du ciel vous annoncerait un évangile différent de celui que vous u avez reçu, qu’il soit anathème » (Gal. 1,8) ; exemple de réprimande : « Vous qui voulez être justifiés par la loi, vous êtes déchus de la grâce ». (Ibid 5, 4) Et il lui arrive d’appeler chiens les corrupteurs, « voyez les chiens » (Phil. 3,2), ou « de dire qu’ils ont la conscience brûlée de crimes » (1Tim. 4,2) ; ou encore que ce sont des anges du diable. Mais ici rien de tel, son langage est doux et tempéré. Que dit-il ? « Afin qu’on découvre, par là, ceux d’entre vous qui ont une vertu éprouvée » ; afin qu’ils brillent d’un plus vif éclat. Voici ce qu’il veut dire : Ceux qui ne bronchent pas, ceux qui sont fermes, non seulement ne sont nullement atteints par son discours, mais ses paroles rehaussent leur vertu. En effet, le « afin que » ne marque pas toujours la cause finale, le « pour que », mais souvent aussi la simple réalité, le « de sorte que ». C’est ainsi que le Christ emploie le « afin que : Je suis venu dans ce monde pour exercer un jugement, afin que ceux qui ne voient point, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles ». (Jn. 9,39) C’est ainsi que Paul lui-même, en dissertant sur la loi, écrit : « La loi est survenue, afin qu’elle donnât lieu à l’abondance du péché ». (Rom. 5,20) Mais ni la loi n’a été donnée pour augmenter les péchés des Juifs, ni le Christ n’est venu pour que ceux qui voient, devinssent aveugles, c’est plutôt afin que le contraire arrivât ; mais ce que l’on dit, c’est ce qui est arrivé. Eh bien, donnons ici le même sens aux mêmes mots « Afin qu’on découvre, par là, ceux d’entre vous qui ont une vertu éprouvée ». Les hérésies en effet ne se sont pas produites afin que l’on découvrît ceux qui avaient une vertu éprouvée ; mais, quand les hérésies sont venues, ce résultat s’est produit. Maintenant ces paroles de l’apôtre, c’est pour consoler les pauvres qui souffraient noblement un tel mépris. Aussi l’apôtre ne dit pas : pour qu’ils acquièrent une vertu éprouvée, mais : « Afin qu’on découvre, par là, ceux qui ont une vertu éprouvée ». Il reconnaît que, même auparavant, ils avaient cette vertu, mais ils étaient mêlés dans la foule, et la consolation qu’ils recevaient des riches, ne les rehaussait pas beaucoup. Mais maintenant ces divisions, ces contestations les ont mis en lumière, comme le pilote se révèle dans la tempête. L’apôtre ne dit pas non plus : afin qu’on découvre votre vertu éprouvée, mais : « Afin qu’on découvre ceux qui ont une vertu éprouvée », c’est-à-dire ceux d’entre vous qui se distinguent par là. En les accusant il ne désigne pas les coupables, afin de ne pas les rendre plus effrontés ; il ne les loue pas, afin de ne pas autoriser leur relâchement. Mais il fait entendre des paroles qui permettent le doute, et qui peuvent s’approprier à la conscience de chacun.
Et maintenant ici il ne me semble pas consoler seulement les pauvres, mais, avec eux, ceux qui continuaient à garder la coutume ; car il est vraisemblable que, dans le nombre, il y en avait qui l’observaient encore. De là, cette parole : « Et je le crois en partie ». C’est donc avec raison qu’il regarde comme étant d’une vertu éprouvée ceux qui non seulement avaient gardé cette coutume avec les autres, mais qui, dans l’isolement, conservaient, sans (altérer, cette loi si belle. Et ce que fait l’apôtre, c’est pour rendre les uns et les autres plus ardents au bien. Il détermine ensuite le caractère de ce péché. En quoi consiste-t-il ? « Lorsque vous vous assemblez, comme vous faites », dit l’apôtre, « ce n’est, plus manger « la cène du Seigneur, ». L’apôtre ne pouvait parler d’une manière qui fût plus propre à les confondre, et à leur : faire entendre un avis sous forme de récit. Une assemblée chrétienne, dit-il, a un autre caractère, c’est un effet de la charité, de l’amour fraternel ; sans doute, vous vous réunissez tous dans un seul et même lieu, et – vous êtes ensemble ; mais, pour ce qui est de la table, elle n’a plus rien d’une fraternelle assemblée. Et l’apôtre ne dit pas : Quand vous vous réunissez, vous ne mangez pas en commun ; il prend un autre tour, il les châtie d’une expression bien plus terrible, il leur dit : « Ce n’est plus manger la cène du Seigneur » ; il les transporte au soir même où le Christ a institué les redoutables mystères. C’est pour cela que Paul se sert ici du nom de « cène », pour rappeler la cène célèbre où tous les apôtres étaient assis à la même table. Et certes, il n’y a pas autant de différence entre les riches et les pauvres, qu’il y en avait entre le divin Maître et ses disciples : ici il y avait une distance infinie. Et, entre le divin Maître et ses disciples ? Réfléchissez à l’intervalle qu’il y avait entre le divin Maître et le traître ! Et cependant ce traître lui-même était à la même table avec eux, et le Christ ne le chassa pas. Il partagea le sel avec lui, et il l’associa à ses mystères.
3. L’apôtre explique ensuite comment ce n’est plus manger la cène du Seigneur. « Car, chacun y prend d’avance son souper, et le mange ; et l’un a faim, pendant que l’autre est ivre (21) ». Voyez-vous comme il leur fait voir leur honte ? Comme il leur fait comprendre qu’ils s’approprient ce qui appartient au Seigneur, qu’ils se déshonorent eux-mêmes en ôtant à leur table, ce qui en constituait la plus haute dignité. Comment, et de quelle manière ? Parce que c’est la cène du Seigneur ; or ce qui appartient au Seigneur doit être commun, les biens du maître n’appartiennent pas, en effet, à tel esclave ou à tel autre ; ils appartiennent, en commun, à tous. Cette expression « du Seigneur », signifie donc, ce qui est commun. Si c’est la chose de ton Seigneur, comme, c’est vrai en réalité, tu n’en dois arracher aucune partie, pour te l’attribuer en propre. Ce qui appartient au Seigneur, il faut le servir, en commun, à tous ; car c’est là le caractère de ce qui appartient au Seigneur ; et tu ne veux pas que cela soit regardé comme appartenant au Seigneur, puisque tu ne veux pas que cela soit commun, puisque tu manges à part. Aussi l’apôtre, dit-il : « Car chacun y prend d’avance son souper ». Et il ne dit pas : Tire sa part, mais : « Prend d’avance », censurant doucement (impatience de la gourmandise ; sa pensée s’explique parce qui suit ; après ce qu’il vient de dire, il ajoute : « Et l’un a faim, tandis que l’autre est ivre » ; double preuve que l’on ne gardait pas la mesure. D’un côté, le manque, de l’autre, l’excès. Et voilà la seconde accusation qu’il leur jette à la face. Première accusation, ils déshonorent leur table ; seconde accusation, ils se remplissent le ventre et s’enivrent ; et cela, ce qui est plus grave, lorsque les pauvres ont faim. Tous devaient prendre leur part du repas commun ; mais il y en avait qui engloutissaient, à eux seuls, tout 1e repas, et, s’abandonnant à une voracité insatiable, ils tombaient dans l’ivresse. Aussi l’apôtre ne dit-il pas : l’un a faim, l’autre se rassasie ; mais : « L’autre est ivre ». Double sujet de justes reproches ; car l’ivresse, même sans y joindre le mépris des pauvres, est un motif d’accusation ; le mépris des pauvres, sans l’ivresse, suffit encore pour rendre coupable ; mais maintenant, joignez ces deux fautes ensemble, et calculez le degré de la dépravation !
Ensuite, après avoir montré l’excès du désordre, il se livre à toute son indignation, il s’écrie : « N’avez-vous pas vos maisons pour y manger et pour y boire, ou méprisez-vous l’Église de Dieu, et voulez-vous faire honte à ceux qui sont pauvres (22) ? » Voyez-vous comme il passe de l’affront fait aux pauvres à l’insulte envers l’Église, pour donner à son discours plus de force encore ? Voilà donc une quatrième accusation ; ce n’est pas le pauvre seulement, c’est aussi l’Église qui est outragée. De même que tu fais de la cène du Seigneur ta chose à toi, de même tu t’adjuges le lieu, et tu te sers de l’Église comme ta maison à toi. L’église a été faite ; non pour diviser ceux qui s’y rassemblent, mais pour unir ensemble ceux qui sont divisés, et c’est ce que signifie ce mot d’assemblée : « Et voulez-vous faire honte à ceux qui sont pauvres ? » L’apôtre ne dit pas : et vous faites mourir de faim ceux qui sont pauvres ; il prend une expression plus capable d’inspirer de la honte : « Voulez-vous faire honte ? » comme s’il disait : Voulez-vous faire rougir ? Il montre que ce n’est pas tant la nourriture qui l’occupe, que l’affront infligé aux pauvres. Cinquième accusation : non seulement ils méprisent ceux qui ont faim, mais, de plus, ils les font rougir. Et ce discours avait pour but, en même temps, d’honorer les pauvres, et de montrer qu’ils ne souffrent pas autant de la faim que de l’insulte qui leur était faite ; et en même temps, l’apôtre voulait attirer ses auditeurs à la compassion. Donc, après avoir montré tous ces désordres insulte à la cène, insulte à l’Église, mépris des pauvres, il adoucit la violence de sa réprimande, il dit : « Vous en louerai-je ? Non, je ne vous en loue pas ». On s’étonnera qu’au moment où la réprimande devait avoir le plus d’impétuosité, après tant de désordres qu’il vient de flétrir, l’apôtre prenne justement un ton plus doux, et donne à ceux qui l’écoutent, le temps de respirer. Pourquoi ? C’est que l’accusation avait été développée d’une manière sévère. C’est un excellent médecin, il a fait une incision proportionnée aux blessures ; quand il a fallu pénétrer profondément, il ne s’est pas contenté de couper à la surface ; (vous savez bien comme il a retranché le fornicateur qui demeurait chez ces Corinthiens) ; mais, en même temps, quand il faut de doux remèdes, il n’a pas recours au fer. Voilà donc pourquoi il adoucit maintenant son langage ; il s’efforçait d’ailleurs de les rendre plus doux envers les pauvres ; voilà pourquoi il leur adresse des paroles moins vives. Et ensuite, comme il veut les toucher plus fortement par des raisonnements d’un autre genre, il reprend des pensées plus imposantes : « Car c’est du Seigneur », dit-il, « que j’ai appris ce que je vous ai aussi enseigné, à savoir que le Seigneur Jésus, la nuit même où il devait être livré, prit du pain, et, ayant rendu grâces, le rompit et dit : Prenez et mangez ; ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi (23, 24) ». Pourquoi ce rappel des saints mystères ? C’est que c’était un argument décisif, dans le sujet qu’il traite. Le Seigneur ton Dieu, dit-il, a daigné admettre tous les hommes sans exception à cette table d’une sainteté terrible, à cette table si auguste ; et toi, tu regardes les hommes comme indignes de la tienne, d’une table vile et misérable ? Quoique ces pauvres ne reçoivent, dans les biens spirituels, rien de plus que toi, tu les dépouilles des biens sensibles, tu leur prends ce qui ne t’appartient pas ? L’apôtre toutefois ne s’exprime pas ainsi, son discours eût été trop dur ; il l’adoucit en disant. « Que le Seigneur Jésus, la nuit même où il devait être livré, prit du pain ». Et pourquoi rappeler la circonstance, cette soirée, cette trahison ? Ce n’est pas sans dessein, sans raison ; il veut les toucher profondément, en leur rappelant le temps. Serait-on de pierre, quand on pense à cette nuit, à cette tristesse du Christ au milieu de ses disciples, à la manière dont il fut livré, dont il fut lié, dont il fut enchaîné, dont il fut jugé, dont il supporta tout ce qui suivit, l’âme s’attendrit plus que la cire, on ne pense plus à la terre, aux pompes, à toutes les images du monde. Voilà pourquoi l’apôtre nous rappelle et l’heure, et la table, et la trahison ; c’est pour nous confondre ; il dit à chacun de nous : Le Seigneur ton Dieu s’est livré lui-même, dans ton intérêt, et tu ne donnes pas à ton frère l’aliment que tu dois partager avec lui, dans ton propre intérêt ?
4. Mais maintenant, pourquoi dit-il que c’est du Seigneur qu’il a appris ; car il n’était pas alors du côté du Christ, il était du nombre des persécuteurs ? c’est pour vous apprendre que cette première cène n’avait rien qui ne se soit trouvé dans celles qui ont suivi. Aujourd’hui encore, c’est le Seigneur qui fait tout, qui se livre à nous, comme au premier soir ; et ce n’est pas seulement pour cette raison que l’apôtre rappelle cette nuit auguste ; il veut encore nous toucher jusqu’au fond du cœur d’une autre manière ; de même que les paroles dont nous gardons le plus le souvenir, sont celles qui sortent les dernières de la bouche des mourants, et de même que, si leurs héritiers osaient enfreindre leurs ordres, nous leur dirions pour les confondre : pensez que telle a été la dernière parole de votre père ; que, jusqu’au jour où il devait rendre l’âme, voilà les recommandations qu’il a faites ; de même Paul, voulant donner à son discours une gravité redoutable : Souvenez-vous, dit-il, que l’institution de ce mystère est la dernière chose qu’il a faite, que, dans cette nuit même où il devait être immolé pour vous, voilà les préceptes qu’il vous a transmis, et qu’après nous avoir laissé cette cène, il n’y a plus rien ajouté.
L’apôtre raconte ensuite les faits qui se sont passés : « Il prit du pain, et, ayant rendu grâces, le rompit et dit : Prenez et mangez, ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ». Donc, si vous approchez de l’Eucharistie, ne faites rien d’indigne de l’Eucharistie ; ne faites pas honte à votre frère, ne négligez pas celui qui a faim, ne vous enivrez pas, n’outragez pas l’Église. Vous vous approchez pour rendre grâces pour les biens que vous avez reçus, sachez donc payer Dieu de retour, et ne vous séparez pas violemment du prochain, car le Christ a fait à tous un partage égal, en disant : « Prenez et mangez » ; il a donné son corps également à tous, et vous, vous ne donnez pas même le pain également à tous. Le Christ a rompu son corps, pour tous, de la même manière, et il a pris un corps pour tous également. – « Il prit de même le calice, après avoir soupé, en disant : Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang ; toutes les fois que vous le boirez, faites ceci en mémoire de moi (25) ». Que dites-vous ? Vous faites la commémoration du Christ, et vous méprisez les pauvres, et vous ne tremblez pas ? Mais, je suppose que, votre fils ou votre frère étant mort, vous en célébriez la mémoire ; votre conscience serait déchirée si vous n’accomplissiez pas les devoirs ordinaires, si vous n’appeliez pas les pauvres. Et vous faites la mémoire de votre Seigneur, sans même partager votre table avec eux ? Et maintenant que signifient ces mots : « Ce calice est la nouvelle alliance ? » C’est que, dans l’Ancien Testament, il y avait un calice, on faisait des libations avec le sang des animaux qu’on sacrifiait ; on recevait le sang dans un vase et l’on faisait les libations. Le Christ, substituant au sang des animaux son propre sang, prévient le trouble dans les pensées de ceux qui l’écoutent, en rappelant l’ancien sacrifice.
L’apôtre, après avoir parlé de cette cène mémorable, rapproche les mystères actuels des mystères qui furent célébrés alors, afin que les fidèles éprouvent les mêmes sentiments que s’ils assistaient à la cène de cette soirée célèbre, et qu’ils se figurent être assis à la table de Jésus-Christ, et recevoir de sa propre main ces saints mystères : « Car toutes les fois que vous mangerez ce pain, et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne (26) ». Car, de même que le Christ disait, en donnant le pain et le calice : « Faites ceci en mémoire de moi », nous découvrant la cause du mystère ; et, entre autres choses, nous montrant que rien que cette cause suffisait pour fonder notre piété ; car la pensée de ce que votre Seigneur a souffert pour vous, augmentera votre sagesse ; de même Paul, de son côté, vous dit : Toutes les fois que vous mangerez, vous annoncerez sa mort. Voilà en effet ce qui constitue cette cène. Ensuite, pour montrer qu’elle se perpétuera jusqu’à la consommation des siècles, il dit : « Jusqu’à ce qu’il vienne. « C’est pourquoi, quiconque mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur (27) ». Pourquoi ? Parce qu’il a répandu ce sang divin par un meurtre, non par un sacrifice. De même que ceux qui autrefois le percèrent de leurs coups, ne le percèrent pas pour boire son sang, mais seulement pour le répandre ; ainsi fait celui qui en approche d’une manière indigne, et il n’en retire aucun fruit. Voyez-vous comme l’apôtre a rendu son discours terrible ; comme il frappe sur les coupables ; comme il leur montre qu’en buvant ce sang avec les dispositions qu’ils apportent, ils sont indignes de prendre leur part des mystères ? Et comment ne serait-ce pas une indignité de mépriser celui qui a faim, d’ajouter à ce mépris la confusion dont on l’accable ? Si le refus de donner aux pauvres est une raison qui vous fait déchoir du royaume des cieux, alors même qu’on aurait le mérite de la virginité ; bien plus, si l’on perd cette royauté, parce que l’on ne donne pas largement ; car vous savez bien que ces vierges avaient de l’huile, mais elles n’en avaient pas en abondance ; considérez – l’excès du malheur qui résulte de si grands désordres.
5. Quels désordres ? direz-vous. – Quoi, mon frère, en doutez-vous ? Voilà la table à laquelle vous avez été admis ; vous devriez montrer une douceur parfaite, égaler les anges, et vous êtes devenu un monstre de cruauté. Vous avez goûté le sang du Seigneur, et ; dans ces circonstances, vous ne reconnaissez pas votre frère ? Eh ! quel pardon pouvez-vous mériter ? Je suppose qu’auparavant vous ne le connaissiez pas ; du moment que vous vous êtes approché de cette table, vous deviez le reconnaître, tandis que vous faites tout le contraire. Cette table même, vous la déshonorez ; celui qui a été jugé digne de s’y asseoir avec vous, vous ne le jugez pas digne, vous, de partager votre nourriture. N’avez-vous pas appris le traitement subi par l’homme qui exigeait ses cent deniers ? Avez-vous oublié comment il a rendu inutile le présent qui lui avait été fait ? Ne savez-vous plus qui vous étiez, et ce que vous êtes devenu ? Avez-vous oublié que vous-même vous étiez plus pauvre que ce pauvre d’argent, vous qui étiez dans l’indigence des bonnes œuvres, riche de tant et tant de péchés ? Eh bien ! en dépit de tout, Dieu vous a affranchi entièrement de ces péchés, il vous a jugé digne de cette table auguste, et vous-même, après cela, vous ne vous êtes pas attendri ? Que pouvez-vous espérer encore, que d’être livré aux bourreaux ? Ces paroles, nous les entendrons tous, tous tant que nous sommes, qui nous approchons avec les pauvres de cette table sainte. Sortis de ce sacré banquet, nous ne paraissons pas avoir eu même un regard pour eux ; nous sommes ivres, et nous passons sans voir ceux qui ont faim. C’est ce qu’il reprochait alors aux Corinthiens. Et quand donc, me direz-vous, arrivent ces désordres ? Toujours, et surtout dans les fêtes, où ils devraient le moins se montrer. Car alors, vite après la communion, c’est l’ivresse et le mépris des pauvres. Et quand vous avez reçu le sang sacré, quand c’est l’heure du jeûne et de la tempérance, c’est alors que vous vous livrez au vin et aux excès de la gourmandise. S’il vous arrive, dans un repas, de manger d’un mets délicat, vous avez bien soin de n’en pas perdre le goût, en mangeant d’un mets grossier. Mais, quand vous avez reçu la nourriture spirituelle, vous vous livrez aux délices de Satan.
Considérez ce que firent les apôtres, au sortir de la cène sacrée. Ne s’appliquèrent-ils pas à la prière, au chant des hymnes, aux saintes veilles, aux longs enseignements d’une doctrine pleine de sagesse ? car c’était l’heure où le Sauveur leur exposait sa merveilleuse doctrine, leur communiquait ses admirables préceptes, après le départ de Judas, quand ce traître s’en alla avertir ceux qui devaient le traîner à la croix. Ne savez-vous pas comment ces trois mille hommes qui avaient été admis à la communion persévéraient dans la prière, dans 1a méditation de la doctrine, au lieu de se livrer à l’ivresse et à la gourmandise ? Pour toi, avant la table sainte, tu jeûnes, pour paraître, tant bien que mal, digne de la communion ; mais, au sortir de la table, quand tu devrais être plus tempérant encore, tu perds tout. Certes, ce n’est pas la même chose de jeûner avant et de jeûner après. La tempérance convient dans ces deux moments, mais surtout après que tu as reçu l’époux. Tu jeûnais avant, pour être digne de le recevoir ; il faut jeûner après, pour ne pas paraître indigne de l’avoir reçu. Par exemple l Il faut que je jeûne après l’avoir reçu ? Je ne dis pas cela, ni ne vous en fais une obligation. Sans doute ce serait un bien, mais je ne vous fais pas violence ; seulement je vous exhorte à ne pas vous gorger de délices, au-delà de toute mesure. S’il ne convient jamais de rechercher les délices de la vie, ce que Paul a déclaré par ces paroles : « Car pour celle qui vit dans les délices, quoique vivante, elle est morte ». (1Tim. 5,6) ; à bien plus forte raison, les délices, dans cette circonstance, c’est la mort. Si c’est la mort, pour une femme, à bien plus forte raison, pour un homme ; si, dans toute autre circonstance, c’est votre perte, à bien plus forte raison, après la participation aux mystères. Comment ? tu as reçu le pain de vie, tu fais ce qui donne la mort, et tu ne frissonnes pas ? Ignores-tu quels maux innombrables produit la vie passée dans les délices ? le rire intempestif, les paroles désordonnées, les bouffonneries mortelles à l’âme, le bavardage funeste, et tout ce que l’on n’ose même pas rappeler ? Et cela, tu le fais après avoir joui de la table du Christ, le jour même où tu as été jugé digne de toucher, de ta langue, ses chairs sacrées ? Ah ! qui que tu sois, ne recommence pas ; purifie ta droite, ta langue, les lèvres qui ont servi d’entrée au Christ, venant vers toi. Assis à la table des sens, reporte ta pensée à cette table auguste, à la cène du Seigneur, à la veille passée par ses disciples dans cette nuit si sainte. Je me trompe, à vrai dire, c’est l’heure présente qui est la nuit. Veillons donc avec le Seigneur ; frappons-nous la poitrine avec les disciples ; c’est le temps des prières et non de l’ivresse ; c’est le temps, toujours, et surtout pendant les fêtes ; car si des fêtes sont instituées, ce n’est pas pour mener une conduite honteuse, ce n’est pas pour accumuler les péchés, mais, au contraire, pour effacer ceux que nous avons commis. Et je sais bien que mon discours est inutile, mais je n’en continuerai pas moins mon discours. Vous ne l’écouterez pas tous, mais vous ne serez pas tous à le repousser. Et quand vous seriez tous à le repousser, eh bien, ma récompense n’en sera que plus belle, et, pour vous, le jugement plus à craindre. Ce n’est pourtant pas afin de rendre le jugement plus redoutable pour vous que je tiens à continuer mon discours ; peut-être, oui, peut-être, à force d’insister, je toucherai le but. Voilà pourquoi je vous conjure de ne pas attirer, sur nous, notre jugement, notre condamnation. Nourrissons le Christ, donnons-lui à boire, donnons-lui des vêtements. Voilà ce qui est digne de cette table auguste. Avez-vous entendu les hymnes sacrées ? Avez-vous vu les noces spirituelles ? Avez-vous été reçus à la table royale ? Avez-vous été remplis de l’Esprit-Saint ? Vous êtes-vous mêlés au chœur des séraphins ? Avez-vous été confondus parmi les puissances d’en haut ? Ne rejetez pas loin de vous une joie si grande. Ne gaspillez pas votre trésor ; n’attirez pas sur vous l’ivresse, cette joie du démon, cette mère de maux sans nombre. De là, un sommeil semblable à la mort ; de là, des assoupissements, des maladies, l’esprit n’ayant plus de souvenirs, l’image de la mort. Remplis de vin, vous n’oseriez pas vous entretenir avec un ami ; et, quand vous portez le Christ au dedans de vous, vous osez, je vous le demande, répandre sur lui une telle ivresse ?
Mais, vous aimez les délices de la vie ? Eh bien donc, finissez-en avec l’ivresse. Ce que je veux pour vous, ce sont les vraies délices, qui ne se flétrissent jamais. Quelles sont-elles ces vraies délices, toujours en fleurs ? Invitez le Christ à votre repas ; partagez, avec lui, vos biens, ou plutôt les siens, voilà ce qui renferme le plaisir inépuisable, la volupté toujours en fleurs. Ce ne sont pas là les délices des sens ; à peine se sont-elles montrées qu’elles se sont évanouies. Qui s’y est livré, n’est pas plus heureux que celui qui ne les a pas éprouvées ; au contraire, sa condition est pire ; l’un est comme assis dans un port tranquille ; l’autre affronte un torrent, des maladies qui l’assiègent, et impossible à lui de supporter cette tempête. Prévenons ces malheurs ; attachons-nous à la tempérance ; c’est ainsi que nous aurons la santé du corps, et que notre âme sera en sûreté, à l’abri des maux présents, et à venir. Puissions-nous tous en être délivrés, et conquérir le royaume du ciel, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXVIII.

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{{sc|QUE L’HOMME DONC S’ÉPROUVE SOI-MÊME, AVANT DE MANGER DE CE PAIN ET DE BOIRE DE CE CALICE. (CHAP. 11, VERS. 28, JUSQU’À LA FIN DU CHAP)}}

ANALYSE.

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  • 1. De la nécessité de s’éprouver soi-même avant de manger le pain de vie et de boire le calice du Seigneur.
  • 2. Pourquoi les pécheurs ne sont pas tous présentement punis. – Les fidèles, assemblés pour manger, doivent s’attendre les uns les autres.
  • 3-5. Contre l’excès de la douleur dans le deuil. – Développement curieux, à l’adresse des femmes. – En opposition, la sublime résignation de Job au sein des plus cruelles douleurs.


1. Que signifient ces paroles, quand le sujet proposé est tout autre ? C’est l’habitude de Paul, je l’ai déjà dit, non seulement de traiter le sujet qu’il s’est proposé, mais, s’il se présente incidemment quelqu’autre pensée, de la suivre avec une grande ardeur, surtout quand il s’agit de choses tout à fait nécessaires, urgentes. En effet, quand il s’agissait des personnes mariées, et qu’il se trouva à parler des serviteurs, il traita cette question incidente avec une grande force et beaucoup de développements. Et, quand il s’étendait sur cette vérité, que l’on ne doit pas disputer en justice, l’occasion se présentant d’adresser à l’avarice des exhortations, il développa ses pensées sur ce point. C’est ce qu’il fait encore en ce moment. Une fois qu’il s’est vu engagé à parler des mystères, il a jugé qu’il était nécessaire de traiter à fond cette question à cause de son importance, et, de là, ces exhortations, faites pour inspirer la terreur, et ce discours qui prouve que le premier des biens c’est de s’approcher de la table sainte avec une conscience pure. Il ne lui suffit plus de ce qu’il avait dit auparavant, il ajoute : « Que l’homme donc s’éprouve soi-même » ; c’est ce qu’il dit aussi, dans la seconde épître : « Sondez-vous vous-mêmes, éprouvez-vous vous-mêmes ». Ce n’est pas ce que nous faisons aujourd’hui, où ce qui nous détermine, c’est plutôt la circonstance de temps, que l’ardeur de notre volonté. En effet, nous ne nous appliquons pas à nous préparer, à nous purifier, à nous pénétrer de componction, avant de nous approcher, mais nous venons parce que c’est un jour de fête, et parte que tous en font autant.
Mais ce n’est pas là ce que conseillait Paul ; il ne reconnaît qu’un temps où il convienne de s’approcher, de communier ; c’est lorsque notre conscience est pure. Si jamais nous ne prenons notre part des tables de ce monde, lorsque nous avons la fièvre ou que nous sommes travaillés par nos humeurs ; si nous nous abstenons par raison de santé, à bien plus forte raison, devons-nous nous abstenir de cette table auguste, quand nous sommes travaillés par nos mauvais désirs, plus funestes que toutes les fièvres. J’entends par mauvais désirs, les passions du corps, les désirs d’argent, les colères, les rancunes, en un mot toutes les passions dépravées et désordonnées. Il faut dépouiller tout cela, quand on s’approche des mystères, quand on veut participer à ce sacrifice si pur ; il ne suffit pas d’une volonté indolente, de dispositions misérables, de cette considération que c’est un jour de fête, et de venir forcément ; il ne faut pas, non plus, que la componction d’une âme bien préparée s’abstienne parce que l’on n’est pas dans un jour de fête. Ce qui constitue la fête, c’est l’abondance des bonnes œuvres ; c’est la piété, c’est l’application à tous ses devoirs ; réunissez ces conditions, vous pourrez célébrer une fête perpétuelle, et vous approcher toujours ; de là, ce que dit l’apôtre : « Que chacun s’éprouve soi-même, avant d’approcher ». Et le précepte qu’il donne, ce n’est pas que l’un éprouve l’autre, mais que chacun s’éprouve soi-même. Il s’agit d’un jugement non public ; d’un examen sans témoin. « Car quiconque en mange et en boit indignement, mange et boit le jugement du Seigneur (29) ».
Que dites-vous, je vous en prie ? Cette table, cause de tant de biens, et qui nous verse la vie, devient elle-même notre jugement ? Ce n’est pas, dit l’apôtre, en vertu de sa nature propre, mais de la volonté de celui qui s’en approche. En effet, de même que la présence de cette table, qui nous procure de grands et ineffables biens, ne fait que condamner davantage ceux qui ne les reçoivent pas, ainsi ces mystères ne servent qu’à assurer un plus terrible supplice à ceux qui y participent indignement. Mais pourquoi mange-t-il son jugement ? « Ne faisant point le discernement du corps du Seigneur » ; c’est-à-dire, n’examinant pas, ne considérant pas, comme il faudrait le faire, la grandeur des biens qui nous sont proposés, et l’excellence du don. Si vous appliquez tous vos soins à comprendre quel est celui qui se livre, et àqui il se livre ; vous n’aurez pas besoin d’une autre raison. Cette réflexion vous suffira pour vous tenir en éveil, à moins que vous ne soyez tombés dans une léthargie bien profonde. « C’est pour cette raison qu’il y a parmi vous beaucoup de malades et de languissants, et que plusieurs dorment du sommeil de la mort (30) ». Ici, l’apôtre n’emprunte plus des exemples étrangers, comme il l’a fait au sujet des viandes consacrées aux idoles. On l’a entendu alors raconter les vieilles histoires, les plaies infligées dans la solitude. Il prend ses exemples chez les Corinthiens eux-mêmes ; ce qui donnait plus de force à son discours. Après avoir dit : « Mange son jugement et se rend coupable », ne voulant pas paraître produire uniquement des paroles, il y joint des faits ; il prend les Corinthiens eux-mêmes à témoin, et, argument plus vif et plus pénétrant que les menaces, il montre que les menaces sont devenues des réalités. Et il ne se borne pas à ce spectacle, il parle aussitôt de l’enfer, et il le prouve, et il inspire une double terreur, et il résout une question dont on s’occupait partout. Le peuple se demande, en effet, d’où viennent les morts prématurées, d’où viennent les maladies interminables ; l’apôtre répond que tant de coups imprévus ont pour cause le péché.
2. Quoi donc, me direz-vous, ceux qui se portent toujours bien, et qui parviennent à une vieillesse vigoureuse, ne sont-ils pas, eux aussi, des pécheurs ? Qui soutiendrait le contraire ? Eh bien donc, me direz-vous, pourquoi ne sont-ils pas punis ? parce qu’ils le seront plus tard, d’une manière plus terrible. Quant à nous, si nous le voulons, ni sur cette terre, ni ailleurs, nous ne serons punis. « En effet, si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu (31) ». L’apôtre ne dit pas, si nous nous corrigions nous-mêmes, si nous nous imposions un châtiment, il se borne à dire : Si nous voulions reconnaître nos péchés, si nous voulions nous-mêmes réprouver nos mauvaises actions, nous serions affranchis et du supplice présent et du supplice à venir. Car celui qui se condamne lui-même, apaise Dieu à double titre : et parce qu’il reconnaît ses péchés, et parce que dans la suite il est moins prompt à en commettre d’autres. Eh bien, quoique nous ne nous soumettions pas même à cette légère obligation, le Seigneur, même malgré notre négligence, ne veut pas nous envelopper dans le châtiment universel ; il nous fait grâce en nous punissant, ici-bas, sur cette terre, où le supplice est momentané, et renferme une grande consolation. Car c’est, à la fois, l’affranchissement du péché, et le doux espoir du bonheur à venir, si bien fait pour adoucir les épreuves du temps présent. Voilà ce que dit l’apôtre pour consoler les infirmes, et pour ranimer, en même temps, le zèle des autres. De là, ses paroles : « Mais lorsque nous sommes jugés de la sorte, c’est le Seigneur qui nous reprend (32) ». L’apôtre ne dit pas : Qui nous châtie ; il ne dit pas : Qui nous livre au supplice, mais : « Qui nous reprend », ce qui ressemble bien plus à un avertissement qu’à une condamnation ; à un remède qu’à un supplice ; à une correction qu’à un châtiment.
Et l’apôtre ne se contente pas de ces paroles ; mais, en montrant la peine plus terrible dont nous sommes menacés, il nous rend plus légère encore la peine présente : « Afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde ». Voyez-vous comme il nous fait voir et la géhenne, et ce tribunal horrible, et la nécessité de l’enquête, de la punition à venir ; car si les fidèles, si ceux dont le Seigneur prend soin ne doivent pas obtenir l’impunité de leurs fautes, comme le prouvent les douleurs présentes, à bien plus forte raison les infidèles et ceux qui commettent de grands crimes et dont la conscience est incurable. « C’est pourquoi, mes frères, quand vous vous assemblez pour manger, attendez-vous les uns les autres (33) ». Il profite de la crainte encore vive de l’enfer, du tremblement qu’elle leur cause, pour les avertir une seconde fois de ce qu’ils doivent aux pauvres. Voilà pourquoi il a fait tout ce discours, il a voulu leur montrer que le mépris pour les pauvres, les rend indignes de la communion ; que si le refus de répandre largement l’aumône suffit pour écarter de cette table, à bien plus forte raison le vol et le rapt. Et l’apôtre ne dit pas C’est pourquoi lorsque vous vous rassemblez, donnez aux indigents ; mais, ce qui était plus délicat. « Attendez-vous les uns les autres ». Ce conseil en effet préparait, renfermait l’autre, rendait l’avertissement plus convenable. L’apôtre se remet ensuite à les confondre : « Si quelqu’un est pressé de manger, qu’il mange chez lui (34) ». Cette permission était plus éloquente pour retenir qu’une défense formelle ; cette manière d’exclure de l’Église, de renvoyer le coupable chez lui ; est un moyen adroit pour lui infliger une vigoureuse réprimande, et de le ridiculiser comme un esclave de son ventre, qui ne saurait attendre pour manger. L’apôtre ne dit pas : Si quelqu’un méprise les pauvres, mais : Si quelqu’un est pressé de manger. Il a l’air de s’adresser à des enfants qui ne savent pas endurer la faim, à des brutes esclaves de leur ventre ; c’eût été chose absolument ridicule que le pressant désir de manger les eût retenus chez eux.
L’apôtre y joint encore une réflexion terrible : « Afin que vous ne vous assembliez pas pour votre condamnation ». Afin que vous ne vous exposiez pas au châtiment, au supplice, en insultant l’Église, en faisant rougir votre frère. Si vous vous rassemblez, dit-il, c’est pour vous prouver une affection mutuelle, pour recevoir et vous prêter assistance. Si le contraire doit arriver, mieux vaudrait manger chez vous. Ce qu’il ne disait que pour mieux les attirer. Voilà pourquoi il montre le grand tort qu’ils se font et la gravité de leur faute ; par tous les moyens il les effraye, par les mystères, par les maladies, par les morts, par tout ce qui a été dit précédemment. Ensuite, il les effraye encore d’une autre manière. Il leur dit : « Je réglerai les autres choses lorsque je serai venu ». Saint Paul parle ici ou de ce qu’il vient de marquer, ou de quelque autre chose. Il est vraisemblable qu’ils lui avaient soumis d’autres questions, et que l’apôtre n’avait pas pu faire entrer toutes les décisions dans sa lettre. Observez en attendant, dit-il, les avis que je vous ai donnés ; maintenant si vous avez quelqu’autre chose à me dire, réservez-le pour mon arrivée. Il entend par là, comme je l’ai dit, ou la question présente ou quelques autres qui ne pressaient pas autant. Or, ce qu’il fait ici, c’est pour les rendre plus appliqués, attendu que l’inquiétude où ils seraient de son arrivée les porterait à s’amender. En effet, ce n’était pas un petit événement que l’arrivée de Paul, ce qu’il indiquait en ces mots : « Je vous irai voir et je reconnaîtrai quels sont les effets de ceux qui sont « enflés de vanité » ; et encore : « Comme si je ne devais pas aller vous trouver, il y en a parmi vous qui s’enflent de présomption », (1Cor. 4,18) Et dans un autre passage encore. « Comme vous avez toujours été obéissants, ayez soin, non seulement lorsque je « suis présent, mais encore plus en mon ab« sente, d’opérer votre salut avec crainte et a tremblement ». (Phil. 2,12) Il ne promet donc pas de les aller voir uniquement pour affermir leur foi et prévenir leur relâchement, mais il leur marque même une raison pour laquelle il doit nécessairement les aller voir « Je réglerai les autres choses lorsque je serai venu ». Il montre que la nécessité de corriger d’autres désordres, quoique moins pressante ; suffira pour l’attirer auprès d’eux.
3. Puis donc qu’il nous est donné d’entendre toutes ces paroles, prenons grand soin des pauvres, réprimons notre ventre, affranchissons-nous de l’ivresse, appliquons-nous à nous rendre dignes de la participation aux mystères. Tout ce que nous avons à souffrir supportons-le avec résignation et en nous-mêmes et dans les autres : ainsi les morts prématurées, ainsi les maladies interminables. Car c’est ce qui nous affranchit du supplice, c’est ce qui nous corrige, c’est ce qui nous donne le meilleur des avertissements. Qui tient ce langage ? celui qui portait le Christ parlant dans son cœur. Et pourtant même après ces paroles, nombre de femmes ont été assez dépourvues de sens pour surpasser par l’excès de leur deuil même les infidèles. Les unes s’ensevelissent dans leur douleur comme dans des ténèbres ; les autres s’y abandonnent par ostentation pour éviter les accusations du monde ; je dis que celles-ci n’ont pour elles aucune excuse. Afin qu’un tel ne m’accuse pas, disent ces femmes, eh bien que Dieu m’accuse ; afin que des hommes plus insensés que des brutes ne nous condamnent pas, foulons aux pieds la loi du roi de l’univers. Quelle foudre n’attirerait pas un tel délire ? Si après ton deuil on t’appelle à un repas, nul n’y trouvera à redire parce que la loi humaine trouve cette conduite dans l’ordre ; et quand Dieu commande de ne pas pleurer, tous contredisent la loi. Ne penses-tu pas à Job, ô femme, oublies-tu les paroles qu’il fit entendre, au jour désastreux où il perdit ses fils, paroles admirables qui ont décoré sa tête sacrée (le milliers de couronnes, qui ont publié sa gloire avec plus de retentissement que mille trompettes ; ne penses-tu pas à la grandeur d’une telle infortune, à ce naufrage inouï, à cette tragédie étrange, étonnante. Tu n’as perdu, toi, qu’un fils ou un second ou un troisième, mais lui tant de fils à la fois et tant de filles ; et celui qui avait tant d’enfants, le voilà tout à coup sans enfants, et ces entrailles ne furent pas peu à peu déchirées, mais tout à coup tout le fruit de ses entrailles en était arraché ; et cela non pas par la commune loi de la nature, non pas parce qu’ils étaient parvenus à la vieillesse, mais par une mort prématurée, violente, frappant tous ses enfants à la fois ; et cela non pas en sa présence, près de lui, de telle sorte qu’en recueillant leur dernière parole, il pût avoir au moins quelque consolation de leur mort si cruelle. Ils meurent contre toute attente, dans la complète ignorance pour lui de ce qui arrive ; et tous à la fois sont engloutis, et cette maison fut en même temps leur tombe et leur piège : mort non seulement prématurée, mais escortée de mille sujets de douleur : tous dans la fleur de la jeunesse, tous doués de vertu, tous aimables, tous à la même heure, et de l’un ou de l’autre sexe, pas un survivant ; et ils ne mouraient pas par une nécessité commune à tous les hommes ; et ils lui étaient enlevés après la perte de tous ses biens, et c’était sans qu’il se sentît coupable d’aucun crime, ni lui, ni ses enfants, qu’il souffrait tous ces maux.
Un seul de ces coups suffisait à bouleverser l’âme ; quand ils fondent tous ensemble sur une tête, mesurez, calculez la violence des flots, la fureur de la tempête. Et, douleur plus amère, cause de deuil plus cruelle que le deuil même, pourquoi était-il frappé, Job ne pouvait le comprendre. Aussi, dans son impuissance d’expliquer ce désastre, il s’en réfère à la volonté de Dieu : « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté, il n’est arrivé que ce qui a plu au Seigneur ; que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles des siècles ». (Job. 1,21) Et quand il prononçait ces paroles, il se voyait dans la dernière des misères, lui qui avait pratiqué toutes les vertus, et des scélérats, des imposteurs, il les voyait heureux, vivant dans les délices, comblés de toutes les prospérités. Et il ne fit entendre aucun de ces discours que débitent certains hommes sans énergie est-ce donc pour cela que j’ai nourri mes enfants, que je les ai entourés de tant de soins ? est-ce donc pour cela que j’ai ouvert ma maison aux voyageurs ? après tant de courses pour les indigents, pour ceux qui étaient nus, pour les orphelins, voilà donc mon salaire ! Au lieu de ces paroles, il prononça ce qui a plus de prix que tout sacrifice : « Je suis sorti nu du ventre de ma mère, et je m’en retournerai nu ». Que s’il a déchiré ses vêtements, rasé sa chevelure, ne vous en étonnez pas ; c’était un père, un père qui aimait ses enfants, et il était bon que l’on pût voir sa tendresse naturelle et en même temps la sagesse qui le gouvernait. S’il n’eût rien fait pour exprimer sa douleur, on aurait pu attribuer sa sagesse à l’insensibilité, voilà pourquoi il montre et ce qu’il a d’entrailles et la sincérité de sa piété ; il souffre, mais il n’est pas renversé. La lutte se poursuit et il acquiert encore d’autres couronnes pour sa réponse à son épouse : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n’en recevrons-nous pas aussi les maux ? » (Job. 2,10) Il ne lui restait plus que sa femme ; tout s’était évanoui pour lui, ses enfants, ses trésors, jusqu’à son corps ; et sa femme ne lui était laissée que pour le tenter, pour lui tendre des pièges. Voilà pourquoi le démon ne la lui enleva pas avec ses enfants ; voilà pourquoi il ne demanda pas sa mort, sa mort violente ; il attendait de cette femme de grands secours dans ses attaques contre ce saint personnage. Aussi le démon se la réserva comme l’arme la plus puissante à employer contre lui. Le démon se dit : Si j’ai par le moyen de la femme chassé l’homme du paradis, à bien plus forte raison pourrai-je avec son secours accabler l’homme sur son fumier.
4. Et voyez l’habileté du démon ; ce n’est pas après la perte des bœufs qu’il emploie cette machine, ni après celle des ânes ou des chameaux, ni quand la maison a été renversée, ni après que les enfants ont été ensevelis sous ses ruines : il laisse quelque temps l’athlète respirer ; mais quand les vers pullulent, quand la peau tombe de toutes parts en putréfaction, quand les chairs consumées répandent l’infection, lorsqu’un feu plus ardent que tous les grils, que toutes les fournaises ; lorsque la main même du démon torturait le patient, quand cette bête plus féroce que les plus féroces le déchirait et le dévorait, après tout le temps dépensé à composer cet horrible malheur ; c’est alors qu’il amène cette femme auprès de l’infortuné desséché, épuisé. En effet, s’il se fût servi d’elle au commencement du désastre, elle ne l’aurait pas trouvé affaibli comme il l’était, elle n’aurait pu par ses discours exagérer, amplifier le malheur ; mais c’est quand elle le voit après un si long temps altéré de délivrance, appelant à grands cris la fin de ses maux, c’est alors qu’elle s’approche vivement de lui. Il était accablé, brisé ; il ne pouvait plus respirer ; il désirait mourir. Écoutez ses paroles : [Si je pouvais me donner la mort ou la demander à un autre, je le ferais[14].]
Voyez maintenant la malignité de la femme. Remarquez ses premières paroles, la pensée qui les lui inspire, c’est la longueur de la souffrance ; elle dit : « Jusques à quand supporterez-vous ? » (Job. 2, 9) Réfléchissez ; souvent même, dans des épreuves sans importance, de simples paroles amollissent les courages. Considérez ce que dut éprouver ce malheureux, que torturaient et ce discours et des souffrances trop réelles. Et ce qu’il y avait de plus affreux, c’est que ces paroles venaient de son épouse, d’une épouse qui était tombée avec lui et qui désespérait, et qui voulait pour cette raison le précipiter lui-même dans le désespoir. Voulons-nous d’ailleurs bien voir cette machine du démon approcher contre ce mur de diamant, écoutons les paroles mêmes. Quelles sont-elles ? « Jusques à quand supporterez-vous en disant : encore un peu de temps, j’espère être sauvé ? » Vos paroles, lui dit-elle, sont réfutées par le temps, qui s’allonge et ne montre aucune délivrance. Or ce que disait cette femme, ce n’était pas seulement pour le jeter, lui, dans le désespoir, c’était un reproche et une raillerie ; car pendant qu’elle le troublait, il la consolait, il corrigeait ses paroles, il lui disait : attendez encore un peu de temps et bientôt viendra la fin de ces épreuves. Elle lui fait donc des reproches en lui disant : persisterez-vous encore maintenant à faire entendre les mêmes paroles ? Voilà déjà bien du temps de passé et nous ne voyons nullement la fin de ces maux. Et considérez la méchanceté : elle ne lui parle pas de ses bœufs, de ses brebis, de ses chameaux, elle savait bien que ce n’était pas là ce qui le tourmentait le plus ; mais elle s’attaque tout de suite à sa tendresse naturelle en lui parlant de ses enfants. Elle l’avait vu au moment de cette perte déchirer ses vêtements, raser sa chevelure, et elle ne lui dit pas : vos enfants sont morts, mais de manière à émouvoir profondément la pitié : « Votre souvenir est détruit sur la terre », parce que c’est là ce qui donne tant de prix aux enfants.
En effet, si même de nos jours, malgré la foi en la résurrection à venir, ce qui donne du prix aux enfants, c’est qu’ils conservent le souvenir de ceux qui ne sont plus, c’était encore bien plus vrai alors. Voilà ce qui rend la malédiction plus amère ; dans l’imprécation on ne dit pas : que ses fils soient exterminés, mais : « Que sa mémoire périsse de dessus la terre » (Job. 18,17) ; ce qui veut dire : les fils et les filles. En effet, après avoir parlé de mémoire, elle distingue avec soin les deux sexes : Si ces choses ne vous touchent pas, regardez-moi au moins, pensez et « aux douleurs de mes entrailles, douleurs souffertes inutilement » ; ce qui revient à dire : C’est moi qui ai souffert la plus grande douleur ; j’ai été humiliée à cause de vous, j’ai subi les souffrances et j’en ai perdu tous les fruits. Et voyez, elle ne parle pas des pertes d’argent, elle ne garde pas non plus le silence, elle ne l’effleure pas en courant, mais elle y touche d’une manière émouvante, elle l’indique par ces mots : « Et moi vagabonde, esclave, de lieu en lieu, de maison en maison, courant partout ». C’est ainsi qu’elle indique la perte et d’une manière tout à fait lamentable, car ces paroles mêmes grossissent le malheur : Je vais, dit-elle, aux portes des autres ; et non seulement je mendie, mais encore je suis errante, je subis une servitude inattendue, nouvelle, allant de côté et d’autres partout, promenant partout les signes de mon malheur, montrant à tous les maux qui m’ont frappée ; et ce qu’il y a de plus lamentable, c’est le perpétuel changement de demeure. Et ces lamentations ne s’arrêtent pas là, elle ajoute : « Attendant le coucher du soleil, je me reposerai des travaux et des douleurs qui m’entourent et me retiennent captive ». Ce qui est un charme pour les autres, l’aspect de la lumière, est un fardeau pour moi ; je désire la nuit et les ténèbres ; elles me donnent le repos après mes sueurs ; elles sont dans mes malheurs ma seule consolation. « Mais maudissez le Seigneur et mourez ».
5. Remarquez-vous ici encore la malignité elle n’introduit pas tout de suite dans le conseil qu’elle lui donne cette funeste exhortation ; elle commence par un récit lamentable de toutes ses douleurs, elle développe la tragédie, quelques paroles lui suffisent pour l’exhortation. Et elle ne s’exprime pas clairement ; elle l’insinue, elle lui propose ce qu’il y a de plus désirable, la délivrance, elle lui parle de la mort qui était le plus cher de ses vœux. Et concluez encore de là la perfide habileté du démon ; il connaissait l’amour de lob pour Dieu ; il ne laisse pas la femme accuser Dieu de peur que Job ne l’écarte tout de suite loin de lui comme une ennemie. Aussi n’en parle-t-elle nulle part, mais elle présente le tableau confus de tout ce qui est arrivé. Quant à vous maintenant, outre tout ce qui a été dit, ajoutez que l’auteur de ce conseil, c’était une femme, orateur entraînant, pour séduire ceux qui ne sont pas sur leurs gardes. Nombre de gens, certes, sans même être frappés par les malheurs, sont tombés par le seul conseil des femmes. Que fait donc ce bienheureux Job plus fort que le diamant ? Il lui suffit de jeter sur elle un regard sévère et à première vue, avant de faire entendre sa voix, il a renversé les machines de Satan. Cette femme s’attendait à voir jaillir des sources de larmes, mais Job plus fougueux qu’un lion, se montra plein de colère et d’indignation non à cause de ses souffrances, mais à cause des conseils, inspirés du démon, que sa femme lui transmettait. Il lui suffit de sa manière de la regarder pour montrer son indignation, et il la réprimande avec mesure. En effet, même au sein du malheur il gardait la modération. Que lui dit-il ? « Vous avez parlé comme une femme qui n’a point de sens ». (Job. 2,10)
Ce n’est pas là, dit-il, ce que je vous ai enseigné, ce n’est pas là ce que je vous ai appris ; je ne vous reconnais pas pour ma compagne ; ces discours dénotent une femme insensée, ce conseil tient du délire. Comprenez-vous cette manière de trancher dans le mal avec mesure, cette cure suffisante pour la guérison ? Après la réprimande, il apporte le conseil qui peut la consoler, et il prononce ces paroles si raisonnables : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n’en recevrons-nous pas aussi les maux ? » Ressouvenez-vous, lui dit-il, de ces premiers biens, méditez en vous-même sur celui qui vous les a faits, et vous supporterez avec courage l’épreuve présente. Avez-vous compris cette modération ? Ce n’est pas à son courage que Job attribue sa patience ; il la montre comme une conséquence de la nature des choses. En effet, pour quelle rémunération de notre part Dieu nous a-t-il donné ces biens ? En récompense de quoi ? En récompense de rien, par un effet de sa seule bonté. C’était un don et non une rétribution ; c’était une faveur et non une rémunération. Supportons donc avec force nos malheurs ; gravons cette parole dans nos cœurs, hommes et femmes gravons ces pensées dans notre âme, et, avec ces pensées, les pensées qui précèdent. Fixons l’histoire de ces malheurs, comme un tableau dans notre imagination ; je dis : perte d’argent, fils frappés de mort, plaies du corps, opprobres, dérisions, artifices d’une femme, pièges du démon, en un mot, toutes les douleurs de ce juste. Que ce soit pour nous comme un port préparé où nous chercherons un refuge, qui nous enseigne à tout supporter avec courage, en rendant à Dieu des actions de grâces, afin de passer la vie présente affranchie de toute tristesse ; afin de mériter la récompense réservée à qui bénit Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXIX.

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POUR CE QUI EST DES DONS SPIRITUELS, MES FRÈRES, JE NE VEUX PAS, QUE VOUS IGNORIEZ CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR. VOUS VOUS SOUVENEZ BIEN QU’ÉTANT PAÏENS, VOUS VOUS LAISSIEZ. ENTRAÎNER SELON QU’ON VOUS MENAIT VERS LES IDOLES MUETTES. (CHAP. 12, VERS. 12)

ANALYSE.

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  • 1. Sur la diversité des dons du Saint-Esprit. – Rivalité entre les chrétiens, à ce sujet. – Contre l’orgueil, d’une part, l’envie, de l’autre. – Différence entre les prophètes inspirés de Dieu et les devoirs du paganisme ; manière de les reconnaître.
  • 2. Quelle que soit la diversité des dons, ils viennent tous d’un seul et même esprit.
  • 3. Explication de chacun de ces dons différents.
  • 4 et 5. De l’Esprit, égal au Père et au Fils, agissant de lui-même, sans être mis en mouvement par une cause étrangère à lui. – Il ne faut pas critiquer la distribution que Dieu fait de tous les biens.
  • 6. Vanité des richesses. – Exhortation à les mépriser.


1. Tout ce passage est fort obscur ; l’obscurité tient à l’ignorance où nous sommes des prodiges qu’on voyait alors, et qui n’arrivent plus aujourd’hui. Et pourquoi n’arrivent-ils plus aujourd’hui ? Voici que le besoin d’expliquer l’obscurité nous suggère une question nouvelle. Pourquoi ce qui arrivait alors, ne se présente-t-il plus aujourd’hui ? Remettons à un autre jour la dernière partie de la question. En attendant, disons ce qui se passait autrefois. Donc, autrefois qu’arrivait-il ? Après le baptême, tout de suite, on parlait différentes langues, et il y avait plus que le don des langues ; un grand nombre de personnes prophétisaient ; quelques-unes manifestaient encore d’autres facultés puissantes. En effet, on venait de quitter les idoles, les nouveaux venus n’avaient aucune idée claire ; ils n’avaient pas appris ce qui se trouve dans les anciens livres ; alors, au moment du baptême, ils recevaient l’Esprit. L’Esprit, ils ne le voyaient pas, puisqu’il est invisible, mais la grâce donnait une preuve sensible de la merveilleuse opération. L’un parlait la langue des Perses ; un autre, celle de Rome ; un autre, celle des Indes ; un autre encore, fane autre langue, et tout de suite ; et c’était, pour les hommes du dehors, la preuve que l’Esprit-Saint était dans celui qui parlait.
Voilà pourquoi l’apôtre, exprimant ce fait, dit : « La manifestation de l’Esprit a été donnée à chacun pour l’utilité ». Il donne ce nom de manifestation de l’Esprit aux dons et aux grâces spirituelles. Les apôtres, ayant reçu ce premier signe de la présence de l’Esprit, les fidèles aussi reçurent le don des langues ; et non seulement ce don, mais d’autres encore, en très grand nombre. Car beaucoup de personnes ressuscitaient les morts, et chassaient les démons, et opéraient encore beaucoup de miracles du même genre. Ils avaient donc tous leur part de ces dons ; les uns plus, les autres moins. Mais le don des langues était toujours le plus ordinaire.
Et ce fut ce don qui fut une cause de schisme à Corinthe, non par sa nature propre, mais par l’ingratitude de ceux qui le recevaient. En effet, les mieux partagés devenaient superbes à l’égard de ceux qui l’étaient moins bien ; ces derniers, à leur tour, s’affligeaient, portaient envie à ceux qui recevaient des dons plus magnifiques. C’est ce que montre Paul dans la suite de sa lettre ; les fidèles recevaient un coup mortel, la charité s’éteignait ; l’apôtre s’applique avec ardeur à corriger ce mal. Le même désordre eut lieu à Rome, mais y fut moins grand ; aussi, dans l’épître aux Romains, l’apôtre touche ce point, mais d’une manière enveloppée, et sans y insister ; il dit : «. Car, comme dans un seul corps nous avons plusieurs membres, et que tous ces membres n’ont pas la même fonction ; de même, quoique nous soyons plusieurs, nous ne « sommes néanmoins qu’un seul corps en Jésus-Christ, étant tous réciproquement membres les uns des autres. C’est pourquoi comme nous avons tous des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon l’analogie et la règle de la foi ; que celui qui est appelé au ministère s’attache à son ministère ; que celui qui a reçu le don d’enseigner s’applique à enseigner ». (Rom. 12,4-7) Que ce fut aussi pour eux une occasion de concevoir de l’orgueil, c’est ce que l’apôtre donnait à entendre dès le commencement par ces paroles : « Or, je vous exhorte a tous, selon le ministère qui m’a été donné a par grâce, de ne vous point élever au-delà de ce que vous devez, dans les sentiments que vous avez de vous-mêmes ; mais de vous a tenir dans les bornes de la modération, selon la mesure du don de la foi que Dieu a départi à chacun de vous ». (Id. 3)
Voilà donc comment il parle aux Romains (chez eux la maladie de la discorde, la maladie de l’orgueil n’avait pas fait de grands ravages) mais ici, avec les Corinthiens, l’apôtre s’applique ardemment à la correction ; la maladie avait fait de grands progrès. Et ce n’était pas, chez eux, la seule cause de trouble ; il y avait aussi, dans ce pays-là, des devins en grand nombre ; ce qui n’est pas étonnant dans une ville infectée des mœurs grecques et païennes ; cette cause, ajoutée aux autres, les bouleversait, produisait mille chutes. Voilà pourquoi l’apôtre commence par établir la différence entre la divination et la prophétie. S’ils ont reçu le don de discernement des esprits, c’est pour pouvoir distinguer et reconnaître quel était celui qui parlait au nom de l’Esprit-Saint, quel autre parlait au nom de l’esprit impur. La démonstration de la vérité des prophéties ne pouvait pas se faire sur-le-champ ; car ce n’est pas au moment où la prophétie est prononcée, mais au moment où elle doit se réaliser, que la prophétie fournit la preuve de sa vérité ; il n’était donc pas facile de la reconnaître, de distinguer le prophète de l’imposteur. En effet, le démon, ce monstre de perfidie et d’impureté, suscitait de faux prophètes, ayant eux aussi la prétention d’annoncer l’avenir. Comme donc les fausses prophéties ne pouvaient être convaincues de fausseté, puisque les prédictions n’avaient pu encore se réaliser, la tromperie était facile, et le mensonge et la vérité ne se reconnaissaient qu’à la fin. Voilà pourquoi, pour prévenir l’erreur qui aurait trompé ceux qui entendaient les prophéties, avant le terme de leur accomplissement, l’apôtre donne un signe qui permette de distinguer, même avant l’événement, le vrai prophète de l’imposteur. C’est de là qu’il prend occasion de parler des faveurs de l’Esprit, et il corrige les querelles que ces faveurs ont suscitées.
C’est par les devins qu’il entre en matière, et il commence ainsi : « Pour ce qui est des dons spirituels, mes frères, je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir ». Il appelle ces signes « spirituels », parce que c’est le Saint-Esprit seul qui les opère, l’homme n’étant pour rien dans de pareils miracles. Et au moment d’engager la discussion, il commence, ainsi que je l’ai dit, par établir la différence entre la divination et la prophétie, par ces paroles : « Vous vous souvenez bien qu’étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu’on vous menait vers les idoles muettes » ; voici la pensée de l’apôtre : Lorsque quelqu’un autrefois auprès des idoles était saisi de l’esprit impur, et parlait en devin de l’avenir ; l’esprit impur se saisissait de lui, s’en rendait maître, le poussait et l’entraînait où il voulait, sans que cet homme sût ce qu’il disait. Car c’est là le propre du devin ; il est hors de lui ; c’est une violence qu’il subit ; on le pousse, on le traîne ; il est comme un furieux dont on s’empare ; pour le prophète, il n’en est pas ainsi. Calme, maître de sa pensée, parlant avec mesure, il a conscience de toutes ses paroles. Vous pouvez donc, à ces marques, sans attendre l’événement, faire la distinction du devin et du prophète. Et voyez comment l’apôtre rend son discours non suspect ; il appelle en témoignage ceux-mêmes que l’expérience a pu instruire ; je ne mens pas, dit-il, je n’accuse pas au hasard les païens ; je ne suis pas un ennemi qui forge des histoires ; soyez vous-mêmes mes témoins ; car vous savez bien vous-mêmes qu’étant païens, vous vous laissiez entraîner. Si on soupçonne leur témoignage parce que ce sont des fidèles, eh bien ! l’emprunterai aux hommes qui sont hors de l’Église, un témoignage qui sera une preuve éclatante. Écoutez donc Platon qui dit formellement que les devins, et ceux qui rendent des oracles, disent souvent de fort belles choses, mais sans avoir conscience des paroles qu’ils prononcent. Écoutez aussi un autre poète faisant la même observation : Il s’agit d’un homme, qu’après certaines initiations et pratiques superstitieuses, on avait livré au démon ; cet homme faisait entendre des prédictions, mais, dans tout le cours de ses prédictions, il était violemment renversé, déchiré, incapable de supporter la violence du démon ; brisé, rompu, il allait rendre l’âme, il s’écrie, en s’adressant à ceux qui présidaient à cette magie : \q2 Assez, car un mortel ne soutient pas un Dieu. \q Et encore : \q2 Assez, au lieu de fleurs épanchez l’onde pure \q2 Sur mes pieds ; baignez-moi, rendez-moi ma nature. Ces paroles et d’autres semblables (il en est un grand nombre que l’on pourrait citer) nous montrent deux choses à là fois : la nécessité, qui contraint les démons à la servitude ; la violence subie par ceux qui se sont une fois livrés au démon, et qui sont sortis de l’état naturel de leur âme. Quant à la Pythie (je suis bien forcé d’étaler encore une autre honte des païens, il vaudrait mieux n’en pas parler ; il est peu convenable, pour nous, de nous occuper de pareilles aberrations ; il est pourtant nécessaire de mettre au jour ces infamies, afin de vous faire comprendre le délire de cette conduite, le ridicule de ceux qui ont recours aux devins) ; donc on rapporte que cette femme, la, Pythie, s’asseyait sur le trépied d’Apollon, les jambes écartées ; ensuite l’esprit pervers, s’échappant de l’enfer, per genitales ejus partes subiens, la remplissait de son délire, et alors la malheureuse, les cheveux épars, comme une bacchante, écumait, et c’est dans cet état qu’elle faisait entendre les paroles de son ivresse furieuse ; je sais bien que vous avez honte, que vous rougissez à de tels récits, mais voilà la haute sagesse de ces païens, cherchez-la dans ce honteux délire.
2. C’est donc pour corriger ces habitudes et toutes celles du même genre, que Paul disait : « Vous vous souvenez bien qu’étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu’on vous menait vers les idoles muettes ». Et, comme il s’adressait à des auditeurs parfaitement instruits, il n’insiste pas sur tous les détails, il ne veut pas les fatiguer ; il se contente de leur rappeler les faits en général, et aussitôt il termine et reprend ce qu’il s’est proposé. Maintenant que signifie : « Vers les idoles muettes ? » Ces devins étaient traînés vers ces idoles, mais si elles étaient muettes, comment pouvaient-ils s’en servir ? Pourquoi le démon entraînait-il auprès de ces statues ces malheureux, captifs et enchaînés ? Le démon voulait, par là, donner, à l’imposture, une certaine vraisemblance. Il ne fallait pas que la pierre parût muette ; il s’efforçait donc d’y attacher des hommes pour qu’on pût attribuer aux idoles les discours que ces hommes faisaient entendre. Mais il n’en est pas de même chez nous ; nous ne devons rien au démon, je veux dire que nous ne lui devons pas les paroles de nos prophètes. En effet, dans leurs discours, tout exprimait ce qu’ils voyaient clairement ; dans leurs discours, la prophétie, pleine de décence, avait conscience d’elle-même et s’exprimait en toute liberté, Aussi était-il en leur pouvoir, et de parler et de ne pas parler-, nulle nécessité ne les contraignait ; ils avaient en partage, et la puissance, et l’honneur de cette puissance. Voilà pourquoi Jonas prend la fuite ; pourquoi Ézéchiel, diffère ; pourquoi Jérémie refuse. Dieu n’exerce pas sur eux de contrainte, il agit par conseils, par exhortations, par des menaces ; il ne répand pas de ténèbres dans leur esprit. C’est le propre du démon d’exciter le tumulte, le délire, de répandre dans les âmes l’obscurité ; Dieu au contraire illumine ; il enseigne en faisant comprendre à l’esprit ce qu’il faut. Voilà donc la première différence entre le devin et le prophète.
Maintenant, il en est une seconde, que l’apôtre indique par ces paroles : « Je vous déclare donc que nul homme, parlant par l’Esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus » ; ensuite, une autre différence encore : « Et que nul ne peut confesser que Jésus est le Seigneur, sinon par le Saint-Esprit (3) ». Quand vous voyez, dit l’apôtre, un homme qui, loin de proclamer le nom de Jésus, lui dit : Anathème, c’est un devin ; au contraire, quand vous voyez un homme qui ne parle qu’au nom de Jésus, vous devez croire que cet homme est animé par l’Esprit. Que penserons-nous donc, me dira-t-on, des catéchumènes car si nul ne peut prononcer le nom de Notre-Seigneur Jésus, que par la grâce de l’Esprit-Saint ; que dirons-nous de ceux qui prononcent bien ce nom, mais sans avoir encore reçu l’Esprit ? Ce n’est pas d’eux que l’apôtre s’occupe en ce moment, il n’y en avait point alors ; il ne parle que des fidèles et des infidèles. Eh quoi, n’y a-t-il aucun démon qui nomme Dieu ? Est-ce que les démoniaques ne disaient pas : « Nous savons que, vous êtes le Fils de Dieu ? » (Mc. 1,24) Est-ce qu’ils ne disaient pas à Paul : « Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut ? » (Act. 16,17) Mais ils parlaient ainsi sous les coups de fouet ; mais ils étaient forcés ; au contraire, livrés à eux-mêmes et ne subissant pas les coups de fouet, jamais ils ne rendaient ce témoignage. Ici, il peut être à propos de rechercher pourquoi le démon tenait ce langage, et d’où vient que Paul le réprimanda. C’est que Paul imitait son maître ; le Christ aussi réprimanda les démons ; le Christ ne voulait pas de leur témoignage. Pourquoi ? parce que le démon n’agissait ainsi que pour tout confondre, pour arracher, aux apôtres, leur autorité ; pour persuade à la foule de se fier à lui. Si ce malheur fût arrivé, il n’aurait pas été difficile aux démons d’inspirer de la confiance, et ils auraient introduit, parmi les hommes, leur perversité. C’est pour prévenir ce désastre, pour exterminer, dès le commencement, l’imposture, qu’alors même que les imposteurs disent vrai, le Christ leur ferme la bouche, afin que, quand ils diront leurs mensonges, personne ne soit prêt à les croire, afin que tous leurs discours trouvent les oreilles fermées.
Après la distinction entre les devins et les prophètes, après avoir marqué le premier et le second signe qui les distinguent, l’apôtre s’occupe enfin des miracles. Et ce n’est pas sans raison qu’il passe à ce sujet ; il veut faire cesser la discorde qu’a causée la diversité des prérogatives ; il veut persuader, à ceux qui en ont moins, de ne pas s’affliger ; à ceux qui en ont plus, de ne pas s’enorgueillir. Voilà pourquoi il commence ainsi : « Or il y a diversité de dons spirituels, mais il n’y a qu’un même Esprit (4) ». Il s’occupe d’abord de celui qui a un don moins considérable, et qui, pour cette raison, s’afflige. Pourquoi ; lui dit-il, vous tourmentez-vous ? Parce que vous n’avez pas reçu autant qu’un autre ? Mais pensez donc que ceci est un don qu’on vous fait, non une dette qu’on vous paie, et cette pensée vous consolera. Voilà pourquoi l’apôtre s’empresse de dire : « Il y a diversité de dons spirituels ». Il ne dit pas, de signes ni de miracles, mais : « De dons spirituels ». Ce mot « dons » est pour persuader non seulement qu’on ne doit pas s’affliger, mais qu’on doit rendre à Dieu des actions de grâces. Et en outre, dit-il, réfléchissez encore à ceci qu’alors même que votre don est moindre, vous avez cependant été jugé digne de puiser à la même source que celui qui reçoit plus ; vous avez un honneur égal, car vous ne pouvez pas dire qu’il a reçu de l’Esprit, lui, et que vous n’avez reçu que d’un ange ; aussi bien pour vous que pour lui, c’est l’Esprit qui a été donné. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Mais il n’y a qu’un même Esprit ».
3. C’est pourquoi, s’il y a différence dans le don, il n’y en a pas dans celui qui l’a fait ; car c’est à la même source que vous avez puisé, vous et l’autre. « Il y a diversité de ministère, mais il n’y a qu’un même Seigneur ». Pour donner une autorité, à là fois plus considérable et plus douce à la consolation, il ajoute : « Et le Fils et le Père (5) ». Et voici qu’il appelle ces dons d’un autre nom, afin de retirer, du changement même de nom, un surcroît de consolation. Voilà pourquoi il dit : « Il y a diversité de ministère, mais il n’y a qu’un « même Seigneur ». En effet, celui qui n’entend parler que de don, et qui reçoit moins, peut avoir sujet de se plaindre ; mais quand il s’agit de ministère, il n’en est pas de même ; car un ministère suppose du travail et des sueurs. Qu’avez-vous donc à vous plaindre, dit l’apôtre, si le Seigneur a commandé à un autre un plus grand travail, et vous a ménagé ? «  Et il y a diversité d’opérations surnaturelles, mais il n’y a qu’un même Dieu qui opère tout en tous. Or les dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au-dehors, sont donnés à chacun pour l’utilité (6, 7) ». Et que signifie « opérations ? » que signifie « dons ? » Va-t-on me demander que signifie « ministère ? » Les noms seuls sont différents ; les choses sont les mêmes. Le don n’est pas autre chose que le ministère, et c’est encore la même chose que l’opération, car l’apôtre dit : « Remplissez votre ministère » (2Tim. 4,5) ; et : « Je glorifie mon ministère » (Rom. 11,13) ; et il écrit à Timothée : « C’est pourquoi je vous, avertis de rallumer ce don de Dieu qui est en vous » (2Tim. 1,6) ; et il écrit encore aux Galates : « Car celui qui a opéré dans Pierre pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi opéré en moi, pour me rendre l’apôtre des gentils ». (Gal. 2,8) Voyez-vous comme il ne fait aucune différence entre les dons du Père et du Saint-Esprit ? Ce n’est pas qu’il confonde les personnes ; loin de nous cette pensée, mais il montre l’égalité d’honneur ; car ce qu’accorde la libéralité de l’Esprit, c’est Dieu qui l’opère, et c’est le Fils qui le dispense et le fournit, selon l’apôtre. Si une des personnes était moindre que l’autre, la troisième moindre que la seconde, assurément l’apôtre n’aurait pas disposé ainsi sa consolation ; il ne se serait pas avisé de ce moyen pour consoler celui qui s’afflige.
Et maintenant l’apôtre a encore une autre manière de consoler ; c’est que la mesure même du don est précisément dans l’intérêt de celui qui l’a reçu, quelle qu’en soit l’infériorité. En effet, après avoir dit : « Le même Esprit, le même Seigneur, le même Dieu » ; après avoir ainsi réconforté celui qui se plaint, il ajoute une autre consolation : « Or, les dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au-dehors, sont donnés à chacun pour l’utilité ». En effet, on aurait pu dire : que m’importe, que ce soit le même Seigneur, le même Esprit, le même Dieu, si moi j’ai moins reçu ? L’apôtre dit que la mesure même a son utilité. Il entend par ces dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au-dehors, les signes miraculeux, et c’est avec raison. En effet, pour moi fidèle, ce qui me prouve qu’un tel possède l’Esprit, c’est qu’un tel a été baptisé ; au contraire, pour l’infidèle, il n’y a aucune preuve que les signes. C’est pourquoi la consolation qui en résulte, n’est pas à dédaigner. Les dons ont beau être divers, la manifestation n’en est pas moins la même. Que vous ayez reçu beaucoup, reçu peu, vous le manifestez également. C’est pourquoi, si vous tenez à montrer que vous possédez l’Esprit, vous possédez suffisamment la preuve qui le manifeste. Puis donc que c’est un seul et même auteur qui accorde les dons, puisque chaque don est gratuit, puisque la manifestation qui le révèle, en découle, puisque la mesure est dans votre plus grand intérêt, gardez-vous de vous plaindre, comme si vous étiez méprisés. Dieu ne veut pas vous faire honte ; ce n’est pas pour vous mettre en état d’infériorité, qu’il agit ainsi envers – vous ; c’est parce qu’il vous ménage, c’est parce qu’il considère votre intérêt. Recevoir un fardeau que l’on ne peut porter, c’est là ce qui est inutile, nuisible, et fait pour causer du chagrin. « L’un reçoit du Saint-Esprit, le don de parler dans une haute sagesse ; un autre reçoit du même Esprit, le don de parler avec science ; un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit ; un autre reçoit du même Esprit, la grâce de guérir les maladies (8, 9) ». Voyez-vous partout cette réflexion : « Du même Esprit, parle même Esprit ? » L’apôtre sait bien qu’il en résulte une grande consolation. « Un autre, le don de faire des miracles ; un autre, le don de prophétie ; un autre, le nom du discernement des esprits ; un autre, le don de parler diverses langues ; un autre, le don de l’interprétation des langues (10) ». Ce qui constituait la plus haute sagesse, c’est ce que l’apôtre a exprimé en dernier lieu, et il ajoute : « Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses (11) ». Le baume consolateur universel, c’est que tous cueillent les fruits de la même racine, prennent au même trésor, s’abreuvent au même courant. Voilà pourquoi il reprend sans cesse la même observation ; pour effacer l’inégalité apparente, pour consoler. Plus haut, il montre le Saint-Esprit ; le Fils, le Père communiquant leurs dons ; ici, au contraire, il lui suffit de montrer l’Esprit, afin de vous apprendre, par cela même, l’égalité de dignité.
Maintenant, que signifie « le don de parler « dans une haute sagesse ? » C’est le don de Paul, le don de Jean le fils du tonnerre. Qu’est-ce que le don de parler avec science ? c’est le don d’un grand nombre de fidèles, possédant la science, mais incapables d’enseigner, incapables de communiquer aux autres ce qu’ils savaient. « Un autre reçoit le don de la foi » ; il ne s’agit pas de la foi qui regarde les dogmes, mais de la foi des miracles, de laquelle le Christ dit : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : transporte-toi d’ici là, et elle s’y transporterait ». (Mt. 17,19) C’est la foi que demandaient les apôtres : « Augmentez en nous la foi » (Lc. 17,5) ; c’est là la mère des miracles. Le pouvoir des opérations miraculeuses, et la grâce de guérir les maladies, ce n’est pas la même chose : celui qui avait la grâce de guérir les maladies, ne faisait que soigner les malades ; quant à celui qui opérait des miracles, il avait aussi le pouvoir de châtier ; car le pouvoir ne consiste pas seulement à guérir, mais à punir aussi ; c’est ainsi que Paul a frappé de cécité, que Pierre a puni de mort. « Un autre, le don de prophétie ; un autre, le don du discernement des esprits ». Qu’est-ce que cela veut dire, du discernement des esprits ? » C’est deviner quel homme est animé par l’Esprit ; quel homme n’est pas animé par l’Esprit ; quel homme est prophète, quel homme est un imposteur. C’est ce qu’il disait aux Thessaloniciens : « Ne méprisez pas les prophéties ; éprouvez tout, et approuvez ce qui est bon ». Il y avait alors une infection de faux prophètes, le démon faisant tous ses efforts pour substituer le mensonge à la vérité. « Un autre, le don des langues ; un autre ; le don de l’interprétation des langues ». Le premier savait bien ce qu’il disait, mais sans pouvoir l’expliquer à un autre ; celui qui savait interpréter, possédait les deux dons, ou l’un des deux.
4. Or, ce don paraissait considérable, car c’était le premier qu’avaient reçu les apôtres ; et, parmi les Corinthiens, un grand nombre jouissaient de ce privilège ; le don de l’enseignement était moins considéré : voilà pourquoi l’apôtre met celui-ci au premier rang, et le don des langues au dernier. C’est, en effet, pour l’enseignement que le don des langues existe aussi bien que celui de la prophétie et des miracles.
Rien n’égale le don de l’enseignement, et voilà pourquoi l’apôtre disait : « Que les prêtres qui gouvernent bien, soient doublement honorés, principalement ceux qui travaillent à la prédication de la parole et à l’instruction des peuples ». (1Tim. 5,17) Et il écrit à Timothée : « En attendant que je vienne, appliquez-vous à la lecture, à l’exhortation et à l’instruction ; ne négligez pas la grâce qui est en vous ». (1Tim. 4,13-14) Voyez-vous comme il donne, à ce talent, le nom de grâce. Ensuite, la consolation qu’il a déjà proposée, en disant : « Le même Esprit », il la répète ici : « C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît ».
Or, ici, l’apôtre fait plus que consoler ; il ferme encore la bouche aux contradicteurs, lorsqu’il dit : « Distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît ». C’est qu’il faut savoir user de sévérité, il ne faut pas seulement se borner à guérir ; c’est ainsi que, dans l’épître aux Romains, il dit : « Qui êtes-vous pour contester avec Dieu ? » (Rom. 9,20) Il fait de même ici : « Distribuant à chacun « selon qu’il lui plaît », et il montre que ce qui appartient au Père, appartient en même temps à l’Esprit, car, de même qu’en parlant de Dieu, Paul dit : « Il n’y a qu’un même Dieu, qui opère tout en tous » ; de même, en parlant de l’Esprit : « Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses ». Mais, dira-t-on, c’est un Esprit mis en mouvement par Dieu ; l’apôtre n’en dit rien nulle part ; c’est vous qui forgez cette idée. En effet, lorsque l’apôtre dit : « Qui opère tout en tous », c’est des hommes qu’il parle, et certes il ne va pas compter l’Esprit parmi les hommes ; vous aurez beau entasser mille extravagances, mille inepties. En effet, si l’apôtre dit : « Par l’Esprit », afin de prévenir l’erreur qui prendrait ce « par » pour une diminution de l’énergie de l’Esprit, qui s’imaginerait que l’Esprit est mis en mouvement, l’apôtre a bien soin d’ajouter. « Que l’Esprit opère », non pas qu’il est mis en mouvement de manière à opérer ; « que l’Esprit opère, selon qu’il lui plaît », non pas selon l’ordre qu’il reçoit. En effet, de même que le Fils dit, en parlant du Père : « Il réveille et vivifie les morts », et semblablement de « lui-même : « Il vivifie ceux qu’il lui plaît » (Jn. 5,21) ; de même, en parlant de l’Esprit, il dit ailleurs, qu’il fait tout avec une souveraine puissance, que rien ne résiste à sa volonté (car cette expression : « L’Esprit souffle où il veut » (Id. 3,8), quoique appliquée au vent, prouve néanmoins ce que nous disons) Et maintenant ici l’apôtre dit : « Il opère toutes choses, selon qu’il veut ». Écoutez ce qui prouve encore que l’Esprit n’est pas de ceux que met en mouvement une opération étrangère, mais que l’Esprit opère par lui-même : « Car », dit l’apôtre, « qui connaît ce qui est dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme ? Ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu que l’Esprit de Dieu ». (1Cor. 2,11) Que l’esprit de l’homme, c’est-à-dire son âme, n’ait pas besoin d’une opération du dehors pour connaître ce qui la concerne, c’est ce que tout le monde sait. Et, de même, l’Esprit-Saint se suffit à lui-même pour connaître ce qui concerne Dieu. C’est ainsi que l’Écriture dit : l’Esprit-Saint connaît les secrets de Dieu, comme l’âme humaine connaît les secrets de l’homme. Si notre âme n’est pas excitée à cette connaissance par une opération qui lui soit étrangère, à bien plus forte raison ; est-ce vrai de celui qui connaît la profondeur de. Dieu. Et il n’y a pas une opération quelconque, étrangère à lui, qui le porte à donner ses grâces aux apôtres.
Maintenant, j’ajouterai ici une autre réflexion que j’ai déjà faite. Quelle est-elle ? Si l’Esprit était inférieur, et d’une autre substance, la consolation présentée par l’apôtre aurait été nulle ; à quoi aurait-il servi d’apprendre que c’est le même Esprit ? Quand on reçoit les présents d’un roi, la plus grande des jouissances, c’est que le roi vous a fait lui-même le présent ; au contraire, on s’afflige de recevoir d’un esclave, d’être forcé de lui savoir gré du don que l’on a reçu. Ainsi, voilà encore une preuve que l’Esprit n’est pas d’une substance servile, mais royale. Voilà pourquoi, de même que l’apôtre a consolé les fidèles par ces paroles : « Il y a diversité de ministères, mais il n’y a qu’un même Seigneur ; il y a diversité d’opérations surnaturelles, mais il n’y a qu’un même Dieu » ; de même qu’après avoir dit plus haut : « Il y a diversité de dons spirituels, mais il n’y a qu’un même Esprit » ; après toutes ces observations, il ajoute encore : « C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît ». Donc, ne nous tourmentons pas, dit l’apôtre, ne nous affligeons pas en disant : Pourquoi ai-je reçu ceci, pourquoi n’ai-je pas reçu cela ? N’exigeons pas de comptes de l’Esprit-Saint. Comprenez que le don qu’il vous a fait, il vous l’a fait dans votre intérêt, qu’il l’a mesuré dans votre intérêt ; aimez-le donc, et réjouissez-vous de ce que vous avez reçu ; ne vous affligez pas, de n’avoir pas reçu d’autres dons ; au contraire, rendez grâces à Dieu de n’avoir pas reçu plus que vous ne pouviez supporter.
5. Et maintenant, si, en ce qui concerne les dons spirituels, il faut fuir une curiosité inquiète, à bien plus forte raison faut-il y renoncer, en ce qui concerne les biens de la terre ; il faut se tenir en repos, et ne pas s’enquérir curieusement pourquoi un tel est-il riche, pourquoi un tel est-il pauvre ? Assurément, chaque homme n’a pas reçu de Dieu la richesse ; il en est beaucoup qui doivent leur fortune à l’injustice, à la rapine, à l’avarice. Celui qui nous a ordonné de fuir la richesse, comment nous aurait-il donné ce qu’il nous défend de recevoir ? Mais je veux réfuter plus énergiquement encore ceux qui nous contredisent ici. Eh bien ! faisons remonter notre discours jusqu’au temps où Dieu a départi les richesses, et, répondez-moi, pourquoi Abraham était-il riche, et Jacob manquant de pain ? N’étaient-ils pas également justes l’un et l’autre ? Dieu n’a-t-il pas dit également des trois : « Je suis le Dieu d’Abraham, et d’Isaac, et de Jacob ? » (Ex. 3,6) Pourquoi donc l’un était-il riche, tandis que l’autre se louait comme un mercenaire ? ou plutôt : Pourquoi l’injuste et fratricide Esaü était-il riche, et Jacob si longtemps dans la servitude ? Pourquoi encore Isaac vécut-il si longtemps dans la tranquillité ; au contraire, dans les fatigues et dans les douleurs ? Aussi disait-il : « Mes jours ont été peu nombreux et malheureux ». (Gen. 47,19) Pourquoi David, qui fut un prophète et un roi, a-t-il passé tout le temps de sa vie dans les tourments ? Pourquoi Salomon, son fils, durant quarante années, a-t-il joui plus que personne de la sécurité, de la profonde paix, a-t-il été comblé de gloire, d’honneurs, a-t-il eu tous les plaisirs ? Pourquoi, parmi les prophètes, l’un était-il plus affligé, l’autre moins ? C’est qu’il était (le l’intérêt de chacun d’eux qu’il en fût ainsi.
Aussi faut-il dire, pour chacun d’eux : « Vos jugements sont un abîme très profond ». (Ps. 35,7) Si Dieu n’exerçait pas ces grands personnages, ces hommes admirables, en les soumettant aux mêmes traitements ; s’il éprouvait, celui-ci par la pauvreté, cet autre, par les richesses ; celui-ci, en lui accordant la vie tranquille ; cet autre, en le soumettant aux afflictions ; à bien plus forte raison, devons-nous méditer cette conduite appliquée à nous-mêmes. Et, en outre, une pensée que nous devons méditer, c’est que, des nombreux malheurs qui nous arrivent, la cause n’est pis dans la volonté de Dieu, mais dans notre perversité. Ne dites donc pas : pourquoi celui-ci est-il riche, quoique pervers ; celui-là pauvre, quoique juste ? car la réponse est facile ; le juste ne reçoit aucune atteinte de la pauvreté ; au contraire, elle rehausse sa gloire ; le méchant ne trouve, dans les richesses, qu’une voie qui le conduit au châtiment, s’il ne se convertit ; et, de plus, même avant le châtiment, les richesses lui ont causé des maux innombrables, et l’ont précipité dans mille gouffres : ce que Dieu permet, tout ensemble pour montrer la liberté de l’homme, et, en même temps, pour nous apprendre à ne pas courir aux richesses, avec une fureur insensée. Quoi donc, objectera-t-on, le méchant qui est riche ne souffre-t-il aucun mal ? Si l’homme de bien est riche, nous disons que c’est justice ; si, au contraire, c’est un méchant, que dirons-nous ? qu’il est, par cela même, misérable. En effet, les richesses s’ajoutant à la perversité, ne font qu’aggraver le mal ; mais voici un homme de bien, et cependant il est pauvre ? Eh bien, il ne reçoit aucune atteinte ; mais c’est un méchant, et il est pauvre ; donc c’est justice et c’est avec raison, et cette pauvreté est dans son intérêt.
Cependant, objectera-t-on, il a reçu des richesses de ses ancêtres, et il les gaspille entre des courtisanes et des parasites, et il ne souffre aucun mal. Que dites-vous ? Il se livre à la fornication et il ne souffre aucun mal ? Il s’enivre, et vous trouvez sa vie délicieuse ? Il dépense sa fortune honteusement, et vous le trouvez digne d’envie ? Et quelle plus grande dégradation que d’assurer la mort de son âme ? Mais vous-mêmes, à la vue d’un malheureux aux membres contournés, mutilés, vous croiriez devoir l’inonder de vos larmes ; et quand vous voyez son âme toute mutilée, vous croyez que cet homme est heureux ? Mais il ne sent rien, direz-vous ; voilà justement pourquoi il faut le plaindre, comme on fait des insensés.
Celui qui a conscience de sa maladie, appelle tout de suite le médecin ; il endure les remèdes au contraire, pour celui qui ne sent pas son mal, il n’y a pas de délivrance possible ; et est-ce là, je vous le demande, celui dont vous vantez le bonheur ? Mais gardons-nous de nous trop étonner ; il est grand le nombre de ceux qui sont étrangers à la sagesse. Aussi supportons-nous les derniers châtiments, sommes-nous punis, sans espérance de nous voir délivrés du supplice. De là ; les colères, les découragements ; les perturbations continuelles ; Dieu nous montre une vie exempte de douleurs, la vie consacrée à la vertu, et nous, abandonnant ce chemin, nous en prenons un autre, le chemin de la fortune et des richesses, rempli d’innombrables maux, et nous agissons comme celui qui ire saurait pas distinguer la beauté dés corps, qui ne regarderait que le vêtement, que les ornements extérieurs, qui verrait une belle femme, douée d’une naturelle beauté, et passerait son chemin, pour aller vers une laide, une femme difforme et mutilée, mais recouverte d’une belle toilette, et qui la prendrait pour épouse. C’est l’image de ce qui arrive à bien des gens, en ce qui concerne la vertu et la méchanceté. Ils choisissent la laideur à cause des ornements qui l’affublent au-dehors ; mais la beauté, ils la répudient à cause de cette nudité même, qui aurait dû fixer leur préférence.
6. Aussi j’ai honte de voir, chez ces païens insensés, une sagesse sinon de conduite, mais au moins de doctrine, qui ne se méprend pas sur la condition mobile et passagère des choses présentes. Il en est, chez nous, qui ne reconnaissent pas cette vanité ; leur jugement même est corrompu, malgré tant d’avertissements de l’Écriture, qui ne cessent de nous crier « Le méchant parait à ses yeux comme un néant, mais le Seigneur glorifie ceux qui le craignent (Ps. 14,4). La crainte du Seigneur a tout surpassé (Sir. 25,14). Crains Dieu, et garde ses commandements, car c’est là tout l’homme (Qo. 12,13). Ne portez pas envie aux méchants ; ne craignez point, en voyant un homme devenu riche (Ps. 48,17). Toute chair n’est que de l’herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs ». (Is. 40,6) Malgré tant de paroles du même genre, que nous entendons chaque jour, nous sommes encore rivés à la terre. Les enfants ignorants, à qui on apprend leurs lettres tous les jours, se trompent souvent, quand on les leur demande sans suite, et disent une lettre pour une autre, provoquant ainsi mille éclats de rire ; vous faites de même, quand nous vous exposons la suite de ces vérités ; vous les apprenez tant bien que mal ; mais lorsqu’il nous arrive de volis interroger au-dehors, sans suivre l’ordre ; quand nous vous demandons quel est le premier des biens, quel est le second, que faut-il mettre après tout le reste ? Votre ignorance se révèle, d’une manière ridicule. N’est-ce pas, je vous le demande, le comble du ridicule, pour nous qui attendons l’immortalité, les biens que l’œil n’a pas vus, que l’oreille n’a pas entendus, qui ne sont pas entrés dans le cœur de l’homme, de faire effort, pour nous assurer des choses d’ici-bas, et de les regarder comme dignes de notre envie ? Si vous avez encore besoin d’apprendre que les richesses ne sont rien, que les choses présentes ne sont qu’une ombre et un songe, qu’elles se dissipent comme la fumée, qu’elles s’envolent, restez à la porte ; tenez-vous dans les vestibules, vous n’êtes pas encore dignes d’entrer dans le palais du souverain. Si vous ne savez pas encore distinguer ce qu’il y a d’instable, ce qu’il y a là-dedans de perpétuel va-et-vient, quand donc arriverez-vous au mépris des richesses ? Si vous prétendez posséder cette science, cessez alors de vous informer avec une curiosité inquiète, de demander pourquoi, celui-ci est-il riche, pourquoi cet autre est-il pauvre ?
Vous ressemblez, par vos questions, à celui qui se promènerait en demandant : pourquoi celui-ci est-il blanc, pourquoi cet autre est-il noir ; pourquoi ce nez aquilin, pourquoi ce nez camard ? De même que cela ne nous intéresse en rien, de même que nous importe que tel soit pauvre ou soit riche ? Bien plus, cela nous intéresse bien moins que ce que nous venons de dire ; tout doit se rapporter à l’usage que l’on en fait ; quoique pauvre, vous pouvez montrer une âme belle et sage ; quoique riche, vous êtes le plus malheureux de tous si vous fuyez la vertu ; car ce que nous devons rechercher, c’est ce qui porte à la vertu. Si nous avons ces ressources, les autres ne nous servent de rien. Aussi, ces questions perpétuelles, qui prouvent que tant de gens s’intéressent à ce qui est indifférent, et ne tiennent aucun compte de ce qui les regarde, sont-elles des questions insensées ; ce qui nous regarde, c’est la vertu et la sagesse. Un long intervalle vous en sépare ; de là, la perturbation dans les pensées ; de là, les flots des passions ; de là, les tempêtes. Déchu de la gloire suprême, de l’amour du ciel, ne désirant plus que la gloire présente, on est esclave et prisonnier. D’où vient, dira-t-on, notre amour pour la gloire de ce monde ? de notre indifférence pour la gloire du ciel ? Et cette indifférence même d’où vient-elle ? de notre négligence. Et notre négligence ? de notre mépris. Et notre mépris ? de la déraison, qui fait que nous nous attachons au présent, que nous ne nous appliquons pas à examiner la nature des choses. Cette déraison même, d’où vient-elle ? de ce que nous ne nous attachons pas à la lecture des livres saints ; de ce que nous ne conversons pas avec les saints ; de ce que nous fréquentons les réunions des méchants. Mettons un terme à ce désordre : ne souffrons pas que les flots, poussant les flots, nous emportent dans une mer de malheurs, nous étouffent, nous arrachent toute vie ; il en est temps encore, réveillons-nous, et, debout sur le roc, je dis le roc de la doctrine et de la parole de Dieu, abaissons nos regards sur la tempête de la vie présente. C’est ainsi que nous l’éviterons nous-mêmes, et que nous sauverons les autres du naufrage, parla grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXX.


ET COMME NOTRE CORPS N’ÉTANT QU’UN, EST COMPOSÉ DE PLUSIEURS MEMBRES, ET QUE BIEN QU’IL Y AIT PLUSIEURS MEMBRES, ILS NE SONT TOUS NÉANMOINS QU’UN MÊME CORPS, IL EN EST DE MÈME DU CHRIST. (CHAP. 12, VERS. 12, JUSQU’AU VERS. 20)

ANALYSE.

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  • 1. Sur l’habitude de Paul d’employer des comparaisons. – Comparaison de l’Église et du corps humain. – Par qui et pourquoi avons-nous été baptisés Y par un même Esprit, pour ne faire qu’un même corps.
  • 2. Avantage inappréciable de la pluralité et de la diversité pour ne constituer qu’un seul et même corps. – Fuir toute indiscrète curiosité : Dieu a fait le corps de telle manière, l’Église, de telle manière, parce qu’il l’a voulu ainsi.
  • 3. L’égalité d’honneur de tous les membres résultant de ce qu’ils forment tous un seul et même corps, et le corps n’étant possible qu’à la condition de la diversité dans l’unité, il en résulte que l’égalité d’honneur de tous les membres provient de la différence même qui les distingue.
  • 4 et 5. Importance du moindre des membres, dans le corps humain, dans l’Église. – Appel à la concorde. – Importance des veuves dans l’Église et des mendiants. – Beau développement sur l’efficacité de l’aumône. – De la vraie pauvreté. – Contre les frayeurs qu’elle inspire.


1. Après les avoir consolés par la gratuité du don, par cette réflexion que tous les dons proviennent d’un seul et même Esprit, par cette réflexion que les dons ont été faits en vue de l’utilité, par cette réflexion que les moindres dons suffisent à manifester l’Esprit ; après avoir fermé la bouche aux contradicteurs, en disant qu’il faut céder à la souveraine puissance de d’Esprit, puisque, « c’est un seul et même Esprit », dit-il, « qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît », et voilà pourquoi il ne faut pas d’indiscrète curiosité ; après ces paroles, il les console encore par un exemple tiré de la vie commune, il prend à témoin la nature même, selon son habitude. Ainsi, lorsqu’il discourait sur la chevelure des hommes et celle des femmes, après certaines considérations, il en vient à cette raison : « La nature a même ne vous enseigne-t-elle pas qu’il serait honteux à un homme de laisser toujours croître ses cheveux, et qu’il est, au contraire, honorable à une femme de les laisser toujours croître ? » (1Cor. 11,14-15). Quand il parlait des viandes consacrées aux idoles, pour défendre d’y toucher, il ajoutait à des preuves inhérentes au sujet des réflexions empruntées du dehors ; il rappelait les combats olympiques : « Ne savez-vous pas que, quand on court dans la carrière, tous « courent, mais un seul remporte le prix ? » (Id. 9,24) Et il demande des preuves aux bergers, aux soldats, aux agriculteurs.
Il fait de même ici ; il emprunte à la vie commune un exemple puissant pour montrer que personne n’a moins reçu que les autres, vérité étonnante, difficile à prouver, bien faite cependant pour réconforter les âmes simples ; cet exemple il l’emprunte au corps humain. Rien de plus propre à consoler celui qui est faible et qui se croit moins bien gratifié, que d’apprendre qu’eu réalité il n’est pas moins bien partagé que les autres. Voilà ce que l’apôtre veut établir par ces paroles : « Comme notre corps n’étant qu’un, est composé de plusieurs membres ». L’apôtre fait preuve ici d’une intelligence parfaite ; il montre que le même corps est à la fois un et multiple, et il ajoute, en insistant sur ce qu’il se propose : « Et, bien qu’il y ait plusieurs membres, ils ne sont tous néanmoins qu’un même corps ». Il ne dit pas : Bien qu’il y ait plusieurs membres, ils appartiennent tous à un même corps ; mais il dit : Ils sont tous ce même corps ; ce même corps et tous ces membres, c’est un seul et même tout. Eh bien donc, si tous ne font qu’un, si le corps unique et tous les membres ne sont qu’un seul et même tout, où est la différence, où est le plus, où est le moins ? « Ils ne sont tous », en effet, dit-il, « qu’un même corps ». Et non seulement ils ne sont qu’un même corps, mais, en serrant, la réalité de plus près, eu égard à ce corps, en tant qu’ils sont un corps, tous se trouvent ne faire qu’un. Et maintenant, eu égard aux parties, s’il y a différence, cette différence, dans toutes les parties, est semblable. En effet, il n’y a pas aine partie capable par elle-même de constituer le corps ; dans chacune des parties, égale défaillance, même insuffisance à former le corps, parce qu’il faut entre elles l’union. Ce n’est que quand beaucoup de parties ne forment qu’un seul tout, qu’il y a un seul et même corps. Voilà ce que l’apôtre insinuait par ces paroles : « Et, bien qu’il y ait plusieurs membres, ils ne sont tous néanmoins qu’un même corps ». Et il ne dit pas : Les plus grands et les moindres, il dit : « Rien qu’il y ait plusieurs membres ». La pluralité s’applique à tous les membres. Et comment peut-il se faire qu’ils ne soient qu’un ?. Vous n’avez qu’à négliger la différence pour considérer le corps. Ce qu’est l’œil, le pied l’est aussi, à savoir qu’ils sont également des membres, et qu’ils font le corps ; il n’y a en effet, ici, aucune différence, et vous ne sauriez dire que tel membre, par, lui-même, constitue le corps ; que tel autre n’en fait pas autant ; il y a à cet égard parité entre tous les membres, parce que tous ne font qu’un même corps.
Après cette démonstration tirée de la nature qui ne pouvait être contestée de personne, l’apôtre ajoute : « Il en est de même du « Christ ». Il aurait dû dire : Il en est de même de l’Église, car c’était la conséquence naturelle ; il ne le dit pas. Au lieu de l’Église, il met le Christ, afin d’élever son discours et de faire, sur l’auditeur, une plus profonde impression. Ce qu’il dit revient à ceci : Ainsi en est-il du corps du Christ qui est l’Église. En effet, de même que le corps et la tête ne font qu’un homme ; de même, et l’Église et le Christ, ne font qu’un. Voilà pourquoi il a mis le Christ au lieu de l’Église, appelant ainsi son corps. Donc, dit-il, de même que notre corps n’est qu’un corps, quoiqu’il soit composé de beaucoup de, membres, de même, dans l’Église, nous ne faisons qu’un, tous tant que nous sommes ; bien qu’elle se compose d’un grand nombre de membres, de ce grand nombre de membres ne résulte qu’un corps, Après avoir ainsi consolé, redressé celui qui se croyait moins bien partagé, il passe de cette preuve tirée d’un exemple familier à une considération spirituelle encore plus consolante, et qui démontre la parfaite égalité dans l’honneur. Quelle est cette considération ? « Car », dit-il, « nous avons tous été baptisés dans le même Esprit, pour n’être tous ensemble qu’un même corps, Juifs ou gentils, esclaves ou libres (13) ». Voici ce qu’il veut dire : Ce qui a fait de nous un seul corps, ce qui nous a régénérés, c’est un seul et même Esprit ; car tel de nous n’a pas été baptisé dans un Esprit ; tel autre, dans un autre Esprit ; non seulement ce qui nous a baptisés, est un, mais ce en quoi il nous a baptisés, c’est-à-dire, ce pourquoi il nous a baptisés, est un ; c’est, non pas pour qu’il y eût des corps différents, c’est, au contraire, pour que tous tant que nous sommes, nous plissions conserver, entre nous, la parfaite union d’un seul et même corps ; et voilà pourquoi nous avons été baptisés : c’est pour que nous soyons tous un seul et même corps, que nous avons été baptisés.
2. Ainsi ; et celui qui nous a, faits chrétiens est un, et ce en vue de quoi nous avons été faits chrétiens est un également ; et l’apôtre ne dit as : C’est afin que nous appartenions au même corps, mais : Afin que nous soyons un seul et même corps tous, car l’apôtre prend toujours les expressions les plus fortes ; et il fait bien de dire ; « Nous avons tous », en se comprenant lui-même. En effet, moi apôtre, je n’ai rien de plus que toi ; car tu es ce corps autant que moi ; moi, autant que toi ; nous avons tous précisément la même tête, et nous sommes nés du même enfantement. C’est pourquoi nous, sommes, le même corps. Et que dis-je ? dit l’apôtre, ne parlé-je que des Juifs ? Les, gentils, si éloignés de nous autrefois, il les fait rentrer dans ce même corps. Aussi, après avoir dit : Nous avons tous, il ne s’est pas arrêté là, il ajoute : «. Juifs ou gentils, esclaves ou libres, ». Si après avoir été tant éloignés, nous nous sommes unis, nous ne faisons plus qu’un ; à bien plus forte raison, maintenant que nous ne faisons plus qu’un, serions-nous coupables de nous, affliger et de perdre courage ; car, entre nous, il n’y a pas de place pour la différence. Si le Seigneur a jugé dignes des mêmes avantages, et les païens et les Juifs, et les esclaves et les hommes libres, comment, après les avoir ainsi honorés, les séparerait-il, lorsque ses dons ne vont qu’à produire une plus étroite et plus solide union ? « Et nous avons tous été abreuvés d’un seul et même Esprit. Aussi le corps « n’est pas un seul membre, mais plusieurs (14) » ; c’est-à-dire : Nous sommes venus à la même initiation dans les mystères ; nous jouissons de la même table. Et, pourquoi ne dit-il pas : Nous nous nourrissons du même corps ; nous nous abreuvons du même sang ? c’est parce que le mot « Esprit » dont il s’est servi, marque à la fois, et le sang et le corps. Eu effet, par le sang et par le corps à la fois, nous nous abreuvons d’un seul et même Esprit.
Maintenant, il me paraît vouloir entendre cette effusion de l’Esprit, qui vient en nous, par le baptême, et avant les mystères. Quant à cette expression : « Nous avons tous été abreuvés », la métaphore est tout à fait de circonstance ; c’est comme si, parlant des plantes d’un verger, il disait : c’est la même source qui arrose tous les arbres, c’est la même eau ; de même ici, c’est du même Esprit que nous nous sommes tous abreuvés ; c’est de la même grâce que nous jouissons, dit l’apôtre. Donc, si c’est un seul et même Esprit, qui nous a faits ce que nous sommes, qui a fait de nous tous un seul et même corps, car c’est là ce que signifie : « Nous avons tous été baptisés dans le : même esprit pour n’être tous ensemble qu’un même corps » ; si Dieu, dans ses faveurs, nous a mis à une seule et même table, s’il a versé sur nous tous la même rosée, car c’est là ce que veut dire : « Nous avons tous été abreuvés d’un seul et même Esprit » ; s’il est vrai que, malgré l’intervalle si grand qui nous éloignait, le Seigneur nous a unis, et que la pluralité ne fait plus qu’un seul et même corps, quand elle a été réduite à l’unité, pourquoi cette différence dont vous venez me faire tant d’éclat ? Si vous dites maintenant que les membres sont nombreux et divers, apprenez que c’est là précisément ce qui constitue la merveille, l’excellence incomparable de ce corps, où tant de parties diverses produisent l’unité. Sans cette grande pluralité, il n’y aurait rien de si merveilleux, de si étrange, à ce qu’il y eût un seul et même corps. Je me trompe ; il n’y aurait pas même de corps ; mais c’est une réflexion que l’apôtre garde pour, la fin. En attendant, il s’occupe des membres mêmes et il dit : « Si le pied disait : puisque je ne suis pas la main, je ne suis pas du corps ; ne serait-il point pour cela du corps ? et si l’oreille disait : Puisque je ne suis pas l’œil, je ne suis pas du corps, ne serait-elle point pour cela du corps (45, 16) ? » En effet, si de ce que l’un est moins, et l’autre plus, il s’ensuivait que l’on pût dire : Je ne suis pas du corps, tout le corps serait détruit. Gardez-vous donc de dire : je ne suis pas du corps, parce que je suis moindre : sans doute le pied est d’un rang inférieur, mais il appartient au corps. Être ou n’être pas du corps, ne provient pas de ce que l’un occupe telle place, l’autre, telle autre place ; il n’y a là qu’une différence de lieu ; être ou n’être pas du corps, résulte de ce qu’on y est uni ou de ce qu’on n’y est pas uni.
Considérez la sagesse de l’apôtre, l’appropriation de ses expressions, si bien accommodées à nos membres ; de même qu’il disait plus haut : « J’ai proposé ces choses sous mon nom et sous celui d’Apollon » (1Cor. 4,6) ; de même ici, pour ne pas blesser, pour rendre son discours acceptable, il fait parler les membres, il veut que ses auditeurs, entendant la nature qui répond, soient convaincus par l’expérience, par le bon sens, et n’aient plus rien à lui objecter. En effet, dit l’apôtre, soit que vous affirmiez d’une manière précise que vous n’êtes pas du corps, soit que vous murmuriez, vous ne pouvez pas être en dehors du corps. Semblable à la loi de la nature, la vertu de la grâce, et celle-ci est bien plus forte encore, protégé et conserve toutes choses. Et voyez la précaution que prend l’apôtre, de ne rien dire d’inutile ; il ne parle pas de tous les membres, mais de deux seulement, et de deux extrêmes ; il montre, en effet, le plus précieux de tous, l’œil, et le plus vil de tous, le pied ; et il ne montre pas le pied disputant avec l’œil, mais avec la main, qui n’est qu’un peu plus élevée ; l’oreille, il la montre disputant avec l’œil : c’est que ceux à qui nous portons envie d’ordinaire, ce ne sont pas ceux qui nous surpassent de beaucoup, mais ceux qui ne sont qu’un peu plus élevés. Voilà pourquoi il établit ainsi la comparaison. « Si tout le corps était œil, où serait l’ouïe ? et s’il « était tout ouïe, où serait l’odorat (17) ? » L’apôtre en mentionnant la différence des membres, en parlant des pieds, dés mains, des yeux, des oreilles, a fait penser ses auditeurs, au plus, au moins d’importance. Voyez maintenant sa manière de les consoler, en leur montrant la convenance de cet arrangement, et la pluralité et, la diversité contribuant surtout à ce qu’il y ait un corps. Si tous n’étaient qu’une seule et même chose, ils ne seraient pas un seul et même corps ; voilà pourquoi l’apôtre dit : « Si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, où serait le « corps (19) ? » Mais cette réflexion ne vient qu’après ; il montre ici une conséquence plus importante, à savoir, non seulement que le corps est impossible, mais que les autres sens eux-mêmes sont impossibles, car « s’il était tout ouïe, où serait l’odorat », dit-il ?
3. Et ensuite, ces réflexions mêmes ne les empêchant pas de se, troubler ; il recommence ici encore ce qu’il a déjà fait : de même que, plus haut, il les consolait par l’utilité, et qu’ensuite il leur fermait vivement la bouche, en leur disant : « Or, c’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant, à chacun, ses dons selon qu’il lui plaît » ; de même ici, après les raisonnements qui montrent que tout a été fait pour l’utilité, il ramène encore toutes choses à la volonté de Dieu, en disant : « Mais Dieu a mis dans le corps plusieurs membres et il a placé chacun d’eux comme il lui a plu (18) ». De même qu’en parlant de l’Esprit, il disait. « Selon qu’il lui plaît » ; de même ici,« comme il lui a plu ». Pas d’indiscrète curiosité dans le but de savoir pourquoi ceci est de telle façon, et ceci de telle autre. C’est qu’en effet, quand nous emploierions mille expressions différentes, nous ne pourrions pas montrer la sagesse de l’œuvre autant que nous le faisons par ces mots : L’ouvrier par excellence a voulu, et, comme il a voulu, les choses ont été faites ; car tout ce qu’il veut est toujours utile. Et maintenant, si, à propos de notre corps, nous n’en soumettons pas les membres à une enquête curieuse, à bien plus forte raison devons-nous nous abstenir à propos de l’Église. Et remarquez la sagesse de l’apôtre : il ne parle pas de la différence naturelle ni de celle qui vient des opérations, mais de la différence de position ; mais Dieu, dit-il, a mis dans le corps plusieurs membres, et il a placé chacun d’eux comme il lui a plu. Et c’est avec raison que l’apôtre dit : « Chacun d’eux », montrant l’utilité de tous. En effet, impossible de dire que Dieu a placé tel membre, mais qu’il n’a pas placé tel autre ; chacun des membres a été placé selon la volonté de Dieu. C’est pourquoi c’est l’utilité du pied d’avoir été placé de telle manière ; et ce n’est pas seulement l’utilité de la tête. Et supposé l’ordre changé, supposé qu’abandonnant le lieu qui lui est propre, il passe dans un autre lieu, quand même il paraîtrait prendre une plus belle place, le pied aurait tout perdu et tout gâté, perdu la place qui lui est propre, sans en acquérir une autre.
« Si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, où serait le corps ? Mais il y a plusieurs membres, et tous ne sont qu’un corps (20) ». Après avoir suffisamment fermé la bouche aux fidèles trop curieux, en leur parlant de la disposition que Dieu a voulue, l’apôtre recommence les raisonnements ; il ne suit pas toujours soit l’une soit l’autre de ces deux pratiques, il les alterne pour varier son discours. Se contenter de fermer la bouche aux contradicteurs, c’est jeter le trouble dans les pensées ; accoutumer l’auditeur à se rendre raison de tout, c’est porter atteinte à sa foi. Aussi, Paul s’y prend souvent de manière que les auditeurs consentent à croire et cessent de se troubler ; et, après leur avoir fermé la bouche, il fait plus, il leur donne des explications. Voyez le zèle laborieux et la plénitude de la victoire. Les raisons qui leur faisaient croire qu’ils n’étaient pas égaux en honneur, servent précisément, dans la bouche de l’apôtre, à montrer qu’ils ont cette égalité d’honneur. Mais comment cela ? C’est ce que je vais dire : « Si tous les, membres », dit l’apôtre, « n’étaient qu’un seul membre, où « serait le corps ? » C’est-à-dire, s’il n’y avait pas en vous des différences considérables, vous ne seriez pas un corps ; si vous n’étiez pas un corps, vous ne seriez pas un seul et même tout ; si volas n’étiez pas un seul et même tout, vous ne seriez pas égaux en honneur. Si vous étiez égaux en honneur, vous ne seriez pas un corps ; si vous n’étiez pas un corps, vous ne seriez pas un seul et même tout ; si vous n’étiez pas un seul et même tout, comment seriez-vous égaux en honneur ? Mais, c’est précisément parce que vous n’avez pas tous le même don que vous êtes un corps, et parce que vous êtes un corps, vous êtes tous un seul et même tout, et rien ne vous distingue l’un de l’autre, en tant que vous êtes un corps. D’où il arrive que c’est la différence considérable entre vous qui produit surtout votre égalité d’honneur, et voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Mais il y a plusieurs membres, et tous ne sont qu’un seul corps ».
Pénétrés, nous aussi, de ces pensées, bannissons tout sentiment d’envie,.ne soyons pas jaloux de ceux qui possèdent de plus grands dons ; ne méprisons pas ceux qui en ont reçu de moindres, car c’est ainsi que Dieu l’a voulu ; cessons donc de nous insurger. Si le trouble est encore dans vos pensées, considérez que souvent celui à qui vous portez envie, ne saurait accomplir ce que vous savez faire, d’où il suit qu’inférieurs à lui, vous le surpassez à ce titré ; que supérieur à vous, à ce titre il est vaincu par vous, et que c’est là ce qui constitue l’égalité. En effet, dans le corps même, les membres modestes n’accomplissent pas de modestes fonctions, et souvent, en cessant de les remplir, ils affaiblissent les membres importants. Quoi de moins considérable que les poils à la surface du corps ? eh bien, ces poils chétifs, enlevez-les des sourcils et des paupières ; et c’en est fait de toute la beauté du visage, de la beauté des yeux. La perte est légère, et cependant toute la beauté du visage est détruite, et non seulement la beauté, mais ce qu’il y a d’utile dans l’activité des yeux est compromis ; car chacun de nos membres accomplit une fonction d’un caractère spécial et une fonction d’un caractère commun ; nous avons aussi en nous une beauté qui nous est propre, et une qui nous est commune. Ces membres paraissent divisés ; ils sont pourtant unis avec le plus grand soin ; que l’un périsse, et l’autre périt en même temps. Voyez encore : il faut que les yeux soient brillants, la joue souriante, la lèvre rouge, le nez droit, le sourcil étendu ; dérangez, si peu que ce soit, le moins important de ces détails, vous compromettez la beauté commune, et vous ne verrez que laideur dans tout ce qui apparaissait auparavant avec tant de beauté. Écrasez l’extrémité du nez, et vous répandez la laideur sur tout l’ensemble du corps, quoique vous n’ayez mutilé qu’un seul membre. Et maintenant, dans la main, enlevez. Simplement l’ongle d’un doigt, vous verrez le même résultat.
4. En voulez-vous une preuve empruntée à l’opération même de la main ? Supprimez un doigt, rien qu’un, et vous verrez les autres réduits à l’inaction, incapables désormais d’accomplir leur œuvre ; donc, puisque la perte d’un seul membre est pour tout le corps une difformité, puisque, au contraire, la conservation de ce membre conserve la beauté de tout le reste, ne nous exaltons pas, n’insultons pas nos frères. C’est ce membre chétif qui donne, à cet autre membre si grand, l’éclat de sa beauté, ce sont les paupières qui ornent les yeux. C’est donc se faire la guerre à soi-même que de la faire à son frère ; car on ne fera pas du mal seulement à son frère, mais à soi-même, et le dommage sera grand. Faisons en sorte que nous prévenions de pareils malheurs ; ayons, pour nos proches, autant d’égards que pour nous-mêmes. Cette image prise du corps, transportons-la à l’Église, et prenons soin de tous ses membres, comme de nos propres membres. En effet, il y a dans l’Église des membres nombreux et divers ; les uns recouverts d’honneur, les autres inférieurs par le rang ; tels sont les chœurs des vierges, les assemblées des veuves ; ajoutons-y encore les chastes communautés des époux, il y a de nombreux degrés pour monter à la vertu. Et de même, en ce qui concerne l’aumône : l’un a prodigué, dépensé tous ses biens, d’autres ne pensent qu’à s’assurer ce qui suffit à leurs besoins, sans rechercher plus que le nécessaire ; d’autres donnent de leur superflu. Qu’arrive-t-il ? C’est que tous s’embellissent mutuellement les uns les autres ; si le plus grand méprise le plus petit, c’est à lui-même qu’il fait la plus cruelle blessure ; si une vierge outrage une femme mariée, elle perd une grande partie de sa récompense ; si celui qui a tout donné, fait des reproches à l’homme qui ne l’a pas imité, il a perdu en grande partie le fruit de ses mérites.
Et que parlé-je de vierges, de veuves et d’hommes qui donnent tous leurs biens aux pauvres ? Quoi de plus misérables que les mendiants ? et cependant ces mendiants mêmes sont de la plus grande utilité dans l’Église ; attachés aux portes du temple, ils en font le plus bel ornement ; sans eux l’Église ne se montrerait pas dans sa plénitude. Dès les premiers temps, les apôtres possédés de ces pensées, établirent, entre tant d’autres lois, la loi concernant les veuves ; et ils le firent avec tant de zèle qu’ils mirent sept diacres à leur tête. De même que je compte les évêques, les prêtres, les diacres, les vierges, ceux qui gardent la continence ; de même, au nombre des membres de l’Église, j’inscris les veuves. Leurs fonctions ne sont pas sans dignité ; vous, vous ne venez à l’église que quand il vous plaît, les veuves, c’est jour et nuit qu’elles séjournent dans l’église, en chantant des psaumes ; et ce n’est pas seulement l’aumône qui les y retient ; elles n’auraient qu’à le vouloir pour aller mendier dans le forum et dans les ruelles ; mais elles apportent ici une piété qu’il ne faut pas dédaigner. Voyez, elles sont dans la pauvreté comme dans une fournaise, et cependant vous n’entendrez de leur bouche aucun blasphème, aucune parole d’indignation, ce que tant de femmes riches se permettent si souvent. Ces veuves qui ont faim, on les voit souvent dormir ; d’autres sont continuellement tourmentées par le froid, et cependant leur vie se passe à rendre à Dieu des actions de grâces, à le glorifier. Qu’on leur donne une obole, elles vous bénissent, leurs prières implorent l’effusion des biens sur celui qui leur a donné ; qu’on ne leur donne rien, elles se résignent, et même alors, elles bénissent, elles accompagnent l’indifférent de leur affection, en se contentant de leur nourriture journalière.
Bon gré, mal gré, direz-vous, il faut bien qu’elles se résignent. Pourquoi, répondez-moi, pourquoi prononcez-vous cette parole si amère ? N’y a-t-il donc pas des industries honteuses, lucratives pour les vieillards, pour les femmes chargées du poids des ans ? Si elles ne tenaient pas à vivre dans l’honnêteté, ne pouvaient-elles pas, par ces moyens honteux, se procurer l’abondance ? Ne voyez-vous pas combien grand est le nombre des fournisseurs de voluptés et de ceux qui à cet âge vendent des plaisirs, exercent les professions de ce genre ? Leur vie se passe dans les délices ; mais, pour nos pauvres, non. Ils aiment mieux mourir de faim, que de déshonorer leur vie, que de trahir leur salut, et ils restent assis, tant que le jour dure, préparant votre salut à vous. Car il n’est pas de médecin, de chirurgien à l’œuvre, le fer à la main, enlevant les chairs putréfiées, qu’on puisse comparer aux pauvres, étendant la main pour recevoir l’aumône, et guérissant en vous les passions qui vous gonflent ; chose admirable encore, ils opèrent sur vous sans douleur cette excellente médication. Et tout autant que nous, qui sommes à la tête du peuple et vous donnons d’utiles avertissements, celui que vous voyez assis devant les portes de l’église vous parle par son silence, par son aspect. Car nous, chaque jour nous vous répétons : abaisse ton orgueil, ô homme, l’homme ne fait que passer ; sa nature est fragile, la jeunesse se hâte vers la vieillesse ; la beauté vers la laideur ; la force vers la faiblesse, l’honneur devient mépris ; la santé, infirmité ; la gloire, un état misérable ; les richesses, de la pauvreté ; semblables à un courant impétueux, tout ce que nous sommes est sans consistance, et se précipite dans un abîme.
5. Et voilà ce que vous disent les pauvres, et ils vous en disent bien plus encore, vous parlant par l’expérience même, ce qui est la plus claire des exhortations. Combien y en a-t-il, de ceux qui sont assis à ces portes, dont la jeunesse fut florissante, et qui ont fait de grandes choses ! Combien y en a-t-il, de ces disgraciés, qui, par la vigueur de leurs membres et par leur beauté, en surpassèrent bien d’autres ! Ne refusez pas de me croire, et gardez-vous de rire. Les exemples de ce genre sont innombrables ; ils remplissent la vie ; si tant de misérables d’une condition abjecte, sont devenus rois tout à coup, qu’y a-t-il d’étonnant que de grands personnages, comblés de gloire, soient devenus vils et misérables ? Le premier exemple certes a bien plus de quoi étonner ; quant au dernier, c’est une histoire qui se renouvelle très souvent. Aussi n’y a-t-il pas lieu de refuser de croire que, dans les arts, dans la profession militaire, dans l’ordre de la fortune, quelques-uns de ces malheureux d’aujourd’hui aient été autrefois florissants ; nous devons les plaindre, les couvrir de toute notre sympathie, de notre affection, et, à leur vue, redouter de subir un jour nous-mêmes le même sort. En effet, nous sommes, nous aussi, des hommes, et soumis à la même rapidité de changement. Mais peut-être un de ces insensés pour qui la raillerie est une habitude, critiquera nos paroles et parodiera tout notre discours ; et jusques à quand, dira-t-il, vous appliquerez-vous à discourir sans relâche sur les pauvres et les indigents, et à nous prédire des sinistres, et à nous annoncer d’avance la pauvreté, n’ayant d’autre souci que de faire de nous des mendiants ? Non, non ; mon souci n’est pas de faire de vous des mendiants, ô hommes ; je brûle de vous ouvrir les trésors du ciel. Parler à un homme bien portant de maladie, raconter les douleurs des malades, ce n’est pas pour que la santé devienne une maladie ; c’est pour que la santé se conserve ; c’est pour que la crainte des malheurs arrivés aux autres corrige la négligence et l’incurie. La pauvreté vous épouvante, le nom seul vous fait frissonner ; eh bien ! voilà ce qui nous rend pauvres ; c’est que nous craignons la pauvreté, eussions-nous même dix mille talents. Le pauvre n’est pas celui qui n’a rien ; c’est celui qui a horreur de la pauvreté ; dans les malheurs, nous ne pleurons pas sur ceux qui souffrent des maux sans nombre ; ce ne sont pas là ceux que nous estimons malheureux, mais ceux qui ne savent pas supporter les malheurs, quelque faibles qu’ils soient ; et nous disons que celui qui les souffre avec patience, mérite et couronnes et gloire.
Et pour prouver que c’est là la vérité, quels sont, dans les luttes, ceux qui reçoivent nos éloges ? Sont-ce les combattants qui souffrent mille coups sans se plaindre, qui, toujours la tête haute, restent jusqu’au bout à leur poste, ou ceux à qui les premiers coups font prendre la fuite ? Est-ce que nous ne couronnons pas les premiers pour leur courage, pour leur grandeur d’âme ? Ne sait-on pas qu’au contraire nous nous moquons des autres, de leur lâcheté, de leur timidité ? Eh bien donc, faisons de même dans les choses de cette vie. Couronnons celui qui supporte tout sans se plaindre, comme on couronne le brave dont la valeur se montre dans tous les combats. Mais le timide, que les difficultés de la vie font trembler, plaignons-le ; pleurons celui qui, avant de recevoir le coup, se meurt de frayeur. Supposez en effet dans les combats, un homme qui, avant que la main se soit levée, à la vue de son adversaire étendant le bras, s’enfuit avant de recevoir le coup ; il sera ridicule, on dira que c’est un énervé, un mou, un ignorant, étranger aux nobles labeurs. C’est l’histoire de ceux qui craignent la pauvreté, sans pouvoir même en soutenir la pensée. Donc, ce n’est pas nous qui vous rendons malheureux ; c’est vous-mêmes qui vous faites cotre malheur. Et comment par la suite le démon ne se moquera-t-il pas de vous, s’il vous voit, avant d’avoir été frappés, rien que sous le coup des menaces, effarés et tremblants ? Ce n’est pas tout : il suffit que vous redoutiez une pareille menace, pour qu’il n’ait plus besoin de vous frapper ; il souffrira que vous possédiez vos richesses, puisque la crainte de vous les voir enlever, vous rendra plus mous que la cire. Voilà notre caractère. On peut dire que ce qui nous fait peur, ne nous paraît plus, après l’expérience, aussi terrible qu’avant que nous l’ayons éprouvé. Le démon, pour vous priver de cette force que donne l’expérience, vous retient dans une crainte excessive, et, avant l’expérience, par la crainte de la pauvreté, il vous amollit comme la cire. Un tel homme, plus inconsistant que la cire, est plus misérable que Caïn ; il craint pour ce qu’il possède, et il s’afflige pour ce qu’il ne possède pas. Et pour ce qu’il possède, il tremble encore et il s’épuise à retenir ces richesses fugitives, et son cœur est assiégé par mille absurdes passions. Voyez plutôt : désirs absurdes, frayeurs variées, angoisses, tremblement ; voilà ce qui tourmente de tous côtés les avares. On dirait une barque agitée par tous les souffles contraires, assiégée de toutes parts au sein des flots. Et combien il vaudrait mieux, pour un tel homme, de mourir, que de supporter cette perpétuelle tempête ; car il valait mieux pour Caïn de mourir que de trembler toujours.
Eh bien donc, préservons-nous de pareilles souffrances ; raillons-nous des artifices du démon ; brisons ces cordages, émoussons la pointe de sa lance funeste ; interdisons-lui tout accès auprès de nous. Si vous tournez la fortune en dérision, il ne sait par où vous frapper, il ne sait par où vous prendre. Vous avez arraché la racine des maux, et la racine étant ôtée, le mauvais fruit ne germera plus. Disons-le toujours, et ne cessons pas de le redire : nos discours produisent-ils leur fruit ? C’est ce que manifestera ce jour qui sera révélé dans le feu, qui examinera l’œuvre de chacun, qui montrera les lampes brillantes, et celles qui ne le sont pas. Alors on verra qui a de l’huile, et qui n’en a pas. Mais plaise à Dieu que personne ne soit trouvé dépourvu de cette consolation ; que tous puissent montrer les preuves de la munificence divine, et, porteurs de lampes brillantes, faire leur entrée avec l’époux ! Certes, il n’est rien de plus terrible, de plus amer que la parole qu’entendront ceux qui partiront d’ici, sans les richesses de l’aumône, à qui l’époux dira « Je ne vous connais pas ». (Mt. 25,42) Loin de nous le malheur d’entendre une telle parole ! Puissions-nous bien plutôt entendre ces mots si doux et si désirables : « Venez avec moi, ô les bénis de mon Père ; possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde ». (Id. 34) Car c’est ainsi que nous passerons une vie bienheureuse ; et que nous jouirons de tous les biens qui surpassent la pensée de l’homme. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce, et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père ; en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXI.

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OR, L’ŒIL NE PEUT PAS DIRE À LA MAIN : JE N’AI PAS BESOIN DE VOUS, NON PLUS, QUE LA TÊTE NE PEUT DIRE AUX PIEDS : JE N’AI PAS BESOIN DE VOUS. (CHAP. 12,21, JUSQU’AU VERSET 26)

ANALYSE.

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  • 1. Contre l’orgueil dé ceux qui se croient les préférés de Dieu.
  • 2. Suite de la comparaison entre l’Église et le corps humain. – Les membres les plus faibles sont les plus-nécessaires.
  • 3. Discussion un peu subtile, souvent très ingénieuse sur l’égalité dans la diversité des membres, soit du corps, soit de l’Église.
  • 4. Du respect pour tous ; ce respect, les attentions, la prévoyance, tout de la part de tous doit être ; pour tous, égal. – Contre l’envie. – Différence de l’envie et de l’émulation. – Comparaison piquante. – Développement chaleureux, éloquent contre la bassesse funeste et exécrable de l’envie.


1. Il vient de corriger l’envie des inférieurs ; il vient de consoler le chagrin qu’inspirait naturellement la vue de ceux qui avaient reçu des dons plus glorieux. Maintenant il réprime l’orgueil de ceux qui ont été jugés dignes de faveurs plus hautes. C’est d’ailleurs ce qu’il avait déjà fait quand il discutait avec eux ; (en effet, leur dire qu’ils avaient reçu un don gratuit, qu’ils ne jouissaient pas du fruit de leurs bonnes œuvres, c’était exprimer la même pensée) ; mais maintenant cette pensée, il la reprend d’une manière plus vive, en conservant la même image. C’est toujours le corps et l’unité du corps, et la comparaison, de ses membres, qui lui inspirent les réflexions les plus agréables pour les fidèles. Ce fait que tous ne formaient qu’un seul corps, ne les consolait pas autant que cette vérité, que la diversité des fonctions ne constituait pas une grande infériorité, et il leur dit : « Or, l’œil ne peut pas dire à la main : je n’ai pas besoin de vous ; non plus que la tête ne peut dire aux pieds : je n’ai pas besoin de vous ». Car, si le don est moindre, il est nécessaire ; et, de môme que si le pied manquait dans le corps, il en résulterait une grande incommodité, de même, sans les membres inférieurs l’Église boîte, et n’a pas sa plénitude. Et l’apôtre ne dit pas : Or, l’œil ne dira pas, mais : « Ne peut dire ». Comprenez bien : Quand même il aurait voulu dire, quand même il dirait, ses paroles seraient sans valeur, non fondées en nature. Voilà pourquoi l’apôtre, prenant les deux extrêmes, leur prête la parole. D’abord il suppose la main et l’œil, ensuite la tête et le pied, pour développer son exemple. Quoi de plus vil que le pied ? Quoi de plus noble que la tête, et de plus nécessaire ? Car, c’est là surtout ce qui constitue l’homme, la tête. Et cependant la tête ne suffit pas ; elle ne pourrait tout faire par elle-même ; si elle pouvait tout faire, les pieds seraient superflus. Toutefois, il ne s’arrête pas là, mais il veut prouver surabondamment son dire, c’est son habitude ; la juste mesure ne lui suffit pas, il va plus loin, et voilà pourquoi il ajoute : « Mais au contraire, les membres du corps qui paraissent les plus faibles, sont, bien plus nécessaires. Nous honorons même davantage les parties du corps qui paraissent moins honorables, et nous couvrons avec plus de soin et d’honnêteté, celles qui sont moins honnêtes (22, 23) ».
Il continue sa comparaison avec les membres du corps, et, par là, il console et il réprime. Je ne dis pas seulement, dit l’apôtre, que les parties les plus considérables aient besoin de celles qui le sont moins, mais encore qu’elles en ont un grand besoin. S’il y a en effet, en nous, quelque chose d’infirme, de peu honnête, cela est nécessaire, et reçoit un plus grand honneur, et c’est avec raison qu’il dit : « Qui paraissent, et que nous considérons comme moins honnêtes », montrant par là que ce n’est pas la nature qui parle, mais l’opinion. Il n’y a rien en nous qui ne soit honorable, car tout est l’ouvrage de Dieu. Par exemple ; qu’est-ce qui paraît moins mériter d’être honoré que les organes de la génération ? Nous les entourons cependant de plus d’honneur que les autres parties du corps, et ceux qui sont tout à fait pauvres, eussent-ils tout le reste du corps à nu ; ne souffriront jamais de montrer ces parties nues. Et cependant, ce n’est pas ainsi que l’on se comporte avec les choses qui sont en réalité moins honorables ; il conviendrait de leur marquer plus de mépris qu’aux autres. En effet, dans l’intérieur d’une maison, l’esclave regardé aveu ignominie, non seulement n’a pas un traitement supérieur, mais il ne reçoit même pas un traitement égal. Ici, au contraire, ces membres jouissent d’un plus grand honneur, et c’est l’œuvre de la sagesse de Dieu. Parmi nos membres, la nature a donné, aux uns les honneurs, de manière qu’ils n’aient pas à les réclamer ; la nature les a refusés aux autres, pour nous forcer à les leur rendre ; niais ils ne sont pas pour cela sans honneur, puisque les animaux naturellement n’ont besoin de rien, ni de vêtements, ni de chaussures, ni d’abri, le plus grand nombre d’entre eux du moins. Notre corps néanmoins n’est pas moins honorable que leur corps, pour avoir tous ces besoins. Il suffit de la réflexion pour voir que la nature même a fait ces parties et honorables et nécessaires. C’est ce que l’apôtre lui-même a insinué, ne se fondant ni sur le soin que nous en prenons, ni sur le plus grand Bonheur dont nous les entourons ; mais sur la nature même. Aussi,.après avoir parlé des membres faibles et moins honorables, il dit : « Qui paraissent ». Quand il en proclame la nécessité, il ne dit, plus : qui paraissent nécessaires, mais, sans hésitation aucune, il dit qu’ils sont nécessaires. Et c’est avec raison, car, et pour la procréation des enfants et pour la succession de notre race, ces membres nous sont utiles. Aussi les lois romaines punissent-elles ceux qui les détruisent et qui font des eunuques. C’est un attentat contre notre race ; c’est un outrage fait à la nature même ; périssent les impudiques qui calomnient les ouvrages de Dieu ! De même que les malédictions contre le vin, résultent du vice de ceux qui s’enivrent ; de même pour les malédictions contre le sexe des femmes, il faut s’en prendre aux adultères. Si l’on a regardé ces membres comme honteux, c’est à cause du mauvais usage que quelques-uns en font. Ce n’est pas ainsi qu’il fallait raisonner ; ce n’est pas à la nature de la chose que le péché s’attache, c’est à la volonté criminelle qui le produit. Maintenant quelques interprètes pensent que ces membres faibles, et ces membres peu honnêtes et nécessaires, et qui jouissent d’un plus grand honneur, dans la pensée de Paul, sont les yeux, lesquels sont sans force, mais d’une utilité supérieure aux autres ; que les parties les moins honnêtes sont les pieds, car eux aussi sont entourés d’un grand nombre de soins prévoyants.
2. Ensuite, pour ne rien ajouter à ce développement déjà surabondant, l’apôtre dit « Car pour celles qui sont honnêtes, elles n’en « ont pas besoin (24) ». L’apôtre ne veut pas qu’on lui dise : est-il juste de dédaigner les parties honorables, et d’entourer de ses soins les moins honorables ? Ce n’est pas par dédain, dit l’apôtre, que nous agissons ainsi ; mais c’est que ces parties n’ont pas besoin de nos soins. Et voyez quel grand éloge il fait de ces parties, avec autant de rapidité que d’à-propos et d’utilité ; il ne se contente pas de ce qu’il vient de dire, il y joint une explication : « Mais Dieu a mis un admirable tempérament dans tout le corps, en honorant davantage ce qui était défectueux, afin qu’il « n’y ait point de schisme dans le corps (24, 25) ». Dieu a tempéré, c’est-à-dire, qu’il n’a pas laissé apparaître ce qui était moins honorable. En effet, ce que l’on tempère et que l’on mêle devient un, et on ne voit pas ce que pouvait être auparavant l’objet qui a été mêlé à l’ensemble. Nous ne saurions même pas dire s’il y a eu un mélange. Et voyez combien de fois l’apôtre dit en passant : « Ce qui était défectueux » ; il ne dit pas : ce qui était déshonnête ou honteux, mais : « Ce qui était défectueux ». Ce qui était défectueux, comment cela ? selon la nature. « Lui accordant plus d’honneur » ; et pourquoi ? afin qu’il n’y eût point de schisme dans le corps. Les fidèles recevaient là une immense consolation ; cependant, comme ils s’affligeaient d’avoir été moins bien partagés, l’apôtre leur montre qu’ils ont reçu plus d’honneur. « Accordant plus d’honneur », dit-il, « à ce qui était défectueux » ; et ensuite, il explique comment Dieu a parfaitement ordonné, et que tel membre fût défectueux, et qu’il reçût plus d’honneur. Pourquoi ? « Pour qu’il n’y ait pas », dit-il, « de schisme dans le corps ». Il ne dit pas : dans les membres, mais : « Dans le corps ». Et en effet, il y aurait eu une bien grande superfétation si quelques membres avaient été enrichis à la fois des dons de la nature et de ceux de notre prévoyance ; tandis que d’autres membres n’auraient rien eu, de ces deux côtés, en partage. Ils se seraient séparés du tout, n’étant pas capables de supporter l’union. Et maintenant, cette séparation ne se serait pas opérée sans dommage pour les autres parties.
Voyez-vous comme l’apôtre montre la nécessité d’honorer davantage ce qui est défectueux ? Supprimer ce privilège d’honneur, t’eût été la perte pour tous. En effet, si nous n’avions pas pris un grand soin de ces membres inférieurs, ils auraient souffert, et du dédain de la nature, et du tort que nous leur aurions fait. Leur perte eût été pour le corps un déchirement, et le corps étant déchiré, les autres parties bien supérieures encore auraient péri. Voyez-vous comme le soin de quelques-uns, de ces membres est uni à la prévoyance qui s’occupe des autres ? En effet, ils trouvent moins dans leur nature propre leur raison d’être, qu’ils ne trouvent dans le corps leur raison d’être un tout. Aussi que le corps vienne à périr, il ne leur sert à rien d’être séparément plein de santé ; que l’œil demeure, ou le nez ; que chaque membre conserve ce qui lui appartient, mais que le lien avec le corps soit rompu, il n’y a désormais, pour ces membres, aucune raison d’exister. Au contraire, supposez que le corps subsiste, et que ces membres soient endommagés, ils continuent à faire partie du corps ; et bientôt ils retrouvent la santé. Mais, dira-t-on peut-être, dans le corps cela s’explique ; on comprend qu’un membre défectueux reçoive un plus grand honneur. Mais dans la société des hommes, le, moyen qu’il en soit ainsi ? C’est surtout dans la société humaine que vous verrez cette vérité se réaliser. Et en effet, ceux qui sont venus vers la onzième heure, ont reçu les premiers leur salaire ; la brebis errante a engagé le pasteur à laisser les quatre-vingt-dix-neuf autres pour courir à sa recherche, et, quand il l’a eu retrouvée, il l’a portée sur ses épaules, et il ne l’a pas chassée ; l’enfant prodigue a reçu plus d’honneur que celui qui s’était bien conduit ; le larron a reçu la couronne, avant les apôtres, et il les a devancés dans la gloire ; l’histoire des talents vous montre le même fait : celui qui avait reçu cinq talents, et celui qui en avait reçu deux, ont été jugés dignes du même salaire.
Et c’est la marque d’une grande providence, que l’un ait reçu deux talents ; car si on lui eût confié cinq talents, quand il était incapable de les augmenter, il aurait perdu tout ce à quoi il pouvait prétendre ; mais ayant reçu deux talents, ayant accompli tout ce qui dépendait de lui, il a obtenu la même récompense que celui qui avait opéré avec cinq talents, et il a eu l’avantage sur lui d’avoir avec moins de labeurs gagné les mêmes couronnes. En effet, c’était un homme comme celui qui – avait reçu les cinq talents, et cependant le Seigneur n’exige pas de lui des comptes aussi sévères ; il ne réclame pas de lui autant que de son compagnon d’esclavage ; il ne lui dit pas : pourquoi ne peux-tu pas faire cinq talents ? ce qu’il était en droit de lui dire. Pénétrés de ces vérités, n’insultez pas, si vous êtes plus grands, ceux qui sont plus petits. Craignez die vous blesser, avant de les blesser eux-mêmes. Ceux-ci étant séparés de vous, c’en est fait de tout le corps ; car qu’est-ce que le corps, sinon un ensemble de membres, comme l’apôtre le dit lui-même : « Aussi, le corps n’est pas un seul membre, mais un ensemble de membres ». Donc, si c’est là ce qui constitue le corps, ayons grand soin que le plus grand nombre reste le plus grand nombre ; car autrement, nous recevons une blessure mortelle. Aussi l’apôtre ne se contente-t-il pas, d’exiger que nous ne nous séparions pas les uns des autres ; il veut de plus que nous demeurions étroitement unis. En effet après avoir dit : « Afin qu’il n’y ait point de schisme dans le corps », il ajoute : « Mais que tous les membres aient un égal souci les uns des autres », et il donne ainsi la seconde raison de la supériorité d’honneur accordée aux membres inférieurs. Car Dieu n’a pas voulu seulement qu’il n’y eût pas de séparation, mais de plus qu’il y eût l’abondance de la charité, et la plénitude de la concorde. Eu effet, si c’est un besoin pour chaque membre de veiller au salut du prochain, ne parlez ni du plus ni du moins, car il n’y a là ni plus ni moins. Tant que le corps subsiste, il peut y avoir une différence ; au contraire, que le corps périsse, il n’en est plus de même. Or, le corps périra si les parties moindres ne subsistent pas.
3. Si donc les membres supérieurs périssent lorsque les inférieurs en sont violemment séparés, ces membres supérieurs doivent avoir autant de souci des autres que d’eux-mêmes, puisque c’est de l’union avec les membres les plus modestes, que dépend le, salut des membres plus grands. Aussi vous aurez beau répéter à satiété, membre obscur, membre inférieur, si vous n’avez pas, pour cet inférieur, autant de souci que pour vous-même ; si vous le négligez comme moins important que vous, c’est vous qui souffrirez de cette négligence. Voilà pourquoi l’apôtre ne dit pas seulement : Que les membres aient souci les uns des autres ; il dit plus : « Que les membres aient un égal souci les uns des autres » ; c’est-à-dire, que l’attention, que, la prévoyance doit s’étendre sur le plus petit autant que sur le plus grand. Ne dites donc pas : un tel n’est que d’une condition vulgaire ; cet homme, que vous regardez comme le premier venu ; considérez que c’est un membre du corps, qui se compose de toutes ses parties ; tout aussi bien que l’œil, ce membre quel qu’il puisse être, contribue à faire que le corps soit le corps. En ce qui concerne la constitution du corps, nul ne possède plus que le prochain. Car ce qui constitue le corps, ce n’est pas que l’un soit plus grand, l’autre plus petit, mais qu’il y ait pluralité et diversité. De la même manière que vous, plus grand, vous aidez à former le corps ; de même cet autre y contribue aussi, en étant plus petit que vous. De telle sorte que la petitesse de celui-ci, en ce qui concerne la constitution du corps, est aussi précieuse que votre grandeur, pour cet harmonieux agencement ; il a la même efficacité que vous ; c’est ce que va rendre évident une supposition. Supprimons la différence du plus petit et du plus grand, parmi les membres ; qu’il n’y en ait plus, ni de plus honorables ni de moins honorables ; que tout soit œil, ou bien que tout soit tête, n’est-il pas vrai que le corps périra ? C’est de la dernière évidence. Faisons le contraire ; amoindrissons tous les membres ; même résultat ; de sorte que, par là encore, éclate l’égalité d’importance des inférieurs avec les supérieurs. Faut-il dire encore quelque chose de plus fort ? ce n’est que pour faire subsister le corps, que le moindre est le moindre ; si donc tel membre est moindre, ce n’est qu’à cause de vous, ce n’est qu’afin que vous soyez grand : Voilà pourquoi l’apôtre réclame de tous, une égalité d’attention mutuelle ; après avoir dit : « Que les membres aient un égal souci les uns des autres », il explique encore cette pensée, en disant : « Et si l’un des membres souffre, tous les autres membres souffrent avec lui ; ou si l’un des membres reçoit de l’honneur, tous les autres s’en réjouissent avec lui (26) ».
Si Dieu a voulu, dit l’apôtre, que l’attention réciproque des membres s’étendît sur tous, c’était pour assurer, au sein de la diversité même, l’unité, afin que tout ce qui arriverait fût ressenti dans une communion parfaite. Car, si l’attention pour le prochain est le salut de tous, il est nécessaire et que tous les sujets de gloire et toutes les causes d’afflictions soient ressenties en commun par tous. L’apôtre fait donc ici trois recommandations : pas de division, union parfaite ; égale réciprocité d’attention ; regarder toute chose qui survient, comme arrivant pour tous. Sans doute, il dit précédemment qu’un honneur plus grand été fait à ce qui est défectueux, précisément à cause de ce que le membre a de défectueux, il veut montrer que l’infériorité même donne un titre à une plus grande part de considération ; mais ici, le point de vue est changé, l’égalité entre les membres se fonde sur l’égalité d’attention mutuelle. Ce qu’il a voulu, dit-il, en accordant une supériorité, d’honneur, c’est empêcher que le membre inférieur ne fût jugé moins digne d’attention. Mais, pour unir les membres d’une manière parfaite, il ne se borne pas là, il les unit encore par la sympathie dans les joies et dans les douleurs qui surviennent. Souvent, lorsqu’une épine est entrée dans la plante du pied, tout le corps s’en ressent et s’en inquiète, le dos se courbe, et le ventre et les cuisses se contractent, et les mains, comme des satellites, comme des domestiques, s’avancent, retirent ce qui s’est enfoncé, la tête se penche, et les yeux retardent avec une attention soucieuse. Il est évident par là que si le pied a l’infériorité parce qu’il ne peut s’élever comme d’autres membres, il ressaisit l’égalité en forçant la tête à se baisser, il partage ses honneurs, et remarquons surtout cette égalité d’honneurs quand les pieds conduisent la tête, non pour lui faire plaisir, mais par devoir. D’où il suit que si la tête, au point de vue de la considération, a quelque avantage sur les pieds, il suffit pour rétablir l’égalité parfaite que la tête, qui est si noblement partagée, doive honneur et assistance à ce qui est au-dessous d’elle, et ressente également toutes les souffrances du membre inférieur. Car, quoi de pins vil que la plante des pieds ? Quoi de plus noble que la tête ? Mais le pied marche pour la tête, et emporte tous les membres avec lui.
Voyez encore : s’il arrive quelque accident aux yeux, c’est pour tous les membres, et de la douleur et une inaction forcée ; les pieds ne marchent plus ; les mains ne travaillent plus ; le ventre ne reçoit plus sa ration ; ce n’est pourtant qu’un mal d’yeux. D’où vient que votre ventre se dessèche, que vos pieds ne vont plus, que vos mains sont liées ? C’est que tout le corps est un système où tout se tient, de là l’inexprimable communauté de toutes les affections. Sans cette communauté, il n’y aurait pas la réciprocité d’attention et d’inquiétudes. Voilà pourquoi l’apôtre, après avoir dit : « Que les membres aient un égal souci les uns des autres », a vite ajouté : « Et si l’un des membres souffre, tous les autres membres souffrent avec lui ; ou si l’un des membres reçoit de l’honneur, tous les autres s’en réjouissent avec lui ». Et comment, dira-t-on, se réjouissent-ils par sympathie ? C’est la tête que l’on couronne, et l’homme tout entier se glorifie ; ce n’est que la bouche qui parle, et les yeux rient et se réjouissent ; ce qui cause la joie, ce n’est pourtant pas la beauté des yeux, mais ce que dit la langue. Autre preuve : les yeux sont beaux, et toute la femme en est embellie ; et maintenant, si le nez est droit, le cou élégant, les autres membres gracieux, voici que les yeux, à leur tour, respirent la joie et la fierté ; et ces mêmes yeux pleurent à chaudes larmes, dans les douleurs ; dans les catastrophes qui arrivent aux autres membres, fussent-ils personnellement sans aucune atteinte.
4. Donc méditons ces pensées, tous tant que nous sommes, imitons l’amour mutuel de ces membres bien unis, ne faisons pas le contraire de ce qu’ils font, n’insultons pas aux malheurs du prochain, ne portons pas envie à sa prospérité, une telle conduite n’appartient qu’à des hommes – en délire, qu’à des furieux. Se crever un œil, c’est la preuve d’une insigne démence, se ronger le poing, c’est la marque d’une folie qui éclate au grand jour. Se conduire ainsi envers ses membres, tenir la même conduite envers ses frères, c’est également s’assurer le renom d’un insensé, c’est se faire un tort qui mérite qu’on y pense. Tant que ce membre resplendit, c’est votre beauté en même temps qui brille, et tout votre corps est embelli : car cette beauté particulière, le membre ne l’accapare pas pour lui seul, mais il vous donne, à vous aussi, un sujet de vous glorifier : si vous l’éteignez, vous produisez des ténèbres qui enveloppent tout le corps, vous créez un malheur commun à tous les membres ; si au contraire, vous conservez sa splendeur, c’est la beauté du corps tout entier que vous conservez. En effet, vous n’entendez jamais dire : voila un bel œil ; mais, que dit-on ? Voilà une belle femme ; et l’éloge de l’œil ne vient qu’après l’éloge de tout le corps. Il en est de même pour l’Église. En effet, s’il en est, dans son sein, qui jouissent d’une bonne renommée, tout le corps de l’Église recueille le fruit de cette estime. Car les ennemis de l’Église ne cherchent pas les distinctions des personnes dans les éloges, ils adressent leurs éloges à tout le corps. Si tel a l’éloquence en partage, ce n’est pas lui seulement qu’on célèbre par des éloges, mais toute l’Église. En effet ; on ne dit pas, un tel est admirable, mais que diton ? C’est un docteur admirable que possèdent les chrétiens, et l’éloge est, pour tous, un bien commun. Ainsi ce que les gentils unissent, vous, c’est vous qui 1e divisez, et vous faites la guerre à votre propre corps, à vos propres membres ? Et vous ne voyez pas que vous bouleversez tout ? « Tout royaume » ; dit Jésus, « divisé contre lui-même sera ruiné ». (Mt. 12,25)
Or, maintenant rien ne produit autant la division, la séparation, que l’envie et la haine jalouse, maladie funeste, pour laquelle il n’y a pas de pardon, maladie plus funeste que la racine même de tous les maux. L’avare en effet a du plaisir au moins quand il reçoit quelque chose ; l’envieux, au contraire, ne se réjouit pas quand il reçoit, mais quand uri autre ne reçoit pas : car ce qu’il prend pour un bienfait personnel, c’est le malheur d’autrui, ce n’est pas le bonheur qui lui arrive à lui-même ; c’est un ennemi commun de toute la nature humaine, et qui se plaît à frapper les membres du Christ : quelle fureur plus détestable que celle-là ? Le démon est jaloux de qui?-des hommes, mais il ne porte envie à aucun démon : tandis que vous, qui êtes un homme, c’est contre des hommes que vous ressentez de l’envie, vous vous élevez contre celui qui est de la même famille, du même sang que vous, et c’est ce que le démon lui-même ne fait pas. Et quel pardon pouvez-vous espérer, quelle justification faire entendre, vous qui, à la vue du bonheur d’un frère, tremblez et pâlissez de rage, au lieu de vous réjouir, de tressaillir d’allégresse ? Soyez l’émule de votre frère, je n’y mets pas d’obstacle : mais soyez son émule par les vertus qui le font estimer ; son émule, non pas pour le dénigrer, mais pour vous élever au même faîte que lui, pour montrer la même perfection. Voilà la bonne rivalité ; on cherche à imiter, non à faire la guerre ; on s’afflige, non du bonheur d’autrui ; mais du mal que l’on ressent en soi : c’est précisément le contraire de la basse envie, qui, négligeant ses maux propres, se dessèche à la vue du bonheur des autres. Le pauvre ne souffre pas tant de sa pauvreté que de l’abondance du prochain : quoi de plus déplorable qu’une telle disposition ? L’envieux, je l’ai déjà dit, est en cela plus odieux que l’avare : l’avare en effet se réjouit quand il a reçu quelque chose ; ce qui fait au contraire la joie de l’envieux, c’est qu’un autre ne reçoive pas. Donc, je vous en prie, abandonnez cette voie perverse, changez votre envie en une émulation généreuse (car cette émulation est plus puissante pour l’action et communiqué à l’âme unie ardeur plus dévorante que le feu), et de cette émulation vous recueillerez de grands biens. C’est ainsi que Paul amenait les Juifs à la foi : « Pour tâcher », disait-il, « d’exciter de l’émulation dans l’esprit des Juifs, qui me sont unis selon la chair, et d’en sauver quelques-uns ». (Rom. 11,14) Celui qui ressent l’émulation que voulait l’apôtre, ne se dessèche pas à la vue d’un autre jouissant d’une bonne renommée, mais il soutire de se voir lui-même en retard.
Il n’en est pas de même de l’envieux quand il voit la prospérité d’autrui, il est comme ces frelons qui vont gâter le travail d’autrui ; jamais il ne fait personnellement d’efforts pour s’élever, mais il pleure à la vue d’un autre qui s’élève, et tente tout pour le rabaisser. À quoi pourrait-on comparer cette maladie ? Il me semble voir un âne lourd et, surchargé d’embonpoint attelé au même timon qu’un agile coursier ; l’âne ne veut passe lever, et il cherche, cet animal massif, à tirer l’autre en bas. L’envieux ne pense pas à s’affranchir de son profond sommeil, c’est un soin qu’il ne prend jamais ; mais il n’est rien qu’il ne fasse pour faire tomber, pour abattre celui qui prend son essor vers le ciel ; l’envieux c’est le parfait imitateur du démon. Celui-ci, à la vue dé l’homme dans le paradis, n’a pas senti le zèle qui porte à se convertir, mais uniquement l’envie de faire chasser l’homme du paradis : et en le voyant ensuite établi dans le ciel, et les fidèles de la terre jaloux de parvenir là-haut, le démon poursuivant toujours le même dessein, ne cherche qu’à les faire tomber, entassant ainsi plus de charbons ardents sur sa tête. C’est là en effet ce qui arrive toujours : si l’homme à qui l’on porte envie, se tient sur ses gardes, il acquiert une gloire plus brillante ; l’envieux ne fait que rendre son mal plus affreux. C’est ainsi que Joseph a brillé d’une gloire si pure ; c’est l’histoire du prêtre Aaron ; les intrigues et le déchaînement de l’envie ont provoqué une fois, deux fois la même sentence de Dieu, et fait fleurir la verge. C’est ainsi que Jacob a joui de l’abondance, et de tous les autres biens. C’est ainsi que les envieux se sont jetés dans mille douleurs inextricables. Pénétrés de toutes ces vérités, fuyons la basse envie. Car pourquoi, répondez-moi, êtes-vous envieux ? Parce que votre frère a reçu une grâce spirituelle ? Et de qui l’a-t-il reçue ? Répondez-moi : N’est-ce pas de Dieu ? C’est donc à Dieu que s’adresse votre haine, puisque Dieu est l’auteur du présent. Voyez-vous jusqu’où glisse la passion rampante, quel édifice gigantesque de péchés elle élève, quel gouffre de châtiments et de vengeances elle creuse sous vos pieds ? Fuyons donc cette odieuse passion, mes bien-aimés ; loin de nous l’envie ; prions pour les envieux, et faisons tout pour éteindre ce feu qui les mine. Mais gardons-nous du délire de ces malheureux qui, en cherchant à nuire au prochain, ne font qu’allumer contre eux-mêmes une flamme inextinguible. Ne les imitons pas, pleurons, gémissons sur eux. Ce sont eux qui sont blessés, au lieu de faire des blessures aux autres, ils portent dans leur cœur éternellement le ver rongeur, et ils amassent une source de poisons plus amers que toute espèce de fiel. Prions donc le Dieu de bonté, et de guérir ces malheureux, et de nous préserver à tout jamais de leur mal. Il n’y a pas de ciel pour celui que ronge cette lèpre, et en attendant le ciel, la vie présente n’est pas pour cet infortuné une vie. Il n’est pas de teigne, rongeant le bois ou la laine, qui se puisse comparer à ce feu dévorant de l’envie, qui consume les os des envieux et détruit toute la vigueur de l’âme. Voulons-nous nous affranchir, et les autres avec nous, d’incalculables malheurs, repoussons loin de nous cette fièvre détestable, cette corruption la plus funeste de toutes ; pénétrons-nous de la force de l’esprit, nécessaire pour achever le combat présent, pour obtenir les couronnes à venir ; puissions-nous tous les recevoir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. C. PORTELETTE.

HOMÉLIE XXXII.

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OR VOUS ÊTES LE CORPS DE JÉSUS-CHRIST, ET MEMBRES D’UNE PARTIE. (CHAP. 12, VERS. 27, JUSQU’AU VERS. 4 DU CHAP. XIII)

ANALYSE.

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  • 1. L’Esprit prophétique répandu plus abondamment dans les temps apostoliques que sous la loi ancienne.
  • 2. Résumé des moyens employés par saint Paul pour consoler ceux qui se plaignaient d’être moins bien partagés que les autres dans la distribution des dons spirituels.
  • 3 et 4. Excellence de la charité. – Que tout le reste est vain sans elle. – Que les dons du Saint-Esprit ne servent à rien sans une bonne vie.
  • 5. Comment faut-il comprendre ces paroles de l’Apôtre : Quand même je donnerais tout mon bien aux pauvres, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien !
  • 6-8. La charité est exempte de tout défaut. – Combien la terre serait heureuse si tous les hommes s’entr’aimaient. – Que toutes nos vertus déplaisent à Dieu sans la charité du prochain. – De la chasteté admirable de Joseph. – De la charité de saint Paul. – De l’amour prodigieux que Jésus-Christ a eu pour les hommes.


1. Afin qu’on ne pût pas dire : Pourquoi nous citer le corps pour exemple ? Le corps est esclave de la nature, et nos bonnes actions dépendent de notre libre arbitre : il nous a donné cette comparaison comme règle de nos actes, et il s’en est servi pour montrer que l’union établie par la nature entre les membres d’un même corps doit être établie entre nous par la charité. Voilà pourquoi il dit : « Vous êtes le corps du Christ ». Si notre corps ne doit contenir aucun élément de discorde, il ne doit pas, à plus forte raison, y en avoir dans le corps du Christ, et cela est d’autant plus vrai que la grâce est plus puissante que la nature. « Et vous êtes membres d’une partie ». non seulement nous sommes tous ensemble le corps du Christ ; mais nous sommes membres les uns des autres. Car c’est du corps et des membres du Christ qu’il a voulu parler plus haut, représentant l’humanité comme un ensemble et comme un vaste corps, composé d’une foule de membres, d’une foule de parties qui se rattachent toutes à ce grand corps et qui peuvent se multiplier à l’infini. Mais que signifie ce mot : « D’une partie ? » Il signifie, en ce qui vous concerne, que vous formez une partie du grand édifice. Dans son langage, le mot « corps » veut dire le corps tout entier. Il ne désigne pas l’Église de Corinthe, mais l’Église universelle. Voilà pourquoi il dit : « Vous êtes membres d’une partie ? » c’est-à-dire : Votre église est un des membres de l’Église universelle et de ce corps qui renferme toutes les églises du monde. Vous devez donc être unis non seulement entre vous, mais avec l’Église universelle, si vous voulez être justes, si vous êtes les membres d’un même corps. « Et Dieu a établi dans son Église, premièrement des apôtres, secondement des prophètes, troisièmement des docteurs, ensuite ceux qui ont le don des miracles, puis ceux qui ont la grâce de guérir les maladies, ceux qui ont le don d’assister leurs frères, ceux qui ont le don de gouverner, ceux qui ont le don des langues (28) ». Il fait ici ce que j’ai dit plus haut. Comme ceux qui avaient le don des langues étaient fiers de leur science, il met toujours cette science en dernière ligne. Chez lui, les rangs ne sont pas donnés au hasard ; chacun se trouve placé suivant sa valeur. Les apôtres viennent donc en première ligne, parce que toutes les grâces et tous les dons étaient leur privilège. Et il n’a pas dit simplement : Dieu a établi dans son Église des prophètes, ou des apôtres ; il a ajouté « premièrement, secondement, troisièmement », pour mettre, comme je l’ai dit, chacun à sa place. « Secondement les prophètes ». Des prophètes, comme les filles de Philippe, comme Agabe, comme ces prophètes de Corinthe, auxquels il fait allusion en ces termes : « Que deux ou trois prophètes élèvent la voix ». (1Cor. 14,29) Et, dans une épître à Timothée, il disait : « Ne néglige pas la grâce, le don de prophétie qui est en toi ». (1Tim. 4,14)
Il y avait bien plus de prophètes dans l’Église du Christ que sous l’ancienne loi. Ce n’était pas entre les mains de dix, de vingt, de cinquante, de cent privilégiés que le don de prophétie se trouvait concentré ; cette grâce se trouvait répandue sur une foule de têtes, et chaque Église comptait un grand nombre de prophètes. Quand le Christ dit : « La loi et les prophètes jusqu’à saint Jean » (Mt. 2,13), il parle des prophètes qui ont précédé sa venue. « Troisièmement les docteurs ». Le prophète est inspiré par l’Esprit-Saint. Le docteur suit souvent ses propres inspirations. C’est ce qui faisait dire à l’apôtre : « Les bons prêtres sont doublement honorables ; surtout quand ils se servent, dans leurs travaux, de la parole et de la science ». (1Tim. 5,17) Mais l’homme qui parle sous l’inspiration du Saint-Esprit, ne travaille pas. Aussi saint Paul a-t-il mis le docteur après le prophète. La parole du prophète est un présent divin ; la parole du docteur est due au travail de l’homme. La voix du docteur s’accorde avec celle des saintes Écritures ; mais c’est sa propre science qui parle par sa bouche. Viennent ensuite « ceux qui opèrent des, miracles, ceux qui ont le don de guérir ». Voyez-vous la distinction qu’il établit ici ; comme plus haut ? C’est que le don des miracles est plus grand encore que le don de guérison. Celui qui peut faire des miracles châtie et guérit ; celui qui a le don de guérir n’est qu’un médecin. Et voyez combien il a raison de mettre le don de prophétie avant le don des miracles et le don de guérison. Quand il disait plus haut : Les uns ont reçu du Saint-Esprit la parole de la sagesse ; les autres la parole de la science ; il n’observait pas de hiérarchie, il ne distinguait pas. Mais ici, il assigne des rangs. Pourquoi donne-t-il le premier au don de prophétie ? C’est que l’Ancien Testament fait de même. Quand Isaïe s’adressait aux Juifs pour leur démontrer la puissance de Dieu, et la bassesse des démons, en passant, il disait que la divinité se manifestait surtout par la prophétie. Le Christ, qui avait opéré tant de miracles, ne dédaigne pas cette manifestation de sa divinité, et souvent il termine ainsi ses discours : « Je vous ai dit ces choses, afin que, lorsqu’elles s’accompliront, vous croyiez en moi ». (Jn. 13,19) C’est ; donc à juste titre que le don de guérison ne vient qu’après le don de prophétie. Mais pourquoi cède-t-il aussi le pas à la science des docteurs ? C’est que ce n’est pas la même chose d’annoncer la parole de Dieu, de semer la religion dans les âmes ou de faire des miracles ; car les miracles mêmes s’opèrent en vue de la parole de Dieu.
2. Lors donc qu’on instruit par sa parole et, par son exemple, on est au-dessus de tous. Les docteurs, selon saint Paul, sont ceux dont la conduite, comme la parole, est un enseignement. Voilà aussi ce qui fait les apôtres. Quelques-uns de ces dons ont, dans l’origine, été le partage de quelques hommes indignes. Témoin ceux qui disaient : Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom ? N’avons-nous pas fait des miracles ? Mais il leur fut répondu : « Jamais je ne vous ai connus ; loin d’ici, vous qui faites des œuvres d’iniquité ». (Mt. 7,22, 23) Ce double enseignement de la parole et de l’exemple ne saurait être l’apanage du vice. S’il donne un rang si distingué aux prophètes, ne vous en étonnez pas. Il ne parle pas ici de ceux qui se bornent à prophétiser, mais des hommes dont les prophéties sont des enseignements dictés par l’intérêt public. C’est ce qui devient encore plus clair, quand il dit : « Ceux qui ont le don d’assister leurs frères, ceux qui ont le don de gouverner ». Qu’est-ce que « l’assistance ? » C’est la protection accordée à la faiblesse. Mais, dites-moi, c’est donc là une grâce divine ? Oui, sans doute, c’est une grâce divine que le pouvoir de protéger, de dispenser les secours spirituels. D’ailleurs l’apôtre donne le nom de grâces à beaucoup de choses qui sont des actes de vertu. Il ne veut pas nous laisser tomber dans l’abattement ; il veut nous montrer que toujours nous avons besoin de la main de Dieu. Par là il nous dispose à être reconnaissants envers lui, il enflamme notre cœur et élève nos sentiments. « Ceux qui ont le don des langues ». Voyez-vous la place qu’il accorde à ce don, et comme il le met toujours en dernière ligne ? Puis, comme cette hiérarchie aux échelons nombreux, blessait les susceptibilités de ceux qui étaient placés au bas, il s’adresse à eux avec véhémence, en leur prouvant par des arguments nombreux qu’ils ne sont pas fort au-dessous des autres. Quelques hommes s’étaient probablement récriés et avaient dit : Pourquoi n’avons-nous pas tous été mis au rang des apôtres ? Saint Paul les console plus haut. Il leur montre qu’il y a là une hiérarchie nécessaire, en se servant du corps, comme objet de comparaison. « Le corps », dit-il, « n’est pas un seul membre. – Si tous les membres étaient un seul membre, où serait le corps ? » Tous les membres, ont leur utilité. « Les grâces manifestes du Saint-Esprit, dit-il, ont été données à chacun, pour l’utilité de toute l’Église ».
En outre, c’est l’Esprit-Saint qui est le dispensateur commun des grâces, et sa grâce est un don et non une dette : « Les grâces sont différentes, dit-il ; mais la source est la même c’est l’Esprit-Saint ». C’est toujours l’Esprit-Saint qui se manifeste ; « chacun reçoit une manifestation du Saint-Esprit ». C’est la volonté de l’Esprit-Saint et de Dieu qui a présidé à la configuration des membres : « C’est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu’il lui plaît. Dieu a placé dans le corps plusieurs membres, et il les y a placés chacun comme il lui a plu ». En outre les membres subalternes ont aussi leur nécessité « Les membres qui paraissent les moins nobles, dit-il, sont nécessaires ». Ils sont même également nécessaires, parce que, comme les autres, ils contribuent à former l’édifice du corps : « Le corps n’est pas un seul membre ; mais l’assemblage de plusieurs ». Les membres les plus nobles ont besoin des moins nobles. « La tête ne peut dire aux pieds : Je n’ai pas besoin de votre secours ». Les membres les moins nobles sont même les plus honorés : « Nous honorons davantage ceux qui ne sont pas en honneur ». Ils concourent tous également au même but : « Tous les membres concourent à produire le même effet, dans un intérêt mutuel ». Ils prennent tous leur part de douleur et de gloire. « Qu’un membre soit soutirant, tous souffrent avec lui ; qu’un membre ait quelque avantage, avec lui tous s’en réjouissent ». Après les consolations, viennent les paroles de véhémence et de reproche. Car, je l’ai dit, elles doivent se succéder. Après avoir consolé ses auditeurs, il s’emporte contre eux avec véhémence et leur dit : « Tous sont-ils apôtres ? Tous sont-ils prophètes ? Tous ont-ils le don de guérir ? » il ne s’arrête pas là, il va jusqu’au bout. Tantôt il dit : Tout le monde ne peut tout avoir. « Si tous les membres n’étaient qu’un seul membre, où serait le corps ? » Tantôt il laisse tomber quelque autre parole consolante. Il démontrera, par exemple, que les moindres grâces sont dignes d’envie, comme les plus grandes, parce que ces grâces-là aussi ne sont pas accordées à tout le monde. Pourquoi vous affliger de ce que vous n’avez pas le don de guérir ? Songez que votre lot, tout humble qu’il est, est encore un privilège. « Tous ont-ils le don des langues ? Tous ont-ils le don de les interpréter ? » Les dons les plus précieux n’ont pas été accordés à tous par la main de Dieu ; Dieu n’a fait que les répartir entre ses différentes créatures, et pour les dons les moins précieux, il a agi de même. Il a eu pour but de faire régner entre nous la bonne harmonie et la charité : Il fallait que chacun eût besoin de son prochain, pour être forcé par là de s’unir à son frère. Les arts, les éléments, les plantes, nos membres, tous les êtres sont soumis au même système.
3. Il répand ensuite sur les cœurs abattus une consolation bien capable de les relever et de les apaiser. La voici : « Soyez jaloux », dit-il, « d’acquérir les dons qui sont les meilleurs.
Et je vais vous montrer une voie plus excellente encore ». Il montre, en parlant ainsi, qu’il fait allusion à ceux qui sont moins bien partagés que les autres ; et qu’il dépend d’eux d’être mieux partagés. En disant : « Soyez jaloux d’acquérir », il demande à ses disciples du zèle et de l’ardeur pour les biens spirituels. Il ne parle pas des dons les plus grands. Il dit : « Les dons les meilleurs », c’est-à-dire, les plus utiles. Il veut dire : Poursuivez sans cesse les dons spirituels, et je vous indiquerai la voie qui y conduit. Il n’a pas dit : « Tel ou tel don » ; mais la voie qui conduit aux dons spirituels, afin de donner plus de valeur à ses promesses. Il veut dire par là : je ne me bornerai pas à vous indiquer deux ou trois de ces dons, mais la voie qui mène à tous les dons du Seigneur, la voie qui, pour dire plus encore, est ouverte à tout le monde. Il ne s’agit point ici de telles ou telles grâces accordées aux uns, refusées aux autres. Il s’agit d’une grâce universelle. Il invite donc tout le monde à y prendre part ; car il dit : « Montrez-vous jaloux d’acquérir les dons qui sont les meilleurs, et je vais vous montrer une voie plus excellente encore ». C’est de la charité envers le prochain qu’il veut parler. Puis, avant d’aborder ce qui concerne cette vertu et d’en faire un pompeux éloge, il lui compare les autres dons spirituels et il en fait bon marché, en montrant que sans la charité ils ne sont rien, et c’est ici que brille sa haute sagesse. Car s’il avait à l’instant même entamé le chapitre de la charité, si, après ces mots : « Je vais vous montrer la voie », il eût ajouté : Cette voie c’est la charité ; s’il n’eût pas, au moyen d’une comparaison, développé son idée, ses paroles auraient fait rire des disciples encore peu faits à ce langage et tout surpris de sa nouveauté. Aussi ne dit-il pas tout de suite le mot de l’énigme. Mais après avoir, par son accent de conviction, éveillé ses auditeurs, après avoir dit : Je vais vous montrer une voie plus excellente encore, après avoir excité leur curiosité, il n’entre pas tout de suite en matière ; mais il enflamme encore la curiosité de ses disciples. Il commence par passer tous les dons spirituels en revue, – pour montrer qu’ils ne sont rien sans la charité. Il fait voir à ses auditeurs combien il leur est nécessaire de s’aimer mutuellement, puisque c’est pour avoir négligé la charité qu’ils se sont attiré tous leurs maux. C’est le moyen de mettre dans tout son jour l’importance de cette vertu.
Les autres dons spirituels, en effet, loin de les réconcilier entre eux et de les attacher les uns aux autres, n’ont fait que les désunir. Mais la charité a concilié et uni ceux que les dons spirituels avaient divisés. Toutefois il ne proclame pas tout de suite cette vérité ; mais il va au-devant des désirs de ses auditeurs, en posant pour principe que cette vertu est par elle-même un don spirituel qui mène à tous les autres. Si donc vous ne voulez pas aimer votre frère par devoir, devenez charitable pour recevoir un témoignage plus grand que tous les autres de la bonté divine, et l’un de ses dons les plus magnifiques. Et voyez par où il commence. Il commence par le don qui excitait surtout l’admiration de son auditoire, par le don des langues, et, en parlant de ce don, il lui donne toute son étendue. Il ne dit pas : quand je parlerais des langues inconnues, mais : « Quand je parlerais les langues des hommes ». Qu’entend-il par ce mot « des hommes ? » Il veut dire : De tous les hommes qui sont dans l’univers. Et cette hyperbole ne lui suffit pas encore. Mais il en ajoute une autre plus énergique que la première, quand il dit : « Lors même que je parlerais le langage des anges, sans la charité, je ne serais qu’un airain sonore, une cymbale retentissante ». Voyez comme il exalte ce don, pour le rabaisser ensuite jusqu’à terre. Il ne s’est pas contenté de dire : Je ne serais rien ; il a dit : « Je ne serais qu’un airain sonore », c’est-à-dire, un métal insensible et sans âme. Mais que signifie ce mot. « un airain sonore ? » Cela veut dire qu’il ne proférerait que des paroles vaines, futiles et sans effet. Et non seulement, dit-il, ma parole serait mutile ; mais elle ennuierait et rebuterait bien des gens. Voyez-vous comme il assimile l’homme sans charité aux objets inanimés et insensibles. Maintenant, s’il parle du langage des anges, ce n’est pas qu’il veuille en faire des êtres matériels ; niais il veut dire : Quand je parlerais aussi bien que les anges, quand ils s’entretiennent ; je ne serais rien sans la charité. Que dis-je ? je serais à charge à mes auditeurs.
Ainsi, quand il dit ailleurs : « Devant lui fléchiront le genou tous les habitants du ciel, de la terre et des enfers », il n’a pas l’intention de représenter les anges avec des genoux et une charpente osseuse. Il veut exprimer, par les signes usités chez les hommes, une adoration grande et profonde. De même ici il appelle langue non pas un organe de chair, mais l’entretien des anges qu’il désigne par un mot appartenant au vocabulaire des hommes. Puis, afin de mieux faire goûter ses paroles, il ne s’arrête pas au don des langues ; il continue, en énumérant les autres dons spirituels et les rabaissant tous, quand ils ne sont pas accompagnés de la charité, il fait enfin le portrait de cette vertu et, se servant de l’amplification oratoire, il s’élève des dons les moins précieux aux dons les plus importants. Le don qu’il a placé au dernier degré de l’échelle des grâces, le don des langues, est celui par – lequel il commence, en arrivant, comme je l’ai dit, par une progression ascendante, aux dons les plus précieux. Après avoir parlé du don des langues, il passe au don de prophétie et dit : « Quand même j’aurais le don de prophétie », en exaltant ce don.
Tout à l’heure il ne s’est pas contenté de dire : Quand je parlerais des langues inconnues ; il a dit : Quand je parlerais toutes les langues des hommes. Il a été plus loin ; il a dit : Quand je parlerais toutes les langues des anges, et il a démontré qu’un pareil donne serait rien sans la charité. C’est ainsi que maintenant il ne parle pas du don de prophétie simplement, mais de ce don dans toute son étendue. Après avoir dit : Quand j’aurais le don de prophétie, il ajoute : « Quand je connaîtrais tous, les mystères, et que j’aurais une « science parfaite de toutes choses », en insistant sur ce don avec emphase.
4. Passant aux, autres dons spirituels, pour ne pas tomber dans une fastidieuse énumération, il place avant tout, en l’élevant bien haut, la mère et la source de tous les dons spirituels. Il dit : « Quand j’aurais la foi ». Cette expression ne lui suffit pas. Il ajoute ce mot employé par le Christ pour marquer les plus grands effets de cette vertu. « Quand j’aurais une foi capable de transporter les montagnes, sans la charité, je ne serais rien ». Voyez comme il rabaisse encore le don des langues. Selon lui, la prophétie a le grand avantage de pénétrer les mystères et d’avoir la toute science ; la foi opère avec force, puisqu’elle transporte les montagnes : mais, quand il parle du don des langues, il se borne à dire que c’est un don spirituel. Voyez aussi comme il a su résumer tous les dons en deux mots, « la prophétie » et « la foi », car tous les signes miraculeux consistent soit en paroles soit en actions. Mais le Christ avait dit que c’était un des moindres effets de la foi de transporter les montagnes. Car c’est en ce sens qu’il a prononcé ces mots : « Avec une parcelle de foi aussi minime qu’un grain de sénevé, vous direz à cette montagne : Passe de ce côté, et elle y passera ». Comment donc se fait-il que Paul fasse consister dans ce miracle toute la puissance de la foi ? Que répondre à cela ? Le voici. Saint Paul s’est servi de cet exemple, parce que c’est beaucoup, de transporter une montagne. Il n’a pas voulu renfermer dans cet acte toute la puissance de la foi ; mais il s’est servi de cette image pour développer son idée, pour frapper des hommes simples. Il veut en venir à l’expression de cette vérité : j’aurais beau avoir une foi capable de transporter les montagnes, je ne serais rien sans la charité. « Et quand j’aurais distribué tout mon bien pour nourrir les pauvres, quand j’aurais livré mon corps pour être brûlé, si je n’avais point la charité, tout cela ne me servirait de rien (3) ». Voyez quelle hyperbole ! Voyez comme il développe ces pensées ! Il n’a pas dit : Quand je donnerais aux pauvres la moitié, les deux tiers, les trois quarts de mon bien ; il a dit : Quand je donnerais tout mon bien, et il ajoute : « pour nourrir les pauvres ». À la générosité vient s’ajouter ici une tendre sollicitude. « Et quand je donnerais mon corps pour être brûlé ». Il n’a pas dit simplement : Quand je mourrais, il emploie ici les figures les plus fortes. Il nous met devant les yeux la mort la plus terrible, le supplice d’un homme brûlé vif, et cette mort ne serait rien, selon lui, sans la charité. Mais, pour montrer jusqu’où va ici l’hyperbole, je dois produire les témoignages du Christ relatifs à l’aumône et à la mort. Le Christ a dit : « Si vous voulez être parfait, vendez tons vos biens ; donnez-en la valeur aux pauvres et suivez-moi ». (Mt. 19,21) Puis il dit, à propos de la charité : « La plus grande charité c’est de donner sa vie pour ses amis ». (Jn. 15,13) C’est donc là, même aux yeux de Dieu, le plus grand de tous les sacrifices. Et je prétends moi, s’écrie saint Paul, qu’en subissant la mort pour Dieu, qu’en livrant son propre corps pour être brûlé, on ne retirerait pas grand fruit de ce sacrifice, si l’on n’aimait pas son prochain.
Quand on avance que les dons spirituels ne sont pas fort utiles sans la charité, on ne dit rien de bien étonnant ; car, dans la vie, il y a des dons spirituels qui n’ont pas grande importance. Bien des hommes ont prouvé qu’ils avaient reçu en partage certains dons spirituels et pourtant ils ont été punis, comme des méchants qu’ils étaient. Témoin ceux qui au nom du Christ prophétisaient, chassaient les démons, et faisaient force miracles, comme le traître Juda. Les fidèles, au contraire, qui ont mené une vie pure, ont par cela seul été sauvés. Que les dons spirituels, je le répète, ne puissent rien sans la charité, il n’y a donc rien là d’étonnant ; mais qu’une vie vertueuse et pure ne puisse rien sans elle, voilà une assertion qui va bien loin et qui crée une grande difficulté. Le Christ, en effet, ne semble-t-il pas décerner les plus hautes récompenses à l’abandon des biens corporels et aux dangers du martyre ? Ne dit-il pas au riche, je le répète : « Si vous voulez être parfait, vendez « tout ce que vous avez, donnez-en le prix « aux pauvres et suivez-moi ? » Ne dit-il pas à ses disciples, à propos du martyre : « Celui « qui perdra la vie pour moi la retrouvera.
Celui qui ne m’aura pas désavoué devant « les hommes, je ne le désavouerai pas moi devant mon père, qui est dans les cieux ». (Mt. 16,25, et X, 32) Car c’est chose pénible et surnaturelle qu’un pareil dévouement : ils le savent bien, les hommes qui ont obtenu les palmes du martyre. La parole humaine n’est point à la hauteur d’un pareil sacrifice, d’un acte si admirable qui suppose une âme si généreuse.
5. Et pourtant, nous dit saint Paul, sans la charité, ce merveilleux dévouement ne sert pas à grand-chose, quand même on y joindrait l’abandon de sa fortune. Pourquoi donc ce langage ? J’essaierai de l’expliquer, après avoir cherché comment il se fait que l’homme qui distribue tout son bien pour nourrir les pauvres, puisse être cependant un homme sans charité. Car enfin, l’homme qui est prêt à livrer son corps au bûcher, malgré les dons spirituels qu’il peut avoir ; peut encore ne pas aimer son prochain. Mais celui qui, non routent de donner ses biens, les distribue pour nourrir les pauvres, comment peut-il se faire qu’il manque dé charité ? Que répondre à cela ? Que cette absence de charité chez un pareil Homme est une hypothèse gratuite. L’apôtre, en effet, emploie volontiers de semblables hypothèses, lorsqu’il a recours à l’hyperbole. Ainsi, il dira aux Galates : « Si nous-même, si quelque ange descendu du ciel vient vous annoncer autre chose que ce que je vous ai enseigné, qu’il soit anathème ». (Gal. 1,8) C’est là une supposition impossible ; mais, pour montrer l’excellence de sa parole, il emploie une hypothèse qui ne pouvait jamais se réaliser. Dans son épître aux Romains, il dit encore : « Ni les anges, ni les dominations, ni les puissances, ne pourraient arracher de nos cœurs l’amour de Dieu ». (Rom. 8,39) Jamais les anges n’auraient essayé de rien faire de semblable ; c’est donc encore ici une hypothèse impossible, comme ce qui suit : « Jamais nulle autre créature ne pourrait nous ôter cet amour ». Nulle autre créature ? Il parle ici de toutes les créatures imaginables, créatures célestes et créatures terrestres. Mais ici encore, il suppose ce qui ne peut être, pour exprimer l’ardeur de son amour. C’est donc aussi ce qu’il fait, lorsqu’il dit : Quand on donnerait tout son bien, ce sacrifice serait inutile, si l’on n’avait pas la charité. Oui, voilà comment on peut expliquer ce passage. Peut-être aussi saint Paul veut-il dire que nous devons nous identifier de cœur avec ceux à qui nous donnons, que nous ne devons pas nous contenter de leur donner froidement, que nous devons les plaindre, venir à eux le cœur brisé, et pleurer avec les indigents.
Voilà pourquoi Dieu a fait une loi de l’aumône. Dieu n’avait pas besoin de nous pour nourrir les pauvres ; mais il a voulu nous unir par la charité, nous enflammer d’un mutuel amour ; voilà pourquoi il nous a ordonné de nourrir les pauvres. De là encore ces mots de l’apôtre : « Mieux vaut une bonne parole qu’un don : voilà une parole plus précieuse qu’un don ». (Sir. 18,16, 17) Et le Maître dit lui-même : « C’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice ». (Mt. 9,13) On aime d’ordinaire ceux à qui l’on fait du bien, et l’on s’attache à ses bienfaiteurs, et c’est pour resserrer les liens de l’affection que le Christ a établi cette loi. Mais voici à quoi se réduit la difficulté : d’après le Christ, l’aumône et le courage des martyrs sont deux vertus parfaites : d’après saint Paul, elles sont imparfaites sans la charité. Il n’est pas ici en contradiction avec le Christ, à Dieu ne plaise ! au contraire il est avec lui en parfaite harmonie. Le Christ, en s’adressant au riche, ne se contente pas de dire : Vendez vos biens et donnez-en le prix aux pauvres. Il ajoute : Venez ici et suivez-moi. Or pour suivre le Christ, pour se montrer son disciple, il n’y a rien de tel que la charité. « Le meilleur moyen de montrer à tout le monde que vous êtes mes disciples, c’est de vous aimer les uns les autres », (Jn. 13,35) Et quand il dit : « Celui qui aura perdu la vie pour moi, la retrouvera. Celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai devant mon Père dans les cieux », le Christ est loin de nier que la charité ne joue ici un rôle essentiel, il ne fait que montrer la récompense réservée à ces efforts de courage. D’ailleurs avec le martyre il exige la charité, et c’est ce qu’il a clairement fait entendre en ces termes : « Vous boirez mon calice et vous recevrez mon baptême » (Mt. 20,23), c’est-à-dire, vous supporterez le martyre, vous serez tués pour moi. Pour ce qui est « d’être assis à ma droite ou à ma gauche », ce n’est pas qu’il y ait des places où l’on soit assis à sa droite ou à sa gauche, c’est une manière d’indiquer la préséance, l’honneur suprême. « Ce n’est pas à moi à vous le donner », dit-il, « mais ce sera pour ceux à qui cela sera préparé ». Montrant ensuite à qui cet honneur est préparé, il appelle ses disciples : « Que celui qui voudra être le premier parmi vous, soit votre serviteur à tous » (Id. 5,26), leçon d’humilité et de charité. C’est une haute charité qu’il demande. Aussi ajoute-t-il : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour se faire servir, mais pour servir les autres et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs » ; il montre par là qu’il faut aimer jusqu’à subir la mort pour ceux que l’on aime : car c’est la plus grande preuve d’amour qu’on puisse leur donner. Aussi dit-il à Pierre « Si vous m’aimez, paissez mes brebis ». (Jn. 13,19) Voulez-vous comprendre la grandeur et la beauté de la charité, peignons-la par des paroles, puisque nous ne voyons pas son image réelle. Représentons-nous tous les biens dont elle serait la source, si elle abondait en tous lieux. Alors plus de lois, plus de tribunaux, plus de supplices, plus riel de semblable. Si nous nous aimions tous les uns les autres, plus d’outrages ; meurtres, luttes, guerres, dissensions, larcins, pillages, tous les fléaux disparaîtraient et le vice ne serait même pas connu de nom. Or les dons miraculeux ; loin de produire un pareil effet, ne font qu’exalter la vanité et l’arrogance, si l’on n’y prend garde.
6. Il y a un côté admirable dans la charité. Toutes les autres qualités ne sont pas exemptes d’alliage : le détachement des biens est souvent une cause d’orgueil ; l’éloquence est accompagnée de désir de la gloire ; l’humilité a quelquefois d’elle-même une conscience superbe. Mais la charité est exempte de toutes ces maladies ; elle ne s’élève jamais aux dépens de celui qu’elle aime. Ne me parlez pas de la charité s’attachant à un seul objet d’affection ; regardez la charité qui s’étend à tous les hommes également, et c’est alors que vous en verrez la vertu. Ou plutôt, si vous voulez, supposez un seul être aimé et un seul être qui l’aime, qui l’aime, bien entendu, comme on doit aimer. Il trouvera le ciel, sur la terre ; il goûtera partout les douceurs de la tranquillité, il se tressera des couronnes sans nombre. Un tel homme ne connaîtra ni l’envie, ni la colère, ni la jalousie, ni l’arrogance, ni la vaine gloire, ni la détestable concupiscence, ni l’amour insensé et ses poisons ; il conservera la pureté de son âme. De même que personne ne cherche à se faire tort à soi-même, de même il ne fera pas tort à son prochain. Un tel homme marchera sur la terre, en compagnie de Gabriel. Eh bien ! cet homme-là, c’est celui qui possède la charité. Quant à celui qui fait des miracles signales et qui possède la science parfaite, sans la charité, il aurait beau ressusciter les morts par milliers, il n’en tirera pas grand profit, s’il rompt avec l’humanité, s’il ne peut souffrir le contact de ses compagnons de chaîne. Aussi le Christ a-t-il dit que la meilleure preuve d’amour qu’on puisse lui donner, c’est d’aimer son prochain. « Si vous m’aimez plus que ces hommes, Pierre, paissez mes brebis ». Voyez-vous comme il fait encore entendre par ces paroles que la charité est supérieure au martyre ?
Supposez un père qui chérit son fils jusqu’à donner sa vie pour lui, et un ami attaché à ce père, mais n’ayant pour le fils que de l’indifférence, le père irrité ne fera aucune attention à cet attachement dont il est l’objet et ne verra que le mépris auquel son fils est en butte. Ce qui a lieu ici, quand il s’agit d’un père et d’un fils, a lieu à plus forte raison quand il s’agit de Dieu et des hommes ; car Dieu est le meilleur de tous les pères. Ainsi, après avoir dit : « Voici le premier et le plus grand de tous les commandements : Vous aimerez le Seigneur, votre Dieu », Jésus a dit : « Voici le second », et il a expressément ajouté, « qui est semblable au premier : Vous « aimerez votre prochain comme vous-même ». (Mt. 22,38, 39) Et voyez avec quelle énergie il exige cet amour ! Il dit, en parlant de Dieu : Vous l’aimerez « de tout votre cœur » ; il dit en parlant du prochain : Vous l’aimerez « comme vous-même ». Ah ! si l’on observait bien ce commandement, il n’y aurait ni esclave ni – homme libre ; ni prince ni sujet ; ni riche ni pauvre ; ni petit ni grand ; le démon n’aurait jamais été connu : je ne dis pas celui que nous connaissons, mais tout autre, mais cent autres, mais des légions innombrables de démons se seraient trouvées sans puissance, en face de la charité. La paille résisterait au feu plutôt que le démon à la flamme de la charité. Oui, la charité est plus forte qu’un rempart, plus solide que le métal le plus dur. Imaginez quelque chose de plus solide encore que tous les métaux, la charité restera toujours la plus forte. Ni les richesses ni la pauvreté n’en triomphent, ou plutôt, avec la charité, il n’y aurait ni pauvreté, ni richesse excessive, il n’y aurait que les avantages dont la richesse et la pauvreté sont les sources. À la richesse nous demanderions l’abondance, à la pauvreté une existence libre de soucis, et les inquiétudes compagnes de la richesse et la crainte de la pauvreté ne feraient plus notre tourment.
Que dire des avantages de la charité ? Quelle vertu ! Quelle joie elle procure ! De quelles douceurs elle nous inonde ! Les autres vertus entraînent toujours quelque mal avec elle ; le jeûne, la tempérance, les veilles entraînent l’envie, la concupiscence, le mépris. La charité au contraire aux avantages qu’elle procure joint des plaisirs délicieux et sans mélange. Comme une abeille laborieuse, elle va de toutes parts recueillir son miel, pour le déposer dans l’âme de celui qui aime. Pour l’esclave, elle rend la servitude plus douce que la liberté. Celui qui aime, aimé mieux obéir que de commander, quoique le commandement ait ses douceurs. Mais la charité change la nature. Elle vient à nous, les mains pleines. Quelle mère est plus caressante ? Quelle reine est plus riche ? Tous les travaux sont par elle légers et faciles. Elle sème de fleurs le chemin de la vertu et d’épines celui du vice. Et remarquez bien ceci. Nous trouvons qu’il est dur de se priver de son bien. Avec elle, nous trouvons que cela est doux. Accepter le bien d’autrui nous semble agréable, avec elle ce n’est plus là un bonheur pour nous, c’est un écueil à fuir. La médisance si douce pour tout le monde devient par elle quelque chose d’amer, tandis que nous trouvons de la douceur à dire du bien des autres ; quoi de plus doux, que de louer celui qu’on aime ? La colère a sa volupté que la charité lui fait perdre, en extirpant ce vice dans sa racine. L’objet aimé a beau faire, celui qui aime ne se montre jamais irrité. Loin de témoigner la moindre aigreur, il n’a pour celui qu’il aime que des larmes, dès exhortations, des prières. Le voit-il en faute, Il pleure, il est triste, mais cette tristesse a ses charmes ; car les larmes et la tristesse de la charité ont plus de suavité que le rire et la joie.
Ceux qui rient ne sont pas aussi heureux que ceux qui pleurent sur leurs amis. Si vous ne me croyez pas, arrêtez leurs larmes et c sera leur causer la plus terrible souffrance. Mais l’amour, dites-vous, ne donne que des plaisirs insensés. Ah ! ne tenez pas un pareil langage ; car il n’y a rien d’aussi pur que la véritable charité.
7. Ne me parlez pas de cet amour vulgaire et trivial qui est plutôt une maladie que de la charité et de l’amour. Parlez-moi de cet amour que demande l’apôtre, d’un amour qui cherche les intérêts de l’objet aimé, et vous verrez qu’un pareil amour surpasse celui d’un père. Les avares fuient la dépense, préfèrent la détresse à la douleur de voir diminuer leur trésor. Ainsi l’homme qui aime bien, préférera mille souffrances à la douleur de voir souffrir celui qu’il aime. Comment donc, direz-vous, cette Égyptienne, qui aimait Joseph, a-t-elle voulu l’outrager ? C’est qu’elle l’aimait d’un amour satanique. L’amour de Joseph ne ressemblait pas à celui-là ; c’était celui que demandait saint Paul. Considérez les paroles que dictait à Joseph la charité et le langage de cette femme : Outrage-moi, disait-elle, et fais de moi une adultère ; rends-toi coupable envers mon mari, bouleverse toute la maison, perds la grâce de Dieu. Et ces paroles prouvaient qu’elle n’aimait pas Joseph, qu’elle ne s’aimait pas elle-même. Mais lui, qui aimait sincèrement, rejeta toutes ces propositions. Et ce qui prouve l’intérêt qu’il lui portait, ce sont les conseils qu’il lui donne. Non content de la repousser, il emploie une exhortation capable d’éteindre sa flamme criminelle : « Mon maître, dit-il, se repose sur moi ; il ne sait pas même ce qu’il a dans sa maison ». (Gen. 39,8) Il lui rappelle aussitôt son mari, pour lui faire honte. Il ne dit pas : votre mari, mais « mon maître », pour mieux la retenir, pour la faire réfléchir. Elle est la maîtresse et c’est son esclave qu’elle aime ! Car s’il est mon maître lui, vous êtes ma maîtresse. Rougissez de parler ainsi à votre esclave, songez à celui dont vous êtes la femme, à celui auquel vous voulez vous unir, à celui que vous payez d’ingratitude. Voyez ; j’ai pour lui plus d’affection que vous. À cette femme sans délicatesse et sans pudeur, à cette femme incapable d’un sentiment élevé, il parle le langage des souvenances humaines, pour la faire rougir : « Mon maître se repose entièrement sur moi » c’est-à-dire, il me comble de bienfaits ; je ne puis donc blesser mon maître dans ce qu’il a de plus cher. Il m’a mis à la tête de sa maison et je viens après lui. « Il ne s’est réservé que vous ». Par ces paroles, il fait remonter cette femme au rang dont elle veut descendre, pour la rappeler à la pudeur et lui montrer la place honorable qu’elle remplit. Il ne s’arrête pas là : Vous êtes sa femme, lui dit-il, comment donc pourrais-je faire une aussi mauvaise action ? Vous me dites : Mon mari n’est pas là, il ignorera l’outrage ; mais cet outrage aura Dieu pour témoin. Loin de profiter de ces conseils, elle cherchait à l’attirer. C’était une démence furieuse, ce n’était pas son amour pour Joseph qui la faisait agir, et la suite l’a bien prouvé. Elle prend son mari pour juge, elle dresse son accusation, elle a recours au faux témoignage ; elle fait de son mari une bête féroce auquel elle livre un innocent. Elle fait jeter Joseph en prison. Que dis-je ? Elle fait tout ce qu’elle peut pour causer sa mort, tant elle exalte la fureur de son juge !
Eh bien, Joseph use-t-il de représailles ? Non il ne se défend pas, il n’accuse pas cette femme. Mais, direz-vous, on n’aurait pas voulu le croire. Pourtant, il était fort aimé de son, maître, cela est évident, et il en fut toujours aimé. Car, si ce mari furieux ne l’avait pas beaucoup aimé, il l’aurait tué, quand il gardait le silence, quand il ne se défendait pas. C’était un prince égyptien blessé dans son honneur, il le croyait du moins, et cela par un de ses serviteurs, oui, par un de ses serviteurs qu’il avait comblé de bienfaits. Mais toutes ces considérations cédèrent à l’amour et à la sympathie que Dieu mit dans le cœur du maître. Outre cette sympathie et cet amour, Joseph avait pour lui des preuves sérieuses, s’il avait voulu se défendre ; et ces preuves, c’étaient ses vêtements restés entre les mains de cette femme. Si elle avait été en butte à quelque violence, au lieu de montrer les vêtements de Joseph, elle aurait dû montrer sa tunique lacérée, son visage déchiré. « Mais », dit-elle, « c’est parce qu’il m’a entendue crier, qu’il s’est enfui, en laissant ses vêtements entre mes mains ». (Gen. 39,15) Pourquoi donc le dépouiller de ses vêtements ? Que pouviez-vous demander, vous qui étiez exposée à sa violence ? D’être délivrée de l’auteur d’un pareil attentat. Mais ce n’est pas seulement sa conduite en cette occasion, c’est le reste de sa vie qui a mis à nu son cœur bienveillant et charitable. Réduit à exposer les motifs de sa longue incarcération, au lieu d’exposer les faits dans toute leur réalité, il se contente de dire : « Je n’ai rien fait ; mon malheur est d’avoir été arraché à la terre des Hébreux ». (Gen. 60,15) Il se tait sur la femme adultère. Il ne se glorifie pas de son innocence, comme tout autre aurait pu le faire à sa place, dans une circonstance où le récit de ce qui s’était passé n’était pas une affaire de vanité, mais un moyen de repousser les suppositions que pouvait faire naître cet emprisonnement. Si les pécheurs eux-mêmes, en pareille matière, ne s’abstiennent pas d’accuser, quelque déshonorante que soit l’accusation, comment ne pas trouver admirable cet homme qui est resté pur et qui, malgré cela, ne parle point de l’amour de cette femme, ne révèle point sa faute, cet homme qui, monté sur le trône d’Égypte, ne se souvient plus de l’outrage et ne punit point la coupable ?
8. Voyez comme il la ménageait, et pourtant cette femme n’aimait pas, mais elle était en démence. Elle n’avait pas de l’amour poux Joseph ; elle voulait satisfaire son caprice. Qu’on pèse bien ses paroles, elles respirent toutes la fureur et le meurtre. Que dit-elle à son mari ? « Vous avez amené ici un esclave hébreu, pour qu’il nous insultât ». (Gen. 30,17) Elle reproche à son mari le bien qu’il a fait : elle lui montre les vêtements de Joseph, cette femme plus cruelle qu’une bête féroce. Ah ! Joseph n’agit pas ainsi. Que dire de sa douceur, lorsqu’à l’égard de ses frères qui avaient failli le tuer, il se montre tel qu’il avait été toujours, ne laissant échapper sur leur compte, ni en particulier, ni en public, aucune parole amère ou fâcheuse. Voilà pourquoi saint Paul appelle la charité la mère de toutes les vertus ; voilà pourquoi il la met au-dessus de tous les signes et de tous les dons spirituels. L’or répandu sur les vêtements et sur les chaussures n’est pas, à lui seul, une marque suffisante de la royauté ; mais quand nous apercevons la pourpre et le diadème, nous n’en demandons pas davantage, pour la reconnaître. Il en est de même ici. Le diadème de la charité montre suffisamment le disciple du Christ non seulement à nous chrétiens, mais encore aux infidèles. « Vous vous ferez reconnaître à tous pour mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». (Jn. 13,35) Ce signe-là est donc au-dessus de tous les autres, puisque c’est le signalement du disciple de Jésus-Christ. Que d’autres produisent des miracles en foule, s’ils sont divisés entre eux, ils seront la risée des infidèles. Qu’ils n’aient aucun miracle à montrer et qu’ils aient les uns, pour les autres une ardente charité, ils seront pour tout le monde un objet de respect, ils seront toujours invincibles.
Si nous admirons saint Paul, ce n’est point à cause des morts qu’il a ressuscités, ce n’est point à cause des lépreux qu’il a guéris ; c’est parce qu’il a dit : « Quel est l’infirme dont je ne partage pas les infirmités ? Quel est l’homme qui est scandalisé, sans que je ne brûle?. » (2Cor. 11,29) Un millier de signes miraculeux ne valent pas ces simples paroles. Ne disait-il pas lui-même qu’une grande récompense lui avait été réservée ; non pour avoir fait des miracles, mais pour s’être fait infirme avec les infirmes ? Et quelle est cette récompense, poursuit-il ? « C’est de prêcher gratuitement l’Évangile ». (I. Cor. 9,18) Et quand il se préfère aux apôtres, il ne dit pas : J’ai fait plus de miracles qu’eux, mais « J’ai plus travaillé qu’eux ». (1Cor. 15,10) Il allait jusqu’à vouloir mourir de faim, pour sauver ses disciples : « Mieux vaut pour moi mourir », dit-il, « que de souffrir qu’on me fasse perdre cette gloire ». (1Cor. 9,15) Ce n’était pas pour se glorifier qu’il parlait ainsi, c’était pour ne pas avoir l’air de leur faire des reproches. Jamais, en effet ; il ne se glorifie de ses bonnes œuvres, si la circonstance ne l’y porte ; mais alors même qu’il est contraint à le faire, il se donne le nom d’insensé.
Si parfois il se glorifie, c’est des infirmités, des outrages qu’il a dû subir, c’est de sa commisération pour ceux qui souffrent. Témoin ces paroles : « Qui donc est malade, sans que je sois malade avec lui ? » Ces paroles-là en disent plus que les périls affrontés ; aussi c’est par elles qu’il finit, pour donner plus de force à son discours. Comment donc ne pas reconnaître notre indignité, si nous nous comparons à lui, nous qui ne savons ni mépriser les richesses, quand il s’agit de notre intérêt véritable, ni donner notre superflu ? Ah ! saint Paul n’agissait pas ainsi ; il se donnait corps et âme, pour que ceux qui le lapidaient, qui le souffletaient, pussent obtenir le royaume des cieux. C’est le Christ, disait-il, qui m’a appris à aimer ainsi, en léguant aux hommes, dans ses commandements, un nouveau système de charité et, en joignant l’exemple au précepte. Le roi de l’univers, jouissante de la béatitude suprême, ne s’est pas détourné de ces hommes tirés par lui du néant, combles par lui de bienfaits, qui l’abreuvaient d’outrages et qui le conspuaient. C’est pour eux qu’il s’est fait homme, qu’il a conversé avec des courtisanes et des publicains, qu’il a guéri des, démoniaques et qu’il leur a promis le ciel. Pour prix de tous ces bienfaits, les hommes l’ont saisi ; l’ont souffleté, l’ont garrotté, l’ont flagellé, l’ont bafoué et ont fini par le crucifier. N’importe : il ne s’en est pas détourné encore, mais, jusque sur la croix , il a dit « Mon Père, pardonnez-leur ». (Lc. 23,34) Le larron qui venait de l’accuser, il lui a ouvert les portes du paradis. Paul, son persécuteur, i ! en a fait un apôtre ; ses propres disciples, ses disciples fidèles, il les a livrés à la mort, en les sacrifiant aux Juifs qui l’avaient crucifié. Recueillons en notre âme ces exemples donnés par un Dieu, ces exemples donnés par les hommes et tâchons d’imiter ces illustres modèles. Tâchons d’acquérir, cette charité supérieure à tous les dons spirituels, pour être heureux en cette vie et dans l’autre. Puisse ce bonheur devenir notre partage, par la grâce et le bienfait de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, ainsi qu’au Père et au Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance, l’honneur, aujourd’hui et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXIII.

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{{sc| LA CHARITÉ EST PATIENTE ; ELLE EST BIENFAISANTE ; ELLE N’EST POINT ENVIEUSE ; ELLE N’AGIT POINT À LA LÉGÈRE ; ELLE NE S’ENFLE POINT D’ORGUEIL. (CHAP. 13, JUSQU’Au VERS. 8)}}

ANALYSE.

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  • 1-4. Explication littérale du fameux texte de saint Paul sur la charité.
  • 5-7. Des effets admirables de la charité. – Combien les saints de l’ancienne Loi, par exemple David et Jacob ; excellaient dans cette vertu.


1. Après avoir déclaré que la foi, la science, le don de prophétie, le don des langues, le don d’assistance, le don de guérison ne servent pas à grand-chose sans la charité, il nous la dépeint dans toute sa beauté et dans toute sa pureté. Il répand sur ce portrait les charmes, c’est-à-dire, les couleurs et les traits de la vertu ; il a soin d’établir entre toutes les parties de cette image une parfaite harmonie. Gardez-vous de n’accorder aux paroles de l’apôtre que peu d’attention, pesez-les au contraire avec soin, l’une après l’autre ; c’est le moyen d’apprécier ce trésor et l’habileté du peintre. Voyez par où il commence et quelle est la qualité qu’il regarde comme la source de tout bien. Cette qualité, c’est la patience. Voilà la base de toute philosophie ! C’est pourquoi un sage disait : « L’homme patient fait preuve d’une haute sagesse ; l’homme impatient n’est qu’un grand fou ». (Prov. 14,29) Et comparant la patience à une place forte, il déclare que la comparaison est tout à l’avantage de cette qualité. Cette qualité est une armure impénétrable, une tour à l’épreuve de tous les assauts. Comme l’étincelle qui tombe sur l’abîme et qui, sans endommager l’abîme, s’éteint d’elle-même, chaque trait imprévu qui tombe sur une âme patiente, s’émousse aussitôt, sans troubler le repos de cette âme. Quoi de plus fort que la patience ! Les armées, les richesses, la cavalerie, les remparts, les armures, tout est faible auprès de la patience. Avec tout cet appareil guerrier, un conquérant, vaincu souvent par sa fureur, se voit renversé comme un faible enfant, en semant – sur ses pas le trouble et la tempête. Mais l’homme patient est comme dans un port, où il goûte un calme profond. Le dommage que vous lui causerez ne pourra émouvoir ce roc ; vos outragés ne pourront ébranler cette tour ; vos coups s’amortiront sur ce métal indomptable. La patience s’appelle aussi longanimité, parce que l’homme patient a une âme d’une vaste étendue, c’est-à-dire une grande âme ; car « longueur et grandeur » sont des ternies synonymes. Mais cette qualité vient de la charité et rapporte de grands avantages à ceux qui la possèdent et qui en jouissent.
Ne me parlez pas ici de certaines âmes dont on peut désespérer, de ces hommes qui faisant le mal impunément, se plongent encore plus avant dans le mal. Cette corruption n’est pas l’effet de la patience du sage, mais de la perversité des méchants qui en abusent. Parlez-moi, non de ces hommes pervers, mais de ces âmes plus douces, à qui la patience du sage rapporte un grand profit : quand ces hommes font le mal et qu’on ne le leur rend pas, ils admirent la douceur de l’homme patient, ils y puisent un grand enseignement philosophique. Mais l’apôtre ne s’arrête pas là, et détaillant les autres perfections de 1a charité, il ajoute : « La charité est bienfaisante ». Il y a des hommes en effet pour lesquels la patience n’est pas, la voie de la sagesse, mais un acheminement laborieux vers la vengeance. La charité, dit l’apôtre, ne tombe pas dans ce vice. Voilà pourquoi il ajoute : « La charité est bienfaisante ». Ce n’est point pour attiser la flamme de la colère dans les âmes irritées, qu’elle se montre douce et généreuse, c’est pour apaiser et éteindre cette flamme. Ce n’est pas seulement par une généreuse patience, c’est par ses soins et ses exhortations qu’elle soulage et qu’elle soigne la plaie des cœurs ulcérés par la colère. « Elle n’est pas envieuse ». On pourrait être patient et envieux, et l’envie gâte tout. Mais la charité évite encore cet écueil. Elle n’agit point légèrement… Cela veut dire : elle n’agit point avec précipitation. L’homme qui la possède est sage et grave ; il marche paisiblement dans la vie. La précipitation est le propre des penchants honteux ; mais la charité n’est point asservie à de pareils tyrans. La paix du cœur est incompatible avec la précipitation et les excès. La charité qui veille sur notre âme comme un bon agriculteur sur un champ, ne donne pas à de pareilles épines le temps de germer. « La charité n’est point gonflée d’orgueil ». Que de gens se glorifient, sous nos yeux, de n’être ni jaloux, ni méchants, ni pusillanimes, ni agressifs ! De pareils défauts en effet ne sont pas l’apanage exclusif de la richesse et de la pauvreté ; ils se rencontrent aussi dans les âmes bien nées ; mais la charité a soin de les extirper tous. Et ici faites bien attention : la patience n’est pas tout à fait la bienfaisance et la générosité. Oc la patience, sans la générosité, est un défaut ; elle peut amener la rancune. Mais, grâce à la générosité qui sert d’antidote à ce poison, la charité se conserve pure. La générosité dégénère parfois en faiblesse ; mais la charité est là pour l’en empêcher. « La charité, dit l’apôtre, n’est ni inconsidérée ni orgueilleuse ». La générosité et la patience n’excluent pas non plus l’arrogance ; mais la charité nous corrige aussi de cette imperfection.
2. Et voyez : l’apôtre fait servir à l’ornement de cette vertu non seulement les qualités qu’elle a, mais encore les défauts qu’elle n’a pas. Elle nous mène au bien, dit-il, et elle extirpe le mal. Que dis-je ? elle ne laisse pas aux mauvais germes la faculté de naître. L’apôtre n’a pas dit, en effet : La charité est jalouse, mais elle étouffe la jalousie. Elle est arrogante, mais c’est un défaut dont elle se corrige. Il a dit : « La charité n’est ni jalouse, ni inconsidérée, ni gonflée d’orgueil ». Et ce qu’il y a de plus admirable, c’est qu’elle fait le bien sans effort ; c’est qu’elle dresse des trophées, sans faire la guerre, sans verser de sang. Ce n’est point au prix de mille sueurs qu’elle donne la couronne à ses adeptes ; elle leur donne le prix du combat, sans les condamner aux fatigues. En effet, là où la raison ne rencontre pas la passion pour adversaire, elle n’a pas la peine de lutter : « Elle ne croit pas qu’on puisse la flétrir ». Pourquoi dire, ajoute l’apôtre, que la charité n’est point gonflée d’orgueil ? Elle est si éloignée d’un pareil défaut, qu’elle ne regarde pas comme un déshonneur tout ce qu’elle a souffert pour l’objet aimé. L’apôtre n’a pas dit : La charité qui s’honore elle-même par sa patience, supporte généreusement le déshonneur ; il a dit qu’elle ne se sent pas même blessée. Car si les hommes cupides, pour étancher la soif du gain qui les dévore, bravent tous les affronts, non seulement sans honte, mais avec orgueil, à plus forte raison l’homme qui possède la charité, cette vertu si louable ; ne reculera devant aucun affront et ne rougira pas de sa patience. Mais, pour puiser nos exemples à des sources pures, examinons la charité dans le Christ, et nous pourrons apprécier les paroles de l’apôtre. Notre-Seigneur Jésus-Christ était conspué et souffleté par de misérables esclaves ; et non seulement il ne voyait pas là de déshonneur, mais ces affronts étaient poux lui autant de triomphes dont il se glorifiait. Quand il introduisait avec lui dans le paradis un voleur et un assassin, quand il adressait la parole à une courtisane au milieu d’un cercle d’accusateurs, il ne voyait pas là un déshonneur. Il permettait, au contraire, à la courtisane de lui baiser les pieds, d’arroser son corps de ses larmes et de lui faire un voile de ses cheveux ; et c’était au milieu de ses ennemis, sur le théâtre de leur haine qu’il donnait un pareil exemple. La charité, en effet, se croit à l’abri de l’humiliation.
Voyez ce père qui tient le premier rang parmi les philosophes et les orateurs. Il ne rougit pas de bégayer avec ses enfants, et ceux qui sont témoins de cet acte de condescendance, loin de blâmer le père, rendent hommage à sa conduite et la citent pour modèle. Les enfants retombent-ils dans les mêmes fautes, le père est toujours là pour les corriger, pour avoir soin d’eux, pour réprimer leurs écarts, et il ne rougit pas de sa minutieuse sollicitude. La charité, en effet, est au-dessus de l’humiliation ; elle a comme des ailes d’or, pour cacher tous les défauts de l’objet aimé. C’est ainsi que Jonathas aimait David. Quand son père lui disait : « Fruit des « amours de quelque fille complaisante, jeune « efféminé » (1Sa. 20,30), il ne rougissait pas, et c’étaient là pourtant des paroles bien insultantes. C’était lui dire : Fils de quelque femme folle de son corps qui provoque les passants, être sans force et sans courage qui n’a rien de viril, c’est pour ta honte et pour celle de ta mère que tu vis. Eh bien ! Jonathas s’est-il irrité de ces insultes ? A-t-il été cacher sa honte ? S’est-il éloigné de son ami ? Et pourtant c’était un fils de roi que Jonathas, et David n’était qu’un vagabond. Malgré cela, il n’a pas rougi de son ami ; car la charité n’a jamais lieu de rougir. Ce qu’il y a d’admirable en elle, c’est qu’elle ôte à l’affront tout ce qu’il a de poignant, pour faire trouver, dans ses morsures, une sorte de douceur : aussi Jonathas outragé s’éloigna-t-il de David en l’embrassant, comme s’il venait de recevoir la couronne. C’est que la charité ne connaît pas d’affront. Que dis-je ? Elle trouve de la douceur dans les outrages qui font rougir les autres. Ce qu’il y a de honteux, en effet, c’est de ne pas savoir aimer, c’est de ne pas savoir tout braver et tout souffrir pour l’objet aimé. Quand je dis tout, je ne veux pas dire qu’il faille prêter à un ami un coupable ministère. Il ne faut pas s’employer pour lui auprès d’une femme qu’il aime, il ne faut pas lui accorder quelque honteuse demande. Ce ne serait pas là de l’amitié, et c’est ce que je vous ai démontré plus haut, à propos de la femme égyptienne. Celui-là seul sait aimer qui comprend les véritables intérêts de son ami. Celui qui n’a pas un but honorable aura beau protester de son attachement pour vous ; il sera toujours votre plus grand ennemi. Ainsi Rébecca qui était fort attachée à son fils, commit une fraude, sans rougir ni sans craindre d’être surprise, en s’exposant à un péril assez grand. Et, comme une contestation s’était élevée entre le fils qui résistait et la mère, elle lui dit : « Que ta malédiction soit sur moi, mon fils ». (Gen. 27,13)
3. Et voyez-vous l’âme apostolique de cette femme ? De même que saint Paul (pour comparer les petites choses aux grandes) consentait à être anathème pour les Juifs, ainsi cette femme, pour que son fils fût bien, consentait à être maudite. Elle lui cédait tout le fruit de cette bénédiction ; car elle ne devait pas le partager avec lui. Elle était préparée à tous les malheurs. Et pourtant elle se réjouissait, elle pressait son fils et, malgré l’imminence et la grandeur du péril, elle était impatiente de tout retard. Elle craignait que la soudaine arrivée d’Ésaü ne fît échouer sa ruse. Aussi comme sa parole est concise ! Comme elle presse le jeune homme ! Elle se laisse d’abord contredire, puis elle lui donne une raison qui doit suffire pour le décider. Elle ne lui dit pas Tes objections sont vaines et tes craintes sans motif, puisque ton père est vieux et aveugle. Elle lui dit : Que ta malédiction soit sur moi, mon fils ! Profite seulement du moyen que je t’offre et ne laisse pas échapper le trésor que te livre l’absence de ton frère. Et Jacob lui-même ne fut-il point, durant sept années, un mercenaire aux gages dé son parent ? Cette condition servile et la substitution qu’il fut obligé d’admettre n’en faisaient-elles pas un objet de risée ?
Eh bien ! se montra-t-il sensible au ridicule ? Se crut-il déshonoré, pour avoir, lui homme libre né de parents libres, lui qui avait reçu une éducation libérale, souffert de la part de ses parents les traitements qu’on inflige aux esclaves, traitements d’autant plus durs que les outrages de nos proches sont les plus poignants de tous ? Non ; Jacob ne se crut point déshonoré. Il était soutenu par sa tendresse pour sa race. La charité abrégeait pour lui le temps de ces longues épreuves. « Il lui semblait qu’il n’avait que quelques jours à souffrir » (Gen. 29,30), tant il s’en fallait que son esclavage fût pour lui un tourment et une honte ! Saint Paul avait donc raison de dire : « La charité n’a point à rougir de ses actes ; elle ne cherche pas son avantage, elle ne s’irrite pas ». Après avoir dit qu’elle n’a point à rougir de ses actes, l’apôtre nous dit pourquoi : « C’est qu’elle ne cherche point son avantage ». L’objet aimé est tout pour elle, et c’est lorsqu’elle ne peut l’arracher aux suites d’une action honteuse qu’elle croit avoir à rougir. Son déshonneur, s’il pouvait servir à l’objet aimé, ne serait point un déshonneur pour elle ; car votre ami c’est vous. Quand l’amitié existe-t-elle en effet ? C’est lorsque celui qui aime et celui qui est aimé ne forment plus deux êtres distincts et font une seule et même personne.
Or, cette assimilation est un effet de la charité. Ne cherchez donc pas votre intérêt, si vous voulez trouver votre intérêt. Car celui qui cherche son intérêt ne le trouve pas. Voilà pourquoi saint Paul a dit : « Qu’on ne cherche pas son intérêt, mais celui du prochain ». (1Cor. 10,24) Votre intérêt, en effet, s’identifie avec celui du prochain, et celui du prochain avec le nôtre. Si votre or est enfoui dans la maison du voisin et que vous refusiez d’aller l’y chercher et l’y déterrer, vous ne le trouverez jamais. Il en est de même de votre intérêt. Si vous ne le cherchez pas dans l’intérêt de votre prochain, renoncez à cette couronne promise à la charité. Dieu, en effet, a tout arrangé de manière à ce que nous soyons liés les uns aux autres. Vous voulez éveiller un enfant dormeur et l’engager à suivre son frère ; s’il ne veut pas le suivre de bonne volonté, vous mettez entre les mains du frère quelque objet désirable pour l’enfant, pour que l’envie d’avoir cet objet l’engage à suivre celui qui en est possesseur, et votre moyen réussit. Ainsi Dieu a mis l’intérêt de chacun entre les mains de son prochain, afin que nous accourions les uns vers les autres et que nous ne soyons pas divisés.
Voyez plutôt ce qui se passe pour nous autres qui conversons ensemble. Mon intérêt est entre vos mains et votre avantage entre les miennes. Votre intérêt exige que vous connaissiez ce qui est agréable à Dieu. Or c’est à moi qu’a été confié le soin de vous donner l’enseignement qui vous en instruira ; vous êtes donc forcés de venir à moi. Quant à moi, c’est mon avantage de vous rendre meilleurs, car pour cela je serai largement payé. Or ce résultat dépend de vous. Me voilà donc forcé de courir après vous pour vous rendre meilleurs et pour obtenir de vous ce résultat avantageux pour moi. Voilà pourquoi saint Paul disait : « Où est mon espoir ? n’est-il pas en vous ? » Et dans un autre passage : « Vous êtes mon espérance, ma joie, ma couronne de gloire ». Les disciples de saint Paul faisaient donc sa joie. Aussi pleurait-il quand il les voyait périr. D’un autre côté leurs intérêts reposaient entre les mains de saint Paul. Aussi l’apôtre disait-il : « C’est pour l’espoir d’Israël que ces chaînes m’entourent » (Act. 28,20) ; et ailleurs : « Je souffre pour mes élus, afin qu’ils obtiennent la vie éternelle ». (2Tim. 2,10) De pareils dévouements se voient dans la vie : « Car », dit l’apôtre, « l’épouse, pas plus que l’époux, ne peut disposer de sa personne. Ils appartiennent l’un à l’autre ». (1Cor. 7,4) Nous agissons ainsi envers ceux que nous voulons lier. Nous ne laissons à nul d’entre eux la disposition de lui-même, mais nous étendons la chaîne de l’un à l’autre. Voyez ce qui se passe dans l’ordre judiciaire : le juge ne rend pas la justice dans son intérêt ; il consulte les intérêts de son prochain. Ses inférieurs cherchent, par leurs hommages, par leurs services de toute manière, à servir les intérêts de leur chef. Les soldats prennent les armes dans notre intérêt, c’est pour nous qu’ils affrontent les dangers. Et nous, c’est pour eux que nous bravons les fatigues ; car c’est nous qui les nourrissons.
4. Ne m’objectez pas que ces hommes, en agissant ainsi, cherchent leur intérêt. Je vous répondrai que, s’ils le cherchent, ils le trouvent dans celui du prochain. Le soldat ne trouverait personne pour le nourrir, s’il ne faisait pas la guerre pour ceux qui le nourrissent ; ceux-ci ne trouveraient personne pour les défendre, s’ils ne nourrissaient pas leurs défenseurs. Voyez-vous jusqu’où s’étend la charité et comme elle préside à tout ? Mais ne vous lassez point de compter tous les anneaux de cette chaîne d’or. Après avoir dit : La charité ne cherche pas son intérêt, l’apôtre énumère les avantages qui résultent de cette manière d’être. Quels sont-ils ? « C’est qu’elle ne s’irrite pas ; c’est qu’elle ne pense pas à faire le mal ». Vous voyez que la charité, loin de supporter la tyrannie du vice, ne lui laisse pas seulement mettre le pied chez elle. Il ne dit pas : Elle s’irrite, mais elle surmonte sa colère ; il dit : Elle ne s’irrite pas. Il ne dit pas : La charité ne fait pas le mal ; il dit : La charité ne pense pas à faire le mal. Loin de se préparer à faire du mal à celui qu’on aime, on n’y songe même pas. Comment donc ferait-elle le mal, comment s’irriterait-elle, cette vertu qui bannit jusqu’à l’idée du mal, et c’est là surtout que se trouve la source de la charité. «. Elle n’applaudit pas à l’iniquité ». C’est-à-dire : elle ne se complaît pas dans la souffrance du prochain. Bien loin de là, « elle aime la justice ». (Rom. 12,15) Elle applaudit au bonheur des autres et, comme dit saint Paul : « Elle se réjouit avec ceux qui sont dans la joie ; elle pleure avec ceux qui pleurent ». Chez elle par conséquent point de jalousie, point d’orgueil elle fait son bonheur de celui des autres. Voyez-vous comme peu à peu la charité élève ses adeptes au niveau des anges ? Exempt de colère, pur de toute jalousie, libre du joug des vices, soustrait aux faiblesses de la nature humaine, homme parvient, par la charité, à revêtir là nature impassible des anges. Mais saint Paul ne s’arrête pas là. Que lui reste-t-il donc à dire de plus ? Car ses dernières paroles sont toujours les plus fortes. Il nous dit : « La charité supporte tout ». Sa patience, sa douceur l’endurcit contre les outrages, contre les coups, contre la mort, contre tous les mauvais traitements. Voyez le bienheureux David. Y a-t-il une douleur plus grande que celle d’un père qui voit son fils se révolter contre lui, attenter à sa couronne et être altéré du sang paternel ? Eh bien ! voilà ce que le bienheureux David a souffert. Il n’a pas eu le courage délaisser échapper une seule parole amère contre ce fils parricide ; à tous les capitaines qu’il avait chargés de la conduite de cette guerre il recommandait d’épargner son fils, tant sa charité reposait sur des bases solides ! Aussi il supporte tout et montre par là sa constance. Quant à sa bonté, elle éclate dans les paroles, qui suivent. « Il espère tout », dit-il, « il croit tout, il supporte tout ». Que veulent dire ces mots : il espère tout ? Il ne désespère pas, dit-il, du cœur de son fils ; quelque vicieux que soit ce fils, il persiste à vouloir le corriger, il l’entoure de sa sollicitude et de ses soins. « Il croit tout ». Il ne se contente pas d’espérer, dit-il, il a confiance dans celui qu’il aime tant : bien que sa conduite ne réponde pas à son espoir, bien qu’il lui cause toujours de nouveaux chagrins, il les supporte encore. Car « il supporte tout », dit-il. « La charité ne finira jamais ». Il met ici la dernière main à son ouvrage. Il nous montre ce que le don de la charité a de plus rare. Que signifie ce mot ? « Elle ne finira jamais ». Elle ne meurt pas, elle ne s’use point par la patience : elle est toujours aimante. Celui qui aime en effet ne peut jamais haïr, quelle que soit la conduite que l’on tienne envers lui et c’est là le plus grand fruit de la charité.
Tel se montre saint Paul. « Je voudrais », dit-il, « exciter une sainte jalousie dans l’âme de ces hommes qui me sont unis selon la chair » (Rom. 2,14), et il a persisté dans cet espoir. Et il exhortait Timothée en ces termes : Un serviteur de Dieu ne doit pas lutter ; il doit être doux envers tout le monde, il doit instruire, en conservant le ton de la modération, ceux qui résistent à la vérité, pour voir si Dieu leur en donnera connaissance. (2Tim. 2,24, 25) Eh quoi, direz-vous, si ce sont nos ennemis, si ce sont des gentils, ne faut-il pas les haïr ? Ce qu’il faut haïr, ce ne sont pas les gentils, c’est leur erreur ; ce n’est pas l’homme, c’est le mal qu’il fait, c’est sa corruption. L’homme en effet est l’œuvre de Dieu ; l’erreur est celle du démon. Ne confondez pas ce qui est à Dieu, et ce qui est au démon. Les Juifs n’étaient-ils pas des blasphémateurs, des persécuteurs insolents qui se répandaient en injures contre le Christ ? Saint Paul ; qui aimait tant le Christ, les détestait-il pour cela ? Non assurément ; il les aimait au contraire et faisait tout pour eux. Tantôt il dit : « Je sens dans mon cœur une grande affection pour le salut d’Israël et je le demande à Dieu dans mes « prières » (Rom. 11,1) ; tantôt il s’écrie « J’aurais voulu devenir moi-même anathème à l’égard du Christ pour les sauver ». (Rom. 9,3) C’est ainsi que parlait Ézéchiel témoin du massacre des Juifs : « Hélas, Seigneur, veux-tu détruire les débris d’Israël ? » (Ez. 9,8) C’est ainsi que parlait Moïse. « Si tu leur pardonnes, épargne-les ». (Ex. 32,31) Et David que dit-il ? « Ceux qui te haïssent, Seigneur, je les haïssais, et la haine qui m’enflammait contre tes ennemis me consumait : c’était du fond du cœur que je les détestais ». (Ps. 138,21, 22) Mais David, dans ses Psaumes, ne parle pas toujours pour lui. Ne dit-il pas aussi : « J’ai planté ma tente parmi les tentes de Cédar, et auprès des fleuves de Babylone nous nous sommes assis et nous avons pleuré ? » (Ps. 119,5, et 86,1). Pourtant David n’a jamais vu ni Babylone, ni Cédar. Aujourd’hui du reste Dieu réclame de nous une sagesse encore plus haute que sous l’ancienne loi. Aussi, quand les disciples du Christ lui demandaient de faire descendre le feu du ciel, comme du temps d’Elie, il leur répondait : « Vous ignorez l’esprit de la loi nouvelle à laquelle vous appartenez ». (Lc. 9,55)
5. Autrefois en effet ce n’était pas l’impiété toute seule, c’était les impies eux-mêmes que Dieu nous disait de haïr, pour que l’amitié des impies ne fût pas pour nous une occasion de commettre aussi l’iniquité. Aussi Dieu défendait-il de s’unir à eux par le sang, de se mêler à eux, et de tous côtés il élevait des remparts entre eux et son peuple. Aujourd’hui qu’il a guidé nos pas vers une philosophie plus élevée, aujourd’hui qu’il nous a placés trop haut pour que la contagion de l’impiété puisse nous atteindre, il nous fait une loi d’accueillir les infidèles et de les consoler. Il n’y a là rien à perdre pour nous ; il y a tout à gagner pour eux. Que nous dit-il donc ? D’avoir pitié des infidèles, au lieu de les haïr. Si vous les haïssez, comment ramènerez-vous aisément ces âmes égarées ? Comment vous déciderez-vous à prier pour un infidèle ? Sur la nécessité de la prière, écoutez saint Paul : « Je vous en conjure, adressez surtout à Dieu des supplications, des prières, des demandes, des actions de grâces, pour le salut de tous les hommes ». (1Tim. 2,1-2) Or à cette époque, « tous les hommes » n’étaient pas au nombre des fidèles : c’est évident. Et il dit encore : « Priez pour les rois, pour les hommes constitués en dignité ». Or ces rois, ces personnages étaient des impies et des hommes injustes c’est encore une vérité manifeste. Et pourquoi faut-il prier pour eux ? Il nous l’explique, lorsqu’il ajoute : « Ces prières sont une bonne œuvre, une œuvre bien vue de notre Sauveur qui veut que tous les hommes soient sauvés, et qu’ils parviennent tous à la connaissance de la vérité ». (Id. 3, 4) C’est pourquoi s’il trouve une femme païenne unie à un mari fidèle, il ne rompt pas ce mariage. Où trouver, pour une femme, un lien plus étroit que celui qui l’unit à son époux ? « Ils ne feront tous deux qu’une seule chair ». (Gen. 2,24) Il y a là pour unit les âmes et pour y allumer un fervent amour quelque chose de bien puissant. Ah ! si les impies et les hommes injustes deviennent l’objet de notre haine, nous irons plus loin nous haïrons aussi les pécheurs, et notre haine gagnant toujours de proche en proche, nous fera rompre avec un grand nombre de nos frères, que dis-je ? avec tous nos frères ; car personne, non, personne n’est exempt de péché. S’il faut haïr les ennemis de Dieu, il nous faudra haïr non seulement les impies, mais encore les pécheurs et alors nous serons pires que des bêtes féroces ; nous aurons de l’aversion pour tout le monde et nous serons gonflés d’orgueil comme le pharisien. Ce n’est pas là ce que veut saint Paul.
Comment dit-il ? « Reprenez ceux qui sont déréglés, consolez ceux qui ont l’esprit abattu, soutenez les faibles ; soyez patients envers tous ». (1Thes. 5,14) Mais, me direz-vous, qu’entend-il donc par ces paroles « Si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre », notez-le et « n’ayez joint de commerce avec lui ». (2Thes. 3,14) Oui, il parle ici de nos frères. Mais ces paroles n’ont rien d’absolu, rien de rigoureux. Il ne faut pas retrancher les mots qui suivent ; il faut au contraire les ajouter ici : Après avoir dit : « N’ayez point de commerce avec lui », ne joint-il pas à cette recommandation cet adoucissement ? « Ne le considérez pas néanmoins comme votre ennemi ; mais avertissez-le comme votre frère ». (Id. 5,15)
Voyez-vous comme il nous recommande de haïr le mal et non l’homme ? Car c’est l’œuvre du démon de nous détacher les uns des autres ; il met tous ses soins à faire disparaître la charité du milieu des hommes afin de nous couper toute voie d’amendement, afin d’entretenir l’un dans son erreur, l’autre dans sa haine et de lui fermer ainsi le chemin du salut.
En effet, quand le médecin hait le malade et le fuit, et que le malade déteste le médecin, comment guérira-t-il, s’il n’appelle point le médecin, et si le médecin ne vient point le voir ? Pourquoi donc, je le demande, le détester et le fuir ? Est-ce parce qu’il est impie ? mais c’est pour cela même qu’il faut aller le trouver et le soigner, afin de rappeler le malade à la santé. Que s’il souffre d’un mal incurable, vous devez encore faire ce qui est en votre pouvoir, car Judas aussi souffrait d’un mal incurable, et cependant Dieu n’a point cessé de le soigner. C’est pourquoi ne vous découragez point ; car, lors même que malgré tout votre zèle, vous ne l’arracheriez point à l’impiété, vous recevriez la récompense, comme si vous l’aviez fait, et vous feriez que lui-même admirerait votre douceur : et ainsi la gloire en reviendrait tout entière à Dieu vous auriez beau faire des miracles, ressusciter des morts, ou faire n’importe quoi, jamais les gentils ne vous admireront autant que quand ils vous verront doux, bienveillant, et d’un caractère clément. Ce n’est point là un petit effort de vertu, c’est par là que beaucoup seront enfin arrachés au mal. Car rien ne saurait attirer comme la charité : les prodiges et les miracles vous feront envier, mais la charité vous fera admirer et aimer ; or, si l’on vous aime, on fera un pas de plus et l’on embrassera la vérité. S’il s’en trouve qui ne deviennent point fidèles d’un coup, ne vous en étonnez pas, ne les pressez point, ne cherchez pas tout à la fois ; laissez-les d’abord vous louer, vous aimer, et c’est ainsi qu’avançant toujours ils finiront parvenir à vous. Et, pour que vous sachiez clairement combien cela est important, écoutez comment Paul, se présentant devant un juge païen, se justifie ; car il dit : « Je m’estime heureux de me justifier à ton tribunal ». (Act. 26,2) II disait ainsi, non pour le flatter, loin de là, mais pour le gagner par la douceur. Et il le gagna en partie, et il s’empara du juge, celui que jusqu’alors on croyait être sous le poids d’une accusation, et celui-là même qui fut captivé proclamait à haute voix la victoire de l’apôtre devant tous les assistants : « Peu s’en faut que tu ne me persuades de me faire chrétien ». (Act. 26,28)
6. Que répond Paul ? Il étend ses filets, et il dit. « Je souhaiterais que non seulement toi, mais que tous les assistants fussent ce que je suis, en exceptant ces liens ». (Id. 29) Que dis-tu, Paul ? « En exceptant ces liens ? » Et quelle confiance peut-on avoir en toi pour tout le reste, si tu rougis de ces liens, si tu les rejettes, et cela devant une si grande foule ? Est-ce que dans tes épîtres tu ne t’en glorifies point partout ? Est-ce que tu ne t’appelles pas l’enchaîné ? Est-ce que tu ne te présentes pas entouré de ces liens comme d’un diadème ? Pourquoi donc souhaiter maintenant qu’ils te soient ôtés ? Je ne le souhaite point, dit-il, et je n’en rougis point, mais je condescends à la faiblesse de ces hommes, car ils ne peuvent pas encore atteindre à ma gloire. J’ai appris de mon Seigneur qu’il ne faut point insérer une pièce d’étoffe neuve dans une vieille étoffe (Mt. 9,16) ; c’est pourquoi j’ai parlé ainsi. Notre croyance n’est pas en bonne odeur auprès d’eux, et la croix leur est odieuse. Si donc j’y ajoutais encore ces liens, leur haine n’en serait que plus grande. C’est pourquoi je les ai supprimés, afin que la croyance fût acceptée. En effet, il leur paraît honteux d’être chargés de liens, parce qu’ils n’ont pas encore goûté la gloire qui est chez nous. Il faut donc des tempéraments.
Quand ils auront appris la vraie sagesse, ils connaîtront aussi la beauté des fers, et la splendeur qui naît des liens. Et, en effet, discourant avec d’autres, il appelle ces liens une grâce, disant qu’ils « nous ont été donnés par Dieu, non seulement pour que nous croyions en lui, mais encore pour que nous souffrions pour lui » (Phil. 1,29) ; mais alors il fallait seulement souhaiter qu’entendant parler de la croix, ils n’éprouvassent point de honte. C’est ainsi que saint Paul gagne du terrain. Si l’on introduisait quelqu’un dans un palais, on ne le forcerait point, avant de lui avoir montré le vestibule, d’admirer ce qui est à l’intérieur, et même rien ne lui paraîtrait admirable, s’il n’était instruit de tout, avant d’avoir pénétré dans l’intérieur. De même faut-il discourir à l’égard des gentils avec des tempéraments, avec charité : c’est là la grande maîtresse, celle qui nous peut soustraire à l’erreur, adoucir nos mœurs, aplanir la voie de la sagesse, et avec des pierres faire des hommes.
Et si vous voulez connaître toute vertu, amenez-moi un homme timide qui craigne le moindre bruit et qui ait peur d’une ombre ; qu’il soit colère, intraitable, plutôt bête qu’homme, lubrique et débauché, atteint de tous les vices ; livrez-le aux mains de la charité, et introduisez-le en ce gymnase, et vous verrez aussitôt cet homme timide et craintif devenir fort, magnanime, et capable de tout oser. Ce qu’il y a de merveilleux, c’est que ces changements ne sont point naturels, mais dans cette âme timide, c’est la charité qui déploie sa puissance ; c’est comme si une épée de plomb, sans devenir de fer, et tout en conservant sa nature de plomb, pouvait produire les mêmes effets que le fer. Faites-y bien attention : Jacob était un homme simple, sédentaire, exempt de travaux et de dangers, menant une vie tranquille et libre, comme une vierge qui ne sort pas de la chambre ; ainsi, demeurant chez lui, il était forcé le plus souvent de garder la maison, loin du tumulte et du tracas de la place publique, au sein d’un tranquille repos. Et cependant, quand il fut embrasé des feux de l’amour, voyez, comme cet homme simple et sédentaire est devenu fort et laborieux, et ce n’est point moi, c’est le patriarche lui-même qui vous l’apprend. Car, accusant son beau-père, il dit : « J’ai passé vingt ans avec toi ». (Gen. 31,38-40) Et comment avez-vous passé ces vingt ans ? C’est ce qu’il nous apprend encore lui-même :. « Brûlé par la chaleur du jour et le froid de la nuit, et le sommeil s’éloignait de mes paupières ». Voilà ce que, disait cet homme simple, sédentaire, et qui menait une vie si paisible. Qu’il fût timide, c’est ce qui n’est point démenti par ceci, que, quand il s’attendait à voir Esaü, il mourait de crainte. Mais voyez comme l’amour a rendu cet homme timide plus hardi qu’un lion. Comme un guerrier placé au premier rang, il était prêt à soutenir le choc de cet ennemi qu’il croyait si farouche et avide de carnage, et à faire de son corps un rempart pour ses femmes, et le premier il désirait voir, sur le champ de bataille, celui qu’il craignait et qu’il redoutait. L’amour de ses femmes l’emportait en lui sur la crainte. Voyez-vous comment, quoique timide, il devient tout à coup hardi, non par un changement de caractère, mais par la force que donne l’amour ? Car, qu’il fût timide même dans la suite, c’est ce qui est démontré, par ceci, qu’il changeait sans cesse de demeure.
Il ne faut point croire que ces paroles soient une accusation contre le juste. Ce n’est pas, en effet, un crime d’être timide, cela est naturel ; c’en est un seulement, quand la crainte nous fait transgresser nos devoirs. Un homme naturellement timide peut devenir par piété fort et magnanime. Voyez Moïse : ne s’est-il pas sauvé par la crainte d’un, seul Égyptien, pour s’en aller dans l’exil ? Cependant ce fugitif, qui n’avait point supporté les menaces d’un seul homme, après avoir goûté le miel de la charité, par un beau mouvement et sans que personne l’y forçât, était prêt à mourir avec ceux qu’il aimait. «. Si tu leur remets », dit-il, « leurs péchés, remets-les ; sinon, efface-moi aussi du livre que tu as écrit ». (Ex. 32,31) Que l’amour donne la douceur à l’homme farouche, et la chasteté au débauché, c’est ce qu’il n’est point besoin de prouver par des exemples : cela est clair pour tous : fût-on plus cruel que toute bête fauve, l’amour vous rend plus doux qu’un agneau. Car qu’y avait-il de plus cruel et de plus furieux que Saül ? mais quand sa fille délivra son ennemi, il ne prononça pas même une parole amère contre elle, et celui qui avait tué tous les prêtres à cause de David, quand il vit que sa fille l’avait fait évader de sa maison, ne trouva pas même contre elle une parole d’indignation, quoiqu’elle se fût rendue coupable de fraude envers lui ; il était retenu par le frein plus puissant de l’amour. De même que la douceur, la charité donne la continence : si quelqu’un aime sa femme comme il faut l’aimer, quoiqu’il soit naturellement débauché, il n’en verra point d’autre, contenu qu’il est par l’amour de sa femme ; car il dit : « L’amour est puissant comme la mort ». (Cant. 8,6) Ainsi, on n’est débauché que parce qu’on n’aime point. Puis donc que la charité est ouvrière de toute vertu ; il faut la faire entrer dans nos âmes avec le plus grand soin, afin qu’elle nous apporte de nombreux biens, et pour cueillir à jamais ses fruits abondants, toujours certains, et qui ne se corrompent point. C’est ainsi que nous obtiendrons les biens éternels : puissions-nous les acquérir par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance et l’honneur, aujourd’hui et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXIV.


OU LES PROPHÉTIES SERONT RENDUES INUTILES, OU LES LANGUES CESSERONT, OU LA SCIENCE SERA ABOLIE. (CHAP. 13, VERS. 8)

ANALYSE.

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  • 1. La charité supprime tous les maux.
  • 2. La connaissance que nous avons de Dieu en cette vie ne peut être qu’une connaissance imparfaite.
  • 3. Éloge de la charité.
  • 4-7. Avec quelle ardeur il faut embrasser la charité. – Combien Dieu a fait de choses pour unir les hommes entre eux. – Des mariages. – Pourquoi bien les a défendus entre parents. – Comparaison de deux villes, l’une toute de riches, l’autre toute de pauvres. – Du respect pour l’Écriture. – N’y rien ajouter, n’en rien retrancher. – D’où viennent les richesses et la pauvreté. – Dieu attend les mauvais riches à pénitence.


1. Après avoir montré l’excellence – de la charité, en ce que les grâces et les succès du monde ont besoin d’elle, après avoir énuméré toutes ses vertus, et montré qu’elle est le fondement de la philosophie parfaite, il montre dans un nouveau et troisième point quelle est sa valeur. Et il le fait pour persuader à ceux qui sont humbles qu’ils ont le principal des biens, et que s’ils ont la charité, ils ne possèdent pas moins et possèdent même plus que ceux qui sont combles de faveurs ; et aussi pour rabaisser ceux qui, combles de ces faveurs, en seraient enorgueillis, et pour leur montrer qu’ils n’ont rien s’ils n’ont la charité. Les hommes s’aimeront entre eux quand l’envie et l’orgueil seront supprimés parmi eux, et d’un autre côté, s’ils s’aiment les uns les autres, ils écarteront loin d’eux ces vices. Car « la charité n’est sujette ni à l’envie ni à l’orgueil ». Ainsi il a entouré les hommes comme d’un mur solide, et de cette concorde générale qui supprime tous les maux, et n’en devient que plus ferme, il leur a présenté toutes les raisons qui peuvent relever leur courage. C’est un même esprit qui donne, dit-il, et il donne en vue de l’utilité ; il distribue ses dons comme il lui plaît, et il les distribue à titre de faveurs et non de dettes. Quelqu’un eût-il reçu de moindres dons, il compte cependant parmi les élus, et jouira de grands honneurs ; celui qui en a reçu de plus grands, a besoin de celui qui en a moins, et c’est la charité qui est le premier des dons et la voie la meilleure.
C’est ainsi que parlait l’apôtre, unissant les hommes entre eux par un double lien ; par la croyance qu’ils ne sont pas moins bien partagés, quand ils ont la charité, et que, s’ils s’empressent vers elle et la possèdent, ils ne souffriront plus aucun des maux de l’humanité, soit parce qu’ils ont la source de tous les biens, soit parce que tout en n’ayant rien, ils ne sont plus sujets à aucune lutte : car celui qui a été captivé par la charité, est tout aussitôt exempt de luttes. Aussi montrant tous les biens que l’on recueille de la charité, il a décrit ses fruits, dont le seul éloge est capable de guérir les maux des hommes. En effet, chacune de ces paroles est un remède suffisant pour guérir leurs blessures. C’est pourquoi il disait : « Elle est patiente », contre ceux qui s’emportent aux disputés ; « elle est exempte d’envie », contre les hommes qui portent envie à ceux qui sont au-dessus d’eux ; « elle n’est pas arrogante », contre ceux qui ne veulent condescendre à rien ; « elle ne cherche point son intérêt », contre ceux qui méprisent l’intérêt des autres ; « elle ne s’excite point, elle ne médite point le mal », contre ceux qui se portent aux outrages ; « elle ne se plaît point à l’injustice, et elle se plaît à la vérité », encore contre les envieux ; « elle défend tous les hommes », contre ceux qui dressent des embûches ; « elle espère tout », contre ceux qui se désespèrent ; « elle supporte tout et ne perd jamais patience », contre ceux qui se livrent facilement à la discorde.
Après avoir ainsi montré la grandeur de la charité et sa supériorité, il en fait voir l’excellence sous un autre point de vue ; il compare la charité à d’autres objets pour exalter sa valeur, et il dit : « Ou les prophéties seront rendues inutiles, ou les langues cesseront ». En effet, si elles n’ont été accordées aux hommes qu’à cause de la foi, dès que celle-ci sera répandue par toute la terre, elles seront inutiles. Mais cette affection mutuelle ne cessera point, elle s’accroîtra au contraire, et sera plus forte encore dans l’avenir que dans le présent. Car aujourd’hui il y a bien des causes qui affaiblissent et diminuent la charité, les richesses, les affaires, les maladies du corps et les souffrances de l’âme. Mais que les prophéties et les langues cessent, cela n’est pas étonnant ; que la science elle-même soit abolie, voilà qui soulève des questions, car il ajoute : « Ou la science sera abolie ». Quoi donc ? Nous vivrons alors dans l’ignorance ? À Dieu ne plaise ! Car la science alors devra être augmentée, et c’est pourquoi l’apôtre disait : « Alors je connaîtrai comme je suis connu ». (1Cor. 13,12) C’est pourquoi, afin de ne pas laisser croire que la science cessera, de même que les prophéties et les langues, après avoir dit : « Ou la science sera abolie », il ne s’en contente point, mais il ajoute la manière dont elle sera détruite, disant : « Nos connaissances sont partielles, et nos prophéties sont partielles. Mais quand sera venu ce qui est parfait, alors sera inutile ce qui est partiel ». La science donc ne sera point abolie, mais seulement la science partielle : non seulement nous aurons autant et d’aussi grandes connaissances, nous en aurons de plus grandes encore. C’est ce qu’un exemple montrera bien, nous savons aujourd’hui que Dieu est partout, mais comment ? Nous l’ignorons : Nous savons qu’il a tout tiré du néant, mais la manière, nous l’ignorons ; qu’il est né d’une Vierge, mais comment, nous l’ignorons également. Il montre ensuite combien grande est la différence entre ces deux sciences, et que ce qui nous manque n’est pas peu, disant : « Quand j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ; quand je suis devenu homme, j’ai rejeté ce qui était de l’enfant ». Il nous le montre encore par un autre exemple, disant : « Nous voyons maintenant à travers un miroir (12) ».
2. Après avoir montré ce miroir, il ajoute « Dans une énigme », prouvant plus clairement encore que notre science présente ne consiste qu’en de faibles parties. « Mais alors face à face », non pas que Dieu ait une face ; c’est pour exprimer sa pensée d’une manière plus claire et plus intelligible. Voyez-vous comme notre connaissance s’accroît par degrés ? « Maintenant je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu ». Voyez-vous comme il rabaisse doublement leur orgueil, et en ce due leur science n’est que partielle, et en ce qu’ils ne l’ont point tirée d’eux-mêmes ? Ce n’est pas moi en effet, dit saint Paul, qui connais Dieu, c’est Dieu qui s’est fait connaître à moi. De même donc qu’aujourd’hui il me connaît d’abord, et vient vers moi, ainsi alors j’irai vers lui avec un empressement bien plus vif qu’aujourd’hui. En effet, celui qui demeure dans les ténèbres ne peut pas, avant d’avoir vu le soleil, s’empresser vers la beauté de ses rayons, c’est le soleil qui de lui-même et par son éclat se, montre à lui, mais quand il a perçu cette splendeur, il poursuit la lumière. Voilà ce que veut dire cette expression : « Comme je suis connu » ; non pas que nous connaîtrons Dieu comme il nous connaît, mais de même qu’aujourd’hui il vient vers nous, ainsi alors nous irons vers lui, et nous connaîtrons bien des mystères aujourd’hui cachés, et nous jouirons de cette science et de ce commerce bienheureux. Si, en effet, Paul qui savait tant de choses n’était qu’un enfant, réfléchissez à ce que sera cette science nouvelle, si l’ancienne n’était qu’un miroir et une énigme, pensez à ce que sera Dieu vu face à face. Pour vous faire sentir cette différence, et faire entrer dans votre âme un rayon obscur de cette connaissance, rappelez-vous les prescriptions de l’ancienne loi, maintenant que la grâce a brillé. Avant la grâce, elles paraissaient grandes et merveilleuses ; écoutez pourtant ce que Paul en dit après la grâce : « Ce qui a brillé en cette partie n’a pas été glorifié à cause d’une gloire supérieure ». (2Cor. 3,10)
Pour rendre ma pensée plus claire, appliquons notre discours à une de ces prescriptions qu’on accomplissait alors sous la forme mystique, et vous verrez quelle est la différence. Prenons la Pâque, si vous voulez, et l’ancienne et la nouvelle, et vous reconnaîtrez l’excellence de celle-ci. Les Juifs célébraient l’ancienne, mais ils la célébraient comme s’ils la voyaient à travers un miroir et une énigme. Ces mystères cachés ne se présentaient pas même à leur pensée, et ils ne savaient point quelles étaient ces choses qu’ils annonçaient, mais ils ne voyaient qu’un agneau immolé, et le sang d’une bête, et les portes qui en étaient arrosées. Mais que le Fils de Dieu incarné dût être immolé et délivrer la terre, et donner son sang à goûter aux Grecs et aux barbares, ouvrir le ciel à tous, et offrir au genre humain les biens d’en haut, qu’il dût porter cette chair sanglante au-delà des cieux et des armées des anges, des archanges et des autres puissances, et la placer sur un trône divin à la droite du Père, brillant d’une gloire ineffable : voilà ce que ne savaient point les Juifs, ni aucun autre parmi les hommes, et ce qu’ils ne pouvaient point soupçonner. Mais que disent les impies, qui osent tout ? que cette parole : « Maintenant je connais en partie », s’applique à la Providence, car saint Paul avait la connaissance parfaite de Dieu. Et comment se fait-il qu’il se donne le nom d’enfant ? Comment voit-il à travers un miroir, comment à travers le voile d’une énigme, s’il possède la science parfaite ? Pourquoi est-ce qu’il attribue cette science au Saint-Esprit, à l’exclusion de toute autre puissance créée, disant : « Qui est-ce qui connaît les pensées de l’homme, sinon l’esprit qui est en lui ? Ainsi personne ne connaît ce qui se rapporte à Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu ». (1Cor. 2,11). Et d’un autre côté, le Christ déclare que cette science est à lui tout seul, car il parle ainsi « Personne n’a vu le Père », si ce n’est celui qui « vient du Père ; celui-là a vu le Père » (Jn. 6,46) : nous apprenant que cette vue seule est la connaissance claire et parfaite. Comment celui qui connaît la substance d’un être peut-il en ignorer l’économie ? La connaissance de la substance est plus difficile que l’autre. – Ainsi, suivant l’apôtre, nous ignorons Dieu ? – Loin de là ; nous savons qu’il est, mais quelle est sa substance, nous l’ignorons. Et ce qui prouve que cette parole : « Maintenant je connais en partie », ne s’applique point à la Providence, c’est la suite, car saint Paul ajoute : « Alors je connaîtrai comme je suis connu ». Or ce n’est point la Providence, c’est Dieu qui connaît. Cette opinion n’est donc pas simplement inique, elle l’est deux, et trois et mille fois. C’est par conséquent une vanité absurde, non seulement de se glorifier de savoir ce que savent seuls le Saint-Esprit et le Fils unique de Dieu, mais encore de prétendre arriver par le raisonnement à cette connaissance parfaite, quand saint Paul n’a pu en saisir qu’une partie, et encore par une révélation d’en haut ; car je défie que l’on me montre un seul passage de l’Écriture qui raisonne de ces choses. Mais laissons de côté la folie des impies, et voyons ce que l’apôtre dit encore de la charité. Il ne s’en est pas tenu là, il ajoute : « Maintenant restent la foi, l’espérance, la charité, mais, la charité l’emporte sur les deux autres vertus ».
3. Car la foi et l’espérance cessent, quand sont arrivés les biens dans lesquels on a cru et qu’on a espérés. C’est ce que veut dire saint Paul par ces paroles : « L’espérance qu’on voit n’est point l’espérance ; pourquoi en effet espérer ce que déjà l’on voit ». (Rom. 8,24) Et en un autre endroit : « La foi est la substance des choses que l’on espère et la preuve des choses qui n’apparaissent point ». (Héb. 11,1) C’est pourquoi la foi et l’espérance cesseront, quand ces biens nous seront apparus ; mais la charité s’en accroîtra et deviendra plus forte. Autre éloge de la charité : elle ne se contente point des biens qu’elle a ; elle s’efforce toujours d’en trouver de nouveaux.
Faites-y attention : il a dit que la charité est le plus grand des dons, et la voie la meilleure pour les obtenir ; il a dit que sans elle, ces dons ne nous servent pas beaucoup ; il l’a décrite par des traits nombreux, il veut de nouveau l’exalter d’autre façon et montrer qu’elle est grande en ce qu’elle est stable. C’est pourquoi il a dit : « Ce qui nous resté, c’est la foi, l’espérance, la charité, ces trois vertus, mais la charité l’emporte sur les autres ». Comment donc l’emporte-t-elle?, en ce que les autres passent. Si donc telle est la force de la charité, il ajoute à bon droit : « Poursuivez la charité ». En effet il faut la poursuivre et s’empresser vivement vers elle, car elle est prompte à s’envoler, et grands sont les obstacles qui nous arrêtent dans notre course vers elle. Il faut donc déployer une grande énergie pour la saisir ; c’est ce que le bienheureux Paul voulait montrer, car il n’a pas dit : Suivez la charité, mais « poursuivez la charité », nous excitant ainsi et nous enflammant du désir de l’atteindre. Dieu, dès le commencement du monde, a employé des moyens innombrables pour la faire pénétrer dans nos âmes : car il a donné à tous les hommes un seul père, Adam. Pourquoi ne naissons-nous pas tous de la terre ? Pourquoi ne naissons-nous pas déjà formés et développés, comme Adam ? C’est afin que donnant le jour à nos enfants et les élevant, et que nés nous-mêmes d’autres, nous nous aimions les uns les autres. C’est pourquoi il n’a pas formé la femme de la terre. Comme il ne suffisait pas pour nous inculquer le respect qui mène à la concorde, d’être de la même substance, et qu’il – fallait encore avoir un auteur unique de notre race, il a voulu qu’il en fût ainsi. Séparés aujourd’hui par l’espace seul, nous nous considérons comme étrangers les uns aux autres ; cela serait arrivé bien plus encore, si notre naissance avait eu deux principes. C’est pourquoi il n’a fait en quelque sorte du genre humain qu’un seul corps, qui n’a qu’une tête. Et, comme au commencement il paraissait y en avoir deux, voyez, comme il les a rassemblées et unies en une seule par le mariage. « À cause de cela » dit-il, « l’homme abandonnera son père et sa mère, et il s’attachera a sa femme et ils seront deux en une même chair ». (Gen. 2,24)
Il n’a point dit : la femme, mais« l’homme », parce que c’est en lui que la concupiscence est la plus grande. Et Dieu l’a voulu ainsi afin de fléchir la supériorité de l’homme par la tyrannie de cet amour, et de le soumettre à la faiblesse de la femme. Comme il fallait établir le mariage, il a donné à l’homme une femme sortie de lui ; car Dieu a tout fait en vue de la charité. Si en effet, les choses étant ainsi, le démon a pu les égarer et semer entre eux l’envie et la discorde, que n’aurait-il pu, s’ils n’avaient pas été sortis d’une même souche ? Il a voulu ensuite que la soumission fût d’un côté, et le commandement de l’autre, car l’égalité des honneurs a coutume d’engendrer les disputes ; il n’a donc pas établi un gouvernement populaire, mais la royauté, et dans chaque maison vous pouvez observer le même ordre que dans une armée. Le mari a le rang d’un roi, et la femme d’un gouverneur ou d’un général d’armée ; les fils ont le troisième rang, le quatrième est aux domestiques ; ils commandent à ceux qui sont au-dessous d’eux, et un seul est souvent mis à la tête de tous les autres, et envers eux a le rang d’un maître, mais, en tout le reste ; il est domestique. Après cela il y a encore des différences dans le commandement, suivant qu’il s’exerce sur les femmes ou sur les enfants, et envers les enfants, d’autres différences suivant l’âge et le sexe ; car la femme n’a point le même empire sur tous ses enfants. Et partout Dieu a créé de nombreux commandements, afin que la concorde et le bon ordre subsistassent toujours. C’est pourquoi, avant que le genre humain se fut multiplié, quand ils n’étaient encore que deux, il a donné à l’un le commandement, et imposé à l’autre l’obéissance. Pour que l’homme ne méprisât point la femme plus faible que fui, et que celle-ci ne s’éloignât pas de lui, voyez comment il l’a Honorée et unie à lui, même avant sa création ; car il dit « Faisons-lui une compagne » (Gen. 2,18), montrant ainsi qu’elle a été créée pour être utile à l’homme, et lui conciliant l’affection de l’homme, par cette raison qu’elle lui est utile ; car nous aimons d’une affection plus vive ce qui a été fait à cause de nous. D’un autre côté, pour que la femme ne s’enorgueillît d’être pour lui une compagne nécessaire, et ne brisât ce lien, il l’a tirée d’une côte de l’homme, montrant qu’elle n’est qu’une partie de tout le corps. Pour que l’homme aussi ne S’enorgueillît point, Dieu n’a point permis qu’elle fût à lui tout seul, comme elle fut d’abord ; il a fait le contraire, en lui faisant procréer des enfants ; ainsi s’il a donné la supériorité à l’homme, il ne lui a point donné tous les avantages.
4. Avez-vous vu que de liens d’amour Dieu a faits pour nous ? Mais tous ces gages de concorde reposent sur la nature, et sur ce que nous sommes dé la même substance ; (en effet, tout être animé aime ce qui est semblable à lui ;) et sur ce que la femme est née de l’homme, et les enfants de tous les deux. De là naissent mille affections diverses : il y a l’affection pour un père, pour un aïeul, pour une mère, pour une nourrice ; il y a l’affection pour un fils, un petit-fils, un arrière-petit-fils, pour une fille et pour une nièce ; nous aimons celui-ci comme notre frère, celui-là comme notre oncle ; celle-ci comme une sœur, celle-là comme une cousine. Et qu’est-il besoin d’énumérer tous les degrés de parenté ? Dieu a encore imaginé une autre source d’affection : en défendant les mariages entre proches, il nous conduit vers les étrangers, et attire ceux-ci vers nous. Comme ils ne peuvent nous être unis par les liens de la nature, il les unit à nous par le mariage, alliant des maisons entières par une seule fiancée, et mêlant les familles aux familles : « N’épouse point », dit-il, « ta sœur, ni la sœur de ton père, ni une autre jeune fille qui ait avec toi une pareille parente » (Lev. 18,8-10) ; et il énumère tous les degrés de parenté qui empêchent le mariage. Il suffit, pour être attiré vers quelqu’un, d’être né du même sang, et d’être uni par les différents liens de parenté. Pourquoi resserrer en des bornes étroites les vastes désirs de la charité ? Pourquoi trouver dans la parenté seule une cause d’amitié, quand on peut faire naître une occasion nouvelle d’amitié en épousant une femme étrangère, et en gagnant par elle une série de parents, une mère, un père, des frères et leurs parents ? Voyez-vous de combien de manières Dieu nous a unis les uns aux autres ? Cependant il ne s’en est pas tenu là ; il a voulu encore que nous eussions besoin les uns des autres, pour nous unir de cette façon, car la nécessité crée des affections. Aussi n’a-t-il pas voulu qu’il y eût en tous les pays toutes les productions, pour nous forcer ainsi à nous mêler les uns aux autres.
Après avoir voulu que nous eussions besoin les uns des autres, il a rendu les communications faciles ; en effet, s’il n’en était pas ainsi, de, nouvelles difficultés et de nouveaux obstacles naîtraient de là. Si, quand on a besoin d’un médecin, d’un forgeron ou d’un autre artisan, il fallait le chercher au loin, on périrait à coup sûr. C’est pourquoi Dieu a fait les villes, et les a unies les unes aux autres. Pour nous permettre de visiter facilement ceux qui sont loin de nous, il a étendu la mer entre les peuples, et leur a donné la vitesse des vents, et a rendu ainsi les voyages faciles. Au commencement même, il a réuni tous les hommes en un seul lieu, et ne les a dispersés que quand ceux qui furent combles (le cette faveur s’entendirent pour le mal ; mais de tous côtés il nous a unis, et par la nature, et par la parenté, et par la langue, et par la communauté de séjour. Et de même qu’il ne voulait point nous chasser du paradis, (car, s’il l’avait voulu, il n’y aurait point du tout placé l’homme après sa création, mais ce fut l’homme qui, par sa désobéissance, fut cause de cet exil) ; de même ne voulait-il pas qu’il y eût diversité de langues ; il n’y en avait point au commencement, et aujourd’hui, par toute la terre, toutes les lèvres prononceraient les mêmes paroles. C’est pourquoi aussi, quand il fallut détruire la terre, il ne nous fit point d’une matière nouvelle, et il ne rejeta point le juste, et il envoya au milieu des flots le bienheureux Noé, pour être comme l’étincelle qui devait ranimer le genre humain. Au commencement, il n’avait établi qu’une seule domination, celle du mari sur la femme ; mais quand le genre humain fut tombé en toute espèce de désordres, il établit encore d’autres dominations, celle des rois et des magistrats, et cela par charité.
Comme la malice dissout et détruit notre race ; il a établi, comme des médecins au milieu des villes, polar prononcer des jugements et pour bannir cette malice qui est le fléau de la charité, et pour ne former de la cité entière qu’un seul corps. Pour établir cette concorde, non seulement dans les villes, mais dans chaque maison, après avoir revêtu le mari du commandement et lui avoir donné le premier rang, après avoir armé la femme de la concupiscence, et placé entre eux la procréation des enfants comme un don, il imagine encore d’autres moyens de consolider entre eux l’affection. Il ne donna point tout à l’homme, ni tout à la femme ; il partagea les dons entre eux, assignant à la femme la maison, et à l’homme la place publique ; il imposa à l’homme la charge de nourrir la maison, car c’est lui qui cultive la terre, et à la femme la charge de la vêtir, car tisser et tenir la quenouille appartient à la femme. C’est Dieu même qui a donné à la femme le talent de filer. Malheur à la cupidité qui veut supprimer cette distinction ! Car la mollesse de beaucoup d’hommes les a conduits à filer, et leur a mis clans les mains la navette, la chaîne et la trame. Mais là même apparaît la sagesse avec laquelle Dieu a dispensé ses dons ; car nous avons besoin de la femme pour des ouvrages tout à fait nécessaires, et nous avons besoin de plus petits que nous pour les choses mêmes d’où dépend la vie ; et l’on aurait beau posséder toutes les richesses, on ne pourrait se soustraire à cette nécessité qui nous fait dépendre de ceux qui sont au-dessous de nous. En effet, ce ne sont pas seulement les pauvres qui ont besoin des riches, ce sont encore les riches qui ont besoin des pauvres, et plus même que ceux-ci n’ont besoin d’eux.
5. Pour rendre cette vérité plus claire, imaginons, si vous voulez, deux villes, l’une de riches, et l’autre de pauvres, et dans la ville des riches il n’y aurait point de pauvres, et dans la ville des pauvres il n’y aurait point de riches, car nous y faisons un triage parfait ; voyons maintenant quelle est celle qui pourra se suffire. Si nous trouvons que c’est la ville des pauvres, il sera prouvé que les riches ont plutôt besoin d’eux. Dans la ville des riches, il n’y aura point d’artisans, ni architecte, ni forgeron, ni cordonnier, ni boulanger, ni laboureur, ni chaudronnier, ni cordier, ni quelqu’artisan que ce soit. Qui donc des riches voudra travailler à ces métiers, puisque les artisans mêmes, devenus riches, ne veulent plus supporter ces durs travaux ? Comment donc cette ville pourra-t-elle subsister ? On me dira que les riches achèteront tout des pauvres à prix d’argent. Ainsi déjà ils ne pourront se suffire à eux-mêmes, s’ils ont besoin des pauvres. Et qui donc construira les maisons ? Les achètera-t-on aussi ? Mais cela ne se peut. Il faudra donc appeler des artisans, et enfreindre la loi que nous avons établie au commencement, alors que nous avons fourni la ville d’habitants : vous vous souvenez, en effet, que nous avons dit qu’elle ne renfermerait point de pauvres. Et voici que la nécessité même, contre notre gré, y appellera et y introduira les pauvres. D’où il appert qu’une ville sans pauvres ne peut subsister ; et que si une cité demeure en effet sans en recevoir, ce ne sera bientôt plus une cité, car elle périra. Ainsi aucune ville ne pourra se suffire, si elle n’a appelé dans son sein des pauvres pour la conserver.
Voyons d’un autre côté la ville des pauvres, et si pareillement elle se consumera dans le besoin par l’absence des – riches. Et d’abord établissons et définissons clairement les richesses. Quelles sont les richesses ? l’or, l’argent, les pierres précieuses, les vêtements de soie, de pourpre et d’or. Maintenant que nous savons quelles sont les richesses, bannissons-les de la ville des pauvres, si nous voulons établir une vraie cité des pauvres ; que l’or ni les vêtements que j’ai nommés n’apparaissent aux habitants, même en songe ; ajoutez, si vous voulez, l’argent et les ustensiles d’argent. Eh bien ! dites-moi si à cause de cela la ville sera dans le besoin. Nullement : s’il faut bâtir, on n’a besoin ni d’or, ni d’argent, ni de perles, mais du travail des mains, et non pas de mains quelconques, mais de mains calleuses et de doigts endurcis, de bras forts, de poutres, de pierres ; s’il faut tisser des vêtements, on n’a point besoin d’or ni d’argent, mais de mains, de l’industrie et du travail des femmes. S’il faut cultiver et piocher la terre, a-t-on besoin de riches ou de pauvres ? Évidemment de pauvres. Et s’il faut travailler le fer ou quelqu’autre métal, c’est alors surtout que nous aurons besoin du peuple. Quand donc aurons-nous besoin des riches, sinon quand il faudra détruire cette ville ? Car, lorsque les riches une fois entrés, le désir de l’or et des perles se sera emparé de ces sages (car j’appelle sages ceux qui ne cherchent point le superflu), quand ils se seront adonnés à l’oisiveté et à la volupté, tout sera perdu. Mais si les richesses, direz-vous, ne sont pas utiles, pourquoi Dieu nous les a-t-il données ? Et où prenez-vous que c’est Dieu qui nous a donné les richesses ? L’Écriture dit : « L’argent est à moi, et l’or est à moi » (Agg. 2,9), et je les donnerai à qui je voudrai.
Si je voulais me rendre coupable d’inconvenance, je rirais ici à gorge déployée, pour me moquer de ceux qui parlent ainsi, car ils sont semblables à de petits enfants qui, admis à la table d’un roi, avaleraient, en même temps que les mets royaux, tout ce qui leur tomberait sous la main. C’est ainsi qu’ils mêlent leur pensée à celles des saintes Écritures. Ces paroles : « L’argent est à moi et l’or est à moi », ont été dites, je le sais, par le prophète, mais celles-ci : Je le donnerai à qui je voudrai, ne se trouvent point chez lui, elles y ont été introduites par ces gens misérables. Voici pourquoi le prophète Aggée parle ainsi. Comme il avait promis souvent aux Juifs, après le retour de Babylone, de leur montrer un temple aussi beau que l’ancien, quelques-uns n’ajoutaient pas foi à ses paroles, et ils pensaient que c’était une chose presque impossible que le temple, après avoir été réduit en cendres et en poudre, apparût dans son ancienne splendeur, et lui, pour dissiper leur incrédulité, parle au nom de Dieu, et c’est comme s’il disait : Que craignez-vous ? Pourquoi n’avez-vous pas foi ? « L’argent est à moi et l’or est à moi », et je n’ai point besoin, pour construire mon temple, de l’argent emprunté avec usure. Et il ajoute : « La gloire de cette maison sera au-dessus de la gloire de la première ». (Agg. 2,10) N’allez donc pas mêler des toiles d’araignées à un vêtement royal. Car si l’on surprenait quelqu’un occupé à mêler à la pourpre un tissu grossier, on le punirait du dernier châtiment ; et, à plus forte raison, quand il s’agit du spirituel, car ce n’est point là une faute légère. Et que dire des additions et des soustractions ? Le changement d’un point et une leçon différente, donnent souvent lieu à des sens absurdes.
6. D’où viennent donc les riches ? Direz-vous. C’est qu’il est dit en effet : « Les richesses et la pauvreté viennent du Seigneur ». (Sir. 11,14) Nous demanderons à ceux qui nous adressent cette objection : est-ce que, toute richesse et toute pauvreté viennent du Seigneur ? Qui pourrait le prétendre ? Nous voyons que c’est par les rapines, les tombeaux ouverts, et les duperies et les autres méfaits de ce genre qu’on se procure souvent les richesses, et que ceux qui les possèdent ne méritent pas même de vivre. Répondez-moi ; direz-vous que ces richesses viennent de Dieu ? Loin de là ; mais d’où viennent-elles ? Du péché. Car la courtisane qui livre au déshonneur sa personne, s’enrichit ; et le bel adolescent qui vend sa beauté, possède de l’or au prix de la honte ; et celui qui ouvre les tombeaux et les pille, amasse des richesses iniques, et de même le voleur qui perce les murs. Est-ce donc du Seigneur que viennent toutes les richesses ? Mais, direz-vous, que répondrons-nous à cette parole de l’Écriture ? Apprenez d’abord que la pauvreté même ne vient pas de Dieu, et ensuite nous y viendrons. En effet, quand le jeune homme prodigue dépense sa fortune avec les courtisanes, les magiciens, ou se ruine par d’autres passions, et qu’il devient pauvre, n’est-il pas clair que ce n’est pas Dieu qui l’a rendu ainsi, mais sa propre prodigalité ? D’un autre côté, si l’on tombe dans la pauvreté par paresse ou par folie, ou parce qu’on s’est laissé aller à des entreprises dangereuses et iniques, n’est-il pas manifeste que, dans aucun de ces cas, ce n’est point Dieu qui vous a jeté dans la pauvreté. L’Écriture ment donc ? Loin de là, mais c’est folie de ne pas examiner ses paroles avec tout le soin qu’elles méritent. Car si nous confessons que l’Écriture ne peut mentir, et si nous avons prouvé que toutes les richesses ne viennent pas de Dieu, la difficulté vient de la faiblesse d’esprit de ceux qui lisent sans réflexion. Et il faudrait les renvoyer, après avoir ainsi justifié l’Écriture de leurs accusations, et les punir de la négligence avec laquelle ils lisent les Écritures. Mais je leur pardonne, et pour ne pas les laisser plus longtemps dans le trouble, je veux leur indiquer la solution, en rappelant d’abord quel est l’auteur de ces paroles, en quel temps et à qui il les a dites.
Dieu, en effet, ne parle pas semblablement à tous ; de même que nous ne parlons point de la même façon aux enfants et aux hommes. Quand donc ces paroles ont été prononcées, et par qui, et à qui ? Par Salomon, dans l’Ancien Testament, et elles furent adressées aux Juifs qui ne connaissaient que les choses sensibles, et qui estimaient par là la puissance de Dieu. Ce sont ceux qui disaient : « Pourra-t-il nous donner du pain ? » (Ps. 77,20) et : « Quel prodige nous montres-tu ? (Mt. 12,38) Nos « pères ont mangé la manne dans le désert. » (Jn. 6,31) « Ceux dont le ventre est le Dieu ». (Phil. 3,19) Comme c’est ainsi qu’ils concevaient Dieu, il leur dit : Dieu peut aussi faire des riches et des pauvres ; non pas qu’il le fasse toujours, mais il le peut, quand il lui plaît ; ainsi a-t-il dit « Celui qui menace la mer, et la dessèche, et change en déserts tous les fleuves » (Na. 1,4), quoiqu’il ne l’ait jamais fait. Comment donc le prophète entend-il cette parole ? Il ne veut pas dire que Dieu le fasse toujours, mais qu’il peut le faire. Quelles sont donc la pauvreté et les richesses qu’il donne ? Souvenez-vous du patriarche, et vous saunez les richesses que Dieu donne. C’est Dieu lui-même qui a donné ses richesses à Abraham, et plus tard à Job qui dit : « Si nous avons reçu les biens du Seigneur, pourquoi ne supporterions-nous pas les maux qu’il nous envoie ? » (Job. 2,10) C’est là aussi la source des richesses de Jacob. La pauvreté qui vient de Dieu est aussi louable ; c’est celle qu’il enseigne aux riches, disant : Si tu veux être parfait, vends ce que tu possèdes, donne tout aux pauvres, et viens, suismoi (Mt. 19,21), et la recommandant en un autre endroit à ses disciples, et disant « Refusez-vous à posséder de l’or, de l’argent ou deux tuniques ». (Lc. 9,3) Ne dites donc pas que c’est Dieu qui donne toutes les richesses, car nous avons montré que c’est par le meurtre, les rapines et mille autres méfaits qu’on les amasse.
Mais ramenons le discours à notre première question : si les richesses ne sont utiles à rien, pourquoi sont-elles créées ? Que répondrons-nous ? Que les richesses ainsi amassées ne sont pas utiles, et que celles qui viennent de Dieu sont très utiles. C’est ce que vous pouvez apprendre par les actions mêmes des riches. Car Abraham possédait ses richesses pour les étrangers et tous les nécessiteux. Quand arrivèrent chez lui trois hommes, ainsi qu’il croyait, il tua un veau et pétrit trois mesures de farine ; toujours assis à sa porte à l’heure de midi ; voyez sa libéralité toujours empressée à dépenser ses biens pour tous ; voyez-le payant de sa personne, ainsi que de ses richesses, et encore dans une vieillesse avancée. Il était le port des étrangers et de ceux qui étaient dans la nécessité, ne possédant rien qui lui fût propre, pas même son fils, car il le sacrifiait sur l’ordre de Dieu, et avec son fils il se donnait lui-même, et toute sa maison, quand il fut si prompt à délivrer son neveu. Et il ne le faisait point par amour du gain, mais par humanité. Quand ceux qu’il avait délivrés le mirent en possession des dépouilles, il refusa tout, jusqu’au fil d’une robe, et jusqu’au cordon d’une sandale.
7. Tel était aussi le bienheureux Job. car il disait : « Ma porte était ouverte à tout venant. J’étais l’œil des aveugles et le pied des boiteux ; j’étais le père des infirmes, aucun étranger ne demeurait à ma porte » (Job. 31,33 ; 29, 15-16) ; les infirmes, quand ils s’adressaient à moi dans le besoin, n’étaient point trompés dans leur espoir, et je n’ai point permis qu’un pauvre sortit de ma maison l’estomac vide. Je ne puis tout énumérer, mais il faisait plus encore, distribuant son argent à tous les nécessiteux. Voulez-vous voir maintenant les riches que Dieu n’a point faits, et savoir comment ils ont usé de leurs richesses ? Voyez celui de Lazare, qui ne lui donnait pas même les miettes de sa table ; voyez Achab qui a enlevé au pauvre sa vigne ; voyez Giézi et tous ceux qui furent comme lui. Ceux qui possèdent les richesses à juste titre, parce qu’ils les ont reçues de, Dieu, les dépensent conformément à ses préceptes ; ceux qui ont offensé Dieu en les acquérant, l’offensent encore en les dépensant ; en les prodiguant à des courtisanes et à des parasites, en les cachant et en les enfouissant, et en n’en donnant rien aux pauvres. Et pourquoi, direz-vous, Dieu permet-il que dé tels hommes soient riches ? Parce qu’il est patient, parce qu’il veut nous amener à la pénitence, parce qu’il a préparé la géhenne, et fixé le jour où il jugera le monde. S’il frappait tout de suite les riches, Zachée n’aurait pas eu le temps de se repentir, de rendre le quadruple de ce qu’il avait ravi, d’ajouter même la moitié de ses biens. Matthieu n’aurait pas eu le temps de se convertir et de devenir apôtre, s’il avait été enlevé avant l’heure favorable, et ainsi de beaucoup d’autres. C’est pourquoi Dieu attend, les appelant tous à la pénitence, s’ils s’y refusent, s’ils persistent dans leurs péchés, ils entendront Paul leur dire : « Qu’à cause de leur dureté et de leur cœur impénitent, ils amassent contré eux de la colère, au jour de là colère, de la révélation et du jugement équitable de Dieu ». (Rom. 2,5). Évitons cette, colère, enrichissons-nous des richesses célestes, et poursuivons la pauvreté louable. C’est ainsi que nous atteindrons les biens célestes ; puissions-nous les obtenir tous, par la faveur et la bienveillance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance, l’honneur, aujourd’hui et toujours, et jusqu’à la fin des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXV.

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RECHERCHEZ AVEC ARDEUR LA CHARITÉ ; MAIS DÉSIREZ LES DONS SPIRITUELS, ET SURTOUT CELUI DE PROPHÉTISER (CH. 14, VERS. 1)

ANALYSE.

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  • 1 et 2. Comment l’on doit rechercher la charité. – Que le don de prophétie l’emporte sur le don des langues.
  • 3. Ce que c’était que le don des langues.
  • 4. Influence de la vaine gloire. – Critique des philosophes grecs.
  • 5. La vaine gloire n’est qu’un monstre cruel. – Éloge de saint Paul.
  • 6. De quel œil le chrétien doit-il regarder les biens temporels ? – Hygiène de l’âme. – Malheur des riches.


1. Après avoir passé en revue tous les caractères de la charité, il exhorte les fidèles à la cultiver avec ardeur : « Recherchez avec ardeur la charité. » Quand on recherche un objet, en effet, on ne voit que lui, on se dirige vers lui, on ne cesse de le poursuivre que lorsqu’on l’a atteint. Quand on poursuit quelqu’un, et qu’on ne peut l’atteindre soi-même, on se sert, pour le saisir, des personnes qui sont devant vous. On exhorte vivement ceux qui sont près du fugitif à le prendre, à le retenir, jusqu’à ce qu’on vienne s’en emparer soi-même. C’est ainsi que nous devons agir, si nous ne parvenons pas nous-mêmes à atteindre la charité, chargeons ceux qui sont tout près d’elle de la prendre et de la garder en attendant que nous arrivions. Et quand nous l’aurons saisie, ne la lâchons pas, de peur qu’elle ne s’enfuie encore bien loin de nous. Elle ne cesse de nous échapper, en effet, parce que, nous ne savons pas nous en servir,-parce qu’il n’est rien que nous ne lui préférions. Si nous suivons ces préceptes, nous n’aurons pas besoin de nous donner beaucoup de peine. Que dis-je ? nous n’aurons, pour ainsi dire, rien à faire. Nous mènerons une existence de délices et de fêtes, tout en marchant dans l’étroit sentier de la vertu. Voilà pourquoi l’apôtre a dit : « Poursuivez la charité ». Puis, afin que l’on ne croie pas qu’il n’a parlé de la charité que poux déprécier entièrement les grâces spirituelles, il ajoute : « Désirez les dons spirituels et surtout le don de prophétie (12) ? Car celui qui parle une langue inconnue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, puisque personne ne l’entend ; c’est sous l’inspiration du Saint-Esprit qu’il parle des mystères (3) : mais celui qui prophétise « parle aux hommes pour les édifier, pour les exhorter, pour les consoler ». Il compare ici entre eux les divers dons spirituels et il rabaisse le don des langues, en montrant que, s’il n’est pas tout à fait inutile, il n’est pas très utile par lui-même. Il y avait, en effet, des gens qui étaient tout fiers de ce don, parce qu’on y attachait un grand prix. Ce qui le faisait regarder comme important, c’est que les apôtres l’avaient reçu d’abord, et l’on sait avec quel apparât et quel retentissement, mais il ne l’emportait pas sur les autres pour cela. Pourquoi donc les apôtres l’avaient-ils reçu d’abord ? c’est qu’ils devaient parcourir tout l’univers.
Lors de la construction de la tour de Babel, il n’y avait qu’une langue qui se partageait en une foule de langues (Gen. 11) ; à l’époque des apôtres, une foule de langues venaient se réunir sur les lèvres d’un seul homme. Le même homme parlait la langue des Perses, celle des Romains, celle dès Indiens, ou plutôt c’était le Saint-Esprit qui parlait par sa bouche, et cette grâce s’appelait le don des langues, parce que le même homme avait le talent d’en parler plusieurs. Voyez comme l’apôtre le rabaisse et l’exalte tour à tour, quand il dit : « Celui qui parle des langues inconnues ne parle point aux hommes, mais à Dieu, puisque personne ne l’entend » ; il exalte un don qui ne paraît pas avoir une grande utilité. Mais lorsqu’il ajoute : « C’est sous l’inspiration du Saint-Esprit qu’il parle des choses cachées », il exalte ce don pour ne pas laisser croire qu’il est vain, inutile, et donné sans raison à l’homme. « Mais celui qui prophétise parle aux hommes pour les édifier, pour les exhorter, pour les consoler ». Voyez comme saint Paul proclame l’excellence de ce don avantageux à tous les hommes ! Voyez comme il préfère en toute circonstance à tous les autres dons ceux qui sont utiles au plus grand nombre ! Est-ce que ceux qui ont le don des langues ne parlent pas aussi – pour les hommes ? Ce qui les met au-dessous des prophètes, c’est que leur parole n’est pas aussi édifiante, aussi encourageante, aussi consolante.
Ces dons supposent tous les deux l’inspiration du Saint-Esprit. Mais le prophète a cet avantage qu’il est utile à des gens qui l’entendent. Ceux qui parlaient des langues inconnues, au contraire, n’étaient pas entendus de ceux qui n’avaient pas le don des langues. Mais quoi ? Ceux qui parlaient ces langues inconnues n’édifiaient-ils personne ? Ils s’édifiaient eux-mêmes, et voilà pourquoi saint Paul ajoute : « Celui qui parle une langue inconnue s’édifie lui-même (4) ». Et comment cela se fait-il, s’il ne sait pas ce qu’il dit ? Mais faites donc attention que saint Paul parle ici des hommes qui savent ce qu’ils disent ; qui comprennent bien le sens de leurs paroles, mais qui ne savent pas les expliquer aux autres. Mais le prophète édifie l’Église : voilà la différence qu’il y a entre ces deux hommes. Voyez comme l’apôtre est sage. Il n’annihile pas le don des langues, mais il montre qu’il n’a que de faibles avantages et qu’il ne profite qu’à celui qui le possède. Puis, pour ne pas laisser croire à ceux auxquels il s’adresse et qui possédaient pour la plupart plusieurs langues, qu’il est guidé par un sentiment de jalousie, il leur dit, afin de les guérir de leurs soupçons : « Je souhaite que vous ayez tous le don des langues, mais encore plus celui de prophétie. Car celui qui prophétise est au-dessus de celui qui parle des langues inconnues, à moins que ce dernier n’interprète ce qu’il dit, afin que l’Église en soit édifiée (5). Or le plus ou le moins n’annonce pas l’opposition, mais la supériorité ou l’infériorité.
2. Évidemment donc l’apôtre ne blâme pas le don des langues, mais il veut faire monter plus haut ses disciples ; il leur témoigne sa sollicitude, tout en leur montrant qu’il n’éprouve aucun sentiment d’envie. Il veut qu’ils aient « tous » le don des langues, mais il veut aussi et surtout le don de prophétie ; car ce don est plus précieux que l’autre. Et, après s’être bien expliqué sur le don de prophétie, il s’explique sur le don des langues. Son arrêt, loin d’être absolu, renferme ce correctif, « à moins qu’il n’interprète ce qu’il dit ». Par conséquent, si celui qui possède le don des langues a aussi le don d’interprétation, il est l’égal du prophète, parce que sa science profite à beaucoup de gens, point très important, avantage que l’apôtre recherche avant tout. « Ainsi, quand je viendrais vous parler des langues inconnues, en quoi vous serais-je utile, si je ne vous parlais en vous instruisant par la révélation, par la science ou par la doctrine (6) ? » Et pourquoi, continue-t-il, parlerais-je des autres ? Supposons que ce soit Paul qui vous parle des langues inconnues. Quel fruit en reviendra-t-il à ses auditeurs ? Par là, il leur démontre qu’il ne cherche que leur intérêt, sans être animé d’aucun sentiment de malveillance contre ceux qui possèdent le don des langues, puisqu’il se cite lui-même pour exemple de l’inutilité de ce don réduit à lui-même. Presque toujours, quand il touche quelque point important et délicat, il se met en scène. Ainsi, au commencement de cette épître, il dit : « Qu’est-ce que c’est que Paul ? « Qu’est-ce que c’est qu’Apollon ? Qu’est-ce que c’est que Céphas ? » Et il fait de même ici, en disant : « De quoi vous servira ma parole, si je ne vous instruis par la révélation, par la science ou par la doctrine ». Cela signifie Si je ne vous parle un langage intelligible et clair, si je nie borne à vous montrer que je possède le don des langues, vous ne retirerez aucun fruit de mes paroles.
Quel profit peut-on tirer en effet d’une parole que l’on ne comprend pas ? « Quand des instruments sans âme mais sonores comme la flûte et la lyre, ne rendent que des sons indistincts, comment saisir le morceau que l’on joue sur la flûte ou sur la lyre (7) ? « Pourquoi donc, poursuit-il, avancer ici que les dons renfermés en nous-mêmes sont inutiles et qu’il n’y a d’utile que ce qui est clair et ce que les auditeurs saisissent facilement ? N’en est-il pas de même de ces corps sans âme qu’on appelle des instruments de musique ? Qu’il s’agisse de 1a lyre ou de la flûte, si le musicien, sans tenir compte du rythme et de l’harmonie, ne fait entendre que des sons confus en jouant sans réflexion et en demandant des inspirations au hasard, il n’amusera pas ; il ne charmera pas son auditoire. Jusque dans les instruments qui ne possèdent pas les sons articulés de la voix humaine, il faut de la clarté, de l’harmonie, des sons distincts. Ces instruments qui naturellement sont dénués d’expression, nous cherchons avec ardeur à leur donner de l’expression, à les faire parler. Eh bien ! quand il s’agit des êtres animés et doués de raison, quand il s’agit des hommes et des dons spirituels, ne devons-nous pas chercher à nous faire bien entendre ?
« Si la trompette ne parle pas à haute et intelligible voix, qui se préparera à la guerre (8) ? » C’est des objets les plus futiles qu’il tire ses inductions, pour s’élever aux choses nécessaires et utiles ; il prend pour exemples la lyre et la trompette. Ces instruments en effet ont leurs rythmes ; parfois ils donnent le signal de la guerre, parfois tout autre signal. Tantôt ils sonnent la charge, tantôt ils sonnent la retraite, et tout soldat qui n’a pas la clef de cette langue, court le plus grand péril. Voilà ce qu’il veut dire, voilà l’erreur à laquelle il fait allusion en ces termes : « Qui se préparera au combat ? » Si donc l’instrument guerrier n’a pas le don de se faire comprendre, tout est perdu. Quel intérêt, direz-vous, ont pour nous tous ces détails ? Ils en ont un très grand, et voilà pourquoi saint Paul ajoute : « Il en est ainsi de vous. Si votre langage ne manifeste pas vos pensées, comment savoir ce que vous voulez dire ? Vous jetterez vos paroles auvent (9) » ; c’est comme si vous ne disiez rien, c’est comme si personne ne parlait. Et à chaque instant saint Paul s’applique à montrer l’inutilité d’un pareil langage. Si le don des langues est inutile, direz-vous, pourquoi a-t-il été donné à l’homme ? pour qu’il – soit utile à celui qui l’a reçu ; mais, pour être utile aux autres, il faut y joindre le d’on d’interprétation. Ce qu’il en dit est un moyen de tout concilier. S’il ne possède pas le don d’interprétation, il s’adjoindra quelque homme favorisé de ce don, et de cette manière il pourra utiliser ses talents. Voilà pourquoi il ne cesse de montrer que le don des langues est insuffisant par lui-même. Il veut par ce moyen engager ses auditeurs à unir leurs forces. L’homme, en effet, qui regarde le don des langues comme suffisant, le rabaisse plutôt qu’il ne l’élève, parce qu’il ne veut pas, en recourant au don d’interprétation, lui donner tout son lustre : c’est en effet un don précieux et nécessaire ; mais il a besoin d’un interprète pour le mettre dans tout son jour. Les doigts aussi sont nécessaires ; mais séparés de la main, ils deviennent inutiles. La trompette aussi est nécessaire ; mais quand elle ne fait entendre que des sons émis au hasard, elle est ennuyeuse et désagréable à entendre. L’art disparaît, quand l’instrument n’existe pas, mais la matière, pour se faire valoir, a besoin de la façon. La voix, c’est la matière ; les sons clairs et distincts sont la façon ; sans eux, la matière est inutile. Il y a dans le monde une foule de langues qu’on peut savoir, et chaque peuple a son langage (10) : ce qui veut dire qu’il y a autant de langues qu’il y a de peuples. Les Scythes, les Thraces, les Romains, les Perses, les Maures, les Indiens, les Égyptiens et autres peuples innombrables, ont chacun un langage particulier. Si donc j’ignore le son du langage que je parle, je serai pour mes auditeurs un barbare (11).
3. N’allez pas penser qu’il en est ainsi parmi vous seulement ; c’est ce qui arrive partout. Je n’ai point ici pour but de blâmer le don des langues ; je veux dire seulement qu’il m’est inutile si le langage que je parle n’est pas clair et intelligible pour les autres. Puis pour que ses auditeurs ne se révoltent pas contre lui, il se met à leur niveau, en disant : « Celui qui me parle sera un barbare pour moi, et je serai un barbare pour lui » : ce n’est point la faute des langues, c’est celle de notre ignorance. Voyez-vous comme il amène peu à peu ses auditeurs aux propositions qui ont un rapport intime et particulier avec son sujet ; fidèle en ceci à son habitude de tirer ses exemples de loin pour arriver à ce qui rattache à son sujet, d’une manière intime et spéciale. Il parle d’abord de la flûte et de la lyre, instruments souvent imparfaits, souvent inutiles, et il parle ensuite de la trompette, instrument plus utile, pour arriver à la voir humaine.
Ainsi plus haut, quand il voulait montrer qu’il n’était défendu aux apôtres de recevoir le prix de leurs travaux, après avoir parlé des agriculteurs, des bergers et des soldats, il a abordé plus franchement son sujet, en parlant des prêtres sous l’ancienne loi. Voyez quel soin il prend toujours de disculper le don des langues pour rejeter toujours la faute sur ceux qui l’ont reçu. Il ne dit pas : je serai un barbare ; il dit : Je serai un barbare pour celui qui parle. Il ne dit pas non plus : Celui qui parle est un barbare, mais : Celui qui parle est pour moi un barbare. Que devons-nous donc faire, dit-il ? Loin de jeter aucun blâme sur le don des langues, nous devons exhorter les autres à l’acquérir, et c’est ce qu’il fait lui-même.
Après ses accusations et ses réprimandes, après avoir montré l’inutilité de ce don, il donne à ses disciples ce conseil : puisque vous avez tant d’ardeur pour les dons spirituels, désirez d’en être enrichis pour l’édification de l’Église (12). Voyez-vous comme il n’a toujours et partout qu’un seul et même but ? Il pose ici une sorte de règle pour l’utilité de bien des gens et pour celle de l’Église. II n’a pas dit : Désirez de posséder les dons, mais désirez d’en être « enrichis », c’est-à-dire, souhaitez d’en posséder « beaucoup ». Loin de vous les interdire, je veux que vous en ayez en abondance, à condition que vous en userez pour l’intérêt commun. « Que celui donc qui parle une langue demande à Dieu de l’interpréter (13). Car si je prie en une langue que je n’entends pas, c’est mon cœur qui prie, mais mon esprit n’en retire aucun fruit (14). Que dois-je donc faire ? Je prierai de cœur ; mais je prierai aussi avec intelligence ; je chanterai de tueur des cantiques, mais je les chanterai aussi avec intelligence (15) ». Il montre ici à ses frères qu’il est en leur pouvoir de recevoir de Dieu le don d’interprétation. Demandez-le à Dieu, dit-il, c’est-à-dire, adressez-lui ce qui fait votre richesse, votre prière. Car ce que vous demanderez à Dieu avec empressement et avec ardeur, vous le recevrez. Demandez-lui donc non seulement le don des langues, mais celui d’interprétation, pour être utile à tout le monde et ne pas garder votre don spirituel pour vous seul. « Car si je prie en une langue que je n’entends pas, c’est mon cœur qui prie, mais mon esprit n’en retire aucun fruit. »
Voyez-vous comme, s’élevant peu à peu, il montre qu’en cet état on est inutile aux autres et à soi-même, puisque la prière ne produit aucun fruit pour l’intelligence. Qu’un homme, en effet, parle persan ou quelque autre langue, sans savoir ce qu’il dit, il sera un barbare, non seulement pour les autres, mais pour lui-même, puisqu’il ne comprendra pas les mots qu’il prononce. Il y, avait anciennement bien des hommes qui avaient le don de prier dans une langue étrangère. Ils priaient et parlaient dans cette langue, soit dans la langue des Perses, soit dans la langue des Romains, sans savoir ce qu’ils disaient. Voilà pourquoi saint Paul disait : Si je prie dans une langue inconnue, il n’y a que mon cœur qui prie. C’est-à-dire que le don spirituel qui m’a été donné me fait remuer la langue, sans que mon intelligence en retire aucun fruit. Qu’y a-t-il donc ici de meilleur et de vraiment utile ? Comment faire ? Que faut-il demander à Dieu ? De se servir du don des langues, pour prier avec le cœur et avec l’intelligence.. Voilà pourquoi l’apôtre disait : « Je prierai avec le cœur, je prierai avec l’intelligence ; je chanterai des cantiques avec le cœur, je chanterai des cantiques avec l’intelligence ». Que veut-il dire par là ? Il veut dire que l’esprit doit comprendre ce que dit la langue, autrement il y aura encore un autre malentendu. Si vous ne louez Dieu que du cœur, comment celui qui tient la place du peuple répondra-t-il amen à la fin de votre action de grâces, s’il n’entend pas ce que vous dites ? Ce n’est pas que votre action de grâces ne soit bonne ; mais les autres ne sont pas édifiés (16, 17) Voyez comme ici encore tout est tiré au cordeau, comme il cherche toujours l’édification de l’Église. Le peuple, ici ce sont les laïques, et c’est pour lui, il nous le montre clairement, un véritable malheur que de ne pouvoir répondre amen à la fin d’une action de grâces. Cela veut dire : si vous louez Dieu dans la langue des barbares, sans savoir ce que vous dites, sans pouvoir l’interpréter, le laïque ne peut répondre amen. Il n’entend pas les mots qui terminent votre prière ; et quand vous avez dit : in saecula saeculorum, il ne peut répondre amen. Puis encore, par forme de consolation, et pour ne pas avoir l’air de trop rabaisser le don des langues, puisque, comme il l’a dit plus haut, celui qui possède ce don parle à Dieu la langue des mystères, s’édifie lui-même et prie avec le cœur, il revient sur ces avantages d’où il tire une grande source de consolation, et il dit Votre action de grâces est bonne, car c’est le cœur qui vous inspire ; mais l’auditeur né vous comprend pas ; il ne sait pas ce que vous dites, et par conséquent il ne retire pas grand fruit de vos paroles.
4. Ensuite, après avoir attaqué ceux qui ont le don des langues et déclaré que ce n’est pas là un don bien précieux, pour ne pas avoir l’air de parler ainsi par envie, il dit : « Je remercie Dieu de ce que je parle mieux que vous encore toutes les langues que vous parlez (18) ». Il en dit autant dans un autre endroit. Pour rabaisser les avantages qui faisaient l’orgueil dès Juifs, pour montrer que ces avantages ne sont rien, il commence par montrer qu’il les possède à un plus haut degré que les Juifs, et alors il montre que ces avantages ont un inconvénient. « Si quelqu’un semble mettre sa confiance dans la chair, j’en ai encore plus le droit que lui, moi qui ai été circoncis huit jours après ma naissance, moi qui suis de la race d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreux et enfant d’Hébreux, pharisien par la loi que je suis, persécuteur de l’Église par la force de mon zèle, irréprochable aux yeux de la justice qui prend sa source dans la loi ». (Phil. 3,4-6) Et après avoir montré qu’il est richement doté de ces avantages, il ajoute : « Mais ces qualités qui étaient pour moi dès avantages, étaient, je l’ai bien vu, des torts aux yeux du Christ ». (Id. 7) Maintenant il procède encore de même : « Je parle les langues mieux encore que vous tous. Ne vous élevez donc, pas et ne vous complaisez pas en vous-mêmes, comme si ce don était votre privilège ; car moi aussi je le possède, à un plus haut degré que vous. Mais j’aimerais mieux ne dire dans l’Église que cinq paroles dont j’aurais l’intelligence pour instruire les autres, que de dire dix mille paroles dans une langue inconnue ». Que signifient ces mots : « Cinq paroles dont j’aurais l’intelligence pour en instruire les autres « (19) ? » M’entend par là des paroles intelligentes qu’on peut expliquer aux autres, qu’on prononce soi-même et que les auditeurs peuvent répéter avec intelligence. « Que dix mille paroles en une langue inconnue ». Car ce ne serait là qu’une affaire de vanité, un verbiage qui ne serait pas aussi utile que quelques paroles bien comprises. Ce qu’il cherche partout, en effet, c’est l’intérêt de tous. Or le don des langues était un don nouveau et une importation étrangère, tandis que le don de prophétie était un don ancien, ordinaire et déjà commun. Le don des langues au contraire était tout récent, et saint Paul ne s’appliquait guère à le cultiver. Aussi n’en a-t-il pas fait usage. Ce n’était pas qu’il en fût privé ; mais il recherchait des dons plus utiles ; car il était libre de toute vaine gloire, et son but unique était de rendre ses disciples meilleurs. Cette âme, libre de toute vaine gloire, pouvait voir clair dans ses intérêts et dans ceux des autres ; et c’est ce que ne peut faire l’âme qui est esclave de la vanité. Témoin Simon qui, ébloui parla vaine gloire, ne sut pas distinguer ses véritables intérêts ; témoin les Juifs qui, par vaine gloire, sacrifièrent leur salut au démon.
C’est la vaine gloire qui a enfanté les idoles ; c’est elle, c’est la passion insensée de la vaine gloire qui a fait tomber les philosophes dans l’erreur. Voyez la maligne influence de ce vice. Par lui, quelques-uns de ces philosophes se sont faits pauvres et d’autres se sont : passionnés pour l’opulence. Sa tyrannie est telle qu’elle se manifeste par les effets les plus contraires. L’un tire vanité de sa continence, un autre de ses adultères ; celui-ci de sa justice, celui-là de ses injustices. On se vante de sa vie sensuelle et de ses austérités, de sa douceur et de son audace, de ses richesses ; et de sa pauvreté. Quelques-uns de ces philosophes étrangers pouvaient acquérir les dons spirituels ; par vanité, ils n’en voulaient pas. Les apôtres, au contraire, purs de toute vaine gloire, ont rapporté au Saint-Esprit tout ce qu’ils ont fait. Quand on les appelait des dieux, quand on était prêt à leur, immoler des taureaux couronnés pour le sacrifice, non seulement ils refusaient de pareils honneurs, mais ils déchiraient leurs vêtements. Quand ils guérissaient les boiteux et que tout un peuple, la bouche béante, restait stupéfait de ce miracle, ils disaient : Pourquoi nous regarder ainsi, comme si c’était nous qui avions opéré ce prodige ? Ces sages de l’antiquité faisaient profession d’être pauvres parmi des hommes qui admiraient la pauvreté ; les apôtres veulent être pauvres au milieu d’un peuple qui méprise la pauvreté et qui vante la richesse. Avaient-ils reçu quelque don, ils en faisaient part aux indigents, tant il est vrai qu’ils étaient toujours guidés par la charité et non par la vaine gloire ; ces sages, au contraire, agissaient comme des ennemis et – des fléaux de l’humanité. L’un jetait inutilement et follement tous ses biens dans la mer, à l’exemple des fous et des insensés ; un autre laissait ravager ses champs par les brebis. Chez eux tout tendait à la vaine gloire. Il n’en était pas ainsi : les dons qu’on leur faisait, ils les distribuaient aux indigents avec tant de libéralité, qu’ils étaient toujours eux-mêmes tourmentés par la faim. S’ils avaient été vaniteux, ils n’auraient pas agi ainsi. Ils n’auraient rien reçu, ils n’auraient rien donné, de peur d’exciter les soupçons. Lorsqu’en effet on se dépouille de ses biens par vanité, on se garde bien de recevoir l’argent des autres, pour ne pas avoir l’air d’être dans l’indigence et de peur d’exciter les soupçons. Mais voyez les apôtres ils servent, ils mendient pour les indigents : tant ils ressentent pour eux une tendresse plus que paternelle. Voyez la ligne de conduite qu’ils se sont tracée. De quelle modération exempte de toute vaine gloire n’est-elle pas empreinte ! « Si nous avons de quoi nous vêtir et nous nourrir, cela nous suffira » : (1Tim. 6,8). Quelle différence avec ce sage de Sinope qui vivait sous les haillons et dans un tonneau, sans avoir besoin de rien, au grand étonnement de bien des gens, mais sans profit pour personne. Saint Paul ne faisait rien de tout cela ; car l’ambition et la vanité ne le guidaient pas. Il était vêtu décemment, il se tenait chez lui et se conduisait comme un parfait honnête homme. Le cynique méprisait un pareil genre de vie, bravait en public toutes les bienséances et le décorum, et c’était la vanité qui l’entraînait. Pourquoi ce tonneau dont il faisait son habitation ? C’était uniquement une affaire de vanité.
5. Saint Paul loua la maison qu’il habitait à Rome. Cela n’a rien d’étonnant de la part d’un tel homme. Il ne consultait jamais la vanité, ce monstre cruel, cet affreux démon, ce fléau de l’univers, cette vipère gonflée de poisons. Semblable à la vipère qui déchire le ventre de sa mère, la vaine gloire blesse l’auteur de ses jours. Quel remède employer contre cette maladie si compliquée ? Il n’y a qu’à se proposer pour modèles ceux qui ont foulé aux pieds le monstre, à se pénétrer de leur exemple et à se régler sur eux. Voyez le patriarche Abraham ! Et ici qu’on ne me reproche pas de reproduire le même exemple et de rappeler toujours ce saint homme. Car c’est là surtout ce qui le rend admirable et ce qui ôte toute excuse à ceux qui ne l’imitent pas. Si l’on pouvait montrer en effet qu’il n’a eu qu’une qualité et que sur tel ou tel autre point il faut citer un autre modèle, que lui, on pourrait dire que la vertu est chose difficile ; puisque chacun des saints n’a que telle ou telle qualité. Mais quand nous voyons Abraham réunir en lui seul toutes les qualités ensemble, comment excuser les hommes qui, après la grâce et depuis la loi nouvelle, ne peuvent atteindre à ce, degré de vertu où sont parvenus ceux qui ont vécu avant la loi nouvelle et avant la grâce. Eh bien ! comment ce patriarche s’y est-il pris pour vaincre le monstre, pour dompter la vanité, dans la contestation qui s’éleva entre lui et le fils de son frère ? Il avait été le plus mal partagé, il n’avait pas eu la première part et pourtant il ne s’en affligea pas. Or vous savez que dans ces sortes d’affaires, il y a une sorte d’humiliation encore pire que la perte, pour les petits esprits, surtout lorsque, comme Abraham, on s’est vu maître souverain et que l’on ne se voit pas honoré à son tour par celui que l’on avait commencé à honorer soi-même. Eh bien ! rien de tout cela ne le mordit au cœur. Il se contenta de la seconde part qui lui était échue. Outragé par un jeune homme, malgré son grand âge, outragé par le fils de son frère, sans s’irriter, sans s’aigrir, il continua à l’aimer, à veiller sur lui. Une autre fois, sorti vainqueur d’une grande et terrible guerre, après avoir, repoussé et battu les barbares, il ne triomphe pas, il n’élève pas de trophée. Il voulait se défendre et non se vanter. Il donne l’hospitalité à des étrangers, et cela sans vanité, allant à leur rencontre, les honorant comme s’il était non pas le bienfaiteur, mais l’obligé. Il leur donne le nom de maîtres, sans savoir quels sont ces étrangers, et il veut que sa femme les serve. Après avoir fait l’admiration de l’Égypte, quand, sa femme lui eut été rendue, il ne se vante pas, malgré les honneurs dont il s’est vu comblé. Pourtant les habitants de ce pays lui donnaient le nom de roi. Quand il chargea son serviteur d’amener à son fils la femme qu’il devait épouser, il ne lui enjoignit pas de parler de son maître avec orgueil et avec ostentation, il se borna à lui dire d’amener la fiancée. Voulez-vous maintenant examiner les hommes, depuis l’an de grâce, à l’époque où ils s’abreuvaient aux sources d’une grande et glorieuse doctrine ? Voulez-vous voir comment ce vice était aussi à cette époque repoussé et banni ?
Considérez l’auteur da cette épître. Voyez comme il rapporte tout à Dieu, comme il rappelle toujours ses péchés, sans être aussi assidu à rappeler ses bonnes actions. Si parfois, pour corriger ses disciples, il se voit forcé d’en faire mention, il traite ce sujet fort légèrement et cède le pas à Pierre. Il ne rougit pas de travailler de ses mains chez Aquilas et Priscille. (Act. 18) Partout il s’efforce de s’humilier et de s’abaisser. On ne le voit pas traverser fièrement la place publique et s’entourer d’une foule de disciples. Partout il cherche à se perdre dans les rangs obscurs de la multitude. Voilà pourquoi il disait : lorsque Paul est présent, il paraît bas en sa personne (2Cor. 10,10), c’est-à-dire qu’il a l’air d’un homme qui ne mérite aucune attention, d’un homme sans faste. Et il dit encore : « Ce que nous demandons à Dieu, c’est que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous paraissions ce que nous sommes ». (2Cor. 13,7) Qu’y a-t-il d’étonnant, s’il méprise la fausse gloire ? Ne méprise-t-il pas une gloire plus grande encore ? Ne méprise-t-il pas la couronne céleste et la géhenne, pour plaire au Christ ? Ne souhaite-t-i1 pas d’être anathème devant le Christ (Rom. 9,3) « pour la gloire du Christ ? » Tout en disant que c’est pour les Juifs qu’il veut souffrir, il déclare que c’est pour la gloire du Christ, afin que quelque insensé n’aille pas prendre pour lui les promesses qui leur sont faites. Si donc saint Paul était disposé à ne pas tenir compte de choses aussi importantes, comment pourrait-on s’étonner de son mépris pour les choses humaines ? Mais aujourd’hui, on ne résiste pas plus au mépris et à la crainte du déshonneur qu’à l’amour de la gloire. La louange nous gonfle, le blâme nous abat. Les cœurs pusillanimes et bas ressemblent aux organisations faibles ; un rien suffit pour les ébranler. De telles âmes ne sont pas plus à l’épreuve de la richesse que de la pauvreté, et la joie a prise sur elles encore plus que la douleur. Car la pauvreté nous condamne du moins à la tempérance ; la richesse au contraire amène souvent quelque grand naufrage. Voyez cet homme qui a la fièvre, tout le blesse, voyez cette âme corrompue dt dépravée, tout l’ébranle.
6. Instruits de ces vérités, sans fuir la pauvreté, sans admirer la richesse, tenons-nous prêts à tout. Lorsqu’on bâtit une maison, ce n’est pas à la préserver de la moindre goutte de pluie, à l’abriter contre les rayons du soleil que l’on fait attention ; car ce serait chercher l’impossible. On s’arrange de manière à ce qu’elle puisse braver les intempéries des saisons. Si l’on bâtit un navire, on ne demande pas que les flots s’éloignent de lui, que la tempête ne s’élève pas contre lui ; car c’est chose impossible. Ce qu’on veut, c’est que la charpente du navire résiste aux assauts de la mer. En hygiène, nous ne demandons pas non plus à l’atmosphère d’être toujours calme et tempérée, nous songeons seulement à rendre notre constitution capable de braver les variations atmosphériques. Faisons de même pour l’âme. Ne nous étudions pas à fuir la pauvreté, à poursuivre là richesse ; étudions-nous à pouvoir accepter l’une et l’autre, sans en recevoir aucune atteinte : car en mettant à part ces accidents de l’humanité qui sont presque inévitables, l’homme qui ne court pas après les richesses, mais qui est à l’épreuve des événements, l’emportera encore sur celui que la richesse accompagne. Pourquoi cela ? D’abord un tel homme a ses ressources en lui-même, tandis que l’autre les a hors de lui. L’homme qui met sa confiance en sa propre force et dans son adresse est meilleur soldat que celui qui met toute sa confiance dans ses armes. Ainsi l’homme qui a sa vertu pour rempart est plus fort que celui qui met sa confiance dans son argent. En second lieu, le riche peut être préservé de la pauvreté, mais il n’est pas assuré contre les troubles de l’âme ; car la richesse est en butte à bien des troubles et à bien des orages. La vertu seule goûte un plaisir tranquille ; c’est un rempart assuré, elle met l’homme à l’abri des pièges qui menacent le riche et qui peuvent causer sa ruine. De tous les animaux, les cerfs et les lièvres sont les plus timides, et sont par conséquent la proie la plus facile à saisir ; mais le sanglier, le taureau et le lion donnent du mal aux chasseurs. Eh bien ! il en est de même du riche et de celui qui fait vœu de pauvreté. Ce dernier, c’est le lion, c’est le taureau ; celui-là, c’est le cerf ou le lièvre. De combien de terreurs le riche n’est-il pas assiégé ? N’a-t-il pas à craindre les voleurs, les tyrans, les envieux, les calomniateurs ? Que dis-je ? Ne soupçonne-t-il pas ses serviteurs mêmes ? Et pourquoi parler de sa vie misérable ? Même après sa mort, il n’est pas à l’abri des pièges du voleur. Non, la mort même n’est pas pour lui un asile assuré. Tout mort qu’il est, les malfaiteurs le pillent, tant c’est une chose incertaine, toujours prête à glisser entre nos mains que la richesse. Ce n’est pas seulement la maison du riche dont on enfonce les portés ; c’est son sépulcre que l’on force. Quoi de plus misérable que cet homme ? Il ne se repose même pas, au sein de la mort. Sa triste dépouille, cette dépouille inanimée n’est pas à l’abri des maux qui assiègent la vie humaine. Car les malfaiteurs ne respectent pas même la poussière et la cendre du riche ; ils font au riche, quand il est mort, une guerre encore plus rude que de son vivant. De son vivant, ils pénétraient à la vérité dans le sanctuaire de sa richesse, ils fouillaient ses coffres ; mais ils ne touchaient point à sa personne ; ils avaient assez de ses trésors, sans s’attaquer à ses vêtements, sans le mettre à nu. Mais après sa mort, les mains sacrilèges qui fouillent les sépulcres ne respectent pas même le cadavre du riche ; ils le remuent, ils le tournent et le retournent, il n’est pas d’outrages et d’opprobres dont ils n’accablent ce cadavre, dans l’excès de leur cruauté.
Ce corps confié à la terre, ils le dépouillent de ses vêtements et le laissent nu. 0ù donc l’homme pourrait-il trouver un plus terrible ennemi que cette opulence qui perd son âme pendant sa vie et qui, après sa mort, expose son corps aux outrages, aux opprobres, sans permettre à la terre de le recouvrer, comme si c’était un condamné reconnu coupable des crimes les plus honteux. Mais aux condamnés du moins, quand ils ont subi la peine capitale, la loi ne demande rien de plus. La richesse au contraire condamne, même après sa mort, celui qui la possède aux plus terribles supplices, à demeurer exposé nu et sans sépulture, exposition terrible, spectacle digne de pitié ! Ce sont là des peines bien graves, plus graves que les châtiments infligés par l’arrêt et par la colère d’un juge. Après être restée un ou deux jours sans sépulture, la dépouille de l’homme condamné par la loi est confiée à la terre ; mais l’homme condamné par la richesse n’est confié à là terre que pour être exposé nu aux insultes et aux outrages. Si les voleurs n’enlèvent pas le mausolée du riche, ce n’est pas la richesse qu’il faut en remercier, c’est la pauvreté. Oui, c’est la pauvreté qui le soustrait à leurs mains avides. Laissez ce mausolée sous la garde de la richesse, qu’il soit d’or au lieu d’être de pierre, il sera enlevé comme le reste : tant il est vrai qu’on ne doit pas compter sur la richesse ! Elle appartient à ceux qui la ravissent bien plus qu’à ceux qui la possèdent. II serait donc superflu d’employer de longs discours pour démontrer que la richesse résiste aux assauts, puisqu’au, jour même de la mort ceux qui la possèdent ne sont pas en sûreté. Quel est l’homme qui ne se réconcilie pas avec un mort, fût-il un monstre, fût-il un démon, fût-il plus méchant qu’un démon ? Il suffit du spectacle de la mort pour attendrir un cœur de fer, une âme insensible, Aussi, en présence d’un mort, ses ennemis tes plus acharnés mêlent leurs larmes à celles de ses amis. La colère s’éteint avec la vie, elle fait place à la pitié. Au moment des obsèques, quand a lieu le convoi funèbre, vous ne distinguez pas l’ami de l’ennemi, tant ceux qui assistent à ce convoi respectent les lois suprêmes de la nature. Mais là richesse ne suit pas même cette loi commune ; elle déchaîne contre ceux qui la possèdent, des colères implacables. Même après notre mort, elle nous fait des ennemis qui n’ont reçu de nous aucune injure ; car dépouiller un cadavre est le propre d’une inimitié ardente et toujours armée. À l’heure de la mort, la nature réconcilie, avec nous des ennemis ordinaires ; mais la richesse arme contre le riche ceux-là même qui n’ont rien à lui reprocher, et leur cruauté s’acharne sur ce cadavre abandonné.
Pourtant il y a là bien des choses qui devraient attendrir ces hommes. Il y a la mort même, il y a l’immobilité cadavérique, il y a l’image d’un corps qui va tomber en poussière, il y a l’abandon. Mais rien n’attendrit ces âmes sacrilèges et tyrannisées par la soif inexorable de l’or. C’est l’amour de l’or, ce tyran impitoyable qui est là pour donner ses ordres inhumains, pour transformer des hommes en bêtes féroces, pour les jeter sur des sépulcres comme sur une proie. À l’œuvre donc les bêtes féroces ! Elles se précipitent sur ce cadavre ; elles – dévoreraient ces chairs inanimées, si ces membres pouvaient leur profiter. Voilà donc les fruits de la richesse ! Même après notre mort, elle nous expose aux outrages et aux opprobres, elle nous prive de cette sépulture qui n’est pas refusée à dés misérables tout chargés de forfaits. Eh bien ! ces richesses qui sont nos mortelles ennemies, les aimerons-nous encore ? Non, mes frères, non ! fuyons-les plutôt, je vous en prie, et ne nous retournons pas pour les regarder. Si elles tombent entre nos mains, ne les gardons pas dans notre maison, mais servons-nous, pour les enchaîner, des mains de la charité. La charité seule peut les fixer et leur couper la retraite. C’est alors que la richesse inconstante devient fidèle ; paisible et douce ; car l’aumône l’a transformée. Oui, si la richesse vient à nous, livrons-la aux pauvres. Si elle ne vient pas nous trouver, ne courons pas après elle, ne nous désespérons pas et ne regardons pas comme heureux ceux qui la possèdent. Heureux ! comment donc le seraient-ils ? Donnerez-vous le nom d’heureux à ces bestiaires qui combattent des animaux féroces achetés à grand prix et gardés par les entrepreneurs de ces spectacles barbares, qui n’osent ni approcher de ces monstres, ni les toucher, qui les redoutent et qui tremblent devant eux ? C’est l’histoire des riches. Ils ont enfermé dans leur coffre-fort cette bête féroce, ce monstre qu’on appelle la richesse, et tous les jours elle leur fait des blessures sans nombre. C’est tout le contraire de ce que font les bêtes féroces réservées aux spectacles. Ces monstres, quand on les tire de leurs cages, n’égorgent que ceux qui viennent à leur rencontre. Mais la richesse, quand elle est enfermée et gardée, ne fait périr que ceux qui la possèdent et qui la gardent. Apprivoisons cette bête féroce. Pour cela, il n’y a qu’un moyen, ne l’enfermons pas, donnons-la à garder aux pauvres. En agissant ainsi, nous en retirerons les plus grands avantages. En cette vie nous serons en sûreté, exempts de soucis et pleins d’espoir ; quant à la vie future, nous l’attendrons avec confiance. Cette confiance, puissions-nous tous l’acquérir, par la grâce et les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXVI.


MES FRÈRES, NE SOYEZ PAS ENFANTS PAR L’ESPRIT, MAIS SOYEZ DES PETITS ENFANTS POUR LE MAL, ET SOYEZ PARFAITS POUR L’ESPRIT. (CHAP. 14, VERS. 20)

ANALYSE.

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  • 1 et 2. Le don de prophétie emporte sur le don des langues ; il agit sur le cœur, il attire à Dieu les infidèles.
  • 3. La règle fondamentale du christianisme, c’est d’être utile au prochain en toute chose.
  • 4. Prophétisez les uns après les autres, et non tous ensemble.
  • 5. et 6. De la sainteté de l’Église : combien tout doit y être réglé. – De la réponse que le peuple fait à l’Évêque : Le Seigneur soit avec vous et avec votre esprit ! – Relâchement des chrétiens. – Des vierges, des femmes mariées, des veuves. – Assemblées saintes des fidèles. – Ne point parler dans l’église. – De la folie et de la misère des avares.


1. C’est avec raison qu’après des preuves et des démonstrations nombreuses : il se sert d’un style un peu plus véhément, gourmande ses auditeurs, et emploie un exemple qui s’applique à la circonstance présente. Les enfants, en effet, à la vue des petites choses, ouvrent la bouche, l’admiration les plonge dans la stupeur, mais les grandes ne les frappent point d’admiration. Puis donc que ceux qui ont le don des langues croient tout avoir, quand ce don n’est que le dernier pour les autres, il dit : « Ne soyez ; pas enfants » ; c’est-à-dire, ne soyez pas insensés là où il faut être sage, mais soyez enfants et simples là où sont l’injustice, la vaine gloire, l’orgueil. En effet, celui qui est enfant pour le vice, doit pourtant être prudent. De même que la prudence finie à l’improbité n’a jamais été la prudence, ainsi la simplicité unie à l’imbécillité ne sera jamais la simplicité. Dans la simplicité il faut éviter l’imbécillité, et dans la prudence, le vice et la scélératesse. Comme les remèdes amers ou doux ne sont plus efficaces, s’ils le sont plus qu’il ne faut, ainsi sont la simplicité et la prudence exagérées. C’est pourquoi le Christ ordonnait de-les tempérer toutes les deux, disant : « Soyez prudents comme les serpents, et simples comme les colombes ». (Mt. 10,16) Qu’est-ce d’être de petits enfants pour le mal et le vice ? c’est d’ignorer même ce que c’est que le vice ; c’est ainsi que l’apôtre veut qu’ils soient. Et c’est pourquoi il disait : « Parmi vous on entend parler de la fornication ». (1Cor. 5,1) Il n’a point dit : on s’en rend coupable, mais, ou en entend parler, vous connaissez bien la chose, car vous en avez ouï parler. Il voulait qu’ils fussent hommes et enfants, enfants pour le vice, hommes par la prudence. L’homme est un homme, s’il est encore un petit enfant, mais s’il n’est pas un enfant pour le vice, il n’est pas un homme. Car le scélérat n’est point parfait, c’est un insensé.
Car il est dit dans la loi : Je parlerai à ce peuple en des langues étrangères et inconnues, et, « après cela même », dit le Seigneur, ils ne m’entendront pas. Cela n’est écrit nulle part dans la loi ; mais, je l’ai dit plus haut, il comprend sous le nom de « loi » tout l’Ancien Testament, le livre des prophètes et l’histoire ; sainte. Il appelle en témoignage le prophète Isaïe, rabaissant encore le mérite du don des langues, dans l’intérêt de ses disciples. Ces mots : « après cela même », voulaient dire qu’un pareil miracle aurait dû suffire pour frapper leurs cœurs, et que si après cela ils ne croyaient pas, ils ne pouvaient s’en prendre qu’à eux. Et pourquoi Dieu a-t-il fait cela pour eux, s’ils ne devaient pas croire en lui ? Pour montrer qu’il fait sans cesse ce qu’il doit faire. Donc saint Paul, après avoir démontré, en le comparant au don de prophétie, que le don des langues est un signe qui n’a pas une grande utilité, a ajouté ces mots : « Et ainsi le don des langues est un signe, non pour les fidèles, mais pour les infidèles ; le don de prophétie, au contraire, n’est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles (22). Si donc toute une église étant assemblée en un lieu, tous parlent diverses langues, et que des ignorants ou des infidèles entrent dans cette assemblée, ne diront-ils pas que vous êtes des insensés (23) ? Mais si tous prophétisent et qu’un infidèle ou un ignorant entre dans votre assemblée, tous le convainquent, tous le jugent (24). Et ainsi le secret de son cœur est découvert, et se prosternant le visage contré terre, il adorera Dieu, rendant témoignage que Dieu est véritablement parmi vous (25) ». Ces paroles soulèvent bien des doutes. Si en effet le don des langues est un signe, comment se fait-il que saint Paul dise : Si les infidèles vous entendent parler des langues inconnues, ils diront que vous êtes des insensés ? Et si le don de prophétie n’est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles, quel fruit les infidèles en recueilleront-ils ? « Qu’un infidèle, dit-il, entre dans votre assemblée quand vous prophétisez, tous le convainquent, tous le jugent ».
Voilà donc une autre difficulté qui s’élève ! Voilà le don des langues qui semble l’emporter sur le don de prophétie ! Car si le don des langues est un signe pour les infidèles, tandis que le don de prophétie est un signe pour les fidèles, le don qui attire et unit à l’Église ceux qui sont hors de son sein, doit l’emporter sur, le don qui ne fait que réunir et organiser ceux qui sont déjà de la famille et de la maison. Que dit donc saint Paul ? Rien dé difficile ni d’obscur, rien qui soit en contradiction avec ce qu’il a dit d’abord. Au contraire tout se tient, pour peu que nous y réfléchissions. Le don de prophétie s’adresse à tout le monde, tandis qu’il n’en est pas de même du don des langues. Aussi, après avoir dit que le don des langues est un signe, il ajoute : non pour les fidèles, mais pour les infidèles que Dieu veut attirer par ce signe, pour les infidèles que ce signe doit étonner, mais non instruire. Quand il s’agit du don de prophétie, il distingue encore et il dit : Le don de prophétie, au contraire, n’est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles. C’est que le fidèle n’a pas besoin de voir un signe ; un enseignement et un précepte, voilà tout ce qu’il lui faut. Mais alors, comment peut-on dire que la prophétie est utile à tout le monde, puisque saint Paul dit lui-même qu’elle n’est pas pour les infidèles, mais pour les fidèles ? Pesez ces paroles avec soin et dans une balance exacte, vous saurez ce qu’il veut dire. Il ne dit pas que la prophétie n’est pas utile aux infidèles, mais qu’elle n’est pas comme les langues, un simple signe, c’est-à-dire, un don de luxe. Le don des langues, en effet, n’est pas précisément utile aux infidèles. Il n’a pour but et pour objet que d’étonner et de frapper leurs esprits. Car le signe n’est qu’un moyen. C’est ce qu’exprime le prophète en ces mots : « Sers-toi de moi pour faire un prodige », et il ajoute : « pour le bien » ; et il dit encore : « Dieu s’est servi de moi pour opérer, un miracle dans l’intérêt de plusieurs », c’est-à-dire, pour faire éclater un signe. (Ps. 85,17 ; 70, 7)
2. Pour apprendre à ses disciples qu’il n’a pas voulu parler de ce signe, comme d’un don utile en tout point, il nous montre l’effet qu’il produit. Quel est cet effet ? « Les infidèles, poursuit-il, diront que vous êtes des insensés. » Ce n’est point qu’il s’en prenne au signe en lui-même ; c’est à la démence des infidèles qu’il s’en prend. Et sous ce nom d’infidèles, n’allez pas croire qu’il désigne toujours les mêmes hommes. Tantôt il parle de ces malheureux qui sont incurables et incorrigibles ; tantôt il parle de certaines âmes que l’on pourrait tourner au bien. Tels étaient, à l’époque des apôtres, ces infidèles qui admiraient pourtant les grandeurs de Dieu ; tel était Cornélius. Voilà donc pourquoi il dit : Le don de prophétie est pour les infidèles et pour les fidèles ; quant aux langues, les infidèles et les insensés qui les entendent parler, n’en retirent aucun profit et vont même jusqu’à se moquer de ceux qui les parlent, en les traitant d’insensés : car le don des langues n’est pour eux qu’un signe destiné à les frapper d’étonnement. Si ces infidèles avaient été sages, ils auraient pourtant profité du signe qui leur était manifesté. Car à cette époque, à côté des infidèles qui accusaient d’être en état d’ivresse ceux qui avaient le don des langues, il se trouvait aussi des gens qui admiraient ces orateurs comme des hommes qui leur parlaient des grandeurs de Dieu. Ceux qui tournaient de pareils hommes en ridicule étaient donc des insensés. Aussi saint Paul n’a-t-il pas dit simplement : « Vous êtes traités d’insensés », il ajoute : « par les ignorants et par les infidèles ». Mais le don de prophétie n’est pas simplement un signe, mais un don utile aux fidèles et aux infidèles, un don qui se manifeste pour affermir leur foi. Ce sens de saint Paul devient clair, non pas sur-le-champ, mais par les paroles qui suivent Tous le convainquent, dit-il. Si tous prophétisent, et qu’un infidèle ou un ignorant entre dans votre assemblée, tous le convainquent, tous le jugent. Et ainsi le secret de son cœur est découvert, et se prosternant le visage contre terre, il adorera Dieu, rendant témoignage que Dieu est véritablement parmi vous. Par conséquent, le don de prophétie a sur le don des langues le double avantage d’agir sur toutes les âmes, et d’attirer à Dieu les infidèles les plus endurcis.
Quand il a convaincu Saphire en vertu du don de prophétie, et quand saint Pierre parlait des langues inconnues ; il y avait là deux miracles différents. Le premier faisait passer la conviction dans les cœurs ; le second faisait dire : Voilà un insensé ! Donc après avoir dit : « Le don des langues est inutile », après l’avoir rabaissé de nouveau en rejetant la faute sur les Juifs, il montre que ce don est même nuisible. Pourquoi donc a-t-il été donné ? pour agir conjointement avec le don d’interprétation. Sans ce dernier don, il produit sur les insensés un effet contraire à celui qu’il devrait opérer. Si tous parlent diverses Lingues, dit saint Paul, et que des ignorants ou des infidèles entrent dans l’assemblée, ils diront que vous êtes des insensés. C’est ainsi que les apôtres ont passé pour des gens ivres : on disait d’eux : « Ces gens-là sont pris de vin ». (Act. 2,13) Mais ce n’est pas la faute du signe, c’est la faute de l’esprit grossier et injuste des auditeurs. Aussi saint Paul a-t-il ajouté que c’étaient les « ignorants » et les « infidèles » qui disaient : Voilà des insensés ! Les ignorants et les infidèles sont donc jugés par l’apôtre. Car, je l’ai dit plus haut, il insiste sur les dons qui n’ont pas une grande utilité, pour réprimer l’orgueil de ceux qui ont le don des langues et pour les mettre dans la nécessité de recourir à un interprète.
Car, comme ce n’était point là qu’ils tendaient, et que beaucoup de gens ne se servaient de ce don que pour en faire parade, et parce qu’ils désiraient des honneurs, il les en détourne principalement, en leur montrant qu’au lieu de gloire et d’estime, ils n’en retireraient qu’un grand dommage, comme les gens qu’on soupçonne de folie. Et c’est là perpétuellement la manière de Paul : quand il veut nous détourner d’une chose, il nous montre que cela même que nous désirons nous fera du tort. Faites de même : voulez-vous détourner quelqu’un du plaisir, montrez-lui qu’il n’y a là qu’amertume ; voulez-vous l’arracher à la vaine gloire, montrez-lui qu’elle ne renferme que honte et déshonneur. Ainsi faisait Paul. Voulant arracher les riches à l’amour des richesses, il ne dit pas seulement que les richesses sont nuisibles, mais encore qu’elles exposent aux tentations ; car il dit : « Ceux qui veulent être riches tombent dans la tentation ». (1Tim. 6,9) Comme il semble qu’elles délivrent des tentations, il leur attribue le défaut contraire à la qualité que les riches lui attribuaient. D’autres s’appliquaient à la sagesse profane, comme s’ils pouvaient par ce moyen affermir le dogme ; il montre que non seulement elle n’apporte point de secours à la croix, mais encore tend à l’abolir. Ils insistaient pour être jugés à un tribunal étranger, pensant qu’ils étaient indignes d’être jugés par les leurs, comme si les étrangers étaient plus sages ; il montre qu’il est honteux d’être jugé au-dehors. Ils s’approchaient des autels des idoles, comme s’ils montraient par là une sagesse parfaite, et il prouve qu’il est d’une sagesse imparfaite de ne pas savoir gouverner les affaires de ses plus proches voisins. De même ici, comme ceux qui aiment la vaine gloire, admiraient profondément le don des langues, il montre que c’est cela même qui les couvre de honte, que non seulement ce don ne leur procure point de gloire, mais leur attire encore le soupçon de folie. Mais il ne le dit pas tout de suite ; après de longs développements qui ont pour objet de faire admettre et de faire agréer son discours, il ajoute ce qui est étonnant et contraire à l’opinion commune. Cette manière d’amener sa pensée lui est familière. Celui qui veut ébranler une opinion bien assise, et changer une conviction ferme et solide, ne doit pas tout de suite lui opposer l’opinion contraire ; car il serait ridicule auprès de ceux qui sont prévenus par la pensée contraire. Ce qui est étonnant et contraire à l’opinion commune ne peut être admis tout de suite ; il faut miner une croyance pour y substituer la croyance contraire.
3. C’est ainsi qu’il a fait, quand il a disserté du mariage : comme bien des gens y voyaient le repos et le plaisir, il voulait leur montrer que le repos et le plaisir ne sont pas unis au mariage ; s’il l’avait dit tout de suite, il ne se serait pas fait écouter ; comme il ne l’a avancé qu’après un long préambule, et qu’il l’a amené à propos, il a facilement ébranlé ses auditeurs. C’est ce qu’il a fait aussi pour la virginité. Ce n’est qu’après de longs discours qu’il dit : « Je vous ménage », et : « Je veux que vous soyez sans inquiétude ». (1Cor. 7,28, 32) Il le fait aussi pour les langues, montrant que non seulement elles ne nous donnent point la gloire, mais encore que ceux qui ont ce don n’en retirent que de la honte et du déshonneur auprès des infidèles. La prophétie au contraire n’encourt point la honte et le déshonneur auprès des infidèles, et la gloire et l’utilité en sont également grandes : Personne ne dira de ceux qui ont le don de prophétie qu’ils sont insensés, personne ne se moquera d’eux ; ils exciteront au contraire une admiration profonde.
En effet, « ils sont convaincus par tous », c’est-à-dire, ce qu’ils ont dans le cœur se montre à tous et se produit au grand jour. Ce n’est point même chose de voir entrer quelqu’un et de l’entendre parler en persan ou en syriaque, ou de l’entendre révéler les mystères de sa pensée, soit qu’il le fasse dans un mauvais esprit et pour tenter les autres, soit qu’il le fasse sincèrement et en toute honnêteté. Ce que l’un fait involontairement, l’autre le fait par réflexion, et cela est plus étonnant et plus utile, C’est pourquoi il dit pour les langues que vous êtes insensés, et il ne le dit pas en son nom, mais au nom des assistants : « Disant que vous êtes insensés ». Pour la prophétie, il fait parler les faits, et ceux à qui elle rend service. « Il est convaincu par tous », dit-il, « il est jugé par tous, et c’est ainsi que les secrets de son cœur deviennent manifestes, et l’infidèle tombera sur sa face, adorera Dieu proclamant que Dieu est vraiment en vous ». Voyez comme ici rien n’est douteux : pour les langues il y a doute, et certains des infidèles attribuent cela à la folie ; mais pour la prophétie il n’y a rien de semblable, on sera étonné, on adorera, on confessera Dieu d’abord en fait, ensuite en paroles. C’est ainsi que, Nabuchodonosor a adoré Dieu ; disant : « En vérité votre Dieu est le Dieu qui révèle les mystères, puisqu’il a pu révéler ce mystère ». (Dan. 2,47) Voyez-vous la force de la prophétie, puisqu’elle a pu convertir et amener à la foi ce cœur farouche.
« Quoi donc, mes frères ? quand vous êtes réunis, chacun de vous a le chant, a la doctrine, a la langue, a la révélation, a l’interprétation : que tout se fasse pour l’édification (26) ». Voyez-vous la règle fondamentale du Christianisme ? Comme c’est le devoir d’un artisan d’édifier, ainsi c’est le devoir du chrétien d’être utile en tout à ceux qui sont près de lui. L’apôtre s’élève violemment contre un don, mais il ne veut pas faire croire qu’il est inutile, il veut seulement réprimer l’orgueil de ceux qui le possèdent ; aussi le compte-t-il de nouveau parmi les autres dons, disant : « Il a le chant, il a la doctrine, il a la langue ». Autrefois on avait le chant par l’effet d’une grâce ou d’un don, et on l’enseignait aux autres ; mais tout cela, ajoute Paul, ne doit avoir qu’un but, l’amendement du prochain : que rien ne se fasse au hasard et sans objet. Si vous ne vous approchez point de votre frère pour l’édifier, pourquoi vous approchez-vous de lui ? Je ne fais pas grand cas de la différence des grâces ; je n’ai qu’un souci, je n’applique mes soins qu’à un seul objet, à savoir que tout se fasse pour l’édification. Ainsi celui qui n’aura qu’un petit don, surpassera celui qui en a un grand, si l’édification y est jointe. Aussi les dons n’existent que pour que chacun soit édifié. Si cela n’arrive point, le don ne sert à celui qui l’a reçu que pour sa condamnation. À quoi cela sert-il, dites-moi, de prophétiser ? et à quoi de ressusciter les morts, si personne n’en retire du profit ? Or, si tel est l’objet des dons, et si l’on peut arriver à la même fin par d’autres moyens et sans les dons, il ne faut point s’enorgueillir des miracles, ni se croire malheureux, quand on est privé des grâces. S’il y en a qui parlent des langues, qu’ils soient deux ou trois tout au plus, qu’ils parlent à tour de rôle, et qu’il y en ait un qui interprète (27) ; « que s’il n’y a « point d’interprètes, qu’il se taise dans l’église, et qu’il parle à lui-même et à Dieu (28) ». Que dites-vous ? Après avoir si longuement démontré que les langues sont un don inutile et superflu, s’il n’y a point d’interprètes, vous ordonnez de nouveau de parler les langues ? Je ne l’ordonne point, répond-il, mais je ne le défends pas non plus ; c’est comme quand il dit. « Si quelqu’un des infidèles vous appelle, et si vous voulez aller » (1Cor. 10,27), il n’ordonne point par là d’aller, mais il ne retient pas ; il en est de même ici : « Qu’il se parle à lui-même et à Dieu ». S’il ne peut, dit-il, se taire, et s’il a un tel désir des honneurs et de la vaine gloire, qu’il se parle à lui-même. Ainsi par cela même qu’il a permis, il a défendu, en inspirant la honte d’un pareil acte.
4. C’est ce qu’il a fait ailleurs aussi en parlant du commerce de l’homme avec sa femme, et en disant : « Je le dis à cause de votre incontinence ». (1Cor. 7) Mais quand il parlait de la prophétie, il ne disait pas ainsi : et comment disait-il ? il ordonne, il impose une loi. « Que deux ou trois prophètes parlent ». Et ici il ne demande point d’interprète, et il ne ferme point la bouche à celui qui prophétise, comme en cet autre endroit où il dit : « S’il n’y a point d’interprète, qu’il se taise ». Car parler les langues ne suffit point. C’est pourquoi si quelqu’un a l’un et l’autre don, qu’il parle ; s’il ne les a point et veut parler, qu’il le fasse avec un interprète. Le prophète est l’interprète, mais l’interprète de Dieu, et vous, celui de l’homme. « S’il n’y a point d’interprète, qu’il se taise ». Il faut que rien ne se fasse inutilement, rien pour l’ambition et l’amour des honneurs.
« Qu’il se parle a lui-même et à Dieu », c’est-à-dire, dans son esprit et sans bruit, s’il le veut absolument. Ce n’est point là un ordre formel, c’est le fait d’un homme qui tâche d’inspirer la fonte par ce qu’il permet, comme quand il dit « Si quelqu’un a faim, qu’il mange chez lui ». (1Cor. 2,34) Tout en lui permettant quelque chose, il ne l’en reprend que plus vivement. Vous n’êtes pas réunis, dit-il, pour montrer que vous avez des dons, mais pour édifier ceux qui vous écoutent ; c’est ce qu’il a dit au commencement : « Que tout se fasse pour l’édification. Que deux ou trois prophètes parlent et que les autres décident (29) ». Il n’en demande pas un grand nombre comme pour les langues. Et pourquoi cela, direz-vous ; il montre que la prophétie ne suffit point, puisqu’il confie la décision à d’autres. Au contraire, elle est tout à fait suffisante, et en effet il ne ferme pas la bouche à celui qui prophétise comme à celui qui parle les langues ; il ne lui impose pas silence, s’il ne se trouvé point là d’interprète ; et s’il, a dit de l’autre : « S’il n’y a point d’interprète, qu’il se taise », il ne dit point de celui-ci : S’il n’est personne qui comprenne, qu’il ne prophétise point ; il a seulement prémuni l’auditeur. Il les a avertis de se mettre sur leurs gardes, et de ne pas permettre que les devins et les charlatans se présentent au milieu d’eux.
Dès le commencement il les a mis en garde contre cela, quand il a donné la différence de la divination et de la prophétie. Et maintenant il les engage à user de discernement, et à prendre garde que quelque chose de diabolique ne s’introduise parmi eux. « Si un des assistants a une révélation, que le premier se taise. Vous pouvez tous prophétiser les uns après les autres, afin que tous apprennent et que tous soient exhortés (30, 31) ». Que signifient ces paroles ? Si pendant que vous parlez, dit saint Paul, et que vous prophétisez, un autre est touché de l’Esprit-Saint, cessez de parler. Ce qu’il a exigé pour les langues, il l’exige ici, que cela se fasse isolément, mais d’une façon plus divine : il n’a pas dit : isolément, mais « si un autre a une révélation », qu’est-il besoin, quand l’autre est saisi d’un mouvement prophétique, que le premier continue à parler ?
Car, tandis qu’il parlait, l’Esprit-Saint a touché l’autre, afin qu’il dit aussi quelque chose à dire. Puis, pour consoler celui à qui il ferme la bouche, il dit : « Vous pouvez tous prophétiser les uns après les autres, afin que tous apprennent et soient consolés ». Voyez comment il met encore en avant le motif qui le guide en tout ? S’il défend absolument à celui qui parle les langues de parler, quand il n’y a point d’interprète, c’est à cause qu’il est inutile ; ainsi fait-il à l’égard de la prophétie, quand elle est inutile, et ne pourrait apporter que la confusion, le trouble et un tumulte inopportun ; alors il la fait taire. « Et les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes (32) ». Voyez avec quelle force il prend ses auditeurs par la honte ? pour que l’homme ne lui résiste point et ne soulève point de sédition, il montre que le don lui-même est inférieur, car ce qu’il appelle ici l’Esprit est l’inspiration. Or, si l’inspiration a ses degrés, il ne serait pas juste que celui qui en est possédé luttât contre une inspiration supérieure. Puis il montre qu’un pareil arrangement est agréable à Dieu par ces mots qu’il ajoute « C’est que notre Dieu n’est pas un Dieu de discorde, mais un Dieu de paix, comme je l’enseigne dans toutes nos saintes assemblées (33) ». Voyez-vous de combien de manières il s’y prend pour imposer silence à la vanité et pour consoler celui qui cède la parole à l’autre ? Voici son premier et son principal motif de consolation ; vous pouvez tous prophétiser l’un après l’autre. Son second motif est tiré des degrés de l’inspiration. L’inspiration d’un prophète est soumise à celle d’un autre prophète. Autre motif de consolation encore : Notre Dieu est un Dieu de paix et non de discorde. Enfin, quatrième motif, c’est une loi générale, c’est un précepte universel : voilà, dit-il, ce que j’enseigne dans toutes nos saintes assemblées. Quoi de plus imposant que ces paroles !
C’est qu’à cette époque l’Église, c’était le ciel ; c’était l’Esprit-Saint qui dirigeait tout, qui faisait mouvoir les chefs de l’Église et qui leur donnait l’inspiration divine. Aujourd’hui nous n’avons conservé que les symboles et les signes extérieurs de ces dons précieux, aujourd’hui encore nous sommes deux ou trois qui parlons, et nous prenons la parole tour à tour ; et quand l’un se tait, l’autre commence, mais ce ne sont là que des signes qui rappellent de si grands dons ; voilà pourquoi, quand nous prenons la parole, le peuple répond : Que le Seigneur soit avec votre esprit. Cela prouve que l’on parlait ainsi autrefois, mais alors c’était non pas la sagesse humaine, mais l’Esprit qui était dans toutes les bouches ; il n’en est pas ainsi de nos jours ; et ici je parle aussi pour moi.
5. Mais l’Église ressemble aujourd’hui à une femme déchue de son ancienne splendeur, et n’a plus que des images de sa prospérité d’autrefois, elle montre les cassettes et les coffrets où étaient renfermées des richesses, mais elle a perdu les richesses elles-mêmes. C’est à cette femme que l’Église ressemble. Ce n’est point à cause des grâces que je parle ainsi, il n’y aurait rien d’étonnant si elle n’avait perdu que cela, mais elle a perdu encore la bonne conduite et la vertu. Autrefois la foule des veuves et la troupe des vierges servaient d’ornement à l’Église ; maintenant elle est déserte et vide, et elle n’a plus que des fantômes. Il y a encore aujourd’hui des veuves et des vierges, mais elles n’ont plus ces qualités qui doivent orner les femmes qui, se préparent à de tels combats. Le caractère auquel on reconnaît le mieux une vierge, c’est qu’elle ne s’occupe que de Dieu et n’est occupée qu’à le prier continuellement ; et l’on reconnaît une veuve, non pas à ce qu’elle ne désire point un mariage heureux, mais à d’autres signes, comme la charité, l’hospitalité, l’assiduité à la prière et à toutes les autres vertus que demande Paul dans sa lettre à Timothée.
Même parmi les femmes qui se sont soumises au mariage, on en peut trouver qui font preuve d’une grande vertu : cependant ce n’est pas cela seulement qu’on leur demande, mais le soin diligent et l’amour des pauvres ; en quoi brillaient d’un vif éclat les femmes d’autrefois, il n’en est pas ainsi de beaucoup de femmes de notre temps. Alors au lieu d’or, c’étaient les aumônes qui leur servaient d’ornements ; aujourd’hui elles s’en sont dépouillées, et elles sont couvertes de chaînes d’or forgées avec leurs péchés.
Dirai-je qu’un autre endroit encore n’a plus l’éclat d’autrefois ? Jadis tout le monde se réunissait, et l’on chantait en commun. Nous le faisons encore aujourd’hui, mais alors tous n’avaient qu’un seul esprit et qu’une seule âme ; aujourd’hui vous ne trouveriez pas même en une seule âme cette concorde et cet accord, mais partout la guerre sévit. Celui qui préside à l’assemblée, demande encore à tous le silence, comme à ceux qui entrent dans la maison de leur père, mais ce n’est là qu’un vain mot ; cela n’est jamais une réalité. Autrefois les maisons mêmes étaient des églises, aujourd’hui l’église même est une maison, elle est même pire que n’importe quelle maison. Car dans chaque maison vous remarquez un ordre bien établi : la maîtresse de la maison est assise sur un siège, entourée de chasteté, de modestie et d’honneur : autour d’elle les servantes filent en silence, et chaque serviteur s’occupe de la tâche qui lui est imposée.
Mais dans l’église il y a un grand tumulte, une grande confusion, et elle ne diffère en rien d’une auberge, tant sont forts les rires, tant est grand le désordre, ainsi que dans des bancs et dans un marché où tous crient et font du bruit. Et cela n’arrive qu’ici : car ailleurs il n’est pas permis, dans l’église, d’adresser la parole même à son voisin, même à un ami qu’on revoit après une longue absence ; tout cela doit se faire au-dehors, et avec raison. L’église, en effet, n’est pas une boutique de barbier ou de parfumeur, ou une de ces échoppes d’artisans qui sont au marché, c’est le séjour des anges, le séjour des archanges, le royaume de Dieu, le ciel lui-même. Si quelqu’un vous introduisait au ciel, lors même que vous verriez votre père ou votre frère, vous n’oseriez lui parler : ainsi dans l’église ne faut-il dire que des choses spirituelles, car c’est aussi le ciel. Si vous ne me croyez pas, regardez cette table, souvenez-vous pourquoi ce prêtre s’y tient, rappelez-vous quel est celui qui y descend, et demeurez muets même avant l’élévation. Si vous voyiez seulement le trône d’un roi, vous seriez excités par l’attente de son arrivée. De même il faut vénérer Dieu, même avant l’élévation ; il faut être muet, et, avant de voir le voile déployé et le chœur des anges qui s’avance, il faut s’élancer vers le ciel. Mais celui qui n’est pas initié aux mystères ignore cela, il lui faut donc d’autres exhortations. Et nous ne manquerons point de paroles qui lui apprennent à se lever, et qui lui persuadent de s’élever sur les ailes de la pensée. Vous donc, qui ignorez les mystères, quand vous entendrez le prêtre dire : Voilà ce que dit le Seigneur : Retire-toi de la terre, vous aussi, montez au ciel, réfléchissez à ce qu’est celui qui, par la voix du prêtre, parle avec vous. Quand un historien cherche à exciter le rire, quand une femme joue le rôle d’une courtisane éhontée, l’assemblée est assise et écoute avec un profond silence ce qui se dit ; cependant personne n’ordonne le silence, et il n’y a ni tumulte, ni clameurs, ni aucun bruit : mais quand Dieu parle du haut du ciel de choses bien autrement étonnantes et vénérables, nous poussons l’impudence au-delà du cynisme, et nous n’accordons pas même à Dieu le même respect qu’aux courtisanes.
6. Avez-vous frémi de ces paroles ? frémissez encore bien plus, si vous vous rendez coupable des mêmes actes. Ce que Paul dit de ceux qui méprisent les pauvres et qui mangent seuls : « N’avez-vous pas des maisons pour manger et pour boire ? Méprisez-vous l’église de Dieu, et voulez-vous faire rougir ceux qui ne possèdent rien » (1Cor. 11,22), permettez-moi de l’appliquer à ceux qui font du bruit et qui parlent à l’église. N’avez-vous pas des maisons pour bavarder ? Méprisez-vous l’église de Dieu ? Et voulez-vous corrompre ceux qui sont modestes et tranquilles ? Mais il vous est doux et agréable de parler à ceux qui vous sont connus. Je ne vous le défends pas, mais faites-le chez vous, sur la place publique, dans les bains ; l’église n’est pas un lieu de conversation, mais d’enseignement. Mais aujourd’hui elle ne diffère en rien d’un marché, et si le mot n’était point trop fort, d’un théâtre, car les femmes qui s’y réunissent sont parées de vêtements plus lascifs et plus impudiques que les courtisanes de la scène. C’est cela même qui y attire beaucoup d’hommes impudiques ; si l’on veut séduire ou corrompre une femme, aucun lieu n’y paraît plus propre, je pense, que l’église ; si l’on veut vendre ou acheter quelque chose, on trouve l’église plus commode que le marché. Car il y a là plus de conversations à ce sujet que dans les boutiques mêmes.
Si l’on veut même blasphémer et entendre des blasphèmes, c’est là qu’on les entendra, plutôt que sur la place publique ; si vous voulez apprendre les affaires de la ville, ce qui se passe dans les maisons et dans les camps, n’allez pas au tribunal, ne demeurez pas dans la boutique des médecins ; c’est ici qu’on les annonce le plus exactement, ce lieu est tout plutôt qu’une église. Je vous ai peut-être réprimandés fortement ; pour moi, je ne le pense pas. Si vous persévérez dans votre égarement, comment pourrai-je savoir que mes paroles vous ont touchés. Il est donc nécessaire de répéter mes réprimandes. Cela est-il tolérable ? Cela est-il supportable ? Tous les jours nous nous fatiguons et nous nous épuisons pour vous renvoyer avec quelque instruction utile, et cependant personne de vous ne se retire avec quelque profit, mais avec un dommage plus grand encore ; car vous vous rendez coupables, quand vous n’avez aucune occasion de pécher, et par vos importunes bagatelles vous chassez ceux qui valent mieux que vous et qui se tiennent tranquilles ; mais que disent la plupart : je n’entends point, disent-ils, ce qu’on lit ; je ne sais point ce qu’on dit ; c’est parce que vous faites du bruit et du tapage, et que vous n’arrivez point avec un esprit doué du sens de piété. Que dites-vous ? Vous ne savez ce que signifient ces paroles ; c’est pour cela même qu’il fallait faire attention. Et si ce qui est obscur n’excite point votre esprit, vous feriez moins attention encore à ce qui serait clair et manifeste. C’est pour cela que tout n’est pas clair, afin que votre attention ne soit pas paresseuse, et que tout n’est pas obscur, afin que volis ne désespériez pas de le comprendre. Un eunuque, un barbare ne parlent point ainsi, mais, lors même qu’ils sont accablés d’une multitude d’affaires, et qu’ils sont au milieu de la rue, ils ont un livre à la main et ils lisent ; et vous, qui avez cette foule de docteurs et des gens qui lisent pour vous, vous m’apportez des excuses et de vains prétextes. Vous ne savez ce qui se dit ? Priez donc Dieu de vous l’apprendre. Mais il ne peut se faire que vous ignoriez tout ; beaucoup de parties sont claires et lucides, et, lors même que vous ne comprendriez rien, il faudrait encore vous tenir tranquille, afin de ne point chasser ceux qui sont attentifs, et alors comme votre silence et votre réserve seraient agréables à Dieu, il rendrait clair ce qui est obscur pour vous. Mais vous ne pouvez vous taire ? Sortez donc, afin de ne ; point apporter de dommage aux autres. Car il faut que dans l’église il n’y ait qu’une seule voix, comme s’il n’y avait qu’une seule personne. C’est pour cela que celui qui lit parle seul, que celui qui préside l’assemblée demeure assis en silence, que celui qui chante, chante seul, et quand les autres lui répondent, c’est comme une seule voix qui sort d’une seule bouche ; et celui qui parle au peuple parle seul. Mais lorsqu’un grand nombre de docteurs discutent sur des choses diverses, pourquoi nous nous imposerions-nous un jeu inutile ? En effet, si vous n’aviez point la légèreté de croire que nous vous imposons une gêne inutile, quand nous parlons de choses si importantes, vous ne parleriez point de ce qui n’y a aucun rapport. Ainsi, ce n’est pas seulement dans votre conduite, c’est encore dans votre appréciation des choses qu’il y a de la perversité ; vous convoitez ce qui est superflu, et, négligeant la vérité, vous poursuivez des ombres et des rêves.
Tous les biens présents, ne sont-ce pas de l’ombre et des rêves, et quelque chose de plus vain que l’ombre ? Avant qu’ils apparaissent, ils se dissipent, et, avant de s’envoler, ils nous laissent un trouble bien plus grand que le plaisir qu’ils ont pu nous procurer. Celui qui a enfoui des richesses incalculables, est pauvre quand la nuit est passée, et avec raison. Ceux qui sont riches en rêve, une fois qu’ils sont sortis du lit, n’ont rien de ce qu’ils ont cru voir pendant leur sommeil : il en est de même des avares et de ceux qui sont tourmentés du désir de toujours posséder davantage, que dis-je ? leur état est pire encore. Celui qui est riche en rêve, n’a point les richesses qu’il a cru voir en songe, et se lève sans avoir reçu de son rêve aucun mal ; mais l’avare est à la fois privé des richesses, et rempli de tous les péchés qui naissent des richesses ; les plaisirs qui viennent des richesses, il n’en jouit que dans une espèce de fantôme, mais les maux qui en viennent ne sont pas un fantôme, mais la vérité même ; le plaisir n’a existé qu’en rêve, le supplice qui suit le plaisir n’existe pas seulement en rêve, il est réel ; et, même avant ce supplice, l’avare est puni des plus forts châtiments ; en amassant les richesses, il est en proie aux soucis innombrables, aux inquiétudes, aux accusations, aux calomnies, aux tumultes et aux désordres. Pour être donc délivrés des rêves et des maux qui ne sont pas des rêves, au lieu de l’avarice et du désir d’amasser adoptons les aumônes, et au lieu des rapines, la bienveillance. C’est ainsi que nous obtiendrons les biens présents et futurs par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, appartiennent la gloire, la puissance, l’honneur, aujourd’hui et toujours, et jusque dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXVII.


QUE VOS FEMMES SE TAISENT DANS LES ÉGLISES ; IL NE LEUR EST POINT PERMIS DE PARLER, MAIS ELLES DOIVENT ÊTRE SOUMISES, AINSI QUE LE DIT LA LOI. (CHAP. 14, VERS. 34)

ANALYSE.

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  • 1 et 2. Réserve que les femmes doivent garder dans les assemblées de l’Église.
  • 2-4. Que l’ordre doit partout régner. – Que l’avarice est une maladie. – Du trouble que les passions causent dans le monde.


1. Après avoir réprimandé le tumulte qui naît des langues, et celui qui naît des prophéties, et porté la loi que ceux qui parlent le fassent tour à tour, et que ceux qui prophétisent se taisent quand un autre prend, la parole, il arrive enfin au trouble que causent les femmes, et gourmande leur bavardage importun : et il le fait à juste titre. Car si ceux qui ont les grâces ne doivent point parler au hasard, ni quand il leur plaît, quoiqu’ils soient inspirés du Saint-Esprit, que dire du bavardage vain et inconsidéré des femmes. C’est pourquoi il leur ferme la bouche – avec une grande autorité, et il les fait taire, en s’armant de la loi. En effet, il ne donne pas seulement des conseils ou des exhortations, mais il commande avec force, citant à ce sujet l’ancienne loi. Après avoir dit : « Que vos femmes se taisent dans les églises ; il ne leur est point permis a de parler, mais elles doivent être soumises », il ajoute : « Comme la loi le dit ». Et où la loi dit-elle cela ? « Tu te tourneras vers ton mari et il te commandera ». (Gen. 3,16) Voyez-vous la sagesse de Paul, et le grand témoignage dont il se sert, ne leur ordonnant pas seulement de se taire, mais de se taire avec crainte, et une crainte aussi grande que celle d’une esclave. C’est pourquoi après avoir dit : « Il ne leur est point permis de parler », il n’ajoute point : Elles doivent se taire ; au lieu de « se taire », il a mis ce qui est plus fort : Être soumises. Si elles doivent se tenir ainsi devant leurs maris, elles le doivent bien plus devant les docteurs et les Pères, et dans l’assemblée des fidèles. Mais si elles ne parlent point, direz-vous, et si elles n’interrogent point, pourquoi seront-elles présentes ? Pour entendre ce qu’il faut, quant aux choses dont elles doutent, elles doivent l’apprendre chez eux de leurs maris. C’est pourquoi il a ajouté : « Si elles veulent apprendre quelque chose, qu’elles interrogent chez eux leurs maris « (35) ». Or, si elles ne doivent pas interroger, il leur est bien plus défendu encore de parler. Et pourquoi les a-t-il soumises à une si grande sujétion ? parce que la femme est faible, inconstante et légère. C’est pourquoi il leur a donné leurs maris pour docteurs, rendant ainsi service aux uns et aux autres. Il a rendu les femmes réservées et les hommes attentifs et soucieux de pouvoir répéter exactement devant leurs, femmes ce qu’ils ont entendu. Comme elles se faisaient une gloire de parler en public, il leur dit tout le contraire : « Il est honteux pour une femme de parler dans l’Église ». Il l’a prouvé d’abord par la loi de Dieu, ensuite par le sens commun et l’usage, comme il leur disait aussi, quant à leurs cheveux : « N’est-ce pas la nature même qui vous l’enseigne ? » (1Cor. 11, 14) Et partout chez lui vous trouverez cette habitude de leur inspirer la pudeur, en s’appuyant, non sur les saintes Écritures, mais sur l’usage. Ce sont les opinions communes et l’habitude dont il se sert, pour leur inculquer la modestie, lorsqu’il dit : « La parole de Dieu est-elle partie de vous, ou est-elle venue chez vous seuls (36) », et il cite en effet les autres. Églises qui observent cette loi, et c’est en montrant qu’il est inusité qu’il, réprimande le tumulte, et c’est en s’appuyant sur les suffrages de la foule qu’il fait accepter son discours. C’est pourquoi il disait en un autre endroit : « Celui qui vous a rappelé à la mémoire mes voies dans le Christ, comme moi-même je les enseigne dans toutes les églises » ; (1Cor. 4,17) et encore : « Ce n’est point un Dieu de dissension, mais de paix, comme aussi dans toutes les assemblées de saints » ; (Ibid, 14,33) et ces paroles : « La parole de Dieu est-elle partie de vous, ou est-elle venue chez vous seuls. » C’est-à-dire, vous n’êtes pas les premiers, vous n’êtes pas les seuls fidèles, mais c’est toute la terre. C’est ce qu’il disait aussi, en écrivant aux habitants de Colosse : « Comme elle fructifie et croît dans le monde entier », (Col. 1,6) en parlant de l’Évangile.
Quelquefois, pour exhorter ses auditeurs, il fait tout le contraire, comme quand il dit qu’ils ont agi les premiers, et que leurs actions brillent aux yeux de tous. Ainsi il écrivait aux habitants de Thessalonique : « C’est chez vous que la parole de Dieu a commencé à retentir », et en tout lieu votre foi est allée à Dieu. (1Thes. 1, 8) Il écrit encore aux Romains : « Votre foi est annoncée au monde entier ». (Rom. 1,8) Pour exciter et exhorter les hommes, c’est un moyen également efficace de les faire louer par d’autres, ou de leur montrer que d’autres pensent comme eux. Et c’est pour cela qu’il dit aussi : « La parole de Dieu est-elle partie de vous ; ou est-elle venue chez vous seuls ? » Vous ne pourrez point dire : Nous avons été les docteurs des autres, et il n’est point juste que nous allions à l’école des autres, ni : C’est ici seulement que la foi a demeuré, et nous n’avons pas à prendre exemple sur d’autres. Voyez-vous par combien de moyens l’apôtre leur inspire la pudeur, il cite la loi, il montre que l’action est honteuse, et il apporte pour exemple les autres Églises.
2. Enfin il dit en dernier lieu, et c’est ce qu’il y a de plus fort : c’est Dieu qui l’ordonne par moi : « Si quelqu’un paraît être prophète ou animé de l’Esprit divin, qu’il connaisse ce que je vous écris, que ce sont les ordres de Dieu (37) ; s’il l’ignore, qu’il l’ignore (38) ». Et pourquoi a-t-il ajouté cela ? Pour montrer qu’il n’apporte ni violence, ni disputes, ce qui est le propre de ceux qui ne veulent pas imposer leurs volontés, mais qui considèrent ce qui est utile aux autres. C’est pourquoi il dit aussi en un autre endroit : « Si quelqu’un aime la dispute, nous n’avons point cette habitude ». (1Cor. 11,16) Cependant il n’agit pas ainsi partout, mais là seulement où ne se commettent pas de grands péchés, et c’est encore là qu’il cherche à inspirer la honte. Quand il parle des autres péchés, ce n’est pas ainsi qu’il dit, mais comment ? « N’errez pas ; ni les débauchés, ni les efféminés ne posséderont le royaume de Dieu ». (Id. 6,9) Et encore : « C’est moi Paul qui vous le dis, que si vous êtes circoncis, le Christ ne vous sera pas utile ». (Gal. 5,2) Mais tomme ici il ne s’agit que du silence, ses réprimandes ne sont point si véhémentes, et par cela même il attire vers lui ses auditeurs. Il fait ensuite ce qu’il a coutume de faire : il revient à la première preuve dont il était parti pour dire tout cela : « C’est pourquoi, mes frères, recherchez la prophétie, et ne défendez pas de parler les langues (39) ». C’est son habitude de traiter non seulement ce qu’il s’est proposé, mais de corriger tous les défauts qui lui paraissent tenir d’une certaine façon au sujet, puis d’y revenir, afin de ne point paraître s’écarter de ce qu’il voulait prouver. Ainsi, quand il parlait de la concorde dans les repas, après avoir fait une digression sur la communion dans les mystères, il revient à son premier sujet, disant : « C’est pourquoi quand « vous vous réunissez pour manger, attendez« vous les uns les autres ». (1Cor. 11,33) Ici de même, après avoir discuté sur l’ordre qu’il faut observer dans les dons, et montré qu’il ne faut point s’affliger des moindres, ni s’enorgueillir de ceux qui sont plus importants, il fait une digression sur la modestie qui convient aux femmes, il y apporte les preuves nécessaires, puis il revient à son sujet, disant : « C’est pourquoi, mes frères, recherchez la prophétie, et ne défendez point de parler les langues ». Voyez comme jusqu’à la fin il observe la différence entre ces deux dons, et comment il montre que l’un est tout à fait nécessaire, et que l’autre ne l’est point. C’est pourquoi il dit de l’un : « Recherchez », et de l’autre : « Ne défendez pas ». Puis, se résumant en quelque sorte, il corrige tout, ajoutant : « Que tout se fasse honnêtement et suivant l’ordre (40) », ce qui s’applique encore à ceux qui par légèreté veulent agir avec indécence, acquérir la réputation de fous, et ne conservent pas l’ordre qui leur convient.
Rien n’est édifiant comme le bon ordre, la paix, la charité, de même que les vices contraires sont une cause de ruine. Cela n’est pas vrai seulement des choses spirituelles, c’est encore vrai en tout le reste. Dans un chœur, dans un navire, dans un char, dans un camp, si vous détruisez l’ordre, et si ôtant de leur place les choses les plus importantes vous y mettez les moins importantes, vous gâtez tout, vous mettez tout sens dessus dessous. Ce n’est point nous qui renverserions l’ordre, et qui mettrions la tête en bas, et les pieds en haut. Il arrive que, quand on renverse ainsi l’ordre naturel, on préfère à la raison la concupiscence, la colère, l’emportement et le plaisir : de là naissent de grandes fluctuations, un soulèvement profond et une horrible tempête, quand les ténèbres ont tout envahi. Et, si vous le voulez, dissipons d’abord la honte qui en résulte, et ensuite le dommage qui en sort. Comment ce mal sera-t-il connu et manifeste ? Amenons sur la place publique un homme ainsi atteint, possédé de l’amour d’une courtisane, et consumé d’un désir infâme, et nous verrons alors combien il est ridicule. Que peut-il y avoir de plus honteux que de se tenir à la porte d’une courtisane et d’être repoussé par elle, de pleurer et de se lamenter, et de ruiner ainsi sa considération ? Si vous voulez voir le dommage, repassez en votre esprit les prodigalités, les dangers mortels, la guerre contre les rivaux, les coups et les blessures que l’on reçoit en ces combats. Ainsi sont également ceux que possède l’amour de l’argent. Ce vice même est plus honteux et plus indécent. Car les débauchés sont occupés d’un seul corps, et lui prodiguent leurs soins et leur amour, mais les avares sont inquiets et tourmentés par les richesses de tous, des pauvres et des riches, et ils aiment ce qui n’existe point, ce qui est le propre d’une passion excessive. Ils ne disent pas : je voudrais avoir les richesses d’un tel ou d’un tel, mais ils veulent des maisons d’or, les maisons et tout ce qu’ils voient ; ils se transportent dans un monde imaginaire ; et c’est ce qu’ils souffrent toujours, et jamais leurs désirs n’ont de fin. Qui pourrait exprimer par les mots cette agitation de leurs pensées, cette tempête, ces ténèbres ? Où sont des flots aussi orageux que ceux du plaisir ? Il n’y en a point, c’est un tumulte, c’est un désordre, ce sont de sombres nuages, qui, au lieu d’eau, apportent le chagrin à l’âme, ce qui a coutume aussi d’arriver à ceux qui aiment la beauté d’autrui. C’est pourquoi ceux qui n’aiment d’aucune façon sont dans un état plus doux que les débauchés de cette sorte. C’est là une pensée que personne ne contredirait ; pour moi, je vais jusqu’à dire que celui qui aime et réprime sa passion, éprouve plus de plaisir que celui qui jouit continuellement d’une courtisane. Quoiqu’il soit un peu difficile de le prouver, cependant j’aurai l’audace de l’entreprendre. Cela est difficile, non pas à cause de la nature des choses, mais parce que les auditeurs ne sont point dignes de cette philosophie.
3. Répondez-moi, je vous prie : qu’est-ce qui est plus agréable à un amant, d’être méprisé de sa maîtresse, ou d’être honoré d’elle et de la mépriser ? Il est clair que ce dernier cas est le plus agréable. Qui donc, je vous prie, la courtisane honorera-t-elle plus, ou l’homme qui s’asservit à elle et devient son esclave, ou celui qui s’est joué de ses filets et vole au-dessus des pièges qu’elle lui a tendus ? Il est clair que c’est ce dernier. Sur qui portera-t-elle plus tôt son amour, sur celui qui a succombé, ou sur celui qui n’a pas encore succombé ? sur celui, certes, qui n’a pas encore succombé. Quel est celui qui est le plus désirable, celui qui est déjà atteint de l’amour ou celui qui n’a pas encore été captivé ? C’est celui qui n’a pas encore été captivé. Si vous ne voulez point m’en croire, voyez ce qui vous arrive à vous-même. Quelle est la femme qu’on aimera plus, celle qui succombe facilement et se donne elle-même, ou celle qui refuse et combat longtemps ? Il est hors de doute que c’est celle-ci, car c’est ainsi qu’elle allume un désir plus vif. La même chose arrive à la femme : elle honorera et admirera plus celui qui la méprise. S’il en est ainsi, que celui-là éprouve plus de plaisir qui est plus honoré et plus aimé. Le général d’armée qui a pris une fois une ville, l’abandonne, mais il met toute son ardeur à assiéger celle qui résiste et lutte ; le chasseur laisse cachée la bête qu’il a prise, comme la courtisane fait de son amant, mais il poursuit celle qui se sauve devant lui. Mais l’amant, direz-vous, jouit de ses désirs, et l’autre n’en jouit point. Mais échapper à la honte et au déshonneur, ne pas être asservi à la tyrannie d’une maîtresse, ne pas être conduit et mené par elle comme un esclave, roué de coups, conspué, frappé à la tête, croyez-vous, dites-moi, que ce soit là un petit plaisir ? Si l’on voulait bien examiner tous ces tourments et rassembler toutes les hontes, les outrages, les incriminations, les colères, les inimitiés, et tous ces maux qui ne sont connus que de ceux qui les ont soufferts, il trouverait que toute guerre a plus de trêves que la vie misérable de ces hommes.
Quel est donc le plaisir dont vous me parlez, je vous le demande, est-ce celui qui résulte de l’union des sexes, et qui est bref et passager ? mais la guerre lui succède tout à coup, et les agitations, et la rage, et la folie. Je vous parle comme je parlerais à des jeunes gens incontinents et impudiques, et qui n’entendraient pas volontiers ce qu’on leur dirait du paradis et de l’enfer. Mais, quand nous aurons produit tout cela au grand jour, nous ne pourrons dire combien grand est le plaisir des gens modérés et tempérants alors chacun pensera aux couronnes, aux récompenses, au commerce avec les anges, à la bonne réputation par la terre entière, à, la confiance et à la franchise des paroles, à ces espérances de bonheur immortelles. Mais l’union des sexes nous procure du plaisir ; voilà ce qu’ils nous opposent toujours, et encore, que l’homme tempérant ne peut pas toujours résister à la tyrannie de l’amour. C’est le contraire que vous trouverez ; le trouble et le désordre se trouvent plutôt chez celui qui se livre à la débauche, son corps est sans cesse agité ; son trouble est plus grand que celui de la mer houleuse ; jamais son désir ne s’arrête, il supporte continuellement ses assauts, semblable à ceux qui sont possédés par le démon et agités par les mauvais esprits. L’homme tempérant, au contraire, semblable à un vigoureux athlète, tient toujours la passion abattue, et trouve là un plaisir plus vif que tous les plaisirs des sens ; cette victoire et sa bonne conscience lui servent de trophées éclatants et durables. Si le débauché se repose un peu après la lutte, il ne lui sert de rien ; car de nouvelles agitations et de nouvelles tempêtes l’envahissent. Mais le sage ne permet pas dès le commencement que ce trouble pénètre en lui, que la mer se soulève, et que cette bête pousse des cris. S’il éprouve quelque peine à réprimer de si violents mouvements, il faut dire aussi que le débauché, toujours battu, percé dé coups et ne pouvant supporter l’aiguillon du désir, est semblable à celui qui emploie en vain tout son art à retenir un cheval indocile au frein ; s’il cesse un instant ses efforts, s’il recule devant la fatigue, il est emporté par lui. Si j’ai expliqué tout cela plus clairement qu’il ne faut, qu’on ne me reprenne point ; je ne recherche point la majesté dans mon discours, je cherche à rendre mes auditeurs graves et honnêtes.
4. Les prophètes aussi ne reculent devant aucune parole, quand ils veulent détruire l’intempérance et la corruption des Juifs, mais ils les réprimandent avec des paroles encore plus significatives que celles dont nous nous sommes servis. Le médecin qui veut guérir un abcès ne regarde pas à conserver ses mains propres, il ne songe qu’à guérir le malade de son abcès ; celui qui veut relever l’humble se fait humble d’abord, et celui qui s’applique à tuer l’homme, qui dresse des embûches, se couvre de sang en même temps que son ennemi, et c’est cela même qui lui donne plus de gloire. Si vous voyez un soldat revenir de la guerre, souillé de sang et de cervelle, vous n’irez point le détester pour cela ni le, repousser, mais vous ne l’en admirerez que plus. Ainsi devons-nous faire quand nous voyons quelqu’un revenir tout ensanglanté, après avoir immolé la passion ; nous devons l’en admirer davantage, nous associer et participer à ses combats et à ses victoires, et dire à ceux qui aiment : montrez-nous le plaisir que vous avez recueilli de vos passions.
L’homme tempérant et chaste trouve la volupté dans la victoire qu’il remporte sur lui-même : mais vous, quel est le plaisir que vous goûtez ? Vous me parlerez peut-être de celui que vous puisez dans un commerce charnel. Ah ! la volupté de la tempérance est plus franche et plus durable. Vos jouissances à vous sont courtes et vos plaisirs d’un moment ne laissent point de traces. Mais la chasteté puise dans sa conscience des joies plus vives et plus suaves qui ont de la durée. Le commerce des sexes est incapable de calmer et d’élever notre âme comme la philosophie. L’homme chaste, je l’ai dit, montre une volupté franche. Vous, au contraire, qui êtes vaincu par vos passions, vous nous découvrez l’inquiétude de votre âme. Où sont vos plaisirs ? je voudrais les voir ; mais je ne les découvre pas. Quand goûtez-vous un moment de plaisir en effet ? Est-ce avant de satisfaire vos sens ? mais, en ce moment-là, le plaisir n’existe pas pour vous. C’est dé la folie, de la démence, du trouble que vous éprouvez ; grincer des dents, être hors de soi, est-ce là du plaisir ? si c’était là de la volupté, nous ne serions pas condamnés à donner, en un pareil état, tous les signes de la plus vive douleur. Les athlètes qui frappent ou qui sont frappés, grincent des dents. Les femmes déchirées par les douleurs de l’enfantement font de même. Ce n’est donc pas là un plaisir, c’est un trouble et un désordre excessif de l’âme. Et ensuite ? Ah ! n’en parlez pas. La femme qui vient d’accoucher n’éprouve pas ce qu’on a le droit d’appeler un plaisir ; elle est seulement délivrée de ses douleurs. Et franchement il n’y a pas là du plaisir ; il y a un état de faiblesse et de prostration. Or, entre la volupté et la prostration, la différence est grande. Quel est donc le moment où vous goûtez quelque plaisir, dites-moi ? Je n’en vois pas, ou si ce moment existe, c’est un éclair qu’on n’a pas le temps d’apercevoir. Ce moment, nous avons essayé mille fois de le saisir et de le retenir, nous ne l’avons pas pu ; mais pour l’homme tempérant et modéré, il n’en est pas ainsi. Ses plaisirs sont apparents et durables ; ou plutôt sa vie entière est une volupté : sa conscience lui tresse des couronnes ; son âme est comme une onde tranquille qui ne connaît pas les orages et qui est assurée contre eux de toute part. À l’aspect de cette volupté pure, à la vue des inquiétudes et des troubles qui accompagnent la débauche, hâtons-nous de fuir ce vice, fuyons l’intempérance, pour faire vœu de tempérance et de chasteté, pour obtenir en outre dans l’autre vie le bonheur éternel, par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l’empire, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. BAISSEY.

HOMÉLIE XXXVIII.

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JE VAIS MAINTENANT, MES FRÈRES, VOUS REMETTRE DEVANT LES YEUX L’ÉVANGILE QUE JE VOUS AI PRÊCHÉ, QUE VOUS AVEZ REÇU, DANS LEQUEL VOUS DEMEUREZ FERMES, ET PAR LEQUEL VOUS SEREZ SAUVÉS, SI VOUS L’AVEZ RETENU, COMME, JE VOUS L’AI ANNONCÉ. (CHAP. 15, VERS. 1)

ANALYSE.

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  • 1 et 2. Explication littérale du texte de saint Paul. — Prudence de saint Paul, son habileté, dans les circonstances les plus délicates, à manier les âmes. — Importance capitale du dogme de la résurrection.
  • 3 et 4. Discussion curieuse contre les Manichéens qui soutenaient que la mort de Jésus-Christ et la résurrection n’étaient que la mort du péché et la purification de l’âme.
  • 5-7. De l’humilité de saint Paul ; exemple qu’il nous donne. — Contre le désespoir et la confiance exagérée, ces deux grandes causes de tous nos malheurs. — Sur ce qu’il y a d’insatiable dans l’âme humaine, et sur le bonheur de la pauvreté. — Opposition curieuse de ces deux derniers développements.

1. Il vient d’en finir avec les dons spirituels, il passe maintenant à la vérité qui est, de toutes les vérités, la plus nécessaire, à la résurrection ; sur ce point, les fidèles étaient atteints d’une maladie grave. Et de même que pour le corps, si la fièvre en saisit les parties solides, les nerfs, les veines, les premiers éléments qui le constituent, il faut désespérer de la guérison, si l’on ne s’y applique avec le plus grand soin ; de même, pour leur salut, les fidèles couraient le plus grand danger. C’était aux éléments mêmes de la piété que le mal s’attaquait. Aussi Paul apportait-il un grand zèle à les guérir. Il ne s’agissait plus de la conduite, des mœurs, du libertinage de l’un, de l’avarice de l’autre, de tel qui se montrait la tête couverte, mais de ce qui est le résumé de tous les biens ; c’était sur la résurrection même qu’on était en dissentiment. Comme toute notre espérance est là, c’est le point que le démon attaquait avec le plus d’acharnement, et tantôt il la supprimait tout à fait, tantôt il disait qu’elle avait eu déjà lieu. Aussi Paul, écrivant à Timothée, appelle cette funeste doctrine, une gangrène, et flétrit ceux qui la propagent : « De ce nombre sont Hyménée et Philète qui se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns ». (2Tim. 2,17-18) Quelquefois, donc ils disaient cela, d’autres fois ils prétendaient qu’il n’y a pas de résurrection pour le corps, que la résurrection n’est que la purification de l’âme. Ce qui les portait à tenir de pareils discours, c’était la perversité du démon, jaloux, non seulement de renverser la résurrection, mais de montrer que tout ce qui a été accompli pour nous n’est que fables. Si l’on avait pu persuader aux esprits qu’il n’y a pas de résurrection des corps, le démon aurait fini par persuader peu à peu que le Christ lui-même n’est pas ressuscité ; de là, procédant méthodiquement, il aurait introduit la doctrine que le Christ n’a pas paru parmi nous, n’a pas fait ce qu’on lui attribue.

Telle est la malignité du démon, que Paul appelle un système « d’artifices » (Eph. 6,11), parce que le démon ne fait pas paraître tout de suite ce qu’il veut qu’on approuve, il craint trop d’être convaincu de perfidie ; il prend un masque, il a recours à des manœuvres, comme un ennemi rusé qui veut entrer dans une ville, forcer les murailles, il a des conduits souterrains, cachés à tous les yeux, dont on ne peut se défier, afin de tromper la vigilance et d’assurer le succès de ses affreux desseins. Aussi, trouvant toujours ses pièges ténébreux, toujours à la poursuite de ses criminelles embûches, cet admirable apôtre, ce grand homme disait : « Nous n’ignorons pas ses desseins ». (2Cor. 2,11). Ici, en effet, Paul découvre toute la ruse du démon, il montre toutes ses machinations ; tout ce que le pervers médite et prépare, l’apôtre l’étale, il fait voir le tout dans tous les détails avec le plus grand soin. Voilà pourquoi ce qu’il place en dernier lieu, c’est cette, vérité capitale, la plus nécessaire de toutes, et qui renferme tous nos intérêts. Or voyez là prudence du Maître : ce n’est qu’après avoir fortifié ses disciples, qu’après avoir mis les siens en sûreté, qu’il va plus loin, qu’il attaque les étrangers, qu’il leur ferme la bouche avec toute espèce d’autorité. S’il fortifie les siens, s’il les met en sûreté, ce n’est pas par des raisonnements, mais il s’appuie sur des faits déjà accomplis, qu’eux-mêmes ont acceptés, auxquels ils ont ajouté foi c’était un puissant moyen de les faire rentrer en eux-mêmes, et de les contenir. S’ils voulaient dorénavant refuser leur foi, ce n’était plus a Paul mais à eux-mêmes qu’ils la refusaient ; ils devaient s’en prendre à ceux qui avaient, les premiers, admis la foi nouvelle, et qui s’étaient transformés. Aussi commence-t-il par dire qu’il n’a pas besoin d’autres témoins de la vérité de sa parole que ceux mêmes qui ont été trompés.
Mais voici qui rendra mon discours plus clair, écoutez les paroles mêmes. Quelles sont ces paroles ? « Je vais maintenant, mes frères, vous remettre devant les yeux l’Évangile que je vous ai prêché ». Voyez-vous, dès le début, la parfaite convenance ? Voyez-vous, dès le début, comme il leur montre qu’il ne leur apporte aucune étrangeté, aucune nouveauté ? Remettre devant les yeux ce qui a déjà été mis devant les yeux et qui ensuite a été oublié, ce n’est que rafraîchir la mémoire. Il les appelle frères ; et ce simple mot constitue, une démonstration anticipée, une démonstration éloquente de la vérité qu’il soutient ; car nous ne sommes frères que par l’incarnation de Jésus-Christ. S’il les appelle de ce nom, c’est pour les adoucir, pour les flatter, pour leur rappeler en même temps, d’innombrables bienfaits. Et ce qui suit confirme sa pensée. Qu’est-ce qui vient après ? L’Évangile. Le point de départ de l’Évangile, l’Évangile tout entier c’est Dieu fait homme, crucifié, ressuscité. C’est ce que Gabriel annonça à la Vierge, c’est ce que les prophètes annoncèrent à toute la terre, c’est ce qu’ont annoncé, à leur tour, tous les apôtres. « Que je vous ai, prêché, que vous avez reçu, dans lequel vous demeurez fermes, et par lequel vous serez sauvés, si vous l’avez retenu, comme je vous l’ai annoncé, et si ce n’est pas en vain que vous avez embrassé la foi (2) ». Voyez-vous comme il les prend pour témoins de ses paroles ? Et il ne dit pas : Que vous avez entendu, mais, « que vous avez reçu » ; il leur redemande, pour ainsi dire, un dépôt, et il leur montre que ce n’est pas seulement un discours entendu ; que des actions, des signes, des prodiges les ont décidés à le recevoir, de manière à le conserver fermement.
2. Ensuite, après le rappel du passé, vient l’assertion relative au présent : « Dans lequel vous demeurez fermes » ; l’apôtre se saisit des fidèles ; il prévient, leur résistance, ils auraient, beau vouloir, impossible à eux d’opposer une négation : Voilà pourquoi il ne, dit pas en commençant : Je viens vous apprendre, mais : « Je vais vous remettre devant les yeux » ce que vous connaissez déjà. Mais comment peut-il dire, de ceux qui bronchent, qu’ils demeurent fermes ? Il fait semblant de ne pas voir, et c’est de l’habileté : c’est une conduite analogue qu’il tient avec les Galates, seulement il y a une différence. Avec les Galates il ne peut pas feindre d’ignorer, il a recours à un autre : langage : « J’ai confiance dans le Seigneur, que vous n’aurez point d’autres sentiments » (Gal. 5,10) ; il ne dit pas : Que vous n’avez point eu d’autres sentiments ; leur faute était avouée ; manifeste, mais il garantit l’avenir ; sans doute l’avenir est incertain, mais ce qu’il en dit, c’est pour entraîner les fidèles. Ici, avec les Corinthiens, il fait semblant de ne pas savoir : « Dans lequel vous demeurez fermes ». Suit la considération de l’utilité ; « et par lequel vous serez sauvés, si vous l’avez retenu comme je vous l’ai annoncé ». C’est pourquoi l’enseignement d’aujourd’hui n’est qu’exposition et interprétation. En effet, c’est une doctrine que vous n’avez pas besoin d’apprendre, mais seulement de vous rappeler, afin de vous redresser. Ces paroles, c’est pour les rappeler à leur devoir. Mais que signifie : « comme je vous l’ai annoncé ? » De la manière, dit-il, dont je vous ai annoncé la résurrection. Je ne prétends pas que vous doutiez de la résurrection, mais peut-être voulez-vous savoir plus clairement ce qui a été dit. C’est une explication que je veux encore vous donner : car je sais que vous avez conservé le dogme. Ensuite, comme il leur avait dit : « Dans lequel vous demeurez fermes », pour prévenir la négligence où cet éloge les porterait, il leur inspire un sentiment de crainte, en leur disant : « Si vous l’avez retenu, et si ce n’est pas en vain que vous avez embrassé la foi » ; il leur montre par là que le coup serait mortel, qu’il ne s’agit pas de dogmes quelconques, mais de l’essence même de la foi.
En ce moment, il parle à mots couverts, mais à mesure qu’il avance, qu’il s’échauffe, il se découvre, il met à nu sa pensée, il parle à haute et intelligible voix, il crie : « Si Jésus-Christ n’est point ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre foi (14) », vous êtes ; encore dans vos péchés. Mais, au début, il ne s’exprime pas de cette manière ; il était bon de commencer doucement et de ne s’avancer que pas à pas. « Car je vous ai transmis d’abord ce que j’ai reçu (3) ». Ici même, il ne dit pas, je, vous ai dit, ni je vous ai enseigné, mais il se sert encore de l’expression : « je vous ai transmis ce que j’ai reçu ». Et il ne dit pas qu’il a été instruit, mais, « ce que j’ai reçu » : cette manière de parler s’explique par une double intention ; d’abord on ne doit rien introduire de son fonds particulier dans l’enseignement ; ensuite, la démonstration de la vérité se faisant par, les œuvres, c’est là ce qui a dû opérer en eux la certitude, et ils ne la doivent pas seulement des paroles ; puis, peu à peu, rendant son discours de plus en plus digne de foi, il rapporte le tout au Christ, et il montre qu’il n’y arien, dans ces dogmes, qui appartienne à l’homme. Mais que signifie, « car je vous ai transmis d’abord ? » C’est-à-dire, dès le commencement, ce n’est pas seulement d’aujourd’hui. Il prend le temps à témoin, et ce serait le comble de la honte, après avoir cru si longtemps, de renoncer maintenant à la foi ; cette raison n’est pas la seule de plus, le dogme est nécessaire ; voilà pourquoi il a été transmis dès le début, et tout de suite, et d’abord. – Et qu’avez-vous transmis ? Répondez-moi. – L’apôtre ne le dit pas tout de suite, mais d’abord, « ce que j’ai reçu ». Et qu’avez-vous reçu ? « Que Jésus-Christ est mort pour nos péchés ». Il ne dit pas tout de suite qu’il y a une résurrection de nos corps, mais c’est l’affirmation même qu’il prépare de loin, et par un moyen détourné, « que Jésus-Christ est mort » ; il commence par jeter le grand et ferme et solide fondement de son discours sur la résurrection. Car il ne se contente pas de dire que Jésus-Christ est mort, quoique ces simples, paroles eussent été suffisantes pour rendre manifeste la résurrection, mais il ajoute : « que Jésus-Christ est mort pour nos péchés ». Avant tout, il est bon d’entendre sur ce sujet ces manichéens malades, ennemis de la vérité, ces adversaires armés contre leur propre salut. Donc que disent-ils ? Par mort, à les en croire, Paul n’entend pas autre chose que l’état de péché, et la résurrection n’est que l’affranchissement du péché. Voyez-vous la faiblesse de l’erreur ? comme elle fournit elle-même des armes contre elle ? comme il est peu besoin de forces étrangères, comme elle se transperce elle-même ? Voyez donc, considérez comme ils se transpercent eux-mêmes par les discours qu’ils tiennent. Si c’est là ce qu’il faut entendre par mort, si le Christ n’a pas revêtu dé corps, comme vous le prétendez, s’il est mort, le Christ a été en état de péché, à vous entendre. Voici, moi, ce que je soutiens, à savoir, qu’il a pris un corps, et je dis que la mort est le fait de la chair : or vous le niez, il vous faut donc nécessairement dire qu’il était dans le péché. Or s’il était dans le péché, comment a-t-il pu dire : « Qui de vous me convaincra de péché ? » (Jean 8,46) et encore : « Le prince de ce monde va venir, quoiqu’il n’ait rien en moi qui lui appartienne ». (Id. 14,30) ; et encore : « C’est ainsi que nous devons accomplir toute « justice ». (Mt. 3,15) Or comment est-il mort pour les pécheurs, si lui-même était un pécheur ? Celui qui meurt pour les pécheurs, ne doit être soumis à aucun péché : car s’il est lui-même un pécheur, comment pourra-t-il mourir pour les péchés des autres ? Au contraire, s’il est mort pour les péchés des autres, il est mort, n’étant lui-même soumis à aucun péché ; mais s’il est mort, étant sans péché, il n’est pas mort par le péché, (comment cela se pourrait-il, puisqu’il n’avait aucun péché?) mais il est mort par son corps. Aussi Paul ne dit pas seulement : « Est mort », mais il ajoute : « pour nos péchés ». Et après les avoir contraint, quelque dépit qu’ils en aient, de reconnaître la mort corporelle, en montrant qu’avant la mort il était sans péché, (car mourir pour les péchés des autres entraîne nécessairement cette conséquence que l’on est sans péché) l’apôtre n’est pas encore content, il ajoute : « Selon les Écritures » ; nouvelle preuve à l’appui de son discours, et qui marque de quelle mort il entend parler. Car les Écritures parlent partout de la mort du corps : « Ils ont percé mes mains et mes pieds » (Ps. 21,17) ; et : « Ils verront celui qu’ils ont percé ». (Jn. 19,37)
3. On peut voir un grand nombre d’autres passages, pour ne pas les énumérer tous un à un, exprimant soit par des paroles, soit par des figures, et que c’est la chair quia été meurtrie, et que le Christ est mort pour nos péchés. « C’est pour les péchés de mon peuple », dit le prophète, « qu’il est mort », et « le Seigneur l’a livré pour nos péchés », et « il a été percé de plaies pour nos péchés ». (Is. 53,8, 6, 5) Si vous ne voulez pas de l’Ancien Testament, entendez la voix de Jean qui vous crie, qui vous montre les deux choses à la fois, et le corps meurtri, et la cause de la mort. « Voici », dit-il, « l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde » (Jean 1,29) ; et Paul disant « Celui qui ne connaissait pas le péché, il l’a rendu pour nous le péché, afin que nous devenions la justice de Dieu en lui » (2Cor. 5,21) ; et encore : « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, s’étant rendu pour nous malédiction » (Gal. 3,13) ; et encore : « Et avant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées en triomphe » (Col. 2,15) et combien d’autres, passages, qui montrent et que c’est le corps qui à été meurtri, et qu’il l’a été pour nos péchés : C’est le Seigneur lui-même qui dit : « Je me sanctifie moi-même pour vous » (Jn. 17,19) ; et : « Le prince de ce monde est déjà condamné » (Id. 16,11), pour montrer que le Christ a été mis à, mort, quoique sans – péché. « Qu’il a été enseveli. (4) ». Nouvelle preuve à l’appui de ce qui précède ; car ce qu’on ensevelit, est nécessairement un corps. Ici, l’apôtre n’ajoute plus : Selon les Écritures ; il pouvait le faire assurément, mais il ne le fait pas. Pourquoi ? ou bien par la raison que le sépulcre de Jésus-Christ était alors, comme aujourd’hui, un monument public, manifeste, ou bien parce que l’observation : « Selon les Écritures » s’applique à tout.
Pourquoi donc ajoute-t-il en cet endroit « Selon les Écritures ? et qu’il est ressuscité, le troisième jour, selon les Écritures ? » pourquoi ne se contente-t-il pas de l’observation une fois pour toutes ? C’est parce que la résurrection, au troisième jour, était un fait incertain pour le grand nombre. Voilà pourquoi, ici encore, l’apôtre cite les Écritures, et en cela il est inspiré de la sagesse divine. Pourquoi en ce qui concerne la mort, ne les mentionne-t-il pas ? C’est que le crucifiement état, pour tous ; un fait avéré ; la croix, tous l’avaient vue, tous ne voyaient pas de même là cause de la mise en croix. Que le Christ fût mort, tous le savaient, mais qu’il eût souffert pour les péchés de tous, c’est ce que la multitude ne savait pas également bien. Voilà pourquoi l’apôtre cite le témoignage des Écritures : Mais c’est ce que nous avons déjà suffisamment démontré. Or ; dans quels passages les Écritures ont-elles annoncé la sépulture et la résurrection au troisième jour ? par la figure de Jonas que le Christ lui-même rappelle en disant. « Comme Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l’homme sera trois jours et trois nuits dans le cœur de la terre ». (Mt. 12,40) Par le buisson ardent du désert (Ex. 3) : de même que ce buisson brûlait sans se consumer, de même le corps du Sauveur subit la mort, mais ne fut pas retenu par la mort. Autre image encore : le dragon de Daniel (Dan. 14) : de même que ce dragon, après avoir pris la nourriture que lui donna le prophète, éclata : par le milieu du corps ; ainsi l’enfer, après avoir dévoré le corps, divin, fut déchiré ; ce corps lui brisa le ventre, et ressuscita.
Si maintenant vous tenez à entendre des paroles expresses après des figures, écoutez Isaïe : « Sa vie est arrachée à la terre, et le Seigneur veut le purifier de la plaie, pour lui montrer la lumière », (Is. 53,8, 10). Et David, avant Isaïe : « Vous ne laisserez point mon âme dans l’enfer, et ne souffrirez point, que votre saint éprouve la corruption ». (Ps. 15,10). Et si Paul, à son tour, vous renvoie aux Écritures, c’est pour vous faire savoir, que ces choses n’ont pas été faites au hasard ; et sans dessein. Pourrait-on le penser, après tant d’images des prophètes qui proclament que l’Écriture n’entend nulle part la mort du péché, quand elle parle de la mort du Seigneur, mais qu’elle annonce la mort du corps, la sépulture, la résurrection, telle qu’on vous l’a enseignée ? « Qu’il s’est fait voir à Céphas (5) ». L’apôtre nomme tout de suite celui qui est de tous le plus digne de foi. « Puis aux douze apôtres. Qu’après il a été vu en une seule fois de plus de cinq cents frères, dont il y en a plusieurs qui vivent encore aujourd’hui, et quelques-uns sont endormis ; qu’ensuite il s’est fait voir à Jacques puis à tous les apôtres ; et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même, qui ne suis qu’un avorton (6, 7, 8) ». Après la démonstration qui se fait par le moyen des Écritures, il ajoute la démonstration par les faits, il cite comme témoins de la résurrection, après les prophètes, les apôtres et les autres fidèles. S’il eût pensé que cette résurrection ne fut que l’affranchissement du péché, il eût été inutile de dire que Jésus-Christ fût vu de celui-ci, de celui-là. Les yeux n’ont pu voir que le corps ressuscité, et non l’affranchissement du péché.
4. Voilà pourquoi l’apôtre ne s’est pas contenté de dire une fois seulement : « Il a été vu », quoiqu’il eût pu se borner à le dire une fois pour toutes ; mais ici Il répète deux et trois fois cette expression, autant de fois presque qu’il y a eu d’apparitions différentes. « Qu’il s’est fait voir », dit-il, « à Céphas ; il a été vu en une seule fais de plus de cinq cents frères ; il s’est fait voir à moi-même ». Cependant l’Évangile dit, au contraire, qu’il s’est fait voir d’abord à Marie. C’est qu’il n’est question ici que des hommes, et Jésus-Christ s’est montré d’abord à celui qui désirait le plus de le voir. Mais quels sont ces douze apôtres dont il parle ? Car ce ne fut qu’après l’ascension que Matthias fut mis au rang des apôtres, ce ne fut pas aussitôt après la résurrection. Mais il est vraisemblable que le Seigneur se fit voir même après l’ascension. Donc Matthias fut nommé apôtre après l’ascension, et vit Jésus, ressuscité. Voilà pourquoi Paul ne distingue pas les temps, et se borne à énumérer indistinctement les apparitions il est vraisemblable qu’il y en eut un grand nombre Voilà pourquoi Jean disait : Ce fut la troisième fois qu’il se manifesta. Qu’après il a été vu[15]. Έπάνω πενταχοσίοις άδελφοίς. Quelques interprètes expliquent cet Έπάνω, comme il suit : Jésus-Christ s’est fait voir, aux cinq cents frères, du haut des cieux, non plus marchant sur la terre, mais d’en haut, sur leurs têtes, c’est ainsi qu’on l’a vu. En effet, le Christ ne voulait pas faire croire à sa résurrection seulement mais aussi à son ascension. D’autres interprètes expliquent le même mot par « à plus » de cinq cents frères. « Dont il y en a plusieurs qui vivent encore aujourd’hui ». Quoique je vous raconte, dit-il, des faits anciens, j’ai pourtant des témoins encore vivants. « Et quelques-uns sont endormis ». Il ne dit pas : Sont morts, mais : « Sont endormis » ; expression choisie pour confirmer la résurrection. « Qu’en« suite il s’est fait voir à Jacques », c’est-à-dire, je crois, à son propre cousin germain : c’est Jésus-Christ lui-même qu’on rapporte lui avoir imposé les mains, l’avoir ordonné, avoir fait de lui – le premier évêque de Jérusalem. « Ensuite à tous les apôtres ». Car ; outre les douze, il y en avait d’autres ; les apôtres étaient environ au nombre de soixante-dix. « Et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même, qui ne suis qu’un avorton ». Parole pleine de modestie. Ce n’est pas parce que Paul était le moindre de tous, que le Sauveur ne se fit voir à lui qu’en dernier lieu. Bien qu’il ait été appelé le dernier, on l’a vu bien plus éclatant de gloire que le grand nombre de ceux qui l’ont précédé, ce n’est pas assez dire, plus illustre qu’eux tous. Les cinq cents frères n’étaient pas meilleurs que Jacques bien qu’ils aient vu le Christ avant lui.
Et pourquoi ne s’est-il pas fait voir à tous en même temps ? Il voulait jeter d’avance les semences de la foi. Celui qui vit Jésus le premier, et qui fut bien certain de l’avoir vu, en porta la nouvelle aux autres : à ce récit, les auditeurs étaient dans une grande attente du miracle, et la foi se préparait avant la réalité de l’apparition. Voilà pourquoi le Sauveur ne se montra pas à tous en même temps, ni d’abord au grand nombre, mais pour commencer, à un seul, à celui qui était le chef de tous, et le plus fidèle. Car il fallait que ce fût l’âme la plus fidèle qui reçût la première cette vision, c’était tout à fait nécessaire. Ceux qui l’apercevaient après d’autres, et à qui d’autres l’avaient annoncée, ceux-là, préparés par le témoignage des autres, y trouvaient un grand secours pour leur foi, leur âme était prévenue, disposée : quant au premier jugé digne de recevoir cette vision, il avait grand besoin, je l’ai déjà dit, d’une foi inébranlable pour n’être pas bouleversé d’une apparition si incroyable. Voilà pourquoi c’est à Pierre que le Sauveur apparaît en premier lieu. C’était lui qui le premier avait confessé le Christ, il était juste qu’il fût le premier témoin de sa résurrection. Mais ce n’est pas pour cette raison qu’il n’apparaît qu’à lui seul, en se montrant à lui le premier. Pierre l’avait renié ; pour lui ménager une consolation abondante, pour lui prouver qu’il n’est pas rejeté, le Sauveur l’honore avant tous les autres en se faisant voir à lui, et il est le premier à qui il remet ses brebis. Voilà aussi pourquoi les femmes furent les premières à qui il se montra. Ce sexe avait été abaissé, voilà pourquoi, dans la naissance et dans la résurrection du Sauveur, c’est la femme qui éprouve la première les effets de la grâce. Ensuite il se montre à Pierre, et séparément à chacun, et tantôt à un petit nombre, tantôt à de plus nombreux ; il veut qu’ils se servent réciproquement de témoins et de maîtres sur ce point, et il confirme la foi que méritent les paroles des apôtres.
« Et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même, qui ne suis qu’un avorton ». Que signifient ces paroles pleines d’humilité, quel en est l’à-propos ? Car s’il veut se rendre digne de foi, se mettre au nombre des témoins de la résurrection, il fait le contraire de ce qu’il prétend ; il devrait s’élever, montrer sa grandeur, ce qu’il fait souvent quand les circonstances l’exigent. S’il parle ici avec modestie, c’est précisément parce qu’il va s’exalter ; mais il ne se célébrera pas tout de suite, il y met la prudence convenable. Ce n’est qu’après des paroles modestes et beaucoup d’accusations entassées sur lui-même, qu’il prend un fier langage. Pourquoi ? C’est qu’il faut, quand il aura dit de lui quelque chose de grand et de magnifique, comme : « J’ai travaillé plus que tous les autres », qu’on accepte ses paroles comme une conséquence nécessaire de son discours ; il ne faut pas qu’on voie un parti pris d’avance. C’est ainsi qu’en écrivant à Timothée, avant de parler de lui-même avec fierté, il s’accuse. (1Tim. 1,12 seq) Quand on n’a qu’à louer les autres, on peut parler sans crainte en toute sécurité, quand il faut, au contraire, qu’on se loue soi-même, et surtout en appuyant ses éloges sur son propre témoignage, c’est alors qu’on doit avoir honte et rougir. Aussi le bienheureux Paul commence par exprimer sa misère avant de célébrer sa grandeur. Il a d’ailleurs une autre raison ; l’éloge qu’on fait de soi, est odieux ; sa modestie corrige ce que l’éloge a d’insupportable, et rend tout son discours plus digne de foi. Car en rapportant avec véracité sa propre honte, en ne cachant rien, comme les persécutions qu’il a exercées contre l’Église, ses efforts pour renverser la foi, il met à l’abri de tout soupçon ce qu’il y a d’honorable pour lui dans les œuvres qu’il rappelle.
5. Et voyez l’excès d’humilité : après avoir dit : « Et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même », il ne s’est pas contenté de ces paroles ; « car beaucoup », dit l’évangéliste, « qui avaient été les premiers seront les derniers, et beaucoup qui avaient été les derniers seront les premiers ». (Mt. 19,30) Voilà pourquoi il ajoute : « Qui ne suis qu’un avorton ». Et il ne s’arrête pas là, mais il joint à ces réflexions le jugement personnel qu’il porte sur lui-même, et qu’il motive : « Car je suis le moindre des apôtres, et je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, a parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu (9) ». Il ne dit pas le moindre des douze apôtres, mais même de tous les autres apôtres. Or, dans toutes ces paroles, il obéit à un sentiment de modestie, et, comme je l’ai déjà dit, à la nécessité de disposer son discours de manière à faire recevoir ce qu’il veut faire entendre. S’il avait dit d’emblée : « Vous devez m’en croire, le Christ est ressuscité ; je l’ai vu, et je suis de tous le plus digne de foi, parce que c’est moi qui ai le plus travaillé, il aurait offensé ses auditeurs ; il parle au contraire avec humilité de son abjection, des actes pour lesquels il mérite d’être accusé ; il retranche ainsi de son discours ce qui peut choquer, et il prépare la confiance à son témoignage. Voilà pourquoi, comme je l’ai déjà dit, il ne déclare pas seulement qu’il est le dernier, qu’il est indigne du titre d’apôtre, mais il dit pourquoi : « Parce que j’ai persécuté l’Église ». Assurément tous ces péchés lui avaient été remis, toutefois il ne les a jamais oubliés ; en les rappelant, il tient à montrer l’abondance de la grâce de Dieu. Aussi ajoute-t-il : « Mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis (10) ». Voyez-vous encore cette preuve insigne d’humilité ? Les fautes, il se les attribue ; les bonnes œuvres, il ne les regarde en rien comme siennes, c’est à Dieu qu’il rapporte tout. Mais il ne faut pas que ses dernières paroles jettent l’auditeur dans le relâchement ; aussi dit-il : « Et sa grâce n’a point été stérile en moi ». Il y a encore ici l’humilité ; il ne dit point : J’ai montré un zèle ardent qui méritait la grâce, mais : « Elle n’a point été stérile, mais j’ai travaillé plus que tous les autres ».
Il ne dit pas : J’ai été honoré, mais : « J’ai travaillé » ; il pouvait dire les dangers et les morts qu’il avait su affronter ; le mot de travail atténue son éloge. Ensuite, par l’humilité qui lui est habituelle, glissant vite sur ce point, il rapporte le tout à Dieu ; il dit : « Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi », Où rencontrer une âme qui mérite plus d’admiration ? Entre tant de paroles pour se rabaisser, s’il en prononce une seule qui l’élève, alors même il ne s’attribue pas le mérite, et tant par ce qui précède que par ce qui suit, il corrige l’orgueil de ce qu’il n’a dit pourtant qu’à cause que la nécessité le contraignait. Voyez l’abondance, les flots de paroles qui expriment l’humilité. En effet, « et qu’enfin, après tous les autres, il s’est fait voir à moi-même » ; voilà pourquoi il ne nomme pas un autre apôtre avec lui ; et, « qui « ne suis qu’un avorton », il se regarde comme le moindre des apôtres, comme indigne de ce titre. Ce n’est pas tout : il ne veut pas afficher l’humilité en paroles, il donne des raisons, il démontre qu’il n’est qu’un avorton, puisqu’il a été le dernier à voir Jésus, qu’il est indigne du titre d’apôtre, puisqu’il a persécuté l’Église. Telle n’est pas la conduite de celui dont l’humilité n’est qu’une apparence ; mais celui qui explique ses motifs d’humilité, prouve la contrition de son cœur. Aussi voit-on ailleurs dans Paul l’expression des mêmes sentiments : « Je rends grâces à celui qui m’a fortifié, à Jésus-Christ, de ce qu’il m’a jugé fidèle, en m’établissant dans son ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi outrageux ». (1Tim. 1,12-13) Mais pourquoi cette fière parole : « J’ai travaillé plus que tous les autres ? » La circonstance le contraignait. S’il ne l’eût pas dite, s’il n’eût fait que se rabaisser, comment aurait-il pu trouver assez d’assurance pour produire son propre témoignage, pour se compter avec les autres apôtres, de manière à dire : « Ainsi, soit moi, soit ceux-là, quel que soit celui de nous qui parle, voilà ce que nous prêchons (11) ? » Un témoin doit être digne de foi et avoir de la valeur. Maintenant, en ce qui concerne ce fait qu’il a travaillé plus que les autres, il l’a prouvé plus haut, en disant : « N’avons-nous pas le droit de manger et de boire comme les : autres apôtres ? » Et encore : « J’ai vécu avec ceux qui n’avaient pas de loi, comme si je n’eusse point eu de loi ». (1Cor. 9,4, 21) Fallait-il montrer la régularité, la perfection, il surpassait tous les autres ; fallait-il savoir user de condescendance, il montrait, en ce sens, la même supériorité. Quelques auteurs entendent par ce plus grand nombre de fatigues, ses missions auprès des nations, ses voyages dans la plus grande partie de la terre. D’où il est manifeste qu’il avait reçu plus de grâces. Car s’il a plus travaillé, c’est que la grâce en lui était plus abondante ; et s’il a reçu plus de grâces, c’est qu’il a montré un zèle plus ardent. Voyez-vous comme ses efforts pour se mettre à l’ombre, pour dissimuler sa valeur, ne vont qu’à montrer qu’il est le premier de tous ?
6. Apprenons par cet exemple, nous aussi, à confesser nos fautes, à passer nos bonnes œuvres sous silence ; si les circonstances nous mettent dans la nécessité de rappeler nos vertus, parlons-en avec modestie, et sachons tout rapporter à la grâce. C’est ce que fait Paul : sa vie passée, il la flétrit, il en confesse toutes les hontes ; les actions qu’il a faites depuis, il les attribue à la grâce, il montre par tous les moyens, la bonté, la clémence de Dieu qui, le voyant dans son premier état, l’a sauvé, et après l’avoir sauvé, a fait de lui ce qu’il est devenu. Donc il ne faut jamais, ni que le pécheur désespère, ni que l’homme vertueux s’abandonne à la confiance ; celui-ci doit être timide, celui-là plein de bonne volonté. L’indolence ne suffit pas pour que l’on persévère dans la vertu, et la bonne volonté ne saurait être sans force pour fuir le mal. De ces deux vérités, le bienheureux David est pour nous un exemple ; le voilà, pour s’être un peu endormi, tombé d’une chute grave ; la componction le saisit, et vite il remonte à sa première hauteur. C’est que désespoir et indolence sont deux malheurs également déplorables : l’indolence vous fait bien vite tomber de la voûte du ciel, le désespoir ne laisse pas se relever celui qui est abattu et gisant. Voilà pourquoi Paul disait ces paroles à l’indolent (564) : «  Que celui donc qui croit être ferme, prenne bien garde à ne pas tomber » (1Cor. 10,12) ; quant au désespéré, le psalmiste lui dit « Si vous entendez aujourd’hui sa voix, gardez-vous bien d’endurcir vos cœurs (Ps. 94,8) » ; et Paul encore : « Relevez donc vos mains languissantes, et fortifiez vos genoux affaiblis ». (Héb. 12,12).
Aussi, lorsque le fornicateur est touché de repentir, l’apôtre s’empresse de l’encourager, pour l’arracher à l’excès de sa morne tristesse : D’où vous viennent donc vos angoisses pour les autres sujets, ô hommes ! La tristesse n’est utile qu’au pécheur ; si, même alors, l’excès en est funeste, à bien plus forte raison dans les autres sujets. D’où viennent vos chagrins ? De ce que vous avez perdu de l’argent ? Mais considérez donc ceux qui n’ont pas même assez de pain pour se rassasier, et vous recevrez la plus prompte des consolations de vos maux. Au lieu de déplorer chacun des accidents qui font votre peine, rendez des actions de grâces pour tous ceux qui ne vous arrivent pas. Vous avez eu de l’argent, et volis l’avez perdu ? Ne versez pas de larmes sur votre perte, mais rendez grâces à Dieu pour le temps pendant lequel vous avez possédé. Dites avec Job : « Si nous avons reçu les biens de la main du Soigneur, pourquoi n’en recevrons-nous pas aussi les maux ? » (Job. 2,10) Faites encore la réflexion suivante : Vous avez perdu de l’argent, mais en attendant vous avez la santé ; vous n’avez pas, pour vous lamenter, à joindre à votre pauvreté les infirmités de votre corps. Mais ce n’est pas tout : votre corps aussi a souffert ? Mais ce n’est pas là le bas fond des douleurs humaines, vous flottez encore au milieu du tonneau. Il en est en grand nombre qui luttent contre la pauvreté, contre les mutilations, contre le démon, et qui sont errants dans des déserts ; d’autres encore souffrent des douleurs plus cruelles. Loin de nous tous les malheurs que nous pouvons supporter ! Méditez ces pensées, considérez ceux qui souffrent plus que vous, et ne vous affligez pas de ce qui vous arrive ; mais quand vous avez péché, gémissez alors seulement ; oui, gémissez et pleurez, je ne vous en empêche pas, au contraire, je vous y exhorte ; et alors, soyez encore modérés, pensez que le retour est possible, que la réconciliation est possible. Vous voyez les autres dans les délices, et vous êtes dans la pauvreté ; vous voyez les autres revêtus d’habits resplendissants, à eux la gloire ? Ne bornez pas là vos contemplations ; voyez aussi les inconvénients attachés à cet éclat. Dans la pauvreté, ne considérez pas seulement la main qui mendie, mais, avec la pauvreté, le plaisir qui en découle.
La richesse a un visage rayonnant ; mais à l’intérieur tout est plein de ténèbres ; pour la pauvreté, c’est le contraire, et si vous vous donnez la peine de déplier toutes les consciences, vous verrez dans l’âme du pauvre la sécurité et la liberté ; dans l’âme du riche, les troubles, les tumultes, les flots. Ce riche, dont la vue vous attriste, ce même riche s’afflige plus que vous, à l’aspect d’un autre plus, riche que lui ; et comme vous tremblez devant tel riche, ce riche tremble, à son tour, devant un autre riche, et en cela il n’a aucun avantage sur vous. La vue d’un magistrat vous attriste, parce que vous êtes un simple particulier, de ceux à qui l’on commande. Mais réfléchissez donc au jour où un autre succédera à cet homme puissant, et en attendant qu’il vienne, ce jour, voyez les agitations, les périls, les travaux, les flatteries, les veilles, toutes les calamités. Nos paroles s’adressent à ceux qui ne veulent pas comprendre la sagesse. Car si vous la comprenez, nous pouvons vous apporter des consolations d’un ordre supérieur ; jusqu’à présent nos raisons sont grossières, nous avons été forcés de vous les présenter. Eh bien donc, à la vue d’un riche, pensez à un plus riche, et vous verrez que lui, que vous, vous éprouvez les mêmes sentiments. Et après ce riche, représentez-vous l’homme qui est plus que vous dans la pauvreté : combien y en a-t-il qui se sont endormis ayant faim, qui ont perdu leur patrimoine, qui habitent dans une prison, qui chaque jour appellent la mort ! Et la pauvreté n’engendre pas la tristesse, et la richesse n’engendre pas le plaisir, tristesse et plaisir viennent également de nos pensées. Considérez maintenant, en commençant par ce qu’il y a de plus bas, l’acheteur de fumiers, triste, affligé de n’être pas affranchi de cette misérable et, selon lui, honteuse condition ; mais affranchissez-le, qu’il soit libre, dans la sécurité, dans l’abondance dès choses nécessaires, il se reprendra à gémir encore de ne pas posséder au-delà de ce dont il a besoin ; donnez-lui davantage, il voudra le double, et il ne se plaindra pas moins qu’auparavant ; doublez et triplez ses revenus, nouveaux chagrins pour lui, de ce qu’il n’a point de part aux affaires publiques ; donnez-lui sa part, il se plaindra de n’avoir pas la première ; accordez-lui cet honneur, il se plaindra de n’avoir pas le pouvoir. Arrivé au pouvoir, il souffrira de n’avoir pas de pouvoir sur le peuple entier ; maître du peuple entier, de ce qu’il ne commande pas à des peuples nombreux ; maître de peuples nombreux, de ce qu’il ne commande pas à tous les peuples du monde. Gouverneur ou préfet, il voudra être roi ; roi, il voudra être seul monarque ; seul monarque, il voudra l’être et des nations barbares et de la terre tout entière ; souverain du monde entier, pourquoi ne le serait-il pas d’un autre monde encore ? La pensée de cet homme, s’avançant toujours dans l’infini, ne lui permet pas de jamais rencontrer la douce joie.
7. Voyez-vous comment alors même que, d’un être vil, d’un mendiant, vous feriez un roi, vous ne supprimerez pas le chagrin, là morne tristesse, si vous ne purgez pas la pensée que travaillent l’avarice et la cupidité ? Eh bien, je veux vous montrer un spectacle tout contraire, je sage descendu du faîte suprême au degré le plus bas, et toujours exempt de tristesse et de chagrins. Descendons, si vous voulez, les mêmes échelons, c’est le préfet que nous renversons de son siège élevé ; dépouillez-le en paroles de sa dignité. S’il veut faire les réflexions que nous avons dites, il n’en concevra lui-même aucun chagrin. Au lieu de considérer ce qu’on lui a enlevé, il réfléchira sur ce qu’il possède actuellement, la gloire qu’il tient de la magistrature qu’il a exercée. Enlevez-lui encore cette gloire, il pensera aux simples particuliers, à ceux qui ne se sont jamais élevés jusqu’à cette magistrature, il se consolera par ses richesses ; dépouillez-le encore de ses richesses, il considérera ceux dont la fortune est médiocre ; enlevez-lui même cette médiocrité, ne lui laissez plus que les aliments nécessaires, il pourra considérer ceux qui ne possèdent même pas ce nécessaire, qui soutiennent contre la faim un combat continuel, qui habitent dans une prison. Jetez-le même dans ce triste séjour, il pensera aux malades travaillés de maux incurables ; d’insupportables douleurs et verra que son sort est bien plus digne d’envie. Et de même que cet acheteur de fumiers, devenu roi, ne trouve pas même alors la tranquillité de l’âme, de même cet homme puissant, jusque dans les fers, ignore l’affliction chagrine et la tristesse. Donc, ce ne sont ni les richesses qui procurent le plaisir, ni la pauvreté qui cause la tristesse ; tout vient de nos pensées, de l’impureté de notre âme dont les regards ne sauraient s’arrêter, se fixer nulle part, et se plongent pour se perdre dans l’infini. De même que les corps pleins de santé, n’eussent-ils à manger que du pain, y trouvent en abondance et la vie et la force ; tandis que les corps malades, quelle que soit la délicatesse, la variété de la table, ne font que s’affaiblir de plus en plus, de même pour votre âme. Les âmes mesquines et basses ne trouvent ni avec un diadème, ni avec des honneurs d’un éclat inexprimable, le bonheur et la joie ; le sage, même dans les fers, prisonnier, au sein de la pauvreté, jouit du plaisir pur.
Pénétrés de ces pensées, sachons donc regarder toujours au-dessous de nous. Sans doute il y a encore une autre consolation, mais elle est d’une haute sagesse et dépasse la raison épaisse du grand nombre. Quelle est-elle cette consolation ? C’est que la richesse n’est rien ; la pauvreté, rien ; l’infamie, rien ; là gloire, rien, affaires de quelques instants bien courts, pures distinctions dans les mots. À cette pensée vous en pouvez joindre une autre plus relevée encore, la pensée des biens et des maux à venir, des vrais maux et des vrais biens, et en tirer votre consolation. Mais je l’ai déjà dit : un grand nombre de personnes sont bien loin de comprendre un enseignement de ce genre, et voilà pourquoi nous nous sommes arrêtés nécessairement sur les réflexions que nous avons faites, dans la pensée que nous pourrons conduire ceux qui les auront accueillies vers cette autre doctrine plus relevée. Méditons donc toutes ces pensées, employons tous nos efforts à bien mettre en ordre nos sentiments, et il ne nous arrivera jamais de nous attrister des accidents imprévus. Vous verriez des images d’hommes riches, vous ne diriez pas qu’il faut célébrer leur bonheur, en être jaloux ; vous verriez des images de mendiants, vous ne diriez pas qu’ils sont malheureux et qu’il les faut plaindre. Or assurément ces peintures ont plus de solidité, de stabilité que les riches que nous voyons près de nous : un riche en peinture a plus de durée que dans la réalité même des choses humaines. Cette image d’un homme riche durera, cela se voit souvent, une centaine d’années ; notre riche, au contraire, on le voit même en moins d’un an, tout à coup dépouillé de tous ses biens. Méditons donc toutes ces pensées, faisons tous nos efforts pour assurer à notre âme le repos et la tranquillité qui nous préservera d’une tristesse irréfléchie, afin de passer la vie présente avec joie, et d’obtenir les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XXXIX.

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AINSI, SOIT QUE CE SOIT MOI, SOIT QUE CE SOIENT EUX QUI VOUS PRÊCHENT, VOILÀ CE QUE NOUS PRÊCHONS, ET VOILÀ CE QUE VOUS AVEZ CRU. (CH. 15, VERS. 11) \σ ANALYSE.

  • 1. Sur l’égalité parfaite entre Paul et les autres apôtres.
  • 2. Discussion sur la résurrection qui est, non pas la mort du péché seulement, mais la destruction de la mort, et la résurrection des corps. – Rapport étroit entre la résurrection des corps et la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
  • 3. Diverses explications sur ta méthode de Paul quand il discute.
  • – 4. Sur la parfaite égalité du Père et du Fils.
  • 5-7. Pourquoi la dernière victoire est la victoire remportée sur la mort. – Détails sur une sécheresse dont souffrit la ville d’Antioche.
  • 8 et 9. Contre l’avarice, contre là haine vindicative, contre la gourmandise eues innombrables malheurs dont elle est la source.


1. Il a exalté les apôtres, il s’est abaissé ensuite ; par un mouvement contraire, il s’est exalté au-dessus d’eux afin d’établir l’égalité, (car il a remis l’égalité en se montrant d’une condition tout ensemble au-dessus et au-dessous), et par là il s’est rendu digne de foi ; eh bien ! ce n’est pas tout, il ne congédie pas encore les fidèles, il leur montre encore le lien étroit qui l’unit aux apôtres, indiquant la concorde selon le Christ. J1 ne le fait pas toutefois de manière à perdre sa dignité, il se met au même rang que les apôtres : ce n’est qu’ainsi qu’il devait parler dans l’intérêt de la prédication. Il a donc pris un soin égal d’éviter deux dangers, celui de paraître mépriser les apôtres, celui de trop s’abaisser, en s’inclinant devant les apôtres, aux yeux des fidèles qui lui étaient soumis. Voilà pourquoi, ici encore, il parle d’eux comme étant leur égal ; il dit : « Soit que ce soit moi, soit que ce soient eux qui « vous prêchent, voilà ce que nous prêchons ». Instruisez-vous auprès de, qui vous voudrez ; il n’y a entre nous aucune différence. Il ne dit pas : Si vous ne voulez pas me croire, croyez-les ; non, il se pose lui-même comme digne de foi, comme étant par lui-même une autorité suffisante, de même que les autres apôtres sont par eux-mêmes des autorités suffisantes. En effet, la différence de personnes ne signifiait rien, l’autorité étant égale. Or, ce que fait Paul ici, il le fait également dans l’épître aux Galates ; il cite les apôtres, non pas parce qu’il a besoin d’eux, il se déclare au contraire suffisant de lui-même : « Ceux qui me paraissaient les plus considérables ne m’ont rien appris de nouveau ». (Gal. 2,6) Toutefois, je tiens à la concorde avec eux « Ils m’ont donné la main », dit-il. (Id. 9) Car s’il eût été nécessaire que l’autorité de Paul dépendît des autres, s’appuyât sur le témoignage des autres, Il en, serait résulté pour ses disciples une infinité de conséquences fâcheuses. Donc Paul ne parle pas pour se louer, mais pour assurer la prédication de l’Évangile. Voilà pourquoi il dit ici, en s’égalant aux apôtres : « Soit que ce soit moi, soit que ce soient eux qui vous prêchent, voilà ce que nous prêchons ». II a raison de dire : ; Nous prêchons », montrant ainsi la grande confiance et là liberté de la parole. Nous ne chuchotons pas, nous ne nous cachons pas, nous faisons entendre une voix plus éclatante que la trompette. Et il ne dit pas : Nous avons prêché, mais aujourd’hui même, « voilà ce que nous prêchons. Et voilà « ce que vous avez cru » : Ici, il ne dit pas : Ce que vous croyez, mais « ce que vous avez cru ». C’est parce que les fidèles chancelaient qu’il remonte aux temps passes, et maintenant c’est eux-mêmes qu’il prend à témoin. « Donc, puisqu’on vous a prêché que Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire que les morts ne ressuscitent point (12) ? » Voyez-vous l’excellence du raisonnement, la démonstration de la résurrection par le réveil du Christ, après que tant de preuves ont établi que le Christ est ressuscité ? Car, dit l’apôtre, les, prophètes nous ont annoncé d’avance cette résurrection du Christ, le Christ l’a prouvée lui-même en se faisant voir, et c’est ce que nous prêchons, et c’est ce que vous avez cru ; quadruple témoignage dont il fait un faisceau, témoignage des prophètes, témoignage des événements, témoignage des apôtres, témoignage des disciples ; disons mieux, témoignage quintuple. Car la cause même de la mort démontre la résurrection, puisqu’il est mort pour les péchés des autres. Si cette résurrection a été démontrée, il est évident que la conséquence l’est aussi, à savoir que les autres morts doivent aussi se réveiller. Voilà pourquoi l’apôtre en parle comme d’une vérité reconnue, et il prend la forme interrogative : « Puisqu’on vous a prêché que Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire que les morts ne ressuscitent point ? »
Cette forme de raisonnement ai de plus, l’avantage d’adoucir les contradicteurs. En effet, il ne dit pas : Comment osez-vous dire, mais : « Comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire » ; et il ne les accuse pas tous, et les personnes mêmes qu’il accuse, il ne les nomme pas, de peur de les jeter dans l’effronterie ; d’un autre côté, il ne tient pas la faute absolument cachée, parce qu’il veut corriger les fidèles. Voilà pourquoi il sépare les coupables de la foule des fidèles avant de s’apprêter à la discussion avec eux ; par ce moyen il, les affaiblit, il les déconcerte, il retient auprès de lui les autres dont il fait dés champions de sa cause, qu’il rend plus fermes, plus inébranlables dans la vérité ; il ne leur laisse pas les moyens de passer comme transfuges dans les rangs de ceux qui ont voulu les corrompre. Contre ceux-là il est prêt à s’élancer de toute la véhémence de sa parole. Ensuite, pour leur ôter la ressource d’objecter due la résurrection du Christ est évidente, manifeste, que nul n’y contredit, mais que la résurrection des hommes n’en est pas une conséquence nécessaire, attendu que, si les prophéties, l’événement, le témoignage résultant de ce que le Christ s’est fait voir, démontrent la résurrection du Christ, en ce qui concerne notre résurrection, nous n’avons encore que des espérances, voyez ce que fait l’apôtre ; c’est par le fait incontestable qu’il prouve la vérité contestée, et cette manière d’argumenter avait une grande puissance. Que soutiennent, dit-il, quelques personnes ? Qu’il n’y a pas de résurrection des morts ? Eh bien ! la conséquence de leur dire, c’est que le Christ non plus n’est pas ressuscité. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ n’est donc point ressuscité (13) ». Voyez-vous la, force irrésistible, ce que la discussion de Paul a d’invincible, ce n’est pas seulement le fait évident qui lui sert à prouver, ce que l’on conteste, mais le fait même contesté par les contradicteurs lui sert à confirmer le fait évident. Ce n’est pas que l’événement accompli eût besoin d’être démontré, mais il fallait montrer que les deux sont également dignes de notre foi.
2. Mais, dira-t-on, où est la nécessité de la conséquence ? En effet, si le Christ n’est pas ressuscité, il s’ensuit que les autres morts ne ressuscitent pas, cette conséquence est rigoureuse : mais que, si ces autres morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus ne – soit pas ressuscité, où est la raison ? Cette raison ne paraissant pas assez manifeste, voyez la manière dont l’Apôtre s’y prend pour la rendre manifeste ; il commence par jeter la semence d’en haut, il la prend dans la cause même de la prédication ; ainsi il dit que celui qui est mort pour nos péchés, est ressuscité, et qu’il est les prémices de ceux qui se sont endormis. Ces prémices, de qui sont-elles les prémices, sinon de ceux qui ressuscitent ? Or,-comment peuvent-elles être des prémices sans la résurrection de ceux pour qui elles sont des prémices ? comment donc peut-il se faire qu’ils ne ressuscitent pas ? et maintenant, s’ils ne ressuscitent pas, pourquoi le Christ est-il ressuscité ? pourquoi est-il venu ? pourquoi a-t-il revêtu la chair, s’il ne devait pas ressusciter la chair ? car ce n’est pas pour lui qu’il avait besoin de ressusciter, ce n’est que pour nous. Toutefois il ne présente ces réflexions que successivement, à mesure que le raisonnement se développe ; en attendant, il dit : « Si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ n’est donc point ressuscité », car il y a là connexité ; si Jésus-Christ n’avait pas dû ressusciter, il n’aurait pas fait ce qu’il a fait. Voyez-vous comme le dogme de l’incarnation arrive peu à peu à être détruit par ces paroles téméraires qui refusent de croire à la résurrection ? Toutefois, quant à présent, l’apôtre ne dit rien de l’incarnation ; il ne parle que de la résurrection. Ce n’est pas en effet l’incarnation du Christ, mais sa mort qui détruit la mort car, tant que le Christ fut revêtu de sa chair, la mort posséda son pouvoir tyrannique. « Et si Jésus-Christ n’est point ressuscité, notre prédication est vaine, et votre foi est vaine aussi (14) ». Il était conséquent de dire : Si le Christ n’est pas ressuscité, vous combattez l’évidence, tant de prophéties, la réalité des événements ; il leur dit ce qui est beaucoup plus terrible : « Notre prédication est vaine, et votre foi est vaine aussi ». C’est qu’il veut donner à leurs esprits une forte secousse. Nous perdons tout, s’écrie-t-il, c’en est fait de tout, si le Christ n’est pas ressuscité. Comprenez-vous toute la grandeur du mystère : Si Jésus-Christ mort n’a pu ressusciter, le péché n’a pas été aboli, la mort n’a pas été détruite, la malédiction n’a pas été enlevée, et non seulement nous n’avons prêché que des vanités, mais votre foi, à vous aussi, n’est que vanité. Et non seulement il montre par là l’absurdité de ces doctrines coupables, mais il ajoute à la puissance de ses armes, en disant : « Nous sommes même convaincus d’être de faux témoins à l’égard de Dieu, comme ayant rendu ce témoignage contre Dieu même, qu’il a ressuscité Jésus-Christ, tandis que néanmoins il ne l’a pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent pas (15) ».
Et maintenant si cela est absurde, (car c’est accuser Dieu et le calomnier), si Dieu n’a pas ressuscité le Christ, comme vous le dites, il s’ensuit encore d’autres absurdités. Ces absurdités, il les prouve, il les montre, il dit : « Car si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ, non plus, n’est pas ressuscité (16) ». Car s’il n’avait pas du les ressusciter, il ne serait pas venu. Mais il ne parle pas de l’avènement du Christ, il lie parle que du but final de cet avènement, de la résurrection, et, par cette résurrection, il entraîne tout. « Si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, votre foi est donc, vaine. « (17) ». C’est à ce qui est manifeste, incontesté, qu’il rattache, qu’il joint la résurrection du Christ, c’est par ce qui est plus fort : qu’il fortifie ce qui semble faible, qu’il donne l’évidence à ce qui est contesté. « Vous êtes encore dans vos péchés ». En effet, s’il n’est point ressuscité, il n’est pas mort ; s’il n’est pas « mort, – il n’a pas détruit le péché ; car sa mort, c’est la destruction du péché. Car, dit l’Évangéliste : « Voici l’agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde ». (Jn. 1,29) Or ; comment les ôte-t-il ? par sa mort. Et de – plus, s’il l’appelle un agneau, c’est qu’il devait être tué. Or s’il n’est pas ressuscité, il n’à pas été tué ; s’il n’a pas été tué, le péché n’a pas été aboli ; si le péché n’a pas été aboli, vous y êtes encore ; si vous y êtes encore, c’est en vain que nous avons prêché ; si c’est en vain que nous avons prêché, c’est en vain que vous avez cru. D’ailleurs, la mort subsiste immortelle, s’il n’est pas ressuscité. Car si lui-même a été retenu par la mort, s’il n’a pas rompu les liens qui le retenaient dans ses flancs, comment a-t-il pu délivrer tous les autres, ne se délivrant pas lui-même ? Voilà pourquoi l’apôtre, ajoute : « Ceux qui se sont endormis dans le Christ, ont donc péri ? « (18) ».
Et à quoi bon, dit-il, parler de vous seulement, si tous ceux-là ont péri, qui ont achevé leur course, et qui ne sont plus soumis à l’incertitude de l’avenir ? Quant à ces mots, « dans le Christ », ils s’appliquent soit à ceux qui se sont endormis dans la foi, ou qui sont morts pour le Christ, qui ont affronté tant de dangers, qui ont supporté tant d’épreuves pénibles, qui ont marché dans la voie étroite. Où sont-ils maintenant ces manichéens à la bouche criminelle, qui prétendent que l’apôtre entend la, résurrection qui s’accomplit sur la terre, à savoir, l’affranchissement du péché ? Ses raisonnements accumulés et continuels à conséquences réciproques ne prouvent rien de ce que ces hérétiques prétendent, mais uniquement ce que nous soutenons. Résurrection veut dire que ce qui est tombé se relève. Voilà pourquoi l’apôtre ne se lasse pas de répéter, non seulement que le Christ est ressuscité, mais, « ressuscité d’entre les morts ». Et d’ailleurs les Corinthiens ne contestaient pas la rémission des péchés, mais la résurrection des corps. Mais de ce que les hommes ne sont pas impeccables, la logique nous oblige-t-elle à conclure que le Christ lui-même – ne fut pas impeccable non plus ? S’il ne devait pas ressusciter les morts, il était conséquent de dire : Pourquoi est-il venu, pourquoi s’est-il incarné, pourquoi est-il ressuscité ? Cette dernière conclusion est légitime, mais non la précédente. En effet, soit que l’homme pèche, soit qu’il ne pèche pas ; Dieu possède toujours en propre l’impeccabilité, et il n’y a pas entre notre condition de pécheurs et l’impeccabilité divine la même connexité, la même réciprocité que pour la résurrection des corps. « Si nous n’avions d’espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes (19) ».
3. Que dites-vous ; ô Paul ? Comment est-il vrai que nous n’ayons plus d’espérance que pour cette vie, sans la résurrection des corps, puisque l’âme demeure immortelle ? C’est que, quelle que soit la persistance de l’âme immortelle, eût-elle mille fois l’immortalité, comme elle la possède en fait, sans la chair elle : ne recevra – pas ces biens ineffables, de même qu’elle ne subira pas les châtiments. « Car toutes choses seront manifestées devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu’il aura faites pendant qu’il aura été revêtu de son corps. » (2Cor. 5,10). Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Si nous n’avions d’espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes ». En effet, si le corps ne ressuscite pas, l’âme demeure sans couronne, en dehors de la félicité des cieux ; s’il en est ainsi, alors nous n’obtiendrons absolument rien ; si nous ne devons rien obtenir alors, C’est dans la vie présente qu’ont lieu les rémunérations. Qu’y aurait-il donc, dit-il, de plus infortuné que nous ? Or, par de tels discours, l’apôtre voulait à la foi ; raffermir la doctrine de la résurrection des corps et persuader l’immortalité de l’âme, afin qu’on n’allât pas s’imaginer que tout est détruit, que tout cesse dans le moment présent. Après avoir, par ce qui précède, suffisamment raffermi ce qu’il voulait consolider, après avoir dit : « Si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ, non plus, n’est pas ressuscité ; or, si Jésus-Christ n’est pas ressuscité », nous sommes perdus, et encore, nous sommes encore dans les péchés, il introduit de plus la pensée qui suit, afin de secouer fortement les âmes. Car lorsque l’apôtre se prépare à énoncer un des dogmes qui sont nécessaires, c’est par la terreur qu’il commence à attaquer les cœurs durs, c’est la pratique qu’il suit, en ce moment, après avoir jeté la confusion, inspiré des inquiétudes, montré que tout serait perdu, il reprend le même sujet sur un autre ton, et, pour produire, la consternation, « nous serions », dit-il, « les plus misérables de tous les hommes », si, après tant de guerres et de morts, et de maux innombrables, nous devions être privés de tant de biens, si tout se réduisait pour nous à la vie présente : car tout dépend de la résurrection. Aussi est-ce là une nouvelle preuve qu’il ne parlait pas de péchés, niais de la résurrection des corps, et de la vie présente, et de la vie à venir.
« Mais maintenant Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, et il est devenu les prémices de ceux qui dorment (20) ». Après avoir montré tous les maux qui résultent de ce que l’on ne croit pas à la résurrection, il reprend de nouveau ce qui a été dit, et il fait entendre ces paroles : « Mais maintenant Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts » ; il ajoute tout de suite, « d’entre les morts », pour fermer la bouche aux hérétiques. « Les prémices de ceux qui donnent ». S’il est les prémices, nécessairement ceux-là aussi doivent ressusciter. S’il entendait par résurrection l’affranchissement du péché, comme personne n’est sans péché [car Paul dit « car encore que ma conscience ne me reproche rien, je ne suis pas justifié pour cela » (1Cor. 4,4)] ; comment donc pourrait-il y avoir une résurrection selon vous ? Voyez-vous que c’est des corps qu’il prétend parler ? Et pour confirmer ce point, tout de suite il montre le Christ ressuscité dans sa chair. Ensuite il donne la cause. Car, je l’ai déjà dit, l’affirmation d’un fait, quand la cause ne s’y joint pas, n’obtient pas autant l’adhésion du grand nombre. Quelle est donc la cause ? « Ainsi parce que la mort est venue par un homme, la résurrection des morts doit venir aussi par un homme (21) ». Il est clair que si c’est paf un homme, c’est par un homme qui a un corps. Ce n’est pas tout voyez encore l’habileté d’un raisonnement qui établit encore autrement la nécessité de la déduction. Celui qui a été vaincu, doit nécessairement réparer sa défaite lui-même, relever la nature terrassée, vaincre lui-même, c’est ainsi qu’il lavera sa honte. Voyons de quelle mort il parle. « Car de même que tous meurent en Adam, tous vivront aussi en Jésus-Christ. (22) ». Quoi donc ? est-ce bien tous, répondez-moi, je vous en prie, qui sont morts dans Adam de la mort du péché ? comment donc Noé était-il juste dans sa génération ? et Abraham ? à Job ? et tous les autres ? Et maintenant, dites-moi, je vous en prie, est-ce que, tous seront vivifiés en Jésus-Christ ? Et où sont ceux qui sont emportés dans la géhenne ? Car si c’est du corps que l’on parle, le discours subsiste, mais s’il est question de la justice et du péché, il n’en est plus de même. L’apôtre donc ne voulant pas que cette vivification de tous soit regardée comme le salut des pécheurs, ajoute, « et chacun en son rang (23) », vous avez entendu parler de résurrection, mais n’allez pas croire que tous obtiennent les mêmes biens, et jouissent des mêmes récompenses. Car s’il est vrai que, dans le supplice, tous ne supporteront pas la même peine, s’il est vrai que la différence sera grande, à bien plus forte raison, entre les pécheurs et les justes il y aura une plus grande distance. « Jésus-Christ, le premier, comme les prémices de tous ; puis ceux qui sont à Jésus-Christ » ; c’est-à-dire, les fidèles et ceux qui sont justement estimés. « Ensuite la consommation (24). » Car quand ceux-là seront ressuscités, toutes choses recevront leur accomplissement : ce n’est pas comme maintenant, après la résurrection du Christ, que toutes choses sont encore en suspens. Et pour cette raison, l’apôtre ajoute, « à, son avènement », afin que vous compreniez que c’est de ce temps-là qu’il parle. « Lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu son Père, et qu’il aura détruit tout empire, toute domination et toute puissance. (24) ».
4. ici, soyez attentifs, et voyez à ne rien perdre des paroles qui vous sont adressées, car nous livrons un assaut à nos ennemis. Voilà pourquoi il faut d’abord pratiquer la démonstration par l’absurde. C’est ce que Paul fait souvent : voilà le moyen le plus, commode de bien saisir ce qu’ils disent. Commençons par leur demander ce que signifie « Lorsqu’il aura remis son royaume à Dieu son Père ». Si nous prenons ces paroles sans y réfléchir, sans y voir ce qui convient à Dieu, ce royaume, Jésus-Christ ne le possédera plus à partir de ce moment, car celui qui a remis une chose à un autre, cesse dès lors de la posséder. Et ce ne sera pas là la seule absurdité ; mais il y aura encore cette absurdité que celui qui aura reçu se trouvera ne posséder qu’après avoir reçu. De sorte qu’à les entendre, le Père n’était pas roi auparavant, ce n’est pas lui qui nous administrait, et le Fils cessera d’être roi. Comment donc se fait-il que lui-même dit du Père : « Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi (Jn. 5,17) ? » et que Daniel dit encore sur lui ; « Son royaume, royaume éternel, qui ne passera pas ? » (Dan. 2,44) Voyez-vous toutes les absurdités qui se montrent, tous les démentis donnés aux Écritures, si l’on prend ces paroles dans un sens humain ? Or ; quel est d’empire dont l’apôtre dit qu’il sera détruit ? L’empire des anges ? Loin de nous cette pensée. L’empire des fidèles, peut-être ? Ce n’est pas cela encore. Qui empire donc ? Celui des démons, dont il dit ailleurs : « Car nous avons à combattre, non contre des hommes de chair et de sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes du monde de ce siècle ténébreux ». (Eph. 6,12) En effet, leur empire maintenant n’est pas entièrement détruit, il ne cesse pas encore ; en beaucoup d’endroits ils l’exercent encore, mais alors ils cesseront leur domination. « Car Jésus-Christ doit régner, jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds (25) ». Ici encore une autre absurdité toute prête à éclore ; si nous n’entendons pas ces paroles dans un sens qui convienne à Dieu. Car ce mot jusqu’à ce que » indiqué une fin déterminée ; or, en Dieu, il n’y a pas de fin. « Or la mort sera le dernier ennemi qui sera détruit (26) ». Comment, cela, le dernier ? Après tous, après le démon, après toute autre chose. Et en effet, même au commencement, c’est elle qui est entrée la dernière ; d’abord le conseil du démon, puis la désobéissance, et alors la mort. Donc, c’est son pouvoir qui dès maintenant est aboli ; mais alors elle le sera elle-même en réalité.
« Car il lui a tout mis sous les pieds. Quand l’Écriture dit que tout lui est assujetti, il est évident qu’il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses. Lors donc que toutes choses auront été assujetties au Fils, alors le Fils sera lui-même assujetti à celui qui lui aura assujetti toutes choses (27, 28) ». Or il ne disait pas auparavant que c’était le Père qui lui assujettissait toutes choses, mais que c’était lui-même, qui détruisait : « Lorsqu’il aura », dit l’apôtre, « détruit tout empire, toute domination ». Or, voici maintenant : « Car Jésus-Christ doit régner jusqu’à ce que son Père lui ait mis tous ses ennemis sous les pieds[16] » Comment donc dit-il ici que c’est le Père ? Et ce n’est pas là seulement ce qui ne se comprend pas, mais c’est que la crainte de Paul est tout à fait étrange ; il se sert d’un correctif, il dit : « Il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses », comme s’il y avait des personnes pour s’imaginer que le Père peut être assujetti au Fils. Quoi de plus déraisonnable qu’une pareille imagination ? Cependant l’apôtre en a eu peur. Donc qu’est-ce que cela signifie ? Voyez-vous, ici, les questions se pressent en foule, accordez-moi votre attention soutenue. Il nous est nécessaire avant tout de dire le but ; la pensée de Paul, qui brille partout, et qui va nous donner 1a solution de notre embarras. La pensée de Paul ne sera pas inutile aussi pour la solution. Quelle est donc cette pensée ; et quelle est son habitude ? Il a une manière de parler, quand il ne parle que de la divinité seule ; il en a une autre, quand, il tombe sur le mystère de l’incarnation. En effet, quand il s’attache à la chair, sans s’inquiéter de tout autre ordre d’idées, il n’a que des expressions basses et misérables, parce qu’il s’assure que la chair comporte les paroles qu’il emploie. Voyons donc ici, s’il ne parle que de la divinité seule, ou s’il se joint à ce qu’il dit de Dieu un rapport avec l’incarnation : ou plutôt montrons d’abord les exemples où il a pratiqué la méthode dont je viens de parler.
Il écrit aux Philippiens : « Qui ayant la forme et la nature de Dieu n’a point regardé comme un rapt d’être égal à Dieu, mais s’est anéanti lui-même, en prenant la forme et la nature de serviteur, en se rendant semblable aux hommes, et étant reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au-dehors. Il s’est rabaissé lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a élevé », (Phil. 2,6-9) Voyez-vous comment, quand il ne parle que de la divinité, l’apôtre emploie ces grandes expressions : Il a la forme de Dieu ; l’apôtre attribue également tout et au Père, et au Fils ; quand, au contraire, il veut nous montrer Jésus-Christ incarné, il abaisse son discours ? Sans cette distinction, il n’y a entre, les paroles qu’une contradiction choquante. S’il était égal à Dieu, comment Dieu a-t-il pu élever celui qui était son égal ? S’il avait la forme de Dieu, comment Dieu a-t-il pu lui donner son nom ? On ne donne qu’à celui qui n’a pas ce qu’on lui donne ; on ne peut élever que ce qui était au-dessous de la hauteur où on l’élève. Il faudra bien que le Fils ait été dans l’abaissement et dans l’indigence de, quelque chose avant d’avoir été élevé, avant d’avoir reçu le nom ; et mille autres corollaires s’ensuivent, qui sont absurdes. Mais si vous pensez à l’incarnation, vous n’aurez pas tort de tenir ce langage. Appliquez ces observations ici et recevez dans cette pensée les paroles que vous avez entendues.
5. Nous ajouterons encore quelques autres raisons du langage de Paul. En attendant, nous sommes encore forcé de dire que Paul, parlant de la résurrection, traitait d’une chose qui paraissait impossible, et ne rencontrait que l’incrédulité ; Paul écrivait à des Corinthiens, chez qui se trouvaient en grand nombre des philosophes toujours occupés à se moquer de semblables mystères. Ces hommes qui disputaient entre eux pour les autres sujets, étaient du même sentiment, accordaient à l’unanimité, pour rejeter ce dogme, pour décider qu’il n’y a pas de résurrection. Donc l’apôtre combattant pour une vérité à qui l’on refusait d’ajouter foi, et que l’on tournait et ridicule, tant parce que c’était un parti pris que parce que le fait était difficile à croire, l’apôtre ; voulant établir la possibilité du fait ; commence par se fonder sur la résurrection du Christ ; il la démontre, et par les prophètes, et par ceux qui l’ont vue, et par ceux qui l’ont crue, et maître ensuite de sa démonstration par l’absurde, il ne pense plus qu’à établir la résurrection des hommes : « Car si les morts ne ressuscitent point, Jésus-Christ non plus n’est pas ressuscité ». Ensuite, fort des preuves qu’il a entassées sans interruption jusque-là, il argumente d’une autre manière, il appelle Jésus-Christ, prémices, il montre qu’il détruit tout empire, toute domination, toute puissance, et en dernier lieu, la mort. Comment donc la mort sera-t-elle détruite, si elle ne rend pas auparavant les corps qu’elle possédait ?
Donc, après de grandes paroles sur le Fils unique qui remet son royaume, c’est-à-dire, qui accomplit lui-même toutes ces choses, qui termine lui-même la guerre par une victoire, et qui soumet tout sous ses pieds, l’apôtre ajoute, pour corriger l’incrédulité du grand nombre : « Car Jésus-Christ doit régner jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds ». Ce n’est pas pour exprimer la fin de la royauté qu’il met ce « jusqu’à ce que », mais pour rendre son discours digne de foi, et préparer la confiance. N’allez pas, dit-il, parce que l’on vous a dit qu’il détruira tout empire, toute domination et toute puissance, craindre le démon et les innombrables phalanges des esprits de l’enfer, et les multitudes des infidèles, et la tyrannie de la mort, et tous les maux ; comme s’il était désormais sans pouvoir ; car, jusqu’à ce qu’il ait fait toutes es choses, il doit régner ; ce qui ne veut pas dire qu’après son règne doit cesser ; mais l’apôtre veut faire entendre que ; bien que cela n’arrive pas présentement, il faut absolument que cela s’accomplisse. En effet la royauté de Jésus-Christ ne se scinde, pas ; elle a sa puissance, sa force, elle persiste jusqu’à ce qu’il ait accompli toutes choses d’une manière parfaite. Cette méthode de l’apôtre, on peut la trouver même dans l’Ancien Testament ; par exemple : « La parole du Seigneur demeure jusqu’à l’éternité » ; et encore : « Vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point ». (Ps. 118,89 ; 101, 28) Or ce que dit là le prophète, et les paroles du même genre, quand il annonce des événements qui n’auront lieu que longtemps après, et qui sont tout à fait dans l’avenir, c’est pour bannir la crainte des fidèles dont l’intelligence est plus lourde. Voulez-vous la preuve que « jusque », appliqué à Dieu, et « jusqu’à la fin », ne marquent pas une fin ? Écoutez ce que dit l’Écriture : « Depuis le commencement des siècles, et jusque dans les siècles, vous êtes » (Ps. 89,2) ; et encore : « Je suis » (Ex. 3,14) ; et : « Jusqu’à ce que vous soyez devenus vieux, je suis ». (Is. 46,4)
Et maintenant, si c’est en dernier lieu qu’il parle de là mort, c’est pour que les autres victoires prédisposent l’incrédule à accorder sa foi à ce dernier triomphe. Quand on peut détruire le démon, qui a introduit la mort dans le monde, à bien plus forte raison pourra-t-on détruire son ouvrage. Comme donc il lui a attribué tout – pouvoir, celui de détruire les empires et les dominations, d’exercer une royauté parfaite, je veux dire, de procurer le salut des fidèles, la paix de la terre, l’abolition des péchés (Ce c’est là ce qui fait que la royauté est exercée d’une manière parfaite, et que la mort est détruite) comme de plus, l’apôtre n’a pas dit que c’est le Père qui détruira par son entremise, mais que c’est lui-même qui détruira, que c’est lui-même qui mettra sous ses pieds, comme il n’a fait aucune mention du Père, pour toutes ces raisons Paul a un scrupule : des insensés pourront se figurer, ou que le Fils est plus grand que le Père ; ou que c’est quelque autre principe non-engendré ; par ce motif, avec une circonspection qui met doucement les choses en sûreté, Paul tempère la grandeur des paroles qu’il a fait entendre : « Car Dieu a mis tout sous ses pieds » ; mais maintenant, en attribuant au Père tout ce qui s’accomplit, Paul ne veut pas affaiblir le Fils (comment pourrait-il ravaler sa puissance, après en avoir donné tant de preuves, après lui avoir tout attribué ?) toutes les paroles de l’apôtre vont, comme je l’ai dit, à montrer l’action commune du Père et du Fils dans tout ce qui s’accomplit pour nous. Écoutez ce que dit Paul pour prouver que le Fils se suffit à lui-même pour se soumettre toutes choses : « Qui transformera notre corps dans notre abjection, afin de le rendre conforme à son corps glorieux, par cette vertu efficace par laquelle il peut s’assujettir toutes choses ». (Phil. 3, 21) Et ensuite il se sert d’un correctif : « Quand l’Écriture dit que tout lui est assujetti, il est évident qu’il faut en excepter celui qui lui a assujetti toutes choses » ; mais de là encore, on peut tirer une preuve puissante de la gloire du Fils unique. S’il eût été moindre que son Père, de beaucoup inférieur à lui,-Paul n’aurait jamais eu la crainte qu’il montre ici. Les précautions qu’il a prisés, ne sont pas encore suffisantes pour lui ; il y ajoute, il insiste. On pouvait dire Mais si le Père n’est pas assujetti au Fils, cela n’empêche pas que le Fils ne soit plus puissant. Cette pensée inspire à Paul des appréhensions, il repousse cette impiété, et ne croyant pas sa démonstration encore complète, il ajoute surabondamment : « Lors donc que toutes choses auront été assujetties au Fils, alors le Fils sera lui-même assujetti » ; montrant par là la parfaite concorde avec le Père, et que le principe de tous les biens et la première cause, c’est celui quia engendré celui qui est si puissant pour accomplir toutes choses parfaites.
6. Si l’apôtre en a dit plus que son sujet ne le demandait, ne soyez pas surpris : il imite son maître en cela. En effet, Jésus-Christ lui-même voulant montrer la concorde qui l’unit à celui qui l’a engendré, prouver que son avènement n’est qu’un effet de la volonté de son Père, descend dans dès explications mesurées non sur la nécessité de démontrer la concorde, mais sur la faiblesse de ceux auxquels il s’adresse. Il prie son Père uniquement dans cette intention, et il motive sa prière en disant : « Afin qu’ils croient que c’est vous qui m’avez envoyé ». (Jn. 11,42). Donc Paul suit cet exemple, et il emploie ici l’abondance des paroles, non de manière à faire imaginer qu’il puisse y avoir un assujettissement par contrainte, loin de nous cette pensée, mais de manière à exterminer victorieusement ces croyances absurdes. Car lorsqu’il veut extirper une erreur, sa parole est toujours surabondante. C’est ainsi qu’en parlant de la femme fidèle et du mari infidèle unis par le mariage, pour prévenir la pensée que la femme est souillée par son commerce et ses rapports avec l’infidèle, il ne se borne pas à dire que la femme n’est pas impure, n’est eu rien atteinte par son union avec l’infidèle, il dit, ce qui est beaucoup plus expressif, qu’elle sanctifie l’infidèle (1Cor. 7,14) ; ce n’est pas qu’il veuille montrer que le païen, grâce à elle, devient un saint, mais il exagère l’expression pour dissiper la crainte de là femme. De même ici, c’est pour en finir avec une croyance impie qu’il force l’expression. Soupçonner le fils d’impuissance, c’est le comble du dérèglement d’esprit : c’est pour prévenir ce délire, que l’apôtre dit : « Il mettra tous ses ennemis sous ses pieds » oui, mais maintenant il y aurait encore plus d’impiété à croire que le Père est moindre que le Fils. Aussi l’apôtre ruine-t-il cette erreur sacrilège sous une argumentation surabondante. Voyez ce qu’il fait : il ne se contente pas de dire : « Il faut en excepter celui qui lui a assujetti », mais il a bien soin de dire, d’abord : « Il est évident qu’il faut », c’est une manière de confirmer, de corroborer une vérité, quoiqu’elle ne soit nullement contestée.
Et pour que vous compreniez bien que c’est là la raison de toute cette argumentation, je vous demanderai s’il y a alors accroissement de sujétion pour le Fils. Absurdité, état indigne de la divinité ! la plus grande sujétion, l’obéissance la plus abaissée qu’il ait fait paraître, c’est tout Dieu qu’il est, de prendre la forme d’un esclave. Quel moyen donc de croire qu’alors il sera assujetti ? Voyez-vous que Paul n’a pas voulu autre chose, en ajoutant cette observation, que dissiper une imagination absurde, et qu’il s’y est pris comme il convenait ? Il est question ici de l’obéissance qui convient au caractère de Fils, au caractère de Dieu, rien d’humain là-dedans, pleine liberté, pleine puissance. Autrement expliquez comment il partage le trône de Dieu ; comment, ainsi que le Père, il ressuscite ceux qu’il lui plaît (Jn. 5,21) ; comment tout ce qui est à son Père est à lui, et tout ce qui est à lui est à son Père (Jn. 17,10). Voilà qui montre la parfaite égalité de la pleine puissance entre le. Fils et celui qui l’a engendré. Mais que signifie : « Lorsqu’il aura remis son royaume ? » L’Écriture parle de deux royaumes de Dieu : l’un fondé sur l’union intime et familière avec lui ; l’autre, sur la création. Dieu est le roi de tous les peuples, et des Grecs, et des Juifs, et des démons, et de tous les révoltés, cette royauté ressort de la création ; il est le roi des fidèles, de ceux qui se soumettent volontairement à lui, cette royauté ressort de l’union intime et familière. Cette royauté aussi a son empire que reconnaît l’Écriture, car c’est d’elle qu’il est dit dans le second des psaumes « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage » (Ps. 2,8) ; c’est d’elle encore que parle Jésus, disant à ses disciples : « Toute puissance m’a été donnée par mon Père ». (Mt. 28,18) S’il attribue tout à celui qui l’a engendré, ce n’est pas qu’il soit de lui-même insuffisant, mais il veut montrer qu’il est le Fils, qu’il n’est pas non engendré. Donc cette expression qu’il remet son royaume, signifie qu’il accomplit ce qu’il faut.
Mais pourquoi l’apôtre ne dit-il rien du Saint-Esprit ? C’est parce que le sujet présent ne comportait pas une mention du Saint-Esprit, et que l’apôtre n’a pas l’habitude de confondre les questions : Ainsi quand il dit : « Il n’y à qu’un seul Dieu le Père, et qu’un seul Seigneur Jésus » (1Cor. 8,6), s’il garde le silence sur le Saint-Esprit, ce n’est pas du tout qu’il le croie d’un rang inférieur, mais c’est qu’il n’avait pas sujet d’en parler. Il lui arrive de ne faire mention que du Père, et nous n’irons pas pour Gela rejeter le Fils ; il lui arrive de ne nommer que le Fils et le Saint-Esprit, et nous n’irons pas pour cela dépouiller le Père de sa divinité : Mais maintenant ; que signifie : « Afin que Dieu soit tout en tous ? » Afin que tout dépende de lui. Il ne faut pas s’imaginer qu’il y a deux principes sans principe, qu’il y a division dans la royauté ; car lorsque les ennemis du Fils seront abattus sous ses pieds, comme il ne peut y avoir aucun soulèvement du Fils contre celui qui l’a engendré, comme la perfection de la concorde règne entre eux, alors Dieu sera tout en tous. Maintenant quelques personnes veulent que. Paul ait entendu par là que le vice sera aboli, vu que tous désormais céderont à la volonté de Dieu, sans qu’aucun lui résiste, et commette de mauvaises actions. Et en effet ; il n’y aura plus de péché, d’où il suit évidemment que Dieu sera tout en tous. Mais s’il n’y a pas de résurrection des corps, comment comprendre cette vérité ? Voici que l’ennemi le plus acharné de tout ce qui a vie, la mort, subsisté, ayant mené son œuvre à la fin qu’elle a voulu. – Non pas, réplique-t-on, car il n’y aura plus de pécheurs. – Et qu’importe ? Il n’est pas ici question de la mort de l’âme, mais de celle du corps. Comment donc la mort corporelle est-elle détruite ? Ce qui constitue la victoire, c’est le recouvrement de ce qu’on avait perdu, de ce qu’on s’est vu retenir. Si les corps sont retenus dans la terre, la tyrannie de la mort persiste, puisqu’elle retient ces corps, et que nous n’avons pas d’autres corps où nous puissions la vaincre. Mais s’il arrive ce que dit Paul, et ce, qui certes doit arriver, la victoire sera éclatante pour le Dieu capable de ressusciter ce que la mort retenait, à savoir nos corps. Vaincre l’ennemi, cela veut dire qu’on le dépouille, et non pas qu’on lui laisse tout ce qu’il a pris ; si au contraire personne n’ose dépouiller l’ennemi, comment dire que l’ennemi est vaincu ?
7. C’est une victoire de ce genre que le Christ dit lui-même dans l’Évangile qu’il a remportée : « Quand il aura lié le fort, il pillera sa maison ». (Mt. 12,29) Autrement, rien ne montre la victoire. Car, de même que pour l’amour de l’âme, l’affranchissement du péché, par le fait de la mort, ne constitue pas une victoire, car la victoire ne consiste pas à ne rien ajouter à ses maux, mais à briser les fers où les passions retiennent l’âme captive, de même, ici, arrêter la mort faisant des corps sa pâture, ce n’est pas remporter une éclatante victoire ; la victoire, c’est de lui arracher les corps dont elle s’est déjà saisie. Si l’on s’obstine à disputer, à soutenir que les paroles de l’apôtre désignent la mort de l’âme, comment sera-t-il vrai de dire qu’elle est la dernière détruite, puisque, dans chaque baptisé, elle est déjà entièrement détruite ? Si au contraire, vous appliquez ces paroles au corps, elles ont un sens, alors on comprend que la mort est la dernière détruite. Maintenant, si l’on demande pourquoi, traitant de la résurrection, il n’a pas parlé des morts ressuscités au, temps du Seigneur, nous disons que ce n’eût pas été à propos dans un discours sur la résurrection. Montrer des ressuscités qui meurent une seconde fois, ce n’était pas démontrer que la mort finit elle-même par être détruite. S’il dit qu’elle est elle-même détruite la dernière, c’est pour qu’on n’aille pas s’imaginer qu’elle aussi ressuscite. En effet, le vice étant supprimé, à bien plus forte raison la mort cessera. Il ne serait pas raisonnable de croire que la source se dessèche, et que l’eau qui en sort, continue à couler, que la racine meurt et que le fruit se développe.
Puis donc qu’au dernier jour, les ennemis de Dieu sont détruits avec la mort, le démon, les mauvais anges, ne nous attristons pas de voir la prospérité des ennemis de Dieu. Car les ennemis du Seigneur, à peine glorifiés, exaltés, tombent en défaillance, et comme la fumée ils se sont évanouis. Dune, quand vous voyez un ennemi de Dieu, riche, entouré de satellites, escorté de flatteurs en foule, ne vous laissez pas abattre, mais gémissez, pleurez, priez Dieu de le rappeler dans, les rangs de ses amis ; plus il fait ses affaires comme ennemi de Dieu, plus il faut verser de larmes sur son malheur. Car il faut toujours pleurer sur les pécheurs, et on ne peut trop pleurer quand ils sont dans l’abondance des richesses, au faîte de la prospérité, comme des malades qui se livrent aux plaisirs de leur ventre et quai s’enivrent. Il y a pourtant des personnes qui, en entendant nos paroles, sont animées de dispositions assez malheureuses, pour gémir amèrement, pour dire : c’est sur moi qu’il faut pleurer ; je ne possède rien. Vous avez bien raison de dire que vous ne possédez rien, non pas parce que vous ne possédez pas ce que ce pécheur possède, mais parce que vous prenez une telle possession pour un bonheur, voilà pourquoi on ne peut trop pleurer sur vous. Si un homme bien portant envie le bonheur d’un malade couché dans un bon lit, il faut dire que cet homme, qui a la santé, est bien plus à plaindre, bien, plus malheureux que l’autre, attendu qu’il n’a aucun sentiment des avantages qui sont en lui. C’est ce qui arrive à propos des pécheurs dont on envie la prospérité ; de là, dans notre vie, toute la confusion, tous les désordres. Des plaintes de ce genre perdent des malheureux en foule, et les livrent au démon, et les rendent plus misérables que ceux que la faim dessèche. Que la cupidité soit plus à plaindre que la mendicité même, parce que c’est un mal rongeur qui travaille l’âme plus douloureusement ; c’est ce que nous allons vous montrer.
Une sécheresse autrefois saisit notre ville, à tel point que tous tremblaient, redoutant les derniers malheurs, et suppliaient Dieu de les délivrer de leurs angoisses ; en ces jours, on pouvait voir la parole de Moïse accomplie en réalité, le ciel devenu d’airain (Deut. 28,23), et chaque jour, on attendait la plus affreuse des morts. Mais ensuite, grâce à la bonté de Dieu, contre toute espérance, il tomba du ciel une pluie d’une inépuisable abondance : et tous déjà se mettaient en fête comme s’ils venaient de sortir des portes mêmes de la mort. Cependant, au milieu d’une si grande faveur et de la joie qui les transportait tous, un des hommes les plus opulents rôdait triste et morne, frappé au cœur d’un mortel abattement, et pressé des questions qu’on lui adressait pour savoir d’où venait que, dans la joie universelle, il était seul affligé, il ne put pas même contenir dans l’intérieur de son âme son affection malsaine ; surexcité par la tyrannie d’un mal affreux, il ne craignit pas d’exposer la cause de sa tristesse : J’ai, dit-il, par milliers, des mesures de froment, je ne sais plus qu’en faire. Eh bien, vanterons-nous, répondez-moi, le bonheur de celui qui prononçait de telles paroles qui auraient dû le faire lapider ; le bonheur de ce monstre, plus cruel que toutes les bêtes féroces, le bonheur de cet ennemi de tous ? Quo dis-tu, ô homme ? tu t’affliges de ce que tous ne meurent pas, parce que tu y gagnerais de l’argent ! N’as-tu pas entendu ce que dit Salomon. : « Celui qui cache le blé est exécrable au peuple ? » (Prov. 11,26), et tu rodes, ennemi déclaré de tout ce qui fait du bien sur la terre, ennemi de la bonté de Dieu qui répand ses largesses sur le monde entier, ami du gain sordide, ou plutôt son esclave ? Cette langue-là ne méritait-elle pas d’être coupée ? n’aurait-on pas dû étouffer ce cœur d’où sortirent de telles paroles ?
8. Voyez-vous comme l’amour de l’or ne permet pas aux hommes de rester des hommes, comme cet amour en fait des monstres, des démons ? Quoi de plus pitoyable que ce riche priant chaque jour pour que la famine arrive, afin qu’il lui arrive, à lui, de l’or ? Les sentiments naturels se changent en leurs contraires, dans l’avare : au lieu de le réjouir, l’abondance des fruits qu’il possède est précisément ce, qui l’afflige ; il gémit de l’infinité même de ses possessions. Pourtant l’abondance dans la possession est nécessairement une cause de joie ; non, voilà précisément pour lui, ce qui fait ses angoisses. Voyez-vous combien j’ai eu raison de dire que les riches ne ressentent pas autant de plaisir des biens présents qu’ils ne s’affligent en pensant à ceux qu’ils n’ont pas encore ? Ce riche qui possédait d’innombrables mesures de froment, était plus chagrin, plus gémissant que celui qui avait faim : celui qui avait le nécessaire, se couronnait de fleurs, sautait de joie, et rendait grâces à Dieu ; au contraire, celui qui possédait tant, se plaignait, se regardait comme perdu. Ce n’est donc pas l’abondance qui procure le plaisir, c’est la sagesse ; et sans la sagesse, quand vous auriez tout en votre possession, vous serez comme privé de tout, et vous vous lamenterez. Cet avare, dont il s’agit maintenant, quand même il aurait tout vendu, et vendu le prix qu’il voulait, tout ce qu’il avait entre ses mains, il se serait encore plaint de n’avoir pu vendre à un prix plus élevé ; et s’il avait pu vendre à un prix plus élevé, il aurait encore voulu vendre, à un prix supérieur ; eût-il vendu de telle sorte qu’une seule mesure lui eût rapporté un monceau d’or, il se serait encore frappé la poitrine avec une morne tristesse parce qu’une demi-mesure ne lui aurait pas rapporté tout autant. Si dès le commencement de sa vente il ne fixe pas un prix si haut, n’en soyez pas surpris. Ceux qui s’enivrent ne sont pas tout de suite embrasés de tous les feux du vin, il faut qu’ils se remplissent d’abord de flots de vin, et c’est alors que le feu devient plus ardent. Voilà pourquoi les avares aussi ont d’autant plus de besoins qu’ils ont plus amassé ; et ce sont ceux qui gagnent le plus, qui se plaignent les plus de manquer. Quant à mes paroles, elles ne sont pas seulement pour ce riche, mais pour chacun de tous ceux que la même maladie travaille, qui font hausser le prix des denrées, et appauvrissent ainsi leur prochain. Il n’y a chez eux aucun sentiment d’amour pour les hommes ; l’amour de l’argent possède leur cœur ; c’est leur avarice qui règle le temps des ventes, le froment et le vin sont vendus, plus tôt par celui-ci, plus tard par celui-là, mais ni les uns, ni les autres ne se soucient de la chose publique ; les uns veulent gagner plus, les autres craignent de perdre, si la marchandise s’avarie.
C’est que si un grand nombre d’hommes ne tiennent pas compte de la loi de Dieu, et renferment, et cachent toutes les provisions, Dieu, par ses moyens à lui, veut les amener à la bonté pour les hommes, les forcer à faire par nécessité quelque chose de bien, et il leur inspire la crainte d’un dommage considérable : Dieu ne permet pas que les fruits de la terre se conservent longtemps, afin que les détenteurs, redoutant la corruption de ces fruits, par cette considération au moins, les livrent, bon gré mal gré, aux indigents ; puisqu’ils ne sauraient les garder chez eux. Eh bien, malgré cet avertissement de Dieu, il y a de ces cupidités que cela même ne saurait corriger. Que de gens a-t-on vus qui ont jeté des tonneaux tout entiers, sans – donner seulement une coupe de vin au pauvre ; eux qui n’auraient pas donné une obole aux indigents, ils ont dû répandre sur la terre tout leur vin devenu du vinaigre, et ils ont gâté à la fois leurs tonneaux et leur vin. D’autres n’auraient pas même donné un morceau de pâte à un affamé et ils ont jeté dans le fleuve des charges entières de froment ; et pour n’avoir pas écouté la voix de Dieu qui commande de donner à ceux qui ont besoin ; sur l’ordre de la teigne, ils ont dû, bon gré mal gré, consentir à la destruction, à la perte de tout ce qu’ils avaient chez eux, au milieu des éclats de rire, au milieu des malédictions retombant sur leur tète avec tout ce préjudice.
Voilà ce qui se passe ici-bas ; mais ce qui se passe ailleurs, dans l’autre monde, quel discours le dira ? Ici-bas, la teigne ronge le froment et le rend inutile, et ils le jettent dans l’eau des fleuves ; de même ceux qui font ces choses, ceux qui, par cette conduite, se rendent inutiles. Dieu les jette dans le fleuve de feu. La teigne et les vers rongent le froment ; une cruauté qui ne connaît rien des affections de l’homme, ronge pareillement leurs âmes. Et pourquoi ! Parce que tous leurs sentiments sont rivés aux choses présentes, parce qu’ils n’attachent un prix insensé qu’à cette vie, d’où viennent les innombrables chagrins dont ils sont pénétrés. De quelque plaisir qu’on leur parle, tout s’évanouit pour eux devant la terreur de la fin dernière ; ils sont morts sans avoir cessé de vivre. Que ce soit là la condition des infidèles, ne nous en étonnons pas ; mais après la participation à tant de mystères, après tant de sages méditations sur les choses à venir, l’attachement aux choses présentes pourrait-il s’excuser chez les, chrétiens ? D’où vient-il cet attachement aux choses présentes ? De l’attachement à ce qui rend la vie délicate, à ce qui engraisse la chair, à ce qui rompt l’énergie de l’âme, à ce qui l’afflige d’un plus lourd fardeau, à ce qui épaissit ses ténèbres sous une enveloppe plus grossière. Dans l’âme éprise d’une vie molle et délicate, ce qui est le meilleur est asservi ; la partie inférieure fait la loi ; ce qui doit commander est un aveugle, un manchot, un mutilé ; tout se fait et s’exécute par ce qui ne devrait être qu’un subordonné que l’on tient en sa place. Car le grand ouvrier a enchaîné l’âme au corps par des liens nombreux pour prévenir la haine qu’elle pourrait concevoir contre cet étranger.
9. Car si Dieu a commandé d’aimer ses ennemis, le démon est parvenu à persuader à quelques personnes de haïr même leur propre corps. Dire que le corps est l’œuvre du démon, ce n’est pas autre chose que prouver qu’il le faut haïr, ce qui est le comble de la démence. Si c’est l’œuvre du démon, d’où vient cette harmonie parfaite qui le rend de tout point capable de ménager à l’âme la pratique de la sagesse ? Mais, dira-t-on, si le corps est un instrument propre à l’âme, comment se fait-il qu’il aveugle l’âme ? Ce n’est passe corps qui aveugle l’âme, loin de vous, ô hommes, cette pensée ; c’est l’amour de la mollesse. Mais cette mollesse d’où vient que fous la recherchons ? Ce n’est pas parce que nous avons un tores, nullement ; mais c’est parce que nous avons une volonté pervertie. Ce qu’il faut au corps, c’est la nourriture, non la pourriture de la mollesse ; ce qu’il faut au corps, c’est l’aliment, non le dissolvant. Ce n’est pas l’âme seule, c’est, avec l’âme, ce corps qu’un prétend nourrir, qui trouve dans la mollesse une ennemie. Il s’affaiblit au lieu de se fortifier, il s’amollit au lieu de rester ferme ; à la santé succède la maladie ; â la légèreté, la lourdeur ; à la consistance, la consomption ; à la beauté ;. la laideur ; à l’odeur agréable, la puanteur ; à la pureté, la souillure ; au bien-être, la douleur ; à l’utile activité, l’inutile torpeur ; à la fraîcheur, la vétusté ; à l’énergie, le marasme ; à l’agilité, la gaucherie pesante ; il était fort et droit, il boite.. Et maintenant, si le corps était l’ouvre du démon, il ne conviendrait pas davantage qu’il souffrît de ses attaques, je veux dire des atteintes du vice. Mais ni le corps, ni les aliments ne sont les couvres du démon, la seule mollesse en vient. C’est par elle que le démon pervers produit des maux sans nombre ; c’est par là qu’il a perdu tout un peuple. « Ce peuple s’est engraissé », dit l’Écriture, « s’est rempli d’embonpoint, et a regimbé après avoir été tant aimé ». (Deut. 32,15) C’est encore par là qu’ont commencé les foudres contre ceux de Sodome. C’est ce que marquait Ezéchiel, en disant : « Voici quelle a été l’iniquité de Sodome : en se voyant rassasiée de pain, dans l’abondance, elle s’est plongée dans les plaisirs déréglés ». (Ez. 16,48)
Voilà encore pourquoi Paul disait : « La veuve qui se plonge dans les plaisirs déréglés, toute vivante qu’elle est, est morte ». (1Tim. 5,6) Pourquoi ? c’est qu’elle promène comme un sépulcre son corps couvert de maux sans nombre. Or si le corps est ainsi perdu, quel sera l’état de l’âme, quel trouble, quels flots, quelle tempête, quel bouleversement ! La voilà donc, n’en doutons pas, inutile pour toutes choses, incapable de dire, incapable d’entendre ; de prendre un parti, de rien faire de ce qui convient ; comme un pilote dont la science est vaincue par la tempête, s’engloutit dans les flots avec le navire, avec tous les passagers, ainsi l’âme, avec le corps, plonge et s’engloutit dans l’affreux abîme où se perdent tous les sentiments. Car Dieu nous a donné notre ventre comme une meule dont la puissance est mesurée, qui doit moudre chaque jour une quantité dont la mesure est déterminée. Si donc on y jette au-delà de la mesure prescrite, ce qui n’a pas subi le travail de la meule, produit la destruction du corps entier. De là les maladies, les défaillances, les altérations funestes ; car l’excès des plaisirs n’engendre pas seulement les maladies, mais substitue la laideur à la beauté. Voyez l’homme dont la respiration ramène à chaque instant des exhalaisons insupportables, dégage les miasmes infects du vin, dont la figure présente une rougeur exagérée ;. voyez l’homme abusant de la toilette qui convient aux femmes, n’ayant plus aucune décence dans la parure ; voyez cette chair flasque ; ces paupières injectées, gonflées de sang, cette obésité, cette surcharge inutile d’un embonpoint énorme, réfléchissez à tout ce qu’il en résulte d’incommodité. J’ai entendu nombre de médecins prétendant que l’abus des voluptés souvenu empêche le développement de la taille. Car le souffle étant embarrassé par la multitude des aliments précipités dans l’intérieur, et n’étant plus employé qu’à aider le travail de la digestion, ce qui devait servir à l’accroissement du corps, se perd dans l’élaboration que rend nécessaire tout ce superflu qu’on entasse. Que dire de ces gouttes, de ces rhumatismes qui se promènent dans toutes les parties du corps, des autres maladies qui en naissent, de toutes les douleurs honteuses ?
Non, rien n’est aussi désagréable à voir qu’une femme qui se charge de nourriture. Voilà pourquoi la beauté se rencontre plus souvent chez celles qui souffrent de la pauvreté ; pour elles, ce superflu qui nuit au corps se rejette sans peine ; il n’y a pas là une boue qui s’attache inutilement à leur substance, comme cette fange dont on reçoit, dont on emporte l’éclaboussure Les exercices de chaque jour, les fatigues, les peines, la frugalité, le régime de la pauvreté leur font une bonne constitution, et de là résulte pour elles l’éclat de là beauté. Si vous prétendez objecter que la délicatesse a ses plaisirs, vous trouverez qu’ils ne vont pas plus loin que l’entrée de la gorge ; une fois la langue dépassée, les plaisirs, s’envolent, il n’en reste plus qu’un grand nombre d’inconvénients désagréables. Il ne suffit pas de voir les délicats an moment de la table, voyez-les quand ils se lèvent, suivez-les alors, ce sont des bêtes, ce sont des brutes, ce ne sont plus des hommes. Voyez ces têtes pesantes, ces bâillements, ces bras, ces jambes qui s’allongent, ce corps embarrassé, garrotté de mille liens, à qui il faut le lit, des couvertures, du repos surtout, ce tourbillonnement comme s’il y avait une tempête au milieu des flats ; voilez ces naufragés qui ont besoin de sauvetage, qui ne soupirent plus qu’après l’état où ils se trouvaient avant de se crever le ventre. On dirait des femmes en mal d’enfant à les voir comme ils se portent avec leurs ventres appesantis, sans pouvoir marcher, sans pouvoir regarder, sans pouvoir parler, sans pouvoir rien faire. S’il leur arrive de sommeiller, voilà qu’ils ont des songes extravagants, qu’ils voient des chimères, de folles apparitions partout. Comment parler encore d’un autre délire de ces voluptueux, de là luxure qui les brûle ? Encore une démence qui découle des mêmes sources : comme des étalons que leur chaleur transporte, stimulés par l’aiguillon de l’ivresse, ces libertins se ruent sur tout ce qu’ils rencontrent, et c’est une dégradation, une fureur que les animaux mêmes n’égalent pas ; et ce sont des infamies que la parole ne saurait vouloir raconter. Ils n’ont conscience ni de ce qu’ils supportent, ni de ce qu’ils font.
Mais l’homme étranger aux plaisirs, n’est pas sur ce modèle : du port où il est assis, il voit les naufrages, il jouit d’un plaisir pur et qui lui suffit, il mène la vie qui convient à un être libre. Pénétrés de ces vérités, fuyons donc les banquets criminels des hommes livrés à la délicatesse, aux plaisirs déréglés, attachons-nous à la table où règne la frugalité, afin que, dans les bonnes dispositions de l’âme et du corps, nous pratiquions toutes les vertus, et que nous puissions obtenir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l’honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XL.


AUTREMENT, QUE FERONT CEUX QUI SONT BAPTISÉS POUR LES MORTS, S’IL EST VRAI QUE LES MORTS NE RESSUSCITENT POINT ? POURQUOI SONT-ILS BAPTISÉS POUR LES MORTS ? (CHAP. 15, VERS. 29, JUSQU’AU VERS. 34)

ANALYSE.

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  • 1-3. La résurrection des morts est prouvée par le baptême ; non seulement par les discours, mais par les actions des apôtres, par leur courage en présence de fous les dangers.
  • 4 et 5. Les mauvais discours corrompent les bonnes mœurs. – Encore contre l’avarice, contre les fortunes qui ne se font qu’au détriment des autres. – Contre les plaisirs et la corruption qui en est la conséquence funeste. – Contre le luxe de ceux qui ne se montrent qu’entourés de troupeaux d’esclaves.


1. Voici maintenant l’apôtre attaquant un autre sujet : tantôt c’est par la conduite de Dieu, tantôt c’est par les actions mêmes des hommes auxquels il s’adresse, qu’il prouve la vérité de ses paroles. Ce n’est pas une faible preuve à l’appui de la vérité qu’on soutient, que de pouvoir produire le témoignage même des contradicteurs. Voyons donc ce que dit l’apôtre ? Ou bien préférez-vous que je vous rapporte d’abord les erreurs débitées par ces malades qui parlent comme Marcion ? Je sais bien que je vagis provoquer un éclat ale rire, c’est précisément ce qui me décide à parler ; je veux que vous voyiez mieux les raisons de vous préserver de cette maladie. Un catéchumène chez eux vient de mourir ; que font-ils ? Sous le lit du mort, ils cachent un vivant ; cela fait, ils demandent au mort s’il veut recevoir le baptême. Le mort ne répond pas ; alors celui qui est caché en bas sons le lit, répond pour lui qu’il veut recevoir le baptême ; ils arrivent ainsi à baptiser le vivant pour celui qui est mont : c’est une comédie ; tel est, sur les âmes lâches, le pouvoir du démon. Si on les prend à partie ; ils vous répondent que l’apôtre a dit : « Ceux qui sont baptisés pour les morts ». Est-ce assez ridicule ? Est-ce la peine de discuter ? En vérité, je ne le pense pas, à moins qu’il ne faille disserter avec des fous sur les paroles qu’ils font entendre dans leur délire. Il ne faut pas toutefois qu’aucun de ceux dont l’esprit est un peu simple se laisse prendre à ces extravagances, et voilà pourquoi nous allons discuter.
Si Paul avait la pensée qu’on lui prête, pourquoi Dieu a-t-il fait des menaces à celui qui ne reçoit pas le baptême ? Il n’est plus possible de manquer le baptême, grâce à cette découverte. D’ailleurs ce n’est plus la faute des morts, mais la faute des vivants. Mais maintenant, à qui le Seigneur a-t-il adressé ces paroles : « Si vous ne mangez ma chair, et si vous ne buvez mon sang, vous n’avez point la vie en vous ? » (Jn. 6,54) Aux vivants ou aux Morts ? répondez-moi. Et encore : « Si un homme ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ». (Jn. 3,5) Si de telles pratiques sont permises, on n’a plus que faire de ta volonté de celui qui reçoit le baptême ; ni du consentement du vivant ; qui empêche de transformer les païens et les Juifs en autant de fidèles ; vu que les vivants, quand les autres seront défunts ; s’entremettront dans l’intérêt de ces défunts ? Mais c’est trop nous arrêter à enlever ces toiles d’araignée ; voyons, expliquons ce que veut dire cette expression de Paul. Qu’entend-il par là ? Je veux d’abord vous rappeler, à vous qui êtes initiés aux mystères, les paroles que l’on vous fait prononcer le soir de votre initiation, je vous dirai ensuite la pensée de Paul ; par ce moyen, cette pensée même sera, pour vous, plus claire. Car c’est après toutes les autres paroles que nous ajoutons ce que dit Paul en ce moment. Je voudrais être parfaitement clair, et cependant je n’ose pas tout exposer au grand jour, à cause de ceux qui ne sont pas initiés ; ce sont eux qui rendent nos expositions difficiles, en nous forçant, soit de parler à mots couverts, soit de lever énoncer ce qui doit être mystères pour eux. Toutefois je parlerai, m’appliquant, autant que possible, à laisser les mystères dans l’ombre.
Après avoir prononcé ces paroles pleines de redoutables mystères, les règles des dogmes qu’il faut respecter avec crainte, les lois envoyées du ciel, nous finissons par ajouter, au moment du baptême, ces paroles que nous ordonnons de prononcer : Je crois à la résurrection des morts ; et c’est dans cette foi-là que nous sommes baptisés. Ce n’est qu’après cette profession ajoutée aux autres, que nous sommes plongés dans la source de ces eaux sacrées. Voilà ce que Paul rappelait aux fidèles, quand il disait : « S’il n’y a pas de résurrection, pourquoi êtes-vous baptisés pour les morts ? » ce qui veut dire, pour les corps. Car si vous êtes baptisé, c’est que vous croyez à la résurrection du corps mort, vous croyez qu’il ne reste pas mort. Quant à vous, c’est par des paroles que vous exprimez là, résurrection des morts ; mais, pour le prêtre, il a comme une image à lui, et ce que vous avez cru, ce que vous avez confessé par des paroles, cette image vous en montre la réalité. Vous croyez sans avoir de signe, et le prêtre vous donne un signe ; vous commencez par faire ce qui dépend de vous, et alors Dieu vous donne une certitude. Comment cela ? par quel moyen ? Au moyen de l’eau : Le baptême, l’immersion suivie du mouvement contraire par lequel on remonte, on sort, c’est le symbole et de la descente aux enfers, et du retour. Voilà pourquoi Paul appelle encore le baptême une sépulture : « Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour la mort ». (Rom. 6,4) L’apôtre y trouve une preuve de la condition à venir ; j’entends par là, la résurrection des corps. Le pouvoir de ressusciter le corps n’approche pas de celui qui détruit les péchés. Jésus-Christ, à ce propos, disait : « Car lequel est le plus aisé, ou de dire : Vos péchés vous sont remis ; ou de dire : Emportez votre lit, et marchez ? » (Mt. 9,5, 6) C’est le premier qui est le plus difficile ; mais comme vous ne croyez pas à ce qui n’est pas évident pour vous, comme le plus facile peut vous servir, à défaut du plus difficile, à vous montrer ma puissance, je ne veux pas vous refuser même cette moindre marque. « Alors Jésus dit au paralytique : Levez-vous, emportez votre lit, et rentrez dans votre maison ».
2. Et quelle difficulté trouvez-vous là, dira-t-on, puisque les rois et les princes peuvent en faire autant ? Ils remettent les fautes des adultères et des meurtriers. Vous plaisantez, ô homme ; à Dieu seul appartient le pouvoir de remettre les péchés ; pour les rois et les princes qui renvoient, qui acquittent des adultères et des meurtriers, ils leur font grâce du supplice présent, mais ils ne les purifient pas ; ils auraient beau les élever aux honneurs après les avoir absous, les revêtir de la pourpre, leur mettre au front le diadème, ils pourront en faire des rois, mais non les affranchir de leur péché. À Dieu seul ce pouvoir. C’est l’œuvre que Dieu opère dans le baptême de la régénération ; il pénètre l’âme de sa grâce, et en extirpe jusqu’à la racine du péché. Voilà pourquoi tel que le prince a gracié, montre une âme couverte de souillure ; mais il n’en est pas de même de celui qui a été baptisé : il est plus pur que les rayons du soleil, il est comme au jour qui l’a vu naître, ou plutôt son âme est bien plus éclatante encore de pureté. Car elle jouit pleinement de tous les feux du Saint-Esprit qui l’embrase et qui augmente sa sainteté. Fondez l’or et l’argent, vous en faites un nouveau et pur métal : ainsi fait l’Esprit-Saint dans le baptême, il fond l’âme comme dans une fournaise, il en consume les péchés, il la rend plus éclatante que l’or le plus pur. Et c’est une nouvelle preuve qui vous assure encore de la résurrection des corps. Car puisque c’est le péché quia introduit la mort dans le monde, une fois que la racine est desséchée, n’en doutons plus, ne contestons plus, le fruit du péché est mort.
Voilà pourquoi vous avez commencé par confesser la rémission des péchés, ce n’est qu’ensuite que, faisant un pas de plus, vous confessez la résurrection des corps ; c’est la première de ces vérités qui vous conduit à la seconde. Ensuite comme il ne suffit pas de dire simplement résurrection, comme il faut la comprendre dans ce qu’elle a d’absolu (en effet beaucoup sont ressuscités, qui sont retombés dans la mort, comme tous les ressuscités de l’Ancien Testament, comme Lazare, au temps de la croix), on vous dit d’ajouter, et pour la vie éternelle, afin qu’on ne s’imagine pas qu’il y ait une mort après cette résurrection. Telles sont donc les paroles que Paul rappelle quand il dit : « Que feront ceux qui sont baptisés pour les morts ? » Car, s’il n’y a pas, dit-il, de résurrection, ces paroles ne sont qu’une comédie. S’il n’y a pas de résurrection, comment pouvons-nous leur persuader de croire à ce que nous ne donnons pas ? Supposez un homme qui exige d’une personne un billet déclarant qu’elle a reçu ceci, cela, qui ne donne rien à cette personne de ce qui est écrit, et qui finisse par lui réclamer, son billet à la main, tout ce que le billet comporte. Que pourra faire le signataire du billet, qui s’est ainsi exposé, qui n’a rien reçu de ce qu’il a reconnu ? Tel est le sens de ce que dit Paul au sujet des baptisés. Que feront-ils, ces baptisés, dit l’apôtre, qui ont souscrit à la résurrection des corps morts, qui ne la reçoivent pas, qui sont trompés ? À quoi servait cette confession, cette reconnaissance, si la réalité ne devait pas en être la conséquence ?
« Et pourquoi nous-mêmes, nous exposons-nous, à toute heure, à tant de périls ? Il n’y a point de jour que je ne meure, oui, par la gloire que je reçois de vous, en Jésus-Christ (30, 31) ». Voyez encore où il cherche une preuve à l’appui du dogme ; il la trouve dans son propre suffrage ; parlons mieux, ce n’est pas seulement dans son propre suffrage, mais aussi dans celui des autres apôtres. Il y a de la force dans le raisonnement qui montre les docteurs si profondément convaincus, et prouvant leurs convictions non seulement par leurs discours, mais par leurs actions mêmes. Aussi Paul ne se contente pas de dire : Nous aussi, nous sommes persuadés, car ces paroles n’auraient pas suffi pour opérer la persuasion, mais il fait la démonstration par les actions mêmes ; c’est comme s’il disait : La confession par des paroles ne, vous paraît peut-être pas bien étonnante ; mais si nous vous faisions entendre la grande voix qui sort des œuvres, qu’auriez-vous à y objecter ? Écoutez donc ce que vous disent les périls par lesquels nous confessons chaque jour ces vérités. Et il ne dit pas : Pourquoi moi-même ; il dit : « Et pourquoi nous-mêmes » ; il montre auprès de lui tous les apôtres à la fois, unissant ainsi à la modestie tout ce qui peut donner de l’autorité à ses – paroles. Que pourriez-vous nous répondre ? Que c’est pour vous tromper que nous publions cette doctrine, et qu’une vaine glaire seule a fait de nous des docteurs ? Mais nos périls vous empêchent de porter ce jugement. Car qui voudrait s’exposer inutilement à des périls sans fin ? Voilà pourquoi il dit : « Pourquoi nous-mêmes, nous exposons-nous à toute heure ? » Supposez, en effet, un homme poussé d’un vain désir de gloire, il s’exposera une fois, deux fois, mais non pendant tout le cours de sa vie, ce que nous faisons ; car c’est à de tels périls que nous avons voué notre vie tout entière. « Il n’y a point de jour que je ne meure, oui, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ ». Cette gloire dont il parle ici, ce sont les progrès des fidèles.
Comme il vient de rappeler ces innombrables périls, l’apôtre ne veut pas avoir l’air d’en gémir ; non seulement, dit-il, je ne m’en afflige pas,-mais je m’en glorifie, parce que je les affronte pour vous. Il a, dit-il, deux raisons de se glorifier, et parce que c’est pour eux qu’il affronte les périls, et parce qu’ils lui donnent sa récompense. Ensuite, selon son habitude, après de fières paroles, l’apôtre rapporte au Christ l’une et l’autre de ces deux raisons de se glorifier. Mais que signifie, qu’il n’y a pas de jour qu’il ne meure ? Il meurt par le désir, et parce qu’il se prépare sans cesse à la mort. Et pourquoi le dit-il?. Encore une preuve à l’appui de ce qu’il soutient sur la résurrection. Car, dit-il, quel homme voudrait subir mille fois la mort, s’il n’y avait ni résurrection, ni de vie après tant de souffrances ? Si les fidèles qui croient à la résurrection, ont tant de peine à s’exposer à de pareils dangers, s’il faut pour cela une âme tout à fait généreuse, à bien plus forte raison celui qui n’a pas la foi ne voudra pas supporter tant de morts, et de morts si terribles : Vous voyez comme ses expressions deviennent peu à peu de plus en plus énergiques. « Nous nous exposons », dit-il ; ensuite il ajoute : « À toute heure » ; ensuite : « Il n’est pas de jour ». Il finit par ne plus dire seulement : Je m’expose ; il dit plus (582) : Je meurs. Et ensuite il montre combien de morts il subit, écoutez : « Si pour parler selon l’homme, j’ai combattu à Éphèse contre les bêtes farouches, à quoi cela me sert-il (32) ? »
3. Que signifie : « Si, pour parler à la manière des hommes ? » Autant qu’il a dépendu des hommes, j’ai combattu contre les bêtes. Car que dois-je dire, si c’est Dieu qui m’a arraché aux dangers ? Aussi, c’est moi surtout qui dois m’inquiéter de ces choses, moi qui soutiens tant de périls sans avoir encore reçu de récompense. Car si le moment de la rémunération ne doit pas venir, si tous nos intérêts sont renfermés dans les limites du temps présent, c’est nous qui souffrons le plus grand tort. Vous en effet, votre foi ne vous expose à aucun péril ; nous, au contraire, il n’est pas de jour que nous ne soyons égorgés. Toutes ces paroles n’avaient pas pour objet de faire entendre qu’il n’y avait, pour lui, aucune utilité à retirer de, ses souffrances, mais il se préoccupait de la faiblesse de la multitude, et il voulait les rendre solides sur le sujet de la résurrection ; ce n’était pas qu’il courût après la récompense ; c’était, pour lui, une rémunération suffisante de faire ce qui était agréable à Dieu. Aussi ces paroles mêmes, « si nous n’avions d’espérance en Jésus-Christ que pour cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes », c’est pour la multitude qu’elles sont dites, c’est pour que la crainte d’un état si misérable bannisse de leur cœur l’incrédulité au sujet de la résurrection, c’est pour s’accommoder à leur faiblesse qu’il parle ainsi. Car c’est une grande récompense que de plaire, en toute circonstance, à Jésus-Christ, et, indépendamment de toute rémunération, le plus précieux des salaires, c’est de braver pour lui les périls. « Si les morts ne ressuscitent point, mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». Dans ces dernières paroles, c’est l’ironie qui éclate. Aussi n’est-ce pas de lui-même qu’il énonce cette pensée ; mais il fait entendre le plus sublime des prophètes, Isaïe qui disait au sujet des malheureux devenus insensibles à la douleur et désespérés : « Qui égorgent des veaux et tuent des moutons, pour manger de la chair et boire du vin ; qui disent : Mangeons et buvons, car demain nous mourrons. C’est pourquoi le Seigneur le Dieu des armées, m’a fait entendre cette révélation, cette iniquité ne vous sera pas remis, jusqu’à ce que vous mouriez ». (Is. 22,13-14) S’il n’y avait pas de pardon alors pour ceux qui disaient ces paroles, à bien plus forte raison les mêmes coupables seront-ils punis sans la grâce. Maintenant pour ne pas rendre son discours trop amer, l’apôtre cesse d’insister sur les absurdités, il reprend le ton de l’exhortation, il dit : « Ne vous laissez pas séduire ; les mauvais entretiens gâtent les bonnes mœurs (33) ». Ces paroles avaient pour but de leur reprocher leur manque de sens, et, en même temps, il s’y mêle un compliment, car ce sont les bonnes âmes qui sont faciles à tromper, et du même coup, autant qu’il lui est possible, il les décharge, il les montre excusables dans ce qui précède, il repousse loin d’eux les accusations, il les transporte à d’autres coupables, et par ce moyen-là il entraîne ses auditeurs au repentir. C’est ce qu’il fait dans l’épître aux Galates « Celui qui vous trouble en portera la peine, quel qu’il soit ». (Gal. 5,10) « Tenez-vous dans la vigilance, justement, et ne péchez pas (34) », comme s’il s’adressait à des gens ivres et saisis d’accès de folie furieuse. Rejeter à la fois, rejeter tout à coup ce qu’on tient dans les mains, c’était vouloir ressembler à ces gens ivres, à ces furieux qui ne voient plus, ce qu’ils ont vu, qui ne croient plus ce qu’ils ont confessé. Que signifie « justement ? » pour ce qui est avantageux et utile. Car il y a une vigilance, en vue de l’injustice, quand on n’a l’esprit éveillé que pour faire du tort à son âme. Et c’est avec raison que l’apôtre a ajouté, « ne péchez pas », pour montrer que c’est du péché que sortent les germes de l’incrédulité. En beaucoup d’endroits, il fait entendre que c’est la corruption des mœurs qui produit les mauvaises doctrines, comme quand il dit « Car l’amour des richesses est la racine de tous les maux ; et quelques-uns en étant possédés, se sont égarés hors de la foi ». (1Tim. 6,10) Il en est un grand nombre que leur conscience tourmente, qui craignent le châtiment, et qui par suite au grand préjudice de leur âme, perdent la foi en la résurrection ; de même que ceux qui pratiquent de grandes. Vertus, ne soupirent à chaque instant qu’après ce grand jour : « Car il y en a quelques-uns qui ne connaissent point Dieu ; je vous le dis, pour vous faire honte ». Voyez comme il fait encore retomber les accusations sur d’autres coupables. Il ne dit pas : Vous ne connaissez point, mais : « Il y en a quelques-uns qui ne connaissent point ». Ne pas ajouter foi à la résurrection, c’est ignorer absolument la puissance invincible de Dieu qui suffit à tout. S’il a fait toutes choses du néant, à bien plus forte raison pourra-t-il ressusciter ce qui est dissous. Après les reproches violents, après les sarcasmes lancés contre la gourmandise, l’ignorance, l’engourdissement d’esprit, il s’adoucit, il console, il dit : « Je vous le dis, pour vous faire honte », c’est-à-dire, pour vous corriger, pour vous ramener, pour qu’après avoir rougi vous deveniez meilleurs. L’apôtre a peur de trop couper dans le vif, de telle sorte qu’ils regimberaient.
4. Sachons comprendre que l’apôtre, ici, ne s’adresse pas seulement à quelques hommes, à tous ceux qui souffrent de la même mais maladie, dont la vie est corrompue. Ce ne sont pas seulement ceux dont les doctrines sont mauvaises, mais ceux dont les péchés sont graves qu’il faut regarder comme des gens ivres, comme des insensés. Aussi peut-on leur appliquer cette parole : « Tenez-vous dans la vigilance » ; appliquons-la surtout à ceux qui succombent sous le faix de leur cupidité, à ces ravisseurs qui n’entendent pas le rapt. Car il y a un rapt glorieux, qui ravit le ciel, et ce rapt ne fait de mal à personne. Sur cette terre nul ne s’enrichit qu’à la condition qu’un autre s’appauvrit tout d’abord mais les richesses spirituelles ne sont pas à ce prix, c’est le contraire du tout au tout, nul ne s’enrichit sans communiquer à un autre l’abondance. Car si vous n’êtes utile à personne, impossible à vous de trouver la richesse. En ce qui concerne nos corps, tout ce qui s’épanche au-dehors produit l’amoindrissement ; pour les dans de l’esprit, au contraire, l’épanchement procure l’abondance ; c’est le refus de partager qui engendre la pauvreté, l’indigence, qui attire le plus cruel supplice. Témoin cet homme, qui enfouit son talent. Celui qui possède les discours de la sagesse et les communique à un autre, augmente sa richesse, parce qu’il rend sages des hommes en grand nombre ; celui qui tient caché ce trésor, se dépouille lui-même de son luxe, parce qu’il ne s’est pas fait une richesse des services rendus à un grand nombre d’hommes. Celui qui, possède encore, d’autres dons, s’il les fait servir à la guérison d’un grand nombre, accroît la richesse qu’il a reçue ; il ne vide pas son trésor en le partageant, et, par lui, une foule d’autres se remplissent des dons spirituels. Pour tous les dons de l’Esprit, c’est la règle invariable. De même, pour la royauté ; celui qui associe le grand nombre à sa royauté, s’assure les moyens de la voir s’agrandir ; au contraire, celui qui ne veut de partage avec personne, se verra déchu lui-même de tant de biens si précieux. Si la sagesse humaine ne se dépense pas, entre tant de milliers de ravisseurs qui la pillent, si cet artisan, qui communique son savoir à tant d’autres, ne perd pas son savoir dans son art, à bien plus forte raison le ravisseur d’une telle royauté ne l’amoindrit pas, nous verrons nos trésors grossis quand, nous appellerons les foules au pillage. Ravissons donc les biens qui ne se dépensent pas, qui augmentent par, cela même qu’on vient les ravir, ravissons ce qui se peut ravir, sans craindre ni la calomnie ni l’envie. Voyez donc s’il y avait quelque part une source d’or, éternellement jaillissante, d’autant plus abondante qu’on y puiserait davantage ; s’il y avait, d’autre part, un trésor, enfoui, où courriez-vous pour vous enrichir ? N’est-ce pas à la source ? Qui en peut douter ? Mais ne nous contentons pas de paroles, de fictions, voyez la réalité de la parole qui frappe vos oreilles, voyez l’air, voyez le soleil ; tous les mettent au pillage, et l’air et le soleil remplissent tous les êtres, et cependant, qu’on en jouisse ou qu’on n’en jouisse pas, ils subsistent toujours semblables, jamais amoindris. Mais ce dont je parle est bien supérieur. Car la sagesse spirituelle ne subsiste pas toujours semblable à elle-même, soit qu’elle se communique, soit qu’elle ne se communique pas, elle s’accroît, elle grandit, quand elle se communique. S’il en est qui résistent encore à nos paroles, s’il est un homme que préoccupe encore exclusivement la crainte de manquer ces choses nécessaires à la vie, un homme porté à ravir les biens qui diminuent, que celui-là rappelle la manne en sa mémoire, et redoute une correction qui doit lui servir de leçon. La peine infligée alors à l’accapareur fragile encore aujourd’hui les riches que rien n’arrête. Qu’arrivait-il alors ? les vers fourmillaient, sortant du superflu.
C’est ce qui se voit aujourd’hui encore chez ceux dont je parle. La mesure de la nourriture nécessaire est la même pour tous, quels qu’ils soient ; c’est le même ventre que nous remplissons ; mais, chez vous qui vous rassasiez de vos délices, il y a plus de fumier. Et, de même que ceux qui faisaient, dans le désert, une provision plus considérable qu’il n’était permis, ne ramassaient pas de la manne, mais une plus grande quantité de vers et de pourriture, de même, dans cette vie de délices et de faim cupide, ce n’est pas une plus grande quantité d’aliments, mais de corruption, que rainassent les gens adonnés à leur ventre, les gens qui s’enivrent. Il y a toutefois cette différence que ceux d’aujourd’hui sont plus coupables que les hommes d’autrefois ; il suffit aux anciens hommes d’une seule correction, pour revenir à la sagesse ; au contraire, ces hommes d’aujourd’hui introduisent chaque jour dans leur intérieur un ver bien plus funeste que celui du désert, et ils ne le sentent pas, et ils ne sont pas rassasiés. Voyez encore ce qui prouve la ressemblance entre les hommes de nos jours et ceux d’autrefois, quant à la vanité du travail qu’ils se donnent. {car en ce qui concerne le châtiment, il est aujourd’hui beaucoup plus terrible). En quoi le riche est-il différent du pauvre ? N’est-ce pas, des deux côtés, même corps à revêtir ? même ventre à nourrir ? En quoi donc est le plus ? L’avantage des inquiétudes, l’avantage des dépenses, l’avantage de désobéir à Dieu, l’avantage de corrompre sa chair, l’avantage de perdre son âme, voilà les avantages du riche, ce qu’il a de plus que le pauvre. S’il avait plus de ventres à remplir, il aurait peut-être quelque excuse fondée sur ses besoins plus considérables, sur la nécessité de faire plus de dépenses. Mais maintenant aussi, objectera-t-on, les riches peuvent alléguer qu’ils ont plus de ventres à remplir, à savoir ceux de leurs Serviteurs et de leurs servantes. Mais ce n’est ni par nécessité, ni par bonté, ni par humanité qu’ils se conduisent, ils n’écoutent que le faste et l’orgueil, on ne veut pas de leur excuse.
Car à quoi bon tant de serviteurs ? De même que, pour les vêtements, c’est l’utilité seule qu’il faut considérer, ainsi que pour la table, de même pour ce qui touche, les serviteurs. Quelle en est donc l’utilité ? Utilité nulle : un seul domestique devrait suffire à un maître, ou plutôt deux et trois maîtres devraient se contenter d’un seul. Si cette manière de vivre vous semble pénible, considérez ceux qui n’en ont pas même un, et chez qui le service est plus expéditif ; car Dieu a fait des serviteurs qui se suffisent à eux-mêmes pour se servir, et, qui plus est, servir le prochain. Si vous refusez de m’en croire, écoutez Paul : « Ces mains que vous voyez ont suffi à mes besoins et aux besoins de ceux qui étaient avec moi ». (Act. 20,34) Ainsi le docteur du monde entier, digne de résider au ciel, n’a pas rougi de se faire le serviteur d’une foule de, milliers d’hommes ; et vous, si vous ne promenez pas des troupeaux d’esclaves, vous avez honte, et vous ne comprenez pas que ce sont précisément ces esclaves innombrables qui doivent vous rendre honteux ? Si Dieu nous a donné des mains et des pieds, c’est pour que nous n’ayons pas besoin de serviteurs. Ce n’est pas la nécessité qui a introduit dans le monde la classe des serviteurs ; s’ils eussent été nécessaires, leu même temps qu’Adam, un serviteur eût été créé : c’est la peine du péché et le châtiment dé la désobéissance. L’avènement du Christ a réparé aussi cette inégalité de condition : « Car en Jésus-Christ, il n’y a plus ni esclave ni homme libre ». (Gal. 3,28) Voilà ce qui prouve qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des esclaves ; que si c’est nécessaire, un serviteur suffit, ou deux, au plus : Que signifient ces essaims de domestiques ? Comme des marchands de moutons, comme des trafiquants d’esclaves, on les voit aux bains, on les voit sur la place publique s’étaler, ces riches, avec leurs troupeaux. Eh bien, je ne veux pas traiter l’affaire en rigueur, ayez jusqu’à deux serviteurs ; mais quand vous en rassemblez des bandes, ce n’est pas par amour pour les hommes, c’est pour satisfaire votre mollesse ; prouvez votre sollicitude en n’assujettissant jamais un homme à votre service personnel. Achetez des esclaves, instruisez-les, mettez-les en état de se suffire à eux-mêmes, affranchissez-les. Quand vous les meurtrissez de vos verges, quand vous les chargez de fers, vous ne faites pas assurément un acte d’humanité. Je sais bien que je suis à charge à ceux qui m’écoutent, mais qu’y faire ? Je suis ici pour cela, et je ne cesserai pas de répéter ces choses, avec ou sans profit.
Que signifie cet orgueil qui écarte les passants au forum ? Vous croyez-vous au milieu de bêtes sauvages, pour, repousser ainsi les gens sur votre chemin ? Rassurez-vous, on ne veut pas vous mordre, on passe auprès de vous, voilà tout. Mais c’est pour vous une insulte que tout le monde passe auprès de vous ? Quel est ce délire, quelle est cette monstruosité ? Uri cheval ne se croit pas injurié par un autre cheval qui vient derrière lui ; et un homme, si les autres hommes ne sont pas refoulés à plusieurs stades, se croira insulté ? Et qui signifient ces serviteurs faisant office de licteurs, ces hommes libres servant comme des esclaves, ou plutôt que prétendez-vous avec ces mœurs plus viles, plus misérables que le plus vil esclave ? car il n’est pas d’esclave aussi méprisable que l’homme qui étale un tel faste. Aussi ne verront-ils pas la vraie liberté ceux qui ont asservi leur âme à cette détestable passion. Il vous faut quelque chose à repousser, à écarter loin de vous, n’écartez pas les passants, mais l’orgueil ; n’employez pas un serviteur pour cet office, remplissez-le vous-même, et pas m’est besoin d’autre fouet, que d’un fouet spirituel. Aujourd’hui c’est votre serviteur qui chasse les hommes sur votre chemin, mais votre orgueil vous chasse, vous précipite du haut du ciel d’une manière plus honteuse que votre serviteur ne fait du prochain. Descendez de votre cheval, chassez l’orgueil par l’humilité, et vous siégerez sur un trône plus élevé, et vous vous établirez vous-même plus haut en dignité, sans avoir besoin pour cela d’un serviteur. Quand, devenu modeste, vous ferez plus près de la terre votre chemin, vous serez assis sur le char de l’humilité qui vous élèvera jusqu’au ciel, avec ses chevaux munis d’ailes rapides ; si, au contraire, tombé de la voûte céleste, vous montez sur le char de l’orgueil, votre condition n’aura rien de supérieur à celle de ces serpents qui traînent leur ventre sur la terre, vous serez – même bien plus infortuné, bien plus digne d’être plaint. C’est l’infirmité naturelle de leur corps qui les force à se traîner ainsi, mais vous, ce qui vous aura dégradé, c’est l’orgueil, c’est ce funeste mal. Car « tout ce qui s’élève sera abaissé », dit l’Évangile. (Mt. 23,12) Préservons-nous donc de cet abaissement, et pour être élevés, sachons reconnaître la vraie élévation. C’est ainsi que nous trouverons le repos de nos âmes, selon l’oracle divin, et que nous obtiendrons l’honneur qui est le seul vrai et le plus élevé ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de. Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLI.


MAIS, DIRA-T-ON : EN QUELLE MANIÈRE LES MORTS RESSUSCITERONT-ILS, ET QUEL SERA LE CORPS DANS LEQUEL ILS REVIENDRONT ? – INSENSÉ QUE VOUS ÊTES, NE VOYEZ-VOUS PAS QUE CE QUE VOUS SEMEZ NE REPREND POINT VIE, S’IL NE MEURT AUPARAVANT ? (CHAP. 15, VERS. 35, 36)

ANALYSE.

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  • 1. Sur la manière dont les morts doivent ressusciter. – Comparaisons prises du grain de froment qui se décompose pour produire la tige et l’épi. – Le corps qui ressuscite est à la fois le même et plus beau.
  • 2 et 3. Des différents degrés, soit parmi les justes dans la gloire, soit parmi les réprouvés dans le châtiment. Sur le corps animal et le corps spirituel.
  • 4 et 5. Il ne faut pas pleurer les morts avec une tristesse exagérée. – Il faut leur venir en aide par la prière et par les bonnes œuvres. – De la sécurité des morts dans le sein de Dieu.


1. Malgré la douceur, l’humilité que montre partout l’apôtre, ici, ses paroles ont une aspérité que justifie l’absurdité de ses contradicteurs. Il ne se contente pas toutefois de les rudoyer, il emploie des raisonnements, des comparaisons capables de réduire tes disputeurs les plus acharnés. Il dit plus haut : « Ainsi parce que la mort est venue par un homme, c’est aussi par un homme que doit venir la résurrection ». Ici, il résout l’objection des païens. Voyez encore comme il adoucit la dureté de la réprimande. Il ne dit pas, mais vous direz peut-être, il s’adresse à un contradicteur qu’il ne définit pas, de manière que la liberté de son discours ne puisse pas blesser les auditeurs. Maintenant il énonce les deux motifs de doute, le doute relatif au mode de la résurrection, le doute relatif à la qualité des corps. C’étaient là, en effet, les deux points qui troublaient les esprits : comment ressuscite ce qui a été décomposé ? et, « quel sera le corps dans lequel reviendront » les morts ? Que signifie, quel sera le corps ? Sera-ce le corps qui se sera corrompu, qui aura péri, ou un autre corps quelconque ? Ensuite l’apôtre, pour leur montrer que leurs doutes s’attaquent à des vérités incontestables, reconnues de tous, les refoule d’un ton véhément : « Insensé que vous êtes, ne voyez-vous pas que ce que vous semez ne reprend point vie, s’il ne meurt auparavant ? » C’est la méthode que l’on suit avec ceux qui contredisent des vérités reconnues. Pourquoi n’invoque-t-il pas tout de suite la puissance de Dieu ? C’est qu’il s’adresse à des infidèles. En effet, lorsque c’est aux fidèles qu’il parle, il fait bon marché des raisonnements. Voilà pourquoi il dit ailleurs : « Il transfigurera votre corps, tout vil qu’il est, afin de le rendre conforme à son corps glorieux » (Phil. 3,21), il montre quelque chose de plus que la résurrection, il n’apporte aucun exemple ; polir toute démonstration, le pouvoir de Dieu lui suffit, et il le rappelle-en disant : « Par, cette vertu efficace, par laquelle il peut s’assujettir toutes choses », Mais ici, il produit des raisonnements. Car après avoir confirmé la vérité par les textes de l’Écriture, il ajoute, de l’abondance de son cœur, contre ceux qui ne sont pas encore persuadés par l’Écriture : « Insensé que vous êtes, ne voyez-vous pas que ce que vous semez ». C’est-à-dire ; vous avez sous vos yeux la démonstration de cette vérité, vous la trouvez dans ce que vous faites chaque jour et vous, doutez encore ? Si je vous appelle insensé, c’est parce que vous ne voyez pas ce que vous faites vous-même chaque jour, c’est parce que vous êtes vous-même un artisan de résurrection et que vous doutez de la résurrection opérée par Dieu. Voilà pourquoi l’apôtre dit avec éloquence :« Ne voyez-vous pas que ce que vous serrez », vous qui êtes mortel et périssable. Et remarquez l’appropriation de ses expressions au sujet qu’il traite. « Ne reprend point vie », dit-il, « s’il ne meurt auparavant ». L’apôtre abandonne les expressions qui ont trait aux semences, germe, pousse, se gâte, se décompose, il emploie des termes en rapport avec notre chair, ainsi ; « reprend vie », ainsi « meurt » ; manières de parler qui ne s’appliquent pas proprement aux semences, mais aux corps. Et il ne dit pas, meurt et vit ensuite, mais, ce qui est plus expressif, ne vit qu’à la condition de mourir. Vous voyez si j’ai raison de vous répéter qu’il prend toujours l’inverse du raisonnement de ses contradicteurs. Ce qu’ils regardaient comme une réfutation de la résurrection, il le prend pour démonstration de cette même résurrection ; ils disaient en effet que le corps ne pouvait pas ressusciter ; puisqu’il était mort. Que leur oppose-t-il donc ? C’est que précisément s’il ne mourait pas, il ne ressusciterait pas ; ce qui fait qu’il ressuscite, c’est qu’il est mort. De même que le Christ, pour démontrer cette vérité, prononce ces paroles : « Si le grain de froment ne meurt après qu’on l’a jeté en terre, il demeure seul ; mais, quand il est mort, il porte beaucoup de fruit » (Jn. 12,24), de même Paul emprunte son exemple aux semences, et il ne dit pas : Ne vit pas, mais « ne reprend vie » ; cette expression prouve encore le pouvoir de Dieu, elle montre que ce n’est pas la force propre de la terre, que c’est, Dieu seul qui fait tout. Et pourquoi ne montre-t-il pas ce qui tenait plus étroitement au sujet, je veux dire la semence humaine ? En effet notre génération commence par la corruption, comme celle du froment. C’est quelles deux semences n’ont pas pour le raisonnement, une force égale, celle du froment est bien plus éloquente. Ce que veut l’apôtre, c’est quelque chose qui soit entièrement détruit, il n’y a dans la génération humaine de corruption qu’en partie. Voilà pourquoi c’est la semence du froment qui sert d’exemple. D’ailleurs l’autre, sortie d’un vivant, tombe dans un ventre vivant ; mais ici ce n’est pas dans de la chair, mais dans de la terre que la semence tombe, et elle s’y décompose comme le corps, comme le cadavre. Voilà ce qui fait que l’image prise du grain de froment convenait mieux au sujet. « Et quand vous semez, vous ne semez pas le corps qui doit naître (37) ». Tout ce qui précède, concerne le mode de la résurrection ; cette dernière observation répond au doute sur les corps dans lesquels les morts doivent revenir. Or que signifie : « vous ne semez pas le corps qui doit naître ? » L’épi entier, le froment nouveau. Ici en effet, le discours ne se rapporte plus à la résurrection même, mais au mode de la résurrection, à la nature du corps qui ressuscitera, à savoir.: s’il ressemblera au corps précédent, ou s’il sera meilleur et plus beau ; et le môme exemple sert à deux fins, l’exemple prouve que le corps ressuscité sera de beaucoup supérieur.
Mais ici les hérétiques, ne comprenant rien à ces choses, font un assaut et disent : C’est un corps qui tombe, c’en est un autre qui ressuscite. Que devient alors la résurrection ? Car la résurrection ne peut être que la résurrection de ce qui est tombé. Que devient la merveilleuse, l’étonnante victoire remportée sur la mort, si le corps qui tombe n’est pas le même qui ressuscite ? Dans ce cas, on ne pourra certes pas dire que la mort a rendu soir prisonnier. Et, maintenant, comment l’exemple donné serait-il approprié à là vérité ? Car l’essence que l’on sème n’est pas autre que celle qui reparaît, c’est la même essence devenue meilleure. Autre conséquence : le Christ n’aura pas repris le même corps, lui, les prémices de ceux qui ressuscitent ; à vous entendre, il a rejeté son corps, quoiqu’il fût exempt de tout péché, et c’est un autre corps qu’il a pris. Et d’où l’a-t-il tiré, ce second corps ? Le premier, il l’a pris d’une vierge, mais le second, d’où le tenait-il ? Voyez-vous à quelles absurdités est arrivée la démonstration ? Car enfin, pourquoi le Christ montre-t-il les traces et les empreintes des clous, sinon pour faire voir que c’est le même corps qui a été attaché à la croix, et qui est ressuscité ? Que signifie la figure de Jouas ? Que le Jonas qui a été englouti est le même qui a été rejeté sur la terre. Et pourquoi le Christ disait-il encore : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois « jours ? » (Jn. 2,19-21) C’est que le corps détruit est le corps qu’il a ressuscité. Aussi l’évangéliste ajoute-t-il : « Mais il parlait du temple de son corps ». Que signifie donc : « Vous ne semez pas le corps qui doit naître ? » C’est-à-dire, vous ne semez pas l’épi ; en effet, c’est le même et ce n’est pas le même ; c’est le même parce que c’est la même essence, et ce n’est pas le même parce que l’épi qui viendra est meilleur ; la même essence persiste, mais il y a développement, il y a supériorité de beauté, fraîcheur de nouveauté ; c’est la condition indispensable pour qu’il y ait résurrection, il faut que ce qui ressuscitera soit meilleur. Pourquoi détruire la maison, si, l’on ne doit pas la relever plus brillante et plus belle ? Voilà ce que dit l’apôtre à ceux qui regardent la résurrection comme une dissolution. Ensuite, pour prévenir la pensée qu’il suit de là qu’on entend parler d’un corps différent, il éclaircit cette énigme, il explique lui-même le sens de ses paroles, il ne souffre pas que l’auditeur flotte dans des conclusions qui l’égareraient. Qu’avons-nous – besoin de mêler nos paroles aux siennes ? Écoutez-le lui-même, entendez-le s’expliquer : « Vous ne semez pas le corps qui doit naître » ; car aussitôt il ajoute : « mais la graine seulement, comme du blé, ou de quelque autre chose ». Ce qui veut dire : Ce n’est pas le corps qui viendra, car il aura un autre vêtement, une tige, des épis ; « mais la graine seulement, comme du blé, ou de quelque autre chose. Et Dieu lui donne un corps tel qu’il lui plaît (38) ». Sans doute, objecte-t-on, mais c’est ici l’œuvre de la nature. De quelle nature, répondez-moi ? Je vous dis qu’ici encore c’est Dieu seul qui fait tout, et non la nature, ni la terre, ni la pluie. Aussi l’apôtre, exprimant cette vérité, laisse-t-il de côté et la terre, et l’air, et la pluie, et la main-d’œuvre des agriculteurs : « Et Dieu », dit-il aussitôt, « lui donne un corps tel qu’il lui plaît ». Cessez donc de prendre un soin superflu et de vous enquérir curieusement du comment et de lu manière dont les choses se passent, lorsqu’on vous a signifié la puissance de Dieu et sa volonté. « Et il donne à chaque semence le corps propre à chaque plante ». Que devient l’idée d’un corps étranger ? Il lui donne le corps propre. Aussi lorsque l’apôtre dit : « Vous ne semez pas le corps qui doit naître », il n’entend pas que ce sera une autre essence qui paraîtra, mais que la même essence ressuscitera, meilleure et plus brillante. « Car il donne à chaque semence le corps propre à chaque plante ». Et par là, il indique déjà la différence que présentera la résurrection à venir. En effet, n’allez pas conclure de cette semence dont tous les germes se relèvent, qu’il y aura dans la résurrection égalité d’honneur. Gardez-vous surtout de le croire quand vous voyez que les semences des champs ne présentent pas dans leurs productions cette égalité, mais que telles plantes grandissent et se développent avec éclat, tandis que telles autres paraissent chétives. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « le corps propre à chaque plante ». Toutefois cette différence ne lui suffit pas, il en cherche encore que autre plus considérable et plus manifeste. Car pour prévenir cette erreur que j’ai mentionnée, qui conclurait, de ce que tous ressuscitent, que tous doivent jouir des mêmes biens, l’apôtre s’est empressé de jeter dans ses premières paroles les semences de la pensée qui est la seule vraie, il a dit tout d’abord : Tous vivront en Jésus-Christ, « et chacun en son rang ». C’est la pensée qu’il reprend ici, qu’il explique : « Toute chair n’est pas la même chair (39) ». À quoi bon, dit-il, insister sur les semences ? Nous n’avons qu’à considérer nos corps mêmes, puisque c’est des corps que nous nous occupons maintenant. Voilà pourquoi il ajoute : « Mais autre est la chair des hommes, autre la chair des bêtes, autre celle des oiseaux, autre celle des poissons. Il y a aussi des corps célestes et des corps terrestres, mais les corps célestes ont un autre éclat que les corps terrestres. Le soleil a son éclat, qui diffère de l’éclat de la lune, comme l’éclat de la lune diffère de l’éclat des étoiles, et comme, entre les étoiles, a l’une est plus éclatante que l’autre (40, 41) ».
Et que signifient ces paroles ? Pourquoi cette digression qui va, qui tombe de la résurrection, sur les astres et sur le soleil ? Il ne tombe pas, il n’y a pas de digression, gardons-nous de le croire, il ne rompt pas avec son sujet ; au contraire, il s’y tient. Après avoir prouvé ce qui a été dit de la résurrection, il montre la grande différence que fera paraître la gloire future, quoique la résurrection soit unique et commune ; en attendant, il fait deux parts de l’univers, les choses du ciel, les choses de la terre. La résurrection des corps, il l’a montrée par l’exemple du froment ; quant à l’inégalité dans la gloire, il la démontre par ses dernières paroles. Car, de même que l’incrédulité, au sujet de la résurrection, produit l’indolence, de même on tombe dans la langueur et le relâchement d’esprit lorsqu’on s’imagine que tous obtiennent le même partage. Aussi l’apôtre corrige-t-il ces deux erreurs ; il a commencé par dissiper la première ; il s’occupe maintenant d’en finir avec la seconde : après avoir établi deux classes, celle des justes et celle des pécheurs, il les subdivise encore, et il montre que ni les justes d’un côté, ni les pécheurs d’un autre, ne recevrait le même traitement, qu’il n’y aura ni égalité pour tous les justes, ni égalité pour tous les pécheurs. Voilà donc la première séparation qu’il établit, celle des justes et celle des pécheurs, en disant : « Des corps célestes et des corps terrestres », car les corps terrestres sont comme l’image des pécheurs, et les corps célestes, celle des justes. Ensuite il fait entendre la différence de pécheurs à pécheurs : « Toute chair n’est pas la même chair ; mais autre est la chair des poissons, autre, la chair des oiseaux et des animaux différents ». Il n’y a là que des corps, mais, les uns plus, les autres moins méprisables. Il en est de même de la vie, même différence dans la même constitution ; après ces paroles, il reprend de nouveau son essor au ciel : « Le soleil a son éclat, qui diffère de l’éclat de la lune. » Comme il y a différence entre les corps terrestres ; de même, entre les corps célestes, il y a aussi différence, et ce n’est pas une différence accidentelle, mais il y a diversité de degrés poussée à l’extrême. Car il n’y a pas seulement la différence du soleil et de la lune, ni de la lune et des étoiles, mais, d’étoiles à étoiles, il y a encore différence. Si tous ces astres sont dans le ciel, ils n’y sont pas tous également glorieux, mais, les uns plus ; les autres, moins. Que nous apprennent donc ces images ? Que si tous sont admis au royaume des cieux, tous n’y jouiront pas des mêmes biens ; que si tous les pécheurs sont dans la géhenne, tous n’y subiront pas le même traitement. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Il en arrivera de même dans la résurrection des morts (42). ». De « même », comment cela ? parce qu’il y aura une grande différence. Ensuite, laissant ce point, comme prouvé, il reprend encore la démonstration relative au mode de la résurrection, il dit : « Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible ». Voyez la sagesse du docteur ; quand il parlait des semences, il prenait des expressions appropriées aux corps : « Ne reprend point vie », disait-il, « s’il ne meurt auparavant » ; voici qu’en parlant des corps, il prend les termes appropriés aux semences, il dit : « Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible ». Il ne dit pas, le corps pousse, parce qu’il ne veut pas qu’on y voie le travail de la terre, mais « il renaît ». Quant à la semence, l’apôtre n’entend pas ici notre génération dans la matrice, mais l’enterrement des morts, la décomposition, la cendre des tombeaux. Aussi, après avoir dit : « Le corps est ensemencé dans la corruption, et il renaît incorruptible », l’apôtre ajoute : « Il est ensemencé, dans la honte (43) ». Car quoi de plus hideux qu’un cadavre en décomposition ? « Il renaît dans la gloire. « Il est ensemencé dans la faiblesse ». Car il ne faut pas trente jours, pour qu’il n’en reste plus rien ; la chair ne peut pas se conserver, elle ne peut pas seulement durer un jour. « Il renaît dans la force ». Car alors il ne lui restera plus rien de corruptible. L’apôtre avait besoin de ces exemples pour que les auditeurs n’allassent pas s’imaginer que tous renaissant dans l’incorruptibilité, dans la gloire, dans la force, il n’y avait aucune différence entre les ressuscités. Car si tous ressuscitent, et dans la force, et dans l’incorruptibilité, et dans cette gloire de l’incorruptibilité, tous pourtant ne possèdent pas le même honneur, la même inébranlable félicité. « Il est ensemencé comme un corps animal, il renaît corps spirituel. Comme il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel (44) ». Que dites-vous ? le corps que nous avons présentement, n’est-il pas un corps spirituel ? Spirituel, sans doute, mais l’autre le sera beaucoup plus. Car maintenant ; trop souvent, l’abondance des grâces du Saint-Esprit se perd par de graves péchés ; quoique le souffle de l’âme persiste encore, la voie de la chair n’y est plus ; une fois la grâce éteinte, le corps n’est plus rien ; mais alors il n’en sera plus de même ; sans s’éteindre jamais, elle subsiste dans la chair des justes, et sa puissance restera unie au souffle de l’âme. Ou c’est là ce que l’apôtre a voulu faire entendre en disant « spirituel », ou il a voulu dire que le corps sera plus léger, plus subtil, capable d’être porté par l’air, ou plutôt il a prétendu indiquer le tout à la fois. Si vous n’en croyez rien, voyez les corps célestes si brillants, si persistants, qui ne vieillissent pas, et croyez donc que Dieu a bien aussi le pouvoir de faire, de nos corps soumis à la corruption, des corps incorruptibles, de beaucoup supérieurs à ceux que nous voyons, « Selon qu’il est écrit : le premier homme, Adam, a été créé avec une âme vivante, et le second Adam a été rempli d’un esprit vivifiant (45) ». Le commencement de cette citation se trouve bien dans l’Écriture (Gen. 2,7), mais la suite n’y est pas ; comment donc l’apôtre a-t-il pu dire, « selon qu’il est écrit ? » Il se fonde sur ce qui est arrivé ; c’est son habitude. C’est le style ordinaire des prophètes. Ainsi un prophète a dit que Jérusalem, sera appelée la ville de la justice, et elle n’a pas été appelée de ce nom. (Zac. 8,3) Eh quoi ? le prophète adonc parlé à faux ? nullement : il a voulu dire que les événements, lui mériteraient ce nom. Un autre a dit encore que le Christ serait appelé Emmanuel (Is. 7,14), et le Christ n’a pas eu ce nom, mais les événements accomplis le lui donnent assez. De même, pour ces paroles, « et le second Adam a été rempli d’un esprit vivifiant ».
Ces paroles sont pour vous faire comprendre que vous avez déjà reçu les symboles et les gages de la vie présente et de la vie à venir ; de la vie présente, par Adam ; de la vie à venir, par le Christ. Comice les biens les plus précieux ne peuvent être proposés que comme des espérances, l’apôtre tient à montrer que le commencement est déjà réalisé, il fait voir la racine et la source. Que si la racine et la source sont visibles pour tous, il n’est pas permis de révoquer les fruits en foute. De là ces paroles : « Et le second Adam a été rempli d’un esprit vivifiant ». Ailleurs encore il dit : « Vivifiera vos corps mortels par son esprit qui habite en vous ». (Rom. 8,11) C’est donc l’esprit qui vivifie. Maintenant on aurait pu dire, pourquoi dès les premiers jours a-t-on réalisé ce qui est le moins précieux, pourquoi ce qui concerne l’âme vivante a-t-il reçu un accomplissement plein et entier qui ne s’est pas arrêté aux prémices, pourquoi, en ce qui concerne l’esprit vivifiant, n’a-t-on reçu que les prémices ; l’apôtre montre que des deux côtés, les principes sont établis. « Mais ce n’est pas le corps spirituel qui a été formé le premier, c’est le corps animal, et ensuite le spirituel (46) ». L’apôtre ne dit pas pourquoi ; il se contente de l’ordre établi par Dieu ; le suffrage des événements lui garantit l’excellence de l’administration des choses par Dieu ; il montre que tout ce qui nous concerne s’avance toujours vers un état meilleur, et il assure par là l’autorité de ses paroles. Si le moindre est arrivé, à bien plus forte raison faut-il attendre ce qui est supérieur.
Donc, puisque nous devons jouir de ces biens si précieux, prenons notre place dans ce bel, ordre, et ne versons pas de pleurs sur ceux qui s’en vont, pleurons ceux qui finissent mal. L’agriculteur ne pousse Ras de gémissements à la vue du grain qui se corrompt, c’est quand il le voit conserver dans la terre sa solidité, qu’il a peur et qu’il tremble ; mais, du moment que les semences se décomposent, l’agriculteur, se réjouit. Car c’est le commencement de la semence à venir, cette décomposition. Faisons de même, sachons nous réjouir quand tombe la maison ainsi décomposée, quand un homme est ensemencé. Ne vous étonnez pas qu’il donne le nom d’ensemencement à la sépulture ; car la sépulture vaut mieux encore que l’ensemencement. Après les semences des champs, viennent les morts, les labeurs pénibles, les dangers, les soucis ; après la sépulture, si nous avons bien vécu, les couronnes et les prix glorieux ; après les semences de la terre, la corruption et la mort ; après la sépulture, l’incorruptibilité, l’immortalité, et des biens en foule ; dans un de ces ensemencements, ce qui se rencontré, ce sont les embrassements, les plaisirs, le sommeil ; dans le dernier de tous, les ensemencements, rien, plus rien qu’une voix descendant des hauteurs du ciel, et soudain toutes choses ont leur accomplissement. Celui qui ressuscite, n’est plus ramené aux fatigues d’une vie d’épreuves, il entre dans cette vie qui ne connaît ni la douleur, ni le deuil, ni, les gémissements. Si, dans l’homme que vous pleurez, ce qui provoque vos regrets, c’est l’appui, c’est le guide, le protecteur perdu, cherchez votre refuge dans le protecteur, dans le sauveur commun, dans le bienfaiteur de tous les hommes, en Dieu, cet invincible compagnon d’armes, cet auxiliaire toujours prêt, toujours présent, qui nous entoure, qui nous défend de toutes parts. Mais les longues liaisons forment des nœuds si aimables et méritent tant nos regrets ! Je le sais bien ; mais si vous soumettez à la raison les mouvements de votre âme, si votre raison se représente, ô femmes, celui qui vous a repris un époux, si vous faites tous à Dieu, dans vos afflictions, un généreux sacrifice de vos pensées, voilà qui apaisera les orages de vos cœurs, et vous né laisserez pas à faire au temps l’œuvre de la sagesse ; mais si vous vous laissez amollir, le temps adoucira vos douleurs, mais vous ne remporterez aucune récompense. 591 < br> Outre ces réflexions, rassemblez les exemples que vous donne la vie présente, les exemples des divines Écritures ; méditez Abraham égorgeant son fils, et cela sans verser de larmes, sans faire entendre d’amères paroles. Mais, dira-t-on, c’était Abraham (Gen. 22). Mais vous, vous êtes appelé à des vertus plus hautes. Quant à Job, il ressentit de la douleur, mais dans la mesure qui convenait à un bon père, plein de tendresse pour ceux qui n’étaient plus là. Pour nous, la conduite que nous tenons, convient à des ennemis privés, à des ennemis publics. Si, à la nouvelle qu’un homme est élevé à la royauté, couronné, vous alliez vous frapper la poitrine et gémir ; je ne dirais pas de vous que vous êtes l’ami de celui qui a reçu la couronne ; je dirais que vous n’avez que haine pour lui, que vous êtes son ennemi déclaré. Mais ce n’est pas sur lui que je pleure, répond l’affligé, c’est sur moi-même. Mais ce n’est pas une preuve d’affection que de vouloir que celui qui vous est cher, soit encore, à cause de vous, exposé aux périls du combat, et dans l’incertitude de l’avenir, quand il va recevoir la couronne et toucher le port ; de vouloir le voir encore à la merci des flots, quand il peut, échappé à la – mer, se trouver pour toujours à l’abri. Mais je ne sais pas, dira-t-on, où il s’en est allé. Pourquoi ne le savez-vous pas ? Répondez-moi. Car, soit qu’il ait bien vécu, soit dans le cas contraire, on sait parfaitement où il doit se rendre. C’est justement ce qui me fait gémir, réplique-t-on : il est mort en état de péché. Vain prétexte et mauvaise raison. Si c’est là ce qui vous fait gémir sur celui qui n’est plus, il fallait, pendant sa vie, le réformer, le corriger. En tout cas, vous ne voyez jamais que ce, qui vous intéresse, vous, et non pas ce qui le regarde, lui. S’il est parti en état de péché, pour cette raison même, vous devez vous réjouir ; ses péchés sont interrompus ; il n’a pas pu ajouter depuis à la somme de ses actions mauvaises ; soyez-lui en aide, autant que possible ; au lieu de pleurer sur lui, répandez les prières, les supplications, les aumônes, les offrandes. Ce ne sont par là de chimériques inventions ; ce n’est pas inutilement que nous faisons, dans les divins mystères, mention de ceux qui sont partis ; que nous nous approchons du sanctuaire, à leur intention ; que nous prions l’Agneau qui a enlevé le péché du monde, mais nous espérons qu’il leur en reviendra quelque adoucissement ; ce n’est pas en vain que l’assistant à l’autel, pendant que les redoutables mystères s’accomplissent, s’écrie : Pour tous ceux qui se sont endormis dans le Christ, et pour ceux qui célèbrent leur commémoration. On ne prononcerait pas ces paroles, si l’on ne faisait pas la commémoration de ceux qui ne sont plus. Nos cérémonies ne sont pas des jeux de théâtre ; loin de nous ces pensées ; n’os cérémonies c’est l’Esprit-Saint qui les a ordonnées.
Sachons donc leur porter secours, et célébrons leur commémoration. Si les fils de Job ont été purifiés par le sacrifice de leur père, pouvez-vous douter que nos offrandes pour ceux qui ne sont plus, leur apportent quelque consolation ? C’est la coutume de Dieu de faire fructifier pour les autres les grâces que d’autres ont méritées. Et c’est ce que Paul faisait voir par ces paroles : « Afin que beaucoup de personnes ; manifestant en elles la grâce que nous avons reçue, donnent à beaucoup de personnes l’occasion de bénir Dieu pour vous ». (2Cor. 2,11) Empressons-nous de porter notre secours à ceux qui ne sont plus, et d’offrir pour eux des prières : car le but commun de la terre entière c’est l’expiation. Prions donc avec confiance pour la terre entière, et avec les martyrs nous appelons tous les membres de l’Église, avec les confesseurs, avec les ministres sacrés. Car nous ne sommes qu’un seul et même corps tous tant que nous sommes, quoiqu’il y ait des membres plus glorieux que d’autres membres, et il n’y a rien d’impossible à ce qu’en nous adressant à toutes les âmes nous assurions à ceux qui ne sont plus leur pardon, par les prières, par les dons qui sont offerts pour eux, par l’assistance même de ceux que l’on invoque avec eux. D’où viennent donc vos gémissements, vos plaintes, quand il est possible de rassembler de si grandes forces pour obtenir le pardon de celui qui n’est plus ? Mais vous pleurez, ô femme, parce que vous êtes abandonnée, vous avez perdu votre protecteur ? Non, jamais, ne prononcez jamais ces paroles ; vous n’avez pas perdu Dieu : Tant que vous l’avez, voilà qui vous vaut mieux qu’un mari, et père, et fils, et beau-père ; quand ces êtres chéris étaient vivants, Dieu n’en était pas moins celui qui faisait toutes choses. Méditez donc ces pensées, et dites avec David : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui craindrai-je ? » (__PAGESEPARATOR__Ps. 26,1) Dites : vous êtes le père des orphelins, et le juge des veuves, et attirez sur vous son secours, et vous verrez qu’il prendra encore plus de soin de vous qu’auparavant, un soin d’autant plus vigilant que vous serez dans une plus grande détresse. Mais vous avez perdu un fils ? Vous ne l’avez pas perdu, ne prononcez pas ces paroles : ce que vous voyez, c’est un sommeil, non une mort ; c’est un voyage, non une destruction ; c’est un passage d’un état inférieur, à une meilleure condition. N’irritez pas Dieu, mais rendez-le propice. Si vous supportez le coup avec une force généreuse, il en résultera, pour celui qui n’est plus, et pour vous, une douce consolation si vous faites le contraire, vous irritez ta colère de Dieu. Car si à la vue d’un esclave battu de verges par son maître ; vous montrez votre mécontentement, vous ne faites qu’exciter contre vous le mécontentement du maître. N’agissez pas ainsi, mais rendez grâces à Dieu, afin que cette conduite dissipe le nuage de votre affliction : dites comme ce bienheureux : « Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a enlevé » ; considérez combien de personnes plus que vous agréables à Dieu, n’ont jamais eu de fils, combien d’hommes n’ont jamais porté le nom de pères. Ni moi non plus, répondra-t-on, je ne voudrais pas avoir eu de fils ; il aurait bien mieux valu pour moi ne pas faire cette expérience, que de goûter un pareil plaisir, et de le perdre après. Non, je vous en prie, ne prononcez pas de telles paroles, ne provoquez pas ainsi la colère du Seigneur ; faites mieux, rendez grâces à Dieu des biens que vous avez reçus ; pour ceux que vous ne gardez pas toujours, glorifiez le Seigneur. Job ne dit pas : il eût mieux valu pour moi n’avoir rien reçu ; ce que dit votre ingratitude, mais Job même pour les biens enlevés rendait grâces au Seigneur ; il disait : « Le Seigneur m’a donné », pour les biens perdus, il le bénissait en disant « Le Seigneur m’a enlevé : que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles ». Il fermait la bouche à sa femme, par des raisonnements d’une sagesse merveilleuse, et il faisait entendre ces paroles admirables : « Si nous avons reçu des biens du Seigneur, n’en supporterons-nous pas aussi des maux ? » Or l’épreuve qu’il eut à subir ensuite fut encore plus terrible ; elle ne le brisa pas,.il tint bon, il supporta tout avec courage, il se mit à glorifier Dieu. Faites de même, réfléchissez-vous aussi en vous-même : ce n’est pas un homme qui vous a pris celui que vous pleurez ; c’est Dieu qui a tout fait, Dieu qui a de vous plus de souci que personne, Dieu qui comprend le mieux l’intérêt de tous, Ce n’est pas un ennemi, un méchant qui vous a frappé. Voyez combien d’enfants n’ont vécu que pour rendre la die impossible à leurs parents. Mais vous ne voulez pas voir, me dira-t-on, les enfants d’un noble cœur. Je les vois, eux aussi, mais je dis qu’ils sont moins en sûreté que votre fils, Quelque bonne estime qu’on en fasse, leur fin n’en est pas moins incertaine ; pour votre enfant, au contraire, vous n’avez plus à trembler, nous n’avez plus rien à craindre, à redouter pour lui quelque changement que ce soit. Appliquez ces pensées à une épouse qui avait la beauté eu partage, qui était une bonne gardienne de votre maison, et pour toutes choses bénissez Dieu ; vous avez perdu votre épouse, bénissez le Seigneur. Peut-être Dieu veut-il vous amener à la continence, à des œuvres plus hautes, rompre vos liens. Si nous nous livrons à ces pensées de la sagesse, nous conquerrons, pour la vie présente, la tranquillité de l’âme, et, pour la vie à venir, les couronnes, etc.
Traduit par M. PORTELETTE

HOMÉLIE XLII.


LE PREMIER HOMME, NÉ DE LA TERRE, FUT TERRESTRE ; LE SECOND HOMME FUT LE SEIGNEUR DESCENDU DU CIEL. (CHAP. 4, VERSET 47)

ANALYSE.

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  • 1. Il faut imiter, non pas le premier homme qui est formé de la terre et qui est terrestre, mais le second homme qui fut le Seigneur descendu du ciel.
  • 2. La résurrection des corps est prouvée : 1° par l’incorruptibilité, et l’immortalité du corps ; 2° par la destruction du péché et l’abolition de l’ancienne Loi ; 3° nous devons détourner nos regards de la terre pour les tourner vers le ciel ; nous devons travailler sans cesse aux œuvres de Dieu ; pour obtenir le bonheur, éternel. – Au tribunal de Dieu, nous n’aurons d’autres défenseurs que nos actes.


1. Après qu’il a parlé de l’homme matériel et ensuite de l’homme spirituel, il établit une nouvelle différence : celle de l’homme, terrestre et de l’homme céleste. La première différence est celle de la vie présente et de la vie future ; la seconde est celle de l’homme avant la grâce, et de l’homme après la grâce. Cette distinction doit nous enseigner quel est le chemin véritable de la vie. De peur que même en croyant à la résurrection, comme je l’ai dit plus haut, ils ne renonçassent à une vie vertueuse et parfaite, il les prépare d’un autre côté à la lutte, leur disant : « Le premier homme né de la terre fut terrestre, le second homme fut le Seigneur descendu du ciel ». Et dans ce verset il s’adresse à tous les hommes ; il qualifie l’un par ce qu’il a de meilleur et de plus élevé, et l’autre, par ce qu’il a de plus bas : « Tel fut l’homme terrestre, tels sont les hommes terrestres (48) ». Ils périront, ils mourront comme lui. « Tel fut l’homme céleste, tels seront les hommes célestes ». Ils demeureront immortels, et ils brilleront comme lui. Mais quoi ! Est-ce que Ce dernier n’est pas mort aussi ? Il est mort, il est vrai, mais la mort ne lui a point causé de dommage. Il a plutôt aboli la mort. Voyez-vous comment, même par la mort, il établit le dogme de la résurrection. Comme vous avez, ainsi que je l’ai dit plus haut, le principe et le couronnement, vous ne pouvez douter de l’ensemble. Il établit d’un côté quelle est la vie la meilleure et la plus parfaite, il nous donne les exemples d’une vie élevée et philosophique, et d’une autre qui ne l’est point, et nous montre la source de toutes les deux. Pour celle-là le Christ, pour celle-ci Adam. C’est pourquoi il n’a point dit absolument : De la terre, mais : Terrestre ; c’est-à-dire grossier, attaché aux biens présents ; et d’un astre côté, il a dit le contraire du Christ : « Le Seigneur descendu du ciel ». S’il en est qui prouvent que le Seigneur n’a point de corps, parce qu’il est dit : « Du ciel », ce que nous, avons développé déjà suffit pour leur fermer la bouche. Mais rien ne nous empêche de nous servir de ces paroles-ci pour leur fermer la bouche. Qu’est-ce en effet « le Seigneur descendu du ciel ? » Veut-il indiquer par là la nature ou bien la conduite d’une vie parfaite ? Il est clair que c’est la conduite d’une vie parfaite ; et c’est pour cela qu’il ajoute : « Comme nous avons reproduit l’image de l’homme terrestre (49) », c’est-à-dire : Comme nous avons fait le mal, reproduisons l’image de l’homme céleste, c’est-à-dire, faisons le bien. En outre je yeux vous adresser cette question : Ces paroles s’appliquent-elles à la nature ? « Celui qui était né de la terre fut terrestre » ; et ces autres : « Le Seigneur descendu du ciel ». Oui, dit saint Paul. Mais quoi ? Est-ce qu’Adam était seulement terrestre, ou bien avait-il une autre nature, parente des natures supérieures et incorporelles, que l’Écriture appelle âmes et esprits ? Il est clair qu’il avait aussi cette nature. Et ainsi le Seigneur lui-même n’était pas seulement une nature céleste. Quoiqu’il soit dit « du ciel », il s’était encore incarné. Ce qu’il veut donc dire est ceci : « Comme nous avons reproduit l’image de l’homme terrestre », les actions mauvaises, « reproduisons l’image de l’homme céleste », c’est-à-dire, la vie parfaite qui est au ciel. S’il parlait de la nature, ces exhortations et ces conseils seraient inutiles. C’est pourquoi il est démontré que ces paroles s’appliquent à là conduite de la vie. Et c’est à dessein qu’il s’est servi de cette expression, et ce mot d’image montre encore d’une autre manière, qu’il parle des actions, et non de la nature. En effet, nous avons été faits terrestres, quand nous avons fait le mal. Ce n’est pas dès le commencement que nous avons été faits terrestres, mais quand nous avons péché. En effet, le premier péché a existé avant la mort ; c’est après le premier péché que Dieu dit : « Tu es né de la terre et tu retourneras à la terre ». (Gen. 3,19) C’est alors aussi que les passions et les désordres sont entrés en foule dans l’âme. De ce que l’on est né de la terre, il né s’ensuit pas absolument que l’on soit terrestre, car le, Seigneur aussi était formé de la même matière, mais c’est de faire des choses terrestres ; de même qu’être céleste, c’est accomplir des actions dignes du ciel. Mais pourquoi nous donner une peine inutile pour le prouver ? Lui-même, dans la suite de ses paroles, Mous en découvre le sens, disant : « Je vous le dis », mes frères, « la chair et le sang ne posséderont point le royaume de Dieu (50) ».
Voyez-vous comment il s’explique lui-même et nous évite la peine de le faire. C’est ainsi qu’il agit en beaucoup d’endroits. Ce qu’il appelle chair, ce sont les actions mauvaises, ainsi qu’il fait en un autre endroit : « Vous n’êtes pas en chair » ; et ailleurs encore : « Ceux qui sont, en chair ne peuvent plaire à Dieu ». (Rom. 8,9, 8) C’est pourquoi par ces paroles : « Je le dis », il veut nous faire entendre que sous ces discours ont pour objet de nous apprendre que les actions mauvaises ne nous introduiront point dans le royaume du ciel. Après la résurrection, il parle aussitôt du royaume du ciel, et c’est pour cela qu’il ajoute : « La corruption ne possédera point cet héritage incorruptible », c’est-à-dire, le vice ne possède pas cette gloire, cette perception et cette jouissance des choses incorruptibles : En beaucoup d’autres endroits il se sert encore de la même expression, disant : « Celui qui sème dans la chair récoltera la corruption de la chair ». (Gal. 6,8) S’il parlait du corps, et non pas es actions mauvaises, il ne dirait pas la corruption ; car, en aucun endroit il n’appelle le corps sine corruption. En effet, ce n’est pas une corruption, mais une substance corruptible. Aussi, dans la suite de son discours, quand il parle du corps, il ne l’appelle pas une corruption, mais une substance corruptible, disant : Il faut que cette substance corruptible soit revêtue de l’incorruptibilité. Après qu’il a fini ces exhortations relatives à la conduite de la vie, il fait ce qu’il a coutume de faire, il mêle continuellement un sujet à un autre sujet, il revient à son discours sur la résurrection, disant : « Voici que je dis un mystère (51) ».
2. Il va donc révéler un mystère vénérable, et que tous ne connaissent pas ; il montre qu’il leur fait là un grand honneur en leur révélant les choses cachées. Et qu’est-ce ? « Nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés ». Voici ce qu’il veut dire : nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous transformés, même ceux qui ne meurent point ; car ceux-là aussi sont mortels. Parce que vous mourrez, dit-il, ne craignez pas de ressusciter ; il en est, en effet, il en est quelques-uns qui éviteront la mort, et cependant cela ne leur suffit pas pour la résurrection, mais il faut que ces corps mêmes qui ne meurent point soient transformés et passent à un état incorruptible. « En un moment, en un clin « d’œil, au son de la trompette du jugement dernier. (52) ». Comme il a longuement parlé de la résurrection, il montre à propos ce qu’il y a d’étonnant en elle, et de contraire à l’opinion commune. En effet, dit saint Paul, il n’est pas seulement étonnant que les corps se putréfient d’abord et ressuscitent ensuite, et que les corps ressuscités l’emportent sur ceux que nous voyons aujourd’hui ; ni qu’ils passent à une condition bien meilleure, ni que chacun reçoive ce qui lui appartient, et que personne ne reçoive ce qui appartient à d’autres ; mais, ce qui est étonnant, c’est que tant de miracles et de si grands, et qui dépassent toute raison et toute imagination, s’accomplissent en ce moment. Et pour exprimer cela plus clairement, il dit : « En un clin d’œil », c’est-à-dire, dans le temps qu’il faut pour fermer les yeux. Ensuite comme il parle d’une chose grande et qui doit nous frapper de stupeur, de tant de merveilles accomplies tout d’un coup ; il ajoute pour le prouver et : pour rendre croyable ce qu’il dit : « En effet, la « trompette sonnera et les morts ressusciteront incorrompus, et nous serons transformés ». Cette parole « nous » ne s’applique pas à lui-même, mais à ceux qui alors seront trouvés vivants. « Il faut que cette substance corruptible soit revêtue d’incorruptibilité (53) ». Quand vous entendrez dire que la chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu, pour que vous n’alliez pas croire que les corps ne ressuscitent pas, il ajoute : « Car il faut que ce corps corruptible sait revêtu de l’incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l’immortalité ». Le corps est corruptible et mortel, et c’est pour cela que le corps subsiste ; car le corps, c’est la substance. La mortalité et la corruption, au contraire, sont détruites et disparaissent, tandis que l’immortalité et l’incorruptibilité deviennent le partage du corps. Ne doutez donc plus que le corps ne doive vivre éternellement, en apprenant qu’il devient incorruptible et qu’il est affranchi des lois de la mort.
Quand ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l’immortalité ; alors sera accomplie cette parole de l’Écriture : « La mort a été absorbée par la victoire (54) ». Après avoir révélé de grands mystères, il rend tout ce qu’il avance croyable et digne de foi, en s’appuyant sur la prophétie. La mort a été absorbée par la victoire ; c’est-à-dire, que le rôle de la mort est terminé. Il n’en geste plus rien ; elle ne reviendra plus. L’incorruptibilité a détruit la corruption et la mort. « O mort, où est ta victoire ? Enfer, où est ton aiguillon (55) ? » Quelle force et quelle noblesse d’inspiration ! C’est comme un sacrifice offert à la victoire. C’est un mortel inspiré de Dieu qui, l’œil fixé sur l’avenir comme sur un fait déjà accompli, insulte à la mort terrassée ! et, le pied sur la tête de l’ennemi vaincu, entonne un chant de victoire, en s’écriant « O mort, où est ton aiguillon ? Enfer, où est ta victoire ? » C’en est fait de tes armes ; tu as travaillé en vain. Voilà en effet la mort dépouillée de ses armes ! La voilà vaincue ! Que dis-je ? Elle disparaît, elle rentre dans le néant. « Or le péché est l’aiguillon de la mort : et sa loi est la force du péché (56) ». Voyez-vous comme il parle de la mort corporelle ? C’est donc aussi de la résurrection du corps qu’il veut parler. Car s’il n’y a pas « de résurrection pour le corps, comment la mort est-elle absorbée?. Ce n’est point ici la seule difficulté ; comment en outre la loi est-elle la force du péché ? C’est qu’en l’absence de la loi, le péché n’avait pas un caractère aussi, prononcé ; il avait bien lieu, mais on ne pouvait le frapper d’une condamnation aussi énergique. La loi n’a pas peu contribué à le mettre en relief, en lui infligeant de plus rudes châtiments. Que si, en voulant guérir le mal, elle l’a aggravé, le coupable, dans ce cas, n’est pas le médecin ; c’est le malade qui n’à pas sa profiter du remède. La venue du Christ aussi a été funeste aux Juifs ; elle n’a fait qu’aggraver et grossir le fardeau de leurs iniquités. Mais ce n’est pas là une raison pour blâmer le Christ ; le Christ n’en est que plus admirable, et les Juifs n’en sont que plus odieux pour avoir tourné contre eux-mêmes l’instrument de leur salut. Ce qui prouve que, par elle-même, la foi ne peut servir d’auxiliaire du péché, c’est que le Christ l’a strictement observée, et que le Christ était exempt de péchés. Mais réfléchissez, et vous verrez que les vérités exprimées par Paul au sujet du péché et de la loi viennent à leur tour confirmer 1e dogme de la résurrection. Si en effet le péché était par lui-même une cause de mort, si le Christ est venu détruire le péché et nous en délivrer par le baptême, si d’un autre côté il a détruit et anéanti l’ancienne loi, dont la violation et la transgression donnait au péché plus de consistance, pourquoi douter encore de la résurrection ? Comment la mort s’y prendra-t-elle désormais pour conserver son empire ? Se servira-t-elle de la loi ? elle est dissoute et abrogée. Se servira-t-elle du péché ? mais le péché est extirpé jusque dans sa racine. « Rendons grâce à Dieu qui nous a donné la victoire par Notre-Seigneur Jésus-Christ (57) ».
3. Car Jésus a élevé un trophée et nous a décerné des couronnes qui ne nous étaient pas dues, mais qui sont un présent de sa bonté. « Ainsi, mes frères, demeurez fermes et inébranlables (58) ». Cette exhortation a pour elle la justice et l’à-propos. Point de faiblesse ; point d’hésitation ; ne vous laissez pas abattre, ne vous découragez pas sans motifs. « Travaillez sans cesse à l’œuvre de Dieu » ; c’est-à-dire, à rendre votre vie pure. Il ne dit pas : Faites le bien, mais : « Travaillez sans cesse, pour que le zèle déborde de vos cœurs quand vous vous mettez à l’œuvre, pour que vous fassiez votre devoir et au-delà. « Sachant que votre travail ne sera pas sans récompense en Notre-Seigneur » : Que dis-tu, Paul ? Encore des travaux ? Oui, encore des travaux ; mais des, travaux qui rapportent des couronnes, et qui ont le ciel en perspective. Car autrefois, en laissant derrière lui, le paradis, l’homme a dû souffrir des travaux qui étaient le châtiment de ses fautes ; les travaux dont il s’agit, au contraire, lui promettent les palmes de la vie future. Lorsqu’on se place à un pareil point de vue, lorsqu’on lève les, yeux et qu’on aperçoit les secours qui nous viennent d’en haut, ce ne sont plus là des travaux. Aussi Paul a-t-il dit : Votre travail ne sera pas sans récompense en Notre-Seigneur. Nos premiers travaux étaient un châtiment ; ceux-ci ne sont qu’un acheminement au bonheur qui nous est réservé dans l’autre vie. Il ne faut donc pas nous endormir, mes chers frères. Ce n’est point en nous laissant aller au courant de la paresse et de l’inertie que nous arriverons au royaume des cieux ; ce n’est point en nous abandonnant aux délices d’une vie molle et efféminée. Estimons-nous heureux de pouvoir conquérir un si grand bonheur à force de pénitences, de mortifications, de souffrances sans nombre, de difficultés et de travaux. N’apercevez-vous pas l’intervalle immense qui sépare la terre des cieux, les guerres qui nous menacent, la pente qui entraîne l’homme vers le vice, les précipices dont le péché nous entoure, et les pièges qu’il sème au milieu de notre route ? Pourquoi donc nous créer tant de soucis qui ne nous sont pas imposés par la nature ? Pourquoi nous susciter cette foule d’embarras ? Pourquoi nous charger de tant de fardeaux ? Le Christ n’a-t-il pas voulu nous détourner de tous ces soins en nous disant : « Ne vous inquiétez ni de votre nourriture ni de votre habillement ? » (Mt. 6,25) Or, si nous ne devons nous inquiéter ni de la nourriture qui nous est nécessaire, ni de nos vêtements, à quoi bon cet attirail et ce luxe ? Ceux qui se plongent dans le gouffre de tant de besoins factices ; pourront-ils jamais en sortir ? Est-ce que saint Paul ne vous a pas dit : « Celui qui est enrôlé au service de Dieu, ne s’embarrasse point des affaires de cette vie ? » (2Tim. 2,4) Malgré cela, nous nous plongeons dans les d’élites, nous sommes esclaves de notre ventre, nous nous enivrons, nous nous tourmentons pour des choses qui nous sont étrangères, et nous n’apportons aux choses célestes que l’attention d’une âme molle et efféminée. Ne savez-vous pas que la récompense qui vous est promise est une récompense plus qu’humaine ? Quand on rampe sur la terre, on ne peut monter au ciel ; et nous, loin de nous étudier à mener une vie conforme à la nature de l’homme, nous nous ravalons au-dessous de la brute. Ne savez-vous donc pas à quel tribunal vous comparaîtrez ? Ne songez-vous donc pas qu’on vous demandera compte de vos paroles et de vos pensées ; à vous qui ne veillez même pas sur vos actions ? « Un regard lascif jeté sur une femme est déjà l’adultère ». (Mt. 5,28) Et ces hommes qui auront à rendre compte d’un simple regard de curiosité, ne craignent pas de pourrir dans le péché ! « Celui qui traite son frère de sot, sera plongé dans la géhenne ». (Mt. 5,22) Et nous ne cessons d’accabler notre prochain d’outrages, nous ne cessons de lui dresser des embûches de toute espèce ! Il est tout simple d’aimer celui qui nous aime ; c’est là le mérite d’un païen. Et nous autres, nous haïssons ceux-là même qui nous aiment ! Quel pardon pouvons-nous espérer ? Nous devrions, on nous l’a ordonné, ne pas nous contenter d’observer les prescriptions de l’ancienne loi, et, dans la mesure même de cette ancienne loi, notre vertu est insuffisante ! Quelle bouche éloquente nous arrachera au châtiment qui nous menace ? Quel défenseur viendra nous assister et nous secourir, nous, misérables pécheurs marqués pour le, supplice ? Aucun ; mais nous hurlerons comme des réprouvés, nous pleurerons, nous grincerons des dents, nous gérons en proie aux tourments ; car nous serons condamnés à de profondes ténèbres, à des douleurs inévitables, à des peines insupportables. C’est pourquoi, je vous en prie, je vous en conjure, je vous en supplie à genoux : tandis que ; pour marcher dans cette vie, nous avons encore quelque appui, ouvrons nos âmes aux paroles de l’apôtre ; qu’elles excitent en nous des sentiments de componction ; convertissons-nous ; devenons meilleurs. Ne nous exposons pas, comme le mauvais riche, à pousser des lamentations inutiles, quand nous serons jetés dans les ténèbres extérieures. Ne nous exposons pas à répandre des larmes qui ne sauraient remédier à nos maux. En vain un père, un fils, un ami, qui aurait auprès de Dieu quelque influence, élèverait pour vous la voix, si vos actions étaient là pour vous condamner. Tel est ce tribunal : il juge d’après les actes ; nos actes seuls peuvent nous sauver. En vous tenant un pareil langage, je ne veux pas vous affliger, je ne veux pas vous jeter dans le désespoir ; je veux que, renonçant à nous repaître de vaines et frivoles espérances, nous cultivions la vertu, sans mettre notre confiance, dans tel ou tel secours étranger. Si nous sommes lâches et négligents, il n’y aura ni Juste, ni prophète, ni apôtre, il n’y aura personne qui soit en état de venir à notre aide. Mais soyons zélés, soyons diligents, et nous trouverons dans nos actes de puissants défenseurs, et nous jouirons en toute liberté, en toute sûreté, du bonheur que Dieu réserve à ceux qui l’aiment. Ce Bonheur, puissions-nous tous l’obtenir, etc.
Traduit par M. BAISSEY

HOMÉLIE XLIV.

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QUANT À LA COLLECTE POUR LES SAINTS, FAITES LA MÊME CHOSE QUE J’AI ORDONNÉE AUX ÉGLISES DE GALATIE. (CHAP. 16, VERS. 1, JUSQU’A 10)

ANALYSE.

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  • 1. Saint Paul recommande aux Corinthiens de recueillir petit à petit des aumônes pour les pauvres de Jérusalem.
  • 2. Cette collecte faite, ils l’enverront eux-mêmes à Jérusalem par des hommes sûrs : saint Paul les accompagnera si la chose en vaut la peine.
  • 3 et 4. Exhortation. – Soyons fermes dans les épreuves.— L’homme juste est quelquefois éprouvé, mais il en sera récompensé davantage. – Sanctifions nos maisons par des aumônes mises en réserve. .


1. Ayant achevé ce qu’il avait à dire sur les dogmes, il va maintenant traiter plus spécialement des mœurs, et sans s’occuper du reste, il va droit à la vertu qui comprend toutes les autres, la charité et l’aumône. Il ne parle que de cette seule vertu et fiait sa lettre. Cette épître est la seule où il en soit ainsi ; dans les autres il ne parle pas seulement de l’aumône, mais encore de la tempérance, de la mansuétude, de la douceur, de la patience, et de toutes les autres en général, en finissant. Pourquoi ne traite-t-il ici que cette seule partie de la morale ? Parce que la plus grande partie de ce qui précède roule déjà sur des matières morales ; par exemple, ce qu’il a dit pour corriger le fornicateur, pour redresser ceux qui portaient leurs différends devant les tribunaux du dehors, pour effrayer ceux qui s’adonnaient au vin et à la bonne chère, pour condamner ceux qui se livraient aux schismes aux disputes, et qui affectaient la domination, pour représenter à ceux qui s’approchaient indignement des mystères, l’épouvantable châtiment auquel ils s’exposaient, enfin, pour définir la charité. Il ne touche plus ici que le point dont il a besoin pour mieux assister les saints. Remarquez encore ici l’habileté de l’apôtre : aussitôt qu’il les a persuadés de la résurrection, et qu’il les a remplis par ce discours de ferveur et de zèle, il les met sur le chapitre de l’aumône. Ce n’est pas qu’il n’en eût déjà touché quelques, mots lorsqu’il disait : « Si nous avons semé chez vous les biens spirituels, sera-ce beaucoup si nous moissonnons de vos biens temporels ? » Et encore : « Qui plante une vigne et ne mange pas de son fruit ? » (1Cor. 9,7, 11) Cependant, la connaissance qu’il avait de l’excellence de cette vertu le détermine à en parler encore à la fin de cette épître.
Le mot de « collecte » qu’il met tout en commençant fait déjà envisager la chose comme légère et facile ; puisque tous contribuent à l’œuvre, la charge qui en résultera pour chacun ne pourra qu’être légère. Après avoir parlé de la collecte, il ne dit pas tout aussitôt : Que chacun de vous mette de côté chez soi, comme il était naturel de dire, non, il a soin de dire auparavant : Faites comme j’ai ordonné aux Églises de Galatie. Mentionner les bonnes œuvres des autres était un bon moyen d’exciter leur zèle par l’émulation. Et remarquez comme il introduit cette mention sous forme de récit ; c’est un procédé qu’il met encore en couvre dans son épître aux Romains. Il semble ne vouloir que leur parler du motif de son départ pour Jérusalem, et il prend de là occasion de se jeter sur le sujet de l’aumône : « Maintenant », dit-il, « je m’en vais à Jérusalem pour le service des saints. Car il a dit à la Macédoine et à l’Achaïë de faire quelques aumônes en commun aux pauvres d’entre les saints ». (Rom. 15,25, 26) Il excitait les Romains par l’exemple des Macédoniens et des Corinthiens, et ceux-ci par l’exemple des Galates. – « Faites », dit-il, « comme j’ai ordonné aux Églises de Galatie ». Les Corinthiens n’auraient-ils pas rougi de rester inférieurs aux Galates ? Et il ne dit pas : J’ai persuadé, j’ai conseillé, mais : « J’ai ordonné », ce qui marque plus l’autorité. Et il ne cite pas seulement une ville, ni deux, ni trois, mais toute une nation. C’est un moyen qu’il emploie également quand il traite des questions dogmatiques : « Comme je l’enseigne », dit-il, « dans toutes les églises des saints ». Que si l’exemple est efficace pour établir la foi des dogmes, il le sera bien davantage encore pour exciter l’émulation des bonnes œuvres.
Mais qu’avez-vous ordonné, dites-moi, bienheureux apôtre ? « Que le premier jour de la semaine », c’est-à-dire le dimanche, « chacun de vous mette quelque chose à part chez soi, amassant selon sa bonne volonté (2) ». Remarquez comme il sait les exciter même par la circonstance du temps ; car ce jour qu’il indique était propre à porter à l’aumône. Souvenez-vous, semble-t-il dire, quels bienfaits vous avez reçus ce jour-là. Les biens ineffables, et la racine et le principe de notre vie, c’est once jour qu’ils nous ont été donnés. C’est encore par une autre raison que ce jour augmente le zèle charitable ; il est le jour du repos et de la suspension de tous les travaux. Une âme affranchie de tout embarras d’affaires, en devient plus prompte et plus apte à pratiquer l’aumône. De plus, la participation aux mystères redoutables et immortels met dans l’âme beaucoup de zèle. En ce jour donc, « que chacun de vous » ; non un tel et un tel, mais « chacun de vous », quel qu’il soit, pauvre ou riche ; la femme ou l’homme ; l’esclave ou l’homme libre mette à part chez soi. Il ne dit pas : Que chacun porte à l’Église, de peur que l’on n’eût honte de donner peu ; mais après que ces petites sommes mises à part peu à peu en auront fait une un peu plus considérable, alors, quand je serai venu, qu’on me l’apporte. En attendant, mettez à part chez vous quelque chose, et faites de votre maison une église, le coffret qui recevra vos aumônes sera le tronc. Devenez le gardien d’un argent sacré, faites-vous spontanément économe des pauvres. C’est votre chanté qui vous confère ce sacerdoce. Les troncs qui sont dans nos églises sont encore une marque de cette ancienne coutume. Mais hélas ! le signe seul reste, la chose ne se voit plus nulle part. Je sais que la plupart de ceux qui sont ici me blâmeront encore de parler sur ce sujet ; je les entends déjà me dire : Épargnez-nous ces désagréables, ces fâcheux discours. Laissez cela à la volonté de chacun, et que chacun suive le mouvement de son cœur ; ce que vous dites maintenant ne sert qu’à nous couvrir de honte et de confusion. – Mais je ne tiens aucun compte de ces remontrances. Saint Paul ne craignait pas de se rendre importun sur ce sujet, ni de tenir le langage de ceux qui mendient. Si je vous disais : Donnez-moi, à moi, et déposez vos aumônes dans ma maison, il y aurait peut-être sujet de rougir ; ou plutôt il n’y aurait pas même alors sujet, « car », dit l’apôtre, « ceux qui servent à l’autel vivent de l’autel ». (1Cor. 9,13)
2. Toutefois on pourrait me reprocher de prêcher pour moi. Au lieu que maintenant c’est pour les indigents que je demande, ou pour mieux dire, ce n’est pas pour les indigents ; c’est, pour vous qui donnez : c’est pourquoi je parle avec une entière liberté. Quelle honte y a-t-il à dire : Donnez au Seigneur qui a faim ; revêtez-le lorsque vous le rencontrerez nu ; recevez-le chez vous quand il est sans asile ? Votre Seigneur ne rougit pas de dire à la face de la terre : « J’ai eu faim et vous ne m’avez pas donné à manger » (Mt. 25,42) ; lui qui ne manque de rien et qui n’a rien à désirer. Et moi je rougirais et je n’oserais parler ! À Dieu ne plaise ! Ce serait une suggestion diabolique qu’une telle honte. Je ne rougirai donc pas, mais je parlerai en toute liberté et je dirai : Donnez à ceux qui ont besoin, élevant la voix plus haut que les indigents. Si je pouvais être convaincu par quelqu’un de chercher mon intérêt en parlant de la sorte, et de faire mes propres affaires sous le prétexte de faire celles des pauvres, ce ne serait pas, assez de la honte pour me punir, il faudrait toutes les foudres du ciel, car il ne mériterait pas de vivre, celui qui commettrait une telle indignité.
Mais si, par la grâce de Dieu, ce n’est point pour nous-mêmes que nous vous importunons ; si nous vous annonçons gratuitement l’Évangile, non à la vérité en travaillant de nos mains comme Paul, mais en vivant de nos biens propres, je dirai en toute liberté : Donnez à ceux qui ont besoin, et je ne cesserai de le redire, et ceux qui ne donneront pas, je serai leur accusateur infatigable. Si j’étais général et que j’eusse sous moi des soldats, je n’aurais pas boute de demander des vivres pour mes soldats. D’ailleurs je désire extrêmement votre salut. Mais afin que mon discours soit plus efficace ; je vais m’adjoindre saint Paul et vous dire avec lui : « Que chacun de vous mette à part chez soi, et qu’il amasse selon qu’il aura « prospéré ». Voyez comme il évite d’être indiscret et à charge ! Il ne dit pas : Donnez telle ou telle somme, mais : « Ce qui vous plaira », que ce soit beaucoup, que ce soit peu. Il ne dit pas : Que chacun donne ce qu’il aura gagné, mais « Selon qu’il aura prospéré », pour montrer que c’est de Dieu que nous tenons ce que nous donnons. Autre moyen de faciliter l’aumône qu’il conseille : il n’ordonne pas qu’on la donne tout entière, d’un coup, mais qu’on l’amasse petit à petit, de manière que la dépense s’effectue sans peine et passe pour ainsi dire inaperçue. Voilà pourquoi il ne demande pas qu’on dépose l’aumône sur-le-champ ; mais il indique un long délai. La raison qu’il donne de cette mesure est celle-ci : « Afin qu’on n’ait pas à faire la collecte lorsque j’arriverai » c’est-à-dire, afin que vous ne soyez pas obligés de recueillir les aumônes dans le temps même où il faudra les apporter. Nouveau motif qui ne devait pas médiocrement les exciter ; l’attente de Paul était bien propre à augmenter leur zèle.
« Lorsque je serai arrivé, j’enverrai des hommes choisis pair vous, et à qui je donnerai des lettres, porter votre charité à Jérusalem (3) ». Il ne dit pas : J’enverrai un tel et un tel, mais : Des hommes que vous aurez choisis vous-mêmes afin que l’on n’ait pas le moindre soupçon. Voilà pour quelle raison il leur remet le choix de ceux qui porteront l’argent. Il se garde bien de leur dire : à vous de donner votre argent, à d’autres le droit de choisir ceux qui le porteront. Ensuite pour montrer qu’il ne laisse pas de s’occuper de cette bonne œuvre, il parle des lettres qu’il donnera aux porteurs, il dit : « J’enverrai avec des lettres ceux que vous aurez choisis », comme s’il disait : Je serai moi-même avec eux, je participerai à la mission par le moyen de mes lettres. Il ne dit pas : Je les enverrai porter votre aumône, mais « votre charité », pour relever par ce terme la grandeur de leur action et du gain qui leur en revient. Ailleurs il donne à l’aumône les noms de bénédiction et de communication, l’un pour corriger la négligence, l’autre pour abaisser l’orgueil nulle part il ne se sert du mot d’aumône.
« Que si la chose mérite que j’y aille moi-même, ils viendront avec moi (4) ». Ici encore l’apôtre engage les Corinthiens à donner largement. Si vos charités sont assez considérables, veut-il dire, pour que ma présence soit nécessaire, je ne refuserai pas d’y aller. Il n’a pas promis cela tout d’abord, il n’a pas dit quand je serai arrivé, je porterai l’argent. S’il eût promis cela dès le commencement, l’effet n’eût pas été le même. Mise où elle se trouve, cette promesse est parfaitement à sa place. Ainsi dès le commencement ce n’est pas une promesse formelle, mais ce n’est pas non plus un silence absolu, car l’apôtre se met déjà en avant en disant : « j’enverrai ». Et encore en dernier lieu il ne parle que conditionnellement, tout dépendra d’eux-mêmes : « Si la chose le mérite », dit-il. Il dépendait d’eux assurément de donner une somme assez grosse pour que l’apôtre crût qu’elle vaudrait la peine qu’il s’en chargeât.
« Or, j’irai vous voir quand j’aurai passé par la Macédoine (5)». Ceci, l’apôtre l’a déjà dit plus haut, mais avec colère ; car il ajoutait : « Et je connaîtrai non les discours des orgueilleux, mais leur vertu ». (1Cor. 4,19). Ici il parle avec plus de douceur, afin qu’ils désirent sa présence. Et pour qu’ils ne disent pas : Pourquoi donc nous préférez-vous les Macédoniens, il ne met pas : Quand j’aurai été en Macédoine, mais : « Quand j’aurai passé par la Macédoine, car je passerai par la Macédoine. Peut-être que je séjournerai chez eux, et que j’y passerai l’hiver (6) ». Mon dessein n’est pas de vous voir seulement en passant, je veux m’arrêter chez vous et y séjourner. Il était à Éphèse lorsqu’il écrivait cette épître, et c’était pendant l’hiver. C’est pourquoi il dit : « Je demeurerai à Éphèse jusqu’à la Pentecôte (8) ». Ensuite, j’irai en Macédoine, et après l’avoir traversée, j’irai vous voir l’été ; et peut-être passerai-je l’hiver chez vous.
3. Mais pourquoi saint Paul dit-il « peut-être », sans rien assurer de positif ? Parce qu’il ne prévoyait pas tout, et cela utilement. C’est pourquoi il n’affirme pas absolument, de sorte que s’il en arrivait autrement, il aurait recours pour se défendre à sa promesse conditionnelle, et à l’autorité du Saint-Esprit : gui à son, gré conduisait l’apôtre, et ne le laissait pas toujours aller où il aurait voulu. Il le témoigne, dans sa seconde épître, lorsque pour justifier son retard, il dit : « Ou quand je prends une résolution, cette résolution n’est-elle qu’humaine, et trouve-t-on ainsi en moi le oui et le non ». (2Cor. 11,17) – « Afin que vous me conduisiez au lieu où je pourrai aller ». Ceci témoigne encore de la charité de l’apôtre et de son grand-amour pour ses disciples. – « Car je ne veux pas cette fois vous voir seulement en passant, et j’espère demeurer assez longtemps chez vous, si le Seigneur le permet (7) ». Ces paroles qui sont l’expression de sa charité, tendent aussi à faire trembler les pécheurs, non pas ouvertement, mais seulement sous prétexte d’amitié. – « Je demeurerai à Éphèse jusqu’à la Pentecôte ». Il leur fait part exactement de tous ses desseins et familièrement comme à des amis. Car c’est encore une marque d’amitié qu’il leur donne, de leur dire la raison pourquoi il n’a pas encore été les voir, pourquoi il diffère, et en quel lieu il demeure. – « Car une grande porte s’y ouvre, visiblement devant moi, et il s’y élève contre moi beaucoup, d’ennemis » (9), Une grande « porte » et « beaucoup d’ennemis », comment ces choses vont-elles ensemble ? Les ennemis s’élèvent précisément – parce que la foi est grande, parce qu’elle trouve une grande et large entrée. Qu’est-ce à dire une grande porte?. c’est-à-dire que beaucoup sont tout prêts à embrasser la foi, beaucoup sont sur le point, de s’approcher de Dieu et de se convertir. Une large entrée se présente, parce que l’âme de ceux qui s’approchent est mûre pour la soumission à la foi. Le démon voyant que tant d’hommes allaient l’abandonner, soufflait partout sa fureur. Cette double raison engageait donc saint Paul à demeurer là : beaucoup de fruit d’un côté, et de grands combats de l’autre. Il encourageait aussi beaucoup les Corinthiens, en leur disant que la parole de Dieu croissait et fructifiait de toute part avec facilité. Si beaucoup d’ennemis se soulevaient contre elle, c’était une preuve de plus du progrès de l’Évangile. Car le démon n’est jamais plus en colère que lorsqu’on lui enlève beaucoup de dépouilles.
Faisons – de même, et lorsqu’il s’agira de quelque grande et généreuse entreprise à exécuter, ne regardons pas à la peine qu’elle, causera ; mais aux fruits qu’elle produira. Voyez Paul en effet, il ne s’effraye et ne se rebute de rien, quelque nombreux que soient les ennemis ; mais parce qu’une large porte s’ouvre à la foi, il persévère ; il demeure à sa tâche. Comme je l’ai dit, la multiplicité des ennemis n’était qu’un signe que le démon se sentait dépouillé. Ce n’est pas par de petites ou de mauvaises actions que l’on excite la fureur de ce monstre. Lors donc que vous voyez un homme juste et qui fait de grandes choses, souffrir toute espèce de traverses, n’en soyez pas étonnés. Il faudrait plutôt s’étonner si, recevant tant de coups douloureux, il restait néanmoins tranquille et souffrait doucement ses blessures. Vous étonnez-vous lorsqu’un serpent que l’on excite en le piquant, s’exaspère et se jette sur celui qui le pique ? Il n’y a pas de serpent si âpre que le démon, il se jette sur tous, et tel qu’un scorpion irrité il se dresse en agitant un dard empoisonné. Que cela ne vous trouble point. Un soldat victorieux ne revient pas d’une sanglante mêlée sans être couvert de sang, sans rapporter des blessures. Lors donc que vous voyez quelqu’un qui fait l’aumône, qui pratique toute espèce, de bonnes œuvres et porte ainsi à la puissance du démon des coups mortels, ne vous étonnez point s’il tombe dans les tentations et les dangers. Si la tentation est venue l’assaillir, c’est précisément parce qu’il a porté de rudes coups au démon. Et pourquoi, dira-t-on, Dieu permet-il que le juste soit tenté ? Afin que sa couronne en soit embellie, afin que le démon voie aggraver sa défaite.. L’homme qui ayant Suivi le chemin de la vertu est arrivé à l’épreuve et qui remercie Dieu de tout, celui-là inflige au démon des coups terribles. C’est déjà beaucoup, pendant que le souffle de la bonne fortune gonfle nos voiles de rester toujours fidèle à l’aumône et à toute espèce de vertu ; mais c’est beaucoup plus de persévérer dans cette belle conduite en dépit de tous les maux. C’est celui-là surtout qui travaille en vue de Dieu.
Ainsi donc, mes frères, dans les dangers et dans les peines restons plus que jamais attachés à la vertu. La vie présente n’est pas le temps de la récompense. Ne réclamons donc pas la couronne dès ici-bas, pour ne pas amoindrir notre récompense au jour des couronnes. De même que pour les ouvriers, ceux qui se nourrissent en travaillant reçoivent un salaire plus élevé, tandis que le salaire de ceux qui sont nourris par les personnes qui les emploient se trouve notablement amoindri ; de même parmi les saints, celui qui aura subi mille épreuves en pratiquant la vertu reçoit la récompense entière, et une rémunération plus considérable, non seulement pour les bonnes œuvres qu’il a faites, mais encore pour les maux qu’il a soufferts. Au contraire, celui qui passe ses jours dans le relâchement, et la mollesse ne reçoit pas à beaucoup près d’aussi brillantes couronnes là-haut. Ne cherchons donc pas ici-bas notre récompense, mais soyons au comble de la joie lorsqu’il nous arrive de souffrir en faisant le bien.
4. Et pour rendre ce que je dis plus sensible, supposons deux riches, tous deux compatissants et généreux envers les pauvres. Que l’un demeure en possession de ses richesses, qu’il jouisse de toutes les prospérités ; que l’autre tombe dans la pauvreté et dans les maladies, et dans les malheurs, et que cependant il rende grâces à Dieu. Lorsqu’ils s’en iront là-haut, lequel des deux recevra la récompense la plus grande ? N’est-il pas clair que c’est celui qui aura été exercé par la maladie et l’infortune, puisqu’il n’aura montré aucune faiblesse dans une vie toujours vertueuse et cependant durement éprouvée ? Celui-ci est la statue de diamant, celui-ci est le serviteur de bonne volonté. Si ce n’est pas même dans l’espoir du royaume qu’il faut opérer le bien, mais dans l’intention de plaire a Dieu, que mérite celui qui, parce qu’il ne reçoit pas dès ici-bas le prix de sa bonne conduite, se relâche dans la pratique de la vertu ? Ne nous troublons donc pas, lorsque nous voyons qu’un tel qui invitait les veuves, qui recevait les voyageurs, a perdu sa maison consumée par l’incendie, ou éprouvé quelqu’autre malheur, et en effet il recevra pour cela une récompense. Job lui-même est devenu moins célèbre par ses aumônes que par les épreuves qui survinrent. On méprise au contraire ses amis, on les regarde comme des gens de rien, parce qu’ils cherchaient ici les récompenses temporelles et que d’après ce principe ils condamnaient injustement le juste.
Ne cherchons donc pas ici-bas notre récompense, devenons pauvres et indigents. Il est de la dernière folie, quand on nous propose le ciel et ce qui est au-dessus pour prix de notre vie, d’abaisser ses regards aux choses de la terre. Ne faisons pas ainsi, et de quelque malheur que nous puissions être surpris, suivons Dieu sans nous lasser, et suivons le conseil de saint Paul, ayons un tronc des pauvres dans notre maison, qu’il soit placé près de l’endroit où vous vous tenez pour prier ; et chaque fois que vous entrez pour faire votre prière, déposez d’abord votre aumône, et ensuite faites monter votre oraison ; et de même que vous ne voudriez pas vous mettre en prière sans vous être auparavant lavé les mains, de même ne priez pas sans avoir fait l’aumône. Ce n’est pas une chose moins utile d’avoir ainsi une aumône cachée que d’avoir l’Évangile suspendu auprès de son lit.
Si vous suspendez l’Évangile et que vous ne le pratiquiez pas, il ne vous en reviendra pas grand-chose. Avec ce petit coffre vous avez une arme contre le démon, la prière que vous faites auprès a des ailes, vous sanctifiez votre maison, en y tenant en réserve les aliments du Roi éternel. Mettez votre lit à côté de ce coffret, et nul fantôme ne troublera vos nuits, pourvu que vous n’y mettiez rien qui vienne de l’injustice. Car cet argent est destiné à l’aumône, et l’aumône ne peut avoir la cruauté pour son principe. Voulez-vous que je vous montre où il faut prendre de quoi donner cette aumône pour la rendre facile dans la pratique ? Vous êtes artisan, serrurier, cordonnier, ouvrier en cuir ou en quoi que ce soit, vous vendez quelque produit de votre art, levez les prémices du prix en l’honneur de Dieu, jetez-en une parcelle en l’honneur de Dieu, partagez avec Dieu en lui donnant la moindre partie. Je ne vous demande pas beaucoup, pas plus qu’on ne demandait aux juifs qui étaient encore peu avancés dans la sagesse et même remplis de défauts. Nous qui attendons le ciel, ne devrions-nous pas rougir de ne pas faire autant qu’eux ! Ne prenez pas ce que je vais dire pour une loi, ni comme une défense que je vous ferais de donner plus, mais je ne crois pas que vous deviez donner moins, de la dixième partie de ce que vous avez. Faites cela non seulement lorsque vous vendez, mais lors, même, que vous achetez. Que ceux qui reçoivent des rentes et des revenus gardent aussi cette loi ; enfin qu’elle soit générale pour tous ceux qui reçoivent de l’argent : par des voies justes. Quant aux usuriers, je ne m’adresse pas à eux, ni aux soldats qui s’enrichissent par des concussions, et qui trafiquent de la misère des autres. D’une semblable source, Dieu ne veut rien recevoir ; je dis ces choses à ceux qui s’enrichissent noblement. Une fois que nous avons pris cette habitude, nous sommes toujours aiguillonnés par notre conscience, lorsque, nous abandonnons cette loi ; nous reconsidérons plus la pratique comme difficile, petit à petit nous irons plus loin, et après nous être appliqués au mépris des richesses, et avoir arraché de nos cœurs cette racine de tous les maux, nous passerons cette vie dans une paix tranquille, et nous jouirons ensuite d’une autre qui ne finira pas, et que je prie Dieu de nous accorder à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l’Esprit-Saint, la gloire, l’honneur et l’empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XLIV.

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QUE SI TIMOTHÉE VOUS VA TROUVER, AYEZ SOIN QU’IL SOIT EN SÛRETÉ PARMI VOUS. (CHAP. 16, VERS. 10, JUSQU’À LA FIN).

ANALYSE.

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  • 1 et 2. Saint Paul recommande Timothée aux Corinthiens, il prévient ainsi avec beaucoup de sagesse les désagréments auxquels ce disciple était exposé de la part de ceux à qui il portait les réprimandes de son maître.
  • 3. Que le faste est la source de grands maux.
  • 4-6. Avec quelle douceur il faut reprendre ceux qui pèchent. – Que nous ne devons pas être indifférents aux maux spirituels de nos frères. – Qu’il vaut mieux faire des remontrances en face que des médisances en secret.


1. On trouvera peut-être cette recommandation peu digne du courage de Timothée. Mais c’est moins dans l’intérêt de Timothée qu’elle a été faite que dans celui des Corinthiens ; parce que les pièges qu’ils lui eussent peut-être tendus auraient causé leur propre ruine. Quant à Timothée, il était toujours porté à se jeter au milieu des périls. « Il m’a servi », dit ailleurs l’apôtre, « dans la prédication de l’Évangile, comme un fils servirait son père ». (Phil. 2,22) insolents à l’égard du disciple, ils le fussent devenus à l’égard du maître lui-même, c’est là ce que Paul veut prévenir par ces paroles : « Ayez soin qu’il soit en sûreté parmi vous ». C’est-à-dire, qu’aucun de ces pécheurs désespérés ne s’élève contre lui. Timothée devait probablement ajouter ; de vive voix, des réprimandes à celles qui étaient contenues : dans la lettre apostolique et sur les mêmes sujets. C’était du reste la raison pour laquelle l’apôtre annonçait, qu’il l’envoyait. « Je vous envoie Timothée », dit-il, « qui vous fera souvenir de mes voies en Jésus-Christ, et de ce que j’enseigne partout dans toute l’église ». (1Cor. 4,17) Paul craint donc que ces Corinthiens, fiers de leur noblesse et de leurs richesses, confiants dans l’appui de la multitude et dans leur sagesse selon le monde, n’en viennent à s’insurger contre son disciple ; qu’ils ne le méprisent, qu’ils ne lui tendent des embûches, et, qu’exaspérés par les réprimandes du maître et du disciple, ils n’en demandent raison à celui-ci et né s’en vengent sur lui. Voilà pourquoi il leur écrit cette parole : « Ayez soin qu’il soit en sûreté parmi vous ». Ne venez pas m’alléguer les païens et les infidèles. C’est pour vous que j’écris toute cette épître, ainsi j’attends cela de vous : C’étaient eux aussi qu’il avait effrayés dès le commencement. Tel est le sens de ce mot : « parmi vous ».
Il l’accrédite ensuite en le louant de la manière dont il s’acquitte de son ministère « Parce que », dit-il, « il travaille à l’œuvre du Seigneur ». Ne considérez pas qu’il n’est pas riche, ni savant, ni âgé, mais considérez sa mission et ses œuvres. « Parce qu’il travaille à l’œuvre du Seigneur ». Cela seuil lui tient lieu de noblesse, de richesse, d’âge et de science. Saint Paul ne s’en tient pas là, mais il ajoute : « Aussi bien que moi ». Il a déjà dit plus haut : « Il est mon Fils bien-aimé et fidèle dans le Seigneur ; il vous fera souvenir de mes voies en Jésus-Christ ». Or, il était jeune et chargé seul de la correction d’un grand peuple, deux circonstances propres à lui attirer le mépris des Corinthiens, saint Paul le prévient et dit : « Que personne ne le méprise (11) ». Il demande quelque chose de plus, il veut qu’on l’honore : « Mais reconduisez-le en paix », c’est-à-dire en toute tranquillité, saris susciter de disputes ni de querelles, en lui témoignant, non des inimitiés et des haines, mais de la soumission et de l’honneur, en l’écoutant comme un maître. « Afin qu’il vienne me trouver, parce que je l’attends avec nos frères ». Ceci est encore dit pour effrayer les Corinthiens. C’est afin qu’ils sachent que Timothée ne manquera pas de lui rapporter comment il aura été traité par eux, et que cette pensée les rende plus honnêtes à son égard, que l’apôtre ajoute : « Car je l’attends ». Il leur montre aussi par là même la considération dont Timothée est digne, puisque, devant faire un voyage, il l’attendait pour l’emmener avec lui ? de plus, c’était leur témoigner de la charité que de leur envoyer un homme qui lui était si utile. – « Pour ce qui est de mon frère Apollon, je l’ai fort prié devons aller voir avec quelques-uns de nos frères (32) ». Il paraît qu’Apollon était fort instruit et bien plus âgé que Timothée. Les Corinthiens auraient pu dire : Pourquoi donc nous a-t-il envoyé un jeune homme fait ? Saint Paul va au-devant de cette plainte en donnant à Apollon le nom de frère, et en leur disant qu’il l’a fort prié de les aller voir. Afin que l’on ne croie pas qu’il a préféré Timothée et que c’est pour cette raison qu’il n’a pas envoyé Apollon, ce qui aurait excité la jalousie, il ajoute : « Je l’ai fort prié d’y aller ». Quoi donc ? Apollon n’aurait pas cédé, n’aurait pas consenti ? Il aurait contesté, il aurait résisté ? Saint Paul ne dit pas cela ; il veut se disculper sans accuser Apollon, et il dit : « Mais enfin, il n’a pas cru devoir se rendre près de vous présentement ». Ensuite, afin qu’on ne dise pas : Ce n’est là qu’un subterfuge et un prétexte, il ajoute : « Il ira vous voir, lorsqu’il en trouvera l’occasion favorable ».
C’est là un mot d’excuse en faveur d’Apollon, qui a aussi pour effet d’adoucir le regret qu’avaient les Corinthiens de ne pas le voir venir, en leur faisant espérer qu’il viendrait bientôt. Puis il leur montre qu’ils doivent mettre l’espoir de leur salut non pas seulement dans leurs maîtres, mais surtout en eux-mêmes, et il dit : « Soyez vigilants, demeurez fermes dans la foi (13) ». Dans la foi, non dans la sagesse humaine ; ce né serait plus là se tenir fermes, mais se précipiter. Garder ta foi, c’est rester debout. – « Agissez en hommes de cœur ; armez-vous de force et de vigueur. Faites avec charité tout ce que vous faites (14) ». En parlant ainsi il semble les exhorter, mais dans le fond il leur reproche leur négligence. Leur dire comme il fait, de « veiller, de se retenir fermes, de montrer du courage et de la vigueur », d’agir en tout avec charité, c’est supposer qu’ils sommeillent, qu’ils sont chancelants, qu’ils sont amollis, qu’ils sont divisés. – « Veillez, et tenez-vous termes » est dit pour les mettre en garde contre les trompeurs, « soyez des hommes de cœur », contre ceux qui tendaient des pièges ; « faites avec charité tout ce que vous faites », contre ceux qui tentaient de les diviser, en factions, car la charité est le lien de toute perfection, ainsi que la racine et la source de tous les biens. Mais que veut dire cette parole : « Faites tout avec charité ? » C’est-à-dire : soit que vous repreniez, soit que vous commandiez, soit que vous obéissiez, soit que vous appreniez, soit que vous enseigniez, faites avec charité tout ce que vous faites. Cartons les désordres que l’apôtre combat, ne venaient que de ce qu’on avait négligé la charité. Si les Corinthiens l’eussent pratiquée avec plus de soin, ils n’auraient pas connu l’enflure du cœur et ils n’auraient pas dit : Moi je suis à Paul, moi je suis à Apollon. Avec la charité ils n’auraient point plaidé devant les tribunaux païens, ou plutôt ils n’auraient point plaidé du tout. Avec la charité, l’incestueux n’eût point touché la femme de son père ; les frères n’auraient point méprisé leurs frères qui étaient faibles, ils n’auraient point eu d’hérésies parmi eux, ils n’auraient pas tiré vanité des dons spirituels. Telle est la raison de cette parole : « Faites avec charité tout ce que vous faites ».
2. « Or vous connaissez », mes frères, « la maison de Stéphanas, vous savez qu’elle a été les prémices de l’Achaïe, et qu’elle s’est vouée au service des saints (15) ». Saint Paul avait parlé de Stéphanas dès le commencement de cette épître : « J’ai baptisé », dit-il, « la maison de Stéphanas ». (1Cor. 1,16) Il dit ici qu’elle est les prémices, non seulement de Corinthe, mais de toute la Grèce. Et ce n’est pas pour eux une petite gloire qu’ils aient été les premiers â embrasser la foi de Jésus-Christ. Dans l’épître aux Romains, Paul donne à quelques-uns un semblable éloge : « Ils ont été engendrés même avant moi en Jésus-Christ ». Il ne dit point ici qu’ils ont cru les premiers, mais qu’ils ont été les prémices, ce qui témoigne qu’après avoir reçu la foi, ils avaient mené une vie très vertueuse, montrant par leurs actions comme par des fruits excellents qu’ils étaient dignes de louange. Pour être appelés prémices, il leur fallait être meilleurs que les autres dont ils étaient les prémices, tel est donc le témoignage que saint Paul leur rend par cette parole. Car je le répète, ils n’avaient pas seulement cru sincèrement, mais ils avaient montré une très grande piété, une éminente vertu et beaucoup de zèle dans – la pratique de l’aumône. Il fait encore juger de leur piété d’une autre manière, en donnant à entendre que toute leur maison était remplie de sainteté ; que leur vie fût chargée d’une ample moisson de bonnes œuvres, la suite l’indique assez : « Ils se sont voués,», dit l’apôtre ; « au service des saints ». Vous entendez les louanges données à leur hospitalité. L’apôtre ne dit pas qu’ils servent mais, « qu’ils se sont voués au service » ; ils y ont consacré toute leur vie, ce service est devenu leur occupation, leur profession. « C’est pourquoi je vous supplie d’avoir pour eux la déférence due à des personnes de cette sorte (16) » ; c’est-à-dire de les secourir ; de les aider, de partager avec ; eux la dépense et les soins matériels nécessaires. Car leur peine sera Moins grande lorsqu’ils auront des aides, et l’avantage s’en répandra sur plus de personnes. Il ne dit pas simplement : « Travaillez avec eux », mais « Obéissez-leur en ce qu’ils vous commandent » ; et il entend parler d’une soumission profonde. Et pour que ceci ne ressemble pas à une faveur, il ajoute : « Ayez cette même déférence pour tous ceux qui : coopèrent à l’œuvre de Dieu », Que ce soit là, veut-il dire, Une loi commune, ce n’est pas un privilège que j’établis en leur faveur, mais que toute personne qui leur ressemblera jouisse des mêmes avantages. C’est pourquoi avant de les louer, il prend à témoin les Corinthiens eux-mêmes de ce qu’il va dire : « J’en appelle à vous ; vous connaissez la maison de Stéphanas ». C’est-à-dire : vous savez vous-mêmes comment ils travaillent, et vous n’avez pas besoin de l’apprendre de nous.
« Je me réjouis de l’arrivée de Stéphanas, de Fortunat et d’Achaïque, parce qu’ils ont suppléé ce que vous n’étiez pas à portée de faire par vous-mêmes. Car ils ont consolé mon esprit et le vôtre (17, 18) ». Comme il était naturel de supposer que les Corinthiens étaient irrités contre ceux-là, parce que chargés de consulter saint Paul touchant les vierges et les personnes mariées, ils lui avaient en même temps donné avis des disputes et des schismes qui les divisaient, l’apôtre fait tout ce qu’il peut pour les adoucir, en leur disant au commencement de cette épître : « J’ai appris par ceux qui sont de la maison de Chloë ». Il cache les autres et ne parle que de ceux-ci apparemment les autres l’avaient renseigné par le moyen de ceux-ci. Lorsqu’il dit : « Ils ont suppléé ce que vous n’étiez pas à portée de faire par vous-mêmes ; ils ont consolé mon esprit et le vôtre », il fait comprendre qu’ils étaient venus au lieu de tous, et que c’était dans l’intérêt de toute l’Église qu’ils avaient entrepris un si long voyage. Comment donc rendrez-vous commun à tous ce qui leur est propre ? Ce sera si vous compensez ce qui vous a manqué par l’affection que vous aurez pour eux, par l’honneur que vous leur rendrez, et par vos bons offices en les recevant charitablement, et en leur faisant part de vos biens. C’est pourquoi il dit : « Ayez de la considération pour de telles personnes ». En louant ceux qui sont venus, il n’oublie pas ceux qui les ont envoyés, il les comprend les uns et les autres dans le même éloge, en disant : « Ils ont consolé mon esprit et le vôtre ». Ayez donc une grande considération pour de telles personnes qui ont laissé pour votre service leur patrie et, leur maison. Admirez la prudence de l’apôtre ; il a soin de montrer que ces personnes ne l’avaient pas obligé lui seul, mais encore tous les Corinthiens, puisqu’ils s’étaient chargés des intérêts de toute la ville c’était un bon moyen pour les recommander, et pour empêcher les Corinthiens de s’éloigner d’eux, puisqu’en leurs personnes ils avaient tous paru devant saint Paul. « Toutes les Églises de l’Asie vous saluent (19) ». Saint Paul réunit toujours tous les membres de l’Église les uns avec les autres par le moyen de ces salutations. « Aquilas et Priscille vous saluent avec beaucoup d’affection en Notre-Seigneur ». Il demeurait chez eux étant faiseur de tentes comme eux. « Avec l’église qui est dans leur maison ». Grande gloire pour eux d’avoir fait de leur maison une église. « Tous nos frères vous saluent ; saluez-vous les uns les autres par un saint baiser (20) ». Ce n’est qu’en cet endroit que l’apôtre, au mot de salutation, ajoute celui de saint baiser. Pourquoi le fait-il ? Parce qu’il y avait chez les Corinthiens de profondes divisions et qu’ils disaient : « Je suis à Paul, je suis à Apollon, je suis à Céphas, je suis à Jésus-Christ » ; parce que l’un mourait de faim pendant que l’autre était ivre, parce qu’ils se livraient. Aux disputes, aux jalousies, aux procès. Ils se jalousaient aussi les uns les autres au sujet des dons spirituels, et ils en tiraient vanité. Ainsi après avoir travaillé à concilier leurs esprits par ses exhortations, il les prie naturellement de s’unir par un saint baiser. Le baiser unit étroitement, et de deux corps n’en fait plus qu’un. Ce mot de « saint » fait voir que le baiser doit être exempt de fraude et d’hypocrisie. « La salutation est de ma main à « moi Paul (21)». Ceci témoigne du soin avec lequel la lettre a été écrite. C’est encore ce qu’indique ceci : « Si quelqu’un n’aime pas Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème (22)».
3. Par cette seule parole, il effraye tous ceux qui rendaient leurs membres les membres d’une prostituée, ceux qui scandalisaient leurs frères en mangeant des viandes offertes aux idoles, ceux qui se disaient adeptes de tel ou tel homme, ceux qui ne croyaient pas à la résurrection, non seulement il les épouvante, mais il leur montre la voie de la vertu et la source du mal. Car, comme une charité forte et active éteint toutes les espèces de péchés et les détruit, de même une charité faible et languissante les fait tous naître. « Maran Atha ». Pourquoi ce mot ? pourquoi se servir d’un mot hébreu ? Parce que l’orgueil était le principe de tous les maux qu’il combattait. La sagesse humaine dont ce peuple se piquait était la cause de cet orgueil, d’où venait tout le mal et en particulier les schismes qui déchiraient l’Église de Corinthe. Pour mieux réprimer ce faste, l’apôtre ne veut pas même se servir d’un mot grée, mais il se sert d’un mot hébreu, montrant que loin de rougir de la simplicité et de la rudesse du langage, il s’en faisait gloire et l’affectait. Mais que signifie « Maran Atha ? » il signifie, Notre-Seigneur est venu. Et pourquoi dit-il cela ? Pour confirmer la foi de l’incarnation, d’où il tirait les preuves de la résurrection. De plus il voulait encore les faire rougir, comme s’il leur disait. Le Seigneur de tous s’est abaissé jusqu’à s’incarner, et vous, vous restez toujours dans le même état, vous persistez toujours dans le péché. Et vous ne tremblez pas à la pensée de la charité excessive de Dieu, principe de tous nos biens ! Songez-y seulement, et cela suffira pour vous faire avancer dans la vertu, et pour supprimer entièrement le péché.
« Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous (23) ». Il est d’un pasteur d’aider les âmes, non seulement de ses exhortations, mais de ses prières. « Ma charité est avec vous tous en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Amen. (24) ». Pour n’avoir pas l’air de les flatter en finissant par ce témoignage d’affections, il dit « en Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Son amour n’a rien d’humain, ni de charnel ; il est tout spirituel, et par conséquent très sincère. Le terme dont il se sert témoigne un vif amour. Séparé d’eux par la distance des lieux, il étend les bras de sa charité pour les embrasser de loin. Ma charité, dit-il, « est avec vous tous », c’est comme s’il disait : Je suis avec vous tous. Il ne pouvait mieux leur témoigner qu’il ne leur avait rien écrit par aigreur et par colère, mais uniquement par le zèle qu’il avait de leur salut, puisqu’après une si longue réprimande qu’il leur avait adressée, il ne ressentait contre eux aucune aversion, mais au contraire il les aimait et les embrassait malgré la distance par le moyen de ses lettres qui portaient au milieu d’eux son âme et son cœur. C’est ainsi que doit agir celui qui corrige les autres. Quand on corrige par un mouvement de colère, on satisfait simplement sa, passion. Mais quand après avoir corrigé celui qui pèche, on lui témoigne de la charité, on lui prouve par là que tout ce qu’on a dit pour réprimander, venait d’un sentiment d’affection.
Ayons soin, mes frères, de garder cet esprit de douceur en nous reprenant les uns les autres. Que l’on fasse des remontrances sans se fâcher, Autrement ce ne serait plus de la correction, mais de la passion. Que d’un autre côté celui qui est repris, ne se fâche pis ; on veut le guérir et non le blesser. Les médecins quelquefois appliquent le fer et le feu, et personne ne les condamne, quoiqu’ils n’arrivent pas toujours au point qu’ils s’étaient proposé ; et malgré la douleur que leur fait éprouver ce traitement, les malades reconnaissent pour leurs bienfaiteurs ceux qui les y soumettent ; combien celui qui reçoit une réprimande doit-il plus entrer dans ce sentiment, et regarder comme un médecin et non comme un ennemi la personne qui le corrige ? Et nous qui reprenons les autres, faisons-le avec beaucoup de douceur, avec beaucoup de tact. Si nous voyons faillir notre frère, suivons le conseil du Sauveur, ne rendons pas publique la réprimande que nous lui adressons, faisons-la seul à seul, sans paroles amères, sans insulter le pauvre malheureux, qui est par terre, mais avec douleur et en nous apitoyant sur son sort. Montrons-nous tout prêts à bien accueillir nous-même la réprimande toutes les fois que nous la mériterons par nos fautes.
Pour rendre plus clair ce que je dis, faisons une supposition. Car Dieu nous garde que ce que nous allons dire pour exemple devienne jamais quelque chose de réel ! Supposons qu’un de nos frères habite avec une vierge, il aura beau être honnête et chaste il n’évitera pas les mauvais bruits. Si donc vous entendez parler de cette cohabitation dans le monde, ne méprisez pas ceque l’on en dit. Ne dites point Est-ce que cet homme n’est pas sage, et, ne sait-il pas ce quilui est expédient ? Fais-toi aimer sans raison, mais sans raison ne te fais pas haïr, dit-on. Qu’ai-je affaire de m’attirer d’es inimitiés lorsque ce n’est point nécessaire ? Ce langage plein de délire conviendrait aux bêtes ou plutôt aux démons. Ce n’est pas s’exposer à l’inimitié sans raison que de s’y exposer pour faire une juste correction, puisqu’on y gagne les plus grands biens et d’ineffables récompenses. Si vous me dites : Mais quoi, cet homme n’a-t-il pas la raison pour se conduire ? Je vous répondrai qu’il ne l’a plus, et que l’enivrement de sa passion la lui a ôtée. Si devant les tribunaux civils ceux qui ont souffert une injustice sont incapables de parler pour eux-mêmes à cause de la colère qui les trouble, lorsque cependant ce n’est pas un trimé que de ressentir une injure, combien plus encore sera troublée la raison de ceux qui sont en proie à quelque habitude mauvaise ? Je soutiens donc que, quand même cet homme aurait de la raison autant et plus que vous ne dites, sa raison est au moins endormie maintenant. Quoi de plus sage que David, qui disait à Dieu : « Vous m’avez révélé les secrets de votre sagesse ». (Ps. 50,8) Cependant lorsqu’il eut regardé avec des yeux injustes la femme d’Urie, alors, selon ce qu’il dit lui-même, il lui arriva ce qui arrive d’ordinaire aux navigateurs lorsque la mer devient furieuse : « Toute sa sagesse fut engloutie ». (Ps. 106,27) Et il fallut qu’une main étrangère viril ; le, sauver de ce naufrage, car pour lui, il ne s’apercevait pas même qu’il était tombé au fond de l’abîme. C’est pourquoi, en déplorant ses péchés, il disait : « Mes iniquités, comme un lourd fardeau, se sont appesanties sur moi : La pourriture et la corruption sont entrées dans mes plaies à cause de mon ignorance ». (Ps. 37,5-6)
4. Ainsi donc celui, qui pèche n’a point sa raison ; il est plongé dans l’ivresse, et dans les ténèbres. Ne dites donc pas qu’il est assez sage pour se conduire ; ne dites pas non plus : « Ce n’est point là mon affaire, chacun portera son fardeau ». (Gal. 6,5) C’est un grand, péché pour vous, lorsque voyant quelqu’un qui s’égare, vous ne le remettez pas dans la bonne voie. Si d’après la loi des Juifs il n’était pas permis de laisser périr, sans lui porter secours, la bête de somme de son ennemi, quel pardon pourra espérer celui qui voit périr sans s’en mettre en peine ; non la bête de somme ni même l’âme de son ennemi, mais l’âme de son ami ? Il ne suffit pas pour nous excuser que cet homme ait sa raison ; puisque nous qui avons l’habitude d’exhorter les autres, nous ne pouvons nous suffire à nous-mêmes, de sorte que nous avons besoin de recourir aux lumières, des autres. Lors donc que quelqu’un pèche, considérez qu’il est plus naturel qu’il reçoive de vous que de lui-même le bon conseil dont il a besoin, et ne dites pas : Qu’ai-je besoin de me mêler de cela ? Craignez de dire cette parole en vous souvenant de celui qui le premier a osé dire-: « Suis-je le gardien de mon frère ? » Ce dernier mot équivaut à celui-là. Tous nos maux viennent précisément de ce que nous traitons comme étrangers les membres de notre corps. Que dites-vous ? Vous n’avez pas à vous occuper de votre frère ? Mais qui donc s’en occupera ? Sera-ce l’infidèle, lui qui se réjouit de sa chute et y insulte avec outrage ? Sera-ce le démon, lui qui le pousse et le fait tomber ?
Mais, dites-vous, je donne les conseils qu’il faut, et ce que je dis ne sert à rien. – Et comment savez-vous que cela ne sert à rien ? N’est-il pas de la dernière folie, lorsque l’événement est incertain, de s’exposer à un péché certain de paresse et de négligence ? Dieu lui-même qui connaît l’avenir, n’a-t-il pas souvent donné des avertissements qui ont été inutiles ? Cependant les a-t-il moins donnés, quoiqu’il sût qu’on ne les écouterait pas ? Si donc Dieu ne laisse pas que de donner des avertissements qu’il prévoit devoir rester inutiles, quelle sera votre excuse, vous qui ignores absolument l’avenir et qui néanmoins vous laissez aller à la défaillance et à la torpeur ? Beaucoup pour avoir essayé ont réussi ; souvent même c’est lorsqu’on a le plus lieu de désespérer que l’on obtient le succès le plus complet. Et quand même vous travailleriez en vain, vous feriez au moins ce que vous devez. Ne soyez donc point inhumain, sans entrailles, négligent. Car ces excuses que vous donnez sont des marques de votre cruauté et de votre négligence, lugez-en vous-même. Pourquoi, en effet, lorsqu’un membre de votre corps souffre, ne dites-vous pas : Qu’ai-je affaire de m’en occuper ? Et qu’est-ce qui me prouve que si je m’en occupais, il guérirait ? Même en supposant que vous n’atteindrez pas le but, ne faites vous pas tout au monde pour n’avoir pas à vous reprocher d’avoir rien négligé de ce qui devait être fait ? Est-il juste, quand on prend tant de soin des membres de son corps, de négliger les membres de Jésus-Christ ? Est-ce même pardonnable ? Car si je ne puis vous fléchir en vous disant : Ayez soin de votre propre membre ; je rappelle en votre mémoire le corps de Jésus-Christ, afin que la crainte au moins vous fasse rentrer dans votre devoir. Comment ! voir sa propre chair tomber en pourriture et n’en être nullement ému ! N’est-ce pas une nonchalance à faire frémir ? Vous auriez un de vos esclaves, vous n’auriez même qu’une bête de somme en cet état, que vous n’auriez pas le cœur d’y rester indifférent. Et lorsque le corps de Jésus-Christ même est rempli de pourriture, vous le négligez ? Ne vous rendez-vous pas digne de toutes les foudres du ciel ? C’est par là que tout est mis sens dessus dessous dans le monde, je veux dire par cette inhumanité, cette insouciance cruelle.
Je vous conjure donc, rues frères, de renoncer à cette dureté. Allez trouver cet homme qui habite avec une vierge ; faites-lui compliment pour ses bonnes qualités ; adoucissez son mal au moyen de la louange, comme vous feriez une tumeur avec de l’eau tiède. Gémissez sur vous-même, faites le procès à tous les fils d’Adam, montrez que nous sommes tous pécheurs ; demandez-lui pardon, dites-lui que vous vous chargez d’une affaire qui est au-dessus de vous, mais que la charité fait tout oser. Ensuite, pour donner votre avis, prenez un ton qui n’ait rien d’impérieux, mais qui soit tout fraternel. Lorsque vous aurez de la sorte adouci la tumeur enflammée qui est dans son âme et calmé d’avance la douleur que doit causer l’incision de la remontrance que vous avez à lui faire ; lorsque vous vous serez plus d’une fois excusé, et que vous l’aurez supplié de ne pas se fâcher, lorsque vous l’aurez comme lié par toutes ces précautions, alors portez le coup, en ayant soin de n’enfoncer ni trop ni trop peu le fer, de peur que d’un côté ; si la plaie est peu sensible, il ne la méprise, ou que de l’autre, si elle est trop profonde, il ne se révolte. D’une manière comme de l’autre, ce serait manquer le but.
C’est pourquoi après avoir donné le coup, mêlez encore les louanges avec les réprimandes que vous faites. Et parce que son action ne peut être louée pour elle-même, puisqu’on ne peut approuver qu’un homme vive ainsi avec une jeune fille, louez-le au moins de l’intention qu’il dit avoir eu en cela. Je sais bien, lui direz-vous, que c’est en vue de Dieu que vous agissez, que l’état d’abandon et le manque de protection où vous avez vu cette pauvre créature vous ont déterminé à lui tendre une main secourable. Bien que vous soyez convaincu que son intention est tout autre, parlez-lui néanmoins de la sorte ; après cela recommencez encore à vous excuser, dites : Ce n’est point pour vous rien commander que je parle ainsi, c’est pour vous représenter simplement les choses. C’est en vue de Dieu que vous agissez, je n’en doute pas ; mais prenons garde qu’il n’en résulte un autre mal. S’il n’en peut résulter aucun, rien de mieux, retenez-la chez vous, continuez une charité si louable, personne ne s’y opposera. Mais s’il en devait sortir plus de mal que de bien, gardons-nous, je vous prie, en voulant soulager une âme, d’en scandaliser mille. Ne lui mettez pas néanmoins brusquement devant les yeux les châtiments réservés à ceux par qui le scandale arrive ; mais prenez-le à témoin lui-même, et dites-lui par exemple : Vous n’avez pas besoin que je vous apprenne ces choses, vous savez vous-même quelle terrible menace a été lancée contre celui qui aura scandalisé un de ces petits. Après tous ces ménagements de paroles, ces précautions pour prévenir la colère, appliquez la remontrance et la correction. S’il alléguait encore l’abandon où se trouve la jeune fille, ne lui prouvez pas encore que ce n’est là qu’un prétexte, mais dites-lui : Ne craignez rien, vous aurez une justification suffisante dans le scandale que cela cause. Car ce n’est point parce que votre charité s’est refroidie, c’est par égard pour les autres que vous vous serez séparé de cette jeune fille.
5. Du reste, sur le chapitre des conseils, soyez bref ; il n’a pas besoin d’une longue instruction, mais ne craignez pas d’accumuler les excuses. Rejetez-vous souvent sur la charité, adoucissez ce que la remontrance a de naturellement dur, faites-le juge lui-même de la question, dites : Quant à moi, voilà le conseil que je vous donnerais, mais c’est à vous de décider, vous êtes le maître. Je ne veux pas gêner votre liberté, mais je m’en rapporte à votre sentiment. – Si nous savions user de ces ménagements dans nos réprimandes, nous pourrions aisément corriger ceux qui pèchent, mais notre manière d’agir en ces circonstances est plus digne des brutes que des hommes. Quand quelques-uns ont remarqué un péché de ce genre, ils se gardent bien d’en souffler mot à celui qui s’en rend coupable, mais ils en chuchotent entre eux comme des vieilles femmes ivres. Alors le proverbe Faites-vous aimer sans raison, mais sans raison ne vous faites point haïr, n’est plus de mise. On veut contenter sa passion de médire, et alors on ne se met plus en peine de se faire haïr sans raison, on va plus loin, on brave le châtiment qu’encourt la médisance. Est-il question de corriger, alors on n’a plus à la bouche que le proverbe ci-dessus, et mille autres prétextes aussi vains : C’était lorsque vous médisiez, lorsque vous calomniiez qu’il fallait dire et « ne vous faites pas haïr sans raison », et « cela ne sert à rien », et « que m’importe ». Mais au contraire, c’est alors que vous êtes curieux à l’excès, et que vous vous mêlez de mille choses qui ne vous regardent point ; alors vous ne craignez plus ni la haine ni tous les maux possibles. Quand il faut s’occuper du salut de son frère, on se pique de n’être ni indiscret, ni importun. Cependant la médisance produit la haine de Dieu et des hommes, mais on ne s’en inquiète guère ; tandis que les conseils donnés en particulier, et que les remontrances présentées charitablement vous procureraient l’amitié et des hommes et de Dieu. Que si celui que vous avertissez vous prend en, haine, Dieu vous en aimera davantage. Et même celui que vous aurez repris ne vous haïra pas autant que si vous le déchiriez en secret ; au contraire, s’il s’aperçoit que vous le décriez en cachette, il vous détestera comme son ennemi mortel, mais après vos remontrances, il vous respectera comme un père. Il pourra même arriver qu’il s’irrite ouvertement, et que dans le fond de son âme il vous sache gré de ce que vous lui aurez dit.
6. Pensons à ces vérités, mes frères, ayons soin de nos propres membres. N’aiguisons point nos langues les uns contre les autres. Ne disons point de paroles de perdition. Ne minons pas sourdement la réputation du prochain, ne faisons pas du monde un – champ de bataille où sans cesse les uns blessent et les autres sont blessés. À quoi servent les jeûnes et les veilles, si la langue est toujours ivre, si elle mange à une table plus immonde que si l’on y servait de la chair de chien, si elle ne se rassasie que de sang, si elle verse la corruption, si elle fait de la bouche comme le conduit d’un cloaque, et même quelque chose de plus abominable ? La puanteur matérielle nuirait seulement au corps, mais celle qui s’exhale de la médisance, est capable de suffoquer l’âme. Je ne dis pas ceci dans l’intérêt de ceux qui, souffrant la calomnie avec courage, méritent la couronne céleste, je le dis dans l’intérêt des médisants et des calomniateurs. Les saintes Écritures déclarent bienheureux le juste qui est en butte a la calomnie ; mais elles excluent des saints mystères et même dé l’enceinte de l’église celui qui dit du mal des autres. « Celui qui médisait en secret de son prochain », est-il dit, « je le persécutais ». (Ps. 100,5) Elles le déclarent indigne de lire les livres sacrés : « Pourquoi racontes-tu mes justices, pourquoi ta bouche ose-t-elle redire mon alliance ? » (Ps. 49,16) Écoutez le motif de cette exclusion : « Tu t’asseyais à l’écart pour parler contre ton frère ». (Id. 20) Les saintes Écritures ne distinguent pas si le mal que l’on dit est vrai ou faux ; ailleurs, elles défendent expressément de dire du mal, quand même on dirait vrai. « Ne jugez point », dit Jésus-Christ, afin « que vous ne soyez point jugés ». (Mt. 7,1) Il condamna aussi le pharisien qui médisait du publicain, bien qu’il ne dît que la vérité.
Quoi donc, dira-t-on, si quelqu’un se montre aussi audacieux que pervers, il nous sera interdit de le redresser, de l’accuser ? Accusez-le, corrigez-le, mais que ce soit comme j’ai dit plus haut. Si vous le faites avec des reproches ou des injures, prenez garde, en imitant le pharisien, d’avoir le même sort que lui. Ce genre de réprimande n’est utile à personne, ni à vous qui la faites, ni à celui qui en est l’objet. Celui-ci en devient au contraire plus effronté. Tant que ces désordres restent secrets, il sait au moins rougir, mais dès qu’il se voit démasqué, il secoue ce dernier frein. Celui devant qui vous décriez votre frère, en éprouvera lui aussi un grave préjudice. S’il a conscience d’avoir fait de bonnes actions, il s’enfle, il s’élève aux dépens de l’autre. S’il est pécheur, il se jette dorénavant plus résolument dans le vice. À son tour, le médisant donne une mauvaise opinion de lui-même à celui qu’il prend pour confident, et il attire sur sa tête la colère de Dieu.
C’est pourquoi, je vous en conjure, abstenons-nous de toute parole mal sonnante. Ne prononçons que des paroles bonnes pour l’édification. – Mais, dites-vous, il faut que je rue venge de cet homme ? – Vengez-vous plutôt de vous-même. Vous voulez vous venger de ceux qui vous font de la peine, vengez-vous selon – la manière que conseille saint Paul : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire ». (Rom. 12,20) Si vous ne faites pas ainsi, si vous ne voulez que tendre des embûches, c’est contre vous-même que vous tournez l’épée. Si l’on médit de vous, donnez des éloges en retour de cette manière vous vous vengerez, et vous vous mettrez à l’abri de tout mauvais soupçon. Celui que la médisance afflige, donne lieu de croire que son affliction vient de sa mauvaise conscience. Celui qui se rit de tout ce qu’on peut dire, donne la plus grande preuve de l’intégrité de sa conscience. Puis donc gaie par vos médisances vous n’êtes utile ni à celui qui les écoute, ni à vous-même, ni à celui qui en est l’objet, puisque vous tirez l’épée contre vous-même, songez-y du moins et soyez plus réservé. La considération du royaume céleste et de la volonté de Dieu devrait suffire pour volis déterminer, mais puisque vous êtes si grossier dans vos sentiments, puisque vous mordez comme une bête féroce, que ceci au moins vous instruise et vous corrige, afin que, amendé par ces motifs, le seul désir de plaire à Dieu vous retienne ensuite dans le devoir. Et quand vous serez ainsi au-dessus de toutes les passions, vous obtiendrez le royaume des cieux, que je prie Dieu de nous accorder à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, la puissance, et l’honneur, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. JEANNIN. ==FIN DE NEUVIÈME VOLUME.==

  1. Άφνειὸν τε Κόρινθον, dit Homère, Iliade, B, v. 570. Et après lui Thucydide, 1,13, remarque que Corinthe dut ce nom à son opulence. Ce passage d’Homère est cité par Strabon, liv. VIII.
  2. Périandre.
  3. Voir la préface.
  4. 1Cor. 16,15.
  5. ou plutôt de Mélos, sur ces athées, voir Cicéron de natura deorum, liv. 1, chap. I et XXIII.
  6. La Vulgate porte : nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés. Ces deux textes subsistent tous deux, ils ne s’excluent point, loin de là, ils disent la même chose, et la contradiction n’est qu’apparente.
  7. Dans Is. 64, 1 ss
  8. Ou du mystère de l’Incarnation.
  9. Le feu du purgatoire, interprétation plus naturelle donnée par les autres Pères, et admise par le concile de Florence (dernière session).
  10. Les paroles de cette citation n’ont pas été dites pu l’apôtre Pierre au centurion Corneille, mais par saint Paul aux habitants de Lystre. Il y a donc ici un lapsus memoriae ou bien une lacune dans le texte.
  11. Allusion à l’état de saint Paul avant sa conversion.
  12. Il ne dit pas seulement : καθάρατε, mais έχχαθάρατε.
  13. Je suppose que c’est une allusion au texte de Lévitique, chap. 19,19.
  14. Ces paroles de Job qui témoignent de son désespoir, ne se rencontrent pas dans les exemplaires que nous possédons actuellement. Elles sont néanmoins susceptibles d’une interprétation adoucie et conforme au vrai et au bien. Si je pouvais peut s’entendre dans le sens de s’il m’était permis, si je pouvais sans pécher.
  15. La phrase grecque présente, à cause de cet  Έπάνω, un double sens que la traduction ne peut rendre.
  16. La pensée de saint Jean Chrysostome est, d’une manière générale, parfaitement claire ; mais il y a, dans les détails, une certaine confusion par la manière dont le saint Évêque cite, en les modifiant, les paroles analogues du verset 25 et 26.