Théorie des nombres irrationnels, des limites et de la continuité/Texte entier

THÉORIE
DES
NOMBRES IRRATIONNELS,
DES LIMITES
ET DE LA CONTINUITÉ
PAR
René BAIRE
MAÎTRE DE CONFÉRENCES À l’UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER

PARIS
VUIBERT ET NONY, ÉDITEURS
63, Boulevard Saint-Germain, 63

1905
(Tous droits réservés.)
THÉORIE
DES NOMBRES IRRATIONNELS,
DES LIMITES ET DE LA CONTINUITÉ



INTRODUCTION


La nécessité s’impose, au début de tout cours d’Algèbre supérieure ou d’Analyse, de définir avec précision les nombres irrationnels, et de montrer rigoureusement que les règles de calcul algébrique, démontrées en Algèbre élémentaire pour le cas des nombres rationnels, s’appliquent encore aux nouveaux nombres. Les procédés employés pour faire cette extension sont nombreux, et peut-être s’étonnera-t-on d’en voir publier un de plus. Toutefois, un simple coup d’œil jeté sur le sommaire du présent ouvrage montrera, je pense, que mon plan diffère assez notablement de ceux qui sont généralement suivis. Sauf erreur de ma part, ce plan est nouveau ; je dois tout d’abord essayer de le justifier.

Les méthodes courantes pour l’introduction des nombres irrationnels se rattachent à deux principales : l’une repose sur la notion de coupure, l’autre sur la notion de suite convergente ; dans l’une et l’autre, une fois les nombres irrationnels introduits, on se préoccupe immédiatement de leur étendre les quatre opérations arithmétiques. Je procède différemment à cet égard : j’ajourne l’étude de ces quatre opérations, sauf la différence, à laquelle je fais une place à part, parce qu’elle joue dans toute la théorie un rôle prédominant, comme une simple réflexion le montre : la notion de différence est en effet la forme précise de la notion vague de rapprochement, de voisinage, qui domine nécessairement toute étude où il s’agit du continu ; or, le rôle des nombres irrationnels est précisément de servir à construire le continu, en comblant les lacunes que présente l’ensemble des nombres rationnels. L’ordre classique des quatre règles : addition, soustraction, multiplication, division, qui est le seul logique en arithmétique, ne s’impose plus lorsqu’il s’agit des nombres irrationnels. Au contraire, en me bornant, comme je le fais, à définir la différence (V), j’ai tout ce qu’il faut pour établir le célèbre théorème de Cauchy (condition nécessaire et suffisante pour qu’une suite ait une limite) ; à l’aide de ce théorème et de quelques autres analogues (VI), j’établis, sous le nom de principe d’extension (IX), une proposition générale d’où résultent comme cas particuliers les définitions de la somme, du produit, du quotient de deux nombres [ainsi que, un peu plus loin (XIII), la définition de ]. Ces notions se trouvent ainsi définies en bloc, et, ce qui est plus important encore, la justification des règles de calcul algébrique se fait également en bloc (X), au lieu d’exiger un raisonnement spécial pour chaque règle.

D’ailleurs, la notion de différence elle-même n’est pas indispensable pour définir la notion générale de limite. C’est là un fait masqué par l’habitude invétérée d’écrire : , , là où il suffit de dire : tout nombre inférieur, tout nombre supérieur à . Cette remarque n’a pas seulement, à mon avis, un simple intérêt de curiosité : certains raisonnements sur les limites me paraissent plus faciles à saisir en adoptant la forme de définition que je donne au § 12, basée simplement sur la notion d’ensemble ordonné.

Dans le même ordre d’idées, je crois avantageux de définir les bornes supérieure et inférieure d’un ensemble, immédiatement après avoir défini les nombres irrationnels. Cette manière de faire permet de substituer tout de suite et définitivement à la notion de coupure la notion plus générale et plus maniable de borne d’un ensemble : on remarquera que, après la Section II, il n’est plus fait aucun usage de la notion de coupure sous sa forme primitive.

J’estime enfin qu’il n’y a pas intérêt à ajourner la définition d’un mot, lorsqu’on se sert déjà depuis longtemps de la chose que ce mot représente ; c’est pourquoi j’introduis le plus tôt possible les notions de fonction et de continuité (VII). La notion de fonction est déjà impliquée dans la notion d’opération, et rien n’oblige de considérer les fonctions d’une seule variable comme plus simples que les fonctions de plusieurs variables ; c’est plutôt le contraire qui est vrai, car la première fonction que chacun a vue, c’est la somme de deux nombres entiers.

En définitive, je me suis efforcé d’ordonner les différentes matières que je traite de manière à éviter les redites et à n’utiliser autant que possible, comme propositions intermédiaires, que des théorèmes ayant leur place marquée en mathématiques.

Je me suis placé au point de vue de l’Analyse pure ; mais il est certainement avantageux, dans l’enseignement, d’éclairer une théorie aussi abstraite par une image géométrique (points sur une droite indéfinie). Il sera facile, sans rien changer à l’ordre suivi, de compléter la théorie à cet égard.


THÉORIE DES NOMBRES IRRATIONNELS,
DES LIMITES ET DE LA CONTINUITÉ




SOMMAIRE

I. Définition des nombres irrationnels.II. Bornes supérieure et inférieure d’un ensemble.III. Limite d’une suite de nombres.IV. Valeurs approchées d’un nombre.V. Différence de deux nombres.VI. Théorèmes sur les limites.VII. Notions de fonction et de continuité.VIII. Fonctions d’arguments rationnels.IX. Principe d’extension.X. Extension du calcul algébrique.XI. Théorèmes sur les fonctions continues.XII. Fonctions inverses.XIII. Définition des fonctions , , , .



I

DÉFINITION DES NOMBRES IRRATIONNELS

1. Rappelons les propriétés suivantes de l’ensemble des nombres rationnels :

1o De deux nombres rationnels différents, l’un est plus petit que l’autre ; si sont trois nombres rationnels tels que , , on a . Ces faits s’expriment en disant que l’ensemble des nombres rationnels est ordonné.

2o  étant rationnel, il y a une infinité de nombres rationnels inférieurs à , et aucun d’eux n’est supérieur à tous les autres ; il y a une infinité de nombres rationnels supérieurs à , et aucun d’eux n’est inférieur à tous les autres ; si et sont rationnels et si , il y a une infinité de nombres rationnels tels que .


2. On dit qu’on effectue une coupure dans l’ensemble des nombres rationnels si l’on partage cet ensemble en deux classes telles que tout nombre de la première est inférieur à tout nombre de la seconde. Il ne peut se présenter alors que l’un des trois cas suivants :

1o Dans la première classe existe un nombre supérieur à tous les autres. Soit ce nombre : tout nombre de la première classe est . Tout nombre de la seconde est , puisque est de la première.

Un nombre rationnel ne peut faire partie de la seconde classe, sans quoi il serait  ; donc il fait partie de la première.

Ainsi, la première classe est l’ensemble des nombres rationnels  ; par suite, la seconde est l’ensemble des nombres rationnels  : elle ne contient pas de nombre inférieur à tous les autres.

2o L’hypothèse du cas 1o n’est pas réalisée, c’est-à-dire qu’il n’y a pas dans la première classe de nombre supérieur à tous les autres ; mais on suppose qu’il existe dans la seconde un nombre inférieur à tous les autres. On reconnaît que la première classe est l’ensemble des nombres rationnels , la seconde est l’ensemble des nombres rationnels .

Les cas 1o et 2o sont évidemment réalisables.

3o Aucune des hypothèses 1o et 2o n’est réalisée. C’est donc que la première classe ne renferme pas de nombre supérieur à tous les autres, et que la seconde ne renferme pas de nombre inférieur à tous les autres.


3. Montrons qu’on peut réaliser le cas 3o.

On sait qu’il n’existe aucun nombre rationnel tel que , et que, étant donné un nombre positif rationnel , il est possible de trouver deux nombres positifs rationnels et tels que

avec
,.

Rangeons dans une première classe les nombres négatifs, nul, et les nombres positifs pour lesquels , dans une seconde classe les nombres positifs pour lesquels . On a effectué ainsi une coupure, car tout nombre rationnel fait partie de l’une des deux classes, et tout nombre de est inférieur à tout nombre de .

Il n’y a pas dans de nombre supérieur à tous les autres, c’est-à-dire que si appartient à , on peut trouver dans un nombre . Il suffit évidemment d’examiner le cas où est positif. On a  ; prenons rationnel et positif tel que  ; on peut trouver tel que avec . On aura , d’où , , et appartient à .

De même, il n’y a pas dans de nombre inférieur à tous les autres, car si appartient à , on a  ; soit rationnel tel que  ; on peut trouver tel que avec , d’où , d’où , et appartient à .

On peut réaliser le cas 3o de telle sorte que, et étant deux nombres rationnels donnés (), fasse partie de la première classe et de la seconde. Remarquons que, dans l’exemple précédent, fait partie de , fait partie de . Cela posé, rangeons dans une classe les nombres rationnels tels que fait partie de , dans une classe les nombres rationnels tels que fait partie de . Comme il y a équivalence entre les conditions

et,

on voit que tout nombre de est inférieur à tout nombre de , qu’il n’y a pas dans de nombre supérieur à tous les autres, ni dans de nombre inférieur à tous les autres ; de plus, contient , contient .


4. Quand une coupure remplit les conditions du cas 3o, on convient de dire qu’elle définit un nombre irrationnel , qui est, par définition, supérieur à tous les nombres de la première classe, inférieur à tous les nombres de la seconde.

Nous dirons que l’ensemble des nombres rationnels et irrationnels constitue l’ensemble des nombres réels ou, simplement, des nombres.

En résumé, une coupure étant effectuée dans l’ensemble des nombres rationnels, il y a un nombre réel auquel tout nombre de la première classe est inférieur ou égal, et auquel tout nombre de la seconde classe est supérieur ou égal. Nous dirons que ce nombre est défini par la coupure considérée.


5. D’après la définition du nombre irrationnel , on reconnaît que, si et désignent deux nombres rationnels :

Les conditions , entraînent  ;

Les conditions , entraînent  ;

Les conditions , entraînent .

Si , il y a des nombres rationnels (en nombre infini) tels que .

Si , il y a des nombres rationnels (en nombre infini) tels que .


6. Soient deux nombres irrationnels et  ; soient , les première et seconde classes correspondant à , et les première et seconde classes correspondant à . Il y a trois cas possibles :

1o  et sont identiques ; il en résulte que et sont aussi identiques. Les nombres et sont définis par la même coupure ; nous dirons qu’ils sont égaux : .

2o Il y a dans un nombre qui n’est pas contenu dans . Ce nombre appartient à et n’appartient pas à . Tout nombre de est inférieur à , qui appartient à , et comme , appartenant à , est inférieur à tout nombre de , il en résulte que tout nombre de est inférieur à tout nombre de . Par suite, et n’ont aucun élément commun ; tous les nombres de font partie de , tous les nombres de font partie de . Un nombre rationnel ne peut se comporter, par rapport à et , que de trois manières :

I. fait partie de , par suite de  ; on a

,.

II. fait partie de et de  ; on a

,.

Cette catégorie comprend au moins le nombre  ; elle comprend une infinité de nombres, car il y a, dans , dont fait partie , un nombre , soit  ; tous les nombres rationnels compris entre et font partie de cette catégorie.

III. fait partie de , par suite de  ; on a

,.

Par définition, nous dirons qu’on a

.

3o Il y a dans un nombre qui n’est pas contenu dans . Ce cas ne diffère du précédent que parce que les rôles des nombres et sont permutés ; nous dirons qu’on a

.

De cette étude et des définitions données, il résulte que, si et sont deux nombres irrationnels :

Pour que , il faut et il suffit que tout nombre rationnel inférieur à l’un de ces nombres soit inférieur à l’autre ;

Pour que , il faut et il suffit qu’il existe un nombre rationnel tel que

,.


7. L’ensemble des nombres réels est ordonné, c’est-à-dire que, si , sont trois nombres réels tels que

,,

on a

.

Ces faits se trouvent établis : 1o dans le cas où les trois nombres sont rationnels (§ 1) ; 2o dans le cas où un seul des trois nombres est irrationnel (§ 5) ; 3o dans le cas où le nombre intermédiaire est rationnel, les autres étant tous deux irrationnels (§ 6) ou non (§ 5). Dans le cas général, prenons deux nombres rationnels , tels que

,,,.

De , , on déduit .

De , , on déduit .

De , , on déduit .

Entre deux nombres réels différents existent des nombres rationnels ; cela est vrai quand les deux nombres sont rationnels (§ 1), quand l’un des deux est rationnel et l’autre irrationnel (§ 5), et enfin quand ils sont tous deux irrationnels (§ 6). Entre deux nombres réels différents existent aussi des nombres irrationnels : on prend d’abord, entre les deux nombres donnés, deux nombres rationnels et  ; le second exemple du § 3 montre qu’il y a entre et un nombre irrationnel.


8. Les nombres irrationnels supérieurs à 0 sont dits positifs, ceux qui sont inférieurs à 0 sont dits négatifs. Soit un nombre irrationnel positif ; soient et les première et deuxième classes correspondantes. Appelons l’ensemble des nombres opposés[1] à ceux de , l’ensemble des nombres opposés à ceux de  : on a ainsi une coupure, la première classe n’a pas d’élément supérieur à tous les autres, n’a pas d’élément inférieur à tous les autres ; il y a donc un nombre irrationnel supérieur aux nombres de , inférieur aux nombres de . Comme 0 est contenu dans et par suite dans , est négatif. Nous dirons que est le nombre opposé à . On écrira

, ;

on dira, comme pour le cas des nombres rationnels, que et ont pour valeur absolue commune  :

.

Il est évident que entraîne , que entraîne , quels que soient et .




II

BORNES SUPÉRIEURE ET INFÉRIEURE D’UN ENSEMBLE

9. Soit un ensemble quelconque de nombres réels. Un nombre rationnel peut se comporter, par rapport à , de deux manières :

1o  est inférieur ou égal à un nombre de  ;

2o  est supérieur à tous les nombres de .

Il y a certainement des nombres rationnels vérifiant la condition 1o. Si aucun nombre rationnel ne vérifie la condition 2o, c’est qu’il existe dans des nombres supérieurs à tout nombre rationnel (et par suite à tout nombre réel) ; nous dirons alors que est illimité supérieurement.

Dans le cas contraire, l’ensemble est dit borné supérieurement ; les nombres rationnels se partagent alors en deux classes, la première composée des nombres vérifiant 1o, la seconde composée des nombres vérifiant 2o ; ce partage constitue une coupure, car tout nombre de la première classe est inférieur ou égal à un certain nombre de , lequel est inférieur à tout nombre de la seconde classe. Le nombre réel , défini par cette coupure (§ 4), est dit la borne supérieure[2] de l’ensemble . Il possède les deux propriétés suivantes :

1o Tout nombre de est inférieur ou égal à .

2o Si est un nombre inférieur à , il y a dans un nombre supérieur à .

La propriété 1o résulte de ce qu’il est impossible qu’un nombre de surpasse , car alors un nombre rationnel tel que appartiendrait à la seconde classe relative à , tout en étant inférieur à un nombre de , ce qui est impossible. La propriété 2o résulte de ce que, si , un nombre rationnel tel que appartient à la première classe, donc il y a dans un nombre supérieur ou égal à , par suite supérieur à .

Ces deux propriétés ne peuvent appartenir qu’au seul nombre , car un nombre inférieur à ne vérifie pas 1o, un nombre supérieur à ne vérifie pas 2o.

De la double propriété caractéristique du nombre résultent les conséquences suivantes :

Dans le cas où l’ensemble contient un nombre plus grand que tous les autres, est égal à ce nombre.

Si est un ensemble contenu dans , la borne supérieure de est inférieure ou égale à la borne supérieure de .

Si tous les nombres d’un ensemble sont inférieurs ou égaux à un nombre , il en est de même de la borne supérieure de .

Un nombre quelconque est la borne supérieure de l’ensemble des nombres inférieurs à .


10. On établit de même les propositions suivantes :

Étant donné un ensemble de nombres , ou bien il y a dans des nombres inférieurs à tout nombre réel, l’ensemble est dit alors illimité inférieurement ; ou bien il y a des nombres inférieurs à tous les nombres de , qui est alors dit borné inférieurement. Dans ce second cas, il existe un nombre qui est dit la borne inférieure de , et qui est caractérisé par la double propriété suivante :

1o Tout nombre de est supérieur ou égal à  ;

2o Si est un nombre supérieur à , il y a dans un nombre inférieur à .

Si contient un nombre plus petit que tous les autres, est égal à ce nombre.

Si est un ensemble contenu dans , la borne inférieure de est au moins égale à la borne inférieure de .

Si tous les nombres de sont supérieurs ou égaux à un nombre , il en est de même de la borne inférieure de .

Quand un ensemble est borné à la fois supérieurement et inférieurement, on dit qu’il est borné.


11. Au lieu de dire qu’un ensemble est illimité supérieurement, nous conviendrons de dire qu’il a pour borne supérieure  ; et de même nous dirons qu’un ensemble a pour borne inférieure , s’il est illimité inférieurement. Tout se passe alors comme si, à l’ensemble des nombres réels (que nous appellerons nombres finis), on adjoignait deux éléments : l’un, , supérieur par définition à tout nombre réel ; l’autre, , inférieur à tout nombre réel. Nous désignerons par l’ensemble augmenté des éléments , , qui seront dits nombres infinis et seront considérés comme opposés l’un à l’autre ; d’après les conventions faites, est ordonné. Nous considérerons quelquefois des ensembles pouvant comprendre des éléments quelconques de . On peut dire à ce sujet qu’un ensemble d’éléments appartenant à a toujours une borne supérieure et une borne inférieure, qui sont des éléments de . Le mot nombre, employé seul, signifiera un nombre fini.




III

LIMITE D’UNE SUITE DE NOMBRES

12. Nous considérerons des suites infinies de nombres telles que

(1)

On dit qu’une telle suite a pour limite le nombre (ou encore que tend vers quand croît indéfiniment) si, quels que soient les nombres et satisfaisant aux conditions

(2)

,

il y a un entier tel que, pour , on a

(3)

.

Nous donnerons quelquefois une portée plus grande à la notion de limite, en supposant que peut être un élément quelconque de (§ 11) ; ainsi, peut être égal à (auquel cas il n’y a pas lieu de considérer de nombre ), ou à (auquel cas il n’y a pas de nombre ).

Nous dirons que la première définition correspond au sens ordinaire du mot limite, et que la deuxième définition correspond au sens étendu. Le mot limite, employé seul, sera entendu dans le sens ordinaire.


13. Suites non décroissantes. — Considérons le cas particulier où la suite (1) est non décroissante, c’est-à-dire où l’on a

Soit la borne supérieure de l’ensemble des nombres de la suite. Je dis que la suite a pour limite (sens étendu). En effet, , les sont tous inférieurs à  ; si , l’ensemble des contient au moins un nombre supérieur à , tous les nombres de la suite qui suivent celui-là ont la même propriété ; donc la condition (3) est vérifiée quand dépasse une certaine valeur.

Si les sont tous inférieurs à un certain nombre , on peut affirmer que la limite est un nombre fini, au plus égal à  ; dans le cas contraire, est égal à .

Suites non croissantes. — De la même manière, on reconnaît qu’une suite non croissante, soit

a pour limite sa borne inférieure  ; si les sont tous supérieurs à un certain nombre, est fini ; dans le cas contraire, est égal à .


14. Reprenons maintenant le cas général d’une suite de nombres quelconques

(1)

Désignons par et les bornes supérieure et inférieure de l’ensemble des nombres

On a

Tous les nombres et appartiennent à  ; soient la borne inférieure des nombres , la borne supérieure des nombres .

Je dis qu’on a . Car si on avait , il y aurait un nombre tel que  ; pour certaines valeurs de , on aurait , d’où , ce qui est impossible.

est dit la plus grande limite de la suite (1), sa plus petite limite. Le nombre a les propriétés suivantes :

1o Si , les nombres de (1) sont tous, à partir d’un certain rang, inférieurs à  ;

2o Si , il y a, quel que soit , un entier tel que .

Cette double propriété ne peut appartenir qu’à un seul nombre ; elle caractérise donc le nombre . De même, possède la double propriété caractéristique suivante :

1o Si , les nombres de (1) sont tous, à partir d’un certain rang, supérieurs à  ;

2o Si , il y a, quel que soit , un entier tel que .


15. Dans le cas où la suite (1) a une limite (sens étendu), soit , je dis qu’on a . En effet, si et sont tels que , quand surpasse une certaine valeur , on a

,

d’où

,

et aussi

.

On voit que et sont au moins égaux à tout nombre , par suite aussi à la borne supérieure de ces nombres ; de même ils sont au plus égaux à la borne inférieure des nombres . Donc .

Réciproquement, supposons . Posons . Soit , . Quand dépasse un certain entier , on a

,,

et, par suite,

ce qui montre que la suite (1) a pour limite .

Ainsi, la condition nécessaire et suffisante pour que la suite (1) ait une limite (sens étendu) est qu’on ait , et cette valeur est alors la limite.

On reconnaît ainsi que la limite, si elle existe, est unique.

La condition nécessaire et suffisante pour que la suite (1) ait une limite (finie) est que les nombres et soient égaux à un même nombre fini.


16. Si la suite a pour limite , la suite a pour limite . Car, soient et tels que  ; on a (§ 8)  ; donc, quand dépasse une certaine valeur , on a , d’où résulte  ; cela exprime que tend vers .

Dans les mêmes conditions, la suite a pour limite . En effet :

1o Si , soit  ; quand surpasse un certain entier , on a , d’où .

2o Si , quand surpasse un certain entier , on a , et par suite le nombre tend vers .

3o Si , quand surpasse un certain entier , on a , et par suite le nombre tend vers .




IV

VALEURS APPROCHÉES D’UN NOMBRE

17. Soit un nombre, soit un nombre rationnel positif. Cherchons à comparer à tous les nombres , ( étant un entier positif, nul ou négatif), soient

(1)

Prenons d’abord deux nombres rationnels , tels que  ; prenons un entier inférieur au nombre rationnel , un entier supérieur au nombre rationnel  ; on a

.

Bornons-nous à considérer les nombres de la suite (1) pour lesquels  ; ils sont en nombre fini, le premier est inférieur à , le dernier est supérieur à  ; parmi ceux qui sont inférieurs ou égaux à , prenons le plus grand, soit  ; le nombre suivant , est supérieur à . Ainsi, on a

(2)

,

et il y a une seule valeur entière qui, mise à la place de , vérifie les conditions (2). Les nombres , ainsi définis, sont les valeurs approchées à près, par défaut et par excès, de .


18. Si on remplace par un nombre tel que , étant entier et , on reconnaît que dans la suite qui remplace (1), soit

figurent les termes de (1), en particulier et , de sorte que la valeur approchée par défaut à près de , , est au moins égale à  ; de même, est au plus égal à .

Prenons une suite de nombres rationnels positifs tels que les quotients soient des entiers supérieurs à  : On peut prendre par exemple . Dans ces conditions, tend vers 0 quand croît indéfiniment, car

finit par être inférieur à tout nombre positif donné.

En désignant par et les valeurs approchées de à près, par défaut et par excès, on a

(1)

(2)

(3)

,

(4)

.

Si on désigne par la borne supérieure des , par la borne inférieure des , on déduit de (3) :

(5)

.

Je dis qu’on ne peut avoir , car alors soient deux nombres rationnels , , tels que

 ;

prenons assez grand pour que

.

On a

,

d’où

,

ce qui contredit (4).

Ainsi on a

,

d’où

.

Ainsi est la borne supérieure des nombres , et la borne inférieure des nombres  ; c’est aussi, par conséquent, la limite commune des deux suites (1) et (2). Donc :

Tout nombre peut être considéré comme la limite d’une suite de nombres rationnels non décroissante ou non croissante.

Si est irrationnel, aucun nombre n’est égal à .


19. Si est un nombre, et si est un nombre positif, on peut trouver deux nombres rationnels et tels que

,.

En effet, prenons d’abord un nombre positif rationnel .

Si est rationnel, on prendra , .

Si est irrationnel, on prendra pour et les valeurs approchées de à près, par défaut et par excès.




V

DIFFÉRENCE DE DEUX NOMBRES

20. Soient deux nombres différents et  ; soit . Considérons tous les couples de nombres rationnels vérifiant les conditions

(1)

,

et formons les différences  ; ce sont des nombres positifs dont l’ensemble est borné ; car il y a des nombres rationnels , tels que , , et toutes les différences sont inférieures à . L’ensemble a donc une borne supérieure, qui est un nombre positif .

Dans le cas où et sont rationnels, parmi les couples vérifiant (1) se trouve le couple , , et la différence correspondante est supérieure à toutes les autres différences de . On a donc dans ce cas

(2)

,.

Dans le cas où et ne sont pas tous deux rationnels, nous conviendrons de définir leur différence par les équations (2).

Si , nous posons

.

Ainsi, étant donnés deux nombres quelconques, la différence de ces deux nombres est parfaitement définie.


21. Les conditions

entraînent

,

car tous les nombres qui figurent dans l’ensemble relatif à et figurent aussi dans l’ensemble analogue relatif à et .

Si l’on sait que deux nombres et sont compris entre deux nombres et , on a certainement

.



VI

THÉORÈMES SUR LES LIMITES

22. Soit une suite de nombres

(1)

D’après les § 14 et 15, trois cas sont possibles :

1o Il y a une limite finie . Alors . Soit . Nous pouvons, d’après le § 19, prendre et rationnels tels que

et.

Il y a un entier tel que, pour , on a

.

Si et sont deux entiers supérieurs à , on a donc (§ 21)

.

2o Il y a une limite infinie ; et sont égaux, soit à , soit à  ; soit, par exemple,

.

Quel que soit l’entier , et quel que soit le nombre , il y a tel que .

Donnons-nous arbitrairement un nombre rationnel positif , prenons un terme quelconque de la suite (1), soit . Prenons un nombre rationnel  ; est un certain nombre rationnel ; nous pouvons trouver tel que . Des conditions

,

on déduit (§ 21)

.

On remarquera que est arbitraire et que et peuvent être choisis supérieurs à tout entier . On aurait une conclusion identique dans le cas de

.

3o Il n’y a pas de limite. On a . Soient deux nombres tels que

.

Quel que soit , il y a et tels que

,,

d’où résulte

.

Nous sommes maintenant en mesure d’énoncer les théorèmes suivants :


23. Théorème I.La condition nécessaire et suffisante pour que la suite (1) ait une limite (finie) est que, à tout nombre positif corresponde un entier tel que les conditions , entraînent .

1o La condition est nécessaire, parce que, d’après l’étude du cas 1o (§ 22), elle est remplie si la suite a une limite finie.

2o La condition est suffisante, car elle n’est pas remplie dans les cas 2o et 3o, puisqu’il y a alors un nombre positif ( dans le cas 2o, dans le cas 3o) auquel certaines différences sont au moins égales, et pouvant être choisis supérieurs à tout entier .


24. Théorème II.Si l’on a deux suites

(1)

(2)

dont la première a pour limite un nombre , la condition nécessaire et suffisante pour que la seconde ait aussi pour limite est que ait pour limite 0.

1o La condition est nécessaire. Supposons que la suite (2) ait pour limite , comme la suite (1). Soit un nombre positif, prenons et tels que

et.

Quand surpasse un certain entier , on a

et.

d’où

 ;

étant un nombre positif arbitraire, ceci exprime que a pour limite 0.

2o Pour montrer que la condition est suffisante, je vais montrer qu’elle n’est pas remplie si ne tend pas vers . Dans cette hypothèse, des deux nombres et relatifs à la suite (2), l’un au moins n’est pas égal à  ; l’une au moins des deux hypothèses , est vérifiée, sans quoi on aurait , et comme , on aurait .

Soit, par exemple, . Soient deux nombres tels que

.

Quand dépasse une certaine valeur, on a

,

et, quel que soit , pour une certaine valeur de , on a

.

De

résulte

.

Il est donc impossible que ait pour limite 0.

La conclusion est la même dans le cas de , ce qui démontre le Théorème II.


25. En considérant le cas particulier où les nombres sont tous égaux à un même nombre , auquel cas la suite (1) a évidemment pour limite , on arrive à la conclusion suivante :

Théorème III.Pour qu’une suite ait pour limite un nombre , il faut et il suffit que ait pour limite 0.


26. Théorème IV.Si l’on a deux suites

ayant respectivement pour limites et , a pour limite .

Dans le cas où , ce théorème se réduit à la partie 1o du Théorème II.

Considérons le cas où .

Supposons par exemple . Soit un nombre rationnel positif. On peut déterminer quatre nombres rationnels tels que

(1)

avec

(2)

,.

Quand dépasse un certain entier , on a

(3)

.

On déduit respectivement de (1) et (3)

d’où

.

Comme, d’après (2) ( étant rationnels)

,

et que est un nombre positif rationnel quelconque, on a

,

c’est-à-dire, d’après le Théorème III,

.

Comme les nombres opposés à et sont et (§ 20), on a aussi (§ 16)

.

et

.



VII

NOTIONS DE FONCTION ET DE CONTINUITÉ

27. Une lettre qui sert à désigner un nombre pouvant recevoir des valeurs distinctes, est dite une variable. Si, à chacune de ces valeurs, correspond, suivant une loi qu’on indique, un autre nombre, on convient de considérer ces derniers nombres comme les différents états de grandeur d’une même variable, qui est dite fonction de la première ; celle-ci prend le nom de variable indépendante ou encore d’argument de la fonction. C’est ainsi que, dans les suites (1) (Sections III et VI), le nombre est une fonction de définie pour toutes les valeurs entières positives de . Citons, comme exemples de fonctions définies pour toutes les valeurs réelles de la variable  : la partie entière de (valeur approchée de à une unité près, par défaut) ; le nombre  ; la valeur absolue de  :  ; le nombre lui-même.

De même, si on considère un système de deux ou plusieurs variables, et si, à chaque système de valeurs attribuées à ces variables, correspond un nouveau nombre, on regarde ces derniers nombres comme les états de grandeur d’une fonction des premières variables : celles-ci sont alors les variables indépendantes. Par exemple, on apprend, en arithmétique et en algèbre élémentaire, à faire correspondre à un système de deux nombres rationnels et des nombres qu’on désigne par , , , . Chacun de ces nombres est une fonction des variables et  ; les trois premières sont définies pour tous les systèmes de valeurs rationnelles des variables ; la dernière est définie pour tous ces systèmes, sauf ceux pour lesquels . Autre exemple : le nombre , défini dans la Section V, est une fonction des variables et définie pour tous les systèmes de valeurs réelles attribuées à ces variables.


28. Si a et b sont deux nombres tels que , on appelle :

1o intervalle , l’ensemble des nombres tels que

 ;

2o intervalle , l’ensemble des nombres tels que

 ;

3o intervalle , l’ensemble des nombres tels que

 ;

4o intervalle , l’ensemble de tous les nombres réels.

Le premier de ces intervalles est dit borné ; les autres ne le sont pas. Un nombre est intérieur à un intervalle s’il y a des nombres , appartenant à l’intervalle et tels que . Dans chacun des quatre cas considérés, tout nombre appartenant à l’intervalle défini est intérieur à cet intervalle, sauf et dans le cas 1o, dans les cas 2o et 3o. Si une suite de nombres tend vers un nombre intérieur à un intervalle donné, est, pour les valeurs de qui surpassent un certain entier, intérieur à cet intervalle.

Étant données deux ou plusieurs variables et des intervalles de variation correspondant à ces variables, on appelle champ l’ensemble des systèmes de valeurs attribuées aux variables et telles que chacune de ces valeurs appartient à l’intervalle de variation correspondant. Le champ est borné si tous ces intervalles sont bornés ; il est alors défini par des conditions de la forme

,,

désignant des nombres finis. Il y a aussi des champs non bornés, tels que

,.

L’ensemble de tous les systèmes de valeurs attribuées aux variables est le champ

,,

Pour abréger, nous dirons qu’un système de valeurs attribuées aux variables est un point ; le point est rationnel si toutes ces valeurs sont rationnelles.

Un point est dit intérieur à un champ si chacun des nombres est intérieur à l’intervalle correspondant.

On dit que la suite de points , , , , a pour limite le point (ou tend vers ce point) si l’on a , ,


29. Supposons qu’une fonction d’une, de deux ou de plusieurs variables soit définie en tous les points d’un certain champ (le champ se réduisant, dans le cas d’une seule variable, à un intervalle) : on dit que est définie dans le champ .

On dit que est continue au point du champ si, pour toute suite de points de  : , , , , tendant vers , on a

.

Si cette condition est remplie pour tous les points de , on dit que est continue dans .


30. Les fonctions de la variable suivantes : , , qui sont définies dans le champ , sont continues dans ce champ, car, d’après le § 16, la condition

entraîne

,.

Au contraire, la partie entière de n’est pas continue car, en prenant par exemple ( 1, 2, 3, …) et , on a , mais la partie entière de , qui est , quel que soit , ne tend pas vers la partie entière de qui est .

La fonction des deux variables et est continue dans le champ , , car, d’après le Théorème IV, § 26, les conditions , entraînent .




VIII

FONCTIONS D’ARGUMENTS RATIONNELS

31. Considérons plus spécialement les fonctions définies pour des systèmes de valeurs rationnelles attribuées aux variables : nous les appellerons fonctions d’arguments rationnels.

Une fonction d’arguments rationnels supposée définie en tous les points rationnels d’un champ est dite définie dans ce champ. Elfe est dite uniformément continue dans si, à tout nombre positif , correspond un nombre positif tel que, pour deux points rationnels , du champ satisfaisant aux conditions

(1)

,,,

on a

(2)

.

Il est évident que cette condition est remplie pour toute valeur positive de si elle est remplie pour toute valeur positive rationnelle attribuée à .


32. Les fonctions d’arguments rationnels , sont uniformément continues dans le champ

,.

En effet, pour satisfaire aux conditions (2) qui s’écrivent ici

,,

étant un nombre rationnel positif, il suffit de satisfaire aux suivantes :

,.

On prendra donc .


33. La fonction d’arguments rationnels , qui est définie en tout point rationnel, est uniformément continue dans tout champ borné. Soit le champ borné

,,

étant des nombres finis. Prenons un nombre positif rationnel supérieur à toutes les valeurs absolues des nombres  ; on aura, pour tout point du champ ,

(1)

,.

Il s’agit de satisfaire, étant positif et rationnel, à la condition

(2)

,

qui peut s’écrire

.

Cette condition sera vérifiée si l’on vérifie les suivantes :

,,

que nous remplacerons, en tenant compte de (1), par

,.

On satisfait donc à (2) en prenant .


34. La fonction est définie en tout point rationnel pour lequel . Si donc on considère le champ borné

,,

pour que soit définie dans ce champ, il faut et il suffit que et soient deux nombres différents de 0 et de même signe.

Cette condition étant supposée remplie, je dis que est uniformément continue dans le champ .

Prenons un nombre positif rationnel supérieur aux valeurs absolues de , , et un nombre positif rationnel inférieur aux valeurs absolues de et  ; on aura, pour tout point du champ ,

,.

Il s’agit de satisfaire à l’inégalité

,

qui se transforme en

,

ou

.

Nous remplaçons cette inégalité par la suivante :

,

et cette dernière par les deux suivantes :

,.

La question sera donc résolue en prenant

.



IX

PRINCIPE D’EXTENSION

35. Soit une fonction d’un ou plusieurs arguments rationnels, supposée uniformément continue dans tout champ borné où elle se trouve définie. (C’est le cas, d’après les § 32, 33, 34, pour , , , . Un point , rationnel ou non, peut avoir la propriété d’être intérieur à un champ dans lequel est définie. [Cette condition est remplie par tout point dans le cas des fonctions , ,  ; par tout point pour lequel , dans le cas de . Nous allons définir une fonction qui sera définie en tous les points possédant la propriété précédente, qui sera égale à en tout point rationnel où est définie, et qui sera continue (§ 29) dans tout champ où elle se trouvera définie.

Soit un point possédant la propriété indiquée : il y a donc un champ borné auquel est intérieur, et tel que est définie et uniformément continue dans .

On peut trouver une suite de points rationnels tendant vers , soit,

(1)

Du fait que est intérieur au champ résulte que, quand dépasse une certaine valeur, le point appartient au champ  ; nous supposerons que cette condition est remplie pour tous les points de la suite (1).

1o Je dis que la suite de nombres

(2)

a une limite. Pour le prouver, rappelons que, à correspond tel que, pour deux points rationnels du champ  : , , les conditions

(3)

,,

entraînent

(4)

.

On a

,,

Appliquant le Théorème I (1o) (§ 23) aux suites (en nombre fini) , on voit qu’à correspond un entier , tel que, pour , , on a

,,

et par suite, d’après (4),

.

D’après le Théorème I (2o), comme est arbitraire, cela signifie que a une limite .

2o Je dis que la limite n’est pas changée si on remplace la suite de points (1) par une autre suite de points rationnels du champ tendant aussi vers , soit

En effet, d’après le Théorème II (1o) (§ 24), des conditions

on déduit que, quand dépasse une certaine valeur , on a

,,

et par suite

.

D’après le Théorème II (2o), cela signifie que tend vers la même limite que , c’est-à-dire vers .

Ainsi ne dépend que de .

3o Quand est un point rationnel, on a . Il suffit, pour vérifier ce fait, de supposer que tous les points de (1) sont identiques à  ; la limite de (2) est alors .

On reconnaît ainsi qu’une fonction devant remplir les conditions imposées à doit nécessairement, au point , avoir pour valeur . Nous poserons donc .

Je dis que a la propriété suivante :

4o  et ayant la même signification que plus haut, pour deux points , quelconques du champ , les conditions

(5)

,,

entraînent

(6)

.

Si , prenons une suite de nombres rationnels , , , , compris entre et et tendant vers  ; prenons de même une suite de nombres rationnels , , , compris entre et et tendant vers . Si , prenons une suite de nombres rationnels , , , , tendant vers et tous contenus dans l’intervalle de variation de relatif au champ  ; prenons . On a ainsi dans tous les cas

.

En opérant de même pour chacune des autres variables , on obtient deux suites de points rationnels appartenant au champ  :

ayant respectivement pour limites les points et , et tels que

,,.

On a donc, quel que soit ,

.

D’après le Théorème IV (§ 26), le premier membre a pour limite le nombre , c’est-à-dire . Donc

(6)

.

Cela étant, la fonction est continue dans tout champ où elle se trouve définie ; car, soit une suite de points quelconques

ayant pour limite le point . Supposons définie en tous ces points. Prenons un champ auquel soit intérieur. Soit  ; déterminons de manière que les conditions (5) entraînent (6). Quand dépasse une certaine valeur , le point est intérieur à , et d’autre part on a

,,,

d’où, par suite,

.

ce qui montre que a pour limite .

On voit en résumé que le problème proposé est résolu et conduit à une fonction bien déterminée. On dira que cette fonction est la fonction étendue, et le procédé qui permet, en partant de , de définir , sera appelé principe d’extension.


36. Puisque chacune des fonctions d’arguments rationnels : , , , est uniformément continue dans tout champ borné où elle se trouve définie, le principe d’extension est applicable à ces fonctions, et donne naissance à des fonctions d’arguments quelconques, que nous désignerons encore par , , , et que nous appellerons somme, différence, produit, quotient ; les trois premières sont définies en tout point , la dernière en tout point pour lequel  ; chacune d’elles est continue dans tout champ où elle se trouve définie. Cette définition est nouvelle pour , ,  ; en ce qui concerne , nous avons déjà défini sous ce nom (Section V) une certaine fonction qui se réduit, quand et sont rationnels, à la différence définie en arithmétique et algèbre élémentaire, et qui est continue (§ 30) : cette double propriété montre l’identité de la définition de de la Section V avec la définition actuelle.

Le nombre (qui est défini si ) est dit l’inverse de .


37. De la définition de résulte la propriété suivante : Si un point est intérieur à un champ , et si les valeurs de aux points rationnels de sont comprises entre des nombres , , le nombre est aussi compris entre et .

En particulier, on déduit de là que, si et sont positifs, , , sont aussi positifs, car, en prenant des nombres rationnels , , , , tels que

,,

les fonctions d’arguments rationnels , , dans le champ  :

,,

ont des valeurs au moins égales respectivement aux nombres positifs

,, ;

il en est donc de même des fonctions de variables quelconques , , considérées dans le même champ ; elles ont donc des valeurs positives. On voit aussi que, étant positif, est positif.


38. Si une fonction est continue dans tout champ où elle se trouve définie, nous dirons simplement, pour abréger, qu’elle est continue.

Soient des variables, des fonctions de ces variables, chacune des fonctions pouvant être fonction, soit de toutes les variables , soit seulement de certaines d’entre elles. Les variables peuvent être les arguments d’une nouvelle fonction , qu’on peut alors considérer comme une fonction des premières variables , par l’intermédiaire des fonctions  ; on dit que c’est une fonction composée de ou, dans le cas d’une seule variable et d’une seule fonction intermédiaire , une fonction de fonction. C’est ainsi que, étant trois variables prenant toutes les valeurs réelles, , sont des fonctions de , par l’intermédiaire de et . On a, à ce sujet, le théorème suivant :

Si sont fonctions continues de et si est fonction continue des variables , la fonction est fonction continue de

Soit, en effet, une suite de points

tendant vers un point . On suppose que se trouve définie en chacun de ces points, ce qui suppose que sont définies en tous ces points, et que, en posant, pour et

,,,

est définie pour tous les points .

Puisque sont continues, on a

,,,

et étant continue en tant que fonction de on a

 ;

ce qui s’écrit,

.

La proposition est donc démontrée.


39. Si une égalité de la forme

,

et sont des fonctions continues des variables , est démontrée quand le point est rationnel, elle a lieu également pour tout point appartenant à un champ dans lequel et sont définies. En effet, soit un tel point ; il y a une suite de points rationnels , , , , tendant vers et en chacun desquels et sont définies. On a, pour ,

,

d’où

,

c’est-à-dire, à cause de la continuité de et ,

.



X

EXTENSION DU CALCUL ALGÉBRIQUE

40. Montrons que les règles de calcul algébrique qui sont établies en Algèbre élémentaire dans le cas où les variables reçoivent des valeurs rationnelles s’appliquent au cas où ces variables sont quelconques.

Toutes celles de ces règles qui sont relatives à la transformation des égalités au moyen des quatre opérations élémentaires résultent d’un certain nombre de principes qu’on peut exprimer par les formules suivantes, où désignent des nombres rationnels :

(1)

,

(2)

,

(3)

,

(4)

,

(5)

,

(6)

,

(7)

,

(8)

,

(9)

,

(10)

,

(11)

,

(12)

,

(13)

,

(14)

,(),

(15)

,().

Toutes les fonctions qui figurent dans l’un ou l’autre membre de l’une de ces égalités sont des fonctions continues de [en vertu, pour ce qui concerne les égalités (2), (6), (7), (8), (12), (13), (15), du § 38] ; donc, d’après le § 39, ces équations sont valables pour toutes les valeurs, rationnelles ou non, des variables. Ainsi se trouve étendu tout le calcul algébrique relatif aux transformations d’égalités par addition, soustraction, multiplication et division.


41. Pour étendre aux nombres quelconques les deux règles fondamentales du calcul des inégalités (addition d’un même nombre aux deux membres, multiplication par un même nombre positif), rappelons que, d’après la définition des nombres opposés, il y a équivalence entre les conditions et , et que, d’après la définition de la différence, il y a équivalence entre les conditions et .

Cela étant, quels que soient , , , de on déduit , ce qui, d’après le calcul des égalités étendu, peut s’écrire , d’où  ; donc cette dernière inégalité résulte de .

On a vu (§ 37) que, de , , résulte .

Cela posé, si l’on a , et , on peut écrire successivement , , ,  ; on peut donc déduire cette dernière de .

En résumé, tout le calcul algébrique relatif aux transformations d’égalités et d’inégalités par addition, soustraction, multiplication et division s’applique aux nombres quelconques.


42. Par combinaison des quatre opérations fondamentales effectuées sur des variables , on obtient des fonctions qui sont les fonctions rationnelles de  ; elles comprennent comme cas particulier les polynômes, obtenus en n’effectuant que les trois premières opérations.

D’après le principe du § 38, une fonction rationnelle des variables est continue ; si sont des fonctions continues de , une fonction rationnelle de est fonction continue de , dans tout champ où elle se trouve définie ; comme cas particuliers de cette proposition, la somme, le produit de plusieurs fonctions continues, le quotient de deux fonctions continues sont des fonctions continues.




XI

THÉORÈMES SUR LES FONCTIONS CONTINUES

43. Transformons la définition de la continuité donnée au § 29. Soit une fonction des variables , définie dans un champ , et qu’on suppose continue au point . Soit un nombre positif ; considérons le champ  :

(1)

,,

On reconnaît que si est intérieur au champ , le champ , quand est suffisamment petit, est entièrement contenu dans  ; cela n’a pas lieu quand n’est pas intérieur à , mais les champs et ont toujours un certain champ commun. Il sera entendu, dans la suite, que l’on désigne par champ l’ensemble des points contenus dans et satisfaisant à (1).

Les valeurs de aux points du champ forment un ensemble de nombres qui a des bornes supérieure et inférieure et  ; si on remplace par un nombre inférieur , le nouveau champ obtenu est contenu dans  ; donc on a, pour les nombres , qui remplacent et ,

,.

Soit maintenant une suite décroissante de nombres positifs tendant vers 0 : , , , , Appelons et les bornes supérieure et inférieure de dans le champ défini par les conditions (1), où l’on remplace par . On a

(2)

Ces deux suites ont des limites que je désigne respectivement par et .

Comme chacun des nombres est au moins égal à , on a . Je dis qu’on ne peut avoir . Si cela était, en prenant tel que , on aurait  ; on pourrait trouver dans le champ un point tel que  ; dans , un point tel que , … ; et généralement, dans le champ , un point tel que . La suite des points , , , , tend vers , puisque tend vers 0 et que , , …. Donc doit tendre vers , ce qui est contradictoire avec le fait que tous les nombres surpassent .

Donc  ; de même .

Les suites (2) ont pour limite commune . Il en résulte que, étant donné , on peut déterminer de manière que et diffèrent de de moins de , et par suite de manière que, en tout point du champ (1), on ait

(3)

Réciproquement, si on suppose qu’à tout nombre positif correspond tel que, dans le champ (1), on a la condition (3), est continue au point . Car, soit une suite de points

tendant vers  ; quand dépasse une certaine valeur , le point est contenu dans le champ (1), donc la condition (3) est vérifiée en remplaçant par  ; ceci montre que a pour limite . Ainsi, la définition de la continuité au point peut être remplacée par la suivante :

La fonction est continue au point si, à tout nombre positif correspond un nombre positif tel que les conditions

,,

entraînent

.


44. Si une fonction d’une seule variable , continue dans l’intervalle borné , prend pour et deux valeurs différentes, et si est un nombre compris entre ces valeurs, il y a au moins un nombre de l’intervalle pour lequel .

On a soit, par exemple, , et soit tel que

.

D’après la continuité de , il y a certainement un nombre tel que, dans , est toujours , et un nombre tel que, dans , est toujours . Considérons les nombres compris entre et et tels que, dans l’intervalle

,

est constamment . L’ensemble de ces nombres comprend , ne comprend pas les nombres supérieurs à  ; la borne supérieure de cet ensemble est donc, telle qu’on a

.

D’après la définition de , pour tout nombre intérieur à , on a , tandis que, quel que soit , l’intervalle contient des points où . Donc l’intervalle contient des points où et d’autres où  ; donc les bornes supérieure et inférieure de dans cet intervalle comprennent entre elles , et comme elles tendent toutes deux vers quand prend une suite de valeurs tendant vers 0, il en résulte que .

On exprime ce fait en disant qu’une fonction continue d’une variable ne peut passer d’une valeur à une autre qu’en passant par toutes les valeurs intermédiaires.


45. Une fonction d’une ou plusieurs variables, continue dans un champ borné, est bornée et atteint, en certains points du champ, chacune de ses bornes supérieure et inférieure.

Je démontrerai d’abord la proposition préliminaire suivante :

Soit une fonction quelconque définie en tous les points d’un champ borné  ; soit la borne supérieure (finie ou non) des valeurs de aux points de . Je dis qu’il y a un point de tel que, quel que soit , dans le champ

,,,

la borne supérieure de est .

Soit le champ borné à variables

(1) ,,.

Partageons en champs partiels, chacun d’eux s’obtenant en remplaçant dans (1) l’intervalle de variation , soit par , soit par , et opérant de même pour chacune des variables La borne supérieure de est égale à dans l’un au moins de ces champs, car la borne dans est égale à la plus grande des bornes dans les divers champs partiels. Soit un champ partiel dans lequel a pour borne supérieure  ; désignons comme il suit :

(2) ,,.

On a

,,,
,,

En opérant sur comme on a opéré sur , et répétant indéfiniment l’opération, on obtient des champs , , , en chacun desquels a pour borne supérieure. Si , , correspondent à comme , , à , on a




. . . . . . . . . . . .

avec

,,

Les nombres ont donc une limite commune , les nombres une limite commune , etc.

Le point est tel que, quel que soit , le champ

(3) ,,

contient, quand est assez grand, le champ

,,

dans lequel la borne supérieure de est . Donc a pour borne supérieure dans (3), quel que soit .

Appliquons cette proposition au cas où est continue dans le champ .

Comme, dans le champ

,,,

la borne supérieure de est , quel que soit , il en résulte, d’après la continuité de (§ 43), que

.

Cela montre en premier lieu que est un nombre fini, c’est-à-dire que est bornée supérieurement, et en second lieu que atteint la valeur en un point au moins. De même, on montrera que est bornée inférieurement et atteint sa borne inférieure en un point au moins.


46. Étant donné un ensemble de nombres, ayant pour bornes supérieure et inférieure et , le nombre positif ou nul est dit l’oscillation de . En particulier, l’oscillation de l’ensemble des valeurs que prend une fonction aux points d’un champ où elle est définie est dite l’oscillation de dans ce champ ; si est contenu dans , l’oscillation de dans est à l’oscillation dans .

Soit une fonction continue dans un champ borné . En écartant le cas où aurait la même valeur en tous les points de (fonction constante), l’oscillation de dans est un nombre positif . Considérons un nombre positif inférieur à . Soit un point du champ. Si on considère, étant positif, le champ

,,,

en vertu de la continuité, l’oscillation de dans tend vers 0 quand tend vers 0 ; donc elle est pour des valeurs assez petites de  ; d’autre part, quand est assez grand, contient , par suite l’oscillation dans surpasse . Soit la borne supérieure des nombres tels que l’oscillation de dans est  : est un nombre fini et positif, bien déterminé pour chaque point du champ. Donc est une fonction définie dans le champ  ; je dis que c’est une fonction continue de .

En effet, soit la valeur de au point  ; prenons tel que  ; soit un point de tel que

(1)

,,

Considérons les quatre champs

(2)

,,,

(3)

,,,

(4)

,,,

(5)

,,

On voit que (1) et (4) entraînent (2), que (1) et (3) entraînent (5) ; donc est contenu dans , contient  ; donc l’oscillation dans est comme dans , et l’oscillation dans est comme dans . Cela montre que la valeur de au point est comprise entre et , sous les conditions (1) ; étant arbitraire, est continue ; donc a une borne inférieure qui, étant atteinte en un certain point, est positive. Pour tout point du champ , les conditions

(6)

,,

entraînent

(7)

.

En résumé, étant donné , il y a un nombre positif tel que, et étant deux points quelconques de vérifiant les conditions (6), il en résulte (7). Ce fait, démontré pour le cas de , a lieu a fortiori pour toute valeur positive de  ; il a lieu évidemment pour le cas, écarté précédemment, d’une fonction constante. On exprime la propriété obtenue en disant que toute fonction continue dans un champ borné est uniformément continue dans ce champ.




XII

FONCTIONS INVERSES

47. Une fonction d’une variable , définie, soit pour toutes les valeurs d’un intervalle, soit seulement pour certaines de ces valeurs, est dite croissante si, et étant deux nombres pour lesquels elle est définie, la condition

(1)

entraîne

(2)

 ;

elle est décroissante si (1) entraîne

(3)

.

Il est évident que si est croissante, est décroissante ; à toute propriété des fonctions croissantes correspond une propriété des fonctions décroissantes.

Les fonctions , (celle-ci dans le cas de ) sont croissantes dans l’intervalle en vertu du calcul des inégalités étendu. De même, les fonctions , (dans le cas de ) sont décroissantes dans le même intervalle. La fonction , dans l’intervalle , étant positif, est décroissante.

Soit une fonction d’un argument rationnel définie pour tous les points rationnels d’un intervalle (borné ou non), croissante, et uniformément continue dans tout intervalle borné contenu dans . On sait que le principe d’extension s’applique à et donne une fonction définie et continue dans l’intervalle . Je dis que est croissante comme . En effet, soient et deux valeurs quelconques de l’intervalle, et soit . On peut trouver des nombres rationnels , , , , et , , , , tels qu’on ait
,
,.

On aura

,

c’est-à-dire

.

De même, le principe d’extension, appliqué à une fonction d’argument rationnel décroissante et uniformément continue dans tout intervalle borné, donne une fonction continue décroissante.


48. Soit une fonction continue croissante dans un intervalle borné  ; soient , les bornes inférieure et supérieure de . La fonction doit atteindre la valeur en un point de l’intervalle, qui ne peut être que  ; ainsi  ; de même . La fonction étant croissante prend, pour deux valeurs distinctes de la variable, deux valeurs différentes ; d’après le § 44, elle passe au moins une fois par toute valeur intermédiaire entre et  ; donc si est tel que , il y a une valeur et une seule de pour laquelle prend la valeur .

Ces résultats s’appliquent, avec quelques modifications, si l’intervalle de variation de est non borné. Soit, par exemple, une fonction croissante dans l’intervalle  ; la borne inférieure est atteinte pour  ; tout nombre tel que est atteint ; la borne supérieure , qui peut être, soit finie, soit égale à , n’est pas atteinte ; mais si prend une suite de valeurs tendant vers (sens étendu de la notion de limite), tend vers . Par exemple, les fonctions croissantes , (si ), tendent vers en même temps que  ; la fonction décroissante tend vers 0 quand tend vers .

Si l’intervalle de variation est , aucune des deux bornes n’est atteinte.


49. Dans tous les cas, qu’il s’agisse d’un intervalle borné ou non, désignons par l’ensemble des valeurs que prend , par l’ensemble des valeurs que prend supposée continue et croissante ; à toute valeur de correspond une valeur de  ; et réciproquement, si on se donne un nombre de , il y a un et un seul nombre de tel que  ; donc ce nombre peut être considéré comme une fonction de que je désigne par . constitue un intervalle, avec cette réserve que l’une des bornes de cet intervalle, même si elle est finie, peut ne pas faire partie de .

est croissante, car il y a équivalence entre les conditions

et,

c’est-à-dire, si ,,entre

et.

Je dis que est continue, c’est-à-dire que si , , , , , sont des nombres de tels que , on a . Nous posons , . Supposons d’abord que ne soit pas une borne de l’ensemble , et prenons deux nombres et de tels que

.

Ces conditions entraînent, en posant , ,

.

Quand dépasse une certaine valeur , on a

,

d’où résulte

.

Cela exprime que tend vers  ; donc tend vers .

Si est, par exemple, la borne supérieure de l’ensemble , il suffit de remarquer que l’on a alors et de conserver seulement, dans les doubles inégalités précédentes, la première inégalité.

Il est donc établi que est continue. La fonction est dite la fonction inverse de .

De même, si est une fonction continue décroissante, en posant , , on reconnaît que est une fonction continue décroissante.




XIII

DÉFINITION DES FONCTIONS .

50. La fonction , étant un entier positif, considérée dans l’intervalle , est continue et croissante (d’après le calcul des inégalités étendu) ; elle est égale à pour , et tend vers quand tend vers . On désigne la fonction inverse de par la notation

 ;

c’est la racine e arithmétique du nombre positif . On voit que c’est une fonction continue et croissante de dans l’intervalle  ; elle est égale à pour , et tend vers en même temps que .

Si est une fonction des variables , continue et non négative dans un champ, est définie dans ce champ et est continue, d’après le principe du § 38.


51. D’après la théorie des radicaux arithmétiques et des exposants fractionnaires, nul et négatifs, on sait, en supposant défini (), comment on définit , étant un nombre rationnel quelconque ; est ainsi une fonction d’argument rationnel, définie dans l’intervalle  ; on démontre qu’elle a les propriétés suivantes :

1o

 ;

2o

 ;

3o  tend vers 1 si prend une suite de valeurs rationnelles tendant vers 0 ;

4o Si , est croissante ; si , est décroissante.

Je dis que la fonction d’argument rationnel est uniformément continue dans tout intervalle borné . Il s’agit de satisfaire à l’inégalité

,

qui peut s’écrire

,

Or, si est un nombre positif supérieur à et , comme est compris entre ces deux valeurs, tout revient à résoudre l’inégalité

,

ou

.

Or, cette inégalité est vérifiée quand on a

,

étant un certain nombre positif, d’après la propriété 3o.

Ainsi le principe d’extension s’applique à la fonction d’argument rationnel et donne naissance à une fonction que nous continuons à appeler , définie pour toutes les valeurs réelles de , continue, croissante si , décroissante si , égale à si . C’est la fonction exponentielle.

Si , comme tend vers en même temps que si est entier, tend vers si tend vers . De même, tend vers 0 si tend vers . Le cas de s’étudie de même.


52. Les fonctions suivantes des deux variables et  : et sont toutes deux continues, car si on a deux suites : , , , , tendant vers , et , , , , tendant vers , on a, d’une part

,,

d’où

 ;

d’autre part

,

d’où

.

Les fonctions continues et , étant égales quand et sont rationnels, sont aussi égales quand et sont quelconques, d’après le § 39. Donc on a toujours

.


53. La fonction de , , où est un nombre rationnel, est continue ; car si est positif, soit , est fonction continue (§ 50) de , qui est elle-même fonction continue de  ; si a est négatif, soit , on a , est fonction continue, donc aussi.


54. Quand et sont rationnels, on a

(1)

.

Étendons ce résultat au cas où et sont quelconques.

1o Supposons rationnel, étant quelconque ; formons une suite de nombres rationnels , , , , tendant vers . On a

et par suite, d’après le § 53 ( étant rationnel),

.

D’autre part, on a, et étant rationnels,

 ;

donc

.

2o Supposons et quelconques ; soit une suite de nombres rationnels , , , , tendant vers .

On a, d’après la continuité de la fonction exponentielle,

.

D’après le cas 1o, on a

.

Donc

.

L’égalité (1) est donc vraie dans tous les cas.


55. La fonction ( et ) étant définie dans l’intervalle , et étant, soit croissante, soit décroissante, a une fonction inverse bien définie. On la désigne par (logarithme de dans le système de base ). Ainsi, il y a équivalence entre

,

Des propriétés fondamentales de l’exponentielle

,,

résultent les propriétés fondamentales des logarithmes :

,
.

La fonction logarithmique est définie pour les valeurs positives de , continue dans tout intervalle qui ne contient pas 0. Si , elle est croissante, tend vers quand tend vers 0, vers en même temps que . Si , elle est décroissante, tend vers quand tend vers 0, vers quand tend vers .


56. La fonction des variables et est définie lorsqu’on a , étant quelconque.

Je dis que c’est une fonction continue ; en effet, soit un nombre quelconque et  ; soit .

On a

.

Si deux suites , , , , et , , , tendent respectivement vers et (les et étant positifs), on a, en posant ,

,
,
.

L’égalité montre la continuité de la fonction .

En particulier, si , supposé fixe, est égal à un nombre irrationnel , on reconnaît la continuité de la fonction de  : ( étant positif).

La fonction , si et sont des fonctions de variables , est, dans un champ où est positif, une fonction de  ; si et sont fonctions continues de , il en est de même de .




TABLE DES MATIÈRES


Pages
I.
II.
III.
IV.
V.
VI.
VII.
VIII.
IX.
X.
XI.
XII.
XIII.

  1. On emploie aussi l’expression « symétriques », ou encore « égaux et de signes contraires ».
  2. Ou encore limite supérieure.