Théorie des nombres irrationnels, des limites et de la continuité/Section XI



XI

THÉORÈMES SUR LES FONCTIONS CONTINUES

43. Transformons la définition de la continuité donnée au § 29. Soit une fonction des variables , définie dans un champ , et qu’on suppose continue au point . Soit un nombre positif ; considérons le champ  :

(1)

,,

On reconnaît que si est intérieur au champ , le champ , quand est suffisamment petit, est entièrement contenu dans  ; cela n’a pas lieu quand n’est pas intérieur à , mais les champs et ont toujours un certain champ commun. Il sera entendu, dans la suite, que l’on désigne par champ l’ensemble des points contenus dans et satisfaisant à (1).

Les valeurs de aux points du champ forment un ensemble de nombres qui a des bornes supérieure et inférieure et  ; si on remplace par un nombre inférieur , le nouveau champ obtenu est contenu dans  ; donc on a, pour les nombres , qui remplacent et ,

,.

Soit maintenant une suite décroissante de nombres positifs tendant vers 0 : , , , , Appelons et les bornes supérieure et inférieure de dans le champ défini par les conditions (1), où l’on remplace par . On a

(2)

Ces deux suites ont des limites que je désigne respectivement par et .

Comme chacun des nombres est au moins égal à , on a . Je dis qu’on ne peut avoir . Si cela était, en prenant tel que , on aurait  ; on pourrait trouver dans le champ un point tel que  ; dans , un point tel que , … ; et généralement, dans le champ , un point tel que . La suite des points , , , , tend vers , puisque tend vers 0 et que , , …. Donc doit tendre vers , ce qui est contradictoire avec le fait que tous les nombres surpassent .

Donc  ; de même .

Les suites (2) ont pour limite commune . Il en résulte que, étant donné , on peut déterminer de manière que et diffèrent de de moins de , et par suite de manière que, en tout point du champ (1), on ait

(3)

Réciproquement, si on suppose qu’à tout nombre positif correspond tel que, dans le champ (1), on a la condition (3), est continue au point . Car, soit une suite de points

tendant vers  ; quand dépasse une certaine valeur , le point est contenu dans le champ (1), donc la condition (3) est vérifiée en remplaçant par  ; ceci montre que a pour limite . Ainsi, la définition de la continuité au point peut être remplacée par la suivante :

La fonction est continue au point si, à tout nombre positif correspond un nombre positif tel que les conditions

,,

entraînent

.


44. Si une fonction d’une seule variable , continue dans l’intervalle borné , prend pour et deux valeurs différentes, et si est un nombre compris entre ces valeurs, il y a au moins un nombre de l’intervalle pour lequel .

On a soit, par exemple, , et soit tel que

.

D’après la continuité de , il y a certainement un nombre tel que, dans , est toujours , et un nombre tel que, dans , est toujours . Considérons les nombres compris entre et et tels que, dans l’intervalle

,

est constamment . L’ensemble de ces nombres comprend , ne comprend pas les nombres supérieurs à  ; la borne supérieure de cet ensemble est donc, telle qu’on a

.

D’après la définition de , pour tout nombre intérieur à , on a , tandis que, quel que soit , l’intervalle contient des points où . Donc l’intervalle contient des points où et d’autres où  ; donc les bornes supérieure et inférieure de dans cet intervalle comprennent entre elles , et comme elles tendent toutes deux vers quand prend une suite de valeurs tendant vers 0, il en résulte que .

On exprime ce fait en disant qu’une fonction continue d’une variable ne peut passer d’une valeur à une autre qu’en passant par toutes les valeurs intermédiaires.


45. Une fonction d’une ou plusieurs variables, continue dans un champ borné, est bornée et atteint, en certains points du champ, chacune de ses bornes supérieure et inférieure.

Je démontrerai d’abord la proposition préliminaire suivante :

Soit une fonction quelconque définie en tous les points d’un champ borné  ; soit la borne supérieure (finie ou non) des valeurs de aux points de . Je dis qu’il y a un point de tel que, quel que soit , dans le champ

,,,

la borne supérieure de est .

Soit le champ borné à variables

(1) ,,.

Partageons en champs partiels, chacun d’eux s’obtenant en remplaçant dans (1) l’intervalle de variation , soit par , soit par , et opérant de même pour chacune des variables La borne supérieure de est égale à dans l’un au moins de ces champs, car la borne dans est égale à la plus grande des bornes dans les divers champs partiels. Soit un champ partiel dans lequel a pour borne supérieure  ; désignons comme il suit :

(2) ,,.

On a

,,,
,,

En opérant sur comme on a opéré sur , et répétant indéfiniment l’opération, on obtient des champs , , , en chacun desquels a pour borne supérieure. Si , , correspondent à comme , , à , on a




. . . . . . . . . . . .

avec

,,

Les nombres ont donc une limite commune , les nombres une limite commune , etc.

Le point est tel que, quel que soit , le champ

(3) ,,

contient, quand est assez grand, le champ

,,

dans lequel la borne supérieure de est . Donc a pour borne supérieure dans (3), quel que soit .

Appliquons cette proposition au cas où est continue dans le champ .

Comme, dans le champ

,,,

la borne supérieure de est , quel que soit , il en résulte, d’après la continuité de (§ 43), que

.

Cela montre en premier lieu que est un nombre fini, c’est-à-dire que est bornée supérieurement, et en second lieu que atteint la valeur en un point au moins. De même, on montrera que est bornée inférieurement et atteint sa borne inférieure en un point au moins.


46. Étant donné un ensemble de nombres, ayant pour bornes supérieure et inférieure et , le nombre positif ou nul est dit l’oscillation de . En particulier, l’oscillation de l’ensemble des valeurs que prend une fonction aux points d’un champ où elle est définie est dite l’oscillation de dans ce champ ; si est contenu dans , l’oscillation de dans est à l’oscillation dans .

Soit une fonction continue dans un champ borné . En écartant le cas où aurait la même valeur en tous les points de (fonction constante), l’oscillation de dans est un nombre positif . Considérons un nombre positif inférieur à . Soit un point du champ. Si on considère, étant positif, le champ

,,,

en vertu de la continuité, l’oscillation de dans tend vers 0 quand tend vers 0 ; donc elle est pour des valeurs assez petites de  ; d’autre part, quand est assez grand, contient , par suite l’oscillation dans surpasse . Soit la borne supérieure des nombres tels que l’oscillation de dans est  : est un nombre fini et positif, bien déterminé pour chaque point du champ. Donc est une fonction définie dans le champ  ; je dis que c’est une fonction continue de .

En effet, soit la valeur de au point  ; prenons tel que  ; soit un point de tel que

(1)

,,

Considérons les quatre champs

(2)

,,,

(3)

,,,

(4)

,,,

(5)

,,

On voit que (1) et (4) entraînent (2), que (1) et (3) entraînent (5) ; donc est contenu dans , contient  ; donc l’oscillation dans est comme dans , et l’oscillation dans est comme dans . Cela montre que la valeur de au point est comprise entre et , sous les conditions (1) ; étant arbitraire, est continue ; donc a une borne inférieure qui, étant atteinte en un certain point, est positive. Pour tout point du champ , les conditions

(6)

,,

entraînent

(7)

.

En résumé, étant donné , il y a un nombre positif tel que, et étant deux points quelconques de vérifiant les conditions (6), il en résulte (7). Ce fait, démontré pour le cas de , a lieu a fortiori pour toute valeur positive de  ; il a lieu évidemment pour le cas, écarté précédemment, d’une fonction constante. On exprime la propriété obtenue en disant que toute fonction continue dans un champ borné est uniformément continue dans ce champ.