La Planète Mars et ses conditions d’habitabilité/Résultats/4

Gauthier-Villars et fils (1p. 509-516).
Géographie de Mars, ou aréographie

CHAPITRE IV.

GÉOGRAPHIE DE MARS, OU ARÉOGRAPHIE.

Toutes les observations réunies dans cet Ouvrage montrent que le globe de Mars est diversifié de taches sombres et de taches claires, fixes à la surface. Nous avons ici sous les yeux plus de deux siècles de résultats concordants. Mars est la seule planète de notre système dont nous puissions ainsi étudier la géographie. Vénus, Jupiter et Saturne se montrent constamment enveloppés de nuages. Les autres ne laissent rien apercevoir de bien sûr.

Si l’on considère les régions de la planète en général, on peut les partager en deux classes. La première comprend les contrées claires, présentant une coloration ordinairement jaune foncé ou orangé, mais qui peut varier momentanément, et selon la localité, d’une part entre toutes les nuances du jaune jusqu’au blanc pur, d’autre part entre toutes les teintes comprises entre l’orangé rouge et un rouge foncé que l’on peut comparer à celui de la brique bien cuite, ou mieux peut-être, à celle du cuir fortement usé. La seconde classe est celle des régions foncées qui constituent les taches dans le sens propre du mot et dont la couleur fondamentale paraît une sorte de gris de fer teinté de vert, présentant toutes les gradations depuis le noir jusqu’au gris cendré. En général, les régions de la seconde classe paraissent être plus sombres que les premières ; mais il arrive aussi que dans le changement de couleur auquel sont soumises certaines étendues de la planète, les taches de la première catégorie prennent une coloration rouge foncé et celles de la seconde une teinte claire ; alors on ne peut pas dire quelles sont les plus claires ou les plus foncées ; en un mot, il s’agit plutôt de différences de couleurs que de différences d’intensité lumineuse. Néanmoins la distinction qui existe entre les deux genres de régions est à peu près permanente à part quelques exceptions.

L’invariabilité séculaire des taches de Mars ne doit pas être comprise dans un sens absolu et aussi rigoureusement que celle des taches de la Lune. L’observation assidue a montré que plusieurs régions de la surface de la planète changent de nuance dans certaines limites et que les rayons solaires sont réfléchis avec une intensité différente, selon les moments. Les contours des taches sombres peuvent subir des déplacements qui, à vrai dire, sont très minimes, comparés aux dimensions de la planète et à celles des taches elles-mêmes, mais qui n’en sont pas moins incontestables ; d’autre part, la netteté des contours est tantôt plus grande, tantôt moins précise. Beaucoup de fins détails sont plus facilement visibles à certaines époques qu’à d’autres, même si l’on tient compte de l’influence inévitable exercée par les diverses circonstances de l’observation ; ces détails peuvent subir des changements d’aspect relativement notables, mais insuffisants pour rendre douteuse l’identité de l’objet considéré. Enfin Mars a une atmosphère, et il se produit là un ensemble de phénomènes que l’on peut considérer comme météorologiques, par analogie avec ceux qui se passent sur la Terre, bien que vraisemblablement ils soient très différents.

L’ensemble de tous ces changements donne à l’étude de Mars un bien plus grand intérêt que si tout était invariable, immobile à sa surface. Comme écrivait M. Schiaparelli[1] : « Cette planète n’est pas un désert de roches arides ; elle vit : le développement de sa vie se révèle dans tout un système de transformations très compliquées, dont quelques-unes embrassent une étendue suffisante pour être visibles aux habitants de la Terre. Il y a là à explorer un monde tout entier de choses nouvelles, éminemment propres à provoquer la curiosité des chercheurs et à fournir du travail en surabondance aux télescopes pour de nombreuses années. Ces phénomènes, en effet, diffèrent tellement et sont diversifiés de tant de détails, qu’on ne pourra reconnaître ce qu’ils peuvent avoir de régulier qu’à la suite d’études rigoureuses et complètes ; ce sera le seul moyen de tirer des conclusions précises et à peu près vraisemblables sur les causes de ces modifications et sur la constitution physique de Mars. »

On ne peut se dissimuler que de telles études, pour être exactes et complètes, rencontrent maintes difficultés. Parmi les variations qui se produisent à la surface de la planète, quelques-unes s’effectuent lentement (comme, par exemple, les augmentations et diminutions périodiques des éclatantes neiges polaires) et présentent des phases relativement faciles à suivre. Mais il y a encore des changements d’une autre sorte ; les uns s’accomplissent en quelques jours, les autres sont presque soudains, et leur effet est visible d’un jour à l’autre ; telle est l’énigmatique duplication des canaux. Il se présente enfin des phénomènes dont la période dépend évidemment de la révolution annuelle de la planète. Pour bien comprendre le mécanisme de ces changements, il serait nécessaire de faire une série d’observations ininterrompues pendant au moins tout le temps que la planète emploie à parcourir son orbite autour du Soleil. Cette condition est imposée non seulement par la nécessité d’explorer les taches polaires boréales et australes aux époques où l’inclinaison de l’axe est le plus favorable à l’observation, mais aussi par ce fait également certain qu’une partie des phénomènes en question dépend des saisons de la planète.

À la vérité, un tel contrôle complet n’est pas possible pour un observateur isolé ; il serait même impossible pour plusieurs observateurs, si ceux-ci habitent un pays circonscrit et peu étendu de la surface terrestre, l’Europe, par exemple. Par les jours si rares de bonnes observations, on ne peut guère utiliser vraiment que deux ou trois heures, pendant le crépuscule, au commencement ou à la fin de la nuit. Il en résulte que, un jour donné, on aura rarement la chance de pouvoir observer plus d’un quart de la planète avec une facilité suffisante ; comme, d’autre part, la rotation de Mars diffère très peu de celle de la Terre, le déplacement des régions accessibles à l’observation s’accomplit lentement d’un jour à l’autre, de sorte qu’un seul et même point de la planète peut être observé pendant huit ou dix soirs consécutifs. Mais le retour du même aspect des taches aux mêmes heures terrestres s’effectue dans la période très longue de trente-huit jours environ. Par conséquent, telle région que l’on a pu étudier huit ou dix jours de suite (pourvu que l’atmosphère terrestre l’ait permis), restera inaccessible à l’observation pendant un mois entier, et, au bout de ce temps, une exploration attentive révélera parfois des changements très considérables dont il n’aura pas été possible d’indiquer l’époque et d’étudier la marche. Si, en outre (ce qui arrive souvent), le temps a été mauvais pendant les huit ou dix jours qui auraient pu servir à l’exploration de cette contrée, il s’écoulera peut-être plus de deux mois avant qu’on puisse l’examiner à nouveau ; souvent même, il arrivera qu’une opposition entière passera sans qu’on ait l’occasion favorable d’étudier une contrée donnée. Pour obvier à toutes ces difficultés, il n’y aurait qu’un seul moyen, ce serait de répartir un certain nombre d’observateurs à la surface de la Terre, de telle sorte que pendant toutes les apparitions de Mars il y en ait au moins un qui voie la planète à une hauteur suffisante au-dessus de l’horizon, pour obtenir une bonne image.

Ce n’est pas tout encore. On ne peut effectuer d’utiles observations de Mars que quand cette planète est suffisamment rapprochée de la Terre. Pour l’observation des détails les plus difficiles (qui sont en même temps les plus intéressants), il faut que son diamètre apparent soit au moins de 10″ à 12″. Cette condition n’est remplie que pendant quelques mois (trois ou quatre), vers les époques d’opposition ; or cette circonstance ne se présente que par intervalles de vingt-six mois environ. Chaque opposition ne peut donc nous faire connaître l’état de la planète que pendant une faible fraction de sa révolution périodique. Heureusement, cet arc de l’orbite n’est pas toujours le même, car, quand une opposition se produit à un certain point de l’orbite de Mars, l’opposition suivante a lieu en un point dont la distance par rapport à nous est plus grande d’environ 48° de longitude héliocentrique.

On voit donc que, pour pouvoir suivre la planète dans toutes les inclinaisons possibles de son axe et en toutes ses saisons, il faut un cycle de sept à huit oppositions consécutives, cycle dont la durée est de seize ans en moyenne. Si les phénomènes martiens étaient exactement périodiques et dépendaient de la révolution autour du Soleil, on pourrait espérer en écrire l’histoire complète au moyen d’observations appliquées à l’un de ces cycles ou à quelques-uns d’entre eux. Mais cette périodicité ne paraît qu’approximative, comme celles de la météorologie terrestre.

Les obstacles qu’on vient de signaler sont d’un caractère purement astronomique. Ceux qui sont causés par le mauvais temps et la mobilité de l’atmosphère terrestre sont bien plus graves. M. Schiaparelli a constaté par expérience, à Milan, que l’on peut à peine espérer avoir une atmosphère suffisamment bonne sur huit ou dix soirs ; parfois même, il se passe des mois entiers sans que l’on puisse faire une observation satisfaisante. Bien plus rares encore sont les soirs à images parfaites, ceux où l’on peut utiliser toute la puissance d’un instrument[2]. Quoi qu’il en soit, on peut espérer qu’en étudiant la constitution des climats par rapport à la netteté des images télescopiques, on arrivera, avec le temps, à réduire ces obstacles à un minimum. Enfin, l’expérience a appris que la difficulté de coordonner entre eux les résultats obtenus par divers observateurs à l’aide d’instruments différents est par elle-même un empêchement très grave : cette difficulté ne disparaîtra que quand la Photographie céleste sera assez avancée pour reproduire les détails les plus minutieux que nous parvenons à découvrir à l’aide de nos bons télescopes actuels.

Ces taches foncées et ces taches claires, permanentes, et qui ne se substituent jamais les unes aux autres, doivent être de natures différentes. Il y a, à la surface martienne, des liquides et des solides, car nous observons des neiges, des brumes et de la vapeur d’eau, et, si tout était liquide, la permanence séculaire des taches n’existerait pas. Les étendues aquatiques sont-elles représentées par les taches foncées ou par les claires ?

Tout nous invite à penser que ce sont les foncées qui les représentent. D’abord, les eaux, les liquides en général, absorbent plus de lumière que les surfaces continentales, à moins que celles-ci ne soient couvertes d’une végétation très sombre. D’autre part, nous assistons annuellement à la fonte des neiges martiennes, et cette fusion entoure les neiges restantes d’une bordure foncée. En troisième lieu, la forme des rivages découpés en golfes ou en caps s’accorde mieux avec l’attribution des mers aux taches sombres. En quatrième lieu, les variations observées, les élargissements ou raccourcissements, s’appliquent mieux à la première interprétation qu’à la seconde. En cinquième lieu, les changements de tons observés si fréquemment sur les taches foncées, depuis le noir d’encre jusqu’au gris clair, et la mobilité de ces tons s’appliquent mieux également à un élément liquide qu’à un élément solide. (Ainsi, par exemple, il y a des années où la mer Terby a paru noire comme de l’encre, si foncée, que l’on a proposé de la substituer à la baie du Méridien pour le méridien initial. Eh bien ! cette année 1892, depuis trois mois que je l’observe en particulier, elle est vague, grisâtre, indécise.)

Nous considérons donc les régions claires comme des continents et les régions foncées comme des mers.

Dans cette interprétation, la distribution géographique martienne est toute différente de la nôtre.

Sur la Terre, les trois quarts de la surface sont couverts par les eaux, et il n’y a pas le quart du globe d’habitable par la race humaine.

Sur Mars, la répartition est moins inégale, les deux éléments s’y partagent à peu près par moitié l’étendue du globe ; il y a seulement un peu plus de terres que de mers : 77 millions de kilomètres carrés de terres, et 66 d’eau. En éliminant les cercles polaires, les terres habitables de Mars représentent une surface cinq à six fois supérieure à celle de l’Europe.

Mais ces eaux ne doivent pas être, chimiquement ni physiquement, les mêmes que les nôtres. Il se passe sur Mars des phénomènes qui n’offrent aucune analogie avec ceux des éléments terrestres. Nous voulons parler des variations observées dans les aspects de Mars. C’est là un sujet capital qu’il importe d’étudier intégralement ici avant d’aller plus loin, et c’est ce que nous allons faire en l’un des chapitres suivants.

Quelle est la cause de la coloration rougeâtre des continents ?

Nous avons vu que ce n’est pas l’atmosphère (p. 133, 188, etc.).

C’est la couleur du sol, du sol visible, c’est-à-dire de la surface.

Nous pouvons donc ou supposer que la surface de ces continents est nue, stérile, sablonneuse, sans aucun revêtement végétal, ou bien que ce revêtement général est rougeâtre.

Pour se ranger à la première opinion, il faudrait considérer Mars comme un désert éternellement aride, admettre que l’atmosphère, l’eau et le soleil y jouent un rôle diamétralement contraire à ce qui est arrivé sur notre globe, admettre, en un mot, que les combinaisons des éléments soient restées là-bas absolument improductives, tandis qu’ici elles ont conduit à cette vie végétale et animale immense et multipliée, qui emplit les eaux et les airs et se développe en tous lieux avec une abondance si féconde et si prodigieuse.

Il nous semble impossible de condamner un monde à une destinée de ce genre, surtout un monde doué de tous les éléments de vitalité que nous voyons réunis sur notre voisine la planète Mars.

La coloration des continents a donc, beaucoup plus vraisemblablement, pour cause celle du revêtement végétal, quelconque d’ailleurs, qui s’est formé à leur surface.

Cette coloration n’est pas aussi rouge qu’on le croit en général. Nous l’avons toujours assimilée, pour notre part, à celle des champs de blés murs vus de la nacelle d’un ballon. Elle varie, d’ailleurs, d’une terre à l’autre, et aussi pour les mêmes régions. Ainsi, cette année 1892, le continent Beer, à droite de la mer du Sablier, m’a paru plus rouge que le continent Herschel, à gauche de la même mer ; et la terre de Lockyer, qui sur notre carte (fig. 31) est foncée, paraît cette année aussi claire que les continents.

Pourquoi, dira-t-on, la végétation de Mars ne serait-elle pas verte ?

Pourquoi le serait-elle ? répondrons-nous. La Terre ne peut pas être considérée, à aucun point de vue, comme le type de l’Univers.

D’ailleurs, la végétation terrestre pourrait être rougeâtre elle-même, et elle l’a été en majorité pendant bien des siècles, les premiers végétaux terrestres ayant été des lycopodes, dont la couleur est d’un jaune roux tout martien. La substance verte qui donne aux végétaux leur coloration, la chlorophylle, est composée de deux éléments, l’un vert, l’autre jaune. Ces deux éléments peuvent être séparés par des procédés chimiques. Il est donc parfaitement scientifique d’admettre que, dans des conditions différentes des conditions terrestres, la chlorophylle jaune puisse seule exister, ou dominer. Sur la Terre, la proportion est de 1 pour 100. Ce peut être le contraire sur Mars.

La théorie cosmogonique la plus probable nous montre Mars comme formé antérieurement à la Terre et comme plus avancé dans sa destinée.

Helmholtz a calculé que la condensation de la nébuleuse primordiale en soleil a dû produire 28 millions de degrés centigrades. Appliquant ces mêmes principes à la Terre et à Mars, M. Schiaparelli trouve que cette chaleur de concentration a dû être de 8988° pour la Terre et 1795° seulement pour Mars. Ce globe doit être depuis longtemps refroidi jusqu’à son centre.

On sait d’ailleurs que la chaleur intérieure du globe terrestre n’a aucune influence sur la température de la surface ni sur les phénomènes de la vice végétale et animale.

L’ancienneté de Mars expliquerait tout naturellement la plus grande rareté des eaux à sa surface et le nivellement probable de ses continents.

Nous avons vu que ses mers consistent en méditerranées qui paraissent peu profondes. Des régions intermédiaires sont tantôt sèches et tantôt inondées, ou peut être couvertes de brumes. Signalons, comme îles, 1o l’île neigeuse de Hall, située dans l’océan de la Rue, par 47° de longitude et 22° de latitude (Voy. notre carte, p. 69), qui est tantôt visible lorsqu’elle est couverte de neige ou de nuages (Voy. p. 278, 303, 315), et tantôt invisible, et à laquelle M. Schiaparelli a donné le nom de terre de Protée ; 2o l’île de Dawes, appelée aussi terre de Jacob et Argyre, située au-dessus de la précédente (Voy. fig. 31, p. 187, 302). La neige atlantique et la neige olympique paraissent représenter des pics parfois couverts de neiges, situés en pleines terres, le premier par 267° de longitude et 17° de latitude boréale, le second par 128° de longitude et 21° de latitude boréale (Voy. fig. 185 et 191).

Nous avons vu aussi que les chaînes de montagnes sont rares. Tout semble nivelé. Cependant il en reste, comme le montrent les taches blanches observées sur le terminateur (Voy. p. 466). Les rives droites de la mer du Sablier, jusqu’au détroit d’Herschel, doivent être en falaises, non en plages, car, d’une part, les extensions de cette mer se produisent toujours sur la rive gauche et, d’autre part, une bordure blanche assez fréquente indique là des neiges, gelées blanches ou nuées.

L’hémisphère boréal de Mars est à un niveau supérieur à celui de l’hémisphère austral : les mers occupent surtout celui-ci. Il en est sensiblement de même pour le globe terrestre. La cause peut être attribuée à l’effet de l’attraction solaire sur les hémisphères martien et terrestre les plus rapprochés de lui pendant la demi-période de révolution de la ligne des apsides à l’époque critique de la consolidation définitive de l’écorce.

  1. L’Astronomie, 1889, janvier, p. 20.
  2. Conseils pour l’observation de Mars

    Quoiqu’il fasse généralement beau sur Mars et que son atmosphère propre mette peu d’obstacles à l’observation de sa surface, les différences de tons sont souvent si peu accentuées et les contours des configurations si vagues et si incertains — à part quelques heures exceptionnelles de parfaite visibilité — que l’on ne peut obtenir de résultats satisfaisants sans une méthode d’observation assez sévère.

    Le premier point, naturellement, est d’avoir un bon objectif — ou un bon miroir, s’il s’agit de télescope. — La dimension de l’instrument est relativement secondaire. On a obtenu d’excellentes images avec de petites lunettes de 108mm, 95mm et même 75mm de diamètre, tandis que des colosses de près d’un mètre de diamètre et même davantage, comme télescopes, n’ont donné que des vues médiocres et presque impossibles à identifier. Donc, tout instrument peut servir, s’il est bon.

    Le second point est d’avoir la même température à l’instrument qu’au dehors. Si l’on observe en plein air, rien de mieux. Mais, si l’on se sert d’un équatorial abrité sous une coupole, il faut avoir soin d’ouvrir les trappes, les fenêtres et les portes, d’aérer le plus possible la coupole, plusieurs heures avant l’observation. Les vagues d’air chaud qui passent devant l’objectif, et qui sont grossies proportionnellement aux oculaires employés, sont le plus grand obstacle à la netteté des images.

    En troisième lieu, il importe de ne pas oublier que, les deux conditions précédentes étant remplies, la précision désirée ne sera pas obtenue pour cela dans les conditions normales de notre atmosphère, par la raison que lors même qu’elle nous paraît parfaitement pure, elle est traversée de couches de densité hétérogène qui se meuvent suivant les courants et qui troublent la vision. Il faut savoir attendre, parfois plusieurs heures, les moments assez fugitifs en général de calme absolu et de tranquillité parfaite.

    Les heures où l’atmosphère est la plus transparente sont celles qui ont été précédées par une pluie d’orage.

    Les heures de jour, aurore et crépuscule, nous ont toujours semblé meilleures que les heures de nuit.

    D’autre part, pour être assuré d’obtenir des vues certaines qui ne puissent être influencées par aucune idée préconçue, il importe de ne pas se préoccuper de la face de Mars tournée vers nous à l’heure de l’observation, et d’observer dans l’ignorance la plus grande de ce que l’on doit voir. On ne tarde pas à reconnaître l’une ou l’autre des configurations. Si l’on a observé plusieurs jours de suite, on sait à peu près d’avance ce que l’on doit voir, malgré tout l’oubli que l’on voudrait y apporter. Le mieux est de ne penser à rien et de s’occuper uniquement de constater le mieux possible ce que l’on a sous les yeux. Dans ce cas, les croquis ou dessins ont la plus grande valeur. Si l’on calcule d’avance le méridien central et si l’on met devant soi le globe ou une carte de Mars, on est préparé à voir ce qui doit être, et c’est déjà trop. D’ailleurs, on perd tout le plaisir à identifier ensuite ce que l’on a découvert. Ajoutons qu’il n’est pas mauvais de faire cette identification immédiatement après l’observation.

    L’œil s’accoutume aux conditions instrumentales et se perfectionne. Les premières observations ne sont, en général, guère satisfaisantes. De jour en jour on voit mieux. Pour arriver à bien dessiner Mars, il faut que l’œil s’habitue aux aspects de la planète pendant plusieurs jours. Les premiers croquis ne valent rien, en général, et ressemblent aux dessins primitifs faits par les anciens observateurs.