L’Encyclopédie/1re édition/FORMULE
FORMULE, s. f. (Algebre.) est un résultat général tiré d’un calcul algébrique, & renfermant une infinité de cas ; ensorte qu’on n’a plus à substituer que des nombres particuliers aux lettres, pour trouver le résultat particulier dans quelque cas propose que ce soit. Une formule est donc une méthode facile pour opérer ; & si l’on peut la rendre absolument générale, c’est le plus grand avantage qu’on puisse lui procurer ; c’est souvent réduire à une seule ligne toute une science. Mais pour qu’une formule générale soit vraiment utile, & qu’il y ait du mérite à l’avoir trouvée, il faut que la formule générale soit plus difficile à trouver que la formule particuliere, c’est-à-dire que le probleme énoncé généralement renferme des difficultés plus grandes que le probleme particulier qui a donné occasion de chercher la méthode générale. Feu M. Varignon, géometre de l’académie des Sciences, aimoit à généraliser ainsi des formules ; mais malheureusement ses formules générales étoient presque toûjours privées de l’avantage dont nous parlons : & dans ce cas une formules générale n’est qu’une puérilité ou une charlatanerie. M. Bernoulli, ou un autre géometre, résolvoit-il un probleme difficile ? M. Varignon aussi-tôt le généralisoit, de maniere que l’énoncé plus général renfermoit en apparence plus de difficultés, mais en effet n’en avoit aucune de plus, & n’exigeoit pas qu’on ajoûtât la moindre chose à la méthode particuliere : aussi M. Bernoulli disoit-il quelquefois après avoir résolu un problième, qu’il le laissoit à généraliser à M. Varignon. (O)
Formule (Hist. rom.) regle prescrite par les lois de Rome, dans des affaires publiques & particulieres.
La république romaine avoit établi pour l’administration des affaires, certaines formules dont il n’étoit pas permis de s’écarter. Les stipulations, les contrats, les testamens, les divorces, se faisoient par des formules prescrites, & toûjours en certains termes dictés par la loi, dont la moindre omission ou addition étoit capable d’annuller les actes les plus importans. La même chose avoit lieu pour les affaires publiques religieuses & civiles, les expiations ; les déclarations de guerre, les dévoüemens, &c. avoient leurs formules particulieres, que l’histoire nous a conservées. Enfin il y avoit dans quelques conjonctures éclatantes, certaines formules auxquelles on attachoit des idées beaucoup plus vastes, que les termes de ces formules ne sembloient désigner. Ainsi quand le sénat ordonnoit par un decret que les consuls eussent à pourvoir qu’il n’arrivât point de dommage à la république, ne quid respublica detrimenti caperet, c’étoit une formule des plus graves, par laquelle les magistrats de Rome recevoient le pouvoir le plus étendu, & qu’on ne leur confioit que dans les plus grands périls de l’état. (D. J.)
Formules des Actions ou Formules romaines (Jurisp.), legis actiones ; c’étoit la maniere d’agir en conséquence de la loi, & pour profiter du bénéfice de la loi ; c’étoit un style dont les termes devoient être suivis scrupuleusement & à la rigueur. C’étoit proprement la même chose que les formalités établies parmi nous par les ordonnances & l’usage, pour le style des actes & la procédure.
Ce qui donna lieu à introduire ces formules, fut que les lois romaines faites jusqu’au tems des premiers consuls, ayant seulement fait des réglemens sans rien prescrire pour la maniere de les mettre en pratique, il parut nécessaire d’établir des formules fixes pour les actes & les actions, afin que la maniere de procéder ne fût pas arbitraire & incertaine. Il paroît que ce fut Appius-Claudius Caecus, de l’ordre des patriciens, & qui fut consul l’an de Rome 446, qui fut choisi par les patriciens & par les pontifes, pour rédiger les formules & en composer un corps de pratique. Ces formules furent appellées legis actiones, comme qui diroit la maniere d’agir suivant la loi ; elles servoient principalement pour les contrats, affranchissemens, émancipations, cessions, adoptions, & dans presque tous les cas où il s’agissoit de faire quelque stipulation, ou d’intenter une action.
L’effet de ces formules étoit 1°. comme on l’a dit, de fixer le style & la maniere de procéder ; 2°. que par ce moyen tout se faisoit juridiquement & avec solennité, tellement que le défaut d’observation de ces formules emportoit la nullité des actes ; & l’omission de quelques-uns des termes essentiels de ce formules, faisoit perdre irrévocablement la cause à celui qui les omettoit ; au lieu que parmi nous on peut en certain cas revenir par nouvelle action. 3°. Elles ne dépendoient d’aucun jour ni d’aucune condition, c’est-à-dire qu’elles avoient lieu indistinctement tous les jours, même dans ceux que l’on appelloit dies festos, & elles ne changeoient point suivant les conventions des parties. 4°. Chacune de ces formules ne pouvoit s’employer qu’une fois dans chaque acte ou contestation. Enfin il falloit les employer ou prononcer soi-même, & non par procureur.
Les patriciens & les pontifes qui étoient dépositaires de ces formules, de même que des fastes, en faisoient un mystere pour le peuple ; mais Cnæus-Flavius secrétaire d’Appius, les rendit publiques ; ce qui fut si agréable au peuple, que le livre des formules fut appellé droit flavien, du nom de celui qui l’avoit publié ; & Flavius fut fait tribun du peuple. Les fastes & les formules furent proposés au peuple sur des tables de pierre blanche ; ce qu’on appelloit in albo.
Autant le peuple fut satisfait d’être instruit des formules, autant les patriciens en furent jaloux ; & pour se conserver le droit d’être toûjours les dépositaires des formules, ils en composerent de nouvelles qu’ils cacherent encore avec plus de soin que les premieres, afin qu’elles ne devinssent pas publiques ; mais Sextus-Ælius-Poetus Catus étant édile-curule, l’an de Rome 553, les divulga encore, & celles-ci furent nommées droit ælien. Ces nouvelles formules furent comprises dans un livre d’Ælius, intitulé tripertita.
Les jurisconsultes ajoûterent dans la suite quelques formules aux anciennes ; mais tout cela n’est point parvenu jusqu’à nous. Les formules commencerent à être moins observées sous les empereurs. Les fils de Constantin rejetterent celles qui avoient rapport aux testamens ; Théodose le jeune les abrogea toutes, & depuis elles ne furent plus de vigueur, ni même usitées : cependant l’habitude où l’on étoit de s’en servir, fit qu’il en demeura quelques restes dans la plûpart des actes.
Plusieurs savans ont travaillé à rassembler les fragmens de ces formules, dispersés dans les lois & dans les auteurs. L’ouvrage le plus complet en ce genre est celui du président Brisson, de formules & solemnibus populi romani verbis. Il est divise en huit livres, qui contiennent les formules des actes & de la procédure, & même celles touchant la religion & l’art militaire.
Le célebre Jerôme Bignon, qui publia en 1613 les formules de Marculfe, avec des notes, y a joint quarante-six anciennes formules selon les lois romaines.
M. Terrasson a aussi très bien expliqué l’objet de ces formules, dans son histoire de la jurisprudence romaine, part. II. §. 16. pag. 207. & à la fin de l’ouvrage parmi les anciens monumens qu’il nous a donnés de la jurisprudence romaine, il a aussi rapporté plusieurs formules des contrats & actions. (A)
Formules de Marculfe, sont des modeles d’actes & de procédures, recueillis par le moine Marculfe qui vivoit vers l’an 660. On présume qu’il avoit été chapelain de nos rois avant de se retirer dans une solitude. Son recueil de formules est divisé en deux livres. Le premier contient des formules des lettres qui s’expédioient aux palais des rois, chartæ regales. L’autre livre contient celles qui étoient données devant le comte ou les juges des lieux, appellées chartæ pagenses. Cet ouvrage est nécessaire pour bien entendre l’histoire de nos rois de la premiere race, & la jurisprudence qui avoit lieu alors. Jerôme Bignon dont on a parlé ci-dessus, publia cet ouvrage en un volume in-8°. qu’il enrichit de savantes remarques. Il y a joint des formules romaines, & d’autres anciennes formules françoises dont l’auteur est incertain. (A)
Formules des Actes, qu’on appelle aussi formules simplement, se prennent en plusieurs sens différens. On entend quelquefois par-là le style uniforme que l’on avoit projetté d’établir pour les actes & procédures ; quelquefois la marque & inscription qui est au-haut du papier & du parchemin timbrés : quelquefois par formule on entend le papier même ou parchemin qui est timbré.
L’origine des formules en France vient des ordonnances que Louis XIV. fit faire pour la réformation de la justice, & notamment celles des mois d’Avril 1667, Août 1669 & 1670. Aussi-tôt que la premiere de ces ordonnances parut, le roi crut que pour rendre à ses sujets l’exécution des ordonnances plus facile, & afin qu’il y eût à l’avenir un style uniforme dans toutes les cours, il devoit faire dresser des formules tant des exploits que des autres procédures, actes & formalités nécessaires dans la poursuite des procès. On commença donc par dresser des formules pour l’exécution de l’ordonnance de 1667, lesquelles furent vûes & examinées dans le conseil de réformation, & arrêtées pour servir de regle & de modele à tous les praticiens & autres sujets du roi. Le recueil de ces formules fut imprimé en un volume in-4°. en 1668. Il ne paroît pas que l’on ait fait le même travail sur les autres ordonnances.
Cependant par un édit du mois de Mars 1673, le roi annonça encore qu’il avoit estimé nécessaire de faire dresser en formules les actes & procédures les plus ordinaires, en conformité des nouvelles ordonnances, pour être lesdites formules portées dans chaque siége, & y être observées sans aucun changement ; & pour faciliter l’observation de ces formules & ôter tout prétexte de s’en écarter, il ordonna que ces formules seroient imprimées, & que les officiers publics se serviroient de ces imprimés, tant pour les originaux que pour les copies de leurs actes, dans lesquelles formules ils rempliroient à la main les blancs de ce qui seroit propre à chaque acte. Les motifs allégués dans cet édit, étoient de rendre le style uniforme dans tous les tribunaux ; de prévenir les fautes où tombent souvent des copistes peu intelligens ; de rendre l’instruction des procès plus prompte & plus facile, & de diminuer les frais. Ces formules imprimées avoient paru si commodes, que l’on s’en servoit déjà dans l’instruction de différentes affaires & procès, & que néanmoins les parties n’en tiroient point d’avantage, vû qu’on leur faisoit toûjours payer les mêmes droits, que si les actes étoient entierement écrits à la main.
L’édit ordonna en conséquence que les huissiers, sergens, procureurs, greffiers & autres officiers ministres de justice des conseils de S. M. parlemens, grand-conseil & autres cours, siéges & justices royales, & ceux des justices des seigneurs, mêmes des officialités & autres jurisdictions tant ordinaires qu’extraordinaires, seroient tenus, chacun à leur égard, de se servir, tant pour originaux que pour copies, des formules d’exploits, procédures & autres actes judiciaires, pour être les blancs des imprimés remplis, & par eux employés à leurs usages ; qu’à cet effet il seroit dressé un recueil de ces formules, qui seroit arrêté par S. M. & envoyé dans toutes les cours premieres & principales, pour y avoir recours & servir de modele aux imprimés des formules.
Qu’il seroit fait un autre recueil des formules des contrats, obligations & autres actes les plus communs & usités, & qui sont journellement passés par les notaires & tabellions, soit royaux, apostoliques ou des seigneurs ; comme aussi des lettres de mer, connoissemens, chartes parties, & autres actes & contrats maritimes, pour servir aux écrivains de vaisseau.
Qu’il seroit pareillement fait un recueil des lettres les plus ordinaires de justice, finance & de grace, tant de la grande chancellerie, que de celles qui servent près les cours & présidiaux, & des provisions des bénéfices & offices, des lettres des Arts & Métiers, & autres de toute nature.
Que l’on feroit pareillement un recueil des formules des lettres de provisions, présentations & nominations de bénéfices des archevêques, évêques, chapitres, abbés, & autres collateurs & patrons ecclésiastiques, & généralement de toutes les lettres qui sont données par les archevêques & évêques ; comme aussi des lettres de maître-ès-arts, de bachelier, de licentié & de docteur en toutes les facultés des universités, & de toutes les autres lettres qui s’expédient dans les secrétariats des universités, & de celles qui sont données par toutes autres communautés ecclésiastiques & séculieres.
Enfin qu’il seroit aussi fait un recueil des formules des quittances, qui s’expédient annuellement pour les revenus casuels de S. M. marc-d’or, recette générale des finances & particulieres des tailles, payeurs des rentes sur la ville de Paris, & généralement par tous les officiers comptables ; ensemble par les rentiers & autres parties prenantes ; comme aussi des acquits, certificats, passeports, passavants & autres actes qui servent à la régie de nos fermes & perception de nos droits, même des commissions des tailles des paroisses.
Que sur les modeles de ces formules seroient imprimés les exemplaires, qui seroient employés par ceux qui s’en devoient servir, soit en parchemin ou en papier, suivant l’usage ; & que toutes ces formules imprimées seroient marquées en tête d’une fleur-de-lis, & timbrées de la qualité & substance des actes.
On devoit, sous peine de nullité des actes, se servir des exemplaires imprimés, trois mois après que les recueils de formules auroient été mis au greffe des cours.
Cet édit fut registré au parlement, le roi y séant en son lit de justice, le 23 Mars 1673. Il fut registré le même jour en la chambre des comptes, de l’ordre de S. M. porté par Monsieur, son frere unique, assisté du maréchal du Plessis-Praslin & des conseillers d’état.
Par une déclaration du 30 Juin suivant, le roi ordonna que les recueils de formules & le tarif arrêté en son conseil le 22 Avril précédent, seroient enregistrés dans toutes ses cours.
Cette déclaration fut portée au parlement de Paris, avec les recueils de formules & le tarif des droits ; mais elle n’y fut point enregistrée, à cause de l’inconvénient que l’on trouva dans les formules, qui ne pouvoient servir à tous les divers actes dont la disposition est différente, selon les personnes, les lieux & les choses.
Le roi voulant accélérer la perception des droits portés par le tarif des formules, pour fournir aux dépenses de la guerre qu’il faisoit en personne, donna une autre déclaration le 2 Juillet 1673, par laquelle il ordonna que le travail commencé pour dresser les formules seroit continué & achevé, pour être ensuite procédé à l’enregistrement de tous les recueils ; & cependant que les commis préposés pour la distribution desdites formules, pourroient vendre & distribuer à tous officiers ministres de justice & autres qu’il appartiendroit, le papier & parchemin qu’il conviendroit, marqué en tête d’une fleur-de-lis, & timbré de la qualité & substance des actes, avec mention du droit porté par le tarif ; le corps de l’acte entierement en blanc, pour être écrit à la main, &c. le tout seulement jusqu’à ce que les recueils de formules fussent achevés ; après quoi les officiers publics seroient tenus de se servir des formules en la maniere portée par les recueils.
C’est de-là que le papier & le parchemin timbrés tirent leur origine ; on a cependant conservé le nom de formule au timbre, & quelquefois on donne aussi ce nom au papier même ou au parchemin timbrés, à cause que dans les commencemens ils étoient destinés à contenir les formules des actes, au lieu desquelles on s’est contenté de mettre en tête un timbre ou marque, avec le nom des actes ; le projet des formules imprimées ayant été totalement abandonné, à cause des difficultés que l’on a trouvé dans l’exécution.
La formule ou timbre que la ferme générale fait apposer au papier & parchemin destinés aux actes publics, change ordinairement à ch que bail. Il y a une formule particuliere pour chaque généralité.
Outre la formule commune qui est apposée sur tous les papiers & parchemins de chaque généralité, il y en a encore de particulieres pour les actes reçus par certains officiers, comme pour les expéditions des greffiers, pour les actes des notaires, pour les lettres de chancellerie, les quittances de finance, les quittances de ville, &c.
Le bail des formules fait partie de la ferme des aides. Aussi ce qui concerne la perception des droits du Roi pour les formules, est-il traité dans l’ordonnance des aides de 1680, sous le titre dernier, des droits sur le papier & le parchemin timbré.
Il y a un recueil des réglemens faits pour l’usage du papier & parchemin timbres, que l’on appelle communément le recueil des formules, par le sieur Deniset, où l’on trouve tout ce qui concerne cette matiere.
Il y a aussi un mémoire instructif sur les droits de la formule, qui est à la fin du dictionnaire des aides, par le sieur Brunet de Grand-maison. Voyez Papier timbré & Parchemin. (A)
Formule, (Pharm.) prescription, ordonnance, recette, & quelquefois même recipe, est une exposition par écrit de la matiere & de la forme d’un médicament quelconque, de la maniere de le préparer, de la quantité ou dose à laquelle on doit le faire prendre au malade, & de toutes les différentes circonstances qui peuvent varier son administration.
L’art de dresser des formules ou de formules, est plus essentiel au medecin qu’on ne le pense communément, & il suppose plusieurs connoissances très-utiles, ou dont il est au-moins honteux de manquer : rien n’est si ordinaire cependant que de voir des medecins de la plus haute reputation, commettre les fautes les plus grossieres en ce genre ; fautes qui à la vérité sont ignorées du public, mais qui exposent l’art à la dérision des garçons apothicaires, & très-souvent les malades à ne point éprouver le bien que le medecin avoit en vûe, & même à essuyer de nouveaux maux.
Pour l’honneur de l’art donc, & même pour le salut des malades, le medecin praticien doit être en état de formuler selon toutes les regles, auxquelles il n’est dispensé de se conformer scrupuleusement, que quand il est en état de bien discerner ce qui est d’appareil & d’élégance, d’avec ce qui est de nécessité absolue.
M. Jerôme David Gaubius professeur de Leyde, a donné sur l’art de dresser des formules, un ouvrage qui peut être regardé comme achevé. Les gens de l’art doivent l’étudier tout entier. Le lecteur non-medecin sera très-suffisamment instruit sur cette matiere, par la connissance abregée que nous allons lui en donner ici.
On doit avoir deux vûes générales dans la prescription des remedes ; de soulager le malade, & de lui épargner le desagrément du remede autant qu’il est possible. Le premier objet est en partie entre les mains de la nature ; le second est entierement en nos mains.
On doit pour remplir la premiere vûe, pourvoir à la guérison du malade par le remede le plus simple qu’il est possible. Les formules très-chargées de divers matériaux, sont le plus souvent des productions de la charlatanerie ou de la routine : le dessein d’ajoûter à la drogue qui fait la base du remede, un adjuvant & un dirigent, selon l’idée des anciens, ce dessein, dis-je, est absolument chimérique. Nous avons dit ailleurs ce qu’il falloit penser de l’emploi des correctifs, qui étoit encore un des ingrédiens essentiels des compositions pharmaceutiques anciennes. Celui des matériaux que Gaubius appelle constituans, est le même que notre excipient. Voyez Excipient. Mais si par les considérations que nous avons exposées au mot Composition, on se détermine à prescrire des remedes magistraux composés, il faut que les divers ingrédiens de ces remedes n’agissent pas les uns sur les autres, qu’il ne se de composent pas, ou qu’ils ne se combinent pas diversement contre l’intention du medecin, & même qu’ils ne se déparent point réciproquement, ou n’acquierent point un goût desagréable par leur mélange. C’est ainsi qu’il ne faut point mêler les sels ammoniacaux avec les alkalis fixes, ou les terres absorbantes ; les acides avec les alkalis, en comptant un la vertu médicinale de chacune de ces substances car ces corps sont absolument dénaturés par la combinaison, ou par la précipitation. Voyez Menstrue & Précipitation. Les altérations de ce genre produisent aussi des changemens considérables dans les odeurs & dans les saveurs. Le vinaigre mêle au foie de soufre, produit une odeur détestable, dont chacun des réactifs étoit exempt ; les huiles par expression, mêlées ou plutôt confondues avec des corps doux, comme le miel ou la manne, ont une saveur très-desagréable &c.
Une attention moins essentielle, mais qu’il ne faut pas négliger dans les formules composées, c’est de prescrire ensemble les drogues de la même espece, les racines avec les racines, les feuilles avec les feuilles, &c. & de les arranger dans le même ordre que l’apothicaire doit les employer.
Il faut connoître nécessairement les rapports des différentes substances qu’on veut employer, entre elles & avec l’excipient qu’on veut leur donner, aussi-bien que la consistance de chacun de ces ingrédiens, afin qu’on ne s’avise pas de vouloir dissoudre un sel avec de l’huile, ou un baume avec de l’eau, & de vouloir faire une poudre avec six grains d’un sel lixiviel & huit gouttes d’une huile essentielle, comme je me souviens de l’avoir vû ordonner une fois.
Il faut encore savoir les différens noms que porte quelquefois dans les boutiques une même drogue simple, ou une même préparation, afin de ne pas risquer d’ordonner plusieurs fois dans la même formule, la même drogue sous des noms différens ; ne pas prescrire, par exemple, dans un julep syruporum de diacodio, de meconio & de papavere albo ana dragmam unam, &c. On commettroit une faute du même genre, si l’on ordonnoit en même tems diverses préparations parfaitement semblables en vertu, de la même substance ; par exemple la décoction, l’extrait ou le sirop simple de chicorée, &c. Ou si ayant prescrit une composition officinale, on demande d’ailleurs la plûpart des ingrédiens de cette composition.
Il faut être instruit encore des tems de l’année où l’on peut avoir commodément certaines substances, comme les plantes fraîches, les fruits récens, &c.
Les différens ingrédiens des formules se déterminent par poids & par mesure. Voyez Poids & Mesure.
Le modus pharmaceutique, ou la maniere de préparer la formule ou de la réduire sous la forme prescrite, termine ordinairement la formule & en constitue proprement la souscription, qui comprend aussi le tems & la maniere de faire prendre le remede au malade.
Cette derniere partie de la souscription qui est appellée signature, doit dans la grande exactitude être séparée du corps de la formule, & être écrite en langue vulgaire (le corps de la formule s’écrit ordinairement en latin), avec ordre de l’appliquer ou de la transcrire sur le vaisseau, la boîte, ou le paquet, dans lequel l’apothicaire livrera le médicament. Il n’est personne qui n’apperçoive l’utilité de cette pratique, qui peut seule empêcher les gardes malades, les domestiques, & en général les assistans de confondre les différens remedes qu’on fait prendre quelquefois aux malades dans le même jour, ou de les donner hors de propos.
Les regles que nous venons d’exposer sont absolument générales, & conviennent aux médicamens préparés sous les diverses formes qui sont en usage. Voyez l’article Médicament.
On use dans les formules ordinaires de divers caracteres & de diverses abréviations, pour désigner les poids, les mesures, certains ingrédiens très-ordinaires, les noms génériques des drogues, & certains mots d’usage & de style qui reviennent dans presque toutes les formules. On trouvera les caracteres des poids & mesures, aux articles généraux Poids & Mesure, & aux articles particuliers Once, Grain, Faisceau, Goutte, &c. Voici la liste des abréviations les plus usitées.
Aq. C. aqua communis. Q. S. quantum sufficit. S. A. secundum artem. ā ā. anæ, de chacun. M. misce. F. fiat. M. F. pulvis. Misce fiat pulvis. S. signatur. D. detur. Rad. radices. Fol. folia. Fl. flores. &c. Les abréviations du genre de ces trois dernieres s’entendent assez sans explication.
Au reste on trouvera des exemples de formules régulieres, & revêtues de tout leur appareil, l’inscription, le commencement, l’ordre, la souscription, la signature, aux articles Opiate, Potion, Poudre, Tisane, &c. (b)
On ne peut s’empêcher d’ajoûter ici d’autres considérations importantes sur les qualités qui résultent du mélange des drogues dans les formules composées, soit magistrales, soit officinales, & l’on empruntera ces considérations du même ouvrage de M. Gaubius.
Les qualités qui résultent du mélange des drogues, & qui sont souvent très-différentes de celles de chacune prise séparément, méritent une attention particuliere ; parce que le changement qui arrive après le mélange est si notable, qu’il attaque même la vertu médicinale des remedes & leur nature : ce qui prouve assez combien on a tort de préférer les composés aux simples, quand il n’y a pas de nécessité absolue qui l’exige.
Les qualités auxquelles on doit avoir égard dans les formules composées, sont sur-tout la consistance, la couleur, l’odeur, la saveur, & la vertu médicinale.
Les vices de la consistance sont l’inégalité du mélange, quand elle est trop seche ou trop épaisse, trop fluide ou trop molle. Pour éviter cet inconvénient, il faut connoître la consistance propre à chaque formule, & la consistance de chaque ingrédient prise séparément.
Rien n’est si changeant que la couleur, sur-tout si on mêle des matieres différentes. On voit bien des gens sur qui cet objet fait grande impression, & qui aiment mieux les compositions d’une couleur diaphane, blanche, dorée, rouge, bleue, que celles qui en ont une jaune, verte, noire, opaque. On ne peut pas néanmoins déterminer physiquement en général, quelle sera la couleur résultante des différentes couleurs mélangées. La Chimie par le mélange des matieres sans couleur, en produit une blanche, jaune, rouge, bleue, brune, noire, &c. elle tire même toutes sortes de couleurs de toutes sortes de matieres ; elle est presque ici la seule science qui donne les exemples & les regles dont le medecin a un besoin essentiel.
Les odeurs ne changent pas moins que les couleurs dans le mélange des remedes différens ; mais leur efficacité est bien plus grande & plus réelle. Ainsi remarquez 1°. qu’il y a peu de regles pour rendre les odeurs agréables ; que ces regles sont très-bornées & très-incertaines ; que les odeurs qui plaisent à quelques personnes, déplaisent à beaucoup d’autres. 2°. Que l’agréable & l’utile ne vont point ici de pair ; les hypocondriaques & hystériques se trouvent quelquefois ne pouvoir pas supporter ce qui sent très-bon ; souvent les odeurs fortes, fœtides ou suaves, font de grandes impressions en bien & en mal. 3°. Qu’en général on aime davantage ce qui n’a point d’odeur, ou ce qui ne sent ni bon ni mauvais. 4°. Que souvent toute la vertu des remedes dépend de leurs odeurs, ou du principe qui les produit.
De plus, on ne peut pas prévoir toûjours l’odeur du mixte par celle des ingrédiens. Voici cependant ce que nous apprend la Chimie, & qui prouve combien il est utile de la savoir quand on commencera à formuler.
1°. Il y a des matieres sans odeur, que le mélange rend très-odoriférantes. Quand on mêle, par exemple, le sel alkali fixe ou la chaux vive qui sont l’un & l’autre sans odeur, avec le sel ammoniac ; quelle odeur forte ne sent-on pas tout-à-coup ? La même chose arrivera, si on verse l’acide vitriolique sur le nitre, le sel marin, le sel ammoniac, le tartre régénéré, & autres semblables. 2°. Il y a des ingrédiens très-odoriférans, qui après le mélange n’ont plus d’odeur : l’esprit de sel ammoniac, joint à l’acide du nitre ou du sel marin, en est un exemple. 3°. Il résulte quelquefois une odeur extrèmement fétide, du mélange d’odeurs, ou suaves, ou médiocrement fétides : pareillement des matieres très-fétides mêlées ensemble, donnent des odeurs très agréables. Quand on verse du vinaigre sur une dissolution de soufre par les alkalis fixes, on sent l’odeur d’œuf pourri. Des sucs très-puans que M. Lemery avoit mis dans un petit sac, rendirent une odeur de musc. Hist. de l’acad. roy. ann. 1706. pag. 7.
Les saveurs demandent les mêmes précautions & les mêmes connoissances chimiques, que les odeurs. Les saveurs naturelles, douces, acides, ameres, un peu salées, &c. sont les meilleures. Les plus desagréables sont celles qui sont putrides, rances, urineuses. La Chimie apprend qu’il y en a d’autres bien différentes, & souvent très-extraordinaires, qui naissent du mélange de différentes matieres. Les acides & les alkalis mêlés ensemble, se détruisent. Rien n’est plus desagréable que le goût salé que contractent les acides par le mélange des yeux d’écrevisses qui sont naturellement fades, & de tous les autres absorbans marins. Les terres grasses, insipides, jointes à un acide, deviennent alumineuses ; le plomb uni aux acides, acquiert une douceur de sucre ; le fer de doux devient stiptique. On sait quel goût affreux ce même mélange donne aux autres métaux.
Quelquefois même il arrive des choses qu’on n’attendoit pas naturellement dans le mélange. En voici quelques exemples. Les acides & les alkalis mêlés ensemble, perdent leurs forces particulieres, & deviennent un sel neutre. Les terres bolaires, médicinales, jointes aux acides, acquierent une force astringente plus considérable, & même alumineuse. Un acide joint à la scamonée, la rend aussi peu active que le sable ; au lieu qu’un alkali fixe en aide l’action. Le sel de tartre adoucit la force du jalap & de la coloquinte. Le sucre affoiblit les mucilagineux & les astringens.
Le mercure mêlé au soufre & changé en æthiops ou en cinnabre, cesse d’être salivant. Si vous le broyez bien exactement avec le double de sucre ou d’yeux d’écrevisse, vous produirez un æthiops blanc qui n’aura que peu d’action. Remarquez néanmoins que le turbith minéral, mêlé avec les pilules de duobus & le camphre, d’évacuant qu’il étoit devient altérant. Le mercure doux joint au soufre d’antimoine, a de la peine à exciter le ptyalisme, le vomissement, à pousser par les selles & les urines. Le sublimé corrosif devient doux, quand on y mêle une quantité de mercure crud. Plusieurs chaux de mercure où l’acide se fait sentir par son âcreté, s’adoucissent en les broyant avec des alkalis ou des absorbans terreux. L’æthiops ou le cinnabre mêlé avec les alkalis fixes, ne se change-t-il pas ?
Les alkalis dissous par les acides, & les acides par les alkalis, font ordinairement une effervescence & perdent beaucoup de leurs forces. Le vitriol de Mars mêlé avec les alkalis, se change en une espece de tartre vitriolé & d’ochre. Il en est de même dans les autres métaux & demi-métaux, excepté le cuivre. Les alkalis précipitent l’alun en une chaux morte ; ce qui fait connoître la nature des magisteres alumineux. Le soufre dissous par un sel alkali, est chassé de cet alkali par un acide, &c.
Si donc dans une formule l’on joint sans précaution les acides, surtout les fossiles, aux métaux ou aux minéraux de quelque espece qu’ils soient, il en peut résulter des changemens étonnans, souvent même de violens poisons. Le mercure sublimé, le précipité rouge, la pierre infernale, le beurre d’antimoine & plusieurs autres, en sont des preuves.
Enfin les vertus médicinales d’un corps dissous ou extrait par tel & tel menstrue, sont fort différentes. La plûpart des purgatifs végétaux extrait par un menstrue aqueux, réussissent fort bien. Ceux qui l’ont été par un menstrue spiritueux, donnent des tranchées, & purgent moins. Le verre d’antimoine, ou le safran des métaux, communique au vin une vertu émétique ; ce qu’il ne fait point à l’eau, au vinaigre distillé, à l’esprit-de-vin, ou à son alcohol. Le cuivre dissous par un acide est très-émétique ; par un alkali volatil, il pousse efficacement par les urines ; par le sel ammoniac, il devient cathartique, &c. Boerhaave, elem. chim. vol. II. pag. 475. & seq.
Il seroit aisé de citer beaucoup d’autres exemples, & je voudrois pouvoir les rapporter tous : mais comme il n’y a point de bornes dans les compositions & les mélanges, il s’en faut de beaucoup que nous connoissions au juste les altérations qui en résultent ; on n’y parviendra que quand on aura découvert les principes naturels des simples, les rapports réciproques qu’ils ont chacun entr’eux, & la véritable maniere dont ils agissent.
Cependant un homme instruit de la Chimie, s’il veut mêler plusieurs drogues dans ses formules, sera toûjours sur ses gardes ; parce qu’il fait mieux que personne que de certains mélanges il résulte des changemens prodigieux, & qu’il y en a sans doute une infinité qu’on ne connoît pas : car on n’a point encore ni fait les mélanges possibles de tous les corps, ni bien examiné les produits de ceux qui ont été mêlés. (D. J.)