L’Encyclopédie/1re édition/PTISANE

PTISANE, s. f. (Mat. méd. des anciens) en grec πτισάνη ; ce terme signifie en général une graine pilée & dépouillée de son écorce ; mais quand les anciens l’ordonnoient, ils ne se servoient pas simplement du mot de ptisana, ils ajoutoient encore le mot de la graine dont la ptisane devoit être composée ; c’est pourquoi ils disoient ptisane de froment, ptisane d’épeautre, ptisane de lentilles, ptisane de riz ; cependant ce même mot signifie proprement & particulierement de l’orge pilé & dont on a ôté l’écorce, & c’est ce que nous appellons de l’orge mondé ; mais leur méthode de monder l’orge étoit de le piler dans un mortier ; enfin le mot ptisana étoit employé dans une signification spéciale, pour désigner une décoction d’orge, une crême, un suc de ptisane, une bouillie d’orge.

La plus commune & la meilleure maniere de faire la ptisane chez les Grecs, étoit celle-ci : ils macéroient d’abord l’orge crud dans de l’eau ; ensuite, quand il étoit bien macéré, ils le frottoient dans les mains jusqu’à ce qu’il n’y restât plus d’écorce extérieure, ou bien ils le piloient dans un mortier avec un pilon de bois, jusqu’à ce qu’il fût dépouillé de son enveloppe, alors on le regardoit comme préparé. Lorsqu’ils vouloient avoir une ptisane détersive, ils faisoient bouillir l’orge entier avec son écorce, à un très grand feu qu’ils diminuoient par gradation, jusqu’à ce que la liqueur se changeât en une crême appellée jus, suc, ou lait ; voilà quelle étoit leur ptisane la plus simple, dont ils préféroient la boisson à toute autre boisson.

Dans les fiévres aiguës, ils soutenoient les forces par ce remède alimenteux ; ils aidoient la nature qui guérit les maladies, sans donner des armes à la maladie, & ils ne donnoient pas indifféremment de la crême d’orge ou de la ptisane prise pour le grain ; mais tantôt l’une tantôt l’autre : tantôt ils mêloient l’une avec l’autre à différentes proportions, selon qu’il convenoit d’en donner plus ou moins, eu égard au tems de la fievre ou à son caractere. Ils n’accordoient la ptisane à aucun malade attaqué de la fievre, que deux jours après la crise, ou après la purgation. Ils ne donnoient point encore la crême épaissie quand la crise devoit arriver le quatrieme jour ; & quand ils croyoient qu’elle devoit arriver plus tard, & que les forces le permettoient, ils se contentoient de faire prendre de l’hydromel ou de l’apomélite, c’est-à-dire du miel ou des rayons de miel mêlés avec un peu de vinaigre & bouillis légerement dans de l’eau ; quand la maladie étoit terminée ou par la crise ou par la coction, on augmentoit la nourriture suivant les mêmes dégrés qu’on l’avoit diminuée ; après la crise on ajoutoit à la crême d’orge, un peu de ptisana prise pour le grain ; on augmentoit la dose peu-à-peu, jusqu’à ce que le malade retournât aux alimens solides, en commençant par des œufs, des petits poissons de riviere, ou les extrêmités de la volaille. Si dans le cours de la maladie il survenoit du dégoût pour la crême d’orge, on y substituoit quelque chose d’équivalent, comme de légeres panades.

On ne se servoit pas seulement d’orge pour nourrir les malades ; mais encore de différentes especes d’épeautres, ensuite d’alica préparée, de riz, de millet, & même de graines de légumes. On en faisoit diverses ptisanes, qui ne sont maintenant connues que de nom, & qui étoient si communes alors, que les anciens n’ont pas daigné les décrire ; on y ajoutoit quelquefois un peu de viande, seulement en qualité de remede ou d’assaisonnement ; mais présentement nous n’avons que les vestiges de leurs liquides médicamenteux. La ptisane de notre siecle n’est qu’un nom vuide de sens, si ce n’est qu’on y met encore un peu d’orge, afin qu’il y ait quelque rapport entre le nom & la chose.

Les bouillons dans ce royaume, ont pris la place des ptisanes, qui étoient autorisées par la pratique de tant de siecles ; mais ce qui paroîtra plus surprenant & plus contraire encore à toute raison, c’est que dans ces derniers tems, non-seulement on a anéanti les règles des anciens sur les crises, sur le choix, la mesure, la maniere, les intervales auxquels on donnoit de la nourriture liquide ; sur l’augmentation, la diminution ou le retranchement, selon les forces, l’âge, la coutume & le cours de la maladie ; mais encore en introduisant l’usage des bouillons de viande, on en a fait une loi commune pour tous les tempéramens, les âges, les saisons, les fievres, quelque différentes qu’elles soient, au commencement, dans le progrès & dans l’état de la maladie : & cette loi consiste à donner des bouillons de trois heures en trois heures, ou de quatre heures en quatre heures. On sait le reste du traitement, il fait la honte de l’art ; ce ne sont que des saignées multipliées, le kermès, la manne, le senné & les vésicatoires : ces quatre ou cinq remedes marchent ensemble sans discontinuation des uns ou des autres, jusqu’à ce que la maladie ait fini par la mort ou par l’épuisement. Ce n’étoit pas ainsi que les Fernels & les Baillon pratiquoient la Médecine. (D. J.)