L’Encyclopédie/1re édition/MÉDICAMENT
MÉDICAMENT, s. m. (Thérapeutique.) ou REMEDE ; ces deux mots ne sont cependant point toujours synonymes. Voyez Remede.
On appelle médicament toute matiere qui est capable de produire dans l’animal vivant des changemens utiles ; c’est-à-dire propres à rétablir la santé, ou à en prévenir les dérangemens, soit qu’on les prenne intérieurement, ou qu’on les applique extérieurement.
Cette diversité d’application établit la division générale des médicamens en externes & en internes. Quelques pharmacologistes ont ajouté à cette division un troisieme membre ; ils ont reconnu des médicamens moyens : mais on va voir que cette derniere distinction est superflue. Car ce qui fonde essentiellement la différence des médicamens internes & des externes, c’est la différente étendue de leur action. Les internes étant reçus dans l’estomac, & étant mis ainsi à portée de passer dans le sang par les voies du chyle, & de pénétrer dans toutes les routes de la circulation, c’est-à-dire jusque dans les plus petits organes & les moindres portions des liqueurs, sont capables d’exercer une opération générale, d’affecter immédiatement la machine entiere. Les externes se bornent sensiblement à une opération particuliere sur les organes extérieurs, ils ne méritent véritablement ce titre, que lorsque leur opération ne s’étend pas plus loin ; car si l’on introduit par les pores de la peau un remede qui pénétre, par cette voie, dans les voies de la circulation, ou seulement dans le système parenchymateux & cellulaire ; ou si un remede appliqué à la peau, produit sur cet organe une affection qui se communique à toute la machine, ou à quelque organe intérieur, ce médicament se rapproche beaucoup du caractere propre des médicamens internes. Ainsi les bains, les frictions & les fumigations mercurielles, les vésicatoires, la fomentation avec la décoction de tabac qui purge ou fait vomir, ne sont pas proprement des remedes externes, ou du moins ne méritent ce nom que par une circonstance peu importante de leur administration. Il seroit donc plus exact & plus lumineux de distinguer les remedes, sous ce point de vûe, en universels, & en topiques ou locaux. Les médicamens appellés moyens se rangeroient d’eux-mêmes sous l’un ou sous l’autre chef de cette division. On a ainsi appellé ceux qu’on portoit dans les diverses cavités du corps qui ont des orifices à l’extérieur ; les lavemens, les gargarismes, les injections dans la vulve, dans l’uretre, les narines, &c. étoiont des médicamens moyens. Il est clair que si un lavement, par exemple, purge, fait vomir, reveille d’une affection soporeuse, &c. il est remede universel ; que si au contraire il ne fait que ramollir des excrémens ramassés & durcis dans les gros intestins, déterger un ulcere de ces parties, &c. il est véritablement topiqué.
Une seconde division des médicamens, c’est celle qui est fondée sur leur action méchanique ; c’est-à-dire dépendante du poids, de la masse, de l’effort, de l’impulsion, &c. & de leur action appellée physique, c’est-à-dire occulte, & qui sera chimique si jamais elle devient manifeste. L’action méchanique est sensible : par exemple, dans le mercure coulant donné dans le volvulus, pour forcer le passage intercepté du canal intestinal, comme dans la flagellation, les ligatures, les frictions seches, la succion des ventouses, &c. l’action occulte est celle d’un purgatif, d’un diurétique, d’un narcotique quelconque, &c. c’est celle d’une certaine liqueur, d’une telle poudre, d’un tel extrait, &c. qui produit dans le corps animal des effets particuliers & propres, que telle autre liqueur, telle autre poudre, tel autre extrait méchaniquement, c’est-à-dire sensiblement identique, ne sauroient produire. Cette action occulte est la vertu médicamenteuse proprement dite : les corps qui agissent méchaniquement sur l’animal, portent à peine, ne portent point même pour la plûpart le nom de médicament, mais sont & doivent être confondus dans l’ordre plus général des secours médicinaux ou remedes, en prenant ce dernier mot dans son sens le plus étendu. Voyez Remede.
En attendant que la Chimie soit assez perfectionnée pour qu’elle puisse déterminer, spécifier, démontrer le vrai principe d’action dans les medicamens, les médecins n’ont absolument d’autre source de connoissance sur leur action, ou pour mieux dire sur leurs effets, que l’observation empirique.
Quant à l’affection, à la réaction du sujet, du corps animal, aux mouvemens excités dans la machine par les divers médicamens, à la série, la succession des changemens qui amenent le rétablissement de l’intégrité & de l’ordre des fonctions animales, c’est-à-dire de la santé ; la saine théorie médicinale est, ou du moins devroit être tout aussi muette & aussi modeste que la chimie raisonnable l’est sur la cause de ces changemens, considerée dans les médicamens ; mais les médecins ont beaucoup discouru, raisonné, beaucoup théorisé sur cet objet, parce qu’ils discourent sur tout. Le succès constamment malheureux de toutes ces tentatives théoriques est très remarquable, même sur le plus prochain, le plus simple, le plus sensible de ces objets, savoir leur effet immédiat, le vomissement, la purgation, la sueur, &c. ou plus prochainement encore l’irritation. Que doit-ce être sur l’action élective des médicamens, sur leur pente particuliere vers certains organes, la tête, les reins, la peau, les glandes salivaires, &c ; ou si l’on veut leur affinité avec certaines humeurs, comme la bile, l’urine, &c ; car quoiqu’on ait outré le dogme de la détermination constante des divers remedes vers certains organes, & qu’il soit très-vrai que plusieurs remedes se portent vers plusieurs couloirs en même tems, ou vers différens couloirs dans différentes circonstances ; que le même médicament soit communément diurétique, diaphorétique & emménagogue, & que le kermes minéral, par exemple, produise selon les diverses dispositions du corps, ou par la variété des doses, le vomissement, la purgation, la sueur ou les crachats ; il est très-évident cependant que quelques remedes affectent constamment certaines parties ; que les cantharides & le nitre se portent sur les voies des urines, le mercure sur les glandes salivaires, l’aloës sur la matrice & les vaisseaux hémorrhoïdaux, &c : encore un coup, tout ce que la théorie médicinale a établi sur cette matiere est absolument nul, n’est qu’un pur jargon ; mais nous le repétons aussi, l’art y perd peu, l’observation empirique bien entendue suffit pour l’éclairer à cet égard.
Relativement aux effets immédiats dont nous venons de parler, les médicamens sont divisés en altérans, c’est-à-dire produisant sur les solides ou sur les humeurs des changemens cachés, ou qui ne se manifestent que par des effets éloignés, & dont les médecins ont évalué l’action immédiate par des conjectures déduites de ces effets, & en évacuant. L’article ayant été omis, nous exposerons ici les subdivisions dans lesquelles on a distribué les médicamens de cette classe, & nous renverrons absolument aux articles particuliers, parce que les généralités ne nous paroissent pas propres à instruire sur cette matiere. Les différens altérans ont été appellés émolliens, délayans, relâchans, incrassans, apéritifs, incisits, fondans, détersifs, astringens, absorbans, vulnéraires, échauffans, rafraîchissans, fortifians, cordiaux, stomachiques, toniques, nervins, antispasmodiques, hystériques, céphaliques, narcotiques, tempérans ou sédatifs, repercussifs, styptiques, mondificatifs, résolutifs, suppuratifs, sarcotiques ou cicatrisans, dessicatifs, escarrotiques, corrosifs. (Voyez ces articles.)
La subdivision des évacunans est exposée au mot Évacuant. (Voyez cet article.)
Les médicamens sont encore distingués en doux ou benins, & en actifs ou forts ; ces termes s’expliquent d’eux-mêmes. Nous observerons seulement que les derniers ne différent réellement des poisons que par la dose ; & qu’il est même de leur essence d’être dangereux à une trop haute dose. Car l’action vraiment efficace des médicamens réels doit porter dans la machine un trouble vif & soudain, & dont par conséquent un certain excès pourroit devenir funeste. Aussi les anciens désignoient-ils par un même nom, les médicamens & les poisons ; ils les appelloient indistinctement pharmaca. Les médicamens benins, innocens, exercent à peine une action directe & véritablement curative. Souvent ils ne font rien ; & quand ils sont vraiment utiles, c’est en disposant de loin & à la longue, les organes ou les humeurs à des changemens qui sont principalement opérés par l’action spontanée, naturelle de la vie, & auxquels ces remedes doux n’ont par conséquent contribué que comme des moyens subsidiaires très subordonnés ; au lieu qu’encore un coup, les médicamens forts bouleversent toute la machine, & la déterminent à un changement violent, forcé, soudain.
Il y a encore des médicamens appellés alimenteux. On a donné ce nom & celui d’aliment médicamenteux, à certaines matieres qu’on a cru propres à nourrir & à guerir en même tems, par exemple à tous les prétendus incrassans, au lait, &c. Voyez Incrassans, Lait & Nourrissans.
Les médicamens sont distingués enfin, eu égard à certaines circonstances de leur préparation, en simples & composés, officinaux, magistraux & secrets (voyez ces articles.) ; en chimiques & galéniques. Voyez l’article Pharmacie.
La partie de la Medécine qui traite de la nature & de la préparation des médicamens, est appellée Pharmacologie, & elle est une branche de la Thérapeutique (voyez Pharmacologie & Thérapeutique.) ; & la provision, le trésor de toutes les matieres premieres ou simples, dont on tire les médicamens, s’appelle matiere médicale. Les trois regnes de la nature (voyez Regne, Chimie.) fournissent abondamment les divers sujets de cette collection, que les pharmacologistes ont coutume de diviser selon ces trois grandes sources ; ce qui est un point de vûe plus propre cependant à l’histoire naturelle de ces divers sujets, qu’à leur histoire médicinale, quoiqu’on doive convenir que chacun de ces regnes imprime à ces produits respectifs, un caractere spécial qui n’est pas absolument étranger à leur vertu médicamenteuse. (b)